Docteur de l'Eglise
COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE
LOMBARD
(1254-1256)
© Copyright, Traduction et notes par Serge Pronovost, 2018
Edition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
Les œuvres
complètes de saint Thomas d'Aquin
Prologue
général, la théologie, Le Dieu unique
Il s'agit de la toute première œuvre de saint Thomas, la
première de ses Sommes de théologie.
Le
texte latin est en caractère 12, en bleu.
La traduction française est faite à partir de l’édition
électronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, réalisée par le
professeur Enrique Alarcón, dans le cadre de la publication accessible par
ordinateur du Corpus thomisticum (Université de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org
Les
œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
Prologue
général, la théologie, Le Dieu unique_
Le
premier livre : [Dieu et sa Trinité]
Le
second livre : [La création par Dieu]
Le
troisième livre : [La restauration des oeuvres de Dieu : Le Christ et la grâce]
Le
quatrième livre : [Les moyens sacramentels et la fin des êtres]
TEXTE
DE PIERRE LOMBARD, prologue : La théologie
COMMENTAIRE
DE SAINT THOMAS SUR LE PROLOGUE (La théologie)
Question
unique : [La doctrine sacrée]
Article
1 – Outre les disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à
l’homme ?
Article
2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine outre les sciences physiques ?
Article
3: [La nature de cette science]
Article
4 – Dieu est-il le sujet de cette science ?
Article
5 – La manière de procéder est-elle selon l’art
?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 1
Distinction
1 – [L'usage et la fruition de Dieu]
Question
1 – [La jouissance et l’usage]
Article
1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ?
Article
2 – L’usage est-il un acte de la raison ?
Article
1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ?
Article
2 – Est-ce que jouir de Dieu est une fruition unique ?
Question
3 – [L’usage des créatures]
Article
1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que Dieu ?
Question
4 – [Ceux qui jouissent et utilisent]
Article
1 – La jouissance appartient-elle à toutes les choses ?
Est-ce
que l’usage s’attribue à ceux qui existent dans la Patrie ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 1
Distinction
2 – [L’unité en Dieu]
Qestion
unique : [Unité de l’essence divine]
Article
1 – N’y a-t-il qu’un seul Dieu ?
Article
2 – Y a-t-il plusieurs attributs en Dieu ?
Article
4 – Y a-t-il en Dieu plusieurs personnes ?
Article
5 – Les personnes divines diffèrent-elles réellement ou en raison ?
Distinction
3 – [Comment on vient à la connaissance de Dieu par sa trace des créatures]
Question
1 – [La connaissance de Dieu dans les créatures]
Article
1 – Dieu peut-il être connu par un intellect créé ?
Article
2 – L'existence de Dieu est-elle évidente par soi ?
Article
3 – Dieu peut-il être connu par l'homme à travers les créatures ?
Article
1 – La ressemblance de Dieu dans les créatures peut-elle être appelée vestige ?
Article
2 – Est-ce que les parties du vestige sont au nombre de trois ou n’y en a-t-il
que deux ?
Article
3 – Y a-t-il une trace en toute créature ?
Question
3 – [Le substrat de l’image]
Article
unique : L’esprit est-il le seul sujet de l’image ?
Question
4 – [La connaissance de l’image]
Article
1 – Est-ce que la mémoire a rapport à l’image ?
Article
2 – Les puissances de l'âme sont-elles son essence ?
Article
3 – Est-ce qu’une seule et même puissance naît d’une autre ?
Question
5 – [Les parties de l’image]
Distinction
4 – [La génération en Dieu]
Question
1 – [La génération divine]
Article
1 – Y a-t-il de la génération en Dieu ?
Article
2 – Cette proposition : « Dieu a engendré Dieu » est-elle fausse ?
Article
3 – Dieu s’est-il engendré lui-même comme Dieu ou a-t-il engendré un autre Dieu
?
Question
2 – [L’attribution divine]
Article
1 – Peut-on former une proposition au sujet de Dieu ?
Article
2 – La personne peut-elle être attribuée à l'essence ?
Distinction
5 – [Les noms qui signifient l’essence de Dieu dans l’abstrait]
Question
1 – [L'essence se comporte-t-elle vis-à-vis de la génération comme ce qui
engendre ?]
Article
1 – L’essence engendre-t-elle ?
Article
2 – L'acte d'engendrer est-il attribué à l'un des noms essentiels ?
Question
2 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce d’où vient la génération ?]
Article
1 – Le Fils est-il engendré de la substance du Père ?
Article
2 – Le Fils vient-il du néant ?
Question
3 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce qui est le terme de la génération]
Article
unique : L’essence est-elle le terme de la génération ?
Distinction
6 – [La génération en son principe]
Question
unique : [La nécessité de la génération du Fils]
Article
1 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nécessité ?
Article
2 – Le Père a-t-il engendré le Fils par volonté ?
Article
3 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nature ?
Distinction
7 – [La puissance générative en Dieu. Principe]
Question
1 – [La puissance d’engendrer en Dieu]
Article
1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ?
Article
2 – La puissance générative est-elle une relation ?
Question
2 – [L’état commun de cette puissance]
Article
1 – La puissance d’engendrer est-elle dans le Fils ?
Article
2 – Le Fils peut-il engendrer un autre fils ?
Distinction
8 – [Les attributs divins : être, éternité, immutabilité, simplicité]
Article
1 – Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ?
Article
2 – Dieu est-il l'être de toutes les choses ?
Article
3 – Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les noms divins ?
Question
2 – [L’éternité divine]
Article
1 – La définition de l’éternité donnée par Boèce convient-elle ?
Article
2 – L'éternité convient-elle à Dieu seulement ?
Article
3 – Peut-on attribuer à Dieu des paroles temporelles?
Question
3 – [L’immutabilité de Dieu]
Article
1 – Dieu est-il changeant de quelque manière ?
Article
2 – Toute créature est-elle changeante ?
Article
3 – Les modes de changement des créatures sont-ils attribués convenablement par
Augustin ?
Question
4 – [La simplicité en Dieu]
Article
1 – Dieu est-il simple d’une simplicité qui est absolue?
Article
2 – Dieu est-il dans la catégorie de la substance ?
Article
3 – Est-ce que les autres prédicaments s’attribuent à Dieu ?
Question
5 – [La simplicité du côté des créatures]
Article
1 – Existe-t-il une créature simple ?
Article
2 – L'âme est-elle simple ?
Article
3 – L'âme est-elle toute entière dans tout le corps et en chaque partie ?
Distinction
9 – [La distinction des personnes]
Question
1 – [La distinction du Père et du Fils]
Article
1 – Le Fils est-il autre que son Père ?
Article
2 – Peut-on dire que le Père et le Fils sont plusieurs éternels ?
Question
2 – [La coéternité du Père et du Fils]
Article
1 – Le Père est-il antérieur au Fils ?
Article
2 – La génération divine doit-elle être signifiée par le temps présent ?
Distinction
10 – [L’Esprit Saint comme amour]
Question
unique : [L’Esprit Saint comme amour]
Article
1 – L’Esprit Saint procède-t-il comme amour ?
Article
2 – L’Esprit Saint est-il l’amour que le Père a pour le Fils ?
Article
3 – L’Esprit Saint est-il l’union du Père et du Fils ?
Article
4 – Appelle-t-on au sens propre, l’Esprit Saint, la personne qui procède par
amour ?
Article
5 – Y a-t-il seulement trois Personnes en Dieu ?
Distinction
11 – [La procession de l’Esprit Saint]
Question
unique : [La procession de l’Esprit Saint]
Article
1 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils ?
Article
2 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un ?
Article
3 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un en
nature ?
Article
4 – Le Père et le Fils sont-ils un seul agent de spiration ?
Distinction
12 – [La procession de l’Esprit Saint – suite]
Article
1 – La génération est-elle antérieure à la procession ?
Article
2 – L'Esprit Saint procède-t-il plus du Père que du Fils ?
Article
3 – L'Esprit Saint procède-t-il du Père par l'intermédiaire du Fils ?
Distinction
13 – [la procession du Saint Esprit – suite]
Question
unique : [La procession du Saint Esprit]
Article
1 – Y a-t-il une procession en Dieu ?
Article
2 – N'y a-t-il qu'une seule procession en Dieu ?
Article
3 – La procession de l'Esprit Saint doit-elle être appelée procession ou
génération ?
Article
4 – Doit-on dire que l’Esprit Saint est inengendré ?
Distinction
14 – [La procession de l’Esprit Saint – suite]
Question
1 – [La procession temporelle en soi]
Article
1 – Y a-t-il une procession de l’Esprit Saint qui est temporelle ?
Article
2 – La procession temporelle se distingue-t-elle réellement de la procession
éternelle ?
Article
1 – L’Esprit Saint est-il donné temporellement ?
Article
2 – La procession temporelle de l’Esprit Saint s’étend-elle à tous les dons ?
Question
3 – [Par qui la procession temporelle de l’Esprit Saint est-elle faite ?]
Article
1 – L’Esprit Saint est-il donné par les saints ?
Distinction
15 – [La mission en Dieu]
Question
1 – [Qu’est ce que la mission des Personnes divines ?]
Article
1 – La mission convient-elle aux Personnes divines ?
Article
2 – La mission signifie-t-elle une notion ?
Question
2 – [La mission convient-elle à toutes les personnes ?]
Article
1 – La mission convient-elle à toutes les personnes ?
Question
3 – [La mission par comparaison à celui qui envoie]
Article
1 – Est-ce qu’une personne s’envoie ou se donne elle-même ?
Article
2 – L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ?
Question
4 – [La mission invisible du Fils en soi]
Article
1 – Le Fils est-il envoyé invisiblement en esprit ?
Article
2 – La mission du Fils se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ?
Article
3 – La mission peut-elle être éternelle ?
Question
5 – [la mission du Fils par comparaison avec ceux à qui il est envoyé]
Article
1 – La mission est-elle faite pour les créatures sans raison ?
Article
2 – La mission invisible a–t-elle été plus complète après l’Incarnation
qu’avant ?
Article
3 – Par la mission invisible se fait-il que nous ne sommes plus en ce monde ?
Distinction
16 – [Les missions visibles]
Question
unique : [Les missions visibles des Personnes divines]
Article
1 – Une mission visible convient-elle aux Personnes divines ?
Article
2 – La mission visible aurait-elle dû exister pour les Pères de l’ancien
Testament ?
Article
3 – La mission visible est-elle faite seulement dans une forme corporelle ?
Article
4 – Les formes de la mission visible sont-elles formées par l’intervention des
anges ?
Distinction
17 – [Les missions invisibles de l’Esprit Saint]
Question
1 – [La nature de la charité]
Article
1 – La charité est-elle quelque chose de créé dans l’âme ?
Article
2 – La charité est-elle un accident ?
Article
3 – La charité est-elle donnée selon la capacité des choses naturelles ?
Article
4 – La charité est-elle connue avec certitude par celui qui la possède ?
Article
5 – La charité doit-elle être aimée par charité ?
Question
2 – [La croissance de la charité]
Article
1 – La charité s’accroît-elle ?
Article
2 – La charité s’accroît-elle par addition ?
Article
3 – La charité s’accroît-elle par n’importe quel acte ?
Article
4 – L’accroissement de la charité a-t-il une limite ?
Article
5 – La charité diminue-t-elle ?
Distinction
18 – [L’Esprit Saint comme don]
Question
unique : [L’Esprit Saint comme don]
Article
1 – Est-ce que le nom don est un nom essentiel ?
Article
2 – Le don est-il le propre de l’Esprit Saint ?
Article
4 – L’Esprit Saint tient-il de la même procession d’être don et Dieu ?
Article
5 – Peut-on appeler l’Esprit Saint notre don ?
Distinction
19 – [Les personnes divines, leurs relations, leur égalité]
Question
1 – [L’égalité des personnes divines]
Article
1 – Y a-t-il de l’égalité en Dieu ?
Article
2 – L’égalité en Dieu est-elle réciproque ?
Question
2 – [Ce en quoi l’égalité des personnes divines est atteinte]
Article
1 – L’éternité est-elle la substance de Dieu ?
Article
2 : L’instant de l’éternité est-il l’éternité elle-même ?
Question
3 – [La grandeur des personnes divines]
Article
1 – La grandeur convient-elle à Dieu ?
Article
2 – Le Père est-il dans le Fils et inversement ?
Question
4 – [Le tout attribué à Dieu]
Article
1 – Y a-t-il en Dieu un tout intégral ?
Article
2 – Y a-t-il en Dieu un tout universel ?
Article
1 – La vérité est-elle l’essence de la chose ?
Article
2 – Tout est-il vrai d’une vérité incréée ?
Article
3 – Y a-t-il plusieurs vérités éternelles ?
Distinction
20 – [La puissance du Fils]
Question
unique : [La puissance du Fils]
Article
1 – Le Fils est-il tout puissant ?
Article
2 – Le Fils est-il égal au Père ?
Article
3 – Y a-t-il un ordre dans les personnes divines ?
Distinction
21 – [Les noms divins (1)]
Question
1 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du sujet ?]
Article
1 – Cette proposition, ‘Seul Dieu est Dieu’, est-elle fausse ?
Article
2 – Cette proposition : « Le Père seul est Dieu », est-elle
vraie ?
Question
2 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du prédicat ?]
Article
1 – Cette proposition : « La Trinité est le seul Dieu »,
est-elle vraie ?
Article
2 – Le Père est-il le seul Dieu ?
Distinction
22 – [Les noms divins – suite]
Question
1 – [Le nom attribué à Dieu]
Article
1 – Est-ce que Dieu peut être désigné par un nom ?
Article
2 – Peut-on employer un nom au sens propre pour Dieu ?
Article
3 – Dieu a-t-il un seul nom ?
Article
4 – La division des noms de Dieu donné par Ambroise est-elle insuffisante ?
Distinction
23 – [Le nom « personne »]
Article
2 – Ce nom « personne » est-il employé au sens propre pour Dieu ?
Article
4 – « Personne » est-il prédiqué au pluriel en Dieu ?
Distinction
24 – [L’unité en Dieu]
Question
1 – [L’unité en Dieu]
Article
1 – Peut-on dire que Dieu est un ?
Article
2 – Y a-t-il un nombre en Dieu ?
Article
3 – L’unité et le nombre placent-ils quelque chose en Dieu ou l’excluent-ils ?
Article
4 – L’un et le nombre signifient-ils l’essence ?
Question
2 – La diversité en Dieu
Article
1 – Y a-t-il de la diversité en Dieu ?
Article
2 – Trinité est-il un nom essentiel ?
Distinction
25 – [Parle-t-on de manière univoque de Dieu et des créatures ?]
Question
unique : [La définition de la personne]
Article
1 – La définition de la personne donnée par Boèce convient-elle ?
Article
3 – La personne est-elle commune aux trois personnes ?
Article
4 – Peut-on dire que les trois personnes sont trois choses ?
Distinction
26 – [Les hypostases et les relations]
Article
1 – Est-ce que l’hypostase s’attribue proprement à Dieu ?
Article
2 – Si on exclut en esprit les relations, les hypostases demeurent-elle
distinctes ?
Article
1 – Les relations en Dieu sont-elles tout à fait inexistantes ?
Article
2 – Les relations d'origine distinguent-elles les hypostases ?
Article
3 – Les notions sont-elles seulement cinq ?
Distinction
27 – [Les propriétés et le Verbe]
Article
1 – Les propriétés se distinguent-elles entre elles ?
Article
2 – L'opération personnelle précède-t-elle en raison la relation de la personne
?
Article
1 – Parle-t-on du Verbe au sens propre en Dieu ?
Article
2 – Le verbe est-il dit selon la personne ?
Article
3 – Le verbe dit-il toujours le rapport à la créature ?
Distinction
28 – [L’innascibilité et l’image]
Question
1 – [L’innascibilité]
Article
1 – L’innascibilité est-elle la propriété du Père ?
Article
2 – L’innascibilité est-elle la propriété personnelle du Père ?
Article
2 – Parle-t-on de l’image selon l’essence ?
Article
3 – Peut-on dire que l’Esprit Saint est une image ?
Distinction
29 – [Le principe]
Question
unique – [Le principe]
Article
1 – Une personne est-elle le principe d’une autre ?
Article
4 – Le Père et le Fils sont-ils le principe unique de l’Esprit Saint ?
Distinction
30 – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps]
Question
unique – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps]
Article
1 – Dit-on quelque chose de Dieu en rapport avec le temps ?
Article
2 – Ce qui est dit de Dieu en rapport avec le temps signifie-t-il son essence ?
Distinction
31 – [Egalité et appropriation]
Question
1 – [L’égalité des Personnes]
Article
1 – L’égalité place-t-elle quelque chose en Dieu ?
Article
2 – Les attributs essentiels de ce genre doivent-ils être appropriés aux
personnes divines ?
Question
2 – [L’appropriation]
Question
3 – [L’appropriation, suite]
Article
2 – Tout est-il un à cause du Père ?
Distinction
32 – [La médiation dans les processions]
Article
1 – Le Père aime-t-il le Fils en l’Esprit Saint ?
Article
2 – Le Père s’aime-il par l’Esprit Saint ?
Article
3 – Le Père et le Fils nous aiment-ils par l’Esprit Saint ?
Question
2 – [Ce qui convient au Fils]
Article
1 – Le Père est-il sage par une sagesse engendrée ?
Article
2 – Le Fils est-il sage d’une sagesse engendrée ?
Distinction
33 – [Les propriétés et l’essence]
Question
unique – [Les propriétés et l’essence]
Article
1 – Les relations en Dieu sont-elles son essence ?
Article
2 – Les propriétés sont-elles les personnes ?
Article
3 – Les propriétés sont-elles dans les personnes et dans l’essence ?
Article
4 – Les adjectifs essentiels s’attribuent-ils aux propriétés ?
Article
5 – Les opinions contraires concernant les notions peuvent-elles être sans
péché ?
Distinction
34 – [L’essence et la Personne]
Question
1 – [La comparaison de l’essence avec la personne].
Article
1 – La personne et l’essence sont-elles une même chose en Dieu ?
Article
2 – Dit-on convenablement que les trois personnes sont d’une seule essence ?
Question
2 – [L’appropriation qui est placée dans la Lettre].
Question
3 – [Ce qui est dit métaphoriquement de Dieu].
Article
1 – Doit-on dire quelque chose de Dieu par métaphore ?
Article
2 – La métaphore en Dieu doit-elle être faite à partir des choses viles ?
Distinction
35 – [La science de Dieu]
Question
unique – [La science convient-elle à Dieu ?]
Article
1 – La science convient-elle à Dieu ?
Article
2 – Dieu connaît-il ce qui est autre que lui ?
Article
3 – A-t-il une connaissance certaine et particulière des autres choses que lui
?
Article
4 – La science de Dieu est-elle univoque à la nôtre ?
Article
5 – La science de Dieu est-elle universelle ?
Distinction
36 – [La connaissance de Dieu et les idées]
Question
1 – [La connaissance de Dieu]
Article
1 – Dieu connaît-il les singuliers ?
Article
2 – Dieu connaît-il les maux ?
Article
3 – Ce qui est connu par Dieu est-il en lui ?
Question
2 – [Les idées de Dieu]
Article
1 – Qu’est-ce qui est impliqué par le nom d’idée ?
Article
2 – Y a-t-il plusieurs idées ?
Article
3 – Y a-t-il en Dieu les idées de tout ce qu’il connaît ?
Distinction
37 – [L’ubiquité de Dieu. La localisation et les mouvements des anges]
Question
1 – [La présence de Dieu]
Article
1 – Dieu est-il dans les choses ?
Question
2 – [L’ubiquité de Dieu]
Article
1 – Dieu est-il partout ?
Article
2 – Être partout convient-il à Dieu seul ?
Article
3 – Être partout convient-il à Dieu éternellement ?
Question
3 – [Le lieu des anges]
Article
1 – L’ange est-il dans un lieu ?
Article
2 – L’ange peut-il être en plusieurs lieux ?
Article
3 – Plusieurs anges peuvent-ils être dans un seul et même lieu ?
Question
4 – [Le mouvement des anges]
Article
1 – L’ange se meut-il localement ?
Article
2 – L’ange dans son déplacement traverse-t-il nécessairement un espace
intermédiaire ?
Article
3 – L’ange se meut-il dans l’instant ?
Distinction
38 – [La science de Dieu]
Question
unique – [L’universalité de la science de Dieu]
Article
1 – La science de Dieu est-elle la cause des choses ?
Article
2 – La science de Dieu concerne-t-elle de manière uniforme les choses connues ?
Article
3 – La science de Dieu concerne-t-elle ce qui peut être énoncé ?
Article
4 – Dieu a-t-il la science du non-être ?
Article
5 – La science de Dieu concerne-t-elle les futurs contingents ?
Distinction
39 – [Science de Dieu et providence]
Question
1 – [l’invariabilité de la science divine]
Article
1 – Dieu peut-il ne pas connaître ce qui est connu par lui ?
Article
2 – Dieu peut-il savoir ce qu’il ne sait pas ?
Article
3 – Dieu connaît-il l’infini ?
Question
2 – [l’universalité de la providence divine]
Article
1 – La providence appartient-t-elle à la science ?
Article
2 – La providence s’applique-t-elle à tout ce qui existe ?
Distinction
40 – [La prédestination]
Question
1 – [La nature de la prédestination]
Article
1 – La prédestination est-elle quelque chose dans le prédestiné ?
Article
2 – La prédestination appartient-elle à la science ?
Question
2 – [L’objet de la prédestination]
Article
1 – Qui est concerné par la prédestination ?
Question
3 – [La certitude de la prédestination]
Article
1 – La prédestination est-elle certaine ?
Article
1 – La réprobation ajoute-t-elle quelque chose à la prescience ?
Article
2 – Dieu est-il la cause de l’endurcissement ?
Distinction
41 – [L’élection en Dieu]
Question
unique – [Y a-t-il en Dieu une élection ?]
Article
1 – Y a-t-il en Dieu une élection ?
Article
2 – L’élection précède-t-elle la prédestination en raison ?
Article
3 – La préscience des mérites est-elle la cause de la prédestination ?
Article
4 – La prédestination est-elle aidée par l’œuvre de l’homme ?
Article
5 – Tout ce que Dieu a connu autrefois, le connaît-il maintenant ?
Distinction
42 -- [La condition de la toute puissance de Dieu]
Question
1 – [La puissance de Dieu en soi]
Article
1 – Y a-t-il de la puissance en Dieu ?
Y
a-t-il en Dieu une seule puissance ?
Question
2 – [Ce qui est soumis à la puissance de Dieu]
Article
1 – Dieu peut-il tout ce qui est possible à un autre ?
Article
2 – Dieu peut-il ce qui est impossible à la nature ?
Article
3 – Faut-il juger l'impossible selon les causes inférieures ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 42
Distinction
43 – [La puissance de Dieu, suite]
Question
1 – [Les limites de la puissance de Dieu]
Article
1 – La puissance de Dieu est-elle infinie ?
Article
2 – La toute puissance de Dieu peut-elle être communiquée aux créatures ?
Question
2 – [La nécessité de l'opération divine]
Article
1 – Dieu opère-t-il par nécessité de nature ?
Article
2 – Dieu agit-il par une nécessité de justice ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 43
Distinction
44 – [La puissance de Dieu dans sa création]
Question
unique – [La puissance de Dieu relativement à la création]
Article
1 – Dieu aurait-il pu faire une créature meilleure qu'il ne l’a faite ?
Article
2 – Dieu aurait-il pu faire un univers meilleur ?
Article
3 – Dieu aurait-il pu rendre l’humanité du Christ meilleure qu’elle ne l’est ?
Article
4 – Dieu peut-il faire tout ce qu'il a pu autrefois ?
Explication
du texte de Pierre Lombard, Dist. 44
Distinctio
45 – [La volonté en Dieu]
Article 1 – La volonté existe-t-elle en
Dieu ?
Article 2 – La volonté de Dieu ne se
rapporte-t-elle qu’à lui seul ?
Article 3 – La volonté de Dieu est-elle la
cause des choses ?
Article 4 – La volonté de Dieu se
distingue-t-elle en volonté de bon plaisir et volonté de signe ?
Distinction 46 – (2) La volonté de Dieu
Article 1 : Dieu veut-il que tous les
hommes soient sauvés ?
Article 2 : Est-il bon que des choses
mauvaises soient faites?
Article 3 : Le mal contribue-t-il à la
perfection de l’univers ?
Article 4 : Dieu veut-il que de mauvaises
choses soient faites ?
Distinction
47 – (3) La volonté de Dieu - Son efficacité
Article
1 : La volonté divine s’accomplit-elle toujours efficacement ?
Article
2 : Est-ce que rien ne se fait en dehors de la volonté de Dieu ?
Article
3 : Est-ce que ce qui est contre la volonté de Dieu n’obéit pas à sa
volonté ?
Article 4 : Ce qui est en dehors de
la volonté de Dieu n’est-il pas soumis au précepte ?
Distinction
48 – La volonté de Dieu (4). La conformité de la volonté de l’homme à
celle de Dieu
Article
1 : Est-ce que la volonté humaine ne peut pas se conformer à la volonté
divine ?
Article
2 : La conformité des volontés se vérifie-t-elle surtout selon ce qui est
voulu ?
Article
3 : Ne sommes-nous pas tenus à la conformité de la volonté divine ?
Article
4 : Sommes-nous tenus à la conformité dans ce qui est voulu ?
Textum Parmae 1858 editum ac automato translatum a
Roberto Busa SJ in taenias magneticas denuo recognovit Enrique Alarcón atque
instruxit. |
© Copyright, Traduction et notes par Serge Pronovost |
|
|
LIBER I |
LIVRE 1 |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
|
Ego
sapientia effudi flumina : ego quasi trames aquae immensae defluo : ego quasi
fluvius Dorix, et sicut aquaeductus exivi de Paradiso. Dixi : rigabo hortum
plantationum, et inebriabo partus mei fructum. Eccli. 24, 40. |
Moi, la
Sagesse, j’ai relâché des torrents : je me répands comme un cours d’eau
immense : je suis comme le fleuve Diorix, et comme un cours d’eau je
suis sorti du Paradis. J’ai dit : j’irriguerai abondamment le jardin de
mes plantations et j’enivrerai le fruit de mon enfantement. (Si. 24,
30-31). |
|
|
|
Le premier livre : [Dieu et sa Trinité] |
Inter multas
sententias quae a diversis de sapientia prodierunt, quid scilicet esset vera
sapientia, unam singulariter firmam et veram apostolus protulit dicens Christum Dei virtutem et Dei sapientiam,
qui etiam nobis a Deo factus est sapientia, 1 ad Corinth. 1, 24 et 30. Non autem hoc ita dictum est, quod
solus filius sit sapientia, cum pater et filius et spiritus sanctus sint una
sapientia, sicut una essentia ; sed quia sapientia quodam speciali modo filio
propriis [appropriatur Éd. Parme], eo quod sapientiae opera cum
propriis [proprietatibus Éd. De Parme]
filii plurimum convenire videntur. Per sapientiam enim Dei manifestantur
divinorum abscondita, producuntur creaturarum opera, nec tantum producuntur,
sed [etiam Éd. De Parme]
restaurantur et perficiuntur : illa, dico, perfectione qua unumquodque
perfectum dicitur, prout proprium finem attingit. |
Parmi les
nombreuses sentences sur la sagesse produites par différents auteurs pour
exprimer ce que devait être la vraie sagesse, l’apôtre en a déclaré une qui
est spécialement forte et vraie en disant : Le Christ est la
puissance et la sagesse de Dieu, lui qui a aussi été fait sagesse pour nous
par Dieu. (1Cor. 1, 24 et 30). Mais cela n’a pas été dit de telle manière
que seul le Fils serait sagesse, puisque le Père, avec le Fils et
l’Esprit-Saint, sont une seule et même sagesse tout comme ils sont une seule
et même essence, mais en ce sens que la sagesse semble appartenir en propre
au Fils d’une manière spéciale, du fait que les œuvres de la sagesse semblent
grandement ressortir de ce qui est propre au Fils. En effet, c’est par la
Sagesse de Dieu que sont manifestés les trésors cachés de la divinité, que
sont produites les œuvres des créatures, et qu’elles ne sont pas seulement
produites, mais aussi restaurées et conduites à leurs perfections ; et
j’appelle ici perfection celle par laquelle on dit de chaque chose qu’elle
est parfaite dans la mesure où elle parvient à la fin qui lui est propre. |
Quod autem
manifestatio divinorum pertineat ad Dei sapientiam, patet ex eo quod ipse
Deus per suam sapientiam seipsum plene et perfecte cognoscit. Unde si quid de
ipso cognoscimus oportet quod ex eo derivetur, quia omne imperfectum a
perfecto trahit originem : unde dicitur Sapient.
9, 17 : Sensum tuum quis sciet, nisi tu
dederis sapientiam ? Haec autem manifestatio specialiter per filium facta
invenitur : ipse enim est verbum patris, secundum quod dicitur Joan. 1, unde sibi manifestatio
dicentis patris convenit et totius Trinitatis. Unde dicitur Matth. 11, 27 : Nemo novit patrem nisi filius et cui filius voluerit revelare : et Joan. 1, 18 : Deum nemo vidit unquam, nisi unigenitus qui est in sinu patris.
|
Mais qu’il
appartienne à la sagesse de Dieu de manifester le divin, cela est évident du
fait que Dieu lui-même, par sa sagesse, se connaît lui-même dans sa plénitude
de la façon la plus parfaite. C’est pourquoi, si nous connaissons quelque
chose de Lui, il faut que cette connaissance provienne de Lui, car tout ce
qui est imparfait tire son origine de ce qui est parfait ; c’est
pourquoi on lit ceci au livre de la Sagesse (9, 17) : Qui connaîtra ta Pensée, si tu ne lui
donnes pas ta Sagesse ? Mais il se trouve que cette manifestion du
divin a spécialement été faite par le Fils : en effet, il est Lui-même
le Verbe du Père, conformément à ce qu’on lit dans le premier chapitre de l’Évangile
de Jean, et c’est pourquoi c’est à lui qu’il revient de révéler ce que
dit le Père et toute la Trinité. C’est pourquoi Matthieu dit (11, 27) : Personne
n’a connu le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils a voulu le
révéler ; et Jean dit de même (1, 18) : Dieu, personne
ne l’a jamais vu, si ce n’est celui qui est le seul à avoir été engendré dans
le sein du Père. |
Recte ergo dicitur ex persona filii : ego sapientia effudi flumina. Flumina
ista intelligo fluxus aeternae processionis, qua filius a patre, et spiritus
sanctus ab utroque, ineffabili modo procedit. Ista flumina olim occulta et
quodammodo infusa [confusa Éd. De Parme]erant,
tum in similitudinibus creaturarum, tum etiam in aenigmatibus Scripturarum,
ita ut vix aliqui sapientes Trinitatis mysterium fide tenerent. Venit filius Dei et infusa [inclusa Éd. De Parme] flumina quodammodo
effudit, nomen Trinitatis publicando, Matth.
ult. 19 : Docete omnes gentes,
baptizantes eos in nomine patris et filii et spiritus sancti. Unde Job 28, 2 : Profunda fluviorum scrutatus est et abscondita produxit in lucem.
Et in hoc tangitur materia primi libri. |
C’est donc à
juste titre que ces paroles sont dites de la bouche du Fils : Moi la
sagesse, j’ai relâché des torrents. J’entends par torrents l’écoulement
d’une procession éternelle par lequel, selon un mode ineffable, le Fils
procède du Père et l’Esprit-Saint du Père et du Fils. Autrefois ces torrents
étaient cachés et d’une certaine manière n’étaient connus que confusément,
aussi bien à travers les similitudes des créatures que dans les énigmes que
présentent les Écritures, de telle manière qu’à peine quelques sages
adhéraient par la foi au mystère de la Trinité. Mais le Fils de Dieu vint et
il répandit en quelque sorte des torrents intérieurs en proclamant le nom de
la Trinité comme il est dit dans Matthieu (28, 19) : Enseignez toutes
les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
C’est aussi pourquoi on lit dans Job (28, 2) : Il a scruté la
profondeur des fleuves et il a amené à la lumière ce qui était dans
l’obscurité. Et par ces considérations, nous touchons à la matière du
premier livre. |
|
|
|
Le second livre : [La création par Dieu] |
|
|
Secundum
quod pertinet ad Dei sapientiam est creaturarum productio : ipse enim de
rebus creatis non tantum speculativam, sed etiam operativam sapientiam habet,
sicut artifex de artificiatis ; unde in Psalm.
103 : Omnia in sapientia fecisti.
Et ipsa sapientia loquitur, Proverb.
8, 30 : Cum eo eram cuncta componens.
Hoc etiam specialiter filio attributum invenitur, inquantum est imago Dei
invisibilis, ad cujus formam omnia formata sunt : unde Coloss. 1, 15 : Qui est
imago Dei invisibilis, primogenitus omnis creaturae, quoniam in ipso condita
sunt universa ; et Joan. 1, 3 :
Omnia per ipsum facta sunt. Recte ergo dicitur ex persona filii :
ego quasi trames aquae immensae de fluvio ; in quo notatur et ordo creationis
et modus. Ordo, quia sicut trames a fluvio derivatur, ita processus
temporalis creaturarum ab aeterno processu personarum : unde in Psalmo 148, 5, dicitur : Dixit, et facta sunt. |
Ce qui relève
en deuxième lieu de la sagesse divine, c’est la production des
créatures : Dieu lui-même en effet ne possède pas seulement une sagesse
spéculative au sujet des choses créées, mais aussi une sagesse
opérationnelle, comparable à celle de l’artisan par rapport aux choses
artificielles ; c’est pourquoi le Psaume dit (103) : Tu as tout
fait avec sagesse. Et c’est la sagesse elle-même qui parle dans les Proverbes
(8, 30) : J’étais avec lui, disposant toute chose. Cela même
se trouve encore à être spécialement attribué au Fils selon qu’il est l’image
visible du Dieu invisible à la forme duquel toutes les choses ont été
façonnées ; c’est pourquoi on lit dans l’Épître aux Colossiens :
C’est lui qui est l’image du Dieu invisible, le Premier-né parmi toutes
les créatures, puisque c’est en lui que toutes les choses ont été créées ;
et c’est pourquoi aussi Jean (1, 3) dit : Tout a été fait par Lui. C’est
donc avec raison que la personne du fils dit : Je suis comme le
chemin parcouru par l’eau abondante d’un fleuve ; en quoi on
remarque à la fois l’ordre et le mode de la création. L’ordre, parce que tout
comme le cheminement provient du fleuve, de même la marche temporelle des
créatures provient de la procession éternelle des personnes : c’est
pourquoi le Psalmiste dit (148, 5) : Il dit, et cela fut. |
Verbum
genuit, in quo erat ut fieret [fierent Éd.
De Parme],
secundum Augustinum. Semper enim id quod est primum est causa eorum quae sunt
post, secundum philosophum ; unde primus processus est causa et ratio omnis
sequentis processionis. Modus autem signatur quantum ad duo : scilicet ex
parte creantis, qui cum omnia impleat, nulli tamen se commetitur ; quod
notatur in hoc quod dicitur, immensae. Item ex parte
creaturae : quia sicut trames procedit extra alveum fluminis, ita creatura
procedit a Deo extra unitatem essentiae, in qua sicut in alveo fluxus
personarum continetur. Et
in hoc notatur materia secundi libri. |
Selon
Augustin, le Père engendra le Verbe dans lequel il était afin que toutes les
choses voient le jour. Toujours en effet, selon le Philosophe, ce qui est
premier est la cause de ce qui vient par la suite ; c’est pourquoi le
premier processus est la cause et la raison de toute procession qui vient par
la suite. Mais le mode est signifié quant à deux rapports : c’est-à-dire
d’une part quant au créateur qui, bien qu’il comble toute chose ne se mélange
cependant à aucune, ce qui est signifié au moyen du terme immense. Le
mode est signifié d’autre part du côté de la créature car tout comme le
chemin procède ou sort du lit du fleuve, de même la créature procède de Dieu en
sortant de l’unité de son essence dans laquelle, comme dans le lit d’un
fleuve, le flux des personnes est contenu. Et c’est par là qu’est désignée la
matière du second livre. |
|
|
|
Le troisième livre : [La restauration des oeuvres de Dieu : Le Christ et la grâce] |
|
|
Tertium,
quod pertinet ad Dei sapientiam, est operum restauratio. Per idem enim debet
res reparari per quod facta est ; unde quae per sapientiam condita sunt,
decet ut per sapientiam reparentur : unde dicitur Sapient. 9,
19 : Per sapientiam sanati sunt qui
tibi placuerunt ab initio. |
Ce qui relève
en troisième lieu de la sagesse divine, c’est la restauration de la création.
En effet une chose doit être réparée par cette même cause par laquelle elle a
été faite ; c’est pourquoi il convient que les choses qui ont été créées
par la sagesse soient réparées par elle. C’est pourquoi on lit dans le livre
de la Sagesse (9, 19) : Ceux qui t’ont plu dès le début, c’est par la
sagesse qu’ils ont été guéris. |
Haec autem reparatio specialiter per
filium facta est, inquantum ipse homo factus est, qui, reparato hominis
statu, quodammodo omnia reparavit quae propter hominem facta sunt ; unde Coloss. 1, 20 : Per eum reconcilians omnia, sive quae in
caelis, sive quae in terris sunt. Recte ergo ex ipsius filii persona dicitur : ego quasi fluvius
Dorix, et sicut aquaeductus exivi de Paradiso. Paradisus iste, gloria Dei
patris est, de qua exivit in vallem nostrae miseriae ; non quod eam
amitteret, sed quia occultavit : unde Joan.
16, 28 : Exivi a patre et veni in mundum.
Et circa hunc exitum duo notantur, scilicet modus et fructus. Dorix enim
fluvius rapidissimus est ; unde designat modum quo, quasi impetu quodam
amoris nostrae reparationis Christus complevit mysterium ; unde Isaiae 59, 19 : Cum venerit quasi fluvius violentus, quem spiritus domini cogit. |
Mais cette
réparation, c’est spécialement le Fils qui l’a réalisée puisque lui-même a
été fait homme et, ayant restauré la condition de l’homme, il a restauré du
même coup en quelque sorte tout ce qui avait été fait en vue de
l’homme ; c’est pourquoi il est dit dans l’Épître aux Colossiens (1,
20) : C’est par Lui qu’il a tout réconcilié, ce qui est dans les
cieux comme ce qui est sur la terre. C’est donc avec raison qu’il est dit
de la bouche même de la personne du Fils : Moi, je suis comme le
fleuve Dorix et comme un cours d’eau sorti du Paradis. Ce Paradis est la
gloire de Dieu le Père d’où il est sorti pour entrer dans la vallée de notre
misère, non pas parce qu’il avait perdu cette gloire, mais parce qu’il l’a cachée :
c’est pourquoi Jean dit de Lui (16, 28) : Je suis sorti du Père et je
suis venu dans le monde. Et au sujet de cette sortie, il faut noter deux
choses, à savoir le mode et le fruit. En effet, le fleuve Dorix est très
rapide ; c’est pourquoi est désigné par cette similitude le mode par
lequel, comme par un certain élan d’amour pour notre réparation, il a accompli
le mystère ; c’est pourquoi Ésaïe dit (59, 19) : Lorsqu’Il
sera venu comme un fleuve impétueux poussé par l’Esprit du Seigneur. |
Fructus autem designatur ex hoc quod
dicitur, sicut aquaeductus : sicut
enim aquaeductus ex uno fonte producuntur divisim ad fecundandam terram, ita
de Christo profluxerunt diversarum gratiarum genera ad plantandam Ecclesiam,
secundum quod dicitur Ephes. 4, 11
: Ipse dedit quosdam quidem apostolos,
quosdam autem prophetas, alios vero Evangelistas, alios autem pastores et
doctores, ad consummationem sanctorum in opus ministerii, in aedificationem
corporis Christi. Et in hoc tangitur materia tertii libri : in cujus
prima parte agitur de mysteriis nostrae reparationis, in secunda de gratiis
nobis collatis per Christum. |
Mais pour ce
qui est du fruit, il est identifié à partir de l’expression ¨comme un
cours d’eau¨ : en effet, tout comme les cours d’eau sont produits à
partir d’une seule et même source qui se divise pour féconder la terre, de
même à partir du Christ seul se sont écoulés des genres de grâces différentes
pour planter l’Église, conformément à ce qu’on dit dans l’Épître aux
Éphésiens (4, 11) : Lui-même a donné à certains d’être apôtres, à
d’autres d’être prophètes, à d’autres d’être évangélistes, à d’autres d’être
pasteurs et docteurs pour le perfectionnement des saints dans l’œuvre du ministère,
pour l’édification du Corps du Christ. Et c’est en cela qu’on touche du
doigt la matière du troisième livre dont la première partie traite des
mystères de notre réparation et la seconde des grâces recueillies pour nous
par le Christ. |
|
|
|
Le quatrième livre : [Les moyens sacramentels et la fin des êtres] |
|
|
Quartum,
quod ad Dei sapientiam pertinet, est perfectio, qua res conservantur in suo
fine. Subtracto enim fine, relinquitur vanitas, quam sapientia non patitur
secum ; unde dicitur Sap. 8, 1,
quod sapientia attingit a fine usque ad
finem fortiter et disponit omnia suaviter. Suaviter autem unumquodque
tunc dispositum est quando in suo fine, quem naturaliter desiderat,
collocatum est. Hoc etiam ad filium specialiter pertinet, qui, cum sit verus
et naturalis Dei filius, nos in gloriam paternae hereditatis induxit ; unde Hebr. 2, 10 : Decebat eum propter quem et per quem facta sunt omnia, qui multos
filios in gloriam adduxerat. |
Ce qui relève
en quatrième lieu de la Sagesse de Dieu, c’est la perfection par laquelle les
choses sont conservées dans leur finalité. En effet, si on enlève la fin, il
ne reste que la vanité, laquelle est incompatible avec la Sagesse. C’est
pourquoi on dit dans le livre de la Sagesse (8, 1) que la sagesse passe
d’une fin à une autre avec force et qu’elle dispose tout avec douceur.
Mais chaque chose est disposée avec douceur quand elle a été posée dans sa
finalité qu’elle désire naturellement. Mais cela revient spécialement au Fils
qui, puisqu’il est le Fils véritable et naturel de Dieu, nous a conduits à la
gloire de l’héritage paternel ; et c’est pourquoi l’Apôtre nous dit dans
l’Épître aux Hébreux (2, 10) : Il revenait à celui pour qui et
par qui tout a été fait de conduire à la gloire une multitude de fils. |
Unde recte dicitur : Dixi : rigabo hortum plantationum. Ad
consecutionem enim finis exigitur praeparatio, per quam omne quod non
competit fini, tollatur ; ita Christus etiam, ut nos in finem aeternae
gloriae induceret, sacramentorum medicamenta praeparavit, quibus a nobis
peccati vulnus abstergitur. Unde duo notantur in verbis praedictis, scilicet
praeparatio, quae est per sacramenta, et inductio in gloriam. Primum per hoc
quod dicitur : Rigabo hortum
plantationum. Hortus enim iste Ecclesia est, de qua Cant. 4, 12 : Hortus
conclusus soror mea sponsa : in quo sunt plantationes diversae, secundum diversos
sanctorum ordines, quos omnes manus omnipotentis plantavit. Iste hortus
irrigatur a Christo sacramentorum rivis, qui ex ejus latere profluxerunt :
unde in commendationem pulchritudinis Ecclesiae dicitur in Num. 24, 5 : Quam pulchra tabernacula tua, Jacob. Et post sequitur, 6 : Ut horti juxta fluvios irrigui. Et
ideo etiam ministri Ecclesiae, qui sacramenta dispensant, rigatores dicuntur,
1 Corinth. 3, 6 : Ego plantavi, Apollo rigavit. Inductio
autem in gloriam notatur in hoc quod sequitur : Et inebriabo partus mei fructum. |
C’est
pourquoi il est dit avec raison dans la citation initiale: J’ai dit:
j’arroserai le jardin de mes plantations. Il est nécessaire en effet
qu’il y ait une préparation qui soit ordonnée à la poursuite de la fin, au
moyen de laquelle soit écarté tout ce qui ne contribue pas à la fin; c’est
ainsi encore que le Christ, afin que nous soyions introduits dans cette fin
qu’est la gloire éternelle, prépara pour nous ces remèdes que sont les
sacrements par lesquels est enlevée de nous la blessure du péché. De là il y
a deux mots à retenir des paroles qui précèdent, à savoir le terme préparation
et l’expression introduction dans la gloire. Et la première idée,
celle de preparation, est rendue par cet énoncé: J’arroserai le jardin de
mes plantations. Ce jardin en effet est l’Église dont on parle dans le Cantique
(4, 12): Tu es mon jardin privé, ma soeur, mon épouse: dans ce jardin,
il y a différentes plantations, correspondant aux différents ordres des
saints, qui ont toutes été plantées par la main du Tout-Puissant. Ce jardin
est arrosé par le Christ grâce aux ruisseaux des sacrements qui ont coulé de
son côté: c’est pourquoi, dans la louange de la beauté de l’Église, on dit
dans le livre des Nombres (24, 5): Comme tes tentes sont belles, ô
Jacob! Et plus loin on voit suivre ceci (24, 6): Comme des jardins qui
baignent près des fleuves. Et c’est pour cette raison aussi que les
ministres de l’Église qui distribuent les sacrements sont appelés par
l’Apôtre, dans la Première Épître aux Corinthiens (3, 6) ¨ceux qui
arrosent¨ : J’ai planté, Apollos a arrosé. Mais l’introduction dans la
gloire est soulignée dans l’expression qui suit: Et j’enivrerai le fruit
de mon enfantement. |
Partus ipsius Christi sunt fideles
Ecclesiae, quos suo labore quasi mater parturivit : de quo partu Isa. ult., 9 : Numquid ego, qui alios parere facio, ipse non pariam ? Dicit dominus.
Fructus autem istius partus sunt sancti qui sunt in gloria : de quo fructu Cant. 5, 1 : Veniat dilectus meus in hortum suum et comedat fructum pomorum suorum.
Istos inebriat abundantissima sui fruitione ; de qua [fruitione et Éd. De Parme] ebrietate Psalm. 35, 9 : Inebriabuntur ab ubertate domus tuae. Et dicitur ebrietas, quia
omnem mensuram rationis et desiderii excedit : unde Isa. 64, 4 : Oculus non
vidit, Deus, absque te quae praeparasti expectantibus te. Et in hoc
tangitur materia quarti libri : in cujus prima parte agitur de sacramentis ;
in secunda de gloria resurrectionis. Et sic patet ex praedictis verbis
intentio libri Sententiarum. |
Mais ce que
le Christ enfante, ce sont les fidèles de l’Église qu’il a enfantés par son
travail comparable à celui de la mère qui a enfanté : et c’est de cet
enfantement dont parle Ésaïe à la fin de son livre (66, 9) : Et
moi qui fais enfanter les autres, je ne pourrais pas moi-même enfanter ?
Dit le Seigneur. Mais les fruits de cet enfantement sont les saints
qui vivent dans la gloire, fruits dont le Cantique (5, 1) dit : Que
mon bien-aimé vienne dans son jardin et qu’il mange le fruit de ses arbres.
Il les enivre de sa joie immense ; et de cette joie et de cet enivrement
le Psaume (35, 9) dit : Ils seront enivrés par l’abondance de
ta maison. Et il parle d’enivrement parce que cette joie dépasse toute
mesure de la raison et du désir. Et c’est pourquoi Ésaïe (64. 3)
dit : Jamais un œil n’a vu qu’un autre dieu que Toi ait préparé de
telles choses pour ceux qui t’attendent. Et c’est avec ce point qu’on
touche du doigt la matière du quatrième livre dont la première partie traite
des sacrements et la seconde de la gloire de la résurrection. Et c’est ainsi
qu’apparaît avec clarté, en nous appuyant sur les paroles qui précèdent, le
propos du livre des Sentences. |
|
|
|
|
|
|
Prooemium |
TEXTE DE PIERRE LOMBARD, prologue : La théologie |
|
|
1. Cupientes aliquid de penuria ac
tenuitate nostra cum paupercula in gazophylacium Domini mittere, ardua
scandere, opus ultra vires nostras agere praesumsimus, consummationis
fiduciam laborisque mercedem in Samaritano statuentes, qui, prolatis in
curationem semivivi duobus denariis, supereroganti cuncta redere professus
est. Delectat nos veritas pollicentis, sed terret immensitas laboris :
desiderium hortatur proficiendi, sed dehortatur infirmitas deficiendi, quam
vincit zelus domus Dei. "Quo
inardescentes, fidem nostram adversus errores carnalium atque animalium
hominum" Davidicae turris
clypeis munire vel potius munitam ostendere ac theologicarum inquisitionum
abdita aperire nec non et sacramentorum ecclesiaticorum pro modico
intelligentiae nostrae notitiam traducere studuimus, "non valentes studiosorum fratrum votis iure resistere,
eorum in Christo laudabilibus studiis lingua ac stilo nos servire
flagitantium, quas bigas in nobis agitat Christi caritas". |
Désirant introduire quelque chose de notre dénuement et de notre
petitesse, avec notre pauvreté, dans le trésor du Seigneur et nous élever
dans les hauteurs, nous avons osé nous engager dans une œuvre qui dépasse nos
capacités en fondant l’assurance de la récompense du travail accompli sur le
Samaritain lui-même, lequel, ayant cédé deux deniers pour les soins à donner
à celui qui était à peine vivant, promit de rendre tout ce qui serait dépensé
en sus. La vérité de cette promesse nous réjouit, mais l’immensité du travail
à accomplir nous effraie : le désir de servir nous pousse à avancer,
mais notre faiblesse, que vainc notre zèle pour la maison du Seigneur, nous
conseille d’abandonner. ¨Embrasés par ce zèle, nous lançons notre foi à
l’assaut des erreurs des hommes charnels et sans esprit¨. Nous
travaillons à fortifier notre foi avec les boucliers de la Tour de David, ou
plutôt à la montrer une fois fortifiée, à manifester les secrets des
recherches théologiques, et à ne pas transmettre une connaissance tronquée de
notre intelligence sur les sacrements de l’Église, ne pouvant résister à juste
titre aux vœux de nos frères dévoués et aux efforts louables de ceux qui sont
dans le Christ et qui nous exhortent à servir par la langue et la plume, ce
char à double attelage que l’amour du Christ excite en nous. |
"Quamvis non ambigamus omnem humani
eloquii sermonem calumniae atque contradictioni aemulorum semper fuisse
obnoxium, quia, dissentientibus voluntatum motibus, dissentiens quoque fit
animorum sensus", "ut, cum omne dictum veri ratione
perfectum sit, tamen, dum aliud aliis aut videtur aut complacet, veritati vel
non intellectae vel offendenti impietatis error obnitatur, ac voluntatis
invidia resultet", "quam Deus huius saeculi operatur in illis diffidentiae filiis, qui non rationi voluntatem subiiciunt nec
doctrinae studium impendunt, sed his quae somniarunt sapientiae verba
coaptare nituntur, non veri, sed placiti rationem sectantes, quos iniqua
voluntas non ad intelligentiam veritatis, sed ad defensionem placentium
incitat, non desiderantes doceri veritatem, sed ab ea ad fabulas convertentes auditum (II Tim. 4, 4) |
¨Bien que
nous ne doutions pas que tout discours du langage humain a toujours été
assujetti à la calomnie et à la contradiction des envieux parce que, une fois
que les mouvements de la volonté sont divisés, les jugements des âmes le
deviennent aussi¨ (Hilaire, Trinité, X, 1)… ¨de telle sorte que,
puisque toute parole est parfaite en raison de sa vérité cependant, alors
même que ce qui plaît et apparaît vrai à chacun diffère de l’un à l’autre,
l’erreur de l’impiété s’oppose à la vérité soit parce que cette dernière
n’est pas comprise soit parce qu’elle choque et alors la jalousie de la
volonté résiste à la vérité¨, ¨que le Dieu de ce siècle opère chez ces fils
de la dissidence¨ qui ne soumettent pas leur volonté à la raison et ne consacrent
pas leur application à la doctrine mais s’efforcent d’adapter les paroles de
la sagesse à ceux qui rêvent ne suivant pas ainsi la raison du vrai, mais
celle de l’agrément, eux qu’une volonté inique ne pousse pas à comprendre la
vérité mais à défendre ce qui leur plaît, ne cherchant pas à être enseignés
par la vérité mais à se détourner d’elle pour tendre leurs oreilles vers
les fables (11 Tm. 4, 4.). |
2. Quorum professio est magis placita
quam docenda conquirere nec docenda desiderare, sed desideratis doctrinam
coaptare. Habent rationem sapientiae in
superstitione : quia fidei defectionem sequitur hypocrisis mendax, ut sit
vel in verbis pietas, quam amiserit conscientiae, ipsamque simulatam pietatem
omnium [omni, alt.] verborum
mendacio impiam reddunt, falsae doctrinae institutis fidei sanctitatem
corrumpere molientes auriumque pruriginem sub novello sui desiderii dogmate
aliis ingerentes, qui contentioni studentes contra veritatem sine foedere
bellant". "Inter veri namque assertionem et placiti defensionem
pertinax pugna est, dum se et veritas tenet, et se voluntas erroris tuetur". Horum igitur et Deo odibilem
ecclesiam evertere atque ora oppilare, ne virus nequitiae in alios effundere
queant, et lucernam veritatis in candelabro exaltare volentes, in labore
multo ac sudore hoc volumen, Deo praestante, compegimus ex testimoniis
veritatis in aeternum fundatis, in quatuor libros distinctum. |
Leur
enseignement tient plus de l’agrément que ce qu’on doit enseigner à acquérir
et ne pas enseigner à désirer, mais il consiste à adapter la doctrine à leurs
désirs. Ils trouvent la justification de leur sagesse dans la
religiosité : parce que le mensonge de l’hypocrisie suit la
disparition de la foi, comme la piété existe même dans les paroles, laquelle
se sera éloignée de la conscience, ils rendent impie par le mensonge la piété
simulée de toutes leurs paroles en travaillant à corrompre la vérité de la
foi par les principes d’une fausse doctrine et en suscitant chez les autres
une démangeaison des oreilles sous le nouveau dogme de leur désir, eux qui
sans mandat travaillent avec application à combattre la vérité. ¨Car entre
l’affirmation de la vérité et la défense de ce qui plaît, il existe une
guerre constante aussi longtemps que la vérité est soutenue et que la volonté
de l’erreur se maintient¨ (Hilaire, ibid.). Voulant donc renverser leur
église qui est détestable à Dieu et fermer leurs bouches afin qu’ils ne
répandent pas chez les autres le poison de leur perversité, et élever sur le
candélabre la lumière de la vérité, nous avons rédigé, avec beaucoup de
travail et de peines, avec l’aide de Dieu et à partir des témoignages de la
vérité qui se fondent sur l’éternité, ce volume qui se divise en quatre
livres. |
In quo maiorum exempla doctrinamque
reperies, in quo per dominicae fidei sinceram professionem vipereae doctrinae
fraudulentiam prodidimus, aditum demonstrandae veritatis complexi nec
periculo impiae professionis inserti, temperato inter utrumque moderamine
utentes. Sicubi vero parum vox nostra insonuit, non a paternis dicessit
limitibus. "Non igitur debet
hic labor cuiquam pigro vel multum docto videri superfluus, cum multis
impigris multisque indoctis, inter quos etiam mihi, sit necessarius" (Augustin, Trin. 3, 1), brevi
volumine complicans Patrum sententias, appositis eorum testimoniis, ut non
sit necesse quaerenti librorum numerositatem evolvere, cui brevitas collecta
quod quaeritur offert sine labore. "In
hoc autem tractatu non solum pium lectorem, sed etiam liberum correctorem
desidero, maxime ubi profunda versatur veritatis quaestio, quae utinam tot
haberet inventores, quot habet contradictores (Augustin, La Trinité, 3, 2)"
Ut autem quod quaeritur facilius occurrat, titulos, quibus singulorum
librorum capitula distinguuntur, praemisimus. |
Tu trouveras dans ce livre les exemples et la doctrine des Anciens,
dans lequel, par une enseignement sincère de la foi dans le Seigneur, nous
avons mis à jour la tromperie d’une doctrine empoisonnée, l’accès à la vérité
à démontrer que nous embrassons et nous ne l’avons pas mélangée au danger de
la doctrine impie, usant d’une conduite réglée à leur égard. Mais si notre
voix a quelque peu retenti, elle ne s’est pas écartée du chemin tracé par les
Pères. ¨Ce travail ne doit donc pas paraître inutile à quelque paresseux
ou à quelque grand docteur car il est nécessaire à de nombreuses personnes
actives et à de nombreux ignorants dont je fais partie¨ (Augustin, La
Trinité, 3, 12), car nous avons embrassé dans un petit volume les
sentences des Pères accompagnées de leurs témoignages, afin qu’il ne soit pas
nécessaire à celui qui cherche d’ouvrir un grand nombre de livres, alors
qu’une brève collection lui offre ce qu’il cherche sans effort. ¨Mais pour
l’examen de ce traité je désire non seulement un lecteur bienveillant mais
encore un critique libre, surtout là où la question de la vérité se présente
avec profondeur ; plût à Dieu que la vérité en vienne aussi bien à être
découverte qu’à être contredite¨. (Augustin, La Trinité, 3, 2).
Mais afin que ce qu’on recherche se présente plus facilement, nous avons fait
précéder des titres par lesquels les chapitres de chacun des livres se
trouvent à être distingués. |
Explicit
Prologus |
|
|
|
|
|
|
|
|
COMMENTAIRE DE SAINT THOMAS SUR LE PROLOGUE (La théologie) |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique : [La doctrine sacrée] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad evidentiam hujus sacrae doctrinae,
quae in hoc libro traditur, quaeruntur quinque : 1° de necessitate ipsius ;
2° supposito quod sit necessaria, an sit una, vel plures ; 3° si sit una, an
practica, vel speculativa : et si speculativa, utrum sapientia, vel scientia,
vel intellectus ? 4° de subjecto ipsius ; 5° de modo. |
Pour mettre en évidence cette
doctrine sacrée qui est rapportée dans ce livre, on s’interroge sur cinq
points : 1° Sur sa nécessité : 2° En supposant qu’elle soit nécessaire,
s’agit-il d’une seule et même doctrine ou de plusieurs ? 3° S’il s’agit d’une
seule et même doctrine, est-elle pratique ou spéculative, et si elle est
spéculative, est-ce une sagesse, une science ou une intelligence ? 4° Quel
est son sujet ? 5° Quel est son mode ? [Article 1 – En dehors des
disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à l'homme ? Article 2 – Doit-il n'y avoir
qu'une seule doctrine en plus des sciences physiques ? Article 3 – [La nature de
cette science] Sous question 1 : La théologie
est-elle pratique ou discursive ? Sous question 2 : Est-elle
une science ? Sous question 3 : Est-elle
une sagesse ? Article 4 – Dieu est-il
l'object de cette science ? Article 5 –
Ce mode de procéder est-il scientifique ?] |
|
|
q. 1 a. 1 tit. Articulus 1 : Utrum praeter physicas disciplinas alia
doctrina sit homini necessaria. |
Article 1 – Outre les disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à l’homme ? |
q.
1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod praeter physicas disciplinas nulla sit homini
doctrina necessaria. Sicut enim dicit Dionysius in epistola ad Polycarpum, philosophia est cognitio existentium ; et
constat, inducendo in singulis, quod de quolibet genere existentium in
philosophia determinatur ; quia de creatore et creaturis, tam de his quae
sunt ab opere naturae, quam de his quae sunt ab opere nostro. Sed nulla
doctrina potest esse nisi de existentibus, quia non entis non est scientia.
Ergo praeter physicas disciplinas nulla doctrina debet esse. |
Difficultés : 1. Par
rapport à cette première question on procède de la manière suivante. Il
semble qu’en dehors des disciplines physiques, aucune discipline ne soit
nécessaire à l’homme. Ainsi que le dit en effet Denys dans sa Lettre à
Polycarpe, la philosophie est la connaissance de ce qui existe ; et
on constate, en examinant les cas particuliers, qu’on traite en philosophie
de tous les genres d’êtres, car on y traite du créateur comme des créatures,
aussi bien de celles qui sont l’œuvre de la nature que de celles qui sont
produites par nous. Mais toute doctrine porte sur ce qui existe car il
n’existe pas de science du non-être. Il ne doit donc exister aucune doctrine
en dehors des disciplines physiques. |
q.
1 a. 1 arg. 2 Item, omnis doctrina est ad perfectionem : vel quantum ad
intellectum, sicut speculativae, vel quantum ad effectum [affectum Éd. De
Parme] procedentem in opus, sicut practicae. Sed utrumque completur per
philosophiam ; quia per demonstrativas scientias perficitur intellectus, per
morales affectus. Ergo
non est necessaria alia doctrina. |
2. En outre,
tout doctrine se rapporte à une perfection, soit quant à l’intelligence comme
dans les disciplines spéculatives, soit quant à l’appétit qui procède dans
une œuvre comme c’est le cas dans celles qui sont pratiques. Mais la
philosophie embrasse les deux sortes de disciplines, car c’est par les
sciences démonstratives que l’intelligence atteint sa perfection et c’est par
les sciences morales que l’appétit parvient à la sienne. Il n’est donc pas
nécessaire de faire appel à une doctrine autre que la philosophie. |
q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quaecumque
naturali intellectu possunt cognosci ex principiis rationis, vel sunt in
philosophia tradita, vel per principia philosophiae inveniri possunt. Sed ad
perfectionem hominis sufficit illa cognitio quae ex naturali intellectu
potest haberi. Ergo praeter philosophiam non est necessaria alia doctrina.
Probatio mediae. Illud quod per se suam perfectionem consequi potest,
nobilius est eo quod per se consequitur [consequi non potest Éd. De Parme]. Sed alia animalia et
creaturae insensibiles ex puris naturalibus consequuntur finem suum ; quamvis
non sine Deo, qui omnia in omnibus operatur. Ergo et homo,
cum sit nobilior eis, per naturalem intellectum cognitionem sufficientem suae
perfectioni habere potest. |
3. De plus,
tout ce qui peut être naturellement connu par notre intelligence à partir des
principes de la raison, ou bien est enseigné en philosophie, ou bien peut
être découvert au moyen des principes de la philosophie. Mais cette
connaissance qui peut être acquise naturellement à partir de l’intelligence
est suffisante à l’homme pour parvenir à sa perfection. Une autre doctrine en
dehors de la philosophie n’est donc pas necessaire à l’homme. Preuve de la
mineure. Ce qui est capable de parvenir à sa perfection par lui-même est plus
noble que ce qui en est incapable. Mais les autres animaux et les creatures
qui ne sont pas dotées de sensibilité parviennent à leur fin à partir
d’appétits purement naturels, bien que ce ne soit pas sans Dieu qui opère
tout en toutes choses. Donc l’homme, qui est plus noble que ces creatures,
peut à plus forte raison acquérir la connaissance suffisante à sa perfection
au moyen de son intelligence naturelle. |
q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Hebr. 11, 6 : Sine fide impossibile est placere Deo. Placere autem
Deo est summe necessarium. Cum igitur ad ea quae sunt fidei, philosophia non
possit [ascendere Éd. De
Parme], oportet esse
aliquam doctrinam quae ex fidei principiis procedat. |
Cependant : 1. Au
contraire, Paul dit dans sa Lettre aux Hébreux (11, 6) : Sans
la foi, il est impossible de plaire à Dieu. Mais ce qui nous est le plus
nécessaire, c’est justement de plaire à Dieu. Donc, puisque la philosophie ne
peut s’élever jusqu’aux choses qui relèvent de la foi, il faut qu’il existe
une doctrine qui procède des principes mêmes de la foi. |
q. 1 a. 1 s.
c. 2 Item, effectus non proportionatus causae, imperfecte ducit in
cognitionem suae causae. Talis autem effectus est omnis creatura respectu
creatoris, a quo in infinitum distat. Ergo imperfecte ducit in ipsius
cognitionem. Cum igitur philosophia non procedat nisi per rationes sumptas ex
creaturis, insufficiens est ad Dei cognitionem faciendam. Ergo
oportet aliquam aliam doctrinam esse altiorem, quae per revelationem
procedat, et philosophiae defectum suppleat. |
2. En outre, si l’effet n’est pas proportionné à sa cause, il ne mène
qu’imparfaitement à sa cause. Mais toute créature est un effet de cette sorte
par rapport à son créateur qui la dépasse infiniment. Donc, toute créature ne
conduit qu’imparfaitement à la connaissance de son créateur. Donc, puisque la
philosophie ne procède qu’au moyen de raisons qui sont tirées des creatures,
elle ne peut suffire à produire en nous une connaissance parfaite de Dieu. Il
faut donc qu’il existe une autre doctrine, plus élevée, qui procède de la
révélation et qui complète ce qui manque à la philosophie. |
q. 1 a. 1 co. Ad hujus evidentiam
sciendum est, quod omnes qui recte senserunt posuerunt finem humanae vitae
Dei contemplationem. Contemplatio autem Dei est duplex [dupliciter Éd. De Parme]. Una per creaturas, quae
imperfecta est, ratione jam dicta, in qua contemplatione philosophus,
felicitatem contemplativam posuit, quae tamen est felicitas viae ; et ad hanc
ordinatur tota cognitio philosophica, quae ex rationibus creaturarum
procedit. Est alia Dei contemplatio, qua videtur immediate per suam essentiam
; et haec perfecta est, quae erit in patria et est homini possibilis secundum
fidei suppositionem. Unde oportet ut ea quae sunt ad finem
proportionentur fini, quatenus homo manuducatur ad illam contemplationem in
statu viae per cognitionem non a creaturis sumptam, sed immediate ex divino
lumine inspiratam ; et haec est doctrina theologiae. Ex hoc possumus habere duas
conclusiones. |
Corps de l’article : Pour
avoir l’évidence de ceci il faut savoir que tous ceux qui ont pensé avec
justesse ont posé que le fin de la vie humaine est la contemplation de Dieu.
Mais on accède à la contemplation de Dieu de deux manières. La première se
réalise au moyen des créatures, laquelle est imparfaite pour la raison que
nous avons déjà dite, et c’est dans cette contemplation que le Philosophe a
posé la félicité contemplative qui est cependant la félicité de passage ;
et c’est à cette félicité qu’est ordonnée toute la connaissance philosophique
qui procède de raisons tirées des créatures. Mais il existe une autre
contemplation de Dieu par laquelle il est vu de façon immédiate au moyen de
son essence ; et cette connaissance se réalisera parfaitement dans le
royaume du Père et elle est accessible à l’homme en s’appuyant sur la foi. Et
de là il faut que, comme les choses qui sont en vue de la fin soient proportionnées
à la fin, l’homme soit conduit à cette contemplation jusque dans la condition
de la vie présente par une connaissance qui ne se tire pas des créatures mais
qui est inspirée de façon immédiate de la lumière divine ; et cette
manière de procéder est celle de la doctrine théologique. Et de là nous
pouvons tirer deux conclusions. |
Una est, quod ista scientia imperat
omnibus aliis scientiis tamquam principalis : alia est, quod ipsa utitur in
obsequium sui omnibus aliis scientiis quasi vassallis, sicut patet in omnibus
artibus ordinatis, quarum finis unius est sub fine alterius, sicut finis
pigmentariae artis, qui est confectio medicinarum, ordinatur ad finem
medicinae, qui est sanitas : unde medicus imperat pigmentario et utitur
pigmentis ab ipso factis, ad suum finem. Ita, cum finis totius philosophiae
sit infra finem theologiae, et ordinatus ad ipsum, theologia debet omnibus
aliis scientiis imperare et uti his quae in eis traduntur. |
La première est que cette science est première par rapport à toutes
les autres et qu’elle leur commande : la deuxième est qu’elle-même se
sert de toutes les autres sciences comme de servantes soumises à sa volonté
comme on le voit pour tous les arts qui sont ordonnés les uns aux autres et
dont la fin de l’un est subordonnée à la fin de l’autre, tout comme la fin de
l’art de la pharmacie, qui est la production des médicaments, est ordonnée à
la fin de la médecine qui est la santé : c’est pourquoi le médecin
commande au pharmacien et se sert des médicaments produits par lui pour
parvenir à sa fin. De même , puisque la fin de la philosophie est inférieure
à la fin de la théologie et qu’elle lui est ordonnée, la théologie doit
commander à toutes les autres sciences et se servir de ce qui y est enseigné. |
q. 1 a. 1 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod, quamvis philosophia determinet de
existentibus [et Éd. De Parme]
secundum rationes a creaturis sumptas, oportet tamen esse aliam quae
existentia consideret secundum rationes ex inspiratione divini luminis
acceptas. |
Solutions. 1. Par
rapport à la première difficulté, il faut dire que bien que la philosophie
traite des êtres d’après des raisons tirées des créatures, il faut cependant
qu’il y ait une autre discipline qui considère les êtres d’après des raisons
reçues de l’inspiration de la lumière divine. |
q. 1 a. 1 ad 2 Et per hoc patet
solutio ad secundum : quia philosophia sufficit ad perfectionem intellectus
secundum cognitionem naturalem, et affectus secundum virtutem acquisitam : et
ideo oportet esse aliam scientiam per quam intellectus perficiatur quantum ad
cognitionem infusam, et affectus quantum ad dilectionem gratuitam. |
2. Et par là on voit clairement la solution à la deuxième difficulté :
car la philosophie suffit à la perfection de l’intelligence quant à la
connaissance naturelle, et à celle de l’appétit quant à l’acquisition de la
vertu : et c’est pour cette raison qu’il faut qu’il y ait une autre
science par laquelle l’intelligence parvienne à sa perfection quant à une
connaissance infuse et l’appétit quant à un amour de charité. |
q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in his quae
acquirunt aequalem bonitatem pro fine, tenet propositio inducta, scilicet,
nobilius est eo quod per se consequi non potest. Sed illud quod acquirit
bonitatem perfectam pluribus auxiliis et motibus, est nobilius eo quod
imperfectam bonitatem acquirit paucioribus, vel per seipsum, sicut dicit
philosophus ; [in V Caeli et Mundo,texte
53, sive cap. XII Éd. Mandonnet] et hoc modo se habet
homo respectu aliarum creaturarum, qui factus est ad ipsius divinae gloriae
participationem. |
3. Par rapport
à la troisième difficulté, il faut dire que pour les choses qui parviennent à
un bien égal en tant que fin, la proposition présentée est valide, à savoir
que ce qui peut par soi parvenir à sa fin est plus noble que ce qui en est
incapable. Mais ce qui parvient à un bien parfait par une multiplicité
d’instruments et de mouvements est plus noble que ce qui acquiert un bien
imparfait par peu de moyens ou par lui-même, ainsi que le dit le Philosophe (Du
Ciel et du Monde, livre V, texte 53 ou chapitre XII, Éd. Mandonnet) ;
et c’est de cette manière que se présente l’homme par rapport aux autres
créatures, lequel a été fait pour participer à la gloire divine elle-même. |
|
|
Articulus 2. q. 1 a. 2 tit : Utrum tantum una doctrina debeat esse
praeter physicas. |
Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine outre les sciences physiques ? |
q. 1 a. 2
arg. 1 Circa secundum sic proceditur. Videtur quod non una tantum doctrina
debeat esse praeter physicas doctrinas, sed plures. De omnibus enim de quibus
instruitur homo per rationes creaturarum, potest instrui per rationes
divinas. Sed scientiae procedentes per rationes creaturarum sunt plures,
differentes genere et specie, sicut moralis, naturalis et cetera. Ergo
scientiae procedentes per rationes divinas, debent plures esse. |
Par rapport à ce deuxième article on procede de la manière suivante. Difficultés. 1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir qu’une seule doctrine en
dehors des sciences physiques mais qu’on
doive en poser plusieurs. L’homme en effet peut être instruit par des
raisons divines de toutes les choses dont il est instruit par des raisons
tirées des créatures. Mais les sciences qui procèdent de raisons tirées des
créatures sont multiples et diffèrent par le genre et l’espèce comme c’est le
cas pour la science morale, la science de la nature et les autres. Donc les
sciences qui procèdent de raisons divines doivent aussi être multiples. |
q. 1 a. 2
arg. 2 Item, una scientia est unius generis [subjecti add. Éd. de Parme],
sicut dicit philosophus ( I Posteriorum,
texte 34 Éd. Mandonnet). Sed Deus
et creatura, de quibus in divina doctrina tractatur, non reducuntur in unum
genus, neque univoce neque analogice. Ergo divina scientia non est una.
Probatio mediae. Quaecumque conveniunt in uno genere univoce vel analogice,
participant aliquid idem, vel secundum prius et posterius, sicut substantia
et accidens rationem entis, vel aequaliter, sicut equus et bos rationem
animalis. Sed Deus et creatura non participant aliquid idem, quia illud esset
simplicius et prius utroque. Ergo nullo modo reducuntur in idem genus. |
2.
En outre, une même science ne se rapporte qu’à un seul genre-sujet, ainsi que
le dit le Philosophe (1 Seconds Analytiques, texte 34, Éd. Mandonnet).
Mais Dieu et les créatures, dont traite la doctrine sacrée, ne se ramènent
pas à un seul et même genre, ni de façon univoque, ni de façon analogue. Donc
la science divine n’est pas une science unique. Preuve de la mineure. Tout ce
qui est contenu dans un même genre de façon univoque ou analogue participe de
quelque chose qui est un, soit selon l’avant et l’après, comme la substance
et l’accident par rapport à la notion d’être, soit selon l’égalité, comme le
cheval et le bœuf participent de la définition de l’animal selon la même
mesure. Mais Dieu et la créature ne participent pas d’une même chose car cette
dernière serait plus simple et antérieure à l’un et à l’autre. Donc, Dieu et
la créature ne se ramènent pas à un même genre. |
q.
1 a. 2 arg. 3 Item, ea quae sunt ab opere nostro, sicut opera virtutum et
quae sunt ab opere naturae, non reducuntur ad eamdem scientiam ; sed unum
pertinet ad moralem, alterum ad naturalem. Sed divina scientia determinat de
his quae sunt ab opere nostro, tractando de virtutibus et praeceptis :
tractat etiam de his quae non sunt ab opere nostro, sicut de Angelis et aliis
creaturis. Ergo videtur
quod non sit una scientia. |
3. De plus, les opérations qui
sont le résultat de notre volonté, comme les actes de vertu, et celles qui
sont produites par la nature ne se ramenent pas à une seule et même
science ; au contraire, les premières se rapportent à la science morale
et les secondes à la science de la nature. Mais la science divine traite à la
fois des opérations qui relèvent de notre volonté lorsqu’il est question des
vertus et des commandements, et de celles qui n’en relèvent pas lorsqu’il est
question des anges et des autres créatures. Il semble donc que la science
divine ne soit pas une science unique. |
q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quaecumque conveniunt in
ratione una possunt ad unam scientiam pertinere : unde etiam omnia, inquantum
conveniunt in ratione entis, pertinent ad metaphysicam. Sed divina scientia
determinat de rebus per rationem divinam quae omnia complectitur : omnia enim
et ab ipso et ad ipsum sunt. Ergo
ipsa una existens potest de diversis esse. |
Cependant : 1.
Tout ce qui se ramène à une notion unique peut relever d’une seule et même
science : c’est pourquoi tous les êtres, dans la mesure où ils ont en
commun la notion d’être, relèvent de la métaphysique. Mais la science divine
traite des choses au moyen de la notion de Dieu qui embrasse tous les
êtres : en effet, tous les êtres viennent de Lui et sont ordonnés à Lui.
Donc cette seule et même science, sous ce même rapport, peut porter sur des
êtres différents. |
q. 1 a. 2 s.
c. 2 Praeterea, quae sunt diversarum scientiarum, distinctim et in diversis
libris determinantur. Sed in sacra Scriptura permixtim in eodem libro
quandoque determinatur de moribus, quandoque de creatore, quandoque de
creaturis, sicut patet fere in omnibus libris. Ergo ex hoc non diversificatur
scientia. |
2. Par ailleurs, les choses qui appartienntent à des sciences
différentes sont traitées séparément dans des livres différents. Mais dans
les Saintes Écritures on traite pêle mêle dans le même livre tantôt des mœurs
humaines, tantôt du Créateur, tantôt des créatures, ainsi qu’on le voit dans
presque tous les livres. Il ne s’ensuit donc pas de là une différence de
science. |
q. 1 a. 2
co. Respondeo. Ad hoc notandum est, quod aliqua cognitio quanto altior est,
tanto est magis unica et ad plura se extendit : unde intellectus Dei, qui est
altissimus, per lumen quod est ipse Deus, omnium rerum cognitionem habet
distincte. Ita et cum ista scientia sit altissima et per ipsum lumen
inspirationis divinae efficaciam habens, ipsa unica manens, non multiplicata,
diversarum rerum considerationem habet, non tantum in communi, sicut
metaphysica, quae considerat omnia inquantum sunt entia, non descendens ad
propriam cognitionem moralium, vel naturalium. Ratio enim entis, cum sit
diversificata in diversis, non est sufficiens ad specialem rerum cognitionem
; ad quarum manifestationem divinum lumen in se unum manens, secundum beatum
Dionysium in principio caelestis hierarchiae, efficaciam habet. |
Corps de
l’article. Je réponds à
cela qu’il faut remarquer que plus une connaissance est élevée, plus elle
possède d’unité et s’étend à un plus grand nombre de choses : c’est
pourquoi l’intelligence de Dieu, laquelle est l’intelligence la plus élevée,
par cette Lumière qui est la sienne et qui est son être même, possède une
connaissance distincte de toutes les choses. Ainsi, puisque cette science est
la plus élevée et qu’elle possède sa puisssance grâce à la lumière même de
l’inspiration divine, tout en demeurant une sans se multiplier, elle porte sa
considération sur des choses différentes non seulement sous l’angle de
l’universel comme le fait la métaphysique qui considère tous les êtres en
tant qu’êtres sans descendre à une connaissance spécifique des choses morales
ou naturelles. En effet, la notion d’être, bien qu’elle se différencie dans
des êtres différents, ne suffit pas à parvenir à une connaissance spécifique
des choses ; au contraire, la lumière divine, laquelle demeure une en
elle-même, a le pouvoir de manifester cela ainsi que le dit le bienheureux
Denys au début de son traité intitulé De la Hiérarchie céleste. |
q. 1 a. 2 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod divinum lumen, ex cujus certitudine procedit
haec scientia, est efficax ad manifestationem plurium quae in diversis
scientiis in philosophia traduntur, ex eorum rationibus in eorum cognitionem
procedentibus ; et ideo non oportet scientiam istam multiplicari. |
Solutions. 1.
Il faut donc dire à l’égard de la première difficulté que la lumière divine
qui possède la certitude d’où procède cette science, a la puissance de
manifester la multiplicité des choses qui sont enseignées dans les
différentes sciences philosophiques qui procèdent des raisons qui leur sont
propres pour parvenir à les connaître ; et c’est pourquoi il n’est pas
nécessaire que cette doctrine se multiplie en différentes sciences. |
q.
1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creator et creatura reducuntur in
unum, non communitate univocationis sed analogiae. Talis autem communitas potest esse
dupliciter. Aut ex eo quod aliqua participant aliquid unum secundum prius et
posterius, sicut potentia et actus rationem entis, et similiter substantia et
accidens ; aut ex eo quod unum esse et rationem ab altero recipit, et talis
est analogia creaturae ad creatorem : creatura enim non habet esse nisi
secundum quod a primo ente descendit : unde nec nominatur ens nisi inquantum
ens primum imitatur ; et similiter est de sapientia et de omnibus aliis quae
de creatura dicuntur. |
2. Par rapport à la deuxième difficulté il faut dire que le Créateur
et la créature se ramènent à quelque chose d’un non pas par une ressemblance
univoque mais par une ressemblance analogue. Mais une telle ressemblance peut
se présenter de deux manières. Soit du fait que certais objets participent de
quelque chose d’un selon l’avant et l’après, comme la puissance et l’acte par
rapport à la notion d’être et il en est de même aussi pour la substance et
l’accident ; soit que l’un des objets reçoive de l’autre l’être et la
définition, et tel est le type d’analogie qui existe entre la créature et le
Créateur : la créature en effet ne possède l’être que selon qu’elle
procède du premier être : d’où la créature n’est appelée être que pour
autant qu’elle imite l’Être premier ; et il en est de même pour la
sagesse et pour tous les autres attributs qui se disent de la créature. |
q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae
sunt ab opere nostro et ea quae sunt ab opere naturae, considerata secundum
proprias rationes, non cadunt in eamdem doctrinam. Una tamen scientia
utrumque potest considerare, quae per lumen divinum certitudinem habet, quod
est efficax ad cognitionem utriusque. Potest tamen aliter dici, quod virtus
quam theologus considerat, non est ab opere nostro : immo eam Deus in nobis
sine nobis operatur, secundum Augustinum. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que les opérations qui procèdent de notre volonté et
celles qui procèdent de la nature, si on les considère d’après les raisons
qui leur sont propres, ne relèvent pas d’une même science. Mais les deux
peuvent faire l’objet de cette même science qui, parce qu’elle possède la
certitude de la lumière divine, a la puissance de connaître les deux. On
pourrait néanmoins encore dire que la puissance que le théologien considère
n’est pas celle qui est le résultat de nos propres efforts : c’est
plutôt celle que Dieu opère en nous sans nous, d’après les paroles
d’Augustin. |
|
|
Articulus 3 |
Article 3: [La nature de cette science] |
Quaestiuncula 1 : Utrum
sit practica vel spéculative |
Sous-question 1 – [La
théologie est-elle pratique ou spéculative ?]
|
q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Circa tertium sic proceditur.
Videtur quod ista doctrina sit practica. Finis enim practicae est opus,
secundum philosophum. Sed ista doctrina, quae fidei est, principaliter est ad
bene operandum ; unde Jacob. 2, 26 : Fides sine operibus mortua est ; et Psalm. 110, 10 : Intellectus
bonus omnibus facientibus eum. Ergo videtur quod sit practica. |
Difficultés. 1. Il semble que cette doctrine soit pratique. La fin d’une
discipline pratique est en effet l’œuvre à réaliser d’après le Philosophe.
Mais cette doctrine, qui se fonde sur la foi, a pour fin principale de bien
agir ; c’est pourquoi on lit dans la Lettre de Jacques (2. 26) : La
foi sans les actes est une foi morte ; et dans le Psaume (110,
10) : L’ Intelligence est bonne pour tous ceux qui font le bien.
Il semble donc que cette doctrine soit pratique. |
q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Contra, dicit
philosophus, quod nobilissima scientiarum est sui gratia. Practicae autem non
sunt sui gratia, immo propter opus. Ergo, cum ista nobilissima sit
scientiarum, non erit practica. |
Cependant. 1. Mais
contrairement à cela le Philosophe dit que la science la plus noble est celle
qui est recherchée pour elle-même. Mais les sciences pratiques ne sont pas
recherchées pour elles-mêmes, mais en vue d’une œuvre à réaliser. Donc,
puisque cette science est la plus noble des sciences, elle n’est pas
pratique. |
q.
1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, practica scientia determinat tantum ea quae
sunt ab opere nostro. Haec autem doctrina considerat Angelos et alias
creaturas, quae non sunt ab opere nostro. Ergo non est practica, sed
speculativa. |
2. Par ailleurs, une science pratique ne traite que de ce qui procède
de nos opérations. Mais cette doctrine considère les anges et les autres créatures
qui sont étrangers à nos opérations. Cette doctrine n’est donc pas pratique
mais spéculative. |
Quaestiuncula
2 |
Sous-question 2 –
[Est-elle une science ?]
|
q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, utrum sit scientia ; et videtur quod non.
Nulla enim scientia est de particularibus, secundum philosophum (I Post., texte 7 [Éd. Mandonnet]. Sed in sacra Scriptura
gesta traduntur particularium hominum, sicut Abraham, Isaac et cetera. Ergo
non est scientia. |
Difficultés. 1. On cherche à savoir par la suite si cette doctrine est une
science ; et il semble que ce ne soit pas le cas. Aucune science en
effet ne porte sur des cas particuliers d’après le Philosophe (Seconds
Analytiques, 1, texte 7, Éd. Mandonnet). Mais dans les Saintes
Écritures on rapporte les faits et gestes d’individus comme Abraham, Isaac et
les autres. La doctrine sacrée n’est donc pas une science. |
q. 1 a. 3
qc. 2 arg. 2 Praeterea, omnis scientia procedit ex principiis per se notis,
quae cuilibet sunt manifesta. Haec autem scientia procedit ex credibilibus,
quae non ab omnibus conceduntur. Ergo non est scientia. |
2. En outre,
toute science procède de principes connus pas soi qui sont évidents pour
tous. Mais cette doctrine procède de ce qu’il faut croire et qui n’est pas
admis par tous les hommes. Cette doctrine n’est donc pas une science. |
q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in
omni scientia acquiritur aliquis habitus per rationes inductas. Sed in hac
doctrina non acquiritur aliquis habitus : quia fides, cui tota doctrina haec
innititur, non est habitus acquisitus, sed infusus. Ergo non est scientia. |
3.
De plus, dans toute science un habitus est acquis au moyen des raisons qu’on
amène. Mais dans cette doctrine aucun habitus n’est acquis : car la foi,
sur laquelle repose toute cette doctrine, n’est pas un habitus acquis mais
répandu en nous par Dieu. Elle n’est donc pas une science. |
q. 1 a. 3
qc. 2 s. c. 1 Contra, Augustinus [secundum Augustinum Éd. De Parme], theologia est scientia de rebus quae ad salutem
hominis pertinent. Ergo est scientia. |
Cependant. 1. D’après Augustin, la théologie est la science qui traite des
choses qui se rapportent au salut de l’homme. Elle est donc une science. |
Quaestiuncula 3 |
Sous question 3 :
[Est-elle une sagesse ?]
|
q. 1 a. 3
qc. 3 arg. 1 Ulterius quaeritur, utrum sit sapientia ; et videtur quod non.
Quia, sicut dicit philosophus, sapiens debet esse certissimus causarum. Sed
in ista doctrina non est aliquis certissimus ; quia fides, cui haec doctrina
innititur, est infra scientiam et supra opinionem. Ergo non est sapientia. |
Difficulté. On se demande
par la suite si cette doctrine est une sagesse et il semble que ce ne soit
pas le cas. Car, ainsi que le dit le Philosophe, le sage doit avoir la
connaissance la plus certaine des causes. Mais dans cette doctrine, ce degré
de certitude n’est pas présent parce que la foi sur laquelle se fonde cette
doctrine, est intermédiaire entre la science et l’opinion. Cette docrine
n’est donc pas une sagesse. |
q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Contra, 1 Corinth. 2, 6 : Sapientiam
loquimur inter perfectos. Cum ergo hanc doctrinam ipse docuerit et de
ipsa loquatur, videtur quod ipsa sit sapientia. |
Cependant. À l’opposé, Saint Paul dans la Première Épître aux Corinthiens (2, 6)
dit ceci : Nous parlons une Sagesse entre parfaits. Donc, puisque c’est
cette doctrine que lui-même a enseignée et dont il a parlé, il semble que
cette doctrine soit une sagesse. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question
1 (La théologie est-elle pratique ou spéculative ?)
|
Super Sent., q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ista
scientia, quamvis sit una, tamen perfecta est et sufficiens ad omnem humanam
perfectionem, propter efficaciam divini luminis, ut ex praedictis patet. Unde
perficit hominem et in operatione recta et quantum ad contemplationem
veritatis : unde quantum ad quid practica est et etiam speculativa. Sed, quia
scientia omnis principaliter pensanda est ex fine, finis autem ultimus istius
doctrinae est contemplatio primae veritatis in patria, ideo principaliter
speculativa est. |
Corps de
l’article. Je réponds
qu’il faut dire que cette science, bien qu’elle soit une, est cependant
parfaite et satisfait à l’ensemble de la perfection humaine à cause de la
puissance de la lumière divine, ainsi que nous l’avons vu précédemment. De
là, elle assure la perfection de l’homme à la fois quant à l’opération droite
et quant à la contemplation de la vérité : et c’est pourquoi elle est
sous un rapport pratique et sous un autre spéculative. Mais parce que toute
science doit d’abord s’apprécier quant à sa fin, et que la fin ultime de
cette doctrine est la contemplation de la Vérité première dans la patrie
céleste, c’est pour cette raison qu’elle est principalement spéculative. |
Et, cum
habitus speculativi sint tres, secundum philosophum, scilicet sapientia,
scientia et intellectus ; dicimus quod est sapientia, eo quod altissimas
causas considerat et est sicut caput et principalis et ordinatrix omnium
scientiarum : et est etiam magis dicenda sapientia quam metaphysica, quia
causas altissimas considerat per modum ipsarum causarum, quia per
inspirationem a Deo immediate acceptam ; metaphysica autem considerat causas
altissimas per rationes ex creaturis assumptas. Unde ista doctrina magis
etiam divina dicenda est quam metaphysica : quia est divina quantum ad
subjectum et quantum ad modum accipiendi ; metaphysica autem quantum ad
subjectum tantum. Sed sapientia, ut dicit philosophus (In Ethic., cap. VIII vel 7), considerat
conclusiones et principia ; et ideo sapientia est scientia et intellectus ;
cum scientia sit de conclusionibus et intellectus de principiis. |
Et parce que
les habitus spéculatifs sont au nombre de trois d’après le Philosophe, à
savoir la sagesse, la science et l’intelligence, nous disons qu’elle est une
sagesse du fait qu’elle considère les causes les plus élevées et qu’elle est
comme la têre et le principe d’ordre par rapport aux autres sciences
auxquelles elle commande : et on doit même dire qu’elle est davantage
une sagesse que la métaphysique, car elle considère les causes les plus
élevées à la manière de ces causes elles-mêmes car elle se fonde sur une
inspiration reçue directement de Dieu alors que la métaphysique considère les
causes les plus élevées par des raisons tirées des créatures. C’est pourquoi
cette doctrine doit davantage être appelée divine que la métaphysique :
car elle est divine à la fois quant au sujet et on mode de procéder alors que
la métaphysique est divine quant au sujet seulement. Mais la sagesse, ainsi
que le dit le Philosophe dans l’Éthique (chapitre VIII), considère à la fois les conclusions
et les principes et c’est pour cette
raison qu’elle est à la fois science et intelligence puisque la science porte
sur les conclusions et l’intelligence sur les principes. |
q. 1 a. 3
qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod opus non est ultimum intentum in hac
scientia, immo potius contemplatio primae veritatis in patria, ad quam
depurati ex bonis operibus pervenimus, sicut dicitur Matth. 5, 8 : Beati mundo
corde ; et ideo principalius est speculativa quam practica. |
Solutions
ou réponses aux difficultés. 1.
Il faut donc dire par rapport à la première difficulté que l’œuvre à réaliser
n’est pas la fin ultime de cette science, mais plutôt la contemplation de la
Vérité première dans la patrie céleste est cette fin à laquelle nous
parviendrons lorsque nous serons purifiés par les bonnes œuvres ainsi qu’il
est dit dans Matthieu (5, 8) : Heureux ceux qui ont le cœur
pur ; et c’est pourquoi cette doctrine est davantage spéculative que
pratique. |
q. 1 a. 3 qc. 1 ad s. c. Alia duo concedimus. |
2. Nous concédons les deux autres. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question
2 [La théologie est-elle une science ?]
|
q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad id quod
ulterius quaeritur, dicendum, quod ista doctrina scientia est, [ut dictum est
Éd de Parme]. |
Corps de l’article. Quant à ce qu’on recherche par la suite il faut dire que cette doctrine
est une science ainsi que nous l’avons dit. |
q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Et quod
objicitur, quod est de particularibus, dicendum, quod non est de
particularibus inquantum particularia sunt, sed inquantum sunt exempla
operandorum : et hoc usitatur etiam in scientia morali ; quia operationes
particularium circa particularia sunt ; unde per exempla particularia, ea
quae ad mores pertinent, melius manifestantur, vel dicendum quod in scientia
duo. Ex primo habet quod est ex necessariis : ex contingentibus enim non
potest causari certitudo ; ex secundo quod est ex aliquibus principiis ; sed
hoc est diversimode in diversis, quia superiores scientiae sunt ex principiis
per se nota, sicut geometria, et huiusmodi habentia principia per se nota, ut
: si ab aliquibus aequalia deruas, etc. Inferiores autem scientiae, quae
superioribus subalternantur, non sunt ex principiis per se notis, sed
supponunt conclusiones probatas in superioribus scientiis, et eis utuntur pro
principiis quae in veritate non sunt principia per se nota, sed in superioribus
scientiis per principia per se nota probantur, sicut perspectiva quae est de
linea visuali, et subalternatur geometriae a qua etiam supponit quae
probantur de linea, inquantum linea, et per illa tanquam per principia probat
conclusiones quae sunt de linea, inquantum visualis. |
Réponses aux
difficultés. 1. Quant à
l’objection qui dit que cette doctrine considère les cas particuliers, il
faut dire qu’elle n’examine pas les particuliers en tant que tels, mais en
tant qu’exemples de ce qu’il faut faire ; et on use du même procédé en
science morale ; car les opérations des individus portent sur des cas
particuliers ; c’est pourquoi, au moyen d’exemples particuliers, les
choses qui se rapportent aux mœurs sont mieux manifestées ; ou bien il
faut dire qu’il y a deux choses à considérer dans la science. Premièrement,
elle procède de ce qui est nécessaire : la certitude ne peut en effet
être causée par ce qui est contingent : deuxièmement, elle procède de
certains principes ; mais cela se présente différemment dans différentes
sciences, car les sciences supérieures procèdent de principes connus par
eux-mêmes, comme la géométrie, laquelle possède des principes connus par
eux-mêmes comme : si tu retires de certaines quantités des quantités
égales etc. Mais les sciences inférieures qui sont subordonnées aux sciences
supérieures ne procèdent pas de principes connus par eux-mêmes, mais elles
supposent des conclusions prouvées dans des sciences supérieures et s’en
servent comme principes qui en vérité ne sont pas des principes connus par
eux-mêmes, mais elles sont prouvées dans des sciences supérieures au moyen de
principes connus par eux-mêmes : par exemple, la science de la
perspective a pour sujet la ligne visuelle et elle est subordonnée à la
géométrie de laquelle elle suppose aussi les conclusions qui sont prouvées au
sujet de la ligne en tant que ligne, et partant de ces conclusions comme de
principes elle prouve les conclusions qui se rapportent à la ligne en tant
que visuelle. |
Potest autem
scientia aliqua esse superior alia dupliciter : vel ratione subjecti, ut
geometria quae est de magnitudine, superior est ad perspectivam quae est de
magnitudine visuali ; vel ratione modi cognoscendi, et sic theologia est
inferior scientia quae in Deo est. Nos enim imperfecte cognoscimus id quod
ipse perfectissime cognoscit, et sicut scientia subalternata a superiori
supponit aliqua, et per illa tanquam per principia procedit ; sic theologia
articulos fidei quae infallibiliter sunt probati in scientia Dei supponit, et
eis credit, et per istud procedit ad probandum ulterius illa quae ex
articulis sequuntur. Est ergo theologie scientia quasi subalternata divinae
scientiae qua accipit principia sua. |
Mais
une science peut être supérieure à une autre de deux manières : soit en
raison du sujet comme la géométrie, dont le sujet est l’étendue, est
supérieure à la perspective qui a pour sujet l’étendue visuelle ; soit
en raison du mode de connaître, et ainsi la théologie est inférieure à la
science qui est en Dieu. En effet, nous ne connaissons qu’imparfaitement ce
que Lui-même connaît parfaitement, et comme une science subordonnée, la
théologie suppose certaines vérités qu’elle emprunte à une science supérieure
et elle procède à partir d’elles comme à partir de principes ; ainsi, la
théologie suppose les articles de foi qui sont prouvés de manière infaillible
dans la science de Dieu et elle y adhère et grâce à eux elle procède à la
preuve de ce qui découle par la suite de ces principes. La science
théologique est donc comme subordonnée à la science de Dieu de laquelle elle
reçoit ses principes. |
q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad aliud
dicendum, quod ista doctrina habet pro principiis primis articulos fidei, qui
per lumen fidei infusum per se noti sunt habenti fidem, sicut et principia
naturaliter nobis insita per lumen intellectus agentis. Nec est mirum, si
infidelibus nota non sunt, qui lumen fidei non habent : quia nec etiam
principia naturaliter insita nota essent sine lumine intellectus agentis. Et
ex istis principiis, non respuens communia principia, procedit ista scientia
; nec habet viam ad ea probanda, sed solum ad defendendum a contradicentibus,
sicut nec aliquis artifex potest probare sua principia. |
2. Par rapport à l’autre difficulté il faut dire que cette doctrine a
pour principes les premiers articles de la foi qui sont connus par eux-mêmes
au moyen de la lumière infuse de la foi chez celui qui a la foi, tout comme
les principes qui nous sont naturellement donnés par la lumière de
l’intellect agent. Et il n’est pas étonnant qu’ils ne soient pas connus des
infidèles qui ne possèdent pas la lumière de la foi car même les principes
donnés par la nature ne seraient pas connus sans la lumière de l’intellect
agent. Et cette science, ne rejetant pas les principes communs, procède à
partir de ces principes ; et elle ne s’aventure pas à les prouver, mais
seulement à les défendre contre ceux qui les contredisent, tout comme un
artisan ne peut prouver ses principes. |
q. 1 a. 3
qc. 2 ad 3 Ad aliud dicendum, quod, sicut habitus principiorum primorum non
acquiritur per alias scientias, sed habetur a natura ; sed habitus
conclusionum a primis principiis deductarum : ita etiam in hac doctrina non
acquiritur habitus fidei, qui est quasi habitus principiorum ; sed acquiritur
habitus eorum quae ex eis deducuntur et quae ad eorum defensionem valent |
3. Par rapport à l’autre difficulté, il faut dire que, tout comme
l’habitus des premiers principes n’est pas acquis par les autres sciences
mais est plutôt donné par la nature et que c’est l’habitus des conclusions
déduites des premiers principes qui est acquis ; de même encore dans
cette doctrine, ce n’est pas l’habitus de la foi qui est acquis, lequel est
comme l’habitus des principes, mais ce qui est acquis, c’est plutôt l’habitus
des conclusions qu’on déduit des articles de la foi et qui servent à les
défendre. |
q. 1 a. 3 qc. 2 ad s. c. Aliud concedimus |
Nous concédons cet énoncé. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3.
|
q. 1 a. 3
qc. 3 co. Ad id quod ulterius quaeritur, an sit sapientia, dicendum, quod
propriissime sapientia est, sicut dictum est. |
Quant
à ce qui est recherché par la suite, à savoir si cette doctrine est une
sagesse, il faut dire qu’elle l’est au plus haut point, ainsi que nous
l’avons dit. |
q. 1 a. 3
qc. 3 ad 1 Et quod objicitur, quod non est certissimus aliquis in ista
doctrina, dicimus, quod falsum est : magis enim fidelis et firmius assentit
his quae sunt fidei quam etiam primis principiis rationis. Et quod dicitur,
quod fides est infra scientiam, non loquitur de fide infusa, sed de fide
acquisita, quae est opinio fortificata rationibus. Habitus autem istorum
principiorum, scilicet articulorum, dicitur fides et non intellectus, quia
ista principia supra rationem sunt, et ideo humana ratio ipsa perfecte capere
non valet ; et sic fit quaedam defectiva cognitio, non ex defectu
certitudinis cognitorum, sed ex defectu cognoscentis. Sed tamen ratio
manuducta per fidem excrescit in hoc ut ipsa credibilia plenius comprehendat,
et tunc ipsa quodammodo intelligit : unde dicitur Isa. 7, 9, secundum aliam
litteram : nisi credideritis, non
intelligetis. |
Réponses aux difficultés. Cette objection, laquelle prétend que celui
qui s’occupe de cette science n’est pas le plus certain, est fausse : en
effet, celui qui croit adhère même plus fermement aux articles de la foi qu’aux
premiers principes de la raison. Et ce qu’on a dit, à savoir que la foi est
inférieure à la science, cela ne se dit pas de la foi infuse mais de la foi
acquise, laquelle est une opinion affermie par des raisonnements. Mais
l’habitus de ces principes, c’est-à-dire des articles de la foi, on l’appelle
foi et non intelligence car ces principes transcendent la raison et c’est
pourquoi la raison humaine elle-même est impuissante à les saisir
parfaitement ; et c’est ainsi qu’apparait une imperfection dans la
connaissance non pas en raison d’un défaut de certitude du côté de l’objet
connu mais d’un défaut de certitude du côté de celui qui connaît. La raison
cependant, conduite par la foi dépasse ses limites en cela qu’elle comprend
plus pleinement les articles de la foi eux-mêmes et les saisit alors en un
certain sens : c’est pourquoi on lit dans Ésaïe (7, 9) d’après
une autre version : À moins de croire, tu ne comprendreras pas. |
|
|
q. 1 a. 4
tit. Utrum Deus sit subjectum istius scientiae. |
Article 4 – Dieu est-il le sujet de cette science ? |
q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod Deus sit subjectum istius scientiae. Omnis enim scientia debet
intitulari et denominari a suo subjecto. Sed ista scientia dicitur theologia,
quasi sermo de Deo. Ergo
videtur quod Deus sit subjectum ejus. |
Objections. 1. Il semble que Dieu soit le sujet de cette science. En effet, toute
science doit être intitulée et dénommée d’après son sujet. Mais cette science
est dénommée théologie, à savoir discours sur Dieu. Il semble donc que Dieu
soit le sujet de cette science. |
Contra, Boetius dicit quod simplex
forma subjectum esse non potest. Sed Deus est hujusmodi. Ergo non potest esse
subjectum. |
À l’opposé, Boèce dit qu’une forme simple ne peut être un sujet. Mais
Dieu est justement une forme simple ; il ne peut donc être le sujet de
cette science. |
q.
1 a. 4 arg. 2 Item, videtur, secundum Hugonem de sancto Victore, quod opera
restaurationis sint subjectum : sic enim dicit, quod opera primae conditionis
sunt materiae aliarum scientiarum, opera autem restaurationis sunt materia
theologiae. Ergo et cetera. Contra, quidquid determinatur in scientia debet
contineri sub subjecto ipsius. Sed in theologia determinatur de operibus
creationis, ut patet Genes. 1°
Ergo videtur quod opera restaurationis non sint subjectum. |
2. En
outre, d’après Hugues de Saint Victor, il semble que les œuvres de la Réparation
soient un sujet : il dit ainsi en
effet que les œuvres de la première condition sont les matières des autres
sciences et que les œuvres de la Réparation sont la matière de la théologie.
Donc, etc. À l’opposé, tout ce dont on traite dans une science doit être
contenu dans le sujet de cette science. Mais en théologie on traite des
œuvres de la création comme on le voit au tout début du livre de la Genèse.
Il semble donc que les œuvres de la Réparation ne soient pas le sujet. |
q. 1 a. 4
arg. 3 Item, videtur quod res et signa sint subjectum : illud enim est
subjectum in scientia circa quod tota scientiae intentio versatur. Sed tota
intentio theologiae versatur circa res et signa, ut dicit Magister
sententiarum. Ergo res et signa sunt subjectum. Contra, per rationes subjecti
debet scientia differre ab aliis scientiis, cum quaelibet scientia habeat
proprium subjectum. Sed de rebus et signis considerant etiam aliae scientiae.
Ergo non sunt proprium subjectum hujus scientiae. |
3. De plus, il semble à certains que les choses et les signes soient
le sujet : dans un science donnée en effet le sujet est ce sur quoi
porte toute l’intention de cette science. Mais tout le propos de la théologie
est dirigé sur les choses et les signes ainsi que le dit le Maître des
sentences. Donc, les choses et les signes sont le sujet. Par contre, une
science doit différer des autres par la définition du sujet puisque toute
science possède un sujet qui lui est propre. Mais les autres sciences
considèrent elles aussi les choses et les signes. Donc, ces derniers ne sont
pas le sujet de cette science. |
q. 1 a. 4 co. Respondeo, quod subjectum habet ad
scientiam ad minus tres comparationes. Prima est, quod quaecumque sunt in
scientia debent contineri sub subjecto. Unde considerantes hanc conditionem,
posuerunt res et signa esse subjectum hujus scientiae ; quidam autem totum
Christum, idest caput et membra ; eo quod quidquid in hac scientia traditur,
ad hoc reduci videtur. Secunda comparatio est, quod subjecti cognitio
principaliter attenditur in scientia. Unde, quia ista scientia principaliter
est ad cognitionem Dei, posuerunt Deum esse subjectum ejus. Tertia comparatio est, quod per
subjectum distinguitur scientia ab omnibus aliis ; quia secantur scientiae
quemadmodum et res, ut dicitur in 3 de anima : et secundum hanc
considerationem, posuerunt quidam, credibile esse subjectum hujus scientiae. |
Corps de
l’article. Je réponds que
le sujet se compare à la science au moins sous trois rapports. Le premier est
que tout ce qui est examiné dans la science doit être contenu dans le sujet.
C’est pourquoi ceux qui ont considéré cette condition ont posé que les choses
et les signes sont le sujet de cette science ; d’autres cependant ont
posé que c’est la totalité du Christ, à savoir la tête et les membres du fait
que tout ce qui est enseigné dans cette science semble se ramener à cela. Le
deuxième rapport est que la connaissance du sujet est ce qui est poursuivi
principalement dans la science. De là, parce que cette science vise
principalement la connaissance de Dieu, il ont posé que Dieu en est le sujet.
Le troisième rapport est qu’une science se distingue justement de toutes les
autres par son sujet car les sciences se divisent comme les choses ainsi
qu’on le dit au troisième livre de l’Âme : et sous ce rapport,
certains ont posé que ce qu’il faut croire est le sujet de cette science. |
Haec enim scientia in hoc ab omnibus aliis differt,
quia per inspirationem fidei procedit. Quidam autem opera restaurationis, eo
quod tota scientia ista ad consequendum restaurationis effectum ordinatur. Si
autem volumus invenire subjectum quod haec omnia comprehendat, possumus
dicere quod ens divinum cognoscibile per inspirationem est subjectum hujus
scientiae. Omnia enim quae in hac scientia considerantur, sunt aut Deus, aut
ea quae ex Deo et ad Deum sunt, inquantum hujusmodi : sicut etiam medicus
considerat signa et causas et multa hujusmodi, inquantum sunt |
Cette science en effet diffère de toutes les autres sciences en ceci
qu’elle procède au moyen de l’inspiration de la foi. Mais certains ont posé
que les œuvres de la Réparation sont le sujet du fait que toute cette science
est ordonnée à la poursuite de l’effet de la Réparation. Mais si nous voulons
trouver le sujet qui se trouve à comprendre tous ce points, nous pouvons dire
que le sujet de cette science est l’être divin qui est connaissable par l’inspiration de la foi. En effet, tout
ce qui est examiné dans cette science est soit Dieu, soit ce qui vient de
Dieu et est ordonné à Lui en tant que tel : c’est ainsi encore que le
médecin considère les signes et les causes et beaucoup de choses de cette
sorte en tant qu’elles sont saines, c’est-à-dire pour autant qu’elles se
rapportent d’une certaine manière à la santé. De là, ce qui se rapproche le
plus d’un véritable rapport à Dieu, c’est là ce qui est examiné
principalement dans cette science. |
q. 1 a. 4 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus non est subjectum, nisi sicut
principaliter intentum, et sub cujus ratione omnia quae sunt in scientia,
considerantur. Quod autem objicitur in contrarium, quod forma simplex non
potest esse subjectum, dicimus, quod verum est accidentis : nihilominus tamen
potest esse subjectum praedicati in propositione ; et omne tale potest esse
subjectum in scientia, dummodo illud praedicatum de eo probari possit. |
Réponses aux objections. 1. Il faut dire que Dieu n’est le sujet de cette science que parce
qu’Il en est le propos principal et c’est sous ce rapport que toutes les
autres choses sont examinées dans cette science. Mais ce qu’on présente comme
objection, à savoir qu’une forme simple ne peut être un sujet, nous disons
que cela est vrai si on le dit de l’accident : il peut cependant être le
sujet d’un prédicat dans une proposition et dans ce cas il peut être sujet
dans une science, aussi longtemps que ce prédicat puisse être prouvé comme
lui appartenant. |
q. 1 a. 4 ad
2 Ad aliud dicendum, quod opera restaurationis non sunt proprie subjectum
hujus scientiae, nisi inquantum omnia quae in hac scientia dicuntur, ad
restaurationem nostram quodammodo ordinantur. |
2.
Il faut dire par rapport à cette autre objection que les œuvres de la
Réparation ne sont pas à proprement parler le sujet de cette science que dans
la mesure où tout ce qui est dit dans cette science est ordonné en un sens à
notre renouvellement. |
q. 1 a. 4 ad
3 Ad aliud dicendum, quod res et signa communiter accepta, non sunt subjectum
hujus scientiae, sed inquantum sunt quaedam divina. |
3. Il faut dire à l’égard de cette autre objection que les choses et
les signes, pris absolument, ne sont pas le sujet de cette science, mais il
le sont dans le mesure où ils se rapportent à Dieu. |
|
|
Articulus 5
: Utrum modus procedendi sit artificialis |
Article 5 – La manière de procéder est-elle selon l’art [1] ? |
q. 1
a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. [Videtur quod modus procedendi non sit artificialis
add. Éd. De Parme]. Nobilissimae [enim add. Éd. De Parme] scientiae debet esse nobilissimus
modus. Sed quanto magis [modus add. Éd.
De Parme] est artificialis,
tanto nobilior est. Ergo, cum haec scientia sit nobilissima, modus ejus debet
esse artificialissimus. |
Objections. 1. Il semble que le mode de procéder ne soit pas selon l’art. Le mode
le plus noble doit en effet appartenir à la science la plus noble. Mais un
mode est d’autant plus noble qu’il est davantage conforme à l’art. Donc,
puisque cette science est la plus noble, son mode doit être le plus conforme
à l’art. |
q. 1 a. 5
arg. 2 Praeterea, modus scientiae debet ipsi scientiae proportionari. Sed
ista scientia maxime est una, ut probatum est. Ergo et modus ejus debet esse
maxime unicus. Cujus contrarium videtur, cum quandoque comminando, quandoque
praecipiendo, quandoque aliis modis procedat. |
2. En outre, le mode d’une science doit être proportionné à la
science elle-même. Mais cette science est une au plus haut point ainsi qu’on
l’a prouvé. Par conséquent, son mode doit être le plus un ; mais il
semble que ce soit le contraire qu’on observe, puisqu’on y procède parfois en
menaçant, parfois en enseignant, parfois selon d’autres modes. |
q. 1 a. 5
arg. 3 Praeterea, scientiarum maxime differentium non debet esse unus modus.
Sed poetica, quae minimum continet veritatis, maxime differt ab ista
scientia, quae est verissima. Ergo, cum illa procedat per metaphoricas
locutiones, modus hujus scientiae non debet esse talis. |
3.
De plus, il ne doit pas exister un seul mode pour les sciences les plus
différentes. Mais la poétique, qui contient très peu de vérités diffère au
plus haut point de cette science qui est la plus vraie. Donc, puisque cette
science procède au moyen de locutions métaphoriques, le mode de la doctrine
sacrée ne doit pas lui être identique sur ce point. |
q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, Ambrosius : Tolle argumenta ubi fides quaeritur.
Sed in sacra scientia maxime quaeritur fides. Ergo modus ejus nullo modo
debet esse argumentativus. |
4. Ensuite, Ambroise dit : Là où c’est la foi qu’on cherche, qu’on
écarte les arguments. Mais dans la doctrine sacrée, c’est surtout la foi
qu’on cherche. Donc, son mode ne doit aucunement faire usage d’arguments. |
q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra, 1 Pet. 3, 15 : Parati
semper ad satisfactionem omni poscenti vos rationem de ea, quae in vobis est,
spe. Hoc autem sine argumentis fieri non valet. Ergo debet quandoque
argumentis uti. |
Au
contraire : On
lit dans la Première Lettre de Pierre (3, 15) : Soyez
toujours prêts à vous défendre face à tous ceux qui vous demandent de
justifier l’espérance qui est en vous. Mais il est impossible de réaliser
cela sans former des arguments. On doit donc parfois se servir d’arguments. |
q. 1 a. 5 s.
c. 2 Idem habetur ex hoc quod dicitur Tit. 1, 9 : Ut potens sit exhortari in doctrina sana et eos qui contradicunt,
arguere. |
Saint Paul tient le même discours dans sa Lettre à Tite (1,
9) : Pour qu’il soit capable d’exhorter les autres à se conformer à
la doctrine saine et d’argumenter contre ceux qui la contredisent. |
q. 1 a. 5
co. Respondeo dicendum, quod modus cujusque scientiae debet inquiri secundum
conditiones materiae, ut dicit Boetius, et philosophus. Principia autem hujus
scientiae sunt per revelationem accepta ; et ideo modus accipiendi ipsa
principia debet esse revelativus ex parte infundentis, ut in revelationibus
prophetarum, et orativus ex parte recipientis, ut patet in Psalmis. Sed quia,
praeter lumen infusum, oportet quod habitus fidei distinguatur ad determinata
credibilia ex doctrina praedicantis, secundum quod dicitur Rom. 10, 14 : quomodo credent ei quem non audierunt ?
Sicut etiam intellectus principiorum naturaliter insitorum determinatur per
sensibilia accepta, veritas autem praedicantis per miracula confirmatur, ut
dicitur Marc. ult. 20 : Illi autem profecti praedicaverunt ubique,
domino cooperante et sermonem confirmante sequentibus signis ; oportet
etiam quod modus istius scientiae sit narrativus signorum, quae ad confirmationem
fidei faciunt : et, quia etiam ista principia non sunt proportionata humanae
rationi secundum statum viae, quae ex sensibilibus consuevit accipere, ideo
oportet ut ad eorum cognitionem per sensibilium similitudines manuducatur :
unde oportet modum istius scientiae esse metaphoricum, sive symbolicum, vel
parabolicum. |
Corps de l’article. Je réponds
qu’il faut dire que le mode de toute science doit se rechercher conformément
aux conditions de sa matière comme le disent Boèce et le Philosophe. Mais les
principes de cette science sont reçus de la révélation ; et pour cette
raison la manière de recevoir ces principes doit être du type de la
révélation du côté de celui qui infuse, comme dans les révélations des
prophètes, et du type de la prière du côté de celui qui reçoit comme on le
voit dans les Psaumes. Mais parce que, en dehors de la lumière infuse, il
faut que l’habitus de la foi se distingue quant à des objets de foi
déterminés tirés de la doctrine de celui qui fait œuvre de prédication,
conformément à ce qui est dit dans l’Épître aux Romains (10, 14) : Et
comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? Alors,
tout comme l’intelligence des principes donnés naturellement est déterminée
par la réception des qualités sensibles et que de même la vérité de celui qui
proclame est confirmée par les miracles ainsi qu’on le dit à la fin de
l’Évangile de Marc (20) : Partout où ils partaient prêcher, le
Seigneur les aidait et les accompagnait par des signes qui confirmaient la
vérité de leurs discours ; c’est pourquoi il faut aussi que le mode
de cette science relate les signes qui contribuent à confirmer la foi ;
et, parce qu’en outre ces principes ne sont pas proportionnés à la raison
humaine dans la condition de la vie présente, laquelle a coutume de recevoir
les vérités à partir des choses sensibles, c’est pourquoi il faut que nous
soyons conduits à la connaissance de ces principes par des similitudes
sensibles : de là il faut que le mode de cette science soit métaphorique
ou symbolique, ou comporte des paraboles. |
Ex istis
autem principiis ad tria proceditur in sacra Scriptura : scilicet ad
destructionem errorum, quod sine argumentis fieri non potest ; et ideo
oportet modum hujus scientiae esse quandoque argumentativum, tum per
auctoritates, tum etiam per rationes et similitudines naturales. Proceditur
etiam ad instructionem morum : unde quantum ad hoc modus ejus debet esse
praeceptivus, sicut in lege ; comminatorius et promissivus, ut in prophetis ;
et narrativus exemplorum, ut in historialibus. Proceditur tertio ad
contemplationem veritatis in quaestionibus sacrae Scripturae ; et ad hoc
oportet modum etiam esse argumentativum, quod praecipue servatur in
originalibus sanctorum et in isto libro, qui quasi ex ipsis conflatur. |
Mais
à partir de ces principes on procède à trois choses dans les Saintes
Écritures : c’est-à-dire à la réfutation des erreurs qui ne pourrait
avoir lieu sans argumentation ; et c’est pourquoi le mode de cette
science doit parfois être argumentatif, en procédant aussi bien au moyen
d’autorités que de raisonnements et de similitudes tirées de la nature. Mais
on y procède aussi à la formation des mœurs : et c’est pourquoi sous ce
rapport son mode doit être didactique comme dans la Loi ; menaçant et prendre
la forme d’une promesse, comme dans les Prophètes ; et elle doit faire
le récit des faits exemplaires, comme
dans les parties historiques. On y procède en troisième lieu à la
contemplation de la vérité dans les questions de l’Écriture Sainte ; et
pour cela il faut que son mode soit aussi argumentatif, lequel mode est conservé
surtout pour les œuvres d’origine des saints et dans ce livre qui est comme
composé à partir d’eux. |
Et secundum
hoc etiam potest accipi quadrupliciter modus exponendi sacram Scripturam :
quia secundum quod accipitur ipsa veritas fidei, est sensus historicus :
secundum autem quod ex eis proceditur ad instructionem morum, est sensus
moralis ; secundum autem quod proceditur ad contemplationem veritatis eorum
quae sunt viae, est sensus allegoricus ;et secundum quod proceditur ad
contemplationem veritatis eorum quae sunt patriae, est sensus anagogicus. Ad
destructionem autem errorum non proceditur nisi per sensum litteralem, eo
quod alii sensus sunt per similitudines accepti et ex similitudinariis
locutionibus non potest sumi argumentatio ; unde et Dionysius dicit (in Epistola ad Titum, in Princip.) quod
symbolica theologia non est argumentativa. |
Et c’est encore d’après cela que la manière d’expliquer les Saintes
Écritures peut se prendre de quatre façons : car selon qu’on reçoit la
vérité même de la foi, il y a le sens historique : mais selon qu’à
partir d’elles on procède à la formation des mœurs, il y a le sens
moral ; selon qu’on procède à la contemplation de la vérité des choses
qui appartiennent au passage dans cette vie, le sens est allégorique ;
selon qu’on procède à la contemplation de la vérité des choses qui
appartiennent à la patrie céleste, le sens est anagogique. Mais pour la
réfutation des erreurs on ne procède qu’au moyen du sens littéral du fait que
les autres sens sont reçus par des similitudes et que l’argumentation ne peut
se tirer de locutions qui comportent des similitudes ; c’est pourquoi
Denys dit au début de sa Lettre à Tite que la théologie symbolique
n’est pas argumentative. |
q. 1 a. 5 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod modus artificialis dicitur qui competit
materiae ; unde modus qui est artificialis in geometria, non est artificialis
in ethica : et secundum hoc modus hujus scientiae maxime artificialis est,
quia maxime conveniens materiae. |
Réponses aux objections. 1.
Par rapport à la première objection, il faut dire qu’est conforme à l’art le
mode qui est conforme à la matière ; c’est pourquoi le mode qui est
conforme à l’art pour la géométrie n’est pas celui qui est valide pour
l’éthique : et la raison pour laquelle ce mode est le plus conforme à
l’art par rapport à cette science, c’est qu’il convient à sa matière. |
q. 1 a. 5 ad
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ista scientia una sit, tamen de multis
est et ad multa valet, secundum quae oportet modos ejus multiplicari, ut jam
patuit. |
2. Il
faut dire sur ce deuxième point que bien que cette science soit une, elle
porte cependant sur de nombreuses choses et elle excelle en de nombreuses
matières d’après lesquelles ses modes doivent se diversifier ainsi que nous
l’avons déjà vu. |
q. 1 a. 5 ad
3 Ad tertium dicendum, quod poetica scientia est de his quae propter defectum
veritatis non possunt a ratione capi ; unde oportet quod quasi quibusdam
similitudinibus ratio seducatur : theologia autem est de his quae sunt supra
rationem ; et ideo modus symbolicus utrique communis est, cum neutra rationi
proportionetur. |
3. Sur ce troisième point il faut dire que la science poétique porte
sur une matière qui ne peut être saisie par la raison à cause de son manque
de vérité ; c’est pourquoi il faut que la raison soit séduite par
certaines similitudes : mais la théologie porte sur des réalités qui
dépassent la raison ; et c’est pourquoi le mode symbolique est commun
aux deux sciences parce qu’aucune d’elles n’est proportionnée à la raison. |
q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod argumenta
tolluntur ad probationem articulorum fidei ; sed ad defensionem fidei et
inventionem veritatis in quaestionibus ex principiis fidei, oportet
argumentis uti : sic etiam apostolus facit, 1 Corinth. 15, 16 : si Christus resurrexit, ergo et mortui resurgent. |
4. Il faut
dire sur ce point que les arguments sont écartés pour ce qui est de prouver
les articles de la foi ; mais il faut se servir d’arguments pour la
défense de la foi et la découverte de la vérité pour les questions qui
découlent des principes de la foi : c’est ainsi encore que l’Apôtre dit
dans sa Première Épître aux Corinthiens (15, 16) : Si le Christ est
ressuscité, c’est donc que les morts ressusciteront. |
|
|
q. 1 pr. Huic operi Magister prooemium praemittit,
in quo tria facit. Primo reddit auditorem benevolum ; secundo docilem, ibi, "Horum igitur Deo odibilem
Ecclesiam evertere, atque ora oppilare (...) volentes, in labore multo ac
sudore volumen, Deo praestante, compegimus"
; tertio attentum, ibi, "non
ergo debet hic labor cuiquam pigro vel multum docto videri superfluus.". Benevolum reddit assignando
causas moventes ipsum ad compilationem hujus operis, ex quibus ostenditur
affectus ipsius in Deum et proximum. Sunt autem tres causae moventes. Prima sumitur ex parte sui, scilicet
desiderium proficiendi in Ecclesia ; secunda ex parte Dei, scilicet promissio
mercedis et auxilii ; tertia ex parte proximi, [scilicet instantia precum
sociorum. Add. Éd. De Parme]. |
Le
maître fait précéder cette œuvre d’un proème dans lequel il fait trois
choses. En premier lieu il rend l’auditeur bienveillant ; en deuxième
lieu, il le rend docile, là où il dit : ¨Voulant donc détruire leur
Église odieuse à Dieu et fermer leur bouche (…), nous avons, avec l’aide de
Dieu, rédigé ce volume avec beaucoup de travail et de sueur.¨ En
troisième lieu, il rend le rend attentif là où il dit : ¨Ce travail
ne doit pas paraître inutile à quelque paresseux ou à quelque grand savant.¨
Il a rendu l’auditeur bienveillant en indiquant les causes qui l’ont poussé à
rédiger cet ouvrage, lesquelles sont révélatrices de son amour pour Dieu et
le prochain. Mais il y a trois causes qui l’ont poussé à réaliser ce travail.
La première se prend de son côté, à savoir le désir de progresser dans
l’Église ; la deuxième se prend du côté de Dieu, à savoir la promesse de
la récompense et de l’aide pour y arriver ; la troisième se prend du
côté du prochain, à savoir les supplications pressantes de ses compagnons. |
Sed contra sunt tres causae retrahentes. Prima ex parte
sui, defectus ingenii et scientiae ; secunda ex parte operis, altitudo
materiae et magnitudo laboris ; tertia ex parte proximi, invidorum
contradictio. Harum autem causarum moventium duae primae insinuant
caritatem in Deum, tertia in proximum : unde dividitur in duas. In primo
ponit causas moventes quae ostendunt caritatem in Deum ; in secundo causam
quae ostendit caritatem in proximum, ibi, "non
valentes studiosorum fratrum votis jure resistere". |
Mais à l’opposé il y a trois
causes qui tendent à le faire reculer devant la tâche. La première se tient
de son côté, à savoir son manque d’intelligence et de science; la deuxième se
tient du côté de l’oeuvre en raison du caractère élevé de la matière et de
l’étendue du travail; la troisième se tient du côté du prochain, à savoir la
contradiction des envieux. Mais parmi les causes qui le poussent à agir, les
deux premières sont révélatrices de son amour pour Dieu et la troisième de
son amour pour le prochain: et c’est pourquoi cette partie se divise en deux.
Dans la première il présente les causes actives qui montrent son amour pour
Dieu; dans la deuxième il présente celle qui manifeste son amour pour le
prochain, là où il dit: ¨Ne pouvant pas résister avec raison aux prières de
mes frères zélés.¨ |
Causis
autem moventibus adjungit etiam retrahentes : unde primo ponit quasi quamdam
controversiam causarum moventium et retrahentium ; secundo victoriam, ibi, "quam vincit zelus domus Dei". "Cupientes"
In hoc notatur primo causa movens, scilicet desiderium proficiendi. "Aliquid" sonat immodicitatem. "De
penuria ac tenuitate nostra".
Hic tangitur prima causa retrahens, scilicet defectus scientiae. Et dicitur
penuria proprie defectus exterioris substantiae, unde transfertur ad defectum
scientiae acquisitae. "Tenuitate", quae proprie est defectus
substantiae interioris, unde transfertur ad defectum ingenii. "Cum paupercula", de qua Marc. 12
et Lucae 21. "Gazophylacium".
Gazophylacium repositorium dicitur divitiarum. Gazae enim Persice, divitiae
Latine dicuntur, et phylasso Graece, Latine servare : et quandoque sumitur
pro arca in quo arca reponitur, sicut 4
Reg. 12, 9 : Tulit Joiada pontifex
gazophylacium unum etc., quandoque pro loco in quo arca reponitur, sicut Joan. 8, 20 : haec locutus est Jesus
in gazophylacio. Hic autem significat studium sacrae Scripturae, in
quo sancti sua opera reposuerunt. |
Mais à ces causes actives il ajoute encore celles qui le retiennent
d’agir: c’est pourquoi il présente d’abord comme un combat qu’il y a entre
les causes qui le poussent à agir et celles qui le retiennent; en deuxième
lieu, il présente la victoire, là où il dit: ¨que le zèle pour la maison
du Seigneur a vaincu¨. Lorsqu’il dit ¨Désirant¨, il indique en premier
lieu la première cause active, à savoir son désir de progresser dans l’Église.
Lorsqu’il dit ¨Quelque chose¨, cela renvoie à la démesure de la tâche. Par
l’expression ¨Sur notre pauvreté et notre dénuement¨, il touche ici du doigt
la première cause qui le retient, à savoir son manque de science. Et le terme
de pauvreté exprime à proprement parler le manque d’une substance extérieure
et c’est pourquoi il est appliqué à un manque de science acquise; mais le terme de
petitesse se rapporte proprement à un défaut de substance intérieure et c’est
pourquoi il est appliqué à un manque d’intelligence. ¨Avec la pauvre femme¨
dont parle Marc (12, 41-44) et Luc (21, 1-4). ¨Gazophylacium¨. Gazophylacium
signifie la sale où l’on depose les richesses. En effet, le terme ¨gazae¨,
qui vient de la langue perse, correspond au terme en latin divitiae
qui veut dire richesses et ¨phylasso¨, qui est un terme grec,
correspond au terme latin servare qui veut dire conserver: et parfois gazophylacium signifie
le coffer dans lequel le trésor est depose ainsi qu’on le dit dans le
deuxième livre des Rois (12, 10): ¨Le prêtre Yéhoyada prit un coffre…¨,
et parfois pour le lieu dans lequel le coffre est depose, ainsi qu’on le voit
dans Jean (8, 20): ¨Jésus prononça ces paroles dans la sale du Trésor¨. Mais
ce terme signifie ici le lieu de l’étude des Saintes Écritures dans lequel
les saints avaient deposé leurs oeuvres. |
"Ardua scandere". Hic ponitur secunda causa retrahens ex parte operis, et
dicuntur ardua divina quantum est in se. Scanduntur autem quasi triplici
gradu. Primus est in derelinquendo sensum ; secundus in derelinquendo
phantasias corporum ; tertius in derelinquendo rationem naturalem. "Opus ultra
vires". Hic ostenditur
altitudo materiae per comparationem ad nos. |
Lorsqu’il
ajoute ¨S’élever sur les hauteurs¨, il présente la deuxième cause qui le
retient du côté du travail à accomplir, et les réalités divines sont appelées
hauteurs quant à ce qu’elles sont en elles-mêmes. Et on s’y élève comme en
trois étapes. La première se fait en se dégageant des sens; la deuxième en
délaissant les images des corps; la troisième, en se détachant de la raison
naturelle. Et lorsqu’il dit ¨Un travail au-delà de nos forces¨, il montre par
là à quel point la matière à examiner est élevée par rapport à nos capacités. |
Contra, Eccli. 3, 22 : Altiora te ne quaesieris. Respondeo. Verum est ex consideratione
[confidentia Éd. De Parme] propriarum virium ; sed ex confidentia divini
auxilii possumus elevata supra nostrum posse speculari. |
Mais au contraire on lit dans l’Ecclésiaste (3, 22) : ¨Ne cherche
pas à connaître ce qui te dépasse¨. Je réponds que cela
est vrai si on ne se fie qu’à ses propres forces ; mais en nous appuyant
sur l’aide de Dieu, nous pouvons examiner les réalités qui sont élevées
au-dessus de nos capacités. |
"Praesumpsimus". Contra, Eccli. 37, 3 : Ô praesumptio nequissima ! Ergo
videtur quod peccaverit. Respondeo. Expone "praesumpsimus",
idest prae aliis sumpsimus.. Vel dic, quod esset praesumptio per
comparationem ad vires humanas ; sed per comparationem ad Dei auxilium, quo
omnia possumus, sicut dicitur Philipp. ult. 13 : omnia possum in eo qui me
confortat, non est praesumptio. |
¨Nous avons anticipé¨. Mais nous lisons au contraire dans
l’Ecclésiaste (37, 3): ¨Ô vaine anticipation!¨. Il semble donc
avoir commis une faute. Je réponds que
¨Nous anticipons¨ s’explique comme synonyme de nous saisissons avant
les autres…Ou bien disons qu’il y aurait là une folle anticipation par
rapport aux forces humaines; mais par rapport à l’aide que nous recevons de
Dieu, par laquelle nous pouvons tout, cela n’est pas de la présomption et il
faut dire comme l’Apôtre dans son Épître aux Philippiens (4, 13): Je puis
tout en Celui qui me rend fort. |
"Consummationis
fiduciam". Hic ponit secundam
causam moventem ex parte Dei. "In
Samaritano". Sumitur de
parabola quae est Lucae 10, per quam significatur Deus. In Psal.
120, 4 : Ecce non dormitabit neque
dormiet qui custodit Israel. Samaritanus enim interpretatur custos. "Semivivi", hominis per peccatum spoliati gratia et vulnerati in
naturalibus. Duobus denariis, duobus testamentis, quasi regis imagine
insignitis, dum veritatem continent a prima veritate exemplatam. "Supereroganti", idest superaddenti, sicut
sancti patres suis studiis fecerunt. |
En disant : ¨La confiance dans l’accomplissement¨, il présente
ici la deuxième cause qui le pousse à agir du côté de Dieu. ¨Dans le
Samaritain¨. Cette expression est tirée de la parabole qu’on retrouve en Luc
(10, 29-37) et par laquelle Dieu est signifié. Et dans le Psaume (120,
4) : Vois, il ne dormira ni ne sommeillera, le gardien d’Israël. Samaritain
en effet peut s’interpréter comme signifiant gardien. ¨À moitié mort¨
s’applique à l’homme qui, par le péché, est dépourvu de la grâce et qui,
parmi les êtres naturels, est un être blessé. Par les deux deniers, image des
deux testaments, comme marqués à l’image du roi, alors qu’ils contiennent une
vérité qui est à l’image de la vérité première. ¨À ce que tu auras dépensé en
plus¨, c’est-à-dire à ce que tu auras ajouté, tout comme les saints pères
l’ont fait par leurs études. |
Contra,
Apocalyps. ult. 18 : Si quis apposuerit
ad haec, apponet Deus super illum plagas. Respondeo. Est apponere duplex
: vel aliquid quod est contrarium, vel diversum ; et hoc est erroneum vel
praesumptuosum : vel quod continetur implicite, exponendo ; et hoc est
laudabile. |
On
lit au contraire à la fin du livre de l’Apocalypse (22, 18) : Et si
quelqu’un ajoute quelque chose à ces paroles, Dieu le chargera de fléaux. Je réponds à cela qu’il y a deux manières
d’ajouter : soit en ajoutant quelque chose de contraire ou de différent,
et cela est une erreur ou une présomption ; soit en expliquant ce qui est déjà contenu mais implicitement, et
cela est louable. |
"Delectat". Hic colligit quatuor causas enumeratas. "Quam vincit". Hic ponit victoriam. "Zelus". Zelus, secundum Dionysium (De div. Nom. 4, 13) est amor intensus,
unde non patitur aliquid contrarium amato. "Domus Dei"
idest Ecclesiae. "Quo
inardescentes", scilicet dum
non patimur Ecclesiam ab infidelibus impugnari. "Carnalium",
quantum ad illos qui inveniunt sibi errores, ut carnis curam faciant in
desideriis, Rom. 13, sicut qui
negant providentiam divinam de rebus humanis, et animae perpetuitatem, ut
impune possint peccare. "Animalium", quantum ad errantes, ex eo
quod non elevantur supra sensibilia, sed secundum rationes corporales volunt
de divinis judicare. Davidicae turris. Hoc sumitur Cant. 4, 4 : "Sicut
turris David collum tuum, quae aedificata est cum propugnaculis : mille
clypei pendent ex ea, omnis armatura fortium". Per David significatur
Christus : turris ejus est fides vel Ecclesia : clypei sunt rationes et
auctoritates sanctorum. "Vel
potius munitam ostendere" ;
quia ipse non invenit rationes, sed potius ab aliis inventas compilavit : et
in hoc tangit unam utilitatem, scilicet exclusionem erroris. "Ac theologicarum inquisitionum
abdita aperire".Hic tangit
aliam quantum ad manifestationem veritatis ; et hoc in primis tribus libris. "Nec non et sacramentorum
ecclesiasticorum pro modulo [pro modico
Lombard] intelligentiae nostrae notitiam tradere studuimus : et hoc quantum
ad quartum". |
¨ Il se réjouit¨. Et il recueille ici les quatre causes qui ont été
énumérée. ¨Qu’il a vaincu¨. Il présente ici la victoire. ¨Le zèle¨. D’après
Denys (Les Noms Divins, 4, 13), le zèle est un amour intense qui ne souffre
pas ce qui s’oppose à l’objet aimé.
¨La maison de Dieu¨, c’est-à-dire l’Église. ¨Pour laquelle nous nous
enflammons¨, c’est-à-dire alors même que nous ne pouvons pas supporter que
l’Église soit combattue par les infidèles. ¨Des hommes charnels¨, quant à
ceux qui se retrouvent dans des erreurs, comme ceux qui se soucient de la
chair pour en satifaire les convoitises (Romains, 13, 14), comme ceux qui
nient la Providence divine dans les choses humaines ainsi que l’immortalité
de l’âme de sorte qu’ils pourraient pécher impuniment. ¨Des animaux¨, quant à
ceux qui s’égarent du fait qu’ils ne s’élèvent pas au-dessus des réalités
sensibles et veulent juger des choses divines d’après des raisons tirées des
réalités corporelles. La tour de David. Cette expression est tirée du
Cantique des Cantiques (4, 4) : Ton cou est comme la tour de David
construite avec des remparts : mille boucliers y sont suspendus, toutes
les armes des combattants. David représente ici le Christ ; sa tour est
la foi ou l’Église ; les boucliers sont les raisons et l’autorité des
saints. ¨Ou plutôt montrer l’abri des fortifications¨ car ce n’est pas lui
qui a découvert les raisons mais il a plutôt dépouillé celles qui ont été
découvertes par les autres : et en cela il touche du doigt une utilité,
à savoir le rejet de l’erreur. ¨Et dévoiler les secrets des recherches
théologiques¨. Il indique ici une autre utilité quant à la manifestation de
la vérité ; et il fait cela dans les trois premiers livres. ¨Et nous
nous sommes appliqués à enseigner la connaissance des sacrements de l’Église
dans la mesure de notre intelligence : et c’est là l’objet du quatrième
livre¨. |
"Non valentes studiosorum fratrum votis
jure resistere". Hic ponit
causam moventem, quae dicit caritatem in proximum : et primo ponit causam
moventem ; secundo retrahentem, ibi, "quamvis
non ambigamus omnem humani eloquii sermonem calumniae atque contradictioni
aemulorum semper fuisse obnoxium". |
¨ Ne pouvant
pas résister avec raison aux prières de nos frères dévoués¨. Il présente ici
la cause motrice qui exprime la charité envers le prochain : et en
premier lieu il présente la cause motrice ; en deuxième lieu celle qui
le retient, là où il dit : ¨bien que nous ne doutions pas que tout
discours de l’éloquence humaine a toujours été assujetti à la calomnie et à
la contradiction des envieux¨. |
"Lingua", ad praesentes, vel quantum ad
communicationem doctrinae ; "stylo", propter absentes, vel ad
perpetuandam memoriam. |
¨Par la
langue¨, à l’égard de ceux qui sont presents, pour leur communiquer la
doctrine; ¨par la plume¨, à l’égard de ceux qui sont absents, pour en
perpétuer la mémoire |
"Bigas", idest linguam et stylum, quibus quasi duabus rotis
vehitur a magistro in discipulum, agitat Christi caritas. Hoc sumitur 2
Corinth. 5, 14 : caritas Christi urget nos. |
¨Les deux¨, c’est-à-dire la langue et la plume, par lesquels, comme
par deux roues la vérité est transportée du maître au disciple, s’avance ici
la charité du Christ. Et cela est tiré de la deuxième Épître aux Corinthiens
(5, 14) : Car l’amour du Christ nous presse. |
Contra, Eccle. 9, 1 : "Nemo scit, utrum amore an odio
dignus sit". Ergo et cetera. Respondeo. Caritas dicitur uno modo
habitus infusus ; et hunc nullus potest scire se habere certitudinaliter,
nisi per revelationem ; sed potest conjicere per aliqua signa probabilia.
Alio modo dicitur caritas amor multum appretians amatum ; et sic aliquis
potest scire se habere caritatem. "Quamvis
non ambigamus omnem humani eloquii sermonem calumniae atque contradictioni
aemulorum semper fuisse obnoxium".Hic
ponit tertiam causam retrahentem, scilicet contradictionem invidorum : et
circa hoc tria facit. Primo ponit contradictionis evidentiam per simile in
aliis ; secundo contradictionis causam ex inordinatione voluntatis, ex qua
error, ex qua invidia, ex qua contradictio oritur, ibi, "quia dissentientibus voluntatum motibus, dissentiens quoque
fit animorum sensus" ; tertio
contradicentium nequitiam, ibi, "qui
non rationi voluntatem subjiciunt". |
Mais on lit au contraire dans
l’Ecclésiaste (9, 1) : ¨Nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine¨.
Il en est donc ainsi pour le reste. Je réponds que la charité se prend en un
sens comme un habitus infus ; et cet habitus, nul ne peut savoir avec
certitude qu’il le possède, si ce n’est par révélation ; mais il peut le
conjecturer au moyen de signes probables. En un autre sens charité se dit de
l’amour qui estime grandement l’objet aimé ; et ainsi, en ce sens,
quelqu’un peut savoir qu’il possède la charité. ¨Bien que nous ne doutions pas
que tout discours de l’éloquence humaine a toujours été assujetti à la
calomnie et à la contradiction des
envieux¨. Il présente ici la troisième cause qui le retient, à savoir la
contradiction des envieux : et à ce sujet il fait trois choses. En
premier lieu il présente l’évidence de la contradiction au moyen d’une
similitude chez les autres ; en deuxième lieu il présente la cause de la
contradiction qui se tient du côté d’un désordre de la volonté à partir
duquel naissent l’erreur, l’envie et la contradiction, là où il dit :
¨car chez ceux qui sont en désaccord par les mouvements de la volonté il se
produit aussi un jugement discordant des âmes¨ ; en troisième lieu il
présente la malice des contradicteurs, là où il dit : ¨ceux qui ne
soumettent pas la volonté à la raison¨. |
"Calumniae", quae est occulta et particularis impugnatio ; "contradictioni", quae est aperta, et in toto,
et universalis ; "obnoxium", quasi poenae vel noxae
addictum. |
¨À la calomnie¨, laquelle est
cachée et constitue une forme d’attaque particulière ; ¨à la
contradiction¨, qui se fait ouvertement, en totalité et
universellement ; ¨assujetti¨, en tant que lié à la peine et au
préjudice. |
"Veri ratione perfectum" ; idest, perficiebat secundum
rationem veritatis, videlicet quantum ad illos qui male intelligunt, et tamen
malum intellectum pertinaci voluntate defendunt. |
¨Achevé
par la raison du vrai¨ ; c’est-à-dire qu’il accomplissait tout par la
raison de la vérité, c’est-à-dire par opposition à ceux qui comprennent mal
et qui cependant défendent leurs erreurs par une volonté obstinée. |
"Complacet", quantum ad illos quorum voluntas inordinate post se
trahit judicium rationis, ut verum judicetur illud quod placet. "Offendenti", idest quod displicet. |
¨Ce qui plaît¨ s’adresse à ceux dont la volonté désordonnée traîne à
sa suite le jugement de la raison, de telle sorte que ce qui plaît est
considéré comme étant vrai et est préféré ¨à ce qui heurte¨, c’est-à-dire à
ce qui déplaît. |
Contra, 3 Esdrae, 4, 39 : Omnes benignantur in operibus ejus. Ergo et cetera. — Respondeo. Veritas
secundum se semper amatur ; sed per accidens potest haberi odio, et hoc
accidens est infinitum : quia causae per accidens, secundum philosophum (Physique, II, texte 3 sive cap. V)
infinitae sunt. |
Mais on lit au contraire dans Esdras (3, 11) : Tous se
réjouissent dans ses œuvres. Donc… Je
réponds que la vérité en tant que telle est toujours aimée ; mais par
accident elle peut être tenue en haine, et cela à l’infini : car les
causes par accident sont infinies ainsi que le dit le Philosophe dans sa Physique
(livre 11, chapitre 5). |
"Deus hujus saeculi". Sumitur 2 Corinth., 4, et exponitur de Deo vero, qui
operatur invidiam, permittendo ; vel de Diabolo, cui saeculum obedit, qui
operatur suggerendo. Diffidentiae, vel quia diffidunt de Deo, vel quia de eis
diffidendum est ex ratione morbi, quamvis non ex potestate medici. |
¨ Le
Dieu de ce siècle¨. Cette expression est tirée de la deuxième Épitre aux
Corinthiens (ch. 4), et se dit du vrai Dieu qui suscite l’envie en la
permettant, ou bien du Diable auquel ce siècle obéit, qui suscite l’envie en
la suggérant. De la défiance, ou bien parce qu’ils se défient de Dieu, ou
bien parce qu’il faut se défier d’eux à cause de leur maladie, bien qu’elle
ne relève pas du pouvoir du médecin. |
"Qui non rationi voluntatem subjiciunt". Hic ostendit contradicentium
nequitiam : et primo ex inordinata professione ; secundo ex simulata
religione, ibi, "Habent
rationem sapientiae in superstitione"
; tertio ex pertinaci contentione, ibi, "qui
contentioni studentes, contra veritatem sine foedere bellant". |
¨Qui ne soumettent pas la volonté à la raison¨. Il montre ici la
malice des contradicteurs : et il le fait en premier lieu à partir du
dérèglement de leur déclaration ; en deuxième lieu, en partant de leur
fausse religion, là où il dit : ¨C’est dans la religiosité qu’ils ont
l’apparence de la sagesse¨ ; en troisième lieu il le fait en partant de
leurs efforts obstinés, là où il dit : ¨ceux qui, s’appliquant avec
effort, luttent sans loi contre la vérité¨.
|
Ostendit autem primo ex duobus eos
esse inordinatos, scilicet quia voluntas non sequitur rationem, sed e
converso ; quod tangit ubi dicit : "Qui
non rationi voluntatem subjiciunt"
: et quia rationem suam non subjiciunt sacrae doctrinae ; quod notatur ibi, "nec doctrinae studium impendunt". |
Mais
il montre d’abord à partir de deux points qu’ils sont déréglés, c’est-à-dire
parce que leur volonté ne suit pas la raison mais que c’est l’inverse qui se
produit dans leur cas, ce qu’il manifeste là où il dit : ¨Ceux qui ne soumettent pas leur volonté à
la raison¨ ; et aussi parce qu’ils ne soumettent par leur raison à la
sainte doctrine : ce qu’il indique là où il dit : ¨ils ne
consacrent pas leur zèle à la doctrine¨. |
"Somniarunt", quasi phantasiando, sicut homo
in somniis. "Sed ad fabulas
convertentes auditum." Sumitur
de 2 Timoth. 4. Fabula enim composita est ex miris, secundum philosophum
(Poét. IV, Metaph. I, Lectio 3), et isti semper volunt
nova audire. "Professio", idest studium. "Docenda", idest digna doceri. "Rationem",
idest argumentum ad ostendendum sapientiam. "In superstitione",
superflua religione exterius simulata. Quia fidei defectionem sequitur
hypocrisis mendax. Sumitur 1 Timoth. 4, 1 : Discedent quidam a fide, attendentes spiritibus erroris, et doctrinis
Daemoniorum in hypocrisi loquentium mendacium. "Omnium verborum." |
¨Ils auront déliré¨ comme dans des rêves, comme le fait l’homme dans
son sommeil. ¨Mais ils tourneront leurs oreilles vers des fables.¨, lequel
passage est tiré de la deuxième Épître à Timothée (4, 4). Une fable en effet,
selon le Philosophe (Poétique IV ; Métaphysique (L. 1, l. 3) est
composée de faits prodigieux et ceux-là désirent toujours entendre des choses
nouvelles. ¨Leur travail¨,
c’est-à-dire leur occupation. ¨Qui doit être enseigné¨, c’est-à-dire qui
mérite d’être enseigné. ¨La raison¨, c’est-à-dire l’argument qui manifeste la
sagesse. ¨Dans la religiosité¨, c’est-à-dire dans la vaine religion simulée
extérieurement. Car du défaut de foi découle le monsonge de l’hypocrisie
ainsi que le souligne l’apôtre dans la première Épître à Timothée
(4,1) : Certains s’écarteront de la foi pour suivre des esprits
trompeurs et des doctrines inspirées par les démons, séduits par ¨toutes les
paroles¨ mensongères de l’hypocrisie. |
Contra, Beda
: "Nulla falsa est doctrina,
quae non aliqua vera intermisceat".
|
On
lit au contraire dans Bède : ¨Il n’y a pas de doctine fausse dans
laquelle ne se mêle quelque vérité¨. |
Respondeo,
illa vera quae dicunt, quamvis in se vera sint, tamen quantum ad usum eorum
falsa sunt, quia falso utuntur eis. |
Je réponds
que les choses qu’ils disent sont vraies ; cependant, bien qu’elles
soient vraies en elles-mêmes, cependant elles sont fausses quant à l’usage
qu’ils en font, puisqu’ils s’en servent faussement. |
"Pruriginem", idest inordinatum desiderium nova audiendi, sicut
pruritus concitatur ex calore inordinato. Sumitur ex 2 Tim. 4, 3 : Erit tempus, cum (...) ad sua desideria coacervabunt sibi magistros,
prurientes auribus. "Dogmate", propter hoc quod ratio
voluntatem sequitur. "Contentioni", quae, secundum Ambrosium ad
Rom. est impugnatio veritatis cum confidentia clamoris. "Veritas". III Esdr. 4, 38 : "Veritas manet, et invalescit in aeternum". |
¨Démangeaison¨, c’est-à-dire un désir désordonné d’entendre des
choses nouvelles comme le prurit est excité par une chaleur excessive, comme
le dit Paul dans sa deuxième livre à Timothée (4, 3): Car un temps viendra où
(…) les gens, l’oreille les démangeant, s’entoureront de maîtres conformes à
leurs désirs. ¨D’une manière dogmatique¨, parce que la raison suit la
volonté. ¨ ¨Au combat¨, qui, selon Ambroise sur l’Épître aux Romains, est
l’assaut de la vérité avec la confiance de la clameur. ¨La vérité¨. On lit
dans 111 Esdras (4, 38): La vérité demeure, et elle s’établit pour l’éternité. |
"Horum
igitur Deo odibilem Ecclesiam evertere atque ora oppilare (...) volentes, in
labore multo ac sudore hoc volumen, Deo praestante, compegimus". Hic reddit auditorem docilem,
praelibando causas operis : et primo ponit causam finalem quantum ad duas
utilitates, scilicet destructionem erroris ; unde dicit : odibilem Ecclesiam
: Psalm. 25, 5 : "Odivi Ecclesiam malignantium"
: "ne virus", idest ne venenum, "in alios effundere queant" : "et manifestationem veritatis" : unde dicit : "Lucernam
veritatis in candelabro exaltare volentes". Sumitur de Luc. 8,
16 : "Nemo accendit lucernam, et
ponit eam sub modio". "In
candelabro", idest in aperto.
Secundo tangit causam efficientem, scilicet principalem, "Deo praestante"
: instrumentalem, "Compegimus" : quia hoc opus est quasi
compaginatum ex diversis auctoritatibus. "Sudore", quocumque defectu corporali,
qui sequitur laborem spiritualem. Tertio ostendit causam materialem ibi : ex
testimoniis veritatis, Psalm. 118,
152 : "Initio cognovi de
testimoniis tuis". Quarto causam formalem quantum ad
distinctionem librorum : "in
quatuor libros :" et quantum
ad modum operis : "in quo
majorum exempla", quantum ad
similitudines ; "doctrinam", quantum ad rationes, "reperies". "Vipereae", haereticae : haeretici enim
pariendo alios in sua haeresi, pereunt sicut vipera. "Prodidimus", reseravimus. Adjicit viam. "Complexi",
amplexantes. "Impiae", infidelis. "Inter utrumque", scilicet, nec nimis alte, nec
nimis humiliter : vel inter duos contrarios errores, sicut Sabellii, et Arii.
"Non a paternis discessit
limitibus", secundum illud Proverb. 22, 28 : "Non transferes terminos antiquos, quos posuerunt patres
tui". |
¨Voulant donc renverser leur Église détestable à Dieu et fermer leur
bouche (…), nous avons rédigé, avec l’aide de Dieu, ce livre avec beaucoup de
travail et de sueur¨. Ici il rend l’auditeur docile en effleurant les causes
de cet ouvrage : et en premier lieu il présente la cause finale quant à
deux utilités, à savoir premièrement la destruction de l’erreur ; c’est
pourquoi il dit : Église détestable, ainsi qu’on le lit dans le Psaume
(25, 5) : ¨Déteste l’Église des malfaiteurs¨ : ¨afin que le
poison¨, c’est-à-dire le venin, ¨ils ne puissent le répandre dans les
autres¨ ; puis deuxièmement ¨la manifestation de la vérité ¨ :
c’est pourquoi il dit : ¨Voulant relever la chandelle de la vérité dans
le chandellier¨. C’est aussi ce qu’on lit dans Luc (8, 16) : ¨Personne n’allume une lampe pour la
mettre sous un lit¨. Dans le chandellier¨, c’est-à-dire en pleine
évidence. En deuxième lieu il considère la cause efficiente, c’est-à-dire la
cause principale, en disant : ¨Avec l’aide de Dieu¨ ; instrumentale
en disant : ¨nous avons rédigé¨ : car cet ouvrage a été rédigé
comme à partir de différentes autorités. ¨Avec sueur¨ et de tout autre défaut
corporel qui suit le travail spirituel. En troisième lieu il indique la cause
matérielle là où il dit : à partir des témoignages de la vérité, ainsi
qu’on le voit dans le Psaume (118, 152) : ¨Depuis le début j’ai connu
de tes témoignages¨. En quatrième lieu il considère la cause formelle
quant à la distinction des livres : ¨en quatre livres¨ ; et quant
au mode d’opérer : ¨dans lequel, les exemples des grands¨, par rapport
aux similitudes ; ¨la doctrine¨, quant aux arguments, ¨tu trouveras¨. ¨De
la vipère¨, de l’hérétique : car les hérétiques en effet, en séduisant
les autres par leurs erreurs périssent comme une vipère. ¨Nous nous sommes
avancés¨, nous avons révélé. Il ajoute le chemin. ¨J’ai embrassé¨, en
saisissant. ¨De l’impie¨, de l’infidèle. Entre les deux, c’est-à-dire ni trop
haut ni trop humblement : ou bien encore entre deux erreurs contraires,
comme celle de Sabellius et celle d’Arius. Elle ne s’est pas éloignée des
limites paternelles, conformément à ce passage des Proverbes (22, 28) : ¨Ne
déplace pas les bornes anciennes que tes ancêtres ont posées¨. |
"Non
igitur debet hic labor cuiquam pigro, vel multum docto, videri superfluus". Hic reddit auditorem attentum : et primo ex utilitate
operis, ibi : "brevi volumine
complicans patrum sententias".Sententia,
secundum Avicennam, est definitiva et certissima conceptio. Secundo ex
profunditate materiae, ibi : "in
hoc autem tractatu pium lectorem, qui secundum fidem intelligat, liberum
correctorem, qui solum propter correctionem corrigat, "desidero".
Liber enim, secundum philosophum (in proemium Metaph.) dicitur qui causa sui est, et non propter odium vel
invidiam. Tertio ex ordinatione modi procedendi, ibi : "ut autem quod quaeritur facilius occurrat, titulos quibus
singulorum librorum capitula distinguuntur, praemisimus". |
Ce travail ne doit donc pas sembler inutile au paresseux ou au grand
savant. Et ici il rend l’auditeur attentif : et il le fait premièrement
à partir de l’utilité de l’ouvrage, là où il dit : ¨rassemblant dans un
court traité les sentences des Pères¨. Et la sentence, d’après Avicenne,
exprime une conception définitive et très certaine. En deuxième lieu, il le
fait à partir de la profondeur de la matière, là où il dit : ¨et pour ce
traité ne ne désire qu’un lecteur vertueux, qui comprend en s’appuyant sur la
foi, et un correcteur libre, qui ne corrige qu’en vue de la rectitude¨. Car
on appelle livre, d’après le Philosophe (dans le proème de la Métaphysique), ce qui n’existe qu’en
vue de soi-même et non en vue de la haine ou de l’envie. En troisième lieu,
il le fait à partir de l’ordonnance du mode de procéder, là où il dit :
¨afin que ce qu’on recherche se présente plus facilement, nous faisons
précéder les titres par lesquels se distinguent les chapitres de chacun des
libres¨. |
|
|
Distinctio 1 |
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1[2] |
1. Omnis doctrina est de rebus vel de
signis. Veteris ac novae Legis continentiam diligenti indagine etiam atque
etiam considerantibus nobis, praevia Dei gratia innotuit sacrae paginae
tractatum circa res vel signa praecipue versari. Ut enim egregius doctor
Augustinus ait in libro De Doctrina Christiana : "Omnis doctrina vel
rerum est, vel signorum. Sed res etiam per signa discuntur. Proprie autem hic
res appellantur, quae non ad significandum aliquid adhibentur ; signa vero,
quorum usus est in significando". - Eorum autem aliqua sunt quorum omnis
usus est in significando, non in iustificando, id est, quibus non utimur nisi
aliquid significandi gratia, ut aliqua sacramenta legalia ; alia quae non
solum significant, sed conferunt quod intus adiuvet, sicut evangelica
sacramenta. - Ex quo aperte intelligitur, quae hic appellentur signa, res
illae videlicet quae ad significandum aliquid adhibentur. "Omne igitur
signum etiam res aliqua est : quod enim nulla res est", ut in eodem
Augustinus ait, omnino nihil est ; "non autem" e converso
"omnis res signum est", quia non adhibetur ad significandum
aliquid. |
De l’usage et
de la jouissance. 1. Toute
doctrine a pour objet soit les choses soit les signes. À nous qui considérons
sans cesse par une recherche attentive le contenu de la Loi ancienne et
nouvelle, la grâce prévenante de Dieu a fait connaître que le traité de la
page sacrée se rapporte principalement aux choses et aux signes. Comme le dit
en effet l’éminent docteur, Augustin, dans son livre de La Doctrine Chrétienne : ¨Toute doctrine se rapporte soit
aux choses, soit aux signes. Mais les choses se saisissent aussi par les
signes. Mais ici on appelle proprement ¨chose¨ ce qui n’est pas employé pour signifier
quelque chose d’autre et ¨signe¨ ce qui sert à signifier¨ - Mais parmi
ceux-là il y en a certains dont tout l’usage ne consiste qu’à signifier et
non à justifier et dont nous ne nous servons qu’en vue de signifier quelque
chose, comme c’est le cas pour certains sacrements légaux ; et il y en a
d’autres qui non seulement signifient, mais qui confèrent une aide
intérieure, comme les sacrements évangéliques. – De là on comprend clairement
qu’on appelle ici signes ces choses qui sont employées pour signifier quelque
chose. ¨Donc tout signe est aussi une certaine chose : ce qui en effet
n’est aucune chose¨, comme le dit Augustin dans le même livre, n’existe
absolument pas ; ¨ce n’est cependant pas¨, à l’inverse, ¨toute chose qui
est un signe¨, car ce n’est pas toute chose qui est présentée pour signifier
quelque chose. |
2. Cumque his intenderit theologorum speculatio
studiosa atque modesta, divinam Scripturam, formam praescriptam in doctrina
tenere advertet. |
2.
Et comme l’étude appliquée et mesurée des théologiens s’étend à cela, elle
voit à ce que l’Écriture divine conserve la forme prescrite dans la doctrine. |
3. De his
ergo nobis, aditum ad res divinas aliquatenus intelligendas Deo duce aperire
volentibus, disserendum est ; et "primum de rebus, postea de signis
disseremus". |
3. Nous devons donc traiter de ces choses, nous qui voulons ouvrir
jusqu’à un certain point une porte sur la compréhension des choses divines
sous la conduite de Dieu ; et ¨en premier lieu nous traiterons des
choses, puis des signes¨. |
Cap. 2., 1.
De rebus communiter agit. "Id
ergo in rebus considerandum est, ut in eodem Augustinus ait, quod res aliae
sunt quibus fruendum est, aliae quibus utendum est, aliae quae fruuntur et
utuntur. Illae quibus fruendum est, nos beatos faciunt. Istis quibus utendum
est, tendentes ad beatitudinem adiuvamur et quasi adminiculamur, ut ad illas
res quae nos beatos faciunt, pervenire eisque inhaerere possimus". |
Chapitre 2,
1. Il traite des choses universellement. ¨Il faut
donc, comme le dit Augustin dans le même traité, considérer ce point, à
savoir qu’autres sont les choses dont il faut jouir, autres celles dont il
faut user, autres encore celle dont il faut jouir et user. Celles dont il
faut jouir nous rendent heureux. Et tendant au bonheur, nous sommes aidés et
comme appuyés par les choses dont il faut user pour que par elles nous
puissions parvenir et nous attacher à ces choses qui nous rendent heureux¨. |
2. De rebus quae fruuntur et utuntur*.
"Res vero, quae fruuntur et utuntur, nos sumus, quasi inter utrasque
constituti", et Angeli sancti (Angeli et Sancti al.). |
2.
Il traite des choses dont on jouit et dont on use*. ¨Nous
sommes les choses dont on jouit et dont on use, étant établis, comme les
saints Anges (les Anges et les Saints), comme entre les deux premières
sortes de choses. |
3. Quid sit frui et uti*. "Frui
autem est amore inhaerere alicui rei propter se ipsam ; uti vero, id quod in
usum venerit referre ad obtinendum illud quo fruendum est, alias abuti est,
non uti, nam usus illicitus abusus vel abusio nominari debet". |
3. Qu’est-ce que jouir et user. ¨Mais jouir, c’est s’attacher par amour à une chose pour
elle-même ; mais user, c’est rapporter ce dont on use à l’obtention de
ce dont il faut jouir, autrement il s’agit d’un abus et non d’un usage car on
doit appeler abus ou mauvais usage l’usage qui n’est pas légitime¨. |
4. De rebus
quibus fruendum est*. "Res igitur quibus fruendum est, sunt Pater et
Filius et Spiritus Sanctus. Eadem tamen Trinitas quaedam summa res est
communisque omnibus fruenitibus ea, si tamen res dici debet et non rerum
omnium causa, si tamen et causa. Non enim facile potest invenire nomen quod
tantae excellentiae conveniat, nisi quod melius dicitur Trinitas haec unus
Deus". |
4.
Des choses dont il faut jouir*. ¨Donc
les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint.
Cependant la même Trinité est la chose ou la réalité la plus élevée et elle
est commune à toutes les choses qui en jouissent, si cependant elle doit être
appelée chose plutôt que cause de toutes les choses, si cependant il s’agit
bien ici de cause. Il n’est pas facile en effet de trouver un nom qui
convienne à une réalité aussi excellente à moins qu’on ne dise d’une manière
plus heureuse que cette Trinité est un seul Dieu¨. |
5. De rebus
quibus utendum est*. Res autem, quibus utendum est, mundus est et in eo
creata. Unde Augustinus in eodem : "Utendum est hoc mundo, non fruendum,
ut invisibilia Dei per ea quae facta sunt intellecta conspiciantur, id est ut
de temporalibus aeterna capiantur". - Item in eodem (c. XXII) : "In
omnibus rebus illae tantum sunt quibus fruendum est, quae aeternae et
incommutabiles sunt ; ceteris autem utendum est, ut ad illarum perfruitionem
perveniatur". Unde Augustinus in libro decimo De Trinitate (cap. X, 13)
: "Fruimur cognitis in quibus ipsis propter se voluntas delectata
conquiescit ; utimur vero eis quae ad aliud referimus quo fruendum est". |
5. Au sujet des choses dont il faut user*. ¨Mais les choses dont
il faut user sont le monde et ce qui y a été créé. C’est pourquoi Augustin
dit dans le même livre : ¨Il faut user de ce monde et non en jouir pour
que les réalités invisibles se rapportant à Dieu soient comprises au moyen de
celles qui ont été créées, c’est-à-dire pour que ce qui est éternel soit
saisi à partir de ce qui est temporel¨. – Et de plus, dans le même livre
(c. XXII) : ¨Parmi toutes les choses, il ne faut jouir que de
celles-là seules qui sont éternelles et immuables ; et il ne faut
qu’user des autres pour qu’au moyen de ces dernières on parvienne à la jouissance
des premières¨. C’est pourquoi Augustin dit au dixième livre (ch. X, 13)
de son traité de La Trinité :
¨Nous jouissons des connaissances dans lesquelles la volonté se repose
avec complaisance pour elles-mêmes ; mais nous usons de celles que nous
rapportons à une autre dont nous devons jouir¨. |
Cap 3. 1.
Item quid intersit inter frui et uti, aliter quam supra. Notandum vero, quod
idem Augustinus in libro decimo De
Trinitate, aliter quam supra accipiens uti et frui, sic dicit : "Uti
est assumere aliquid in facultatem voluntatis ; frui autem est uti cum
gaudio, non adhuc spei, sed iam rei. Ideoque omnis qui fruitur, utitur :
assumit enim aliquid in facultatem voluntatis cum fine delectationis ; non
autem omnis qui utitur, et fruitur, si id quod in facultatem voluntatis
assumit, non propter ipsum, sed propter aliud appetivit". - Et attende
quia videtur Augustinus dicere illos frui tantum qui in re gaudent, non iam
in spe ; et ita in hac vita non videmur frui, sed tantum uti, ubi gaudemus in
spe, cum supra dictum sit frui esse "amore inhaerere alicui rei propter
se", qualiter etiam hic multi adhaerent Deo. |
Ch.
3. 1. En outre qu’y a-t-il entre la
jouissance et l’usage et qui diffère de ce qui a été dit plus haut ?
Mais il faut remarquer qu’Augustin, au dixième livre De la Trinité, parle
autrement de la jouissance et de l’usage qu’il ne le fait plus haut lorsqu’Il
dit : ¨User, c’est disposer d’une chose au gré de la volonté ;
mais jouir, c’est user d’une chose avec joie, non pas dans l’espoir de
posséder la chose, mais dans la chose déjà possédée. Et c’est pourquoi on se
trouve à user de tout ce dont on jouit : on dispose en effet d’une chose
dans la faculté de la volonté, chose qui s’accompagne de délectation ;
mais on ne jouit pas de tout ce dont on use si ce dont on dispose dans la
faculté de la volonté n’est pas désiré pour soi-même mais pour autre
chose¨. – Et il faut ici faire attention car Augustin semble dire que ce
sont seulement ceux qui se délectent dans la chose possédée qui jouissent et
non pas ceux qui espèrent la posséder ; et ainsi en cette vie il semble
pas que nous ne jouissons pas mais que nous usons seulement, là où notre joie
en est une d’espérance, alors que nous avons dit plus haut que jouir, c’est ¨être
attaché par amour à une chose pour elle-même¨, et que plusieurs, même
ici, sont attachés à Dieu de cette manière. |
2. Determinatio eorum quae videntur contraria. Haec
ergo, quae sibi contradicere videntur, sic determinamus, dicentes nos et hic
et in futuro frui, sed ibi proprie et perfecte et plene, ubi per speciem
videbimus quo fruemur ; hic autem, dum in spe ambulamus, fruimur quidem, sed
non adeo plene. Unde in libro decimo De Trinitate : "Fruimur cognitis in
quibus voluntas est". Idem in libro De Doctrina christiana ait : "Angeli
illo fruentes iam beati sunt, quo et nos frui desideramus ; et quantum in hac
vita iam fruimur, vel per speculum vel in aenigmate, tanto nostram
peregrinationem et tolerabilius sustinemus et ardentius finire cupimus". |
2. Réponse aux difficultés.
Nous répondons donc de la manière suivante à ce qui semble faire difficulté
en disant que nous jouissons à la fois maintenant et dans le futur, mais là à
proprement parler, parfaitement et en plénitude où nous verrons par essence
ce dont nous jouirons; mais ici, tant que nous marchons dans l’espérance,
nous jouissons certes, mais non pas parfaitement. C’est pourquoi au dixième
libre De La Trinité on lit: ¨Nous jouissons des connaissances dans
lesquelles la volonté se tient¨. De même dans le libre De La Doctrine
chrétienne Augustin dit: ¨Les Anges sont déjà heureux alors qu’ils
jouissent de Celui dont nous désirons jouir; et plus nous jouissons déjà en
cette vie, soit comme par un miroir, soit par énigme, plus nous supportons
avec une plus grande tolérance notre voyage et désirons plus ardemment en
arriver au terme¨. |
Alia
determinatio*. Potest etiam dici quod qui fruitur etiam in hac vita, non
tantum habet gaudium spei, sed etiam rei, quia iam delectatur in eo quod
diligit, et ita iam rem aliquatenus tenet. |
Autre réponse*. On peut aussi dire que celui qui jouit déjà en cette vie ne possède
pas seulement une joie dans l’espérance de la chose, mais aussi une joie dans
la chose elle-même parce qu’il se délecte déjà dans l’objet de son amour et
qu’il le possède déjà ainsi d’une certaine manière. |
- 3. Constat
ergo, quia debemus Deo frui et non uti. "Illo enim, ut ait Augustinus,
frueris, quo efficeris beatus (…) et in quo spem ponis, ut ad id
pervenias". De hoc idem ait in libro De Doctrina christiana :
"Dicimus ea re nos frui, quam diligimus propter se, et ea re nobis
fruendum esse tantum, qua efficimur beati, ceteris vero utendum". -
Frequenter tamen "dicitur frui, cum delectatione uti. Cum enim adest
quod diligitur, etiam delectationem secum gerit. Si tamen per eam transieris,
et ad illud ubi permanendum est eam retuleris, uteris ea, et abusive, non
proprie diceris frui. Si vero inhaeseris atque permanseris, finem in ea
ponens laetitiae tuae, tunc vere et proprie frui dicendus es : quod non est
faciendum nisi in illa Trinitate, id est in summo et incommutabili
bono". |
3. Il est donc clair que nous devons jouir de Dieu et non en user.
Comme le dit Augustin, ¨tu jouiras de Celui par lequel tu sera rendu
heureux (…) et dans lequel tu places ton espoir afin de t’y unir ¨. Et il
dit la même chose à ce sujet dans son livre De La Doctrine chrétienne :
¨Nous disons que nous jouissons de cette chose que nous aimons pour
elle-même et nous ne devons jouir que de cette seule chose qui nous rend
heureux mais user de toutes les autres¨. – Cependant, ¨jouir se dit
souvent de l’usage qui s’accompagne de délectation. Lorsqu’en effet l’objet
de l’amour est présent, il apporte aussi avec lui la délectation. Si
cependant tu passes par elle et que,
la ramenant là où il faut demeurer, tu t’en sers, alors c’est de façon
abusive et non pas à proprement parler qu’on devra dire que tu en jouis. Mais
si tu t’y attaches et que tu y demeures, plaçant en elle la fin de ta joie,
alors c’est en vérité et à proprement parler qu’on dira de toi que tu en
jouis : ce qui ne doit avoir lieu que pour cette Trinité, à savoir pour
le bien par excellence et immuable¨. |
4. Utrum
hominibus sit utendum vel fruendum. Cum autem homines qui fruuntur et utuntur
aliis rebus, res aliquae sint, quaeritur "utrum frui se debeant, an uti,
an utrumque". Ad quod sic respondet Augustinus in
libro De Doctrina christiana., cap. XXII : "Si propter se homo diligendus est, fruimur eo ;
si propter aliud, utimur eo. Videtur autem mihi propter aliud diligendus.
Quod enim propter se diligendum est, in eo constituitur beata vita, cuius
etiam spes hoc tempore nos consolatur". In homine autem spes ponenda non
est, quia "maledictus" est qui hoc facit. Ergo si liquide advertas,
nec se ipso quisquam frui debet, quia non se debet diligere propter se, sed
propter illud quo fruendum est". |
4.
S’il faut user ou jouir des hommes. Mais
puisque les hommes qui se servent des autres choses sont eux aussi en quelque
sorte des choses, on se demande ¨ s’il doivent jouir, user, ou à la fois
jouir et user les uns des autres¨. Et c’est de la manière suivante
qu’Augustin répond à cette question dans le livre De La Doctrine Chrétienne
(ch. XXII) : ¨ Si c’est pour lui-même que l’homme doit être aimé,
alors nous en jouissons ; si c’est en vue d’autre chose, alors nous en usons.
Mais il me semble que c’est en vue d’autres chose qu’il doit être aimé. En
effet, ce qui doit être aimé pour soi-même, c’est en cela même que doit
consister la vie heureuse dont l’espérance en cette vie nous console¨.
Mais l’espérance ne doit pas être placée en l’homme car ¨maudit¨ est celui
qui fait cela. Donc, si tu vois avec netteté, personne ne doit jouir de
lui-même car personne ne doit s’aimer pour lui-même mais pour ce dont il doit
jouir¨. |
5. Huic
autem contrarium videtur quod Apostolus, ad Philemonem loquens, ait :
"Ita, frater, ego te fruar in Domino." Quod ita determinat
Augustinus : "Si dixisset tantum 'te fruar', et non addidisset 'in
Domino', videretur finem dilectionis ac spem constituisse in eo ; sed quia
illud addidit, in Domino se finem posuisse eodemque frui significavit".
"Cum enim, ut idem Augustinus ait, homine in Deo frueris, Deo potius
quam homine frueris". |
5. Mais ce que l’Apôtre dit en s’adressant à Philémon semble
s’opposer à cela : ¨Ainsi mon frère, je jouis de toi dans le Seigneur¨.
Ce que précise Augustin de la manière qui suit : ¨S’il avait dit
seulement ¨je jouis de toi¨, et qu’il n’avait pas ajouté ¨dans le Seigneur¨,
la finalité de l’amour ainsi que l’espérance aurait paru avoir été placé en
lui ; mais parce qu’il a ajouté cela, il a placé sa finalité dans le
Seigneur et il a signifié par là que sa jouissance est en Lui¨. Augustin
dit encore la même chose autrement : ¨En effet, lorsque tu jouis de
l’homme en Dieu, tu jouis davantage de Dieu que de l’homme¨. |
6. Hic quaeritur utrum Deus fruatur an utatur nobis.
Sed cum Deus diligat nos, ut frequenter Scriptura dicit, quae "eius
dilectionem erga nos multum commendat", quaerit Augustinus, quomodo
diligit, an ut utens, an ut fruens. - Et procedit ita : "Si fruitur
nobis, eget bono nostro : quod nemo sanus dixerit. Ait enim Propheta :
'Bonorum meorum non indiges' ; omne enim bonum nostrum vel ipse est, vel ab
ipso est. Non ergo fruitur nobis, sed utitur. Si enim nec fruitur nobis nec
utitur, non invenio, quomodo diligat nos. Neque tamen sic utitur nobis ut nos
aliis rebus. Nos enim res quibus utimur, ad id referimus ut Dei bonitate
perfruamur ; Deus vero ad suam bonitatem usum nostrum refert. Ille enim
miseretur nostri propter suam bonitatem, nos autem nobis invicem propter illius
bonitatem ; ille nostri miseretur ut se perfruamur, nos vero invicem nostri
miseremur ut illo fruamur. Cum enim nos alicuius miseremur et alicui
consulimus, ad eius quidem facimus utilitatem eamque intuemur ; sed et nostra
fit consequens, cum misericordiam quam aliis impendimus, non reliquit Deus
sine mercede. Haec autem merces summa est, ut ipso perfruamur". - Item
"quia bonus est sumus, et in quantum sumus, boni sumus. Porro quia etiam
iustus est, non impune mali sumus ; et in quantum mali sumus, in tantum etiam
minus sumus. Ille igitur usus, quo nobis utitur Deus, non ad eius, sed ad
nostram utilitatem refertur, ad eius vero tantummodo bonitatem". |
6. On se demande ici si Dieu jouit ou use de nous. Mais puisque Dieu nous aime, ainsi que les Écritures, qui louent
abondamment son amour pour nous, nous l’affirment souvent, Augustin se
demande de quelle manière il nous aime: est-ce en tant qu’il se sert de nous
ou en tant qu’il jouit de nous? – Et il procède ainsi: ¨S’il jouit de
nous, il a besoin de nous comme d’un bien: ce qu’aucune personne saine
d’esprit ne dira. Le Prophète dit en effet: ¨Tu n’as pas besoin de mes
biens¨: en effet, la totalité de notre bien consiste en Lui ou vient de Lui.
Donc, il ne jouit pas de nous mais plutôt il se sert de nous. Si en effet il
ne jouit pas de nous et qu’il ne se sert pas de nous, je ne vois pas comment
il nous aime. Et cependant il ne se sert pas de nous comme nous nous servons
des autres choses. En effet, les choses dont nous nous servons, c’est à Lui
que nous les rapportons pour jouir de sa Bonté; mais c’est à sa bonté
que Dieu rapporte notre usage. Ce dernier en effet a pitié de nous à cause de
sa bonté, et nous avons mutuellement pitié les uns des autres à cause de sa
bonté; il a pitié de nous pour que nous jouissions de Lui alors que nous
avons mutuellement pitié de nous pour jouir de Lui. En effet, lorsque nosu
avons pitié de quelqu’un et que nous en prenons soin, nous le faisons à son
profit et c’est ainsi que nous le considérons; mais il s’ensuit aussi un
profit pour nous car la pitié que nous accordons aux autres ne laisse pas
Dieu sans recompense. Et cette recompense est la plus grande qui soit,
laquelle consiste à ce que nous jouissions de Lui¨. En outre, ¨c’est
parce qu’Il est bon que nous sommes et dans la mesure où nous avons de
l’être, nous sommes bons. Mais de plus, parce qu’Il est aussi juste, ce n’est
pas impunément que nous sommes mauvais; et dans la mesure où nous sommes
mauvais, dans la même mesure nous avons aussi moins d’être. Donc cet usage
par lequel Dieu se sert de nous ne se rapporte pas à son profit mais au nôtre
mais il ne doit être attribué qu’à sa seule bonté¨. |
7. Utrum fruendum an utendum sit virtutibus. Hic considerandum est utrum virtutibus
sit utendum an fruendum. - Quibusdam videtur quod eis sit utendum, et non
fruendum. Et hoc confirmant auctoritate Augustini, qui, ut praetaxatum est,
dicit "non esse fruendum nisi Trinitate, id est summo et incommutabili
bono". - Item dicunt ideo non esse fruendum eis, quia propter se amandae
non sunt, sed propter aeternam beatitudinem ; illud autem quo fruendum est,
propter se amandum est. - Sed quod virtutes propter se amandae non sunt, immo
propter solam beatitudinem, probant auctoritate Augustini, qui in libro
decimo tertio De Trinitate contra quosdam ait : "Forte virtutes, quas
propter solam beatitudinem amamus, sic persuadere nobis audent ut ipsam
beatitudinem non amemus ; quod si faciunt, etiam ipsas utique amare
desistimus, quando illam, propter quam solam istas amavimus, non
amamus". Ecce his verbis videtur Augustinus ostendere, quod virtutes non
propter se, sed propter solam beatitudinem amandae sint. Quod si ita est,
ergo eis fruendum non est. |
7. Faut-il jouir ou user des vertus ? Il faut ici considérer s’il faut user ou jouir des vertus. – Il semble
à certains qu’il faille en user et non en jouir. Et ils confirment cela par
l’autorité d’Augustin qui, comme il l’a stipulé, ¨qu’on ne doit jouir que
de la Trinité, c’est-à-dire du bien par excellence et immuable¨. – En
outre ils disent que la raison pour laquelle on ne doit pas en jouir, c’est
parce qu’elles ne doivent pas être aimées pour elles-mêmes mais en vue du
bonheur éternel ; mais ce dont il faut jouir doit être aimé pour
soi-même. – Mais que les vertus ne doivent pas être aimées pour elles-mêmes
mais plutôt en vue de la seule béatitude, ils le prouvent par l’autorité
d’Augustin qui dit, pour s’opposer à l’opinion contraire dans le treizième
livre faisant partie de son traité De
La Trinité : ¨À moins qu’ils osent nous persuader, puisque nous n’aimons
les vertus qu’en vue de la seule béatitude, que nous n’aimons pas la
béatitude elle-même ; si c’est le cas, nous devons cesser de les aimer
elles aussi alors même que nous n’aimons pas celle-ci en vue de laquelle nous
aimons celles-là¨. Et voici que par ces paroles Augustin semble montrer
que les vertus ne doivent pas être aimées pour elles-mêmes, mais uniquement
en vue de la seule béatitude. |
8. Aliis
vero contra videtur, scilicet quod eis fruendum sit, quia propter se petendae
et amandae sunt. Et hoc confirmant auctoritate Ambrosii, qui ait super illum
locum Epistolae ad Galatas : 'Fructus autem spiritus est caritas, gaudium,
pax, patientia etc. ' : "Haec non nominat opera, sed fructus, quia
propter se petenda sunt". Si vero propter se petenda sunt, ergo propter
se amanda. |
8.
Mais il semble à d’autres au contraire qu’il faille jouir des vertus car
elles doivent être recherchées et aimées pour elles-mêmes. Et ils confirment
cela par l’autorité d’Ambroise qui dit sur ce passage de l’Épître aux Galates
(5, 22) : ¨Mais les fruits de l’Esprit sont l’amour, la joie, la
paix, la patience, etc.¨ : ¨Et il ne les appelle pas œuvres mais fruits
parce qu’ils doivent être recherchés pour eux-mêmes¨. Mais s’ils doivent
être recherchés pour eux-mêmes, ils doivent donc être aimés pour eux-mêmes. |
9. Nos autem harum quae videtur
auctoritatum repugnantiam de medio eximere cupientes, dicimus quod virtutes
propter se petendae et amandae sunt, et tamen propter solam beatitudinem.
Propter se quidem amandae sunt, quia delectant sui possessores sincera et
sancta delectatione, et in eis pariunt gaudium spirituale. Verumtamen non est
hic consistendum, sed ultra gradiendum. Non hic haereat dilectionis gressus,
neque hic sit dilectionis terminus, sed referatur hoc ad illud summum bonum
cui soli omnino inhaerendum est, quia illud propter se tantum amandum est, et
ultra illud nihil quaerendum est : illud est enim supremus finis. - Ideo
Augustinus dicit quod eas diligimus propter solam beatitudinem, non quin eas
propter se diligamus, sed quia id ipsum, quod eas diligimus, referimus ad
illud summum bonum cui soli inhaerendum est ; et in eo permanendum finisque
laetitiae ponendus. Quare virtutibus non est fruendum. |
9. Désirant donc retirer de l’opinion commune l’apparente contradiction
qui ressort de ces autorités, nous disons que les vertus doivent être
recherchées et aimées pour elles-mêmes, mais qu’elles doivent cependant
l’être en vue de la seule béatitude. Elles doivent certes être aimées pour
elles-mêmes parce qu’elles réjouissent d’une sainte et sincère délectation
ceux qui la possèdent et elles engendrent en eux une joie spirituelle. Et
pourtant il ne faut pas d’arrêter ici mais plutôt poursuivre la marche. Ce
n’est pas ici que se fixe la progression de l’amour et ce n’est pas ici que
se trouve le terme de l’amour, lequel terme s’attribue plutôt au plus grand
bien auquel seul il convient de s’attacher d’une manière absolue et car lui
seul doit être aimé pour lui-même et au-delà duquel rien ne doit être
recherché : telle est en effet la finalité ultime. – C’est pour cette
raison qu’Augustin dit que nous aimons les vertus en vue de la seule
béatitude, non pas que nous ne les aimions pas pour elles-mêmes, mais parce
que cela même que nous aimons, nous le rapportons au bien par excellence
auquel seul il faut s’attacher ; et c’est en lui qu’il faut demeurer et
que la finalité de la joie doit être placée. Et c’est pourquoi il ne faut pas
jouir des vertus. |
10. Sed dicet aliquis : "Frui est
amore inhaerere alicui rei propter se ipsam", ut praedictum est ; si
ergo virtutes propter se amandae sunt, et eis fruendum est. - Ad quod dicimus
: In illa descriptione, ubi dicitur 'propter se ipsam', intelligendum est
'tantummodo', ut scilicet ametur propter se ipsam tantum, ut non referatur ad
aliud, sed ibi ponatur finis, ut supra ostendit Augustinus dicens : "Si
inhaeseris atque permanseris, finem ponens laetitiae, tunc vere et proprie
frui dicendus est : quod non est faciendum nisi in illa Trinitate, id est
summo et incommutabili bono". - Utendum est ergo virtutibus, et per eas
fruendum summo bono. Ita et de voluntate bona dicimus ; Unde Augustinus in
libro decimo De Trinitate ait : "Voluntas est per quam fruimur".
Ita et per virtutes fruimur, non eis, nisi forte aliqua virtus sit Deus, ut
caritas, de qua post tractabitur. |
10.
Mais quelqu’un dira : ¨Jouir, c’est s’attacher par amour à une chose
pour elle-même¨, ainsi que nous l’avons déjà dit ; si donc les vertus
doivent être aimées pour elles-mêmes, on doit donc en jouir. – Voici ce que
nous répondons à cela : Dans cette définition, là où nous disons ¨pour
elle-même¨, il faut comprendre ¨seulement¨, c’est-à-dire que l’objet de
l’amour soit aimé pour lui seul de telle manière qu’il ne soit pas ordonné à
quelque chose d’autre mais que ce soit en lui que la finalité est placée,
comme le montre plus haut Augustin lorsqu’il dit : ¨Si tu t’attaches
et que tu demeures dans l’objet dans lequel tu places la finalité de la joie,
c’est alors qu’on devra dire de toi que tu jouis en vérité et à proprement
parler : ce qui ne doit être fait qu’à l’égard de cette Trinité,
laquelle est le bien par excellence et immuable¨. – Il faut donc user des
vertus et par elles jouir du bien suprême. Et c’est de cette manière que nous
parlons de la bonne volonté ; c’est pourquoi Augustin dit, au dixième
livre de son traité intitulé De la
Trinité : ¨C’est par la volonté que nous jouissons¨. Ainsi,
c’est au moyen des vertus que nous parvenons à la jouissance, non pas des
vertus elles-mêmes, à moins peut-être qu’une des vertus ne soit Dieu lui-même
en tant que charité, ce dont nous traiterons par la suite. |
11.
Epilogus. "Omnium igitur, quae dicta sunt ex quo de rebus specialiter
tractavimus, haec summa est" : quod aliae sunt quibus fruendum est,
aliae quibus utendum, aliae quae fruuntur et utuntur ; et inter eas quibus
utendum est, quaedam sunt per quas fruimur, ut virtutes et potentiae animi,
quae sunt naturalia bona. De quibus omnibus, antequam de signis tractemus,
agendum est ; ac primum de rebus quibus fruendum est, scilicet de sancta
atque individua Trinitate. |
11. Épilogue. ¨Donc, de tout ce dont nous avons parlé et à partir de quoi nous
avons traité des choses en particulier, voici la plus importante¨ :
autres sont les choses dont il faut jouir, autres sont celles dont il faut user,
autres sont celles dont il faut jouir et user : et parmi celles dont il
faut user, il y a celles au moyen desquelles nous jouissons, comme les vertus
et les puissances de l’âme, lesquelles sont des biens naturels. Et nous
devons examiner tout cela avant même de traiter des signes ; et nous
devons en premier lieu examiner les choses dont il faut jouir, c’est-à-dire
de la sainte et unique Trinité. |
|
|
|
|
|
|
Distinctio 1 |
Distinction 1 – [L'usage et la fruition de Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
Article 1 – La fruition
est-elle un acte de l’esprit ? Article 2 – Utiliser est-il un
acte de la raison ? Question 2 Article 1 – Faut-il jouir
seulement de Dieu ? Article 2 – Jouir de Dieu,
est-ce une seule jouissance ? Question 3 Article 1 – Faut-il utiliser
tout ce qui est autre que Dieu ? Question 4 Article 1 – Convient-il de
jouir de toutes choses ? Article 2 – L’usage convient-il
à ceux qui sont dans la patrie ? |
Super Sent.,
lib. 1 d. 1 q. 1 pr. Finito prooemio, hoc est initium praesentis operis in
quo Magister divinorum nobis doctrinam tradere intendit quantum ad
inquisitionem veritatis et destructionem erroris : unde et argumentativo modo
procedit in toto opere : et praecipue argumentis ex auctoritatibus sumptis.
Dividitur autem in duas partes : in quarum prima inquirit ea de quibus
agendum est, et ordinem agendi ; in secunda prosequitur suam intentionem : et
in duas partes dividitur. Secunda ibi : hic considerandum est utrum
virtutibus sit utendum, an fruendum. |
Le
proème étant terminé, voici le commencement du présent ouvrage dans lequel le
Maître cherche à nous transmettre la doctrine ayant pour objet les choses
divines, à la fois quant à la recherche de la vérité et quant à la réfutation
de l’erreur : c’est pourquoi, dans tout l’ouvrage, il procède selon le
mode de l’argumentation en se servant surtout d’arguments tirés d’autorités.
Et cet ouvrage se divise en deux parties : dans la première il cherche à
déterminer les choses dont il faut traiter ainsi que l’ordre selon lequel il
faut les traiter ; dans la deuxième il poursuit son propos, laquelle se
divise en deux parties. La deuxième partie commence là où il dit : il
faut ici considérer s’il faut utiliser les vertus ou bien s’il faut en jouir. |
Ea autem de
quibus in hac doctrina considerandum est, cadunt in considerationem hujus
doctrinae, secundum quod ad aliquid unum referuntur, scilicet Deum, a quo et
ad quem sunt. Et ideo ea de quibus agendum est dividit per absolutum et
relatum : unde dividitur in partes duas. In prima ponit divisionem eorum de
quibus agendum est per absolutum et relatum secundum cognitionem, in secunda
secundum desiderium, ibi : id ergo in
rebus considerandum. |
Mais les choses qu’il faut considérer dans cette doctrine tombent
sous la considération de cette doctrine selon qu’elle se rapportent à quelque
chose d’un, à savoir Dieu d’où elles tirent leur origine et vers lequel elles
tendent comme vers leur finalité. Et c’est la raison pour laquelle il divise
les choses dont il faut traiter selon qu’elles se prennent absolument et
relativement : c’est pourquoi sa division se présente en deux parties.
Dans la première il présente la division des choses dont il faut traiter
absolument et ralativement selon la connaissance alors que dans la deuxième
il la présente selon le désir là où il dit : donc, il faut considérer
cela dans les choses. |
Circa
primum duo facit. Primo ponit divisionem eorum de quibus agendum est, in res
et signa, quae ad cognitionem rerum ducunt ; secundo concludit ordinem
agendi, ibi : cumque his intenderit
theologorum speculatio studiosa atque modesta, divinam Scripturam formam
praescriptam in doctrina tenere advertet. |
Au
sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la
division, en choses et en signes qui conduisent à la connaissance des choses,
des choses dont il faut traiter ;
en deuxième lieu il conclut l’ordre selon lequel les traiter, là où il
dit : et comme l’étude soignée et modeste des théologiens se sera
appliquée à ces choses, elle sera attentive à ce que l’Écriture divine
conserve la forme prescrite dans la doctrine. |
In primo tria facit. et dividitur in
partes duas. Primo ponit divisionem ; secundo probat per auctoritatem, ibi : ut enim egregius doctor Augustinus ait
; tertio ponit membrorum divisionis expositionem, ibi : proprie autem hic res appellantur quae non ad significandum aliquid
adhibentur : ubi primo exponit quid sit res ; secundo quid sit signum,
ibi : signa vero quorum usus est in
significando ; tertio utriusque comparationem, ibi : omne igitur signum etiam res aliqua est. |
Dans la première partie qui se divise en deux il fait trois choses.
En premier lieu il présente la division ; dans la deuxième il la prouve
au moyen d’une autorité, là où il dit : en effet, comme le dit
l’éminent docteur Augustin ; en troisième lieu il présente
l’explication des membres de la division, là où il dit : mais à
proprement parler on appelle ici choses ce qui n’est pas employé pour
signifier quelque chose d’autre : et là il explique d’abord ce
qu’est une chose et en deuxième lieu ce qu’est un signe, là où il dit : mais
les signes dont l’usage consiste à signifier ; en troisième lieu il
explique la comparaison de l’un à l’autre là où il dit : donc tout
signe est aussi une certaine chose. |
Id ergo in rebus considerandum est. Hic,
dimissis signis, subdividit res per absolutum et relatum ex parte desiderii,
scilicet per fruibile, quod propter se desideratur, et utibile, cujus
desiderium ad aliud refertur : et dividitur in partes duas. Primo ponit divisionem ; secundo
epilogat et concludit intentionem et ordinem, ibi : omnium igitur quae dicta sunt, ex quo de rebus specialiter
tractavimus, haec summa est. Circa primum duo facit. Primo manifestat
partes divisionis per definitiones ; secundo quantum ad supposita, ibi : res igitur quibus fruendum est, sunt pater,
et filius, et spiritus sanctus. |
Voici ce qu’il faut considérer
dans les choses. Ici, mettant de côté les signes, il subdivise
les choses prises absolument et relativement du côté du désir, c’est-à-dire
en objets de jouissance qui sont désirables pour eux-mêmes, et en objets
d’usage, dont le désir se rapporte à quelque chose d’autre : et cette
section se divise en deux parties. En premier lieu il présente la
division ; en deuxième lieu il résume et conclut son propos ainsi que
l’ordre à suivre, là où il dit : voici donc la somme de toutes
les choses qui ont été dites et à partir desquelles nous avons traité des
choses en particulier. Au sujet du premier point il fait deux choses. En
premier lieu il manifeste les parties de la division au moyen de définitions ;
en deuxième lieu il les manifeste quant à ce qu’elles supposent, là où il
dit : donc, les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et
l’Esprit-Saint. |
Circa primum quatuor facit. Primo
definit fruibilia per effectum ; secundo utibilia, ibi : istis quibus utendum est, tendentes ad beatitudinem adjuvamur ;
tertio definit utentia, et fruentia ibi : res
vero quae fruuntur et utuntur, nos sumus ; quarto definit uti et frui ad
probationem totius : frui autem est
amore alicui rei inhaerere propter seipsam. Et eodem ordine procedit
manifestando secundum supposita. Notandum
vero, quod idem Augustinus (...) aliter quam supra accipiens frui et uti, sic
dicit. |
Au sujet du premier point il fait quatre choses. En premier lieu, il
définit par l’effet l’objet de jouissance ; en deuxième lieu l’objet
d’usage là où il dit : cherchant la béatitude, nous sommes aidés par
ce dont il faut user ; en troisième lieu il définit ceux qui usent
et ceux qui jouissent là où il dit : mais nous sommes les choses qui
jouissent et usent ; en quatrième lieu il définit ce qu’est user et
jouir pour l’ensemble de la preuve : mais jouir, c’est s’attacher par
amour à une chose pour elle-même. Et dans le même ordre il procède à la
manifestation de la division selon ce qu’elle suppose : Mais il faut
remarquer que le même Augustin, prenant autrement que plus haut jouir et
user, parle ainsi. |
Hic
ponit contrarietatem ad haec tria. Primo ponit diversam assignationem uti et
frui ; secundo concludit contrarietatem ad praedicta, ibi : et attende, quod videtur Augustinus dicere
illos frui tantum qui in re gaudent ; tertio ponit solutionem, ibi : haec ergo quae sibi contradicere videntur,
sic determinamus. Et primo solvit per divisionem ; secundo per
interemptionem, ibi : potest etiam
dici, quod qui fruitur etiam in hac vita non tantum habet gaudium spei, sed
etiam rei. |
Il présente
ici une opposition à l’égard de ces trois points. En premier lieu il présente
une définition différente de jouir et d’user ; en deuxième lieu il
conclut le contraire de ce qui a été dit, là où il dit : et fais
attention à ce qu’Augustin semble dire que seuls jouissent ceux qui se
réjouissent dans la chose ; en troisième lieu il présente la
solution là où il dit : nous résoudrons de la manière suivante ces
choses qui semblent se contredire. Et en premier lieu il résout par une
division ; en deuxième lieu, il résout par réfutation, là où il
dit : on peut aussi dire que celui qui jouit déjà en cette vie ne
possède pas seulement une joie en espérance mais une joie dans la chose. |
"Cum autem homines, qui fruuntur
et utuntur aliis rebus, res aliquae sint, quaeritur, utrum se frui debeant,
an uti, an utrumque". Hic movet dubitationes de habitudine eorum quae
pertinent ad invicem : et primo quaerit de utentibus et fruentibus, an sint
utibilia vel fruibilia ; secundo de fruibilibus, scilicet de Deo, utrum sit
utens nobis vel fruens, ibi : sed cum
Deus diligat nos (...) quaerit Augustinus quomodo diligat, an ut utens, an ut
fruens ; tertio de quibusdam utibilibus, utrum sint fruibilia, ibi : hic considerandum est, utrum virtutibus
sit utendum, an fruendum. Quaelibet harum partium dividitur in
quaestionem et solutionem. |
¨Mais puisque les hommes, qui jouissent et usent des autres
choses, sont eux-mêmes certaines choses, on demande s’il doivent jouir, user,
ou à la fois jouir et user d’eux-mêmes¨. Il soulève ici des difficultés
sur la nature des choses qui s’attribuent mutuellement: et en premier
lieu, il s’interroge sur les choses qui usent et jouissent pour savoir si
elles sont elles-mêmes objets d’usage ou de jouissance ; en deuxième
lieu il s’interroge sur les objets de jouissance, à savoir sur Dieu pour
savoir s’il use ou jouit de nous, là où il dit : mais puisque Dieu
nous aime (…), Augustin se demande comment il aime, à la manière de celui qui
use ou à la manière de celui qui jouit ; en troisième lieu, il
s’interroge sur certains objets d’usage pour savoir s’ils sont objets de
jouissance, là où il dit : il faut ici examiner s’il faut user des
vertus ou en jouir. Et chacune de ces parties se divise en question et
réponse. |
Hic
quaeruntur tria : primo, de uti et frui. Secundo, de utibilibus et
fruibilibus. Tertio, de utentibus et fruentibus. |
La recherche
porte ici sur trois points : en premier lieu sur la nature de l’usage et
de la jouissance. En deuxième lieu sur les objets d’usage et de jouissance.
En troisième lieu sur ceux qui usent et jouissent. |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La jouissance et l’usage] |
|
|
Circa primum quaeruntur duo : 1 quid
sit frui secundum rem ; 2 quid sit uti secundum rem. |
Par rapport
au premier point on se demande deux choses : premièrement ce que c’est
réellement que jouir ; deuxièmement ce que c’est réellement qu’user. |
|
|
Articulus 1
[64] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 tit. Utrum frui sit actus intellectus. |
Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ? |
[65] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa
primum sic proceditur. Videtur
quod frui sit actus intellectus. Nobilissimus enim actus est nobilissimae
potentiae. Altissima autem potentia in homine est intellectus. Ergo, cum frui
sit perfectissimus actus hominis, quia ponit hominem in suo fine ultimo,
videtur quod sit actus intellectus. |
Arguments : 1. Au sujet de la première question on procède ainsi. Il semble que
la jouissance soit un acte de l’intelligence. En effet, l’acte le plus noble
procède de la puissance la plus noble. Mais la puissance la plus noble chez
l’homme est l’intelligence. Donc, puisque la jouissance est l’acte le plus
parfait de l’homme puisqu’elle place l’homme dans sa finalité ultime, il
semble qu’elle soit l’acte de l’intelligence. |
[66] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Augustinus, visio
est tota merces. Sed merces totius meriti consistit in fruitione divinitatis.
Ergo fruitio est essentialiter visio. Sed visio est actus intellectus : ergo
et fruitio. |
2. Par ailleurs, comme le dit Augustin, la vision est la récompense
parfaite. Mais la récompense de tout le mérite consiste à jouir de la
divinité. Donc la jouissance est essentiellement la vision. Mais la vision
est l’acte de l’intelligence : il en est donc de même pour la
jouissance. |
[67] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 3 Sed
videtur quod sit actus voluntatis. Actus enim determinatur ex objecto. Sed objectum fruitionis
est fruibile, quod est finis ultimus. Finis autem, cum rationem boni habeat,
est objectum voluntatis. Ergo et frui est actus voluntatis. |
3. Mais il semble que la jouissance soit l’acte de la volonté. En
effet, un acte se définit à partir de son objet. Mais l’objet de la
jouissance est ce dont on peut jouir qui est la fin ultime. Mais la fin,
parce qu’elle a raison de bien, est l’objet de la volonté. La jouissance est
donc l’acte de la volonté. |
[68] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a.
1 arg. 4 Praeterea, Augustinus, definit fruitionem per voluntatem dicens : fruimur cognitis, in quibus ipsis propter
se voluntas delectata conquiescit. Ergo magis videtur esse actus
voluntatis quam intellectus. |
4. Par ailleurs, Augustin définit la jouissance par la volonté
lorsqu’il dit : nous jouissons des choses qu’on connaît dans
lesquelles et pour elles-mêmes la volonté se repose avec complaisance. La
jouissance semble donc être davantage l’acte de la volonté que celui de
l’intelligence. |
[69] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 5 Item,
videtur quod sit actus omnium potentiarum. Praemium enim respondet merito.
Sed homo meretur per omnes potentias. Ergo et secundum omnes praemiabitur. Sed praemium est ipsa
fruitio : ergo fruitio est omnium potentiarum. |
5. En outre, il semble que la jouissance soit l’acte de toutes les
puissances. En effet, la recompense correspond au mérite. Mais c’est au moyen
de toutes les puissances que l’homme est digne de mérite et c’est donc grâce
à elles qu’il sera recompensé. Mais la recompense est la jouissance
elle-même: la jouissance est donc l’acte de toutes les puissances. |
[70] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit, quod homo
inveniet pascua interius in divinitate salvatoris, et exterius in humanitate.
Ergo videtur quod tam vires exteriores quam interiores fruentur. |
6. Par ailleurs Augustin dit que l’homme trouvera sa nourriture
intérieure dans la divinité du sauveur et sa nourriture extérieure dans son
humanité. Il semble donc que la jouissance appartienne aussi bien aux
puissances extérieures qu’à celles qui sont intérieures. |
[71] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 7 Sed
videtur quod nullius potentiae sit. Omnis enim actus denominatur a potentia cujus est, sicut
intelligere ab intellectu. Sed frui non denominatur ab aliqua potentia. Ergo
et cetera. |
7. Mais il semble que la jouissance n’appartienne à aucune puissance.
Tout acte en effet est dénommé par la puissance d’où il procède, comme l’acte
d’intelliger est dénommé par cette puissance qu’est l’intelligence. Mais la
jouissance n’est dénommée à partir d’aucune puissance. Elle n’appartient donc
à aucune puissance. |
[72] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 8 Unde ulterius quaeritur, cujus habitus
actus sit : et videtur quod tantum caritatis. Sicut enim dicitur 1 Corinth.
13, caritas virtus perfecta est. Sed, secundum philosophum, felicitas est
operatio virtutis perfectae. Ergo fruitio, in qua est tota nostra felicitas,
est actus caritatis. |
8. À partir de là on se demande par la suite de quel habitus la
jouissance est l’acte : et il semble qu’elle soit l’acte de la seule
charité. En effet, comme le dit l’Apôtre dans sa première Épître aux
Corinthiens (ch. 13), la charité est la vertu parfaite. Mais d’après le
Philosophe, la félicité est l’opération de la vertu parfaite. Donc la
jouissance, dans laquelle consiste toute notre félicité, est l’acte de la
charité. |
[73] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 9 Hoc idem videtur ex definitione Augustini
inducta in littera : frui est amore
inhaerere alicui rei propter seipsam. |
9. Il semble que la même conclusion doive se tirer de la définition présentée
dans la lettre : jouir, c’est s’attacher à une chose pour elle-même
par amour. |
[74] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 10 Sed videtur quod non tantum caritatis. Ad fruitionem
enim tria concurrunt, perfecta visio, plena comprehensio, et inhaesio amoris
consummati. Ergo videtur
quod sit actus etiam succedentium fidei, et spei. |
10. Mais il semble que la jouissance n’appartienne pas seulement à
l’habitus de la charité. En effet, trois éléments contribuent à la
jouissance : la vision parfaite, la compréhension complète et l’adhésion
de l’amour achevé. Il semble donc que la jouissance soit aussi l’acte de la
foi et de l’espérance qui suivent. |
[75]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, secundum fruitionem
conjungimur Deo. Sed omnis virtus conjungit nos Deo, cum virtus sit
dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in 7 Physic. Ergo fruitio est
actus secundum omnem virtutem. |
11. Par ailleurs, c’est pas la jouissance que nous sommes unis à
Dieu. Mais toute vertu nous unit à Dieu, puisque la vertu est la disposition
du parfait à l’égard de ce qu’il y a de mieux, comme on le dit au septième
livre des Physiques. La jouissance est donc l’acte de toutes les
vertus. |
[76]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod fruitio
consistit in optima operatione hominis, cum fruitio sit ultima felicitas
hominis. Felicitas autem non est in habitu, sed in operatione, secundum
philosophum. Optima autem operatio hominis est operatio altissimae potentiae,
scilicet intellectus, ad nobilissimum objectum, quod est Deus : unde ipsa
visio divinitatis ponitur tota substantia nostrae beatitudinis, Joan. 17, 3 :
haec est vita aeterna, ut cognoscant te
solum Deum verum. |
Corps de
l’article. Je réponds qu’il faut dire que la jouissace consiste dans l’opération
la plus parfaite de l’homme, puisqu’elle est sa félicité ultime. Mais la
félicité ne se range pas dans un habitus mais dans une opération d’après le
Philosophe. Mais l’opération parfaite de l’homme est celle de sa puissance la
plus élevée, là savoir l’intelligence, à l’égard de l’objet le plus noble qui
est Dieu : c’est pourquoi c’est dans la vision même de la divinité
qu’est placée l’essence de notre béatitude dans sa totalité, ainsi que le dit
Jean dans son évangile (17, 3) : La vie éternelle, c’est qu’ils te
connaissent, Toi le seul vrai Dieu. |
Ex visione
autem ipsum visum, cum non videatur per similitudinem, sed per essentiam,
efficitur quodammodo intra videntem, et ista est comprehensio quae succedit
spei, consequens visionem quae succedit fidei, sicut spes quodammodo
generatur ex fide. Ex hoc autem quod ipsum visum receptum est intra videntem,
unit sibi ipsum videntem, ut fiat quasi quaedam mutua penetratio per amorem.
Sic dicitur 1 Joan. 4, 16 : qui manet
in caritate, in Deo manet et Deus in eo. Ad unionem autem maxime
convenientis sequitur delectatio summa ; et in hoc perficitur nostra
felicitas, quam fruitio nominat ex parte sui complementi, magis quam ex parte
principii, cum in se includat quamdam delectationem. Et ideo dicimus quod est
actus voluntatis, et secundum habitum caritatis, quamvis secundum ordinem ad
potentias et habitus praecedentes. |
Mais cela même qui est vu dans la vision, puisqu’il n’est pas vu par
ressemblance mais par essence, est rendu présent d’une certaine manière à
l’intérieur de celui qui voit et cela est la compréhension qui succède à
l’espérance qui suit la vision qui succède à la foi, tout comme l’espérance
est engendrée en quelque sorte à partir de la foi. Mais du fait que cela même
qui est vu est reçu à l’intérieur à l’intérieur de celui qui voit, il unit à
lui celui-là même qui voit, de sorte qu’il se produit par amour comme une
certaine pénétration mutuelle. C’est ainsi que parle Jean dans sa première
Lettre (4, 16) : qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu
demeure en lui. Mais la plus grande délectation suit l’union à ce qui
convient le plus parfaitement ; et c’est en cela que notre félicité
trouve son achèvement qu’il appelle jouissance du côté de son complément
plutôt que du côté de son principe puisque la félicité implique en elle une
certaine délectation. Et c’est la raison pour laquelle nous disons que la
jouissance est un acte de la volonté et, selon l’habitus, de la charité, bien
que ce soit selon le rapport des puissances aux habitus qui précèdent. |
[77]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
appetitus semper sequitur cognitionem. Unde, sicut inferior pars habet sensum et appetitum, qui
dividitur in irascibilem et concupiscibilem, ita suprema pars habet
intellectum et voluntatem, quorum intellectus est altior secundum originem,
et voluntas secundum perfectionem. Et similis ordo est in habitibus, et etiam
in actibus, scilicet visionis et amoris. Fruitio autem nominat altissimam
operationem quantum ad sui perfectionem. |
Solutions. 1. En réponse
au premier argument il faut dire que l’appétit suit toujours la connaissance.
De là, tout comme la partie inférieure possède le sens et l’appétit sensible,
lequel se divise en irascible et concupiscible, ainsi la partie supérieure
possède l’intelligence et la volonté, parmi lesquelles l’intelligence est
supérieure quant à l’origine alors que la volonté est supérieure quant à la
perfection. Et le même ordre se présente dans les habitus et même dans les
actes, en l’occurrence pour la vision et pour l’amour. Mais la jouissance se
trouve à dénommer l’opération qui est supérieure quant à la perfection. |
[78] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 2 Et similiter etiam patet solutio ad
secundum : quia visio non habet perfectam rationem felicitatis, nisi secundum
quod est operatio perfecta per ea quae sequuntur. Perficit enim
delectatio operationem, sicut pulchritudo juventutem, ut dicitur 10 Ethic. |
2. Et c’est de la même manière qu’apparaît clairement la solution au
deuxième argument: car la vision n’a parfaitement raison de félicité qu’au
moyen de ce qui la suit. En effet, c’est la delectation qui achève et complete la vision, tout
comme la beauté achève et complète la jeunesse, ainsi qu’on le dit au dixième
livre de l’Éthique. |
[79] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Alia
duo concedimus. |
3 et 4. Nous
concédons les deux autres arguments. |
[80] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 5 Ad aliud dicendum, quod inferiorum
potentiarum non potest esse fruitio proprie dicta : non enim habent
operationem circa finem ultimum, quem non apprehendunt, cum sint virtutes
materiales ; sed sicut nunc intellectus perficitur accipiendo ab inferioribus
potentiis, ita erit in patria e converso, quod perfectio et gaudium
superioris partis redundabit in inferiores potentias. Unde Augustinus : sensus vertetur in rationem, inquantum
scilicet sua remuneratio et gaudium a ratione emanabit. |
5. Par rapport à cet autre argument il faut dire qu’il ne peut y
avoir jouissance à propremet parler pour les puissances inférieures :
elles ne possèdent pas en effet une opération qui se rapporte à la fin ultime
qu’elles n’appréhendent pas
puisqu’elles sont des puissances matérielles ; mais tout comme
ici-bas notre intelligence parvient à son achèvement en empruntant aux
puissances inférieures, de même dans la patrie céleste à l’inverse la
perfection et l’allégresse de la partie supérieure rejaillira sur les
puissances inférieures. C’est pourquoi Augustin dit : le sens se
changera en raison, c’est-à-dire dans la mesure où sa récompense et sa
joie tirera son origine de la raison. |
[81] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 6 Ad aliud dicendum, quod humanitas Christi
non est ultimus finis : unde in visione ejus non erit proprie fruitio, sed
erit quoddam accidentale gaudium, et non substantialis beatitudo. |
6. Par rapport à cet argument il faut dire que l’humanité du Christ
n’est pas la fin ultime : c’est pourquoi dans la vision de son humanité
il n’y aura pas à proprement parler jouissance, mais il y aura une certaine
joie accidentelle et non pas la béatitude prise essentiellement. |
[82] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a.
1 ad 7 Ad aliud dicendum, quod quando aliquis actus est absolute alicujus
potentiae, denominatur ab illa, sicut intelligere ab intellectu ; sed quando
est actus unius potentiae secundum ordinem ad alteram, a nulla denominatur ;
sicut scire est actus rationis secundum ordinem ad intellectum inquantum
principia deducit in conclusiones ; similiter frui est actus voluntatis
consequens actum intellectus, scilicet apertam Dei visionem. |
7. Quant au septième argument il faut dire que quand un acte
appartient absolument à une puissance, c’est d’elle qu’il tient sa
dénomination, comme c’est le cas pour intelliger par rapport à
l’intelligence ; mais quand un acte appartient à a une puissance mais
d’après un rapport à une autre, alors il n’est dénommé par aucune ; par
exemple, savoir est un acte de la raison quant à son rapport à l’intelligence
selon qu’il tire les conclusions des principes ; de la même manière la
jouissance est l’acte de la volonté qui suit l’acte de l’intelligence, ce
dernier consistant en une claire vision de Dieu. |
[83] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 8 Alia
duo concedimus. |
8 et 9. Nous concédons ces deux autres arguments. |
[84]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 10 Ad alia patet solutio per ea quae
dicta sunt : quia, quamvis tria concurrant ad fruitionem, tamen in amore
perficitur, ut prius, in corp. art., dictum est. |
10.
La solution à cet autre argument devient claire au moyen de ce qui a été
dit : car, bien que ces trois éléments contribuent à la jouissance,
c’est cependant par l’amour qu’elle trouve sa perfection ainsi que nous
l’avons dit précédemment dans le corps de l’article. |
[85] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 11 Ad ultimum dicendum, quod aliae virtutes
conjungunt Deo per modum meriti et dispositionis, sed sola caritas per modum
perfectae unionis. |
11. Il faut dire à la fin que les autres vertus nous unissent à Dieu
par le mérite et la disposition, mais seule la charité nous unit à Lui à la
manière d’une union achevée. |
|
|
Articulus 2
[86] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 tit. Utrum uti sit actus rationis |
Article 2 – L’usage est-il un acte de la raison ? |
[87] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 1 Circa
secundum sic proceditur. Videtur quod uti sit actus rationis. Ordinare enim
unum ad alterum est potentiae conferentis, cujusmodi est ratio. Sed
uti dicit ordinem ad finem. Ergo est actus rationis. |
Arguments :
1.
On procède de la manière suivante quant au second article. Il semble que
l’usage soit un acte de la raison. En effet, ordonner quelque chose à quelque
chose d’autre appartient à la puissance qui compare, et la raison est une
puissance de cette sorte. Or l’usage signifie que quelque chose est ordonné à
une fin. Il est donc un acte de la raison. |
[88] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, ut dicit philosophus, ordinatio eorum quae sunt ad finem et
inventio finis pertinent ad prudentiam. Prudentia autem est habitus rationis. Ergo et uti, quod dicit
talem ordinationem, est actus rationis. |
2. Par ailleurs, comme le dit le Philosophe, l’ordre des moyens à la
fin et la découverte de la fin relèvent de la prudence. Mais la prudence est
un habitus de la raison. Donc l’usage, qui implique un tel ordre, est un acte
de la raison. |
[89] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed videtur quod sit actus voluntatis,
quia voluntas ponitur in definitione ejus : uti enim est assumere aliquid in
facultatem voluntatis. |
Au contraire : 1. Mais il
semble que l’usage soit un acte de la volonté car la volonté est placée dans
la définition de l’usage : user en effet c’est disposer d’une chose dans
la faculté de la volonté. |
[90] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, illud ordinatur ad finem quod finem consequitur. Sed frui, dicit
consecutionem finis, [uti vero dicit ordinem ad finem, ergo ejusdem est fruit
et uti om. Éd. De Parme] sed frui
est actus voluntatis, ut dictum est, in articulo antecedente. Ergo et uti. |
2. De plus,
est ordonné à la fin ce qui obtient la fin. Mais la jouissance signifie
l’obtention de la fin (mais l’usage signifie l’ordre des moyens à la fin et
il appartient donc à la même faculté de jouir et d’user) et la jouissance est
un acte de la volonté ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent.
Donc, l’usage est aussi un acte de la volonté. |
[91] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod uti dicitur
multipliciter. Aliquando enim nominat quamlibet operationem, secundum quod
dicimus usum alicujus rei esse bonum vel malum ; et secundum hoc videtur
definiri ab Augustino : uti est
assumere aliquid in facultatem voluntatis ; idest, ut operemur de eo quo
utimur ad nutum voluntatis. Aliquando dicit frequentiam operationis, secundum
quod usus est idem quod consuetudo : et sic definit Victorinus : usus est actus frequenter de potentia
elicitus. Sed utroque modorum istorum est actus cujuslibet potentiae.
Dicitur etiam aliquando uti eorum quae ad finem ordinantur aliquem ; et sic
uti sumitur hic quantum ad primam definitionem quae ponitur. Illud
autem quod est ad finem, inducitur ad finem suum tribus operationibus. Prima est operatio rationis
praestituentis finem et ordinantis et dirigentis in ipsum. Secunda est
operatio voluntatis imperantis. Tertia est operatio virtutis motivae
exequentis. Uti autem nominat executionem ejus quod ad finem ordinatum est,
non secundum actum proprium alicujus motivarum virium, sed communiter
praesupposita ordinatione in finem. Unde est actus voluntatis, quae est universalis motor virium
secundum ordinem ad rationem. |
Corps de l’article :
Je
réponds qu’il faut dire que l’usage se dit en plusieurs sens. Parfois en
effet ce terme signifie toute opération selon que nous disons que l’usage
d’une chose est bon ou mauvais : et c’est en ce sens que ce terme semble
être défini par Augustin : user, c’est en disposer au gré de la
faculté de la volonté ; c’est-à-dire de telle manière que nous employions
la chose dont nous nous servons conformément aux ordres de la volonté. Mais
parfois ce terme signifie la fréquence de l’opération, selon que l’usage
signifie la même chose que l’habitude : et c’est ainsi que Victorin le
définit : l’usage est l’acte qui est fréquemment choisi par la
puissance. Mais pour chacune de ces modalités l’usage est l’acte de toute
puissance. On dit encore parfois que quelqu’un use des choses qui sont
ordonnées à la fin ; et en ce sens l’usage se tire ici du côté de la
première définition qui a été posée. Mais ce qui est ordonné à une fin est
conduit a sa fin par trois opérations. La première est l’opération de la
raison qui détermine la fin, qui ordonne et conduit à la fin. La deuxième est
l’opération de la volonté qui commande. La troisième est l’opération de la
puissance motrice qui exécute. Mais l’usage signifie l’exécution de ce qui
est ordonné à la fin, non pas d’après l’acte qui est propre à une des
puissances motrices, mais universellement, une fois posé l’ordre déterminé
par la raison. Par conséquent, l’usage est l’acte de la volonté, laquelle est
l’agent universel qui met en mouvement toutes les puissances conformément à
l’ordre de la raison. |
[92] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod uti praesupponit ordinem ; sed ejus substantia magis
est in executione voluntatis. |
Solutions: 1. Il faut dire par rapport au premier argument que l’usage suppose
l’ordre, mais essentiellement il se range dans l’exécution de la volonté. |
[93] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prudentia est
perfectio rationis practicae, secundum quod est recta. Rectitudo autem ejus
et veritas est, ut dicitur 6 Ethic., secundum convenientiam cum appetitu
recto. Unde prudentia non tantum perficit ad actum qui est ipsius rationis,
sed etiam ad actum voluntatis, qui regulatus est ratione ; sicut eligere,
etsi sit actus voluntatis vel liberi arbitrii, est tamen prudentiae. |
2. Quant au deuxième argument, il faut dire que la prudence est la
perfection de la raison pratique dans la mesure où la raison est droite. Mais
comme on le dit au sixième livre de l’Éthique, la prudence est droite
et vraie selon qu’elle s’accorde avec l’appétit qui est droit. C’est pourquoi
la prudence n’est pas seulement la perfection de l’acte de la raison en tant
que telle, mais aussi de l’acte de la volonté qui est réglé par la
raison ; par exemple, bien que choisir soit l’acte de la volonté ou du
libre arbitre, il relève cependant de la prudence. |
|
|
Quaestio
2 |
Question 2 – [Jouir de Dieu]
|
|
|
Prooemium |
Prologue |
[94] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 pr.
Circa objecta dictorum actuum, primo quaeritur de fruibilibus ; secundo de
utibilibus. Quantum ad primum duo quaeruntur : 1 utrum solo Deo sit fruendum
; 2 utrum una tantum fruitione vel pluribus. |
Par
rapport aux objets des actes dont nous avons parlé, on s’interroge en premier
sur ceux dont on peut jouir ; en deuxième lieu, sur ceux dont on peut
user. Quant au premier point, on se demande deux choses : premièrement,
ne faut-il jouir que de Dieu seul ; deuxièmement, ne faut-il en jouir
que d’un seul ou de plusieurs actes de jouissance. |
|
|
Articulus 1 [95] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 tit. Utrum fruendum
sit solo Deo. |
Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ? |
[96] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur
quod non solo Deo fruendum sit. His enim rebus fruendum est, ut dicitur in
littera, quae nos beatos faciunt. Beatitudo autem creata beatos nos facit.
Ergo ea fruendum est : non ergo tantum Deo. |
Arguments: 1. Dans ce premier article on procede de la manière suivante. Il
semble qu’on ne doive pas jouir seulement de Dieu. Comme on le dit dans la
Lettre, il faut jouir de ce qui nous rend heureux. Mais la béatitude créée
nous rend heureux. Nous devons donc en jouir et donc ne pas jouir seulement
de Dieu. |
[97] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, ultimus finis hominis est sua
felicitas. Felicitas autem ejus est perfectissima operatio. Cum igitur ultimo
fine fruendum sit, operatione perfectissima fruendum est : quod etiam videtur
per philosophum qui dicit, quod felicitas non quaeritur propter aliquid aliud
: et per Boetium, qui dicit, quod beatitudo
est status omnium bonorum aggregatione perfectus. |
2. Par ailleurs, la fin ultime de l’homme est sa félicité. Mais sa
félicité est son opération la plus parfaite. Donc, puisqu’il faut jouir de la
fin ultime, il faut jouir de l’opération la plus parfaite : ce que
semble dire aussi le Philosophe qui dit que la félicité n’est pas recherchée
en vue de quelque chose d’autre ; et Boèce parle dans le même sens
lorsqu’il dit : la béatitude est l’état parfait par la réunion de
tous les biens. |
[98] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, Tullius dicit : honestum est quod sua vi nos trahit, et
sua dignitate nos allicit. Sed quod per se allicit, propter se amatur.
Ergo omni honesto fruendum est, et ita omnibus virtutibus. Ergo non tantum
Deo. |
3. En outre, Cicéron dit : l’honnête est ce qui nous tire par
sa force et nous attire par sa dignité. Mais ce qui attire par soi-même
est aimé pour soi-même. Il faut donc jouir de tout ce qui est honnête et par
conséquent de toutes les vertus. Il ne faut donc pas jouir seulement de Dieu. |
[99] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 4
Praeterea, apostolus ad Philemonem 20, dicit : itaque, frater, ego te fruar in domino. Ergo etiam homine justo frui possumus,
et per consequens quolibet homine, qui est ad imaginem Dei, et qualibet
creatura, in qua est vestigium Dei. |
4. De plus, l’Apôtre, dans sa Lettre à Philémon (20) dit : c’est
pourquoi, mon frère, je jouis de toi dans le Seigneur. Nous pouvons donc
jouir aussi de l’homme juste et par conséquent de tout homme qui est à
l’image de Dieu et de toute créature dans laquelle est présent un vestige de
Dieu. |
[100] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a.
1 s. c. 1 Contra, ratio dilectionis est bonitas. Sed omnis bonitas refertur
ad bonitatem Dei a qua fluit et cujus similitudinem gerit. Ergo nihil est
diligendum nisi in ordine ad Deum. Ergo solo Deo fruendum est. |
Cependant :
1. La
cause de l’amour est le bien. Mais tout bien se rapporte et dépend de ce Bien
qui est Dieu et duquel il découle et dont il porte la ressemblance. Donc,
tout ne doit être aimé qu’en étant rapporté à Dieu. Il ne faut donc jouir que
de Dieu seul. |
[101] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Proverb. 16, 4, dicitur : universa propter semetipsum operatus est
Deus. Ergo ipse est finis omnium. Omnia ergo propter ipsum diligenda sunt
: et sic idem quod prius. |
2. On dit dans le Proverbe (16. 4) : C’est pour lui-même que
Dieu a tout créé. C’est donc Lui-même qui est la fin de tout. C’est donc
pour Lui-même que tout doit être aimé et par conséquent on doit conclure la
même chose que précédemment. |
[102] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod frui aliquo dicitur tripliciter. Aut sicut objecto ;
et hoc modo solo Deo fruendum est : quia ad bonitatem ipsius Dei ordinatur
tota bonitas universi ; sicut bonum totius exercitus ad bonum ducis, ut
dicitur 12 Metaph. Alio
modo sicut habitu eliciente actum fruitionis ; et hoc modo beatitudine creata
et caritate fruendum est. Tertio modo fruimur aliquo sicut
instrumento fruitionis ; et hoc modo fruimur potentia, cujus fruitio est
actus. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que jouir de quelque chose de dit de trois manières. Ou bien
jouir se dit de l’objet de la jouissance et en ce sens on ne doit jouir que
de Dieu : car c’est à ce Bien suprême qu’est ordonné tout bien présent
dans l’univers, tout comme le bien de toute l’armée est ordonné au bien du chef,
ainsi que le dit le Philosophe au douzième livre de la Métaphysique.
En un autre sens jouir se dit comme de l’habitus qui provoque l’acte de la
jouissance et en ce sens il faut jouir de la béatitude créée et de la
charité. En un troisième sens nous jouissons de quelque chose comme d’un
instrument de la jouissance et en ce sens nous jouissons de la puissance dont
l’acte est la jouissance. |
[103] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquid facit
beatum dupliciter : vel effective, sicut Deus ; et hoc solo fruendum est
velut objecto : vel formaliter, sicut albedo facit album ; et hoc fruendum
est formaliter loquendo, et sic beatitudo beatum facit. |
Solutions :
1.
Il faut dire à l’égard du premier argument que quelque chose nous rend
heureux de deux manières : soit à titre de cause efficiente, comme Dieu
et on ne doit jouir que de cela comme objet ; soit à titre de cause
formelle, comme la blancheur rend blanc et on doit jouir de cela formellement
parlant et en ce sens la béatitude rend heureux. |
[104] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectum
operationis terminat et perficit ipsam, et est finis ejus. Unde impossibile
est operationem habere rationem finis ultimi. Sed, quia objectum non
consequimur nisi per operationem, ideo est idem appetitus operationis et
objecti. Unde, si aliquo modo ipsa fruitione fruimur, hoc erit inquantum
fruitio nos Deo conjungit : et eadem fruitione fruemur fine et operatione,
cujus objectum est finis ultimus ; sicut eadem operatione intelligo
intelligibile et intelligo me intelligere. |
2. Il faut dire à l’égard du deuxième argument que c’est l’objet de
l’opération qui est son terme, sa perfection et sa finalité. C’est pourquoi
il est impossible que l’opération ait d’elle-même raison de fin ultime. Mais
parce que nous ne parvenons à l’objet qu’au moyen de l’opération, c’est
pourquoi le désir de l’opération et celui de l’objet sont identiques. C’est
pourquoi, si en un sens nous jouissons de la jouissance elle-même, cela sera
dans la mesure où la jouissance nous unit à Dieu : et ce sera par la
même jouissance que nous jouirons à la fois de la fin et de l’opération dont
l’objet est la fin ultime ; par exemple c’est par la même opération que
j’intellige l’intelligible et que j’intellige que j’intellige. |
[105] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod propter se
dicitur dupliciter. Uno modo secundum quod opponitur ad propter aliud ; et
hoc modo virtutes et honestum non propter se diliguntur, cum etiam ad aliud referantur.
Alio modo dicitur propter se, secundum quod opponitur ad per accidens ; et
sic dicitur propter se diligi quod habet in natura sua aliquid movens ad
diligendum : et hoc modo virtutes propter se diliguntur, quia habent in se
aliquid unde quaerantur, etsi nihil aliud ab eis contingeret : non tamen est
inconveniens ut aliquid propter se ametur et tamen ad alterum ordinetur,
sicut dicitur in 1 Ethic. Est autem aliquid quod desideratur, non propter
aliquid quod in se habet, sed tantum secundum quod ordinatur ad alterum, ut
effectivum illius ; sicut potio amara amatur, non propter aliquid quod in
ipsa est, sed quia sanitatem efficit : et hujusmodi nullo modo propter se
diliguntur ; sive propter se dicat causam formalem, sicut virtus dicitur
propter se diligi ; sive finalem, sicut Deus. |
Quant au troisième argument, il faut dire que ¨pour soi¨ se dit de
deux manières. En un sens selon qu’il s’oppose à ¨pour autre chose¨ et en ce
sens les vertus et l’honnête ne sont pas aimés pour eux-mêmes puisqu’ils se
rapportent aussi à autre chose. En un autre sens ¨pour soi¨ se dit d’après
son opposition à ¨par accident¨ ; et en ce sens on dit qu’est aimé pour
soi-même ce qui possède dans sa nature même quelque chose qui pousse à devoir
l’aimer et en ce sens les vertus sont aimées pour elles-mêmes parce qu’elles
possèdent en elles-mêmes quelque chose qui fait qu’on les recherche, même si
rien d’autre ne provenait d’elles : il n’y a pas de problème cependant à
ce qu’une chose soit aimée pour elle-même et à ce qu’elle soit aussi ordonnée
à quelque chose d’autre, ainsi qu’on le dit dans le premier livre de
l’Éthique. Il y a cependant des choses qui sont désirées non pas à cause de
quelque chose qu’elles ont en elles mais seulement selon qu’elles sont
ordonnées à quelque chose d’autre parce qu’elles le produisent : c’est
ainsi par exemple qu’on aime la potion amère non pas à cause de quelque chose
qui est en elle, mais parce qu’elle produit la santé ; et les choses de
cette sorte ne sont en aucune manière aimées pour elles-mêmes, que le ¨pour
soi¨ se rapporte à la cause formelle, comme on dit que la vertu est aimée
pour elle-même ou qu’il se rappporte à la cause finale, comme on dit de Dieu
qu’il est aimé pour lui-même. |
[106] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a.
1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod homine justo non est simpliciter fruendum,
sed in Deo ; ita quod objectum fruitionis sit Deus ; et repraesentans ipsum
gratiae objectum per similitudinem, in qua inhabitat Deus, sit homo sanctus.
Nec tamen sequitur quod homine peccatore sit fruendum in Deo, quia non est in
eo gratia, quae facit Deum inhabitare, et quae est exemplar expressum illius
summae bonitatis, qua fruendum est : et multo minus hoc sequitur de creatura
irrationali : non enim sufficit ad hoc similitudo imaginis et vestigii, sed
similitudo gratiae. |
4. Pour ce
qui est du quatrième argument il faut dire qu’il ne faut pas jouir de l’homme
juste à parler absolument, mais seulement par rapport à Dieu, de telle
manière que l’objet de la jouissance soit Dieu et que celui qui rend présent
par ressemblance l’objet même de la grâce dans laquelle Dieu habite soit un
homme saint. Il ne s’ensuit pas cependant qu’il fait jouir en Dieu d’un homme
pécheur car il n’y a pas en lui la grâce qui ferait que Dieu habite en lui et
qui est l’expression de cette suprême bonté dont il faut jouir ; et on
peut encore moins le dire d’une créature irrationnelle car il ne suffit pas
pour cela de la ressemblance d’une image ou d’un vestige, mais seulement de
la ressemblance de la grâce. |
|
|
Articulus 2
: [107] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 tit. Utrum fruamur Deo
una fruitione |
Article 2 – Est-ce que jouir de Dieu est une fruition unique ? |
[108]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic proceditur. Videtur quod non una fruitione Deo fruamur.
Actus enim distinguuntur secundum objecta. Sed objecta fruitionis sunt tres
res distinctae proprietatibus personalibus, scilicet pater, filius, et
spiritus sanctus. Ergo fruitiones sunt tres. |
Difficultés : 1. À l’égard de ce deuxième article on procède de la manière
suivante. Il semble que nous ne jouissons pas de Dieu par un seul acte de
jouissance. Les actes en effet se
distinguent d’après leurs objets. Mais les objets de la jouissance sont trois
réalités qui se distinguent par des propriétés personnelles, à savoir le
Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Il y a donc trois jouissances. |
[109] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, operatio animae sistens in
communi non est perfecta, nisi etiam descendat ad propria, sicut cognitio
generis perficitur per cognitionem differentiae ; et multo plus desiderium et
amor perficitur in particulari. Sed fruitio est operatio perfecta. Ergo non
tantum fruemur essentia communi tribus personis, sed singulis personis et
proprietatibus ipsarum ; et ita videtur quod non sit una tantum fruitio. |
2. De plus, l’opération de l’âme qui pose l’universel n’est parfaite
que si elle descend aussi à ce qui est propre, tout comme la connaissance du
genre n’est parfaite qu’au moyen de la connaissance de la différence ; et
l’amour et le désir trouvent encore davantage leur achèvement dans le
singulier. Mais la jouissance est une opération parfaite. Nous ne jouissons
donc pas seulement de l’essence qui est commune aux trois Personnes mais
aussi de chacune des Personnes ainsi que de ses propriétés. Et ainsi il
semble qu’il n’y ait pas qu’une seule jouissance. |
[110] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a.
2 arg. 3 Praeterea, quidquid habet filius solet referre ad patrem a quo
habet, sicut Joan. 7, 16, dicitur : mea
doctrina non est mea, sed ejus qui misit me. Sed bonitatem accepit filius
a patre nascendo, sicut essentiam. Ergo et fruitionem bonitatis filii debemus
referre in fruitionem patris. Ergo non est aequaliter fruendum tribus
personis : multo minus ergo nec eadem fruitione. |
3.
En outre, le Fils a coutume de rapporter tout ce qu’il possède à son Père de
qui il le tient, ainsi qu’on le voit dans Jean (7, 16) : Ce que
j’enseigne ne vient pas de moi mais de Celui qui m’a envoyé. Mais le Fils
a reçu du Père la Bonté comme essence en naissant. Nous devons donc rapporter
la jouissance de la bonté du Fils à la jouissance du Père. Il ne faut donc
pas jouir également des trois Personnes : et donc nous devons encore
moins en jouir d’une seule et même jouissance. |
[111] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut Deus Trinitas est unum
principium omnium, ita est unus finis omnium. Sed eadem operatio communis est
totius Trinitatis, inquantum est unum principium. Ergo eadem est fruitio
trium, inquantum est unus finis. |
Cependant : 1. Tout comme le Dieu trinitaire est le seul principe de tout ce qui
existe, de même il est la seule fin de tout ce qui existe. Mais l’opération
commune de toute la Trinité est la même selon qu’Elle est le seul principe de
tout. Donc, selon qu’Elle est la seule fin de tout, il n’y a qu’une seule et
même jouissance pour les trois Personnes. |
[112] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, operatio felicitatis est ad
nobilissimum objectum, ut dicit philosophus. Nobilissimum autem est unum
tantum, quia quod per superabundantiam dicitur, uni soli convenit. Ergo, cum
fruitio sit operatio ultimae felicitatis, refertur ad unum tantum objectum ;
ergo fruimur tribus personis, inquantum sunt unum : ergo inquantum est unum
objectum. |
2. Par ailleurs, l’opération de la félicité se rapporte à l’objet le
plus noble ainsi que le dit le Philosophe. Mais l’objet le plus noble est
unique car ce qui se dit de la manière la plus excellente ne convient qu’à un
seul. Donc, puisque la jouissance est l’opération de la félicité ultime, elle
ne se rapporte qu’à un seul objet ; nous jouissons donc des trois
Personnes selon leur unité et donc dans la mesure où elles constituent un
seul objet. |
[113] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod una fruitione
fruimur tribus personis : et hujus ratio est duplex. Una ex parte essentiae.
Objectum enim fruitionis est summa bonitas ; unde fruitio respicit
unamquamque personam, inquantum est summum bonum ; unde cum eadem numero sit
bonitas trium, eadem erit et fruitio. Alia ratio sumitur ex parte
proprietatum. Sicut enim dicit philosophus qui novit unum relativorum,
cognoscit et reliquum ; et sic cum tota fruitio originetur ex visione, ut
prius dictum est, qui fruitur uno relativorum inquantum hujusmodi, fruitur et
reliquo. Personae autem tres distinguuntur tantum secundum relationes ; et
ideo in fruitione unius includitur fruitio alterius ; et ita est fruitio
eadem trium. Sed prima ratio melior est, quae tangit rationem objecti, a qua
actus habet unitatem. |
Corps de l’article :
Je
réponds qu’il faut dire que c’est par une seule et même jouissance que nous
jouissons des trois Personnes : et il y a deux raisons pour cela. La
première se tient du côté de l’essence. En effet, l’objet de la jouissance
est le bien suprême ; c’est pourquoi la jouissance se rapporte à chacune
des Personnes selon qu’elle est le bien suprême : de là, puisque la
bonté des trois Personnes est la même par le nombre, la jouissance qui y
correspond sera aussi la même. L’autre rasion se tire du côté des propriétés.
En effet, comme le dit le Philosophe, qui connaît un des relatifs connaît
aussi les autres ; et ainsi, puisque la jouissance dans sa totalité tire
son origine de la vision ainsi que nous l’avons dit précédemment, celui qui
jouit d’un des relatifs en tant que relatif jouit aussi des autres. Mais les
trois Personnes ne se distinguent que par les relations et c’est pourquoi la
jouissance de l’une comprend aussi la jouissance de l’autre ; et c’est
ainsi qu’il n’y a qu’une seule et même jouissance pour les trois Personnes.
Mais la premiere raison est préférable parce qu’elle traite de l’objet duquel
l’acte tient son unité. |
[114]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum :
quia tres personae non distinguuntur secundum id quod sunt objectum
fruitionis, immo uniuntur in eo, scilicet in summa bonitate. |
Solutions: 1. Et au moyen de cette réponse la solution à la première difficulté
deviant évidente: car les trois Personnes ne se distinguent pas selon cela
même qu’elles sont l’objet de la jouissance mais au contraire elles sont
unies en cela, à savoir en tant que bien suprême. |
[115] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod proprietate
uniuscujusque personae fruimur, ut paternitate ; tamen paternitas non dicit
rationem fruitionis : unde fruemur paternitate, inquantum paternitas est idem
re quod summa bonitas, differens tamen ratione. |
2.
Il faut dire à l’égard de la deuxième difficulté que nous jouissons de ce qui
est propre à chacune des Personnes, par exemple de la paternité ;
cependant la paternité elle-même n’a pas raison de jouissance et c’est
pourquoi nous jouissons de la paternité selon qu’elle est identique par la
chose au bien suprême ; elle en diffère cependant par la raison. |
[116] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa reductio non
ponit gradum bonitatis in patre et filio, sed tantum ordinem naturae ; et
ideo non tollitur aequalitas et unitas fruitionis. |
3. Pour ce qui est de la troisième difficulté, il faut dire que tout
ramener au Père ne pose pas un degré différent de bonté dans le Père et le
Fils mais seulement un ordre de nature ; et c’est pourquoi cet argument
n’empêche pas l’égalité et l’unité de la jouissance. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [L’usage des créatures] |
|
|
Articulus 1
[117] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 tit. Utrum utendum sit omnibus aliis
a Deo. |
Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que Dieu ? |
[118] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur de utibilibus, utrum
omnibus aliis praeter Deum sit utendum. Et videtur quod non. Uti enim est
assumere aliquid in facultatem voluntatis. Illud autem tantum est hoc modo
assumptum quod nostrae operationi subjacet. Non autem omnia creata sunt
talia, sicut caelum et Angeli, quae non sunt operabilia a nobis. Ergo non
possumus omnibus uti. |
Difficultés : 1. On s’interroge ensuite sur ce qui est objet d’usage, à savoir s’il
faut user de tous les autres êtres qui ne sont pas Dieu. Et il semble qu’on
doive répondre par la négative. User en effet, c’est disposer d’une chose au
gré de la volonté. Mais seul se prend de cette manière ce qui est soumis à
notre opération. Mais ce ne sont pas toutes les créatures, par exemple le
Ciel et les Anges, qui sont de cette sorte, puisqu’ils ne sont pas soumis à
nos opérations. Nous ne pouvons donc pas user de tous les autres êtres qui ne
sont pas Dieu. |
[119] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 2
Praeterea, illo utimur quo tendentes ad beatitudinem juvamur. Sed creaturis
impedimur frequenter, sicut dicitur Sap. 14, 2 : creaturae factae sunt in odium et in tentationem animabus hominum, et
in muscipulam pedibus insipientium. Ergo non omnibus possumus uti. |
2. En outre,
nous usons de ce qui nous aide à tendre à la béatitude. Mais les créatures
nous empêchent fréquemment d’y tendre ainsi qu’on le dit dans le livre de la
Sagesse (14, 11) : les créatures sont devenues des objets de haine et
de tentation pour les âmes des hommes et des pièges pour les pieds des
insensés. Nous ne pouvons donc pas user de tous les êtres qui ne sont pas
Dieu. |
[120] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a.
1 arg. 3 Praeterea, si omnibus praeter Deum tenemur uti, ergo quandocumque
non referimus aliquid in Deum, peccamus ; sed quandocumque referimus aliquid
in Deum, meremur. Ergo omnis actus est meritorius, et sic nullus actus erit
indifferens. |
3. De plus, si nous étions tenus d’user de tout ce qui n’est pas
Dieu, nous pécherions à chaque fois que nous ne rapporterions pas quelque
chose à Dieu ; mais à chaque fois que nous rapportons quelque chose à
Dieu, nous faisons du bien. Donc, tout acte est méritoire et ainsi aucun acte
ne sera indifférent. |
[121] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, sequitur quod nullum peccatum
sit veniale ; quia, si refertur in ultimum finem, non est aliquod peccatum ;
si autem constituatur aliquis finis alius ultimus, non relatus ad finem
ultimum, est peccatum mortale. Cum igitur omnis actus rationis sit ad aliquem
finem, oportet quod ille finis vel sit finis ultimus, et sic non est peccatum
; vel sit alius finis non relatus ad finem ultimum, et sic erit peccatum
mortale. Ergo nihil est peccatum veniale. |
4. Par ailleurs, il s’ensuit qu’aucune faute ne sera vénielle ;
car si on le rapporte à la fin ultime, un acte ne sera pas un péché ;
mais si une autre fin est constituée comme la fin ultime et n’est pas
ordonnée à la fin ultime, alors l’acte est un péché mortel. Donc, puisque
tout acte de la raison est ordonné à une fin, il faut que cette fin soit ou
bien la fin ultime et ainsi cet acte ne sera pas un péché ; ou bien
qu’elle soit une autre fin qui n’est pas rapportée à la fin ultime, et il y
aura alors péché mortel. Donc, rien n’est un péché véniel. |
[122] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, 1 Corinth. 10, 31 : sive manducatis, sive bibitis (...) omnia
in gloriam Dei facite. Ergo videtur quod omnibus sit utendum. |
Cependant :
1.
On lit dans la premère Épître aux Corinthiens (10, 31) : Que vous
mangiez ou que vous buviez (…), faites tout pour la gloire de Dieu. Il
semble donc que nous devions user de tout. |
[123] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a.
1 s. c. 2 Item, sicut Deus est perfectae potentiae, ita est perfectae
bonitatis. Sed ad perfectionem potentiae ejus pertinet quod
nihil habeat esse nisi productum ab ipso. Ergo et ad perfectionem divinae bonitatis pertinet quod ametur
nihil, nisi quod est in ordine ad ipsum. |
2. De plus, tout comme la puissance de Dieu est parfaite, de même sa
bonté est parfaite. Mais il appartient à la perfection de sa puissance que
tout ce qui existe soit produit par Lui. Il appartient donc à la perfection
de la bonté divine que tout soit aimé par rapport à Lui. |
[124] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod quaecumque sunt bona, non habent bonitatem nisi
inquantum accedunt ad similitudinem bonitatis divinae. Unde oportet, cum
bonitas sit ratio dilectionis et desiderii, ut omnia amentur in ordine ad
bonitatem primam. Omne
autem quod bonum est, a Deo est : unde quae ab ipso non sunt, nec quaerenda
sunt, nec eis utendum est : et ideo nullo peccato utendum est, quia peccatum
non est a Deo. Poena autem a Deo est ; et ideo poena utendum est, et
ordinanda ad finem, secundum quod promovet meritum hominis, ducens eum in
considerationem suae infirmitatis, et secundum quod purgat peccata. Similiter
etiam res mundi ab ipso sunt, et eis utendum est, vel inquantum conferunt ad
Dei cognitionem, ostendentes ipsius magnitudinem, vel secundum quod praebent
subsidium vitae nostrae ordinatae in Deum. Similiter opera nostra quae mala
non sunt, ab ipso sunt, et propter ipsum facienda : non quod quamlibet
operationem oporteat semper actualiter referre in Deum ; sed sufficit ut
habitualiter in Deo constituant finem suae voluntatis. |
Corps de
l’article : Je réponds en disant que tout ce qui est bon ne possède de bonté que
dans la mesure où il arrive à ressembler à la bonté divine. C’est pourquoi il
faut, puisque le bien est la cause de l’amour et du désir, que toute chose
soit aimée dans son rappport au bien premier. Mais tout ce qui est bon vient
de Dieu ; de là, tout ce qui ne vient pas de Lui ne doit pas être
recherché et on ne doit pas en user : et c’est pourquoi on ne doit user
d’aucun péché parce que le péché ne vient pas de Dieu. Mais le châtiment
vient de Dieu ; et c’est pourquoi il faut user du châtiment qui doit
être ordonné à la fin selon qu’il fait la promotion du mérite de l’homme en
l’amenant à considérer son infirmité et à le purger de ses fautes. De la même
manière encore les choses du monde viennent de Lui et il faut en user, soit
dans la mesure où elles contribuent à connaître Dieu en manifestant sa
grandeur, soit dans la mesure où elles offrent une aide à notre vie ordonnée
à Dieu. De même encore nos œuvres qui ne sont pas mauvaises viennent de Lui
et doivent être faites en vue de Lui : ce n’est pas qu’il faille
toujours ordonner à Dieu n’importe quelle opération de façon actuelle, mais
il suffit d’établir en Dieu de manière habituelle la fin de sa volonté. |
[125] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod illis creaturis non utimur tamquam a nobis
operatis, sed sicut in Dei cognitionem ducentibus. |
Solutions: 1.
Pour ce qui est de la première difficulté, il faut dire que nous n’usons pas
de ces creatures comme étant faites par nous, mais comme conduisant à la connaissance
de Dieu. |
[126] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creaturae,
quantum est in se, non impediunt nos a consequenda beatitudine ; sed ex parte
nostra, inquantum eis abutimur, in eis sistendo, sicut in fine. |
2. Quant à la deuxième difficulté il faut dire que ce ne sont pas les
créatures, prises en elles-mêmes qui nous empêchent d’atteindre le bonheur;
mais c’est nous qui, par nos abus, y faisons obstacle en cherchant à nous y
établir comme dans notre finalité ultime. |
[127] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a.
1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, secundum theologum, nullus actus procedens
a voluntate deliberante est indifferens ; quia, si refertur in Deum,
supposita gratia, meritorius est ; si autem non est referibilis, peccatum est
; si vero est referibilis et non referatur, vanus est : otiosum autem inter
peccata apud theologum computatur. |
3. Il faut dire en troisième lieu que d’après le théologien aucun
acte procèdant de la volonté délibérante n’est indifferent; car si on le
rapporte à Dieu en supposant la grâce, il est méritoire; si cependant il ne
peut être rapport à Dieu, il est un péché; mais s’il peut être rapporté à
Dieu et qu’on ne le rapporte pas, il est inutile: cependant, le théologien
classe l’oisiveté parmi les péchés. |
[128] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, quamvis ille qui
peccat venialiter non referat actu in Deum suam operationem, nihilominus
tamen Deum habitualiter pro fine habet : unde non ponit creaturam finem
ultimum, cum diligat eam citra Deum ; sed ex hoc peccat, quia excedit in
dilectione ; sicut ille qui nimis immoratur viae, non tamen exit a via. |
4. Pour ce qui est de la quatrième difficulté il faut dire que bien
que celui qui fait un péché véniel ne rapporte pas son opération à Dieu de
manière actuelle, il prend néanmoins
Dieu comme fin d’une manière habituelle : par conséquent, il ne
pose pas la créature comme sa fin ultime lorsqu’il l’aime avant d’aimer
Dieu ; mais son péché consiste à aimer la créature de façon excessive
comme celui qui, s’attardant sur la route, n’en sort cependant pas. |
|
|
Quaestio 4 |
Question 4 – [Ceux qui jouissent et utilisent] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[129] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 pr. Deinde quaeritur de fruentibus et utentibus. Et 1
de fruentibus ; 2 de utentibus. |
Ensuite on s’interroge
sur ceux qui jouissent et ceux qui utilisent. |
|
|
Articulus 1 [130] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 tit. Utrum frui
conveniat omnibus rebus. |
Article 1 – La jouissance appartient-elle à toutes les choses ? |
[131] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Fruitio dicit desiderium quietatum in fine. Sed omnis
creatura, etiam insensibilis, desiderat naturaliter suum finem. Ergo, cum
contingat ipsam consequi suum finem et quiescere in eo, videtur quod fruitio
sit creaturae insensibilis. |
Difficultés : 1. On procède
ainsi à l’égard de ce premier article. Qui dit jouissance signifie un désir
qui se repose dans la fin possédée. Mais toute créature, même celle qui est
insensible, désire naturellement sa fin. Donc, puisqu’il arrive que celle-ci
atteigne sa fin et s’y repose, il semble que la jouissance appartienne même à
la créature insensible. |
[132] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, fruitio est ejus quod per se
quaeritur, non relatum ad alterum. Sed bruta quaerunt aliqua in quibus
delectantur et non referunt ad aliud, quia carent ratione ordinante. Ergo
brutorum est fruitio. |
2. De plus, la jouissance porte sur ce qui est recherché pour soi et
non pour autre chose. Mais les bêtes recherchent les choses dans lesquelles
elles se délectent sans les rapporter à quelque chose d’autre car elles sont
privées de la raison qui ordonne. La jouissance appartient donc aux bêtes. |
[133] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, naturali dilectione contingit
aliquem diligere Deum super omnia, cum naturaliter cognoscatur esse summum
bonum, et ita propter se amandum. Sed fruimur eo quod propter se amamus. Ergo
contingit hominem existentem in naturalibus tantum, frui Deo. |
3. En outre, il arrive d’aimer Dieu de préférence à toute chose d’un
amour naturel lorsqu’on connaît naturellement qu’Il est le bien suprême et
qu’il doive ainsi être aimé pour lui-même. Mais nous jouissons de ce que nous
aimons pour soi-même. Il est donc possible à l’homme qui n’existe que dans le
cadre des choses naturelles de jouir de Dieu. |
[134] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a.
1 arg. 4 Praeterea, contingit quod aliquis existens in peccato mortali,
alicujus suae actionis Deum finem ultimum constituat, non referens ad aliud.
Hoc autem est frui. Ergo peccator etiam potest frui Deo. |
4. Par ailleurs, il est possible à celui qui existe dans l’état de
péché mortel d’établir Dieu comme la fin ultime d’une de ses actions sans la
rapporter à quelque chose d’autre. Mais c’est cela même qui est la
jouissance. Donc même le pécheur peut jouir de Dieu. |
[135] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 5 Sed
e contrario videtur quod nec etiam justus fruatur in via. Frui enim est quiescere voluntatem
delectatam in cognitis propter se. Sed quamdiu aliquis est in via, non
quiescit. Ergo quamdiu est in via, aliquis Deo non fruitur. |
5. Mais au contraire il semble que même le juste ne peut jouir de
Dieu ici-bas. La jouissance en effet est le repos de la volonté qui se
délecte dans ce qui est connu pour soi. Mais aussi longtemps que l’homme vit
ici-bas, sa volonté ne peut trouver de repos. Donc, aussi longtemps que
l’homme vit ici-bas, il ne peut jouir de Dieu. |
[136]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 6 Praeterea, videtur quod nec etiam
beati fruantur. Sicut enim habetur in littera, omne quod fruitur aliquo eget
illo. Sed quidquid eget
aliquo caret illo. Cum igitur beati non careant Deo, videtur quod non
fruantur illo. |
6. Bien plus, il semble que même les bienheureux ne jouissent pas de
Dieu. Ainsi qu’il est établi dans le document, tout ce qui jouit d’une chose
en a besoin. Mais tout ce qui a besoin d’une chose en est privé. Donc,
puisque les bienheureux ne sont pas privés de Dieu, il semble qu’ils n’en
jouissent pas. |
[137] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 7. Ex quo etiam concluditur quod nec seipso
Deus fruatur, cum non seipso indigeat. |
7. On conclut
aussi de là que Dieu lui-même ne jouit pas puisqu’il n’a pas besoin de
Lui-même. |
[138] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut supra dictum est, qu. 1, art. 1, fruitio ponit quamdam
delectationem in fine. Delectatio autem non potest esse nisi in cognoscente :
propter quod Plato dixit, quod delectatio est generatio sensibilis in naturam
; id est, quae sentitur naturae conveniens ; et ideo cum creaturae
insensibiles non cognoscant, non delectantur nec fruuntur. Item, fruitio
proprie loquendo, est tantum ultimi finis. Bruta autem ultimum finem non
apprehendunt, nec finem proximum possunt ordinare ad finem ultimum, cum
careant ratione, cujus est ordinare. Unde non proprie fruuntur. Similiter peccator ponit finem
ultimum in quo non est ; unde, cum verum finem non habeat, non vere fruitur.
Ulterius autem fruitio dicit delectationem in fine ; unde perfecta fruitio
non est, nisi sit perfecta delectatio, quae esse non potest ante
consecutionem finis : et ideo justus homo non perfecte fruitur ; sed beati,
qui consecuti sunt finem, vere et perfecte et proprie fruuntur. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que, tout comme nous l’avons dit plus haut
(qu. 1, a. 1), qui dit jouissance pose une certaine délectation dans la fin.
Il ne peut cependant y avoir délectation que dans celui qui connaît : et
c’est pour cette raison que Platon a dit que la délectation est une
génération sensible dans la nature, c’est-à-dire qui est perçue comme
convenant à la nature ; et c’est pourquoi, puisque les créatures
insensibles sont privées de connaissance, elles ne peuvent ni se délecter ni
jouir. En outre, la jouissance à proprement parler ne se rapporte qu’à la fin
ultime. Mais les bêtes ne peuvent appréhender la fin ultime et elles ne
peuvent ordonner une fin prochaine à la fin ultime puisqu’elles sont privées
de la raison à laquelle il appartient d’ordonner. Par conséquent les bêtes ne
jouissent pas à proprement parler. De même le pécheur établit la fin ultime
dans ce qui ne l’est pas ; c’est pourquoi, puisqu’il ne possède pas la
véritable fin, il ne connaît pas la véritable jouissance. Enfin cependant la
jouissance implique une délectation dans la fin possédée ; par
conséquent, la jouissance parfaite n’est qu’une délectation parfaite qui ne
peut exister avant d’avoir atteint la fin ; et c’est pourquoi l’homme
juste ne jouit pas parfaitement ; mais les bienheureux, lesquels ont
atteint la fin, jouissent au sens propre, c’est-à-dire d’une jouissance
véritable et parfaite. |
[139] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod, quamvis omne desiderium consequatur cognitionem,
desiderium tamen creaturae insensibilis non sequitur cognitionem in ipsa
existentem, sed cognitionem motoris primi (quicumque sit ille) ordinantis
unumquodque in suum finem : et ideo sine cognitione nec delectationem nec
fruitionem habent. |
Solutions: 1. Il faut donc dire par rapport à la première difficulté que bien
que tout desir suive une connaissance, cependant le désir de la creature
insensible ne suit pas une connaissance qui est présente en elle-même, mais
il suit la connaissance du premier moteur (quel que soit ce moteur) qui
ordonne toute chose à sa fin: et c’est pour cette raison que ces créatures,
sans une connaissance présente en elles, n’éprouvent ni delectation ni
jouissance. |
[140] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pecora, quamvis
delectentur in fine, ille tamen finis non est ultimus ; immo est relatus ad
aliud, non ab ipsis, sed a primo ordinante omnia in seipsum : et ideo, cum
non delectentur in ultimo fine simpliciter, sed in ultimo apprehenso ab eis,
aliquo modo dicuntur frui, sed improprie. |
2. Il faut dire en second lieu que les bêtes, même si elles se
délectent dans une fin, cette fin n’est cependant pas la fin ultime; bien
plus, cette fin est ramenée à une autre fin, non pas par elles-mêmes, mais
par le premier moteur qui ordonne tout à Lui-même: et c’est pourquoi, puisque
les bêtes ne se délectent pas dans la fin ultime prise absolument mais dans
ce qui est appréhendé ultimement par elles, on peut dire d’elles qu’elles
jouissent en un certain sens mais non au sens propre du terme. |
[141] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod delectatio sequitur operationem perfectam. Perfecta autem est operatio quae
procedit ab habitu. Habitus autem acquisiti vel naturales non perficiunt ad
ultimam beatitudinem patriae, ut supra habitum est, sufficienter, et proxime
: [quia, ut dicit Augustinus in Lib. de poenitentia, immo X De Trin.,cap. V elicitive, "quodam familiari contactu ad experiendam
ejus suavitatem adjacet amanti amata creatura. "Sed voluptas
creatoris longe alterius generis est" Éd. De Parme] et ideo sine habitu gratuito non est delectatio
talis quae ad fruitionem sufficiat. Vel dicendum, quod delectatio naturalis
non ponit aliquam operationem in actu, sed tantum quamdam naturalem
inclinationem, quae in actum reducitur per habitum caritatis. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la délectation suit l’opération
parfaite. Mais l’opération parfaite est celle qui procède de l’habitus. Mais
les habitus, aussi bien ceux qui sont acquis que ceux qui sont naturels, ne
réalisent pas parfaitement et de façon prochaine la béatitude ultime de la
patrie, ainsi que nous l’avons établi plus haut : [car, comme le dit avec
insistance Augustin dans le Livre sur
la Pénitence, ou plutôt dans le dixième livre Sur la Trinité (ch. V) : La créature aimée habite auprès
de l’amant pour expérimenter sa suavité par un contact familier. ¨Mais de
loin la volupté du créateur est d’un autre genre¨ Éd. De Parme] ; et
c’est pourquoi, sans l’habitus qui est gratuit, la délectation n’est pas telle
qu’elle suffise à la jouissance. Ou bien encore il faut dire que la
délectation naturelle ne pose pas une opération en acte mais seulement une
inclination naturelle qui est conduite à l’acte au moyen de l’habitus de la
charité. |
[142] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod existens in
mortali peccato, diligit aliquid habitualiter supra Deum, etsi non in actu
semper ; et ideo non fruitur ipso, sed illo ad quod omnia ordinat. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que celui qui existe en l’état de
péché mortel préfère quelque chose à Dieu de manière habituelle, bien que ce
ne soit pas toujours en acte ; et c’est pourquoi il ne jouit pas de Lui,
mais de ce à quoi il ordonne tout le reste. |
[143] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod est duplex quies,
scilicet quies desiderii, et quies motus. Quies desiderii est quando
desiderium sistit in aliquo propter quod omnia facit et quaerit, et non
desiderat aliquid ulterius ; et hoc modo voluntas justi quiescit in via in
Deo. Quies autem motus est quando pervenitur ad terminum quaesitum ; et ista
quies voluntatis erit in patria. Haec autem quies facit perfectam fruitionem,
sed prima imperfectam. |
5. Il faut dire en cinquième lieu qu’il y a deux sortes de repos, à
savoir le repos du désir et le repos du mouvement. Le repos du désir a lieu
quand le désir s’arrête dans un objet pour lequel il fait tout et mène sa
recherche, et au-delà duquel il ne désire rien d’autre ; et en ce sens
la volonté du juste se repose ici-bas en Dieu. Mais le repos du mouvement a
lieu quand on parvient au terme qu’on recherchait ; et ce repos de la
volonté se produira dans la patrie. Mais c’est ce repos qui produit la
jouissance parfaite, alors que le premier ne produit qu’une jouissance imparfaite. |
[144] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod aliquid eget altero dupliciter. Aut sicut eo a quo
dependet secundum esse ; et hoc modo omnia egent Deo ; quia, secundum
Gregorium, omnia in nihilum tenderent, nisi ea manus conditoris teneret : non
enim est tantum causa fieri, sed esse rerum ; et hoc modo beati egent Deo. Alio modo dicitur quis egere illo quod
nondum habet ; et sic non egent. |
6. Il faut dire en sixième lieu que c’est de deux manières qu’une
chose a besoin d’une autre. Ou bien elle en a besoin comme d’une chose dont
elle dépend pour son existence et en ce sens toute chose a besoin de
Dieu ; car selon Grégoire, si le Créateur ne les tenait dans sa main,
tous les êtres tendraient au néant : en effet, Il n’est pas seulement la
cause du devenir, mais aussi de l’existence même des choses ; et c’est
en ce sens que même les bienheureux ont besoin de Dieu. Mais en un autre sens
¨avoir besoin¨ se dit de celui qui ne possède pas encore l’objet dont il a
besoin et ce sens ne s’applique pas aux bienheureux. |
[145] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a.
1 ad 7 Ad ultimum dicendum, quod hoc intelligendum est, quando fruens et id
quo fruitur sunt diversa in essentia : quod non est in divina fruitione : et
ideo perfecte ipse fruitur seipso : unde Gregorius : esto gloriosus, et speciosis induere vestibus ; dicit : ipse gloriosus est qui, dum seipso
fruitur, accedentis laudis indigens non est. |
7. Il faut dire finalement que cet argument doit s’entendre pour les
cas où celui qui jouit et la chose dont il jouit ne partagent pas la même
essence : ce qui n’est pas le cas pour la jouissance de Dieu ; et
c’est pourquoi Il jouit parfaitement de Lui-même. Par conséquent Grégoire a
raison de dire : Sois glorieux et revêtu de riches vêtements ;
il dit : Lui-même est glorieux qui, alors qu’il jouit de Lui-même,
n’a pas besoin des louanges qui Lui parviennent. |
|
|
Articulus 2
: [146] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 tit. Utrum usus conveniat
existentibus in patria |
Est-ce que l’usage s’attribue à ceux qui existent dans la Patrie ? |
[147]
Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod in patria nullus erit utens. Via enim non est necessaria habito fine ;
unde Bernardus : quid necesse est scala
tenenti jam solium ? Sed usus est eorum quae sunt ad finem, quae se
habent per modum viae. Igitur in beatis consecutis finem non erit usus. |
Difficultés: 1. Voici
comment on procède par rapport à ce deuxième article. Il semble que dans la
patrie nul ne sera sujet de l’usage. En effet, le chemin qui conduit à
destination n’est pas necessaire à celui qui a déjà atteint son but. Mais
l’usage se rapporte aux choses qui sont ordonnées à la fin et qui se
présentent à la manière d’un chemin. Il n’y aura donc pas d’usage chez les
bienheureux qui sont parvenus à la fin. |
[148] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, uti est referre aliquid in
alterum. Sed hoc non potest fieri nisi unum cogitetur post aliud ; quod non
videtur esse in patria, secundum Augustinum, quia non sunt ibi cogitationes
volubiles. Ergo videtur quod non sit ibi usus. |
2. En outre, user d’une chose, c’est l’ordonner à une autre. Mais
cela n’est possible que si une chose est pensée suite à une autre ; mais
il ne semble pas que cela soit possible dans la patrie d’après Augustin car
il n’y a pas là de pensées réfléchies. Il semble donc qu’il n’y ait pas là
d’usage. |
[149] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, constat quod in patria manet
dilectio Dei et proximi, quia caritas
nunquam excidit, 1 Corinth. 13, 8. Sed proximus nunquam diligetur propter
se, sed propter Deum. Semper ergo erit ibi dilectio usus. |
Cependant : Il est évident que dans la patrie l’amour du
prochain et de Dieu demeurent car on lit dans la première Épître aux
Corinthiens (13, 8) : L’amour ne meurt jamais. Mais le prochain
n’est jamais aimé pour pour lui-même, mais pour Dieu. Il y aura donc toujours
usage dans la Patrie. Il y aura donc toujours là un amour d’usage. |
[150] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod usus est eorum quae sunt ad finem. Sed eorum quae
sunt ad finem, quaedam sunt includentia finem et contingentia ipsum, et haec
sunt quae non repugnant perfectioni finis, sicut dispositiones materiae
manent cum forma substantiali ; et talium erit usus in patria ; sicut
perfectiones naturales, et septem dona spiritus sancti, et alia quae ex sua
ratione imperfectionem non dicunt. Quaedam autem sunt ad finem sicut
distantia a fine, ut motus et hujusmodi ; et ista propter suam imperfectionem
non compatitur finis : unde talium non erit usus in patria ; sicut poenae, et
actus fidei et spei et cibi et hujusmodi. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’usage se rapporte à ce qui est
ordonné à la fin. Mais parmi les choses qui sont ordonnées à la fin, certaines
la contiennent et lui sont unies, lesquelles ne s’opposent pas à la
perfection de la fin, comme les dispositions de la matière qui demeurent
lorsque la matière est unie à la forme substantielle ; et pour ces
choses il y aura usage dans la patrie : par exemple, les perfections
naturelles, les sept dons de l’Esprit-Saint et d’autres choses qui par nature
n’impliquent pas une imperfection. Mais d’autres choses sont ordonnées à la
fin comme l’éloignement par rapport à la fin, le mouvement et d’autres choses
de cette sorte, lesquelles sont incompatibles avec la fin en raison de leurs
imperfections et c’est pourquoi il n’y aura pas usage de ces choses dans la
patrie comme ce sera le cas pour les peines, les actes de foi et d’espérance,
les aliments corporels et les choses de cette sorte. |
[151] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod sicut invenimus in processu cognitionis, quod in
cognitionem principiorum venit quis per principiata, quibus tamen habitis,
magis ipsa cognoscit quam principiata ; nec indiget principiatis ad
cognitionem principiorum quae jam per se cognoscit ; neque tamen
principiatorum cognitionem amittit ; immo illa cognitio per principia
perficitur : ita est in processu hominis in Deum, qui per creaturas in Deum venit
: quo habito, creaturis non eget ad ipsum habendum, sed per ipsum venit in
perfectum usum omnium aliorum. Sic etiam est in processu naturae, quod per dispositiones
acquiritur forma, quae habita, est principium omnium accidentium ; et ita est
in omnibus aliis invenire. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que le processus que nous retrouvons pour la
connaissance se compare à celui que nous retrouvons pour l’homme à l’égard de
Dieu. Celui en effet qui parvient à la connaissance des principes au moyen
des effets, une fois que ces principes sont possédés, il les connaît mieux
que les effets et il n’a plus besoin des effets pour connaître ces principes
qu’il connaît déjà par soi ; et il ne se dessaisit cependant pas de la
connaissance des effet ; au contraire cette connaissance est rendue plus
parfaite par la connaissance des principes. Et il en est de même pour l’homme
par rapport à Dieu dans le processus par lequel l’homme vient à Dieu au moyen
des créatures : une fois qu’il y est venu, il n’a plus besoin des
créatures pour le posséder, mais au moyen de Dieu il en vient à un parfait
usage de tous les autres êtres. Il en est encore de même quant à la manière
dont procède la nature : la forme est acquise au moyen des dispositions
de la matière, mais une fois acquise, la forme est principe de tous les
accidents. Et il en est encore de même pour tout le reste. |
[152] Super
Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cogitatio
volubilis proprie dicitur quae est per discursum rationis, cui non offertur
statim quod quaerit : unde oportet quod inveniat procedendo ab uno in aliud.
Ibi autem statim sine difficultate occurret in illo divino lumine quidquid
quaeretur : unde etiam homines intelligent intellectu deiformi, sicut et
Angeli. Non autem excluditur successio cogitationum in patria, et multo minus
ordo unius ad alterum, qui etiam sine successione esse potest. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la pensée réfléchie se dit
proprement du discours de la raison à laquelle ne se présente pas immédiatement
ce qu’elle recherche : c’est pourquoi il faut qu’elle mène une recherche
en procédant d’une chose à une autre. Mais dans la patrie s’offrira de façon
immédiate et sans difficulté dans la
lumière divine tout ce qui sera recherché : c’est pourquoi les hommes
aussi comprendront par une intelligence qui a la forme de Dieu et qui sera
semblable à celle des Anges. La succession des pensées n’est cependant pas
abolie dans la patrie et encore moins l’ordre qu’il y a entre une chose et
une autre qui peut aussi exister sans la succession dans le temps. |
[153] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad s. c.
Aliud concedimus. |
Nous
concédons l’argument en sens contraire. |
|
|
Expositio textus |
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1 |
Circa litteram quaeritur de hoc quod dicitur : innotuit, sacrae paginae tractatores circa
res vel signa praecipue versari. Videtur enim divisio esse incompetens :
eo quod contingit idem signum esse et rem ; sicut corpus Christi verum et
character in Baptismo. |
On s’interroge sur ce qui est dit dans le document, à savoir : il
est devenu connu que ceux qui commentent les écritures sacrées traitent
principalement des choses et des signes. Il semble en effet que la
division n’est pas juste du fait qu’il arrive que la chose et le signe soient
identiques, tout comme le vrai corps du Christ et son signe dans le Baptême. |
2.
Praeterea, ipsemet dicit quod omne signum res est ; et ita videtur quod
divisio non sit per opposita. |
De plus,
lui-même dit que tout signe est une chose ; et il semble ainsi que la
division ne se fait pas par les opposés. |
3. Item,
creaturae omnes sunt signum divinae bonitatis ; et ita videtur quod fere
omnia quae in hac doctrina traduntur sunt signa. |
En outre,
toutes les créatures sont le signe de la bonté divine ; et ainsi il
semble que presque tout ce dont on traite dans cette doctrine soit des
signes. |
Ad quod
dicendum, quod ista divisio non est data per oppositas res, sed per oppositas
rationes secundum absolutum et relatum. Signum enim est quod est institutum
ad aliquid significandum : res autem est quae habet absolutam significationem
non ad aliud relatam. Unde non est inconveniens quod idem sit signum et res
respectu diversorum ; sicut etiam idem homo est pater et filius. Unde patet
solutio ad primum. |
Il faut répondre à cela que cette division n’est pas donnée au moyen
de choses opposées, mais au moyen de définitions qui s’opposent selon
l’absolu et le relatif. Un signe en effet est ce qui est institué pour
signifier quelque chose ; mais une chose est ce qui possède une
signification absolue en elle-même et non pas relativement à quelque chose
d’autre. C’est pourquoi il n’y a pas de difficulté à ce qu’une même réalité
soit à la fois signe et chose sous des rapports différents, comme c’est le
cas aussi pour le même homme qui est à la fois père et fils. C’est pourquoi
la solution à la première difficulté est évidente. |
Ad secundum
dicendum, quod res dupliciter sumitur in processu hujus locutionis ; sumitur
enim communiter pro omni ente ; et sic omne signum est res : sumitur etiam
magis stricte pro eo quod est res tantum et non signum, et sic contra signum
dividitur. |
Pour ce qui
est de la deuxième difficulté, il faut dire que le terme ¨chose¨ se prend de
deux manières dans la façon dont on procède dans ce discours ; il se
prend en effet en un sens large, communément, pour tout ce qui existe, et en
ce sens tout signe est une chose ; mais il se prend aussi en un sens
plus étroit pour ce qui n’est que chose et non signe, et en ce sens le terme
¨chose¨ s’oppose à signe dans la division. |
Ad tertium
dicendum, quod quamvis creaturae sint signum alicujus, nihilominus tamen ad
hoc principaliter non sunt institutae : et ideo non continentur sub signis,
nisi secundum quid. |
Pour
ce qui est de la troisième difficulté il faut dire que bien que les créatures
soient le signe de quelque chose, ce n’est cependant pas dans ce but qu’elles
ont été établies principalement : et c’est pourquoi les craétures ne
sont pas contenues dans les signes comme une de leurs parties, si ce n’est
sous un certain rapport. |
Deinde
quaeritur de hoc quod dicitur : et
primo de rebus, postea de signis disseremus. Videtur enim quod prius
agendum est de signis. Res enim per signa discuntur, ut in littera dicitur.
Ergo per cognitionem signorum devenimus in cognitionem rerum. |
On s’interroge ensuite sur ce qui est dit ici : et en premier
lieu nous traiterons de choses et par la suite des signes. Il semble en
effet qu’il faut d’abord traiter des signes. C’est en effet au moyen des
signes que les choses sont enseignées ainsi que le dit le texte. C’est donc
par la connaissance des signes que nous parvenons à la connaissance des
choses. |
Ad quod
dicendum, quod hoc sequitur, quando signa et res sunt ejusdem ordinis,
scilicet quod prius determinandum est de signis quam de rebus quae per illa
signa significantur. Sic autem non se habent signa sacramentalia ad ea de
quibus in primis tribus libris agitur. Vel dicendum,
quod alius est ordo servandus in accipiendo cognitionem, et tradendo.
Accipiens enim cognitionem procedit de signis ad signata, quasi modo
resolutorio, quia signa magis sunt nota quo ad ipsum ; sed tradens
cognitionem signorum, oportet quod res ante signa manifestet, eo quod signa
sumuntur per similitudinem ad res : unde oportet praecognoscere res ad
cognitionem signorum, ad quarum similitudinem sumuntur. |
Il faut répondre à cela que cette conclusion s’ensuit quand les
signes et les choses sont du même ordre, c’est-à-dire quand il faut traiter
des signes avant les choses qui sont signifiées par ces signes. Mais ce n’est
pas de cette manière que se présentent les signes sacramentels par rapport
aux choses dont on traite dans les trois premiers livres. Ou bien il faut
dire que l’ordre à observer pour acquérir la connaissance diffère de celui
qu’il faut observer pour l’enseigner. En effet, celui qui acquiert la
connaissance procède des signes pour aller à ce signifié par eux, comme par
un mode de résolution, car les signes sont plus connus par rapport à
lui ; mais en enseignant la connaissance des signes, il faut manifester
les choses avant les signes du fait que les signes sont tirés de leur
ressemblance aux choses : par conséquent il faut connaître les choses
avant de connaître les signes qui sont choisis d’après leurs ressemblances
aux choses. |
Deinde quaeritur de hoc quod dicit : nos sumus quasi inter utrasque constituti.
Videtur enim ex hoc quod homo sit medium inter utibilia et fruibilia : cujus
contrarium videtur ex hoc quod virtus continetur inter utibilia. Virtus autem
est de maxime bonis, secundum Augustinum, quibus nullus male utitur.
Naturales autem potentiae sunt media bona, quibus aliquis male potest uti, et
bene : et ita videtur quod virtutes sunt supra hominem. |
On s’interroge ensuite sur ce qu’il dit : nous sommes
constitués comme entre chacun des deux. Il semble en effet d’après ces
paroles que l’homme se situe entre les objets d’usage et ceux de
jouissance : mais il semble qu’il n’en soit pas ainsi du fait que la
vertu se prend parmi les objets d’usage. Mais la vertu se trouve parmi les
plus grands biens d’après Augustin, biens dont nul ne peut mal user. Mais les
puissances naturelles sont des biens intermédiaires dont chacun peut bien ou
mal user, de sorte qu’il semble que les vertus soient des biens supérieurs à
l’homme. |
Ad quod
dicendum, quod ordo bonorum dupliciter potest considerari. Aut per
comparationem ad rectitudinem vitae ; et hoc modo virtus, quae est sicut
causa per se talis rectitudinis, est maximum bonum ; potentia autem
naturalis, quae est sicut materiale ad talem rectitudinem, est medium ; et
res aliae quae sunt exterius adminiculantes, sunt minima bona. Potest etiam
considerari ordo bonorum secundum progressum in beatitudinem, et hoc modo
ipsum beatificans erit maximum bonum, et participans beatitudinem erit
medium, et disponens ad ipsam erit minimum. |
Il faut répondre à cela que l’ordre des biens peut être considéré de
deux manières : soit par rapport à la rectitude de vie et en ce sens la
vertu, qui est comme la cause par soi d’une telle rectitude, est le plus
grand bien ; mais la puissance naturelle, qui est comme la cause
matérielle d’une telle rectitude, est un bien intermédiaire ; et les
autres choses, qui sont comme des aides extérieures, sont les moindres biens.
On peut aussi considérer l’ordre des biens d’après le cheminement vers la
béatitude et en ce sens cela même qui rend bienheureux est le plus grand bien,
cellui qui participe de la béatitude est le bien intermédiaire et ce qui
dispose à la béatitude est le moindre bien. |
Item
quaeritur de hoc : res aliae sunt
quibus fruendum est, aliae quibus utendum est, aliae quae fruuntur et utuntur.
Omne enim quod est, vel est finis, vel est ad finem. Sed fruibile
habet rationem finis, utibile autem rationem eorum quae sunt ad finem. Ergo utibile et fruibile sufficienter
dividunt res, et ita tertium membrum superfluit, praecipue cum ipse post
dicat, quod hominibus, qui utentes et fruentes sunt, utendum est. |
On
s’interroge en outre sur ces paroles : autres sont les choses dont il
faut jouir, autres celles dont il faut user et autres enfin sont celles dont
il faut à la fois jouir et user. En effet, tout ce qui existe est soit
une fin, soit ce qui est en vue de la fin. Mais l’objet de jouissance a
raison de fin alors que l’objet d’usage a raison de ce qui est en vue de la
fin. Donc, l’objet d’usage d’une part et l’objet de jouissance d’autre part
divisent les choses de manière satisfaisante et ainsi le troisième membre de
la division est superflu, principalement parce que lui-même dit par la suite
qu’il faut user des hommes qui sont à la fois ceux qui font usage et ceux qui
jouissent. |
Ad quod
dicendum, quod aliquid est ad finem ordinatum dupliciter : vel sicut
progrediens in finem ; et hoc modo fruens et utens est ad finem : vel sicut
via in finem ; et hoc modo utibile est ad finem : unde utibile non
comprehendit omnia quae sunt ad finem, nisi valde large acceptum. Nec est
inconveniens, si idem contineatur sub duobus membris, cum divisio sit data
per oppositas rationes, et non per oppositas res. |
Il faut répondre à cela qu’une chose est ordonnée à une fin de deux
manières : soit à la manière de ce qui progresse vers la fin, et en ce
sens ce qui jouit et use est en vue de la fin ; soit à la manière d’un
chemin vers la fin et c’est en ce sens que l’objet d’usage est ordonné à la
fin : et c’est pourquoi l’objet d’usage ne comprend pas en soi tout ce
qui est ordonné à la fin, à moins qu’on ne le prenne assurément au sens
large. Et il n’y a pas de difficulté à ce que la même chose soit contenue
dans deux parties différentes d’une même division, puisque la division se
donne ici au moyen de deux raisons opposées et non pas au moyen de deux
choses opposées. |
Item quaeritur de hoc : uti vero est id quod in usum venerit
referre ad obtinendum illud quo utendum est. Videtur quod male notificet
: quia usum non est magis notum quam uti ; et ita videtur quod definitio non
sit per magis nota. |
De plus on
s’interroge sur ceci : mais user, c’est ce qui viendra à être
reporté, dans l’usage qu’on en fait, à l’obtention de ce dont il faut user.
Mais il semble que la définition soit mal faite car le terme ¨usage¨ n’est
pas plus connu que le terme ¨user¨ ; et il semble ainsi que la
définition ne procède pas au moyen de ce qui est plus connu. |
Ad quod
dicendum, quod totum hoc quod dicitur : id
quod in usum venerit, ponitur loco unius dictionis, et est circumlocutio
hujus quod dico utibile, quod est objectum hujus actus uti. Actus autem
convenienter per suum objectum definitur. |
Il
faut répondre à cela que l’ensemble de ce qui est dit, à savoir : ce
qui viendra dans l’usage, est posé au lieu d’un terme unique, et est une
locution qui remplace le terme ¨l’utile¨, lequel désigne l’objet de l’acte
d’user. Mais un acte est défini correctement au moyen de son objet. |
Item
quaeritur de hoc : non enim facile
potest inveniri nomen quod tantae excellentiae conveniat, quae sit causa
hujus dicti. Ad quod dicendum, quod nos imponimus nomina rebus secundum quod
veniunt in cognitionem nostram ; et quia nos cognitionem accipimus a rebus
creatis, imponimus nomina secundum modum rerum creatarum. Ea autem quae sunt
in creaturis, non sunt per eumdem modum in Deo, sed excellentiori modo ; ideo
nomina quae nos imponimus, non sunt sufficientia ad significandum Deum, sicut
patet quod nomina significantia in abstracto, significant quid imperfectum
non per se subsistens, ut humanitas, vel albedo ; concreta autem significant
quid compositum, quorum neutrum divinae convenit nobilitati. |
On s’interroge par ailleurs sur ce qui est dit ici : on ne peut
en effet découvrir facilement le nom qui convient à un bien d’une telle
excellence et qui serait la cause de ce qui est dit. Il faut répondre à cela
que nous imposons les noms aux choses selon qu’elles viennent à être connues
de nous ; et parce que nous acquérons les connaissances à partir des
choses créées, nous imposons les noms d’après le mode des choses créées. Mais
ce qu’on retrouve dans les choses créées n’existe pas de la manière en Dieu,
mais selon d’une manière plus excellente ; et c’est pour cette raison
que les noms que nous imposons ne signifient pas Dieu d’une manière qui lui
est adéquate, comme on le voit pour les noms qui signifient d’une manière
abstraite, lesquels signifient quelque chose d’imparfait qui ne subsiste pas
par soi, comme l’humanité et la blancheur ; et les noms concrets pour
leur part signifient quelque chose qui existe par soi mais qui est
composé : on voit donc bien qu’aucune de ces deux sortes de noms n’est
parfaitement ajustée à l’excellence de Dieu. |
Item
quaeritur de hoc : tanto nostram
peregrinationem et tolerabilius sustinemus, et ardentius finire cupimus.
Videtur enim contrarium, per id quod dicitur Proverb. 13, 12 : spes quae
differtur, affligit animam. Et ita per hoc quod in speculo cognoscimus,
et praesentiam desideramus, intolerabilius absentiam sustinemus. |
On
s’interroge en outre sur ceci : et nous supportons d’autant plus
notre pèlerinage et nous désirons d’autant plus vivement le terminer. Il
se semble que ce soit le contraire qui soit vrai selon ce qu’on en dit au
livre des Proverbes (13, 12) : l’espoir qui est reporté attriste
l’âme. Et ainsi du fait que nous Le connaissons comme par un miroir, nous
en désirons la présence et en supportons l’absence d’une manière plus
intolérable. |
Ad quod
dicendum, quod inquantum spes est desiderati absentis, sic est causa
afflictionis ; inquantum autem res desiderata per spem et imperfectam
cognitionem aliquo modo efficitur praesens, sic affert quamdam delectationem. |
Il faut répondre à cela que dans la mesure où l’espoir se rapporte à
un objet désiré qui est absent, cet espoir est cause d’affliction ; mais
dans la mesure où la chose désirée est rendue présente d’une certaine manière
par l’espoir et une connaissance imparfaite, elle apporte alors une certaine
délectation. |
Deinde
quaeritur de hoc quod dicit : notandum
quod idem Augustinus (...) aliter quam supra, accipiens uti et frui, sic
dicit". Unius enim unica est definitio, sicut et esse. Ergo de uti
et frui non debent dari multae definitiones. |
On
s’interroge ensuite sur ce qu’il dit ici : Il faut remarquer que le
même Augustin (…) concevant autrement qu’il ne l’a fait plus haut l’usage et
la jouissance, parle ainsi. Pour une même chose en effet il n’y a qu’une
seule définition tout comme il n’y a qu’une seule existence. On ne doit donc
pas donner plusieurs définitions de l’usage et de la jouissance. |
Ad quod
dicendum, quod si inveniretur aliqua definitio quae diceret esse rei secundum
comparationem ad omnes causas ipsius proprias, esset perfectissima, et una
tantum ; sed inveniuntur definitiones notificantes esse rei plures secundum
diversas causas. Unde aliqua datur per causam finalem, quaedam per formalem,
et sic de aliis. Inveniuntur etiam aliae notificationes sumptae ex
proprietatibus consequentibus esse rei, et tales etiam possunt esse plures. |
Il faut répondre à cela que si on rencontrait une définition qui
exprimerait l’existence de la chose d’après un rapport à toutes ses causes
propres, ce serait là sa définition la plus parfaite et la seule définition.
Mais on rencontre des définitions qui font connaître l’existence de la chose
d’après des causes différentes. Il est donc possible de donner pour une même
chose une définition par la cause finale, une autre par la cause formelle et
il en est de même pour les autres. Il se rencontre même d’autres définitions
tirées des propriétés qui découlent de l’existence de la chose et celles-là
aussi peuvent être nombreuses. |
Dicendum
ergo, quantum ad praesens pertinet, quod prima definitio de frui, scilicet, frui est amore alicui rei inhaerere
propter seipsam, datur per comparationem ad objectum, et habitum
elicientem actum ; secunda autem, scilicet, fruimur cognitis in quibus ipsis propter se voluntas delectata
conquiescit, datur per comparationem ad potentiam cujus est actus
secundum ordinem ad potentiam praecedentem, scilicet cognitivam ; tertia,
scilicet, frui est uti cum gaudio, non
adhuc spei, sed jam rei, datur per proprietatem consequentem actum,
inquantum perfectus est, scilicet gaudium de re habita. Similiter dicendum
quod prima definitio de uti, scilicet, uti
est referre quod in usus venerit, ad obtinendum id quo fruendum est,
datur per comparationem ad objectum et ad finem de uti proprie dicto : alia
autem, scilicet, uti est assumere
aliquid in facultatem voluntatis, datur de uti communiter sumpto per
comparationem ad potentiam operantem et universaliter moventem. |
Il faut donc dire, quant à ce qui se rapporte au propos actuel que la
première définition de la jouissance, à savoir que jouir c’est s’attacher
à une chose pour elle-même par amour, est donnée ici par rapport à
l’objet même de la jouissance et à l’habitus qui fait naître l’acte ;
mais la deuxième, à savoir : nous jouissons des choses connues dans
lesquelles la volonté se repose pour elles-mêmes avec complaisance, est
donnée par rapport à la puissance dont elle est l’acte conformément à un
rapport à la puissance qui précède, c’est-à-dire la puissance
cognitive ; la troisième, à savoir que jouir, c’est user avec joie,
non pas la joie de l’espérance, mais celle de la chose déjà possédée, se
donne par la propriété qui découle de l’acte dans la mesure où cet acte est
parfait, à savoir la joie qui découle de la chose possédée. De la même
manière il faut dire que la première définition de l’usage, à savoir que user,
c’est ce qui viendra à être reporté, dans l’usage qu’on en fait, à l’obtention
de ce dont il faut jouir, est donnée par rapport à l’objet et à la fin de
l’usage proprement dit ; mais l’autre, à savoir que user c’est
disposer d’une chose au gré de la faculté de la volonté, est donnée au
sujet de l’usage pris communément par rapport à la puissance qui pose
l’opération et qui meut universellement. |
Deinde circa hoc quod dicit : neque tamen sic utitur nobis ut nos aliis rebus, notandum quod
ostendit differentiam usus nostri ad usum divinum in duobus : scilicet in hoc
quod nos referimus usum nostrum, quo operamur circa res, ad utilitatem
nostram ; ille vero non ad utilitatem suam, sed nostram. Item
ipse refert usum suum, quo rebus utitur, ad bonitatem suam ; nos vero non ad
bonitatem nostram, sed ipsius. |
Ensuite, par rapport à ce qu’il dit ici: et il n’use pas de nous
de la même manière que nous usons des autres choses, il faut remarquer
qu’il manifeste une double difference entre notre usage et l’usage divin: à
savoir que notre usage, par lequel posons des operations sur les choses, nous
le rapportons à notre utilité propre alors que Lui ne rapporte pas son usage
à son utilité propre mais à la nôtre. De plus, Lui-même attribute à sa bonté
son usage par lequel il se sert des choses alors que nous n’attribuons pas
notre usage à notre bonté mais à la sienna. |
Et hoc
ostendit in operibus misericordiae primo, et planum est : et secundo in
operibus creationis : ipse enim propter bonitatem suam fecit nos ; et ideo
dicit : quia bonus est, sumus ; et
ex eo quod sumus, habemus bonitatem : et hoc prodest nobis. [Unde dicit :
"inquantum est, boni sumus" om.
Éd. De Parme]. Et sic patet quod hoc opus est ad nostram utilitatem.
Tertio ostendit in opere justitiae ; ipse enim punit nos propter bonitatem
suam ; et ideo dicit : quia justus est,
non impune mali sumus : quia justitia ejus bonitas ejus est. Hoc etiam ad
utilitatem nostram cedit ; quia ad hoc punimur pro malo, ut a malo recedamus,
et ita a non esse : propter quod dicit : inquantum
mali sumus, minus sumus ; quia quanto magis mali sumus, minus sumus :
malum enim est privatio ; unde quanto multiplicatur in nobis, tanto elongat
nos ab esse perfecto. |
Et
il manifeste cela en premier lieu dans les œuvres de miséricorde, et cela est
évident, puis il le manifeste en deuxième lieu dans les œuvres de la
création : en effet, c’est à cause de sa bonté qu’il nous a faits et
c’est pourquoi il dit : parce qu’il est bon, nous sommes; et du
fait que nous sommes, nous avons de la bonté : et cela nous est utile.
[De là il dit : ¨parce qu’il est, nous sommes bons¨]. Et ainsi il est
clair que cette œuvre de la création est à notre avantage. En troisième lieu
il le montre par l’œuvre de la justice ; c’est Lui-même en effet qui
nous punit à cause de sa bonté et c’est pourquoi il dit : parce
qu’il est juste, ce n’est pas impunément que nous sommes méchants :
parce que sa justice est sa bonté. Et cela aussi tourne à notre
avantage ; car nous sommes punis pour le mal que nous avons fait afin
que nous nous en détachions et qu’ainsi nous nous détachions aussi du
non-être ; et c’est pour cette raison qu’il dit : dans la mesure
où nous sommes mauvais, nous avons moins d’être ; car nous avons
d’autant moins d’être que nous sommes plus mauvais ; le mal en effet est
une privation ; pour cela, le mal nous éloigne d’autant plus d’une
existence parfaite qu’il grandit en nous |
Deinde quaeritur de hoc quod dicit : item quia bonus est, sumus. Videtur
enim esse falsum : sicut enim dicit Boetius, si removeatur per intellectum
bonitas a Deo, adhuc remanebunt alia entia et alia, sed non bona. Ergo non
quia bonus est, sumus. |
Ensuite on s’interroge sur ce qu’il dit ici : en outre, parce
qu’il est bon, nous sommes. Cela semble faux en effet : en effet,
tout comme le dit Boèce, si notre intelligence retire de Dieu la bonté, il
restera encore d’autres êtres, mais non de bons êtres. Ce n’est donc pas
parce qu’il est bon que nous sommes. |
Respondeo
dicendum, quod opera divina possunt comparari ad divina attributa sicut ad
causam efficientem exemplarem ; et hoc modo sapientia creaturae est a sapientia
Dei, et esse creaturae ab esse divino, et bonitas a bonitate ; et sic
loquitur Boetius (loc. cit.). Sed tamen quia bonitas habet rationem finis, et
finis est causa omnium causarum, ideo omnes istae processiones perfectionum
in creaturas attribuuntur bonitati divinae etiam a Dionysio, (De div. Nom.,) quamvis a diversis
attributis exemplentur. Item quaeritur de hoc quod dicit : inquantum sumus, boni sumus. Alia enim
est ratio boni et entis ; et ita videtur falsum dicere. |
Je réponds qu’il faut dire que les œuvres divines peuvent se comparer
aux attributs divins comme à leur cause efficiente exemplaire : et en ce
sens la sagesse de la créature vient de la sagesse divine et l’être de la
créature procède de l’être divin, et la bonté de la créature de la bonté
divine ; et c’est ainsi que parle Boèce. Cependant, parce que le bien a
raison de fin et que la fin est la cause de toutes les autres causes, c’est
pourquoi toutes ces processions des perfections dans les créatures sont
attribuées à la bonté divine même par Denys dans Les Noms Divins bien
qu’elles se trouvent a être reproduites là par différents attributs. On
s’interroge de plus ce qu’il dit ici : nous sommes bons dans la
mesure où nous sommes. En effet, la notion du bien diffère de celle de
l’être et ainsi il semble faux de dire cela. |
Respondeo
dicendum, quod quamvis bonum et ens differant secundum intentiones, quia alia
est ratio boni et entis ; tamen convertuntur secundum supposita, eo quod omne
esse est a bono et ad bonum ; unde inquantum
non dicit identitatem intentionis, sed aequalitatem suppositorum boni et
entis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que bien que le bien et l’être diffèrent en tant que notions,
car la définition du bien diffère de celle de l’être, cependant ils se convertissent
en tant que sujet du fait que tout ce qui existe vient du bien et est ordonné
au bien ; par conséquent dans
la mesure où ne dit pas l’identité des notions, mais l’identité des
sujets du bien et de l’être. |
|
|
|
|
|
|
Distinctio 2 |
Distinction 2 – [L’unité en Dieu] |
|
|
Quaestio 1 |
Qestion unique : [Unité de l’essence divine] |
|
|
Prooemium |
Proème. |
Ad
evidentiam eorum quae hic dicuntur, quinque quaeruntur : 1 de unitate divinae
essentiae ; 2 utrum in
illa unitate sit invenire diversitatem attributorum ; 3 utrum
pluralitas rationum, secundum quas attributa differunt, sit aliquo modo in
Deo, vel tantum in intellectu ratiocinantis ; 4 utrum illa
unitas compatiatur pluralitatem personarum ; 5 si
compatitur, utrum pluralitas illa sit pluralitas realis, vel rationis tantum. |
Pour manifester les choses qui sont dites ici on s’interroge sur cinq
points : 1. Sur l’unité de l’essence divine. 2. Doit- on retrouver dans cette unité une diversité
d’attributs ? 3. Est-ce que la multiplicité des définitions, d’après lesquelles les
attributs diffèrent, se retrouve en un sens en Dieu ou seulement dans
l’intelligence qui raisonne ? 4. Est-ce que cette unité est compatible avec la pluralité des
Personnes ? 5. Si elle est compatible, est-ce que cette pluralité est réelle ou
s’agit-il seulement d’une pluralité de raison ? |
|
|
Articulus 1
[156] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus sit tantum unus |
Article 1 – N’y a-t-il qu’un seul Dieu ? |
[157] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur quod non sit necessarium ponere unum Deum. Ab
uno enim primo et simplici procedit tantum unum, secundum philosophum [VIII
Physic., text. 49, sive
c. VI et VIII Metaph., text. 15, sive cap. VI]. Sed plures bonitates
inveniuntur participari in creaturis, sicut sapientia, bonitas, pax et
hujusmodi. Ergo videtur quod procedant a pluribus primis principiis, et sic
est ponere plures deos : et hic videtur fuisse error gentilium, ut dicit
Dionys. [lib. de div. Nom., cap XI, § 6], quod etiam patet ex hoc quod
ponebant unum Deum sapientiae, et aliam deam pacem, et sic de aliis. |
Difficultés :
1. On
procède de la manière suivante à l’égard de cette première question. Il
semble qu’il ne soit pas nécessaire de poser un seul Dieu. En effet, à partir
de l’un premier et simple ne procède qu’un seul être d’après le Philosophe [
VIII Physic. Ch. VI ; VIII Metaph. Ch. VI]. Mais plusieurs biens se trouvent à être
participés par les créatures, comme la sagesse, la bonté, la paix et les
biens de cette sorte. Il semble donc que ces biens procèdent de plusieurs
premiers principes, et ainsi il faut poser plusieurs dieux : et telle
semble avoir été l’erreur des Gentils comme le dit Denys dans le livre Des
Noms Divins [Ch. XI, 6], ce qui apparaît encore clairement du fait qu’ils
posaient l’existence d’un dieu de la sagesse, d’une déesse de la paix et
ainsi de suite. |
[158] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 2
Item, sicut dicitur 5 Metaph.,[text. 18] perfectum unumquodque est, quando potest producere sibi
simile in natura. Sed divina essentia est perfectissima. Ergo videtur quod
possit producere aliam essentiam sibi similem, ita quod sint plures divinae
essentiae. |
2. En outre, comme on le dit au cinquième livre du traité de la
Métaphysique, une chose est parfaite
quand elle peut produire ce qui lui est semblable par nature. Mais l’essence
divine est la plus parfaite. Il semble donc qu’elle puisse produire une autre
essence qui lui est semblable, de sorte qu’il y aurait plusieurs essences
divines. |
[159] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, prima materia, quae est pura
potentia, est una ; et quanto formae sibi sunt propinquiores, inveniuntur
pauciores numero. Primo enim perficitur per quatuor formas
elementares, post per plurimas formas mixtorum corporum. Ergo in ultimo
remotionis a materia, debet inveniri maxima pluralitas ; et ita videtur quod,
cum Deus sit maxime remotus a materia, et natura divina sit maxime
multiplicata ; et sic sunt plures dii. |
3. En outre la matière première, qui est pure puissance, est une ;
et plus les formes en sont rapprochées, plus on les retrouve en petit nombre.
En premier lieu en effet la matière première est complétée par les quatre
formes élémentaires et par la suite par les multiples formes des corps
mixtes. Donc dans l’éloignement extrême de la matière, on doit retrouver une
multiplicité extrême de formes ; et il semble ainsi, puisque Dieu est
extrêmement éloigné de la matière, que la nature divine se multiplie à
l’extrême et qu’il y ait ainsi plusieurs dieux. |
[160] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, omnis natura quae invenitur in
pluribus secundum prius et posterius, oportet quod descendat ab uno primo, in
quo perfecte habeatur. Unitas enim principiati attestatur unitati principii,
sicut omnis calor originatur ab uno calidissimo, quod est ignis. Sed entitas
invenitur in pluribus secundum prius et posterius. Ergo oportet esse unum
primum ens perfectissimum, a quo omnia entia habent esse, et hic est Deus.
Est igitur unus Deus. |
Cependant : 1. Toute nature qu’on retrouve dans plusieurs êtres selon l’avant et
l’après doit provenir d’un seul
premier principe dans lequel elle se présente parfaitement. L’unité de
l’effet est en effet confirmée par l’unité du principe, tout comme toute
chaleur tire son origine de ce seul corps le plus chaud qui est le feu. Mais
l’être se retrouve chez plusieurs selon l’avant et l’après. Il faut donc
qu’il y ait un seul être premier absolument parfait, duquel tous les autres êtres
tirent leur être et tel est Dieu. Il n’y a donc qu’un seul Dieu. |
[161] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, si sint plures dii per
essentiam distincti, oportet quod eorum essentiae dividantur ab invicem
essentiali differentia, sicut quae differunt specie vel genere vel quae
differunt numero. Si autem differunt genere vel specie, oportet quod aliqua
differentia differant. Illa autem differentia aut pertinet ad bonitatem, aut
non. Si non, ergo Deus, in quo erat differentia, non habet puram bonitatem ;
et sic non est purum bonum. Si autem pertinet ad bonitatem, et illa non
invenitur in alio, ergo ille in quo non invenitur non erit perfectus in
bonitate. Oportet autem Deum esse summum bonum, quod sit et purum et
perfectum in bonitate. Ergo impossibile est esse plures deos. |
2. De plus, s’il y avait plusieurs dieux distincts par leur essence,
il faudrait que leur essence se distinguent l’une de l’autre par une
différence essentielle, comme les choses qui diffèrent par l’espèce ou le
genre, ou qu’elles diffèrent par le nombre. Mais s’ils diffèrent par le genre
ou l’espèce, il faut qu’ils diffèrent par une différence. Mais cette différence
ou bien concerne la bonté ou bien ne la concerne pas pas. Si elle ne la
concerne pas il s’ensuit que le Dieu, dans lequel était la différence, ne
possède pas une pure bonté et ainsi n’est pas purement bon. Mais si la
différence concerne la bonté et que cette dernière ne se retrouve pas dans
l’autre, celui dans lequel elle ne se retrouve pas ne sera pas parfait en
termes de bonté. Mais il faut que Dieu soit le bien suprême et qu’il soit la
bonté pure et parfaite. Il est donc impossible qu’il y ait plusieurs dieux. |
62] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 3 Si dicatur, quod illa differentia est
eadem secundum speciem in utroque, sed differens numero, contra : quidquid
est ejusdem speciei, non dividitur secundum numerum, nisi secundum divisionem
materiae vel alicujus potentialitatis. Ergo si [ergo et Éd. de Parme] illa
differentia est eadem secundum speciem, differens numero. Oportebit ergo quod
in Deo sit aliquid potentiale, et sic ens diminutum et dependens ad aliud,
quod est contra rationem primi entis. |
3. Mais si on dit que cette
différence est la même selon l’espèce chez les deux et qu’ils ne diffèrent
que par le nombre, il se présente une difficulté : tout ce qui est de même
espèce ne se divise par le nombre que selon une division de la matière ou
d’une potentialité. Donc si cette différence est la même selon l’espèce, il
n’y a différence que par le nombre. Il faudra donc qu’en Dieu il y ait
potentialité et il y aura donc en lui un être diminué et qui dépend d’un
autre : et cela est contraire à la notion même d’un être premier. |
[163] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, ejus in quo non differt suum
esse et sua quidditas, non potest participari quidditas sua sive essentia,
nisi et esse participetur. Sed quandocumque dividitur essentia alicujus per
participationem, participatur essentia eadem secundum rationem et non
secundum idem esse. Ergo impossibile est ejus in quo non differt essentia et
esse, essentialem participationem dividi vel multiplicari. Tale autem est
Deus : alias esset suum esse acquisitum ab aliquo. Ergo impossibile est quod
divinitas multiplicetur vel dividatur ; et ita erit unus tantum Deus. |
4.
Par ailleurs, pour l’être dans lequel l’existence ne diffère pas de la
quiddité, la quiddité ou l’essence ne peut être participée que si l’existence
elle-même peut être participée. Mais toutes les fois que l’essence d’une
chose est divisée par mode de participation, cette même essence est
participée selon la raison et non selon une même existence. Il est donc
impossible, pour celui dans lequel l’essence ne diffère pas de l’existence,
qu’il y ait division ou multiplication d’une participation essentielle. Mais
Dieu est un être de cette sorte : autrement son existence serait acquise
à partir d’un autre être. Il est donc impossible qu’il y ait une
multiplication ou une division de Dieu et il n’y a donc ainsi qu’un
seul Dieu. |
[164] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum omnis multitudo
procedat ex [ab Éd. de Parme] unitate aliqua, ut dicit Dionysius, oportet
universitatis multitudinem ad unum principium omnium [omnium Om. Éd. de
Parme] entium primum reduci, quod est Deus ; hoc enim et fides supponit et
ratio demonstrat. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que puisque tout multiplicité procède
d’une unité, ainsi que le dit Denys, il faut que la multiplicité qu’on
retrouve dans l’univers se ramène à un univque premier principe de tous les
êtres qui est Dieu ; et c’est là en effet ce que la foi affirme et ce
que la raison démontre. |
[165] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis
bonitates participatae in creaturis sint differentes ratione, tamen habent
ordinem ad invicem et una includit alteram et una fundatur super altera ;
sicut in intelligere includitur vivere, et in vivere includitur esse ; et
ideo non reducuntur in diversa principia, sed in unum. Si etiam ordinem non
haberent, non propter hoc excluderetur unitas primi principii : quia quod in
principio unitum est, in effectibus multiplicatur : semper enim in causa est
aliquid nobilius quam in causato. Unde primum principium licet sit unum et
simplex re, sunt tamen in eo plures rationes perfectionum, ut sapientia, vita
[scilicet sapientiae, vitae Éd. de Parme] et hujusmodi, secundum quas
diversae perfectiones re differentes in creaturis causantur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que bien que les biens dont les
créatures participent diffèrent par la raison, elles sont cependant ordonnées
entre elles car l’une comprend l’autre et l’une se fonde sur l’autre ;
par exemple, intelliger est une forme de vie et la vie est une forme
d’existence ; et c’est pourquoi ces biens ne se ramènent pas à des
principes différents mais à un seul. Et même si ces biens n’étaient pas
ordonnés entre eux, l’unité du premier principe ne serait pas écartée pour
cela : car ce qui est uni dans le principe se trouve à être divisé dans les effets :
en effet, quelque chose existe toujours d’une manière plus noble dans la
cause que dans l’effet. De là, bien que le premier principe soit un et simple
en tant qu’être, il y a cependant en lui plusieurs perfections de natures
différentes comme la sagesse, la vie et d’autres perfections de cette sorte
d’après lesquelles différentes perfections qui diffèrent par la chose sont
causées dans les créatures. |
[166] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc est de
perfectione divinae essentiae, quod sibi similis et aequalis alia essentia esse
non potest. Si enim ab ipsa esset, oporteret quod esse illius esset dependens
ab ipsa, et sic incideret in illam essentiam potentialitas, per quam
distingueretur ab essentia divina, quae est actus purus. Non autem oportet
quod quidquid est de nobilitate creaturae, sit de nobilitate creatoris, quae
ipsam improportionabiliter excedit ; sicut aliquid est de nobilitate canis,
ut esse furibundum, quod esset ad ignobilitatem hominis, ut dicit Dionysius
[cap ; Iv de div. Nom. § 25]. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il est de la perfection même de
l’essence divine qu’il ne puisse exister une autre essence qui lui serait
égale et semblable. Si en effet il existait une autre essence divine
différente d’elle-même, il faudrait que cette autre essence divine soit dépendante
d’elle-même et on retrouverait ainsi dans cette autre essence une
potentialité par laquelle elle se
distinguerait de l’essence divine qui est acte pur. Mais il ne faut pas que ce
qui fait partie de l’excellence de la créature se retrouve dans l’excellence
du créateur, cette dernière dépassant la première sans aucune commune mesure :
par exemple, la fureur qui fait partie de l’excellence du chien serait serait
méprisable si on la retrouvait chez l’homme ainsi que le dit Denys dans Les
Noms Divins (ch. 4). |
[167] Super Sent., lib. 1 d.
2 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod simplex principium habet rationem
unitatis ; et quia materia est potentia tantum, ideo est una numero, non per
unam formam quam habeat, sed per remotionem omnium formarum distinguentium ;
et per eamdem rationem actus purus et primus est unus, non multiplicabilis
sicut materia multiplicatur per adventum formarum, sed omnino impossibilis ad
diversitatem. |
3. En troisième lieu il faut dire qu’un principe simple a raison d’unité ;
et parce que la matière n’est que puissance, c’est pourquoi elle une par le
nombre et non par la possession d’une forme unique, mais par l’éloignement de
toutes les formes qui la distingueraient ; et pour la même raison l’acte
pur et premier est un et ne peut être multiplié, comme la matière se
multiplie par la réception des formes, mais l’altérité lui est absolument
impossible. |
|
|
Articulus 2
[168] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Deo sint plura
attributa |
Article 2 – Y a-t-il plusieurs attributs en Dieu ? |
[169] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 1
Circa secundum sic proceditur. Videtur quod in divina essentia non sit pluralitas
attributorum. Illud enim est maxime unum quod omnino a pluralitate removetur.
Albius enim est, secundum philosophum [III Top., cap. VIII], quod est nigro
impermixtius. Sed divina essentia est summe una, quae est principium totius
unitatis. Ergo in ea nulla pluralitas attributorum cadere poterit [potest Éd.
de Parme]. |
Difficultés :
1.
On procède de la manière suivante pour ce deuxième article. Il semble qu’il
n’y ait pas pluralité d’attributs dans l’essence divine. En effet, est
suprêmement un ce qui est absolument éloigné de la multiplicité. D’après le
Philosophe en effet, dans ses Topiques (3, 8), est plus blanc ce qui
est moins mélangé au noir. Mais l’essence divine est suprêmement une,
laquelle est principe de toute unité. On ne pourra donc retrouver en elle
aucune pluralité d’attributs. |
[170] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, unius simplicis [simplicitatis Éd.
de Parme] est operatio una. Sed divina essentia est una et simplex.
Ergo habet tantum unam operationem. Diversorum autem attributorum sunt operationes diversae, sicut
scientiae scire et voluntatis velle et sic de aliis. Ergo in Deo non invenitur
diversitas attributorum. |
2.
En outre, il appartient à un principe un et simple d’avoir une opération
simple. Mais l’essence divine est une et simple. Elle ne possède donc qu’une
seule opération. Mais des opérations différentes appartiennent à des attributs
différents, comme le savoir relève de la science et le vouloir de la volonté
et il en est de même pour le reste. On ne retrouve donc pas en Dieu une
pluralité d’attributs. |
[171] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut dicit Augustinus, omne
quod simpliciter melius est esse quam non esse, Deo est attribuendum. Sed
sapientia, bonitas et hujusmodi simpliciter sunt melius esse quam non esse.
Ergo sunt in Deo. |
Cependant : 1. Comme le dit Augustin, tout ce qu’il est préférable qu’il existe
plutôt que de ne pas exister doit être attribué à Dieu. Mais il est
préférable que la sagesse, la bonté et les attributs de cette sorte existent plutôt
qu’ils n’existent pas. On doit donc les retrouver en Dieu. |
[172] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne quod dicitur secundum
quid, originatur ab eo quod est simpliciter et absolute. Sed invenimus
quaedam esse perfecta non absolute, sed secundum suam naturam, quaedam plus
et quaedam minus. Ergo oportet esse aliquod perfectum absolute et
simpliciter, a quo omnia alia perficiantur. Sed, sicut dicit philosophus [in
V Metaph. , text. 21], perfectum simpliciter est in quo inveniuntur
omnes nobilitates repertae in omnibus generibus, et Commentator dicit ibidem,
quod hoc est Deus. Ergo in Deo est reperire potentiam, bonitatem, et quidquid
aliud est nobilitatis in quacumque re. |
Par ailleurs, tout ce qui se dit relativement tire son origine de ce
qui se dit simplement et absolument. Mais nous découvrons que certaines
choses sont parfaites non pas absolument mais d’après leur nature, certaines
plus et d’autres moins. Il faut donc qu’il y ait quelque chose de parfait
absolument et simplement, duquel tous les autres êtres tirent leurs
perfections. Mais tout comme le dit le Philosophe dans sa Métaphysique (V,
16), est parfait absolument ce en quoi se rencontrent toutes les excellences
qu’on découvre dans tous les genres, et le Commentateur dit au même endroit
que c’est cela même qui est Dieu. Il faut donc retrouver en Dieu la
puissance, la bonté et toute autre excellence qu’on rencontre dans toutes les choses. |
[173] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quidquid est
entitatis et bonitatis in creaturis, totum est a creatore : imperfectio autem
non est ab ipso, sed accidit ex parte creaturarum, inquantum sunt ex nihilo.
Quod autem est causa alicujus, habet illud excellentius et nobilius. Unde
oportet quod omnes nobilitates omnium creaturarum inveniantur in Deo
nobilissimo modo et sine aliqua imperfectione : et ideo quae in creaturis
sunt diversa, in Deo propter summam simplicitatem sunt unum. |
Corps de l’article :
Je
réponds qu’il faut dire que tout ce qu’on rencontre d’être et de bonté dans
les créatures vient totalement du créateur : mais aucune imperfection ne
vient de Lui mais vient des créatures selon qu’elles sont tirées du néant.
Mais ce qui est cause de quelque chose le possède en lui d’une manière plus
excellente et plus élevée. D’où il faut que toutes les perfections
appartenant à toutes les créatures se
retrouvent en Dieu d’une manière plus élevée et sans aucune
imperfection : et c’est pourquoi ce qui existe dans les créatures dans
la diversité n’existe en Dieu que dans l’unité en raison de sa suprême
simplicité. |
Sic ergo
dicendum est, quod in Deo est sapientia, bonitas, et hujusmodi, quorum
quodlibet est ipsa divina essentia, et ita omnia sunt unum re. Et quia
unumquodque eorum est in Deo secundum sui verissimam rationem, et ratio
sapientiae non est ratio bonitatis, inquantum hujusmodi, relinquitur quod
sunt diversa ratione, non tantum ex parte ipsius ratiocinantis sed ex
proprietate ipsius rei : et inde est quod ipse non est causa rerum omnino
aequivoca, cum secundum formam suam producat effectus similes, non univoce,
sed analogice ; sicut a sua sapientia derivatur omnis sapientia, et ita de
aliis attributis, secundum doctrinam Dionysii [de div. Nom. Cap. VII]. Unde
ipse est exemplaris forma rerum, non tantum quantum ad ea quae sunt in
sapientia sua, scilicet secundum rationes ideales, sed etiam quantum ad ea
quae sunt in natura sua, scilicet attributa. |
Ainsi donc il faut dire qu’en Dieu on retrouve la sagesse, la bonté
et les attributs de cette sorte dont chacun est l’essence divine et ainsi
tous sont un par la chose. Et parce que chacun de ces attributs est en Dieu selon
sa notion la plus vraie et que la notion de sagesse n’est pas la notion de
bonté en tant que telle, il s’ensuit qu’elles sont différentes par la raison
non seulement du côté de celui qui raisonne mais en raison de la propriété de
la chose elle-même : et il suit de là que Lui-même n’est pas une cause
absolument équivoque des choses puisqu’il produit d’après sa forme des effets
qui lui sont semblables non pas d’une manière univoque, mais d’une manière
analogue : par exemple, c’est de sa sagesse que provient toute sagesse,
et il en est de même pour tous ses autres attributs d’après l’enseignement de
denys [Les Noms Divins, ch. VII].
C’est pourquoi il est Lui-même la forme exemplaire des choses non seulement
quant à ce qui est dans sa sagesse, c’est-à-dire d’après des notions idéales,
mais aussi quant à ce qui est dans sa nature, c’est-à-dire les attributs. |
Quidam autem
dicunt, quod ista attributa non differunt nisi penes connotata in creaturis :
quod non potest esse : tum quia causa non habet aliquid ab effectu, sed e
converso : unde Deus non dicitur sapiens quia ab eo est sapientia, sed potius
res creata dicitur sapiens inquantum imitatur divinam sapientiam : tum quia
ab aeterno creaturis non existentibus, etiam si nunquam futurae fuissent,
fuit verum dicere, quod est sapiens, bonus et hujusmodi. Nec idem omnino
significatur per unum et per aliud, sicut idem significatur per nomina
synonima. |
Certains cependant affirment que ces attributs ne diffèrent que
lorsqu’ils sont exprimés dans les créatures : ce qui est
impossible : tant parce que ce n’est pas la cause qui tire de l’effet ce
qu’elle possède mais c’est l’inverse qui est vrai ; c’est pourquoi on ne
dit pas de Dieu qu’il est sage parce qu’il tire sa sagesse d’un tel, mais
plutôt c’est la chose créée dont on dit qu’elle est sage en tant qu’elle
imite la sagesse divine ; tant parce que de toute éternité, les
créatures n’existant pas, et même si elle n’avaient jamais existé, il était
vrai de dire qu’Il est sage, bon, et possède les attributs de cette sorte. Et
on ne signifie pas absolument la même chose par l’un et par l’autre de ces
termes comme on signifie la même chose par des noms synonymes. |
[174] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pluralitas
attributorum in nullo praejudicat summae unitati : quia ea quae in aliis sunt
ut plura, in eo sunt unum, et remanet pluralitas tantum secundum rationem,
quae non opponitur summae unitati in re, sed necessario ipsam consequitur, si
simul adsit perfectio. |
Solutions :
1.
Il faut donc dire en premier lieu que la multiplicité des attributs n’empêche
aucunement l’unité la plus parfaite : car ce qui dans les autres existe
dans la multiplicité existe en Lui dans l’unité et ne demeure multiple que
selon la raison, ce que n’empêche pas l’unité la plus parfaite selon la chose
mais en découle nécessairement, si la perfection est présente simultanément. |
[175] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operatio Dei est
sua essentia. Unde sicut essentia est una, ita operatio est una in re, sed
plurificatur per diversas rationes : sicut etiam est ex parte essentiae, quae
licet sit una, considerantur tamen in ea plures rationes attributorum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que l’opération de Dieu est son
essence. De là, tout comme l’essence est une, de même l’opération est une
quant à la chose mais elle se multiplie au moyen des notions
différentes tout comme c’est à partir de l’essence qui, bien qu’elle
soit une, que sont cependant considérées en elle les nombreuses notions des
attributs. |
|
|
Quaestio 1
Articulus 3 lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 tit. Utrum pluralitas rationum, quibus
attributa differunt, sit tantum in intellectu, vel etiam in Deo ; |
Article 3 – La pluralité des notions par lesquelles les attributs diffèrent, est-elle seulement dans l’intellect ou aussi en Dieu ? |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 1 Circa tertium sic
proceditur. Videtur quod pluralitas rationum secundum quas attributa
differunt, nullo modo sit in Deo, sed tantum in intellectu ratiocinantis.
Dicit enim Dionysius [I cap. de div. Nom. § 4, 589 D] Omnem sanctorum theologorum hymnum invenies
ad bonos thearchiae processus, manifestative, et laudative Dei nominationes
dividentem. Et est sensus, quod nomina quae in laudem divinam sancti
assumunt, secundum diversos divinitatis processus, quibus ipse Deus
manifestatur, dividuntur. Ergo ista pluralitas non est ex parte Dei, sed ex
parte diversorum effectuum, ex quibus intellectus noster Deum diversimode
cognoscit et nominat. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de ce troisième article. Il
semble que la multiplicité des notions d’après lesquelles les attributs
diffèrent n’existe nullement en Dieu, mais seulement dans l’intelligence de
celui qui raisonne. Denys dit en effet [Les Noms Divins, 1, & 4,
13, 589] : Tu trouveras toute la louange des saints théologiens qui
distingue clairement et avec évidence les noms divins par rapport aux bons
processus de la théarchie. Et le sens en est que les noms que ces saints
prennent dans la louange divine se divisent d’après les différents manière
dont les créatures procèdent de la divinité et par lesquelles Dieu se
manifeste. Cette multiplicité ne se tient donc pas du côté de Dieu mais du
côté des différents effets à partir desquels notre intelligence connaît et
nomme Dieu de différentes manières. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 arg. 2. Praeterea, Dionysius[in Epist. Ad Gajun] dicit : si aliquis
videns Deum, intellexerit quod vidit, non ipsum vidit sed aliquid eorum quae
sunt ejus. Si ergo praedicta nomina differunt secundum diversas rationes quas
de eis intelleximus, istis rationibus nihil respondet quod in Deo sit, sed in
his quae Dei sunt, scilicet creaturis. |
2. Par ailleurs Denys dit dans sa Lettre à Gaïus : Si
quelqu’un, voyant Dieu, comprend ce qu’il a vu, il comprendra que ce n’est
pas Lui qu’il a vu, mais une des choses qui viennent de Lui. Si donc les noms
qui précèdent diffèrent d’après différentes notions que nous avons comprises
à leur sujet, rien de ce qui est en dieu ne correspond à ces notions, mais
c’est plutôt les choses qui viennent de Dieu, à savoir les créatures, qui y
correspondent. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Commentator dicit [XI Metaph., text. 31) loquens
de hujusmodi nominibus, quod multiplicitas, quam ista nomina praetendunt, est
in Deo secundum intellectum, et nullo modo secundum rem. Ergo
videtur quod pluralitas harum rationum sit secundum intellectum nostrum
tantum. |
3. Par ailleurs, le Commentateur dit [Métaphysique XI, 31], en
parlant de ces noms que la multiplicité que ces noms mettent de l’avant est
en Dieu seulement selon l’intelligence et nullement selon la chose. Il semble
donc que la multiplicité de ces notions n’existe que selon notre
intelligence. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quidquid est in Deo, Deus est. Si ergo istae
rationes secundum quas attributa differunt, sunt in Deo, ipsae sunt Deus. Sed
Deus est unus et simplex. Ergo istae rationes, secundum quod in Deo sunt, non
sunt plures. |
4. Par ailleurs, tout ce qui est en Dieu est Dieu. Si donc ces
notions, d’après lesquelles les attributs diffèrent, sont en Dieu, ces
notions elles-mêmes sont Dieu. Mais Dieu est un et simple. Donc ces notions,
en tant qu’elles sont en Dieu, ne sont pas multiples. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, illud quod in se est unum omnibus modis, non est
radix alicujus multitudinis in eo existentis. Sed essentia divina est una
omnibus modis, quia est summe una. Ergo non potest esse radix alicujus
multitudinis in ea existentis. Pluralitas ergo dictarum rationum non
radicatur in essentia divina sed in intellectu tantum. |
5. En outre, ce qui en soi est un absolument n’est pas la racine
d’une multiplicité existant en lui. Mais l’essence divine est une absolument
puisqu’elle est parfaitement une. Elle ne peut donc être la racine d’une
multiplicité existant en elle. Donc, la multiplicité de ces notions ne
s’enracine pas dans l’essence divine mais dans l’intelligence seulement. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, Damascenus dicit, quod in Deo omnia sunt unum
praeter ingenerationem et generationem et processionem. Si ergo sapientia et
bonitas et hujusmodi attributa sunt in Deo, secundum quod in ipso sunt, non
habent aliquam pluralitatem. Ergo pluralitas rationum quam nomina
significant, non est in Deo, sed in intellectu nostro tantum. |
6. De plus, Damascène dit qu’en Dieu toutes les choses sont une au-delà
de toute création, de toute génération et de toute procession. Si donc la
sagesse, la bonté et tous les attributs de cette sorte sont en Dieu, ils ne
posséderont aucune multiplicité en tant qu’ils existeront en Lui. Donc la
multiplicité des notions que ces noms signifient n’existe pas en Dieu
lui-même, mais seulement dans notre intelligence |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Dionysius [ult. cap. de div. Nom. § 1] dicit
quod Deus dicitur perfectus sicut omnia in seipso comprehendens ; et hoc est
etiam quod philosophus et Commentator dicit, quod Deus dicitur perfectus,
quia omnes perfectiones quae sunt in omnibus generibus rerum in ipso sunt.
Haec autem perfectio, qua Deus perfectus est, est secundum rem, et non
secundum intellectum tantum. Ergo ista attributa quae perfectionem
demonstrant, non sunt tantum in intellectu, sed in re, quae Deus est. |
Cependant : 1. Denys dit dans le dernier chapitre des Noms Divins [13,
& 1] qu’on dit de Dieu qu’il est parfait en tant qu’il comprend en Lui
toute chose ; et c’est là ce que disent aussi le Philosophe et le
Commentateur, à savoir qu’on dit de Dieu qu’il est parfait parce qu’existent
en Lui toutes les perfections qui existent dans tous les genres d’êtres. Mais
cette perfection par laquelle Dieu est parfait existe selon la chose,
réellement, et non pas seulement selon l’intelligence. Donc ces attributs qui
manifestent la perfection n’existent pas seulement dans l’intelligence mais
dans cette réalité qui est Dieu. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Dionysius[IX
cap. De div. Nom. § 6]
dicit, quod creaturae dicuntur Deo similes, inquantum imitantur Deum, qui
perfecte imitabilis non est a creatura. Ista autem imitatio est secundum
participationem attributorum. Ergo creaturae sunt Deo similes, secundum
sapientiam, bonitatem et hujusmodi. Sed hoc non posset esse, nisi praedicta
essent in Deo secundum proprias rationes. Ergo ratio sapientiae et bonitatis
proprie in Deo est ; et ita hujusmodi rationes non sunt tantum ex parte
intellectus. |
2. De plus, Denys dit au chapitre 1X des Noms Divins [&6,
col. 914, t. 1] qu’on dit des créatures qu’elles sont semblables à Dieu selon
qu’elles imitent Dieu qui ne peut être imité parfaitement par la créature.
Mais cette imitation se produit d’après une participation des attributs.
Donc, les créatures sont semblables à Dieu d’après la sagesse, la bonté et
les attributs de cette sorte. Mais cela ne peut avoir lieu que si les
attributs qui précèdent existent en Dieu selon la nature qui leur est propre.
Donc, la nature de la sagesse et de la bonté existent proprement en Dieu et
ainsi de telles natures n’existent pas seulement du côté de l’intelligence. |
[185] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, sapientia non dicitur aequivoce
de Deo et creatura ; alias sapientia creata non duceret in cognitionem
sapientiae increatae ; et similiter est de potentia et bonitate et de aliis
hujusmodi. Sed ea quae praedicantur de pluribus secundum rationes
omnino diversas, aequivoce praedicantur. Ergo aliquo modo ratio sapientiae,
secundum quod de Deo dicitur et de creaturis, est una, non quidem per
univocationem, sed per analogiam : et similiter est de aliis. Sed ratio sapientiae, secundum quod de
creaturis dicitur non est eadem ratio cum ratione bonitatis et potentiae. Ergo
etiam secundum quod ista de Deo dicuntur, non sunt eaedem rationes sed
diversae. |
3. En outre, la sagesse ne s’attribue pas à Dieu et à la créature de
manière équivoque : autrement, la sagesse créée ne conduirait pas à la connaissance
de la sagesse incréée ; et il en est de même pour la puissance, la bonté
et tous les autres attributs de cette sorte. Mais ce qui s’attribue à une
multiplicité d’après des significations totalement différentes s’attribuent
de manière équivoque. Donc, d’une certaine manière, la notion de sagesse,
selon qu’elle se dit de Dieu et des créatures, est une : non pas certes
d’une manière univoque, mais par analogie : et il en est de même pour
les autres notions. Mais la notion de sagesse, selon qu’elle se dit des
créatures, n’est pas une notion identique à la notion de bonté ou à celle de
puissance. Donc, même lorsque ces attributs se disent de Dieu, leurs notions
ne sont pas identiques mais différentes. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 s. c. 4 Praeterea, sicut Deus vere est Pater, ita etiam vere est
sapiens. Sed ex hoc quod vere Deus est Pater, non potest dici quod ratio
paternitatis sit in intellectu tantum. Ergo nec ex hoc quod Deus vere est
sapiens, potest dici quod ratio sapientiae sit in intellectu tantum. Sed
ratio paternitatis, quae realiter in Deo est, non est eadem cum ratione
divinitatis. Unde nec paternitate est Deus, nec divinitate est Pater : et
tamen ista pluralitas rationum non tollit simplicitatem divinam, propter hoc
quod essentia et paternitas idem sunt in re. Ergo similiter si ponamus
sapientiam et essentiam esse idem re omnino, et rationes eorum diversas, non
tolletur simplicitas divinae essentiae. Sed divinae essentiae simplicitas est
tota causa quare ista attributa in Deo non differunt. Ergo non est
inconveniens ponere, quod sapientiae et bonitatis ratio in Deo est, et tamen
una non est altera, si res omnino una ponatur. |
4. Par ailleurs, tout comme Dieu est véritablement Père, de même
encore il est véritablement sage. Mais du fait que Dieu est véritablement
Père, on ne peut dire que la notion de paternité est seulement dans
l’intelligence. Donc du fait que Dieu est véritablement sage, on ne peut dire
que la notion de sagesse n’existe que dans l’intelligence. Mais la notion de
paternité, qui existe réellement en Dieu, n’est pas identique à la notion de
divinité. De là, ce n’est pas par la paternité qu’il est Dieu et ce n’est pas
par la divinité qu’il est Père. Et cependant cette pluralité de notion
n’empêche pas la simplicité divine pour cette raison que l’essence et la
paternité sont identiques par la chose. Donc de même, si nous posions que la
sagesse et l’essence sont absolument identiques par la chose et que leurs
notions sont différentes, la simplicité de l’essence divine ne serait pas
supprimée pour autant. Mais la simplicité de l’essence divine est la seule
cause pour laquelle ces attributs ne diffèrent pas en Dieu. Il n’y a donc pas
de difficulté à poser que la notion de sagesse et de la bonté sont en Dieu et
cependant que l’une n’est pas l’autre, si on pose que la chose est absolument
une. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 s. c. 5 Si dicatur quod non est simile de relationibus personalibus
et de attributis essentialibus, quia in Deo non sunt nisi duo praedicamenta,
scilicet substantia et relatio, unde ratio relationis est alia a ratione
substantiae, non tamen ratio sapientiae et aliorum absolutorum est alia a
substantia : Contra. Relatio in divinis habet duplicem
comparationem : unam ad suum correlativum, secundum quam ad aliquid dicitur ;
aliam ad essentiam, secundum quam est idem re cum ea. Sed secundum id quod
aliquid est idem alteri, non facit numerum cum eo. Ergo quod
relationes ad aliud praedicamentum pertineant quam ad praedicamentum
substantiae, est per comparationem ad suum relativum. Ergo adhuc manet eadem comparatio
sapientiae et paternitatis ad essentiam. |
5.
Si on dit qu’il n’en est pas de même pour les relations personnelles et pour
les attributs essentiels parce qu’en Dieu il n’y a que deux prédicaments, à
savoir la substance et la relation et que de ce fait la notion de la relation
diffère de celle de la substance et que cependant la notion de la sagesse et
des autres attributs essentiels ou absolus ne diffère pas de la substance, il
faut répondre à cela que la relation dans les personnes divines se présente
sous deux rapports : le premier se présente à l’égard de son corrélatif,
selon lequel on l’appelle relatif ; l’autre se présente à l’égard de
l’essence, selon lequel il lui est identique par la chose. Mais en tant
qu’une chose est identique à une autre, elle ne fait pas nombre avec elle.
Donc, que les relations appartiennent à un autre prédicament qu’à celui de la
substance, cela est dû au rapport à leurs corrélatifs. Donc, le rapport de la
sagesse et de la paternité à l’essence demeure encore le même. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, art.
praeced., in corp., sapientia et bonitas et omnia hujusmodi sunt omnino unum
re in Deo, sed differunt ratione : et haec ratio non est tantum ex parte
ipsius ratiocinantis, sed ex proprietate ipsius rei. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que, ainsi que nous l’avons dit plus haut
dans le corps de l’article précédent, la sagesse et la bonté, ainsi que tous
les attributs de cette sorte sont absolument un par la chose en Dieu, mais
ils diffèrent par la notion : et cette notion ne se tient pas seulement
du côté de celui-là même qui raisonne, mais du côté de la propriété de la
chose elle-même. |
Ad cujus rei
evidentiam, ut diligenter explicetur, quia ex hoc pendet totus intellectus
eorum quae in 1 libro dicuntur, quatuor oportet videre. Primo quid
sit ratio secundum quam dicimus attributa ratione differre. Secundo
quomodo dicatur aliqua ratio in aliqua re esse vel non esse. Tertio utrum
istae rationes diversae attributorum sint in Deo vel non. Quarto utrum
pluralitas istarum rationum sit tantum ex parte intellectus nostri vel aliquo
modo ex parte rei. |
Pour expliquer cela avec plus de soin pour en avoir davantage
l’évidence, car c’est de cela que dépend toute la compréhension des choses
dont on traite dans ce premier livre, il faut saisir quatre points. En premier lieu il faut voir quelle est la raison pour laquelle nous
disons que les attributs diffèrent par la raison. En deuxième lieu comment on dit qu’une notion existe ou n’existe pas
dans une chose. En troisième lieu il faut voir si ces notions différentes des
attributs existent ou non en Dieu. En quatrième lieu il faut voir si la multiplicité de ces notions
existe seulement du côté de notre intelligence ou d’une certaine manière
aussi du côté de la chose. |
Quantum ad
primum pertinet, sciendum est, quod ratio, prout hic sumitur, nihil aliud est
quam id quod apprehendit intellectus de significatione alicujus nominis : et
hoc in his quae habent definitionem, est ipsa rei definitio, secundum quod
philosophus dicit [IV Metaph., text ; 11] : Ratio quam significat nomen est
definitio. Sed quaedam dicuntur habere rationem sic dictam, quae non
definiuntur, sicut quantitas et qualitas et hujusmodi, quae non definiuntur,
quia sunt genera generalissima. Et tamen ratio qualitatis est id quod
significatur nomine qualitatis ; et hoc est illud ex quo qualitas habet quod
sit qualitas. Unde non refert, utrum illa quae dicuntur habere
rationem, habeant vel non habeant definitionem. Et sic patet quod ratio sapientiae
quae de Deo dicitur, est id quod concipitur de significatione hujus nominis,
quamvis ipsa sapientia divina definiri non possit. Nec tamen hoc nomen ratio
significat ipsam conceptionem, quia hoc significatur per nomen sapientiae vel
per aliud nomen rei ; sed significat intentionem hujus conceptionis, sicut et
hoc nomen definitio, et alia nomina secundae impositionis. |
Quant
à ce qui appartient au premier point, il faut savoir que le terme ¨notion¨,
tel qu’il est pris ici, n’est rien d’autre que ce qu’appréhende
l’intelligence au sujet de la signification d’un nom : et cela, pour les
choses qui ont une définition, est la définition de la chose elle-même, selon
ce qu’en dit le Philosophe dans sa Métaphysique [Livre IV, text. 11] : la
notion signifiée par le nom est la définition. Mais il y a des réalités
dont on dit qu’elles ont une telle notion mais qui ne sont pas définies,
comme la quantité et la qualité, car ils sont les genres les plus universels.
Et pourtant la notion de la qualité est ce qui est signifié par le nom de
qualité et c’est là ce par quoi la qualité est une qualité. De là, il
n’importe pas que ce qu’on dit avoir une notion ait ou non une définition. Et
ainsi il est clair que la notion de sagesse qui est attribuée à Dieu est ce
qu’on conçoit au sujet de la signification de ce nom, bien que la sagesse
divine elle-même ne puisse être définie. Et cependant ce nom de notion ne
signifie pas la conception elle-même, car cela est signifié par le nom de
sagesse ou par une autre nom de la chose ; mais il signifie plutôt
l’intention de cette conception, comme ce nom de définition et les autres
noms de la seconde imposition. |
Et ex hoc
patet secundum, scilicet qualiter ratio dicatur esse in re. Non enim hoc
dicitur, quasi ipsa intentio quam significat nomen rationis, sit in re ; aut
etiam ipsa conceptio, cui convenit talis intentio, sit in re extra animam,
cum sit in anima sicut in subjecto : sed dicitur esse in re, inquantum in re
extra animam est aliquid quod respondet conceptioni animae, sicut
significatum signo. |
Et c’est à partir de là que le deuxième point devient clair, à savoir de quelle manière on
dit qu’une notion existe dans la chose. En effet, on ne dit pas cela comme si
l’intention elle-même que signifie le nom de notion existait dans la chose ou
comme si encore la conception elle-même à laquelle appartient telle intention
existait dans la chose en dehors de l’âme, puisque cette conception existe
dans l’âme comme dans son sujet ; mais on dit qu’elle existe dans la
chose dans la mesure où dans la chose, en dehors de l’âme, il y a quelque
chose qui correspond à la conception de l’âme, tout comme le signifié
correspond au signe. |
Unde
sciendum, quod ipsa conceptio intellectus tripliciter se habet ad rem quae est
extra animam. |
De là, il faut savoir que la conception même de l’intelligence se
rapporte de trois façons à la chose qui est en dehors de l’âme. |
Aliquando
enim hoc quod intellectus concipit, est similitudo rei existentis extra
animam, sicut hoc quod concipitur de hoc nomine homo ; et talis conceptio
intellectus habet fundamentum in re immediate, inquantum res ipsa, ex sua
conformitate ad intellectum, facit quod intellectus sit verus, et quod nomen
significans illum intellectum, proprie de re dicatur. |
Parfois en effet cela même que l’intelligence conçoit est une
similitude de la chose qui existe en dehors de l’âme, comme ce que
l’intelligence conçoit au sujet de ce nom homme ; et une telle
conception de l’intelligence a un fondement dans la chose d’une manière
immédiate, dans la mesure où la chose elle-même, du fait de sa conformité à
l’intelligence, fait que l’intelligence est dans le vrai et que le nom
signifiant cette conception se dit proprement de la chose. |
Aliquando
autem hoc quod significat nomen non est similitudo rei existentis extra
animam, sed est aliquid quod consequitur ex modo intelligendi rem quae est
extra animam : et hujusmodi sunt intentiones quas intellectus noster
adinvenit ; sicut significatum hujus nominis genus non est similitudo alicujus
rei extra animam existentis ; sed ex hoc quod intellectus intelligit animal
ut in pluribus speciebus, attribuit ei intentionem generis ; et hujusmodi
intentionis licet proximum fundamentum non sit in re sed in intellectu, tamen
remotum fundamentum est res ipsa. Unde intellectus non est falsus, qui has
intentiones adinvenit. Et simile est de omnibus aliis qui consequuntur ex
modo intelligendi, sicut est abstractio mathematicorum et hujusmodi. |
Parfois cependant ce que signifie le nom n’est pas une similitude de
la chose qui existe en dehors de l’âme mais est quelque chose qui découle de
la manière de saisir la chose qui est en dehors de l’âme : et les
intentions que notre intelligence découvre sont quelque chose de cette
sorte ; par exemple la signification du nom genre n’est pas une
similitude d’une chose qui existe en dehors de l’âme ; mais du fait que
l’intelligence saisit la notion d’animal comme existant dans plusieurs
espèces, il lui attribue l’intention de genre ; et bien que le fondement
prochain d’une telle intention n’est pas dans la chose mais dans
l’intelligence, cependant le fondement éloigné est la chose elle-même. De là,
l’intelligence qui découvre ces intentions n’est pas dans le faux. Et il en
est de même pour toutes les autres notions qui découlent de la manière de
comprendre, comme on peut le voir dans les abstractions mathématiques et les
représentations de cette sorte. |
Aliquando
vero id quod significatur per nomen, non habet fundamentum in re, neque
proximum neque remotum, sicut conceptio Chimerae : quia neque est similitudo
alicujus rei extra animam, neque consequitur ex modo intelligendi rem aliquam
naturae : et ideo ista conceptio est falsa. Unde patet secundum, scilicet
quod ratio dicitur esse in re, inquantum significatum nominis, cui accidit
esse rationem, est in re : et hoc contingit proprie, quando conceptio
intellectus est similitudo rei. |
Mais
parfois ce qui est signifié par le nom n’a dans la chose ni un fondement
prochain, ni un fondement éloigné, comme la conception ¨chimère¨ : car
cette conception n’est pas une similitude d’une chose qui existe en dehors de
l’âme et elle ne découle pas de la manière de comprendre une chose ayant une
nature ; et c’est pourquoi cette conception est fausse. C’est pourquoi
le deuxième point est clair, à savoir qu’on dit qu’une notion existe dans une
chose dans la mesure où la signification du nom, à laquelle correspond la
notion, existe dans la chose ; et cela se produit à proprement parler
quand la conception de l’intelligence est une similitude de la chose. |
Quantum ad
tertium, scilicet utrum rationes attributorum in Deo sint, sciendum est, quod
circa hoc videtur esse duplex opinio. Quidam enim dicunt, ut Avicenna [lib.
de intelligen.] et Rabbi Moyses [lib. I, cap. LVII et LVIII] quod res illa quae
Deus est, est quoddam esse subsistens, nec aliquid aliud nisi esse, in Deo
est : unde dicunt, quod est esse sine essentia. Omnia autem alia
quae Deo attribuuntur, verificantur de Deo dupliciter, secundum eos : vel per
modum negationis, vel per modum causalitatis. |
Quant au troisième point, à savoir si les notions des attributs
existent en Dieu, il faut savoir qu’à ce sujet on retrouve deux opinions.
Certains en effet, comme Avicenne [Livre sur l’intelligence] et le Rabin
Moïse [Livre 1, ch. LVIII], disent que cette réalité qui est Dieu est un être
subsistant et qu’en Dieu il n’y a rien d’autre que l’être : et à partir
de là ils disent qu’il est un être sans essence. Mais toutes les autres
choses qui sont attribuées à Dieu se vérifient de Lui de deux manières selon
eux : soit par mode de négation soit par mode de causalité. |
Per modum
negationis dupliciter : vel ad removendum privationem seu defectum oppositum,
ut dicimus Deum sapientem, ut removeatur defectus qui est in carentibus
sapientia ; vel secundum quod aliquid ex negatione consequitur, sicut est de
hoc nomine unus, qui ex hoc ipso quod non est divisus, est unus. |
Par
mode de négation de deux manières : soit pour écarter une privation ou
un défaut opposé, comme lorsque nous disons que Dieu est sage pour écarter le
défaut qu’on retrouve chez ceux qui manquent de sagesse ; soit d’après
quelque chose qui découle d’une négation, comme on le voit par exemple pour
le nom ¨un¨, qui signifie qu’un être est un par cela même qu’il n’est pas
divisé. |
Similiter ex
hoc ipso quod est immaterialis, est intelligens. Unde, secundum
eos, omnia ista nomina potius sunt inventa ad removendum, quam ad ponendum
aliquid in Deo. Item per modum causalitatis dupliciter : vel inquantum
producit ista in creaturis, ut dicatur Deus bonus, quia bonitatem creaturis
influit et sic de aliis ; vel inquantum ad modum creaturae se habet, ut
dicatur Deus volens vel pius, inquantum se habet ad modum volentis vel pii in
modo producendi effectum, sicut dicitur iratus, quia ad modum irati se habet.
Et secundum hanc opinionem sequitur quod omnia nomina quae dicuntur de Deo et
creaturis, dicantur aequivoce, et quod nulla similitudo sit creaturae ad
creatorem ex hoc quod creatura est bona vel sapiens vel hujusmodi aliquid ;
et hoc expresse dicit Rabbi Moyses. |
De la même manière, par cela
même qu’il est immatériel, il est intelligent. De là, d’après eux, tous ces
noms ont plutôt été découverts pour écarter que pour poser quelque chose en
Dieu. En outre par mode de
causalité de deux manières: soit selon qu’il produit ces attributs dans les
créatures, comme lorsqu’on dit que Dieu est bon parce qu’il répand la bonté dans
les créatures et qu’il en est de même pour les autres attributs; soit dans la
mesure où il se presente à la manière de la créature, comme lorsqu’on dit que
Dieu veut ou qu’il est juste, selon qu’Il se presente à la manière de celui
qui veut et qui est juste dans sa façon de produire son effet, tout comme on
dit qu’il est en colère parce qu’il se presente à la manière de celui qui est
fâché. Et d’après cette opinion il s’ensuit que tous les noms qu’on attribue
à la fois à Dieu et aux créatures s’attribuent de manière équivoque et qu’il
n’y a aucune similitude de la créature au créateur en partant du fait que la
créature est bonne, sage ou possède un attribut de cette sorte; et le Rabin
Moïse s’exprime clairement à ce sujet. |
Secundum hoc, illud quod concipitur de nominibus
attributorum, non refertur ad Deum, ut sit similitudo alicujus quod in eo
est. Unde sequitur quod rationes istorum nominum non sunt in Deo, quasi
fundamentum proximum habeant in ipso, sed remotum ; sicut nos dicimus de
relationibus quae ex tempore de Deo dicuntur ; hujusmodi enim relationes in
Deo secundum rem non sunt, sed sequuntur modum intelligendi, sicut dictum est
de intentionibus. Et sic, secundum hanc opinionem, rationes horum
attributorum sunt tantum in intellectu, et non in re, quae Deus est ; et
intellectus eas adinvenit ex consideratione creaturarum vel per negationem
vel per causalitatem, ut dictum est. |
D’après cela, ce qui est
conçu au sujet des noms des attributs n’est pas rapporté à Dieu comme s’il
s’agissait d’une similitude de quelque chose qui existerait en Lui. Il suit
de là que les notions de ces noms n’existent pas en Dieu comme si elles
avaient en lui un fondement prochain, mais un fondement éloigné, tout comme
nous le disons pour les relations que nous attribuons à Dieu à partir du
temps; de telles relations en effet n’existent pas en Dieu selon la chose,
mais elles découlent de la manière de comprendre comme nous l’avons dit au
sujet des intentions. Et ainsi, d’après cette opinion, les notions de ces
attributs n’existent que dans l’intelligence et non pas dans la réalité dont
on parle et qui est Dieu; et l’intelligence les découvre à partir de la
considération des créatures soit par la négation, soit par la causalité ainsi
que nous l’avons dit. |
Alii vero
dicunt, ut Dionysius [cap. XIII de div. Nom. § 1] et Anselmus [Monol., cap. III],
quod in Deo praeeminenter existit quidquid perfectionis in creaturis est. Et haec eminentia attenditur quantum
ad tria : scilicet quantum ad universalitatem, quia in Deo sunt omnes
perfectiones adunatae, quae non congregantur in aliqua [aliqua una Éd. de
Parme] creatura. Item quantum
ad plenitudinem, quia est ibi sapientia sine omni defectu, et similiter de
aliis attributis : quod non est in creaturis. Iterum [Item Éd. de Parme] quantum ad unitatem ;
quae enim in creaturis diversa sunt, in Deo sunt unum. Et quia in illo uno
habet omnia, ideo secundum illud unum causat omnia, cognoscit omnia et omnia
sibi per analogiam similantur. |
Mais d’autres, comme
Denys [Les Noms Divins, ch. XIII, &1] et Anselme [Monol. Ch. 111],
dissent que chacune des perfections qui existent dans les creatures existe en
Dieu d’une manière incomparablement plus élevée. Et cette élévation doit
s’entendre de trois manières: c’est-à-dire premièrement quant à
l’universalité, car en Dieu on retrouve toutes les perfections réunies,
lesquelles ne sont réunies dans aucune creature. En outre cela doit
s’entendre quant à la plenitude car là la sagesse est présente sans aucun
défaut et il en est de même pour les
autres attributs: ce qui n’a pas lieu chez les creatures. De plus, cette élévation
doit s’entendre enfin quant à l’unité; en effet ce qui est séparé dans les
créatures est un en Dieu. Et parce que c’est dans cet unité qu’il possède
tous les êtres, c’est pourquoi c’est d’après cet un qu’il cause tous les
êtres, qu’il les connaît tous et qu’il les rend tous semblables à lui par
analogie. |
Secundum
ergo hanc opinionem, conceptiones quas intellectus noster ex nominibus
attributorum concipit, sunt vere similitudines rei, quae Deus est, quamvis
deficientes et non plenae, sicut est de aliis rebus quae Deo similantur. Unde
hujusmodi rationes non sunt tantum in intellectu, quia habent proximum
fundamentum in re quae Deus est. Et ex hoc contingit quod quidquid sequitur
ad sapientiam, inquantum hujusmodi, recte et proprie convenit Deo. Hae autem
opiniones, quamvis in superficie diversae videantur, tamen non sunt contrariae,
si quis dictorum rationes ex causis assumit dicendi. Quia primi
consideraverunt ipsas res creatas, quibus imponuntur nomina attributorum,
sicut quod hoc nomen sapientia imponitur cuidam qualitati, et hoc nomen
essentia cuidam rei quae non subsistit : et haec longe a Deo sunt : et ideo
dixerunt, quod Deus est esse sine essentia, et quod non est in eo sapientia
secundum se. |
Donc d’après cette opinion, les conceptions que notre intelligence
conçoit à partir des noms des attributs sont véritablement des similitudes de
la réalité qui est Dieu, bien qu’elles soient déficientes et non complètes,
comme les autres choses qui sont semblables à Dieu. De là, de telles notions
n’existent pas seulement dans l’intelligence parce qu’elles possèdent un
fondement prochain dans cette réalité qui est Dieu. Et de là il résulte que
tout ce qui découle de la sagesse en tant que telle appartient de bon droit
et proprement à Dieu. Mais ces opinions, bien qu’elles apparaissent
différentes en apparence, ne sont cependant pas contraires si c’est à partir des causes qu’on choisit
de parler des raisons de ce qui est dit. Car les premiers ont considéré les
choses créées elles-mêmes auxquelles sont imposés les noms des attributs,
tout comme le nom sagesse est imposé à une qualité et le nom essence à une
chose qui ne subsiste pas : et ces choses sont fort éloignées de
Dieu : et c’est pourquoi ils ont dit que Dieu est un être sans essence
et que la sagesse en tant que telle n’existe pas en Lui. |
Alii vero
consideraverunt modos perfectionis, ex quibus dicta nomina sumuntur : et,
quia Deus secundum unum simplex esse omnibus modis perfectus est, qui
importantur per hujusmodi nomina, ideo dixerunt, quod ista nomina positive
Deo conveniunt. Sic ergo patet quod quaelibet harum opinionum non negat hoc
quod alia dicit : quia nec primi dicerent [dicunt Éd. de Parme] aliquem modum
perfectionis Deo deesse, nec secundi qualitatem, aut res non subsistentes in
Deo ponerent [ponunt. Éd. de Parme]. |
Mais les autres ont considéré les modes de perfection à partir
desquels ces noms se tirent ; et, parce que Dieu, d’après un êre un et
simple, est parfait de toutes les manières qui sont introduites par de tels
noms, c’est pourquoi ils ont dit que ces noms conviennent à Dieu
positivement. Ainsi donc, il est clair que chacune de ces opinions ne nie pas
ce que l’autre dit : car les premiers ne diraient pas qu’un mode de
perfection manque à Dieu et les seconds ne poseraient pas en Dieu une qualité
ou des choses qui ne subsistent pas. |
Sic ergo
patet tertium, scilicet quod rationes attributorum sunt vere in Deo, quia
ratio nominis magis se tenet ex parte ejus a quo imponitur nomen, quam ex
parte eius cui imponitur. |
Ainsi donc le troisième point est clair, à savoir que les notions des
attributs existent véritablement en Dieu car la notion du nom se tient
davantage du côté de celui par lequel le nom est imposé que du côté de ce à
quoi il est imposé. |
Quantum vero
ad quartum, scilicet utrum [Et sic patet quartum, quod Éd. de Parme]
pluralitas istorum nominum sit tantum est ex parte intellectus nostri
formantis diversas conceptiones de Deo, quae dicuntur diversae rationes, ut
ex dictis, art. anteced., patet, sed ex parte ipsius Dei, inquantum scilicet
est aliquid in Deo correspondens omnibus istis conceptionibus, scilicet plena
et omnimoda ipsius perfectio, secundum quam contingit quod quodlibet nominum
significantium istas conceptiones, de Deo vere et proprie dicitur ; non autem
ita quod aliqua diversitas vel multiplicitas ponatur in re, quae Deus est,
ratione istorum attributorum. |
Quant
au quatrième point, à savoir si la pluralité de ces noms se tient seulement
du côté de notre intelligence qui forme les différentes conceptions de Dieu
et qu’on appelle les différentes notions ainsi que nous le voyons à partir de
ce qui est dit dans l’article précédent, mais du côté de Dieu lui-même,
c’est-à-dire dans la mesure où il y a quelque chose en Dieu qui correspond à
toutes ces conceptions, c’est-à-dire la perfection pleine et complète de
Celui-ci, d’après laquelle il résulte que n’importe quel des noms
signifiantces conceptions s’attribue véritablement et proprement à
Dieu ; non pas cependant de telle manière qu’une diversité ou une
multiplicité soit posée en la réalité qui est Dieu par la notion de ces
attributs. |
lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 1 His visis facile est
respondere ad objecta. Ad
primum ergo dicendum, quod intentio Dionysii est dicere, quod secundum
diversas bonitates quas creaturis influit Deus nominatur, manifestatur et
laudatur ; non autem ita quod rationes illarum bonitatum ex hoc verificentur
de eo quia creaturis eas influit, sed magis e converso, ut dictum est, in
corp. Quamvis enim conditio causae cognoscatur ex conditionibus effectus, non
tamen conditio causae verificatur propter conditiones effectus, sed e
converso. |
Solutions : 1. Ceci étant vu, il est facile de répondre aux difficultés. Il faut
dire à l’égard de la première difficulté que l’intention de Denys est de dire
que Dieu est nommé, manifesté et loué d’après les différentes bontés qu’Il
répand dans les créatures ; non pas cependant de telle manière que les
notions correspondant à ces bontés se vérifient de lui du fait qu’il les
répand dans les créatures, mais plutôt il les répand dans les créaturs du
fait de sa bonté, ainsi que nous l’avons dit dans les corps de l’article.
Bien en effet que la condition de la cause est connue à partir ds conditions
de l’effet, ce n’est cependant pas la condition de la cause qui se vérifie à
cause des conditions de l’effet, mais c’est plutôt l’inverse qui est vrai. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intellectus noster id quod concipit
de bonitate vel de sapientia non refert in Deum quasi in eo sit per modum quo
ipse concipit, quia hoc esset comprehendere ejus sapientiam vel bonitatem ;
sed intelligit ipsam bonitatem divinam, cui aliqualiter simile est quod
intellectus noster concipit, esse supra id quod de eo concipitur. Unde per
hujusmodi conceptiones non videtur ipse Deus secundum quod in se est, sed
intelligitur supra intellectum. Et hoc vult dicere Dionysius in illa
auctoritate. |
Quant
à la deuxième difficulté, il faut dire que ce que conçoit notre intelligence
au sujet de la bonté ou de la sagesse ne se rapporte pas à Dieu comme si ces
conceptions existaient en elle à la manière dont Lui-même conçoit, car cela
reviendrait à comprendre sa sagesse et sa bonté ; mais elle saisit que
la bonté divine elle-même, à laquelle ce que notre intelligence conçoit est
semblable d’une certaine manière, est au-delà de ce qui est conçu à son
sujet. De là, au moyen des conceptions de cette sorte, Dieu lui-même n’est
pas vu tel qu’il est en lui-même mais il est saisi comme étant au-dessus de
l’intelligence. Et c’est là ce que veut dire Denys par ce témoignage. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod multiplicitas ista attributorum
nullo modo ponitur in Deo quasi ipse secundum rem sit multiplex ; sed tamen
ipse secundum suam simplicem perfectionem, multitudini istorum attributorum
correspondet, ut vere de Deo dicantur. Et hoc intendit Commentator. |
3. Il faut dire en troisième lieu que cette multiplicité des
attributs n’est en aucune manière posée en Dieu comme si Lui-même était
multiple en réalité ; mais Lui-même cependant selon sa perfection qui
est simple correspond à la multiplicité de ces attributs de sorte que ces attributs
se disent véritablement de Dieu. Et c’est là ce que le Commentateur cherche à
montrer. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ratio hominis non dicitur esse
in homine quasi res quaedam in ipso, sed est sicut in subjecto in intellectu,
et est in homine sicut in eo quod praestat fulcimentum veritati ipsius ; ita
etiam ratio bonitatis divinae est in intellectu sicut in subjecto, in Deo
autem sicut in eo quod correspondet per quamdam similitudinem isti rationi,
faciens ejus veritatem. Unde patet quod ratio procedit ex malo intellectu
ejus quod dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que tout comme on ne dit pas que la
notion de l’homme est dans l’homme comme une chose qui est en lui, mais
qu’elle est dans l’intelligence comme dans un sujet et qu’elle est dans
l’homme comme dans celui qui fournit un soutien à sa vérité ; de même
encore la notion de bonté divine est dans l’intelligence comme dans un sujet,
et en Dieu comme dans celui qui correspond par une certaine ressemblance à cette
notion de manière à la rendre vraie. D’où il est clair que cette difficulté
procède d’une mauvaise interprétation de ce qui est dit. |
[193] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur
fundari vel radicari in aliquo metaphorice, ex quo firmitatem habet. Rationes
autem intellectae habent duplicem firmitatem : scilicet firmitatem sui esse,
et hanc habent ab intellectu, sicut alia accidentia a suis subjectis ; et
firmitatem suae veritatis, et hanc habent ex re cui conformantur. Ex eo enim
quod res est vel non est locutio et intellectus veritatem vel falsitatem
habet. Rationes ergo attributorum fundantur vel radicantur in intellectu
quantum ad firmitatem sui esse, quia, ut dictum est, art. anteced.,
intellectus est earum subjectum ; in essentia autem divina quantum ad
firmitatem suae veritatis ; et hoc in nullo repugnat divinae simplicitati. |
5.
Il faut dire en cinquième lieu que c’est de manière métaphorique qu’on dit
d’une chose qu’elle se fonde ou s’enracine dans une autre de laquelle elle
tient sa fermeté. Cependant les notions qu’on conçoit possèdent une double
fermeté : à savoir premièrement la fermeté de leur existence qu’elles
tiennent de l’intelligence comme les autres accidents tiennent la leur de
leurs sujets ; puis deuxièmement la fermeté de leur vérité qu’elles
tiennent de la chose à laquelle elles se conforment. En effet, du fait qu’une
chose est ou n’est pas, la parole et l’intelligence possèdent vérité ou
fausseté. Donc, les notions des attributs se fondent ou s’enracinent dans
l’intelligence quant à la fermeté de leur existence car, ainsi que nous
l’avons dit dans l’article précédent, l’intelligence est leur sujet ;
cependant, quant à la fermeté de leur vérité, elles s’enracinent dans
l’essence divine ; et cela ne répugne en rien à la simplicité divine. |
lib. 1 d. 2
q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in Deo omnia sunt unum re, praeter
ingenerationem, generationem, et processionem, quae constituunt personas re
distinctas : non autem oportet quod quidquid praeter ista de Deo dicitur, sit
unum ratione. Et similiter intelligendum est quod dicit Boetius [I De trin.,
cap. VI], quod sola relatio multiplicat Trinitatem, scilicet pluralitate
reali. Tunc enim aliquid est unum re et ratione multiplex, quando una res respondet
diversis conceptionibus et nominibus, ut de ea verificentur ; sicut punctum,
quod cum sit una res, respondet secundum veritatem diversis conceptionibus de
eo factis, sive prout cogitatur in se, sive prout cogitatur centrum, sive
prout cogitatur principium linearum ; et hae rationes sive conceptiones sunt
in intellectu sicut in subjecto, et in ipso puncto sicut in fundamento
veritatis istarum conceptionum. Quamvis istud exemplum non sit usquequaque
conveniens, sicut nec alia quae in divinis inducuntur. |
6. En sixième lieu il faut dire qu’en Dieu tous les attributs qui
constituent les personnes distinctes par la chose sont un par la chose,
au-delà de toute création, de toute génération de toute procession : il
ne faut pas cependant que tout ce qui est dit de Dieu en-dehors de cela soit
un par la raison. Et c’est de la même manière qu’il faut comprendre ce que
dit Boèce [1 De Trinitate, ch. VI], à
savoir que la relation seule multiplie la Trinité, c’est-à-dire la
multiplicité réelle de Dieu. Alors en effet quelque chose est un par la chose
et multiple par la raison quand une même chose s’accorde avec différentes conceptions et
différents noms de telle manière que ces derniers se vérifient de cette
chose. Par exemple le point qui, alors qu’il est une seule et même chose,
s’accorde selon la vérité avec différentes conceptions qu’on fait de lui,
soit selon qu’il est pensé absolument et en lui-même, soit selon qu’il est
pensé en tant que centre, soit selon qu’il est pensé en tant que principe de
la ligne ; et ces notions ou ces conceptions sont dansl’intelligence
comme dans un sujet, et elles sont dans le point comme dans le fondement de
la vérité de ces conceptions. Bien que cet exemple ne soit pas en tout point
convenable, comme les autres choses qui sont introduites pour parles des
choses divines. |
|
|
Quaestio 1,
articulus 4 [195] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 tit. Utrum in divinis
sint plures personae |
Article 4 – Y a-t-il en Dieu plusieurs personnes ? |
[196] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad
quartum sic proceditur. Videtur quod in unitate divinae essentiae non sit
pluralitas personarum. In omnibus enim creaturis ita est quod ad
multiplicationem suppositorum sequitur multiplicatio essentiae secundum
numerum, sicut alia humanitas est numero in Socrate et Platone. Sed creaturae
sunt exemplatae a Deo. Cum igitur divinam essentiam impossibile sit
multiplicari, ut supra ostensum est, hac dist., art. 1, videtur quod
impossibile sit esse ibi pluralitatem suppositorum, vel personarum. |
Difficultés: 1. On procède de la manière suivante pour ce
quatrième article. Il semble qu’il n’y ait pas une pluralité de personnes
dans l’unité de l’essence divine. Dans toutes les creatures en effet les
choses se produisent de telle manière que la multiplication de l’essence
selon le nombre découle de la multiplication des individus, tout comme
l’humanité est autre par nombre dans Socrate et dans Platon. Mais les
creatures sont multipliées par Dieu. Donc, puisqu’il est impossible que
l’essence divine soit multipliée comme nous l’avons montré plus haut dans
cette distinction à l’article premier, il semble qu’il soit impossible qu’il
y ait là une pluralité d’individus ou de personnes. |
[197] Super Sent., lib. 1 d.
2 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, eorum quae sunt idem, si unum multiplicatur vel
communicatur, et reliquum. Sed in Deo idem est quo est et quod est, sive
essentia et suppositum. Si ergo essentia non multiplicatur, ergo nec
suppositum. Ergo et cetera. |
2. En
outre, si parmi les choses qui sont identiques, si l’une d’elles est
multipliée ou communiquée, il en sera de même des autres. Mais en Dieu, ce
par quoi il est, à savoir l’essence, est identique à ce qui est, à savoir
l’individu. Si donc l’essence n’est pas multipliée, l’individu ne le sera
donc pas non plus. Il n’y aura donc pas une multiplicité de personnes en
Dieu. |
[198] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, natura speciei ad hoc multiplicatur
in pluribus individuis, quia non potest totam perfectionem habere in uno, eo
quod individuum est corruptibile, et species incorruptibilis : unde in
incorruptibilibus est tantum unum individuum in una specie, sicut sol. Sed
natura divina habet omnem perfectionem in uno supposito. Ergo vanum est esse
pluralitatem suppositorum, et hoc non potest esse in Deo. |
3. En outre, la nature de l’espèce est multipliée dans plusieurs
individus pour cela qu’elle ne peut posséder toute sa perfection dans un seul
individu du fait que l’individu est corruptible et que l’espèce est
incorruptible : c’est pourquoi dans les êtres incorruptibles il n’y a
qu’un seul individu pour chaque espèce, comme c’est le cas pour le soleil.
Mais la nature divine possède toute sa perfection dans un seul individu. Il
est donc vain qu’il y ait une pluralité d’individus et cela ne peut avoir
lieu en Dieu. |
[199] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra. Sicut dicit Dionysius [De div.
Nom., cap. IV, § 1, 694], bonum est communicativum sui. Sed Deus est summe
bonus. Ergo summe se communicabit. Sed in creaturis non summe se communicat,
quia non recipiunt totam bonitatem suam. Ergo oportet quod sit communicatio
perfecta, ut scilicet totam suam bonitatem alii communicet. Hoc autem non
potest esse in diversitate essentiae. Ergo oportet esse plures distinctos in
unitate divinae essentiae. |
Cependant : 1. Ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 1, 694], il
est dans la nature du bien de se communiquer. Mais Dieu est le bien dans
toute sa perfection. Il se communiquera donc au plus haut point. Mais il ne
se communique pas au plus haut point dans les créatures, puisqu’elles ne
reçoivent pas sa bonté dans sa totalité. Il faut donc qu’il y ait une
communication parfaite de telle manière que sa bonté se communique à une
autre dans sa totalité. Mais cela ne peut avoir lieu dans une essence
différente. Il faut donc qu’il y ait une pluralité de personnes distinctes
dans l’unité de l’essence divine. |
Hoc idem
arguitur ex perfectione divinae beatitudinis, quae ponit summum gaudium quod
sine consortio haberi non potest. Hoc etiam arguitur ex perfectione divinae
caritatis. Perfecta enim caritas est amor gratuitus qui tendit in alium. Sed
non erit amor summus, nisi summe diligat. Summe autem non diligit creaturam,
quae non summe diligenda est. Ergo oportet quod in ipsa creatrice essentia,
sit summe diligens et summe dilectus, distincti in essentiae unitate. |
Cette même chose se démontre à partir de la perfection de la
béatitude divine qui pose en Dieu la joie la plus parfaite qui ne peut être
possédée sans une communauté. La même chose se défend aussi à partir de la
perfection de la charité divine. La charité parfaite en effet est l’amour
gratuit qui tend vers un autre. Mais il n’y aura d’amour parfait pour Dieu
que s’il aime parfaitement. Mais il n’aime pas parfaitement la créature,
laquelle ne peut être aimée parfaitement. Il faut donc que dans l’essence
créatrice elle-même il y ait une personne qui aime parfaitement et une autre
qui est aimée parfaitement, les deux étant distinctes dans l’unité de
l’essence. |
I[200] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 co.
Respondeo : concedendum est absque ulla ambiguitate, esse in Deo pluralitatem
suppositorum vel personarum in unitate essentiae, non propter rationes
inductas, quae non necessario concludunt, sed propter fidei veritatem. |
Corps
de l’article: Je réponds qu’il faut concéder sans aucun doute
qu’il y a en Dieu une pluralité d’individus ou de personnes dans l’unité de
l’essence, non pas en raison des arguments présentés qui ne concluent pas
avec nécessité, mais à cause de la vérité de la foi. |
[201] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creatura
differt essentia rei et esse suum, nec habet essentia esse nisi propter
comparationem ad habentem essentiam ; et ideo quando essentia creata
communicatur, communicatur tantum secundum rationem suam et non secundum
esse, quia secundum illud esse non est nisi in uno tantum habente. Divina
autem essentia est idem quod suum esse ; et ideo quando communicatur
essentia, communicatur etiam esse. Unde essentia non tantum est una secundum
rationem, sed secundum esse ; et propter hoc potest esse una numero in
pluribus suppositis. Creaturae autem quamvis exemplentur a
Deo, tamen deficiunt a repraesentatione ejus. |
Solutions: 1. Il faut dire en
premier lieu que dans la creature il y a une difference entre l’essence de la
chose et son existence et l’essence ne possède d’existence qu’en raison de
son rapport à celui qui possède l’essence; et c’est pourquoi, quand l’essence
créée est communiquée, elle est communiquée seulement d’après sa nature et
non pas selon son existence car selon cette existence elle n’existe que dans
celui-là seul qui la possède. Mais l’essence divine est identique à son
existence; et c’est pourquoi, quand l’essence est communiquée, l’existence
aussi est communiquée. De là, l’essence est une non seulement selon la
nature, mais aussi selon l’existence; et c’est pour cette raison que
l’essence peut être une par le nombre dans plusieurs individus. Mais, bien
que les créatures soient reproduites par Dieu, elles sont impuissantes
cependant à Le représenter de façon adéquate. |
[202] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod essentia et suppositum sunt in Deo idem re,
nihilominus tamen differunt ratione, sicut de attributis dictum est supra,
art. praeced. Unde
Commentator [II Metaph., text. 39] dicit, quod vita et vivens non significant
idem in Deo, sicut nomina synonyma : et ideo contra rationem suppositi est
quod communicetur, non autem contra rationem essentiae. Ideo una essentia
communicatur pluribus suppositis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que l’essence et l’individu
sont en Dieu identiques par la chose, cependant ils diffèrent néanmoins par
la raison ou la notion, comme c’est le cas pour les attributs dont nous avons
parlé plus haut dans l’article précédent. De là, le Commentateur dit [11 Métaphysiques,
text. 39] que la vie et le vivant ne signifient pas la même chose en Dieu
comme c’est le cas pour les noms qui sont synonymes : et c’est pourquoi
il est contraire à la notion d’individu d’être communiqué mais cela n’est pas
contraire à la notion d’essence. C’est pourquoi une même essence se
communique à plusieurs individus. |
[203] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod necessitas finis
est necessitas conditionata et ex suppositione. Unde non quaeritur in illis
quae sunt necessaria absolute, et multo minus in illis quae sunt per se
necessaria, non habentia necessitatem ab aliquo. Unde dico, quod pluralitas
suppositorum in divina essentia non est propter aliquem finem ; immo propter
seipsam est necessario, cum ipse Deus sit finis omnium. Unde non potest
concludi quod sit vana, quia vanum est quod est ordinatum ad finem quem non
consequitur. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la nécessité de la fin est une
nécessité conditionnée et hypothétique. De là, on ne la recherche pas dans
ces choses qui sont nécessaires absolument et encore moins dans celles qui
sont nécessaires par soi et qui ne tirent pas leur nécessité d’un autre.
C’est pourquoi je dis que la pluralité des individus dans l’essence divine
n’est pas en raison d’une fin ; bien plutôt, c’est pour elle-même
qu’elle est de toute nécessité puisque c’est Dieu lui-même qui est la fin de
tous les êtres. C’est pourquoi on ne peut conclure qu’elle soit vaine car est
vain ce qui est ordonné à une fin qui n’est pas atteinte. |
|
|
Articulus 5
[204] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 tit. Utrum divinae personae
differant realiter aut tantum ratione |
Article 5 – Les personnes divines diffèrent-elles réellement ou en raison ? |
[205] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad
quintum sic proceditur. Videtur quod pluralitas suppositorum in divinis non
sit realis, sed tantum rationis. Sicut enim dicit Damascenus [lib. I de fide
ortho., cap. II], tres
personae re idem sunt, ratione autem et cogitatione [cognitione Éd. de Parme]
distinguuntur. Ergo videtur quod non sit ibi pluralitas realis. |
Difficultés : 1. On procède de la manière suivante à l,égard de ce cinquième
article. Il semble que la pluralité des personnes en Dieu ne soit pas réelle,
mais seulement une pluralité de raison. Ainsi que le dit en effet Damascène
[1 De La Foi Orthodoxe, ch. 11], les trois personnes sont identiques
par la chose mais elles diffèrent par la raison et par la pensée. Il semble
donc là que la pluralité des personnes ne soit pas réelle. |
[206] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 2
Praeterea, Augustinus dicit [V de Trin., cap. VIII], quod tres personae in
nullo absoluto distinguuntur, sed tantum in his quae sunt ad aliquid. Res autem non est ad aliquid, sed est
absolutum. Ergo videtur quod tres personae non sunt tres res, et ita non est
ibi realis distinctio. |
2. Par ailleurs, Augustin dit [V De Trinitate, ch. VIII] que les trois personnes ne se
distinguent en rien prises absolument, mais selulement dans leurs relations.
Mais une chose n’est pas une relation mais un absolu. Il semble donc que les
trois personnes ne sont pas trois choses et ainsi qu’il n’y ait pas là une
distinction réelle. |
[207] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 3
Item, personae distinguuntur per proprietates. Proprietates autem illae non
addunt supra essentiam secundum rem, sed tantum secundum rationem. Ergo
videtur quod distinctio personarum, quam faciunt, sit tantum distinctio
rationis. |
3. En outre, les
personnes se distinguent par leurs propriétés. Mais ces propriétés n’ajoutent
rien à l’essence selon la chose mais seulement selon la raison. Il semble
donc que la distinction des personnes due à ces propriétés soit seulement une
distinction de raison. |
[208] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 4 Item, sicut paternitas et essentia
differunt ratione, ita sapientia et essentia. Si ergo hoc sufficit ad
distinctionem realem suppositorum, videtur quod etiam secundum diversa
attributa distinguantur realiter supposita ; et ita sunt tot personae quot
attributa. Hoc autem est inconveniens. Ergo proprietates non faciunt realem
distinctionem suppositorum. |
4.
De plus, tout comme la paternité et l’essence diffèrent par la raison, de
même la sagesse et l’essence diffèrent par la raison. Si donc cela suffit à
distinguer réellement les individus, il semble que ce soit aussi d’après leurs
différents attributs que se distinguent réellement les individus ; et
ainsi il y aura par conséquent autant de personnes qu’il y aura d’attributs,
ce qui est absurde. Donc, les propriétés n’entraînent pas une distinction
réelle des personnes. |
[209] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra, Augustinus [I de Doct. christ.,
cap. 5] dicit : res quibus fruendum est, sunt pater et filius et spiritus
sanctus. Ergo tres personae sunt plures res. Ergo eorum pluralitas est
pluralitas realis. |
Cependant :
1.
Augustin dit [1 De La Doctrine Chrétienne, ch. V] : Les choses
dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc, les
trois personnes sont plurieurs réalités. Donc, leur pluralité est une
pluralité réelle. |
[210] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 s. c. 2 Item, distinctio rationis non sufficit
ad distinctionem suppositorum, cum unus et idem homo possit in se diversas
rationes habere, et cum suppositum dicat quid reale. Si ergo non est in
divinis nisi distinctio rationis, non erit ibi vera pluralitas personarum ;
quod est haereticum. |
2. De plus, une distinction de raison ne suffit pas à distinguer les
individus, puisqu’un seul et même homme peut en lui-même avoir plusieurs rapports
et qu’un individu dit quelque chose de réel. Si donc il n’y a dans les
personnes divines qu’une distinction de raison, il n’y aura pas là une
véritable pluralité de personnes, ce qui constitue une erreur de doctrine. |
[211] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod dicere, personas distingui tantum ratione, sonat haeresim
Sabellianam : et ideo simpliciter dicendum est, quod pluralitas personarum
est realis. Quo modo
autem hoc possit esse, videndum est. |
Je
réponds qu’il faut dire que dire que les personnes divines ne se distinguent
que par la raison, c’est émettre l’hérésie de Sabellius : et c’est
pourquoi il faut absolument dire que la pluralité des personnes est réelle.
Mais de quelle manière cela est possible, il faut le voir dans ce qui suit. |
|
|
Sciendum est
igitur, quod proprietas personalis, scilicet relatio distinguens, est idem re
quod divina essentia, sed differens ratione, sicut et de attributis dictum
est. Ratio autem relationis est ut referatur ad alterum. Potest ergo
dupliciter considerari relatio in divinis : vel per comparationem ad
essentiam, et sic est ratio tantum ; vel per comparationem ad illud ad quod
refertur, et sic per propriam rationem relationis relatio realiter
distinguitur ab illo. Sed per comparationem relationis ad suum correlativum
oppositum distinguuntur personae, et non per comparationem relationis ad
essentiam : et ideo est pluralitas personarum realis et non tantum rationis. |
Il faut donc savoir que la propriété de la personne, à savoir la
relation qui la distingue, est identique par la chose à l’essence divine,
mais elle en diffère par la raison, tout comme nous l’avons dit pour les
attributs. Mais il est de la nature même de la relation de poser un rapport à
un autre. La relation dans les personnes divines peut donc être considérée de
deux manières : soit par rapport à l’essence et ainsi elle est seulement
une notion ; soit par rapport à celui auquel elle se rapporte et ainsi
la relation, par la notion propre de relation, se distingue réellement de
lui. Mais c’est par la comparaison de la relation à son corrélatif opposé que
les personnes se distinguent et non par la comparaison de la relation à
l’essence : et c’est pourquoi la pluralité des personnes est réelle et
non seulement une pluralité de raison. |
[212] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas
Damasceni sic intelligenda est. Ratione, idest relatione ; et dicitur relatio
ratio, per comparationem ad essentiam, ut dictum est, in corp. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que le témoignage de Damascène
doit se comprendre de la manière suivante : par raison ou notion, on
doit ici entendre relation ; et la relation est appelée raison ou notion
par rapport à l’essence, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
[213] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res est de
transcendentibus, et ideo se habet communiter ad absoluta et ad relativa
[relata Éd. de Parme] ; et ideo est res essentialis, secundum quam personae
non differunt, et est res relativa sive personalis, secundum quam personae
distinguuntur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le terme ¨chose¨ se dit des
transcendants, et c’est pourquoi il s’attribue comunément à ce qui est absolu
et à ce qui est relatif ; et c’est pourquoi ¨chose¨ se rapporte à
l’essence selon laquelle les personnes ne diffèrent pas, et elle se rapporte
à la relation ou à la personne, selon laquelle les personnes se distinguent. |
[214] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quamvis relatio per comparationem ad essentiam sit
ratio tantum, tamen per comparationem ad suum correlativum est res et
realiter distinguens ab ipso. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que bien que la relation par rapport à l’essence ne soit
qu’une notion, cependant par rapport à son corrélatif elle est une réalité
qui distingue réellement de lui. |
[215] Super
Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet sapientia
secundum suam rationem differat ab aliis attributis, non tamen opponitur ad
aliquod aliud attributum, cum sapientia bonitatem, vitam [vitam om. Éd. de
Parme] et alia attributa secum compatiatur in eodem subjecto. Et ideo non
habet rationem distinguendi supposita divinae naturae, sicut habent
relationes oppositae. Sed sicut sapientia divina realiter
facit effectum sapientiae propter veritatem rationis ipsius, quae manet ; ita
relatio facit veram distinctionem propter rationem relationis veram, quae
salvatur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que la sagesse d’après sa
définition diffère des autres attibuts, elle ne s’oppose pas cependant à un
autre attribut puisque la sagesse est compatible avec la bonté, la vie et
d’autres attributs dans un même sujet. Et c’est pourquoi il n’y a pas lieu
qu’elle distingue les personnes qui ont la nature divine, contrairement aux
relations qui sont opposées entre elles. Mais tout comme la sagesse divine
produit réellement l’effet de la sagesse à cause de la vérité de sa notion
qui demeure, de même la relation produit une véritable distinction à cause de
la véritable notion de relation qui est conservée. |
|
|
Distinctio 3 |
Distinction 3 – [Comment on vient à la connaissance de Dieu par sa trace des créatures] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
I Sent. D. 3, qu. 1 Quia autem in
parte ista ostenditur, qualiter venitur in cognitionem Dei per vestigium
creaturarum, ideo quaeruntur duo: primo de
divina cognitione. Secundo
de creaturarum vestigio. Circa
primum quaeruntur quatuor: 1 utrum
Deus sit cognoscibilis a creaturis ; 2 utrum
Deum esse sit per se notum ; 3 utrum
possit cognosci per creaturas, et quorum sit Deum per creaturas cognoscere ; 4 quid de Deo philosophi per creaturas cognoscere
potuerunt. |
Mais parce que dans la partie qui suit on montre comment on en vient
à la connaissance de Dieu par les traces qu’on en perçoit dans les créatures,
c’est pourquoi on s’interroge sur deux points : en premier lieu sur la
connaissance de Dieu ; en deuxième lieu sur les traces qu’en laissent
les créatures. Et par rapport au premier point on cherche à répondre à quatre
questions : 1. Est-ce que Dieu peut être connu par les créatures ? 2. Est-ce que Dieu est connu par lui-même ? 3. Est-ce que Dieu peut être connu au moyen des créatures et à qui
appartient-il de connaître Dieu au moyen des créatures ? 4. Qu’est-ce que les philosophes peuvent connaître de Dieu au moyen
des créatures ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La connaissance de Dieu dans les créatures][3] |
|
|
Articulus
1.Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus possit cognosci ab intellectu creato. |
Article 1 – Dieu peut-il être connu par un intellect créé ? |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod
Deus non sit cognoscibilis a creato intellectu. Dicit enim Dionysius, cap. I de div. Nom. § 1, quod Deum nec dicere nec intelligere possumus: quod sic probat.
Cognitio est tantum existentium. Sed Deus est supra omnia existentia. Ergo
est supra [omnem add. Éd. de Parme]
cognitionem. |
Difficultés : 1. On procède de la manière suivante à l’égard de ce premier article.
Il semble que Dieu ne puisse être connu par une intelligence créée. Denys dit
en effet [Les Noms Divins, ch. 1, &1] que nous ne pouvons ni comprendre
ni dire ce qu’est Dieu, ce qu’il prouve de la manière suivante. La connaissance
ne porte que sur les étants. Mais Dieu transcende tous les étants. Dieu
transcende donc toute connaissance. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 1 arg. 2 Item, Deus plus distat a quolibet existentium
intelligibilium notorum nobis, quam distet intelligibile a sensibili. Sed
sensus non potest intelligibile cognoscere. Ergo nec Deus potest a nostro
intellectu cognosci. |
2. En outre, Dieu est plus éloigné de chacun des étants intelligibles
connus de nous que l’intelligible est éloigné du sensible. Mais le sens ne
peut connaître l’intelligible. Dieu ne peut donc être connu par notre
intelligence. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, omnis cognitio
est per speciem aliquam, per cujus informationem fit assimilatio cognoscentis
ad rem cognitam. Sed a
Deo non potest abstrahi aliqua species, cum sit simplicissimus. Ergo non est
cognoscibilis. |
3. De plus, toute connaissance a lieu au moyen d’une espèce par
l’information de laquelle se produit l’assimilation de celui qui connaît à la
chose connue. Mais on ne peut tirer de Dieu aucune espèce, puisqu’Il est ce
qu’il est suprêmement simple. Il ne peut donc être connu de nous. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, ut dicit
philosophus, (III Physic., text. 4), omne infinitum est ignotum ; cujus
ratio est, quia de ratione infiniti est, ut sit extra accipientem secundum
aliquid sui, et tale est ignotum. Sed Deus est infinitus. Ergo est ignotus. |
4. Par ailleurs, comme le dit le Philosophe [111 Physiques, text. 4],
tout ce qui est infini est inconnu ; la raison en est qu’il est de la
nature de l’infini de demeurer étranger pour tout ce qui le concerne à celui
qui cherche à l’accueillir, et de lui demeurer ainsi inconnu. Mais Dieu est
infini. Il est donc inconnu. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 5 Item,
philosophus dicit (III de Animam
text. 7), quod ita se habent phantasmata ad intellectum, sicut colores ad
visum. Sed visus corporalis nihil videt sine colore. Ergo intellectus noster
nihil intelligit sine phantasmate. Cum igitur de Deo non possit formari
aliquod phantasma, ut dicitur Isa. XL, 18, Quam imaginem ponetis ei ? Videtur quod non sit cognoscibilis a
nostro intellectu. |
5. En outre, le Philosophe dit [111 De l’Âme, text. 7] que les images
se rapportent à l’intelligence de la même manière que les couleurs se
rapportent à la vue. Mais la vue corporelle ne voit rien sans la couleur.
Donc notre intelligence ne comprend rien sans l’image. Donc, puisqu’on ne
peut former aucune image par rapport à Dieu comme le dit Ésaïe [XL,
18] : Quelle image pourriez-vous fournir de Lui ?, il semble
qu’Il ne puisse être connu par notre intelligence. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Hierem. 9, 24, dicitur: In hoc glorietur qui gloriatur, scire et nosse me. Sed ista non
est vana gloria ad quam Deus hortatur. Ergo videtur quod possibile sit Deum
cognoscere. |
Cependant : 1. Jérémie dit [9, 23] : Mais qui veut se glorifier, qu’il
trouve sa gloire en ceci : avoir de l’intelligence et me connaître.
Mais cette gloire à laquelle Dieu nous exhorte n’est pas vaine. Il semble
donc qu’il soit possible de connaître Dieu. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 1 s. c. 2 Item, ut supra dictum est, etiam secundum philosophum (X Ethico., cap. X), ultimus finis
humanae vitae est contemplatio Dei. Si igitur ad hoc homo non posset
pertingere, in vanum esset constitutus ; quia vanum est, secundum
philosophum, quod ad aliquem finem est, quem non attingit ; et hoc est
inconveniens, ut dicitur in Psal. 88, 48: Numquid
enim vane constituisti eum ? |
2. Par ailleurs, comme nous l’avons dit plus haut et aussi d’après le
Philosophe [X Éthiques, ch. X], la fin ultime de la vie humaine est la
contemplation de Dieu. Si donc l’homme ne pouvait pas parvenir à cette fin,
il aurait été produit en vain ; car d’après le Philosophe, est vain ce
qui est ordonné à une fin qu’il ne peut atteindre ; et il est impossible
qu’il en soit ainsi pour l’homme ainsi que le dit le Psalmiste [88,
48] : Tu l’aurais en effet de tout temps créé pour l’envoyer au
néant ? |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 1 s. c. 3 Item, ut dicit philosophus (III de anima, text. 7), in hoc differt intelligibile a sensibili,
quia sensibile excellens destruit sensum ; intelligibile autem maximum non
destruit, sed confortat intellectum. Cum igitur Deus sit maxime
intelligibilis quantum in se est, quia est primum intelligibile, videtur quod
a nostro intellectu possit intelligi: non enim impediretur nisi propter suam
excellentiam. |
3. En outre,
ainsi que le dit le Philosophe [111, de l’Âme, text. 7], l’intelligible
diffère du sensible en ceci qu’un sensible extrême détruit le sens alors que
l’intelligible le plus élevé ne détruit pas l’intelligence mais l’affermit.
Donc, puisque Dieu quant à lui-même est l’intelligible le plus élevé du fait
qu’il est le premier intelligible, il semble qu’il puisse être saisi par
notre intelligence : celle-ci en effet ne pourrait en être empêchée qu’en
raison de l’excellence de ce premier intelligible. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod non est hic quaestio, utrum Deus in
essentia sua immediate videri possit, hoc enim alterius intentionis est ; sed
utrum quocumque modo cognosci possit. Et ideo dicimus quod Deus cognoscibilis
est ; non autem ita est cognoscibilis, ut essentia sua comprehendatur. Quia
omne cognoscens habet cognitionem de re cognita, non per modum rei cognitae,
sed per modum cognoscentis. Modus autem nullius creaturae attingit ad
altitudinem divinae majestatis. Unde oportet quod a nullo perfecte
cognoscatur, sicut ipse seipsum [perfecte add.
Éd. de Parme] cognoscit. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il ne s’agit pas ici de savoir si Dieu peut être vu
immédiatement dans son essence, car c’est là le propos d’une autre question;
mais il s’agit de chercher à savoir si Dieu peut être connu d’une certaine
manière. Et c’est pourquoi nous disons que Dieu peut être connu mais non pas
de telle manière qu’il soit possible de saisir son essence. Car tout être qui
connaît possède une connaissance de la chose connue, non pas à la manière de
la chose connue, mais à la manière de celui qui connaît. Aucun mode de
connaître appartenant à une créature ne peut cependant parvenir à s’élever à
la hauteur de la divine majesté. De là il doit nécessairement s’ensuivre
qu’il n’est connu parfaitement par aucune d’elle de la manière qu’Il se
connaît lui-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod sicut [sicut om. Éd.
de Parme] Deus non
est hoc modo existens sicut ista existentia, sed in eo est natura entitatis
eminenter. Unde, [sicut add. Éd. de
Parme] non est omnino expers entitatis, ita etiam non omnino est expers
cognitionis, quin cognoscatur ; sed non cognoscitur per modum aliorum
existentium, quae intellectu creato comprehendi possunt. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que Dieu n’existe pas à la manière
dont les autres êtres existent mais en lui la nature de l’être existe de la
manière la plus excellente. De là, il n’est absolument pas dénué d’être et de
même encore il n’est absolument pas dénué de connaissance qui ne soit
connue ; mais il n’est pas connu à la manière des autres êtres, lesquels
peuvent être compris par une intelligence créée. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis plus distet Deus a quolibet
intelligibili, secundum naturae proprietatem, quam intelligibile a sensibili,
tamen plus convenit in ratione cognoscibilitatis [cognoscibilis Éd. de Parme]. Omne enim quod est
separatum a materia, habet rationem ut cognoscatur sicut intelligibile: quod
autem materiale est cognoscitur ut sensibile. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que Dieu est plus éloigné
de tout intelligible, quant à la propriété de nature, que l’intelligible ne
l’est du sensible, il est cependant davantage
proportionné à la nature de ce qui est connaissable. En effet, tout ce qui
est séparé de la matière a raison de connaissable en tant
qu’intelligible ; mais ce qui est matériel est connu en tant que
perceptible par les sens. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod species, per quam fit cognitio, est in potentia cognoscente
secundum modum ipsius cognoscentis: unde eorum quae sunt magis materialia
quam intellectus, species est in intellectu simplicior quam in rebus ; et
ideo hujusmodi dicuntur cognosci per modum abstractionis. Deus autem et
Angeli sunt simpliciores nostro intellectu ; et ideo species quae in nostro
intellectu efficitur, per quam cognoscuntur, est minus simplex. Unde
non dicimur cognoscere ea per abstractionem, sed per impressionem ipsorum in
intelligentias nostras. |
3. Il faut dire en troisième lieu que l’espèce, au moyen de laquelle
se produit la connaissance, est dans la puissance qui connaît selon le mode
de celui-là même qui connaît : c’est pourquoi, pour les choses qui sont
plus matérielles que l’intelligence,
l’espèce est plus simple dans l’intelligence que dans les choses ; et
c’est pourquoi on dit de ces choses qu’elles sont connues par mode
d’abstraction. Mais Dieu et les Anges sont plus simples que notre intelligence ;
et c’est pourquoi les espèces qui sont produites dans notre intelligence et
par lesquelles ils sont connus sont moins simples. De là, nous ne disons pas
que nous les connaissons par abstraction mais par une impression de ces
réalités dans nos intelligences. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod infinitum dicitur dupliciter,
scilicet privative et negative. Infinitum privative est quod secundum suum
genus est natum habere finem, non habens ; et tale, cum sit imperfectum, ex
sui imperfectione perfecte non cognoscitur, sed secundum quid. Infinitum
negative dicitur quod nullo modo finitum est ; et hoc est quiddam quod se ad
omnia extendit, perfectissimum, non valens ab intellectu creato comprehendi,
sed tantum attingi. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que l’infini se dit de deux
manières, à savoir à la manière d’une privation et d’une négation. L’infini
selon la privation est celui qui selon son genre est apte à avoir une fin
mais qui ne la possède pas ; et un tel infini, puisqu’il est imparfait,
n’est pas connu parfaitement mais seulement sous un certain rapport en raison
de son imperfection. L’infini selon la négation se dit de qui est n’est fini
d’aucune manière : et c’est là l’être le plus parfait qui étend sa
puissance sur toute chose, ne pouvant être saisi mais seulement abordé par
une intelligence créée. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod philosophus (III de anima, text. 30], loquitur de cognitione intellectus
connaturali nobis secundum statum viae ; et hoc modo Deus non cognoscitur a
nobis nisi per phantasmata, non sui ipsius, sed causati sui per quod in ipsum
devenimus. Sed per hoc non removetur quin cognitio aliqua possit esse
intellectus, non per viam naturalem nobis, sed altiorem, scilicet per
influentiam divini luminis ad quam phantasma non est necessarium. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que le Philosophe [111, de l’Âme,
text. 30] par ici de la connaissance de l’intelligence qui nous est naturelle
en cette vie ; et en ce sens Dieu n’est connu de nous qu’au moyen des
images qui ne Le représentent pas mais qui se rapportent à ses effets et au
moyen desquelles nous nous approchons de Lui. Mais cela n’empêche pas qu’il
puisse y avoir une certaine connaissance de l’intelligence de Dieu, non pas
de la manière qui nous est naturelle mais selon un mode plus élevé,
c’est-à-dire au moyen du secours de la lumière divine pour lequel les images
ne sont pas nécessaires. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad s. c. 1 Alia concedimus. |
1.Nous concédons les
réponses aux deux premières difficultés. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad s. c. 3 Tamen
ad ultimum, quia concludit, quod Deus etiam nunc maxime cognoscatur a nobis,
respondendum est, quod quodammodo est simile in intellectu et sensu, et
quodammodo dissimile. In hoc enim simile est quod sicut sensus non potest in
id quod non est proportionatum sibi, ita nec intellectus, cum omnis cognitio
sit per modum cognoscentis, secundum Boetium (De Consol., lib. V,
prosa VI): in hoc autem dissimile est quod intelligibile excellens non
corrumpit, sicut excellens sensibile ; unde intellectus non deficit a
cognitione excellentis intelligibilis quia corrumpatur, sed quia non
attingit. Et ideo non perfecte Deum videre potest intellectus creatus. |
3. Cependant à la fin, parce qu’il conclut que Dieu aussi est en
cette vie parfaitement connu de nous, il faut répondre qu’en un sens il en
est de même pour l’intelligence et le sens mais non en un autre sens. Il en est de même en ce sens que
l’intelligence, tout come le sens, n’est pas proportionné à Dieu, puisque
toute connaissance a lieu d’après le mode de celui qui connaît selon Boèce [De
la Consolation, livre V, prose VI] :
mais ils diffèrent en cela que l’intelligible le plus élevé ne corromp pas
l’intelligence contrairement au sensible extrême à l’égard du sens ;
d’où il suit que l’intelligence n’est pas privée de la connaissance de
l’intelligible par excellence pour cette raison qu’il est corrompu par lui,
mais parce qu’il ne l’atteint pas. Et c’est là la raison pour laquelle une
intelligence créée ne peut parfaitement voir Dieu. |
|
|
I Sent. D. 3, qu. 1, a. 2. Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 2 tit. Utrum Deum esse sit per se notum. |
Article 2 – L'existence de Dieu est-elle évidente par soi ?[4] |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
Deum esse sit per se notum. Illa enim dicuntur per se nota quorum cognitio
naturaliter est nobis insita, ut: omne totum est majus sua parte. Sed
cognitio existendi Deum, secundum Damascenum (lib. de Fide orth., cap. 1) naturaliter est omnibus inserta [insita. Éd. de Parme). Ergo
Deum esse est per se notum. |
Difficultés. 1. On procède
de la manière qui suit à l’égard de ce deuxième article. Il semble que
l’existence de Dieu soit connue par soi. On dit en effet que sont connues par
soi les choses dont la connaissance nous est naturellement donnée, comme de
connaître que tout tout est plus grand que chacune de ses parties. Mais
d’après Damascène [Livre au sujet de la
Foi orthodoxe, ch. 1], la connaissance de l’existence de Dieu nous est
naturellement donnée. Donc, la connaissance de l’existence de Dieu nous est
connue par elle-même. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 2 arg. 2 Item, sicut se habet lux sensibilis ad visum, ita se habet
lux intelligibilis [intellectualis Éd.
de Parme] ad intellectum. Sed lux visibilis seipsa videtur ; immo nihil
videtur, nisi mediante ipsa. Ergo Deus seipso immediate cognoscitur. |
2. De plus, ce que la lumière sensible est à la vue, la lumière
intelligible l’est à l’intelligence. Mais la lumière sensible se voit par
elle-même ; bien plus, rein n’est vu si ce n’est par son intermédiaire.
Donc Dieu est connu immédiatement par Lui-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, omnis cognitio
est per unionem rei cognitae ad cognoscentem. Sed Deus est per seipsum intrinsecus animae etiam magis
quam ipsa sibi. Ergo per seipsum cognosci potest. |
3. En outre,
toute connaissance s’accomplit par l’union de la chose connue à celui qui
connaît. Mais Dieu est par lui-même uni à l’âme davantage encore que l’âme ne
l’est à elle-même. Dieu peut donc être connu par lui-même. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud est per se notum quod non potest cogitari
non esse. Sed Deus non potest cogitari non esse. Ergo ipsum esse, per se est
notum. Probatio mediae est per Anselmum (Prosl.,
cap. XV): Deus est quo majus cogitari non potest. Sed illud quod non
potest cogitari non esse, est majus eo quod potest cogitari non esse. Ergo
Deus non potest cogitari non esse, [cum sit illud quo nihil majus cogitari
potest add. Éd. de Parme]. Potest
aliter probari. Nulla res potest cogitari sine sua quidditate, sicut homo
sine eo quod est animal rationale mortale. Sed Dei quidditas est ipsum suum
esse, ut dicit Avicenna (de
inteligentiis, cap.1). Ergo Deus non potest cogitari non esse. |
4. Par ailleurs, est connu par soi ce qui ne peut être pensé comme
non existant. Mais Dieu ne peut être pensé comme n’existant pas. Donc son
existence est connue par elle-même. La mineure est prouvée par Anselme
[Prosl., ch. XV] : Dieu est ce dont on ne peut rien penser de plus
grand. Mais ce qui ne peut être pensé comme n’existant pas est plus grand que
ce qui peut être pensé comme n’existant pas. Donc, Dieu ne peut être pensé
comme n’existant pas [puisqu’Il est Celui au sujet de qui on ne peut rien
penser de plus grand]. Mais on pourrait la prouver autrement. Aucune chose ne
peut être pensée sans sa quiddité, comme l’homme ne peut être pensé sans ceci
qu’il est un animal rationnel et mortel. Mais la quiddité de Dieu est son
existence même, ainsi que le dit Avicenne [Les Intelligences, ch. 1].
Donc, Dieu ne peut être pensé comme n’existant pas. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, ea quae per se sunt nota, ut dicit philosophus (IV Metaph., text. 28), etsi exterius
negentur ore, nunquam interius negari possunt corde. Sed Deum esse, potest
negari corde. Psalm. 13, 1: Dixit insipiens in corde suo: non est Deus.
Ergo Deum esse non est per se notum. |
Objections : 1. Ainsi que le dit le Philosophe [IV Métaph. text. 28] bien qu’on
puisse extérieurement nier de vive voix ce qui est connu de soi, on ne peut
jamais le nier intérieurement par l’esprit. Mais l’existence de Dieu peut
être nié intérieurement dans l’esprit. Le psalmiste dit en effet [Psaume 13,
1] : L’insensé dit en son cœur : Dieu n’existe pas. Donc,
l’existence de Dieu n’est pas connue par elle-même. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 2 s. c. 2 Item, quidquid est conclusio demonstrationis non est per se
notum. Sed Deum esse demonstratur etiam a philosophis (VIII
Phys., text. 33, item XII Metaph., text. 35). Ergo Deum esse non est per se
notum. |
2. En outre, aucune conclusion d’une démonstration n’est connue par
elle-même. Mais l’exisntece de Dieu est démontrée même par les philosophes [
VIII Phys, text, 33l XII Métaph. text.35]. Donc, l’existence de Dieu n’est
pas connue par elle-même. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 co. Respondeo,
quod de cognitione alicujus rei potest aliquis dupliciter loqui: aut secundum
ipsam rem, aut quo ad nos. Loquendo igitur de Deo secundum seipsum, esse est
per se notum, et ipse est per se intellectus, non per hoc quod faciamus ipsum
intelligibile, sicut materialia facimus intelligibilia in actu. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’on peut parler de la connaissance d’une
chose de deux manières : soit d’après la chose elle-même, soit d’après
nous-mêmes. Donc, en parlant de Dieu d’après lui-même, son existence est connue
par elle-même et il est lui-même intelligible par lui-même et on par le fait
que nous le rendons intelligible comme nous le faisons pour les choses
matérielles que nous rendons intelligibles en acte. |
Loquendo autem de Deo per
comparationem ad nos, sic iterum dupliciter potest considerari. Aut secundum
suam similitudinem et participationem ; et hoc modo ipsum esse, est per se
notum ; nihil enim cognoscitur nisi per veritatem suam, quae est a Deo
exemplata ; veritatem autem esse, est per se notum. |
Mais en parlant de Dieu par rapport à nous-mêmes, nous pouvons encore
considérer le problème de deux manières. Soit selon sa ressemblance et sa participation et en ce sens son
existence elle-même est connue par soi ; rien en effet n’est connue si
ce n’est par sa vérité qui est modelée par Dieu ; mais que la vérité
existe, cela est connu par soi. |
Aut secundum
suppositum, idest considerando ipsum Deum, secundum quod est in natura sua
quid incorporeum ; et hoc modo non est per se notum ; immo multi inveniuntur negasse
Deum esse, sicut omnes philosophi qui non posuerunt causam agentem, ut
Democritus et quidam alii (I Metaph., text.9)
Et hujus ratio est, quia ea quae per se nobis nota sunt, efficiuntur nota
statim per sensum ; sicut visis toto et parte, statim cognoscimus quod omne
totum est majus sua parte sine aliqua inquisitione. |
Soit selon le sujet lui-même, c’est-à-dire en considérant Dieu
lui-même, selon qu’il est dans sa nature même un être incorporel ; en ce
sens Il n’est pas connu par soi ; au contraire, il s’en trouve plusieurs
qui ont nié l’existence de Dieu, comme tous les philosophes qui n’ont pas
posé une cause efficiente, comme Démocrite et certains autres [1 Métaph.
text. 9]. Et la raison en est que les choses qui nous sont connues par soi
sont rendues connues par les sens de façon immédiate ; par exemple,
voyant ce qu’est un tout et une partie, nous connaissons aussitôt, sans
aucune recherche, que tout tout est plus grand que sa partie. |
xUnde
philosophus (I Posterior., text. 24): Principia cognoscimus dum terminos
cognoscimus. Sed visis sensibilibus, non devenimus in Deum nisi
procedendo, secundum quod ista causata sunt et quod omne causatum est ab
aliqua causa agente et quod primum agens non potest esse corpus, et ita in
Deum non devenimus nisi arguendo ; et nullum tale est per se notum. Et haec est ratio Avicennae, lib. de Intellig. cap. 1. |
C’est pourquoi le Philosophe dit [1 Seconds Analytiques, text.
24] : Nous connaissons les principes dès lors que nous connaissons les
termes. Mais en voyant les choses sensibles, on en vient à Dieu seulement par
ce procédé suivant lequel ces effets existent, que tout effet vient d’une
cause efficiente et que le premier agent ne peut être un corps et c’est ainsi
que nous ne parvenons à Dieu qu’à force de raisonner ; et rien de ce qui
est connu de cette manière n’est connu par soi. Et telle est l’argumentation
d’Avicenne [Livre sur les Intelligences, ch. 1]. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas Damasceni
intelligenda est de divina cognitione nobis inserta [insita Éd. de Parme], secundum ipsius
similitudinem et non secundum quod est in sua natura ; sicut etiam dicitur,
quod omnia appetunt Deum: non quidem ipsum prout consideratur in sua natura,
sed in sui similitudine ; quia nihil desideratur, nisi inquantum habet
similitudinem ipsius, et etiam nihil cognoscitur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que le témoignage de Damascène sur la
connaissance de Dieu qui nous est donnée doit s’entendre d’après sa
similitude dans les choses et non pas
d’après son existence dans sa nature propre, tout comme on dit aussi que tout
être désire Dieu, non pas certes selon qu’on Le considère dans sa nature,
mais dans ses ressemblances ; car rien n’est désiré et même rien n’est
connu qu’à la condition d’avoir une similitude. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod visus noster est proportionatus ad
videndum lucem corporalem per seipsam ; sed intellectus noster non est
proportionatus ad cognoscendum naturali cognitione aliquid nisi per
sensibilia ; et ideo in intelligibilia pura devenire non potest nisi
argumentando [arguendo Éd. de Parme]. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que notre faculté de voir est
proportionnée à voir par elle-même la lumière corporelle ; mais notre
intelligence n’est proportionnée à connaître quelque chose par une
connaissance naturelle qu’au moyen des choses sensibles ; et c’est pourquoi notre intelligence ne
peut parvenir à saisir les purs intelligibles que par l’argumentation. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
quamvis Deus sit in anima per essentiam, praesentiam et potentiam, non tamen
est in ea sicut objectum intellectus ; et hoc requiritur ad cognitionem. Unde
etiam anima sibi ipsi praesens est ; tamen maxima difficultas est in cognitione
animae, nec devenitur in ipsam, nisi ratiocinando ex objectis in actus et ex
actibus in potentiam [potentias. Éd.
de Parme] |
3. Il faut dire en troisième lieu que bien que Dieu soit dans l’âme
par son essence, sa présence et sa puissance, il n’est cependant pas en elle
comme objet de l’intelligence ; et cela est une exigence pour la
connaissance. De là l’âme aussi est présente à elle-même ; il existe
cependant une grande difficulté à connaître l’âme et on y arrive qu’en
raisonnant à partir des objets dans les actes et à partir des actes pour
en venir à la puissance. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio Anselmi ita intelligenda est.
Postquam intelligimus Deum, non potest intelligi quod sit Deus, et possit
cogitari non esse ; sed tamen ex hoc non sequitur quod aliquis non possit
negare vel cogitare, Deum non esse ; potest enim cogitare nihil hujusmodi
esse quo majus cogitari non possit ; et ideo ratio sua procedit ex hac
suppositione, quod supponatur aliquid esse quo majus cogitari non potest. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le raisonnement d’Anselme doit
s’entendre de la manière qui suit. Après avoir vu ce qu’il en est de Dieu, on
ne peut à la fois comprendre qu’Il existe et pouvoir penser qu’il n’existe
pas ; il ne s’ensuit cependant pas à partir de là qu’on ne puisse pas nier
Dieu ou penser qu’Il n’existe pas ; on peut en effet penser qu’il n’y a
rien de tel dont il ne soit pas possible de penser quelque chose de plus
grand ; et c’est pourquoi le raisonnement d’Anselme procède de cette
hypothèse qui suppose qu’il y a quelque chose dont on ne peut rien penser de
plus grand. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad s. c. Et similiter etiam
dicendum ad aliam probationem. |
Réponse à
l’objection : Et il faut répondre la même chose à l’autre preuve. |
|
|
Articulus 3 b. 1 d. 3 q. 1 a. 3 tit.
Utrum Deus possit cognosci ab homine per creaturas. |
Article 3 – Dieu peut-il être connu par l'homme à travers les créatures ? |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod Deus possit cognosci per creaturas ab homine. Rom.
1, 20: invisibilia Dei a creatura mundi
per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Creatura autem dicitur [videtur Éd. de Parme].esse homo, secundum
expositionem Magistri. Ergo per creaturas ab homine potest cognosci. |
Difficultés : 1. Voici comme on procède à l’égard de ce troisième article. Il
semble que Dieu puisse être connu par l’homme au moyen des créatures. C’est
ce que dit Paul dans sa Lettre aux romains [1, 20] : Ce qui ne peut
être vu de Dieu par la créature du monde se laisse voir à l’intelligence à
travers ses œuvres. Mais la créature dont on parle est l’homme, selon
l’explication du Maître. Donc, Dieu peut être connu par l’homme au moyen des
créatures. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, videtur quod ab
Angelo. Cognitio enim Dei per creaturas fit per hoc quod videtur divina
bonitas relucens in creatura. Sed Angelus cognoscens res in proprio genere,
videt divinam bonitatem in ipsis. Ergo cognoscit creatorem ex
creaturis. |
2. En outre, il semble
qu’il puisse être connu par l’Ange. La connaissance de Dieu au moyen des
creatures a lieu du fait qu’on voit la bonté
divine se refléter dans la creature. Mais l’Ange, en connaissant les
choses dans leur genre propre, voit la bonté divine en eux. Donc il connaît
le créateur à partir d’elles. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod
etiam bruta. Nulli enim
fit praeceptum nisi ei qui cognoscit praeceptum. Sed Jonae, 4, dicitur, quod
praecepit dominus vermi, quod percuteret hederam. Ergo vermis potest
cognoscere divinum praeceptum, et ita potest etiam cognoscere praecipientem. |
3. De plus, il semble qu’il en soit de même aussi pour la brute. Le
commandement ne s’adresse en effet qu’à celui qui connaît le commandement.
Mais dans le livre de Jonas, 4, on dit que le Seigneur commanda au ver de
frapper le lierre. Donc le ver peut connaître le commandement divin et ainsi
il peut même connaître Celui qui le donne. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 3 arg. 4 Item, videtur quod etiam a peccatoribus possit cognosci:
dicitur enim Rom. 1, 21: cum Deum
cognovissent, non sicut Deum glorificaverunt. Tales autem peccatores
fuerunt. Ergo et cetera. |
4. Par ailleurs, il semble que Dieu puisse être connu même par les
pécheurs : dit en effet dans la Lettre aux Romains (1, 21) :
Puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu gloire comme ils le
devaient à Dieu. Mais de tels pécheurs ont existé. Donc, etc. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 3 arg. 5 Contra, omnis
effectus ducens in cognitionem suae causae, est aliquo modo proportionatus
sibi. Sed creaturae non sunt proportionatae Deo. Ergo ex eis non potest homo
in suam cognitionem venire. |
Cependant : 5. Au contraire, tout effet qui conduit à la connaissance de sa cause
est en un sens proportionné à cette cause. Mais les craétures ne sont pas
proportionnées à Dieu. Donc, l’homme ne peut à partir d’elles en venir à la
connaissance de Dieu. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 6 Item, videtur quod nec Angeli. Quod enim per se
cognoscitur, non cognoscitur per aliquid aliud. Sed Deum cognoscunt Angeli
per se, videntes ipsum in sua essentia. Ergo non cognoscunt ipsum per creaturas. |
6. En outre, il semble que les Anges ne le puissent pas non plus. En
effet, ce qui est connu par soi n’est pas connu par quelque chose d’autre.
Mais les Anges connaissent Dieu par lui-même, le voyant dans son essence.
Donc, ils ne connaissent pas Dieu au moyen des créatures. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 3 arg. 7 Item, videtur quod nec etiam a brutis. Nulla enim potentia
affixa organo habet virtutem ad cognoscendum nisi speciem materialem, eo quod
cognitio sit in cognoscente secundum modum ipsius cognoscentis [.cognoscentis
om. Éd. de Parme]. Sed bruta non
habent virtutes cognoscitivas, nisi sensitivas, quae sunt affixae organo.
Ergo nullo modo possunt cognoscere Deum, qui omnino est immaterialis. |
7. De plus, il semble que les brutes animales ne le puissent pas non
plus. Toute puissance en effet qui est liée à un organe ne peut connaître
qu’une espèce matérielle, du fait que la connaissance est dans celui qui
connaît selon le mode de celui-à même qui connaît. Mais les brutes animales
ne possèdent comme puissances cognitives que celles qui sont sensibles,
lesquelles sont rattachées à un organe. Elles ne peuvent donc en aucune
manière connaître Dieu qui est absolument immatériel. |
Lib.
1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 8 Item, videtur quod nec etiam a peccatoribus.
Ambrosius enim dicit super illud, Matth. 5, 8: « Beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt ». (lib. I In luc, 27) Si qui mundo corde sunt,
Deum videbunt, ergo alii non videbunt ; neque enim maligni Deum videbunt,
neque is qui Deum videre noluerit, potest videre Deum. |
8. Enfin, il semble qu’il
ne puisse non plus être connu par les pécheurs. En effet en commentant
Matthieu (5, 8): ¨Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu¨,
Ambroise dit: Si ceux qui ont le coeur pur verront Dieu, alors les autres ne
Le verront pas; les méchants en effet ne verront pas Dieu, et celui qui ne
voudra pas voir Dieu ne pourra le voir. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod,
cum creatura exemplariter procedat ab ipso [ab ipso om. Éd. de Parme] Deo sicut a causa quodammodo simili
per [secundum Éd. de Parme]
analogiam, [eo scilicet quod quaelibet creatura eum imitatur secundum
possibilitatem naturae suae, add. Éd.
de Parme] ex creaturis potest in Deum deveniri tribus illis modis quibus
dictum est, scilicet per causalitatem, remotionem, eminentiam. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que puisque la créature procède à la
manière d’un modèle de Dieu lui-même comme d’une cause qui lui est en quelque
sorte semblable par analogie [à savoir du fait que toute créature imite Dieu
selon les possibilités de sa nature], il est possible de parvenir à la
connaissance de Dieu à partir des créatures
selon les trois modalités dont nous avons parlé, c’est-à-dire par la
causalité, la négation et l’excellence. |
Ad
hoc autem quod aliquis ex creaturis in Deum deveniat, duo requiruntur: scilicet quod ipsum Deum possit aliquo
modo capere, et ideo brutis non convenit talis processus cognitionis ; secundo
requiritur quod cognitio divina in eis incipiat a creaturis et terminetur ad
creatorem ; et ideo Angelis non convenit Deum cognoscere per creaturas, neque
beatis hominibus, qui a creatoris cognitione procedunt in creaturas. Sed convenit iste processus hominibus,
secundum statum viae, bonis et malis. |
Mais afin de parvenir à la connaissance de Dieu au moyen des
créatures, deux choses sont nécessaires : à savoir en premier lieu qu’on
puisse saisir Dieu d’une certaine manière, et c’est pourquoi un tel procédé
de connaissance n’appartient pas aux brutes animales ; il est requis en
deuxième lieu que la connaissance de Dieu commence en partant des créatures
et se termine au créateur : et c’est pourquoi il n’appartient pas aux
Anges et aux bienheureux de connaître Dieu au moyen des créatures, lesquels
procèdent de la connaissance du créateur pour aller à celle des créatures.
Mais ce procédé convient aux hommes en cette vie, qu’ils soient bons ou
mauvais. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 1 Primum ergo concedimus. |
Solutions: 1. Nous concédons ce qui est dit dans la première
difficulté. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis Angelus cognoscat divinam bonitatem relucere in creatura, non
tamen ex creatura venit in creatorem, sed e contrario. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que bien que l’Ange connaît que la bonté divine se reflète dans
la créature, ce n’est cependant pas à partir de la créature qu’il en vient à
connaître le créateur mais c’est plutôt en suivant le procédé inverse. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
praeceptum Dei non devenit ad vermem, ita quod intentionem praecepti
apprehenderet, sed quia divina virtute mota est ejus aestimativa naturali
motu ad complendum [explendum Éd. de
Parme] illud quod Deus disponebat. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que le commandemant de Dieu ne parvient pas au ver de telle
manière que ce dernier appréhende l’intention du précepte mais parce que par
la puissance divine son estimative est poussée par un movement naturel à
accomplir ce que Dieu avait ordonné. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 4 Quartum concedimus. |
4. Nous concédons ce qui est dit dans la quatrième difficulté. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod creatura est effectus non
proportionatus creatori ; et ideo non ducit in perfectam cognitionem ipsius
sed in imperfectam. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que la créature est un effet qui
est sans commune mesure avec le créateur ; et c’est la raison pour
laquelle elle ne conduit pas à une connaissance parfaite mais imparfaite du
créateur. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 3 ad 6 Sextum et septimum concedimus. |
6 et 7. Nous concédons les arguments présentés dans 6 et 7. |
Ad octavum
dicendum, quod Ambrosius loquitur de visione Dei per essentiam, quae erit in
patria, ad quam nullus malus poterit pervenire. Similiter etiam ad
cognitionem fidei nullus venit nisi fidelis. Sed cognitio naturalis de Deo
communis est bonis et malis, fidelibus et infidelibus. |
Il faut dire
par rapport à l’argument présenté dans 8 qu’Ambroise parle de la vision de
Dieu par son essence qui aura lieu dans la patrie céleste à laquelle aucun
méchant ne pourra avoir accès. De même encore, nul ne vient à la connaissance
de Foi excepté le fidèle. Mais la connaissance naturelle de Dieu est commune
aux bons et aux méchants, aux fidèles et aux infidèles. |
|
|
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 tit. Utrum
philosophi naturali cognitione cognoverint Trinitatem ex creaturis |
Article 4 – Les philosophes ont-ils connu la Trinité d’une connaissance naturelle par les créatures ? |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod philosophi naturali cognitione ex creaturis in
Trinitatem devenerunt. Dicit enim Aristoteles (in principio De caelo et mundi, text., 5) : Et per hunc quidem numerum, scilicet
ternarium, adhibuimus nos ipsos
magnificare Deum unum eminentem proprietatibus eorum quae creata sunt. Similiter etiam Plato, in Parmen, loquitur multa de paterno
intellectu et multi alii philosophi. |
Difficultés : 1. On procède de la manière qui suit par rapport à ce quatrième
article. Il semble que les philosophes en sont venus à une connaissance de la
Trinité au moyen d’une connaissance naturelle en partant des créatures.
Aristote dit en effet [au début du traité du Ciel et du Monde, text.
5] : Et par ce nombre, à savoir le nombre trois, nous nous sommes
appliqués à glorifier l’excellence du Dieu unique par les propriétés des
choses qui ont été créées. De même encore Platon, dans son Parménide, et
de nombreux autres philosophes, disent de nombreuses choses sur
l’intelligence du père. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, philosophi
potuerunt devenire in cognitionem eorum quae in creaturis relucent. Sed in
anima est expressa similitudo Trinitatis personarum. Ergo videtur quod per
potentias animae, quas philosophi multum consideraverunt, potuerunt in
Trinitatem personarum devenire. |
2. De plus, les
philosophes ont pu en venir à la connaissance de ce qui se reflète dans les
creatures. Mais dans l’âme il y a une resemblance qui représente la Trinité des personnes. Il
semble donc qu’au moyen des puissances de l’âme que les philosophes ont
grandement considérées, ces derniers ont pu en venir à une connaissance de la
Trinité des personnes. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 4 arg. 3 Item, Richardus de s. Victore (De Trin., cap. IV), dicit: « Credo sine dubio quod ad
quamcumque explanationem veritatis, quae necesse est esse, non modo
probabilia, immo et necessaria argumenta non desunt ». Sed
necessarium est cognoscere Trinitatem. Ergo videtur quod ad ipsius
cognitionem philosophi rationem habere potuerunt. Quod etiam videtur ex probationibus
supra inductis, dist. 2, art. 4, quibus Trinitas probatur. |
3. En outre, Richard de Saint Victor [de la Trinité, ch. IV]
dit : Je crois sans aucun doute que pour toute explication de la
vérité qui doit nécessairement exister, les arguments, non pas ceux qui se
présentent sous une forme probable, mais plutôt ceux qui sont nécessaires, ne
manquent pas. Mais il est nécessaire de connaître la Trinité. Il semble
donc que pour cette connaissance les philosophes ont pu posséder des
arguments. Ce qui apparaît aussi à partir des preuves introduites plus haut
[dist. 2, art. 4], par lesquelles on prouve la Trinité. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 4 arg. 4 Item, dicitur Rom. 1 in Glossa quod philosophi non
pervenerunt ad notitiam personae tertiae, scilicet Spiritus sancti, et idem
habetur super Exod. 8, ubi dicitur,
quod magi Pharaonis defecerunt in tertio signo. Ergo videtur
ad minus quod ad notitiam duarum personarum venerunt. |
4. Par ailleurs, on dit
dans la glose de la Lettre aux Romains que les philosophes ne sont pas
parvenus à la connaissance de la troisième personne, à savoir l’Esprit-Saint
et on affirme la même chose au livre de l’Exode [ch. 8] que les magiciens de
Pharaon renoncèrent au troisième signe. Il semble donc qu’ils en vinrent au
moins à la connaissance de deux personnes. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, Hebr. 11,
1: Fides est substantia sperandarum
rerum, argumentum non apparentium. Sed Deum esse trinum et unum, est
articulus fidei. Ergo non est apparens rationi. |
Cependant : 1. On dit
dans la Lettre aux Hébreux (11, 1) : La foi est la garantie des biens
que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas. Mais que Dieu
soit à la fois trine et un, cela est un article de foi. Donc, cela n’est pas
accessible à la raison. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod per naturalem rationem non potest
perveniri in cognitionem Trinitatis personarum ; et ideo philosophi nihil de
hoc sciverunt, nisi forte per revelationem vel auditum ab aliis. Et hujus
ratio est, quia naturalis ratio non cognoscit Deum nisi ex creaturis. Omnia
autem quae dicuntur de Deo per respectum ad creaturas, pertinent ad essentiam
et non ad personas. Et
ideo ex naturali ratione non venitur nisi in attributa divinae essentiae.
Tamen personas, secundum appropriata eis, philosophi cognoscere potuerunt, cognoscentes
potentiam, sapientiam, bonitatem. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’on ne peut parvenir à la connaissance
de la Trinité des personnes par la raison naturelle ; et c’est pourquoi
les philosophes n’ont rien su à ce sujet, si ce n’est bien sûr par révélation
ou pour l’avoir entendu dire par d’autres. Et la raison en est que la raison
naturelle ne connaît Dieu qu’à partir des créatures. Mais tout ce qu’on dit
de Dieu en partant des créatures se rapporte à l’essence divine et non aux
personnes de la divinité. Et c’est pourquoi en s’appuyant sur la raison
naturelle on ne peut arriver à connaître que les attributs de l’essence
divine. Cependant les philosophes pouvaient, selon le mode qui leur convient,
connaître les personnes en connaissant la puissance, la sagesse et la bonté. |
Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod, secundum expositionem Commentatoris, Aristoteles non intendit
Trinitatem personarum in Deo ponere ; sed propter hoc quod in omnibus
creaturis apparet perfectio in ternario, sicut in principio, medio et fine,
ideo antiqui honorabant Deum in sacrificiis et orationibus triplicatis. Plato autem dicitur multa cognovisse
de divinis, legens libris [libros Éd.
de Parme] veteris legis, quos invenit in Aegypto. Vel forte intellectum
paternum nominat intellectum divinum, secundum quod in se quodam modo
concipit ideam mundi, quae est mundus archetypus. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que d’après l’explication du
Commentateur, Aristote ne cherche pas à affirme qu’il y a trois personnes en
Dieu ; mais pour cette raison que le nombre trois semble présenter une
perfection dans toutes les créatures comme le commencement, le milieu et la
fin, c’est pourquoi les anciens honoraient Dieu dans des sacrifices et des
discours qui se multipliaient par trois. Mais on dit que Platon a connu
beaucoup de choses sur Dieu en lisant les libres de la loi ancienne qu’il
trouva en Égypte. Ou bien peut-être appelle-t-il intelligence paternelle
l’intelligence divine d’après laquelle il conçut en lui-même d’une certaine
manière l’Idée du monde qui est le premier monde en tant que principe. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo Trinitatis relucens in
anima est omnino imperfecta et deficiens, sicut infra dicet Magister. Sed
dicitur expressa per comparationem ad similitudinem vestigii. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la similitude de la Trinité qui
se reflète dans l’âme est absolument imparfaite et déficiente, comme le dira
plus loin le Maître. Mais on dit qu’elle représente la Trinité sous le
rapport d’une ressemblance de vestige. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si dictum Richardi intelligatur
universaliter, quod omne verum possit probari per rationem, est expresse
falsum ; quia prima principia per se nota non probantur. Si autem aliqua sunt
in se nota quae nobis occulta sunt, illa probantur per notiora quo ad nos.
Notiora autem quo ad nos sunt effectus principiorum. Ex effectibus autem
creaturarum, Trinitas personarum probari non potest, ut dictum est. Et ideo
relinquitur quod nullo modo possit probari ; et omnes rationes inductae sunt
magis adaptationes quaedam, quam necessario concludentes. Remoto enim per
impossibile intellectu distinctionis personarum, adhuc remanebit in Deo summa
bonitas et beatitudo et caritas. |
3. En troisième lieu il faut dire que si les paroles de Richard
s’entendent absolument, à savoir que tout ce qui est vrai peut être prouvé
par la raison, cela est manifestement faux ; car les premiers principes
connus par soi ne sont pas prouvés. Mais s’il y a des vérités connues par soi
qui nous sont inconnues, celles-là sont prouvées par des vérités plus connues
de nous. Mais les vérités plus connues de nous sont des effets de principes.
Mais à partir des effets des créatures, la Trinité des personnes ne peut être
prouvée, ainsi que nous l’avons dit. Et c’est pourquoi il s’ensuit qu’elle ne
peut en aucune façon être prouvée ; et toutes les raisons qu’on
introduit sont davantage des ajustements que des raisons qui concluent avec
nécessité. Si on écarte en effet par impossible la compréhension de la
distinction des personnes, il demeurera encore en Dieu la bonté, la béatitude
et la charité sous leur forme la plus parfaite. |
Lib. 1 d. 3
q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophi non pervenerunt in
cognitionem duarum personarum quantum ad propria, sed solum quantum ad
appropriata, non inquantum appropriata sunt, quia sic eorum cognitio
dependeret ex propriis, sed inquantum sunt attributa divinae naturae. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que les philosophes ne sont pas parvenus à la
connaissance de deux personnes quant à ce qui les distingue en propre mais
seulement quant à des effets appropriés, non pas cependant en tant qu’ils
sont appropriés, car ainsi la connaissance de ces derniers dépendrait de
leurs effets propres, mais en tant qu’ils sont des attributs de la nature
divine. |
Et si
objiciatur, quod similiter devenerunt in cognitionem bonitatis, quae
appropriatur spiritui sancto, sicut in cognitionem potentiae et sapientiae,
quae appropriantur patri et filio: dicendum, quod bonitatem non cognoverunt
quantum ad potissimum effectum ipsius, incarnationem scilicet et
redemptionem. Vel quia non tantum intenderunt venerationi bonitatis divinae,
quam etiam non imitabantur, sicut venerati sunt potentiam et sapientiam. |
Et si on objectait que de la même manière ils sont parvenus à la
connaissance de la bonté qui est appropriée à l’Esprit-Saint comme à la
connaissance de la puissance et de la sagesse qui sont respectivement appropriés
au Père et au Fils, il faut dire qu’ils n’ont pas connu la bonté quant à son
effet le plus puissant, à savoir l’incarnation et la rédemption. Ou encore
qu’ils n’ont pas cherché à vénérer la bonté divine, qu’ils n’ont pas même
imitée, comme ils ont vénéré la puissance et la sagesse. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [Les traces] [5] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Prooemium Lib. 1 d. 3 q. 2 pr Deinde quaeritur de vestigio, circa quod
quaeruntur tria: 1 quid
sit vestigium ; 2 de
partibus vestigii ; 3
utrum in omni creatura vestigium inveniatur. |
Proème, Livre
1, d. 3, q. 2 pr. On
s’interroge ensuite sur le vestige, au sujet duquel on pose trois
questions : 1. Qu’est-ce
qu’un vestige ? 2. Quelles en
sont les parties ? 3. Est-ce
qu’on retrouve un vestige en toute créature ? |
|
|
Articulus 1- I Sent. D.3, qu. 2, a. 1. Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 tit. Utrum
similitudo Dei in creaturis, possit dici vestigium |
Article 1 – La ressemblance de Dieu dans les créatures peut-elle être appelée vestige ? |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod similitudo Creatoris reperta in creatura, non potest
dici vestigium. Per vestigium enim res investigatur. Sed divina majestas est
investigabilis: unde dicitur Rom.
11, 33: O altitudo divitiarum
sapientiae et scientiae Dei, quam incomprehensibilia sunt judicia ejus, et
investigabiles viae ejus ! Et Psalm. 76, 20: Et vestigia tua non cognoscentur[6]. Ergo videtur quod similitudo
creatoris in creatura non sit vestigium. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède par rapport à cette question. Il semble
que la similitude du Créateur découverte dans la créature ne puisse être
appelée vestige. C’est au moyen d’un vestige en effet qu’une chose est
découverte. Mais la divine majesté ne peut être découverte : c’est
pourquoi Paul dit dans la Lettre aux romains (11, 33) : O abîme des
richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses décrets sont
insondables et ses voies incompréhensibles ! Et le Psalmiste nous
dit (76, 20) : Et tes traces, nul ne les connut. Il semble donc
que la similitude du créateur dans la créature ne soit pas un vestige. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, vestigium est impressio quaedam consequens motum
ejus cujus est vestigium. Sed Deus res producit sine aliquo sui motu, Jac. 1, 17: Apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio.
Ergo vestigium non potest dici de similitudine creaturae, quae a creatore
producitur. |
Par ailleurs, un vestige est une impression qui découle du mouvement
de ce dont il est le vestige. Mais Dieu produit les choses sans aucun
mouvement selon ce que Jacques en dit dans sa Lettre (1, 17) : Celui chez qui n’existe
aucun changement ni l’ombre d’une variation. On ne peut donc attribuer le
terme de vestige à la similitude de la créature qui est produite par le
Créateur. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, vestigium,
secundum quod hic sumitur, inducit in cognitionem personarum. Sed per
creaturas non potest haberi cognitio Trinitatis, ut dictum est. Ergo
similitudo reperta in creaturis non debet dici vestigium ; vel vestigium non
ducit in Trinitatem. |
3. En outre le vestige,
dans le sens où il est pris ici, introduit à la connaissance des personnes.
Mais on ne peut acquérir une connaissance de la Trinité au moyen des
creatures, ainsi que nous l’avons dit. Donc la similitude découverte dans les
créatures ne doit pas être appelée vestige; ou bien encore, si on le fait, le
vestige ne conduit pas à la Trinité. |
Lib.
1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, Gregorius dicit, (X Moral., c.VIII) super illud Job
11, 7: « Forsitan vestigia » Dei comprehendes ? » Benignitas visitationis, qua viam nobis
ostendit, ejus vestigia dicuntur. Ergo videtur,
quod vestigium non sit similitudo Dei reperta in creaturis. |
4. Grégoire dit de plus
[X Moral., ch. VIII] au sujet
de ce passage de Job (11, 7): ¨Peut-être pretends-tu comprendre les vestiges
de Dieu?¨: La bienveillance de la manifestation par laquelle il nous
montre la voie est ce qu’on appelle son vestige. Il semble donc que la
similitude de Dieu découverte dans les creatures ne soit pas un vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
vestigium, secundum quod hic dicitur [sumitur Éd. de Parme], metaphorice accipitur, et sumitur ad similitudinem
vestigii proprie dicti, quod est impressio quaedam, confuse ducens in
cognitionem alicujus, cum non repraesentet ipsum nisi secundum partem,
scilicet pedem, et secundum inferiorem superficiem tantum. Tria ergo
considerantur in ratione vestigii: scilicet similitudo, imperfectio
similitudinis, et quod per vestigium in rem cujus est vestigium devenitur. Secundum
hoc ergo, quia in creaturis invenitur similitudo creatoris, per quam in
ipsius cognitionem devenire possimus, et est imperfecta similitudo ; ideo in
creaturis dicitur vestigium creatoris. Et quia creaturae [creaturae om. Éd. de Parme] magis deficiunt a
repraesentatione distinctionis personarum, quam essentialium attributorum ;
ideo magis proprie dicitur creatura vestigium, secundum quod ducit in
personas, quam secundum quod ducit in divinam essentiam. |
Corps de l’article: Je réponds que le vestige,
dans le sens où il est pris ici, se dit dans un sens métaphorique et se tire
d’une resemblance avec le vestige proprement dit, lequel est une certaine
impression qui conduit confusément à la connaissance d’une chose puisqu’elle
ne la représente que selon une partie, à savoir le pied et seulement d’après
une étendue inférieure. Tois aspects sont donc considérés dans la notion de
vestige: à savoir la similitude, l’imperfection de la similitude et ce qui
est découvert au moyen du vestige dans la chose dont elle est le vestige.
D’après cela par conséquent, parce que dans les créatures on retrouve une
similitude du créateur, par laquelle nous pouvons en venir à la connaissance
de ce dernier et que cette similitude est imparfaite, c’est pourquoi cette
similitude dans les créatures est appellée vestige du créateur. Et parce que
les creatures s’écartent davantage d’une representation de la distinction
qu’il y a entre les personnes que de la représentation des attributs
essentiels, c’est pourquoi la créature est plus proprement appellée vestige
selon qu’elle conduit à la connaissance des personnes que selon qu’elle
conduit à la connaissance de l’essence divine. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod divinae viae dicuntur investigabiles, quia non ad plenum ipsius opera
comprehendere possumus, non quod ex creaturis nullo modo in ipsas devenire
possimus. |
Solutions: 1. Il faut dire
premièrement qu’on dit des voies de Dieu qu’elles sont impénétrables, non pas
parce qu’à partir des creatures nous ne pouvons parvenir en aucune manière à
celles-ci mais parce que nous ne pouvons parvenir à comprendre pleinement ses
oeuvres. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in his quae dicuntur per
translationem, sufficit quod attendatur similitudo quantum ad aliquid, et non
oportet quod quantum ad omnia ; alias esset proprietas [identitas Éd. de Parme], et non similitudo. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que pour les choses qui sont dites
métaphoriquement, il suffit que la similitude s’étende à un certain rapport et
non pas à tous les rapports ; autrement, le terme désignerait une
propriété ou une identité et non pas une similitude. |
ib. 1 d. 3
q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per vestigium non devenimus in
cognitionem personarum, nisi valde confuse ; quia per appropriata personis,
magis quam per ipsarum propria, sicut patet ex littera. Appropriata autem
sunt essentialia, quamvis similitudinem habeant cum propriis personarum. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’au moyen d’un vestige on n’en
vient pas à la connaissanace des personnes, si ce n’est sans doute d’une
manière confuse ; car alors c’est au moyen des attributs qui sont
appropriés aux personnes qu’on les connaît plutôt que par ceux qui leur sont
propres, ainsi qu’on le voit à partir du document. Mais les attributs
appropriés sont essentiels, bien qu’ils entretiennent une similitude avec
ceux qui sont propres aux personnes. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod uni rei possunt esse multa similia ;
unde non est inconveniens quod ab eodem transumentur [transmutentur Éd. de Parme] aliqua diversa secundum
diversas similitudines ; et ideo potest esse quod similitudo reperta in
creaturis dicatur vestigium in quantum confuse repraesentat ; et opera
divinae bonitatis in mysterio incarnationis ostensa dicantur vestigia Dei
inquantum per ea nobis via paratur ad veniendum in ipsum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que pour une seule et même chose il
peut exister plusieurs similitudes ; de là il n’y a pas de problème à ce
que divers rapports selon différentes similitudes soient reçus par une même
chose ; et c’est pourquoi il peut arriver que la similitude découverte
dans les créatures soit appelée vestige selon qu’elle représente confusément
ce dont elle est la similitude ; et les œuvres de la bonté divine
manifestées dans le mystère de l’incarnation sont appelées vestige de Dieu
dans la mesure où elles nous préparent le chemin pour parvenir jusqu’à Lui. |
|
|
Articulus 2 Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 tit.
Utrum partes vestigii sint tres tantum vel duae. |
Article 2 – Est-ce que les parties du vestige sont au nombre de trois ou n’y en a-t-il que deux ? |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
debeant esse tantum duae partes vestigii. Vestigium enim est proprietas
quaedam creaturae. Sed creatura habet tantum duas partes essentiales,
scilicet materiam et formam. Ergo videtur quod secundum has partes duae
tantum sint partes vestigii. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de ce deuxième article. Il
semble qu’un vestige ne comporte que deux parties. Un vestige en effet est
une certaine propriété d’une créature. Mais la créature ne possède que deux
parties essentielles, à savoir la matière et la forme. Il semble donc que le
vestige ne comporte que deux parties d’après ces composantes. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 2 Item,
videtur quod quatuor. Per vestigium enim non tantum repraesentatur personarum
Trinitas, sed etiam unitas essentiae. Ergo oportet esse tria respondentia
tribus personis et quartum respondens unitati essentiae. |
2. En outre, il semble qu’un vestige comporte quatre parties. Par un
vestige en effet ce n’est pas seulement la Trinité des personnes qui est
représentée, mais aussi l’unité de l’essence. Il faut donc qu’il y ait trois
parties qui correspondent aux trois personnes et une autre qui correspond à
l’unité de l’essence. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, vestigium dicitur
in creatura secundum quod repraesentat creatorem. Cum igitur in creaturis
repraesententur plurima attributa ipsius Dei, quae participantur a creaturis,
sicut patet per Dionysium (de div.
Nom., cap. IX) videtur quod sint plurimae partes. |
3. De plus, on dit qu’il y a vestige dans la créature selon qu’elle
représente le Créateur. Donc, puisqu’une multitude d’attributs de Dieu, dont
les créatures participent, sont représentés dans celles-ci, ainsi qu’on le
voit chez Denys [Les Noms Divins, ch. 1X], il semble qu’un vestige comporte
une multitude de parties. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 2 arg. 4 Item, a diversis inveniuntur partes diversae assignatae ;
sicut Sap. 11, 21 dicitur: omnia in
numero, pondere et mensura disposuisti ; et Augustinus (de natura boni, cap. III), ponit
modum, speciem et ordinem ; et multis aliis modis secundum diversos.
Quaeritur ergo de ratione diversitatis assignationum. |
4. Par ailleurs, différentes parties se trouvent à être attribuées
d’après différents principes, ainsi qu’il est dit dans le livre de la Sagesse
(XI, 20) : Tu as tout réglé avec nombre, poids et mesure ;
et Augustin pose [Sur la Nature du Bien, ch. 111] le mode, l’espèce et
l’ordre ; et c’est de plusieurs autres manières que se font les
attributions d’après différents critères. On s’interroge donc sur la raison
de la diversité des attributions. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
vestigium invenitur in creatura, inquantum imitatur divinam perfectionem.
Perfectio autem creaturae non statim habetur in suis principiis, quae
imperfecta sunt, ut patet in materia et forma, quorum neutrum habet per se
[per se om. Éd. de Parme] esse
perfectum ; sed in conjunctione ipsius creaturae ad suum finem. Distantia
autem natura non conjungit sine medio: et ideo in creaturis invenitur
principium, medium et finis, secundum quae tria ponebat Pythagoras
perfectionem cujuslibet creaturae. Et secundum rationem etiam horum trium
repraesentatur in creaturis distinctio divinarum personarum, in quibus Filius
est media persona, sed Spiritus sanctus est in quo terminatur processio
personarum. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut
dire qu’on retrouve un vestige dans la creature dans la mesure où elle imite
la perfection divine. Mais la perfection de la creature n’est pas possédée
immédiatement dans ses principes, lesquels sont imparfaits, ainsi qu’on peut
le voir dans la matière et la forme, alors qu’aucune des deux ne possède par
elle-même une existence parfaite, mais seulement dans la mesure où elles sont
unies dans la créature en vue de sa fin. Mais ce n’est pas sans intermédiaire
que la nature réunit ce qui est éloigné: et c’est pourquoi dans les créatures
on retrouve un commencement, un milieu et une fin sur lesquels Pythagoras
fondait la perfection de toute créature. Et c’est encore suivant la notion de
ces trois principes que se trouve à être représentée dans les creatures la
distinction des personnes divines dans lesquelles le Fils est la personne
intermédiaire et l’Esprit-Saint est celle dans laquelle se termine la
procession des personnes. |
Contingit autem inter duo extrema esse
plurima [plura Éd. de Parme] media
; et ideo contingit quod principium et medium et finis diversimode possunt
assignari, secundum quod ex his omnibus, [scilicet principio, medio et fine,
et multis mediis add. Éd. de Parme],
quaedam possunt accipi ut principium et quaedam ut medium et quaedam ut
finis, diversimode combinando ; et ideo contingit quod a diversis partes
vestigii diversimode sunt assignatae. Verbi gratia,
primum quod pertinet ad perfectionem rei, sunt principia ipsius rei ; ultimum
autem est perfectio [ipsius add. Éd.
de Parme] rei
secundum comparationem [operationem Éd.
de Parme] suam ad alias res non tantum prout in se perfecta est. Inter
haec autem multa sunt media. Est enim dispositio principiorum, sive
inclinatio ad esse principiati ; est etiam limitatio principiorum sub forma
principiati, et est forma ipsius principiati et est virtus et operatio et
multa hujusmodi. |
Il arrive cependant qu’entre deux extrêmes il y ait plusieurs
intermédiaires ; et c’est pourquoi il arrive que le commencement, le
milieu et la fin puissent être attribués de diverses manières selon qu’à
partir de tous ces termes [à savoir le commencement, le milieu et la fin et les
nombreux intermédiaires] certains puissent se prendre comme commencement,
certains comme milieu et certains comme fin par des combinaisons
différentes ; et c’est pourquoi il arrive que les parties du vestige
soient attribuées différemment par différentes combinaisons. En d’autres mots,
les principes de la chose elle-même sont ce qui se rapporte en premier lieu à
la perfection de la chose ; mais ce qui s’y rapporte en dernier lieu
c’est son rapport aux autres choses [l’opération, d’après l’Éd. de Parme]
et non seulement selon qu’elle est parfaite en elle-même. Mais entre ces deux
termes il y a de nombreux intermédiaires. Il y a en effet la disposition des
principes ou l’inclination à l’existence de ce qui résulte du principe ;
il y a aussi la limitation des principes sous la forme de ce qui résulte des
principes, il y a la forme de l’effet lui-même, en plus de la puissance, de
l’opération et de plusieurs autres facteurs de cette sorte. |
Potest ergo
assignari vestigium, ut pro principio sumatur solum illud quod primum est,
scilicet ipsa substantia principiorum ; et pro medio illud quod est immediate
sequens, scilicet dispositio principiorum sive inclinatio ad esse principii ;
et pro fine illud totum quod consequitur ; et secundum hoc sumitur illud quod
dicitur Sapien. 11, numerus, pondus et mensura ; quia numerus pertinet ad
pluralitatem principiorum, pondus ad inclinationem principiorum in esse
principiati, mensura ad terminationem principiorum sub esse creati terminato
[terminat Éd. de Parme] ; ita quod
in ista terminatione sumatur et terminatio in esse et in operari et in
omnibus aliis. Item potest aliter sumi, ut pro principio sumatur ipsa
substantia principiorum et inclinatio et quidquid aliud pertinet ad
principia, et pro medio sumatur ipsa forma principiati, et pro ultimo sumatur
ipsa comparatio ipsius rei ad ea quae sunt extra rem. Et sic sumuntur illa
verba Augustin, lib. LXXXIII quest.,
d. XVIII.: « Quod constat, quod
discernitur, quod congruit ». |
Le vestige peut donc être assigné de telle manière que soit pris pour
principe seulement ce qui est premier, à savoir la substance même des
principes ; et que soit pris pour milieu ce qui suit immédiatement,
c’est-à-dire la disposition des principes ou l’inclination à l’existence de
ce qui résulte du principe ; et que soit pris pour fin ce tout qui en
découle ; et c’est d’après cela que se prend ce qui est dit dans le
livre de la Sagesse (ch. 11), à savoir le nombre, le poids et la mesure ;
car le nombre se rapporte à la multiplicité des principes, le poids à
l’inclination des principes à l’existence de ce qui en résulte ou de l’effet,
et la mesure à l’établissement des principes sous l’existence achevée de ce
qui est créé ; de telle manière que dans cet achèvement on entende à la fois l’achèvement dans
l’existence et l’opération et l’achèvement dans toutes les autres étapes. On
peut aussi recevoir cela autrement, de telle manière que pour principe on
prenne la substance même des principes et l’inclination et toute autre chose
qui se rapporte aux principes, qu’on prenne pour intermédiaire la forme même
de l’effet et que pour fin on prenne le rapport même de la chose elle-même à
ce qui est extérieur à la chose. Et c’est ainsi qu’on reçoit ces paroles d’Augustin [Livre des Quatre-vingt-trois Questions, d.
XVIII] : ¨Ce qui les constitue, ce qui les distingue, ce qui convient¨. |
Constat enim
res per ipsa sua principia, discernitur per formam, congruit per
comparationem ad alterum: et quasi similiter sumuntur ista, modus, species et
ordo ; ita quod modus pertineat ad principia determinata sub esse
principiati, species ad formam, ordo ad comparationem ad alterum ; nisi quod
ista sunt abstracta et prima concreta ; et quasi similiter accipiuntur ista,
unum, verum et bonum ; ut unitas rei pertineat ad suam determinationem prout
ex principiis constituta est, et veritas secundum quod habet formam, et bonum
secundum quod ordinatur ad finem. Item etiam potest sumi pro principio tota
res secundum quod est etiam perfecta per formam, et pro medio virtus, et pro
fine operatio ; et sic sumitur illa Dionysii: essentia, virtus et operatio.
Et sic patet quod secundum quod perfectio rei potest intelligi terminari ad
diversa, et secundum quod unum membrum potest multa vel pauca includere,
invenitur diversitas partium vestigii in omnibus secundum unam communem
rationem principii, medii et finis assignatam [signatam. Éd. de Parme]. |
C’est par ses principes eux-mêmes en effet que la chose est
constituée, par sa forme qu’elle se distingue et c’est dans son rapport à la
chose à laquelle elle est ordonnée qu’elle convient : et c’est comme de
la même manière que se prennent ces trois termes, à savoir le mode, l’espèce
et l’ordre, de telle manière que le mode se rapporte aux principes déterminés
dans l’existence de l’effet, l’espèce à la forme et l’ordre au rapport à
autre chose, si ce n’est que cette dernière séquence est abstraite alors que
la première est concrète ; et c’est encore comme de la même manière que
se reçoivent les termes suivants, à savoir l’un, le vrai et le bien, de telle
manière que l’unité de la chose se rapporte à sa définition selon qu’elle est
constituée de principes déterminés, la vérité à la forme qu’elle possède et
le bien à la fin à laquelle elle est ordonnée. En outre on peut encore
prendre pour principe la totalité de la chose selon qu’elle est achevée par
sa forme, pour intermédiaire la puissance et pour fin l’opération ; et
c’est de cette manière que se prennent ces termes de Denys, à savoir
l’essence, la puissance et l’opération. Et ainsi il est clair que selon que
la perfection de la chose peut s’entendre comme s’arrêtant à différentes
termes, et selon qu’un même membre peut contenir plusieurs ou peu d’éléments,
la diversité des parties du vestige se retrouve en tous d’après une même
notion commune de principe, de milieu et de fin ayant été attribuée. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sint duae partes
essentiales creaturae, nihilominus tamen est accipere habitudinem unius ad alteram,
et multas etiam perfectiones consequentes, secundum quas partes vestigii
assignari possunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que bien qu’il y ait dans la
créature deux parties essentielles, il faut néanmoins comprendre le rapport
de l’une à l’autre et aussi les nombreuses perfections qui en découlent
d’après lesquelles les parties du vestige peuvent être attribuées. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in Deo essentia non facit
numerum cum personis, ita et in creatura est, quod tribus partibus vestigii
substat ipsum esse creaturae repraesentans essentiam non connumeratum tribus
partibus vestigii. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que tout comme en Dieu l’essence ne
fait pas nombre avec les personnes, de même dans la créature l’existence même
de la créature représentant l’essence qui se tient sous les trois parties du
vestige ne compte pas parmi les trois parties du vestige. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod proprietates creaturarum, ex quibus ducimur
in divina attributa, quamvis sint plura, habent tamen ordinem ad invicem
principii, medii et finis, sub quorum rationibus in tres personas ducunt,
qualitercumque diversificentur. |
3. Il faut dire en troisième lieu que les propriétés des créatures à partir
desquels nous sommes conduits aux attributs divins, bien qu’elles soient
nombreuses, sont cependant ordonnées les unes aux autres en tant que
principes, intermédiaires et fins, et c’est sous le rapport de ces notions
qu’elles conduisent aux trois personnes, peu importe par ailleurs de quelle
manière ces propriétés diffèrent entre elles. |
|
|
Articulus 3 Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 tit.
Utrum in omni creatura sit vestigium |
Article 3 – Y a-t-il une trace en toute créature ? |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod non in omni creatura sit vestigium. Similitudo enim
vestigii dividitur contra similitudinem imaginis. Sed quaedam creaturae sunt
in quibus est similitudo imaginis, sicut in homine. Ergo in illis non est vestigium. |
Difficultés : 1. Voici
comment on procède à l’égard de ce troisième article. Il semle qu’il n’ y ait
pas un vestige en toute créature. La ressemblance du vestige en effet se
distingue par opposition à la ressemblance de l’image. Mais il existe des
créatures dans lesquelles il y a une ressemblance sous la forme de l’image,
par exemple chez l’homme. Il n’y a donc pas dans ces créatures une similitude
de vestige. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 3 arg. 2 Item, vestigium est similitudo imperfecte repraesentans. Sed
aliquae creaturae sunt quae sunt [quae sunt om. Éd. de Parme] perfecta similitudo divinae bonitatis, sicut
gratiae gratum facientes, cum quibus Deus dicitur inhabitare in homine. Ergo
in illis non est vestigium. |
2. En outre, le vestige est une similitude dont la représentation est
imparfaite. Mais il y a certaines créatures qui sont une similitude parfaite
de la bonté divine, comme les grâces qui rendent agréable et avec lesquelles
on dit de Dieu qu’il habite en l’homme. Il n’y a donc pas de vestige en
elles. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 3 arg. 3 Item, si accipiamus singulas partes vestigii, quaelibet
earum creatura est, sicut modus, vel species. Si igitur in qualibet creatura
est vestigium, tunc modi erit modus, species et ordo ; et ita erit abire in
infinitum, quod nec intellectus nec natura patitur. |
3. De plus, si on prend chacune des parties du vestige, chacune
d’elles est une créature, comme le mode ou l’espèce. Si donc il y a vestige
en toute créature, alors il y aura un mode, une espèce et un ordre du mode et
ainsi on ira à l’infini, ce qui ne s’accorde ni avec l’intelligence, ni avec
la nature. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 3 arg. 4 Item, Ambrosius dicit: « Lucis natura est ut non sit in numero, pondere et mensura, sicut alia
creatura ». In his autem tribus attenditur
vestigium, secundum Augustinum, ut dictum est, art. antecedent. Cum igitur lux sit creatura, videtur
quod non in qualibet creatura sit vestigium. |
4. En outre, Ambroise dit : ¨La nature de la lumière est
telle, contrairement aux autres créatures, qu’elle ne comporte ni nombre, ni
poids, ni mesure.¨ Mais ces trois termes s’appliquent au vestige, d’après
Augustin, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Donc, puisque
la lumière est une créature, il semble qu’il n’y ait pas vestige en toute
créature. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 3 arg. 5 Item, Bernardus: « Modus
caritatis est non habere modum ». Ergo caritas, cum sit creatura,
non habet modum, speciem et ordinem ; et sic idem quod prius. |
5. Par ailleurs, Bernard dit : ¨Le mode de la charité
consiste à ne pas avoir de mode¨. Donc la charité, bien qu’elle soit une
créature, ne possède ni mode, ni espèce, ni ordre. Donc, le vestige ne se
retrouve pas en toute créature. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 3 s. c. 1 Contra, Sap. 11, 2: omnia
in numero, pondere et mensura disposuisti. Item Augustinus loquens de
modo, specie, et ordine, dicit: ubi
haec tria magna sunt, magnum bonum est ; ubi parva, parvum ; ubi nulla,
nullum. Sed omnis creatura est aliquod bonum. Ergo omnis creatura habet
haec tria. |
Cependant : 1. On lit dans le livre de la Sagesse (11, 20) : Tu as tout
réglé avec nombre, poids et mesure.
En outre, Augustin dit, en parlant du mode, de l’espèce et de
l’ordre : là où ces trois dispositions sont considérables, il y a un
grand bien ; là où elles sont minimes, le bien est minime ; là où
elles sont absentes, le bien est absent. Mais toute créature est un bien.
Donc, toute créature possède ces trois dispositions. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod
vestigium invenitur in creatura, secundum quod consequitur esse perfectum a
Deo, ut supra dictum est, art. praecedenti. Unde in his tantum simpliciter
est invenire vestigium quae perfecta sunt in se ; et hujusmodi sunt tantum
individua in genere substantiae. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut
dire que le vestige se rencontre dans la créature selon qu’elle imite la
perfection de Dieu, ainsi que nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent.
De là, à parler absolument, le vestige se rencontre seulement dans les êtres
qui sont parfait en eux-mêmes; et sont de cette sorte seulement les individus
contenus dans le genre de la substance. |
Accidentia autem non habent esse, nisi dependens a
substantia ; unde etiam in accidentibus non est vestigium, nisi secundum
ordinem ad substantiam ; ita quod accidentia magis sint modi, species et
ordines substantiarum, quam ipsa habeant speciem, modum et ordinem: nisi
effective Deus dicatur species, modus et ordo accidentium. Tamen, cum
secundum quodlibet accidens addatur aliquod esse ipsi substantiae, erit
secundum illud esse aliquo modo considerare vestigium. Unde quod privat illud
accidens, privat partes vestigii, scilicet modum, speciem et ordinem, quantum
ad illud esse ; sicut peccatum, quod privat gratiam, dicitur privatio modi,
speciei et ordinis, secundum esse gratuitum ; nihilominus tamen manent haec
tria secundum esse naturae. |
Mais les accidents ne
possèdent d’existence qu’en dépendant de la substance; par conséquent encore
il n’y a de vestige dans les accidents que selon leur rapport à la substance
de sorte que les accidents sont bien les modes, les espèces et les ordres des
substances plutôt qu’ils ne possèdent par eux-mêmes une espèce, un mode et un
ordre, à moins bien sûr que Dieu, comme cause efficiente, ne soit appelé
l’espèce, le mode et l’ordre des accidents. Cependant, puisque suite à tout
accident une certaine forme d’existence est ajoutée à la substance, il faudra
considérer d’une certaine manière un vestige selon cette existence. Par la
suite, ce qui prive de cet accident prive des parties du vestige, à savoir du
mode, de l’espèce et de l’ordre quant à cette existence; par exemple on dit
du péché, qui prive de la grâce, qu’il est une privation du mode, de l’espèce
et de l’ordre quant à l’existence de la grâce; cependant, ces trois
dispositions demeurent selon l’existence de la nature. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod in superiori semper includitur virtus inferioris, sicut in anima etiam
est virtus naturae. Anima enim est natura ipsius corporis, quod per ipsam
movetur, et dat sibi esse naturale, et super hoc habet proprias operationes
suas: et ideo cum similitudo imaginis sequatur animam secundum id quod
intellectualis est, non excluditur ab ea ratio vestigii, quae consequitur
ipsam secundum quod natura quaedam est creata. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la puissance inférieure est toujours comprise dans celle qui
est supérieure, tout comme dans l’âme il y a encore la puissance de la
nature. L’âme en effet est ce qui par nature appartient au corps, lequel se
meut par elle et lui donne d’être naturelle, laquelle possède par delà le
corps les opérations qui lui sont propres; et c’est pourquoi, bien que la
similitude de l’image découle de l’âme en tant qu’elle est intellectuelle,
cependant il ne faut pas écarter de cette dernière la notion de vestige qui
découle de l’âme en tant que nature créée. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 2 Et similiter etiam
dicendum ad secundum, quod gratia gratum faciens, secundum id quod addit
aliis creaturis, dicitur perfecta similitudo, non quidem simpliciter, sed
respectu aliarum creatarum similitudinum ; sed secundum id in quo communicat
cum aliis creaturis, habet rationem vestigii. |
2. Il faut semblablement
dire encore en deuxième lieu que la grâe qui rend agréable à Dieu, quant à ce
qu’elle ajoute aux autres créatures, est appelée similitude parfaite, non pas
absolument parlant, mais par rapport aux autres similitudes créées; mais
quant à ce qu’elle partage en commun avec les autres créatures, elle a raison
de vestige. |
Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod aliquid dicitur modificari aliquo dupliciter. Vel formaliter, et sic res dicitur
modificari suo modo, qui in ipsa est. Vel effective, et sic omnia
modificantur ab eo qui modum rebus imponit ; et hinc est quod Deus dicitur
effective modus omnium rerum. Secundum hoc
ergo dico, quod modus creaturae non habet modum quo formaliter modificetur,
sed modum modificantem effective ; et ita est in omnibus aliis partibus
vestigii. |
3. En troisième lieu il faut dire qu’on dit d’une chose qu’elle est
modifiée par quelque chose de deux manières. Soit formellement, et ainsi on dit d’une chose qu’elle est modifiée
par son mode qui est en elle. Soit de façon efficiente et ainsi toutes les choses sont modifiées
par celui qui impose un mode aux choses. Et c’est pour cela qu’on dit de Dieu
qu’il est le mode de toutes les choses à la manière d’une cause efficiente. Je dis donc d’après cela que le mode de la créature ne possède pas le
mode par lequel elle est modifiée formellement, mais le mode qui modifie à la
manière d’une cause efficiente ; et il en est de même pour toutes les
autres parties du vestige. |
Lib. 1 d. 3
q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod lux in se considerata, creata est in
numero, pondere et mensura, cum habeat finitum esse et posse, sicut et aliae
creaturae ; sed respectu aliarum creaturarum corporalium habet indeterminatam
virtutem, eo quod per lucem omnia corpora aliquo modo informantur et per
ipsam omnia corpora inferiora perficiuntur in suis naturis ; et hoc accidit
sibi inquantum est forma universalis et primi alterantis, scilicet caeli ; et
pro tanto non dicitur in numero, pondere et mensura esse creata. |
4. En quatrième lieu, il faut dire que la lumière, considérée en
elle-même, est créée en nombre, poids et mesure, puisqu’elle possède une
existence et une puissance limitées, comme les autres créatures ; mais
par rapport aux autres créatures corporelles elle possède une puissance qui
n’est pas limitée du fait que tous les autres corps sont en quelque sorte
informés par la lumière et que par elle tous les corps inférieurs trouvent
leur achèvement dans leur nature propre ; et cela lui arrive dans la
mesure où elle est une forme universelle et qu’elle relève de la première
cause du changement, à savoir le ciel ; et quant à cela qu’on dit de la lumière
qu’elle n’est pas créée en nombre, poids et mesure. |
[308] Super Sent., lib. 1 d. 3 q. 2 a.
3 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod caritas potest dupliciter considerari. Aut secundum esse quod habet in
subjecto ; et hoc modo modum habet secundum mensuram capacitatis recipientis,
vel ex natura vel ex conatu. Aut secundum
inclinationem in objectum, et sic intelligitur non habere modum: quia
objectum, cum sit infinitum, non proportionatur voluntati nostrae: unde
nunquam tantum potest amare Deum quin amplius amandus sit et se amare velit. |
5. Il faut dire finalement que la charité peut être considérée de
deux manières. Soit selon l’existence qu’elle possède dans le sujet ; et de
cette manière elle possède un mode d’après la mesure de la capacité de celui
qui la reçoit ou bien naturellement ou bien avec effort. Soit selon l’inclination qu’elle a vers son objet et ainsi elle se
comprend comme n’ayant pas de mode : car l’objet lui-même, puisqu’il est
infini, est sans commune mesure avec notre volonté : c’est pourquoi on
ne peut jamais aimer Dieu jusqu’à ce point où il doit être aimé et veut être
aimé. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [Le substrat de l’image] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus partis duo
quaeruntur: 1 de subjecto imaginis ; 2 de partibus imaginis enumeratis. |
Pour comprendre cette partie on cherche à savoir deux choses : 1. Ce qu’il en est du sujet de l’image. 2. Ce qu’il en est des parties énumérées de l’image. |
|
|
Articulus 1 Lib. 1
d. 3 q. 3 a. 1 tit. Utrum tantum mens sit subjectum imaginis. |
Article unique : L’esprit est-il le seul sujet de l’image ? |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod
non tantum mens sit subjectum imaginis. Augustinus enim ostendit, lib. II De Trin., cap. 2, imaginem Trinitatis
in visu corporali secundum tria quae necessaria sunt ad visionem, scilicet
res exterior et imago ejus in oculo, et intentio videntis, quae ista duo
conjungit. Visus autem corporeus non pertinet ad mentem. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. On procède de la manière suivante pour l’examen de la question qui
précède. Il semble que ce ne soit pas seulement l’esprit qui soit le sujet de
l’image. Augustin manifeste en effet [Livre 11 De la Trinité, ch. 2] l’image
de la Trinité dans la vision corporelle d’après trois conditions qui sont
nécessaires à la vision corporelle, à savoir la chose extérieure, l’image de
cette chose dans l’œil, et l’intention de celui qui voit, laquelle réunit les
deux premières. Mais la vision corporelle n’appartient pas au domaine de
l’esprit. Donc, l’esprit n’est pas le seul sujet de l’image. |
Lib. 1 d. 3
q. 3 a. 1 arg. 2 Item, Damascenus, lib. III De fide orthod., cap. XVIII, assignat imaginem in libero
arbitrio, quod etiam non videtur esse de pertinentibus ad mentem. |
2. De plus, Damascène [Livre 111 De la Foi orthodoxe, ch. XVIII]
attribue l’image au libre arbitre qui lui non plus ne semble pas faire partie
de ce qui appartient à l’esprit. |
Lib. 1 d. 3
q. 3 a. 1 arg. 3 Item, Augustinus, XIV de
Trin., cap. VIII : « Imago Trinitatis ibi quaerenda est
in anima nostra, quo nihil habet melius ». Haec autem videtur esse ratio
superior, secundum quam aeternis contemplandis inhaeret. Ergo videtur quod in
ratione superiori sit imago. |
3. Par ailleurs, Augustin [XVI De la Trinité, ch. VIII] dit : ¨L’image de la Trinité
doit être recherchée dans notre âme là où elle ne possède rien de mieux¨.
Mais cette partie semble être la raison supérieure d’après laquelle l’âme
s’attache à contempler les vérités éternelles. Il semble donc que le sujet de
l’image soit la raison supérieure. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 4 Item, Dionysius IV cap.
De divin. Nom., § 22, col. 723 : Angelus est imago divina. Ergo videtur
quod non tantum in mente nostra sit imago. |
4. En outre, Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 22, col. 723]
dit : L’Ange est l’image de Dieu. Il semble donc que l’image ne
soit pas seulement dans notre esprit. |
Lib. 1 d. 3
q. 3 a. 1 arg. 5 Contra, videtur quod in nulla creatura sit imago. Imago
enim, ut dicit Hilarius De Synod. §
13, est rei ad rem coaequandam discreta et unica similitudo. Sed nulla res
creata coaequat creatorem. Ergo in nulla creatura potest imago creatoris
inveniri. |
Cependant : Il semble au contraire que l’image ne soit dans aucune créature.
L’image en effet, comme le dit Hilaire [Sur le Synode, & 13] est la
similitude distincte et unique d’une chose pour égaler la chose. Mais aucune
chose créée ne peut égaler le Créateur. On ne peut donc dans aucune créature
retrouver une image du Créateur. |
Lib. 1 d. 3
q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod imago in hoc differt a vestigio: quod
vestigium est confusa similitudo alicujus rei et imperfecta ; imago autem
repraesentat rem magis determinate secundum omnes suas [suas om. Éd. de Parme] partes et
dispositiones partium, ex quibus etiam aliquid de interioribus rei percipi
potest. Et ideo in illis tantum creaturis dicitur esse imago Dei quae propter
sui nobilitatem ipsum perfectius imitantur et repraesentant ; et ideo in
Angelo et homine [tantum dicitur imago divinitatis, et in homine add. Éd. de Parme] secundum id quod
est in ipso nobilius. Alia autem, quae plus et minus participant de Dei
bonitate, magis accedunt ad rationem imaginis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que l’image diffère en cela du vestige que ce dernier est une
similitude confuse et imparfaite d’une chose alors que l’image représente la
chose plus déterminément selon toutes ses parties et toutes les dispositions
de ses parties, à partir desquelles encore on peut percevoir quelque chose de
ce qu’il y a à intérieur même de la chose. Et c’est pourquoi on dit qu’il y a
une image de Dieu seulement dans ces créatures qui en raison de leur
excellence, imitent et représentent plus parfaitement Dieu ; et c’est
pourquoi l’image de Dieu n’est présente que dans l’Ange et dans l’homme, et
dans l’homme d’après ce qu’il y a en lui de plus excellent. D’autres
créatures cependant, qui participent plus ou moins de la bonté de Dieu,
s’approchent davantage de la notion d’image. |
Lib. 1 d. 3
q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus in multis ostendit
similitudinem Trinitatis esse ; sed in nullo esse perfectam similitudinem,
sicut in potentiis mentis, ubi invenitur distinctio consubstantialis et
aequalitas. Constat autem illa tria in visu dicta, non esse consubstantialia,
et ideo solum in mente ponit imaginem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’Augustin montre que la
similitude de la Trinité existe dans de nombreux êtres ; mais dans aucun
d’eux on ne retrouve une similitude parfaite
comme dans les puissances de l’esprit où on retrouve une distinction
consubstantielle et une égalité. Mais il est clair que ces trois conditions
dont on a parlé pour la vision corporelle ne sont pas consubstantielles, et
c’est pourquoi c’est seulement dans l’esprit qu’il pose l’existence de
l’image. |
Lib. 1 d. 3
q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in libero arbitrio non potest esse
perfecta similitudo, cum non inveniatur ibi aliqua distinctio potentiarum ;
nec etiam est excellentior pars animae, cum sit tantum operativa. Et pars
[constat autem quod add. Éd. de Parme]
contemplativa nobilior est parte operativa. Sed Damascenus assignat ibi
imaginem, large vocans imaginem quamcumque similitudinem. Imitatur autem Deum
liberum arbitrium, inquantum est primum principium suorum operum non potens
cogi. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que dans le libre arbitre il ne peut
y avoir une similitude parfaite puisqu’on ne retrouve pas là une distinction
des puissances ; et ce n’est pas non plus la partie la plus excellente
de l’âme puisqu’elle est seulement opérationnelle. Mais il est clair que la
partie comtemplative est plus noble que la partie opérationnelle. Mais
Damascène désigne là l’image au sens large, désignant par image toute
similitude. Mais le libre arbitre est une imitation de Dieu pour autant que,
ne pouvant être contraint, il est le premier principe des ses opérations. |
Lib. 1 d. 3
q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio superior inhaeret aeternis
contemplandis, inquantum sunt regula et norma agendorum, prout scilicet ex
divinis rationibus dirigimur in nostris operibus. Unde ibi non est imago ;
sed in illa parte quae aeterna secundum se contemplatur. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la raison supérieure s’attache
à la contemplation des vérités éternelles dans la mesure où ces dernières sont
les règles et les modèles de nos actions, c’est-à-dire pour autant que c’est
à partir des raisons divines que nous sommes dirigés dans nos opérations.
C’est pourquoi il n’y a pas là image, mais seulement dans cette partie où les
vérités éternelles sont contemplées pour elles-mêmes, en tant que telles. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod imago Trinitatis potest attendi tripliciter. Vel quantum ad expressam
repraesentationem divinorum attributorum ; et sic, cum divinae bonitates
copiosius effulgeant in Angelo quam in homine, Angelus est expressior imago
Dei quam homo, unde etiam signaculum dicitur Ezech. XXVIII, secundum
expositionem Gregorii, lib. XXXIII Moralium,
cap. XXXIII. Vel quantum ad distinctionem
personarum ; et sic expressior est similitudo in homine quam in Angelo, quia
in Angelo suae potentiae sunt minus distinctae. Vel
inquantum ipse Deus est principium rerum ; et sic imago invenitur in homine
et non in Angelo, inquantum unus homo est principium omnium hominum, sicut
Deus omnium rerum, et inquantum anima est in toto corpore tota, sicut Deus in
mundo. Sed quia ista repraesentatio est quantum ad exteriora, simpliciter
concedendum est quod angelus magis est ad imaginem, quam homo. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que l’image de la Trinité peut se
prendre de trois manières. Soit quant à la représentation distincte des attributs divins ;
et ainsi, puisque les bontés divines se répandent plus abondamment dans
l’Ange que dans l’homme, l’Ange est une image plus distincte de Dieu que
l’homme et c’est pourquoi Ézéchiel (XXVIII) dit de lui qu’il est une marque
distinctive de Dieu d’après l’explication qu’en donne Grégoire [Livre XXXIII,
Sur les Choses Morales, ch. XXXII]. Soit en tant que Dieu lui-même est le principe des choses ; et
ainsi l’image se retrouve en l’homme et non dans l’Ange, pour autant qu’un
seul homme est le principe de tous les hommes, tout comme Dieu est le
principe de toutes les choses, et pour autant que l’âme est toute entière
dans tout le corps, tout comme Dieu est dans le monde. Mais parce que cette
représentation se rapporte à ce qui est extérieur, il faut concéder,
absolument parlant, que l’Ange s’approche davantage de l’image que l’homme. |
Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum
[ultimum Éd. de Parme] dicendum, quod
imago invenitur in Filio et in creatura differenter, ut dicit Augustinus,
lib. de decem Chordis, cap., sicut
imago regis in filio, et in denario. Filius enim Dei est perfecta imago
Patris, perfecte repraesentans ipsum: creatura autem, secundum quod deficit a
repraesentatione, deficit a perfecta ratione imaginis. Unde etiam dicitur imago, et ad
imaginem: quod de Filio non dicitur. Et ideo non oportet quod creatura
simpliciter adaequet creatorem: hoc enim tantum verum est de Filio, qui est
perfecta imago ; sed sicut secundum quid repraesentat, ut imperfecta imago,
ita etiam secundum quid adaequat [coaequat. Éd. de Parme]. |
5. Il faut dire finalement que l’image se retrouve dans le Fils et
dans la créature, mais différemment, ainsi que le dit Augustin [Livre Sur les
Dix Cordes], tout comme l’image du roi est dans son fils et sur la pièce de
monnaie. En effet, le Fils de Dieu est une image parfaite du Père qui le
représente parfaitement : mais la créature, selon qu’elle s’écarte de
cette représentation, s’écarte de la notion parfaite de l’image. C’est
pourquoi on dit encore d’elle qu’elle est image et qu’elle s’approche de
l’image, ce qu’on ne peut dire au sujet du Fils. Et c’est pourquoi il n’est
pas nécessaire que la créature soit
absolument égale au Créateur : cela en effet n’est vrai que du Fils,
lequel est une image parfaite ; mais parce que la créature représente
Dieu sous un certain rapport, en tant qu’image imparfaite, de même encore
elle se compare à lui sous un certain rapport et non absolument. |
|
|
Quaestio 4 |
Question 4 – [La connaissance de l’image] |
|
|
Prooemium |
Proème |
Lib. 1 d. 3 q. 4 pr. Deinde quaeritur
de partibus imaginis: et primo de prima assignatione ; secundo de secunda.
Circa primum quaeruntur quinque: 1 de partibus imaginis quid unaquaeque
sit, et qualiter ab invicem differant ; 2 quomodo se habeant ad essentiam,
utrum sint ipsa essentia animae ; 3 quomodo se habeant ad invicem, utrum
scilicet una ex alia oriatur ; 4 de ipsis per comparationem ad
objectum, scilicet respectu cujus objecti attenditur in ipsis imago
Trinitatis ; 5 de ipsis
per comparationem ad actum, utrum scilicet semper sint in suis actibus dictae
potentiae. |
On
s’interroge ensuite sur les parties de l’image : et en premier lieu sur
la première attribution ; en deuxième lieu sur la deuxième. Et sur la
première partie on cherche à savoir cinq choses : 1. sur les
parties de l’image on cherche à savoir ce qu’est chacune d’elles, et de
quelle manière elles diffèrent entre elles. 2. comment
ces parties se rapportent à l’essence : constituent-elles l’essence même
de l’âme ? 3. quel rapport y a-t-il entre elles ? Est-ce
que l’une naît de l’autre ? 4. des
parties de l’image par rapport à leur objet, c’est-à-dire par rapport à
l’objet de laquelle s’entend en elles l’image de la Trinité. 5. de ces
parties par rapport à leur acte, à savoir est-ce que les puissances dont on
parle sont toujours en acte ? |
|
|
Articulus 1
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 tit. Utrum memoria pertineat ad imaginem |
Article 1 – Est-ce que la mémoire a rapport à l’image ? |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod memoria non pertineat ad imaginem. Sicut enim dicit
Augustinus, XII de Trin., cap ; 17,
quod in anima reperies commune cum brutis, ad sensualitatem pertinet. Memoria
autem est communis nobis et brutis. Igitur cum imago non sit in sensualitate,
videtur quod memoria ad imaginem non pertineat. |
Difficultés: 1. Voici comment on
procède pour cette question. Il semble que la mémoire ne se rapporte pas à
l’image. Comme le dit en effet Augustin [Livre XII De la Trinité, ch. 17], ce
que tu partages en commun avec les brutes animales se rapporte à la
sensualité. Mais la mémoire est commune au genre humain et aux brutes
animales. Donc, puisque l’image ne se retrouve pas dans la sensualité, il
semble que la mémoire ne se rapporte pas à l’image. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 1 arg. 2 Item, omnis potentia apprehendens determinatam temporis
differentiam pertinet ad sensitivam partem et non ad intellectum, qui est
universalium, quae intellectus abstrahit [quae abstrahunt Éd. de Parme] a quolibet tempore. Sed
memoria concernit tempus praeteritum. Ergo non pertinet ad intellectivam
partem in qua est imago, sed ad sensitivam. |
2. En outre, toute
puissance qui appréhende une difference déterminée de temps appartient à la
partie sensitive et non à l’intelligence dont l’objet est l’universel que
l’intelligence sépare du temps. Mais la mémoire concerne le temps passé. La
mémoire n’appartient donc pas à la partie intellectuelle dans laquelle est
l’image, mais à la partie sensitive de l’âme. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 3 Item, dicitur, XI, Metaph., text. 36, a Commentatore,
quia natura intellectiva dividitur in intellectum et voluntatem ; nec ullus
unquam philosophus in intellectiva parte posuit memoriam ; qui tamen
potentias animae consideraverunt. Ergo memoria non pertinet ad imaginem. |
3. De plus, le Commentateur [Livre XI, Métaph., text. 36] dit que la
nature intellectuelle se divise par l’intelligence et la volonté ; mais
jamais aucun philosophe n’a posé la mémoire dans la partie
intellectuelle ; pourtant, les philosophes ont étudié les puissances de
l’âme. La mémoire n’appartient donc pas à l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod nec
intelligentia pertineat ad imaginem. Secundum enim Dionysium, De
caelest. Hier., cap. IV, § 2, distinguuntur quatuor gradus entium,
scilicet intellectualia, rationalia, sensibilia et simpliciter existentia.
Homo autem non continetur sub intellectualibus, sed sub rationalibus. Cum
igitur hic quaeratur quid sit imago, secundum quod est in homine, videtur
quod intelligentia ad imaginem non pertineat. |
4. Par ailleurs, il semble que l’intelligence elle-même n’appartienne
pas à l’image. En effet, d’après Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. IV,
&2] tous les êtres se divisent en quatre degrés, à savoir les
intellectuels, les rationnels, les sensibles et ceux qui existent tout
simplement. L’homme cependant n’est pas contenu dans les êtres intellectuels
mais dans les rationnels. Donc, puisqu’on recherche ici ce qu’est l’image
selon qu’elle existe dans l’homme, il semble que l’intelligence ne se
rapporte pas à l’image. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 5 Item, potentiae
distinguuntur per actus. Sed
nosse et intelligere non differunt nisi forte sicut habere in habitu et
intueri in actu, secundum quae non diversificantur potentiae, cum ejusdem
potentiae sit habere habitum et elicere actum. Ergo intelligentia, cujus
actus assignatur intelligere, non est alia potentia a memoria, cujus
assignatur nosse. |
5. En outre, les puissances se distinguent par leurs actes
respectifs. Mais connaître et comprendre ne diffèrent peut-être que comme
posséder par habitus diffère de considérer en acte, différence qui n’établit
pas une distinction de puissance, puisqu’il appartient à la même puissance de
posséder l’habitus et de poser l’acte. Donc, l’intelligence à laquelle est
attribué l’acte de comprendre, n’est pas une puissance distincte de la
mémoire à laquelle est attribué l’acte de connaître. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 6 Item, videtur quod nec
voluntas. Voluntas enim est principium operativum. Sed imago
quaerenda est in parte suprema quae est speculativa. Ergo voluntas
non pertinet ad imaginem. |
6. De plus, il semble
qu’il en soit de même pour la volonté. La volonté en effet est le principe de
nos actions. Mais l’image doit être recherché dans la partie supérieure de
l’âme qui est spéculative. La volonté ne se rapporte donc pas à l’image. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 1 arg. 7 Item, Augustinus, De
spiritu et anima, cap.X, imago
est in potentia cognoscendi, similitudo in potentia diligendi. Sed voluntas
non est potentia cognoscendi, sed magis diligendi. Ergo non pertinet ad
imaginem sed ad similitudinem. |
7. Par ailleurs, selon Augustin [De L’Esprit et de l’Âme, ch.
X], l’image est dans la puissance de connaître alors que la similitude est
dans la puissance d’aimer. Mais la volonté n’est pas dans la puissance de
connaître mais plutôt dans la puissance d’aimer. La volonté ne se rapporte
donc pas à l’image mais à la similitude. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 1 arg. 8 Praeterea, illud quod imperat aliis et movet alia, est prius
eis. Sed voluntas movet omnes potentias alias, ut dicit Anselmus (lib. De similitudinis, c.II ,. Ergo est prior quam memoria et
intelligentia, et ita non respondet ordini personarum ista assignatio, cum
voluntas Spiritui sancto approprietur. |
8. En outre, ce qui commande aux autres et les meut leur est
antérieur. Mais la volonté meut toutes les autres puissances de l’âme, comme
le dit Anselme [Livre sur les Similitudes, ch. 11]. Elle est donc
antérieure à la mémoire et à l’intelligence et ainsi cette attribution ne
correspond pas à l’ordre des personnes, puisque la volonté est appropriée à
l’Esprit-Saint. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod omnis proprietas consequens
essentiam animae secundum suam naturam, vocatur hic potentia animae, sive sit
ad operandum sive non. Cum
igitur natura animae sit receptibilis inquantum habet aliquid de
possibilitate, eo quod omne habens esse ab aliquo est possibile in se, ut
probat Avicenna, lib. De intellig., cap.
IV, et non sit impressa organo corporali, cum habeat operationem absolutam a
corpore, scilicet intelligere ; consequitur ipsam quaedam proprietas, ut
impressa retineat. |
Corsp de l’article : Je réponds qu’il faut dire que toute propriété qui suit l’essence de
l’âme selon sa nature s’appelle ici puissance de l’âme, qu’elle soit ordonnée
ou non à l’action. Donc, puisque la nature de l’âme est apte à recevoir dans
la mesure où elle possède de la puissance, du fait que tout ce qui tient son
existence d’un autre est en soi en puissance comme le prouve Avicenne [Livre
de l’Intelligence, ch. IV], et qu’elle ne dépend pas d’un organe corporel,
puisqu’elle possède une opération dégagée du corps, c’est-à-dire comprendre, une
propriété en découle pour qu’elle puisse retenir ce qui la marque. |
Unde
dicitur, III de anima, text. 6,
quod anima est locus specierum, praeter quam non tota, sed intellectus. Ista
ergo virtus retinendi dicitur hic potentia memoriae. Ulterius, quia anima est
immunis a materia, et omnis talis natura est intellectualis, consequitur ut
id quod in ipsa tenetur ab ea intelligatur, et ita post memoriam sequitur
intelligentia. |
C’est pourquoi on dit [111 De l’Âme, text. 6] que l’âme est le
lieu des espèces, non pas toute l’âme, mais l’intelligence. Donc, cette
capacité à retenir, on l’appelle ici la puissance de la mémoire. Par la
suite, parce que l’âme est dégagée de la matière et qu’une nature de cette
sorte est intellectuelle, il s’ensuit que ce qui est conservé en elle soit
compris, et ainsi l’intelligence suit la mémoire. |
Item, quia
id quod intelligitur accipitur ut conveniens intelligenti, ideo consequitur
voluntas, quae tendit in ipsum conveniens: nec potest ultra procedere ; quia
voluntas est respectu finis, cum ejus objectum sit bonum, et rei perfectio
non extendatur ultra finem. Et secundum hoc sunt tres potentiae distinctae ab
invicem, memoria, intelligentia et voluntas. |
En outre, parce que ce qui est compris est reçu comme convenant à
celui qui comprend, c’est pourquoi s’ensuit la volonté qui tend à ce qui est
convenable ; et elle ne peut procéder au-delà de ce point car la volonté
se rapporte à la fin, puisque son objet est le bien, et que la perfection
d’une chose ne s’étend pas au-delà de sa fin. Et c’est pour cela qu’il y a
trois puissances distinctes les unes des autres, à savoir la mémoire,
l’intelligence et la volonté. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod memoria, secundum quod hic
sumitur, non est communis nobis et brutis, ut patet ex auctoritate philosophi
inducta, in corp., art., quia sola intellectiva anima in se retinet quod
accipit, sed sensitiva in organo corporali. |
1. Il faut donc dire en premieur lieu que la mémoire, au sens où nous
l’entendons ici, n’est pas commune à l’homme et aux brutes animales, ainsi
qu’on le voit par le témoignage que présente le philosophe dans le corps de
l’article, car seule l’âme intellectuelle retient en elle-même ce qu’elle
reçoit, alors que l’âme sensible le retient dans un organe corporel. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod aequivocatur nomen memoriae. Memoria enim, secundum quod hic accipitur,
abstrahit a qualibet differentia temporis, ut in littera dicitur, quia est
praesentium, praeteritorum et futurorum ; unde sumitur hic pro memoria quae
est potentia sensitivae partis, quae habet organum in postrema parte capitis,
et est thesaurus intentionum sensibilium cum sensu, non a sensu acceptarum,
ut dicit Avicenna, lib. De
anima, part. IV, cap.
IV. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le nom de mémoire est pris de
manière équivoque dans cette difficulté. La mémoire en effet, ainsi que nous
l’entendons ici, fait abstraction de toute différence de temps comme on peut
le voir dans le texte, car elle a pour objet à la fois le présent, le passé
et le futur ; et c’est pourquoi elle se prend ici par opposition à la
mémoire qui est dans la partie sensible de l’âme, laquelle a un organe dans
la partie arrière de la tête, et est comme l’entrepôt des intentions
sensibles reçues avec le sens et non seulement du sens, comme le dit Avicenne
[Livre de L’Âme, partie IV, ch. IV]. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
philosophi accipiebant potentias illas tantum quae ordinantur ad aliquem
actum. Proprietas autem retentiva ipsius animae non habet aliquem actum ; sed
loco actus habet hoc ipsum quod est tenere ; et ideo de memoria sic dicta non
fecerunt mentionem inter potentias animae. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que les philosophes d’admettaient que ces puissances qui sont
ordonnées à un acte. Mais à la propriété de conserver de l’âme elle-même ne
correspond pas un acte, mais à la place d’un acte il lui revient cela même
qui consiste à conserver; et c’est pourquoi, parmi les puissances de l’âme,
ils ne firent pas mention de la mémoire dont nous avons parlé. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod, sicut dicit Dionysius, VII cap. De
divin. Nom., § 3, natura inferior secundum supremum sui attingit infimum
naturae superioris ; et ideo natura animae in sui supremo attingit infimum
naturae angelicae ; et ideo aliquo modo participat intellectualitatem in sui
summo. Et quia secundum
optimum sui assignatur imago in anima, ideo potius assignatur secundum
intelligentiam, quam secundum rationem ; ratio enim nihil aliud est nisi
natura intellectualis obumbrata: unde inquirendo cognoscit et sub continuo
tempore quod intellectui statim et plena luce offertur [confertur Éd. de Parme] ; et ideo dicitur esse
intellectus principiorum primorum, quae statim cognitioni se offerunt. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que, tout comme le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. VII, & 3], la
partie la plus élevée d’une nature inférieure atteint la partie la moins
élevée d’une nature supérieure ; et c’est pourquoi la nature de l’âme
dans ce qu’elle possède de plus élevé atteint ce qu’il y a de moins élevé
dans la nature angélique ; et c’est pourquoi elle participe d’une
certaine manière de la nature intellectuelle dans ce qu’elle a de plus noble.
Et parce que c’est d’après ce qu’elle possède de plus noble que l’image est
attribuée à l’âme, c’est pourquoi l’image lui est attribuée davantage d’après
l’intelligence que d’après la raison ; la raison en effet n’est rien
d’autre qu’une nature intellectuelle obscurcie : c’est pourquoi elle
connaît par mode d’enquête et dans la continuité du temps ce qui s’offre à
l’intelligence de façon immédiate et en pleine lumière ; et c’est
pourquoi on dit que l’intelligence a pour objet les premiers principes qui
s’offrent immédiatement à la connaissance. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod intelligere et nosse differunt:
nosse enim est notitiam rei apud se tenere ; intelligere autem dicit intueri.
Quamvis autem cujuslibet potentiae sit tenere suum habitum et objectum ; hoc
tamen non est earum, nisi inquantum est in eis virtus memoriae, quae
immediate sequitur essentiam naturae, sicut virtus prioris semper est in
posteriori. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que comprendre et connaître
diffèrent : connaître en effet c’est conserver en soi la connaissance de
la chose alors que comprendre implique la considération actuelle de la chose.
Mais bien qu’il appartienne à toute puissance de posséder l’habitus et
l’objet, cependant cela ne leur appartient
que dans la mesure où il y a en elles la puissance de la mémoire qui
suit immédiatement l’essence de la nature, tout comme la puissance de ce qui
est antérieur est toujours présente dans ce qui est postérieur. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
voluntatis objectum est bonum. Bonum autem habet rationem finis. Finis autem
est et contemplationis et actionis. Et ideo voluntas non tantum se
habet ad partem activam, sed etiam ad contemplativam: unde pertinet ad
supremam partem animae. |
6. Il faut dire en
sixième lieu que l’objet de la volonté est le bien. Mais le bien a raison de
fin. Mais la fin se rapporte à la fois à la contemplation et à l’action. Et
c’est pourquoi la volonté ne se rapporte pas seulement à la partie active
mais aussi à la partie contemplative; par conséquent la volonté appartient à
la partie supérieure de l’âme. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum,
quod Augustinus vocat large potentiam cognoscendi, sive quae ordinatur ad
cognitionem, sicut memoria, sive qua cognoscitur, sicut intelligentia, sive
quae cognitionem consequitur, sicut voluntas. Potentiam autem diligendi
nominat habitus gratuitos, quibus Deum meritorie diligimus ; et ideo dicitur
quod homo per peccatum amittens Dei similitudinem abiit in regionem
dissimilitudinis, sed non amisit imaginem. |
7. Il faut dire en
septième lieu qu’Augustin parle de la puissance de connaître au sens large,
que ce soit celle qui est ordonnée à connaître, comme la mémoire, celle par
laquelle on connaît, comme l’intelligence, ou celle qui suit la connaissance,
comme la volonté. Mais il appelle puissance d’amour les habitus de la grâce
par lesquels nous aimons Dieu avec comme il se doit d’être aimé; et c’est
pourquoi on dit que par le péché l’homme, en perdant sa resemblance avec
Dieu, s’en est allé dans un état de dissimilitude, mais n’a pas perdu son
image. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod, sicut in artibus est quod illa quae
considerat finem, imperat et movet artes considerantes ea quae sunt ad finem,
sicut medicus imperat pigmentario, ut supra dictum est, ita etiam est in
potentiis animae. Voluntas enim, quia considerat finem, movet alias omnes
potentias quae ordinantur ad finem et imperat eis actus suos. Unde quamvis
prior sit movendo, non tamen sequitur quod sit prior in esse ; sicut etiam
finis est ultimus in esse, et tamen movet efficientem. |
8. Il faut dire en huitième lieu que, tout comme dans les arts celui
qui considère la fin commande et meut les arts qui considèrent les moyens
ordonnés à la fin, comme c’est le cas pour le médecin qui commande au
pharmacien comme nous l’avons dit plus haut, il en est de même dans les puissances
de l’âme. La volonté en effet, parce qu’elle considère la fin, meut toutes
les autres puissances qui sont ordonnées à la fin et commande leurs actes.
Par conséquent, bien qu’elle soit première quant au mouvement, il ne s’ensuit
cependant pas qu’elle soit première quant à l’existence ; tout comme
aussi la fin est dernière dans l’existence, elle meut cependant l’agent. |
|
|
Articulus 2 Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 tit. Utrum potentiae animae sint essentia ejus |
Article 2 – Les puissances de l'âme sont-elles son essence ? |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod essentia animae sit suae potentiae. Primo per
hoc quod dicitur in littera: ista tria
sunt una mens, una vita, una essentia. |
Difficultés: 1. On procède de la manière
suivante à l’égard de cette deuxième question. Il semble que l’essence de
l’âme s’identifie à ses puissances. Premièrement au moyen de ce qui est dit
dans le texte: ces trois facultés sont un seul esprit, une seule vie, une
seule essence. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 2 arg. 2 Item, idem est principium essendi et operandi. Sed anima est
principium essendi, cum sit forma substantialis corporis. Ergo per seipsam
est principium operationum. Non oportet ergo esse potentias medias. |
2. En outre, le principe de l’existence est identique au principe de
l’opération. Mais l’âme est le principe de l’existence, puisqu’elle est la
forme substantielle du corps. C’est donc par elle-même qu’elle est le
principe des opérations. Il ne faut donc pas chercher des puissances
intermédiaires entre l’âme et les
opérations. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 2 arg. 3 Item, forma substantialis nobilior est quam accidentalis.
Sed forma accidentalis facit operationes suas sine aliqua virtute media. Ergo
et forma substantialis ; et sic idem quod prius. |
3. De plus, la forme substantielle est plus noble que la forme
accidentelle. Mais la forme accidentelle fait ses opérations sans aucune
puissance intermédiaire. Il en est donc encore de même pour la forme
substantielle ; la conclusion est donc la même que pour l’argument
précédent. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, materia
prima est sua potentia. Sed sicut materiam potentia passiva consequitur, ita
formam potentia active. [in materia est potentia passiva, ita in
forma potentia activa Éd. de Parme]. Ergo etiam forma essentialis est sua
potentia activa ; et sic idem quod prius. |
4. Par ailleurs, la matière première est sa propre puissance. Mais
tout comme la puissance passive découle de la matière, de même la puissance
active découle de la forme. [la puissance passive est dans la matière comme
la puissance active est dans la forme : Éd. De Parme]. Donc, la
forme substantielle aussi est sa propre puissance active ; la conclusion
est donc la même que précédemment. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 2 arg. 5 Praeterea, omne illud quod non est de essentia rei, est
accidens. Sed sensus et ratio, quae sunt potentiae quaedam, non sunt
accidentia, cum sint principia differentiarum substantialium. Ergo sunt de
essentia ipsius animae. |
5. De plus, tout ce qui n’est pas de l’essence de la chose est un
accident. Mais le sens et la raison, qui sont des puissances, ne sont pas des
accidents puisqu’ils sont les principes des différences substantielles. Ils
font donc partie de l’essence de l’âme elle-même. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut se habet posse ad esse, ita se habet potentia
ad essentiam. Sed in solo Deo verum est dicere, quod suum esse sit suum
posse. Ergo in nullo alio sua essentia est sua potentia: et ita nec in anima. |
Cependant : 1. Le pouvoir est à l’existence ce que la puissance est à l’essence.
Mais c’est en Dieu seul qu’il est vrai de dire que son existence est son
pouvoir. Il n’y a donc aucun autre être chez lequel l’essence est sa
puissance et il n’en est pas ainsi non plus dans l’âme. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne agens quod agit per essentiam suam, est
agens primum, ut dicit Avicenna lib. De
intelligent., cap. 1. Cujus ratio est, quia omne secundum agens agit
inquantum participat aliquid ; et ita agit per aliquid additum essentiae. Sed
anima non est agens primum. Ergo non est agens per suam essentiam, sed per
suam potentiam. Ergo sua potentia non est sua essentia. |
2. De plus, tout agent qui agit pas son essence est l’agent premier
comme le dit Avicenne [Livre de l’Intelligence, ch. 1]. La raison en est que
tout agent second agit en tant que participant de quelque chose, et il agit
ainsi au moyen de quelque chose qui s’ajoute à son essence. Mais l’âme n’est
pas l’agent premier. Elle n’agit donc pas par son essence, mais par sa
puissance. Sa puissance n’est donc pas son essence. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 2 s. c. 3 Praeterea, cum perfectio et perfectibile [perfectibilia Éd. de Parme] sint proportionata,
oportet quod perfectibilia diversarum proportionum recipiant diversas
perfectiones. Organa autem corporis animati diversa sunt diversarum
proportionum in commixtione. Ergo diversimode perficiuntur ab anima. Non
autem quantum ad esse, quia anima, cum sit forma substantialis, dat unum esse
toti corpori. Ergo oportet quod diversimode perficiantur quantum ad
perfectiones consequentes esse, secundum quas habent diversas operationes.
Has autem perfectiones, quae sunt principia operationum animae, vocamus
potentias. Ergo oportet potentias animae diversas esse ab essentia, utpote
emanantes ab ipsa. |
3. En outre, puisque la perfection et le perfectible [les
perfectibles selon l’Éd. De Parme] sont proportionnés, il faut que les
perfectibles des différentes proportions reçoivent différentes perfections.
Mais les organes du corps animé sont différents dans un mélange de différentes
proportions. Ils se trouvent donc à être achevés différemment par l’âme mais
non pas quant à l’existence car l’âme, étant la forme substantielle, donne
une seule existence à tout le corps. Il faut donc que les différents organes
soient achevés par l’âme quant à des perfections qui suivent l’existence et
d’après lesquelles elles possèdent différentes opérations. Mais ces
perfections, qui sont les principes des opérations de l’âme, nous les
appelons puissances. Il faut donc que les puissances de l’âme soient
différentes de l’essence en tant qu’émanant d’elle. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 2 co Respondeo dicendum, quod effectus proprius et immediatus oportet
quod proportionetur suae causae ; unde oportet quod in omnibus illis, in
quibus principium operationis proximum est de genere substantiae, quod
operatio sua sit substantia ; et hoc solum in Deo est: et ideo ipse solus est
qui non agit per potentiam mediam differentem a sua substantia. In omnibus
autem aliis operatio est accidens: et ideo oportet quod proximum principium
operationis sit accidens, sicut videmus in corporibus quod forma
substantialis ignis nullam operationem habet, nisi mediantibus qualitatibus
activis et passivis, quae sunt quasi virtutes et potentiae ipsius. Similiter
dico, quod ab anima, cum sit substantia, nulla operatio egreditur, nisi
mediante potentia: nec etiam a potentia perfecta operatio, nisi mediante
habitu. |
Corps de
l’article : Je réponds en disant que l’effet propre et immédiat doit être
proportionné à sa cause ; de là il faut, dans tous les cas où le principe prochain de l’opération est
du genre de la substance, que son opération soit sa substance ; et cela
ne se produit qu’en Dieu : et c’est pourquoi Lui seul est celui qui
n’agit pas par une puissance intermédiaire différente de sa substance. Dans
tous les autres cas cependant l’opération est un accident : et c’est
pourquoi il faut que le principe prochain de l’opération soit un acident
comme nous voyons dans les corps que la forme substantielle du feu ne possède
aucune opération si ce n’est par l’intermédiaire de qualités actives et
passives qui sont comme ses vertus et ses puissances. De la même manière je
dis que de l’âme, puisqu’elle est une substance, ne sort aucune opération, si
ce n’est au moyen d’une puissance et même qu’une opération parfaite ne
procède d’une puissance que par l’intermédiaire d’un habitus. |
Hae autem
potentiae fluunt ab essentia ipsius animae, quaedam ut perfectiones partium
corporis, quarum operatio fit [efficitur Éd.
de Parme] mediante corpore, ut sensus, imaginatio et hujusmodi ; et
quaedam ut existentes in ipsa anima, quarum operatio non indiget corpore, ut
intellectus, voluntas et hujusmodi ; et ideo dico, quod sunt accidentia: non
quod sint communia accidentia, quae non fluunt ex principiis speciei, sed consequuntur
principia individui ; sed sicut propria accidentia, quae consequuntur
speciem, originata ex principiis ipsius: simul tamen sunt de integritate
ipsius animae, inquantum est totum potentiale, habens quamdam perfectionem
potentiae, quae conficitur ex diversis viribus. |
Mais ces puissances s’écoulent de l’essence de l’âme elle-même :
certaines comme des perfections des parties du corps, dont l’opération a lieu
[est produite Ed. de Parme] par l’intermédiaire du corps, comme le
sens, l’imagination et les facultés de cette sorte ; certaines comme
existant dans l’âme elle-même, dont l’opération n’a pas besoin du corps,
comme l’intelligence, la volonté et les facultés de cette sorte ; et
c’est pourquoi je dis qu’elles sont des accidents : non pas des accidents
communs, lesquels ne découlent pas des principes de l’espèce mais des
principes individuels ; mais elles sont plutôt des accidents propres qui
découlent de l’espèce et tirent leur origine des principes de celle-ci :
elles vont cependant de pair avec l’intégrité de l’âme elle-même selon
qu’elle est un tout potentiel, possédant une perfection de puissance, qui est
réalisé par le concours de différentes forces. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur: tres potentiae sunt
una mens, non est praedicatio essentialis, sed totius potestativi de suis
partibus. Unde de potentiis imaginis propinquius et prius praedicatur mens:
quia mentis, inquantum hujusmodi, sunt istae potentiae in quibus consistit
integritas imaginis: et minus proprie vita, quae tamen includit potentias in
generali, quae sunt principium operum vitae ; et adhuc minus proprie dicuntur
una essentia, in qua, secundum id quod est essentia, non includuntur
potentiae, nisi sicut in origine, eo quod ab essentia oriuntur potentiae, in
quibus attenditur imago. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit que les trois
puissances sont un seul esprit, l’attribution n’est pas essentielle est est
plutôt celle d’un tout investi de puissance à ses parties. Par conséquent,
l’esprit est attribué plus prochainement et antérieurement aux puissances de
l’image : car c’est à l’esprit, en tant que tel, qu’appartiennent ces
puissances dans lesquelles consiste l’intégrité de l’image ; et la vie
s’attribue moins proprement à elles, laquelle contient cependant les
puissances en général qui sont le principe des opérations de vie ; et on
dit encore moins proprement de ces opérations qu’elles sont une seule essence,
laquelle, en tant que telle, ne contient les puissance que comme dans leur
origine du fait que c’est de l’essence que sortent les puissances auxquelles
s’applique l’image. |
Totum enim
potentiale, quasi medium est inter integrale et universale. Universale enim
adest cuilibet parti subjectivae secundum esse et perfectam virtutem, et ideo
proprie praedicatur de parte sua. Sed totum integrale non adest cuilibet
parti, neque secundum esse, neque secundum virtutem. Non enim totum esse
domus est in pariete, neque tota virtus ; et ideo nullo modo praedicatur de
parte. Totum autem potentiale adest cuilibet parti secundum se, et secundum
aliquid virtutis, sed non secundum perfectam ; immo secundum perfectam
virtutem adest tantum supremae potentiae ; et ideo praedicatur quidem, sed
non adeo proprie sicut totum universale. |
Un tout potentiel
en effet est comme un intermédiaire entre un tout intégral et un tout
universel. L’universel en effet est présent à chacune des parties subjectives
selon l’existence et une parfaite puissance et c’est pourquoi il s’attribue
proprement à sa partie. Mais le tout intégral n’est pas présent à chacune de
ses parties, ni selon l’existence, ni selon la puissance. En effet, ce n’est
pas la totalité de la maison qui est dans le mur et elle n’y est pas non plus
selon toute sa puissance, et c’est pourquoi elle ne s’attribue nullement à sa
partie. Mais le tout potentiel est présent à chacune des parties selon
l’existence et selon une partie de sa puissance mais non selon une puissance
parfaite ; au contraire, elle n’est présente selon une puissance
parfaite qu’à la puissance la plus élevée ; et c’est pourquoi le tout
potentiel s’attribue certes, mais pas tout à fait proprement comme le tout
universel. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad Ad secundum dicendum, quod
essentia ipsius animae est etiam principium operandi, sed mediante virtute. Principium autem essendi est
immediate, quia esse non est accidens. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que l’essence de l’âme est aussi un principe
d’opération, mais par l’intermédiaire de la puissance. Elle est principe
d’existence mais d’une manière immédiate car l’existence n’est pas un
accident. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 3 Ad tertium dicendum, quod forma accidentalis est virtus alterius,
per quam producitur operatio, qui est effectus proportionatus sibi, sicut
causae proximae ; forma autem substantialis non est hoc modo proportionata
operationi, ut dictum est, in corp. art. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la forme accidentelle est une
autre sorte de puissance par laquelle c’est l’opération qui est produite,
laquelle lui est proportionnée comme à sa cause prochaine ; mais la
forme substantielle n’est pas proportionnée de cette manière à l’opération
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
si per potentiam passivam intelligatur relatio [vel ordo add. Éd. de Parme] materiae ad formam, tunc materia non
est sua potentia, quia essentia materiae non est relatio. Si autem
intelligatur potentia, secundum quod est principium in genere substantiae,
secundum quod potentia et actus sunt principia in quolibet genere, ut dicitur
Metaph., text. 26, sic dico, quod
materia est ipsa sua potentia. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que si par puissance passive on
entend la relation [ou l’ordre add. Éd. De Parme] de la matière à la
forme, alors la matière n’est pas sa puissance car l’essence de la matière
n’est pas la relation. Mais si on entend plutôt par là la puissance, selon
qu’elle est un principe dans le genre de la substance, en tant que la
puissance et l’acte sont des principes dans tout genre comme le dit le
Philosophe dans sa Métaphysique (text. 26), alors je dis que la
matière est d’elle-même puissance. |
Et hoc modo
se habet materia prima, quae est primum recipiens, ad potentiam passivam,
sicut se habet Deus, qui est primum agens, ad potentiam activam. Et ideo
materia est sua potentia passiva, sicut et Deus sua potentia activa. Omnia
autem media habent utramque potentiam participative, et potentia materiae non
est ad aliquam operationem, sed ad recipiendum tantum. |
Et c’est de cette manière que la matière première, laquelle est comme
un premier réceptacle, est à la puissance passive ce que Dieu, qui est le
premier agent, est à la puissance active. Et c’est pourquoi la matière est
d’elle-même puissance passive tout comme Dieu est de lui-même puissance
active. Mais tous les intermédiaires possèdent par participation ces deux
sortes de puissances, et la puissance de la matière n’est pas ordonnée à une
opération mais seulement à recevoir. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sensus, secundum quod est nomen
potentiae, non est principium hujus differentiae quae est sensibile ; sed
secundum quod nominat naturam sensitivam: et ita est de aliis. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que le sens, selon qu’il est le nom
désignant une puissance, n’est pas le principe de cette différence, à savoir
¨sensible¨ ; mais c’est plutôt selon qu’il nomme la nature sensible
qu’il est le principe de cette différence : et il en est de même pour
les autres termes. |
|
|
Articulus 3 Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 tit.
Utrum una potentia oriatur ex alia |
Article 3 – Est-ce qu’une seule et même puissance naît d’une autre ? |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
una potentia non oriatur ex alia. Quaecumque enim simul sunt, unum ex altero
non oritur. Sed omnes potentiae simul sunt in anima ex creatione. Ergo una
non oritur ex alia. |
Difficultés : 1. Voivi comment on procède par rapport à cette troisième question.
Il semble qu’une même puissance ne peut naître d’une autre. En effet, de tout
ce qui existe simultanément, rien ne peut naître d’un autre Mais toutes les
puissances existent simultanément dans l’âme depuis la création. Il est donc
impossible qu’une puissance naisse d’une autre. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne accidens causatur ex suo subjecto. Sed una
potentia non est subjectum alterius, quia accidens non est subjectum
accidentis. Ergo una potentia non oritur ex alia. |
2. En outre, tout accident est causé à partir de son sujet. Mais une
même puissance n’est pas le sujet d’une autre car un accident n’est pas le
sujet d’un autre accident. Une puissance ne peut donc naître d’une autre. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 s. c. 1 Contra, potentiae
determinantur secundum actus. Sed actus unius potentiae sequitur naturaliter
ad actum alterius potentiae, et originatur ex ipsa ; sicut intelligere
sequitur ad hoc quod est tenere notitiam. Ergo ita est etiam in potentiis. |
Cependant : 1. Les puissances se définissent d’après leurs actes. Mais l’acte
d’une puissance suit naturellement l’acte d’une autre puissance et tire son
origine d’elle, tout comme comprendre suit la conservation de la
connaissance. Il en est donc de même pour les puissances. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 3 s. c. 2 Si dicas, quod ordo est in actibus ratione objectorum, et
non ratione potentiarum, in idem redibit: quia objecta sunt perfectiones
potentiarum, et formae ipsarum. Perfectio autem proportionatur perfectibili ;
et sic idem quod prius. |
2. Si tu dis que l’ordre qui est présent dans les actes est en raison
des objets et non en raison des puissances, cela revient au même : car
les objets sont les perfections des puissances et leurs formes. Mais la
perfection est proportionnée au perfectible et ainsi la conclusion est la
même que précédemment. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod omnis numerositas, quae descendit
naturaliter ab aliquo uno, oportet quod descendat secundum ordinem, quia ab
uno non exit nisi unum ; et ideo cum multae potentiae egrediantur ab essentia
animae, dicimus, quod in potentiis animae est ordo naturalis ; et cum omnes
fluant ab essentia, una tamen fluit mediante alia ; et inde est, quod
posterior potentia supponit in definitione sui priorem, et actus posterioris
dependet a priori. Si enim definiamus intellectum, definietur per suum actum,
qui est intelligere, et in definitione actus ejus cadet actus prioris
potentiae, et ipsa potentia. Oportet enim quod in definitione hujus actus qui
est intelligere, cadat phantasma, quod est objectum ejus, [ut in III De anima, text. 39, dicitur Éd. Mandonnet] quod per actum
imaginationis repraesentatur intellectui ; et hoc etiam videmus in
accidentibus corporum, quod omnia alia accidentia elementorum fluunt ab
essentia, mediantibus primis qualitatibus. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que toute multiplicité qui procède
naturellement de quelque chose d’un doit en procéder suivant un ordre, car de
l’un ne peut provenir qu’un seul ; et c’est pourquoi, puisque plusieurs
puissances sortent de l’essence de l’âme, nous disons que parmi les
puissances de l’âme il y a un ordre naturel ; et puisque toutes
découlent de l’essence, l’une se trouve à en découler par l’intermédiaire
d’une autre ; et il suit de là qu’une puissance postérieure suppose dans
sa définition celle qui la précède, et que l’acte d’une puissance postérieure
dépend de l’acte d’une puissance antérieure. Si en effet nous définissions
l’intelligence, nous la définirions par son acte qui est intelliger, et dans
la définition de son acte entrerait l’acte d’une puissance antérieure et
cette puissance elle-même. Il faut en effet que dans la définition de cet
acte, à savoir intelliger, entre l’image, conformément à ce qu’affirme le
Philosophe [111 de l’Âme, text. 39] en disant que son objet est ce qui
est représenté à l’intelligence au moyen de l’acte de l’imagination ; et
nous voyons cela même dans les accidents des corps, à savoir que tous les
autres accidents des éléments découlent de l’essence par l’intermédiaire des
premières qualités. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sint simul tempore,
nihilominus tamen una naturaliter prior est altera. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’elles existent simultanément
dans le temps, néanmoins une même puissance est par nature antérieure à une
autre. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod accidens ex seipso non habet
virtutem producendi aliud accidens ; sed a substantia potest unum accidens
procedere mediante alio, secundum quod illud praesupponitur in subjecto ; et
ita etiam accidens non potest esse per se subjectum accidentis, sed subjectum
mediante uno accidente subjicitur alteri ; propter quod dicitur superficies
esse subjectum coloris. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’un accident ne possède pas de
lui-même la capacité de produire un autre accident ; mais un même
accident peut procéder de la substance par l’intermédiaire d’un autre
accident selon que ce dernier est présupposé dans le sujet ; et ainsi
encore un accident ne peut être par lui-même le sujet d’un autre accident,
mais c’est le sujet qui est compris sous cet autre accident par
l’intermédiaire d’un accident ; et c’est pour cette raison qu’on dit de
la surface qu’elle est le sujet de la couleur. |
|
|
Articulus 4.
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 tit. Utrum imago attendatur in potentiis rationalibus
respectu quorumlibet objectorum |
Article 4 – Est-ce que l’image s’applique dans les puissances rationnelles par rapport à n’importe quel objet ? |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur quod
imago attendatur in istis potentiis respectu quorumlibet objectorum. Potentia
enim ex natura potentiae se habet similiter ad omnia sua objecta. Sed
per habitus diversos restringitur ad haec vel ad illa. Cum igitur assignatio primae imaginis
sit secundum potentias, non secundum habitus, videtur quod sit respectu
quorumlibet objectorum. |
Difficultés : 1. On procède de la manière qui suit par rapport à cette quatrième
question. Il semble que l’image se prenne dans ces puissances par rapport à
n’importe quel objet. La puissance en effet, de par la nature même de la
puissance, se rapporte de la même manière à tous ses objets. Mais c’est par
des habitus différents qu’elle se limite à ceux-ci ou à ceux-là. Donc puisque
l’attribution de la première image se fait selon les puissances et non selon
les habitus, il semble que l’image se prenne par rapport à tout objet. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea, Augustinus,
lib. XII, De Trin. , cap. IV:
« Cum in natura mentis humanae quaerimus Trinitatem, in tota quaerimus,
non separantes actionem temporalium a contemplatione aeternorum ». Omnia autem objecta vel sunt aeterna,
vel temporalia. Ergo respectu quorumlibet objectorum attenditur imago. |
2. De plus, Augustin [Livre XII, De la Trinité, ch. IV] dit : ¨Puisque
nous recherchons la Trinité dans la nature de l’esprit humain, nous la
recherchons dans tout son esprit, ne séparant pas l’action dans les choses
temporelles de la contemplation des vérités éternelles¨. Mais tous les
objets sont soit éternels, soit temporels. L’image doit donc s’appliquer à
tout objet. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 4 s. c. 1 Contra, ad rationem imaginis exigitur aequalitas imaginis
[imaginis om. Éd. de Parme]. Sed
non in omnibus objectis invenitur aequalitas: non enim quantumcumque cognosco
aliquid, tantum volo illud. Ergo videtur quod non respectu omnium attendatur
imago. |
Cependant : 1. L’égalité de l’image est requise à la notion d’image. Mais ce
n’est pas parmi tous les objets qu’on retrouve l’égalité : ce n’est pas
en effet parce que je connais à ce point une chose que je la veux pour
autant. Il semble donc que l’image se prenne par rapport à tout objet. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 4 s. c. 2 Praeterea, secundum istam assignationem imaginis,
intelligentia sequitur memoriam. Sed in illis quae per acquisitionem
cognoscimus, ex intelligentia sequitur memoria. Ergo videtur quod ista
assignatio imaginis non attenditur respectu quorumlibet objectorum. |
2. De plus, d’après cette
attribution de l’image, l’intelligence suit la mémoire. Mais dans les choses
qui sont connues par mode d’acquisition, c’est la mémoire qui suit l’intelligence.
Il semble donc que cette attribution de l’image ne se prenne pas par rapport
à n’importe quel objet. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 4 co Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, hac distin.,
quaest. 3, art. 1, imago dicit expressam repraesentationem. Expressa autem repraesentatio est in
ipsis potentiis propter quinque. Quorum duo se tenent ex parte ipsius animae,
scilicet consubstantialitas et distinctio potentiarum, et ideo se habent
indifferenter respectu quorumlibet objectorum ; alia vero tria, scilicet
aequalitas, et ordo, et actualis imitatio respiciunt objecta, unde se habent
diversimode respectu diversorum objectorum. Potest autem attendi in potentiis
animae duplex aequalitas, scilicet potentiae ad potentiam et potentiae ad
objectum. Et haec secunda aequalitas salvatur hic diversimode respectu
diversorum objectorum. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire, ainsi que nous l’avons dit dans cette
distinction [qu. 3, art. 1], l’image réfère à une représentation distincte.
Mais une représentation distincte dans les puissances mêmes est due à cinq
conditions. Parmi ces dernières, deux se tiennent du côté de l’âme elle-même,
à savoir la consubstantialité et la distinction des puissances et par là
elles se rapportent indifféremment à tout objet ; mais les trois autres,
à savoir l’égalité, l’ordre et l’imitation actuelle s’adressent aux objets et
c’est pourquoi elles se présentent
différemment par rapport à différents objets. Mais on peut remarquer
dans les puissances de l’âme une double égalité, à savoir celle d’une
puissance à une autre puissance et celle d’une puissance à son objet. Et
cette deuxième égalité est conservée ici différemment par rapport à
différents objets. |
In illis
enim quae per habitum acquisitum discuntur, non servatur ordo, ut dictum est
supra, qu. 2, art. 3, quia intelligendi actus praecedit actum memorandi ; et
ideo non est ibi actualis repraesentatio ipsius Trinitatis, secundum quod
intendit illis objectis quae non exprimunt Trinitatem. |
Pour les choses en effet qui sont apprises au moyen d’un habitus
acquis, l’ordre n’est pas observé ainsi que nous l’avons dit plus haut [qu.
2, art. 3], car l’arte de comprendre précède l’acte de se mémoriser ; et
c’est pourquoi il n’y a pas là une représentation actuelle de la Trinité
elle-même selon qu’elle s’applique à ces objets qui n’expriment pas la Trinité. |
Servatur
autem ibi aequalitas quaedam, scilicet potentiae ad potentiam: quia
quaecumque comprehenduntur una potentia, comprehenduntur alia: non quod
quidquid intelligimus, simpliciter velimus ; sed aliquo modo in voluntate
sunt, inquantum volumus nos ea intelligere: sed non servatur aequalitas
potentiae ad objectum: quia res corporales sunt in anima nobiliori modo quam
in seipsis, cum anima sit nobilior eis, ut dicit Augustinus. Si autem
considerentur istae potentiae respectu hujus objecti quod est anima, sic
salvatur ordo, cum ipsa anima naturaliter sit sibi praesens ; unde ex notitia
procedit intelligere, et non e converso. |
Mais une certaines égalité est observée là, là savoir celle d’une
puissance à une autre puissance car tout ce qui est compris par une puissance
est compris par une autre : ce n’est pas que nous voulons purement et
simplement tout ce que nous comprenons, mais en un sens les choses que nous
comprenons sont dans notre volonté dans la mesure où nous voulons les
comprendre ; mais l’égalité de la puissance à son objet n’est pas
observée parce que les choses corporelles sont dans l’âme selon un mode plus
excellent que celui qu’elles ont en elles-mêmes puisque l’âme est d’une
substance plus noble que la leur, ainsi que le dit Augustin. Mais si ces
puissances étaient considérées par rapport à cet objet qui est l’âme, alors
l’ordre est observé puisque l’âme elle-même est naturellement présente à
elle-même ; et c’est pourquoi c’est de la connaissance que procède
l’acte de comprendre et non inversement. |
Servatur
etiam aequalitas potentiae ad potentiam simpliciter: quia quantum se
intelligit, tantum se vult et diligit: non sicut in aliis, quod velit se
tantum intelligere, sed simpliciter. Servatur etiam ibi aequalitas potentiae
ad objectum. Servatur etiam ibi actualis imitatio ipsius Trinitatis,
inquantum scilicet ipsa anima est imago expresse ducens in Deum. Si autem
considerentur respectu hujus objecti quod est Deus, tunc servatur ibi
actualis imitatio. Maxime autem servatur ordo, quia ex memoria procedit
intelligentia, eo quod ipse est per essentiam in anima, et tenetur ab ipsa
non per acquisitionem. Servatur etiam ibi aequalitas potentiae ad potentiam
simpliciter, sed non potentiae ad objectum: quia Deus est altior quam sit
anima. Unde dico, quod imago quodammodo attenditur respectu quorumlibet
objectorum ; verius autem respectu sui ipsius, et verissime respectu hujus
objecti quod est Deus ; nisi tantum quod deest aequalitas potentiae ad
objectum, quae etiam non multum facit ad imaginem. |
L’égalité
d’une puissance à une autre est aussi observée absolument parlant : car
elle se veut et elle s’aime autant qu’elle se comprend : non pas comme
dans les autres, qu’elle veut seulement se comprendre, mais absolument. Est
observée aussi dans ce cas l’égalité de la puissance à l’objet. Est
observée aussi dans ce cas l’imitation actuelle de la Trinité, c’est-à-dire dans la mesure où
l’âme elle-même est l’image distincte qui conduit à Dieu. Mais si les
puissances étaient considérées par rapport à cet objet qui est Dieu, alors
dasn ce cas est observée l’imitation actuelle. Mais l’ordre est observé au
plus haut point car l’intelligence procède de la mémoire du fait qu’elle-même
est par essence dans l’âme et que ce n’est pas par mode d’acquisition qu’elle
est possédée par elle. Est encore conservée dans ce cas l’égalité d’une
puissance à une autre absolument, mais non pas celle d’une puissance à son
objet car Dieu est d’une nature plus élevée que celle de l’âme. C’est pourquoi je dis que l’image
s’applique en un sens à tout objet ; mais cela est plus vrai par rapport
à lui-même et le plus véritablement par rapport à cet objet qui est Dieu ;
à moins seulement que ne manque l’égalité de la puissance à son objet qui ne
contribue pas grandement à l’image. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ista assignatio imaginis
attendatur secundum potentias absolute, nihilominus tamen praecipue
attenditur secundum id quod est altissimum in eis ; et hoc est respectu eorum
objectorum quae per sui essentiam sunt in anima. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que cette attribution
de l’image se considère d’après les puissances prises absolument, néanmoins
elle se prend d’après ce qu’il y a de plus élevé en elles ; et cela se
fait par rapport à leurs objets qui sont dans l’âme par essence. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus vult, quod respectu
quorumlibet objectorum sit aliquo modo imago: sed praecipue respectu hujus
objecti quod est Deus et quod est anima: ipse enim in multis requirit
similitudinem Trinitatis, ut ad perfectam imaginem deveniat. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’Augustin veut que par rapport à
tout objet il y ait image d’une certaine manière, mais principalement par
rapport à cet objet qui est Dieu et à celui qui est l’âme : lui-même en
effet exige en plusieurs points de la ressemblance à la Trinité qu’elle
parvienne à une image parfaite. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 ad s. c. Ad aliud patet
responsio per ea quae dicta sunt. |
3. Par rapport à ce qui est dit par la suite, ce que nous avons dit y
répond clairement. |
|
|
Articulus
5 : Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 tit. Utrum potentiae rationales sint semper in
actu respectu objectorum, in quibus attenditur imago |
Article 5 – Est-ce que les puissances rationnelles sont toujours en acte par rapport aux objets auxquels l’image s’applique ? |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur quod istae potentiae non semper sint in suis actibus
respectu horum objectorum, in quibus praecipue attenditur imago. Dicit enim
philosophus, II De anima, text. 17, quod una potentia existente in
actu, altera abstrahitur ab actu suo. Sed istae tres
sunt diversae potentiae. Ergo
impossibile est quod quaelibet semper sit in suo actu respectu cujuslibet
objecti. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède par rapport à ce cinquième article. Il
semble que ces puissances ne sont pas toujours en acte par rapport à ces
objets auxquels s’applique principalement l’image. Le Philosophe en effet [11
De L’Âme, text. 17] dit qu’une puissance existant en acte, l’autre est
tirée de son acte. Mais ces trois puissances sont différentes. Il est donc
impossible que toute puissance soit toujours en acte par rapport à tout objet. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 5 arg. 2 Item, philosophus, IV Metaph.,
text.12, dicit quod non contingit multa simul intelligere. Sed anima
quandoque intelligit quaedam alia. Ergo tunc non intelligit simul seipsam [et
Deum add. Éd. de Parme] |
2. En outre, le Philosophe [IV Métaphysique, text. 12] dit
qu’il n’est pas possible de comprendre plusieurs choses simultanément. Mais
l’âme comprend parfois certaines autres choses. Donc, dans ce cas elle ne
comprend pas elle-même [et Dieu add. Éd. De Parme] simultanément. |
Lib.
1 d. 3 q. 4 a. 5 arg. 3 Item, ad hoc quod anima intelligat vel videat,
secundum Augustinum, XI de trin., cap.
II, requiritur intentio cognoscentis, per quam species cognoscibilis in rem
deducatur. Sed quandoque
anima intelligit ex intentione se intelligere. Cum igitur non percipiamus nos
intelligere semper animam et Deum, videtur quod intellectus noster non semper
sit in actu, respectu horum objectorum. |
3. En outre, pour que l’âme puisse comprendre ou voir, d’après
Augustin [XI De la Trinité, ch. 11], l’intention de celui qui connaît
est requise, par laquelle l’espèce connaissable soit tirée de la chose. Mais
parfois l’âme comprend à partir de l’intention de se comprendre. Donc,
puisque nous ne percevons pas toujours que nous comprenons l’âme et Dieu, il
semble que notre intelligence ne soit pas toujours en acte par rapport à ces
objets. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 s. c. 1 Contra,
philosophus dicit III de anima,
text. 20), quod intellectus agens semper intelligit. Maxime autem hoc videtur
respectu eorum quae semper sibi sunt praesentia, sicut anima et Deus. Ergo
videtur quod intellectus, horum respectu, semper sit in actu. |
Cependant : 1. Le Philosophe [111 De l’Âme, text. 20] dit que l’intellect
agent pose toujours son opération de comprendre. Mais cela se voit le plus à
l’égard des chose qui lui sont toujours présentes, comme l’âme et Dieu. Il
semble donc que, par rapport à ces objet, l’intellect soit toujours en acte. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 5 s. c. 2 Praeterea, dicit Augustinus, De Trin., cap. XI, 18, quod quidquid
est in memoria mea, illud memini. Sed anima et Deus semper est praesens
memoriae. Ergo memoria semper est in actu eorum, et similiter est in aliis. |
2. En outre, Augustin [De la Trinité, ch. XI, 18] dit que je
me suis rappelé de tout ce qui est dans ma mémoire. Mais l’âme et Dieu sont toujours présents à la
mémoire. Donc la mémoire est toujours en acte par rapport à ces objets et il
en est de même pour les autres puissances. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod,
secundum Augustinum, De util. Credendi,
cap. XI, differunt cogitare, discernere et intelligere. Discernere est
cognoscere rem per differentiam sui ab aliis. Cogitare autem est considerare
rem secundum partes et proprietates suas: unde cogitare dicitur quasi
coagitare. Intelligere autem dicit nihil aliud quam simplicem intuitum
intellectus in id quod sibi est praesens intelligibile. Dico ergo, quod anima
non semper cogitat et discernit de Deo, nec de se, quia sic quilibet sciret
naturaliter totam naturam animae suae, ad quod vix magno studio pervenitur:
ad talem enim cognitionem non sufficit praesentia rei quolibet modo ; sed
oportet ut sit ibi in ratione objecti, et exigitur intentio cognoscentis. Sed
secundum quod intelligere nihil aliud dicit quam intuitum, qui nihil aliud
est quam praesentia intelligibilis ad intellectum quocumque modo, sic anima
semper intelligit se et Deum [indeterminate add. Éd. de Parme], et consequitur quidam amor
indeterminatus. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que , d’après Augustin [De l’utilité de
Croire, ch. XI], penser, distinguer et comprendre diffèrent. Distinguer,
c’est connaître la chose au moyen de ce qui la distingue des autres choses.
Mais penser, c’est considérer la chose d’aprèss ses parties et ses
propriétés : c’est pourquoi penser signifie comme battre ou brasser
ensemble. Mais comprendre ne dit rien d’autre qu’un simple regard de
l’intelligence sur ce qui lui est présent comme intelligible. Je dis donc que
l’âme n’est pas toujours en train de penser et de distinguer au sujet de Dieu
et d’elle-même car ainsi tout homme connaîtrait naturellement toute la nature
de son âme, tâche qu’il parvient à peine à réaliser au prix d’un travail
considérable : en effet, la présence de la chose, de quelque manière que
ce soit, ne suffit pas à parvenir à une telle connaissance ; mais il
faut qu’elle soit là sous la raison d’objet et l’intention de celui qui
connaît est requise. Mais selon que comprendre ne signifie rien d’autre qu’un
examen, qui n’est rien d’autre que la présence de l’intelligible à
l’intelligence de quelque manière que ce soit, en ce sens l’âme se comprend
toujours elle-même ainsi que Dieu [d’une manière indéterminée add. Éd. De
Parme], et il s’ensuit un amour indéterminé. |
Alio tamen
modo, secundum philosophos, intelligitur quod anima semper se intelligit, eo
quod omne quod intelligitur, non intelligitur nisi illustratum lumine
intellectus agentis, et receptum in intellectu possibili. Unde sicut in omni
colore videtur lumen corporale, ita in omni intelligibili videtur lumen intellectus
agentis ; non tamen in ratione objecti sed in ratione medii cognoscendi. |
D’une autre manière cependant, d’après les philosophes, on comprend
que l’âme se comprend toujours elle-même du fait que tout ce qui est compris
n’est compris qu’en tant qu’il est éclairé par la lumière de l’intellect
agent et qu’il est reçu dans l’intellect possible. De là, tout comme la
lumière corporelle est vue à travers toute couleur, de même la lumière de
l’intellect agent est vue dans tout intelligible, non pas cependant sous la
raison d’objet, mais sous la raison d’un moyen de connaître. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc est intelligendum quando
potentiae operantur circa diversa objecta: tunc enim una impedit aliam in
actu suo, vel ex toto retrahit. Sed quando ordinantur ad idem objectum, tunc
una juvat aliam ; sicut illud quod videmus, facilius imaginamur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que c’est là ce qu’il faut
comprendre quand les puissances posent leurs opérations sur différents
objets : alors en effet une puissance empêche une autre puissance dans
son opération ou la retire du tout. Mais quand différentes puissances sont
ordonnées à un même objet, alors l’une assiste l’autre comme dans le cas par
exemple où ce que nous voyons est plus facile à imaginer. |
Lib. 1 d. 3
q. 4 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus loquitur de
intelligere, secundum quod est operatio intellectus completa distinguentis
vel cogitantis, et non secundum quod hic sumitur intelligere. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le philosophe parle de
comprendre selon qu’il s’agit là de l’opération complète de l’intelligence de
celui qui distingue ou qui pense et non pas selon le sens de comprendre qui
est pris ici. |
Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum
similiter, quod intentio intelligentis non requiritur ad tale intelligere,
sicut dictum est, in corpore art. |
3. Il faut dire de la même manière en troisième lieu que l’intention
de celui qui comprend n’est pas requise à une telle compréhension ainsi que
nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
|
|
Quaestio 5 |
Question 5 – [Les parties de l’image] |
|
|
Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 tit.
Utrum hae partes imaginis, mens, notitia et amor differant ab aliis partibus.
|
Article unique : Ces parties de l’image : l’esprit, la connaissance et l’amour, diffèrent-elles des autres parties ? |
1 Deinde
quaeritur de alia assignatione imaginis, scilicet mente, notitia et amore. |
1. Ensuite on s’interroge sur une autre attribution de l’image, à
savoir l’esprit, la connaissance et l’amour. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg. Et videtur
quod ista non differt a praedicta, sicut [si Éd. de Parme] dicitur, quod ista assignatur secundum habitus,
illa secundum potentias: imago enim attenditur in anima praecipue respectu
hujus objecti quod est anima et hujus objecti quod est Deus. Sed anima
non cognoscit seipsam tali modo cognitionis, de quo hic loquimur, mediante
habitu, sed per suam essentiam. Ergo non videtur quod secundum aliquos habitus assignetur
imago. |
Difficultés : 1. Il semble que cette attribution ne diffère pas de celle dont nous
avons parlé précédemment (mémoire, intelligence, volonté), comme [si Éd.
De Parme] on dit que celle-ci s’attribue d’après les habitus alors que
celle-là s’attribue d’après les puissances : l’image en effet s’applique
à l’âme principalement par rapport à cet objet qui est l’âme et à cet objet
qui est Dieu. Mais l’âme ne se connaît pas elle-même d’après le mode de
connaître dont nous parlons ici, au moyen d’un habitus, mais par son essence.
Il ne semble donc pas que l’image s’attribue selon des habitus. |
Lib. 1 d. 3
q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, nullus habitus est consubstantialis, cum omnis
habitus sit accidens. Sed notitia et amor sunt consubstantiales ipsi menti,
ut hic dicitur. Ergo non sunt habitus. |
2. Par ailleurs, aucun habitus n’est consubstantiel, puisque tout
habitus est un accident. Mais la connaissance et l’amour sont consubstantiels
à l’esprit lui-même, comme on le dit ici. Ils ne sont donc pas des habitus. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 3 Item, mens superius,
quaest. 3, art. 1, fuit accepta non pro habitu, sed pro potentiarum subjecto.
Cum igitur eodem modo
notificetur hic, sicut supra, a Magistro, scilicet pro eo quod in anima est
excellentius, videtur quod non sit habitus: et ita haec assignatio non est
secundum habitus. |
3. En outre, l’esprit [quest. 3, art. 1] a été admis plus haut non
pas comme un habitus mais comme le sujet des puissances. Donc, puisqu’il est
ici notifié de la même façon qu’il l’a été plus haut par le Maître, à savoir
pour ce qu’il y a de plus excellent dans l’âme, il semble qu’il ne soit pas
un habitus ; par conséquent, cette attribution n’est pas faite d’après
les habitus. |
Lib. 1 d. 3
q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, constat quod habitus non operatur sed est
principium operandi. Cum igitur hic dicat, quod mens novit se et amat se,
videtur quod non sumatur pro habitu. |
4. De plus, il est clair que l’habitus ne pose pas d’opération mais
il est plutôt principe d’opération. Donc, lorsqu’on dit ici que l’esprit se
connaît et s’aime, il semble que cela ne se prenne pas à la manière d’un
habitus. |
Lib. 1 d. 3
q. 5 a. 1 arg. 5 Contra, cuilibet potentiae respondet suus habitus. Si igitur
mens non sit habitus, sed ipsa essentia animae, secundum quod hic sumitur,
erunt quatuor partes imaginis, scilicet mens et tres habitus trium
potentiarum ; et ita non repraesentabunt Trinitatem. |
Cependant : À toute puissance correspond son habitus. Si donc l’esprit n’est pas
un habitus mais l’essence même de l’âme d’après la manière de l’entendre ici,
il y aura quatre parties de l’image, à savoir l’esprit et les trois habitus
des trois puissances et ainsi elles ne représenteront pas la Trinité. |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod mens multipliciter dicitur secundum quosdam. Quandoque enim
dicitur ipsa natura intellectiva, sicut Dionysius, IV de divin. Nomin., 694) vocat Angelos divinas mentes. Quandoque
dicitur ipse intellectus examinans res, secundum quod mens dicitur a metior
metiris, et juxta hoc etiam supra sumitur, quod mens est superior pars
animae. Quandoque dicitur pro memoria a reminiscendo dicta ; et ita dicunt
quod sumitur hic: unde dicunt quod mens hic sumitur pro habitu memoriae, et
notitia pro habitu intelligentiae et amor pro habitu voluntatis. Sed quia
ista opinio non procedit secundum Magistri opinionem [intentionem Éd. de Parme], et nimis extorta est ;
ideo aliter dicendum est, quod mens sumitur hic, sicut et supra, pro ipsa
superiori parte animae, quae est subjectum praedictae imaginis, et notitia
est habitus memoriae, et amor habitus voluntatis ; et ita haec assignatio
sumitur secundum essentiam et habitus consubstantiales ; praedicta autem
secundum potentias. Unde in ista non est tanta conformitas sicut in
praedicta, nec ita propria assignatio: propter quod etiam ultimo ponitur. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que d’après certains l’esprit se dit selon
plusieurs acceptions. Parfois en effet on prend ce terme dans le sens de la
nature intellectuelle, comme le fait Denys [IV, Les Noms Divins, 694] lorsqu’il
appelle les Anges esprits divins. Parfois le terme ¨esprit¨ est pris pour
l’intellect lui-même qui examine les choses, selon l’esprit se dit de l’acte
de mesurer, et c’est conformément à cela aussi qu’il est pris plus haut, à
savoir que l’esprit est la partie supérieure de l’âme. Parfois l’esprit se
dit de la mémoire qui se tire de l’acte de se souvenir ; et ils se
trouvent ainsi à dire ce qu’on entend ici : ils disent par
conséquent que l’esprit se prend ici
pour l’habitus de la mémoire, la connaissance pour l’habitus de
l’intelligence et l’amour pour l’habitus de la volonté. Mais parce que cette
opinion ne procède pas selon l’opinion du Maître [intention Éd. De Parme] et
qu’elle est trop forcée, c’est pourquoi il faut dire ici autrement que
l’esprit se prend ici, tout comme précédemment, pour la partie supérieure de
l’âme, laquelle est le sujet de l’image dont nous avons parlé, que la
connaissance est l’habitus de la mémoire et que l’amour est l’habitus de la
volonté ; et de cette manière cette attribution se prend d’après
l’essence et les habitus consubstantiels, alors que la précédente se prenait
d’après les puissances. C’est pourquoi cette attribution n’est pas aussi
conforme ni aussi propre que la précédente : et c’est pour cette raison
aussi qu’elle a été présentée en dernier lieu. |
Lib. 1 d. 3
q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad esse habitus intellectivi duo
concurrunt: scilicet species intelligibilis, et lumen intellectus agentis,
quod facit eam intelligibilem in actu: unde si aliqua species esset quae in
se haberet lumen, illud haberet rationem habitus, quantum pertinet ad hoc
quod esset principium actus. Ita dico, quod quando ab anima cognoscitur
aliquid quod est in ipsa non per sui similitudinem, sed per suam essentiam,
ipsa essentia rei cognitae est loco habitus. Unde dico, quod ipsa essentia
animae, prout est mota a seipsa, habet rationem habitus. Et sumitur hic
notitia materialiter pro re nota ; et similiter est dicendum de amore. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que deux facteurs contribuent à
l’existence d’un habitus intellectuel : à savoir l’espèce intelligible,
et la lumière de l’intellect agent qui la rend intelligible en acte :
par conséquent s’il y avait une espèce qui possédait en soi la lumière, elle
aurait raison d’habitus quant à ceci qu’elle serait principe d’un acte. Ainsi
je dis que quand ce qui est connu par l’âme est en elle non pas au moyen de
ce qui lui ressemble mais au moyen de son essence, l’essence même de la chose
connue tient lieu d’habitus. De là je dis que l’essence même de l’âme, selon
qu’elle est mue par elle-même, a raison d’habitus. Et la connaissance se
prend ici matériellement parlant pour
la chose connue ; et il faut dire la même chose de l’amour. |
Lib. 1 d. 3
q. 5 a. 1 ad 2 Unde etiam patet solutio ad secundum: quia habitus isti erunt
consubstantiales, cum sint in ipsa substantia animae, nec sunt ibi alii
habitus. Si autem diceremus, quod per notitiam et amorem significantur actus
et non habitus, planius esset ; et tunc dicerentur consubstantiales, sicut et
de potentiis supra dictum est, dist. 3, quaest. 4, art. 2. |
2. Et de là apparaît encore la solution à la deuxième
difficulté : car ces habitus seront consubstantiels puisqu’ils sont dans
la substance même de l’âme et il n’y a pas là d’autres habitus. Mais si nous
disions que par la connaissance et l’amour ce sont les actes et non les
habitus qui sont signifiés, alors l’énoncé serait plus clair ; et alors
ces habitus seraient appelés consubstantiels, tout comme nous l’avons dit plus
haut [distinction 3, question 4, article 2] au sujet des puissances |
Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 3 Tertium et quartum
concedimus. |
3 et 4. Nous concédons la troisième et la quatrième difficulté. |
Lib. 1 d. 3
q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod habitus est principium elicitum
[elicitivum Éd. de Parme]
operationis. Unde, quia memoria non habet per se actum qui sit simpliciter
operatio, non respondet sibi aliquis habitus, sed eodem habitu notitia,
scilicet [scilicet om. Éd. de Parme]
memoria et intelligentia reducuntur in unam operationem. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que l’habitus est le principe qui décide [qui choisit Éd. de Parme]
de l’opération. De là, parce que la mémoire ne possède pas d’elle-même un
acte qui soit une opération absolument parlant, il n’y a pas d’habitus qui
lui correspond, mais c’est par le même habitus que la connaissance,
c’est-à-dire la mémoire, et l’intelligence sont ramenées à une seule
opération. |
|
|
Distinctio 4 |
Distinction 4 –
[La génération en Dieu]
|
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad
intellectum hujus partis de duobus quaeritur : primo de divina generatione. Secundo de divina praedicatione. Circa primum tria quaeruntur : 1 an in
divinis sit generatio ; 2
supposito quod sic, an haec sit vera : Deus genuit Deum ; 3
de aliis locutionibus quae ex ista littera concluduntur. |
Afin de comprendre cette partie on s’interroge
sur deux choses : Premièrement sur la génération en Dieu. Deuxièmement sur ce que l’on attribue à Dieu. Au sujet du premier point on s’interroge sur
trois points : 1. Y a-t-il un génération dans les personnes
divines ? 2. En supposant qu’il ne soit ainsi, cet énoncé
est-il vrai : Dieu a engendré Dieu ? 3. Sur les autres paroles qui sont conclues à
partir de ce document. |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La génération divine] |
|
|
Articulus
1.1 lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 tit. Utrum
generatio sit in Deo. |
Article 1 – Y a-t-il de la génération en Dieu ? |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum
sic proceditur. Videtur
quod in Deo non sit generatio. Generatio enim
est species mutationis, secundum philosophum, V Physic., text. 4.. Sed a Deo removetur mutatio, Jac. 1, 17 : Apud quem non est transmutatio, nec
vicissitudinis obumbratio. Ergo nec generatio. |
Difficultés : 1. On procède
de la manière suivante à l’égard de ce premier article. Il semble qu’il n’y
ait pas génération en Dieu. La génération
en effet est une espèce de changement d’après le Philosophe [V Physiques,
text. 4]. Mais dans la Lettre de Jacques (1, 17), on écarte de Dieu le
changement : Celui chez qui n’existe aucun changement ni l’ombre
d’une variation. Il n’y a donc pas de génération en Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quanto creaturae sunt nobiliores, magis
accedunt ad divinam similitudinem. Sed in creaturis nobilioribus non
invenitur generatio, sicut in Angelis et in corporibus caelestibus, sed
tantum in inferioribus. Ergo videtur quod nec in Deo
inveniatur. |
2. Par
ailleurs, quand les créatures s’approchent d’autant plus de la ressemblance
divine qu’elles sont plus nobles. Mais on ne retrouve pas de génération dans
les créatures qui sont plus nobles, comme on le voit pour les Anges et les
corps célestes, mais on observe la génération seulement chez les créatures
inférieures. Il semble donc qu’il n’y en ait pas non plus en Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 3 Item,
ubicumque est generatio, oportet quod sit aliquid in genito communicatum a
generante. Sed per illud quod sibi a generante communicatur non distinguitur
a generante. Ergo
oportet ibi esse aliquid aliud per quod ab ipso distinguatur, cum omne
genitum a generante distinctum sit. Ergo omne quod
generatur, est compositum, cum sit ibi aliquid et aliquid. Sed in Deo non est
compositio. Ergo nec generatio. |
3. En outre,
partout où il y a génération, il faut qu’il y ait quelque chose qui soit
communiqué dans celui qui est engendré par celui qui engendre. Mais celui qui
est engendré ne se distingue pas, par ce qui lui est communiqué par celui qui
engendre, de celui qui engendre. Il faut donc qu’il y ait là quelque chose
d’autre au moyen de quoi il se distingue de celui qui engendre puisque tout
ce qui est engendré est distinct de celui qui l’engendre. Donc, tout ce qui
est engendré est un composé puisqu’il y a là quelque chose est quelque chose
d’autre. Mais il n’y a pas de composition en Dieu. Il n’y a donc pas non plus
génération. |
lib. 1 d. 4 q. 1
a. 1 arg. 4 Item, generatio est actus medius inter generantem et genitum. Sed
inter Patrem et Filium non est aliquid medium. Ergo videtur quod non sit ibi
generatio. |
4. De plus,
la génération est un acte intermédiaire entre celui qui engendre et celui qui
est engendré. Mais il n’y a pas d’intermédiaire entre le Père et le Fils. Il
semble donc qu’il n’y ait pas là de génération. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Isa. ult., 9 : Ego qui generationem tribuo sterilis ero ? |
Cependant : 1. On lit dans Isaïe (66, 9) : Moi
qui fais naître, je serai stérile ? |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item,
omne quod communicat se, communicat se ratione actus qui est in ipso ; quia
potentia non agit nec communicat se. Sed divina essentia est primus et purus
actus. Ergo videtur quod summe communicet se. Sed non communicat se summe in
creaturis, cum non terminetur in eamdem naturam talis communicatio. Ergo
videtur quod communicet se per generationem in Filio ; haec enim est maxima
communicatio. |
2. En outre,
tout ce qui se communique, se communique en raison de l’acte qui est en
lui ; car la puissance n’est pas capable par elle-même de poser une
opération et de se communiquer. Mais l’essence divine est un acte pur et
premier. Il semble donc qu’elle se communique au plus haut point. Mais elle
ne se communique pas au maximum dans les créatures parce qu’une telle
communication ne se termine pas dans une même nature. Il semble donc en effet
que cette communication maximale doive se communiquer par la génration dans
le Fils. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod generationem esse in divinis, ratione efficaciter confirmari
non potest, sicut supra dictum est, dist. 3, quaest. 1, art. 4, sed
auctoritate et fide tenetur : unde simpliciter concedendum est, generationem
esse in divinis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’on ne peut confirmer efficacement par la raison qu’il y a
génération dans les personnes divines, ainsi que nous l’avons dit plus haut
[dist. 3, quest. 1, art. 4], mais c’est par la foi et l’autorité qu’on
soutient qu’il y a génération dans les personnes divines. |
Sciendum tamen est, quod, cum omnis
perfectio sit in Deo et nulla imperfectio, quidquid perfectionis invenitur in
creatura, de Deo dici potest quantum ad id quod est perfectionis in ipsa,
omni remota imperfectione. Si autem nomen imponitur ab eo quod imperfectionis
est, sicut lapis, vel leo, tunc dicitur de Deo symbolice vel metaphorice. Si
autem imponitur ab eo quod est perfectionis, dicitur proprie, quamvis
secundum modum eminentiorem. |
Il faut
cependant savoir que puisqu’il y a en Dieu toute perfection et aucune
imperfection, tout ce qu’on retrouve de perfection dans la créature peut
s’attribuer à Dieu quant à ce qu’il y a en elle de perfection, en écartant
toute imperfection. Mais si le nom est imposé en partant de ce qui relève de
l’imparfait comme la pierre ou le lion, alors on le dit de Dieu de manière
symbolique ou métaphorique. Mais si le nom est imposé en partant de ce qui
relève de la perfection, alors il se dit proprement de Dieu, bien que ce soit
selon un mode plus excellent. |
Dicitur autem nomen imponi ab eo quod
est quasi differentia constitutiva et non ex ratione generis ; et ideo
quandocumque aliquid secundum suum genus dicit imperfectionem, et secundum
differentiam, perfectionem, illud [illud om.
Éd. de Parme] invenitur in Deo quantum ad rationem differentiae, et non
quantum ad rationem generis : sicut scientia non est in Deo quantum ad
rationem habitus vel qualitatis, quia sic habet rationem accidentis ; sed
solum secundum id quod complet rationem scientiae, scilicet cognoscitivum
certitudinaliter aliquorum. |
Mais on dit que le nom est imposé en
partant de ce qui est comme la différence constitutive et non à partir de la
notion de genre ; et c’est pourquoi, toutes les fois que quelque chose
dit une imperfection selon son genre et une perfection selon sa différence,
cela se retrouve en Dieu quant à la notion de différence et non quant à la
notion de genre : par exemple la science n’est pas en Dieu quant à la
notion d’habitus ou de qualité, car elle aurait ainsi raison d’accident; mais
elle est en Dieu seulement d’après ce qui complète la définition de la
science, à savoir qu’elle connaît des choses avec certitude. |
Similiter dico, quod si accipiamus
genus generationis, secundum quod invenitur in inferioribus, imperfectionis
est : mutatio enim, quae est genus ipsius, ponit exitum de potentia ad actum,
et per consequens ponit materialitatem in genito, et per consequens
divisionem essentiae : quae omnia divinae generationi non competunt. |
Je dis de la
même manière que si nous prenons le genre de la génération selon qu’il se
retrouve dans les créatures inférieures, il dit une imperfection : le
changement en effet, qui est son genre, pose un passage de la puissance à
l’acte et pose par conséquent la matérialité dans ce qui est engendré et par
conséquent la division de l’essence : et tout cela est contraire à la
génération divine. |
Si autem consideretur secundum
differentiam suam, per quam completur ratio generationis, sic dicit aliquam
perfectionem : passive enim accepta dicit acceptationem essentiae in perfecta
similitudine ; cujus communicationem dicit, si sumatur active : quorum
neutrum imperfectionem dicit : communicatio enim consequitur rationem actus :
unde omnis forma, quantum est de se, communicabilis est ; et ideo
communicatio pertinet ad nobilitatem. |
Mais si on
considère la génération d’après sa différence par laquelle est achevée la
définition de la génération, cette dernière dit alors une perfection :
prise passivement en effet elle dit la réception de l’essence dans une
similitude parfaite ; si on la prend activement, elle dit la
communication de cette similitude parfaite. Mais dans aucun cas elle ne dit
une imperfection : la communication en effet suit la notion de
l’acte : c’est pourquoi toute forme en tant que telle est communicable
et c’est pourquoi la communication relève de l’excellence. |
Et hoc modo accepta generatione est
per prius in Deo, et omnis generatio in creaturis descendit ab illa, et
imitatur eam quantum potest, quamvis deficiat. Unde ad Ephes. 3, 15 : Ex quo omnis
paternitas in caelis et in terra nominatur. Si autem accipiatur secundum
rationem usitatam in nomine, secundum quam dicimus generationem in creaturis,
sic non convenit Deo nisi transumptive, sicut et alia corporalia. |
Prise en ce
sens, la génération se retrouve à titre premier en Dieu et toute génération
observée dans les créatures procède d’elle et l’imite dans la mesure du
possible bien qu’elle s’en écarte. C’est pourquoi on lit [Lettre aux
Éphésiens, 3, 15] : De qui toute paternité, au ciel et sur la
terre, tire son nom. Mais si on prenait la génération d’après la notion
généralement admise par l’usage du nom d’après laquelle nous parlons de la
génération telle qu’on la retrouve dans les créatures, alors elle ne
conviendrait à Dieu que par transfert métaphorique, comme toutes les autres
réalités corporelles. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 1 Et per hoc
jam patet solutio ad primum : quia generatio, secundum suum genus, quod est
mutatio, in divinis non invenitur ; unde in Deo non est mutatio, sed operatio
divinae naturae, secundum Damascenum, lib. I Fide
orth., cap. VIII. Differt autem operatio a motu, secundum philosophum, Ethic., V, cap. IV,
V et VI, quia operatio est actus perfecti, sed motus est actus imperfecti,
quia existentis in potentia. |
Solutions : 1. Et par ce que nous venons de dire,
la solution à la première difficulté est déjà claire : car la génération
selon son genre qui est le changement ne se retrouve pas dans les personnes
divines ; de là il n’y a pas en Dieu de changement, mais une opération
de la nature divine d’après Damascène [1 Livre sur la Foi Orthodoxe,
ch. VIII]. Or l’opération diffère du
mouvement selon le Philosophe [V Éthique, ch. IV, V, VI] car l’opération est l’acte de ce qui est
parfait alors que le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait parce qu’il
est l’acte de ce qui existe en puissance. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod nulla creatura susceptibilis est generationis sine eo quod est
imperfectionis in ipsa : cum enim in omni creatura differat essentia et esse,
non potest essentia communicari alteri supposito, nisi secundum aliud esse,
quod est actus essentiae [in qua est add.
Éd. de Parme] ; et ideo oportet essentiam creatam communicatione dividi,
quod imperfectionis est ; et ideo in perfectissimis creaturis non invenitur,
sed in his quae magis removentur a divina similitudine. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu qu’aucune créature n’est susceptib le de génération
sans qu’il y ait quelque chose d’imparfait en elle : en effet, puisque
dans toute créature l’essence diffère de l’existence, l’essence ne eput être
communiquée à un autre sujet que selon une autre existence, laquelle est
l’acte de l’essence [dans laquelle elle est add. Éd. de Parme] ;
et c’est pourquoi il faut que l’essence créée soit divisée par la
communication, ce qui relève de l’imperfection ; et c’est pourquoi, dans
les créatures les plus parfaites on ne retrouve pas cette division, mais
seulement chez celles qui sont les plus éloignées de la ressemblance divine. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in divina generatione non est aliquid additum essentiae in
genito, per quod differat a generante ; sed ex hoc ipso quod accipit
essentiam a generante, distinguitur ab eo relatione dantis et accipientis :
quae relationes non differunt ab essentia realiter, sed tantum ratione, ut
dictum est, dist. 11, quaest. 1, art. 5. Et ideo non sequitur ibi compositio
: quod in aliis esse non potest, quia nulla relatio est substantia secundum
rem in creaturis. Unde oportet quod omne generatum sit compositum, et sic
iterum patet quod generatio in creaturis sine imperfectione esse non potest. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
dans la génération divine il n’y a pas quelque chose qui est ajouté à
l’essence dans celui qui est engendré et par quoi il diffère de celui qui
engendre ; dans ce cas en effet, du fait même qu’il reçoit l’essence de
celui qui engendre, l’engendré se distingue de lui par la relation de donneur
à receveur, relation qui ne diffère pas de l’essence par la chose mais par la
raison seulement, ainsi qu’on l’a dit précédemment [dist. 11, quest. 1, art.
5]. Et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas là une composition : ce qui
n’est pas possible dans les autres êtres car aucune relation, chez les
créatures, n’est la substance selon la chose. De là, il faut toujours dans
ces cas que tout ce qui est engendré soit composé, et ainsi il est clair en
outre que la génération dans les créatures ne peut exister sans imperfection. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod generatio realiter non est aliquid medium inter Patrem et
Filium, cum generatio secundum rem passive accepta, sit ipsa filiatio, quae
est proprietas Filii, et est in Filio ; et accepta vero active [cum in Patre
accipitur active. Éd. de Parme],
est ipsa paternitas quae est in Patre, et est ipse Pater : tamen significat
proprietatem per modum actus, et ista significatio fundatur aliquo modo supra
rem in acceptione unius ab altero. |
4. Il faut dire
en quatrième lieu que la génération réelle n’est pas un intermédiaire entre
le Père et le Fils puisque la génération selon la chose, prise passivement
est la filiation même, laquelle est la propriété du Fils et est présente dans
le Fils ; mais prise activement [puisque dans le Père la génération est
prise activement. Éd. de Parme], elle est la paternité même qui est
dans le Père, et qui est le Père lui-même : cependant elle signifie la
propriété par mode d’acte, et cette signification se fonde d’une certaine
manière par-dessus la chose dans le rapport de l’un à l’autre. |
|
|
Articulus
2.lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 tit. Utrum
ista propositio, Deus genuit Deum, sit falsa. |
Article 2 – Cette proposition : « Dieu a engendré Dieu » est-elle fausse ? |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod haec sit falsa, Deus genuit Deum. Generatio enim importat relationem
distinguentem personas, ut dictum est, (art. praeced.) Si igitur conceditur,
quod Deus genuit Deum, oportet quod concedatur quod Deus distinguitur a Deo,
et quod Deus est alius a Deo, quod non conceditur. |
Difficultés : 1. On procède
de la manière qui suit à l’égard de ce deuxième article. Il semble que cette
proposition, Dieu a engendré Dieu, soit fausse. La génération en effet
implique une relation qui distingue les personnes, ainsi que nous l’avons dit
[article précédent]. Si donc on concède que Dieu a engendré Dieu, il faut
concéder que Dieu se distingue de Dieu et que Dieu est autre que Dieu, ce
qu’on ne peut concéder. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, terminus in praedicato positus non trahit terminum in subjecto
positum extra suam significationem, sed tantum restringit ipsum ratione
consignificationis temporis, ut stet pro praesentibus, praeteritis, et
futuris : quin potius est e converso, secundum Boetium, lib. I Trin., cap. V, quod talia sunt
praedicata, qualia permiserint subjecta. Sed hoc nomen Deus significat
essentiam. Ergo per verbum quod praedicatur, non trahitur ad standum pro
persona, sed supponit essentiam. Haec autem est falsa, essentia genuit
essentiam, ut infra dicetur, dist. 5, quaest. 1, art. 1. Ergo et haec, Deus
genuit Deum. |
2. Par
ailleurs, le terme posé dans le prédicat ne tire pas le terme posé dans le
sujet en dehors de sa signification, mais le limite seulement en raison de la
double signification du temps pour se fixer dans le présent, le passé et le
futur : mais n’en serait-il pas plutôt, au contraire, comme le dit Boèce
[1 De la Trinité, ch. V], que les présicats sont tels que l’auront
permis les sujets. Mais ce nom, Dieu, signifie l’essence. Donc, par le verbe
qui est attribué, ce nom n’est pas entraîné à représenter la personne, mais
suppose l’essence. Mais cette proposition, à savoir l’essence engendre
l’essence, est fausse, ainsi qu’on le dira plus loin [dist. 5, quest. 1, art.
1]. Et par conséquent celle-là aussi est fausse : Dieu a engendré Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, si
Deus genuit Deum, ergo Deus est generans, et Deus est genitus. Sed quidquid
dicitur de singulis personis, potest dici de Deo. Ergo [Sed. Éd. de Parme] de Patre dicitur quod
est generans et de Filio quod non est generans. Ergo potest dici quod Deus
generat et Deus non generat : quod falsum est. Ergo et prima est falsa, Deus
genuit Deum. |
3. En outre,
si Dieu a engendré Dieu, Dieu est celui qui engendre et Dieu est aussi celui
qui est engendré. Mais tout ce qui est dit de chacune des personnes peut être
dit de Dieu. Donc [Mais, Éd. de Parme]. Mais on dit du Père qu’Il est
celui qui engendre et du Fils qu’Il n’est pas celui qui engendre. On peut
donc dire que Dieu engendre et que Dieu n’engendre pas : ce qui est
faux. Donc, la première proposition est fausse, à savoir que Dieu a engendré
Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra,
in symbolo dicitur : Deum de Deo
genitum. Sed non generatur de Deo, nisi sicut de generante. Ergo Deus
generat Deum. |
Cependant : 1. On dit au
contraire dans le Symbole des Apôtres : Dieu né de Dieu. Mais on
ne peut naître de Dieu que comme de Celui qui engendre. Donc, Dieu engendre
Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Deus dicit habentem deitatem. Ergo
quidquid dicitur de habente deitatem, potest dici de Deo. Sed potest dici : habens deitatem generat
habentem deitatem. Ergo potest dici : Deus generat Deum. |
2. En outre,
Dieu désigne celui qui possède la divinité. Donc, tout ce qui et dit de celui
qui possède la divinité peut se dire de Dieu. Mais on peut dire que celui qui
possède la divinité engendre celui qui possède la divinité. On peut donc dire
que Dieu engendre Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ista est simpliciter vera et
concedenda, Deus generat Deum. Sed circa veritatem ejus est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod hoc nomen
Deus significat essentiam et supponit essentiam quantum est de se, sed
propter indifferentiam essentiae ad personas in divinis, ex adjuncto
notionali trahitur ad supponendum pro persona. |
Corps
de l’article :
Je réponds qu’il faut dire que cette
proposition, à savoir que Dieu engendre Dieu, est vraie absolument parlant et
qu’elle doit être admise. Mais il existe deux opinions relativement à sa
vérité. Certains en effet disent que ce nom
Dieu signifie l’essence quant à lui-même, mais en raison de l’indifférence de
l’essence à l’égard des personnes divines, mais par l’ajout d’une notion il
est entraîné à se substituer à la personne. |
Alii dicunt quod hoc nomen Deus
significat essentiam, et supponit, quantum est de se, personam, tamen
indistincte : unde potest supponere unam tantum vel plures personas : unam
cum dicitur, Deus generat : plures, ut cum dicitur Deus est Trinitas. Et haec
opinio videtur verior esse. |
D’autres
disent que le nom Dieu signifie l’essence et suppose de lui-même la personne,
mais indistinctement : par conséquent il peut supposer une seule ou
plusieurs personnes : une seule comme lorsque je dit que Dieu
engendre ; plusieurs, comme lorsque je dis que Dieu est trine. Et cette
dernière opinion se présente comme la plus vraie. |
Quamvis enim, ut dicitur Lib. de
causis, prop. 6, omne nomen deficiat a significatione divini esse, propter
hoc quod nullum nomen significat simul aliquid perfectum et simplec
[simpliciter Éd. de Parme] quia
abstracta non significant ens per se subsistens, et concreta significant ens
compositum, nihilominus tamen abjicientes id quod imperfectionis est, utimur
utrisque nominibus in divinis, abstractis propter simplicitatem, concretis
propter perfectionem. Unde hoc nomen Deus significat per modum perfecti et
per se subsistentis, sicut et hoc nomen homo : unde, sicut et hoc nomen homo
in se importat non tantum essentiam, sed etiam suppositum, sed indistincte
alias non praedicaretur de individuis, ita et hoc nomen Deus. Et ideo de se
habet quod possit supponere pro persona, et non habet quod supponat pro
essentia ex modo significandi nominis, sed tantum ex ratione divinae
simplicitatis, in qua idem est re essentia et suppositum. |
En effet,
bien que , comme on dit [Livre des Causes, prop. 6] que tout nom fait défaut
par rapport à la signification de l’existence divine pour cette raison
qu’aucun nom ne signifie simultanément quelque chose de parfait et de simple
[simplement Éd. de Parme] car les termes abstraits ne signifient pas
un être qui subsiste par soi et les
termes concrets signifient de l’être composé, néanmoins cependant, rejetant
ce qu’il y a d’imparfait, nous utilisons les deux sortes de noms pour
signifier Dieu, des termes abstraits pour signifier sa simplicité et des
termes concrets pour signifier sa perfection d’être subsistant. Par
conséquent ce nom, Dieu, signifie à la manière de ce qui est parfait et
subsiste par soi, comme le nom homme ; par conséquent tout comme le nom
homme implique en lui-même non seulement l’essence, mais aussi le sujet, mais
indistinctement autrement il ne s’attribuerait pas aux individus, il en est
de même pour ce nom, Dieu. Et c’est pourquoi ce nom tient de lui-même qu’il
puisse être mis à la place de la personne et il ne tient pas du mode de
signifier du nom qu’il puisse être mis à la place de l’essence, mais il le
tient seulement en raison de la simplicité de Dieu dans laquelle l’essence et
le sujet sont identiques par la chose. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod generari significat proprietatem per modum actus ; actus
autem est suppositorum tantum : humanitas enim non generat, sed homo : et
ideo cum dicitur, Deus generat Deum, locutio simpliciter est vera, quia actus
non potest referri nisi ad suppositum. Sed referri et distingui non
significant actus nisi grammatice loquendo ; et ideo possunt referri ad
essentiam et ad suppositum : et ideo non simpliciter conceditur, Deus
distinguitur a Deo, ne distinctio referatur ad essentiam ; et praecipue cum
hoc nomen Deus importet suppositum indistinctum, quod non distinguitur nisi
personali proprietate adjuncta, ut paternitate vel filiatione. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que le fait d’êre engendré signifie une propriété à
la manière d’un acte ; mais un acte n’appartient qu’à un individu :
en effet, ce n’est pas l’humanité mais l’homme qui engendre ; et c’est
pourquoi, lorsqu’on dit que Dieu engendre Dieu, l’expression est vraie
absolument car l’acte ne peut être rapporté qu’à un individu. Mais rapporter
et distinguer ne signifient un acte que grammaticalement parlant et c’est
pourquoi ils peuvent être attribués à la fois à l’essence et à l’individu :
et c’est pourquoi il ne faut pas concéder absolument que Dieu se distingue de
Dieu, afin que la distinction ne s’attribue pas à l’essence ; et
principalement puisque ce nom, Dieu, implique implique indistinctement
l’individu, lequel n’est distingué que par une propriété personnelle ajoutée,
comme la paternité ou la filiation. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod, quamvis hoc nomen Deus significet essentiam, tamen, quantum
est de se, supponit habentem essentiam, et rem naturae, etiam non intellectis
personis, quas fides distinguit. Unde potest supponere pro persona, etiamsi
ab alio non restringatur. Et quia supponit personam indistincte, ideo potest
stare in locutione pro quacumque persona : et sic reddit locutionem veram. Unde in hac propositione, Deus generat
Deum, in supposito stat pro patre, in apposito pro filio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que le
nom Dieu signifie l’essence, cependant, de lui-même, il suppose celui qui
possède l’essence et la chose de nature, même si les personnes, que la foi
distingue, ne sont pas comprises. C’est pourquoi il peut être mis à la place
d’une personne, même s’il n’est pas limité par un autre terme. Et parce qu’il
suppose la personne indistinctement, c’est pourquoi dans le discours il peut
représenter toute personne, de manière à render vrai le discours. Par
consequent, dans cette proposition, Dieu engendre Dieu, le terme pris comme
sujet tient lieu de père et dans le prédicat il tient lieu de fils |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum quod hoc nomen Deus, proprie loquendo, nec est universale nec
singulare ; sed habet aliquid de ratione universalis, scilicet quod
praedicatur essentialiter de pluribus suppositis ; et inde habet quod ea quae
praedicantur de singulis suppositis, praedicantur de ipso : habet autem de
ratione singularis hoc quod non multiplicatur ad multitudinem suppositorum :
dicimus enim, quod Pater et Filius sunt unus Deus, sed Socrates et Plato sunt
plures homines : et ex parte ista habet hoc nomen Deus quod negatio et
affirmatio dictae de ipso [dictae de ipso om.
Éd. de Parme] opponuntur contradictorie : unde sicut istae non possunt
simul esse verae, Socrates currit et non currit ; ita nec istae, Deus generat
et non generat. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que ce nom, Dieu, à proprement parler, n’est ni
universel, ni singulier ; mais il possède quelque chose du concept
universel, à savoir qu’il s’attribue essentiellement à plusieurs
sujets ; et de là il tient que ce qui s’attribue aux sujets individuels
s’attribue à lui-même ; mais il possède aussi quelque chose de la notion
du singulier par cela qu’il ne se multiplie pas à l’égard de la multiplicité
des sujets : nous disons en effet que le Père et le Fils sont un seul
Dieu, mais que Socrate et Platon sont plusieurs hommes : et de ce côté
ce nom Dieu tient que la négation et l’affirmation qu’on dit de Lui [qu’on
dit de lui om. Éd. de Parme] s’opposent de manière
contradictoire : de là, tout comme ces propositions ne peuvent êre
vraies simultanément, à savoir Socrate court et Socrate ne court pas, de même
ces propositions, à savoir Dieu engendre et Dieu n’engendre pas, ne peuvent
être vraies simultanément. |
|
|
Articulus
3. lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 tit. Utrum
Deus genuit se Deum vel alium Deum |
Article 3 – Dieu s’est-il engendré lui-même comme Dieu ou a-t-il engendré un autre Dieu ? |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod genuit vel se Deum, vel alium Deum. Idem enim et diversum universaliter
dividunt ens. Sed se est relativum identitatis, alius autem importat
diversitatem. Ergo oportet dicere, quod genuit vel se Deum vel alium Deum. |
Difficultés : 1. On procède
de la manière qui suit à l’égard de ce troisième article. Il semble ou bien
qu’il se soit engendré lui-même comme Dieu, ou bien qu’il ait engendré un
autre Dieu. En effet, le même et l’autre divisent tous les êtres. Mais le
¨soi-même¨ est un relatif d’identité alors que ¨l’autre¨ implique la
diversité. Il faut donc dire que Dieu a engendré ou bien lui-même comme Dieu,
ou bien un autre Dieu. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, ut supra dictum est, art. anteced., hoc nomen
‘Deus’ trahitur ad standum pro persona ex notionali adjuncto. Sed alius
importat distinctionem notionalem. Ergo ly alius hoc nomen Deus facit stare
pro persona. Sed haec est vera : Deus genuit aliam
personam divinam. Ergo et haec : Deus genuit alium Deum. |
2. En outre,
comme nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent, ce nom ¨Dieu¨ est
entraîné à tenir la place d’une personne à partir de l’ajout d’une notion.
Mais l’autre implique la distinction d’une notion. Donc le nom Dieu avec
l’ajout de la notion ¨autre¨ tient la place d’une personne. Mais cette
proposition est vraie : Dieu a engendré une autre personne divine. Donc
celle-là l’est aussi, à savoir que Dieu a engendré un autre Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 3 Item,
videtur quod haec sit vera, Deus genuit se Deum. Idem enim, ut dicit
philosophus, V Metaph., cap. XV ;
in ant. exempl., cap. XVII, est unum in substantia, sicut aequale unum in
quantitate. Sed sicut una magnitudo est Patris et Filii, sic et una
substantia. Ergo
sicut conceditur ista, Deus genuit aequalem Deum ; ita debet concedi ista,
Deus genuit eumdem Deum. Unde similiter et haec, Deus genuit se
Deum, cum se sit relativum identitatis. |
3. De plus, il
semble que cette proposition soit vraie, à savoir que Dieu s’est engendré
lui-même comme Dieu. Le même en effet, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique,
ch. XV], est l’un dans la substance comme l’égal est l’un dans la quantité.
Mais tout comme la grandeur du Père et celle du Fils sont une, de même leur
substance est une. Donc, tout comme on concède cette proposition-ci, à savoir
que Dieu a engendré un Dieu égal, de même on doit concéder cette
proposition-là, à savoir que Dieu a engendré le même Dieu. D’où on dit
semblablement concéder cette autre proposition, à savoir que Dieu s’est
engendré soi-même comme Dieu, puisque ¨soi-même¨est un relatif d’identité. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 4 Item,
quaeritur de aliis duabus propositionibus, scilicet, genuit Deum, qui est
Deus Pater, vel Deum qui non est Deus Pater. Videtur enim quod haec sit falsa
: genuit Deum qui est Deus Pater. Qui enim cum sit relativum, facit secundam notitiam
suppositorum. Sed iste terminus Deus, ad quem refertur, stabat pro persona Filii.
Ergo et relativum supponet personam
Filii. Sed haec est falsa : Filius est Deus Pater. Ergo et haec, Deus genuit
Deum, qui est Deus Pater. |
4. En outre,
on s’interroge sur ces deux propositions, à savoir que Dieu a engendré Dieu
qui est Dieu le Père ou Dieu qui n’est pas Dieu le Père. Il semble en effet
que cette proposition soit fausse : Dieu a engendré Dieu qui est Dieu le
Père. Puisque le pronom ¨qui¨ est un relatif, il fait une deuxième
connaissance des sujets. Mais ce terme Dieu auquel il réfère, tenait lieu de
la personne du Fils. Donc le relatif aussi supposait la personne du Fils.
Mais cette proposition, à savoir le Fils est Dieu le Père, est fausse. Donc
celle-là l’est aussi : Dieu a engendré Dieu, qui est Dieu le Père. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 5 Item,
videtur quod etiam negativa sit falsa. Negatio enim respicit terminum
sequentem formalem. Ergo cum dicit, Deus genuit Deum qui non est Deus Pater,
a Filio, quem refert relativum, per negationem removetur ly Deus, qui in
praedicato ponitur, non tantum quantum ad suppositum, sed quantum ad formam ;
et ita divina essentia removebitur a Filio, quod falsum est. |
5. Il semble que même la negative soit fausse. La
négation en effet considère le terme qui suit la proposition formelle. Donc,
lorsqu’il dit que Dieu a engendré Dieu qui n’est pas Dieu le Père, par la
négation, ce Dieu, qui est placé dans le prédicat, est écarté du Fils auquel
réfère le relative, non seulement quant au sujet, mais aussi quant à la
forme; et ainsi l’essence divine sera écartée du Fils, ce qui est faux. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Magister in littera negat
utramque praemissarum ; eo quod alius, cum notet diversitatem, ponit formam
suam circa terminum cui adjungitur, cum sit adjectivum, et ita designabitur
diversitas in forma divinitatis. Ly se autem cum
sit relativum identitatis, refert idem suppositum ; et ita cum dico : genuit
se Deum, ponitur indistinctio suppositi inter Patrem et Filium ; et cum
dicitur, genuit alium Deum, ponitur diversitas naturae ; et ideo utraque
neganda est. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que le Maître, dans le document nie chacune des deux
propositions du fait que ¨autre¨, signifiant la différence, pose sa forme sur
le terme auquel il s’ajoute, puisqu’il et un adjectif, et ainsi la différence
sera notée dans la forme de la divinité. Mais ce ¨soi¨, puiqu’il est un
relatif d’identité, se rapporte au même sujet ; et ainsi lorsque je
dis : Dieu s’est engendré soi-même comme Dieu, un manque de distinction
du sujet est posé entre le Père et le Fils ; et lorsqu’on dit que Dieu a
engendré un autre Dieu, on pose une diversité de nature ; et c’est
pourquoi chacune des deux propositions doit être niée. |
Sed sunt aliqui qui distinguunt istam,
genuit alium Deum ; quia ly alium potest teneri substantive vel adjective. Si
adjective, tunc erit locutio falsa, quia ponet diversitatem circa hunc
terminum Deus ; si substantive, tunc erit constructio appositiva, et locutio
erit vera, et erit sensus, genuit alium [Deum add/ Éd de Parme], qui est Deus. Sed, quia non invenitur quod
adjectivum in masculino genere substantivetur, et maxime cum adjungitur sibi
substantivum, ideo haec distinctio non videtur multum valere ; nisi forte
subintelligatur hoc participium ens ut dicatur alium entem Deum. Sed hoc erit
nimis extortum ; et ideo dicendum cum Magistro quod utraque falsa est. |
Mais il y en
a d’autres qui nuancent cette proposition, à savoir Dieu a engendré un autre
Dieu ; car ¨autre¨ peut être pris comme substantif ou comme adjectif.
S’il est pris comme adjectif, alors l’énoncé sera faux car il posera une
différence par rapport à ce terme, Dieu ; s’il est pris comme
substantif, alors il y aura une apposition et l’énoncé sera vrai et aura pour
signification que Dieu a engendré un autre [Dieu add. Éd. de Parme] qui est
Dieu. Mais parce qu’il n’arrive pas que l’adjectif dans le genre masculin
devienne un substantif, et principalement lorsqu’un substantif lui est
ajouté, c’est pourquoi cette distinction ne semble pas avoir une grande
valeur, à moins peut-être qu’on ne sous-entende le participe ¨étant¨, comme
lorsqu’on dit que Dieu a engendré un
autre étant Dieu. Mais cette expression sera trop forcée ; et c’est
pourquoi il faut dire comme le Maître que chacune des deux propositions est
fausse. |
lib.
1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idem et diversum
sufficienter dividunt ens creatum, propter hoc quod ubicumque in creaturis
est diversitas suppositorum, est diversitas essentiae ; sed in Deo in
diversis suppositis est una essentia : et ideo nec identitas competit propter
diversitatem suppositorum nec diversitas propter identitatem essentiae ; sed
tantum unitas. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que le même et l’autre divisent l’être créé avec
satisfaction pour cette raison que partout où il y a une diversité de sujets
dans les créatures, il y a aussi une diversité de nature. Mais en Dieu il n’y
a qu’une seule essence dans les différents sujets : et c’est pourquoi
l’identité ne se rencontre pas à cause de la diversité des sujets et que la
diversité ne se rencontre pas à cause de l’identité de l’essence, et qu’on ne
retrouve alors que l’unité. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod alius importat distinctionem in communi, non magis personalem
quam essentialem : et ideo quando adjungitur termino personali, importat
distinctionem personalem ; quando autem adjungitur termino essentiali,
importat diversitatem essentiae, secundum exigentiam formae illius termini ;
cum termini, praecipue substantiales, recipiant diversitatem et pluralitatem
ex parte suae formae. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que le terme ¨autre¨ implique une distinction
universelle, et non pas une distinction qui serait davantage personnelle
qu’essentielle : et c’est pourquoi, quand il est ajouté à un terme
personnel, il implique une distinction personnelle ; mais quand il est
ajouté à un terme essentiel, il implique une diversité d’essence, d’après
l’exigence de la forme de ce terme, puisque les termes, principalement ceux
qui sont substantiels, reçoivent la diversité et la pluralité du côté de leur
forme. |
Ad tertium dicendum, quod idem
significat unitatem in substantia ; et praeter hoc, quia relativum est et
habet articulationem implicitam, importat unitatem suppositi, et multo plus
hoc pronomen se, quod est etiam relativum reciprocum, quod non est reperire
in hoc nomine aequale : et ideo non est simile quod pro simili inducitur. |
3. En
troisième lieu il faut dire que le même signifie l’identité de
substance ; et en plus de cela, parce qu’il est un relatif et qu’il
possède une articulation implicite, il implique l’unité du sujet ; et il
en est encore bien davantage ainsi pour le pronom ¨soi¨, qui est aussi un
relatif réciproque, ce qui ne se rencontre pas par rapport au mot
¨égal¨ : et c’est pourquoi ce qui est introduit comme un semblable n’est
pas semblable. |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Magister distinguit utramque illarum propositionum. Si enim
cum dicitur, Deus genuit Deum, qui est Deus Pater, ly Pater construitur
appositive ad ly Deus, locutio falsa est : quia tunc ly Deus restringetur ad
standum pro persona patris ; et sic erit sensus : genuit Deum, qui est ipse
Pater : et sic affirmativa falsa est, et negativa vera. Si autem
intelligantur non per appositionem, sed mediate conjungi illi duo termini,
scilicet Deus, et Pater ; ut sit sensus : genuit Deum qui est Deus et Deus
est Pater ; tunc affirmativa vera est, et negativa falsa. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que le Maître a distingué chacune de ces propositions.
Si en effet, lorsqu’on dit : Dieu a engendré Dieu, qui est Dieu le Père,
ce Père est construit appositivement à ce Dieu, l’expression est
fausse : car alors ce Dieu est limité à représenter la personne du
père ; et ainsi le sens sera : Dieu a engendré Dieu qui est le Père
lui-même : et ainsi l’affirmative sera fausse et la négative vraie. Mais
si les termes ne sont pas pris par apposition, mais que ces deux termes, à
savoir Dieu et le Père, sont pris comme réunis au milieu, de manière à ce que
le sens soit : Dieu, qui est Dieu le Père, a engendré Dieu, alors
l’affirmative sera vraie et la négative fausse. |
Praepositivus tamen dixit, quod
utraque falsa est, nec sunt contradictoriae propter diversam suppositionem
hujus relativi qui : in affirmativis enim refert tantum suppositum
antecedentis, et cum antecedens supponat pro persona filii, referret personam
filii, de qua non est verum dicere, quod sit Deus pater. In negativa vero relativum refert non
tantum suppositum, sed etiam essentiam. Unde oporteret quod hoc praedicatum
Deus pater removeretur non tantum a supposito filii, sed etiam ab essentia :
et ita falsa est. |
Cependant
la conjunction prepositive dit que chacune des deux est fausse, et elles ne
sont pas contradictoires à cause de la supposition différente du relatif
¨qui¨: dans les affirmatives en effet il se rapporte seulement au sujet de
l’antécédent, et comme l’antécédent suppose comme personne le Fils, il se
rapporterait à la personne du Fils au sujet de laquelle il n’est pas vrai de
dire qu’elle est Dieu le Père. Mais dans la negative le relative ne se
rapporte pas seulement au sujet mais aussi à l’essence. D’où il faudrait que
le prédicat, Dieu le Père, soit écarté non seulement du sujet, le Fils, mais
aussi de l’essence: et ainsi elle serait fausse. |
Sed quia hac distinctione facta, adhuc
habet locum distinctio Magistri, et praecipue in affirmativa ; et iterum quia
non videtur necessarium esse quod in negativis relativum referat aliter quam
in affirmativis, nisi forte propter negationem, cujus est confundere terminum
et facere eum teneri simpliciter (quod tamen non habet respectu praecedentis,
sed tantum respectu sequentis) : ideo videtur efficacior via Magistri, et
secundum ipsum concedendum est, quod utraque potest esse vera et falsa ;
secundum cujus distinctionem patet solutio ad quartum argumentum. |
Mais parce
que, cette distinction étant faite, la distinction du Maître a encore sa
place et principalement dans l’affirmative ; et en outre parce qu’il ne
semble pas qu’il soit nécessaire que dans les négatives le relatif se
rapporte autrement que dans les affirmatives, excepté peut-être à cause de la
négation à laquelle il appartient de confondre le terme et de le faire
prendre absolument (ce qu’elle ne fait cependant pas par rapport à ce qui
précède, mais seulement par rapport à ce qui suit) : c’est pourquoi la
démarche du Maître semble plus efficace et conformément à lui il faut
concéder que chacune des deux propositions peut être vraie et fausse ;
et c’est d’après cette distinction que la solution à la quatrième difficulté |
lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod quando duo termini contrahuntur per appositionem, terminus
appositus efficitur quasi forma ei cui apponitur. Unde si intelligatur
appositive : genuit Deum qui non est Deus Pater, negatio non removebit formam
divinitatis sed paternitatis a Filio. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que quand deux termes se trouvent à être réunis par
apposition, le terme qui est apposé est établi comme la forme pour le terme
auquel il est apposé. De là, si l’expression, à savoir Celui qui n’est pas
Dieu le Père a engendré Dieu est entendue dans sa forme appositive, la
négation n’enlèvera pas la forme de la divinité, mais enlèvera du Fils la
forme de la paternité. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [L’attribution divine] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
lib.
1 d. 4 q. 2 pr. Deinde quaeritur de divina praedicatione. Et circa hoc duo
quaeruntur : 1 utrum possit fieri praedicatio in
divinis per propositionem aliquam ; 2 utrum possit persona praedicari de
essentia. |
Livre 1, dist. 4, quest. 2, proème. On s’interroge ensuite sur les attributions qui
s’adressent à Dieu. Et à ce sujet on se demande deux choses : 1. Est-il possible qu’il y ait attribution à Dieu
au moyen d’une proposition ? 2. Est-ce qu’une personne peut être attribuée à
l’essence ? |
Articulus
1. lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 tit. Utrum de divinis possit formari propositio |
Article 1 – Peut-on former une proposition au sujet de Dieu ? |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum
sic proceditur. Videtur quod in divinis non possit aliqua formari propositio,
in qua aliquid de ipso praedicetur. Veritas enim signi consistit in
conformitate signi ad signatum. Sed omnis praedicatio fit per aliquam
compositionem. Cum igitur in Deo nulla sit compositio, videtur quod de ipso
nulla possit formari vera praedicatio. |
Difficultés: 1. Il semble qu’on ne puisse former une
proposition sur Dieu dans laquelle un prédicat serait attribué à un sujet. En
effet, la vérité du signe consiste dans la conformité du signe au signifié.
Mais toute attribution est produite au moyen d’une composition. Donc,
puisqu’il n’y a en Dieu aucune composition, il semble qu’on ne puisse former
à son sujet aucune veritable attribution. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 1 arg. 2 Item Dionysius, cap. II caelest hierar., § 3 142 : in
Deo negationes sunt verae affirmationes incompactae. Appellatur
autem incompactum illud quod non est debito modo ordinatum, nec est
competens. Sed
talis inordinatio inducit falsitatem in propositionibus. Ergo videtur idem quod prius. |
2. En outre, Denys [La Hiérarchie Céleste,
ch. 11, & 3, 142] dit: En Dieu les négations sont de vraies
affirmations qui sont défectueuses. Mais on appelle défectueux ce qui
n’est pas ordonné de la manière qui est juste et qui ne convient pas. Mais un
tel défaut d’ordre introduit de la fausseté dans les propositions. Il semble
donc que la conclusion soit la même que la précédente. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra ;
fidei non potest subesse falsum. Sed multae propositiones affirmativae
enunciantur a nobis de Deo secundum fidem nostram, scilicet quod Deus est
trinus et unus. Ergo videtur quod de Deo possit formari vera propositio. |
Cependant : 1. Mais la foi ne peut se fonder sur le faux.
Mais nous formons plusieurs propositions affirmatives sur Dieu conformément à
notre foi, par exemple que Dieu est à la fois trine et un. Il semble donc que
de vraies propositions puissent être formées au sujet de Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 2 Item,
secundum Boetium, nulla propositio est verior illa in qua idem de se
praedicatur. Sed quidquid est in divinis, est idem re, cum in Deo sit idem
habens et habitum, et quod est et quo est, excepto quod una persona non est
alia. Ergo videtur quod de Deo possint formari verissimae locutiones. |
2. En outre,
d’après Boèce, aucune proposition n’est plus vraie que celle dans laquelle le
même est attribué au même. Mais tout ce qui est en Dieu est le même par la
chose, puisqu’en Dieu est identique à la fois ce qui possède et ce qui est
possédé, la chose qui existe et ce par quoi elle existe, à l’exception qu’une
seule et même personne n’est pas l’autre. Il semble donc que les propositions
les plus vraies puissent être formées au sujet de Dieu. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod enuntiatio sequitur apprehensionem. Unde
secundum quod intelligimus aliqua, oportet quod enuntiemus illa. Apprehensio
autem fit secundum potestatem apprehendentis ; et ideo ea quae sunt simplicia
intellectus noster enuntiat per modum cujusdam compositionis ; sicut e
contrario Deus intelligit res compositas modo simplici : et inde est quod
intellectus noster de Deo format propositiones ad modum rerum compositarum, a
quibus naturaliter cognitionem accipit. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que l’énonciation suit la compréhension. De là, il faut que
nous énoncions les choses conformément à la manière dont nous les comprenons.
Mais la compréhension se produit conformément à la puissance de celui qui
comprend ; et c’est pourquoi notre intelligence énonce par mode de
composition les choses qui sont simples, tout comme au contraire Dieu saisit
les choses composées d’après un mode qui est simple : et il suit de là
que notre intelligence forme sur Dieu des propositions d’après le mode qu’il
applique aux choses composées desquelles il reçoit naturellement la
connaissance. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod intellectus noster deficit a cognitione divinae majestatis,
similiter etiam et enuntiatio deficit a significatione perfecta ; nihilominus
tamen est veritas, inquantum intellectus formans enuntiationem accipit duo
quae sunt diversa secundum modum et idem secundum rem. Unde secundum
diversitatem rationum format praedicatum et subjectum, et secundum
identitatem componit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
que notre intelligence est loin de connaître la divine majesté tout comme
notre discours est aussi loin de la signifier parfaitement ; néanmoins,
il y a cependant là vérité dans la mesure où notre intelligence en formant
l’énonciation reçoit deux choses qui sont différentes selon le mode et identitques
selon la chose. Ensuite, conformément à la diversité des notions elle forme
un prédicat et un sujet, et conformément à l’identité elle les compose. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod affirmativae propositiones pro tanto dicuntur incompactae in
divinis, quia nihil eorum quae praedicantur de ipso significant ipsum per
modum quo ipse est, sed per modum quo intellectus noster accipit ex rebus
creatis informatus. Unde oportet quod nomina illa praedicata de Deo
intelligantur praedicari remotis illis modis quibus de creaturis
praedicantur. Unde Dionysius, de divin
nomin., cap. VII, 866, omnes divinas praedicationes ita docet exponere :
Deus est sapiens, et non sapiens, scilicet sicut alia, ut differat in eo
sapientia a sapiente ; sed est supersapiens, inquantum est in ipso nobiliori
modo sapientia quam significetur per nomen. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu qu’on dit que les propositions affirmatives attribuées
à Dieu sont d’autant plus défectueuses que rien en elles de ce qui Lui est attribué
ne Le signifie à la manière dont Lui-même existe, mais seulement à la manière
dont notre intelligence reçoit l’information des choses créées. De là il faut
que ces noms qu’on attribue à Dieu soient compris comme étant attribués sans
ces modalités d’après lesquelles on les attribue aux créatures. C’est
pourquoi Denys [Les Noms Divins, ch. VII, 866] enseigne qu’il faut expliquer de
la manière qui suit toutes les attributions qu’on fait à Dieu : Dieu est
sage et il n’est pas sage comme les autres le sont, c’est-à-dire de telle
manière qu’en Lui différerait la sagesse et celui qui est sage ; au
contraire, il est sage au-delà de toute sagesse, selon que la sagesse en Lui
existe selon un mode plus excellent que celui qui est signifié par le nom. |
|
|
Articulus
2. lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 tit. Utrum persona possit praedicari de essentia |
Article 2 – La personne peut-elle être attribuée à l'essence ? |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod persona non possit praedicari de essentia. Praedicatum enim habet
rationem formae. Sed persona est suppositum formae, vel naturae. Ergo persona
non habet rationem quod praedicetur de natura vel essentia. |
Difficultés : 1. On procède
de la manière qui suit par rapport à cette deuxième question. Il semble que
la personne ne puisse être attribuée à l’essence. En effet, le prédicat a
raison de forme. Mais la personne est le sujet de la forme ou de la nature.
Donc la personne n’a pas raison d’être attribuée à la nature ou à l’essence. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, praedicatum semper significatur inesse subjecto. Persona
autem non significatur ut inhaerens essentiae, sed e converso. Ergo persona
non potest praedicari de essentia. |
2. En outre,
le prédicat est toujours signifié comme appartenant au sujet. Mais la
personne n’est pas signifiée comme appartenant à l’essence, mais c’est plutôt
l’inverse qui se produit. Donc la personne ne peut être attribuée à
l’essence. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 3 Item,
superius per se praedicatur de suo inferiori, sicut homo de Socrate ; sed
Socrates accidentali praedicatione praedicatur de homine ; accidit enim
homini esse Socratem. Sed sicut Socrates est suppositum humanae naturae, ita
Pater est suppositum naturae divinae. Ergo videtur quod haec non sit vera,
Deus est Pater, nisi forte per accidens. |
3. De plus,
le supérieur s’attribue de lui-même ou essentiellement à son inférieur, comme
l’homme s’attribue à Socrate. Mais Socrate s’attribue accidentellement à
l’homme ; en effet, il est accidentel à l’homme d’être Socrate. Mais
tout comme Socrate est le sujet de la nature humaine, de même le Père est le
sujet de la nature divine. Il semble donc qu’il ne soit pas vrai de dire que
Dieu est le Père, sauf peut-être par accident. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 4 Item, sicut
dictum est, Sup., qu. 1, art. 2, hoc nomen Deus, quantum est de se, supponit
personam. Sed haec est falsa : una persona est Pater et Filius et Spiritus
sanctus. Ergo haec etiam : unus Deus est Pater et Filius et Spiritus sanctus. |
4. En outre,
comme nous l’avons dit plus haut [quest. 1, art. 2], ce nom Dieu, en tant que
tel, suppose une personne. Mais cette proposition est fausse, à savoir qu’une
seule et même personne est à la fois le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc
cette proposition elle aussi est fausse, à savoir qu’un même Dieu est à la
fois Père, Fils et Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 5 Item videtur
quod haec etiam sit falsa, Deus est Trinitas. Nihil enim praedicatur de
homine quod non praedicetur de aliquo supposito hominis. Sed Trinitas neque
praedicatur de Patre neque de Filio neque de Spiritu sancto. Ergo per eamdem
rationem non potest dici quod Deus sit Trinitas. |
5. Par ailleurs il semble que cette autre
proposition soit fausse : Dieu est Trinité. Rien en effet n’est attribué
à l’homme qui ne soit pas attribué à un sujet de l’homme. Mais la Trinité
n’est attribuée ni au Père, ni au Fils, ni au Saint-Esprit. Donc, pour la
même raison on ne peut dire que Dieu soit Trinité. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod in divinis est omnino indifferentia naturae ad suppositum ; et
ideo nec est ibi universale neque particulare : et ideo sicut vere
praedicatur essentia de persona, ita et e converso. Sed verum est quod
quantum ad modum significandi plus habet de proprietate propositio in qua praedicatur
essentia, quam in qua praedicatur persona, cum praedicatum se habeat loco
formae. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il n’y a absolument aucune différence entre la nature et
le sujet dans les personnes divines ; et c’est pourquoi il n’y a pas
lieu de distinguer dans ce cas l’universel
du particulier : et c’est pour cette raison que tout comme l’essence
s’attribue véritablement à la personne, de même inversement la personne
s’attribue véritablement à l’essence. Mais quant au mode de signifier
lui-même, il est vrai que la proposition dans laquelle l’essence s’attribue
est possède plus d’intelligibilité que celle dans laquelle la personne
s’attribue, puisque le prédicat tient lieu de forme. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis persona sit suppositum, nihilominus tamen propter
indifferentiam suppositi ad naturam persona est aequalis simplicitatis cum
natura ; et ideo de se conversim praedicantur. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que bien que la personne soit le sujet, néanmoins
cependant en raison de l’absence de différence entre le sujet et la nature,
la personne est égale à la nature en simplicité ; et c’est pourquoi ils
s’attribuent réciproquement l’un à l’autre. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum : quia in Deo habens
et habitum sunt idem re. |
2. Et par là on voit la solution à la deuxième
difficulté car en Dieu celui qui possède est identique par la chose à ce qui
est possédé. |
lib. 1
d. 4 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in divinis non est aliquid
accidentale, nec est ibi universale et particulare ; et ideo nihil dicitur
ibi per accidens, neque per consequens, sicut in creaturis ; sed tantum
attenditur ibi alius et alius modus significandi. |
3. Il fuat dire en troisième lieu qu’en Dieu il
n’y a rien d’accidentel, et il n’y a là ni universel ni particulier; et c’est
pourquoi il n’y a rien là qui soit dit par accident et par conséquent comme
dans les créatures; mais il faut seulement comprendre qu’il y a là plusieurs
manières de signifier. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod hoc nomen Deus, quantum est de se, quamvis supponat pro
persona, nihilominus tamen non supponit pro aliqua persona distincte, immo
indeterminate ; nec forma significata per nomen Deus, a qua nomen imponitur,
est proprietas personalis, sed potius [potius om.. Éd. de Parme] natura communis : et ideo unitas significata
per hoc adjectivum unus, refertur ad formam divinitatis, et non ad
suppositum. Sed hoc nomen persona imponitur a personali proprietate, quae est
forma significata per terminum ; et ideo haec est falsa : una persona est
Pater et Filius et Spiritus sanctus ; quia significaretur una personalitas
trium personarum. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que ce nom, Dieu, en tant que tel, bien qu’il suppose
une personne, néanmoins il ne suppose pas une personne distinctement mais
bien plutôt d’une manière indéterminée ; et la forme signifiée par le
nom Dieu, à partir de laquelle le nom est imposé, n’est pas une propriété
personnelle mais plutôt une nature commune : et c’est pourquoi l’unité
signifiée par l’adjectif ¨un¨ se rapporte à la forme de la divinité et non au
sujet. Mais le nom personne est imposé à partir d’une propriété personnelle,
laquelle est la forme signifiée par le terme ; et c’est pourquoi cette
proposition est fausse : une même personne est à la fois le Père, le
Fils et l’Esprit-Saint, car alors une seule des trois personnes serait
signifiée. |
lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod Pater supponit personam distinctam, similiter et Filius et
Spiritus sanctus ; sed hoc nomen Deus supponit personam indeterminate ; et
ideo ratione indeterminationis aliquid potest praedicari de Deo quod de nulla
distinctarum personarum praedicatur : sicut etiam de homine dicitur, quod
nulli singularium convenit esse commune vel speciem vel aliquid hujusmodi.
Quod autem plures personae hominum non possunt simul praedicari de hoc nomine
homo, ratio est quia plures personae non sunt unus homo sicut plures personae
sunt unus Deus et Trinitas ; et ideo convenienter dicitur : Deus est tres
personae vel Trinitas [vel Trinitas om.
Éd. de Parme]. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que le Père suppose une personne distincte, tout comme
le Fils et l’Esprit-Saint ; mais le nom Dieu suppose la personne d’une
manière indéterminée ; et c’est pourquoi, en raison de cette
indétermination, quelque chose peut être attribué à Dieu qui ne peut être
attribué à aucune des personnes prise séparément : tout comme aussi se
dit de l’homme ce qui est commun ou l’espèce ou quelque chose de la sorte qui
ne convient à aucun des individus. Mais que plusieurs personnes humaines ne
puissent être simultanément être attribuées à ce nom ¨homme¨, la raison en
est que plusieurs personnes ne sont pas un seul et même homme comme plusieurs
personnes divines sont un seul et même Dieu et la Trinité ; et c’est
pourquoi on dit avec raison que Dieu est trois personnes ou la Trinité [ou la
Trinité om. Éd. de Parme] |
|
|
Distinctio 5 |
Distinction 5 – [Les noms qui signifient l’essence de Dieu dans l’abstrait] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad
intelligentiam hujus partis de tribus quaeritur : primo utrum essentia se habeat ad
generationem sicut generans. Secundo
utrum se habeat sicut de quo est generatio. Tertio
utrum se habeat sicut id quod est terminus generationis. Circa
primum duo quaeruntur : 1
utrum essentia generet ; 2 dato quod non, utrum similiter sit in
omnibus aliis essentialibus nominibus. |
Pour comprendre cette partie on s’interroge sur
trois points : 1. En premier lieu est-ce que l’essence se
rapporte à la génération comme ce qui engendre ? 2. En deuxième lieu est-ce qu’elle s’y rapporte
comme au sujet de la génération ? 3. En troisième lieu, est-ce qu’elle y est
présente en tant que terme de la génération ? Au sujet du premier point on se demande deux
choses : 1. Est-ce que l’essence engendre ? 2. Si on accorde que non, est-ce que l’essence se
présente de la même manière dans tous les autres noms essentiels ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [L'essence se comporte-t-elle vis-à-vis de la génération comme ce qui engendre ?] |
|
|
Articulus 1.
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 tit. Utrum essentia generet. |
Article 1 – L’essence engendre-t-elle ? |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod
essentia generet. Major enim est oppositio affirmationis et negationis, quam
relationis. Sed oppositio relationis facit in divinis ut una persona non sit
alia. Ergo fortius faciet hoc contradictio. Sed persona Patris est generans.
Si igitur essentia non generet, Pater non erit essentia ; quod est
impossibile. |
Difficultés : 1. On procède de la manière qui suit à l’égard de ce premier article.
Il semble que l’essence engendre. L’opposition de l’affirmation et de la
négation est plus grande que l’opposition de relation. Mais dans la relation,
l’opposition fait que dans les personnes divines une personne n’est pas
l’autre. Donc, l’opposition de contradiction fera cela à plus forte raison.
Mais la personne du Père engendre. Si donc l’essence n’engendre pas, le Père
ne sera pas l’essence : ce qui est impossible. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid praedicatur de aliquo potest supponere
illud. Sed essentia praedicatur de patre et vere. Ergo potest supponere pro
Patre, et ita potest recipere praedicationem Patris. Ergo potest concedi quod
essentia generet. |
2. De plus, tout ce qui est attribué à une chose peut lui être
substitué. Mais l’essence est attribuée au Père et en vérité. Elle peut donc
être substituée au Père et ainsi elle peut recevoir l’attribution du Père. On
peut donc concéder que l’essence engendre. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 1 arg. 3 Item, si essentia est Pater, ergo est Pater Filii. Sed relativa
dicuntur ad convertentiam. Ergo et Filius erit Filius essentiae. Ergo
essentia generat. |
3. En outre, si l’essence est le Père, elle est donc le Père du Fils.
Mais les relatifs se disent suivant la conversion. Donc le Fils sera le Fils
de l’essence. Donc l’essence engendre. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 1 arg. 4 Item, essentia est res generans. Sed res generans est generans.
Ergo essentia est generans. |
4. De plus, l’essence est une chose qui engendre. Mais une chose qui
engendre engendre. Donc l’essence engendre. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, sicut se habet
essentia ad personam, ita persona ad essentiam. Sed de persona praedicantur attributa
essentiae, sicut potentia, bonitas, et cetera. Ergo et de essentia
proprietates personae. Ergo potest dici, quod essentia est generans. |
5. Par ailleurs, l’essence est à la personne ce que la personne est à
l’essence. Mais les attributs de l’essence, comme la puissance, la bonté et
les autres caractères de cette sorte sont attibués à la personne. Donc les
propriétés de la personnes le sont à l’essence. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 1 s. c. 1 Contrarium ostenditur per rationes Magistri. |
Cependant : Le
maître manifeste le contraire au moyen de raisonnements. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in creaturis actus sunt suppositorum ; et
essentia non agit, sed est principium actus in supposito : non enim humanitas
generat, sed Socrates virtute suae naturae. In creaturis autem essentia
realiter differt a supposito ; et ideo nullus actus proprie de essentia
praedicatur nisi causaliter. In divinis autem essentia realiter non differt a
supposito, sed solum ratione, sive quantum ad modum significandi : quia
suppositum est distinctum, et essentia est communis. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que dans les créatures les actes
appartiennent aux individus et que l’essence n’agit pas d’elle-même mais elle
est le principe de l’acte dans l’individu : en effet, ce n’est pas
l’humanité qui engendre, mais Socrate par la puissance de sa nature. Mais
dans les créatures, l’essence diffère réellement de l’individu : et
c’est pourquoi aucun acte n’est attribué proprement à l’essence, si ce n’est comme
à sa cause. Mais dans les personnes divines l’essence ne diffère par
réellement ou par la chose de l’individu, mais seulement par la raison, ou
quant au mode de signifier, car l’individu est distinct alors que l’essence
est commune. |
Et ideo in
divinis quaecumque praedicantur de supposito non secundum modum quo differt
ab essentia, praedicantur etiam de essentia : dicimus enim, quod essentia
creat et gubernat et hujusmodi. Sed actus qui dicitur de supposito secundum
modum secundum quem differt ab essentia, non potest de essentia praedicari ;
et hujusmodi est actus generandi, qui praedicatur de supposito Patris,
secundum quod distinctum est a supposito Filii : unde non est concedendum
quod essentia generet, sed quod Pater generat virtute essentiae, vel naturae.
Unde etiam dicit Damascenus, lib. I Fid.
Orth., cap. VIII, quod generatio est opus divinae naturae existens. |
Et c’est pourquoi dans les personnes divines tout ce qui est attribué
à l’individu, mais non selon le mode par lequel il diffère de l’essence,
s’attribue aussi à l’essence : nous disons en effet que l’essence crée,
gouverne, etc. Mais l’acte qui s’attribue à l’individu, d’après le mode selon
lequel il diffère de l’essence, ne peut s’attribuer à l’essence ; et
l’acte d’engendrer est de cette sorte, lequel s’attribue à cet individu
qu’est le Père selon qu’il est distinct de cet individu qu’est le Fils :
il ne faut par conséquent pas concéder que l’essence engendre, mais plutôt
que le Père engendre par la puissance de l’essence ou de la nature. Et c’est
pourquoi Damascène dit aussi [1 De la Foi Orthodoxe, ch. VIII] que la génératioin est l’œuvre de la
nature divine existante. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod affirmatio et negatio dicuntur
maxime opponi, quia in eis non importatur aliqua convenientia : in privative
enim oppositis importatur convenientia quantum ad subjectum, quia nata sunt
fieri circa idem ; in contrariis autem relativis etiam quantum ad genus, quia
scilicet sunt in eodem genere. Unde in utraque oppositione utrumque
extremorum significatur per modum entis et naturae cujusdam. Illud autem in
quo invenitur aliquid non permixtum contrario, est maximum et primum in
genere illo, et causa omnium aliorum ; et ideo oppositio affirmationis et
negationis, cui non admiscetur aliqua convenientia, est prima et maxima
oppositio, et causa omnis oppositionis et distinctionis ; et ideo oportet
quod in qualibet alia oppositione includatur affirmatio et negatio, sicut
primum in posteriori. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on dit que l’affirmation et
la négation est l’opposition la plus grande car il n’y a entre elles rien de
commun : en effet, dans les opposés par la privation il y a un rapport
quant au sujet car ils sont aptes à se produire dans un même sujet ;
mais dans les contraires par la relation il y a un rapport quant au genre
puisqu’ils sont dans le même genre. C’est pourquoi dans ces deux sortes
d’oppositions chacun des extrêmes est signifié à la manière d’un être et d’une
certaine nature. Mais ce en quoi se retrouve quelque chose sans être mélangé
à son contraire est ce qu’il y a de premier et de plus excellent dans ce
genre et qui est la cause de tous les autres ; et c’est pourquoi
l’opposition de l’affirmation et de la négation, dans laquelle rien de commun
ne se mêle, est la première et la plus grande opposition, et la cause de
toute opposition et de toute distinction ; et c’est pourquoi il faut que
dans toute autre opposition soient comprises l’affirmation et la négation,
comme ce qui est premier est compris dans ce qui est second. |
Unde plura
requiruntur ad alias oppositiones quam ad oppositionem contradictionis, quia
se habent ex additione ad ipsam. Unde non oportet quod, si contrarietas non
inveniatur nisi in diversis realiter, quod affirmatio et negatio inveniatur
in diversis realiter ; immo sufficit etiam distinctio rationis ad
affirmationem et negationem, cum quaelibet distinctio, ut dictum est,
includat affirmationem et negationem : et talis distinctio, scilicet
rationis, est inter essentiam et personam. Sed opposita relative aliquando
requirunt diversitatem vel distinctionem realem ; et talia sunt quae divinas
personas distinguunt : aliquando autem distinctionem rationis tantum ; ut cum
dicitur idem eidem idem : et hoc melius dicetur in Tractatu de relationibus, dist. 26, quaest. 2, art. 1. |
Et c’est pourquoi les autes oppositions requièrent plus de conditions
que l’opposition de contradiction parce qu’elles sont constituées comme à
partir d’éléments ajoutés à l’opposition de contradiction. Par conséquent il
ne faut pas que, si la contrariété ne se retrouve que dans des sujets
réllement différents, que l’affirmation et la négation se retrouvent elles
aussi dans des sujets réellement différents ; au contraire, pour qu’il y
ait affirmation et négation, il suffit même qu’il y ait distinction de
raison, puisque toute distinction, ainsi que nous l’avons dit, comprend
l’affirmation et la négation : et une telle distinction, à savoir une
distinction de raison, se rapporte à l’essence et à la personne. Mais les
opposés par la relation exigent parfois une différence ou une distinction
réelle ; et tels sont les opposés qui distinguent les personnes
divines ; mais parfois ils n’impliquent qu’une distinction de raison,
comme lorsqu’on dit que le même est identique au même : et tout cela est
mieux expliqué dans Le Traité des Relations (dist. 26, quest. 2, art.
1). |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia non praedicatur de supposito
ratione modi significandi in utroque, sed ratione indifferentiae secundum rem
propter simplicitatem divinae naturae, et ideo non oportet quod supponat
Patrem. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que l’essence n’est pas attribuée à
l’individu en raison du mode de signifier qui est présent dans les deux, mais
en raison de l’absence de différence réelle ou selon la chose, à cause de la
simplicité de la nature divine et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire
qu’elle se substitue au Père. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur essentia est Pater, est
duplex locutio ex eo quod ly Pater potest teneri quasi adjective, ut ponat
formam suam circa essentiam ; et sic falsa est, quia proprietates non
determinant essentiam : vel potest sumi substantive, et tunc supponit pater
in praedicato pro persona Patris ; et sic vera est, nec oportet quod fiat hoc
modo conversio : ergo Filius est Filius essentiae ; sed, ergo Filius est
Filius Patris, qui est essentia. |
3. Il faut dire en troisième lieu que lorsqu’on dit que l’essence est
le Père, il y a là deux discours du fait que Père peut être pris comme
adjectif de manière à poser sa forme sur l’essence ; et ainsi le
discours est faux car les propriétés ne déterminent pas l’essence ; mais
Père peut être pris comme substantif et alors père dans le prédicat est pris
pour la personne du Père ; et ainsi le discours est vrai et alors il ne
faut pas que la conversion se produise de cette façon : donc le Fils est
le Fils de l’essence ; mais plutôt : donc, le Fils est le Fils du
Père, lequel est l’essence. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, essentia est res generans,
ly res potest supponere essentiam, vel personam. Si essentiam, sic falsa est,
quia sic adjectivum poneret formam suam circa essentiam ; si personam, sic
vera est ; et tunc non sequitur : ergo essentia est generans, quia tunc non
circa idem ponetur forma adjectivi. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que lorsqu’on dit que l’essence est
une chose qui engendre, la chose ici peut être prise pour l’essence ou la
personne. Si elle est prise pour l’essence, alors la proposition est fausse
car ainsi l’adjectif poserait sa forme sur l’essence ; si elle est prise
pour la personne, ainsi elle est vraie et alors il ne s’ensuit pas : donc
l’essence est ce qui engendre car alors ce n’est pas sur la même chose qu’est
posée la forme de l’adjectif. |
ib. 1 d. 5 q. 1
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum essentia et persona differant in modo
significandi, illud quod praedicatur de persona ratione modi significandi
secundum quod ab essentia distinguitur, non praedicatur de essentia, ut
generans et genitum [generatum : alias Éd.
de Parme] juiusmodi similiter [etiam add.
Éd. de Parme] est ex parte essentiae ; illud enim quod praedicatur de
essentia ratione modi significandi quo differt a supposito distincto, non
praedicatur de supposito ; sicut essentia est communis tribus, tamen non
potest dici hoc de aliqua personarum. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que puisque l’essence et la personne diffèrent par le
mode de signifier, ce qui est attribué à la personne, comme ce qui engendre
ou ce qui est engendré, en raison du mode de signifier selon lequel elle se
distingue de l’essence, ne s’attribue pas à l’essence, et il en est de même
du côté de l’essence : en effet, ce qui est attribué à l’essence en
raison du mode de signifier par lequel elle diffère d’un sujet distinct,
l’essence ne s’attribue pas au sujet ; comme l’essence est commune aux
trois personnes, elle ne peut cependant être atribuée à l’une des personnes. |
|
|
Articulus 2. lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 tit. Utrum actus
generandi praedicetur de aliquo nominum essentialium |
Article 2 – L'acte d'engendrer est-il attribué à l'un des noms essentiels ?[7] |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod actus generandi de nullo nominum essentialium
praedicetur. Sicut enim tres personae sunt una essentia, ita etiam sunt unus
Deus. Sed, secundum rationem
Magistri, non potest dici essentia generare, ne notetur essentiae distinctio.
Ergo similiter non potest dici, Deus generat, ne sequatur deorum pluralitas. |
Difficultés : 1.
Il semble que l’acte d’engendrer ne s’attribue à aucun des noms essentiels.
En effet, tout comme les trois personnes sont une seule essence, de même
encore elles sont un seul Dieu. Mais, d’après le raisonnement du Maître, on
ne peut dire de l’essence qu’elle engendre afin de ne pas indiquer une
distinction de l’essence. Donc, de la même manière on ne peut dire que Dieu
engendre pour ne pas que s’ensuive une pluralité de dieux. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 2 arg. 2 Item, persona et hypostasis et substantia non dicuntur
relative. Sed, secundum Magistrum, ideo essentia non potest dici generare,
quia relative non dicitur. Ergo similiter nec persona vel hypostasis. |
2. En outre, la personne et l’hypostase et la substance ne se disent
pas relativement. Mais, d’après le Maître, on ne peut dire que l’essence
engendre par ce qu’elle ne se dit pas relativement. Il en est donc de même pour
la personne ou l’hypostase. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 2 arg. 3 Item, ista nomina, natura, bonitas et hujusmodi, sunt aequalis
abstractionis sicut essentia. Si igitur essentia propter modum significandi
in abstracto non potest generare, ergo videtur quod nec aliquod aliorum. |
3.
De plus, ces noms, à savoir nature, bonté etc., sont d’une abstraction égale
à celle de l’essence. Si donc l’essence, en raison de son mode de signifier
dans l’abstrait, ne peut engendrer, il semble donc que les autres noms ne le
puissent pas davantage. |
lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contrarium ostenditur
per multas auctoritates in littera. |
Cependant : De nombreuses autorités présentées dans le document manifestent le
contraire. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, art. praec. in corp.,
generare proprie convenit supposito inquantum distinctum ; et ideo quanto
magis appropinquat nomen ad suppositum distinctum, tanto verius potest
praedicari de ipso actus generandi. Unde haec est propriissima, Pater
generat, quia imponitur nomen patris a proprietate distinguente. Et similiter
potest dici, persona generat, quia nomen personae imponitur a proprietate
communi, quae dicitur personalitas : et consequenter minus proprie dicitur,
Deus generat ; quia, quamvis claudat in se suppositum, non tamen suppositum
distinctum ; nec imponitur nomen a proprietate distinguente, sed ab essentia
communi. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que, tout comme nous l’avons dit dans le
corps de l’article précédent, il appartient au sujet en tant que distinct
d’engendrer ; et c’est pourquoi l’acte d’engendrer peut s’attribuer avec
d’autant plus de vérité que le nom (auquel il s’attibue ) s’approche
davantage du sujet distinct. C’est pourquoi c’est la proposition suivante qui
est la plus appropriée : le Père engendre ; car le nom de Père est
imposé à partir d’une propriété qui le distingue. Et on peut même dire que la
personne engendre, car le nom de personne est imposé à partir d’une propriété
commune qu’on appelle la personnalité : et par conséquent on le dit
moins proprement, tout comme on dit moins proprement que Dieu engendre car
bien que le terme Dieu enferme en lui le suppôt, il ne contient cependant pas
le suppôt distinct et le nom n’est pas imposé à partir d’une propriété qui le
distingue, mais à partir de l’essence commune. |
In omnibus autem abstractis
etiam est ordo : quia quaedam ordinem dicunt ad actum, sicut virtus, bonitas,
lux, natura et hujusmodi : et quia actus sunt suppositorum, ideo in istis
invenitur dictum, quod sapientia generat vel natura generat ; tamen hujusmodi
locutiones non sunt extendendae, sed pie intelligendae. Quaedam vero nomina
sunt quae non dicunt ordinem ad operationem, sed tantum imponuntur secundum
rationem nominis ab actu substandi, sicut substantia. Unde hoc nomen
substantia adhuc accedit ad rationem suppositi, sed hoc nomen essentia
removetur omnino a ratione suppositi : et ideo minime potest dici, quod
essentia generet. Si tamen inveniretur, esset exponenda, essentia generat,
idest Pater, qui est essentia. |
Cependant
dans tous les termes abstraits aussi il y a un ordre : car certains
expriment un ordre en direction d’un acte, comme la vertu, la bonté, la
lumière, la nature, etc. : et parce que les actes appartiennent aux
suppôts, c’est pourquoi pour ces termes il arrive de dire que la sagesse
engendre ou que la nature engendre ; cependant de telles expressions ne
doivent pas s’étendre mais s’entendre bienveillamment. Mais il y a des noms
qui ne disent pas un ordre à une opération, mais sont seulement imposés
d’après la notion du nom de l’acte de subsister, comme le terme substance.
Par conséquent le nom substance
atteint encore la notion de suppôt, mais le nom d’essence s’écarte absolument
de la notion de suppôt : et c’est pourquoi on peut le moins dire que
l’essence engendre. Si cependant cela se produisait, il faudrait expliquer
cette expression, à savoir l’essence engendre, en disant que c’est le Père,
qui est l’essence, qui engendre. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc nomen Deus includit in se
suppositum indeterminate, et ratione ejus a quo nomen imponitur, includit in
se naturam : unde ratione modi significandi est quasi medium inter essentiam
et personam distinctam : et ideo nec repugnat sibi modus essentiae ratione
indeterminationis, nec modus distinctae personae ratione suppositi : et ideo
potest dici, Deus generat, et, Deus est communis tribus personis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que ce nom, à savoir Dieu,
inclut en lui le suppôt d’une manière indéterminée, et en raison de ce à
partir de quoi ce nom est imposé, il inclut aussi en lui la nature :
c’est pourquoi, en raison de son mode de signifier, il est comme
intermédiaire entre l’essence et la personne distincte : et c’est
pourquoi ni le mode de l’essence en raison de l’indétermination, ni le mode
de la personne distincte en raison du suppôt ne s’oppose à ce nom ; et
c’est pourquoi on peut dire que Dieu engendre et que Dieu est commun aux
trois personnes. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relativum in divinis multipliciter
dicitur ; propriissime enim relativum est quod secundum suum nomen ad aliud
refertur, ut Pater. Aliud autem dicitur relativum quod sequitur vel causat
relationem, sicut generatio et generare. Aliud autem quod implicite claudit
in se relationem, sicut Trinitas personas distinctas relatione ; et hoc nomen
persona includit in se relationem distinguentem. Aliud autem potest dici
relativum, inquantum pro relatione ponitur, sicut Deus, et etiam quaedam
nomina abstracta, cujus ratio dicta est in corpore. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les personnes divines
¨relatif¨ se dit en plusieurs sens ; relatif en effet d’après son nom se
dit le plus proprement de ce qui se rapporte à un autre, comme Père. Mais on
appelle aussi relatif ce qui suit ou ce qui cause la relation, comme la
génération ou l’acte d’engendrer. Mais en un autre sens encore, on appelle
relatif ce qui renferme implicitement en soi une relation, comme la Trinité
qui renferme en elle les trois personnes par la relation, et le nom de
personne qui renferme en lui la relation qui distingue. On peut encore
autrement appeler relatif ce qui est posé à la place d’une relation, et aussi
certains noms abstraits pour la raison dont nous avons parlé dans le corps de
l’article. |
lib. 1 d. 5 q.
1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod majoris abstractionis est essentia quam
bonitas vel sapientia : quia quamvis aequaliter abstrahant a supposito, tamen
essentia super hoc abstrahit etiam ab actu ; illa vero dicunt ordinem ad
actum. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que le terme d’essence est d’une plus grande
abstraction que les termes de bonté et de sagesse : car bien qu’ils font
également abstraction d’un suppôt, cependant l’essence ajoute aussi à cela
l’abstraction d’un acte alors que les autres signifient un ordre en direction
d’un acte. |
|
|
Quaestio 2 :
Utrum essentia se habeat ad generationem sicut id de quo est generatio ? |
Question 2 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce d’où vient la génération ?] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 5 q. 2 pr. Deinde quaeritur,
utrum essentia se habeat ad generationem sicut id de quo est generatio ; et
circa hoc duo quaeruntur : 1 utrum filius generetur de substantia
patris ; 2 utrum sit ex
nihilo. |
On se demande
ensuite si l’essence se rapporte à la génération comme ce d’où vient la
génération ; et à ce sujet on se
demande deux choses : 1. Est-ce que
le Fils est engendré de la substance du Père ? 2. Est-il
engendré à partir de rien ? |
|
|
Articulus 1 lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 tit. Utrum filius
sit genitus de substantia patris. |
Article 1 – Le Fils est-il engendré de la substance du Père ? |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod
filius non sit genitus de substantia patris. Omnis enim praepositio
transitiva est. Transitio autem requirit diversitatem vel distinctionem. Cum
igitur filius non distinguatur ab essentia patris, non potest dici de
essentia ejus natus. |
Difficultés : 1.
Il semble que le Fils ne soit pas engendré de la substance du Père. En effet,
toute préposition est transitive. Mais toute transition exige diversité ou
distinction. Donc, puisque le fils ne se distingue pas de l’essence du père,
on ne peut dire qu’Il soit né de son essence. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, sicut se habet
natura humana ad Socratem, ita divina essentia ad Filium. Sed Socrates non potest dici de essentia
humana. Ergo nec Filius de essentia Patris. |
2. En outre, ce que la nature humaine est à Socrate, la nature divine
l’est au Fils. Mais on ne peut dire que Socrate vient de l’essence humaine.
Donc, le Fils ne peut venir de l’essence du Père. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 1 arg. 3 Item, de semper dicit ordinem. Sed inter Filium et essentiam
non est ordo neque temporis, neque naturae, cum essentia non sit generans,
sed Pater ; neque causalitatis. Ergo videtur quod nullo modo sit de essentia
Patris. |
3. De plus, ¨de¨ exprime toujours un ordre. Mais entre le Fils et
l’essence il n’y a ni ordre de temps, ni ordre de nature puisque ce n’est pas
l’essence qui engendre mais le Père ; et il n’y a pas non plus un ordre
de causalité. Il semble donc qu’en aucune manière le Fils vienne de la
substance du Père. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 1 arg. 4 Si dicas, quod hoc dicitur propter consubstantialitatem Filii
ad Patrem, contra. Sicut essentia Patris est essentia Filii, ita tota
essentia Filii est in Patre. Ergo eadem ratione potest dici Pater de
substantia Filii, sicut e contrario. |
4. Si tu dis
qu’on peut dire cela en raison de la consubstantialité du Fils et du Père,
j’objecte ceci. Tout comme l’essence du Père est l’essence du Fils, ainsi
toute l’essence du Fils est dans le Père. On peut donc dire pour la même
raison que le Père vient de la substance du Fils, tout comme on peut dire
l’inverse. |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contrarium ostenditur per auctoritates in littera. |
Cependant : Le contraire est manifesté par de nombreuses autorités dans le
document. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod haec praepositio de proprie designat
principium et consubstantialitatem ; haec autem praepositio ex designat
tantum ordinem principii. Unde quidquid dicitur esse de aliquo, ex illo est,
sed non convertitur, sicut dicitur infra, 36 distinct. Unde haec praepositio
ex quandoque notat ordinem temporis tantum, ut, ex mane fit dies ; quandoque
ordinem principii agentis, sicut, artificiata sunt ex artifice : quandoque
principium materiale, ut, cultellus fit ex ferro. |
Corps de l’article : Je
réponds qu’il faut dire que cette préposition, de, désigne à proprement
parler le principe et la consubstantialité, alors que cette préposition, à
partir de, désigne seulement le rapport au principe. De là, tout ce qui est
dit venir d’un être, existe à partir de cet être comme on le dit plus loin
[distintion 36]. C’est pourquoi cette préposition, ¨à partir de¨, indique
parfois l’ordre du temps seulement, comme le jour qui existe à partir du
matin ; parfois il indique l’ordre par rapport au principe agent, comme
la chose artificielle que existe à partir de l’artisan ; et parfois
seulement l’ordre par rapport au principe matériel, comme le couteau qui
existe à partir du fer. |
Sed de, cum
notet consubstantialitatem, semper notat vel principium materiale, [sicut,
cultellus est de ferro add. Éd. de
Parme] ; vel agens consubstantiale, sicut dicimus quod homo filius
generatur de patre suo, cum sit generatio per decisionem substantiae. Et
secundum istum modum filius dicitur de Patre et de essentia Patris : tamen de
Patre sicut de generante, et de essentia sicut de principio generationis
communicato. Unde etiam accedit ad similitudinem secundum materiam, si a
materia removeatur totum quod est imperfectionis et remaneat haec sola de
conditionibus materiae, quod est manens in re et per eam res subsistit ; et
praecipue res artificiata, quae est in genere substantiae propter suam
materiam et non propter suam formam, ut dicit Commentator, in II De anima, com.4. |
Mais la préposition ¨de¨,
puisqu’elle réfère à la consubstantialité, indique toujours soit le principe
matériel [comme le couteau qui vient du fer add. Éd. de Parme] ; soit l’agent consubstantiel, comme nous
disons que l’homme fils est engendré de son père puisqu’il y a génération au
moyen d’une division de la substance. Et c’est d’après ce mode qu’on dit du
Fils qu’il vient du Père et de l’essence du Père : cependant il vient du
Père comme de celui qui engendre et de l’essence comme du principe de la
génération qui est communiqué. De là il parvient aussi à une ressemblance
selon la matière si on écarte de la matière tout ce qu’il y a d’imperfection
et qu’il ne reste plus de toutes les conditions de la matière que celle-là
seule, à savoir qu’elle est ce qui demeure dans la chose et que c’est par
elle que la chose subsiste ; et cela et surtout vrai de la chose
artificielle qui est dans le genre de la substance en raison de sa matière et
non en raison de sa forme, ainsi que le dit le Commentateur [11 De l’Âme, com. 4]. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod de, ut deductum est, dicit
consubstantialitatem et ordinem ad principium, et consubstantialitas respicit
essentiam ; et ordo, ratione cujus est transitio, respicit personam
generantem : non enim dicimus quod Filius sit de essentia, sed quod sit de
essentia Patris ; et ideo non oportet esse distinctionem Filii ab essentia
sed a Patre. |
Solutions : 1. Il
faut donc dire en premier lieu que la préposition ¨de¨, telle qu’elle a été
établie, exprime la consubstantialité et l’ordre à l’égard du principe, et la
consubstantialité concerne l’essence alors que l’ordre, par la raison dont il
est le passage, concerne la personne qui engendre : nous ne disons pas
en effet que le Fils vient de l’essence, mais qu’Il vient de l’essence du
Père ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’il y ait distinction entre le
Fils et l’essence, mais entre le Fils et le Père. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similiter Socrates dicitur nasci de
natura patris vel substantia, sicut Filius Dei, tamen differenter ; quia
Filius Dei est de tota substantia Patris, sed Socrates est de parte
substantiae. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que de
même que Socrate est dit naître de la nature du père ou de sa substance, tout
comme le Fils naît de la substance de Dieu, cependant il y a une
différence : car le Fils de Dieu vient de la totalité de la substance du
Père, alors que Socrate ne vient que d’une partie de la substance. |
Item ad aliud. Quia Socrates subsistit non tantum
per essentiam, sed etiam per materiam, per quam individuatur natura
humanitatis in ipso. Sed
Filius Dei subsistit per essentiam Patris, cum essentia Patris non sit pars
Filii, sed totum quod est Filius. |
Il y a encore une autre différence. Car Socrate subsiste non
seulement par l’essence, mais aussi par la matière grâce à laquelle la nature
de l’humanité est individuée en lui. Mais le Fils de Dieu subsiste par
l’essence du Père, puisque l’essence du Père n’est pas une partie du Fils,
mais tout ce qu’est le Fils. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum sicut
ad primum. |
3. Il faut répondre à la troisième difficulté de la même manière qu’à
la première. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non notatur ibi tantum
consubstantialitas, sed etiam ordo ad principium, qui non salvatur, si
diceretur : Pater est de essentia Filii. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que ce n’est pas seulement la consubstantialité qui
est signifiée là, mais aussi l’ordre à l’égard du principe qui ne serait pas
conservé si on disait : le Père vient de l’essence du Fils. |
|
|
Articulus 2. lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 tit. Utrum filius
sit ex nihilo. |
Article 2 – Le Fils vient-il du néant ? |
lib. 1
d. 5 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod filius sit ex nihilo. Illud
enim dicitur ex nihilo esse quod non est ex praejacenti materia. Sed Filius
est hujusmodi, quia non est de aliquo sicut de materia. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils vienne du néant. On dit en effet que vient
du néant ce qui n’existe pas à partir d’une matière préexistante. Mais c’est
le cas du Fils car il ne vient pas de quelque chose qui serait comme une
matière. Donc le Fils vient du néant. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 2 arg. 2 Item, quidquid non habet esse nisi ab alio, quantum est in se,
est non ens, cum inter esse et non esse non sit medium. Sed Filius non habet
esse nisi a Patre. Ergo de se habet non esse. Sed omne tale, secundum
Avicennam, VII suae Metaph., cap.
VII, est ex nihilo. Ergo Filius est ex nihilo. |
2. De plus, tout ce qui n’existe que par un autre, quant à ce qu’il
est en lui-même, est du non-être, puisqu’entre l’être et le non-être il n’y a
pas d’intermédiaire. Mais le Fils ne possède d’existence que par le Père. Il
ne possède donc de lui-même que du non-être. Mais tout ce qui est ainsi
d’après Avicenne [ VII Métaphysique, ch. VII] vient du néant. Donc le Fils vient du
néant. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 2 s. c. 1 Contra, omne quod est ex nihilo, est creatum. Sed filius est
increatus. Ergo et cetera. |
Cependant : 1.
Tout ce qui vient du néant est créé. Mais le Fils est incréé. Il ne vient
donc pas du néant. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 2 Item, secundum
Damascenum,lib. I Fid. Orth,
cap. III, omne quod est
ex nihilo est vertibile in nihil. Sed Filius non est hujusmodi. Ergo et
cetera. |
2. De plus, selon Damascène [Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch.
111], tout ce qui vient du néant peut retourner au néant. Mais le Fils ne
pelut retourner au néant. Il ne vient donc pas du néant. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 2 co. : Respondeo dicendum, quod differt dicere aliquid non esse ex
aliquo, et aliquid esse ex nihilo. Cum enim dicitur non esse ex aliquo sicut
ex materia, nihil ponitur ; et hoc convenit Filio Dei. Cum autem dicitur esse
ex nihilo, remanet ordo affirmatus ad nihil. Sed aliquid habet ordinem ad
nihil dupliciter ; scilicet ordinem temporis et ordinem naturae. Ordinem
temporis ex eo quod prius fuit non ens, et postea est ens ; et hoc nulli
aeterno convenit. Ordinem naturae, quando aliquid habet esse dependens ab
alio ; hoc enim ex parte sui non habet nisi non esse, cum totum esse suum ad
alterum dependeat ; et quod est alicui ex se ipso, naturaliter praecedit id
quod est ei ab altero. Et ideo, supposito quod caelum, et hujusmodi, fuerit
ab aeterno, adhuc tamen est verum dicere quod est ex nihilo, sicut probat
Avicenna. Neutro autem modo Filius habet ordinem ad nihil. Non enim habet
ordinem temporis, quia aeternus est : non habet ordinem naturae, quia suum
esse est absolutum, non dependens ab alio. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’affirmer que quelque chose ne vient pas
d’un autre n’est pas la même chose que soutenir que quelque chose vient du
néant. Lorsqu’on dit en effet qu’une chose ne vient pas d’une autre comme
d’une matière, on n’affirme rien et cela peut se dire du Fils de Dieu. Mais
lorsqu’on dit qu’une chose vient du néant, il subsiste là l’affirmation d’un
ordre à l’égard du néant. Mais une chose possède un ordre à l’égard du néant
de deux manières, à savoir un ordre du temps et un ordre de nature. Un ordre
du temps du fait il y eut d’abord du non-être et après de l’être ; et
cela n’appartient à rien de ce qui est éternel. Mais il y a une ordre de
nature quand un être possède une existence qui dépend d’un autre ; cela
en effet ne possède de soi-même que du non-être puisque la totalité de son
existence dépend d’un autre ; et ce qui chez un être lui vient de
lui-même précède naturellement ce qui lui vient d’un autre. Et c’est
pourquoi, en supposant même que le ciel, et les autres êtres de cette sorte,
ait existé de toute éternité, il est encore cependant vrai de dire qu’il
vient du néant, ainsi que le prouve Avicenne. Mais le Fils n’est ordonné au
néant d’aucune de ces manières. En effet, il n’est pas soumis à l’ordre du
temps puisqu’il est éternel. Et il n’est pas soumis à un ordre de nature car
son existence est absolue et ne dépend pas d’un autre. |
lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis non sit de materia, non tamen sequitur quod non de
aliquo, quia est de substantia Patris : quo etiam remoto, adhuc non
sequeretur quod esset ex nihilo, ut dictum est : quia Pater non est de
aliquo, et tamen non est ex nihilo. [Idem autem est esse Patris et Filii. Add. Éd. de Parme]. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que bien que le Fils ne vienne pas d’une
matière, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il ne vienne pas d’un autre, car
il vient de la substance du Père : et même en écartant cette dernière
raison, il ne s’ensuivrait pas encore qu’il viendrait du néant, ainsi que
nous l’avons dit : car le Père ne vient pas d’un autre et cependant il
ne vient pas du néant. [Mais l’existence du Père est identique à celle du
Fils. Add. Éd. de Parme]. |
lib. 1 d. 5 q.
2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod filius quamvis totum esse suum habeat
ab alio, nihilominus tamen esse suum non est dependens, quia accipit a Patre
idem numero esse quod ipse habet : et ideo non est dependens esse suum, sicut
esse creaturae quae in nihilum caderet, nisi ab alio contineretur
[sicut…contineretur om. Éd. de Parme],
neque possibile, neque ex nihilo : quod necessario sequeretur, si aliud in
numero esse reciperet. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que le Fils tienne toute
son existence d’un autre, néanmoins son existence n’est dépendante car il
reçoit du Père la même existence individuelle que ce dernier possède :
et c’est pourquoi son existence n’est pas dépendante, comme l’existence de la
créature qui tomberait dans le néant si elle n’était contenue par un autre
[comme… contenue om. Éd. de Parme] et elle ne serait pas même possible
et ne pourrait venir du néant : ce qui devrait s’ensuivre nécessairement
si le Fils recevait une existence individuelle différente par le nombre. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce qui est le terme de la génération] |
|
|
Articulus 1 lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 tit. Utrum
essentia sit terminus generationis. |
Article unique : L’essence est-elle le terme de la génération ? |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur, utrum
essentia sit terminus generationis. Videtur quod non. Generatio enim est inter duos terminos, scilicet
terminum a quo et terminum ad quem. Sed generatio Filii non habet terminum a
quo, quia non est ex non esse. Ergo etiam non habet terminum ad quem. |
Difficultés : 1. On se demande ensuite si l’essence est le terme de la génération.
Et il semble que non. La génération en effet est comme un chemin entre deux
termes : le point de départ et le point d’arrivée. Mais la génération du
Fils ne possède pas de point de départ car il ne vient pas du non-être. Il ne
possède donc pas non plus de point d’arrivée. |
lib. 1 d. 5 q.
3 a. 1 arg. 2 Item, omne quod est terminus generationis, est generatum per se
vel per accidens : per se, sicut ipsa res generata ; per accidens, sicut
forma ejus. Sed essentia nullo modo generata est, sicut nec
generans : quia sequeretur distinctio. Ergo non est terminus generationis. |
2. De plus, tout terme d’une génération est ce qui est engendré par
soi ou par accident : par soi, comme par exemple la chose même qui est
engendrée ; par accident, comme la forme qui lui advient. Mais
l’essence, tout comme celui qui engendre, n’est nullement engendrée, car il
s’ensuivrait une distinction. L’essence n’est donc pas le terme de la
génération. |
lib. 1 d. 5 q.
3 a. 1 arg. 3 Praeterea, si esset terminus, hoc non esset nisi sicut acceptum
per generationem. Sed Filius non accepit essentiam. Ergo essentia non [non om. Éd. de Parme] est terminus
generationis. Probatio mediae. Accipere enim cum non conveniat tribus
personis, est actus notionalis. Sed nullus actus notionalis terminatur ad
essentiam, sicut patet quod Pater non generat essentiam. Ergo nec Filius
accepit essentiam. |
3. Par ailleurs, si elle était le terme de la génération, cela ne se
produirait que comme étant reçu au moyen de la génération. Mais le Fils ne
reçoit pas l’essence. Donc, l’essence n’est pas le terme de la génération [
ne pas om. Éd. de Parme]. Preuve de la mineure. En effet, recevoir est
un acte notionel puisqu’il ne convient pas aux trois personnes. Mais aucun
acte notionel ne se termine à l’essence, comme on le voit pour le Père qui
n’engendre pas l’essence. Donc le Fils ne reçoit pas l’essence. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, illud in quo
est generatio, est terminus generationis. Sed Hilarius,lib. IX de Trinitate, in textu, dicit, quod nativitas unigenita in
naturam ingenitam subsistit. Ergo natura vel essentia est terminus
generationis. |
Cependant: 1. Ce en quoi il y a generation est le terme de
la generation. Mais Hilaire [1X De la Trinité] dit dans son texte que la
naissance unique subsiste dans une nature unique. Donc, la nature ou
l’essence est le terme de la generation. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, generatio
invenitur in divinis, ut supra dictum est, dist. 4, quaest. 1, art. 1,
secundum id quod est perfectionis in ipsa. Sed tota
perfectio generationis est ex termino ad quem. Ergo in generatione divina est
terminus ad quem. Sed hoc
non est aliud quam essentia. Ergo et cetera. |
2. Par ailleurs, il y a génération en Dieu, ainsi que nous l’avons
dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 1], selon ce qu’il y a de perfection en
elle. Mais toute la perfection de la génération vient de son point d’arrivée.
Il y a donc dans la génération divine un point d’arrivée. Mais cela n’est
rien d’autre que l’essence. L’essence est donc le terme de la génération. |
lib. 1 d. 5 q.
3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod terminus generationis in creaturis potest
accipi dupliciter, sicut etiam et principium. Dicitur enim principium
generationis ipsum generans ; et huic principio correspondet sicut terminus
ipsum genitum. Dicitur etiam principium generationis a quo incipit generatio,
et hoc modo principium vel initium generationis est privatio formae
inducendae ; et huic principio terminus oppositus est forma per generationem
inducta. Sicut etiam in dealbatione terminus a quo est nigredo et terminus ad
quem est albedo ; similiter in divinis terminus generationis (quamvis non sit
ibi actio vel mutatio) potest accipi dupliciter : scilicet ipsum generatum,
et hoc est Filius ; vel essentia accepta a Filio per generationem. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que le terme de la génération chez les
créatures peut s’entendre de deux manières, tout comme aussi le principe. On
dit en effet que le principe de la génération est celui-là même qui
engendre ; et le terme qui correspond à ce principe est celui qui est
engendré. Le principe de la génération est aussi appelé le point de départ de
la génération et en ce sens le principe ou le commencement de la génération
est la privation de la forme qui doit être introduite ; et le terme
opposé à ce principe est la forme introduite au moyen de la génération. Par
exemple, dans la génération de la blancheur le point de départ est le noir et
le point d’arriver est le blanc ; de la même manière dans les personnes
divines le terme de la génération (bien qu’il n’y ait pas là action ou
changement) peut se prendre de deux manières : à savoir cela même qui est engendré et
c’est là le Fils ; ou l’essence reçue du Fils au moyen de la génération. |
lib. 1 d. 5 q.
3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio et quilibet motus totam
imperfectionem habet ex termino a quo, quod est privatio vel contrarium
includens privationem ; et ideo in generatione divina non est terminus a quo,
sed tantum terminus ad quem, a quo est tota perfectio generationis. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que la génération et tout mouvement tient
toute son imperfection de son point de départ qui est la privation ou le
contraire qui comprend la privation ; et c’est pourquoi dans la
génération divine il n’y a pas en ce sens de point de départ mais seulement
un point d’arrivée d’où vient toute la perfection de la génération. |
lib. 1 d. 5 q.
3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia divina non est genita in
filio neque per se neque per accidens : quia eadem essentia est in generante
et genito. Si autem essentia esset divisa, tunc sequeretur necessario quod
esset genita per accidens, quamvis non per se, sicut in rebus creatis. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que l’essence divine n’est engendrée dans le Fils ni
par soi ni par accident : car c’est la même essence qui est dans celui
qui engendre et dans celui qui est engendré. Mais si l’essence était divisée,
alors il s’ensuivrait nécessairement qu’elle serait engendrée par accident
bien qu’elle ne le serait pas par soi, comme c’est le cas dans les choses
créées. |
lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
quamvis accipere sit actus notionalis, potest tamen terminari ad essentiam :
quod sic patet ; quia in generatione divina, sicut in qualibet alia, est tria
considerare, scilicet generantem et genitum et naturam communicatam per
generationem. Possunt ergo verba notionalia designare comparationem
generantis ad genitum, sicut generare vel dare ; vel geniti ad essentiam ut
accipere, vel geniti ad generantem, sicut nasci [vel generantis ad essentiam,
vel geniti ad essentiam, ut accipere ; vel geniti ad generantem, sicut nasci.
Éd. de Parme]. |
3. Il faut dire en troisième lieu que bien que recevoir soit un acte
notionel, il peut cependant se terminer à l’esssence ; ce qui devient
clair de la manière suivante : car dans la génération divine, comme dans
toute autre génération, il y a trois choses à considérer, à savoir celui qui
engendre, celui qui est engendré et la nature qui est communiquée par la
génération. Les verbes notionels peuvent donc signifier le rapport de celui
engendre à celui qui est engendré, comme engendrer ou donner ; ou le
rapport de celui qui est engendré à l’essence, comme recevoir, ou encore le
rapport de celui qui est engendré à celui qui engendre, comme naître [ou de
celui qui engendre à l’essence, ou de celui qui est engendré à l’essence,
comme recevoir ; ou de celui qui est engendré à celui qui engendre,
comme naître. Éd. de Parme]. |
Sciendum
igitur, quod, cum omne verbum notionale significet actum personae ut distincta
est, oportet quod semper egrediatur a persona distincta : et ideo nullum
verbum tale exit ab essentia, ut dicatur essentia generare vel dare
notionaliter vel accipere vel nasci. Verba autem quae designant comparationem
generantis ad essentiam vel geniti ad essentiam, terminantur ad essentiam,
quia ex parte illa non sunt distinctiva ; et hujusmodi verba sunt accipere et
dare. |
Il faut donc savoir que puisque tout verbe notionel signifie l’acte
d’une personne en tant que distincte, il faut qu’il provienne toujours d’une
personne distincte : et c’est pourquoi aucun verbe de cette sorte ne
sort de l’essence de telle manière qu’on dirait que l’essence engendre ou
donne notionnellement ou reçoit ou naît. Mais les verbes qui désignent le
rapport de celui qui engendre à l’essence ou de celui qui est engendré à
l’essence, se terminent à l’essence car de ce côté ils ne sont pas
distinctifs ; et recevoir et donner sont des verbes de cette sorte. |
Sed verba quae
designant comparationem geniti ad generantem vel e converso, sunt distincta
ex utraque parte ; et ideo ex neutra parte potest eis adjungi essentia ; quia
nec essentia generat, nec Pater generat essentiam ; quod patet etiam ex
significatione verborum ; quia generans, inquantum generans, distinguitur a
genito et e converso. Sed dans distinguitur quidem ab eo cui dat, sed non ab
eo quod dat : quia aliquis potest dare seipsum. Similiter et accipiens
distinguitur ab eo a quo accipit, sed non ab eo quod accipit de necessitate ;
aliquis enim accipere seipsum potest, sicut servus manumissus. |
Mais les verbes qui désignent le rapport de celui qui est engendré à
celui qui engendre, ou inversement, sont distincts de part et d’autre ;
et c’est pourquoi ni d’un côté ni de l’autre l’essence ne peut leur être
ajoutée ; car l’essence n’engendre pas et le Père n’engendre pas
l’essence ; ce qui apparaît encore clairement à partir de la
signification des verbes ; car celui qui engendre, en tant que tel, se
distingue de celui qui est engendré et inversement. Mais celui qui donne se
distingue certes de celui à qui il donne mais non de ce qu’il donne :
car on peut se donner soi-même. De la même manière celui qui reçoit se
distingue de celui de qui il reçoit, mais non de ce qu’il reçoit de toute
nécessité ; on peut en effet se recevoir soi-même, comme l’esclave qui a
reçu la liberté. |
|
|
Distinctio 6 |
Distinction 6 – [La génération en son principe] |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique : [La nécessité de la génération du Fils] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus partis tria quaeruntur : 1
utrum Pater genuit Filium necessitate ; 2 utrum voluntate ; 3 utrum natura. |
Pour
comprendre cette partie, on cherche à répondre à trois questions : 1. Est-ce que
le Père a engendré le Fils par nécessité ? 2. L’a-t-il
engendré par volonté ? 3. L’a-t-il
engendré par nature ? |
|
|
Articulus 1
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 tit. Utrum pater genuit Filium necessitate. |
Article 1 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nécessité ? |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod Pater genuit Filium necessitate. Necessarium enim et possibile dividunt
ens. Si igitur Pater non genuit Filium necessitate, genuit ipsum contingenter
vel possibiliter : quod est impossible. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père a engendré
le Fils par nécessité. L’être se divise en nécessaire et possible. Si donc le
Père n’a pas engendré le Fils par nécessité, il l’a engendré d’une manière
contingente ou d’une manière possible ; mais cela est impossible. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne
aeternum est necessarium. Sed
generatio Filii a Patre est aeterna. Ergo necessaria. |
2. Par ailleurs, tout ce qui est éternel est nécessaire. Mais la
génération du Fils par le Père est éternelle. Elle est donc nécessaire. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut Deus est per se bonus, ita est per se ens
necessarium : omne enim quod est per participationem, reducitur ad id quod
est per se. Sed in per se bono nihil potest esse nisi bonum.
Ergo nec in per se necessario aliquid nisi necessarium. Cum igitur generatio sit in Deo, ergo
erit necessaria. |
3. De plus, tout comme Dieu est bon par soi, de même il est par soi
un être nécessaire : en effet, tout ce qui existe par participation se
ramène à ce qui existe par soi. Mais dans le bien par soi il ne peut exister
que du bien. Donc dans le nécessaire par soi il ne peut exister que du
nécessaire. Donc, puisque la génération est en Dieu, elle sera nécessaire. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 1 s. c. 1 Contra, omnis necessitas est ratione alicujus fortioris
[fortioris om. Éd. de Parme]
cogentis vel interius vel exterius. Sed Deo non potest esse aliquid fortius.
Ergo ibi non potest esse necessitas. |
Cependant : 1. Toute nécessité existe en raison
de quelque chose de plus fort [fort om. Éd. de Parme] qui contraint
soit intérieurement soit extérieurement. Mais il n’y a rien de plus fort que
Dieu. Il ne peut donc pas y avoir là nécessité. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus, V de Civit. Dei, cap. X,
dividit necessitatem in coactionem et prohibitionem. Sed neutrum Deo
convenit. Ergo et cetera. |
2. Par ailleurs, Augustin [V De la Cité de Dieu, ch. X] divise la
nécessité en obligation et en interdiction. Mais aucune des deux ne convient
à Dieu. Donc, le Père n’a pas engendré le Fils par nécessité. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
secundum philosophum, V Metaph.,
text. 6, necessarium dicitur multipliciter. Est enim necessarium absolute, et necessarium ex
conditione ; et hoc est duplex : scilicet ex conditione finis vel ex
conditione agentis. Necessarium ex conditione agentis, est necessarium per
violentiam : non enim eum qui violenter currit, necesse est currere, nisi sub
hac conditione, si aliquis eum cogit. Necessarium ex conditione finis est
illud sine quo non potest consequi aliquis finis, vel non ita faciliter.
Finis autem est duplex : vel ad esse, et hoc modo cibus vel nutrimentum
dicuntur esse necessaria, quia sine eis non potest esse homo ; vel pertinens
ad bene esse, et sic dicitur esse navis necessaria eunti ultra mare ; quia
sine ea exercere non potest actionem suam. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que d’après le Philosophe [V Métaphysique,
texte 6], le nécessaire se dit de plusieurs manières. Il y a en effet le
nécessaire absolu et le nécessaire conditionnel ; et ce dernier
nécessaire se divise à son tour en deux : le nécessaire par la fin et le
nécessaire par l’agent. Le nécessaire qui se fonde sur une condition de
l’agent est le nécessaire par violence : en effet, celui qui court par
violence ne court nécessairement qu’à cette condition d’y être forcé par
quelqu’un. Le nécessaire qui se fonde sur une condition de la fin est ce sans
quoi la fin ne peut être atteinte, ou ne peut être atteinte avec autant de
facilité. Mais il y a deux sortes de fins : il y a celle qui est
ordonnée à l’être, et en ce sens on dit de l’aliment ou de la nourriture
qu’ils sont nécessaires parce que sans eux l’homme ne peut exister ;
mais il y a aussi la fin qui est ordonnée au bien-être et en ce sens on dit
du navire qu’il est nécessaire à celui qui veut traverser la mer car sans lui
il ne peut réaliser son action. |
Necessarium autem absolute dicitur quod est
necessarium per id quod in essentia sua est ; sive illud sit [sua om. Éd. De Parme] ipsa essentia, sicut
in simplicibus ; sive, sicut in compositis, illud principium sit materia,
sicut dicimus, hominem mori est necessarium ; sive forma, sicut dicimus,
hominem esse rationalem est necessarium. Hoc autem absolute necessarium est
duplex. Quoddam enim est quod habet necessitatem et esse ab alio, sicut in
omnibus quae causam habent : quoddam autem est cujus necessitas non dependet
ab alio, sed ipsum est causa necessitatis in omnibus necessariis, sicut Deus. |
Mais
le nécessaire absolu est celui qui a lieu au moyen de ce qui est dans l’essence
de la chose; alors ou bien cela est l’essence même de la chose, comme dans
les corps simples, ou bien ce principe est la matière, comme dans les corps composés,
comme lorsque nous disons qu’il est nécessaire que l’homme meurre, ou bien ce
principe est la forme, comme lorsque nous disons qu’il est necessaire que
l’homme soit rationnel. Mais ce necessaire absolu est de deux sortes. Il y a
en effet des êtres qui tiennent d’un autre la nécessité et l’existence, comme
tous les êtres qui on tune cause; mais il y a un être dont la nécessité ne
dépend pas d’un autre, mais Lui-même, à savoir Dieu, est la cause de la
nécessité pour tout ce qui est nécessaire. |
Dicendum ergo,
quod generatio in divinis non est ex necessitate conditionata, sive
conditionetur ex fine, sive ex agente. Non ex agente ; cum ipse Deus sit
primum principium et ultimus finis. Sed est necessaria necessitate absoluta,
sicut est necessitas primae causae quae non dependet ab alio, sed ipsa potius
est causa necessitatis in omnibus aliis. [quae… omnibus alliis om. Éd. de Parme] Et per hoc patet
solutio ad utramque partem : quia primae rationes procedunt de necessitate
absoluta, et aliae de necessitate coactionis quae repugnat necessitati
absolutae : et de ista procedebat haereticus, et secundum hoc negatur in
littera. |
Il faut donc dire que la génération dans les personnes divines ne
vient pas d’une nécessité conditionnée, et elle n’est pas conditionnée par
une fin ou par un agent. Elle n’est pas conditionnée par un agent puisque
Dieu lui-même est le premier principe et la fin ultime. Mais la génération
divine est nécessaire d’une nécessité absolue comme elle est la nécessité de
la première cause qui ne dépend pas d’un autre, mais elle-même est plutôt
cause de nécessité pour tous les autres êtres. [qui…pour tous les autres
êtres om. Éd. de Parme] Et par là deveint évidente la solution aux deux
séries de difficultés : car les
premiers arguments procèdent de la nécessité absolue et les autres de la
nécessité de contrainte qui répugne à la nécessité absolue et c’est de cette
raison que procédait l’hérétique et c’est suivant cela qu’il est rejeté dans
le document. |
|
|
Articulus
2.lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 tit. Utrum pater genuit filium voluntate. |
Article 2 – Le Père a-t-il engendré le Fils par volonté ? |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod pater genuit filium voluntate. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père a engendré
le Fils par volonté. |
Omne enim bonum
est volitum a Deo, sicut omne verum scitum. Sed generatio Filii est optimum.
Ergo est volitum a Deo ; et ita Pater genuit Filium voluntate. |
En effet, tout ce qui est bon est voulu par Dieu, comme tout ce qui
est vrai est connu de Lui. Mais la génération du Fils est ce qu’il y a de
plus excellent. Elle est donc voulue par Dieu ; et ainsi, le Père a
engendré le Fils par volonté. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in
generatione humana ita est quod principium inclinans ad generandum, est
voluntas. Sed generatio humana extrahitur a divina. Ergo et similiter erit in
generatione divina, et ita videtur quod Pater genuit Filium voluntate. |
2. Par ailleurs, les
choses sont telles dans la generation humaine que le principe qui incline à
engendrer est la volonté. Mais la génération humaine est tirée de la
generation divine. Il en sera donc de même dans la generation divine et ainsi
il semble que le Père a engender le Fils par volonté. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, Origenes, in
Apol. Pamphil. Col. 583, dicit de Patre loquens : germen proferens voluntatis factus est
verbi pater. Sed illud quod est germen voluntatis, est natum voluntate
generantis. Ergo Pater genuit Filium voluntate |
3. De plus, Origène [Apol. Pamphil. Col. 583], dit, en parlant
du Père : En énonçant le germe de la volonté, le Père fit la Parole.
Mais le germe de la volonté est apte à engendrer par volonté. Donc le Père a
engendré le Fils par volonté. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 2 s. c. 1 Contra, voluntas est principium productionis eorum quae per
artem producuntur in rebus humanis. Sed Filius non producitur a Patre sicut
artificiatum, immo sicut ars ; sed creaturae sicut artificiata. Ergo
videtur quod Pater non genuit Filium voluntate ; sed voluntate creaturas
produxit. |
Cependant: 1. La
volonté est le principe de production des choses qui sont produites par l’art
dans les choses humaines. Mais le Fils n’est par produit par le Père comme un
artefact, mais plutôt comme art, et il a produit les creatures comme des
artefacts. Il ne semble donc pas que le Père a engender le Fils par volonté;
mais c’est par volonté qu’il a produit les creatures. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hilarius,
lib. de synodis, can. XXIV, col. 512 : Si quis voluntate Dei filium tamquam factum dicat, anathema sit.
Ergo et cetera. |
2. En outre, Hilaire [Livre sur les Synodes, can. XXIV, clo. 512] dit
ceci : Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu a été produit par volonté,
qu’il soit anathème. Donc, le Père n’a pas engendré le Fils par volonté. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod voluntas potest comparari ad aliquid
dupliciter : aut sicut potentia ad objectum, aut sicut principium. Si
comparetur ad aliquid sicut ad objectum, tunc omne volitum a Deo, potest dici
esse voluntate ejus ; et sic potest dici, pater est Deus voluntate sua ; vult
enim se esse Deum ; et similiter potest concedi quod Pater genuit Filium
voluntate. Si autem comparetur voluntas ad aliquid sicut principium, hoc
potest esse dupliciter : quia aut illud ad quod comparatur sicut principium
dicit rationem principiandi ; aut dicit ipsum principiatum. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que la
volonté se compare à une chose de deux manières : ou bien comme une
puissance à un objet, ou bien comme un principe. Si elle se compare à une
chose comme à son objet, alors on peut dire que tout ce qui est voulu par
Dieu vient de sa volonté ; et ainsi on peut dire que le Père est Dieu
par sa volonté : il veut en effet être Dieu ; et de la même manière
on peut concéder que le Père a engendré le Fils par volonté. Mais si c’est en
tant que principe qu’on compare la volonté à une chose, cela peut se faire de
deux manières : car ou bien ce à quoi elle se compare en tant que
principe a raison de ce qui doit être commencé, ou bien a raison d’effet. |
Si primo modo,
sic comparatur voluntas ad processionem Spiritus sancti, qui procedit ut
amor, in quo voluntas principiata omnia, scilicet creaturas, amore producit ;
et secundum hunc modum etiam intellectus in Deo se habet ad generationem
Filii, qui procedit ut verbum et ars. |
Si c’est de la première manière, alors la volonté se compare à la
procession de l’Esprit-Saint, qui procède en tant qu’Amour, dans lequel la
volonté produit par amour tous les effets, c’est-à-dire les créatures. Et
c’est de cette manière aussi que l’intelligence en Dieu se rapporte à la
génération du Fils qui procède en tant que verbe et art. |
Si secundo modo, tunc principiatum voluntatis procedit
a voluntate secundum voluntatis conditionem. Voluntas autem, quantum est in se, libera est : unde
principiata voluntatis sunt tantum ea quae possunt esse vel non esse. Et hoc
modo constat, quod voluntas divina comparatur ad creationem rerum, et non ad
generationem Filii. Et hinc est quod quidam distinguunt voluntatem in tria,
scilicet in voluntatem accedentem, quae scilicet de novo accedit operi vel
operanti, et talis non est in Deo secundum aliquem trium dictorum modorum
voluntatis, quia omnis operatio ejus est a voluntate aeterna. Item in
voluntatem concomitantem quae dicitur secundum comparationem ad objectum
tantum ; et sic est in Deo respectu generationis Filii. Item in voluntatem
antecedentem ; et sic dicit comparationem principii ad principiatum ; et sic
est respectu creaturarum. |
Si c’est de la deuxième
manière, alors l’effet de la volonté procède de la volonté d’après la
condition de la volonté. Mais la volonté, quant à sa nature même, est libre:
de là les effets de la volonté sont seulement ceux qui peuvent être ou ne pas
être. Et il est clair que c’est de cette manière que la volonté divine se
compare à la création des choses et non pas à la génération du Fils. Et il
suit de là que certains font trois distinctions sur la volonté: à savoir la
volonté qui s’approche, c’est-à-dire qui aborde pour la première fois
l’oeuvre ou l’opération et cette volonté n’existe en Dieu selon aucun des
trois mode de volonté don nous avons parlé car toute operation de Dieu
procède d’une volonté éternelle; il y a en outre la volonté qui accompagne
qui se dit par rapport à son objet seulement et cette volonté est en Dieu par
rapport à la generation du Fils; il y a enfin la volonté qui précède et cette
volonté dit le rapport du principe à l’effet et qui se rapporte aux
créatures. |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod ratio illa procedit secundum comparationem voluntatis ad objectum
tantum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que cet argument procède du rapport
de la volonté à son objet seulement. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum quod generatio humana non est aeterna, et
ideo potest habere voluntatem antecedentem, quod non potest esse in divina. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que
la génération humaine n’est pas éternelle et c’est pourquoi elle peut avoir
une volonté qui précède, ce qui ne peut être le cas pour Dieu. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Origenes vocat germen voluntatis id in
quo quiescit Patris beneplacitum ; et haec est Filius, sicut ipse dixit
Matth. 3, 17 : Hic est Filius meus
dilectus, in quo mihi complacui. Aliae autem rationes procedunt de
voluntate antecedente, sive secundum comparationem principii ad principiatum. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’Origène appelle ¨germe de la
volonté¨ ce en quoi se repose le bon plaisir du Père, à savoir le Fils, ainsi
qu’il l’a dit lui-même en Matthieu (3, 17) : Celui-ci est mon Fils
bien-aimé, en qui j’ai placé tout mon amour. Mais tous les autres
arguments procèdent de la volonté qui précède ou de la volonté d’après le
rapport du principe à l’effet. |
|
|
Articulus 3 lib. 1 d. 6 q.
1 a. 3 tit. Utrum pater genuit filium naturaliter. |
Article 3 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nature ? |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
pater non naturaliter genuit filium. Hilarius, De synodis, can. XXV, col. 512, : Non naturali necessitate ductus Pater genuit Filium. Ergo videtur
quod non sit naturalis generatio. |
Difficultés : 1. Voici
comment on procède à l’égard de cette question. Il semble que le Père n’a pas
engendré le Fils par nature. Hilaire [Sur
Les Assemblées, can. XXV, col. 512] dit en effet : Ce n’est pas par une nécessité naturelle
que le Père a été conduit à engendrer le Fils. Il semble donc qu’il ne
s’agisse pas là d’une génération naturelle. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 3 arg. 2 Praeterea, in Deo idem est voluntas et natura. Sed Pater non
genuit Filium voluntate. Ergo nec genuit Filium natura. |
2. De plus, la volonté s’identifie à la nature en Dieu. Mais le Père
n’a pas engendré le Fils par volonté. Il ne l’a donc pas engendré non plus
par nature. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut supra habitum est, dist. 3, quaest. 1,
art. 3, philosophi per rationes creaturarum potuerunt devenire in cognitionem
divinae naturae. Sed cognita natura cognoscitur operatio naturae. Ergo
potuerunt devenire in cognitionem generationis aeternae, si Pater naturaliter
genuit Filium : cujus contrarium superius est ostensum, dist. 3, quaest. 1,
art. 4. |
3. En outre, ainsi que
nous l’avons établi plus haut [dist. 3, quest. 1, art. 3], les philosophes
ont pu en arriver à la connaissance de la nature divine au moyen des causes
des creatures. Mais une fois connue la nature, l’opération de la nature est
connue. Ils ont donc pu en arriver à la connaissance de la génération
éternelle, si le Père a engendré le Fils par nature: ce dont on a pourtant
plus haut démontré le contraire [dist. 3, quest.1, art. 4] |
lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, Hilarius, De
synodis § 58, col. 520 : Omnibus
creaturis substantiam Dei voluntas attulit ; sed Filio natura dedit. Ergo videtur quod Pater genuit Filium
natura. |
Cependant : 1. Hilaire dit [Sur les Assemblées, &58, col. 520] : À
toutes les créatures la volonté de Dieu a apporté la substance, mais au Fils
Dieu l’a donnée par nature. Il semble donc que le Père a engendré le Fils
par nature. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Damascenus, lib. I Fid. orth., cap. VIII :
Generatio est opus divinae naturae
existens. Ergo et
cetera. |
2. En outre, Damascène dit [Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. VIII] : La génération est une œuvre
qui existe dans la nature divine. Donc, etc. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod essentia divina, ut dictum est, dist. 3,
art. 4, est principium omnium actuum divinorum ; licet essentia sub ratione
essentiae non dicat principium actus qui est operatio, sed qui est esse. Sed
cum in essentia sit considerare diversa attributa, quae sunt realiter unum in
ipsa, ratione tamen distincta ; actus refertur ad essentiam secundum hoc
attributum vel illud, secundum quod exigit conditio actus ; sicut intelligere
est ab essentia divina, inquantum ipsa est intellectus ; et res volitae, quae
possunt esse vel non esse, producuntur ab essentia, inquantum ipsa est
voluntas. Et quia de ratione generationis est ut producatur genitum in
similitudinem generantis, et hujus productionis principium pertinet ad
naturam, quae est ex similibus similia procreans ; ideo dicitur, quod Pater
natura generat [genuit Éd. de Parme]
Filium. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’essence divine, ainsi que nous
l’avons dit [dist. 3, art. 4] est le principe de tous les actes divins, bein
que l’essence en tant qu’essence ne signifie pas le principe de l’acte qui
est l’opération mais celui de l’acte qui est l’être. Mais puisque dans
l’essence il faille considérer de nombreux attributs qui sont réellement un
en elle mais différents par la raison, l’acte se rapporte à l’essence d’après
cet attribut ou cet autre, selon ce qu’exige la condition de l’acte ;
par exemple, comprendre vient de l’essence divine pour autant qu’elle est
elle-même une intelligence, et les choses voulues, qui peuvent être ou ne pas
être, sont produites par l’essence pour autant qu’elle-même est une volonté.
Et parce qu’il est de la nature même de la génération de produire ce qui est
engendré à la ressemblance de ce qui engendre, et que le principe de cette
production appartient à la nature, laquelle procrée du semblable à partir du
semblable, c’est pourquoi nous disons que le Père a engendre [a engendré Éd.
de Parme] le Fils par nature. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Hilarius naturalem necessitatem
appellat, quando virtute naturae aliquid agitur quod est contrarium
voluntati, sicut fames et sitis in nobis ; unde voluntas patitur quasi
quamdam violentiam a natura ; et talis necessitas non est in Deo. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’Hilaire appelle nécessité
naturelle quand quelque chose se passe en nous par une puissance de la nature
qui est contraire à la volonté, comme la faim et la soif en nous ; c’est
pourquoi la volonté se trouve à souffrir comme une certaine violence de la
part de la nature ; et une telle nécessité ne se trouve pas en Dieu. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis natura et voluntas sint idem
re, differunt tamen ratione, ut dictum est. Et ideo essentia divina in
ratione naturae est principium alicujus, cujus principium non est ipsa eadem,
prout habet rationem voluntatis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que la nature et la volonté
soient un par la chose, elles diffèrent cependant par la raison, ainsi que
nous l’avons déjà dit. Et c’est pourquoi l’essence divine, en tant que
nature, est principe de quelque chose dont elle-même n’est pas le principe en
tant qu’elle a raison de volonté. |
lib. 1 d. 6 q.
1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod naturam est [contingit Éd. de Parme] cognoscere dupliciter.
Vel perfecte comprehendendo ipsam ; et sic philosophi non cognoverunt naturam
divinam : quia sic cognovissent omnia opera divina, et quaecumque sunt in
ipsa. Vel est cognoscere [est om. Éd.
de Parme] per effectus ; et ita philosophi cognoverunt. Quia vero
creatura non perfecte repraesentat naturam divinam, secundum quod est principium
generationis aeternae et consubstantialis ; ideo generationem divinam, quae
est ejus operatio, non cognoverunt philosophi. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’il faut [qu’il est possible Éd.
de Parme] connaître la nature de deux manières. Soit en la comprenant
parfaitement et en ce sens les philosophes n’ont pas connu la nature divine
car alors ils auraient connu toutes les œuvres divines et tout ce qu’il y a
en elle. Soit en la connaissant au moyen des effets ; et de cette
manière les philosophes ont connu la nature divine. Mais parce que les
créatures ne représentent pas parfaitement la nature divine selon qu’elle est
le principe de la génération et de la consubstantialité éternelles, c’est
pourquoi les philosophes n’ont pas connu la génération divine qui est
l’opération de la nature divine. |
|
|
Distinctio 7 |
Distinction 7 – [La puissance générative en Dieu. Principe] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
Question 1 Article 1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ? Article 2 – la puissance générative est-elle une relation ? Article 3 – Parle-t-on de la puissance d'engendrer et celle de
créer de manière univoque ? Question 2 Article 1 – La puissance d'engendrer est-elle dans le Fils ? Article 2 – Le Fils peut-il engendrer un autre Fils Quæstiuncula 1
: Le Père peut-il engendrer un autre fils ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La puissance d’engendrer en Dieu] |
|
|
Hic quaeruntur duo : primo de potentia
generandi in Deo. Secundo de communitate
ipsius. Circa primum tria quaeruntur : 1 utrum in Deo
sit potentia ad generandum ; 2 quid sit illa
potentia, an sit absolutum aliquid vel ad aliquid ; 3 de comparatione ipsius ad potentiam creandi. |
On
s’interroge ici sur deux choses : En premier
lieu sur la puissance d’engendre qui est en Dieu. En deuxième
lieu sur le caractère commun de cette puissance. Et au sujet du premier point
on pose trois questions : 1. Est-ce
qu’il y a en Dieu une puissance d’engendrer ; 2. Quelle est
cette puissance ? Est-elle quelque chose d’absolu ou de relatif ? 3. Est-elle
semblable ou différente de la puissance de créer ? |
|
|
Articulus 1 : 7
q. 1 a. 1 tit. Utrum potentia generativa sit in Deo. |
Article 1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ? |
7 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod in Deo non sit potentia ad generandum. Quidquid enim exit ab aliqua
potentia, sive sit potentia agentis sive materiae, prius est in potentia quam
sit in actu. Sed generatio
Filii a Patre non est hujusmodi, cum sit aeterna. Ergo non exit ab aliqua
potentia. Ergo in Deo non est potentia ad generandum. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait pas en Dieu une puissance d’engendrer. En
effet, tout ce qui sort d’une puissance, que ce soit de la puissance d’un
agent ou de celle d’une matière, est d’abord en puissance avant d’être en
acte. Mais la génération du Fils du Père n’est pas une génération de cette
sorte, puisqu’elle est éternelle. Le Fils ne provient donc pas d’une
puissance. Il n’y a donc pas en Dieu une puissance d’engendrer. |
7 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea, illud quod per se est naturae, non exit ab ea mediante
aliqua potentia, sicut anima dat tale esse corpori nullo mediante. Sed
generatio est per se opus naturae, ut dicit Damascenus, Lib I, Fid. Orth., cap.VIII, col. 814. Ergo
non est opus potentiae ; et sic idem quod prius. |
2. De plus, ce qui appartient par soi à la nature ne naît pas d’elle
au moyen d’une puissance, comme l’âme qui donne telle existence au corps sans
aucun intermédiaire. Mais la génération est par soi une œuvre de la nature,
ainsi que le dit Damascène [Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. VIII, col. 814]. La génération n’est donc
pas l’œuvre d’une puissance et ainsi la conclusion est identique à celle qui
précède. |
7 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea, omnis potentia vel est activa vel passiva. Sed in Patre non
est potentia passiva ad generandum Filium, quia secundum eam magis diceretur
mater quam pater. Nec est etiam in eo potentia activa ; quia, secundum
philosophum, V Metaph., text. 17 et
IX metaph., text. 2, potentia activa est principium transmutationis in aliud,
secundum quod est aliud : unde potentia activa exigit materiam in quam agat.
Generatio autem Filii non est ex materia. Ergo videtur quod in Deo non sit
potentia ad generandum. |
3. Par ailleurs, toute puissance est ou bien active ou bien passive.
Mais il n’y a pas dans le Père une puissance passive à engendrer le Fils car
dans ce cas il devrait être appelé mère plutôt que père. Et il n’y a pas en
Lui une puissance active non plus car d’après le Philosophe [V Métaphysique,
texte 17, et 1X Métaphysique, texte 2] une puissance active est un
principe de changement dans un autre en tant qu’autre : c’est pourquoi
la puissance active exige une matière dans laquelle agir. Mais la génération
du fils ne procède pas d’une matière. Il semble donc qu’il n’y ait pas en
Dieu une puissance d’engendrer. |
7 q. 1 a. 1 s.
c. 1 Contra, Augustinus, II Contra
Maxim., cap. VII, col. 761, arguit : Si
pater non potuit generare Filium aequalem et coaeternum sibi, impotens fuit.
Ergo ex hoc videtur quod potentia divina etiam se extendat ad generationem
Filii. |
Cependant: 1.
Augustin [Contre Maxim. Ch. VII,
col. 761] affirme: Si le Père ne put engendrer un Fils qui lui soit égal
et coéternel, il fut impuissant. Il semble donc à partir de là que la
puissance divine s’étend même à la génération du Fils. |
7 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis operatio
demonstrat potentiam ipsius operantis. Cum igitur actus generationis in
infinitum transcendat productionem creaturarum, quae tamen divinam
omnipotentiam manifestat, videtur quod multo fortius generatio Filii sit
manifestativa divinae potentiae, et non nisi sicut actus ejus. Ergo videtur quod in Deo sit potentia
generandi. |
2. De plus, toute opération manifeste la puissance de celui-là même qui pose l’opération.
Donc, puisque l’acte de la génération dépasse à l’infini la production des
créatures qui manifeste cependant la toute-puissance divine, il semble à plus
forte raison que la génération du Fils manifeste la puissance divine
puisqu’elle est son acte. Il semble donc qu’il y ait en Dieu une puissance
d’engendrer. |
7 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod in creaturis aliquid producitur per potentiam
naturalem, et hoc producitur per similitudinem naturae ipsius producentis,
sicut homo generat hominem : producitur etiam aliquid per potentiam
rationalem, et hoc producitur in similitudinem producentis quantum ad
speciem, non naturae, sed in ratione existentiae [existentem Éd. de Parme] ; cum omne agens agat
sibi simile aliquo modo ; sicut domus producitur ab artifice, et recipit
similitudinem speciei quam artifex habet in mente. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que dans
les créatures quelque chose est produit par une puissance naturelle, et que
cela est produit à la ressemblance de la nature de celui qui produit, comme
c’est le cas pour l’homme qui produit un homme ; mais quelque chose est
produit aussi par une puissance rationnelle et cela est produit à la
ressemblance de celui qui produit quant à l’espèce qui n’est pas celle de la
nature, mais de celle qui existe dans la raison, puisque tout agent produit
ce qui lui ressemble d’une certaine manière : par exemple, la maison est
produite par l’artisan et reçoit la ressemblance de la forme que l’artisan a
à l’esprit. |
Et secundum hos duos modos aliquid producitur a Deo. Procedit
enim aliquid a Deo in similitudinem naturae, recipiens totam naturam ; nec
eamdem specie tantum, sed eamdem numero ; et sic Filius procedit a Patre per
actum generationis. Unde in Deo est potentia ad generandum similis potentiae
naturali. Procedit etiam aliquid a Deo in similitudinem ideae existentis in
mente divina, quod non recipit naturam divinam, sicut creaturae. Unde
potentia operandi in creaturis est sicut potentia rationalis in Deo ; et
secundum istam potentiam attenditur omnipotentia in Deo. Persona enim divina,
quae procedit per potentiam quasi naturalem, non est aliquid connumeratum
omnibus. Unde potentia generandi non continetur sub omnipotentia, sicut
potentia creandi. Hoc tamen
melius explicabitur infra, XX dist. [sicut… XX dist. om. Éd. de Parme]. |
Et une chose est produite par Dieu selon ces deux modalités. En effet
un être procède de Dieu selon une ressemblance de nature en recevant toute sa
nature ; et il n’est pas seulement de même espèce, mais de même
individualité ; et c’est ainsi que le Fils procède du Père par son acte
de génération. Il y a par conséquent en Dieu une puissance à engendrer qui
est semblable à une puissance naturelle. Mais quelque chose peut encore
procéder de Dieu à la ressemblance d’une idée existant dans l’esprit divin et
qui ne reçoit pas la nature divine, comme c’est le cas pour les créatures.
C’est pourquoi la puissance d’opérer dans les créatures est comme une
puissance rationnelle en Dieu ; et c’est d’après cette puissance que
s’entend la toute-puissance de Dieu. En effet la Personne divine qui procède
de Dieu par une puissance quasi naturelle, n’est pas quelque chose qui est
compté parmi tous les autres êtres. C’est pourquoi la puissance d’engendrer
n’est pas comprise dans la toute-puissance comme c’est le cas pour la
puissance de créer. Cela sera cependant mieux expliqué par la suite lors de
l’examen de la distinction XX [comme … dist. XX om. Éd. de Parme]. |
7 q. 1 a. 1 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod illud est verum, quando actus differt
realiter a potentia a qua exit : tunc enim oportet quod prius sit in potentia
quam in actu vel tempore vel natura. Sed in Deo est omnino idem re essentia,
potentia et operatio, sed differunt tantum ratione ; et ideo in divinis non
valet. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
que ce qui est dit là est vrai quand l’acte diffère réellement de la
puissance de laquelle il procède : il faut alors en effet que l’être en
question existe d’abord en puissance avant d’exister en acte, ou bien par le
temps ou bien par la nature. Mais en Dieu l’essence, la puissance et
l’opération sont absolument identiques par la chose et diffèrent seulement
par la raison. Et c’est pourquoi cet argument ne tient plus à l’égard des
personnes divines. |
Vel dicendum,
quod in divinis personis est tantum ordo naturae, quo, secundum Augustinum,
aliquis est ex alio, et non prior alio. Unde non potest concludi aliqua
prioritas per hoc quod Filius generatur ex potentia Patris. |
Ou bien il faut dire qu’il n’y a dans les personnes divines qu’un
ordre de nature par lequel, selon Augustin, l’un procède de l’autre et non
antérieurement à l’autre. C’est pourquoi on ne peut conclure aucune
antériorité du fait que le Fils est engendré à partir de la puissance du
Père. |
7 q. 1 a. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod natura vel essentia comparatur ad duo : ad
habentem, et ad id cujus natura est principium. Inter essentiam igitur et
habentem essentiam non cadit aliqua potentia media quantum ad actum ipsius
essentiae in habentem, qui est esse ; sed ipsa essentia dat esse habenti : et
iste actus est quasi actus primus. Egreditur etiam ab essentia alius actus,
qui est etiam actus habentis essentiam sicut agentis, et essentiae sicut
principii agendi : et iste est actus secundus, et dicitur operatio : et inter
essentiam et talem operationem cadit virtus media differens ab utroque, in
creaturis etiam realiter, in Deo ratione tantum ; et talis actus est generare
; et ideo, secundum modum intelligendi, natura non est principium ipsius nisi
mediante potentia. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la nature ou l’essence se
compare à deux choses : d’abord à celui qui la possède, puis à ce dont
la nature est le principe. Donc entre l’essence et celui qui la possède on ne
trouve aucune puissance intermédiaire quant à l’acte de l’essence même dans
celui qui la possède, et qui est l’existence ; mais l’essence elle-même
donne l’existence à celui qui la possède : et cet acte est comme l’acte
premier. Mais de l’essence sort un autre acte qui est aussi l’acte de celui
qui possède l’essence en tant qu’agent et qui est l’acte de l’essence comme
principe d’action : et c’est là l’acte second qu’on appelle
l’opération ; et c’est entre l’essence et une telle opération qu’on
retrouve une puissance intermédiaire qui diffère des deux ( de l’essence et
de l’opération) réellement et par la raison dans les créatures, mais en Dieu
par la raison seulement ; et cet acte est l’acte d’engendrer ; et
c’est pourquoi, d’après le mode de comprendre, la nature n’est le principe de
cet acte que par l’intermédiaire d’une puissance. |
|
|
|
|
|
Article 2 – La puissance générative est-elle une relation ? |
7 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod potentia generandi sit ad aliquid. Remoto enim intellectu
distinctarum personarum a divinis, adhuc manet intellectus omnium quae
absolute dicuntur, sicut bonitas, sapientia et hujusmodi. Sed remoto
intellectu personarum, non remanet potentia generandi : quia remotis personis
removetur generatio, et remota generatione removetur potentia generandi ; non
enim potest in divinis esse aliquid in potentia quod non sit actu ; alias
Deus esset mutabilis. Ergo
non est de absolutis, sed de ad aliquid dictis. |
Difficultés : 1. On procède de la manière qui suit
par rapport à cette deuxième question. Et il semble que la puissance
d’engendrer soit une relation. Si en effet on fait disparaître de Dieu
l’intelligence des personnes divines, il demeure encore l’intelligence de
tous les attributs qui se disent absolument de Lui, comme la bonté, la
sagesse, etc. Mais si on écarte l’intelligence des personnes, la puissance
d’engendrer n’est pas conservée : car une fois écartées les personnes,
la génération est elle aussi écartée et une fois cette dernière écartée, la
puissance d’engendrer l’est aussi ; il ne peut en effet exister en Dieu
une puissance qui ne soit pas en acte, autrement Dieu serait sujet au
changement. La puissance d’engendrer ne fait donc pas partie des attributs
absolus, mais de ceux qui se disent par la relation. |
7 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, potentiae
distinguuntur per actus. Sed generare in divinis est ad aliquid dictum : quia
generatio est proprietas ipsa relativa, ut supra dictum est, dist. 4, qu. 1,
art. 2. Ergo et potentia
generandi. |
2. De plus, les puissances se distinguent par leurs actes. Mais en
Dieu engendrer se dit par la relation : car la génération est elle-même
une propriété qui est relative ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4,
quest. 1, art. 2]. Donc la puissance d’engendrer l’est aussi. |
7 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis operatio propria
alicujus rei egreditur a forma propria ejusdem, sicut comburere a forma
ignis. Sed generare Filium in divinis, est propria operatio Patris. Ergo
principium illius erit propria forma Patris. Hoc autem est paternitas, quae
relatio quaedam est. Cum igitur principium operationis sit
potentia, videtur quod potentia generandi sit ad aliquid. |
3. En outre, toute
operation qui est propre à une chose procède de la forme qui est propre à
cette chose, tout comme brûler procède de la forme du feu. Mais en Dieu,
engendrer le Fils est l’opération propre du Père. Donc le principe de cette
opération sera la forme qui est propre au Père. Mais c, il semble ette forme
est la paternité, laquelle est une relation. Donc, puisque le principe de
l’opération est la puissance, il semble que la puissance d’engendrer soit une
relation. |
7 q. 1 a. 2
s. c. 1 Contra, cujus est actus, ejus est potentia, secundum philosophum. De sensu et sens., lect. 5, Sed,
secundum Damascenum, I Fid. Ortho., cap.
VIII, col 814, generatio est actus naturae. Ergo et potentia generandi
[generandi om. Éd. De Parme] est
ipsius naturae. Sed [om. Éd. De Parme]
natura autem est absolute dictum. Ergo et potentia. |
Cependant : 1. D’après le Philosophe, ce d’où
procède l’acte est la puissance de cet acte [Du Sens et du Senti,
leçon 5]. Mais d’après Damascène, [1 De la Foi Orthodoxe, ch. VIII, col. 814] la génération est l’acte de
la nature. Et donc la puissance d’engendrer [d’engendrer om. Éd. de Parme]
appartient à la nature elle-même. Mais [om. Éd. de Parme] la nature se
dit cependant absolument. Il en est donc de même pour la puissance. |
7 q. 1 a. 2 s.
c. 2 Praeterea, in qualibet generatione univoca idem est principium
generationis et terminus ; sicut homo generat hominem. Sed terminus
generationis in divinis est essentia, quae communicatur per generationem, ut
supra dictum est, dist. 5, qu. 1, art. 1. Ergo essentia etiam est principium
generationis ; et sic videtur quod potentia generandi [generandi om. Éd. De Parme] sit essentiale. |
2. En outre, dans toute génération univoque, le principe est
identique à son terme, tout comme l’homme qui engendre un homme. Mais en Dieu
le terme de la génération est l’essence, laquelle se communique parla
génération ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 5, quest. 1, art. 1].
Donc l’essence est aussi le principe de la génération. Et ainsi il semble que
la puissance d’engendrer [d’engendrer om. Ed. de Parme] soit
essentielle. |
7 q. 1 a. 2 co.
Respondeo, quidam dixerunt, quod potentia generandi simpliciter est ad
aliquid non tantum ex parte actus, sed etiam ex parte ipsius potentiae :
potentia enim dicit relationem principii. Sed hoc nihil est : quia potentia
non est relativum secundum suum esse, sed solum secundum dici : immo potentia
significat etiam illud quod est principium, et non tantum relationem
principii. Sic enim quaerimus hic de potentia generandi. Principium autem
cujuslibet operationis divinae, ut supra dictum est, dist. 4, qu. 1, art. 1,
est essentia divina. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que certains ont soutenu que que la puissance d’engendrer, à
parler absolument, est relative non seulement du côté de l’acte mais aussi du
côté de la puissance elle-même : qui dit puissance en effet dit relation
à un principe. Mais cela n’est rien : car la puissance n’est pas
relative quant à son existence, mais seulement quant à l’attribution : bien
plutôt, la puissance signifie aussi cela même qui est principe et non
seulement la relation au principe. C’est en ce sens en effet que nous menons
ici notre recherche sur la puissance d’engendrer. Mais le principe de toute
opération divine, ainsi que nous l’avons dit [dist. 4, quest. 1, art. 1], est
l’essence divine. |
Sed ab essentia
egreditur aliquis actus, secundum quod essentia est sapientia ; et aliquis,
secundum quod est voluntas ; et sic de aliis attributis. Similiter dico, quod
cum proprietas realiter sit essentia, essentia secundum quod est ipsa
paternitas, est principium hujus actus qui est generare, non sicut agens, sed
sicut quo agitur : unde principium generationis est essentiale sub ratione
relationis : unde est quasi medium inter essentiale et personale ; ex parte
enim illa qua potentia, quae est media inter essentiam et operationem,
radicatur in essentia, est absolutum ; ex parte autem illa qua conjungitur
operationi, est relativum. |
Mais certains actes procèdent de l’essence selon que l’essence est
sagesse ; et d’autres selon que l’essence est volonté et il en est de
même pour les autres attributs. De même, je dis que puisque la propriété est
réellement l’essence, l’essence en tant qu’elle est la paternité elle-même
est le principe de cet acte qui est celui d’engendrer, non pas en tant qu’agent,
mais comme ce par quoi l’opération est posée : c’est pourquoi le
principe de la génération est essentiel sous le rapport de la relation :
de là il est comme intermédiaire entre ce qui est essentiel et ce qui est
personnel ; en effet, du côté par lequel la puissance, qui est
intermédiaire entre l’essence et l’opération, s’enracine dans l’essence, le
principe de la génération est absolu ; mais du côté par lequel il est
uni à l’opération, il est relatif. |
7 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod,
remoto intellectu personarum, remanent ea quae sunt pure absoluta. Sed hujusmodi est potentia generandi, ut
dictum est, in corp. art., et ideo non remanet, subtractis personis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu
qu’une fois qu’on écarte l’intelligence des personnes, les attributs qui sont
purement absolus demeurent. Mais la puissance d’engendrer est de cette sorte
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article et c’est pourquoi elle
n’est pas conservée une fois qu’on fait abstraction des personnes. |
7 q. 1 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod quamvis potentiae innotescant per actus, non
tamen oportet quod in eodem genere ponantur potentiae et actus, praecipue de
potentiis activis : unde quamvis generare sit ad aliquid, non tamen oportet
quod potentia generandi sit ad aliquid ; sed verum est quod posse generare
est posse ad aliquid accusativi casus. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que les puissances sont
connues par leurs actes, il n’est cependant pas nécessaire que les puissances
et les actes soient posés dans le même genre, principalement dans le cas des
puissances actives : de là, bien qu’engendrer soit un relatif, il n’est
cependant pas nécessaire que la puissance d’engendrer soit un relatif ;
mais il est vrai que le pouvoir d’engendrer soit un pouvoir relatif à un
accusatif. |
7 q. 1 a. 2 ad
3 Ad tertium dicendum, quod natura communis in unoquoque operatur secundum
conditionem ipsius : unde anima sensibilis habet in diversis animalibus
diversas operationes, et etiam in diversis organis sentiendi. Et hoc ideo
est, quia natura communis determinatur et contrahitur in unoquoque, secundum
proprietates inventas in illo. Divina autem natura non contrahitur neque
determinatur per proprietates suppositorum ; tamen natura divina in Patre est
proprietas patris, et in Filio est proprietas Filii. Ideo autem non
contrahitur, quia proprietas non est aliud [ab essentia vel add. Éd. De Parme] ipsa natura, ut
adveniat sibi quasi dispositio contrahens. Ideo etiam [natura add.. Éd. De Parme] non determinatur
vel distinguitur, quia relatio non distinguitur secundum id quod est (sed
secundum hoc tantum comparatur ad essentiam, cum qua est idem re) sed
secundum quod ad alterum est, et sic respicit personam, et distinguit eam :
et ideo in Patre est principium operationis secundum proprietatem patris et
in Filio secundum proprietatem Filii. Unde eadem operatio est et naturae
communis, et propriae formae ipsius patris : et ideo potentia generandi, ut
dictum est, in corp. art., est medium inter absolutum et relatum. Et hoc
voluerunt quidam dicere, dicentes potentiam generandi absolutum, si
consideretur potentia remota, vel indisposita et ad aliquid si consideretur
potentia disposita [et ad aliquid…disposita om. Éd. De Parme] ; quamvis improprie locuti sint, quia
proprietas non disponit essentiam, sed suppositum. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la nature commune opère en
chaque être d’après les conditions de cet être : c’est pourquoi l’âme
sensible est capable de différentes opérations dans des animaux différents,
et même dans des organes de sensation différents. Et il en est ainsi parce
que la nature commune se détermine et se limite en chaque être d’après les
propriétés qui se trouvent en lui. Mais la nature divine n’est pas limitée et bornée par les propriétés des
suppôts ; cependant la nature divine dans le Père est la propriété du
Père et dans le Fils elle est la propriété du Fils. C’est pourquoi cependant
que cette nature n’est pas restreinte ou diminuée de manière à recevoir une
disposition qui la limiterait, parce que la propriété n’est rien d’autre que
la nature même [que l’essence ou add. Éd. de Parme]. C’est pourquoi
encore elle [la nature add. Ed. de Parme] n’est pas limitée ou
différenciée, car la relation ne se distingue selon ce qui est (mais
seulement selon qu’elle se compare à l’essence avec laquelle elle est
identique par la chose) mais selon qu’elle se rapporte à un autre et ainsi
elle concerne la personne et la distingue : et c’est pourquoi dans le
Père elle est le principe d’opération selon la propriété du Père et dans le
Fils selon la propriété du Fils. Par conséquent la même opération relève à la
fois de la nature commune et de la forme propre du Père lui-même : et
c’est pourquoi la puissance d’engendrer, ainsi que nous l’avons dit dans le
corps de l’article, est intermédiaire entre l’absolu et le relatif. Et c’est
là ce que certains ont voulu dire en disant que la puissance d’engendrer est
un absolu si la puissance est considérée comme retirée ou non ordonnée, et
comme un relatif si la puissance est considérée comme ordonnée [comme
relatif…ordonnée om. Éd. de Parme] ; ils se sont cependant
exprimés improprement, car la propriété n’ordonne pas l’essence mais le
suppôt. |
7 q. 1 a. 2 ad s. c. Et per ea quae dicta sunt,
patet etiam solutio ad sequentia. |
Et la solution aux arguments qui suivent devient claire au moyen de
ce que nous avons dit. |
|
|
Articulus 37
q. 1 a. 3 tit. Utrum potentia dicatur univoce de potentia generandi et
potentia creandi. |
Article 3 – Parle-t-on de manière univoque de la puissance d’engendrer et de la puissance créatrice[8] ? |
7 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod potentia non dicitur
univoce de potentia generandi et creandi. Potentiae enim distinguuntur per
actus, et actus per objecta. Sed Filius Dei et creaturae non univocantur in
aliquo. Ergo nec generatio et creatio. Igitur ulterius nec potentia generandi
et creandi. |
Difficultés : 1. Il semble que la puissance ne s’attribue pas univoquement à la
puissance d’engendrer et à celle de créer. Les puissances en effet se
distinguent par leurs actes et les actes par leurs objets. Mais le Fils de
Dieu et les créatures ne reçoivent aucune attribution univoque. Donc, la
génération et la création n’en reçoivent pas non plus. Par conséquent, la
puissance d’engendrer et de créer ne reçoivent pas une attribution univoque. |
7 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, potentia creandi est simpliciter absoluta. Sed potentia
generandi est quodammodo ad aliquid. Cum igitur nihil univocetur ad absolutum
et relatum, cum sint in diversis praedicamentis, videtur quod potentia non
univoce dicatur de utraque. |
2. En outre, la puissance de créer est absolue en tant que telle.
Mais la puissance d’engendrer est en quelque sorte relative. Donc, puisque
rien ne se dit univoquement de l’absolu et du relatif, puisqu’ils sont dans
des prédicaments différents, il semble que la puissance ne se dise pas
univoquement des deux. |
7 q. 1 a. 3
arg. 3 Contra, sicut dictum est, art. antec., potentia generandi est ipsa
divina essentia ; similiter etiam potentia creandi, cum Deus sit primum
agens, et omnis sua operatio sit per suam essentiam. Ergo videtur quod
utraque sit una potentia. |
3. Cependant, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, la
puissance d’engendrer est l’essence divine elle-mpeme ; et il en est de
même encore de la puissance de créer, puisque Dieu est l’agent premier, et
que toute son opération s’effectue par son essence. Il semble donc que les deux
puissances soient une seule et même puissance. |
7 q. 1 a. 3
arg. 4 Supposito quod potentia aliquo modo de eis dicatur secundum prius et
posterius, quaeritur quae istarum potentiarum sit prior, et videtur quod
potentia creandi. Commune enim est ante proprium, et essentiale ante
personale, secundum rationem intelligendi. Sed potentia creandi est communis
tribus personis ; potentia autem generandi videtur proprie pertinere ad
personam Patris. Ergo videtur quod potentia creandi sit prior. |
4. En supposant que la puissance se dise d’une certaine manière de
ces puissances selon l’avant et l’après, on se demande laquelle de ces
puissances est antérieure à l’autre, et il semble que ce soit la puissance de
créer. En effet, le commun est antérieur au propre, et l’essentiel l’est au
personnel, selon l’ordre d’intelligibilité. Mais la puissance de créer est
commune aux trois personnes, alors que la puissance d’engendrer semble
appartenir en propre à la personne du Père. Il semble donc que la puissance
de créer soit antérieure. |
7 q. 1 a. 3 arg. 5 Contra, secundum ordinem actuum
est ordo potentiarum. Sed generatio est prior creatione, sicut aeternum
temporali. Ergo et
potentia generandi est prior. |
5. Cependant, l’ordre des puissances est conforme à l’ordre des
actes. Mais la génération est antérieure à la création, comme l’éternel l’est
au temporel. Donc, la puissance d’engendrer est antérieure. |
7 q. 1 a. 3
co. Respondeo dicendum, quod potentia est medium, secundum rationem
intelligendi, inter essentiam et operationem naturae. Possunt ergo
considerari potentia creandi et potentia generandi secundum quod radicantur
in essentia divina : et sic est una numero potentia, nedum univoce dicta.
Possunt etiam considerari ex parte qua conjunguntur operationi, et secundum
hoc potentia dicitur de eis non univoce, sed secundum prius et posterius, et
potentia generandi erit prior secundum rationem intelligendi quam potentia
creandi, sicut generatio est prior creatione. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que la puissance est intermédiaire, selon l’ordre
d’intelligibilité, entre l’essence et l’opération de la nature. La puissance
de créer et celle d’engendrer peuvent donc être considérées selon qu’elles
s’enracinent dans l’essence divine : et ainsi ce ne sont plus qu’une seule puissance
par le nombre et à plus forte raison elles se disent de manière univoque.
Elles peuvent aussi être considérées du côté par lequel elles se rattachent à
l’opération et de ce point de vue elles ne se voient pas attribuer la
puissance de manière univoque, mais plutôt selon l’avant et l’après et alors la puissance d’engendrer est
antérieure à la puissance de créer selon l’ordre d’intelligibilité, tout
comme la génération est antérieure à la création. |
7 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum,
quod procedit de potentia comparata ad actum. |
Solutions: 1. Et au moyen de ce que nous avons dit la solution
à la première difficulté, laquelle procède de la puissance compare à l’acte,
est évidente |
7 q. 1 a. 3
ad 2 Et similiter ad secundum, quia potentia generandi non est ad aliquid
nisi ex parte illa qua conjungitur actui. |
2. Et il en est de même pour la deuxième difficulté, car la puissance
d’engendrer n’est relative que du coté par lequel elle se rattache à l’acte. |
7 q. 1 a. 3 ad 3 Et similiter ad tertium, quod procedit
e contrario de potentia secundum quod se tenet a parte essentiae. |
3. Et il en est de même pour la troisième qui procède au contraire de
la puissance selon qu’elle se prend du côté de l’essence. |
7 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum dicendum, quod commune in divinis est ante proprium, quando
commune per se accipitur secundum rationem intelligendi ; sed quando commune
accipitur cum respectu ad creaturas, ratione respectus adjuncti, est
posterius quam proprium alicujus personae, secundum rationem intelligendi. |
4. Il faut dire pour la quatrième difficulté qu’en Dieu le commun est
antérieur au propre quand le commun se prend en lui-même selon l’ordre
d’intelligibilité ; mais quand le commun se prend par rapport aux
créatures, en raison du rapport ajouté, il est postérieur à ce qui est propre
à une personne, selon la raison d’intelligibilité. |
7 q. 1 a. 3 ad 5 Quintum concedimus. |
5. Nous concédons la quatrième difficulté. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [L’état commun de cette puissance] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
7 q. 2 pr. Deinde quaeritur de communitate hujus
potentiae ; et circa hoc duo quaeruntur : 1 utrum potentia
generandi sit in Filio ; 2 utrum Filius possit generare |
Nous nous
interrogeons ensuite sur le caractère commun de cette puissance ; et à
ce sujet nous nous posons deux questions : 1. Est-ce que
la puissance d’engendrer est dans le Fils ? 2. Est-ce que
le Fils peut engendrer ? |
|
|
Articulus 1 : 7
q. 2 a. 1 tit. Utrum potentia generandi sit in filio. |
Article 1 – La puissance d’engendrer est-elle dans le Fils ? |
7 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Sicut
supra dictum est, in corp. art. 2, qu. praeced., potentia generandi includit
in se rationem paternitatis. Sed paternitas non est in Filio. Ergo nec
potentia generandi. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de cette question. Ainsi que
nous l’avons dit plus haut dans le corps de l’article 2 de la question
précédente, la puissance d’engendrer inclut en elle la notion de paternité.
Mais la paternité n’est pas dans le Fils. La puissance d’engendrer n’y est
donc pas non plus. |
7 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea, cum potentia dicat rationem principii, potentia generandi
dicit principium generationis. Sed Filio nullo modo competit esse principium
generationis : esset enim principium suiipsius. Ergo in Filio
nullo modo est potentia generandi. |
2. En outre, puisque la puissance a raison de principe, la puissance
d’engendrer a raison de principe de génération. Mais il n’appartient d’aucune
manière au Fils d’être principe de génération : Il serait en effet
principe de lui-même. La puissance d’engendrer n’est donc dans le Fils
d’aucune manière. |
7 q. 2 a. 1
arg. 3 Contra, sicut supra dictum est, in hac dist. qu. 1, art. 2, potentia
generandi est ipsa divina essentia. Sed essentia Patris tota est in Filio.
Ergo videtur quod etiam potentia generandi sit in filio. |
3. Cependant : Ainsi que nous l’avons dit précédemment dans cette distinction
(quest. 1, art. 2), la puissance d’engendrer est l’essence divine elle-même.
Mais l’essence du Père dans sa totalité est dans le Fils. Il semble donc que
même la puissance d’engendrer soit dans le Fils. |
7 q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea, nulla scientia vel voluntas est patris, quae non sit Filii.
Ergo nec etiam aliqua potentia, cum potentia illis duobus condividatur. Sed
potentia generandi est in Patre. Ergo et in Filio. |
4. De plus, il n’y a aucune science et aucune volonté du Père qui ne
soit pas aussi celle du Fils. Il n’y a donc aussi aucune puissance de Père
qui ne soit pas celle du Fils puisque la puissance se divise en ces deux
dernières constituantes. Mais la puissance d’engendrer est dans le Père. Elle
est donc aussi dans le Fils. |
7 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod potentia
generandi dicitur tripliciter, secundum quod generandi potest esse gerundium
verbi impersonalis, vel verbi personalis activi, vel verbi personalis
passivi. Si sit gerundium verbi impersonalis, tunc potentia
generandi est potentia qua ab aliquo generatur ; et ita est in Filio potentia
generandi, idest qua a Patre generatur. Si sit gerundium verbi personalis activi, tunc
potentia generandi dicitur potentia ut generet ; et sic non est in Filio. Si sit
gerundium verbi personalis passivi, tunc potentia generandi dicitur potentia
ut generetur ; et ita est in filio, quia eadem potentia quae in Patre est ut
generet, est in Filio ut generetur. Et ista distinctio fundatur super id quod
dictum est, in corp., art. 2, quaest. praeced., quod potentia generandi est
essentia divina, a qua, prout in Patre est paternitas, est generatio activa ;
et prout in Filio est filiatio, erit generatio passiva. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que la puissance d’engendrer se dit de
trois manières : selon qu’engendrer se prenne comme le gérondif d’un
verbe impersonnel, comme celui d’un verbe personnel actif, ou celui qu’un
verbe personnel passif. S’il est le gérondif d’un verbe impersonnel, alors la puissance
d’engendrement est la puissance par laquelle on est engendré par un
autre ; et ainsi il y a dans le Fils une puissance d’engendrement,
c’est-à-dire celle par laquelle il est engendré par le Père. S’il est le gérondif d’un verbe personnel actif, alors la puissance
d’engendrer signifie une puissance qui engendre et ainsi une telle puissance
n’est pas dans le Fils. S’il est le gérondif d’un verbe personnel passif, alors la puissance
d’engendrer signifie une puissance qui permet à l’être d’être engendré ;
et une telle puissance est dans le Fils, car la même puissance qui est dans
le Père pour qu’il engendre est dans le Fils pour qu’Il soit engendré. Et cette
distinction se fonde sur ce qui a été dit [quest. 1, art. 2, corps], à savoir
que la puissance d’engendrer est l’essence divine par laquelle, en tant
qu’elle est paternité dans le Père, est une génération active ; mais en
tant qu’elle est filiation dans le Fils, elle est une génération passive. |
7 q. 2 a. 1 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia generandi ex parte qua conjungitur
actui includit in se paternitatem ; et secundum hoc non convenit filio : sed
ex parte illa qua radicatur in essentia, non includit ; et ita convenit
Filio, secundum quod generandi est gerundium verbi impersonalis, ut sit
sensus : potentia generandi est in Filio, idest, essentia divina per quam a
Patre fit generatio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que la puissance d’engendrer,
prise du côté par lequel elle est rattachée à l’acte, inclut en elle la
paternité ; et de ce point de vue elle n’appartient pas au Fils. Mais
prise du côté par lequel elle s’enracine dans l’essence, elle n’inclut pas en
elle la paternité et en ce sens elle appartient au Fils, selon qu’engendrer
est le gérondif d’un verbe impersonnel, de sorte que le sens soit le
suivant : la puissance d’engendrer, à savoir l’essence divine par
laquelle il y a génération par le Père, est dans le Fils. |
7 q. 2 a. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod potentia generandi non est nisi in Patre,
secundum quod habet rationem principii in se inclusam per modum paternitatis.
Sed alio modo potest esse in Filio, sicut dictum est. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la puissance d’engendrer n’est
que dans le Père selon qu’elle a la raison de principe incluse en elle par
mode de paternité. Mais en un autre sens elle peut être dans le Fils ainsi
que nous l’avons dit. |
7 q. 2 a. 1 ad 3 Et ex his etiam quae dicta sunt
patet solutio ad tertium. |
3. La solution à la troisième difficulté devient elle aussi claire à
partir de ce que nous avons dit. |
7 q. 2 a. 1 ad
4 Ad quartum dicendum, quod voluntas et scientia non habent rationem
principii respectu generationis Filii, qui procedit per modum naturae, sed
tantum respectu creaturarum, quae producuntur a Deo sicut artificiata ; sed
potentia etiam habet rationem principii ad generationem divinam, et ideo
magis potest trahi ad personale, ut sit proprium alicujus personae, quam
scientia et voluntas. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la volonté et la science n’ont
pas raison de principe à l’égard de la génération du Fils, qui procède par
mode de nature, mais seulement à l’égard des créatures qui sont produites par
Dieu à la manière d’artefacts ; mais la puissance aussi a raison de
principe par rapport à la génération divine, et c’est pourquoi elle peut,
plus que la science et la volonté, être attribuée à ce qui est personnel de
manière à être propre à une personne. |
|
|
Articulus 2 : 7
q. 2 a. 2 tit. Utrum Filius possit generare alium Filium |
Article 2 – Le Fils peut-il engendrer un autre fils ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1
|
7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur.
Videtur quod Filius possit generare Filium alium. Secundum enim potentiam non
impeditam est aliquid potens operari. Sed in Filio est aliquo modo potentia
generandi, ut dictum est, art. anteced. Cum igitur potentia Dei non possit impediri, videtur quod Filius
possit generare alium Filium. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils puisse engendrer un autre Fils. En effet,
c’est d’après une puissance qui n’est pas empêchée qu’une chose peut produire
son opération. Mais dans le Fils il y a en un sens une puissance d’engendre
ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Donc, puisque la
puissance de Dieu ne peut être empêchée, il semble que le Fils puisse
engendrer un autre Fils. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 arg. 2 Praeterea, Filius est imago Patris perfecte repraesentans ipsum,
secundum perfectam similitudinem. Sed Pater potest generare. Ergo videtur
quod etiam Filius ; alias non perfecte assimilatur sibi. |
2. En outre, le Fils est une image du Père qui Le représente
parfaitement d’après une similitude parfaite. Mais le Père peut engendrer. Il
semble donc que le Fils le puisse aussi, autrement il ne lui ressemblerait
pas parfaitement. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 arg. 3 Praeterea, quaecumque operatio est alicujus naturae communis, si est
in uno suorum suppositorum, est et in alio : sicut intelligere et
ratiocinari est operatio naturae humanae in Socrate et Platone. Sed
generatio est operatio divinae naturae in Patre. Ergo et in Filio. Videtur ergo quod Filius possit generare
Filium. |
3. De plus, toute opération appartient à une nature commune, et si
elle est dans l’un de ses suppôts, elle est aussi dans l’autre : par
exemple comprendre et raisonner sont des opérations de la nature humaine qui
se retrouvent à la fois dans Socrate et Platon. Mais la génération est une
opération de la nature divine dans le Père. Elle est donc aussi dans le fils.
Il semble donc que le Fils puisse engendrer un autre Fils. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 arg. 4 Item, posse generare est aliquid dignitatis patris ; alias non esset
proprietas personalis. Sed nulla dignitas est in Patre quae non sit in Filio,
cum sint omnino aequales in dignitate. Ergo Filius potest generare. |
4. Par ailleurs, le pouvoir d’engendrer est quelque chose qui
appartient à la dignité du Père, autrement il ne serait pas une propriété
personnelle. Mais toute dignité qui est dans le Père est aussi dans le Fils,
puisqu’ils sont absolument égaux en dignité. Donc, le Fils peut engendrer. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 s. c. 1 Contra, secundum Anselmum [Augustinum Éd. De Parme], minimum inconveniens Deo est impossibile. Sed si
Filius generaret Filium, sequeretur in Deo inconveniens, quia ille Filius
generaret alium, et sic in infinitum. Ergo videtur quod Filius non possit
generare. |
Cependant : 1. Selon Anselme [Augustin Éd. de Parme], la plus petite
incohérence est impossible à Dieu. Mais si le Fils engendrait un Fils, il
s’ensuivrait en Dieu une incohérence car ce Fils engendrait un autre Fils et
il en serait ainsi à l’infini. Il semble donc que le Fils ne puisse
engendrer. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 s. c. 2 Praeterea, si ille Filius generaret alium [si …alium om. Éd. De Parme] non esset ibi summa
unio et indistantia aequalis, quia Filius Deus propinquius se haberet ad
Filium quam ad Patrem, et hoc non videtur in divinis competere. |
2. En outre, si ce Fils engendrait un autre Fils [si…un autre om.
Éd. de Parme], il n’y aurait pas là la plus grande union et la plus
parfaite intimité, car le Fils de Dieu serait plus près du Fils que du Père,
et cela ne semble pas que cela puisse convenir aux personnes divines. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 s. c. 3 Praeterea, qui non potest esse pater, non potest generare. Sed
Filius non potest esse pater, quia sequeretur confusio personarum. Ergo et
cetera. |
3. Par ailleurs, celui qui ne peut être le Père ne peut pas
engendrer. Mais le Fils ne peut être le Père, car il s’ensuivrait une
confusion des Personnes. Le Fils ne peut donc engendrer un autre Fils. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
|
7 q. 2 a. 2 qc.
2 arg. 1 Ulterius quaeritur, utrum Pater possit generare alium Filium : et
videtur quod sic. Quia per generationem in nullo diminuitur ejus potentia.
Ergo qua ratione potest generare unum, potest et generare plures. |
On se demande par la suite si le Père peut engendrer un autre
Fils : et il semble qu’il en soit ainsi pour cette raison que sa
puissance n’est diminuée en rien par la génération. Donc, pour la même raison
qu’Il peut engendrer un seul Fils, il peut en engendrer plusieurs. |
7 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod
quidam dixerunt quod Filius potest generare alium Filium, sed ista potentia
nunquam reducetur in actum propter inconveniens, quod Augustinus inducit in littera. Sed hoc nihil est : quia in perpetuis,
secundum philosophum in III Phys., text.
32 non differt esse et posse, et multo minus in divinis : unde quidquid non
est in Deo non potest esse ibi, alias Deus esset mutabilis. Unde dicendum
simpliciter, quod Filius non potest generare Filium. Et ratio hujus est, quia
ille Filius in nullo distingueretur ab alio. Cum enim personae divinae non
distinguantur secundum divisionem materiae, quia non sunt materiales, non
remanet ibi alia distinctio nisi per relationes originis. Impossibile est
autem quod una relatio originis, sicut filiatio, multiplicetur secundum
numerum, quia talis multiplicatio esset materialis. Unde in Deo non potest
esse nisi una filiatio, et una filiatione non constituitur nisi unus Filius ;
et ita in divinis non possunt esse plures Filii, nec plures Patres ; et hoc
pertinet ad perfectionem Filii, quia nihil de filiatione est extra ipsum in
divinis, unde est perfectus Filius. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que certains ont soutenu que le Fils peut
engendrer un autre Fils mais que cette puissance ne passe jamais à l’acte en
raison d’une incohérence qu’Augustin introduit dans une lettre. Mais il n’en
est rien : car pour ce qui est éternel, d’après le Philosophe [111 Physique,
texte 32], il n’y a aucune différence entre l’existence et le pouvoir, et
encore moins chez les personnes divines : par conséquent, ce qui ne se
retrouve pas en Dieu ne peut se retrouver là, autrement Dieu serait sujet au
changement. C’est pourquoi il faut dire, à parler absolument, que le Fils ne
peut engendrer un autre Fils. Et la raison en est que ce Fils ne se
distinguerait en rien de l’autre. En effet, puisque les personnes divines ne
se distinguent pas d’après une division de la matière, car ils ne sont pas
matériels, il ne se conserve pas là d’autre distinction que celle qui est
causée par les relations d’origine. Il est cependant impossible qu’une même
relation d’origine, par exemple la filiation, soit multipliée selon le
nombre, car une telle multiplication serait matérielle. C’est pourquoi en
Dieu il ne peut y avoir qu’une seule filiation, et par cette seule filiation
un seul Fils est constitué ; et ainsi dans les personnes divines il ne
peut y avoir plusieurs Fils et plusieurs Pères ; et cette unicité
appartient à la perfection du Fils, car il n’y a rien de la filiation qui
soit en dehors de Lui dans les personnes divines, d’où il suit qu’Il est le
Fils parfait. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in Filio non est potentia generandi ;
nisi secundum quod radicatur in essentia, et non ex parte qua conjungitur
actui generandi : et ideo non sequitur quod sit actus ibi. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu
qu’il n’y a dans le Fils une puissance d’engendrer que selon qu’elle
s’enracine dans l’essence et non selon qu’elle se rattache à l’acte
d’engendrer : et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il y ait là un
acte. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ubicumque est similitudo, oportet quod ibi
sit aliqua distinctio : quia, secundum Boetium, lib. III in Porphyr. ‘De l’espèce’, col. 99 in
similitudo est rerum differentium eadem qualitas, alias non esset similitudo,
sed identitas. Unde inter Filium et Patrem salvatur perfecta similitudo. Sed
remanente distinctione, in omnibus attributis conveniunt. Si autem Filius
generaret non remaneret distinctio inter Patrem et Filium, cum non sit ibi
distinctio, nisi per relationes originis ; et non possit ibi esse nisi una
paternitas tantum, ut dictum est, in corp. art. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que partout où il y a ressemblance,
il faut qu’il y ait là une distinction : car, selon Boèce [111 Porphyre,
De l’Espèce, col. 99], dans la ressemblance il y a une qualité
semblable pour des choses différentes, autrement il n’y aurait pas similitude
mais identité. C’est pourquoi une parfaite ressemblance est conservée entre
le Père et le Fils. Mais, la distinction étant conservée, ils se ressemblent
dans tous les attributs. Mais si le Fils engendrait, la distinction entre le
Père et le Fils ne serait plus conservée puisqu’il n’y a là distinction que
par les relations d’origine : et il ne peut y avoir là qu’une seule
paternité, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod generare non est actus divinae naturae, nisi
secundum quod natura divina est ipsa paternitas ; et sub tali ratione natura
divina non est in Filio. |
3. En troisième lieu il faut dire qu’engendrer n’est l’acte de la
nature divine que selon que la nature divine est la paternité
elle-même ; et sous ce rapport la nature divine n’est pas dans le Fils. |
7 q. 2 a. 2 qc.
1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dignitas est de absolute dictis : et ideo
eadem est dignitas Patris et Filii numero, sicut eadem essentia. Unde sicut paternitas
in Patre est essentia, et eadem essentia est in Filio non paternitas, sed
filiatio ; ita eadem dignitas numero quae in Patre est paternitas, in Filio
est filiatio. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la dignité fait partie de ce
qui se dit absolument : et c’est pourquoi la dignité du Père et celle du
Fils sont identiques par le nombre, tout comme l’est leur essence. C’est
pourquoi, tout comme la paternité dans le Père est l’essence et que la même
essence qui est dans le Fils n’est pas la paternité mais la filiation, de
même la même dignité par le nombre qui dans le Père est paternité, dans le
Fils est filiation. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question 3
|
7 q. 2 a. 2 qc.
2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, patet solutio etiam per praedicta ; quia
impossibile est in divinis plures esse filios : hoc enim non est ex defectu
potentiae patris, sed ex distinctione suppositorum divinae naturae, quae
tolleretur, ut dictum est, in corp. art. |
Corps de
l’article : À l’égard de ce qu’on cherche à savoir par la suite, la solution est
évidente aussi au moyen de ce qui a été dit précédemment ; car il est
impossible qu’il y ait plusieurs fils dans les personnes divines : et
cela ne vient pas d’un défaut de puissance de la part du Père, mais de la
distinction des suppôts de la nature divine qui serait supprimée, ainsi que
nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
|
|
Dictinctio 8 |
Distinction 8 – [Les attributs divins : être, éternité, immutabilité, simplicité] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
Question 1 – [L’être de Dieu] Article 1 Parle-t-on au sens
propre de l'être en Dieu ? Article 2. Dieu est-il l'être
de toutes les créatures ? Article 3. Ce nom «qui est»
est-il le premier parmi les noms divins ? Question 2 – [L’éternité de
Dieu] Article 1. La définition de
l'éternité donnée par Boèce convient-elle ? Article 2. L'éternité
convient-elle à Dieu seulement ? Article 3. Est-ce que les
paroles temporelles peuvent se dire de Dieu ? Question 3 – [L’immutabilité de
Dieu] Article 1. Dieu est-il
changeant de quelque manière ? Article 2. Toute créature
est-elle changeante ? Article 3. Les modes de
changement des créatures ont-ils été assignés convenablement par Augustin. Question 4 – [La simplicité de
Dieu] Article 1. Dieu est-il tout à
fait simple ? Article 2. Dieu est-il dans la
catégorie de la substance ? Article 3. Est-ce que d'autres
catégories que la substance peuvent se dire de Dieu ? Question 5 – [La simplicité des
créatures] Article 1. Y a-t-il une
créature qui soit simple ? Article 2. L'âme est-elle
simple ? Article 3. L'âme est-elle toute
en tout et toute en chaque partie ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [L’être de Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Circa primam partem distinctionis, in qua
agitur de proprietate divini esse, duo quaeruntur: primo de
ipso esse divino. Secundo de
mensura ejus, scilicet aeternitate. In primo tria quaeruntur: 1 utrum esse Deo proprie conveniat ; 2 utrum suum esse sit esse cujuslibet
creaturae ; 3 de ordine
hujus nominis, qui est, ad alia
divina nomina. |
Au sujet de la première partie de la distinction, dans laquelle on
traite de la propriété de l’existence divine, on s’interroge sur deux
choses : Premièrement sur l’existence même de Dieu. Deuxièmement sur la mesure de cette existence, à savoir l’éternité. Et sur le premier point on se demande trois choses : 1. Est-ce que l’existence appartient proprement à Dieu ? 2. Est-ce que son existence est l’existence de toute créature ? 3. Quel est le rapport de ce nom, ¨celui qui est¨, aux autres noms
divins ? |
|
|
Articulus 1.
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 tit. Utrum esse proprie dicatur de Deo. |
Article 1 – Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ? |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod
esse non proprie dicatur de Deo. Illud enim est proprium alicui quod sibi
soli convenit. Sed esse non solum convenit Deo, immo etiam creaturis. Ergo
videtur quod esse non proprie Deo conveniat. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de cette première question. Il
semble que l’existence ne se dise pas proprement de Dieu. En effet, ce qui
est propre à un être n’appartient qu’à lui. Mais l’existence n’appartient pas
qu’à Dieu, mais bien aussi aux créatures. Il semble donc que l’existence
n’appartienne en propre à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 1 arg. 2 Praeterea, non possumus nominare Deum, nisi secundum quod ipsum
cognoscimus ; unde Damascenus lib. Fid.
Orth., cap. XIII : « Verbum est Angelus », idest nuntius
intellectus. Sed nos non possumus cognoscere Deum in statu viae immediate,
sed tantum ex creaturis. Ergo nec nominare. Cum igitur qui est non dicat aliquem
respectum ad creaturas, videtur quod non proprie nominet Deum. |
2. Par ailleurs, nous ne pouvons nommer Dieu que d’après ce que nous
connaissons de Lui ; c’est pour cette raison que dans son livre,
Damascène [De la Foi orthodoxe, ch. XIII] dit : ¨L’Ange est une
Parole¨, c’est-à-dire une intelligence qui annonce ou fait connaître. Mais
nous ne pouvons connaître Dieu de façon immédiate dans l’état de la vie
présente, mais seulement à partir des créatures. Nous ne pouvons donc pas non
plus le nommer. Donc, puisque ¨celui qui est¨ ne dit rien par rapport aux
créatures, il semble que ce nom ne se dise pas proprement de Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut
sapientia creata deficit a sapientia increata, ita et esse creatum ab esse
increato. Sed propter hoc nomen sapientiae dicitur deficere a perfecta
significatione divinae sapientiae, quia est impositum a nobis secundum
apprehensionem creatae sapientiae. Ergo videtur quod eadem ratione nec hoc nomen qui est, proprie
significet divinum [Deum Éd. de Parme]
esse: et ita non oportet dici magis proprium nomen ejus quam alia nomina. |
3. De plus, tout comme la sagesse créée est fort éloignée de la
sagesse incréée, de même l’existence créée est fort éloignée de l’existence
incréée. Mais c’est pour cette raison qu’on dit que le nom de sagesse est
loin de signifier parfaitement la sagesse divine car il est imposé par nous
d’après une compréhension de la sagesse créée. Il semble donc pour la même
raison que ce nom, à savoir ¨celui qui est¨, ne signifie pas proprement
l’existence divine [Dieu, Éd. de Parme]. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 1 arg. 4 Item, Damascenus lib. I, Fid.
Orth., cap. 9, dicit, quod « qui
est » non significat quid est Deus, sed quoddam pelagus substantiae
infinitum. Sed infinitum non est comprehensibile, et per consequens non
nominabile sed ignotum. Ergo videtur quod qui est non sit divinum nomen. |
4. En outre,
Damascène [Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. 9] dit que ¨celui qui
est¨ ne signifie pas ce qu’est Dieu mais comme une mer de substance infinie.
Mais l’infini n’est pas intelligible et il ne peut par conséquent être nommé
mais seulement rester inconnu. Il semble donc que ¨celui qui est¨ ne soit pas
un nom divin. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Exod. III, 14, Dixit Dominus [Deus Éd. de Parme] ad Moysen: si
quaesierint nomen meum, sic dices filiis Israel: Qui est, misit me ad vos.
Hoc idem videtur per Damascenum ubi supra, cap. IX, dicentem quod qui est, maxime est proprium nomen
Dei: et per Rabbi Moysen, qui dicit, hoc nomen esse nomen Dei ineffabile,
quod dignissimum habebatur. |
Cependant : 1. On lit dans l’Exode (111, 14) que le Seigneur dit à
Moïse : S’ils te demandent mon nom, tu parleras ainsi aux fils
d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous. Cette parole semble
être identique à ce que dit Damascène plus haut au chapitre 1X où il dit que
¨celui qui est¨ est le nom qui se dit le plus proprement de Dieu, et
identique aussi à ce que dit le rabbi Moïse qui dit que ce nom est le nom
ineffable de Dieu et le plus digne qu’on possédait. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod qui
est, est maxime proprium nomen Dei inter alia nomina. Et ratio hujus
potest esse quadruplex: prima sumitur ex littera ex verbis Hieronymi secundum
perfectionem divini esse. Illud enim est perfectum cujus nihil est extra
ipsum. Esse autem nostrum habet aliquid sui extra se: deest enim aliquid quod
jam de ipso praeteriit, et quod futurum est. Sed in divino esse nihil
praeteriit nec futurum est: et ideo totum esse suum habet perfectum, et
propter hoc sibi proprie respectu aliorum convenit esse. |
Corps de l’article : Je
réponds qu’il faut dire que ¨celui qui est¨ est le nom qui, parmi tous les
autres noms, s’attribue le plus proprement à Dieu. Et on peut le montrer au
moyen de quatre raisons. La première se tire du texte à partir des paroles de
Jérôme sur la perfection de l’existence divine. Est parfait en effet ce dont
rien n’est en dehors de lui. Mais notre existence a quelque chose qui est en
dehors d’elle : elle manque en effet de quelque chose qui lui échappe
encore à présent et qui est dans l’avenir. Mais rien ne manque à l’existence
divine et qui est dans l’avenir : et c’est pourquoi il possède toute son
existence dans sa perfection, et c’est pour cette raison que l’existence,
parmi tous les autres noms, est le nom qui lui convient en propre. |
Secunda ratio sumitur ex verbis Damasceni lib. I Fid.
Orth., cap. IX), qui dicit, quod qui
est significat esse indeterminate, et non quid est: et quia in statu viae
hoc tantum de ipso cognoscimus, quia est, et non quid est, nisi per
negationem, et non possumus nominare nisi secundum quod cognoscimus, ideo
propriissime nominatur a nobis « qui est ». |
La deuxième raison se tire des paroles de Damascène [1, De la Foi
Orthodoxe, ch. 1X], qui dit que ¨celui qui est¨ signifie l’existence d’une
manière indéterminée et non pas ce qu’est la chose : et parce que dans
l’état de la vie présente nous connaissons de Lui seulement qu’Il est et non
ce qu’Il est, sauf par la négation, et que nous ne pouvons le nommer que
d’après ce que nous en connaissons, c’est pourquoi nous le nommons de la
manière la plus propre qui soit par ce nom : ¨celui qui est¨. |
Tertia ratio
sumitur ex verbis Dionysii, qui dicit, quod esse inter omnes alias divinae
bonitatis participationes, sicut vivere et intelligere et hujusmodi, primum
est, et quasi principium aliorum, praehabens in se omnia praedicta, secundum
quemdam modum unita ; et ita etiam Deus est principium divinum, et omnia sunt
unum in ipso. |
La troisième raison se tire des paroles de Denys qui dit que
l’existence, parmi toutes les autres participations de la bonté divine, comme
vivre, comprendre etc., est la première et comme le principe de toutes les
autres, possédant à l’avance en elle, unies d’après une certaine modalité,
toutes les autres dont nous avons parlé ; et c’est pourquoi encore Dieu
est le principe divin et que toutes les choses existent en Lui dans l’unité. |
Quarta ratio
potest sumi ex verbis Avicennae, Metaph.,
tract. VIII, cap. 1, in hunc modum, quod, cum in omni quod est sit
considerare quidditatem suam, per quam subsistit in natura determinata, et
esse suum, per quod dicitur de eo quod est in actu, hoc nomen res imponitur
rei a quidditate sua, secundum Avicennam tract. II Metaph, cap. 1, hoc nomen qui est vel ens imponitur ab ipso actu
essendi. Cum autem ita sit quod in qualibet re creata essentia sua differat a
suo esse, res illa proprie denominatur a quidditate sua, et non ab actu
essendi, sicut homo ab humanitate. In Deo autem ipsum esse suum est sua
quidditas: et ideo nomen quod sumitur ab esse, proprie nominat ipsum, et est
proprium nomen ejus: sicut proprium nomen hominis quod sumitur a quidditate
sua. |
La quatrième raison peut se tirer des paroles d’Avicenne [Métaphysique,
traité VIII, ch. 1] de la manière qui
suit, à savoir que puisque dans tout ce qui existe il faut considérer la
quiddité, par laquelle la chose existe dans une nature déterminée, puis
l’existence par laquelle on dit d’elle qu’elle existe en acte, selon Avicenne
[Métaphysique, traité 11, ch. 1] le nom ¨chose¨ est imposé à la chose en
partant de sa quiddité, alors que ce nom ¨qui est¨ ou ¨étant¨ lui est imposé
à partir de l’acte même d’exister. Mais puisque toute chose créée est telle
que son essence diffère de son existence, cette chose est proprement dénommée
à partir de sa quiddité, comme l’homme qui est dénommé à partir de son
humanité, et non à partir de son acte d’exister. Mais en Dieu son existence
même est sa quiddité : et c’est pourquoi le nom qui est tiré de
l’existence Le nomme proprement et est son nom propre, tout comme le nom
propre de l’homme est celui qui se tire de sa quiddité. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur aliquid proprie
convenire alicui, hoc potest intelligi dupliciter: aut quod per proprietatem
excludatur omne extraneum a natura subjecti, ut cum dicitur proprium hominis
esse risibile, quia nulli extraneo a natura hominis convenit ; et sic esse
non dicitur proprium Deo, quia convenit etiam creaturis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit que quelque
chose appartient en propre à un être, cela peut s’entendre de deux
manières : soit par ¨propre¨ on exclut tout ce qui est extérieur à la
nature du sujet, comme lorsqu’on dit que la capacité de rire est le propre de
l’homme, car cette capacité ne se retrouve nulle part à l’extérieur de la
nature humaine ; et en ce sens l’existence ne s’attribue pas proprement
à Dieu car elle appartient aussi aux créatures. |
Aut secundum
quod excluditur omne extraneum a natura praedicati, ut cum dicitur, hoc
proprie esse aurum, quia non habet admixtionem alterius metalli, et hoc modo
esse dicitur proprium Deo, quia non habet admixtionem divinum esse alicujus
privationis vel potentialitatis, sicut esse creaturae. Et ideo pro eodem in
littera sumitur proprietas et veritas: verum enim aurum dicimus esse quod est
extraneo impermixtum. |
Soit par propre on exclut tout ce qui est extérieur à la nature du
prédicat, comme lorsqu’on dit que cela est proprement de l’or car aucun autre
métal ne s’y trouve mélangé et c’est en ce sens que l’existence se dit
proprement de Dieu, car l’existence divine ne se trouve mélangée à aucune
privation et à aucune potentialité, comme c’est le cas pour les créatures. Et
c’est pourquoi dans le document ¨propriété¨ et ¨vérité¨ sont pris comme des
termes identiques : nous disons en effet qu’est vrai l’or qui n’est
mélangé à aucun métal étranger. |
lib. 1
d. 8 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex creaturis contingit Deum
nominari tripliciter. Uno
modo quando nomen ipsum actualiter connotat effectum in creatura propter
relationem ad creaturam importatam in nomine, sicut creator et dominus. Alio
modo quando ipsum nomen nominat secundum suam rationem principium alicujus
actus divini in creaturis, sicut sapientia, potentia et voluntas. Alio modo quando ipsum nomen dicit aliquid
repraesentatum in creaturis, sicut vivens: omnis enim vita exemplata est a
vita divina. Et similiter
hoc nomen qui est nominat Deum per
esse inventum in creaturis, quod exemplariter deductum est ab ipso. |
2. Il faut dire en troisième que c’est de trois manières qu’il arrive
de nommer Dieu à partir des créatures. Premièrement quand le nom lui-même fait actuellement connaître un
effet dans la créature en raison d’une relation à la créature qui est
introduite dans le nom, comme c’est le cas pour créateur et seigneur. Deuxièmement lorsque le nom lui-même se trouve à nommer d’après sa
signification le principe d’un acte divin dans les créatures, comme la
sagesse, la puissance et la volonté. Enfin, quand le nom lui-même signifie quelque chose qui est
représenté dans les créatures, comme le terme ¨vivant¨ : en effet, toute
vie qui est copiée dans les créatures provient de la vie divine. Et il en est
de même pour ce nom, à savoir ¨celui qui est¨ : ce nom en effet dénomme
Dieu au moyen de l’existence découverte dans les créatures, existence qui est
tirée de Lui à la manière dont une copie est tirée d’un modèle. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum esse creaturae imperfecte
repraesentet divinum esse, et hoc nomen qui
est imperfecte significat ipsum, quia significat per modum cujusdam
concretionis et compositionis ; sed adhuc imperfectius significatur per alia
nomina: cum enim dico, Deum esse sapientem, tunc, cum in hoc dicto includatur
esse, significatur ibi duplex imperfectio: una est ex parte ipsius esse
concreti, sicut in hoc nomine qui est
; et superadditur alia ex propria ratione sapientiae. Ipsa enim sapientia
creata deficit a ratione divinae sapientiae: et propter hoc major imperfectio
est in aliis nominibus quam in hoc nomine qui
est ; et ideo hoc est dignius et magis Deo proprium. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que puisque l’existence de la créature représente
imparfaitement l’existence divine et que le nom ¨celui qui est¨ Le signifie
imparfaitement car il signifie par mode de concrétion et de
composition ; mais les autres noms Le signifient encore plus
imparfaitement : en effet, lorsque je dis que Dieu est sage, alors,
puisque dans ce qui est dit est inclut ¨être¨, il y a là deux imperfections
qui sont signifiées : une qui se tient du côté de l’existence concrète,
comme pour ce nom, à savoir ¨celui qui est¨ ; et il s’en ajoute une
autre du côté de la signification propre de la sagesse. En effet, la sagesse
créée elle-même est fort éloignée de la signification de la sagesse
divine : et c’est pour cette raison qu’il y a une plus grande
imperfection dans les autres noms que dans le nom ¨celui qui est¨ ; et
c’est pourquoi ce nom est le plus digne et celui qui appartient le plus
proprement à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod alia omnia nomina dicunt aliam rationem
determinatam [esse determinatum et particulatum Éd. de Parme] ; sicut sapiens dicit aliquid esse ; sed hoc nomen qui est dicit esse absolutum et
indeterminatum per aliquid additum ; et ideo dicit Damascenus quod non
significat quid est Deus, sed significat quoddam pelagus substantiae
infinitum, quasi non determinatum. Unde quando in Deum procedimus per viam
remotionis, primo negamus ab eo corporalia ; et secundo etiam intellectualia,
secundum quod inveniuntur in creaturis, ut bonitas et sapientia ; et tunc
remanet tantum in intellectu nostro, quia est, et nihil amplius: unde est
sicut in quadam confusione. Ad ultimum autem etiam hoc ipsum esse, secundum
quod est in creaturis, ab ipso removemus ; et tunc remanet in quadam tenebra
ignorantiae, secundum quam ignorantiam, quantum ad statum viae pertinet,
optime Deo conjungimur, ut dicit Dionysius, et haec est quaedam caligo, in
qua Deus habitare dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que les autres noms expriment une
autre signification déterminée [une existence déterminée et particulière Éd.
de Parme] ; par exemple, le terme sage dit quelque chose qui
existe ; mais le nom ¨celui qui est¨ dit une existence absolue et qui
n’est pas déterminée par quelque chose d’ajouté ; et c’est pourquoi
Damascène dit que ce terme ne signifie pas ce qu’est Dieu, mais qu’il
signifie comme une mer de substance infinie et comme indéterminée. De là,
lorsque nous nous avançons vers Dieu par voie de négation, nous nions d’abord
de Lui les êtres corporels ; deuxièmement nous nions aussi de Lui les
réalités intellectuelles selon qu’elles se retrouvent dans les créatures,
comme la bonté et la sagesse ; et alors il ne demeure plus dans notre
intelligence que l’existence et rien de plus : de là, il y a en elle
comme un manque de distinction. Mais à la fin aussi, cette existence même,
selon qu’elle se retrouve dans les créatures, nous la nions de Lui ; et
alors elle demeure dans l’obscurité de l’ignorance, et c’est selon cette
ignorance que nous nous unissons le mieux à Dieu dans l’état de cette vie
ainsi que le dit Denys, état qui se compare comme à des ténèbres dans
lesquelles Dieu habite. |
|
|
Articulus 2 I Sent. D. 8, q. 1, a. 2 lib.
1 d. 8 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus sit esse omnium rerum. |
Article 2 – Dieu est-il l'être de toutes les choses ? |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
Deus sit esse omnium rerum per id quod dicit Dionysius 4 capit. Caelest. Hierar.: Esse omnium est superesse divinitatis. Hoc etiam idem dicit 5
capit. de divinis nominibus: ipse Deus
est esse existentibus. |
Difficultés : 1. À l’égard de cette question il semble que Dieu soit l’être de
toutes les choses au moyen de ce que dit Denys [La Hiérarchie Céleste,
ch. 4] : L’existence de toutes les choses est la supra-existence de
Dieu. Et il le dit encore [Les Noms Divins, ch. 5] ici : C’est
Dieu lui-même qui est l’existence même de ceux qui existent. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea,
nulla creatura est per se sed per aliud. Esse autem non est per aliud, quia
si esset per aliud esse, iterum eadem quaestio esset de illo, et sic in
infinitum procederet, et ita videtur quod esse non sit quid causatum, et ita
est Deus. |
2. En outre, aucune créature n’existe par elle-même, mais plutôt par
un autre. Mais l’existence ne vient pas d’un autre car si l’existence venait
d’une autre existence, il faudrait encore se poser la même question au sujet
de cette dernière existence et ainsi on procéderait à l’infini ; et
ainsi il semble que l’existence ne soit pas quelque chose qui est causé et il
en est ainsi de Dieu. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ea quae sunt et nullo modo differunt, sunt idem. Sed
Deus et esse rei sunt et nullo modo differunt. Ergo sunt idem. Probatio
mediae. Quod sint manifestum est ; quod autem non differant, videtur.
Quaecumque enim differunt, aliqua differentia differunt. Sed quaecumque
differunt aliqua differentia, in se habent aliquam differentiam, et ita sunt
composita ; sicut homo habet in se rationale. Cum igitur esse sit simplex, et
similiter Deus, videtur quod non differant. |
3. De plus, les choses qui existent et ne diffèrent en rien sont
identiques. Mais Dieu et l’existence de la chose existent et ne diffèrent en
rien. Ils sont donc identiques. Preuve de la mineure. Il est manifeste
qu’elles existent ; mais qu’elles ne diffèrent pas, il semble qu’il en
soit ainsi. En effet, toutes les choses qui diffèrent par quelque différence
possèdent en elles une différence et les réalités composées sont ainsi, tout
comme l’homme qui a en lui cette différence d’être rationnel. Donc comme
l’existence est simple et qu’il en est de même pour Dieu, il semble qu’ils ne
diffèrent pas. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 2 s. c. 1 Contra, nihil est magis in re quod sit unitum sibi quam esse
suum. Sed Deus non unitur rebus, quod patet etiam per philosophum Lib. De
causis, (prop. 20): « Causa prima
regit omnes res, praeterquam commisceatur cum eis ». Ergo Deus non
est omnium esse. |
Cependant : 1.
Il n’y a rien dans la chose qui ne lui soit plus uni que son existence même.
Mais Dieu n’est pas uni aux choses, ce qui est clair encore au moyen de ce
qui est dit par le Philosophe [Le Livre des Causes, prop. 20] : la
cause première gouverne toutes les choses, excepté qu’elle ne se mélange pas
avec elles. Donc, Dieu n’est pas l’existence de toutes les choses. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, nihil habet esse, nisi inquantum participat divinum
esse, quia ipsum est primum ens, quare causa est omnis entis. Sed omne quod
est participatum in aliquo, est in eo per modum participantis: quia nihil
potest recipere ultra mensuram suam. Cum igitur modus cujuslibet rei creatae
sit finitus, quaelibet res creata recipit esse finitum et inferius divino
esse quod est perfectissimum. Ergo constat quod esse creaturae, quo est
formaliter, non est divinum esse. |
2. En outre, aucun être ne possède une existence, si ce n’est dans la
mesure il participe de l’existence divine, car Dieu lui-même est le premier à
exister, et c’est pourquoi il est la cause de tout être. Mais tout ce qui est
participé dans un être est en lui selon le mode de celui-là même qui en
participe : car aucun être ne peut recevoir une participation au-dela de
la mesure qui lui est propre. Donc puisque le mode de toute chose créée est fini,
toute chose créée reçoit une existence finie et inférieure à l’existence
divine, laquelle est la plus parfaite qui soit. Il est donc clair que
l’existence de la créature, par laquelle elle existe formellement, n’est pas
l’existence divine. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 2 co. Respondeo, sicut dicit Bernardus, Sermo,4 super Cant.,
Deus est esse omnium non essentiale, sed causale. Quod sic patet. Invenimus
enim tres modos causae agentis. Scilicet causam aequivoce agentem, et hoc est
quando effectus non convenit cum causa nec nomine nec ratione: sicut sol
facit calorem qui non est calidus. |
Corps de l’article : Je réponds, comme le dit Bernard [Sermon 4 sur le Cantique], que Dieu
est l’existence de toutes les choses, non pas comme faisant partie de leur
essence, mais à la manière d’une cause. Ce qui est clair de la manière qui
suit. Nous retrouvons en effet trois modalités d’opération pour la cause
efficiente : à savoir la cause qui est efficiente de manière équivoque,
et cela a lieu lorsque l’effet ne s’accorde avec sa cause ni par le nom ni
par la définition, tout comme le soleil qui rend chaud, lui qui n’est pas
chaud. |
Item causam
univoce agentem, quando effectus convenit in nomine et ratione cum causa,
sicut homo generat hominem et calor facit calorem. Neutro istorum modorum
Deus agit. Non univoce quia nihil univoce convenit cum ipso. Non aequivoce,
cum effectus et causa aliquo modo conveniant in nomine et ratione licet
[licet om. Éd. de Parme] secundum
prius et posterius ; sicut Deus sua sapientia facit nos sapientes, ita tamen
quod sapientia nostra semper deficit a ratione sapientiae suae, sicut
accidens a ratione entis, secundum quod est in substantia. |
Il y a encore la cause qui est efficiente de manière univoque quand
l’effet s’accorde avec sa cause à la fois par le nom et par la définition,
comme l’homme qui engendre un homme et la chaleur qui produit la chaleur.
Mais Dieu n’agit selon aucun de ces modes. Il n’agit pas de manière univoque
car rien ne lui correspond de manière univoque. Et il n’agit pas de manière
équivoque, puisque la cause et l’effet correspondent d’une certaine manière
par le nom et par la définition, bien [bien om. Éd. de Parme] que ce
soit selon l’avant et l’après ; par exemple Dieu par sa sagesse nous
fait sages de telle manière cependant que notre sagesse est toujours en
défaut à l’égard de la définition de sa sagesse à Lui, tout comme l’accident
est en défaut à l’égard de la définition de ce qui possède l’existence, selon
qu’il existe dans une substance. |
Unde est
tertius modus causae agentis analogice. Unde patet quod divinum esse producit
esse creaturae in similitudine sui imperfecta: et ideo esse divinum dicitur
esse omnium rerum, a quo omne esse creatum effective et exemplariter manat. |
Il y a enfin la cause efficiente qui agit de manière analogue. De là
il est clair que l’existence divine produit l’existence des créatures selon
une ressemblance imparfaite de sa propre existence : et c’est pourquoi
on dit de l’existence de Dieu, de laquelle toute existence des créatures
provient comme d’une cause efficiente et d’un modèle, qu’elle est l’existence
de toutes les choses. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad dictum Dionysii, quod ita
intelligendum est, ut patet ex hoc quod dicit superesse: si enim Deus esset essentialiter esse creaturae, non
esset superesse creatum. |
Solutions : 1. Et au moyen de ce que nous avons dit la solution aux paroles de
Denys devient évidente, à savoir qu’elles doivent s’entendre de la manière
suivante ainsi qu’on le voit à partir de cette expression : supra-existence ; si en effet
Dieu était essentiellement l’existence des créatures, il ne transcenderait
pas l’existence créée. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse creatum non est per aliquid
aliud, si ly per dicat causam formalem intrinsecam ; immo ipso formaliter est
creatura ; si autem dicat causam formalem extra rem, vel causam effectivam,
sic est per divinum esse et non per se. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que l’existence créée n’existe pas par
quelque chose d’autre si par ce ¨par¨ on signifie une cause formelle
intrinsèque ; bien au contraire cette existence est formellement par
elle-même la créature ; mais si elle signifie une cause formelle
extérieure à la chose ou une cause efficiente, en ce sens l’existence créée
existe par l’existence divine et non par elle-même. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod prima non sunt diversa nisi per seipsa:
sed ea quae sunt ex primis, differunt per diversitatem primorum ; sicut homo
et asinus differunt istis differentiis diversis, rationale et irrationale,
quae non diversificantur aliis differentiis, sed seipsis: ita etiam Deus et
esse creatum non differunt aliquibus differentiis utrique superadditis, sed
seipsis: unde nec proprie dicuntur differre, sed diversa esse: diversum enim
est absolutum, sed differens est relatum, secundum philosophum 10 Metaph. Text. 13. Omne enim differens,
aliquo differt ; sed non omne diversum, aliquo diversum est. |
3.
Il faut dire en troisième lieu que les différences qui sont premières ne
diffèrent entre elles que par elles-mêmes ; mais les choses qui
proviennent de celles qui sont premières diffèrent entre elles par les
différences des premières ; par exemple, l’homme et l’âne diffèrent par
ces différences, à savoir rationnel et irrationnel, lesquelles ne se
distinguent plus par d’autres différences, mais par elles-mêmes : de
même encore Dieu et l’existence des créatures ne diffèrent pas par des
différences qui s’ajoutent à l’un et à l’autre, mais ils diffèrent par
eux-mêmes : c’est pourquoi on ne dit pas à proprement parle qu’ils
diffèrent, mais qu’ils sont autres ou divers ; en effet, le divers se
prend absolument alors que le
différent se prend relativement, selon le Philosophe [10 Métaphysique,
texte 13]. En effet, tout ce qui est différent diffère par quelque chose,
mais ce n’est pas tout ce qui est autre ou divers qui est divers par quelque
chose d’autre. |
|
|
Articulus 3lib.
1 d. 8 q. 1 a. 3 tit. Utrum hoc nomen qui est sit primum inter nomina divina. |
Article 3 – Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les noms divins ? |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur enim
quod hoc nomen qui est non sit primum inter divina nomina. De prioribus enim
prius est agendum. Sed Dionysius prius agit de bono in Lib. De divinis nominibus,
quam de existente. Ergo videtur bonum prius esse ente. |
Difficultés : 1.
Il semble que ce nom, ¨celui qui est¨, ne soit pas le premier parmi tous les
noms divins. En effet, il faut traiter en premier lieu de ce qui est premier.
Mais Denys traite du bien avant de traiter de l’existence dans le livre
intitulé Les Noms Divins. Il semble donc que le bien soit antérieur à
l’être. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod est communius videtur esse prius. Sed
bonum est communius quam ens: quia divinum esse extendit se tantum ad entia
quae esse participant ; bonum autem extendit se ad non entia, quae etiam in
esse vocat: dicitur enim bonum a boare, quod est vocare, ut Commentator dicit
Super Lib. de ‘Divin. Nominib. c.
IV. Ergo bonum est prius quam ens. |
2. En outre, ce qui est plus commun semble être antérieur. Mais le
bien est plus commun que l’être : car l’existence divine s’étend
seulement aux êtres qui participent de l’existence ; mais le bien s’étend
aussi à ce qui n’existe pas encore et qu’il appelle aussi à exister : le
bien en effet tire son origine du terme ¨boare¨ qui signifie ¨appeler¨, ainsi que le
Commentateur le dit [Sur le Libre des Noms Divins, ch. IV]. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quaecumque sunt aequalis simplicitatis, unum non est
prius altero. Sed ens, verum, bonum, et unum sunt aequalis simplicitatis:
quod patet ex hoc quod ad invicem convertuntur. Ergo unum non est altero
prius. |
3. De plus, parmi tout ce qui est d’une égale simplicité, on ne peut
rien trouver qui serait antérieur au reste. Mais l’être, le vrai, le bien et
l’un sont d’une égale simplicité : ce qui est clair du fait qu’ils se
convertissent entre eux. Aucun de ces termes n’est donc antérieur à l’autre. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, secundum Dionysium,
De divin. Nom.,
cap.1, § 4, divina
attributa non innotescunt nobis nisi ex eorum participationibus, quibus a
creaturis participantur. Sed inter omnes alias participationes esse prius
est, ut dicitur 5 cap. De div. nom.
his verbis: ante alias ipsius, scilicet
Dei, participationes, esse positum est.
Cui etiam dictum philosophi consonat Lib. De
causis, prop. 4, prima rerum
creatarum est esse. Ergo videtur quod, secundum rationem intelligendi, in
Deo esse sit ante alia attributa, et qui
est inter alia nomina. |
Cependant : 1. D’après Denys [Les Noms Divins, ch. 1, &4], les
attributs divins ne nous deviennent connus qu’à partir de leurs
participations dont les créatures participent. Mais parmi toutes les
participations, l’existence est première, ainsi que Denys le dit [Les Noms
Divins, ch. 5] par ces paroles : avant ses (à savoir celles
de Dieu) autres participations, Il attribua l’existence. Et l’opinion
du Philosophe s’accorde aussi avec cet énoncé [Le Livre des Causes,
prop. 4] : la première des choses créées est l’existence. Il semble donc
que, d’après la raison d’intelligibilité, l’existence en Dieu est le premier
de tous les attributs et ¨celui qui est¨ est le premier de tous les noms
divins. |
Praeterea, illud quod est ultimum in resolutione, est primum in esse.
Sed ens, ultimum est in resolutione intellectus : quia remotis omnibus
aliis, ultimo remanet ens. Ergo est primum naturaliter. |
2. En outre, ce qui est dernier dans la résolution est premier dans
l’existence. Mais l’être est dernier dans la résolution de l’intelligence car
si on écarte tout le reste, en dernier il ne reste plus que l’être. L’être
est donc premier par nature. |
lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod ista nomina, ens et bonum, unum et verum, simpliciter secundum
rationem intelligendi praecedunt alia divina nomina: quod patet ex eorum
communitate. Si autem comparemus ea ad invicem, hoc potest esse dupliciter: vel secundum suppositum ; et sic
convertuntur ad invicem, et sunt idem in supposito, nec unquam derelinquunt
se ; vel secundum intentiones eorum ; et sic
simpliciter et absolute ens est prius aliis. Cujus ratio
est, quia ens includitur in intellectu eorum, et non e converso. Primum enim
quod cadit in imaginatione intellectus, est ens, sine quo nihil potest
apprehendi ab intellectu ; sicut primum quod cadit in credulitate
intellectus, sunt dignitates, et praecipue ista, contradictoria non esse
simul vera: unde omnia alia includuntur quodammodo in ente unite et distincte
[indistincte Éd. de Parme], sicut
in principio ; ex quo etiam habet quamdam decentiam ut sit propriissimum
divinum nomen. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que ces noms, à savoir l’être et le bien,
l’un et le vrai, précèdent absolument selon la raison d’intelligibilité les
autres noms divins : ce qui est évident à partir de leur universalité.
Mais si nous les comparons entre eux, cela peut se faire de deux
manières : soit d’après le suppôt, et ainsi ils se convertissent entre
eux et ils sont identiques dans le suppôt et ne se séparent jamais ; soit
d’après leurs significations et alors l’être est simplement et absolument
antérieur aux autres noms. La raison en est que l’être est inclut dans la signification des
autres noms mais l’inverse n’est pas vrai. En effet, la première
représentation qui tombe dans l’intelligence, sans laquelle rien ne peut être
saisi par cette dernière, est l’être ; tout comme les ¨dignités¨, et
surtout celle qui pose que les contradictoires ne peuvent être vraies
simultanément, sont ce à quoi en premier l’intelligence donne son adhésion.
Par conséquent, toutes les autres notions sont contenues d’une certaine
manière dans la notion d’être sous le mode de l’unité et de
l’indétermination, comme dans un principe ; d’où il convient encore que
ce nom soit celui qui appartienne le plus proprement à Dieu. |
Alia vero quae
diximus, scilicet bonum, verum et unum, addunt super ens, non quidem naturam
aliquam, sed rationem: sed unum addit rationem indivisionis ; et propter hoc
est propinquissimum ad ens, quia addit tantum negationem: verum autem et
bonum addunt relationem quamdam ; sed bonum relationem ad finem, verum
relationem ad formam exemplarem ; ex hoc enim unumquodque verum dicitur quod
imitatur exemplar divinum, vel relationem ad virtutem cognoscitivam ; dicimus
enim verum aurum esse, ex eo quod habet formam auri quam demonstrat, et sic
fit verum judicium de ipso. Si autem considerentur secundum rationem
causalitatis, sic bonum est prius: quia bonum habet rationem causae finalis,
esse autem rationem causae exemplaris et effectivae tantum in Deo: finis
autem est prima causa in ratione causalitatis. |
Mais les autres noms que nous Lui attribuons, à savoir le bien, le
vrai et l’un, ajoutent à la notion d’être non pas certes une certaine nature,
mais un aspect de raison, une notion : or l’un ajoute la notion
d’indivisibilité et c’est pour cette raison que cette notion est la plus
proche de la notion d’être, car elle n’ajoute que la négation ; mais le
vrai et le bien ajoutent une certaine relation : le bien ajoute une
relation à la fin alors que le vrai ajoute une relation à la forme
exemplaire, du fait que tout ce qui est vrai imite le modèle divin, ou une
relation à la puissance cognitive : nous disons en effet que l’or est
vrai du fait qu’il possède vraiment la forme de l’or qu’il manifeste
extérieurement et qu’ainsi le jugement qu’on porte sur lui devient vrai. Mais
si on considère ces notions sous le rapport de la causalité, alors le bien
est premier : car le bien a raison de cause finale alors que l’être a
raison de cause exemplaire et efficiente seulement en Dieu ; mais la fin
est la première cause sous le rapport de la causalité. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 3 ad 1 Ad primum dicendum, quod Dionysius tractat de divinis nominibus
secundum quod habent rationem causalitatis, prout scilicet manifestantur in
participatione creaturarum ; et ideo bonum ante existens determinat. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que Denys traite des noms divins
selon qu’ils ont raison de causalité, c’est-à-dire dans la mesure où ils se
manifestent dans la participation des créatures ; et c’est pourquoi il
traite du bien avant de traiter de l’être ou de l’existence. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum est communius non secundum
ambitum praedicationis, quia sic convertitur cum ente, sed secundum rationem
causalitatis ; causalitas enim efficiens exemplaris extenditur tantum ad ea
quae participant formam actu suae causae exemplaris ; et ideo causalitas
entis, secundum quod est divinum nomen, extenditur tantum ad entia, et vitae
ad viventia ; sed causalitas finis extenditur etiam ad ea quae nondum
participant formam, quia etiam imperfecta desiderant et tendunt in finem
[nondum participantia rationem finis, quia sunt in via ad eum add. Éd. de Parme]. Vocat enim
Dionysius non ens materiam propter privationem adjunctam ; unde etiam dicit 4
cap. De div. nom. § 3,, quod ipsum
non existence [ens Éd. de Parme]
desiderat bonum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le bien est plus commun non pas
selon l’étendue de l’attribution car alors il se convertit avec l’être, mais
sous le rapport de la causalité ; en effet, la causalité efficiente
exemplaire s’étend seulement aux choses qui participent en acte de la forme
de leur cause exemplaire ; et c’est pourquoi la causalité de l’être,
selon qu’il est un nom divin, s’applique seulement à ce qui existe en acte,
tout comme la causalité de la vie s’applique seulement aux vivants ;
mais la causalité de la fin s’étend même aux choses qui ne participent pas
encore de la forme, car même ce qui est imparfait désire et tend vers la fin
[qui ne participent pas encore de la fin parce qu’ils sont encore en chemin
vers elle add. Éd. De Parme].
Denys en effet donne au non-être le nom de matière en raison de la
privation qui lui est rattachée ; c’est pourquoi Denys [Les Noms
Divins, ch. 4, & 3] dit aussi que même ce qui n’existe pas [le
non-être Éd. de Parme] désire le bien. |
lib. 1 d. 8 q.
1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod convertuntur secundum suppositum
considerata ; sed tamen secundum intentionem, ens est simplicius et prius
aliis, ut dictum est. |
3. Il faut dire en troisième lieu que ces notions se convertissent
selon qu’on les considère dans le suppôt ; mais selon leur
signification, l’être possède une plus grande simplicité et une priorité par
rapport aux autres, ainsi que nous l’avons dit. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [L’éternité divine] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 8 q. 2 pr. Deinde quaeritur de
mensura divini esse, quae est aeternitas ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 quid est aeternitas ; 2 cui conveniat ; 3 utrum de aeterno verba diversorum temporum
praedicari possint. |
On
s’interroge ensuite sur la mesure de l’existence de Dieu qui est
l’éternité ; et à ce sujet on pose trois questions : 1. Qu’est-ce
que l’éternité ? 2. À qui
appartient-elle ? 3. Est-ce que
les verbes qui expriment les différents temps peuvent être attribués à ce qui
est éternel ? |
|
|
Articulus 1lib.
1 d. 8 q. 2 a. 1 tit. Utrum definitio aeternitatis a Boetio
posita, sit conveniens. |
Article 1 – La définition de l’éternité donnée par Boèce convient-elle ? |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Et ponitur
definitio aeternitatis a Boetio, 5 de Consol.: aeternitas est interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio.
Sed videtur quod ista definitio inconvenienter assignetur.
Interminabile enim dicit negationem. Sed negatio non certificat aliquid. Ergo videtur quod in
definitione aeternitatis poni non debeat. |
1.
La définition de l’éternité présentée par Boèce [5 De la Consolation]
est la suivante : la possession entière, parfaite et simultanée d’une
vie sans terme. Mais il semble que cette définition ne soit pas assignée
avec justesse. Sans terme en effet ne dit qu’une négation. Mais une
négation ne fait pas connaître une chose avec certitude. Il semble donc que
cela ne doive par entrer dans la définition de l’éternité. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, prima mensura
respondet primo mensurato. Sed primum inter mensurata est esse. Ergo videtur
quod aeternitas, quae est prima mensura, non debet definiri per vitam sed per
esse. |
2. En outre la
première mesure correspond au premier mesuré. Mais l’existence est la
première des réalités à être mesurées. Il semble donc que l’éternité, qui est
la première mesure, ne doive pas être définie par la vie mais par l’existence. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 1 arg. 3 Item, simplex non habet mensuram, immo simplicissimo
mensurantur omnia alia, secundum philosophum, X Metaph., text. 3. Sed vita divina est simplicissima. Ergo non
respondet aliquid sibi in ratione mensurae, sed ipsa habet rationem mensurae:
et ita nec aeternitas, quae rationem mensurae dicit. |
3. De plus, le simple n’a pas de mesure, mais plutôt tout le reste
est mesuré par ce qu’il y a de plus simple d’après le Philosophe [X Métaphysique,
texte 3]. Mais la vie divine est ce qu’il y a de plus simple. Donc, rien ne
lui correspond en terme de mesure, mais c’est elle-même qui a raison de
mesure : et ainsi l’éternité, qui a raison de mesure, n’est pas sa
mesure. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 1 arg. 4 Item, totum dicitur respectu partium. Sed de ratione durationis
est quod partes ejus non sint simul: quia impossibile est simul esse duas
durationes, nisi una includat aliam, sicut Augustinus dicit, XI De civitate Dei, cap. VI.. Ergo
videtur duo opposita dicere, cum dicit, tota
simul. |
4.
Par ailleurs, le tout se dit par rapport aux parties. Mais il est de la
nature même de la durée que ses parties ne soient pas simultanées : car il est impossible que deux durées
soient simultanées, à moins que l’une soit contenue dans l’autre, ainsi que
le dit Augustin [XI De la Cité de Dieu, ch. VI]. Il semble donc qu’on dise deux choses
qui s’opposent lorsqu’on dit : entière et simultanée. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, totum includit in
se rationem perfectionis. Ergo
videtur quod perfecta superfluit. |
5. En outre, le tout implique en lui-même la notion de perfection. Il
semble donc que le terme parfait soit de trop. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 6 Item, aeternitas habet
rationem durationis. Sed possessio
nihil dicit ad durationem pertinens. Ergo videtur quod non debet poni in
definitione aeternitatis, ad minus in recto, et sicut genus: quia quod sic
ponitur in definitione alicujus, debet dicere quid sit definitum. |
6. Par ailleurs, l’éternité a raison de durée. Mais la possession
ne dit rien qui se rapporte à la durée. Il semble donc que ce terme ne doive
pas être posé dans la définition de l’éternité, au moins directement et comme
un genre : car ce qui est placé de cette manière dans la définition d’un
défini doit dire ce qu’est le défini. |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aeternitas dicitur quasi ens extra
terminos. Esse autem aliquod potest dici terminatum tripliciter: vel secundum
durationem totam, et hoc modo dicitur terminatum quod habet principium et
finem ; vel ratione partium durationis, et hoc modo dicitur
terminatum illud cujus quaelibet pars accepta terminata est ad praecedens et
sequens ; sicut est accipere in motu ; vel ratione suppositi in quo esse
recipitur: esse enim recipitur in aliquo secundum modum ipsius, et ideo
terminatur, sicut et quaelibet alia forma, quae de se communis est, et
secundum quod recipitur in aliquo, terminatur ad illud ; et hoc modo solum
divinum esse non est terminatum, quia non est receptum in aliquo, quod sit
diversum ab eo. |
Corps de l’article : Je
réponds qu’il faut dire que l’éternité se dit comme de l’être posé en dehors
de termes. Mais on peut dire qu’une existence possède des termes de trois
manières : Soit
selon la durée totale et en ce sens une chose est dite avoir des termes
lorsqu’elle a un commencement et une fin. Soit
en raison des parties de la durée et en ce sens on dit qu’a des termes ce dont
n’importe quelle partie qu’on prend est terminée par rapport à ce qui précède
et à ce qui suit, tout comme on le fait pour le mouvement. Soit
en raison du suppôt dans lequel l’existence est reçue : l’existence en
effet est reçue dans une être selon le mode de cet être et c’est pourquoi
elle se trouve ainsi à être déterminée comme toute autre forme qui de soi est
commune, et c’est de la manière qu’elle est reçue dans un être que
l’existence se trouve à être limitée ou déterminée à cet être ; et en ce
sens seule l’existence divine n’est pas déterminée car elle n’est pas reçue
dans quelque chose d’autre qui ne serait pas elle. |
Dico ergo, quod
ad excludendam primam terminationem, quae est principii et finis totius
durationis, ponitur, interminabilis
vitae ; et per hoc dividitur aeternum ab his quae generantur et
corrumpuntur. |
Je dis donc que pour exclure de la définition de l’éternité la
première détermination, qui est celle du début et de la fin de la durée
totale, il dit : de la vie sans terme ; et par là il se
trouve à distinguer l’éternité des choses qui sont engendrées et corrompues. |
Ad excludendum
autem secundam terminationem, scilicet partium durationis, additur, tota simul: per hoc enim excluditur
successio partium, pro qua unaquaeque pars finita est et transit: et per hoc
dividitur aeternum a motu et tempore, etiam si semper fuissent et futura
essent, sicut quidam posuerunt. |
Mais pour exclure la deuxième détermination, à savoir celle des
parties de la durée, il ajoute : entière et simultanée ; par
là en effet il écarte la succession des parties en faveur de laquelle toute
partie est finie et passagère : et par là l’éternel se distingue du
mouvement et du temps, même s’ils avaient toujours existé et devaient
toujours exister, ainsi que certains l’ont soutenu. |
Ad excludendum
tertiam terminationem, quae est ex parte recipientis, additur, perfecta: illud enim in quo non est
esse absolutum, sed terminatum per recipiens, non habet esse perfectum sed
illud solum quod est suum esse: et per hoc dividitur esse aeternum ab esse
rerum immobilium creatarum, quae habent esse participatum, sicut spirituales
creaturae. |
Pour écarter la troisième délimitation qui se tient du côté de celui
qui reçoit, il ajoute : parfaite ; en effet, celui en qui
l’existence n’est pas absolue mais limitée par celui qui reçoit, ne possède
pas une existence parfaite contrairement à celui qui est son existence même :
et par là l’existence éternelle se distingue de l’existence des réalités
immobiles créées qui possèdent une existence par participation, comme les
créatures spirituelles. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod simplicia, et praecipue divina, nullo modo melius manifestantur quam per
remotionem, ut dicit Dionysius. Cujus ratio est, quia ipsorum esse
intellectus perfecte non potest comprehendere ; et ideo ex negationibus eorum
quae ab ipso removentur, manuducitur intellectus ad ea aliqualiter
cognoscenda. Unde et punctus
negatione definitur. Et praeterea in ratione aeternitatis est quaedam
negatio, inquantum aeternitas est unitas, et unitas est indivisio, et
hujusmodi non possunt sine negatione definiri. |
Solutions : 1.
Il faut dire en premier lieu que les réalités qui sont simples, et surtout
Dieu, ne peuvent en aucune manière être mieux manifestées que par la négation
ainsi que le dit Denys. La raison en est que l’intelligence ne peut saisir
parfaitement leur existence ; et c’est pourquoi, à partir des négations
des choses qui sont écartées par elle, l’intelligence est conduite petit à
petit vers celles qui sont à connaître jusqu’à un certain point. C’est
pourquoi le point aussi est défini par la négation. Et de plus dans la
notion d’éternité il y a une certaine négation, selon que l’éternité est une
sorte d’unité et que l’unité est indivisible, et de telles notions ne peuvent
être définies sans la négation. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vivere hic large sumitur ad omne esse
secundum etiam quod Augustinus dicit, lib. II Contre Max., cap. XII, col. 768, quod quaelibet mutatio
creaturae, aliqua mors ejus est. Vel dicendum, quod quia in illo qui solus
habet aeternitatem, esse et vivere sunt omnino idem ; ideo ratione ejus
[actus, Éd. de Parme] in quo est
aeternitas, posuit aeternitatem mensuram vitae. |
2. En deuxième lieu il faut dire que vivre se prend ici au sens large
pour tout ce qui existe selon ce qu’en dit encore Augustin [Livre 11 Contre
Max., ch. XII, col. 768], à savoir que tout changement dans la créature
est pour elle une certaine mort. Ou bien il faut dire que parce dans celui-là
seul qui possède l’éternité, exister et vivre sont absolument identiques,
c’est pourquoi il affirmé que l’éternité est la mesure de la vie en raison de
celui [de l’acte Éd. de Parme] dans lequel se trouve l’éternité. |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vivere et esse dicuntur per modum
actus ; et quia cuilibet actui respondet mensura sua, ideo oportet ut divino
esse et vitae divinae intelligatur adjacere aeternitas, quasi mensura ;
quamvis realiter non sit aliud a divino esse ; et quia vivere magis habet
rationem actus etiam [etiam om. Éd. de
Parme] quam esse, ideo forte definit aeternitatem per vitam potius quam
per esse. |
3. Il faut dire en troisième lieu que vivre et exister se dire à la
manière d’un acte ; et parce qu’à tout acte correspond sa mesure, c’est
pourquoi il faut que l’éternité soit comprise comme accompagnant, comme une
mesure, l’existence divine et la vie
divine ; bien qu’en réalité l’éternité ne diffère pas de l’existence
divine ; et parce que vivre a davantage raison d’acte encore [encore om.
Éd. de Parme] qu’exister, c’est pourquoi peut-être il définit
l’éternité par la vie plutôt que par l’existence. |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in successivis est duplex
imperfectio: una ratione divisionis, alia ratione successionis, quia una pars
non est cum alia parte ; unde non habent esse nisi secundum aliquid sui. Ut
autem excludatur omnis imperfectio a divino esse, oportet ipsum intelligere
sine aliqua divisione partium perfectum, et hoc dicit nomen ‘tota’: non enim
dicit rationem partium. Item oportet ipsum intelligere sine successione, et
hoc notatur [importatur Éd. de Parme]
per adverbium simul. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que dans la succession il y a une
double imperfection ; la première imperfection est en raison de la
division alors que la deuxième est en raison de la succession, car une partie
n’est pas avec l’autre partie ; c’est pourquoi elles ne possèdent
l’existence que partiellement. Mais pour écarter toute imperfection de
l’existence divine, il faut la comprendre comme parfaite sans aucune division
de ses parties, et c’est ce que veut signifier ¨entière¨ : ce
terme en effet ne dit pas la notion de parties. En outre il faut comprendre
cette existence sans aucune sucession, et cela est signifié [introduit Éd.
de Parme] par l’adverbe ¨simultanément¨ |
lib. 1 d. 8
q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod imperfectio esse potest considerari
dupliciter. Vel quantum ad durationem ; et sic dicitur esse imperfectum cui
deest aliquid de spatio durationis debitae ; sicut dicimus vitam hominis qui
moritur in pueritia, imperfectam vitam ; et talis imperfectio tollitur per ly
tota. Est etiam quaedam imperfectio quantum ad modum habendi, sicut omnis
creatura habet imperfectum esse ; et talis imperfectio tollitur per ly
perfecta unde non superfluit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que l’imperfection peut être
considérée de deux manières. Soit quant à la durée, et ainsi on dit qu’est
imparfait celui à qui manque quelque chose de l’espace de durée qui est due,
tout comme nous disons que la vie de l’homme qui meurt dans sa jeunessse est
une vie imparfaite ; et une telle imperfection est écartée par ce
terme : entière. Mais il y a encore une certaine imperfection
quant à la manière de posséder, comme toute créature qui possède une
existence imparfaite ; et une telle imperfection est écartée par le
terme parfait qui n’est par conséquent pas de trop. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod duratio dicit quamdam distensionem ex
ratione nominis: et quia in divino esse non debet intelligi aliqua talis
distensio, ideo Boetius non posuit durationem, sed possessionem, metaphorice
loquens ad significandum quietem divini esse ; illud enim dicimus possidere,
quod quiete et plene habemus ; et sic Deus possidere vitam suam dicitur, quia
nulla inquietudine molestatur. |
6. Il faut
dire en sixième lieu que la durée dit une certaine extension (dans le temps)
en raison du nom : et parce que dans l’existence divine on ne doit pas entendre une telle
extension, c’est pourquoi Boèce n’a pas posé dans sa définition la durée,
mais la possession, parlant par métaphore pour signifier le repos de
l’existence divine ; en effet, nous disons posséder ce dont nous
jouissons pleinement et paisiblement ; et c’est de cette manière que
nous disons de Dieu qu’Il possède sa vie car il n’est tourmenté par aucune
inquiétude. |
|
|
Articulus 2 ib.
1 d. 8 q. 2 a. 2 tit. Utrum aeternitas tantum Deo convenait |
Article 2 – L'éternité convient-elle à Dieu seulement ? |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod
aeternitas non tantum Deo conveniat. Aeternitas enim non est nobilior quam
bonitas. Sed bonitas communicatur cum creaturis, ita quod a bono Deo creatura
sit bona. Ergo videtur quod similiter aeternitas, ut alia ab
ipso sint aeterna. |
Difficultés : 1.
Voici comment on procède à l’égard de cette deuxième question. Il semble que
l’éternité n’appartienne pas qu’à Dieu. En effet, l’éternité n’est pas plus
noble que la bonté. Mais la bonté est communiquée aux créatures de telle
manière que c’est d’un Dieu bon que la créature tient sa bonté. Il semble
donc qu’il en soit de même pour l’éternité de sorte que les autres êtres
soient éternels de par son éternité à Lui. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Dan. XII, 3: qui ad justitiam erudiunt multos, fulgebunt quasi stellae in
perpetuas aeternitates. Sed plures aeternitates non sunt unius aeterni. Ergo
videtur quod sint plura aeterna, et non tantum Deus. |
2. On lit dans Daniel (XII,
3): Ceux qui auront enseigné la justice à un grand nombre resplendiront
comme des étoiles dans les éternités perpétuelles. Mais plusieurs
éternités n’appartiennent pas à une seul être éternel. Il semble donc qu’il y
ait plusieurs êtres qui soient éternels et pas seulement Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, in Psal. LXXV, 5: illuminans tu mirabiliter a montibus aeternis. Sed montes sunt
creaturae. Ergo etiam creaturae sunt aeternae. |
3. Par ailleurs, le Psalmiste
dit (LXXV, 5): Tu resplendis admirablement sur les monts éternels.
Mais les monts sont des créatures. Donc, même les créatures sont éternelles. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 4 Similiter etiam ignis
Inferni dicitur aeternus, Matth. 25, 41: Ite
maledicti in ignem aeternum. Ergo et cetera. |
4. De la même manière
encore on dit [Matth. 25, 41] du feu de l’Enfer qu’il est éternel: Allez,
maudits, au feu éternel! La conclusion est donc la même ici. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 5 Item, philosophus
dicit, quod omne necessarium est aeternum. Sed multa sunt necessaria. Ergo et
cetera. Huic etiam consonat quod dicit Augustinus, IV de trinitate, cap. XVIII, col. 904, quod veritas aeterna est. |
5. En outre, le
Philosophe dit que tout ce qui est necessaire est éternel. Mais plusieurs
énoncés sont nécessaires. Donc, la conclusion est la même. Et ce que dit
Augustin [IV De la Trinité, ch. XVIII, col. 904] s’accorde avec cela
lorsqu’il affirme que la vérité est éternelle. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 2 s. c. 1 Contra, aeternum est esse interminatum, ut dictum est, art.
praec. Sed solus Deus est hujusmodi. Ergo et cetera. |
Cependant : L’éternité
est une existence sans terme, ainsi que nous l’avons dit dans l’article
précédent. Mais seul Dieu existe de cette manière. Donc, seul Dieu est
éternel. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut ex praedicta definitione patet,
aeternitas non potest nisi Deo convenire simpliciter et absolute secundum
perfectam rationem aeternitatis. Sed secundum quod aliqua participant de
interminabilitate aeternitatis, aliquo modo dicuntur aeterna participative. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que tout comme on le voit à partir de la
définition qui précède, l’éternité ne peut appartenir, à parler absolument et
simplement, qu’à Dieu seul d’après la définition parfaite de l’éternité. Mais
selon que certains participent de l’absence de limite de l’éternité, on dit
d’eux qu’ils sont éternels relativement, c’est-à-dire par participation. |
Quod vero nullo
modo interminabilitatem participat, nullo modo aeternum dicitur, sicut
temporale, quod incipit et finitur. Dico ergo, quod quibusdam communicatur
interminabilitas, secundum quod excludit terminum durationis ex parte post ;
et hoc modo ignis Inferni dicitur aeternus, quia nunquam finietur. Utrum autem
aliquod aeternum possit esse, quod non habeat principium durationis,
quaeretur in principio secundi. |
Mais ce qui ne participe en aucune manière de l’absence de limite de
l’éternité ne peut aucunement être appelé éternel, par exemple ce qui est
temporel et qui a un commencement et une fin. Je dis donc qu’à certains êtres
est communiqué l’absence de limite selon qu’est enlevé le terme de la durée
du côté de l’après ; et en ce sens le feu de l’Enfer est dit éternel car
il ne finira jamais. Mais existe-t-il quelque chose qui puisse être éternel
du côté de l’avant, sans avoir de commencement de sa durée, nous chercherons
à le savoir au début du second livre. |
Aliquibus autem
creaturis communicatur interminabilitas, secundum quod excludit terminationem
quae est ex successione partium ; et istae sunt spirituales creaturae, quarum
esse est totum simul. Sed interminabilitas quae excludit omnem
imperfectionem, non communicatur alicui creaturae, cum nulla creatura possit
esse perfecta simpliciter ; sed communicatur sibi perfectio quaedam, scilicet
quam nata [nota Éd. de Parme] est
creatura attingere, ut sit perfecta secundum suam naturam: et sic Angeli et
homines beati sunt perfecti, quia totum habent id ad quod eorum natura capax
est: unde Angeli beati, magis sunt in participatione aeternitatis quam in
naturalibus tantum considerati. |
Mais l’absence de limite est communiquée à certaines créatures selon
qu’elle exclut le terme ou la limite qui se tient du côté de la succession
des parties ; et c’est le cas pour ces créatures qui sont spirituelles
dont l’existence est entière et simultanée. Mais l’absence de limite qui
exclut toute imperfection n’est communiquée à aucune créature, puisqu’aucune
créature ne peut être absolument parfaite ; mais plutôt ce qui lui est
communiqué, c’est une certaine perfection, c’est-à-dire celle pour l’atteinte de laquelle la
créature est faite de manière à être parfaite conformément à sa nature :
et en ce sens les Anges et les hommes bienheureux sont parfaits parce qu’ils
possèdent tout ce dont leur nature est capable : c’est pourquoi les
Anges bienheureux participent davantage de l’éternité que ceux qu’on
considère seulement parmi les êtres naturels. |
Ex hoc potest
colligi differentia inter aeternitatem, aevum et tempus. Illud enim quod
habet potentiam non recipientem actum totum simul, mensuratur tempore:
hujusmodi enim habet esse terminatum et quantum ad modum participandi, quia
esse recipitur in aliqua potentia, et non est absolutum quantum ad partes
durationis, quia habet prius et posterius. Illud autem quod habet potentiam
differentem ab actu, sed quae totum actum simul suscipiat, mensuratur aevo:
hoc enim non habet nisi unum modum terminationis, scilicet quia esse ejus est
receptum in alio a se, ut dictum est, hac dist., quaest. 1, art. 1. Illud
vero quod non habet potentiam differentem ab esse, mensuratur aeternitate ;
hujusmodi enim esse est omni modo interminatum. Unde patet etiam quod aevum
non est nisi quaedam aeternitas participata. |
Et à
partir de là on peut recueillir la différence qu’il y a entre l’éternité,
l’aevum et le temps. Ce qui en effet possède la puissance de ne pas recevoir
l’acte entièrement et simultanément est mesuré par le temps : un tel
être en effet possède une existence limitée à la fois à cause du mode de participation
parce qu’il reçoit l’existence dans une certaine puissance et parce qu’il
n’est pas absolu quant aux parties de la durée car il est soumis à l’avant et
à l’après. Mais ce qui, tout en possèdant une puissance différente de son
acte, reçoit simultanément la totalité de l’acte, est mesuré par
l’aevum : cet être en effet ne possède qu’une seule sorte de limite, à
savoir parce que son existence est reçue dans quelque chose d’autre
qu’elle-même, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction (quest. 1,
art. 1). Mais ce qui ne possède pas une puissance différente de son existence
est mesuré par l’éternité ; une telle existence en effet n’est limitée
d’aucune manière. D’où il est clair aussi que l’aevum n’est qu’une
participation de l’éternité prise au sens propre. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis divina bonitas sit
communicabilis, non tamen secundum modum altissimum, prout est in Deo: unde
summa bonitas non communicatur. Et quia aeternitas dicit esse secundum
altissimum modum, qui est in Deo, ideo non communicatur ; sed esse absolute
sumptum communicatur, sicut et bonum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que la bonté divine
soit communicable, elle ne l’est pas cependant de la manière la plus élevée
comme elle existe en Dieu : de là, la bonté parfaite n’est pas
communiquée. Et parce que l’éternité signifie une existence selon le mode le
plus élevé qui existe en Dieu, c’est pourquoi elle non plus n’est pas
communiquée ; mais l’existence prise absolument est communiquée, tout
comme le bien. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Daniel accipit ibi aeternitates
participatas in beatis, quae erunt plures secundum plures beatos. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que Daniel parle ici des éternités dont
les bienheureux participent et qui sont multiples selon qu’elles existent
chez plusieurs bienheureux. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod montes aeterni possunt dici ipsi
Angeli, qui dicuntur aeterni participative, ut dictum est, in corp. art. Vel
dicendum, quod potest intelligi etiam ad litteram de montibus corporalibus ;
et dicuntur aeterni propter longaevitatem durationis. |
3. Il faut dire en troisième lieu que les Anges eux-mêmes peuvent
être appelés monts éternels parce qu’ils sont éternels par participation,
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. Ou bien encore il faut
dire qu’on peut aussi entendre cette expression comme pouvant se dire
littéralement des monts corporels ; et on les dit éternels en raison de
la longévité de leur existence. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ignis Inferni dicitur etiam aeternus,
inquantum participat aliquam conditionem aeternitatis, scilicet non habere
finem. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’on dit aussi du feu de l’Enfer qu’il est éternel
selon qu’il participe d’un caractère de l’éternité, à savoir ne pas avoir de
fin. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod necessaria sunt aeterna tantum in mente
divina, sicut etiam veritates enuntiabilium fuerunt ab aeterno in Deo, et non
aliter: nisi ponerentur creaturae ab aeterno, sicut philosophi posuerunt. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que les propositions nécessaires
sont éternelles seulement dans l’esprit divin, tout comme aussi les vérités
des énoncés qui existent de toute éternité en Dieu et qui ne peuvent être
autrement : à moins qu’on affirme, ainsi que les philosophes l’ont
soutenu, que les créatures sont éternelles. |
|
|
Articulus 3. ib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 tit.
Utrum verba temporalia possint dici de Deo |
Article 3 – Peut-on attribuer à Dieu des paroles temporelles? |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod
verba temporalia non possint dici de Deo. Unicuique enim respondet propria
mensura. Sed tempus est propria mensura motus. Cum igitur in Deo nullus sit
motus, videtur quod de Deo nullum temporale dici possit. |
Difficultés : 1.
Voici comment on procède à l’égard de ce troisième article. Il semble qu’on
ne puisse attribuer à Dieu des paroles temporelles. À toute chose en effet correspond
une mesure qui lui est propre. Mais le temps est la mesure qui est propre au
mouvement. Donc, puisqu’en Dieu il n’y a aucun mouvement, il semble qu’aucune
parole temporelle ne puisse être attribuée à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 3 arg. 2 Item, quandocumque aliquid importans aliquam conditionem
corporalem dicitur de Deo, metaphorice vel symbolice dicitur. Sed tempus est
conditio consequens ipsa corpora, quia sequitur motum, et motus magnitudinem,
secundum philosophum, IV Phys.,text.
99. Ergo videtur quod quandocumque aliquod verbum temporale dicitur de Deo,
sit metaphorice dictum. |
2. De plus, quelque chose impliquant une condition corporelle se dit
parfois de Dieu par métaphore ou de manière symbolique. Mais le temps est une
condition qui suit les corps eux-mêmes puisqu’elle découle du mouvement et
que le mouvement découle de l’étendue d’après le Philosophe [IV Physique,
texte 99]. Il semble donc que parfois une parole temporelle soit attribuée à
Dieu et qu’elle soit une expression métaphorique. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod tantum praesens de Deo debeat dici.
Aeternitas enim, quae est mensura divini esse secundum rationem intelligendi,
omni [omni om. Éd. de Parme] caret
successione. Sed solum praesens non includit successionem ; praeteritum enim
et futurum dicuntur per relationem ad praesens, et non e converso ; et
relatio illa est in ordine successionis. Ergo solum praesens de Deo debet
dici. |
3. En outre, il semble que le présent seul doive être attribué à
Dieu. L’éternité en effet, qui est la mesure de l’existence divine selon ce
qu’il faut en comprendre, est privée de toute [toute om. Éd. de Parme]
succession. Mais seul le présent ne comprend pas en lui la succession ;
le passé et le futur en effet se disent par rapport au présent et non
inversement ; et cette relation entre dans l’ordre de succession. Il n’y
a donc que le présent qu’on doive attribuer à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 4 Item, videtur quod
praeteritum. Divinum enim
esse est perfectum. Sed inter alia tempora praeteritum magis sonat
perfectionem. Ergo de Deo maxime dici debet. |
4. De plus, il semble que le passé puisse se dire de Dieu. En effet,
l’existence divine est parfaite. Mais parmi tous les temps, le passé est
celui qui signifie le plus la perfection. C’est donc surtout ce temps qui
doit lui être attribué. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod
praeteritum imperfectum. Quia
Joannes in principio Evangelii sui altissime de Deo locutus est. Sed ipse ibi
utitur verbis praeteriti imperfecti temporis ad designandum divinam
aeternitatem, dicens: In principio erat
Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. Ergo
videtur quod ista verba maxime competant ad significandum divinam
aeternitatem. |
5. En outre, il semble
que ce doive être le passé imparfait. Car Jean, au début de son Évangile, a
parlé de Dieu de la manière la plus élevée. Mais lui-même se sert là de
verbes appartenant au temps du passé imparfait pour designer l’éternité
divine lorsqu’il dit: Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec
Dieu, et le Verbe était Dieu. Donc, il semble que ces verbes conviennent
au plus haut point pour signifier l’éternité divine. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 6 Item, videtur quod
futurum. Divinum enim esse maxime distat a defectu. Cum
igitur futurum remotius sit inter alia a deficiendo, videtur quod maxime
competat in divinis. |
6. Mais il semble que le
futur soit plus approprié pour signifier l’éternité divine. L’existence
divine en effet est celle qui est la plus loin d’être en défaut. Donc,
puisque le futur est parmi tous les autres temps celui qui est le plus
éloigné d’être en défaut, il semble qu’il convienne davantage à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod
enuntiatio non potest fieri de aliquo nisi secundum quod cadit in
cognitionem. Omne autem
cognoscens cognoscit secundum modum suum, ut dicit Boetius ; lib. V De consol., pros. 2, et ideo, quia
ratio nostra connaturale habet secundum statum viae accipere cum tempore,
propter hoc quod ejus cognitio oritur a sensibilibus, quae in tempore sunt,
ideo non potest formare enuntiationes nisi per verba temporalia: unde cogitur
de Deo enuntians, verbis temporalibus uti, quamvis intelligat eum supra
tempus esse: nihilominus tamen istae locutiones non sunt falsae. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’on ne peut former une énonciation sur
une chose que dans la mesure où cette dernière vient à être connue. Mais ce
qui est capable de connaître connaît selon les modalités qui lui sont
propres, ainsi que le dit Boèce [ 1 De la Consolation, pros. 2], et
c’est pourquoi, parce que notre raison naturelle doit ici-bas appréhender les
choses en fonction du temps pour cette raison que sa connaissance se forme à
partir des choses sensibles qui existent dans le temps, c’est pourquoi elle
ne peut former des énonciations qu’au moyen de verbes temporels : de là
elle est réduite, en formant des énoncés sur Dieu, de se servir de verbes
temporels, bien qu’elle comprenne elle-même que Dieu transcende le
temps ; et néanmoins cependant ces façons de parler ne sont pas fausses. |
Divinum enim
esse, ut dicit Dionysius, de divinis
nominibus, c. V § 4, col. 818, praeaccipit sicut causa in se omne esse
quantum ad id quod est perfectionis in omnibus ; et ideo enuntiamus de ipso
verba omnium temporum, propter id quod ipse nulli tempori deest, et quidquid
est perfectionis in omnibus temporibus, ipse habet. |
L’existence divine en effet, ainsi que le dit Denys [Les Noms
Divins, ch. V, &4, col. 818], contient en elle comme dans leur cause
toutes les existences quant à ce qu’il y a de parfait en elles ; et
c’est pourquoi nous formons sur Dieu des énoncés au moyen de verbes de tous
les temps pour cette raison que Lui-même n’est absent à aucun temps et qu’Il
possède tout ce qu’il y a de parfait dans tous les temps. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando verba temporalia dicuntur de
Deo, intellectus noster non attribuit divino esse illud quod est
imperfectionis in singulis temporibus, sed quod est perfectionis in omnibus ;
aeternitas enim includit in se omnem perfectionem modo simplici, quae est in
temporalibus divisum [divisa et temporibus diversis Éd. de Parme] cum tempus imitetur perfectionem aeternitatis,
quantum potest. |
Solutions : 1. Il
faut donc dire en premier lieu que lorsque les verbes temporels sont dits de
Dieu, notre intelligence n’attribue pas à l’existence divine ce qu’il y a
d’imparfait dans chacun de ces temps, mais ce qu’il y a de parfait dans tous
ces temps ; l’éternité en effet contient en elle selon le mode de la
simplicité toutes les perfections qui dans les choses temporelles se
rencontrent dans la division [divisées et dans des temps différents Éd. de
Parme], puisque le temps se trouve à imiter, dans la mesure du possible,
la perfection de l’éternité. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliqua dictio potest importare
conditionem corporalem dupliciter. Vel quantum ad rem significatam
principaliter in nomine ; et tale quid non dicitur de Deo nisi symbolice,
sicut leo et agnus et ira et hujusmodi. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu qu’un énoncé comporter une condition corporelle de deux
manières. Soit quant à la chose qui est signifiée principalement dans le
nom : et un tel énoncé ne se dit de Dieu que dans un sens symbolique,
comme lorsqu’on dit de Lui qu’Il est un lion, un agneau, en colère, etc. |
Vel quantum ad
modum significandi, et non quantum ad rem significatam ; et ista proprie
dicuntur de Deo, quamvis non perfecte ipsum repraesentent: alias omnia nomina
dicta de Deo essent symbolica, quia modus significandi ipsorum est secundum
quod de creaturis dicuntur ; et de talibus haec sunt verba, fuit et erit quae
significant essentiam per modum actus, et consignificant tempus. |
Soit quant au mode même de signifier et non quant à la chose même qui
est signifiée ; et ces noms se disent proprement de Dieu bien qu’ils ne
Le représentent pas parfaitement, (car autrement tous les noms
s’attribueraient à Dieu selon le mode symbolique) car le mode de signifier de
ces noms de deuxième type est celui dont on use pour les attribuer aux créatures ;
et dans ce cas, tels sont les verbes ¨fut¨ et ¨sera¨, lesquels signifient
l’essence à la manière d’un acte et transportent avec eux la signification du
temps. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum ad id quod praesens non
implicat successionem nec habet aliquid de non esse inclusum, inter alia
proprius Deo competit ; nihilominus tamen verba aliorum temporum dicuntur de
Deo secundum id quod perfectionis est in ipsis, et non ratione successionis
vel alicujus defectus. |
3. Il faut de en troisième lieu que le présent, quant à ceci qu’il
n’implique pas la succession et qu’il ne contient pas en lui du non-être,
convient plus proprement à Dieu que tout autre temps ; néanmoins
cependant les verbes relatifs aux autres temps se disent de Dieu selon la
perfection qui est impliquée en eux et non en raison de la succession ou de
tout autre défaut. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nomine perfectionis praeteritum de Deo
dicitur, et quia non est novum, secundum quod ipse praeteritis non defuit.
Nihilominus tamen intelligendum est, quod aliquando per praesens magis
designatur perfectio quam per praeteritum: quaedam enim sunt quorum esse est
in fieri, et horum perfectio non est nisi quando venitur ad terminum, et
horum perfectio magis significatur per praeteritum, sicut sunt motus, et
hujusmodi successiva. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le passé se dit de Dieu par un
nom de perfection et parce qu’il n’est pas nouveau, selon que Lui-même
n’abandonne pas ce qui est passé. Il faut néanmoins comprendre que c’est
parfois plus par le présent que par le passé qu’une perfection est
désignée : il y a des choses en effet dont l’existence est dans le
devenir et leur perfection ne s’accomplit que lorsqu’elles parviennent à leur
terme, et leur perfection est davantage signifiée par le passé, comme c’est
le cas pour le mouvement et tout ce qui est soumis à la progression. |
Quaedam autem
sunt quorum esse consistit in permanendo ; et horum perfectio designatur
magis per praesens quam per praeteritum: quia in hoc quod sunt, habent
perfectionem ; et praeteritum dicitur secundum recessum ab esse. Unde etiam
in divinis ea quae dicuntur per modum rei permanentis verius signantur per
praesens, ut, Deus est bonus, ut hujusmodi ; quae autem signantur per modum
actus, verius signantur per praeteritum, sicut infra, dist. 9, dicit
Gregorius quod magis proprie dicimus filium natum, quam nasci. |
Mais il y a certaines choses dont l’existence consiste dans la
permanence ; et leur perfection est davantage désignée par le présent
que par le passé car elles possèdent leur perfection par cela même qu’elles
existent. Et le passé se dit d’après un éloignement de l’être. C’est pourquoi
même pour les choses divines ce qui se dit par mode de permanence se dit est
signifié davantage en vérité par le présent : par exemple, comme
lorsqu’on dit que Dieu est bon ; mais ce qui est signifié par mode
d’acte est signifié davantage en vérité par le passé ainsi que le dit plus
loin Grégoire dans la distincition 9 lorsqu’il affirme que nous disons plus
proprement que le Fils est né que lorsque nous disons qu’Il naît. |
lib. 1 d. 8 q.
2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quoad aliquid magis proprie dicitur de
ipso Deo praeteritum imperfectum quam praeteritum perfectum, eo scilicet quod
terminationem non includit, sicut verbum praeteriti perfecti ; unde in illis
quae significantur per modum actus, verius dicitur praeteritum perfectum,
quia horum perfectio non potest significari nisi ex termino ; quae autem
significantur non per modum operationis, verius significantur per praeteritum
imperfectum, quia horum perfectio non dependet ex termino. |
5.
Il faut dire en cinquième lieu que d’un certain point de vue le passé
imparfait se dit plus proprement de Dieu que le passé parfait du fait qu’il
ne contient pas un terme comme c’est le cas pour le verbe du passé
parfait ; c’est pourquoi, pour les choses qui sont signifiées par mode
d’acte, le passé parfait se dit davantage en vérité parce leur perfection ne
peut être signifiée qu’à partir du terme ; mais pour celles qui ne sont
pas signifiées par mode d’opération, elles sont davantage signifiées en
vérité par le passé imparfait car leur perfection ne dépend pas d’un terme. |
lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
futurum maxime removetur a divina praedicatione, propter hoc quod nondum est,
nisi in potentia. Nihilominus tamen secundum id quod est perfectionis in
ipso, scilicet quod longius distat a deficiendo, de Deo dicitur, abjecta
imperfectione. |
6. Il faut dire en sixième lieu que le futur est le temps le plus
éloigné de l’attribution divine pour cette raison qu’il n’existe encore qu’en
puissance. Néanmoins cependant, selon ce qu’il y a de perfection en lui, à
savoir selon qu’il est le plus éloigné d’un défaut, il se dit de Dieu une
fois l’imperfection écartée. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [L’immutabilité de Dieu] |
Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 8 q. 3 pr. Dei etiam solius essentia incommutabilis dicitur proprie. Hic
prosequitur de secundo attributo, scilicet immutabilitate, dicens solum Deum
incommutabilem esse, alias autem omnes creaturas aliquo modo mutabiles ; et
circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum Deus sit omnino immutabilis ; 2 utrum omnis creatura sit mutabilis ; 3 de modis
mutationum, quos Augustinus assignat in littera. |
Il n’y a encore que la seule essence de
Dieu qui soit immuable à proprement parler. Ceci traite du deuxième
attribut de Dieu, à savoir l’immutabilité, en disant que seul Dieu est
immuable et que toutes les créatures sont de quelque manière
changeantes ; et à ce sujet on cherche à répondre à trois
questions : 1. Est-ce que
Dieu est absolument immuable ? 2. Est-ce que
toute créature est changeante ? 3. Quels sont
les modes de changements qu’Augustin identifie identifie dans son
texte ? |
|
|
Articulus 1.lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 tit. Utrum Deus
aliquo modo sit mutabilis. |
Article 1 – Dieu est-il changeant de quelque manière ? |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod
Deus sit aliquo modo mutabilis. Sap. 7, 24: omnibus mobilibus mobilior est sapientia. Sed sapientia divina,
de qua loquitur, est ipse Deus. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1.
Voici comment on procède à l’égard de cette première question. Il semble que
Dieu soit changeant d’une certaine manière. On lit en effet dans le livre de
la Sagesse (7,24) : La Sagesse est plus mobile que tout ce qui se
meut. Mais la Sagesse divine, dont il parle, est Dieu lui-même. Donc Dieu
est changeant de quelque manière. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid
movet seipsum, movetur a seipso. Sed, sicut dicit Augustinus super Genes. ad lit., lib. VIII, cap.
XX, col.388 : spiritus creator
movet se nec per tempus nec per locum. Ergo videtur quod moveatur. |
2. Par ailleurs, tout ce qui se meut soi-même est mû par soi-même.
Mais, tout comme le dit Augustin [ VIII1 Super Genes. ad litt., ch. XX, col.
388, t. 111] : L’Esprit créateur se meut lui-même, mais ni dans le
temps ni dans le lieu. Il semble donc que Dieu se meuve. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 arg. 3 Item, omne
quod est per alterum, reducitur ad illud quod est per se. Sed invenimus multa
quae moventur per alios motores. Ergo oportet esse aliquid quod
moveatur a seipso. Sed omnis creatura mota movetur ab alio, quia a Deo. Ergo Deus
est motus a se. |
3.
En outre, tout ce qui existe par un autre se ramène à ce qui existe par soi.
Mais nous rencontrons une multitude de choses qui sont mues par des moteurs
extérieurs. Il faut donc qu’il y ait un être qui se meuve par lui-même. Mais
toute créature qui se meut est mue par
un autre qui est Dieu. Donc Dieu est mû par lui-même. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod
exit de otio in actum, aliquo modo movetur, secundum philosophum, III Physic., text. 16, quia omnis operatio
quae est ab operante non moto est semper. Sed Deus quandoque creat in actu,
vel infundendo gratiam, cum prius hoc non fecerit. Ergo videtur quod ad minus
sit in eo mutatio de habitu in actum. |
4. De plus, tout ce qui
passe du reposà l’acte est mû de quelque manière selon le Philosophe [111
Physique, texte 16], car toute operation qui vient d’un agent immobile est
éternelle. Mais Dieu crée parfois en acte, soit en répandant la grâce, alors
qu’il n’avait pas fait cela antérieurement. Il semble donc qu’il y ait au
moins en lui le changement de l’habitus à l’acte. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, Malach. III, 6: ego Deus, et non mutor ; et
Jacob. I, 17: apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio. |
Cependant : 1. Malachie dit (111, 6) : Je suis Dieu et je ne change pas ;
et on lit dans Jacques (1, 17) : Celui qui ne change pas et chez qui
il n’y a pas l’ombre d’une variation. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut
probat philosophus, VIII Physic., text.
34, omne quod movetur, ab alio
movetur. Si igitur illud a quo movetur mobile ipsum, etiam movetur, oportet
quod ab aliquo motore moveatur. Sed impossibile est ire in infinitum. Ergo oportet devenire ad
primum motorem, qui movet et nullo modo movetur ; et hic est Deus. Ergo
omnino est immutabilis. |
2. En outre, tout comme le prouve le Philosophe [ VIII Physique,
texte 34], tout ce qui se meut est mû par un autre. Si donc ce par quoi le
mobile se meut, se meut lui aussi, il faut qu’il se meuve par l’action d’un
moteur extérieur. Mais il est impossible de procéder ainsi à l’infini. Il
faut donc en venir à un premier moteur qui meut tout en n’étant mû d’aucune
manière ; ce premier moteur est Dieu. Et il est absolument immuable. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod omnis motus vel mutatio, quocumque modo
dicatur, consequitur aliquam possibilitatem, cum motus sit actus existentis
in potentia. Cum igitur Deus sit actus purus, nihil habens de potentia
admixtum, non potest in eo esse aliqua mutatio. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que tout mouvement ou tout changement,
quelle qu’en soit la sorte, découle d’une possibilité, puisque le mouvement
est l’acte de ce qui existe encore en puissance. Donc, puisque Dieu est acte
pur, n’étant mélangé à aucune puissance, il ne peut y avoir en Lui aucun
changement. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod divina sapientia non dicitur
mobilis quia in se moveatur, sed inquantum procedit in effectus ; et ista
processio non est proprie motus, sed quamdam similitudinem motus habet. In
motu enim locali processivo, illud quod est in uno loco, fit postmodum in
alio, et deinde in alio, et sic deinceps quousque compleatur motus. Similiter
autem divina sapientia, quae est exemplar rerum, facit similitudinem suam in
creatura secundum ordinem: quia prius efficiuntur in participatione divinae
similitudinis creaturae superiores, et posterius inferiores. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on n’attribue pas la mobilité
à la sagesse divine parce qu’en elle-même elle se meut mais pour autant qu’il
y a des effets qui procèdent d’elle ; et cette procession n’est pas à
proprement parler un mouvement, mais elle possède une certaine ressemblance à
l’égard du mouvement. Dans le mouvement local progressif en effet, ce qui est
dans tel lieu devient par la suite dans un autre lieu et ainsi successivement
jusqu’à ce que le mouvement soit complété. De la même manière en quelque
sorte la sagesse divine, laquelle est la cause exemplaire des choses, produit
dans la créature sa ressemblance selon un certain ordre : car ce sont en
premier lieu les créatures supérieures, puis celles qui sont inférieures, qui
ont été produites par participation à la ressemblance divine. |
Unde in hoc habet similitudinem motus: quia ipsa
divina sapientia secundum similitudinem suam efficitur in creatura. In duobus
autem deficit a ratione motus: primo quia non est idem numero quod est in hoc
et in illo ; sed similitudo ejus ; secundo, quia non est ibi ordo temporis,
secundum quod procedit in diversas creaturas, sed tantum ordo naturae: quia
per prius naturaliter sunt in participatione divinae bonitatis creaturae
nobiliores, et si non tempore, saltem natura, et sic etiam intelligitur quod
Dionysius dicit in principio Cael. Hierar., 1, §1, 120 B : Sed
et patre luminum moto etc., et quod frequenter dicit, divinam bonitatem
vel sapientiam procedere in creaturas. |
C’est donc en cela que cette procession ressemble au mouvement :
car c’est la sagesse divine elle-même qui est produite dans la créature selon
la ressemblance. Et c’est sous deux rapports qu’elle se distingue du
mouvement : premièrement, ce n’est pas la même chose par le nombre qui
est en ceci et en cela, mais seulement une ressemblance ; deuxièmement,
parce qu’il n’y a pas là un ordre temporel selon lequel elle procède dans les
créatures, mais seulement un ordre de nature : car c’est par nature que
les craétures plus nobles sont les premières à exister dans la participation
de la bonté divine ; et si ce n’est pas par le temps, elles les sont au
moins par nature et c’est ainsi encore que l’entend Denys au début de La Hiérarchie Céleste
(1, &1, 120 B) : Mais toute procession par laquelle Dieu se
manifeste vient à nous par le Père des lumières etc., et c’est là ce
qu’il dit en de nombreuses occasions, à savoir que la bonté ou la sagesse
divine procède dans les créatures. |
[682] Super Sent., lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus accipit large moveri, secundum
quod ipsum intelligere est moveri quoddam et velle, quae proprie non sunt
motus sed comparatione [operationes Éd.
de Parme]. In hoc enim verificatur dictum Platonis in Parmenide, qui
dicit: Deus movet se ; sicut dicit
Commentator, XII Metaph., cap. II,
qui dicit quod Deus intelligit se et vult se: sicut etiam dicimus, quod finis
movet efficientem. Vel dicendum, quod movet se in creaturarum productione, ut
dictum est, hac dist., quaest. 1, art. 1. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’Augustin parle ici du mouvement
au sens large, selon que l’opération de l’intelligence et celle de la volonté
sont un certain mouvement, lesquelles ne sont pas proprement un mouvement mais
seulement par comparaison [les opérations Éd. de Parme]. C’est en cela
que se vérifie la parole de Platon dans le Parménide qui dit :
Dieu se meut ; comme le dit le Commentateur [XII Métaphysique,
ch. 11] qui dit que Dieu se comprend et se veut : tout comme nous disons
aussi que la fin meut l’agent. Ou bien il faut dire qu’Il se meut dans la
production des créatures ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction, à
l’article 1 de la question 1. |
[683] Super Sent., lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod impossibile est aliquid movere seipsum nisi
secundum diversas partes, ita quod una pars sit movens et alia mota ; sicut
etiam in animali est anima movens et corpus motum. Cujus ratio est, quia
nihil movet nisi secundum quod est in actu, nec movetur nisi secundum quod
est in potentia, et haec duo non possunt simul eidem inesse respectu ejusdem.
Et quia Deus est simplex, non potest esse quod seipsum moveat, proprie
loquendo. Quod ergo objicitur quod omne mobile per aliud reducitur ad mobile
per se, verum est de reductione quae est ad primum in genere illo. Unde
secundum philosophos, omnia mobilia reducuntur ad primum mobile, quod
dicebant motum ex se, quia est compositum ex motore et moto. Sed hoc ulterius
oportet reducere in primum simplex, quod est omnino immobile. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’il est impossible à une chose de
se mouvoir soi-même si ce n’est d’après différentes parties, de telle manière
qu’une partie meuve et que l’autre soit mue ; tout comme nous voyons
encore que l’âme meut et que le corps est mû. La raison en est que rien ne
meut qui ne soit en acte et rien n’est n’est mû qui ne soit en puissance, et
ces deux dimensions ne peuvent exister simultanément dans un même sujet sous un même rapport. Et
parce que Dieu est simple, il est impossible, à proprement parler, qu’Il se
meuve lui-même. Donc, ce qu’on objecte, à savoir que tout ce qui est mû par
un autre se ramène à ce qui se meut par soi est vrai de cette réduction à
l’égard de ce qui est premier dans tel genre. C’est pourquoi d’après les
philosophes tous les mobiles se ramènent à un premier mobile qu’ils disaient
être mû à partir de lui-même parce qu’ils le disaient être composé d’un
moteur et d’un mû. Mais il faut à la fin ramener cela à un être premier et
simple qui est absolument immobile. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
in omnibus in quibus operatio differt a substantia, oportet esse aliquem
modum motus ex hoc quod exit de novo in operationem ; quia acquiritur in ipso
operatio, quae prius non erat. In Deo autem operatio sua est sua substantia:
unde sicut substantia est aeterna, ita et operatio. Sed non sequitur
operationem operatum ab aeterno, sed secundum ordinem sapientiae, quae est
principium operandi. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que dans tous les cas où l’opération diffère de la
substance, il faut qu’il y ait une sorte de mouvement du fait qu’il passe une
nouvelle fois à l’opération car alors est acquise en lui l’opération qui n’y
était pas antérieurement. Mais en Dieu son opération est sa substance :
de là, tout comme la substance est éternelle, de même son opération est
éternelle. Mais l’effet ou l’œuvre produite ne suit pas l’opération de toute
éternité mais suivant l’ordre de la sagesse qui est le principe de l’opération. |
|
|
Articulus 2lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 tit.
Utrum omnis creatura sit mutabilis. |
Article 2 – Toute créature est-elle changeante ? |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod non
omnis creatura sit mutabilis. Omnis enim mutatio ut dicitur in V Phys., text. 7, est generatio vel
corruptio vel motus. Sed quaedam sunt in quibus nullum horum est, sicut
Angeli, et hujusmodi, quae sunt separata a materia et motu secundum
philosophos, XII Metaph., text. 30.
Ergo non omnis creatura mutabilis est. |
Difficultés : 1. Il semble que toute créature ne soit pas changeante. Tout
changement en effet, comme le dit [V Physique, texte 7] le Philosophe,
est soit une génération, soit une corruption, soit un mouvement. Mais il
existe des êtres, comme les Anges et les êtres qui sont séparés de la matière
et du mouvement d’après les philosophes [XII Métaphysique, texte 30],
dans lesquels ne se trouve aucun de ces changements. Donc, ce n’est pas toute
créature qui est changeante. |
Lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid est mutabile
pertinet ad considerationem naturalis, cujus est considerare motum. Sed substantiae
separatae a materia non considerantur a naturali. Ergo non sunt mutabiles. |
2. Par ailleurs, tout ce qui est changeant relève de la considération
du naturaliste auquel il appartient d’examiner le mouvement. Mais les
substances séparées de la matière ne sont pas examinées par le philosophe de
la nature. Elles ne sont donc pas changeantes. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 2 arg. 3 Praeterea, quidquid mutatur, subjicitur mutationi. Sed formae
simplices non possunt esse subjectum ut dicit Boetus, De Trinitae, cap. II, col. 1250. Ergo non possunt mutari |
3. De plus, tout est changé est le sujet d’un changement. Mais, comme le dit Boèce [De
la Trinité, ch. 11, col. 1250], les formes simples ne peuvent être un
sujet. Elles ne peuvent donc pas être changées. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut in Littera dicitur, omnis creatura
movetur per tempus vel per locum. Sed quaedam sunt creaturae quorum non est locus et tempus ; sicut
universale, quod, secundum philosophum, I Post.,
text. 7, est ubique et semper ; et sicut materia prima, de qua dicit
Augustinus, XII, Confess. Cap. XIX,
col. 836, quod successiones temporum, non habet. Ergo non omnis creatura
mutatur. |
4. En outre, comme il est dit dans le document, toute créature se
meut par le temps ou par le lieu. Mais il y a certaines créatures pour
lesquelles il n’y a ni lieu ni temps, comme c’est le cas pour l’universel
qui, selon le Philosophe [1 Seconds Analytiques, texte 7], se retrouve
partout et toujours ; et il en est de même pour la matière première, au
sujet de laquelle Augustin [XII Confessions, ch. XIX, col. 836] dit
qu’elle n’est pas soumise à la succession des temps. Ce n’est donc pas toute
créature qui est soumise au changement. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 2 s. c. 1 Contra, Psalm., 101,
28: Mutabis eos, et mutabuntur. |
Cependant : 1. Le Psalmiste dit (101, 28) : Tu les changeras et
ils seront changés. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Damascenus, lib. I Fidei orth., cap. III, col. 795, dicit: omne quod est ex nihilo, vertibile est in nihil ; quod enim a
mutatione incepit, subjacere mutationi necesse est. Sed omnis creatura
est hujusmodi. Ergo et cetera. |
En outre, Damascène [ 1, De la
Foi Orthodoxe, ch. 111, col. 795] dit : Tout ce qui sort du néant
peut retourner au néant ; tout ce qui a commencé à exister par le
changement est nécessairement soumis au changement. Toute créature est donc
soumise au changement. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. 1, motus,
quocumque modo dicatur, sequitur potentiam. Cum igitur omnis creatura habeat
[aliquam potentiam vel Éd. de Parme]
aliquid de potentia, quia solus Deus est purus actus, oportet omnes creaturas
mutabiles esse, et solum Deum immutabilem. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que, tout comme nous l’avons dit dans
l’article 1, le mouvement, quelle que soit la manière dont on le prenne,
découle d’une puissance. Donc, puisque toute créature a en elle [une
puissance Éd. de Parme] de la potentialité, car seul Dieu est acte
pur, il faut que toute créature soit changeante et que seul Dieu soit
immuable. |
Est autem
considerare duplicem possibilitatem: unam secundum id quod habet [res add. Éd. de Parme] ; alteram secundum
id quod nata est habere. Prima consequitur creaturam [naturam Éd. de Parme] secundum quod habet esse
ab alio ; omne enim quod esse suum ab alio habet, non est per se necesse
esse, ut probat Avicenna ; unde, quantum est in se, est possibile, et ista
possibilitas dicit dependentiam ad id a quo est. |
Mais il y a deux sortes de puissances à considérer : la première
selon ce qu’elle possède [la chose add. Éd. de Parme] ; la
deuxième selon ce qu’elle est apte à posséder naturellement. La première
résulte de la créature [nature Éd. de Parme] selon qu’elle tient d’un
autre son existence ; en effet, tout ce qui tient son existence d’un
autre, il n’est pas nécessaire qu’il existe ainsi que le prouve
Avicenne ; de là, quant à ce qu’il est en lui-même, il n’est qu’un
possible ou une puissance et cette possibilité dit une dépendance à l’égard
de ce par quoi il existe. |
Haec autem
possibilitas est duplex. Quaedam secundum dependentiam totius esse ad id a
quo est res secundum totum esse suum, et illud [hujusmodi Éd. de Parme] est Deus ; et hanc
dependentiam sive possibilitatem consequitur mutabilitas quaedam, quae est
vertibilitas in nihil, secundum Damascenum ubi supra. Tamen haec non proprie
est mutabilitas [mutabilitas dicitur Éd.
de Parme] dicitur, nec creatura secundum hoc proprio mutabilis est ; et
ideo Augustinus de hoc non facit mentionem in Littera. |
Mais cette possibilité d’existence est double. Il y a une possibilité
d’existence d’après la dépendance de toute l’existence à l’égard de ce par
quoi la chose existe d’après la totalité de son existence, et cela [un tel
être Éd. de Parme] est Dieu ; et de cette dépendance ou de cette
possibilité résulte un certain changement qui est le retour possible au
néant, comme Damascène l’a souligné plus haut. Cependant ce changement n’est
pas à proprement parler un changement [ne s’appelle pas changement Éd. de
Parme] et ce n’est pas d’après cela proprement que la créature est
changeante ; et c’est pourquoi Augustin n’en fait pas expressément
mention dans sa Lettre. |
Et hujus ratio
est duplex, quia in omni mutabili est invenire aliquid quod substernitur ei
quod per mutationem amovetur, et de hoc dicitur quod potest mutari. Sed si
accipiamus totum esse creaturae quod dependet a Deo, non inveniemus aliquid
substratum de quo possit dici quod potest mutari. |
Et il y a deux raisons pour cela, car dans tout ce qui peut changer
il faut retrouver quelque chose qui se tient sous ce qui est retiré par le
changement, et on peut dire que cela peut changer. Mais si nous prenons la
totalité de l’existence de la créature qui dépend de Dieu, nous ne retrouvons
pas un substrat au sujet duquel on puisse dire qu’il peut changer. |
Alia ratio est,
quia nihil dicitur possibile cujus contrarium est necessarium, vel quod non
potest esse, nisi impossibili posito. Esse autem creaturae omnino deficere
non potest, nisi retrahatur inde fluxus divinae bonitatis in creaturis, et
hoc est impossibile ex immutabilitate divinae voluntatis, et contrarium
necessarium ; et ideo ex hoc creatura non potest dici simpliciter corruptibilis
vel mutabilis sed sub conditione si sibi relinquatur ; et hoc est quod dicit
Gregorius ; lib. XVI, Moralium, cap.
XXXVII, col. 1343,: In nihilum omnia
deciderent, nisi ea manus omnipotentis contineret. |
L’autre raison est que rien n’est dit possible dont le contraire est
nécessaire, ou qui ne peut exister que s’il est posé comme impossible. Mais
l’existence de la créature ne peut absolument s’éteindre que si le flot de la
bonté divine est retiré aux créatures, et cela est impossible à cause de
l’immuabilité de la volonté divine et cela est contraire à ce qui est
nécessaire ; et c’est pourquoi sous ce rapport la créature ne peut être
dit simplement corruptible ou changeante, à condition toutefois que
l’existence lui soit conservée ; et c’est là ce que dit Grégoire [XVI, Des
Choses Morales, ch. XXXVII, col. 1343] : Tous retourneraient au
néant si la main du Tout-Puissant ne les tenait. |
Est etiam
quaedam dependentia sive possibilitas rei secundum partem sui esse, scilicet
formam, praesupposita materia, vel eo quod est loco materiae ; et hanc
possibilitatem sequitur mutatio variabilitatis, ex eo quod id quod habet ab
alio, potest amittere, quantum est in se, nisi forte impediatur ex
immutabilitate causae, ut dictum est, art. praeced. ; et hoc modo sancti in
gloria sunt immutabiles in esse gloriae propter immutabilitatem divinae
voluntatis. Secunda possibilitas consequitur creaturam secundum quod non est
perfecta simpliciter ; secundum hoc enim semper possibilis est ad
receptionem. |
Mais il y a aussi une dépendance ou une possibilité de la chose
d’après une partie de son existence, à savoir sa forme, la matière ou ce qui
en tient lieu étant présupposé ; et le changement de la variabilité
résulte de cette possibilité du fait que ce que la chose, quant à ce qu’elle
est en elle-même, tient d’un autre, elle peut le perdre à moins que cela ne
soit empêché en raison de l’immuabilité de la cause, comme nous l’avons dit
dans l’article précédent ; et en ce sens les saints qui jouissent de la
gloire de Dieu sont immuables dans leur existence en présence de cette gloire
en raison de l’immuabilité de la volonté divine. La deuxième possibilité
résulte de la créature selon que son existence n’est pas absolument
parfaite ; sous ce rapport en effet elle est toujours en puissance à
recevoir. |
Unde secundum
hoc etiam dicitur omnis creatura mutabilis, accipiendo large mutationem,
secundum quod omne recipere dicitur pati quoddam et moveri, sicut dicit
philosophus in Lib. 3 de anima, text. 12 : intelligere quoddam pati est. |
Par conséquent sous ce rapport on dit encore de toute créature
qu’elle est changeante, en prenant le changement au sens large, selon qu’on
dit de toute réception qu’elle est une certaine passion, un certain
mouvement, ainsi que le dit le Philosophe [111 De l’âme, texte
12] : L’acte de l’intelligence est une certaine passion. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophi consideraverunt tantum
illam mutationem quae est secundum variationem formae substantialis vel
accidentalis cujus causa non est immutabilis ; et hanc diviserunt per
generationem et corruptionem et motum. Talem autem mutationem non est
possibile in Angelis esse quantum ad id quod in natura eorum est. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que les philosophes n’ont considéré que
ce changement qui a lieu selon la variation de la forme substantielle ou de
la forme accidentelle dont la cause n’est pas immuable ; et c’est
pourquoi leur division du changement contient la génération, la corruption et
le mouvement. Mais il est impossible qu’il y ait de tels changements chez les
Anges quant à ce qui existe dans leur nature. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum, quia naturalis non
considerat nisi dictam mutationem. |
2. Et par là on voit la solution à la deuxième difficulté car le
naturaliste ne considère que les changements dont nous venons de parler. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Magister et Augustinus loquuntur hic de
creaturis quae habent esse perfectum ; formae autem non habent esse perfectum,
cum non subsistant in se, sed in alio. Vel dicendum, quod dupliciter dicitur
aliquid mutabile ; vel quia subjicitur mutationi, et hoc modo id tantum quod
est in potentia, mutatur ; aut sicut id quod removetur vel abjicitur in [in om. Éd. De Parme] mutatione ; et sic
formae, quae sunt actus, mutabiles sunt. Non hoc tamen videtur esse de
intentione Augustini. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le Maître, tout comme Augustin,
parle ici des créatures qui possèdent une existence parfaite ; mais les formes
ne possèdent pas une existence parfaite puisqu’elles ne subsistent pas en
elles-mêmes mais dans quelque chose d’autre. Ou bien encore il faut dire
qu’une chose est dite changeante de deux manières ; soit parce qu’elle
est sujette au changement et en ce sens seul ce qui est en puissance est
changeant ; soit comme ce qui est rejeté ou écarté dans [dans om. Éd.
de Parme] le changement ; et ainsi les formes, qui sont des actes,
sont changeantes. Mais cela ne semble pas avoir été l’intention d’Augustin. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum similiter, quod materia prima et universale non habent in se esse
completum ; sed esse eorum est in particularibus compositis: et ideo esse non
mutant per se, sed tantum per accidens, sicut est de formis. |
4. Il faut dire de la même manière en quatrième lieu que la matière
première et l’universel ne possèdent pas en eux-même une existence
complète ; mais leur existence se retrouve dans des composés
particuliers : et c’est pourquoi leur existence n’est pas changée
essentiellement mais accidentellement, tout comme celle des formes. |
|
|
Articulus 3 lib. 1 d. 8
q. 3 a. 3 tit. Utrum modi mutationis creaturarum convenienter assignentur ab
Augustino. |
Article 3 – Les modes de changement des créatures sont-ils attribués convenablement par Augustin ? |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur quod Augustinus inconvenienter assignet modos mutationis
creaturarum. Secundum illud enim est mutatio in quo invenitur motus, sicut
secundum quantitatem vel qualitatem. Sed in quando non est motus, ut dicit philosophus, V Phys., text. 9. Ergo videtur quod
nihil dicat creaturas moveri per tempora. |
Difficultés : 1. Il semble qu’Augustin n’identifie pas comme il convient les modes
de changements présents dans les créatures. D’après lui en effet il y a
changement là où on retrouve le mouvement, comme celui selon la quantité et
celui selon la qualité. Mais il n’y a pas de mouvement dans le temps comme le
dit le Philosophe [V Physique, texte 9]. Il semble donc qu’il ne dise
rien des créatures qui se meuvent par le temps. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 3 arg. 2 Praeterea, in nulla divisione debet unum membrum contineri sub
alio. Sed omnis motus qui est per locum, est etiam [etiam om. Éd. De Parme] per tempus. Ergo
videtur inconvenienter dividere mutationem in mutationem loci et temporis. |
2. Par ailleurs, dans aucune division on ne doit retrouver un membre
qui est contenu dans un autre. Mais tout mouvement qui s’effectue dans le
lieu se réalise aussi [aussi om. Éd. de Parme] par le temps. Il semble
donc incorrect de diviser le changement en changement de lieu et en
changement de temps. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 3 arg. 3 Praeterea, motus, secundum philosophum est in tribus generibus,
scilicet quantitate, qualitate, et ubi: et adhuc est in substantia generatio
et corruptio simpliciter, et in omnibus generibus generatio et corruptio
secundum quid: qui omnes inveniuntur in creatura corporali. Ergo
videtur quod diminute assignet mutationem creaturarum corporalium per ubi,
sive per locum tantum. |
3. En outre, le mouvement
selon le Philosophe se retrouve dans trois genres: la quantité, la qualité et
le lieu; et en outre dans le genre de la substance il y la génération et la
corruption proprement dites et dans tous les autres genres la génération et
la corruption sous un certain rapport: et tous ces changements se retrouvent
dans la créature corporelle. Il semble donc qu’il assigne sous une forme
diminutive le changement des créatures corporelles par le changement selon le
où, c’est-à-dire par le lieu seulement. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 3 arg. 4 Praeterea, tempus est mensura primi mobilis. Ergo quod non
habet ordinem ad motum primi mobilis, non habet relationem ad tempus. Sed
affectiones animarum non ordinantur ad motum caeli nec subjacent sibi. Ergo
inconvenienter dicit, quod moveri per tempus est per affectiones mutari. |
4. De plus, le temps est la mesure du premier mobile. Donc, ce qui
n’a pas rapport au mouvement du premier mobile n’a pas de relation avec le
temps. Mais les affections des âmes n’ont pas de rapport au mouvement du ciel
et ne lui sont pas soumises. Il dit donc incorrectement que se mouvoir dans
le temps c’est être changé dans les affections. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in motu proprie accepto est duo reperire,
scilicet continuitatem et successionem: et secundum quod habet continuitatem,
sic proprie mensuratur per locum, quia ex continuitate magnitudinis est
continuitas motus [ut dicitur IV Physic.,
text. 99 et V Physic., text ; 39 add. Éd. Mandonnet] secundum autem quod
habet successionem, sic proprie mensuratur per tempus ; unde tempus dicitur
numerus motus secundum prius et posterius. Quia autem inveniuntur aliqui
motus habentes continuitatem et successionem, aliqui autem habentes
successionem tantum, sicut motus affectionum, et etiam cogitationum, quando
scilicet anima transit de una cogitatione in aliam (inter enim illas duas
intentiones cogitatas non est aliqua continuitas) ideo divisit mutationem
creaturae per locum et tempus. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux choses à retrouver dans le
mouvement pris au sens propre, à savoir la continuité et la succession :
et selon qu’il posssède la continuité, ainsi il est proprement mesuré par le
lieu car la continuité du mouvement vient de la continuité de l’étendue
[ainsi qu’on le dit dans IV Physique, texte 99 et V Physique, texte
39 ; add. Éd. Mandonnet] ; mais selon qu’il possède la
succession, alors le mouvement se mesure proprement par le temps ; c’est
pourquoi on dit du temps qu’il est la mesure du mouvement selon l’avant ety
l’après. Mais parce qu’il se rencontre certains mouvements qui possèdent à la
fois la continuité et la succession et d’autres qui ne possèdent que la
succession, comme celui des affections et celui des pensées, c’est-à-dire
quand l’âme passe d’une pensée à une autre (il n’y a en effet entre ces deux
intentions pensées aucune continuité), c’est pourquoi il divise le changement
de la créature par le lieu et par le temps. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in genere quando non est motus,
sicut in terminante motum ; nullus enim motus terminatur ad quando sicut ad
ubi: est tamen motus in quando, sicut in mensurante. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que le mouvement n’est pas dans
le genre du temps comme dans le terme du mouvement ; aucun mouvement en
effet ne se termine à un temps comme il se termine à un lieu : le
mouvement se termine cependant au temps comme à ce qui le mesure. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod divisio intelligenda est cum
praecisione, ut sic scilicet intelligatur, quod quaedam mutatio est per locum
et tempus ; quaedam autem per tempus tantum ; quod patet ex his quae dicta
sunt. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la division doit s’entendre avec
précision, c’est-à-dire de manière à se comprendre ainsi, à savoir que
certains changements ont lieu dans le temps et le lieu alors que d’autes ont
lieu dans le temps seulement, ce qui est manifeste à partir de ce qui a été
dit. |
lib. 1 d. 8 q.
3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in corporalibus sint plures
motus, omnes tamen ordinantur ad motum localem caeli, qui est causa omnis
motus corporalis ; et ideo per motum localem tanguntur omnes. Vel potest
dici, quod alii motus a motu locali tanguntur per mutationem quae est per
tempus: quia, sicut Commentator probat, nullus alius motus est simpliciter
continuus nisi motus localis ; et ipse Augustinus dicit in littera, quod Deus
creaturam corporalem movet et per tempus et per locum. |
3. Il faut dire en troisième lieu que bien qu’il y ait plusieurs
sortes de mouvements dans les réalités corporelles, elles sont cependant
toutes ordonnées au mouvement local du ciel qui est la cause de tout
mouvement corporel ; et c’est pourquoi par le mouvement corporel on se trouve
à toucher tous les mouvements. On peut encore dire que les autres mouvements
sont touchés par le mouvement local au
moyen du changement qui a lieu dans le temps : car, tout comme le
Commentateur le prouve, aucun autre mouvement n’est absolument continu, sauf
le mouvement local ; et Augustin lui-même dit dans la letre que Dieu
meut la créature corporelle à la fois par le temps et par le lieu. |
lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod tempus dupliciter dicitur: uno modo
numerus prioris et posterioris inventorum in motu caeli ; et istud tempus
continuitatem habet a motu, et motus a magnitudine, et hoc tempore
mensurantur omnia quae habent ordinem ad motum caeli, sive per se, sicut
motus corporales, sive per accidens, sicut aliquae operationes animae,
secundum quod habent aliquam relationem ad corpus. Et hoc modo tantum
accipitur a philosophis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que le temps se dit de deux manières :
premièrement comme le nombre de l’avant et de l’après de ce que l’on
rencontre dans le mouvement du ciel ; et ce temps tient sa continuité du
mouvement et le mouvement la tient de l’étendue, et c’est par ce temps que
sont mesurées toutes les réalités qui se rapportent au mouvement du ciel,
soit par soi, comme les mouvements corporels, soit par accident comme
certaines opérations de l’âme selon qu’elles ont une relation au corps. Et
c’est de cette manière seulement que le temps s’entend par les philosophes. |
Alio modo,
dicitur tempus magis communiter numerus ejus quod habet quocumque modo prius
et posterius: et sic dicimus esse tempus mensurans simplices conceptiones
intellectus, quae sunt sibi succedentes: et istud tempus non oportet quod
habeat continuitatem, cum illud secundum quod attenditur motus, non sit
continuum. Et sic accipitur hic tempus, et frequenter a theologis. |
Deuxièmement le temps se dit plus communément comme le nombre de ce
qui possède de quelque façon que ce soit de l’avant et de l’après : et
c’est ainsi que nous disons que le temps est ce qui mesure les conceptions simples
de l’intelligence qui se succèdent les unes aux autres : et il n’est pas
nécessaire que ce temps possède de la continuité puisque ce d’après quoi
s’entend le mouvement n’est pas continu. Et c’est ainsi que se prend ici le
temps, comme le prennent fréquemment les théologiens. |
|
|
Quaestio 4 |
Question 4 – [La simplicité en Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis duo quaeruntur: primo de
divina simplicitate. Secundo de simplicitate creaturae. |
Pour arriver
à comprendre cette partie, on s’interroge sur deux choses : premièrement
sur la simplicité de Dieu ; deuxièmement sur la simplicité de la
créature. |
|
|
Circa primum
tria quaeruntur: 1 si in Deo
sit omnimoda simplicitas ; 2 an
contineatur in praedicamento substantiae ; 3 si alia praedicamenta de ipso dicantur. |
Au sujet du
premier point on pose trois questions : 1. Y a-t-il
en Dieu une simplicité absolue ? 2. Dieu
est-il contenu dans le prédicament de la substance ? 3. Est-ce que
les autres prédicaments lui sont attribués ? |
|
|
Articulus 1 lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 tit. Utrum Deus
sit omnino simplex. |
Article 1 – Dieu est-il simple d’une simplicité qui est absolue? |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod
Deus non sit simplex omnino. Ens enim cui non fit additio, est ens commune
praedicatum de omnibus de quo nihil potest vere negari. Sed Deus non est
hujusmodi. Ergo ad esse suum fit aliqua additio. Non est ergo simplex. |
Difficultés : 1. Voici comment on procède à l’égard de cette première question. Il
semble que Dieu ne soit pas simple d’une simplicité absolue. En effet, l’être
auquel rien ne s’ajoute est l’être commun qui est attribué à tous et duquel
rien ne peut être véritablement nié. Mais Dieu n’est pas un être de cette
sorte. Il y a donc quelque chose qui s’ajoute à son existence. Donc, il n’est
pas simple. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius,
lib. De hebdom. Col. 1311,: « Omne quod est esse participat ut sit ; alio autem participat, ut
aliquid sit ». Sed Deus verissime est ens et est aliquid, quia bonus
et sapiens et hujusmodi. Ergo Deus habet esse suum quo est, et super hoc
habet aliquid aliud quo aliquid est. Ergo non est simplex. |
2. Par ailleurs, Boèce [De Hebdom. Col. 1311] dit : ¨Toute
chose qui existe participe de l’être pour exister ; mais elle participe
par ailleurs pour être aussi quelque chose de déterminé¨. Mais Dieu est
le plus véritablement celui qui est et il est quelque chose, car il est bon,
sage etc. Donc Dieu possède son existence par laquelle il existe et en plus
de cela il possède quelque chose d’autre par quoi il est quelque chose. Il
n’est donc pas simple. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 1 arg. 3 Item, de quocumque praedicatur aliquid quod non est de
substantia sua, illud non est simplex. Sed quidquid praedicatur de aliquo
postquam non praedicabatur, illud non est de substantia sua, cum nulli rei
substantia sua de novo adveniat. Cum igitur de Deo praedicetur aliquid
postquam non praedicabatur, ut esse dominum et creatorem quae dicuntur de
ipso ex tempore, videtur quod ipse non sit simplex. |
3. Toute chose à laquelle ce qui lui est attribué ne fait pas partie
de sa substance, cette chose n’est pas simple. Mais tout ce qui est attribué
à un être sans lui avoir été attribué antérieurement ne fait pas partie de sa
substance puisque la substance d’aucun être ne lui survient à nouveau. Donc,
puisque quelque chose est attribué à Dieu à nouveau sans lui avoir été
attribué avant, comme d’être seigneur et créateur qui se disent de Lui à
partir du temps, il semble que Lui-même ne soit pas simple. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 1 arg. 4 Praeterea, ubicumque sunt plures res in uno, ibi oportet esse
aliquem modum compositionis. Sed in divina natura sunt tres personae
realiter distinctae, convenientes in una essentia. Ergo videtur ibi esse aliquis modus
compositionis. |
4. De plus, partout où il y a plusieurs choses dans une seule, il
faut qu’il y ait là une certaine forme de composition. Mais dans la nature
divine il y a trois personnes réellement distinctes qui ont en commun une
seule et même essence. Il semble donc qu’il y ait là une certaine forme de
composition. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 1 s. c. 1 Contra, omne compositum est posterius suis componentibus: quia
simplicius est prius in se, quam addatur sibi aliquid ad compositionem
tertii. Sed primo simpliciter nihil est prius. Cum igitur Deus sit primum
principium, non est compositus. |
Cependant : 1. Tout composé est postérieur à ses composantes : car ce qui
est plus simple est antérieur en soi à ce qui lui est ajouté pour la
composition d’une troisième chose. Mais rien n’est antérieur à ce qui est
absolument premier. Donc, puisque Dieu est le tout premier principe, il n’est
pas composé. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quod est primum dans omnibus esse, habet esse
non dependens ab alio: quod enim habet esse dependens ab alio, habet esse ab
alio, et nullum tale est primum dans esse. Sed Deus est primum dans omnibus
esse. Ergo suum esse non dependet ab alio. Sed cujuslibet compositi esse
dependet ex componentibus, quibus remotis, et esse compositi tollitur et secundum
rem et secundum intellectum. Ergo Deus non est compositus. |
2. En outre, ce qui est premier de manière à donner l’existence à
tout le reste, cela même possède une existence qui ne dépend pas d’un autre :
en effet, ce qui possède une existence qui dépend d’un autre tient son
existence de cet autre et rien de tel n’est premier à donner l’existence.
Mais Dieu est le premier principe qui donne l’existence à tous les êtres.
Donc, son existence ne dépend pas d’un autre. Mais l’existence de tout
composé dépend des éléments de sa composition qui, une fois retirés,
l’existence du composé disparaît elle aussi à la fois quant à la chose et
quant à l’intelligence. Donc, Dieu n’est pas un être composé. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 1 s. c. 3 Item, illud quod est primum principium essendi, nobilissimo
modo habet esse, cum semper sit aliquid nobilius in causa quam in causato.
Sed nobilissimus modus habendi esse, est quo totum aliquid est suum esse.
Ergo Deus est suum esse. Sed nullum compositum totum est suum esse, quia esse
ipsius sequitur componentia, quae non sunt ipsum esse. Ergo Deus non est
compositus. Et hoc simpliciter concedendum est. |
3. En outre, ce qui est le premier principe de l’existence possède
l’existence de la manière la plus noble puisque toujours quelque chose possède
une existence plus noble dans la cause que celle qu’il a dans l’effet. Mais
la manière la plus noble de posséder l’existence est celle par laquelle tout
ce qu’est la chose est son existence. Donc Dieu est sa propre existence. Mais
aucun composé n’est dans sa totalité son existence car son existence résulte
de ses composantes qui ne sont pas son existence même. Donc Dieu n’est par un
être composé. Et cela doit être concédé absolument. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquid esse sine additione dicitur
dupliciter. Aut de cujus ratione est ut nihil sibi addatur: et sic dicitur de
Deo: hoc enim oportet perfectum esse in se ex quo additionem non recipit ;
nec potest esse commune, quia omne commune salvatur in proprio, ubi sibi fit
additio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que c’est de deux manières qu’on
peut dire que quelque chose existe sans addition. Ou bien il est dans sa
nature même que rien ne lui soit ajouté et c’est ainsi que cela se dit de
Dieu : cela doit être en effet parfait en soi du fait qu’il ne reçoit
aucune addition ; et il ne peut être commun car tout universel est
conservé dans le propre où quelque chose lui est ajoute. |
Aut ita quod
non sit de ratione ejus quod fiat sibi additio, neque quod non fiat, et hoc
modo ens commune est sine additione. In intellectu enim entis non includitur
ista conditio, sine additione ; alias nunquam posset sibi fieri additio, quia
esset contra rationem ejus ; et ideo commune est, quia in sui ratione non
dicit aliquam additionem, sed potest sibi fieri additio ut determinetur ad
proprium ; sicut etiam animal commune dicitur esse sine ratione, quia de
intellectu ejus non est habere rationem, neque non habere ; asinus autem
dicitur sine ratione esse, quia in intellectu ejus includitur negatio
rationis, et per hoc determinatur secundum differentiam propriam. |
Ou bien quelque chose est sans addition de telle manière qu’il ne
soit pas dans sa nature ni que quelque chose lui soit ajouté, ni que quelque
chose ne lui soit pas ajouté, et c’est en ce sens que l’être commun est sans
addition. En effet, dans la compréhension de l’être n’est pas incluse cette
condition, à savoir sans addition, autrement jamais une addition ne pourrait
lui arriver car cela serait contraire à sa nature ; et c’est pourquoi
cet être est commun car dans sa définition on ne dit aucune addition, mais il
peut lui survenir une addition de manière à ce qu’il se détermine à quelque
chose de propre ; c’est de cette manière encore qu’on dit de l’animal,
pris universellement, qu’il est sans raison car posséder la raison, tout
comme ne pas la posséder, ne fait pas partie de sa compréhension ; mais
on dit de l’âne au contraire qu’il est sans raison car dans la compréhension
qu’on s’en fait est incluse la négation de la raison et par là il se trouve à
être déterminé selon une différence qui lui est propre. |
Ita etiam
divinum esse est determinatum in se et ab omnibus aliis divisum, per hoc quod
sibi nulla additio fieri potest. Unde patet quod negationes dictae de Deo,
non designant in ipso aliquam compositionem. |
C’est de cette manière encore que l’existence divine est déterminée
en elle-même et séparée de toutes les autres par cela même qu’aucune addition
ne peut lui arriver. D’où il est clair que les négations qu’on dit de Dieu ne
désignent en Lui aucune composition. |
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in rebus creatis res
determinatur ut sit aliquid, tripliciter: aut
per additionem alicujus differentiae, quae potentialiter in genere erat ; aut ex eo quod natura communis recipitur
in aliquo, et fit hoc aliquid ; aut ex eo quod
alicui additur accidens, per quod dicitur esse vel sciens vel albus. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les choses créées la chose
est déterminée à être quelque chose de trois manières : soit par l’addition d’une différence qui existait potentiellement
dans le genre ; soit du fait que la nature commune est reçue dans un sujet pour
devenir tel individu ; soit du fait qu’à un individu un accident s’ajoute par lequel on dise
de lui qu’il est soit savant, soit blanc. |
Nullus istorum
modorum potest esse in Deo, quia ipse non est commune aliquid, cum de
intellectu suo sit quod non addatur sibi aliquid [alicui additur accidens Éd. de Parme] ; nec etiam ejus natura
est recepta in aliquo, cum sit actus purus ; nec etiam recipit aliquid extra
essentiam suam, eo quod essentia sua continet omnem perfectionem. |
Aucune de ces manières ne peut exister en Dieu car Lui-même n’est pas
comme un genre commun puisqu’il est dans sa nature que rien ne lui soit
ajouté [à quoi s’ajoute l’accident Éd. de Parme] ; et
en plus sa nature n’est pas telle qu’elle soit reçue dans quelque chose
puisqu’Il est acte pur ; et enfin il ne reçoit pas quelque chose qui
serait extérieur à son essence du fait que son essence contient toute
perfection. |
Remanet autem
quod sit aliquid determinatum per conditionem negandi ab ipso omnem
additionem [vel conditionem Éd. de
Parme], et per hoc removetur ab eo omne illud quod possibile est
additionem recipere. Unde per suum esse absolutum non tantum est, sed aliquid
est. Nec differt in eo quo est et aliquid esse, nisi per modum significandi,
vel ratione, ut supra dictum est, (dist. 2, qu. unica, art. 2), de
attributis. Dictum autem Boetii intelligitur de participantibus esse, et non
Deo qui essentialiter est suum esse. Ex quo patet quod attributa nullam
compositionem in ipso faciunt. Sapientia enim secundum suam rationem non
facit compositionem, sed secundum suum esse, prout in subjecto realiter
differens est ab ipso ; qualiter in Deo non est, ut dictum est, (in hac dist.
qu. 1, art. 1). |
Il demeure cependant qu’il soit un être déterminé par cette condition
de devoir nier de Lui toute addition [ou condition Éd. de Parme] et
par là on écarte de Lui tout ce qui est en puissance à recevoir une addition.
C’est pourquoi par son existence absolue il n’existe pas seulement, mais il
existe comme être déterminé. Et en Lui il n’y a pas de différence entre ce
par quoi il est et ce qu’il est, si ce n’est par la manière de signifier ou
par la raison, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, qu. Unique,
art. 2] au sujet des attributs. Mais les paroles de Boèce s’entendent de ceux
qui existent par participation et non de Dieu qui est essentiellement sa
propre existence. D’où il est clair que ses attributs n’entraînent aucune
composition en Lui. Ce n’est pas en effet selon sa définition que la sagesse
entraîne une composition mais c’est selon son existence selon que dans un
sujet elle diffère réellement de ce dernier ; mais comme nous l’avons
dit [dans cette distinction, question 1, article 1], ce n’est pas de cette
manière que les choses se passent en Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
hujusmodi relationes quae dicuntur de Deo ex tempore, non ponunt aliquid in
ipso realiter, sed tantum in creatura. Contingit enim, ut dicit philosophus,
V Metaph., text. 20, aliquid dici
relative, non quod ipsum referatur, sed quia aliquid refertur ad ipsum ;
sicut est in omnibus quorum unum dependet ab altero, et non e contrario ;
sicut scibile non est relativum, nisi quia scientia refertur ad ipsum ;
scibile enim non dependet a scientia, sed e converso. Sed quia intellectus
noster non potest accipere relationem in uno relativorum [extremorum Éd. de Parme] quin intelligatur in
illo ad quod refertur, ideo ponit relationem quamdam circa ipsum scibile, et
significat ipsum relative. Unde illa relatio quae significatur in scibili,
non est realiter in ipso, sed secundum rationem tantum ; in scientia autem
realiter. Ita etiam relatio importata per hoc nomen Deus, vel creator, cum de
Deo dicatur, non ponit aliquid in Deo nisi secundum intellectum, sed tantum
in creatura. Ex quo patet
quod diversitas relationum ipsius Dei ad creaturas non ponit compositionem in
ipso. |
3. Il faut dire en troisième lieu que de telles relations attribuées
à Dieu à partir du temps n’affirment pas quelque chose qui existent en Lui
réellement, mais seulement dans la créature. Il arrive en effet, comme le dit
le Philosophe [V Métaphysique, texte 20] que quelque chose se dise relativement
non pas de manière à se rapporter à quelque chose d’autre, mais parce que
quelque chose d’autre se rapporte ou se compare à lui ; il en est ainsi
par exemple dans tous les cas où une même chose dépend d’une autre mais non
inversement. Par exemple l’objet qui peut être connu n’est relatif que parce
que la science se rapporte à lui ; en effet, ce n’est pas l’objet à
connaître qui dépend de la science mais c’est l’inverse qui est vrai. Mais
parce que notre intelligence ne peut
recevoir une relation dans un seul des relatifs [extrêmes Éd. de Parme]
qui n’est compris que par comparaison à celui auquel il se rapporte, c’est
pourquoi il pose une certaine relation sur l’objet à connaître lui-même et le
signifie relativement. C’est pourquoi cette relation qui est signifiée dans
l’objet à connaître n’existe pas en lui selon la réalité mais seulement selon
la raison, alors que cette relation existe en réalité dans la science. De
même encore la relation impliquée par ce nom, à savoir Dieu ou créateur,
lorsqu’elle se dit de Dieu, ne pose quelque chose en Dieu que selon
l’intelligence mais quelque chose de réel seulement dans la créature. D’où il
est clair que la diversité des relations de Dieu lui-même aux créatures ne
pose aucune composition en Lui. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod, sicut supra dictum est, dist. 2, qu. unica, art. 5, proprietas
personalis comparata ad essentiam, non differt re ab ipsa, et ideo non facit
compositionem cum ea ; sed comparata ad suum correlativum, facit distinctionem
realem ; sed ex illa parte non est aliqua unio, et ideo nec compositio. Unde relinquitur ibi tres esse res et
tamen nullam compositionem. Ex hoc patet nomina personalia nullam in Deo
compositionem significare. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que, ainsi que nous l’avons dit
plus haut [dist. 2, qu. Unique, art. 5], la propriété personnelle comparée à
l’essence ne diffère pas par la chose de cette dernière, et c’est pourquoi
elle ne fait pas composition avec l’essence ; mais comparée à son corrélatif,
elle fait une distinction réelle ; mais de ce côté il n’y a pas union et
c’est pourquoi il n’y a pas non plus composition. D’où il s’ensuit qu’il y a
là trois réalités qui existent et cependant aucune composition. D’où il est
clair que les noms personnels ne signifient en Dieu aucune composition. |
|
|
lib. 1
d. 8 q. 4 a. 2 tit. Utrum Deus sit in praedicamento substantiae. |
Article 2 – Dieu est-il dans la catégorie de la substance ?[9] |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur quod Deus sit in praedicamento substantiae. Omne enim quod est, vel est substantia
vel accidens. Sed Deus non est accidens, ergo est substantia. Cum igitur
substantia praedicetur de ipso sicut praedicatum substantiale, et non
conversim, quia non omnis substantia est Deus, videtur quod de ipso
praedicetur sicut genus, et ita Deus est in genere substantiae. |
Difficultés : 1.
Voici comment on procède à l’égard de cette deuxième question. Il semble que
Dieu soit dans le prédicament de la substance. En effet, tout ce qui existe
est soit une substance, soit un accident. Mais Dieu n’est pas un
accident ; il est donc une substance. Donc puisque la substance
s’attribue à Lui comme un prédicat substantiel et non inversement car ce
n’est pas toute substance qui est Dieu, il semble que la substance Lui est
attribuée comme un genre et ainsi Dieu est dans le genre de la substance. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 2 arg. 2 Praeterea, substantia est quod non est in subjecto, sed est ens
per se. Cum igitur Deo hoc maxime conveniat, videtur quod ipse
sit in genere substantiae. |
2. Par ailleurs, la
substance est ce qui n’existe pas dans un sujet mais elle est ce qui existe
par soi. Donc, puisque cela appartient à Dieu de la façon la plus excellente,
il semble que Lui-même soit dans le genre de la substance. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum
philosophum, X Metaph., text. 3, unumquodque mensuratur minimo sui
generis, et dicit ibi Commentator quod illud ad quod mensurantur omnes
substantiae est primus motor, qui, secundum ipsum, est Deus. Ergo Deus est in
genere substantiae. |
3. De plus, selon le Philosophe [X Métaphysique, texte 3],
toute chose est mesurée par ce qu’il y a de plus petit dans son genre, et là
le Commentateur dit que ce à quoi se mesurent toutes les substances est le
premier moteur qui, d’après lui, est Dieu. Dieu est donc dans le genre de la
substance. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid est in genere [substantiae add. Éd. de Parme], aut est sicut
generalissimum, aut est sicut contentum sub ipso. Sed Deus non est in genere
substantiae sicut generalissimum, quia praedicaretur de omnibus substantiis ;
nec etiam sicut contentum sub genere [contentum sustantiae Éd. de Parme], quia adderet aliquid,
supra genus [scilicet supra add. Éd. de
Parme] et ita non esset divina essentia simplicissima. Ergo Deus non est
in genere substantiae. |
Cependant : 1.
Tout ce qui est dans le genre [de la substance add. Éd. de Parme] y
est soit comme le plus universel, soit comme ce qui est contenu en lui. Mais
Dieu n’est pas dans le genre de la substance comme ce qu’il y a de plus
universel car alors Il s’attribuerait à toutes les substances ; et Il ne
s’y trouve pas non plus comme contenu dans le genre [comme un contenu de la
substance Éd. de Parme] car alors il ajouterait quelque chose au genre
[c’est-à-dire au genre add. Éd. de Parme] et ainsi l’essence divine ne
serait plus la plus simple. Donc, Dieu n’est pas dans le genre de la
substance. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 2 s. c. 2. Praeterea, quidquid est in genere, habet esse suum
determinatum ad illud genus. Sed esse divinum nullo modo determinatum
[terminatum Éd. de Parme] est ad
aliquod genus ; quinimmo comprehendit in se nobilitates omnium generum, ut
dicit philosophus et Commentator, in V Metaph.,
text. 21. Ergo Deus non est in genere substantiae. Quod simpliciter
concedendum est. |
2. De plus, tout ce qui est
dans un genre possède une existence qui est déterminée ou limitée à ce genre.
Mais l’existence divine n’est d’aucune manière déterminée [limitée Éd. de Parme] à un genre
particulier ; mais au contraire elle comprend en elle-même les
perfections de tous les genres, ainsi que le disent le Philosophe et le
Commentateur [V Métaphysique, texte
21]. Donc, Dieu n’est pas dans le genre de la substance. Et cela doit être
concédé purement et simplement. |
Hujus autem
ratio quadruplex assignatur, prima ponitur in littera ex parte nominis
sumpta. Nomen enim substantiae imponitur a substando, Deus autem nulli
substat. |
Il y a quatre raisons pour manifester cela et la première qui est
présentée dans le document se tire du côté du nom. En effet, le nom même de
substance a été imposé à partir de l’idée de se tenir dessous, alors que Dieu
ne se tient sous rien. |
Secunda sumitur
ex ratione ejus quod est in genere. Omne enim hujusmodi addit aliquid supra
genus, et ideo illud quod est summe simplex, non potest esse in genere. |
La deuxième se tire de la nature de ce qui est dans un genre. En
effet tout ce qui est dans un genre ajoute quelque chose au genre, et c’est
pourquoi ce qui est le plus simple ne peut se trouver dans un genre. |
Tertia ratio subtilior est Avicennae,
tract. V Metaph., cap.IV et tract.
IX, cap. 1. Omne quod est in genere, habet quidditatem differentem ab esse,
sicut homo ; humanitati enim ex hoc quod est humanitas, non debetur esse in
actu ; potest enim cogitari humanitas et tamen ignorari an aliquis homo sit.
Et ratio hujus est, quia commune, quod praedicatur de his quae sunt in
genere, praedicat quidditatem, cum genus et species praedicentur in eo quod
quid est. |
Une troisième raison plus fine nous vient d’Avicenne [Métaphysique V,
ch. IV et 1X, ch. 1]. Tout ce qui est dans un genre possède une quiddité qui
est différente de son existence, comme c’est le cas pour l’homme : en
effet, du seul fait que l’humanité est l’humanité, il ne lui est pas nécessaire
d’exister en acte ; on peut en effet penser l’humanité et cependant
ignorer si tel homme existe. Et la raison en est que l’universel, qui est
attribué à ce qui est contenu dans le genre, attribue la quiddité, puisque le
genre et l’espèce sont attribués dans l’essence. |
Illi autem
quidditati non debetur esse nisi per hoc quod suscepta est in hoc vel in
illo. Et ideo quidditas generis vel speciei non communicatur secundum unum
esse omnibus, sed solum secundum unam rationem communem. Unde constat quod esse
suum non est quidditas sua. In Deo autem esse suum est quidditas sua :
aliter enim accideret quidditati, et ita esset acquisitum sibi ab alio, et
non haberet esse per essentiam suam. Et ideo Deus non potest esse in aliquo
genere. |
Mais il n’est nécessaire à cette quiddité d’exister qu’à la condition
d’être reçue dans celui-ci ou dans celui-là. Et c’est pourquoi la quiddité du
genre ou de l’espèce n’est pas communiquée à tous d’après une seule existence,
mais seulement d’après une seule définition commune. De là il est clair que
son existence n’est pas sa quiddité. Mais en Dieu l’existence est identique à
la quiddité : autrement il Lui surviendrait une quiddité et ainsi elle
Lui serait acquise par un autre et il ne posséderait par l’existence par son
essence. Et c’est là la raison pour laquelle Dieu ne peut être dans un genre. |
Quarta causa
est ex perfectione divini esse, quae colligit omnes nobilitates omnium
generum. Unde ad nullum genus determinatur, ut objectum est. |
La quatrième raison se tire de la perfection de l’existence divine
qui réunit toutes les perfections qu’on retrouve dans tous les genres. C’est
pourquoi Dieu ne peut être limité à aucun genre, ainsi que nous l’avons
expliqué. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus simpliciter non est accidens,
nec tamen omnino proprie potest dici substantia ; tum quia nomen substantiae
dicitur a substando, tum quia substantia quidditatem nominat, quae est aliud
ab esse ejus. Unde illa est divisio entis creati. Si tamen non fieret in hoc
vis, largo modo potest dici substantia, quae tamen intelligitur supra omnem
substantiam creatam, quantum ad id quod est perfectionis in substantia, ut
non esse in alio et hujusmodi, et tunc est idem in praedicato et in subjecto,
sicut in omnibus quae de Deo praedicantur ; et ideo non sequitur quod omne
quod est substantia, sit Deus ; quia nihil aliud ab ipso recipit
praedicationem substantiae sic acceptae, secundum quod dicitur de ipso ; et
ita propter diversum modum praedicandi non dicitur substantia de Deo et
creaturis univoce, sed analogice. Et haec potest esse alia ratio quare Deus
non est in aliquo genere, quia scilicet nihil de ipso et de aliis univoce
praedicatur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que Dieu n’est absolument pas un
accident et il ne peut cependant absolument pas être appelé substance au sens
propre, tant parce que le nom de substance se dit de ce qui se tient dessous
que parce que la substance désigne une quiddité qui est autre que son
existence. Et c’est pourquoi la substance est une division de l’être créé.
Cependant, s’il n’y a rien de forcé en cela, au sens large Dieu peut être
appelé substance si on l’entend cependant comme une substance qui transcende
toute substance créée quant à ce qu’il y a de perfection dans la substance,
comme de ne pas exister dans un autre
et d’autres choses de ce genre et alors c’est la même chose qu’on
retrouve dans le sujet et le prédicat, comme tout ce qui est attribué à
Dieu ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que tout ce qui est
substance soit Dieu ; car rien d’autre que Lui ne reçoit l’attribution
de la substance prise en ce sens selon qu’elle se dit de Lui ; et ainsi,
en raison d’un mode différent d’attribution, la substance ne se dit pas de
Dieu et des créatures d’une manière univoque, mais par analogie. Et cela peut
constituer une autre raison pour laquelle Dieu n’est pas dans un genre,
c’est-à-dire parce que rien ne s’attribue de manière univoque à Dieu et aux
autres êtres. |
Lib. 1, dist. 8, qu. 4, art. 2, ad. 2. Ad secundum dicendum, quod ista definitio, secundum Avicennam, tract.
11 Metaph., cap. 1, et tract. 111, cap. VIII, non potest esse substantiae :
substantia est quae non est in subjecto. Ens enim non est genus. Haec autem
negatio ¨non in subjecto¨ nihil ponit ; unde hoc quod dico, ens non est
in subjecto, non dicit aliquod genus : quia in quolibet genere oportet
significare quidditatem aliquam, ut dictum est, de cujus intellectu non est
esse. Ens autem non dicit quidditatem, sed solum actum essendi, cum sit
principium ipsum ; et ideo non sequitur : est non in subjecto, ergo
est in genere substantiae ; sed oportet addi : est habens
quidditatem quam consequitur esse non in subjecto ; ergo est in genere
substantiae. Sed hoc dictum Deo non convenit, ut dictum est. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que cette définition, d’après
Avicenne [Métaphysique, tr. 11, ch. 1 ; et tr. 111, ch. VIII] ne peut pas être celle de la
substance : la substance est ce qui n’existe pas dans un sujet. L’être
en effet n’est pas un genre. Cette négation cependant, à savoir ¨n’est pas
dans un sujet¨, n’affirme rien ; de là ce que je dis, à savoir l’être
n’est pas dans un sujet, cela ne dit pas un genre car dans tout genre il
faut signifier une certaine quiddité, ainsi que nous l’avons dit, dans la compréhension
de laquelle il n’y a pas l’existence. L’être cependant ne dit pas une
quiddité, mais seulement l’acte d’exister puisqu’il est le principe
même ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas ceci : ceci n’est pas
dans un sujet, donc ceci est dans le genre de la substance ; mais il
faut ajouter : ceci possède une quiddité qui découle de ne pas exister
dans un sujet, donc ceci est dans le genre de la substance. [mais il faut
…dans le genre de la substance om. Éd. de Parme]. Mais cela ne
convient pas à Dieu, ainsi que nous l’avons dit [nous l’avons dit om. Éd.
de Parme] dans la citation précédente. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod mensura proprie dicitur in
quantitatibus: dicitur enim mensura illud per quod innotescit quantitas rei,
et hoc est minimum in genere quantitatis vel simpliciter, ut in numeris, quae
mensurantur unitate, quae est minimum simpliciter ; aut minimum secundum
positionem nostram, sicut in continuis, in quibus non est minimum simpliciter
; unde ponimus palmum loco minimi ad mensurandum pannos, vel stadium ad
mensurandum viam. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la mesure se dit proprement de
la quantité : on dit en effet d’une mesure qu’elle est ce par quoi la
quantité de la chose est connue, et cela est la plus petite partie dans le
genre de la quantité soit absolument comme dans les nombres qui sont mesurées
par l’unité qui set la plus petite partie absolument ; soit la plus
petite partie selon notre position, comme c’est le cas dans les quantités
continues dans lequelles il n’y a pas de plus petite partie absolue ;
c’est pourquoi nous prenons le palme comme étant la plus petite quantité pour
mesurer les pièces d’étoffe, ou le stade pouir mesurer le chemin parcouru. |
Exinde
transumptum est nomen mensurae ad omnia genera, ut illud quod est primum in
quolibet genere et simplicissimum et perfectissimum dicatur mensura omnium
quae sunt in genere illo ; eo quod unumquodque cognoscitur habere de veritate
generis plus et minus, secundum quod magis accedit ad ipsum vel recedit, ut
album in genere colorum. Ita etiam in genere substantiae illud quod habet
esse perfectissimum et simplicissimum, dicitur mensura omnium substantiarum,
sicut Deus. Unde non oportet quod sit in genere substantiae sicut contentum,
sed solum sicut principium, habens in se omnem perfectionem generis sicut
unitas in numeris, sed diversimode ; quia unitate non mensurantur nisi numeri
; sed Deus est mensura non tantum substantialium perfectionum, sed omnium
quae sunt in omnibus generibus, sicut sapientiae, virtutis et hujusmodi. Et
ideo quamvis unitas contineatur in uno genere determinato sicut principium,
non tamen Deus. |
De là le nom de mesure a été transporté à tous les genres, de sorte
que ce qui est premier, le plus simple et le plus parfait dans tout genre
soit appelé la mesure de tout ce qui est dans ce genre ; du fait que
toute chose est connue comme possédant plus ou moins de la vérité du genre
selon qu’elle s’approche ou s’éloigne davantage de la mesure, comme du blanc
dans le genre de la couleur. De même encore dans le genre de la substance ce
qui possède l’existence la plus parfaite et la plus simple, comme Dieu, est
appelé la mesure de toutes les substances. C’est pourquoi il ne faut pas que
la mesure soit dans le genre de la substance comme ce qui y est contenu, mais
seulement comme un principe qui possède en lui toute la perfection du genre
comme c’est le cas pour l’unité par rapport aux nombres, mais
différemment ; car il n’y a que les nombres qui soient mesurés par
l’unité alors que Dieu est la mesure non seulement des perfections
substanctielles, mais de toutes les perfections qui sont dans tous les
genres, par exemple de la sagesse, de la vertu etc. Et c’est pourquoi, bien
que l’unité soit contenue dans un genre déterminé comme principe, ce n’est
pas le cas pour Dieu. |
|
|
Articulus 3 : lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 tit. Utrum alia
praedicamenta de Deo dicantur |
Article 3 – Est-ce que les autres prédicaments s’attribuent à Dieu ?[10] |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 arg. 1Ad tertium sic
proceditur. Videtur etiam quod alia praedicamenta de Deo dicantur. De quocumque enim praedicatur species, et
genus. Sed scientia, quae est species qualitatis, invenitur in Deo, et
magnitudo, quae est species quantitatis. Ergo et quantitas et qualitas. |
Difficultés : 1.
Il semble que les autres prédicaments aussi s’attribuent à Dieu. L’espèce et
le genre en effet s’attribuent à tout. Mais la science, qui est une espèce de
la qualité, se retrouve en Dieu, comme la grandeur qui est une espèce de la
quantité. Donc la quantité et la qualité s’attribuent à Dieu. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus
in IV Metaph., text. 4 et seq.,
dicit: « unum in substantia facit
idem, in quantitate aequale, in qualitate simile ». Sed in Deo
dicitur vere aequalitas et similitudo. Ergo oportet de eo dici aliquid per modum qualitatis et
quantitatis, sicut scientiam vel magnitudinem. |
2. En outre, le Philosophe [IV Métaphysique, texte 4 et suiv.]
dit : ¨De l’un dans la substance résulte le même, dans la quantité
l’égal et dans la qualité le semblable¨. Mais en Dieu on parle
véritablement de l’égal et du semblable. Il faut donc Lui attribuer quelque
chose selon le mode de la qualité et de la quantité, comme la science ou la
grandeur. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 3 arg. 3 Praeterea, natura generis propriissime reperitur in eo in quo
primo est. Sed Deus est primum agens. Ergo in eo actio praecipue invenitur. |
3. De plus, la nature du genre se découvre le plus proprement dans ce
en quoi elle se retrouve en premier. Mais Dieu est l’agent premier. C’est
donc en Lui que l’action se retrouve en premier. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 3 arg. 4 Praeterea, quanto aliquid est debilioris esse, tanto magis
repugnat summae perfectioni. Sed inter omnia alia entia relatio habet
debilissimum esse, ut dicit Commentator, XI Metaph., text. 11, unde etiam fundatur super alia omnia entia,
sicut supra quantitatem aequalitas, et sic de aliis. Cum igitur in divinis
inveniatur relatio, multo fortius alia praedicamenta. |
4. Par ailleurs, un être répugne d’autant plus à la plus grande
perfection qu’il est plus faible. Mais parmi tous les autres êtres, la
relation comme catégorie possède l’existence la plus faible, ainsi que le dit
le Commentateur [XI Métaphysique, texte 11], et c’est pourquoi elle se
fonde sur tous les autres êtres comme l’égalité se fonde sur sur la quantité,
et il en est ainsi du reste. Donc, puisqu’on retrouve une relation entre les
personnes divines, on y retrouve à plus forte raison les autres catégories. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 3 s. c. 1 Contra, Augustinus V De
Trin., cap. VIII : omne quod de Deo
dicitur, aut secundum substantiam aut secundum relationem dicitur ; et
ita alia praedicamenta non erunt in divinis. Hoc etiam habetur ex auctoritate
Augustini in littera. |
Cependant : 1. Augustin [V De la Trinité, ch. VIII] dit : Tout ce qui se dit de
Dieu se dit soit selon la substance, soit selon la relation ; et
ainsi les autres prédicaments de se retrouvent pas en Dieu. Cette conclusion
se tire aussi de l’autorité d’Augustin dans le document. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod quidquid inventum in creaturis, de Deo
praedicatur, praedicatur eminenter, ut dicit Dionysius, sicut etiam est in
omnibus aliis causis et causatis. Unde oportet omnem imperfectionem
removeri ab eo quod in divinam praedicationem venit. Sed in unoquoque novem praedicamentorum
duo invenio ; scilicet rationem accidentis et rationem propriam illius
generis, sicut quantitatis vel qualitatis. Ratio autem accidentis
imperfectionem continet: quia esse accidentis est inesse et dependere, et
compositionem facere cum subjecto per consequens. Unde secundum rationem
accidentis nihil potest de Deo praedicari. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que tout ce qu’on retrouve dans les
créatures et qui s’attribue à Dieu Lui est attribué de la manière la plus
excellente, ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, VII, & 3, col. 870, t. 1], comme c’est
le cas aussi pour toutes les autres causes et leurs effets. D’où il faut que
toute imperfection soit exclue de ce qui est présent dans la perfection
divine. Mais dans chacun des neuf autres prédicaments je découvre deux
choses : à savoir la notion d’accident et la notion propre à ce genre,
comme la quantité et la qualité. Mais la notion d’accident contient une
imperfection : car l’être d’un accident est d’exister dans un autre et
de dépendre, et par conséquent de produire une composition avec le sujet.
C’est pourquoi rien ne peut être attribué à Dieu d’après la notion
d’accident. |
Si autem
consideremus propriam rationem cujuslibet generis, quodlibet aliorum generum,
praeter ad aliquid, importat imperfectionem ; quantitas enim habet propriam
rationem in comparatione ad subjectum ; est enim quantitas mensura
substantiae, qualitas dispositio substantiae, et sic patet in omnibus aliis. Unde
eadem ratione removentur a divina praedicatione secundum rationem generis,
sicut removebantur per rationem accidentis. Si autem consideremus species ipsarum, tunc aliqua
secundum differentias completivas important aliquid perfectionis, ut
scientia, virtus et hujusmodi. Et ideo ista praedicantur de Deo secundum
propriam rationem speciei et non secundum rationem generis. Ad
aliquid autem, etiam secundum rationem generis, non importat aliquam
dependentiam ad subjectum ; immo refertur ad aliquid extra: et ideo etiam
secundum rationem generis in divinis invenitur. Et propter hoc tantum
remanent duo modi praedicandi in divinis, scilicet secundum substantiam et
secundum relationem ; non enim speciei contentae in genere debetur aliquis
modus praedicandi, sed ipsi generi. |
Mais si nous considérons
la notion propre à un genre, n’importe quel des autres genres en dehors de la
relation implique une imperfection; la quantité en effet possède une notion
propre par rapport au sujet: elle est en effet la mesure de la substance,
alors que la qualité est une disposition de la substance et il est clair
qu’il en est ainsi pour tous les autres genres. C’est pourquoi ces autres
genres sont exclus de l’attribution divine selon la notion du genre pour la
même raison qu’ils en étaient exclus pour la raison de l’accident. Mais si nous
considérons les espèces de ces genres, alors certaines, d’après leurs
differences complémentaires, impliquent quelque perfection, comme la science,
la vertu, etc. Et c’est pourquoi ces genres s’attribuent à Dieu selon la
notion propre à l’espèce et non pas selon la notion de genre en tant que tel.
Mais la relation, même selon la notion de genre, n’implique pas quelque
dépendance à l’égard d’un sujet; bien au contraire, elle se rapporte à
quelque chose d’extérieur: et c’est pourquoi elle se retrouve dans les
personnes divines même selon la notion de genre. Et c’est pour cette raison
qu’il ne reste que deux modes d’attribution qui s’appliquent aux personnes
divines, à savoir celui de la substance et celui de la relation; c’est au
genre lui-même en effet qu’est dû un mode d’attribution et non à l’espèce qui
est contenue dans le genre. |
lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod sicut dictum est, in corp. art., scientia non praedicatur de Deo
secundum rationem generis, sed secundum propriam differentiam, quae complet
rationem ipsius. Unde non
praedicatur univoce de Deo et de aliis ; sed secundum prius et posterius. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que, ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article précédent, la science ne s’attribue pas à Dieu
selon la notion de genre mais selon la différence propre qui complète sa
notion. C’est pourquoi elle ne s’attribue pas à Dieu et aux autres être de
manière univoque, mais selon l’avant et l’après. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in divinis quaedam dicuntur habere
modum quantitatis vel qualitatis ; non quia secundum talem modum praedicentur
de Deo, sed secundum modum quo inveniuntur in creaturis, prout nomina quae a
nobis imposita sunt, modum habent qualitatis et quantitatis: sicut etiam
Damascenus dicit, lib. I Fide
orth., cap. XII, col. 834, quod quaedam dicuntur de Deo sicut assequentia
substantiam, cum tamen, prout in ipso est, nihil sit assequens. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que parmi les personnes divines certaines sont dites posséder
le mode de la quantité ou celui de la qualité; non pas parce qu’ils
s’attribuent à Dieu selon un tel mode mais selon le mode par lequel ils se
retrouvent dans les créatures, dans la mesure où les noms que nous imposons
possèdent le mode de la qualité ou de la quantité; tout comme Damascène dit
encore [De la Foi Orthodoxe, 1, ch. XII, col. 834] que certaines
choses se disent de Dieu comme si elles atteignaient la substance bien que
cependant, considérées en elles-mêmes, elles n’atteignent rien. |
lib. 1 d. 8 q.
4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actio, secundum quod est
praedicamentum, dicit aliquid fluens ab agente, et cum motu ; sed in Deo non
est aliquid medium secundum rem inter ipsum et opus suum, et ideo non dicitur
agens actione quae est praedicamentum, sed actio sua est substantia. De hoc tamen
plenius dicetur in principio secundi, (dist. 1, qu. unica, art. 2). |
3. Il faut dire en troisième lieu que l’action, en tant que
prédicament, dit quelque chose qui découle d’un agent et qui s’accompagne de
mouvement ; mais en Dieu il n’y a aucun intermédiaire en réalité entre
Lui et son œuvre, et c’est pourquoi on ne dit pas de Lui qu’il est un agent
par une action qui serait un prédicament, mais au contraire son action est sa
substance. Nous parlerons cependant de cela d’une manière plus exhaustive au
début du second livre [dist. 1, qu. unique, art. 2]. |
Lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
debilitas esse relationis consideratur secundum inhaerentiam sui ad subjectum:
quia non ubje aliquid absolutum in ubject, sed tantum per respectum ad aliud.
Unde ex hoc habet magis quod
veniat in divinam praedicationem : quia quanto minus addit, tanto minus
repugnat simplicitati. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la faiblesse de l’existence de
la relation est considérée d’après son attachement au sujet : car elle
ne pose pas quelque chose d’absolu dans le sujet, mais seulement par rapport
à quelque chose d’autre. Et c’est pourquoi à partir de là il lui appartient
davantage d’en venir à une attibution aux personnes divines : car elle
répugne d’autant moins à la simplicité qu’elle ajoute moins. |
|
|
Question 5 – [La simplicité du côté des créatures] |
|
|
|
Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 8 q. 5 pr. Deinde quaeritur de
simplicitate ex parte creaturae ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum aliqua creatura sit simplex ; 2 utrum anima sit simplex, quia hoc habet
specialem difficultatem ; 3 utrum sit
tota in qualibet parte corporis. |
On s’interroge
ensuite sur la simplicité qui se tient du côté de la créature ; et à ce
sujet on pose trois questions : 1. Y a-t-il
une créature qui soit simple ? 2. Est-ce que
l’âme est simple ? Car cela présente une difficulté spéciale. 3. L’âme
est-elle totalement présente dans chacune des parties du corps ? |
|
|
Articulus 1 lib. 1 d. 8
q. 5 a. 1 tit. Utrum aliqua creatura sit simplex |
Article 1 – Existe-t-il une créature simple ? |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur quod
aliqua creatura simplex sit. Forma enim est compositioni contingens, simplici
et invariabili essentia consistens. Sed forma est creatura. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il y ait simplicité chez certaines créatures. La
forme en effet est congingente à la composition et consiste en une essence simple
et invariable. Mais la forme est une créature. Il y a donc simplicité chez la
créature. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 1 arg. 2 Praeterea, resolutio intellectus non stat quousque invenit
compositionem, sive sint separabilia secundum rem, sive non ; multa enim separantur
intellectu quae non separantur actu, secundum Boetium, De hebdom., col. 1311, Illud ergo in quo ultima stat resolutio
intellectus est omnino simplex. Sed ens commune est hujusmodi. Ergo et
cetera. |
2. Par ailleurs, la résolution de l’intelligence ne s’arrête pas tant
que l’on retrouve de la composition, que l’objet de la résolution soit
séparable en réalité ou non : il y a plusieurs objets en effet selon
Boèce [Les Hebdomadaires, co. 1311]qui sont séparés par l’intelligence
mais qui ne le sont pas en acte. Donc, ce en quoi s’arrête la dernière
résolution de l’intelligence est absolument simple. Mais l’être commun est
absolument simple. La simplicité existe donc chez la créature. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 1 arg. 3 Praeterea, si omnis creatura est composita, constat quod non
est composita nisi ex creaturis. Ergo et componentia sua erunt composita.
Igitur itur [universaliter Éd. de Parme]
in infinitum (quod natura et intellectus non patitur) ; vel erit devenire ad
prima componentia simplicia, quae tamen creaturae sunt. Ergo et cetera. |
3. De plus, si toute créature est composée, il est clair qu’elle
n’est composée que de ce qui est créé, d’autres créatures. Donc, les
composantes elles-mêmes seront composées. On ira donc [universellement Éd.
de Parme] à l’infini (ce qui n’est compatible ni avec nature ni avec
l’intelligence) ; ou bien il faudra en venir à de premières composantes
simples qui sont cependant des créatures. Il y donc simplicité chez la
créature. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 1 arg. 4 Si dicatur, quod illa componentia non possunt esse simplicia,
quia habent habitudinem concretam, quod sint ab alio: contra, illud quod est
extrinsecum rei, non facit compositionem cum re ipsa. Sed agens est
extrinsecum a re. Ergo per hoc quod res est ab aliquo agente, non inducitur
in ipsam aliqua compositio. |
4. Si on disait que ces composantes ne peuvent être simples car elles
possèdent une manière d’être qui et concrète, et qu’elles viennent d’un
autre : mais ce qui est extrinsèque à la chose ne fait pas composition
avec elle. Mais l’agent est extrinsèque à la chose. Donc, par cela que la
chose vient d’un agent extérieur, cela ne conduit pas à introduire en elle
une composition. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 1 s. c. 1 Contra, Boetius, De
Trinitate, cap. II: col. 1250: « In omni eo quod est citra primum,
differt et quod est et quo est ». Sed omnis creatura est citra primum. Ergo
est composita ex esse et quod est. |
Cependant : 1. Boèce [De la Trinité, ch. 11, col. 1250] dit : ¨Dans
tout ce qui est en deçà de ce qui est premier, ce qui existe diffère de ce par quoi la chose existe¨. Mais toute
créature est en deçà de ce qui est premier. Elle est donc composée de
l’existence et de ce qui existe. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis creatura habet esse finitum. Sed esse non
receptum in aliquo, non est finitum, immo absolutum. Ergo omnis creatura
habet esse receptum in aliquo ; et ita oportet quod habeat duo ad minus,
scilicet esse, et id quod esse recipit. |
2. De plus, toute créature possède une existence qui est finie. Mais
l’existence qui n’est pas reçue dans un autre n’est pas finie mais elle est
plutôt absolue. Donc, toute créature possède une existence qui est reçue dans
un autre ; et ainsi, il faut qu’elle possède au moins deux éléments, à
savoir l’existence et ce qui reçoit l’existence. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod omne quod procedit a Deo in diversitate
essentiae, deficit a simplicitate ejus. Ex hoc autem quod deficit a
simplicitate, non oportet quod incidat in compositionem ; sicut ex hoc quod
deficit a summa bonitate, non oportet quod incidat in ipsam aliqua malitia.
Dico ergo quod creatura est duplex. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que tout ce qui procède de Dieu s’écarte
de la simplicité de ce dernier. Mais du fait qu’elle s’écarte de cette
simplicité, il ne s’ensuit pas nécessairement que la créature tombe dans la
composition, tout comme du fait qu’elle s’écarte de la bonté la plus
excellente, il ne s’ensuit pas qu’il se rencontre en elle de la méchanceté.
Je dis donc qu’il y a deux sortes de créatures. |
Quaedam enim
est quae habet esse completum in se, sicut homo et hujusmodi, et talis
creatura ita deficit a simplicitate divina quod incidit in compositionem. Cum
enim in solo Deo esse suum sit sua quidditas, oportet quod in qualibet creatura,
vel in corporali vel in spirituali, inveniatur quidditas vel natura sua, et
esse suum, quod est sibi acquisitum a Deo, cujus essentia est suum esse ; et
ita componitur ex esse, vel quo est, et quod est. |
Il y en a qui possèdent une existence complète en elles-mêmes, comme
l’homme et les créatures de cette sorte, et ces créatures s’écartent de la
simplicité divine de telle manière qu’elles tombent dans la composition. En
effet, puisque c’est en Dieu seul que l’existence est identique à la
quiddité, il faut que dans toute créature, soit corporelle soit spirituelle
on retrouve à la fois une quiddité et une nature d’une part et une existence
d’autre part qui lui soit acquise par Dieu dont l’essence est son
existence ; et ainsi toute créature est composée de son existence, ou de
ce par quoi elle est, et de ce qu’elle est. |
Est etiam quaedam creatura quae non habet
esse in se, sed tantum in alio, sicut materia prima, sicut forma quaelibet,
sicut universale ; non enim est esse alicujus, nisi particularis subsistentis
in natura ; et talis creatura non deficit a simplicitate, ita quod sit
composita. |
Mais il y a aussi une autre sorte de créature qui ne possède pas
l’existence en elle-même mais seulement dans un autre comme la matière
première, comme toute forme, comme l’universel ; et une telle créature
en effet n’est pas l’existence d’un être, sauf d’un être particulier qui
subsiste dans une nature ; et une telle créature ne s’écarte pas de la
simplicité de telle manière qu’elle serait composée. |
Si enim
dicatur, quod componitur ex ipsa sua natura et habitudinibus quibus refertur
ad Deum vel ad illud cum quo componitur, item quaeritur de illis
habitudinibus utrum sint res, vel non: et si non sunt res, non faciunt
compositionem ; si autem sunt res, ipsae non referuntur habitudinibus aliis,
sed se ipsis: quia illud quod per se est relatio, non refertur per aliam
relationem. Unde oportebit devenire ad aliquid quod non est compositum, sed
tamen deficit a simplicitate primi: et defectus iste perpenditur ex duobus:
vel quia est divisibile in potentia vel per accidens, sicut materia prima, et
forma, et universale ; vel quia est componibile alteri, quod divina
simplicitas non patitur. |
Si en effet on disait qu’elle est composée de sa nature et des
manières d’êtres par lesquelles elle se rapporte à Dieu ou à ce avec quoi
elle est composée, il faudrait encore savoir au sujet de ces manières d’être
si elles sont des choses ou non : et si elles ne sont pas des choses,
elles ne font pas composition ; mais si elles sont des choses, elles-mêmes
ne se rapportent pas à d’autres manières d’être mais à elles-mêmes : car
ce qui constitue une relation en soi-même ne se rapporte pas à une autre
relation. C’est pourquoi il faudra en venir à quelque chose qui n’est pas
composé mais qui s’écarte cependant de la simplicité première : et ce
défaut se juge d’après deux choses : soit parce qu’elle est divisible en
puissance ou par accident comme la matière première, la forme et
l’universel ; soit parce qu’elle peut entrer en composition avec quelque
chose d’autre, ce qui n’est pas compatible avec la simplicité divine. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 ad arg. Et per hoc patet
solutio ad ea quae objecta sunt. Primae enim rationes procedebant de illis creaturis quae non
habent esse completum, quae non componuntur ex aliis sicut ex partibus ; et
aliae duae procedebant de creaturis quae habent esse completum. |
Et par là on
voit manifestement la solution aux difficultés qui ont été présentées. Les
deux premières raisons en effet procédaient de ces créatures qui ne possèdent
pas en elles-mêmes une existence complète et qui ne sont pas composées
d’autres choses comme de parties ; les deux dernières procédaient des
créatures qui possèdent une existence complète. |
|
|
Articulus 2, lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 tit. Utrum anima sit simplex. |
Article 2 – L'âme est-elle simple ? |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 1. Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod anima sit simplex. Sicut enim dicit philosophus, de anima, text. 2, anima est forma corporis. Sed ibidem
dicit, quod forma neque est materia neque compositum. Ergo anima non est composita. |
Difficultés : 1. Il semble que l’âme soit simple. Comme le dit en effet le
Philosophe [11 De l’Âme, texte 2], l’âme est la forme du corps. Mais
il dit au même endroit que la forme n’est ni une matière, ni un composé.
L’âme n’est donc pas un composé. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 arg. 2 Praeterea, omne quod est compositum, habet esse ex suis
componentibus. Si igitur anima sit composita, tunc ipsa in se habet aliquod
esse, et illud esse nunquam removetur ab ea. Sed ex conjunctione animae ad
corpus relinquitur esse hominis. Ergo esse hominis est esse duplex, scilicet
esse animae, et esse conjuncti: quod non potest esse, cum unius rei sit
unicum esse. |
2. Par ailleurs, tout ce qui est composé, c’est à partir de ses composantes
qu’il possède l’existence. Si donc l’âme était un composé, elle posséderait
en elle-même une existence et cette existence ne pourrait jamais lui être
enlevée. Mais c’est de l’union de l’âme et du corps que résulte l’existence
de l’homme. L’existence de l’homme est donc double, à savoir l’existence de
l’âme et celle du composé : mais cela est impossible car une seule et
même chose il n’y a qu’une seule existence. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis compositio quae advenit rei post suum esse
completum, est sibi accidentalis. Si igitur anima est composita ex suis
principiis, habens in se esse perfectum, compositio ipsius ad corpus erit
sibi accidentalis. Sed compositio accidentalis terminatur ad unum per
accidens. Ergo ex anima et corpore non efficitur nisi unum per accidens ; et
ita homo non est ens per se, sed per accidens. |
3. En outre, toute composition qui survient à la chose suite à son
existence complète lui est accidentelle. Si donc l’âme est composée de ses
principes, possédant en elle-même une existence parfaite, sa composition avec
le corps lui sera accidentelle. Mais toute composition accidentelle se
termine à une unité accidentelle. Donc, de l’union du corps et de l’âme ne
résulterait qu’une unité accidentelle et ainsi l’homme ne serait pas un être
essentiel, par soi, mais un être accidentel. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 4
Contra, Boetius, I De Trin., cap.
II, col. 1250: Nulla forma simplex
potest esse subjectum. Sed anima est subjectum et potentiarum et habituum
et specierum intelligibilium. Ergo non est forma simplex. |
4. Au contraire, Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250]
dit : Aucune forme simple ne peut être un sujet. Mais l’âme est le sujet
à la fois des puissances, des habitus et des espèces intelligibles. L’âme
n’est donc pas une forme simple. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 arg. 5 Praeterea, forma simplex non habet esse per se, ut dictum est,
art. praec., in corp. Sed illud quod non habet esse nisi per hoc quod est in
altero, non potest remanere post illud, nec etiam potest esse motor, quamvis
possit esse principium motus, quia movens est ens perfectum in se ; unde
forma ignis non est motor ut dicitur VIII Physic.
Text. 40. Anima autem manet post corpus, et est motor corporis. Ergo non
est forma simplex. |
5. Par ailleurs, la forme simple ne possède pas d’existence par
elle-même, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent. Mais
ce qui ne possède l’existence que du fait qu’il existe dans un autre ne peut
continuer à exister sans cet autre et il ne peut non plus être un moteur bien
qu’il puisse être le principe d’un mouvement, car tout moteur est un être qui
est parfait en lui-même ; c’est pourquoi la forme du feu n’est pas un
moteur ainsi que le dit le Philosophe [ VIII Physique, texte 40]. Mais
l’âme continue à exister sans le corps et elle est le moteur du corps. Elle
n’est donc pas une forme simple. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 arg. 6 Praeterea, nulla forma simplex habet in se unde individuetur,
cum omnis forma sit de se communis. Si igitur anima est forma simplex, non
habebit in se unde individuetur ; sed tantum individuabitur per corpus.
Remoto autem eo quod est causa individuationis, tollitur individuatio. Ergo
remoto corpore, non remanebunt animae diversae secundum individua ; et ita
non remanebit nisi una anima quae erit ipsa natura animae. |
6. De plus, aucune forme simple ne possède en elle le principe de son
individuation, puisque toute forme est de soi universelle. Si donc l’âme est
une forme simple, elle ne possède pas en elle le principe de son
individuation mais elle ne peut être individuée que par un principe
corporel. Mais une fois enlevé ce qui
est cause d’individuation, l’individuation elle-même disparaît. Donc, une
fois enlevé ce qui est corporel, il ne restera plus d’âmes différentes dans
des individus différents ; et ainsi il ne restera plus qu’une seule âme
qui sera la nature même de l’âme. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod hic est duplex opinio. Quidam enim
dicunt, quod anima est composita ex materia et forma ; quorum etiam sunt
quidam dicentes, eamdem esse materiam animae et aliorum corporalium et
spiritualium. Sed hoc non videtur esse verum, quia nulla forma efficitur
intelligibilis, nisi per hoc quod separatur a materia et ab appendentiis
materiae. Hoc autem non est inquantum est materia corporalis perfecta
corporeitate, cum ipsa forma corporeitatis sit intelligibilis per
separationem a materia. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux opinions à ce sujet.
Certains disent en effet que l’âme est composée de matière et de forme ;
parmi lesquels encore certains soutiennent que la matière de l’âme est la
même que celle des autres corps et des réalités spirituelles. Mais cela ne
semble pas être vrai car aucune forme ne devient intelligible, si ce n’est
par ceci qu’elle est séparée de la matière et de ce qui dépend de la matière.
Mais il n’en est pas ainsi selon que la matière corporelle est parfaite par
la corporéité, puisque la forme même de la corporéité est intelligible par la
séparation de la matière. |
Unde illae
substantiae quae sunt intelligibiles per naturam, non videntur esse
materiales: alias species rerum in ipsis non essent secundum esse
intelligibile. Unde Avicenna dicit, tract. III, cap. VIII, quod aliquid
dicitur esse intellectivum, quia est immune a materia. Et propterea materia
prima, prout consideratur nuda ab omni forma, non habet aliquam diversitatem,
nec efficitur diversa per aliqua accidentia ante adventum formae
substantialis, cum esse accidentale non praecedat substantiale. Uni autem
perfectibili debetur una perfectio. Ergo oportet quod prima forma
substantialis perficiat totam materiam. |
C’est pourquoi ces substances qui sont intelligibles par nature ne
semblent pas être matérielles : autrement les espèces des choses ne
seraient pas en elles selon une existence intelligible. C’est pourquoi
Avicenne dit [traité 111, ch. VIII]
qu’on dit d’un être qu’il est intellectuel parce qu’il est dépourvu de
matière. Et c’est à cause de cela que la matière première, selon qu’on la
considère comme dénuée de toute forme, ne possède aucune diversité et n’est
différenciée par aucun accident avant que lui suivienne la forme
substantielle, puisque l’existence accidentelle ne précède pas l’existence
substantielle. Mais à un seul et même perfectible n’est due qu’une seule perfection.
Il faut donc que la forme substantielle première donne sa perfection à toute
la matière. |
Sed prima forma
quae recipitur in materia, est corporeitas, a qua nunquam denudatur, ut dicit
Comment. Ergo forma corporeitatis est in tota materia, et ita materia non
erit nisi in corporibus. Si enim diceres, quod quidditas substantiae esset
prima forma recepta in materia, adhuc redibit in idem ; quia ex quidditate
substantiae materia non habet divisionem, sed ex corporeitate, quam
consequuntur dimensiones quantitatis in actu ; et postea per divisionem
materiae, secundum quod disponitur diversis sitibus, acquiruntur in ipsa
diversae formae. Ordo enim nobilitatis in corporibus videtur esse secundum
ordinem situs ipsorum, sicut ignis est super aerem ; et ideo non videtur quod
anima habeat materiam, nisi materia aequivoce sumatur. |
Mais la première forme qui est reçue dans la matière est la
corporéité de laquelle elle n’est jamais dépouillée, comme le dit le
Commentateur. Donc, la forme de la corporéité est présente dans toute la
matière et de cette manière la matière ne sera présente que dans les corps.
Mais si tu disais que la quiddité de la substance est la première forme qui
est reçue dans la matière, on en reviendrait encore au même ; car ce
n’est par de la quiddité de la substance que la matière tient la division,
mais de la corporéité d’où découlent les dimensions de la quantité en
acte ; et par la suite, grâce à la division de la matière selon qu’elle
est disposée en différentes positions, diverses formes sont acquises en elle.
En effet, l’ordre d’excellence parmi les corps semble découler de l’ordre de
leur position, tout comme le feu qui est au-dessus de l’air ; et c’est
pourquoi il ne semble pas que l’âme possède une matière, à moins que cette
dernière ne soit prise en un sens équivoque. |
Alii dicunt,
quod anima est composita ‘ex quo est’ et ‘quod est’. Differt autem quod est a
materia ; quia ‘quod est’, dicit ipsum suppositum habens esse ; materia autem
non habet esse, sed compositum ex materia et forma ; unde materia non est
quod est, sed compositum. |
D’autres disent que l’âme est composée de ¨ce par quoi elle est¨ et
de ¨ce qui est¨. Mais ¨ce qui est¨ diffère de la matière ; car ¨ce qui
est¨ renvoie au suppôt lui-même qui possède l’existence ; mais la matière
elle-même ne possède pas l’existence, mais c’est le composé de la matière et
de forme qui la possède ; c’est pourquoi ce n’est pas la matière, mais
le composé qui est ¨ce qui est¨. |
Unde in omnibus illis in quibus est
compositio ex materia et forma, est etiam compositio ex quo est et quod est.
In compositis autem ex materia et forma quo est potest dici tripliciter. Potest enim dici quo est ipsa forma
partis, quae dat esse materiae. Potest etiam dici quo est ipse actus
essendi, scilicet esse, sicut quo curritur, est actus currendi. Potest etiam
dici quo est ipsa natura quae relinquitur ex conjunctione formae cum materia,
ut humanitas ; praecipue secundum ponentes quod forma, quae est totum, quae
dicitur quidditas, non est forma partis, de quibus est Avicenna, tract. V,
cap. III. |
C’est pourquoi, dans tous les cas où il y a composition de matière et
de forme, il y a aussi composition de ¨ce par quoi la chose est¨ et de ¨ce
qui est¨. Mais dans les composés de matière et de forme le ¨ce par quoi la
chose est¨ peut se dire de trois manières. Le ¨ce par quoi la chose est peut en effet se dire de la forme d’une
partie, qui donne l’existence à la matière.
Il peut aussi se dire de l’acte même
d’exister, à savoir l’existence, tout comme ce par quoi un tel court est
l’acte même de courrir. Le ¨ce par quoi la chose est¨ peut
encore se dire de la nature même qui découle de l’union de la forme avec la matière,
par exemple l’humanité ; surtout d’après ceux qui affirment, comme
Avicenne [Traité V, ch. 111], que la forme, qui est le tout et qu’on appelle
quiddité, n’est pas la forme d’une partie |
Cum autem de
ratione quidditatis, vel essentiae, non sit quod sit composita vel compositum
; consequens poterit inveniri et intelligi aliqua quidditas simplex, non
consequens compositionem formae et materiae. Si autem inveniamus aliquam
quidditatem quae non sit composita ex materia et forma, illa quidditas aut
est esse suum, aut non. Si illa quidditas sit esse suum, sic erit essentia
ipsius Dei, quae est suum esse, et erit omnino simplex. Si vero non sit ipsum
esse, oportet quod habeat esse acquisitum ab alio, sicut est omnis quidditas
creata. |
Mais puisqu’il est de la nature même de la quiddité qu’elle ne soit
pas composée ou qu’elle ne soit pas un composé, il s’ensuit qu’on pourra
trouver et intelliger une quiddité simple qui ne résulte pas de la
composition d’une forme et d’une matière. Mais si nous trouvions une quiddité
qui n’est pas composée de matière et de forme, cette quiddité serait ou non
sa propre existence. Si cette quiddité était sa propre existence, ce serait
là l’essence de Dieu lui-même, lequel est son existence même, et elle serait
absolument simple. Mais si cette quiddité n’était pas son existence même, il
faudrait qu’elle possède une existence acquise d’un autre, comme c’est le cas
pour toute quiddité créée. |
Et quia haec
quidditas posita est non subsistere in materia, non acquireretur sibi esse in
altero, sicut quidditatibus compositis, immo acquiretur sibi esse in se ; et
ita ipsa quidditas erit hoc quod est, et ipsum esse suum erit quo est. Et
quia omne quod non habet aliquid a se, est possibile respectu illius ;
hujusmodi quidditas cum habeat esse ab alio, erit possibilis respectu illius
esse, et respectu ejus a quo esse habet, in quo nulla cadit potentia ; et ita
in tali quidditate invenietur potentia et actus, secundum quod ipsa quidditas
est possibilis, et esse suum est actus ejus. Et hoc modo intelligo in Angelis
compositionem potentiae et actus, et de quo est et quod est, et similiter in
anima. Unde Angelus vel anima potest dici quidditas vel natura vel forma
simplex, inquantum eorum quidditas non componitur ex diversis ; sed [om. Éd. De Parme] tamen advenit [sibi add. Éd. De Parme] compositio horum duorum, scilicet quidditatis et
esse. |
Et parce qu’on affirme de cette quiddité qu’elle ne subsiste pas dans
une matière, il ne lui serait pas acquis d’exister dans un autre, comme c’est
le cas pour les quiddités composées, mais il lui serait plutôt acquis
d’exister en elle-même ; et ainsi la quiddité elle-même sera ¨ce qui
est¨ et son existence elle-même sera ¨ce par quoi elle est¨. Et parce que
tout ce qui ne possède pas quelque chose par soi-même est en puissance par
rapport à cette chose, une telle quiddité, puisqu’elle tient son existence
d’un autre, sera en puissance par rapport à cette existence et par rapport à
celui, dans lequel ne se rencontre nulle puissance, de qui elle tient cette
existence ; et c’est ainsi que dans une telle quiddité se retrouvent à
la fois puissance et acte, selon que la quiddité elle-même est la puissance
et que son existence est son acte. Et c’est de cette manière que je comprends
la composition de la puissance et de l’acte, et de ¨ce par quoi la chose est¨
et de ¨ce qui est¨ chez les Anges, et il en est de même pour l’âme. Et c’est pourquoi
l’Ange et l’âme peuvent êre appelés quiddité, nature ou forme simple selon
que leur quiddité n’est pas composée de différentes parties ; mais [om.
Éd. de Parme] on [ y add. Éd. de Parme] retrouve cependant
composition de ces deux éléments, à savoir la quiddité et l’existence. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima non est composita ex
aliquibus quae sint partes quidditatis ipsius, sicut nec quaelibet alia forma
; sed quia anima est forma absoluta, non dependens a materia, quod convenit
sibi propter assimilationem et propinquitatem ad Deum, ipsa habet esse per
se, quod non habent aliae formae corporales. Unde in anima invenitur
compositio esse et quod est, et non in aliis formis: quia ipsum esse non est
formarum corporalium absolute, sicut eorum quae sunt, sed compositi. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que l’âme n’est pas composée
d’éléments qui seraient les parties de sa quiddité, tout comme elle n’est
composée d’aucune autre forme ; mais parce que l’âme est une forme
absolue, qui ne dépend pas de la matière, ce qui lui revient en raison de sa
ressemblance et de sa proximité par rapport à Dieu, c’est essentiellement
qu’elle possède l’existence , ce que ne possèdent pas les autres formes
corporelles. C’est pourquoi on retrouve dans l’âme composition d’existence et
de ¨ce qui est¨, et non dans les autres formes : car l’existence
elle-même n’appartient pas aux formes corporelles prises absolument comme à
des choses qui existent, mais elle appartient au composé. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima sine dubio habet in se esse
perfectum, quamvis hoc esse non resultet ex partibus componentibus
quidditatem ipsius, nec per conjunctionem corporis efficitur ibi aliquod
aliud esse ; immo hoc ipsum esse quod est animae per se, fit esse conjuncti:
esse enim conjuncti non est nisi esse ipsius formae. Sed verum est quod aliae
formae materiales, propter earum imperfectionem, non sunt per illud esse, sed
sunt tantum principia essendi. |
2. Il faut dire en deucième lieu que l’âme en elle-même sans aucun
doute possède une existence parfaite, bien que cette existence ne résulte pas
de parties composant sa quiddité et que par l’union au corps n’est pas
produite là une autre existence ; bien au contraire, cette existence
même qui appartient essentiellement à l’âme devient l’existence du
composé : l’existence en effet du composé n’est que l’existence de la
forme elle-même. Mais il est vrai que les autres formes matérielles, en
raison de leur imperfecion, ne possèdent pas cette forme d’existence mais ne
sont que des principes d’existence. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 ad 3 Et per hoc etiam patet solutio ad tertium: quia compositio quae
advenit animae post esse completum, secundum modum intelligendi, non facit
aliud esse, quia sine dubio illud esse esset accidentale, et ideo non
sequitur quod homo sit ens per accidens. |
3. Et c’est ainsi que la solution à la troisième difficulté devient
elle aussi évidente : car la composition qui arrive à l’âme suite à une
existence complète, conformément à la manière de le comprendre, n’entraîne
pas une autre existence, car sans aucun doute cette existence serait
accidentelle, et c’est pourquoi il ne résulte pas que l’homme soit un être
par accident. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si Boetius loquitur de subjecto
respectu quorumcumque accidentium, dictum [suum add. Éd. De Parme] est verum de forma quae est ita simplex quod
etiam est suum esse, sicut est Deus: et talis simplicitas nec in anima nec in
Angelo est. Si autem loquitur de subjecto respectu accidentium quae habent
esse firmum in natura, et quae sunt accidentia individui ; tunc est verum
dictum suum etiam de forma simplici, cujus quidditas non componitur ex
partibus. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que si Boèce parle du sujet par
rapport à tout accident, l’énoncé [son add. Éd. de Parme] est vrai au
sujet de la forme qui est simple en ce sens qu’elle est aussi son existence
comme c’est le cas pour Dieu : et une telle simplicité n’est présente ni
dans l’âme ni chez l’Ange. Mais si on parle du sujet par rapport aux
accidents qui possèdent une existence ferme dans la nature et qui sont les
accidents d’un individu, alors son énoncé est vrai aussi au sujet de la forme
simple dont la quiddité n’est pas composée de parties. |
Sunt enim
quaedam accidentia quae non habent esse vere, sed tantum sunt intentiones
rerum naturalium ; et hujusmodi sunt species rerum, quae sunt in anima, item
accidentium habentium esse naturae quoniam consequuntur naturam individui,
scilicet materiam, per quam natura individuatur, sicut album et nigrum in
homine ; unde etiam non consequuntur totam speciem: et talibus accidentibus
non potest subjici anima. |
Il existe en effet certains accidents qui ne possèdent pas une
existence dans la réalité mais qui ne sont que des intentions des choses
naturelles ; et ces intentions sont les espèces des choses, lesquelles
espèces existent dans l’âme, et en outre des accidents qui possèdent une
existence de nature puisqu’ils découlent de la nature de l’individu,
c’est-à-dire de la matière par laquelle la nature est individuée, comme c’est
le cas pour le blanc ou le noir dans l’homme ; c’est pourquoi aussi ils
ne résultent pas de toute l’espèce : et l’âme en tant que telle ne peut
être le sujet de tels accidents. |
Quaedam autem
habent esse naturae, sed consequuntur ex principiis speciei, sicut sunt
proprietates consequentes speciem ; et talibus accidentibus potest forma
simplex subjici, quae tamen non est suum esse ratione possibilitatis quae est
in quidditate ejus, ut dictum est, in corp. art., et talia accidentia sunt
potentiae animae ; sic enim et punctus et unitas habent suas proprietates. |
Mais certains accidents possèdent une existence de nature mais ils
découlent des principes de l’espèce, comme c’est le cas pour les propriétés
qui découlent de l’espèce ; et une forme simple peut être le sujet de
tels accidents, laquelle cependant n’est pas sa propre existence en raison de
la puissance qui est dans sa quiddité, ainsi que nous l’avons dit dans le
corps de l’article, et de tels accidents sont les puissances de l’âme ;
c’est de cette manière en effet que le point et l’unité possèdent leurs
propriétés. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod omnis forma est aliqua similitudo primi
principii, qui est actus purus: unde quanto forma magis accedit ad
similitudinem ipsius, plures participat de perfectionibus ejus. Inter formas
autem corporum magis appropinquat ad similitudinem Dei, anima rationalis ; et
ideo participat de nobilitatibus Dei, scilicet quod intelligit, et quod
potest movere, et, quod habet esse per se ; et anima sensibilis minus, et
vegetabilis adhuc minus et sic deinceps. Dico igitur, quod animae non
convenit movere, vel habere esse absolutum, inquantum est forma ; sed
inquantum est similitudo Dei. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que toute forme est une certaine
similitude du premier principe qui est acte pur : c’est pourquoi une
forme participe d’un plus grand nombre de ses perfections dans la mesure où
elle s’approche davantage de sa ressemblance. Mais parmi les formes des
corps, c’est l’âme rationnelle qui s’approche davantage de la ressemblance de
Dieu ; et c’est pourquoi elle participe davantage des perfections,
c’est-à-dire qu’elle comprend, qu’elle peut mouvoir et qu’elle possède
essentiellement l’existence ; et l’âme sensitive en participe moins et
l’âme végétative encore moins et il en est encore davantage ainsi pour le
reste. Je dis donc que ce n’est pas en tant que forme qu’il convient à l’âme de
mouvoir ou de posséder une existence absolue, mais en tant qu’elle est une
similitude de Dieu. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod, secundum praedicta, in anima non est
aliquid quo ipsa individuetur, et hoc intellexerunt qui negaverunt eam esse
hoc aliquid, et non quod non habeat per se absolutum esse. Et dico quod non
individuatur nisi ex corpore. Unde impossibilis est error ponentium animas
prius creatas, et postea incorporatas: quia non efficiuntur plures nisi
secundum quod infunduntur pluribus corporibus. Sed quamvis individuatio animarum
dependeat a corpore quantum ad sui principium, non tamen quantum ad sui
finem, ita scilicet quod cessantibus corporibus, cesset individuatio
animarum. |
6. Il faut dire en sixième lieu, suivant ce qui a été dit
précédemment, qu’il n’y a pas dans l’âme quelque chose par quoi elle-même est
individuée, et ceux qui ont nié qu’elle soit une réalité individuelle ont
compris cela, et non pas qu’elle ne possède pas par elle-même une existence
absolue. Et je dis que l’âme n’est individuée que par le corps. C’est pourquoi
l’erreur de ceux qui soutiennent que les âmes ont été créées en premier puis
qu’elles ont ensuite été incorporées, est une absurdité : car une
multiplicité d’individus n’est rendue possible que si elle repose sur une
multiplicité de corps. Mais bien que l’individuation des âmes dépende du
corps quant à son principe, elle n’en dépend cependant pas quant à sa fin,
c’est-à-dire de telle manière que les corps cessant d’exister,
l’individuation des âmes cesserait elle aussi. |
Cujus ratio est
quod cum omnis perfectio infundatur materiae secundum capacitatem suam,
natura animae ita infundetur diversis corporibus, non secundum eamdem
nobilitatem et puritatem: unde in unoquoque corpore habebit esse terminatum
secundum mensuram corporis. Hoc autem esse terminatum, quamvis acquiratur
animae in corpore, non tamen ex corpore, nec per dependentiam ad corpus.
Unde, remotis corporibus, adhuc remanebit unicuique animae esse suum
terminatum secundum affectiones vel dispositiones quae consecutae sunt ipsam
prout fuit perfectio talis corporis. |
La raison en est que puisque toute perfection se fonde sur la matière
suivant les capacités de cette dernière, c’est de cette manière aussi que la
nature de l’âme est introduite dans divers corps, à savoir d’après une
perfection et une pureté différentes : c’est pourquoi dans tout corps l’âme possédera une
existence limitée d’après la mesure du corps. Mais cette existence limitée,
bien que ce soit dans le corps qu’elle soit donnée à l’âme, ce n’est
cependant pas à partir du corps ni par une dépendance à l’égard du corps
qu’elle lui est acquise. C’est pourquoi, une fois disparus les corps, il
subsistera encore en toute âme son existence limitée d’après les affections
ou les dispositions qui en découlaient selon qu’elle était la perfection de
tel corps. |
Et haec est
solutio Avicennae, et potest manifestari per exemplum sensibile. Si enim
aliquid unum non retinens figuram distinguatur per diversa vasa, sicut aqua ;
quando vasa removebuntur, non remanebunt proprie figurae distinctae ; sed
remanebit una tantum aqua. Ita est de formis materialibus, quae non retinent
esse per se. Si autem sit aliquid retinens figuram quod distinguatur secundum
diversas figuras per diversa instrumenta, etiam remotis illis, remanebit
distinctio figurarum, ut patet in cera ; et ita est de anima, quae retinet
esse suum post corporis destructionem, quod etiam manet in ipsa esse
individuatum et distinctum. |
Et telle est la solution d’Avicenne, et elle peut être manifestée par
un exemple sensible. Si en effet quelque chose d’un qui ne retient pas une
figure, par exemple de l’eau, se distingue par différents contenants, lorsque
les contenants seront retirés, les figures distinctes ne demeureront pas mais
il ne demeurera plus qu’une seule et même quantité d’eau. Il en est de même
pour les formes matérielles qui ne retiennent pas par elles-mêmes
l’existence. Mais s’il existe une matière qui retient la figure et qui se
distingue selon différentes figures obtenues au moyen de différents
instruments, même si ces derniers sont retirés, la distinction des figures sera conservée,
comme on peut le voir pour cette matière qu’est la cire ; et il en est
ainsi pour l’âme humaine, qui retient son existence après la destruction du
corps, à savoir que demeure encore en elle une existence individuée et
distincte. |
|
|
Articulus 3 lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 tit.
Utrum anima sit tota in toto, et tota in qualibet parte. |
Article 3 – L'âme est-elle toute entière dans tout le corps et en chaque partie ? |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur.
Videtur quod anima non sit
tota in qualibet parte corporis. Cum enim anima sit forma simplex, totalitas
ejus attenditur secundum potentias. Sed non in qualibet parte corporis sunt
omnes ejus potentiae. Ergo non est tota in qualibet parte corporis. |
Difficultés : 1.
Il semble que l’âme ne soit pas totalement présente dans chacune des parties
du corps. En effet, puisque l’âme est une forme simple, sa totalité doit
s’entendre d’après ses puissances. Mais ce n’est pas dans chacune des parties
du corps que se retrouvent toutes ses puissances. L’âme n’est donc pas
totalement présente dans chacune des parties du corps. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 3 arg. 2 Praeterea, animal est quod est compositum ex anima et corpore.
Si igitur anima esset in qualibet parte corporis tota, quaelibet pars
corporis esset animal, sicut quaelibet pars ignis est ignis. Ergo et cetera. |
2. Par ailleurs, un animal est composé d’une âme et d’un corps. Si
donc l’âme était totalement présente dans chacune des parties du corps,
chacune d’elles serait l’animal, tout comme chaque partie du feu est du feu.
Donc, etc. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 3 arg. 3 Praeterea, constat quod anima influit vitam corpori. Si igitur
anima esset tota in qualibet parte corporis, quaelibet pars corporis
immediate acciperet vitam ab anima ; et ita vita unius partis non dependeret
ab alia: quod videtur falsum, quia vita totius corporis dependet ex corde.
Ergo et cetera. |
3. De plus, il est clair que l’âme fait passer la vie dans le corps.
Si donc l’âme était totalement dans chaque partie du corps, toute partie du
corps recevrait immédiatement la vie de l’âme ; et ainsi la vie d’une partie ne dépendrait
pas d’une autre : ce qu’on voit être faux car la vie de tout le corps
dépend du cœur. Donc, etc. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, corpus habet
diversas partes distinctas. Si
igitur anima esset in qualibet parte corporis tota, tota esset in pluribus
locis simul. Hoc autem non videtur convenire nisi Deo. Ergo et cetera. |
4. En outre, le corps possède différentes parties bien distinctes. Si
donc l’âme était totalement présente dans chacune des parties du corps, elle
serait totalement présente dans plusieurs lieux simultanément. Mais cela ne
semble appartenir qu’à Dieu seul. Donc, etc. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 3 s. c. 1 Contra, forma substantialis adest cuilibet parti materiae: non
enim perficit tantum totum, sed singulas partes. Sed anima est forma
substantialis corporis animati. Ergo est in qualibet parte ejus tota. |
Cependant : 1.
La forme substantielle est présente à chaque partie de la matière : en
effet, elle ne donne pas la perfection qu’au tout, mais aussi à chacune de
ses parties. Mais l’âme est la forme substantielle du corps animé. Elle est
donc présente totalement dans chacune de ses parties. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea,
videmus quod anima aequaliter cito sentit laesionem in qualibet parte
corporis. Hoc autem non esset, nisi anima adesset cuilibet parti. Ergo anima
est tota in qualibet parte corporis. |
2. En outre, nous voyons que l’âme ressent rapidement et également une
blessure dans chacune des parties du corps. Mais cela n’aurait pas lieu si
l’âme n’était pas présente totalement dans chaque partie du corps. Donc l’âme
est présente totalement dans chacune des parties du corps. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod quidam posuerunt animam dupliciter posse considerari: aut
secundum suam essentiam, aut secundum quod est quoddam totum potentiale. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que
certains ont soutenu que l’âme peut être examinée de deux manières :
soit selon son essence, soit selon qu’elle est un certain tout potentiel. |
Si primo modo, sic dicebant, ipsam non
esse in toto corpore, sed in aliqua parte ejus, scilicet corde, et per cor
vivificare totum corpus per spiritus vitales procedentes a corde. Si secundo
modo, sic anima consideratur ut quaedam potentia integrata ex omnibus
particularibus potentiis ; et sic tota anima est in toto corpore, et non tota
in qualibet parte corporis: immo, sicut dicit philosophus, II De anima, text. 9, partes animae se
habent ad partes corporis sicut tota anima ad corpus totum ; unde si pupilla
esset animal, visus esset anima ejus. |
Si on la considère de la première façon, ils disaient que l’âme n’est
pas dans tout le corps, mais dans une de ses parties, à savoir le cœur et que
par le cœur tout le corps est vivifié par les esprits vitaux qui procèdent du
coeur. Si c’est de la deuxième manière, alors l’âme est considérée comme une
certaine puissance renouvelée à partir de toutes les puissances
particulières ; et vue ainsi, l’âme est toute entière dans tout le
corps, et non toute entière dans chacune des parties du corps : bien au
contraire, comme le dit le Philosophe [11 De l’Âme, texte 9], les
parties de l’âme se rapportent aux parties du corps comme la totalité de
l’âme à la totalité du corps ; de là, si la pupille était un animal, la
vue serait son âme. |
Hujus autem
positionis causa, fuit duplex falsa imaginatio: una est, quia imaginati sunt
animam esse in corpore sicut in loco, ac si tantum esset motor, et non forma,
sicut est nauta in navi ; alia est, quia imaginati sunt simplicitatem animae
esse ad modum puncti, ut sit aliquid indivisibile habens situm indivisibilem.
Et utrumque horum stultum est. Et ideo dicendum cum Augustino, quod anima
secundum essentiam suam considerata, tota est in qualibet parte corporis. |
Mais la cause de cette opinion fut une vision fausse à double titre : la
première est qu’ils croyaient que l’âme est dans le corps comme dans un lieu,
comme si elle était seulement un moteur, à la manière du pilote dans son
navire, et non une forme ; la deuxième est qu’ils croyaient que l’âme
est simple à la manière du point, comme si elle était quelque chose
d’indivisible possédant une position indivisible. Et ces visions sont toutes
les deux insensées. Et c’est pourquoi il faut dire avec Augustin que l’âme,
prise selon son essence, est totalement présente dans chacune des parties du
corps. |
[Idem dicit
Albertus add. Éd. De Parme]. Non
tamen tota, si accipiatur secundum totalitatem potentiarum ; sic enim est
tota in toto animali. Et ratio hujus est, quia nulli substantiae simplici
debetur locus, nisi secundum relationem quam habet ad corpus. Anima autem
comparatur ad corpus ut ejus formatio a qua totum corpus et quaelibet pars
ejus habet esse, sicut a forma substantiali. Et tamen potentias ejus, non
omnes partes corporis participant ; immo sunt aliquae potentiae quibus non
est possibile perfici aliquid corporeum, sicut potentiae intellectivae ;
aliae autem sunt, quae possunt esse perfectiones corporum, non tamen eas
omnes influit anima in qualibet parte corporis, cum non quaelibet pars
corporis sit ejusdem harmoniae et commixtionis ; et nihil recipitur in aliquo
nisi secundum proportionem recipientis ; et ideo non eamdem perfectionem
recipit ab anima auris et oculus, cum tamen quaelibet pars recipiat esse. |
[Albert dit la même chose add. Éd. de Parme]. Elle n’y est
cependant pas totalement présente, si l’âme se prend selon la totalité des
puissances : de cette manière en effet elle est totalement présente dans
tout l’animal. Et la raison en est qu’aucune substance simple n’est tenue
d’avoir un lieu, sauf d’après la relation qu’elle entretient avec le corps.
Mais l’âme se compare au corps comme une forme à la matière, forme de
laquelle tout le corps et chacune de ses parties tient son existence comme de
la forme substantielle. Et cependant ce ne sont pas toutes les parties du
corps qui participent de ses puissances ; bien au contraire, il y a des
puissances pour lesquelles il n’est pas possible de compléter quelque chose
de corporel comme c’est le cas pour les puissances intellectuelles ;
mais il y en a d’autres qui peuvent être les perfections des corps, mais
l’âme ne se répand pas en elles toutes dans chacune des parties du corps,
puisque ce n’est pas chaque partie du corps qui présente le même ordre et la
même composition ; et tout ce qui est reçu dans un être y est reçu
proportionnellement à celui qui reçoit ; et c’est pourquoi ce n’est pas
la même perfection que l’oreille et l’œil reçoivent de l’âme, bien que
cependant chacune des parties reçoive l’existence. |
Unde si
consideretur anima prout est forma et essentia, est in qualibet parte
corporis tota ; si autem prout est motor secundum potentias suas, sic est
tota in toto, et in diversis partibus secundum diversas potentias. |
C’est pourquoi, si l’âme est considérée en tant qu’essence et forme,
elle est totalement présente dans chacune des parties du corps ; si
cependant elle est considérée en tant que moteur d’après ses puissances,
ainsi elle est totalement dans le tout et elle est dans ses différentes
parties d’après ses différentes puissances. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicimus totam animam esse in
qualibet parte corporis, intelligimus per totum perfectionem naturae suae, et
non aliquam totalitatem partium ; totum enim et perfectum est idem, ut dicit
philosophus, Physic. III, text. 54. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que lorsque nous disons que toute l’âme est dans chacune
des parties du corps, nous entendons par ¨toute¨ la perfection de sa nature
et non une certaine totalité des parties ; en effet, ainsi que le dit le
Philosophe [111 Physique, texte
54], le tout et la perfection signifient la même chose. |
lib. 1 d. 8 q.
5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectibile debet esse proportionatum
suae perfectioni. Anima autem quamvis sit forma simplex, est tamen multiplex
in virtute, secundum quod ex ejus essentia oriuntur diversae potentiae ; et
ideo oportet corpus proportionatum sibi habere partes distinctas ad
recipiendum diversas potentias ; unde etiam anima dicitur esse actus corporis
organici. Et quia non quaelibet pars animalis habet talem distinctionem, non
potest dici animal. Sed animae minus nobiles quae habent parvam diversitatem
in potentiis, perficiunt etiam corpus quod est quasi uniforme in toto et
partibus ; et ideo ad divisionem partium efficiuntur diversae animae actu in
partibus, sicut etiam in animalibus annulosis et plantis. Non tamen ante
divisionem in hujusmodi animalibus quaelibet pars dicitur animal, nisi in
potentia ; sicut nullius continui pars est nisi in potentia: unde nec pars
ignis est aliquid actu, nisi post divisionem. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le perfectible doit être
proportionné à sa perfection. Mais l’âme, bien qu’elle soit une forme simple,
est cependant multiple en puissance, selon que différentes puissances sortent
de son essence ; et c’est pourquoi il faut que le corps qui lui est
proportionné possède des parties distinctes pour recevoir différentes
puissances ; c’est pourquoi encore on dit de l’âme qu’elle est l’acte
d’un corps organisé. Et parce que chaque partie de l’animal ne possède pas
cette distinction, elle ne peut être appelée un animal. Mais les âmes qui
sont moins nobles qui possèdent une petite diversité dans leurs puissances se
trouvent aussi à compléter un corps qui est comme uniforme dans son tout et
dans ses parties ; et c’est pourquoi, suite à la division des parties,
différentes âmes sont produites en acte dans les parties comme on le voit encore
chez les animaux à anneaux et les plantes. Chez ces animaux cependant, avant
la division, ce n’est qu’en puissance que chaque partie est appelée animal,
tout comme pour tout continu sa partie n’existe qu’en puissance : c’est
pourquoi une partie du feu n’est quelque chose en acte qu’après la division. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
vivere in animali dicitur dupliciter: uno modo vivere est ipsum esse viventis,
sicut dicit philosophus, II de anima,
text. 37 : « vivere
viventibus est esse » ; et hoc modo anima immediate facit vivere
quamlibet partem corporis, inquantum est ejus forma ; alio modo
dicitur vivere pro operatione animae quam facit in corde prout est motor ; et
talis est vita quae defertur per spiritus vitales ; et talem vitam influit
primo in cor, et postea in omnes alias partes. Et inde est quod laeso corde
perit operatio animae in omnibus partibus corporis, et per consequens esse
ipsarum partium, quod conservatur per operationem animae. |
3. Il faut dire en troisième lieu que chez l’animal, vivre de dit de
deux manières : En un premier sens vivre est l’existence même du vivant comme le dit
le Philosophe [11 De l’Âme, texte 37] : ¨Pour les vivants, vivre
c’est exister¨. Et en ce sens l’âme, en tant qu’elle est la forme du
corps, fait vivre immédiatement chaque
partie du corps. En un autre sens vivre se dit pour l’opération de l’âme que l’âme
fait dans le cœur en tant qu’elle est moteur ; et telle est la vie qui
est apportée par les esprits vitaux ; et c’est en premier lieu dans le cœur
que l’âme déverse une telle vie, et par la suite dans toutes les autres
parties. D’où il résulte que l’opération de l’âme cesse dans toutes les
parties du corps une fois que le cœur est blessé, et que cesse par conséquent
aussi l’existence des parties elles-mêmes, existence qui est conservée par
l’opération de l’âme. |
lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
anima non est in corpore vel in partibus corporis, sicut in loco, sed sicut
forma in materia, et ideo non sequitur quod sit in pluribus locis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l’âme n’est pas dans le corps ou dans les parties
du corps comme dans un lieu, mais comme la forme est dans la matière et c’est
pourquoi il ne s’ensuit pas qu’elle soit dans plusieurs lieux. |
|
|
|
|
|
|
Distinctio 9 |
Distinction 9 – [La distinction des personnes] |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La distinction du Père et du Fils] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Circa hanc partem quaeruntur duo: primo de distinctione
Filii a Patre. Secundo de
coaeternitate. [aeternitatem Éd. de Parme] Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum propter distinctionem possit dici Filius
alius a Patre ; 2 utrum Pater et Filius propter eamdem distinctionem
possint dici plures aeterni. |
Dans cette partie on s’interroge sur
deux choses : Premièrement sur la distinction qu’il y
a entre le Fils et le Père. Deuxièmement sur la coéternité.
[éternité Éd. de Parme] Au sujet du premier point on pose deux
questions : 1. Est-ce qu’en raison de la distinction
on peut dire que le Fils est autre que le Père ? 2. Est-ce qu’on peut dire du Père et du
Fils, en raison de la même distinction, qu’ils sont plusieurs
éternités ? |
|
|
Articulus 1.Article 1.[779] Super Sent., lib. 1 d. 9
q. 1 a. 1 tit. Utrum Filius sit alius a Patre |
Article 1 – Le Fils est-il autre que son Père ? |
[780] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit alius a Patre. Alius
enim, secundum Priscianum, lib. II, cap. « De pronomine », est
relativum diversitatis substantiae. Sed Pater et Filius sunt unius
substantiae. Ergo Filius non potest dici alius a Patre. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils ne soit pas autre que le Père. En
effet, ¨autre¨, selon Priscien [Traité
sur l’art de la Grammaire, Livre 11, ch. Sur le Pronom], est un terme
relatif qui renvoie à une diversité de substance. Mais le Père et le Fils
sont une seule et même substance. Donc le Fils ne peut être dit autre que le
Père. |
.[781] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 2.
Item, unitas substantiae impedit quod Filius non potest dici aliud esse a
Patre, propter diversitatem significatam per ly aliud. Sed alius et aliud non differunt nisi secundum modum
significandi: quia alius masculine, aliud neutraliter significat. Cum igitur
modus significandi non variet significationem, videtur quod nec etiam alius a
Patre dici possit. |
2. En outre,
l’unité de la substance empêche que le Fils puisse être dit autre que le
Père, à cause de la diversité signifiée par le terme ¨aliud¨. Mais
¨alius¨ et ¨aliud¨ ne diffèrent que
par le mode de signifier : car ¨alius¨signifie le masculin alors que
¨aliud¨ signifie le neutre. Donc, puisque le mode de signifier ne change pas
la signification, il semble qu’on ne puisse non plus dire qu’il est autre que
le Père. |
[782] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea,
si Filius dicitur alius a Patre, hoc non est nisi quia Filius est a Patre.
Sed Pater est a seipso. Ergo Pater erit alius a seipso. |
3. En outre,
si on dit que le Fils est autre que le Père, ce n’est que parce que le Fils
vient du Père. Mais le Père vient de lui-même. Donc, le Père sera autre que
lui-même. |
[783] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, proprietas secundum Porphyrium, in Praedicabili., cap. « De different., », non facit
alietatem, sed magis alteritatem. Pater autem non distinguitur a Filio nisi
per proprietatem relationis. Ergo Pater non potest dici alius a Filio, sed
alter. |
4. De plus, la propriété selon Porphyre
[Les Prédicables, ch. De la
différence], n’entraîne pas une altérité mais plutôt une différence. Mais le
Père ne se distingue du Fils que par la propriété de relation. Donc le Père
ne peut être dit autre que le Fils, mais seulement différent. |
[784] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contra, quaecumque distinguuntur realiter, unum eorum est alia res ab alio.
Sed Pater et Filius, ut supra dictum est, dist. 2, quaest. unica, art. 5,
distinguuntur realiter. Ergo Pater est alia res a Filio ; et eodem modo
potest dici esse alius a Filio. Hoc etiam videtur per verbum Augustini in littera. |
Cependant : 1. Pour toutes
les choses qui se distinguent en réalité, l’une d’elles est une chose
différente de l’autre. Mais le Père et le Fils, ainsi que nous l’avons dit
plus haut [dist. 2, quest. Uniquqe, art. 5], se distinguent en réalité. Donc
le Père est une réalité autre que le Fils ; et de la même manière on
peut dire qu’il est autre que le Fils. C’est ce que manifestent encore les
paroles d’Augustin dans le document. |
[785] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod in divinis invenimus tria, scilicet essentiam, personam,
proprietatem, quibus aptantur tria genera. Essentiae enim, quia communis est
et indistincta, aptatur neutrum genus, quod est informe non importans sexus
distinctionem. Personae vero, quae est distincta et significatur ut aliquid
existens in natura divina, aptatur masculinum genus quod est genus
distinctum, et non femininum propter imperfectionem. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que nous retrouvons trois choses dans les personnes divines,
à savoir l’essence, la personne et la propriété, lesquelles s’appliquent à
trois genres. À l’essence en effet, parce qu’elle est commune et
indifférenciée, s’applique le genre qui est le neutre, lequel est informe et
n’implique pas la distinction de sexe. Mais le genre masculin qui est un
genre distinct, et on le genre féminin en raison de son imperfection,
s’applique à la personne qui est distincte et qui est signifiée comme quelque
chose d’existant dans la nature divine. |
Proprietati autem, quae significatur per modum
formae, aptatur genus femininum ; sic etiam essentiae aptari potest,
inquantum essentia significatur ut forma ; et ideo propter unitatem essentiae
non potest dici Pater aliud [alius Éd.
de Parme] a Filio, sed propter distinctionem personae dicitur alius.
Istud autem videtur magis esse adaptatio, quam expressio proprietatis
locutionis. |
Mais c’est à
la propriété, qui est signifiée par mode de forme, que s’applique le genre
féminin ; mais il peut s’appliquer aussi à l’essence selon que l’essence
est signifiée en tant que forme ; et c’est pourquoi, en raison de
l’unité de l’essence, on ne peut dire du Père qu’Il est autre chose [autre
Éd. de Parme] que le Fils, mais en raison de la distinction des personnes on
peut dire de Lui qu’il est autre que le Fils. Mais cela semble être davantage
un ajustement que l’expression d’une propriété du langage. |
Unde dicendum aliter, quod hoc contingit, quia
neutrum genus substantivatur ; et ideo importat diversitatem simpliciter et
absolute, quae est diversitas essentiae ; sed masculinum genus et femininum
tenentur adjective ; unde ponunt diversitatem circa terminos personales qui
in locutione ponuntur, cum dicitur: Filius
est alius a Patre ; et hoc explicabitur in solutionibus argumentorum. |
C’est pourquoi il faut dire autrement
que cela est possible car le genre neutre est pris comme un substantif :
et c’est pourquoi il implique diversité purement et simplement, c’est-à-dire
une diversité d’essence ; mais les genres masculin et féminin sont pris
comme des adjectifs et c’est pourquoi ils posent une diversité sur les termes
personnels qui sont placés dans le discours lorsque l’on dit : Le Fils est autre que le Père ;
et cela sera expliqué dans les réponses aux difficultés. |
[786] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alius semper
significat diversitatem substantiae. Sed substantia dicitur dupliciter: |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que l’autre signifie toujours une diversité de
substance : mais substance se dit de deux manières : |
quandoque enim sumitur pro essentia, sicut est in
usu Latinorum ; quandoque pro supposito essentiae, vel pro re naturae primi
praedicamenti, quae dicitur hypostasis apud Graecos ; et hoc secundo modo non
est eadem substantia Patris et Filii: quia sic substantia significat personam
; et hac ratione potest dici alius. |
Parfois ce
terme est pris pour l’essence comme c’est la coutume en latin ; mais
parfois il est pris pour le suppôt de l’essence ou pour la chose de nature du
premier prédicament qu’on appelle hypostase chez les Grecs ; et en ce
deuxième sens la substance du Père n’est pas la même que celle du Fils car
alors substance signifie la personne ; et c’est pour cette raison
qu’elle peut être dite autre. |
[787] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod neutrum genus substantivatur, et non masculinum.
Substantivum autem significationem suam habet absolutam ; sed adjectivum
ponit significationem suam circa proprie [proprie om. Éd. de Parme] substantivum [subjectum Éd. de Parme]. Quando autem aliquid dicitur absolute,
intelligitur de eo quod simpliciter est, sicut ens, absolute dictum,
significat substantiam ; et ideo quia alietas essentiae est simpliciter
alietas, ideo neutrum genus substantivatum importat alietatem essentiae. Sed
genus masculinum, quia adjective tenetur, ponit alietatem circa suum
subjectum. Unde si terminus personalis est, designat suum substantivum
distinctionem personarum [personalis est suum substantivum designat Éd. de Parme]. Et ideo haec est vera:
Pater est alius a Filio. Si autem sit terminus essentialis, designat
diversitatem substantiae ; unde haec est falsa: Pater est alius Deus a Filio.
Et similiter neutrum adjective sumptum, quando adjungitur termino personali,
importat alietatem personae, ut cum dicitur: Pater est aliud suppositum a
Filio. Unde hoc non contingit ex variata significatione, sed ex eo quod
alietas significata in masculino et neutro, non ad idem refertur. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que le genre neutre, et non le masculin, est pris comme
substantif. Mais le substantif possède une signification absolue alors que
l’adjectif pose sa signification sur ce qui lui est propre [propre om. Éd. de Parme] comme substantif
[sujet Éd. de Parme]. Mais quand
quelque chose se dit absolument, il se comprend comme existant purement et simplement,
comme l’être, dit absolument, signifie la substance ; et c’est pourquoi,
parce que l’altérité de l’essence est une altérité pure et simple, le genre
neutre pris comme substantif implique une altérité d’essence. Mais le genre
masculin, parce qu’il est pris comme adjectif, pose une altérité sur son
sujet. C’est pourquoi, si le terme est personnel, son substantif désigne une
distinction de personnes [le terme personnel désigne son substantif Éd. de Parme]. Et c’est pourquoi cette
proposition est vraie : Le Père est autre que le Fils. Mais si le terme
est essentiel, il désigne une diversité de substance et c’est pourquoi cette
proposition est fausse : Le Père est un autre Dieu que le Fils. Et de la
même manière le neutre, pris comme adjectif, lorsqu’il est ajouté à un terme
personnel, implique une altérité de personnes, comme lorsqu’on dit : le
Père est un suppôt autre que le Fils. Et c’est pourquoi cela n’est pas
possible si on change la signification, mais seulement si l’altérité signifiée
au masculin et au neutre ne se rapporte pas à la même chose. |
[788] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod haec est impropria: Pater est a se ; et exponenda est
per negationem ; id est, non est ab alio. Ista autem est propria: Filius est
a Patre. Unde non est simile. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que cette proposition est impropre : le Père
vient de lui-même ; et elle dit être expliquée par la négation,
c’est-à-dire qu’Il ne vient pas d’un autre. Mais celle-ci est se dit proprement :
le Fils vient du Père. C’est pourquoi elle n’est pas semblable. |
[789] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod proprietas in divinis non tantum est proprietas, sed
etiam subsistens: Paternitas enim est ipse Pater ; et ideo proprietas facit
alium magis proprie, quam alterum. De hoc tamen infra plenius habebitur,
dist. 26, quaest. 2, art. 2.4 |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la propriété chez les personnes divines n’est pas
seulement une propriété, mais aussi une substance : la Paternité en
effet est le Père lui-même ; et c’est pourquoi la propriété rend plus
proprement autre que divers. Nous traiterons cependant plus loin [dist. 26,
quest. 2, art. 2.4] de ce sujet d’une manière plus complète. |
|
|
Articulus 2 [790] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2
tit. Utrum Pater et Filius possint dici plures aeterni ? |
Article 2 – Peut-on dire que le Père et le Fils sont plusieurs éternels ? |
[791] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater et Filius non possint dici plures
aeterni, per id quod habetur in symbolo Athanasii: Et tamen non tres aeterni. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’on ne puisse dire du Père et du Fils qu’ils sont plusieurs éternels en
s’appuyant sur ce qui est établi dans le symbole d’Athanase : Et cependant ils ne sont pas trois
éternels. |
[792] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, Augustinus, V De Trinit.,
cap. VIII, col. 916 : quidquid in
divinis ad se dicitur, singulariter de tribus, et non pluraliter praedicatur.
Sed aeternus ad se dicitur: non enim est relativum. Ergo singulariter de
tribus dicitur, et non pluraliter. |
2. Par
ailleurs, Augustin [V De la Trinité,
ch. VIII, col. 916] dit : Tout ce qui se dit absolument de Dieu
s’attribue aux trois personnes au singulier et non au pluriel. Mais
éternel se dit absolument : en effet, il n’est pas un relatif. Donc il
s’attribue aux trois personnes au singulier et non au pluriel. |
[793] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, sicut una deitas est trium personarum, ita etiam est una
aeternitas, cum aeternitas sit ipsa divina substantia. Sed non potest dici:
Pater et Filius sunt [plures add. Éd.
de Parme] dii ; propter unitatem divinitatis. Ergo nec etiam propter
unitatem aeternitatis potest dici: Pater et Filius sunt [plures add. Éd. de Parme] aeterni. |
3. En outre,
tout comme une même divinité appartient aux trois personnes, de même c’est
une même éternité qi appartient aux trois personnes puisque l’éternité est la
substance divine elle-même. Mais on ne peut dire : le Père et le Fils
sont [plusieurs add. Éd. de Parme]
des dieux, en raison de l’unité de la divinité. Donc en raison de l’unité de
l’éternité on ne peut non plus dire : le Père et le Fils sont [plusieurs
add. Éd. de Parme] des éternels. |
[794] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 4 Si
dicas, quod hoc est, quia Deus est substantivum, sed aeternus est adjectivum,
et ideo aeternus recipit pluralem numerum, secundum numerum suppositorum.
Contra, adjectivum significatur per modum accidentis. Sed in Deo non potest
esse aliquod accidens, quia, sicut dicit Boetius, lib. I De Trinit., cap. IV, col. 1252, caetera praedicamenta cum in divinam
venerint praedicationem mutantur in substantiam. Ergo non potest ibi esse adjectivum. |
4. Mais tu
pourrais dire qu’ils sont plusieurs éternels parce que Dieu est un substantif
mais qu’éternel est un adjectif et que c’est là pourquoi éternel reçoit le
nombre pluriel selon le nombre des suppôts. Cependant l’adjectif signifie à
la manière d’une accident. Mais en Dieu il ne peut y avoir aucun accident
car, ainsi que le dit Boèce [1 De la
Trinité, ch. IV, col. 1252], lorsque les autres prédicaments en viennent
à l’attribution divine, ils se changent en la substance. Eternel ne peut donc
pas être pris là comme adjectif. |
Sed contra est quod habetur in Symbolo Athanasii, quod tres personae sunt sibi coaeternae. |
Cependant on
établit dans le Symbole d’Athanase
que les trois personnes sont coéternelles. |
[795] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, adjectivum trahit numerum a
substantivo. Sed aeternus est
adjectivum. Cum ergo Pater et Filius sint plures quidam, videtur quod debeant
dici aeterni. |
5. De plus,
l’adjectif tire son nombre du substantif. Mais éternel est un adjectif. Donc,
puisque le Père et le Fils sont plusieurs personnes, il semble qu’ils doivent
être appelées éternels. |
[796] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod haec est
differentia inter adjectiva et substantiva: quia substantiva significant per
modum substantiae, et ideo significant rem suam absolute ; et ideo
substantivum non dicitur in plurali numero, nisi formatio sua numeretur ;
adjectivum autem significat per modum accidentis, quod non habet esse
absolutum, nec unitatem: sed esse suum et unitas sua dependet ex eo cui inhaeret.
Unde etiam non multiplicatur secundum numerum per divisionem alicujus quod
sit pars sui, sicut species substantiarum multiplicantur per individua,
secundum divisionem materiae. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que telle est la différence entre les adjectifs et les
substantifs : car les substantifs signifient à la manière d’une
substance et c’est pourquoi ils signifient leur chose absolument ; et
c’est pourquoi le substantif ne se dit au pluriel que si sa formation est
comptée ; mais l’adjectif signifie à la manière d’un accident qui ne
possède ni une existence ni une unité absolue mais son existence et son unité
dépendent de ce en quoi il se trouve. C’est pourquoi encore il ne se
multiplie pas selon le nombre par la
division de ce qui serait une de ses parties comme les espèces des
substances se multiplient en individus par la division de la matière. |
Sed accidens multiplicatur secundum divisionem
subjecti in quo est ; unde haec albedo est alia ab illa, inquantum haec est
hujus, et illa illius ; et ideo adjectivum non habet numerum pluralem, nisi
ex parte suppositorum. Dicendum igitur, quod omnes termini essentiales
[essentiales om. Éd. de Parme]
significantes substantiam per modum substantiae, sicut sunt substantiva, non
praedicantur in plurali de tribus personis, eo quod forma [formatio Éd. de Parme] significata, scilicet
ipsa essentia divina, non dividitur. |
Mais
l’accident se multiplie d’après la division du sujet dans lequel il se
trouve ; c’est pourquoi cette blancheur-ci diffère de cette blancheur-là
selon qu’elle appartient à celui-ci et celle-là à celui-là ; et c’est
pourquoi l’adjectif ne possède le nombre pluriel que du côté de son suppôt.
Il faut donc dire que tous les termes essentiels [essentiels om. Éd. de Parme] signifiant la
substance par mode de substance, comme les substantifs, ne s’attribuent pas
au pluriel aux trois Personnes du fait que la forme [la formation Éd. de Parme] signifiée, à savoir
l’essence divine elle-même, ne se divise pas. |
Termini vero
significantes substantiam adjective per modum inhaerentis, vel assequentis
substantiam, ut dicit Damascenus, I Fid.
Orthod., cap. IX, col. 834, praedicantur in plurali de tribus personis,
propter pluralitatem suppositorum. Sed tamen in talibus terminis, qui
significant substantiam adjective, est ordo. Quaedam enim significant ut
inhaerenter, non significantes substantiam quantum ad modum significandi quem
grammatici considerant dicentes, nomen significare substantiam cum qualitate,
sicut verba et participia: et ista nullo modo debent praedicari in singulari,
quia significant per modum actus, qui non significatur nisi ut inhaerens. |
Mais les
termes qui signifient la substance à la manière d’un adjectif par mode
d’inhérence ou de ce qui arrive à la substance, comme le dit Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. 1X, col.
834], s’attribuent au pluriel aux trois Personnes en raison de la pluralité
des suppôts. Mais dans de tels termes cependant qui signifient la substance à
la manière d’un adjectif, il y a un ordre. Certains en effet signifient comme
étant présents dans la substance, qui ne signifient pas la substance quant au
mode de signifier que les grammairiens considèrent en disant que le nom signifie la substance
avec une qualité, tout comme les verbes et les participes : de tels
termes ne doivent en aucune manière être attribués au singulier car ils
signifient à la manière d’un acte qui n’est signifié que comme étant présent
dans la substance. |
Quaedam autem
significant substantiam quantum ad modum consideratum a grammaticis, sicut
nomina adjectiva. Omne enim nomen significat substantiam et qualitatem ; sed
formam quae est qualitas, significant ut inhaerentem ; et talia possunt magis
praedicari singulariter, et praecipue quia possunt substantiari, sicut
aeternus, et hujusmodi. Quando tamen talibus adjectivis additur per
compositionem aliqua praepositio denotans habitudinem personae ad personam,
magis trahuntur ad suppositum ; et tunc nunquam debent praedicari in
singulari, sed tantum in plurali, sicut coaeternus. |
Mais il y a les termes qui signifient la
substance quant au mode considéré par les grammairiens, comme les noms
adjectifs. Tout nom en effet signifie la substance et la qualité ; mais
ils signifient la forme, qui est une qualité, comme étant présente dans la
substance ; et de tels noms peuvent davantage être attribués au
singulier et surtout parce qu’ils peuvent être pris comme des substantifs,
comme éternel et les termes de cette sorte. Quand cependant à de tels
adjectifs s’ajoute une préposition par composition dénotant le rapport d’une
personne à une autre, ils sont davantage appliqués au suppôt ; et alors
ils ne doivent jamais être attribués au singulier mais seulement au pluriel,
comme coéternel. |
[797] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 1 Dico igitur ad primum, quod si aeternus
substantive sumatur, tunc praedicatur in singulari de tribus ; et sic accipit
Athanasius. Si adjective, tunc praedicatur pluraliter. Sed coaeternus semper
debet pluraliter praedicari, propter habitudinem personae ad personam, quam
importat. |
Solutions : 1. Je dis donc
en premier lieu que si éternel est pris comme substantif, alors il s’attribue
au singulier aux trois personnes. Et c’est ainsi qu’Athanase le prend. Mais
si on le prend comme adjectif, alors il s’attribue au pluriel. Mais coéternel
doit toujours s’attribuer au pluriel en raison du rapport qu’il implique de
la personne à la personne. |
[798] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod sicut dictum est, in corp. art., adjectiva non habent
numerum ex seipsis, sed ex suis suppositis ; et ideo aeternus, quamvis non
numeretur ex seipso, quia absolutum est, tamen praedicatur in plurali propter
pluralitatem suppositorum, quae relativa sunt. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de
l’article, ce n’est pas d’eux-mêmes que les adjectifs possèdent un nombre,
mais ils le tiennent de leurs suppôts ; et c’est pourquoi éternel, bien
qu’il ne se dénombre pas de lui-même car il est un absolu, il s’attribue
cependant au pluriel en raison de la pluralité des suppôts qui sont des
relatifs. |
[799] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 3 Et per
hoc patet solutio ad tertium: quia Deus non est adjectivum, ut recipiat
numerum ab alio, sicut aeternus. Unde non posset pluraliter praedicari nisi
propter pluralitatem suae formae: quam pluralitatem non est in Deo ponere. |
3. Et par là
la réponse à la troisième difficulté devient évidente : car Dieu n’est
pas un adjectif qui, comme éternel, reçoit son nombre d’un autre. De là il ne
pourrait s’attribuer au pluriel qu’en raison de la pluralité de sa forme,
pluralité qu’il n’y a pas lieu de poser en Dieu. |
[800] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis secundum rem non sit accidens in divinis,
tamen quantum ad modum significandi potest aliquid ut adjacens significari,
vel assequens substantiam ; et inde sunt adjectiva in divinis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que bien qu’il n’y ait pas en réalité d’accidents dans
les personnes divines, il se peut cependant que, quant au mode de signifier,
quelque chose soit signifié comme étant rattaché ou comme advenant à la
substance ; et c’est de là qu’on retrouve des adjectifs dans les
Personnes divines. |
|
|
|
Question 2 – [La coéternité du Père et du Fils] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[801] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 pr. Deinde
quaeritur de coaeternitate Filii ad Patrem ; et quaeruntur duo: 1 utrum Pater aliquo
modo sit prior Filio ; 2 si non, sed generatio est aeterna, quibus verbis
significari debeat. |
On s’interroge ensuite sur la coéternité du
Fils à l’égard du Père ; et on pose alors deux questions : 1. Est-ce que
le Père est antérieur au Fils de quelque manière ? 2. Si ce n’est
pas le cas, la génération étant éternelle, par quels verbes doit-elle être
signifiée ? |
|
|
Articulus 1 [802] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1
tit. Utrum
Pater sit prior Filio |
Article 1 – Le Père est-il antérieur au Fils
?
|
[803] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
Pater sit prior Filio. Sicut enim se habet corruptio ad desitionem, ita se
habet generatio ad inceptionem. Sed
omne quod corrumpitur, desinit esse. Ergo omne quod generatur, incipit esse
per generationem. Ergo Filius coepit esse ; et ita est posterior Patre. |
Difficultés : 1. Il semble
que le Père soit antérieur au Fils. En effet, tout comme la corruption se
rapporte au terme, la génération se rapporte au commencement. Mais tout ce
qui se corrompt cesse d’exister. Donc, tout ce qui est engendré commence à exister par la génération. Donc
le Fils a commencé à exister ; et ainsi il est postérieur au Père. |
[804] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 2, nihil accipit aliquid, nisi quod non
habet. Sed omne quod generatur, accipit esse a generante. Ergo omne quod
generatur, ante generationem non habet esse ; et sic idem quod prius. |
2. On ne
reçoit que ce que l’on ne possède pas. Mais tout ce qui est engendré reçoit
l’existence de celui qui engendre. Donc tout ce qui est engendré ne possède
pas l’existence avant d’être engendré ; et ainsi la conclusion est la même
que précédemment. |
[805] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 3, principium naturaliter prius est eo
cujus est principium. Sed Pater est principium Filii. Ergo etsi non tempore,
saltem natura est prior ipso. |
3. Le principe
est naturellement antérieur à ce dont il est le principe. Mais le Père est le
principe du Fils. Donc, si ce n’est pas par le temps, Il Lui est au moins
antérieur par nature. |
[806] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 4
Item, dare esse est aliqua dignitas. Sed Pater dat esse suum Filio. Ergo ad
minus dignitate Pater est prior Filio. |
4. De plus,
donner l’existence constitue une dignité. Mais le Père donne son existence au
Fils. Donc le Père est antérieur au Fils au moins par la dignité. |
[807] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, omne illud quo aliquid est
prius, non est simpliciter primum. Si ergo Filio esset Pater prior, Filius
non esset simpliciter primum. Sed omnes dicunt Deum esse primum principium,
sicut dicit philosophus, I Metaph.,
I, 7. Ergo Filius non esset Deus:
quod Ariani concedunt. |
Cependant : 1. Tout ce dont quelque chose est
antérieur, cela n’est pas absolument premier. Si donc le Père était antérieur
au Fils, le Fils ne serait pas absolument premier. Mais tous disent que Dieu
est le premier principe, comme le Philosophe le dit [1 Métaphysique, 1, 7]. Donc le Fils ne serait pas Dieu : ce
que les Ariens concèdent. |
[808] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod Pater nullo modo est prior Filio, neque duratione, neque
natura, neque intellectu, neque dignitate: in Patre enim et Filio non
possumus nisi duo considerare. Vel id quod absolutum est: et hoc utrique commune
est: unde ex hoc unus non habet prioritatem ad alium, cum essentia divina non
sit divisibilis, ut supra ostensum est, in hac dist., qu. 1, art. 1. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que le Père n’est d’aucune manière antérieur au Fils, ni par
la durée, ni par la nature, ni par l’intelligence, ni par la dignité :
dans le Père et le Fils en effet on ne peut considérer que deux choses. Soit ce qui
est absolu : et cela est commun aux deux : c’est pourquoi de ce
point de vue l’un ne possède aucune antériorité sur l’autre puisque l’essence
divine n’est pas divisible comme nous l’avons montré plus haut dans cette distinction
[quest. 1, art. 1]. |
Vel id quod est ad aliquid. Relativorum autem est
simul esse natura, secundum philosophum, in Praedicam., cap. « De relat., », et etiam tempore: quia posita se ponunt, et perempta se
perimunt: et etiam intellectu, cum unum per alterum definiatur: quamvis enim
in hominibus ille qui est pater, sit prior eo qui est filius, ut Socrates
Platone ; nihilominus tamen ista duo relativa, inquantum relativa sunt, Pater
et Filius simul sunt omnibus modis praedictis. Unde patet quod Pater nullo
modo potest esse prior Filio ; neque secundum id quod absolutum, neque
secundum id quod ad aliquid est. |
On peut encore
considérer ce qui est relatif. Mais pour les relatifs l’existence est
simultanée par nature, selon ce qu’en dit le Philosophe dans ses Prédicaments, au chapitre intitulé
¨Des relatifs¨, et elle l’est aussi par le temps : car si l’un est posé les deux le sont et si
l’un est anéanti les deux le sont : et leur existence est simultanée
aussi par l’intelligence car l’un se définit par l’autre bien qu’en effet
chez les hommes celui qui est père soit antérieur à celui qui est fils, comme
Socrate est antérieur à Platon ; cependant ces deux relatifs, à savoir
le Père et le Fils, en tant qu’ils ont
relatifs, existent néanmoins simultanément de toutes les manières dont nous
venons de parler. C’est pourquoi il est clair que le Père n’est en aucune
manière antérieur au Fils, quelque soit la manière dont on les considère,
soit absolument, soit relativement. |
[809] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod generatio quae opponitur corruptioni, est mutatio
; et tali generationi semper annexa est inceptio. Sed generatio, prout est in
divinis, non est mutatio, ut supra dictum est, dist. 4, quaest. 1, art. 1, sed
operatio naturae divinae prout est in Patre. Et quia naturalis operatio
semper sequitur id cujus est, cum natura divina in Patre sit aeterna, et
generatio erit aeterna. |
Solutions: 1. Il faut dire en premier lieu que la génération
qui s’opose à la corruption est un changement; et à une telle génération est
toujours rattaché un commencement. Mais la génération, selon qu’elle existe
chez les personnes divines, n’est pas un changement ainsi que nous l’avons
dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 1] mais une operation de la nature
divine existant dans le Père. Et parce qu’une operation naturelle correspond
toujours à ce à quoi elle appartient, puisque la nature divine est éternelle
dans le Père, la génération aussi sera éternelle. |
[810] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod illud quod accipit aliquid, non habet illud a se, non
tamen sequitur quod non habeat illud simpliciter: quia potest esse quod illud
accipere nunquam inceperit ; et ita Filius accepit esse a Patre, nec habet
esse a se, sed ab aeterno a Patre accepit esse. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que si ce qui reçoit quelque chose ne le possède pas de
lui-même, il ne s’ensuit pas cependant qu’il ne possède absolument pas
cela : car il se peut qu’il n’ait jamais commencé de recevoir cela ;
et c’est de cette manière que le Fils a reçu l’existence du Père et qu’il ne
possède pas l’existence de Lui-même, mais il a reçu l’existence du Père de
toute éternité. |
[811] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod principium potest dupliciter considerari: vel id quod est principium, et hoc est prius
naturaliter eo cujus est principium ; vel secundum relationem principii, et sic est simul
naturaliter cum principiato. Si igitur esset aliquis ab eodem habens quod sit
aliquis et quod sit ad aliquid ; omnino simul esset naturaliter cum eo ad
quod diceretur. Et quia in divinis Pater ab eodem habet quod sit aliquis et
quod sit Pater ; est simul natura cum Filio, non solum inquantum est Pater,
sed simpliciter. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que par le terme de principe on peut considérer deux choses : Soit cela même
qui est le principe et cela est antérieur à ce dont il est le principe. Soit la
relation de principe et alors le principe est par nature simultané avec ce
dont il est le principe. Si donc il existait un être qui du même coup
tiendrait son existence et d’être en relation, il serait par nature
absolument simultané avec ce dont il est dit relatif. Et parce que dans les
Personnes divines le Père tient du même coup son existence et sa Paternité,
il est par nature simultané avec le Fils, non seulement en tant que Père,
mais absolument. |
[812] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod proprietas qua Pater dat esse, est dignitas sua. Sed
quia dignitas est de absolutis, ideo eadem dignitas est in Patre et Filio, et
eadem dignitas quae in Patre est paternitas, in Filio est filiatio ; sicut
paternitas in Patre est divina essentia vel divina bonitas, et eadem essentia
in numero vel bonitas, est filiatio in Filio. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la propriété par laquelle le Père donne
l’existence est sa dignité propre. Mais parce que le dignité porte sur des
absolus, c’est pourquoi il y a une même dignité dans le Père et dans le Fils,
et la même dignité qui dans le Père est la paternité se retrouve dans le Fils
sous la forme de la filiation ; tout comme la paternité dans le Père est
l’essence divine ou la bonté divine, la même essence ou bonté par le nombre
est la filiation dans le fils. |
|
|
Articulus 2 [813] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2
tit. Utrum
generatio divina debeat significari per tempus praesens. |
Article 2 – La génération divine doit-elle être signifiée par le temps présent ? |
[814] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
generatio divina debeat significari per praesens tempus. Praesens enim maxime
aeternitati competit, eo quod non habet successionem. Sed generatio divina est
aeterna. Ergo debet significari per praesens tempus. |
Difficultés : 1. Il semble que
la génération divine doive être signifiée par le temps présent. Le présent en
effet semble convenir plus proprement à l’éternité du fait qu’il n’implique
pas la succession. Mais la génération divine est éternelle. Elle doit donc
être signifiée par le temps présent. |
[815] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Avicenna, tract. VI, Metaph., cap.
II), distinguit duplex agens: quoddam quod est causa fiendi tantum, et istud non
influit in rem nisi dum est in fieri ; quoddam autem quod est principium essendi, et hoc
agens non cessat ab influendo in causatum suum quamdiu habet esse. Constat
autem quod Pater non est principium Filii sicut principium fiendi, quia
Filius non est factus ; sed sicut principium essendi, quia dat sibi esse.
Ergo quandiu Filius habet esse, Pater dat sibi esse, quae datio est
generatio. Cum igitur Filius verissime dicatur semper esse, et magis quam
fuisse, verius diceretur semper nasci quam semper natus. |
2. Par ailleurs, Avicenne [ VI Métaphysique, ch. 11] distingue deux sortes
d’agents : La première qui est la cause du
devenir seulement, et celle-ci ne se répand dans la chose que lorsqu’elle est
en devenir ; l’autre cependant est le principe de l’existence, et un tel
agent ne cesse de passer dans son effet tant qu’il possède l’existence. Il
est clair cependant que le Père n’est pas le principe du Fils en tant que
principe de devenir, car le Fils n’est pas produit, mais en tant que principe
d’existence parce qu’il lui donne d’exister. Donc, aussi longtemps que le
Fils possède l’existence, le Père lui donne d’exister, et ce don est une
génération. Donc puisqu’on dit du Fils avec la plus grande justesse qu’il
existe de toute éternité, plus qu’il a toujours existé, on dira avec plus de
vérité qu’il naît de toute éternité que si on dit qu’il est né de toute
éternité. |
[816] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 3
Contra, illud quod est semper in fieri, est imperfectum. Sed quod semper
nascitur, significatur semper ut in fieri. Ergo significatur ut imperfectum.
Ergo non proprie dicitur Filius semper nasci, cum ab eo secludatur omnis
imperfectio. |
3. Mais au
contraire, ce qui est toujours en devenir est imparfait. Mais ce qui naît
toujours est signifié comme étant toujours en devenir. Il est donc signifié
comme imparfait. On ne dit donc pas proprement du Fils qu’Il naît toujours,
puisque toute imperfection est exclue de Lui. |
[817] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 4
Praeterea, omne illud quod consequitur generationem secundum modum
intelligendi, est quasi terminus generationis. Sed relatio filiationis
consequitur generationem secundum modum intelligendi. Ergo se tenet ex parte
termini generationis. Sed terminus generationis non significatur per
praesens, sed per praeteritum. Ergo Filius verius dicitur natus quam nascens. |
4. En outre,
tout ce qui suit la génération selon la manière de la comprendre est comme le
terme de la génération. Mais la relation de filiation suit la génération
selon la manière de la comprendre. Elle se tient donc du côté du terme de la
génération. Mais le terme de la génération n’est pas signifié par le présent
mais par le passé. On dit donc avec davantage de vérité que le Fils est né
que si on dit qu’Il est en train de naître. |
[818] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est
superius, dist. 8, qu. 2, art. 3, nullum verbum alicujus temporis perfecte
aeternitatem repraesentat. Unde cum generatio Filii sit aeterna, ut dictum
est, dist. 4, qu. 1, art. 1, non
sufficienter exprimitur per verbum alicujus temporis ; unde per diversorum
temporum verba significari potest, ut quidquid est perfectionis in quolibet
tempore, divinae generationi attribuatur, et omnis imperfectio excludatur. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, qu. 2, art.
3], qu’aucun verbe, quel qu’en soit le temps, ne représente parfaitement
l’éternité. C’est pourquoi, puisque la génération du Fils est éternelle ainsi
que nous l’avons dit [dist. 4, qu. 1, art. 1], elle n’est exprimée avec
satisfaction par aucun verbe de quelque temps qu’il soit ; c’est
pourquoi elle peut être exprimée au moyen de verbes de différents temps de
telle manière que ce qu’il y a de perfection dans chaque temps soit attribué
à la génération divine et que toute imperfection en soit exclue. |
Cum igitur in omni inferiori generatione vel in
quocumque fieri, ipsum esse sit imperfectum, quia hujusmodi non sunt nisi in
fieri, et perfectio non est nisi quando fieri terminatur, et tunc esse non
retinet generatio creaturae, sicut etiam in termino motus non est motus ; in
divina tamen generatione invenitur simul et perfectio et esse. |
Donc, alors que dans toute génération
inférieure ou dans tout devenir l’existence elle-même est imparfaite car de
tels êtres n’existent que dans le devenir et qu’il n’y a perfection que
lorsque le devenir est terminé et que la génération de la créature ne retient
pas alors l’existence, tout comme aussi dans le terme du mouvement il n’y a
plus de mouvement ; dans la génération divine cependant on retrouve simultanément
la perfection et l’existence. |
Unde ad significandum esse divinae generationis,
quod nunquam transit, possumus uti verbo praesentis temporis, ut dicamus
filium generari a Patre ; ad significandum vero generationis perfectionem
possumus verbo praeteriti temporis uti, ut dicamus filium natum ; ut autem
utrumque concludatur simul, scilicet perfectio et esse generationis,
convenientissime dicitur semper natus ; ut per sempiternitatem significetur
esse generationis indeficiens, et per praeteritum tempus ipsius perfectio. |
C’est
pourquoi, pour signifier l’existence de la génération divine, laquelle ne
passe jamais, nous pouvons faire usage d’un verbe du temps présent, comme
lorsque nous disons que le fils est engendré par le Père ; mais pour
signifier la perfection de la génération nous pouvons user d’un verbe du
temps passé, comme lorsque nous disons que le Fils est né ; mais pour
que les deux dimensions soient conclues simultanément, à savoir à la fois la
perfection et l’existence de la génération, il convient au plus haut point de
dire qu’il est toujours né, de telle manière que par l’éternité soit
signifiée l’existence indéfectible de la génération, et par le temps passé sa
perfection. |
Si autem diceremus, semper nascitur, designaretur
solum esse generationis indeficiens, sed non perfectio ; et ideo melius
dicitur semper natus quam semper nascens. In aliis autem divinis quae non
significantur ut in fieri, convenientius utimur praesenti tempore. |
Mais si nous disions qu’il naît
toujours, il n’y aurait que l’existence indéfectible de la génération qui
serait désignée mais non sa perfection ; et c’est pourquoi on parle avec
plus de justesse lorsqu’on dit qu’il est toujours né que si on dit qu’il est
toujours en train de naître. Mais pour toutes les autres caractéristiques
divines qui ne sont pas signifiées comme dans le devenir, on use avec plus
d’à propos du temps présent. |
[819] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis
praesens aeternitati conveniat maxime, quia ponit esse in actu, tamen in
illis quae per modum fieri significant, importat imperfectionem, quia talia
dum habent esse, imperfecta sunt ; et ideo in talibus convenientius utimur
praeterito, praecipue si addatur aliquid ad indeficientiam designandam. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
bien que le temps présent convienne au plus haut point à l’éternité car il
pose l’existence en acte, cependant pour les cas qui signifient par mode de
devenir, il implique une imperfection car de tels êtres, tant et aussi
longtemps qu’ils possèdent l’existence, sont imparfaits ; et c’est
pourquoi dans ces cas on se sert de préférence du temps passé, surtout si
quelque chose est ajouté pour désigner l’indéfectibilité ou la perpétuité. |
[820] Super
Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per illam
rationem probatur quod esse divinae generationis nunquam transeat, et hoc
significatur per praesens ; tamen ex modo significandi, quia significatur per
modum fieri, importatur quaedam imperfectio ; et ideo oportet uti praeterito
tempore, et hoc sequentia argumenta concludunt. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que par cet argument on prouve que l’existence de la
génération divine ne passe jamais, et cela est signifié par le présent ;
cependant de par son mode de signifier, car il signifie par mode de devenir,
il implique une certaine imperfection ; et c’est pourquoi il faut user
du temps passé et c’est là ce que concluent les arguments qui suivent. |
|
|
Distinctio 10 |
Distinction 10 – [L’Esprit Saint comme amour] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis quinque quaeruntur: 1 utrum Spiritus sanctus procedat ut amor ; 2 utrum sit amor quem Pater habet in Filium, et e
contrario ; 3 utrum sit nexus vel unio Patris et Filii ; 4 utrum ex processione sua possit dici proprie
Spiritus sanctus ; 5 de numero personarum. |
Afin de bien
comprendre cette partie nous cherchons à répondre à ces cinq questions : 1. Est-ce que
l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour ? 2. Est-il
l’amour que le Père porte au Fils ou est-ce plutôt l’inverse ? 3. Est-il le
lien ou l’union entre le Père et le Fils ? 4. Est-ce à
partir de sa procession qu’il peut être appelé proprement Esprit-Saint ? 5. Quel est le
nombre des Personnes ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique : [L’Esprit Saint comme amour] |
|
|
Articulus 1 : [823] Super Sent., lib. 1 d. 10
q. 1 a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat ut amor. |
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il
comme amour ?
|
[824] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non procedat ut amor.
Quia Spiritus sanctus procedit ut persona in se subsistens. Amor autem non
significat aliquid per modum subsistentis ; immo per modum inhaerentis
formae, vel passionis. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Esprit-Saint ne
procède pas en tant qu’amour, car c’est en tant que personne qui subsiste en
elle-même qu’elle procède. Mais l’amour ne signifie pas quelque chose à la
manière d’une substance mais bien plutôt à la manière d’une forme ou d’une
passion rattachée à autre chose. Donc, Il ne procède pas en tant que forme. |
[825] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, nunquam natura communicatur nisi per actum naturae. Sed amor non
significat actum naturae, sed magis voluntatis. Ergo cum per processionem
Spiritus sancti communicetur tota divina natura personae procedenti, videtur
quod Spiritus sanctus non procedat ut amor. |
2. Par
ailleurs, jamais la nature ne se communique autrement que par un acte de la
nature. Mais l’amour ne signifie pas un acte de la nature mais plutôt de la
volonté. Donc, puisqu’au moyen de la procession de l’Esprit-Saint c’est toute
la nature divine qui est communiquée à cette Personne qui procède, il semble
que l’Esprit-Saint ne procède pas en tant qu’amour. |
[826] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, non est idem modus processionis creaturae et personae divinae. Sed
creaturae procedunt a Deo per actum voluntatis, cujus opus est creatio,
secundum Damascenum, lib. I Fid. Orth., c.
VIII, col. 811. Ergo nulla persona divina
procedit per modum amoris, qui est actus voluntatis. |
3. En outre,
le mode de procession de la créature n’est pas identique au mode de
procession de la personne divine. Mais les créatures procèdent de Dieu par son acte de volonté dont l’œuvre est la
création selon Damascène [1 De la Foi
Orthodoxe, ch. VIII, col. 811]. Donc,
aucune Personne divine ne procède par mode d’amour, lequel est un acte de la
volonté. |
[827] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 4
Item, modus processionis personae est proprius personae procedenti, quia per
processionem distinguitur una persona ab alia. Sed amor est commune tribus
personis, ut dicitur in Littera.
Ergo nulla persona ut amor procedit. |
4. De plus, le
mode de procession de la personne est propre à la personne qui procède, car
c’est par sa procession qu’une Personne se distingue d’une autre. Mais
l’amour est commun aux trois Personnes, ainsi qu’on le lit dans le Document.
Donc, aucune Personne ne procède en tant qu’amour. |
[828] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 5
Praeterea, non est idem appropriatum et proprium, quia appropriatum sumitur
juxta rationem proprii: unde sapientia, quae appropriatur Filio, nulli
personae propria est. Sed amor, ut dicitur in littera, est appropriatum
Spiritui sancto. Ergo non est proprius modus suae processionis ut procedat ut
amor |
5. Enfin, ce
qui est approprié n’est pas identique à ce qui est propre, car l’approprié se
tire immédiatement à côté de la notion du propre : de là la sagesse, qui
est appropriée au Fils, n’est propre à aucune Personne. Mais l’amour, comme
on le lit dans le Document, est approprié à l’Esprit-Saint. Ce n’est donc pas
là le mode propre de sa procession de procéder en tant qu’amour. |
[829] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, imago creata, quae est in
anima, repraesentat Trinitatem in creatura. Sed in imagine creata procedit
aliquid per modum notitiae, et aliquid per modum amoris. Cum igitur in
Trinitate increata procedat Filius per modum notitiae, erit alia persona
procedens per modum amoris. |
Cependant : 1. L’image
créée qui est dans l’âme représente la Trinité dans la créature. Mais dans
l’image créée on a quelque chose qui procède par mode de connaissance, et
quelque chose qui procède par mode d’amour. Donc puisque dans la Trinité
incréée le Fils procède par mode de connaissance, il y aura une autre
Personne qui procède par mode d’amour. |
[830] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 2
Item, cognitio perfecta non est, nisi adjungatur voluntas. Sed sicut se
habet intellectus ad voluntatem, ita et verbum ad amorem. Ergo verbum non erit perfectum sine amore. Sed
Verbum Dei perfectum est. Ergo et associatur sibi amor perfectus ; et hic est
Spiritus sanctus. |
2. En outre,
une connaissance n’est parfaite que si elle est unie à la volonté. Mais ce que
l’intelligence est à la volonté, le verbe l’est à l’amour. Donc le verbe ne
pourra être parfait sans l’amour. Mais le verbe de Dieu est parfait. Donc un
amour parfait lui est rattaché et c’est là l’Esprit-Saint. |
[831] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in processione creaturarum duo
est considerare ex parte ipsius creatoris: |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que dans la procession des créatures il y a deux choses à
considérer du côté du créateur lui-même : |
scilicet naturam ex cujus plenitudine et perfectione
omnis creaturae perfectio et efficitur et exemplatur, ut supra dictum est,
dist. 2, qu. unic., art. 2, |
À savoir la
nature d’une part à partir de la plénitude et de la perfection de laquelle
toute perfection de la créature est produite et modelée, ainsi que nous
l’avons dit plus haut [dist. 2, quest. Unique, art. 2], |
et voluntatem, ex cujus liberalitate, non naturae
necessitate haec omnia creaturae conferentur. Supposita autem, secundum fidem
nostram, processione divinarum personarum in unitate essentiae, ad cujus
probationem ratio sufficiens non invenitur, oportet processionem personarum,
quae perfecta est, esse rationem et causam processionis creaturae. |
Et la volonté
d’autre part, à partir de la libéralité de laquelle et non à partir d’une
nécessité de nature, toutes ces créatures sont réunies. Mais ayant posé,
conformément à notre foi, la procession des Personnes divines dans l’unité de
l’essence, ce que la raison ne se montre par capable de démontrer, il faut
que le procession des Personnes, laquelle est parfaite, soit la raison et la
cause de la procession de la créature. |
Unde sicut processionem creaturarum naturae divinae
perfectionem imperfecte repraesentantium reducimus in perfectam imaginem,
divinam perfectionem plenissime continentem, scilicet Filium, tamquam in
principium, et quasi naturalis processionis creaturarum a Deo, secundum
scilicet imitationem naturae, exemplar et rationem ; ita oportet quod,
inquantum processio creaturae est ex liberalitate divinae voluntatis,
reducatur in unum principium, quod sit quasi ratio totius liberalis
collationis. Haec autem est amor, sub cujus ratione omnia a voluntate
conferuntur ; et ideo oportet aliquam personam esse in divinis procedentem
per modum amoris, et haec est Spiritus sanctus. Et inde est quod quidam
philosophi totius naturae principium amorem posuerunt. |
De là, tout
comme nous ramenons la procession des créatures qui représentent
imparfaitement la perfection de la nature divine à une image parfaite contenant
dans sa plénitude la perfection divine, à savoir au Fils, comme au principe de
la procession naturelle des créatures qui viennent de Dieu, c’est-à-dire
d’après une imitation, un modèle et une raison de la nature ; de même il
faut, dans la mesure où la procession de la créature vient de la liberté de
la volonté divine, qu’elle soit ramenée à un principe unique qui soit comme
la cause de ce libre rassemblement. Et cette cause est l’amour en raison
duquel toutes les choses sont rassemblées par la volonté ; et c’est
pourquoi il faut qu’il y ait parmi les Personnes divines une Personne qui
procède par mode d’amour, laquelle est l’Esprit-Saint. Et c’est pour cette
raison que certains philosophes ont soutenu que l’amour est le principe de
toute la nature. |
[832] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod licet amor, inquantum amor, non dicat quid
perfectum et subsistens ; tamen inquantum est Dei amor, a quo omnis
imperfectio removetur, habet quod sit perfectum quid et subsistens ; et
simile est de Verbo. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que bien que l’amour, en tant qu’amour, ne signifie
pas en lui-même un être parfait et subsistant, cependant en tant qu’il est
l’amour de Dieu duquel toute imperfection est exclue, il possède une
existence parfaite et subsistante ; et il en est de même pour le Verbe. |
[833] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod sicut per primum processum naturae communicatur tota
natura divina, cum sit perfectus ; ita et per primum processum voluntatis,
qui est ratio omnis processionis voluntariae a Deo, communicatur tota
voluntas ; et quia in Deo idem est voluntas et natura, nec tota voluntas,
quae infinita est, posset esse nisi in natura infinita ; et non nisi boni infiniti,
quasi objecti aequantis infinitam voluntatem, unde nec amor, qui est ratio
voluntatis, potest esse nisi infinitus ; ideo oportet etiam communicari
naturam. Unde amor, quamvis non dicat communicationem naturae inquantum est
amor, dicit tamen inquantum est amor Dei et primus processus divinae
voluntatis. |
2. En deuxième
lieu il faut dire que tout comme dans la première procession de la nature,
puisqu’elle est parfaite, c’est toute la nature divine qui est communiquée,
de même par la première procession de la volonté, laquelle est la cause de
toute procession volontaire provenant de Dieu, c’est toute la volonté qui est
communiquée ; et parce qu’en Dieu la volonté et la nature sont
identiques et qu’une volonté totale qui est infinie ne pourrait exister que
dans une nature infinie et ne peut porter que sur un bien infini comme objet
qui proportionné à une volonté
infinie, c’est pourquoi l’amour, qui est la cause de la volonté, ne peut être
qu’infini ; et c’est pourquoi il faut aussi que la nature soit communiquée.
C’est pourquoi l’amour, bien qu’en tant qu’amour, il ne signifie pas la communication
de la nature, il la signifie cependant dans la mesure où il est l’amour de
Dieu et le premier mouvement de la volonté divine. |
[834] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creatura
procedit a voluntate sicut res operata per voluntatem ; sed Spiritus sanctus
sicut ratio cujuslibet operis voluntatis, sicut etiam Filius producitur ut
ars omnium eorum quae per intellectum divinum constituta sunt. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la créature procède de la volonté comme l’œuvre
d’art est réalisée au moyen de la volonté ; mais l’Esprit-Saint est
comme la cause de toute œuvre de la volonté comme aussi le Fils est engendré
comme l’art d’où toutes les choses sont constituées par l’intelligence
divine. |
[835] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amor in divinis
tripliciter sumitur. Quandoque enim
sumitur essentialiter, quandoque personaliter, quandoque notionaliter. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l’amour se prend de trois manières dans les
Personnes divines. Il se prend en effet tantôt essentiellement, tantôt
personnellement, tantôt notionnellement. |
Quando sumitur essentialiter, non dicit aliquam
processionem vel relationem realem, sed tantum rationis, sicut etiam cum de
Deo dicimus intelligens et intellectum: eadem enim persona potest esse
intelligens et intellecta. |
Quand il se
prend essentiellement, il ne signifie pas une procession ou une relation
réelles, mais seulement de raison, tout comme lorsque nous disons aussi de
Dieu qu’il comprend et qu’il est compris : en effet, la même personne
peut à la fois comprendre et être comprise. |
Quando autem dicitur personaliter, tunc importatur
processio et relatio realis, et significatur ipsa persona, sive res
procedens, sicut amor est quoddam procedens. |
Quand il se prend personnellement, alors
il implique une procession et une relation réelles et alors ce qui est
signifié c’est la Personne elle-même ou la réalité qui procède, tout comme
l’amour est quelque chose qui procède. |
Quando autem dicitur notionaliter, significat ipsam
rationem processionis personae: quia amor non tantum est procedens, sed etiam
dicit rationem sub qua alia procedunt. Secundum ergo quod est essentiale, est
commune tribus, sed appropriatur Spiritui sancto ; ut cum dicitur, Deus caritas est, 1 Joan. 4, 16 ;
secundum autem quod est personale, est proprium Spiritus sancti ; et dicitur,
quod Spiritus sanctus procedit ut amor. Secundum autem quod est notionale,
est quaedam relatio vel notio communis Patri et Filio, quae etiam dicitur
communis spiratio ; et hoc modo significatur amor in hoc verbo diligunt: cum
dicitur, Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto. |
Mais quand il
se dit notionnellement, il signifie la cause même de la procession de la
Personne : car l’amour n’est pas seulement ce qui procède, mais il
signifie aussi la raison sous laquelle les autres procèdent. Donc, selon
qu’il est essentiel, l’amour est commun aux trois Personnes, mais il est
approprié à l’Esprit-Saint, comme lorsqu’on dit que Dieu est Amour [1 Jean,
4, 16] ; mais selon qu’il est personnel, il est le propre de
l’Esprit-Saint et c’est ainsi qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il procède en
tant qu’amour. Mais selon qu’il est notionnel, l’amour est une relation ou
une notion commune au Père et au Fils, qu’on appelle aussi le souffle
commun ; et c’est en ce sens
qu’est signifié l’amour dans cette parole où on dit qu’Ils s’aiment,
lorsqu’on dit du Père et du Fils qu’ils s’aiment par l’Esprit-Saint. |
[836] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod amor, secundum
quod est proprium, non est appropriatum. Sapientia autem ita est appropriata
quod nunquam potest esse proprium. Et ratio hujus est, quia sapientia non significatur
per modum alicujus exeuntis ab aliquo, sed per modum quiescentis in subjecto
; et ideo semper est essentialis, et nunquam personalis. Sed amor
significatur per modum exitus ; nihilominus tamen significat aliquid
absolutum. Exitus autem ille potest intelligi ut realis, vel secundum
rationem tantum. Ex parte ergo qua significat aliquid absolutum, est
essentiale ; et tunc relatio, vel exitus importatus, erit rationis tantum,
sicut cum dicitur idem eidem idem. Quando autem ille exitus significatur non
tantum ut rationis, sed ut realis, tunc amorem significat personalem. |
5. En deuxième
lieu il faut dire que l’amour, en tant qu’il set propre, n’et pas approprié.
Mais la sagesse est appropriée de telle manière qu’elle ne peut jamais être
propre. Et la raison en est que la sagesse n’est pas signifiée à la manière
de ce qui sort d’un autre, mais à la manière de ce qui repose dans un sujet.
Et c’est pourquoi elle est toujours essentielle et jamais personnelle. Mais
l’amour est signifié à la manière d’une sortie ; néanmoins il signifie
cependant quelque chose d’absolu. Mais cette sorte peut se comprendre soit
comme étant réelle, soit selon la raison seulement. Donc, du côté par lequel
il signifie quelque chose d’absolu, il est essentiel ; et alors la
relation ou la sortie impliquée en sera une de raison seulement, comme
lorsqu’on dit que le même est identique au même. Mais lorsque cette sortie
est signifiée non seulement comme en étant une de raison seulement mais comme
étant réelle, alors elle signifie un amour personnel. |
|
|
Articulus 2 [837] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a.
2 tit. Utrum Spiritus sanctus sit amor quem habet Pater in Filium. |
Article 2 – L’Esprit Saint est-il l’amour que le Père a pour le Fils ? |
[838] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
Spiritus sanctus non sit amor quem Pater habet in Filium vel e contrario.
Quidquid enim procedit in aliud tendens, non procedit ut per se subsistens. Sed Spiritus
sanctus procedit ut persona subsistens per se. Ergo non procedit in Filium. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’Esprit-Saint ne soit pas l’amour que le Père porte au Fils ou
inversement. En effet, tout ce qui procède en tendant vers un autre ne
procède pas en tant qu’être subsistant. Mais l’Esprit-Saint procède en tant
que personne qui subsiste par elle-même. Il ne procède donc pas vers le Fils. |
[839] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 2
Item, quod procedit in aliquid, recipitur in illo, nisi sit ex defectu
recipientis. Sed in Filio non est aliquis defectus. Si ergo Spiritus sanctus
procedit a Patre ut in Filium, Filius recipit Spiritum sanctum. Sed quidquid
Filius recipit a Patre, recipit per generationem. Ergo processio per quam
Spiritus sanctus procedit a Patre in Filium, est generatio, vel etiam prius
secundum rationem, sicut quod includitur in illa. |
2. De plus, ce qui procède vers quelque chose est
reçu dans cette chose à moins d’un défaut du côté de celui qui reçoit. Mais
il n’y a aucun défaut dans le Fils. Si donc l’Esprit-Saint procède du Père
comme au Fils, le Fils reçoit l’Esprit-Saint. Mais tout ce que le Fils reçoit
du Père, il le reçoit par mode de génération. Donc la procession par laquelle
l’Esprit-Saint procède du Père au Fils est une génération ou encore elle lui
est antérieure selon la raison comme ce qui est inclu en elle. |
[840] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, etsi Filius aliquid accipiat
a Patre, tamen Pater nihil accipit a Filio. Ergo cum illud in quod est
aliquid, se habeat in ratione recipientis, nullo modo poterit dici Spiritus
sanctus amor quem habet Filius in Patrem. |
3. En outre, bien que le Fils reçoive quelque chose
du Père, cependant le Père ne reçoit rien du Fils. Donc, puisque ce en quoi
se trouve quelque chose a raison de récepteur, en aucune manière
l’Esprit-Saint ne pourra être appelé l’amour que le fils a pour le Père. |
[841] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, omnis amor procedit ab amante
in amatum. Sed Spiritus sanctus est amor, ut supra dictum est, art. anteced.
in Resp. ad 4. Ergo videtur, cum Pater amet Filium et e contrario, quod
Spiritus sanctus sit amor Patris in Filium et e contrario. |
Cependant: 1. Tout amour procède d’un amant vers un objet aimé.
Mais l’Esprit-Saint est amour ainsi que nous l’avons dit plus haut [art. Précéd.,
dans la réponse à la quatrième difficulté]. Il semble donc, puisque le Père
aime le Fils et inversement, que l’Esprit-Saint soit l’amour que le Père
porte au Fils et inversement. |
[842] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc videtur per auctoritatem
Hieronymi in littera. |
2. C’est encore là ce qui apparaît clairement par
l’autorité de Jérôme dans le document. |
[843] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod in processione Spiritus sancti est considerare duo: scilicet
processionem ipsam, et modum procedendi. Et quia Spiritus sanctus procedit ut
res distincta et per se existens, non habet ex processione sua, inquantum
processio est, quod sit a Patre in Filium, vel e contrario ; sed quod sit in
se subsistens. Si autem consideretur modus processionis quia procedit ut
amor, ut dictum est, art. praec., ad 2, cum amatum secundum rationem
intelligendi sit id in quod terminatur amor, et amans a quo exit amor: cum
Pater amet Filium, potest dici amor Patris in Filium ; et cum Filius amet
Patrem, amor Filii in Patrem. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il y a deux choses à considérer dans la procession de
l’Esprit-Saint : à savoir la procession elle-même et le mode de
procéder. Et parce que l’Esprit-Saint procède à la manière d’une réalité
distincte et existant par elle-même, il ne Lui est pas nécessaire que sa procession, en tant que procession,
procède du Père au Fils ou inversement, mais qu’Il soit une réalité subsistant
en elle-même. Mais si on considère le mode de la procession, car
l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour ainsi que nous l’avons dit plus haut
[art. précéd., réponse à la deuxième difficulté], puisque l’objet aimé d’après
son intelligibilité est ce en quoi l’amour trouve son terme et que l’amant
est ce d’où procède l’amour, il s’ensuit que puisque le Père aime le Fils,
l’Esprit-Saint peut être appelé l’amour que le Père a pour le Fils et comme
le Fils aime le Père, il est aussi être appelé l’amour que le Fils a pour le
Père. |
[844] Super Sent.,
lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum. Quia Spiritus
sanctus non habet ut sit amor unius personae in aliam ex hoc quod est persona
procedens, sed ex hoc quod procedit ut amor. |
Solutions: 1. Et c’est par là qu’apparaît la solution à la
première difficulté. Car l’Esprit-Saint est nécessairement l’amour d’une
personne pour une autre du fait qu’il procède en tant qu’amour et non pas du
fait qu’il est une personne qui procède. |
[845] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur
Filius amari a Patre, non praedicatur secundum rem quod Filius aliquid a
Patre accipiat, sed quod terminetur in ipsum actus amoris ; et ideo hoc quod
dicitur esse Spiritus sanctus amor Patris in Filium, non pertinet ad generationem,
sed ad Spiritus sancti processionem. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que lorsqu’on dit
que le Fils est aimé du Père, on ne dit pas que c’est en réalité que le Fils
reçoit quelque chose du Père mais que c’est en Lui que se termine l’acte
d’amour; et c’est pourquoi ce qui est dit ici, à savoir que l’Esprit-Saint
est l’amour du Père pour le Fils, cela n’appartient pas à la génération, mais
à la procession de l’Esprit-Saint. |
[846] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. Quia
sicut cum dicitur, quod Pater habet amorem in seipsum, non significatur ibi
aliqua terminatio vel acceptio secundum rem, sed tantum secundum modum
significandi ; ita etiam cum dicitur Spiritus sanctus amor Filii in Patrem,
non ponitur quod Pater aliquid accipiat, nisi quod secundum modum
significandi in ipsum terminatur amor Filii, sicut in amatum. |
3. Et par là
on voit clairement la solution à la troisième difficulté. Car tout comme
lorsque nous disons que le Père a de l’amour pour Lui-même, on ne signifie
pas par là un terme ou une concession selon la chose mais seulement selon le
mode de signifier ; de même encore lorsque nous disons que
l’Esprit-Saint est l’amour du Fils pour le Père, on n’affirme pas que le Père
reçoit quelque chose, si ce n’est que selon le mode de signifier l’amour du
Fils se termine en Lui comme dans l’objet aimé. |
|
|
Articulus 3 [847] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a.
3 tit. Utrum Spiritus sanctus sit unio Patris et Filii |
Article 3 – L’Esprit Saint est-il l’union du Père et du Fils ? |
[848] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non sit nexus vel unio
Patris et Filii. Quod enim est discretum et distinctum ab aliquibus, non est
unitivum ipsorum. Sed Spiritus sanctus est distinctus a Patre et Filio. Ergo
non est unio utriusque. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’Esprit-Saint ne soit pas le lien ou l’union qu’il y a entre le Père et
le Fils. En effet, il n’y a pas de lien entre les choses et celles dont elles
se distinguent et sont séparées. Mais l’Esprit-Saint est distinct du Père et
du Fils. Il n’y a donc pas de lien entre les deux. |
[849] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, nexus vel unio habet quasi rationem medii inter ea quae uniuntur
vel connectuntur. Sed Spiritus sanctus non est media in Trinitate persona, sed tertia. Ergo non est unio vel nexus. |
2. De plus, le
lien a raison d’intermédiaire entre les choses qui sont unies ou reliées.
Mais l’Esprit-Saint n’est pas la personne intermédiaire dans la Trinité, mais
la troisième personne. Il n’est donc pas le lien ou l’union entre les deux
autres Personnes. |
[850] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, nexus dicitur quo aliqua nectuntur. Sed sive hoc intelligatur
effective, sive formaliter, illud quo aliqua nectuntur habet aliquam rationem
principii annexam. Ergo cum Spiritus nullo modo sit principium Patris et
Filii, immo e contrario, non poterit dici nexus vel unio utriusque. |
3. En outre,
le lien se dit de ce par quoi certaines choses sont rattachées. Mais qu’on
entende cela effectivement ou formellement, ce par quoi certaines choses sont
rattachées a une raison ajoutée de principe. Donc, puisque l’Esprit-Saint
n’est en aucune manière le principe du Père et du Fils et que c’est bien
plutôt le contraire qui est vrai, on ne pourra dire de Lui qu’Il est le lien
ou l’union entre le Père et le Fils. |
[851] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 s. c. 1
Contra, Dionysius, lib. De divin.
Nomin., cap. IV, § 15, col. 714 : Amorem sive divinum sive angelicum
sive intellectualem sive animalem sive naturalem dicamus, unitivam quamdam et
concretivam accipimus virtutem. Sed Spiritus sanctus est amor Patris et
Filii. Ergo est unio ipsorum. |
Cependant : Denys dit [Les Noms Divins, ch. IV, &15, col.
714] : Nous admettons que l’amour,
qu’il soit divin, angélique, intellectuel, animal ou naturel, est puissance
d’union et de rassemblement. Mais l’Esprit-Saint est l’maour du Père et
du Fils. Il est donc l’union ou le lien qu’il y a entre les deux. |
[852] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 s. c. 2
Hoc etiam videtur ex auctoritate apostoli, Eph. 4, 3: soliciti servare unitatem Spiritus in vinculo pacis ; et ita amor
habet rationem vinculi et nexus. |
2. Cela se
voit aussi par l’autorité de l’Apôtre [Épître
aux Éphésiens, 4, 3] : Appliquez-vous
à conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix. Et c’est
ainsi que l’amour a raison de lien ou de joint. |
[853] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod amor semper ponit
complacentiam amantis in amato. Quando
autem aliquis placet sibi in aliquo, trahit se in illud et conjungit se illi
quantum potest, ita ut illud efficiatur suum ; et inde est quod amor habet
rationem uniendi amantem et amatum. Et quia Spiritus sanctus procedit ut
amor, ex modo processionis habet ut sit unio Patris et Filii. Possunt enim
Pater et Filius considerari vel inquantum conveniunt in essentia, et sic
uniuntur in essentia ; vel inquantum distinguuntur in personis, et sic
uniuntur per consonantiam amoris: quia et si per impossibile poneretur quod
non essent unum per essentiam, ad perfectam jucunditatem oporteret in eis
intelligi unionem amoris. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que l’amour pose toujours une complaisance de l’amant pour
l’objet aimé. Mais quand on se complaît en quelqu’un, on se trourne vers lui
et on s’y unit dans la mesure du possible afin qu’il devienne soi ; et
c’est de là que l’amour a raison d’unir l’amant à l’objet aimé. Et parce que
l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour, c’est de cette forme de procession
qu’il se trouve à être l’union du Père et du Fils. Le Père et le Fils peuvent
en effet être considérés soit selon qu’ils se rencontrent dans une même
essence et ainsi ils sont unis dans cette même essence, soit selon qu’ils se
distinguent par la personne et alors ils sont unis par l’harmonie de
l’amour : car si par impossible
on posait qu’ils ne sont pas un par l’essence, il faudrait que soit comprise
en eux l’union de l’amour pour une joie parfaite. |
[854] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ex ipsa processione Spiritus sanctus habet quod
procedat ut persona ; et sic est distinctus a Patre et Filio [et sic …Filio om. Éd. de Parme] sed ex modo
processionis habet quod sit vinculum vel unio amantis et amati. Utrum autem
Pater et Filius diligant se Spiritu sancto, infra quaeretur, dist. 32,
quaest. 1, art. 1 et 2. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que c’est de la procession
elle-même qu’il revient à l’Esprit-Saint de procéder comme personne ; et
c’est ainsi qu’il est distinct du Père et du Fils [et ainsi…du Fils om. Éd. de Parme], mais c’est du mode
de procession qu’il Lui revient d’être le lien ou l’union de l’amant à
l’objet aimé. Mais est-ce que le Père et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint,
nous chercherons à le savoir plus loin [dist. 32, quest. 1, art. 1 et 2] |
[855] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inquantum
procedit a duobus, habet quod sit tertia in Trinitate persona ; sed ex modo
procedendi, quod sit unio utriusque personae. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que pour autant
qu’Il procède des deux autres Personnes, il revient à l’Esprit-Saint d’être
la troisième personne de la Trinité; mais il Lui revient, considérant le
manière dont il procède, d’être le lien entre les deux autres Personnes. |
[856] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Pater et Filius
dicuntur uniri Spiritu sancto, non effective, sed quasi formaliter. Sed forma est duplex: quaedam enim manens et quiescens in his quorum est
forma ; et sic per modum formae se habet ad personas divina essentia, et sic
uniuntur formaliter amore essentiali. Est etiam aliquid formaliter uniens, non quasi
inhaerens, sed sicut procedens ab utroque unitorum ; ac si diceremus, aliqua
duo corpora uniri per aliquem liquorum [aliquorum Éd. de Parme] ab eis procedentem ; et ita Pater et Filius
uniuntur Spiritu sancto. Unde non sequitur quod sit principium Patris et
Filii, sed e converso. Hoc tamen magis discutietur, dist. 32, ut Sup., quando
quaeretur, utrum Pater et Filius diligant se Spiritu sancto. |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’on dit du Père et du Fils qu’ils sont unis par
l’Esprit-Saint non pas à la manière d’une cause efficiente, mais comme
formellement. Mais il y a deux sortes de formes : il y a en effet celle
qui demeure et repose dans les choses dont elle est la forme ; et c’est
de cette manière que l’essence divine se rapporte aux Personnes et c’est
ainsi que ces dernières sont unies formellement par un amour essentiel. Il y a aussi
celle qui unit formellement non pas en tant qu’elle est présente dans la
chose, mais en tant qu’elle procède des choses qui sont unies, comme si on
disait que deux corps sont unis par un des fluides [de certains Éd. de Parme]qui en procèdent ;
et c’est ainsi que le Père et le Fils sont unis par l’Esprit-Saint. C’est
pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il soit le principe du Père et du Fils, mais
au contraire. Cela sera cependant davantage discuté à la distinction 32 quand
on cherchera à savoir si le Père et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint. |
|
|
Articulus 4 [857] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a.
4 tit. Utrum persona procedens per modum amoris, proprie dicatur Spiritus
sanctus |
Article 4 – Appelle-t-on au sens propre, l’Esprit Saint, la personne qui procède par amour ? |
[858] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod persona quae procedit ut amor, non
proprie dicatur Spiritus sanctus. Illud enim quod est commune tribus
personis, non efficitur proprium, nisi aliquo proprio adjuncto. Sed Spiritus
convenit tribus personis, Joan. 4, 24: Spiritus
est Deus. ‘Sanctus’ autem quod additur, est etiam commune, et non
proprium. Ergo videtur quod Spiritus sanctus non sit proprium nomen alicujus
personae. |
Difficultés ; 1. Il semble
que la Personne qui procède en tant qu’amour ne s’appelle pas proprement
Esprit-Saint. En effet, ce qui est commun aux trois Personnes n’est rendu
propre que par un ajout qui lui est propre. Mais l’Esprit est commun aux
trois Personnes ainsi que Jean (4, 24) le dit : L’esprit est Dieu. Mais le terme ¨saint¨, qui est ajouté, est lui
aussi commun et non pas propre. Il semble donc que ¨Esprit-Saint¨ ne soit pas
le nom propre d’une Personne. |
[859] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, personae distinguuntur per
relationem originis. Sed hujusmodi relationes, secundum modum intelligendi,
consequuntur processiones personarum. Ergo quaelibet persona debet denominari
secundum processionem aliquam. Sed Spiritus sanctus nullam processionem vel
processionis modum exprimit. Ergo non
videtur esse nomen alicujus personae. |
2. Par
ailleurs, les Personnes se distinguent par la relation d’origine. Mais de
telles relations, selon la manière de les comprendre, résultent des
processions des Personnes. Donc, toute Personne doit être dénommée d’après
une procession. Mais l’Esprit-Saint n’exprime aucune procession ou un mode de
procession. Il ne semble donc pas être le nom d’une Personne. |
[860] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 3 Si
dicas, quod dicitur Spiritus sanctus, quia procedit ut amor, scilicet ad
similitudinem ejus quod [dico add. Éd.
de Parme] duo amantes conspirant sibi in amore per osculum oris, unde fit
respiratio: contra, secundum hoc, nomen Spiritus sumeretur ex similitudine
spiritus corporalis. Sed omne tale nomen dicitur de Deo metaphorice, et non
proprie nec secundum prius. Cum igitur nomina personalia inveniantur in
divinis proprie, et etiam per prius quam in creaturis, ut dicitur Ephes. 3,
15: Ex quo omnis paternitas in caelis
et in terra nominatur ; videtur quod per istum modum nulla persona divina
debeat nominari Spiritus sanctus. |
3. Si tu dis
qu’on l’appelle Esprit-Saint parce qu’il procède en tant qu’amour,
c’est-à-dire à la ressemblance de ce qu’on voit chez deux amants qui se
serrent mutuellement dans l’amour au moyen d’un baiser de la bouche, d’où
résulte une respiration, il faudra dire à l’encontre de cela que le nom
d’Esprit se tire d’après cela d’une ressemblance à un esprit corporel. Mais
tout nom de cette sorte se dit de Dieu sous la forme de la métaphore et non
proprement ni par priorité. Donc, puisque les noms personnels se retrouvent
proprement dans les personnes divines et même antérieurement aux créatures,
comme le dit l’Apôtre [Ephésiens 3, 15] : De qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom, il
semble que suivant ce mode aucune Personne divine ne doive être appelée
Esprit-Saint. |
[861] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 4
Praeterea, sicut processio, quae est per modum amoris, est sancta ; ita illa
quae est per modum naturae. Ergo sicut non dicitur Filius sanctus, ita non
debet dici Spiritus sanctus. |
4. En outre,
tout comme la procession qui a lieu par l’amour est sainte, de même est
sainte celle qui a lieu par la nature. Donc, tout comme on ne dit pas Fils-Saint,
de même on ne dit pas Esprit-Saint. |
[862] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 s. c. 1 In
contrarium est tota Scriptura, et totus usus Ecclesiae, quae tertiam in
Trinitate personam sic nominat. |
Cependant : Toute
l’Écriture et toute la tradition de l’Église est contraire à cette position
en nommant ainsi la troisième Personne de la Trinité : Esprit-Saint. |
[863] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod spiritus est nomen positum ad significandum subtilitatem
alicujus naturae ; unde dicitur tam de corporalibus quam de incorporeis: aer
enim spiritus dicitur propter subtilitatem ; et exinde attractio aeris et
expulsio dicitur inspiratio et respiratio ; et exinde ventus etiam dicitur
spiritus ; et exinde etiam subtilissimi vapores, per quos diffunduntur
virtutes animae in partes corporis, dicuntur spiritus ; et similiter
incorporea propter suam subtilitatem dicuntur spiritus ; sicut dicimus
Spiritum Deum, et Angelum, et animam. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que le terme ¨esprit¨ est le nom posé pour signifier la
subtilité d’une nature ; c’est
pourquoi on le dit aussi bien des réalités corporelles que de celles qui sont
incorporelles : l’air est appelé esprit en raison de sa subtilité ;
et c’est de là que l’entrée de l’air et sa sortie sont appelées inspiration
et respiration ; et c’est pourquoi le vent aussi est appelé
esprit ; et c’est pourquoi encore les vapeurs les plus subtiles par lesquelles se répandent les puissances
de l’âme dans les parties du corps s’appellent aussi esprits ; et de la
même manière les réalités incorporelles, en raison de leur subtilité, sont
appelées esprits. C’est ainsi en effet que nous atribuons à Dieu, à l’Ange et
à l’âme humaine le nom d’esprit. |
Et inde est etiam quod dicimus duos homines amantes
se, et concordes, esse unius spiritus vel conspiratos ; sicut etiam dicimus
eos esse unum cor et unam animam ; sicut dicitur Eth. IX, cap. X : proprium
amicorum est, unam animam in duobus corporibus esse. Subtilitas autem dicitur
per remotionem a materialitate ; unde ea quae habent multum de materia
vocamus grossa, sicut terram ; et ea quae minus, subtilia, sicut aerem et
ignem. Unde cum removeri a materia magis sit in incorporeis, et maxime in
Deo, spiritualitas secundum rationem significationis suae per prius invenitur
in Deo, et magis in incorporeis quam in corporalibus ; quamvis forte secundum
impositionem nominis spiritualitas magis se teneat ad corporalia, eo quod
nobis qui nomina imposuimus, eorum subtilitas magis est manifesta. |
Et c’est
pourquoi nous disons encore de deux hommes qui s’aiment et qui sont d’accord
qu’ils sont d’un même esprit ou qu’ils sont en harmonie, tout comme nous
disons encore qu’ils sont un seul cœur et une seule âme ; tout comme on
le dit le Philosophe [ 1X Éth. Ch.
X] : le propre des amis est d’être une seule âme dans deux corps. Mais
la subtilité se dit par opposition à la matérialité ; c’est pourquoi les
choses dont la matière est abondante, par exemple la terre, sont appelées
grossières alors que celles qui en ont peu, comme l’air et le feu, sont
appelées subtiles. Donc, puisque le fait d’être éloigné de la matière se
retrouve davantage dans les réalités incorporelles et surtout en Dieu, la spiritualité,
en raison de sa signification se retrouve premièrement en Dieu, et davantage
dans les réalités incorporelles que dans celles qui sont corporelles ;
bien que selon l’imposition du nom la spiritualité se tienne peut-être
davantage du côté des réalités corporelles du fait que pour nous qui imposons
les noms, leur subtilité nous est davantage manifeste. |
Secundum hoc igitur dico, quod Spiritus, inquantum
nominat subtilitatem naturae, commune est tribus personis ; sed duplici
ratione nominatur Spiritus sanctus a spiritualitate. Una et praecipua est, ut credo, quia per ipsum et
dona ipsius in participationem divinae spiritualitatis trahimur, inquantum a
temporalibus removemur. Unde contemptores temporalium spirituales dicuntur:
et hoc convenit sibi inquantum procedit ut amor, qui habet rationem primi
doni in quo omnia dona donantur. Alia ratio est quia est amor Patris in Filium, quo
se diligunt ; et amantem et amatum dicimus in spiritu uniri. |
D’après cela
je dis donc que l’Esprit, selon qu’il nomme une subtilité de nature, est
commun aux trois Personnes ; mais c’est pour deux raisons que
l’Esprit-Saint se dénomme à partir de la spiritualité. La première et
la principale est, comme je crois, que c’est par Lui est ses dons que nous
sommes attirés à participer à la spiritualité divine selon que nous nous
éloignons des choses temporelles. C’est pourquoi ceux qui méprisent les
choses temporelles sont appelés spirituels : et cela convient à
l’Esprit-Saint selon qu’Il procède en tant qu’amour, Lequel a raison de
premier don dans lequel tous les dons sont distribués. L’autre raison
est que l’Esprit-Saint est l’amour du Père pour le Fils par Lequel Ils
s’aiment : et nous disons que l’amant et l’aimé sont unis en esprit. |
[864] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod hoc quod dico, Spiritus sanctus, potest dupliciter
considerari: vel quantum ad virtutem vocabulorum, et sic convenit toti
Trinitati prout sumitur in virtute duarum dictionum ; vel quantum ad
impositionem Ecclesiae, per quam hoc impositum est ad significandum unam
personam, quasi circumlocutio unius nominis, propter defectum vocabulorum,
quia linguae nostrae deficiunt a narratione Dei ; et sic proprie convenit
Spiritui sancto. Et rationem convenientiae assignat Augustinus in Littera. Quia enim est communitas
Patris et Filii, decet ut communi nomine nominetur. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que lorsque
je dis ¨Esprit-Saint¨, cette expression peut être considéré de deux
manières : soit quant à la puissance des mots, et ainsi ce terme
s’applique à toute la Trinité selon qu’il se prend dans la puissance des deux
termes ; soit quant à l’imposition qu’en a fait l’Église et par laquelle
cette expression a été imposée pour signifier une personne, comme une
circonlocution d’un nom en raison d’un manque de termes car nos langues sont
impuissantes à parler parfaitement de Dieu ; et ainsi cette expression
convient proprement à l’Esprit-Saint. Et Augustin désigne la raison de cette
convenance dans la Lettre en disant que puisqu’Il est commun au Père et au
Fils, il est juste qu’Il soit nommé par un nom commun. |
[865] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ex ratione suae processionis Spiritus sanctus
procedit ut amor ; et inquantum est amor, convenit sibi quod nominetur per
spiritualitatem, ut dictum est, in corp. art., et sic aliquo modo nomen
Spiritus sancti quemdam modum processionis exprimit, quia amoris. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que c’est en raison de sa procession que l’Esprit-Saint
procède en tant qu’amour : et en tant qu’il est amour, il lui convient
qu’il soit nommé par la spiritualité ainsi que nous l’avons dit dans le corps
de l’article et c’est ainsi que d’une certaine manière le non d’Esprit-Saint
exprime un certain mode de procession pour cette raison qu’Il est le mode de
procession de amour. |
[866] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Spiritus per prius dicitur de divinis quam de
corporeis, sicut praedictum est, loc. cit., et ideo objectio illa non tenet ;
nec credo ab illa similitudine Spiritum sanctum vocari. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que l’Esprit se dit des personnes divines avant de se
dire des réalités corporelles ainsi que nous l’avons dit précédemment et
c’est pourquoi cette objection ne tient pas ; et je ne crois pas que
l’Esprit-Saint soit dénommé à partir de cette similitude. |
[867] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit
Dionysius, cap. XII De div. Nom., §
2, col.970, sanctitas est ab omni
immunditia libera et perfecta et immaculata munditia ; et ideo convenienter
sanctitas spiritualitati adjungitur, quae etiam a materialitate separationem
dicit, ut sic per spiritualitatem designetur separatio a materia, et per
sanctitatem a materialibus defectibus. Vel dicendum, quod natura semper eodem
modo operatur ; et ideo in opere naturae non est invenire rectum et non
rectum, sicut in opere voluntatis. Et
ideo convenienter sanctitas, quae rectitudinem voluntatis importat,
adjungitur processioni amoris, et non generationi, quae est opus naturae. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que, tout comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. XII, &2, col. 970] : la sainteté est détachée de toute
souillure et consiste en une propreté parfaite et sans tache ; et
c’est pourquoi la sainteté est rattachée à juste titre à la spiritualité,
puisqu’elle implique elle aussi une séparation de la matière de telle manière
que par spiritualité on désigne une séparation de la matière et que par
sainteté on signifie une séparation des défauts matériels. Ou bien il faut
dire que la nature opère toujours de la même manière ; et c’est pourquoi
dans les œuvres de la nature on ne retrouve pas du juste et de l’injuste
comme dans les œuvres de la volonté. Et c’est pourquoi la sainteté, qui
implique une rectitude de la volonté, est rattachée à juste titre à la
procession de l’amour et non à la génération qui est une œuvre de la nature. |
|
|
Articulus 5 [868] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a.
5 tit. Utrum
tantum tres personae sint in divinis |
Article 5 – Y a-t-il seulement trois Personnes en Dieu ? |
[869] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod non sint tantum tres personae in
divinis. In divinis enim non plus distat voluntas et natura, quam
intellectus. Sed alia persona est procedens per modum voluntatis vel amoris, ab
illa quae procedit per modum naturae vel generationis. Ergo adhuc debet
esse alia quae procedat per modum intellectus. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait pas seulement trois personnes en
Dieu. En Dieu en effet il n’y a pas
plus de différence entre la volonté et la nature qu’entre l’intelligence et
la nature. Mais la personne qui procède par mode de volonté ou d’amour est
autre que celle qui procède par mode de nature ou de génération. Il doit donc
y avoir encore une autre personne qui procède par mode d’intelligence. |
[870] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 2
Praeterea, sicut Pater diligit Filium, ita etiam diligit Spiritum sanctum.
Sed amor quo Pater diligit Filium, est una persona. Ergo et amor quo diligit
Spiritum sanctum, est una persona, et ita sunt plures quam tres. |
2. Par
ailleurs, tout comme le Père aime le Fils, de même encore il aime
l’Esprit-Saint. Mais l’amour par lequel le Père aime le Fils est une
Personne. Donc, l’amour par lequel il aime l’Esprit-Saint est une autre
Personne et ainsi il y a plus que trois personnes. |
[871] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 3
Item, sicut est perfecta bonitas et liberalitas in Patre et Filio, ita et in
Spiritu sancto. Sed propter summam bonitatem et liberalitatem convenit Patri
quod naturam suam communicet alii, quia bonum est communicativum sui. Ergo
eadem ratione Spiritus sanctus communicabit naturam suam perfecta
communicatione. Sed non perfecte communicat creaturae. Ergo communicabit alii
divinae personae. |
3. En outre,
il y a dans l’Esprit-Saint, tout comme dans le Père et dans le Fils, une
parfaite bonté et une parfaite liberté. Mais en raison de son excellente
bonté et de son excellente liberté, il revient au Père de communiquer sa
nature à un autre, car il est dans la nature du bien de se communiquer. Donc
pour la même raison l’Esprit-Saint communiquera sa nature par une parfaite
communication. Mais il ne la communique pas parfaitement à la créature. Il la
communiquera donc à une autre personne divine. |
[872] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 4
Item, in Deo non tantum est natura et voluntas, sed plura alia attributa,
quorum unumquodque habet rationem principii. Sed voluntati et naturae
respondet aliqua processio, inquantum habent rationem principii. Ergo etiam
et aliis attributis respondebunt aliae processiones, secundum quas
multiplicabuntur personae multo plures quam tres. |
4. De plus, il
n’y a pas seulement en Dieu la nature et la volonté, mais plusieurs autres
attributs dont chacun a raison de principe. Mais à la nature et à la volonté
correspond respectivement une procession selon qu’elles ont raison de
principe. Donc d’autres processions correspondront aussi aux autres
attributs, processions selon lesquelles se
multiplieront les personnes en un nombre plus grand que trois. |
[873] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 5 Sed
contra, videtur quod sint tantum duae. Personae enim non distinguuntur nisi
secundum relationes originis. Sed relatio originis est secundum quam aliquis
est ab alio. Ergo videtur quod sit tantum una persona, quae sit ens ab alia,
et reliqua a qua est alius. Ergo sunt tantum duae personae. |
5. Il semble
cependant qu’il n’y ait que deux Personnes en Dieu. Les Personnes en effet ne
se distinguent que par les relations d’origine. Mais une relation d’origine
est celle selon laquelle un être vient d’un autre. Il semlbe donc qu’il n’y
ait qu’une personne qui soit un être qui vient d’un autre et que le reste
soit celle d’où vient cet autre. Il n’y a donc que deux Personnes en Dieu. |
[874] Super
Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod non sunt nisi tres personae in divinis. Et ratio hujus est,
quia in divinis propter essentiae simplicitatem non potest esse distinctio
secundum aliquod absolutum, sed secundum relationem, et tantum secundum
relationem originis, ut infra probabitur, dist. 26, quaest. 2, art. 2. Item,
relatio originis non potest constituere personam, si significet in communi ;
sed oportet quod significet aliquid proprium et determinatum. Habet enim se
loco differentiae constitutivae respectu personae, quam oportet esse
propriam. |
Corps de l’article ; Je réponds
qu’il faut dire qu’il n’y a que trois Personnes en Dieu. Et la raison en est
qu’il ne peut y avoir en Dieu, en raison de la simplicité de l’essence, une
distinction selon quelque chose d’absolu, mais seulement selon la relation,
et seulement selon la relation d’origine ainsi qu’on le prouvera plus loin
[dist. 26, quest. 2, art. 2.]. En outre la relation d’origine ne peut
constituer la Personne si elle signifie dans l’universel, mais il faut
qu’elle signifie quelque chose de propre et de déterminé. Elle tient lieu en
effet de différence constitutive, laquelle doit être propre, par rapport à la
personne. |
Item, quia
persona est nomen dignitatis, oportet quod illa relatio sit ad dignitatem
pertinens. Sic ergo oportet tria considerare in constituentibus personas,
scilicet quod sit relatio originis, quod sit propria, quod sit ad dignitatem
pertinens |
De plus, parce
que ¨personne¨ est un nom de dignité, il faut que cette relation concerne la
dignité. Ainsi donc il faut considérer trois choses dans ce qui constitue les
personnes, à savoir qu’il y ait une relation d’origine, qu’elle soit propre
et qu’elle concerne la dignité. |
Relatio autem originis in communi importatur in his
duobus, qui ab alio, et a quo alius. Hoc etiam quod dico, a quo alius, est
quidem ad dignitatem pertinens, sed commune est. Unde oportet, ad hoc quod
constituat personam, quod determinetur per specialem modum originis. In divinis autem non potest esse nisi duplex modus
originis, secundum quod omne agens dividitur in agens a natura et agens a
voluntate: et istae actiones inventae in creaturis, ut supra dictum est,
dist. 4, quaest. 1, art. 1, reducuntur, ut in causam et exemplar, in duas
processiones in divinis, quarum una est per modum naturae et vocatur
generatio, et alia per modum voluntatis et vocatur spiratio, ut supra dictum
est, loc. cit. Oportet igitur ita specificare, a quo alius per generationem, a quo
alius per spirationem. |
Mais la relation d’origine prise dans l’universel
est introduite dans ces expressions, à savoir ¨celui qui vient d’un autre¨ et
¨ celui d’où il vient¨. Et ce que je dis, à savoir ¨celui d’où il vient¨,
concerne certes la dignité, mais est universel. C’est pourquoi il faut, pour
que cela constitue la personne, que l’expression soit déterminée par un mode
particulier d’origine. Mais en Dieu il ne peut y avoir que deux modes
d’origine, selon que tout agent se divise soit en agent par nature, soit en
agent par volonté: et ces actions qu’on trouve dans les créatures, ainsi que
nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 1], se ramènent, comme
dans leur cause et leur modèle, aux deux processions qui sont présentes en
Dieu dont l’une se fait par mode de nature et qu’on appelle la generation
alors que l’autre se fait par mode de volonté et qu’on appelle le soufflé
ainsi que nous l’avons dit dans la reference que nous venons de citer. Il
faut donc préciser ¨celui d’où vient l’autre¨ par génération et ¨celui d’où
vient l’autre¨ par respiration. |
Haec autem duo non habent repugnantiam: quia idem
potest esse principium plurium diversis modis. Unde ex hoc non constituentur
duae personae, sed una tantum ; quia nihil habet virtutem distinguendi, nisi
quod habet aliquam rationem oppositionis. Sic igitur habemus unam personam, a
qua est aliquis per generationem et spirationem, sicut Pater. Si autem
accipiamus aliud, scilicet, qui est ab alio, quamvis importet relationem
originis, tamen non sufficit ad constituendam personam: tum quia commune est,
tum quia nihil dignitatis importat. Esse enim ab alio potest aliquid vel
nobili vel ignobili modo. |
Mais ces deux
formes de relations d’origine ne s’opposent pas : car le même agent peut
être le principe de plusieurs effets selon différentes modalités. C’est
pourquoi à partir de là ce ne sont pas deux personnes qui sont constituées,
mais seulement une seule ; car rien n’a la capacité d’être distingué
s’il ne contient pas en lui une cause d’opposition. Ainsi donc nous avons une
personne de laquelle vient une autre personne par génération et par respiration, à savoir le Père. Mais
si nous prenons l’autre terme de la relation, à savoir celui qui vient de
l’autre, bien qu’il implique une relation d’origine, cependant il ne suffit
pas à constituer une Personne, tant parce qu’il est commun que parce qu’il
n’implique rien de la dignité. Quelque chose en effet peut venir d’un autre
soit d’une manière honorable, soit d’une manière méprisable. |
Unde oportet ad hoc quod constituatur persona, quod
determinetur per specialem modum ad dignitatem pertinentem ; et isti sunt
tantum duo in divinis, et ideo oportebit ita dicere: qui est ab alio per
generationem, et qui est ab alio per spirationem. Ista autem duo non possunt
uni convenire, quia una res habet tantum unum modum quo oritur ex alio. Non
enim idem in specie est a natura et ab arte, nec per putrefactionem et
seminationem. Et ideo erit una persona quae est ab alia per generationem, et
hic est Filius ; et alia quae est ab alia per spirationem, et hic est
Spiritus sanctus. Et cum istae relationes non possint multiplicari secundum
numerum, ita quod remaneat unitas in specie, eo quod non est ibi aliqua
divisio materialis, oportet quod sint tantum tres personae. |
D’où il faut,
pour que soit constituée la Personne, qu’elle soit déterminée par un mode
particulier qui concerne la dignité ; et il n’y a que deux mode de cette
sorte en Dieu, et c’est pourquoi il faudra parler de la manière
suivante : celui qui vient d’un autre par génération et celui qui vient
d’un autre par respiration. Mais ces deux modes particuliers ne peuvent
s’appliquer à un seul, car une même réalité ne possède qu’une seule modalité
par laquelle elle provient d’une autre. En effet, ce qui vient de la nature
et ce qui vient de l’art n’est pas identique par l’espèce, ni ce qui est le
résultat d’une putréfaction et d’une reproduction. Et c’est pourquoi il n’y
aura qu’une seule personne qui vient d’une autre par génération, et celle-ci
est le Fils, et une seule autre qui vient d’une autre par respiration, et
celle-là est l’Esprit-Saint. Et puisque ces relations ne peuvent se
multiplier selon le nombre de manière à ce que soit conservée l’unité dans
l’espèce du fait qu’il ne peut y avoir là de division matérielle, il faut
qu’il n’y ait que trois Personnes en Dieu. |
[875] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod processio intellectus et naturae habent quamdam
similitudinem per quam distinguuntur a processione per modum voluntatis.
Potest enim procedere aliquid ab uno vel a pluribus [Potest… pluribus om. Éd. de Parme]. Quod autem procedit
per modum naturae, procedit ut ab uno, si illud perfectum sit ; et similiter
quod procedit per modum intellectus ; non enim plures homines habent unam
conceptionem in numero. Et ita Filio, qui est tantum ab uno, scilicet a
Patre, attribuitur uterque modus ; procedit enim per modum naturae ut Filius,
et per modum intellectus ut Verbum. Sed voluntas tendit in alium, et potest
esse reciprocatio, ut ex duobus una voluntatis procedat conformitas, quae est
unio utriusque. Et ideo procedere per modum voluntatis convenit Spiritui
sancto, qui procedit a duobus, uniens eos, inquantum sunt distinctae
personae. Inquantum enim sunt una essentia, uniuntur per essentiam ; et
secundum hoc est inter eos amor essentialis. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la procession de l’intelligence et celle de la
nature ont quelque ressemblance par laquelle elles se distinguent de la
procession par mode de volonté. Quelque chose en effet peut procéder d’un
seul ou de plusieurs [peut…plusieurs om. Éd. de Parme]. Mais ce qui procède
par mode de nature ne procède que d’un seul si celui-ci est parfait ; et
il en est de même pour ce qui procède par mode d’intelligence ; en
effet, plusieurs hommes ne possèdent pas une même conception numériquement
parlant. Et ainsi au Fils, qui ne provient que d’un seul et même principe, à
savoir le Père, on attribue les deux modes : il procède en effet du Père
par mode de nature comme Fils et il en procède par mode d’intelligence comme
Verbe. Mais la volonté tend vers un autre et il peut y avoir réciprocité de
telle manière que de deux personnnes procède une conformité de volonté qui
est l’union des deux. Et c’est pourquoi il appartient à l’Esprit-Saint de
procéder par mode de volonté, Lui qui procède de deux Personnes en les
unissant en tant qu’elles sont deux Personnes distinctes. En effet, en tant
que les deux Personnes sont une même essence, elles sont unies par l’essence
et conformément à cela il y a entre elles un amour essentiel. |
[876] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod, sicut est in inferioribus, quod non alio actu
potentia fertur in objectum et in actum suum, eodem enim actu intellectus
intelligit se et intelligit se intelligere ; ita etiam cum Spiritus sanctus
procedat ut amor quo Pater amat Filium, non oportet quod sit alius amor quo
amet illum amorem ; et praecipue cum ille amor non differat ab isto nisi
secundum numerum, et non secundum rationem. Et talis diversitas in divinis
non potest esse, ut supra, dist. 9, quaest. 1, art. 1, probatum est. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que tout comme dans les réalités inférieures ce n’est
par un acte différent que la puissance est conduite à son objet et à son
acte : en effet, c’est par le même acte que l’intelligence se comprend
et qu’elle comprend qu’elle se comprend ; de même encore lorsque
l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour par lequel le Père aime le Fils, il
ne faut pas qu’il y ait un autre amour par lequel il aime cet amour ; et
surtout puisque cet amour ne diffère de celui-là que par le nombre et non par
la raison ; et une telle diversité ne peut exister en Dieu comme nous
l’avons prouvé plus haut [dist. 9, quest. 1, art. 1]. |
[877] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod liberalitas et bonitas sunt essentialia ; essentialia
autem non sunt principia actuum notionalium, nisi secundum quod ipsa essentia
est idem re quod proprietas vel notio, ut supra, dist. 2, quaest. unica, art.
3, dictum est. Unde bonitas vel liberalitas in Patre, non est principium
generationis, nisi inquantum bonitas est sua paternitas ; in Filio autem
bonitas non est Paternitas sed filiatio. Unde eadem bonitate et liberalitate
Pater generat, et Filius generatur, et Pater spirat, et Spiritus sanctus
spiratur. Unde secundum Augustinum, lib. III Contra Maximinum, c. XVIII, § 3, col. 786, cum dico, de quo est, est quaestio originis et
non aequalitatis ; sed cum quaeritur, qualis vel quantus. Et ideo per hoc
quod Spiritus sanctus non producit aliam personam, non est minoris liberalitatis
vel bonitatis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la liberté et la bonté sont des attributs
essentiels ; mais les principes des actes notionnels ne sont essentiels
que selon que l’essence même est identique par la chose à la propriété ou à
la notion, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, question unique,
art. 3]. C’est pourquoi la liberté ou la bonté dans le Père n’est principe de
génération que selon que la bonté est sa Paternité ; mais dans le Fils
la bonté n’est pas la Paternité mais la Filiation. C’est pourquoi c’est par
la même bonté et la même liberté que le Père engendre et que le Fils est
engendré, et que le Père spire et que l’Esprit-Saint est spiré. C’est
pourquoi, comme Augustin [111, Contre
Maximin, ch. XVIII, & 3, col. 786], lorsque je dis ceci, à savoir d’où il vient, la question en est une
d’origine et non d’égalité comme lorsque la question porte sur la qualité et
la quantité. Et c’est pourquoi l’Esprit-Saint n’est pas d’une moins grande
liberté ou bonté par cela même qu’il ne produit pas une autre personnes. |
[878] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod omnia attributa divina sunt principium productionis
per modum efficientis exemplaris ; sicut bonitatem omnia bona imitantur, et
essentiam omnia entia, et sic de aliis. Unde omnis illa processio est per
modum naturae ; et ideo non oportet esse plures modos processionis in
divinis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que tous les attributs divins sont principes de
production par mode de modèle efficient ; par exemple tous les biens
imitent la Bonté et tous les êtres imitent l’Essence et il en est de même
pour les autres. C’est pourquoi toute cette procession a lieu par mode de
nature ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’il y ait plusieurs modes de procession en Dieu. |
|
|
Distinctio 11 |
Distinction 11 – [La procession de l’Esprit Saint] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[881] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 pr. Hic determinat de processione Spiritus sancti
quantum ad suum principium ; et dividitur in duas partes : in prima ostendit,
spiritum sanctum procedere a patre et filio ; in secunda inquiritur utrum
aequaliter ab utroque procedat, 12 dist. : item quaeritur, cum Spiritus
sanctus a patre procedat et a filio, utrum prius vel magis processerit a
patre quam a filio. Prima in duas : in prima probat veritatem ; in secunda
excludit errorem, ibi : Graeci tamen dicunt, spiritum sanctum procedere
tantum a patre et non a filio. Quae dividitur
in duas : in prima ostendit Graecorum controversiam ; in secunda reducit ad
concordiam intellectus, ibi : sciendum tamen est, quod Graeci confitentur
spiritum sanctum esse filii, sicut et patris. Prima in duas : in prima ponit
objectionem Graecorum ; in secunda solutionem, ibi : nos autem illa verba ita
determinamus. Sciendum tamen, quod Graeci confitentur spiritum sanctum esse
filii, sicut et patris. Hic ostendit Graecorum concordiam ad Latinos quantum
ad sensum, quamvis in verbis sit differentia ; et circa hoc duo facit : primo
ostendit quod Graeci concedunt, spiritum sanctum esse a filio in suo
aequivalenti, quia scilicet concedunt eum esse filii ; secundo ostendit per
multas auctoritates doctorum Graecorum, quod etiam concedunt spiritum sanctum
expresse esse a filio, ibi : unde et quidam eorum Catholici doctores (...)
professi sunt spiritum sanctum etiam procedere a filio. |
Il traite ici
de la procession de l’Esprit-Saint quant à son principe ; et cette
section se divise en deux parties : dans la première il montre que
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils ; dans la deuxième, à la
distinction 12, on se demande s’Il procède des deux d’une manière
égale : on se demande en outre, puisque l’Esprit-Saint procède du Père
et du Fils, s’Il procède antérieurement ou davantage du Père que du Fils. La
première partie se divise elle-même en deux parties : dans la première
il prouve la vérité ; dans la deuxième il écarte une erreur, là où il
dit : les Grecs disent cependant que l’Esprit-Saint procède seulement du
Père et non du Fils. Cette dernière
partie se divise en deux : dans la première il montre cette difficulté
provenant des Grecs ; dans la deuxième il la ramène à un accord de
l’intelligence, là où il dit : il faut cependant savoir que les Grecs
confessent que l’Esprit-saint appartient au Fils tout comme il appartient au
Père. La première partie se divise en deux : dans la première il
présente l’objection des Grecs ; dans la deuxième il présente la
réponse, là où il dit : mais nous répondons ainsi à ces paroles. Il faut
cependant savoir que les Grecs confessent que l’Esprit-Saint appartient au
Fils tout comme il appartient au Père. Il montre ici l’accord qu’il y a entre
les Grecs et les Latins quant au sens, bien qu’il y ait une différence quant
aux paroles elles-mêmes ; et à ce sujet il fait deux choses :
premièrement il montre que les Grecs concèdent que l’Esprit-Saint vient du
Fils dans son égalité, c’est-à-dire parce qu’ils concèdent qu’il appartient
au Fils ; deuxièmement il montre par de nombreux témoignages des
docteurs Grecs qu’ils concèdent même clairement que l’Esprit-Saint vient du
Fils, là où il dit : c’est pourquoi certains d’entre eux, comme les
docteurs Catholiques (…), ont confessé que l’Esprit-Saint procède aussi du
Fils. |
Ad
intelligentiam hujus partis quatuor quaeruntur : 1 utrum Spiritus sanctus
procedat a Patre et Filio ; 2 dato quod sic, utrum procedat ab eis inquantum
sunt unum, vel inquantum sunt plures. Et si inquantum unum ; 3 quaeritur
utrum inquantum sunt unum in essentia, vel inquantum sunt unum in aliqua
notione ; 4 utrum possint dici Pater et Filius unus spirator. |
Pour
comprendre cette partie on pose quatre questions : 1. Est-ce que
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils ? 2. Si on
accorde qu’il en est ainsi, est-ce qu’il procède d’eux en tant qu’ils sont un
ou en tant qu’ils sont plusieurs personnes ? 3. Et si c’est
en tant qu’ils sont un, est-ce en tant qu’ils sont un dans l’essence ou en
tant qu’ils sont un dans une notion ? 4. Est-ce
qu’on peut dire du Père et du Fils qu’ils ne sont qu’une seule et même
spiration ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique : [La procession de l’Esprit Saint] |
|
|
Articulus 1 [882] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 tit. Utrum Spiritus
sanctus procedat a Patre et Filio |
Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils ? |
[883] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non procedat a Filio,
sed tantum a Patre. Dionysius [de divin.nomin. cap.II] quod Pater quidem est
fontana deitas, Filius et Spiritus sanctus deigenae deitatis, si ita oportet
dicere, pullulationes sunt, et sicut flores divinae naturae, et sicut divina
lumina, a sanctis eloquiis accepimus. Sed pullulatio non est a pullulatione,
nec flos a flore. Ergo nec Spiritus sanctus a Filio. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’Esprit-Saint ne procède pas du Fils mais seulement du Père. Denys [Les Noms Divins, ch. 11] dit que le
Père est certes la source de la divinité, et que le Fils et l’Esprit-Saint
sont comme la descendance de Dieu, s’il faut parler ainsi, et ses rejetons,
et nous admettons des Écrivains sacrés
qu’ils sont comme les fleurs de la nature divine et comme des lumières
divines. Mais un rejeton ne vient pas d’un rejeton ni une fleur ne vient
d’une fleur. Donc l’Esprit-Saint ne vient pas du Fils. |
[884] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, in Legenda B. Andreae dicitur : Pax vobis et universis qui credunt
in unum Deum Patrem, et in unum Filium ejus Dominum nostrum Jesum, et in unum
Spiritum sanctum procedentem ex Patre, et in Filio permanentem. Quod autem
permanet in aliquo procedens ab alio, non procedit ab eo in quo permanet ;
alias non diceretur manere in eo. Ergo
Spiritus sanctus non procedit a Filio. |
2. Par
ailleurs on dit dans la Légende de Saint-André : Paix à vous et à tous
ceux qui croient en un seul Dieu le Père, et en son Fils unique notre
Seigneur Jésus, et en un seul Esprit-Saint qui procède du Père et demeure dans le Fils. Mais ce
qui demeure dans un être en procédant d’un autre ne procède pas de celui dans
leqel il demeure, autrement on ne dirait pas qu’il demeure en lui. Donc, l’Esprit-Saint
ne procède pas du Fils. |
[885] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 3
Item, Damascenus, [de Fid. Orth., c. VII] : Spiritum sanctum ex Patre
dicimus, et Spiritum patris nominamus ; ex Filio autem Spiritum non dicimus,
Spiritum vero Filii nominamus. Ergo et cetera. |
3. En outre,
Damascène [De la Foi Orthodoxe, ch.
VII] dit : Nous disons que
l’Esprit-Saint vient du Père et nous l’appelons l’Esprit du Père ; nous
ne disons pas cependant que l’Esprit vient du Fils, mais nous l’appelons
néanmoins l’Esprit du Fils. Donc, etc. |
[886] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, hoc videtur per quasdam
similitudines. Spiritus enim
corporalis, quo verbum vocale profertur, non procedit a verbo, immo utrumque
a loquente. Ergo nec Spiritus sanctus procedit a Filio, qui est Verbum ; sed
utrumque a Patre. |
4. De plus,
cela se voit par certaines similitudes. En effet l’esprit corporel, par
lequel le verbe vocal est proféré, ne procède pas du verbe mais bien plutôt
les deux procèdent de celui qui parle. Donc, l’Esprit-saint ne procède pas du
Fils qui est le Verbe, mais les deux procèdent du Père. |
[887] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 5
Item, ex sole procedit splendor et calor, ita quod neutrum ex altero. Sed
Filius est splendor Patris, Hebr. 1, Spiritus sanctus autem est sicut calor,
cum sit amor. Ergo et cetera. |
5. Par
ailleurs, l’éclat et la chaleur procèdent du soleil de telle manière qu’aucun
des deux ne procède de l’autre. Mais le Fils est la splendeur du Père [Épître aux Hébreux, 1], mais l’Esprit-Saint
est comme sa chaleur puisqu’Il est amour. Donc, etc. |
[888] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 6
Item, videmus quod illud quod procedit corporaliter, procedit ex uno loco in
alium, et non ex illis duobus. Ergo et Spiritus sanctus procedit ex Patre in
Filium, et non ex Patre et Filio. |
6. En outre,
nous voyons que ce qui procède corporellement, procède d’un lieu à un autre
et non de ces deux lieux. Donc l’Esprit-Saint procède du Père vers le Fils et
non du Père et du Fils. |
[889] Super Sent.,
lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 7 Item, hoc videtur ratione. Nullum enim simplex potest esse a duobus ; alias
enim effectus esset simplicior causa, quod est impossibile. Sed Spiritus
sanctus est simplex. Ergo non est a duobus. |
7. De plus,
cela se voit aussi par raisonnement. En effet, rien de ce qui est simple ne
vient d’une dualité, car autrement en effet l’effet serait plus simple que sa
cause, ce qui est impossible. Mais l’Esprit-Saint est simple. Il ne vient
donc pas d’une dualité, c’est-à-dire du Père et du Fils. |
[890] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 8
Praeterea, Spiritus sanctus non minus convenit cum Patre quam Filius, nec
minoris est dignitatis. Si igitur Filius communicat cum Patre in spiratione
Spiritus sancti, videtur quod Spiritus sanctus communicet cum Patre in
generatione Filii, et hoc est falsum. Ergo et primum. |
8. En outre,
l’Esprit-Saint n’est pas moins uni au Père que le Fils et qu’il ne possède
pas moins de dignité que Lui. Si donc le Fils communique avec le Père dans la
spiration de l’Esprit-Saint, il semble que l’Esprit-Saint communique avec le
Père dans la génération du Fils, et cela est faux. Donc, puisque ce
conséquent est faux, l’antécédent l’est aussi. |
[891] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 9
Praeterea, aut Pater perfecte spirat Spiritum sanctum, aut non. Si non, ergo
est aliqua imperfectio in Patre, quod est impossibile. Si perfecte, ergo
superfluus est alius spirans. In divinis autem nihil est superfluum. Ergo
Filius non spirat Spiritum sanctum. |
9. Par
ailleurs, ou bien le Père est l’agent parfait de la spiration de
l’Esprit-Saint, ou bien il ne l’est pas . S’il ne l’est pas, il y a donc une
imperfection dans le Père, ce qui est impossible. Mais s’il en est l’agent
parfait, un autre agent de spiration serait donc inutile. Mais il n’y a rien
d’inutile en Dieu. Le Fils n’est donc pas un agent de spiration de
l’Esprit-Saint. |
[892] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium sunt multae auctoritates
in Littera positae. |
Cependant : 1. De nombreux
témoignages présentés dans le Document affirment le contraire. |
[893] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 2
Idem ostenditur per similitudinem. Quia in anima est imago Trinitatis. Sed
amor in anima, qui repraesentat Spiritum sanctum, procedit a notitia, quae repraesentat
Filium. Ergo in divinis Spiritus sanctus procedit a Filio. |
2. La même
chose est manifestée par la similitude de l’âme qui est une image de la
Trinité. Mais l’amour dans l’âme, lequel représente l’Esprit-Saint, procède
d’une connaissance qui représente le Fils. Donc en Dieu l’Esprit-Saint
procède du Fils. |
[894] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 3 Item, omnis amor procedit ab amante. Sed Spiritus sanctus [amor add. Ed de Parme] est
Patris et Filii, secundum auctoritatem Damasceni inductam. Ergo procedit ab
utroque [ut amor ipsorum. om. Ed. de Parme]. |
3. En outre, tout amour procède d’un amant. Mais
l’Esprit-Saint [l’amour add. Éd. de
Parme] est l’amour du Père et du Fils selon le témoignage introduit par
Damascène. Il procède donc des deux [en tant qu’amour communiqué entre ces
deux Personnes om. Éd. de Parme]. |
[895] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum simpliciter, quod
Spiritus sanctus procedit a Filio. Hoc enim remoto, inevitabiliter removetur
distinctio Filii et Spiritus sancti. Cum enim divinae personae secundum nihil
absolutum distinguantur, oportet quod omnis ipsarum distinctio sit secundum
relationes originis. Unde si Spiritus
sanctus et Filius non distinguerentur per hoc quod unus est ab alio,
oporteret quod uterque esset una persona. Nec hoc remoto posset dici quod
distinguerentur personaliter Filius et Spiritus sanctus per diversum modum
procedendi a patre, ut quod Filius procederet per modum naturae, et Spiritus
sanctus per modum voluntatis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut absolument dire que l’Esprit-Saint procède du Fils. En effet, si
on rejette cette affirmation, la distinction entre le Fils et l’Esprit-Saint
est nécessairement abolie. En effet, puisque les Personnes divines ne se
distinguent par rien d’absolu, il faut que toute distinction qu’il y ait
entre elles tienne à des relations d’origine. C’est pourquoi, si
l’Esprit-Saint et le Fils ne se distinguaient pas par le fait que l’un vient
de l’autre, il s’ensuivrait que les deux ne seraient plus qu’une seule et
même personne. Et cela rejeté, on ne pourrait dire que le Fils et
l’Esprit-Saint se distingueraient personnellement par une manière différente
de procéder du Père et qui serait telle que le Fils procéderait du Père par
mode de nature et l’Esprit-Saint par mode de volonté. |
Ille enim modus diversus aut haberet [diceret Éd. de
Parme] diversitatem per oppositionem relationis, et sic rediret idem quod
prius : aut diceret diversitatem in absolutis ; et tunc vel realem
diversitatem, et sic esset compositio in Deo ; vel diversitatem rationum, et
sic non posset esse inter Filium et Spiritum sanctum nisi diversitas rationis
; et hoc non sufficit ad distinctionem personarum, ut supra dictum est, dist.
2, quaest. Unic., art. 5. Et ideo cum Filius non sit a Spiritu sancto,
relinquitur quod Spiritus sanctus sit a Filio. |
Ce mode
différent de procéder présenterait
[signifierait Éd. de Parme] en
effet une diversité par l’opposition de relation, et ainsi elle reviendrait à
ce qui précède : ou bien elle signifierait une diversité par quelque
chose d’absolu ; et alors on aurait ou bien une diversité réelle et
ainsi il y aurait composition en Dieu, ou bien on aurait une diversité de
raisons et ainsi on ne retrouverait
plus entre le Fils et l’Esprit-Saint qu’une diversité de raison et cela ne
suffit pas à distinguer les Personnes ainsi que nous l’avons dit plus haut
[dist. 2, quest. unique, art. 5]. Et c’est pourquoi, puisque le Fils ne vient
pas de l’Esprit-Saint, il reste que l’Esprit-Saint vient du Fils. |
[896] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod locutiones illae sunt symbolicae ; et ideo ex eis
non procedit argumentum, sicut idem Dionysius dicit in Epistola ad Titum ;
quia symbolica theologia non est argumentativa. Est autem similitudo quantum
ad aliquid, scilicet quod flores sunt ab uno ; non tamen quantum ad omnia. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que ces expressions sont symboliquees ; et
c’est pourquoi à partir d’elles on ne peut procéder par argumentation, comme
le dit aussi Denys dans l’Épître à Tite ;
car la théologie symbolique n’est pas argumentative. Mais il y a ressemblance
sous un rapport, à savoir que les fleurs viennent d’un principe unique ;
mais il n’y a pas ressemblance sous tous les rapports. |
[897] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Spiritus sanctus dicitur manere in filio, non quod
sit distinctus ab eo, sed quia virtus spirativa est in Patre, et a Patre est
in Filio, sicut et omnia quae Filius habet, et ibi manet, et non procedit
ulterius, quia Spiritus sanctus non habet virtutem spirandi, ut scilicet
spiret, sed ut spiretur, ut supra dictum est, dist. 7, quaest. 2, art. 2, de
potentia generativa Filii. Vel dicendum, quod intelligitur de Filio secundum
naturam assumptam, in quo nihil fuit contrarium gratiae Spiritus sancti ; et
ideo in ipso dicitur quiescere, sicut etiam dicitur habitare in sanctis. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint demeure dans le
Fils, on ne veut pas dire qu’il y est comme distinct de Lui, mais parce que
la puissance de spiration est dans le Père et que par le Père elle est dans
le Fils, comme tout ce que possède le Fils et y demeure sans procéder
ultérieurement, car l’Esprit-Saint ne possède pas la puissance de spiration
de telle manière que Lui-même ne spire pas mais est spiré seulement, comme
nous l’avons dit plus haut [dist. 7, quest. 2, art. 2] au sujet de la
puissance de génération du Fils. Ou bien il faut dire qu’on l’entend du Fils
au sujet de la nature qu’il a prise et dans laquelle il ne fut contraire en
rien à la grâce de l’Esprit-Saint ; et c’est pourquoi on dit que
l’Esprit-Saint repose dans le Fils, tout comme on dit aussi qu’il habite dans
les bienheureux. |
[898] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Damasceno in hac parte non creditur, quia dicitur
fuisse tempore illo quo incepit controversia super hac quaestione inter
Graecos et Latinos. Tamen non negat quin sit ex filio ; sed dicit se non concedere quod sit a
filio, quia adhuc apud eos in dubio vertebatur. |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’on n’adhère pas à la position de Damascène en ce
point car il a existé à cette époque dans laquelle a commencé la controverse
sur cette question entre les Grecs et les Latins. Cependant il ne nie pas que
l’Esprit-Saint procède du Fils, mais plutôt il dit qu’il ne concède pas qu’Il
vienne du Fils car c’est encore dans le doute qu’il se tournait vers eux. |
[899] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod verbum est duplex, scilicet vocale, et verbum mentis ;
et duplici verbo respondet duplex spiritus. Verbo enim vocali respondet
spiritus corporalis, verbo mentali spiritus amoris intimi. Unde dico, quod
Verbum, secundum generationem aeternam est simile verbo mentali ; et ideo a
verbo procedit Spiritus sanctus, sicut a verbo mentali amor. Sed Filius,
secundum quod carnem assumpsit, habet similitudinem verbi vocalis ; et sicut
formatio vocis fit per aerem respiratum, ita incarnatio Verbi facta est
operatione Spiritus sancti. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu qu’il y a deux sortes de verbes : le
verbe vocal et le verbe mental ; et à ces deux verbes correspondent deux
esprits. Au verbe vocal correspond l’esprit corporel et au verbe mental
correspond l’esprit d’un amour intime. C’est pourquoi je dis que le Verbe,
selon sa génération éternelle, est semblable au verbe mental ; et c’est
pourquoi l’Esprit-Saint procède du Verbe comme l’amour procède du verbe
mental. Mais le Fils, selon qu’Il a pris chair, partage quelque ressemblance
avec le verbe vocal ; et tout comme la formation de la voix se fait par
l’air qui est respiré, de même l’incarnation du Verbe est produite par
l’opération de l’Esprit-Saint. |
[900] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod in illa similitudine supponitur falsum. Calor enim
procedit ex splendore, secundum philosophos ; unde dicit Avicenna [VI De
Naturalibus, part. III, cap. I] quod sol non facit calorem in
inferioribus nisi mediante splendore. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu qu’on suppose quelque chose de faux dans cette
similitude. La chaleur en effet procède de la splendeur selon les
philosophes; c’est pourquoi Avicenne dit [ VI Des Choses Naturelles, part. 111, ch. 1] que le soleil ne produit
la chaleur dans les choses inférieures que par l’intermédiaire de la
splendeur. |
[901] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod processio dicitur
proprie in divinis, sicut et generatio. Unde non sumitur a similitudine
processionis localis, quia hoc esset metaphorice dictum ; sed dicit exitum a
principio. Non autem omne quod est a principio, procedit in aliud ; sed
aliquid procedit ut in se subsistens ; et ita procedit Spiritus sanctus a
Patre et Filio. |
6. Il faut dire en sixième lieu que la procession se
dit proprement de Dieu, tout comme la generation. C’est pourquoi elle ne se
tire pas de la similitude de la procession selon le lieu, car elle se dirait
alors d’une façon métaphorique, mais elle dit plutôt la sortie ou la
provenance d’un principe. Mais ce n’est pas tout ce qui vient d’un principe
qui procède dans un autre; mais il arrive que quelque chose procède en
tant que subsistant en soi-même; et
c’est ainsi que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils. |
[902] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod simplex non
potest procedere a pluribus quae sunt diversa per essentiam, quorum sunt
diversae operationes. Sed Pater et
Filius virtute unius naturae spirant Spiritum sanctum unica spiratione. Et
ideo qui spiratur est simplex. |
7. Il faut
dire en septième lieu que le simple ne peut procéder d’une pluralité où il y
a diversité par essence et dont les opérations diffèrent. Mais le Père et le
Fils sont les agents d’une unique spiration de l’Esprit-Saint par la
puissance d’une nature unique. Et c’est pourquoi Celui qui est spiré est
simple. |
[903] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod non potest
Spiritus sanctus communicare Patri in generatione Filii duplici ratione. Primo, quia
Filius procedit per modum naturae, quia per actum generationis ; et actus
naturae est unius tantum ; sed Spiritus sanctus procedit ut amor per modum
voluntatis. Sed plures uniuntur in voluntate ad aliquem actum ; et ideo
Spiritus sanctus potest esse a Patre et Filio. Alia ratio est, quia repugnaret proprietati Spiritus
sancti, qua scilicet procedit a Patre et Filio ut amor : non enim potest esse
quod duo sint principium sibi invicem. Unde sicut Pater Filio non communicat
paternitatem, ut seipsum generet, ita nec spiritui sancto, ut Filium generet.
Sicut enim [autem Éd de Parme] est inconveniens quod aliquid generetur ex
seipso, ita etiam vel plus, quod aliquid generetur ab eo cujus est
principium. |
8. Il faut
dire en huitième lieu qu’il y a deux raisons pour lesquelles l’Esprit-Saint
ne peut partager la génération du Fils à partir du Père. Premièrement
parce que le Fils procède par mode de nature qui se fait au moyen de l’acte
de génération ; et l’acte de la nature ne relève que d’un seul
principe ; mais l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour par mode de
volonté. Et plusieurs peuvent s’unir par la volonté en vue d’un même
acte ; et c’est pourquoi l’Esprit-Saint peut provenir à la fois du Père
et du Fils. L’autre raison
est que ce partage répugnerait à la propriété de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire
à celle par laquelle Il procède du Père et du Fils en tant qu’amour : il
est impossible en effet que deux réalités soient mutuellement principes l’une
de l’autre. C’est pourquoi, tout comme le Père ne communique pas sa paternité
au Fils de sorte que ce dernier engendrerait le Père, de même il ne la
communique pas non plus à l’Esprit-Saint de sorte que ce dernier engendrerait
le Fils. En effet [mais Éd. de Parme]
tout comme il est impossible que quelque chose soit engendré à partir de
soi-même, de même ou encore plus il est impossible qu’un être soit engendré
par celui dont il est le principe. |
[904] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 9 Ad
ultimum dicendum, quod Pater perfecte spirat Spiritum sanctum. Sed quia omnis
perfectio patris communicatur filio, quae non repugnat suae proprietati, cum
nihil distinguat inter eos nisi originis relatio, oportet quod sicut
communicat sibi perfectionem divinitatis, ita etiam perfectionem spirandi.
Unde non est propter imperfectionem Patris quod Filius spiret, sed propter
perfectionem Filii, qui habet totam perfectionem Patris. Eodem enim modo
posset argui quod Filius non esset Deus, vel quod non crearet. |
9. Il faut
dire finalement que le Père est un agent parfait de la spiration de
l’Esprit-Saint. Mais parce que toute perfection du Père qui ne s’oppose pas à
la propriété du fils, est communiquée au Fils, car rien ne les distingue si
ce n’est la relation d’origine, il faut que tout comme il lui communique la
perfection de la divinité, de même il faut qu’il Lui communique aussi la
perfection de la spiration. C’est pourquoi ce n’est pas en raison d’un
imperfection du Père que le Fils est lui aussi agent de spiration, mais c’est
en raison de la perfection du Fils qui tient toute sa perfection du Père.
C’est de la même manière en effet qu’on pourrait faire difficulté en
déclarant que le Fils n’est pas Dieu ou qu’il ne crée pas. |
|
|
Articulus 2
[905] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus
procedat a Patre et Filio inquantum sunt unum |
Article 2 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un ? |
[906]
Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus procedit
a Patre et Filio, non inquantum sunt unum. Spiritus sanctus enim procedit ab
eis ut nexus vel unio quaedam. Sed nexus est distinctorum. Ergo procedit ab
eis, ut distincti sunt. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’Esprit-Saint ne procède pas du Père et du Fils en tant qu’ils sont un.
En effet l’Esprit-Saint procède d’eux en tant que lien ou union entre eux.
Mais un lien n’existe qu’entre des êtres distincts. L’Esprit-Saint procède
donc d’eux en tant qu’ils sont distincts. |
[907] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 2
Item, Pater et Filius diligunt se et inquantum sunt unum in essentia, et
inquantum sunt distinctae personae ; si enim per essentiam distinguerentur,
adhuc diligerent se. Diligunt autem se, inquantum sunt unum in essentia,
amore essentiali. Ergo inquantum sunt distincti in personis, amore [personali
add. Ed. de Parme] ab eis procedente. Sed hic amor est Spiritus sanctus. Ergo
Spiritus sanctus procedit ab eis, inquantum sunt distinctae personae. |
2. En outre,
le Père et le Fils s’aiment à la fois en tant qu’ils sont un dans l’essence
et en tant qu’ils sont des personnes distinctes ; si en effet ils se
distinguaient par l’essence, ils s’aimeraient encore. Mais ils s’aiment d’un
amour essentiel en tant qu’ils sont un dans l’essence. Donc, en tant qu’ils
se distinguent comme Personnes, ils s’aiment d’un amour [personnel add. Éd. de Parme] qui procède d’eux.
Mais cet amour est l’Esprit-Saint. Donc l’Esprit-Saint procède d’eux en tant
qu’ils sont des Personnnes distinctes. |
[908] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, actus sunt suppositorum. Si ergo spirare est actus Patris et Filii, oportet
quod sit actus eorum, inquantum sunt supposita distincta. Sed Spiritus
sanctus procedit ab eis per actum spirationis. Ergo procedit ab eis inquantum
sunt personae distinctae. |
3. De plus, les actes appartiennent aux suppôts. Si
donc l’acte de spiration est l’acte du Père et du Fils, il faut que cet acte
leur appartienne en tant qu’ils sont
des suppôts distincts. Mais l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils au
moyen de l’acte de spiration. Il procède donc d’eux en tant qu’ils sont des
personnes distinctes. |
[909] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 1
Contra, Pater et Filius distinguuntur paternitate et filiatione. Ergo si
Spiritus sanctus procedit ab eis inquantum sunt personae distinctae, procedet
a Patre inquantum habet paternitatem et a Filio inquantum habet filiationem. [Ergo paternitate
Pater refertur ad spiritum sanctum add. Ed. de Parme]. Sed Pater paternitate
refertur ad Filium. Ergo eadem relatione, [scilicet paternitate add. Ed. de
Parme], refertur ad Filium et Spiritum sanctum, et eadem erit processio
utriusque, quod stare non potest. |
Cependant: 1. Le Père et le Fils se distinguent par la
paternité et la filiation. Donc, si l’Esprit-Saint procède d’eux en tant
qu’Ils sont des personnes distinctes, il procède du Père en tant qu’il
possède la paternité, et du Fils selon qu’il possède la filiation. [C’est
donc par la paternité que le Père se rapporte à l’Esprit-Saint add. Éd. de Parme]. Mais c’est par la
paternité que le Père se rapporte au Fils. C’est donc par la même relation [à
savoir par la paternité add. Éd. de
Parme] que le Père se rapporte au Fils et à l’Esprit-Saint, et ainsi il
n’y aura donc qu’une même procession pour les deux, ce qu’il est impossible
de soutenir. |
[910] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 Item, ut dictum est, dist. 8, quaest.
5, art. 2, nullum simplex procedit a pluribus, nisi in essentia uniantur et
operatione. Sed Spiritus sanctus est
simplex. Ergo procedit a Patre et Filio inquantum sunt unum. |
2. En outre,
ainsi que nous l’avons déjà dit [dist. 8. Quest. 5, art. 2], rien de simple
ne procède d’une multiplicité, à moins que cette multiplicité ne soit unie
dans l’essence et l’opération. Mais l’Esprit-Saint est simple. Il procède
donc du Père et du Fils en tant qu’Ils sont un. |
[911] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omnis actus
refertur ad duo originaliter, scilicet ad agentem, et ad principium actionis.
Agens autem est ipsum suppositum, ut homo vel ignis ; et principium actionis
est aliqua forma in ipso, substantialis vel accidentalis. Dico ergo, quod ly inquantum potest dicere
conditionem agentis, vel principium actionis. Si dicat conditionem agentis
vel operantis, sic procedit Spiritus sanctus a Patre et Filio inquantum sunt
plures, et inquantum sunt distinctae personae, quia ab eis pluribus et
distinctis procedit. Si autem dicat conditionem principii actionis, sic dico,
quod procedit ab eis inquantum sunt unum. Cum enim operatio non sit nisi ab
uno principio oportet aliquid esse unum in Patre et Filio, quod est
principium hujus actus qui est spirare, qui est unus et simplex, quo una et
simplex persona Spiritus sancti procedit. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que tout acte se rapporte à deux choses dans son
origine : à l’agent et au principe d’action. Mais l’agent est le suppôt
lui-même, comme l’homme ou le feu ; et le principe d’action est une
forme qui est en lui, soit substantielle, soit accidentelle. Je parle donc de
cet acte selon qu’il peut signifier la condition de l’agent ou le principe de
l’action. S’il signifie la condition de l’agent ou de celui qui pose
l’opération, alors l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils selon qu’ils
sont des personnes multiples et selon qu’ils sont des Personnes distinctes,
car c’est de leur multiplicité et de leur distinction qu’Il procède. Mais si
cet acte signifie la condition du principe d’action, alors je dis qu’Il
procède d’eux en tant qu’ils sont un. En effet, puisqu’une opération ne
procède que d’un seul principe, il faut qu’il y ait quelque chose d’un dans
le Père et le Fils qui soit le principe de cet acte qui est la spiration,
lequel et lui-même un et simple, duquel l’unique et simple personne de
l’Esprit-Saint procède. |
[912] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad totum. Quid autem sit illud unum commune in Patre et Filio,
patebit in sequenti articulo. |
Solutions : Et c’est ainsi
qu’on voit la solution à l’ensemble des difficultés soulevées plus haut.
C’est dans l’article suivant qu’apparaîtra avec clarté ce qu’est ce principe
commun présent dans le Père et le Fils. |
|
|
Article 3 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un en nature ?[11] |
|
[914] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus procedat a Patre et
Filio, inquantum sunt unum in natura. Natura enim non communicatur nisi per
actum naturae. Sed Spiritus sanctus procedendo accipit totam naturam divinam sicut
Filius nascendo. Ergo principium actus,
quo communicatur sibi natura divina, est natura. Ergo et cetera. Et hoc idem
videtur per Anselmum in Tract. De process. Spiritui sancti, cap. VI qui
dicit, quod ridiculum est dicere, quod propter relationem tota essentia
Patris et Filii sit in Spiritu sancto, et non potius propter essentiam. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un par leur
nature. La nature en effet ne se communique que par un acte de la nature.
Mais par la procession l’Esprit-Saint reçoit la totalité de la nature divine
tout comme le Fils la reçoit par la génération. Donc le principe de l’acte
par lequel la nature divine lui est communiquée est la nature. Donc, etc. Et
Anselme [Traité sur la Procession de
l’Esprit-Saint, ch. VI] semble
manifester la même conclusion en
disant qu’il est absurde de dire que c’est à cause de la relation et non pas
plutôt à cause de l’essence que la totalité de l’essence du Père et du Fils
est dans l’Esprit-Saint. |
[915] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, Spiritus sanctus procedit ut amor. Amor autem dicit processum
voluntatis. Ergo Spiritus sanctus procedit a patre et filio, inquantum sunt
unum in voluntate. Sed voluntas, cum sit de absolutis, tenet se ex parte naturae. Ergo et cetera. |
2. En outre,
l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour. Mais l’amour signifie un processus
de la volonté. Donc, l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils selon qu’Ils
sont un par la volonté. Mais la volonté, puisqu’elle porte sur des absolus,
se tient du côté de la nature. Donc, etc. |
[916] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, cum proprietas recipiat numerum a supposito, impossibile est
duorum suppositorum esse eamdem numero proprietatem vel notionem. Sed Pater
et Filius sunt supposita distincta. Ergo non possunt convenire in aliqua una
notione : et ita Spiritus sanctus non procedet a patre et filio inquantum
sunt unum in notione aliqua. Restat ergo quod inquantum sunt unum in
essentia. |
3. De plus,
puisque c’est du suppôt que la propriété reçoit le nombre, il est impossible
que la même propriété ou notion par le nombre appartienne à deux suppôts
différents. Mais le Père et le Fils sont des suppôts distincts. Ils ne
peuvent donc pas se rencontrer dans une notion unique : et ainsi il est
impossible que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont
un dans une notion. Il reste donc qu’Il en procède selon qu’ils sont un dans
l’essence. |
[917] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 4 Sed
contra, in virtute divinae essentiae communicat non tantum Filius, sed etiam
Spiritus sanctus. Si igitur Pater et Filius spirant spiritum sanctum
inquantum sunt unum in natura, oportet quod etiam Spiritus sanctus simul cum
eis spiret seipsum, quod est impossibile. Ergo et primum. |
4. Au
contraire, ce n’est pas seulement le Fils, mais aussi l’Esprit-Saint qui
communique dans la puissance de l’essence divine. Si donc le Père et le Fils
spirent l’Esprit-Saint en tant qu’ils sont un par la nature, il faut que
l’Esprit-Saint se spire lui-même simultanément avec eux, ce qui est
impossible. Donc, ce n’est pas en tant qu’ils sont un par la nature que le
Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint. |
[918] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 5 Si
dicas, quod repugnat proprietas Spiritus sancti : contra, proprietates non
distinguunt nec determinant essentiam, sed tantum personam. Ergo quidquid
convenit essentiae in persona Patris et Filii, convenit etiam in persona
Spiritus sancti. |
5. Si tu dis
que la propriété de l’Esprit-Saint s’oppose à cela, il faut dire au contraire
que les propriétés ne distinguent et ne déterminent pas l’essence mais
seulement la personne. Donc, tout ce qui appartient à l’essence dans les
personnes du Père et du Fils se rencontre aussi dans la personne de
l’Esprit-Saint. |
[919] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod Pater et Filius spirant Spiritum sanctum, inquantum sunt unum
in potentia spirativa. Potentia autem spirativa, sicut et supra dictum est,
dist. 7, quaest. 1, art. 2, dicit aliquid quasi medium inter essentiam et
proprietatem, eo quod dicit essentiam sub ratione proprietatis : sic enim
actus notionalis ab essentia egreditur, non sicut ab agente, sed sicut ab eo
quo agitur. Generatio enim non egreditur ab essentia inquantum est essentia,
sed inquantum est paternitas. |
Corps de l’article : Je réponds en
disant que le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en tant qu’ils sont un
dans la puissance de spiration. Mais la puissance de spiration, ainsi que
nous l’avons dit plus haut [dist. 7, quest. 1, art. 2] renvoie comme à un intermédiaire
entre l’essence et la propriété, du fait qu’elle signifie l’essence sous la
raison de propriété : c’est ainsi en effet que l’acte notionnel sort de
l’essence, non pas comme d’un agent, mais comme de ce par quoi il est amené.
La génération en effet ne sort pas de l’essence en tant qu’essence mais en
tant qu’elle est paternité. |
Et si ista duo, scilicet essentia et paternitas,
differrent in divinis, egrederetur ab utroque generatio ; sed a paternitate
immediate, et ab essentia sicut a primo principio. Similiter dico, quod
spiratio egreditur ab essentia, non sicut a spirante, sed sicut a principio
spirationis, inquantum habet rationem alicujus notionis quae est communis
Patri et Filio, quae dicitur communis spiratio : et ita spirativa potentia dicit
essentiam sub ratione talis proprietatis. Et ideo dico, quod procedit
Spiritus sanctus a Patre et Filio, inquantum sunt unum in essentia, et in
aliqua notione, scilicet in communi spiratione. Et per hoc solvenda sunt
argumenta ad utramque partem. |
Et si ces deux
aspects, à savoir l’essence et la paternité, diffèrent en Dieu, la génération
proviendrait des deux ; mais de fait elle provient de la paternité de
façon immédiate et de l’essence comme d’un premier principe. De la même
manière je dis que la spiration sort de l’essence non pas comme de ce qui
spire, mais comme du principe de la spiration, en tant qu’elle a raison de
notion commune au Père et au Fils et qu’on appelle la spiration
commune : et c’est ainsi que la puissance de spiration signifie l’essence
sous la raison d’une telle propriété. Et c’est pourquoi je dis que
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un dans
l’essence et dans une notion, à savoir dans la spiration commune. Et c’est
ainsi que se trouvent à être solutionnées les difficultés qui ont été
présentées de part et d’autre. |
[920] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod natura communicatur per actum naturae, communiter
loquendo ; sed determinata communicatio debet esse per actum naturae sub
aliqua propria ratione acceptae ; et ideo communicatio quae est per
spirationem, est actus divinae naturae, inquantum habet rationem spirationis.
Et hoc intendit Anselmus, quod impossibile est dicere, quod processionis,
quae terminatur in naturam, non sit aliquo modo natura principium, cum sit
ibi quasi communicatio univoca. Deus enim procedit a Deo, sicut ignis ab
igne. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que, à parler universellement,
la nature se communique au moyen d’un acte de nature ; mais une
communication déterminée doit avoir lieu au moyen d’un acte de nature pris
sous une raison propre ; et c’est pourquoi la communication qui a lieu
par spiration est un acte de la nature divine en tant qu’elle a raison de
spiration. Et c’est ce que cherche à montrer Anselme, à savoir qu’il est
impossible de dire que la nature ne soit pas de quelque manière principe de
la procession, laquelle a pour terme la nature, puisqu’il y a là comme une
communication univoque. Dieu en effet procède de Dieu comme le feu procède du
feu. |
[921] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 2 Et
per hoc patet solutio etiam ad secundum : quia eadem est ratio de voluntate
et essentia. |
2. Et c’est
par là qu’on voit aussi la solution à la deuxième difficulté, car le
raisonnement relatif à la volonté est le même que celui qui se rapporait à
l’essence. |
[922] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod diversorum suppositorum secundum essentiam
distinctorum non potest esse notio una ; sed si eorum sit essentia una, erit
et operatio una. Et quia relatio secundum intellectum innascitur ex aliqua
operatione, per consequens erit et relatio una : et ita Pater et Filius
possunt convenire in una proprietate relativa. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que pour des suppôts différents, il ne peut y avoir
une notion unique d’après l’essence de ce qui diffère; mais si leur essence
est unique, leur opération le sera aussi. Et parce que la relation selon
l’intelligence naît d’une opération, par conséquent la relation sera elle
aussi unique : et ainsi le Père et le Fils peuvent se rencontrer dans
une propriété relative unique. |
[923] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ab essentia, inquantum est essentia, non est actus
spirandi, sed inquantum habet rationem talis proprietatis, scilicet communis
spirationis. Et quia rationem hanc non habet essentia in Spiritu sancto, ideo
non sequitur quod Spiritus sanctus per essentiam suam spiret. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l’acte de spiration ne vient pas de l’essence en
tant qu’essence mais en tant qu’elle a raison de cette propriété qui est la
spiration commune. Et parce que l’essence dans l’Esprit-Saint n’a pas cette
raison, c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que l’Esprit-Saint spire par son
essence. |
[924] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si proprietas in
persona esset aliud ab essentia, de necessitate determinaret ipsam per se vel
per accidens ; sed quia est idem quod essentia secundum rem, ideo non advenit
sibi ut restringens vel determinans eam ; tamen secundum unam proprietatem
est principium unius actus, cujus non est principium secundum rationem
alterius proprietatis : sicut patet etiam quod est principium hujus actus,
velle, secundum rationem voluntatis, et hujus actus, scire, secundum rationem
scientiae ; et tamen essentia per hoc non determinatur realiter, neque
distinguitur. Et ideo, cum secundum rationem communis spirationis essentia in
Patre et Filio sit principium actus notionalis quo Spiritum sanctum spirant ;
non oportet quod in Spiritu sancto eadem essentia sit principium ejusdem
actus, cum essentia divina in Spiritu sancto non sit communis spiratio, sicut
in Patre et Filio. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que si la propriété dans la Personne était autre que
l’essence, elle la déterminerait nécessairement essentiellement ou accidentllement ;
mais parce qu’en réalité ou selon la chose elle est identique à l’essence,
elle ne lui survient pas comme ce qui la limite ou la détermine ; c’est
cependant d’après une même propriété qu’elle est principe d’un même acte pour
lequel elle n’est pas principe d’après la raison d’une autre propriété :
tout comme il est clair aussi que l’essence est le principe de cet acte, à
savoir vouloir, d’après la raison de volonté, tout comme elle est le principe
de cet acte, savoir, d’après la raison de science ; et cependant
l’essence n’est ni déterminée ni distinguée réellement par cela. Et c’est
pourquoi, puisque c’est sous la raison de spiration commune que l’essence
dans le Père et le Fils est le principe de l’acte notionnel par lequel ils
spirent l’Esprit-Saint, il ne faut pas que dans l’Esprit-Saint la même
essence soit le principe du même acte, puisque l’essence divine dans
l’Esprit-Saint n’est pas la spiration commune comme c’est le cas dans le Père
et le Fils. |
|
|
Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils un seul agent de spiration ? |
|
[926] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod Pater et Filius sint unus spirator.
Per hoc enim non importatur nisi unitas in actu spirandi. Sed uno actu
spirant Pater et Filius. Ergo sunt unus spirator, sicut unus Deus propter
unitatem deitatis. |
Difficultés : 1. Il semble
que le Père et le Fils soient un seul agent de spiration. C’est par cela en
effet qu’est causée l’unité dans l’acte de spiration. Mais c’est par un acte
unique que le Père et le Fils accomplissent la spiration. Il n’y a donc qu’un
seul agent de spiration, tout comme il n’y a qu’un seul Dieu en raison de
l’unité de la divinité. |
[927] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, sicut Pater et Filius conveniunt in actu creandi, ita etiam in
actu spirandi. Sed propter illam convenientiam Pater et Filius dicuntur unus
creator. Ergo eadem ratione debent dici unus spirator. |
2. En outre,
tout comme le Père et le Fils sont unis dans l’acte de création, de même
encore ils sont unis dans l’acte de spiration. Mais c’est en raison de cette
union qu’on dit du Père et du Fils qu’ils sont un seul créateur. Donc pour la
même raison on doit dire d’eux qu’ils sont un seul agent de spiration. |
[928] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, principium dicit relationem
consequentem ad actum, quo est principium. Sed Pater et Filius dicuntur unum principium Spiritus sancti, ut infra
habebitur, distin. 29, qu. Unic., art. 4. Ergo etiam dici debent unus
spirator. |
3. De plus, le
principe signifie une relation qui découle de l’acte par lequel il est
principe. Mais on dit du Père et du Fils qu’ils sont un principe unique de
l’Esprit-Saint, comme nous l’établirons plus loin [dist. 29, quest. uniq.
Art. 4]. On doit donc aussi dire d’eux qu’Ils sont un seul agent de
spiration. |
[929] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, quicumque spirant, sunt
spirantes. Sed Pater et Filius spirant spiritum sanctum. Ergo sunt spirantes
; ergo etiam sunt spiratores Spiritus sancti. |
Cependant : 1. Tous ceux qui posent l’acte de spiration sont des agents de
spiration. Mais le Père et le Fils posent l’acte de spiration de
l’Esprit-Saint. Ils posent donc un acte de spiration ; ils sont donc
aussi des agents de spiration de l’Esprit-Saint. |
[930] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod actus recipit
numerum a suppositis ; unde etiam verbum significans substantiam per modum actus,
dicitur de pluribus personis pluraliter, quamvis sit essentia una, sicut
Joan. 10, 30 : Ego et Pater unum sumus. Actus
autem significatur etiam in verbo et in participio et in nomine verbali ; sed
tamen participium plus accedit ad substantiam quam verbum, et adhuc nomen
verbale magis quam participium [vel verbum om. Ed. de Parme). Et ideo non
possumus [praesumimus Éd. de Parme] dicere, quod Pater et Filius spiret
Spiritum sanctum ; vel quod sint spirans, vel quod sint spirator ; sed quod
spirent, et sint spirantes et sint spiratores ; et quamvis sit actus unus quo
spirant, tamen secundum quod unumquodque eorum magis accedit ad significandum
actum, minus proprie potest in singulari praedicari. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire que l’acte reçoit son nombre des suppôts ; c’est
pourquoi aussi un verbe signifiant la substance à la manière d’un acte se dit
de plusieurs personnes de plusieurs manières, bien que l’essence soit unique
ainsi que le dit Jean (10, 30) : Le
Père et moi sommes un. Mais un acte est signifié aussi dans un verbe, un
participe et un nom verbal ; mais le participe s’approche cependant
davantage de la substance que le verbe, et le nom verbal encore davantage que
le participe [ou le verbe om. Éd. de
Parme]. Et c’est pourquoi nous ne pouvons [présumons Éd. de Parme] dire que le Père et le Fils ¨pose¨ l’acte de
spiration, ou qu’ils ¨est en train de poser l’acte de spiration¨ ou qu’ils
sont ¨un agent de spiration¨ ; mais plutôt qu’ils posent l’acte de
spiration, qu’ils sont en train de poser l’acte de spiration et qu’ils sont
des agents de spiration ; et bien qu’il n’y ait qu’un seul acte par
lequel ils posent l’acte de spiration, cependant selon que chacune de ces
expressions s’approche davantage de la signification de l’acte, elle peut
moins proprement s’attribuer au singulier. |
¨[931] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis actus sit unus, tamen quando significatur
ut actus egrediens a pluribus suppositis, oportet quod significetur pluraliter.
Actus enim trahit numerum a suppositis. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que bien que l’acte soit unique, cependant quand il
est signifié comme un acte qui procède de plusieurs suppôts, il faut qu’il
soit signifié au pluriel. En effet, l’acte tire son nombre des suppôts. |
[932] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio est
actus trium personarum, non secundum quod distinctae sunt, sed secundum quod
uniuntur in essentia : quia etiam per intellectum remota distinctione
personarum, adhuc remanebit creatio. Et
ideo dicimus quod Pater et Filius et Spiritus sanctus sunt unus creator,
quamvis non dicamus quod sint unus creans ; quia nomen verbale plus recedit
ab actu quam participium. Sed spiratio est actus conveniens pluribus
suppositis quodammodo, secundum quod distinguuntur, ut supra dictum est, in
corp. art. Et ideo etiam in nomine verbali oportet quod actus pluraliter
significetur. |
2. Il faut
dire en second lieu que la création est un acte des trois personnes non pas
en tant qu’elles sont distinctes, mais en tant qu’elles sont unies dans
l’essence : car même si par l’intelligence on met de côté la distinction
des personnes, la création demeure encore. Et c’est pourquoi nous disons que
le Père, le Fils et l’Esprit-Saint sont un seul créateur, bien que nous ne
disons pas qu’ils sont un seul ¨créant¨, car le nom verval s’éloigne
davantage de l’acte que le participe. Mais la spiration est un acte qui
convient d’une certaine manière, selon qu’ils se distinguent, à plusieurs
suppôts ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. Et c’est
pourquoi il faut que l’acte soit signifié au pluriel même dans le nom verbal. |
[933] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod principium non nominat aliquem actum, sed tantum
relationem ; et quia Pater et Filius referuntur una relatione ad Spiritum
sanctum, ideo dicuntur unum principium Spiritus sancti, sed non unus
spirator. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que principe ne désigne pas un acte mais seulement une
relation ; et parce que le Père et le Fils se rapportent à
l’Esprit-Saint par une relation, c’est pourquoi on dit d’eux qu’ils sont un
unique principe de l’Esprit-Saint mais non qu’ils en sont un agent unique de
spiration. |
|
|
Expositio textus |
Texte de Pierre Lombard |
[934] Super
Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 expos. Misit Deus spiritum filii sui in corda
nostra. Haec probatio non videtur sufficiens : quia Graeci confitentur
spiritum sanctum esse filii, sed non a filio. Sed dicendum, quod cum oporteat
genitivum in aliqua habitudine construi, non potest alia inveniri nisi
habitudo originis, quia sola talis relatio personas distinguit ; et ideo
oportet concedere, quod Spiritus sanctus a filio oriatur. Quem ego mittam
vobis a patre. Videtur etiam haec probatio insufficiens : quia hic loquitur
de temporali processione Spiritus sancti, quam Graeci a filio esse concedunt,
non autem aeternam. Sed dicendum, quod cum temporalis processio includat
aeternam, ut infra dicetur, dist. 15, qu. 4, art. 5, oportet quod a quo
procedit temporaliter, etiam ab aeterno procedat. Qui aliud docuerit, vel
aliter praedicaverit, idest contrarium. Haec Magister bene exponit, aliud pro
contrario sumens : quod enim non est contrarium sacrae Scripturae, veritas
ejus est, secundum Anselmum, nec potest esse quod omnia credenda explicite in
illo symbolo contineantur in quo de descensu ad Inferos nulla mentio sit.
Processio autem Spiritus sancti continetur ibi implicite, inquantum ibi
continetur distinctio personarum, quae aliter esse non posset, ut dictum est.
Sed quaerunt Graeci quomodo fuerunt Latini ausi hoc addere. Ad quod dicendum,
quod necessitas fuit, sicut eorum error ostendit, et auctoritas Romanae
Ecclesiae synodum congregandi, in qua exprimeretur aliquid quod implicite in
articulis fidei continebatur. |
Dieu a envoyé l’esprit de son Fils dans
nos cœurs. Cet argument
ne semble pas suffisante : car les Grecs confessent que l’Esprit-Saint
est du Fils mais non qu’il vient du Fils. Mais il faut dire que puisqu’il
faut que ce qui est engendré soit constitué dans un certain rapport, on ne
peut y trouver un autre rapport que celui de l’origine, car c’est seulement
une relation de cette sorte qui distingue les personnes ; et c’est
pourquoi il faut concéder que l’Esprit-Saint provient du Fils. Celui que je vous enverrai par mon Père.
Il semble que même cela ne soit pas un argument suffisant : car il parle
ici de la procession temporelle de l’Esprit-Saint que les Grecs concèdent
provenir du Fils sans concéder qu’il en soit de même pour la procession
éternelle. Mais il faut dire que puisque la procession temporelle comprend
celle qui est éternelle, ainsi qu’on le dira plus loin [dist. 15, quest. 4,
art. 5], il faut que ce d’où elle procède selon le temps soit aussi ce d’où
elle procède de toute éternité. Certains auront enseigné autre chose ou
auront proclamé autrement, c’est-à-dire le contraire. Et le Maître explique
bien cela en prenant autre chose pour le contraire : en effet ce qui
n’est pas contraire aux Écritures fait partie de sa vérité selon Anselme, et
il n’est pas possible que tout ce qui doit être cru soit contenu
explicitement dans ce Symbole dans lequel il n’est nullement fait mention de
la descente aux Enfers. Mais la procession de l’Esprit-Saint y est
implicitement contenue selon qu’y est contenue explicitement la distinction
des Personnes qui ne pourrait exister autrement ainsi que nous l’avons dit.
Mais les Grecs demandent comment les
Latins ont pu oser ajouter cela. Il faut répondre à cela qu’il était
nécessaire de le faire, tout comme leur erreur le montre, et l’autorité de
l’Église Romaine devait réunir le synode dans lequel serait exprimé quelque
chose qui était contenu implicitement dans les articles de la foi. |
|
|
Distinctio 12 |
Distinction 12 – [La procession de l’Esprit Saint – suite] |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique : [L’Esprit Saint procède-t-il antérieurement et plus pleinement du Père que du Fils ?] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis tria quaeruntur : 1
utrum generatio filii praecedat aliquo modo processionem Spiritus sancti ; 2
utrum Spiritus sanctus prius vel plenius procedat a Patre quam a Filio ; 3
utrum procedat a Patre mediante Filio. |
Pour
comprendre cette partie, on cherche à répondre à ces trois questions : 1. Est-ce que
la génération du Fils précède de quelque manière la procession de
l’Esprit-Saint ? 2. Est-ce que
l’Esprit-Saint pricède antérieurement et plus pleinement du Père que du
Fils ? 3.
Procède-t-il du Père par l’intermédiaire du Fils ? |
|
|
Articulus 1 [936] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a.
1 tit. Utrum generatio sit prior processione |
Article 1 – La génération est-elle antérieure à la procession ? |
[937] Super
Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
generatio praecedat processionem. Principium enim processionis, ad minus
naturaliter, est prius processione. Principium autem processionis Spiritus
sancti est Filius, qui est terminus generationis ; ut supra dictum est, dist.
5, qu. 2, art. 1. Ergo generatio praecedit processionem. |
Difficultés : 1. Il semble
que la génération précède la procession. En effet le principe de la
procession, au moins par nature, est antérieur à la procession elle-même.
Mais le principe de la procession de l’Esprit-Saint est le Fils qui est le
terme de la génération ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 5, quest.
2, art. 1]. Donc la génération précède la procession. |
[938] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 2
Item, cum sint duo agentia in rebus creatis, scilicet natura et propositum
vel voluntas ; actio naturae praecedit actionem voluntatis, quia actio
voluntatis fundatur super actionem naturae. Sed generatio Filii est a Patre
per modum naturae ; processio Spiritus sancti ab utroque per modum
voluntatis. Ergo generatio est prior processione. |
2. En outre,
puisqu’il y a deux agents dans les choses créées, à savoir la nature et le
propos ou la volonté, l’action de la nature précède celle de la volonté car
l’action de la volonté se fonde sur l’action de la nature. Mais la génération
du Fils vient du Père par mode de nature, alors que la procession de
l’Esprit-Saint vient des deux par mode de volonté. Donc la génération est
antérieure à la procession. |
[939] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 3.
Praeterea, in anima est imago Trinitatis in qua processus notitiae a mente
praecedit processum amoris. Sed processus notitiae repraesentat generationem
Filii ; processus amoris processionem Spiritus sancti. Ergo ut prius. |
3. De plus, il
y a dans l’âme une image de la Trinité dans laquelle le processus de la
connaissance par l’intelligence précède le processus de l’amour. Mais le
processus de la connaissance représente la génération du Fils, alors que le
processus de l’amour représente la procession de l’Esprit-Saint. La
génération est donc représentée comme antérieure à la procession. |
[940] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 1
Sed contra est quod dicitur in Littera,
quod Spiritus sanctus non procedit jam nato Filio ; quod oporteret, si
nativitas processionem praecederet. |
Cependant : 1. On dit dans le document que
l’Esprit-Saint ne procède pas après que le Fils soit déjà né, ce qui devrait
se passer si la naissance précédait la procession. |
[941] Super
Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet Filius ad
Patrem in ratione ordinis, ita Spiritus sanctus ad filium. Sed Pater nullo modo
prior est Filio, ut supra ostensum est, dist. 9, qu. 2, art. 1, nec
intellectu nec dignitate nec tempore. Ergo nec Filius Spiritu
sancto prior est. Ergo nec generatio processione : quia sicut se habet Filius
ad Spiritum sanctum, ita generatio ad processionem. |
2. De plus, sous le rapport de l’ordre,
l’Esprit-Saint est au Fils ce que le Fils est au Père. Mais le Père n’est
aucunement antérieur au Fils, ainsi que nous l’avons montré plus haut [dist.
9, quest. 2, art. 1], ni par l’intelligence, ni par la dignité, ni par le
temps. Donc le Fils n’est pas antérieur à l’Esprit-Saint. Et la génération
n’est donc pas antérieure à la procession car la génération est à la
procession ce que le Fils est à l’Esprit-Saint. |
[942] Super
Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, secundum Augustinum [contr. Maximinien., II, 14], in divinis non est aliquis ordo nisi ordo
naturae. Ordo autem naturae est quo aliquis est ex alio, non quo aliquis est
prior altero ; et ideo in divinis nullo modo potest aliquid altero prius
dici. Et ratio hujus est, quia in divinis non potest considerari nisi id quod
absolutum est, et hoc unum est et indivisibile, in quo prioritas vel
posterioritas non invenitur vel id quod ad aliquid dicitur. Horum autem quae
ad aliquid dicuntur, natura est ut sint simul tempore, intellectu, natura. Et
ideo dicimus, quod generatio non est prior processione aliquo modo qui possit
ad divina referri ; sed tantum secundum modum intelligendi, qui est in
intellectu nostro tantum, accipiente generationem et processionem in divinis
secundum similitudines repertas in creaturis, quae deficientes sunt ad
repraesentandum generationem et processionem prout sunt in divinis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire, d’après Augustin [Contre
Maximien, 11, 14], qu’il n’y a en Dieu qu’un ordre de nature. Mais
l’ordre de nature est celui par lequel une personne vient d’un autre et non
pas celui par lequel une personne est antérieure à une autre. Et c’est
pourquoi en Dieu il n’y a rien qui puisse être dit antérieur à un autre. Et
la raison en est qu’en Dieu on ne peut considérer que ce qui est absolu, et
cela est un et indivisible, où on ne peut retrouver de la priorité ou de la postériorité ou ce qui se
dit relativement. Mais pour les choses qui se disent relativement, leur
nature est qu’elles soient simultanées par le temps, l’intelligence et la
nature. Et c’est pourquoi nous disons que la génération n’est pas antérieure
à la procession d’une manière qui pourrait se rapporter à Dieu, sauf
seulement d’après le mode de comprendre qui n’existe que dans notre
intelligence, en prenant la génération et la procession dans les Personnes
divines d’après des ressemblances qu’on découvre dans les créatures qui sont
incapables de représenter parfaitement la génération et la procession en tant
qu’elles existent dans les Personnes divines. |
[943] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod principium, secundum relationem principii non est
eo prius cujus est principium aliquo modo ; sed id quod est principium,
naturaliter est prius. Si autem ille qui est principium, ipsa relatione sit
quis, vel persona distincta ; omnis prioritas removetur ab eo respectu illius
cujus est principium ; et ita, cum Filius, ut supra dictum est, dist. 9, qu.
2, art. 1, ipsa sua relatione sit persona distincta, nullo modo est prior
Spiritu sancto. Sed verum est quod propter ordinem naturae Spiritus sanctus
est a Filio ; quamvis enim communis spiratio non sit proprietas personalis
Filii, est tamen ipsa persona filii, sicut bonitas divina est ipse Deus ; et
prima processio correspondens sibi est proprietas personalis Spiritus sancti. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que le principe, selon la relation de principe, n’est
pas antérieur à ce dont il est le principe de quelque manière ; mais ce
qui est le principe est naturellement antérieur. Mais si celui qui est le
principe, par la relation elle-même est quelqu’un ou une personne distincte,
toute antériorité disparaît de lui par rapport à ce dont il est le
principe ; et ainsi, puisque le Fils , comme nous l’avons dit plus haut
[dist. 9, quest. 2, art. 1], de par sa relation elle-même est une Personne
distincte, l n’est nullement antérieur à l’Esprit-Saint. Mais il est vrai
qu’en raison de l’ordre de nature
l’Esprit-Saint vient du Fils ; en effet, bien que la spiration
commune ne soit pas une propriété personnelle du Fils, elle est cependant la
personne même du Fils, tout comme la bonté divine est Dieu lui-même ; et
la première procession qui lui correspond est la propriété personnelle de
l’Esprit-Saint. |
[944] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum et tertium, quod rationes illae deficiunt ex hoc quod
similitudines inventae in creaturis non perfecte repraesentant ea quae sunt
in Deo ; et hoc patet in proposito : quia non invenitur aliqua creatura quae
ab eodem habeat quod ad aliquid dicatur, et sit in se subsistens. |
2. Il faut
dire en deuxième et troisième lieu que ces arguments sont faibles du fait que
les similitudes qu’on découvre dans les créatures ne représentent pas
parfaitement la réalité divine ; et cela est évident dans le propos car
on ne retrouve aucune créature qui tienne du même principe de se dire
relativement et de subsister en elle-même. |
|
|
Articulus 2 [945] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 tit. Utrum Spiritus
sanctus magis procedat a Patre quam a Filio |
Article 2 – L'Esprit Saint procède-t-il plus du Père que du Fils ? |
[946] Super
Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus magis procedat a Patre
quam a Filio. Sicut enim dicit philosophus [in lib. De causis], omnis causa primaria plus est influens in suum
causatum quam causa secundaria. Sed Filius est quasi secunda causa, Pater
autem quasi primum principium, quod non est de aliquo. Ergo Spiritus sanctus
magis procedit a Patre quam a Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Esprit-Saint procède
davantage du Père que du Fils. Ainsi que le dit le Philosophe [Au sujet des
Causes], toute cause première a plus d’influence sur son effet que la cause
secondaire. Mais le Fils est comme une cause seconde, alors que le Père est
comme le premier principe qui ne procède de rien. Donc, l’Esprit-Saint
procède davantage du Père que du Fils. |
[947] Super
Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, philosophus [in I Posteriorum, text. 5] :
« propter quod unumquodque tale et illud magis ». Sed Filius hoc
quod est principium Spiritus sancti habet a Patre. Ergo Pater magis est
principium quam Filius. |
2. En outre,
le Philosophe [1 Seconds Analytiques,
texte 5] dit : Ce à cause de quoi
une chose est telle, cela l’est davantage. Mais le Fils tient du Père
qu’il soit principe de l’Esprit-Saint. Donc le Père est davantage principe de
l’Esprit-Saint que le Fils. |
[948] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, illud quod est principium alicujus principaliter et proprie,
videtur esse magis ejus principium quam illud quod non est ita. Sed, sicut
dicitur in littera, Spiritus sanctus procedit a Patre principaliter et
proprie ; non autem dicitur hoc de Filio. Ergo et cetera. |
3. Par
ailleurs, ce qui est principe d’une chose au premier titre et à proprement
parler semble davantage en être principe que ce qui ne l’est pas de cette
manière. Mias, comme on le dit dans le document, l’Esprit-Saint procède du
Père à titre premier et à proprement parler ; mais on ne dit pas cela du
Fils. Donc, etc. |
[949] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, Spiritus sanctus non habet aliquid quod non habeat a Patre ; habet
autem aliquid quod non habet a Filio, hoc scilicet quod procedit a Patre.
Ergo Spiritus sanctus magis procedit a Patre quam a Filio. |
4. De plus
l’Esprit-Saint ne possède rien qu’il ne tient pas du Père ; il possède
cependant quelque chose qu’il ne tient pas du Fils, à savoir cela même qu’il
procède du Père. L’Esprit-Saint procède donc davantage du Père que du Fils. |
[951] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, ubi est summa aequalitas, non potest esse magis et plenius. Sed
inter Patrem et Filium est summa aequalitas. Ergo Spiritus sanctus non potest
esse magis ab uno quam ab alio. |
Cependant : Par ailleurs, là où on retrouve
l’égalité la plus grande, on ne peut retrouver du plus et une plus grande
plénitude. Mais entre le Père et le Fils l’égalité est parfaite. Donc
l’Esprit-Saint ne peut procéder davantage de l’un que de l’autre. |
[952] Super
Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod Spiritus sanctus nec prius nec plenius nec magis procedit a
Patre quam a Filio. Et ratio hujus tota est, quia Pater et Filius sunt unum
principium Spiritus sancti ; et ubi est unitas, non potest esse distinctio
plenitudinis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que l’Esprit-Saint ne procède ni antérieurement, ni plus
pleinement, ni davantage du Père que du Fils. Et toute la raison en est que
le Père et le Fils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint ; et
là où l’unité est présente il ne peut y avoir une différence de plénitude. |
[953] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Pater quamvis dicatur principium Filii et Spiritus
sancti, tamen non potest dici causa, proprie loquendo : causa enim semper
ponit diversitatem essentiae, sicut patet in omnibus. Sed principium aliquod
a quo aliquid fluit, est consubstantiale rei cujus est principium ; sicut
dicimus, quod punctum est principium lineae, et cor principium animalis, et
fundamentum domus ; et ideo propter consubstantialitatem Pater dicitur
principium, sed non causa. Praeterea, causatum habet dependentiam ad causam.
Sed principium importat originem quamdam, secundum quod dicitur principium,
ex quo incipit aliquid. Item, quamvis dicatur principium, non tamen potest
dici primum ; quia ibi non est aliquid prius et posterius, ut dictum est,
dist. 9, quaest. 2, art. 1. Unde patet quod illa auctoritas non est ad
propositum : quia Pater nec est causa nec primaria respectu Filii et Spiritus
sancti. Si tamen in hoc non fiat vis, adhuc Pater et Filius respectu Spiritus
sancti non se habent sicut duo principia, sed sicut unum ; et ideo nullus
gradus inter eos invenitur in spirando Spiritum sanctum. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que bien qu’on dise du Père qu’Il est le principe du
Fils et de l’Esprit-Saint, cependant on ne peut dire qu’il en est la cause à
proprement parler : la cause en effet pose toujours une diversité
d’essence ainsi qu’on le voit dans tous les cas. Mais un principe duqueel
quqelque chose s’écoule est consubstantiel à la chose dont il est le
princpe ; par exemple nous disons que le point est le principe de la
ligne et que le cœur est le principe de l’animal et que les fondations sont
le principe de la maison ; et c’est pourquoi c’est en raison de la
consubstantialité qu’on dit du Père qu’Il est principe et non une cause. Par
ailleurs, l’effet a une dépendance par rapport à sa cause. Mais le principe
implique une certaine origine d’après laquelle il est dit principe et d’où
procède quelque chose. En outre, bien qu’on dise du Père qu’il est principe,
on ne peut dire de Lui qu’il est premier car il n’y a rien là qui soit
antérieur et postérieur ainsi que nous l’avons dit [dist. 9, quest. 2, art.
1]. D’où il est clair que cette autorité n’a pas rapport au propos car le
Père n’est ni cause ni premier par rapport au Fils et à l’Esprit-Saint. Si
cependant il n’y avait pas de force dans ce raisonnement, ajoutons par
ailleurs le Père et le Fils par rapport à l’Esprit-Saint ne se présentent pas
comme deux principes, mais comme un seul ; et c’est pourquoi il ne se
trouve entre eux aucun degré ou aucun rang dans la spiration de
l’Esprit-Saint. |
[954] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod dictum philosophi verificatur, quando illud quod
convenit alicui propter aliquid aliud, est diversum in utroque, et praecipue
quando unum est causa alterius essentiali ordine causae ; tunc enim
causalitas sua est respectu totius speciei, et non unius individui tantum, ut
dicit Avicenna [IX Metaph., cap. II),
sicut calor est magis in igne quam in corpore mixto, quia propter ignem est
in corpore mixto. Sed quamvis Filius habeat a Patre hoc quod spirat Spiritum
sanctum, nihilominus tamen non est hoc diversum in Patre et Filio ; quia
eamdem virtutem spirativam, quam Pater habet, Filio communicat : et ideo per
illam aequaliter Pater et Filius spiritum sanctum spirant. Et si etiam non
esset una numero, sed specie tantum, ratio non valeret : sicut patet in
omnibus univocis generationibus : non enim Pater Socratis plus influit in
filium Socratis quam Socrates. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la parole du Philosophe se vérifie lorsque ce qui
appartient à une chose en raison d’une autre est différent dans les deux, et
surtout quand l’une est la cause de l’autre selon l’ordre essentiel de la
cause ; alors en effet sa causalité est par rapport à toute l’espèce et non
par rapport à un seul individu, ainsi que le dit Avicenne [1X Métaphysique,
ch. 11], comme c’est le cas pour la chaleur qui est davantage dans le feu que
dans le corps mixte parce que c’est à cause du feu qu’elle est dans le corps
mixte. Mais bien que le Fils tienne du Père cela même qu’Il spire
l’esprit-Saint, néanmoins cet acte n’est pas différent dans le Père et dans
le Fils ; car c’est la même puissance de spiration que le Père possède
et qu’Il communique au Fils : et c’est pourquoi le Père et le Fils spirent
l’Esprit-Saint d’une manière égale au moyen de cette puissance. Et encore si
elle n’était pas une par le nombre mais seulement par l’espèce, la raison ne
tiendrait plus, comme on le voit dans tous les cas de génération
univoque : en effet, le père de Socrate ne se répand pas davantage dans
le fils de Socrate que Socrate lui-même. |
[955] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod Spiritus sanctus dicitur esse principaliter a Patre,
quia in Patre est auctoritas spirationis, a quo etiam habet Filius virtutem
spirativam, et non propter aliquem ordinem vel gradum prioritatis vel
posterioritatis Patris et Filii. Similiter etiam propter eamdem rationem
dicitur proprie procedere a Patre, maxime cum haec praepositio a apud Graecos notet relationem ad
primam originem : unde apud eos non dicitur, quod lacus sit a rivo, sed quod
est a fonte ; et inde est etiam, quod non concedunt, quod Spiritus sanctus
sit a Filio, sed a Patre. Nihilominus tamen non est dicendum, quin etiam a
Filio proprie procedat, qui cum Patre est unum principium Spiritus sancti.
Non autem sic rivus et fons sunt unum principium laci. |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’Il vient principalement
du Père parce que c’est dans le Père que se trouve l’autorité de la
spiration, de qui le Fils possède aussi la puissance de spiration, et non pas
à cause d’un ordre ou d’un degré de priorité ou de postériorité du Père et du
Fils. De la même manière encore, pour la même raison qu’on dit de
l’Esprit-Saint qu’il procède proprement du Père, surtout à cause de cette
préposition ¨a¨ qui désigne chez les Grecs une relation à l’origine
première : c’est pourquoi chez eux on ne dit pas que le lac vient du
ruisseau, mais qu’il vient de la source ; et c’est de là aussi qu’ils ne
concèdent pas que l’Esprit-Saint vient du Fils, mais plutôt qu’Il vient du
Père. Néamoins cependant il ne faut pas dire qu’il procède aussi proprement
du Fils, lequel avec le Père est un unique principe de l’Esprit-Saint. Ce
n’est cependant pas de cette manière que le ruisseau et la source sont un
unique principe du lac. |
[956] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod Spiritus sanctus non aliter nec alia processione
procedit a Patre quam a Filio : unde processio Spiritus sancti tota est a
Filio, sicut etiam tota est a Patre. Unde non sequitur quod alia res sit in
Spiritu sancto quae non sit a Filio. Sed verum est quod illa processio non
est a Filio secundum omnem sui habitudinem, sed hoc in nullo derogat
plenitudini processionis. Accidit enim processioni Spiritus sancti quod
secundum habitudinem qua est a Filio, sit a Patre : non quia a Filio est
Spiritus sanctus, sed quia Filius est a Patre. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l’Esprit-Saint ne procède pas du Père autrement
qu’Il procède du Fils, ni par une autre procession : de là, la
procession de l’Esprit-Saint vient totalement du Fils tout comme elle vient
aussi totalement du Père. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il y ait autre
chose dans l’Esprit-Saint qui ne viendrait pas du Fils. Mais il est vrai que
ce n’est pas selon toute sa nature que cette procession vient du Fils mais
cela n’enlève rien à la plénitude de la procession. Il est accidentel en
effet à la procession de l’Esprit-Saint que selon le rapport sous lequel elle
vient du Fils, elle vienne aussi du Père : ce n’est pas parce que
l’Esprit-Saint vient du Fils, mais parce que le Fils vient du Père. |
|
|
Articulus 3 [957] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a.
3 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat a Patre mediante Filio ? |
Article 3 – L'Esprit Saint procède-t-il du Père par l'intermédiaire du Fils ? |
[958] Super
Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod
Spiritus sanctus procedat a Patre mediante Filio. Illud enim per quod aliquid
procedit, videtur esse medium in processione. Sed Spiritus sanctus
procedit a Patre per Filium. Ergo procedit a Patre mediante Filio. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Esprit-Saint procède
du Père par l’intermédiaire du Fils. En effet, ce par quoi quelque chose
procède se présente comme un intermédiaire dans la procession. Mais
l’Esprit-Saint procède du Père par le Fils. Il en procède donc par
l’intermédiaire du Fils. |
[959] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, constat quod tertium non exit a primo, nisi per medium. Sed
Spiritus sanctus dicitur esse tertia persona in Trinitate. Ergo non procedit
a Patre, qui est principium non de principio, nisi mediante Filio. |
2. De plus, il est clair qu’un troisième
ne sort d’un premier que par un intermédiaire. Mais on dit que l’Esprit-Saint
est la troisième personne de la Trinité. Donc, Il ne procède du Père, lequel
est un principe sans principe, que par l’intermédiaire du Fils. |
[960] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3
arg. 3 Praeterea, in imagine creata amor repraesentat Spiritum sanctum, et
notitia Filium. Sed amor non procedit a mente nisi mediante notitia. Ergo nec
Spiritus sanctus a Patre nisi Filio mediante. |
3. En outre,
dans l’image créée l’amour représente l’Esprit-Saint, et la connaissance
représente le Fils. Mais l’amour ne procède de l’intelligence que par
l’intermédiaire de la connaissance. Donc l’Esprit-Saint ne procède du Père
que par l’intermédiaire du Fils. |
[961] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 4 Sed
contra, videtur quod immediatius procedit a Patre quam a Filio. Immediatum
enim principium dicitur principalius quam mediatum, ut patet in primis
propositionibus, quae immediatae dicuntur. Sed Spiritus sanctus
procedit principaliter a Patre. Ergo immediatius procedit ab ipso quam a
Filio. |
4. Au
contraire, il semble que l’Esprit-Saint procède plus immédiatement du Père
que du Fils. On dit en effet du principe immédiat qu’il est un principe plus
premier que celui qui est médiat, ainsi qu’on le voit pour les propositions
premières qu’on appelle immédiates. Mais l’Esprit-Saint procède premièrement
du Père. Donc, il procède plus immédiatement du Père que du Fils. |
[962] Super
Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod omne medium aliquo
modo distinguitur ab his inter quae medium dicitur. Cum autem in spiratione
Pater et Filius sint duo spirantes, inquantum sunt unum in potentia
spirativa, possumus loqui de actu spirationis per comparationem ad ipsos
spirantes, vel ad principium spirandi sicut virtute cujus fit spiratio. Si autem consideremus ipsum principium, scilicet
potentiam spirativam, cum in hoc non distinguantur Pater et Filius, non
potest dici spiratio esse a Patre mediante Filio. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire que tout intermédiaire se distingue de quelque façon des extrêmes entre lesquels il est dit être
intermédiaire. Mais comme dans la spiration le Père et le Fils sont deux
agents de spiration, selon qu’Ils sont un dans la puissance de spiration,
nous pouvons parler de l’acte de spiration par rapport aux agents eux-mêmes
ou par rapport au principe de spiration comme à la puisssance d’où vient la
spiration. Mais si nous considérons le principe lui-même, à savoir la
puissance de spiration, puisqu’en cela le Père et le Fils ne se distinguent
pas, on ne peut dire que la spiration vient du Père par l’intermédiaire du
Fils. |
Si autem consideremus ipsos
spirantes qui distincti sunt, et secundum hoc praebent suppositum spirationi,
sic est ibi mediatio, secundum quod est ibi ordo naturae : quia Filius est ex
Patre, et Spiritus sanctus simul a Patre et Filio. Unde dicit Richardus (V de Trinitate, cap. VI et VII), quod
generatio in divinis est a Patre immediate ; sed processio Spiritus sancti
quodammodo est mediate et quodammodo immediate. Immediate quantum ad virtutem
spirativam, quae est una patris et Filii, et iterum quantum ad ipsum
suppositum Patris quod immediate est principium processionis, quia ipse simul
et Filius spirant. Sed mediate, inquantum Filius, qui spirat, est a Patre. |
Mais si nous
considérons ceux-là même qui posent cette opération et qui sont distincts, et
qui en cela fournissent un suppôt à la spiration, alors il y a là une
médiation selon qu’il y a là un ordre de nature : car le Fils vient du
Père et l’Esprit-Saint vient simultanément du Père et du Fils. C’est pourquoi
Richard dit [V De la Trinité, ch. VI
et VII] que la génération dans les
Personnes divines vient immédiatement du Père, mais que le procession de
l’Esprit-Saint est en un sens médiate et en un autre sens immédiate. Elle est
immédiate quant à la puissance de spiration qui est une seule spiration du
Père et du Fils et aussi quant au suppôt même du Père qui est immédiatement
le principe de la procession car c’est Lui et le Fils qui posent
simultanément cette opération. Mais elle est médiate en tant que le Fils, qui
pose cette opération, vient du Père. |
[963] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod per hoc quod dicitur, Spiritum sanctum procedere
a Patre per filium, designatur auctoritas in Patre respectu Filii ; quia
Filius habet a Patre quod Spiritum sanctum spiret. Ex hoc autem non ponitur
mediatio aliqua nisi ex parte suppositorum, quae distinguuntur per hoc quod
unum est ab alio, ratione cujus in uno est auctoritas respectu alterius. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint procède du Père par le Fils, on désigne
l’autorité du Père apr rapport au Fils ; car c’est du Père que le Fils
tient son opération de spiration de l’Esprit-Saint. Et c’est à cause de cela
qu’il n’y a lieu de poser une médiation que du côté des suppôts eux-mêmes qui
se distinguent par ceci que l’un vient de l’autre, en raison de quoi
l’autorité est dans l’un par rapport à l’autre. |
[964] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Spiritus sanctus uno modo, ut dictum est, procedit a
Patre mediante Filio : sed hoc non excludit quin etiam immediate a Patre
procedat, ut dictum est, in corp. art. praeced. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que l’Esprit-Saint procède en un sens du Père par
l’intermédiaire du Fils comme nous l’avons dit ; mais cela n’empêche pas qu’il procède aussi
immédiatement du Père, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article
précédent. |
[965] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum, quod imago quae est in anima, deficienter
repraesentat Trinitatem ; notitia enim est omnino distincta a mente ; et ideo
simpliciter amor a mente mediante notitia procedit. Sed in divinis personis
Filius non quantum ad omnia distinguitur a Patre ; et ideo secundum aliquid
non est ibi mediatio. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que l’image qui est dans l’âme représente faiblement
la Trinité ; la connaissance en effet est absolument distincte de
l’intelligence ; et c’est pourquoi l’amour procède de l’intelligence
par l’intermédiaire de la connaissance. Mais dans les Personnes divines le
Fils ne se distingue pas du Père sous tous les rappports ; et c’est
pourquoi sous certains rapports il n’y a pas médiation. |
[966] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quando sunt multae causae agentes ordinatae, possunt
dupliciter considerari, secundum quod est duo invenire in agente, scilicet
ipsum agens quod exercet actionem, et virtutem ipsius quae est principium
actionis impositio. Si igitur considerentur causae agentes ordinatae secundum
rationem agentis cujus est agere, sic quanto agens est posterius, tanto magis
est proximum et immediatum ad actionem, et ad id quod per actionem educitur. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que lorsqu’il y a multiplicité de causes agentes
ordonnées, elles peuvent être considérées de deux manières, selon qu’il y a
deux aspects qui se trouvent dans l’agent, à savoir l’agent lui-même qui
exerce l’action et la puissance de ce dernier qui est le principe de l’action
à laquelle elle s’applique. Si donc on considère les causes agentes ordonnées
sous le rapport de l’agent auquel il appartient d’agir, alors l’agent est
d’autant plus prochain et immédiat par rapport à l’action et à ce qui est
amené par l’action qu’il est postérieur. |
Si autem considerentur quantum ad virtutem quae est
principium operationis, quanto causa est magis prima, tanto est magis
immediata, eo quod agens secundum non agit, nisi inquantum est motum a primo,
et secundum quod virtus primi est in ipso. Unde oportet ut semper
resolvatur virtus ultimi agentis in virtutem agentis primi. Verbi gratia,
quod planta generat plantam hoc habet a virtute solis, et quod sol moveat ad
generationem plantae, habet a virtute motoris sui quicumque sit ille. |
Mais si
ces causes sont considérées quant à la vertu qui est le principe de l’action,
alors la cause est d’autant plus immediate qu’elle est antérieure du fait que
l’agent second n’agit que dans la mesure où il est mû par le premier et dans
la mesure où la puissance du premier est en lui. C’est pourquoi il faut
toujours que la puissance du dernier agent soit ramenée à la puissance du
premier agent. En d’autres mots, que la plante engendre une plante, elle le
tient de la puissance du soleil, et que le soleil provoque la génération d’une plante, il le
tient de la puissance de son agent, quel qu’il soit. |
Et inde est quod
quia Deus est agens primum, ipse immediatius se habet secundum virtutem suam
ad quamlibet operationem naturae, quam aliquod agens naturale. Et inde est
etiam quod propositiones primae dicuntur immediatae, quia praedicatum non
conjungitur subjecto per virtutem alterius causae praecedentis. Inde est
etiam quod haec praepositio per,
quae denotat causam mediam, quandoque notat auctoritatem in recto, quandoque
in obliquo : in recto, ut cum dicitur : rex facit hoc per balivum ; tunc enim
mediatio attenditur quantum ad ipsos operantes. In obliquo, cum dicitur : praepositus facit hoc per
regem. |
Et il suit de
là que parce que Dieu est l’agent premier, c’est lui qui selon sa puissance
est une cause plus immédiate que tout agent naturel par rapport à toute
opération de la nature. Et il s’ensuit encore qu’on appelle imémédiates les
propositions premières parce que le prédicat n’est pas rattaché au sujet par
la puissance d’une autre cause antérieure. D’où il suit encore que cette
préposition ¨par¨, qui signifie une cause intermédiaire, signifie parfois une
autorité directe, parfois une autorité indirecte : directe, comme
lorsqu’on dit : le roi fait cela par son bailli : alors en effet la
médiation se prend quant à ceux-là mêmes qui posent l’opération. Mais elle
signifie une autorité indirecte comme lorsqu’on dit : l’intendant fait
cela par le roi. |
Hic enim
consideratur mediatio quantum ad virtutem, quae est principium operationis.
Virtus enim superioris est quasi medium, per quod operans suae operationi
conjungitur ; in Patre autem et in Filio non est accipere distinctionem
quantum ad principium operationis, quia illud est idem in utroque, scilicet
divina potentia ; sed solum quantum ad operantes, qui sunt ad invicem
distincti. Et ideo, cum in Patre sit auctoritas, dicitur Pater operari per
filium, et nullo modo Filius per Patrem. Inde est etiam quod secundum aliquem
modum Filius est medium in operatione Patris, sed Pater nullo modo in
operatione Filii. |
Alors dans ce cas en effet la médiation se prend du
côté de la puissance qui est le principe de l’opération. En effet la
puissance de la cause supérieure est comme un intermédiaire par lequel celui
qui pose l’opération est rattaché à son opération; mais il n’y a pas à
chercher de distinction dans le Père et dans le Fils quant au principe de
l’opération car c’est la même puissance numériquement parlant qui existe dans
les deux, à savoir la puissance divine; mais il n’y a distinction que du côté
de ceux qui posent l’opération et qui sont distincts entre eux. Et c’est
pourquoi, puisque l’autorité est dans le Père, on dit que le Père opère par
le Fils et en aucune manière que le Fils opère par le Père. Et c’est pourquoi
encore, en un certain sens, le Fils est un intermédiaire dans l’opération du
Père, mais le Père ne l’est nullement dans l’opération du Fils. |
|
|
Distinctio 13 |
Distinction 13 – [la procession du Saint Esprit – suite] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad intelligentiam hujus partis, quatuor quaeruntur :
1 utrum in Deo sit aliqua processio ; 2 si est, utrum sit una tantum vel plures ; 3 qualiter duae processiones nominari debeant ; 4 si Spiritus sanctus, qui procedit, non dicatur
genitus, utrum debeat dici ingenitus. |
Pour comprendre cette partie, on cherche
à répondre à quatre questions : 1. Y a-t-il une procession en Dieu? 2. Y en a-t-il une seule ou
plusieurs ? 3. De quelle manière les deux
processions doivent-elles être nommées ? 4. Est-ce qu’on doit dire de l’Esprit-Saint
qui procède et n’est pas engendré, qu’Il est inengendré ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique : [La procession du Saint Esprit] |
|
|
Articulus 1 [969] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a.
1 tit. Utrum processio sit in Deo. |
Article 1 – Y a-t-il une procession en Dieu ? |
[970] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit processio. Processio
enim dicit motum quemdam processivum. Omnis autem motus indigentiae et
imperfectionis est, et Deo non competit. Ergo in Deo non est processio. |
Difficultés : Il semble qu’il n’y ait pas de
procession en Dieu. En effet, qui dit procession dit un certain mouvement
progressif. Mais tout mouvement relève d’un manque et d’une imperfection et
n’appartient pas à Dieu. Il n’y a donc pas de procession en Dieu. |
[971] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, processio dicit exitum unius ab
alio. Exitus autem est per distantiam
exeuntis ab eo ex quo exit. Cum igitur in divinis personis sit omnino
indistantia, videtur quod ibi non sit processio. |
2. En outre,
toute procession implique qu’un être sorte d’un autre. Mais une sortie se
réalise par une distantiation de celui qui sort par rapport à celui d’où il
sort. Donc, puisqu’en Dieu il n’y a absolument aucune distance, il semble qu’il
n’y ait là aucune procession. |
[972] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, omnis processio est ab aliquo in aliquid. Sed divinae personae cum
sint per se subsistentes, non sunt ab aliquo in aliquid. Ergo videtur quod
non conveniat eis procedere. |
3. De plus,
toute procession a lieu d’un être à un autre. Mais les Personnes divines,
puisqu’elles subsistent par elles-mêmes, n’existent par par un passage d’un
être à un autre. Il semble donc qu’il ne leur appartient pas de procéder. |
[973] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contra, Joan. 15, 26 : cum venerit
Paraclitus, quem ego mittam a patre, spiritus veritatis, qui a patre procedit.
Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Jean (15, 26) dit dans son
évangile : Lorsque viendra le
Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité, qui
procède du Père…Donc, il y a bien procession en Dieu. |
[974] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, in anima est imago Trinitatis. Sed in anima invenitur notitia
procedere a mente, et amor ab utroque. Videtur ergo quod sit processio etiam
in divinis personis. |
2. Par
ailleurs, il y a dans l’âme une image de la Trinité. Mais dans l’âme il se
trouve que la connaissance procède de l’intelligence, et l’amour procède de
ces deux dernières. Il semble donc qu’il y ait procession même chez les
Personnes divines. |
[975] Super Sent., lib. 1 d.
13 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod processio dicitur dupliciter : uno modo dicit motum localem
qui proprie est motus animalis motu progressivo, et talis processio non
potest esse in divinis, nisi metaphorice loquendo : secundum similitudinem
enim talis processionis dicitur divina sapientia vel bonitas procedere in
creaturas, secundum quod similitudinem suam gradatim efficit in illis ;
secundum quem modum quaedam Deo aliis similiora sunt. Alio modo dicitur
processio eductio principiati a suo principio ; et cum in divinis personis
una sit ab alia sicut a principio, per modum istum proprie est processio in
divinis. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que le terme de
procession se dit en deux sens: Il se dit premièrement à la manière du mouvement
local qui est proprement celui de l’animal qui se meut d’un mouvement
progressif, et une telle procession ne peut exister en Dieu, si ce n’est en un
sens métaphorique: c’est à la resemblance d’une telle procession qu’on dit de
la sagesse ou de la bonté divine qu’elle procède dans les créatures selon
qu’elle imprime peu à peu sa resemblance en elles; et selon ce mode certaines
créatures ressemblent davantage à Dieu que d’autres. Mais en un autre sens le terme de procession se dit
de la sortie d’un principe de ce qui en résulte; et comme en Dieu une
personne vient d’une autre comme de son principe, c’est de cette manière
qu’on retrouve proprement une procession en Dieu. |
[976] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creaturis
quaelibet processio est per aliquem motum vel mutationem ; quia nec aliquid
localiter procedit nisi per motum, nec aliquid a causa sua egreditur nisi
aliqua mutatione contingente circa ipsum a quo egreditur, si sit de essentia
ejus, vel saltem circa id quod egreditur. In divinis autem est origo unius
personae ab alia sine aliqua mutatione, ut supra de generatione dictum est,
dist. 4, quaest. 1, art. 1, cum nihil praedicetur de Deo secundum id quod
imperfectionis est in ipso. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que dans les créatures toute procession se réalise
par un mouvement ou un changement ; car ce n’est que par le mouvement
que quelque chose procède selon le lieu et ce n’est que par un changement se
produisant sur cela même d’où elle sort qu’une chose sort de sa cause si elle
est de même essence qu’elle, ou au moins sur cela même qui en sort. |
[977] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis in divinis personis non sit distantia
secundum locum neque secundum essentiam, est tamen distinctio in personis
secundum proprietates personales ; et hoc sufficit ad rationem processionis. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que bien que dans les Personnes divines il n’y ait
distance ni selon le lieu ni selon l’essence, il y a cependant une
distinction entre elles d’après les propriétés personnelles. Et cela suffit à
la notion de procession. |
[978] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod processio
localis est in aliquid sicut in terminum motus ; sed quod procedit a causa,
non oportet quod in alterum procedat, et sic sumitur processio in divinis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la procession locale est dans une chose comme dans
le terme du mouvement ; mais ce qui procède d’une cause ne procède pas
nécessairement dans un autre et c’est en ce sens que se prend la procession
dans les Personnes divines. |
|
|
[979] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 tit. Utrum processio divina
sit tantum una |
Article 2 – N'y a-t-il qu'une seule procession en Dieu ? |
[980] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
in divinis una tantum sit processio. Sicut enim paternitas notat proprietatem
originis, ut a quo est aliquis ; ita processio, ut qui est ab alio. Sed supra dictum est, dist. 7, quaest. 2, art. 2,
quod in divinis non potest esse nisi una paternitas. Ergo nec nisi una
processio. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’il n’y ait qu’une seule procession en Dieu. En effet, tout comme la
paternité désigne une propriété d’origine, comme celui d’où vient un être, de
même la procession désigne la propriété d’origine comme celui qui vient d’un
autre. Mais nous avons dit plus haut [dist. 7, quest. 2, art. 2] qu’il ne
peut y avoir qu’une paternité en Dieu. Il ne peut donc y avoir qu’une seule
procession. |
[981] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, in omnibus habentibus unam naturam in specie, non est nisi unus
modus quo natura illa communicatur ; unde etiam dicit Commentator 8 Physic., quod mures qui generantur ex
putrefactione terrae, et qui generantur ex semine, non sunt ejusdem speciei. Sed per
processionem personarum communicatur natura divina, quae est una tantum non
solum in specie, sed etiam in numero. Ergo
non est nisi unus modus processionis in divinis. |
2. Par
ailleurs, pour tous les êtres qui possèdent une même nature dans l’espèce, il
n’y a qu’une seule manière par laquelle cette nature est communiquée ;
c’est pourquoi le Commentateur dit aussi [8 Physique] que les souris qui sont engendrées par la putréfaction
de la terre et celles qui sont engendrées à partir d’une semence ne sont pas
de même espèce. Mais par la procession des Personnes c’est la nature divine qui
est communiquée, laquelle est unique non seulement par l’espèce mais aussi
par le nombre. Il n’y a donc qu’une seule forme de procession dans les
Personnes divines. |
[982] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 3
Praeterea, operationes vel actus distinguuntur ad invicem penes terminos et
penes principia. Sed processio in divinis est semper ab eodem principio, quia
omnis processio est virtute naturae ipsius producentis ; est etiam ad eumdem
terminum per processionem acceptum, quia in processione divina semper
accipitur divina natura. Ergo videtur quod non sit nisi una processio in
divinis. |
3. En outre, les
opérations ou les actes se distinguent les uns des autres par les termes et
par les principes. Mais la procession en Dieu vient toujours d’une même principe
car toute procession vient de la puissance de la nature de celui-là même qui
produit ; et par la procession c’est toujours le même terme qui est
atteint car dans la procession divine c’est toujours à la nature divine qu’on
aboutit. Il semble donc qu’il n’y ait qu’une seule procession en Dieu. |
[983] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, si sunt duae processiones, aut differentiam habebunt ex parte
essentiae, aut ex parte relationum, cum non sint plura in divinis. Sed ex
parte essentiae non invenitur diversitas nisi rationis secundum pluralitatem
attributorum ; diversitas autem rationis non causat pluralitatem realem,
qualem oportet esse processionum duarum, secundum quas duae personae realiter
distinctae procedunt. Ergo ex parte essentiae non potest sumi realis
diversitas processionum. Similiter nec ex parte relationum ; relationes enim
secundum rationem intelligendi consequuntur processiones ; eo enim Filius
est, quia a Patre procedit. Ergo videtur quod nullo modo possunt esse processiones
plures in divinis. |
4. De plus,
s’il y a deux processions, ou bien elles se différencieront du côté de
l’essence, ou bien du côté des relations, car il n’y a rien d’autre en Dieu.
Mais du côté de l’essence on ne retrouve qu’une différence de raison d’après
la multiplicité des attributs ; mais une différence de raison n’entraîne
pas une multiplicité réelle qu’il doit y avoir pour qu’il y ait deux
processions d’après lesquelles deux Personnes réellement distinctes
procèdent. Une différence réelle de processions ne peut donc se tirer du côté
de l’essence. Elle ne peut non plus se tirer du côté des relations puisque
les relations en effet, selon la manière de les comprendre, découlent des
processions ; c’est parce qu’Il procède du Père que le Fils existe comme
Fils. Il semble donc qu’en aucune manière il ne peut y avoir plusieurs
processions en Dieu. |
[984] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 s. c. 1
Contra, secundum unam processionem est unus tantum procedens. Sed in divinis
sunt duae personae procedentes, scilicet Filius et Spiritus sanctus, ut
habetur in littera. Ergo videtur quod oportet esse duas processiones. |
Cependant : 1. Au
contraire, un seul être procède d’une seule et même procession. Mais en Dieu
il y a deux personnes qui procèdent, à savoir le Fils et l’Esprit-Saint,
ainsi qu’on l’établit dans le document. Il semble donc qu’il faut qu’il y ait
deux processions. |
[985] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt quod
istae duae processiones realiter distinguuntur, nec oportet quaerere quo
distinguantur, quia sunt prima distinguentia personas ; sicut nec quaerimus
quo distinguuntur rationale et irrationale. Sed hoc non videtur conveniens :
quia generatio et processio nullam habent oppositionem ad invicem ; omnis autem
distinctio formalis est secundum aliquam oppositionem. Et praeterea processio et generatio significantur
per modum operationum. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire que certains disent que ces deux processions se distinguent
réellement et qu’il ne faut pas chercher par quoi elles se distinguent parce
qu’elles sont premières à distinguer les personnes, tout comme nous ne
cherchons pas à savoir par quoi se distinguent le rationnel et l’irrationnel.
Mais cela ne semble pas juste car la génération et la procession ne
s’opposent nullement entre elles ; mais toute distinction formelle
implique une opposition. Et dès lors la procession et la génération
signifient par mode d’opération. |
Hoc autem non convenit, ut per operationes vel
motus, distinguantur operantia vel operata ; sed magis e converso, quia
actiones differunt specie secundum formas agentium, ut calefacere et
infrigidare, et motus secundum terminos. Et ideo alii dicunt quod differentia
sumitur ex hoc quod generatio est processio naturae, et processio Spiritus
sancti est processio voluntatis. Sed hoc etiam non competit : quia voluntas
et natura in divinis solum ratione distinguuntur. |
Mais il ne
convient pas que ce soit par les opérations ou par les mouvements que se
distinguent ceux qui posent les opérations et les œuvres ; mais c’est
plutôt l’inverse car les actions, comme réchauffer et refroidir, diffèrent
par l’espèce d’après les formes des agents, et les mouvements diffèrent
d’espèce d’après leurs termes. Et c’est pourquoi d’autres disent que la
différence se tire de ceci que la génération est une procession de la nature
alors que la procession de l’Esprit-Saint est une procession de la volonté.
Mais cela non plus n’est pas valable car la nature et la volonté ne se
distinguent en Dieu que par la raison. |
Unde talis distinctio, realis distinctionis ratio
esse non potest, quia principium non est debilius principiato. Et praeterea
secundum hoc processio intellectus, secundum quam dicitur Verbum, esset alia
a processione naturae, secundum quam dicitur Filius. Et ideo dicendum, quod
in divinis non potest esse aliqua realis distinctio et pluralitas, nisi
secundum relationes originis. |
C’est pourquoi
une telle distinction ne peut être la raison d’une distinction réelle car le
principe n’est pas plus faible que ce qui en résulte. Et par la suite suivant
cela la procession de l’intelligence d’après laquelle se dit le Verve serait
autre que la procession de la nature selon laquelle se dit le Fils. Et c’est
pourquoi il faut dire qu’en Dieu il ne peut y avoir une distinction réelle et
une multiplicité que d’après les relations d’origine. |
Et ideo secundum hoc nos oportet investigare
pluralitatem procedentium et processionum. Dico igitur secundum hoc, quod est
in divinis aliqua processio secundum quam una persona procedit ab una ; et
haec est processio generationis, secundum quam Filius est a Patre ; et ideo
dicitur esse per modum naturae vel intellectus ; procedit enim ut Filius, et
ut Verbum : quia in utroque modo istarum processionum, scilicet naturae et intellectus,
est unius ab uno processio. Item est aliqua processio in divinis quae est
simul a duobus, scilicet ab eo qui procedit et ab eo a quo procedit ; et haec
distinguitur a prima secundum originem ; quia ista secunda processio est a
procedente secundum processionem praedictam, quae est per modum naturae. |
Et c’est
pourquoi suivant cela il nous faut rechercher la multiplicité de ceux qui
procèdent et des processions. Je dis donc suivant cela qu’il y a en Dieu une
procession d’après laquelle une seule Personne procède d’une seule autre et
c’est là la procession de la génération d’après laquelle le Fils vient du
Père ; et c’est pourquoi on dit que c’est là une procession par mode de
nature ou d’intelligence ; cette Personne en effet procède en tant que
Fils et en tant que Verbe : car dans chacune de ces deux sortes de
processions, à savoir celle de la nature et celle de l’intelligence, un seul
être procède d’un seul autre. Il y a en outre en Dieu une procession qui
vient simultanément de deux autres, à savoir de celui qui procède et de celui
duquel il procède ; et cette procession se distingue de la première
d’après l’origine ; car cette deuxième procession vient de ce qui
procède d’après la procession précédente et qui opère par mode de nature. |
Et inde est quod ista processio dicitur per modum
voluntatis esse, quia per consensum ex duobus volentibus potest unus amor
procedere. Et secundum istos modos diversos originis, producuntur plures
personae relatione originis distinctae, scilicet Filius, qui est a Patre, et
Spiritus sanctus, qui est ab utroque. Unde concedo quod nisi Spiritus sanctus
esset a Filio, non esset assignare distinctionem realem inter Filium et
Spiritum sanctum. |
Et c’est
pourquoi on dit que cette procession a lieu par mode de volonté, car c’est de
l’accord de deux volontés que peut procéder un unique amour. Et c’est d’après
ces différentes sortes d’origine que sont produites plusieurs Personnes qui
se distinguent par une relation d’origine : le Fils qui vient du Père,
et le Saint-Esprit qui vient du Père et du Fils. C’est pourquoi nous
concédons qu’il n’y a lieu d’assigner une distinction réelle entre le Fils et
l’Esprit-Saint que parce que l’Esprit-Saint vient du Fils. |
[986] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod paternitas dicit modum determinatum originis, qui
ulterius non potest multiplicari secundum diversam rationem originis, sed
tantum secundum materiam, ut diversificetur in numero ; sed processio dicit
originem in communi, et potest secundum duos modos originis determinari ;
scilicet quod sit processio unius ab uno non procedente, et quod sit
processio etiam a procedente. Plures modi non possunt inveniri qui
distinguantur ex ratione originis ; et ideo non possunt esse plures
processiones in divinis quam duae. Si enim acciperetur processio ab uno
procedente vel pluribus, non esset differentia nisi secundum unum et plura,
quae differentia nullo modo ad originem pertinet, sicut si divideretur
gressibile, non per bipes et quadrupes, sed per album et nigrum. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la paternité renvoie à un mode déterminé
d’origine qui ne peut par la suite se multiplier d’après une notion
différente d’origine, mais seulement d’après la matière pour se différencier
par le nombre ; mais c’est dans l’universel que la procession renvoie à
l’origine et elle peut être précisée suivant deux modes ; à savoir le
premier où un seul être procède d’un seul autre qui ne procède pas et le
second cas où il y a procession même de ce qui procède. On ne peut trouver
davantage de sortes de processions qui se distinguent par la notion d’origine
et c’est pourquoi il n’y a pas plus que deux processions en Dieu. Si en effet
on prenait une procession venant d’un seul principe qui procède ou de plusieurs, il n’y
aurait de différence que selon l’un et le multiple, différence qui ne renvoie
nullement à l’origine, par exemple si on divisait les animaux qui marchent
non pas en bipèdes et quadrupèdes, mais en blancs et noirs. |
[987] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in natura
creata est duplex communicatio : una quae est per modum naturae, et alia quae
est per modum amoris. Non autem in utraque communicationum communicatur
natura, sed tantum in ea quae est per modum naturae. Ex imperfectione autem
voluntatis creatae est quod non potest communicari per eam natura ; quia
illud quod procedit per modum voluntatis, scilicet amor, non est hypostasis
per se subsistens, sicut in divinis ; et ideo ex perfectione divinae naturae
est quod communicetur non tantum per actum naturae, qui est generatio, sed
per actum voluntatis, qui est consensus amoris. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que dans la nature créée il y a deux sortes de
communications : la première qui est par mode de nature et la deuxième
qui est par mode d’amour. Et ce n’est pas dans les deux sortes de
communications que la nature est communiquée, mais seulement dans celle qui
est par mode de nature. C’est en raison de l’imperfection de la volonté créée
que la nature ne peut être comuniquée par cette dernière ; car ce qui
procède par mode de volonté, à savoir l’amour, n’est pas une hypostase qui
subsiste par elle-même comme c’est le cas en Dieu ; et c’est pourquoi
c’est en raison de la perfection de la nature divine que cette dernière est
communiquée non seulement par l’acte de nature qui est la génération mais
aussi par l’acte de volonté qui est l’accord de l’amour. |
[988] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod distinguuntur processiones in divinis et penes
principium et penes terminum [finem Éd.
de Parme]. Ut enim superius dictum est, quamvis natura divina sit
principium generationis in Patre, non tamen absolute sub ratione naturae, sed
sub ratione paternitatis. Et similiter natura, inquantum est natura divina,
quae accipitur [Et similiter a natura divina, inquantum est natura quae
acquiritur Éd. de Parme] in Filio
per generationem, non habet Filius quod sit Filius, sed ab eo quod natura in
Filio secundum rem est ipsa filiatio. Et ita patet quod ipsae relationes se
habent aliquo modo ut principium et ut terminus ad ipsas processiones. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que les processions en Dieu se distinguent à la fois
par le principe et par le terme [la fin Éd. de Parme]. En effet, ainsi que
nous l’avons dit plus haut, bien que la nature divine soit le principe de la
génération dans le Père, ce n’est cependant pas d’une manière absolue nous la
notion de nature, mais sous la notion de paternité. Et de la même manière la
nature, selon qu’elle est la nature divine, qui est reçue [Et de la même
manière c’est de la nature divine, selon qu’elle est la nature qui est
acquise Éd. de Parme] dans le Fils
par la génération ne fait pas que le Fils soit le Fils, mais que par là la
nature qui est reçue dans le Fils est selon la chose la filiation elle-même.
Et ainsi il est clair que le relations
elles-mêmes se présentent d’une certaine manière comme principe et
comme terme par rapport aux processions. |
[989] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod, cum secundum processiones distinguantur personae,
quae realiter plures sunt, non potest dici quod processiones re non differunt
sed ratione tantum. Nihil enim causat distinctionem majorem, formaliter
loquendo, quam sit distinctio qua distinguuntur ipsa ad invicem. Sed sicut
proprietates personales, secundum quod comparantur ad essentiam, sunt idem
re, quia sunt divina essentia, a qua tantum ratione differunt ; secundum
autem quod ad aliquid dicuntur, sunt secundum rem plures ; ita est etiam de
processionibus : quia secundum quod comparantur ad naturam ut principium vel
terminum [terminus Éd. de Parme],
non distinguuntur nisi ratione, secundum quod dicitur in Deo voluntas et
natura ratione differre ; sed quia comparantur etiam ad proprietates
relativas sicut ad principium vel terminum, ut dictum est, dist. 2, qu. 1,
art. 5, ideo ex hoc etiam habent realem differentiam. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que puisque c’est d’après les processions que se
distinguent les personnes, lesquelles sont réellement multiples, on ne peut
dire que les processions diffèrent seulement par la raison et non pas
réellement. Rien en effet ne cause une différence majeure, à parler
formellement, si ce n’est la distinction par laquelle les Personnes se
distinguent l’une de l’autre. Mais tout comme les propriétés personnelles,
selon qu’elles se comparent à l’essence, sont identiques par la chose parce
qu’elles sont l’essence divine de laquelle elles diffèrent seulement par la
raison, mais selon qu’elles se disent relativement elles sont réellement
multiples, il en est de même aussi des processions : car selon qu’elles
se comparent à la nature comme principe ou terme [terme Éd. de Parme], elles ne se distinguent que par la raison, selon
qu’on dit que la volonté et la nature en Dieu ne diffèrent que par la
raison ; mais parce qu’elles se comparent aussi aux propriétés relatives
comme à leur principe ou à leur terme ainsi que nous l’avons dit [dist. 2,
quest. 1, art. 5], c’est pourquoi elles tiennent aussi de cela une différence
réelle. |
[990] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad s. c. 1
Quod ergo objicitur, quod relationes consequuntur processiones, unde magis
videtur quod processiones diversae causent diversitatem relationum, quam e
converso ; vel ad minus erit ibi circulatio : dicendum, quod relatio in
divinis non tantum habet quod sit relatio, sed etiam quod sit personalis,
idest constituens personam ; et ex hoc habet quasi actum differentiae
constitutivae et formae propriae ipsius personae, cujus est operatio
generationis vel spirationis ; et ideo non est inconveniens quod secundum
relationis rationem relationes consequantur ipsas processiones, et recipiant
differentiam ab eis ; secundum autem quod sunt formae propriae ipsarum
personarum, causent differentiam processionum. |
1. Ce qui et
présenté comme objection, à savoir que les relations découlent des
processions, d’où il semble davantage que les processions différentes causent
la diversité des relations plutôt que l’inverse, ou au moins qu’il y aura
cercle vicieux, il faut dire que la relation en Dieu ne tient pas seulement
qu’elle soit une relation, mais aussi qu’elle soit personnelle, c’est-à-dire
qu’elle constitue la Personne ; et c’est de là qu’elle tient comme
l’acte de la différence constitutive et de la forme propre de la Personne
elle-même, dont l’opération est celle de la génération ou de la
spiration ; et c’est pourquoi il n’y a pas de problème à ce que selon la
notion de relation les relations découlent des processions elles-mêmes et
reçoivent d’elles leur différence ; mais selon qu’elles sont les formes
propres des Personnes elles-mêmes, les relations causent la différence des
processions. |
|
|
Articulus 3 |
Article 3 – La procession de l'Esprit Saint doit-elle être appelée procession ou génération ? |
[992] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod
processio Spiritus sancti non debet nominari processio, sed generatio. Si
enim non sit generatio, tunc contra generationem dividitur. Sed nullum commune dividitur contra proprium. Cum
igitur processio sit communis generationi et processioni Spiritus sancti,
videtur quod processio Spiritus sancti non debeat nominari processio. |
Difficultés : 1. Il semble
que la procession de l’Esprit-Saint ne doive pas être appelée procession,
mais plutôt génération. Si en effet
elle n’était pas une génération, alors elle se distinguerait par opposition à
la génération. Mais rien de ce qui est commun ne se distingue par opposition
à ce qui est propre. Donc, puisque la procession est commune à la fois à la
génération et à la procession de l’Esprit-Saint, il semble que la procession
de l’Esprit-Saint ne doive pas être appelée procession. |
[993] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, sicut generatio Filii dicit specialem modum originis, ita et
processio Spiritus sancti ; alias non esset proprietas constitutiva personae,
ut prius dictum est, art. antec. Sed processio non dicit aliquem specialem
modum originis, ut dictum est, art. 1, istius dist. Ergo modus originis
Spiritus sancti non debet per processionem nominari. |
2. Par
ailleurs, tout comme la génération du Fils signifie un mode d’origine
particulier, il en est de même pour la procession de l’Esprit-Saint ;
autrement, il n’y aurait pas une propriété constitutive de la personne comme
nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent. Mais le terme de
procession ne dit pas un mode particulier d’origine comme nous l’avons dit
dans l’article premier de cette distinction. Donc, le mode d’origine de
l’Esprit-Saint ne doit pas être dénommé par le terme de procession. |
[994] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, sicut Filius accipit totam naturam et substantiam Patris, ita et
Spiritus sanctus. Sed illa processio secundum quam aliquis accipit naturam ejus a quo
procedit, dicitur generatio, etiam in inferioribus, ut patet inducendo in
singulis. Ergo videtur quod processio
Spiritus sancti debet dici generatio. |
3. En outre,
tout comme le Fils reçoit toute sa nature et toute sa substance du Père, il
en est de même de l’Esprit-Saint. Mais cette procession, selon laquelle un
être reçoit la nature de celui duquel il procède, s’appelle génération même
chez les êtres inférieurs ainsi qu’on le voit par l’examen des cas
particulieurs. Il semble donc que la procession de l’Esprit-Saint doive être
appelée génération. |
[995] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, Damascenus, definiens generationem dicit sic : generatio est
divinae naturae opus existens, ut versionem, qui generat, non suscipiat, et
ut neque Deus prior neque posterior sit. Sed processio Spiritus sancti est
opus divinae naturae et cetera. Ergo videtur quod sit generatio. Quod autem
sit opus divinae naturae et non voluntatis, probatur per Hilarium, qui dicit,
quod omnibus creaturis substantiam voluntas attulit, sed Filio natura dedit.
Sed Spiritus sanctus non est creatura ; et ita non habet substantiam per
voluntatem, sed per naturam Patris. |
4. De plus
Damascène, lorsqu’il définit la génération, parle ainsi : la génération est l’œuvre de la nature
divine qui existe de telle manière que celui qui engendre ne reçoit pas le
changement et que Dieu n’est ni antérieur ni postérieur. Mais la procession
de l’Esprit-Saint est une œuvre de la nature divine etc. Donc il semble
qu’elle soit une génération. Mais qu’elle soit l’œuvre de la nature divine et
non de la volonté, cela est prouvé par Saint-Hilaire qui dit que la volonté a
apporté la substance à toutes les créatures mais que la nature l’a donnée au
Fils. Mais l’Esprit-Saint n’est pas une créature et ainsi il ne tient pas sa
substance de la volonté mais de la nature du Père. |
[996] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 s. c. 1
Contra, quidquid procedit per modum generationis, procedit ut genitum,
praecipue in rebus viventibus. Sed Spiritus sanctus non procedit ut genitus :
alias essent duo filii in Trinitate, quod non potest esse. Ergo processio
Spiritus sancti non debet dici generatio. |
Cependant : Au contraire, tout ce qui procède par mode de génération procède à la
manière de ce qui est engendré, surtout chez les vivants. Mais l’Esprit-Saint
ne procède pas à la manière de ce qui est engendré : autrement, il y
aurait deux fils dans la Trinité, ce qui est impossible. La procession de
l’Esprit-Saint ne doit donc pas être appelée génération. |
[997] Super Sent., lib. 1 d.
13 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum,
quod in divinis est accipere commune et proprium, quamvis non sit accipere
universale, et particulare. Ad hoc enim quod sit universale et particulare,
exigitur aliqua diversitas realis, ut supra dictum est, dist. 8, quaest. 4,
art. 1, quidditatis communicabilis, et esse quod proprium est. Et talis
diversitas non potest esse in divinis. Sed est ibi accipere commune et
proprium dupliciter, scilicet secundum rem, et secundum rationem. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’en Dieu il faut admettre du commun et du propre, bien
qu’il n’y ait pas à admettre de l’universel et du particulier. En effet, pour
qu’il y ait de l’universel et du particulier, il faut qu’il y ait une
différence réelle, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art.
1], entre une quiddité communicable et une existence qui est propre. Et une
telle différence ne se trouve pas en Dieu. Mais il faut y admettre du commun
et du propre de deux manières, à savoir selon la chose, en réalité, et selon
la raison. |
Secundum
rem, sicut dicimus essentiam esse
communem tribus personis, et unamquamque personam distingui per id quod sibi
est proprium. Secundum rationem
autem, sicut quando intellectus noster in divinis accipit aliquid et quantum
ad rationem communem vel indeterminatam, et quantum ad rationem determinatam
et propriam : quia utrumque ad dignitatem pertinet, et ratio generis et ratio
differentiae : sicut in divinis est ratio cognitionis, quae communis est, et
ratio scientiae, quae propria est et determinata ; nec tamen unum est genus
alterius, secundum quod in Deo sunt. Ita dico, quod processio dicitur
secundum rationem communem originis, generatio autem secundum determinatam
originis rationem. Unde se habent sicut commune et proprium ; non tamen sicut
genus et species. |
Selon la chose, comme
nous disons que l’essence est commune aux trois Personnes et que toute
personne se distingue par ce qui lui est propre. Mais selon la raison, comme lorsque notre intelligence admet en Dieu
quelque chose à la fois quant à la notion commune ou indéterminée et quant à
la notion déterminée ou propre : car les deux se rapportent à la
dignité, à la fois la notion de genre et celle de différence : par
exemple en Dieu il y a la notion de connaissance, qui est commune, et la
notion de science qui est propre et déterminée ; et cependant, selon
qu’elles existent en Dieu, l’une n’est pas le genre de l’autre. Ainsi je dis
que la procession se dit selon une notion commune d’origine, et la génération
selon une notion déterminée d’origine. C’est pourquoi elles se présentent
dans le rapport du commun au propre et non dans celui du genre à l’espèce. |
[998] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod processio, secundum quod sumitur in communi
ratione, non condividitur generationi ; sed prout sumitur secundum
determinatum modum processionis, qui Spiritui sancto competit. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que la procession, ne se distingue pas par opposition à
la génération selon qu’on la prend dans sa notion commune mais selon
qu’elle se prend d’après un mode déterminé de procession qui appartient à
l’Esprit-Saint. |
[999] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod frequenter invenimus quod aliquod proprium
denominatur nomine communi ; sicut omne convertibile dicitur proprium, sive
significet quid est res, sive non. Sed tamen hoc nomen sibi specialiter
retinet illud convertibile quod substantiam non significat, quia non addit
aliquid nobilitatis quo nominari possit. Non autem sic dicimus in proposito :
non enim origo spiritus sancti nominatur communi nomine, quia nihil addit
supra rationem, vel minus habet quam generatio Filii, cum Spiritus sanctus
Filio sit aequalis in dignitate. Sed hujusmodi assignantur tres rationes. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu qu’il arrive souvent que quelque chose de propre soit
dénommé par un nom commun, comme tout ce qui est convertible est appelé
propre, qu’il signifie ou non ce qu’est la chose. C’est cependant le
convertible qui ne signifie pas la substance qui retient pour lui ce nom
d’une manière spéciale car il n’ajoute rien de notable par quoi il pourrait
être nommé. Mais ce n’est pas en ce sens que nous parlons dans notre
propos : en effet, l’origine de l’Esprit-Saint n’est pas dénommée par un
nom commun parce qu’elle n’ajoute rien à la nature de la génération du Fils
ou qu’elle lui est inférieure, puisque l’Esprit-Saint est égal au Fils en
dignité. Mais on présente trois raisons pour expliquer cette attribution
qu’on fait à l’Esprit-Saint d’un nom commun. |
Prima est, quia Spiritus sanctus maxime accedit ad
processionem : non enim tantum ipse procedit sicut et Filius, sed a
procedente procedit, quod Filio non competit. |
La première
est que l’Esprit-Saint accède davantage à la procession : en effet,
Lui-même ne procède pas à la manière du Fils, mais Il procède de ce qui
procède, ce qui n’est pas le cas pour le Fils. |
secunda est, quia cum processio dicatur dupliciter,
scilicet secundum motum localem et secundum exitum causati a causa, uterque
modus aliquo modo competit origini Spiritus sancti. |
La deuxième
est que puisque la procession se dit en deux sens, à savoir selon le
mouvement local et selon qu’une effet sort de sa cause, les deux modalités
appartiennent d’une certaine manière à l’Esprit-Saint. |
Inquantum enim
procedit ut persona distincta, sic sua processio habet similitudinem ad
exitum causati a causa. Inquantum autem procedit ut amor, qui tendit [in add. Éd. de Parme] alterum non sicut
in recipiens, sed sicut in objectum, habet similitudinem cum processione
locali, quae est ex aliquo in aliquid. Pater
enim amat Filium amore, qui est Spiritus sanctus. Filio autem non competit
processio nisi secundum unum modum, scilicet exitum a causa. |
En effet,
selon qu’Il procède en tant que personne distincte, ainsi sa procession
ressemble à la sortie d’un effet de sa cause. Mais selon qu’il procède en
tant qu’amour qui se continue [vers add. Éd. de Parme] dans un autre non
pas comme dans ce qui reçoit mais comme dans un objet, alors il ressemble à
une procession locale qui va d’un point à un autre. En effet, c’est par
l’amour qui est l’Esprit-Saint que le Père aime le Fils. Mais il n’y a qu’un
seul mode de procession qui appartient au Fils, à savoir celui qui consiste
pour un effet à sortir de sa cause. |
Tertia ratio (et credo quod melior est) quia in
rebus creatis invenimus aliquid in se subsistens, procedere per modum
naturae, et hoc dicimus generari ; unde secundum hoc potuimus processionem
Filii proprio nomine nominare, scilicet generationis nomine. Sed non
invenimus aliquid in creaturis per se subsistens, procedere per modum amoris,
sicut Spiritus sanctus procedit : et ideo istam processionem non potuimus
nominare nomine proprio, sed tantum communi. |
La troisième
raison (et je crois que c’est la meilleure) est que dans les choses créées
nous découvrons que ce qui subsiste en soi procède par mode de nature et nous
appelons cela être engendré ; par la suite c’est d’après cela que nous
avons pu nommer la procession du Fils au moyen d’un nom propre, à savoir par
le nom de génération. Mais dans les créatures nous n’observons rien qui
subsiste par soi et qui procède par mode d’amour à la manière dont
l’Esprit-Saint procède : et c’est pourquoi nous n’avons pu dénommer
cette procession par un nom propre
mais seulement par un nom commun. |
[1000] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod processio amoris, inquantum hujusmodi, non habet quod
per ipsam natura aliqua communicetur ; sed hoc habet inquantum est in
divinis, ubi non potest esse aliquid imperfectum. Et ideo Spiritus sanctus
secundum rationem processionis, communiter loquendo, non habet quod
communicetur sibi natura ; et ideo talis processio non potest dici generatio
secundum suam propriam rationem. Ex ipsa enim ratione generationis est quod
natura genito communicetur : quamvis enim diversitas rationis non sufficiat
ad realem processionum differentiam, sufficit tamen ad differentem
nominationem. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
procession de l’amour, en tant que telle, n’a pas le pouvoir de communiquer
par elle-même une nature ; mais elle possède ce pouvoir en tant qu’elle
existe en Dieu en qui rien d’imparfait ne peut exister. Et c’est pourquoi il
ne revient pas à l’Esprit-Saint que lui soit communiquée une nature d’après
la notion de procession telle qu’on l’entend communément ; et c’est
pourquoi une telle procession ne peut être appelée génération si on prend ce
terme d’après sa définition propre. En effet, il est de la nature même de la
génération de communiquer une nature à ce qui est engendré : en effet,
bien qu’une différence de définition ne suffise pas à établir une différence
réelle de processions, elle suffit cependant à établir une dénomination
différente. |
[1001] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod natura non est principium processionis Spiritus sancti
sub ratione naturae, sed sub ratione voluntatis, a qua procedit amor ; et
ideo sua processio non dicitur nativitas, cum nativitas a natura dicatur. Nec
tamen ex hoc sequitur quod Spiritus sanctus sit creatura. Voluntas enim
comparatur ut principium ad ipsa principiata, et sic comparatur ad creaturas
; vel ad ipsam rationem principiandi, et sic comparatur ad amorem, qui est
Spiritus sanctus, sicut intellectus ad artem, ut superius dictum est, dist.
10, quaest. 1, art. 3. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la nature n’est pas le principe de la procession
de l’Esprit-Saint sous le rapport de la nature, mais sous le rapport de la
volonté de laquelle l’amour procède ; et c’est pourquoi sa procession
n’est pas appelée naissance, puisque la naissance se dit à partir de la
notion de nature. Et cependant il ne suit pas de là que l’Esprit-Saint soit
une créature. C’est en tant que principe en effet que la volonté se compare à
ce qui en résulte et c’est ainsi qu’elle se compare aux créatures ; ou
bien elle se compare à la notion même de principe et c’est ainsi qu’elle se
compare à l’amour, qui est l’Esprit-Saint, comme l’intelligence se compare à
l’art, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 10, quest. 1, art. 3]. |
|
|
Articulus 4 [1002] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a.
4 tit. Utrum spiritus sanctus debeat dici ingenitus |
Article 4 – Doit-on dire que l’Esprit Saint est inengendré ? |
[1003] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus debet dici ingenitus.
Et primo per auctoritatem Hieronymi in littera. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’on doive dire de l’Esprit-Saint qu’Il est inengendré. Et premièrement en
raison de l’autorité de Saint-Jérôme dans le document. |
[1004] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, terminus infinitus convertitur cum negatione, supposita existentia
subjecti ; sicut non homo, non est homo. Quidquid enim est et non est homo,
est non homo. Sed ingenitus est terminus infinitus. Ergo cum Spiritus sanctus
sit, et non sit genitus, videtur quod sit ingenitus. |
2. Par
ailleurs, un terme infini se convertit avec la négation, une fois supposée
l’existence du sujet ; tout comme un non-homme n’est pas un homme. En
effet, tout ce qui existe et n’est pas un homme est un non-homme. Mais
¨inengendré¨ est un terme infini. Donc, puisque l’Esprit-Saint existe et
qu’Il n’est pas engendré, il semble qu’il soit inengendré. |
[1005] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 3
Praeterea, ingenitum aut dicit relationem, aut absolutum. Sed non dicit
relationem notionalem, quia tunc non posset dici essentia ingenita. Ergo
videtur quod sit de absolutis ; et ita videtur convenire Spiritui sancto. |
3. En outre,
inengendré dit soit une relation, soit un absolu. Mais il ne dit pas une
relation notionnelle, car alors on ne pourrait pas dire de l’essence qu’elle
est inengendrée. Il semble donc que ce soit un terme qui fait partie des
absolus ; et ainsi il semble que ce terme convienne à l’Esprit-Saint. |
[1006] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 s. c. 1
Sed in contrarium est quod dicitur in littera, quod solus pater ingenitus
est. Ergo non spiritus sanctus. |
Cependant : 1. Mais au contraire on dit dans le
document que seul le Père est inengendré. Donc l’Esprit-Saint n’est pas
inengendré. |
[1007] Super
Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod in divinis, proprie loquendo, nihil potest dici privatum
[privative Éd. de Parme] : quia ad
rationem privationis exigitur quod aliquid sit aptum natum habere quod non
habet. Hoc autem Deo competere non potest. Unde oportet quod ingenitus
sumatur negative et non privative. Sed negatio quaedam negat in genere
determinato, et haec habet aliquid simile privationi, inquantum ponitur
aliquod determinatum genus. Est etiam quaedam negatio extra genus ; et haec
est absoluta negatio, quia nullum genus determinat. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’en Dieu, à proprement parler, la privation ne peut être
attribuée à rien [par privation Éd. de
Parme] : car la notion de privation suppose nécessairement qu’une
chose est apte à posséder ce qu’elle ne possède pas. Mais cela ne peut se
rencontrer en Dieu. C’est pourquoi il faut que ¨inengendré¨ se prenne par la
négation et non par la privation. Mais une certaine négation nie quelque
chose dans un genre déterminé, et celle-ci a quelque chose de semblable à la
privation en tant qu’elle pose un genre déterminé. Mais il y a une négation
qui est étrangère à un genre et celle-là est une négation absolue car elle ne
précise aucun genre. |
Dico ergo, quod ingenitus si dicat negationem extra
genus, tunc convenit omni ei quod est et quod non est ab alio per
generationem, sive sit ab aliquo alio sive non, et sive sit creatum sive
increatum ; et secundum hoc possumus dicere Patrem ingenitum, et Spiritum
sanctum, et essentiam divinam, et primas creaturas, quae non exierunt in esse
per generationem. Si autem sit negatio in genere, hoc potest esse dupliciter,
secundum quod in divinis accipitur : vel in genere divinae naturae ; et sic
adhuc convenit Patri, Spiritui sancto et essentiae ; vel in genere principii
in natura divina ; et sic non convenit nisi patri, et tunc erit notio Patris.
Principium enim aliquod potest innotescere aut secundum quod aliquid est ab
illo, et sic Pater innotescit per generationem et spirationem activam : aut
secundum quod non est ab alio, et sic est notio Patris ingenitus. |
Je dis donc
que si ¨inengendré¨ renvoie à une négation étrangère à un genre, alors il
convient à tout ce qui existe et qui ne vient pas d’un autre par mode de
génération, qu’il vienne d’un autre ou non, qu’il soit créé ou incréé ;
et en ce sens nous pouvons dire que le Père, l’Esprit-Saint, l’essence divine
et les premières créatures qui ne sont pas venues à l’existence par mode
génération, sont tous inengendrés. Mais si on parle d’une négation qui est
dans un genre, cela peut exister de deux manières selon qu’on le prend en
Dieu : soit dans le genre de la nature divine et ainsi ce terme convient
ce terme s’attribue encore au Père, à l’Esprit-Saint et à l’essence ;
soit dans le genre du principe dans la nature divine et alors ce terme
n’appartient qu’au Père et alors il sera la notion même de Père. Un principe
en effet peut se faire connaître soit selon qu’une chose vient de lui et
ainsi le Père se fait connaître par la génération et par la spiration
active ; soit selon qu’il ne vient pas d’un autre et ainsi ¨inengendré¨
est la notion de Père. |
[1008] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod Hieronymus accipit ingenitum, idest non genitum,
secundum quod negatio est extra genus ; vel in genere divinae naturae, et non
in genere principii. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que Saint-Jérôme prend inengendré, c’est-à-dire
non-engendré, comme une négation étrangère à un genre ou comme étant dans le
genre de la nature divine et non dans le genre de principe. |
[1009] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod negatio termini infiniti non est negatio in aliquo
genere determinato, sed tantum in genere entis ; et ideo potest dici de omni
ente cui non convenit affirmatio : sed negatio quae negat in aliquo genere
determinato, non potest dici extra illud genus. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la négation présente dans un terme infini n’est pas
une négation dans un genre déterminé, mais seulement dans le genre de
l’être ; et c’est pourquoi elle peut se dire de tout être auquel
l’affirmation ne se vérifie pas : mais la négation qui nie dans un genre
déterminé ne peut se dire en dehors de ce genre. |
[1010] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod ingenitus, secundum quod convenit tantum Patri, dicit
notionem Patris ; et sic non convenit essentiae. Secundum autem quod convenit
essentiae et Spiritui sancto, non dicit aliquam notionem, nec etiam aliquid
de absolutis, quia sic etiam conveniret Filio ; sed removet notionem quamdam,
scilicet generationem passivam. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que ¨inengendré¨, en tant que ce terme convient
seulement au Père, signifie la notion de Père et en ce sens il ne convient
pas à l’essence. Mais selon que ce terme convient à l’essence et à
l’Esprit-Saint, il ne signifie pas une notion ni même un des absolus car
alors il conviendrait même au Fils ; mais il exclut cependant une
certaine notion, à savoir celle de génération passive. |
|
|
Distinctio 14 |
Distinction 14 – [La procession de l’Esprit Saint – suite] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad
intellectum hujus partis tria quaeruntur: primo de processione temporali secundum
se. Secundo ratione cujus Spiritus sanctus
temporaliter procedere dicatur, vel secundum quid fiat. Tertio a quo fiat. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum sit aliqua temporalis processio
Spiritus sancti ; 2 utrum
ponat in numerum cum aeterna. |
Pour comprendre cette partie, nous faisons
porter nos interrogations sur trois points : Premièrement sur la procession
temporelle en elle-même. Deuxièmement sur la raison pour laquelle
nous disons que l’Esprit-Saint procède temporellement et selon laquelle elle
se produit. Troisièmement sur ce d’où elle est
produite. Et sur le premier point nous posons deux
interrogations : 1. Est-ce qu’il existe une procession
temporelle de l’Esprit-Saint ? 2. Est-ce qu’elle est numériquement
distincte de celle qui est éternelle ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La procession temporelle en soi] |
|
|
Articulus 1
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 tit. Utrum aliqua processio Spiritus sancti sit
temporalis. |
Article 1 – Y a-t-il une procession de l’Esprit Saint qui est temporelle ? |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur
quod nulla processio Spiritus sancti sit temporalis. Sicut enim generatio est
proprietas aeterna Filii secundum quam distinguitur a Patre, ita processio
Spiritus sancti est proprietas secundum quam distinguitur a Patre et Filio.
Sed generatio Filii non dicitur temporalis nisi secundum naturam assumptam.
Cum igitur Spiritus sanctus nullam assumpserit naturam, nec assumet, videtur
quod nulla sit ejus processio temporalis. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’aucune procession de l’Esprit-Saint ne soit temporelle. En effet, tout
comme la génération est une propriété éternelle du Fils selon laquelle il se
distingue du Père, de même la procession de l’Esprit-Saint est une propriété
selon laquelle Il se distingue du Père et du Fils. Mais on ne dit de la
génération du Fils qu’elle est temporelle que selon la nature qu’il a prise.
Donc, puisque l’Esprit-Saint n’aura pris et ne prendra aucune nature, il semble qu’aucune
procession temporelle ne lui appartienne. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne
illud cui convenit aliquid temporaliter, est mutabile vel variabile. Hoc
autem Spiritui sancto non convenit, cum sit verus Deus. Ergo nec temporalis
processio. |
2. Par
ailleurs, tout ce à quoi appartient quelque chose selon le temps, cela même
est changeant et variable. Mais le changement ne peut s’attribuer à
l’Esprit-Saint puisqu’il est Dieu en vérité. On ne peut donc lui attribuer
non plus une procession temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea,
secundum philosophum Lib. De causis, prop.31, inter rem cujus substantia et
operatio est in tempore, et inter rem cujus substantia et operatio est in
momento aeternitatis, est res media, cujus operatio est in tempore, et
substantia in aeternitate. Rem autem illam, cujus substantia et operatio est
in aeternitate, dicit substantias separatas, et praecipue Deum. Cum igitur
processio sit operatio ipsius Dei, sive active sive passive intelligatur,
videtur quod non sit in tempore, et ita nec temporalis dici debeat. |
3. En outre,
d’après le Philosophe [Livre des Causes,
prop. 31], entre la réalité dont la substance et l’opération sont dans le
temps et celle dont la substance et l’opération sont dans le moment de
l’éternité, il y a une réalité intermédiaire dont l’opération est dans le
temps et dont la substance est dans l’éternité. Mais il dit de ces réalités
dont la substance et l’opération sont dans l’éternité, et surtout de Dieu,
qu’elles sont des substances séparées. Donc puisque le procession est une
opération de Dieu lui-même, qu’on la prenne activement ou passivement, il
semble qu’elle ne soit pas dans le temps et qu’elle ne doive pas non plus
être appelée temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea,
illud quod elevat hominem supra tempus, non potest dici temporale. Sed per
processionem Spiritus sancti in hominem elevatur homo supra omnia temporalia:
quia, secundum Augustinum, IV De Trinit., cap. XX, § 28, inquantum aliquod
aeternum mente capimus, non in hoc mundo sumus. Ergo non debet dici
temporalis. |
4. De plus, ce
qui élève l’homme au-dessus du temps ne peut être appelé temporel. Mais par
la procession de l’Esprit-Saint dans l’homme, l’homme est élevé au-dessus de
tout ce qui est temporel : car selon Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, & 28], dans la mesure où nous
saisisson quelque chose d’éternel par notre intelligence, nous ne sommes pas
en ce monde. La procession de l’Esprit-Saint ne doit donc pas être appelée
temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, in
processione temporali, quae etiam missio dicitur, includitur intellectus
processionis aeternae, secundum Augustinum, De Trinit., cap. XV et XVI, col.
921, et II De Trinit., cap. V col. 848 Sed denominatio debet fieri a
digniori. Igitur etsi in processione esset aliquid temporale, non deberet
dici temporalis, sed aeterna. |
5. Aussi,
selon Augustin [V De la Trinité,
ch. XV et XVI, col. 921, t. VIII et 11
De la Trinité, ch. V col. 848] dans
la procession temporelle qu’on appelle aussi mission est comprise
l’intelligence de la procession éternelle. Mais la dénomination doit provenir
de ce qui est plus digne. Donc, bien que dans la procession il y ait quelque
chose de temporel, elle ne doit pas être appelée temporelle, mais plutôt
éternelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contrarium
dicitur per auctoritates in Littera. |
Cependant : 1. Mais
plusieurs autorités disent le contraire dans le document. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea,
contingit aliquem ex tempore habere Spiritum sanctum, qui prius non habuit.
Sed Spiritus sanctus non habetur nisi ut procedens a Patre et Filio, cum sit
donum utriusque. Ergo est ejus aliqua processio temporalis, secundum quam
procedit ad sanctificandum creaturam, ut in littera dicitur. |
2. De plus, il
est possible que quelqu’un reçoive l’Esprit-Saint dans un temps déterminé
alors qu’il ne Le possédait pas antérieurement. Mais l’Esprit-Saint n’est
dans un homme qu’en tant qu’Il procède du Père et du Fils, puisqu’il est un
don qui vient des deux. Il y a donc une procession de l’Esprit-Saint qui est
temporelle et selon laquelle il procède à la sanctification de la créature,
ainsi qu’on le dit dans le document. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod quamvis in personis divinis, proprie loquendo, dicatur
processio secundum rationem exitus a principio, qui non necessario tendit in
aliud, tamen processio Spiritus sancti ex modo suae processionis habet,
inquantum scilicet procedit ut amor, quod in alium tendat, scilicet in
amatum, sicut in objectum. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que bien que dans les Personnes divines, la procession se dit
à proprement parler selon la notion de ce qui sort d’un principe et qui ne
tend par nécessairement vers un autre, cependant la procession de
l’Esprit-Saint tient du mode même de sa procession, à savoir selon qu’Il
procède en tant qu’amour, qu’il tende vers un autre, c’est-à-dire vers ce qui
est aimé comme vers son objet. |
Et quia
processiones personarum aeternae, sunt causa et ratio totius productionis
creaturarum, ideo oportet quod sicut generatio Filii est ratio totius
productionis creaturae secundum quod dicitur Pater in Filio omnia fecisse,
ita etiam amor Patris tendens in Filium ut in objectum, sit ratio in qua Deus
omnem effectum amoris creaturis largiatur ; et inde est quod Spiritus
sanctus, qui est amor quo Pater amat Filium, est etiam amor quo amat
creaturam impartiendo sibi suam perfectionem. |
|
Poterit ergo
processio istius amoris dupliciter considerari: vel secundum
quod tendit in objectum aeternum, et sic dicetur aeterna processio, vel secundum
quod procedit ut amor in objectum creatum, inquantum scilicet per illum
amorem, creaturae aliquid a Deo confertur ; et sic dicetur processio
temporalis, ex eo quod ex novitate effectus consurgit nova relatio creaturae
ad Deum, ratione cujus oportet Deum sub nova habitudine ad creaturam
significari, ut patet in omnibus quae de Deo ex tempore dicuntur. |
La procession
de cet amour pourra donc être considéré de deux manières : Soit selon
qu’elle tend vers son objet éternel et ainsi on dira de la procession qu’elle
est éternelle. Soit selon
qu’elle procède en ant qu’amour vers l’objet créé, c’est-à-dire en tant que
par cet amour quelque chose est donné par Dieu à la créature ; et ainsi
on dira de la procession qu’elle est temorelle du fait qu’une nouvelle
relation de la créature à Dieu naît de la nouveauté de l’effet, par la raison
dont il faut que Dieu soit signifié à l’égard de la créature sous un nouveau
rapport, ainsi qu’on le voit pour tout ce qui se dit au sujet de Dieu à
partir du temps. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod generatio de ratione sui non dicit respectum nisi ad eum a quo
est generatio. Hoc autem dupliciter potest esse in Filio: aut sicut a quo
accipit divinam naturam, et sic est generatio aeterna a Patre ; aut sicut a quo
accipit naturam humanam, et sic est temporalis generatio a matre. Processio
autem Spiritus sancti, ut dictum est, dist. 13, quaest. unica, art. 2, non
solum dicit respectum ad principium a quo procedit, secundum quem aeterna
tantummodo est, sicut et generatio ; sed etiam importat respectum ad eum in
quem procedit, secundum quem temporalis dici potest. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que la génération, de par sa définition ne signifie un
rapport qu’à celui d’où procède la génération. Mais cela peut exister dans le
Fils de deux manières : Soit comme de
celui d’où Il reçoit la nature divine, et ainsi la génération vient du Père
de toute éternité ; Soit comme de
celui d’où il reçoit la nature humaine et en ce sens la génération qui vient
de la mère est temporelle. Mais la procession de l’Esprit-Saint, comme nous
l’avons dit plus haut [dist. 13, quest. unique, art. 2], ne dit pas seulement
un rapport au principe d’où Il procède et selon lequel la procession est
seulement éternelle, tout comme la génération ; mais cette procession
implique aussi un rapport à celui vers lequel elle procède et selon lequel
elle peut être appelée temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod inquantum per amorem, qui est Spiritus sanctus, aliquod donum
creaturae confertur, nulla mutatio vel variatio fit in ipso amore, sed in eo
cui per amorem aliquid datur ; si tamen mutatio, et non potius perfectio dici
debet. Et ideo ille temporalis respectus non ponitur circa Spiritum sanctum
realiter, sed solum secundum rationem ; realiter autem in creatura quae
mutatur ; sicut fit cum dicitur Deus Dominus ex tempore. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que dans la mesure où un don est tranmis à la créature
par l’amour qui est l’Esprit-Saint, aucun changement ou aucune variation ne
se produit dans l’amour lui-même, mais seulement dans celui auquel quelque
chose est donné par l’amour, si cependant cela doit être appelé un changement
et non pas plutôt une perfection. Et c’est pourquoi ce rapport temporel n’est
pas attribué à l’Esprit-Saint comme
étant réel, mais seulement selon la raison ; mais il est attribué à la
créature qui change comme étant réel, tout comme cela se produit lorsque nous
disons de Dieu qu’Il est Seigneur pour nous qui existons dans le temps. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod operatio divina dupliciter potest considerari: vel ex parte
operantis, et sic est aeterna ; vel quantum ad
effectum operationis, et sic potest esse temporalis. Sed tamen quia Deus non
agit per operationem quae sit media inter ipsum et operatum, sed sua operatio
est in ipso et est tota sua substantia ; ideo operatio ejus essentialiter
aeterna est, sed effectus temporalis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que l’opération divine peut être considérée de deux manières : Soit du côté de celui qui pose
l’opération et en ce sens elle est éternelle ; Soit quant à l’effet de
l’opération et en ce sens elle peut être temporelle. Mais parce que Dieu n’agit
par au moyen d’une opération qui serait un intermédiaire entre lui et l’effet
de l’opération, mais que son opération et en Lui et qu’elle est toute sa
substance, c’est pourquoi son opération est essentiellement éternelle, mais
son effet est temporel. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod aliquid potest dici temporale multipliciter: vel quia
subjacet variationi temporis, et hoc modo processio non dicitur temporalis,
etiam quantum ad effectum gratiae ; vel quia habet
initium in tempore, et sic gratia dicitur temporalis, et eadem ratione
processio ratione effectus. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’une chose peut être dite temporelle de plusieurs
manières : Soit parce
qu’elle est soumise à la variation du temps et en ce sens la procession ne
peut être dite temporelle, même quant à l’effet de la grâce ; Soit parce
qu’elle a un commencement dans le temps et en ce sens la grâce est dite
temporelle, et pour la même raison la procession en raison de l’effet. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod aliquod conjunctum non potest affirmari nisi pro utraque
parte, sed negari potest pro altera parte tantum ; sicut patet in veritate et
falsitate copulativae propositionis. Et quia temporale claudit in se quamdam
negationem cum affirmatione, scilicet aliquando esse et prius non fuisse,
aeternum autem importat tantum affirmationem essendi ; ideo conjunctum non
potest dici aeternum, nisi utrumque aeternum sit ; temporale autem dici
potest, etiam si alterum tantum sit temporale, sicut creator importat divinam
operationem et connotat effectum in creatura actualiter, ratione cujus Deus
non dicitur creator ab aeterno sed ex tempore. |
5. Il faut dire en cinquième lieu qu’une proposition double ne
peut être affirmée que pour les deux parties mais peut être niée pour une
partie seulement, ainsi qu’on peut le voir pour la vérité et la fausseté
d’une proposition copulative. Et parce que le temporel renferme en lui une
certaine négation avec une affirmation, c’est-à-dire ce qui vient enfin à
exister sans avoir existé antérieurement, l’éternel implique cependant
uniquement l’affirmation de l’existence ; c’est pourquoi ce qui est
double ne peut être appelé éternel que si les deux parties le sont, mais il
peut être appelé temporel même si seulement une des parties est
temporelle ; par exemple, la notion de créateur implique une opération
divine et fait connaître un effet en acte dans la créature, en raison de quoi
Dieu n’est pas appelé créateur de toute éternité, mais à partir d’un temps
déterminé. |
|
|
Articulus 2
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 tit. Utrum processio temporalis distinguatur realiter
ab aeterna |
Article 2 – La procession temporelle se distingue-t-elle réellement de la procession éternelle ? |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod temporalis processio ponat in numerum cum aeterna, ut sit alia et alia
processio. Aeternum enim et temporale non possunt idem esse in essentia. Sed
quae differunt per essentiam, simpliciter multiplicantur et numerantur. Ergo
aeterna processio et temporalis simpliciter sunt duae. |
Difficultés : 1. Il semble
que la procession temporelle soit numériquement différente de celle qui est
éternelle, de sorte de sorte que l’une soit réellement différente de l’autre.
En effet, l’éternel et le temporel ne peuvent être identiques par l’essence.
Mais les choses qui diffèrent par l’essence se multiplient et se comptent
absolument parlant. Donc la procession éternelle et celle qui est temporelle
sont réellement deux processions absolument différentes. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, idem non
est signum sui ipsius. Sed processio temporalis, secundum Augustinum, lib. V
De Trinit., XV est signum aeternae. Ergo non sunt una processio. |
2. En outre,
une même chose n’est pas signe d’elle-même. Mais la procession temporelle,
d’après Augustin [V De la Trinité,
ch. XV], est le signe de celle qui est éternelle. Les deux ne sont donc pas
une seule et même procession. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, cum
una dicatur processio aeterna et alia temporalis, aut hoc erit quia
essentialiter differunt, aut quia una addit super aliam. Sed aeterna non
potest addere supra temporalem, quia sic temporalis esset naturaliter prior
aeterna ; nec etiam temporalis potest se habere ex additione ad aeternam, cum
aeterno, quia perfectum est, nihil sit addibile. Ergo relinquitur quod
essentialiter differant, et ita simpliciter sunt duae. |
3. Par
ailleurs, puisque l’une des processisons est appelée éternelle et que l’autre
est appelée temporelle, il en sera ainsi soit parce qu’elles diffèrent
essentiellement, soit parce que l’une ajoute à l’autre. Mais la procession
éternelle ne peut ajouter à celle qui est temporelle car ainsi celle qui est
temporelle serait naturellement antérieure à celle qui est éternelle ;
et aussi la procession qui est temporelle ne peut se prendre par addition à
celle qui est éternelle car à l’éternel, parce qu’il est parfait, rien ne
peut être ajouté. Il reste donc que les deux processions diffèrent
essentiellement et qu’alors elles sont deux processions absolument
différentes. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, sicut Filius se habet ad generationem passivam, ita et Spiritus
sanctus ad processionem passivam. Sed propter aeternam generationem et temporalem, Filius dicitur
habere duas nativitates et bis natus. Ergo et Spiritus sanctus dicitur habere
duas processiones |
4. En outre,
ce que le fils est à la génération passive, l’Esprit-Saint l’est à la
procession passive. Mais à cause de la génération éternelle et de celle qui
est temporelle, on dit du Fils qu’il possède deux naissances et qu’il est né
deux fois. On dit donc de l’Esprit-Saint qu’il possède deux processions. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 5
Contra, processio ponit aliquid in ipso procedente. Sed processio temporalis, inquantum est
temporalis, nihil ponit circa Spiritum sanctum. Ergo oportet quod in
processione temporali essentialiter includatur aeterna. Ergo non differunt
essentialiter, nec simpliciter sunt plures. |
5. Au
contraire, la procession pose quelque chose dans celui-là même qui procède.
Mais la procession temporelle, en tant qu’elle est temporelle, n’affirme rien
au sujet de l’Esprit-Saint. Il faut donc que la procession éternelle soit
incluse essentiellement dans la procession temporelle. Elles ne diffèrent
donc pas essentiellement et elles ne sont pas absolument différentes. |
lib. 1 d. 14
q. 1 a. 2 arg. 6 Item, ea quae non sunt ejusdem rationis, non connumerantur
ad invicem. Sed
temporale et aeternum non sunt ejusdem rationis. Ergo non potest dici quod
sint duae processiones, temporalis et aeterna. |
6. De plus, les
choses qui n’appartiennent pas à une même définition ne sont pas comptées
comme faisant partie d’un même ensemble. Mais le temporel et l’éternel
n’appartiennent pas à une même définition. On ne peut donc dire qu’il y ait
deux processions, l’une temporelle et l’autre éternelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod cum processio semper dicat respectum procedentis ad illum a
quo procedit, Spiritus sanctus autem ad Patrem non refertur nisi relatione
aeterna ; oportet quod nulla processio Spiritus sancti sit alia essentialiter
ab aeterna ; sed potest sibi advenire aliquis respectus alius ex parte ejus
in quem est, sicut in amatum, et ratione illius dicitur temporalis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que puisque la procession signifie toujours un rapport de
celui qui procède à celui duquel il procède, mais que l’Esprit-Saint ne se
rapporte au Père que par une relation
éternelle, il faut qu’aucune procession de l’Esprit-Saint ne soit
essentiellement différente de celle qui est éternelle ; mais il pouet
lui advenir un rapport différent du côté de celui dans lequel il est comme
dans l’objet aimé, et c’est en raison de ce rapport qu’on dit de la
procession qu’elle est temporelle. |
Dicendum ergo,
quod est una processio essentialiter propter respectum unum procedentis ad id
a quo procedit, quem principaliter importat. Processio autem est duplex, vel
gemina, ratione duorum respectuum in duo objecta, scilicet in aeternum et
temporale: quorum unus, scilicet aeternus, realiter est in ipso procedente ;
alius autem secundum rationem tantum in Spiritu sancto, sed secundum rem in
eo in quem procedit. Horum tamen respectuum primus includitur in secundo,
sicut ratio et causa ejus ; unde secundus se habet ex additione ad primum. |
Il faut donc
dire qu’il n’y a essentiellement qu’une seule procession à cause de l’unique
rapport de celui qui procède par rapport à celui d’où il procède qu’elle
implique principalement. Mais la procession est double ou forme un couple, en
raison de deux rapports à deux objets, à savoir à l’éternel et au
temporel : dont le premier, à savoir l’éternel, existe réellement dans
celui-là même qui procède ; mais l’autre n’existe dans l’Esprit-Saint
que selon la raison mais réellement dans celui dans lequel Il procède.
Cependant, parmi ces deux rapports, le premier est compris dans le second
comme sa raison et sa cause ; c’est pourquoi le second rapport se prend
par addition à l’égard du premier. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod processio non dicitur temporalis secundum id quod est, sed
ratione respectus ad creaturam, temporalis dicitur, ut dictum est, art. 1
hujus quaest. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la procession n’est pas appelée temporelle
selon ce qu’elle est en elle-même, mais c’est en raison du rapport à la
créature qu’elle est dite temporelle, ainsi que nous l’avons dit dans
l’article premier de cette question. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod processio temporalis dicitur esse signum aeternae, quantum ad
effectum ex quo consurgit respectus ille temporalis secundum quem processio
temporalis dicitur. Effectus autem hujus processionis est amor gratuitus, qui
est similitudo quaedam amoris increati, qui est Spiritus sanctus, et per
consequens signum ejus. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu qu’on dit de la procession temporelle qu’elle est le
signe de celle qui est éternelle quant à l’effet à partir duquel apparaît ce
rapport temporel d’après lequel la procession est appelée temporelle. Mais
l’effet de cette procession est l’amour gratuit qui est une certaine
ressemblance de l’amour incréé, lequel est l’Esprit-Saint ; et par
conséquent cet amour gratuit est le signe de l’amour incréé. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod quamvis aeterno secundum rem nihil sit addibile ; nihilominus tamen
aeternum potest intelligi in aliqua habitudine se habere ad aliquod
temporale: quae tamen habitudo non ponitur realiter circa ipsum aeternum, ut
dictum est. Et quia intellectus potest repraesentari per nomen, quia voces
sunt notae earum quae sunt in anima passionum, ut lib. I Perih., ideo potest
aeterno imponi aliquod nomen, prout intelligitur sub illa habitudine, sicut
Deus dicitur Dominus ex tempore. Ita etiam dicitur processio temporalis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que bien qu’à l’éternel selon la chose rien ne puisse
être ajouté, néanmoins cependant l’éternel peut se comprendre comme étant
dans un certain rapport à quelque chose de temporel : lequel rapport
n’est cependant pas affirmé comme existant réellement dans l’éternel
lui-même, ainsi que nous l’avons dit. Et parce que le concept peut être
représenté par un nom, car les sons de voix sont les signes de ces passions
qui sont dans l’âme comme on le dit au premier livre du Peri Hermeneias, c’est pourquoi on peut imposer un nom à
l’éternel en tant qu’il est compris sous ce rapport, tout comme c’est à
partir du temps qu’on dit de Dieu qu’Il est Seigneur. Et c’est encore de la
même manière qu’on peut dire de la procession qu’elle est temporelle. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod generatio Filii temporalis et aeterna distinguuntur etiam
secundum respectum ad principium a quo sunt, quia aeterna est a Patre et
temporalis a matre, et secundum diversas naturas ; et ideo una realiter non
est alia. Sed de processione non est simile, ut dictum est, art. antec |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la génération temporelle du Fils se distingue
aussi de celle qui est éternelle selon le rapport au principe d’où elles
viennent, car la génération éternelle vient du Père et celle qui est
temporelle vient de la mère, et ces deux générations résultent en des natures
différentes ; et c’est pourquoi l’une diffère réellement de l’autre.
Mais il n’en est pas de même pour la procession ainsi que nous l’avons dit
dans l’article précédent. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 5
Quintum concedimus. |
5. Nous
concédons la cinquième difficulté. |
lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod processio temporalis et aeterna, consideratae secundum
respectum procedentis ad principium, a quo est, sunt omnino idem, nedum
ejusdem rationis ; et ex hac parte non numerantur. Sed consideratae secundum
respectum ad id in quod est processio per modum dictum, non sunt ejusdem
rationis, scilicet per univocationem, sed analogice ; quia unum est ratio
alterius ; et ita possunt connumerari: sicut etiam dicimus Deum et hominem
duas res. |
6. Il faut
dire en sixième lieu que la procession temporelle et celle qui est éternelle,
considérées d’après le rapport de celui qui procède au principe d’où il
procède, sont absolument identiques et non seulement d’une même
définition ; et de ce côté elles ne se distinguent pas par le nombre.
Mais si on les considère d’après le rapport à ce dans quoi la procession
existe de la manière que nous avons dite, elles n’appartiennent pas à une
même définition, c’est-à-dire que procession n’est plus ici un mot univoque,
mais un mot analogue ; car l’une est la raison de l’autre ; et en
ce sens elles se distinguent par le nombre, tout comme nous disons encore que
Dieu et l’homme sont deux réalités distinctes. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [En raison de qui dit-on que l’Esprit Saint procède temporellement, ou selon quoi cela se produit-il ?] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
lib. 1 d. 14 q.
2 pr. Deinde quaeritur, secundum quid attendatur processio temporalis, et
circa hoc duo quaeruntur: 1 utrum ipse
Spiritus sanctus secundum processionem temporalem detur, vel tantum dona
ejus, vel utrumque. Et si utrumque,
quaeritur, secundum quae dona dicatur Spiritum sanctum dari vel procedere
temporaliter |
On se demande ensuite selon quoi s’étend la
procession temporelle et à ce sujet on pose deux questions : 1. Est-ce
l’Esprit-Saint lui-même, ses dons, ou les deux à la fois qui sont donnés
selon la procession temporelle ? 2. Et si ce
sont les deux qui sont donnés, selon quels dons dit-on de l’Esprit-Saint
qu’Il est donné ou qu’Il procède temporellement ? |
|
|
Articulus 1
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus temporaliter detur |
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné temporellement ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
|
lib. 1 d. 14 q. 2
a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ipse Spiritus sanctus non procedat
temporaliter vel detur. Illud enim quod secundum se est ubique non videtur
usquam secundum se procedere. Sed Spiritus sanctus, cum sit Deus, est ubique.
Ergo non potest in quemquam procedere. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’Esprit-Saint ne procède pas ou n’est pas donné temporellement. En
effet, ce qui en soi-même est partout ne semble pas en soi-même procéder en
quelque lieu. Mais l’Esprit-Saint, puisqu’Il est Dieu, est partout. Il ne
peut donc pas procéder en quelque lieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Si
dicas, quod potest esse secundum aliquem modum in aliquo secundum quem prius
non erat, adhuc habetur propositum ; quia, secundum Dionysium, De div. nom.,
c. III, col. 679, et auctorem [philosophum Éd. Mandonnet] Lib. De causis
prop. 24. Deus eodem modo se habet ad omnia, quamvis non omnia eodem modo se
habeant ad ipsum. Sed iste modus diversus in creaturis est ex diversis
perfectionibus quas ex Deo consequuntur. Ergo videtur quod [ex add. Éd. de
Parme] hoc quod Spiritus sanctus dicatur [dicitur Éd. de Parme] aliter esse
in isto quam prius, non sit [fuit, non Éd. de Parme] propter aliud est nisi
quia aliquem effectum consequitur iste quem prius non consequebatur: et sic
tota datio vel processio refertur ad dona, et non ad ipsum Spiritum sanctum |
2. Si tu dis
qu’il peut procéder en un endroit d’une certaine manière selon laquelle il
n’était pas antérieurement, la question demeure ; car selon Denys [Les Noms Divins, ch. 111, col. 679] et
l’auteur [le philosophe Éd. Mandonnet]
dans son livre Sur les Causes,
proposition 24, Dieu est toujours de la même manière face à tout, bien que ce
ne soient pas tous les êtres qui se présentent toujours de la même manière
par rapport à Dieu. Mais ces manières d’être différentes qu’on retrouve dans
les créatures proviennent de perfections différentes qu’elles poursuivent et
qui viennent de Dieu. Il semble donc que [à partir de Éd. de Parme] cela même qu’on dise [dit Éd. de Parme] de
l’Esprit-Saint qu’Il soit autrement dans celui-ci qu’Il ne l’était
antérieurement ne soit [était Éd. de
Parme] pas parce qu’Il est autre,
si ce n’est parce que celui-ci poursuit un effet qu’il ne poursuivait pas
antérieurement : et ainsi toute la donation ou la procession se rapporte
aux dons et non à l’Esprit-Saint lui-même. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Item, ut
dictum est, in hac dist., quaest. 1, art. 2, processio temporalis nihil
secundum rem addit ex parte ipsius procedentis ad processionem aeternam. Sed
secundum processionem aeternam ipse Spiritus sanctus non procedit in aliquam
creaturam. Ergo nec secundum
temporalem, quantum ex parte ipsius Spiritus sancti, sed solum quantum ad
dona ipsius. |
3. En outre,
ainsi que nous l’avons déjà dit [dist. 14, quest. 1, art. 2], la procession
temporelle n’ajoute rien en réalité du côté de celui-là même qui procède en regard de la procession éternelle. Mais
selon la procession éternelle l’Esprit-Saint lui-même ne procède pas dans une
créature. Donc, Il n’y procède pas davantage selon la procession temporelle
en tant qu’Esprit-Saint lui-même, mais seulement en tant que dons qui
viennent de Lui. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4
Praeterea, constat quod virtus infusa non est deficientior in operibus
meritoriis, quam virtus acquisita in operibus politicis. Sed virtus acquisita
sufficienter dirigit hominem in omnibus civilibus. Ergo infusa in omnibus
meritoriis. Non igitur oportet, ut videtur, quod cum virtute infusa ipse
Spiritus sanctus detur, sed vel solus Spiritus sanctus, vel sola virtus. |
4. De plus, il
est clair que la vertu infuse n’est
pas plus faible dans les œuvres méritoires que la vertu acquise dans les
œuvres politiques. Mais la vertu acquise guide suffisamment l’homme dans
toutes les activités civiles. Donc la vertu infuse dirige suffisamment
l’homme dans toutes les œuvres méritoires. Il ne faut donc pas, comme on le
voit, que ce soit l’Esprit-saint lui-même qui soit donné avec la vertu
infuse, mais plutôt soit seulement l’Esprit-Saint, soit seulement la vertu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Contra,
Rom. 5, 5, dicitur: caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum
sanctum, qui datus est nobis. Ergo videtur quod utrumque detur. |
Cependant : 1. Au
contraire, l’Apôtre dit [Romains 5,
5] : L’amour de Dieu a été répandu
dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. Il semble donc
que ce soient les deux qui ont été donnés. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2
Praeterea, amor habet rationem primi doni, quia in ipso omnia ex liberalitate
conferuntur. Cum igitur Spiritus sanctus sit amor, videtur quod habeat
rationem doni. Sed non nisi quia datur. Ergo videtur quod ipse Spiritus sanctus
detur. |
2. De plus,
l’amour a raison de premier don car c’est en lui que tous les autres sont
attribués par pure bonté. Donc puisque l’Esprit-Saint est amour, il semble
qu’il ait raison de don. Mais cela n’est possible que parce qu’Il est donné.
Il semble donc que l’Esprit-Saint lui-même soit donné. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2.
|
lib. 1 d. 14 q.
2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur circa hoc, si utrumque datur, quid per
prius datur. Et videtur quod Spiritus sanctus: quia per ipsum dantur alia, et
quia habet rationem primi doni. |
Difficulté : 1. On se
demande par la suite à ce sujet, si ce sont les deux qui sont donnés, ce qui
est donné en priorité. Et il semble que ce soit l’Esprit-Saint : parce
que c’est à travers Lui que les autres dons sont donnés, et parce qu’Il a
raison de premier don. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed e
contrario videtur quod dona per prius. Quia dona ipsius disponunt nos ad hoc
quod ipsum habeamus. Dispositio
autem prior est eo ad quod disponit. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Mais au
contraire il semble que ce soient les dons qui sont attribués en priorité.
Car ses dons nous disposent à Le recevoir. Mais la disposition est antérieure
à ce à quoi elle dispose. Donc, etc. |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1.
|
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ipsemet Spiritus
sanctus procedit temporali processione, vel datur, et non solum dona ejus. Si
enim consideremus processionem Spiritus sancti ex parte ejus a quo procedit,
non est dubium quin secundum illum respectum ipsemet Spiritus sanctus
procedat. Si autem consideremus processionem secundum
respectum ad id in quo procedit, tunc, sicut dictum est, in hac dist.,
quaest. 1, art. 1, respectus
iste in Spiritu sancto ponitur, non quia ipse realiter referatur, sed quia
alterum refertur ad ipsum. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que c’est l’Esprit-Saint lui-même qui procède ou qui est
donné selon une procession temporelle, et non seulement ses dons. Si en effet
nous considérons la procession de l’Esprit-Saint du côté de celui d’où Il
procède, il n’y a pas de doute que sous ce rapport c’est l’Esprit-Saint
lui-même qui procède. Mais si nous considérons la procession sous le rapport
de ce en quoi Il procède, alors, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction
[quest. 1, art. 1], ce rapport est posé dans l’Esprit-Saint non pas parce que
Lui-même se rapporte réellement à autre chose, mais parce que quelque chose
d’autre se rapporte à Lui. |
Cum igitur in
acceptione donorum ipsius non solum relatio nostra terminetur ad dona, ut
ipsa tantum habeamus, sed etiam ad Spiritum sanctum, quia aliter ipsum
habemus quam prius ; non tantum dicentur dona ipsius procedere in nos, sed
etiam ipsemet ; secundum hoc enim ipse dicitur referri ad nos, secundum quod
nos referimur in ipsum. Et ideo procedit ipse in nos et dona ipsius: quia et
dona ejus recipimus et per eadem ad ipsum nos aliter habemus, inquantum per
dona ejus ipsi Spiritui sancto conjungimur, [vel ille nobis add. Éd. de
Parme], per donum nos sibi assimilanti [assimilans Éd. de Parme]. |
Donc puisque
dans la réception de ses dons notre relation ne se termine pas seulement à
ses dons de sorte que nous ne posséderions que les dons eux-mêmes, mais aussi
à l’Esprit-Saint car c’est Lui-même que nous possédons d’une manière qui est autre qu’antérieurement ; ce
ne sont pas seulement ses dons dont on dit qu’ils procèdent en nous, mais
aussi Lui-même ; on dit en effet qu’Il se rapporte à nous selon que nous
nous rapportons à Lui. Et c’est pourquoi Lui-même procède en nous avec ses
dons : car en même temps que nous recevons ses dons, par eux nous nous
présentons à Lui différemment, selon qu’au moyen de ses dons nous nous
unissons à l’Esprit-Saint Lui-même [ou Lui-même à nous add. Éd. de Parme], Lui étant rendus semblables par le don
[rendant semblable Éd. de Parme]. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod cum dicitur Deus esse ubique, importatur quaedam
relatio Dei ad creaturam, quae quidem realiter non est in ipso, sed in
creatura. Contingit autem ex parte creaturae istas relationes multipliciter
etiam diversificari secundum diversos effectus quibus Deo assimilatur ; et
inde est quod significatur ut aliter se habens ad creaturam quam prius. Et
propter hoc Spiritus sanctus, qui ubique est secundum relationem aliquam
[aliquam om. Éd. de Parme] creaturae ad ipsum, potest dici de novo esse in
aliquo, secundum novam relationem ipsius creaturae ad ipsum. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit que Dieu est partout, cela
implique une relation de Dieu à la créature qui n’existe certes pas
réellement en Lui, mais dans la créature. Il est possible cependant que ces
relations, du côté de la créature, se différencient d’après différents effets
par lesquels elle est assimilée à Dieu ; et c’est de là qu’Il est
signifié comme se présentant à la créature autrement qu’antérieurement. Et à
cause de cela on peut dire de l’Espri-Saint, qui est partout selon une
certaine relation [certaine om. Éd. de Parme] de la créature à Lui, qu’Il
existe pour la première fois dans un être d’après une nouvelle relation de la créature
elle-même à Lui. |
lib. 1 d. 14
q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ille modus aliter se
habendi, diversificetur ex diversis donis receptis in creatura, tamen relatio
creaturae non sistit in donis illis, sed ulterius tendit in eum per quem illa
dona dantur. Et ideo possumus significare, nos alio modo habere Spiritum
sanctum, et Spiritum sanctum aliter a nobis haberi ; et hoc significatur cum
dicitur ipsemet in nos procedere vel nobis dari. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que bien que cette manière d’être différente se
différencie à partir des dons différents reçus dans la créature, cependant la
relation de la créature ne s’arrête pas à ces dons, mais tend ultérieurement
vers Celui par lequel ces dons sont distribués. Et c’est pourquoi nous
pouvons signifier que nous possédons l’Esprit-Saint d’une autre manière, et
que l’Esprit-Saint est possédé par nous autrement ; et cela est signifié
lorsqu’on dit de Lui qu’Il procède en nous ou qu’Il nous est donné. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non dicitur ipsemet in nos procedere, quia circa ipsum aliquid
fiat ; sed quia ex eo quod nos ad ipsummet aliter nos habemus, ipse potest
significari sub alio respectu se habere ad nos. Et ita dicitur in nos
procedere quantum ad illum respectum quem processio ponit ad id in quod est
processio ; licet non quantum ad illum quem ponit ad id a quo est |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’on ne dit pas de Lui qu’Il procède en nous parce
que quelque chose se produit en Lui ; mais parce que du fait que nous
nous présentons différemment à Lui, Lui-même peut être signifié sous un autre
rapport comme se présentant à nous. Et ainsi on dit de Lui qu’Il procède en
nous quant à ce rapport que la procession pose à l’égard de ce vers quoi il y
a procession, bien que ce ne soit pas quant à ce rapport qu’elle pose à
l’égard de ce d’où il y a procession. |
lib. 1 d. 14 q.
2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus infusa est multo
sufficientior quam virtus acquisita, et ex ratione suae perfectionis habet
quod nos maxime Deo conjungat et assimilet ; secundum quam conjunctionem
innascitur nobis novus respectus ad Deum. Unde quanto sufficientior est,
tanto magis in ipsa Spiritus sanctus procedere dicitur et cum ipsa. Utrum
autem oporteat aliquod donum creatum dari cum spiritu sancto, erit quaestio
infra, dist. 18, quaest. unica, art. 3. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la vertu infuse est de beaucoup plus suffisante que
la vertu acquise, et c’est en raison de sa perfection qu’elle a le pouvoir de
nous unir et de nous assimiler à Dieu au plus haut point ; et c’est
d’après cette union que naît en nous un nouveau rapport à Dieu. C’est
pourquoi elle est d’autant plus suffisante que l’Esprit-Saint procède
davantage en elle et avec elle. Mais faut-il qu’un don créé soit donné avec
l’Esprit-Saint, la question sera posée plus loin [dist. 18, quest. unique,
art. 3]. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad s. c. Alia duo
concedimus. |
Nous concédons
les deux autres difficultés. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2.
|
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius
quaeritur, dicendum, quod ordo aliquorum secundum naturam potest dupliciter
considerari. Aut ex parte recipientis vel materiae ; et sic
dispositio est prior quam id ad quod disponit: et sic per prius recipimus
dona Spiritus sancti quam ipsum spiritum, quia per ipsa dona recepta spiritui
sancto assimilamur. Aut ex parte
agentis et finis ; et sic quod propinquius erit fini et agenti, dicitur esse
prius: et ita per prius recipimus Spiritum sanctum quam dona ejus, quia et
Filius per amorem suum alia nobis donavit. Et hoc est simpliciter esse prius. |
Corps de l’article : Il faut dire,
par rapport à ce qu’on se demande par
la suite, que l’ordre de certaines choses selon la nature peut être considéré
de deux manières. Soit du côté
de celui qui reçoit ou de la matière. Et en ce sens
la disposition est antérieure à ce à quoi elle dispose : et ainsi nous
recevons en priorité les dons de l’Esprit-Saint plutôt que l’Esprit-Saint
lui-même, car c’est par les dons reçus que nous sommes assimilés à
l’Esprit-Saint. Soit encore du
côté de l’agent et de la fin ; et en ce sens on dira qu’est antérieur ce
qui est le plus proche de la fin et de l’agent : et ainsi nous recevons
l’Esprit-Siant antérieurement à ses dons, car le Fils par son amour nous a
donné les autres. Et c’est là ce qui est antérieur absolument. |
|
|
Articulus
2 : lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 tit. Utrum processio temporalis Spiritus
sancti attendatur secundum omnia dona. |
Article 2 – La procession temporelle de l’Esprit Saint s’étend-elle à tous les dons ? |
|
|
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod secundum omnia dona processio temporalis Spiritus sancti attendatur. Omne
enim donum quod creaturae confertur, ex liberalitate divinae voluntatis
procedit. Sed ratio conferendi per liberalitatem est amor. Ergo videtur quod
secundum quaelibet dona creaturae collata, Spiritus sanctus detur vel
procedat. |
Difficultés : 1. Il semble
que la procession temporelle de l’Esprit-Saint s’étend à tous les dons. En
effet, tout don qui est conféré à la créature procède de la générosité de la
volonté divine. Mais la raison de cette prodigalité est l’amour. Il semble
donc que l’Esprit-Saint soit donné ou qu’Il procède d’après tous les dons
réunis de la créature. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, in
collatione cujuslibet doni, creatura secundum aliquem respectum se habet ad
Deum secundum quem prius non se habebat. Assimilatur enim sibi
secundum participationem illius perfectionis quam de novo a Deo recepit. Sed
hoc erat Spiritum sanctum temporaliter procedere, quod significari Spiritum
sanctum in habitudine aliqua ad creaturam, ex eo quod creatura novo modo
referebatur ad ipsum. Ergo
videtur quod Spiritus sanctus etiam secundum dona naturalia mittatur, et non
tantum secundum gratum facientia. |
2. Par
ailleurs, dans la réception de tout don, la créature se présente à Dieu sous
un rapport selon lequel elle ne se présentait pas antérieurement. Elle Lui
est rendue semblable en effet d’après la participation de cette perfection
qu’elle reçoit de Dieu pour la première fois. Mais c’est là en quoi consiste
la procession temporelle de l’Esprit-Saint, à savoir d’être signifié dans un
certain rapport à la créature, du fait que la créature se rapporte à Lui pour
la première fois. Il semble donc que l’Esprit-Saint soit envoyé même d’après
les dons naturels et non seulement d’après ceux qui nous rendent agréables à
Dieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea,
secundum Augustinum, IV de Trinit., cap. XX, col. 906, mitti est cognosci
quod ab alio sit. Sed aliquis sine gratia gratum faciente potest cognoscere
Spiritum sanctum ab alio esse per fidem informem. Ergo videtur quod processio
temporalis non semper sit secundum donum gratum faciens. |
3.
De plus, selon Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, col. 906], être envoyé
c’est être connu comme venant d’un autre. Mais quelqu’un, sans la grâce qui
rend agréable à Dieu peut connaître par la foi informe que l’Esprit-Saint
vient d’un autre. Il semble donc que la procession temporelle n’a pas
toujours lieu d’après un don qui rend agréable à Dieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 4
Praeterea, Rabanus, in XII, v. 11, 1 ad Cor., dicit, quod Spiritus sanctus
datus est apostolis ad operationem miraculorum. Hoc autem donum non est gratum faciens,
sed tantum gratis datum. Ergo etiam secundum haec dona potest attendi
temporalis processio Spiritus sancti. |
4. En outre,
l’Apôtre [1 Corinth., ch. XII, v. 10] dit que l’Esprit-Saint est donné aux
apôtres pour opérer les miracles. Cependant ce don ne rend pas agréable à
Dieu mais il est seulement donné gratuitement. C’est donc même à ces dons que
peut s’étendre la procession temporelle de l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra,
Sapient. 1, 5: Spiritus sanctus
disciplinae effugiet fictum. Quicumque autem caret gratia
gratum faciente, pro ficto habetur. Ergo in nullum talem Spiritus sanctus
procedit. |
Cependant: 1. On lit au contraire dans La Sagesse (1, 5): L’Esprit-Saint,
l’éducateur, fuit la fourberie. Mais quiconque est privé de la grâce qui
rend agréable à Dieu est tenu pour fourbe. Donc, l’Esprit-Saint ne procède en
aucune personne de cette sorte. |
lib. 1 d. 14
q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Spiritus sanctus non procedit in aliquem nisi
quem inhabitat Deus, sicut in templo suo: quia per Spiritum sanctum efficitur
quis templum Dei, 1 Corinth. 6. Sed in nullo dicitur habitare Deus nisi per
gratiam gratum facientem. Ergo secundum hoc donum tantum temporalis processio
Spiritus sancti attenditur. |
2. En outre, l’Esprit-Saint ne procède qu’en celui
que Dieu habite comme Il habite son temple: car c’est pas l’Esprit-Saint que
quelqu’un devient le temple de Dieu [1 Corinth.
6]. Mais on ne dit que Dieu habite quelqu’un que par la grâce qui rend
agréable à Dieu. Ce n’est donc qu’à cette sorte de don que la procession
temporelle de l’Esprit-Saint s’applique. |
lib. 1 d. 14
q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in exitu creaturarum a primo principio
attenditur quaedam circulatio vel regiratio, eo quod omnia revertuntur sicut
in finem in id a quo sicut a principio prodierunt. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire qu’un certain circuit et
un certain retour s’applique à la sortie des créatures du premier principe du
fait que toutes les choses se retournent, comme vers leur fin, vers celui
d’où elles procèdent comme de leur principe. |
Et ideo oportet ut per eadem quibus est exitus a
principio, et reditus in finem attendatur. Sicut igitur dictum est, dist. 13,
quaest. 1, art. 1, quod processio personarum est ratio productionis
creaturarum a primo principio, ita etiam est eadem processio ratio redeundi
in finem, quia per Filium et Spiritum sanctum sicut et conditi sumus, ita
etiam et fini ultimo conjungimur ; ut patet ex verbis Augustini, de vera
religione, LV, 113, col. 172, positis in 3 dist., ubi dicit: Principium ad
quod recurrimus, scilicet Patrem, et formam quam sequitur, scilicet Filium,
et gratiam qua reconciliamur. |
C’est pourquoi il faut que ce soit par les mêmes choses
par lesquelles a lieu la sortie du principe que le retour tende vers la fin.
Donc, tout comme nous avons dit [dist. 13, quest. 1, art. 1] que la
procession des Personnes est la cause de la production des créatures par le
premier principe, de même encore c’est la même procession qui est la cause du
retour vers la fin, car tout comme c’est par le Fils et l’Esprit-Saint que
nous sommes fondés, de même encore c’est par eux que nous sommes rattachés à
la fin ultime; c’est là ce qu’on voit
par les paroles d’Augustin [De la Vraie
Religion, LV, 113, col. 172] présentées dans la distinction 3, où il dit:
le Principe vers lequel nous retournons, à savoir le Père, et la forme qui
est poursuivie, à savoir le Fils, et la grâce par laquelle nous sommes
réconciliés. |
Et Hilarius dicit infra 31 dist.: Ad unum initiabile
omnium initium per Filium universa referimus. Secundum hoc ergo processio
divinarum personarum in creaturas potest considerari dupliciter. Aut inquantum
est ratio exeundi a principio ; et sic talis processio attenditur secundum
dona naturalia, in quibus subsistimus, sicut dicitur a Dionysio, IV de div.
nom., cap. IV, col. 694, divina sapientia vel bonitas in creaturas
procedere. Sed de tali processione non loquimur hic. |
Et
Saint-Hilaire dit plus loin dans la distinction 31 : C’est à un unique pouvoir de commencement
de tous les commencements par le Fils
que nous rapportons toutes les choses. C’est donc conformément à
cela que la procession des Personnes divines dans les créatures peut être
considérée de deux manières. Soit en tant
qu’elle est la notion de la sortie du principe et en ce sens une telle
procession s’applique aux dons naturels dans lesquels nous subsistons ainsi
que le dit Denys [Les Noms Divins,
ch. IV, col. 694] lorsqu’il affirme que la sagesse et la bonté divines
procèdent dans les créatures. Mais nous ne parlons pas ici de cette
procession. |
Potest etiam attendi inquantum est ratio
redeundi in finem, et est secundum illa dona tantum quae proxime conjungunt
nos fini ultimo, scilicet Deo, quae sunt gratia gratum faciens et gloria, et
de ista processione loquimur hic. Sicut enim in generatione naturali
generatum non conjungitur generanti in similitudine speciei nisi in ultimo
generationis, ita etiam in participationibus divinae bonitatis non est
immediata conjunctio ad Deum per primos effectus quibus in esse naturae
subsistimus, sed per ultimos quibus fini adhaeremus ; et ideo concedimus,
Spiritum sanctum non dari nisi secundum dona gratum facientia. |
Mais elle peut
aussi s’entendre comme la notion du retour vers la fin et alors la procession
n’a lieu que selon ces seuls dons qui nous rattachent intimement à la fin
ultime, c’est-à-dire à Dieu, et qui sont la grâce et la gloire qui nous
rendent agréables à Dieu, et c’est de cette procession que nous parlons ici.
En effet, tout comme dans la génération naturelle ce qui est engendré n’est
rattaché à celui qui engendre dans la ressemblance de l’espèce qu’à la fin de
la génération, de même encore dans les participations de la bonté divine il
n’y a pas une union immédiate à Dieu au moyen des premiers effets par
lesquels nous subsistons dans l’existence de la nature, mais au moyen des
derniers grâce auxquels nous sommes unis à la fin ; et c’est pourquoi
nous concédons que l’Esprit-Saint n’est pas donné que selon les dons qui nous
rendent agréables à Dieu. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis in collatione donorum naturalium vel gratis datorum
attendatur magna liberalitas, tamen perfectio liberalitatis attenditur in his
quae ultimae perfectioni conjungunt: et ista sunt quae immediate ordinant nos
in finem ; et ideo secundum ista dona praecipue Spiritus sancti processio
attenditur |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que bien que dans la réunion des dons naturels ou
de ceux qui sont donnés gratuitement on remarque une grande libéralité,
cependant la perfection de la libéralité se remarque dans ceux qui unissent à
la perfection ultime : et ces dons sont ceux qui nous ordonnent
immédiatement à la fin ; et c’est pourquoi la procession de
l’Esprit-Saint s’étend surtout d’après ces dons. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in processione Spiritus, secundum quod hic loquimur, prout
scilicet claudit in se dationem Spiritus sancti, non sufficit quod sit nova
relatio, qualiscumque est, creaturae ad Deum ; sed oportet quod referatur in
ipsum sicut ad habitum: quia quod datur alicui habetur aliquo modo ab illo.
Persona autem divina non potest haberi a nobis nisi vel ad fructum perfectum,
et sic habetur per donum gloriae ; aut secundum fructum imperfectum, et sic
habetur per donum gratiae gratum facientis ; vel potius sicut id per quod
fruibili conjungimur, inquantum ipsae personae divinae quadam sui
sigillatione in animabus nostris relinquunt quaedam dona quibus formaliter
fruimur, scilicet amore et sapientia ; propter quod Spiritus sanctus dicitur
esse pignus hereditatis nostrae. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que dans la procession de l’Esprit dont nous parlons
ici, c’est-à-dire dans la mesure où elle enferme en elle le don de
l’Esprit-Saint, il ne suffit pas qu’il y ait une nouvelle relation, quelle
qu’elle soit, de la créature à Dieu, mais il faut qu’elle se rapporte à Lui
comme à ce qui est possédé : car ce qui est donné à l’un se trouve à être
possédé de quelque manière par ce dernier. Mais la personne divine ne peut
être possédée par nous que pour une jouissance parfaite et ainsi elle est
possédée par le don de la gloire, ou selon une jouissance imparfaite et ainsi
elle est possédée par le don de la grâce qui rend agréable à Dieu ; ou
de préférence elle est possédée comme ce par quoi nous sommes unis à l’objet
de la jouissance, selon que les personnes divines elles-mêmes déposent en nos
âmes certains dons par lesquels nous jouissons formellement, c’est-à-dire de
l’amour et de la sagesse ; c’est à cause de cela que nous disons de
l’Esprit-Saint qu’il est le gage de notre héritage. |
lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non qualiscumque cognitio sufficit ad rationem missionis, sed
solum illa quae accipitur ex aliquo dono appropriato personae, per quod
efficitur in nobis conjunctio ad Deum, secundum modum proprium illius
personae, scilicet per amorem, quando Spiritus sanctus datur. Unde cognitio
ista est quasi experimentalis. |
3. Il faut dire
en troisième lieu que ce n’est pas n’importe quelle connaissance qui remplit
la notion de mission, mais seulement celle qui est reçue à partir d’un don
approprié à la personne et par lequel est produite en nous l’union à
Dieu selon le mode propre de cette personne, c’est-à-dire par l’amour, quand
l’Esprit-Saint est donné. C’est pourquoi cette connaissance est comme
expérimentale. |
lib. 1 d. 14 q.
2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis operatio virtutum non sit donum
gratum faciens, tamen cum dono gratum faciente conferri potest. Et quia
apostoli hoc donum non sine gratia gratum faciente acceperunt, ideo dicuntur
temporaliter accepisse Spiritum sanctum in collatione hujus doni. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que bien que l’opération des vertus ne soit pas un don
qui rend agréable à Dieu, cependant elle peut être donnée avec le don qui
rend agréable à Dieu. Et parce que les apôtres n’ont pas reçu ce don sans la
grâce qui rend agréable à Dieu, c’est pourquoi on dit qu’ils ont reçu
temporellement l’Esprit-Saint en union à ce don. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [Par qui la procession temporelle de l’Esprit Saint est-elle faite ?] |
|
|
Articulus 1
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus detur a viris sanctis ; |
Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné par les saints ? |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde
quaeritur a quo Spiritus sanctus procedit: et quaeritur hic, utrum Spiritus
sanctus detur a sanctis viris ; alia enim quae ad hanc inquisitionem
pertinent, infra dicentur, dist. 16, quaest. unica, art. 2. Videtur autem
quod sancti viri Spiritum sanctum dare possunt. Remissio enim peccatorum non
fit nisi per Spiritum sanctum. Sed sancti viri possunt remittere peccata,
Joan. 20, 23: Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis. Ergo videtur quod
possunt dare Spiritum sanctum. |
Difficultés : 1. On se
demande ensuite de qui l’Esprit-Saint procède : et on se demande ici si
l’Esprit-Saint est donné par des hommes saints. En effet, les autres choses
qui appartiennent à cette recherche seront exposées plus loin [dist. 16,
quest. unique, art. 2]. Il semble cependant que des hommes saints peuvent
donner l’Esprit-Saint. En effet, la rémission des péchés n’est réalisée que
par l’Esprit-Saint. Mais les hommes saints peuvent remettre les péchés [Jean, 20, 23] : Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils
leur seront remis. Il semble donc que les hommes saints peuvent donner
l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea,
gratia Spiritus sancti est sicut lumen spirituale. Sed unum corpus
illuminatum lumine corporali potest et aliud illuminare. Ergo et unus
existens in gratia potest alteri gratiam conferre. |
2. De plus, la
grâce de l’Esprit-Saint est comme une
lumière spirituelle. Mais un corps illuminé par une lumière corporelle peut
en illuminer un autre. Donc, celui qui existe dans la grâce peut conférer la
grâce à un autre. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, qui
dat occasionem damni, damnum dedisse videtur. Ergo qui facit aliquid, quo
facto confertur gratia Spiritus sancti, videtur gratiam Spiritus sancti
conferre. Sed ministri Ecclesiae sacramenta dispensant, in quibus gratia
Spiritus sancti datur. Ergo videtur quod Spiritum sanctum dare possint. |
3. En outre,
celui qui donne l’occasion d’un tort semble avoir donné le tort. Donc celui
qui fait quelque chose, et par l’action de qui la grâce de l’Esprit-Saint est
conférée, celui-là semble avoir conféré la grâce de l’Esprit-Saint. Mais les
ministres de l’Église distribuent les sacrements dans lesquels la grâce de
l’Esprit-Saint est donnée. Il semble donc qu’ils peuvent donner
l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, dans
nunquam est inferior eo quod datur. Sed quilibet minister Ecclesiae est
inferior Spiritu sancto, et quasi instrumentum ipsius. Ergo nullus talis
Spiritum sanctum dare potest. |
Cependant : 1. Au
contraire, celui qui donne n’est jamais inférieur à ce qui est donné. Mais
tout ministre de l’Église est inférieur à l’Esprit-Saint et en est comme
l’instrument. Donc, aucun d’eux ne peut donner l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea,
Spiritus sanctus non datur nisi in gratia gratum faciente. Gratiam
autem talem nulla creatura conferre potest. Ergo nec Spiritum sanctum.
Probatio mediae. Nullum
infinitum potest esse a potentia finita. Gratia autem habet quamdam virtutem
infinitam, inquantum scilicet ipsi Deo qui est infinitus, conjungit. Ergo cum
omnis potentia creaturae sit finita, gratia gratum faciens a nulla creatura
conferri potest. |
2. Par
ailleurs, l’Esprit-Saint n’est donné que dans la grâce sanctifiante. Mais
aucune créature ne peut conférer une telle grâce. Donc, aucune créature ne
peut donner l’Esprit-Saint. Preuve de la
mineure : Rien d’infini
ne peut venir d’une puissance finie. Mais la grâce possède une puissance
infinie, c’est-à-dire en tant qu’elle unit à Dieu qui est infini. Donc,
puisque toute puissance qui se trouve dans la créature est finie, aucune
créature ne peut conférer la grâce sanctifiante. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod nulla creatura potest dare Spiritum sanctum, sed solus Deus.
Cum enim in processione temporali, ut dictum est, duo sint ; scilicet
respectus aeternus, quo Spiritus sanctus exit a Patre et Filio, et respectus
temporalis qui consurgit ex eo quod creatura per donum susceptum novo modo se
habet ad ipsum: constat quod neutro modo potest ab aliqua creatura processio
temporalis Spiritus sancti intelligi: quod enim a nulla creatura Spiritus
sanctus procedat secundum relationem aeternam, nulli dubium est. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’aucune créature ne peut donner l’Esprit-Saint et que seul
Dieu le peut. En effet, ainsi que nous l’avons dit, puisqu’il y a deux choses
à considérer dans la procession temporelle, à savoir un rapport éternel par
lequel l’Esprit-Saint provient du Père et du Fils, et un rapport temporel qui
provient du fait que la créature se présente à Dieu d’une nouvelle manière
par le don reçu : il est clair que la procession temporelle de
l’Esprit-Saint ne peut être comprise d’aucune de ces manières par une
créature : en effet, personne ne doute que l’Esprit-Saint ne procède
d’aucune créature selon la relation éternelle. |
Similiter etiam
nulla creatura gratiam gratum facientem, in qua sola Spiritus sanctus datur,
conferre potest. Cujus ratio potest dupliciter assignari. |
De la même
manière aussi aucune créature ne peut conférer la grâce sanctifiante qui est
la seule dans laquelle l’Esprit-Saint est donné. Et la raison peut en être
donnée de deux manières. |
Primo, quia cum
omnis operatio creaturae praesupponat potentiam materiae, impossibile est
quod aliqua creatura aliquam formam producat in esse, quae non educitur de
potentia materiae: et inde est quod anima rationalis a solo Deo creatur. Et
quia gratia gratum faciens elevat hominem supra totum esse naturae, inquantum
elicit actum et ordinat in finem in quem natura per sua principia attingere
non potest ; non est perfectio educta de potentia materiae ; et ideo a solo
Deo confertur |
Premièrement,
parce que toute opération de la créature présuppose la puissance de la
matière, il est impossible qu’une
créature fasse exister une forme qui ne soit pas tirée de la puissance de la
matière : et c’est pourquoi l’âme rationnelle n’est créée que par Dieu.
Et parce que la grâce sanctifiante élève l’homme au-dessus de la totalité de
son existence naturelle selon qu’elle engage l’acte et l’ordonne à une fin que
la nature ne peut atteindre par ses seuls principes, et que la perfection
n’est pas tirée d’une puissance de la matière, c’est pourquoi elle n’est
conférée que par Dieu. |
Alia ratio potest
esse, quia cum omnis actio sit secundum aliquam similitudinem in per se
agentibus, secundum quod videtur quod unumquodque agit sibi simile ; oportet,
si aliqua perfectio acquisita in aliquo immediate conjungat alicui sicut
similitudo ipsius, quod immediate ab ipso producatur. Et quia per gratiam
efficimur ipsi Deo conjuncti, et non mediante aliqua creatura ; ideo oportet
quod gratia immediate a Deo in nos procedat. |
On peut
présenter une deuxième raison car puisque toute action est produite
d’après une certaine ressemblance chez
les agents par soi, selon qu’on voit que chacun fait ce qui lui est
semblable ; il faut, si une perfection acquise dans un être l’unit
immédiatement à un autre comme sa ressemblance, que cet être soit produit
immédiatement par lui. Et parce que par la grâce nous sommes unis à Dieu
lui-même et non par l’intermédiaire d’une créature, c’est pourquoi il faut
que la grâce procède immédiatement de Dieu en nous. |
Tertia ratio
potest etiam sumi ex virtute ipsius gratiae, ex qua eliciuntur in nobis actus
meritorii, qui ducunt in infinitum bonum, sicut objectio tangit ; et ex eo
quod in omnibus agentibus ordinatis per modum agentis et instrumenti, ultima
perfectio attribuitur primo agenti ; sicut forma substantialis non est per
calorem ignis, qui est quasi instrumentum, sed per virtutem caelestem. |
Une troisième
raison peut encore se tirer de la puissance de la grâce elle-même, à partir
de laquelle sont obtenus en nous les actes méritoires qui conduisent à un
bien infini, comme une objection l’indique ; et du fait que dans tous
les agents qui sont ordonnés à la manière d’un agent et de son instrument la
perfection ultime est attribuée à l’agent premier comme c’est le cas pour la
forme substantielle qui n’est pas d’abord produite par la chaleur du feu qui
est comme un instrument, mais par la puissance céleste. |
lib. 1 d. 14 q.
3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ministri Ecclesiae non remittunt
peccata auctoritate, vel per modum efficientis ; sed solus Deus, qui dicit
Isa. 43, 25: Ego sum qui deleo iniquitates tuas propter me. Remittunt autem
per modum ministerii: et ideo etiam possunt dici ministri collationis
Spiritus sancti, sed non datores, quia hoc importat auctoritatem. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que les ministres de l’Église ne remettent pas les
péchés de leur propre autorité ou par mode de cause efficiente, mais seul
Dieu le fait lorsqu’il dit [Isa.
43, 25] : C’est moi, moi, qui efface tes crimes par égard pour moi. Mais
les ministres ne remettent les péchés par mode de ministère : et c’est
pourquoi on peut encore dire à leur sujet qu’ils sont les ministres de la
communication de l’Esprit-Saint et non ses donateurs car cela implique
autorité. |
lib. 1 d. 14 q.
3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lumen spirituale est nobilius et
potentius quam lumen corporale, et ex sua dignitate habet quod a nullo creato
potest produci, sicut et anima rationalis, ut dictum est, in corp. hujus art.
|
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la lumière spirituelle est plus noble et plus puissante
que la lumière corporelle, et c’est de sa dignité qu’elle tient de ne pouvoir
être produite par aucune créature, comme c’est le cas pour l’âme rationnelle,
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de cet article. |
lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod ille qui dat occasionem damni, videtur damnum fecisse interpretative,
sed non proprie ; et tamen qui dat occasionem damni, facit aliquid
proportionatum et sufficiens ad hoc quod damnum sequatur. Sed nulla operatio
ministri in se considerata, prout exit a ministro, est proportionata et
sufficiens ut sequatur Spiritus sancti donatio ; sed solum hoc habet ex
divina institutione et dignatione ; et ideo tota causalitas in Deum refertur. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que celui qui donne l’occasion d’un tort semble avoir
produit le tort en un sens mais non à proprement parler ; et cependant
celui qui donne l’occasion du tort fait quelque chose qui est proportionné au
tort et qui suffit à entraîner le tort. Mais aucune opération d’un ministre,
considérée en elle-même, en tant qu’elle provient d’un ministre, n’est
proportionnée à la donation de l’Esprit-Saint et ne suffit à
l’entraîner ; mais elle ne tient cela que de la seule institution divine
et de son excellence ; et c’est pourquoi la causalité de la donation de
l’Esprit-Saint doit être totalement rapportée à Dieu. |
|
|
Distinctio 15 |
Distinction 15 – [La mission en Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue15 |
|
Question 1 Article 1 La
mission convient-elle aux Personnes divines ? Article 2 La
mission signifie-t-elle une notion ? Question 2 Article 1. La mission convient-elle à toutes les personnes ? Question 3 Article 1
Est-ce qu’une personne s’envoie ou se donne-t-elle elle-même ? Article 2
L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ? Question 4 Article 1 Le
Fils est-il envoyé invisiblement dans l’esprit[12] ? Article 2 La
mission du Fils se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ? Article 3 La
mission peut-elle être éternelle ? Question 5 Article 1 La
mission est-elle faite pour les créatures sans raison ? qc. 2. Le Fils
et l’Esprit Saint sont-ils envoyés à tous les saints[13] ? qc. 3. Y
a-t-il une mission pour les anges ? qc. 4. Une
mission peut-elle être faite pour le Christ en tant qu’homme ? Article 2 La
mission invisible a-t-elle été plus complète après l’Incarnation ? Article 3 Par
la mission invisible se fait-il que nous ne sommes plus en ce monde ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [Qu’est ce que la mission des Personnes divines ?] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad intellectum hujus partis de tribus quaeritur: primo de missione secundum se. Secundo de ipsa ex parte missi.
Tertio de eadem ex parte
mittentis. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum missio aut datio conveniat divinis personis
; 2 quid significet, utrum essentiam, vel notionem. |
Pour
comprendre cette partie, on s’interroge sur trois points : Premièrement
sur la mission en elle-même. Deuxièmement
sur la mission prise du côté de celui qui est envoyé. Troisièmement
sur la mission prise du côté de celui qui envoie. Et au sujet du
premier point on se demande deux choses : 1. Est-ce que
la mission ou la donation convient aux personnes divines ? 2. Cette
mission signifie-t-elle l’essence ou la notion ? |
|
|
Articulus 1 [1082] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a.
1 tit. Utrum missio conveniat divinis personis |
Article 1 – La mission convient-elle aux Personnes divines ? |
[1083] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio non
conveniat divinis personis. Missio enim videtur dicere quamdam loci
mutationem, secundum quod dicimus nuntium mitti ad aliquem locum. Sed divinis personis, quae ubique sunt, non convenit
aliqua loci mutatio. Ergo nec missio. |
Difficultés : 1. Il semble
que la mission ne convienne pas aux personnes divines. La mission en effet
semble signifier un changement de lieu selon que nous disons du messager
qu’il est envoyé vers un lieu. Mais aux personnes divines qui sont
partout, on ne peut attribuer un
changement de lieu, ni par conséquent une mission. |
[1084] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea,
super illud Ezech., 16, 53: Convertens
restituam eos conversione Sodomorum cum filiabus suis, et conversione
Samariae et filiarum ejus ; dicit Hieronymus: « Quod conjunctum est
et in uno corpore copulatum, mitti non potest ». Sed una persona conjuncta est
alii majori unione quam aliqua copulatio corporalis. Ergo una persona non
potest mitti ab alia. |
2. Par
ailleurs, sur ce passage d’Ézéchiel
(16, 53) : ………., Saint-Jérôme dit : Ce qui vous est uni et conjoint dans un seul et même corps ne peut
être envoyé. Mais une personne est
unie à une autre par une union plus grande que l’union corporelle. Donc, une
Personne ne peut être envoyée par une autre. |
[1085] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 3
Item, nihil pertinens ad inferioritatem potest dici de una persona respectu
alterius, cum non sint gradus in Trinitate ; unde dicit Damascenus, lib. III,
Fid orthod., cap. XIV, col. 1042,
quod Christus non est obediens Patri nisi secundum quod homo. Missio autem et
datio videntur importare quamdam inferioritatem in misso et dato. Ergo
neutrum convenit divinae personae. |
3. En outre, rien d’inférieur
par rappport à une autre ne peut être attribué à une personne puisqu’il n’y a pas de degrés parmi les
Personnes de la Trinité ; c’est pourquoi Damascène [111, De la Foi Orthodoxe, ch. XIV, col.
1042] dit que le Christ n’obéit à son
Père qu’en tant qu’Il est homme. Mais la mission et la donation semblent impliquer une
certaine infériorité dans celui qui est envoyé et donné. Donc, ni l’un ni l’autre ne convient
à la Personne divine. |
[1086] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 4
Item, constat quod divina persona est in infinitum dignior quam aliquis
Angelus. Sed Angeli superiores qui sunt assistentes, secundum Dionysium,
XIII, Caelest. Hierar., col. 299, non mittuntur ad nos propter suam
dignitatem. Ergo multo minus divinae personae mittuntur. |
4. De plus, il est clair qu’une Personne divine
est infiniment plus digne qu’un Ange. Mais les Anges supérieurs qui sont des
assistants d’après Denys [XIII De la
Hiérarchie Céleste, col. 299], ne sont pas envoyés vers nous en raison de leur dignité. Donc, à
bien plus forte raison les personnes divines ne sont pas envoyées. |
[1087] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 s. c. 1
In contrarium autem sunt plurimae auctoritates canonis et sanctorum, ut in
littera. |
Cependant : Un grand
nombre d’autorités du canon et de saints affirment le contraire, comme on le
voit dans le document. |
[1088] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod missio vel datio ratione suae
significationis dicit exitum alicujus ut missi ab aliquo sicut a mittente, et
ad aliquem terminum. Iste autem exitus in creaturis est secundum distantiam
corporalem missi a mittente, et in comparatione ad terminum ponit in misso
esse ubi non fuit prius. Quia autem omnis imperfectio amovenda est ab his
quae in divinam praedicationem veniunt, ideo missio in divinis intelligitur
non secundum exitum localis distantiae, nec secundum aliquam novitatem
advenientem ipsi misso, ut sit ubi prius non fuerat ; sed secundum exitum
originis ab aliquo ut a principio, et secundum novitatem advenientem ei ad
quem fit missio, ut novo modo persona missa in eo esse dicatur. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que le mission ou la
donation en raison de sa signification dit la sortie de quelqu’un à titre d’envoyé de la part de
quelqu’un qui envoie vers un certain terme. Mais chez les créatures cette
sortie s’opère d’après une distance corporelle entre celui qui est envoyé et
celui qui envoie, et par rapport au terme elle pose chez celui qui est envoyé
d’être en un lieu où il n’était pas antérieurement. Mais parce que toute
imperfection doit être écartée de ce qui est attribué aux personnes divines,
c’est pourquoi la mission, en tant qu’elle s’applique à Dieu, doit s’entendre
non pas d’après une sortie qui implique une
distance dans le lieu, ni selon une nouveauté qui arrive à celui-là
même qui est envoyé de sorte qu’il serait là où il n’était pas avant, mais d’après une sortie
d’origine de quelqu’un comme de son principe, et d’après une nouveauté qui
arrive à celui à qui est ordonnée la mission comme terme, de telle manière
qu’on dise que la personne envoyée est en lui d’une nouvelle manière. |
Ex quo patet quod missio de ratione sui differt a
processione et datione. Processio enim, inquantum processio, dicit realem
distinctionem et respectum ad principium a quo procedit, et non ad aliquem
terminum. Datio autem non importat distinctionem dati a principio a quo
datur, quia idem potest dare seipsum ; sed tantum ab eo cui datur, ut supra
dictum est, dist. 14, qu. 2, art. 1. Sed missio ponit distinctionem in misso et ad
principium et ad terminum. Et ideo cum dicitur Spiritus sanctus mitti,
includitur in significatione missionis uterque respectus, scilicet temporalis
et aeternus ; aeternus prout a Patre et Filio procedit ; et temporalis prout
significatur in habitudine ad creaturam, quae novo modo ad ipsum se habet. |
D’où il est clair que la mission de par sa notion
diffère de la procession et de la donation. La procession en effet, en tant
que procession, dit une distinction réelle et un rapport au principe d’où
elle procède et non un rapport à un terme. Mais la donation n’implique pas
une distinction entre ce qui est donné et le principe duquel il est donné,
car un même être peut se donner lui-même, mais elle implique une distinction
entre ce qui est donné et celui auquel se fait le don, ainsi que nous l’avons
dit plus haut [dist. 14, quest. 2, art. 1]. Mais la mission pose une
distinction de l’envoyé à la fois à l’égard du principe et du terme. Et c’est
pourquoi, lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint est envoyé, les deux rapports sont
compris dans la signification de la mission, à savoir celui qui est temporel
et celui qui est éternel: éternel en tant qu’elle procède du Père et du Fils,
temporel en tant que la mission est signifiée dans son rapport à la créature
qui se présente à l’Esprit-Saint d’une nouvelle manière. |
[1089] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus, qui ubique est, non
possit esse ubi non fuerat, loci mutatione circa ipsum intellecta ; tamen
potest esse aliquo modo quo prius non fuerat, mutatione facta circa illud in
quo esse dicitur ; et in hoc salvatur ratio missionis. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que bien que l’Esprit-Saint, qui est partout, ne puisse
être là où il n’était pas auparavant par un changement de lieu étant pris
comme lui appartenant, cependant il peut être
selon un mode par lequel il n’était pas avant grâce à un changement
produit sur la chose même dans laquelle on dit qu’Il est ; et c’est en
cela que se conserve la notion de mission. |
[1090] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Glossa Hieronymi intelligitur de missione creaturae
quae fit per loci mutationem, quae non potest esse nisi ejus quod localiter
separatur. Ad divinam autem missionem sufficit distinctio personarum in essentiae
unitate. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la somme de
Saint-Jérôme doit ici s’entendre de la mission de la créature qui s’opère par
un changement de lieu et qui ne peut avoir lieu que pour celui qui s’éloigne
d’un lieu. Mais la distinction des Personnes dans l’unité de l’essence suffit
à conserver la mission divine. |
[1091] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod obedientia est proprie
respectu praecepti, quod proprie ad dominium pertinet. Unde patet quod obedientia gradum importat
dignitatis. Unde non potest dici de persona Filii vel Spiritus sancti
secundum divinitatem. Mittere autem non ponit gradum dignitatis, sed
auctoritatem principii in uno, respectu alterius qui ab illo exit: et iste
ordo est in divinis personis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que l’obéissance se rapporte proprement au
commandement qui appartient en propre au Seigneur. C’est pourquoi il est
clair que l’obéissance implique un degré de dignité. Et c’est pourquoi elle ne peut se dire de la personne du
Fils ou de l’Esprit-Saint sous le
rapport de la divinité. Mais la mission ne pose pas un degré de dignité, mais
l’autorité d’un principe dans un être par rapport à un autre qui sort de
lui : et cet ordre existe dans les Personnes divines. |
[1092] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod non secundum eamdem rationem missio dicitur de Angelo
et de divina persona. Angelus enim missus localiter movetur, cum sit ubi
prius non fuerat: quia cum sunt in caelo, non sunt in terra. Unde missio
talis aliquam indignitatem vel inferioritatem gradus ponit circa missum. Non
autem missio divinae personae a qua omnino loci mutatio excluditur. Et
praeterea effectus ille ad quem est missio personae divinae etiam immediate
est ab ipsa persona, scilicet gratia gratum faciens, ut dictum est, dist. 14, qu. 2, art.
2. Effectus autem superiorum Angelorum efficitur in nos mediantibus
inferioribus Angelis, secundum Dionysium, caelest.
Hier., cap. XIII, § 3, col. 299, et ideo non dicuntur ipsi superiores
Angeli ad nos mitti, sed inferiores, qui circa nos immediate operantur ;
sicut etiam nec missio divinae personae est secundum illas perfectiones quas
creatura a Deo recipit, agente aliqua media creatura. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que ce n’est pas
d’après la même notion qu’on parle de
la mission de l’Ange et de celle de la Personne divine. En effet, l’Ange qui
est envoyé se meut localement, puisqu’il est là où il n’était pas avant: car
alors même qu’ils sont dans le ciel, ils ne sont pas sur la terre. C’est
pouquoi une telle mission pose une indignité ou une infériorité de degré sur
celui qui est envoyé. Ce qui n’est pas le cas pour la mission de la personne
divine de laquelle tout changement de
lieu est absolument exclu. Et de plus cet effet auquel la mission de la
personne divine est ordonné, à savoir la grâce sanctifiante, est immédiatement
produit par la Personne elle-même, ainsi que nous l’avons dit plus haut
[dist. 14, quest. 2, art. 2]. Mais les effets
des Anges supérieurs sont
produits en nous par l’intermédiaire des Anges inférieurs d’après Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. XIII,
& 3, col. 299], et c’est pourquoi on ne dit pas des Anges supérieurs
qu’ils sont envoyés vers nous, mais on le dit seulement des Anges inférieures
qui agissent immédiatement sur nous; tout comme aussi la mission de la
Personne divine, d’après ces
perfections que la créature reçoit de Dieu, ne se fait pas par l’action d’une
créature intermédiaire. |
|
|
Articulus 2 [1093] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a.
2 tit. Utrum missio significet notionem |
Article 2 – La mission signifie-t-elle une notion ? |
[1094] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio
significet notionem. Dicit enim Beda in quadam Homil., quod missio Spiritus
sancti est ejus processio. Sed processio est notionale. Ergo et missio. |
Difficultés : 1. Il semble
que la mission signifie une notion. Bède dit en effet dans une de ses homélies que la mission de l’Esprit-Saint
est sa procession. Mais la procession est notionnelle. Donc la mission l’est
aussi. |
[1095] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, quidquid importat originem in divinis, est notionale: quia
essentia divina non originatur, nec aliquam personam originat. Missio autem, ut
dictum est, in art. antec., importat exitum originis ab alio sicut a
principio. Ergo est notionale. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
implique une origine en Dieu est notionel : car l’essence divine n’a pas
d’origine et ne donne pas son origine à une Personne. Mais la mission, ainsi
que nous l’avons dit dans l’article précédent, implique, sous le rapport de
l’origine, une sortie d’un autre comme d’un principe. Elle est donc
notionnelle. |
[1096] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 3 Contra, secundum Dionysium, De div. nom., cap. II, col. 615,
omne nomen connotans effectum aliquem in creatura, dictum de Deo pertinet ad
communitatem essentiae. Sed missio importat effectum aliquem in creatura, ut
dictum est. Ergo significat essentiam. |
3. Au
contraire, selon Denys [Les Noms Divins,
ch. 11, col. 615], tout nom qui signifie un effet dans la créature, dit
de Dieu, relève de la communauté de
l’essence. Mais la mission implique un effet dans la créature, ainsi que
nous l’avons dit. Elle signifie donc
l’essence. |
[1097] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, nulla notio communis est Filio et Spiritui sancto. Sed missio
communis est utrique: uterque enim legitur missus, ut in Littera dicitur. Ergo missio non dicit aliquam notionem. |
4. De plus,
aucune notion n’est commune au Fils et à l’Esprit-Saint. Mais la mission est
commune aux deux : chacun des deux en effet est choisi comme envoyé, ainsi
qu’on le dit dans le document. Donc la mission ne dit pas ne notion. |
[1098] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quaedam nomina sunt in divinis
quae significant tantum personam, ut Pater et Filius ; quaedam quae tantum significant
essentiam, sicut hoc nomen essentia ; quaedam quae significant utrumque,
sicut dictum est, dist. 7, qu. 1, art.
1, de potentia generandi et spirandi. Et ita dico, quod missio est et
essentiale et notionale, secundum aliud et aliud. Secundum enim respectum
quem importat missio ad suum principium, est notionale ; secundum autem
respectum quem importat ad effectum in creatura, est essentiale. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il y a certains noms qui à l’égard de Dieu signifient seulement
la personne, comme Père et Fils ; il y en a d’autres qui signifient
seulement l’essence, comme ce nom, ¨essence¨ ; mais il y en a d’autres
qui signifient les deux, ainsi que nous l’avons dit [dist. 7, quest. 1, art.
1] au sujet de la puissance de génération et de la puissance de spiration. Et
ainsi je dis que la mission est à la fois essentielle et notionnelle, mais
sous des rapports différents. En effet, selon le rapport que la mission
implique à son principe, elle est notionnelle ; mais sous le rapport que
la mission implique à l’effet qu’elle produit dans la créature, elle est
essentielle. |
Sed circa hoc est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod principaliter significat
notionem, et ex consequenti essentiam secundum effectum connotatum. Alii dicunt e converso ; et hoc mihi videtur verius
esse, considerata virtute vocabuli. Missio enim secundum rationem sui nominis
non dicit exitum ab aliquo sicut a principio a quo missio esse habet ; sed
solum in ordine ad effectum missionis ponitur auctoritas alicujus ad missum. Servus enim qui
mittitur a domino, non exit ab ipso secundum suum esse, sed sicut a principio
movente ipsum per imperium ad hunc actum. |
Mais à ce sujet il y a deux opinions. Certains en effet dissent que la mission signifie
principalement une notion et par consequent l’essence d’après l’effet qui lui
est rattaché. Mais d’autres dissent le contraire et cela me semble
plus près de la vérité si on considère la puissance du mot lui-même. La
mission en effet, d’après la signification du nom ne dit pas la sortie d’un
être comme du principe par lequel la mission tient son existence mais
seulement dans le rapport à l’effet de la mission l’autorité de quelqu’un est
posée à l’égard de celui qui est envoyé. En effet, l’esclave qui est envoyé
par le seigneur ne sort pas de lui quant à son existence mais comme d’un
principe qui le meut à cet acte par un commandement. |
Sed quia in divinis personis non potest esse
auctoritas respectu missi, nisi secundum originem essendi, ideo ex
consequenti importatur relatio originis in missione, secundum quam est
notionale ; et principaliter importatur ordo ad effectum missionis secundum
quem est essentiale. Sed in processione temporali est e converso: quia
processio secundum notionem suam, prout sumitur in divinis, dicit exitum a
principio originante, et non dicit ordinem ad effectum nisi ex consequenti ;
scilicet quantum ad modum processionis, [qui est temporalis add. Éd. de Parme], ut dictum est,
art. antec. Et ideo processio temporalis videtur esse principaliter notionale,
et ex consequenti significare essentiam ratione connotati effectus. [Dico
autem, quod hic accedit plus Éd. de
Parme]. Datio autem accedit adhuc plus ad essentiam quam missio, ut patet
ex dictis. |
Mais parce que
dans les Personnes divines il ne peut y avoir une autorité par rapport à
celui qui est envoyé que d’après l’origine de l’existence, c’est pourquoi par
conséquent la relation d’origine est impliquée dans la mission et d’après
laquelle la mission est notionnelle ; et principalement c’est le rapport
à l’effet de la mission qui est impliqué et d’après lequel la mission est essentielle. Mais
dans la procession temporelle c’est l’inverse : car la procession selon
sa notion, si on la prend dans les personnes divines, dit une sortie d’un
principe d’origine et ne dit pas un rapport à un effet si ce n’est comme
conséquence, c’est-à-dire quant à la modalité de la procession, [qui est
temporelle add. Éd. de Parme] ainsi
que nous l’avons dit dans l’article précédent. Et c’est pourquoi la
procession temporelle semble être principalement notionnelle et par
conséquent signifier l’essence en raison de l’effet qui lui est rattaché.
[Mais je dis qu’ici s’approche davantage Éd.
de Parme]. Mais la donation s’approche encore davantage de l’essence que
la mission ainsi qu’on le voit en partant de ce qui a été dit. |
[1099] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad tria prima argumenta. |
Solutions: 1. Suite à cela, la solution aux trois premières
difficultés est évidente. |
[1100] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod notio potest significari in divinis dupliciter: aut
proprie, sicut paternitas vel innascibilitas ; aut communiter, sicut esse ab
alio vel a quo est alius ; et hoc modo significatur notio in missione ; et
ideo communis est duabus personis ab alio existentibus. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la notion en Dieu peut être signifiée de deux
manières : ou bien proprement, comme la paternité et
l’inascibilité ; ou bien au sens large, comme d’exister par un autre ou
ce par quoi un autre existe ; et en ce sens la notion est signifiée dans
la mission ; et c’est pourquoi elle est commune à deux personnes qui
existent par un autre. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [La mission convient-elle à toutes les personnes ?] |
|
|
Articulus 1 [1101] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a.
1 tit. Utrum missio conveniat omnibus personis |
Article 1 – La mission convient-elle à toutes les personnes ? |
[1102] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 1
Deinde quaeritur cui convenit mitti. Et videtur quod toti Trinitati. Sicut
enim dicit Damascenus, lib. I Fide, orthod.,
cap.II, col. 79, in divinis omnia
unum sunt, praeter ingenerationem, generationem et processionem. Sed missio
nullum horum est. Ergo videtur quod toti Trinitati convenit. |
Difficultés : 1. On se
demande ensuite à qui il convient d’être envoyé. Et il semble que cela
convienne à toute la Trinité. En effet, comme le dit Damascène [1 De la Foi
Orthodoxe, ch. 11, col. 79], en Dieu tout est un, à l’exception de
l’inascibilité, de la génération et de la procession. Mais la mission
n’appartient à aucune de ces trois notions. Il semble donc que la mission
appartienne à toute la Trinité. |
[1103] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 2
Praeterea, missio divinae personae intelligitur secundum hoc quod ipsa
persona per missionem manifestatur. Unde dicit Augustinus, IV De Trinit., cap. XX, col. 906, quod
mitti est cognosci quod ab alio sit. Sed effectus in creatura qui fit per
missionem, manifestat totam Trinitatem sicut causatum suam causam. Ergo
videtur quod tota Trinitas mittatur. |
2. Par
ailleurs, la mission de la personne divine se comprend selon ceci que la personne elle-même est manifestée par la
mission. C’est pourquoi Augustin dit [IV De
la Trinité, ch. XX, col. 906] qu’on dit qu’est envoyé ce qui est connu
comme venant d’un autre. Mais l’effet qui est produit par la mission dans la
créature manifeste toute la Trinité comme le causé manifeste sa cause. Il
semble donc que toute la Trinité soit envoyée. |
[1104] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 3
Praeterea, sicut dona appropriata Filio et et Spiritui sancto sunt
communicabilia creaturae, scilicet sapientia et bonitas, ita et dona
appropriata Patri, scilicet potentia. Sed ratione illorum donorum
appropriatorum eis dicuntur Spiritus sanctus et Filius mitti. Ergo eadem
ratione et Pater. |
3. En outre,
tout comme les dons appropriés au Fils et à l’Esprit-Saint, à savoir la
sagesse et la bonté, sont cummunicables à la créature, de même encore les
dons appropriés au Père, à savoir la puissance, sont eux aussi communicables
à la créature. Mais c’est en raison de ces dons qui leur sont appropriés
qu’on dit du Fils et de l‘Esprit-Saint qu’ils sont envoyés. Pour la même
raison, il en est donc de même pour le Père. |
[1105] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 4
Item, ubicumque est Filius vel Spiritus sanctus, est et Pater. Sed Spiritus sanctus
vel Filius dicuntur mitti, quia novo modo existunt in aliqua creatura. Ergo
videtur quod simul cum eis Pater mittatur, et ita toti Trinitati convenit mitti. |
4. De plus,
partout où sont le Fils et l’Esprit-Saint, le Père y est aussi. Mais on dit
de l’Esprit-Saint et du Fils qu’ils sont envoyés parce qu’ils existent d’une
nouvelle manière dans la créature. Il semble donc que le Père soit envoyé
simultanément avec eux et qu’il convienne ainsi à toute la Trinité d’être
envoyée. |
[1106] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 5
Sed contra, videtur quod solus Filius mittatur. Sicut enim dicit Augustinus,
IV de Trinitate, cap. XX, col. 906,
mitti est cognosci quod ab alio sit. Sed cognitio appropriatur Filio, qui est
Verbum et sapientia Patris. Ergo solus Filius videtur mitti. |
5. Au
contraire, il semble que seul le Fils soit envoyé. En effet, comme le dit
Augustin [IV De la Trinité, ch. XX,
col. 906], on dit qu’est envoyé ce qui est connu comme venant d’un autre.
Mais la connaissance est appropriée au Fils qui est le Verbe et la sagesse du
Père. Il semble donc que seul le Fils soit envoyé. |
[1107] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 6
Item, videtur quod solus Spiritus sanctus. Omnia enim dona spiritualia
pertinent ad manifestationem Spiritus, ut habetur 1 Corinth. 12, 7: unicuique
datur manifestatio Spiritus ad utilitatem. Sed per missionem manifestatur
persona divina. Ergo videtur quod solus Spiritus mittatur in omnibus donis. |
6. Aussi, il semble que seul l’Esprit-Saint soit envoyé. En
effet, tous les dons spirituels appartiennent à la manifestation de l’Esprit
ainsi que l’affirme l’Apôtre [1 Corinth., 12, 7] : À chacun est donnée
la manifestation de l’Esprit pour le service. Mais la personne divine est
manifestée par la mission. Il semble donc que seul l’Esprit-Saint soit envoyé
dans tous les dons. |
[1108] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, in hac dist.,
qu. 1, art. 1, in omni missione oportet quod ponatur aliqua auctoritas
alicujus ad ipsum missum. In divinis
autem personis non est auctoritas nisi secundum originem ; et ideo nulli
personae divinae convenit mitti nisi ei quae est ab alio, respectu cujus
potest in alio designari auctoritas ; et ideo Spiritus sanctus et Filius
dicuntur mitti, et non Pater vel Trinitas ipsa. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire, comme nous l’avons déjà dit [dist. 15, quest. 1, art. 1],
que dans toute mission il faut que l’autorité d’une personne soit posée à
l’égard de celui qui est envoyé. Mais dans les personnes divines il n’y a
d’autorité que selon l’origine ; et c’est pourquoi il ne convient à une
personne divine d’être envoyée que si elle vient d’une autre et sous ce rapport
l’autorité peut être désignée comme étant dans l’autre ; et c’est
pourquoi on dit du Fils et de l’Esprit-Saint qu’ils sont envoyés et non le
Père ou la Trinité elle-même. |
[1109] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in missione includitur intellectus processionis et
generationis implicite quantum ad id quod commune est eis, scilicet esse ab
alio: quamvis non quantum ad propriam rationem generationis vel processionis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que dans
la mission sont implicitement inclus
les concepts de procession et de génération quant à ce qui leur est commun, à savoir d’exister par
un autre, bien qu’ils ne le soient pas quant à leur définition propre. |
[1110] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in missione non tantum est effectus doni creati
creaturae collati, sed etiam, ut dictum est, in corp. art., ponitur
auctoritas alicujus principii respectu ipsius missi. Unde in missione
personae cognoscitur persona ab alia esse, secundum Augustinum IV De Trinit., cap. XX, col. 906. Et quia
hoc non convenit toti Trinitati nec ipsi Patri, ideo non potest dici Pater
vel Trinitas mitti. Et praeterea effectus ille magis appropriatur uni
personae quam alii, secundum quem una persona dicitur mitti et non alia. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que dans la mission il n’y a pas seulement l’effet du
don qui est uni à la créature mais aussi, comme nous l’avons dit dans le
corps de l’article l’autorité d’un principe est posée par rapport à celui qui
est envoyé. C’est pourquoi dans la mission de la personne il est connu que la personne vient
d’une autre d’après Augustin [IV De la
Trinité, ch. XX, col. 906]. Et parce que cela ne convient pas à toute la
Trinité ni au Père lui-même, c’est pourquoi on ne peut attribuer la mission
ni au Père ni à la Trinité. Et par ailleurs tel effet est davantage approprié
à une personne qu’à une autre, selon lequel on dit d’une personne et non
d’une autre qu’elle est envoyée. |
[1111] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia, quae appropriatur
patri, non habet rationem ut pertineat ad reditum in finem ; sed magis
pertinet ad exitum a principio, dicit enim potentia rationem principii: et
ideo non pertinet ad missionem, quae fit ad revocandum rationalem creaturam
in Deum. Et praeterea Pater, in quo est
prima auctoritas, non potest designari mitti, quia respectu ejus nulla
habetur auctoritas. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la puissance qui est appropriée au Père n’a pas
raison de se rapporter à un retour vers la fin mais plutôt elle se rapporte à
une sortie d’un principe car la puissance en effet a raison de
principe : et c’est pourquoi elle ne se rapporte pas à la mission qui a
lieu pour rappeler la créature rationnelle à Dieu. Et par ailleurs le Père
dans lequel se tient la première autorité, ne peut être identifié comme un
envoyé car au-dessus de Lui il n’y a aucune autorité. |
[1112] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod cum Pater sit in Filio, et Filius in Spiritu sancto,
quando Filius mittitur, simul et venit Pater et Spiritus sanctus ; sive
intelligatur de adventu Filii in carnem, cum ipse dicat, Joan. 8, 16: Solus non sum [et non sum solus Éd. de Parme], sed ego, et qui misit me Pater, sive
intelligatur de adventu in mentem, cum ipse dicat, Joan. 14, 23: Ad eum veniemus, et mansionem apud eum
faciemus. Et ideo adventus vel inhabitatio convenit toti Trinitati: quae
non dicuntur nisi ratione effectus conjungentis ipsi Trinitati, quamvis ille
effectus ratione appropriationis possit ducere magis in unam personam quam in
aliam. Sed missio super hoc addit auctoritatem alicujus respectu personae
quae mitti dicitur ; et ideo non potest convenire nisi personae quae est ab
alio principio. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que puisque le Père est dans le Fils et que le Fils
est dans l’Esprit-Saint, quand le Fils est envoyé, le Père et l’Esprit-Saint
viennent simultanément ; soit qu’on le prenne quant à la venue du Fils
dans la chair comme Il le dit lui-même dans Jean (8, 16) : Je ne
suis pas seul [et je ne suis pas seul Éd.
de Parme] mais il y a moi et le
Père qui m’a envoyé ; soit qu’on le prenne quant à sa venue dans
notre intelligence, comme Il le dit lui-même dans Jean (14, 23) : Nous
viendrons chez lui et nous ferons notre maison en lui. Et c’est pourquoi
la venue ou l’habitation convient à toute la Trinité et ces termes ne sont
dits qu’en raison de l’effet qui unit à la Trinité elle-même, bien que cet
effet en raison de l’appropriation puisse conduire davantage à une personne
qu’à une autre. Mais la mission ajoute à cela l’autorité d’une personne par
rapport à la personne qu’on dit être envoyée ; et c’est pourquoi la
mission ne peut convenir qu’à la personne qui vient d’une autre comme de son
principe. |
[1113] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod quamvis cognitio approprietur Filio, tamen donum illud
ex quo sumitur experimentalis cognitio, quae necessaria est ad missionem, non
necessario appropriatur Filio, sed quandoque Spiritui sancto, sicut amor. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que bien que la connaissance soit appropriée au Fils,
cependant ce don, d’où se tire la connaissance expérimentale qui est
nécessaire à la mission, n’est pas nécessairement approprié au Fils, mais
parfois à l’Esprit-Saint en tant
qu’amour. |
[1114] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in dono duo est considerare: scilicet rationem doni, et sic manifestat omne donum
Spiritum sanctum, inquantum habet rationem primi doni, secundum quod est amor
; aut secundum speciem doni, et sic aliquod donum
manifestat ipsum Filium, sicut sapientia vel scientia. |
6. Il faut
dire en sixième lieu qu’il y a deux choses à considérer dans le don : Soit la notion
universelle de don et ainsi tout don manifeste l’Esprit-Saint selon qu’Il a
raison de premier don en tant qu’Il est amour ; Soit l’espèce
du don et ainsi un don particulier manifeste le Fils lui-même en tant qu’il
est sagessse ou science. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [La mission par comparaison à celui qui envoie] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[1115] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 pr. Deinde
quaeritur de missione per comparationem ad mittentem, et circa hoc duo
quaeruntur: 1 utrum alicui personae
conveniat quod mittat se, vel procedat a se, vel det ; 2 utrum Filius mittatur a Spiritu sancto. |
Par la suite
on s’interroge sur la mission par
rapport à celui qui envoie et à ce sujet on pose deux questions : 1. Convient-il
à une personne de s’envoyer elle-même, de procéder d’elle-même ou de se donner
elle-même? 2. Est-ce que
le Fils est envoyé par l’Esprit-Saint ? |
|
|
Articulus 1 [1116] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a.
1 tit. Utrum
aliqua persona mittat se vel det |
Article 1 – Est-ce qu’une personne
s’envoie ou se donne elle-même ?
|
[1117] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla persona det se, vel mittat se.
Dans enim semper videtur habere auctoritatem respectu dati. Sed nulla persona
habet auctoritatem respectu sui ipsius. Ergo videtur quod nulla persona det
se. |
Difficultés : 1. Il semble
q’aucune personne ne s’envoie ou ne se donne elle-même. Celui qui donne en
effet semble toujours posséder une autorité par rapport à ce qui est donné.
Mais aucune Personne ne possède une autorité par rapport à elle-même. Il
semble donc qu’aucune personne ne se donne. |
[1118] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 3 a. 1 arg. 2 Item supra, dist. 14,
dixit Magister, quod homines non possunt dare Spiritum sanctum, quia ab eis
non procedit. Sed nulla persona procedit a seipsa ; alias esset principium sui ipsius. Ergo nulla persona seipsam dare potest. |
2. En outre,
plus haut (dist. 14), le Maître a dit que les hommes ne peuvent donner
l’Esprit-Saint car il ne procède pas d’eux. Mais aucune personne ne procède
d’elle-même autrement elle serait principe d’elle-même. Donc, aucune personne
ne peut se donner elle-même. |
[1119] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 3
Item, sicut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 2, missio ponit exitum
ipsius missi a mittente. Sed nulli personae convenit [exire a seipsa Éd. de Parme] mittere se. Ergo nulli personnae convenit mittere se |
3. De plus,
ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction (quest. 1, art. 2), la
mission affirme que l’envoyé lui-même sort de celui qui envoie. Mais il ne
convient à aucune personne [de sortir d’elle-même Éd. de Parme] de s’envoyer elle-même. Donc il ne convient à
aucune personne de s’envoyer elle-même. |
[1120] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 4
Item, sicut dictum est, processio principaliter importat respectum personae
ad principium a quo distinguitur. Sed nulla persona divina distinguitur a seipsa. Ergo
nec a se procedit. |
4. Par
ailleurs, ainsi que nous l’avons dit, la processon implique principalement un
rapport de la personne à un principe dont elle se distingue. Mais aucune
personne divine ne se distingue d’elle-même. Donc aucune personne divine ne
procède d’elle-même. |
[1121] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 5
Praeterea, haec praepositio a
importat habitudinem principii. Sed nulla res est principium sui ipsius. Ergo
etsi conceditur quod aliqua persona mittit se, non debet concedi quod
mittatur a se. |
5. De plus,
cette préposition ¨par¨ implique un rapport à un principe. Mais aucune
chose n’est le principe d’elle-même.
Donc, bien qu’on concède qu’une personne s’envoie elle-même, on ne doit pas
concéder qu’elle est envoyée par elle-même. |
[1122] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 s. c. 1
Contra, Augustinus, IV De Trinit., cap.
XX, XXIX, col. 908 : « Sicut generari est Filium esse a Patre, ita
Filium cognosci esse a Patre, est Filium mitti ». Sed ista cognitio
potest causari a Filio. Ergo et missio Filii potest esse a Filio. |
Cependant : 1. Au
contraire, Saint-Augustin [IV De la
Trinité, ch. XX, & 29 , col. 908] dit : ¨Tout comme la génération fait exister le
Fils par le Père, de même c’est la
mission du Fils qui fait connaître que le Fils vient du Père¨. Mais cette
connaissance peut être causée par le Fils et par conséquent la mission du
fils peut venir du Fils. |
[1123] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 s. c. 2
Item, hoc videtur ex his quae in littera dicuntur. |
2. En outre
cela est clair en partant de ce qui est dit dans le document. |
[1124] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum differentiam
donationis, missionis et processionis superius assignatam in hac dist.,
quaest. 1, art. 1, diversimode oportet in hac quaestione loqui. Si enim accipiamus donationem sive dationem, de
ratione dationis non videtur plus esse nisi quod datum libere a dante
habeatur. Hoc autem potest esse dupliciter: aut sicut aliquis libere seipsum habet, vel aliquid
quod in ipso est ; aut sicut libere aliquis habet suam possessionem, vel id respectu cujus dominium habet, secundum quod
habere multis modis dicitur. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire que d’après la distinction qui a été assignée [dist. 15,
quest. 1, art. 1] entre la donation, la mission et la procession, il importe
dans cette question de parler de différentes manières. Si en effet nous
prenons la donation, il ne semble pas y avoir plus dans la définition de la
donation que ce qui est donné est possédé librement par celui qui donne. Mais
cela peut avoir lieu de deux manières : Soit comme
celui qui se possède lui-même librement ou qui possède librement quelque
chose qui est en lui ; ou comme celui qui possède librement sa
possession. Soit ce par
rapport à quoi il possède une autorité, selon que ¨posséder¨ se dit de
multiples manières. |
Unde de ratione donationis non est quod ponatur
aliqua auctoritas respectu ipsius dati (potest enim aliquis et seipsum ex
amore dare alicui in amicum), nisi specificetur datio secundum specialem
modum habendi, qui est secundum dominium. Talis autem donatio nulla est
respectu divinorum. Et ideo donatio non exigit aliquam rationem principii respectu
ipsius dati. Unde dari, potest convenire et essentiae divinae, prout dicimus
quod Pater dat essentiam suam Filio ; et potest convenire Patri, ut dicatur
Pater seipsum dare ; et similiter Filio, et Spiritui sancto. Nec notabitur
aliqua distinctio dantis ad datum, nisi forte secundum rationem, sicut
intelligentis ad intellectum. Et sic concedimus simpliciter quod persona dat
se, et datur a se. |
C’est pourquoi
il ne fait pas partie de la notion de donation qu’une autorité soit posée par
rapport à cela même qui est donné (quelqu’un peut en effet par amour se
donner lui-même dans son ami), à moins que la donation ne soit spécifiée
d’après un mode spécial de possession qui est celui du maître. Mais il n’y a
aucune donation de cette sorte par rapport aux personnes divines. Et c’est
pourquoi la donation n’exige pas l’idée de principe par rapport à cela même
qui est donné. C’est pourquoi ¨être donné¨ peut s’attribuer à la fois à
l’essence divine, selon que nous disons que le Père donne son essence au
Fils, au Père lorsque nous disons que le Père se donne lui-même, et de la
même manière au Fils et à l’Esprit-Saint. Et on ne notera pas une distinction
entre celui qui donne et ce qui est donné, saug bien sûr selon la raison comme on le fait entre celui qui
comprend et ce qui est compris. Et c’est ainsi que nous concédons absolument
que la personne se donne elle-même et qu’elle est donnée par elle-même. |
Sed circa missionem est major difficultas, quam
attestatur opinionum diversitas. Quidam enim dicunt, quod omnes tales sunt
falsae: Spiritus sanctus mittit se
vel Filius mittit se. Et dicunt,
rationes Magistri non valere ; quia cum missio includat in se notionem, non
oportet quod in potentia vel operatione missionis tres personae conveniant,
sicut nec in generatione vel potentia generandi. Et dicunt etiam non esse
simile de missione in carnem, secundum quam Filius seipsum mittere dicitur ;
quia in illa missione natura creata assumitur in unitatem divinae personae ;
quod non contingit in aliis missionibus. |
Mais en ce qui
concerne la mission la difficulté est plus grande, ce qu’atteste la diversité
des opinions. Certains en effet disent que toutes ces propositions sont
fausses : L’esprit-Saint s’envoie
lui-même ou le Fils s’envoie
lui-même. Et ils disent que les raisonnements du Maître ne sont pas
valides ; car puisque le mission inclut en elle la notion, il ne faut
pas que dans la puissance et l’opération de la mission les trois
personnes se rencontrent, tout comme
il ne faut pas qu’elles se rencontrent dans la génération ou la puissance
d’engendrer. Et ils disent encore qu’il n’en est pas de même pour la mission
dans la chair selon laquelle on dit du Fils qu’il s’envoie lui-même ;
car dans cette mission la nature créée est assumée dans l’unité de la
personne divine, ce qui ne se produit pas dans les autres missions. |
Et si in auctoritate aliqua invenitur quod Spiritus
sanctus mittat se, glossandum est: idest, a Spiritu sancto est effectus, in
quo ab alio cognoscitur esse. Sed quia sancti communiter talibus locutionibus
utuntur et praecipue Augustinus et Magister hoc concedunt ; ideo alii
dixerunt, quod missio aliquando proprie sumitur, aliquando improprie. Quando
missio sumitur proprie, importat distinctionem missi ab eo a quo fit missio ;
et ideo hoc modo non potest dici quod Spiritus sanctus mittat se. Communiter
autem sumitur et improprie missio pro influentia vel datione ; et sic dicunt
Spiritum sanctum mittere se quia dat se vel quia inspirat se. |
Et si on
trouve dans une autorité que l’Esprit-Saint s’envoie lui-même, on doit s’en
moquer : à savoir qu’il y a un effet produit par l’Esprit-Saint dans
lequel effet est connu qu’il vient d’un autre. Mais parce que les saints se
servent communément de telles locutions, et surtout Augustin et le Maître,
ils concèdent cela ; c’est pourquoi d’autres auront dit que la mission
se prend parfois proprement, parfois improprement. Quand la mission se prend
proprement, elle implique une distinction de celui qui est envoyé de celui
d’où vient la mission ; et c’est pourquoi en ce sens on ne peut dire que
l’Esprit-Saint s’envoie lui-même. Mais prise communément et improprement, la
mission tient lieu d’influence ou de donation ; et en ce sens ils disent
que l’Esprit-Saint s’envoie lui-même parce qu’il se donne lui-même ou parce
qu’il s’inspire lui-même. |
Et haec opinio est Praepositini et Altisiodorensis,
lib. I Summae VIII. Et quia haec
opinio parum videtur recedere a prima ; ideo dixerunt alii, quod proprie
dicitur Spiritus sanctus se mittere. Et huic consentiendum videtur, si virtus
nominis attendatur. Missio enim, ut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 1,
importat duo ; scilicet missum esse ab alio, ratione auctoritatis quam
importat ; et iterum effectum, secundum quem novo modo in aliqua creatura
Spiritus sanctus dicitur. Unde sensus est: Spiritus sanctus mittitur ; idest,
est ab aliquo, et fit novo modo in aliquo, nulla tamen mutatione facta circa
ipsum, ut prius dictum est. Notandum est autem, quod diversimode verificatur
locutio, quando aliquod conjunctum praedicatur de aliquo secundum esse, et
quando secundum fieri. Quando enim praedicatur secundum esse, oportet quod
utrumque illorum esse dicatur ; ut si dicam, Socrates est homo albus, oportet
eum esse hominem, et album esse ; nisi alterum diminuat rationem alterius, ut
cum dicitur, homo mortuus. |
Et cette
opinion est celle de Préposition et d’Altisiodore [1 De la Somme VIII]. Et parce que cette opinion semble peu
s’éloigner de la première c’est pourquoi d’autres ont dit que c’est
proprement qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il s’envoie. Et il semble qu’il
faille se rallier à cette position si on s’arrête à la puissance du nom. La
mission en effet, ainsi que nous l’avons dit [dist. XIV, quest. 1, art. 1],
implique deux choses : à savoir que l’envoyé vient d’un autre en raison
de l’autorité qu’elle implique ; et en outre elle implique l’effet selon
lequel on dit de l’Esprit-Saint est présent d’une manière nouvelle dans une
créature. C’est pourquoi le sens est : l’Esprit-Saint est envoyé,
c’est-à-dire qu’il vient de la part d’un autre et il se fait présent
d’une nouvelle manière dans une
créature sans qu’aucun changement ne soit produit en Lui, ainsi que nous
l’avons dit antérieurement. Il faut
cependant remarquer que la locution se vérifie différemment quand ce qui est
rattaché à une chose s’attribue à quelque chose selon l’existence et selon le
devenir. Quand il s’attribue selon l’existence, il faut dire de chacun des
deux qu’il existe ; par exemple si je dis que Socrate est un homme
blanc, il faut qu’il soit un homme et qu’il soit blanc, à moins que l’un des
deux n’amoindrisse la notion de l’autre comme lorsqu’on dit ¨homme mort¨. |
Sed quando praedicatur conjunctum secundum fieri,
sufficit quod alterum in fieri praedicetur ; ut si dicam, Socrates est nunc
factus homo albus, sufficit ad veritatem hujus locutionis, quod sit nunc
factus albus, quamvis non sit factus homo. Item notandum est, quod quando
aliquod compositum praedicatur de aliquo secundum fieri, diversimode se habet
in faciente et in facto. Quia ex parte facti, oportet quod utrumque
praedicetur secundum esse, etsi non utrumque secundum fieri, ut si dicam,
iste est factus homo albus, oportet eum esse hominem et esse album, nisi
alterum sit diminuens ; non autem oportet quod fiat homo, sed sufficit quod
fiat album. |
Mais quand ce qui
est rattaché s’attribue selon le devenir, il suffit que l’un s’attribue dans
le devenir ; comme lorsque je dis que Socrate est maintenant en train de
devenir un homme blanc, il suffit, pour que cette locution soit vraie, qu’il
soit maintenant en train de devenir blanc bien qu’il ne soit pas en train de
devenir homme. Il faut en outre noter que lorsqu’un composé s’attribue à un
sujet selon le devenir, cela se présente différemment dans ce qui est en
train de devenir et dans ce qui est
devenu. Car du côté de ce qui est devenu, il faut que chacun des deux soit
attribué selon l’existence bien que chacun d’eux ne soit pas attribué selon
le devenir, comme si je disais que celui-ci est devenu homme blanc, il faut
qu’il soit homme et qu’il soit blanc, sauf si l’un est un terme de
diminution ; cependant il ne faut pas qu’il devienne homme, mais il
suffit qu’il devienne blanc. |
|
|
Unde oportet ad hoc ut dicatur missus, quod et sit
ab alio, et fiat in aliquo secundum novam habitudinem. Propter quod Pater non
potest dici mitti, quia non est ab aliquo. Si autem accipiamus ex parte
mittentis, tunc mittere Spiritum sanctum nihil aliud est quam facere Spiritum
sanctum existentem ab alio, esse in aliquo secundum novam habitudinem ; et
ideo cuicumque personae convenit facere alterum istorum, scilicet quod sit in
aliquo secundum novam habitudinem, dicetur mittere Spiritum sanctum, quamvis
non sit principium Spiritus sancti, secundum quod est ab aliquo. Et quia tota
Trinitas facit Spiritum sanctum esse in aliquo secundum novam habitudinem,
propter donum collatum totius Trinitatis ; ideo tota Trinitas dicitur mittere
Spiritum sanctum ; et ipse seipsum mittit et ipse a se mittitur sub eodem
sensu. |
C’est pourquoi
il faut, pour dire qu’une Personne est envoyée, qu’elle vienne d’une autre et
qu’elle se présente dans un être sous un nouveau rapport. Et c’est pourquoi
on ne peut dire du Père qu’il est envoyé car il ne vient pas d’un autre. Mais
si on le prend du côté de celui qui envoie, alors envoyer l’Esprit-Saint
n’est rien d’autre que de faire que l’Esprit-Saint, qui existe par un autre,
soit dans un être sous un nouveau rapport ; et c’est pourquoi on dira de
toute Personne à laquelle il convient de remplir une de ces conditions de la
mission, à savoir pour l’esprit-Saint d’être dans un être sous un nouveau
rapport, qu’elle envoie l’Esprit-Saint, bien qu’elle ne soit pas le principe
de l’Esprit-Saint selon qu’Il vient d’un autre. Et parce que toute la Trinité
rend l’Esprit-Saint présent dans un être sous un nouveau rapport, pour cette
raison ce dernier est le don réuni de toute la Trinité ; c’est pourquoi
on dit de toute la Trinité qu’elle envoie l’Esprit-Saint ; et dans le
même sens Il s’envoie lui-même et Il est envoyé par lui-même. |
Ulterius, si loquamur de processione, habebit minus
de proprietate, et minus proprie dicetur, Spiritum sanctum procedere a se,
quam mitti a se. Sed tamen, quia processio temporalis, ut dictum est, loc.
cit., ponit novam habitudinem ad creaturam in quam procedit, et omnis novitas
pertinet ad aliquam factionem ; ideo etiam secundum processionem temporalem
Spiritus sanctus ens ab alio est et existens novo modo in aliquo. Et sic sub
eodem sensu conceditur quod Spiritus sanctus procedat a se temporaliter. |
Par la suite,
si nous parlons de procession, le terme sera moins propre et on dira moins
proprement de l’Esprit-Saint qu’Il procède de lui-même que si on dit qu’il
est envoyé par lui-même. Cependant, parce que la procession temporelle, ainsi
que nous l’avons dit, pose un nouveau rapport à la créature dans laquelle il
procède et que toute nouveauté appartient à une production, c’est pourquoi
encore selon la procession temporelle l’Esprit-Saint est un être qui vient
d’un autre et qui existe d’une nouvelle manière dans un être. Et ainsi en ce
sens nous concédons que l’Esprit-Saint procède temporellement de lui-même. |
[1125] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod non est de ratione dationis quod ponatur aliqua
auctoritas respectu dati, nisi quando datur aliquid quod habetur per modum
dominii ; et talis datio non est in divinis, ut dictum est, in corp. art. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu qu’il ne fait pas partie de la notion de donation
qu’une autorité soit posée par rapport à ce qui est donné sauf quand est
donné quelque chose qui est possédé à la manière d’un maître ; et une
telle donation ne se trouve pas en Dieu, ainsi que nous l’avons dit dans le
corps de l’article. |
[1126] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod neutrum horum homines efficiunt quae in missione
importantur ; quia nec gratiam conferunt, nec ab eis Spiritus sanctus
procedit ; et ideo nullo modo potest homo mittere Spiritum sanctum. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que les hommes ne produisent aucune des choses qui
sont impliquées dans la mission ; car ils ne confèrent pas la grâce et
l’Esprit-Saint ne procède pas d’eux ; et c’est pourquoi en aucune
manière l’homme ne peut envoyer l’Esprit-Saint. |
[1127] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod missio non ponit tantum exitum ; sed cum hoc aliquid
aliud, scilicet esse in creatura secundum novam habitudinem. Et quamvis
secundum alterum, scilicet exitum, non referatur ad se sicut ad principium ;
tamen secundum utrumque conjunctum refertur ad se sicut ad principium ; ipse
enim facit, se existentem ab alio, secundum novam habitudinem esse in aliquo
ratione perfectionis quam illi confert. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la mission ne pose pas seulement une sortie ;
mais avec cela elle pose quelque chose d’autre, à savoir une existence dans
la créature d’après une nouvelle relation. Et beine qued’apre`s l’autre aspect, à savoir la
sortie, l’Esprit-Saint ne se rapporte pas à lui-même comme à un principe,
cependant d’après les deux aspects réunis il se rapporte à Lui-même comme à un principe ; c’est
Lui-même en effet qui, existant par un autre, se fait exister dans un être
selon un nouveau rapport en raison de la perfection qu’il lui apporte |
[1128] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod quamvis processio importet tantum respectum ad
personam a qua habet esse, tamen processio temporalis, ut dictum est,
importat respectum ad creaturam in quam procedit ; et hujus ratione
temporaliter dicitur procedere a se, sicut et mitti a se. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que bien que la procession implique seulement un
rapport à la personne de laquelle Il tient l’existence, cependant la
procession temporelle, comme nous l’avons dit, implique un rapport à la
créature dans laquelle Il procède ; et en raison de ce rapport on dit
qu’il procède temporellement de lui-même, tout comme on dit qu’il est envoyé
par lui-même. |
[1129] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod ipse Spiritus sanctus quamvis non sit principium sui ipsius
simpliciter, tamen ipse facit, se existentem ab alio, esse in aliquo secundum
novam habitudinem ; et secundum hoc, totum conjunctum refertur in se sicut in
principium, ratione alterius tantum, ut patet ex praedictis in hoc art. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que l’Esprit-Saint lui-même, bien qu’il ne soit pas le
principe de Lui-même à parler absolument, cependant Lui-même, existant par un
autre, se fait exister dans un être dans une nouvelle relation ; et
d’après cela, tout ce qui est ainsi conjoint se rapporte à lui comme à un
principe, en raison de l’autre seulement, comme cela est clair à partir de ce
qui précède dans cet article. |
|
|
Articulus 2 [1130] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a.
2 tit. Utrum Spiritus sanctus mittat vel det Filium |
Article 2 – L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ? |
[1131] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non det vel mittat
Filium. Augustinus, III De Trinit., cap.
V, col. 849, enim dicit, quod exire Filium a Patre et venire in mundum hoc
est Filium mitti a Patre. Sed Filius non exit a Spiritu sancto. Ergo non
mittitur ab ipso. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’Esprit-Saint ne donne pas ou n’envoie pas le Fils. En effet, Augustin
[111 De la Trinité, ch. V, col.
849] dit que le fait que le Fils sorte du Père et qu’il vienne dans le monde,
telle est la mission que le Fils
reçoit du Père. Mais le Fils ne sort pas de l’Esprit-Saint. Il n’est donc pas
envoyé par Lui. |
[1132] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 3 a. 2 arg. 2 Item, sicut Filius se habet ad Patrem, ita Spiritus
sanctus ad Filium. Sed Filius nullo modo mittit Patrem. Ergo nec Spiritus sanctus Filium. |
2. En outre,
l’Esprit-Saint se rapporte au Fils comme le Fils se rapporte au Père. Mais en
aucune manière le Fils n’envoie le Père. Donc l’Esprit-Saint n’envoie pas le
Fils. |
[1133] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 1
Contra, Isa. 48, 16: Et tunc misit me
Dominus, et Spiritus ejus ; et exponit Glossa de Filio. Ergo mittitur a
Patre et Spiritu sancto. |
Cependant : On lit au
contraire dans Isaïe (48,
16) : Alors le Seigneur et son
Esprit m’a envoyé ; et la Somme donne cette explication au sujet du
Fils. Donc le Fils est envoyé par le Père et par l’Esprit-Saint. |
[1134] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 2 Item, Ambrosius, lib. III, cap. II, col. 811 De
Spiritu sancto : « Datus Filius est a Patre, ut Isaias dicit,
9, 6, Filius datus est nobis. Datus
est (audeo dicere) et a Spiritu sancto, quia a Spiritu sancto missus
est ». Ergo et cetera. |
2. De même Ambroise [111 De l’Esprit-Saint, ch. 11, col. 811] : ¨Le Fils a été donné
par le Père comme le dit Isaïe (9, 6) : Le Fils nous a été donné. Il a été donné (j’ose dire) aussi par
l’Esprit-Saint car c’est par l’Esprit-Saint qu’il a été envoyé¨. Donc, etc. |
|
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que certains
distinguent trois missions chez le Fils. La première
par laquelle Il a été envoyé dans la chair, une deuxième par laquelle il a
été envoyé dans l’esprit et une troisième par laquelle il est envoyé en
prédication ; et ils disent que le Fils est envoyé par l’Esprit-Saint
selon cette dernière mission mais non selon les deux premières dans
lesquelles il n’est envoyé que par le Père. La raison en est, selon eux, que
la mission de la prédication peut
convenir au Christ en raison de la nature humaine dont l’acceptation est
présupposée ; mais les deux premières missions se rapportent à la
Personne même du Fils car la mission dans la chair appartient à la personne
elle-même en elle-même, et non en raison de la nature humaine dont l’acceptation découle
de la mission selon l’intelligence comme l’effet découle de sa cause et comme
le terme suit le mouvement. |
Et similiter in mentem non mittitur ratione humanae
naturae. Et quia Spiritus sanctus non habet auctoritatem respectu personae
Filii sed tantum respectu naturae assumptae, ideo concedunt tertiam missionem
Filii esse a Spiritu sancto et non duas primas. Sed quia, ut dictum est, in hac distin., quaest. 1,
art. 2, non requiritur de necessitate quod in mittente sit auctoritas
respectu missi, sed tantum efficientia respectu ejus secundum quod missus
dicitur mitti ; ideo concedimus quod Spiritus sanctus et tota Trinitas misit
Filium, secundum quamlibet missionem ; et praecipue cum Augustinus, in lib. II
De Trint., cap. V, 8 expresse dicat
eum missum a Spiritu sancto loquens de missione in carne: « mitti,
inquiens, a Patre sine Spiritu sancto non potuit: quia Pater intelligitur eum
misisse, cum fecit eum ex femina ; quod utique non fecit sine Spiritu sancto ». |
Et de la même
manière il n’est pas envoyé dans l’esprit en raison de la nature humaine. Et
parce que l’Esprit-Saint ne possède pas une autorité par rapport à la
personne du Fils mais seulement par rapport à la nature qu’il a prise, c’est
pourquoi ils concèdent que la trisième mission du Fils vient de
l’Esprit-Saint et non les deux premières. Mais parce
que, ainsi que nous l’avons dit [dist. 15, quest. 1, art. 2], il n’est par
nécessairement requis qu’il y ait chez celui qui envoie une autorité par rapport
à celui qui est envoyé mais seulement une efficience par rapport à celui
selon lequel on dit de l’envoyé qu’il est envoyé, c’est pourquoi nous
concédons quel’Esprit-Saint et toute la Trinité envoie le Fils selon chacune
des missions ; et surtout qu’Augustin [11 De la Trinité, ch. V, 8] dit expressément que le Fils est envoyé
par l’Esprit-Saint en parlant de la mission dans la chair : ¨Le Fils n’a
pas pu être envoyé par le Père sans l’Esprit-Saint, parce que l’on comprend
que le Père l’a envoyé lorsqu’il l’a fait à partir d’une femme, ce qu’Il
n’a pas fait sans l’Esprit-Saint¨. |
[1136] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quando Pater dicitur mittere Filium, in mittente
intelligitur auctoritas respectu missi, non inquantum est mittens, sed
inquantum est Pater ; et ideo Filium mitti a Patre est ipsum exire a Patre.
Non autem ostenditur auctoritas in mittente cum seipsum Filius mittere
dicitur, vel cum Spiritus sanctus eum mittit ; et ideo Filium mitti a se vel
a Spiritu sancto, non est ipsum exire a se vel a Spiritu sancto. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que lorsqu’on dit du Père qu’il envoie le Fils, une
autorité est comprise dans celui qui envoie par rapport à celui qui est
envoyé, non pas en tant qu’il est celui qui envoie, mais en tant qu’Il est
Père ; et c’est pourquoi l’envoie du Fils pas le Père est sa sortie même
du Père. Mais aucune autorité n’est manifestée dans celui qui envoie
lorsqu’on dit que le Fils s’envoie lui-même ou que l’Esprit-Saint l’envoie ;
et c’est pourquoi l’envoie du Fils par lui-même ou par l’Esprit-Saint n’est
pas une sortie de Lui-même ou de l’Esprit-Saint. |
[1137] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Filius non potest mittere Patrem ; quia Pater non
potest mitti, cum non sit ab alio. Si ab alio esset, et mitti posset et
Filius eum mitteret. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que le Fils ne peut envoyer le Père ; car le Père
ne peut être envoyé puisqu’Il ne vient pas
d’un autre. S’il venait d’un autre, il pourrait être envoyé et le Fils
l’enverrait. |
|
|
Quaestio 4 |
Question 4 – [La mission invisible du Fils en soi] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[1139] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 pr. Ad
intellectum hujus partis de duobus quaeritur. Primo de missione Filii invisibili,
secundum se ; quia de visibili dicetur in 3. Secundo de missione per
comparationem ad eos ad quos sit missio. |
Pour
comprendre cette partit on s’interroge sur deux points : en premier lieu
sur la mission invisible du Fils en elle-même car on parlera de sa mission
visible dans le livre 3 ; en deuxième lieu sur la mission par rapport à
ceux pour lesquels il y a mission. |
Circa primum tria quaeruntur: 1 utrum missio invisibilis conveniat Filio ; 2 utrum fit distincta a missione Spiritus sancti
invisibili ; 3 utrum aliqua missio sit aeterna, sicut processio
est aeterna et temporalis. |
Et au sujet du
premier point on pose trois
questions : 1. Convient-il
au Fils d’avoir une mission invisible ? 2. Cette
mission serait-elle distincte de la mission invisible de
l’Esprit-Saint ? 3. Y a-t-il
une mission qui est éternelle, tout comme il y a une procession qui est
éternelle et une autre qui est temporelle ? |
|
|
Articulus 1 [1140] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a.
1 tit. Utrum Filius invisibiliter mittatur in mentem |
Article 1 – Le Fils est-il envoyé invisiblement en esprit ? |
[1141] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius
invisibiliter in mentem non mittatur. Ad missionem enim divinae personae
requiritur quod cognoscatur ipsa persona adveniens ; et praecipue in missione
sapientiae, quam nullus habens ignorat. Sed adveniente Filio, non cognoscitur
ejus adventus. Job 9, 11: Si venerit ad
me, non intelligam. Non videbo
illum, si abierit [non …abierit om.
Éd.
de Parme]. Ergo videtur quod Filius non mittatur in mentem. |
Difficultés : 1. Il semble
que le Fils ne soit pas envoyé invisiblement en esprit. Il est requis en
effet à la mission de la personne divine que la personne qui survient soit
connue ; et c’est surtout le cas pour la mission de la sagesse que nul
n’ignore lorsqu’il la possède. Mais lorsque le Fils vient, sa venue
n’est pas connue. C’est là ce qui est
dit en Job 9, 11 : Si tu viens vers moi, je ne comprendrai pas. Je ne le
verrai pas s’il s’en va [ne…s’en va om.
Éd. de Parme]. Il semble donc que le Fils ne soit pas envoyé en esprit. |
[1142] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg. 2
Item, missio est idem quod processio temporalis, ut supra dictum est, dist.
ista, quaest. 1, art. 1. Sed, sicut supra diximus, processio non habet quod
dicatur temporalis, nisi secundum respectum in quem est ; quem respectum
habet processio Spiritus sancti ex ipso modo processionis, inquantum procedit
ut amor. Cum igitur processio Filii ex suo modo non habeat respectum ut in quem,
sed solum ut a quo, videtur quod processio temporalis Filio non conveniat, et
ita nec missio. |
2. En outre,
la mission est identique à la procession temporelle, ainsi que nous l’avons
dit plus haut [dist. 15, quest. 1, art. 1]. Mais, ainsi que nous l’avons dit
plus haut, la procession n’a à être dite temporelle que par rapport à celui
dans lequel elle est ; et la procession de l’Esprit-Saint tient ce
rapport de son mode même de procession dans la mesure où il procède en tant
qu’amour. Donc, puisque la procession du Fils quant à son mode ne possède pas
un rapport à celui dans lequel elle est mais seulement à celui par lequel elle est, il semble
quela procession temporelle ne convienne pas au Fils et par conséquent ni la
mission. |
[1143] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg. 3
Praeterea, persona divina non mittitur nisi in donis gratiae gratum
facientis. Sed dona pertinentia ad intellectum quae appropriantur Filio, non
sunt gratum facientia, cum sint communia bonis et malis, ut dicitur 1
Corinth. 13: « Si habuero omnem
scientiam (...) caritatem autem non habuero, nihil sum ». Ergo
Filius non dicitur mitti invisibiliter in donis sibi appropriatis ; et ita
nullo modo. |
3. Par
ailleurs, la personne divine n’est envoyée que dans les dons de la grâce
sanctifiante. Mais les dons qui se rapportent à l’intelligence, lesquels sont
appropriés au Fils, ne sont pas ceux de la grâce sanctifiante, puisqu’ils
sont communs aux bons et aux méchants comme le dit l’Apôtre [1 Corinth.
13] : ¨Même si je possède toute la
science (…) si je ne possède pas l’amour, je ne suis rien¨. On ne peut
donc dire que le Fils est envoyé invisiblement dans les dons qui lui sont
appropriés ; et alors, Il n’est envoyé d’aucune manière. |
[1144] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 s. c. 1
In contrarium est quod habetur Sap. 9, 10: Mitte illam, sapientiam, de
caelis, scilicet tuis, a sede
magnitudinis tuae. Non autem loquitur de sapientia essentialiter dicta ;
quia illa non mittitur, cum non sit ab alio. Ergo loquitur de sapientia
genita, quae est Filius. |
Cependant : 1. On affirme
le contraire dans ce passage [Sagesse
9, 10] : Envoyez-la, cette
sagesse, de vos cieux, du trône de
votre gloire. Cependant on ne parle pas ici de la sagesse prise
absolument car celle-là n’est pas envoyée puisqu’elle ne vient pas d’un
autre. On parle donc de la sagesse qui est engendrée, laquelle est le Fils. |
[1145] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 s. c. 2
Item, Augustinus, libro IV De trinit., cap.
XX, 29, col. 906 : Sicut Filium generari, est ipsum esse a Patre ; ita
Filium mitti est cognosci quod sit a Patre. Hoc autem contingit. Ergo et
Filium mitti. |
2. En outre,
Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, 29, col. 906] dit : Tout comme la
génération du Fils est son existence même par le Père, de même la mission du
Fils consiste à être connu comme venant du Père. Mais cela est possible. Il
est donc possible que le Fils soit
envoyé. |
[1146] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut in exitu rerum a principio
dicitur bonitas divina in creaturas procedere, inquantum repraesentatur in
creatura per similitudinem bonitatis divinae in ipsa receptam [bonitas divina
recepta Éd. de Parme] ; ita in reductione rationalis creaturae in Deum
intelligitur processio divinae personae, quae et missio dicitur, inquantum
propria relatio ipsius personae divinae repraesentatur in anima per
similitudinem aliquam receptam, quae est exemplata et originata ab ipsa
proprietate relationis aeternae ; sicut proprius modus quo Spiritus sanctus
refertur ad Patrem, est amor, et proprius modus referendi Filium in Patrem
est, quia est verbum ipsius manifestans ipsum. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que tout comme dans le
fait que les choses sortent de leur
principe on dit que la bonté divine procède dans les creatures dans la mesure
où elle est représentée dans la créature par une similitude de la bonté
divine recue en la créature[bonté divine recue Éd. De Parme], de même dans le retour de la créature rationnelle
à Dieu on entend la procession de la personne divine qui est aussi appelée
mission, dans la mesure où la relation propre de la personne divine elle-même
est représentée dans l’âme par une certaine similitude recue qui est comme un
exemplaire qui tient son origine de la propriété même de la relation
éternelle; par exemple le mode propre par lequel l’Esprit-Saint se rapporte
au Père est l’amour, et il est le mode propre de rapporter le Fils au Père
car le Fils est le verbe qui manifeste le Père. |
Unde sicut Spiritus sanctus
invisibiliter procedit in mentem per donum amoris, ita Filius per donum
sapientiae ; in quo est manifestatio ipsius Patris, qui est ultimum ad quod
recurrimus. Et quia secundum receptionem horum duorum efficitur in nobis
similitudo ad propria personarum ; ideo secundum novum modum essendi, prout res
est in sua similitudine, dicuntur personae divinae in nobis esse, secundum
quod novo modo eis assimilamur ; et secundum hoc utraque processio dicitur
missio. |
C’est pourquoi, tout comme l’Esprit-Saint procède
invisiblement dans l’esprit par le don de l’amour, il en est de même pour le
Fils par le don de sagesse; et en cela nous avons une manifestation du Père qui est le dernier
auquel nous recourons. Et parce que d’après la reception de ces deux sortes
de dons est produite en nous une resemblance à l’égard de ce qui est propre
aux personnes, c’est pourquoi d’après ce nouveau mode d’exister, selon que la
chose existe dans cette ressemblance,
on dit que les Personnes divines existent en nous selon que nous sommes
assimilés à elles d’une manière nouvelle; et conformément à cela les deux
processions sont appelées missions. |
Ulterius, sicuti praedicta
originantur ex propriis personarum, ita etiam effectum suum non consequuntur
ut conjungantur fini, nisi virtute divinarum personarum ; quia in forma
impressa ab aliquo agente est virtus imprimentis. Unde in receptione hujusmodi
donorum habentur personae divinae novo modo quasi ductrices in finem vel
conjungentes. Et ideo utraque processio
dicitur datio, inquantum est ibi novus modus habendi. |
Par la suite, comme
les dons dont on vient de parler tirent leur origine de ce qui est propre aux
personnes, de même encore leur effet n’est atteint de manière à être uni à la fin que par la
puissance de l’Esprit-Saint car dans la forme inprimée par un agent est
présente la puissance de celui qui imprime. C’est pourquoi dans la réception
de tels dons les personnes divines se présentent d’une nouvelle manière comme
conduisant ou unissant à la fin. Et c’est pourquoi chacune des deux
processions est appelée donation, dans la mesure où il y a là un nouveau mode
de possession. |
[1147] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ad rationem missionis non requiritur quod sit ibi
cognitio actualis personae ipsius, sed tantum habitualis, inquantum scilicet
in dono collato, quod est habitus, repraesentatur proprium divinae personae
sicut in similitudine ; et ita dicitur quod mitti est cognosci quod ab alio
sit per modum repraesentationis, sicut [repraesentationis. Sicut Éd. de Parme] aliquid dicitur se manifestare vel facere cognitionem de
se, inquantum se repraesentat in sui similitudine. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que pour la notion de mission il n’est pas exigé
qu’il y ait là une connaissance actuelle
de la personne elle-même, mais seulement une connaissance habituelle,
c’est-à-dire dans la mesure où dans le bien rattaché, qui est un habitus
(possédé ?), ce qui est propre à la personne divine est représenté comme
dans une similitude ; et ainsi on dit qu’être envoyé c’est être connu
comme existant par un autre par mode de représentation, tout comme [de
représentation. Tout comme Éd. de Parme]
on dit qu’une chose se manifeste ou se fait connaître selon qu’elle se
représente dans ce qui lui ressemble. |
Sed tamen me habere actuale donum, in quo persona
divina detur, non possum scire certitudinaliter in actu, propter
similitudinem actuum naturalium [moralium Éd.
de Parme] ad actus meritorios
etsi possim ex aliquibus signis conjicere nisi per revelationem fiat
certitudo ; et ideo dicit Job: si venerit
ad me, non videbo eum ; si abierit, non intelligam ; quia
certitudinaliter gratia gratum faciens in qua est adventus divinae personae,
cognosci non potest ; quamvis ipsum donum perceptum sit in se sufficienter
ductivum in cognitionem advenientis personae. |
Mais je ne
peux savoir en acte avec certitude que je possède un don actuel dans lequel
la personne se donne à cause de la
ressemblance des actes naturels [moraux Éd. de Parme] aux actes
méritoires bien que je puisse à partir de certains signes le conjecturer, à
moins que la certitude ne vienne de la révélation ; et c’est pourquoi
Job dit : S’il vient vers moi, je
ne le verrai pas ; s’il s’éloigne, je ne le saisirai pas. Car la
grâce sanctifiante, dans laquelle est la venue de la personne divine, ne peut
être connue avec certitude, bien que le don perçu conduise suffisamment en
lui-même à la connaissance de la personne qui vient. |
[1148] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod proprium Spiritus sancti, quod est amor, potest dupliciter
habere respectum ad creaturam, vel ut objectum, vel secundum rationem
principii exemplaris ad principiatum exemplatum. Sed proprium Filii unam
tantum habere potest relationum dictarum, scilicet illam quae est secundum
rationem principii ; et hoc sufficit ad processionem temporalem Filii,
quamvis secundum plura possit attendi respectus temporalis in processione
Spiritus sancti: et ita etiam missio utrique convenire potest. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que le propre de l’Esprit-Saint, qui est amour, peut
avoir deux rapports à la créature : soit comme objet, soit selon la
notion de principe exemplaire à ce qui en résulte comme copie à l’image de
l’exemplaire. Mais le propre du Fils ne peut avoir qu’une seule des relations
que nous avons dites, à savoir celle qui est selon la notion de
principe ; et cela suffit à la procession temporelle du Fils, bien que
le rapport temporel dans la procession de l’Esprit-Saint puisse puisse
comporter plus de rapports : et ainsi la mission peut convenir à chacun
des deux. |
1149] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod quando aliquid participatur non secundum suum actum
perfectum, sed secundum aliquem modum, non dicitur proprie haberi ; sicut
animalia habent aliquem modum prudentiae, non tamen dicuntur prudentiam
habere, quia non habent actum rationis, qui proprie est actus prudentiae,
scilicet ipsa electio ; unde magis habent aliquid simile prudentiae quam
prudentiam. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que lorsqu’un être est participé non pas d’après son
acte parfait mais d’une certaine manière, on ne dit pas qu’il est possédé à
proprement parler ; par exemples les animaux possèdent une certaine
sorte de prudence mais on ne dit pas pour cela qu’ils possèdent la prudence
car ils ne possèdent pas l’acte de la raison, lequel est proprement l’acte de
la prudence, c’est-à-dire le choix ; c’est pourquoi, au lieu de posséder
la prudence, ils possèdent plutôt quelque chose de semblable à la prudence. |
Videmus autem in cognitione duos gradus: primum, secundum
quod cognitio intellectiva tendit in unum ; secundum, prout verum accipit ut
conveniens et bonum. Et nisi sit aliqua resistentia ex tali cognitione,
sequitur amor et delectatio ; quia, secundum philosophum, VII Ethic., cap. XIII et XIV, delectatio consequitur
operationem perfectam non impeditam. Unde felicitas contemplativa est quando
aliquis pervenit ad ultimam operationem intellectus et ipsam sine impedimento
exercet. Constat autem quod in processione Verbi aeterni est cognitio
perfecta secundum omnem modum, et ideo ex tali notitia procedit amor. |
Mais nous
observons deux degrés dans la connaissance : le premier, selon que la
connaissance intellectuelle tend vers quelque chose d’un ; le deuxième,
selon qu’elle reçoit le vrai comme convenable et comme un bien. Et à moins
qu’un obstacle ne naisse de cette connaissance, il s’ensuit l’amour et la
délectation ; car d’après le Philosophe [ VII Éthic. Ch. XIII et XIV, la délectation suit l’opération parfaite
non-empêchée. C’est pourquoi la félicité contemplative a lieu quand on
parvient à l’opération ultime de l’intelligence et qu’on l’exerce sans
obstacle. Il est clair cependdant que dans la procession du verbe éternel il
y a connaissance parfaite sous tous les rapports et c’est pourquoi l’amour
procède d’une telle connaissance. |
Unde dicit Augustinus, III De Trint., cap. X,: « Verbum quod insinuare intendimus cum
amore notitia est ». Quandocumque igitur habetur cognitio ex qua non
sequitur amor gratuitus, non habetur similitudo Verbi, sed aliquid illius. Sed
solum tunc habetur similitudo Verbi, quando habetur cognitio talis ex qua
procedit amor, qui conjungit ipsi cognito secundum rationem convenientis. Et
ideo non habet Filium in se inhabitantem nisi qui recipit talem cognitionem. |
C’est pourquoi
Augustin [111 De la Trinité, ch. X]
dit : ¨Le verbe que nous cherchons
à faire entendre est une connaissance pleine d’amour¨. Donc à chaque fois
qu’est possédée une connaissance de laquelle ne suit pas l’amour gratuit, la
similitude du Verbe n’est pas possédée mais quelque chose de Lui. Mais la
similitude du Verbe n’est possédée que lorsqu’est possédée cette connaissance
de laquelle procède l’amour qui unit à l’objet connu lui-même sous le rapport
de ce qui convient. Et c’est pourquoi ne possède le Verbe qui habite en lui
que celui qui reçoit une telle connaissance. |
Hoc autem non potest esse sine gratia gratum
faciente. Unde constat quod, simpliciter et proprie loquendo, Filius nec
datur nec mittitur, nisi in dono gratiae gratum facientis ; sed in aliis
donis quae pertinent ad cognitionem, participatur aliquid de similitudine
Verbi. |
Mais cela ne
peut avoir lieu sans la grâce
sanctifiante. C’est pourquoi il est clair que, à parler absolument et
proprement, le Fils n’est donné ou envoyé que dans le don de la grâce sanctifiante.
Mais pour ce qui est des autres dons qui se rapportent à la connaissance,
c’est quelque chose de la similitude du Verbe qui est participé. |
|
|
[1150] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 tit.
Utrum missio Filii distinguatur a missione Spiritus sancti |
Article 2 – La mission du Fils se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ? |
[1151] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio Filii
distinguatur a missione Spiritus sancti. Missio enim est temporalis processio,
ut supra dixit Magister, dist. 14. Sed alia est ratio processionis Filii,
alia ratio processionis Spiritus sancti: quia Spiritus sanctus procedit ut
amor, Filius ut verbum. Ergo et alia
ratio missionis. |
Difficultés : 1. Il semble
que la mission du Fils se distingue de celle de l’Esprit-Saint. La mission en
effet est une procession temporelle, ainsi que l’a dit le Maître dans la
distinction 14. Mais autre est la raison de la procession du Fils, autre est
celle de la procession de l’Esprit-Saint : car l’Esprit-Saint procède en
tant qu’amour alors que le Fils procède en tant que verbe. Donc la mission de
l’un diffère de la mission de l’autre. |
[1152] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 2
Item, omne quod convenit aliquibus secundum prius et posterius non convenit
eis secundum eandem rationem. Sed Spiritui sancto convenit datio per prius
quam Filio, quia habet rationem primi doni: ergo alia est ratio dationis in
utroque. Ergo et missionis, cum missio sit ipsa datio. |
2. En outre,
tout ce qui convient à plusieurs selon l’avant et l’après ne leur convient pas selon la même
définition. Mais la donation convient à l’Esprit-Saint avant de convenir au
Fils, car elle a raison de premier don : donc, la raison de la donation
diffère chez l’un et chez l’autre et par conséquent, puisque la mission est
la donation elle-même, la raison de la mission diffère dans les deux cas. |
[1153] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 3
Praeterea, dona in quibus datur Filius et Spiritus sanctus sunt diversa et
non dependentia ad invicem. Sed eorum quae non dependent ad invicem, unum
potest esse sine alio. Ergo missio Filii potest esse sine missione Spiritus
sancti et e converso, et ita sunt distinctae etiam secundum tempus missionis. |
3. De plus,
les dons dans lesquels le Fils et l’Esprit-Saint sont donnés sont différents
et ne dépendent pas les uns des autres. Mais parmi les choses qui ne
dépendent pas les unes des autres, les unes peuvent exister sans les autres.
Donc la mission du Fils peut exister sans celle de l’Esprit-Saint et
inversement, et ainsi elles sont distinctes même selon le temps de la
mission. |
[1154] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 4
Praeterea, videmus sensibiliter quosdam simplices ferventes esse in amore
divino, qui tamen sunt valde hebetes in cognitione divinae sapientiae et e
converso. Cum igitur missio Filii sit secundum donum sapientiae et missio
Spiritus sancti sit secundum amoris donum, videtur quod una missio sine alia
possit esse. |
4. Par
ailleurs, nous voyons de nos yeux certaines âmes simples et ferventes exister
dans l’amour divin et qui sont cependant grandement dépourvues dans la
connaissance de la sagesse divine et inversement. Donc, puisque la mission du
Fils s’opère selon le don de la sagesse et que la mission de l’Esprit-Saint
s’effectue selon le don de l’amour, il semble donc qu’une mission puisse
exister sans l’autre. |
[1155] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 5
Contra, missio Spiritus sancti est ad sanctificandum creaturam, ut supra
dixit Magister, dist. 14. Si igitur missio Filii quae est etiam in gratia
gratum faciente, cujus est sanctificare, esset alia a missione Spiritus
sancti, essent duae missiones ad sanctificandum creaturam rationalem ; et ita
altera superflueret, quod non invenitur in operibus divinis. Ergo una missio
non distinguitur ab alia. |
5. Au
contraire, la mission de l’Esprit-Saint est ordonnée à la sanctification de
la créature ainsi que l’a dit plus haut le Maîrte dans la distinction 14. Si
donc la mission du Fils, qui est aussi dans la grâce sanctifiante à laquelle
il appartient de sanctifier, était distincte de celle de l’Esprit-Saint, ily
aurait deux missions ordonnées à la sanctification de la créature
rationnelle ; et ainsi l’une des deux serait superflue, ce qui ne se
rencontre pas dans les œuvres divines. Donc, une mission ne se distingue pas
de l’autre. |
[1156] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de distinctione missionum Filii
et Spiritus sancti, tripliciter contingit loqui: aut quantum ad ipsarum
diversitatem realem, aut quantum ad rationem missionis, aut quantum ad earum
separationem. Si primo modo, cum in
missione duo considerentur: scilicet exitus personae missae ab alia, et
effectus secundum quem novo modo in creatura persona divina esse dicitur ;
utroque modo missio Filii est alia a missione Spiritus sancti secundum rem:
quia et generatio qua Filius exit a Patre, est alia a processione Spiritus
sancti qua exit ab utroque. Similiter donum quod perficit intellectum,
scilicet sapientia, secundum quod attenditur missio Filii, est aliud a dono
quod perficit affectum vel voluntatem, secundum quod attenditur missio
Spiritus sancti. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il est possible de parler de trois manières de la
distinction qu’il y a entre la mission du Fils et celle de
l’Esprit-Saint : soit quant à la distinction réelle qu’il y a entre
elles, quant à la notion de mission ou
quant à leur séparation. Si on en parle de la première manière, puisqu’il y a
dans la mission deux aspects à considérer, à savoir le fait que la personne
envoyée sort d’une autre et l’effet selon lequel on dit de la personne divine
qu’elle existe d’une nouvelle manière dans la créature ; et par ces deux
aspects la mission du Fils diffère de celle de l’Esprit-Saint par une
différence réelle : car la génération par laquelle le Fils sort du Père
diffère de la procession de l’Esprit-Saint par laquelle ce dernier sort des
deux autres. De la même manière le don qui donne sa perfection à
l’intelligence, à savoir la sagesse, et selon lequel s’étend la mission du
Fils, diffère du don qui donne sa perfection à l’affectivité ou à la volonté
et selon lequel s’étend la mission de l’Esprit-Saint. |
Si autem secundo modo de earum distinctione
loquamur, hoc potest esse dupliciter ; aut secundum rationem propriam utriusque, aut
secundum communem. Si secundum communem, tunc eadem ratio est missionis Filii
et Spiritus sancti quantum ad utrumque ; quia et esse ab alio commune est
utrique, et similiter esse novo modo in creatura. |
Mais si on
parle de leur distinction d’après la deuxième manière, cela peut se faire de
deux manières ; Soit d’après
la notion qui est propre à chacune des deux, soit d’après la notion commune.
Si c’est d’après la notion commune, alors la notion de la mission du Fils est
la même que celle de l’Esprit-Saint sous les deux rapports car exister par
une autre est commun aux deux Personnes et il en est de même pour ce qui est
d’exister d’une nouvelle manière dans la créature. |
Sed secundum propriam rationem utrumque differt:
quia et propria ratio processionis Filii non est propria ratio processionis
Spiritus sancti, cum ille procedat ut amor, et hic ut Filius vel verbum ; et
similiter proprius modus quo Filius dicitur esse in creatura, non est
proprius modus quo Spiritus sanctus est ; quinimmo unus per sapientiam, alter
per amorem. Si autem tertio modo, tunc dico, quod una missio
nunquam est sine alia ; quia amor sequitur notitiam ; notitia perfecta,
secundum quam est missio Filii, semper inducit in amorem, et ideo simul
infunduntur et simul augmentantur. |
Mais selon la
notion propre de mission les deux diffèrent : car d’une part la notion
propre de la procession du Fils n’est pas la notion propre de la procession
de l’Esprit-Saint, puisque ce dernier procède en tant qu’amour et que le
premier procède en tant que Fils ou Verbe ; et de la même manière
d’autres part le mode propre par lequel on dit du Fils d’il existe dans la
créature n’est pas le mode propre par lequel on dit de l’Esprit-Saint qu’il
existe dans la créature : car le premier y existe par la sagesse alors
que le dernier y existe par l’amour. Mais si on en
parle de la troisième manière, alors je dis qu’une mission n’est jamais sans
l’autre ; car l’amour suit la connaissance ; et la connaissance
parfaite, qui soutient la mission du Fils, conduit toujours à l’amour, et
c’est pourquoi ils se fondent et croissent simultanément. |
[1157] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod quamvis sit alia processio secundum rem,
conveniunt tamen in quodam communi secundum rationem, quod est esse ab alio. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que bien que les deux procession diffèrent réellement,
elles se rencontrent cependant dans une notion commune qui est celle
d’exister par un autre. |
[1158] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod, ut prius diximus, in divinis non est prius et
posterius ; tamen exitus Spiritus sancti praesupponit exitum Filii, secundum
ordinem naturae ; et ex parte ista, si liceret ita loqui, possemus dicere,
quod missio Filii ex parte exitus importati, est prior missione Spiritus
sancti. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que, ainsi que nous l’avons dit plus tôt, il n’y a pas
d’avant et d’après en Dieu ; cependant la sortie de l’Esprit-Saint
présuppose, d’après un ordre de nature, la sortie du Fils ; et de ce
côté, s’il était permis de parler ainsi, nous pourrions dire que la mission
du Fils, du côté de la sortie qu’elle implique, est antérieure à la mission
de l’Esprit-Saint. |
Sed hoc esset secundum rationem propriam utriusque, et
non secundum rationem communem. Si autem considerentur istae missiones
quantum ad effectum in creatura, hoc dupliciter: vel ex parte ipsius dantis
vel mittentis ; vel ex parte ipsorum donorum in quibus fit missio. Si ex
parte donorum, tunc simpliciter naturaliter notitia praecedit amorem, et ex
parte illa missio Filii missionem Spiritus sancti. Sed hoc erit secundum
rationis propriae considerationem, et non communis ; sicut omnes species
motus aequaliter conveniunt in ratione communi motus ; tamen secundum esse
suum proprium, motus localis est prior aliis motibus. Si autem ex parte
dantis, cum primum movens et inclinans ad dandum sit ipse amor, sic datio
Spiritus sancti est prior datione Filii. Sed hoc non ita exprimitur in
ratione missionis. |
Mais il en serait
ainsi d’après la notion propre à chacun et non d’après la notion commune.
Mais si on considérait ces missions quant à l’effet qu’elles produisent dans
la créature, on le ferait de deux manières : soit du côté de celui-là
même qui donne ou qui envoie ; soit du côté des dons mêmes dans lesquels
s’opère la mission. Si on le fait du côté des dons, alors la connaissance
précède naturellement l’amour de façon absolue, et de ce côté la mission du
Fils précède la mission de l’Esprit-Saint. Mais cela sera d’après la
considération de la notion propre et non d’après celle qui est commune ;
par exemple, toutes les espèces de mouvement se rencontrent également dans la
notion commune de mouvement ; cependant, selon l’existence qui lui est
propre, le mouvement local est antérieur aux autres mouvements. Mais si on
considère ce problème du côté de celui qui donne, puisque le moteur qui est
premier et qui incline à donner est l’amour lui-même, alors la donation de
l’Esprit-Saint est antérieure à la donation du Fils. Mais cela n’est pas
exprimé de cette manière dans la notion de mission. |
[1159] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod dona in quibus mittitur Filius et Spiritus sanctus,
consequuntur se invicem necessario, ut supra ostensum est, in corp. art., et
ideo ratio procedit ex falsis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que les dons dans lesquels le Fils et l’Esprit-Saint
sont envoyés se suivent nécessairement comme nous l’avons montré plus haut
dans le corps de l’article et c’est pourquoi cet argument procède de
prémisses fausses. |
[1160] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illa notitia ex qua procedit amor, viget in
ferventibus divino amore, qua scilicet cognoscunt divinam bonitatem inquantum
est finis, et inquantum est largissime in eos profluens sua beneficia ; et
talem notitiam perfecte non habent qui amore ipsius non accenduntur. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que cette connaissance de laquelle procède l’amour,
est florissante dans ceux qui brûlent
de l’amour divin, à savoir cette connaissance par laquelle ils connaissent la
bonté divine en tant que fin et en tant qu’elle coule abondamment en eux de
par sa bienfaisance ; et ceux qui ne sont pas élevés par son amour ne
possèdent pas parfaitement une telle connaissance. |
[1161] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod utraque missio ordinatur ad finem unum ultimum,
scilicet conjungere Deo ; sed effectus utriusque missionis differt secundum
duo quae inveniuntur in rationali creatura, quibus Deo conjungitur, scilicet
intellectus et affectus, et ita neutra superfluit. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que les deux missions sont ordonnées à une même fin
ultime, à savoir d’être uni à Dieu ; mais l’effet de chaque mission
diffère d’après deux aspects qu’on retrouve dans la créature rationnelle et
par lesquels elle est unie à Dieu, à savoir l’intelligence et l’affectivité,
et ainsi aucune des deux n’est inutile ou superflue. |
|
|
Articulus 3[1162] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a.
3 tit. Utrum missio possit esse aeterna |
Article 3 – La mission peut-elle être éternelle ? |
[1163] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod missio possit
esse aeterna. Sicut enim dicit Gregorius, Homil.,
XXVI, in octav. Paschae, 2, col. 1198, « eo mittitur Filius quo
generatur ». Sed generatio ejus
est aeterna. Ergo et missio. |
Difficultés : 1. Il semble
que la mission puisse être éternelle. En effet, comme le dit Saint Grégoire
[Homélie XXVI, dans l’Octave de Pâques, 2, col. 1198] : ¨Le Fils est envoyé du fait qu’il est
engendré¨. Mais sa génération est éternelle. Donc sa mission aussi est
éternelle. |
[1164] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg. 2
Item, sicut missio dicit respectum a quo est, et in quem ; ita et processio
amoris, ut supra dictum est, in hac dist., quaest. 1, art. 2. Sed processio
amoris est aeterna a Patre in Filium. Ergo
et missio potest esse aeterna. |
2. En outre,
tout comme la mission dit un rapport à celui d’où elle procède et au terme
auquel elle est ordonnée, il en est de même pour la procession de l’amour
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 1, art. 2]. Mais la
procession de l’amour qui va du Père au Fils est éternelle. Donc la mission
aussi peut être éternelle. |
[1165] Super Sent., lib. 1 d.
15 q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut missio dicitur per respectum ad
creaturam, ita et donum. Sed donum
Spiritus sancti dicitur ab aeterno. Ergo et missio potest dici aeterna. |
3. De plus,
tout comme la mission se dit par rapport à la créature, il en est de même
pour le don. Mais le don de l’Esprit-Saint se dit de toute éternité. Donc la
mission peut être dite éternelle. |
[1166] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 s. c. 1
Contra est illud quod Augustinus in littera
dicit: Non eo quod de Patre natus est,
dicitur Filius missus. |
Cependant : 1. Augustin
dit le contraire dans la lettre : Ce
n’est pas du fait qu’il est né du Père que le Fils est envoyé. |
[1167] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 s. c. 2
Praeterea, missio semper ponit novum modum existendi in aliquo ipsius missi.
Sed nihil novum est aeternum. Ergo non est aeterna, sed tantum temporalis: et
hoc simpliciter concedendum est. |
2. Par
ailleurs, la mission pose toujours pour celui qui est envoyé un nouveau mode
d’exister dans un être. Mais rien de nouveau n’est éternel. Donc la mission
n’est pas éternelle mais temporelle : et cela doit être concédé
absolument. |
[1168] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod verbum Gregorii potest tripliciter exponi. Uno modo quod loquatur de generatione temporali
ipsius Filii, secundum quam dicitur missus in carne. Secundo modo ut ly eo non sit adverbium, sed
ablativi casus ; ut sit sensus: ab eo a quo generatur mittitur: et hoc verum
est. Tertio modo ut loquatur non de missione in actu, sed
secundum aptitudinem: ex hoc enim Filius est, ut ita dicam, missibilis, quo a
Patre per generationem exivit. Esse enim ab alio non dicit totam rationem
missionis, ut patet ex dictis. |
Solutions : 1. Il faut
dire en troisième lieu que la parole de Saint Grégoire peut s’expliquer de
trois manières. Premièrement
dans le sens où il parle de la génération temporelle du Fils selon laquelle
on dit de lui qu’Il est envoyé dans la chair. Deuxièmement
de telle manière que ce ¨du fait¨ ne soit pas pris comme un adverve mais
comme un ablatif, de sorte que le sens serait : il est envoyé du fait
qu’Il est engendré : et cela est vrai. Troisièmement
de telle manière qu’il ne parle pas de la mission en acte, mais selon
l’aptitude : de sorte que je dirais que le Fils est apte à être envoyé
du fait qu’Il sort du Père par la génération. En effet, le seul fait
d’exister par un autre ne dit pas la totalité de la notion de mission, comme
on le voit à partir de ce qui a été dit. |
[1169] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod processio amoris, quamvis sit in aliquem, non tamen ponit
novum modum existendi in illo, et ideo potest esse aeterna: sed missio ponit
novitatem existendi in aliquo, et ideo non potest esse aeterna. Et propter
hoc, quamvis possit concedi aliquo modo quod Spiritus sanctus procedat a
Patre in Filium ab aeterno, non tamen conceditur quod mittatur a Patre in
Filium ab aeterno. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la procession de l’amour, bien qu’elle soit dans un
être, elle ne pose cependant pas une nouvelle manière d’exister dans cet
être, et c’est pourquoi elle peut être éternelle : mais la mission au
contraire pose une mouvelle manière d’exister dans un être et c’est pourquoi
elle ne peut être éternelle. Et pour cette raison, bien qu’on puisse concéder
en un sens que l’Esprit-Saint du Père dans le Fils de toute éternité, on ne
concède pas cependant qu’Il soit envoyé par le Père dans le Fils de toute
éternité. |
[1170] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio est nomen verbale, unde
importat actualem relationem ad creaturam ; sed donum imponitur ab aptitudine
donandi, et ideo non importat actualem respectum ad creaturam ; propter quod
ab aeterno Spiritus sanctus dicitur donum, non autem missus, sicut nec datus. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la mission est un nom verbal et c’est pourquoi il
implique une relation actuelle à la créature ; mais le don est un nom
imposé à partir de l’aptitude à donner et c’est pourquoi il n’implique pas
une relation actuellee à la créature ; et c’est pour cette raison qu’on
dit de l’Esprit-Saint qu’Il est un don de toute éternité, mais non qu’Il est
envoyé ni qu’il est donné de toute éternité. |
|
|
Quaestio 5 |
Question 5 – [la mission du Fils par comparaison avec ceux à qui il est envoyé] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[1171] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 pr. Deinde
quaeritur de missione Filii per comparationem ad eos ad quos mittitur ; et
circa hoc tria quaeruntur: 1 ad quos fiat missio Filii vel Spiritus sancti ; 2 supposito quod ad omnes sanctos, utrum plenius
post incarnationem quam ante ; 3 de effectu invisibilis missionis: utrum faciat eos
ad quos mittitur, non in hoc mundo esse. |
On s’interroge
ensuite sur la mission du Fils par rapport à ceux auxquels il est
envoyé ; et à ce sujet on pose trois questions : 1. Quels sont
ceux pour lesquels il y a mission du Fils ou de l’Esprit-Saint ? 2. En
supposant qu’elle s’adresse à tous les saints, est-elle plus substantielle
après l’incarnation qu’avant ? 3. Au sujet de
l’effet invisible de la mission, est-ce qu’elle fait que ceux auxquels elle
est envoyée n’existent plus en ce monde ? |
|
|
Articulus 1 [1172] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a.
1 tit. Utrum missio fiat ad creaturas irrationales |
Article 1 – La mission est-elle faite pour les créatures sans raison ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
|
[1173] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio
fiat etiam ad creaturas irrationales. Est enim missio ad sanctificandum
creaturam, ut dictum est, dist. 14, quaest. 2, art. 2. Sed quaedam creaturae irrationales dicuntur
sanctificari, ut templum et vasa. Ergo et ad eas fit missio. |
Difficultés : 1. Il semble
que la mission s’adresse même aux créatures irrationnelles. En effet, la
mission est ordonnée à la sanctification de la créature ainsi que nous
l’avons dit [dist. 14, quest. 2, art. 2]. Mais on dit de certaines créatures
irrationnelles qu’elles sont sanctifiées, comme un temple ou un vase. La
mission s’adresse donc à elles. |
[1174] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1
arg. 2 Item, in nullo potest esse gratia, nisi missio ad ipsum fiat. Sed in
sacramentis continetur gratia, et tamen sunt insensibiles creaturae. Ergo ad
eas fit missio. |
2. En outre,
la grâce ne peut être dans un être que si la mission s’adresse à lui. Mais la
grâce est contenue dans les sacrements, lesquels sont cependant des créatures
insensibles. La mission s’adresse donc aux créatures insensibles. |
[1175] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1
arg. 3 Item, Filius non tantum procedit ut Verbum manifestans Patrem per
modum cognitionis, sed etiam ut repraesentans Patrem secundum similitudinem
naturae. Sed omnes creaturae etiam insensibiles, habent similitudinem
generationis Filii, inquantum procedunt in aliqua imitatione divinae naturae,
secundum attributa participata ; sicut rationalis creatura participando
sapientiam, habet similitudinem ipsius, inquantum procedit ut Verbum. Ergo
cum ratione istius assimilationis dicatur Filius mitti ad rationales
creaturas inquantum est Verbum, eadem ratione debet mitti ad irrationales
inquantum est Filius. |
3. De plus, le
Fils ne procède pas seulement comme Verbe qui manifeste le Père par mode de
connaissance, mais aussi comme représentant le Père selon une similitude de
nature. Mais toutes les créatures, même celles qui sont insensibles, ont une
similitude de la génération du Fils en tant qu’elles procèdent dans une
certaine imitation de la nature divine d’après des attributs
participés ; par exemple la créature rationnelle, en participant de la
sagesse, possède une similitude possède une similitude de cette sagesse qui
procède comme Verbe. Donc, puisque c’est en raison de cette assimilation
qu’on dit du Fils qu’il est envoyé aux créatures rationnelles en tant qu’Il
est Verbe, pour la même raison Il doit être envoyé aux créatures
irrationnelles en tant qu’Il est Fils. |
[1176] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1
arg. 4 Contra, missio divinae personae est tantum secundum gratiam gratum
facientem, ut dictum est. Hujus autem creaturae rationales tantum capaces
sunt. Ergo ad eas tantum fit missio. |
4. Au
contraire, la mission de la Personne divine n’a lieu que selon la grâce
sanctifiante, comme nous l’avons dit. Cependant, seules les créatures
rationnelles sont capables de recevoir cette grâce. C’est donc à elles seules
que la mission s’adresse. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question
2 – [Dit-on que le Fils et l’Esprit Saint sont envoyés pour tous les saints
pour l’accroissement de la grâce ?]
|
[1177] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2
arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad omnes sanctos, ratione augmenti gratiae,
dicatur mitti Filius vel Spiritus sanctus. Et videtur quod non. Quia missio
dicit novum modum existendi personae divinae in creatura. Sed per gratiae
augmentum non dicitur alio modo Deus esse in sanctis quam prius. Ergo ad eos
non fit missio divinae personae. |
Difficultés : 1. On se
demande par la suite si on doit dire que le Fils et l’Esprit-Saint sont
envoyés à tous les saints pour l’accroissement de la grâce. Car la mission
dit une nouvelle manière d’exister de la Personne divine dans la créature.
Mais par l’augmentation de la grâce on ne dit pas de Dieu qu’il existe dans
les saints d’une manière qui est autre qu’antérieurement. La mission de la
Personne divine ne s’adresse donc pas à eux. |
[1178] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, missio personae fit ad revocandum
rationalem creaturam, ut Magister dicit. Sed
non revocantur nisi errantes. Ergo cum sancti non sint errantes, ad eos non
fit missio. |
2. Par
ailleurs, la mission de la Personne a lieu pour rappeler la créature
rationnelle, ainsi que le dit le Maître. Mais seuls ceux qui se sont égarés
sont rappelés ou ramenés. Donc, puisque les saints ne se sont pas égarés, la
mission ne s’adresse pas à eux. |
[1179] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 s.
c. 1 Contra, Spiritus sanctus missus est ad apostolos in Pentecostes in
visibili missione. Sed missio visibilis demonstrat invisibilem. Ergo etiam et
invisibiliter. Sed ipsi prius habebant gratiam. Ergo secundum augmentum
gratiae in sanctis, dicitur ad eos mitti Filius vel Spiritus sanctus. |
Cependant : 1. Au
contraire, l’Esprit-Saint a été envoyé aux Apôtres à la Pentecôte dans une
mission visible. Mais la mission visible manifeste la mission invisible.
Donc, l’Esprit-Saint leur a été envoyé aussi d’une manière invisible. Mais
ces derniers possédaient déjà la grâce avant. Donc, c’est pour l’augmentation
de la grâce qu’on dit du Fils et de l’Esprit-Saint leur a été envoyé. |
Quaestiuncula 3 |
Sous-question
3 – [La mission de l’Esprit Saint est-elle pour les anges et les autres
bienheureux ?]
|
[1180] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3
arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad Angelos et ad alios beatos fiat missio
Spiritus sancti. Videtur quod non. Missio enim semper est secundum aliquem
effectum gratiae, qui in ea mittitur. Sed in Angelis et beatis, qui
devenerunt ad terminum vitae, neque datur de novo gratia neque augetur. Ergo
ad eos non fit missio. |
Difficultés : 1. On se
demande par la suite si la mission de l’Esprit-Saint s’adresse aux Anges et
aux autres bienheureux. En effet, la mission a toujours lieu d’après un
certain effet de la grâce qui est envoyée en elle. Mais dans les Anges et les
bienheureux qui seront parvenus au terme de la vie, une nouvelle grâce ne
sera ni donnée ni augmentée. La mission ne s’adresse donc pas à eux. |
[1181] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3
arg. 2 Item, non est idem nuntius et ad quem fit missio. Sed in missione
Filii et Spiritus sancti, Angeli se habent ut nuntii, quia custodiunt et
suggerunt. Ergo videtur quod ad eos non fiat missio, quia sic oporteret ire
in infinitum. |
2. En outre,
le messager n’est pas identique à celui à qui s’adresse la mission. Mais dans
la mission du Fils et de l’Esprit-Saint, les Anges se présentent comme des
messagers car ils protègent et conseillent. Il semble donc que la mission ne
s’adresse pas à eux, car ainsi il faudrait procéder à l’infini. |
[1182] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 s.
c. 1 Sed contrarium habetur ex littera. |
Cependant : On établit le contraire dans le
document. |
Quaestiuncula 4 |
Sous-question
4 : [Une mission peut-elle être faite pour le Christ en tant qu’homme ?]
|
[1183] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4
arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad Christum, secundum quod homo, possit
fieri missio. Videtur quod non. Missio enim semper est ad distans. Sed humana
natura nunquam fuit in Christo distans a divina ; immo a principio
conceptionis suae fuit conjuncta per unionem et plenitudinem omnis gratiae.
Ergo videtur quod ad eum non fiat missio. |
Difficultés : 1. Par la
suite, on se demande s’il peut y avoir une mission qui s’adresse au Christ en
tant qu’il est homme. Et il semble que non. Une mission en effet est toujours
ordonnée à ce qui est éloigné. Mais dans le Christ la nature humaine ne fut
jamais éloignée de la nature divine ; bien au contraire, dès le début de
sa conception elle lui fut unie par une union et une plénitude de toute
grâce. Il semble donc que la mission ne s’adresse pas à Lui. |
[1184] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, missio est ad sanctificandum
creaturam. Sanctificatur autem quod non
est sanctum. Cum igitur Christus nunquam fuerit non sanctus, videtur quod ad
eum non possit fieri missio. |
2. De plus, la
mission est ordonnée à la sanctification de la créature. Mais ce qui est
sanctifié n’est pas saint. Donc, puisque le Christ ne fut jamais dans un état
où il n’était pas saint, il semble qu’il ne puisse y avoir une mission qui
s’adresse à Lui. |
[1185] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4
arg. 3 Contra, missio Spiritus sancti est ipsa datio. Sed Spiritus sanctus
datus est Christo, ut dicitur Joan.
3, 34: non ad mensuram dat Deus
Spiritum. Ergo ad eum fit missio. |
3. Au
contraire, la mission de l’Esprit-Saint est la donation elle-même. Mais
l’Esprit-Saint a été donné au Christ ainsi qu’on le lit dans Jean (3, 34) : Dieu Lui a donné l’Esprit sans mesure.
Donc, la mission s’adresse au Christ. |
[1186] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4
arg. 4 Praeterea, missio visibilis est signum invisibilis. Sed ad Christum
facta est missio visibilis Spiritus sancti in columbae specie, Matth. 3. Ergo
et invisibilis. |
4. Par
ailleurs, la mission visible est le signe de la mission invisible. Mais la
mission visible de l’Esprit-Saint s’est adressée au Christ sous la forme
d’une colombe comme le dit Matthieu au chapitre 3 de son évangile. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question
1
|
[1187] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum missio divinae
personae sit solum in donis gratiae gratum facientis, ad illos solum fit
missio quibus hujusmodi dona conferri possunt ; et ideo concedimus quod ad
omnes rationales creaturas potest fieri missio, nisi sint depravatae per
obstinationem in malo, sicut Daemones et damnati, et non ad irrationales
creaturas. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que puisque la mission de la Personne divine n’est présente
que dans les dons de la grâce sanctifiante, la mission ne s’adresse qu’à ceux
auxquels de tels dons peuvent être conférés ; et c’est pourquoi nous
concédons qu’il peut y avoir mission pour toutes les créatures rationnelles,
à moins qu’elles ne soient corrompues par une persévérance dans le mal, comme
c’est le cas pour le Démon et les damnés ; mais il n’y a pas mission
pour les créatures irrationnnelles. |
[1188] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad
1 Ad primum igitur dicendum, quod sanctificari tripliciter dicitur: uno modo secundum quod sanctum dicitur mundum, prout
sanctificatio dicitur emundatio a peccato per gratiam ; alio modo secundum quod sanctum dicitur firmum,
prout dicitur sanctificatio, confirmatio in bono per donum gratiae vel
gloriae, et istis duobus modis est tantum in rationali creatura, et secundum
hos tantum fit missio ; tertio modo dicitur sanctificatio, secundum quod
aliquid accommodatur ad usum divini cultus, quem decet omnis munditia, et hoc
modo dicuntur templum et vasa sanctificari. |
Solutions : 1. ll faut
donc dire en premier lieu qu’être sanctifié se dit de trois manières : En un sens
selon qu’on dit du monde qu’il est saint pour autant qu’on appelle
sanctification la purification du péché par la grâce. En un autre
sens selon qu’on appelle saint ce qui est ferme, pour autant que la
sanctification se dit de la confirmation dans le bien par le don de la grâce
ou de la gloire, et, par ces deux modalités, la mission est seulement dans la
créature rationnelle et ne s’effectue en elle que par ces modalités. En un
troisième sens la sanctification se dit de ce qu’on applique à l’usage du
culte divin qui exige une pureté absolue, et c’est en ce sens qu’on dit d’un
temple ou d’un vase qu’ils sont sanctifiés. |
[1189] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in sacramentis non
habetur gratia sicut in subjecto gratiae, sed sicut in instrumento in quo
confertur gratia. De hoc tamen habebitur in 4, distin. 1, quaest. 1, art. 1.
Unde sanctificatio sacramentorum pertinet ad tertium modum, secundum quem non
fit missio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les
sacrements la grâce n’est pas contenue comme dans le sujet de la grâce mais
comme dans l’instrument par lequel la grâce est conférée. Nous traiterons
cependant de cela plus loin [livre 4, dist. 1, quest. 1, art. 1]. C’est
pourquoi la sanctification se rapporte au troisième sens du nom
sanctification d’après lequel il n’y a pas mission. |
[1190] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio
pertinet ad reditum creaturae in finem ; et ideo non potest esse missio, nisi
secundum illa quae possunt dicere relationem in finem. Sed generatio Filii,
inquantum Filius est, dicitur tantum secundum exitum a principio, et ideo
secundum rationem illam non pertinet ad missionem, sed magis ad creationem,
secundum quod res educuntur in esse, prout dicitur, quod per Filium omnia
facta sunt. Sed ratio Verbi et amoris possunt se habere ad utrumque ; et ideo
ratio Verbi et amoris pertinet ad creationem et ad missionem. Et praeterea,
imitatio divinae naturae, quam Filius perfecte accipit, est etiam secundum
primos effectus, quibus in esse naturae subsistimus: qui non sufficiunt ad
talem conjunctionis rationem qualem missio requirit. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la mission se
rapporte au retour de la créature à sa finalité; et c’est pourquoi il ne peut
y avoir mission que pour ce qui peut dire une relation à la finalité. Mais la
génération du Fils, en tant que Fils, se dit seulement d’après une sortie du
principe, et c’est pourquoi elle ne peut se rapporter à la mission d’après
cette définition, mais plutôt à la création selon laquelle les choses sont
amenées à l’existence, comme on dit que c’est pas le Fils que toute chose a
été faite. Mais les notions de Verbe et d’amour peuvent comporter les deux
rapports et c’est pourquoi ces deux notions se rapportent à la fois à la
création et à la mission. Et par ailleurs l’imitation de la nature divine qui
est reçue parfaitement dans le Fils se réalise aussi selon les premiers
effets par lesquels nous subsistons dans notre existence de nature, lesquels
cependant ne suffisent pas à la notion de réunion exigée par la mission. |
[1191] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 4 Quartum concedimus. |
4. Nous
concédons la quatrième difficulté. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question
2
|
[1192] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod Filius et
Spiritus sanctus dicuntur mitti ad sanctos secundum augmentum gratiae. Sed
augmentum gratiae potest esse dupliciter: |
Corps
de l’article : Il faut dire,
par rapport à ce qu’on se demande par la suite, que le Fils et l’Esprit-Saint
sont envoyés aux saints pour l’augmentation de la grâce. Mais il peut y avoir
augmentation de la grâce de deux manières. |
aut secundum intentionem ejusdem
virtutis tantum, et ratione hujus augmenti non dicitur nova missio ; aut secundum quod per augmentum
gratiae perficit in novum usum vel actum gratiae, et secundum hoc dicitur
Spiritus sanctus et Filius mitti nova missione ; verbi gratia, notitia talis
quae habetur de Deo, ut ex ea procedat amor, sufficit ad rationem missionis
Filii. |
Soit
conformément à l’intention de la même
puissance seulement, et en raison de cette augmentation on ne dit pas
qu’il y a nouvelle mission ; Soit selon que
par l’augmentation de la grâce il y a perfectionnement dans un nouvel usage ou
un nouvel acte de la grâce, et c’est conformément à cela qu’on dit que
l’Esprit-Saint et le Fils sont envoyés dans une nouvelle mission ; en
d’autres mots, une telle connaissance qui est possédée sur Dieu, de telle
manière que l’amour procède d’elle, suffit à la notion de mission du Fils. |
Quando autem
ita notitia per inspirationem elevatur ut etiam divina mysteria cognoscat,
sic datur in dono prophetiae. Et similiter est de Spiritu sancto, quia amor caritatis
quicumque sufficit ad missionem Spiritus sancti. Sed quando virtus amoris
excrescit, ut ratione amoris conferatur sibi aliquis alius usus gratiae, ut
miracula facere, vel sine difficultate omnem tentationem vincere, vel aliquid
hujusmodi, tunc dicitur esse nova missio Spiritus sancti. Quidam tamen dicunt
quod in omni augmento gratiae gratum facientis, est missio divinae personae,
quod etiam facile potest sustineri. |
Mais quand la
connaissance est ainsi élevée par l’inspiration qu’elle connaît aussi les
mystères divins, elle est donnée dans la don de prophétie. Et il en est de
même pour l’Esprit-Saint car tout amour de charité suffit à la mission de
l’Esprit-Saint. Mais quand la puissance de l’amour s’étend démesurément, de
telle sorte qu’en raison de l’amour lui est conféré un autre usage de la
grâce, comme de faire des miracles ou de vaincre toute tentation sans
difficulté ou de poser toute opération de cette sorte, alors on dit qu’il y a
une nouvelle mission de l’Esprit-Saint. Certains disent cependant que dans
toute augmentation de la grâce sanctifiante il y a une mission d’une Personne
divine qui peut encore être soutenue avec facilité. |
[1193] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis non sit alius modus
accipiendo generales modos, tamen est secundum aliquem specialem modum,
inquantum secundum specialem usum gratiae assimilat sibi illum ad quem fit
missio. Vel etiam est in eo pleniori modo ; et hoc sufficit
ad missionem quantum ad secundam opinionem. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que bien qu’il n’y ait pas une autre manière de
recevoir les modes généraux, cependant cela a lieu d’après une manière
spéciale, dans la mesure où celui qui est envoyé s’assimile d’après un usage
spécial de la grâce celui auquel est ordonnée la mission. Ou bien encore Il
est en lui d’une manière plus parfaite ; et cela suffit à la mission
entendue selon la deuxième opinion. |
[1194] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod revocare aberrantem accidit
missioni ex parte ejus ad quem fit missio qui est in culpa. Missio enim
determinat terminum ad quem, ut scilicet per missionem gratia conferatur ;
non autem ex ratione missionis determinatur terminus a quo, sive sit status
culpae, sive sit status naturalium tantum, vel etiam status minoris gratiae.
Vel dicendum, quod quamvis non revocet actu errantem, tamen gratia facit ne
erret, et haec est quaedam revocatio ab errore. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que le rappel de
celui qui s’égare se produit dans la mission du côté de celui auquel la
mission est ordonnée, lequel est dans le péché. La mission en effet précise
le terme d’arrivée de la mission, c’est-à-dire que par la mission la grâce
soit conférée ; mais par la notion de mission le terme du départ n’est
pas déterminé, qu’il s’agisse de l’état de la faute, de celui des choses
naturelles seulement ou même de l’état d’une grâce inférieure. Ou bien il
faut dire que bien qu’elle ne rappelle pas en acte celui qui s’égare,
cependant la grâce fait qu’il ne s’égare pas et c’est là un certain rappel
qui détourne de l’erreur. |
Quaestiuncula 3 |
Réponse à la sous-question
3
|
[1195] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 co. Ad id quod ulterius quaeritur de
Angelis et beatis, dicendum, quod visio quae est essentialis beatitudini, et
caritas et hujusmodi quae pertinent ad praemium substantiale, non augentur in
eis ex quo jam beati sunt effecti ; sed per hoc non tollitur quin aliquae
revelationes novae fiant in eis, cum quantumcumque perficiatur eorum
cognitio, in infinitum a Dei cognitione excedatur ; et secundum illas novas
revelationes consurgunt ad Dei amorem, non quidem ut magis ament, sed ut sub
alia ratione eorum amor dirigatur in Deum. |
Corps de
l’article: Il faut dire, par rapport à ce qu’on cherche à
savoir par la suite au sujet des Anges et des
bienheureux, que la vision qui est essentielle à la béatitude
essentielle, et la charité et les autres attributs de cette sorte qui
appartiennent à la recompense substantielle, n’augmentent pas en eux du fait
qu’ils ont déjà été rendus bienheureux; mais cela n’empêche pas que de
nouvelles révélations se produisent en eux, puisque quelle que soit la
perfection à laquelle parvient leur connaissance, elle est dépassée à
l’infini par la connaissance de Dieu; et conformément à ces nouvelles
révélations ils s’élèvent à l’amour de Dieu, non pas de telle manière qu’ils
L’aiment advantage, mais de telle manière que leur amour se tourne vers Dieu
sous un autre rapport. |
[1196] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 ad 1 Dicendum igitur ad primum, quod
Angelis facta est missio Filii et Spiritus sancti in ipsa collatione gratiae
vel gloriae. Ulterius
etiam fit ad eos missio Filii et Spiritus sancti, postquam beati sunt
effecti, secundum novas revelationes et novos modos amandi. Et per hoc patet
responsio ad primum. Quia quamvis non fiat ad eos missio secundum augmentum
gratiae intensive, fit tamen, secundum quod quodammodo eorum gratia extensive
ad plura augetur ex novis revelationibus. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la mission du Fils et de l’Esprit-Saint a été
faite aux Anges dans l’union même à la grâce ou à la gloire. Par la suite
encore il y a mission du Fils et de l’Esprit-Saint envers eux, après qu’ils
aient été rendus bienheureux, d’après de nouvelles révélations et de
nouvelles manières d’aimer. Et par là la réponse à la première difficulté est
claire. Car bien qu’il ne se produise pas à leur égard une mission selon une
augmentation de la grâce d’une manière intensive, il s’en produit une
cependant, selon que leur grâce d’une certaine manière s’étend à plusieur
chose d’une manière extensive à partir de nouvelles révélations. |
[1197] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in eadem missione non est idem
nuntius et ad quem fit missio ; sed in diversis non est inconveniens. Dico
igitur, quod in missione divinarum personarum ad nos, Angeli sunt missi vel
nuntii, non tamquam ipsi menti illabentes, sed per ministerium exterius. In
missione vero quae fit ad eos, non sunt ipsi sicut nuntii, nisi forte secundum
quod superiores Angeli cooperantur divinis personis in illuminatione
inferiorum. Sed tamen non erit abire in infinitum: quia est devenire ad
supremos Angelos, qui immediate lumen divinae revelationis recipiunt. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que pour la même mission, le messager n’est pas
identique à celui à qui s’adresse la mission ; mais pour des missions
différentes, cela n’est pas un problème. Je dis donc que dans la mission des
Personnes divines à notre égard, les Anges sont des envoyés et des messagers,
non pas en tant que …, mais par un ministère de extérieur. Mais pour la
mission qui s’adresse à eux, ils ne sont pas eux-mêmes comme des messagers, à
moins peut-être selon que des Anges supérieurs collaborent avec les Personnes
divines pour l’illumination des Anges inférieurs. On ne pourra cependant
procéder à l’infini car il faut en venir à des Anges suprêmes qui reçoivent
immédiatement la lumière de la révélation divine. |
Quaestiuncula 4 |
Réponse à la sous-question
4
|
[1198] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 co. Ad id quod ulterius quaeritur de
Christo, dicendum, quod non est dubium quin ad humanam naturam in Christo
missus sit Dei Filius missione visibili quae est in carnem. Sed utrum ad
Christum, secundum quod homo est, mittatur Filius invisibiliter, vel Spiritus
sanctus visibiliter vel invisibiliter, dubium est. Quidam enim dicunt, quod
ad ipsum nulla invisibilis missio facta est. Cujus rationem assignant, quia Christus ab initio
conceptionis suae plenus fuit omni gratia: unde gratia in eo nullo modo fuit
augmentata. Et ideo neque ratione collationis gratiae, neque ratione augmenti
potest ad eum fieri missio invisibilis. Sed missio visibilis Spiritus sancti
ad ipsum facta est, ad manifestationem interioris gratiae et non alicujus
missionis interioris quae aliquam novitatem in gratia importaret. Alii
dicunt, et verius, ut videtur, quod ad animam Christi facta est missio
invisibilis in collatione gratiae quam in initio suae conceptionis accepit ;
sed postmodum nulla missio ad eum facta est, quia nulla circa ipsius gratiam
innovatio facta est. |
Corps de l’article : Quant à ce
qu’on cherche à savoir par la suite sur le Christ il faut dire qu’il n’y a
pas de doute que le Fils de Dieu, par la mission visible qui est dans la
chair, a été envoyé pour prendre la nature humaine qui est dans le Christ.
Mais est-ce que le Fils d’une manière invisible ou l’Esprit-Saint d’une
manière visible ou invisible, a été envoyé vers le Christ, cela n’est pas
évident. Certains en effet disent qu’aucune mission invisible n’a été faite
pour lui. Et ils en donnent pour raison que le Christ dès le début de sa
conception fut rempli de toute grâce : de là, la grâce en lui ne fut
augmentée d’aucune manière. Et c’est pourquoi ni en raison de la réunion de la grâce ni en raison de son
augmentation il ne peut y avoir mission invisible à son égard. Mais il y a eu
mission visible de l’Esprit-Saint à son égard pour manifester la grâce
intérieure et non une mission intérieure qui impliquerait une nouveauté dans
la grâce. D’autres disent, et avec plus de justesse, comme on le voit, qu’une
mission invisible a été faite pour l’âme du Christ dans la réunion de la
grâce qu’il a reçue au début de sa conception ; mais par la suite aucune
mission n’a été faite pour lui, car aucune nouveauté n’a été apportée à sa
grâce. |
[1199] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humana natura quamvis tempore
non fuerit ante unionem, tamen prius est ipsam considerare secundum
intellectum in se quam ut unitam ; et ideo ad ipsam fit missio Filii per
gratiam unionis, quae dicitur missio in carnem. Similiter etiam secundum quod
intelligitur unita, adhuc est distans a divina natura secundum conditionem
naturae, quamvis non secundum unitatem personae ; et ideo ad naturam humanam etiam
unitam potest fieri missio per gratiam invisibilem in mentem, quamvis tempore
natura gratiam non praecedat. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que bien qu’il n’y ait pas eu de nature humaine antérieurement à l’union
selon le temps, cependant il faut la considérer en elle-même selon l’intelligence avant de la considérer
comme étant unie ; et c’est pourquoi c’est à la nature humaine que la
mission du Fils est ordonnée par la grâce de l’union, qu’on appelle la
mission dans la chair. De la même manière encore selon qu’elle est comprise
comme étant unie, elle est encore éloignée de la nature divine selon une
condition de nature, bien qu’elle ne le soit pas selon l’unité de la
personne ; et c’est pourquoi il peut y avoir mission à l’égard de la
nature humaine, même en tant qu’elle est unie, par une grâce invisible dans
l’esprit, bien que la nature ne précède pas la grâce selon le temps. |
[1200] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sanctificare est sanctum facere.
Sanctum autem facere contingit dupliciter: vel ex non sancto, vel ex sancto. Ex non sancto dupliciter: vel
privative, idest quod primum fuerit natum habere sanctitatem non habens, et
sic sanctificari non convenit Christo ; vel negative, et sic convenit Christo
ex non sancto fieri sanctum secundum humanam naturam, quae prius quam esset,
sancta non erat ; et hoc sufficit ad rationem missionis. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que sanctifier signifie rendre saint. Mais rendre saint
se produit de deux manières : soit à partir de ce qui n’est pas saint,
soit à partir de ce qui est déjà saint. Et à partir de
ce qui n’est pas saint, il arrive de rendre saint de deux manières :
soit par la privation, c’est-à-dire pour qui ne possède pas la sainteté mais
qui était apte à la posséder, et en ce sens sanctifier ne convient pas au
Christ ; Soit
négativement, et en ce sens il convient au Christ à partir de ce qui n’est
pas saint de devenir saint selon la nature humaine qui, avant d’exister,
n’était pas sainte ; et cela suffit à la notion de mission. |
Ex sancto autem fieri sanctum, est
dupliciter: vel ex minus sancto facere magis sanctum, et in tali
sanctificatione adhuc salvatur ratio missionis, sed talis sanctificatio vel
missio Christo non competit ; vel secundum continuationem sanctitatis, ut sit
sanctificari, in sanctitate continuari. Sed hoc proprie non dicitur. Unde
haec sanctificatio non sufficit ad rationem missionis, quia non ponitur
aliqua innovatio ; quamvis talis sanctificatio Christo conveniat, ut ipse dicit
Joan. 17, 19: Ego pro eis sanctifico
meipsum. |
Mais devenir
saint à partir de ce qui est déjà saint se produit de deux manières :
soit de rendre plus saint à partir de ce qui est moins saint et dans une
telle sanctification est encore conservée la notion de mission, mais une
telle sanctification ou mission ne convient pas au Christ ; soit selon
la continuité de la sainteté, de telle manière qu’être sanctifié, c’est
continuer dans la sainteté. Mais cela ne se dit pas proprement de la
sanctification. C’est pourquoi cette sanctification ne suffit pas à la notion
de mission, car on ne retrouve pas en elle l’idée d’innovation, bien qu’une
telle sanctification convienne au Christ comme il le dit lui-même dans Jean (17,19) : Mais moi, c’est pour eux que je me sanctifie. |
[1201] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium, secundum aliam opinionem, potest dici, quod non
omnis datio est missio, sed illa quae fit alicui praeexistenti ; quamvis hoc
non multum habeat rationis. |
3. On peut
dire en troisième lieu, d’après une autre opinion, que toute donation n’est
pas une mission mais celle qui arrive à qui existe déjà, bien que cela ne
contienne pas beaucoup de raison. |
[1202] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum patet responsio per praedicta,
in corp. art. |
4. La réponse
à la quatrième difficulté est claire au moyen de ce qui a été dit dans le
corps de l’article. |
|
|
Articulus 2 [1203] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 5 a. 2 tit. Utrum missio invisibilis fuerit plenior post
incarnationem quam ante |
Article 2 – La mission invisible a–t-elle été plus complète après l’Incarnation qu’avant ? |
[1204] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
missio invisibilis non plenior fuerit post incarnationem quam ante. Missio
enim fit per quamdam irradiationem divinae bonitatis in donis gratiae gratum
facientis. Sed sol
corporalis, cui bonitatem divinam Dionysius, IV de divin. Nomin. §§1 et 4, col. 694, assimilat, semper aequaliter
irradiat. Ergo videtur quod missio omni tempore aequaliter fiat. |
Difficultés : 1. Il semble
que la mission invisible ne fut pas plus complète après qu’avant
l’incarnation. La mission en effet se produit par une irradiation de la bonté
divine dans les dons de la grâce sanctifiante. Mais le soleil physique,
auquel Denys [IV Les Noms Divins,
& 1 et 4, col. 694] compare la bonté divine, irradie toujours d’une
manière égale. Il semble donc qu’en tout temps la mission a lieu d’une
manière égale. |
[1205] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus, De
bono conjugali, cap. XXI, § 26, col. 391, dicit, quod caelibatus Joannis
non praefertur conjugio Abrahae, et ita videtur quod sancti novi testamenti
non sint majoris meriti quam sancti veteris testamenti. Sed plenitudo
missionis attenditur secundum copiam gratiae, quae est principium merendi.
Ergo videtur quod non plenius sit facta post incarnationem quam ante. Hoc
etiam videtur, quod sancti veteris testamenti proponuntur nobis in exemplum
perfectae virtutis, sicut patet ad Hebr. 11, ut Job proponitur in exemplum
patientiae, Abraham in exemplum fidei ; et sic de aliis. |
2. Par
ailleurs Augustin [Le bien conjugal,
ch. XXI, & 26, col. 391] dit que le célibat de Jean n’est pas préféré au
mariage d’Abraham et il semble ainsi que les saints du nouveau testament ne sont pas d’un plus
grand mérite que les saints de l’ancien testament. Mais la plénitude de la
mission se prend selon une imitation de la grâce, laquelle est le principe du
mérite. Il semble donc que la mission n’a pas été rendue plus complète après
l’incarnation qu’avant. On le voit encore à ce que les saints de l’ancien
testament nous sont proposés comme exemples d’une vertu parfaite, comme le
montre l’Apôtre dans l’Épître aux Hébreux (11), comme Job qui est présenté
comme un exemple de patience et Abraham comme un exemple de foi ; et il
en est ainsi pour les autres. |
[1206] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 2 s. c. 1 Contra Augustinus, IV De
Trin., cap. XX, § 29, col. 908, exponens illud Joan. 7, 39: Nondum erat
Spiritus datus, quia Jesus nondum erat glorificatus ait: Quomodo hoc
intelligitur nisi quod illa datio Spiritus vel missio futura erat qualis
nunquam ante fuerat ? Non enim antea nulla erat, sed non talis erat. Ergo
videtur quod post incarnationem plenior fuerit. |
Cependant : Augustin prend
une position contraire [IV De la
Trinité, ch. XX, & 29, col. 908] en expliquant ce passage de Jean (7,
39) : L’Esprit-Saint n’avait pas
encore été donné, car Jésus n’avait pas encore été glorifié, lorsqu’il
dit : Comment comprendre ce passage autrement qu’en ce sens, à savoir
que cette donation ou cette mission à venir de l’Esprit-Saint était telle
qu’elle n’avait jamais été avant ? En effet, elle n’était pas nulle
avant, mais elle n’avait pas une telle importance. Il semble donc qu’elle fut
plus complète après qu’avant l’incarnation. |
[1207] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de missione possumus loqui
dupliciter: vel ex parte ipsius mittentis, et sic
cum apud ipsum nulla sit transmutatio, aequalis fit missio in omni tempore ;
nisi forte secundum praedeterminationem sapientiae et praescientiae suae,
secundum quod praeordinavit sine sui mutatione, secundum diversas
congruitates temporum, aliquid uno tempore facere, et non alio ; vel ex parte eorum ad quos fit missio
; et sic illi qui magis sunt parati ad perceptionem gratiae, pleniorem
gratiam consequuntur. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que nous pouvons parler de la mission de deux manières : Soit du côté
de celui-là même qui envoie, et ainsi puisqu’il n’y a en lui aucun
changement, la mission est égale en tout temps, sauf peut-être d’après la
prédétermination de sa sagesse et de sa préscience, selon qu’il a ordonné à
l’avance sans aucun changement de sa part, d’après les différentes
opportunités des époques, de faire quelque chose en tel temps et on en un
autre ; Soit du côté
des êtres vers lesquels se porte la mission ; et ainsi ceux qui sont
davantage préparés à recevoir la grâce y parviennent plus pleinement. |
Dicendum igitur, quod quia per adventum
Christi remotum est obstaculum antiquae damnationis, totum humanum genus
effectum est paratius ad perceptionem gratiae quam ante: tum propter
solutionem pretii, et victoriam Diaboli ; tum etiam propter doctrinam
Christi, per quam clarius nobis innotescunt divina. Et ideo, loquendo
communiter, plenior facta est missio post incarnationem quam ante, quia de
plenitudine ejus omnes accepimus. Sed verum est quod ad aliquas speciales
personas est in veteri testamento plenissima facta missio secundum perfectionem
virtutis ; et ipsi tamen de plenitudine Christi acceperunt, inquantum in fide
mediatoris salvati sunt, secundum Augustinum, lib. III, De gratia Christi et de peccato originali., c. XXIV, col. 398. |
Il faut donc
dire que par la venue du Christ est écarté l’obstacle de l’ancienne
damnation, tout le genre humain a été rendu plus prêt qu’avant à recevoir la
grâce ; tant à cause de la perte de la récompense et de la victoire du
Diable d’une part, qu’à cause de la doctrine du Christ par laquelle les
choses divines nous sont connues plus clairement. Et c’est pourquoi, pour
parler universellement, la mission a été rendue plus complète après qu’avant
l’incarnation car nous avons tout reçu de sa plénitude. Mais il est vrai que
pour certaines personnes spéciales de l’ancien testament la mission fut la
plus complète selon la perfection de sa puissance ; et cependant
eux-mêmes ont accueilli la plénitude du Christ selon qu’ils ont été sauvés
par leur foi dans le médiateur, d’après Augustin [111 De la Grâce du Christ et du péché originel, c. XXIV, col. 398] |
[1208] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod illa ratio procedit ex parte ipsius
mittentis, qui, quantum in se est, semper aequaliter se habet ad gratiam
conferendam. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que cet argument procède de celui-là même qui
envoie qui, quant à ce qu’il est en lui-même, est toujours égal à lui-même
dans sa manière de conférer la grâce. |
[1209] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sancti veteris testamenti dupliciter
possunt considerari: vel quantum ad gratiam personalem, et
sic per fidem mediatoris consecuti sunt gratiam aeque plenam his qui sunt in
novo testamento et multis plus et multis minus ; vel secundum
statum naturae illius temporis, et sic cum adhuc continerentur obnoxii
divinae sententiae pro peccato primi parentis, nondum soluto pretio, erat in
eis aliquod impedimentum, ut non ad eos ita plena missio fieret, sicut fit in
novo testamento etiam per traductionem in gloriam, in qua omnis perfectio
naturae amovetur. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que les saints de l’ancien testament peuvent être
considérés de deux manières : Soit quant à
la grâce personnelle et ainsi par leur foi dans le médiateur ils ont atteint
une grâce également pleine à ceux du nouveau testament, et plus abondamment
que plusieurs et moins abondamment que plusieurs ; Soit d’après
l’état de nature de ce temps, et ainsi puisqu’ils étaient encore contenus
comme prisonniers de la sentence divine pour la faute des premiers parents,
la récompense n’étant pas encore détruite, il y avait en eux un obstacle tel
qu’une mission complète ne pouvait leur être adressée comme c’est le cas dans
le nouveau testament même par le passage à la gloire dans laquelle toute
perfection de nature est écartée. |
|
|
Articulus 3 [1210] Super Sent., lib. 1
d. 15 q. 5 a. 3 tit. Utrum per missionem invisibilem
efficimur ne simus in hoc mundo |
Article 3 – Par la mission invisible se fait-il que nous ne sommes plus en ce monde ? |
[1211] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod per missionem invisibilem efficimur quod non in hoc mundo simus. Qui enim est in caelis, non est in
mundo. Sed apostolus in persona omnium sanctorum dicit, Phil. 3, 20: Nostra conversatio in caelis est. Ergo
videtur quod sancti ad quos fit missio, non sint in mundo. |
Difficultés : 1. Il semble
que par la mission invisible il se fait que nous ne sommes plus en ce monde.
En effet, celui qui est dans les cieux n’est pas en ce monde. Mais l’Apôtre,
dans la personne de tous les saints, dit [Phil. 3, 20] : Pour nous, notre cité se trouve dans les
cieux. Il semble donc que les saints envers auxquels s’adresse la mission
ne sont plus en ce monde. |
[1212] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 3 arg. 2 Item, Augustinus dicit, quod anima verius est ubi amat, quam ubi
est. Sed esse essentialiter in aliquo, est verissimus modus essendi in eo.
Ergo sancti essentialiter sunt in caelestibus, quae amant. |
2. En outre,
Augustin dit que l’âme est plus véritablement là où elle aime que là où elle
est. Mais être essentiellement pour un être est le mode d’être le plus vrai
qu’il y a en lui. Donc les saints sont essentiellement dans les cieux qu’ils
aiment. |
[1213] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a.
3 arg. 3 Praeterea, cum anima fit substantia incorporalis, non determinatur
ad locum nisi per accidens. Ibi ergo erit anima essentialiter ubi est per
accidens. Sed in suo objecto est anima per accidens sicut in sua materia. Ergo
essentialiter est ubi est suum objectum. |
3. De plus,
puisque l’âme est une substance incorporelle, ce n’est que par accident
qu’elle est déterminée à un lieu. L’âme sera donc essentiellement là où elle
est par accident. Mais dans son objet l’âme existe par accident comme dans sa
matière. Elle est donc essentiellement là où est son objet. |
[1214] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 3 arg. 4 Praeterea, nos dicimus Angelos esse in aliquo loco, propter hoc
quod ibi operantur. Sed operatio animae est circa objectum. Ergo anima
essentialiter est ubi est suum objectum. |
4. Par
ailleurs nous disons que les Anges sont dans un lieu pour cette raison que
c’est là qu’ils posent une opération. Mais l’opération de l’âme porte sur un
objet. Donc l’âme est essentiellement là où est son objet. |
[1215] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 3 s. c. 1 Contra, forma nunquam excedit id cujus est forma. Sed anima est
forma essentialis corporis. Ergo non est essentialiter nisi ubi est corpus.
Corpus autem nunquam est extra mundum, quamdiu vivimus. Ergo missio invisibilis
non facit nos in hoc mundo non esse. |
Cependant : Au contraire,
la forme n’outrepasse jamais ce dont elle est la forme. Mais l’âme est la
forme substantielle du corps. Donc, elle n’est essentiellement que là où est
le corps. Mais le corps n’est jamais en dehors du monde, tant que nous
vivons. Donc la mission invisible ne fait pas que nous ne sommes plus en ce
monde. |
[1216] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod anima nostra comparatur ad duo:
scilicet ad corpus, cui dat esse substantiale, per quod etiam ipsa est ; non
enim est aliud animae esse quam hoc quod corpori dat, ut supra dictum est,
dist. 8, quaest. 5, art. 2. Comparatur etiam ad objectum suum, a quo recipit
esse secundum perfectionem secundam, quod est esse accidentale. Et ideo anima
essentialiter est ubi est corpus suum ad quod habet essentialem relationem.
Ubi autem est objectum suum, non est essentialiter, sed solum per quamdam
conformitatem: prout dicitur quod scientia est assimilatio scientis ad rem
scitam. Et hoc modo intelligitur quod dicitur in Littera: « Secundum quod aliquod aeternum mente percipimus,
non in hoc mundo sumus » ; quia non conformatur affectus noster et
intellectus mundanis rebus et caducis, sed caelestibus et aeternis ; et sic
etiam intelligendum est quod apostolus dicit: Nostra conversatio in caelis est ; ut patet ex cantu
Ecclesiae : « cogitatione et amore in illa aeterna patria
conversatio est [ut patet…conversatio est om.
Éd. de Parme]. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que notre âme se compare à deux choses : à savoir au
corps, auquel il donne l’être substantiel par lequel elle aussi existe ;
en effet, l’existence de l’âme n’est pas autre que celle qu’elle donne au
corps, ainsi que nous l’avons dit [dist. 8, quest. 5, art. 2]. Notre âme se
compare aussi à son objet, duquel elle reçoit une existence selon une
perfection seconde qui est son être accidentel. Et c’est pourquoi l’âme est
essentiellement là où est son corps avec lequel elle a une relation
essentielle. Mais l’âme n’est pas essentiellement, mais seulement par une
certaine conformité, là où est son objet, pour autant qu’on dit que la
science est l’assimilation de celui qui sait à la chose qu’il sait. Et c’est
de cette manière qu’on comprend ce qui est dit dans le Document : ¨Selon que par l’esprit nous saisisson qu’elle
quelque chose d’éternel, nous ne sommes pas en ce monde¨ ; car notre
affectivité et notre intelligence n’est pas conformé aux choses du monde qui
sont passagères, mais aux choses célestes et éternelles ; et c’est
encore de cette manière qu’il faut comprendre ce que l’Apôtre dit : Pour nous, notre cité se trouve dans les
cieux ; tout comme on le voit dans ce chant de l’Église : ¨Par
la pensée et l’amour notre relation est dans cette patrie éternelle [comme on
le voit…notre relation est om. Éd. de
Parme] |
[1217] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 1 Unde patet responsio ad primum. |
Solutions: 1. À partir de là la réponse à la première
difficulté est évidente. |
[1218] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis esse
substantiale animae sit in conjunctione ad corpus, tamen tota nobilitas
ipsius est, secundum quod per actus suos nobilissimos suis perfectionibus
conjungitur. Et ideo
Augustinus dicit animam verius esse ubi amat, quia ibi est secundum suum
nobilius esse, quod est secundum perfectionem ultimam. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que bien que l’existence substantielle de l’âme est
dans son union au corps , cependant toute sa noblesse a lieu selon que par ses actes les plus
nobles elle est unie à ses perfections. Et c’est pourquoi Augustin dit que
l’âme est plus véritablement là où elle aime car c’est là qu’elle existe
d’après une existence plus noble conforme à sa perfection ultime. |
[1219] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5
a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod locus non convenit animae nisi per
accidens: tamen ad hoc quod in loco essentialiter esse dicatur, oportet quod
etiam essentialiter conjungatur ei, ratione cujus sibi locus attribuitur. Sed
anima non conjungitur objecto suo essentialiter, sed tantum secundum
similitudinem ipsius receptam in anima: quia lapis non est in anima, sed
species lapidis, secundum philosophum, De
anima, texte 38 : cui etiam speciei, sive intentioni, conjungitur
anima, non quantum ad esse primum, quod est substantiale, sed quantum ad esse
secundum, quod est esse accidentale. Et ideo ratione objecti sui non dicitur
anima essentialiter esse in loco. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que le lieu ne convient à l’âme que par
accident : cependant, pour qu’on dise qu’elle existe essentiellement
dans un lieu, il faut encore qu’elle lui soit essentiellement unie à la chose
en raison de laquelle le lieu lui est attribué. Mais l’âme n’est pas unie
essentiellement à son objet mais seulement d’après sa similitude reçue dans
l’âme : car ce n’est pas la pierre qui est reçue dans l’âme mais la forme de la pierre, selon le
Philosophe [De l’Âme, texte 38] : et à cette forme ou à cette intention
l’âme s’unit encore non pas quant à son existence première qui est substantielle,
mais quant à son existence seconde qui est accidentelle. Et c’est pourquoi on
ne dit pas pas que l’âme existe essentiellement dans le lieu en raison de son
objet. |
[1220] Super
Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod operatio Angeli
in res corporales est operatio activa ; et ideo oportet quod per virtutem
suam, quae non separatur ab essentia sua, conjungatur corpori in quod
operatur, sicut motor mobili. Sed operatio animae intellectualis in rem quam
cognoscit et diligit, est operatio non activa, sed receptiva ; et ideo non
oportet quod conjungatur ei essentialiter, sed quod intentio illius
recipiatur in ipsa anima. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’opération de l’Ange dans les choses corporelles est une opération
active ; et c’est pourquoi il faut que par sa puissance qui n’est pas
séparée de son essence, il s’unisse au corps dans lequel il opère, comme le
moteur est uni au mobile. Mais l’opération de l’âme intellectuelle dans la
chose qu’il connaît et qu’il aime est une opération qui n’est pas active mais
réceptive ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’elle s’unisse à elle
essentiellement mais plutôt que l’intention de la chose soit reçue dans
l’âme elle-même. |
|
|
Distinctio 16 |
Distinction 16 – [Les missions visibles] |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique : [Les missions visibles des Personnes divines] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
|
Ad intellectum hujus partis quatuor
quaeruntur: 1 de ipsa missione visibili secundum
se ; 2 ad quos
fieri debeat ; 3 quibus
speciebus ; 4 per quos missio visibilis
administrata sit. |
Pour
comprendre cette partie nous nous interrogeons sur quatre points : 1. Sur la
mission visible en elle-même. 2. À qui elle
doit s’adresser. 3. Les formes
qu’elle doit revêtir. 4. Au moyen de
qui la mission visible doit être administrée. |
|
|
Articulus 1 [1223] Super Sent., lib. 1
d. 16 q. 1 a. 1 tit. Utrum missio visibilis conveniat divinae personae |
Article 1 – Une mission visible convient-elle aux Personnes divines ? |
[1224] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio visibilis divinae
personae non competat. Missio enim est, ut prius dictum est, dist. 15, qu.
1, art. 1, secundum quod divina persona aliquo novo modo est in aliquo quo
prius non fuit. Sed in nulla creatura visibili potest esse aliquo modo quo
prius non fuerit ; est enim in omnibus creaturis essentialiter,
potentialiter, praesentialiter ; et praeter hoc est in sanctis mentibus per
gratiam, quo modo in aliquo visibili corporeo esse non potest. Ergo videtur quod missio visibilis non
sit [possit esse Éd. de Parme]. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’une mission visible ne convienne pas à une Personne divine. Une mission en
effet, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 15, qu. 1, art. 1] a
lieu selon qu’une personne divine existe dans un être d’une manière nouvelle
par laquelle elle n’y existait pas avant. Mais elle ne peut exister dans une
créature visible d’une manière par laquelle elle n’y était pas avant ; Dieu en effet est
dans toutes les créatures essentiellement, potentiellement et par sa
présence ; et en plus de cela elle est dans les esprits saints par la
grâce, ce qui ne peut être le cas pour certains corps visibles. Il semble
donc qu’il n’y ait [ne puisse y avoir Éd.
de Parme] pars de mission visible pour une Personne divine. |
[1225] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 1 arg. 2 Si dicas [dicis Éd. de Parme] quod esse in illis
creaturis visibilibus alio modo est, quia sicut in signo ; contra, omnis effectus repraesentans
causam est signum illius quo in ipsam potest deveniri. Sed
omnes creaturae repraesentant ipsum Deum tamquam causam per imaginem vel
vestigium. Ergo secundum hoc in omnibus creaturis mittetur visibiliter, nec
alio modo erit in illis visibilibus creaturis, in quibus mitti dicitur, quam
prius. |
2. Si tu disais [dis Éd. de Parme] qu’exister dans ces creatures visible a lieu d’une
autre manière, car elle y existe comme dans un signe, il faudrait dire au
contraire que tout effet représentant une cause est un signe par lequel on
peut parvenir à sa cause. Mais toutes les créatures, en tant qu’images ou
vestiges, représentent Dieu lui-même comme cause. Donc, d’après cette
position la Personne divine serait envoyée visiblement dans toutes les
créatures, et il n’y aurait pas une autre manière pour la Personne divine
d’être présente dans ces créatures visibles, dans lesquelles on dit qu’elle
est envoyée, que celle que nous avons présentée avant. |
[1226] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ratio sacramenti est quod in
ipso sit Deus sicut in signo visibili. Si igitur propter hoc dicitur visibiliter mitti, quia in rebus
visibilibus est, sicut in signis ; tunc illae res essent sacramenta, et in
omnibus sacramentis esset missio visibilis. |
3. Par
ailleurs, la définition du sacrement est ce en quoi Dieu existe comme dans un
signe visible. Si donc on dit que la Personne divine est envoyée visiblement
pour cette raison qu’elle est dans les choses visibles comme dans des signes,
alors ces choses seraient des sacrements et il y aurait mission visible dans
tous les sacrements. |
[1227] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 1 arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit in Littera, quod ex hoc Spiritus sanctus visibiliter mitti dicitur,
quod facta est quaedam species creaturae ex tempore, in qua visibiliter
ostenderetur. Sed in apparitionibus veteris testamenti in
visibilibus creaturis ostendebantur divinae personae, sicut ipsi Abrahae,
Genes. 18. Ergo secundum hoc videtur quod missio visibilis non sit aliud quam
apparitio. |
4. En outre,
Augustin dit dans la Lettre, qu’on dit que l’Esprit-Saint est envoyé
visiblement du fait qu’une certaine espèce de créature est produite dans le
temps, dans laquelle il serait manifesté visiblement. Mais dans les
apparitions de l’ancien testament les Personnes divines étaient manifestées
dans des créatures visibles, comme ce fut le cas pour Abraham (Genèse 18).
Donc, suivant cela, il semble que la mission visible ne soit rien d’autre
qu’une apparition. |
[1228] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 1 arg. 5 Si dicatur, quod missio
visibilis ostendit missionem invisibilem, quod non facit apparitio ; contra, per missionem invisibilem
efficitur aliquis dignus Dei amore: Sed
nemo scit utrum amore vel odio dignus sit, Eccle. 9, 1, nec videtur hoc utile scire, quia alias non esset
ita homini occultatum. Ergo videtur quod nulla visibilis apparitio fiat ad
missionis interioris manifestationem. |
5. Si on dit que la mission visible manifeste
la mission invisible, ce que ne fait pas une apparition, il faut dire par
contre que par la mission invisible quelqu’un est rendu digne de l’amour de
Dieu : Mais personne ne sait s’il
est digne d’amour ou de haine (Ecclés. 9, 1) et il ne semble pas utile de
savoir cela car autrement cela ne serait pas ainsi caché à l’homme. Il semble
donc qu’aucune apparition visible ne se produit pour manifester la mission
intérieure. |
[1229] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 1 arg. 6 Praeterea, nihil potest manifestari per aliquid, nisi
sufficienter illud ducat in ipsum. Sed nulla creatura visibilis ducit
sufficienter in cognitionem gratiae invisibilis. Ergo videtur quod
invisibilis missio per visibiles species non manifestetur. |
6. Par
ailleurs, aucune chose ne peut être manifestée par une autre à moins que
cette dernière ne conduise suffisamment à elle. Mais aucune créature visible
ne conduit suffisamment à la connaissance de la grâce invisible. Il semble
donc que la mission invisible n’est pas manifestée par des espèces visibles. |
[1230] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut processio
temporalis non est alia quam processio aeterna essentialiter, sed addit
aliquem respectum ad effectum temporalem ; ita etiam missio visibilis non est
alia essentialiter ab invisibili missione Spiritus sancti, sed addit solam
rationem manifestationis per visibile signum. Ad rationem
ergo visibilis missionis Spiritus sancti tria concurrunt, scilicet quod
missus sit ab aliquo ; et quod sit in alio secundum aliquem specialem modum,
et quod utrumque istorum per aliquod visibile signum ostendatur, ratione
cujus tota missio visibilis dicitur. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que tout comme la
procession temporelle ne diffère pas essentiellement de la procession
éternelle mais ajoute seulement un rapport à un effet temporal, de même
encore la mission visible ne diffère pas essentiellement de la mission
invisible de l’Esprit-Saint mais ajoute seulement l’idée de manifestation au
moyen d’un signe visible. Il y a donc trois choses qui contribuent à définir
la mission visible de l’Esprit-Saint, à savoir qu’il soit envoyé par une autre
Personne, qu’il soit dans une creature d’après une modalité spéciale, et que
chacun des deux soit manifesté par un signe visible, en raison de quoi on dit
qu’il y a mission visible. |
[1231] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa
visibilis creatura, secundum quam missio dicitur visibilis, aliter se habet
in missione visibili Filii, et in missione visibili Spiritus sancti. Quia
in missione Filii se habet non solum ut per quod vel in quo ostenditur
missio, sed etiam ut ad quod fit missio ; quia naturam humanam visibilem
assumpsit in unitatem personae ; secundum quam assumptionem visibiliter in
carnem mitti dicitur. Et ideo in ipsa natura visibili quodam novo modo per
carnem existit, scilicet per unionem non tantum in anima, sed etiam in
corpore. At in missione visibili Spiritus sancti illa creatura visibilis non
se habet ut ad quod fit missio ; sed solum ut ostendens missionem invisibilem
factam in aliquem ; et ideo non oportet quod in illa creatura visibili sit
novo modo nisi sicut in signo ; sed est novo modo in eo ad quem fit missio. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que cette
créature visible d’après laquelle on parle de mission visible, se présente
autrement dans la mission visible du Fils et dans la mission visible de
l’Esprit-Saint. Car dans la mission du Fils elle se présente non seulement
comme ce par quoi ou en quoi la mission est manifestée, mais aussi comme le
terme vers lequel il y a mission; car il a choisi la nature humaine visible
dans l’unité de la Personne; et c’est d’après ce choix qu’on dit qu’il a été
envoyé visiblement dans la chair. Et c’est pourquoi il existe dans la nature
visible elle-même d’une manière nouvelle par la chair, c’est-à-dire par une
union non seulement à une âme, mais aussi à un corps. Et dans la mission
visible de l’Esprit-Saint cette créature visible ne se présente pas comme le
terme auquel est ordonnée la mission mais seulement comme manifestant la
mission invisible réalisée dans un être; et c’est pourquoi il ne faut pas que
la Personne existe dans cette créature
visible selon un nouveau mode mais
qu’elle y existe comme dans un signe; mais elle existe d’une nouvelle manière
dans celui qui est le terme de la mission. |
[1232] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis omnis
creatura significet Deum esse et bonitatem ipsius ; non tamen significat
ipsum esse per gratiam in aliquo nisi ad hoc specialiter instituatur, sicut
illae creaturae visibiles ad hoc specialiter factae sunt, ut in eis praesentia
Spiritus sancti insinuetur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que toute
créature est le signe de l’existence de Dieu et de sa bonté, cependant toute
créature ne signifie pas son existence par la grâce dans un être, à moins
d’avoir été instituée spécialement à cette fin comme ces créatures visible
qui ont été faites spécialement à cette fin de telle manière que la présence
de l’Esprit-Saint s’introduise en elles. |
[1233] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per sacramenta
significatur praesentia divinae inhabitationis, sicut in signis institutis,
non ad tempus, sed semper. Sed illae creaturae visibiles non fuerunt
institutae ut significarent gratiam divinae inhabitationis semper, sed solum
in illo tempore determinato ; et ideo non est simile. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la présence de
la divine habitation est signifiée par les sacrements comme dans des signes
institués, non pas par rapport à un temps déterminé, mais toujours. Mais ces
créatures visibles ne furent pas instituées pour signifier la grâce de
l’habitation divine toujours, mais seulement dans tel temps déterminé; et
c’est pourquoi on ne parle pas ici de la même chose. |
Vel aliter
dicendum, et melius, quod sacramenta veteris legis significabant quidem
gratiam affuturam, sed non praesentem, eo quod in eis gratia non
conferebatur. Sacramenta vero novae legis non tantum sunt signa, sed etiam
causae quodammodo ; et ideo non significant gratiam ut jam habitam, sed ut
per sacramenta inducendam. Sed
illae species sunt tantum signa praesentis gratiae et non causae, sicut patet
quod circa Christum, ad quem visibilis missio facta est, nihil gratiae
invisibilis effectum est. Unde etiam omnes ad quos missio visibilis facta
est, gratiam habent ; non autem omnes quibus sacramenta conferuntur, gratiam
suscipiunt, quia causalitas sacramentorum impeditur: significant enim
gratiam, non ut existentem, sed ut causandam quodammodo per ipsa. |
Ou bien encore
il faut dire autrement, et même mieux, que les sacrements de l’ancienne
alliance signifiaient certes une grâce à venir mais non présente, du fait
qu’en eux la grâce n’était pas conférée. Mais les sacrements de la nouvelle
loi ne sont pas seulement des signes, mais ils sont aussi des causes en
quelque sorte ; et c’est pourquoi ils ne signifient pas la grâce en tant
qu’elle serait déjà possédée, mais comme introduite par les sacrements. Mais
ces formes ou ces espèces sont seulement des signges d’une grâce présente et
non pas des causes de la grâce, ainsi qu’on le voit par rapport au Christ,
pour lequel ne mission visible a été faite, rien d’une grâce invisible n’a
été fait. C’est pourquoi encore tous ceux à qui une mission visible a été
faite possèdent la grâce ; cependant ce ne sont pas tous ceux à qui les
sacrements sont conférés qui reçoivent la grâce car la causalité des
sacrements est empêchée : en effet, ils signifient la grâce non pas
comme existante, mais comme devant être causée d’une certaine manière par
eux. |
[1234] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod missio visibilis includit in se
apparitionem, et super hoc aliquid addit, scilicet rationem missionis ; quae
in duobus consistit, ut dictum est, in corp. art. Unde de ratione
apparitionis non est nisi quod aliquod divinum in signo visibili
manifestetur, non autem quod manifestetur origo unius personae ab alia, nec
inhabitatio secundum specialem modum essendi in eo cui fit apparitio, vel in
aliquo alio, sicut patet in apparitione facta Abrahae ; quamvis enim
apparuerint tres ad manifestandum numerum personarum, tamen ordo unius
personae, secundum quem est ab alio, in illo signo visibili non
manifestabatur ; et inde est quod apparitio potest Patri convenire, non autem
missio visibilis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la mission visible comprend en elle une apparition
et elle ajoute à cela quelque chose de plus, à savoir la notion de
mission ; laquelle consiste en deux points ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article. C’est pourquoi dans la notion d’apparition il n’y
a rien d’autre que quelque chose de divin qui est manifesté dans un signe
sensible, et non pas la manifestation de l’origine d’une personne par rapport
à une autre, ni l’habitation d’après un mode spécial d’existence dans celui à
qui se présente l’apparition ou dans un autre, ainsi qu’on le voit dans
l’apparition faite à Abraham ; en effet, bien qu’il y eut trois hommes
qui lui apparurent pour manifester le nombre des Personnes, cependant l’ordre
d’une Personne, d’après lequel elle vient d’une autre, cela n’est pas
manifesté dans ce signe visible ; d’où l’apparition peut convenir au
Père mais non pas la mission visible. |
[1235] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nullus per se potest scire utrum dignus
sit odio vel amore ; sed potest sibi divinitus propter aliquam utilitatem
manifestari ; et non solum sibi, sed aliis etiam ; [quia add. Éd. de Parme] quod est uni utile, non est utile omnibus.
Unde non oportet quod si uni reveletur, quod omnibus. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que personne ne peut par lui-même savoir s’il est
digne d’amour ou de haine ; mais quelque chose de divin peut lui être
manifesté pour une certaine utilité ; et non seulement à lui mais aussi
aux autres ; [parce que add. Éd.
de Parme] ce qui est utile à l’un n’est pas utile à tous. C’est pourquoi
il n’est pas nécessaire que ce qui est révélé à l’un soit révélé à tous. |
[1236] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis una creatura visibilis non
sufficiat ad hoc quod ducat in cognitionem invisibilis missionis, tamen ex
sua novitate excitat videntes in admirationem et inquisitionem, et tunc
inquirentibus per gratiam invisibilem et per doctrinam praedicatoris exterius
potest missio invisibilis designata edoceri. |
6. Il faut
dire en sixième lieu que bien qu’une créature visible ne suffise pas à
conduire à la connaissance d’une mission invisible, cependant de par sa
nouveauté elle pousse à l’admiration et à la recherche ceux qui la voient, et
alors , à ceux qui recherchent, la mission invisible désignée peut être
enseignée par une grâce invisible et par la doctrine du prédicateur
extérieur. |
|
|
Articulus 2 [1237] Super Sent., lib. 1
d. 16 q. 1 a. 2 tit. Utrum missio visibilis debuerit fieri ad patres veteris
testamenti |
Article 2 – La mission visible aurait-elle dû exister pour les Pères de l’ancien Testament ? |
[1238] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
etiam quod ad patres veteris testamenti missio visibilis fieri debuerit.
Missio enim visibilis est signum invisibilis missionis. Sed ad patres veteris
testamenti facta est missio invisibilis, ut supra dictum est, distinct. 15,
qu. 5, art. 2. Ergo videtur quod etiam visibilis fieri debuerit. |
Difficultés : 1. Il semble
encore que la mission visible aurait dû exister pour les Pères de l’ancien
testament. En effet, la mission visible est le signe de la mission invisible.
Mais la mission invisible a été faite aux Pères de l’ancien testament, ainsi
que nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 5, art. 2]. Il semble donc
que la mission visible aurait dû leur être faite. |
[1239] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 2 arg. 2 Praeterea, constat quod gratia novi testamenti est gratia
plenitudinis, inquantum de plenitudine Christi omnes accepimus. Si igitur ad
illos de primitiva Ecclesia propter gratiae plenitudinem missio Spiritus
sancti fiebat, videtur quod etiam ad omnes fideles fieri debuerit. |
2. Par
ailleurs, il est clair que la grâce du nouveau testament est la grâce de la
plénitude selon que nous recevons tous de la plénitude du Christ. Si donc la
mission de l’Esprit-Saint existait pour ceux de l’église primitive à cause de
la plénitude de la grâce, il semble qu’elle aurait dû exister aussi pour tous
les fidèles |
[1240] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 2 arg. 3 Praeterea, per visibiles missiones et visibilia signa, apostoli
notitiam fidei in multos diffuderunt, sicut dicitur Marci ult.: Illi autem profecti, praedicaverunt
ubique, domino cooperante, et sermonem confirmante sequentibus signis.
Sed sicut illi tenebantur ad praedicationem fidei, ita etiam et praelati
nostri temporis. Ergo videtur quod ad eos etiam missio visibilis fieri
debeat. |
3. En outre,
par les missions visibles et les signes visibles, les apôtres ont répandu en
plusieurs la connaissance de la foi, ainsi que le dit Marc à la fin de son
évangile : Pour eux, ils s’en
allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la
Parole par les signes qui l’accompagnaient. Mais tout comme ceux-là
étaient tenus à la prédication de la foi, de même aussi les prélats de notre
temps le sont. Il semble donc que la mission visible doive aussi exister pour
eux. |
[1241] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, constat quod beata virgo plenissimam gratiam habuit
inter omnes puras creaturas. Si igitur missio visibilis fit ad ostendendum
plenitudinem gratiae inhabitantis, videtur quod ad ipsam fieri debuerit
missio specialis. |
4. De plus, il
est clair que la bienheureuse vierge
parmi toutes les créatures pures a possédé la grâce la plus complète. Si donc
la mission visible existe pour manifester la plénitude de la grâce qui
habite, il semble qu’une mission spéciale aurait dû exister pour elle. |
[1242] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 2 arg. 5 E contrario videtur quod ad Christum non debuit fieri missio.
Missio enim visibilis est signum invisibilis missionis. Sed ad Christum nulla
missio invisibilis Spiritus sancti facta est, nisi forte in principio suae
conceptionis. Ergo videtur quod postmodum nulla missio visibilis ad eum fieri
debuerit. |
5. Il
semble au contraire qu’une mission n’a
pas dû exister pour le Christ. La mission visible en effet est le signe de la
mission invisible. Mais il semble qu’aucune mission invisible de
l’Esprit-Saint n’a été faite pour le Christ, excepté peut-être au début de sa
conception. Il semble donc que par la suite aucune mission visible n’a dû
exister pour Lui. |
[1243] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut in missione
invisibili Spiritus sancti ex plenitudine divini amoris redundat gratia in
mentem, et per illum effectum gratiae accipitur cognitio illius personae
divinae experimentalis ab ipso cui fit missio, ita in missione visibili
attenditur alius gradus redundantiae, inquantum scilicet gratia interior
propter sui plenitudinem quodammodo redundat in visibilem ostensionem, per
quam manifestatur inhabitatio divinae personae, non tantum ei cui fit missio,
sed etiam aliis. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que tout comme dans la
mission invisible de l’Esprit-Saint la grâce abonde dans l’esprit de par la
plenitude de l’amour divin, et que par cet effet de la grâce est recue une
connaissance expérimentale de cette personne divine par celui à qui s’adresse
la mission, de même dans la mission visible on considère un autre degré de
débordement, c’est-à-dire dans la mesure où la grâce intérieure, en raison de
sa plénitude, déborde d’une certaine manière, dans une manifestation visible
par laquelle est manifestée l’habitation de la divine personne, non seulement
sur celui à qui s’adresse la mission mais aussi sur les autres. |
Unde oportet
quod ad missionem visibilem duo concurrant, scilicet quod sit gratiae
plenitudo in illis ad quos fit missio, et ulterius quod plenitudo ordinetur
ad alios, ut per aliquem modum gratia abundans redundet in eos: propter quod
manifestatio gratiae interioris non tantum habenti, sed etiam aliis fit. Et ideo Christo primo, et postmodum
apostolis missio, visibilis scilicet, facta est, quia per eos plures gratia
diffusa est, secundum quod per eos Ecclesia plantata est. |
C’est pourquoi
deux choses sont requises à la mission visible, à savoir qu’il y ait
plénitude de grâce chez ceux à qui s’adresse la mission, et par la suite que
cette plénitude soit ordonnée aux autres, afin que la grâce d’une certaine
manière déborde sur eux : c’est pour cette raison que la manifestation
de la grâce intérieure a lieu non seulement chez celui qui la possède, mais
aussi chez les autres. Et c’est pourquoi la mission, c’est-à-dire celle qui
est visible, a d’abord eu lieu dans le Christ et par la suite dans les
apôtres car c’est à travers leur grand nombre que la grâce s’est répandue de
telle manière que c’est à travers eux que l’Église a été implantée. |
[1244] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis aliqui patres veteris
testamenti gratiam plenissimam acceperint personalem, tamen quia nondum erat
tempus gratiae, propter impedimentum originalis peccati, a quo nondum morte
Christi natura humana remedium acceperat, ideo non debuit significari
plenitudo gratiae ut praesens, sed tantum ut futura in apparitionibus et
legalibus sacramentis. Vel ex alia parte non erat tunc tempus spiritualis
propagationis, per quam spirituali modo diversae gentes in Dei cognitione
regenerantur, sed carnali propagatione cultus divinus a patribus in filios
procedebat: et ideo non debuit significari gratia per missionem visibilem,
quae significat gratiam tendentem in alios. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que bien que certains Pères de l’ancien testament ont
reçu la grâce personnelle la plus abondante, cependant parce que le temps de
la grâce n’était pas encore arrivé, à cause de l’empêchement du péché
originel pour lequel la nature humaine n’avait pas encore reçu la guérison
par la mort du Christ, c’est pourquoi la plénitude de la grâce n’a pas dû
être signifiée dans les apparitions et dans les sacrements légaux comme étant
présente, mais seulement comme étant à venir. Ou bien d’un autre côté ce
n’était pas encore le temps de la propagation spirituelle par laquelle
différentes nations seraient regénérées dans la connaissance de Dieu d’une
manière spirituelle, mais celui où le culte divin passait des pères aux fils
par une propagation charnelle ; et c’est pourquoi la grâce n’a pas dû
être signifiée par une mission visible qui signifie la grâce qui tend vers
les autres. |
[1245] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fideles primitivae Ecclesiae erant quasi
semen quoddam spirituale per quos debuit pullulare fides in omnibus gentibus
; et ideo ad eos visibilis missio facta est, ad ostendendum quod per eos
plantanda erat Ecclesia in cognitione Dei per universum mundum. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que les fidèles de l’Église primitive était comme une
certaine semence spirituelle et c’est grâce à eux que la foi a dû se
multiplier chez tous les peuples ; et c’est pourquoi la mission visible s’est
adressée à eux, pour montrer que l’Église devait être implantée par eux dans la totalité du monde pour la
connaissance de Dieu. |
[1246] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod duplici ratione non oportet modo fieri
missionem visibilem, sicut tunc: primo quia iste est naturalis ordo
quod ex visibilibus in invisibilia veniatur. Unde primis tamquam adhuc
rudibus in Dei cognitione signa visibilia ostendebantur ; sed jam modo
innotescente et publicata fide, sufficit cognitio in invisibilibus signis,
quae sunt dona gratiarum mentibus infusa. Videmus enim aliquid proficere
novae plantulae, quod postmodum sibi non adhibetur, quando ad perfectum
venit. Alia ratio est, quia signa illa et
visibiles missiones fuerunt quasi argumentum confirmans fidei veritatem.
Illius autem cujus probatio semel perfecta est, non oportet probationem
iterari ; sed ex suppositione prioris probationis procedere. Ita etiam non
oportet quod per nova signa modo fides probetur, sed per ea quae tunc facta
sunt. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que pour deux raisons il ne faut pas que la mission
visible ait lieu comme alors : Premièrement
parce que l’ordre qui consiste à aller du visible à l’invisible est un ordre
naturel. C’est pourquoi aux membres de l’Église primitive qui étaient encore
ignorants de la connaissance de Dieu de nombreux signes visibles étaient
manifestés ; mais la foi étant annoncée et s’étant déjà fait connaître,
la connaissance des signes invisibles suffit, lesquels sont les dons des
grâces répandus dans les esprits. Nous voyons en effet qu’une plante
progresse d’une nouvelle bouture qui par la suite ne lui est pas jointe quand
elle est parvenue à sa perfection. L’autre raison
est que ces signes et les missions visibles furent comme des signes pour
confirmer la vérité de la foi. Mais pour les choses dont la preuve est
parfaite une fois pour toutes, la preuve n’a pas besoin d’être renouvelée,
mais il faut aller de l’avant en s’appuyant sur ce qui a été prouvé
antérieurement. Ainsi encore il n’est pas nécessaire que la foi soit prouvée
en procédant par de nouveaux signes, mais par les choses qui ont déjà été
réalisées. |
[]1247] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod inter alios qui fuerunt de primitiva
Ecclesia, in die Pentecostes etiam beatae virgini visibilis missio Spiritus
sancti facta est. Sed quamvis singularem plenitudinem gratiae consecuta sit,
tamen non fuit ad ipsam facta missio visibilis specialis: quia non
ordinabatur gratia sua ad plantationem Ecclesiae per modum doctrinae et
administrationis sacramentorum, sicut per apostolos factum est. Unde
apostolus dicit 1 ad Timoth. 2, 12: Mulierem
in Ecclesia loqui non permitto. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que parmi ceux qui
furent membres de la primitive Église, la mission de l’Esprit-Saint au jour
de la Pentecôte a eu lieu aussi pour la bienheureuse vierge. Mais bien
qu’elle parvint à une plenitude exceptionnelle de la grâce, cependant la
mission visible spéciale n’a pas eu lieu pour elle: car sa grâce n’était pas
ordonnée à l’implantation de l’Église par mode d’enseignement et
d’administration des sacrements comme ce fut le cas par les apôtres. C’est
pourquoi l’Apôtre dit [1Tm. 2, 12]: Je
ne permets pas à la femme d’enseigner dans l’Église. |
[1248] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod missio visibilis ostendit missionem
invisibilem non semper tunc fieri, sed sufficit si etiam prius facta fuerit. Quare
autem tunc missio visibilis ad Christum facta sit, dicetur infra, art. seq. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que la mission visible ne manifeste pas toujours la
mission invisible en devenir, mais il suffit même qu’elle ait déjà eu lieu
antérieurement. Mais pourquoi alors la mission visible a eu lieu pour le
Christ, on le dira plus loin dans l’article suivant. |
|
|
Articulus 3 [1249] Super Sent., lib. 1
d. 16 q. 1 a. 3 tit. Utrum missio visibilis fiat tantum in
specie corporali |
Article 3 – La mission visible est-elle faite seulement dans une forme corporelle ? |
[1250] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod
missio visibilis non solum fiat in specie corporali. Est enim triplex
missionis genus, scilicet corporalis, imaginaria et intellectualis, ut
dicitur in Glossa Isidori. Per quamlibet autem harum potest fieri divinorum
manifestatio. Ergo videtur quod sicut est missio aliqua quae fit secundum
visionem intellectualem, scilicet per gratiam invisibilem, et aliqua quae fit
secundum corporalem, scilicet secundum species corporales ; ita etiam sit
aliqua secundum visionem imaginariam per species imaginarias. |
Difficultés: 1. Il semble que la mission visible n’ait pas lieu
seulement dans une espèce corporelle. Il y a en effet trois genres de
missions, à savoir corporelle, imaginaire et intellectuelle, ainsi qu’on le
dit dans la glose d’Isidore. Et Dieu peut se manifester dans n’importe
laquelle de ces missions. Il semble donc que tout comme il y a une mission
qui a lieu d’après une vision intellectuelle, c’est-à-dire au moyen d’une
grâce invisible, et une autre qui a lieu d’après une vision corporelle,
c’est-à-dire d’après des espèces corporelles, de même encore il y a une
mission qui a lieu d’après une vision imaginaire au moyen d’espèces
imaginaires. |
[1251] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquid nobilius est,
tanto nobiliores proprietates habet. Sed nobilioribus proprietatibus creatura
nobilior divinam bonitatem repraesentat. Ergo cum missio visibilis sit ad
manifestandum divinas personas, videtur quod semper per creaturas
nobilissimas fieri debet, ut per stellam vel aliquid hujusmodi, et non per
columbam vel ignem. |
2. Par ailleurs, un être possède des propriétés d’autant
plus nobles que sa nature est plus noble. Mais c’est par ses propriétés plus
nobles qu’une créature noble représente la bonté divine. Donc, puisque la
mission visible a lieu pour manifester les Personnes divines, il semble
qu’elle doive toujours avoir lieu au moyen des créatures les plus nobles, par
exemple au moyen des étoiles ou de quelque chose du genre, et non pas au
moyen d’une colombe ou du feu. |
[1252] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 3 arg. 3 Praeterea, Spiritum veritatis non decet aliqua fictio. Sed
Spiritus sanctus est Spiritus veritatis, ut dicitur Joan. 15. Ergo non decet
quod per aliquas species, quibus non subsit rei veritas, appareat ; et ita
videtur quod columba illa, in qua apparuit, verum animal fuerit, et linguae
et ignis, verae linguae et verus ignis. Quod non videtur ; quia non
comburebat ignis, et columba, peracto illo officio, reversa est in pristinam
materiam, ut sancti dicunt. Et praeterea si essent verae res, non ducerent in
aliud. |
3. De plus,
une fiction ne convient pas à l’Esprit de vérité. Mais l’Esprit-Saint est
l’Esprit de vérité, comme on le dit dans l’Évangile de Jean au chapître 15.
Il ne convient donc pas qu’Il apparaisse au moyen de certaines espèces par
lesquelles la vérité de la chose ne subsiste pas ; et ainsi il semble
que cette colombe, dans laquelle Il apparut, devait être un véritable animal,
et les langues et le feu, de véritables langues et du véritable feu. Mais il
semble que ce ne fut pas le cas car le feu ne brûlait pas et la colombe,
ayant rempli sa fonction, retourna à sa matière primitive ainsi que le disent
les saints. Et par ailleurs si elles étaient de véritables choses, elles ne
conduiraient pas à autre chose. |
[1253] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 3 arg. 4 Praeterea, Spiritus sanctus unus est, ut dicitur 1 Corinth. 12,
13: Uno spiritu potati sumus. Sed
signum debet respondere signato. Ergo videtur quod in uno tantum signo
Spiritus sanctus apparere debuerit. |
4. En outre,
l’Esprit-Saint est un, comme le dit l’Apôtre [1 Co. 12, 13] : C’est par un seul Esprit que nous avons
tous été abreuvés. Mais le signe doit correspondre au signifié. Il semble
donc que c’est dans un seul signe que l’Esprit-Saint aurait dû apparaître. |
[1254] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 3 arg. 5 Praeterea, sicut Spiritus sanctus invisibiliter mittitur in
mentem, ita et Filius ; et per utramque missionem ordinatur aliquis ad
plantationem Ecclesiae. Cum igitur missio visibilis ad hoc ostendendum facta
sit, videtur quod sicut Spiritus sanctus visibilibus signis ad aliquos missus
est, ita et Filius etiam sine hoc quod carnem assumpsit. |
5. Aussi, le
Fils, tout comme l’Esprit-Saint, est envoyé invisiblement dans
l’Esprit ; et chacun est ordonné à l’implantation de l’Église par ces
deux missions. Donc, puisque la mission visible a été faite pour manifester
ces deux missions invisibles, il semble que tout comme l’Esprit-Saint a été
envoyé vers certains par des signes visibles, de même le Fils devait l’être
sans même devoir prendre chair. |
[1255] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est,
art. anteced., missio visibilis fit ad significandum plenitudinem gratiae
redundantis in multos ; propter quod manifestatio talis aliis etiam fit.
Redundat autem gratia dupliciter, scilicet per instructionem, et per operationem,
secundum quod se habet aliquo modo ille in quo est gratiae plenitudo,
efficienter ad gratiam. Uterque autem modus redundantiae fuit in Christo.
Ipse enim per doctrinam suam nos in Dei cognitionem adduxit, ut dicitur Joan.
1, 18: Unigenitus, qui est in sinu
Patris, ipse enarravit. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que, ainsi que nous
l’avons déjà dit dans l’article precedent, que la mission visible a lieu pour
manifester la plenitude de la grâce qui déborde sur plusieurs; et c’est pourquoi
une telle manifestation a lieu aussi pour les autres. Mais la grâce rejaillit
de deux manières, c’est-à-dire par l’instruction et par l’opération selon
lesquelles celui dans qui se trouve la plénitude de la grâce se présente en
un sens d’une manière efficace à l’égard de la grâce. Mais ces deux modalités
de débordement furent dans le Christ. En effet, de par son enseignement, Il
nous conduisit à la connaissance de Dieu ainsi qu’Il le dit Lui-même [Jean,
1, 18]: Le Fils unique, qui est tourné
vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître. |
Ipse etiam gratiam dedit, inquantum
Deus, effective, et inquantum homo, per modum meriti. Unde ad significandum
redundantiam gratiae ipsius in nos per modum operationis, facta est missio
visibilis ad ipsum in Baptismo: quia tunc ipse nihil accipiens a Baptismo,
tactu suae mundissimae carnis vitam regenerativam [regenerantem Éd. de Parme] contulit aquis,
efficienter ut Deus, et meritorie ut homo. |
Lui-même nous
donna aussi la grâce, d’une manière efficace en tant que Dieu et par son
mérite en tant qu’homme. C’est pourquoi, pour signifier le débordement de sa
grâce en nous par mode d’opération, il y a eu la mission visible à son égard
lors de son Baptême : car alors lui-même ne recevant rien du Baptême, il
apporta aux eaux, efficacement en tant que Dieu et d’une façon méritoire en
tant qu’homme, une vie regénérative [qui regénère Éd. de Parme] par le seul toucher de sa chair la plus pure. |
Et ideo in
specie columbae facta est ad eum missio Spiritus sancti, ad significandum
fecunditatem spiritualem: quia columba animal fecundissimum est. Propter quod
etiam Pater apparuit in sono vocis naturalem filiationem ipsius protestans,
dicens Matth. 17, 5: Hic est filius
meus dilectus. Ad cujus filiationis similitudinem per baptismalem gratiam
in filios adoptionis regeneramur, ut dicitur Roman. 8, 29: Quos praescivit, eos et praedestinavit conformes fieri imagini Filii
ejus. Ad insinuandum vero redundantiam gratiae ex ipso in alios per modum
doctrinae, apparuit Spiritus super ipsum in nube lucida, cujus est lumen
spargere. Job 37, 2: Nubes spargunt
lumen suum. |
Et c’est
pourquoi il y a eu mission de l’Esprit-Saint à son égard sous la forme d’une
colombe, pour signifier sa fécondité spirituelle : car la colombe est
l’animal le plus fécond. Et c’est pour cette raison aussi que le Père apparut
dans un son de voix témoignant avec force de la filiation naturelle de
celui-ci, en disant [Mt. 17, 5] : Celui-ci
est mon fils bien-aimé. Et c’est à la ressemblance de cette filiation que
nous sommes regénérés par la grâce baptismale en des fils d’adoption comme le
dit l’Apôtre [Rm. 8, 29] : Ceux qu’il a d’avance discernés, il les a
aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils. Mais pour faire connaître
le débordement de la grâce de Lui aux autres par mode d’enseignement,
l’Esprit-Saint apparut sur Lui dans un nuage lumineux auquel il appartient de
répandre la lumière ainsi qu’il est dit [Job 37, 2] : Les nuages répandent sa lumière. |
In quo
signatur effusio doctrinae per praedicationem, secundum Gregorium, lib. XXVII
Moral., cap. XXXI, col. 132. Et hoc
in transfiguratione, ut dicitur Matth. 17, secundum Glossam Augustini, Annotationes in Job, c. XXXVII, col.
868 et Bernardi. Et ideo
cum vox Patris tunc super ipsum intonuit: Hic
est Filius meus dilectus, additum est, ipsum audite. Unde patet quod non oportet fieri visibilem
missionem ad Christum a principio conceptionis suae ; sed tunc quando incepit
ejus gratia in alios redundare. Similiter etiam apostolis bis facta est
visibilis missio Spiritus sancti. |
Et c’est en
cela qu’est signifiée l’effusion de la doctrine par la prédication selon
Saint-Grégoire [XXVII, Moral. ch.
XXXI, col. 132]. Et cela est manifesté dans la transfiguratin comme il est
dit dans Matthieu au chapître 17, conformément à la glose d’Augustin
[Annotations sur Job, ch. XXXVII, col. 868] et de Bernard. Et c’est pourquoi
lorsque la voix du Père retentit alors sur lui : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, elle ajouta : écoutez-le. C’est pourquoi il est
clair qu’il ne fallait pas que la mission visible à l’égard du Christ au
début de sa conception, mais alors que sa grâce commença à déborder sur les
autres. De la même manière encore la mission visible de l’Esprit-Saint fut
faite deux fois sur les apôtres. |
Primo ad insinuandum redundantiam gratiae
ex ipsis per modum operationis, in administrationem sacramentorum, in specie
flatus, ut legitur Joan. 20: unde et ibi dicitur, 23: Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis ; et quorum retinueritis,
retenta sunt ; ut ostenderetur quia talis auctoritas non devenit in eos
nisi ex influxu capitis, scilicet Christi. In Christum
autem devenit immediate ab ipso Patre ; et propter hoc in ipso significabatur
haec auctoritas per volatum columbae desuper advenientis ; in apostolis autem
per speciem flatus a Christo procedentis. |
Premièrement pour faire connaître le débordement de
la grâce à partir d’eux par mode d’opération, dans l’administration des
sacrements, sous la forme d’un soufflé comme le dit Jean (20, 23): Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils
leur seront remis; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus;
pour que soit manifesté qu’une telle autorité ne leur venait que par
l’influence de la tête, c’est-à-dire du Christ. Mais le Christ tenait cette
autorité immédiatement du Père lui-même; et c’est pour cette raison que cette
autorité était signifiée en Lui par le
vol d’une colombe venant d’en haut, et chez les apôtres sous la forme d’un
soufflé venant du Christ. |
Secundo facta
est ad eos missio visibilis, ad insinuandum redundantiam per modum doctrinae
; et hoc in die Pentecostes, ut legitur actuum 2. Et ideo apparuit super eos in linguis
igneis: Verbis ut essent proflui, et
caritate fervidi zelantes proximorum salutem. |
Deuxièmement
la mission visible de l’Esprit-Saint a eu lieu sur les apôtres pour faire
connaître le débordement par mode d’enseignement ; et cela au jour de la
Pentecôte comme on le lit au chapître deux des Actes . Et c’est pourquoi
l’Esprit apparut sur eux comme des langues de feu : pour qu’ils soient inondés de paroles et brûlants d’amour, zélés
pour le salut de leurs prochains. |
[1256] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod visio imaginaria dicitur proprie
revelatio et non apparitio vel missio, et hujusmodi visiones prophetis saepe
factae sunt. In missione enim visibili ostenditur praesentia gratiae
inhabitantis. Species autem quae est in imaginatione, non est necessario rei
praesentis, sicut species quae est in sensu ; et ideo per corporales species
exteriori visioni subjectas, magis debet manifestari interior missio, quam
per imaginarias. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu qu’une vision imaginaire s’appelle proprement révélation
et non pas apparition ou mission, et de telles visions prophétiques ont
souvent eu lieu. En effet, la présence de la grâce d’habitation est
manifestée dans la mission visible. Mais l’espèce qui est dans l’imaginatio
n’est pas nécessairement celle de la chose présente comme c’est le cas pour
l’espèce qui est dans le sens ; et c’est pourquoi la mission intérieure
doit davantage être manifestée par les espèces corporelles soumises à la
vision extérieure que par des espèces imaginaires. |
[1257] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in nobilioribus creaturis
divinae perfectionis similitudo, quo ad attributa essentialia, magis
inveniatur expressa ; tamen quo ad exitum unius personae ab alia, et quantum
ad modum processionis donorum a Deo, et effectus ipsorum, potest etiam in
ignobilioribus creaturis similitudo convenientior attendi, sicut fecunditas
in columba et locutio in lingua, et hoc oportuit per missionem visibilem
significari |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que bien que la ressemblance de la perfection divine se
retrouve plus clairement dans les créatures plus nobles quant à ses attributs
essentiels, cependant, quant à la sortie d’une Personne d’une autre et quant
au mode de procession des dons de Dieu et des leurs effets, cette
ressemblance peut aussi se remarquer plus convenablement dans les créatures
inférieures, comme la fécondité pour la colombe et la parole pour la langue,
et cela devait être signifié par la mission visible. |
. Vel dicendum,
secundum Dionysium,II cap. Caelest
hierarch, § 2, col. 138, quod inferiores creaturae eo ipso quo magis
distant a participatione divinarum personarum, convenientius per ea divina
manifestantur vel significantur ; quia non potest ex hoc aliquis error
provenire propter manifestam distantiam eorum a divinis ; qui error posset
contingere, si per nobiles creaturas divina significarentur: de facili enim
posset aliquis errare, credens aliquod numen esse in stella, vel in aliqua
nobiliori creatura. |
Ou bien il faut dire, selon Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 2, col. 138], que les
créatures inférieures, par cela même qu’elles sont plus éloignées d’une
participation des Personnes divines, ces dernières sont plus convenablement
manifestées ou signifiées par elles; car à cause de la distance manifeste
qu’il y a entre elles et Dieu, aucune erreur ne peut provenir de là, erreur
qui pourrait se produire si les personnes divines étaient signifiées par des
créatures nobles: : alors en effet quelqu’un pourrait facilement se tromper
en croyant qu’il existe une divinité dans l’étoile ou dans quelque noble
créature. |
[1258] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod columba illa non
fuit verum et naturale animal, sed tantum similitudo columbae visibiliter
ostensa in aliqua materia ad hoc praeparata. Unde etiam peracto officio in
pristinam materiam est reversa. Nec fuit ibi aliqua fictio, quia illa
similitudo columbae non ostendebatur ad manifestandum aliquam veritatem in
ipsa columba, sed ad manifestandas proprietates invisibilis missionis. Et ideo non fuit ibi falsitas signi,
quia signatum respondebat signo, et res similitudini ; sicut aliquis loquens
per metaphoricas locutiones, non mentitur: non enim intendit sua locutione
ducere in res quae per nomina significantur, sed magis in illas quarum illae
res significatae per nomina similitudinem habent: similiter de igne dicendum
est [dicendum est om. Éd. de Parme].
Sed natura visibilis in qua Filius apparuit, assumebatur ad esse et non
tantum ad signum ; et ideo oportuit quod verum esse hominis haberet. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que cette colombe n’était pas un animal véritable et
naturel, mais seulement une similitude de la colombe manifestée visiblement
dans une matière préparée à cette fin. C’est pourquoi encore, une fois sa
fonction accomplie, elle retourna à sa matière originelle. Et il n’y eut pas
là une fiction, car cette similitude de la colombe n’était pas montrée pour
manifester une vérité dans la colombe elle-même, mais pour manifester les
propriétés de la mission invisible. Et c’est pourquoi il n’y eut pas là une
erreur de signe, car le signifié correspondait au signe, et la chose à la
similitude ; tout comme celui qui parle par locutions métaphoriques ne
ment pas : en effet, il ne cherche pas par son discours à conduire aux
choses qui sont signifiées par les noms, mais plutôt à celles avec lesquelles
ces choses signifiées par les noms ont une ressemblance : c’est de la
même manière qu’il faut parler [qu’il faut parler om. Éd. de Parme] du feu. Mais la nature visible dans laquelle le
Fils est apparu était assumée pour l’existence et non seulement comme signe ;
et c’est pourquoi il fallait qu’il possède une véritable existence d’homme. |
[1259] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod species illae in quibus Spiritus sanctus
apparuit, significant effectus Spiritus sancti, secundum quos Spiritus
sanctus dicitur multiplex, quamvis substantialiter sit unus, ut dicitur Sap.
7. Et ideo secundum plures species apparuit et pluries. Sed quia natura
visibilis, in qua Filius apparuit, assumpta est ad esse unum in persona Filii
Dei ; sicut est unum esse personae, ita est una tantum talis missio. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que ces espèces dans lesquelles l’Esprit-Saint est
apparu signifient des effets de l’Esprit-Saint d’après lesquelles on dit de
l’Esprit-Sant qu’il est multiple, bien qu’Il soit substantiellement un, comme
on le dit au chapître 7 du livre de la Sagesse. Et c’est pourquoi Il est
apparu sous plusieurs espèces et en plusieurs occasions. Mais parce que la
nature visible dans laquelle le Fils est apparu a été prise en vue d’une
existence unique dans la Personne du Fils de Dieu, tout comme il n’y a qu’une
seule existence de la Personne, de même il n’y a qu’une seule mission de
cette sorte. |
[1260] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 3 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod apparitio sub aliena specie, quae
includitur in missione visibili, non competit nisi ei quod non habet speciem
per quam corporaliter videri possit. Missio autem visibilis, ut dictum est,
art. anteced., non debuit esse ante tempus gratiae. Tempus autem gratiae
incepit, quando Filius Dei carnem assumpsit. Et quia inseparabiliter
assumpsit, ideo tempore quo convenit fieri visibilem missionem, semper habet
speciem visibilem propriam, in qua videri potest. Unde nunquam competit sibi
missio visibilis, nisi una quae est in natura assumpta [assumptam Éd. de Parrme]. Quare
autem Spiritus sanctus naturam non assumpserit in unitatem personae,
quaeretur in 3, distin. 1,
quaest. 2, art. 3. |
5. Il faut
dire en dernier lieu qu’une apparition sous une forme étrangère, qui est
comprise dans la mission visible, n’appartient qu’à celui qui ne possède pas
l’espèce par laquelle il pourrait être vu corporellement. Mais la mission
visible, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, ne devait pas
exister avant le temps de la grâce. Mais le temps de la grâce commença quand
le Fils de Dieu prit chair. Et parce qu’il la prit inséparablement, c’est
pourquoi à l’époque à laquelle il convient qu’il y ait mission visible, Il
possède toujours la forme visible propre dans laquelle il peut être vu. C’est
pourquoi il ne lui appartient jamais qu’une seule mission visible à savoir
celle qui existe dans la nature qui est prise [qu’il a prise Éd. de Parme]. Mais pourquoi
l’Esprit-Saint n’a pas pris une nature dans l’unité de la Personne, on
cherchera à le savoir dans le livre 3 [dist. 1, quest. 2, art. 3]. |
|
|
Articulus 4 [1261] Super Sent., lib. 1
d. 16 q. 1 a. 4 tit. Utrum species missionis visibilis sint formatae
ministerio Angelorum |
Article 4 – Les formes de la mission visible sont-elles formées par l’intervention des anges ? |
[1262] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod illae species visibiles,
ministerio Angelorum formatae non sint. Dicit enim Augustinus, III De trinit., cap. quod sermones Dei in
novo testamento non per Angelos, sed per ipsum Deum facti sunt. Ergo illa
locutio, sive ille sonus qui in novo testamento factus est, Matth. 17, 5: Hic est Filius meus dilectus, non est
per Angelos formatus ; et eadem ratione nec alia quae ad missionem pertinent
visibilem. |
Difficultés : 1. Il semble
que ces formes visibles ne soient pas formées par le ministère des Anges. En
effet, Augustin [111 De la Trinité, ch. XI, &22, co.
882, t. VIII] dit que les discours de
Dieu dans le nouveau testatement ne sont pas faits par les Anges mais par
Dieu lui-même. Donc cette parole ou ce son de voix qui a été fait dans le
nouveau testament [Mt. 17, 5] : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, n’a
pas été formé par les Anges ; et pour la même raison il en est de même
pour les autres paroles qui se rapportent à la mission visible. |
[1263] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, corpori quod per Angelum
formatur, unitur Angelus, sicut motor mobili. Si igitur illae species per
Angelos formatae sunt, tunc sunt corpora assumpta ab Angelis. Ergo in eis non
dicetur mitti divina persona, sed Angelus. |
2. Par ailleurs, l’Ange est uni, comme le moteur au
mobile, au corps qui est formé par l’Ange. Si donc ces formes sont formées
par les Anges, alors elles sont des corps pris par les Anges. On ne dira donc
pas que dans ces formes c’est la Personne divine qui est envoyée, mais
l’Ange. |
[1264] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, sicut visibilis missio Filii facta
est per corpus assumptum, ita missio visibilis Spiritus sancti per hujusmodi
species. Sed corpus Christi assumptum, Angeli nullo modo
formaverunt. Ergo nec species illas visibiles. |
3. En outre, tout comme la mission visible du Fils a
été faite par la prise d’un corps, de même le mission visible de
l’Esprit-Saint a été faite par des formes de cette sorte. Mais les Anges
n’ont en aucune manière formé le corps pris par le Christ. Ils n’ont donc pas
formé non plus ces formes visibles. |
[1265] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 4 arg. 4 Contra, Gregorius XXVIII Moral.,
c. 1, § 4 col. 449, loquens de illa voce, qua Pater respondit Filio: Et clarificavi, et clarificabo, Joan.
12, 28, ita dicit: « Nimirum de caelestibus loquens verba sua, quae ab
hominibus audiri voluit, rationali administrante creatura formavit » ;
et eadem ratio est de aliis. Ergo videtur quod omnes administratae sunt per
Angelos. |
4. Au
contraire, Saint-Grégoire [XXVIII, Moral. ch. 1, & 4, col. 449], en
parlant de ce son de voix par lequel le Père répondit au Fils [Jean 12,
28] : Je l’ai glorifié et je le
glorifierai, dit : ¨Assurément, prononçant des cieux ses paroles
qu’il voulait faire entendre des hommes, il les forma par l’administration
d’une créature rationnelle¨ ; et la même raison vaut pour les autres
cas. Il semble donc que toutes les formes de la mission visible sont
administrées par les Anges. |
[1267] Super
Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in hoc est duplex
opinio. Quidam dicunt,
quod in hoc differunt missiones novi testamenti ab apparitionibus veteris
testamenti, quod apparitiones veteris testamenti factae sunt per Angelos, ut
sancti communiter volunt ; missiones autem novi testamenti factae sunt
immediate per divinas personas. Quapropter in illis speciebus divinae personae mitti dicuntur,
et non Angeli. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’à ce sujet il y a deux opinions. Certains
disent que les missions du nouveau testament diffèrent des apparitions de
l’ancien testament en ceci que les apparitions de l’ancien testament ont été
faites par les Anges, ainsi que le veulent communément les saints, alors que
les missions du nouveau testament ont été faites immédiatement par les
Personnes divines. C’est pourquoi les Personnes divines, et non des Anges,
ont été envoyées dans ces formes. |
Alii dicunt e
contrario, quod utrumque Angelorum ministerio perfectum est. Videtur autem
quod utrique quantum ad aliquid verum dicant. In utroque enim, scilicet
apparitione veteris testamenti et missione visibili, est duo considerare:
scilicet illud quod exterius apparet, et aliquid quod interius efficitur vel
factum signatur. Sed tamen diversimode, quia in apparitione veteris
testamenti illud exterius apparens non refertur ut signum ad illud quod
interius est, sed ad aliquid aliud, sicut ad significandum Trinitatem, vel
aliquid hujusmodi ; unde illud quod interius est, nihil aliud est quam ipsa
cognitio vel illuminatio animae de rebus quae per signa exteriora
significantur |
D’autres disent au contraire que les deux ont été
accomplies par le ministère des Anges. Mais il semble que les deux opinions
soient dans le vrai sous un certain rapport. Dans les deux cas en effet,
c’est-à-dire dans l’apparition de l’ancien testament et dans la misión
visible, il y a deux choses à considérer: à savoir ce qui apparaît
extérieurement et quelque chose qui est produit intérieurement ou qui est
signalé comme étant fait. Mais différemment cependant, car dans l’apparition
de l’ancien testament cela même qui apparaît extérieurement n’est par
rapporté comme un signe par rapport à ce qui existe intérieurement mais par
rapport à quelque chose d’autre, comme pour signifier la Trinité ou quelque
chose de la sorte; c’est pourquoi ce qui existe intérieurement n’est rien
d’autre que la connaissance ou l’illumination même de l’âme au sujet des
choses qui sont signifiées par les signes extérieurs. |
Et quia illuminationes divinae
descendunt in nos, secundum Dionysium, cap. IV, Caelest. Hier. § 2, etc., col 179, per Angelos, ideo ministerio
Angelorum in illis apparitionibus utrumque factum est, scilicet et quod
exterius est, et quod interius ; et ideo nullo modo est ibi missio divinae
personae, quae tantum attenditur secundum immediatum effectum ipsius personae
divinae. |
Et parce que
d’après Denys [La Hiérarchie Céleste,
ch. IV, & 2, etc., col. 179, t. 1] les illuminations divines descendent
en nous par les Anges, c’est pourquoi dans ces apparitions les deux aspects
sont faits par le ministère des Anges, à savoir ce qui existe extérieurement
et ce qui existe intérieurement ; et c’est pourquoi en aucune manière il
n’y a là mission de la Personne divine, laquelle ne s’applique qu’à un effet
immédiat de la Personne divine elle-même. |
In missione autem visibili, illud quod
exterius apparet, est signum ejus quod interius est factum, vel tunc, vel
prius ; unde interius non ponitur tantum aliqua cognitio, sed aliquis
effectus gratiae gratum facientis, qui est immediate a divina persona,
ratione cujus divina persona mitti dicitur. |
Mais dans la
mission visible, ce qui apparaît extérieurement est le signe de ce qui est réalisé
intérieurement, soit au moment même, soit antérieurement ; c’est
pourquoi ce n’est pas seulement une connaissance qui est affirmée
intérieurement, mais un effet de la grâce sanctifiante qui provient
immédiatement de la Personne divine et en raison de quoi on dit que c’est la
Personne divine elle-même qui est envoyée. |
Unde in missione visibili illud quod
est interius, immediate sine ministerio Angelorum effectum est, propter quod
ratione illius effectus persona divina mitti dicitur ; sed quantum ad id quod
est exterius, Angeli ministerium habent, ut Gregorius dicit. |
C’est pourquoi
ce qui existe intérieurement dans la mission visible est produit
immédiatement sans le ministère des Anges, et c’est à cause de cela qu’on dit
de la Personne divine est envoyée en raison de cet effet ; mais quant à
ce qui existe extérieurement dans ces missions, il y a ministère de l’Ange,
comme le dit Saint-Grégoire. |
[1268] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Augustinus loquitur de sermone quem
Filius Dei in corpore assumpto protulit, quem constat immediate a Deo esse
prolatum. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu qu’Augustin parle du discours que le Fils de Dieu
prononça dans le corps qu’il avait pris, et dont il est clair qu’il a été
immédiatement prononcé par Dieu. |
[1269] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Angelus habeat operationem in
creatura exterius apparente, non tamen habet in effectu interiori ; et ideo
ratione ejus persona divina mitti dicitur. Nec est inconveniens ut persona
divina simul, et Angelus mittatur. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que bien que l’Ange pose une opération dans une
créature qui apparaît extérieurement, il n’a cependant pas une opération dans
l’effet intérieur ; et c’est pourquoi, en raison de cet effet, on dit de
la personne divine qu’elle est envoyée. Et il ne convient pas que la Personne
divine et l’Ange soient envoyés simultanément. |
[1270] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod corpus assumptum est unitum ipsi personae
divinae, unione ad unum esse personale. Unde non decuit propter suam
dignitatem ut non a Deo formaretur. Non autem similis ratio est in aliis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que le corps qui est pris est uni à la Personne divine
elle-même par une union en vue d’une
seule existence personnelle. C’est pourquoi il ne convenait pas, en raison de
sa dignité, qu’il ne soit pas formé par Dieu. Et la raison n’est pas la même
pour les autres cas. |
[1271] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dictum Gregorii referendum est tantum ad
illud quod exterius est, et non quantum ad interius significatum. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que le passage de Saint-Grégoire doit être rapporté
seulement à ce qui existe extérieurement et non à ce qui est signifié
intérieurement. |
[1272] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1
a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod dictum Dionysii habebat veritatem in
effectibus qui a creatura possunt esse ; non autem talis effectus est, gratia
; et ideo quantum ad interius, quod est in missione visibili, Angeli non
habent operationem, sed solum quantum ad exterius. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que la parole de Denys est conforme à la vérité pour
les effets qui peuvent exister par la créature ; mais la grâce n’est pas
un effet de cette sorte ; et c’est pourquoi, quant à l’effet intérieur
qui existe dans la mission visible, les Anges n’interviennent pas par une
opération mais seulement quant à ce qui apparaît extérieurement. |
|
|
Distinctio 17 |
Distinction 17 – [Les missions invisibles de l’Esprit Saint] |
|
|
Prooemium |
Prologue[14] |
|
|
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La nature de la charité] |
|
|
Articulus 1
[1275] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 tit. Utrum caritas
sit aliquid creatum in anima |
Article 1 – La charité est-elle quelque chose de créé dans l’âme ? |
[1276] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur quod caritas non sit aliquid creatum in anima.
Agens enim quod sine medio operatur perfectius est quam illud quod non agit
nisi per medium. Sed Spiritus sanctus operatur in nobis velle et perficere in
actibus meritoriis, secundum apostolum: Qui enim spiritu Dei aguntur hi filii
Dei sunt, Roman. 8, 14. Ergo cum ipse sit perfectissimum agens, videtur quod
non moveat ad hanc operationem per aliquem habitum creatum medium. |
Difficultés: 1. Il semble que la charité ne soit pas quelque
chose de créé dans l’âme. En effet, un agent qui opère sans intermédiaire est
plus parfait qu’un agent qui n’agit que par un intermédiaire. Mais
l’Esprit-Saint opère en nous le vouloir et l’exécution dans les actes
méritoires d’après l’Apôtre [Romains 8, 14]: En effet, tous ceux qui sont
animés par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont des fils de Dieu. Donc, puisque
l’Esprit-Saint est l’agent le plus parfait, il semble qu’il ne pousse pas à
cette opération par un intermédiaire qui serait un habitus créé. |
[1277] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 2
Item, sicut anima se habet ad corpus ut vita ipsius, ita se habet Deus ad animam,
ut dicit Augustinus De verbis Apostoli, Serm. XVIII et XXVIII. Sed anima non
vivificat corpus per aliquam formam mediam. Ergo nec Spiritus sanctus animam
per habitum medium. |
2. Ce que l’âme est au corps comme principe de vie,
Dieu l’est à l’âme comme le dit Augustin [Sur
les Paroles de l’Apôtre, Serm. XVIII et XXVIII]. Mais l’âme ne vivifie
pas le corps par une forme intermédiaire. Donc, l’Esprit-Saint ne vivifie pas
l’âme par un habitus intermédiaire. |
[1278] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, esse gratiae immediatius est
a Deo et propinquius, quam esse naturae. Sed Deus in
creatione non est usus aliquo medio, quando naturam instituit. Ergo nec in
recreatione, quando gratiam infundit. |
3. Par ailleurs, l’existence de la grâce vient plus
immédiatement et prochainement de Dieu que l’existence de la nature. Mais
Dieu dans la creation ne s’est pas servi d’un intermédiaire quand il a
institué la nature. Il ne s’en est donc pas servi non plus dans la recréation
quand il a introduit la grâce. |
[1279] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 4 Hoc etiam ostenditur ex dignitate
caritatis. Omnis enim creatura est vanitas. Si ergo caritas est
creatura, vanitas erit. Sed
vanitas non conjungit veritati, nec confirmat in veritate. Ergo caritas non
conjungeret nos Deo ; quod falsum est. |
4. Cela est
manifeste aussi en partant de la dignité de la charité. Toute créature en
effet est vanité. Si donc la charité est une créature, elle sera vanité. Mais
la vanité ne s’unit pas à la vérité et ne s’affirme pas dans la vérité. Donc
la charité ne nous unirait pas à Dieu, ce qui est faux. |
[1280] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nullum finitum est virtutis
infinitae: cum virtus fluat ab essentia. Sed omnis
creatura finita est. Ergo nullius creaturae virtus infinita est. Sed virtus caritatis infinita est,
quia movet per infinitam distantiam ; conjungit enim creaturam creatori, et
facit de peccatore justum. Ergo videtur quod non sit creatura. |
5. En outre,
rien de fini n’appartient à une puissance infinie, puisque la puissance
découle de l’essence. Mais toute créature est finie. Donc la puissance
d’aucune créature n’est infinie. Mais la puissance de la charité est infinie
car elle meut sur une distance infinie ; elle unit en effet la créature
au créateur et d’un pécheur elle fait un juste. Il semble donc qu’elle ne
soit pas une créature. |
[1281] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 6 Item, nulla creatura est dignior quam
anima Christi. Sed caritas est dignior quam anima Christi ; quia ipsa caritate
anima Christi bona est. Ergo caritas non est creatura. |
6. De plus,
aucune créature n’est plus noble que l’âme du Christ. Mais la charité est
plus noble que l’âme du Christ, car c’est par la charité elle-même que l’âme
du Christ est bonne. Donc la charité n’est pas une créature. |
[1282] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 7
Praeterea, majori bono debetur major amor. Sed Deus est infinitum bonum, et infinita fecit pro
nobis. Igitur debemus sibi infinitum amorem. Sed amor quo diligimus Deum, est
caritas. Ergo caritas est quid infinitum. Ergo non est creatura. |
7. Par
ailleurs, à un plus grand bien doit correspondre un plus grand amour. Mais
Dieu est un bien infini, et il a produit pour nous des biens infinis. Nous
lui devons donc un amour infini. Mais l’amour par lequel nous aimons Dieu est
la charité. Donc la charité est quelque chose d’infini. Elle n’est donc pas
une créature. |
[1283] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 8
Praeterea, omne creatum est in praedicamento aliquo. Sed quidquid continetur in decem
generibus, est aliqua natura. Si ergo caritas sit quid creatum, erit natura
quaedam. Sed natura adveniens naturae non facit nisi naturam. Ergo anima
habens caritatem, si caritas sit quid creatum, non habebit nisi esse naturae.
Sed per caritatem potest mereri. Ergo natura aliqua per se poterit in
actus meritorios ; quod est haeresis Pelagiana. Videtur ergo quod caritas non
sit quid creatum. |
8. Enfin, tout
ce qui est créé se range dans un prédicament. Mais tout ce qui est contenu
dans les dix genres est une nature. Si donc la charité est quelque chose de
créé, elle sera une certaine nature. Mais une nature qui s’ajoute à une
nature ne peut produire qu’une nature. Donc l’âme qui possède la charité, si
la charité est quelque chose de créé, n’aura qu’une existence de nature. Mais
par la charité elle peut obtenir du mérite. Donc une nature sera capable par
elle-même d’actes méritoires, ce qui constitue l’hérésie de Pélage. Il semble
donc que la charité ne soit pas quelque chose de créé. |
[1284] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 1
Contra, omne quod recipitur in aliquo, recipitur in eo per modum recipientis.
Sed amor increatus, qui est Spiritus sanctus, participatur in creatura. Ergo
secundum modum ipsius creaturae. Sed modus ejus est finitus. Ergo oportet
quod recipiatur in creatura aliquis amor finitus. Sed omne finitum est
creatum. Ergo in anima habente Spiritum sanctum, est aliqua caritas creata. |
Cependant: 1. Au contraire, tout ce qui est reçu dans un être y
est reçu à la manière de celui qui reçoit. Mais l’amour incréé, qui est
l’Esprit-Saint, est participé dans la créature. Il y est donc participé selon
le mode de la créature elle-même. Mais son mode est fini. Il faut donc que ce
soit un amour fini qui soit reçu dans la créature. Mais tout ce qui est fini
est créé. Il y a donc une charité créée dans l’âme qui possède
l’Esprit-Saint. |
[1285] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 2
Item, omnis assimilatio fit per formam aliquam. Sed per caritatem efficimur
conformes ipsi Deo ; qua amissa, dicitur anima deformari. Ergo
videtur quod caritas sit quaedam forma creata manens in anima. |
2. En outre,
toute assimilation se réalise au moyen d’une certaine forme. Mais c’est par
la charité que nous sommes rendus conformes à Dieu, de telle manière que si
elle manque, on dit de l’âme qu’elle est déformée. Il semble donc que la
charité soit une certaine forme créée qui demeure dans l’âme. |
[1286] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea constat quod Deus aliquo modo
est in sanctis quo non est in creaturis. Sed ista
diversitas non potest poni ex parte ipsius Dei, qui eodem modo se habet ad
omnia. Ergo videtur quod sit ex parte creaturae, scilicet quod ipsa creatura
habeat aliquid quod alia non habent. Aut ergo habet ipsum divinum esse ; et
sic omnes justi assumerentur a Spiritu sancto in unitatem personae, sicut
natura humana assumpta est a Christo in unitatem personae ipsius Filii Dei:
quod non potest esse. Aut
oportet quod illa creatura, in qua speciali modo Deus esse dicitur, habeat in
se aliquem effectum Dei, quem alia non habent. Iste autem effectus non potest
esse tantum actus ; quia sic in justis dormientibus non esset alio modo quam
in aliis creaturis. Ergo oportet quod sit aliquis habitus. Oportet igitur
aliquem habitum caritatis creatum esse in anima, secundum quem Spiritus
sanctus ipsam inhabitare dicitur |
3. De plus, il
est clair que Dieu est dans les saints selon un mode par lequel il n’est pas
dans les créatures. Mais cette différence ne peut être posée du côté de Dieu
lui-même qui est le même à l’égard de tout. Il semble donc que cette
différence se tienne du côté de la créature, c’est-à-dire qu’une créature
possède quelque chose que les autres ne possèdent pas. Donc, soit qu’elle
possède l’existence divine elle-même ; et ainsi tous les justes seraient
seraient assumés par l’Esprit-Saint dans l’unité de la Personne, tout comme
la nature humaine est assumée par le Christ dans l’unité de la Personne du
Fils de Dieu lui-même, ce qui est impossible. Ou bien il faut que cette
créature, dans laquelle on dit de Dieu qu’il y exise selon un mode spécial,
possède en elle un effet de Dieu que les autres ne possèdent pas. Mais cet
effet ne peut être seulement un acte, car ainsi dans les justes qui reposent
il n’en serait pas autrement que dans les autres créatures. Il faut donc
qu’il y ait un certain habitus. Il faut donc qu’il y ait dans l’âme un
certain habitus créé de la charité, selon lequel on dit de l’Esprit-Saint
qu’Il y habite. |
[1287] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod tota bonitas
ipsius animae est ex caritate: unde quantum bona est tantum habet de caritate
; et si caritatem non habeat, nihil est, sicut dicitur 1 Corinth., 13.
Constat autem quod per caritatem anima non habet minus de bonitate in esse
gratiae, quam per virtutem acquisitam in esse politico. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que toute la bonté de l’âme elle-même vient de la charité,
d’où elle est aussi bonne qu’elle possède de la charité ; et si elle ne
possédait pas de charité, elle ne serait rien, ainsi que le dit l’Apôtre [1
Corinth. 13]. Mais il est clair que par la charité l’âme ne possède pas moins de bonté dans l’existence de la
grâce qu’elle n’en possède dans l’existence politique par la vertu acquise. |
Virtus autem
politica duo facit: quia facit bonum habentem, et opus ejus bonum reddit.
Multo fortius igitur hoc facit caritas. Neutrum autem horum effici poterit,
nisi caritas sit habitus creatus. Constat enim quod omne esse a forma aliqua
inhaerente est, sicut esse album ab albedine, et esse substantiale a forma
substantiali. |
Mais la vertu
politique produit deux choses : car elle rend bon celui qui la possède
et elle rend bonne son œuvre. Donc à plus forte raison la charité produit ces
deux effets. Mais la charité ne pourra produire aucun de ces effets si elle
n’est pas un habitus créé. Il est clair en effet que toute existence vient
d’une forme inhérente, tout comme d’être blanc vient de la blancheur, et que
l’existence substantielle vient d’une forme substantielle. |
Sicut igitur
non potest intelligi quod paries sit albus sine albedine inhaerente ; ita non
potest intelligi quod anima sit bona in esse gratuito sine caritate et gratia
informante ipsam. Similiter etiam, cum actus proportionetur potentiae
operativae sicut effectus propriae causae, impossibile est intelligere quod
actus perfectus in bonitate sit a potentia non perfecta per habitum ; sicut
etiam calefacere non potest esse ab igne nisi mediante calore. |
Ainsi donc on
ne peut comprendre qu’un mur soit blanc sans qu’il y ait en lui la
blancheur ; de même on ne peut comprendre que l’âme soit bonne dans
l’existence gratuite sans la charité et sans la grâce qui l’informe. De la
même manière encore, puisque l’acte est proportionnée à la puissance
d’opération comme l’effet est proportionné à la cause qui lui est propre, il
est impossible de comprendre qu’un acte qui est parfait en bonté vienne d’une
puissance qui ne serait pas achevée par un habitus, tout comme aussi
réchauffer ne peut venir du feu que par l’intermédiaire de la chaleur. |
Et ideo cum
actus caritatis perfectionem quamdam habeat ex hoc quod est meritorius
omnibus modis, oportet ponere, caritatem esse habitum creatum in anima ; quae
quidem efficienter est a tota Trinitate, sed exemplariter manat ab amore, qui
est Spiritus sanctus: et ideo frequenter invenitur quod Spiritus sanctus sit
amor quo diligimus Deum et proximum, sicut etiam dicitur a Dionysio,cap. IV
Caelest. Hier. §1 col. 178, quod esse divinum est esse omnium rerum,
inquantum scilicet ab eo omne esse exemplariter deducitur. Magister tamen
vult quod caritas non sit aliquis habitus creatus in anima ; sed quod sit
tantum actus qui est ex libero arbitrio moto per Spiritum sanctum, quem
caritatem dicit. |
Et c’est
pourquoi, puisque l’acte de la charité possède une telle perfection du fait
qu’elle est plus méritoire de toutes les manières, il faut affirmer que la
charité est un habitus créé dans l’âme, laquelle est certes l’effet de toute
la Trinité, mais elle demeure en nous à titre d’exemplaire grâce à cet amour
qui est l’Esprit-Saint : et c’est pourquoi il arrive fréquemment que
l’Esprit-Saint soit l’amour par lequel nous aimons Dieu et le prochain, comme
dit encore Denys [IV De la Hiérarchie
Céleste, & 1, col. 178] que l’existence de Dieu est l’existence de
toutes les choses, c’est-à-dire pour autant que toute existence se tire de
Lui comme d’un modèle. Mais le Maître veut que la charité ne soit pas un
habitus créé dans l’âme, mais qu’elle soit seulement un acte qui vient du
libre arbitre mû par l’Esprit-Saint
qu’Il appelle charité. |
Ad cujus
explanationem, quidam dixerunt, quod sicut lux dupliciter potest considerari,
vel prout est in se, et sic dicitur lux ; vel prout est in extremitate
diaphani terminati, et sic lux dicitur color (quia hypostasis coloris est
lux, et color nihil aliud est quam lux incorporata) ; ita dicunt, quod
Spiritus sanctus, prout in se consideratur, Spiritus sanctus et Deus dicitur
; sed prout consideratur ut existens in anima, quam movet ad actum caritatis,
dicitur caritas. |
Et pour
expliquer cela certains ont dit que tout comme la lumière peut être
considérée de deux manières, c’est-à-dire soit en elle-même et ainsi elle est
appelé lumière, soit selon qu’elle se termine à une extrémité de l’air et
alors la lumière s’appelle couleur (car la substance de la couleur est la
lumière et la couleur n’est rien d’autre qu’une lumière dans un corps), de
même ils disent que l’Esprit-Saint, considéré en lui-même, s’appelle
Esprit-Saint et Dieu ; mais selon qu’il est considéré comme existant
dans l’âme qu’Il meut à l’acte de charité, il s’appelle charité. |
Dicunt enim,
quod sicut Filius univit sibi naturam humanam solus, quamvis sit ibi operatio
totius Trinitatis ; ita Spiritus sanctus solus unit sibi voluntatem, quamvis
ibi sit operatio totius Trinitatis. Sed hoc non potest stare ; quia unio
humanae naturae in Christo terminata est ad unum esse personae divinae: et
ideo idem actus numero est personae divinae et naturae humanae assumptae. Sed
voluntas alicujus sancti non assumitur in unitatem suppositi Spiritus sancti.
Unde cum operatio a supposito unitatem habeat et diversitatem ; non potest
esse quod intelligatur esse una operatio voluntatis et Spiritus sancti, nisi
per modum quo Deus operatur in qualibet re. |
Ils disent en
effet que tout comme le Fils seul s’est uni à une nature humaine bien qu’il y
ait là l’opération de toute la Trinité, de même seul l’Esprit-Saint s’est uni
à la volonté bien qu’il y ait là l’opération de toute la Trinité. Mais cela
ne peut se défendre ; car l’union à la nature humaine dans le Christ se
termine à une seule existence de la personne divine : et c’est pourquoi
c’est le même acte, numériquement parlant, qui appartient à la fois à la
personne divine et à la nature humaine assumée. Mais la volonté d’un saint
n’est pas assumée dans l’unité du suppôt de l’Esprit-Saint. C’est pourquoi,
puisque l’opération tient son unité et sa diversité du suppôt lui-même, c’est
pourquoi il est impossible de comprendre qu’une seule et même opération
appartienne à la fois à la volonté et à l’Esprit-Saint, sauf à la manière par
laquelle Dieu opère en une chose. |
Sed iste
modus non sufficit ad operationis perfectionem ; quia operatio consequitur
conditiones causae proximae in necessitate et contingentia et perfectione et
hujusmodi, et non primae causae. Unde non est intelligere quod sit operatio
perfecta voluntatis per quam uniatur Spiritui sancto, nisi sit ibi habitus
perficiens potentiam operativam: nec potest esse similitudo actus voluntatis
ad Spiritum sanctum, nisi sit similitudo Spiritus sancti in anima per aliquam
formam, quae est principium actus quo Spiritui sancto conformetur ; unde
oportet in anima poni aliquem formam, per quam Spiritui sancto conformetur
[unde… conformetur om. Éd de Parme] quia actus ad hoc non sufficit, ut dictum
est. |
Mais cette
manière ne suffit pas à la perfection de l’opération ; car l’opération
suit les conditions de la cause prochaine sous le rapport de la nécessité, de
la contingence, de la perfection et sous d’autres rapports, et non les
conditions de la cause première. Et c’est pourquoi on ne peut comprendre
qu’il y ait une opération parfaite de la volonté par laquelle elle est unie à
l’Esprit-Saint qu’à condition qu’il y ait là un habitus qui donne son
achèvement à la puissance d’opération : et il ne peut y avoir similitude
entre l’acte de la volonté et l’Esprit-Saint que s’il y a une similitude de
l’Esprit-Saint dans l’âme au moyen d’une forme qui soit le principe de l’acte
par lequel elle se conforme à l’Esprit-Saint ; c’est pourquoi il faut
poser qu’il y a dans l’âme une forme par laquelle elle se conforme à
l’Esprit-Saint [c’est pourquoi … elle se conforme om. Éd. de Parme] car l’acte ne suffit pas à cela ainsi que nous
l’avons dit. |
[1288] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod in gratificatione animae est considerare duplicem
operationem Spiritus sancti. Unam, quae
terminatur ad esse secundum actum primum qui est esse gratum in habendo
habitum caritatis. Aliam, secundum quam operatur actum secundum, qui
est operatio movens voluntatem in opus dilectionis: et utroque modo oportet incidere medium non propter
indigentiam vel defectum ipsius Spiritus operantis, sed propter necessitatem
animae recipientis ; sed diversimode. Quia quo ad primum effectum, qui est
esse gratiae, caritas est medium per modum causae formalis: quia nullum esse
potest recipi in creatura, nisi per aliquam formam. Ad effectum autem
secundum, qui est operatio, est medium caritas in ratione causae efficientis
secundum quod virtutem quae est principium operandi reducimus in causam
agentem: quia etiam non est possibile aliquam operationem perfectam a
creatura exire, nisi principium illius operationis sit perfectio potentiae
operantis, prout dicimus habitum elicientem actum esse principium ejus. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que dans la
gratification de l’âme il faut considérer deux opérations de l’Esprit-Saint. La première qui se termine à l’existence selon
l’acte premier qui est l’existence de la grâce dans la possession de
l’habitus de la charité. La deuxième, selon laquelle il opère l’acte second,
qui est l’opération qui meut la volonté à une oeuvre d’amour: Et dans les deux cas, mais de différentes manières,
il faut rencontrer un intermédiaire non pas à cause d’un manque ou d’un
défaut du côté de l’opération de l’Esprit-Saint lui-même, mais à cause d’une
nécessité qui se tient du côté de l’âme qui reçoit. Car quant au premier
effet, qui est l’existence de la grâce, la charité est un intermédiaire à la
la manière d’une cause formelle, car aucune forme d’existence ne peut être
recue dans la créature sans quelque
forme. Mais quant au deuxième effet qui est l’opération, la charité est un
intermédiaire sous le rapport d’une cause efficiente selon que nous ramenons
la vertu, qui est principe d’opération, à une cause agente: car encore il n’est
possible qu’une opération parfaite sorte de la créature que si le principe de
cette opération est la perfection de la puissance d’opération, selon que nous
disons que l’habitus qui décide de l’acte est le principe de cet acte. |
[1289] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod anima comparatur ad corpus non tantum ut causa agens,
secundum quod est motrix corporis, sed etiam ut forma ; unde formaliter
seipsa facit vivere corpus, secundum quod vivere dicitur esse viventium. Deus autem non est forma ipsius animae
vel voluntatis, qua formaliter vivere possit ; sed dicitur vita animae sicut
principium exemplariter influens vitam gratiae ipsi. Similiter dicendum de
luce, quod lux potest dupliciter considerari. Vel prout est in ipso corpore
lucido ; et sic se habet ad illuminationem aeris ut principium efficiens, nec
illuminat nisi per formam luminis influxam ipsi diaphano illuminato: vel
prout est in diaphano illuminato ; et sic est forma ipsius, qua formaliter est
lucidum. Deus autem dicitur esse illuminans lux per modum lucis quae est in
ipso corpore lucenti per se, et non per modum quo illuminatum formaliter
illuminatur a forma lucis in ipso recepta. Sed illi lumini recepto
assimilatur caritas vel gratia recepta in anima. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que l’âme se compare au corps non seulement comme une
cause agente, selon qu’elle meut le corps, mais aussi comme une forme ;
c’est pourquoi c’est formellement elle qui fait vivre le corps, selon que
nous disons que vivre est l’existence même des vivants. Mais Dieu n’est pas
la forme de l’âme elle-même ou de la volonté, par laquelle elle peut vivre
formellement ; mais on dit de Dieu qu’Il est la vie de l’âme au sens où,
comme principe, à la manière d’un modèle, Il répand la vie de la grâce en
elle. Il faut dire la même chose de la lumière, à savoir qu’elle peut être
considérée de deux manières. Soit selon qu’elle est dans le corps même qui est éclairé ; et ainsi elle
se rapporte à l’illumination de l’air comme un principe efficient et elle
n’éclaire que parla forme de la lumière répandue sur l’air illuminé
lui-même ; soit selon qu’elle est dans l’air éclairé ; et ainsi
elle est sa forme par laquelle l’air est formellement éclairé. Mais on dit de
Dieu qu’il est une lumière qui éclaire à la manière d’une lumière qui est
dans le corps même qui éclaire par lui-même et non pas à la manière par
laquelle ce qui est éclairé est formellement éclairé par la forme de la
lumière reçue en lui. Mais c’est à cette lumière reçue que se compare la
charité ou la grâce reçue en l’âme. |
[1290] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnino simile
est de creatione et recreatione. Sicut enim Deus per creationem contulit
rebus esse naturae, et illud esse est formaliter a forma recepta in ipsa re
creata, quae est quasi terminus operationis ipsius agentis ; et iterum forma
illa est principium operationum naturalium, quas Deus in rebus operatur: ita
etiam et in recreatione Deus confert animae esse gratiae ; et principium
formale illius esse est habitus creatus, quo etiam perficitur operatio
meritoria quam Deus in nobis operatur ; et ita iste habitus creatus partim se
habet ad operationem Spiritus sancti ut terminus, et partim ut medium. |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’il en est absolument de même pour la création et la
recréation. En effet, tout comme Dieu confère aux choses une existence de
nature par la création, et que cette existence vient formellement d’une forme
reçue dans la chose créée elle-même et qui est comme le terme de l’opération
de l’agent lui-même, et que cette forme est par la suite le principe des
opérations naturelles que Dieu opère dans les choses, de même encore dans la
recréation Dieu confère à l’âme l’existence de la grâce ; et le principe
formel de cette existence est un habitus créé par lequel l’opération
méritoire que Dieu opère en nous trouve sa perfection ; et c’est ainsi
que cet habitus créé se rapporte à l’opération de l’Esprit-Saint en partie
comme terme et en partie comme intermédiaire. |
[1291] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas,
inquantum est ex nihilo, habet quod sit vanitas ; sed inquantum procedit a
Deo ut similitudo ipsius, non habet rationem vanitatis, immo conjungendi ipsi
Deo. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la charité, pour autant qu’elle est créée à partir
de rien, possède quelque chose de la vanité ; mais pour autant qu’elle
procède de Dieu comme une ressemblance de Lui, n’a pas raison de vanité mais
plutôt de moyen devant unir à Dieu lui-même. |
[1292] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod aliquid dicitur facere dupliciter: vel per modum
efficientis, sicut pictor facit parietem album ; vel per modum formae, sicut
albedo facit album. Facere
igitur de peccatore justum vel Deo conjunctum, est ipsius Dei sicut
efficientis, et ipsius caritatis sicut formae. Unde non potest concludi quod
caritas sit virtutis infinitae, sed solum quod est effectus virtutis
infinitae. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que c’est de deux manières qu’on dit d’une chose
qu’elle ¨fait¨ : soit à la manière d’une cause efficiente, comme le
peintre qui rend le mur blanc ; soit à la manière d’une forme, comme la
blancheur qui fait qu’une chose est blanche. Donc c’est à Dieu comme cause efficiente
et à la charité comme forme qu’il appartient de rendre le pécheur juste ou
uni à Dieu. On ne peut donc conclure que la charité soit d’une puissance
infinie, mais seulement qu’elle est l’effet d’une puissance infinie. |
[1293] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nobilitas
aliquorum potest attendi dupliciter: vel simpliciter, vel secundum quid.
Videtur autem simpliciter dignius esse quod secundum suum esse nobilius est,
et hoc modo anima Christi et anima cujuscumque justi est nobilior quam
caritas creata, quae habet esse accidentis. Videtur etiam aliquid dignius
secundum quid, quod secundum aliquod dignius est ; et hoc modo caritas creata
est nobilior quam anima Christi. In quolibet enim genere actus est nobilior
quam potentia, quantum ad illud genus. Unde sicut albedo corporis Christi
quantum ad hoc esse quod est esse album, est nobilior quam sit corpus Christi
; ita etiam scientia ejus creata est nobilior quam anima ejus quantum ad hoc
quod est esse scientem, quod est esse secundum quid. Et similiter caritas
quantum ad tale esse: quia se habet in esse illo ad animam Christi, sicut
actus ad potentiam. |
6. En sixième
lieu il faut dire que la noblesse de certains êtres peut se remarquer de deux
manières : soit absolument, soit d’une certaine manière. Mais il semble
que soit plus digne absolument ce qui est plus noble selon son existence, et
en ce sens l’âme du Christ et l’âme de tout juste est plus noble que la
charité créée qui possède l’existence d’une accident. Il semble encore qu’un être
soit plus digne d’une certaine manière ce qui est plus digne sous un rapport
déterminé ; et en ce sens la charité créée est plus noble que l’âme du
Christ. Dans tout genre en effet l’acte est plus noble que la puissance quant
à ce genre déterminé. C’est pourquoi tout comme la blancheur du corps du
Christ, quant à cette existence déterminée qui consiste à être blanc, est
plus noble que ne l’est le corps du Christ, de même encore sa science créée
est plus noble que son âme quant à ceci qu’il existe comme savant qui est une
existence sous un certain rapport. Et il en est de même pour la charité quant
à cette existence déterminée : car elle se rapporte à l’âme du Christ
dans cette existence comme l’acte se rapporte à la puissance. |
[1293] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod secundum
Philosophum VIII Ethicorum, cap. VIII, numquam in quibusdam amicitiis
contingit aequivalens reddere ; sed sufficit ad aequitatem amicitiae illud
quod est possibile reddi ; sicut filius numquam potest patri carnali reddere
aliquid aequivalens ei quod ab ipso acceptit, scilicet esse et doctrinam et
nutrimentum. Multo minus divinis beneficiis et bonitati suae possumus reddere
amorem aequivalentem. Unde non sequitur quod amor quo Deum diligimus sit
infinitus quantum ad substantiam actus : licet [sed… habet Éd. De Parme]
infinitatem habeat, ex hoc quod objectum amoris omnibus aliis
praeponitur : sed sufficit quod amemus cum amore commensurato nobis. |
7. Il faut
dire en septième lieu que d’après le Philosophe [ VIII Éthiques, ch. VIII] il
n’est jamais possible dans certaines amitiés de rendre la pareille ;
mais il suffit, pour que l’amitié soit équitable, de faire ce qu’il est
possible de faire ; par exemple, le fils ne peut jamais rendre à son père
charnel quelque chose qui soit égal à ce qu’il a reçu de lui, à savoir
l’existence, l’enseignement et la nourriture. Nous pouvons encore moins
rendre à Dieu un amour qui soit équivalent à sa bonté et aux bienfaits divins
que nous en retirons. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas, dans cet argument,
que l’amour par lequel nous aimons Dieu soit infini quant à l’essence même de
l’acte, bien [mais…il possède Éd. de
Parme] qu’il possède un certain caractère d’infinité du fait que l’objet
de l’amour dans ce cas est préférable à tous les autres. Il suffit donc que
nous aimions Dieu d’un amour qui nous est proportionné. |
[1295] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 8 Ad ultimum dicendum, quod natura dicitur
multipliciter, secundum Boetium de duabus naturis c. 1, col. 1341, : dicitur
enim uno modo natura omne quod est, vel substantia vel accidens ; et hoc modo
gratia est natura quaedam. Alio modo dicitur natura quod est principium motus
et quietis ipsius in quo est, unde illud dicitur esse naturale vel quod
causatur a principiis naturalibus, vel causari potest ; et hoc modo caritas
non est natura, quia per principia naturalia creaturae non potest causari ;
et secundum hunc modum dicit Pelagius, per naturalia sola hominem posse in
actus meritorios. |
8. Il faut
dire finalement que selon Boèce [De
Duabus Naturis ch. 1, col. 1341] nature se dit suivant plusieurs
significations : en un premier sens en effet nature signifie tout ce qui
existe, soit la substance, soit l’accident ; et en ce sens la grâce est
une certaine nature. Mais en un autre sens nature signifie ce qui est
principe du mouvement ou du repos de celui dans lequel elle est et c’est
pourquoi on dit qu’est naturel soit ce qui est causé, soit ce qui peut être
causé par les principes naturels ; et en ce sens la charité n’est
pas nature car elle ne peut être causée par les principes naturels de la
créature ; et c’est en ce sens que Pélage dit que l’homme est capable
d’actes méritoires par les seuls principes naturels. |
|
|
[1296] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 tit. Utrum caritas sit accidens |
Article 2 – La charité est-elle un
accident ?
|
[1297] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod caritas non sit accidens. Nullum enim accidens extenditur ultra suum
subjectum. Sed caritas extenditur ultra suum subjectum, quia caritate etiam
alios amamus. Ergo videtur quod caritas non sit accidens. |
Difficultés : 1. Il semble
que la charité ne soit pas un accident. Aucun accident en effet ne s’étend au
delà de son sujet. Mais la charité s’étend au-delà de son sujet, car c’est
par la charité que nous aimons aussi les autres. Il semble donc que la
charité ne soit pas un accident. |
[1298] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, omne accidens est causatum a
substantia ; quia, secundum Avicennam, tract. II Metaph., cap ; 1, subjectum
est quod est in se completum, praebens alteri occasionem essendi. Sed caritas
non causatur a principiis animae in qua est. Ergo videtur quod non sit
accidens. |
2. En outre,
tout accident est causé par la substance ; car, selon Avicenne [traité
11, Métaphysique, ch. 1], le sujet
est ce qui est complet en soi et qui offre à un autre l’occasion d’exister.
Mais la charité n’est pas causée par les principes de l’âme dans laquelle
elle existe. Il semble donc qu’elle ne soit pas un accident. |
[1299] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullum accidens est melius et
nobilius suo subjecto. Sed caritas est melior quam anima. Ergo
non est in anima sicut accidens in subjecto. Probatio mediae. Propter quod unumquodque tale, et
illud magis. Sed anima est bona propter caritatem. Ergo caritas est melior. |
3. Par
ailleurs, aucun accident n’est plus noble et meilleur que son sujet. Mais la
charité est meilleure que l’âme. Elle n’existe donc pas dans l’âme comme un
accident dans son sujet. Preuve de la mineure. Cela même, à cause de quoi un
être est tel, l’est davantage. Mais l’âme est bonne à cause de la charité. La
charité est donc meilleure que l’âme. |
[1300] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 4 Item, agens semper est honorabilius
patiente, secundum philosophum, in III De anima, text. 19. Sed caritas agit
in animam, mundando ipsam a peccatis. Ergo est honorabilior anima, et ita
idem quod prius. |
4. De plus,
l’agent est toujours plus digne que le patient selon le Philosophe [111 de L’Âme, texte 19]. Mais la charité
agit dans l’âme en la purifiant de ses péchés. Elle est donc plus digne que
l’âme et il faut donc conclure de la même manière que précédemment. |
[1301] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid potest adesse et
abesse praeter subjecti corruptionem, est accidens. Caritas est hujusmodi.
Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Tout ce qui
peut être présent et absent au-delà de la corruption du sujet est un
accident. Or c’est le cas pour la charité. Elle est donc un accident. |
[1302] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omne illud
quod advenit alicui post esse completum, advenit sibi accidentaliter ; nisi
forte assumatur ad participationem ipsius esse substantialis, sicut dictum
est supra, 8 dist., quaest. 5, art. 2, de anima. Sed hoc tamen non sufficit
ut dicatur accidens in se: potest enim aliquid in se substantia esse, et
advenire alicui accidentaliter, sicut vestimenta ; sed si adveniat post esse
completum ut forma inhaerens, de necessitate est accidens. Et quia post esse
naturale animae advenit sibi caritas ut forma perficiens ipsam ad esse
gratiae, prout dictum est, art. antec., ideo oportet quod sit accidens. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que tout ce qui survient à un être suite à une existence
complète est un accident, à moins peut-être que cela ne soit pris pour
participer à l’existence substantielle de cet être, ainsi que nous l’avons
dit plus haut au sujet de l’âme [dist. 8, quest. 5, art. 2]. Mais cela n’est
pas suffisant pour être appelé un accident en soi : quelque chose peut
en effet être une substance en soi et survenir à un être accidentellement,
comme les vêtements ; mais si quelque chose survient à un être suite à
une existence complète comme une forme qui lui est inhérente, alors cela est
nécessairement un accident. Et parce
que la charité, suite à l’existence naturelle de l’âme, survient en
elle comme une forme qui la complète en vue de l’existence de la grâce, ainsi
que nous l’avons dit dans l’article précédent, c’est pourquoi il faut qu’elle
soit un accident. |
[1303] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod idem accidens numero nunquam extenditur ultra
subjectum suum, idest ut sit in alio sicut in subjecto ; sed bene extenditur
extra subjectum suum sicut ad objectum operationis ; sed diversimode in
operatione activa et passiva. Quia in activa extenditur ad objectum
extrinsecum, imprimens similitudinem formae suae in ipso, sicut patet quod
calor ignis active calefacit aliud corpus, et est operatio activa. Similiter
etiam quando est operatio passiva, et extenditur in aliud objectum
extrinsecum, cujus similitudo in ipso recipitur ; et ita anima per habitum
scientiae scit ea quae sunt extra ipsam, et per habitum amoris eadem amat. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que le même
accident individuel ne s’étend jamais au delà de son sujet, c’est-à-dire de
telle manière qu’il serait dans un autre comme dans un sujet; mais il s’étend
bien en dehors de son sujet comme vers l’objet de l’opération, mais d’une
manière différente dans l’opération active et dans celle qui est passive. Car
dans l’opération active il s’étend à un objet extrinsèque, imprimant la
similitude de sa forme en lui, comme on le voit pour la chaleur du feu qui
réchauffe activement un autre corps et dont l’opération est active. Il en est
de même encore quand l’opération est passive et s’étend à un autre objet
extérieur dont la resemblance est recue en lui; et c’est ainsi que l’âme,
connaît les choses qui sont en dehors d’elle par l’habitus de la science et
les aime par l’habitus de l’amour. |
[1304] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod subjectum diversimode se habet ad diversa accidentia.
Quaedam autem sunt accidentia naturalia quae creantur ex principiis subjecti
; et hoc dupliciter: quia vel causantur ex principiis speciei, et sic sunt
propriae passiones, quae consequuntur totam speciem ; vel ex principiis
individui, et sic sunt communia consequentia principia naturalia individua. Sunt
etiam quaedam accidentia per violentiam inducta, sicut calor in aqua, et ista
sunt repugnantia principiis subjecti. Quaedam autem sunt quae quidem
causantur ab extrinseco non repugnantia principiis subjecti, sed magis
perficientia ipsa, sicut lumen in aere: et ita etiam caritas in anima est ab
extrinseco. Tamen
sciendum, quod omnibus accidentibus, communiter loquendo, subjectum est causa
quodammodo, inquantum scilicet accidentia in esse subjecti sustentantur ; non
tamen ita quod ex principiis subjecti omnia accidentia educantur. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que le sujet se rapporte différemment à différents
accidents. Car parmi les accidents certains sont des accidents naturels qui
sont créés à partir des principes du sujet, et cela de deux manières :
car ou bien ils sont causés à partir des principes de l’espèce et ainsi ils
sont des passions propres qui suivent toute l’espèce ; ou bien ils sont
causés par les principes de l’individu
et ainsi ils sont des accidents communs qui suivent les principes
naturels individuels. Mais il y a aussi certains accidents qui sont provoqués
par violence, comme la chaleur pour l’eau et ceux-là sont contraires aux
principes du sujet. Mais il y en a certains qui sont certes causés par un
principe extérieur et qui ne répugnent pas aux principes du sujet mais qui
plutôt les perfectionnent comme la lumière le fait pour l’air : et c’est
ainsi encore que que la charité est introduite dans l’âme par un principe
extérieur. Il faut ependant savoir, à parler universellement, que le sujet se
présente face à tous les accidents comme une cause d’une certaine manière,
c’est-à-dire pour autant que les accidents sont soutenus dans l’existence du
sujet mais non pas cependant de telle manière que tous les accidents sont
tirés des principes du sujet. |
[1305] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod eadem ratione
posset probari quod nulla perfectio animae esset accidens, nec aliqua
perfectio corporis: quia unumquodque perfectibile habet bonitatem ex sua
perfectione. Dicendum est igitur, quod simpliciter anima est melior caritate,
et quodlibet subjectum suo accidente ; sed secundum quid est e converso.
Cujus ratio est, quia esse, secundum Dionysium, V cap. de div. nominibus,
col. 815, est nobilius omnibus aliis quae consequuntur esse: unde esse
simpliciter est nobilius quam intelligere, si posset intelligi intelligere
sine esse. Unde illud quod excedit in esse, simpliciter nobilius est omni eo
quod excedit in aliquo de consequentibus esse ; quamvis secundum aliud possit
esse minus nobile. Et quia anima et quaelibet substantia habet nobilius esse
quam accidens, ideo simpliciter nobilior est. Sed quantum ad aliquod esse,
vel secundum aliquod accidens, potest accidens esse nobilius, quia se habet ad
substantiam sicut actus ad potentiam ; et hanc bonitatem consequentem habet
substantia ab accidentibus, sed non bonitatem primam essendi. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que c’est par le même raisonnement qu’on pourrait
prouver qu’aucune perfection de l’âme n’est un accident et qu’aucune
perfection du corps n’est un accident : car tout ce qui est perfectible
tient sa bonté de sa perfection. Il faut donc dire, à parler absolument, que
l’âme est meilleure que la charité et que tout sujet est meilleur que son
accident ; mais sous un certain rapport, c’est le contraire. Et la
raison en est que l’existence, selon Denys [Les Noms Divins, ch. V, col. 815], est plus noble que tout ce qui
découle de l’existence : c’est pourquoi l’existence à parler absolument
est plus noble que l’intelligence si l’intelligence pouvait se prendre sans
l’existence. C’est pourquoi ce qui excelle dans l’existence est absolument
plus noble que tout ce qui excelle dans une des choses qui suivent
l’existence, bien que selon un autre rapport il puisse être moins noble. Et
parce que l’âme et toute substance possède une existence plus noble qu’un
accident, c’est pourquoi elle est plus noble absolument. Mais quant à une
certaine forme d’existence ou d’après un accident, l’accident peut être plus
noble car il se rapporte à la substance comme l’acte à la puissance ; et
la substance tient des accidents cette bonté qui découle de l’existence mais
non pas cette bonté première d’exister. |
[1306] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas non
dicitur agere in animam per modum efficientis, sed solum formaliter ; et
secundum id quod forma est, quantum ad esse secundum, nobilior est. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’on ne dit pas que la charité agit dans l’âme à la
manière d’une cause efficiente, mais seulement à la manière d’une cause
formelle ; et selon qu’elle est une forme, elle est meilleure quant à
l’existence seconde. |
|
|
Articulus 3
[1307] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 tit. Utrum caritas
detur secundum capacitatem naturalium |
Article 3 – La charité est-elle donnée
selon la capacité des choses naturelles ?
|
[1308] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad
tertium sic proceditur. Videtur quod caritas detur secundum capacitatem
naturalium. Ita dicitur Matth. 25, 15: Dedit unicuique secundum propriam
virtutem ; ubi Glossa Hieronymi: Non pro largitate vel parcitate, alii plus
vel minus recipiunt ; sed secundum virtutem recipientium. Sed ante adventum caritatis non
intelligitur nisi virtus quae est secundum naturalia. Ergo videtur quod
secundum capacitatem naturalium caritas infundatur. |
Difficultés : 1. Il semble
que la charité soit donnée selon les capacités des choses naturelles. C’est
que ce que dit l’évangéliste [Matthieu :
25, 15] : Il donna à chacun selon
ses capacités ; et à ce sujet la glose de Saint-Jérôme dit : Ce
n’est pas à cause d’une prodigalité ou d’une modération que certains ont reçu
plus ou moins, mais à cause des capacités de ceux qui reçoivent. Mais avant
l’arrivée de la charité il n’y a pas d’autres capacités à chercher que celles
qui sont naturelles. Il semble donc que la charité soit répandue selon les
capacités des choses naturelles. |
[1309] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, sicut se habet forma substantialis
ad esse naturae, ita caritas ad esse gratiae. Sed forma
substantialis datur secundum capacitatem materiae, ut dicit Plato, II De
anima mundi. Ergo et
caritas datur secundum capacitatem naturae, quae per eam perficitur. |
2. De plus, la
charité est à l’existence de la grâce ce que la forme substantielle est à
l’existence de la nature. Mais la forme substantielle est donnée selon la
capacité de la matière comme le dit Platon [De l’Âme du Monde, ch. 11]. Donc
la charité est donnée suivant la capacité de la nature qui tient d’elle sa
perfection. |
[1310] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut gloria praesupponit
gratiam, ita gratia praesupponit naturam. Sed gloria datur secundum modum
gratiae, ut qui plus habet de capacitate, plus etiam de gloria recipiat. Ergo
videtur quod etiam caritas detur secundum capacitatem naturae, ut qui meliora
naturalia habet, major sibi caritas infundatur. |
3. Par
ailleurs, tout comme la gloire présuppose la grâce, de même la grâce
présuppose la nature. Mais la gloire est donnée selon le mode de la grâce de
telle manière que celui qui a plus de capacités reçoit aussi plus de gloire.
Il semble donc que la charité aussi soit donnée selon la capacité de la
nature de telle manière qu’une plus grande charité soit introduite dans celui
qui possède de meilleures capacités naturelles. |
[1311] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 4 Item, in quibuscumque invenitur
perfectio ejusdem rationis, videtur esse idem modus consequendi illam
perfectionem, cum unaquaeque res proprium modum habeat. Sed caritas invenitur
in hominibus et Angelis secundum rationem eamdem, quod patet ex actu et fine.
Cum igitur Angeli consecuti sint majorem caritatem et meliora gratuita,
secundum gradum naturalium, videtur etiam quod in hominibus ita sit. |
4. En outre,
dans tous ceux chez lesquels on retrouve une perfection pour la même raison,
il semble que la manière d’atteindre cette perfection soit la même puisque
toute chose possède un mode qui lui est propre. Mais la charité se retrouve
chez les hommes et les Anges selon la même raison, ce qui apparaît clairement
à partir de l’acte et de la fin. Donc puisque les Anges obtiennent une plus
grande charité et de meilleurs grâces suivant le degré de leurs capacités
naturelles, il semble qu’il en soit aussi de même chez les hommes. |
[1312] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, natura angelica altior est et
sublimior quam natura humana. Sed aliqui homines, secundum gradum
gratiae assumuntur ad sublimius praemium quam Angeli, cum, secundum
Gregorium, Hom. XXXIV in Evang. § 1, col. 1252, ad singulos ordines Angelorum
aliqui homines assumantur. Ergo
videtur quod perfectiones gratiae et gloriae non dentur secundum mensuram
naturalium. Hoc idem videtur per hoc quod dicitur Prov. XXX, 28: Stellio
manibus nititur ; ubi dicit Gregorius quod gratia major infunditur, secundum
quod ad habendum gratiam aliquis magis nititur. |
Cependant : Au contraire,
la nature angélique est plus élevée et plus grande que la nature humaine.
Mais certains hommes, conformément au degré de la grâce, sont établis dans
une plus grande récompense que les Anges puisque, selon Saint-Grégoire [Homélie XXXIV, in Évang. & 1, col.
1252], certains hommes sont établis à des degrés particuliers des Anges. Il
semble donc que les perfections de la grâce et de la gloire ne soient pas
données selon les capacités des choses naturelles. La même chose apparaît au
moyen de ce que nous dit l’Écriture [Proverbes
XXX, 28] : Le lézard que l’on
capture à la main ; et là-dessus Saint-Grégoire dit qu’une plus
grane grâce est versée dans celui qui s’efforce davantage de posséder la
grâce. |
[1313] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod, cum Deus habeat se aequaliter ad omnia, oportet
quod diversitas donorum receptorum ab ipso, attendatur secundum diversitatem
recipientium. Diversitas
autem recipientium attenditur, secundum quod aliquid est magis aptum et
paratum ad recipiendum. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que, puisque Dieu est le même à l’égard de tout, il faut que
la diversité des dons reçus de lui soit considérée d’après la diversité de
ceux qui reçoivent. Mais la diversité de ceux qui reçoivent se prend suivant
qu’un être est davantage apte et prêt à recevoir. |
Sicut autem
videmus in formis naturalibus, quod per dispositiones accidentales, sicut
calorem et frigus et hujusmodi, materia efficitur magis vel minus disposita
ad suscipiendum formam ; ita etiam in perfectionibus animae ex ipsis operibus
animae anima efficitur habilior vel minus habilis ad consequendum
perfectionem suam. Sed tamen differenter se habent
operationes animae ad perfectiones infusas vel acquisitas. Acquisitae enim perfectiones sunt in
natura ipsius animae, in potentia, non pure materiali sed etiam activa,
secundum quod [qua Éd. de Parme] aliquid est in causis seminalibus. |
Mais tout
comme nous voyons dans les formes naturelles que la matière, par des
dispositions naturelles comme la chaleur, le froid et des caractéristiques de
cette sorte, est rendue plus ou moins disposée à recevoir la forme, de même
encore pour les perfections de l’âme, en partant des œuvres mêmes de l’âme,
l’âme est rendue plus ou moins habile à poursuive sa perfection. Cependant
les opérations de l’âme se présentent différemment par rapport aux
perfections infuses et à celles qui sont acquises. Les perfections acquises
existent en effet en puissance dans la nature de l’âme, non pas par une
puissance purement matérielle mais aussi active, selon laquelle [par laquelle
Éd. de Parme] une chose existe dans
sa cause comme dans une semence. |
Sicut patet quod
omnis scientia acquisita est in cognitione primorum principiorum, quae
naturaliter nota sunt, sicut in principiis activis ex quibus concludi potest.
Et similiter virtutes morales sunt in ipsa rectitudine rationis et ordine,
sicut in quodam principio seminali. Unde philosophus, VII Ethic., cap. V,
dicit esse quasdam virtutes naturales, quae sunt quasi semina virtutum
moralium. Et ideo operationes animae se habent ad perfectiones acquisitas,
non solum per modum dispositionis, sed sicut principia activa. Perfectiones
autem infusae sunt in natura ipsius animae sicut in potentia materiali et
nullo modo activa, cum elevent animam supra omnem suam actionem naturalem. Unde
operationes animae se habent ad perfectiones infusas solum sicut
dispositiones. |
Par exemple il est clair que toute science acquise
existe dans la connaissance des premiers principes qui sont naturellement
connus comme dans les principes actifs à partir desquelles elle peut être
tirée. Et de la même manière les vertus morales existent dans la rectitude
même et l’ordre de la raison comme dans un principe et une semence. C’est
pourquoi le Philosophe [ VII Éthiques, ch.. V] dit qu’il existe certaines
vertus naturelles qui sont comme les semences des vertus morales. Et c’est
pourquoi les opérations de l’âme se rapportent aux perfections acquises non
seulement à la manière d’une disposition mais comme des principes actifs.
Mais les perfections infuses sont dans la nature de l’âme elle-même comme
dans une puissance matérielle et en
aucune manière comme dans une puissance active puisqu’elles élèvent l’âme
au-dessus de la totalité de son action
naturelle. C’est pourquoi les opérations de l’âme ne se présentent que comme
des dispositions face aux perfections infuses. |
Dicendum est
igitur, quod mensura secundum quam datur caritas, est capacitas ipsius
animae, quae est ex natura simul, et dispositione quae est per conatum
operum: et quia secundum eumdem conatum magis disponitur natura melior ; ideo
qui habet meliora naturalia, dummodo sit par conatus, magis recipiet de
perfectionibus infusis ; et qui pejora naturalia, quandoque magis recipiet,
si adsit major conatus. |
Il faut donc
dire que la mesure selon laquelle la charité est donnée est la capacité de
l’âme elle-même qui vient à la fois de la nature et de la disposition acquise
par l’entreprise des œuvres : et parce que suivant les mêmes efforts la
nature est davantage disposée à être meilleure, c’est pourquoi celui qui
possède de meilleurs moyens naturels, pourvu que les efforts demeurent égaux,
recevra davantage de perfections infuses ; et celui qui possède des
ressources naturelles moindres recevra parfois davantage si des efforts plus
grands sont présents. |
[1314] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus
recipientis non est consideranda secundum naturam tantum ; sed etiam secundum
dispositionem conatus advenientem naturae: et ita etiam est in formis
substantialibus respectu materiae. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la capacité de celui qui reçoit ne doit pas
être considérée seulement selon la nature mais aussi selon la
disposition de l’effort qui survient à la nature : et il en est encore
de même dans les formes substantielles par rapport à la matière. |
[1315] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 2 Unde
patet solutio ad secundum. |
2. À partir de là la solution à la deuxième
difficulté est évidente. |
[1316] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod ipsa gratia est dispositio naturae ad gloriam. Unde non
requiritur quod interveniat alia dispositio media [media om. Éd. de Parme] inter caritatem et
gloriam: sed inter naturam et gratiam cadit conatus medius, quasi dispositio. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la grâce elle-même est une disposition de la
nature à l’égard de la gloire. De là il n’est pas requis qu’intervienne une
autre disposition intermédiaire [intermédiaire om. Éd. de Parme] entre la charité et la gloire : mais entre
la nature et la grâce tombe l’effort intermédiaire comme à titre de
disposition. |
[1317] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in Angelis non
est aliquid quod contendat ad motum naturae intellectualis, ex quo conatus
naturae retardetur, sicut in natura hominis est natura sensitiva, quae tendit
in contrarium de se ad id quo tendit [ad id…tendit om. Éd. de Parme] motus
naturae intellectivae, scilicet delectabile secundum sensum, nisi cogatur et
reguletur ab ipsa ; et ideo in Angelis est diversitas secundum diversitatem
naturae. Haec tamen melius in 2, dist. 3, quaest. 1, art. 4, dicentur. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que chez les Anges il n’y a pas quelque chose qui tend
avec effort au mouvement de la nature intellectuelle par quoi le mouvement de
la nature serait retardé, comme dans la nature de l’homme il y a la nature
sensible qui de soi tend à ce qui est contraire à ce vers quoi tend [à
ce…tend om. Éd. de Parme] le
mouvement de la nature intellectuelle, à savoir à ce qui est délectable selon
le sens, à moins qu’elle ne soit contrainte et réglée par elle ; et
c’est pourquoi chez les Anges il y a une diversité selon une diversité de
nature. Mais nous verrons mieux cela plus loin [Livre 2, dist. 3, quest. 1,
art. 4] |
|
|
Articulus 4
[1318] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 tit. Utrum caritas
certitudinaliter ab habente cognoscatur |
Article 4 – La charité est-elle connue avec certitude par celui qui la possède ? |
[1319] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad
quartum sic proceditur. Videtur
quod caritas certitudinaliter ab habente cognoscatur. Ita enim dicitur in Littera:
Magis novit quis dilectionem qua diligit, quam fratrem quem diligit. Sed
fratrem suum certitudinaliter cognoscit. Ergo multo magis caritatem qua ipsum
diligit. |
Difficultés : 1. Il semble
que la charité soit connue avec certitude par celui qui la possède. C’est de
cette manière en effet qu’on s’exprime dans le document : Quelqu’un
connaît davantage l’amour par lequel il aime que le frère qu’il aime. Mais il
connaît son frère avec certitude. Il connaît donc bien davantage la charité
par laquelle il l’aime. |
[1320] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, philosophus dicit, II Post. lect.
20, contra Platonem, quod inconveniens est habere nos nobilissimos habitus,
et nos lateant. Sed caritas est habitus nobilissimus. Ergo videtur quod ab
habente certitudinaliter cognoscatur. |
2. En outre,
le Philosophe [11 Seconds Analytiques, lect. 20] dit à l’encontre de Platon
qu’il est absurde de posséder les plus nobles habitus et qu’ils nous soient
cachés. Mais la charité est le plus noble des habitus. Il semble donc qu’elle
soit connue avec certitude par celui qui la possède. |
[1321] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, quicumque habet fidem, scit
se habere fidem. Sed fides non magis est praesens animae [animae om. Éd. de
Parme], quam caritas. Ergo et qui habet caritatem, scit se habere illam. |
3. Par
ailleurs, quiconque possède la foi sait qu’il la possède. Mais la foi n’est
pas plus présente à l’âme [âme om. Éd.
de Parme] que la charité. Donc celui-là qui possède la charité sait aussi
qu’il la possède. |
[1322] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 4 Item, quidquid cognoscitur ab anima,
cognoscitur ab ea per hoc quod praesens sibi efficitur per sui [sui om. Éd.
de Parme] similitudinem. Sed magis est praesens animae quod est in ipsa
essentialiter, quam quod est per sui similitudinem. Ergo cum caritas
essentialiter sit in anima, videtur quod certius cognoscatur ab habente quam
res exteriores quae per sui similitudinem cognoscuntur. |
4. De plus,
tout objet connu par l’âme est connu par elle au moyen de ce qui lui est
rendu présent par une similitude de lui [de lui om. Éd. de Parme]. Mais est plus présent à l’âme l’objet qui est
en elle essentiellement que ce qui est en elle par une similitude de lui.
Donc, puisque la charité est présente dans l’âme essentiellement, il semble
qu’elle soit connue avec plus de certitude par celui qui la possède que les
choses extérieures qui sont connues par leurs similitudes. |
[1323] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, caritas est quoddam lumen
spirituale, ut habetur 1 Joan., 2, 10: Qui diligit fratrem, in lumine manet.
Sed lux seipsa videtur. Ergo videtur quod similiter caritas ; et sic certius
quam alia cognoscatur. |
5. Par
ailleurs, la charité est une certaine lumière intellectuelle comme le dit l’Écriture
[1 Jean, 2, 10] : Qui aime son frère demeure dans la lumière.
Mais la lumière elle-même est perçue. Il semble donc que la charité
semblablement soit vue ; et ainsi elle est connue avec plus de certitude
que les autres choses. |
[1324] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, per caritatem quae est in
aliquo efficitur dignus Dei amore. Sed, ut dicitur Eccle. 9, 1, Nemo scit,
utrum amore an odio dignus sit. Ergo videtur quod nullus sciat se habere
caritatem certitudinaliter. |
Cependant : 1. Au
contraire, c’est par la charité qui est en soi qu’on est rendu digne de
l’amour de Dieu. Mais, comme il est dit [Ecclésiaste
9, 1] : Personne ne sait s’il est
digne d’amour ou de haine. Il semble donc que nul ne sache avec certitude
s’il possède la charité. |
[1325] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 2
Praeterea, apostolus dicit 1 Corinth. 4, 4: Nihil mihi conscius sum, sed non
in hoc justificatus sum. Cum
ergo nullum majus signum possit haberi de caritate quam non habere
conscientiam peccati mortalis, et hoc non sufficit ; videtur quod per nullum
signum possit aliquis certitudinaliter scire se habere caritatem. |
2. En outre,
l’Apôtre [1 Corinth. 4, 4]
dit : Ma conscience ne me reproche
rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant. Donc, puisqu’on ne peut
posséder aucun signe plus grand au sujet de la charité que celui de ne pas
avoir conscience d’un péché mortel et que cela ne suffit pas, il semble qu’on
ne puisse savoir avec certitude au moyen d’aucun signe qu’on possède la
charité. |
[1326] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, secundum
philosophum, II Métaph., text. 1, aliquid dicitur esse difficile ad
cognoscendum dupliciter: vel secundum se, vel quo ad nos. Dicendum est igitur
quod ea quae per esse suum non sunt unum in materia, quantum in se est, sunt
maxime nota ; sed quo ad nos sunt difficillima ad cognoscendum ; propter quod
dicit philosophus, ibidem, quod intellectus noster se habet ad manifestissima
naturae, sicut oculus vespertilionis ad lucem solis. Cujus ratio est, quia
cum intellectus noster potentialis sit in potentia ad omnia intelligibilia,
et ante intelligere non sit in actu aliquod eorum ; ad hoc quod intelligat
actu, oportet quod reducatur in actum per species acceptas a sensibus
illustratas lumine intellectus agentis ; quia, sicut dicit philosophus, III
De anima, text. 32, sicut se habent colores ad visum, ita se habent
phantasmata ad intellectum potentialem. Unde cum naturale sit nobis procedere
ex sensibus ad intelligibilia, ex effectibus in causas, ex posterioribus in
priora, secundum statum viae, quia in patria alius modus erit intelligendi ;
ideo est quod potentias animae et habitus non possumus cognoscere nisi per
actus, et actus per objecta. In actu autem animae est plura considerare:
scilicet speciem ipsius actus, quae est ab objecto, et modum et effectum. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que d’après le Philosophe [11Métaphysique, texte 1], une
chose est dite difficile à connaître de deux manières : soit en
elle-même, soit quant à nous. Il faut donc dire que les choses qui dans leur
existence ne sont pas unies à la matière, autant qu’elles le sont en
elles-mêmes, sont les plus connues ; mais quant à nous, elles sont les
plus difficiles à connaître ; et c’est pour cela que le Philosophe, au
même endroit, dit que le rapport de
notre intelligence à ce qui est le plus manifeste par nature est le même que celui de l’œil de l’oiseau
de nuit à la lumière du soleil. La raison en est que puisque notre intellect
possible est en puissance à tous les intelligibles et qu’avant de concevoir
il n’eat aucun d’eux en acte, pour concevoir ou intelliger en acte, il faut
qu’il passe à l’acte d’intelliger au moyen des espèces reçues des sens et
éclairées par la lumière de l’intellect agent ; car, ainsi que le dit le
Philosophe [111 de L’Âme, texte 32], ce que les couleurs sont à la vue, de
même les images le sont à l’intellect possible. C’est pourquoi, puisqu’il
nous est naturel ici-bas de procéder du sensible à l’intelligible, des effets
aux causes, de ce qui est second à ce qui est premier parce que dans la
patrie céleste il y aura une autre manière d’intelliger, c’est pourquoi nous
ne pourvons connaître les puissances de l’âme et leurs habitus que par leurs actes et les actes par leurs
objets. Mais dans l’acte de l’âme il y a plusieurs choses à considérer :
à savoir l’espèce de l’acte lui-même, qui se tire de son objet, le mode et
l’effet. |
Si igitur
accipiamus actum caritatis, qui est diligere Deum et proximum, ex specie
actus, non discernitur utrum sit a potentia imperfecta, vel perfecta per
habitum ; quia ad idem objectum ordinatur potentia et habitus, sicut scientia
et intellectus possibilis. Modus autem quem ponit habitus in opere est
facilitas et delectatio, unde [ut Éd. de Parme] dicit philosophus, II Ethic.,
c. III, quod signum habitus oportet accipere fientem in opere delectationem.
Per istum autem modum non discernitur utrum sit ab habitu caritatis infuso,
vel ab habitu acquisito. |
Si donc nous
considérons à part l’acte de charité, qui consiste à aimer Dieu et son
prochain, à partir de l’espèce même de cet acte, on ne distingue pas s’il
vient d’une puissance imparfaite ou d’une puissance qui est complétée par un
habitus ; car c’est au même objet que sont ordonnés la puissance et
l’habitus, par exemple la science et l’intellect possible. Mais le mode que
présente l’habitus dans l’opération est la facilité et le plaisir et de là
[de telle manière que Éd. de Parme]
le Philosophe dit [11 Éthique, ch.
111] que le signe qu’il faut prendre de l’habitus est qu’il produit le
plaisir dans l’opération. Mais par ce mode on ne distingue pas si l’acte de
charité vient d’un habitus infus de charité ou d’un habitus acquis. |
Effectus
autem proprius dilectionis, secundum quod est ex caritate, est in virtute
merendi. Hoc autem nullo modo cadit in cognitionem nostram nisi per
revelationem. Et ideo nullus certitudinaliter potest scire se habere
caritatem ; sed potest ex aliquibus signis probabilibus conjicere. Caritatem
etiam increatam, quae Deus est, quamdiu vivimus, per speciem non videmus, ut
dicitur 1 Corinth. 13. |
Mais l’effet
propre de l’amour, selon qu’il vient de la charité, réside dans la capacité
de mériter. Et cela ne vient en aucune manière à notre connaissance si ce
n’est par la révélation. Et c’est pourquoi personne ne peut savoir avec
certitude s’il possède la charité, mais il peut le conjeturer à partir de
signes probables. Comme le dit l’Apôtre [1 Corinth., ch. 13], tant que nous vivons en cette vie, nous ne
pouvons voir non plus telle qu’elle est, spécifiquement, la charité incréée
qui est Dieu. |
Quamvis
quidam aliter dicant, quod ipsam caritatem, quae Deus est, in nobis videmus,
sed visio est adeo tenuis, scilicet quod nec visio potest dici, nec aliquis
percipit se videre ; eo quod visio ipsius Dei quasi confunditur et admiscetur
in cognitione aliorum. Sicut etiam dicunt, quod anima semper se intelligit,
sed tamen non semper de se cogitat. Hoc autem quomodo intelligendum est,
supra, dist. 3, qu. 1, art. 2, dictum est. |
Bien que
certains parlent autrement, à savoir que nous voyons en nous la charité même
qui est Dieu, cette vision cependant est faible, c’est-à-dire qu’on ne peut
pas même l’appeler vision et qu’on ne ne perçoit pas en train de voir du
fait que la vision de Dieu se confond et se mêle à la connaissance des autres
choses. Par exemple ils disent aussi que l’âme se saisit toujours elle-même
mais cependant elle ne pense pas toujours à elle-même. Mais nous avons dit
plus haut [dist. 3, quest. 1, art. 2] comment cela doit se comprendre. |
[1327] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
auctoritates Augustini in Littera positae loquuntur de cognitione ex parte
ipsius cognoscibilis, et non ex parte cognoscentis. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que les témoignages d’Augustin présentés dans le
Document parlent de la connaissance prise du côté de l’objet connaissable
lui-même et non du côté de celui qui connaît. |
[1328] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus ibi
loquitur de habitibus nobilissimis partis cognitivae. Sed istorum habituum
actus perfecte exprimunt suos habitus quantum ad id quod est proprium eis ;
sicut in actu scientiae est certitudo per causam, in qua expresse scientia
demonstratur ; et multo plus est hoc in intellectu principiorum. Et ideo qui
habet scientiam, scit se habere, quamvis non e converso: quia aliqui se
credunt habere, qui non habent. Semper enim ad rectum mensuratur obliquum ;
et ideo, secundum philosophum, III Ethic., c. VIII, virtuosus est mensura in
operibus humanis ; quia illud est bonum, quod virtuosus appetit ; et
similiter etiam est de rectitudine intellectus ; quia illud est verum quod
videtur habenti rectum intellectum ; non autem quod videtur cuilibet. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu parle à cet endroit des habitus les plus nobles de la
partie cognitive. Mais les actes de ces habitus expriment parfaitement leurs
habitus quant à ce qui leur est propre ; par exemple dans l’acte de
science la certitude s’obtient au moyen de la cause dans laquelle la science
est démontrée de manière explicite ; et il en est bien davantage ainsi
dans l’intelligence des principes. Et c’est pourquoi celui qui possède la
science sait qu’il la possède mais l’inverse n’est pas nécessairement
vrai : car certains croient posséder la science mais ils ne la possèdent
pas. En effet, c’est toujours par rapport à ce qui est droit que se
mesure ce qui est courbé; et c’est pourquoi, d’après le Philosophe [111 Éthique, ch. 8], la mesure des actes
humains est le vertueux ; car ce qui est bon, c’est ce que le vertueux
désire ; et il ne est de même encore pour la rectitude de l’intelligence
car est vrai ce que voit celui qui possède une intelligence droite et non pas
ce que le premier venu voit. |
[1329] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 3 Et
per hoc patet etiam solutio ad tertium. Quia actus fidei per ipsum objectum, quod est creditum,
distinguitur ab actibus aliorum habituum vel potentiae imperfectae, quae non
potest per se in tale objectum ; et ideo habens fidem scit se illam habere. |
3. Et au moyen
de ce qui vient d’être dit la solution à la troisième difficulté est
évidente. Car c’est pas son objet lui-même, qui est ce qui est cru, que
l’acte de foi se distingue des actes des autres habitus ou d’une puissance
imparfaite qui est incapable par elle-même d’un tel objet ; et c’est
pourquoi celui qui possède la foi sait qu’il la possède. |
[1330] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ad hoc quod aliquid cognoscatur ab anima, non sufficit
quod sit sibi praesens quocumque modo, sed in ratione objecti. Intellectui
autem nostro nihil est secundum statum viae praesens ut objectum, nisi per
aliquam similitudinem ipsius, vel ab ipso effectu acceptam: quia per effectus
devenimus in causas. Et
ideo ipsam animam et potentias ejus et habitus ejus non cognoscimus nisi per
actus, qui cognoscuntur per objecta. Nisi largo modo velimus loqui de
cognitione, ut Augustinus loquitur, secundum quod intelligere nihil aliud est
quam praesentialiter intellectui quocumque modo adesse. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que pour qu’une chose soit connue par l’âme, il ne
suffit pas qu’elle lui soit présente de n’importe quelle manière, mais
seulement en tant qu’objet de connaissance. Mais en cette vie, aucun être
n’est présent à notre intelligence en tant qu’objet si ce n’est n’est au
moyen d’une similitude de cet être, ou reçue de son effet : car c’est au
moyen des effets que nous parvenons aux causes. Et c’est pourquoi nous ne
connaissons l’âme elle-même, ses puissances et ses habitus que par leurs
actes qui ne sont eux-mêmes connus que par leurs objets. À moins que nous
voulions parler de la connaissance au sens large comme le fait Augustin, au
sens où comprendre ou intelliger n’est rien d’autre que ce qui est présent
maintenant d’une manière ou d’une autre à l’intelligence. |
[1331] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per hoc quod
caritas creata vel increata est lux, ostenditur quod in se cognoscibilis sit,
sed non cognoscitur, ab intellectu nostro in se nisi per effectum suum,
ratione jam dicta, in corp. art. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que du fait que la charité créée ou incréée est une
lumière, on montre qu’elle est connaissable en elle-même mais non pas qu’elle
est connue en elle-même par notre intelligence, si ce n’est par son effet
pour la raison que nous avons déjà dite dans le corps de l’article. |
|
|
Articulus 5
[1332] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 tit. Utrum caritas sit ex caritate
diligenda |
Article 5 – La charité doit-elle être aimée par charité ? |
[1333] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad
quintum sic proceditur. Videtur
quod caritas non sit ex caritate diligenda. Quatuor enim tantum sunt
diligenda ex caritate, ut in 3, dist. 27, qu. unica, art. 5, dicetur:
scilicet, Deus, proximus, anima, corpus. Sed caritas nullum horum est. Ergo
et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble
que la charité ne doive pas être aimée par charité. Il n’y a en effet que
quatre choses qui doivent être aimées par charité comme nous le dirons plus
loin [Livre 3, dist. 27, quest. unique, art. 5] : à savoir Dieu, le
prochain, l’âme et le corps. Mais la charité n’est aucune de ces réalités.
Elle ne doit donc pas être aimée par charité. |
[1334] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 2 Item, nulla res denominat seipsam, quia
albedo non dicitur alba. Sed dilectum denominatur a dilectione. Ergo dilectio
non diligitur, nec caritas caritate amatur. |
2. De plus,
aucune chose ne se voit attribuer à elle-même son propre nom, car on ne dit
pas de la blancheur qu’elle est blanche. Mais ce qui est aimé est dénommé à
partir de l’amour. Donc l’amour n’est pas aimé et la charité n’est pas aimée
par charité. |
[1335] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut se habet sensus ad
sentire, ita se habet affectus ad diligere. Sed sensus proprius non sentit se
sentire. Ergo nec affectus diligit suam dilectionem. Caritas autem est in
affectu. Ergo caritas ex caritate non diligitur. |
3. Par
ailleurs, l’affectivité est à l’acte d’aimer ce que le sens est à l’acte de
sensation. Mais le sens propre ne sent pas qu’il sent. Donc l’affectivité
n’aime pas son amour. Mais la charité est dans l’affectivité. Donc la charité
n’est pas aimée par charité. |
[1336] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, omne quod diligitur, aliqua
dilectione diligitur. Si igitur actus caritatis amatur, oportet quod aliquo
alio actu ametur, et ille eadem ratione erit diligendus. Ergo hoc modo
ducitur in infinitum, quod non est ponendum. Ergo videtur quod caritas non
sit ex caritate diligenda. |
4. En outre,
tout ce qui est aimé est aimé d’un certain amour. Si donc l’acte de charité
est aimé, il faut qu’il soit aimé d’un autre acte et ce dernier pour la même
raison devra être aimé d’un autre acte. Et de cette manière on sera conduit à
procéder à l’infini, ce qui est impossible. Il semble donc que la charité ne
doive pas être aimée par charité. |
[1337] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra est quod habetur in Littera ex
verbis Augustini: Qui proximum diligit, consequens est ut ipsam praecipue
dilectionem diligat. Sed proximus diligendus est ex caritate. Ergo et
caritas. |
Cependant : 1. C’est le
contraire qui est établi dans le document à partir des paroles
d’Augustin : Qui aime son prochain, c’est principalement l’amour même
qu’il aime. Mais le prochain doit être aimé par charité. Il en est donc de
même pour la charité. |
[1338] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 s. c. 2 Item, proximus non est diligendus ex
caritate, nisi inquantum habet imaginem Dei. Sed expressius repraesentat Deum
caritas, quam imago naturalis quae est in anima. Ergo videtur quod ipsa sit
magis ex caritate diligenda. |
2. En outre,
le prochain ne doit être aimé par charité que pour autant qu’il possède
l’image de Dieu. Mais la charité représente plus clairement Dieu que l’image
naturelle qui est dans l’âme. Il semble donc que la charité elle-même doive
davantage être aimée par charité. |
[1339] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 co.
Respondeo dicendum, quod aliquid est diligibile dupliciter: vel sicut ratio
dilectionis, vel sicut objectum, sicut etiam color videtur ut objectum, et
lumen ut ratio per quam color est visibilis in actu. Sicut autem eodem actu videtur color
et lux, ita etiam eodem actu diligitur quod amatur ut objectum et ut ratio
objecti. Sciendum est igitur quod caritas potest tripliciter sumi ; vel pro
caritate increata, quae Spiritus sanctus est ; vel pro caritate habituali ;
vel pro actu caritatis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’un être peut être aimé de deux manières : soit comme
la raison de l’amour, soit comme l’objet de l’amour, tout comme aussi la
couleur est vue comme objet, et la lumière comme la raison par laquelle la
couleur est visible en acte. Mais tout comme c’est par le même acte que la
couleur et la lumière sont vues, de même aussi c’est par le même acte qu’est
aimé ce qui est aimé comme objet et ce qui est aimé en tant que raison de
l’objet. Il faut donc savoir que la charité peut se prendre de trois
manières ; soit en tant que charité incréée qui est l’Esprit-Saint ;
soit en tant que charité habituelle ; soit en tant qu’acte de charité. |
Quodlibet
autem istorum est ratio diligendi, et potest esse objectum dilectionis ;
sicut proximum diligimus inquantum in ipso Deus inhabitat, et habitum
caritatis habet, et actum exercet ; et sic diliguntur ut ratio diligibilis.
Si autem considerentur in se, sic adhuc diliguntur ut objectum dilectionis.
Sic autem non diligitur caritatis habitus vel actus dilectione amicitiae vel
benevolentiae quae inanimatorum esse non potest, ut philosophus, VIII Ethic.,
cap. 1, dicit, sed dilectione cujusdam complacentiae, secundum quod diligere
dicimur illud quod approbamus, et quod esse volumus. |
Et chacune de
ces charités est une raison d’aimer et peut aussi être objet d’amour ;
tout comme nous aimons le prochain en tant que Dieu habite en lui, qu’il
possède l’habitus de la charité et qu’il exerce l’acte de charité ; et
dans ces cas il y a amour en tant que raison de ce qui est aimable. Mais si
on les considère en eux-mêmes, alors en outre ils sont aimées en tant
qu’objets d’amour. Mais alors l’habitus et l’acte de charité ne peut être
aimé d’une amour d’amitié ou de bienveillance qui ne peut avoir lieu pour les
objets inanimés, comme le dit le Philosophe [ VIII Éthiques, ch. 1], mais
seulement d’un amour de complaisance, selon que nous disons aimer ce que nous
approuvons ou ce que nous voulons être. |
[1340] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas est
quodammodo medium inter Deum et proximum: quia est similitudo Dei, et etiam
est ratio diligendi ipsum proximum ; et ideo consequitur ad dilectionem
utriusque. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la charité est d’une certaine manière un
intermédiaire entre Dieu et le prochain car elle est une similitude de Dieu
et aussi la raison d’aimer le prochain ; et c’est pourquoi elle atteint
à l’amour des deux. |
[1341] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod denominatio
proprie est secundum habitudinem accidentis ad subjectum: sic autem dilectum
non denominatur a dilectione, sed magis sicut objectum ; et ideo ratio non
procedit. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la dénomination a proprement lieu d’après le
rapport de l’accident au sujet : mais de cette manière ce qui est aimé
n’est pas dénommé à partir de l’amour, mais plutôt comme un objet ; et
c’est pourquoi cet argument ne nous fait pas avancer. |
[1342] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in potentiis
materialibus hoc contingit quod potentia non reflectitur super suum actum,
propter hoc quod determinata est secundum complexionem [compilationem Éd. de
Parme] organi. Visus enim particularis non potest cognoscere nisi illud cujus
species spiritualiter in pupilla potest recipi ; et ideo visus non potest
comprehendere suum actum. Si autem hoc esset necessarium in omnibus, quod
actus cujuslibet potentiae non cognosceretur a propria potentia, sed a
superiore, tunc oporteret quod vel in potentiis animae iretur in infinitum,
vel remaneret aliquis actus animae imperceptibilis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que dans les puissancs matérielles il est possible que
la puissance ne revienne pas sur son acte pour cette raison qu’elle est
déterminée suivant la complexion [dépouillement Éd. de Parme] de l’organe. Une vision particulière en effet ne
peut connaître que ce dont l’espèce peut être reçue immatériellement dans
la pupille ; et c’est pourquoi la vue ne peut comprendre son propre
acte. Mais s’il était nécessaire qu’il en soit ainsi pour toutes les puissances,
à savoir que l’acte de n’importe quelle puissance ne soit pas connu par la
puissance qui lui est propre mais par une puissance supérieure, alors il
faudrait soit qu’on procède à l’infini dans les puissances de l’âme, soit
qu’un acte de l’âme demeure inintelligible. |
Et ideo
dicendum, quod potentiae immateriales reflectuntur super sua objecta ; quia
intellectus intelligit se intelligere, et similiter voluntas vult se velle et
diligere. Cujus ratio est, quia actus potentiae immaterialis non excluditur a
ratione objecti. Objectum enim voluntatis est bonum ; et sub hac ratione
diligit voluntas omne quod diligit ; et ideo potest diligere actum suum
inquantum est bonus ; et similiter est ex parte intellectus ; et propter hoc
Lib. De Caus., prop. 15, dicitur quod cujuscumque actio redit in essentiam
agentis per quamdam reflexionem, oportet essentiam ejus ad seipsam redire,
idest in se subsistentem esse, non super aliud delatam, idest non dependentem
a materia. |
Et c’est
pourquoi il faut dire que les puissances immatérielles font un retour sur
leurs objets ; car l’intelligence comprend qu’elle comprend et la
volonté veut vouloir et aimer. La raison en est que l’acte d’une puissance
immatérielle n’est pas écarté de la notion d’objet. L’objet de la volonté en
effet est le bien et c’est sous cette raison que la volonté aime tout ce
qu’elle aime ; et c’est pourquoi elle peut aimer son acte dans la mesure
où il est bon ; et il en est de même du côté de l’intelligence ; et
c’est pour cette raison qu’on dit [Livre
des Causes, prop. 15] que l’action de quiconque qui aboutit à l’essence
de l’agent par un certain retour en arrière, il faut que son essence se
ramène à elle-même, c’est-à-dire qu’elle soit subsistante en elle-même sans
être portée par quelque chose d’autre, c’est-à-dire sans dépendre de la
matière. |
[1343] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus
dilectionis, secundum quod tendit in alterum, constat quod differt numero ab
actu dilectionis qui in alio diligitur, sive diligatur ut objectum, sive ut
ratio diligendi. Sed quia etiam animam suam potest aliquis ex caritate
diligere, potest etiam ex caritate actum suae caritatis diligere. Et tunc
distinguendum est. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l’acte d’amour, selon qu’il tend vers un autre, il
est clair qu’il diffère numériquement de l’acte d’amour qui est aimé dans un
autre, qu’il soit aimé comme objet ou comme raison d’aimer. Mais parce que
quelqu’un peut aimer par charité même son âme, il peut aussi par charité
aimer l’acte de sa charité. Et alors il faut distinguer. |
Quia vel
dilectio fertur in actum dilectionis proprium, sicut in rationem dilectionis
tantum ; et sic constat quod eodem actu numero diligitur diligens et actus
ejus ; et sic idem actus diligitur per actum qui est ipse. Vel diligitur ut
objectum dilectionis, et sic est alius actus dilectionis numero qui diligitur
et quo diligitur ; sicut patet planius in actu intellectus. Cum enim actus
distinguantur per objecta, oportet dicere diversos actus qui terminantur ad
objecta diversa. Unde sicut sunt diversi actus quibus intellectus intelligit
equum et hominem, ita sunt diversi actus in numero, quo intelligit equum et
quo intelligit actum illius sub ratione actus. Nec est inconveniens quod in
actibus animae eatur in infinitum in potentia, dummodo actus non sint
infiniti in actu. Unde etiam Avicenna concedit non esse impossibile quin
relationes consequentes actum animae, multiplicentur in infinitum. |
Car ou bien
l’amour se porte vers l’acte propre de l’amour comme vers la raison de
l’amour seulement et ainsi il est clair que c’est par le même acte
numériquement parlant que sont aimés celui qui aime et son acte ; et
ainsi c’est le même acte qui est aimé par l’acte qui est lui-même. Ou bien il
est aimé comme objet d’amour et ainsi ce qui est aimé et ce par quoi il est
aimé sont des actes différents d’amour
numériquement parlant, tout comme on le voit plus clairement dans l’acte de
l’intelligence. En effet, puisque les actes se distinguent par leurs objets,
il faut dire que les actes qui se terminent à des objets différents sont
eux-mêmes différents. C’est pourquoi tout comme sont différents les actes par
lesquels l’intelligence conçoit le cheval et l’homme, de même l’acte par
lequel l’intelligence conçoit le cheval et celui par lequel elle conçoit cet
acte sous la raison d’acte sont des actes différents numériquement parlant.
Et il n’y a pas de problème à aller à l’infini en puissance dans les actes de
l’âme, pourvu que les actes ne soient pas infinis en acte. C’est pourquoi
même Avicenne [111 Métaphysique,
ch. X] concède qu’il n’est pas impossible que les relations découlant de
l’acte de l’âme se multiplient à l’infini. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [La croissance de la charité] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Ad
intelligentiam hujus partis quinque quaeruntur: 1 utrum
caritas augeatur ; 2 de modo
augmenti ; 3 utrum
quolibet actu augeatur ; 4 utrum sit
aliquis terminus augmenti ; 5 utrum
diminuatur. |
Pour
comprendre cette partie on s’interroge sur cinq points : 1. Est-ce que
la charité peut s’accroître ? 2. De quelle
manière ? 3. Est-ce
qu’elle s’accroît par n’importe quel acte ? 4. Est-ce que
cet accroissement se limite à un terme ? 5. Est-ce que
la charité peut diminuer ? |
|
|
Articulus 1
[1346] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 tit. Utrum caritas augeatur |
Article 1 – La charité s’accroît-elle ?
|
[1347] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur
quod caritas non augeatur. Nihil enim augetur nisi quantum. Sed nullum
simplex est quantum, quia omne quantum est divisibile. Caritas autem est
simplex habitus, et ita non est quantum per se, nec similiter per accidens,
cum ejus subjectum, scilicet anima, sit etiam indivisibile. Ergo non augetur. |
Difficultés : 1. Il semble
que la charité ne puisse croître. Rien en effet n’est le sujet d’une
croissance si ce n’est ce qui possède une quantité. Mais rien de simple ne
possède une quantité car toute quantité est divisible. Mais la charité est un
habitus qui est simple et ainsi elle n’est une quantité ni par soi ni par
accident puisque son sujet, à savoir l’âme, est elle aussi indivisible. Elle
ne peut donc croître. |
[1348] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 2 Si dicis, quod quanta est, non
quantitate molis, sed virtutis, contra: quantitas virtutis dividitur secundum
objecta in quae virtus potest. Sed in omnia objecta caritatis potest
quaelibet caritas, quantumcumque parva. Ergo non augetur secundum quantitatem
virtutis. |
2. Si tu dis
qu’elle est une quantité non pas par la quantité d’une masse matérielle mais
d’une puissance, il faut dire cependant que la quantité d’une puissance de
divise d’après les objets dans lesquels la puissance peut se diviser. Mais
toute charité, si petite qu’elle soit, peut se diviser dans tous les objets
de charité. La charité ne peut donc croître selon la quantité d’une
puissance. |
[1349] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, cum augmentum sit species motus,
quidquid augetur movetur, et quod essentialiter augetur essentialiter
movetur. Sed quod movetur est corpus, ut probat philosophus, VI Physic. :
text. 32 ; et quod naturaliter movetur corrumpitur. Cum igitur caritas non
corrumpatur, quia caritas nunquam excidit, 1 Corinth. 13, 8, nec sit corpus
mobile ; videtur quod non essentialiter augeatur. |
3. En outre,
puisque la croisssance est une espèce de mouvement, tout ce qui croît se
meut, et tout ce qui croît essentiellement se meut essentiellement. Mais ce
qui se meut est un corps ainsi que le prouve le Philosophe [ VI Physiques, texte 32] ; et ce qui
se meut par nature se corrompt. Donc, puisque la charité ne peut se
corrompre, car la charité ne meurt jamais [1 Corinth. 13, 8], elle n’est pas non plus un corps en
mouvement ; il semble donc qu’elle ne puisse croître essentiellement. |
[1350] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, cujus causa semper se habet eodem
modo, illud neque augetur neque minuitur, nec aliquo modo variatur. Sed causa
immediata caritatis Deus est, qui semper eodem modo se habet. Ergo caritas non variatur per
augmentum. |
4. De plus, ce
dont la cause est toujours la même n’est sujet ni à croissance, ni à
diminution, ni à aucune sorte de changement. Mais la cause immédiate de la
charité est Dieu qui est toujours le même. Donc la charité ne peut changer
par augmentation. |
[1351] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, constat quod augmentum
qualitatis non potest reduci ad aliquam speciem motus, nisi ad alterationem.
Sed alteratio, ut probat philosophus VII Physic., text. 20, non est nisi
circa partem animae sensitivam, et circa objecta ejus. Cum ergo caritas qualitas
sit et sit in parte intellectiva, alioquin non esset in Angelis, qui
sensitiva carent, videtur quod non augeatur. |
5. Par
ailleurs, il est clair que l’augmentation d’une qualité ne peut se ramener à
une espèce de mouvement que selon l’altération. Mais l’altération, comme le
prouve le Philosophe [ VII Physiques, texte 20], ne se rapporte qu’à la
partie sensitive de l’âme et à ses objets. Donc, puisque la charité est une
qualité et qu’elle est dans la partie intellective de l’âme, autrement on ne
la retrouverait pas chez les Anges qui sont privés de la partie sensitive, il
semble que la charité ne soit pas le sujet d’une croissance. |
[1352] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 1
Contra, Augustinus, Tract. V Super I Epist. Joan., § 4, dicit: Caritas cum fuerit nata, nutritur ;
cum fuerit roborata, perficitur. Omne autem in quo progressus secundum
diversos gradus attenditur, augetur. Ergo et cetera. |
Cependant : 1. Au
contraire, Augustin [Traité V, Sur la Première Lettre de Jean, & 4]
dit : Lorsque la charité sera née, elle se nourrira ; lorsqu’elle
aura été fortifiée, elle se perfectionnera. Mais toute chose dans laquelle on
remarque un processus qui s’échelonne suivant différents degrés est sujette à
croissance. Il en est donc ainsi pour la charité. |
[1353] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, per actum devenimus in
cognitionem habitus. Sed contingit actum caritatis intensiorem fieri. Ergo
etiam et caritas augeri potest. |
2. Par
ailleurs, c’est au moyen de l’acte que nous parvenons à la connaissance de
l’habitus. Mais il arrive que se produise une augmentation de l’acte de
charité. L’habitus de la charité peut donc augmenter lui aussi. |
[1354] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam
posuerunt caritatem essentialiter non augeri, et horum fuit quadruplex
opinio. Quidam enim
dixerunt, ut Magister in littera, quod caritas secundum se non augetur, sed
dicitur augeri in nobis, inquantum nos in caritate proficimus ; et hoc quia
ponit caritatem esse Spiritum sanctum, in quem variatio non cadit. Sed hoc
non potest stare: quia non est intelligibile, quod nos in caritate, quae
Spiritus sanctus est, proficiamus, nisi aliquid fiat in nobis quod prius non
fuit ; et hoc non potest esse tantum actus, cum omnis actus sit ex virtute
aliqua, et actus perfectus, quali Spiritu sancto unimur, est a virtute
perfecta per habitum. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que certains ont affirmé que la charité, essentiellement, ne
peut croître et parmi eux il y a eu quatre opinions. Certains en
effet ont dit, comme le Maître dans ce document, que la charité en elle-même
ne croît pas, mais on dit qu’elle croît en nous dans la mesure où nous
progressons dans la charité ; et cette opinion découle de ce qu’il pose
que la charité est l’Esprit-Saint lui-même dans lequel il ne peut se
rencontrer aucun changement. Mais cette position ne peut tenir : car on
ne peut comprendre que nous progressions dans la charité qui est
l’Esprit-Saint que s’il se produit quelque chose en nous qui n’y était pas
avant ; et cela ne peut être seulement un acte puisque tout acte vient
d’une certaine puissance, et que tout acte parfait par lequel nous sommes
unis à l’Esprit-Saint, vient d’une puissance qui est achevée par un habitus. |
Alii
dixerunt, quod caritas essentialiter non augetur, sed dicitur augeri,
inquantum magis firmatur in subjecto, secundum ipsam radicationem. Sed ex hoc
etiam sequitur ipsam augeri essentialiter. Nulla enim forma potest intelligi
magis firmari in subjecto, nisi per hoc quod habet majorem victoriam super
subjectum suum. Augmentum autem victoriae redundat in augmentum virtutis, et
per consequens in augmentum essentiae: quia virtus, si non est ipsa essentia,
oportet quod sit ab essentia, et commensuretur sibi sicut effectus causae proximae. |
D’autres
disent que la charité ne croît pas essentiellement, mais on dit qu’elle croît
selon qu’elle est davantage fixée, selon son enracinement même, dans un
sujet. Mais il découle encore de cette position que la charité croît
essentiellement. En effet, on ne peut comprendre qu’une forme se fixe
davantage dans un sujet que du fait qu’elle obtient une plus grande
supériorité sur son sujet. Mais l’augmentation de la supériorité retombe sur
l’augmentation de la puissance et par conséquent sur l’augmentation de
l’essence : car la puissance, si elle n’est pas l’essence même, il faut
qu’elle vienne de l’essence et qu’elle lui soit proportionnée, comme l’effet
est proportionné à sa cause prochaine. |
Alii
dixerunt, quod caritas essentialiter non augetur, sed adveniente majori
caritate, minor caritas, quae inerat, destruitur. Hoc etiam non potest stare:
quia nulla forma destruitur, nisi vel ex contrario agente, vel per accidens
ex corruptione subjecti. Cum igitur subjectum caritatis maneat, et caritas
adveniens caritati inventae non contrarietur ; non potest esse quod
destruatur nec per se nec per accidens, sicut ignis parvus a magno igne
propter consumptionem materiae. |
D’autres
disent que la charité ne croît pas essentiellement, mais qu’une fois survenue
une plus grande charité, la plus petite charité qui était présente disparaît.
Mais cela non plus ne peut tenir : car aucune forme n’est détruite, si
ce n’est par un agent contraire ou par accident suite à la corruption du
sujet. Donc, puisque le sujet de la charité demeure et que la charité qui
survient n’est pas contraire à la charité déjà obtenue, il est impossible que
la charité soit détruite soit essentiellement soit par accident, comme un
petit feu est détruit par un grand feu à cause de la corruption de la
matière. |
Alii
dixerunt, quod caritas non augetur nisi quantum ad fervorem. Sed hoc etiam
non potest stare: quia fervor caritatis dupliciter accipitur: proprie et
metaphorice. Metaphorice, secundum quod dicimus caritatem esse calorem, et
intensionem actus caritatis metaphorice dicimus fervorem, secundum quod
Dionysius, VII De cael. hier., col. 206, ponit fervidum in amore Angelorum.
Sic autem fervor acceptus, est per se consequens essentiam caritatis ; unde
non potest in tali fervore fieri augmentum, nisi ipsa caritas essentialiter
augeatur ; cum simul varietur res et omnia quae per se consequuntur ipsam. |
D’autres
disent que la charité ne croît que quant à la ferveur. Mais cela non plus ne
peut tenir car la ferveur de la charité se prend de deux manières : soit
proprement, soit d’une manière métaphorique. Elle se prend d’une manière
métaphorique selon que nous disons que la charité est de la chaleur et que
nous appelons métaphoriquement ferveur
l’augmentation de l’acte de charité, conformément à ce que Denys dit [ VII De
la Hiérarchie Céleste, col. 206] lorsqu’il affirme qu’il y a de la ferveur
dans l’amour des Anges. Mais prise en ce sens, la ferveur découle
essentiellement de l’essence de la charité ; c’est pourquoi il ne peut y
avoir croissance dans une telle ferveur que si la charité elle-même croît
essentiellement, puisque la chose et tout ce qui découle de la chose changent
simultanément. |
Alio modo
dicitur fervor prout est in parte sensitiva ; cum enim vires inferiores
sequantur motum superiorum, si sit intensior, sicut videmus quod ad
apprehensionem mulieris dilectae totum corpus exardescit et movetur ; ita
etiam quando affectus superior movetur in Deum, consequitur quaedam impressio
etiam in virtutibus sensitivis, secundum quam incitantur ad obediendum divino
amori. Intensio autem istius fervoris non sufficit ad augmentum caritatis:
quia secundum augmentum istius fervoris non attenditur quantitas meriti, cum
consistat in dispositione corporis. Unde magis ferventes non semper magis
merentur. Sed ille qui dicitur crescere in charitate, crescit etiam in
merito, si sit in statu merendi. |
En un autre
sens on appelle ferveur ce qui existe dans la partie sensitive ; en
effet, puisque les puissances inférieures suivent le mouvement des puissances
supérieures s’il s’y manifeste une plus grande intensité, comme nous voyons
qu’à l’appréhension de la femme aimée tout le corps s’enflamme et s’émeut, de
même encore quand l’affectivité supérieure se meut vers Dieu, il s’ensuit une
impression même dans les parties sensitives d’après laquelle elles sont
portées à obéir à l’amour divin. Mais l’intensité de cette ferveur ne suffit
pas à l’augmentation de la charité : car ce n’est pas d’après
l’augementation de cette ferveur que se considère la quantité du mérite,
puisqu’elle consiste dans une disposition du corps. C’est pourquoi les plus
fervents ne sont pas toujours ceux qui méritent le plus. Mais celui dont on
dit qu’il croît dans la charité, il faut aussi qu’il croisse dans le mérite
s’il est dans l’état de mériter. |
Et ideo
dicendum, quod charitas essentialiter augetur. Sciendum tamen est, quod
augeri nihil aliud est quam sumere majorem quantitatem ; unde secundum quod
aliquid se habet ad quantitatem ; ita se habet ad augmentum. Quantitas autem
dicitur dupliciter ; quaedam virtualis, quaedam dimensiva. Virtualis
quantitas non est ex genere suo quantitas, quia non dividitur divisione
essentiae suae ; sed magnitudo ejus attenditur ad aliquid divisibile extra,
vel multiplicabile, quod est objectum vel actus virtutis. Sed ex genere suo
est vel forma accidentalis in genere qualitatis, vel forma substantialis,
quae tamen non est major vel minor. Et ideo augmentum secundum quantitatem
virtutis non pertinet ad speciem motus quae augmentum dicitur, sed magis ad
alterationem ; et hoc modo augetur caritas et aliae qualitates. |
Et c’est
pourquoi il faut dire que la charité croît essentiellement. Il faut cependant
savoir que croître n’est rien d’autre que prendre une plus grande quantité ;
c’est pourquoi un être se rapporte à la croissance de la même manière qu’il
se rapporte à la quantité. Mais la quantité se dit de deux manières :
soit quant à la puissance, soit quant à la dimension. La quantité potentielle
n’est pas une quantité de par son genre lui-même car elle ne se divise pas par
la division de son essence mais son étendue se considère par rapport à
quelque chose qui est divisible extérieurement, ou qui est multipliable, à
savoir l’objet ou l’acte de la puissance. La quantité potentielle est donc,
de par son genre, ou bien une forme accidentelle dans le genre de la qualité,
ou bien une forme substantielle qui cependant ne peut être plus grande ou
plus petite. Et c’est pourquoi la croissance selon la quantité de la
puissance n’appartient pas à cette espèce de mouvement qu’on appelle la croissance,
mais plutôt à l’altération ; et c’est en ce sens que la charité et les
autres qualités croissent. |
Quantitas
autem dimensiva est quorumdam per accidens, sicut albedinis, quae dicitur
quanta secundum quantitatem superficiei, ut in Praedicamentis « De
quant. », dicitur. Unde non augetur nisi per accidens ; sed per se
invenitur in corporibus quae per se augentur. Hoc autem contingit dupliciter.
Quia aliquando illud quod sumit majorem quantitatem, movetur de quantitate
minori in majorem. Aliquando autem est sine motu ipsius quod augeri dicitur ;
unde non quaelibet pars augetur, sicut quaelibet pars moti per se movetur. |
Mais la
quantité dimentionnelle appartient à certaines choses d’une manière
accidentelle, comme à la blancheur qui est dite grande d’après la quantité de
la surface, ainsi qu’on le dit dans le Traité
des Prédicaments au chapître intitulé ¨De la Quantité¨. C’et
pourquoi la couleur ne croît que par accident, mais elle se retrouve par
elle-même dans les corps qui croissent essentiellement. Mais cela est
possible de deux manières. Car parfois ce qui prend une quantité plus grande
se meut d’une quantité plus petite à une quantité plus grande. Mais
parfois la quantité plus grande est acquise sans mouvement de la part de
celui dont on dit qu’il croît ; c’est pourquoi ce n’est pas toute partie
qui croît, comme toute partie de ce qui se meut se meut essentiellement. |
Et hoc
contingit quando efficitur major quantitas per additionem quantitatis, sicut
quando additur lignum ligno, vel linea lineae. Unde hoc est augmentum, sed
non motus augmenti. Quod autem moveatur aliquid ad majorem quantitatem,
contingit dupliciter: vel ita quod quantitas sit per se terminus motus ; vel
quod consequatur terminum. |
Et cela se
produit quand une quantité plus grande est réalisée par l’addition d’une
quantité, comme lorsqu’on ajoute du bois à du bois, une ligne à une autre
ligne. C’est pourquoi cela est une croissance mais non un mouvement de
croissance. Mais qu’une chose se meuve vers une plus grande quantité, cela est
possible de deux manières : soit de telle manière que la quantité soit
par elle-même le terme du mouvement, soit qu’elle suive le terme. |
Quando per se quantitas est terminus motus,
oportet quod sit ibi additio ad totum, et quod ad quamlibet partem, ut totum
augeatur et quaelibet pars ejus ; sicut est in animali et in planta ; et tunc
proprie est motus augmenti. Unde motus augmenti non est nisi in habentibus
nutritivam. Consequitur autem quantitas [quantitatis om. Éd. de Parme]
terminum motus, quando est ad formam aliquam quam consequitur aliqua
quantitas. Cuilibet enim formae debetur quantitas determinata: et quia motus
non specificatur nisi ab eo quod est per se terminus motus, ideo talis motus
non dicitur per se motus augmenti ; sed vel generatio si sit forma
substantialis, sicut quando ex aere fit ignis ; vel alteratio, quando est
forma accidentalis, sicut in rarefactione aeris patet. |
Quand la
quantité est par elle-même le terme du mouvement, il faut qu’il y ait là une
addition par rapport au tout et par rapport à chacune des parties pour que le
tout croisse et que chacune de ses parties croisse ; et c’est là ce
qu’on observe chez l’animal et la plante ; et c’est alors qu’on parle
proprement de mouvement de croissance. Et c’est pourquoi le mouvement de croissance
ne se retrouve que chez ceux qui possèdent la capacité de se nourrir. Mais la
quantité [quantité om. Éd. de Parme]
suit le terme du mouvement quand une quantité est en vue d’une certaine forme
qu’elle poursuit. À toute forme en effet est due une quantité
déterminée : et parce qu’un mouvement n’est spécifié que par ce qui est
par soi le terme du mouvement, c’est pourquoi un tel mouvement n’est pas
appelé par soi un mouvement de croissance ; mais il s’agit là d’une
génération si la forme est substantielle, comme lorsque le feu est obtenu à
partir de l’air, ou d’une altération si la forme est accidentelle comme on le
voit dans la raréfaction de l’air. |
[1355] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas,
quamvis non habeat quantitatem dimensivam neque per se neque per accidens,
quia subjectum etiam ejus non est quantum ; tamen in ea quantitas virtutis
est, ratione cujus augeri dicitur, sicut et albedo et calor. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la charité, bien qu’elle ne possède une
quantité dimentionnelle ni essentiellement ni accidentellement parce que son
sujet n’est pas lui non plus une quantité, cependant il y a en elle, comme
dans la blancheur et la chaleur, la quantité d’une puissance en raison de
laquelle on peut dire qu’elle croît. |
[1356] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas
virtutis attenditur dupliciter: vel quantum ad numerum objectorum, et hoc est
per modum quantitatis discretae ; vel quantum ad intensionem actus super idem
objectum ; et hoc est sicut quantitas continua ; et ita excrescit virtus
caritatis. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la quantité de la puissance se prend de deux
manières : soit quant au nombre des objets, et cela à la manière d’une
quantité discrète ; soit quant à l’intensité de l’acte sur le même
objet, et cela à la manière d’une quantité continue ; et c’est ainsi que
se développe ou s’accroît la vertu de charité. |
[1357] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas non
dicitur augeri quasi subjectum augmenti, cum sit accidens, sed quia secundum
ipsam attenditur augmentum ; sicut etiam quantitas augeri dicitur, et albedo
variari quando aliquid per albedinem variatur. Nec oportet quod si essentialiter
augetur, quod destruatur. Dicitur enim aliquid secundum essentiam suam moveri
dupliciter: vel quia essentia est per se terminus motus, et sic moveri per
essentiam est essentiam amittere et corrumpi ; vel quia est motus [motus om.
Éd. de Parme] secundum aliquid conjunctum essentiae, quod est per se terminus
motus, sicut dicitur aliquid moveri essentialiter dum secundum locum movetur,
quia secundum suam essentiam in loco est. |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’on ne dit pas que la charité croît à titre de sujet
de la croissance puisqu’elle est un accident, mais parce que c’est par
rapport à elle qu’on considère la croissance, tout comme on dit aussi que la
quantité augmente que la blancheur varie quand quelque chose varie par la
blancheur. Et il n’est pas nécessaire qu’elle soit détruite si elle augmente
essentiellement. C’est de deux manières en effet qu’on dit d’une chose
qu’elle se meut suivant son essence : soit parce que son essence est
essentiellement le terme du mouvement, et ainsi se mouvoir par essence c’est
perdre l’essence et se corrompre ; soit parce qu’elle est en mouvement
[mouvement om. Éd. de Parme]
d’après quelque chose qui est uni à
l’essence et qui est par soi le terme du mouvement, tout comme on dit qu’une
chose se meut essentiellement alors qu’elle se meut selon le lieu, car c’est
d’après son essence qu’elle est dans un lieu. |
Et sic
essentiale augmentum dicitur quod est secundum quantitatem essentiam
consequentem, manente una et eadem essentia sub diversa quantitate ; sive
quantitas sit ipsa essentia rei, sicut quantitas virtutis est idem cum ipsa
virtute, et tamen movetur per se loquendo secundum quantitatem, secundum
majorem et minorem perfectionem virtutis ; nec tunc per se secundum essentiam
movetur, quia esse suum retinet: sive sit aliud ab essentia, sicut patet in
augmento corporali. Nec oportet quod omne quod movetur, sit corpus, nisi
accipiatur de motu naturali, qualis non est motus animae. |
Et ainsi la
croissance se dit essentiellement de ce qui suit l’essence selon la quantité,
l’essence demeurant la seule et unique essence sous des quantités
différentes ; que la quantité soit l’essence même de la chose, comme la
quantité de la puissance est identique à la puissance elle-même, et cependant
à parler essentiellement elle se meut d’après la quantité d’après une plus
grande et une plus petite perfection de la puissance ; et cependant
alors elle ne se meut pas essentiellement d’après l’essence car elle conserve
son existence. Soit encore la quantité est autre que l’essence, comme on le
voit dans la croissance corporelle. Et il n’est pas nécessaire que tout ce
qui se meut soit un corps, à moins qu’on ne parle du mouvement naturel,
lequel n’est pas le mouvement de l’âme. |
[1358] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis causa
efficiens caritatis sit in se immobilis ; tamen secundum ordinem sapientiae
suae, potest alicui majorem caritatem praebere pro beneplacito suae
voluntatis, et secundum quod aliquis diversimode se ad caritatem praeparat,
qui etiam se habet aliquo modo ad caritatem ut causa materialis recipiens ad
cujus diversitatem etiam sequitur variatio in effectu. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que bien que la cause efficiente de la charité soit en
elle-même immobile, cependant, suivant l’ordonnance de sa sagesse, elle peut
fournir à un tel une plus grande charité pour le bon plaisir de sa volonté et
conformément à une préparation différente de chacun à l’égard de la charité,
chacun se rapportant encore d’une certaine manière à la charité comme la
cause matérielle qui reçoit et c’est de la diversité de cette cause
matérielle que découle encore une variation dans l’effet. |
[1359] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, cum alteratio
passiva includat in intellectu suo passionem, sicut duplex est passio, ita et
duplex est alteratio. Dicitur enim communiter passio uno modo omnis receptio,
secundum etiam quod intelligere pati dicitur, et sic etiam alteratio secundum
istam passionem consistit in qualibet variatione circa receptionem alicujus
qualitatis ; et hoc modo potest esse alteratio etiam in substantiis pure
intellectualibus, et sic alteratio potest esse in caritate. Alio modo dicitur
proprie passio, quando abjicitur aliquid a substantia, et hoc est ex actione
contrarii transmutantis ; et secundum istam passionem alteratio dicta non est
nisi circa sensibilia et circa sensibilem partem animae per se, et circa
intellectum per accidens, quantum ad illas qualitates quae in parte
intellectiva ex sensibus oriuntur, sicut sunt omnes habitus acquisiti ;
quorum non est caritas. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que puisque l’altération passive inclut dans sa
compréhension une passion, et comme il y a deux sortes de passion, il y aura
deux sortes d’altération. En un sens en effet on appelle communément
passion toute réception suivant laquelle on appelle aussi passion l’acte de
l’intelligence et de la même manière encore l’altération suivant cette
signification consiste en une certaine variation par rapport à la réception
d’une qualité ; et en ce sens il peut y avoir altération même dans les
substances purement intellectuelles, et c’est en ce sens qu’il peut y avoir
altération dans la charité. En un autre sens passion se dit proprement quand
quelque chose est rejeté de la substance et cela provient de l’action d’un
agent contraire qui transforme ; et c’est d’après cette sorte de passion
que l’altération ne se dit que des choses sensibles et essentiellement par
rapport à la partie sensible de l’âme, et accidentellement par rapport à la
partie intellectuelle de l’âme quant à ces qualités qui naissent dans l’âme
intellectuelle à partir des sens comme c’est le cas pour tous les habitus
acquis dont la charité ne fait pas
partie. |
|
|
Articulus 2
[1360] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 tit. Utrum caritas
augeatur per additionem |
Article 2 – La charité s’accroît-elle par
addition ?
|
[1361] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur quod caritas augeatur per additionem.
Philosophus enim dicit, I De generatione, text. 32 : Augmentum est praeexistenti
quantitati additamentum. Si igitur caritas augetur, oportet quod
praeexistenti caritati alia caritas addatur. |
Difficultés : 1. Il semble
que la charité croisse par addition. Le Philosophe dit en effet [1 De la Génération, texte 32] : La
croissance est une addition à une quantité préexistante. Si donc la charité
croît, il faut qu’une autre charité s’ajoute à une charité préexistante. |
[1362] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, nihil potest augere caritatem nisi
Deus qui dedit. Sed Deus non agit aliquid in anima de novo nisi per novum
influxum. Non potest autem intelligi novus influxus nisi aliquid de novo
infundatur. Ergo videtur quod caritas augeatur per hoc quod alia caritas de
novo infusa praesenti addatur. |
2. En outre,
rien ne peut augmenter la charité si ce n’est Dieu qui l’a donnée. Mais Dieu
ne fait rien de nouveau dans l’âme si ce n’est au moyen d’une influence
nouvelle. Mais on ne peut comprendre qu’il y ait une influence nouvelle à
moins que quelque chose ne soit répandu à nouveau. Il semble donc que la
charité augmente ou croît du fait qu’une autre charité nouvellement répandue
s’ajoute à celle qui est présente. |
[1363] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, si non augetur per additionem novae
caritatis a Deo, non videtur posse augeri nisi per recessum a contrario
caritatis. Sed contra, augmentum caritatis potest esse in illis in quibus
nihil est de contrario caritatis, sicut in Angelo, et homine in statu
innocentiae. Ergo videtur quod isto modo caritas non augeatur, sed
praedicto modo. |
3. De plus, si la charité n’est pas accrue par Dieu
au moyen de l’addition d’une nouvelle charité, il semble qu’elle ne puisse
croître qu’au moyen d’un retrait de ce qui est contraire à la charité. Mais
cependant, la croissance de la charité peut avoir lieu dans ceux chez
lesquels il n’y a rien de contraire à la charité, comme chez les Anges et
chez les hommes qui sont dans l’état d’innocence. Il semble donc que la
charité ne puisse croître de cette manière mais de la manière qui précède. |
[1364] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, videtur, secundum hoc, quod
Deus non est causa augmenti caritatis, sed homo, qui se a contrario caritatis
refrenat, sicut a concupiscentia. Et hoc est inconveniens. Ergo videtur quod
non augeatur nisi per additionem. |
4. Par
ailleurs, il semble, d’après cela, que ce ne soit pas Dieu qui est la cause
de l’augmentation de la charité, mais l’homme qui se soustrait à ce qui est
contraire à la charité, par exemple à la concupiscence. Mais cela est
impossible. Il semble donc que la charité ne croisse que par addition. |
[1365] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, simplex simplici additum, nihil
majus efficit, ut probat philosophus, I de generatione, text. 8. Sed caritas
est quid simplex. Ergo per additionem caritatis ad caritatem non efficitur
major caritas. |
Cependant : 1. Au
contraire, le simple ajouté au simple ne produit pas quelque chose de plus
grand, ainsi que le prouve le Philosophe [1 De la Génération, texte 8]. Mais la charité est quelque chose de
simple. Donc l’addition d’une charité à une autre ne produit pas une charité
plus grande. |
[1366] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Dionysium, V cap.
De div. nom., tantum distat inter ipsas Dei participationes et participantes,
quod participatio quanto simplicior est tanto nobilior, participans vero
quanto majorem habet compositionem donorum participatorum, tanto nobilius est
; sicut esse est nobilius quam vivere, et vivere quam intelligere, si unum
sine altero intelligatur: omnibus enim esse praeeligeretur. Sed quod habet
plura ex his, melius est. Sed caritas est quaedam participatio divinae
bonitatis. Ergo quanto compositior est per additionem caritatis
ad caritatem, minus valebit. Igitur
si caritas augetur per additionem, quanto magis augetur, minus erit eligenda.
Hoc autem est ridiculum. Ergo non augetur per additionem. |
2. Par
ailleurs, d’après Denys [Les Noms
Divins, ch. V], les participations et les participants de Dieu diffèrent
seulement entre eux en ceci que la participation est d’autant plus noble
qu’elle est plus simple, mais le participant est d’autant plus noble qu’il
possède une plus grande composition des dons participés ; par exemple
exister est plus noble que vivre, et vivre plus qu’intelliger, si l’un se
comprend sans l’autre : en effet, exister est préférable à tout le
reste. Mais ce qui, à partir de là, possède davantage, est meilleur. Mais la
charité est une certaine participation de la bonté divine. Donc, plus elle
est composée par l’addition d’une charité à une charité, moins elle vaudra.
Donc, si la charité croît par addition, plus elle croîtra, moins elle devra
être choisie. Mais cela est ridicule. Elle ne croît donc pas par addition. |
[1367] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod eorum qui ponunt caritatem essentialiter augeri,
dicta revertuntur in duas opiniones: quarum una est, quod augetur per
additionem caritatis ad caritatem ; alia est quod augetur per intensionem
secundum accessum ad terminum ; et in hoc revertitur quod quidam dicunt,
caritatem augeri per multiplicationem sui in anima sicut lux in aere: lux
enim non augetur nisi per intensionem, sicut aliae qualitates. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que parmi ceux qui
affirment que la charité croît essentiellement, ce qui est dit se ramène à
deux opinions: dont l’une pretend qu’elle croît par l’addition d’une charité
à une autre et l’autre qu’elle croît par l’intensité d’après l’accès au
terme; et c’est à cela que se ramène ce que certains disent, à savoir que la
charité croît par sa multiplication dans l’âme comme c’est le cas pour la
lumière dans l’air: la lumière en effet ne croît que par intensité comme les
autres qualités. |
Primam autem positionem non possum intelligere ;
quia in omni additione oportet intelligere duo diversa, quorum unum alteri
additur. Si autem intelligantur duae caritates, aut intelligentur diversae
secundum speciem aut numerum. Constat quod non secundum speciem, cum omnes caritates sint in
eadem specie virtutis. |
Mais la
première position m’est inintelligible car dans toute addition il faut
comprendre deux choses différentes dont l’une s’ajoute à l’autre. Mais si on
entend deux charités, on les entend différentes soit selon l’espèce, soit
selon le nombre. Mais il est clair que ce n’est pas selon l’espèce, puisque
toutes les charités font partie de la même espèce de vertu. |
Diversitas
autem secundum numerum est ex diversitate materiae, sicut haec albedo differt
ab illa numero, quia est in diverso subjecto. Unde non potest qualitas addi
qualitati nisi per hoc quod subjectum subjecto additur. Caritas autem quae
potest addi, nunquam fuit in alio subjecto, antequam in isto ; et secundum
hoc quod est in isto, non differt numero ab alia caritate in eodem existente,
ut probatum est, in hac dist., quaest. 1, art. 1. Unde nullo modo est
intelligere ibi additionem. Sed ista positio provenit ex falsa imaginatione,
quia augmentum caritatis imaginati sunt ad modum augmenti corporalis, in quo
fit additio quantitatis ad quantitatem. |
Mais la
différence selon le nombre vient d’une différence de matière, tout comme
cette blancheur diffère de telle autre par le nombre parce qu’elle est dans
un sujet différent. C’est pourquoi une qualité ne peut être ajoutée à une
qualité que par ceci qu’un sujet est ajouté à un sujet. Mais la charité qui
peut être ajoutée ne fut jamais dans un autre sujet avant d’être dans
celui-ci ; et selon qu’elle existe dans celui-ci, elle ne diffère pas
par le nombre d’une autre charité qui existe dans le même sujet ainsi que
nous l’avons prouvé [dist. 17, quest. 1, art. 1]. C’est pourquoi en aucune
manière il y a lieu d’entendre là une addition. Mais cette position vient
d’une fausse imagination car ils ont imaginé la croissance de la charité à la
manière de la croissance corporelle dans laquelle il y a addition d’une
quantité à une quantité. |
Et ideo
dico, quod quando caritas augetur, nihil ibi additur, sicut philosophus etiam
dicit in IV Physic., texte 84, quod aliquid efficitur magis album vel magis
calidum, non per additionem alicujus albedinis vel caloris ; sed quia illa
qualitas quae prius inerat intenditur secundum propinquitatem ad terminum. |
Et c’est
pourquoi je dis que quand la charité croît, rien n’est ajouté là ainsi que le
Philosophe le dit aussi [IV Physique,
texte 84], à savoir qu’une chose est rendue plus blanche ou plus chaude non
pas par l’addition d’une blancheur ou d’une chaleur mais parce que cette
qualité qui était déjà présente dans un corps s’intensifie selon sa proximité
par rapport au terme. |
Haec autem
intensio contingit diversimode in qualitatibus simplicibus et compositis,
primis et secundis. Qualitates enim compositae vel secundae, intenduntur
secundum intensionem qualitatum primarum, sicut sapor et sanitas et alia
hujusmodi, secundum intensionem caloris et frigoris, humoris et siccitatis. |
Mais cette
intensification se présente différemment dans les qualités simples et
composées, dans celles qui sont premières et celles qui sont secondes. En
effet, les qualités composées ou secondes s’intensifient d’après
l’intensification des qualités premières, comme la saveur, la santé et les
qualités de cette sorte s’intensifient d’après l’intensification de la
chaleur et du froid, de l’humidité et de la sécheresse. |
Qualitates
autem primae et simplices intenduntur ex causis suis, scilicet ex agente et
recipiente. Agens enim intendit reducere patiens de potentia in actum suae
similitudinis, quantumcumque potest. |
Mais les
qualités premières et simples s’intensifient à partir leurs causes, c’est-à-dire
à partir de l’agent et de celui qui reçoit. L’agent en effet cherche à faire
passer le patient de la puissance à l’acte de sa ressemblance dans la mesure
du possible. |
Sicut autem
non calidum est potentia caloris ; ita minus calidum est potentia respectu
magis calidi. Unde sicut per potentiam calidi efficitur de non calido
calidum, non quod ponatur ibi aliquis calor, sed quia calor qui est in
potentia, educitur in actum ; ita etiam efficitur magis calidum per actionem
calidi, inquantum educitur calor, qui inerat ut actus imperfectus, in majorem
perfectionem et majorem assimilationem agentis ; et hoc contingit, secundum
quod potentia subjecta actui, quae quidem, quantum in se est, ad multa se
habet, magis ac magis terminatur ab actu illo ; vel quia augetur virtus
agentis, sicut ex conjunctione plurium luminarium intenditur illuminatio ;
vel ex parte ipsius materiae, secundum quod efficitur susceptibilior illius
actus, sicut aer quanto plus attenuatur, fit susceptibilior luminis. |
Mais tout
comme ce qui n’est pas chaud est en puissance à être chaud, de même ce qui
est moins chaud est en puissance à être plus chaud. C’est pourquoi tout comme
c’est par la puissance à la chaleur que ce qui n’est pas chaud devient chaud,
non pas parce qu’on pose là une chaleur, mais parce que la chaleur qui est en
puissance passe à l’acte, de même encore ce qui est moins chaud est rendu
plus chaud par l’action du chaud dans la mesure où la chaleur, qui était
présente comme un acte imparfait, passe à une perfection plus grande et à une
plus grande ressemblance à l’agent ; et cela est possible selon que la
puissance qui est placée sous l’acte, et qui certes en elle-même se rapporte
à une multiplicité, est délimitée de plus en plus par cet acte ; soit
parce que la puissance de l’agent croît, tout comme l’illumination
s’intensifie à partir de la réunion de plusieurs luminaires ; soit du
côté de la matière elle-même selon qu’elle est rendue plus apte à recevoir
cet acte, tout comme l’air devient plus capable de recevoir la lumière selon
qu’il est rendu d’autant plus fin. |
Intensio
autem caritatis non contingit ex hoc quod virtus agentis fortificetur, sed
tantum ex hoc quod natura recipiens, quae quantum in se est, dispositionem
quamdam habet secundum quod est in potentia ad plura, magis ac magis
praeparatur ad susceptionem gratiae, secundum quod ex dicta multitudine,
scilicet confusione potentialitatis, in unum colligitur per operationes
quibus ad caritatem suscipiendam praeparatur, ut prius dictum est, art. 1
istius quaest. Et ideo Dionysius perfectum sanctitatis semper designat per
hoc quod est ex partita [partita : sparsa Éd. de Parme] vita sparsa vita
in unicam consurgere. |
Mais
l’intensification de la charité n’est pas possible à partir de ceci que la
puissance de l’agent est fortifiée, mais seulement à partir de ceci que la
nature de celui qui reçoit, qui quant à ce qu’elle est en elle-même, possède
une certaine disposition selon qu’elle est en puissance à une multiplicité,
est préparée de plus en plus à recevoir la grâce selon qu’à partir de cette
multiplicité dont on parle, à savoir le mélange des potentialités, elle se
concentre sur une seule finalité au moyen des opérations par lesquelles elle
se prépare à recevoir la charité ainsi que nous l’avons dit précédemment
[dist. 17, quest. 2, art. 1]. Et c’est pourquoi Denys désigne toujours la
perfection de la sainteté par ceci que
la vie qui est dispersée du fait qu’elle est partagée [partagée : dispersée Éd. de Parme] soit élevée à
une vie unique et remarquable. |
Et sic patet
quod augmentum caritatis simile est augmento qualitatum naturalium, licet
origo ejus differat ab origine illarum. Cujus ratio est, quia qualitates
naturales educuntur de potentia materiae, quarum inchoationes quasdam
materiae Deus opere creationis indidit ; et ideo quando in actum procedunt,
est exitus de imperfecto ad perfectum. |
Et ainsi il
est clair que la croissance de la charité est semblable à la croissance des
qualités naturelles, bien que l’origine de celle-ci soit différente de
l’origine de celles-là. La raison en est que les qualités naturelles
procèdent de la puissance de la matière, qualités dont Dieu, par l’œuvre de
la création, a donné certains fondements ou commencements à la matière ;
et c’est pourquoi, quand ces qualités passent à l’acte, il y a là comme un
passage de l’imparfait au parfait. |
Dona autem
gratuita non educuntur quasi de potentia naturae ; quia nihil est in potentia
naturali quod per agens naturale educi non possit. Et ideo origo
gratiae est per novam infusionem ; sed augmentum ejus est per hoc quod de
imperfecto ad perfectum actus infusus educitur. |
Mais les dons de la grâce ne sont pas produits comme
à partir d’une puissance de la nature car il n’y a rien dans une puissance
naturelle qui ne puisse être produit par un agent naturel. Et c’est pourquoi
l’origine de la grâce a lieu par une infusion inusitée; mais sa croissance a
lieu par ceci que son acte est produit de l’imparfait au parfait. |
[1368] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod propositio philosophi intelligitur de augmento
corporali, quod fit semper per additionem quantitatis, quia in hac materia ab
ipso proponitur. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que la
proposition du Philosophe s’entend de la croissance corporelle qui a toujours
lieu par l’addition d’une quantité, car c’est pour cette matière que cette
proposition est présentée par lui. |
[1369] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Deus una et eadem operatione agit in omnia quae sunt,
quamvis forte illa operatio differat solum secundum rationem, secundum quod
exit a ratione diversorum attributorum, vel diversarum idearum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que c’est par une
seule et même opération que Dieu agit en tout ce qui existe, bien que peut-être
cette opération diffère seulement par la raison selon qu’elle procède de la
notion de différents attributs ou de différentes idées. |
Unde dico,
quod una et eadem operatione infunditur gratia et augetur ; nec est
diversitas nisi ex parte recipientis, quod ex illa operatione plus minusve
recipit, secundum quod ad eam diversimode praeparatur ; sicut eadem
irradiatione solis efficitur aer clarus et magis clarus, depulsis nebulosis
vaporibus qui receptionem luminis impediebant ; unde non oportet quod sit ibi
alia et alia claritas. |
C’est pourquoi
je dis que c’est par une seule et même opération que la grâce est répandue et
qu’elle croît ; et il n’y a de différence que du côté de celui qui
reçoit, à savoir qu’à partir de cette opération il reçoit plus ou moins selon
qu’il est préparé différemment à la recevoir ; tout comme c’est par le
même rayonnement du soleil que l’air est rendu clair et plus clair une fois
qu’ont été repoussées les brumes qui empêchaient la réception de la
lumière ; c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait là telle et
telle autre clarté. |
Praeterea, etiam si essent duae operationes, non
oporteret quod terminarentur ad duo diversa secundum substantiam ; sed prima
terminaretur ad esse caritatis imperfectae, secunda ad eamdem caritatem
secundum perfectionem, secundum quod aliquid educitur de imperfecto ad
perfectum. |
Par ailleurs, même s’il y avait deux opérations, il
ne serait pas nécessaire qu’elles se terminent à deux choses différentes
selon la substance; mais la première operation se terminerait à l’existence
d’une charité imparfaite et la seconde
à la même charité selon sa perfection, selon que quelque chose est
conduit de l’imparfait au parfait. |
[1370] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod non est de ratione intensionis alicujus qualitatis,
quod sit per remotionem a contrario ; sed hoc accidit qualitati, secundum
quod inest in subjecto participante contrarium. Sed hoc est de necessitate
intensionis quod qualitas educatur de imperfecto ad perfectum, sicut patet de
diaphano, in quo nihil est contrarium luci, quod potest lumen intendi
secundum incrementum virtutis illuminantis. Haec autem imperfectio est ex potentialitate ipsius
naturae, quae subjicitur perfectioni et actui. Cum enim omnis potentia
receptiva ad multa se habeat, secundum istam multitudinem ipsius, dissimile
est principio agenti, quod est terminatum ad actum unum ; et secundum quod
ista confusio potentialitatis magis subjicitur actui, perfectior perficitur
actus, et ipsum perfectum magis efficitur unum, et magis assimilatum
principio agenti. Haec autem confusio potentialitatis est in qualibet natura
creata, secundum id [id om. Éd. de Parme] quod nondum est perfecta per actum.
Unde etiam per istum modum ponit Dionysius, purgationem in Angelis, scilicet
secundum quod removentur a confusione dissimilitudinis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’il n’entre pas dans la définition de l’intensité
d’une qualité qu’elle ait lieu au moyen d’un éloignement de la qualité
contraire ; mais cela se produit dans le cas d’une qualité qui
appartient au sujet qui participe de la qualité contraire. Mais il appartient
nécessairement à l’intensité que la qualité soit conduite de l’imparfait au
parfait comme on le voit pour le diaphane dans lequel il n’y a rien de contraire
à la lumière, à savoir que la lumière peut s’intensifier selon l’augmentation
de la puissance de celui qui éclaire. Mais cette imperfection vient d’une
potentialité de la nature elle-même qui est soumise au perfectionnement et à
l’acte. En effet, puisque toute puissance réceptive est apte à une
multiplicité, c’est d’après cette multiplicité qui la concerne qu’elle
s’oppose au principe agent qui est déterminé à l’égard de son acte ; et
selon que cette sorte de mélange de potentialité est davantage soumis à
l’acte, l’acte se trouve à être achevé plus parfaitement et cela même qui est
achevé est davantage rendu un et davantage rendu semblable au principe agent.
Mais ce mélange de potentialité est présent dans toute nature créée selon
ceci [ceci om. Éd. de Parme]
qu’elle n’est pas encore achevée par l’acte. C’est pourquoi c’est encore de
cette manière que Denys présente la purgation chez les Anges, à savoir selon qu’ils
s’écartent du mélange de la dissemblance. |
[1371] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod eodem modo sumus
causa augmenti gratiae, sicut et causa ipsius gratiae, scilicet per modum
dispositionis tantum. Sed efficientia utrobique est ex parte ipsius Dei,
sicut patet ex his quae supra dicta sunt, in corp. art. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que c’est de la même manière que nous sommes causes de
l’augmentation de la grâce et que nous sommes causes de la grâce elle-même, à
savoir à la manière d’une disposition seulement. Mais la cause efficiente
dans les deux cas se trouve du côté de Dieu lui-même comme on le voit en
s’appuyant sur ce qui a été dit plus haut dans le corps de l’article. |
|
|
Articulus 3
[13 72] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 tit. Utrum caritas augeatur
quolibet actu |
Article 3 – La charité s’accroît-elle par
n’importe quel acte ?
|
[1373] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad
tertium sic proceditur. Videtur
quod caritas quolibet actu augeatur. Ubi enim eadem causa est, et idem
effectus. Sed omnes actus caritatis sunt ejusdem speciei quantum ad esse
morale, sicut omnes actus fortitudinis. Ergo cum aliquis actus caritatis
caritatem augeat, videtur etiam quod quilibet actus. |
Difficultés : 1. Il semble
que la charité croît par n’importe quel acte. Là en effet où la cause est la
même, l’effet est le même. Mais tous les actes de charité sont de même espèce
quant à l’existence morale, comme c’est le cas pour tous les actes de force.
Donc puisque tout acte de charité augmente la charité, il semble qu’il en
soit de même pour n’importe quel acte. |
[1374] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 2 Item, quod facere potest majus, potest
etiam facere minus. Sed quodlibet actu caritatis meretur quis vitam aeternam.
Ergo et potest mereri augmentum caritatis. |
2. En outre,
ce qui peut faire plus peut aussi faire moins. Mais c’est par n’importe quel
acte de charité que quelqu’un mérite la vie éternelle. C’est donc aussi par
n’importe quel acte qu’il peut mériter l’augmentation de la charité. |
[1375] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, quilibet actus caritatis est
longe potentior quantum ad esse gratiae, quam actus qui sunt ex naturalibus
tantum. Sed per actus qui sunt tantum ex naturalibus, homo praeparatur per
modum dispositionis ad recipiendum gratiam. Ergo multo magis per quemlibet
actum caritatis disponitur ad caritatis augmentum. |
3. Par
ailleurs, n’importe quel acte de charité est de loin plus puissant quant à
l’existence de la grâce que les actes qui viennent des puissances naturelles
seulement. Mais c’est par les actes qui viennent des seules puissances
naturelles que l’homme se prépare à recevoir la grâce par mode de
disposition. C’est donc bien davantage par n’importe quel acte de charité que
l’homme se dispose à la croissance de la charité. |
[1376] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 4 Contra, ex eisdem principiis ex quibus
aliquid nascitur, et augmentatur. Sed unus actus non sufficit ut disponens
[ad dispositionem Éd. de Parme] ut caritas infundatur. Ergo
nec ad hoc ut augeatur. Probatio mediae. Majorem causalitatem habet actus
noster ad virtutem acquisitam quam ad caritatem infusam. Sed unus actus non
sufficit ad generationem virtutis acquisitae ; quinimmo ex frequenti bene
agere fit homo bonus, secundum philosophum, II Ethic., cap. 1. Ergo multo minus unus actus sufficit
disponere ad caritatem. |
4. Au
contraire, une chose croît à partir des mêmes principes à partir desquels
elle naît. Mais un seul acte ne suffit pas pour disposer [à la disposition Éd. de Parme] à répandre la charité.
Donc, un seul acte ne suffit pas non plus pour la faire croître. Preuve de la
mineure. Notre acte possède une plus grande causalité à la vertu acquise qu’à
la charité infuse. Mais un seul acte ne suffit pas à la génération de la
vertu acquise ; mais au contraire c’est par la répétition de bonnes
actions que l’homme devient bon d’après le Philosophe [11 Éthique, ch. 1]. Donc un seul acte
suffit beaucoup moins à disposer à la charité. |
[1377] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, secundum augmentum caritatis
augetur etiam praemium substantiale ; sed non quolibet actu charitatis
augetur praemium substantiale [sed… substantiale om. Éd. de Parme] dicitur
enim communiter, quod pluribus operibus in caritate factis, non plus meretur
quis quantum ad augmentum praemii substantialis, quam uno ex aequali caritate
facto. Ergo non quolibet actu caritatis caritas augetur. |
5. De plus,
c’est d’après la croissance de la charité qu’est aussi accrue la récompense
substantielle ; mais ce n’est pas par n’importe quel acte de charité
qu’est accrue la récompense substantielle [mais…substantielle om. Éd. de Parme] puisqu’on dit en
effet communément que quelqu’un ne mérite pas davantage, quant à
l’augmentation de la récompense substantielle, au moyen de plusieurs œuvres
faites dans la charité que par une seule faite dans une charité égale. Ce
n’est donc pas par n’importe quel acte de charité que la charité croît. |
[1378] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod non eodem modo se habet actus informatus caritate ad
augmentum caritatis, et actus praecedens caritatem ad habendam caritatem. Actus enim qui est ex caritate,
ordinatur ad augmentum caritatis et per modum dispositionis et per modum
meriti ; sed actus praecedens caritatem ordinatur ad consequendum caritatem
solum per modum dispositionis, ut supra dictum est, art. antec., non per
modum meriti: quia ante caritatem nullum potest esse meritum. Neuter autem
actus ordinatur ad habendam vel augmentandam caritatem per modum alicujus
efficientiae, sicut actus nostri ad habendum habitus acquisitos. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que le rapport de l’acte informé par la charité à la
croissance de la charité n’est pas le même que celui de l’acte qui précède la
charité à celui qui la possède. En effet, l’acte qui vient de la charité est
ordonné à la croissance de la charité à la fois à la manière d’une
disposition et à la manière d’un mérite ; mais l’acte qui précède la
chatité est ordonné à la poursuite de la charité uniquement à la manière
d’une disposition, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, et non à
la manière d’un mérite : car avant la possession de la charité, il ne
peut y avoir aucun mérite. Mais ni l’un ni l’autre n’est ordonné à la
possession ou à l’augmentation de la charité à la manière d’une cause
efficiente comme c’est le cas pour nos actes qui sont ordonnés à la
possession des habitus acquis. |
Sciendum est
igitur, quod actus qui praecedit caritatem, quandoque unus solus disponit
ultima dispositione ut infundatur caritas, secundum immobilitatem divinae
bonitatis, per quam unicuique largitur secundum quod praeparatum est ad
recipiendum: quandoque autem unus actus non disponit nisi dispositione
remota, et sequens actus magis disponit, et sic deinceps, secundum quod ex
multis bonis actibus pervenitur ad ultimam dispositionem, inquantum actus
sequens semper agit in virtute omnium praecedentium ; ut patet in guttis
cavantibus lapidem, quod non quaelibet aufert aliquid de lapide, sed omnes
praecedentes disponunt, et una ultima agens in virtute omnium praecedentium,
inquantum scilicet invenit materiam dispositam per praecedentes, complet
cavationem. |
Il faut donc
savoir que pour ce qui est de l’acte qui précède la charité, un seul suffit
parfois pour disposer l’âme d’une disposition ultime telle que la charité
soit répandue, conformément à l’immobilité de la bonté divine, charité par
laquelle elle se donne à chacun en autant qu’il est préparé à la
recevoir ; parfois cependant un seul acte ne dispose que par une
disposition éloignée, et l’acte qui suit dispose davantage et ainsi de suite,
selon qu’à partir de plusieurs actes bons on parvienne à la disposition
ultime, dans la mesure où l’acte qui suit agit toujours dans la puissance de
ceux qui précèdent ; c’est ce qu’on voit par exemple dans le cas des
gouttes qui creusent la pierre, à savoir que ce n’est pas n’importe laquelle
d’entre elles qui enlève une partie à la pierre, mais toutes celles qui
précèdent la préparent, mais la seule et dernière goutte, agissant dans la
puissance de toutes celles qui ont précédé, c’est-à-dire dans la mesure où
elle trouve la matière disposée par les gouttes qui ont précédé, achève le
creusage. |
Hoc autem
ideo contingit, quia homo est dominus sui actus. Unde potest agere secundum
totam virtutem naturae suae vel secundum partem: quod non contingit in illis
quae agunt ex necessitate naturae: semper enim agunt tota virtute sua. Quando
ergo ita est quod homo non habens caritatem ex tota virtute bonitatis
naturalis sibi inditae movetur ad caritatem, tunc unus actus disponit eum
ultima dispositione, ut caritas sibi detur. |
Mais cela
n’est possible que parce que l’homme est maître de ses actes. C’est pourquoi
il peut agir soit selon la totalité de la puissance de sa nature, soit selon
une partie seulement : ce qui n’est pas possible chez ceux qui agissent
par une nécessité de nature : ces derniers en effet agissent toujours
par la totalité de leur puissance. Donc quand il en est ainsi que l’homme qui
ne possède pas la charité se meut vers la charité par toute la puissance de
la bonté naturelle qui lui est donnée, alors un seul acte le dispose d’une
disposition dernière telle que la charité lui est donnée. |
Quando vero
non secundum totam virtutem, sed secundum aliquid ejus praeparatur ad
caritatem, tunc actus non est sicut dispositio ultima, sed remota, et per
plures actus poterit pervenire ad dispositionem ultimam. Similiter dico ex
parte alia, quod quando actus caritatis procedit ex tota virtute habentis et
quantum ad virtutem naturae et quantum ad virtutem habitus infusi, tunc unus
actus disponit, et meretur augmentum caritatis, ut statim fiat. Quando autem
non secundum totam virtutem procedit actus ille, tunc est ut dispositio
remota, et poterit tunc per plures actus pervenire ad augmentum caritatis,
non tamen de necessitate: quia homo, quantumcumque sit dispositus, potest non
agere secundum rationem dispositionis illius: quod non contingit in
dispositionibus non voluntariis, ratione jam dicta, paulo sup. |
Mais quand ce
n’est pas selon toute sa puissance, mais d’après une partie seulement qu’il
se prépare à la charité, alors l’acte ne se présente pas comme une
disposition dernière, mais comme une disposition éloignée, et c’est alors par
plusieurs actes qu’il pourra parvenir à la disposition dernière. D’un autre
côté je dis semblablement que quand l’acte de charité procède de toute la
puissance de celui qui possède à la fois quant à la puissance de la nature et
quant à la puissance de l’habitus infus, alors un seul acte dispose et mérite
la croissance de la charité de telle manière qu’elle est produite aussitôt.
Mais quand cet acte de charité ne procède pas suivant toute la puissance,
alors il n’y a qu’une disposition éloignée, et il pourra alors parvenir à la
croissance de la charité au moyen de plusieurs actes, mais non
nécessairement : car l’homme, quelle que soit sa disposition, peut ne
pas agir en raison de cette disposition : ce qui n’est pas possible pour
les dispositions qui ne sont pas volontaires pour la raison que nous avons
déjà dite un peu plus haut. |
[1379] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non eodem
modo se habet quilibet actus caritatis, eo quod unus potest esse magis
intensus, et etiam unus potest esse disponens in virtute plurium
praecedentium, ut dictum est, in corp. art., et ideo non sequitur idem
effectus. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que ce n’est pas de la même manière que se présente
n’importe quel acte de charité, du fait que l’un peut être plus intense, et
même que l’un peut disposer par la puissance des nombreux autres qui
précèdent, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, et c’est
pourquoi ce n’est pas le même effet qui suit. |
[1380] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praemium
substantiale vitae aeternae ordinatur sicut finis ad actus caritatis, et
commensuratur ad invicem, non secundum aequiparantiam, sed secundum
proportionem. Unde actui caritatis debetur praemium substantiale, et actui
majoris caritatis majus praemium. Unde quilibet actus caritatis, inquantum
est informatus tali habitu, ordinatur ad praemium substantiale ; non tamen ad
augmentum praemii, sicut nec ad augmentum caritatis, secundum quod caritas
remanet primum principium merendi, sed solum secundum quod augmentum
caritatis pertinet ad perfectionem praemii. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la récompense substantielle de la vie éternelle est
ordonnée à l’acte de charité comme à sa fin et qu’ils sont proportionnés l’un
à l’autre non pas selon l’égalité mais selon la proportion. C’est pourquoi à
un acte de charité est due une récompense substantielle et qu’à un acte de
charité plus grand est due une récompense substantielle plus grande. C’est
pourquoi tout acte de charité, en autant qu’il est informé par un tel
habitus, est ordonnée à une récompense substantielle, mais non pas cependant
à la croissance de la récompense ni à la croissance de la charité, selon que
la charité demeure le premier principe du mérite, mais seulement selon que la
croissance de la charité appartient à la perfection de la récompense. |
[1381] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 3 Ad
tertium jam patet responsio per id quod dictum est, quia actus caritatis
excedit actum praecedentem caritatem in hoc quod habet virtutem merendi, et
ita accedit plus ad causalitatem caritatis quam actus praecedens caritatem. |
3. La réponse à la troisième difficulté est déjà
claire au moyen de ce qui a été dit, car l’acte de charité dépasse l’acte qui
précède la charité en ceci qu’il possède la puissance du mérite et qu’ainsi
il accède advantage à la causalité de la charité que l’acte qui précède la
charité. |
[1382] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod ad hoc quod aliqua perfectio introducatur, duo
requiruntur. Unum ex parte introducentis, ut sua operatio
commensuretur secundum aequalitatem perfectioni introducendae: non enim ex
parva calefactione inducitur calor ignis, sed ex tali calefactione, quae
habet aequalem virtutem, ad minus ex suo principio, calori ignis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que pour qu’une
perfection soit introduite, deux conditions sont requises. Une qui se tient du côté de celui qui introduit,
afin que son operation soit proportionnée selon l’égalité à la perfection
devant être introduite: en effet, ce n’est pas à partir d’une petit
réchauffement que la chaleur du feu est introduite, mais à partir d’un
réchauffement qui possède une puissance égale, au moins à son début, à la
chaleur du feu. |
Aliud ex parte recipientis, ut dispositio sua
proportionetur eodem modo perfectioni inducendae. Contingit
autem quandoque, sicut in operibus animae, quod aliquid disponitur et
perfectionem recipit a seipso, ut in scientia et virtute patet. Unde ad
perfectam dispositionem sufficit quod anima operetur secundum virtutem
proportionatam illi perfectioni quae inducenda est: et quia tota capacitas
animae vix sufficit ad receptionem tantae perfectionis quanta est caritas,
nisi Deus de sua liberalitate suppleret ; ideo ad hoc quod sit in anima
ultima dispositio ad caritatem requiritur actus qui sit secundum totam
virtutem suam, et iste sufficit quantum in nobis est ; sed minor non sufficit
ad talem dispositionem. |
Une autre condition se tient du côté de celui qui
reçoit, de telle manière que sa disposition soit proportionnée d’une manière
semblable à la perfection devant être introduite. Mais il est parfois possible,
comme c’est le cas pour les opérations de l’âme, que ce soit d’elle-même qu’une
chose soit disposée à une perfection et la reçoive, comme on le voit pour la
science et la vertu. C’est pourquoi, pour en venir à une disposition parfait,
il suffit que l’âme opère suivant une puissance proportionnée à cette
perfection qui doit être introduite: et parce que toute la puissance de l’âme
ne suffit à peine à recevoir cette si grande perfection qu’est la charité que
si Dieu la complète de sa bonté, c’est pourquoi, pour qu’il y ait dans l’âme
une disposition dernière à la charité, il faut que l’acte procède suivant
toute sa puissance, et cela suffit quant à ce qui relève de nous; mais un
acte plus faible ne suffit pas à une telle disposition. |
Ulterius in illis perfectionibus in quibus per actum
animae non tantum est dispositio, sed etiam ipsa perfectio, exigitur quod
actus ipsius animae sit proportionatus et aequalis in virtute ipsi
perfectioni introducendae. Omnis
autem habitus de ratione sua habet quod sit difficile mobilis ; idest, habet
firmitatem quamdam. Unde quando una actio animae habet firmitatem, inducit
habitum ; sicut patet quod una demonstratio propter sui certitudinem et
firmitatem facit habitum scientiae. |
Par la suite,
pour ces perfection dans lesquelles au moyen de l’acte de l’âme il n’y a pas
seulement disposition mais aussi la perfection elle-même, il est nécessaire
que l’acte de l’âme elle-même soit proportionné et égal en puissance à la
perfection même devant être introduite. Mais il est dans la nature même d’un
habitus d’être difficilement mobile, c’est-à-dire de posséder une certaine
fermeté. C’est pourquoi, quand une même action de l’âme possède de la
fermeté, elle conduit à un habitus ; on voit par exemple qu’une
démonstration, en raison de sa certitude et de sa fermeté, produit l’habitus
de la science. |
Quando autem
unus actus non habet firmitatem, non sufficit unus, sed oportet quod sint
plures. Unde ex uno argumento dialectico non generatur opinio,
sed ex pluribus congregatis. Ita etiam quia actus voluntatis humanae non
habet firmitatem, cum voluntas indeterminate se habeat ad multa, habitus
virtutum politicarum, qui acquiruntur per actus voluntatis, non possunt
acquiri tantum per unum actum, sed oportet quod multi conveniant. Habitus autem
caritatis non habet firmitatem per actum animae, sed a causa sua, quae Deus
est ; et ideo unus actus voluntatis potest sufficere ad hoc quod caritas
infundatur, et similiter ad hoc quod augeatur. |
Mais quand un même acte ne possède pas la fermeté, il
ne suffit pas à lui seul, mais il faut qu’il y ait plusieurs actes. C’est
pourquoi ce n’est pas à partir d’un seul argument dialectique mais à partir
de plusieurs que l’opinion est engendrée. De même encore, parce que l’acte de
la volonté humaine ne possède pas de fermeté, puisque la volonté se rapporte
indéterminément à une multiplicité, les habitus des vertus politiques, qui
sont acquis par les actes de la volonté, ne peuvent être acquis par un seul
acte mais il faut que plusieurs y contribuent. Mais l’habitus de la charité
ne tient pas sa fermeté de l’acte de l’âme, mais de sa cause propre qui est
Dieu; et c’est pourquoi un seul acte de volonté ne peut suffire pour que la
charité soit répandue et aussi à ce
qu’elle soit accrue. |
[1383] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando est talis
actus caritatis qualis requiritur ad augmentum caritatis, tunc etiam augetur
praemium substantiale, quod debetur caritati majori consequenti actum, non
caritati quae est radix actus. Non autem omnes sunt tales, ut dictum est, in
respons., ad 2 istius art. ; et ideo ad multitudinem actuum non sequitur de
necessitate augmentum praemii substantialis. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que quand il y a un acte de charité tel qu’il est
requis à la croissance de la charité, alors c’est aussi la récompense
substantielle qui est accrue, laquelle est due à une charité plus grande qui
suit l’acte et non à la charité qui est la racine de l’acte. Mais ce ne sont
pas tous les actes de charité qui sont de cette sorte, ainsi que nous l’avons
dit dans la réponse à la deuxième difficulté de cet article ; et c’est
pourquoi la croissance de la récompense substantielle ne découle pas
nécessairement de la multitude de tous les actes de charité. |
|
|
Articulus 4
[1384] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 tit. Utrum augmentum caritatis
habeat aliquem terminum |
Article 4 – L’accroissement de la charité
a-t-il une limite ?
|
[1385] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad
quartum sic proceditur. Videtur quod augmentum caritatis habeat aliquem
terminum. Perfectio enim non excedit capacitatem perfectibilis. Sed capacitas
animae finita est. Ergo non potest recipere nisi perfectionem finitam. Sed omnis motus qui est ad finitum,
finitus est. Ergo augmentum caritatis, quod est ad perfectionem animae, est
finitum. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’accroissement de la charité comporte une limite. La perfection en effet
ne dépasse pas la capacité de ce qui est perfectible. Mais la capacité de
l’âme est limitée. Elle ne peut donc recevoir qu’une perfection limitée. Mais
tout mouvement qui est ordonné à un terme est fini. Donc la croissance de la
charité, qui est ordonnée à la perfection de l’âme, est limitée. |
[1386] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 2
Praeterea, nihil ordinate movetur ad id quod consequi non potest, secundum
philosophum, III Physic., text. 47 ; sicut qui non potest esse in Aegypto, non movetur
ordinate ad eundum illuc. Sed infinitum distans nullus potest consequi, cum
nullus motus possit esse secundum distantiam infinitam. Ergo nullus motus est
infinitus. Sed augmentum caritatis est quidam motus. Ergo venit ad aliquem
terminum. |
2. Par
ailleurs, rien ne se meut avec ordre vers ce qu’il ne peut atteindre d’après
le Philosophe [111 Physique, texte
47] ; par exemple, celui qui ne peut être en Égypte ne peut se mouvoir
avec ordre pour y aller. Mais nul ne peut atteindre à ce qui est infiniment
éloigné, puisqu’aucun mouvement ne peut exister suivant une distance infinie.
Donc, aucun mouvement n’est infini. Mais la croissance de la charité est un
certain mouvement. Elle doit donc en venir à un terme. |
[1387] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 3
Praeterea, sicut infra, in 3, distinct. 13, dicit Magister, gratia Christi nihil potest etiam Deus
majus facere. Sed si augmentum caritatis et gratiae esset in infinitum,
qualibet caritate posset esse aliqua major. Ergo non est infinitum. Et
similiter potest dici de beata virgine, de qua dicit Anselmus, De concept.
Virg., cap. XVIII, col. 451, quod ea puritate nituit qua major sub Deo nequit
intelligi. Et similiter etiam de beatis, quorum caritas augeri non potest.
Per quae omnia videtur quod augmentum caritatis venit ad terminum aliquem,
qui augeri non potest. |
3. En outre,
ainsi que nous le verrons plus loin [Livre 3, dist. 13] le Maître dit que par
la grâce du Christ même Dieu ne peut rien faire de plus. Mais si la
croissance de la charité et de la grâce était infinie, il pourrait y avoir
pour toute charité une charité plus grande. La croissance de la charité n’est
donc pas infinie. Et on peut dire la même chose de la bienheureuse Vierge, de
laquelle Saint-Anselme [De la
Conception de la Vierge, ch. 18, col. 451] dit qu’elle brilla d’une
pureté telle qu’on ne peut pas en saisir une plus grande qui soit inférieure
à celle de Dieu. Et on peut dire encore la même chose des bienheureux, dont
la charité ne peut croître. Et c’est par tous ces cas qu’on voit que la
croissance de la charité en vient à un terme qui ne peut être augmenté. |
[1388] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 s. c. 1 Contra, augmentum caritatis est,
secundum majorem assimilationem ad Deum. Sed quantumcumque aliquis accedat ad
Dei similitudinem, semper in infinitum distat ab eo. Ergo semper magis potest
accedere ; et ita videtur quod augmentum caritatis non sit infinitum. |
Cependant : 1. Au
contraire, la croissance de la charité a lieu suivant une plus grande
ressemblance à Dieu. Mais si près qu’on puisse s’approcher de la ressemblance
de Dieu, on en demeure cependant toujours infiniment éloigné. On peut donc
toujours s’en approcher davantage ; et ainsi il semble que la croissance
de la charité ne soit pas finie. |
[1389] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quando caritatis actus
procedit a majori caritate, majoris est virtutis in merendo. Sed actus caritatis
imperfectae meretur augmentum caritatis. Ergo multo magis merebitur quando
caritas magis perficietur, et ita augmentum caritatis nunquam stabit. |
2. En outre,
quand l’acte de charité procède d’une plus grande charité, elle est d’une
plus grande puissance quant au mérite. Mais l’acte d’une charité imparfaite
demande une augmentation de la charité. Donc, quand la charité sera plus
parfaite elle demandera encore davantage à s’accroître, et ainsi la
croissance de la charité ne s’arrêtera jamais. |
[1390] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod de termino
augmenti caritatis dupliciter possumus loqui: aut quantum ad id quod est, aut
quantum ad id quod potest esse. Sicut etiam dicimus, quod summum malum non
est quo non possit esse aliquid pejus ; tamen aliquid est summe malum quo
nihil est pejus. Similiter dico, quod augmentum caritatis pervenit ad aliquem
terminum ultra quem caritas non augetur in quolibet homine ; non tamen
pervenit ad aliquem terminum ultra quem non possit augeri. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que c’est de deux manières que nous pouvons parler du terme
de la croissance de la charité : soit quant à ce qu’il est, soit quant à
ce qu’il peut être. Par exemple nous disons aussi que le plus grand mal est ce
dont il ne peut y avoir rien de pire ; cependant il y a un mal suprême
dont il n’y a rien de pire. De la même manière je dis que la croissance de la
charité parvient à un terme au-delà duquel la charité ne croît plus en aucun
homme ; elle ne parvient cependant pas à un terme au-delà duquel elle ne
peut parvenir. |
Cujus ratio
est ex parte ejus quod movetur secundum hoc augmentum, et ex parte ejus ad
quod movetur. Id autem ad quod movetur anima in augmento caritatis, est
similitudo divinae caritatis, cui assimilatur ; ad quam, cum infinita sit, in
infinitum potest accedi plus et plus, et nunquam adaequabitur perfecte. |
La raison de
cela se tient du côté de ce qui se meut selon cette croissance et du côté de
ce vers quoi il se meut. Mais ce vers quoi se meut l’âme dans la croissance
de la charité, c’est la ressemblance de la charité divine à laquelle elle est
assimilée ; et quant à cette charité divine, puisqu’elle est infinie,
l’âme peut s’en approcher de plus en plus à l’infini, et elle ne s’y élèvera
jamais de manière à l’égaler parfaitement. |
Ex parte
autem ejus quod movetur est quod ipsa anima, quantum plus recipit de bonitate
divina et lumine gratiae ipsius, tanto capacior efficitur ad recipiendum ; et
ideo quanto plus recipit, tanto plus potest recipere. Cujus ratio est, quia
potentiae materiales sunt terminatae et finitae secundum exigentiam materiae
; et ideo non possunt recipere nisi secundum proportionem materiae ;
potentiae autem immateriales non limitantur ex materia, sed magis secundum
quantitatem bonitatis divinae in eis perceptae. |
Mais du côté
de celui qui se meut il y a que l’âme elle-même, selon qu’elle reçoit
davantage de la bonté de Dieu et de la lumière de sa grâce, elle est rendue
d’autant plus capable d’en rcevoir ; et c’est pourquoi elle peut
d’autant plus recevoir qu’elle reçoit davantage. La raison en est que les
puissances matérielles soit limitées et finies d’après les exigences de la
matière ; et c’est pourquoi elles ne peuvent recevoir que
proportionnellement à la matière ; mais les puissances immatérielles ne
sont pas limitées par la matière mais plutôt par la quantité de bonté divine
reçue en elles. |
Unde quanto
plus additur de bonitate, tanto magis est de potentia ad capacitatem ; sicut
patet in exemplo philosophi de sensu et intellectu, III De anima,Text. 7,.
Dicit enim quod sensus a fortibus sensibilibus corrumpuntur, et non augetur
eorum capacitas, quia sunt potentiae materiales ; sed intellectus quanto
magis intelligit difficilia, tanto etiam plus potest ; ita etiam quanto natura
spiritualis plus recipit de caritate, plus potest recipere. |
Et c’est
pourquoi l’âme humaine a d’autant plus de puissance à la capacité qu’on y
ajoute davantage de bonté ainsi qu’on le voit dans l’exemple du
Philosophe sur le sens et l’intelligence [111 De l’Âme, texte 7]. Il dit en
effet que les sens sont détruits par des qualités sensibles extrêmes et que
leurs capacités ne s’en trouvent pas accrues parce qu’ils ont des puissances
matérielles ; mais l’intelligence au contraire devient d’autant plus capable
de comprendre qu’elle saisit des vérités qui sont difficiles à comprendre. De
même encore une nature spirituelle peut d’autant plus recevoir de charité
qu’elle en reçoit davantage. |
Quidam autem
comparantes capacitatem substantiae spiritualis capacitati substantiae
materialis, dixerunt quod est terminus in augmento caritatis secundum
capacitatem naturae scilicet quod quando [quando om. Éd. de Parme] tantum
recipit de caritate quod impleatur capacitas prima quae erat ex natura, nec
potest plus recipere. |
Mais certains,
comparant la capacité de la substance spirituelle à la capacité de la
substance matérielle, ont dit qu’il y a dans la croissance de la charité un
terme d’après la capacité de la nature, à savoir que quand [quand om. Éd. de
Parme] elle reçoit une telle quantité de charité que la capacité première qui
venait de la nature est comblée, elle ne peut en recevoir davantage. |
Et ponunt
exemplum de aere, qui habet terminum subtilitatis suae, quem non excedit.
Unde potest in eo intendi lumen, secundum quod magis et magis depuratur a
vaporibus permixtis ; sed quando pervenitur ad puritatem naturae suae, non
potest amplius purificari, nec illuminari ab eodem illuminante. Sed non est
simile de capacitate substantiae materialis et spiritus, ut dictum est, in hac
dist., qu. 1, art. 3. |
Et ils donnent
l’exemple de l’air qui a une limite à sa subtilité et qu’il ne dépasse pas.
Et c’est pourquoi la lumière peut pénétrer en lui selon qu’il se libère de
plus en plus des vapeur qui y sont mélangées ; mais quand il est parvenu
à la pureté de sa nature, il ne peut être purifié davantage ni être éclairé
par le même éclairage. Mais il n’en est pas de même de la capacité de la
substance matérielle et de celle de l’esprit ainsi que nous l’avons déjà dit
[dist. 17, quest. 1, art. 3]. |
[1391] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis
capacitas animae sit finita in actu, tamen potest plus et plus in finitum
elongari, secundum quod plus et plus recipit. Nunquam tamen erit infinita,
nec recipiet perfectionem infinitam ; sicut etiam patet in additione numeri,
qui in infinitum est possibilis [imposibilis Éd. de Parme] ; nunquam tamen
est aliquis numerus infinitus in actu ; quia potentia additionis numerorum,
ut dicit Commentator in III Physic., text. 68, non est una, sed semper ex
nova additione efficitur alia potentia in numero secundum quod efficitur nova
species numeri. Unde quaelibet potentia potest exire in actum, non tamen
potest esse ut omnes exeant in actum, quia in quolibet actu additur etiam
potentia ; et ita est etiam hic de capacitate animae. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que bien que la capacité de l’âme soit limitée en
acte, elle peut cependant s’étendre de plus en plus dans la limite selon
qu’elle reçoit de plus en plus. Jamais cependant elle ne sera infinie et ne
recevra une perfection infinie ; tout comme on le voit aussi pour
l’addition du nombre qui est un infini possible [impossible Éd. de
Parme] ; cependant, jamais on ne rencontre un nombre infini en
acte ; car la puissance de l’addition des nombres, comme le dit le
Commentateur [111 Physique, texte
68] n’est pas une mais c’est toujours une autre puissance dans un nombre qui
est produite à partir d’une nouvelle addition, selon qu’une nouvelle espèce
de nombre est produite. C’est pourquoi toute puissance peut passer à l’acte,
et cependant il est impossible que toutes passent à l’acte car dans tout acte
s’ajoute aussi une puissance ; et ainsi il en est encore de même pour la
capacité de l’âme. |
[1392] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quodlibet
augmentum caritatis terminatum est, et est ad terminum quem consequi potest
homo ; sed tamen ille terminus, cum non sit actus purus, est permixtus
potentiae ; unde adhuc potest esse aliud augmentum numero, et ita in
infinitum augmentum succedere augmento, et hoc modo intelligitur augmentum
caritatis interminatum. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que toute croissance de la charité a un terme et elle
se rapporte à un terme que l’homme peut atteindre ; mais cependant ce
terme, puisqu’il n’est pas un acte pur, est mélangé à une puissance ;
c’est pourquoi il peut encore y avoir une autre croissance numériquement
parlant, et ainsi une croissance peut succéder à une croissance à l’infini,
et c’est en ce sens que se comprend une croissance illimitée de la charité. |
[1393] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia Christi,
quamvis secundum essentiam esset finita, tamen secundum quid fuit infinita,
inquantum scilicet erat dispositio congruitatis ad unionem, et inquantum
concurrebat in operationem Christi, qui erat virtutis infinitae ex hoc quod
erat persona divina, et aliis modis, ut dicetur in 3, dist. 17, qu. 1, art.
2, qu. 3, et ex hoc habebat quod non poterat augeri. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la grâce du Christ, bien qu’elle soit limitée
selon l’essence, elle fut cependant infinie sous un certain rapport,
c’est-à-dire selon qu’elle était une disposition de conformité à l’union, et
selon qu’elle contribuait à l’opération du Christ qui était d’une puissance
infinie du fait qu’il était une personne divine, et de d’autres manières
comme on le dira [Livre 3, dist. 17, quest. 1, art. 2] plus loin. Et c’est de
là qu’elle tenait de ne pouvoir croître. |
Ad illud quod objicitur de beata virgine,
dicendum est, quod differt puritatis augmentum, et caritatis. Augmentum enim
puritatis est secundum recessum a contrario ; et quia in beata virgine fuit
depuratio ab omni peccato, ideo pervenit ad summum puritatis ; sub Deo tamen,
in quo non est aliqua potentia deficiendi, quae est in qualibet creatura,
quantum in se est. Caritatis autem augmentum est per accessum ad divinam
bonitatem ; et ideo non habuit beata virgo summam caritatem qua major non
possit intelligi, quia etiam profecit in caritate et gratia. |
Quant à la
difficulté qu’on présente au sujet de la bienheureuse Vierge, il faut dire
que la croissance de la pureté diffère de la croissance de la charité. En
effet, la croissance de la pureté se fait d’après un retrait de son
contraire ; et parce que dans la bienheureuse Vierge il y eut une
épuratioin de tout péché, c’est pourquoi elle est parvenue au sommet de la
pureté ; une pureté inférieure à celle de Dieu cependant, dans lequel il
n’y a aucune puissance à défaillir qu’on retrouve en toute créature en tant
que telle. Mais la croissance de la charité a lieu au moyen d’un
rapprochement de la bonté divine ; et c’est pourquoi la bienheureuse
Vierge n’a pas possédé la charité suprême au-delà de laquelle on ne peut en
penser une plus grande car elle-même a progressé en charité et en grâce. |
Ad illud
quod objicitur de beatis, dicendum, quod caritas non augetur in eis propter
conditionem status: quia non sunt in via, sed in termino viae. Unde
datur eis praemium secundum illud quod caritas in statu viae in eis crevit. |
Quant à la
difficulté soulevée par rapport aux bienheureux, il faut dire que la charité
ne croît pas en eux à cause d’une condition
de leur état : car ils ne sont pas sur le chemin d’ici-bas, mais
au terme du chemin. C’est pourquoi il leur est donné une récompense conforme
à l’accroissement de la charité dans l’état du chemin d’ici-bas. |
|
|
Articulus 5 [1394] Super Sent.,
lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 tit. Utrum caritas minuatur |
Article 5 – La charité diminue-t-elle ?
|
[1395] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad
quintum sic proceditur. Videtur
quod caritas minuatur. Contraria enim nata sunt fieri circa idem. Sed
augmentum et diminutio sunt contraria. Cum igitur caritas augeatur, videtur
quod minuatur. |
Difficultés : 1. Il semble
que la charité diminue. Les contraires en effet sont aptes à être produits
dans un même sujet. Mais la croissance et la décroissance sont des
contraires. Donc puisque la charité croît, il semble qu’elle décroisse ou
diminue. |
[1396] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 2 Item, Augustinus dicit, Enchir., cap.
CXXXI, col. 288 : « Ubi magna cupiditas, ibi parva caritas ; »
et alibi, Conf. : « Minus te amat qui aliquid tecum amat ».
Sed contingit cupiditatem augeri. Ergo etiam caritatem contingit minui. |
2. En outre,
Augustin [Enchir. ch. CXXXI, col.
288] dit : ¨Où la cupidité est
grande, la charité est petite ;¨ et ailleurs dans les
Confessions : ¨Celui qui aime
quelque chose avec toi t’aime moins¨. Mais il est possible à la cupidité
de croître. Donc il est aussi possible à la charité de diminuer. |
[1397] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, veniale peccatum est malum
culpae. Sed omne malum aliquod bonum adimit sibi oppositum. Cum igitur malo
culpae opponatur bonum gratiae vel caritas, adimet veniale peccatum bonum
caritatis. Sed non adimit totum, quia sic excluderet a regno ; sola enim
caritas dividit inter filios regni et perditionis, secundum Augustinum, et
sic esset mortale. Ergo adimit aliquid ejus ; ergo diminuit ipsam. |
3. Par
ailleurs, le péché véniel est le mal de la faute. Mais tout mal enlève le
bien qui lui est opposé. Donc, puisque le bien de la grâce ou de la charité
est opposé au mal de la faute, le péché véniel enlève le bien de la charité.
Mais il ne l’enlève pas totalement, car il écarterait ainsi du règne ;
d’après Augustin en effet, seule la charité fait la séparation entre les fils
du règne et ceux de la perdition, et ainsi le péché véniel serait mortel. Il
enlève donc seulement une partie du bien de la charité ; donc il diminue
la charité. |
[1398] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 4 Item, secundum quod aliquis se disponit
ad caritatem et gratiam, secundum hoc sibi Deus infundit, quia, secundum
Augustinum, lumen divinae gratiae omnibus praesens est. Sed quod aliqui non
suscipiant eam, est quia avertunt se ab illa ; sicut qui claudit oculos ad
lumen solis. Sed contingit quod aliquis minus disponit se ad caritatem quam
prius fecerat. Ergo minus participabit de lumine gratiae et de caritate. |
4. En outre,
c’est selon que nous nous disposons à la charité et à la grâce que Dieu les
répand en nous car, selon Augustin, la lumière de la grâce divine est
présente à tous. Mais si certains ne la reçoivent pas, c’est parce qu’ils
s’en détournent, tout comme ceux qui ferment leurs yeux à la lumière du
soleil. Mais il est possible que quelqu’un se dispose moins à la charité
qu’il ne le faisait avant. Il participera donc moins de la lumière de la
grâce et de la charité. |
[1399] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 s. c. 1 Contra, quaelibet caritas creata est
finita. Sed omne finitum, secundum philosophum, I Physic.,
Texte 37, consumitur per ablationem, ablato quodam semper et semper. Si igitur veniale diminuit aliquid de
caritate, sequens etiam diminuit, et sic multiplicatis venialibus tota
caritas tolletur. Sed caritas non tollitur nisi per mortale peccatum. Ergo
multa venialia fient unum mortale, quod nullus ponit. |
Cependant : 1. Au
contraire, toute charité créée est limitée. Mais tout ce qui est limité,
selon le Philosophe [1 Physique,
texte 37], est détruit par le retrait, une fois qu’on aura enlevé encore et
encore. Si donc le péché véniel enlève quelque chose à la charité, celui qui
suit aussi diminue et ainsi toute la charité sera enlevée par la
multiplication des péchés véniels. Mais la charité n’est enlevée que par le
péché mortel. Et donc plusieurs péchés véniels deviendront un péché mortel,
ce que personne n’affirme. |
[1400] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 s. c. 2 Si dicas, quod in ista ablatione est
sicut in divisione continui, quae est in infinitum, si fiat secundum eamdem
proportionem, et non secundum eamdem quantitatem, contra: quando est divisio
secundum eamdem proportionem, illud quod post aufertur, semper est minus eo
quod prius auferebatur ; sicut si primo auferatur tertia pars lineae, et
postea tertia illius residui, et sic deinceps ; semper acceptum post, erit
minus secundum quantitatem. Sed quod sequens veniale non habeat minorem
virtutem quam primum, potest contingere. Ergo adimet de caritate quantum et
primum ; et ita consumetur per ablationem. |
2. Si tu dis
que cette sorte de retrait ou d’enlèvement est semblable à celui qui a lieu
dans la division du continu qui est infinie, si elle a lieu selon la même
proportion et non selon la même quantité, je m’oppose : quand il y a
division selon la même proportion, ce qui est enlevé après est toujours plus
petit que ce qui avait été enlevé avant ; par exemple si tu enlèves
d’abord la troisième partie de la ligne et que tu enlèves ensuite la
troisième partie de ce qui reste et ainsi de suite : toujours ce qui est
pris par après sera moindre selon la quantité. Mais il est possible que le
péché véniel qui suit ne possède pas une plus petite puissance que le
premier. Donc il enlèvera de la charité autant que le premier et ainsi la
charité sera détruite par le retrait. |
[1401] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod caritas non
potest diminui essentialiter, nisi forte per successionem, ita scilicet quod
destruatur caritas quae inest, per mortale peccatum, et postmodum minor
infundatur per minorem praeparationem. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que la charité ne peut être diminuée essentiellement, sauf
peut-être par le remplacement, c’est-à-dire de telle manière que la charité
qui est présente soit détruite par le péché mortel et que par la suite elle
soit répandue plus faiblement par une plus faible préparation. |
Et causa
hujus est, quia causa diminutionis caritatis non potest sumi ex parte Dei ;
cum nullus defectus reducatur in ipsum qui est actus completus, sicut in
causam. Oporteret ergo, si caritas diminuatur, quod
diminutionis causa ex parte nostra suscipiatur. Defectus
autem contingens ex parte nostra, vel est ex cessatione actus vel ex
inordinatione. Ex cessatione actus non potest remitti caritas, sicut habitus
virtutum acquisitarum, secundum id quod in se est. Firmitas enim caritatis
ipsius non est ex actu nostro, sed ex principio influente, ut dictum est, in
hac quaest., art. 2. |
Et la cause en
est que la cause de la diminution de la charité ne peut se prendre du côté de
Dieu, puisqu’aucun défaut ne se ramène à Lui, qui est complet, comme à sa
cause. Il faudrait donc, si la charité diminue, que la cause de la diminution
se reçoive de notre côté. Mais un défaut
se produisant de notre côté a lieu soit par l’arrêt de l’acte soit par un
désordre. Mais la charité, selon ce qu’elle est en elle-même ne peut être
affaiblie à partir de l’arrêt de l’acte, comme c’est le cas pour les habitus
des puissances acquises. En effet, la fermeté de la charité elle-même ne lui
vient pas de notre acte, mais du principe qui répand la grâce, ainsi que nous
l’avons dit dans l’article deux de cette question. |
Unde
cessantibus actibus, manet nihilominus idem robur caritatis. Sed verum est
quod per actus frequentes disponuntur omnes vires animae, et membra corporis
rediguntur in obsequium caritatis, in quo consistit fervor, ut dictum est ;
et ideo ex otio tepescit caritatis fervor. |
C’est
pourquoi, les actes ayant cessé, il reste néanmoins une même force de la charité.
Mais il est vrai que c’est pas des actes fréquents que toutes les forces de
l’âme sont disposées et que les membres du corps sont ramenés à une
soumission à la charité, en quoi consiste la ferveur comme nous l’avons
dit ; et c’est pourquoi la ferveur de la charité se refroidit par
l’oisiveté. |
Habitus
autem acquisitarum virtutum, robur et firmitatem habent ex nostris operibus:
unde cessantibus operibus, remittitur robur virtutis etiam in se. Inordinatio
autem actus vel est circa finem, vel circa ea quae sunt ad finem. Si circa
finem, ita scilicet quod finis tollatur ; sic caritas, secundum quam
adhaeretur fini, tollitur: et hoc fit per mortale peccatum |
Mais les
habitus des puissances acquises tiennent leur force et leur solidité de nos
opérations : c’est pourquoi, si les opérations cessent, la force de la
puissance est affaiblie même en elle-même. Mais le désordre de l’acte se
rapporte soit à la fin, soit aux moyens qui sont ordonnés à la fin. S’il se
rapporte à la fin, c’est-à-dire de telle manière que la fin soit
supprimée ; alors la charité, d’après laquelle on adhérait à la fin, est
elle aussi supprimée : et cela se produit par le péché mortel. |
Si autem
circa ea quae sunt ad finem, ita scilicet quod finis remaneat, et inordinate
aliquis immoretur circa ea quae sunt ad finem ; talis inordinatio, quae est
peccati venialis, non attingit caritatem, quae est secundum adhaesionem
finis, et ideo nihil diminuit de ipsa. |
Mais si le
désordre a lieu par rapport aux moyens qui sont ordonnés à la fin, c’est-à-dire
de telle manière que la fin elle-même demeure, et que quelqu’un s’arrête avec
désordre sur les moyens qui sont ordonnés à la fin, un tel désordre, qui
relève du péché véniel, n’atteint pas la charité qui concerne l’adhésion à la
fin, et c’est pourquoi ce désordre ne diminue en rien la charité. |
Sed verum
est quod sicut ea quae sunt ad finem disponunt ad finem, ita inordinatio in
eis est dispositio ad inordinationem quae est circa finem, secundum quod
dicimus, quod veniale peccatum est dispositio ad mortale. Unde per hujusmodi
venialia disponitur quis ad amissionem caritatis. |
Mais il est
vrai que tout comme les choses qui sont en vue de la fin disposent à la fin,
de même le désordre qui se présente en elles est une disposition à un
désordre qui se rapporte à la fin, selon que nous disons que le péché véniel
est une disposition au péché mortel. Et c’est pourquoi quelqu’un, par de
telles fautes vénielles, est disposé à l’abandon de la charité. |
Et inde est quod caritas dicitur diminui
quantum ad radicationem et fervorem, et non quantum ad essentiam. Quantum ad
radicationem quidem, secundum quod fit dispositio ad contrarium, unde
minuitur firma inhaesio caritatis ; secundum fervorem vero, prout impeditur
obedientia inferiorum virium ad superiores, ex quo dictus fervor causabatur. |
Et c’est de là
qu’on dit que la charité est diminuée quant à son enracinement et à sa
ferveur, et non quant à son essence. Quant à son enracinement certes, selon que
se produit une disposition à ce qui est contraire, d’où s’ensuit une diminution
d’un ferme attachement à la charité ; mais quant à la ferveur, pour
autant que la soumission des puissances inférieures aux puissances
supérieures, qui causait la ferveur dont on parle, est empêchée. |
[1402] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod contraria
nata sunt fieri circa idem, nisi alterum naturaliter insit. Et dicitur
naturaliter inesse, quando consequitur causas ejus. Unde dico, quod
augmentabilitas, quia ex parte suscipientis et influentis potest esse aliqua
causa augmenti, et non diminutionis, ut dictum est, in corp. art. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que les contraires sont aptes à se produire dans un
même sujet, à moins que l’un d’eux y soit naturellement présent. Et on dit
qu’il y est naturellement présent quand il découle de ses causes. C’est
pourquoi je dis que c’est le cas pour la capacité de croître, car il peut y
avoir une cause de croissance du côté de celui qui reçoit et de celui qui
répand, mais non de diminution, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
[1403] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commensuratio
cupiditatis et caritatis per oppositum, potest intelligi dupliciter: vel
quantum ad ipsum fieri caritatis, vel quantum ad esse. Si quantum ad fieri,
tunc verum est quod quanto per actus inordinatos magis dominatur in eo
cupiditas, minus disponitur ad caritatem vel augmentum ejus: quia ad habendum
caritatem vel ad proficiendum in ea disponunt actus nostri. Si quantum ad esse,
tunc, cum actus nostri non sint causa esse ipsius caritatis, ex inordinatione
actuum per cupiditatem nihil derogatur caritati quantum ad suum esse, sed
solum quantum ad fervorem, secundum quod dehabilitantur inferiores partes a
caritatis obedientia. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la
proportion inverse de la cupidité et de la charité peut s’entendre de deux
manières : soit quant au devenir même de la charité, soit quant à son
existence. Si on l’entend quant à son devenir, alors il est vrai que plus la
cupidité domine dans une âme par des actes déréglés, moins elle est disposée
à la charité ou à sa croissance : car ce sont nos actes qui nous
disposent à posséder la charité ou à progresser en elle. Si on l’entend quant
à son existence, alors, puisque nos actes ne sont pas la cause de l’existence
même de la charité, à partir du désordre de nos actes par la cupidité rien
n’est retranché à la charité quant à son existence mais seulement quant à sa
ferveur selon que les parties inférieures de l’âme perdent de leur habilité à
se soumettre à la charité. |
[1404] Super
Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod veniale non
potest adimere aliquid de caritate, quia non attingit ad illam partem animae
ubi est caritas. Sicut enim superior pars intellectus est in consideratione
principiorum per se notorum, per quae alia cognoscuntur ; unde quantumcumque
dubitatio oriatur circa conclusiones, de certitudine principiorum nihil
minuitur ; ita etiam superior pars affectus est in adhaesione finis, propter
quem omnia diliguntur. Unde quaecumque inordinatio contingat circa illa quae
sunt ad finem, ipsa non minuitur inhaesio finis, quae est per caritatem, nisi
ponatur finis contrarius. Unde veniale, quia non ponit finem indebitum, non
attingit ad illud supremum affectus ubi est caritas. Sed sicut veniale non
est peccatum simpliciter, sed solum inquantum est dispositio ad mortale ; ita
etiam privat bonum, quod se habet ut dispositio ad caritatem, idest fervorem,
qui contingit in habilitate actus ex diligenti obedientia vel subjectione
inferiorum virium ad superiorem partem affectus, in qua est caritas. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la faute vénielle ne peut retirer quelque chose de
la charité car elle ne parvient pas à cette partie de l’âme où réside la charité.
En effet, tout comme la partie supérieure de l’intelligence est dans la
considération des principes connus par soi au moyen desquels tout le reste
devient connu ; c’est pourquoi, quelque soit le doute qu’on soulève par
rapport aux conclusions, cela ne diminue en rien la certitude qu’on porte aux
principes ; de même encore la partie supérieure de l’affectivité est
dans l’adhésion à la fin par rapport à laquelle tout le reste est aimé. C’est
pourquoi, quel que soit le désordre qui se produise sur les choses qui sont
ordonnées à la fin, l’attachement à la fin, qui a lieu par la charité, ne
s’en trouve aucunement diminué, à moins qu’on ne pose une fin contraire.
C’est pourquoi le péché véniel, parce qu’il ne pose pas une fin injuste, ne
parvient pas à cette affectivité suprême où se trouve la charité. Mais tout
comme le péché véniel n’est pas un péché pris absolument mais seulement selon
qu’il est une disposition au péché mortel, de même encore il prive du bien
qui se présente comme une disposition à la charité, c’est-à-dire de la
ferveur qui se produit dans l’aptitude de l’acte qui lui vient d’une
soumission ou d’un assujettissement amoureux des puissances inférieures à la
partie supérieure de l’affectivité dans laquelle se trouve la charité. |
[1405] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod dispositio ad caritatem est secundum actus inferiorum
virium, prout operantur circa ea quae sunt ad finem, sicut per ea quae sunt
ad finem, devenitur in finem. Habito autem fine, non indigetur his quae sunt
ad finem. Unde quaecumque
inordinatio fit circa ea, non redundat in deordinationem finis, nisi per
modum dispositionis ; sicut etiam cognitio principiorum primorum determinatur
in nobis per sensus, qui si etiam destruantur, non minuitur certitudo
principiorum, quae non est acquisita, sed naturaliter insita ; et similiter
est de caritate infusa. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la disposition à la charité a lieu d’après les
actes des puissances inférieures, pour autant qu’ils opèrent sur les choses
qui sont ordonnées à la fin, tout comme au moyen des choses qui sont
ordonnées à la fin on en vient à la fin. Mais la fin une fois possédée, on
n’a plus besoin des choses qui sont ordonnées à la fin. C’est pourquoi, quel
que soit le désordre qui se produise par rapport à elles, il ne déborde pas
en un désordre de la fin, sauf à la manière d’une disposition ; et il en
est de même pour la charité infuse, tout comme aussi pour la connaissance des
premiers principes qui est fixée en nous au moyen des sens, lesquels, même
s’ils sont détruits, la certitude des principes, n’étant pas acquise mais
naturellement donnée, ne s’en trouve pas diminuée. |
|
|
Distinctio 18 |
Distinction 18
– [L’Esprit Saint comme don]
|
|
|
Quaestio 1 |
Question unique : [L’Esprit Saint comme don] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Postquam determinavit de temporali
processione Spiritus sancti, hic determinat nomen quod sibi competit secundum
rationem qua temporaliter procedit, scilicet donum. |
Après avoir
traité de la procession temporelle de l’Esprit-Saint, il traite ici du nom
qui lui revient selon la raison par laquelle il procède temporellement, à
savoir le don. |
Circa hanc partem quinque quaeruntur: 1 utrum donum sit essentiale, vel
personale ; 2 utrum sit proprium Spiritus sancti ;
3 utrum per hoc donum omnia dona
dentur ; 4 utrum Spiritus sanctus processione
qua donum dicitur, etiam Deus dicatur ; 5 utrum possit dici donum nostrum. |
Et par rapport
à cette partie on se pose cinq questions : 1. Est-ce que
le don est essentiel ou personnel ? 2. Est-ce que
le don est propre à l’Esprit-Saint ? 3. Est-ce par
ce don que tous les dons sont donnés ? 4. Est-ce que
l’Esprit-Saint est aussi appelé Dieu par la procession par laquelle il est
appelé don ? 5. Est-ce
qu’on peut l’appeler notre don ? |
|
|
Articulus 1 [1408] Super Sent., lib. 1
d. 18 q. 1 a. 1 tit. Utrum donum sit nomen essentiale |
Article 1 – Est-ce que le nom don est un nom essentiel ? |
[1409]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod donum sit nomen essentiale. Omne enim nomen connotans effectum in
creatura, significat divinam essentiam, ut communiter dicitur. Sed hoc nomen
donum connotat effectum in creatura: dicitur enim Spiritus sanctus donum,
inquantum est donabilis creaturae in aliquo effectu. Ergo est essentiale. |
Difficultés : 1. Il semble
que ¨don¨ soit un nom essentiel. En effet, tout nom qui renvoie à un effet
dans la créature signifie l’essence divine, ainsi qu’on le dit généralement.
Mais ce nom, ¨don¨, renvoie à un effet dans la créature : on dit en
effet de l’Esprit-Saint qu’il est un don dans la mesure où il peut être donné
dans un effet à la créature. Ce nom est donc un nom essentiel. |
[1410] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 1 arg. 2 Praeterea, nullum nomen personale convenit essentiae ; quia
essentia nec genita est nec gignens. Sed essentia divina dicitur donata esse
Filio a Patre, ut dicitur Philip., 2, 9: Donavit
illi nomen quod est super omne nomen: quod etiam accipitur ex verbis
Hilarii supra positis, (16 distinct., ult. Cap). Ergo donum est nomen
essentiale. |
2. Par
ailleurs, aucun nom personnel ne convient à l’essence car l’essence n’est ni
engendrée ni engendrante. Mais comme le dit l’Apôtre [Philippiens 2, 9], l’essence divine est donnée au Fils par le
Père : Il lui a donné le nom qui
est au-dessus de tout nom. : ce qu’on admet aussi à partir des
paroles de Saint-Hilaire présentées plus haut [dist. 16, chapître dernier.
¨Don¨ est donc un nom essentiel. |
[1411] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 1 arg. 3 Item, Spiritui sancto convenit esse donum, inquantum procedit ut
amor. Sed amor in divinis etiam essentialiter dicitur, ut habetur ex verbis
Augustini supra, distin. 10 positis. Ergo videtur quod et donum. |
3. En outre,
il convient à l’Esprit-Saint d’être un don en tant qu’il procède comme amour.
Mais l’amour chez les personnes divines se dit aussi essentiellement comme on
l’a établi à partir des paroles de Saint-Augustin présentées plus haut dans
la distinction dix. Il semble donc qu’il en soit aussi ainsi pour le don. |
[1412] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 1 arg. 4 Praeterea, quidquid habetur ab aliquo, hoc dicitur esse datum vel
donatum. Sed, non intellecta distinctione personarum adhuc possemus habere
Deum ad fructum, et non habemus hoc a nobis. Ergo esset datum nobis. Quidquid
autem intelligitur in divinis, exclusa per intellectum distinctione
personarum, est essentiale. Ergo donum est essentiale. |
4. De plus,
tout ce qui est possédé par quelqu’un, on dit que cela est donné ou procède
d’une donation. Mais même si nous ne comprenons pas la distinction des
personnes, nous pouvons encore posséder Dieu pour en jouir et ce n’est pas de
nous que nous tenons cela. Il nous serait donc donné. Mais tout ce qui est
compris dans les personnes divines, si on exclut la distinction des personnes
par l’intelligence, est essentiel. Donc le don est essentiel. |
[1413] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 1 s. c. 1 Contra, quidquid convenit alicui personae secundum rationem
originis, non est essentiale sed notionale. Donum autem dicitur Spiritus
sanctus, inquantum ab aeterno procedit, ut dicitur in Littera. Ergo non est essentiale, sed personale. |
Cependant : 1. Au
contraire, tout ce qui convient à une personne en raison de l’origine n’est
pas essentiel mais notionnel. Mais on dit de l’Esprit-Saint qu’il est un don
en tant qu’il procède éternellement, comme on le dit dans le Document. Donc, le nom ¨don¨ n’est pas
un nom essentiel mais personnel. |
[1414]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. 15,
quaest. 3, art. 1, dare vel donare dicitur dupliciter. Uno modo illud quod habetur per modum
dominii, ut possessio. Alio modo illud quod habetur quasi
intrinsecum sibi, sicut aliquis habet seipsum vel materiam suam vel
qualitatem. Quamvis autem in divinis personis non sit dominium unius respectu
alterius, tamen est ibi auctoritas principii. Dicendum igitur, quod datio
potest importare auctoritatem respectu dati ; et sic donum vel datum est
notionale. Potest etiam non importare auctoritatem, sed tantum hoc quod id quod
datur, libere habeatur ; et hoc modo ipsa essentia dicitur dari vel donari.
Et secundum hoc, donum vel datum non est personale, sed essentiale ; tamen
semper importat distinctionem dantis ad eum cui datur, quamvis non ad id quod
datur. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quet.
3, art. 1], donner ou faire une donation se dit de deux manières. En un premier
sens comme ce qui est possédé à la manière d’une domination, comme un bien. En un deuxième
sens comme ce qui est possédé intérieurement à soi-même, comme celui qui
possède lui-même sa matière ou une qualité. Mais bien que dans les personnes
divines il n’y ait pas supériorité de l’une par rapport à l’autre, il y a
cependant là une autorité de principe. Il faut donc dire que la donation peut
impliquer une autorité par rapport à ce qui est donné. Et de cette
manière le don ou ce qui est donné est
notionnel. Mais elle peut aussi ne pas comporter une autorité mais seulement
ceci que ce qui est donné est possédé librement ; et en ce sens on dit
de l’essence elle-même qu’elle est donnée ou qu’elle fait l’objet d’une
donation et suivant cela, le don ou ce qui est donné n’est pas personnel mais
essentiel ; cependant la donation comporte toujours une distinction de
celui qui donne par rapport à celui à qui il y a don, et non par rapport à ce
qui est donné. |
[1415]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
nomen potest connotare effectum in creatura dupliciter: vel secundum rationem principii tantum
; et quia eadem est operatio totius Trinitatis, oportet quod tale nomen
commune sit toti Trinitati et ad essentiam pertinens ; vel ita quod cum ratione principii,
respectu creaturae, etiam aliquid aliud importet: et tunc, quamvis secundum
respectum ad creaturam det intelligere essentiam ex consequenti, sicut causa
intelligitur in effectu ; tamen secundum aliud quod significat potest ad
personam pertinere ; sicut assumere carnem importat et operationem, quae
communis est tribus personis, et terminum operationis in quem terminata est
assumptio, quod proprium est personae Filii ; et ideo sibi soli convenit. Similiter
dico, quod donum, praeter respectum quem importat ad illud cui donabile est,
importat respectum ad illum a quo est, sicut a principio respectu ejus
auctoritatem habente ; et ex hac parte est notionale. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier
lieu que le nom peut renvoyer à un effet dans la créature de deux
manières : Soit selon la raison de
principe seulement ; et parce que l’opération de toute la Trinité est la
même, il faut que tel nom soit commun à toute la Trinité et appartienne à
l’essence ; Soit de telle manière qu’avec
la raison de principe par rapport à la créature, il comporte quelque chose
d’autre : et alors, bien que selon le rapport à la créature il donne à
comprendre l’essence à partir de la conséquence, comme la cause qui est
comprise dans son effet, cependant d’après ce qu’il signifie d’autre il peut
appartenir à la personne ; par exemple assumer la chair comporte à la
fois l’opération qui est commune aux trois personnes et le terme de
l’opération dans lequel se termine cet emprunt et qui est propre à la
personne du Fils ; et c’est pourquoi il convient à Lui seulement. De la
même manière je dis que le don, en dehors du rapport qu’il implique à
l’égard de celui à qui il peut être
donné, comporte un rapport à celui d’où il vient comme au principe qui
possède l’autorité par rapport à lui ; et ce ce côté ce nom est
notionnel. |
[1416] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si dare importet auctoritatem respectu
dati in dante, sic essentia non dicitur dari, sed alio modo, ut dictum est,
in corp. art. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que si donner implique une autorité dans celui qui
donne par rapport à ce qui est donné,
alors on ne dit pas de l’essence qu’elle est donnée, mais le don se dit en un
autre sens, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[1417] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 1 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium ; quia amor essentialis,
quamvis sit habens rationem primi doni, in quo alia dona dantur, tamen
respectu ejus non potest denotari auctoritas ; et ideo ratione praedicta,
amor non potest dici donari secundum quod auctoritas importatur in donante
respectu dati. |
3. Et c’est
grâce à cela qu’est manifeste la réponse à la troisième difficulté ; car
l’amour essentiel, bien qu’il soit ce qui a raison de premier don dans lequel
tous les autres dons sont donnés, cependant par rapport à lui on ne peut reconnaître
une autorité ; et c’est pourquoi, pour la raison que nous avons dite, on
ne peut dire de l’amour qu’il est un don selon que l’autorité est impliquée
dans celui qui donne par rapport à ce qui est donné. |
[1418] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 1 ad 4 Et similiter etiam dicendum ad quartum ; quia donum, in cujus
ratione importatur auctoritas, non remanet, non intellecta distinctione
personarum. |
4. C’est de la
même manière encore qu’il faut parler de la quatrième difficulté ; car
le don, dans la définition duquel l’autorité est impliquée, ne demeure pas si
la distinction des personnes n’est pas comprise. |
|
|
Articulus 2 [1419] Super Sent., lib. 1
d. 18 q. 1 a. 2 tit. Utrum donum sit proprium Spiritus sancti |
Article 2 – Le don est-il le propre de l’Esprit
Saint ?
|
[1420]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod donum non sit proprium Spiritus sancti. Temporalis enim
processio vel missio Spiritus sancti dicitur ejus donatio. Sed Filius
mittitur sicut Spiritus sanctus, et habet aptitudinem ad missionem a
processione aeterna sicut Spiritus sanctus, ut patet ex dictis, dist. 15, quaest. 4, art. 2. Ergo Filius
potest dici donum sicut Spiritus sanctus. |
Difficultés : 1. Il semble que le don ne soit
pas propre à l’Esprit-Saint. On dit en effet de la procession ou de la
mission de l’Esprit-Saint qu’elle est la donation de ce dernier. Mais le Fils
est envoyé comme l’Esprit-Saint et il possède, tout comme lui, d’une
procession éternelle, une aptitude à la mission ainsi qu’on le voit à partir
de ce qui a été dit [dist. 15, quest. 4, art. 2]. Donc le Fils, tout comme
l’Esprit-saint, peut être appelé don. |
[1421] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 2 arg. 2 Praeterea, cum personae distinguantur per processiones aeternas,
nomen proprium personae potest designari in actu processionis ; sicut Filius
designatur in generatione, inquantum est Filius. Sed nomen doni non
designatur in processione aeterna: quia secundum eam Pater non dicitur donare
donum, sicut dicitur generare Filium. Ergo videtur quod non sit proprium
Spiritus sancti. |
2. Par
ailleurs, puisque les personnes se distinguent au moyen des processions
éternelles, le nom propre de la personne peut être désigné dans l’acte même
de la procession, tout comme le Fils est désigné dans la génération en tant
que Fils. Mais le nom de don n’est pas désigné dans la procession
éternelle : car on ne dit pas d’après elle que le Père donne un don
comme on dit de lui qu’il engendre le Fils. Il semble donc que le don ne soit
pas propre à l’Esprit-Saint. |
[1422] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 2 arg. 3 Item, propria personarum dicunt tantum relationem, quia in
absolutis divinae personae non distinguuntur. Sed donum non dicit tantum
relationem, immo aliquid aliud quod datur. Ergo videtur quod non sit nomen
proprium Spiritus sancti. |
3. En outre,
le propre des personnes dit seulement la relation car les personnes divines
ne se distinguent pas par les caractères absolus. Mais le don ne dit pas
seulement la relation, mais bien plutôt quelque chose d’autre qui est donné.
Il semble donc que le don ne soit pas un nom propre à l’Esprit-Saint. |
[1423] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, Spiritus sanctus non habet nisi unam notionem, quae
est ejus processio. Sed alio modo innotescit Spiritus sanctus inquantum est
donum, et inquantum est procedens. Ergo videtur quod notio qua donum dicitur,
non sit propria Spiritus sancti, et ita nec nomen doni. |
4. De plus,
l’Esprit-Saint ne possède qu’une seule notion, laquelle est sa procession.
Mais l’Esprit-Saint se fait connaître d’une autre manière en tant qu’il est
don et en tant qu’il procède. Il semble donc que la notion par laquelle il
est appelé don n’est pas propre à l’Esprit-Saint et qu’il en soit de même
aussi pour le nom de don. |
[1424] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 2 s. c. 1 In contrarium est quod dicit Augustinus, Lib. de Trinit., quia
sicut in Trinitate solus Filius dicitur Verbum, ita solus Spiritus sanctus
dicitur donum. Sed quod convenit soli alicui personae, est proprium sibi. Ergo
nomen doni proprium est Spiritus sancti. |
Cependant : 1.
Saint-Augustin dit le contraire dans le Livre
sur la Trinité, car tout comme dans la Trinité seul le Fils est appelé
Verbe, de même seul l’Esprit-Saint est appelé don. Mais ce qui convient à une
seule personne lui est propre. Donc le nom de don est propre à
l’Esprit-Saint. |
[1425]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod donum et
datum differunt, ut in littera dicitur: et horum differentia potest attendi
quantum ad tria ; scilicet quantum ad consignificationem. Datum enim consignificat tempus, cum
sit participium ; donum autem non, cum sit nomen. Inde est quod donum
competit magis divinis, quae sine tempore sunt, quam datum: unde donum potest
esse aeternum, sed non datum. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que don diffère du donné, ainsi qu’on le dit dans le
document : et la différence qu’il y a entre eux peut se prendre de trois
manières ; c’est-à-dire soit quant à ce qu’elles consignifient. Le donné en effet consignifie le temps
puisqu’il est un participe, mais non le don qui est un nom. Et de là le don
appartient davantage aux personnes divines, lesquelles existent en dehors du
temps, que le donné : c’est pourquoi le don peut être éternel mais non
le donné. |
Item
quantum ad significationem, quia donare addit supra dare. Donum enim, ut dicit philosophus IV Top., cap. 2, est datio irreddibilis,
non quae recompensari non valeat, sed illa quae recompensationem non quaerit. |
Soit
deuxièmement quant à leur signification, car faire une donation ajoute à
donner. Une donation, ainsi que le dit le Philosophe [IV Topiques, ch. 2], est un don qui ne peut être rendu, non pas
celui qui ne vaut pas d’être récompensé, mais celui qui ne cherche pas à être
récompensé. C’est pourquoi la donation implique une libéralité chez celui qui
donne. |
Unde
donum importat liberalitatem in dante. Item quantum ad modum significandi:
quia donum importat aptitudinem ad dandum ; datum autem importat dationem in
actu. Aptitudo autem ad
dandum potest attendi dupliciter ; vel ex parte ipsius dati, quasi passiva,
sicut calefactibile ad calefactionem aptitudinem importat: vel ex parte
dantis quasi activa ; et talis aptitudo est secundum rationem qua aliquid
datur liberaliter. |
Soit
troisièmement quant au mode de signifier : car la donation implique une
aptitude à l’acte de donner alors que le don implique l’action de donner en
acte. Mais l’aptitude à donner peut se prendre de deux manières ; soit
du côté de ce qui est donné, comme étant passive, comme ce qui peut être
réchauffé implique une aptitude au réchauffement ; soit du côté de celui
qui donne, comme étant active ; et une telle aptitude existe d’après la raison par laquelle
quelque chose est donné avec libéralité. |
Ratio autem omnis liberalis
collationis est amor: quod enim propter cupiditatem datur, vel propter
timorem, non liberali datione datur ; sed talis datio magis dicitur quaestus
vel redemptio. |
Mais la raison
ou la cause de toute contribution libérale est l’amour : en effet, ce
qui est donné à cause de la cupidité ou de la crainte n’est pas donné par une
donation libérale, mais une telle donation s’appelle plutôt une recherche de
profit ou un trafic. |
Quia igitur Spiritus sanctus est amor,
ex ratione suae processionis habet in se et quod detur, et quod sit ratio
dandi: unde est donum per se, et primo ; alia autem quae dantur non sunt dona
nisi secundum quod participant aliquid amoris, ut ex amore data. |
Donc, parce
que l’Esprit-Saint est amour, c’est en raison de sa procession qu’il est en
son pouvoir d’être donné et d’être la raison de donner : c’est pourquoi
il est le premier don, et il l’est essentiellement ; mais les autres
choses qui sont données ne sont données que selon qu’elles participent de
l’amour, en tant qu’elles sont données par amour. |
Si igitur colligantur tres dictae
rationes doni, adjuncta auctoritate dantis ad donum, patet quod in Trinitate
donum Spiritui sancto convenit secundum suam processionem aeternam, inquantum
procedit ut amor, qui est ratio liberalis collationis. Unde sicut amor est
sibi proprium, ita donum. |
Si donc nous
rassemblons les trois raisons du don que nous avons dites, si on y ajoute
l’autorité de celui qui donne par rapport à ce qui est donné, il est clair
que dans la Trinité le don convient à l’Esprit-Saint selon sa procession
éternelle, en tant qu’Il procède comme amour, lequel est la raison d’une
contribution libérale. C’est pourquoi le don, tout comme l’amour, lui est
propre. |
[1426] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod donum non importat missionem in actu,
sed rationem liberalis collationis vel dationis ; quae quamvis sit idem re
quod missio in divinis personis, tamen differunt ratione. Unde quamvis Filius
detur vel mittatur, tamen ratio liberalis dationis est amor, qui est Spiritus
sanctus: et ista ratio non pertinet ad Filium: unde non proprie potest dici
donum, etsi dicatur datus. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que le don n’implique pas la mission en acte, mais
la cause d’une contribution ou d’une donation libérale ; laquelle, bien
qu’elle soit identique par la chose à la mission chez les personnes divines,
en diffère cependant par la raison. C’est pourquoi, bien que le Fils soit
envoyé ou donné, cependant la raison ou la cause de la donation libérale est
l’amour qui est l’Esprit-Saint : et cette raison n’appartient pas au
Fils : c’est pourquoi, bien qu’on dise de Lui qu’il est donné, on ne
peut dire de Lui à proprement parler qu’il est don. |
[1427] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dictum est, distin. 13, quaest.
unica, art. 3, processio Filii nominatur etiam quantum ad proprium suum
modum, scilicet nomine suae generationis ; et ideo ex propria sua processione
potest trahi sua proprietas, scilicet Filius. Sed processio Spiritus sancti
non habet nomen quantum ad modum suae processionis proprium. Unde ex actu
personali quo significatur procedere, non potest trahi ad proprium pertinens
ad modum processionis, secundum quod dicitur amor vel donum. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que, ainsi que nous l’avons dit [dist. 13, quest.
unique, art. 3] la procession du Fils est aussi dénommée quant au mode qui
lui est propre, à savoir par le nom de sa génération ; et c’est pourquoi
sa propriété, à savoir d’être Fils,
peut se tirer de sa procession propre. Mais la procession de
l’Esprit-Saint ne possède pas un nom quant au mode qui est propre à sa procession. C’est pourquoi,
selon qu’il est appelé amour ou don, son nom ne peut se ramener à ce qui lui
appartient en propre quant à son mode de procession à partir de l’acte
personnel par lequel on signifie de Lui qu’il procède. |
[1428] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc nomen donum vel datum, praeter
relationem ex qua dicitur donum vel datum, dat intelligere rem quamdam quae
datur ; quamvis forte non sicut partem significationis nominis, quia
subjectum non includitur in significatione nominis significantis accidens
concretive, ut dicit Commentator, quamvis Avicenna, V metaph., text. 14, contrarium senserit. Sed ad rationem dati vel
doni, nihil refert utrum illa res data sit in hoc genere vel in illo: et
secundum quod coarctatur donum conditionibus praedictis, oportet quod res
illa data relationem significet: quia donum, ut ratio dandi, est amor ; nec
amor potest dari ut respectu cujus habeatur auctoritas nisi personalis quae
ad aliquid est. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que les noms de don ou de donné, en dehors de la
relation à partir de laquelle on dit don ou donné, donnent à entendre une
chose qui est donnée, bien que ce ne soit peut-être pas comme une partie de
la signification du nom, car le sujet n’est pas inclus dans la signification
du nom qui signifie l’accident concrètement comme le dit le Commentateur,
bien qu’Avicenne [V Métaphysique,
texte 14] ait pensé le contraire. Mais il est indifférent à la définition du
don ou du donné que la chose donnée soit dans tel ou tel autre genre :
et selon que le don se limite aux conditions que nous avons dites, il faut
que cette chose donnée signifie une relation : car le don, comme la
raison de donner, est l’amour ; et l’amour ne peut être donné comme en
rapport à ce qui possède l’autorité que si cette autorité qui est une
relation est personnelle. |
[1429] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut est in essentialibus, quod una
essentia communis est bonitas et sapientia et omnia alia attributa, secundum
diversas rationes ; ita etiam in personalibus: quia una proprietas vel notio
secundum rem differt secundum diversas rationes significandi in nomine ;
sicut proprietas Verbi alio modo significatur dum
dicitur Filius, et dum dicitur Verbum. Ita etiam proprietas Spiritus sancti
potest secundum diversas rationes diversis nominibus significari ; et potest
esse quod secundum rationem intelligendi una illarum rationum consequatur ad
aliam, sicut etiam est in essentialibus attributis, quod voluntas
praesupponit intellectum. Unde ratio doni consequitur rationem amoris simili
modo. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que tout comme dans les attributs essentiels il y a
une seule essence commune qui est la bonté et la sagesse et tous les autres
attributs d’après différentes définitions, il en est de même encore pour les
attributs personnels : car une même propriété ou une même notion selon
la chose diffère d’après différentes raisons de signifier dans le nom ;
par exemple, la propriété du Verbe est signifiée différemment selon qu’il est
appelé Fils et selon qu’il est appelé Verbe. De même encore la propriété de
l’Esprit-Saint peut être signifiée par différents noms selon différentes
raisons ; et il peut arriver que, suivant la raison de comprendre, une
de ces raisons découle d’une autre, comme cela se produit aussi dans les
attributs essentiels, à savoir que la volonté présuppose l’intelligence. C’est
pourquoi, de la même manière, la notion de don découle de la notion d’amour. |
|
|
[1430] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 3 tit. Utrum per donum, quod Spiritus sanctus est, dentur omnia dona |
Article
3 – Est-ce que tous les dons sont donnés par le don qui est l’Esprit Saint ? |
[1431]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per donum, quod est
Spiritus sanctus, non dentur omnia dona. Sicut enim dicit philosophus, V Physic., text. 10, alterationis non
est alteratio: alias in infinitum abiretur. Si ergo donum datur per donum,
ibitur in infinitum ; et hoc non est ponere. Ergo videtur quod dona non
dentur per aliud donum. |
Difficultés : 1. Il semble
que tous les dons ne soient pas donnés par ce don qu’est l’Esprit-Saint. En
effet, tout comme le dit le Philosophe [V Physique,
texte 10], il n’y a pas d’altération de l’altération : autrement, il
faudrait aller à l’infini. Si donc un don est donné par un don, on ira à
l’infini ; et cela est impossible. Il semble donc que les dons ne soient
pas donnés par un don. |
[1432] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 3 arg. 2 Praeterea, ut supra habitum est ex verbis Hilarii, d. XVI ex IX de Trinit., ipsa essentia divina est
data a Patre Filio. Si igitur omne datum datur per Spiritum sanctum, tunc
essentia datur Filio per Spiritum sanctum ; et hoc est inconveniens, quia
Spiritus sanctus esset principium Filii. Ergo videtur
quod per hoc donum non dentur omnia dona. |
2. Par ailleurs, comme nous l’avons établi à partir
des paroles de Saint-Hilaire [1X De la
Trinité] à la distinction XVI, l’essence divine est donnée par le Père au
Fils. Si donc tout don est donné par l’Esprit-Saint, alors l’essence est
donnée au Fils par l’Esprit-Saint; et cela est impossible car l’Esprit-Saint
serait ainsi le principe du Fils. Il semble donc que tous les dons ne soient
pas donnés par ce don. |
[1433]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, Filius est etiam datus
nobis, Isaiae 9. Sed Spiritus sanctus non habet aliquam rationem principii
respectu Filii. Ergo
videtur quod non omne datum detur per hoc donum. |
3. En outre,
le Fils aussi nous est donné (Isaïe, 9). Mais l’Esprit-Saint n’a pas raison
de principe par rapport au Fils. Il semble donc que ce ne soit pas tout don
qui soit donné par ce don qu’est l’Esprit-Saint. |
[1434]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil datur per donum
aliquod, nisi illud donum detur. Sed multa dantur nobis a Deo, in quibus non
datur Spiritus sanctus, sicut data naturalia, et gratiae gratis datae. Ergo
videtur quod non omnia dona dentur per hoc donum. |
4. De plus, rien n’est donné par un don, à moins que
ce don ne soit donné. Mais plusieurs choses nous sont données par Dieu dans
lesquelles l’Esprit-Saint n’est pas donné, par exemple les dons naturels, et
les grâces données gratuitement. Il semble donc que ce ne soient pas tous les
dons qui sont donnés par ce don. |
[1435] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 3 s. c. 1 Contra est quod in Littera
dicitur. Praeterea, illud quod est primum in quolibet genere, est causa
omnium quae sunt in genere illo ut habetur ex verbis philosophi,II Metaph., text. 4. Sed Spiritus sanctus
habet rationem primi doni, inquantum ipse est amor Patris et Filii. Ergo
videtur quod per hoc donum omnia dentur. |
Cependant : 1. On dit le
contraire dans le Document. Par
ailleurs, ce qui est premier dans tout genre est la cause de tout ce qu’on
retrouve dans ce genre, ainsi que l’établissent les paroles du Philosophe [11
Métaphysique, texte 4]. Mais
l’Esprit-Saint a raison de premier don, en tant qu’il est l’amour qu’il y a
entre le Père et le Fils. Il semble donc que ce soit par ce don que tout le
reste nous est donné. |
[1436]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod aliquid dicitur dari multipliciter: quandoque ex ipsa proprietate naturae,
secundum quod dicimus quod ignis dat calorem suum et sol splendorem, et hujus
dationis non est principium voluntas: quandoque ex voluntate, ut principio
dationis ; et hoc contingit dupliciter ; quandoque enim per dationem intenditur
aliqua utilitas ipsius dantis, vel quantum ad remotionem mali, sicut quando
aliquid datur ex timore, et talis datio dicitur redemptio ; vel quantum ad acquisitionem alicujus
boni, et talis datio est proprie quaestus, vel venditio ; quandoque autem non intenditur utilitas
aliqua in ipso dante, et haec datio dicitur liberalis, et proprie dicitur
donatio. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que c’est de plusieurs manières qu’une chose est
donnée : Parfois à
partir de la propriété même de la nature, selon que nous disons que le feu
donne sa chaleur et que le soleil donne sa lumière, et la volonté n’est pas
le principe d’un tel don. Parfois à
partir de la volonté comme principe de don, et cela est possible de deux
manières ; parfois par le don c’est l’utilité de celui-là même qui donne
qui est recherchée, soit pour éloigner un mal comme lorsque quelque chose est
donné par crainte et un tel don s’appelle rançon ; soit pour acquérir un
bien, et un tel don s’appelle proprement un profit ou une vente ; Mais parfois
celui qui donne ne recherche aucune utilité et on dit alors du don qu’il est
libéral et s’appelle proprement donation. |
Constat autem quod illa datio in qua
intenditur utilitas dantis nunquam competit Deo ; unde ipse [ipsa Ed. de Parme] singulariter dicitur
liberalis, quia in omnibus aliis dantibus intenditur aliqua utilitas in dante
vel boni temporalis vel spiritualis. Unde nulla datio est pure liberalis, ut
dicit Avicenna, nisi Dei et operatio ipsius. Ratio autem liberalis dationis
est amor qui, secundum Dionysium, IV cap. de
divin. Nomin. § 1, col 694 ; movet superiora ad provisionem minus
habentium. Et quia Spiritus sanctus est amor, ideo ipse est ratio omnium
eorum datorum quorum principium est divina voluntas, sicut sunt omnia data
creaturis. |
Il est clair
cependant que ce don dans lequel est recherchée une utilité du côté de celui
qui donne ne se retrouve jamais en Dieu ; c’est pourquoi on dit de lui
[elle Éd. de Parme] qu’il est
exceptionnellement libéral car une utilité, temporelle ou spirituelle, est
recherchée dans celui qui donne chez tous les autres donneurs. C’est pourquoi
aucun acte de donner n’est purement libéral, comme le dit Avicenne, si ce
n’est celui de Dieu et son opération. Mais la raison du don libéral est
l’amour qui, selon Denys [Les Noms
Divins, ch. IV, & 1, col. 694] meut les êtres supérieurs à pourvoir à
ceux qui possèdent moins. Et parce que l’Esprit-Saint est amour, c’est
pourquoi il est Lui-même la raison de tous ces dons dont le principe est la
divine volonté, comme tout ce qui est donné aux créatures. |
[1437] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod philosophus intendit dicere, quod
alteratio non terminatur ad alterationem, per se loquendo ; non tamen
intendit dicere, quod una alteratio non possit esse causa alterius: et ita
etiam unum donum potest esse causa alterius [ et ita… alterius om. Ed. de Parme] et non ibitur in
infinitum, quia erit devenire ad primum donum quod datur per seipsum, et non
per aliud donum Spiritus sancti. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que le Philosophe cherche à dire que le terme de
l’altération, à parler essentiellement, n’est pas l’altération ;
cependant il ne cherche pas à dire qu’une altération ne peut être la cause
d’une autre altération : et ainsi encore un don peut être la cause d’un
autre don [et ainsi… d’un autre om. Éd.
de Parme] et alors on ne procédera pas à l’infini car il faudra en venir
à un premier don qui se donne par lui-même et non par un autre don de
l’Esprit-Saint. |
[1438] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod datio illa qua Pater dat essentiam Filio
est datio ex proprietate naturae ; unde ad illam dationem comparatur natura
ut principium et non voluntas, ut supra dictum est, dist. 15, quaest. 3, art.
1, et ideo talis datio non est per Spiritum sanctum. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que ce don par lequel le Père donne l’essence au Fils
est un don à partir d’une propriété de nature ; c’est pourquoi c’est la
nature, et non la volonté, qui se compare à ce don comme principe, ainsi que
nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 3, art. 1] ; et c’est
pourquoi un tel don n’a pas lieu par l’Esprit-Saint. |
[1439] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus non sit principium
Filii, est tamen principium effectus secundum quem Filius dicitur dari vel
mitti: et ideo etiam ipse Filius est datus per donum quod est Spiritus
sanctus, scilicet per amorem: unde dicitur Joan. 3, 16: sic Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum daret. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que bien que l’Esprit-Saint ne soit pas le principe du
Fils, il est cependant le principe de l’effet selon lequel on dit du Fils
qu’il est donné ou envoyé : et c’est pourquoi encore le Fils lui-même
est donné par le le don qu’est l’Esprit-Saint, à savoir par l’amour :
c’est pourquoi on lit [Jean, 3,
16] : Dieu a tant aimé le monde
qu’il a donné son Fils unique. |
[1440] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis omnia dona et naturalia et
gratuita, dentur nobis a Deo per amorem, qui est primum donum, non tamen in
omnibus donis datur ipse amor, sed tantum in dono quod est similitudo illius
amoris, scilicet in dono caritatis. Cum enim dicitur, quod alia dona dantur
per donum amoris, qui est Spiritus sanctus, praepositio per non notat causam
ex parte recipientis, ut sit sensus: per hoc quod recipit donum amoris,
recipit alia dona: sed notat habitudinem causae ex parte dantis, qui per hoc
quod amat creaturam suam, omnia data dat. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que bien que tous les dons, à la fois ceux qui sont
naturels et ceux qui sont reçus par pure grâce, nous viennent de Dieu par
l’amour qui est le premier don ; ce n’est cependant pas dans tous les
dons que se donne l’amour lui-même, mais seulement dans ce don qui est une
similitude de cet amour, à savoir dans le don de la charité. En effet,
puisqu’il a été dit que que les autres dons sont donnés par le don de cet
amour qui est l’Esprit-Saint, la préposition ¨par¨ ne désigne pas la cause du
côté de celui qui reçoit, de telle manière qu’on voudrait dire : par
cela même qu’il reçoit le don de l’amour, il reçoit les autres dons ;
mais cette proposition indique un rapport de causalité du côté de celui qui
donne, lequel, par cela même qu’il aime sa créature, lui donne tous les
autres dons. |
|
|
Articulus 4 [1441] Super Sent., lib. 1
d. 18 q. 1 a. 4 tit. Utrum eadem processione Spiritus sanctus habeat quod sit
donum et Deus |
Article 4 – L’Esprit Saint tient-il de la même procession d’être don et Dieu ? |
[1442]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non eadem processione
Spiritus sanctus habeat quod sit Deus et quod sit donum. Non enim est eadem
ratio communis et proprii. Sed donum est proprium Spiritui sancto. Deus autem
est commune. Ergo non est idem donum et Deus. |
Difficultés : 1. Il semble
que ce ne soit pas de la même procession que l’Esprit-Saint tienne d’être
Dieu et d’être don. En effet, la raison commune n’est pas identique à la
raison propre. Mais le don est propre à l’Esprit-Saint alors que la divinité
est commune aux trois Personnes. Ce n’est donc pas pour la même raison que
l’Esprit-Saint est don et qu’Il est Dieu. |
[1443] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 4 arg. 2 Praeterea, quidquid habet Spiritus sanctus per processionem,
secundum rationem intelligendi consequitur ipsam processionem. Sed deitas non
est consequens processionem: quia non procedit neque per se neque per
accidens, sicut etiam non generatur. Ergo videtur quod Spiritus sanctus non
habet per processionem quod sit Deus. |
2. Par
ailleurs, tout ce que l’Esprit-Saint possède de par la procession découle de
la procession elle-même, conformément à la manière de comprendre. Mais la
divinité ne découle pas de la procession : car elle ne procède ni
essentiellement, ni accidentellement, tout comme aussi elle n’est pas
engendrée. Il semble donc que ce ne soit pas par sa procession que
l’Esprit-Saint tienne d’être Dieu. |
[1444] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 4 s. c. 1 Contra, Spiritus sanctus non est Deus, nisi inquantum habet
deitatem. Sed per processionem recipit totam deitatem a Patre.
Ergo processione est Deus. |
Cependant: 1. Au contraire, l’Esprit-Saint n’est Dieu qu’en
tant qu’il possède la divinité. Mais c’est par procession qu’il reçoit toute
sa divinité du Père. C’est donc par procession qu’il est Dieu. |
[1445]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod sicut in
Filio est significare proprietatem ejus per modum relationis, ut cum dicitur
filiatio, et per modum exitus vel emanationis, ut cum dicitur generatio
passive, vel nativitas ; ita esset etiam in Spiritu sancto, si nomina essent
posita ; sed propter defectum nominum utimur eodem nomine ad significandum
emanationem ipsius, et proprietatem vel relationem, scilicet nomine
processionis. Dico
igitur, quod processio potest dicere emanationem Spiritus sancti, vel
relationem sive proprietatem ejus |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que tout comme pour le Fils sa propriété doit être signifiée
par le mode de relation, comme lorsqu’on parle de filiation , ou par la
modalité de sortie ou d’émanation, comme lorsqu’on parle de génération
passive ou de naissance, il en serait de même pour l’Esprit-Saint si des noms
avaient été posés ; mais en raison d’un défaut de nom nous nous servons
du même nom pour signifier son émanation et sa propriété ou sa relation, à
savoir du nom de procession. Je dis donc que la procession peut dire
l’émanation de l’Esprit-Saint aussi bien que sa relation ou sa propriété. |
Si relationem vel proprietatem, sic
Spiritus sanctus proprietate sua, formaliter loquendo, est Spiritus sanctus
et donum et amor, non autem Deus, sicut nec Filius filiatione est Deus
formaliter loquendo, sed filiatione est Filius, et deitate Deus, et sapientia
sapiens. Si dicat emanationem, tunc potest dici, quod Spiritus sanctus sua
processione est Deus et donum, sicut etiam Filius sua nativitate est Filius
et Deus ; sed diversimode: quia deitas se habet ad generationem solum ut
accepta per generationem ; sed filiatio, secundum rationem intelligendi, est
consequens generationem. |
Si elle dit la
relation ou la propriété, alors l’Esprit-Saint, de par sa propriété, à parler
formellement, est à la fois don et amour, mais non pas Dieu ; tout comme
le Fils, de par sa filiation n’est pas Dieu formellement parlant, mais par la
filiation il est Fils, par sa divinité il est Dieu et par sa sagesse il est
sage. Mais si la procession disait l’émanation, alors on pourrait dire que
l’Esprit-Saint par sa procession est Dieu et don, tout comme aussi le Fils
par sa naissance est Fils et Dieu, mais d’une manière différente : car
la divinité se rapporte à la génération seulement comme reçue au moyen de la
génération ; mais la filiation, d’après la manière de la comprendre,
découle de la génération. |
Et simili ratione consequitur quod
Filius nascendo accipiat divinitatem ; et non solum ita quod gerundium
importet concomitantiam, ut cum [cum om.
Éd. de Parme] dicitur de aliquo: currendo est homo: sed importat ordinem
ad acceptum, ut sit sensus: Filius nascendo accepit deitatem ; idest, per
nativitatem accepit divinitatem. Et similiter est de processione Spiritus
sancti. Haec autem plenius dicta sunt supra, dist. 10, quaest. unic. art. 1. |
Et il s’ensuit
pour la même raison que le Fils en naissant reçoit la divinité ; et non
seulement de telle manière que le gérondif implique un accompagnement , comme
lorsqu’on [lorsque om. Éd. de Parme]
dit de quelqu’un : l’homme en courant ; mais se telle manière qu’il
implique un ordre à l’égard de ce qui est reçu, de telle manière que le sens
soit le suivant : le Fils en naissant reçoit la divinité, c’est-à-dire
que c’est au moyen de la naissance qu’Il reçoit la divinité. Et il en est de
même au sujet de la procession de l’Esprit-Saint. Mais nous avons parlé plus
clairement de ces choses plus haut [dist. 10, quest. unique, art. 1]. |
[1446] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non eodem modo formaliter secundum
rationem Spiritus sanctus est Deus et donum ; sed per eamdem emanationem
habet utrumque: quia sicut Filius nihil habet nisi quod nascendo accepit, ita
et Spiritus sanctus nihil habet nisi quod procedendo accepit. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que selon la raison ce n’est pas de la même manière
formellement parlant que l’Esprit-Saint est à la fois Dieu et don ; mais
c’est par la même émanation qu’il tient d’être les duex : car tout comme
le Fils ne possède que ce qu’il a reçu en naissant, de même l’Esprit-Saint ne
possède que ce qu’il a reçu en procédant. |
[1447] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia divina non accepit novum esse
in Spiritu sancto per processionem, cum unum et idem sit esse trium
personarum ; et ideo non procedit neque per se neque per accidens ; neque etiam
processionem consequitur ; sed hoc quod Spiritus sanctus habeat deitatem,
convenit ei ex sua processione. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que l’essence divine n’a pas reçu une nouvelle
existence dans l’Esprit-Saint par la procession, puisqu’il n’y a qu’une seule
et même existence pour les trois personnes ; et c’est pourquoi elle ne
procède si par essence ni par accident ; et elle ne découle pas non plus
de la procession ; mais le fait que l’Esprit-Saint possède la divinité,
cela lui appartient de par sa procession. |
|
|
Articulus 5 [1448]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 tit. Utrum Spiritus sanctus possit dici
donum nostrum |
Article 5 – Peut-on appeler l’Esprit Saint
notre don ?
|
[1449]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur
quod Spiritus sanctus possit dici donum nostrum. Donum enim dicitur secundum
respectum ad creaturam. Sed eis quae important respectum ad creaturam, potest
addi meum vel nostrum, ut creator noster. Ergo videtur quod Spiritus sanctus possit dici donum nostrum. |
Difficultés : 1. ll semble
que l’Esprit-Saint puisse être appelé notre don. Le don en effet se dit
d’après un rapport à la créature. Mais à ce qui implique un rapport à la
créature, on peut ajouter mon et
notre, comme dans ¨notre créateur¨. Il semble donc que l’Esprit-Saint
puisse être appelé notre don. |
[1450] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 arg. 2 Item, sanctus nihil adimit de ratione hujus quod dicitur
spiritus. Sed dicitur spiritus noster, ut Spiritus Eliae. Ergo videtur quod
potest dici Spiritus sanctus noster. |
2. En outre,
¨saint¨ n’enlève rien de la signification de ce qu’on veut dire quand on dit
¨esprit¨. Mais on dit notre esprit, comme l’Esprit d’Élie. Il semble donc
qu’Il puisse être appelé notre Esprit-Saint. |
[1451] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 arg. 3 Item, sicut Filius importat relationem aeternam, a qua imponitur,
ita et Pater. Sed dicitur Pater noster. Ergo etiam potest dici Filius noster. |
3. De plus,
tout comme le Fils apporte avec Lui une relation éternelle par laquelle il
est porté, il en est de même pour le Père. Mais on dit ¨notre Père¨. On peut
donc aussi dire ¨notre Fils¨. |
[1452] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 arg. 4 Praeterea, quidquid datur nobis, est nostrum. Sed Filius datus
est nobis. Ergo est Filius noster. |
4. Par
ailleurs, tout ce qui nous est donné est nôtre. Mais le Fils nous est donné.
Donc le Fils est nôtre. |
[1453] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 arg. 5 Praeterea, in Deo idem est deitas et Deus et sapientia et bonitas
et omnia hujusmodi. Sed dicitur Deus noster ; ergo etiam potest dici Deus
sapientia nostra vel essentia nostra. |
5. En outre,
la divinité, Dieu, la sagesse, la bonté et tous les caractères de cette sorte
sont identiques en Dieu. Mais on dit ¨notre Dieu¨ ; donc, Dieu peut
aussi être appelé notre sagesse ou notre essence. |
[1454] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 arg. 6 Sed e converso videtur quod non potest dici Deus noster. In
pronomine enim nostrum vel meum, importatur aliqua habitudo vel relatio
creatoris ad creaturam. Sed
Deus est nomen absolutum et nomen naturae, ut dicit Ambrosius, lib. I De fide, cap. 1, col. 552. Ergo
videtur quod non potest dici Deus noster. |
6. Mais au
contraire il semble qu’on ne puisse dire ¨notre Dieu¨. En effet, dans les
pronoms ¨le nôtre¨ et ¨le mien¨ est impliqué un rapport ou une relation du
créateur à la créature. Mais Dieu est un nom absolu et un nom de nature,
comme le dit Saint-Ambroise [De la Foi,
livre 1, ch. 1, col. 552]. Il semble donc qu’on ne puisse dire ¨notre Dieu¨. |
[1455]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod Deus non potest habere aliquam
relationem ad nos, nisi per modum principii. Cum autem causae sint quatuor,
ipse non est causa materialis nostra ; sed se habet ad nos in ratione
efficientis et finis et formae exemplaris, non autem in ratione formae
inhaerentis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que Dieu ne peut avoir une relation à nous qu’à la manière
d’un principe. Mais comme il y a quatre causes, Il ne peut être notre cause
matérielle ; mais il se présente à nous sous le rapport d’une cause
efficiente, d’une fin et d’une forme exemplaire, mais non sous le rapport
d’une forme inhérente. |
Considerandum est igitur in nominibus
divinis, quod omnia illa nomina quae important rationem principii per modum
efficientis vel finis recipiunt additionem dictorum pronominum, sicut
dicimus: creator noster et bonum nostrum. Ea autem quae dicuntur per modum
formae inhaerentis, non recipiunt dictorum pronominum additionem ; et talia
sunt nomina omnia divina, quae in abstracto significantur, quae omnia
significantur per modum formae, ut essentia, bonitas et hujusmodi. Unde in
talibus non potest fieri additio. |
Il faut donc
considérer dans les noms divins, que tous ces noms qui impliquent la relation
de principe à la manière d’une cause efficiente et d’une fin reçoivent
d’addition de ces pronoms dont on vient de parler, comme lorsque nous
disons : notre créateur et notre bien. Mais ceux qui se disent à la
manière d’une forme inhérente ne reçoivent pas l’addition de ces
pronoms ; et tels sont tous les noms divins qui signifient dans
l’abstrait, lesquels signifient tous à la manière d’une forme, comme
l’essence, la bonté et les caractères de cette sorte. C’est pourquoi il ne
peut y avoir dans ces cas l’addition de ces pronoms. |
Non enim possum dicere, quod Deus sit
essentia nostra vel substantia vel aliquid hujusmodi. Tamen in istis
nominibus considerandus est quidam ordo. Quia quaedam horum abstractorum
important rationem principii efficientis et exemplaris, ut sapientia et
bonitas et hujusmodi, quando fit additio dictorum pronominum, ut cum dicimus,
Deus est sapientia nostra causaliter, per modum quo dicitur spes nostra: quia
per ejus sapientiam efficitur in nobis sapientia exemplata a sua sapientia,
per quam sapientes sumus formaliter. Quaedam autem non important rationem
principii, nisi forte exemplaris, et talibus non consuevit fieri dicta
additio. Non enim consuetum est dici, quod Deus sit essentia nostra, vel
substantia nostra. Tamen etiam quandoque istis nominibus fit talis additio
propter habitudinem principii exemplaris: sicut Dionysius dicit, IV cap. cael. hier. § 1, quod esse omnium est
superesse deitatis ; licet hujusmodi locutiones magis sint exponendae quam
extendendae. |
Je ne peux
dire en effet que Dieu est notre essence, notre substance ou quelque chose de
la sorte. Cependant dans ces noms il y a un ordre à considérer. Car certains
de ces noms abstraits comportent le rapport de principe efficient et
exemplaire, comme la sagesse, la bonté et les autres quand il y a addition de
ces pronoms, comme lorsque nous disons que Dieu est notre sagesse à titre de
cause, à la manière par laquelle nous disons de Lui qu’il est notre
espoir : car c’est au moyen de sa sagesse qu’une imitation de la sagesse
est produite en nous par sa sagesse et par laquelle nous sommes formellement
sages. Mais d’autres ne comportent pas le rapport de principe, si ce n’est
peut-être le rapport de principe exemplaire et pour eux il n’est pas coutume
qu’il y ait une telle addition. Il n’est pas coutume en effet de dire que
Dieu est notre essence ou notre substance. Cependant il arrive aussi parfois
qu’il y ait une telle addition à cause du rapport de principe
exemplaire : tout comme Denys [De
la Hiérarchie Céleste, ch. IV, &1] dit que la supra-existence de Dieu
est l’existence de tous les êtres, bien qu’on doive davantage expliquer de
telles expressions que les répandre. |
[1456] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod donum importat quamdam relationem in
actu, scilicet ad dantem, et quamdam solum in aptitudine, quantum est in
ratione sui nominis, scilicet ad eum cui datur ; et ideo potest semper dici
donum dantis ; sed non est ejus cui datur, nisi quando sibi est datum in actu
; et propter hoc dicimus datum nostrum et non donum nostrum. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que le don implique une relation en acte, à savoir
par rapport à celui qui le donne, et une seulement dans l’aptitude quant à la
signification de son nom, à savoir par rapport à celui à qui il est
donné ; et c’est pourquoi on peut toujours dire qu’il est le don de
celui qui donne et non pas qu’il est le don de celui à qui il est donné, si
ce n’est quand il lui est donné en acte ; et c’est pour cette raison que
nous disons notre donné et non pas notre don. |
[1457] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Spiritus sanctus est quaedam
circumlocutio inventa ad exprimendum personam Spiritus sancti: ipse autem,
inquantum est persona subsistens, non importat relationem principii, sed
magis ejus qui est a principio ; et ideo non potest dici Spiritus sanctus
noster ; sed Spiritus importat rationem principii, inquantum a spiritu est
inspiratio, propter quod potest dici Spiritus noster. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que l’Esprit-Saint est une expression inventée pour
exprimer la personne de l’Esprit-Saint : mais Lui-même, en tant qu’Il
est une personne subsistante, n’implique pas la relation de principe mais
plutôt de ce qui vient du principe ; et c’est pourquoi il ne peut être
appelé notre Esprit-Saint ; mais il comporte la notion de principe, pour
autant que c’est pas l’Esprit qu’il y a inspiration, pour laquelle il peut
être appelé notre Esprit. |
[1458] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Pater importat rationem principii, Filius
autem non, sed magis ejus quod est a principio ; et ideo non potest dici
Filius noster, sicut dicitur Pater noster ; quamvis etiam non dicatur Pater
noster, prout imponitur nomen a paternitate aeterna: sic enim est Pater
solius Filii naturalis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que le Père implique le rapport de principe mais non
le Fils qui implique plutôt le rapport de ce qui vient du principe ; et
c’est pourquoi il ne peut être appelé notre Fils, comme on dit notre Père,
bien qu’il ne puisse aussi être appelé notre Père pour autant que le nom est
imposé en partant d’une paternité éternelle : en ce sens en effet il
n’est le Père que du seul Fils naturel. |
[1459] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Filius datus sit nobis, non tamen
datus est nobis in Filium, sed in doctorem vel salvatorem ; et ideo potest
dici salvator noster, sed non filius noster. Et si objiciatur: est Filius et
est noster ; ergo est filius noster, patet quod est fallacia accidentis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que bien que le Fils nous soit donné, il ne nous est
cependant pas donné en tant que Fils, mais en tant que maître ou
sauveur ; et c’est pourquoi il peut être appelé notre sauveur et non
notre Fils. Et si on objecte qu’il est Fils, qu’il est nôtre, et qu’il est
donc notre Fils, il est clair qu’il s’agit d’un sophisme de l’accident. |
[1460]
Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sapientia
in abstracto significata [significata om.
Éd. de Parme] significat id quo
aliquis est formaliter sapiens ; et propter hoc ratione praedicta non potest
proprie dici quod sit sapientia, nisi per modum qui dictus est, in corp. art. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que la sagesse signifiée dans l’abstrait [signifiée om. Éd. de Parme] signifie ce par quoi
quelqu’un est formellement sage ; et à cause de cela, pour la raison que
nous avons dite, on ne peut proprement dire qu’il soit la sagesse, si ce
n’est de la manière que nous avons dite dans le corps de l’article. |
[1461] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1
a. 5 ad 6 Ad ultimum dicendum, quod Deus, quamvis significet essentiam
divinam quantum ad id cui imponitur, tamen quantum ad id a quo imponitur
nomen, significat operationem, ut supra dictum est ex verbis Damasceni. Et
ideo potest dici Deus noster. Tamen diversimode potest dici Deus omnium et
justorum ; Deus enim dicitur omnium propter relationem principii, inquantum
scilicet est creator omnium ; dicitur autem Deus justorum specialiter,
secundum rationem finis quem contingunt ; et ideo dicitur etiam ab eis
haberi. Alia enim licet ordinentur in ipsum sicut in finem, non tamen
consequuntur ipsum, nisi justi qui conjunguntur sibi per gratiam et gloriam:
et ideo etiam omnium communiter dicitur vel finis vel aliquid hujusmodi ; sed
absolute dicitur de justis quia Deus est eorum, quia habent ipsum sicut suam
hereditatem, et per quemdam modum possessionis. |
6. Il faut
dire finalement que le nom de Dieu, bien qu’il signifie l’essence divine
quant à celui à qui il est imposé, cependant quant à celui par qui le nom a
été imposé, ce nom signifie l’opération, ainsi que nous l’avons dit plus haut
en nous appuyant sur les paroles de Damascène. Et c’est pourquoi Il peut être
appelé notre Dieu. C’est cependant d’une manière différente qu’il peut être
appelé le Dieu de tous et le Dieu des justes ; on dit en effet qu’Il est
le Dieu de tous à cause de la relation de principe, à savoir pour autant
qu’Il est le créateur de tous ; mais il est appelé le Dieu des justes
d’une manière spéciale, selon la raison de fin qu’ils atteignent ; et
c’est pourquoi on dit encore qu’Il est possédé par eux. Les autres en effet,
bien qu’ils soient ordonnés à lui comme à leur fin cependant ils n’y
parviennent pas, sauf les justes qui Lui sont unis par la grâce et la
gloire : et c’est pourquoi on dit encore généralement de lui qu’il est
la fin de tous ou quelque chose de cette sorte ; mais c’est d’une
manière absolue qu’on L’attribue aux justes, car Dieu appartient à ceux qui
le possèdent comme leur héritage et à la manière d’une certaine propriété. |
|
|
Distinctio
19 |
Distinction 19 – [Les personnes divines, leurs relations, leur égalité] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic
quaeruntur duo. Primo de
aequalitate. Secundo de
illis in quibus attenditur aequalitas. Circa primum quaeruntur duo: 1 an in divinis sit aequalitas ; 2 an ibi sit mutua aequalitas. |
On s’interroge
ici sur deux choses. En premier
lieu sur l’égalité. En deuxième
lieu sur les choses dans lesquelles on observe l’égalité. Et au sujet du
premier point on se demande deux choses : 1. Y a-t-il
égalité chez les personnes divines ? 2. Est-ce
qu’il y a là une égalité réciproque ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [L’égalité des personnes divines] |
|
|
Articulus 1
[1464] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 tit. Utrum
aequalitas sit in divinis |
Article 1 – Y a-t-il de l’égalité en Dieu
?
|
[1465] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur quod aequalitas non sit in divinis. Sicut enim
dicit philosophus V Métaph., c XV,
unum in quantitate facit aequale. Sed in Deo non est quantitas, ut supra dixit Augustinus V De Trin., cap. 1, quod est sine
quantitate magnus. Ergo videtur quod non sit aequalitas ibi. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’il n’y ait pas égalité en Dieu. En effet, ainsi que le dit le Philosophe
[V Métaphysique, ch. XV], c’est
l’unité dans la quantité qui fait l’égalité. Mais il n’y a pas de quantité en
Dieu ainsi que l’a dit Saint-Augustin plus haut [V De la Trinité, ch. 1], en
disant qu’Il est grand mais sans la quantité. Il semble donc qu’il n’y ait
pas d’égalité en Dieu. |
[1466] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid est in divinis de
absolutis, significat divinam substantiam. Sed secundum unitatem substantiae
attenditur identitas, et non aequalitas. Ergo videtur quod per hoc quod
probatur una essentia trium personarum, magis probetur identitas quam
aequalitas. |
2. Par
ailleurs, tout ce qui se trouve dans les caractères absolus en Dieu signifie
la substance divine. Mais selon l’unité de la substance c’est l’identité qui
est attendue et non l’égalité. Il semble donc qu’on prouve une seule essence
pour trois personnes, c’est davantage l’identité que l’égalité qui est
prouvée. |
[1467] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, qualitas magis se habet ad
spiritualia quam quantitas: quia quaedam species qualitatis, ut scientia et
virtus et hujusmodi, inveniuntur in substantiis spiritualibus ; non autem
species quantitatis, nisi forte numerus, secundum quem non attenditur haec
aequalitas personarum. Ergo cum secundum qualitatem potius sit similitudo
quam aequalitas, videtur quod ista convenientia in essentialibus magis
dicenda sit similitudo quam aequalitas. |
3. En outre,
c’est davantage la qualité que la quantité qui se rapporte aux réalités
spirituelles : car certaines espèces de qualité, comme la science, la
vertu, et d’autres de la sorte, se retrouvent dans les substances
spirituelles, mais on n’y retrouve pas des espèces de la quantité, si ce
n’est peut-être le nombre qui ne s’applique pas à l’égalité des personnes.
Donc puisque selon la qualité il y a
davantage similitude qu’égalité, il semble que cette ressemblance dans les
termes essentiels doive danvantage être appelée similitude qu’égalité. |
[1468] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis aequalitas dicit
proportionem et commensurationem quamdam. Sed infinitorum non est aliqua
commensuratio nec proportio. Cum igitur divinae personae infinitae sint, non
videtur in eis esse aequalitas. |
4. De plus,
toute égalité dit une proportion et une certaine égalité de mesure. Mais il
n’y a ni égalité de mesure ni proportion à l’égard de ce qui est infini.
Donc, puisque les personnes divines sont infinies, il ne semble pas qu’il y
ait entre elles égalité. |
[1469] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium, est quod in symbolo
Athanasii dicitur: et totae tres
personae coaeternae sibi sunt et
coaequales. |
Cependant : 1. On dit le
contraire dans le symbole de Saint-Athanase : Les trois Personnes sont coéternelles et égales entre elles. |
[1470] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod, sicut dicit philosophus, loc. cit., unum in substantia facit idem, unum in quantitate
aequale, unum in qualitate facit simile. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que, comme le dit le
Philosophe dans la citation précédente, l’un dans la substance fait
l’identité, l’un dans la quantité fait l’égalité et l’un dans la qualité fait
le semblable. |
Quamvis
autem in divinis non sit qualitas vel quantitas secundum communem rationem
generis, sunt tamen ibi aliquae species qualitatis secundum proprias rationes
suas, quantum ad differentias constitutivas ; et similiter aliquae species
quantitatis secundum id quod est proprium eis, ut magnitudo et duratio: et
ideo ratione eorum dicitur in divinis aequalitas et similitudo. |
Mais bien que
dans les personnes divines il n’y ait pas de qualité ou de quantité selon la
notion commune de genre, il y a cependant là certaines espèces de qualité
selon les notions qui leur sont
propres, quant aux différences constitutives ; et de même il y a
certaines espèces de quantité selon ce qui leur est propre, comme la grandeur
et la durée : et c’est pourquoi c’est en raison d’elles qu’on dit qu’il
y a en Dieu égalité et similitude. |
Sicut autem
ea quae significantur per modum qualitatis, ut sapientia et hujusmodi, non
sunt aliud secundum rem ab essentia, sed solum secundum rationem ; ita etiam
similitudo et identitas in divinis differunt secundum rationem et non
secundum rem, et similiter est de aequalitate. |
Mais tout
comme les caractères qui sont signifiés à la manière d’une qualité, comme la
sagesse et d’autres de cette sorte, ne diffèrent pas de l’essence selon la
chose mais seulement selon la raison, de même encore la similitude et l’identité
chez les personnes divines diffèrent selon la raison et non selon la chose,
et il en est de même pour l’égalité. |
Et inde est
quod diversimode invenitur aequalitas et similitudo in divinis personis et in
aliis rebus. In aliis enim aequalibus non est eadem quantitas secundum
essentiam, sed solummodo secundum commensurationem ; et similiter una
qualitas secundum speciem ; quia in eis est aliud qualitas et essentia, quae
respicit esse sicut actum proprium. |
Et c’est de là
que l’égalité et la similitude se retrouvent différemment dans les personnes
divines et dans les autres choses. En effet, dans les autres choses qui sont
égales, la quantité n’est pas la même selon l’essence mais seulement selon
l’égalité de mesure ; et de la même manière la qualité est une selon
l’espèce ; car en elles la qualité est autre que l’essence, laquelle
s’intéresse à l’existence comme à l’acte qui lui est propre. |
Qualitas
autem vel quantitas non dicitur per respectum ad esse, sed tantum dicunt
quidditatem alicujus generis. Unde potest dici una quantitas ubi non est unum
esse ; sed non potest dici una essentia absolute, nisi ubi est unum esse ; et
hoc est ubi est eadem essentia secundum numerum. |
Mais la
qualité ou la quantité ne se disent pas par rapport à l’existence, mais elles
disent seulement la quiddité d’un genre. C’est pourquoi on peut parler d’une
seule et même quantité là où il n’y a pas une seule existence ; mais on
ne peut parler d’une seule et même essence absolument que là où il n’y a
qu’une seule et même existence ; et cela ne se rencontre que là où il y
a une seule et même essence selon le nombre. |
[1471] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aequalitas
non causatur ex uno in quantitate solum secundum rationem quantitatis
communem, sed etiam secundum rationem alicujus speciei quantitatis. Ad
rationem enim aequalitatis sufficit quod sit unitas numeri, vel etiam
temporis. Et ita cum in divinis sit ratio aliquarum specierum quantitatis,
potest ibi esse aequalitas proprie. Sed quia quod invenitur in pluribus,
convenit eis secundum id quod est eis commune, et non secundum quod est eis
proprium: ideo potest melius dici, quod aequalitas consequitur rationem
quantitatis in communi, quae consistit in quadam divisibilitate: unde ratio
quantitatis invenitur proprie in illis quae secundum se dividuntur ; et sic
Deo non convenit. Invenitur etiam quodammodo in illis quorum divisio
attenditur secundum ea quae extrinsecus sunt, sicut virtus dicitur
divisibilis et quantitatis rationem habens ex ratione et divisione actuum et
objectorum. Et talis ratio quantitatis, scilicet virtualis, Deo convenit, et
per consequens aequalitas. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que l’égalité n’est pas causée par l’un dans la quantité
seulement selon la définition universelle de la quantité, mais aussi selon la
définition d’une espèce particulière de quantité. Il suffit en effet à la
définition de l’égalité qu’il y ait unité de nombre ou même de temps. Et
ainsi puisqu’il y a raison de poser en Dieu certaines espèces de quantité, il
peut y avoir là égalité à proprement parler. Mais parce que ce qu’on retrouve
en plusieurs leur convient selon ce qui leur est commun et non selon ce qui
leur est propre, c’est pourquoi, pour mieux s’exprimer, l’égalité découle de
la définition commune de la quantité qui consiste en une certaine
divisibilité : c’est pourquoi la notion de quantité se retrouve
proprement dans les choses qui sont divisibles en elles-mêmes ; et en ce
sens la quantité ne convient pas à Dieu. Mais la notion de quantité se retrouve
aussi dans les choses dont la division se vérifie selon ce qui est extérieur,
tout comme on dit de la puissance qu’elle est divisible et qu’elle a raison
de quantité en raison de la division de ses actes et de ses objets. Et une
telle notion de la quantité, à savoir de celle qui se rapport à la puissance,
convient à Dieu, et par conséquent l’égalité aussi. |
[1472] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod ratione jam dicta, dist. 9, patet quod identitas
ponit unitatem in essentia secundum numerum: et quia in rebus creatis, ex
quarum consideratione nomina imponimus, etiam illa quae de Deo praedicantur,
unitas essentiae non est nisi in eodem supposito ; ideo identitas nullam
importat distinctionem in supposito ; sed magis unitatem. Unde Filius non potest dici, masculine
loquendo, idem Patri, sed neutraliter tantum ; ut unitas ad essentiam
referatur. Aequalitas vero et similitudo, quae important unitatem quantitatis
vel qualitatis non secundum essentiam vel esse, quantum est de sui
significatione, non important unitatem quantitatis vel qualitatis in numero ;
sed sufficit quod sint idem specie. Haec autem unitas est in diversis
suppositis: et ideo aequalitas et similitudo simul cum unitate important
distinctionem: et propter hoc dicimus Filium similem Patri vel aequalem ; non
tamen eumdem. Et inde est quod potius Magister de aequalitate quam de
identitate determinavit, dist. 9, quia in identitate importatur tantum unitas
essentiae. Nec etiam secundum quemlibet modum divinis personis competit,
scilicet masculine ; sed in aequalitate importatur utrumque ; et unitas
essentiae per modum quantitatis significatae, et personarum distinctio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que pour la raison que nous
avons déjà dite antérieurement (distinction neuf), il est clair que
l’identité pose l’unité dans l’essence selon le nombre : et parce que
dans les choses créées l’unité de l’essence n’existe que dans un même suppôt,
puisque nous imposons les noms, même ceux que nous attribuons à Dieu, à partir
de la considération de ces choses, c’est pourquoi l’identité n’implique en
elle-même aucune distinction dans le suppôt, mais plutôt l’unité. De là on ne
peut dire du Fils, en parlant au masculin, qu’il est identique au Père, mais
seulement en parlant au neutre, de telle manière que l’unité se rapporte à
l’essence. Mais l’égal et le semblable, qui n’impliquent pas l’unité de la
quantité ou de la qualité selon l’essence ou l’existence quant à leur
signification, n’impliquent pas l’unité de la quantité ou de la qualité selon
le nombre, mais il suffit qu’ils soient identiques selon l’espèce. Mais cette
unité a lieu dans des suppôts différents : et c’est pourquoi l’égal et
le semblable impliquent une distinction simultanément avec l’unité : et
c’est pour cette raison que nous disons du Fils qu’il est semblable ou égal
au Père, mais non qu’il lui est identique. Et c’est de là que le Maître
traita plutôt de l’égalité que de l’identité (distinction neuf) car
l’identité implique seulement l’unité de l’essence. Et ce n’est pas de
n’importe quelle manière qu’elle convient aux personnes divines, c’est-à-dire
au masculin ; mais l’égalité implique les deux, à savoir à la fois
l’unité de l’essence à la manière d’une quantité signifiée et la distinction
des personnes. |
[1473] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in
similitudine similiter importetur utrumque, ut patet ex verbis Hilarii, in 2
distinct. positis quod similitudo sibi ipsi non est, tamen aequalitas addit
aliquid supra similitudinem, et includit eam, quando dicitur de divinis
personis. Cum enim in divinis non nisi quantitas sit virtutis, quae fundatur
in qualitate, in unitate talis quantitatis ponitur unitas qualitatis, et
privatur intensionis excessus, ut patet: quia quaecumque aequalia sunt in
colore, sunt etiam similia, sed non convertitur. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que bien que le semblable implique également les deux,
comme on le voit à partir des paroles de Saint-Hilaire présentées
(distinction deux) plus haut, à savoir que le semblable n’est pas semblable à
lui-même, cependant l’égal ajoute quelque chose au semblable et le contient
quand il se dit des Personnes divines. En effet, puisqu’en Dieu il n’y a
comme quantité que celle qui appartient à la puissance qui se fonde sur la
qualité, il faut poser l’unité de la qualité dans l’unité d’une telle
quantité et cette dernière est exempte d’une différence de degrés, ainsi
qu’on le voit : car tout ce qui est égal dans une même couleur est aussi
semblable, mais tout ce qui a une couleur semblable n’est pas nécessairement
égal dans l’intensité de cette couleur. |
[1474] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aequalitas est
species proportionis: est enim aequalitas proportio aliquorum habentium unam
quantitatem. Dico igitur de aequalitate, sicut de quibusdam aliis, quod
praedicatur de Deo quantum ad rationem differentiae, quod est habere unam
quantitatem, et non quantum ad rationem generis, quae consistit in
commensuratione quantitatis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l’égalité est une espèce de proportion :
l’égalité en effet est la proportion des choses qui possèdent une même
quantité. Je dis donc de l’égalité, comme de certaines autres choses, qu’elle
s’attribue à Dieu quant à la raison de différence qui est de posséder une
même quantité, et non quant à la raison de genre qui consiste dans la
proportion de la quantité. |
Unde dico, quod divina magnitudo nullo modo est
mensurabilis vel mensurata nec ab alio nec a se. Primo, quia
mensuratio ponit terminationem, et divina magnitudo non habet terminum intra
nec extra ; et ideo infinita dicitur, non quidem per extensionem privative,
sed per negationem termini. Secundo, quia commensuratio non est unius
quantitatis ad se, sed duarum ; et nulla alia magnitudo potest esse aequalis
sibi. Pater autem et Filius non habent aliam et aliam magnitudinem, sed unam
et eamdem, secundum quam aequales dicuntur ; et ita divinae magnitudini nihil
diversum ab ipsa commensuratur. Tertio, quia sicut omnis motus reducitur ad
movens quod non est motum neque a se neque ab alio: ita omnis mensuratio
reducitur ad unum primum quod nullo modo est mensuratum, sed est omnium
mensura ; et hoc Deus est, ut etiam Commentator dicit (X Metaph., text. 17). |
C’est pourquoi
je dis que la grandeur divine n’est en aucune manière mesurable ou mesurée,
ni par un autre ni par elle-même. Premièrement parce que la mesure pose un terme et
que la grandeur divine n’a de terme ni en elle-même ni à l’extérieur
d’elle-même ; et c’est pourquoi on dit d’elle qu’elle est infinie, non
pas certes à la manière d’une privation, par extension, mais par la négation
d’une terme. Deuxièmement parce que la proportion ne se rapporte
pas à une seule quantité par rapport à elle-même, mais à deux ; et
aucune autre grandeur ne peut être égale à elle-même. Mais le Père et le Fils
ne possèdent pas une telle et une autre grandeur, mais une seule et même
grandeur d’après laquelle ils sont dits égaux ; et ainsi il n’y a rien
d’autre qu’elle qui soit proportionné à la grandeur divine. Troisièmement parce que tout comme tout mouvement se
ramène au moteur qui n’est mû ni par lui-même ni par un autre, de même toute
mesure se ramène à un premier principe unique qui n’est mesuré en aucune
manière mais qui est la mesure de tout le reste. Et ce premier principe est
Dieu comme le dit aussi le Commentateur [X Métaphysique, texte 17]. |
|
|
Articulus 2
[1475] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 tit. Utrum
aequalitas in divinis sit mutua |
Article 2 – L’égalité en Dieu est-elle
réciproque ?
|
[1476] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod non sit ibi mutua aequalitas. Ita enim dicit Dionysius cap. IX [cap. X, Éd. de Parme] De div. Nom. § 6, col. 914) quod in causa et in causatis non
recipimus conversionem similitudinis et aequalitatis. Sed quamvis in divinis
personis non sit causa et causatum, est tamen ibi principium et quod est de
principio. Ergo videtur quod Filius, qui est a Patre sicut a principio, sit
similis et aequalis Patri, sed non e converso. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’égalité ne soit pas mutuelle en Dieu. C’est ne ce sens en effet que
parle Denys [1X (X Éd. de Parme) Les
Noms Divins, &6, col. 914], lorsqu’il dit qu’il ne faut pas admettre
la conversion du semblable et de l’égal dans la cause et les effets. Mais
bien qu’en Dieu il n’y ait pas de cause et d’effets, il y a cependant là un
principe et ce qui vient du principe. Il semble donc que le Fils, qui vient
du Père comme de son principe, soit semblable et égal au Père, mais non
inversement. |
[1477] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, unumquodque est aequale illi
quo non est minus ; et nihil est aequale illi quo est majus. Sed supra,
distinct. 16, dicit Hilarius IX De
Trin.,§ 54 : « Filius non
est minor Patre, et tamen Pater est major Filio ». Ergo Filius est
aequalis Patri, sed non e converso. |
2. Par
ailleurs, chacun est égal à celui dont il n’est pas plus petit ; et nul
n’est égal à celui dont il est plus grand. Mais plus haut (distinction 16),
Saint Hilaire [1X De la Trinité,
& 54] dit : ¨Le Fils n’est pas
plus petit que le Père, et cependant le Père est plus grand que le Fils¨.
Donc le Fils est égal au Père mais non inversement. |
[1478] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, cum nihil sibiipsi sit aequale, omne
quod aequale dicitur praesupponit aliquid cui aequale dicatur. Sed Filius
secundum ordinem naturae praesupponit Patrem, non autem Pater praesupponit
aliquid. Ergo videtur quod Filius sit aequalis Patri, et non e converso. |
3. En outre,
puisque rien n’est égal à soi-même, tout ce qui se dit égal présuppose
quelque chose par rapport à quoi il est dit égal. Mais le fils présuppose le
Père selon l’ordre de nature, alors que le Père ne présuppose rien. Il semble
donc que le fils soit égal au Père et non inversement. |
[1479] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in symbolo Athanasii
dicitur: « Tres personae
coaeternae sibi sunt et coaequales ».
Ergo est ibi mutua aequalitas. |
Cependant : 1. On dit le
contraire dans le symbole d’Athanase : ¨Les trois personnes sont coéternelles et égales entre elles¨. Il
y a donc là une égalité réciproque. |
[1480] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum
aequalitas fundetur in unitate quantitatis, idem est aliquid esse aequale
alicui, quod habere quantitatem illius ; et esse simile, quod habere
qualitatem illius. Qualitas autem alicujus dicitur quam proprie et plene
habet. Contingit autem quandoque quod qualitas illa perfecta est in utroque:
unde utriusque dici potest: et secundum hoc in talibus potest dici quod
utrumque alteri simile est. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire que puisque l’égalité se fonde sur l’unité de la quantité,
qu’une chose soit égale à une autre, c’est la même chose que de posséder sa
quantité ; et lui être semblable, c’est la même chose que de posséder sa
qualité. Mais on appelle qualité d’une chose ce qu’elle possède proprement et
pleinement. Mais il arrive parfois que cette qualité soit parfaite dans les
deux sujets : c’est pourquoi elle peut se dire des deux : et
d’après cela dans ces cas on peut dire que chacun des deux est semblable à
l’autre. |
Quandoque
autem qualitas aliqua est proprie et plene in uno, et in alio est tantum
quaedam imitatio illius, secundum aliquam participationem: et tunc illa
qualitas non dicitur utriusque, sed ejus tantum quod eam [non add. Ed. de
Parme] plene possidet. Et tunc illud quod non plene habet, dicetur simile
ei quod plene habet, et non e converso: ut si dicamus quod pictura est
similis homini, et non e converso. Non enim dicitur quod homo sit similis
suae imagini, proprie loquendo. |
Mais parfois
une qualité est proprement et pleinement dans l’un et dans l’autre il y a
seulement une certaine imitation de cette qualité suivant une certaine
participation : et alors on ne dit pas que cette qualité appartient aux
deux, mais seulement à celui qui [ne add.
Éd. de Parme] la possède pleinement. Et alors on dira de celui qui ne la
possède pas pleinement qu’il est semblable à celui qui la possède pleinement,
mais non inversement, comme lorsque nous disons que l’image de l’homme est
semblable à l’homme et non inversement. On ne dit pas en effet, à proprement
parler, que l’homme est semblable à son image. |
Ulterius,
assimilari, supra hoc quod est similem esse, ponit quemdam motum et accessum
ad unitatem qualitatis, et similiter, adaequari, ad quantitatem. In divinis
autem personis non est aliquis motus ; sed loco motus est ibi acceptio, prout
dicitur una persona ab alia accipere: unde non potest esse assimilatio vel
adaequatio, nisi secundum rationem acceptionis. Dico igitur, quod quia
magnitudo vel bonitas est plene in qualibet divinarum personarum, quaelibet
persona potest dici aequalis vel similis alii. |
Par la suite,
être assimilé ajoute à l’idée d’être semblable la notion d’un mouvement
et d’un rapprochement de l’unité de la qualité et de la même manière, être
égalé ajoute à l’idée d’être égal la notion d’un mouvement et d’un
rapprochement de l’unité de la quantité. Mais il n’y a pas de mouvement dans
les personnes divines et au lieu du mouvement il y a là réception, selon
qu’on dit d’une personne qu’elle reçoit d’une autre : c’est pourquoi il
ne peut y avoir là assimilation ou égalisation que d’après la notion de
réception. Je dis donc que parce que la grandeur ou la bonté existe en
plénitude dans chacune des personnes divines, chaque personne peut être dite
égale ou semblable à l’autre. |
Sed quia una
persona accipit ab alia et non e converso, ideo persona accipiens potest dici
adaequari vel assimilari illi personae a qua accipit, et non e converso.
Concedimus igitur inter Patrem et Filium esse mutuam similitudinem vel
aequalitatem: quia Pater est similis Filio, et e converso: non autem mutuam
adaequationem vel assimilationem: quia Filius adaequatur Patri et
assimilatur, et non e converso. |
Mais parce
qu’une personne reçoit d’une autre et non inversement, c’est pourquoi on peut
dire de cette personne qui reçoit qu’elle est égalée ou assimilée à cette
personne de qui elle reçoit et non inversement. Nous concédons donc qu’il y a
entre le Père et le fils une similitude ou une égalité réciproque :
parce que le Père est semblable au fils et inversement ; mais non pas
qu’il y a assimilation ou adéquation réciproque : car le Fils est rendu
égal au Père et lui est assimilé et non inversement. |
[1481] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Dionysius
loquitur in causatis illis quae non perfecte recipiunt similitudinem suae
causae, quod non est in divinis personis, quia tota plenitudo Patris est in
Filio: et ideo potest dici mutua similitudo vel aequalitas. Unde Dionysius
dicit, quod in coordinatis, idest aequalibus, possibile est similia sibi
invicem esse, et convertere ad alterutrum similitudinem. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que Denys parle ici de ces effets qui ne reçoivent
pas parfaitement la similitude de leur cause, ce qui n’est pas le cas pour
les personnes divines, car toute la plénitude du Père est dans le Fils :
et c’est pourquoi dans ce cas on peut parler de similitude ou d’égalité réciproque.
C’est pourquoi Denys que pour ce qui est des choses coordonnées, c’est-à-dire
égales, il est possible qu’elles soient semblables entre elles et que la
similitude se convertisse d’un côté ou de l’autre. |
[1482] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per hoc quod
dicitur Pater major Filio, non ponitur aliquis gradus magnitudinis, sed
tantum ordo auctoritatis. Unde per hoc non removetur mutua
aequalitas, sed tantum mutua adaequatio. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que du fait qu’on dise que le Père est plus grand que
le Fils, on ne pose pas un degré de grandeur mais seulement un ordre
d’autorité. C’est pourquoi on n’exclut pas par là une égalité réciproque,
mais seulement une réciproque action d’égaler. |
[1483] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas non
de necessitate praesupponit aliquid aliud, sed supponit. Unde non oportet
quod illud quod dicitur aequale, habeat aliquem ordinem vel prioritatis vel
principii ad illud cui aequale dicitur, vel e converso. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que l’égalité ne présuppose pas nécessairement quelque
chose d’autre, mais elle le suppose. C’est pourquoi il ne faut pas que ce
qu’on dit être égal ait un ordre de priorité ou de principe par rapport à ce
à quoi il est dit égal, ou inversement. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [Ce en quoi l’égalité des personnes divines est atteinte] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[1484] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 pr. Deinde quaeritur de illis in quibus attenditur
illa aequalitas ; et circa hoc quaeruntur duo. Primo de aeternitate. Secundo de magnitudine: quia de potentia infra,
distinct. 43, quaest. 1, art. 1, quaeretur. De aeternitate, praeter ea quae supra, dist. 8,
quaesita sunt, duo quaeruntur: 1 quid sit aeternitas secundum rem ; 2 quomodo se habeat nunc aeternitatis ad aeternitatem. |
On s’interroge
ensuite sur les choses sur lesquelles se vérifie cette égalité ; et à ce
sujet on s’interroge sur deux choses. En premier
lieu sur l’éternité. En deuxième
lieu sur la grandeur : car on s’interrogera plus loin sur la puissance
[dist. 43, quest. 1, art. 1]. Sur
l’éternité, en plus des choses que nous avons examinées plus haut (dist. 8),
on soulève deux questions : 1. Qu’est-ce
que l’éternité en elle-même ? 2. Comment se
rapporte l’instant de l’éternité à l’éternité ? |
|
|
Articulus 1
[1485] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 tit. Utrum aeternitas sit
substantia Dei |
Article 1 – L’éternité est-elle la
substance de Dieu ?
|
[1486] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur
quod aeternitas non sit ipsa divina substantia. Nihil enim est causa sui
ipsius. Sed Deus est auctor aeternitatis, ut dicit Augustinus lib. LXXX Quaest., qu. XXIII, col. 16 et est etiam ante aeternitatem, sicut
causa ejus, ut dicitur lib. De causis, prop.
2. Ergo videtur quod aeternitas non sit ipse Deus. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’éternité ne soit pas la substance même de Dieu. En effet, rien n’est
cause de soi-même. Mais Dieu est l’auteur de l’éternité, ainsi que le dit Saint-Augustin
[Livre Des Quatre-vingt-trois questions,
quest. XXIII, col. 16], et il est même antérieur à l’éternité en tant que
cause de cette dernière ainsi qu’on le dit dans le Livre Des Causes, à la proposition 2. Il semble donc que
l’éternité ne soit pas Dieu lui-même. |
[1487] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, unumquodque mensuratur primo sui
generis. Sed primum esse est divinum esse. Ergo per ejus mensuram mensuratur
omne esse. Sed esse temporalium mensuratur per tempus, et aeternorum [aeviternorum
Éd. de Parme] per aevum. Ergo
videtur, cum unius non sit nisi una mensura, quod aeternitas sit idem
secundum rem quod aevum et tempus. |
2. En outre,
chaque chose est mesurée par ce qui est premier dans son genre. Mais
l’existence première est l’existence divine. Donc, toute existence est
mesurée par la mesure de l’existence divine. Mais l’existence des êtres
temporels est mesurée par le temps, et celle des êtres éternels [éviternelles
Éd. de Parme] est mesurée par
l’aevum. Il semble donc, puisque que pour une seule et même chose il n’y a
qu’une mesure, que l’éternité soit identique selon la chose au temps et à
l’aevum. |
[1488] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, in omnibus participationibus
divinae bonitatis est communitas in nomine et in ratione cujusdam analogiae
inter perfectionem participatam a creatura et principium communicationis in
Deo, sicut se habet bonitas creaturae cum bonitate increata. Sed secundum
Dionysium, de divin. Nomin., cap.
VII, col. 866, et X, col. 935, sicut Deus dicitur sapiens inquantum implet
alios sapientia, ita per hoc dicitur aeternus quod est causa aevi et
temporis. Ergo videtur quod aevum et tempus debeant dici aeternitas. |
3. Par
ailleurs, dans toutes les participations de la bonté divine il y a quelque
chose de commun dans le nom et la notion d’une certaine analogie entre la
perfection participée par la créature et le principe de ce caractère commun
en Dieu, de la même manière que la bonté de la créature se rapporte à la
bonté incréée. Mais d’après Denys [Les
Noms Divins, ch. VII, col. 866, et
X, col. 935], tout comme Dieu est dit sage selon qu’Il comble tous les autres
de sagesse, de la même manière il est appelé éternel du fait qu’il est la
cause de l’aevum et du temps. Il semble donc que l’aevum et le temps doivent
être appelés éternité. |
[1489] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1
arg. 4 Item, mensura est proportionata mensurato. Sed omne esse in se
consideratum indivisibile est, quia nihil habet admixtum ut dicit Boetius,
lib. De hebd., col. 1311 et quamdiu
res manet, esse suum substantiale non variatur, quamvis accidentia varientur.
Cum igitur esse temporalium mensuretur tempore, videtur quod tempus sit
mensura indivisibilis et permanens, et sic non differat ab aeternitate. |
4. De plus, la
mesure est proportionnelle au mesuré. Mais toute existence considérée en
elle-même est indivisible, car rien ne lui est mélangé comme le dit Boèce
[Livre sur Les Semaines, col. 1311]
et tant que la chose demeure, son existence substantielle ne change pas bien
que ses accidents changent. Donc, puisque l’existence des choses temporelles
est mesurée par le temps, il semble que le temps soit une mesure indivisible
et permanente, et qu’elle ne diffère pas ainsi de l’éternité. |
[1490] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, in quocumque est invenire
successionem, illud mensuratur tempore. Sed esse aeviternorum, sicut Angeli
et substantiae caeli, non mensuratur tempore. Ergo videtur quod eorum esse
non habeat successionem, et ita videtur quod non differat ab aeternitate. |
5. Enfin,
partout où on retrouve succession dans le temps, la chose est mesurée par le
temps. Mais l’existence des êtres éviternels, comme les Anges et les
substances célestes, n’est pas mesurée par le temps. Il semble donc que leur
existence ne comporte pas de succession dans le temps et ainsi il semble
qu’elle ne diffère pas de l’éternité. |
[1491] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod diversitatem
aeternitatis, temporis et aevi, quidam voluerunt accipere, quod tempus habet
principium et finem ; aevum principium habet et non finem ; aeternitas nec
principium nec finem. Sed secundum hoc non attenditur essentialis eorum
diversitas: quia posito quod tempus nunquam inceperit, nec nunquam finiatur,
adhuc tempus non erit aeternitas, ut dicit Boetius, lib. V De Consol., prosa ultim, col. 858. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que certains ont voulu
prendre la différence entre l’éternité, le temps et l’aevum en ceci que le
temps a un principe et une fin, l’aevum a un principe et non une fin, et
l’éternité n’a ni principe ni fin. Mais cela ne vérifie pas la différence
essentielle qu’il y a entre eux : car une fois qu’on aura dit que le
temps n’a jamais commencé et qu’il ne finira jamais, cela ne fera pas encore
du temps l’éternité, comme le dit Boèce [Livre V De la Consolation, prose dernière, col. 858. |
Supposito etiam quod Angeli semper fuerint, aevum
adhuc differret ab aeternitate. Quid tamen veritatis habeat, ex his quae dicentur, patebit.
Sciendum est igitur, quod tria praedicta nomina significant durationem
quamdam. Duratio autem omnis attenditur secundum quod aliquid est in actu:
tamdiu enim res durare dicitur quamdiu in actu est, et non dum est in
potentia. Esse autem in actu contingit dupliciter. |
En supposant
même que les Anges aient toujours ex : isté, l’aevum différerait encore
de l’éternité. Que cela soit vrai, on le verra par ce qui sera dit. Il faut
donc savoir que les trois noms qui précèdent signifient une certaine durée.
Mais toute durée se vérifie selon qu’un être est en acte. En effet, on dit
d’une chose qu’elle est dans la durée, tant qu’elle est en acte, et non aussi
longtemps qu’elle est en puissance. Mais exister en acte est possible de deux
manières. |
Aut secundum
hoc quod actus ille est incompletus, et potentiae permixtus, ratione cujus
ulterius in actum procedit ; et talis actus est motus: est enim motus actus
[actus om. Ed. de Parme] existentis in potentia, secundum quod hujusmodi, ut
dicit philosophus, III Phys., text.
6. Aut secundum quod actus non est permixtus potentiae, nec additionem
recipiens perfectionis ; et talis actus est actus quietus et permanens. |
Soit selon que
cet acte est incomplet et mélangé à de la puissance, en raison de quoi il
progresse par la suite vers son acte ; et un tel acte est le
mouvement : le mouvement en effet est l’acte [acte om. Éd. de Parme] de ce qui existe en puissance en tant que tel,
comme le dit le Philosophe [111 Physique, texte 6]. Soit selon que l’acte
n’est pas mélangé à de la puissance et qu’il ne reçoit pas l’ajout d’une
perfection ; et un tel acte est l’acte de ce qui est en repos et qui est
permanent. |
Esse autem
in tali actu contingit dupliciter. Vel ita quod
ipsum esse actu, quod res habet, sit sibi acquisitum ab alio ; et tunc res
habens tale esse est potentialis respectu hujus actus, quem tamen perfectum
accepit. Vel esse
actu est rei ex seipsa, ita quod est de ratione quidditatis suae ; et tale
esse est esse divinum, in quo non est aliqua potentialitas respectu hujus
actus. Sic igitur patet quod est triplex actus. |
Mais
l’existence dans un tel acte est possible de deux manières. Soit de telle
manière que l’existence même en acte que la chose possède lui est acquise
d’un autre et alors la chose qui possède une telle existence est en puissance
par rapport à cet acte qu’elle reçoit cependant parfaitement. Soit c’est
d’elle-même que la chose possède l’existence en acte de telle manière qu’elle
fasse partie de sa quiddité ; et une telle existence est l’existence
divine dans laquelle il n’y a aucune potentialité par rapport à cet acte. Il
est donc clair qu’il y a trois sortes d’actes. |
Quidam cui
non substernitur aliqua potentia ; et tale est esse divinum et operatio ejus
; et huic respondet loco mensurae aeternitas. Est alius
actus cui substat potentia quaedam ; sed tamen est actus completus acquisitus
in potentia illa ; et huic respondet aevum. Est autem
alius cui substernitur potentia, et admiscetur sibi potentia ad actum
completum secundum successionem, additionem perfectionis recipiens ; et huic
respondet tempus. |
Il y a certes
celui qui n’est assujetti à aucune puissance ; et c’est là l’existence
de Dieu et son opération ; et c’est à ce cas que correspond l’éternité à
titre de mesure. Il y a l’autre
acte qui est assujetti à une certaine puissance ; cependant l’acte
complet est acquis dans cette puissance : et c’est à cet acte que
correspond l’aevum. Mais il y a l’autre
acte qui est assujetti à la puissance, mais la puissance qui lui est mélangée
est ordonnée à un acte complet suivant la succession et reçoit l’ajout d’une
perfection ; et c’est à cet acte que correspond le temps. |
Cum igitur
unicuique rei respondeat propria mensura, oportet quod secundum conditionem
actus mensurati accipiatur essentialis differentia ipsius mensurae. Invenitur
autem in actu qui motus est, successio prioris et posterioris. Et haec duo,
scilicet prius et posterius, secundum quod numerantur per animam, habent
rationem mensurae per modum numeri, quae tempus est. Unde dicit philosophus,
IV Physicorum, text. 101, quod
tempus est numerus motus secundum prius et posterius. Et est numerus
numeratus, et non numerus simpliciter. |
Donc, puisqu’à
chaque chose correspond la mesure qui lui est propre, il faut donc que ce
soit selon la condition de l’acte mesuré que soit reçue la différence
essentielle de la mesure elle-même. Mais on retrouve, dans l’acte qui est le
mouvement, la succession de l’avant et de l’après. Et ces deux termes, à
savoir l’avant et l’après, selon qu’ils sont nombrés par l’âme, ont raison de
mesure à la manière d’un nombre, laquelle est le temps. C’est pourquoi le
Philosophe dit [IV Physique, texte 101] que le temps est
le nombre du mouvement selon l’avant et l’après. Et il est un nombre nombré
et non le nombre pris absolument. |
Sicut enim
dicimus quod duo canes est numerus numeratus, et duo est numerus simpliciter
; ita etiam numerus prioris et posterioris in motu est numerus numeratus, qui
est tempus. Ex quo patet quod illud quod est de tempore quasi materiale,
fundatur in motu, scilicet prius et posterius ; quod autem est formale,
completur in operatione animae numerantis: propter quod dicit philosophus, IV
Physic. , text. 13) quod si non
esset anima, non esset tempus. |
En effet, tout
comme nous disons que deux chiens est un nombre nombré et que deux est nombre
pris absolument, de même encore le nombre de l’avant et de l’après dans le
mouvement est un nombre nombré qui est le temps. D’où il est clair que ce qui
s’attribue au temps comme matériellement se fonde dans le mouvement,
c’est-à-dire dans l’avant et l’après ; mais ce qui s’attribue à lui
formellement est accompli dans l’opération de l’âme qui nombre : c’est
pour cette raison que le Philosophe dit [IV Physique, texte 13] que si l’âme n’existait pas, le temps
n’existerait pas. |
Sic igitur
de ratione hujus mensurae, quae est tempus, sunt duo: scilicet quod
accipiantur ibi plura, ad minus duo ; vel duo nunc, inter quae est tempus ;
vel duo tempora continuata per unum nunc: et quod illa sint succedentia.
Continuitas etiam accedit tempori ex ratione motus quem mensurat. |
Ainsi donc il
y a deux choses dans la définition de cette mesure qui est le temps, il y a
deux choses : à savoir qu’on entend là une pluralité, et au moins deux
choses : soit deux instants entre lesquels est le temps, soit deux temps
qui se continuent au moyen d’un seul instant ; et qu’ils se succèdent.
La continuité survient encore au temps en raison du mouvement qu’il mesure. |
Unde si
aliquis motus esset non continuus, non habens ordinem ad motum continuum
caeli, tempus mensurans illum motum non esset continuum. Ex quo patet quod
tempore non mensuratur nisi id quod includitur in tempore, et secundum
principium et finem. |
C’est
pourquoi, s’il existait un mouvement non-continu, n’étant pas ordonné par
rapport au mouvement continu du ciel, le temps qui mesurerait ce mouvement ne
serait pas continu. D’où il est clair que n’est mesuré par le temps que ce
qui est compris dans le temps, à la fois selon le commencement et la fin. |
Motus enim
caeli etsi ponatur semper fuisse, secundum philosophum, VIII Phys., text. 17 tamen unaquaeque
revolutio vel pars revolutionis, quae mensuratur tempore, secundum prius et
posterius accepta in ipsa, principium habet et finem, et secundum hoc verum
est quod tempus habet principium et finem: quia non est mensura nisi habentis
principium et finem. |
En effet, bien
qu’on pose que le mouvement du ciel ait toujours existé, cependant d’après le
Philosophe [ VIII Physique, texte
17] chacune des révolutions ou chaque partie d’une révolution, qui est
mesurée par le temps selon l’avant et l’après qui est prise en elle, a un
commencement et une fin, et suivant cela il est vrai que le temps a un
commencement et une fin : car le temps n’est la mesure que de ce qui
possède un commencement et une fin. |
In actu
autem illo qui est actus completus, non est intelligere prius et posterius,
nec aliqua plura, et ita nec successionem: unde mensura quae respondet eis,
non est per modum numeri, sed magis per modum unitatis. Sicut ergo prius et
posterius temporis, prout intelliguntur numerata, complent rationem temporis
; ita permanentia actus, secundum quod intelligitur in ratione unius quod
habet rationem mensurae, complet rationem aevi et aeternitatis. |
Mais pour ce
qui est de cet acte qui est complet, il n’y a pas lieu d’entendre, un avant et un après, ni une pluralité, ni
non plus une succession : c’est pourquoi la mesure qui leur correspond
n’a pas lieu à la manière d’un nombre, mais plutôt à la manière de l’unité.
Donc, tout comme l’avant et l’après du temps, pour autant qu’ils s’entendent
comme étant nombrés, complètent la notion de temps, de même la permanence de
l’acte, selon qu’elle s’entend dans la notion de l’un qui a raison de mesure,
complète la notion de l’aevum et de l’éternité. |
Sed quia
esse aeviternorum est acquisitum ab alio, ideo aevum mensurat esse quod habet
principium ; non autem aeternitas, quae mensurat esse quod non est acquisitum
ab alio. Et secundum hoc potest sustineri dicta differentia, licet non
uniformiter sumpto principio: quia aeternitas respicit illud esse quod non
habet principium efficiens ; aevum autem quod habet tale principium ; tempus
vero respicit actum qui habet principium et finem durationis, ut mensuratur
tempore. |
Mais parce que
l’existence des êtres éviternels est acquise d’un autre, c’est pourquoi
l’aevum mesure l’existence qui a un principe ; il n’en est cependant pas
ainsi pour l’éternité qui mesure l’existence
qui n’est pas acquise d’un autre. Et c’est pour cette raison que peut
être soutenue la différence qui a été présentée, bien que principe ne se soit
pas pris dans le même sens : car l’éternité a rapport à cette existence
qui n’a aucun principe efficient ; l’aevum cependant se rapporte à ce
qui a un tel principe ; mais le temps se rapporte à l’acte qui a un
commencement et une fin dans la durée de telle manière qu’il soit mesuré par
le temps. |
[1492] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut
patet ex praedictis, in corp. art., aevum nihil aliud est quam aeternitas
quaedam participata ; unde non inveniuntur auctores antiqui multum curasse de
differentia aevi et aeternitatis: propter hoc Dionysius utitur uno pro alio.
Unde si proprie accipiatur causa et auctor, Deus dicitur esse auctor
aeternitatis, non qua ipse aeternus est, sed aeternitatis participatae, quae
aevum est ; sicut dicimus, quod ipse est causa omnis bonitatis, non suae, sed
ejus quae ab ipso in creaturas effluit sicut a principio. Posset etiam dici,
quamvis non ita bene, quod causa communiter accipitur pro omni eo quod est
etiam prius secundum rationem: cum enim essentia divina secundum intellectum
sit prius quam esse suum, et esse prius quam aeternitas, sicut mobile est
prius motu, et motus prior tempore ; dicetur ipse Deus esse causa suae
aeternitatis secundum modum intelligendi, quamvis ipse sit sua aeternitas secundum
rem. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que tout comme on voit à partir de ce qui précède
dans le corps de l’article, l’aevum n’est rien d’autre qu’une participation
de l’éternité ; c’est pourquoi on n’a pas trouvé chez les auteurs anciens
un grand souci au sujet de la différence entre l’aevum et l’éternité ;
et c’est pour cette raison que Denys a utilisé l’un à la place de l’autre.
C’est pourquoi, si on entend proprement la cause et l’auteur, on dit de Dieu
qu’il est l’auteur de l’éternité, non pas de celle par laquelle il est
lui-même éternel, mais de l’éternité participée qui est l’aevum ; par
exemple, nous disons que Lui-même est la cause de toute bonté, non pas de la
sienne, mais de celle qui est répandue dans les créatures par Lui comme par
son principe. On pourrait encore dire, bien que d’une manière moins
excellente, que la cause est entendue universellement pour tout ce qui est
aussi antérieur selon la raison : en effet, puisque l’essence
divine est antérieure à son existence selon
l’intelligence, et que son existence est antérieure à l’éternité, tout comme
le mobile est antérieur au mouvement et que le mouvement est antérieur au
temps, on dira que Dieu lui-même est la cause de son éternité selon
l’intelligence, bien qu’il soit son éternité selon la chose, en réalité. |
[1493] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnibus illis
in quibus invenitur diversa ratio mensurandi, oportet esse diversas mensuras
proprias ; non enim eodem modo mensurantur panis et vinum. Unde cum diversa
ratio mensurandi sit in diversis actibus, oportet quod respondeant eis
diversae mensurae propriae: verumtamen una earum potest ordinari ad aliam,
sicut ad primam mensuram et excedentem. Unde sicut divinum esse est mensura
omnis actus, ita aeternitas est mensura omnis durationis, excedens et non
coaequata. Sed praeter hoc oportet habere alias proprias mensuras
propter diversos modos mensurandi. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que pour toutes ces choses dans lesquelles on retrouve
une manière différente de mesurer, il faut que les différentes mesures soient
appropriées ; ce n’est pas de la même manière en effet que se mesurent
le pain et le vin. C’est pourquoi, puisque la manière de mesurer diffère dans
les actes différents, il faut que les différentes mesures qui leur
correspondent soient appropriées : il est vrai cependant que l’une
d’elles peut être ordonnée à une autre, tout comme à une mesure première et
supérieure. C’est pourquoi, tout comme l’existence divine est la mesure de
tout acte, de même l’éternité est la mesure de toute durée, une mesure qui
trascende et non pas une mesure qui est sur le même pied que le mesuré. Mais
outre cela il faut posséder d’autres mesures qui sont propres en raison des
différentes manières de mesurer. |
[1494] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod divina bonitas
participatur in diversis secundum diversos modos. Perfectioni autem
participatae duplex nomen imponitur. Vel secundum
rationem communem perfectionis illius ; et tunc nomen est commune et ipsi
principio communicanti et omnibus participantibus, secundum analogiam, sicut
bonitas, entitas et hujusmodi. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la bonté divine est participée par différents
êtres d’après différentes modalités. Mais deux sortes de noms sont imposés à
une perfection qui est participée. Soit d’après
la définition commune de cette perfection : et alors le nom est commun,
d’une manière analogue, à la fois au principe même qui communique la
perfection et à tous ceux qui en participent, comme c’est le cas pour la
bonté, l’être et les notions de cette sorte. |
Vel secundum
proprium modum quo recipitur vel est in aliqua creatura, ut patet quod
cognitio participatur a Deo in omnibus cognoscentibus et hoc nomen sensus
imponitur ad significandum cognitionem secundum aliquem modum determinatum
habendi ipsam, et propter hoc non est commune omnibus. Similiter aeternitas
nominat durationem secundum illum modum quo est in principio suo ; et ideo
aliae durationes participatae non dicuntur nomine aeternitatis. |
Soit d’après
le mode propre par lequel la perfection est reçue ou existe dans une
créature, comme on voit par exemple que la connaissance est participée de
Dieu dans tous les êtres connaissants et que le nom de sens est imposé pour
signifier la connaissance selon un mode déterminé de la posséder, et c’est
pour cette raison que ce nom n’est pas commun à tous. De la même manière
l’éternité signifie la durée selon cette modalité par laquelle elle existe
dans son principe ; et c’est pourquoi les autres durées, qui participent
de l’éternité, ne sont pas dénommées du nom d’éternité. |
[1495] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus per se
est mensura motus primi ; unde esse rerum temporalium non mensuratur tempore
nisi prout subjacet variationi ex motu caeli. Unde dicit Commentator, quod
sentimus tempus, secundum quod percipimus nos esse in esse variabili ex motu
caeli. Et inde est quod omnia quae ordinantur ad motum caeli sicut ad causam,
cujus primo mensura est tempus, mensurantur tempore ; et quicumque sentit
quamcumque variabilitatem quae consequitur ex motu caeli, sentit tempus,
quamvis non videat ipsum motum caeli. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que le temps est par soi la mesure du mouvement
premier ; c’est pourquoi l’existence des choses temporelles n’est
mesurée par le temps que pour autant qu’elle est soumise au changement à
partir du mouvement du ciel. C’est pourquoi le Commentateur dit que nous
sentons le temps selon que nous percevons que nous sommes dans une existence
change à partir du mouvement du ciel. Et c’est de là que tous les êtres qui
sont ordonnés au mouvement du ciel comme à leur cause, dont la mesure est
d’abord le temps, sont eux-mêmes mesurés par le temps ; et quiconque sent
un changement qui découle du mouvement du ciel sent le temps, bien qu’il ne
voit pas le mouvement même du ciel. |
[1496] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis actus
qui mensuratur aevo, sit totus simul sine successione, hoc esse tamen est ab
alio ; et in hoc ab aeternitate aevum discernitur, ut prius dictum est, dist.
8, quaest. 2, art. 2. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que bien que l’acte qui est mesuré par l’aevum soit
entier et simultané sans aucune succession, cette existence cependant vient
d’un autre ; et c’est en cela que l’aevum se distingue de l’éternité,
ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 8, quest. 2, art. 2]. |
|
|
Articulus 2
[1497] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 tit. Utrum nunc aeternitatis sit
ipsa aeternitas |
Article 2 : L’instant de l’éternité est-il l’éternité elle-même ? |
[1498] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod nunc aeternitatis non est ipsa aeternitas. Nunc enim aeternitatis,
temporis et aevi, videtur unum esse, quod significatur, cum dicitur: quando
motus est, et Angelus est, et Deus est. Sed aeternitas non est tempus, ut
dictum est, art. antec. Ergo nunc aeternitatis, quod est idem quod nunc
temporis, non est idem quod aeternitas. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’instant de l’éternité ne soit pas l’éternité elle-même. En effet,
l’instant de l’éternité, du temps et de l’aevum semble être le même, ce qu’on
signifie lorsqu’on dit : quand il y a mouvement, c’est à la fois l’Ange
et Dieu qui est. Mais l’éternité n’est pas le temps, comme nous l’avons dit
dans l’article précédent. Donc l’instant de l’éternité, qui est identique à
l’instant du temps, n’est pas identique à l’éternité. |
[1499] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, omne nunc est indivisibile. Sed
aeternitas est divisibilis: quod videtur ex hoc quod in littera inducitur: in generationem et generationem anni tui,
ps CI, 25 ; et loquitur de duratione aeternitatis. Ergo videtur quod nunc
aeternitatis non sit aeternitas. |
2. En outre,
tout instant est indivisible. Mais l’éternité est divisible : ce qui
apparaît à partir de ce qui est introduit dans le document : D’âge en âge vont tes années (Psaume C1, 25) ; et on parle de
la durée de l’éternité. Il semble donc que l’instant de l’éternité ne soit
pas l’éternité. |
[1500] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, nunc stans facit aeternitatem, ut
Boetius dicit ; et ita nunc est causa aeternitatis. Sed non potest idem esse
causa sui ipsius. Ergo non est idem aeternitas et nunc aeternitatis. |
3. De plus,
l’instant qui demeure fait l’éternité, comme le dit Boèce ; et ainsi
l’instant est la cause de l’éternité. Mais il n’est pas possible que le même
soit la cause de lui-même. Donc, l’éternité n’est pas la même chose que
l’instant de l’éternité. |
[1501] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut se habet nunc temporis
ad tempus, ita se habet nunc aeternitatis ad aeternitatem. Sed nunc temporis
non est tempus sicut nec punctus est linea. Ergo nec nunc aeternitatis est
aeternitas. |
4. Par
ailleurs, ce que l’instant du temps est au temps, de même l’instant de
l’éternité l’est à l’éternité. Mais l’instant du temps n’est pas le temps,
tout comme le point n’est pas la ligne. Donc, l’instant de l’éternité n’est
pas l’éternité. |
[1502] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, aeternitas est ipse Deus. Sed
in divina essentia non est aliqua realis diversitas. Ergo non differt ibi
nunc aeternitatis et aeternitas. |
Cependant : 1. Au
contraire, l’éternité est Dieu lui-même. Mais dans l’essence divine, il n’y a
aucune diversité réelle. Il n’y a donc pas là de différence entre l’instant
de l’éternité et l’éternité. |
[1503] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum
philosophum, IV Phys., text. 101,
tempus est mensura ipsius motus, et nunc temporis est mensura ipsius mobilis.
Unde sicut est idem mobile secundum substantiam in toto motu, variatur tamen
secundum esse, sicut dicitur, quod Socrates in foro est alter a seipso in
domo ; ita nunc est etiam idem secundum substantiam in tota successione
temporis, variatum tantum secundum esse, scilicet secundum rationem quam
accepit prioris et posterioris. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que d’après le Philosophe [IV Physique, texte 101], le temps est la mesure du mouvement
lui-même et l’instant du temps est la mesure du mobile lui-même. C’est
pourquoi, tout comme le mobile reste identique à lui-même quant à la
substance pendant tout le mouvement et qu’il change cependant quant à son
existence, tout comme on dit de Socrate sur la place publique qu’il diffère
de lui-même dans la maison, de même
l’instant reste identique à lui-même selon la substance pendant toute la
succession du temps, n’étant changé que selon son existence, c’est-à-dire selon
la raison qu’il reçoit de l’avant et de l’après. |
Sicut autem
motus est actus ipsius mobilis inquantum mobile est ; ita esse est actus
existentis, inquantum ens est. Unde quacumque mensura mensuretur esse
alicujus rei, ipsi rei existenti respondet nunc ipsius durationis, quasi
mensura: unde per nunc aevi mensuratur ipsum existens cujus mensura est
aevum, et per nunc aeternitatis mensuratur illud ens cujus esse mensurat
aeternitas. |
Mais tout
comme le mouvement est l’acte du mobile en tant que mobile, de même l’être
est l’acte de ce qui existe en tant qu’être. C’est pourquoi, quelle que soit
la mesure par laquelle l’être d’une chose est mesurée, à la chose même qui
existe correspond, comme une mesure, l’instant de cette durée : c’est
pourquoi c’est par l’instant de l’aevum qu’est mesuré l’être même dont la
mesure est l’aevum, et c’est par l’instant de l’éternité est mesuré cet être
dont l’existence mesure l’éternité. |
Unde sicut se habet quilibet actus ad id
cujus est actus, ita se habet quaelibet duratio ad suum nunc. Actus autem ille qui mensuratur
tempore, differt ab eo cujus est actus, et secundum rem, quia mobile non est
motus ; et secundum rationem successionis, quia mobile non habet substantiam
de numero successivorum sed permanentium. |
C’est pourquoi,
ce que tout acte est à ce dont il est l’acte, de même toute durée l’est à son
instant. Mais cet acte qui est mesuré par le temps diffère de ce dont il est
l’acte à la fois réellement, car le mobile n’est pas le mouvement, et selon
la raison de succession car le mobile n’a pas une substance qui fait partie
de ce qui passe mais de ce qui demeure. |
Unde eodem
modo tempus a nunc temporis differt dupliciter, scilicet secundum rem, quia
nunc non est tempus, et secundum successionis rationem, quia tempus est successivum
et non nunc temporis. Actus autem qui mensuratur aevo, scilicet ipsum esse
aeviterni, differt ab eo cujus est actus re quidem, sed non secundum rationem
successionis, quia utrumque sine successione est. |
C’est pourquoi
de la même manière le temps diffère de l’instant du temps de deux façons, à
savoir réellement car l’instant n’est pas le temps, et selon la raison de
succession, car le temps est successif alors que l’instant du temps ne l’est
pas. Mais l’acte qui est mesuré par l’aevum, à savoir l’existence éviternelle
elle-même, diffère certes réellement de ce dont elle est l’acte mais non
selon la raison de succession car les deux existent sans la succession dans
le temps. |
Et sic etiam
intelligenda est differentia aevi ad nunc ejus. Esse autem quod mensuratur
aeternitate, est idem re cum eo cujus est actus, sed differt tantum ratione ;
et ideo aeternitas et nunc aeternitatis non differunt re, sed ratione tantum,
inquantum scilicet ipsa aeternitas respicit ipsum divinum esse, et nunc
aeternitatis quidditatem ipsius rei, quae secundum rem non est aliud quam
suum esse, sed ratione tantum. |
Et c’est
encore de cette manière que doit s’entendre la différence qu’il y a entre
l’aevum et son instant. Mais l’existence qui est mesurée par l’éternité, est
réellement identique à ce dont elle est l’acte mais en diffère seulement par
la raison ; et c’est pourquoi l’éternité et l’instant de l’éternité ne
diffèrent pas réellement, mais seulement par la raison, c’est-à-dire dans la
mesure où l’éternité elle-même se rapporte à l’existence divine elle-même, et
l’instant de l’éternité à la quiddité de la chose même qui n’est pas
différente de son existence réellement mais par la raison seulement. |
[1504] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non est
idem nunc aeternitatis, temporis et aevi ; et quando dicitur: quando est
motus, est Angelus et Deus, potest significari tripliciter nunc vel
aeternitatis vel aevi vel temporis. Si significetur nunc temporis ; tunc
dicetur motus esse in illo, sicut in propria mensura ; Angelus autem et Deus,
non secundum rationem mensurationis, sed magis secundum concomitantiam
quamdam, prout aeternitas et aevum cum tempore simul sunt, nec sibi
deficiunt. Si autem significetur nunc aeternitatis ; tunc dicitur Deus esse
in illo sicut in mensura propria et adaequata ; Angelus autem et mobile,
sicut in mensura excedenti. Si autem significetur nunc aevi, respondebit
Angelo sicut mensura adaequata, et Deo secundum concomitantiam, et mobili
sicut mensura excedens. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que l’instant de l’éternité n’est pas le même que
celui du temps et celui de l’aevum ; et quand on dit : quand il y a
le mouvement ,il y a l’Ange et Dieu, cet énoncé peut signifier l’instant de
trois manières : soit celui de
l’éternité, soit celui celui de l’aevum, soit celui du temps. S’il signifie
l’instant du temps, alors on dira que le mouvement est en lui comme dans la
mesure qui lui est propre ; mais l’Ange et Dieu sont en cet instant non
pas selon la raison de mesure mais plutôt selon un certain accompagnement,
pour autant que l’éternité et l’aevum sont simultanés au temps et ne lui font
pas défaut. Mais si l’instant qui est signifié est celui de l’éternité, alors
on dit de Dieu qu’il existe en lui comme dans la mesure qui lui est propre et
adéquate, mais de l’Ange et du mobile qu’ils y sont comme d’une dans une
mesure qui les dépasse. Mais si c’est l’instant de l’aevum qui est signifié,
alors il correspondra à l’Ange comme une mesure qui lui est proportionnée, à
Dieu selon l’accompagnement et au mobile comme une mesure qui le dépasse. |
[1505] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aeternitas
indivisibilis est, et quod pluraliter aliquando significetur, hoc potest esse
dupliciter: vel secundum quod participatur in diversis, praecipue in beatis,
ut dicitur Dan. XII, 3: Qui ad justitiam erudiunt multos, quasi
stellae in perpetuas aeternitates ; vel ratione mensurae inferioris, cui
per se accidit divisio, scilicet ratione temporis. Unde est sensus: anni
aeternitatis, idest aeternitas, sub qua possibile esset contineri plurimos
annos, sicut in mensura excedenti. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que l’éternité est indivisible et qu’elle est signifiée
parfois de plusieurs manières, soit en particulier de deux manières :
soit selon qu’elle est participée dans différents êtres, surtout chez les
bienheureux, comme le dit l’Écriture [Daniel,
XII, 3] : Ceux qui ont enseigné la
justice à un grand nombre resplendiront comme les étoiles pour toute
l’éternité ; ou bien elle est signifiée en raison d’une mesure
inférieure à laquelle survient accidentellement une division, c’est-à-dire en
raison du temps. C’est pourquoi le sens est le suivant : les années de
l’éternité, c’est-à-dire l’éternité sous laquelle il serait possible que
plusieurs années soient contenues comme dans une mesure qui les dépasse. |
[1506] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut esse,
secundum rationem intelligendi, consequitur principia ipsius entis quasi
causas ; ita etiam mensura entis se habet ad mensuram essendi secundum
rationem causae. Unde nunc aeternitatis secundum rationem videtur esse causa
aeternitatis. Sed ex hoc non ostenditur diversitas in re, sed tantum in
ratione ; sicut nec inter ipsum divinum esse et ipsum ens. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que tout comme l’existence, selon la manière de la
comprendre, découle des principes de l’être lui-même comme de ses causes, de
même encore la mesure de l’être se rapporte à la mesure de l’existence selon
la raison de cause. C’est pourquoi l’instant de l’éternité selon la raison
semble être la cause de l’éternité. Mais à partir de là on ne montre pas une
diversité dans la réalité, mais seulement dans la raison, tout comme on n’en
montre pas non plus entre l’existence divine elle-même et l’être lui-même. |
[1507] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est similis
ratio de tempore et nunc temporis et de aeternitate et nunc aeternitatis, et
ratio assignata est. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que le rapport entre le temps et l’instant du temps
n’est pas semblable à celui qu’il y a entre l’éternité et l’instant de
l’éternité, et le rapport a été identifié. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [La grandeur des personnes divines] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[1508] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 pr. Deinde quaeritur de magnitudine ; et circa hoc
quaeruntur duo: 1 utrum
magnitudo Deo conveniat, et quid sit ; 2 de signo aequalitatis in magnitudine divinarum
personarum, secundum quod in se invicem [invicem om. Éd. de Parme] esse dicuntur. |
On s’interroge
ensuite sur la grandeur ; et à ce sujet, deux points font l’objet d’une
recherche : 1. Est-ce que
la grandeur convient à Dieu, et en quoi consiste-t-elle ? 2. Le signe de
l’égalité dans la grandeur des personnes divines, selon qu’on dit à leur
sujet qu’elles existent réciproquement [réciproquement om. Éd. de Parme] l’une dans l’autre. |
|
|
Articulus 1 [1509] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 tit. Utrum
magnitudo competat Deo |
Article 1 – La grandeur convient-elle à Dieu ? |
[1510] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur
quod magnitudo Deo non competat. Magnitudo enim est quaedam conditio
materiae. Sed nulla conditio materialis de Deo dicitur, nisi metaphorice.
Ergo videtur quod magnitudo Deo non conveniat nisi metaphorice. |
Difficultés : 1. Il semble
que la grandeur ne convienne pas à Dieu. La grandeur en effet est une
condition de la matière. Mais aucune condition de la matière ne se dit de
Dieu, si ce n’est en un sens métaphorique. Il semble donc que la grandeur ne
convienne à Dieu qu’en un sens métaphorique. |
[1511] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, magnum et parvum ex opposito
dividuntur. Sed, secundum philosophum, omne parvum est magnum sicut et omne
paucum est multum, ut X Metaphys., cap. IX dicit. Ergo videtur etiam quod
omne magnum sit parvum. Sed Deus non est parvus. Ergo non est magnus. |
2. Par
ailleurs, le grand et le petit se divisent pas l’opposé. Mais d’après le
Philosophe, tout petit est grand comme tout peu nombreux est nombreux [X Métaphysique, ch. 1X]. Il semble donc
aussi que tout grand soit petit. Mais Dieu n’est pas petit. Donc il n’est pas
grand. |
[1512] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 3 Item, magnitudo est quantitas continua.
Sed in Deo non potest esse continuatio, cum sit simplex et indivisibilis.
Ergo nec magnitudo. |
3. En outre,
la grandeur est une quantité continue. Mais il ne peut y avoir de continuité
en Dieu, puisqu’il est simple et indivisible. Il n’y a donc pas en lui de
grandeur. |
[1513] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 4 Si
dicas, quod in Deo est quantitas virtutis secundum quam dicitur magnus ; contra Deus secundum virtutem suam
dicitur potens. Sed hic dividitur potentia contra magnitudinem. Ergo non
intelligitur de magnitudine virtutis. |
4. Si tu dis
qu’en Dieu il y a la quantité de la puissance selon laquelle il est appelé
grand, je dirai par contre que Dieu est appelé puissant selon sa
puissance. Mais ici la puissance se divise par opposition à la grandeur. Elle
ne s’entend donc pas de la grandeur de la puissance. |
[1514] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur in Psalm. CXLVI, 5: Magnus Deus et magna virtus ejus. |
Cependant : C’est le
contraire qui est dit dans l’Écriture [Psaume
CXLVI, 5] : Dieu est grand et
grande est sa puissance. |
[1515] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in Deo non
potest esse quantitas nisi virtutis ; et cum aequalitas attendatur secundum
aliquam speciem quantitatis, aequalitas non erit nisi secundum virtutem.
Virtus autem, secundum philosophum VI Ethic.,
c. II, est ultimum in re de potentia. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il ne peut y avoir en Dieu que la quantité de la
vertu ; et puisque l’égalité se vérifie selon une espèce de la quantité,
il n’y aura là d’égalité que selon la vertu. Mais la vertu, selon le
Philosophe [ VI Éthique, ch. 11]
est l’excellence dans la chose au sujet de la puissance. |
Unde etiam dicitur in VII Physic., text. 18,
quod virtus est perfectio quaedam, et tunc unumquodque perfectum est quando
attingit propriam virtutem. Omnibus igitur illis modis quibus contingit
pertingere ad ultimum est considerare virtutem rei. |
C’est pourquoi
il dit encore [ VII Physique, texte
18] que la vertu est une certaine perfection, et alors chacun est parfait
quand il parvient à la vertu qui lui est propre. Il faut donc considérer la
vertu d’une chose d’après toutes les modalités par lesquelles il est possible
de parvenir à l’excellence. |
Hoc autem
contingit tripliciter: primo in
operationibus, in quibus contingit gradus perfectionis inveniri. Unde dicitur
habere virtutem ad operandum quod attingit completam operationem, prout
dicitur II Ethic., cap ; V, quod virtus est quae bonum facit habentem, et
opus ejus bonum reddit. |
Mais cela est
possible de trois façons : Premièrement
dans les opérations dans lesquelles il est possible de retrouver des degrés
de perfection. C’est pourquoi on dit que possède la vertu ordonnée à
l’opération celui qui parvient à poser une opération complète, comme on dit
[11 Éthique, ch. V] que la vertu
rend bon celui qui la possède et rend bonne aussi son œuvre. |
Secundo
etiam respectu ipsius esse rei, secundum quod etiam philosophus dicit, I Caeli et mundi, text. 103, quod
aliquid habet virtutem ut semper sit. Item
secundum plenitudinem perfectionis respectu ipsius entis, secundum quod
attingit ultimum naturae suae. Unde etiam virtus circuli dicitur, secundum
philosophum, V Phys., text. 5,
quando attingit complete definitionem suam. Si igitur virtus divina
consideretur secundum perfectionem ad opus, erit virtus potentiae operativae.
Si autem consideretur perfectio quantum ad ipsum esse divinum, virtus ejus
erit aeternitas. Si autem consideretur quantum ad complementum perfectionis
ipsius naturae divinae, erit magnitudo. |
Deuxièmement aussi par rapport à l’existence même de
la chose, selon ce que dit encore le Philosophe [1, Du Ciel et du Monde, texte 103], à savoir qu’un être possède la
vertu pour exister toujours. En outre selon la plénitude de la perfection par
rapport à l’être lui-même, selon qu’il parvient à l’excellence de sa nature.
C’est pourquoi la vertu se dit aussi du cercle d’après le Philosophe [V Physique, texte 5] quant il attaint
complètement sa circonscription. Si donc la vertu divine est considérée
d’après la perfection à agir, la vertu sera celle d’une puissance
opérationnelle. Mais si la perfection est considérée quant à l’existence même
de Dieu, sa vertu sera l’éternité. Mais si elle est considérée quant au
caractère accompli de la perfection de la nature divine elle-même, sa vertu
sera la grandeur. |
Quod patet ex hoc quod ipse probat aequalitatem in
magnitudine ex hoc quod tota plenitudo naturae Patris est in Filio ; secundum
quem etiam modum Augustinus dicit, VI De
trinitate, cap. VIII,
col. 929, quod in his quae non mole magna sunt, idem est majus esse quod
melius ; secundum quod etiam dicimus aliquem hominem esse magnum, qui est
perfectus in scientia et virtute. Et sicut omnipotentiae suae virtute omnes potentias
operativas fundat et in eis operatur ; ita per virtutem aeternitatis suae
instituit et firmat omnem durationem et per virtutem magnitudinis suae omnia
implet et continet. |
Ce qui est
évident du fait que lui-même prouve l’égalité dans la grandeur du fait que
toute la plénitude de la nature du Père est dans le Fils ; et c’est
aussi de la même manière que Saint-Augustin dit [ VI De la Trinité, ch. VIII,
col. 929] que dans les choses qui sont grandes d’une grandeur qui n’est pas
celle de la masse, être plus grand c’est être meilleur ; et c’est
d’après cela encore que nous disons qu’une homme est grand quand il est
parfait dans la science et la vertu. Et tout comme il établit toutes les
puissances opérationnelles et opère en elles par la vertu de sa toute-puissance,
de même par la vertu de son éternité il institue et affermit toute durée, et
par la vertu de sa grandeur il comble et conserve tous les êtres. |
[1516] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod magnitudo
secundum rationem generis sui, quod est quantitas, est conditio materiae ; et
secundum hoc non praedicatur de Deo, sed secundum rationem differentiae suae
; quae consistit in ratione completionis, prout dicimus aliquem ex parvo
fieri magnum, quando attingit completam quantitatem. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la grandeur, sous le rapport de son genre qui
est la quantité, est une condition de la matière ; et d’après cela elle
ne s’attribue pas à Dieu, mais seulement sous le rapport de sa différence qui
consiste dans la notion d’accomplissement, selon que nous disons d’une chose
que de petite elle devient grande, quand elle atteint sa quantité complète. |
[1517] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas
continua dividitur in infinitum, sed non in infinitum augetur ; et ideo
ratione divisionis infinitae quodlibet parvum potest habere minus, in cujus
respectu dicetur [ videtur Éd. de Parme]
magnum ; sed tamen non quolibet magno est aliquod majus, respectu cujus possit
dici minus, sicut patet in quantitate caeli. Nihilominus tamen si magnum et
parvum non dicatur secundum relationem, sed absolute, prout consideratur,
quantitas determinata ad aliquam speciem, sic quamvis quodlibet minus sit
majus, non tamen quodlibet minus est parvum, nec quodlibet majus est magnum,
ut dicit philosophus, III, Caeli et
lundi, text. 9. Nihilominus tamen sciendum quod Deus sicut dicitur
magnus, ita etiam dicitur parvus, ut dicit Dionysius, IX cap. De divin. Nom., § 3, col. 911, et
accipit parvum pro subtili, secundum quod ipse penetrat omnia, etiam
profundas cogitationes, et secundum quod dicitur quod principia sunt parva
quantitate et magna virtute. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la quantité continue se divise à l’infini,
mais elle ne croît pas à l’infini ; et c’est pourquoi tout ce qui est
petit, en raison de la division infinie, pourra avoir une quantité moindre
par rapport à laquelle il sera dit [paraîtra Éd. de Parme] grand ; cependant ce n’est pas par n’importe
quoi de grand qu’une chose est plus grande et par rapport à quoi elle peut
être dite moindre, comme on le voit dans la quantité du ciel. Néanmoins
cependant si le grand et le petit ne se disent pas selon la relation mais
absolument selon qu’on considère une quantité déterminée à une espèce, ainsi,
bien que n’importe quel moindre soit plus grand, ce n’est cependant pas
n’importe quel moindre qui est petit, ni n’importe quel plus grand qui est
grand ainsi que le dit le Philosophe [111 Du
Ciel et du Monde, texte 9]. Néanmoins cependant il faut savoir que tout
comme Dieu est appelé grand, de même il est aussi appelé petit, comme le dit
Denys [Les Noms Divins, ch. 1X,
& 3, col. 911], et il prend ici petit au sens de fin, selon que Dieu
pénètre toute chose, même les pensées les plus profondes, et selon qu’on dit
que les principes sont petits quantitativement parlant mais grands en
puissance. |
[1518] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod continuitas
sequitur magnitudinem dimensivam, non autem magnitudinem virtutis, quae sola
debet in Deo intelligi. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la continuité découle de la grandeur de la
dimension et non de la grandeur de la vertu qui est la seule à devoir être
comprise comme étant présente en dieu. |
[1519] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum patet jam solutio per ea quae
dicta sunt, in corp. art. ; quia virtus non tantum dicitur respectu operis
[operationis Éd. de Parme] secundum
quod hic accipitur potentia, sed etiam aliis modis, ut dictum est, ubi supra. |
4. En
quatrième lieu la solution à cette difficulté est déjà claire au moyen de ce
qui a été dit dans le corps de l’article ; car la vertu ne se dit pas
seulement par rapport à l’œuvre [l’opération Éd. de Parme], d’après le sens dans lequel on prend ici
puissance, mais aussi autrement comme nous l’avons dit plus haut. |
|
|
Articulus 2
[1520] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 tit. Utrum Pater sit in Filio et e
converso |
Article 2 – Le Père est-il dans le Fils et inversement ? |
[1521] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur quod Pater non sit in Filio nec e converso.
Philosophus enim, in IV Physic.,
text. 23, assignat octo modos essendi in, quorum nullus potest aptari ad hoc
quod Pater in Filio esse dicatur vel e converso. Neque enim est sicut totum
in partibus neque sicut e converso, neque sicut genus in speciebus neque
sicut e converso, neque sicut in loco, neque sicut forma in materia, neque
sicut in movente, sicut regnum est in rege ; neque sicut in fine optimo, ut
de facili potest probari. Ergo
Pater non est in Filio. |
Difficultés : 1. Il semble
que le Père ne soit pas dans le Fils ni réciproquement. Le Philosophe [IV Physique, texte 23] en effet désigne
huit manières d’exister dans un autre, dont aucun ne peut s’appliquer à ce
qu’on dit, à savoir que le Père est dans le Fils ou réciproquement. En effet,
il n’est pas comme un tout dans ses parties, ni comme une partie dans son
tout, ni comme un genre dans ses espèces ni comme inversement, ni comme dans
un lieu, ni comme une forme dans la matière, ni comme dans un moteur, comme
le royaume est dans le roi ; ni comme dans une fin suprême, comme on
peut le prouver facilement. Donc le Père n’est pas dans le Fils. |
[1522] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, eorum quorum unum est apud
alterum, ut distinctum ab ipso, unum non est in altero. Sed Filius est apud
Patrem, ut dicitur Joan. 1: Et Verbum
erat apud Deum. Ergo videtur quod Pater non sit in Filio, nec e converso. |
2. Par
ailleurs, parmi les choses dont l’une est auprès de l’autre et comme
distincte d’elle, l’une n’est pas dans l’autre. Mais le Fils est auprès du
Père comme le dit Jean (1, 1) : Et
le Verbe était auprès de Dieu. Il semble donc que le Père ne soit pas
dans le Fils, ni inversement. |
[1523] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 arg. 3 Item, in divinis non est nisi relatio
originis. Sed haec praepositio in importat aliquam habitudinem. Ergo in
divinis non potest importare nisi relationem originis. Sed non eamdem
relationem habet Filius ad Patrem et Pater ad Filium. Ergo vel non uterque
est in altero, vel non eodem modo. |
3. En outre,
il n’y a dans les personnes divines qu’une relation d’origine. Mais cette
préposition ¨dans¨ implique une certaine manière d’être. Donc dans les
personnes divines on ne peut introduite qu’une relation d’origine. Mais la
relation du Fils au Père n’est pas la même que celle du Père au Fils. Donc,
ou bien ce ne sont pas les deux qui sont dans l’autre, ou bien ils ne le sont
pas de la même manière. |
[1524] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra, ubicumque est essentia Patris,
est Pater. Sed tota essentia Patris est in Filio et e converso. Ergo Pater
est in Filio et e converso. |
Cependant : 1. Au
contraire, partout où est l’essence du Père, là est le Père. Mais toute
l’essence du Père est dans le Fils et réciproquement. Donc le Père est dans
le Fils et réciproquement. |
[1525] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in uno relativorum
intelligitur aliud. Sed Pater et Filius sunt relativa. Ergo videtur quod
Pater sit in Filio et e converso. |
2. Par
ailleurs, dans l’un des relatifs, l’autre est compris. Mais le Père et le
Fils sont des relatifs. Il semble donc que le Père soit dans le Fils et
réciproquement. |
[1526] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in divinis
personis est duo considerare: scilicet essentiam quae est una et eadem, et
relationes quibus distinguuntur ; et secundum utrumque Pater dicitur esse in
Filio et e converso, secundum diversorum assignationes. Secundum enim tres
doctores, qui in Littera inducuntur, scilicet Augustinum, Hilarium,
Ambrosium, hoc dicitur propter essentiae unitatem, quia essentia Patris est
in Filio et Pater non deserit naturam suam ; unde ubi est natura sua, ibi est
ipse, sicut patuit etiam ex verbis Hilarii (supra) inductis, (dist. 5),
inductis. Sed secundum Damascenum, lib. III Fid. orthod., cap. VI, col. 1002, hoc intelligitur secundum
rationem relationis, prout in uno relativorum intelligitur aliud. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que dans les personnes divines il y a deux choses à
considérer : c’est-à-dire l’essence qui est une et la même, et les
relations par lesquelles elles se distinguent ; et sous ces deux
rapports, on dit que le Père est dans le Fils et inversement, selon les assignations de différents auteurs. En
effet, d’après les trois docteurs qui sont introduits dans le Document, à
savoir Saint-Augustin, Saint-Hilaire et Saint-Ambroise, cela se dit à cause
de l’unité de l’essence, car l’essence du Père est dans le Fils et le Père
n’abandonne jamais sa nature ; c’est pouqquoi, là où est sa nature, là
il est Lui-même, ainsi qu’on l’a vu aussi à partir des paroles de
Saint-Hilaire présentées plus haut (dist. 5). Mais d’après Damascène [111 De la Foi Orthodoxe, ch. VI, col. 1002], cela s’entend sous le
rapport de la relation, selon que chacun des relatifs entre dans la notion de
l’autre. |
[1527] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod stricte
accipiendo, non omnes modi quibus aliquid est in aliquo, continentur in illis
octo, nisi per quamdam similitudinis reductionem ; sicut esse in tempore
reducitur ad illum modum quo aliquid dicitur esse in loco, quia utrumque est
sicut mensuratum in mensura ; sic etiam per quamdam similitudinem ille modus
potest reduci ad aliquem illorum. Si enim hoc accipiatur quantum ad unitatem
essentiae, tunc Pater dicitur esse in Filio propter hoc quod essentia Patris
in Filio est. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu qu’à le prendre au sens strict, ce ne sont pas tous
les modes par lesquels une chose est dans une autre qui se trouvent à être
contenus dans ces huit modalités, sauf si on les ramène à une certaine
ressemblance : tout comme exister dans le temps se ramène à ce mode par
lequel on dit d’une chose qu’elle est dans un lieu, car chacun des deux se
présente comme ce qui est mesuré dans une mesure ; de même encore c’est
pas une certaine ressemblance que ce mode peut se ramener à l’un d’eux. Si en
effet cet énoncé se prend quant à l’unité de l’essence, alors on dit du Père
qu’il est dans le fils pour cette raison que l’essence du Père est dans le
Fils. |
Unde ad illum modum reducitur ad quem reduceretur si
essentia in Filio esse diceretur. Hoc autem est per modum quo natura communis est in aliquo supposito,
et reducitur ad illum modum quo genus est in specie ; quamvis in divinis non
sit genus et species, ut infra, dist. 25, quaest. unic., art. 3, patebit. Si
autem accipiatur quantum ad relationem, tunc reducetur ad illum modum quo
aliquid est in aliquo sicut in principio movente et efficiente ; quamvis enim
Pater non sit principium efficiens Filii, tamen est originans ipsum. Unde
Filius est in Patre sicut originatum in originante, et e converso Pater in
Filio sicut originans in originato. Sed adhuc magis proprie dicitur in
divinis Filius in Patre, etiam ex parte relationis, quam in humanis ; quia
Filius ex ipsa relatione est persona subsistens ; sua enim relatio est sua
personalitas, quod in aliis rebus non contingit. |
C’est pourquoi
il se ramène à ce mode auquel il se ramènerait si on disait que l’essence est
dans le Fils. Mais cela se dit au moyen de ce mode par lequel une nature
commune est dans un suppôt, cela se
ramène à ce mode par lequel un genre est dans son espèce, bien qu’en Dieu il
n’y ait ni genre ni espèce, comme on le verra plus loin [dist. 25, quest.
unique, art. 3]. Mais si on prend cet énoncé quant à la relation, alors il se
ramène à ce mode par lequel une chose est dans une autre comme dans son
principe moteur et efficient, bien qu’en effet le Père ne soit pas le
principe efficient du Fils, il est cependant son origine. C’est pourquoi le
Fils est dans le Père comme celui qui procède est dans le principe d’origine,
et inversement le Père est dans le Fils comme le principe d’origine est dans
celui qui en procède. Mais en outre on dit plus proprement du Fils qu’il est
dans le Père dans les personnes divines que dans les personnes humaines, même
du côté de la relation, car c’est par la relation elle-même que le Fils est
une personne subsistante ; en effet, sa relation est sa personne, ce qui
n’est pas possible pour les autres réalités. |
[1528] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod una persona
dicitur esse apud aliam ratione distinctionis ; sed dicitur esse in alia vel
quantum ad essentiam, vel quantum ad intellectum relationum, quia in una
intelligitur alia, quamvis unum relativum ab altero sit distinctum. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu qu’on dit d’une personne qu’elle est auprès d’une autre
en raison de sa distinction ; mais on dit qu’elle est dans une autre
soit quant à l’essence, soit sous le rapport des relations, car l’un des
relatifs entre dans la notion de l’autre, bien que l’un des relatifs soit
distinct de l’autre. |
[1529] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si accipiatur
Pater esse in Filio propter unitatem essentiae, eodem modo est Pater in Filio
et Filius in Patre: et tunc haec praepositio in non importabit aliquam
relationem realem, sed tantum relationem rationis, qualis est inter essentiam
et personam, secundum quam essentia dicitur esse in persona. Si autem hoc
accipiatur ex parte relationis, tunc est alius modus, ut dictum est, in Resp.
ad primum, secundum diversam habitudinem Patris ad Filium et Filii ad Patrem. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que si on prend le Père comme étant dans le Fils à
cause de l’unité de l’essence, c’est de la même manière que le Père est dans
le Fils et que le Fils est dans le Père : et alors cette préposition
¨dans¨ n’impliquera pas une relation réelle, mais seulement une relation de
raison, laquelle se trouve entre l’essence et la personne, selon laquelle on
dit de l’essence qu’elle est dans la personne. Mais si on prend le même
énoncé du côté de la relation, alors le mode diffère, conformément à une
différente manière d’être du Père à l’égard du Fils et du Fils à l’égard d u
Père. ainsi que nous l’avons dit dans la réponse à la première difficulté. |
|
|
Quaestio 4 |
Question 4 – [Le tout attribué à Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic
quaeritur de duobus, secundum duas rationes quae in hac lectione habentur. Circa
primam probationem quaeruntur duo: 1 utrum in divinis sit totum integrale ; 2 utrum sit ibi totum universale. |
On s’interroge
ici sur deux choses, d’après deux notions qui sont contenues dans cette
leçon. Et au sujet de ce premier examen on pose deux questions : 1. Y a-t-il en
Dieu un tout intégral ? 2. Y a-t-il en
Dieu un tout universel ? |
|
|
Articulus 1
[1532] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 tit. Utrum in
divinis sit totum integrale |
Article 1 – Y a-t-il en Dieu un tout intégral[15] ? |
[1533] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur
quod in divinis sit totum integrale. Ubicumque enim est quantitas aliqua, ibi
est ratio totius integralis, cum omnis quantitas in partes divisibilis sit.
Sed in Deo est quantitas virtutis. Ergo est ibi totum integrale. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’il y ait en Dieu un tout intégral. Partout en effet où il y a une
quantité, il y a là raison de tout intégral, puisque toute quantité est
divisible en parties. Mais en Dieu il y a la quantité de la vertu. Il y a
donc là un tout intégral. |
[1534] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut quantitas continua
integratur ex suis partibus, ita et numerus. Sed in divinis est numerus
personarum, scilicet ternarius, cujus pars quaedam est unum et duo. Ergo
videtur quod sit ibi totum integrale. |
2. Par
ailleurs, tout comme la quantité continue est constituée comme tout à partir
de ses parties, il en est de même du nombre. Mais en Dieu il y a une nombre
de personnes, à savoir trois, dont les parties sont un et deux. Il semble
donc qu’il y ait un tout intégral en Dieu. |
[1535] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 3 Item, quidquid est aliquid alicujus et
non est illud, est pars integralis illius. Sed Pater est aliquid Trinitatis
et non est Trinitas. Ergo est pars integralis Trinitatis. |
3. En outre,
tout ce qui est une partie d’une chose sans être cette chose, est une partie
intégrale de cette chose. Mais le Père fait partie de la Trinité et n’est pas
la Trinité. Il est donc une partie intégrale de la Trinité. |
[1536] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, ex sola natura nunquam
constituuntur res naturae, et praecipue ubi sunt plures res naturae in una
natura. Sed in una natura divina sunt plures res naturae, scilicet personae.
Ergo oportet quod ad constitutionem personae aliquid aliud naturae divinae
adveniat ; et sic erit ibi aliquid integratum ex pluribus. |
4. De plus,
les choses d’une même nature ne sont jamais constituées à partir de leur
seule nature, et principalement là où il y a plusieurs choses de même nature
dans une seule et même nature. Mais dans une seule et même nature divine il y
a plusieurs choses de même nature, à savoir les personnes divines. Il faut
donc que quelque chose d’autre survienne à la nature divine pour constituer
la personne ; et ainssi il y aura là quelque chose qui sera constitué de
plusieurs parties intégrales. |
[1537] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 s. c. 1 Contra, omne totum integrale est
compositum ex partibus. Sed in Deo nulla est compositio, sed
summa simplicitas, ut supra, dist. 8, quaest. 4, art. 1, habitum est. Ergo in divinis non est
totum integrale. |
Cependant : 1. Au
contraire, tout tout intégral est composé de parties. Mais en Dieu il n’y a
nulle composition, mais la plus grande simplicité, ainsi que nous l’avons
établi plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 1]. Il n’y a donc en Dieu aucun
tout intégral. |
[1538] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod ratio totius integralis consistit in compositione.
Ratio autem partis integralis habet imperfectionem annexam, quibus divina
simplicitas et perfectio repugnat ; unde non potest ibi esse totum integrale
et pars. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que la notion de tout
integral consiste en une composition. Mais la notion de partie intégrale
comporte une imperfection qui lui est rattachée à laquelle répugne la
simplicité et la perfection divines; c’est pourquoi il ne peut y avoir là ni
tout integral, ni partie intégrale. |
[1539] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 1 Ad
primum igitur dicendum, quod quantitas virtutis non attenditur secundum
divisionem virtutis intrinsecus ; sed magis attenditur ejus divisio respectu
exteriorum, vel secundum numerum objectorum, vel secundum intensionem actus,
vel secundum modos agendi. Unde
patet quod in quantitate virtutis non est ratio totius et partis integralis,
quia partes integrales sunt intra suum totum. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la quantité de la vertu ne se vérifie pas
d’après une division intérieure de la
vertu, mais sa division se vérifie plutôt par rapport à quelque chose
d’extérieur, soit d’après le nombre des objet, soit selon l’intention de
l’acte, soit d’après les modes d’opération. D’où il est clair que dans la
quantité de la vertu il n’y a pas raison de tout intégral ni de partie
intégrale, car les parties intégrales sont à l’intérieur de leur tout. |
[1540] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in divinis
unitas vel dualitas non est pars ternarii nisi secundum rationis acceptionem.
Cujus ratio est, quia alio modo est numerus in rebus divinis et in rebus
creatis, et alio modo unitas. Cum enim unum sit quod est indivisum in se et
divisum ab aliis, unumquodque autem creatum per essentiam suam distinguatur
ab aliis ; ipsa essentia creati, secundum quod est indivisa in se et
distinguens ab aliis, est unitas ejus, et plures unitates constituentes
numerum personarum creatarum, sunt plures essentiae congregatae secundum
numerationem, ita quod nihil est in una quod sit in alia secundum numerum
idem. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que dans les personnes divines l’unité ou la dualité
n’est une partie de trois que selon la conception de la raison. La raison en
est que c’est d’une manière différente que se présentent le nombre et l’unité
dans les personnes divines et dans les choses créées. En effet, puisque l’un
est ce qui est indivisé en soi et divisé par les autres, toute chose créée se
distingue des autres par son essence ; l’essence même de la chose créée,
selon qu’elle est indivisée en elle-même et se distingue des autres, est son
unité ; et plusieurs unités constituant un nombre de personnes créées
sont plusieurs essences rassemblées selon le nombre, de telle manière que
rien de ce qui est dans l’une n’est numériquement identique à ce qui est dans
l’autre. |
Sic ergo
numerus in rebus creatis habet rationem distinctionis et cujusdam
coacervationis distinctorum per essentiam, et ex hoc habet rationem totius
integralis. Unitas autem personalis est ipsa proprietas relativa, distinguens
unam personam ab alia, et non essentiam ipsius personae ; unde tres personae
non sunt differentes per essentiam, cum una numero essentia sit in tribus
personis. Et ideo non potest ibi esse coacervatio, sed tantum distinctio. Et
propter hoc numerus non habet rationem totius integralis, nisi forte secundum
quod in intellectu coadunantur rationes proprietatum personalium. Sed per hoc
non erit integratio alicujus rei, sed in ratione tantum. |
Ainsi donc le
nombre dans les choses créées a raison de distinction et d’une certaine
accumulation de réalités distinctes par l’essence et de ce fait a raison de
tout intégral. Mais l’unité de la personne divine est la propriété relative
elle-même, laquelle distingue une personne d’une autre et non l’essence de la
personne ; c’est pourquoi les trois personnes ne sont pas différentes
par l’essence puisqu’il y a dans les trois personnes une seule essence
numériquement parlant. Et c’est pourquoi il ne peut y avoir là accumulation
mais seulement distinction. Et pour cette raison le nombre n’a pas raison de
tout intégral, si ce n’est peut-être
selon que les notions des propriétés personnelles sont réunies dans
l’intelligence. Mais par cela il n’y aura intégration dans une réalité, mais
dans la raison seulement. |
[1541] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec est falsa:
Pater est aliquid Trinitatis, si intelligatur partitive ; significaretur enim
quod haberet partem essentiae Trinitatis, ex hoc quod aliquid, cum sit
neutrum, essentiam significat. Sed haec est vera: [est aliquis Trinitatis: ex
quo non potest concludi quod sit pars Trinitatis, nisi secundum rationem ;
quia scilicet non est tot personae quot est Trinitas: quia Trinitas est tres
personae, et non Pater Éd. de Parme]. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que cette proposition est fausse : le Père est
quelque chose de la Trinité, si on l’entend à la manière d’un partage ;
elle signifierait en effet que le Père ne possède qu’une partie de l’essence
de la Trinité, du fait que quelque chose signifie l’essence puisqu’il est
neutre. Mais cette proposition est vraie : [le Père est quelqu’un de la
Trinité car de là on ne peut conclure qu’il soit une partie de la Trinité que
selon la raison : c’est-à-dire qu’il n’est pas à lui seul autant de
personnes qu’il y en a dans la Trinité : car la Trinité, c’est les trois
personnes et non pas le Père Éd. de
Parme]. |
Éd.
Mandonnet : [quia scilicet non est tot personae quot est Trinitas ;
quia Trinitas et tres personae, et non Pater. Sed ex hoc quod est aliquis
Trinitas non sequitur quod sit pars Trinitatis, nisi secundum rationem, ut
dictum est.] |
Éd. Mandonnet : [c’est-à-dire qu’il n’est pas
autant de personnes qu’il y en a dans la Trinité ; car la Trinité, c’est
les trois personnes et non pas le Père. Mais du fait qu’il est quelqu’un de
la Trinité, il ne s’ensuit pas qu’il soit une partie de la Trinité, si ce
n’est selon la raison, comme nous l’avons dit.] |
[1542] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod naturae divinae
nihil additur ad constituendum rem naturae, cum in Deo idem sit quo est et
quod est, sive qui est. Distinctio autem non est ex ratione naturae, sed ex
ratione proprietatis relativae ; quae quidem, secundum quod comparatur ad
essentiam, est ratione tantum et non re ab ipsa differens ; prout autem
comparatur ad correlativum cui opponitur, facit realem distinctionem
personae, ut supra dictum est, dist. 9, quaest. unic. art. 1. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que rien n’est ajouté à la nature divine pour
constituer une réalité de cette nature, puisqu’en Dieu ce par quoi il est et
ce qui est ou qui il est, sont identiques. Mais la distinction ne vient pas
de la raison de nature, mais de la raison de la propriété relative laquelle
certes, selon qu’elle se compare à l’essence, diffère d’elle par la raison et
non dans la réalité ; mais pour autant qu’elle se compare au corrélatif
auquel elle s’oppose, entraîne une distinction réelle de la personne ainsi
que nous l’avons dit plus haut [dist. 9, quest. unique, art. 1]. |
|
|
Articulus 2
[1543] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 tit. Utrum in
divinis sit totum universale |
Article 2 – Y a-t-il en Dieu un tout universel ? |
[1544] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod in divinis sit totum universale. Quidquid enim praedicatur de aliquo
substantialiter et non conversim, praedicatur de ipso ut totum universale de
parte subjectiva. Sed essentia divina, vel Deus, hoc modo praedicatur de
Patre: Pater enim est essentia divina, sed non quicumque est essentia divina
est Pater. Ergo ibi est totum universale. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’il y ait un tout universel en Dieu. Tout ce qui s’attribue
substantiellement à un être et non réciproquement s’attribue à une comme un
tout universel s’attribue à la partie subjective. Mais l’essence divine, ou
Dieu, s’attribue au Père de cette manière. Le Père en effet est l’essence
divine mais ce n’est pas toute personne divine ayant l’essence divine qui est
le Père. Il y a donc là un tout universel. |
[1545] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, universale et particulare
differunt, sicut commune et proprium. Sed in divinis invenitur commune et
proprium ; quia essentia est communis, et relatio est propria personae. Ergo
est ibi universale et particulare. |
2. Par
ailleurs, l’universel et le particulier diffèrent comme le commun et le
propre. Mais on retrouve le commun et le propre dans les personnes
divines ; car l’essence est commune tandis que la relation est propre à
la personne. Il y a donc là de l’universel et du particulier. |
[1546] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 3
Item, supra, dist. 5, ex
verbis Hilarii habitum est, quod Filius
Dei generis sui potestatem in habitu assumptae humilitatis [humanitatis Éd. de Parme] exercuit. Genus autem suum nominat
naturam divinam [suam Éd. de Parme].
Ergo videtur quod essentia sit genus et universale respectu personarum. |
3. En outre,
nous avons établi plus haut dans la distinction cinq à partir des paroles de
Saint-Hilaire que le Fils de Dieu a
exercé la puissance de son genre dans la possession de l’humilité [de
l’humanité Éd. de Parme] qu’il avait prise. Il semble donc que l’essence
soit le genre et l’universel par rapport aux personnes. |
[1547] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, scientia est species
cognitionis. Sed de Deo utrumque dicitur, scilicet quod cognoscit et scit.
Ergo videtur quod in divinis sit totum universale. |
4. Par
ailleurs, la science est une espèce de connaissance. Mais les deux se disent
de Dieu, à savoir qu’il connait et qu’il sait. Il semble donc qu’il y ait un
tout universel en Dieu. |
[1548] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, ubicumque est universale et
particulare, particularia sunt potentia in suis universalibus sicut
differentiae in genere. Sed in divinis non est aliquid in potentia. Ergo non
est ibi universale et particulare. |
Cependant : 1. Par contre,
partout où il y a l’universel et le particulier, les particuliers existent en
puissance dans leurs universels, comme les différences dans leur genre. Mais
en Dieu il n’y a rien qui soit en puissance. Il n’y a donc pas là d’universel
ni de particulier. |
[1549] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne superius est pars
integralis constituens definitionem inferioris ; unde dicit Porphyrius, in Praed., cap. « De diffi., » quod genus se habet
ad similitudinem materiae, et differentia ad similitudinem formae, et species
ad similitudinem compositi. Sed in divinis non est totum integrale et pars.
Ergo etiam nec totum universale et pars sibi respondens. |
2. De plus,
tout supérieur est une partie intégrale constituant la définition de
l’inférieur ; c’est pourquoi Porphyre [Les Prédicables, ch. Sur la
Différence] dit que le genre se présente comme une similitude de la
matière, la différence comme une similitude de la forme et l’espèce comme une
similitude du composé. Mais en Diue il n’y a ni tout, ni partie intégrale. Il
n’y a donc pas non plus un tout universel ni une partie qui lui correspond. |
[1550] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in divinis
non potest esse universale et particulare. Et hujus ratio potest quadruplex
assignari: |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’en Dieu il ne peut y avoir ni universel ni particulier. Et
quatre raisons peuvent être assignées pour le prouver : |
primo, quia,
secundum Avicennam, (II parte Logicae,
cap. II) ubicumque est
genus et species, oportet esse quidditatem differentem a suo esse, ut prius,
dist. 8, quaest. 1, art. 1, dictum est ; et hoc in divinis non competit ; |
Premièrement, parce que, selon Avicenne [Logique, partie 11, ch. 11], partout
où il y a genre et espèce, il faut que la quiddité soit différente de son
existence, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 8, quest. 1, art.
1], ce qui répugne à Dieu. |
secundo, quia essentia universalis non est
eadem numero in suis inferioribus, sed secundum rationem tantum ; essentia
autem divina est eadem numero in pluribus personis ; |
Deuxièmement, parce que l’essence universelle n’est
pas la même numériquement parlant dans ses inférieurs, mais elle est la même
seulement selon la raison ; mais l’essence divine est la même
numériquement parlant dans la pluralité des personnes. |
tertio, quia universale exigit pluralitatem
in his quae sub ipso continentur vel in actu vel in potentia: in actu sicut
est in genere, quod semper habet plures species ; in potentia sicut in
aliquibus speciebus, quarum forma, quantum est de se, possibilis est inveniri
in multis, cum omnis forma sit de se communicabilis ; sed quod inveniatur
tantum in uno, est ex parte materiae debitae illi speciei, quae tota adunatur
in uno individuo, ut patet in sole, qui constat ex tota sua materia ; et ista
pluralitas est secundum numerum, qui numerus simpliciter est fundatus in
substantiali distinctione: tres autem personae non numerantur tali numero, ut
dictum est, art. antec., et ideo essentia non habet rationem universalis ; |
Troisièmement, parce que l’universel exige une
pluralité, soit en acte, soit en puissance, dans les choses qui sont
contenues en lui : en acte, comme c’est le cas pour le genre qui possède toujours plusieurs
espèces ; en puissance comme dans certaines espèces, dont la forme qui,
quant à ce qu’elle est en elle-même, peut être retrouvée en plusieurs puisque
toute forme, en elle-même, est communicable ; mais ce qu’on retrouve
seulement dans une chose vient du côté de la matière qui est due à cette
espèce et qui est totalement réunie en un seul individu, comme on le voit
pour le soleil qui subsiste à partir de toute sa matière ; et cette
pluralité est selon le nombre, lequel nombre s’enracine absolument dans la
distinction substantielle : mais les trois personnes ne se nombrent pas
par un tel nombre, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, et
c’est pourquoi dans ce cas l’essence n’a pas raison d’universel. |
quarto, quia particulare semper se habet ex
additione ad universale. In divinis autem, propter summam simplicitatem, non
est possibilis additio, et ideo nec universale nec particulare. |
Quatrièmement, parce que le particulier se présente
toujours à partir d’une addition à l’universel. Mais dans les personnes
divines, à cause de leur parfaite simplicité, aucune addition n’est possible,
et c’est pourquoi ni l’universel, ni le particulier ne peut leur être ajouté. |
[1551] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod modus
praedicandi proportionatur ipsis rebus de quibus fit praedicatio ; cum,
secundum Hilarium, IV De Trinitate, §
14, col. 107, sermo sit rei subjectus. Unde sicut nulla res in creaturis
invenitur similis ex toto unitati essentiae in tribus personis, sed secundum
aliquid: ita etiam nullus modus praedicandi in creaturis est similis huic
modo praedicandi quo essentia vel Deus de tribus personis praedicatur. Dico
igitur, quod secundum id quod tactum est in objectione, habet similitudinem
cum modo praedicandi totius universalis, sed differt secundum alia quae
supra, in corp. art., dicta sunt. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que le mode d’attribution est proportionné aux
choses mêmes auxquelles il y a attribution, puisque, selon Saint-Hilaire [IV De la Trinité, & 14, col. 107], le
discours est soumis à la chose. C’est pourquoi, tout comme aucune chose dans
les créatures ne se trouve semblable en totalité à l’unité de l’essence dans
les trois personnes, mais seulement d’une certaine manière, de même encore
aucun mode d’attribution dans les créatures n’est semblable à ce mode
d’attribution par lequel l’essence ou Dieu est attribué aux trois personnes.
Je dis donc que ce dernier mode d’attribution, selon ce qui a été abordé dans
l’objection, présente une similitude avec le mode d’attribution du tout
universel, mais il en diffère sous d’autres rapport dont nous avons parlé
plus haut dans le corps de l’article. |
[1552] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commune,
quantum est de se, non determinat rei communitatem, vel rationis, sicut
universale ; et ideo essentia potest dici communis, non autem universalis. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que le commun, quant à ce qu’il est en lui-même, ne
détermine pas le caractère commun de la chose en elle-même ou de la raison
comme le fait l’universel ; et c’est pourquoi l’essence peut être dite
commune mais non pas universelle. |
[1553] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Hilarius
loquitur ad similitudinem creaturarum, prout communiter loquendo dicimus,
genus hominum unum genus esse, secundum quod est multitudo aliquorum se
habentium ad unum principium ; ita etiam dicitur genus divinum ipsa
pluralitas personarum, secundum ordinem emanationis ab uno principio, qui est
Pater. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que Saint-Hilaire parle de la similitude des
créatures, en tant que nous disons en parlant universellement que le genre
humain est un seul genre selon lequel il y a une multitude d’individus qui se
rapportent à un seul principe ; de même encore on dit la même chose du
genre divin à l’égard de la pluralité des personnes, selon un ordre d’origine
à partir d’un seul et même principe qui est le Père. |
[1554] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod in creaturis quaedam inveniuntur quae tam secundum
rationem generis, quam secundum rationem speciei dicunt aliquid perfectionis.
Unde attribuitur Deo utrumque secundum propriam rationem, sicut patet in
cognitione et scientia. Et haec quidem quamvis in creaturis se habeant sicut
genus et species, tamen in divinis non sic se habent ; quia unum, secundum rem
nihil addit super alterum, sed solum secundum rationem. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que dans les
créatures on retrouve certaines caractéristiques qui disent quelque chose de
la perfection, tant sous le rapport du genre que sous celui de l’espèce. C’est
pourquoi on attribute les deux à Dieu sous le rapport qui lui est propre,
ainsi qu’on le voit pour la connaissance et la science. Et bien que ces
caractères se présentent certes chez les créatures comme un genre et une
espèce, cependant ils ne se présentent pas ainsi dans les personnes divines;
car l’un n’ajoute rien à l’autre dans la réalité, mais seulement selon la
raison. |
|
|
Quaestio 5 |
Question 5 – [La vérité] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[1555] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 pr. Circa secundam probationem quaeritur de
veritate, et quaeruntur tria: 1 quid sit veritas ; 2 utrum omnia sint vera una veritate, quae est veritas
increata, [sive prima ; add. Ed.
de Parme] 3 de
conditionibus veritatis, scilicet aeternitate et incommutabilitate ejus. |
Par rapport à
l’autre examen on s’interroge sur la vérité, et on pose trois
interrogations : 1. Qu’est-ce
que la vérité ? 2. Est-ce que
toutes les vérités sont vraies par une seule et même vérité qui est une
vérité incréée [ou première ; add.
Éd. de Parme] 3. Quelles sont
les conditions de la vérité, à savoir son éternité et son immutabilité ? |
|
|
Articulus 1
[1556] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 tit. Utrum veritas sit
essentia rei |
Article 1 – La vérité est-elle l’essence de la chose ? |
[1557] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur
quod veritas sit idem quod essentia rei [rei om.Ed. de Parmei]. Dicit enim Augustinus, lib. II Soliquiorum, c. V, col. 389, quod
« verum est id quod est », et ab aliis dicitur quod verum est
indivisio esse et ejus quod est. Ergo unumquodque dicitur verum, secundum
quod habet esse. Esse autem est actus essentiae. Ergo cum unumquodque
veritate formaliter sit verum, videtur quod omnino idem sit veritas et
essentia. |
1. Il semble
que la vérité soit identique à l’essence de la chose [chose om. Éd. de Parme]. Saint-Augustin dit
en effet [11 Soliloques, ch. V,
col. 389] que ¨le vrai est ce qui est ¨ et d’autres disent que le vrai est
l’indivision de l’être et de ce qui
est. Donc tout est dit vrai selon qu’il a de l’être. Mais l’être est l’acte
de l’essence. Donc, puisque c’est par la vérité que tout est formellement
vrai, il semble que la vérité et l’essence soient absolument identiques. |
[1558] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque differunt re vel
ratione unum potest intelligi sine altero, unde etiam secundum Boetium,lib. De hebdom., col. 1312, potest
intelligi Deus, non intellecta ejus bonitate. Sed essentia rei non potest
intelligi sine veritate. Ergo essentia rei et veritas non differunt neque re
neque ratione. |
2. Par
ailleurs, pour tout ce qui diffère réellement ou par la raison, l’un peut
être compris sans l’autre et c’est pourquoi aussi d’après Boèce [Les Semaines, col. 1312], Dieu peut
être compris même si on ne comprend pas sa bonté. Mais l’essence d’une chose
ne peut être comprise sans la vérité. Donc l’essence de la chose et la vérité
ne diffèrent ni réellement ni par la raison. |
[1559] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 3 Item, quidquid differt secundum rationem
ab ente, se habet ex additione ad illud. Sed quod habet se ex additione ad
aliquid, contrahit et determinat illud, sicut se habet homo ad animal. Cum
igitur verum non contrahat ens (quia verum et ens convertuntur), videtur quod
veritas neque re neque ratione ab essentia differat. |
3. En outre,
tout ce qui diffère de l’être par la raison se présente comme une addition à
l’être. Mais ce qui se présente comme une addition à un être le restreint et
le détermine, comme c’est le cas pour l’homme par rapport à l’animal. Donc,
puisque le vrai ne restreint pas l’être (car l’être et le vrai se
convertissent), il semble que la vérité ne diffère de l’essence ni réellement
ni par la raison. |
[1560] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 4
Praeterea, Anselmus, lib. De veritate, cap. XI, col. 480, dicit, quod
veritas est rectitudo sola mente perceptibilis. Constat autem quod loquitur
metaphorice de rectitudine, quia rectitudo proprie dicta est passio continui.
Sed bonitas et justitia secundum propriam rationem habent quod sint rectitudo
sola mente perceptibilis. Ergo videtur quod veritas re et ratione sit idem
quod bonitas et justitia. |
4. Par
ailleurs, Saint-Anselme [De la Vérité,
ch. XI, col. 480] dit que la vérité est une droiture qui n’est perceptible
que par l’intelligence. Mais il est clair qu’il parle ici de la droiture en
un sens métaphorique, car la rectitude au sens propre est une propriété du continu. Mais
la bonté et la justice proprement dites sont une droiture perceptible par
l’intelligence seule. Il semble donc que la vérité soit identique réellement
et par la raison à la bonté et à la justice. |
[1561] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 5 Contra, contingit aliquid verum dicere
et de ente et de non ente. Sed non entia non habent essentiam. Cum ergo omne
verum veritate sit verum, videtur quod veritas non sit idem quod essentia. |
5. Au
contraire, il est possible de dire quelque chose de vrai à la fois de l’être
et du non-être. Mais ce qui n’existe pas n’a pas d’essence. Donc, puisque
tout ce qui est vrai est vrai par la vérité, il semble que la vérité ne soit
pas identique à l’essence. |
[1563] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 7 Item, veritas et falsitas sunt tantum in
complexis ; quia singulum incomplexorum neque verum neque falsum est. Sed
essentia est rerum incomplexarum. Ergo non est idem quod veritas. |
6. Par
ailleurs, la vérité et la fausseté ne se retrouvent que dans ce qui est
complexe ; car chacune des conceptions simples n’est ni vraie ni fausse.
Mais l’essence fait partie des réalités intellectuelles simples. Elle n’est
donc pas identique à la vérité. |
[1564] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 8 Item, veritati opponitur falsitas. Sed
falsitatem contingit invenire in entibus, sicut dicimus aurum falsum: sed de
ente non dicitur non ens. Ergo falsum non est idem quod non ens ; ergo nec
veritas est idem quod essentia ; quia si contrarium de contrario non
praedicatur ut idem, nec oppositum de opposito. |
7. En outre,
la fausseté s’oppose à la vérité. Mais il est possible de retrouver la
fausseté dans des êtres, par exemple lorsque nous disons que nous sommes en
présence d’un faux or : mais nous ne disons pas de l’être qu’il est du
non-être. Donc le faux n’est pas identique au non-être ; donc la vérité
n’est pas identique à l’essence ; car si le contraire ne s’attribue pas
comme identique au contraire, alors l’opposé ne s’attribuera pas comme
identique à l’opposé. |
[1565] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod eorum quae
significantur nominibus, invenitur triplex
diversitas. Quaedam enim
sunt quae secundum esse totum completum sunt extra animam ; et hujusmodi sunt
entia completa, sicut homo et lapis. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire que parmi ce qui est signifié par les noms, on retrouve une
triple diversité. Il y en a en
effet qui existent en dehors de l’âme selon la totalité complète de leur
existence. Et les êtres complets, comme l’homme et la pierre, sont de cette
sorte. |
Quaedam
autem sunt quae nihil habent extra animam, sicut somnia et imaginatio
Chimerae. |
Mais il y en a
qui ne possèdent aucune existence en dehors de l’âme, comme les songes et les
fables construites par l’imagination. |
Quaedam autem sunt quae habent fundamentum in re
extra animam, sed complementum rationis eorum quantum ad id quod est formale,
est per operationem animae, ut patet in universali. Humanitas enim est
aliquid in re, non tamen ibi habet rationem universalis, cum non sit extra
animam aliqua humanitas multis communis ; sed secundum quod accipitur in
intellectu, adjungitur ei per operationem intellectus intentio, secundum quam
dicitur species: et similiter est de tempore, quod habet fundamentum in motu,
scilicet prius et posterius ipsius motus ; sed quantum ad id quod est formale
in tempore, scilicet numeratio, completur per operationem intellectus
numerantis. |
Mais il y en a d’autres qui possèdent un fondement
dans la chose en dehors de l’âme mais ce qui complète leur définition du
point de vue formel a lieu par l’opération de l’âme, comme on le voit pour
l’universel. L’humanité en effet est quelque chose dans la réalité, mais ce
n’est pas là qu’elle a raison d’universel, puisqu’il n’existe pas en dehors
de l’âme une humanité commune à une pluralité d’individus; mais selon qu’elle
est recue dans l’intelligence, une intention lui est ajoutée par l’opération
de l’intelligence selon laquelle elle est appelée espèce: et il en est de
même pour le temps qui a un fondement dans le movement, à savoir qu’il est
l’avant et l’après du movement; mais quant à ce qu’il y a de formel dans le
temps, à savoir le fait de la compter, cela est accompli par l’opération de
l’intelligence qui compte. |
Similiter dico de veritate, quod habet fundamentum
in re, sed ratio ejus completur per actionem intellectus, quando scilicet
apprehenditur eo modo quo est. Unde dicit philosophus, VI Métaph., text. 8, quod verum et falsum
sunt in anima ; sed bonum et malum in rebus. Cum autem in re sit quidditas
ejus et suum esse, veritas fundatur in esse rei magis quam in quidditate,
sicut et nomen entis ab esse imponitur ; et in ipsa operatione intellectus
accipientis esse rei sicut est per quamdam similationem ad ipsum, completur
relatio adaequationis, in qua consistit ratio veritatis. |
Je dis qu’il en est de même pour la vérité qui
possède un fondement dans la réalité, mais sa definition est complétée par
l’action de l’intelligence, à savoir quand elle est saisie de la manière par
laquelle elle existe. C’est pourquoi le Philosophe [ VI Métaphysique, texte 8] dit que le vrai et le faux existent dans
l’âme, mais le bien et le mal dans les choses. Mais puisque c’est dans la
chose qu’existe sa quiddité et et son existence, la vérité se fonde davantage
dans l’existence de la chose que dans sa quiddité, tout comme le nom d’étant
est imposé à partir du terme ¨être¨; et c’est dans l’opération même de
l’intellect qui reçoit l’existence de la chose en tant qu’elle y existe par
une certaine resemblance à ce dernier, qu’est complétée la relation
d’adéquation dans laquelle consiste la notion de vérité. |
Unde dico,
quod ipsum esse rei est causa veritatis, secundum quod est in cognitione
intellectus. Sed tamen ratio veritatis per prius invenitur in intellectu quam
in re: sicut etiam calidum et frigidum et aliae causae sanitatis sunt causa
sanitatis quae est in animali, et tamen animal per prius dicitur sanum et
signa sanitatis et causa sanitatis dicuntur sana secundum analogiam ad sanum
quod de animali dicitur. Unde dico, quod verum per prius dicitur de veritate
intellectus, et de enuntiatione dicitur inquantum est signum illius veritatis
; de re autem dicitur, inquantum est causa. |
De là je dis
que l’existence même de la chose est la cause de la vérité selon qu’elle
existe dans la connaissance de l’intelligence. Mais cependant la notion de
vérité se retrouve dans l’intelligence avant de se retrouver dans la
chose : tout comme encore le chaud et le froid et les autres causes de
la santé sont cause de la santé qui est dans l’animal, et cependant c’est
l’animal d’abord qui est dit sain et par la suite les signes de la santé et
les causes de la santé sont dits sains par analogie à la santé qui se dit de
l’animal. C’est pourquoi je dis que le vrai se dit d’abord de la vérité de
l’intelligence, et il se dit ensuite de l’énonciation en tant qu’elle est le
signe de cette vérité, puis enfin de la chose, selon qu’elle en est la cause. |
Unde res
dicitur vera quae nata est de se facere veram apprehensionem quantum ad ea
quae apparent exterius in ipsa ; et similiter dicitur falsa res quae nata est
facere, quantum ad id quod apparet exterius de ipsa, falsam apprehensionem,
sicut aurichalcum dicitur aurum falsum. Et inde est etiam quod homo dicitur
falsus, qui dictis vel factis ostendit de se aliud quam sit ; et per
oppositum intelligitur veritas quae est virtus in dictis et factis
consistens, ut dicit philosophus, V Métaph.,
text. 34 (cf. IV Ethic. , c. XII) |
De là une
chose est dite vraie qui est apte d’elle-même à entraîner une appréhension
vraie à partir de ce qu’elle manifeste à l’extérieur d’elle-même ; et de
même une chose est dite fausse qui est apte d’elle-même, quant à ce qui
apparaît à l’extérieur d’elle-même, à entraîner une appréhension fausse, tout
comme on dit du laiton qu’il est un faux or. Et c’est de là qu’on dit encore
qu’est faux l’homme qui, à partir de ce qu’il dit et ce qu’il fait, se montre
autre qu’il est en réalité ; et c’est par opposition à cela que se comprend
la vérité qui est la vertu qui se maintient
dans le dire et le faire, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 34 (cf. IV Éthique, ch. XII)]. |
Utraque
autem veritas, scilicet intellectus et rei, reducitur sicut in primum
principium, in ipsum Deum ; quia suum esse est causa omnis esse, et suum
intelligere est causa omnis cognitionis. Et ideo ipse est prima veritas,
sicut et primum ens: unumquodque enim ita se habet ad veritatem sicut ad
esse, ut patet ex dictis. |
Mais les deux
vérités, à savoir celle de l’intelligence et de la chose se ramènent à Dieu
comme à un premier principe ; car son existence est la cause de toute
existence, et l’acte de son intellect est la cause de toute connaissance. Et
c’est pourquoi il est lui-même la première vérité, tout comme il est le
premier être : en effet, toute chose se rapport à la vérité comme elle
se rapporte à l’être, ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été dit. |
Et inde est
quod prima causa essendi est prima causa veritatis et maxime vera, scilicet
Deus, ut probat philosophus II Metaph.,
text. 4. Veritas autem enuntiationis reducitur in prima principia per se
nota sicut in primas causas ; et praecipue in hoc principium, quod affirmatio
et negatio non sunt simul vera, ut dicit Avicenna, II parte Logicae, cap. IV. |
Et c’est de là
qu’il faut poser que la cause première de l’être est aussi la cause première
de la vérité et qu’elle est la vérité suprême, à savoir Dieu, comme le prouve
le Philosophe [11 Métaphysique,
texte 4]. Mais la vérité de l’énonciation se ramène aux tout premiers
principes connus par eux-mêmes comme à ses causes premières, et surtout à ce
premier principe que l’affirmation et la négation ne sont pas simultanément
vraies, comme le dit Avicenne [Logique,
partie 11, ch. IV]. |
Sic ergo patet quomodo diversae definitiones de
veritate dantur. Quaedam enim veritatis definitio datur secundum hoc quod
veritas completur in manifestatione intellectus ; sicut dicit Augustinus,
lib. de vera religione, cap. XXXVI, col. 151 : Veritas est qua ostenditur id quod est
; et Hilarius V De Trinitate, § 14,
col. 137 : verum est declarativum
aut manifestativum esse. |
Il apparaît
donc clairement comment différentes définitions sont données au sujet de la
vérité. En effet, une définition de la vérité est donnée d’après ceci que la
vérité est complétée dans ce que l’intelligence en manifeste ; comme le
dit Saint-Augustin [De la Vraie
Religion, ch. XXXVI, col. 151] : La
vérité est la manifestation de ce qui est ; et Saint-Hilaire dit de
même [V De la Trinité, &14,
col. 137] : le vrai est la
déclaration ou la manifestation de l’être. |
Quaedam
autem datur de veritate secundum quod habet fundamentum in re, sicut illa
Augustini, II Soliloq., cap.V, col.
889 : « Verum est id quod est
; et alia magistralis: Verum est indivisio esse et ejus quod est » ; et
alia Avicennae, tract. VIII Metaph. :
« Veritas cujusque rei, est
proprietas sui esse quod stabilitum ei est ». |
Mais une autre
définition est donnée au sujet de la vérité d’après ce qu’elle a de fondement
dans la réalité, comme celle-ci qu’en donne Saint-Augustin [11 Soliloques, ch. V, col. 889] :
¨Le vrai est ce qui est¨ ; et cette autre du maître : ¨Le vrai est
l’indivision de l’être et de ce qui est¨ ; et cette autre enfin
d’Avicenne [Métaphysique, traité VIII] : ¨La vérité de chaque chose consiste dans la propriété de son être tel
qu’il lui a été attribué¨. |
Quaedam
autem datur secundum commensurationem ejus quod est in intellectu ad id quod
est in re, sicut dicitur: veritas est adaequatio rei ad intellectum ; et
Augustinus: « Verum est quod ita
se habet ut cognitori videtur si velit et possit cognoscere ». |
Mais une autre
définition de la vérité est donnée selon l’égalité de mesure de ce qui est
dans l’intelligence par rapport à ce qui existe dans la chose, comme
lorsqu’on dit que la vérité est l’adéquation de la chose à
l’intelligence ; et c’est là ce que dit Saint-Augustin : ¨Le vrai est ce qui est tel qu’il apparaît
à celui qui connaît si ce dernier veut et peut le connaître¨. |
Quaedam
autem datur de veritate secundum quod appropriatur Filio, cui etiam
appropriatur cognitio, scilicet ab Augustino, lib. De vera relig., cap. XXXVI, col. 151 : « Veritas est
summa similitudo principii quae sine ulla dissimilitudine est ». |
Mais une autre
définition est données de la vérité selon qu’elle est appropriée au Fils
auquel est aussi appropriée la connaissance par Saint-Augustin [De la Vraie Religion, ch. XXXVI, col.
151] : ¨La vérité est la parfaite
similitude de chaque chose avec son principe sans nulle dissemblance¨. |
Quaedam
autem datur de veritate, comprehendens omnes veritatis acceptiones, scilicet:
veritas est rectitudo sola mente perceptibilis. In rectitudine tangitur
commensuratio ; et in hoc quod dicitur sola mente perceptibilis, tangitur id
quod complet rationem veritatis. |
Mais il y a
une définition de la vérité qui est donnée et qui comprend toutes les
acceptions de la vérité, à savoir : la vérité est une rectitude qui est
perçue par la seule intelligence. Par le terme de rectitude on touche à
l’idée de proportion ou d’égalité de mesure ; et en ceci qu’on dit
qu’elle n’est perçue que par l’intelligence, on touche ce qui complète la
notion de vérité. |
Patet etiam
ex dictis, quod veritas addit supra essentiam secundum rationem, scilicet
ordinem ad cognitionem vel demonstrationem alicujus. |
Il est encore
clair à partir de ce qui a été dit que la vérité ajoute à l’essence selon la
raison, c’est-à-dire le rapport à la connaissance ou à la démonstration d’une
vérité. |
[1566] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod esse
dicitur dupliciter: uno modo
secundum quod ens significat essentiam rerum prout dividitur per decem genera
; alio modo
secundum quod esse significat compositionem quam anima facit ; et istud ens
philosophus, V Metaph., text. 14,
appellat verum. Et similiter
Augustinus, cum dicit quod verum est id quod est ; quasi dicat: verum est
quando dicitur de eo quod est ; et similiter intelligitur quod dicitur: verum
est indivisio esse et ejus quod est. Et si in negativis sit veritas quae non
consistit in compositione, sed in divisione, tamen veritas negative fundatur
supra veritatem affirmative, cujus signum est quod nulla negativa probatur
nisi per aliquam affirmationem. Vel potest dici, quod definitiones istae
dantur de vero non secundum completam sui rationem, sed secundum illud quod
fundatur in re. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que l’être
se dit de deux manières : en un premier
sens selon que l’être signifie l’essence des choses selon qu’elle se divise
par les dix genres ; en un deuxième
sens selon que l’être signifie la composition que l’âme fait ; et cet
être, le Philosophe [V Métaphysique,
texte 14] l’appelle le vrai. Et
Saint-Augustin fait de même lorsqu’il dit que le vrai est ce qui est ;
c’est comme s’il disait : il y a vérité quand on dit de la chose qu’elle
est et que ce qu’on dit est entendu semblablement : le vrai est
l’indivision de l’être et de ce qui est. Et si dans les négatives il y a une
vériét qui ne consiste pas en une composition mais en une division, cepenant
la vérité qui est sous une forme négative se fonde sur une vérité
affirmative ; le signe en est qu’aucune négative n’est prouvée si ce
n’est par une affirmative. Ou bien on peut encore dire que ces définitions au
sujet de la vérité ne sont pas données d’après sa notion complète, mais selon
qu’elle se fonde sur la réalité. |
[1567] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod sicut bonitas dicit rationem per quam essentia ordinatur
ad appetitum, ita veritas dicit rationem per quam essentia ordinatur ad
intellectum. Unde sicut
nullum esse appetitur amota ratione boni, ita nullum esse intelligitur amota
ratione veri. Nihilominus tamen alia est ratio veri et alia ratio entis.
Dupliciter enim dicitur aliquid non posse intelligi sine altero. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que tout comme le bien dit le rapport par lequel
l’essence est ordonnée à l’appétit, de même la vérité dit le rapport par
lequel l’essence est ordonnée à l’intelligence. C’est pourquoi, tout comme
aucun être n’est désiré si on enlève la notion de bien, de même aucun être
n’est l’objet de l’acte de l’intelligence si on enlève la notion de vrai.
Néanmoins cependant, autre est la notion du vrai, autre est la notion d’être.
En effet, c’est de deux manières qu’on dit qu’une chose ne peut être comprise
sans une autre. |
Aut ita quod
unum non possit intelligi si non ponatur alterum esse ; et sic dicitur quod
esse non potest intelligi sine vero, sicut etiam non potest intelligi sine
hoc quod est esse intelligibile. |
Soit de telle
manière que l’une ne peut être comprise si on ne pose pas que l’autre
existe ; et c’est ainsi qu’on dit que l’être ne peut être compris sans
le vrai, tout comme aussi il ne peut être compris sans que l’être soit
intelligible. |
Sive ita
quod quandocumque intelligitur unum, intelligatur alterum ; sicut quicumque
intelligit hominem intelligit animal. Et hoc modo esse potest intelligi sine
vero, sed non e converso: quia verum non est in ratione entis, sed ens in
ratione veri ; sicut potest aliquis intelligere ens, et tamen non intelligit
aliquid de ratione intelligibilitatis ; sed nunquam potest intelligi
intelligibile, secundum hanc rationem, nisi intelligatur ens. Unde etiam
patet quod ens est prima conceptio intellectus. |
Soit de telle
manière qu’à chaque fois que l’un est compris, l’autre est compris ;
tout comme quiconque comprend l’homme comprend l’animal. Et en ce sens l’être
peut être compris sans le vrai, mais non inversement : car le vrai n’est
pas compris dans la notion de l’être, mais l’être est compris dans la notion
du vrai ; par exemple quelqu’un peut concevoir l’être sans cependant
concevoir quelque chose de la notion d’intelligibilité ; mais on ne peut
jamais concevoir l’intelligible, en tant qu’intelligible, sans concevoir
l’être. C’est pourquoi encore il est clair que l’être est la première
conception de l’intelligence. |
[1568] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verum addit
supra ens, sicut et bonum et unum. Nullum tamen eorum addit aliquam
differentiam contrahentem ens, sed rationem quae consequitur omne ens ; sicut
unum addit rationem indivisionis, et bonum rationem finis, et verum rationem
ordinis ad cognitionem ; et ideo haec quatuor convertuntur, ens, bonum, unum
et verum. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que le vrai ajoute à l’être comme c’est le cas pour le
bien et pour l’un. Cependant, aucune de ces notions n’ajoute une différence
qui limite l’être, mais seulement une notion qui découle de l’être ; par
exemple l’un ajoute la notion d’indivision, et le bien la notion de fin, et
le vrai la notion de rapport à la connaissance ; et c’est pourquoi ces
quatre notions, à savoir l’être, le bien, l’uln et le vrai, se convertissent. |
[1569] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rectitudo
dicitur de bonitate, justitia et veritate, metaphorice, secundum diversas
rationes. Invenitur enim in recto quaedam aequalis proportio principii, medii
et finis ; unde secundum hoc quod aliquis in distribuendo vel communicando,
mensuram aequalitatis justitiae servat, vel mensuram praecepti legis, dicitur
rectitudo justitiae ; secundum autem quod aliquid non egreditur
commensurationem finis, dicitur rectitudo bonitatis ; secundum autem quod non
egreditur ordinem commensurationis rei et intellectus, dicitur rectitudo
veritatis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la droiture se dit métaphoriquement de la bonté,
de la justice et de la vérité, selon différentes définitions. On retrouve en
effet dans le droit une proportion égale du commencement, du milieu et de la
fin ; c’est pourquoi, suivant ceci qu’on observe la mesure de l’égalité
de la justice dans la distribution et la communication, ou qu’on observe la
mesure du précepte de la loi, on dit de la droiture qu’elle est celle de la
justice ; mais selon que quelque chose n’outrepasse pas l’égalité de
mesure de la fin, on dit de la droiture qu’elle est celle du bien ; mais
selon qu’elle n’outrepasse pas l’ordre de l’égalité de mesure de la chose et
de l’intelligence, on dit de la droiture qu’elle est celle de la vérité. |
[1570] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, secundum
Avicennam tract. II Metaph., cap.
1, de eo quod nullo modo est, non potest aliquid enuntiari: ad minus enim oportet
quod illud de quo aliquid enuntiatur, sit apprehensum ; et ita habet aliquod
esse ad minus in intellectu apprehendente ; et ita constat quod semper
veritati respondet aliquod esse ; nec oportet quod semper respondeat sibi
esse in re extra animam, cum ratio veritatis compleatur in ratione animae. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que d’après
Avicenne [Métaphysique, traité 11, ch. 1], on ne peut rien énoncér au sujet
de ce qui n’existe d’aucune manière ; il faut en effet que cela même, au
sujet de quoi on énonce quelque chose, soit appréhendé ; et ainsi cela
possède une certaine existence au moins dans l’intellect de celui qui
appréhende ; et ainsi il est clair qu’à la vérité correspond toujours
une certaine forme d’existence et il n’est pas nécessaire que lui corresponde
toujours une existence dans la réalité qui est en dehors de l’âme, puisque la
notion de vérité trouve son achèvement dans le rapport à l’âme. |
[1571] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis esse sit
in rebus sensibilibus, tamen rationem essendi, vel intentionem entis, sensus
non apprehendit, sicut nec aliquam formam substantialem, nisi per accidens,
sed tantum accidentia sensibilia. Ita etiam quamvis veritas sit in rebus
sensibilibus, prout dicitur esse veritas in rebus, tamen intentio veritatis
solo intellectu percipitur. Vel dicendum, quod quamvis res sensibiles sensu
comprehendantur, tamen earum adaequatio ad intellectum sola mente capitur, et
pro tanto dicitur, quod veritas est sola mente perceptibilis. |
6. Il faut
dire en sixième lieu que bien qu’il y ait de l’être dans les choses
sensibles, cependant le sens n’appréhende pas la notion d’être ou l’intention
de l’être, tout comme il n’appréhende pas la forme substantielle, si ce n’est
pas accident, mais seulement les accidents sensibles. De même encore, bien
que la vérité soit dans les choses sensibles, pour autant qu’on dise que la
vérité est dans les choses, cependant l’intention de vérité n’est perçue que
par l’intelligence. Ou bien il faut dire que bien que les choses sensibles
soient saisies par le sens, cependant leur adéquation à l’intelligence n’est
saisie que par l’esprit et c’est pour cela qu’on dit que la vérité n’est
perceptible que par l’esprit. |
[1572] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cum sit duplex
operatio intellectus: una quarum dicitur a quibusdam imaginatio intellectus,
quam philosophus, III De anima, text.
21, nominat intelligentiam indivisibilium, quae consistit in apprehensione
quidditatis simplicis, quae alio etiam nomine formatio dicitur ; alia est
quam dicunt fidem, quae consistit in compositione vel divisione
propositionis: prima operatio respicit quidditatem rei ; secunda respicit
esse ipsius. |
7. Il faut
dire en septième lieu que puisqu’il y a deux opérations de
l’intelligence : donc l’une est appelée par certains l’imagination de
l’intelligence, et que le Philosophe [111 De
l’Âme, texte 21] appelle l’intelligence des conceptions indivisibles qui
consiste dans l’appréhension de la quiddité simple qui est aussi appelée du
nom de formation ; et l’autre qu’ils appellent l’opinion, qui consiste
en une composition ou une division de la proposition, il résulte de là que la
première opération se rapporte à la quiddité de la chose alors que la deuxième
se rapporte à son existence. |
Et quia ratio veritatis fundatur in esse, et
non in quidditate, ut dictum est, in corp., ideo veritas et falsitas proprie
invenitur in secunda operatione, et in signo ejus, quod est enuntiatio, et
non in prima, vel signo ejus quod est definitio, nisi secundum quid ; sicut
etiam quidditatis esse est quoddam esse rationis, et secundum istud esse
dicitur veritas in prima operatione intellectus: per quem etiam modum dicitur
definitio vera. Sed huic veritati non adjungitur falsitas per se, quia
intellectus habet verum judicium de proprio objecto, in quod naturaliter
tendit, quod est quidditas rei, sicut et visus de colore ; sed per accidens
admiscetur falsitas, scilicet ratione affirmationis vel negationis annexae,
quod contingit dupliciter: a/ vel ex
comparatione definitionis ad definitum, et tunc dicitur definitio falsa
respectu alicujus et non simpliciter, sicut definitio circuli est falsa de
triangulo ; b/ vel in
respectu partium definitionis ad invicem, in quibus implicatur impossibilis
affirmatio ; sicut definitio vacui, quod est locus in quo nullum corpus est ;
et haec definitio dicitur falsa simpliciter, ut in V Metaphys., Metaph., text. 34, dicitur. |
Et parce que
la notion de vérité se fonde dans l’existence et non dans la quiddité, ainsi
que nous l’avons dit dans le corps de l’article, c’est pourquoi la vérité et
la fausseté se retrouve proprement dans la deuxième opération et dans son
signe qui est l’énonciation, et non pas dans la première ou dans son signe
qui est la définition, si ce n’est d’une certaine manière ; tout comme
encore l’être de la quiddité est un certain être de raison, et c’est d’après
cet être qu’on dit de la vérité qu’elle est dans la première opération de
l’intelligence : et c’est aussi suivant cette modalité qu’on dit de la
définition qu’elle est vraie. Mais la fausseté ne se s’applique pas
essentiellement à cette vérité, car l’intelligence possède un jugement vrai
sur son objet propre vers lequel il tend naturellement et qui est la quiddité
de la chose, tout comme la vue porte un jugement vrai sur son objet propre
qui est la couleur ; mais c’est par accident que la fausseté se mêle à
cette vérité, c’est-à-dire en raison de l’affirmation ou de la négation qui
s’y rattache, ce qui ce produit de deux manières : a) soit par la
comparaison de la définition au défini, et alors la définition est dite
fausse par rapport à un défini et non fausse absolument, comme la définition
du cercle est fausse si on l’attribue au triangle. b) soit dans
le rapport des parties de la définition entre elles, dans lesquelles est
impliquée une affirmation impossible ; par exemple la définition du vide
qui est le lieu dans lequel n’existe aucun corps ; et on dit de cette
définition qu’elle est fausse absolument, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 34]. |
Sed hoc non
contingit nisi in quidditatibus compositorum: quia in quidditatibus rerum
simplicium non deficit intellectus nisi ex hoc quod omnino nihil intelligit,
ut in IX Metaph., text. 22,
dicitur. Secundae autem operationi admiscetur falsitas etiam per se: non
quidem quantum ad primas affirmationes quas naturaliter intellectus
cognoscit, ut sunt dignitates, sed quantum ad consequentes: quia rationem
inducendo contingit errare per applicationem unius ad aliud. Patet igitur ex
dictis, in corp. art., quod verum proprie loquendo, quod invenitur tantum in
complexis, non impedit conversionem veri et entis: quia quaelibet res
incomplexa habet esse suum, quod non accipitur ab intellectu nisi per modum
complexionis ; et ideo ipsa ratione quam addit verum supra ens, scilicet
ordinem ad intellectum, sequitur ista differentia, quod verum sit
complexorum, et ens dicatur de re extra animam incomplexa. |
Mais cela
n’est possible que pour les quiddités des êtres composés : car pour les
quiddités des êtres simples, l’intelligence n’est fautive que du faut qu’elle
n’y comprend absolument rien comme le dit le Philosophe [1X Métaphysique, texte 22]. Mais c’est
aussi par soi que la fausseté se même à la deuxième opération : non pas
certes quant aux premières affirmations que l’intelligence connaît
naturellement, à savoir les dignités, mais quant à ce qui en découle :
car il arrive à la raison de se tromper dans sa conduite en appliquant les
unes aux autres. Il est donc clair à partir de ce qui a été dit dans le corps
de l’article que le vrai à proprement parler qu’on retrouve seulement dans le
complexe n’empêche pas la conversion du vrai et de l’être : car toute
réalité incomplexe possède sa propre existence qu’elle ne reçoit pas de
l’intelligence si ce n’est à la manière d’un ajout ; et c’est pourquoi,
par la notion que le vrai ajoute à l’être, c’est-à-dire l’ordre à
l’intelligence, il s’ensuit cette différence que le vrai appartient aux
réalités complexes, et que l’être se dit de la réalité incomplexe en dehors
de l’âme. |
[1573] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 8 Ad ultimum dicendum, quod, sicut dictum
est, in corp. art., ens est prima conceptio intellectus ; unde enti non
potest aliquid opponi per modum contrarietatis vel privationis, sed solum per
modum negationis: quia sicut ipsum non fundatur in aliquo, ita nec oppositum
suum: opposita enim sunt circa idem. |
8. Il faut
dire en dernier lieu que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de
l’article, l’être est la première conception de l’intelligence ; c’est
pourquoi on ne peut rien opposer à l’être par mode de contrariété ou de
privation, mais seulement par mode de négation : car tout comme lui-même
ne se fonde par sur quelque chose, il en est de même pour son opposé :
les opposés en effet se rapportent à un même sujet. |
Sed unum,
verum et bonum, secundum proprias intentiones, fundantur supra intentionem
entis, et ideo possunt habere oppositionem contrarietatis vel privationis
fundatae super ens, sicut et ipsa super ens fundantur. Unde patet quod non
eodem modo se habet verum et falsum et malum et bonum sicut ens et non ens,
nisi accipiatur non ens particulariter pro remotione alicujus cui
substernitur aliquod ens. Unde sicut quaelibet privatio entis particularis
fundatur in bono, sic et falsum fundatur in aliquo vero sicut in aliquo esse.
Unde sicut illud in quo est falsitas vel malitia, est aliquod ens, sed non
est ens completum ; ita etiam illud quod est malum vel falsum, est aliquod
bonum vel verum incompletum. |
Mais l’un, le
vrai et le bien , d’après leurs intentions propres, se fondent sur
l’intention de l’être et c’est pourquoi ces intentions peuvent avoir
l’opposition de la contrariété ou de la privation qui se fonde sur l’être,
tout comme eux-mêmes se fondent sur l’être. C’est pourquoi il est clair que
le rapport du vrai au faux et du mal au bien n’est pas le même que le rapport
de l’être au non-être, à moins qu’on ne prenne le non être non pas
universellement mais particulièrement, pour l’enlèvement de quelque chose
sous lequel se tenait un être. C’est pourquoi, tout comme toute privation
d’un être particulier se fonde sur le bien, de même le faux se fonde sur une
certaine vérité comme sur un certain être. C’est pourquoi tout comme ce en
quoi se trouve la fausseté ou le mal est un certain être mais non pas un être
complet, de même encore ce qui est mal ou faux est un certain bien ou une
vérité incomplète. |
|
|
Articulus 2
[1574] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 tit. Utrum omnia
sint vera veritate increata. |
Article 2 – Tout est-il vrai d’une vérité incréée ? |
[1575] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod omnia sint vera una veritate quae est veritas increata. Sicut enim
dictum est in solutione praecedentis articuli, verum dicitur analogice de illis
in quibus est veritas, sicut sanitas de omnibus sanis. Sed una est sanitas
numero a qua denominatur animal sanum, sicut subjectum ejus, et medicina sana
sicut causa ejus, et urina sana sicut signum ejus. Ergo videtur quod
una sit veritas qua omnia dicuntur vera. |
Difficultés : 1. Il semble
que tout soit vrai d’une vérité qui est une vérité incréée. En effet, tout
comme nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent, le vrai se dit
d’une manière analogue des choses dans lesquelles se trouve la vérité, tout
comme la santé de dit d’une manière analogue de tout ce qui est dit sain.
Mais il n’y a qu’une seule santé numériquement parlant par laquelle l’animal
est dit sain en tant que sujet de la santé, la médecine en tant que cause de
la santé et l’urine en tant que signe de la santé. Il semble donc qu’il
n’y ait qu’une seule vérité par
laquelle toutes les choses sont dites vraies. |
[1576] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, omnis rectitudo attenditur
per aliquam mensuram. Sed veritas est rectitudo quaedam. Cum igitur videamus,
omnibus temporalibus respondere unum tempus quasi mensuram, videtur etiam
quod omnibus veris respondeat una veritas, secundum quam dicantur vera. |
2. Par
ailleurs, toute droiture se vérifie par une certaine mesure. Mais la vérité
est une certaine droiture. Donc, puisque nous voyons qu’à toutes les choses
temporelles correspond un seul temps comme mesure, il semble aussi qu’à
toutes les choses vraies corresponde une seule vérité d’après laquelle elles
sont dites vraie. |
[1577] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut se habet bonitas ad
bona, ita se habet veritas ad vera. Sed omnia sunt bona una bonitate. Unde
Augustinus, lib. VIII de Trinit., c.
III, col. 949 : Bonus est homo, bona est facies,… bonum
est hoc et illud. Tolle hoc et illud, et videbis bonum omnis boni. Unde
videtur quod sit una bonitas numero in omnibus participata, secundum quam
dicuntur bona. Ergo videtur quod similiter omnia dicantur vera una
veritate, quae est veritas increata. |
3. En outre,
ce que la bonté est aux choses bonnes, la vérité l’est aux choses vraies.
Mais toutes les choses sont bonnes par une seule et même bonté. C’est
pourquoi Saint-Augustin [ VIII De la
Trinité, ch. 111, col. 949] dit : Bon est l’homme et bon est son sapect, …bon est ceci et bon est cela.
Enlève donc ceci et cela, et tu verras le bien de tout bien. C’est
pourquoi il semble que ce soit par une seule et même bonté numérique
participée dans tous les êtres qu’on dise de ces derniers qu’ils sont bons.
Il semble donc de la même manière que ce soit par une seule et même vérité,
qui est une vérité incréée, que toutes les choses soient dites vaies. |
[1578] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 4 Si
dicas quod omnia dicuntur vera veritate increata exemplariter ; contra. Uniuscujusque formae exemplar
est in Deo, quod est creatrix essentia. Si igitur hoc sufficeret ut omnia
dicerentur vera veritate increata, quia exemplantur ab ipsa, videtur quod
similiter omnia possent dici colorata, quia exemplantur colore, qui est in
Deo exemplariter: quod est inconveniens. |
4. Si tu dis
que toutes les choses sont dites vraies d’une vérité incréée prise comme
modèle, je dis par contre que le modèle de toute forme est en Dieu, lequel
est l’essence créatrice. Si donc cela suffisait, pour dire que toutes les
choses sont vraies d’une vérité incréée, qu’elles soient copiées à partir de
la vérité incréée, il semblerait de la même manière quetoutes les choses
pourraient être dites colorées parce qu’elles sont copiées à partir de cette couleur
qui est en Dieu à titre de modèle : ce qui est faux. |
[1579] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 5 Contra,
mala fieri est verum. Sed nullum malum est a Deo. Ergo videtur quod non omnia
vera sint vera veritate increata. |
5. Cependant,
il est vrai que des maux se produisent. Mais aucun mal ne vient de Dieu. Il
semble donc que ce ne soient pas toutes les vérités qui soient vraies d’une
vérité incréée. |
[1580] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. antec., ratio veritatis in
duobus consistit: in esse rei, et in apprehensione virtutis cognoscitivae
proportionata ad esse rei. Utrumque
autem horum quamvis, ut dictum est, distin. 8, quaest. 1, art. 1, reducatur
in Deum sicut in causam efficientem et exemplarem ; nihilominus tamen
quaelibet res participat suum esse creatum, quo formaliter est, et
unusquisque intellectus participat lumen per quod recte de re judicat, quod
quidem est exemplatum a lumine increato. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il
faut dire, tout comme nous l’avons dit dans l’article précédent, que la
notion de vérité consiste en deux choses : dans l’existence de la chose,
et dans l’appréhension de la puissance cognitive qui est proportionnée à
l’existence de la chose. Mais bien que ces deux conditions, comme nous
l’avons dit plus tôt [dist. 8, quest. 1, art. 1] se ramènent à Dieu comme à
leur cause efficiente et exemplaire, néanmoins cependant toute chose
participe de son existence créée par laquelle elle existe formellement, et
chaque intelligence participe de la lumière par laquelle elle juge des choses
avec rectitude, laquelle lumière est certes comme une copie qui vient de la
lumière incréée. |
Habet etiam
intellectus suam operationem in se, ex qua completur ratio veritatis. Unde
dico, quod sicut est unum esse divinum quo omnia sunt, sicut a principio
effectivo exemplari, nihilominus tamen in rebus diversis est diversum esse,
quo formaliter res est ; ita etiam est una veritas, scilicet divina, qua
omnia vera sunt, sicut principio effectivo exemplari ; nihilominus sunt
plures veritates in rebus creatis, quibus dicuntur verae formaliter. |
L’intelligence
possède aussi en elle-même son opération à partir de laquelle est achevée la
notion de vérité. C’est pourquoi je dis que tout comme il n’y a qu’une seule
existence divine par laquelle toutes les choses existent comme par leur
principe efficient et exemplaire, néanmoins cependant dans les différentes
choses il y a une existence différente par laquelle la chose existe
formellement ; de même encore il existe une vérité unique, à savoir la
vérité divine, par laquelle, comme par leur principe efficient et exemplaire,
toutes les choses sont vraies ; néanmoins il y a plusieurs vérités dans
les choses créées par lesquelles ces choses sont dites vraies formellement. |
[1581] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aliquid
dicitur secundum analogiam tripliciter: a) vel
secundum intentionem tantum, et non secundum esse ; et hoc est quando una
intentio refertur ad plura per prius et posterius, quae tamen non habet esse
nisi in uno ; sicut intentio sanitatis refertur ad animal, urinam et dietam
diversimode, secundum prius et posterius ; non tamen secundum diversum esse,
quia esse sanitatis non est nisi in animali. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu qu’on dit d’une attribution qu’elle est analogue de
trois façons : a) soit selon
l’intention seulement et non selon l’existence ; et cela a lieu quand
une intention se rapporte à plusieurs sujets selon l’avant et l’après,
laquelle cependant ne possède d’existence que dans un seul d’entre eux ;
par exemple l’intention de la santé se rapporte de manières différentes à
l’animal, à l’urine et à la diète, selon l’avant et l’après, mais non pas
selon une existence différente car l’existence de la santé ne se retrouve que
dans l’animal. |
b) Vel
secundum esse et non secundum intentionem ; et hoc contingit quando plura
parificantur in intentione alicujus communis, sed illud commune non habet
esse unius rationis in omnibus, sicut omnia corpora parificantur in
intentione corporeitatis. Unde logicus, qui considerat intentiones tantum,
dicit, hoc nomen corpus de omnibus corporibus univoce praedicari: sed esse
hujus naturae non est ejusdem rationis in corporibus corruptibilibus et incorruptibilibus.
Unde quantum ad metaphysicum et naturalem, qui considerant res secundum suum
esse, nec hoc nomen corpus, nec aliquid aliud dicitur univoce de
corruptibilibus et incorruptibilibus, ut patet X Metaphys., text. 5, ex philosopho et Commentatore. |
b) Soit selon l’existence mais non selon l’intention ; et
cela se produit quand une multiplicité de choses est rendue égale dans une
intention commune, mais cet universel ne possède pas l’existence d’une même
définition dans tous les cas, comme tous les corps qui sont rendus égaux dans
l’intention de la corporéité. C’est pourquoi le logicien, lequel considère
seulement les intentions, dit que le nom de corps s’attribue de manière
univoque à tous les corps : mais l’existence de cette nature n’appartient
pas à une même notion dans les corps corruptibles et dans ceux qui sont
incorruptibles. C’est pourquoi, du point de vue du métaphysicien et du
naturaliste, qui considèrent les choses selon leur existence, ni ce nom ni aucun
autre ne se dit univoquement des corps corruptibles et de ceux qui sont
incorruptibles, ainsi qu’on le voit chez le Philosophe [X Métaphysique, texte 5] et le
Commentateur. |
c).Vel
secundum intentionem et secundum esse ; et hoc est quando neque parificatur
in intentione communi, neque in esse ; sicut ens dicitur de substantia et
accidente ; et de talibus oportet quod natura communis habeat aliquod esse in
unoquoque eorum de quibus dicitur, sed differens secundum rationem majoris
vel minoris perfectionis. |
c) soit selon
l’intention et selon l’existence ; et cela a lieu quand il n’y a égalité
ni dans une intention commune, ni dans l’existence ; par exemple l’être
se dit de la substance et de l’accident ; et au sujet de tels sujets il
faut que la nature commune possède une certaine existence dans chacune de
ceux auxquels elle s’attribue, mais différente sous le rapport d’une plus
grande ou d’une plus petite perfection. |
Et similiter
dico, quod veritas et bonitas et omnia hujusmodi dicuntur analogice de Deo et
creaturis. Unde oportet quod secundum suum esse omnia haec in Deo sint, et in
creaturis secundum rationem majoris perfectionis et minoris ; ex quo
sequitur, cum non possint esse secundum unum esse utrobique, quod sint
diversae veritates. |
Et de la même
manière je dis que la vérité et la bonté et tous les attributs de cette sorte
s’attribuent à Dieu et aux créatures de manière analogue. C’est pourquoi il
faut que tous ces attributs soient en Dieu selon leur existence, et dans les
créatures sous le rapport d’une plus grande ou plus petite perfection ;
d’où il suit, puisqu’ils ne peuvent exister d’après une seule et même
existence dans les deux cas, qu’ils sont des vérités différentes. |
[1582] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum veritas sit
quaedam rectitudo et commensuratio, oportet quod in ratione veritatis
intelligatur mensura, et sicut dictum est, in corp. art., oportet esse
commensurationem rei ad intellectum, ut compleatur ratio veritatis. Res autem
diversimode se habent ad diversos intellectus: quia intellectus divinus est
causa rei ; unde oportet quod res mensuretur per intellectum divinum, cum
unumquodque mensuretur per suum primum principium ; et ideo dicit Anselmus, De verit., cap. VII, col. 475) quod
res dicitur esse vera quando implet hoc ad quod est ordinata in intellectu
divino. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que puisque la vérité est une certaine droiture et une
égalité de mesure, il faut que dans la notion de vérité on entende une mesure
et, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, il faut qu’il y ait
une égalité de mesure de la chose à l’intelligence, pour que la notion de
vérité trouve son achèvement. Mais les choses se rapportent différemment à
des intelligences différentes : ca l’intelligence divine est la cause
des choses ; c’est pourquoi il faut que les choses soient mesurées par
l’intelligence divine, puisque toute chose est mesurée par son premier
principe ; et c’est pourquoi Saint-Anselme [De la Vérité, ch. VII,
col. 475] dit qu’on dit de la chose qu’elle est vraie quand elle accomplit ce
à quoi elle est ordonnée dans l’intelligence divine. |
Sed res se
habent ad intellectum nostrum sicut causa, inquantum scilicet intellectus
accipit a rebus ; et inde est quod scientia nostra non mensurat res, sed
mensuratur ab eis, ut dicitur X Metaphysic.,
text. 5. Non enim ita ideo est in re, quia sic videtur nobis: sed magis quia
ita est in re, verum est quod videtur nobis. Sic ergo intellectus divinus est
ut mensura prima, non mensurata ; res autem est mensura secunda, mensurata ;
intellectus autem noster est mensuratus et non mensurans. Dico igitur, quod
prima mensura veritatis est una tantum ; sed mensurae secundae, scilicet
ipsae res, sunt plures ; unde sunt plures veritates. Et si non esset nisi una
mensura veritatis, adhuc non sequeretur quod esset tantum una veritas: quia
veritas non est mensura, sed commensuratio vel adaequatio ; et respectu unius
mensurae possunt esse diversae commensurationes in diversis. Unde non est
simile de tempore, quia tempus est ipsa mensura. |
Mais les
choses se présentent à notre intelligence comme une cause, c’est-à-dire pour
autant que notre intelligence reçoit des choses ; et c’est de là que
notre science ne mesure pas les choses, mais est plutôt mesurée par elles,
comme le dit le Philosophe [X Métaphysique, texte 5]. C’est pourquoi en effet
il n’en est pas ainsi dans les choses parce qu’il nous semble qu’il doive en
être ainsi : mais plutôt, c’est parce qu’il en est ainsi dans la chose
que ce qu’il nous semble est vrai. Ainsi donc l’intelligence divine est comme
une mesure première qui n’est pas mesurée ; mais la chose est comme une
mesure seconde qui est mesurée ; mais notre intelligence est mesurée et
ne mesure pas. Je dis donc qu’il n’y a qu’une seule mesure première de la
vérité ; mais les mesures secondes, c’est-à-dire les choses elles-mêmes,
sont multiples ; et c’est pourquoi il y a plusieurs vérités. Et s’il n’y
avait qu’une seule mesure de la vérité, il ne s’ensuivrait pas encore qu’il
n’y aurait qu’une seule vérité : car la vérité n’est pas la mesure, mais
l’égalité de mesure ou l’adéquation ; et par rapport à une seule et même
mesure il peut y avoir différentes égalités de mesure dans différentes
choses. Et c’est pourquoi il n’en est pas de même pour le temps car le temps
est la mesure elle-même. |
[1583] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similiter dico
de bonitate, quod est una bonitas, qua sicut principio effectivo exemplari
omnia sunt bona. Sed tamen bonitas qua unumquodque formaliter est bonum,
diversa est in diversis. Sed quia bonitas universalis non invenitur in aliqua
creatura, sed particulata, et secundum aliquid ; ideo dicit Augustinus, quod
si removeamus omnes rationes particulationis ab ipsa bonitate, remanebit in
intellectu bonitas integra et plena, quae est bonitas divina, quae videtur in
bonitate creata sicut exemplar in exemplato. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que je dis la même chose au sujet de la bonté, à
savoir qu’il n’y a qu’une seule bonté par laquelle, comme par un principe
efficient et exemplaire, toutes les choses sont bonnes. Cependant la bonté
par laquelle chaque être est formellement bon, est différente dans différents
sujets. Mais parce que la bonté universelle ne se retrouve pas en tant que
telle dans une créature, mais seulement sous une forme particulière et
partiellement, c’est pourquoi Saint-Augustin dit que si nous enlevions tous
les rapports particuliers de la bonté elle-même, il demeurera dans
l’intelligence une bonté intacte et pleine qui est la bonté divine qui
apparaît dans la bonté créée comme le modèle apparaît dans son exemplaire. |
[1584] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod exemplar rerum
est in Deo dupliciter. Vel quantum
ad id quod est in intellectu suo, et sic secundum ideas est exemplar
intellectus divinus omnium quae ab ipso sunt, sicut intellectus artificis per
formam artis omnium artificiatorum. Vel quantum
ad id quod est in natura sua, sicut ratione suae bonitatis qua est bonus, est
exemplar omnis bonitatis ; et similiter est de veritate. Unde patet quod non
eodem modo Deus est exemplar coloris et veritatis, et ideo objectio non
procedit. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que le modèle des choses est en Dieu de deux manières. Soit quant à
ce qui est dans son intelligence et ainsi Dieu est le modèle, au moyen des
Idées, de toutes les choses qui viennent de Lui, comme l’intelligence de
l’artiste est le modèle de toutes les choses artificielles au moyen de la
forme de l’art. Soit quant à
ce qui est dans sa nature, comme c’est en raison de sa bonté par laquelle il
est bon qu’il est le modèle de toute bonté ; et il en est de même pour
la vérité. C’est pourquoi il est évident que ce n’est pas de la même manière
que Dieu est le modèle de la couleur et de la vérité, et c’est pourquoi
l’objection ne tient pas. |
[1585] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod quamvis malum
non sit bonum, nec sit a Deo, nihilominus intelligere malum bonum est, et a
Deo est ; et ideo veritas quae consistit in commensuratione intellectus ad
privationem existentem extra animam, bona est, et a Deo ; et ideo dicit
Ambrosius, sup. XII cap. I ad Cor.,
V, 3, col. 258) quod omne verum, a quocumque dicatur, a Spiritu sancto est. |
5. Il faut
dire finalement que bien que le mal ne soit pas le bien et qu’il ne vienne
pas de Dieu, néanmoins, comprendre le mal est un bien et cela vient de
Dieu ; et c’est pourquoi la vérité qui consiste en une égalité de mesure
de l’intelligence à l’égard de la privation qui existe en dehors de l’âme est
un bien et vient de Dieu ; et c’est pourquoi Saint-Ambroise [Sur la Première Épître aux Corinthiens,
ch. XII, v. 3, col. 258] dit que toute vérité, peu importe qui la dise, vient
de l’Esprit-Saint. |
|
|
Articulus 3
[1586] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 tit. Utrum sint plures veritates
aeternae |
Article 3 – Y a-t-il plusieurs vérités éternelles ? |
[1587] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad
tertium sic proceditur. Videtur
quod sint plures veritates aeternae. Sicut enim patet ex dictis, diversarum
propositionum diversae sunt veritates. Sed: Pater est Deus, Filius est Deus,
sunt duae propositiones. Ergo et sunt duae veritates. Sed utrumque istorum ab
aeterno est verum. Ergo plures veritates sunt aeternae. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’il y ait plusieurs vérités éternelles. Ainsi qu’on le voit à partir de ce
qui a été dit, il y a différentes vérités pour différentes propositions.
Mais ¨le Père est Dieu¨ et ¨le Fils est Dieu¨ sont deux propositions. Il
s’agit donc là de deux vérités. Mais chacune d’elles est vraie de toute éternité.
Il y a donc plusieurs vérités éternelles. |
[1588] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnia quaecumque fuerunt,
sunt et erunt, Deus ab aeterno praescivit, quae constat quod plura sunt. Sed
Deus non praescivit nisi verum. Ergo plura vera sunt ab aeterno. |
2. Par
ailleurs, toutes les choses qui ont existé, existent et existeront, Dieu l’a
connu à l’avance de toute éternité, dont il est clair qu’elles sont
nombreuses. Mais Dieu ne prévoit que le vrai. Il y a donc plusieurs vérités
qui sont vraies de toute éternité. |
[1589] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 3 Item, Augustinus, De immort. Animae, cap. II, col. 1029, probat animam esse
immortalem per hoc quod est subjectum veritatis, quae est aeterna. Sed
constat quod veritas quae est in intellectu nostro sicut in subjecto, non est
veritas divina per essentiam. Ergo videtur quod plures veritates sint
aeternae. Quod autem veritas sit aeterna, sic probatur. Omne
illud ad cujus remotionem sequitur positio ejus, est aeternum. Sed si
negatur veritas esse, ponitur esse. Ergo veritas est aeterna. Probatio mediae. Si veritas non est, veritatem esse est
falsum. Sed si affirmatio est falsa, negatio est vera. Ergo veritatem non
esse erit verum. Sed non est verum nisi aliqua veritate. Ergo aliqua veritas
est. |
3. En outre,
Saint-Augustin [De l’Immortalité de
l’Âme, ch. 11, col. 1029] prouve que l’âme est immortelle par ceci
qu’elle est le sujet de la vérité qui est éternelle. Mais il est clair que la
vérité qui est dans notre intelligence comme dans un sujet n’est pas
essentiellement la vérité divine. Il semble donc que plusieurs vérités soient
éternelles. Mais que la vérité soit éternelle, il le prouve de la manière
suivante. Tout ce dont la négation est suivie de sa position est éternel.
Mais si on nie que la vérité existe, on se trouve à la poser qu’elle existe.
Donc la vérité est éternelle. Preuve de
la mineure. Si la vérité n’existe pas, il est faux que la vérité existe.
Mais si l’affirmation est fausse, la négation est vraie. Donc, il sera vrai
que la vérité n’existe pas. Mais cela n’et vrai que de certaines vérités.
Donc il existe certaines vérités. |
[1590] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod non potest
intelligi non esse, est aeternum: quia quidquid potest non esse, potest
intelligi non esse. Sed veritas non potest intelligi non esse, quia quidquid
intelligitur, intelligitur per judicium veritatis. Ergo videtur quod veritas
quae est in intellectu, sit aeterna et immutabilis. |
4. De plus, ce
dont on ne peut comprendre qu’il n’existe pas, cela est éternel : car
tout ce qui peut ne pas exister, peut êre conçu comme n’existant pas. Mais la
vérité ne peut être conçue comme n’existant pas car tout ce qui est conçu,
est conçu par un jugement de la vérité. Il semble donc que la vérité qui est
dans l’intelligence soit éternelle et immuable. |
[1591] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea, idem videtur de veritate
enunciationis. Si enim veritas enuntiationis mutetur vel destruatur, hoc erit
vel per destructionem signi vel per destructionem rei. Sed neutro modo
destruitur vel mutatur. Ergo veritas enuntiationis est immutabilis et
aeterna. Probatio mediae. Non existente signo, rectum est rem
signari. Sed veritas est rectitudo, et veritas signi est rectitudo
significationis. Ergo si non sit enuntiatio, vel quodcumque signum veritatis,
adhuc remanebit veritas signi. Similiter probatur, quod non mutetur ex
mutatione rei ; quia ut dictum est, art. 1 istius quaest., ad secundum,
unumquodque habet veritatem quando implet id ad quod est ordinatum in mente
divina. Sed cessante cursu Socratis, adhuc ista enuntiatio, Socrates currit,
facit id ad quod ordinata est in mente divina, quia significat Socratem
currere. Ergo videtur quod destructa vel mutata re, non mutatur neque
destruitur veritas signi. |
5. Par
ailleurs, il semble en être de même pour la vérité de l’énonciation. Si en
effet la vérité de l’énonciation était changée ou détruite, cela aurait lieu
soit par la destruction du signe, soit par la destruction de la chose. Mais
elle n’est changée ou détruite d’aucune de ces deux manières. Donc la vérité
de l’énonciation est éternelle et immuable. Preuve de la mineure. Le signe n’existant pas, la chose est
encore signalée directement, en ligne droite. Mais la vérité est une
droiture, et la vérité du signe est une droiture de la signification. Donc
s’il n’y avait pas d’énonciation ou quelque signe de la vérité, la vérité du
signe demeurerait encore. On prouve également que la vérité de l’énonciation
n’est pas changée par un changement de la chose ; car, ainsi que nous
l’avons dit précédemment [dist. 19, quest. 5, art. 1, solut. 2], chacun
possède la vérité quand il accomplit ce à quoi il est ordonné dans
l’intelligence divine. Mais une fois terminée la course de Socrate, cette
énonciation, à savoir Socrate court, fait encore ce à quoi elle est ordonnée
dans l’esprit divin, car elle signifie encore que Socrate court. Il semble
donc qu’une fois la chose détruite ou changée, la vérité du signe n’est ni
changée ni détruite. |
[1592] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 6 Praeterea, idem videtur de veritate quae
est in re: quia, ut dicit Augustinus, II Solil.,
c. XV, col. 898, pereunte vero, non perit veritas. Sed veritas rei non posset
destrui vel mutari nisi per mutationem rei. Ergo videtur quod nullo modo
pereat. |
6. Par
ailleurs, il semble en être de même au sujet de la vérité qui est dans la
chose : car, comme le dit Saint-Augustin [11 Soliloques, ch. XV, col. 898], ce qui est vrai ayant péri, la
vérité ne périt pas. Mais la vérité de la chose ne peut être détruite ou
altérée que par un changement dans la chose. Il semble donc qu’elle ne puisse
périr d’aucune manière. |
[1593] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 7 Item, Omne totum est majus sua parte, est quaedam veritas, quae nullo
modo videtur mutabilis, et similiter multa hujusmodi. Ergo videtur quod sint
plures veritates aeternae immutabiles. |
7. En outre, Tout tout est plus grand que sa partie
est une certaine vérité qui ne semble pouvoir changer en aucune manière, et
il y en a encore plusieurs de cette sorte. Il semble donc qu’il y ait
plusieurs vérités éternelles immuables. |
[1594] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 s. c. 1 Contra, Augustinus, De natura boni, cap. 1, col. 551s.,
dicit, quod vera aeternitas et sola immutabilitas in Deo est. Sed veritas Dei
est una tantum, sicut et essentia. Ergo videtur quod sit una tantum veritas
aeterna et immutabilis. |
Cependant : 1. Par contre,
Saint-Augustin [De la Nature du Bien,
ch. 1, col. 551s.] dit que la véritable éternité et l’unique immutabilité
n’existent qu’en Dieu. Mais il n’y a qu’une seule vérité de Dieu, tout comme
il n’y a qu’une seule essence de Dieu. Il semble donc qu’il n’y ait qu’une
seule vérité éternelle et immuable. |
[1595] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod est una tantum veritas aeterna, scilicet veritas divina. Cum enim ratio veritatis in actione
compleatur intellectus, et fundamentum habeat ipsum esse rei ; judicium de
veritate sequitur judicium de esse rei et de intellectu. Unde sicut esse unum
tantum est aeternum, scilicet divinum, ita una tantum veritas. Similiter de
mutabilitate veritatis idem dicendum est quod de mutabilitate essendi ; ut
enim supra dictum est, art. antec., simpliciter immutabile non est nisi esse
divinum ; unde simpliciter immutabilis veritas non est nisi una, scilicet
divina. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il n’y a qu’une seule vérité éternelle, à savoir la vérité
divine. En effet, puisque la notion de vérité trouve son achèvement dans
l’opération de l’intelligence et qu’elle trouve son fondement dans
l’existence même de la chose, le jugement sur la vérité découle du jugement
sur l’existence de la chose et sur l’intelligence. C’est pourquoi, tout comme
une seule existence est éternelle, à savoir l’existence divine, de même il
n’y a qu’une seule vérité. Et il faut parler également du changement dans la
vérité de la même manière qu’on parle du changement dans l’existence ;
en effet, comme nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent, il n’y a
que l’existence divine qui soit absolument immuable et c’est pourquoi il n’y
a qu’une seule vérité absolument immuable, à savoir la vérité divine. |
Esse autem aliarum rerum quarumdam dicitur
mutabile mutatione variabilitatis, sicut est in contingentibus ; et horum etiam
veritas mutabilis est et contingens. Quorumdam vero esse est mutabile solum
secundum vertibilitatem in nihil, si sibi relinqueretur ; et horum veritas
similiter mutabilis est per vertibilitatem in nihil, si sibi relinqueretur. |
Mais on dit de
l’existence de certaines autres choses qu’elle peut changer par un changement
de variation, par exemple dans les choses contingentes ; et la vérité de
ces choses est changeante et contingente. Mais l’existence de certains êtres
est changeante seulement par un retour au néant, si elle était abandonnée à
elle-même ; et de la même manière la vérité de ces êtres est changeante
par un retour au néant si elle était abandonnée à elle-même. |
Unde patet quod nulla veritas est necessaria in
creaturis. Similiter
etiam si loquaris de veritate secundum quod ratio ejus completur in ratione
intellectus, patet quod nullus intellectus est aeternus et invariabilis ex
natura sua, nisi intellectus divinus. Ex quo etiam patet quod sola veritas
una quae in Deo est, et quae Deus est, est aeterna et immutabilis. |
D’où il est
clair que dans les créatures aucune vérité n’est nécessaire. De la même
manière encore si tu parles de la vérité selon que sa notion est achevée dans
son rapport à l’intelligence, il est clair qu’aucune intelligence, sauf
l’intelligence divine, n’est éternelle et invariable de par sa nature même.
D’où il est aussi évident que seule la vérité unique qui est en Dieu, et qui
est Dieu, est éternelle et immuable. |
[1596] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut trium
personarum una est essentia, qua quaelibet habet esse, quamvis sint plures
proprietates quibus distinguuntur (quae tamen omnes non differunt secundum
rem ab essentia), ita etiam est una veritas trium personarum ex parte ipsius
rei, de qua fit enuntiatio. Sed quod sint enuntiationes plures verae, est per
intellectum nostrum. Unde veritas quae est in istis enuntiationibus, qua
formaliter verae sunt, vel quae est in intellectu nostro, non est aeterna,
sicut nec propositiones, nec intellectus noster aeternus. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que tout comme il n’y a qu’une seule essence pour les
trois personnes et par laquelle chacune possède l’existence, bien qu’il y ait
plusieurs propriétés (et cependant aucune ne diffère réellement de l’essence)
par lesquelles elles se distinguent l’une de l’autre, de même encore il n’y a
qu’une vérité pour les trois personnes, du côté de la réalité elle-même, au
sujet de laquelle il y a énonciation. Mais qu’il y ait plusieurs énonciations
qui soient vraies, cela est le fait de notre intelligence. C’est pourquoi la
vérité qui est dans ces énonciations, par laquelle elles sont formellement
vraies, ou qui est dans notre intelligence, n’est pas éternelle, comme ne le
sont pas non plus nos propositions ni notre intelligence. |
[1597] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rationes
ideales rerum, quae sunt in Deo ab aeterno, non sunt aliud secundum rem ab
ipso intellectu et essentia divina. Unde sicut veritas essentiae est una
secundum rem, ita etiam veritas omnium illarum rationum ; et non
multiplicatur, nisi secundum respectum ad diversas res. Unde ex hoc non
probatur quod sint plures veritates ab aeterno, sed solum hoc quod sit una
veritas plurium secundum rationem. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que les notions idéales des choses, qui sont en Dieu de
toute éternité, ne sont rien d’autre en réalité que l’intelligence même de
Dieu et son essence divine. C’est pourquoi, tout comme il n’y a en réalité
qu’une seule vérité de l’essence, de même encore il n’y a qu’une seule vérité
pour toutes ces notions ; et elle ne se multiplie que par rapport aux
choses différentes. C’est pourquoi à partir de là on ne prouve pas qu’il y
ait plusieurs vérités éternelles, mais seulement qu’il n’y a, selon la
raison, qu’une seule vérité pour plusieurs notions. |
[1598] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si anima non
esset, nec aliquis intellectus creatus, veritas, secundum quod consistit in
operatione animae, non esset. Posset tamen remanere, secundum quod
fundamentum habet in re. Remaneret etiam intentio veritatis intellecta in
Deo. Unde cum anima non sit aeterna, nec aliquis intellectus creatus,
antequam haec essent, nulla veritas creata erat. |
3. Il faut dire
en troisième lieu que si l’âme n’existait pas, ni aucune intelligence créée,
la vérité, selon qu’elle consiste dans l’opération de l’âme, n’existerait
pas. Elle pourrait cependant demeurer selon qu’elle trouve son fondement dans
la réalité. Et l’intention de la vérité comprise en Dieu demeurerait aussi.
C’est pourquoi, puisque l’âme, comme c’est le cas aussi pour toute
intelligence créée, n’est pas éternelle, avant que ces intelligences
existent, aucune vérité créée n’existait. |
Et si
objicitur: veritas non est ; ergo veritatem esse est falsum, quantum ad illud
tempus in quo non erat veritas creata: dico quod non sequitur: quia quando
non est veritas, nec etiam falsitas est. Hoc autem quod non sit veritas vel
falsitas, non est ex defectu veritatis vel falsitatis quantum ad intentiones
ipsarum, sed ex defectu eorum in quibus veritas habet esse. Sicut enim
dicimus de universalibus, quod [quae Éd.
de Parme] sunt incorruptibilia et aeterna, quia non corrumpuntur nisi per
accidens, scilicet quantum ad esse quod habent in alio, quod potest non esse
; ita etiam est de veritate et falsitate, quod consideratae secundum
intentiones suas, non accidit eis corruptio per se, sed solum secundum esse
quod habent in alio: et ex hoc procedit probatio Augustini ; quia omnis virtus
quae apprehendit rationem intentionis alicujus, oportet quod sit virtus non
obligata ad corpus, nec dependens a corpore, eo quod virtutes apprehensivae
quae sunt impressae in organis corporalibus, ut patet in sensibus, non
apprehendunt intentionem rationis, ut rationem hominis vel coloris, sed
tantum apprehendunt hujusmodi, secundum quod sunt particulata. |
Et si on
objecte que la vérité n’existe pas ; il est donc faux que la vérité
existe quant à ce temps dans lequel la vérité créée n’existait pas ; je dis
que cette conclusion ne suit pas : car quand la vérité n’existe pas, il
n’y a pas non plus de fausseté. Mais qu’il n’y ait pas de vérité ni de
fausseté, cela ne provient pas d’un défaut de vérité ou de fausseté quant à
leurs intentions elles-mêmes, mais d’un défaut de ceux dans lesquels la
vérité a l’existence. En effet, tout comme nous disons au sujet des
universels qu’ils [qui Éd. de Parme]
sont incorruptibles et éternels parce qu’ils ne se corrompent que par
accident, c’est-à-dire par rapport à l’existence qu’ils ont dans un autre,
lequel peut ne pas exister ; il en est encore de même pour la vérité et
la fausseté qui, considérées d’après leurs intentions, ne sont pas atteintes
essentiellement par la corruption, mais seulement quant à l’existence qu’elles
ont dans un autre : et c’est de là que procède la preuve de
Saint-Augustin : car toute puissance qui appréhende la notion d’une
intention doit être une puissance qui n’est pas liée au corps et qui ne
dépend pas du corps, du fait que les puissances d’appréhension qui sont
imprimées dans des organes corporels, comme on le voit pour les sens,
n’appréhendent pas l’intention de la notion, comme la notion de l’homme ou
celle de la couleur, mais elles n’appréhendent ces sortes de choses que selon
qu’elles sont particulières. |
Virtus autem
quae non dependet a corpore, est incorruptibilis ; et ita probatur quod anima
intellectiva est immortalis ex eo quod apprehendit veritatem. Virtutes enim
sensitivae quamvis sint verae in suis apprehensionibus, non tamen apprehendunt
rationem suae veritatis, sicut facit intellectus. |
Mais la
puissance qui ne dépend pas du corps est incorruptible ; et c’est ainsi
qu’il prouve que l’âme intellectuelle est immortelle du fait qu’elle
appréhende la vérité. Les puissances sensitives en effet, bien qu’elles
soient vraies dans leurs appréhensions, n’appréhendent cependant pas la
notion de leur vérité comme le fait l’intelligence. |
[1600] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3
ad 5 Ad quintum dicendum, quod utroque modo veritas enuntiationis potest
mutari ; si enim nulla enuntiatio esset, veritas enuntiationis non esset. Et
ad id quod objicitur, quod adhuc rectum esset rem significari, dicimus, quod
verum est ; sed tamen illa rectitudo nihil est aliud quam signabilitas rei ;
et hoc non ponit veritatem signi in actu, sed tantum in potentia. Similiter
etiam quando mutatur res, mutatur veritas enuntiationis. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que la vérité de l’énonciation peut être changée des
deux manières ; si en effet il n’y avait aucune énonciation, il n’y
aurait pas de vérité de l’énonciation. Et par rapport à ce qui est objecté, à
savoir que la chose serait encore signalée directement, en ligne droite, nous
disons que cela est vrai ; cependant cette droiture n’est rien d’autre
que l’aptitude de la chose à être signifiée ; et cela ne pose pas en
acte la vérité du signe, mais seulement en puissance. De la même manière
encore, quand la chose est changée, la vérité de l’énonciation est changée. |
Unde, secundum philosophum, in Praed., cap. « De substantia in sexta proprietate »,
eadem propositio quandoque potest esse vera et quandoque falsa. Et ad id,
quod ulterius objicitur quod implet illud ad quod ordinatum est in mente
divina dicendum, quod enuntiatio potest dupliciter considerari: vel ut res
quaedam, et sic est in ipsa veritas rei, sicut in qualibet re, quando implet
illud ad quod ordinata est in mente divina ; et talis veritas manet in ipsa
etiam mutata re ; vel ut
signum talis rei, et sic veritas ejus est per adaequationem ad rem illam. Mutata
autem re, tollitur adaequatio signi ad signatum, sine aliqua mutatione ipsius
signi ; quod manifestum est in relationibus posse contingere ; unde veritas
enuntiationis non manet. |
C’est pourquoi
d’après le Philosophe [Les Prédicaments,
ch. : ¨De la substance dans la
sixième propriété¨ la même proposition peut parfois être vraie et parfois fausse. Et à l’égard de ce
qui est objecté par la suite, à savoir que chaque chose possède la vérité
quand elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans l’intelligence divine,
il faut dire que l’énonciation peut être considérée de deux manières :
soit comme une certaine chose, et ainsi il y a en elle la vérité de la chose,
comme en toute chose, quand elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans
l’esprit divin ; et une telle vérité demeure en elle-même une fois que
la chose a changé ; soit comme le
signe de cette chose, et ainsi sa vérité existe par l’adéquation à cette
chose. Mais la chose ayant changé, l’adéquation du signe au signifié
disparaît sans aucun changement du signe lui-même ; et il est manifeste
que cela peut se produire dans les relations ; c’est pourquoi la vérité
de l’énonciation ne demeure pas. |
[1601] Super
Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod pereunte re vera,
perit veritas quantum ad illud esse quod habet in re illa. Sed tamen potest
remanere intentio veritatis secundum esse quod habet in alia re, vel secundum
esse quod habet in anima. Quae omnia si auferantur, non remanebit veritas
nisi in Deo. Nec ille defectus accidit veritati per se, sed per
accidens, ut dictum est, in Resp. ad 3 ; quia, secundum philosophum, in Praed., cap. « de substantia », destructis primis substantiis, impossibile
est aliquod ceterorum remanere ; quamvis universalia sint per se
incorruptibilia. |
6. ll faut
dire en sixième lieu que la chose vraie ayant péri, la vérité périt quant à
cette existence qu’elle possède dans cette chose. Cependant l’intention de la
vérité peut demeurer selon l’existence qu’elle possède dans une autre chose
ou selon l’existence qu’elle possède dans l’âme. Mais si on enlève toutes ces
existences, la vérité ne demeurera plus qu’en Dieu. Et ce défaut ne survient pas à la vérité en elle-même,
essentiellement, mais par accident, ainsi que nous l’avons dit dans la
réponse à la troisième difficulté ; car, d’après le Philosophe [Les Prédicaments, ch. ¨Sur la Substance¨, une fois détruites
les substances premières, il est impossible que demeure quelque chose
d’autre, bien que les universels soient essentiellement incorruptibles. |
[1602] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 7 Ad
septimum dicendum similiter, quod veritas propositorum necessariorum potest
deficere per accidens quantum ad esse quod habet in anima vel in rebus si res
illae deficerent: tunc enim non remanerent istae veritates nisi in Deo, in
quo sunt una et eadem veritas. |
7. Il faut également dire en septième lieu que la
vérité des propositions nécessaires peut s’éteindre accidentellement quant à
l’existence qu’elle possède dans l’âme ou dans les choses si ces choses
elles-mêmes s’éteignent: alors en effet ces vérités ne demeureraient plus
qu’en Dieu, en qui elles ne sont plus qu’une seule et même vérité. |
|
|
Distinctio 20 |
Distinction 20 – [La puissance du Fils] |
|
|
Lib. 1 d. 20 q. 1 pr. Hic
quaeruntur tria: 1 an Filius sit omnipotens ; 2 an sit aequalis patri in omnipotentia ; 3 utrum sit aliquis ordo
inter patrem et Filium. |
On se pose ici
trois questions : 1. Est-ce que
le Fils est tout-puissant ? 2. Est-ce que
sa toute-puissance est égale à celle du Père ? 3. Est-ce
qu’il y a un ordre entre le Père et le Fils ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique :
[La puissance du Fils]
|
|
|
Articulus 1 Lib. 1 d. 20 q. 1
a. 1 tit. Utrum Filius sit omnipotens. |
Article 1 – Le Fils est-il tout puissant ? |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit
omnipotens. Potentia enim, ut dictum est, dist. 7,
qu. 1, art. 1, dicitur secundum virtutem ad opus. Sed aliqua operatio est
quae pertinet ad omnipotentiam Patris, in quam non potest Filius, scilicet
generatio activa ; non enim Filius potest generare, ut supra, dist. 7, qu. 2, art. 2, habitum
est. Ergo videtur quod non sit omnipotens. |
Difficultés : 1. Il semble
que le Fils ne soit pas tout-puissant. La puissance en effet, ainsi que nous
l’avons dit [dist. 7, quest. 1, art. 1], se dit d’après une capacité à une
opération. Mais il y a une certaine opération qui appartient à la
toute-puissance de Dieu, à savoir la génération active, et pour laquelle le
Fils ne possède aucune capacité ; le Fils en effet ne peut engendrer,
comme nous l’avons établi plus tôt [dist. 7, quest. 2, art. 2]. Il semble
donc que le Fils ne soit pas tout-puissant. |
|
2. Par
ailleurs, Dieu est dit tout-puissant parce qu’il peut absolument tout ce qui
est possible. Mais la puissance extrême du Père se manifeste dans la
génération du fils ; il est en effet plus grand d’engendrer le Fils à
l’infini que de créer le Ciel et la Terre. Donc, puisque ce pouvoir est
absent du Fils, il semble qu’il ne soit pas tout-puissant. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 3
Si dicas, quod posse generare non
est aliquid, sed ad aliquid, et ita quamvis Filius non possit generare, non
tamen sequitur quod non possit omnia ; contra.
Cum dico omnia, includo universaliter omnia entia. Sed
relativa continentur in entibus. Ergo videtur quod distributio etiam fiat pro relativis. |
3. Mais si tu dis que le pouvoir d’engendrer
n’est pas un absolu mais un relatif et que bien que le Fils ne puisse
engendrer, cependant il ne s’ensuit pas qu’il ne puisse pas tout, par contre, quand je dis tout,
j’inclus universellement tous les êtres. Mais les relatifs sont contenus dans
les êtres. Il semble que la distribution se produit aussi pour les relatifs. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 4
Si dicas, quod intelligitur
respectu omnium creatorum, et non respectu eorum quae in Deo sunt ; contra. Secundum hoc ratio Augustini
in Littera posita nihil valeret.
Arguit enim, quod si Pater non potuit generare Filium aequalem sibi, non fuit
omnipotens. Ergo videtur quod omnipotentia Patris etiam ad generationem Filii
se extendat. Sed Filius non potest generare. Ergo non habet omnipotentiam. |
4. Si tu dis que cela s’entend par rappor
à toutes les créatures, et non par rapport à ce qui est en Dieu, je dis par contre ceci : suivant cela,
l’argument de Saint-Augustin présenté dans le document ne vaudrait rien. Il argumente en effet ainsi :
si le Père n’avait pu engendrer un Fils égal à Lui, il n’aurait pas étét
tout-puissant. Il semble donc que la toute-puissance du Père s’applique aussi
à la génération du Fils. Mais le Fils ne peut engendrer. Il ne possède donc
pas la toute-puissance. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 s. c.
1 In contrarium est quod in symbolo dicitur: Omnipotens Pater, omnipotens Filius, omnipotens Spiritus sanctus. |
Cependant : 1. On dit le
contraire dans le Symbole : Père
tout-puissant, Fils tout-puissant, Esprit-Saint tout-puissant. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod sine omni dubio concedendum est, Filium Dei
omnipotentem esse, sicut et Pater: et tamen dicimus quod Filius non potest
generare. Unde ad intellectum hujus videndum est, quod Deus dicitur
omnipotens, quia omnia potest, et quidquid est aliquid vel ens, potest Deus. Sed notandum, quod relatio alio modo dicitur esse aliquid quam alia entia.
In aliis enim entibus unumquodque dicitur dupliciter esse: et quantum ad esse
suum, et quantum ad rationem quidditatis suae ; sicut sapientia secundum esse
suum aliquid ponit in subjecto, et similiter secundum rationem suam ponit
naturam quamdam in genere qualitatis. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il faut concéder sans aucun doute que le Fils de Dieu est
tout-puissant comme le Père : et cependant nous disons qu’il ne peut
engendrer. C’est pourquoi, pour comprendre cela, il faut voir qu’on dit de
Dieu qu’il est tout-puissant parce qu’il peut tout, et tout ce qui est
quelque chose ou de l’être, Dieu le peut. Mais il faut remarquer que c’est
d’une autre manière que pour les autres êtres qu’on dit de la relation
qu’elle est quelque chose. Pour les autres êtres en effet on dit de chaque
chose qu’elle existe de deux manières : soit quant à son existence, soit
quant à la définition de sa quiddité ; par exemple la sagesse quant à
son existence pose quelque chose dans un sujet et de la même manière quant à
sa définition elle pose une certaine nature dans le genre de la qualité. |
Sed relatio est aliquid
secundum esse suum quod habet in subjecto ; sed secundum rationem suam non
habet quod sit aliquid, sed solum quod ad aliud referatur ; unde secundum
rationem suam non ponit aliquid in subjecto: propter quod Boetius dicit quod
relativa nihil praedicant de eo de quo dicuntur. Inde etiam est quod
invenitur aliquid relatum in quo est tantum relatio rationis, et non ponitur
ibi aliquid secundum rem, sicut cum scibile refertur ad scientiam. |
Mais la
relation est quelque chose selon l’existence qu’elle possède dans un
sujet ; mais quant à sa définition elle ne tient pas d’être quelque
chose mais seulement d’être rapportée à quelque chose d’autre ; de là,
d’après sa définition, elle ne pose pas quelque chose dans un sujet :
c’est pour cette raison que Boèce dit que les relatifs n’attribuent rien à ce
à quoi ils s’attribuent. Il suit encore de là qu’il arrive que quelque chose
soit rapporté dans lesquel il n’y a qu’une relation de raison et dans lequel
rien n’est posé dans la réalité, comme lorsque l’objet de science est mis en
rapport avec la science. |
Et hoc est verum tam in
relationibus quae de Deo dicuntur quam de illis quae in creaturis sunt ; sed
diversimode ; quia relatio quae habet esse in creatura, habet aliud esse quam
sit esse sui subjecti ; unde est aliquid aliud a suo subjecto: sed in Deo
nihil est quod habeat esse aliud ab ipso: esse enim sapientiae est ipsum esse
divinum et non superadditum, et similiter esse paternitatis. Unde relatio,
quantum ad esse suum, secundum quem solum modum debetur ei quod ponat
aliquid, est essentia divina ; sed secundum rationem suam, per quam habet
distinguere unam personam ab alia, non debetur ei quod dicat aliquid, sed
potius ad aliquid. Unde quamvis pater habeat paternitatem quam Filius non
habet, et paternitas sit aliquid, non tamen Pater habet aliquid quod Filius
non habeat. |
Et cela est
vrai tant pour les relations qui se disent de Dieu que pour celles qui existent
dans les créatures, mais différemment ; car la relation qui a son
existence dans la créature possède une existence autre que celle de son
sujet ; c’est pourquoi elle est quelque chose d’autre que son sujet.
Mais en Dieu il n’y a rien qui possède une existence qui se distingue de Lui :
en effet, en Lui, l’existence de la sagesse est l’existence même de Dieu et
non quelque chose d’ajouté, et il en est de même de la paternité. C’est
pourquoi la relation, quant à son existence, seule modalité selon laquelle il
lui revient de poser quelque chose, est l’essence divine elle-même ;
mais selon sa définition, par laquelle elle doit distinguer une personne
d’une autre, il ne lui revient pas de dire quelque chose, mais plutôt une
relation. C’est pourquoi, bien que le Père possède la paternité que le Fils
ne possède pas et que la paternité soit quelque chose, cependant le Père ne
possède pas quelque chose que le Fils ne possède pas. |
Sicut: paternitas est
essentia ; Filius non habet paternitatem ; ideo tamen non sequitur quod Pater
essentiam aliquam habeat qua careat Filius. Si autem Pater haberet sapientiam
et non Filius, haberet aliquid Pater quod non haberet Filius ; quia sapientia
dicit aliquid in sapiente etiam secundum rationem suam. Similiter dico, quod
cum generare in divinis sit relatio quaedam, et sit aliquid, quamvis Pater
possit generare, et non Filius, non sequitur quod possit aliquid pater quod
non possit Filius ; sed bene sequeretur, si Pater posset intelligere, et non
Filius, quod Pater posset aliquid quod non posset Filius: sicut Pater est
Pater, et esse Patrem est aliquid esse, et tamen cum Filius non sit Pater,
nullum esse est Patris, quod non sit Filii, quia omne esse in divinis est
essentiae ; et similiter omne ad aliquid est ibi secundum rationem essentiae,
vel secundum rationem attributorum. |
Par exemple,
la paternité est l’essence ; le Fils ne possède pas la paternité ;
c’est pourquoi cependant il ne s’ensuit pas que le Père possède une essence
dont le Fils soit privé. Mais si le Père possédait la sagesse et non le Fils,
le Père posséderait quelque chose que le Fils ne posséderait pas ; car
la sagesse, même selon sa définition, dit quelque chose qui est dans le sage.
De la même manière je dis que puisqu’engendrer est en Dieu une certaine relation
et que ce soit là quelque chose, bien que le Père puisse engendrer et non le
Fils, il ne s’ensuit pas que le Père ait un pouvoir que le Fils ne possède
pas ; mais il s’ensuivrait bien, si le Père pouvait comprendre et non le
Fils, que le Père aurait un pouvoir que le Fils n’aurait pas. Ainsi le Père
est le Père, et l’existence du Père est une certaine existence, et cependant
bien que le Fils ne soit pas le Père, il n’y a aucune existence du Père qui
ne soit pas celle du Fils, car toute existence dans les personnes divines est
l’essence ; et de la même manière toute relation se retrouve là sous le
rapport de l’essence ou sous le rapport des attributs. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio
significat relationem per modum operationis, et etiam est operatio aliqua
divinae naturae, secundum Damascenum. Et quamvis generatio non conveniat
Filio, non tamen sequitur quod aliqua operatio conveniat Patri quae non
conveniat Filio: una enim et eadem operatione Pater generat et Filius nascitur
; sed haec operatio est in Patre et Filio secundum aliam et aliam relationem. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que la
generation signifie une relation par mode d’opération et même elle est une
operation de la nature divine, d’après Damascène. Et bien que la génération
ne convienne pas au Fils, il ne s’ensuit pas cependant qu’il y a une
opération qui convient au Père sans convenir au Fils: en effet, c’est par une
seule et même operation que le Père engender et que le Fils est engendré;
mais cette operation est dans le Père selon une relation et dans le Fils
selon une autre. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nullum posse
detrahitur Filio ; sed illo eodem posse quo Pater generat, Filius generatur,
ut supra, in corp. art., dictum est. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’aucun pouvoir
n’est absent du Fils; mais c’est un même pouvoir par lequel le Père engendre
et le Fils est engendré, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sub omnibus
comprehenditur ad aliquid, quantum ad hoc quod habet esse, sic enim ad
aliquid est aliquid de omnibus, sed non quantum ad rationem ad aliquid,
secundum quod ad aliud refertur: sic enim non habet quod sit aliquid
simpliciter. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la relation
est comprise dans toutes les categories de l’être quant à ceci qu’elle
possède de l’existence, car c’est ainsi en effet que la relation est quelque
chose qui se dit de tout, mais non par quant à la definition même de la
relation selon laquelle elle se rapporte à un autre: en ce sens en effet elle
ne tient pas d’être quelque chose absolument. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnipotentia Dei
potest comparari ad aliquid vel sicut ad operatum vel sicut ad operationem.
Sicut ad operatum, non comparatur ad aliquid quod in ipso sit: quia in Deo
nihil est factum ; et sic omnipotentia est respectu creaturarum solum ; sed
comparatur sicut ad operationem ad hoc quod in ipso est, praecipue cum nulla operatio
sit ipsius quae sit extra essentiam ejus. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
toute-puissance de Dieu peut être comparée à quelque chose soit comme à une
oeuvre, soit comme à une operation. Elle ne se compare pas à quelque chose
comme à une oeuvre qui serait en elle car en Dieu rien n’est fait; et en ce
sens la toute-puissance de Dieu se rapporte seulement aux creatures; mais
elle se compare à quelque chose comme à une opération qui se rapporte à ce
qui est en Lui, surtout puisqu’il n’y a aucune de ses opérations qui soit
extérieure à son essence. |
Unde omnipotentia Patris
extenditur et ad generare et ad intelligere et creare, et breviter ad omnia
quae perfectionis sunt ; et propter hoc patet quod ratio Augustini efficax
est. Nec tamen sequitur quod Filius non sit omnipotens, si non potest
generare filium aequalem sibi, ratione praedicta. Sequeretur tamen in Patre ;
quia Patri non deest relatio, quae significatur in generatione activa. Unde si negaretur ab eo perfectio generationis, oporteret quod esset
defectus in ipsa operatione inquantum operatio est ; et hoc redundaret in
defectum potentiae. Sed a Filio removetur activa generatio non nisi ratione
relationis importatae. Relatio autem, inquantum hujusmodi, nullum ordinem ad
potentiam habet, ut ex dictis, distinct. 2, quaest. Unic., art. 5, patet. |
C’est pourquoi
la toute-puissance du Père s’étend à la fois à la génération, à
l’intellection, à la création et en bref à tout ce qui relève d’une
perfection ; et c’est pour cette raison qu’il est clair que l’argument
de Saint-Augustin est efficace. Et cependant il ne s’ensuit pas que le Fils
ne soit pas tout-puissant s’il ne peut engendrer un fils égal à lui, pour la
raison que nous avons dite. C’est ce qui s’ensuivrait cependant pour le
Père ; car la relation qui est signifiée dans la génération active est
inséparable du Père. C’est pourquoi si on niait de lui la perfection de la
génération, il faudrait qu’il y ait un défaut dans l’opération même en tant
qu’opération et cela se réfléterait dans un défaut de puissance. Mais la
génération active n’est refusée au Fils qu’en raison de la relation
impliquée. Mais la relation, en tant que telle, n’a aucun rapport à la
puissance ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été dit [dist. 2, quest. unique, art. 5]. |
|
|
Articulus 2 Lib. 1 d. 20 q. 1
a. 2 tit. Utrum Filius sit aequalis patri |
Article 2 – Le Fils est-il égal au Père ? |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
Filius non sit aequalis Patri in omnipotentia. Sicut enim infra dicitur,
distinct. 31, quaest. unic., art. 2, potentia appropriatur Patri, non autem
Filio. Ergo videtur quod magis Patri quam Filio conveniat ; et sic non sunt
aequales in potentia. |
Difficultés : 1. Il semble
que le Fils ne soit pas égal au Père en toute-puissance. En effet, ainsi
qu’on le dit plus loin [dist. 31, quest. unique, art. 2], la puissance est
appropriée au Père et non au Fils. Il semble donc qu’elle convienne davantage
au Père qu’au Fils et par conséquent ils ne sont pas égaux en puissance. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, inter habere aliquid ab alio personaliter et essentialiter, et non
habere aliquid ab alio nec personaliter nec essentialiter, medium est habere
aliquid ab alio personaliter et non essentialiter. Sed non habere aliquid ab
alio nec personaliter nec essentialiter, quod convenit Patri, dignitatis et
auctoritatis est ; habere autem aliquid ab aliquo personaliter et
essentialiter, quod creaturae competit, minorationem ponit et defectum
creaturae respectu creatoris. Ergo cum medium sapiat naturam extremorum,
videtur quod habere ab alio personaliter et non essentialiter, quod Filio
competit, secundum aliquid sit dignitatis, quod est scilicet non habere ab
alio essentialiter, et secundum aliquid ponat defectum et minorationem, quod
est ab alio habere personaliter ; et sic Filius est minus potens quam pater. |
2. Par
ailleurs, posséder quelque chose d’un autre personnellement et non
essentiellement est un intermédiaire entre posséder quelque chose d’un autre
personnellement et essentiellement et ne pas posséder quelque chose d’un
autre, ni personnellement ni essentiellement. Mais ne pas posséder quelque
chose d’un autre ni personnellement ni essentiellement, ce qui convient au
Père, relève d’une dignité et d’une autorité ; mais tenir quelque chose
d’un autre personnellement et essentiellement, ce qui appartient à la
créature, pose une infériorité et un défaut de la créature par rapport au
créateur. Donc, puisque l’intermédiaire connaît la nature des extrêmes, il
semble que tenir d’un autre personnellement et non essentiellement, ce qui
appartient au Fils, sous un rapport relève d’une dignité, à savoir ne pas
posséder quelque chose d’un autre essentiellement, mais sous un autre rapport
pose un défaut et une infériorité, c’est-à-dire tenir personnellement quelque
chose d’un autre ; et en ce sens le Fils est moins puissant que le Père.
|
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 3
Item, ita videmus in creaturis quod nihil receptum ab aliquo est aeque potens
illi a quo recipitur ; sicut lumen in aere non est aeque potens lumini in
sole. Sed potentia est recepta in Filio a Patre. Ergo videtur quod Filius non
sit aequalis Patri in potentia. |
3. En outre,
nous voyons dans les créatures que rien de ce qui est reçu dans un autre
n’est égal en puissance à celui par lequel il est reçu ; par exemple, la
lumière dans l’air n’est pas égale en puissance à la lumière dans le soleil.
Mais la puissance est reçue du Père dans le Fils. Donc, il semble que le Fils
ne soit pas égal au Père en puissance. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, illud quod agit per alium videtur esse potentius eo per quod agit.
Sed Pater agit per Filium et non e converso. Ergo Pater est potentior Filio. |
4. De plus, ce
qui agit par un autre semble être plus puissant que celui par lequel il agit.
Mais le Père agit par le Fils et non inversement. Donc le Père est plus
puissant que le Fils. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 s. c.
1 Contra, potentia radicatur in essentia. Sed est una essentia Patris et
Filii numero. Ergo et una potentia: ergo non est aliqua inaequalitas in
potentia, cum omnis inaequalitas diversitatem ponat ; sicut enim unum in
quantitate facit aequale, ita diversum facit inaequale: quod concedimus. |
Cependant : La puissance s’enracine dans l’essence. Mais il n’y a qu’une
seule essence, numériquement parlant, pour le Père et le Fils. Il n’y a donc
qu’une seule puissance pour les deux : et il ne peut donc y avoir là une
inégalité dans la puissance, puisque toute inégalité pose une
diversité ; en effet, tout comme l’un est la cause de l’égal dans la
quantité, de même le divers est cause d’inégalité : ce que nous
concédons. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 1
Ad primum igitur dicendum, quod potentia appropriatur Patri, non quia magis
sibi conveniat quam Filio, sed quia majorem similitudinem habet cum proprietate
Patris quam cum proprietate Filii: potentia enim habet rationem principii, et
Pater est principium non de principio. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la puissance est appropriée au Père non pas
parce qu’elle lui convient davantage qu’au Fils, mais parce qu’elle possède
une plus grande ressemblance avec la propriété du Père qu’avec la propriété
du Fils : la puissance a en effet raison de principe, et le Père est un
principe sans principe. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 2
Ad secundum dicendum, quod habere essentialiter et personaliter ab alio,
importat defectum solum quantum ad hoc quod est habere ab alio essentialiter,
idest in diversitate essentiae ; ex hoc enim causatur inaequalitas
magnitudinis et potentialitatis: quia inaequalitatis causa est diversitas,
sicut unitas aequalitatis, ut dictum est, in argum. sed contra istius artic.,
et quantum ad hoc Filius non est medium inter Patrem et creaturam, immo
aequali et eadem dignitate convenit Filio sicut et Patri non habere ab alio
essentialiter. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que tenir essentiellement et personnellement d’un autre
implique un défaut seulement quant à ce qui est de tenir d’un autre
essentiellement, c’est-à-dire quant à la diversité de l’essence ; c’est
à partir de là en effet qu’est causée une inégalité de grandeur et de
potentialité : car la diversité est la cause de l’inégalité, comme
l’unité est celle de l’égalité, ainsi que nous l’avons dit dans l’argument
¨cependant¨ de cet article, et quant à cela que le Fils n’est pas un
intermédiaire entre le Père et la créature, mais bien plutôt, c’est par une
égale et même dignité qu’il convient au Fils comme au Père de ne rien tenir
d’un autre essentiellement. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 3
Ad tertium dicendum, quod in inferioribus quandoque recipitur aliquid in
eadem virtute quae est in eo a quo recipitur, quando scilicet recipiens est
proportionatum ad recipiendum totam virtutem dantis, sicut patet in omni
generatione univoca, ut quando homo generat hominem, et ignis ignem: quandoque
autem non recipitur tota virtus, et hoc est ex defectu recipientis, quod non
est proportionatum ad recipiendum totum quod agens influere potest, sicut
corpora inferiora se habent ad actionem solis ; vel forte ex defectu agentis,
cujus virtus est deficiens a communicatione suae similitudinis ; sicut parva
[una Éd. de Parme] scintilla non
potest calefacere aliquod lignum, etiam multum dispositum. Sed in divinis non
est defectus ex parte dantis neque ex parte accipientis, cum una et eadem sit
virtus utriusque ; et ideo quantam potentiam Pater habet, tantam accipit
Filius ab eo. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que parfois dans êtres inférieurs une chose est reçue
avec la même puissance qui est dans celui duquel elle est reçue, c’est-à-dire
quand celui qui reçoit est proportionnné à recevoir toute la puissance de
celui qui donne, ainsi qu’on le voit dans toute génération univoque, comme
lorsque l’homme engendre un homme et le feu engendre le feu : mais
parfois toute la puissance n’est pas reçue, et cela vient d’un défaut du côté
de celui qui reçoit, lequel n’est pas proportionné à recevoir tout ce que
l’agent peut répandre en lui, ainsi qu’on le voit chez les corps inférieurs
par rapport à l’action du soleil ; ou bien cela vient d’un défaut du
côté de l’agent, dont la puissance fait défaut dans la communication de sa
ressemblance ; par exemple, une [seule Éd. de Parme] petite étincelle ne peut réchauffer une pièce de
bois, même si cette dernière est bien disposée. Mais dans les personnes
divines il n’y a pas de défaut, ni du côté de celui qui donne, ni du côté de
celui qui reçoit, puisqu’il n’y a qu’une seule et même puissance pour chacun
des deux ; et c’est pourquoi le Fils reçoit autant de puissance que le
Père en possède. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 4
Ad quartum dicendum, quod cum dicitur Pater operari per Filium, non ponitur
aliquis gradus potestatis, sed signatur auctoritas in Patre, ut dictum est,
dist. 15, quaest. unic., art. 4. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que lorsqu’on dit que le Père agit par le Fils, on ne
pose pas là un degré de puissance, mais on signifie une autorité qui est dans
le Père, ainsi que nous l’avons déjà dit [dist. 15, quest. unique, art. 4]. |
|
|
Articulus 3. Lib. 1 d. 20 q.
1 a. 3 tit. Utrum in divinis personis sit ordo |
Article 3 – Y a-t-il un ordre dans les personnes divines ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question
1[16] :
|
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in divinis
personis non sit ordo. Ut enim dicit Augustinus, XIX de civ ; Dei, cap. XIII, col. 640 : « Ordo est parium
dispariumque sua cuique tribuens loca dispositio ». Sed in divinis
personis non competit aliqua localis dispositio. Ergo videtur quod nec ordo. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’il n’y ait pas d’ordre dans les personnes divines. En effet, comme le dit
Saint-Augustin [XIX De la Cité de Dieu,
ch. 13, col. 640], ¨L’ordre est une
disposition qui assigne son lieu à chacune des choses égales et inégales¨.
Mais aucune disposition selon le lieu ne convient aux personnes divines. Il
semble donc que l’ordre ne leur convienne pas non plus. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius, lib. De Trinit., cap. 1, col. 124, dicit:
Eos sequitur differentia deitatis qui
in Trinitate gradus constituunt. Sed ubicumque est ordo, est aliquis
gradus. Ergo si in divinis personis est ordo, videtur quod sequatur
diversitas deitatis. Hoc autem est impossibile. Ergo personae divinae non
habent ordinem. |
2. Par
ailleurs, Boèce [De la Trinité, ch.
1, col. 124] dit : La différence à
l’intérieur de la divinité découle de ce qui constitue des degrés dans la
Trinité. Mais partout où il y a ordre, il y a des degrés. Donc, s’il y a
un ordre à l’intérieur des personnes divines, il semble qu’il s’ensuive une
diversité dans la divinité. Mais cela est impossible. Il n’y a donc pas un
ordre dans les personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1
arg. 3 Praeterea, ubi est eadem aeternitas, simplicitas et dignitas, non
videtur esse aliquis ordo: aeternitas enim aequalis excludit ordinem
temporis, simplicitas aequalis ordinem causae ad causatum et partis ad totum,
et aequalis dignitas ordinem dignitatis. Sed in Patre et Filio est eadem
numero aeternitas, simplicitas et dignitas. Ergo non est aliquis ordo. |
3. En outre,
là où l’éternité, la simplicité et la dignité sont identiques, il ne semble
pas qu’il y ait un ordre : en effet, une éternité égale exclut l’ordre
du temps, une simplicité égale l’ordre de la cause à l’effet et de la partie
au tout, et une dignité égale l’ordre de la dignité. Mais dans le Père et le
Fils, l’éternité, la simplicité et la dignité sont identiques numériquement
parlant. Il n’y a donc pas là un ordre. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1
arg. 4 Item, quidquid est in divinis, aut significat essentiam aut notionem
Sed ordo non pertinet ad essentiam divinam, in qua nulla est distinctio, nec
ad notionem, quia nulla notio communis est tribus personis, sicut ordo. Ergo
videtur quod in divinis personis non sit ordo. |
4. De plus,
tout ce qui est en Dieu signifie ou bien l’essence, ou bien une notion. Mais
l’ordre ne se rapporte pas à l’essence divine dans laquelle il n’y a aucune
distinction, ni à la notion, car il n’y a aucune notion qui soit commune aux
trois personnes, tout comme l’ordre. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’ordre
dans les personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1
arg. 5 Contra, ubicumque est
pluralitas sine ordine, ibi est confusio. Sed in divinis personis est
pluralitas et non confusio. Ergo ibi est ordo. |
Cependant : 5. Au
contraire, partout où il y a pluralité sans ordre, il y a confusion. Mais
dans les personnes divines il y a pluralité mais non pas confusion. Il y a
donc là un ordre. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1
arg. 6 Hic etiam videtur, quod Spiritus sanctus dicitur tertia in Trinitate
persona ; et hoc dicit aliquem ordinem. |
6. Il semble aussi
ici que l’Esprit-Saint est appelé la troisième des personnes divines ;
et cela signifie qu’il y a là un ordre. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
|
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2
arg. 1 Ulterius quaeritur, an sit ibi ordo naturae: et videtur quod non. Quia
omnis ordo importat aliquam distinctionem. Sed in natura divina nulla est
distinctio. Ergo nec naturae divinae est aliquis ordo ; et ita in divinis
personis non est ordo naturae. |
Difficultés : 1. On cherche
par la suite s’il y a là un ordre de nature : et il semble que ce ne
soit pas le cas. Car tout ordre implique une distinction. Mais il n’y a
aucune distinction dans la nature divine. Il n’y a donc pas un ordre qui
appartienne à la nature divine et ainsi il n’y a pas un ordre de nature dans
les personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2
arg. 2 Praeterea, natura divina est idem quod essentia. Sed nihil est dictu quod in divinis personis sit ordo essentiae. Ergo
nec naturae. |
2. Par
ailleurs, la nature divine est identique à l’essence divine. Mais il n’y a
rien qui dise qu’il y a un ordre d’essence dans les personnes divines. Il n’y
a donc pas un ordre de nature. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2
s. c. 1 In contrarium est quod in
littera dicitur. |
Cependant : Ce qu’on dit
dans le document s’oppose à cela. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ordo in ratione sua includit
tria, scilicet rationem prioris et posterioris ; unde secundum omnes illos
modos potest dici esse ordo aliquorum, secundum quos aliquis altero prius
dicitur et secundum locum et secundum tempus et secundum omnia hujusmodi.
Includit etiam distinctionem, quia non est ordo aliquorum nisi distinctorum.
Sed hoc magis praesupponit nomen ordinis quam significet. Includit etiam
tertio rationem ordinis, ex qua etiam ordo in speciem trahitur. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que l’ordre, dans sa nature même, comprend trois choses : à savoir un rapport de
ce qui est premier à ce qui est second ; c’est pourquoi on peut dire
qu’il y a un ordre entre des êtres de toutes ces manières selon lesquelles on
dit d’un être qu’il est antérieur à un autre selon le lieu, selon le temps et
selon d’autres catérories de cette sorte. L’ordre comprend aussi une
distinction car il n’y a un ordre entre des êtres que s’ils sont distincts.
Mais cela présuppose davantage le nom d’ordre qu’il ne le signifie. Et
l’ordre comprend aussi en troisième lieu la cause de l’ordre à partir de
laquelle l’ordre s’attribue aussi à l’espèce. |
Unde unus est ordo secundum
locum, alius secundum dignitatem, alius secundum originem, et sic de aliis:
et ista species ordinis, scilicet ordo originis, competit divinis personis.
Unde dico quod ordo originis signatur cum dicitur ordo naturae, secundum quod
dicitur natura a philosopho, V Metaphys.,
text., 5, ex qua pullulat pullulans primo. |
C’est pourquoi
autre est l’ordre selon le lieu, autre l’ordre selon la dignité et autre
celui selon l’origine et il en est de même du reste : et cette espèce
d’ordre, à savoir l’ordre d’origine, appartient aux personnes divines. C’est
pourquoi je dis que l’ordre d’origine est signifié lorsqu’on dit de l’ordre
de nature, conformément à ce que dit le Philosophe de la nature [V Métaphysique, texte 5], qu’il est ce à
partir de quoi le géniteur engendre. |
Unde nomen naturae importat
rationem originis: et sic ista duo nomina ordo naturae sumuntur in vi unius
nominis, ad significandum speciem ordinis: quae quidem species salvatur in
divinis personis quantum ad rationem differentiae, scilicet originem, et non
quantum ad rationem generis, scilicet prioritatem et posterioritatem, ut in
pluribus aliis dictum est. Et hoc patet ex definitione Augustini quam ponit,
II Contra maximin., cap. XIV, § 8,
col. 775, quod ordo naturae est quo aliquis est ex alio, in quo ponitur
differentia originis, et non prior alio, in quo removetur ratio generis. Unde
non est concedendum quod sit ibi ordo simpliciter, sed ordo naturae. |
C’est pourquoi
le nom de nature implique la notion d’origine : et ainsi ces deux noms,
ordre de nature sont pris dans la force d’un seul nom pour signifier l’espèce
de l’ordre : et l’espèce est
certes conservée dans les personnes divines quant à la notion de différence,
à savoir quant à l’origine, et on quant à la notion de genre, c’est-à-dire quant
à la notion de priorité et de postériorité, comme cela est dit par plusieurs
autres auteurs. Et cela est clair à partir de la définition de Saint-Augustin
[11 Contre Maximin, ch. XIV, &
8, col. 775] qu’il présente, à savoir que l’ordre de nature est celui par
lequel un être vient d’un autre mais n’est pas antérieur à l’autre, dans
lequel on pose une différence d’origine, et où on écarte la notion de genre.
C’est pourquoi il ne faut pas concéder qu’il y ait là un ordre pris
absolument, mais un ordre de nature. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à
la sous-question 1 |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod illa definitio Augustini datur de ordine
secundum locum, qui divinis personis non competit. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que cette définition donnée par Saint-Augustin se
rapporte à l’ordre selon le lieu, lequel ne convient pas aux personnes
divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod gradus dicit quamdam speciem ordinis,
scilicet secundum dignitatem vel perfectionem, vel locum: et nullus horum
competit divinis personis ; et ideo nec gradus. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la notion de degré dit une certaine espèce d’ordre,
à savoir l’ordre selon la dignité, selon la perfection et selon le
lieu : et aucune de ces sortes d’ordres ne convient aux personnes
divines, ni par conséquent la notion de degré ou de rang. |
Super Sent., lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad
3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio procedit de ordine quantum ad rationem
generis, prout ponit prius et posterius, quod nullo modo divinis competit. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que cet argument procède de l’ordre quant sous le
rapport de son genre, selon qu’il pose l’avant et l’après, ce qui ne convient
en aucune manière aux personnes divines. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen ordo significat notionem, non tamen
in speciali, sed in communi, quae determinatur secundum diversa adjuncta ; ut
cum dicitur ordo Patris ad Filium, significatur notio quae est paternitas ;
et cum dicitur ordo Filii ad Patrem, significatur notio quae est filiatio ;
et similiter patet in aliis ; et similiter etiam est de hoc nomine
principium, quod aliam notionem significat cum dicitur Pater principium
Filii, et cum dicitur principium Spiritus sancti. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que le nom d’ordre signifie une notion, non en
particulier mais dans l’universel, qui est spécifiée par différents
ajouts ; par exemple, lorsqu’on parle de l’ordre du Père au Fils, on
signifie une notion qui est la paternité et lorsqu’on parle de l’ordre du
Fils au Père, on signifie la notion qui est la filiation ; et il en est
de même pour les autres. Et il en est encore de même pour le nom de principe,
qui signifie une notion lorsqu’on dit du Père qu’il est le principe du Fils,
et une autre notion lorsqu’on dit qu’Il est le principe de l’Esprit-Saint. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod ordo originis sufficit ut confusio non
ponatur, et ad hoc quod Spiritus sanctus dicatur tertia persona. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que l’ordre d’origine suffit à ne pas poser une
confusion et à dire que l’Esprit-Saint est la troisième personne. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 6. Unde patet solutio ad sextum. |
6. Et de là la solution à la sixième difficulté est
évidente. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à
la sous-question 2 |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 co. [solutio II Éd. Mandonnet] Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod est
ibi ordo naturae, non tamen ita quod natura ordinetur, vel quod Pater
naturaliter prior sit Filio ; sed ita quod dicat rationem ordinis, secundum
quod in natura importatur origo. Et quamvis secundum rem sit idem divina
natura quod essentia, tamen ratio originis non importatur in nomine essentiae
sicut in nomine naturae, ratione enim differunt ; et ideo non potest dici
ordo essentiae, sicut ordo naturae. |
Corps de
l’article [corps de l’article 11 Éd. Mandonnet]: Par rapport à ce qu’on cherche à savoir par la suite
il faut dire qu’il y a là un ordre de nature, non pas cependant de telle
manière que la nature soit ordonnée ou que le Père soit par nature antérieur
au Fils, mais de telle manière qu’il dise la raison de l’ordre selon laquelle
l’origine est impliquée dans la nature. Et bien qu’en réalité la nature
divine est identique à l’essence, cependant la notion d’origine n’est pas
impliquée dans le nom d’essence comme dans le nom de nature et à cause de
cela ils diffèrent en effet par la raison; et c’est pourquoi on ne peut
parler d’un ordre d’essence comme d’un ordre de nature. |
Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet responsio ad ea
quae objiciuntur. |
Solution: Et c’est par cela que la réponse aux difficultés est
évidente. |
|
|
Distinctio 21 |
Distinction 21 – [Les noms divins (1)] |
|
|
Quaestio
1 |
Question 1 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du sujet ?] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic
quaeruntur duo. Primo, utrum dictio exclusiva possit in divinis addi ex
parte subjecti. Secundo, utrum ex parte praedicati. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum possit addi ex parte subjecti termino essentiali
cum praedicato essentiali vel personali ; 2 utrum possit addi termino personali cum praedicato
essentiali. |
Deux interrogations se présentent ici. En premier lieu, est-ce qu’un mot exclusif peut être
ajouté du côté du sujet chez les personnes divines? En deuxième lieu, peut-il en être de même du côté du
prédicat? Au sujet du premier point, on soulève deux questions: 1. Est-ce que le terme exclusif peut être ajouté du
côté du sujet à un terme essentiel avec un prédicat essentiel ou personnel? 2. Peut-il être ajouté à un terme personnel avec un
prédicat essentiel? |
|
|
Articulus 1
[1647] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 tit. Utrum ista propositio, solus
Deus est Deus, sit falsa |
Article 1 – Cette proposition, ‘Seul Dieu est Dieu’, est-elle fausse ? |
Quaestiuncula
1 |
Sous-question 1 –
|
[1648] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod haec sit falsa: « Solus Deus est
Deus ». Omne enim adjectivum ponit rem suam circa suum substantivum. Sed
« solus » est quoddam adjectivum. Ergo cum dicitur: « Solus
Deus », implicat solitudinem circa Deum. Sed sicut dicit Hilarius lib.
IV de Trinit., § 18, col. 111, et
habitum est supra distinctione II, « Nobis
neque solitarius est Deus, neque diversus confitendus ». Ergo
videtur quod haec sit falsa: « Solus Deus est Deus ». |
Difficultés : 1. Il semble
que cette proposition : ¨Seul Dieu est Dieu¨, est fausse. En effet, tout
adjectif pose sa réalité sur son substantif. Mais ¨seul¨ est un certain
adjectif. Donc, lorsqu’on dit ¨seul Dieu¨, cela implique une solitude en
Dieu. Mais comme le dit Saint-Hilaire [IV De
la Trinité, & 18, col. 111], et comme cela a été établi plus haut à
la distinction 2, ¨Nous devons
confesser qu’il n’y a en Dieu ni solitude ni diversité¨. Il semble donc
que cette proposition : ¨Seul Dieu est Dieu¨, est fausse. |
[1649] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, hoc nomen Deus intantum
habet naturam termini communis, ut quod de Deo dicitur de omnibus personis
dicatur, ut cum dicitur: « Deus creat » ; vel saltem de aliqua, ut
cum dicitur: « Deus generat ». Unde potest fieri descensus sub hoc
nomine Deus, in subjecto posito pro aliqua personarum. Si igitur haec est
vera: « Solus Deus est Deus », aliqua istarum erit vera: « Solus
Pater est Deus », vel « Solus Filius est Deus », vel
« Solus Spiritus sanctus est Deus ». Sed quaelibet harum falsa est.
Ergo et prima. |
2. Par
ailleurs le nom ¨Dieu¨ possède possède à ce point la nature d’un terme commun
que ce qui se dit de Dieu se dise de toutes les personnes, comme lorsqu’on
dit : ¨Dieu crée¨, ou même de l’une d’entre elles, comme lorsqu’on
dit : ¨Dieu engendre¨. C’est pourquoi, sous le nom de Dieu, il peut se
produire une descente dans un sujet posé pour une des personnes. Si donc
cette proposition est vraie, à savoir ¨Seul Dieu est Dieu¨, une de celles-là
sera vraie, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, ou ¨Seul le Fils est Dieu¨, ou
encore ¨Seul l’Esprit-Saint est Dieu¨. Mais chacune de ces dernières
propositions est fausse. Donc la première l’est aussi. |
[1650] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Item, secundum philosophum VII Metaphys., texte 20,
« solum » idem est quod non cum alio. Sed Deo, praecipue post rerum
creationem, nunquam convenit cum alio non esse, quia in participationem sui
esse res creando adduxit. Ergo non potest dici aliquo modo solus Deus. |
3. En outre,
d’après le Philosophe [ VII Métaphysique,
texte 20], le terme ¨seul¨ signifie la même chose que de ne pas être avec un
autre. Mais il ne convient jamais à Dieu, surtout après la création, de ne
pas être avec un autre, car en les créant, il amène les choses à participer
de son existence. On ne peut donc dire en aucune façon ceci : ¨seul
Dieu¨. |
[1651] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Contra, proprium est quod convenit uni soli. Sed esse divinum vel
omnipotentem est proprium Deo. Ergo solus Deus est Deus vel omnipotens. |
Cependant : 4. Ce qui est
propre à un être est ce qui convient à lui seul. Mais l’existence divine ou
toute-puissante est propre à Dieu. Donc, seul Dieu est Dieu ou tout-puissant. |
Quaestiuncula
2 |
Sous-question 11-
|
[1652] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur de ista:
« Solus Deus est Pater » ; videtur enim esse falsa. Quia id quod in
alio invenitur, non potest alicui soli inesse. Sed paternitas non tantum est
in Deo, sed etiam in hominibus, et quodammodo in Angelis, ut dicit Dionysius
cap. III, de div. Nomin. § 2, col.
616. Ergo non potest dici, quod solus Deus est pater. |
Difficulté : 1. Nous nous arrêtons ensuite à cet énoncé : ¨Seul Dieu est
Père¨. Et il semble en effet qu’il soit faux. Car ce qui se retrouve dans un
autre ne peut appartenir à un seul. Mais la paternité n’est pas seulement en
Dieu, mais nous la retrouvons aussi chez les hommes et d’une certaine manière
chez les Anges, ainsi que le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. 111, & 2, col. 616]. On ne peut donc dire que seul
Dieu est père. |
[1653] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Contra, de quocumque praedicatur
commune praecise, praedicatur cum praecisione et proprium, si de ipso
praedicetur: si enim solum corpus est coloratum, sequitur solum corpus esse
album, si supponatur album de corpore praedicari. Sed Deus est sicut commune
respectu trium personarum, ut supra habitum est, dist. 19, quaest. III, art. 2,
ex verbis Damasceni. Ergo sequitur, si solus Deus est Deus, cum Deus sit
pater, quod solus Deus sit pater. |
Cependant : 1. Tout ce à
quoi s’attribue l’universel avec précision, le particulier aussi s’y attribue
avec précision s’il devait s’y attribuer : si en effet seul un corps est
coloré, il s’ensuit que seul un corps est blanc, si on supposait que le blanc
s’attribue au corps. Mais Dieu est comme un universel par rapport aux trois
personnes, ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 19, quest. 3, art.
2] à partir des dires de Saint-Damascène. Il s’ensuit donc, si seul Dieu est
Dieu, puisque Dieu est père, que seul Dieu est père. |
Quaestiuncula
1 |
Sous-question 1-
|
[1654] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 co.
Respondeo dicendum, quod, secundum philosophum, VII Metaphysicor., texte 20,
« solum » idem est quod non cum alio, in quo consortium removetur.
Potest igitur haec dictio solus removere consortium simpliciter, vel respectu
alicujus. Et dicitur
simpliciter removere consortium, quando tollitur associatio alterius quod sit
ejusdem naturae et conditionis cum ipso ; sicut dicimus aliquem hominem esse
solum in domo, quamvis ibi sint multa alia animalia: et dicimus aliquem
religiosum incedere solum, cum sine socio sui ordinis vadit, multis etiam ipsum
comitantibus ; et tunc solus idem est quod solitarius ; et est etiam dictio
categorematica implicans solitudinem circa subjectum, sicut et quodlibet
aliud adjectivum ; et ita nullo modo potest accipi in divinis: quia una
persona semper habet consortium societatis alterius personae connaturalis et
similis sibi |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que d’après le Philosophe [ VII Métaphysique, texte 20], ¨seul¨
s’identifie à ne pas être avec un autre, en quoi la communauté
disparaît. Donc, ce terme ¨seul¨ peut faire disparaître la communauté
soit absolument, soit par rapport à un
aspect. Et on dit qu’il fait disparaître la communauté absolument quand il
retire l’association avec l’autre qui est de même nature et de même condition
que lui ; par exemple, nous disons qu’un homme est seul dans la maison
bien qu’il y ait là plusieurs animaux ; et nous disons qu’un religieux
marche seul lorsqu’il va sans aucun membre de son ordre, même si plusieurs
autres personnes l’accompagnent ; et alors ¨seul¨ signifie la même chose
que solitaire, et il est aussi un terme catégorématique impliquant la
solitude sur le sujet comme le ferait tout autre adjectif ; et en ce
sens le terme ¨seul¨ ne peut être admis pour les personnes divines, car une
des personnes possède toujours une communauté d’association avec les autres
qui sont de même nature et semblables à elle. |
Si autem
excludat consortium respectu alicujus determinati, tunc dictio est
syncategorematica, importans aliquem ordinem vel habitudinem unius ad alterum,
ratione negationis implicitae, magis quam implicans formam aliquam ; et
secundum hoc dico, quod haec est duplex: solus Deus creat ; quia removet
consortium alterius a forma subjecti subintellecta implicatione, quod est,
vel qui est ; et tunc est sensus: « Solus Deus », idest ille qui
ita est Deus quod praeter ipsum nullus alius est Deus, « creat »,
et sic vera est. Vel removet consortium in participatione praedicati, et in
hoc etiam sensu vera est: est enim sensus, quod nullus alius praeter Deum
creet. Et idem est judicium de hac: « Solus Pater est Pater » ;
vel: « Solus Pater generat ». Omnes enim hujusmodi in primo sensu
sunt falsae et in duobus aliis verae. |
Mais si le
terme ¨seul¨ exclut la communauté par rapport à quelque chose de déterminé,
alors il est syncatégorématique, impliquant un ordre ou un rapport à un
autre, en raison d’une négation implicite plus qu’en impliquant une
forme ; et suivant cela je dis que cet énoncé : ¨seul Dieu crée¨,
est double, car ou bien il retire la communauté d’un autre de la forme du
sujet par une implication sous-entendue, à savoir ¨ce qui est¨ ou ¨qui
est¨ ; et alors la signification est la suivante : ¨Seul Dieu¨,
c’est-à-dire celui qui est Dieu de telle manière qu’en dehors de Lui aucun
autre n’est Dieu, ¨crée¨, et en ce sens l’énoncé est vrai. Ou bien il retire
la communauté dans la participation du prédicat et en cela aussi la
signification est vraie car alors en effet le sens est qu’aucun autre en
dehors de Dieu ne crée. Et on doit porter le même jugement sur les énoncés
suivants, soit : ¨Seul le Père est Père¨, et ¨Seul le Père engendre¨. En
effet, tous ces énoncés sont faux s’ils sont pris dans la première
signification, mais vrais s’ils sont pris dans les deux autres
significations. |
[1655] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad
1 Ex quo patet responsio ad primum, quod procedit secundum primum sensum. |
Solutions: 1. De là apparaît clairement la réponse à la
première difficulté qui procède d’après la première signification. |
[1656] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad
2 Ad secundum dicendum, quod sicut dicunt sophistae, dictio exclusiva
immobilitat terminum cui adjungitur ratione negationis implicitae. Unde non sequitur: solus homo est
rationalis ; ergo solus Socrates. Non enim omne quod est aliud a Socrate, est
aliud ab homine. Unde negatio implicita in dictione exclusiva ad plura se
extendit quando adjungitur proprio quam quando adjungitur communi. Sed verum
est quod ratione affirmationis posset fieri descensus. Unde cum ista:
« Solus Deus est Deus », habeat duas expositivas, unam
affirmativam: « Deus est Deus », et alteram negativam, scilicet
hanc: « Alius a Deo non est Deus », sub affirmativa potest fieri
descensus, ut dicatur: « Pater est Deus », et non sub negativa: « Alius
a Patre non est Deus ». |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que tout comme le disent les philosophes, le terme
exclusif immobilise (isole) le terme auquel il est ajouté en raison de la
négation implicite. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas : seul l’homme est
rationnel, donc seul Socrate est rationnel. En effet, ce n’est pas tout ce
qui est autre que Socrate qui est autre que l’homme. C’est pourquoi la
négation implicite dans le terme exclusif s’étend à plus de choses quand il
s’ajoute au propre que quand il s’ajoute au commun. Mais il est vrai qu’en
raison d’une affirmation il pourrait y avoir une descente. C’est pourquoi
puisque cet énoncé, à savoir ¨Seul Dieu est Dieu¨, possède deux explications,
dont l’une est affirmative, soit : ¨Dieu est Dieu¨, et l’autre négative,
soit : ¨Un autre que Dieu n’est pas Dieu¨, il peut y avoir une descente
sous l’affirmative de manière à dire : ¨Le Père est Dieu¨, mais non pas
sous la négative de manière à dire : ¨Un autre que le Père n’est pas
Dieu¨. |
[1657] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut
dictum est, in corp. art., haec dictio « solus » privat consortium
; et quamvis, creaturis existentibus, non possit ab eo removeri consortium
respectu hujus quod est esse, tamen potest removeri consortium respectu
propriae suae operationis, quae est creatio, et etiam respectu propriae suae
naturae. Unde, secundum Hilarium IV De
Trinitate, remota distinctione personarum, etiam creaturis existentibus,
Deus dicitur solitarius. Quamvis enim haec non esset vera: « Solus Deus
est », haec tamen vera esset: « Deus est solus », idest
solitarius. |
3. Il faut
dire en troisième lieu, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article, que ce terme, ¨seul¨, prive de la communauté ; et bien que,
les créatures existant, la communauté ne puisse lui être retirée par rapport
à tout ce qui existe, cependant la communauté peut lui être enlevée par
rapport à son opération propre, qui est la création, et même par rapport à sa
nature propre. C’est pourquoi, d’après Saint-Hilaire [IV De la Trinité], une fois enlevée la distinction des personnes,
même si les créatures existent, Dieu est dit solitaire. En effet, bien que
cet énoncé ne serait pas vrai, à savoir ¨Seul Dieu existe¨, celle-ci
cependant serait vraie : ¨Dieu est seul¨, c’est-à-dire solitaire. |
[1658] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad
4 Quartum concedimus, quod procedit secundum tertium sensum. |
4. Nous concédons la quatrième difficulté qui
procède d’après la troisième signification du terme ¨seul¨. |
Quaestiuncula
2 |
Sous-question 2-
|
[1659] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 co.
Ad id quod ulterius
quaeritur, an haec sit vera: « Solus Deus est Pater », dicendum ;
quod secundum tres sensus tripliciter potest judicari. Si enim haec dictio
« solus » implicet solitudinem circa Deum, locutio falsa est. Si
autem importat exclusionem a forma subjecti, vera est, et est sensus ; Deus,
praeter quem non est alius, est Pater. Si autem removeat consortium a
participatione praedicati, dico quod est duplex. Quia in nomine Patris potest
intelligi tantum proprietas paternitatis prout praedicatum formaliter
tenetur, et sic falsa est, quia paternitas non tantum in Deo est sed etiam in
hominibus. Vel ipsa persona subsistens distincta paternitate ; et sic est
vera, et hoc modo probatur et improbatur. |
Corps de l’article : Par rapport à
ce qu’on cherche à savoir par la suite, à savoir s’il est vrai de dire ¨Seul
Dieu est le Père¨, il faut dire qu’on peut en juger de trois manières
différentes d’après les trois significations présentées plus haut. Si en
effet ce terme, à savoir ¨seul¨, implique une solitude au sujet de Dieu,
l’expression est fausse. Mais s’il implique une exclusion de la forme du
sujet, elle est vraie et alors la signification est : Dieu, en dehors de
qui il n’y en a aucun autre, est Père. Mais s’il écarte une communauté de la
participation du prédicat, je dis alors qu’elle est double. Car par le nom de
père on peut seulement entendre la propriété de la paternité selon que le
prédicat est pris formellement et ainsi l’expression est fausse car la
paternité ne se retrouve pas seulement en Dieu mais aussi chez les hommes.
Mais on peut aussi entendre par le nom de ¨père¨ la personne même qui
subsiste par une paternité distincte et ainsi l’énoncé est vrai ; et
c’est de cette manière que l’expression est à la fois approuvée et
désapprouvée. |
Tamen
sciendum, quod paternitas non est ejusdem rationis secundum univocationem in
Deo et in creaturis, quamvis sit eadem ratio secundum analogiam, quae quidem
aliquid habet de identitate rationis, et aliquid de diversitate. Unde etiam
si praedicatum sumatur formaliter. Tamen potest aliquo modo vera esse:
« Solus Deus est Pater », et secundum eumdem modum loquendi quo
dicitur Luc. XVIII, 19: « Nemo
bonus nisi solus Deus ». |
Il faut
cependant savoir que la paternité n’a pas la même nature en Dieu et dans les
créatures suivant une attribution univoque, bien que la notion soit la même
selon l’analogie, analogie dont la notion est en partie identique, en partie
différente. C’est pourquoi même si le prédicat se prend formellement, cet
énoncé peut cependant être vrai en un sens : Seul Dieu est Père¨, et
cela de la même manière dont on parle lorsqu’on dit [Luc, XVIII, 19] : ¨Personne
n’est bon, que Dieu seul¨. |
|
|
Articulus 2
[1660] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 tit. Utrum ista propositio,
« Solus Pater est Deus », sit vera |
Article 2 – Cette proposition : « Le Père seul est Dieu », est-elle vraie ? |
[1661] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod haec sit vera: « Solus Pater est Deus », vel, « Solus
Filius est Deus ». Sicut enim esse Deum convenit tribus personis, ita et
esse altissimum. Sed de Filio legitur: « Tu
solus altissimus ». Ergo potest dici: « Solus Filius est
Deus ». |
Difficultés : 1. Il semble
que cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est vraie, ou
même encore cette autre : ¨Seul
le Fils est Dieu¨. En effet, tout comme il appartient aux trois personnes
d’être Dieu, de même il leur appartient de posséder l’existence la plus
noble. Mais on lit au sujet du Fils : ¨Toi seul es le Très-Haut¨. On peut donc dire : ¨Seul le Fils
est Dieu¨. |
[1662] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, haec, « Solus Pater est
Deus », habet duas expositivas: unam indefinitam, vel singularem, quae
convertitur sicut particularis affirmativa, scilicet haec: « Pater est
Deus » ; aliam negativam universalem, scilicet: « Nullus alius a
Patre est Deus » ; et utraque harum convertitur simpliciter. Sed haec
est vera in aliquo sensu: « Solus Deus est Pater ». Ergo a simplici
conversa haec erit vera: « Solus Pater est Deus ». |
2. Par
ailleurs, cette proposition : ¨Seul le Père est Dieu¨, possède deux
explications : la première, qui est indéfinie ou singulière, qui se
convertit comme une particulière affirmative, à savoir celle-ci : ¨Le
Père est Dieu¨ ; la deuxième, qui est une universelle négative, à
savoir : ¨Nul autre que le Père n’est Dieu¨ ; et chacune de ces
propositions se convertit simplement. Mais celle-là, à savoir ¨Seul Dieu est
le Père¨, est vraie en un sens ; donc par une conversion simple celle-ci
le sera aussi : ¨Seul le Père est Dieu¨. |
[1663] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, si haec est falsa:
« Solus Pater est Deus », hoc non erit nisi quia per dictionem
exclusivam excluduntur aliae personae divinae a participatione praedicati.
Sed per dictionem exclusivam adjunctam Patri non excluduntur Filius et
Spiritus sanctus. Ergo haec est simpliciter vera: « Solus Pater est
Deus ». Media probatur per auctoritatem Augustini in Littera qui dicit: « Si de solo Patre praedicta
dicerentur, non tamen excluderetur Filius nec Spiritus sanctus, quia hi unum
sunt ». Probatur etiam per rationem sic. Major est unio
Filii ad Patrem, quam partis ad totum. Sed dictio exclusiva adjuncta toti, non excludit partem [ad
partem Éd. De Parme]: non enim
sequitur: solus Socrates est albus, ergo pes ejus non est albus. Ergo cum
exclusio fiat ratione diversitatis, videtur quod non excludatur Filius per
dictionem exclusivam adjunctam Patri. |
3. En outre,
si cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est fausse, cela ne
sera possible que parce que les autres personnes divines sont exclues de la
participation du prédicat par un terme exclusif. Mais le Fils et
l’Esprit-Saint n’en sont pas exclues par le terme exclusif ajouté au Père.
Donc cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est vraie purement
et simplement. La mineure est prouvée par l’autorité de Saint-Augustin dans
le document lorsqu’il dit : ¨Si ce qui précède ne se disait que du seul
Père, le Fils et l’Esprit-Saint n’en seraient cependant pas exclus, car ils
ne font qu’un avec Lui¨. La mineure est aussi prouvée par le raisonnement
suivant. L’union du Père au Fils est plus grande que celle d’une partie à son
tout. Mais le terme exclusif ajouté au tout n’exclut pas la partie [à l’égard
de la partie Éd. de Parme] :
en effet, si seul Socrate est blanc, il ne s’ensuit pas que son pied n’est
pas blanc. Donc, puisque l’exclusion a lieu en raison d’une diversité, il
semble que le Fils ne soit pas exclu par un terme exclusif ajouté au Père. |
[1664] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, dictio exclusiva non removet
a consortio nisi hoc quod est separatum ab eo cui adjungitur. Sed Filius est
in Patre, ut supra, distin. 9, quaest. 1, art. 1, probatum est. Ergo cum
dicitur : « Solus Pater », non excluditur Filius. |
4. De plus, le
terme exclusif n’écarte de la communauté que ce qui est séparé de ce à quoi
il est ajouté. Mais le Fils est dans le Père, ainsi que nous l’avons prouvé
plus haut [dist. 9, quest. 1, art. 1]. Donc, lorsqu’on dit ¨Seul le Père¨, on
n’exclut pas le Fils. |
[1665] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, dictio exclusiva adjuncta
antecedenti, non excludit consequens ; non enim sequitur: Solus homo currit,
ergo animal non currit, vel: solum animal non currit, ergo homo non currit.
Sed Filius sequitur ad Patrem, quia si Pater est, Filus est [quia…est om. éd. de Parme] et e converso, ut
habitum est ex Ambrosio, dist. IX. Ergo videtur quod cum dicitur:
« Solus Pater », non excludatur Filius nec e converso ; et ita haec
erit vera: « Solus Pater est Deus ». |
5. Par
ailleurs, le terme exclusif ajouté à l’antécédent n’exclut pas le
conséquent ; si en effet on dit que seul l’homme court, il ne s’ensuit
pas que l’animal ne court pas ; ou bien si seul l’animal ne court pas,
il ne s’ensuit pas que l’homme ne court pas. Mais le Fils suit le Père, car
si le Père est, le Fils est [car…est om.
Éd. de Parme] et inversement, comme nous l’avons établi en nous appuyant
sur Saint-Ambroise à la distinction 1X. Il semble donc que lorsqu’on
dit : ¨Seul le Père¨, le Fils n’est pas exclu, ni inversement ; et
ainsi cette proposition sera vraie : ¨Seul le Père est Dieu¨. |
[1666] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur. |
Cependant : 1. Ce qu’on
dit dans le document est contraire
à ce qui précède. |
[1667] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hujus propositionis:
« Solus Pater est Deus », una expositiva est: Nullus alius a Patre
est Deus. Sed haec est falsa, quia Filius, qui est alius a Patre, est Deus.
Ergo haec est falsa: « Solus Pater est Deus ». |
2. Par
ailleurs, une des explications de cette proposition : ¨Seul le Père est
Dieu¨, est la suivante : ¨Aucun autre que le Père n’est Dieu¨. Mais
cette dernière est fausse, car le Fils, qui est autre que le Père, est Dieu.
Donc la première proposition, ¨Seul le Père est Dieu¨, est fausse. |
[1668] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod secundum quosdam dictio exclusiva adjuncta uni relativorum
in creaturis non excludit alterum: non enim sequitur: tantum Pater est, ergo
Filius non est ; quia ad unum relativorum sequitur alterum. Sed hoc videtur
esse falsum, quia dictio exclusiva adjuncta supposito excludit omne aliud
suppositum. Unde cum Filius sit aliud suppositum a Patre, excluditur Filius,
cum dicitur: « Solus Pater. » Nec hoc impeditur per hoc quod unum sine altero esse non
potest: quia generatio etiam non potest esse sine alteratione et loci
transmutatione ; et tamen cum dicitur: sola generatio est, excluditur omnis
alia mutatio. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que d’après certains
le terme exclusif ajouté à un des relatifs dans les créatures n’exclut pas
l’autre : si en effet on dit que Seul le Père existe, il ne s’ensuit pas
que le Fils n’existe pas, car l’un des relatifs découle de l’autre. Mais cela
semble être faux car le terme exclusif ajouté au suppôt exclut tout autre
suppôt. C’est pourquoi, puisque le Fils est un autre suppôt que le Père, le
Fils est exclu lorsqu’on dit : ¨Seul le Père¨. Et le fait que l’un ne
peut exister sans l’autre n’empêche rien à cela car même la génération ne
peut avoir lieu sans l’altération et le changement de lieu, et pourtant
lorsqu’on dit ¨seule le génération est¨, on écarte tout autre changement. |
Praeterea,
quamvis relativa consequantur se in esse, non tamen consequuntur se in aliis
praedicamentis: non enim sequitur, si pater est musicus, quod filius est
musicus. Et praeterea, cum solus sit determinatio suppositi, excludit omne aliud
suppositum. Diversitatem autem suppositorum non tollit relativorum
consecutio. Unde non est aliqua ratio quare respectu horum praedicatorum,
unum non excluderetur per exclusionem adjunctam alteri. Et ideo dicendum est,
quod dictio exclusiva adjuncta Patri excludit Filium, quantum pertinet ad
oppositionem relationis. |
Par ailleurs, bien que les relatifs se suivent dans l’existence,
ils ne se suivent cependant pas dans les autres prédicaments : en effet,
si le père est musicien, il ne s’ensuit pas que le fils soit musicien. Et de
plus, puisque le terme seul est une détermination du suppôt, il exclut tout
autre suppôt. Mais la conséquence des relatifs ne fait pas disparaître la
diversité des suppôts. C’est pourquoi il n’y a pas de raison pour laquelle
l’un des relatifs ne serait pas exclu par l’exclusion ajoutée à l’autre par
rapport à ces prédicats. Et c’est pourquoi il faut dire que le terme exclusif
ajouté au Père exclut le Fils sous le rapport de l’opposition de relation. |
Tamen
intelligendum est quod diversimode se habet in creaturis et in divinis
quantum ad duo: primo, quia
in creaturis pater et filius non sunt unum in essentia, unde filius est alius
a patre, et aliud ; quod tamen non est verum in divinis. |
Il faut
cependant comprendre que cela se présente différemment dans les créatures et
en Dieu sous deux aspects : Premièrement
parce que dans les créatures le père et le fils ne sont pas un, numériquement
parlant, dans l’essence ; d’où le fils est autre que le père, et autre
chose comme réalité ; ce qui n’est pas vrai pour les personnes divines. |
Secundo,
quia in creaturis per paternitatem additur novum esse quod est esse
accidentale, et non idem, quod est esse subjecti. In divinis autem paternitas
non addit secundum rem aliud esse quam esse essentiae, in quo Pater et Filius
communicant |
Deuxièmement
parce que dans les créatures une nouvelle existence est ajoutée par la
paternité, qui est une existence accidentelle et qui n’est pas identique à
l’existence du sujet. Mais dans les personnes divines la paternité n’ajoute
pas une autre existence en réalité à l’existence de l’essence dans laquelle
le Père et le Fils communiquent. |
Cum ergo
loquimur in humanis, dicentes: « Solus pater », excluditur omnibus
modis filius, quia filius est alius et aliud a patre. Et praeterea, si esset
unum in essentia cum patre, adhuc excluderetur ab illo, inquantum est alius a
patre secundum esse relationis superadditum essentiae ; unde secundum quid
esset aliud a filio, quamvis in essentia convenirent. |
Donc, lorsque
nous parlons des humains en disant : ¨Seul le père¨, cela exclut le fils
de toutes les manières, car le fils est quelqu’un d’autre et quelque chose
d’autre que le père. Et par ailleurs, s’il était un avec son père dans
l’essence, il en serait encore séparé selon qu’il est autre que le père selon
l’existence de la relation ajoutée à l’essence ; c’est pourquoi il
serait autre que le fils sous un rapport, bien qu’il serait un avec lui dans
l’essence. |
Sed in
divinis Pater et Filius sunt unum in essentia, et tamen distinguuntur
relationibus ; et tamen illae relationes non addunt aliquid secundum rem ad
essentiam. Unde ratione illius distinctionis nullo modo potest dici Filius
aliud a Patre, sed tantum alius. |
Mais dans les
personnes divines le Père et le Fils sont une seule et même essence, et ils
se distinguent cependant par les relations ; et cependant ces relations
n’ajoute rien en réalité à l’essence. C’est pourquoi on ne peut dire du fils
en raison de cette distinction qu’il est
autre chose que le Père, mais seulement qu’il est un autre. |
Unde cum
dicitur: « Solus Pater », potest intelligi fieri exclusio
« alius » masculine, et sic excluditur Filius: et hoc magis
proprium est considerata consignificatione vocabulorum ; vel
« aliud » neutraliter, et sic non excluditur Filius, quia Filius
non est aliud a Patre, cum essentia divina quae est in Filio sit totum id
quod est Pater, et non aliqua pars ejus. |
C’est
pourquoi, lorsqu’on dit : ¨Seul le Père¨, c’est pour ¨un autre¨ au
masculin qu’on peut entendre qu’il y a exclusion, et ainsi c’est le Fils qui
est exclu : et cela est davantage approprié si on considère la
signification des termes ; ou bien on peut aussi entendre ¨quelque chose
d’autre¨ au neutre, et en ce sens le Fils n’est pas exclu du Père, puisque
l’essence divine qui est dans le Fils est la totalité de ce qu’est le Père et
non une partie de ce qu’Il est. |
Secundum hoc
ergo haec est distinguenda: « Solus Pater est Deus », per tres
sensus praedictos. Quia si « solus » implicet solitudinem circa
Patrem, falsa est. Si autem excludit a forma subjecti, sic vera est ; et est
sensus: ille qui est Pater, praeter quem nullus alius est Pater, est Deus. Si
autem fiat exclusio a participatione praedicati, sic est duplex. Quia cum
solus sit idem quod non cum alio, vel excludit alium masculine ; et sic est
falsa, et sic primo negat eam Augustinus: vel excludit aliud ; et sic est
vera, quia sic non excluditur Filius qui non est aliud a Patre ; et sic
potest concedi, ut patet ex dictis Augustini supra positis. |
Donc suivant
cela cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, doit être
distinguée d’après les trois significations précédentes. Car si ¨seul¨
implique une solitude du côté du Père, elle est fausse. Mais si elle exclut
de la forme du sujet, alors elle est vraie et le sens sera : celui qui
est Père, en dehors duquel nul autre n’est Père, est Dieu. Mais s’il y avait
exclusion d’une participation du prédicat, alors elle serait double. Car
puisque seul s’identifie à ne pas être avec un autre, ou bien il exclut un
autre en tant que masculin et ainsi la proposition est fausse, et c’est ainsi
que Saint-Augustin la nie en premier ; ou bien le terme ¨seul¨ exclut
quelque chose d’autre et alors elle est vraie et ainsi le Fils, qui n’est pas
quelque chose d’autre que le Père, n’est pas exclu. Et c’est en ce sens que
la proposition peut être concédée comme on le voit à partir des paroles de
Saint-Augustin présentées plus haut. |
[1669] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod ista:
« Solus Filius est altissimus », est distinguenda, sicut et prima ;
et in aliquo sensu est vera, et in aliquo falsa. Et praeterea hoc quod
dicitur: Tu solus altissimus Jesu
Christe, intelligendum est cum toto hoc quod consequitur: « Cum sancto Spiritu in gloria Dei patris »
; et hoc est absolute verum, quod solus Filius cum Patre et sancto Spiritu
est altissimus. |
Solutions : Il faut donc
dire en premier lieu que cette proposition, à savoir : ¨Seul le Fils est
le Très-Haut¨ doit être distinguée, comme c’était le cas pour la
première ; et en un sens elle est vraie, et en un autre elle est fausse.
Et par ailleurs, ce qui est dit, à savoir : Toi seul es le Très-Haut, Jésus-Christ, cela doit s’entendre avec
tout ce qui suit, soit : ¨Avec
l’Esprit-Saint dans la gloire de Dieu le Père¨ ; et cela est
absolument vrai que seul le Fils, avec le Père et l’Esprit-Saint, est le
Très-Haut. |
[1670] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum quod haec:
« Solus Deus est Pater », quantum ad hanc expositivam, « Deus
est Pater », convertitur simpliciter ; sic: Pater est Deus. Similiter
alia: « Nullus alius a Deo est Pater », convertitur simpliciter ;
sed ejus conversa non est: « Nullus alius a Patre est Deus », cum
non sit idem in subjecto et praedicato, sed magis ista: « Pater non est
alius a Deo », quae quodammodo vera est, ut supra dictum est, in corp.
art. ; et ex hoc non sequitur quod solus Pater sit Deus. |
2. En deuxième
lieu il faut dire que cette proposition : ¨Seul Dieu est le Père¨, quant
à cette explication, ¨Dieu est le Père¨, se convertit
simplement ainsi : le Père est Dieu. De la même manière, cette
autre proposition : ¨Aucun autre que Dieu n’est Père¨, se convertit
simplement, mais sa conversion n’est pas : ¨Nul autre que le Père n’est
Dieu¨, car on n’a pas la même chose dans le sujet et le prédicat, mais plutôt
elle se convertit ainsi : ¨Le Père n’est pas autre que Dieu¨, laquelle
est vraie en un certain sens, comme nous l’avons dit plus haut dans le corps
de l’article ; et de là il ne s’ensuit pas que seul le Père est Dieu. |
[1671] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur
« Solus Pater », excluditur Filius, si solus dicat idem quod non
cum alio masculine ; si autem dicat idem quod non cum alio neutraliter, non
excluditur ; et sic intelligitur dictum Augustini ; quod patet ex hoc quod
dicit, quia hi tres unum sunt. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que lorsqu’on dit ¨Seul le Père¨, cela exclut le Fils,
si ¨seul¨ dit la même chose que ¨non avec un autre¨ au masculin ; mais
s’il dit la même chose que ¨non avec un autre¨ au neutre, cela n’exclut pas
le Fils ; et c’est ainsi que s’entendent les paroles de
Saint-Augustin ; ce qui est clair à partir de ce qu’il dit car ces trois
personnes ne sont qu’une seule et même chose. |
[1672] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 ad 4 Et ad id quod objicitur de parte et
consequente, et de hoc quod unus est in alio, patet quod non sequitur ; quia
pars non est aliud suppositum quam totum, immo includitur in supposito totius
; similiter hoc consequens quod est animal, non est aliud secundum suppositum
ab homine. Et ideo quamvis Pater sit in Filio per unitatem essentiae, et
quantum ad intellectum relationis ; tamen relatio, inquantum habet rationem
oppositionis, distinguit Patrem a Filio secundum suppositum. |
4. Et par rapport
à ce qui est objecté au sujet de la partie et du conséquent, et au sujet de
ce que l’un est dans l’autre, il est clair que la conclusion ne suit
pas ; car la partir n’est pas un suppôt autre que le tout, au contraire
elle est comprise dans le suppôt du tout ; et de la même manière ce
conséquent qui est l’animal, en tant que suppôt, n’est pas autre que
l’homme. Et c’est pourquoi, bien que
le Père soit dans le Fils par l’unité de l’essence et quant à l’intelligence
de la relation, cependant la relation, en tant qu’elle a raison d’opposition,
distingue le Père du Fils selon le suppôt. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du prédicat ?] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[1673] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 pr. Deinde quaeritur, quomodo possit addi ex parte
praedicati dictio exclusiva in divinis ; et circa hoc duo quaeruntur: 1 utrum
haec sit vera, « Trinitas est solus Deus » ; 2 utrum sit haec vera,
« Pater est solus Deus ». |
On se demande
ensuite comment le terme exclusif peut être ajouté du côté du prédicat chez
les personnes divines ; et à ce sujet on présente deux questions : 1. Est-ce que
cette proposition, à savoir : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, est
vraie ? 2. Est-ce que
cette proposition, à savoir : ¨Le Père est le seul Dieu¨, est
vraie ? |
|
|
Articulus 1
[1674] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 tit. Utrum ista propositio,
« Trinitas est solus Deus », sit vera |
Article 1 – Cette proposition : « La Trinité est le seul Dieu », est-elle vraie ? |
[1675] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur
quod haec sit falsa, « Trinitas est solus Deus ».
« Solus » enim est dispositio subjecti, sicut et
« omnis ». Sed haec dictio « omnis »
incongrue additur ad praedicatum. Ergo videtur quod etiam haec dictio
« solus ». |
Difficultés: 1. Il semble que cette proposition: ¨La Trinité est
le seul Dieu¨, soit fausse. En effet, le terme ¨seul¨ est une disposition du
sujet, comme c’est le cas pour le terme ¨tout¨. Mais il ne convient pas
d’ajouter le terme ¨tout¨ au prédicat. Il semble donc qu’il en soit aussi de
même pour le terme ¨seul¨. |
[1676] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Philosophum, II Periher., lect. 4, nomina transposita
et verba, idem significant. Si ergo haec est vera: Trinitas est solus Deus,
haec etiam erit vera: Trinitas est Deus solus. |
2. Par
ailleurs, d’après le Philosophe [11 Perihermeneias,
leçon 4], les noms et les verbes, une fois transposés, signifient la même
chose. Si donc cette proposition est vraie, à savoir : ¨La Trinité est
le seul Dieu¨, cette autre proposition aussi sera vraie : ¨La Trinité
est Dieu seul¨. |
[1677] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, haec dictio solus est
syncategorematica, et importat negationem. Sed negatio debet praecedere
compositionem vel aliquid quod negetur. Cum autem dicitur sic :
« Pater est solus Deus » nulla affirmatio [nihil éd. De Parme] sequitur. Ergo videtur
quod locutio sit falsa vel incongrua, et sic idem quod prius. |
3. En outre,
ce terme ¨seul¨ est un terme syncatégorématique, et implique une négation.
Mais la négation doit précéder la composition ou quelque chose qui est nié.
Mais lorsqu’on parle ainsi : ¨Le Père est le seul Dieu¨, aucune
affirmation [rien Éd. de Parme] ne
suit. Il semble donc que l’expression soit fausse ou ne convienne pas, et
ainsi la conclusion est identique à la précédente. |
[1678] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 4
Praeterea, termini in praedicato tenentur formaliter. Sed solitudo non convenit formae, quia
forma, quantum est de se, communicabilis est. Ergo videtur quod non debeat
poni ex parte praedicati ; et sic idem quod prius. |
4. De plus,
les termes contenus dans le prédicat sont pris formellement. Mais la solitude
ne convient pas à la forme car celle-ci, quant à ce qu’elle est en elle-même,
est communicable. Il semble donc que le terme ¨seul¨ ne doive pas être placé
du côté du prédicat. Et ainsi la conclusion est la même que la précédente. |
[1679] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra est quod habetur in Littera. |
Cependant : 1. Ce qui est
établi dans le document est contraire aux conclusions qui précèdent. |
[1680] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod istae dictiones exclusivae « solus », et
« tantum » in hoc differunt, quod tantum, cum sit adverbium, et
similiter solum determinat actum verbi, quia adverbium est adjectivum verbi ;
unde cum verbum ratione compositionis conjungat praedicatum subjecto, et ad
utrumque se habeat, congrue possunt ista adverbia tam ad subjectum quam ad praedicatum
adjungi. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que ces termes exclusifs, à savoir ¨seul¨ et
¨uniquement¨ different en cela que ¨uniquement¨, puisqu’il est un adverbe,
tout comme ¨seulement¨, determine l’acte du verbe, car un adverbe est un
adjectif du verbe; c’est pourquoi, puisque le verbe en raison de la
composition conjugue le prédicat au sujet et se rapporte aux deux, ces
adverbes peuvent convenablement être ajoutés aussi bien au sujet qu’au
prédicat. |
Sed haec
dictio « solus » cum sit nomen privans consortium, est determinatio
ejus cum quo consortium potest haberi. Habetur autem consortium cum eo cui
aliquid convenit, et hoc significatur ut subjectum ; unde proprie est
dispositio subjecti. |
Mais ce terme
¨seul¨, puisqu’il est un nom qui prive de la communauté, est une
détermination de ce avec quoi il peut y avoir communauté. Mais la communauté
est étblie avec ce à quoi quelque chose convient, et cela est signifié en
tant que sujet ; c’est pourquoi ce terme est proprement une disposition
du sujet. |
Secundum
haec igitur dicunt, quod est impropria: « Trinitas est solus
Deus », quia si ly « solus » proprie tenetur, non additur ad
praedicatum. Si autem teneatur pro ly « tantum » superflue additur
praedicato essentiali vel substantiali, ut si diceretur: Socrates est tantum
homo ; quia per dictionem exclusivam non potest excludi nisi natura extranea
ab eo cui adjungitur. |
D’après cela
ils disent donc que l’énoncé suivant est impropre ; ¨La Trinité est le
seul Dieu¨ ; car si le terme ¨seul¨ est pris proprement, il n’est pas
ajouté au prédicat. Mais si à la place on prenait ¨uniquement¨, ce terme
s’ajouterait inutilement au prédicat essentiel ou substantiel, comme si on
disait : Socrate est uniquement un homme ; car au moyen d’un terme
exclusif, il n’y a qu’une nature extérieure qui puisse être exclue de ce à
quoi il s’ajoute. |
Et hoc
intelligitur etiam ex ipso praedicato substantiali ; ex hoc enim quod
dicitur, Socrates est homo, intelligitur quod non est asinus vel equus. Et
similiter dicunt, quod superflue additur, cum dicitur, Trinitas est tantum
Deus: nisi addatur « unus », vel aliquis alius terminus
accidentalis, qui possit inesse vel non inesse ; quia sic excluderetur
oppositum unitatis quod est pluralitas. |
Et cela
s’entend aussi à partir du prédicat substantiel lui-même ; en effet, à
partir de ce qui est dit, à savoir Socrate est un homme, on comprend qu’il
n’est pas un âme ou un cheval. Et de la même manière ils disent que le terme
exclusif s’ajoute inutilement lorsqu’on dit que la Trinité est uniquement
Dieu, à moins qu’on ajoute ¨un¨, ou un autre terme accidentel qui pourrait
appartenir ou ne pas appartenir ; car ainsi serait exclu l’opposé de
l’unité qui est la pluralité. |
Et dicunt,
quod intentio Augustini non est dicere, quod hoc quod dico « Solus
Deus » praedicetur de Trinitate, ut Magister innuit ; sed cum dicitur
« Solus Deus », supponitur Trinitas, et non Pater vel Filius. Sed
hoc non videtur multum necessarium. |
Et ils disent
que l’intention de Saint-Augustin n’est pas de dire que ce que je dis, à
savoir ¨Seul Dieu¨, s’attribue à la Trinité, comme le Maître
l’indiquait ; mais lorsqu’on dit ¨Seul Dieu¨, c’est la Trinité qui est
supposée et non le Père ou la Fils. Mais cela ne semble pas être grandement
nécessaire. |
Quamvis enim
ly « solus » sit dispositio subjecti, non tamen oportet quod
addatur semper ad subjectum ; quia illud etiam quod in praedicato ponitur,
potest significari ut suppositum alicui naturae vel proprietati, ratione
cujus potest ab eo privari consortium, ut si diceretur: Socrates est solus
homo sedens. |
En effet, bien
que ce ¨seul¨ soit une disposition du sujet, il n’est cependant pas
nécessaire qu’il soit toujours ajouté au sujet ; car même ce qui est
posé dans le prédicat, peut être signifié comme le suppôt d’une nature ou
d’une propriété, en raison de quoi la communauté peut être retirée de lui,
comme si on disait : Socrate est le seul homme assis. |
Similiter
dico in proposito, quod alio modo praedicatur hoc nomen « Deus » de
tribus personis, et hoc nomen homo de Socrate et Platone. Cum enim non
praedicetur de utroque nisi id quod utrique commune est ; utrique autem non
est commune nisi natura humana, quae in se considerata non est quid
subsistens ; constat quod iste terminus « homo » non praedicat
aliquam rem subsistentem, sed solum naturam inhaerentem, et ut inhaerentem ;
et ideo non potest sibi fieri additio hujus dictionis « solus »,
quae privat consortium. |
De la même manière je dis dans notre propos que le nom ¨Dieu¨
s’attribue aux trois personnes d’une manière autre que le nom ¨homme¨
s’attribue à Socrate ou à Platon. En effet, puisque ne s’attribue aux deux
que ce qui leur est commun et qu’il n’y a que la nature humaine qui soit
commune aux deux, qui en elle-même n’est pas quelque chose de subsistant, il
est clair que ce terme ¨homme¨ n’attribue pas une réalité subsistante, mais
seulement une nature inhérente et en tant qu’elle est inhérente ; et
c’est pourquoi il ne peut y avoir là addition de ce terme ¨seul¨ qui prive
d’une communauté. |
Naturae enim
communis non est ut ipsa habeat consortium, sed in ipsa consortium habeatur.
Sed iste terminus Deus praedicat naturam divinam de tribus personis, quae
etiam in se est habens esse subsistens nulla personarum distinctione
intellecta. Unde quamvis praedicet naturam divinam ut naturam divinam et non
ut quid subsistens, nihilominus tamen hoc quod praedicat, quid subsistens est
; et ideo habet rationem ut in ipsa sit consortium, prout significatur in quo
est, et ut ipsius sit consortium, secundum aliquid sibi conveniens, prout significatur
ut quid est. |
En effet, il
n’appartient pas à une nature commune de posséder elle-même une communauté,
mais qu’en elle une communauté soit possédée. Mais ce terme ¨Dieu¨ attribue
la nature divine aux trois personnes, laquelle nature, ne comprenant aucune
distinction des personnes divines, possède aussi en elle une existence
subsistante. C’est pourquoi, bien que le terme Dieu attribue la nature divine
en tant que nature divine et non en tant que quelque chose de subsistant,
néanmoins cependant ce qu’il attribue est quelque chose de subsistant ;
et c’est pourquoi elle a raison d’avoir en elle une communauté, selon qu’est
signifié ce en quoi elle est, et que la communauté lui appartienne en tant
que quelque chose qui lui appartient, selon qu’elle est signifiée en tant que
nature. |
[1681] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
diversimode haec dictio « omnis » est dispositio subjecti, et haec
dictio solus: quia per hanc dictionem « omnis », ratione
distributionis importatur quaedam divisio subjecti, et multiplicatio ratione
contentorum. Unde incongrue additur his sub quibus non est accipere aliquam
multitudinem suppositorum, ut terminis singularibus. Et propter hoc etiam ex
parte praedicati poni non potest ; quia praedicatum sumitur formaliter, et in
forma communi uniuntur supposita, non distinguuntur. « Solus »
autem non dicit aliquam divisionem, sed tantum removet consortium respectu
alicujus quod convenit rei subsistenti. Unde si praedicetur aliqua res subsistens,
convenienter potest sibi addi « solus », sicut cum praedicatur hoc
nomen « Deus ». |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que c’est
d’une manière différente que les termes ¨tout¨ et ¨seul¨ sont des
dispositions du sujet : car au moyen du terme ¨tout¨ une certaine
division du sujet est impliquée en raison de la distribution, tout comme une
certaine multiplication en raison de ce qui y est contenu. C’est pourquoi il
ne convient pas de l’ajouter aux termes sous lesquels il n’y a pas à prendre
une certaine multiplicité de suppôts, par exemple à des termes singuliers. Et
c’est pour cette raison aussi qu’il ne peut être placé du côté du
prédicat ; car le prédicat se prend formellement et les suppôts sont
unis et non séparés dans une forme commune. Mais le terme ¨seul¨ ne renvoie
pas à une division, mais il enlève seulement une communauté par rapport à
quelque chose qui convient à une réalité subsistante. C’est pourquoi, si une
réalité subsistante est attribuée, on peut convenablement lui attribuer le
terme ¨seul¨, comme lorsqu’on attribue le terme ¨Dieu¨. |
[1682] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum haec dictio
« solus » ex parte praedicati sequitur suum substantivum, semper
implicat solitudinem. Tunc enim excluditur consortium simpliciter, et non
respectu alicujus determinati, cum nihil sequatur. Et ideo quamvis concedatur
haec, « Trinitas est solus Deus », non tamen conceditur, proprie
loquendo, « Trinitas est Deus solus » ; et hoc accidit ratione
negationis importatae. Unde non est idem judicium de hoc homine
« solus », et de hoc nomine « albus » ; differt enim
negatio postposita et praeposita termino. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que lorsque ce terme ¨seul¨ suit son substantif du côté
du prédicat, il implique toujours la solitude. Alors en effet la communauté
est exclue absolument, et non par rapport à quelque chose de déterminé,
puisque rien ne suit. Et c’est pourquoi, bien qu’il faille concéder cette
proposition : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, on ne concède cependant pas,
à proprement parler, celle-là : ¨La Trinité est Dieu seul¨ ; et
cela se produit en raison de la négation impliquée. C’est pourquoi le
jugement au sujet de cet homme ¨seul¨ n’est pas identique au jugement au
sujet de cet homme ¨blanc¨ ; en effet, la négation qui suit le terme
diffère de celle qui le précède. |
[1683] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in hac
propositione, « Trinitas est solus Deus vel solus verus Deus »,
intelligitur duplex compositio ; una principalis, quae est importata per
verbum ; et alia intelligitur in hoc nomine « Deus », prout
significatur habens deitatem. Unde ratione hujus compositionis potest fieri
exclusio, secundum quod aliquid excluditur a participatione formae
praedicati, quae convenit rei subsistenti praedicatae. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que dans cette proposition, à savoir : ¨La
Trinité est le seul Dieu ou le seul vrai Dieu¨, on entend deux
compositions : la première et la principale, qui est impliquée par le
verbe ; la deuxième qui est comprise dans le nom ¨Dieu¨, selon qu’il
signifie celui qui possède la divinité. C’est pourquoi, en raison de cette
composition il peut se produire une exclusion, selon que quelque chose est
exclu de la participation à la forme du prédicat qui convient à la chose
subsistante dont on parle. |
[1684] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen
« Deus » non praedicat naturam divinam solum per modum formae,
sicut alia praedicata substantialia, prout significatur natura divina ut quo
est, sed ut rem subsistentem, prout significatur ut quod est ; et secundum
hoc potest ei addi « solus ». Dictum enim est supra, distin. 19,
quaest. 4, art. 2, quod hoc nomen « Deus » partim habet rationem
termini communis, et partim rationem termini singularis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que ce nom, ¨Dieu¨, n’attribue pas la nature divine
seulement à la manière d’une forme, comme les autres prédicats substantiels,
selon que la nature divine serait signifiée en tant que ¨ce par quoi¨, mais
comme une réalité subsistante, selon qu’elle est signifiée en tant que ce qui
est ; et en ce sens on peut lui ajouter le terme ¨seul¨. Nous avons dit
en effet plus haut [dist. 19, quest. 4, art. 2] quece nom ¨Dieu¨ a en partie
raison de terme commun et en partie raison de terme singulier. |
|
|
Articulus 2
[1685] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 tit. Utrum pater sit
solus Deus |
Article 2 – Le Père est-il le seul Dieu ? |
[1686] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur
quod Pater sit solus Deus. Omne enim quod praedicatur de tribus personis
simul sumptis, est praedicatum essentiale. Sed hoc quod dico, « solus
Deus » est hujusmodi, dicitur enim: « Trinitas est solus
Deus ». Ergo videtur, cum omne praedicatum essentiale possit dici de
patre, quod possit dici: « Pater est solus Deus ». |
Difficultés : 1. Il semble
que le Père soit le seul Dieu. En effet, tout ce qui s’attribue aux trois
personnes prises simultanément est un prédicat essentiel. Mais ce que
j’appelle ¨seul Dieu¨ est un attribut de cette sorte, car on dit en
effet : ¨la Trinité est le seul Dieu¨. Il semble donc, puisque tout
prédicat essentiel peut se dire du Père, qu’on puisse aussi dire : ¨Le
Père est le seul Dieu¨. |
[1687] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Pater est Deus, et non est
aliud quam Deus. Ergo est solus Deus. |
2. Par
ailleurs, le Père est Dieu et il n’est pas autre chose que Dieu. Donc, il est
le seul Dieu. |
[1688] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, constat quod non est nisi unus
solus Deus. Sed ille Deus praeter quem non est alius [praeter… alius om. Ed. de Parme] Deus, est Pater.
Ergo Pater est unus solus Deus. |
3. En outre,
il est clair qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Mais ce Dieu en dehors duquel il
n’y a pas un autre [en dehors…un autre
om. Éd. de Parme] Dieu, est le Père. Donc le Père est l’unique et seul Dieu. |
[1689] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur. |
Cependant : 1. Ce qu’on
dit dans le document est contraire à ces conclusions. |
[1690] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum dicitur,
« Pater est solus Deus », haec dictio « solus » quamvis
ex parte praedicati ponatur, tamen potest intelligi ex parte subjecti ; ut
cum dicitur: est homo albus, intelligitur homo est albus ; et tunc erit idem
judicium de hac sicut et de illa quae supra, art. antec., dicta est:
« Solus Pater est Deus ». Si autem intelligatur ex parte
praedicati, tunc uno modo potest intelligi, quod ly « solus » ponatur
pro « tantum », et sic erit vera. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que lorsqu’on dit : ¨Le Père est le seul Dieu¨, ce
terme, ¨seul¨, bien qu’il soit posé du côté du prédicat, peut cependant
s’entendre comme étant du côté du sujet ; comme lorsqu’on dit : il
est un homme blanc, on entend : l’homme est blanc ; et alors le
jugement sur cette proposition sera identique à celui qu’on portait sur la
proposition dont on parlait dans l’article précédent : ¨Seul le Père est
Dieu¨. Mais si on l’entend du côté du prédicat, alors on ne peut l’entendre
que d’une seule manière, à savoir que ce ¨seul¨ est pris pour ¨seulement¨, et
ainsi elle sera vraie. |
Nec erit
superflua additio ; quia Filius quamvis sit Deus, non tamen est tantum Deus,
quia est etiam homo, quod de Patre dici non potest, cum tamen Pater humanam
naturam assumere potuerit. Sed sic non accipitur hic. Si autem ly
« solus » sumatur proprie, tunc habet proprietatem ista locutio,
secundum quod hoc praedicatum « Deus » non tantum praedicat naturam
deitatis ut formam, sed ut quid subsistens. |
Et dans ce cas
l’addition se sera pas inutile car le Fils, bien qu’il soit Dieu, n’est
cependant pas seulement Dieu parce qu’il
est aussi homme, ce qui ne peut être dit du Père, bien que le Père
aurait cependant pu prendre la nature humaine. Mais ce n’est pas ainsi qu’on
le prend ici. Mais si le ¨seul¨ se prend proprement, alors cette expression
possède la propriété selon laquelle ce prédicat ¨Dieu¨ n’attribue pas
seulement la nature de la divinité en tant que forme, mais aussi en tant
qu’être subsistant. |
Dico igitur,
quod cum dicitur, « Pater est solus Deus », locutio est duplex.
Quia ly « solus » potest excludere omne aliud a Patre a
participatione formae praedicati ; et sic vera est ; sic enim non excluditur
Filius neque Spiritus sanctus ; qui non sunt aliud a supposito Patris. Si
autem excludat alium masculine, tunc est falsa: in quo tamen sensu vera est
ista, « Trinitas est solus Deus » ; quia cum ly « Deus »
praedicet non tantum naturam, sed etiam suppositum, quando praedicatur de
Trinitate praedicat suppositum totius Trinitatis ; et ideo etiam si fiat
exclusio ratione alterius suppositi, vera est: quia nullum aliud suppositum
extra Trinitatem, sicut nec alia natura, Deus est. Sed cum dicitur:
« Pater est Deus », ly « Deus » praedicat suppositum
Patris ; unde si fiat exclusio respectu ejus quod est aliud suppositum a
Patre, est falsa ; et in hoc sensu negatur ; si autem ejus quod est aliud in
natura a Patre, vera est. |
Je dis donc
que lorsqu’on dit : ¨Le Père est le seul Dieu¨, l’énoncé est double. Car
ce ¨seul¨ peut exclure ce qui est d’une toute autre nature que le Père de la
participation de la forme du prédicat ; et ainsi il est vrai ;
ainsi en effet, ni le Fils ni l’Esprit-Saint n’est exclu, lesquels ne sont
pas autre chose que le suppôt du Père. Mais s’il excluait un autre au
masculin, alors il serait faux : c’est cependant en ce sens que cette
proposition est vraie : ¨La Trinité est le seul Dieu¨ ; car lorsque
¨Dieu¨ attribuera non seulement la nature mais aussi le suppôt, quand il est
attribué à la Trinité il attribue le suppôt de toute la Trinité ; et
c’est pourquoi encore s’il se produit une exclusion en raison d’un autre
suppôt, il est vrai : car il n’y a aucun autre suppôt en dehors de la
Trinité, ni aucune autre nature, qui est Dieu. Mais lorsqu’on dit ¨Le Père
est Dieu¨, ce ¨Dieu¨ attribue le suppôt du Père ; et s’il y avait
exclusion par rapport à ce qui est un autre suppôt que le Père, il est
faux ; et en ce sens il est nié ; mais si l’exclusion a lieu par
rapport à ce qui est d’une autre nature que le Père, alors l’énoncé est vrai. |
[1691] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod secundum
quod ly « solus » excludit suppositum extraneum, et non solum
extraneam naturam, ad plura extendit se negatio implicita, cum dicitur:
« Pater est solus Deus », quam cum dicitur: « Trinitas est
solus Deus ». Quia in hac cum dicitur: « Pater est solus
Deus », excluditur etiam suppositum Filii et Spiritus sancti. Et ideo
haec est falsa, secundum illum intellectum, « Pater est solus
Deus » ; quamvis haec sit vera, « Trinitas est solus Deus ».
Nec hoc est ratione praedicati essentialis, sed ratione negationis
excludentis suppositum illud. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que selon que ce ¨seul¨
exclut un suppôt extérieur et non seulement une nature extérieure, la
négation implicite s’étend à un plus grand nombre lorsqu’on dit : ¨Le
Père est le seul Dieu¨ que lorsqu’on dit : ¨La Trinité est le seul Dieu¨.
Car dans celle dans laquelle on dit :¨Le Père est le seul Dieu¨, on
exclut aussi le suppôt du Fils et celui de l’Esprit-Saint. Et c’est pourquoi
cet énoncé, à savoir : ¨Le Père est le seul Dieu¨, est faux suivant
cette conception, bien que celle-ci : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, soit
vraie. Et cela n’est pas en raison du prédicat essentiel, mais en raison de
la négation qui exclut ce suppôt. |
[1692] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum, dicendum, quod si ly
« solus » proprie sumatur, non est illa expositio ejus, sed magis
esset expositio ejus si « solus » sumeretur pro
« tantum », et in hoc sensu concessa est. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que si ce ¨seul¨ est pris proprement, cette explication
ne convient pas à cet énoncé, mais elle lui conviendrait davantage si ¨seul¨
était pris pour ¨seulement¨, et en ce sens elle est concédée. |
[1693] Super
Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si ly
« solus » proprie sumatur, per illud argumentum non probatur quod
sit vera: « Pater est solus Deus », sed magis quod ista est vera:
« Solus Deus est Pater », et haec secundum aliquem sensum supra
concessa est. Si autem assumatur, Pater est ille Deus, praeter quem non est
alius, haec propositio est multiplex: quia hoc relativum quem potest referre
distinctum suppositum Patris ut sit sensus: praeter Patrem non est alius. Et
si intelligatur: non est alius Deus, verum est, quia Filius non est alius
Deus a Patre ; si autem intelligatur: praeter Patrem non est alius qui sit
Deus, falsa est, quia Filius est alius a Patre, qui tamen est Deus. Si vero
relativum referat suppositum indistincte, secundum quod supponit hoc nomen
Deus cum dicitur: « Deus » est unus, tunc est vera in omni sensu.
Et sic patet quod non concludetur propositum, nisi per modum quo propositio
dicta concessa est in distinctione supra posita. |
3. En
troisième lieu il faut dire que si ce ¨seul¨ est pris proprement, on ne
prouve pas par cet argument que cet énoncé, à savoir ¨Le Père est le seul
Dieu¨, est vrai, mais plutôt que cet autre énoncé est vrai : ¨Le seul
Dieu est le Père¨, et celle-ci en un certain sens a été concédée plus haut.
Mais si on assume quele Père est ce Dieu en dehors duquel il n’y en a pas un autre,
cette proposition peut se prendre de plusieurs manières : car ce
relatif,¨duquel¨, peut renvoyer au suppôt distinct du Père de manière à ce que le sens soit : en
dehors du Père il n’y a pas un autre . Et si on comprend : il n’y a pas
un autre Dieu, elle est vraie, car le Fils n’est pas un autre Dieu que le
Père ; mais si on comprend par là : en dehors du Père il n’y en a
pas un autre qui soit Dieu, alors elle est fausse car le Fils est autre que
le Père et cependant il est Dieu. Mais si le relatif représente le suppôt
d’une manière indistincte, selon que le suppose ce nom ¨Dieu¨ lorsqu’on
dit : ¨Dieu¨ est un, alors la proposition est vraie dans tous les sens.
Et ainsi il est clair que le propos n’est conclu que de la manière par
laquelle la proposition dont on parle a été concédée dans la distinction
présentée plus haut. |
|
|
Distinctio 22 |
Distinction 22 – [Les noms divins – suite] |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [Le nom attribué à Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum Deus sit nominabilis ; 2 an aliquod nomen proprie ei
conveniat, vel omnia nomina de eo transumptive dicantur ; 3 utrum sit nominandus uno tantum
nomine, vel pluribus, vel etiam omnibus ; 4 quaeritur de multiplicatione
divinorum nominum in littera posita. |
La recherche
porte ici sur quatre points : 1. Est-ce
qu’un nom peut être attribué à Dieu ? 2. Est-ce
qu’un nom lui convient proprement ou bien tout nom lui est attribué par
métaphore ? 3. Doit-il
être nommé d’un seul nom, de plusieurs ou même de tous ? 4. Pourquoi
retrouve-t-on dans ce document une multitude de noms ? |
|
|
Articulus 1 [1696] Super Sent., lib. 1
d. 22 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus sit nominabilis |
Article 1 – Est-ce que Dieu peut être désigné par un nom ? |
[1697] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit nominabilis,
per id quod dicit Dionysius I cap. De
divinis nominibus, col. 586, de Deo loquens: « Omnibus autem universaliter incomprehensibilis est, et neque sensus
ejus est, neque phantasma, neque opinio, neque nomen, neque sermo, neque
tactus, neque scientia ». Hoc etiam videtur per hoc quod dicit
philosophus Lib. De causis proposit.
6: « Causa prima superior est
narratione, et deficiunt linguae a narratione ejus ». |
Difficultés : 1. Il semble
que Dieu ne puisse être nommé, d’après ce qu’en dit Denys [Les Noms Divins, ch. 1, col. 586]
lorsqu’il parle de Dieu : ¨ Mais
Dieu dépasse absolument toute compréhension et aucune sensation, aucune
image, aucune opinion, aucun nom, aucun discours, aucun toucher, aucune
science ne peuvent l’atteindre¨. La même conclusion semble découler de ce
qu’en dit le Philosophe [Livre des Causes, proposit. 6] : ¨La cause première dépasse tout discours et
les langues sont impuissantes à le faire connaître¨. |
[1698] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 1 arg. 2 Item, omne nomen est signum alicujus formae existentis in anima,
secundum philosophum in prol. I Periher.
Sed, sicut dicit Augustinus, Deus, qui omnem formam subterfugit, intellectui
pervius esse non potest. Ergo videtur quod nullo nomine possit nominari. |
2. En outre,
d’après le Philosophe [1 Perihermeneias,
prologue], tout nom est le signe d’une forme qui existe dans l’âme. Mais,
tout comme le dit Saint-Augustin, Dieu, qui échappe à toute forme, ne peut
être accessible à l’intelligence. Il semble donc qu’il ne puisse être nommé
par aucun nom. |
[1699] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 1 arg. 3 Praeterea, si nominatur, aut nominatur per nomen, aut per
pronomen, aut per verbum, aut per participium. Sed non potest nominari per
nomen, cum omne nomen significet substantiam cum qualitate ; in Deo autem
nulla est compositio substantiae et qualitatis ; nec per verbum, nec per
participium, quae tempus consignificant, quod a Deo longe est ; nec per
pronomen, cum pronominis significatio determinetur per demonstrationem vel
relationem ; demonstratio autem fit mediantibus accidentibus, quae in Deo non
sunt, et relatio est antedictae rei recordatio, et sic per relationem
significari non potest, nisi aliquid aliud praesupponatur vel praenominetur.
Ergo videtur quod nullo modo possit nominari. |
3. Par
ailleurs, s’il est nommé, ou bien il est nommé par un nom, ou bien par un
pronom, ou bien par un verbe ou un participe. Mais il ne peut être nommé par
un nom, puisque tout nom signifie une substance avec une qualité ; mais
en Dieu il n’y a nulle composition d’une substance avec une qualité ; et
il ne peut être nommé par un verbe ni par un participe car ces derniers
consignifient le temps qui est étranger à Dieu ; et il ne peut non plus
être nommé par un pronom, puisque la signification d’un pronom est déterminée
par une démonstration ou une relation ; mais il n’y a démonstration au
moyen d’accidents, lesquels n’existent pas en Dieu, alors que la relation est
un rappel de la chose dont on vient de parler et ainsi ne peut être signifié
par une relation que quelque chose d’autre qui est présuppposé ou prénommé. Il
semble donc que Dieu ne puisse être nommé d’aucune manière. |
[1700] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 1 s. c. 1 Contra, in ps. LXVII,
5, dicitur: Dominus nomen illi ; et
Exod. III, 13: « Si quaesierint
nomen meum… » et cetera. |
Cependant : 1. On dit au
contraire [Psaume LXVII, 5] : Le
Seigneur est son nom ; et ailleurs on dit encore [Exode 111, 13] : ¨S’ils
te demandent mon nom…¨ etc. |
[1701] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 1 s. c. 2 Praeterea, omne quod cognoscitur, potest etiam voce significari.
Sed nos aliquo modo cognoscimus Deum vel per fidem vel per naturalem
cognitionem. Ergo
possumus eum nominare. |
|
[1702] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum voces sint signa intellectuum,
secundum philosophum, idem judicium est de cognitione rei et nominatione
ejus. Unde sicut Deum imperfecte cognoscimus, ita etiam imperfecte nominamus,
quasi balbutiendo, ut dicit Gregorius. Ipse autem solus seipsum comprehendit
; et ideo ipse solus seipsum perfecte nominavit, ut ita dicam, verbum
coaequale sibi generando. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que puisque les mots sont les signes des concepts d’après le
Philosophe, le jugement sur le nom d’une réalité est le même que celui qu’on
porte sur la connaissance de la chose. De là, tout comme nous connaissons
Dieu d’une manière imparfaite, de même nous le nommons d’une manière
imparfaite, comme en balbutiant, ainsi que le dit Saint-Grégoire. Mais Dieu
seul se comprend lui-même, et c’est pourquoi il n’y a que Lui qui puisse se
nommer parfaitement et, pour le dire ainsi, au moyen d’un verbe qui lui est
égal quand il l’engendre |
[1703] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod omnes auctoritates quae dicunt Deum
esse innominabilem, intendunt dicere, quod nullum nomen exprimit perfecte
ipsum Deum: quod significatur in verbis philosophi, qui dicit, lib. De causis, proposit. 6) quod « Linguae deficiunt a narratione ejus ;
et quod alibi dicit, proposit. 22: causa
prima superior est omni narratione, et supra omne id quod nominatur ». |
Solutions ; 1. Il faut
donc dire en premier lieu que tous les
témoignages d’autorité qui disent que Dieu ne peut être nommé
cherchent à dire qu’aucun nom n’exprime parfaitement Dieu lui-même : et
c’est là ce qui est signifié par les paroles du Philosophe qui dit [Des Causes, prop. 6] que ¨Les langues sont impuissates à le raconter¨ ;
et il dit plus loin [De Causis,
prop. 22] : ¨La cause première
dépasse tout discours et tout ce qui peut être nommé¨. |
[1704] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si Augustinus intelligat de forma
corporali, sic planum est quod Deus non habet formam corporalem, nec oportet
quod omne quod nominatur, formam corporalem habeat. Si autem intelligat de
forma absolute, tunc dicitur omnem formam subterfugere, non quia ipse in se
non sit vere forma, cum ipse sit purus actus et simplex et prima forma,
secundum Boetium, lib. De Trinit., cap.
II, col. 1250, sed quia quamcumque formam intellectus concipiat, Deus
subterfugiat illam sui eminentia. Si enim intellectus noster apprehendit
sapientiam, ipse Deus in sapientia sua excedit omnem sapientiam a nobis
intellectam. Et ideo concludit quod non est pervius nostro intellectui, ita
quod in ipsum ire perfecte comprehendendo possit. Propter quod etiam
Dionysius dicit, cap. II, Caelest.
Hierar., col. 135), quod quidquid de ipso affirmamus, potest etiam de
ipso negari: quia sibi non competit secundum hoc quod nos intelligimus et
nomine significamus, sed excellentius. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que si Saint-Augustin entendait parler de la forme
corporelle, alors il est clair que Dieu ne possède pas de forme corporelle,
et il n’est pas nécessaire que tout ce qui est nommé possède une forme
corporelle. Mais s’il entend parler de la forme prise absolument, alors on
dit de Dieu qu’il échappe à toute forme, non pas parce que Lui-même n’est pas
une véritable forme, puisque Lui-même est un acte pur et simple et une forme
première selon Boèce [De la Trinité,
ch. 11, col. 1250], mais parce que Dieu, par son excellence, échappe à toute
forme que l’intelligence conçoit. Si en effet notre intelligence appréhende
quelque chose de la sagesse, Dieu lui-même dans sa sagesse dépasse toute
sagesse que nous pouvons saisir. Et c’est pourquoi Saint-Augustin conclut que
Dieu n’est pas accessible à notre intelligence, de telle manière qu’elle ne
puisse aller parfaitement vers Lui d’une connaissance compréhensive. Et c’est
pour cette raison que Denys dit aussi [De
la Hiérarchie Céleste, ch. 11, col. 135] que tout ce que nous pouvons
affirmer de Dieu, nous pouvons aussi le nier : car cela ne lui
appartient pas suivant ce que nous pouvons en comprendre et signifier par un
nom, mais d’une manière plus excellente encore. |
[1705] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potest significari et nomine et pronomine
et verbo et participio. Cum enim dicitur, quod nomen significat substantiam
cum qualitate, non intelligitur qualitas et substantia proprie, secundum quod
logicus accipit praedicamenta distinguens. Sed grammaticus accipit
substantiam quantum ad modum significandi, et similiter qualitatem ; et ideo,
quia illud quod significatur per nomen significatur ut aliquid subsistens,
secundum quod de eo potest aliquid praedicari, quamvis secundum rem non sit
subsistens, sicut albedo dicit, quod significat substantiam, ad differentiam
verbi, quod non significat ut aliquid subsistens. Et quia in quolibet nomine
est considerare id a quo imponitur nomen, quod est quasi principium
innotescendi, ideo quantum ad hoc habet modum qualitatis, secundum quod qualitas
vel forma est principium cognoscendi rem. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que Dieu peut être signifié à la fois par un nom, un
pronom, un verbe et un participe. En effet, lorsqu’on dit que le nom signifie
une substance avec une qualité, on n’entend pas la substance et la qualité au
sens propre, selon que le logicien les prend en distinguant les prédicaments.
Mais le grammairien prend la substance, comme la qualité, quant au mode de
signifier ; et c’est pourquoi , parce que ce qui est signifié par le nom
est signifié comme quelque chose de subsistant selon qu’on peut lui attribuer
quelque chose, bien qu’en réalité il ne soit pas subsistant comme c’est le
cas pour la blancheur, il signifie à la manière d’une substance à la
différence du verbe qui ne signifie pas comme quelque chose de subsistant. Et
parce que pour tout nom il faut considérer ce à partir de quoi le nom est
imposé et qui est comme le principe qui fait connaître, c’et pourquoi quant à
cela le nom possède le mode de la qualité, selon que la qualité ou la forme
est le principe qui fait connaître la chose. |
Unde, secundum
philosophum, V Metaph., text. 19, uno
modo forma substantialis qualitas dicitur. Nec refert quantum ad
significationem nominis, utrum principium innotescendi sit idem re cum eo
quod nomine significatur, ut in abstractis, vel diversum, ut in hoc nomine
homo. Et quia Deus seipso cognoscitur, ideo potest significari per nomen quod
habeat qualitatem quantum ad rationem a qua nomen imponitur, et substantiam
quantum ad id cui imponitur. |
C’est pourquoi, d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 19] en un sens la
forme substantielle est appelée qualité. Et que le príncipe qui fait
connaître soit identique en réalité avec ce qui est signifié par le nom,
comme dans les noms abstraits, ou différent comme dans ce nom ¨homme¨, cela
ne se rapporte pas à la signification du nom. Et parce que Dieu est connu par
Lui-même, c’est pourquoi il peut être signifié par un nom qui a raison de
qualité quant à la raison par laquelle le nom est imposé, et qui a raison de
substance quant à ce à quoi il est imposé. |
Similiter dicendum est de pronomine,
quod etiam per pronomen significari potest, ut habetur Exod. 3, 14: « Ego sum qui sum ». Et
quamvis non possit demonstrari quantum ad sensum, tamen potest demonstrari
quantum ad intellectum, secundum id quod intellectus de ipso apprehendere
potest. Potest etiam significari per pronomen relativum, cum ponatur ipsum
significari per nomen quod relativum referre potest. Similiter etiam per
verbum vel participium potest significari, ut cum dicitur, quod ipse est
intelligens vel potens vel hujusmodi. Et tamen verba et participia dicta de
ipso non significant aliquid temporale in ipso. Sed verum est quod quantum ad
modum significandi quo tempus significant, deficiunt a repraesentatione
ipsius. |
Il faut dire
la meme chose du pronom, à savoir que Dieu peut être nommé aussi par un
pronom comme on le dit dans l’Exode
(3, 14) : ¨Je suis celui qui est¨.
Et bien qu’il ne puisse être montré par le sens, cependant il peut être
démontré quant à l’intelligence selon ce que cette dernière peut comprendre
de Lui. Il peut aussi être signifié par un pronom relatif puiqu’on pose qu’il est signifié par le nom
auquel le relatif peut référer. De même encore il peut être signifié par le verbe
ou le participe, comme lorsqu’on dit de Lui qu’il est intelligent, puissant
et d’autres choses de cette sorte. Et cependant les verbes et les participes
dits de Lui ne signifient pas quelque chose de temporel en Lui. Mais il est
vrai que quant au mode de signifier par lequel ils signifient le temps, ils
échouent à le représenter d’une manière adéquate. |
|
|
Articulus 2 [1706] Super Sent., lib. 1
d. 22 q. 1 a. 2 tit. Utrum aliquod nomen possit dici proprie de Deo |
Article 2 – Peut-on employer un nom au sens propre pour Dieu ? |
[1707] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nullum nomen de Deo
proprie dici possit. Nihil enim proprie dicitur de aliquo quod verius negetur
de ipso quam affirmetur. Sed, secundum Dionysium, II cap. Caelest. Hierarch., § 3, col. 139,
verius omnia nomina quae de Deo dicuntur, de ipso negantur quam affirmantur ;
unde dicit, quod negationes in divinis sunt vere affirmationes incompactae.
Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’aucun nom ne puisse se dire proprement de Dieu. En effet, rien de ce qu’il
est plus vrai de nier que d’affirmer d’un être ne se dit proprement de lui.
Mais d’après Denys [De la Hiérarchie
Céleste, ch. 11, &3, col. 139], tous les noms qu’on attribue à Dieu
sont niés de Lui avec plus de vérité qu’ils en sont affirmés ; c’est
pourquoi il dit que par rapport à Dieu, les négations sont de vraies mais les
affirmations sont inconsistantes. Donc, aucun nom ne se dit proprement de
Dieu. |
[1708] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 2 arg. 2 Praeterea, Deum non possumus nominare, nisi secundum quod ipsum
cognoscimus. Sed non cognoscimus ipsum nisi ex effectibus suis, vel per viam
causalitatis, vel per viam negationis, vel per viam eminentiae. Ergo non
potest nominari a nobis nisi ex creaturis. Sed quandocumque nomen creaturae
praedicatur de Deo, non est vera praedicatio nisi intelligatur metaphorice
vel transumptive, ut cum dicitur, Deus est leo, vel, Deus est lapis. Ergo
videtur quod nullum nomen proprie dicatur de Deo, sed metaphorice. |
2. Par
ailleurs, nous ne pouvons nommer Dieu que dans la mesure où nous le
connaissons. Mais nous ne pouvons le connaître que par ses effets ou par voie
de causalité, ou par voie de négation, ou par voie d’excellence. Nous ne
pouvons donc le nommer qu’à partir des créatures. Mais à chaque fois qu’on
attribue à Dieu un nom de la créature, ce n’est là une vraie attribution que
si on l’entend au sens métaphorique ou à la manière d’un transfert, comme
lorsqu’on dit de Dieu qu’il est un lion ou une pierre. Il semble donc
qu’aucun nom ne se dise proprement de Dieu, mais seulement en un sens
métaphorique. |
[1709] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 2 arg. 3 Praeterea, magis differt sapientia creata vel esse creatum, a
Deo, quam differat floritio prati a risu hominis. Sed, ratione hujus
diversitatis, pratum non dicitur ridere nisi metaphorice. Ergo videtur quod
etiam Deus non possit dici sapiens, vel aliquid aliud, nisi metaphorice. |
3. De plus, la
sagesse créée ou l’existence créée diffère davantage de Dieu que la prairie
en fleur ne diffère du rire de l’homme. Mais, en raison de cette différence,
on ne dit de la prairie qu’elle rit qu’en un sens métaphorique. Il semble
donc aussi qu’on ne puisse dire de Dieu qu’il est sage, ou qu’il possède tout
autre attribut, qu’en un sens métaphorique. |
[1710] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, quandocumque aliquod nomen importans aliquam
corporalem conditionem Dei dignitati repugnantem, dicitur de Deo, non potest
dici nisi metaphorice ; et eadem ratione quandocumque conditionem Deo non
convenientem importet, non poterit de Deo proprie dici. Sed omne nomen a
nobis impositum importat aliquam conditionem divinae dignitati repugnantem,
ut patet in verbis, quae consignificant tempus, et in nominibus, quae vel in
abstracto dicuntur, ut scientia et humanitas, quae dicunt quid imperfectum et
non in se subsistens, vel in concreto, quae important quamdam compositionem:
quorum neutrum Deo competit. Ergo videtur quod nihil proprie de Deo dicatur. |
|
[1711] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid dicitur de aliquibus per prius et posterius,
magis proprie convenit ei de quo per prius dicitur ; sicut ens per prius
convenit substantiae quam accidenti. Sed quaedam sunt quae per prius dicuntur
de Deo quam de creaturis, sicut paternitas, sicut habetur Ephes. 3, 15: ex quo omnis paternitas in caelis et in
terra nominatur: et eadem ratione bonitas et cetera. Ergo videtur quod
hujusmodi nomina etiam magis proprie dicantur de ipso quam de creaturis. |
Cependant : 1. Au
contraire, tout ce qu’on dit des choses selon l’avant et l’après appartient
plus proprement à la chose à laquelle il s’attribue en priorité ; par
exemple, l’être s’attribue en priorité à la substance, et comme
secondairement à l’accident. Mais il y a certaines choses qui s’attribuent en
priorité à Dieu plutôt qu’aux créatures, comme la paternité ainsi que
l’établit l’Apôtre [Éphésiens, 3,
15] : Il est Celui de qui toute
paternité est nommée dans les cieux et sur la terre. Et la même raison
vaut pour la bonté et d’autres attributs de cette sorte. Il semble donc que
de tels noms se disent plus proprement de Dieu que des créatures. |
[1712] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc videtur per Dionysium,
cap. I, De div. Nom., § 8, col. 598, qui
distinguit nomina symbolica, idest metaphorice dicta, ab aliis divinis
nominibus: et ita videtur quod non omnia dicantur transumptive: quod etiam
videtur ex divisione Augustini et Ambrosii in Littera. |
2. En outre,
c’est là ce que nous fait voir Denys [Les
Noms Divins, ch. 1, & 8, col. 598] qui distingue les noms symbolique,
c’est-à-dire métaphoriques, des autres noms divins : et ainsi il semble
que ce ne soient pas tous les noms qui se disent par mode de transfert :
c’est aussi ce qu’on voit à partir de la division qu’en font Saint-Augustin
et Saint-Ambroise dans le document. |
[1713] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quamvis omnis
perfectio quae in creaturis est, exemplariter a Deo descendat, sicut a
principio praehabente in se unice omnium perfectiones ; nulla tamen creatura
potest recipere illam perfectionem secundum illum modum quo in Deo est. Unde secundum modum recipiendi deficit
a perfecta repraesentatione exemplaris. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que bien que toute perfection qu’on retrouve dans les
créatures est tirée de Dieu à la manière d’un modèle et comme du principe qui
possède à l’avance en lui et d’une manière unique les perfections de tous les
êtres, cependant aucune créature ne peut recevoir cette perfection de la
manière selon laquelle elle existe en Dieu. C’est pourquoi, en raison de son
mode de recevoir, elle échoue à représenter parfaitement le modèle. |
Et ex hoc etiam in creaturis est
quidam gradus, secundum quod quaedam quibusdam plures perfectiones et
nobiliores a Deo consequuntur, et plenius participant ; et ex hoc in
nominibus est duo considerare: rem significatam, et modum significandi. |
Et c’est à
cause de cela qu’on retrouve des degrés de perfection dans les créatures
selon lesquels certaines parviennent à des perfections plus nombreuses et
plus nobles venant de Dieu et en participent plus pleinement ; et c’est
à partir de là qu’il y a deux choses à considérer dans les noms : la
chose signifiée et la manière de la
signifier. |
Considerandum est igitur, quod cum
nomina sint imposita a nobis, qui Deum non nisi ex creaturis cognoscimus,
semper deficiunt a divina repraesentatione quantum ad modum significandi:
quia significant divinas perfectiones per modum quo participantur in creaturis. |
Il faut donc
considérer que puisque les noms sont imposés par nous qui ne connaissons Dieu
qu’à partir des créatures, ils échouent toujours à représenter Dieu quant au
mode de signifier car ils signifient les perfections divines à la
manière selon laquelle elles sont participées dans les créatures. |
Hoc igitur nomen « sensus »
est impositum ad significandum cognitionem per modum illum quo recipitur
materialiter secundum virtutem conjunctam organo. Sed hoc nomen
« cognitio » non significat aliquem modum participandi in
principali sua significatione. |
|
Unde dicendum est, quod omnia illa
nomina quae imponuntur ad
significandum perfectionem aliquam absolute, proprie dicuntur de Deo, et per
prius sunt in ipso quantum ad rem significatam, licet non quantum ad modum
significandi, ut sapientia, bonitas, essentia et omnia hujusmodi ; et haec
sunt de quibus dicit Anselmus, in Monol.,
cap. XV, col. 161, quod simpliciter et omnino melius est esse quam non esse. |
C’est pourquoi
il faut dire que tous ces noms qui sont imposés pour signifier une perfection
prise absolument, comme la bonté, la sagesse, l’essence et tous les autres de
cette sorte, s’attribuent proprement à Dieu, et existent en Dieu en priorité
quant à la chose signifiée, bien que non quant au mode de signifier ; et
tels sont les noms au sujet desquels Saint-Anselme [Monol. Ch. XV, col. 161] qu’il est absolument et simplement
meilleur qu’ils existent qu’ils n’existent pas. |
Illa autem quae imponuntur ad
significandum perfectionem aliquam exemplatam a Deo, ita quod includant in
sua significatione imperfectum modum participandi, nullo modo dicuntur de Deo
proprie ; sed tamen ratione illius perfectionis possunt dici de Deo
metaphorice, sicut sentire, videre et hujusmodi. Et similiter est de omnibus
aliis formis corporalibus, ut lapis, leo et hujusmodi: omnia enim imponuntur
ad significandum formas corporales secundum modum determinatum participandi
esse vel vivere vel aliquam divinarum perfectionum. |
Mais ces noms
qui sont imposés pour signifier une perfection qui est comme une imitation de
Dieu de telle manière qu’elle inclut
dans sa signification un mode imparfait de participation, ils ne peuvent en
aucune manière être attribués proprement à Dieu ; cependant, en raison
de cette imperfection, ils peuvent se dire de Dieu en un sens métaphorique,
comme lorsqu’on dit de Lui qu’Il sent, qu’Il voit, etc. Et il en est de même
pour toutes les autres formes corporelles comme la pierre, le lion,
etc. : tous ces noms en effet sont imposés pour signifier des formes
corporelles d’après un mode déterminé de participer de l’existence, de la vie
ou de toute autre perfection divine. |
[1714] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod cum in nomine duo sint, modus
significandi, et res ipsa significata, semper secundum alterum potest
removeri a Deo vel secundum utrumque ; sed non potest dici de Deo nisi
secundum alterum tantum. Et quia ad veritatem et proprietatem affirmationis
requiritur quod totum affirmetur, ad proprietatem autem negationis sufficit
si alterum tantum desit, ideo dicit Dionysius, quod negationes sunt absolute
verae, sed affirmationes non nisi secundum quid: quia quantum ad significatum
tantum, et non quantum ad modum significandi. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que puisque dans un nom il y a deux aspects à
considérer, à savoir la manière de signifier et la chose même qui est
signifiée, le nom peut toujours être nié de Dieu selon l’un des aspects ou
selon les deux, mais il ne peut être affirmé de Dieu que selon un des aspects
seulement. Et parce que, pour la vérité et la propriété de l’affirmation il
est exigé que la totalité soit affirmée alors que pour la propriété de la
négation il suffit qu’un seul des aspects manque, c’est pourquio Denys dit
que les négations sur Dieu sont absolument vraies mais que les affirmations
ne sont vraies que sous un rapport : c’est-à-dire que les affirmations
ne sont vraies que quant à ce qui est signifié seulement et non quant au mode
de signifier. |
[1715] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non nominemus Deum nisi ex
creaturis, non tamen semper nominamus ipsum ex perfectione quae est propria
creaturae, secundum proprium modum participandi illam ; sed etiam possumus
nomen imponere ipsi perfectioni absolute, non concernendo aliquem modum
significandi in ipso significato, quod est quasi objectum intellectus ;
quamvis oporteat in consignificato semper modum creaturae accipere ex parte
ipsius intellectus, qui natus est ex rebus sensibilibus accipere convenientem
intelligendi modum ; et haec proprie dicuntur de Deo, ut dictum est, in corp.
art. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que bien que nous ne nommions Dieu qu’à partir des
créatures, nous ne le nommons cependant pas toujours à partir d’une
perfection qui est propre à la créature, d’après le mode de participation qui
lui est propre ; nous pouvons encore imposer un nom à la perfection
elle-même prise absolument, qui est l’objet propre de l’intelligence, sans
égard pour un mode de signifier présent dans la chose signifiée, bien qu’il
faille toujours prendre dans le consignifié le mode de la créature du côté de
l’intelligence même, laquelle reçoit naturellement des choses sensibles le
mode d’intelligibilité qui convient ; et ce sont de tels noms qui se
disent proprement de Dieu, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article. |
[1716] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sapientia creata magis differt a
sapientia increata quantum ad esse, quod consistit in modo habendi ; quam
floritio prati a risu hominis: sed quantum ad rationem a qua imponitur nomen,
magis conveniunt ; quia illa ratio est una secundum analogiam, per prius in
Deo, per posterius in creaturis existens ; et secundum talem rationem
significatam in nomine, magis attenditur veritas et proprietas locutionis,
quam quantum ad modum significandi, qui datur ex consequenti intelligi per
nomen. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la sagesse créée diffère davantage de la sagesse
incréée quant à l’existence, qui consiste dans le mode de possession, que la
prairie en fleur diffère du rire de l’homme ; mais quant à la notion par
laquelle le nom est imposé, elles se ressemblent davantage : car cette
notion est une selon l’analogie, à savoir que la sagesse existe en priorité
en Dieu et secondairement dans les créatures ; et la vérité et le sens
propre de l’expression se vérifie davantage selon une telle notion signifiée
dans le nom que selon le mode de signifier qu’il est donné de comprendre par
le nom à partir du conséquent. |
[1717] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quandocumque conditio corporalis
importatur a principali significato, non potest nomen dici de Deo nisi
metaphorice ; sed hoc quod in modo significandi importetur aliqua
imperfectio, quae Deo non competit, non facit praedicationem esse falsam vel
impropriam, sed imperfectam ; et propter hoc dictum est, quod nullum nomen
perfecte Deum repraesentat. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’à chaque fois qu’une condition corporelle est
impliquée dans le signifié principal, le nom ne peut se dire de Dieu que
métaphoriquement ; mais du fait qu’une imperfection, qui ne convient pas
à Dieu, est impliquée dans le mode signifier, cela ne rend pas l’attribution
fausse ou impropre, mais seulement imparfaite ; et c’est pour cette
raison qu’on dit qu’aucun nom ne représente Dieu parfaitement. |
|
|
Articulus 3 [1718] Super Sent., lib. 1 d. 22
q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus habeat tantum unum nomen |
Article 3 – Dieu a-t-il un seul nom ? |
[1719] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod
Deus non habeat nisi unum nomen. Nomen enim debet respondere rei significatae
per nomen, cum, sicut dicit Hilarius, IV De
Trinit., § 14, rei sit sermo subjectus. Sed in Deo est summa unitas sine aliqua diversitate.
Ergo non nominatur nisi uno nomine. |
Difficultés : 1. Il semble
que Dieu ne possède qu’un seul nom. Le nom en effet doit correspondre à la
chose signifiée par le nom puisque, comme le dit Saint-Hilaire [IV De la Trinité, &14], le discours
est subordonné à la chose. Mais en Dieu il y a une unité absolue sans la
moindre diversité. Il n’est donc nommé que par un seul nom. |
[1720] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 3 arg. 2 Praeterea, non est nisi duplex modus praedicandi in divinis,
scilicet vel substantialiter vel relative. Sed nomina non possunt
diversificari nisi vel quantum ad id quod significatur, vel quantum ad modum
significandi. Ergo videtur quod vel tantum unum debeat esse propter unitatem
rei, vel ad plus duo propter duos modos praedicandi. |
2. Par
ailleurs, il n’y a que deux modalités d’attribution pour Dieu, à savoir celle
de la substance et celle de la relation. Mais les noms ne peuvent se
différencier que sous deux rapports : soit quant à ce qui est signifié,
soit quant au mode de signifier. Il semble donc qu’il ne doive y en avoir
qu’un seul à cause de l’unité de la chose ou tout au plus deux à cause des
deux modes d’attribution. |
[1721] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 3 arg. 3 Praeterea, si dicas,
quod pluralitas nominum divinorum est secundum quod ex diversis creaturis
nominatur ; contra. Ipse Deus est
principium a quo effective et exemplariter est omnis creatura. Si ergo
secundum diversitatem creaturarum multiplicantur divina nomina, tunc omnium
creaturarum nomina de ipso dici possent, quod falsum est. Ergo videtur quod ex creaturis non sit
diversitas divinorum nominum. |
3. Par
ailleurs, si du dis que la pluralité des noms divins provient de ce qu’elle
est nommée à partir de créatures différentes, je dis par contre ceci :
Dieu lui-même est le principe efficient et le modèle par lequel toute
créature exise. Si donc les noms divins se multipliaient d’après la diversité
des créatures, alors les noms de toutes les créatures pourraient se dire de
Lui, ce qui est faux. Il semble donc que la diversité des noms divins ne tire
pas son origine des créatures. |
[1722] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 3 arg. 4 Si dicas, quod
multiplicantur secundum rationem tantum ; contra.
Diversitas rationis est diversitas secundum intellectum. Sed diversitas
intellectus imponentis nomina, nisi subsit aliquod diversum in re, non causat
multitudinem nominum, nisi secundum quod nomina synonyma multiplicantur. Ergo
secundum hoc omnia nomina divina essent synonyma, quod Commentator expresse
negat in XI Metaphys., texte 39,
dicens, quod haec nomina vivens et vita, non differunt in Deo sicut nomina
synonyma, multo minus vivens et sapiens ; et ita videtur quod non differant
divina nomina secundum acceptionem intellectus significantis tantum ; et sic
idem quod prius. |
4. Si tu dis
que les noms divins se différencient selon la raison seulement, je dis par
contre qu’une différence de raison est une différence selon l’intelligence. Mais
la différence de l’intelligence qui impose les noms, à moins qu’il ne
subsiste quelque chose de différent dans la chose, ne cause la multiplicité
des noms que selon que des noms synonymes se multiplient. Donc d’après cela
tous les noms divins seraient synonymes, ceqeu le Commentateur nie
expressément [XI Métaphysique, texte 39] en disant que ces noms, vivant et
vie, ne diffèrent pas en Dieu comme des noms synonymes, et encore moins
vivant et sage ; et ainsi il semble que les noms divins ne diffèrent pas
uniquement selon l’acception de l’intelligence qui signifie ; et ainsi
la conclusion est la même que la précédente. |
[1723] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 3 s. c. 1 Contra est quod in Scriptura inveniuntur de ipso multa nomina
divina. |
Cependant : 1. On voit au
contraire dans les Écritures que plusieurs noms divins Lui sont attribués. |
[1724] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nullum nomen sufficit ad
exprimendam divinam perfectionem. Sed aliquid perfectionis datur nobis
intelligi per unum nomen quod non datur per aliud. Ergo videtur quod ut magis
nobis divina perfectio innotescat, quod pluribus nominibus a nobis nominandus
sit. |
2. Par ailleurs, aucun nom divin ne suffit à
exprimer la perfection divine. Mais il nous est donné à comprendre quelque
chose de la perfection divine qu’un autre nom ne nous permet pas de
comprendre. Il semble donc, pour que la perfection divine se fasse advantage
connaître à nous, que nous devions la nommer de plusieurs noms. |
[1725] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod multiplicitas nominum potest
dupliciter contingere. Vel ex parte intellectus, quia cum nomina exprimant
intellectum, contingit unum et idem diversis nominibus significari, secundum
quod diversimode in intellectu accipi potest. Et inde est quod Deum possumus
nominare et secundum quod in se est, et secundum id quod est ad creaturas se
habens. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que la multiplicité des noms peut se produire de deux
manières. Soit du côté de l’intelligence, car puisque les noms expriment les
concepts, il arrive qu’un seul et même concept soit signifié par plusieurs
noms, selon que le même concept soit pris différemment dans l’intelligence.
Et c’est de là que nous pouvons nommer Dieu à la fois selon ce qu’Il est en
lui-même et selon qu’il se rapporte aux créatures. |
Et hoc dupliciter: vel secundum
negationes quibus conditiones creaturarum a Deo removentur ; et inde veniunt
nomina negativa, quae multiplicationem recipiunt ex creaturarum conditionibus
quae de Deo negantur, et praecipue quae consequuntur universaliter omnem
creaturam, ut immensus, increatus etc. ; vel secundum relationem Dei ad
creaturam, quae tamen realiter in Deo non est, sed in creatura ; et inde
veniunt illa nomina divina quae important habitudinem ad creaturam, ut
dominus, rex et hujusmodi. |
Et cela se
présente de deux manières : soit selon les négations par lesquelles les
conditions des créatures sont écartées de Dieu ; et c’est de là que
viennent les noms négatifs, comme infini et incréé, qui reçoivent leur
multiplication des conditions des créatures qui sont niées de Dieu, et
surtout celles qui découlent universellement de toute créature ; soit
selon la relation de Dieu aux créatures que cependant n’existe pas réellement
en Dieu mais dans la créature ; et de là viennent ces noms divins, comme
seigneur, roi, et d’autres termes de la sorte qui impliquent un rapport à la
créature. |
Item, multiplicitas nominum potest
contingere ex parte rei secundum quod nomina rem significant ; et inde
veniunt nomina exprimentia id quod in Deo est. In Deo autem non est invenire
aliquam realem distinctionem nisi personarum, quae sunt tres res ; et inde
venit multiplicitas nominum personalium significantium tres res. Sed praeter
hoc est etiam in Deo invenire distinctionem rationum, quae realiter et vere
in ipso sunt, sicut ratio sapientiae et bonitatis et hujusmodi, quae quidem
omnia sunt unum re, et differunt ratione, quae salvatur in proprietate et
veritate, prout dicimus Deum vere esse sapientem et bonum, et non tantum in
intellectu ratiocinantis ; et inde veniunt diversa nomina attributorum ; quae
omnia quamvis significent unam rem, non tamen significant unam secundum unam
rationem ; et ideo non sunt synonyma. |
En outre la
multiplicité des noms peut se produire du côté de la chose selon que les noms
signifient la réalité ; et de là viennent les noms qui expriment ce qui
est en Dieu. Mais en Dieu il n’y a pas d’autre distinction à chercher que
celle des personnes qui sont trois réalités ; et de là vient la
multiplicité des noms personnels signifiant ces trois réalités. Mais en
dehors de cela il y a encore à trouver en Dieu une distinction des notions
qui existent véritablement et réellement en lui, comme la notion de sagesse,
de bonté, et d’autres notions de la sorte qui ne sont certes toutes qu’une
seule notion en réalité et diffèrent par la raison, distinction qui est préservée
dans la propriété et la vérité, et non seulement dans l’intelligence de celui
qui raisonne, selon que nous disons que Dieu est véritablement sage et bon ;
et de là viennent les différents noms des attributs, lesquels, bien qu’ils ne
signifient qu’une seule réalité, ne la signifient cependant pas d’après une
seule et même définition ; et c’est pourquoi ces noms ne sont pas
synonymes. |
[1726] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum. Quia quamvis sit unitas in re
essentiali, est tamen pluralitas in re personali, et in rationibus quibus
diversimode una essentia significari potest, et in diversa acceptione
intellectus ; secundum quae omnia divina nomina multiplicantur. |
Solutions : 1. Et par là
on voit clairement la réponse à la première difficulté. Car bien qu’il y ait
unité dans la chose essentielle, il y a cependant pluralité dans la chose
personnelle, dans les notions par lesquelles une seule et même essence peut
être signifiée diversement, et dans les différentes manières pour
l’intelligence d’entendre une même réalité ; et c’est selon ces rapports
que les noms divins se multiplient. |
[1727] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliter dividitur aequivocum, analogum et
univocum. Aequivocum enim dividitur secundum res significatas ; univocum vero
dividitur secundum differentias ; sed analogum dividitur secundum diversos
modos. Unde cum ens praedicetur analogice de decem generibus, dividitur in ea
secundum diversos modos. |
2. En deuxième
lieu il faut dire que c’est de manières différentes que se divisent
l’équivoque, l’analogue et l’univoque. L’équivoque en effet se divise selon
les choses signifiées ; d’un autre côté l’univoque se divise selon les
différences ; mais l’analogue se divise d’après différentes manières
d’être. C’est pourquoi, puisque l’être s’attribue aux dix genres d’une
manière analogue, il se divise en eux d’après différentes manières d’être. |
Unde unicuique generi debetur proprius
modus praedicandi. Et quia in divinis non salvantur nisi duo genera quantum
ad rationem communem generis, scilicet substantia et ad aliquid ; ideo
dicuntur in divinis duo modi praedicandi. Unumquodque autem genus dividitur
univoce in species contentas sub genere, et ideo speciebus non debetur
proprius modus praedicandi. |
C’est pourquoi
un mode propre d’attribution est dû à chaque genre. Et parce qu’en Dieu il
n’y a que deux genres qui sont conservés quant à la notion commune de genre,
à savoir la substance et la relation, c’est pourquoi on dit qu’il n’y a pour
Dieu que deux modes d’attribution. Mais tout genre se divise univoquement
dans les espèces contenues dans ce genre, et c’est pourquoi un mode propre
d’attribution n’est pas dû aux espèces. |
Et propter hoc quamvis quaedam
contenta in praedicamento qualitatis dicantur de Deo secundum rationem
speciei, non tamen afferunt novum modum praedicandi, etsi afferant novam
rationem significandi. Unde quamvis in Deo non sint nisi duo modi
praedicandi, sunt tamen plures rationes significandi secundum quas divina
nomina multiplicari possunt. |
Et pour cette
raison, bien que certains attributs contenus dans le prédicament de la
qualité se disent de Dieu sous le rapport de l’espèce, elles n’apportent
cependant pas un nouveau mode d’attribution, bien qu’elles apportent une
nouvelle notion à signifier. C’est pourquoi, bien qu’en Dieu il n’y ait que
deux modes d’attribution, il y a cependant plusieurs notions à signifier
d’après lesquelles les noms divins peuvent se multiplier. |
[1728] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, ut patet ex praedictis, in corp. art.,
quaedam nomina dicuntur proprie de Deo, quae quantum ad significata per prius
sunt in Deo quam in creaturis, ut bonitas, sapientia et hujusmodi ; et horum
diversitas non sumitur per respectum ad creaturas, immo potius e converso. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que, comme on le voit à partir de ce qui précède,
certains noms s’attribuent proprement à Dieu, lesquels, quant à ce qui est
signifié, existent en Dieu en priorité et secondairement dans les créatures,
comme la bonté, la sagesse et les perfections de cette sorte ; et la
diversité de ces noms ne se prend pas par rapport aux créatures, mais c’est
plutôt l’inverse qui est vrai. |
Quia ex hoc quod ratio sapientiae et
bonitatis differt in Deo, diversificatur in creaturis bonitas et sapientia
non tantum ratione, sed etiam re. Sed verum est quod diversitas talium
nominum prout praedicantur de Deo, innotescit nobis ex diversitate eorum in
creaturis. Quaedam vero nomina praedicantur de ipso transumptive ;
et haec multiplicantur secundum diversas creaturas, quarum nomina in Deum
transumuntur. |
Car du fait
que les notions de sagesse et de bonté diffèrent en Dieu, elles diffèrent
dans les créatures non seulement par la raison, mais aussi en réalité. Mais
il est vrai que la diversité de tels noms, selon qu’ils s’attribuent à Dieu,
se fait connaître à nous à partir de leur diversité dans les créatures. Mais
certains noms s’attribuent à Lui par transfert ; et ceux-là se
multiplient d’après les différentes créatures, dont les noms sont transférés
à Dieu. |
Nec tamen oportet quod ex omnibus
nominibus creaturarum significetur. Quaedam enim sunt quae important
deformitatem et defectum, cujus Deus non est auctor, et praecipue si sit
defectus culpae. Unde non possumus dicere Deum peccatorem vel Diabolum, quod
est nomen naturae depravatae, quamvis transumptive dicatur leo vel agnus vel
etiam iratus. |
Et cependant
il ne faut pas qu’il soit signifié à partir de tous les noms des créatures.
Il y a certains noms en effet qui impliquent une infirmité et un défaut dont
Dieu n’est pas l’auteur, surtout s’il s’agit du défaut d’une faute. C’est
pourquoi nous ne pouvons dire de Dieu qu’il est un pécheur ou qu’il est le
Diable, qui est le nom d’une nature déchue, bien que nous pouvons dire de Lui
qu’il est un lion, un agneau, ou même qu’il est en colère. |
[1729] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod differunt nomina attributorum secundum rationem,
non tamen quae sit solum in ratiocinante, sed quae salvatur in ipsa re
secundum veritatem et proprietatem rei. Quod sic patet. Omnia enim hujusmodi
dicuntur de Deo et creaturis non aequivoce, sed secundum unam rationem
analogice. Unde cum in creatura ratio sapientiae non sit ratio bonitatis,
oportet quod etiam hoc in Deo sit verum. Sed in hoc differt quod in Deo idem
sunt re, in creaturis autem differunt re et non ratione ; et qualiter possit
esse, supra, in responsione ad 3, praec. art., dictum est. |
|
|
|
Articulus 4 [1730] Super Sent., lib. 1
d. 22 q. 1 a. 4 tit. Utrum divisio nominum Dei posita ab Ambrosio sit
insufficiens |
Article 4 – La division des noms de Dieu donné par Ambroise est-elle insuffisante[17] ? |
[1731] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod
divisio Ambrosii sit insufficiens. Trinitas enim et persona sunt quaedam
divina nomina, quae nec pertinent ad unitatem majestatis, nec proprie alicui
personae conveniunt, nec translative de Deo dicuntur. Ergo et cetera. |
|
[1732] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, quaedam nomina sunt quae
dicuntur de Deo negative, ut increatus, immensus. Haec autem cum nihil de Deo
praedicent, nec ad proprietatem personarum pertinere videntur, nec ad
majestatem deitatis. Constat etiam quod nec translative dicuntur, quia non
conveniunt creaturis ut ex eis in divinam praedicationem transumantur. Ergo
videtur quod divisio sit insufficiens. |
2. Par ailleurs, il y a des noms qui se disent de
Dieu négativement, comme incréé ou immense. Mais ces noms n’attribuent rien à
Dieu et ne semble appartenir ni à la propriété des personnes, ni à la majesté
divine et il est clair aussi qu’ils ne disent rien de Lui par transfert ou
métaphore car ils n’appartiennent pas aux créatures de manière à servir à
l’attribution divine. Il semble donc que cette division soit insatisfaisante. |
[1733] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 4 arg. 3 Item, majestas deitatis et proprietas personalis constat quod
aeterna sunt. Sed quaedam dicuntur de Deo ex tempore, ut dominus, et
hujusmodi. Ergo videtur quod nec ad majestatem deitatis
pertinent, nec ad proprietatem personalem. Constat etiam quod nec translative dicuntur. Videtur
igitur, quod sub divisione Ambrosii non contineantur. Ergo insufficiens est. |
3. En outre,
il est clair que la majesté de Dieu et la propriété personnelle sont
éternelles. Mais certains attributs se disent de Dieu dans le temps, comme
Seigneur et d’autres du même genre. Ils semble donc qu’ils n’appartiennent ni
à la majesté divine, ni à la propriété personnelle. Il est clair aussi qu’ils
ne se disent pas par métaphore. Il semble donc qu’ils ne soient pas contenus
dans la division de Saint-Ambroise et que cette dernière ne soit pas
satisfaisante. |
[1734] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 4 arg. 4 Praeterea, Damascenus ponit aliam divisionem divinorum nominum,
dicens, quod quaedam significant pelagus substantiae infinitum, et non quid
est, ut hoc nomen « qui est » ; quoddam autem est nomen
operationis, ut « Deus » ; quaedam autem significant id quod
assequitur substantiam, ut « justus, bonus » et hujusmodi ; quaedam
vero habitudinem ad ea a quibus distinguitur, scilicet ad creaturas ; quaedam
significant id quod non est, ut « incorporeus, immensus » et
hujusmodi. |
4. De plus,
Damascène pose une autre division des noms divins en disant que certains
signifient l’immensité infinie de la substance et non ce qu’il est, comme ce
nom, ¨celui qui est¨ ; qu’il y en a un qui est le nom de l’opération,
comme ¨Dieu¨ ; mais certains signifient ce qui atteint la substance,
comme ¨juste, bon¨ et d’autres de la
sorte ; d’autres signifient un rapport aux choses dont il se distingue,
c’est-à-dire aux créatures ; d’autres enfin signifient ce qu’il n’est
pas, comme ¨incorporel, immense¨ et d’autres de la sorte. |
[1735] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 4 arg. 5 Item, Dionysius ponit multiplicem divisionem divinorum nominum.
Magister autem in Littera super
trimembrem divisionem Ambrosii inducit alias tres differentias divinorum
nominum, et efficiuntur in universo sex. Quaeritur ergo de assignatione harum
divisionum. |
5. En outre,
Denys pose une division des noms divins à multiples parties. Et le Maître,
dans son Document ajoute, à la division de Saint-Ambroise à trois parties,
trois autres différences des noms divins, ce qui en donne six en totalité. On
s’interroge donc sur l’assignation de ces divisions. |
[1736] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod prima divisio trimembris, quae in
littera ponitur, sufficienter comprehendit omnia divina nomina, et est trium
sanctorum Augustini, Ambrosii, Dionysii. Ipsemet enim dividit divina nomina
in ea quae translative dicuntur, quae appellat symbolicam theologiam, et in
ea quae proprie dicuntur, quae scilicet per prius in Deo sunt: et hoc dividit
in unitam theologiam, quantum scilicet ad ea quae praedicantur de tribus
personis communiter ; et in discretam theologiam, quantum ad ea quae ad
singulas personas pertinent. Ex quo etiam patet in promptu sufficientia hujus
divisionis. Quia Deus vel nominatur per id quod prius in ipso est et per
posterius in creaturis, vel per similitudinem a creaturis sumptam. Si secundo
modo, sic sunt ea quae translative dicuntur. Si primo modo, hoc erit
dupliciter: illud enim quod per prius in Deo est, vel est commune, et sic
pertinet ad majestatis unitatem ; vel est proprium personae, et sic pertinet
ad distinctionem Trinitatis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que la première division à trois parties qui est présentée
dans le Document comprend tous les noms divins d’une manière satisfaisante et
elle appartient aux trois saints dont nous avons parlé, à savoir
Saint-Augustin, Saint-Ambroise et Denys. Ce dernier en effet divise les noms
divins en ceux qui se disent par métaphore et qui sont examinés dans la
théologie qu’il appelle symbolique et en ceux qui se disent proprement de
Dieu, c’est-à-dire ceux qui existent en priorité en Dieu ; et ces
derniers noms sont examinés séparément par deux théologies distinctes, à
savoir la théologie commune quant aux noms qui s’attribuent en commun aux
trois personnes, et la théologie distincte quant aux noms qui appartiennent
en propre à chacune des personnes. Et à partir de là nous avons l’évidence de
la suffisance de cette division. Car Dieu est nommé soit par ce qui existe en
priorité en Lui et secondairement dans les créatures, soit par une
ressemblance tirée des créatures. Si c’est de la deuxième manière, alors il
est nommé par des termes métaphoriques. Si c’est de la première manière, cela
sera possible de deux façons : en effet, ce qui existe en priorité en
Dieu est soit commun aux trois personnes et cela appartient à l’unité de la
majesté, soit propre à chacune des personnes et cela appartient alors à la
distinction de la Trinité. |
[1737] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc nomen Trinitas quamvis non
explicite dicat proprium alicujus personae, tamen implicite includit omnia
propria personarum, inquantum est quasi collectivum personarum. Similiter
etiam hoc nomen persona quamvis non imponatur ab aliqua proprietate personali
speciali, imponitur tamen a personalitate quae dicit proprietatem in communi,
et quodammodo etiam dicit substantiam, ut infra patebit, dist. 26, qu. 1,
art. 1. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que ce nom, ¨Trinité¨, bien qu’il ne dise pas
explicitement ce qui est propre à chacune des personnes, comprend cependant
de manière implicite tout ce qui est propre aux personnes dans la mesure où
c’est un terme qui est comme un collectif des personnes. De la même manière
encore ce terme, ¨personne¨, bien qu’il ne soit pas imposé à partir d’une
propriété personnelle particulière, il l’est cependant à partir de la notion
de personne qui dit la propriété dans l’universel, et il dit même la
substance d’une certaine manière, comme nous le verrons par la suite [dist.
26, quest. 1, art. 1]. |
[1738] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1
a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod negatio quaelibet causatur ex aliqua
affirmatione. Et sic etiam in divinis ratio negativorum nominum fundatur
supra rationem affirmativorum: sicut hoc quod dicitur incorporeus, fundatur
super hoc quod est esse simplex. Unde patet quod nomina negativa
reducuntur ad unitatem essentiae, sicut « increatus et immensus »,
vel ad distinctionem personarum, sicut « ingenitus ». |
2. Il faut dire en deuxième lieu que toute négation
est causée à partir d’une affirmation. Et ainsi même chez les personnes
divines la notion des noms négatifs se fonde sur la notion des noms
affirmatifs: par exemple, ce qu’on appellee incorporel se fonde sur ce qui
possède une existence simple. C’est pourquoi il est clair que les noms
négatifs se ramènent à l’unité de l’essence, comme ¨incréé et immense¨, ou à
la distinction des personnes, comme ¨inengendré¨. |
[1739] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis
hujusmodi nomina non ponant aliquid temporaliter in Deo, quia relationes
illae temporales realiter in creaturis sunt, et in Deo solum secundum
rationem, tamen inquantum innascuntur ex operationibus Dei in creaturas, dant
intelligere aliquid quod in Deo est absolute ; sicut relatio dominii dat
intelligere in Deo potestatem qua universam creaturam gubernat. Unde patet
etiam quod ista nomina reducuntur ad illa quae pertinent ad unitatem
majestatis, sicut « creator, dominus » et hujusmodi, vel ad
distinctionem personarum, sicut « missus, incarnatus » et
hujusmodi. |
3. Il faut dire en troisième lieu que bien que les
noms de cette sorte ne posent pas quelque chose en Dieu dans le temps, car
ces relations temporelles n’existent en réalité que dans les creatures et en
Dieu seulement selon la raison, cependant, dans la mesure où elles naissent
dans les creatures à partir des operations de Dieu, elles donnent à
comprendre quelque chose qui est en Dieu absolument; par exemple, la relation
de ¨seigneur¨ donne à comprendre qu’il existe en Dieu une puissance par
laquelle il gouverne toute créature. D’où il est encore clair que ces noms se
ramènent à ceux qui appartiennent à l’unité de la majesté, comme ¨créateur,
seigneur¨, et les termes de cette sorte, ou à la distinction des personnes,
comme ¨envoyé, incarné¨ et les termes de cette sorte. |
[1740] Super
Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod divisio
Damasceni respicit tantum unum membrum praedictae divisionis: omnia enim quae
ponit, pertinent ad unitatem majestatis. Unitas autem majestatis potest
nominari dupliciter, ut patet ex dictis, art. ant.: vel secundum id quod in
Deo est, vel secundum acceptionem intellectus, qui accipit ipsum secundum
aliquam comparationem ad creaturam. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la division de
Damascène se rapporte seulement à un member de la division précédente: en
effet, toutes les parties qu’il présentent se rapportent à l’unité de la
majesté. Mais l’unité de la majesté peut être nommée de deux manières, comme
on le voit à partir de ce qui est dit dans l’article précédent: soit selon ce
qui est en Dieu, soit selon l’acception de l’intelligence qui le reçoit selon
son rapport à la créature. |
Si nominetur Deus
quantum ad id quod in ipso est, erit triplex diversitas nominum secundum tria
quae in unaquaque re inveniuntur, scilicet essentia, virtus et operatio ;
quae quidem in aliis realiter differunt, in ipso autem sunt unum re et
distincta ratione. |
Si Dieu est nommé quant à ce qui est en Lui, il y
aura trois sortes de noms selon trois aspects qu’on retrouve en toute chose,
à savoir l’essence, la puissance et l’opération: lesquels diffèrent certes en
réalité chez les autres êtres, alors qu’en Lui ces aspects n’en sont qu’un en
réalité et different par la raison. |
Et secundum
essentiam accipitur hoc nomen « qui est » ; et secundum virtutem
accipiuntur ea quae se habent per modum assequentium substantiam, ut
« justus, sapiens » et hujusmodi ; et secundum operationem nomina
operationis, ut « Deus ». Si autem nominetur Deus per acceptionem
intellectus in comparatione ad creaturam, et hoc erit dupliciter: vel
inquantum ea quae sunt creaturae, removentur ab ipsa, et sic erunt nomina
negativa ; vel secundum quod importatur in nominibus aliquis respectus
causalitatis ad creaturam, cujus conditiones a Deo removentur ; et sic erunt
illa nomina quae important habitudinem ad alia, a quibus Deus distinguitur
per essentiam. |
Et selon l’esssence qu’on reçoit ce nom, à savoir ¨celui
qui est¨; et selon la puissance on reçoit ceux qui se présentent à la manière
de ce qui attaint la substance, comme ¨juste, sage¨ et les termes de cette
sorte; et selon l’opération on reçoit les noms d’opération, comme ¨Dieu¨.
Mais si on nommait Dieu par l’acception de l’intelligence par rapport à la
créature, cela se fera de deux manières: soit en tant que ce qui appartient à
la créature est nié de Lui et alors les noms seront négatifs; soit selon que
dans les noms est impliqué un rapport de causalité à la créature dont les
conditions sont niées de Dieu; et ainsi ces noms seront ceux qui impliquent
un rapport aux autres êtres dont Dieu se distingue par l’essence. |
Divisio autem
divinorum nominum quam Dionysius ponit, patet ex praedictis, in corp. art.,
quod est eadem cum divisione Ambrosii, nisi quod Dionysius ulterius nomina
pertinentia ad unitate majestatis multiplicat secundum diversas processiones
in creaturis repertas, quibus nominatur Deus illis perfectionibus per prius
in Deo existentibus, ut « bonus, sapiens, existens » et hujusmodi.
Magister autem in tribus differentiis quas addit, specificat divisionem
Ambrosii quantum ad quosdam speciales modos ; qui tamen possunt reduci ad
divisionem Ambrosii. |
Mais la division des noms divins que Denys présente,
il est clair à partir de ce qui précède dans le corps de l’article qu’elle
est identique à la division que Saint-Ambroise fait de ces mêmes noms, sauf
que Denys multiplie par la suite les noms qui se rapportent à l’unité de la
majesté d’après différentes processions découvertes dans les créatutres, par
lesquelles Dieu est nommé par ces perfections qui existent en priorité en
Dieu, comme ¨ le bien, la sagesse et l’être¨ et d’autres de cette sorte. Mais
dans les trois differences qu’il
ajoute, le Maître spécifie la division de Saint-Ambroise quant à certaines
modalités particulières qui peuvent cependant se ramener à la division de
Saint-Ambroise. |
Quod enim
pertinet ad proprietates deitatis, vel nominat determinate proprium alicujus
personae, ut « Pater et Filius » ; vel colligit omnia [nomina Ed. de Parme] propria personarum, ut
hoc nomen Trinitas, quod significat proprietatem personae secundum quemdam
specialem modum. Similiter
etiam quae pertinent ad unitatem majestatis et proprietatem divinitatis conveniunt
Deo vel ab aeterno vel ex tempore. Si ex tempore, vel dicuntur relative
secundum nomen, ut « dominus » et hujusmodi, vel non referuntur ad
aliud secundum nomen, ut « incarnatus » et hujusmodi. Et sic patet
quod ea quae Magister addit continentur in divisione Ambrosii per
reductionem, non tamen simpliciter, sed secundum quid, ut patet ex dictis, in
corp. art. |
En effet, le
terme qui s’applique aux propriétés de la divinité, ou bien il nomme
précisément ce qui est propre à telle personne, comme ¨Père et Fils¨ ;
ou bien il rassemble tous [les noms Éd.
de Parme] ce qui est propre aux personnes, comme ce nom, à savoir
Trinité, lequel signifie la propriété de la personne selon un mode spécial.
De même encore les termes qui s’appliquent à l’unité de la majesté et à la
propriété de la divinité appartiennent à Dieu soit de toute éternité, soit
dans le temps. Si c’est dans le temps, ou bien ils se disent relativement
selon le nom, comme ¨seigneur¨ et les autres termes de cette sorte, ou bien
ils ne se rapportent pas à autre chose selon le nom, comme ¨incarné¨ et les
termes de cette sorte. Et ainsi il est clair que les différences que le
Maître ajoute sont contenues dans la division de Saint-Ambroise, non pas
absolument, mais sous un certain rapport, comme on le voit à partir de ce qui
a été dit dans le corps de l’article. |
|
|
Distinctio 23 |
Distinction 23 – [Le nom « personne »] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic quatuor quaeruntur: 1 de distinctione horum nominum:
« essentia, subsistentia, substantia et persona » ; et de nominibus
eis in Graeco respondentibus, quae sunt « ousia, usiosis, hypostasis,
prosopon » ; 2 utrum nomen personae proprie in
divinis dicatur ; 3 utrum significet substantiam, vel
relationem ; 4 si aliquo modo substantiam
significat, utrum pluraliter praedicetur. |
La recherche
porte ici sur quatre points : 1. Quelle
distinction doit-on faire entre ces noms : ¨essence, subsistance,
substance et personne¨ ? Et qu’en est-il aussi de ces noms qui leur
correspondent en Grec et qui sont ¨ousia, usiosis, hypostasis,
prosopon¨ ; 2. Est-ce que
le nom de ¨personne¨ se dit proprement de Dieu ? 3.
Signifie-t-il la substance ou la relation ? 4. S’il
signifie de quelque manière la substance, s’attribue-t-il en plusieurs
sens ? |
|
|
Articulus 1 Lib 1 d.
23 q. 1 a. 1 tit. Utrum « substantia, subsistentia, essentia,
persona » dicta de Deo sint synonima |
Article 1 – « Substance, subsistance, essence, personne », employés pour Dieu sont-ils des synonymes ? |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod dicta nomina nullam distinctionem habeant, sed
sint quasi synonima. Sicut enim Boetius dicit in Commentariis super
praedicamenta, cap. « de substantia », col. 183,
« ousia » significat substantiam compositam. Sed substantia
composita est individuum subsistens in genere substantiae, quod significatur
nomine substantiae, vel hypostasis, vel personae. Ergo videtur
quod hoc nomen « essentia », vel « ousia », non differat
secundum significationem ab aliis. |
Difficultés : 1. Il semble
que ces noms dont on parle ne présentent aucune différence mais qu’ils soient
comme des synonymes. Comme le dit en effet Boèce [Commentaire sur les Prédicaments, ch. «De la Substance», col.
183], «ousia» signifie la substance composée. Mais la substance composée est
un individu subsistant dans le genre de la substance qui est signifié par le
nom de substance, d’hypostase ou de personne. Il semble donc que ce nom,
«essentia», ou «ousia» ne diffère pas des autres par la signification. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, non subsistit nisi illud quod habet in se esse completum. Sed esse
completum non invenitur nisi in particulari ; quia universalia non habent
esse praeter particularia nisi in anima, quod est esse incompletum. Cum
igitur particulare in genere substantiae dicatur hypostasis, vel substantia
prima, videtur quod subsistentia sit idem quod substantia. |
2. Par
ailleurs, l’être qui subsiste est celui qui possède en lui une existence
complète. Mais l’existence complète ne se retrouve que dans le
particulier ; car les universels ne possède d’existence en dehors des
particuliers que dans l’âme, laquelle exisence est incomplète. Donc, puisque
le particulier dans le genre de la substance s’appelle «hypostasis», ou
substance première, il semble que «subsistentia» soit identique «substantia». |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, cum utrumque in suo nomine [in…nomine
om. Éd. de Parme). importet positionem alicujus sub aliquo, ergo idem
quod prius. |
3. Par
ailleurs, puisque les deux dans leur nom [dans…nom om. Éd. de Parme] implique la position de l’un sous un autre, il
semble que ce soient là des termes synonymes. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 1 arg. 4 Item, Boetius, lib. De duabus nat., cap. III, col. 1343, dicit, quod hoc
nomine « hypostasis » non utuntur Graeci nisi pro individuo
rationalis naturae. Sed individuum rationalis naturae dicitur persona. Ergo
videtur quod « hypostasis » et « prosopon », vel
« substantia » et « persona » sint omnino idem. |
4. En outre,
Boèce [Sur les Deux Natures, ch.
111, col. 1343] dit que les Grecs ne se servent de ce terme «hypostasis» que
pour l’individu de nature rationnelle. Mais l’individu de nature rationnelle
s’appelle personne. Il semble donc que «hypostase» et «prosopon», ou
«substantia» et «persona» soient absolument identiques. |
Lib 1 d. 23 q. 1
a. 1 arg. 5 Praeterea, sicut Graeci dicunt tres hypostases, ita nos dicimus
tres substantias. Non autem tres substantias dicimus, sicut ipsi tres
« ousioses ». Ergo videtur quod idem sit subsistentia apud nos,
quod hypostasis apud Graecos ; cujus contrarium Boetius dicit Lib. De duabus naturis. |
5. Par
ailleurs, tout comme les Gresc disent trois «hypostases», de même nous disons
trois «substantias». Cependant nous ne disons pas trois substances comme
eux-mêmes trois «ousioses». Il semble
donc que «subsistentia» pour nous soit la même chose que «hypostasis» pour
les Grecs ; et pourtant Boèce dit le contraire dans son livre, Les deux Natures. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 1 In
contrarium est auctoritas Boetii, lib. De
duabus nat., in una persona Christi, ibidem, qui significationes horum
nominum distinguit ; et etiam auctoritas Marci Tullii quam ibi Boetius
inducit. |
Cependant : 1. L’autorité
de Boèce va en sens contraire dans son livre Sur les deux natures dans la seule et même personne du Christ,
qui distingue au même endroit les significations de ces noms ; et
l’autorité de Marcus Tullius est identique à celle que Boèce présente dans
cet ouvrage. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod quatuor dicta nomina secundum significationem differunt ; sed
horum differentia differenter a diversis assignatur. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que ces quatre noms que nous avons mentionnés diffèrent par
leur signification ; mais leur différence est signalée différemment
selon les auteurs. |
Quidam enim sumunt horum differentiam
ex hoc quod in divinis est aliquid commune, et aliquid distinctum. Et commune
potest significari ut quo est, et sic est « essentia », vel ut quod
est, et sic est « subsistentia ». Vel aliter: quia Deus potest significari
inquantum dat omnibus esse, et sic dicitur « essentia » ; vel
inquantum habet esse sufficiens nullo indigens, et sic dicitur
« subsistentia ». |
En effet,
certains tirent la différence entre ces noms de ce qu’en Dieu il y a quelque
chose de commun, et quelque chose de distinct. Et le commun peut être
signifié comme étant le ¨ce par quoi¨, et ainsi on parle de «essentia», ou
comme étant le ¨ce qui est¨, et ainsi on parle de «subsistentia». Ou bien
autrement : car Dieu peut être signifié en tant qu’il donne l’existence
à tous, et ainsi on l’appelle «essentia» ; ou bien en tant qu’il possède
une existence qui se suffit à elle-même et qui ne manque de rien et alors on
l’appelle «subsistentia». |
Distinctum similiter potest
significari vel in concretione, et sic est nomen « persona » ; vel
in abstractione, et sic est nomen « hypostasis ». Vel aliter: quia
potest significari ut distinguibile, et sic significatur nomine
« hypostasis » ; vel ut distinctum, et significatur nomine
« personae ». |
De la même
manière le distinct peut être signifié soit dans le concret et ainsi le nom
est «persona» ; soit dans l’abstrait et ainsi le nom est «hypostasis».
Ou bien autrement : car il peut être signifié comme pouvant être
distingué et ainsi il est signifié par ce nom, «hypostasis» ; ou bien
comme étant distinct, et alors il est signifié par ce nom de «personae». |
Vel aliter: quia vel significatur ut
distinctum aliqua proprietate determinata ad nobilitatem pertinente, et sic
est nomen « persona » ; vel distinctum absolute quacumque
proprietate, et sic est nomen « hypostasis ». Sed iste modus non
solvit quaestionem: quia etiamsi nulla esset distinctio in divinis, adhuc
ista nomina dicerentur de Deo, et non idem significarent, sicut nomina
synonyma.. |
Ou bien
autrement encore : car soit il est signifié comme distinct par une
propriété déterminée qui se rapporte à une excellence, et ainsi le nom est
«persona» ; soit il est signifié comme distinct absolument par n’importe
quelle propriété et ainsi le nom est «hypostasis». Mais cette manière de distinguer
ne résout pas le problème : car même s’il n’y avait aucune distinction
dans les personnes divines, ces noms se diraient encore de Dieu et ne
signifieraient pas la même chose comme le font les noms synonymes. |
Et praeterea etiam quantum ad quaedam,
falsum est. Non enim dicitur Deus essentia ex eo quod det esse, sicut nec
sapiens ex eo quod det sapientiam ; quinimmo e converso ex eo quod Deus
essentiam habet, esse in creaturas infundit, et sic de aliis ; sicut etiam
ignis ex hoc quod calorem habet calefacit, et non e converso ; quamvis divina
sapientia et essentia per esse et cognoscere creaturae communicatum nobis
innotescat |
Et par
ailleurs cette manière de distinguer est même fausse sous certains rapports.
En effet, Dieu n’est pas appelé essence du fait qu’il donne l’existence, ni
même sage du fait qu’il donne la sagesse ; c’est même plutôt le
contraire qui est vrai : c’est du fait que Dieu possède l’essence qu’il
répand l’existence dans les créatures et il en est de même du reste, tout
comme aussi c’est du fait que le feu possède la chaleur qu’il réchauffe et
non l’inverse, bien que la sagesse et l’essence divines nous soit connues par
l’existence et la connaissance communiquées à la créature. |
Similiter etiam in divinis cum Deus
sit actus purus, non permixtus potentiae, non est aliquid in eo significabile
per modum potentiae non conjunctae actui et per modum actus, ut distinguibile
et distinctum. Nec iterum verum est quod hoc nomen « hypostasis »
significet id quod proprium est in abstractione. Hoc enim modo significatur
nomine proprietatis, sicut nomine paternitatis quae significatur non ut
hypostasis, sed ut in hypostasi ens. |
Il en est
aussi de même pour les personnes divines : puisque Dieu est un acte pur,
non mélangé à de la puissance, il n’y a pas en lui quelque chose qui puisse
être signifié à la manière d’une puissance qui n’est pas unie à un acte, ni à
la manière d’un acte, comme pouvant être distingué et comme distinct. Et en
outre il n’est pas vrai que ce nom, «hypostasis», signifie ce qui est propre
dans l’abstrait. Ce qui est signifié de cette manière est signifié par le nom
de propriété, tout comme par le nom de paternité la paternité est signifiée
non pas comme une «hypostasis», mais comme ce qui existe dans une
«hypostasis» |
Alii sumunt differentiam horum nominum
secundum distinctionem rationis, quo est, et quod est. Quorum quidam dicunt,
quod tria horum significant quo est, vel substantiam suppositi ; ita quod
« essentia » significat substantiam, sive naturam generis ;
« subsistentia » naturam speciei ; « hypostasis » naturam
individualem ; et quartum, scilicet « persona », sumitur secundum
id quod est, et significat substantiam quae est suppositum. |
D’autres
tirent la différence de ces noms d’après la distinction de raison : ¨ce
par quoi¨ et ¨ce qui est¨. Et parmi eux certains disent que trois de ces noms
signifient ¨ce par quoi¨ ou la substance du suppôt ; de telle manière
que «essentia» signifie la substance ou la nature du genre ;
«subsistentia» signifie quant à elle la nature de l’espèce et «hypostasis»
la nature individuelle ; et enfin le quatrième terme, à savoir
«persona», se prend selon ¨ce qui est¨, et signifie la substance qui est le
suppôt. |
Alii dicunt e converso quod unum
significat quo est, scilicet « essentia », et tria significant quod
est, diversimode: quia hoc nomen « substantia » significat quod est
per respectum ad naturam vel essentiam ; hoc nomen « subsistentia »
significat quod est per respectum ad individuationem ; sed hoc nomen
« persona » ponit specialem rationem vel proprietatem pertinentem
ad dignitatem. Sed de primis duobus est e converso, secundum Boetium:
haec enim doctrina sumpta est secundum Augustinum,lib. VII de Trinit.c. IV, col. 939, et Hieronymum in Exp. symb. Ad Dam.. |
D’autres au
contraire disent que l’un signifie ¨ce par quoi¨, à savoir «essentia», et les
trois autres signifient ¨ce qui est¨, mais différemment : car ce nom
«substantia» signifie ¨ce qui est¨ par rapport à la nature ou
l’essence ; ce nom «subsistentia» signifie ¨ce qui est¨ par rapport à
l’individuation ; mais ce nom, «persona», pose une notion spéciale ou
une propriété qui se rapporte à une dignité. Mais selon Boèce c’est l’inverse
qui est vrai au sujet des deux premiers noms : cette doctrine en effet
est tirée de ce qu’en dit Saint-Augustin [ VII De la Trinité, ch. IV, col. 939] et Saint-Jérôme dans sa Lettre à Damase. |
Alii dicunt, quod duo significant quo
est. « Essentia » quidem significat quo est, vel naturam communem,
prout non est praedicabilis, ut consideratur cum dicitur, homo est species ;
sed « subsistentia » significat naturam communem ut praedicabilis
est, secundum Boetium ; alia duo significant quod est, et eo modo differunt,
sicut in proximo dictum est. Sed quia quodlibet horum nominum, praeter hoc
nomen persona, invenitur quandoque poni pro quo est, et quandoque poni pro
quod est ; ideo non videtur esse essentialis distinctio eorum secundum
aliquem dictorum modorum. |
D’autres
disent que deux termes signifient ¨ce par quoi¨. «Essentia» signifie certes
¨ce par quoi¨, ou la nature commune en tant qu’elle n’est pas un prédicable
tel qu’on le considère lorsqu’on dit que l’homme est une espèce ; mais
«subsistentia» signifie la nature commune en tant qu’elle est un prédicable,
selon Boèce ; les deux autres signifient ¨ce qui est¨ et diffèrent de la
manière que nous l’avons dite il y a un instant. Mais parce que n’importe
quel de ces noms, sauf le nom «persona», se trouve parfois à être pris dans
le sens de ¨ce par quoi¨, et parfois dans le sens de ¨ce qui est¨, c’est
pourquoi la distinction de ces noms n’apparaît essentielle selon aucune des
modalités que nous venons de présenter. |
Ideo aliter dicendum est, secundum
Boetium, ut sumatur differentia horum nominum, « essentia, subsistentia,
substantia », secundum significationem actuum a quibus imponuntur,
scilicet esse, subsistere, substare. |
C’est pourquoi
il faut dire autrement, conformément à Boèce, que la différence de ces noms,
à savoir «essentia, subsistentia, substantia» se tire de la signification des
actes à partir desquels ils ont été imposés, à savoir «esse, subsistere et
substare». |
Patet enim quod esse, commune quoddam
est, et non determinat aliquem modum essendi ; subsistere autem dicit
determinatum modum essendi, prout scilicet aliquid est ens per se, non in
alio, sicut accidens ; substare autem idem est quod sub alio poni. |
Il est clair
en effet que «esse» est une notion commune qui ne détermine aucune modalité
d’existence ; «subsistere» cependant dit une modalité d’existence
déterminée, c’est-à-dire pour autant qu’une chose est un être par soi qui
n’existe pas dans un autre comme c’est le cas pour l’accident ;
«substare» enfin s’identifie à ce qui soutient un autre. |
Inde patet quod esse dicit id quod est
commune omnibus generibus ; sed subsistere et substare id quod est proprium
primo praedicamento secundum duo quae sibi conveniunt ; quod scilicet sit ens
in se completum, et iterum quod omnibus aliis substernatur accidentibus,
scilicet quae in substantia esse habent. |
De là il est
clair que «esse» dit ce qui est commun à tous les genres ; mais
«subsistere» et «substare» disent ce
qui est propre au premier prédicament, la substance, d’après deux aspects qui
lui conviennent ; à savoir qu’elle est de l’être complet en soi, et en
outre qu’elle soutient tous les autres accidents, lesquels possèdent leur
existence dans la substance. |
Unde dico, quod « essentia »
dicitur cujus actus est esse, « subsistentia » cujus actus est
subsistere, substantia cujus actus est substare. Hoc autem dicitur
dupliciter, sicut in singulis patet. Esse enim est actus alicujus ut quod
est, sicut calefacere est actus calefacientis ; et est alicujus ut quo est,
scilicet quo denominatur esse, sicut calefacere est actus caloris. |
C’est pourquoi
je dis que «essentia» se dit de ce dont l’acte est d’exister, «subsistentia»
de ce dont l’acte est de subsister et «substantia» de dit de ce dont l’acte consiste
à soutenir un autre. Mais cela se dit de deux manière comme on le voit par
l’examen des cas particuliers. Exister en effet est l’acte d’un être en tant que
¨ce qui existe¨, comme réchauffer est l’acte de celui qui réchauffe ; et
il appartient à un être en tant que ¨ce par quoi¨ il existe, c’est-à-dire ce
par quoi il est dénommée, comme réchauffer est l’acte de la chaleur. |
Sciendum est autem, quod si aliquid
consequitur aliqua plura convenientia ad invicem, non potest denominati
illud, aliquid, per alterum [denominari aliquid secundum alterum éd. de Parme] illorum, quamvis etiam
illud sit principium totius, sed per totum: verbi gratia, sapor consequitur
calidum et humidum, prout aliquo modo conveniunt: et quamvis calor sit
principium saporis sicut effectivum, non tamen aliquid denominatur sapidum a
calore, sed a sapore qui complectitur simul calidum et humidum aliquo modo
convenientia. |
Il faut
cependant savoir que si une chose découle de plusieurs principes qui viennent
ensemble, cette chose ne peut être dénommée telle par l’un [être dénommée
telle suivant l’un Éd. de Parme]
d’eux, bien qu’encore ce dernier soit le principe du tout, mais bien par le
tout : en d’autres mots, la saveur découle du chaud et de l’humide selon
qu’ils viennent ensemble : et bien que la chaleur soit le principe de la
saveur en tant que principe efficient, il n’y a rien cependant qui doit
dénommé savoureux à partir de la chaleur, mais à partir de la saveur qui est
obtenue simultanément par une certaine rencontre du chaud et de l’humide. |
Similiter dico, quod cum esse
consequitur compositionem materiae et formae, quamvis forma sit principium
esse, non tamen denominatur aliquod ens a forma sed a toto ; et ideo essentia
non dicit formam tantum ; sed in compositis ex materia et forma, dicit totum
; et hoc etiam dicitur quidditas et natura rei ; et ideo dicit Boetius in
Praedicamentis quod « ousia » significat compositum ex materia est
forma. |
De la même
manière je dis que, puisqu’exister découle de la composition de la matière et
de la forme, bien que la forme soit le principe de l’existence, cependant
aucun être n’est dénommé uniquement par la forme, mais plutôt par le
tout ; et c’est pourquoi l’essence ne dit pas seulement la forme, mais
dans les composés de matière et de forme, elle dit le tout ; et cela
s’appelle aussi la quiddité ou la nature de la chose ; et c’est pourquoi
Boèce dit dans Les Prédicaments que
«ousia» signifie le composé de matière et de forme. |
Sed ista natura sic considerata,
quamvis dicat compositum ex materia et forma, non tamen ex hac materia
demonstrata determinatis accidentibus substante, in qua individuatur forma ;
quia hujusmodi compositum dicit hoc nomen « Socrates ». Haec autem
materia demonstrata, est sicut recipiens illam naturam communem. |
Mais cette
nature, si on la considère ainsi, bien qu’elle dise le composé de matière et
de forme, elle ne signifie pas le composé de cette matière qu’on peut
montrer, qui soutient des accidents déterminés, et dans laquelle la forme est
individuée ; car c’est un tel composé que le nom «Socrate» signifie.
Mais cette matière qu’on peut montrer est comme ce qui reçoit cette nature
commune. |
Et utroque modo invenitur hoc nomen
« essentia ». Unde quandoque dicimus Socratem esse essentiam
quamdam ; quandoque dicimus, quod essentia Socratis non est
« Socrates »: et sic patet quod essentia quandoque dicit « quo
est », ut significatur nomine « humanitatis » ; et quandoque « quod
est » ut significatur hoc nomine « homo ». Similiter etiam
« subsistere » est actus alicujus ut quod subsistit, vel ut quo
subsistit. Cum autem « subsistere » dicat esse determinatum, et
tota determinatio essendi consequatur formam, quae terminus est, constat quod
aliquid denominatur subsistens per primam formam, quae est in genere
substantiae, sicut album per albedinem, et animatum per animam: et ideo in Praedicamentis dicit Boetius quod
« ousiosis » vel « subsistentia » est forma accipiens
subsistentiam, pro « quo subsistitur ». |
Et c’est en
ces deux sens que se rencontre ce mot «essentia». C’est pourquoi nous disons
parfois que Socrate est une certaine essence ; mais parfois nous disons
que l’essence de Socrate n’est pas «Socrate» : et ainsi il est clair que
l’essence dit parfois «ce par quoi», comme lorsqu’elle elle est signifiée par
le nom «humanité» ; et parfois elle dit «ce qui est» comme elle est
signifiée par le nom «homme». De la même manière encore «subsistere» est
l’acte d’un être en tant que ¨ce qui¨ subsiste ou en tant que ¨ce par quoi¨
il subsiste. Mais puisque «subsistere» dit un exister déterminé et que toute
la détermination d’exister, qui est le terme, découle de la forme, il est
clair qu’un être est dénommé subsistant par la forme première qui est dans le
genre de la substance, comme le blanc est dénommé par la blancheur, et
l’animé par l’âme : et c’est pourquoi, dans Les Prédicaments, Boèce dit que «ousiosis» ou «subsistentia» est
la forme qui reçoit la subsistance, en
tant qu’elle est «ce par quoi on subsiste». |
Si autem accipiatur
« subsistentia » pro eo « quod subsistit », sic proprie
dicitur illud in quo per prius invenitur talis natura hoc modo essendi. Et
cum per prius inveniatur in substantia, secundum quod substantia est ; et
deinceps in aliis, secundum quod propinquius se habent ad substantiam:
constat quod nomen subsistentiae per prius convenit generibus et speciebus in
genere substantiae, ut dicit Boetius, lib. De duabus nat., cap. III, col. 1344, et individuis non convenit
habere tale esse, nisi inquantum sunt sub tali natura communi. Quamvis enim
genera et species non subsistant nisi in individuis, quorum est esse, tamen
determinatio essendi fit ex natura vel quidditate superiori. |
Mais si on prend «subsistentia» pour «ce qui
subsiste», alors s’appelle proprement ainsi celui dans lequel une telle
nature se retrouve en priorité de par cette manière d’exister. Et puisqu’elle
se retrouve en priorité dans la substance en tant qu’elle est substance, et
qu’elle se retrouve par la suite dans les autres prédicaments selon qu’ils
sont plus rapprochés de la substance, il est clair que le nom de subsistance
convient en priorité aux genres et aux espèces dans le genre de la substance,
ainsi que le dit Boèce [Des Deux
Natures, ch. 111, col. 1344] et qu’il ne convient aux individus d’avoir
une telle existence que dans la mesure où ils sont dans une telle nature
commune. En effet, bien que les genres et les espèces ne subsistent que dans les individus
auxquels il appartient d’exister, cependant la détermination d’exister vient
d’une nature ou d’une quiddité supérieure. |
Similiter « hypostasis »,
vel « substantia », dicitur dupliciter: vel id quo substatur ; et
quia primum principium substandi est materia, ideo dicit Boetius in Praedicamentis, in princ. Praed.
substantia, quod hypostasis est materia, vel quod substat, et hoc est
individuum in genere substantiae per prius. Genera enim et species non
substant accidentibus nisi ratione individuorum ; et ideo nomen
« substantiae » primo et principaliter convenit particularibus substantiis,
secundum philosophum « De
substantia », et secundum Boetium, lib. De duabus naturis, cap. III. |
De la même
manière, «hypostasis», ou «substantia», se dit de deux manières : soit
ce par quoi on est soutenu ; et
parce que le premier principe de soutien est la matière, c’est pourquoi Boèce
dit dans Les Prédicaments, au début
de Le Prédicament de la substance,
que l’hypostase est la matière, ou qu’elle soutient, et tel est en priorité
l’individu dans le genre de la substance. En effet, les genres et les espèces
ne soutiennent les accidents qu’en raison des individus ; et c’est pourquoi le nom de «substance»
convient en premier lieu et principalement aux substances particulières
d’après le Philosophe [De la Substance]
et d’après Boèce [Des Deux Natures,
ch. 111]. |
Sic ergo patet differentia istorum
trium dupliciter. Quia si accipiatur unumquodque ut quo est, sic essentia
significat quidditatem, ut est forma totius, « ousiosis » formam
partis, « hypostasis » materiam. Si autem sumatur unumquodque ut
quod est, sic unum et idem dicetur « essentia », inquantum habet
esse, « subsistentia », inquantum habet tale esse, scilicet
absolutum ; et hoc per prius convenit generibus et speciebus, quam individuis
; et substantia, secundum quod substat accidentibus ; et hoc per prius
convenit individuis, quam generibus et speciebus. |
Et c’est
pourquoi la différence entre ces trois noms est évidente de trois manières.
Car si on prend n’importe quel d’entre eux en tant que ¨ce par quoi¨, alors
«essentia» signifie la quiddité en tant qu’elle est la forme du tout,
«ousiosis» signifie la forme de la partie, «hypostasis» signifie la matière.
Mais si on prend chacun d’eux en tant que ¨ce qui est¨, alors une seule et
même chose sera appelée «essentia» en tant qu’elle possède l’existence ;
«subsistentia» en tant qu’elle possède telle existence, à savoir une
existence absolue, et cela convient en priorité aux genres et aux espèces
plutôt qu’aux individus ; et enfin «substance» selon qu’elle soutient les accidents, et cela convient en
priorité aux individus plutôt qu’aux genres et aux espèces. |
Ulterius, hoc nomen
« persona » significat substantiam particularem, prout subjicitur
proprietati quae sonat dignitatem, et similiter « prosopon » apud
Graecos ; et ideo « persona » non est nisi in natura intellectuali |
Par la suite,
le nom «persona» signifie une substance particulière, selon qu’elle est le
sujet d’une propriété qui signifie une dignité, et il en est de même du nom
«prosopon» chez les Grecs ; et c’est pourquoi «persona» ne se retrouve
que dans une nature intellectuelle. |
Et secundum Boetium, de duabus naturis, cap. III, col.
1343,sumptum est nomen personae a personando, eo quod in tragoediis et
comoediis recitatores sibi ponebant quamdam Larvam ad repraesentandum illum
cujus gesta narrabant decantando. Et inde est quod tractum est in usu ut
quodlibet individuum hominis de quo potest talis narratio fieri, persona
dicatur ; et ex hoc etiam dicitur prosopon in Graeco a « pros »
quod est in ope, et sopos quod est facies, quia hujusmodi Larvas ante facies
ponebant. |
Et selon Boèce
[Des Deux Natures, ch. 111, col.
1343], le nom de «persona» est tiré de «personando», c’est-à-dire «résonner»,
du fait que dans les tragédies et les comédies les auteurs se mettaient un
masque pour représenter celui dont ils racontaient les gestes en le chantant.
Et de là on en est venu à la coutume d’appeler «persona» tout individu humain
au sujet de qui un tel récit peut être rendu; et c’est de là encore qu’en
Grec «prosopon» se dit à partir de «pros» qui signifie ce qui est sur le
devant, et «sopos» qui est le visage, car ils mettaient de tels masques
devant le visage. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quia particulare significat compositum ex materia et forma
demonstrata, sed universale in substantiis compositis significat etiam
compositum ex materia et forma, sed non demonstrata, sicut homo ex anima et
carne et osse, non tamen ex his carnibus et ex his ossibus. Unde non oportet
quod « ousia » significet idem quod particularis substantia, immo
se habet ad utrumque. Et ideo omne quod est in genere substantiae potest dici
« ousia », sive sit universalis substantia, sive particularis. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu, parce que le particulier signifie un composé de
matière et de forme individuelles et que l’universel dans les substances
composées est aussi un composé de matière et de forme mais non individuelles,
comme l’homme qui est un composé d’âme, de chairs et d’os mais non de ces
chairs et des ces os, c’est pourquoi il ne faut pas que «ousia» signifie la
même chose que la substance particulière, mais plutôt qu’il soit apte à
signifier les deux. Et c’est pourquoi tout ce qui est dans le genre de la
substance peut être appelé «ousia», qu’il soit une substance universelle ou
une substance particulière. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod subsistere duo dicit, scilicet esse, et determinatum modum
essendi ; et esse simpliciter non est nisi individuorum ; sed determinatio
essendi, est ex natura vel quidditate generis vel speciei ; et ideo quamvis
genera et species non substent nisi in individuis, tamen eorum proprie
subsistere est, et subsistentiae dicuntur ; quamvis et particulare dicatur,
sed per [per om. Ed de Parme]
posterius ; sicut et species substantiae dicuntur. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que subsister dit deux choses, à savoir exister, et un
mode déterminé d’existence ; et exister absolument n’appartient qu’aux
individus ; mais la détermination de l’existence vient de la nature ou
de la quiddité du genre ou de l’espèce ; et c’est pourquoi, bien que les
genres et les espèces ne soutiennent que s’ils existent dans les individus,
cependant il leur appartient en propre de subsister et d’être appelés
subsistances, bien que les particuliers aussi soient appelés ainsi, mais par
[par om. Éd. de Parme] après et
secondairement, tout comme les espèces sont appelées substances dans le même
sens. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dico, quod substantia dicitur, inquantum subest accidenti vel naturae communi
; subsistere vero dicitur aliquid inquantum est sub esse suo, non quod habeat
esse in alio sicut in subjecto. |
3. Je dis en
troisième lieu qu’on appelle substance ce qui soutient un accident ou une
nature commune ; mais on dit d’un être qu’il subsiste en tant qu’il est
dans l’existence qui lui est propre et qu’il ne possède pas son existence
dans un autre comme dans un sujet. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod hoc nomen « hypostasis » apud Graecos aliud habet ex
proprietate significationis, et aliud ex usu. Ex proprietate enim
significationis habet quod significet quamlibet substantiam particularem, sed
ex usu accommodatum est nobilioribus substantiis ; et ideo ipsi utuntur eodem
modo hoc nomine « hypostasis » sicut nos utimur hoc nomine
« persona » ; sed talis usus non est apud nos in hoc nomine
« substantia ». |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que ce nom, «hypostasis», tient chez les Grecs quelque
chose d’autre de la propriété de sa signification et quelque chose d’autre de
son usage. De la propriété de sa signification en effet il signifie toute
substance particulière, mais de son usage il a été appliqué à des substances
nobles ; et c’est pourquoi les Grescs se servent du nom «hypostasis» de
la même manière que nous usons du nom «persona» ; mais chez nous un tel
usage n’a pas lieu pour le nom «substantia». |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod apud nos nomen « substantia » aequivocatur.
Quandoque enim ponitur pro essentia, secundum quod nos dicimus definitionem
significare substantiam rei. Quandoque ponitur pro supposito substantiae,
sicut dicimus Socratem esse substantiam quamdam. Et ideo ut tolleretur malus
intellectus, sancti noluerunt uti hoc nomine substantia pro supposito, sicut
Graeci utuntur ; sed transmutaverunt, et posuerunt
« subsistentiam » respondentem « hypostasi » et
« substantiam » respondentem « ousiosi » ; quamvis sit e
converso, secundum veritatem significationis ; magis enim curaverunt
vitationem errorum quam proprietatem nominum. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que chez nous le nom «substantia» prête à équivoque.
Parfois en effet on s’en sert au lieu du terme «essentia», selon que nous
disons que la définition signifie la substance de la chose. Parfois on
l’utilise à la place du suppôt de la substance, comme lorsque nous disons que
Socrate est une certaine substance. Et c’est pourquoi, pour éviter une
mauvaise interprétation, les écrivains sacrés n’ont pas voulu se servir du
nom substance à la place du suppôt, comme les Grecs le font ; mais au
lieu de faire cela, ils ont effectué un transfert, en posant le terme «subsistantiam»
comme correspondant à «hypostasi» et celui de «substantiam» comme
correspondant à «ousiosi» ; ils ont fait ainsi, bien que ce soit
l’inverse d’après la vérité de la signification ; en effet, ils ont
davantage pris soin d’éviter les erreurs que d’être fidèles aux sens propres
des noms. |
|
|
Articulus 2 Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 tit.
Utrum nomen « persona » dicatur proprie de Deo |
Article 2 – Ce nom « personne » est-il employé au sens propre pour Dieu ? |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nomen personae non proprie dicatur in divinis.
« Persona » enim significat hominem larvatum, ut dictum est, art.
antec., cujus figura repraesentatur. Sed hoc non potest Deo convenire nisi
metaphorice ; nec etiam habet figuram quae repraesentari possit, ut dicitur
Isa. XL, 18: Cui similem fecistis Deum
? Ergo nomen « persona » proprie non convenit Deo. |
Difficultés : 1. Il semble
que le nom ¨personne¨ ne se dise pas proprement de Dieu. «Persona» en effet
signifie un homme furieux, comme nous l’avons dit dans l’article précédent,
dont la figure est représentée. Mais cela ne peut convenir à Dieu que par
métaphore ; et de plus il ne possède pas une figure qui pourrait être
représentée, comme on le dit dans l’Écriture [Isaïe, XL, 18] : À qui
comparer Dieu, et quelle image pourriez-vous en faire ? Donc, le nom
«persona» ne convient pas à Dieu. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, in tota natura « persona » videtur dicere maximam compositionem:
quia in individuo hominis concurrunt quasi omnes naturae ad constitutionem
ejus, vel ex parte animae, vel ex parte corporis ; unde etiam cum omnibus
commune habere dicitur. Sed Deus est summe simplex. Ergo videtur quod nomen
« personae » sibi non conveniat. |
2. Par
ailleurs, en toute nature, «persona» semble signifier la composition la plus
considérable : car dans l’individu humain presque toutes les natures
concourrent à sa constitution, que ce soit du côté de l’âme ou du côté du
corps ; c’est pourquoi on dit aussi de lui qu’il a du commun avec tous
les autres êtres. Mais Dieu est suprêmement simple. Il semble donc que le nom
«persona» ne Lui convienne pas. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 3 Item,
« persona » dicitur quae substat alicui proprietati, vel subsistit.
Sed, sicut supra dictum est, dist. 8, ex verbis Augustini, Deus non dicitur
proprie substare alicui quod in ipso est. Ergo non proprie dicitur
« persona ». |
3. En outre,
«persona» dit ce qui soutient la propriété d’un être, ou ce qui subsiste. Mais,
comme nous l’avons dit dans la distinction 8 à partir des paroles de
Saint-Augustin, on ne dit pas proprement de Dieu qu’il soutient quelque chose
qui est en lui. Ce n’est donc pas proprement qu’il est appelé «persona». |
Lib 1 d. 23 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, « persona » dicit substantiam particularem
vel singularem. Sed
particulare vel singulare Deo non competit. Ergo videtur quod nec personae
nomen. |
4. De plus, «persona» dit une substance particulière ou
individuelle. Mais le particulier et l’individuel n’appartiennent pas à Dieu.
Il semble donc que le nom «persona» ne lui appartienne pas non plus. |
Lib 1 d. 23 q. 1
a. 2 s. c. 1 Contra, quia « persona » dicitur quasi per se una. Sed hoc maxime Deo convenit. Ergo
videtur quod et nomen personae. |
Cependant : 1. Par contre,
«persona» signifie pratiquement ce qui est un par soi. Mais c’est à Dieu que
cela convient de la façon la plus parfaite. Il semble donc par conséquent que
ce nom lui convienne aussi le plus parfaitement. |
Item, persona dicit quid completum
existens in natura intellectuali. Sed hoc Deo competit. Ergo videtur quod et
nomen personae. |
2. En outre,
«persona» dit un être dont l’existence est complète dans la nature
intellectuelle. Mais cela appartient à Dieu. Il semble donc qu’il en soit de même
pour le nom «persona». |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod nomen « personae » proprie convenit Deo ; tamen non
eodem modo sicut est in creaturis, sed quodam nobiliori modo ; sicut est in
omnibus aliis quae de Deo et creaturis dicuntur. Salvatur enim ratio
« personae » in divinis, secundum quod habet esse per se subsistens
in natura intellectuali. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que le nom «persona» convient proprement à Dieu ;
cependant, il ne lui convient pas de la même manière qu’il convient aux
créatures, mais d’une manière plus excellente, comme tous les autres noms qui
s’attribuent à la fois à Dieu et aux créatures. En effet, la notion «persona»
est conservée en Dieu selon qu’il possède une existence qui subsiste par
elle-même dans une nature intellectuelle. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in significatione nominis duo sunt
consideranda: scilicet id a quo imponitur nomen ad significandum, et id ad
quod significandum imponitur. Contingit autem quandoque quod substantia
alicujus rei nominatur ab aliquo accidente quod non consequitur totam naturam
de qua nomen illud dicitur ; sicut lapis dicitur ex eo quod laedit pedem, nec
tamen omne laedens pedem est lapis, vel e converso. Et ideo judicium de nomine non debet
esse secundum hoc a quo imponitur, sed secundum id ad quod significandum
instituitur. Unde quamvis nomen personae sit impositum a dicta
repraesentatione, tamen est impositum ad significandum substantiam completam,
in natura intellectuali subsistentem: et hoc Deo convenit, quamvis non
conveniat sibi illud a quo nomen imponitur. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que dans la signification d’un nom il y a deux
choses à considérer : à savoir ce à partir de quoi le nom est imposé pour
signifier, et ce en vue de quoi il imposé pour le signifier. Mais il arrive
parfois que la substance d’une chose soit nommée à partir d’un accident qui
ne découle pas de toute la nature à laquelle ce nom est attribué ; par
exemple, la pierre se dit à partir de ce qui blesse le pied et cependant ce
n’est pas tout ce qui blesse le pied qui est une pierre et inversement. Et
c’est pourquoi le jugement qu’on porte sur le nom ne doit pas se faire
suivant ce à partir de quoi il est imposé, mais plutôt suivant ce en vue de
quoi il est imposé pour le signifier. C’est pourquoi, bien que le non de
personne soit imposé à partir de la représentation dont nous avons parlé,
cependant il est imposé pour signifier une substance complète qui subsiste
dans une nature intellectuelle : et cela Lui convient parfaitement, bien
que ce à partir de quoi le nom est imposé ne Lui convienne pas. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa compositio accidit
« personae » praeter rationem suam. Quia enim « persona »
dicit quid completum in natura intellectuali, et in natura humana non
invenitur complementum nisi per maximam compositionem ; ideo per accidens
significat compositionem in natura. Si autem perfectionem intellectualem
inveniret in corpore simplici, sicut est ignis, diceretur persona ; et ideo
divina simplicitas non repugnat personalitati. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que cette
compostion servient à la «personne» en dehors de sa definition. En effet,
parce que «persona» signifie un être complet dans une nature intellectuelle,
et que dans la nature humaine la
complétude ne se retrouve qu’au moyen d’une composition extrême, c’est
pourquoi c’est de manière accidentelle que ce nom signifie une composition
dans une nature. Mais si la perfection intellectuelle se retrouvait dans un
corps simple comme le feu, elle serait appellee personne; et c’est pourquoi
la divine simplicité ne répugne pas au nom de «personne». |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Deo secundum rem nihil ponitur sub
aliquo ; sed tantum secundum modum intelligendi, prout intelligitur substans
proprietati sive personali, sive essentiali, secundum quod dicitur substantia
; et esse sub, secundum quod dicitur subsistentia: nihilominus tamen, quia
secundum rem nihil ibi est sub alio, ideo Richardus de sancto Victore, lib. IV De
trinitate, c. XX, col. 943, volens proprie loqui, dicit, quod personae
divinae non subsistunt, sed existunt, inquantum scilicet distinguuntur
proprietatibus originis, secundum quas una est ex alia, quibus non supponuntur
per modum subjecti ; et ideo divinas personas non dicit esse subsistentias,
sed existentias. |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’en Dieu rien ne soutient autre chose selon la
réalité mais seulement selon la manière de le comprendre, selon qu’on l’entend
comme soutenant une propriété soit personnelle soit essentielle selon qu’on
l’appelle substance, et comme existant sous, selon qu’on l’appelle substance :
néanmoins cependant, parce qu’en réalité il n’y a rien là qui soit sous un
autre, c’est pourquoi Richard de Saint-Victor [De la Trinité, IV, ch. XX, col. 943], voulant parler au sens
propre, dit que les personnes divines ne subsistent pas, mais existent,
c’est-à-dire selon qu’elles se distinguent par leurs propriétés d’origine
selon lesquelles une personne procède d’une autre, et sous lesquelles elles
ne sont pas placées à la manière d’un sujet ; et c’est pourquoi il ne
dit pas des personnes divines qu’elles sont des subsistances, mais des
existences. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod, proprie loquendo, in divinis non est particulare, quia
particulare dicitur eo quod particulatur in ipso natura communis, cujus
partem accipit secundum virtutem qua potest esse in pluribus, quamvis
accipiat totam rationem ejus. Sed in Patre est natura divina secundum totam
virtutem suam: unde non potest dici particulare ; nisi forte solum secundum
rationem numeralis multitudinis, ut supra dictum est, distin. 19, quaest. 4,
art. 2, et patet ex verbis Damasceni III Fide
orth. cap. IV, col. 1002. Similiter etiam, hoc nomen « Deus »
non potest esse particularis vel singulare, cum de pluribus suppositis
praedicetur, et materia careat, quae singularitatis principium est ; unde
« persona » dicetur de Deo non secundum rationem particulationis
vel singularitatis, sed secundum rationem completionis, secundum quod nominat
quid completum subsistens vel existens in natura intellectuali. |
4. En
quatrième lieu il faut dire que, à parler au sens propre, il n’y a rien de
particulier en Dieu, car le particulier se dit de ce qui participe de la
nature commune elle-même, dont il reçoit une partie selon la puissance par
laquelle cette nature peut exister en plusieurs bien, qu’il en reçoive toute
la définition. Mais dans le Père la nature divine existe selon toute sa puissance :
c’est pourquoi on ne peut dire de Lui qu’il est un particulier, si ce n’est
peut-être selon la notion d’une multiplicité numérique seulement, comme nous
l’avons dit plus haut [dist. 19, quest. 4, art. 2] et cela est clair par
l’examen des paroles de Damascène [De
la Foi Orthodoxe, 111, ch. IV, col. 1002]. De la même manière encore, ce
nom «Dieu» ne peut être particulier ou singulier puisqu’il s’attribue à
plusieurs suppôts et est privé de matière qui est le principe de la
singularité ; c’est pourquoi «persona» se dira de Dieu non pas d’après
la notion de la particularité ou de la singularité, mais d’après la notion de
la complétude selon laquelle il signifie un être complet qui subsiste ou
existe dans une nature intellectuelle. |
|
|
Articulus 3 Lib 1 d. 23 q.
1 a. 3 tit. Utrum « persona » significet substantiam |
Article 3 – « Personne »
signifie-t-il la substance ? |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod
« persona » significet substantiam. Primo per auctoritatem
Augustini in Littera, qui hoc
expresse videtur dicere. |
Difficultés : 1. Il semble
que «persona» signifie la substance. Et on peut le voir premièrement par
l’autorité de Saint-Augustin dans le Document,
qui semble parler expressément en ce sens. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, hoc videtur per definitionem Boetii, De duabus naturis, c. III, col. 1343 ; dicit enim, quod « Persona est rationalis naturae individua
substantia ». Sed substantia significat quid absolutum et non
relativum. Ergo videtur quod nomen « personae » non significet
relationem. |
2. Par
ailleurs, il semble en être ainsi suivant la définition de Boèce [Des Deux Natures, ch. 111, col.
1343] ; il dit en effet que «La
personne est la substance individuelle de nature rationnelle». Mais la
substance signifie quelque chose d’absolu et non quelque chose de relatif. Il
semble donc que le nom «persona» ne signifie pas la relation. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 3 arg. 3 Praeterea, omne relativum, secundum nomen suum ad aliud
refertur. Sed hoc nomen « persona » non refertur ad aliud, secundum
nomen. Ergo non
significat relationem. |
3. Par
ailleurs, tout relatif, conformément à son nom, se rapporte à quelque chose
d’autre. Mais ce nom, «persona», ne se rapporte pas à un autre, si on se fie
à son nom. Il ne signifie donc pas la relation. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg. 4 Item,
« quid » quaerit de substantia vel essentia. Sed, sicut in Littera dicitur, haereticis
quaerentibus, quid tres sunt ? Respondet Ecclesia : Pater, et Filius et
Spiritus sanctus [Respondetur: Pater et Filius et Spiritus sanctus ; quod est
Ed. de Parme] nomen
« personae ». Ergo « persona « significat essentiam. |
4. En outre,
la question «quid» s’enquiert de la substance ou de l’essence. Mais, comme on
le dit dans le Document, aux hérétiques qui demandent : ils sont trois
quoi ? L’Église répond : le Père, le Fils et l’Esprit-Saint [On
répond : le Père, le Fils et l’Esprit-Saint ; l’essence Éd. de Parme] ont pour nom «Personne».
Donc, «persona» signifie l’essence. |
Lib 1 d. 23 q. 1
a. 3 arg. 5 Praeterea, « persona » dicitur quasi per se una. Sed unum significat essentiam. Ergo
videtur quod « persona » essentiam significat. |
5. De plus,
«persona» signifie pratiquement ce qui est un par soi. Mais l’un signifie
l’essence. Il semble donc que «persona» signifie l’essence. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra,
Boetius, lib II de Trin., col.
1299 : « Omne nomen quod ex
personis originem capit, certum est ad substantiam non pertinere ». Sed
nullum nomen ita capit originem ex personis sicut « persona ».
Ergo, etc. |
Cependant : 1. Au
contraire, on lit dans Boèce [De la
Trinité, 11, col. 1299] : «Tout
nom qui prend son origine des personnes n’appartient certainement pas à la
substance». Mais aucun nom ne prend davantage son origine des personnes
que le nom «persona». Donc ce nom ne se rapporte pas à la substance. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, in nullo absoluto distinguitur Pater a Filio, sed
solum relatione. Distinguitur autem in persona. Ergo persona non significat
aliquid absolutum, sed relationem. Prima probatur ex simplicitate divina, et
perfectione totius Trinitatis. |
2. En outre, le Père ne se distingue pas du Fils
dans l’absolu mais seulement dans la relation. Mais il se distingue de Lui
dans la personne. Donc «persons» ne signifie pas quelque chose d’absolu mais
la relation. La majeure se prouve par la simplicité divine et la perfection
de toute la Trinité. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 3 s. c. 3 Item, ad quodcumque genus reducitur inferius, reducitur et
suum superius. Sed sub
hoc communi quod est persona, continetur Pater et Filius et Spiritus sanctus.
Ergo cum Pater significet ad aliquid, et « persona » similiter. |
3. De plus,
quel que soit le genre auquel se ramène l’inférieur, son supérieur s’y ramène
aussi. Mais sous ce supérieur qui est «persona», sont contenus le Père, le
Fils et l’Esprit-Saint. Donc, puisque le Père signifie la relation, «persona»
signifie aussi la relation. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod de significatione « personae » invenitur multiplex
doctorum sententia. Quidam enim dicunt, quod est nomen aequivocum ; et
quidam, quod est nomen univocum. Aequivocatio autem hujus nominis tripliciter
a diversis assignatur. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’au sujet de la signification de «personne», les opinions
des docteurs sont variées. Certains disent en effet que c’est là un nom
équivoque et d’autres que c’est un nom univoque. Mais le caractère équivoque
de ce nom est assigné de trois manières par différents auteurs. |
Quidam enim assignant multiplicitatem
nominis secundum diversitatem temporis: quia ante quaestionem haereticorum
significabat essentiam divinam, prout erat distincta ab aliis essentiis ; sed
post quaestionem haereticorum mutata fuit ejus significatio, ut in singulari
significet essentiam, et in plurali relationem. Sed post tempus Boetii
significat relationem, secundum usum modernorum, et in singulari et in
plurali. Sed hoc non non videtur rationabile omnino [omnino om. Ed. de Parme] quia plurale non est nisi geminatum singulare: unde
eadem est significatio in singulari et plurali sub diversa consignificatione.
Item constat quod usus variatus istius nominis non est irrationabilis
[rationabilis éd. de Parme) ; unde
oportet quod in significatione ipsius nominis attendatur aliquid secundum
quod eo sic vel sic uti possumus. |
Certains en
effet assignent la multiplicité du nom d’après la diversité du temps :
car ce nom, avant les questions des hérétiques, signifiait l’essence divine
en tant qu’elle était distincte des autres essences ; mais après les
instances des hérétiques sa signification fut changée de manière à signifier
la substance au singulier et la relation au pluriel. Mais après l’époque de
Boèce ce terme signifie la relation suivant l’usage des modernes, à la fois
au singulier et au pluriel. Mais cela ne semble absolument [absolument om. Éd. de Parme] pas rationnel car le
pluriel n’est qu’un singulier multiplié : c’est pourquoi la
signification est la même au singulier et au pluriel sous une
consignification différente. En outre il est clair que l’usage varié de ce
nom n’est pas irrationnel [rationnel Éd,
de Parme] ; c’est pourquoi il faut que dans la signification du nom
lui-même se vérifie quelque chose selon quoi nous pouvons nous en servir
ainsi ou autrement. |
Alii assignant multiplicitatem hujus
nominis secundum diversa significata, non ex diversitate temporis, sed ex
propria significatione nominis. Dicunt enim simpliciter, quod quandoque
significat essentiam, quandoque hypostasim, quandoque proprietatem, sicut
infra, distin. 26, Magister sentire videtur. Sed nullum istorum videtur
complete dicere significationem personae ; immo persona videtur omnia
includere ; dicit enim quid subsistens in natura aliqua, et distinctum aliqua
proprietate. |
D’autres
assignent la multiplicité de ce nom d’après différentes choses signifiées,
non pas à partir du temps mais à partir de la signification propre du nom.
Ils disent en effet simplement que parfois il signifie l’essence, parfois
l’hypostase, parfois la propriété, ainsi que semble en juger plus loin le
Maître dans la distinction26. Mais aucun d’eux ne semble dire la
signification de «persona» d’une manière parfaite ; bien plutôt, le
terme «persona» semble tout contenir : il dit en effet quelque chose qui
subsiste dans une nature, et qui est distinct par une propriété. |
Alii assignant multiplicitatem ex
adjuncto: dicunt enim, quod quando per se sumitur, significat substantiam ;
sed ex adjuncto partitivo vel numerali termino trahitur ad significationem
relationis, ut cum dicitur, duae personae, vel, alia persona. Sed hoc non videtur:
quia nomina significantia substantiam absolute, non recipiunt talium
additionem ; non enim dicimus plures deos, vel alium Deum. |
D’autres
assignent la multiplicité des significations de ce nom à partir de ce qui lui
est rattaché : ils disent en effet que quand il se prend par lui-même,
il signifie la substance ; mais si on y ajoute un terme de division ou
un terme numérique, le nom est entraîné à signifier la relation, comme
lorsqu’on dit deux personnes ou une autre personne. Mais cela est invraisemblable :
car les noms signifiant la substance d’une manière absolue ne reçoivent pas
des ajouts de cette sorte ; en effet, nous ne disons pas plusieurs dieux
ou un autre Dieu. |
Item qui dicunt quod est nomen
univocum, similiter variantur. Quidam enim dicunt, quod in sua significatione
claudit unum tantum, scilicet substantiam, et significat substantiam, non
quae est essentia, sed quae dicitur hypostasis vel substantia prima, ut
dictum est, art. 1 istius dist. Sed hoc non videtur sufficere: quia nihil
absolutum in divinis numeratur. Unde si nullo modo relationem importaret, non
posset in plurali praedicari. |
En outre ceux
qui disent que «persona» est un nom univoque ont également des opinions qui
varient. Certains en effet disent que dans sa signification il ne renferme
qu’une seule notion, à savoir la substance, et qu’il signifie la substance,
non pas celle qui est l’essence, mais celle qu’on appelle hypostase ou
substance première, comme nous l’avons dit dans l’article 1 de cette
distinction. Mais il semble que cette opinion n’est pas satisfaisante :
car rien de ce qui est absolu en Dieu n’est compté. C’est pourquoi, si ce
terme n’impliquait la relation d’aucune manière, il ne pourrait être attribué
au pluriel. |
Alii dicunt, quod in sua
significatione includit duo, sed unum principaliter et quasi in recto, et
aliud secundario et quasi in obliquo ; et horum est duplex opinio: quidam
enim dicunt, quod significat relationem in recto, et substantiam in obliquo ;
et quidam dicunt e converso. |
D’autres
disent que dans sa signification. «persona» comprend deux choses, mais l’une
est comprise principalement et comme directement, l’autre secondairement et
comme indirectement ; et à ce sujet il y a deux opinions : certains
en effet disent que c’est la relation que ce nom signifie directement et que
la subtance est signifiée indirectement, alors que d’autres disent le
contraire. |
Alii dicunt, quod claudit in sua
significatione duo principaliter, scilicet substantiam et proprietatem ; et
isti iterum diversificantur. Quidam enim dicunt, quod proprietas illa ponitur
circa substantiam ut distinguens ipsam ; unde dicunt, quod significat
substantiam proprietate distinctam. |
D’autres
disent que ce nom renferme dans sa signification deux choses principalement,
à savoir la substance et la
propriété ; et ceux-là en outre se différencient. Certains en effet
disent que cette propriété se pose sur la substance pour la distinguer ;
c’est pourquoi ils disent qu’elle signifie une substance distincte par la
propriété. |
Sed qualiter aliquod (aliquid om. Ed. de Parme] absolutum
distinguatur in divinis, non facile est videre. Alii praeterea dicunt, quod
significat duo principaliter, et unum illorum non ponitur circa alterum: quia
proprietas quam significat, non distinguit substantiam. Sed qualiter unum
nomen possit plura significare, nisi ex eis aliquid unum efficiatur aliquo
modo, non plene videtur. |
Mais de quelle
manière quelque chose [quelque chose om.
Éd. de Parme] d’absolu se distingue en Dieu, il n’est pas facile de le
voir. D’autres par ailleurs disent que ce mot signifie deux choses
principalement, et que l’une d’elles n’est pas posée sur l’autre : car
la propriété qu’il signifie ne distingue pas la substance. Mais de quelle manière un même nom peut signifier
plusieurs choses à moins qu’à partir d’elles quelque chose d’un ne soit rendu
de quelque manière, on ne le voit pas bien. |
Et ideo ut videatur quid veritatis sit
in singulis opinionibus, et in quo deficiant, videndum est, quod persona, ut
dictum est, ubi supra, significat individuam substantiam. Sed
« individuum » dupliciter potest significari: vel per nomen
secundae intentionis, sicut hoc nomen « individuum » vel
« singulare », quod non significat rem singularem, sed intentionem
singularitatis ; vel per nomen primae intentionis, quod significat rem, cui
convenit intentio particularitatis ; et ita significatur hoc nomine
« persona » ; significat enim rem ipsam, cui accedit intentio
individui. |
Et c’est
pourquoi, afin de voir ce qu’il y a de vrai dans ces opinions individuelles
et en quoi elles sont défectueuses, il faut voir que «persona», comme nous
l’avons dit plus haut, signifie une substance individuelle. Mais «individu»
peut être signifié de deux manières : soit par le nom d’une intention
seconde, comme ce nom «individu» ou «singulier», qui ne signifie pas une
chose individuelle, mais l’intention d’individualité ; soit par le nom
d’une intention première qui signifie une chose à laquelle convient
l’intention d’individualité ; et c’est de cette manière qu’individu est
signifié par ce nom, «persona» ; il signifie en effet la chose elle-même
à laquelle survient l’intention d’individualité. |
Secundum hoc ergo dupliciter possumus loqui
de significatione personae: vel per se, scilicet quid hoc nomen
« persona » secundum se significet ; vel per accidens, secundum
quod accipitur in tali vel in tali natura. Per se quidem significat
substantiam intellectualem individuam, quaecumque sit illa, et qualitercumque
individuetur. Si autem accipiatur persona humana, significat hoc quod est
subsistens in tali natura, et distinctum tali distinctione qualis competit
naturae humanae, scilicet per naturam determinatam. Et sic loquimur hic de
significatione personae, prout dicitur persona divina ; et secundum hoc
significabit hoc quod est distinctum existens in natura divina. |
C’est donc
d’après ces considérations que nous pouvons parler de deux manières de la
signification de «personne» : ou bien par soi, c’est-à-dire ce que ce
nom «persona» signifie en lui-même ; ou bien par accident, selon qu’il
se prend dans telle ou telle autre nature. Par soi ou essentiellement il
signifie certes une substance intellecgtuelle individuelle, quelle qu’elle
soit, et quelle que soit la manière dont elle est individuée. Mais si on
prend la personne humanie, elle signifie ce qui est subsistant dans telle
nature et qui est distinct par une distinction telle qu’elle appartient à la
nature humaine, c’est-à-dire par une nature déterminée. Et c’est ainsi que
nous parlons ici de la signification de «personne», en tant qu’on parle de la
personne divine ; et conformément à cela, ce nom signifiera ce qui
existe de distinct dans la nature divine. |
Ut ergo videamus quid sit ibi
distinctum, et quomodo competat sibi ratio personae, notandum est, quod
secundum necessitatem fidei, quae in Deo tres et unum confitetur, oportet
ponere aliquid commune, secundum quod sunt unum, et aliquid proprium, quod
est distinguens, ex qua distinctione sunt tres. Et illud commune est essentia
vel natura divina, prout significatur nomine divinitatis ; et illud distinguens
est relatio, ut paternitas. |
Donc, afin de
voir ce qu’il y a là de distinct et comment et comment lui revient la notion
de personne, il faut noter, conformément à la nécessité de la foi qui
confesse qu’il y a en Dieu à la fois trinité et unité, il faut poser quelque
chose de commun conformément à son unité, et quelque chose de propre qui soit
un principe de distinction à partir duquel se vérifie la trinité. Et ce
caractère commun est l’essence ou la nature divine, en tant qu’elle est
signifiée par le nom de Dieu ; et ce principe de distinction est la
relation, par exemple la paternité. |
Et quia in divinis non est aliqua
compositio, ideo oportet quod deitas intelligatur secundum rem idem quod
Deus, et paternitas idem quod Pater. Si ergo accipiamus ista quatuor,
scilicet deitatem, Deum, Patrem, paternitatem, constat quod ipsi deitati,
prout sic significatur ut natura quaedam, non convenit ratio personae,
dupliciter: primo, quia non significatur ut per se subsistens ; secundo, quia
est commune pluribus, et persona significat distinctum quid |
Et parce qu’en
Dieu il n’y a pas composition, c’est pourquoi il faut que, en réalité, la
divinité s’entende comme étant identique à Dieu et la paternité comme étant
identique au Père. Si donc nous prenons ces quatre notions, à savoir la
divinité, Dieu, le Père et la paternité, il est clair que la notion de
personne ne convient pas à la divinité signifiée comme une certaine nature,
et cela pour deux raisons : premièrement parce que la divinité n’est pas
signifiée comme subsistant par elle-même ; deuxièmement parce qu’elle
est commune à plusieurs, alors que la personne signifie un être
distinct. |
Similiter hoc nomen « Deus »
non habet rationem personae: quia quamvis significetur ut subsistens, non
tamen habet rationem distinctionis: quia sicut Pater et Filius conveniunt in
hoc quod est deitas, ita conveniunt in hoc quod est Deus. Sed verum est quod
si tolleretur pluralitas personarum, et per consequens communitas hujus
nominis « Deus », hoc nomen Deus significaret personam quamdam
distinctam ab omnibus aliis naturis proprietatibus essentialibus. Unde hoc
nomen « Deus » significaretur ut persona quaedam. Similiter etiam
paternitas cum non significetur ut quid subsistens, nec ut distinctum, sed ut
distinguens, non significatur per modum personae. Similiter Pater, quamvis
significetur ut quid distinctum, non tamen significatur ut subsistens in
natura aliqua, sed magis ut subjectum cuidam proprietati. |
De la même manière ce nom «Dieu» n’a pas raison de
personne : car bien qu’il soit signifié comme subsistant, cependant il
n’a pas raison d’être pris comme être distinct : car tout comme le Père
et le Fils ont en commun la divinité, de même ils ont en commun le fait de
subsister comme Dieu. Mais il est vrai que si la pluralité des personnes
disparaissait et par conséquent le caractère commun de ce nom «Dieu», ce nom
«Dieu» signifierait une personne distincte de toutes les autres natures par
ses propriétés essentielles. C’est pourquoi dans ce cas ce nom «Dieu»
signifierait à la manière d’une personne. De la même manière encore la
paternité, puisqu’elle ne signifie ni à la manière d’un être subsistant ni à
la manière d’un être distinct mais comme un principe de distinction, c’est
pourquoi ce nom n’est pas signifié à la manière d’une personne. De la même
manière, le nom Père, bien qu’il soit signifié comme un être distinct, il
n’est cependant pas signifié comme subsistant dans une certaine nature mais
plutôt comme le sujet d’une certaine propriété. |
Unde sicut album de ratione nominis
sui non est nomen personae, ita nec pater: sed inquantum Pater et Deus sunt
idem, non quidem sicut accidens et subjectum, sed per omnimodam rei
indifferentiam ; sic Pater, inquantum est Pater Deus, habet ut sit persona. Et
ideo dico, quod « persona » in divinis significat relationem per
modum substantiae. Ipsa
enim relatio, quae est distinguens, est distinctum, quia paternitas est
Pater. |
C’est
pourquoi, tout comme le blanc en raison de son nom n’est pas un nom de
personne, il en est de même du nom père : mais en tant que le Père et
Dieu sont identiques, non pas certes comme l’accident et le sujet sont
identiques, mais par l’absence de toute différence réelle, ainsi le Père, en
tant qu’il est à la fois Père et Dieu, a raison d’être une personne. Et c’est
pourquoi je dis que «persona» dans les personnes divines signifie la relation
à la manière d’une substance. En effet, la relation elle-même, qui est
principe qui distingue, est aussi un être distinct parce que la paternité est
aussi le Père. |
Et quia « persona » significat
quid distinctum existens in natura aliqua, ideo constat quod significat
relationem, inquantum ipsa relatio est ad ipsum relatum, et inquantum ipsum
relatum est subsistens in tali natura. Et ideo patet quod
« persona » significat relationem per modum substantiae, non quae
est essentia, sed quae est suppositum habens essentiam. |
Et parce que
«persona» signifie un être distinct existant dans une certaine nature, c’est
pourquoi il est clair qu’il signifie la relation pour autant que la relation
elle-même se rapporte au relatif lui-même et pour autant que le relatif
lui-même est un être subsistant dans telle nature. Et c’est pourquoi il est
évident que «persona» signifie la relation à la manière d’une substance, non
pas celle qui est l’essence, mais celle qui est le suppôt possédant
l’essence. |
. Et ex hoc patet quod omnes
opiniones, secundum aliquid, verum dixerunt. Qui enim dixerunt, quod est
aequivocum, et quandoque significat unum, quandoque aliud, pro tanto verum
dixerunt, quod cum in persona includatur et proprietas et hypostasis et
essentia, et haec non differant realiter in Deo, significat relationem ut
hypostasim ; significat enim essentiam, quae est hypostasis, et significat
etiam proprietatem, quae est ipsum suppositum distinctum ; unde quandoque potest
poni pro uno, quandoque pro alio. |
Et de là on voit que toutes les opinions ont
dit vrai sous un certain rapport. Ceux en effet qui ont dit que «persona» est
un nom équivoque, et qu’il signifie parfois une chose et parfois une autre,
ont d’autant plus dit vrai que puisque dans la personne sont comprises à la
fois la propriété, l’hypostase et l’essence et que ces notions ne diffèrent
pas en réalité en Dieu, ce nom signifie la relation comme hypostase ; il
signifie en effet l’essence, qui est l’hypostase, et il signifie aussi la
propriété qui est le suppôt distinct lui-même ; c’est pourquoi il peut
être posé parfois pour l’un, parfois pour l’autre. |
Sed hoc
accidit personae ex hoc quod in divinis omnia praedicta unum sunt secundum
rem. Similiter qui dixerunt,
quod significat tantum hypostasim, attenderunt modum secundum quem significat
nomen, quia significat per modum subsistens in natura aliqua ; quamvis
significet ipsum distinctum, quod est ipsa relatio distinguens. Similiter
qui dixerunt, quod significat substantiam in recto, attenderunt substantiam
quae est hypostasis distincta proprietate. |
Mais cela peut
survenir à ce terme du fait que dans les personnes divines tout ce qui
précède est un en réalité. De la même manière ceux qui ont dit qu’il signifie
seulement l’hypostase ont considéré le mode suivant lequel le nom signifie,
car il signifie à la manière de ce qui subsiste dans une certaine nature,
bien qu’il signifie l’être distinct lui-même qui est la relation même qui
distingue. De la même manière ceux qui ont dit que ce nom signifie la
substance directement ont considéré la substance qui est l’hypostase
distincte par la propriété. |
Qui autem dixerunt e converso,
attenderunt substantiam quae est essentia. Et qui dixerunt, quod significat
hypostasim, et proprietatem ponit circa eam, non acceperunt hypostasim ex
parte qua subsistit naturae divinae, ut significatur hoc nomine
« Deus », quod indistincte tribus personis convenit ; sed ex parte
illa qua hypostasis est ipsa relatio distinguens hypostasim: quia in Deo idem
est distinguens et distinctum. Et e converso consideraverunt hypostasim vel
substantiam, qui dixerunt, quod proprietas non ponitur circa substantiam ut
distinguens ipsam. |
Mais ceux qui
ont dit l’inverse ont considéré la substance qui est l’essence. Et ceux qui
ont dit qu’il signifie l’hypostase et qu’il pose la propriété sur elle, n’ont
pas pris l’hypostase du côté par lequel elle subsiste à la nature divine,
comme elle est signifiée par le nom «Dieu», qui convient indistinctement aux
trois personnes, mais de ce côté par lequel l’hypostase set la relation même
qui distingue l’hypostase : car en Dieu, il y a identité entre ce qui
distingue et ce qui est distingué. Et au contraire, ceux qui ont dit que la
propriété n’est pas posée sur la substance comme ce qui la distingue ont
considéré l’hypostase ou la substance. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod Augustinus attendit significationem personae quantum ad
modum significandi, et non quantum ad id quod significatur ; et ideo quamvis
significetur relatio, quia tamen significatur per modum substantiae, ideo
dixit, quod significat substantiam: et quia ulterius substantia in Deo est
idem quod essentia, ideo consequitur ut significet etiam essentiam, secundum
quod Pater est Deus, et etiam ipsa deitas. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que Saint-Augustin considère la signification de la
personne quant au mode de signifier et non quant à ce qui est signifié ;
et c’est pourquoi, bien que la relation soit signifiée, cependant parce
qu’elle est signifiée à la manière d’une substance, c’est pourquoi il a dit
qu’il signifie la substance : et parce que par la suite la subsatnce en
Dieu est identique à l’essence, c’est pourquoi il s’ensuit qu’il signifie
aussi l’essence, selon que le Père est Dieu et aussi la divinité elle-même. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 3 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum de definitione Boetii. |
2. Et de là on voit la réponse à la deuxième
difficulté sur la definition de Boèce. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 3 ad 3 Et similiter ad tertium: quia quamvis significet relationem, non
tamen significat per modum relationis ; et ideo non refertur secundum nomen
ad aliud. |
3. Et il en est de même pour la troisième
difficulté: car bien que ce nom signifie la relation, il ne la signifie
cependant pas à la manière d’une relation; et c’est pourquoi ce nom ne se
rapporte pas à un autre selon le nom. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod « quid » quandoque quaerit essentiam, ut cum
quaeritur: quid est homo ? Animal rationale mortale. Quandoque quaerit ipsum
suppositum, ut cum quaeritur, quid natat in mari ? Piscis, respondetur. Et
ita etiam fuit responsum haereticis quaerentibus, quid tres ? Tres personae [
tres om. Ed. de Parme] |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que «quid», c’est-à-dire ¨quoi ?¨, s’enquiert
parfois de l’essence, comme lorsqu’on demande : qu’est-ce que
l’homme ?, et qu’on répond : il est un animal rationnel et mortel.
Mais parfois il s’enquiert du suppôt lui-même, comme lorsqu’on demande :
qu’est-ce qui nage dans la mer ?, on répond : le poisson. Et c’est
ainsi qu’on a aussi répondu aux hérétiques qui demandaient : trois
quoi ? Trois personnes [trois om.
Éd. de Parme]. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod cum dicitur persona, quasi per se una, non significatur unitas
essentialis, sed magis unitas personae, quae est ex proprietate ; et ideo
illa ratio non est ad propositum. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que lorsqu’on dit «persona» à la manière de ¨par soi
une¨, ce n’est pas l’unité essentielle qui est signifiée, mais plutôt l’unité
de la personne qui vient de la propriété ; et c’est pourquoi cet
argument ne se rapporte pas au propos. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 3 ad s. c. Et per hoc etiam patet responsio ad ea quae in contrarium
objecta sunt, quae procedunt quantum ad id quod significat hoc nomen
« persona ». Invenimus enim in divinis quatuor modos significandi. Aliquid enim
significat absolutum per modum absoluti, ut Deus ; aliquid
relationem per modum relationis, ut pater ; aliquid, absolutum per modum
relationis, ut potentia generandi ; et aliquid, relatum per modum
absoluti, ut persona ; et hoc accidit inquantum relatio essentialiter est
ipsa substantia divina, et cetera. |
6. Et par là
on voit aussi la réponse à ce qui a été objecté aux difficultés, lesquelles
objections procèdent de ce que ce nom «persona» signifie et non de la manière
de signifier. Nous
retrouvons en effet en Dieu quatre modes de signifier. Le premier en
effet signifie l’absolu par mode d’absolu, comme Dieu. Un autre
signifie la relation par mode de relation, comme père. Un autre
encore signifie l’absolu par mode de relation, comme la puissance
d’engendrer. Et enfin le relatif
par mode d’absolu, comme «persona» ; et cela est possible selon que la
relation est essentiellement la substance divine elle-même, etc. |
|
|
Articulus 4 Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 tit.
Utrum « persona » praedicetur pluraliter in divinis |
Article 4 – « Personne » est-il prédiqué au pluriel en Dieu ? |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod « persona » non praedicetur pluraliter.
Ut enim ex Littera habetur, esse
tres personas, est esse tria quaedam. Sed non conceditur quod Pater et Filius
et Spiritus sanctus sint tria, sed unum. Ergo videtur quod non possint dici
tres personae. |
Difficultés : 1. Il semble
que «persona» ne s’attribue pas au pluriel. Comme on l’établit en effet dans
le Document, être trois personnes,
c’est être trois réalités. Mais on ne concède pas que le Père, le Fils et
l’Esprit-Saint soient trois réalités, mais plutôt une seule. Il ne semble
donc pas qu’on puisse dire d’eux qu’ils sont trois personnes. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, « persona » significat existens substantialiter in
natura aliqua. Sed distinctio proprietatum non diversificat id quod substantialiter
est in natura aliqua. Ergo videtur, cum Pater et Filius et Spiritus sanctus
non distinguantur nisi proprietatibus, quod non possint dici tres personae. |
2. Par
ailleurs, «persona» signifie ce qui existe substantiellement dans une nature.
Mais la distinction des propriétés ne distingue pas ce qui existe
substantiellement dans une nature. Il semble donc, puisque le Père, le Fils
et l’Esprit-Saint ne se distinguent que par les propriétés, qu’ils ne
puissent être appelés trois personnes. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 arg. 3 Item,
proprietates personales non magis substantialiter sunt in Deo quam
proprietates essentiales, ut bonitas, sapientia et hujusmodi. Sed
proprietates essentiales non faciunt personas plures. Ergo nec proprietates
relativae. |
3. En outre,
les propriétés personnelles n’existent pas plus substantiellement en Dieu que
les propriétés essentielles comme la bonté, la sagesse et les propriétés de
cette sorte. Mais les propriétés essentielles ne font pas plusieurs
personnes. Donc les propriétés relatives ne le font pas non plus. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 4 arg. 4 Praeterea, sicut hoc nomen « Deus » significat habens
naturam divinam, sic hoc nomen « persona » significat subsistens in
divina natura. Sed, propter unitatem divinae naturae, non potest dici quod sint
plures dii. Ergo quod nec eadem ratione sint plures personae. |
4. De plus, tout comme ce nom, «Dieu», signifie ce
qui possède la nature divine, ainsi ce nom, «persona» signifie ce qui
subsiste dans la nature divine. Mais en raison de l’unité de la nature
divine, on ne peut dire qu’ils sont plusieurs dieux. Donc, pour la même
raison, on ne peut dire qu’ils sont plusieurs personnes. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra
est quod in Littera dicitur, et
quod communis usus Ecclesiae habet. |
Cependant : 1. Ce qui est
dit dans le Document et qui fait
partie de l’usage commun de l’Église est contraire aux conclusions qui
précèdent. |
Praeterea, hoc videtur per Richardum, IV De Trinitate, cap.XIX, col. 912, qui dicit: « Timentes ubi non est timor, recte timerent
personas secundum substantiam dici, si persona tantum esse substantiale
significaret, nec aliquid consignificaret ; ratione cujus dicit, quod
multiplicantur personae. |
2. Par
ailleurs, c’est là ce qui apparaît au moyen des paroles de Richard de
Saint-Victor [IV De la Trinité, ch.
XIX, col. 912] :« Si ¨persona¨
signifiait seulement l’existence substantielle et ne consignifiait rien
d’autre, ceux qui craignent là où il n’y a pas lieu de craindre craindraient
avec raison que les personnes divines soient appelées personnes selon la
substance» ; en raison de quoi il dit qu’il y a une multiplicité de
personnes. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut dictum est, « persona » dicit aliquid
distinctum subsistens in natura intellectuali. Unde ubicumque ponuntur aliqui
distincti habentes naturam intellectualem, ponuntur plures personae. Nec
interest ad pluralitatem personarum, utrum habeant eamdem naturam, nec ne.
Divisio enim naturae in pluribus personis in hominibus accidit, tum ex
imperfectione naturae humanae quae non est suum esse, sed accipit ipsum in
supposito suo ; unde in diversis suppositis est secundum diversum esse: tum
etiam ex modo distinctionis, quia personae humanae distinguuntur per
materiam, quae est pars essentiae. Unde oportet personam distinctam unam
essentiam non habere: quorum neutrum est in divinis personis: unde tres
personae sunt subsistentes in una natura. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire, comme nous l’avons dit,
que «persona» dit un être distinct qui existe dans une nature intellectuelle.
C’est pourquoi, partout où on pose plusieurs êtres distincts possédant une
nature intellectuelle, on pose plusieurs personnes. Et il ne change rien à la
pluralité des personnes qu’elles possèdent ou non la même nature. En effet, la
division de la nature en plusieurs personnes se produit chez les hommes tant
à cause de l’imperfection de la nature humaine qui n’est pas sa propre
existence mais la reçoit dans son suppôt, d’où cette nature se retrouve dans
différents suppôts selon une existence différente, qu’à cause aussi du mode
de distinction, car les personnes humaines se distinguent par la matière qui
est une partie de l’essence. C’est pourquoi il faut qu’une personne distincte
ne possède pas la même essence: mais aucune de ces limites ne se retrouve
dans les personnes divines et c’est pourquoi il y a trois personnes qui
subsistent dans une seule et même nature. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus, accipit largo modo tria
pro tres: sicut etiam Hilarius, lib. De Synod., § 29, col. 503, dicens, quod
« per substantiam sunt tria, per consonantiam unum », accipiens
substantiam pro hypostasi. Vel
dicendum, quod non sunt tria simpliciter, sed tria quaedam, scilicet tria
supposita. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que
Saint-Augustin prend au sens large trois réalités pour trois : tout
comme Saint-Hilaire [Du Synode,
& 29, col. 503] qui dit que «par la substance ils sont trois, par la
ressemblance ou la nature ils sont un», prenant substance pour hypostase. Ou
bien il faut dire qu’ils ne sont pas trois absolument, mais trois sous un
certain rapport, à savoir à titre de suppôts. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in creaturis diversitas proprietatum non facit plures
personas, quia proprietas non est persona subsistens ; sed in divinis
proprietates sunt ipsae personae subsistentes: quia et paternitas est ipse
Pater ; et esse Patrem et esse Deum,
non est aliud et aliud esse: non enim est aliud esse Patris, quod non sit
esse Filii ; et ideo ad numerum proprietatum personalium sequitur numerus
personarum. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que dans les créatures la diversité des propriétés
n’entraîne pas une pluralité de personnes, parce que la propriété n’est pas
une personne subsistante ; mais en Dieu les propriétés sont les
personnes subsistantes elles-mêmes, parce que d’une part la paternité est le
Père lui-même et que d’autre part l’existence du Père n’est pas autre que
l’existence de Dieu : l’existence du Père en effet n’est pas autre à ce
point qu’elle ne soit pas l’existence du Fils ; et c’est pourquoi le
nombre des personnes découle du nombre des propriétés personnelles. |
Lib 1 d. 23 q.
1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod proprietates essentiales etiam sunt
subsistentes, sed tamen, una non habet rationem quod distinguatur ab alia
secundum rem, sed solum secundum rationem ; sed proprietates relativae habent
hoc ex virtute oppositionis. Unde
sicut Pater est quid subsistens, ita et bonus ; sed Pater et Filius est alius
et alius subsistens ; sed bonus et sapiens est unum et idem subsistens. Unde
de singulis personis omnia ista dicuntur ; et ideo proprietates essentiales
non faciunt numerum personarum ; quia numerus sequitur distinctionem. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que les propriétés essentielles aussi sont
subsistantes, mais l’une cependant n’a pas raison d’être distinguée de
l’autre réellement mais seulement selon la raison ; mais les propriétés
relatives ont raison d’être distinguées entre elles réellement en vertu de
l’opposition. C’est pourquoi le bien, tout comme le Père est de l’être
subsistant ; mais le Père, en tant qu’être subsistant, est autre que le
Fils alors que le bien et la sagesse sont un seul et même être subsistant en
réalité. Et c’est pourquoi tous ces propriétés essentiels s’attribuent à
chacune des personnes, d’où il s’ensuit que les propriétés essentielles ne
sont pas la cause du nombre des personnes, car le nombre découle de la
distinction. |
Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod nomina substantiva non recipiunt pluralitatem nisi ex
multiplicatione formae a qua imponuntur: et quia deitas a qua imponitur hoc
nomen Deus, non multiplicatur ; ideo nec ipsum nomen, quod a tali forma
imponitur: sed nomen personae imponitur a forma personalitatis, quae dicit
rationem subsistendi naturae tali ; et ideo ubi sunt plures subsistentes,
sunt plures personalitates et plures personae. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que les noms substantifs ne reçoivent la pluralité que
de la multiplicité des formes à partir desquelles ils sont imposés : et
parce que la divinité à partir de laquelle le nom «Dieu» est imposé ne se
multiplie pas, c’est pourquoi le nom lui-même qui est imposé à partir de
cette forme ne se multiplie pas non plus. Mais le nom de personne est imposé
à partir de la forme de la personnalité qui renvoie à la notion de ce qui
subsiste dans telle nature ; et c’est pourquoi, là où il y a plusieurs
êtres subsistants, il y a plusieurs personnalités et plusieurs personnes. |
|
|
Distinctio 24 |
Distinction 24 – [L’unité en Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
|
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [L’unité en Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo: primo de nominibus significantibus
unitatem et pluralitatem in divinis ; secundo de nominibus significantibus
ea quae sunt pluralitati annexa. Circa primum quaeruntur quatuor: 1 utrum unitas sit in divinis, ut Deus
vere unus dici possit ; 2 utrum sit ibi aliquis numerus ; 3 si utrumque est ibi, utrum nomina
significantia unitatem et pluralitatem praedicent aliquid positive in Deo,
vel tantum removendo, ut in Littera dicitur ; 4 si ponunt aliquid aliquo modo,
quid significent, utrum essentiam vel notionem. |
On s’enquiert
ici sur deux points : Premièrement
sur les noms qui signifient l’unité et la pluralité en Dieu ; Deuxièmement
sur les noms qui signifient ce qui s’ajoute à la pluralité. Au sujet du
premier point, on se pose quatre questions : 1. Est-ce que
l’unité est en Dieu de manière à ce qu’on puisse dire de Dieu qu’il est
véritablement un ? 2. Est-ce que
le nombre est présent en Dieu ? 3. S’il y a là
nombre et unité, est-ce que les noms signifiant l’unité et la pluralité
attribuent positivement quelque chose à Dieu ou seulement par la négation
ainsi qu’on le dit dans le Document ? 4. Et s’ils
posent quelque chose en Dieu d’une certaine manière, que signifient-ils,
l’essence ou la notion ? |
|
|
Articulus 1 [1798] Super
Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus possit dici unus |
Article 1 – Peut-on dire que Dieu est un ?
|
[1799] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit dici unus. Principium enim
determinatum alicujus generis non invenitur nisi in habentibus naturam illius
generis, sicut anima non invenitur nisi in rebus viventibus. Sed unitas est in genere
quantitatis sicut principium, sicut et punctus. Ergo cum quantitas non sit in
Deo, videtur quod nec unitas. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’on ne puisse dire de Dieu qu’il est un. Le principe déterminé d’un genre
en effet ne se retrouve que dans ceux qui possèdent la nature de ce genre,
tout comme l’âme ne se retrouve que chez les êtres vivants. Mais l’unité est
dans le genre de la quantité en tant que principe, tout comme le point. C’est
pourquoi, puisque la quantité n’est pas en Dieu, il semble que l’unité n’y
soit pas non plus. |
[1800] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Boetium, in Arith., cap.
VII, col. 1085, unitas est potentia omnis numerus, unde omnes passiones
numerorum inveniuntur virtute [unitae Ed de Parme) in unitate. Sed in Deo non
est aliqua potentia ad multitudinem numeri. Ergo videtur quod non sit ibi
unitas. |
2. Par
ailleurs, selon Boèce [L’Arithmétique, ch. VII, col. 1085], l’unité est en puissance
tout nombre, et c’est pourquoi toutes les propriététs des nombres se retrouvent
en puissance [de l’unité Éd. de Parme]
dans l’unité. Mais en Dieu il n’y a aucune puissance à la multiplicité du
nombre. Il semble donc qu’il n’y ait pas là unité. |
[1801] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, nihil potest dici unum nisi quod est in se
terminatum et distinctum ab aliis ; unde unitas consequitur actum formae
terminantis. Sed Deus non potest dici in se terminatus ; nihil enim est
terminatum, nisi cujus essentiam termini circumplectuntur ; quod Deo non
competit. Ergo videtur quod non possit dici unus. |
3. En outre,
rien ne peut être appelé un si ce n’est ce qui est limité en soi et distinct
des autres ; c’est pourquoi l’unité découle de l’acte d’une forme
limitée. Mais Dieu ne peut être dit limité en soi ; rien en effet n’est
limité, si ce n’est ce dont des termes entourent l’essence, ce qui est
incompatible avec Dieu. Il semble donc qu’on ne puisse dire de Dieu qu’il est
un. |
[1802] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod est unum, est connumerabile
alteri. Sed Deus non est connumerabilis alicui creaturae ; tum quia creatura
et Deus in nullo conveniunt, quia hoc esset prius utroque ; nec inveniuntur
aliqua connumerari, nisi quae in aliquo conveniunt ; sicut dicimus duos
homines vel duos equos ; tum quia quod alteri connumeratur, est pars
pluralitatis resultantis et exceditur ab ea ; quod Deo non competit. Ergo
Deus non potest dici unus. |
4. De plus,
tout ce qui est un peut être compté avec un autre. Mais Dieu ne peut être
compté avec aucune autre créature, tant parce Dieu et la créature ne se
ramènent à rien de commun car cela serait antérieur aux deux et qu’on ne
retrouve aucun être qui puisse être compté avec d’autres êtres sauf ceux qui
ont quelque chose en commun, tout comme nous disons deux hommes ou deux
chevaux, que parce que ce qui est compté parmi d’autres est une partie de la
multiplicité résultante et est dépassé par elle, ce qui est incompatible avec
Dieu. On ne peut donc dire de Dieu qu’il est un. |
[1803] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur Deuter. 6, 4: Audi Israel:
Dominus Deus tuus, Deus unus est. |
Cependant : 1. Ce que nous
dit l’Écriture [Deutéronome, 6,
4] : «Écoute Israël, le Seigneur
ton Dieu est le seul Dieu.», est tout à fait contraire à ce qui précède. |
[1804] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum, in X Métaphys.,
text. 7, illud quo mensurantur omnia quae sunt alicujus generis, est unum
illius generis. Sed Deus est primum quo mensurantur omnes substantiae, ut dicit
Commentator. Ergo videtur quod sit unum in genere substantiae. |
2. En outre,
d’après le Philosophe [X Métaphysique,
texte 7] ce par quoi sont mesurées toutes les choses qui appartiennent à un
même genre est ce qui est un dans ce genre. Mais Dieu est le principe premier
par lequel toutes les substances sont mesurées, comme le dit le Commentateur.
Il semble donc que Dieu soit un dans le genre de la substance. |
[1805] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Deus summe et verissime unus
est. Secundum enim quod aliquid se habet ad indivisionem, ita se habet ad
unitatem ; quia, secundum philosophum,V Metaphys., text. 8, 9, 10, 11, 12 ens
dicitur unum in eo quod non dividitur. Et ideo illa quae sunt indivisa per
se, verius sunt unum quam illa quae sunt indivisa per accidens, sicut albus
et Socrates quae sunt unum per accidens ; et inter illa quae sunt unum per
se, verius sunt unum quae sunt indivisa simpliciter quam quae sunt indivisa
respectu alicujus vel generis vel specie [speciei Éd. de Parme] vel
proportionis. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire que Dieu est suprêmement un et c’est Lui qui l’est le plus
véritablement. En effet, un être se rapporte à l’unité dans la mesure où il
est indivisible car d’après le Philosophe [Métaphysique, texte 8, 9, 10, 11, 12], on dit de l’être qu’il est
un en ceci qu’il n’est pas divisé. Et c’est pourquoi les réalités qui sont
indivisées par elles-mêmes sont plus véritablement unes que celles qui sont
indivisées par accident comme c’est le cas pour le blanc et Socrate qui sont
un par accident ; et parmi les êtres qui sont un par eux-mêmes, sont
plus véritablement un ceux qui sont indivisés absolument que ceux qui sont
indivisés par rapport soit au genre, soit par l’espèce [de l’espèce Éd. de Parme] ou sous un autre
rapport. |
Unde etiam non dicuntur
simpliciter unum, sed unum vel in genere vel in specie vel in proportione ;
et quod est simpliciter indivisum, dicitur simpliciter unum, quod est unum
numero. Sed in istis etiam invenitur aliquis gradus. Aliquid enim est quod
quamvis sit indivisum in actu, est tamen divisibile potentia, vel divisione
quantitatis, vel divisione essentiali, vel secundum utrumque. Divisione
quantitatis, sicut quod est unum continuitate ; divisione essentiali, sicut
in compositis ex forma et materia, vel ex esse et quod est ; divisione
secundum utrumque, sicut in naturalibus corporibus. |
De là encore
on ne dit pas de ces réalités qu’elles sont une absolument, mais qu’elles
sont une soit dans le genre, soit dans l’espèce, soit dans un autre
rapport ; mais ce qui est indivisé absolument, on dit de lui qu’il est
un absolument, c’est-à-dire un par le nombre. Mais dans ces cas-là aussi on
retrouve des degrés. Il y a des réalités en efet qui, bien qu’elles soient
indivisées en acte, sont cependant divisibles en puissance, soit par une
division de la quantité, soit par une division essentielle, soit selon les
deux rapports. Parmi les réalités qui sont divisibles en puissance par une
division de la quantité, il y a celles qui le sont comme ce qui est un par la
continuité ; parmi celles qui le sont par une division essentielle, il y
a les composés de matière et de forme et
les composés d’existence et d’essence ; parmi ceux qui sont divisibles
par une division selon les deux rapports, il y a les corps naturels. |
Et quod aliqua horum non
dividantur in actu, est ex aliquo in eis praeter naturam compositionis vel
divisionis, sicut patet in corpore caeli et hujusmodi ; quae quamvis non sint
divisibilia actu, sunt tamen divisibilia intellectu. Aliquid vero est quod est
indivisibile actu et potentia ; et hoc multiplex est. Quoddam enim habet in
sui ratione aliquid praeter rationem indivisibilitatis, ut punctum, quod
praeter indivisionem importat situm: aliquid vero est quod nihil aliud importat,
sed est ipsa sua indivisibilitas, ut unitas quae est principium numeri ; et
tamen inhaeret alicui quod non est ipsamet unitas, scilicet subjecto suo.
Unde patet quod illud in quo nulla est compositio partium, nulla dimensionis
continuitas, nulla accidentium varietas, nulli inhaerens, summe et vere unum
est, ut concludit Boetius de unitate et uno., col. 1075). |
Et que
certains d’entre eux ne soient pas divisés en acte, cela leur vient de ce
qu’il y a en eux quelque chose qui est en dehors de la nature de la
composition ou de la division, comme on le voit pour le corps céleste et les
autres réalités de cette sorte, lesquels, bien qu’ils ne soient pas
divisibles en acte, sont cependant divisibles par l’intelligence. Mais il y a ce
qui est indivisible en acte et en puissance et cela s’observe de plusieurs
manières. Il y a en effet ce qui a quelque chose dans sa définition qui est
en dehors de la notion d’indivisibilité, comme le point qui implique la
position en dehors de la notion d’indivisibilité, et il y a en outre ce qui
n’implique rien d’autre, qui est sa propre indivisibilité, comme l’unité qui
est le principe du nombre, mais qui est cependant rattaché à quelque chose
qui n’est pas l’unité elle-même, à savoir à son sujet. D’où il est clair que
ce en quoi il n’y a aucune composition de parties, aucune continuité de
dimensions, aucun changement d’accidents, aucun rattachement à un sujet, cela
est suprêmement est véritablement un comme le conclut Boèce [De l’Unité et de l’Un, col. 1075]. |
Et inde est quod sua
unitas est principium omnis unitatis et mensura omnis rei. Quia illud quod
est maximum, est principium in quolibet genere, sicut maxime calidum omnis
calidi, ut dicitur II Metaphysic., text. 4. et illud quod est simplicissimum,
est mensura in quolibet genere, ut 10 Metaphysic., text. 3 dicitur. |
Et il suit de
là que l’unité de cet être est le principe de toute unité et la mesure de
toute chose. Car dans tout genre, ce qu’il y a de meilleur est aussi ce qui
est principe, comme ce qui est le plus chaud est le principe de tout ce qui
est chaud comme le dit le Philosophe [11 Métaphysique,
texte 4], tout comme dans tout genre ce qui est le plus simple est la mesure
de tout le reste [X Métaphysique,
texte 3]. |
[1806] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod unum dupliciter
dicitur. Est
enim unum quod convertitur cum ente, et est unum quod est principium numeri.
Loquendo de uno quod convertitur cum ente, non est determinatum ad genus
quantitatis, immo invenitur in omnibus entibus: et ideo sicut Deus est ens
non aliquo esse quod non sit ipse, ita etiam est unus non aliqua unitate quae
non sit ipse, sed per essentiam suam ; et [ideo add. Ed. de parme)
maxime unum est. Loquendo autem de uno quod est principium numeri, non potest
transumi in divinam praedicationem quantum ad genus suum quod est quantitas,
sed quantum ad differentiam suam quae ad perfectionem pertinet, sicut
indivisibilitas et prima ratio mensurandi vel aliquid hujusmodi. |
|
[1807] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum Avicennam, III Metaph.,
cap ; 5, unitas et numerus quae considerat arithmeticus non sunt illa unitas
et multitudo quae inveniuntur in omnibus entibus ; sed solum secundum quod
inveniuntur in rebus materialibus, secundum quod pluralitas causatur ex
divisione continui ; ex hoc enim possunt inveniri omnes illae passiones in
numeris quas arithmetici demonstrant, sicut multiplicatio et aggregatio, et
hujusmodi, quae fundantur supra divisionem infinitam continui. Unde est
infinitas in numero, secundum philosophum, III Physic., text. 55, et
ideo etiam talis unitas est potentia omnis numerus. Nihilominus tamen
intelligendum est quod in Deo est omnis numerus secundum potentiam, non
quidem passivam, sed activam, secundum quod ipse, velut omnium causa,
praeaccepit in se omnium numerum, secundum Dionysium, VI De divin. Nomin.,
col 819 : prout omnia in ipso dicuntur esse sicut in principio efficiente
et exemplari. Sed sic non procedit objectio. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que d’après Avicenne [111 Métaphysique, ch. 5], l’unité et le nombre que considère
l’arithméticien ne sont pas cette unité et cette multiplicité qui se retrouvent
dans tous les êtres, mais seulement celle qu’on retrouve dans les choses
matérielles, selon que la pluralité est causée par la division du
continu ; c’est à partir de là en effet
qu’on peut retrouver toutes ces propriétés que les mathématiciens démontrent
dans les nombres, comme la multiplication, l’addition et les autres
propriétés de cette sorte qui se fondent sur la division infinie du continu.
C’est de là que vient l’infinité dans le nombre d’après le Philosophe [111
Physique, texte 55], et c’est pourquoi encore une telle unité est tout nombre
en puissance. Néanmoins cependant il faut comprendre que tout nombre est en
Dieu selon la puissance, non pas certes selon une puissance passive, mais
plutôt selon une puissance active selon que lui-même, comme cause de tous les
êtres, contient à l’avance en lui le nombre de toutes les choses d’après
Denys [Les Noms Divins, ch. IV,
col. 819] : c’est-à-dire dans la mesure où on dit que toutes les choses
existent en Lui comme dans leur principe efficient et exemplaire. Mais ce
n’est pas en ce sens que procède cette difficulté. |
[1808] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus est aliquid determinatum
in se, alias non possent de ipso negari conditiones aliorum entium. Nec
dicitur determinatum ens quia aliquo termino finitus sit, sed quia per
excellentiam sui esse, quod est simplicissimum, additionem non recipiens, ab
omnibus aliis distinguitur. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que Dieu est quelque chose de déterminé en lui-même,
autrement les conditions des autres êtres ne pourraient être niées de Lui.
Mais on ne dit pas qu’il est un être déterminé parce qu’il est délimité par
des termes mais parce que, ne recevant aucune addition en raison de
l’excellence de son existence qui est la plus simple, Il se distingue de tous
les autres êtres. |
[1809] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Deus et creatura non
conveniant in aliquo uno secundum aliquem modum convenientiae, tamen est
considerare communitatem analogiae inter Deum et creaturam, secundum quod
creaturae imitantur ipsum prout possunt. Unde aliquo modo potest connumerari
aliis rebus, ut dicatur, quod Deus et Angelus sunt duae res, non tamen
simpliciter et proprie, sicut creaturae ad invicem connumerantur, quae
univoce in aliquo uno conveniunt. Et ex hoc non sequitur quod Deus sit pars
alicujus, vel quod Deus et Angelus sint aliquid majus quam Deus ; sed quod
sint plures res. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que bien que Dieu et la créature ne se rencontrent en
quelque chose de commun d’après aucun mode de ressemblance, il faut cependant
considérer qu’il y a entre eux du commun par analogie selon que les créatures
cherchent à imiter Dieu dans la mesure où elles le peuvent. C’est pourquoi en
un certain sens Dieu peut être compté avec les autres choses de manière à
dire que Dieu et l’Ange sont deux
réalités ; non pas cependant absolument et à proprement parler, comme on
compte les créatures entre elles, lesquelles se rencontrent en quelque chose
de commun de façon univoque. Et à partir de là il ne s’ensuit pas que Dieu
fasse partie de quelque chose, ou que Dieu et l’Ange soient quelque chose de
plus grand que Dieu, mais seulement qu’ils soient plusieurs réalités
distinctes. |
|
|
[1810] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Deo sit aliquis numerus |
Article 2 – Y a-t-il un nombre en Dieu ?
|
[1811] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in Deo non
sit aliquis numerus. Sicut enim dicit Boetius, lib. I de Trinit., cap.II,
col. 250) hoc vere unum est, in quo est nullus numerus: et loquitur de Deo
qui summe unum est. Ergo videtur quod non sit in eo aliquis numerus. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’il n’y ait pas de nombre en Dieu. En effet, comme le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 250] est
véritablement un ce en quoi il n’y a nul nombre : et il parle là de Dieu
qui est suprêmement un. Il semble donc qu’il n’y ait aucun nombre en Dieu. |
[1812] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum Isidorum, numerus dicitur quasi
unius meros, scilicet divisio. Sed in Deo non est divisio. Ergo nec numerus. |
2. Par
ailleurs, d’après Isidore, nombre signifie comme le partage de l’un,
c’est-à-dire la division. Mais en Dieu il n’y a pas de division. Il n’y a
donc pas non plus de nombre. |
[1813] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, ubi invenitur numerus, et passiones numeri. Sed
aggregatio et multitudo et hujusmodi, quae sunt passiones numeri, non
inveniuntur in Deo. Ergo nec numerus. |
3. En outre,
là où on retrouve le nombre, on retrouve aussi les propriétés du nombre. Mais
l’addition et la multiplication, qui sont des propriétés du nombre, ne se
retrouvent pas en Dieu. On n’y retrouve donc pas le nombre. |
[1814] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, numerus est multitudo mensurata per unum,
ut dicitur X Metaphys., text. 20 et 25. Sed Deus est mensura non mensurata,
sed omnia mensurans. Ergo videtur quod numerus in divinis non competat. |
4. De plus, le
nombre est une pluralité mesurée par l’un comme le dit le Philosophe [X Métaphysique, texte 20 et 25]. Mais
Dieu est une mesure qui n’est pas mesurée mais qui mesure tous les êtres. Il
semble donc que le nombre ne convienne pas à Dieu. |
[1815] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod habetur 1 Joan. 5, 7: Tres sunt qui
testimonium dant in caelo: Pater, Verbum et Spiritus sanctus, et hi tres unum
sunt. Sed tres dicit aliquem numerum. Ergo videtur quod ibi sit numerus. |
Cependant : 1. L’Écriture
[1 Jean, 5, 7] nous parle en sens
contraire : Il y en a trois à
rendre témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint, et
ces trois ne sont qu’un seul. Mais qui dit trois dit un nombre. Il semble
donc qu’il y ait nombre en Dieu. |
[1816]
Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ubicumque est
distinctio vel discretio, ibi est aliquis numerus. Sed dicimus divinas
personas esse discretas vel distinctas. Ergo in divinis personis est numerus. |
2. En outre, partout où il y a distinction ou différence, il y a là un
nombre. Mais nous disons que les personnes divines sont distinctes ou
différentes. Il y a donc nombre dans les personnes divines. |
[1817] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut ratio unitatis
consistit in indivisione, ita et ratio numeri vel multitudinis consistit in
divisione vel distinctione aliqua. Unde ea quae invenimus divisa simpliciter, dicimus esse
multa simpliciter ; et quae invenimus divisa secundum quid, dicimus esse
multa secundum quid. Divisio autem simpliciter attenditur vel secundum
essentiam, sive formam ; vel secundum quantitatem, seu materiam ; unde ea
quae differunt secundum essentiam, dicimus esse multa, ut hominem et lapidem
; et similiter duas partes lineae jam divisae dicimus duas lineas. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que tout comme la
définition de l’unité consiste dans l’indivision, de même la définition du
nombre ou de la pluralité consiste dans une certaine division ou dans une
certaine distinction. C’est pourquoi, les choses que nous retrouvons divisées
absolument, nous disons qu’elles sont multiples absolument ; et celles
que nous retrouvons divisées sous un rapport, nous disons qu’elles sont
multiples sous un rapport. Mais la division absolue ou totale se vérifie soit
selon l’essence, ou selon la forme ; soit selon la quantité, ou selon la
matière ; c’est pourquoi, quant aux choses qui diffèrent selon
l’essence, nous disons qu’elles sont multiples, comme l’homme et la
pierre ; et de même nous disons de deux parties d’une ligne déjà divisée
qu’elles sont deux lignes. |
Divisio autem secundum
quid est quae attenditur secundum proprietates rei ; sicut dicimus hominem
album esse alium et distinctum a se nigro, et adhuc magis secundum quid in
illis in quibus attenditur diversitas relationum secundum rationem tantum ;
sicut punctus si diceretur multiplex, secundum quod est principium plurium
linearum. |
Mais la
division sous un rapport est celle qui se vérifie d’après les propriétés de
la chose, tout comme nous disons que l’homme blanc est autre et distincts de
celui qui est séparé de lui par le noir, et il y a encore davantage division
sous un rapport dans ces choses dans lesquelles se vérifie la diversité des
relations selon la raison seulement, comme on dirait du point qu’il est multiple
selon qu’il est le principe de plusieurs lignes. |
Sciendum est igitur quod
in divinis non est numerus simplex, qui est per divisionem essentiae vel
quantitatis ; sed est numerus quidam, scilicet numerus relationum, non tamen
relationum existentium in Deo secundum rationem tantum, sed realiter in ipso
subsistentium. Unde numerus divinarum personarum est medius inter numerum qui
est numerus simpliciter, et numerum qui est in ratione tantum, sicut punctus
dicitur multiplex secundum rationem tantum. Est enim minus de ratione numeri
in numero personarum quam in numero simpliciter, et plus quam in numero qui
est secundum rationem tantum. |
|
Si autem comparemus
numerum personarum ad numerum proprietatum absolutarum qui est in creaturis,
habebunt se sicut excedentia et excessa. Si enim attendatur ratio
distinctionis, invenitur major distinctio in proprietatibus absolutis
creaturarum quam in divinis personis ; quia color et sapor distinguuntur
secundum aliud et aliud esse accidentale, sed in divinis personis est unum et
idem esse trium personarum. |
Mais si on
comparait le nombre des personnes au nombre des propriétés absolues qu’on
retrouve dans les créatures, ils se présenteront comme ce qui dépasse et ce
qui est dépassé. Si en effet on considère la notion de distinction, on
retrouve une plus grande distinction dans les propriétés absolues des
créatures que dans les personnes divines : car la couleur et la saveur
se distinguent d’après des existences accidentelles différentes alors que
dans les personnes divines il n’y a qu’une seule et même existence pour les
trois personnes. |
Si autem
consideretur perfectio distinctorum, sic numerus personarum excedit, quia
relationes in divinis sunt subsistentes personae. Unde ad numerum relationum
sequitur numerus personarum, non autem ad numerum proprietatum in creaturis,
quia proprietates in creaturis non sunt subsistentes, sed tantum inhaerentes. |
Mais si on considère la perfection de ce qui est
distingué, alors le nombre des personnes dépasse parce que les relations
elles-mêmes dans les personnes divines sont des personnes subsistantes. C’est
pourquoi dans ce cas le nombre des personnes découle du nombre des relations
alors que dans les creatures le nombre des personnes ne découle pas du nombre
des propriétés parce que dans les creatures les propriétés ne sont pas
subsistantes, mais seulement inhérentes. |
[1818] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Boetius loquitur de
unitate essentiali ; et in essentia nullus numerus cadit, sed tantum in
personis, qui etiam non est numerus absolute sed numerus quidam. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que Boèce parle ici de l’unité essentielle ;
et dans l’essence on ne rencontre aucun nombre, mais seulement dans les
personnes et encore on n’y retrouve pas le nombre pris absolument, mais
seulement le nombre pris en un certain sens. |
[1819] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis divisio non sit
proprie in Deo, tamen ibi est personarum distinctio, quae sufficit ad
rationem talis numeri qualis in Deo ponitur. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que bien qu’il n’y ait pas à proprement parler de
division en Dieu, il y a cependant là une distinction des personnes qui
suffit à la notion de ce nombre qu’on pose en Dieu. |
[1820] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aggregatio et hujusmodi sunt
passiones numeri qui consequitur divisionem continui, ut Avicenna dicit,
tract. III Metaph. cap. V ; et hunc numerum constat in Deo non esse. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que l’addition et d’autres caractères de cette sorte
sont des propriétés du nombre qui découlent de la division du continu, ainsi
que le dit Avicenne [111 Métaphysique,
ch. V] ; et il est clair que cette sorte de nombre n’est pas présente en
Dieu. |
[1821] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in numero absoluto pluralitas
habet quamdam compositionem et aggregationem, quae est minus certa quam unum,
quod est principium ipsius ; et ideo non solum quantum ad intellectum, sed etiam
quantum ad rem est mensurabilitas multitudinis talis per unitatem. Sed in
numero relationum vel personarum non est aliquis ordo certitudinis vel
compositionis in re ; et ideo numerus in Deo non est multitudo mensurata,
nisi forte secundum acceptionem intellectus tantum, qui componit etiam quae
composita non sunt secundum quod diversa ex eis intelligit, secundum quod
etiam propositiones affirmativas in divinis format. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la pluralité dans le nombre pris absolument
comporte une certaine composition et une addition qui est moins certaine que
l’un qui est son principe ; et c’est pourquoi la mesurabilité d’une
telle multiplicité se fait au moyen de l’unité non seulement quant à
l’intelligence mais aussi réellement. Mais dans le nombre des relations ou
des personnes il n’y a pas un ordre de certitude ou de composition dans la
chose ; et c’est pourquoi le nombre en Dieu n’est pas une multiplicité
mesurée, si ce n’est peut-être selon l’acception de l’intelligence seulement qui
compose même ce qui n’est pas composé, selon qu’elle tire de ces réalités
différentes aspects et selon qu’elle forme aussi au sujet de Dieu des
propositions affirmatives. |
|
|
[1822] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 3 tit. Utrum unitas et numerus ponant aliquid in divinis vel
removeant |
Article 3 – L’unité et le nombre placent-ils quelque chose en Dieu ou l’excluent-ils ? |
[1823] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod unitas et
numerus aliquid ponant in divinis, et non dicantur secundum remotionem
tantum. Si enim per unum removetur aliquid, non removetur nisi pluralitas ;
et similiter si per pluralitatem removetur aliquid, non removetur nisi
unitas. Si ergo utrumque dicatur per remotionem, tunc utrumque non erit nisi
remotio remotionis. Sed privatio privationis nihil est nisi secundum
intellectum, qui potest sic multiplicari in infinitum, sicut dicit Avicenna
III Tract. Metaph., cap. VI. Ergo secundum hoc numerus et unitas non essent
realiter in Deo, sed in ratione intelligentis tantum, et sic non possent dici
plures personae nisi plures notione [sed plures rationes Ed. de Parme], quod
videtur haereticum. |
Difficultés : 1. Il semble
que l’unité et le nombre posent quelque chose en Dieu et ne se disent pas
seulement selon la négation. Si en effet quelque chose est nié par l’un, ce
ne peut être que la multiplicité ; et semblablement si quelque chose est
nié par la multiplicité, ce ne peut être que l’unité. Si donc les deux se
disent par la négation, alors chacun des deux ne sera que la négation d’une
négation. Mais la privation d’une privation n’est rien si ce n’est selon
l’intelligence, qui peut alors être multipliée à l’infini comme le dit
Avicenne [111 Métaphysique, ch. VI]. Donc, d’après cela, l’unité et le
nombre n’existeraient pas réellement en Dieu mais seulement dans la raison de
celui qui pose l’acte de l’intelligence et par conséquent on ne pourrait
parler de plusieurs personnes que par la notion [mais de plusieurs notions Éd. de Parme], ce qui apparaît comme
étant hérétique. |
[1824] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnis privatio vel negatio definitur
per positionem. Si igitur unitas privat multitudinem vel numerum, in definitione unitatis
cadit numerus vel multitudo. |
2. Par
ailleurs, toute privation ou toute négation se définit par l’affirmation. Si
donc l’unité nie la multiplicité ou le nombre, le nombre ou la multiplicité
tombe dans la définition de l’unité. |
[1825] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, cum multitudo dicatur per remotionem unitatis,
oportet quod in definitione ejus ponatur unitas, et ita erit circulus in
definitione ; quod non potest esse ; quia sic idem erit prius et posterius,
notius et minus notum. |
3. En outre,
puisque la multiplicité se dit par la négation de l’unité, il faut que
l’unité soit posée dans sa définition et ainsi il y aura définition
circulaire, ce qui est absurde car alors il y aura identité entre ce qui
est antérieur et ce qui est postérieur, entre ce qui est plus connu et ce qui
est moins connu. |
[1826] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, si unum dicatur secundum negationem, dicetur per negationem
divisionis, ut dicit philosophus, V Metaph.,text. 17, quod unum est quod non
dividitur. Sed divisio videtur in intellectu suo habere multitudinem, quia
omne divisum est multiplicatum. Ergo in definitione unitatis cadit multitudo,
nec unquam potest definiri multitudo, nisi accipiatur in definitione ejus
unitas. Ergo videtur quod erit circulus, ut prius. |
4. De plus, si
l’un se dit selon la négation, il se dira par la négation de la division
comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 17] en affirmant que l’un
est ce qui n’est pas divisé. Mais la division semble impliquer une
multiplicité dans sa notion car tout ce qui est divisé se trouve à être
multiplié. Donc, la multiplicité tombe dans la définition de l’unité et
jamais la multiplicité ne peut être définie à moins que l’unité ne soit reçue
dans sa définition. Il semble donc qu’on tourne à nouveau en rond. |
[1827] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, privatio nunquam constituit habitum, nec e
converso et similiter nec affirmatio negationem, nec unum contrariorum
alterum. Sed multitudo constituitur ex unitatibus. Ergo videtur quod unitas
non privet multitudinem, nec e converso. |
5. Par
ailleurs, la privation ne constitue jamais un habitus et inversement
l’habitus ne constitue jamais une privation et il en est de même pour
l’affirmation à l’égard de la négation et pour l’un des contraires par
rapport à l’autre. Mais la multiplicité est constituée d’unités. Il semble
donc que l’unité ne nie pas la multiplicité ni inversement. |
[1828] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 3 arg. 6 Item, quidquid dicitur de Deo et creatura, nobiliori
modo est in Deo quam sit in creatura. Sed numerus et unitas in creaturis non
sunt per modum remotionis tantum, sed per modum positionis ; cum numerus sit
quaedam species quantitatis, et unitas principium illius, et iterum cum se
habeant sicut mensura et mensuratum. Ergo cum nobilius sit esse quam non esse,
videtur etiam quod in Deo positive aliquid praedicent. |
6. De plus,
tout ce qui se dit à la fois de Dieu et des créatures existe en Dieu d’une
manière plus excellente que dans les créatures. Mais le nombre et l’unité ne
sont pas dans les créatures par mode de négation seulement, mais par mode
d’affirmation ; puisque le nombre est une espèce de la quantité et que
l’unité en est le principe et qu’en plus l’une se rapporte à l’autre comme la
mesure à ce qui est mesuré, alors, comme l’être est plus glorieux que le
non-être, il semble encore que ces termes attribuent positivement quelque
chose à Dieu. |
[1829] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, secundum philosophum,X Metaph., text.
8, unum opponitur multitudini, sicut privatio habitui. Sed privatio non
praedicat aliquid positive. Ergo nec unum. Sed ex unitatibus constituitur
numerus. Ergo nec numerus aliquid positive praedicat. |
Cependant : 1. Au
contraire, d’après le Philosophe [X Métaphysique, texte 8], l’un s’oppose au
multiple comme la privation s’oppose à l’habitus. Mais la privation
n’attribue pas positivement quelque chose. Il en est donc de même nour l’un.
Mais le nombre est constitué d’unités. Donc le nombre n’attribue pas non plus
quelque chose d’une manière affirmative. |
[1830] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus V Metaph., text.
8, dicit,
quod unum dicitur ex eo quod non dividitur. Sed hoc est negatio tantum. Ergo
videtur quod unum nihil positive praedicet, et eadem ratione nec numerus ex
unitatibus constitutus. |
2. Par
ailleurs, le Philosophe [V Métaphysique, texte 8] dit que l’un se dit de ce
qui n’est pas divisé. Mais cela est une négation seulement. Il semble donc
que l’un n’attribue rien positivement et qu’il en est de même pour la même
raison au sujet du nombre qui est constitué d’unités. |
[1831] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod de quidditate unitatis
invenitur diversitas et inter philosophos et inter magistros. Avicenna enim
III tract. Metaph., cap VI, dicit, quod unum quod convertitur cum
ente, est idem quod unum quod est principium numeri ; et multitudo quae est
numerus, est idem quod multitudo quae dividit ens ; et sic vult quod utrumque
aliquid positive addat supra ea quibus adjungitur, eo quod in uno
intelligitur esse non solum sicut in subjecto, sed sicut illud quod clauditur
in intellectu suo. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’au sujet de la quiddité de l’unité, on retrouve une
diversité de positions à la fois parmi les philosophes et parmi les maîtres.
Avicenne [111 Métaphysique, ch. VI] en effet dit que l’un qui se convertit
avec l’être est identique à l’un qui est principe du nombre et que la
multiplicité qui est le nombre est identique à la multiplicité qui divise
l’être ; et il veut ainsi que chacun des deux ajoute quelque chose
positivement à ce à quoi il se joint du fait qu’il est entendu comme existant
dans l’un non seulement comme dans un sujet, mais aussi comme ce qui est
renfermé dans sa définition. |
Unde unum est quoddam esse
quod non dividitur. Et istud esse non dicit quod sit esse substantiae: quia
sic non inveniretur in accidentibus unitas et numerus. Nec etiam est esse
commune ad substantiam et ad accidens, quia sic inveniretur aliquis numerus
qui non esset accidens. Sed dicit, quod est esse accidentis, et per illud
esse adveniens post esse completum substantiae dicitur substantia una ; sicut
per esse albedinis dicitur esse substantia alba ; et inde probat quod numerus
est accidens tantum. |
C’est pourquoi
l’un est un certain être qui n’est pas divisé. Et cet être ne dit pas qu’il
soit l’être de la substance car de cette manière on ne retrouverait pas
l’un et le nombre dans les accidents. Et aussi il n’est pas l’être qui est
commun à la substance et à l’accident car ainsi il se trouverait un nombre
qui ne serait pas un accident. Mais il dit qu’il est l’être de l’accident et
que c’est au moyen de cet être qui survient suite à l’existence complète de
la substance qu’on dit de la substance qu’elle est une, tout comme c’est au
moyen de l’existence de la blancheur qu’on dit de la substance qu’elle est
blanche ; et c’est de là qu’il prouve que le nombre est seulement un
accident. |
Et secundum hoc unitas
dicit intentionem accidentalem, et ex aggregatione talium intentionum
efficitur numerus, qui est species quantitatis. Et hanc positionem sequentes
quidam theologi, dicunt, quod unitas et numerus transferuntur in divinam
praedicationem, non quantum ad esse accidentis vel quantitatis, sed quantum
ad rationem propriam unitatis vel numeri: et ita positive aliquid in Deo
praedicant, sicut scientia et bonitas, et alia quae sic de Deo dicuntur. |
Et d’après
cette position l’unité dit une intention accidentelle, et c’est à partir de
l’addition de telles intentions qu’est obtenu le nombre qui est une espèce de
quantité. Et certains théologiens, suivant cette position, disent que l’unité
et le nombre sont appliqués à l’attribution divine non pas quant à l’être de
l’accident ou de la quantité, mais quant à la notion propre de l’unité ou du
nombre : et ainsi ils attribuent positivement quelque chose à Dieu,
comme le font la science et la bonté et les autres attributs qui se disent
ainsi de Dieu. |
Alii philosophi, scilicet
Aristoteles, II Métaph., text. 7 et 8, et Averroes, dicunt, quod unum
et multa quae dividunt ens, non sunt idem cum uno quod est species
quantitatis. Et hoc rationabile est. Non enim convenit aliquid contentum sub
inferiori esse differentiam superioris, sicut rationale non est differentia
substantiae. Unde nec multitudo quae est sub quantitate, potest esse
differentia entis simpliciter. Dicunt ergo, quod unum quod convertitur cum
ente, nihil positive addit ad id cui adjungitur, eo quod res non dicitur esse
una per aliquam dispositionem additam: quia sic esset abire in infinitum, si
ista etiam dispositio, cum sit una, per aliquam aliam unitatem una esset. |
D’autres
philosophes, comme Aristote [11 Métaphysique,
texte 7 et 8], et Averroès, disent que l’un et le multiple qui divisent
l’être ne sont pas identiques à l’un qui est une espèce de la quantité. Et
cela est raisonnable. En effet, il ne convient pas à ce qui est posé sous un
inférieur d’être la différence d’un supérieur, comme il ne convient pas par
exemple à «rationnel» d’être la différence de la substance. Par conséquent il
ne convient pas non plus au multiple qui est contenu dans la quantité de
pouvoir être la différence de l’être pris absolument. Ils disent donc que
l’un qui se convertit avec l’être n’ajoute rien positivement à ce à quoi il
se joint, du fait que ce n’est pas en raison d’une disposition qui lui est
ajoutée qu’on dit de la chose qu’elle est une : car ce serait ainsi
aller à l’infini si cette disposition aussi, puisqu’elle serait une, serait
une elle aussi au moyen d’une autre unité. |
Unde dicunt, quod unum
claudit in intellectu suo ens commune, et addit rationem privationis vel
negationis cujusdam super ens, idest indivisionis. Unde ens et unum
convertuntur, sicut quae sunt idem re, et differunt per rationem tantum,
secundum quod unum addit negationem super ens. Unde si consideretur ratio
unius quantum ad id quod addit supra ens, non dicit nisi negationem tantum:
et eadem ratione multitudo non addit supra res multas nisi rationem quamdam,
scilicet divisionis. |
De là ils
disent que l’un renferme dans sa définition l’être commun et ajoute à l’être
la notion de privation ou d’une certaine négation, c’est-à-dire la notion
d’indivision. Et c’est de là que l’être et l’un se convertissent comme ce qui
est identique en réalité et ne diffère que par la raison en tant que l’un
ajoute à l’être la négation. C’est pourquoi, si on considère la notion de
l’un quant à ce qu’il ajoute à l’être, il ne dit que la négation : et
pour la même raison le multiple n’ajoute aux choses multiples qu’une seule
notion, à savoir la division. |
Sicut enim unum dicitur ex
eo quod non dividitur, ita multa dicuntur ex eo quod dividuntur ; prima autem
ratio divisionis, secundum quam aliquid ab aliquo distinguitur, est in
affirmatione et negatione ; et ideo multitudo dicit in ratione sua
negationem, secundum scilicet quod multa sunt quorum unum non est alterum: et
hujusmodi divisionis hoc modo acceptae in ratione multitudinis, negatio
importatur in ratione unius. |
En effet, tout comme l’un se dit de ce qui
n’est pas divisé, de même le multiple se dit de ce qui est divisé ; mais
la première définition de la division, selon laquelle une chose se distingue
d’une autre, se retrouve dans l’affirmation et la négation ; et c’est
pourquoi le multiple dit la négation dans sa définition, c’est-à-dire selon
que sont multiples ceux dont l’un n’est pas l’autre : et c’est la
négation d’une telle division, prise en ce sens dans la définition du
multiple, qui est impliquée dans la définition de l’un. |
Et sic accepta, unum, et
multa sunt de primis differentiis entis, secundum quod ens dividitur in unum
et multa et in actum et in potentiam. Unde sic accepta non determinantur ad
aliquod genus ; et sic haec multitudo sic accepta non est numerus qui est
species quantitatis: nec hoc unum sic acceptum, est unum quod est principium
numeri. Sed secundum praedictos philosophos, Aristotelem, V Metaphys.,
text. 12, Averroem et Avicennam, tract. III Métaph., cap. V, unum,
secundum quod est principium numeri, ponit aliquid additum ad esse, scilicet
esse mensurae, cujus ratio primo invenitur in unitate, et deinde consequenter
in aliis numeris et deinceps in quantitatibus continuis ; et deinde
translatum est hoc nomen ad alia omnia genera, ut dicit philosophus. |
Et pris en ce
sens, l’un et le multiple font partie des premières différences de l’être,
selon que l’un et le multiple sont les divisions de l’être à la fois en acte
et en puissance. Et c’est pourquoi, pris en ce sens, l’un et le multiple ne
sont pas limités à un genre déterminé et ainsi ce multiple pris en ce sens
n’est pas le nombre qui est une espèce de la quantité et cet un pris en ce sens n’est pas l’un qui est
principe du nombre. Mais selon les philosophes dont on vient de parler,
Aristote [V Métaphysique, texte
12], Averroès et Avicenne [111 Métaphysique,
ch. V], l’un en tant que principe du nombre pose quelque chose qui est ajouté
à l’être, à savoir l’être d’une mesure dont la définition se retrouve en
priorité dans l’unité et ensuite par conséquent dans les autres nombres et
par après dans les quantités continues ; et par la suite ce nom fut appliqué
à tous les autres genres, comme le dit le Philosophe. |
Quidam vero medium inter
utrumque tenent, consentientes Aristoteli in hoc quod unum quod convertitur
cum ente, non addit aliquid positive supra id cui adjungitur ; Avicennae vero
in hoc quod dicit, unum, secundum quod est principium numeri, et secundum
quod convertitur cum ente, esse idem, et non differre nisi ratione ; et sic,
secundum eos, addit aliquid positive supra id cui adjungitur. |
Mais certains
soutiennent une thèse qui est intermédiaire entre les deux, s’accordant avec
Aristote en ceci que l’un qui se convertit avec l’être n’ajoute rien
positivement à ce à quoi il se joint, mais aussi avec Avicenne en cela qu’il
dit que l’un, en tant que principe du nombre et l’un, en tant qu’il se
convertit avec l’être, sont identiques en réalité et ne diffèrent que par la
raison ; et ainsi, d’après eux, l’un ajoute quelque chose positivement à
ce à quoi il se joint. |
Ratio autem eorum quod
unum utroque modo differat tantum ratione, est. Cum enim unum sequatur actum
formae distinguentis, ex hoc quod forma dat esse, habet unum quod convertitur
cum ente ; sed ex secundo actu formae, qui est distinguere ab aliis, habet
quod sit principium numeri, et quod computetur in genere accidentis: quia
ista distinctio secundum rationem sequitur esse completum. |
Mais voici le
raisonnement de ceux qui posent que l’un, pris dans un sens, ne diffère de l’autre que par la
raison. En effet, puisque l’un découle de l’acte d’une forme qui distingue,
du fait que la forme donne l’existence, l’un tient sa conversion avec
l’être ; mais c’est du deuxième acte de la forme, qui est de distinguer
des autres, que l’un tient d’être le principe du nombre et d’être compté dans
le genre de l’accident : car cette distinction selon la raison découle
de l’être complet. |
Sed hoc non potest stare:
quia si unitas quae est principium numeri, dicatur secundum rationem
privationis, tunc non erit aliquid nisi in anima ; ita etiam nec numerus
cujus est principium, unde non posset esse species in aliquo genere. Est ergo
differentia inter duas opiniones primas, quia prima non distinguit inter unum
et multa, prout sunt in genere quantitatis, et prout sunt primae differentiae
entis ; secunda autem opinio distinguit, ut dictum est, paulo sup., et hanc
credo esse veriorem. |
Mais cette
position ne se tient pas : car si l’unité qui est le principe du nombre
se dit selon la notion de privation, alors il ne sera quelque chose que dans
l’âme et il en sera encore de même pour le nombre dont elle est le principe,
d’où elle ne pourrait être une espèce dans un genre. Il y a donc une
différence entre les deux premières opinions car la première ne distingue pas
entre l’un et le multiple selon qu’ils sont dans le genre de la quantité et
selon qu’ils sont les premières différences de l’être. Mais la deuxième
opinion fait cette différence, ainsi que nous l’avons dit un peu plus haut,
et c’est cette dernière que je crois être vraie. |
Dico ergo secundum hanc,
quod numerus et unitas, secundum quod sunt in genere quantitatis, non inveniuntur
nisi in quibus invenitur commensuratio quantitatis: unde inveniuntur tantum
in rebus habentibus quantitatem continuam ; unde philosophus dicit, quod
numerum cognoscimus divisione continui: et hic tantum numerus est subjectum
arithmetici, ut etiam Avicenna, tract. III, Metaphys., cap. V, dicit. |
Je dis donc,
conformément à cette position, que le nombre et l’unité, en tant qu’ils sont
dans le genre de la quantité, ne se retrouvent que dans les choses dans
lesquelles se rencontre une mesure de la quantité : c’est pourquoi ils
ne se retrouvent que dans les choses qui possèdent une quantité
continue ; c’est pourquoi le Philosophe dit que nous connaissons le
nombre par la division du continu : et c’est ce seul nombre qui est le
sujet de l’arithmétique comme le dit aussi Avicenne [111 Métaphysique, ch. V]. |
Unde iste numerus et
unitas non venit in divinam praedicationem ; sed tantum unum et multitudo
secundum quod sunt de aliis quae consequuntur universaliter ens: et ita
hujusmodi termini nihil addunt in divinis secundum rationem supra id de quo
dicuntur, nisi rationem negationis tantum, secundum quod Magister dicit in Littera. |
Et c’est
pourquoi ce nombre et cette unité ne conviennent pas à l’attribution divine,
mais seulement l’un et le multiple qui s’attribuent aux autres choses qui
découlent universellement de l’être : et ainsi, ces termes, attribués à
Dieu, n’ajoutent rien selon la raison à ce à quoi ils s’attribuent, si ce
n’est la notion de négation seulement, conformément à ce que dit le Maître
dans le Document. |
[1832] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in multitudine
negatio est, secundum quod una res distinguitur ab alia per negationem ; unde
in multitudine est negatio vel privatio realis, secundum quod una res non dicitur
esse alia: et hujusmodi distinctionem per negationem negat negatio importata
in ratione unitatis. Unde dico, quod negatio ista in qua perficitur ratio
unitatis, non est nisi negatio rationis tantum. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu qu’il y a une négation dans le multiple, selon
qu’une chose se distingue d’une autre par la négation ; c’est pourquoi
dans le multiple il y a une négation ou une privation réelle selon qu’on dit d’une
chose qu’elle n’est pas une autre : et la négation impliquée dans la
notion d’unité nie une telle distinction faite par la négation. D’où je dis
que cette négation dans laquelle la notion d’unité trouve son achèvement
n’est qu’une négation de raison seulement. |
Omnis enim respectus qui
est entis ad negationem vel ad non ens, non est nisi rationis. Unde relatio
qua refertur ens ad non ens, non est nisi tantum in ratione: et similiter
privatio, qua de ente negatur non ens, est in ratione tantum, ut privatio
privationis, vel negatio negationis. Et sic patet quod non ponimus
distinctionem in divinis personis secundum rationem tantum, quia dicimus quod
una persona realiter non est alia. |
En effet, tout
rapport qui est celui de l’être à la négation ou au non-être n’est qu’un
rapport de raison. D’où la relation, par laquelle l’être est mis en rapport
avec le non-être, n’existe que dans la raison : et de la même manière la
privation par laquelle le non-être est nié de l’être existe dans la raison
seulement comme privation de privation ou comme négation de négation. Et ainsi
il est clair que nous ne posons pas dans les personnes divines une
distinction qui ne serait que selon la raison, car nous disons qu’une
personne diffère réellement d’une autre. |
[1833] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod, ut ex praedictis, in corp. art., patet, unum non
importat negationem nisi in ratione. Unde secundum rem magis se habet ad
positionem quam multitudo, in qua importatur realis negatio, secundum quam
res a re distinguitur. Et ideo unum in intellectu est prius quam multitudo,
quamvis secundum sensum vel imaginationem sit e converso, ut dicit
philosophus, X Metaph., text. 9 ; quia sic composita priora sunt simplicibus et
divisa indivisis: et ideo in definitione unius non cadit multitudo, sed illud
quod est prius secundum intellectum unitate. Primum enim quod cadit in
apprehensione intellectus, est ens et non ens: et ista sufficiunt ad
definitionem unius, secundum quod intelligimus unum esse ens, in quo non est
distinctio per ens et non ens: et haec, scilicet distincta per ens et non
ens, non habent rationem multitudinis, nisi postquam intellectus utrique
attribuit intentionem unitatis ; et tunc definit multitudinem id quod est ex
unis, quorum unum non est alterum ; et sic in definitione multitudinis cadit
unitas, [licet éd. de Parme] non e converso |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que, comme on le voit à partir de ce qui précède dans
le corps de l’article, l’un n’implique une négation que dans la raison. C’est
pourquoi il se présente davantage comme une affirmation que le multiple, dans
lequel est impliquée une négation réelle selon laquelle une chose se
distingue d’une autre. Et c’est pourquoi l’un est antérieur au multiple dans
l’intelligence, bien que selon le sens ou l’imagination ce soit l’inverse
comme le dit le Philosophe [X Métaphysique,
texte 9], car alors ce qui est composé est antérieur à ce qui est simple et
ce qui est divisé est antérieur à e qui est indivisé : et c’est pourquoi
le multiple ne tombe pas dans la définition de l’un, mais plutôt ce qui est
antérieur à l’unité selon l’intelligence. En effet, ce qui tombe en premier
dans l’appréhension de l’intelligence, c’est l’être et le non-être : et
ces notions suffisent à la définition de l’un, selon que nous comprenons que
l’un est de l’être dans lequel il n’y a pas de distinction par l’être et le
non-être : et celles-là, c’est-à-dire les choses qui sont distinctes par
l’être et le non-être, n’ont raison de multiplicité qu’après que
l’intelligence attribue à l’une et à l’autre l’intention de l’unité ; et
alors elle définit la multiplicité comme étant ce qui vient des unités dont
l’une n’est pas l’autre ; et c’est ainsi que l’unité tombe dans la
définition de la multiplicité et [bien que Éd. deParme] non inversement. |
[1834] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec est vera definitio unius:
unum est ens quod non dividitur ; quamvis Avicenna, tract. II, tract. III, Metaphys.,
c. VI, nitatur eam improbare ratione inducta. Est enim duplex divisio:
scilicet divisio secundum quantitatem ; et talis divisio consequitur rationem
multitudinis, eo quod rationem multitudinis communiter acceptae sequitur
ratio numeri, prout est species quantitatis, secundum quod addit rationem
mensurae: unde dicit philosophus, X Metaphys., texte 21,quod numerus
est multitudo mensurata per unum ; et rationem numeri sequitur intellectus
divisionis continui: ratio enim divisionis et quantitatis et mensurae,
secundum Commentatorem, Metaphys., text. 1, prius invenitur in
quantitate discreta quam in quantitate continua: et talis divisio non ponitur
in definitione unius quod convertitur cum ente. Est etiam quaedam divisio
secundum formam vel essentiam, secundum quod una res per formam suam
dividitur ab alia: et ista divisio primo invenitur in affirmatione et negatione,
quae secundum intellectum praecedit rationem unius, ut dictum est in respons.
ad primum. Et sic patet quod non erit circulus in definitione. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que cette définition de l’un est vraie, à savoir que
l’un est l’être qui n’est pas divisé, bien qu’Avicenne [11 et 111 Métaphysique, ch. VI] se soit efforcé de la réfuter par le
raisonnement introduit plus haut. Il y a en effet deux sortes de divisions, à
savoir la division selon la quantité et une telle division découle de la notion
de multiplicité du fait que la notion du nombre, en tant qu’il est une espèce
de la quantité selon qu’il ajoute la notion de mesure, découle de la notion
de multiplicité communément admise : c’est pourquoi le Philosophe [X Métaphysique, texte 21] dit que la
multiplicité est mesurée par l’un ; et la définition de la division du
continu découle de la notion de nombre : en effet, la notion de
division, de quantité et de mesure , d’après le Commentateur [Métaphysique, texte 1] se retrouve en
priorité dans la quantité discrète plutôt que dans la quantité
continue : et une telle division n’est pas placée dans la définition de
l’un qui se convertit avec l’être. Il y a aussi une certaine division selon
la forme ou l’essence, selon qu’une chose se distingue d’une autre par sa
forme : et cette division se retrouve d’abord dans l’affirmation et la
négation, qui selon l’intelligence précède la notion de l’un, comme nous
l’avons dit dans la réponse à la première difficulté. Et ainsi il est clair
qu’il n’y aura pas définition circulaire.
|
[1835] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod unum dupliciter dicitur,
scilicet quod est principium numeri, et quod convertitur cum ente. Loquendo
de uno quod est principium numeri, ut dictum est, in corp. art., ponit
aliquid additum supra ens quod dicitur unum, scilicet rationem mensurae: unde
hoc unum potest dupliciter considerari: aut secundum id quod est ; aut
secundum id quod consequitur ad intellectum ejus, scilicet relationem
quamdam. Si secundo modo, sic opponitur multitudini numerali relative, ut
[sicut éd. de Parme] principium ad principiatum, sicut punctus ad
lineam, et sicut pars ad totum et magis proprie sicut mensura ad mensuratum. Si primo modo, tunc
dupliciter: quia vel considerabitur ipsum unum cum praecisione, scilicet quod
est tantum unitas ; et sic habebit disparatam oppositionem mensurae ad alios
numeros (quilibet enim numerus, secundum quidditatem suae speciei, habet
specialem rationem mensurae, sicut species oppositae sunt disparatae) et
talis oppositio reducitur ad contrarietatem, sicut principium: quia species
disparatae distinguuntur differentiis contrariis, quibus primo dividitur
genus, ut probatur X Metaphys., text. 24. Vel sine praecisione, et
sic unitas nullam oppositionem habet ad numerum, sed est constituens ipsum.
Si autem loquimur de uno quod convertitur cum ente, sic unum habet rationem
privationis, ut dictum est, in corp. art., respectu divisionis quae salvatur
in multitudine ; et ita opponitur multitudini, sicut privatio habitui, ut
dicit philosophus, X Metaphys., text. 9. Unde etiam aequale opponitur
magno et parvo, sicut privatio. Nec unum est privatio illius multitudinis
quam constituit ; sed multitudinis quae negatur esse in ipso quod dicitur
unum. Non enim de ratione sua
unum privat omnem divisionem ; sed sufficit ad rationem ejus, quaecumque
divisio removeatur. Et inde potest esse quod unum est pars multitudinis, et
quod ipsa multitudo dicitur quodammodo unum, prout scilicet aliquid non
dividitur, ad minus secundum intellectum aggregantem ; sicut etiam ipsum
malum non est omnino expers boni, quia non privatur quodlibet bonum per
malum. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l’un se dit de deux manières, à savoir celui qui
est le principe du nombre, et celui qui se convertit avec l’être. Si on parle
de l’un qui est le principe du nombre, commme nous l’avons dit dans le corps
de l’article, il pose quelque chose qui s’ajoute à l’être qu’on appelle l’un,
à savoir la notion de mesure : d’où cet un peut être considéré de deux
manières : soit selon ce qu’il est, soit selon ce qui découle de sa
signification, à savoir une certaine relation. Si on le considère de la
deuxième manière, il s’oppose alors relativement à la multiplicité numérique,
comme [tout comme Éd. de Parme] le principe
s’oppose à ce qui en découle, comme la partie au tout et plus proprement
comme la mesure au mesuré. Si on le
considère de la première manière, alors il y a deux possibilités : car
ou bien l’un lui-même sera considéré comme séparément, c’est-à-dire en tant
qu’unité seulement et ainsi il possédera une opposition séparée de mesure par
rapport aux autres nombres (en effet, n’importe quel nombre, d’après la
quiddité de son espèce, a raison de mesure spécifique, tout comme les espèces
opposées sont séparées) et une telle opposition se ramène à la contrariété
comme principe : car les espèces séparées se distinguent par des
différences contraires par lesquelles le genre est divisé en premier lieu,
ainsi que le Philosophe le prouve [X Métaphysique,
texte 24]. Ou bien il
sera considéré sans coupure et ainsi l’unité ne comporte aucune opposition
par rapport au nombre mais bien plutôt il le constitue. Mais si on
parle de l’un qui se convertit avec l’être, alors l’un a raison de privation,
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, par rapport à la
division qui est conservée dans la multiplicité ; et en ce sens l’un
s’oppose à la multiplicité comme la privation s’oppose à la possession, ainsi
que le dit le Philosophe [X Métaphysique,
texte 9]. C’est pourquoi l’égal s’oppose aussi au grand et au petit à la
manière d’une privation. Et l’un n’est pas la privation de cette multiplicité
qu’il constitue, mais de cette multiplicité dont on nie qu’elle existe dans
cela même qu’on appelle l’un. Il n’entre pas
en effet dans la définition de l’un d’être exempt de toute division ;
mais il suffit à sa définition qu’une divison quelconque soit niée. Et de là
il est possible que l’un soit une partie d’une multiplicité et que la
multiplicité elle-même soit appelée une en un sens, c’est-à-dire dans la
mesure où quelque chose n’est pas divisé, au moins selon l’intelligence qui
rassemble la multiplicité ; il en est de même aussi pour le mal lui-même
qui n’est pas une privation totale du bien car ce n’est pas n’importe quel bien
qui est détruit par le mal. |
[1836] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod multitudo numeralis, quae est
species quantitatis, ponit aliquid in creaturis. Haec autem non transfertur
in divina, nisi forte secundum rationem distinctionis quam habet ex ratione
multitudinis simpliciter. Multitudo vero quae dividit ens, non addit accidens
positive supra ens, sed rationem distinctionis tantum, secundum quod una non
est altera ; et sic est etiam in divinis. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que la multiplicité numérique, qui est une espèce de
la quantité, pose quelque chose dans les créatures. Cette multiplicité ne
s’applique cependant pas à Dieu, si ce n’est peut-être d’après la notion de
distinction qu’elle tient de la notion de multiplicité prise absolument. En
effet, cette multiplicité qui divise l’être n’ajoute pas positivement un
accident à l’être, mais seulement la notion de distinction selon laquelle une
chose au sein de cette multiplicité n’est pas une autre, et prise en ce sens
la multiplicité se retrouve même en Dieu. |
|
|
[1837] Articulus 4 :
Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 tit. Utrum unum et numerus significent
essentiam |
Article 4 – L’un et le nombre
signifient-ils l’essence ?
|
[1838] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod
hujusmodi dictiones significent divinam essentiam. Quidquid enim ad se
dicitur in divinis, substantialiter dicitur, et essentiam significat ; sed
hujusmodi dictiones secundum suum nomen non referuntur ad aliud, sed ad se
dicuntur. Ergo
sunt essentialia. |
Difficultés : 1. Il semble
que ces termes signifient l’essence divine. En effet, tout ce qui s’attribue
à soi en Dieu se dit substantiellement et signifie l’essence ; mais ces
termes, pris en eux-mêmes, ne se rapportent pas à quelque chose d’autre mais
s’attribuent à soi. Ils sont donc essentiels. |
[1839] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, secundum Boetium, I de Trinitate,
cap. IV, col. 1252, omnia praedicamenta mutantur in substantiam, cum in
divinam praedicationem venerint, praeter ad aliquid. Sed numerus et unitas videntur ad
quantitatem pertinere. Ergo sunt essentialia. |
2. Par
ailleurs, selon Boèce [1 De la Trinité,
ch. IV, col. 1252], tous les prédicaments, exceptée la relation, se changent
en la substance lorsqu’ils viennent à être attribués à Dieu. Mais le nombre
et l’unité semblent appartenir au prédicament de la quantité. Ils sont donc
essentiels. |
[1840] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas, quod significant essentiam quando
adjunguntur termino essentiali, ut cum dicitur unus Deus ; et notionem,
quando adjunguntur personali, ut cum dicitur unus Pater. Contra.
Quaecumque dicuntur non secundum unam rationem, aequivoce dicuntur. Sed non
est eadem ratio unitatis personalis et essentialis ; sicut nec est eadem
ratio distinctionis essentialis et personalis. Ergo videtur quod aequivoce de
eis dicantur. |
3. Si tu dis
que ces termes signifient l’essence quand ils se joignent à un terme
essentiel, comme lorsqu’on dit «un seul Dieu», et qu’ils signifient la notion
quand ils se joignent à un terme personnel, comme lorsqu’on dit «un seul
Père», voici ce que j’objecte. Tout ce qui ne s’attribue pas selon une même
définition s’attribue par homonymie ou de manière équivoque. Mais la définition
de l’unité personnelle n’est pas identique à celle de l’unité essentielle et
la définition de la distinction essentielle n’est pas identique à celle de la
distinction personnelle. Il semble donc que ces termes s’attribuent à Dieu de
manière équivoque. |
[1841] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 4 arg. 4 Item, unum pertinet ad essentiam ; unde dicimus, quod
Pater et Filius sunt unum propter essentiae unitatem. Sed cum multitudo
constituatur ex uno, ad quodcumque genus pertinet significatio unius, et
significatio multitudinis. Ergo videtur quod etiam omnia nomina significantia
distinctionem vel pluralitatem, significent essentiam. |
4. En outre,
l’un appartient à l’essence ; c’est pourquoi nous disons que le Père et
le Fils sont un à cause de l’unité de l’essence. Mais puisque la multiplicité
est constituée de l’un, quelque soit le genre auquel appartient la
signification de l’un, la signification de la multiplicité lui appartient
aussi. Il semble donc que ce soient aussi tous les noms qui signifient la
distinction ou la pluralité qui signifient l’essence. |
[1842] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, quidquid essentialiter dicitur, de singulis
personis praedicatur. Sed termini numerales non praedicantur de Patre: non
enim potest dici, quod Pater sit duo vel tres. Ergo videtur quod non
significent essentiam, et ita nec unum, quod est pluralitatis principium. |
Cependant : 1. Au
contraire, tout ce qui s’attribue essentiellement s’attribue à chacune des
personnes. Mais les termes numériques ne s’attribuent pas au Père : on
ne peut dire en effet que le Père est deux ou trois. Il semble donc que ces
termes ne signifient pas l’essence et qu’il en soit de même aussi pour l’un
qui est le principe de la multiplicité. |
[1843] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, ut patet ex dictis, art.
antec., in divinis non est aliqua unitas et multitudo, nisi secundum quod
unum et multa dividunt ens commune. Et hoc modo, ut dictum est, non addunt
aliquid supra ens, de quo dicitur unitas vel multitudo, nisi secundum
rationem. Unde sicut ens communiter se habet ad absoluta et relativa, et
similiter distinctio et indistinctio, quae secundum rationem adduntur, ita et
unum et multa [quae dividunt ens commune add. Ed. de Parme]. Et ideo
secundum quod diversis adjunguntur significant essentiam vel notionem. Unitas
enim essentialis est ipsa essentia divina secundum quod est indivisa, et
unitas personalis Patris est unitas proprietatis secundum quod non est
divisa: et similiter multitudo vel pluralitas personarum sunt ipsae personae
secundum quod sunt distinctae: et quia non est ibi aliqua distinctio
essentiarum, ideo nec aliqua pluralitas essentialis. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire, comme on peut le voir à partir de ce qui a été dit dans l’article
précédent, qu’il n’y a pas en Dieu unité et multiplicité, si ce n’est dans le
sens où l’un et le multiple divisent l’être commun. Et pris en ce sens, ces
termes n’ajoutent rien à l’être auquel s’attribue l’unité ou la multiplicité,
si ce n’est selon la raison. De là, ce que l’être commun est à l’absolu et au
relatif, semblablement la distinction et l’indistinction, qui s’ajoutent
selon la raison, le sont ainsi que l’un et le multiple [qui divisent l’être
commun add. Éd. de Parme]. Et c’est
pourquoi, selon qu’ils se joignent à des termes différents ils signifient
l’essence ou la notion. En effet, l’unité essentielle est l’essence divine
elle-même selon qu’elle est indivisée, et l’unité personnelle du Père est
l’unité de la propriété selon qu’elle n’est pas divisée : et de la même
manière la multiplicité ou la pluralité des personnes sont les personnes
elles-mêmes selon qu’elles sont distinctes : et parce qu’il n’y a là
aucune distinction des essences, c’est pourquoi il n’y a pas pluralité essentielle. |
[1844] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod hujusmodi dictiones,
secundum rationem quam addunt eis de quibus dicuntur, non ponunt relationem,
nec aliquid ; et ideo secundum nomina quae imponuntur ab hujusmodi rationibus,
non referuntur ad aliud ; sed quantum ad illud circa quod ponitur ista ratio,
possunt importare et absolutum et relatum. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que de tels termes, d’après la notion qu’ils
ajoutent aux êtres auxquels ils s’attribuent, ne posent pas une relation ni
rien positivement ; et c’est pourquoi d’après les noms qui sont imposés
à partir de telles notions, ils ne se rapportent pas à quelque chose
d’autre ; mais quant à ce sur quoi se pose cette notion, ils peuvent
impliquer l’absolu et le relatif. |
[1845] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, ut dictum est, art. 2 hujus
quaest., pluralitas non venit in divinam praedicationem ex multitudine quae
est species quantitatis ; et ideo ratio non procedit. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu, comme nous l’avons dit dans l’article 2 de cette
question, que la pluralité ne vient pas à être attribuée à Dieu à partir de
la multiplicité qui est une espèce de la quantité ; et c’est pourquoi
l’argument n’est pas pertinent. |
[1846] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio unitatis ponit ens
indivisum simpliciter: unde abstrahit a quolibet modo distinctionis: unde
secundum unam rationem communem dicitur persona una et essentia una, quamvis
sit non una ratio distinctionis in speciali. Unde ex hoc non habetur quod
aequivoce praedicetur. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la définition de l’unité affirme l’être comme
étant indivisé absolument : de là elle fait abstraction de tout mode de distinction :
de là, c’est d’après une seule et même définition commune que la personne est
dite une et que l’essence est dite une, bien qu’il n’y ait pas une seule et
même définition de la distinction en particulier. C’est pourquoi à partir de
là on n’établit pas qu’il y ait attribution équivoque. |
[1847] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ens absolute dictum
intelligitur de substantia, ita unum absolute dictum, prout significatur in
neutro genere, quod substantivatur, importat unitatem absolute et significat
unitatem substantiae. Sed talis unitas non constituit numerum personarum, sed
constitueret numerum essentiarum, si essent ibi. Sed in masculino genere non
significat unitatem absolute, sed ponit unitatem circa terminum cui
adjungitur, quia adjectivum est ; unde importat unitatem convenientem illi
termino. Et ideo cum dicitur unus Deus, importat unitatem essentialem: et cum
dicitur unus Pater, importat unitatem personalem: et haec unitas constituit
numerum personarum, qui ad relationem pertinet. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que tout comme l’être dit absolument s’entend de la
substance, de même l’un dit absolument, selon qu’il est signifié dans le
genre neutre, élevé au rang de substance, implique une unité absolue et
signifie l’unité de la substance. Mais une telle unité ne constitue pas le
nombre des personnes, mais elle constituerait le nombre des essences s’il y
en avait là. Mais dans le genre masculin l’un ne signifie pas l’unité
absolue, mais il pose l’unité sur le terme auquel il s’ajoute parce qu’il est
un adjectif ; de là il implique une unité qui convient à ce terme. Et
c’est pourquoi, lorsqu’on dit «un Dieu» ¨un¨ implique l’unité
essentielle ; et lorsqu’on dit «un Père», ¨un¨ implique l’unité personnelle :
et c’est cette unité qui constitue le nombre des personnes, lequel appartient
à la relation. |
[1848] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad s. c. 1 Et per hoc patet responsio ad illud quod in
contrarium objiciebatur. |
5. Et par là la réponse à ce qu’on objectait en sens
contraire est évidente. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – La diversité en Dieu
|
|
|
Prooemium |
Prologue |
[1849] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 pr. Deinde quaeritur de nominibus quae sunt pluralitati adnexa ;
et circa hoc quaeruntur duo: 1 de his quae se habent ad
pluralitatem sicut principium ; 2 de nomine Trinitatis,
quod consequitur pluralitatem, quasi collectivum. |
On s’interroge
ensuite sur les noms qui sont annexés à la multiplicité ; et à ce sujet
on fait porter la recherche sur deux points : 1. Sur ceux
qui se rapportent à la pluralité comme principe ; 2. Sur le nom
de Trinité, qui découle de la pluralité comme un collectif. |
|
|
[1850] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 tit. Utrum in Deo sit diversitas |
Article 1 – Y a-t-il de la diversité en
Dieu ?
|
[1851] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo
sit diversitas. Sicut enim unum in substantia facit idem, ita multitudo in
substantia facit diversitatem. Sed dicit Hilarius, De Synodis, § 29,
quod Pater et Filius et Spiritus sanctus « sunt quidem per substantiam
tria, per consonantiam vero unum ». Ergo est ibi diversitas. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’il y ait diversité en Dieu. En effet, tout comme l’un dans la substance
fait le même, de même la multiplicité dans la substance fait la diversité.
Mais Saint-Hilaire [Les Synodes, & 29] dit que le Père, le Fils et
l’Esprit-Saint «sont certes trois par la substance, mais un par la
concordance». Il y a donc là diversité. |
[1852] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut unum dicitur ex eo quod non
dividitur, ita multa vel plura dicuntur ex eo quod dividuntur. Sed Pater et
Filius sunt plures. Ergo videtur quod ibi sit divisio. |
2. Par
ailleurs, tout comme l’un se dit de ce qui n’est pas divisé, de même la
multiplicité ou la pluralité se disent de ce qui est divisé ou distingué.
Mais le Père et le Fils sont plusieurs. Il semble donc qu’il y ait là
division. |
[1853] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, alienum denominatur ab alio. Sed Filius est alius a
Patre. Ergo potest etiam dici alienus. |
3. En outre, ¸«¸alienum»,
c’est-à-dire ¨étranger¨ vient de «alius», c’est-à-dire ¨autre¨. Mais le Fils
est autre que le Père. On peut dont aussi dire de lui qu’il est étranger au
Père. |
[1854] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod possit dici singularis: quia
singulare significat aliquid demonstratum, subsistens in natura communi. Sed
hoc modo est Pater. Unde supra, dist. 19, dixit Damascenus, de fid.orthod.
III, 6, quod se habet sicut individuum. Ergo videtur quod possit dici
singularis. |
4. De plus, il
semble qu’on puisse dire de Lui qu’il est un singulier : car un
singulier signifie ce qu’on peut montrer et qui subsiste dans une nature
commune. Mais cela s’applique au Père. D’où Damascène a dit plus haut à la
distinction 19 [111, De la Foi
Orthodoxe, ch. 6] que le Père se présente comme un individu. Il semble
donc qu’on puisse dire de Lui qu’il est un singulier. |
[1855] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, videtur quod possit dici unicus, per hoc
quod cantat Ecclesia: trinum Deum, unicumque cum favore praedicat. |
5. Par
ailleurs, il semble qu’on puisse dire de Lui qu’il est unique si on regarde
ce que célèbre l’Église : elle attribue le Dieu trine à chacun avec
affection. |
[1856] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 arg. 6 Item videtur quod non possit ibi esse discretio.
Discretum est enim quaedam differentia quantitatis. Sed in divinis non est
quantitas. Ergo nec discretio. |
|
[1857] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 arg. 7 Et quaeritur generaliter, quid de hujusmodi possit
concedi in divinis. |
7. Et on se
demande plus généralement ce qui pourrait être concédé en Dieu à ce sujet. |
[1858] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa fidem Trinitatis,
fuerunt duae haereses: scilicet Arii, qui induxit pluralitatem essentiae ; et
Sabellii, qui abstulit pluralitatem personarum ; quorum utrumque concedit
fides Catholica ; et ideo ea oportet concedere quae utrique haeresi
adversantur, et ea negare quae utrique sunt consona. |
Corps de
l’article: Je réponds qu’il faut dire que touchant la foie en
la Trinité, il y eut deux hérésies: à savoir celle d’Arius, qui introduisit
la pluralité de l’essence, et celle de Sabellius qui fait disparaître la
pluralité des personnes; et la foi catholique s’oppose à chacune de ces deux
erreurs; et c’est pourquoi il faut conceder ce qui s’oppose à ces deux
erreurs et nier ce qui s’accorde avec elles. |
Unde contra Arium
quatuor ponit Ecclesia: scilicet essentiae
unitatem, et ex hoc confitetur Deum unum, et negat diversitatem Secundo essentiae divinae
simplicitatem ; et ideo confitetur simplicitatem [simplicem Éd. de Parme]
et negat multiplicitatem vel divisionem, quae ponit rationem totius et
partis, quae simplicitati adversantur, et similiter separationem. Tertio ponit similitudinem
in natura deitatis,, prout
significatur ut forma quaedam ; et ideo praedicat Filium similem Patri et
negat alienum: quia alienum dicitur quod est extraneum a natura alicujus. Quarto ponit indivisam
virtutem et magnitudinem trium personarum, et ideo ponit aequalem et negat
disparem vel inaequalem. |
C’est pourquoi
l’Église affirme quatre points à l’encontre de la position d’Arius : à
savoir premièrement l’unité de l’essence et à partir de là elle affirme que
Dieu est un et nie la diversité ; deuxièmement elle affirme la
simplicité de l’essence divine ; et c’est pourquoi elle confesse la
simplicité [simple Éd. de Parme] et
nie la multiplicité ou la division qui pose la notion de tout et de partie,
laquelle est contraire à la simplicité, et il en est de même pour la notion
de séparation. Troisièmement
elle pose la similitude dans la nature de la divinité selon qu’elle est
signifiée par une certaine forme ; et c’est pourquoi elle proclame que
le Fils est semblable au Père et nie qu’Il Lui soit étranger : car on
appelle «alienum», c’est-à-dire ¨étanger¨, ce qui est extérieur à la nature
d’un autre être. En quatrième
lieu elle pose une puissance et une grandeur indivisées des trois personnes
et c’est pourquoi elle pose l’égalité et nie la disparité ou l’inégalité
entre les personnes. |
Similiter contra Sabellium
quatuor ponit. Primo naturae
communicationem pluribus suppositis, et ideo praedicat pluralitatem et
excludit singularitatem. Secundo ponit quod ista
pluralitas non est tantum rationis, sed etiam rei, quia sunt tres res ; et
ideo praedicat discretionem, et excludit unicum. Tertio ponit in istis
rebus personalibus esse ordinem originis ; et ideo praedicat discretionem
quae ordinem quemdam importat, et excludit confusionem. Quarto ponit tres personas
unitas societate quadam amoris, qui est Spiritus sanctus, et ideo praedicat
consonantiam, ut patet ex Hilario et excludit solitudinem. |
De la même
manière l’Église affirme quatre points à l’encontre de la position de
Sabellius. En premier
lieu elle pose la communication de la nature à plusieurs suppôts, et c’est
pourquoi elle proclame la pluralité et exclut l’unité des personnes. En deuxième
lieu elle pose que cette pluralité des suppôts n’est pas seulement une
pluralité de raison mais une pluralité réelle, car ce sont là trois
réalités ; et c’est pourquoi elle proclame la discrétion et exclut
l’unicité. En troisième
lieu elle pose qu’il y a un ordre d’origine entre ces trois réalités
personnelles ; et c’est pourquoi elle proclame la discrétion qui
implique un certain ordre, et écarte ainsi la confusion. En quatrième
lieu elle pose qu’il y a trois personnes unies par une certaine communauté
d’amour qui est l’Esprit-Saint, et c’est pourquoi elle proclame l’accord et exclut la solitude. |
[1859] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod unum in substantia prout
significat essentiam, facit idem ; et similiter multitudo in substantia, quae
est essentia, facit diversum. Sed cum dicit Hilarius quod sunt per substantiam
tria, accipit substantiam pro hypostasi non pro essentia. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que l’un dans
la substance, selon qu’elle signifie l’essence, produit le même; et
semblablement la multiplicité dans la substance qui est l’essence produit le
divers. Mais lorsque Saint-Hilaire dit qu’ils sont trois par la substance, il
prend la substance pour l’hypostase, non pour l’essence. |
[1860] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ubi est numerus simpliciter,
ibi est divisio vel per essentiam vel per quantitatem. Sed talis numerus non
est in divinis, sed numerus quidam, ut dictum est ; et ad istum numerum
sufficit distinctio relationum. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que là où il y a le nombre pris absolument, il y a
division soit par l’essence, soit par la quantité. Mais ce n’est pas ce
nombre qui est présent en Dieu, mais seulement le nombre pris sous un certain
rapport, ainsi que nous l’avons dit ; et la distinction des relations
correspond à ce nombre. |
[1861] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Filius dicatur alius a
Patre, non tamen dicitur alienus, quia hoc sonat extraneitatem
[inextraneitatem Éd. de Parme] naturae ; denominatur enim alienum ab
alietate naturae, et non ab alietate suppositi. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que bien qu’on dise du Fils qu’il est autre que le
Père, on ne dit cependant pas de lui qu’il lui est étranger car cela laisse
entendre une extériorité [inextériorité Éd.
de Parme] de nature ; «alienum», c’est-à-dire étranger tient son
origine de «alietate», c’est-à-dire d’une altérité de nature, et non d’une
altérité de suppôt. |
[1862] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod persona divina non potest dici
singularis proprie, quia singulare est cujus essentia est incommunicabilis ;
essentia autem Patris non est incommunicabilis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la personne divine ne peut être appelée proprement
singulière, car le singulier est ce dont l’essence est incommunicable ;
mais l’essence du Père n’est pas incommunicable. |
[1863] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratione dicta non potest Deus
dici unicus ; et si inveniatur, improprie accipitur unicus pro uno ; et ita
glossandae sunt omnes auctoritates tales, in quibus aliquod praedictorum
ponitur. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que, pour la raison que nous avons dite, Dieu ne peut
être appelé unique ; et si cela se rencontre, ¨unique¨ est pris
improprement pour ¨un¨. Et ainsi, toutes ces autorités, dans lesquelles un de
ces termes se retrouvent, doivent être interprétées avec soin. |
[1864] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod discretio non salvatur
in divinis quantum ad rationem quantitatis, sed solum quantum ad rationem
ordinis. |
6. Il faut dire en sixième lieu que la discretion
dans les personnes divines n’est pas conserve quant à la notion de quantité,
mais seulement quant à la notion d’ordre. |
[1865] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 7 Ad quaestionem patet responsio per jam dicta. |
7. La réponse à cette question est évidente au moyen
de ce qui a été dit. |
|
|
|
|
[1866] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 2 tit. Utrum Trinitas sit nomen essentiale |
Article 2 – Trinité est-il un nom
essentiel ?
|
[1867] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Trinitas sit
nomen essentiale. Quidquid enim ad aliud non refertur, est essentiale. Sed
Trinitas, secundum nomen suum, est hujusmodi. Ergo et cetera. |
|
[1868] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid praedicatur de singulis personis
et de omnibus simul singulariter et non pluraliter, est essentiale. Sed hoc
nomen Trinitas videtur hujusmodi esse: quia Trinitas dicitur quasi trium
unitas, et illa unitas significat divinam essentiam. Unde cum possit dici,
Pater est essentia, et unitas essentiae, potest dici quod est unitas trium,
et ita quod est Trinitas, et similiter Filius et Spiritus sanctus: et hi tres
sunt una Trinitas et non plures Trinitates. Ergo videtur quod sit essentiale. |
2. Par
ailleurs, tout ce qui s’attribue à des personnes en particulier et à toutes
simultanément au singulier et non au pluriel, est essentiel. Mais «Trinité»
semble être un nom de cette sorte : car la Trinité se dit comme l’unité
de trois personnes, et cette unité signifie l’essence divine. De là, puisqu’on
peut dire que le Père est l’essence et l’unité de l’essence, on peut dire
qu’il est l’unité des trois et ainsi qu’il est la Trinité ; et on peut
dire la même chose du Fils et de l’Esprit-Saint : et ces trois personnes
sont une seule Trinité et non plusieurs Trinités. Il semble donc que ce soit
là un nom essentiel. |
[1869] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 2 arg. 3 Si dicas quod non, quia est collectivum
personarum. Contra, secundum Bernardum, lib. V de consider., cap.
VIII, inter omnes unitates arcem tenet unitas Trinitatis. Sed inter omnes
unitates est minor illa quam importat nomen collectivum. Ergo videtur quod
non sit collectivum, et ita nullo modo significat relationem. |
3. Si tu dis
que non, parce que c’est un collectif de personnes, je dis au contraire,
conformément à Saint-Bernard [De la Considération, V, ch. VIII], que parmi toutes les unités, l’unité
de la Trinité tient le sommet. Mais parmi toutes les unités la plus petite
est celle qui est portée par le nom collectif. Il semble donc que ce nom ne
soit pas un collectif et qu’ainsi il ne signifie nullement la relation. |
[1870] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra est quod dicit Boetius, quod ipsum nomen
Trinitatis ad relationem pertinet. Ergo non est essentiale. |
Cependant : 1. Au
contraire, Boèce dit que le nom même de Trinité se rapporte à la relation. Il
n’est donc pas un nom essentiel. |
[1871] Super Sent.,
lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in nomine Trinitatis
importatur unitas et numerus quidam ; sed unitas in divinis dicitur
dupliciter: scilicet unitas essentialis, et unitas personalis. Unde quidam dicunt quod
nomen Trinitatis importat unitatem personalem ; et secundum eos sic exponitur
Trinitas quasi ter unitas, quia sunt ibi tres unitates personales ; et
secundum hoc absolute relationem significat. Alii dicunt, quod unitas
importata, est unitas essentialis ; et sic isti exponunt, Trinitas, idest,
trium unitas ; sicut etiam Isidorus in Littera exponit. Unde et hoc
videtur convenientius esse cum nos a Trinitate nominemus Deum trinum ; et non
potest dici ter unus: quia cum dicitur Deus unus significatur unitas
essentialis ; et secundum hoc Trinitas significat utrumque, scilicet unitatem
essentiae, et distinctionem personarum. |
Corps de l’article : Je réponds
qu’il faut dire que dans le nom de Trinité sont impliqués l’unité et un
nombre ; mais l’unité en Dieu se dit en deux sens : soit comme
l’unité essentielle, soit comme l’unité personnelle. De là certains
disent que le nom de Trinité porte sur l’unité personnelle ; et selon
eux le nom «Trinité» s’explique ainsi comme signifiant trois fois l’unité,
car il y a là trois unités personnelles ; et d’après cela le terme
signifie en totalité la relation. D’autres
disent que l’unité signifiée par le nom est l’unité essentielle ; et
c’est ainsi que ceux-ci expliquent la Trinité, c’est-à-dire comme étant
l’unité des trois, comme Saint-Isidore l’explique aussi dans la Lettre. D’où il semble être plus
convenable que nous nommions le Dieu trine par la Trinité et il ne peut être
appelé trois fois un : car lorsque qu’on dit de Dieu qu’il est un, c’est
l’unité essentielle qui est signifiée ; et d’après cela la Trinité
signifie les deux, c’est-à-dire l’unité de l’essence et la distinction des personnes. |
[1872] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Trinitas quantum ad id
ad quod significandum imponitur, non significat relationem, sed numerum ;
unde secundum nomen, ad aliud non refertur, sed quantum ad ea circa quae ponitur
numerus iste in divinis significat ipsas relationes, quae solum in divinis
numerantur ; et non addit aliquid secundum rem, sed tantum rationem
negationis, ut dictum est, in hac dist., q. 1, art. 3 ; et hoc convenit
Trinitati, scilicet quod sit ad aliquid, non inquantum est Trinitas, sed
inquantum est Trinitas divina ; unde habet relationem implicitam. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la Trinité, quant à ce que l’imposition du nom
doit signifier, ne signifie pas la relation, mais le nombre ; c’est
pourquoi, selon le nom, ce mot ne se rapporte pas à autre chose mais quant
aux réalités sur lesquelles ce nombre est posé dans les personnes divines il
signifie les relations elles-mêmes qui sont nombrées seulement en Dieu; et il
n’ajoute pas quelque chose dans la réalité, mais seulement quant à la notion
de négation, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction (quest. 1,
art. 3) ; et cela convient à la Trinité, à savoir d’être un terme
relatif, non pas en tant que Trinité, mais en tant qu’elle est la Trinité
divine ; c’est pourquoi il contient une relation implicite. |
[1873] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod haec est falsa: Pater est
Trinitas. Quamvis enim hoc nomen Trinitas propter modum significandi, quia
significatur in abstracto, significet unitatem essentiae in recto, et numerum
personarum in obliquo quantum ad etymologiam nominis, prout dicitur Trinitas,
trium unitas ; tamen quantum ad impositionem nominis est e converso.
Impositum est enim nomen ad significandum ab ipso numero qui in nomine
importatur. Unde quantum ad veram
nominis significationem idem significatur cum dicitur Trinitas, ac si
diceretur: tres personae unius essentiae ; sicut Magister exponit. Unde patet
quod Pater non potest Trinitas dici. Similiter cum dicitur: Deus est trinus,
significatur quod est habens tres personas in una essentia, unde ly Deus
supponit tunc vel essentiam vel suppositum indistinctum. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que cette proposition, à savoir : ¨Le Père est Trinité¨,
est fausse. En effet, bien que ce nom de Trinité, en raison du mode de
signifier, car il est signifié dans l’abstrait, signifie directement l’unité
de l’essence, et indirectement le nombre des personnes quant à l’étymologie
du nom, selon que Trinité signifie l’unité des trois personnes, cependant
quant à l’imposition du nom c’est l’inverse. En effet, le nom a été imposé
pour signifier à partir du nombre même qui est impliqué dans le nom. De là, quant à
la véritable signification du nom, on signifie la même chose lorsqu’on dit
Trinité et si on dit : trois personnes d’une même essence, comme le
Maître l’explique. C’est pourquoi il est clair qu’on ne peut dire du Père
qu’il est Trinité. Semblablement lorsqu’on dit : Dieu est trine, on
signifie qu’il y a là trois personnes dans une seule et même essence, d’où
Dieu, dans ce cas, est alors mis à la place soit de l’essence, soit du suppôt
indistinct. |
[1874] Super Sent., lib. 1
d. 24 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc nomen Trinitas habet
aliquid simile cum nomine collectivo, non tamen est vere collectivum. In
collectivo enim est duo considerare, scilicet multitudinem eorum quae
colliguntur, quae simpliciter sunt per essentiam divisa, et id in quo
colliguntur, quae est minima unitas. Sed in nomine Trinitatis est e converso
quia illud in quo colliguntur tres personae, est maxima unitas scilicet
unitas essentiae ; personae autem quae colliguntur, habent minimum de ratione
realis multitudinis tamen est aliqua similitudo inquantum est aliquis numerus
et aliqua unitas utrobique, unde supra, dist. XIX, dixit Magister, quod est
quasi collectivum. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que ce nom de Trinité comporte une ressemblance avec
le nom collectif, mais il n’est pas un véritable collectif. Dans le collectif
en effet il y a deux choses à considérer, à savoir la multiplicité des choses
qui sont rassemblées qui sont totalement divisées par l’essence, et ce dans
quoi elles sont rassemblées, qui est l’unité minimale. Mais dans le nom de
Trinité c’est l’inverse car ce dans quoi les trois personnes sont rassemblées
est l’unité la plus grande, à savoir l’unité de l’essence ; mais les
personnes qui sont rassemblées ont le moins raison d’être une multiplicité
réelle ; il y a cependant une similitude dans la mesure où il y a un
nombre et une certaine unité dans les deux cas et c’est pourquoi le Maître a
dit plus haut à la distinction XIX que ce terme est presqu’un collectif. |
|
|
Distinctio 25 |
Distinction 25 – [Parle-t-on de manière univoque de Dieu et des créatures ?] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur quatuor: 1 de definitione personae
; 2 utrum univoce in
Deo et in creaturis inveniatur ; 3 de communitate ipsius
respectu personarum divinarum ; 4 utrum tres personae sint
tres res vel tres entes. |
La recherche porte ici sur quatre
points : 1. Sur la
définition de la personne. 2. Est-ce que
ce nom se rencontre univoquement en Dieu et dans les créatures ? 3. Sur le
caractère commun de ce terme par rapport aux personnes divines. 4. Est-ce que
les trois personnes sont trois réalités ou trois êtres ? |
Quaestio 1 |
Question unique : [La définition de la personne] |
|
|
[1877] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio personae posita a Boetio sit
competens |
Article 1 – La définition de la personne
donnée par Boèce convient-elle ?
|
[1878] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur et ponitur definitio
personae a Boetio, lib. De duabus nat., cap. III, col. 1343 : « Persona est
rationalis naturae individua substantia ». Videtur quod haec definitio
sit incompetens. Definitio enim debet esse convertibilis cum definito. Sed
ratio personae invenitur in Deo et in Angelis et hominibus ; haec autem
definitio personae non convenit divinis personis, ut dicit Magister in III,
dist. X. Ergo videtur, esse definitio [quod sit, Ed. de Parme]
incompetens. |
Difficultés : 1. Voici la
définition de la personne donnée par Boèce [Les Deux Natures, ch. 111, col. 1343] : «La personne est la substance individuelle
de nature raisonnable». Il semble que cette définition ne convienne pas.
En effet, la définition doit être convertible avec le défini. Mais la notion
de personne se rencontre en Dieu, chez les Anges et chez les hommes ;
mais cette définition de la personne ne convient pas aux personnes divines
comme le dit le Maître (111, dist. X). Il semble donc que cette définition
[qu’elle soit, Éd. de Parme] soit
irrecevable. |
[1879] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut definitio se habet ad rem, ita
partes definitionis ad partes rei. Sed definitio significat rem definitam.
Ergo et partes definitionis significant partes rei. Sed in divinis persona
est simplex, non habens partes. Ergo talis definitio sibi non competit. |
2. Par
ailleurs, les parties de la définition se rapportent aux parties de la chose
comme la définition se rapporte à la chose. Mais la définition signifie une
chose définie. Donc, les parties de la définition doivent de même signifier
les parties de la chose. Mais en Dieu la personne est simple et ne possède
pas de parties. Donc une telle définition ne convient pas à Dieu. |
[1880] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, quod praedicatur de aliquo in recto, non
debet poni in definitione ejus in obliquo. Sed
intellectualis natura praedicatur de persona in recto: dicimus enim quod
Socrates est quaedam natura intellectualis vel rationalis. Ergo videtur quod
male dicitur, « rationalis naturae ». |
3. En outre,
ce qui s’attribue directement à un être ne doit pas être posé indirectement
dans sa définition. Mais la nature intellectuelle s’attribue directement à la
personne : nous disons en effet que Socrate est une certaine nature
intellectuelle ou rationnelle. Il semble donc qu’on parle incorrectement
lorsqu’on dit : «d’une nature rationnelle». |
[1882] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, differentia propria alicujus generis non
invenitur extra genus illud. Sed rationale est differentia animalis. Ergo non
invenitur nisi in animalibus. Sed persona invenitur in Angelis et Deo qui non
continentur in genere animalis. Ergo rationale non debet poni in definitione
personae. |
|
[1882] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, persona in assignatione Boetii et Tullii
coordinatur essentiae, subsistentiae et substantiae. Sed in Deo idem est
natura et essentia. Ergo magis debuit dicere rationalis essentiae, quam
naturae. |
5. En outre,
dans la distribution de Boèce et de Tullius, la personne est rangée avec
l’essence, la subsistance et la substance. Mais en Dieu la nature et
l’essence sont identiques. Il fallait donc parler d’essence rationnelle
plutôt que de nature rationnelle. |
[1883] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, individuationis principium est materia. Sed
in aliquibus invenitur persona in quibus nihil est de materia, ad minus in
Deo. Ergo individuum non debet poni in definitione personae. |
6. Par
ailleurs, la matière est le principe de l’individuation. Mais dans certains
cas, au moins pour ce qui est de Dieu, la personne se rencontre chez des
êtres dans lesquels il n’y a aucune matière. Donc, le terme «individu» ne
doit pas être placé dans la définition de la personne. |
[1884] Super
Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 7 Item, substantia in usu Latinorum
aequivocatur ad essentiam et hypostasim. Cum ergo dicitur, persona est
substantia individua, substantia aut ponitur pro essentia, aut pro hypostasi.
Si pro hypostasi ; hypostasis autem est substantia particularis aut individua
; videtur quod superflue additur individua. Si pro essentia ; cum
individuatio ponatur circa subjectum, quae individuatio in divinis est per
distinctionem proprietatis ; sequeretur quod proprietas distingueret
essentiam. Et
praeterea, cum multiplicato definito multiplicetur definitio, sicut plures
homines sunt plura animalia rationalia etc., sequitur quod plures personae
sunt plures essentiae ; quod est [videtur Éd. de Parme]
inconveniens. |
7. En outre,
le terme «substance», dans l’usage qu’en font les Latins, se dit de l’essence
et de l’hypostase de manière équivoque. Donc, lorsqu’on dit que la personne
est une substance individuelle, substance se prend soit pour l’essence, soit
pour l’hypostase. Si elle se prend pour l’hypostase, puisque l’hypostase est
une substance particulière ou individuelle, il semble qu’il soit superflu
d’ajouter «individuelle». Si on prend la substance pour l’essence, puisque
l’individuation se pose sur le sujet, laquelle individuation chez les
personnes divines est causée par la distinction de la propriété, il
s’ensuivrait que c’est la propriété qui distinguerait l’essence. Et par
ailleurs, puisque la définition est multipliée une fois que le défini est
multiplié, tout comme plusieurs hommes sont plusieurs animaux raisonnables
etc., il s’ensuit que plusieurs personnes sont plusieurs essences ; ce
qui est [semble Éd. de Parme] absurde. |
[1885] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, « persona » aut est nomen
substantiae, vel accidentis. Sed non potest dici quod sit nomen accidentis:
quia substantia ponitur in sua definitione in recto ; et hoc etiam patet per
Boetium qui separat personam a genere accidentium. Ergo est nomen substantiae. Sed
accidentia non ponuntur in definitione substantiae. Cum igitur individuum nominet
accidens, quia nominat [dicit Éd. de Parme] intentionem quamdam, sicut
et nomen generis et speciei, videtur quod inconvenienter ponitur in
definitione personae, quasi differentia substantiae. |
8. De plus,
«persona» est le nom soit d’une substance, soit d’un accident. Mais on ne
peut dire qu’il soit le nom d’un accident car substance est placé directement
dans sa définition ; et cela est encore évident chez Boèce qui sépare la
personne du genre des accidents. Personne est donc le nom d’une substance.
Mais les accidents ne sont pas placés dans la définition de la substance.
Donc, puisque le terme «individuelle» nomme un accident car il nomme [dit Éd. de Parme] une intention comme
c’est le cas pour les noms de genre et d’espèce, il semble que ce soit à tort
qu’il soit placé dans la définition de la personne comme une différence de la
substance. |
[1886] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, ut supra dictum est, dist.
24, qu. 2, art. 2, hoc nomen « persona » secundum suam communitatem
acceptum, non est nomen intentionis, sicut hoc nomen « singulare »,
vel « generis » et « species » [« genus…species Éd.
de Parme] ; sed est nomen rei, cui accidit aliqua intentio, scilicet
intentio particularis ; et in natura determinata, scilicet intellectuali vel
rationali. Et ideo in definitione personae ponuntur tria: scilicet genus
illius rei, quod significatur nomine personae, dum dicitur « substantia »
; et differentia per quam contrahitur ad naturam determinatam, in qua ponitur
res, quae est persona, in hoc quod dicitur, « rationalis
naturae » ; et ponitur etiam aliquid pertinens ad intentionem illam,
sub qua significat nomen personae rem suam ; non enim significat substantiam
rationalem absolute, sed secundum quod subintelligitur intentio particularis:
et ideo additur « individua ». |
Corps de
l’article : Je réponsd qu’il faut dire, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 24,
quest. 2, art. 2], que ce nom «persona», selon son acception commune, n’est
pas un nom d’intention comme ce nom de «singulier», ou de «genre», ou encore d’«espèce» [le
genre…l’espèce Éd. de Parme] ;
mais il est plutôt le nom d’une chose à laquelle survient une intention, à
savoir une intention particulière et
dans une nature déterminé, à savoir la nature intellectuelle ou rationnelle.
Et c’est pourquoi dans la définition de la personne on pose trois
choses : à savoir le genre de cette chose qui est signifiée par le nom
de personne lorsqu’on dit «substance» ; la différence par laquelle le
genre se trouve à être restreint à une nature déterminée dans laquelle cette
chose, la personne, est posée, alors même qu’on dit d’elle qu’elle est «de
nature rationnelle» ; et on ajoute aussi à cette définition quelque
chose qui se rapporte à cette intention sous laquelle le nom de personne
signifie ¨sa¨ chose ; ce nom en effet ne signifie pas la substance
rationnelle prise absolument, mais il la signifie selon qu’une intention
particulière y est sous-entendue : et c’est pourquoi on ajoute
«individuelle». |
[1887] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ea quae ponuntur in ista
definitione, possunt dupliciter considerari: vel stricte secundum
proprietatem vocabulorum, et sic, ut patebit, non convenit divinis personis,
ut dicit Magister: vel large, et sic convenit personae in quacumque natura
intellectuali ponatur, et ita accipit Boetius: unde etiam ibi inquirit
definitionem personae ad ostendendum quomodo in Christo sit una persona, in
quo constat non esse nisi personam divinam increatam. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que ce qui est posé dans cette définition peut être
considéré de deux manières : soit au sens strict conformément à la
propriété des termes et ainsi, comme on le verra, il ne convient pas aux
personnes divines ainsi que le dit le Maître ; soit au sens large et
ainsi il convient à la personne, quelle que soit la nature intellectuelle
dans laquelle elle est posée et c’est en ce sens que l’entend Boèce :
c’est pourquoi aussi il recherche là la définition de la personne pour
montrer comment il n’y a qu’une seule personne dans le Christ, dans lequel il
est clair qu’il n’y a qu’une personne divine incréée. |
[1888] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, secundum Avicennam,
dupliciter definitio potest considerari: vel secundum id quod significatur
per definitionem, vel secundum intentionem definitionis. Si primo modo, tunc
idem est significatum per definitum et definitionem: unde dicit philosophus,
IV Metaph., text. 28, quod ratio quam significat nomen, est definitio:
et sic definitio et definitum sunt idem, et hoc modo ea quae ponuntur in
definitione in recto, non sunt partes definitionis, id est rei per
definitionem significatae, sicut nec definiti. Si enim cum dicitur animal
rationale mortale, animal esset pars hominis, non praedicaretur de toto, cum
nulla pars integralis de toto praedicetur. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que, conformément à Avicenne, la définition peut être
considérée de deux manières : soit selon ce qui est signifié par la
définition, soit selon l’intention de la définition. Si on la considère de la
première manière, alors ce qui est signifié par le défini et la définition,
c’est la même chose : de là, le Philosophe [IV Métaphysique, texte 28] dit que la notion que le nom signifie,
c’est la définition ; et en ce sens, la définition et le défini sont
identiques, et de cette manière tous les éléments qui sont placés directement
dans la définition ne sont pas des parties de la définition, c’est-à-dire de
la chose même qui est signifiée par la définition, ni du défini. Si en effet,
lorsqu’on dit : ¨animal rationnel et mortel¨, animal était une partie de
l’homme, il ne s’attribuerait pas au tout, puisqu’aucune partie intégrale ne
s’attribue au tout. |
Unde animal dicit totum et
similiter rationale mortale. Et ideo homo non dicitur esse ex animali et
rationali et mortali ; sed dicitur esse animal rationale mortale. Sed genus
significat totum ut non designatum et differentia ut designans, et definitio
ut designatum, sicut et species, quae differunt: verbi gratia, corpus, secundum
quod est pars animalis et genus, differt, ut Avicenna dicit, Tract. V, Métaph., cap.
V. Cum enim ratio corporis in hoc consistat quod sit talis naturae, ut in ea
scilicet [scilicet om. Éd. de Parme] possint designari tres dimensiones ; si nomine
corporis significetur res hujusmodi, ut in ea possint signari [designari Éd.
de Parme] tres dimensiones sub hac conditione, ut superveniat alia
perfectio quae compleat ipsam in ratione nobiliori, sicut est anima ; sic est
corpus pars animalis, et sic non praedicatur de animali. |
De là, animal
signifie le tout et il en est de même pour rationnel et mortel. Et c’est
pourquoi on ne dit pas de l’homme qu’il est un composé d’animal, de rationnel
et de mortel. Mais le genre signifie le tout en tant qu’il n’est pas précisé,
la différence en tant qu’elle le précise et la définition en tant qu’il est
précisé, tout comme les espèces qui diffèrent : en d’autres mots, comme
le dit Avicenne [V Métaphysique,
ch. V], le corps en tant que partie de l’animal diffère du corps pris comme
genre. En effet, puisque la définition du corps consiste en ceci qu’il soit
d’une telle nature, c’est-à-dire [c’est-à-dire om. Éd. de Parme] qu’en elle trois dimensions puissent être
montrées, si par le nom de corps on signifiait une chose de cette sorte,
c’est-à-dire de telle manière qu’en elle on puisse identifier trois
dimensions à cette condition que lui survienne une autre perfection, comme
l’âme, qui la complète dans une notion plus noble, alors le corps est une
partie de l’animal et il ne s’attribue pas à l’animal. |
Si vero nomine corporis
significetur res habens talem naturam ex quacumque forma ipsam perficiente,
ut possint in ea designari tres dimensiones ; tunc corpus est genus, et
significat totum: quia quaecumque forma sumatur specialis, non erit extra hoc
per quod ratio corporis conditionabatur ; sed tamen indistincte, eo quod non
determinetur, utrum ex tali vel tali forma dictam rationem habeat. Sed cum
dicitur animatum, designatur forma per quam talem rationem recipit ; quamvis
etiam aliquid plus recipiat ab anima quam rationem corporis: et ita
differentia est designans, et tunc species erit designatum. |
Mais si par le nom de corps on signifie
une chose possédant telle nature à partir d’une forme qui lui donne sa
perfection, de manière à ce que trois dimensions soient indiquées en elle,
alors corps est un genre et il signifie le tout : car quelque
particulière que se prenne la forme, elle ne sera pas en dehors de ce par
quoi définition du corps était conditionnée ; mais indistinctement
cependant du fait qu’il n’est pas déterminé s’il possède la définition que
nous avons dite à partir de telle ou telle forme. Mais lorsqu’on dit ¨animé¨,
on désigne la forme par laquelle il reçoit telle définition, bien qu’il
reçoive aussi de l’âme quelque chose de plus que la définition du
corps : c’est ainsi que la différence est ce qui détermine et l’espèce
sera e qui est déterminé. |
Sed verum est quod in
compositis genus et differentia, quamvis non sint partes, tamen a partibus
rei fluunt: quia genus fluit a materia, quamvis non sit materia: et
differentia a forma, quamvis forma non sit differentia, sed forma sit
principium illius ; et sic definitio composita ostendit realem compositionem.
In simplicibus autem, et praecipue in Deo, complexio [compositio Éd. de Parme]
quae est in definitione, non reducitur in aliquam compositionem rei: sed
solum secundum rationem quae fundatur in veritate rei ; sicut si aliquis
definiens Deum diceret, quod est substantia intellectualis divina, vel
aliquid hujusmodi. Huiusmodi, unumquodque [Unde quodcumque Éd. de Parme]
istorum nominum quod diceret in definitione, haberet veram significationem in
Deo: et significatio unius non esset significatio alterius ; et tamen
diversitas significationum non fundaretur super aliquam diversitatem rei. |
Mais il est
vrai que dans les composés le genre et la différence, bien qu’ils ne soient
pas des parties dérivent cependant des parties de la chose : car le
genre dérive de la matière bien qu’il ne soit pas matière ; et la
différence dérive de la forme bien que la forme ne soit pas la différence
mais qu’elle soit plutôt le principe de la forme ; et ainsi la
composition de la définition manifeste une composition réelle. Mais dans les
réalités qui sont simples et surtout en Dieu, la complexion [composition Éd. de Parme] ne se ramène pas à une
composition de la chose, mais seulement selon la raison qui se fonde sur la
vérité de la chose ; par exemple si quelqu’un, en définissant Dieu,
disait qu’il est une substance intellectuelle divine, ou quelque chose de la
sorte. De cette manière, n’importe quel [De là, n’importe quel Éd. de Parme] de ces noms qu’il dirait
dans la définition aurait une véritable signification en Dieu : et la
signification de l’un ne serait pas la signification de l’autre ; et
cependant la diversité des significations ne serait pas fondée sur une
diversité de la chose. |
Et inde est quod sicut
esse rei simplicis, intellectus enuntiat per compositionem affirmativam
plurium nominum, cum tamen in re nulla sit compositio ; ita etiam quidditatem
rei simplicis, in qua non est compositio, designat per plura nomina, quibus
subest in re pluralitas rationum, et non diversitas rei. Et secundum hoc ea
quae ponuntur in definitione personae divinae, non sunt majoris simplicitatis
quantum ad rem quam ipsa persona, sed solum secundum rationem. |
Et c’est de là
que tout comme l’intelligence énonce
l’existence d’une réalité simple par la composition affirmative de plusieurs
noms, bien qu’il n’y ait dans la réalité aucune composition, de même aussi
elle désigne la quiddité de la réalité simple, dans laquelle il n’y a aucune
composition, au moyen de plusieurs noms sous lesquels se tient la pluralité
des notions et non la diversité qu’il y aurait dans la chose. Et suivant cela
les éléments qui sont placés dans la définition de la personne divine ne sont
pas d’une plus grande simplicité, quant à la réalité, que la personne divine
elle-même, mais seulement selon la raison. |
Si autem consideretur
definitio secundum suam intentionem, sic definitio non est definitum, sed
ductivum in cognitionem ejus ; et sic etiam definitio est composita ex
pluribus intentionibus, quarum nulla praedicatur de ipsa, nec e converso,
quia intentio generis non est intentio definitionis ; sed hoc non est nisi
secundum intellectum qui adinvenit has intentiones ; et sic non est
inconveniens in divinis ponere totum et partem secundum operationem
intellectus, sicut etiam in propositione quae de Deo formatur, subjectum est
pars totius propositionis. |
Mais si on
considérait la définition selon son intention logique, ainsi la définition ne
serait pas le défini, mais conduirait à la connaissance du défini ; et
ainsi encore la définition est composée de plusieurs intentions dont aucune
ne s’attribue à elle ni inversement, car l’intention du genre n’est pas celle
de la définition ; et il n’en est ainsi que suivant l’intelligence qui
découvre ces intentions ; et ainsi il n’est pas inconvenant de placer en
Dieu le tout et la partie selon l’opération de l’intelligence, tout comme
dans la proposition qu’on forme aussi au sujet de Dieu, le sujet est une
partie de ce tout qui est la proposition. |
[1889] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, ut ex praedictis patet,
essentia vel natura dupliciter potest significari. Vel ut pars, ut significatur
nomine humanitatis, et sic natura vel essentia non potest praedicari de
persona in recto, sicut nec humanitas de Socrate. Vel sicut totum, ut
significatur nomine hominis, et sic praedicatur de persona. Dicimus enim,
quod Socrates est homo. Hic autem accipitur rationalis natura secundum primum
modum, prout est principium differentiae et non differentia, sicut
rationalitas, quae non posset poni in definitione hominis in recto, sed in
obliquo ; ut si diceretur, quod est animal rationalitatem habens vel
aliquid hujusmodi ; natura autem signata in rebus compositis etiam realem
differentiam habet ad personam, inquantum scilicet naturae fit additio
alicujus ut materiae demonstratae, per quam natura communis generis vel
differentiae individuatur. Sed in simplicibus, et praecipue in Deo, cum nulla
sit additio secundum rem, non est realis differentia naturae, ut sic
significatae, ad personam ; sed solum quantum ad modum significandi ; propter
quod cadit in definitione divinae personae in obliquo. |
3. Il faut dire en troisième lieu, comme on le voit
à partir de ce qui a été dit, que l’essence ou la nature peut être signifiée
de deux manières. Soit comme une partie, comme elle est signifiée par le nom
d’humanité, et en ce sens la nature ou l’essence ne peut être attribuée à la
personne directement, comme on ne peut attribuer directement l’humanité à
Socrate. Soit comme un tout, comme elle est signifiée par le nom d’homme et
ainsi elle s’attribue à la personne. Nous disons en effet que Socrate est un
homme. Mais ici on prend la nature rationnelle de la première manière, selon
qu’elle est principe de difference et non selon qu’elle est la difference,
par exemple la rationalité, qui ne pourrait être placée directement dans la
definition de l’homme, mias indirectement; par exemple si on disait qu’il est
un animal possédant la rationnalité ou quelque chose de la sorte; mais la
nature qui est designée dans les choses composes possède aussi une différence
réelle envers la personne, c’est-à-dire pour autant qu’il se produit une
addition de quelque chose à la nature à titre de matière qu’on peut montrer
et par laquelle la nature commune du genre ou de la différence est
individuée. Mais dans les réalités qui sont simples et surtout en Dieu,
puisqu’il n’y a aucune addition possible dans la réalité, il n’y a aucune
différence réelle de la nature ainsi signifiée à l’égard de la personne, mais
seulement une différence quant au mode de signifier; et c’est pour cette
raison que le mot nature tombe indirectement dans la definition de la
personne divine. |
[1890] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rationale dupliciter
dicitur. Quandoque enim sumitur stricte et proprie, secundum quod ratio dicit
quamdam obumbrationem intellectualis naturae, ut dicit Isaac quod ratio
oritur in umbra intelligentiae. Quod patet ex hoc quod statim non offertur sibi
veritas, sed per inquisitionem discurrendo invenit ; et sic rationale est
differentia animalis, et Deo non convenit nec Angelis. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que ¨rationnel¨ se dit de deux manières. Parfois en
effet il se prend au sens strict et propre, selon que ¨raison¨ dit une
certaine obscurité de la nature intellectuelle, comme Isaac qui dit que la
raison naît à l’ombre de l’intelligence. Ce qu’on peut voir du fait que la
vérité ne se montre pas instantanément à elle, mais elle doit la découvrir au
moyen d’une recherche discursive ; et en ce sens la raison est une
différence au sein du genre animal et ne convient ni à Dieu ni aux Anges. |
Quandoque sumitur communiter
pro qualibet conditione [cognitione Éd. de Parme] virtutis non
impressae in materia ; et sic convenit communiter Deo, Angelis et hominibus:
unde etiam Gregorius Hom. X in die Epiph., col. 1110, nominat Angelum
animal rationale, et Dionysius, de cael. Hier., etiam dicit, quod
sensibile et rationale sunt in Angelis supereminenter quam in nobis ; et
rationem etiam inter divina nomina connumerat ; et sic accipit Boetius. |
Mais parfois
elle se prend au sens large pour une certaine condition [connaissance Éd. de Parme] d’une puissance qui
n’est pas enracinée dans la matière ; et en ce sens la ¨raison¨ convient
en commun à Dieu, aux Anges et aux hommes ; c’est pourquoi encore
Saint-Grégoire [Homélie X pour le Jour
de l’Épiphanie, col. 1110] appelle l’Ange un animal rationnel et que
Denys [De la Hiérarchie Céleste]
dit encore que le sensible et le rationnel existent dans les Anges d’une
manière bien plus excellente qu’en nous ; et il compte aussi la raison
parmi les noms divins ; et c’est ainsi que l’entend Boèce. |
[1891] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum Boetium natura uno
modo dicitur unamquamque rem informans specifica differentia ; et ideo nomen
naturae non nominat essentiam absolute, sed secundum quod determinatur ad
aliquod genus vel ad aliquam speciem: et ideo quia persona non nominat
substantiam subsistentem nisi in determinato genere, scilicet intellectualis
naturae, ideo potius posuit naturam quam essentiam. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que d’après Boèce nature se dit en un sens de la
différence spécifique qui informe une chose, quelle qu’elle soit ; et
c’est pourquoi le nom de nature ne nomme pas l’essence prise absolument, mais
selon qu’elle est déterminée à un certain genre ou à une certaine
espèce ; et c’est pourquoi, parce que la personne ne nomme une substance
subsistante que dans un genre déterminé, c’est-à-dire celui d’une nature
intellectuelle, c’est pourquoi dans sa définition il a placé ¨nature¨ plutôt
que ¨essence¨. |
[1892] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in individuatione, secundum
quod est in rebus compositis, est duo considerare ; primum scilicet [id est Éd.
de Parme] individuationis causam quae est materia, et secundum hoc in
divina non transfertur ; et secundum, scilicet rationem individuationis quae
est ratio incommunicabilitatis, prout scilicet aliquid unum et idem in
pluribus non dividitur, nec de pluribus praedicatur, nec divisibile est, et
sic convenit Deo: unde etiam Richardus, II De Trinit., cap. XII, col.
907, loco individui posuit incommunicabile. |
6. Il faut
dire en sixième lieu que pour ce qui est de l’individuation, en tant qu’elle
se retrouve dans les réalités composées, il y a deux choses à
considérer : à savoir [c’est-à-dire Éd. de Parme] premièrement la cause
de l’individuation qui est la matière et de ce point de vue elle ne
s’applique pas à Dieu ; et deuxièmement la notion d’individuation qui
est la notion d’incommunicabilité, c’est-à-dire selon qu’une seule et même
chose ne se divise par en plusieurs, ne s’attribue pas à plusieur et n’est
pas divisible : et en ce sens l’individuation convient à Dieu ; et
c’est pourquoi aussi Richard [11 De la
Trinité, ch. XII, col. 907], se sert du terme ¨incommunicable¨ au lieu du
terme ¨individuel¨. |
[1893] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
substantia dicitur quatuor modis. Uno modo substantia idem
est quod essentia ; et sic substantia invenitur in omnibus generibus, sicut
et essentia ; et hoc significatur, cum quaeritur: quid est albedo ? Color. Alio modo significat
individuum in genere substantiae, quod dicitur substantia prima, vel
hypostasis. Tertio modo dicitur
substantia secunda. |
7. En septième lieu il faut dire que ¨substance¨ se
dit de quatre manières. En un premier sens ¨substance¨ s’identifie à
¨essence¨; et ainsi substance se rencontre dans tous les genres, tout comme
l’essence; et c’est en ce sens, lorsqu’on demande: «qu’est-ce que la
blancheur?», qu’on répond: «une couleur». En un autre sens ¨substance¨ signifie l’individu
dans le genre de la substance, qu’on appelle aussi substance première ou
hypostase. Le troisième sens de substance est la substance
seconde. |
Quarto modo dicitur
substantia communiter prout abstrahit a substantia prima et secunda, et sic
sumitur hic, et per individuum, quasi per differentiam, trahitur ad standum
pro substantia prima ; sicut cum dicitur animal rationale mortale, significat
animal naturam animalis prout abstrahitur ab omnibus speciebus, et per
differentiam additam trahitur in determinatam speciem. |
En un quatrième sens ¨substance¨ se dit
universellement selon qu’elle fait abstraction à la fois de la substance
première et de la substance seconde, et c’est ainsi qu’elle se prend ici, et
elle est entraînée à tenir lieu de substance première au moyen du terme
¨indivisible¨ comme au moyen d’une différence; tout comme lorsqu’on dit
«animal rationnel et mortel», le terme ¨animal¨ signifie la nature de
l’animal selon qu’elle fait abstraction de toutes les espèces et qu’elle est
amenée à une espèce déterminée au moyen d’une différence ajoutée. |
Quidam tamen dicunt quod
sumitur pro hypostasi substantia, et cum de ratione personae sit triplex
incommunicabilitas, scilicet qua privatur communitas universalis, et qua
privatur communitas particularis quam habet in definitione [constitutione Éd.
de Parme] totius, et qua privatur communitas assumptibilis conjuncti rei
digniori, prout dicimus, quod natura humana non est persona in Christo ; per
nomen hypostasis tollitur ratio universalis et particularis, et per
additionem individui tollitur communicabilitas assumptibilis. |
Mais certains
disent cependant que ¨substance¨ se prend à la place de l’hypostase dans la
définition, et puisqu’il y a trois
sortes d’incommunicabilité au sujet de la notion de personne, à savoir celle
par laquelle est exclu le caractère commun de l’universel, celle par laquelle
est exclu le caractère commun de la partie qu’elle a dans la définition
[constitution Éd. de Parme] du
tout, et celle par laquelle est exclue le caractère commun qui la rend apte à
être assumée par une réalité plus digne qui lui serait unie, en autant
que nous disons que dans le Christ la nature humaine n’est pas une
personne ; autrement dit, par le nom d’hypostase, la notion d’universel,
tout comme celle de partie, disparaît, et par l’addition du terme
¨individuel¨, disparaît aussi la notion d’aptitude à être assumé. |
Sed primum melius est,
quia hoc non potest trahi de significatione vocabulorum. Et praeterea adhuc
remanet objectio, qualiter sumatur substantia in definitione hypostasis, cum
dicimus, quod hypostasis est substantia individua. |
Mais la
première interprétation est préférable car celle-là n’est pas entraînée en
dehors de la signification des termes. Et par ailleurs il reste encore à se
demander comment se prend la substance dans la définition de l’hypostase
lorsque nous disons que l’hypostase est une substance individuelle. (Cf. 1a,
quest. 29, ad. 2). |
[1894] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod, ut patet ex dictis, in corp.
art., persona non nominat intentionem, sed rem cui accidit illa intentio: et
ideo non nominat accidens, sed substantiam ; nec hoc quod est individuum, est
differentia substantiae, quia particulare non addit aliquam differentiam
supra speciem. |
8. Il faut
dire en huitième lieu, comme on l’a vu à partir de ce qui a été dit dans le
corps de l’article, que «persona» ne désigne pas une intention logique, mais
la chose à laquelle survient cette intention : et c’est pourquoi elle ne
désigne pas un accident, mais une substance ; et ce qu’on appelle ici
¨individuel¨ n’est pas une différence de la substance car le particulier
n’ajoute pas une différence à l’espèce. |
Sed tamen particulare
efficitur individuum per aliquod principium essentiale, quod quidem in rebus
compositis est materia, et in rebus divinis est relatio distinguens ; et quia
essentialia principia sunt nobis ignota, frequenter ponimus in definitionibus
aliquid accidentale, ad significandum aliquid essentiale ; et sic etiam nomen
individui, quod est nomen accidentis, ponitur ad designandum principium
substantiale, per quod sit individuatio. Sciendum tamen est, quod de persona
dantur aliae definitiones. |
Cependant, le
particulier est rendu individuel par une principe essentiel qui est certes la
matière dans les réalités composées, et la relation qui distingue dans les
réalités divines ; et parce que le principes essentiels nous sont
inconnus, nous plaçons fréquemment dans les définitions quelque chose
d’accidentel pour signifier quelque chose d’essentiel ; et ainsi même le
nom d’individu, qui est le nom d’un accident, est posé pour désigner le
principe substantiel par lequel il y a individuation. Il faut cependant
savoir que d’autres définitions sont données au sujet de la personne. |
Una est Richardi qui corrigens
definitionem Boetii secundum illum modum quo persona dicitur in Deo, sic
definit personam: Persona est divinae naturae incommunicabilis existentia
; quia rationale et individuum et substantia non proprie competunt in divinis
quantum ad communem usum nominum. Alia datur a magistris
sic: Persona est hypostasis distincta proprietate ad nobilitatem
pertinente ; et quasi in idem redit: nisi quod haec sumitur per
comparationem ad proprietatem distinguentem et cui substat persona, et illa
Boetii per comparationem ad naturam, ad quorum utrumque persona comparationem
habet. |
L’une d’elles
nous vient de Richard de Saint-Victor, qui, corrigeant la définition de Boèce
d’après cette manière par laquelle
personne se dit de Dieu, définit ainsi la personne : La Personne est l’existence incommunicable
de la nature divine ; car rationnel, individuel et substance n’appartiennent
pas proprement à Dieu quant à l’usage commun de ces noms. Une autre nous
vient des maîtres de la manière qui suit : La Personne est une hypostase distincte par une propriété qui
concerne une excellence ; et cette dernière définition revient
pratiquement à la première si ce n’est que cette dernière se prend par
rapport à une propriété qui distingue et sous laquelle la personne se tient,
alors que celle de Boèce se prend par rapport à la nature, la prersonne
présentant un rapport à l’égard de chacun de ces deux aspects. |
|
|
Articulus 2 [1895] Super
Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 tit. Utrum persona dicatur univoce de Deo et
creaturis |
Article
2 – Parle-t-on de « personne » de manière univoque à
propos de Dieu et des créatures ? |
[1896] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod persona
univoce dicatur de Deo et creaturis. Quantumcumque enim aliqua differant, univoce
convenire possunt in negatione aliqua ; sicut hoc quod est non esse lapidem,
univoce convenit Deo et homini. Sed ratio personae consistit in negatione ; est enim
individua substantia. Ergo videtur quod univoce Deo, et creaturis conveniat. |
Difficultés : 1. Il semble
que «personne» se dise univoquement de Dieu et des créatures. En effet,
quelque grande que soit la différence entre des êtres, elles peuvent convenir
de manière univoque dans une certaine négation ; par exemple, cela même
qui consiste à ne pas être une pierre convient univoquement à Dieu et à
l’homme. Mais la notion de personne consiste dans une certaine
négation ; la personne en effet est une substance non-divisée. Il semble
donc qu’elle convienne univoquement à Dieu et aux créatures. |
[1897] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid praedicatur de aliquibus secundum
unum nomen et unam rationem, univoce eis convenit. Sed nomen personae et
definitio assignata convenit Deo et creaturis, ut patet per Boetium, de
duabus naturis, cap. IV, col. 1354. Ergo videtur quod univoce dicatur. |
2. Par
ailleurs, tout ce qui s’attribue à plusieurs selon un même nom et une même
définition leur convient univoquement. Mais le nom de personne ainsi que la
définition assignée à ce nom convient à Dieu et aux créatures, comme on le
voit chez Boèce [Les Deux Natures,
T. 11 ch. IV, col. 1345]. Il semble donc que ce nom se dise univoquement de
Dieu et des créatures. |
[1898] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, si non dicitur univoce, aut dicitur aequivoce
aut analogice. Sed non aequivoce, quia omnia quae in definitione ponuntur,
non aequivoce dicuntur de Deo et creaturis, ut ex dictis patet, art.
praeced., nec etiam analogice, quia nihil analogice dictum de Deo et
creaturis, per prius est in creatura quam in Deo ; sicut hoc nomen persona,
quod a creaturis translatum est ad divina. Ergo persona univoce dicitur de
Deo et creaturis. |
3. En outre,
si ce nom ne se dit pas univoquement, il se dit soit par homonymie, soit par
analogie. Mais il ne se dit pas par homomymie, car tout ce qui est placé dans
la définition ne se dit pas par homonymie de Dieu et des créatures, comme on
le voit en s’appuyant sur ce qui a été dit dans l’article précédent, ni par
analogie, car rien de ce qui se dit par analogie de Dieu et des créatures ne
se retrouve en priorité dans la créature plutôt qu’en Dieu, comme c’est le
cas pour le nom de «personne» qui a été transporté à Dieu à partir des
créatures. Il semble donc que «personne» se dise univoquement de Dieu et des
créatures. |
[1899] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 2 arg. 4 Contra, quaecumque non conveniunt in uno genere
generalissimo, non potest de eis aliquid univoce dici. Sed Deus, cum non sit
in genere, non convenit cum creatura in genere, nec in specie, nec in accidente,
cum subjectum esse non possit, ut Boetius probat, lib. I De Trinit., cap.
II, col. 1250, et sic de aliis. Ergo nec persona nec aliquid de Deo univoce
et creaturis dicitur. |
Cependant : 4. Au
contraire, pour les choses qui ne se rencontrent pas dans un genre plus
universel, rien ne peut s’attribuer à elles de manière univoque. Mais Dieu,
puisqu’il n’est dans aucun genre, ne peut se rencontrer avec la créature dans
aucun genre, dans aucune espèce, dans aucun accident, puique Lui-même ne peut
être un sujet, ainsi que Boèce [1 De la
Trinité, ch. 11, col. 1250] le prouve, et il en est de même pour le
reste. Donc le nom de «personne», comme rien d’autre, ne peut s’attribuer à
Dieu et aux créatures de manière univoque. |
[1900] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, persona significat distinctum in natura
aliqua. Sed non est eadem ratio distinctionis in divinis, Angelis et
hominibus ; quia in divinis est distinctio per solas relationes originis, in
Angelis per proprietates absolutas, in hominibus utroque modo, ut dicit
Richardus, IV de Trin., c. XIII et XIV, col. 938. Ergo persona
aequivoce dicitur de his. |
5. Par
ailleurs, «personne» signifie un être distinct dans une certaine nature. Mais
la définition de la distinction n’est pas la même en Dieu, chez les Anges et
chez les hommes ; car en Dieu la distinction n’a lieu que par les seules
relations d’origine, chez les Anges par les propriétés absolues, et chez les
hommes des deux manières comme le dit Richard de Saint-Victor [IV De la Trinité, ch. XIII et XIV, col.
938]. Donc, «personne» s’attribue à eux de manière équivoque. |
[1901] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod persona dicitur de Deo et creaturis, non univoce nec
aequivoce, sed secundum analogiam ; et quantum ad rem significatam per prius
est in Deo quam in creaturis, sed quantum ad modum significandi est e
converso, sicut est etiam de omnibus aliis nominibus quae de Deo et creaturis
analogice dicuntur. |
Corps de
l’article: Je réponds
qu’il faut dire que «personne» se dit de Dieu et des créatures non de manière
univoque ni par homonymie, mais par analogie ; et quant à la chose
signifiée, elle se retrouve en priorité en Dieu plutôt que dans les
créatures, mais quant au mode de signifier c’est l’inverse, tout comme c’est
aussi le cas pour tous les autres noms qui se disent aussi de Dieu et des
créatures par analogie. |
[1902] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod individuum, quamvis
secundum rationem nominis importet negationem quamdam, tamen talis negatio
fundatur super aliquam rem, scilicet super distinctionem alicujus principii
distinguentis, in quo non univocatur Deus et creatura. Et praeterea in
definitione personae non tantum ponitur hoc nomen, individuum, sed etiam
substantia, et quaedam alia quae Deo et creaturis univoce convenire non
possunt: nisi forte diceretur, quod persona est nomen accidentis, scilicet
intentionis, et non nomen rei, et quod substantia ponitur in definitione
personae sicut subjectum in definitione accidentis, ut cum dicitur: simum est
nasus curvus. Sed hoc est contra intentionem Boetii, qui venatur differentiam
personae per divisionem substantiae. |
Solutions :
|
[1903] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, secundum philosophum,
III Metaph., text. 4 quorumdam rationes nihil prohibet non univocas esse:
unde sicut nomen personae non univoce dicitur de Deo et creaturis, sed
analogice, ita etiam et definitio. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que d’après le Philosophe [111 Métaphysique, texte 4] rien n’empêche que les définitions de
certaines choses ne soient pas univoques : c’est pourquoi, tout comme le
nom de personne ne se dit pas univoquement de Dieu et des créatures mais par
analogie, il en est de même aussi de la définition. |
[1904] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc nomen persona quantum ad
rem significatam, prius et verius est in Deo quam in creaturis, [unde est in
illis analogice Éd. de Parme] ; sed quantum ad modum significandi et
impositionem nominis familiarius convenit creaturis. |
|
[1905] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 4 Quartum concedimus. |
4. La quatrième argumentation est concédée. |
[1906] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio personae importat
distinctionem in communi ; unde abstrahitur a quolibet modo distinctionis ;
et ideo potest esse una ratio analogice in his quae diversimode
distinguuntur. |
5. Il faut dire en
cinquième lieu que la definition de la personne implique une distinction
universelle qui fait abstraction de toute modalité de distinction; et c’est
pourquoi elle peut être une définition par analogie pour les choses qui se
distinguent de plusieurs manières. |
|
|
Articulus 3 [1907] Super
Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 tit. Utrum persona sit commune tribus personis |
Article 3 – La personne est-elle commune aux trois personnes ? |
[1908] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod persona
non sit commune in Trinitate. Quidquid enim communiter convenit tribus
personis, significat essentiam, et singulariter praedicatur, ut sapientia,
bonitas et hujusmodi ; nec in ipso personae distinguuntur. Sed persona
pluraliter praedicatur in Trinitate, et in persona Pater et Filius
distinguuntur. Ergo persona non est commune in Trinitate. |
|
[1909] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne commune quod est de ratione alicujus
se habet sicut universale. Si igitur persona sit commune Patri et Filio, et
non sit extra rationem utriusque, quia alias esset accidens ; videtur quod
sit universale. Sed totum universale non est in divinis. Ergo persona non est
commune. |
2. Par ailleurs, tout ce qui est commun et
fait partie de la définition d’une chose se présente comme un universel. Si
donc le nom de personne était commun au Père et au Fils il ne serait pas
extérieur à la définition des deux, autrement il serait un accident ; il
semble donc qu’il soit un universel. Mais en Dieu il n’y a pas de tout
universel. Donc, «personne» n’est pas un nom commun aux trois personnes. |
[1910] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 3 arg. 3 Si dicas, quod est commune secundum rationem,
et non secundum rem ; contra. Quia etiam in universali non est eadem
ratio numero, ut eadem humanitas in diversis particularibus ; sed solum eadem
secundum rationem. Ergo videtur quod hoc non impediat rationem universalis. |
3. Si tu dis que ce nom est commun selon la
raison et non en réalité, je dis par contre que même dans l’universel il n’y
a pas une seule et même définition par le nombre comme une même humanité dans
différents particuliers, mais seulement selon la raison. Il semble donc que
cela n’empêche pas la définition de l’universel. |
[1911] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod de se habet rationem
incommunicabilis, non potest dici commune, quia haec sunt opposita. Sed
persona habet rationem incommunicabilis. Ergo non potest dici communis [Ergo…
communis Om. Éd. de Parme]. Ergo videtur quod non possit esse
communis. |
4. Par ailleurs, on ne peut dire qu’est
commun ce qui de soi par définition est incommunicable, car ces deux notions
sont opposées. Mais la «personne» est par définition incommunicable. On ne
peut donc dire d’elle qu’elle est commune [donc…commune om. Éd. de Parme]. Il semble donc que la personne ne puisse être
commune. |
[1912] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur ab
Augustino. |
Cependant : 1.
Ce qui est dit par Saint-Augustin dans la Lettre
est contraire à ce qu’on conclut dans ces arguments. |
[1913] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nihil potest connumerari alicui nisi in eo
quod est commune utrique. |
2. Par ailleurs, une réalité ne peut être
comptée avec une autre que par ce qui est commun aux deux. |
[1914] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod est duplex communitas:
scilicet rei et rationis. Et dico communitatem rei quando aliquid unum et
idem numero convenit pluribus ; et talis communitas naturae non est nisi in
divinis personis, nec aliqua talis communitas est in Trinitate, nisi essentiae,
et eorum quae ad essentiam pertinent, ut attributorum et operationum et
negationum et relationum essentialium. Communitas autem rationis est,
secundum quam persona communis dicitur in Trinitate. |
Corps de l’article : Je
réponds qu’il faut dire qu’il existe deux sortes de communautés : à
savoir celle de la chose et celle de la raison. Et je dis qu’il y a une
communauté de chose quand une seule et même chose par le nombre convient à
plusieurs ; et une telle communauté de nature n’existe que dans les
personnes divines, et cette communauté n’appartient dans la Trinité qu’à
l’essence et à ce qui se rapporte à l’essence, comme les attributs et les
opérations, les négations et les relations essentielles. Mais la communauté
de raison est celle selon laquelle on dit de la personne qu’elle est commune
à la Trinité. |
Hoc autem diversimode
assignatur a diversis. Quidam enim dicunt, quod est commune secundum rationem
negationis, eo quod in definitione personae cadit individuum, quod dicit
negationem. Unde dicunt, quod talis communitas rationis, quae est per
negationem tantum, non facit universale. Sed hoc non videtur sufficiens: quia
persona de ratione sua non dicit negationem tantum, sed etiam positionem
quamdam. |
Mais cela a été attribué différemment par
différents auteurs. Certains disent en effet que la personne est commune
selon la raison de négation, du fait que dans la définition de la personne on
retrouve «individu» qui dit une négation. De là ils disent qu’une telle
communauté de raison, qui se fait seulement par la négation, ne la rend pas
universelle. Mais cela ne semble pas suffisant : car la personne, de par
sa définition, ne dit pas seulement une négation, mais aussi une certaine
affirmation. |
Unde alii dicunt, quod est
communitas secundum rationem proportionis, sicut dicimus, quod sicut se habet
rector in civitate, ita nauta in navi ; et sic dicunt, quod persona est
commune [communis Éd. de Parme] Patri et Filio: quia sicut Pater se
habet ut subsistens ad naturam divinam, ita et Filius. |
De là d’autres disent que «personne» dit une
communauté selon un rapport de proportion, comme nous disons que ce que le
gouverneur est à la cité, le capitaine l’est au navire ; et ils disent
ainsi que la personne est quelque chose de commun [commune Éd. de Parme] au Père et au
Fils : car tout comme le Père se présente comme subsistant par rapport à
la nature divine, il en est de même pour le Fils. |
Alii dicunt, quod est
communitas secundum rationem intentionis ; sicut dicitur quod color et animal
conveniunt in intentione generis. Sed haec duo dicta in idem referuntur: quia
communitas intentionum non est nisi secundum proportionem communis ad
proprium, vel e contrario. Et hoc etiam non videtur sufficere: quia persona
non tantum nominat intentionem vel habitudinem alicujus subsistentis ad
naturam communem, sicut hoc nomen suppositum vel particulare vel aliquid
hujusmodi ; sed magis nominat illam rem cui accidit talis intentio: unde
communitas personae in divinis non potest esse secundum communitatem talis
habitudinis vel intentionis ; sed ista communitas est, qua hoc nomen
suppositum commune est tribus personis. |
D’autres disent que «personne» dit une
communauté selon la raison d’intention, tout comme nous disons que la couleur
et l’animal se rencontrent dans l’intention de genre. Mais ces deux dernières
opinions reviennent au même : car la communauté des intentions n’existe
que d’après le rapport du commun au propre ou du propre au commun. Et cela ne
semble pas non plus suffire : car le nom de «personne» ne nomme pas
seulement une intention ou le rapport de ce qui subsiste à l’égard d’une
nature commune, comme le nom de suppôt, de particulier ou quelque chose de la
sorte, mais il nomme plutôt cette chose à laquelle survient cette
intention : c’est pourquoi la communauté de personne ne peut exister
dans les personnes divines selon la communauté d’un tel rapport ou d’une
telle intention ; mais cette communauté est celle ce nom est posé comme
étant commun aux trois personnes. |
Et ideo aliter
dicendum, quod praeter has communitates [quae aliquo modo includuntur in
communitate personae add. Éd. de Parme], est ibi communitas rationis fundata in re ; [sicut
dicimus quod ratio animalis est communis homini et asino add. Éd. de Parme].
Sed ratio fundata in re est duplex: quia quaedam est communis, sicut ratio
animalis, et quaedam est specialis, sicut ratio hominis. Sic etiam est in
divinis, quod cum realiter sit ibi relatio, est ibi communis ratio
relationis. |
Et c’est pourquoi il faut plutôt dire qu’en
dehors de ces communautés [qui d’une certaine manière sont inclues dans la
communauté de personne add. Éd. de
Parme], il y a là une communauté de notion fondée dans la réalité ;
[tout comme nous disons que la notion d’animal est commune à l’homme et à
l’âne add. Éd. de Parme]. Mais la
notion fondée dans la réalité est double : car l’une est commune, comme
la notion d’animal, et l’autre est particulière, comme la notion d’homme. Et
il en est aussi de même pour les personnes divines à savoir qu’alors que la
relation existe réellement là, la notion de relation y est commune. |
Item, cum realiter sit ibi
paternitas, est ibi specialis ratio paternitatis realiter: unde relatio est
communis paternitati et filiationi, sicut ratio communis in rationibus
specialibus. Non tamen ex hoc sequitur quod relatio sit universale ad
paternitatem et filiationem: quia omne universale est secundum aliud et aliud
esse in suis inferioribus, sed in divinis non est nisi unum esse, unde idem
esse relationis est in paternitate et filiatione: unde communis ratio in
divinis non potest distingui per esse, sed solum per speciales rationes. |
En outre puisqu’il y a réellement là
paternité, il y a là réellement une notion particulière de paternité :
de là il y a une notion commune à la paternité et à la filiation, tout comme
il y a une notion commune dans les notions particulières. Il ne suit
cependant pas de là que la relation à l’égard de la paternité et de la
filiation soit universelle : car tout universel existe selon des
existences différentes dans ses inférieurs alors que dans les personnes
divines il n’y a qu’une seule et même existence et c’est pourquoi l’existence
de la relation est la même dans la paternité et dans la filiation :
c’est pourquoi la notion commune ne peut être distinguée en Dieu par
l’existence, mais uniquement par des notions particulières. |
Et inde est quod nihil
unum secundum specialem rationem potest numero multiplicari in divinis. Ita
dico de persona quod persona in divinis significat communiter rationem
distincti subsistentis in tali natura, et Pater significat relationem
distincti speciali ratione subsistentis in natura communi, et similiter
Filius: et inde patet quod persona secundum rem non est communis Patri et
Filio: quia non est numero una persona utriusque, sicut una numero essentia:
sed sicut habens rationem communem est commune habentibus rationes speciales
et proprias in quibus distinguuntur, nec tamen est universale: quia non est
secundum aliud et aliud esse in patre et filio. |
Et c’est de là que rien de ce qui est un par
une notion particulière ne peut se multiplier par le nombre en Dieu. Je dis
ainsi au sujet de la personne que la personne dans les personnes divines
signifie communément la notion d’un être distinct subsistant dans telle
nature, et que le Père signifie la relation par la notion distincte et
particulière de ce qui subsiste dans une nature commune et qu’il en est de
même du Fils : et il est clair à partir de là que la personne dans la
réalité n’est pas commune au Père et au Fils : car il n’y a pas une
seule et même personne numériquement parlant pour les deux, comme il n’y a
qu’une seule essence numériquement parlant pour les deux : mais la
notion de personne est commune au Père et au Fils comme ce qui a une notion
commune est commun à ceux qui possèdent des notions particulières et propres
dans lesquelles ils se distinguent, et cependant cette notion commune n’est
pas universelle, car elle n’existe pas d’après des existences qui seraient
différentes dans le Père et le Fils. |
[1915] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod persona non est communis
communitate rei, sicut essentia: et ideo quamvis secundum rem non differat ab
essentia, non tamen significat per modum essentiae ; et similiter cum dicitur
quod Pater distinguitur a Filio in persona, non intelligitur quod sit
distinctio in ratione communi personae, sed solum in ratione speciali, quae
est ratio Patris. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que la personne n’est pas commune par une
communauté réelle, comme l’essence ; et c’est pourquoi, bien que selon
la réalité elle ne diffère pas de l’essence, elle ne signifie cependant pas à
la manière de l’essence ; et il en est de même lorsqu’on dit que le Père
se distingue du Fils comme personne, on n’entend pas par là qu’il y a
distinction dans la notion commune de personne, mais seulement dans la notion
particulière qui est la notion de Père. |
[1916] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod persona non est de ratione
Patris, si proprie accipiatur: quia in divinis non proprie est definitio,
sicut nec genus et species. Si tamen in hoc non fiat vis, tunc dicendum, quod
si sit de ratione Patris, non tamen est secundum aliud esse in Patre et
Filio: [et ideo non est commune eis per modum universalis, sed secundum
rationem tantum. add. Éd. de Parme] |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la
personne ne fait pas partie de la définition du Père, si définition se prend
au sens propre : car en Dieu il n’y a pas à proprement parler
définition, tout comme il n’y a ni genre ni espèce. Si cependant il n’y avait
aucune force dans cette raison, alors il faut dire que si personne faisait
partie de la définition du Père, ce ne serait cependant pas d’après une
existence différente dans le Père et le Fils : [et c’est pourquoi la
personne ne leur est pas commune à la manière d’un universel, mais uniquement
selon la raison add. Éd. de Parme]. |
[1917] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. |
3. Et par là la solution à la
troisième difficulté est évidente. |
[1918] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis id quod est persona,
sit incommunicabile, nihil tamen prohibet intentionem personae esse communem,
sicut Socrates est incommunicabilis, et tamen ratio individui vel intentio
communis est, sicut e contrario intentio generis designatur ut particularis,
quando contrahitur ad hoc genus: similiter etiam ratio personae, inquantum
persona est, quamvis non nominet intentionem [particularem add. Éd. de
Parme], tamen est communis, eo quod non dicit specialem rationem
distinctionis, sed generalem ; sicut etiam individuum vagum, ut aliquis homo,
est aliquo modo commune, prout non dicit hanc vel aliam rationem
individuationis, sed individuationem tantum in communi. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que bien
que ce qui est une personne soit incommunicable, rien cependant n’empêche
l’intention de personne d’être commune, tout comme par exemple Socrate est
incommunicable, et cependant la notion d’individu ou l’intention est commune,
tout comme au contraire l’intention de genre
est désignée comme particulière lorsqu’elle est déterminée à tel
genre : de même encore la notion de personne en tant que personne, bien
qu’elle ne nomme pas une intention [particulière add. Éd. de Parme], est
cependant commune, du fait qu’elle ne dit pas une notion particulière de
distinction, mais une notion générale ; tout comme l’individu
indéterminé, par exemple un certain homme, est en un certain sens commun pour
autant qu’il ne dit pas telle ou telle notion de l’individuation, mais
seulement l’individuation en général. |
|
|
Articulus 4 [1919] Super
Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 tit. Utrum tres personae possint dici tres res |
Article 4 – Peut-on dire que les trois personnes sont trois choses ? |
[1920] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod tres personae
non possint dici tres entes, vel tres res. Quidquid enim absolute praedicatur
in divinis, hoc singulariter de tribus praedicatur. Sed ens et res dicuntur
absolute. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1.
Il semble qu’on ne puisse dire des trois personnes qu’elles sont trois étants
ou trois réalités. En effet, tout ce qui s’attribue à Dieu à la manière d’un
absolu s’attribue aux trois personnes au singulier. Mais l’étant et la
réalité s’attribuent absolument. Donc, etc. |
[1921] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut est una deitas Patris et Filii, ita
unum esse et una quidditas. Sed una quidditas et unum esse non dicitur nisi
unus Deus. Ergo eadem ratione non debent tres personae dici tres entes vel
tres res ; cum nomen entis imponatur ab esse, et nomen rei a quidditate, ut
dicit Avicenna, tract. IV Métaph., cap. V. |
2. Par ailleurs, tout comme il n’y a qu’une
seule divinité pour le Père et le Fils, de même il n’y a pour eux qu’une
seule existence et une seule quiddité. Mais une seule quiddité et une seule
existence ne se disent que pour un seul Dieu. Donc, pour la même raison on ne
doit pas dire des trois personnes qu’elles sont trois étants ou trois
réalités, puisque le nom d’étant est imposé à partir du terme ¨exister¨ et le
nom de réalité à partir du terme ¨quiddité¨, comme le dit Avicenne [IV Métaphysique, ch. V] |
[1922] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, Pater et Filius non distinguuntur nisi
relationibus. Sed relatio, quantum ad respectum, quo distinguit, non habet
quod ponat aliquid. Ergo videtur quod ex hoc quod relationibus distinguuntur,
non possunt dici tres entes, vel tres res. |
3. En outre, le Père et le Fils ne se
distinguent que par les relations. Mais la relation, quant au rapport par
lequel elle distingue, n’a pas à poser quelque chose. Il semble donc que du
fait qu’ils se distinguent par les relations, ils ne puissent être appelés
trois étants ou trois réalités. |
[1923] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Damascenus, lib. Fide orth., dicit
quod tres personae re non differunt, sed ratione et cognitione distinguuntur.
Sed quaecumque distinguuntur sola ratione, non sunt tres res. Ergo et cetera. |
4. Par ailleurs, Damascène, dans son livre
intitulé De la Foi Orthodoxe, dit
que les trois personnes ne diffèrent pas par la réalité, mais qu’elles se
distinguent par la raison ou par la connaissance. Mais tout ce qui ne se
distingue que par la raison ne peut être trois réalités. Donc, etc. |
[1924] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, Augustinus, lib. I De doct. Christ., cap.
V, col. 21) dicit: Res quibus fruendum est, sunt Pater et Filius et
Spiritus sanctus. Ergo, et cetera. |
Cependant : 1.
Au contraire, Saint-Augustin [1 De la
doctrine Chrétienne, ch. V, col. 21] dit : Les réalités dont il faut jouir sont le Père, le Fils et
l’Esprit-Saint. Donc, etc. |
[1925] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quaecumque realiter distinguuntur sunt
plures res. Sed Pater et Filius et Spiritus sanctus realiter distinguuntur.
Ergo et cetera. Probatio mediae. Sicut ratio sapientiae est in Deo,
ita ratio paternitatis realiter. Sed propter realem rationem sapientia
dicitur Deus realiter sapiens. Ergo et eadem ratione dicetur realiter pater:
ergo realiter relatus: ergo et realiter distinctus: quia haec invicem per se
consequuntur. |
2. Par ailleurs, toutes les choses qui se
distinguent réellement sont plusieurs réalités. Mais le Père, le Fils et
l’Esprit-Saint se distinguent réellement. Donc, etc. Preuve de la mineure. Tout comme la notion de sagesse est en Dieu, de
même la notion de paternité y est réellement. Mais à cause de la notion
réelle de sagesse on dit de Dieu qu’il est réellement sage. Donc, pour la
même raison on dira qu’il est réellement père, et donc qu’il est réellement
relatif et par conséquent réellement distinct ; car ces notions
découlent essentiellement les unes des autres. |
[1926] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod secundum Avicennam, ut supra
dictum est, dist. 2, qu. 1, art. 3, hoc nomen « ens » et
« res » differunt secundum quod est duo considerare in re, scilicet
quidditatem et rationem ejus, et esse ipsius ; et a quidditate sumitur hoc
nomen « res ». |
Corps de l’article : 1.
Je réponds qu’il faut dire que d’après Avicenne, comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 2, quest. 1, art. 3], ce nom, à savoir «ens», c’est-à-dire
«étant», et «res», c’est-à-dire «chose», diffèrent selon qu’il y a deux
choses à considérer dans la chose, c’est-à-dire sa quiddité ou sa définition,
et son existence ; et c’est de «quiddité» que se tire ce nom «res». |
Et quia quidditas potest
habere esse, et in singulari quod est extra animam et in anima, secundum quod
est apprehensa ab intellectu ; ideo nomen rei ad utrumque se habet: et ad id
quod est in anima, prout res dicitur a « reor reris », et ad id
quod est extra animam, prout res dicitur quasi aliquid ratum et firmum in
natura. |
Et parce que la quiddité
peut posséder l’existence, à la fois dans le singulier qui est en dehors de
l’âme et dans l’âme selon qu’elle est appréhendée par l’intelligence, c’est
pourquoi le nom de «chose» peut se rapporter aux deux formes
d’existence : à la fois à celle qui est dans l’âme, pour autant que que «res»
se dit à partir de «reor reris», c’est-à-dire à partir de «je pense», et à
celle qui est en dehors de l’âme, pour autant que «res» ou «chose» dit ce qui
est pensé et possède une existence ferme dans une nature. |
Sed nomen entis sumitur ab
esse rei: et ideo cum unum et idem sit esse trium personarum, si ens sumatur
substantive, non potest pluraliter praedicari de tribus personis: quia forma
a qua imponitur, scilicet esse, non multiplicatur in eis. Si autem sumatur
participialiter et adjective, sic pluraliter praedicari potest: quia
hujusmodi recipiunt numerum a suppositis, et non a forma significata, ut
dictum est, dist. XXII, qu. 1, art. 1. |
Mais le nom d’étant se tire de l’existence
de la chose : et c’est pourquoi, puisqu’il n’y a qu’une seule et même
existence pour les trois personnes, si étant se prend comme substantif, il ne
peut s’attribuer au pluriel aux trois personnes parce que la forme à partir
de laquelle le nom est imposé, à savoir l’existence, n’est pas multipliée en
elles. Mais si étant se prend comme participe et adjectif, alors il peut
s’attribuer au pluriel car le participe et l’adjectif reçoivent leur nombre
des suppôts et non de la forme signifiée, ainsi que nous l’avons dit [dist. XXII,
quest. 1, art. 1] |
Sed quidditas sive forma,
a qua sumitur nomen rei in divinis, consideratur dupliciter. Aut ut forma
absoluta, ut essentia vel deitas et hujusmodi, quae non multiplicantur in
divinis: unde et nomen rei, quod a tali forma sumitur, pluraliter non
praedicatur, sed singulariter ; prout dicitur quod Pater et Filius sunt una
res. Est etiam in divinis quaedam forma relativa, ut paternitas, quae
secundum rationem non solum in intellectu existentem, sed etiam extra, est
alia a filiatione. |
Mais la quiddité ou la forme de laquelle se
tire le nom de réalité en Dieu se considère de deux manières. Soit comme
forme absolue, comme l’essence ou la divinité qui ne sont pas multipliées en
Dieu : de là le nom de réalité aussi, qui se tire d’une telle forme, ne
s’attribue pas au pluriel mais au singulier selon qu’on dit du Père et du
Fils qu’ils sont une seule et même réalité. Mais il y a aussi en Dieu une
forme qui est relative, comme la paternité, qui est autre que la filiation
non seulement selon la définition qui existe dans l’intelligence, mais aussi
en dehors de l’intelligence. |
Unde secundum quod ab hac
relatione sumitur nomen rei, res pluraliter praedicatur, ut sint ibi plures
tales formae relativae: et secundum hoc dicimus, quod Pater et Filius et
Spiritus sanctus sunt tres res, non tantum in anima, sed etiam extra animam,
habentes firmitatem in natura. |
C’est pourquoi, selon que le nom de réalité
se tire de cette relation, réalité s’attribue au pluriel de telle manière
qu’il y a là plusieurs formes relatives de cette sorte : et c’est
d’après cela que nous disons que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint sont
trois réalités non seulement dans l’âme, mais aussi en dehors de l’âme,
jouissant de la fermeté de leur nature. |
[1927] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nomen entis nullo modo
sumitur ab aliqua relatione, sed ab esse quod absolutum est simpliciter in
divinis: et ideo non praedicatur pluraliter ex forma sua, sed ex supposito,
prout est adjectivum vel participium. Sed nomen rei imponitur a quidditate
vel forma, quae potest esse et absoluta et relata: et ideo potest pluraliter
praedicari, quamvis secundum nomen ad aliud non referatur: quia ad rationem
rei accidit absolutum vel relatum, sicut animali accidit quod sit rationale
et irrationale. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que le nom «ens», c’est-à-dire «étant» ne
se tire aucunement d’une relation mais de «esse», c’est-à-dire «exister» qui
purement un absolu en Dieu : et c’est pourquoi il ne s’attribue pas au
pluriel à partir de sa forme, mais à partir du suppôt, pour autant qu’il est
un adjectif ou un participe. Mais le nom de «res», ou de réalité est imposé à
partir de la quiddité ou de la forme qui peut être et absolue et
relative : et c’est pourquoi il peut s’attribuer au pluriel, bien que
selon le nom il ne se rapporte pas à quelque chose d’autre : car à la
notion de réalité survient l’absolu ou le relatif, tout comme il arrive à
l’animal d’être rationnel ou irrationnel. |
[1928] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit unum esse sicut
et deitas, tamen ens est adjectivum et Deus est substantivum: unde non est
eadem ratio. Si autem per quidditatem intelligitur non solum ratio [natura Éd.
de Parme] absoluta, sed ratio vel intentio cujuscumque vel substantiae
vel accidentis vel relationis ; sic in divinis quamvis sit una quidditas
absoluta, tamen sunt plures rationes relationum realium, et ita plures
quidditates quodammodo ; quamvis hoc non possit proprie concedi: quia
quidditas et essentia et definitio est simpliciter tantum substantiarum, ut
probat philosophus, VII Metaph., et inde est quod nomen rei praedicari
potest pluraliter et singulariter. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
qu’il n’y ait qu’une seule existence tout comme une seule divinité,
cependant «étant» est un adjectif et
Dieu est un substantif : de là le raisonnement n’est pas le même. Mais
si par quiddité on entend non seulement la notion [nature Éd. de Parme] absolue, mais la notion
ou l’intention de quelque substance, accident ou relation, ainsi en Dieu bien
qu’il n’y ait qu’une seule quiddité absolue, cependant il y a plusieurs
notions de relations réelles et ainsi, en un sens, plusieurs quiddités, bien
que cela ne puisse être concédé à proprement parler parce que la quiddité,
l’essence et la définition n’appartiennent purement et simplement qu’aux
seules substances, comme le prouve le Philosophe [ VII Métaphysique] et c’est de là que le nom de réalité peut être
attribué au pluriel et au singulier. |
[1929] Super Sent., lib. 1
d. 25 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod relatio quamvis non ponat ex
illo respectu aliquid absolutum, tamen ponit relationis rationem realiter in
Deo existentem: et ideo ex hoc potest dici res, et ex pluribus relationibus
oppositis plures res. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
relation, bien qu’elle ne pose pas sous ce rapport quelque chose d’absolu,
pose cependant la notion de relation qui existe réellement en Dieu : et
c’est pourquoi à partir de là il peut être appelé réalité et même, à partir
de plusieurs relations opposées, plusieurs réalités. |
[1930] Super Sent.,
lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 ad 4 Ad dictum Damasceni responsum est supra,
distinct. II,
art. 4,[ubi glossatur, ratione, idest relatione ; et dicitur relatio ratio
per comparationem ad essentiam. add. Éd. de Parme]. |
4. Par rapport à ce que dit Damascène on a
répondu plus haut (dist. 11, art. 4) [où il est interprété par la notion,
c’est-à-dire par la relation : et la relation est appelée notion par
rapport à l’essence add. Éd. de Parme]. |
|
|
|
|
Distinctio 26 |
Distinction 26 – [Les hypostases[18] et les relations] |
|
|
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [L’hypostase] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo. Primo de hypostasi. Secundo de proprietatibus. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum hypostasis sit in divinis, et
quid ibi significet ; 2 utrum abstractis per intellectum
proprietatibus personalibus, remaneant hypostases distinctae. |
On s’interroge ici sur deux choses : En premier lieu sur
l’hypostase. Deuxièmement sur les
propriétés. Au sujet du premier point
on se demande deux choses : 1. Y a-t-il hypostase en
Dieu ? Et si c’est le cas, que signifie-t-elle alors ? 2. Est-ce que les
hypostases demeurent distinctes si on abstrait les propriétés personnelles
par l’intelligence ? |
|
|
Articulus 1 [1933] Super Sent. lib. 1
d. 26 q. 1 a. 1 tit. Utrum hypostases proprie dicatur in
divinis |
Article 1 – Est-ce que l’hypostase s’attribue proprement à Dieu ? |
[1934] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod hypostasis non sit in
divinis proprie dicenda. Primo per hoc quod Hieronymus dicit in Littera, quod
hoc nomen non est bonae suspicionis, et quod venenum sub melle latet. |
Difficultés : 1. Il semble que l’hypostase ne s’attribue pas
proprement à Dieu. Et on peut d’abord le voir au moyen de ce que Saint-Jérôme
dit dans la Lettre, à savoir que ce nom n’est pas de bonne conjecture et
qu’il cache du venin sous le miel. |
[1935] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Boetius, hypostasis nominat substantiam
subjectam accidentibus. Sed Deus non substat alicui accidenti, ut supra,
distinct. 8, quaest. 5, dixit Augustinus. Ergo non proprie potest dici
hypostasis. |
2. Par ailleurs, comme le
dit Boèce, l’hypostase désigne une substance qui est le sujet d’accidents.
Mais Dieu ne se tient sous aucun accident, comme l’a dit Saint-Augustin
[dist. 8, quest. 5]. Il ne peut donc être appelé hypostase. |
[1936] Super Sent. lib. d. 26 q. 1 a.
arg.3 Item, hypostasis nominat rem naturae, quae alicui naturae supponitur.
Sed in omni re naturae videtur quod natura sit majoris simplicitatis quam
ipsa res naturae, et quod res naturae addit aliquid supra naturam ; alias
sicut est una natura, ita esset una res naturae. Sed ubicumque est additio,
ibi est compositio. Ergo videtur quod omnis hypostasis sit composita. Sed in
Deo non est aliqua compositio. Ergo nec hypostasis. |
3. En outre, l’hypostase nomme une chose de
nature qui est ajoutée à une nature. Mais dans toute chose de nature il
semble que la nature soit d’une plus grande simplicité que la chose de nature
elle-même, et que la chose de nature ajoute quelque chose à la nature ;
autrement, comme il n’y a qu’une seule nature, de même il n’y aurait qu’une
seule chose de nature. Mais partout où il y a addition, il y a là
composition. Il semble donc que toute hypostase soit composée. Mais il n’y a
pas de composition en Dieu. Il n’y a donc pas d’hypostase. |
[1937] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis hypostasis est subsistentia et essentia: quia
omne quod substat, subsistit et est. Si igitur in Deo est hypostasis, illa
hypostasis erit subsistentia et essentia: quod non videtur, quia dicimus tres
hypostases, non autem tres essentias vel subsistentias, secundum Boetium,
ibidem. Ergo videtur quod hypostasis in divinis nihil sit. |
4. Par ailleurs, toute hypostase est une
subsistance et une essence : car
tout ce qui soutient subsiste et
existe. Si donc il y a hypostase en Dieu, cette hypostase sera subsistance et
essence : et il ne semble pas qu’il en soit ainsi, car d’après Boèce au
même endroit, nous disons trois hypostases, mais non pas trois essences ou
trois subsistances. Il semble donc que l’hypostase ne corresponde à rien en
Dieu. |
[1938] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea, omne quod est in divinis, aut est absolutum aut ad aliquid.
Sed hypostasis non videtur in divinis significare absolutum ; quia nihil
absolutum in divinis distinguitur, secundum Augustinum, De fide ad Petrum, cap. I, et Boetium, II De Trinit., cap. I ; hypostasis autem distinguitur. Nec etiam est
ad aliquid ; quia relatio in divinis est distinguens, et hypostasis est
distinctum. Ergo videtur quod hypostasis non sit in divinis. |
5. Par ailleurs, tout ce
qu’il y a en Dieu est ou bien absolu, ou bien relatif. Mais l’hypostase ne
semble pas signifier l’absolu en Dieu ; car rien de ce qui est absolu en
Dieu ne distingue d’après Augustin [De
la Foi à Pierre, ch. 1] et Boèce [11 De
la Trinité, ch. 1] ; mais l’hypostase distingue. Et encore elle
n’est pas une relation car la relation en Dieu est ce qui distingue et l’hypostase
est ce qui est distinct. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’hypostase en
Dieu. |
[1939] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, omne indeterminatum se habet
ad determinatum sicut possibile et materiale. Sed persona se habet ad hypostasim
sicut determinatum ad indeterminatum, vel sicut distinctum ad distinguibile,
ut quidam dicunt: eo quod persona est hypostasis proprietate distincta ad
dignitatem pertinente. Ergo
cum in divinis nihil sit materiale et potentiale vel incompletum, videtur
quod in divinis non sit hypostasis. |
6. Par ailleurs, tout ce qui est indéterminé
se rapporte à ce qui est déterminé à la manière de ce qui est possible et
matériel. Mais la personne se rapporte à l’hypostase comme le déterminé à
l’indéterminé, ou comme le distinct à ce qui peut être distingué, comme
certains le disent, du fait que la personne est une hypostase distincte par
une propriété qui se rapporte à une dignité. Donc, puisqu’il n’y a rien en
Dieu qui soit matériel, potentiel ou incomplet, il semble qu’il n’y ait pas
d’hypostase en Dieu. |
[1940] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 1 s. c. 1 Contra, sicut supra dictum est, dist. 25, qu. 1, art. 1, idem
dicunt Graeci hypostasim, quod nos personam. Sed persona proprie dicitur in
Deo, et pluraliter de tribus, et singulariter de singulis. Ergo et similiter
hypostasis. |
Cependant : 1. Au contraire, tout
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 25, quest. 1, art. 1], ce que les
Grecs appellent hypostase est identique à ce que nous voulons signifier par
le nom «personne». Mais «personne» se dit proprement de Dieu, au pluriel des
trois personnes et au singulier pour chacune d’elles. Il en est donc de même
pour l’hypostase. |
[1941] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, ut ex dictis patet, et ex verbis
Boetii, hypostasis apud Graecos est principaliter individuum substantiae,
quod nos substantiam primam dicimus. Hoc autem est aliquid completum et
distinctum et incommunicabile in natura substantiae. Unde hypostasis divina
erit illud quod est per se subsistens, distinctum et incommunicabile. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut
dire, comme on le voit à partir de ce qui a été dit, qu’en nous appuyant sur
les paroles de Boèce, l’hypostase chez les Grecs est principalement l’individu
d’une substance que nous appelons substance première. Mais cela est quelque
chose de complet, de distinct et d’incommunicable dans la nature de la
substance. C’est pourquoi l’hypostase divine sera ce qui est par soi
subsistant, distinct et incommunicable. |
Nihil autem absolutum est distinctum
in divinis, sed solum id quod est ad aliquid: et sicut essentia est ipsum
quod est secundum rem, ita realiter relatio distinguens est principium
[principium om. Ed. de Parme] ipsum
distinctum ; et cum relatio sit idem secundum rem quod essentia, ipsum
distinctum relatione erit idem secundum rem quod subsistens in essentia vel
natura divina ; et hoc significat nomen « hypostasis ». |
Mais rien d’absolu en Dieu n’est distinct,
mais seulement ce qui est relatif : et tout comme l’essence est cela
même qui existe en réalité, de même la relation qui distingue est réellement
le principe [principe om. Éd. de Parme]
distinct lui-même ; et puisque la relation est identique en réalité à
l’essence, cela même qui est distinct par la relation sera identique en
réalité à ce qui subsiste dans l’essence ou la nature divine ; et c’est
cela que signifie le nom «hypostase». |
Unde dico, quod nomen
« hypostasis » in divinis significat relationem ut distinctam per
modum subsistentis in natura divina, ut dictum est de nomine personae ; sed
differt, quia hypostasis de ratione sua non includit determinatam rationem
distinctionis, sed nomen personae specialem includit distinctionis rationem
quae ad dignitatem pertinet, prout dicit quid subsistens in natura nobili,
scilicet intellectuali: quamvis hoc idem dicat nomen hypostasis ex usu
Graecorum, ut Boetius dicit, ubi supra. Sed hoc nomen « Pater »
ulterius significat distinctum, exprimendo specialem et determinatam rationem
distinctionis ad nobilitatem pertinentem, scilicet relationem paternitatis. |
De là je dis que le nom «hypostase» signifie
en Dieu signifie la relation en tant que distincte à la manière de ce qui
subsiste dans la nature divine, comme nous l’avons dit au sujet du nom
«personne» ; mais il y a une différence car l’hypostase de par sa
définition n’inclut pas une notion déterminée de distinction, mais c’est
seulement le nom de personne qui inclut une notion spéciale de distinction
qui se rapporte à une dignité, pour autant qu’elle signifie ce qui subsiste
dans une nature supérieure, c’est-à-dire dans une nature intellectuelle, bien
que le nom d’hypostase dise également cela dans l’usage des Grecs, comme
Boèce le dit plus haut. Mais ce nom, à savoir «Père», signifie par le suite
un être distinct en exprimant une notion particulière et déterminée de
distinction se rapportant à une excellence, à savoir la relation de
paternité. |
Ex hoc patet quod ista quatuor se
habent consequenter: « hypostasis » enim dicit subsistens
distinctum quocumque modo. « Hypostasis » divina dicit subsistens
distinctum relatione, quia alia distinctio non potest esse in divinis.
« Persona » dicit distinctum distinctione relationis ad dignitatem
pertinentis. « Pater » in divinis dicit subsistens distinctum
relatione ad nobilitatem pertinente, quae est paternitas. |
Il est clair à partir de là que ces quatre
noms se présentent comme dans une séquence : «hypostase» en effet
signifie ce qui subsiste comme distinct de quelque manière que ce soit.
«L’hypostase» divine signifie ce qui subsiste comme distinct par la relation,
car il ne peut y avoir une autre sorte de distinction en Dieu. «Persona»
signifie ce qui est distinct par la distinction d’une relation qui se
rapporte à une dignité. «Père» signifie en Dieu ce qui subsiste comme
distinct par une relation qui se rapporte à une excellence qui est la
paternité. |
[1942] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod nomen
respondens hypostasi in lingua Latina, scilicet substantia, aequivocatur ad
substantiam [substantiam om. Ed.
de Parme] essentiam
et ad substantiam primam, et ideo ne fieret occasio deceptionis, noluit
Hieronymus uti nomine hypostasis ante notam et declarativam sive
[declarativam sive om. Ed. de Parme)
determinatam ejus significationem ; ne ex distinctione hypostasis,
distinctionem essentiae haeretici, simplices [decipiendo add. Ed. de Parme], arguerent. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le nom qui correspond à hypostase dans la langue latine, à
savoir le nom de substance, prête à équivoque, car il peut être interprété à
la fois comme étant la substance [substance om. Éd. de Parme] en tant qu’essence et comme étant la substance
première ; et c’est pourquoi, afin d’éviter toute occasion de confusion,
Saint-Jérôme n’a pas voulu se servir du nom d’hypostase avant que soit
connue, manifestée ou [manifestée ou om.
Éd. de Parme] déterminée sa signification, afin que les hérétiques
n’induisent pas les simples en erreur en les amenant à poser une distinction
dans l’essence en partant d’une distinction dans l’hypostase. |
[1943] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis secundum rem in divinis non sit
aliquid sub alio vel substans alii per modum accidentis ; tamen intelligitur
aliquid substare quantum ad modum significandi, secundum quod etiam dicit
Damascenus, lib. I De fide orth.,
cap. IX col. 838, quod in divinis quaedam significant id quod consequitur
substantiam, ut bonitas, sapientia, paternitas et hujusmodi ; et secundum hoc
potest dici ibi nomen hypostasis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
qu’en réalité il n’y ait pas en Dieu quelque chose qui se tient sous un autre
ou qui soutient un autre qui serait comme un accident, cependant on entend
que quelque chose soutient quant au mode de signifier, conformément à ce que
dit aussi Damascène [1 De la Foi
Orthodoxe, ch. 1CX, col. 838], à savoir qu’en Dieu il y a des termes qui
expriment la substance, comme la bonté, la sagesse, la paternité et d’autres
termes de cette sorte. Et c’est d’après cela que le nom d’hypostase peut se
dire de Dieu. |
[1944] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hypostasis in
Deo est res etiam [etiam om. Éd.
de Parme] naturae.
Sciendum est enim quod individuum substantiae dicitur dupliciter: vel ex eo quod substat naturae communi
[communi om. Éd. de Parme], vel ex eo quod substat accidentibus et
proprietatibus ; et quantum ad utrumque potest significari per nomen primae
intentionis, vel per nomen secundae intentionis. Per nomen primae impositionis
significatur ut substat naturae, hoc nomine res naturae ; et per nomen
secundae impositionis, hoc nomine quod est suppositum. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que l’hypostase en Dieu est aussi [aussi om. Éd. de Parme] une réalité de nature. Il faut en effet savoir
que l’individu de la substance se dit de deux manières : Soit du fait qu’il est le
sujet d’une nature commune [commune om.
Éd. de Parme], Soit du fait qu’il est le
sujet des accidents et des propriétés ; et quant aux deux manières, il
peut être signifié par le nom de l’intention première ou par le nom de
l’intention seconde. Par le nom de la première imposition il est signifié
comme le sujet d’une nature par le nom de «res naturae», soit «chose de
nature» ; et par le nom de la seconde imposition il est signifié par ce
nom de «suppôt». |
Similiter inquantum substat
proprietati, significatur nomine primae impositionis, quod est nomen
hypostasis vel personae, et nomine secundae impositionis, quod est singulare,
ut individuum: quae proprie non sunt in divinis, quia exprimunt determinatum
modum distinctionis, quod est per materiam ; sed loco horum dicitur ibi
incommunicabile. Nec tamen oportet quod natura sit aliquid simplicius quam
ipsa res naturae: quia in simplicibus, secundum Avicennam, quidditas
simplicis est ipsum simplex ; sed differt tantum quantum ad modum
significandi: quia quidditas significatur ut forma, et ipsa res simplex
significatur ut subsistens ; et distinctio in re naturae non est ex parte
naturae, sed ex parte relationum oppositarum subsistentium in natura illa. |
Et de la même manière, selon qu’il est le
sujet d’une propriété, il est signifié par le nom de la première imposition
qui est le nom d’hypostase ou de personne, et par le nom de la deuxième
imposition qui est le singulier ou l’individu, lesquels ne conviennent pas à
proprement parler à Dieu car ils expriment un mode déterminé de distinction
qui se fait par la matière, et au lieu de ces termes on dit dans ce cas
«incommunicable». Et il n’est pas nécessaire que la nature soit quelque chose
de plus simple que la chose de nature elle-même car dans les réalités
simples, selon Avicenne, la quiddité de la réalité simple est la réalité
simple elle-même ; mais il y a là cependant une différence uniquement
quant au mode de signifier car la quiddité est signifiée en tant que forme et
la réalité simple elle-même est signifiée en tant que subsistante ; et
la distinction dans la chose de nature ne vient pas du côté de la nature,
mais du côté des relations opposées qui subsistent dans cette nature. |
[1945] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod persona, ut dictum est, dist. 25, qu. 1,
art. 4, non distinguitur in divinis ex parte naturae, vel ex parte ipsius
esse ; sed solum ex parte proprietatum ; unde illa nomina quae dicuntur
secundum respectum ad proprietatem, pluraliter praedicantur, sicut
« hypostasis » et « persona » ; quae autem dicuntur per
respectum ad esse, praedicantur singulariter, ut « subsistentia »
et « essentia »: quamvis nomen subsistentiae apud usum sanctorum
sumatur pro hypostasi, ut prius dictum est. Sed quaedam sunt nomina quae
dicunt respectum ad naturam communem, quae etiam pluraliter praedicantur,
« ut res naturae » et « suppositum » ; quia quamvis non
dicant respectum ad proprietatem per modum formae, tamen, inquantum nominant
aliquid distinctum sub natura communi, significant in divinis relationes ut
subsistentes. « Subsistentia » autem et essentia non nominat
distinctum: unde etiam per prius sunt in generibus et speciebus quam in individuis,
secundum Boetium: et ideo si proprie accipiantur, pluraliter non
praedicantur, sicut est apud Graecos. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
personne, comme nous l’avons dit [dist. 25, quest. 1, art. 4] ne se distingue
pas en Dieu du côté de la nature, ou du côté de l’existence elle-même, mais
seulement du côté des propriétés ; c’est pourquoi ces noms qui se disent
d’après le rapport à la propriété s’attribuent au pluriel, comme «hypostase»
et «personne» ; mais ceux qui se disent par rapport à l’existence
s’attribuent au singulier, comme «subsistance» et «essence», bien que le nom
de subsistance se prenne pour hypostase dans l’usage qu’en font les saints,
ainsi que nous l’avons dit précédemment. Mais il y a certains noms qui disent
une rapport à la nature commune et qui s’attribuent aussi au pluriel, comme
«res naturae», soit «chose de nature», et «suppôt» ; car bien qu’ils ne
disent pas un rapport à la propriété à la manière d’une forme, cependant,
pour autant qu’ils nomment quelque chose de distinct sous une nature commune,
ils signifient en Dieu les relations comme subsistantes. Mais «subsistantia»
et essence ne nomment pas quelque chose de distinct : de là encore on
les retrouve en priorité dans les genres et les espèces plutôt que dans les
individus, selon Boèce : et c’est pourquoi, si on les prend au sens
propre, ces termes ne s’attribuent pas au pluriel, comme c’est le cas chez
les Grecs. |
[1946] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hypostasis, ut dictum est, in corp. art.,
significat in divinis relationem per modum substantiae: quia sicut propter
simplicitatem, idem est in Deo essentia et ens [esse Éd. de Parme]: ita etiam idem est in eo relatio distinguens et
distinctum relatione ; sed differunt secundum modum significandi, qui
fundatur in re, quia utrumque nomen habet veram significationem suam in Deo ;
et ideo differunt etiam quantum ad modum supponendi, quia supposito uno non
supponitur aliud. Sicut enim dicimus quod Deus generat et deitas non generat:
ita dicimus quod hypostasis distinguitur et relatio distinguit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que
l’hypostase, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, signifie en
Dieu la relation à la manière d’une substance : car tout comme l’essence
et l’étant [l’existence Éd,. de Parme]
sont identiques en Dieu en raison de sa simplicité, de même aussi en Lui la
relation qui distingue est identique à ce qui est distinct par la
relation ; mais ils diffèrent par la manière de signifier qui se fonde
dans la réalité, car chacun des deux noms possède sa véritable signification
en Dieu ; et c’est pourquoi ils diffèrent aussi quant à la manière de
poser, car si l’un est posé, l’autre ne l’est pas. Nous disons par exemple en
effet que Dieu engendre et que la divinité n’engendre pas : de même nous
disons que l’hypostase est quelque chose de distinct et que la relation
distingue. |
[1947] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut nomen personae significat quid
distinctum in divinis, ita et nomen hypostasis ; sed nomen personae
determinat specialem modum distinctionis, scilicet per proprietatem nobilem,
quod nomen hypostasis non determinat ; unde se habent quasi sicut superius et
inferius ; sicut aliqua substantia est quodammodo magis communis quam aliquis
homo. |
6. Il faut dire en sixième lieu que le nom
d’hypostase, tout comme le nom de personne, signifie en Dieu un être
distinct ; mais le nom de personne détermine un mode spécial de
distinction, c’est-à-dire par une propriété qui est noble, ce que le nom
d’hypostase ne précise pas ; c’est pourquoi ils se présentent comme le
supérieur à l’égard de l’inférieur, tout comme une certaine substance est en
un sens plus commune qu’un certain homme. |
Sed ista determinatio et
indeterminatio communis et proprii, in rebus compositis reducitur ad
materiale et formale secundum rem, eo quod ratio generis fluit a materia, et
ratio differentiae a forma, ut dictum est: sed in rebus simplicibus non habet
aliquid respondens in re quod sit indeterminatum, quasi materiale, et forma
adveniente determinetur ; sed est solum quantum ad modum significandi,
inquantum utrumque illorum est vere significare in divinis. |
Mais cette détermination et cette
indétermination du commun et du propre se ramène dans les êtres composés au
matériel et au formel selon la chose, du fait que la notion de genre découle
de la matière et que la notion de différence découle de la forme, comme nous
l’avons dit : mais dans les êtres simples, il n’y a rien qui corresponde
dans la réalité à ce qui est indéterminé, qui est comme matériel et qui est
déterminé par une forme qui survient, mais seulement quant au mode de
signifier, pour autant qu’il faille véritablement signifier chacun de ces
deux aspects en Dieu. |
|
|
Articulus 2 [1948] Super Sent., lib. 1
d. 26 q. 1 a. 2 tit. Utrum remotis relationibus per intellectum, hypostases
remaneant distinctae. |
Article 2 – Si on exclut en esprit les relations, les hypostases demeurent-elle distinctes ? |
[1949] Super Sent., lib. 1 d.
26 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod remotis relationibus per
intellectum, remaneant hypostases distinctae. Sicut enim dicit Augustinus, V De Trinitate, cap. V, col. 913, in
omni quod ad alterum dicitur, est accipere aliquid quod per se dicitur ; quia
relatum, non est relatum tantum, sed etiam est aliquid. Si igitur hypostasis
secundum relationem ad aliquid dicitur, videtur quod praeter intellectum
relationis, sit aliquid intelligere subsistens ; et ita remotis
proprietatibus relativis per intellectum, videtur quod remaneant ipsae
hypostases subsistentes. |
Difficultés : 1. Il semble que si on
abstrait par l’intelligence les relations des Personnes, les hypostases
demeurent distinctes. En effet, comme le dit Saint-Augustin [V De la Trinité, ch. V, col. 913], dans
tout ce qui se dit en relation à un autre, il faut admettre quelque chose qui
se dit par soi ; car le relatif n’est pas seulement du relatif, mais
aussi il est quelque chose. Si donc l’hypostase selon la relation se dit par
rapport à quelque chose, il semble qu’en dehors de la conception de la
relation, il y ait quelque chose de subsistant à concevoir ; et ainsi,
une fois abstraites les propriétés relatives par l’intelligence, il semble
que les hypostases elles-mêmes demeurent subsistantes. |
[1950] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, hypostasis in divinis est
perfectior quam sit in creaturis. Sed in creaturis remoto per intellectum,
vel secundum rem, hoc quod una hypostasis ad aliam dicitur, adhuc remanent
ipsae hypostases, sicut Socrates et Plato. Ergo videtur quod etiam in divinis. |
2. Par ailleurs, l’hypostase en Dieu est
plus parfaite que dans les créatures. Mais dans les créatures, une fois
qu’est abstrait par l’intelligence ce qui est dit par une même hypostase à
l’égard d’une autre, les hypostases elles-mêmes, comme Socrate et Platon, demeurent
encore. |
[1951] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 2 arg. 3 Item, omne quod cadit in definitione alicujus, potest intelligi,
non intellecto illo ; sicut remoto per intellectum rationali, per quod homo
constituitur, intelligitur animal, quod in definitione hominis ponitur. Sed
persona est hypostasis proprietate distincta, ad dignitatem pertinente. Ergo
remota per intellectum proprietate relativa, adhuc remanet hypostasis
distincta. |
3. En outre, tout ce qui tombe dans la
définition d’une chose peut être compris sans comprendre cette chose ;
par exemple, si on fait abstraction
par l’intelligence de rationnel qui entre dans la constitution de
l’homme, on peut néanmoins comprendre «animal» qui est placé dans la
définition de l’homme. Mais la personne est une hypostase distincte par une
propriété qui se rapporte à une dignité. Donc, une fois qu’on fait
abstraction par l’intelligence d’une propriété relative, l’hypostase demeure
encore distincte. |
[1952] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, Pater habet quod est quis, et quod est Pater. Aut
igitur ab eodem, aut ab alio. Si ab eodem, tunc cum paternitate sit Pater,
paternitate erit quis. Sed in Filio non est paternitas. Ergo Filius non erit quis:
quod est falsum. Ergo oportet dare alterum, quod non ab eodem habeat. Remoto
igitur a Patre hoc quo Pater dicitur, adhuc remanet quod est quis. Sed
« quis » nominat hypostasim. Ergo remota relatione remanet
hypostasis distincta. |
4. Par ailleurs, c’est soit pour la même
raison, soit pour une autre que le Père est quelqu’un et qu’il est le Père.
Si c’est pour la même raison, alors, puisque c’est par la paternité qu’il est
Père, ce sera par la paternité qu’il est quelqu’un. Mais il n’y a pas la
paternité dans le Fils. Donc, le Fils ne sera pas quelqu’un : ce qui est
faux. Il faut donc accorder l’autre possibilité, à savoir que ce n’est pas pour la même raison qu’il
est Père et qu’il est quelqu’un. Donc, si on abstrait du Père ce par quoi il
est Père, il reste encore qu’il est quelqu’un. Mais «quis», c’est-à-dire
«quelqu’un» désigne l’hypostase. Donc, si on enlève la relation, l’hypostase
demeure distincte. |
[1953] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 2 s. c. 1 Contra, sicut dicit Augustinus, VI de Trinit., cap. II et III, col. 925,in omnibus Pater et Filius
unum sunt, praeter ea quae ad aliquid dicuntur. Remoto igitur per intellectum
hoc quo Pater ad alterum dicitur, remanet solum id in quo Pater et Filius
uniuntur. Sed hoc non potest esse distinctum in divinis. Ergo remota
relatione per intellectum, non remanent hypostases distinctae. Hoc idem
videtur per Boëtium, I de Trin. Cap.
VI, col. 1254, qui dicit quod in divinis sola relatio multiplicat Trinitatem. |
Cependant : 1. Au contraire, comme le dit Saint-Augustin [
VI De la Trinité, ch. 11 et 111,
col. 925], le Père et le Fils sont un en tout sauf pour ce qui se dit par la
relation. Ayant donc enlevé par l’intelligence ce par quoi le Père se dit par
rapport à un autre, il ne demeure que ce en quoi le Père et le Fils sont
unis. Mais cela ne peut constituer une personne distincte en Dieu. Donc, si
on abstrait la relation par l’intelligence, les hypostase ne demeurent pas
distinctes. Cela se voit aussi chez Boèce [1 De la Trinité, ch. VI,
col. 1254] qui dit qu’en Dieu, il n’y a que la relation qui cause la
multiplicité des personnes dans la Trinité. |
[1954] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod duplex est opinio. Quidam dicunt,
quod sicut est in creaturis, quod remotis relationibus et proprietatibus,
remanent ipsae hypostases seipsis distinctae, ita est etiam in divinis ; unde
dicunt, quod abstracta personalitate, idest, relatione constituente personam,
remanet hypostasis. Sed hoc non videtur posse stare secundum fidei suppositum
[suppositionem Éd. de Parme],
propter duo. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux opinions à ce sujet. Certains disent que tout comme dans les
créatures, si on enlève les relations et les propriétés les hypostases
elles-mêmes demeurent distinctes les unes des autres, il en est de même pour
les personnes divines ; c’est pourquoi ils disent que si on fait
abstraction de la personnalité, c’est-à-dire de la relation qui constitue la
personne, l’hypostase demeure. Mais cela ne semble pas pouvoir tenir, pour
deux raisons, d’après ce que l’on pose [la position Éd. de Parme] dans la foi. |
Primo, quia cum pluralitas semper
causetur ex aliqua distinctione, et distinctio omnis sit vel per essentiam
vel per quantitatem vel per relationem, impossibile est in Deo esse aliquam
distinctionem nisi quam causat relatio. Unde remotis relationibus per
intellectum, simul tollitur ipse intellectus distinctionis. |
Premièrement, parce que puisque la
multiplicité est toujours causée à partir d’une certaine distinction, et que
toute distinction a lieu soit par l’essence, soit par la quantité, soit par
la relation, il est impossible qu’il y ait en Dieu une distinction si ce
n’est celle que cause la relation. C’est pourquoi, si on fait abstraction des
relations par l’intelligence, on fait disparaître du même coup la conception
même de la distinction. |
Secundo, quia in divinis nihil
praedicatur sicut accidens, vel sicut forma inhaerens alicui praeexistenti ;
unde quidquid significatur per modum formae, totum est subsistens. Unde sicut
remota essentia per intellectum, non remanet aliquid quasi recipiens illam
essentiam, quia ipsamet essentia est subsistens ; ita etiam remota bonitate
per intellectum, non remanet aliquid quasi recipiens bonitatem, quia ipsa
bonitas est subsistens ; et similiter remota relatione per intellectum, non
relinquitur aliquid quasi substratum illi relationi, sed ipsamet relatio est
res subsistens. |
Deuxièmement, parce qu’en Dieu rien ne
s’attribue à titre d’accident ou à titre de forme inhérente à un être
préexistant ; c’est pourquoi tout ce qui est signifié à la manière d’une
forme est totalement subsistant. De là, tout comme si on fait abstraction de
l’essence par l’intelligence, il ne reste rien qui puisse recevoir cette
essence car c’est l’essence elle-même qui est subsistante, de même encore si
on fait abstraction de la bonté par l’intelligence, il ne reste rien qui
puisse recevoir la bonté car la bonté elle-même est subsistante ; et il
en est de même encore si on fait abstraction de la relation par
l’intelligence, il ne reste rien à titre de substrat de cette relation, car
c’est la relation elle-même qui est une réalité subsistante. |
Unde abstracta relatione, proprie
loquendo, nihil manet, neque absolutum, neque relatum, neque hypostasis,
neque essentia. Sed verum est quod essentia potest intelligi, non intellecta
bonitate, ut dicit Boetius, lib. De
hebd., col. 1311, et similiter potest intelligi essentia, non intellecta
paternitate vel relatione, sicut Judaei intelligunt, sed non per modum abstractionis.
Sed non potest intelligi quod in divinis removeatur relatio et remaneat
aliquid subsistens relationi, quia ipsamet ibi subsistit. |
De là, si on fait abstraction de la
relation, à proprement parler, il ne reste rien, ni l’absolu, ni le relatif,
ni l’hypostase, ni l’essence. Mais il est vrai que l’essence peut être conçue
même si la bonté n’a pas été conçue, comme le dit Boèce [Les Semaines, col. 1311] et de même l’essence peut être conçue
même si la paternité ou la relation ne l’a pas été, comme c’est le cas pour
les Juifs mais non par mode d’abstraction. Mais on ne peut concevoir, en ce
qui concerne Dieu, qu’on fasse abstraction de la relation et qu’il demeure
quelque chose qui subsiste à la relation, car c’est cette dernière elle-même
qui subsiste dans ce cas. |
Et ideo concedimus cum aliis, quod
remota relatione, non manet hypostasis distincta in divinis ; tum quia non
manet distinctio, tum quia non manet subsistens relationi. Sed verum est quod
si nunquam essent relationes quas fides distinguit, Deus esset et substantia
et persona ex hoc quod subsisteret in esse suo, et substaret proprietatibus
essentialibus, quibus ab essentiis aliis distingueretur. |
Et c’est pourquoi nous concédons avec
d’autres que si on enlève la relation, il ne demeure plus en Dieu une
hypostase distincte, tant parce qu’il ne demeure plus de distinction que
parce qu’il ne reste rien qui subsiste à la relation. Mais il est vrai que si
jamais n’avaient existé les relations que la foi distingue, Dieu existerait
encore à la fois comme substance et comme personne du fait qu’il subsisterait
dans sa propre existence et se tiendrait dans ses propriétés essentielles par
lesquelles il se distinguerait des autres essences. |
[1955] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1
a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod in divinis est accipere et
absolutum et relatum ; sed relatio non advenit absoluto sicut distinguens
ipsum, sed per omnimodam identitatem rei. Sed id quod distinguitur relatione,
est ipsa relatio ; et hoc potest significari per modum subsistentis ; et [sic
significatur nomine personae vel hypostasis Éd. de Parme], ut patet ex dictis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’en
Dieu il faut admettre à la fois l’absolu et le relatif ; mais la
relation ne survient pas à l’absolu comme ce qui le distingue, mais par une
identité réelle totale. Mais ce qui est distingué par la relation, c’est la
relation elle-même et cela peut être signifié à la manière de ce qui
subsiste ; et [cela est ainsi signifié par le nom de personne ou d’hypostase
Éd. de Parme], c’est ce qu’on voit
à partir de ce qui a été dit. |
[1956] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod in creaturis hypostases distinguuntur per materiam et
proprietates diversae sunt ostendentes distinctionem ; sed in divinis
hypostases non distinguuntur nisi per relationem: quia non est ibi invenire
aliquam realem alietatem, nisi quae est secundum oppositionem relativam. Unde
sicut in creaturis, subtracta per intellectum divisione materiae et
quantitatis, non remanent hypostases distinctae ; ita etiam in divinis
subtracta oppositione relativa. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que dans les créatures les hypostases se distinguent par la matière et
les différentes propriétés manifestent cette distinction; mais en Dieu les
hypostases ne se distinguent que par la relation: car il n’y a à rechercher
là une altérité réelle que selon l’opposition de la relation. De là, tout
comme dans les créatures, si on fait abstraction par l’intelligence de la
division de la matière et de la quantité, il ne reste plus d’hypostases
distinctes, de même en Dieu il ne reste plus d’hypostases distinctes si on
fait abstraction de l’opposition relative. |
[1957] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod hypostasis ponitur in definitione personae, quia persona addit
aliquid supra hypostasim: non quidem relationem, quia relatio est de
intellectu hypostasis divinae, sicut de intellectu personae: sed addit
determinatam rationem relationis, scilicet pertinens ad dignitatem: et ideo
remota relatione, neque hypostasis intellectus, neque personae manet in
divinis: quia etiam ex hoc ipso quod ponitur hypostasis divina, ponitur
subsistens in proprietate nobili. Unde ratio nobilitatis quam addit persona,
includitur in hoc quod est divina hypostasis. Unde sicut hypostasis humana nihil minus dicit quam
persona, ita nec hypostasis divina. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
l’hypostase est placée dans la définition de la personne parce que la
personne ajoute quelque chose à la notion d’hypostase : non pas certes
la relation, car la relation fait partie de l’intelligence de l’hypostase
divine, tout comme elle fait partie de l’intelligence de la personne :
mais elle ajoute un rapport déterminé de relation, à savoir un rapport à une
dignité : et c’est pourquoi, si on enlève la relation, ni l’intelligence
de l’hypostase ni celle de la personne ne demeure en Dieu : car c’est
aussi du fait même qu’on pose l’hypostase divine qu’on pose ce qui subsiste
dans une propriété qui est noble. C’est pourquoi le rapport à la noblesse que
la personne ajoute est inclus dans ceci qu’elle est l’hypostase divine. C’est
pourquoi l’hypostase divine, tout comme l’hypostase humaine, ne dit rien de
moins que la personne. |
[1958] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod paternitate
habet Pater quod est quis, et quod est Pater ; non tamen sequitur quod Filius
non sit quis ; quia hoc quo Pater habet paternitatem, Filius habet
filiationem, quae etiam est relatio. Unde abstracta relatione, neque Pater
est quis, neque Filius est quis ; sed tamen uterque est quis sua relatione,
sicut uterque est persona sua personalitate ; et tamen personalitas unius non
est personalitas alterius: et hoc quomodo sit patet ex praedictis, dist. 25,
quaest. 1, art. 3, de communitate personae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que c’est
par la paternité que le Père est quelqu’un et qu’il est Père ; il ne
s’ensuit cependant pas que le Fils n’est pas quelqu’un ; car ce par quoi
le Père possède la paternité est ce par quoi le Fils possède la filiation qui
est aussi la même relation. C’est pourquoi, si on fait abstraction de la
relation, ni le Père ni le Fils ne sera quelqu’un ; mais cependant
chacun des deux est quelqu’un par sa relation, tout comme chacun des deux est
une personne par sa «personnalité» ; et cependant la personnalité de
l’un n’est pas la personnalité de l’autre : et c’est à partir de ce qui
précède [dist. 25, quest. 1, art. 3] au sujet de la communauté de la personne
qu’on voit comment il en est ainsi. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [Les propriétés] |
Prooemium |
Prologue |
[1959] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
pr. Deinde quaeritur de proprietatibus ; et circa hoc quaeruntur tria: 1 an
relationes sint in divinis ; 2 utrum solis relationibus originis
personae distinguantur ; 3 de numero relationum, notionum, et
proprietatum, et qualiter haec differant. |
On s’interroge ensuite sur les
propriétés ; et à ce sujet on pose trois questions : 1. Y a-t-il des relations
en Dieu ? 2. Est-ce que les
personnes se distinguent uniquement par les relations d’origine ? 3. Quel est le nombre des
relations, des notions et des propriétés et de quelle manière ces dernières
diffèrent-elles ? |
|
|
Articulus 1 [1960] Super Sent., lib. 1
d. 26 q. 2 a. 1 tit. Utrum relationes divinae sint omnino nihil |
Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles tout à fait inexistantes ? |
[1961] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
in divinis relationes omnino nihil sint. Sicut enim dicit Boetius, lib. De Trinit., cap. IV, col. 1252, cuncta
quae in divinam praedicationem veniunt, mutantur in substantiam ; « ad
aliquid » vero omnino non praedicatur. Sed quidquid est in Deo, praedicatur de ipso. Ergo
relationes non sunt in Deo. |
Difficultés : 1. Il semble qu’en Dieu
les relations ne soient absolument rien. En effet, comme le dit Boèce [De la Trinité, ch. IV, col. 1252],
tout ce qui vient à être attribué à Dieu se change en la substance ;
mais la relation n’est absolument pas attribuée. Mais tout ce qui se retrouve
en Dieu s’attribue à lui. Il n’y a donc pas de relations en Dieu. |
[1962] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
arg. 2 Praeterea, ipse dicit, quod relationes quibus Pater refertur ad
filium, et Filius ad Patrem, sunt similes relationibus quibus aliquid ad
seipsum refertur, ut cum dicitur idem eidem idem. Sed tales relationes nihil
secundum rem ponunt in eo de quo dicuntur, ut videtur dicere philosophus, in
V Métaph., text. 20,
sed sunt solum secundum intellectum. Ergo videtur quod relationes non sunt
realiter in Deo. |
2. Par ailleurs, il dit
lui-même que les relations par lesquelles le Père se rapporte au Fils et le
Fils se rapporte au Père, sont semblables aux relations par lesquelles une
chose se rapporte à elle-même, comme lorsqu’on dit que le même est identique
à soi-même. Mais de telles relations ne posent rien, en réalité, dans l’être
auquel elles s’attribuent, comme semble le dire le Philosophe [V Métaphysique, texte 20], mais
seulement selon l’intelligence. Il semble donc que les relations n’existent
pas en réalité en Dieu. |
[1963] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 3 Item omne
quod advenit alicui et recedit ex sola habitudine alterius ad ipsum, sine
omni sua mutatione, non ponit aliquid in ipso. Nihil enim potest advenire
alicui de novo sine sui mutatione vel per se vel per accidens. Sed relationes
hoc modo adveniunt et recedunt ; sicut per mutationem alterius efficitur
columna immobilis dextra et sinistra: sicut mortuo Filio aliquis desinit esse
Pater, nulla mutatione circa ipsum facta. Ergo videtur quod relationes
hujusmodi omnino nihil sunt in divinis. |
3. En outre, tout ce qui survient à un être et
s’en retire à partir du seul rapport d’un autre à lui, sans aucun changement
de sa part ne pose rien en lui. En effet, rien de nouveau ne peut survenir à
un être sans changement de sa part, qu’il soit essentiel ou accidentel. Mais
c’est de cette manière que les relations surviennent surviennent à un être et
s’en retirent ; c’est ainsi par exemple que c’est par le mouvement d’un
autre que la colonne immobile devient tantôt à droite, tantôt à gauche, tout
comme un homme cesse d’être père une fois son fils mort, sans qu’aucun
changement n’ait été opéré en lui. Il semble donc que les relations de cette
sorte ne sont absolument rien en Dieu. |
[1964] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
arg. 4. Praeterea, si relatio est in divinis, aut est idem quod essentia, aut
aliud. Si idem quod essentia, tunc cum essentia sit una in omnibus, et
relatio erit una in omnibus ; vel si personae distinguuntur relationibus, distinguuntur
etiam in essentia: quod est haeresis Arii. Si aliud, ergo facit compositionem
cum essentia ; quod non potest esse. Ergo relatio omnino non est in divinis. |
4.Par ailleurs, s’il y a une relation en
Dieu, ou bien elle est identique à l’essence, ou bien elle est autre que
l’essence. Si elle est identique à l’essence, alors puisqu’il n’y a qu’une
seule et même essence en toutes les personnes, il n’y aura donc qu’une seule
et même relation en elles ; ou encore, si les personnes se distinguent
par les relations, elles se distinguent aussi par l’essence : ce qui
constitue l’hérésie d’Arius. Mais si la relation est autre que l’essence,
elle entre donc en composition avec l’essence, ce qui est impossible. Il n’y
a donc aucune relation en Dieu. |
[1965] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 1 arg. 5 Item, simplicissima seipsis distinguuntur. Sed personae divinae
sunt simplicissimae. Ergo seipsis distinguuntur: ergo videtur quod non
distinguantur aliquibus relationibus. |
5. Les êtres les plus simples se distinguent
par eux-mêmes. Mais les personnes divines sont les êtres les plus simples.
Ils se distinguent donc par eux-mêmes : il semble donc qu’ils ne se
distinguent pas par des relations. |
[1966] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 1 s. c. 1 Contra, omne quod est in Deo vel est absolutum vel est ad
aliquid [aliquod aliud Éd. de Parme].
Sed personae divinae non distinguuntur in aliquo absoluto, quia in
absolutis tres personae unum sunt. Ergo vel non distinguuntur, vel
relationibus distinguuntur. Si igitur relationes non sunt realiter in
divinis, sed secundum rationem tantum, tunc Pater et Filius non realiter
distinguuntur, et ita sequetur haeresis Sabellii. Oportet ergo relationes in divinis
ponere. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce
qui est en Dieu est soit absolu, soit en relation [ avec quelque chose
d’autre Éd. de Parme]. Mais les
personnes divines ne se distinguent pas par quelque chose d’absolu, car par
rapport à ce qui est absolu, les trois personnes n’en sont qu’une seule.
Donc, ou bien elles ne se distinguent pas, ou bien elles se distinguent par
les relations. Si donc les relations n’existent pas réellement en Dieu mais seulement selon la raison, alors le
Père et le Fils ne se distinguent pas réellement, et ainsi s’ensuit l’hérésie
de Sabellius. Il faut donc poser des relations en Dieu. |
[1967] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
s. c. 2 Praeterea, Pater refertur ad Filium et ad Spiritum sanctum, sed non
eodem modo ad utrumque: quia ad unum generando, ad alium spirando. Ergo
videtur quod oporteat in persona significare plures relationes, quibus ad
alteram referatur, sicut in una essentia plures personas. Ergo sicut in
divinis non tantum ponimus essentiam, sed etiam personas, quia invenimus
plures personas in una essentia ; ita oportet ponere etiam relationes. |
2. Par ailleurs, le Père se
rapporte au Fils et à l’Esprit-Saint, mais ce n’est pas de la même manière
qu’il se rapporte à chacun des deux: car c’est par la génération qu’il se
rapporte au Fils et par la spiration qu’il se rapporte à l’Esprit-Saint. Il
semble donc qu’il faille signifier plusieurs relations dans la personne par
lesquelles elle se rapporte à une autre, tout comme dans une seule et même
essence il y a plusieurs personnes. Donc, tout comme en Dieu nous ne posons
pas seulement l’essence mais aussi les personnes, parce que nous retrouvons
plusieurs personnes dans une même essence, de même encore il faut y poser
plusieurs relations. |
[1968] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1
co. Respondeo dicendum,
quod apud omnes Catholicos certum est relationes esse in divinis. Sed
in positione relationum inveniuntur diversae doctorum sententiae. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que pour tous les Catholiques il est certain qu’il existe des relations en
Dieu. Mais il y a une diversité d’opinions chez les docteurs quant à la
manière d’affirmer ces relations. |
Quidam dixerunt, ut Porretani, quod
relationes in divinis sunt tantum assistentes. Quidam vero dixerunt, quod relationes
in divinis sunt ipsae personae ; et quod aliquando in abstracto significantur,
hoc est solum propter modum loquendi ; sicut dicimus, rogo benignitatem tuam,
idest te benignum ; et similiter resolvendae sunt omnes illae locutiones in
quibus relationes vel proprietates in abstracto dicuntur. Alii dicunt, quod relationes sunt
personae et sunt in personis etiam secundum veritatem rei et non solum
quantum ad modum loquendi: et omnes isti secundum aliquid verum dixerunt. Sed
tamen ultima opinio continet totam veritatem. |
Certains disent, comme les Porrétains, qu’il
n’y a en Dieu des relations qu’à titre d’assistance. Mais d’autres disent que
les relations en Dieu sont les personnes elles-mêmes et que lorsqu’elles sont
signifiées dans l’abstrait, cela ne tient qu’à la manière de parler ;
par exemple, lorsque nous disons : je
fais appel à ta bonté, cela signifie : je te supplie d’être bon ; et c’est de cette manière que
doivent être résolues toutes ces locutions dans lesquelles les relation ou
les propriétés se disent dans l’abstrait. D’autres disent que les
relations sont les personnes et qu’elles existent dans les personnes
réellement et en vérité et non seulement quant à la manière de parler : et
tous ceux-là disent vrai sous un certain rapport. Mais c’est la dernière
opinion qui contient toute la vérité. |
Et ad hujus intellectum sciendum est,
quod, ut supra dictum est, dist. 8, quaest. 4, art. 3, in relatione, sicut in
omnibus accidentibus, est duo considerare: scilicet esse suum, secundum quod
ponit aliquid in ipso, prout est accidens ; et rationem suam, secundum quam
ad aliud refertur, ex qua in genere determinato collocatur ; et ex hac
ratione non habet quod ponat aliquid in eo de quo dicitur ; sicut omnes aliae
formae absolutae ex ipsa sua ratione habent quod aliquid in eo de quo [quod Éd. de Parme] dicuntur, ponant. |
Et pour le comprendre il
faut savoir, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 3],
que dans la relation tout comme dans tous les accidents, il y a deux choses à
considérer : à savoir son existence selon laquelle elle pose quelque
chose dans le sujet en tant qu’elle est un accident, et sa définition selon
laquelle elle se rapporte à quelque chose d’autre et à partir de laquelle
elle se situe dans un genre déterminé ; et de par cette définition, la
relation ne pose pas quelque chose dans l’être auquel elle s’attribue,
contrairement à toutes les autres formes qui, parce qu’elles sont absolues,
de par leur définition, posent quelque chose
dans l’être auquel [qu’elles disent Éd. de Parme] elles s’attribuent. |
Et ideo inveniuntur quaedam relationes nihil
ponentes in eo de quo dicuntur ; et hoc attendentes quidam philosophi
dixerunt, quod relatio non est aliquod unum genus entium, nec est aliquid in
rerum natura ; sed est tantum quidam respectus respersus in omnibus entibus,
et quod relationes sunt de intentionibus secundis quae non habent esse nisi
in anima. Cui etiam Porretanorum opinio consentire videtur. |
Et c’est pourquoi il se trouve certaines
relations qui ne posent rien dans l’être auquel elles s’attribuent ; et
certains philosophes, ayant remarqué cela, ont dit que la relation n’est pas
un genre d’être, ni rien de déterminé dans la nature des choses, mais qu’elle
n’est qu’un certain rapport répandu dans tous les êtres et que les relations
font partie des intentions secondes qui n’ont une existence que dans l’âme.
Et l’opinion des Porrétains semble aussi s’être rangée à cette position. |
Sed hoc falsum est: quia nihil quod
est ens tantum in anima, in genere determinato collocatur. Unde distinguendum
est inter relationes. Quaedam enim sunt quae habent aliquid in re, supra quod
esse eorum fundatur, sicut aequalitas fundatur supra quantitatem ; et
hujusmodi relationes aliquid realiter in re sunt. |
Mais cela est faux : car rien de ce qui
n’existe que dans l’âme ne se situe dans un genre déterminé. D’où la
nécessité de distinguer parmi les relations. Il y en a en effet qui sont
quelque chose dans une réalité sur laquelle leur existence se fonde, comme
l’égalité qui se fonde sur la quantité ; et de telles relations sont
réellement quelque chose dans une réalité. |
Quaedam vero sunt quae non habent
fundamentum in re de qua dicuntur, sicut dextrum et sinistrum in illis in
quibus non sunt determinatae istae positiones secundum naturam, sicut in
partibus animalis. Ibi enim, scilicet in animali, istae relationes realiter
sunt, quia fundantur in diversis virtutibus determinatarum partium ; sed in
aliis non sunt nisi secundum rationem habitudinis unius ad alterum ; et ideo
dicuntur relationes rationis. |
Mais il y en a d’autres qui n’ont pas de
fondement dans la réalité à laquelle elles s’attribuent, comme la droite et
la gauche dans ces choses dans
lesquelles ces positions ne sont pas déterminées selon la nature
contrairement à ce qu’on observe pour les parties de l’animal. Là en effet,
c’est-à-dire dans l’animal, ces relations existent réellement car elles se
fondent sur différentes puissances appartenant à des parties
déterminées ; mais chez d’autres les relations n’existent que selon la
raison du rapport de l’un à l’autre et c’est pourquoi on les appelle des relations
de raison. |
Et hoc contingit quatuor modis, scilicet quod sint relationes rationis, et non
rei. Uno modo, ut dictum est, in hoc art.,
paulo sup., quando relatio non habet aliquid in rei natura supra quod
fundetur: et inde est quod quandoque contingit quod relatio realiter est in
uno et non in altero: quia in uno habet motum quemdam supra quem fundatur,
quem non habet in alio ; sicut est in omnibus illis relationibus quibus Deus
ad creaturam refertur, quae quidem realiter sunt in creatura, et non in Deo. |
Et cela, c’est-à-dire se trouver face à des
relations de raison et non des relations réelles, est possible de quatre
manières. Premièrement, ainsi que
nous l’avons dit un peu plus haut dans cet article, quand il n’y a pas
quelque chose dans la nature de la chose sur quoi la relation se fonde :
et c’est de là qu’il arrive parfois que la relation existe réellement dans
l’un et non dans l’autre : car dans l’un il y a un mouvement sur lequel
elle se fonde et qu’elle ne retrouve pas dans l’autre, comme c’est le cas
pour toutes ces relations par lesquelles Dieu se rapporte à la créature et
qui existent certes réellement dans la créature mais non en Dieu. |
Secundo modo quando relatio non habet
aliquam realem diversitatem inter extrema, sicut relatio identitatis ; et
ideo hoc nihil ponit secundum rem, sed solum secundum rationem, ut cum
dicitur idem eidem idem. Tertio modo quando designatur relatio
aliqua entis ad non ens, ut cum dicitur quod nos sumus priores illis qui
futuri sunt: ista enim prioritas non est aliqua relatio secundum rem, sed
solum secundum rationem: quia relatio realis exigit utrumque extremorum in
actu. |
Deuxièmement quand la relation ne possède
pas une diversité réelle entre les extrêmes, comme la relation
d’identité ; et c’est pourquoi cela ne pose rien dans la réalité mais
seulement selon la raison, comme lorsque nous disons que le même est
identique au même. Troisièmement quand est
désignée une certaine relation de l’être au non-être, comme lorsque nous
disons que nous sommes antérieurs à ceux qui sont à venir : cette
antériorité en effet n’est pas une relation selon la réalité mais seulement
selon la raison, car la relation réelle existe que chacun des deux extrêmes
existe en acte. |
Quarto modo
quando ponitur relatio relationis: ipsa enim relatio per seipsam refertur,
non per aliam relationem. Unde in creaturis paternitas non conjungitur
subjecto per aliquam relationem mediam. |
Quatrièmement quand on pose une
relation de relation: la relation elle-même en effet se rapporte par
elle-même et non par une autre relation. C’est pourquoi dans les creatures la
paternité ne s’unit pas à un sujet au moyen d’une relation intermédiaire. |
Et hos ultimos duos modos ponit
Avicenna, tract. II metaph., cap.
X. Primi duo possunt etiam extrahi ex verbis philosophi, V Metaph., text. 10. Cum igitur istae
relationes, paternitas et filiatio, habeant fundamentum aliquod in re,
scilicet ipsam naturam, quae communicatur secundum communicationem naturae,
constat quod sunt realiter in Deo ; et propter simplicitatem sunt idem quod
personae in quibus sunt, et propter veritatem relationum oportet quod alio
modo significentur. |
Et Avicenne pose ces deux dernières
modalités [11 Métaphysique, ch. X].
Les deux premières peuvent aussi être tirées des paroles du Philosophe [V Métaphysique, texte 10]. Donc puisque
ces relations, la paternité et la filiation, ont un fondement dans la
réalité, à savoir la nature elle-même qui est communiquée d’après une
communication de la nature, il est clair qu’elles existent réellement en Dieu ;
et en raison de sa simplicité, elles sont identiques aux personnes dans
lesquelles elles existent et à cause de la vérité des relations il faut
qu’elles soient signifiées d’une autre manière. |
Primi igitur attendentes in
relationibus solum id quod ad alterum est, et non fundamentum quod habent in
re, dixerunt, relationes assistentes esse, quasi ex habitudine alterius
advenientes. Secundi attendentes fundamentum rei et
simplicitatem divinam, dixerunt, quod relationes non sunt in personis, sed
sunt ipsae personae. Tertii autem considerantes utrumque,
dixerunt, quod sunt in personis propter veram rationem relationis, et quod
tamen sunt personae propter simplicitatem ; sicut deitas est in Deo, et tamen
est Deus. |
Donc les premiers philosophes, ne remarquant
dans les relations que ce qui se rapporte à l’autre et non pas le fondement
qu’elles ont dans la réalité, ont dit que les relations sont assistantes, ne survenant qu’à titre
de rapport à quelque chose d’extérieur. Les seconds, remarquant le
fondement dans la réalité et la simplicité divine, ont dit que les relations
ne sont pas dans les personnes, mais qu’elles sont les personnes elles-mêmes. Les troisièmes cependant,
considérant les deux aspects, ont dit que les relations sont dans les
personnes en raison de la véritable notion de relation et qu’elles sont
cependant les personnes à cause de la simplicité, tout comme la divinité qui,
tout en étant en Dieu, est cependant Dieu. |
[1969] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod dictum Boetii intelligitur de ad
aliquid, prout ad alterum est: sic enim non praedicat aliquid in re de qua
dicitur, sed ponit aliquid extra ; sed tamen aliquae relationes, quantum ad
esse suum, aliquid in re de qua dicuntur ponunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que les paroles de Boèce s’entendent de la relation en tant
qu’elle se rapporte à un autre, à quelque chose d’extérieur : en ce sens
en effet elle n’attribue pas quelque chose à la chose à laquelle elle
s’attribue mais elle pose quelque chose à l’extérieur ; mais certaines
relations, quant à leur existence, posent quelque chose dans la chose à
laquelle elles s’attribuent. |
[1970] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in relatione identitatis duo est considerare:
scilicet illud respectu cujus dicitur identitas, scilicet ipsa essentia,
sicut aequalitas respectu quantitatis ; et id cujus est identitas, quod
dicitur idem secundum unam essentiam, sicut aequale, quod habet unam
quantitatem. Et quia etiam uno [unum Éd.
de Parme] numero est essentia quam Pater Filio communicat, ideo similitudo
est harum relationum cumrelatione identitatis, quantum ad id cujus respectu
dicuntur ; sed non est quantum ad ea quae invicem referuntur secundum illud.
Unde etiam Filius non dicitur idem Patri masculine, sed neutraliter. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il y a
deux choses à considérer dans la relation d’identité : c’est-à-dire ce
par rapport à quoi se dit l’identité, à savoir l’essence elle-même, tout
comme l’égalité se dit par rapport à la quantité ; et ce à quoi
appartient l’identité qui est dit identique d’après une seule et même
essence, tout comme on dit égal ce qui possède une seule et même quantité. Et
parce que l’essence que le Père communique au Fils est une [une Éd. de Parme] numériquement parlant,
c’est pourquoi il y a ressemblance de ces relations avec la relation
d’identité quant à ce par rapport à quoi elles se disent mais non quant aux
choses qui sont rapportées mutuellement sous ce rapport. C’est pourquoi ce
n’est pas au masculin mais au neutre qu’on dit du Fils qu’il est identique au
Père. |
[1971] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quandocumque aliquid quod est de ratione
rei, tollitur, oportet quod ipsa res auferatur, sicut remoto rationali
destruitur homo. Ad rationem autem relationis quae habet fundamentum in re
duo concurrunt ; scilicet fundamentum rei, quod est quantitas, quae est causa
hujus relationis: est etiam aliud de ratione ejus, scilicet respectus ad
alterum: et utroque modo contingit in realibus relationibus destrui
relationem: vel per destructionem quantitatis, unde ad hanc mutationem
quantitatis sequitur per accidens mutatio relationis: vel etiam secundum quod
cessat respectus ad alterum, remoto illo ad quod referebatur ; et tunc
relatio cessat, nulla mutatione facta in ipsa. Unde in illis in quibus non
est relatio nisi secundum hunc respectum, veniunt et recedunt relationes sine
aliqua mutatione ejus quod refertur. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’il arrive
parfois que ce qui fait partie de la définition d’une chose étant enlevé, il
faut que la chose elle-même soit enlevée, tout comme si on enlève rationnel,
l’homme disparaît. Mais deux aspects concourrent à la définition de la
relation qui a un fondement dans la réalité : à savoir le fondement dans
la réalité, qui est la quantité, qui est la cause de cette relation ; et
il y a l’autre aspect qui fait partie de sa définition, à savoir le rapport à
un autre, à quelque chose d’extérieur : et c’est des deux manières qu’il
arrive à une relation d’être détruite dans les relations réelles : soit
par la destruction de la quantité et de ce changement de quantité découle par
accident le changement de relation ; soit encore selon que le rapport à
l’autre cesse lorsque disparaît ce à quoi il se rapportait ; et c’est
alors que la relation cesse, aucun changement ne s’étant produit dans la
chose elle-même. C’est pourquoi, pour les choses dans lesquelles il n’y a de
relation que selon ce rapport à l’autre, à quelque chose d’extérieur, les
relations surviennent et se retirent sans qu’aucun changement ne se soit
produit du côté de la chose à laquelle appartient la relation. |
[1972] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod relatio realiter est idem quod essentia,
sed differunt solum ratione, sicut etiam bonitas ab essentia ; et ex illa
ratione relatio habet quod distinguat in divinis, quod non convenit
essentiae. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu que la relation est réellement identique à l’essence, mais ils
diffèrent seulement par la raison, comme c’est le cas aussi pour la bonté par
rapport à l’essence ; et c’est à partir de cette raison que la relation
distingue les personnes divines, ce qui ne convient pas à l’essence. |
[1973] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod etiam personae divinae seipsis
distinguuntur, inquantum personae secundum rem sunt ipsae relationes. Sed
sicut persona, quantum ad modum significandi, non est idem quod relatio ; ita
etiam seipsis non distinguuntur, sed relationibus ; sicut Deus per seipsum
est Deus, quamvis deitate [deitas Éd.
de Parme] sit Deus, quia ipse est sua deitas. |
5.
Il faut dire en cinquième lieu que même les personnes divines se distinguent
par elles-mêmes, selon que les personnes sont en réalité les relations
elles-mêmes. Mais tout comme la personne, n’est pas identique à la relation
quant au mode de signifier, de même encore les personnes ne se distinguent
pas par elles-mêmes, mais par les relations ; tout comme Dieu est Dieu
par lui-même, bien qu’il soit Dieu par la divinité [la divinité Éd. de Parme], car il est lui-même sa
propre divinité. |
|
|
Articulus 2 [1974] Super Sent., lib. 1
d. 26 q. 2 a. 2 tit. Utrum relationes originis distinguant hypostases |
Article 2 – Les relations d'origine distinguent-elles les hypostases ? |
[1975] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
relationes originis non distinguant hypostases. Quod enim secundum
intellectum sequitur substantiam, non potest esse principium alicujus
distinctionis in substantiis. Sed relatio est de assequentibus substantiam in
Deo, saltem secundum intellectum, sicut bonitas et sapientia, ut dicit
Damascenus. Cum igitur hypostasis sit substantia, videtur quod distinctionem
hypostasum relatio non facit. |
Difficultés: 1. Il semble que les hypostases ne se distinguent pas par les
relations d’origine. En effet, ce qui découle de la substance selon
l’intelligence ne peut être principe d’une distinction dans les substances. Mais
la relation fait partie de ce qui découle de la substance en Dieu, au moins
selon l’intelligence, comme la bonté et la sagesse, comme le dit Damascène.
Donc, puisque l’hypostase est une substance, il semble que la relation ne
puisse causer la distinction des hypostases. |
[1976] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2
arg. 2 Praeterea, ordo distinguentium debet respondere ordini distinctionum.
Sed inter omnes distinctiones rerum, prima est distinctio divinarum
personarum, cum sit processio personarum causa processionis creaturarum, ut
supra, dist. 14, quaest. 1, art. 1, habitum est. Ergo videtur quod cum primum
in entibus sit substantia, quod principium illius distinctionis non sit
relatio, sed substantia. |
2. Par ailleurs, l’ordre dans
ce qui distingue doit correspondre à l’ordre des distinctions. Mais parmi
toutes les distinctions des choses, la première est la distinction des
personnes divines, puisque la procession des personnes est la cause de la
procession des creatures, comme nous l’avons établi plus haut [dist. 14, quest.
1, art. 1]. Il semble donc, puisque la substance est ce qui est premier dans
les êtres, que la relation ne soit pas le principe de cette distinction, mais
plutôt que la substance le soit. |
[1977] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, relatio non habet virtutem
distinguendi, nisi secundum quod habet oppositionis rationem. Sed rationem
oppositionis non habet nisi secundum quod ad alterum est. Ergo non distinguit
nisi secundum quod ad alterum est. Sed secundum quod ad alterum est, non
habet relatio quod sit res aliqua vel substantia vel hypostasis. Ergo relatio non poterit facere
distinctionem realem hypostasum. |
3. En outre, la relation n’a la puissance de
distinguer que selon qu’elle a raison d’opposition. Mais elle n’a raison
d’opposition que selon qu’elle se rapporte à un autre. La relation ne
distingue donc que selon qu’elle se rapporte à un autre, à quelque chose
d’extérieur. Mais selon qu’elle se rapporte à un autre, la relation n’en
devient pas pour autant une chose, une substance ou une hypostase. Donc la
relation ne pourra causer une distinction réelle des hypostases. |
[1978] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 2 arg. 4 Praeterea, cum multae sint aliae relationes, quam relationes
originis, quare secundum eas tantum divinae personae distinguuntur ? Quia in
divinis est invenire etiam aequalitatem et similitudinem, et hujusmodi, quae
relationes quaedam sunt. Unde si istae non distinguunt, videtur eadem ratione
quod nec illae. |
4. Par ailleurs, puisqu’il y a plusieurs
autres relations que la relation d’origine, pourquoi faudrait-il que ce soit
d’après cette dernière seulement que les personnes divines se
distinguent ? Car dans les personnnes divines il faut retrouver une
égalité, une ressemblance et d’autres caractères de cette sorte qui sont
certaines relations. C’est pourquoi, si ces dernières relations ne
distinguent pas, pour la même raison les autres, à savoir les relations
d’origine, ne distinguent pas non plus. |
[1979] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 2 s. c. 1 Contra, minimae distinctioni debet respondere pro principio
illud quod minimum habet de ente, et quod minimam compositionem facit. Sed
inter omnia alia relatio est debilioris esse, ut dicit Commentator, X Metaph., text. 19, adeo quod quidam
reputaverunt eam esse de intentionibus secundis, ut dictum est, artic. antec.
Ergo videtur quod maxime competat ad distinctionem personarum. |
Cependant : 1. Au contraire, à la plus
petite distinction doit correspondre comme principe ce qui possède le moins
d’être et qui produit la plus petite composition. Mais parmi toutes les
formes d’être, la relation est celle qui est la plus faible, comme le dit le
Commentateur [X Métaphysique, texte
19], à ce point que certains ont cru qu’elle faisait partie des intentions
secondes, comme nous l’avons dit dans l’article précédent. Il semble donc
qu’il lui revienne au plus haut point de distinguer les personnes. |
[1980] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt,
quod principium distinctionis hypostasum divinarum non est relatio, immo
hypostases seipsis distinguuntur per solam originem ; relationes autem
manifestant distinctionem ; sicut in creaturis proprietates non faciunt
differre secundum numerum ; immo talis differentia causatur ex divisione
materiae, sed proprietates tantum manifestant eam. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il
faut dire que certains ont dit que le principe de distinction des hypostases
divines n’est pas la relation, mais bien plutôt que les hypostases se
distinguent par elles-mêmes par leur seule origine, et que les relations ne
font que manifester cette distinction, comme dans les créatures les
propriétés ne sont pas la cause d’une distinction selon le nombre, mais bien
plutôt une telle différence, que les propriétés ne font que manifester, est causée à partir d’une division de la
matière. |
Sed hoc non potest esse: quia quae
seipsis distinguuntur, ex seipsis habent aliquam rationem distinctionis,
sicut substantia distinguitur a quantitate per id quod est in intellectu
utriusque, quod est esse subsistens, et esse mensuram et hujusmodi. Si autem
considerentur duae hypostases, hypostasis inquantum hypostasis, non habet in
intellectu suo unde ab alia distinguatur, cum utraque sit hypostasis. |
Mais cela est impossible : car les
êtres qui se distinguent par eux-mêmes ont d’eux-mêmes raison de distinction,
comme la substance se distingue de la quantité au moyen de ce qui fait partie
de la compréhension des deux, à savoir l’être comme subsistant, l’être comme
mesure et des notions de cette sorte. Mais si on considère deux hypostases en
tant qu’hypostases, il n’y a rien dans la définition de l’une à partir de
quoi on puisse la distinguer d’une autre puisque les deux sont des
hypostases. |
Ergo oportet quod hoc habeat inquantum
est hypostasis per aliquam determinationem in ipsa, vel secundum determinatam
materiam, sicut in creaturis, quod non potest esse in Deo, vel secundum
aliquid aliud. Si autem dicatur, quod haec est sola origo per quam
determinate efficitur haec hypostasis, aut per originem intelligitur ipsa
relatio originis, et hoc est quod ponimus ; aut origo significatur per modum
operationis, et sic nullo modo habet quod distinguat hypostases ; immo quod
sit ab hypostasi distincta: quia omnis operatio est individuorum
distinctorum, secundum philosophum, II Metaph.,
text. in prolog.. Et ideo dicimus, quod nihil aliud est principium
distinctionis in divinis, nisi relatio. |
Il faut donc qu’une hypostase, en tant
qu’hypostase, possède ce principe de distinction au moyen d’une détermination
en elle, ou selon une matière déterminée comme c’est le cas pour les
créatures mais non en Dieu, soit selon quelque chose d’autre. Si on dit
cependant que cette détermination est la seule origine par laquelle est
déterminément produite cette hypostase, ou que c’est par l’origine que se
comprend la relation d’origine elle-même, et c’est là ce que nous posons, ou
bien l’origine est signifiée à la manière d’une opération et ainsi en aucune
manière elle ne distingue les hypostases mais bien plutôt elle vient d’une
hypostase distincte car toute opération appartient à des individus distincts
selon le Philosophe [11 Métaphysique,
texte du prologue]. Et c’est pourquoi nous disons que le principe de
distinction dans les personnes divines n’est rien d’autre que la relation. |
Cujus ratio est, quia omnis distinctio
vel divisio est vel per quantitatem vel per formam, secundum philosophum, V
Métaph., text. 1. Secundum quantitatem vel materiam, divisio in divinis non
est, cum non sit ibi quantitas et materia. Omnis autem distinctionis formalis
principium est aliqua oppositio, ut largo modo sumatur oppositio, secundum
quod etiam imperfectum et perfectum opponuntur, inquantum in uno est negatio
vel privatio alterius. In omnibus autem oppositionibus alterum est ut
perfectum, alterum ut imperfectum, praeter relationem ; quod patet per se in
affirmatione et negatione et privatione et habitu. Patet etiam in
contrarietate: quia secundum philosophum, I Physic., text. 49,
semper alterum contrariorum est sicut nobilius, et alterum sicut vilius et
sicut privatio, ut album et nigrum, frigidum et calidum et hujusmodi omnia ;
et ideo nulla talis distinctio potest esse in divinis, ubi est omnimoda
perfectio. In relativis autem neutrum est sicut privatio alterius, vel
defectum aliquem importans. Cujus ratio est, quia in relativis non est
oppositio secundum id quod relativum in aliquo est: sed secundum id quod ad
aliud dicitur. Unde quamvis una relatio habeat annexam negationem alterius
relationis in eodem supposito, non tamen ista negatio importat aliquem
defectum, quia defectus non est nisi secundum aliquid quod in aliquo natum
est esse: unde cum id quod habet oppositionem relativam ad ipsum, secundum
rationem oppositionis non ponat aliquid, sed ad aliquid, non sequitur
imperfectio vel defectus ; et ideo sola talis oppositio competit distinctioni
personarum. |
La raison en est que toute distinction est
une division soit par la quantité, soit par la forme d’après les Philosophe
[V Métaphysique, texte 1]. Mais il
n’y a pas de division en Dieu selon la quantité ou la matière puisqu’il n’y a
pas là de quantité ou de matière. Mais le principe de toute distionction
formelle est une opposition, prise au sens large du terme, selon que même
l’imparfait et le parfait s’opposent, pour autant qu’on retrouve dans l’un la
négation et la privation de l’autre. Mais dans toutes les oppositions, sauf
celle de relation, l’un est pris comme parfait et l’autre comme
imparfait ; ce que l’on voit essentiellement dans l’affirmation et la
négation, dans la privation et la possession. Cela est évident aussi pour la
contrariété car selon le Philosophe [1 Physique, texte 49], toujours l’un des
contraires est comme ce qui est plus noble alors que l’autre est pris comme
ce qui est plus vulgaire et comme une privation, comme c’est le cas pour le
blanc et le noir, le froid et le chaud et tous les opposés de cette
sorte ; et c’est pourquoi on ne peut retrouver aucune distinction de
cette sorte en Dieu où la perfection est absolue. Mais dans les oppositions
de relation, aucun des opposés n’est comme la privation de l’autre ou
n’implique un défaut ou un manque. La raison en est que dans les relatifs il
n’y a pas d’opposition selon que le relatif est pris comme existant dans un
être, mais selon qu’il se dit par rapport à un autre. C’est pourquoi, bien
qu’une seule et même relation dans un seul et même suppôt contienne, comme
rattachée à elle la négation de l’autre relation, cependant cette négation
n’implique pas un manque car le manque n’existe que d’après ce qui est
naturellement apte à exister dans un être : c’est pourquoi, puisque ce
qui a une opposition relative à un autre, ne pose pas quelque chose d’après
cette notion d’opposition mais plutôt un rapport à un autre, il ne s’ensuit
pas une imperfection ou un défaut ; et c’est pourquoi il n’y a que cette
seule opposition qui convienne à la distinction des personnes. |
[1981] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod relatio divina habet aliquid
inquantum est relatio, et aliquid inquantum est divina ; inquantum enim
divina, habet quod sit subsistens hypostasis, quia ibi nihil est accidens,
nec aliqua forma inhaerens non subsistens ; unde quamvis ex hoc quod est
relatio, non habeat quod distinguat hypostasim, quia sic omnis relatio hoc
faceret ; tamen habet hoc inquantum est relatio divina: sic enim non sequitur
substantiam, immo est ipsa substantia. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la relation est quelque chose en tant qu’elle est relation
et elle est quelque chose en tant qu’elle est divine ; en tant qu’elle
est divine, elle est une hypostase subsistante car il n’y a là aucun accident
ni aucune forme inhérente qui ne subsiste pas ; de là, bien qu’en tant
que relation elle ne distingue pas l’hypostase car alors toute relation
ferait cela, cependant elle en est capable en tant que relation divine car
ainsi en effet elle ne découle pas de la substance mais elle est bien plutôt
la substance elle-même. |
[1982] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo distinctionis potest dupliciter
considerari: vel quantum ad quantitatem distinctionis, vel quantum ad
dignitatem et causalitatem. Si quantum ad quantitatem distinctionis, sic
distinctio divinarum hypostasum est minima distinctio realis quae possit
esse, ut supra habitum est, in corp. art. Et ideo tali distinctioni competit
ens minimum, scilicet relatio. Sed quantum ad ordinem dignitatis et
causalitatis, illa distinctio excellit omnes distinctiones ; et similiter
relatio quae est principium distinctionis, dignitate excellit omne
distinguens quod est in creaturis: non quidem ex hoc quod est relatio, sed ex
hoc quod est relatio divina. Excellit etiam causalitate, quia ex processione
personarum divinarum distinctarum causatur omnis creaturarum processio et
multiplicatio, ut supra habitum est, dist. 14, quaest. 1, art. 1. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que l’ordre
de distinction peut être considéré de deux manières : soit quant à la
quantité de la distinction, soit quant à la dignité et à la causalité. Si on
le considère quant à la quantité de la distinction, alors la distinction des
hypostases divines est la plus petite distinction réelle qui puisse exister,
ainsi que nous l’avons établi plus haut dans le corps de l’article. Et c’est
pourquoi c’est la forme d’être minimale, c’est-à-dire la relation, qui
convient à une telle distinction. Mais si on considère l’ordre de distinction
sous le rapport de l’ordre de dignité et de causalité, cette distinction par
la relation dans les personnes divines dépasse toutes les autres sortes de
distinctions ; et de même la relation qui est principe de distinction en
elles dépasse par la dignité tout principe de distinction qu’on retrouve dans
les créatures, non pas certes du seul fait qu’elle est une relation, mais du
fait qu’elle est une relation divine. Elle dépasse aussi par la causalité
toute autre sorte de distinction car c’est à partir de la procession des
personnes divines distinctes qu’et causée toute procession et toute
multiplication des créatures, ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist.
14, quest. 1, art. 1]. |
[1983] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2
ad 3 Ad tertium dicendum, quod, quamvis relationi ex hoc quod ad alterum
dicitur, non debeatur quod sit res quaedam, est tamen res aliqua secundum
quod habet fundamentum in eo quod refertur ; et ex hoc ulterius habet,
inquantum est divina, quod sit hypostasis vel substantia: et ideo facit
realem hypostasum distinctionem ; sicut sapientia ex hoc quod est sapientia,
non habet quod sit substantia ; et tamen quia sapientia divina est
substantia, Deus substantialiter est sapiens. Et ideo considerandum est, quod
ubi est relatio secundum habitudinem tantum et non secundum aliquod esse
naturale, ibi non requiritur distinctio suppositorum secundum rem, sed solum
secundum rationem, ut cum dicitur idem eidem idem. Quando autem est ibi
relatio non solum secundum habitudinem, sed secundum esse naturale,
requiritur distinctio suppositorum etiam realiter, ut aequalis aequali
aequalis. Sed ubi ipsa relatio non tantum est realiter, sed etiam est ipsa
substantia relati, ibi non tantum requirit, sed facit etiam suppositorum
distinctionem. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que bien qu’il n’appartienne pas à la relation
d’être une réalité du fait qu’elle se dise par rapport à quelque chose
d’autre, elle est cependant une certaine réalité du fait qu’elle a un
fondement dans la chose à laquelle elle se rapporte ; et c’est de là
qu’elle tient par la suite, en tant qu’elle est divine, d’être une hypostase
ou une substance : et c’est pourquoi elle cause une véritable distinction
des hypostases, tout comme la sagesse, du seul fait qu’elle est sagesse,
n’est pas une substance et cependant parce que la sagesse divine est une
substance, Dieu est substantiellement sage. Et c’est pourquoi il faut
considérer que là où il y a relation selon le rapport seulement et non selon
une existence naturelle, là n’est pas requise une distinction réelle des
suppôts, mais une distinction selon la raison seulement, comme lorsqu’on dit
que le même est identique au même. Mais quand il y a là une relation qui
n’est pas seulement selon le rapport mais selon une existence naturelle,
alors est aussi requise une distinction réelle des suppôts, comme dans le cas
où l’égal est égal à l’égal. Mais là où la relation elle-même non seulement
existe réellement, mais est aussi la substance même du relatif, alors elle
n’exisge pas seulement la distinction des suppôts, mais encore elle la cause. |
[1984] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quia relatio non habet esse naturale nisi
ex hoc quod habet fundamentum in re, et ex hoc collocatur in genere ; inde
est quod differentiae relationum essentiales sumuntur secundum differentias
aliorum entium ; ut patet ex philosopho, V metaph., text. 20, ubi dicit, quod quaedam fundantur supra
quantitatem, et quaedam supra actionem, et sic de aliis. Inde est quod
secundum ordinem eorum in quibus fundantur relationes, est etiam ordo
relationum. Sicut ergo videmus in his quae distinguuntur per essentiam, quod
principia substantiae sunt distinguentia, ut materia et forma, et aliae res
accidentales sunt signa manifestantia distinctionem, ita est in his quae
distinguuntur per relationem, quod relationes quae fundantur supra naturam
rei, sunt distinguentia, et aliae relationes sunt signa distinctionis.
Relationes autem habentes fundamentum in natura rei, sunt relationes
originis: paternitas enim fundatur in communicatione naturae ; et ideo sancti
ponunt, quod paternitate et filiatione Pater et Filius distinguuntur: sed
aequalitas et similitudo demonstrant distinctionem. Unde Hilarius
supra, dist. 25, per similitudinem divinarum personarum distinctionem
probavit. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que parce que la relation ne possède une existence naturelle que du fait
qu’elle possède un fondement dans la chose
et du fait qu’elle est placée dans un genre, c’est de là que les
differences essentielles des relations se tirent d’après les differences des
autres êtres comme on peut le voir chez le Philosophe [V Métaphysique, texte 20], où il dit que certaines se fondent sur la
quantité, d’autres sur l’action, et de même aussi pour les autres. Et c’est
de là encore que l’ordre des relations existe d’après l’ordre des choses dans
lesquelles se fondent les relations. Donc, tout comme nous voyons dans les
choses qui se distinguent par l’essence que les principes de la substance
sont ce qui distingue, comme la matière et la forme, et que les autres choses
accidentelles sont les signes qui manifestent la distinction, il en est de
même pour les choses qui se distinguent par la relation, à savoir que les
relations qui se fondent sur la nature de la chose sont ce qui distingue et
que les autres relations sont les signes de la distinction. Mais les
relations qui possèdent un fondement dans la nature de la chose sont les
relations d’origine: la paternité en effet se fonde sur une communication de
nature; et c’est pourquoi les saints affirment que c’est par la paternité et
la filiation que le Père et le Fils se distinguent; mais l’égalité et la
similitude manifestent la distinction. C’est pourquoi Saint-Hilaire a prouvé
plus haut (dist. 25) la distinction des personnes divines par la similitude. |
|
|
Articulus 3 1985] Super Sent., lib. 1
d. 26 q. 2 a. 3 tit. Utrum notiones sint tantum quinque |
Article 3 – Les notions sont-elles seulement cinq ? |
[1986] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod
non sint tantum quinque notiones. Quod enim innascitur alicui ex sola
habitudine alterius ad ipsum, multiplicatur secundum multitudinem eorum quae
ad ipsum comparantur: quia ad multiplicitatem causae sequitur pluralitas in
effectu. Sed relationes innascuntur ex sola habitudine alterius ad aliquem.
Ergo tot erunt relationes in Deo, quot sunt creaturae quae comparationem ad
ipsum habent. |
Difficultés: 1. Il semble qu’il n’y ait pas que cinq notions en Dieu. En effet, ce
qui naît dans un être à partir du seul rapport d’un autre à lui se multiplie
d’après la multiplicité des choses qui se rapportent à lui: car la
multiplicité de l’effet suit la multiplicité de la cause. Mais les relations
naissent dans un être à partir du seul rapport d’un autre à lui. Donc il y
aura autant de relations en Dieu qu’il y a de créatures qui ont un rapport à
lui. |
[1987] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, in Deo fuerunt ab aeterno,
secundum Augustinum, rationes rerum creandarum, quae non differunt ab invicem
nisi relationibus secundum respectum ad creaturam. Ergo videtur quod quot
sunt creaturae, quarum rationes sunt in Deo, tot sunt ibi etiam relationes. |
2. Par ailleurs, d’après Saint-Augustin, les notions des choses à
créer, qui ne different entre elles que par les relations selon le rapport à
la créature, existent de toute éternité en Dieu. Il semble donc qu’il y a
aussi en Dieu autant de relations
qu’il y a de créatures dont les notions existent en Dieu. |
[1988] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, divinae personae non tantum
comparantur ad invicem secundum naturam quam una ab alia accipit, sed etiam
secundum alia attributa. Sed in omnibus illis comparationibus intelliguntur
aliquae relationes vel aequalitatis vel similitudinis. Ergo videtur quod tot
sint relationes quot sunt ibi attributa. |
3. En outre, les personnes
divines ne se comparent pas entre elles uniquement selon la nature que l’une
reçoit de l’autre, mais aussi selon les autres attributs. Mais dans toutes
les autres comparaisons on entend certaines relations soit d’égalité, soit de
similitude. Il semble donc qu’il y ait là autant de relations qu’il y a des
attributs. |
[1989] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ex omni operatione innascitur
aliqua operantis relatio ad id circa quod est operatio. Sed in Deo secundum rationem
distinguuntur plures operationes, ut est velle, intelligere et hujusmodi.
Ergo sicut operationem generationis consequuntur secundum intellectum
relationes originis, ita et ad alias operationes consequentur aliae
relationes, sicut intelligentis ad intellectum, et volentis ad volitum: et
ita multiplicabuntur relationes secundum numerum operationum. |
4. Par ailleurs, de toute opération naît une
certaine relation de celui qui opère à l’égard de ce sur quoi porte
l’opération. Mais en Dieu c’est selon la raison que se distinguent les
nombreuses opérations comme vouloir, comprendre, etc. Donc, tout comme les
relations d’origine découlent selon l’intelligence de l’opération de
génération, de même les autres relations, comme celle de celui qui comprend à
ce qui est compris et de celui qui veut à ce qui est voulu, découlent des
autres opérations : et c’est ainsi que les relations se multiplieront
d’après le nombre des opérations. |
[1990] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, sicut Pater et Filius conveniunt
in hoc quod comparantur ad Spiritum sanctum ut principium ; ita Filius et
Spiritus sanctus conveniunt in hoc quod comparantur ad Patrem sicut ad
principium. Sed communis
spiratio est quaedam relatio conveniens Patri et Filio. Ergo esse a Patre
erit alia relatio communis Filio et Spiritui sancto ; et ita sunt plures quam
quinque. |
5. De plus, tout comme le Père et le Fils
ont en commun de se rapporter à l’Esprit-Saint en tant que principes, de même
le Fils et l’Esprit-Saint ont en commun de se rapporter au Père qui est leur
principe. Mais la spiration commune est une certaine relation qui convient au
Père et au Fils. Donc, procéder du Père sera une autre relation commune au
Fils et à l’Esprit-Saint ; et ainsi il y aura plus que cinq notions. |
[1991] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 3 arg. 6 E contra videtur quod sint pauciores: quia, ut dictum est, artic.
praec., proprietates sunt subsistentes personae. Ergo sunt ibi proprietates
tot, quot sunt personae subsistentes. Sed personae subsistentes non sunt nisi
tres. Ergo proprietates non sunt nisi tres. |
6. Au contraire il semble qu’il y ait moins
que cinq notions car, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent,
les propriétés sont les personnes subsistantes. Il y a donc là autant de
propriétés qu’il y a de personnes subsistantes. Mais il n’y a que trois
personnes subsistantes. Il n’y a donc que trois propriétés. |
[1992] Super
Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod notionis, proprietatis et relationis
differentia potest tripliciter assignari. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la différence entre la notion, la propriété et la relation peut être
établie de trois manières. |
Primo quantum ad rationem
significationis ; et sic sciendum est, quod paternitas dicitur relatio,
secundum quod ad Filium refertur ; dicitur autem proprietas, inquantum soli
Patri convenit: dicitur notio, inquantum est principium formale innotescendi
Patrem. |
Premièrement quant à la définition de la
signification des termes et en ce sens il faut savoir qu’on attribue la
relation à la paternité selon qu’elle se rapporte au Fils ; on lui
attribue la propriété en autant qu’elle convient seulement au Père ;
mais on dit de la paternité qu’elle est une notion pour autant qu’elle est le
principe formel qui fait connaître le Père. |
Secundo quantum ad ordinem
intelligendi ; quia cum nihil possit esse principium innotescendi aliquid,
nisi sit sibi proprium, intellectum notionis praecedit intellectus
proprietatis. Et quia proprietas non convenit nisi rei distinctae ab aliis,
et distinctio in divinis non est nisi per oppositionem relationis ;
intellectum proprietatis in divinis praecedit intellectus relationis. |
Deuxièmement quant à l’ordre
d’intelligibilité ; car puisque rien ne peut être le principe permettant
de notifier quelque chose, à moins d’être propre à cette chose, la
compréhension ou l’intelligence de la propriété précède l’intelligence de la
notion. Et parce qu’une propriété ne convient qu’à une chose qui est
distincte des autres et qu’il n’y a de distinction en Dieu que par
l’opposition de relation, l’intelligence de la relation précède en Dieu
l’intelligence de la propriété. |
Tertio quantum ad numerum ; quia
notiones sunt quinque, scilicet paternitas, filiatio, processio,
innascibilitas, communis spiratio. Harum autem quatuor tantum sunt
proprietates, quae uni personae tantum conveniunt, scilicet paternitas, innascibilitas,
quae conveniunt tantum Patri ; filiatio, quae convenit tantum Filio ;
processio, quae convenit tantum Spiritui sancto. |
Troisièmement quant au nombre ; car les
notions sont au nombre de cinq, à savoir la paternité, la filiation, la
procession, l’innascibilité, la spiration commune. Mais par rapport à ces
cinq notions il n’y a que quatre propriétés qui ne conviennent qu’à une seule
personne, à savoir la paternité, l’innascibilité qui conviennent seulement au
Père ; la filiation qui convient seulement au Fils et la procession qui
convient seulement à l’Esprit-Saint. |
Communis autem spiratio non potest
dici proprietas simpliciter, quia convenit duabus personis ; sed secundum
quid, secundum quod aliquid dicitur esse proprium ad aliquid ; est enim proprium
Patris et Filii respectu Spiritus sancti. Harum etiam notionum quatuor sunt
tantum relationes, scilicet paternitas, filiatio, processio, communis
spiratio ; innascibilitas enim non proprie dicitur relatio, nisi per
reductionem, secundum quod negatio reducitur ad genus affirmationis, ut non
homo ad genus hominis. |
Mais la spiration commune ne peut être
appelée propriété à parler absolument car elle convient à deux
personnes ; mais sous un certain rapport seulement, selon qu’on dit
d’une chose qu’elle est propre par rapport à quelque chose ; la
spiration commune effet est quelque chose qui est propre au Père et au Fils
par rapport à l’Esprit-Saint. Mais parmi ces notions il n’y a aussi que
quatre relations, à savoir la paternité, la filiation, la procession et la
spiration commune ; l’innascibilité en effet ne peut à proprement parler
être appelée une relation que par réduction, selon que la négation se ramène
au genre de l’affirmation comme le non-homme se ramène au genre de l’homme. |
Harum autem proprietatum vel notionum
vel relationum, tres tantum sunt personales, scilicet constituentes personas:
unde habent quasi actum differentiae constitutivae, scilicet paternitas,
filiatio, processio. Aliae duae sunt proprietates personae, sed non
personales. Harum autem notionum quinque sufficientia sic patet. |
Mais parmi ces propriétés, ces notions et
ces relations, il y a seulement trois notions qui sont personnelles, qui
constituent les personnes, d’où elles sont comme l’acte de la différence
constitutive, à savoir la paternité, la filiation et la procession. Les deux
autres sont des propriétés de la personne mais non des propriétés
personnelles. Par conséquent, la suffisance de ces cinq notions est ainsi
évidente. |
Ad hoc enim quod aliquid dicatur notio
personae, tria requiruntur ; primo quod ad originem pertineat, quia
relationibus originis personae distinguuntur ; secundo quod pertineat ad
dignitatem, quia persona est hypostasis distincta proprietate ad dignitatem
pertinente ; tertio quod dicat aliquid speciale, quia commune non est
sufficiens principium innotescendi. |
En effet, pour qu’on puisse parler de notion
de personne, trois choses sont requises : premièrement qu’elle renvoie à
l’origine car c’est par les relations d’origine que les personnes se
distinguent ; deuxièmement qu’elle renvoie à une dignité, car la
personne est une hypostase distincte par une propriété qui appartient à une
dignité ; troisièmement il faut que la notion dise quelque chose de
particulier car l’universel n’est pas un principe qui suffit à faire
connaître. |
Dico igitur, quod pertinens ad
originem potest significari vel affirmative vel negative. Si affirmative, vel
dicetur secundum rationem principii, ut a quo alius, vel secundum rationem
ejus quod est a principio, ut qui ab alio. Utrumque istorum dicit originem in
communi: unde neutrum potest esse notio. Oportet ergo quod determinetur
secundum specialem modum originis, qui non est nisi dupliciter, ut supra
probatum est, dist. 13, qu. 1, art. 2, scilicet per modum naturae, et per
modum amoris ; et secundum utrumque habemus duas relationes: unam quae
designat rationem principii, et alteram quae designat rationem ejus quod est
a principio ; et sic sunt quatuor rationes, scilicet paternitas et filiatio
quantum ad modum originis naturae ; processio et communis spiratio quantum ad
modum originis amoris. |
Je dis donc que ce qui appartient à
l’origine peut être signifié soit affirmativement, soit négativement. Si
c’est de façon affirmative, il se dira soit selon la notion de principe,
comme ce d’où vient un autre, soit selon la notion de terme, comme ce qui
vient d’un autre. Chacun de ces deux cas dit l’origine en général : d’où
aucun des deux ne peut être une notion. Il faut donc que ce qui appartient à
l’origine soit déterminé d’après un mode spécial d’origine, ce qui ne peut se
faire que de deux manières ainsi que nous l’avons prouvé plus haut [dist. 13,
quest. 1, art. 2], c’est-à-dire par mode de nature et par mode d’amour :
et d’après chacune de ces deux modalités nous avons deux relations : une
qui désigne la notion de principe, et l’autre qui désigne la notion de ce qui
vient du principe ; et ainsi nous avons quatre notions, à savoir la
paternité et la filiation quant au mode d’origine qui est celui de la
nature ; la procession et la spiration commune quant au mode d’origine
qui est celui de l’amour. |
Si significatur negative, vel negatur
ratio principii, vel ratio ejus quod est a principio. Si negatur ratio
principii, non est ad dignitatem pertinens, et ideo non potest esse notio
Spiritus sancti, nec esse principium alicujus personae divinae. Si negatur
ratio ejus quod est a principio ; aut in speciali, aut in generali. Si in
speciali, non potest esse notio ; quia quanto affirmatio est magis specialis,
tanto negatio [notio Éd. de Parme]
opposita est magis communis, sicut non homo est magis commune quam non animal
; quia omne non animal est non homo ; sed non convertitur. |
Si ce qui appartient à l’origine est
signifié négativement, ou bien c’est la notion de principe qui est niée, ou
bien la notion de ce qui vient du principe. Si c’est la notion de principe
qui est niée, elle ne se rapporte pas à une dignité et c’est pourquoi il ne
peut y avoir la notion de l’Esprit-Saint ni principe d’aucune personne
divine. Si c’est la notion de terme qui est niée, ce sera soit en
particulier, soit en général. Si c’est en particulier, il ne peut y avoir de
notion car la négation [notion Éd. de
Parme] opposée est d’autant plus commune que l’affirmation est plus
particulière, tout comme non-homme est plus commun que non-animal, car tout
non-animal est non-homme, mais non inversement. |
Si in generali, sic erit negatio
specialis, et ad dignitatem pertinens ; unde faciet notionem Patris, quae est
innascibilitas quae significat non esse ab alio, secundum quod est proprietas
Patris. Quare autem dicatur innascibilitas per privationem nativitatis,
specialiter infra dicetur, dist. 28, qu. 1, art. 1. |
Si c’est en général, il y aura ainsi une
négation particulière se rapportant à une dignité, d’où elle fera la notion
de Père qui est l’innascibilité qui signifie ¨ne pas procéder d’un autre¨,
selon qu’il s’agit là de la propriété du Père. Mais pourquoi on parle ici
d’innascibilité par privation de la naissance, on le dira plus loin [dist.
28, quest. 1, art. 1] avec plus de précision. |
[1993] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod relationes illae quae significantur
in Deo ex habitudine creaturarum ad ipsum, nihil realiter ponunt in Deo, ut
ex praedictis, hac quaest. art. 1, patet ; et ideo non sequitur quod secundum
hoc in infinitum multiplicentur relationes realiter in Deo existentes. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ces relations qui sont signifiées en Dieu à partir du
rapport que les créatures entretiennent à son égard ne posent rien en Lui en
réalité comme nous le voyons à partir de ce qui précède [dist. 26, quest. 2,
art. 1]. Et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas d’après cela que les relations
qui existent réellement en Dieu se multiplient à l’infini. |
[1994] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relationes illae secundum quas
attenditur distinctio idearum, non sunt fundatae in esse divino, sed in
intellectu ejus ; unde realiter non habent esse in Deo, sed solum sunt
intellectae ab ipso, sicut forma asini, et forma equi et hujusmodi ; et non
sicut bonitas et sapientia in ipso habent esse. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que ces
relations d’après lesquelles on considère la distinction des idées ne se
fondent pas dans l’existence divine, mais dans son intelligence ; d’où
elles ne possèdent pas réellement une existence en Dieu, mais elles sont
seulement conçues par Lui, comme la forme de l’âne, du cheval, etc. Ce qui
n’est pas le cas pour la bonté et la sagesse qui possèdent une existence en
Lui. |
[1995] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas et similitudo non addunt
aliquam relationem realem super paternitatem et filiationem ; et ratio hujus
infra dicetur, 31 dist., quaest. 1, art. 1. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
l’égalité et la similitude n’ajoutent aucune relation réelle à la paternité
et à la filiation ; et nous dirons plus loin [dist. 31, quest. 1, art.
1] la raison de cela. |
[1996] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod relationes quibus non subest aliqua
realis distinctio in re quae refertur, non est relatio realis. Unde
quandocumque aliqua operatio reflectitur in suppositum operans, ex reali
operatione non innascitur aliqua realis relatio, sed rationis tantum ; et ideo
cum dicitur, quod Deus vel anima intelligit se, non importatur ibi aliqua
realis relatio, sed rationis tantum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que les
relations sous lesquelles ne se cache pas une distinction réelle dans la
chose à laquelle elles se rapportent, ne sont pas des relations réelles.
C’est pourquoi une opération revient parfois sur le suppôt qui pose
l’opération et que d’une opération réelle ne naît pas du coup une relation
réelle, mais seulement une relation de raison ; et c’est pourquoi, lorsque
nous disons que Dieu et l’âme se comprennent eux-mêmes, cela n’implique pas
une relation réelle, mais seulement une relation de raison. |
[1997] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod esse ab aliquo non dicit determinatum
modum originis ; et ideo non dicit specialem notionem, sed salvatur in duabus
notionibus, scilicet filiatione et processione, cum quibus non ponit in
numerum, sicut nec aliquod commune cum propriis quae sub eo continentur, sed
communis spiratio dicit determinatum modum originis, secundum quam Pater et
Filius sunt principium Spiritus sancti ; et ideo dicit specialem notionem. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que
¨procéder d’un autre¨ ne dit pas un mode d’origine déterminé ; et c’est
pourquoi cela ne dit pas une notion particulière, mais ce concept est
conservé dans deux notions, à savoir la filiation et la procession avec
lesquelles il ne fait pas nombre, tout comme aucun caractère commun ne fait
nombre avec ce qui est contenu en propre sous lui ; mais la spiration
commune dit un mode d’origine déterminé selon lequel le Père et le Fils sont
le principe de l’Esprit-Saint ; et c’est pourquoi la spiration commune
signifie une notion particulière. |
[1998] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2
a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quaelibet proprietas in divinis, et
quidquid est ibi, est subsistens ; non tamen oportet quod sint tot res
subsistentes quot sunt proprietates ; sed quot oppositio exigit realiter
distinguens. |
6. Il faut dire en sixième lieu que toute
propriété en Dieu, comme tout ce qui s’y trouve, est subsistant ; il
n’est cependant pas nécessaire qu’il y ait autant de choses subsistantes
qu’il y a de propriétés ; mais autant que l’exite l’opposition qui
distingue réellement. |
Unde sicut
in Deo bonitas et sapientia est subsistens, non tamen alia et alia res est
subsistens, quia non habent oppositionem ; ita etiam communis spiratio est
subsistens, non tamen est alia res subsistens quam paternitas et filiatio,
quia non habent oppositionem ad eam: unde in una re subsistente cum utroque
esse potest. Nec tamen constituit personam in qua est, quia praesupponit
secundum ordinem naturae paternitatem et filiationem, sicut et processio
praesupponit generationem ; et ideo non est personalis notio ; et similiter
innascibilitas, cum non habeat oppositionem ad paternitatem, in eadem re
subsistente esse potest ; et quia negatio importata consequitur secundum
intellectum in ea positionem principii, ideo non constituit personam, sed est
in persona constituta per paternitatem. |
D’où, tout comme en Dieu la bonté et la
sagesse sont subsistantes, elles ne sont cependant pas subsistantes en tant
que choses différentes car elles n’ont pas d’opposition entre elles ; de
même encore la spiration commune est subsistante, mais elle n’est pas
subsistante à la manière d’une réalité différente de la paternité et de la
filiation qui ne présentent aucune opposition à son égard : et c’est
pourquoi la spiration commune peut exister avec les deux autres dans une
seule et même réalité subsistante. Et cependant elle ne constitue pas la
personne dans laquelle elle existe car elle présuppose la paternité et la
filiation conformément à un ordre de nature, tout comme la procession
présuppose la génération ; et c’est pourquoi elle n’est pas une notion
personnelle ; et de la même manière l’innascibilité, puisqu’elle ne
présente aucune opposition à l’égard de la paternité, peut exister dans la
même réalité subsistante ; et parce que la négation impliquée en elle
selon l’intelligence découle de l’affirmation d’un principe, c’est pourquoi
elle ne constitue pas une personne mais plutôt elle existe dans une personne
constituée par la paternité. |
|
|
Distinctio 27 |
Distinction 27 – [Les propriétés et le Verbe] |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [Les propriétés] |
|
|
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic quaeruntur duo. Primo de ipsis notionibus vel
proprietatibus. Secundo de nominibus personalibus, et
praecipue de verbo. Circa primum duo quaeruntur: 1 qualiter proprietates ad invicem
differant ; 2 utrum proprietates vel relationes, operationes
personales secundum intellectum praecedant, vel e converso. |
La recherche porte ici sur deux points. Premièrement sur les
notions elles-mêmes ou les propriétés. Deuxièmement sur les noms
personnels et surtout sur le Verbe. Au sujet du premier point
on cherche à répondre à deux questions : 1. De quelle manière les
propriétés diffèrent-elles entre elles ? 2. Est-ce que les
propriétés ou les relations précèdent selon l’intelligence les opérations
personnelles, ou inversement ? |
|
|
Articulus 1 lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1
tit. Utrum proprietates ad invicem distinguantur |
Article 1 – Les propriétés se distinguent-elles entre elles ? |
lib. 1 d. 27
q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod proprietates ad
invicem non distinguantur. Nulla enim est distinctio in divinis, nisi
secundum originem. Sed una proprietas non oritur ab alia: quia sicut essentia
non generat, ita nec proprietas. Ergo proprietates ad invicem non distinguuntur. |
Difficultés : 1. Il semble que les
propriétés ne se distinguent pas entre elles. En effet, il n’y a de
distinction dans les personnes divines que selon l’origine. Mais une
propriété ne naît pas d’une autre : car tout comme l’essence, la
propriété n’engendre pas. Donc les propriétés ne se distinguent pas entre
elles. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 1 Praeterea,
relatio est medium inter duo extrema. Sed inter duos terminos est una via
media secundum rem, quamvis differat secundum rationem, sicut est eadem via a
Thebis ad Athenas et e converso, ut dicit philosophus, III Phys., text. 21.
Ergo videtur quod una relatione referatur Pater ad Filium et Filius ad patrem
; et ita ad minus paternitas et filiatio sunt una relatio. |
2. Par ailleurs, la relation est un
intermédiaire entre deux extrêmes. Mais entre deux termes il n’y a qu’un seul
chemin intermédiaire en réalité, bien qu’il y ait différence selon la raison,
tout comme le chemin de Thèbes à Athènes et inversement soit le même, comme
le dit le Philosophe [111 Physique,
texte 21]. Il semble donc que ce soit par une seule et même relation que le
Père se rapporte au Fils et que le Fils se rapporte au Père. Et ainsi, il y a
au moins la paternité et la filiation qui soient une seule et même relation. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 3
Item, in divinis nihil invenimus distinctum secundum rem, nisi per
oppositionem relativam. Sed sicut inter attributa essentiae, ut bonitatem et
sapientiam, non invenitur aliqua oppositio, ratione cujus de se invicem
praedicantur, quia bonitas est sapientia, et e converso ; ita etiam
proprietates unius personae non habent aliquam oppositionem ad invicem ;
alias non possent in eodem supposito esse. Ergo videtur quod non sint plures secundum rem, et quod
una praedicetur de alia, ut dicatur: paternitas est innascibilitas, et e
converso. |
3. En outre, nous ne trouvons rien de
distinct en Dieu réellement, si ce n’est par l’opposition de relation. Mais
tout comme entre deux attributs de l’essence, comme la bonté et la sagesse,
on ne retrouve aucune opposition en raison de ce qu’ils s’attribuent
mutuellement l’un à l’autre, car la bonté est la sagesse et
inversement ; de même aussi les propriétés d’une même personne ne
présentent aucune opposition entre elles autrement elles ne pourraient
exister dans un même suppôt. Il semble donc que ces propriétés ne soient pas
multiples en réalité et que l’une s’attribue à l’autre de manière à dire que
la paternité est l’innascibilité et inversement. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, non magis distat ratio verbi a ratione Filii, quam ratio ingeniti
a ratione Patris. Sed eadem notio designatur nomine verbi et Filii, ut in
Littera dicitur. Ergo videtur quod similiter eadem notio designetur nomine
ingeniti et nomine Patris ; et sic innascibilitas et paternitas est erit una
[una et eadem éd de Parme] notio. |
4. Par ailleurs, la notion
de Verbe n’est pas plus éloignée de la notion de Fils que la notion
d’inengendré n’est éloignée de la notion de Père. Mais la même notion est
désignée par le nom de Verbe et celui de Fils, comme on le dit dans la
Lettre. Il semble donc, de la même manière, que la même notion soit signifiée
par le nom d’inengendré et par le nom de Père ; et ainsi l’innascibilité
et la paternité seront une seule [une seule et même Éd. de Parme] notion. |
lib. 1 d. 27
q. 1 a. 1 arg. 5 Item, unius personae ad aliam personam in divinis non est
nisi una relatio. Sed nomine Patris, generationis et paternitatis importatur
relatio Patris ad Filium. Ergo videtur quod omnia ista in divinis idem sunt:
quod est contra Magistrum in Littera. |
5. En outre, en Dieu, d’une seule et même personne à une autre il n’y
a qu’une seule relation. Mais par les noms de Père, de generation et de
paternité est impliquée la relation du Père au Fils. Il semble donc que tous
ces noms en Dieu sont identiques: ce qui est contraire à la position du
Maître dans la Lettre. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod in divinis, ut supra dictum est, dist. 26, qu. 1, art. 3, sunt
quinque notiones ; non tamen sunt quinque res, sed solum tres res, scilicet
Pater et Filius et Spiritus sanctus. Ad cujus intellectum sciendum est, quod
in illo proprie aliqua multiplicantur et non unum sunt, cujus differentiis
propriis distinguuntur, ut dicit philosophus, V Metaph., text. 134 et IV
Phys., text. 20) verbi gratia, isosceles, idest triangulus duorum aequalium
laterum, et isopleuros, idest triangulus aequilaterus, distinguuntur
differentiis trianguli ; et ideo non dicimus quod sunt unus triangulus, sed
plures. Non autem distinguuntur propriis differentiis figurae, immo sub una
figurae differentia incidunt, quod est habere tria latera ; et ideo dicuntur
una figura, quae est triangulus ; et ideo non potest dici quod sunt plures
res, nisi de illis quae per differentiam rei distinguuntur. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’en Dieu, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 1, art.
3], il y a cinq notions ; il n’y a cependant pas trois réalités, mais
seulement trois, à savoir le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et pour le
comprendre, il faut savoir que certaines choses à proprement parler se multiplient
et ne sont pas une en ceci qu’elles se distinguent par des différences
propres comme le dit le Philosophe [V Métaphysique,
texte 134, et IV Physique, texte
20] ; en d’autres mots, le triangle isocèle, c’est-à-dire le triangle
dont deux côtés sont égaux, et le triangle équilatéral diffèrent par les
différences du triangle ; et c’est pourquoi nous disons qu’ils ne sont
pas un seul et même triangle, mais plusieurs triangles. Ils ne se distinguent
cependant pas par les différences propres de la figure, mais bien plutôt ils
tombent sous une seule et même différence de la figure, à savoir posséder
trois côtés ; et c’est pourquoi on dit qu’ils sont une même figure qui
est le triangle ; et c’est pourquoi on ne peut dire qu’il y a plusieurs
réalités que pour ces choses qui se distinguent par la différence de la chose
en question. |
Differentia autem rei in divinis non
est nisi per oppositionem relationis ; et ideo non poterit dici quod sunt
plures res, nisi secundum quod exigit ista oppositio. Unde paternitas et
filiatio sunt duae res, et similiter Pater et Filius. Sed paternitas et
communis spiratio non sunt duae res, quia non opponuntur relative ; sed
tantum duae relationes, quia distinguuntur differentiis relationis inquantum
est relatio. |
Mais ce qui distingue les réalités dans le
cas des personnes divines n’est que l’opposition de relation ; et c’est
pourquoi on ne pourra dire qu’il y a plusieurs réalités dans ce cas que
d’après ce qu’exige cette opposition. C’est pourquoi la paternité et la filiation
sont deux réalités, tout comme le Père et le Fils. Mais la paternité et la
spiration commune ne sont pas deux réalités, car elles ne s’opposent pas par
la relation ; mais elle sont seulement deux relations, car elles se
distinguent par les différences de la relation en tant que relation. |
Cum enim relatio dicatur secundum
respectum ad alterum, differentiae relationis erunt secundum quod est ad
diversa ; et ideo, quia paternitate Pater refertur ad Filium, et communi
spiratione ad Spiritum sanctum, communis spiratio et paternitas sunt duae
relationes, et similiter duae notiones, inquantum est alia et alia ratio
innotescendi patrem in una et alia. |
En effet, puisque la relation se dit d’après
un rapport à quelque chose d’autre, les différences de la relation se prendront
d’après ses rapports à différentes autres choses extérieures ; et c’est
pourquoi, puisque c’est par la paternité que le Père se rapporte au Fils et
que c’est par la spiration commune qu’il se rapporte à l’Esprit-Saint, il
s’ensuit que la paternité et la spiration commune sont deux relations
distinctes, et de même elles sont deux notions distinctes selon que dans
l’une et dans l’autre il y a différentes raisons formelles de faire connaître
le Père. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod oppositio secundum originem per prius secundum
intellectum est in relationibus originis quam in ipsis personis quae ab
invicem oriuntur: quia personae non opponuntur nisi secundum quod hujusmodi
relationes habent ; et ideo relationes oppositae seipsis distinguuntur, sicut
differentiae constitutivae ; sed personae relationibus, sicut species
differentiis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’opposition selon l’origine en priorité selon
l’intelligence dans les relations d’origine que dans les personnes mêmes qui
naissent les unes des autres : car les personnes ne s’opposent que selon
qu’elles possèdent de telles relations ; et c’est pourquoi les relations
opposées se distinguent par elles-mêmes, tout comme les différences constitutives ;
mais les personnes s’opposent par leurs relations tout comme les espèces par
leurs différences. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quidam dixerunt, ut Avicenna, Tract. III Metaph., c.
X, dicit, quod eadem numero relatio est in utroque extremorum ; quod non
potest esse, quia unum accidens non est in duobus subjectis ; et ideo
dicendum, quod in utroque extremorum est una relatio differens ab alia in
quibusdam secundum speciem, sicut in illis quae diversis nominibus utrinque
nominantur, ut paternitas et filiatio ; sed in quibusdam non differunt
specie, sed numero tantum, sicut quando utrumque est unum nomen, ut in
similitudine et aequalitate ; et tunc relatio quae est in uno sicut in
subjecto, est in altero sicut in termino, et e converso ; et ideo relatio
secundum esse suum, prout in re fundamentum habet, non est medium, sed
extremum ; sed secundum respectum est medium ; unde patet quod realiter
distinguuntur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que
certains ont dit, comme Avicenne [111 Métaphysique,
ch. X] que la même relation, numériquement parlant, est dans chacun des deux
extrêmes ; ce qui est impossible car un même accident n’est pas dans
deux sujets ; et c’est pourquoi il faut dire que dans chacun des deux extrêmes il y a une
seule relation qui diffère de l’autre chez certains selon l’espèce comme chez
ceux qui sont nommés de part et d’autre par des noms différents, comme la
paternité et la filiation ; mais chez d’autres ils ne diffèrent pas par
l’espèce mais par le nombre seulement, comme lorsqu’il n’y a qu’un seul nom
pour les deux, comme la similitude et l’égalité ; et alors la relation
qui est dans l’un comme dans un sujet est dans l’autre comme dans un terme et
inversement ; et c’est pourquoi la relation selon son existence, pour
autant qu’elle a un fondement dans la réalité, n’est pas un intermédiaire
mais un extrême ; mais selon le rapport elle est un intermédiaire ;
c’est pourquoi il est clair que les relations se distinguent réellement. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod sicut attributa essentialia non sunt plures res, ita nec
proprietates uni personae convenientes ; sed sunt una res, quae est illa
persona ; sed tamen quia relatio manet in divinis etiam secundum communem
rationem generis, manet etiam relationis distinctio, inquantum est relatio ;
et ideo potest dici quod sunt plures relationes, et una relatio de alia non
praedicatur. Non sic autem est in essentialibus, quae non manent ibi secundum
communem rationem generis ; unde non distinguuntur secundum rationem alicujus
communis, cujus ratio in Deo sit, si tamen accipiatur commune reale, ut
significatur nomine primae impositionis ; si Il vero accipiatur commune
rationis, quod significatur nomine secundae impositionis, sic commune est
omnibus quod sint attributa ; et ideo quia dividunt unum commune rationis,
secundum hoc non praedicantur de invicem. Non enim dicimus quod hoc
attributum sit illud attributum ; sed quod est aliud attributum ab illo. Sed
quia non dividunt unum commune reale, ideo ratione divinae simplicitatis
secundum quodcumque nomen primae impositionis de se invicem praedicantur, ut
dicatur: haec res est illa res ; vel etiam propriis nominibus, ut: sapientia
est bonitas. |
3. Il faut dire en troisième lieu que les propriétés qui appartiennent à une seule personne, tout comme les attributs essentiels, ne sont pas plusieurs réalités, mais une seule réalité qui est telle personne ; cependant, parce que la relation demeure aussi dans les personnes divine selon la notion commune d’un même genre, il y demeure aussi, en tant qu’elle est une relation, la distinction de la relation ; et c’est pourquoi on peut dire qu’il y a plusieurs relations et qu’une même relation ne s’attribue pas à une autre. Mais il n’en est pas ainsi pour les attributs essentiels qui ne demeurent pas dans les personnes divines selon la notion commune d’un même genre ; de là ils ne se distinguent pas sous le rapport de quelque chose de commun dont la notion serait en Dieu, si cependant le commun se prenait comme réel, tel qu’il est signifié par la première imposition ; mais si celui-ci était pris comme un commun de raison qui est signifié par le nom de la deuxième imposition, ainsi il est commun à tous ceux qui sont attribués ; et c’est pourquoi, parce qu’ils divisent un même commun de raison, suivant cela ils ne s’attribuent pas l’un à l’autre. Nous ne disons pas en effet que cet attribut soit cet autre attribut, mais qu’il est un attribut autre que celui-là. Mais parce qu’ils ne divisent pas un commun réel, c’est pourquoi, en raison de la simplicité divine d’après n’importe quel nom de la première imposition, ils s’attribuent mutuellement l’un à l’autre, de telle manière qu’on dise : cette chose-ci est cette chose-là, ou qu’on le dise même par les noms propres, comme : la sagesse est la bonté. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod verbum et Filius non distinguuntur differentia relationis ;
quia utrumque dicit relationem ejusdem ad idem ; et propter hoc non
importantur nomine verbi et filii duae relationes, sed una ; similiter nomine
doni et amoris ; sed distinguuntur tantum secundum quod habent fundamentum in
re, prout unum fundatur in emanatione naturae, scilicet Filius, et aliud in
emanatione intellectus, scilicet verbum ; quae in Deo non nisi ratione
differunt ; et ideo verbum et Filius differunt solum ratione et non relatione
; sed ingenitus et Pater non respectu ejusdem dicuntur ; et ideo constat quod
non est una relatio, vel notio. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le
Verbe et le Fils ne se distinguent pas par une différence de relation ;
car chacun des deux dit une relation du même au même ; et pour cette
raison, il n’y a a pas deux relations qui sont impliquées par les noms de
Verbe et de Fils, mais une seule ; et il en est de même pour les noms de
don et d’amour, mais ils se distinguent seulement selon qu’ils ont un
fondement dans la réalité, pour autant que l’un se fonde sur une provenance
de la nature, à savoir le Fils, et l’autre sur une provenance de
l’intelligence, à savoir le Verbe : lesquels ne diffèrent en Dieu que
selon la raison ; et c’est pourquoi le Verbe et le Fils ne diffèrent que
par la raison et non par la relation ; mais inengendré et Père ne se
disent pas par rapport à la même chose ; et c’est pourquoi il est clair
qu’il n’y a pas là qu’une seule relation ou une seule notion. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod sicut est in essentialibus quod idem est secundum rem divina
operatio et Deus et deitas, sed distinguuntur secundum rationem tantum
fundatam in re ; ita etiam est in personalibus, quod idem est secundum rem
operatio personalis et persona et proprietas constituens personam ; sed
differunt tantum secundum rationem et modum significandi. Unde
dico, quod eadem ratio significatur per haec tria, pater, paternitas, generatio
; sed Pater significat illam per modum hypostasis vel personae, paternitas
per modum proprietatis, generatio per modum operationis. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que tout comme dans les attributs essentiels l’opération divine, Dieu et
la divinité sont une seule et même chose en réalité et qu’ils se distinguent
seulement selon la raison qui se fonde sur la réalité, il en est de même
encore pour les attributs personnels, à savoir que l’opération personnelle,
la personne et la propriété qui constitue la personne sont une seule et même
chose en réalité et ne different que selon la raison et le mode de signifier.
De là je dis que c’est une même notion qui est signifiée par ces trois
termes, à savoir père, paternité et generation; mais père signifie cette notion
à la manière d’une hypostase ou d’une personne, paternité à la manière d’une
propriété et génération à la manière d’une opération. |
|
|
Articulus 2 : lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 tit. Utrum
operatio personalis praecedat secundum rationem relationem personae |
Article 2 – L'opération personnelle précède-t-elle en raison la relation de la personne ? |
lib. 1 d. 27
q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod operatio personalis
praecedat secundum intellectum relationem personae. Generatio enim, ut dictum
est, dist. 5, qu. 1, art. 1, significat operationem personalem. Sed Magister in Littera dicit, quod
ideo est pater quia genuit. Ergo videtur quod generatio secundum intellectum
praecedat relationem Patris. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’opération personnelle précède selon l’intelligence la relation de la
personne. La génération en effet,
comme nous l’avons dit [dist. 5, qeust. 1, art. 1], signifie une opération
personnelle. Mais le Maître dit dans la Lettre que la raison pour laquelle il
est Père est qu’il engendre. Il semble donc que la génération précède la
relation de Père selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, relatio paternitatis et operatio generationis se consequuntur. Aut
ergo paternitas est principium hujus operationis quae est generatio, ut
scilicet quia Pater est, ideo generat ; aut consequitur ipsam per modum
effectus relicti ab ipsa, ut scilicet quia generat, est Pater. Sed paternitas
non est principium ipsius operationis ; quia, ut dicit Anselmus, lib. I Monol.,
cap. XLI, eo quod est Deus generat, et non eo quod est Pater. Ergo videtur
quod paternitas consequatur generationem secundum intellectum. |
2. Par ailleurs, la relation de paternité et
l’opération de génération se suivent. Donc, ou bien la paternité est le
principe de cette opération qui est la génération, c’est-à-dire de telle
manière que c’est parce qu’il est Père qu’il engendre ; ou bien la
paternité découle de cette opération à la manière d’un effet laissé par elle,
de telle manière que ce serait parce qu’il engendre qu’Il est Père. Mais la
paternité n’est pas le principe de l’opération elle-même car, comme le dit
Saint-Anselme [1 Monol., ch. XL1],
c’est du fait qu’Il est Dieu qu’il engendre et non du fait qu’il est Père. Il
semble donc que la paternité découle de la génération selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 3 Item,
omnis relatio secundum intellectum consequitur illud in quo fundatur ; sicut
aequalitas consequitur quantitatem. Sed, secundum philosophum, V Metaph.,
text. 20, paternitas et filiatio fundantur in operatione.
Ergo paternitas sequitur operationem generationis secundum intellectum. |
3. En outre, toute relation
découle selon l’intelligence de ce dans quoi elle se fonde, comme l’égalité
qui découle de la quantité. Mais, d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 20], la paternité
et la filiation se fondent sur l’opération. Donc la paternité découle de
l’opération de génération selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27
q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut se habet generatio activa ad Patrem, ita se
habet generatio passiva vel nativitas ad Filium. Sed filiatio nullo modo
praecedit nativitatem secundum intellectum, sed semper consequitur. [Ergo nec
paternitas generationem activam, sed consequitur eam add. Éd. de Parme]. Ergo
videtur quod etiam paternitas secundum intellectum generationem activam
sequatur. |
4. Par ailleurs, ce que la
génération active est au Père, la génération passive ou la naissance l’est au
Fils. Mais la filiation ne précède en aucune manière la naissance selon
l’intelligence, mais elle la suit toujours. [Donc, la paternité ne précède
pas la génération active, mais en découle add.
Éd. de Parme]. Il semble donc que la paternité aussi découle de la
génération active selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27
q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, operatio, secundum philosophum, I Metaph., in
prol., est individuorum distinctorum, vel singularium. Sed non est distinctum quid in divinis
nisi per relationem. Ergo intellectum operationis personalis praecedit
intellectus relationis. |
Cependant : 1. Au contraire
l’opération d’après le Philosophe [1 Métaphysique,
prologue] appartient à des individus
distincts ou à des singuliers. Mais il n’y a aucune réalité distincte en Dieu
si ce n’est par la relation. Donc, l’intelligence de la relation précède celle
de l’opération personnelle. |
lib. 1 d. 27
q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, principium operationis propriae alicujus oportet
quod sit forma propria ejus. Sed generatio est propria operatio Patris. Cum igitur nulla forma Patris
potentiae sit propria nisi paternitas, videtur quod paternitas sit principium
generationis in Patre, et ita praecedit secundum intellectum. |
2. Par ailleurs, le principe de toute
opération propre doit être la forme propre à cette opération. Mais la
génération est l’opération propre du Père. Donc, puisqu’il n’y a aucune forme
qui soit propre à la puissance du Père sauf la paternité, il semble que la
paternité soit le principe de la génération qui est dans le Père, et par
conséquent elle la précède selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod secundum illos qui dicunt, quod relationes non distinguunt nec
constituunt personas, sed tantum manifestant constitutas et distinctas,
relatio consequitur operationem personalem absolute secundum intellectum. Sed
quia non invenitur aliquid distinguens personas et constituens eas nisi
relatio secundum rationem suae oppositionis ; ideo dico, quod relatio,
inquantum est constituens personam, praecedit secundum intellectum
operationem. Secundum hoc ergo dico, quod ipsa relatio potest tripliciter
considerari. Vel inquantum est relatio absolute, et
ex hoc non habet quod praecedat operationem, immo magis quod sequatur, sicut
patet in creaturis [sicut… creaturis om. Éd de Parme]. Vel inquantum est relatio divina quae
est constituens personam et ipsa persona subsistens ; et sic praecedit
secundum intellectum operationem. Vel inquantum est ipsa operatio
personalis ; et sic sunt simul secundum intellectum, et idem. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après ceux qui disent que les relations ne distinguent pas et ne
constituent pas les personnes mais ne font que manifester les personnes
constituées et distinctes, la relation découle absolument de l’opération
personnelle selon l’intelligence. Mais parce qu’il ne se trouve rien qui
distingue les personnes et les constitue si ce n’est la relation en raison de
son opposition, c’est pourquoi je dis que la relation, en tant qu’elle
constitue la personne, précède l’opération selon l’intelligence. Et suite à
cela je dis donc que la relation elle-même peut être considérée de trois
manières. Soit en tant que relation
prise absolument et partant de là elle n’a pas à précéder l’opération mais
bien plutôt à en découler, tout comme on le voit dans les créatures [tout
comme … créatures om. Éd. de Parme]. Soit en tant qu’elle est
une relation divine qui constitue la personne et qu’elle est la personne
subsistante elle-même ; et en ce sens elle précède l’opération selon
l’intelligence. Soit en tant qu’elle est
l’opération personnelle elle-même et en ce sens elles sont simultanées selon
l’intelligence et identiques. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum
igitur dicendum, quod cum dicit Magister, quod quia genuit est Pater, accipit
generationem non prout significatur per modum operationis, sed prout
significatur per modum proprietatis constituentis personam ; et sic secundum
intellectum praecedit personam constitutam et distinctam. Sic
enim generationem pro paternitate ponunt, sicut etiam supra praecedenti
distinct. Vel dicendum
quod attendit ad relationem secundum quod relatio est, et non secundum quod
est relatio divina constituens personam et distinguens. Vel potest melius
dici, quod in hoc quod dicit, quod est pater quia genuit, non importatur
aliquis ordo per modum causae, sed potius identitas relationis ; unde etiam
ipse dicit, quod ideo est Filius quia genitus, et quia Filius ideo genitus,
ex verbis Augustini, De Trinit., V, c. VII, col. 915. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsque le Maître dit que c’est parce qu’il engendre qu’il
est Père, il prend la génération non pas selon qu’elle est signifiée par mode
d’opération, mais selon qu’elle est signifiée par de mode propriété qui
constitue la personne : et en ce sens elle précède selon l’intelligence
la personne constituée et distincte. C’est en ce sens en effet qu’ils posent
la génération à la place de la paternité comme ils l’ont fait aussi plus haut
dans la distinction précédente. Ou bien il faut dire qu’il considère la
relation en tant qu’elle est relation et non pas en tant qu’elle est une
relation divine qui constitue la personne et la distingue. Ou pour mieux dire
encore, on peut affirmer que dans ce qu’il dit, à savoir qu’il est père parce
qu’il engendre, n’est pas impliqué un ordre par mode de causalité, mais plutôt
une identité de relation ; c’est pour cela que lui-même dit encore,
s’appuyant sur les paroles de Saint-Augustin [V De la Trinité, ch. VII,
col. 915] que la raison pour laquelle il est Fils c’est qu’il est engendré et
que la raison pour laquelle il est engendré, c’est qu’il est Fils. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod, ut supra dictum est, dist. 7, qu. 1, art. 1,
principium generationis in divinis non potest esse tantum natura, nec iterum
tantum proprietas ; sed natura divina prout est in Patre, talis [vel éd de
Parme], proprietas quae est paternitas. Unde Anselmus
non dicit totum quod exigitur ad principium generationis. Ut enim totum complectamur, oportet
dici quod non tantum quia Deus est, generat, vel quia Pater, sed quia Deus Pater. |
2. Il faut dire en deuxième lieu, comme nous
l’avons dit plus haut [dist. 7, quest. 1, art. 1], que le principe de la
génération en Dieu ne peut être seulement la nature ni en outre seulement la
propriété, mais la nature divine selon qu’elle est dans le Père, cette [ou Éd. de Parme] propriété qui est la
paternité. C’est pourquoi Saint-Anselme ne dit pas tout ce qui est exigé à
l’égard du principe de génération. Pour une compréhension totale de l’énoncé,
il faut dire non seulement que c’est parce qu’il est Dieu ou que c’est parce
qu’il est Père qu’il engendre, mais parce qu’il est Dieu Père. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod ratio illa procedit de relatione secundum rationem relationis
absolute ; sed haec relatio quae est paternitas, habet aliquid ultra: quia
cum sit divina, constituit personam, et est ipsa persona constituta, ratione
cujus praecedit secundum intellectum operationem. |
3. En troisième lieu il faut dire que ce
raisonnement procède de la relation selon la notion de relation prise
absolument ; mais cette relation qui est la paternité possède quelque
chose de plus : car puisqu’elle est divine, elle constitue la personne
et elle est la personne constituée elle-même, en raison de quoi elle précède
l’opération selon l’intelligence. |
lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod non est similis ratio in Patre et Filio: quia forma propria
generati nullo modo est principium generationis activae vel passivae, sed
consequens, et quasi terminus ; et ideo filiatio nullo modo praecedit
intellectum nativitatis ; sed forma generantis propria est principium
generationis activae: et ideo oportet quod praecedat intellectum
generationis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
raison n’et pas semblable pour le Père et pour le Fils : car la forme
propre de l’engendré n’est aucunement principe de génération active ou
passive, mais en découle plutôt et en est comme le terme ; et c’est
pourquoi la filiation ne précède en aucune manière l’intelligence de la
naissance ; mais la forme propre de celui qui engendre est principe de
génération active : et c’est pourquoi il faut qu’elle précède
l’intelligence de la génération. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [Le Verbe] |
Prooemium |
Prologue |
lib.
1 d. 27 q. 2 pr. Deinde quaeritur de verbo ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 utrum verbum proprie sit in divinis ; 2
utrum dicatur essentialiter, vel personaliter tantum ; 3
utrum in verbo importetur respectus ad creaturam. |
La
recherche porte ensuite sur le Verbe ; et à ce sujet on pose trois
questions : 1. Y a-t-il à proprement
parler un Verbe en Dieu ? 2. Est-ce là un nom
essentiel ou personnel seulement ? 3. Ce nom implique-t-il un
rapport à la créature ? |
|
|
Articulus
1 : lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 tit. Utrum verbum
dicatur proprie in divinis |
Article 1 – Parle-t-on du Verbe au sens propre en Dieu ? |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod verbum non
proprie in divinis dicatur. Omne enim nomen quod significat corporalem
operationem, non potest Deo convenire nisi metaphorice. Sed verbum est
hujusmodi: dicitur enim a verberatione aeris ut dicit Priscianus, lib. I,
cap. « de verbo »,. Ergo verbum proprie de Deo non dicitur. |
Difficultés: 1. Il semble que ce ne soit pas au sens propre qu’on parle de Verbe en
Dieu. En effet, tout nom qui signifie une opération corporelle ne peut
convenir à Dieu qu’en un sens métaphorique. Mais ¨verbe¨ est un nom de cette
sorte; comme le dit Priscien en effet
[ Livre 1, ch. ¨Au sujet du verbe¨],
ce nom a été impose en partant de l’action de frapper l’air. Donc ¨verbe¨ en
peut se dire proprement de Dieu. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, inter omnia quae apud nos sunt, verbum
videtur magis esse transiens, vel de magis transeuntibus, nec est quid
subsistens. Sed quidquid dicitur in divinis, est permanens et subsistens.
Ergo videtur quod verbum de Deo non proprie dicatur. |
2. Par ailleurs, parmi tout ce qui existe
autour de nous, le verbe semble être ce qu’il y a de plus passager ou se dire
de ce qui est le plus éphémère et qui n’est pas susbistant. Mais tout ce qui
se dit de Dieu est permanent et subsistant. Il semble donc que ¨verbe¨ en
puisse se dire proprement de Dieu. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod de Deo dicitur non verbum vocis, sed
verbum cordis. Contra. Hoc verbum definiens Anselmus, in Monolog., cap.
LXIII, col. 208, dicit, quod dicere summo spiritui nihil est aliud, quam
cogitando intueri. Sed cogitare Deo non convenit, quia cogitatio dicit
quemdam discursum rationis inquirentis et procedentis ex uno in aliud. Ergo videtur quod nec verbum aut
dicere Deo conveniat. |
3. Si
tu dis que ce n’est pas le verbe du son de voix qui s’attribue à Dieu mais le
verbe du cœur, je dis au contraire qu’Anselme [Monologue, ch. LXIII, col. 208], définissant ce verbe, dit :
¨Dire, pour l’Esprit suprême, n’est
rien d’autre que considérer en réfléchissant¨. Mais réfléchir ne convient
pas à Dieu, car la réflexion dit une certain discours de la raison qui est en
recherche et qui procède d’une chose à une autre. Il semble donc que le verbe
ou la parole ne convienne pas à Dieu. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, verbum cordis videtur esse quaedam
conceptio intellectus. Sed nihil concipitur ab intellectu nisi species rei
intelligibilis, quam apud se format. Cum igitur Deus non cognoscat per speciem
aliquam, sed se per essentiam suam videat, et sic cognoscat omnia ; videtur
quod non sit ibi proprie verbum intellectus. |
4. En outre, le verbe du cœur semble être
une conception de l’intelligence. Mais l’intelligence ne conçoit que l’espèce
de la chose intelligible qu’elle forme en elle. Donc, puisque Dieu ne connaît
au moyen d’aucune espèce, mais se voit lui-même par sa propre essence et
connaît ainsi tout chose, il semble qu’on ne puisse retrouver proprement en
Dieu un verbe de l’intelligence. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, Joan. 1, 1: « In principio erat
verbum, et verbum erat apud Deum, et Deus erat verbum ». |
Cependant : 1. L’Écriture [Jean, 1, 1] nous dit au
contraire : ¨Au commencement était
le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu¨. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, nihil aliud est verbum, ut infra
Augustinus dicit, dist. 18, quam genita sapientia. Sed genita sapientia est
in Deo. Ergo videtur quod et verbum. |
2. Par ailleurs, le verbe n’est rien
d’autre, comme le dit Saint-Augustin à la distinction 18, qu’une sagesse
engendrée. Mais la sagesse engendrée est en Dieu. Il semble donc le verbe
aussi soit en Dieu. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 1 co. Respondeo, absque omni dubio confitendum est, Deum esse
verbum, et proprie verbum dici. Ad cujus intellectum sciendum est, quod in
nobis, ut quaedam Glossa ordinaria super Joan. dicit, invenitur triplex
verbum ; scilicet cordis, et vocis, et quod habet imaginem vocis ; cujus
necessitas est, quod cum locutio nostra sit quaedam corporalis operatio,
oportet quod ad ipsam concurrant ea quae ad omnem motum corporalem exiguntur |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut
confesser sans aucun doute que Dieu est verbe et qu’on doive proprement
l’appeler verbe. Et pour comprendre cela il faut savoir qu’en nous, comme le
dit une certaine interprétation ordinaire de Jean, le terme ¨verbum¨,
c’est-à-dire verbe, peut signifier trois choses : à savoir le verbe de
l’intelligence, celui du son de voix et l’image du son de voix ; et il
est nécessaire qu’il en soit ainsi car puisque l’action de parler est une
opération corporelle, il faut qu’à cette opération concourrent les facteurs
qui sont exigés pour tout mouvement corporel. |
Oportet
autem ad hoc quod sit motus corporalis hominis, ut hominis [ut hominis Ed. De Parme] qui scilicet est per
deliberationem, quod praecedat deliberatio et judicium in parte intellectiva.
Sed quia intellectus est universalium, et operationes singularium, ideo, ut
dicitur III De anima, text. 46, oportet esse quamdam virtutem particularem
quae apprehendit intentionem particularem rei, circa quam est operatio ; et
tertio oportet quod sequatur motus in corpore per virtutes motivas affixas
musculis et nervis ; ut quasi videatur esse quidam syllogismus, cujus in
parte intellectiva habeatur major universalis, et in parte sensitiva habeatur
minor particularis, et demum sequatur conclusio operationis particularis, per
virtutem motivam imperatam ; ipsa enim operatio se habet in operabilibus
sicut conclusio in speculativis, ut dicitur VII Metaphysic., text. 33. Si
ergo accipiatur locutio secundum quod est in parte intellectiva tantum, sic
est verbum cordis, quod etiam ab aliis dicitur verbum rei, quia est immediata
similitudo ipsius rei ; et a Damasceno, lib. I Fid. Orth., c. XIII, dicitur,
quod est naturalis intellectus motus, velut lux ejus et splendor ; et ab
Augustino, lib. IX de Trinitate, cap. X, col. 969, dicitur verbum animae
impressum. Secundum autem quod est in imaginatione, quando scilicet quis
imaginatur voces quibus intellectus conceptum proferre valeat, sic est verbum
quod habet imaginem vocis, et quod ab aliis dicitur verbum speciei vocis, et
a Damasceno, col. 858, dicitur verbum in corde enuntiatum, et ab Augustino,
dicitur verbum cum syllabis [animi sinu éd. De Parme] cogitatum. Secundum
autem quod jam est in corporali actione per motum linguae et aliorum
instrumentorum corporalium, dicitur verbum vocis ; et a Damasceno verbum quod
est Angelus, scilicet nuntius, intelligentiae, et ab Augustino verbum cum
syllogismis pronuntiatum. |
Mais pour qu’il y ait
mouvement corporel de l’homme, comme il appartient à l’homme de se mouvoir au
moyen d’une délibération, il faut que dans la partie intellectuelle de
l’homme une délibération et un jugement précèdent l’action. Mais parce que
l’intelligence a pour objet les universels et que les opérations portent sur
ce qui est singulier, c’est pourquoi, comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 46], il faut qu’il y
ait une puissance particulière qui appréhende l’intention particulière de la
chose sur laquelle porte l’opération ; et troisièmement il faut que
s’ensuive un mouvement dans le corps au moyen des puissances motrices fixées
aux muscles et aux nerfs ; de telle manière que la parole ou le langage
soit comme un syllogisme dont il y a une majeure universelle dans la partie
intellectuelle, une mineure particulière dans la partie sensible, et qu’il
s’envuive assurément la conclusion d’une opération particulière par la
puissance motrice qui a été commandée ; en effet, l’opération elle-même
se rapporte à la vie active comme la conclusion à la vie spéculative, ainsi
que le dit le Philosophe [ VII Métaphysique,
texte 33]. Si donc on prend la parole
selon qu’elle est dans la partie intellectuelle seulement, ainsi nous sommes
en présence du verbe ou du concept intellectuel, que d’autres appellent aussi
le verbe de la chose car il est une similitude immédiate de la chose
elle-même ; et la parole prise en ce sens, Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. XIII] dit à
son sujet qu’elle est un mouvement naturel de l’intelligence et comme sa
lumière et sa splendeur ; et Augustin dit [1X De la Trinité, ch. X, col. 969] que le verbe est l’empreinte de
l’âme. Mais selon que le verbe est dans l’imagination, c’est-à-dire quand on
imagine les mots par lesquels l’intelligence est capable d’exposer le concept,
il s’agit alors du verbe qui possède l’image du mot, que d’autres appellent
le verbe de l’espèce vocale, que Damascène appelle le verbe prononcé dans
l’intelligence et que Saint-Augustin appelle le verbe pensé avec des syllabes
[dans le sein de l’âme Éd. de Parme].
Mais selon que le verbe est déjà dans l’opération corporelle au moyen du
mouvement de la langue et des autres instruments corporels, on l’appelle le
verbe du mot ; et le verbe pris en ce sens, Damascène dit à son sujet
qu’il est comme un Ange, c’est-à-dire un messager de l’intelligence et
Saint-Augustin qu’il est le verbe prononcé avec les syllogismes. |
Dico
igitur, quod verbum vocis, et quod habet imaginem vocis, non potest dici in
divinis, nisi metaphorice ; sed verbum cordis quod consistit in intellectu
tantum, dicitur etiam per prius de Deo quam de aliis. Sed tamen sciendum est,
quod in operationibus intellectus est quidam gradus. Primo
enim est simplex intuitus intellectus in cognitione intelligibilis, et hoc
nondum habet rationem verbi |
Je dis donc que le verbe, pris en tant que
mot ou son de voix et pris en tant que possédant l’image du mot, ne peut
s’attribuer à Dieu que par métaphore ; mais le verbe intérieur qu’on ne
retrouve que dans l’intelligence se dit aussi de Dieu et s’attribue même à
Lui en priorité par rapport aux autres êtres. Mais il faut cependant savoir
qu’il y a des degrés dans les opérations de l’intelligence. En premier lieu en effet
il y a la simple considération de l’intelligence
dans la connaissance de l’intelligible et cela n’a pas encore raison de
verbe. |
Secundo est ibi ordinatio illius intelligibilis ad
manifestationem vel alterius, secundum quod aliquis alteri loquitur, vel sui
ipsius, secundum quod contingit aliquem etiam sibi ipsi loqui, et haec primo
accipit rationem verbi ; unde verbum nihil aliud dicit quam quamdam
emanationem ab intellectu per modum manifestantis. |
En
deuxième lieu il y a là une ordonnance de cet intelligible pour le manifester
soit à un autre, selon que l’on parle à un autre, soit à soi-même, selon
qu’il nous arrive de parler même à nous-mêmes, et c’est cette dernière
ordonnance qui reçoit en premier lieu la notion de verbe ; d’où le verbe
ne dit rien d’autre qu’une certaine émanation de l’intellect par mode de
manifestation. |
Et
quia potest esse duplex intuitus, vel veri simpliciter, vel ulterius secundum
quod verum extenditur in bonum et conveniens, et haec est perfecta
apprehensio ; ideo est duplex verbum: scilicet rei prolatae quae placet, quod
spirat amorem, et hoc est verbum perfectum ; et verbum rei quae etiam
displicet ; unde dicit Augustinus quod verbum dicitur animo impressum,
quamvis res ipsa displiceat aut complaceat [non placeat éd. De Parme]. |
Et
parce qu’il peut y avoir deux sortes de considérations, à savoir soit celle
du vrai pris absolument, soit selon que par la suite le vrai est appliqué au
bien et à ce qui convient ; et cette dernière considération est la plus
parfaite ; c’est pourquoi il y a deux sortes de verbes : à savoir
celui de la chose présentée qui plaît et qui inspire l’amour et c’est là le
verbe parfait, et le verbe de la chose qui déplaît ; c’est pourquoi
Saint-Augustin affirme qu’on dit du verbe qu’il est imprimé dans l’âme, que
la chose elle-même déplaise [ne plaise pas Éd. de Parme] ou plaise. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod quamvis nomen verbi impositum sit a motu corporali, quod est
ultimum in nostra locutione ; tamen impositum est ad significandum omne quod
dicitur vel exterius vel interius. Unde quamvis interpretatio nominis non
conveniat Deo, convenit tamen res significata per nomen, sicut frequenter
contingit, ut dictum est, dist. 26, qu. 1, art. 1, de hoc nomine « persona ». |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que le nom de verbe a d’abord été imposé à partir d’un
mouvement corporel qui est dernier dans notre langage, il a cependant été
imposé pour signifier tout ce qui est dit soit extérieurement soit
intérieurement. De là, bien que l’étymologie du nom ne convienne pas à Dieu,
cependant la chose signifiée par le nom Lui convient, tout comme cela arrive
fréquemment ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 26, quest. 1, art.
1] au sujet du nom ¨personne¨. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod verbum vocis neque permanet neque subsistit in nobis, sed verbum cordis
nostri permanet, quamvis non subsistat: et ideo patet quod quamvis verbum non
habeat ex ratione verbi quod permaneat vel subsistat, tamen habet diversas
rationes perfectionis, secundum quod in diversis invenitur ; et ideo verbum
divinum, inquantum divinum [inquantum divinum om. éd. De Parme] habet quod
sit permanens et subsistens ; sicut et de amore supra, dist. 10, qu. 1, art. 1, dictum est. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que le verbe pris en tant que mot ne demeure ni ne
subsiste en nous, mais le verbe pris en tant que verbe intérieur demeure en
nous bien qu’il ne subsiste pas : et c’est pourquoi il est clair que
bien que le verbe, de par sa définition même, n’a pas raison de permanence et
de subsistance, possède cependant différentes notions de perfection selon
qu’il se retrouve dans différents êtres ; et c’est pourquoi le verbe
divin, en tant qu’il est divin [en tant que divin om. Éd. de Parme], est permanent et subsistant, tout comme nous
l’avons dit plus haut [dist. 10, quest. 1, art. 1] au sujet de l’amour. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod sine dubio cogitatio in Deo proprie non est ; sed Anselmus per
similitudinem nomen cogitationis posuit. Sicut enim in cogitatione est exitus
rationis ab uno in aliud per collectionem, ita etiam ratio verbi, ut dictum
est, in corp. art., completur in quadam emanatione et exitu ab intellectu ;
unde addit supra simplicem intuitum intellectus aliquid cogitationi simile. |
3. Il faut dire en troisième lieu que sans
aucun doute il n’y a pas à proprement parler de pensée en Dieu ; mais
c’est comme par analogie qu’Anselme a présenté le nom de «pensée». En effet,
tout comme dans la pensée il y a un passage d’une chose à une autre au moyen
d’un rapprochement, de même encore la notion de «verbe», ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article, trouve son achèvement dans une
certaine émanation et une sortie de l’intelligence ; c’est pourquoi il
ajoute à la simple considération de l’intelligence quelque chose qui est
semblable à la pensée. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod intellectus divinus non intelligit essentiam suam per aliquam
speciem differentem essentialiter aut realiter ab ipsa essentia ; nihilominus
tamen ipse intelligit essentiam suam per essentiam suam ; unde essentia se
habet ut intelligens et ut intellecta et ut quo intelligitur ; et inquantum
se habet ut intelligens, sic vere et proprie est ibi ratio intellectus ; et
inquantum se habet ut id quod intelligitur, est ibi vere ratio intellecti ;
sed inquantum se habet ut quo intelligitur, sic est ibi ratio verbi. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
l’intelligence divine ne saisit pas sont essence au moyen d’une espèce qui
serait essentiellement et réellement distincte de son essence ;
néanmoins cependant il comprend son essence au moyen de son essence ; de
là, dans ce cas, l’essence se présente à la fois comme ce qui pose
l’opération d’intellection, comme ce qui est saisi par cette opération et
comme ce par quoi cette opération est posée ; et en tant que l’essence
se présente comme ce qui pose l’opération, alors l’essence a vraiment et à
proprement parler raison d’intelligence ; en tant qu’elle se présente
comme ce qui est saisi par cette opération, elle a raison de ce qui est vu ou
saisi ; mais en tant qu’elle se présente comme ce par quoi il y a
intellection, alors l’essence a raison de verbe. |
|
|
Articulus
2 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 tit. Utrum verbum dicatur personaliter |
Article 2 – Le verbe est-il dit selon la personne ? |
Quaestiuncula
1 |
Sous-question 1 –
|
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur quod verbum non dicatur personaliter ; sicut
enim dicit Augustinus, lib. IX de Trinit., c. X, col. 938, verbum quod
insinuare intendimus, cum amore notitia est. Sed notitia dicitur essentialiter.
Ergo et verbum. |
Difficultés : 1. Il semble que «Le
Verbe» ne soit pas un nom personnel ; en effet, tout comme le dit
Saint-Augustin [1X De la Trinité,
ch. X, col. 938], le verbe que nous cherchons à faire connaître est une
connaissance remplie d’amour. Mais c’est essentiellement que la connaissance
se dit de Dieu. Il en est donc de même du verbe. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2
Praeterea, omne illud quod potest intelligi non intellecta distinctione
personarum, est essentiale in divinis. Sed non intellecta distinctione
personarum, adhuc potest intelligi quod intellectus divinus manifestat se
sibi, et manifestat se creaturae. Cum ergo verbum non addat aliquid supra rationem
intellectus nisi ordinem manifestationis, videtur quod verbum sit essentiale,
sicut et intelligere. |
2. Par ailleurs, tout ce qui peut être
compris sans que soit comprise la distinction des personnes est essentiel en
Dieu. Mais si on ne comprend pas la distinction des personnes, on peut encore
comprendre que l’intelligence divine se manifeste à elle-même et qu’elle se
manifeste aussi à la créature. Donc, puisque le verbe n’ajoute à la notion de
l’intelligence que le rapport à sa manifestation, il semble que le verbe soit
essentiel, tout comme l’acte d’intellection. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Item,
verbum est terminus hujus actus qui est dicere ; nihil enim dicitur nisi
verbum. Sed quaelibet persona potest dicere se, et potest dicere essentiam suam.
Ergo essentia est verbum, et quaelibet persona est verbum ; et ita verbum
essentialiter dicetur. Nec potest dici, quod quilibet eorum dicat se verbo
Patris ; quia perfectius est dicere verbo proprio, quam alterius ; et ita,
cum unaquaeque persona perfectissime se dicat, videtur quod quaelibet dicat
se verbo proprio ; sed non verbo proprio quod sit ab ipsa ; quia sic essent
plures personae quam tres. Ergo verbo proprio quod est ipsa. |
3. En
outre, le verbe est le terme de cet acte qui consiste à dire ; il n’y a
en effet que le terme qui est dit. Mais toute personne peut se dire et dire
son essence. Donc l’essence est verbe et toute personne est verbe ; et
ainsi, le verbe se dira essentiellement. Et on ne peut dire que chacune des
personnes se dise par le verbe du Père, car il est plus parfait de se dire
par son propre verbe que par le verbe d’un autre ; et ainsi, puisque
chacune des personnes se dit elle-même de la manière la plus parfaite qui
soit, il semble que chacune des personnes se dise par son propre verbe, mais
non par un propre verbe qui viendrait d’elle-même car ainsi il y aurait plus
que trois personnes. Mais plutôt par un verbe propre qui est elle-même. |
lib. 1 d. 27 q.
2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, ut dictum est, artic. antec., verbum dicit
conceptionem intellectus. Sed conceptus intellectus nullus est nisi species
intelligibilis formata in intellectu. Ergo in Deo non potest esse verbum
nisi illud quod se habet per modum speciei, et quo intelligitur. Sed hoc est
principium intelligendi, in quo aliquid intelligitur, et quo intelligitur.
Ergo videtur quod si Filius diceretur tantum verbum personaliter, Filius
esset principium actus intelligendi in Patre, quod supra improbatum est, in 5
distinct., ab Augustino. |
4. Par ailleurs, ainsi que nous l’avons dit
dans l’article précédent, le verbe dit une conception de l’intelligence. Mais
tout concept de l’intelligence n’est que l’espèce intelligible formée dans
l’intelligence. Donc, en Dieu il ne peut y avoir «verbe» que ce qui se
présente à la manière d’une espèce et par quoi il est compris. Mais cela est
le principe d’intellection dans lequel quelque chose est compris et par quoi
il est compris. Il semble donc que si le Fils était appelé verbe seulement à
titre personnel, le Fils serait le principe de l’acte d’intellection chez le
Père, ce qui a été rejeté par Saint-Augustin dans la distinction 5. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 5 Contra
est quod Augustinus, lib. VII De Trinit., cap. II, dicit, quod eo dicitur
verbum in divinis quo Filius et quo sapientia genita. Sed ista omnia dicuntur
personaliter. Ergo videtur quod et verbum. |
5. Cependant, Augustin [ VII De la Trinité, ch. 11] dit le
contraire en affirmant que cette personne divine est appelé «Le Verbe» pour
la même raison qu’elle est appelée «Le Fils» et sagesse engendrée. Mais tous
ces noms sont des noms personnels. Il semble donc que «Le Verbe» soit aussi
un nom personnel. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 6
Praeterea, Augustinus, ibid., c. 1, dicit, quod quamvis sint tres qui dicant,
tamen non est ibi nisi unum verbum. Ergo videtur quod verbum tantum
dicatur personaliter. |
6. De
plus, au même endroit (ch. 1), Saint-Augustin dit que bien qu’il y ait trois
personnes qui disent, il n’y a cependant là qu’un seul «verbe». Il semble
donc que «verbe» ne se dise que personnellement. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 7 Item,
verbum, ut dictum est, art. antec., dicit ordinem cujusdam exitus, et
conceptionem intellectus, et dicitur ad aliquid, sicut in Littera dicitur. Omnia autem haec videntur ad personas
pertinere. Ergo videtur quod verbum sit personale. |
7. En outre, «verbe», ainsi que
nous l’avons dit, dit dans l’article précédent, dit à la fois un rapport à
une sortie ou une emanation, une conception de l’intelligence et une
relation, comme on le dit dans la Lettre. Mais tous ces rapports semblent
appartenir aux personnes. Il semble donc que «verbe» soit un nom personnel. |
Quaestiuncula
2 lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur circa hoc: si verbum
dicatur personaliter, utrum solus Filius dicendus sit verbum. |
Sous-question 2 – [Si on
parle personnellement du verbe, est-ce que seul le Fils doit être appelé
verbe ?]
|
1.
Videtur quod non. Quia sicut Filius exit a Patre ut manifestans ipsum, ita et
Spiritus sanctus. Ergo
ratio verbi utrique aequaliter convenit. |
1. Il semble que non. Car l’Esprit-Saint, tout comme
le Fils, sort du Père pour le manifester. Les deux ont donc également raison
de «Verbe». |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc.
2 arg. 2 Praeterea, intellectus est quasi medium inter naturam quam sequitur,
et voluntatem quam praecedit. Sed medium pertinet ad utrumque extremorum. Cum ergo verbum dicat processionem
intellectus, videtur quod non magis dicatur Filius verbum, qui procedit per
modum naturae, quam Spiritus sanctus, qui procedit per modum voluntatis. |
2. Par ailleurs, l’Intelligence est comme un
intermédiaire entre la nature qu’elle suit et la volonté qu’elle précède.
Mais l’intermédiaire appartient à chacun des deux extrêmes. Donc, puisque «le
verbe» dit une procession de l’intelligence, il semble qu’il n’y ait pas de
raison pour laquelle le Fils, qui procède par mode de nature, devrait
davantage être appelé «verbe» que le Saint-Esprit qui procède par mode
d’amour. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Item,
causa manifestatur per effectum. Sed intellectus divinus est causa omnium
creaturarum, sicut intellectus artificis causa artificiatorum. Ergo omnes creaturae possunt dici
verbum Dei. |
3. En
outre, une cause est manifestée par son effet. Mais l’intelligence divine est
la cause de toutes les créatures, tout comme l’intelligence de l’artisan est
la cause des œuvres d’art. Donc, toutes les créatures peuvent être appelées
«verbes de Dieu». |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Contra
est quod dicit Augustinus, lib. XV De Trinit., cap. XVII, quod sicut in
Trinitate solus Filius dicitur verbum, ita solus Spiritus sanctus dicitur
donum. Ergo sicut donum non convenit Filio, ita nec verbum Spiritui sancto. |
Cependant : 1. Au contraire,
Saint-Augustin [XV De la Trinité,
ch. XVII] dit que tout comme dans la Trinité seul le Fils a pour nom «Le
Verbe», de même seul l’Esprit-Saint a pour nom «Le Don». Donc, tout comme le
nom de don ne convient pas au Fils, de même le nom de verbe ne convient pas à
l’Esprit-Saint. |
Quaestiuncula
1 |
Réponse à la sous-question
1
|
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt diversae
opiniones. Quidam enim dicunt, quod dicere de Deo dicitur tripliciter:
quandoque enim dicere est idem quod intelligere, et sic est essentiale ;
quandoque autem dicere idem est quod generare, et sic est notionale ;
quandoque autem dicere est idem quod creare, et sic dicere connotat respectum
ad creaturam, et est essentiale. |
Corps
de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il existe différentes opinions à ce sujet. Certains en effet disent que
par rapport à Dieu le terme ¨dire¨ se dit de trois manières : parfois en
effet ¨dire¨ signifie la même chose que comprendre et en ce sens il est un
terme essentiel ; mais parfois il signifie la même chose qu’engendrer et
en ce sens il est un terme notionnel ; parfois encore ¨dire¨ est
synonyme de créer et en ce sens il implique un rapport à la créature et il
est un terme essentiel. |
Dicunt
igitur quod huic actui non respondet verbum nisi quantum ad secundum modum
dicendi ; et ideo quamvis dicere dicatur essentialiter et personaliter, tamen
verbum non dicitur nisi personaliter. Sed hoc non videtur verum: quia non est
intelligibile quod aliquid dicatur et non sit verbum ; unde oportet quod
quoties intelligere [dicitur éd. De Parme] dicere toties dicatur verbum. Alii
dicunt, quod dicere nihil aliud est in universali quam manifestare
intellectum suum. |
Ils disent donc que le verbe ne correspond à
cet acte que selon le deuxième sens de ¨dire¨ ; et c’est pourquoi, bien
que ¨dire¨ se dise essentiellement et personnellement, cependant ¨verbe¨ ne
se dit que personnellement. Mais cela ne semble pas vrai car on ne voit pas
pourquoi on pourrait attribuer à un être le ¨dire ¨ mais non le
¨verbe¨ ; d’où il faut que ¨verbe¨ se dise autant de fois qu’on entend
[qu’on dit Éd. de Parme] dire.
D’autres disent que ¨dire¨ n’est rien d’autre universellement que de
manifester son intelligence. |
Potest
autem homo manifestare intellectum suum vel alteri, sicut verbo vocali, vel
sibi ipsi, sicut verbo cordis. Ita dicunt, quod utroque modo Deus manifestat
intellectum suum, scilicet condendo creaturam, quae est verbum ipsius, quasi
verbum vocale [vocabile éd de Parme], et generando filium, secundum quod
manifestat se apud seipsum, et hoc est idem quod verbum cordis. Unde dicunt,
quod verbum dictum de Deo semper est personale. Sed hoc non videtur verum:
quia si inquiratur quid sit istud verbum quo aliquis sibi loquitur, non
invenitur esse nisi conceptio intellectus. |
Mais l’homme peut manifester son intelligence
soit à un autre, comme par un verbe vocal, soit à soi-même comme par un verbe
intérieur. Ils disent ainsi que c’est suivant ces deux manières que Dieu
manifeste son Intelligence, c’est-à-dire d’une part en établissant la
créature, qui est son verbe, comme par un verbe vocal [vocable Éd. de Parme] et d’autre part en
engendrant son Fils, selon qu’il se manifeste à Lui-même, et cela est
identique au verbe intérieur. D’où ils disent que le nom de verbe, dit de
Dieu, est toujours un nom personnel. Mais cela n’est pas vrai : car si
on cherche à savoir quel est ce verbe par lequel un être se parle à lui-même,
on ne trouve qu’une conception de l’intelligence. |
Conceptio
autem intellectus est vel operatio ipsa quae est intelligere, vel species
intellecta. Unde oportet quod verbum vel dicatur ipsa operatio intelligendi,
vel ipsa species quae est similitudo rei intellectae ; et sine utroque
istorum non potest quis intelligere: utrumque enim istorum est id quo quis
intelligit formaliter. |
Mais une conception de l’intelligence est ou
bien cette opération elle-même qui est l’intellection, ou bien l’espèce
saisie par cette opération. C’est pourquoi ne peut être appelée ¨verbe¨ que
l’opération même d’intellection ou l’espèce elle-même qui est la similitude
de la chose saisie par cette intellection. Et chacune de ces conditions est
nécessaire à la connaissance intellectuelle : en effet, ces deux
conditions sont ce par quoi un être saisit formellement par son intelligence. |
Et ideo impossibile est quod accipiendo hoc modo verbum,
aliquis intelligat nisi verbo intellectus sui, quod sit vel operatio ejus,
vel ratio operationis ad eam, sicut medium cognoscendi se habens, quae est
species rei intellectae. Unde cum Pater intelligat se, si non esset ibi nisi
verbum personale, quod est Filius, oporteret quod Pater intelligeret Filio,
quasi formaliter: et hoc supra improbatum est, dist. 5, quaest. 3, art. 1. |
Et
c’est pourquoi il est impossible, en prenant ¨verbe¨ en ce sens, être
comprenne ou conçoive autrement que par le verbe de son intelligence qui soit
ou bien son opération, ou bien la cause de l’opération qui y est ordonnée et
qui est l’espèce de la chose conçue. De là, puisque le Père se saisit
lui-même, s’il n’y avait pas là uniquement un verbe personnel qui est le
Fils, il faudrait que le Père se saisisse comme formellement par le
Fils : et cela a été rejeté plus haut [dist. 5, quest. 3, art. 1] |
Et
ideo dicendum est cum aliis, quod hoc nomen « verbum » ex virtute
vocabuli potest personaliter et essentialiter accipi. Non enim significat
tantum relationem, sicut hoc nomen « Pater », vel
« Filius » sed imponitur ad significandum rem aliquam
absolutam simul cum respectu, sicut hoc nomen « scientia » ; sed in
hoc differt, quia relatio quae importatur hoc nomine « scientia »,
non est relatio originis, secundum quam referatur scientia ad illud a quo est
; sed est relatio secundum quam refertur ad illud ad quod est, scilicet ad
scibile ; sed hoc nomen « verbum » importat relationem secundum
quam refertur ad illud a quo est, scilicet ad dicentem. |
Et c’est pourquoi il faut dire avec d’autres
que ce nom «verbe», de par la seule puissance du terme, peut être pris
personnellement et essentiellement. En effet, il ne signifie pas seulement la
relation comme le terme «Père» ou le terme «Fils» mais il est imposé pour
signifier quelque chose d’absolu avec une relation, tout comme ce nom
«science» ; mais il y a différence en ceci que la relation qui est
impliquée par ce nom «science» n’est pas une relation d’origine selon
laquelle la science se rapporterait à ce par quoi elle existe ; mais
elle est une relation selon laquelle elle se rapporte à ce à quoi elle est
ordonnée, à savoir à l’objet connaissable ; mais ce nom ¨verbe¨ implique
une relation selon laquelle il se rapporte à celui d’où il vient, à savoir à
celui qui dit. |
Hujusmodi
autem relationes in divinis contingit esse dupliciter: quaedam enim sunt
reales, quae requirunt distinctionem realem, sicut paternitas et filiatio,
quia nulla res potest esse pater et filius sibi ipsi [sibi ipsi om. Éd ; de
Parme] respectu ejusdem ; quaedam autem sunt relationes rationis tantum, quae
non requirunt distinctionem realem, sed rationis, sicut relatio quae
importatur in hoc nomine « operatio ». |
Mais les relations de cette sorte en Dieu
peuvent exister de deux manières : certaines en effet sont réelles et
exigent une distinction réelle, comme la paternité et la filiation, car
aucune réalité ne peut être père ou fils de soi-même [de soi-même om. Éd. de
Parme] sous le même rapport ; mais d’autres sont des relations de raison
seulement qui n’exigent pas une distinction réelle, mais seulement une
distinction de raison, tout comme la relation qui est impliquée dans le nom
«opération». |
Habet
enim operatio respectum implicitum ad operatorem a quo est: nec in divinis
differunt operans et operatio, nisi ratione tantum. Si igitur relatio
importata hoc nomine verbum, sit relatio rationis tantum, sic nihil prohibet
quin essentialiter dicatur, et videtur sufficere ad rationem verbi, secundum
quod a nobis in Deum transumitur ; quia in nobis, ut dictum est, art. praec.,
nihil aliud est verbum nisi species intellecta, vel forte ipsa operatio
intelligentis: et neutrum eorum realiter distinguitur ab essentia divina. |
L’opération en effet implique
un rapport implicite à l’opérateur d’où elle vient: et en Dieu il n’y a
qu’une difference de raison seulement entre celui qui opère et son operation.
Si donc la relation impliquée par le nom de verbe est seulement une relation
de raison, alors rien n’empêche qu’il se dise essentiellement, et cela semble
suffire à la définition du verbe selon
qu’elle passe de nous à Dieu; car en nous, ainsi que nous l’avons dit dans
l’article precedent, le verbe n’est rien d’autre que l’espèce conçue ou
peut-être l’opération même de celui qui conçoit.: et aucun d’elles ne se
distingue réellement de l’essence divine. |
Si
autem importet relationem realem distinctionem exigentem, oportet quod
personaliter dicatur, quia non est distinctio realis in divinis nisi
personarum. Et est simile de amore, qui secundum eamdem distinctionem
essentialiter et personaliter dicitur, ut supra dictum est, dist. 18, quaest. 1, art. 1. |
Mais
si le nom ¨verbe¨ implique une relation exigeant une distinction réelle, il
faut qu’il se dise personnellement car en Dieu il n’y a de distinction réelle
que celle qui se rapporte aux personnes. Et il en est de même pour le nom
¨amour¨ qui d’après la même distinction se dit essentiellement et
personnellement, comme nous l’avons dit plus haut [ dist. 18, quest. 1, art.
1] |
Cum
enim verbum sit similitudo ipsius rei intellectae, prout est concepta in
intellectu, et ordinata ad manifestationem, vel ad se, vel ad alterum ; ista
species in divinis potest accipi dupliciter: vel secundum quod dicit id quo
aliquid formaliter in divinis intelligitur ; et sic, cum ipsa essentia per se
intelligatur et manifestetur, ipsa essentia erit verbum ; et sic verbum et
intellectus et res cujus est verbum, non differunt nisi secundum rationem,
sicut in divinis differunt quo intelligitur et quod intelligitur et quod
intelligit ; vel secundum quod species intellecta nominat aliquid distinctum
realiter ab eo cujus similitudinem gerit ; et sic verbum dicitur
personaliter, et convenit Filio, in quo manifestatur Pater, sicut principium
manifestatur in eo quod est a principio per modum intellectus procedens. |
En effet, puisque le verbe
est une similitude de la chose saisie elle-même selon qu’elle est conçue dans
l’intelligence et que cette similitude est ordonnée à une manifestation
soit à soi-même soit à un autre, cette espèce peut se prendre de deux
manières par rapport à Dieu : soit premièrement selon qu’elle signifie
ce par quoi quelque chose est formellement conçu en Dieu ; et ainsi,
puisque l’essence se conçoit et se manifeste par elle-même, l’essence
elle-même sera verbe ; et ainsi le verbe, l’intelligence et la chose
dont il est le verbe ne diffèrent que selon la raison tout comme en Dieu ne
diffèrent que par la raison ce par quoi il y a conception, ce qui est conçu
et ce qui conçoit ; soit deuxièmement selon que l’espèce conçue signifie
quelque chose de réellement distint de celui dont elle produit une
similitude, et ainsi le verbe se dit personnellement et convient au Fils dans
lequel le Père est manifesté, tout comme le principe est manifesté dans celui
qui vient du principe à la manière de ce qui procède d’une intelligence. |
Sed tamen in usu sanctorum et communiter loquentium est
quod hoc nomen verbum relationem realiter distinguentem importat, ut dicit
Augustinus, VII De Trinit.,cap. II, col. 936, quod verbum idem est quod sapientia
genita ; et ideo ista quaestio parum valet, quia non est de re, sed de vocis
significatione, quae est ad placitum ; unde in ea plurimum valet usus, quia
nominibus utendum est ut plures, secundum philosophum, lib. II, Top., cap. II
; de rebus autem judicandum secundum sapientes. Cum enim de rebus constat,
frustra in verbis habetur controversia, ut dicit Magister, Lib. 3 [Lib. 2 éd
de Parme], dist. 14. Sed tamen ea quae in divinis dicuntur, non sunt
extendenda nisi quantum sacra Scriptura eis utitur. |
Il est cependant dans l’usage commun des
saints et des prophètes que le nom ¨verbe¨ implique une relation qui
distingue réellement, comme Saint-Augustin [ VII De la Trinité, ch. 11, col. 936] qui dit que le verbe est
identique à la sagesse engendrée ; et c’est pourquoi cette question est
de peu d’importance parce qu’elle ne porte pas sur la chose, mais sur la
signification des mots qui relève du bon vouloir ; et c’est pourquoi
dans ce domaine l’usage du grand nombre est important car d’après le Philosophe
[ 11 Topiques, ch. 11] il faut user
des noms à la manière du grand nombre, mais il faut juger des choses d’après
ce qu’en disent les sages. En effet, puisqu’on s’arrête aux choses, c’est en
vain que la discussion s’établira sur les mots, ainsi que le dit le Maître à
la distinction 14 du libre 3 [livre 2 Éd.
de Parme]. Cependant, en ce qui concerne la signification des mots qu’on
pourra dire au sujet de Dieu, il ne faut pas s’aventurer au-delà de l’usage
qu’en font les Saintes Écritures. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod notitia non dicit totam rationem verbi: quia notitia et
sapientia dicuntur per modum quiescentis et manentis in eo cujus sunt ; et
ideo nunquam dicuntur nisi essentialiter, quamvis possint esse appropriata: sed
verbum dicit quamdam emanationem intellectus, et exitum in manifestationem
sui ; et ideo, quia exitus iste potest intelligi vel secundum rem distinctam,
prout Filius exit a Patre, vel secundum rationem tantum, prout intelligere
est ab intellectu divino ; ideo verbum quandoque essentialiter et quandoque
personaliter dicitur, sicut et amor. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la connaissance ne dit pas toute la définition du
verve : car la connaissance et la sagesse signifie à la manière de ce
qui repose et demeure dans celui à qui elles appartiennent ; et c’est
pourquoi elles ne signifient que l’essence bien qu’elles puissent être
appropriées. Mais le verbe dit une
émanation et une sortie de l’intelligence pour la manifester ; et c’est
pourquoi, parce que cette sortie peut s’entendre soit comme une réalité
distincte, comme le Fils sort du Père, soit selon la raison seulement, comme
l’intellection qui vient de l’intelligence divine, c’est pourquoi le verbe,
tout comme l’amour, se dit parfois essentiellement, parfois personnellement. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod non intellecta distinctione personarum, adhuc
intellectus divinus potest manifestare seipsum et ad se et ad alterum. Ad alterum, sicut creando creaturam,
vel inspirando cognitionem sui creaturae. Ad seipsum, per modum quo aliquis
convertitur supra id quod intellexit, ut manifestum fiat utrum verum sit vel
non quod intellectu percipit ; hoc enim proprie est loqui in corde. Propter
quod habet aliquid simile cogitationis [cognitioni éd. De Parme] ; non tamen
esset ibi manifestatio principii in aliquo realiter distincto et existente
per modum intellectus in eadem natura, non intellecta distinctione
personarum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que même si
la distinction des personnes n’est pas comprise, l’intellect divin peut
encore se manifester à lui-même et à un autre. À un autre, comme lorsqu’elle
crée la créature ou qu’elle inspire une connaissance à sa créature ; à lui-même, à la
manière par laquelle quelqu’un se retourne sur ce qu’il a compris pour que
devienne manifeste la vérité ou la fausseté de ce qu’il a perçu par son
intelligence : et c’est en cela que consiste à proprement parler le
langage intérieur. Pour cette raison le langage intérieur a quelque chose de
semblable à la pensée [à la connaissance Éd.
de Parme] ; cependant, si la distinction des personnes n’était pas
comprise, il n’y aurait pas là manifestation du principe dans un être
réellement distinct et existant à la manière d’une intelligence dans une même
nature. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Tertium conceditur. |
3. Nous concédons la troisième
difficulté. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod nullo modo est concedendum quod Pater intelligat a Filio, vel
quod intelligat in Filio, sicut in objecto vel specie qua cognoscitur: quia
hoc poneret Filium habere aliquam rationem principii ad Patrem. Sed tamen
concedendum est quod Pater intelligit in Filio et seipsum et alia, inquantum
videt Filium esse similitudinem suam et omnium aliorum, sicut principium
videtur in eo cujus est principium, quamvis et in seipso videatur. Possum
enim videre hominem in imagine sua, quamvis ipsum etiam per se videam. Ita
quamvis Pater seipsum videat in se et omnia alia, tamen omnia potest videre
in Filio, et seipsum, sicut et seipsum in creatura videre potest, inquantum
ipsum creatura repraesentat, quamvis imperfecte. |
4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il ne faut concéder en aucune
manière que le Père conçoit par le Fils ou qu’il conçoit dans le Fils comme
dans l’objet ou dans l’espèce par laquelle il est connu: cela reviendrait à
poser que le Fils, d’une certaine manière, a raison de principe à l’égard du
Père. Il faut cependant concéder que le Père, dans le Fils, se conçoit Lui-même
et conçoit tous les autres êtres, selon qu’il voit dans le Fils une
resemblance de Lui-même et de tous les autres êtres, tout comme un principe
est vu dans ce dont il est le principe, bien qu’il se voit aussi en Lui-même.
Je peux en effet voir un homme par son image, bien que je le voie aussi par
lui-même. De même, bien que le Père voit en Lui à la fois Lui-même et tout le
reste, cependant il peut voir dans le Fils à la fois Lui-même et tout le
reste, tout comme il peut aussi se voir dans la créature, pour autant que
cette dernière le représente, bien qu’imparfaitement. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum quod in contrarium objicitur,
dicendum, quod Augustinus accipit verbum prout dicit realem exitum et
distinctionem a dicente, et non secundum quod ad rationem verbi sufficit
distinctio rationis ; et ideo accipit verbum tantum personaliter. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu, par rapport à ce qui a été présenté comme difficulté contraire, que
Saint-Augustin prend ici le verbe en tant qu’il signifie une sortie et une
distinction réelle par rapport à celui qui dit et non en tant qu’une
distinction de raison suffit à la definition du verbe; et c’est pourquoi il
prend le verbe uniquement en tant que nom personnel. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in divinis non est nisi
tantum unum verbum ; et tamen est ibi verbum personale et essentiale, quia
persona non distinguitur ab essentia ; unde nec excluditur per dictionem
exclusivam. |
6. Il faut dire en sixième lieu qu’en Dieu il
n’y a qu’un seul verbe ; et cependant il y a là un verbe personnel et
essentiel car la personne ne se distingue pas de l’essence ; c’est
pourquoi elle n’en est pas exclue par un terme exclusif. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum,
quod omnia illa quae dicuntur, possunt accipi realiter vel secundum rationem
; et utrumque sufficit ad rationem verbi ; et ideo potest dici essentialiter
et personaliter. |
7. Il
faut dire en septième lieu que tous ces termes peuvent être pris soit
réellement, soit selon la raison ; et chacun des deux suffit à la
définition du verbe ; et c’est pourquoi le verbe peut se dire soit
essentiellement, soit personnellement. |
Quaestiuncula
2 |
Réponse à la sous-question
2
|
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod si
verbum personaliter sumatur, soli Filio convenit, et non Spiritui sancto ;
quia Spiritus sanctus procedit per modum voluntatis ; et ideo proprie dicitur
amor et donum ; sed procedere per modum naturae vel intellectus convenit
filio ; et ideo ipse proprie et genitus et verbum dicitur. |
Corps
de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que si le verbe se prend comme un nom personnel, il convient seulement au
Fils et non à l’Esprit-Saint ; car l’Esprit-Saint procède par mode de volonté
et c’est pourquoi on dit proprement de Lui qu’Il est amour et don ; mais
procéder par mode de nature ou d’intelligence ne convient qu’au Fils et
c’est pourquoi on dit proprement de Lui qu’il est engendré et qu’il est
verbe. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo quod
objicitur, dicendum, quod ad rationem verbi non solum exigitur esse
manifestativum: quia sic cujuslibet causae esset verbum suus effectus, quod
non potest dici nisi metaphorice ; sed oportet quod in illo verbo
intelligatur processio intellectus, et hoc non convenit Spiritui sancto. |
Solutions : 1. Par rapport à ce qui a
été objecté en premier lieu il faut dire que pour la définition du verbe il
ne suffit pas de dire qu’il manifeste car alors tout effet précédant d’une
cause serait son verbe, ce qui ne peut être dit que par métaphore ; mais
il faut en plus que dans ce verbe on entende une procession de l’intelligence
et cela ne convient pas à l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod Spiritus sanctus procedit a duobus ; et ideo sua processio est per modum
conformitatis amoris, quae est ex unione voluntatis in volentibus ; et
propter hoc procedit tantum per modum voluntatis. Sed tam processio intellectus quam
processio naturae, est ab uno tantum ; non autem ab uno secundum quod unitur
alteri, si sit perfectum agens sicut est agens divinum ; et ideo uterque
modus processionis convenit illi personae quae solum ab uno est. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que
l’Esprit-Saint procède de deux principes ; et c’est pourquoi sa
procession a lieu par mode de la conformité de l’amour qui vient de
l’union des volontés de ceux qui
veulent ; et c’est pour cette raison que l’Esprit-Saint procède
seulement par mode de volonté. Mais aussi bien la procession de l’intelligence
que la procession de la nature viennent d’un seul principe et non pas d’un
seul principe selon qu’il est uni à un
autre s’il existe un agent parfait comme c’est le cas pour l’agent
divin ; et c’est pourquoi ces deux modes de procession conviennent à
cette personne qui vient d’un seul principe. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod creatura non potest dici proprie verbum, sed magis vox verbi ; sicut
enim vox manifestat verbum, ita et creatura manifestat divinam artem ; et
ideo dicunt sancti, quod uno verbo Deus dixit omnem creaturam ; unde
creaturae sunt quasi voces exprimentes unum verbum divinum ; unde dicit
Augustinus, lib. III De lib. Arbitrio c. XXVIII: « Omnia
clamant: Deus fecit » Sed hoc non dicitur nisi metaphorice. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
créature ne peut être appelée au sens propre ¨verbe¨ mais plutôt ¨mot du
verbe¨ ; en effet, tout comme le mot manifeste le verbe, de même la
créature manifeste l’art divin ; et c’est pourquoi les saints disent que
c’est par un seul verbe que Dieu a dit toutes les créatures ; de là les
créatures sont comme des mots différents qui expriment un seul et même verbe
divin ; c’est pourquoi Saint-Augustin [111 Du Libre Arbitre, ch. XXVIII] dit : «Toutes les créatures crient : Dieu nous a faites». Mais cela
ne se dit que par métaphore. |
|
|
Articulus
3 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 tit. Utrum verbum dicat semper respectum ad creaturam |
Article 3 – Le verbe dit-il toujours le rapport à la créature ? |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod verbum
semper respectum dicat ad creaturam. Sicut enim dicit Augustinus, I Super
Genes. Ad litt., c. II: Dixit et facta sunt, idest: verbum genuit, in quo
erat ut fieret creatura. Sed per hoc ponitur respectus ad creaturam. Ergo
videtur quod verbum dicat respectum ad creaturam. |
Difficultés: 1. Il semble que le verbe dise toujours un rapport à la créature. En
effet, comme le dit Saint-Augustin [1 Lettre
sur la Genèse, ch. 11]: Il a dit,
et toute chose a été faite; c’est-à-dire: Il a engendré le Verbe, dans lequel
étaient les créatures à venir. Mais en disant cela, il pose un rapport à
la créature. Il semble donc que le verbe dise un rapport à la créature. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus in principio Joan. dicit, quod
verbum est operativa potentia Patris. Sed operativa potentia dicitur per
respectum ad creaturam. Ergo et verbum. |
2. Par
ailleurs, au début de l’Évangile de Jean, Saint-Augustin dit que le verbe est
la puissance d’opération du Père. Mais la puissance d’opération se dit par
rapport à la créature. Il en est donc de même pour le verbe. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, Anselmus, Monol., cap. XXXIII et XXXIV, col. 187, dicit, quod
Deus dicendo se, dixit omnem creaturam. Sed dicendo genuit verbum sibi
aequale. Ergo videtur quod verbum quod genitum est a Patre, ponat respectum
ad creaturam, secundum quod per verbum creaturae dicuntur a Deo. |
3. En outre, Saint-Anselme [Monologues, ch.
XXXIII et XXXIV, col. 187] dit que Dieu, en se disant, dit toute créature.
Mais en se disant il engendre un verbe égal à Lui-même. Il semble donc que le
verbe qui est engendré par le Père pose un rapport à la créature selon que
c’est au moyen du verbe que Dieu dit les créatures. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, artificiata
non cognoscuntur ab artifice nisi secundum quod convertitur ad formam artis
quam apud se habet. Ergo idem est artifici converti ad artem suam et ad
artificiata, et intelligere utrumque. Sed verbum est ars omnium eorum quae a
summo artifice condita sunt. Ergo videtur quod nunquam fiat conversio
intellectus paterni ad artificiata, nisi per hoc quod ad verbum convertitur ;
et e converso quandocumque convertitur ad verbum, ad artificiata convertitur.
Ergo videtur quod verbum semper accipiendum sit cum respectu ad creaturam. |
4. Par ailleurs, les oeuvres
d’art ne sont connues de l’artisan que selon qu’il se tourney vers la forme
de l’art qu’il possède en lui. C’est donc la même chose pour l’artisan de se
tourner vers son art et vers les oeuvres d’art et de comprendre les deux.
Mais le verbe est l’art de toutes les choses qui ont été créées par
l’artisans supreme. Il semble donc que l’intelligence du Père ne se tourne
vers ses oeuvres que du fait qu’il se tourne vers son verbe et inversement à
chaque fois qu’il se tourne vers son verbe il se tourne vers ses oeuvres. Il
semble donc que le verbe doive toujours se prendre par rapport à la créature. |
Super
Sent., lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 5 Contra, nihil quod dicit respectum ad
creaturam, convenit Deo ab aeterno, ut dominus et hujusmodi. Sed verbum
convenit Deo ab aeterno, quia in principio erat verbum, Joan. 1, 1. Ergo
verbum non dicit respectum ad creaturam. |
5. Au contraire, rien de ce qui se dit par
rapport à la créature, comme ¨seigneur¨ et les termes de cette sorte, ne
convient à Dieu de toute éternité. Mais le Verbe convient à Dieu de toute
éternité, car l’Évangile [Jean, 1, 1] nous dit: ¨Au commencement était le
Verbe¨. Le Verbe ne dit donc pas un rapport à la créature. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea,
omne nomen connotans effectum in creatura, significat divinam essentiam. Sed
verbum est personale, ad minus quandoque. Ergo videtur quod verbum non dicat
respectum ad creaturam. |
6. De
plus, tout nom qui renvoie un effet dans la créature signifie l’essence
divine. Mais le Verbe, au moins dans certains cas, est un nom personnel. Il
semble donc que le Verbe ne dise pas un rapport à la créature. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod verbum non semper dicitur
secundum respectum ad creaturam ; sed quandoque cum respectu, et quandoque
sine respectu ; et hoc sic patet. Verbum enim sive dicatur personaliter, sive
essentialiter, est species concepta, in qua est similitudo ejus quod dicitur,
et dicentis, quando aliquis seipsum dicit. Constat autem quod divina
essentia, sive Pater, praehabet in se similitudinem omnis creaturae, sicut
exemplar. Unde illud quod significatur ut species vel similitudo Patris aut
essentiae divinae, si perfecta similitudo sit, continebit in se similitudinem
omnium rerum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que le verve ne se dit
pas toujours dans un rapport à la créature ; mais il se dit parfois avec
et parfois sans ce rapport ; et voici comment on peut le voir. Le verbe
en effet, qu’il se dise personnellement ou essentiellement, est une espèce
conçue dans laquelle il y a une similitude entre ce qui est dit et celui qui
dit, quand quelqu’un se dit lui-même. Mais il est clair que l’essence divine,
soit le Père, possède à l’avance en elle, à titre de modèle, la similitude de
toute créature. De là, ce qui est signifié comme espèce ou similitude du Père
ou de l’essence divine, si elle est une similitude parfaite, contiendra en
elle la similitude de toutes les choses. |
Sed quamvis aliquid sit species vel similitudo
alterius, non tamen oportet quod semper quandocumque convertitur in speciem,
convertatur in illud cujus est species vel similitudo ; quia in speciem vel
in imaginem contingit fieri conversionem dupliciter: vel
secundum quod est species talis rei, et tunc est eadem conversio in rem et
speciem rei ; vel in speciem secundum quod est res quaedam ; et sic non
oportet quod eadem conversione convertatur quis per intellectum in speciem
rei et in rem ; sicut quando aliquis considerat imaginem inquantum est corpus
lapideum, et inquantum est similitudo Socratis vel Platonis. |
Mais bien qu’une chose
soit l’espèce ou la similitude d’une autre, il n’est cependant pas nécessaire
qu’à toutes les fois qu’elle est convertie en une espèce, qu’elle soit toujours convertie en ce dont elle est
l’espèce ou la similitude, car il est possible de tourner son regard sur
l’espèce ou l’image de deux manières : Soit selon qu’elle est
l’espèce de telle chose et alors se tourner vers la chose est identique à se
tourner vers l’espèce de la chose. Soit on se tourne vers l’espèce
selon qu’elle est une certaine chose et ainsi il n’est pas nécessaire que ce
soit par le même regard que quelqu’un se tourne par l’intelligence vers l’espèce
de la chose et vers la chose, comme c’est le cas lorsque quelqu’un considère
une image en tant qu’elle est un corps de pierre et en tant qu’elle est la
similitude de Socrate ou de Platon. |
Dico
igitur, quod cum ipse Deus sit similitudo et species omnium rerum, duplex
conversio intellectus potest fieri in ipsum ; vel absolute secundum quod est
res quaedam ; vel inquantum est similitudo omnium rerum ; et utroque modo
seipsum Deus cognoscit, et supra se convertitur ; quamvis non diversa, sed
una operatione. Unde si verbum accipiatur prout consequitur intuitum
intellectus divini, secundum quod absolute seipsum intuetur, sic verbum
absolute dicitur in divinis sine respectu ad creaturam, sive essentialiter
sive personaliter dicatur. |
Je dis donc que puisque Dieu est la
similitude et l’espèce de toutes les choses, il est possible que
l’intelligence se tourne vers lui de deux manières : soit absolument, en
tant qu’il est une certaine réalité ; soit en tant qu’il est la
similitude de toutes les choses ; et des deux manières Dieu se connaît
lui-même et se tourne sur lui-même, bien qu’il ne le fasse par par
différentes opérations, mais par une seule et même opération. De là, si le
verbe se prend suivant le regard de l’intelligence divine, selon qu’il se
considère absolument lui-même, alors le verbe se dit absolument en Dieu sans
rapport à la créature, qu’il se dise essentiellement ou personnellement. |
Si
autem verbum consequatur intuitum intellectus divini prout convertitur supra
se, inquantum est similitudo omnium rerum et exemplar ; tunc etiam in verbo
accipitur respectus ad creaturam ut est respectus artis ad artificiata ; et
sic proprie verbo competit nomen artis. Si tamen verbum accipiatur secundum
ordinem manifestationis ad alterum, sic semper dicit respectum ad creaturam ;
quia talis manifestatio divini intellectus est per eductionem creaturarum. |
Mais si le verbe suit le regard
de l’intelligence divine selon qu’elle
se tourne sur elle-même en tant qu’elle est la similitude de toutes les
choses et leur modèle, alors on entend aussi dans le verbe un rapport à la
créature comparable au rapport de l’art à l’oeuvre d’art; et c’est ainsi
qu’au verbe convient proprement le nom d’art. Si cependant le verbe s’entend
d’après un rapport de manifestation à un autre, alors le verbe dit toujours
un rapport à la créature, car une telle manifestation de l’intelligence
divine se réalise au moyen de la procession des créatures. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis in verbo sit
unde fiat omnis creatura, nihilominus tamen consideratio verbi et ejus cujus
est verbum non dependet a consideratione creaturae ; et ideo verbum non de
necessitate dicit respectum ad creaturam. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que le verbe soit le
principe d’où procède toute créature, néanmoins cependant la consideration du
verve et de ce dont il est le verbe ne depend pas de la considération de la
créature; et c’est pourquoi le verbe ne dit pas nécessairement un rapport à
la créature. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum dicitur potentia
operativa Patris per modum artis ; unde inquantum significatur ut ars,
significatur per respectum ad creaturam. Sed non de necessitate sic
intelligitur quando significatur ut verbum, sicut patet de Spiritu sancto,
qui ipse est amor quo Pater diligit Filium ; et iste amor est ratio amoris
quem in creaturam habet, quae in sui similitudinem dilectionis adducit ; et
inquantum est amor absolute significatur nomine amoris, non connotando
aliquem respectum ad creaturam ; sed inquantum est ratio eorum quae
liberaliter creaturae conferuntur, significatur nomine doni, quod respectum
ad creaturam importat. Sic est de nomine verbi et nomine artis ; quia verbum
potest absolute dici ; sed ars dicit respectum ad artificiata. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le
verbe dit la puissance d’opération du Père par mode d’art ; de là, en
tant qu’il et signifié comme art, il est signifié par rapport à la créature.
Mais ce n’est pas nécessairement de cette manière qu’il est entendu quant il
est signifié comme verbe, tout comme on le voit au sujet de l’Esprit-Saint
qui est lui-même l’amour par lequel le Père aime le Fils ; et cet amour
est la cause de l’amour qu’il porte à la créature qui conduit à la
ressemblance de son amour ; et en tant qu’il est l’amour signifié absolument
par le nom d’amour, il ne signifie pas à un rapport à la créature ; mais
en tant qu’il est la cause des perfections qui sont libéralement données à la
créature, il est signifié par le nom de don qui implique un rapport à la
créature. Et il en est de même pour le nom de verbe et le nom d’art :
car le verbe peut se dire absolument mais le nom d’art dit un rapport à
l’œuvre d’art. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
uno et eodem verbo Pater dixit se et omnem creaturam ; tamen diversa est
consideratio verbi secundum quod per illud dicitur Pater et creaturae. Deo [
om. Éd. De Parme] non enim deest cognitio absoluta sui ipsius, nec etiam
cognitio absoluta creaturarum, nec etiam cognitio comparata, secundum quod
cognoscit se esse causam illorum ; quamvis istae tres cognitiones non
differant realiter in ipso, sed ratione tantum ; et ideo non exigitur ad
intellectum verbi, secundum quod eo intelligitur Pater dixisse seipsum,
respectus ad creaturam ; sed secundum quod eo intelligitur creaturas dixisse
; et ideo verbum absolute et cum respectu ad creaturam intelligitur. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que c’est par un seul et même verbe que le Père
se dit lui-même et dit toute créature ; mais la considération du verbe
diffère selon qu’il dit le Père ou qu’il dit la créature. À Dieu [om. Éd. de Parme] en effet ne manque
pas la connaissance absolue de lui-même ni non plus la connaissance absolue
des créatures, ni même la connaissance du rapport entre les deux, selon qu’il
sait qu’il est la cause de ces dernières, bien que ces trois connaissances ne
diffèrent pas réellement en Lui mais seulement selon la raison. Et c’est
pourquoi le rapport à la créature n’est pas nécessaire à l’intelligence du
verbe, selon qu’on entend par là que Dieu se dit lui-même ; mais
seulement si on entend par là que Dieu dit les créatures. Et c’est pourquoi
le verbe peut s’entendre absolument et avec un rapport à la créature. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
artifex potest converti ad speciem artis quae apud ipsum est, tripliciter.
Vel secundum quod est similitudo rei per ipsum fiendae ; et sic absolute
convertitur in rem artificiatam, nullam considerationem habens de arte sua. Vel
in ipsam speciem artis, secundum esse quod habet in anima ejus ; et sic est
consideratio absoluta ipsius speciei, inquantum est res quaedam ; nec aliquid
tunc de re artificiata considerat. Vel
comparando unum ad alterum, dum considerat illam speciem quae apud se est,
esse causam eorum quae ab ipso fiunt. Et ita etiam est de intellectu divino,
secundum quod convertitur supra seipsum, vel inquantum est res quaedam, vel
prout est similitudo rerum tantum, vel prout illa res quae est similitudo est
causa eorum quae sibi assimilat ; quamvis istae cognitiones in Deo simul sint,
et realiter non differant. |
4. En quatrième lieu il faut dire que
l’artisan peut se tourner de trois manières vers l’espèce de l’art qui est en
lui. Soit selon qu’elle est une
similitude de la chose à devenir par elle ; et ainsi elle se convertit
absolument en la chose artificielle, sans aucune considération pour son art. Soit il considère l’espèce
de l’art selon l’existence qu’elle possède dans son âme ; et de cette
manière il considère l’espèce elle-même prise absolument en tant qu’elle est
une certaine réalité et alors il ne considère rien au sujet de la chose
artificielle. Ou bien encore il la
considère dans le rapport de l’une à l’autre, alors qu’il considère que
l’espèce qui est en lui est la cause des choses produites par elle. Et il en
est encore de même pour l’intelligence divine selon qu’elle se tourne sur
elle-même, soit en tant qu’elle est une certaine réalité, soit en tant
qu’elle est une similitude des choses seulement, soit en tant que cette
réalité qui est une similitude est la cause des créatures qu’elle s’assimile,
bien que ces connaissances en Dieu soient simultanées et qu’elle ne diffèrent
pas réellement. |
lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
verbum non dicit respectum ad creaturam in actu, sed quasi in habitu, sicut
donum ; et ideo utrumque aeternum est. |
5. Il
faut dire en cinquième lieu que le verbe ne dit pas un rapport actuel à la
créature, mais plutôt comme un rapport habituel, comme le don. Et c’est
pourquoi l’un et l’autre sont éternels. |
lib.
1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod omnis effectus creaturae est
communis totius Trinitatis. Unde quidquid dicit respectum ad creaturam, ducit
in cognitionem essentiae, sicut in effectu suo causa cognoscitur. Sed quia
non tantum essentia habet ordinem ad creaturam, sed etiam processio
personalis, quae est ratio processionis creaturarum ; ideo potest etiam
aliquid personale cum respectu ad creaturam significari ; et tunc tale nomen
principii significabit personam principaliter, sed ex consequenti ducet in
intellectum essentiae ; et sic est in nomine verbi et in nomine doni. |
6. Il faut dire en sixième lieu
que tout effet en rapport avec la créature est commun à toute la Trinité.
C’est pourquoi tout ce qui dit un rapport à la créature conduit à la
connaissance de l’essence, tout comme c’est dans son effet que la cause est
connue. Mais parce que ce n’est pas seulement l’essence qui implique un
rapport à la créature, mais aussi la procession personnelle qui est la cause
de la procession des créatures, c’est pourquoi quelque chose de personnel
peut aussi être signifié avec un rapport à la créature; et alors ce nom de
principe signifiera principalement la personne mais conduira par la suite à
l’intelligence de l’essence; et il en est ainsi pour le nom de verbe et le
nom de don. |
|
|
Distinctio 28 |
Distinction 28 – [L’innascibilité et l’image] |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 –
[L’innascibilité]
|
|
|
Prooemium |
Prologue
|
|
|
|
|
Hic est duplex quaestio. Primo de innascibilitate. Secundo de imagine. Circa primum duo quaeruntur: 1 utrum innascibilitas sit notio vel
proprietas Patris ; 2 utrum sit personalis proprietas
ejus. Utrum autem innascibilitas vel ingenitus conveniat Spiritui sancto,
habitum est supra, 13 dist., quaest. 1, art. 1. |
Cet examen porte
sur deux points. Premièrement sur l’innascibilité. Deuxièmement sur l’image. Par rapport au premier point on pose deux
interrogations : 1. Est-ce que l’innascibilité est une notion ou une
propriété du Père ? 2. Est-ce qu’elle est sa propriété personnelle ? Mais
nous avons établi plus haut [dist. 13, quest. 1, art. 1] s’il convient à
l’Esprit-Saint d’être innascible ou inengendré. |
|
|
Articulus 1 : Utrum
innascibilitas sit proprietas Patris |
Article 1 – L’innascibilité est-elle la
propriété du Père ?
|
[2079] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod innascibilitas non sit
notio vel proprietas Patris. Ut enim in Littera
habetur, cum Pater ingenitus dicitur, non quid sit, sed quid non sit,
ostenditur. Sed negatio non potest esse sufficiens principium notificandi
aliquid. Ergo cum notio dicatur illud quod est principium cognoscendi
personam, videtur quod ingenitum non dicat aliquam notionem Patris. |
Difficultés : 1. Il semble que l’innascibilité
ne soit pas une notion ou une proprité du Père. En effet, comme nous l’avons
établi dans la Lettre, lorsqu’on dit du Père qu’il est inengendré, on ne
montre pas ce qu’il est mais plutôt ce qu’il n’est pas. Mais une négation ne
peut être un principe qui suffit à faire connaître quelque chose. Donc,
puisque la notion signifie ce qui est le principe qui fait connaître la
personne, il semble que le terme ¨inengendré¨ ne signifie pas une notion du
Père. |
[2080]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, si ingenitum
sit proprietas Patris ; aut hoc erit secundum quod intelligitur negative, aut
secundum quod intelligitur privative. Sed non secundum quod intelligitur
negative ; quia sic convenit ei quod non generatur ; et sic convenit
essentiae et Spiritui sancto. Similiter nec secundum quod privative ; quia
privatio semper ponit imperfectionem in eo cujus est, cum privatio sit ejus
quod natum est haberi et non habetur. Ergo videtur quod ingenitus nullo modo
sit notio vel proprietas Patris. |
2. Par ailleurs, si inengendré était une
propriété du Père, cela sera selon qu’on l’entend ou bien comme une négation
ou bien comme une privation. Mais cela ne peut s’entendre comme une négation
car alors cela conviendrait à tout ce qui n’est pas engendré, par exemple à
l’essence et à l’Esprit-Saint. De même cela ne peut s’entendre non plus comme
une privation car la privation pose toujours une imperfection dans le sujet
dans lequel elle se trouve puisque la privation se rapporte à ce qu’il est
naturel de posséder et qui n’est pas possédé. Il semble donc que ¨inengendré¨
n’est en aucune manière une notion ou une propriété du Père. |
[2081]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cum personae
divinae non distinguantur nisi per relationes, nihil potest esse proprietas
vel notio divinae personae, quod non est in genere relationis. Sed ingenitus
non est in genere relationis. Ergo non est notio personae divinae. Probatio mediae. Sicut se habet
inferius ad superius, ita se habet negatio superioris ad negationem
inferioris, et e contra. Quanto enim homo est in paucioribus quam animal,
tanto magis negatio animalis de paucioribus praedicatur quam negatio hominis.
Sed generatio prout significat relationem, est minus commune quam relatio.
Ergo negatio generationis est plus commune quam non relatio, et ita
praedicatur de illa ; et salvatur cum ea, sicut commune cum proprio. Sed
quidquid salvatur cum opposito generis, non est contentum sub genere. Ergo
ingenitus cum salvetur cum eo quod est non relatio, non est in genere
relationis. |
3. Par ailleurs, puisque les personnes
divines ne se distinguent que par les relations, rien ne peut être une notion
ou une propriété d’une personne divine sans être dans le genre de la
relation. Mais ¨inengendré¨ n’est pas dans le genre de la relation. Ce terme
ne signifie donc pas une notion d’une personne divine. Preuve de la mineure. En effet, ce que la négation du supérieur est à la
négation de l’inférieur, l’inférieur l’est au supérieur, et inversement. En
effet, la négation de l’animal s’attribue d’autant plus à plus petit nombre,
comparativement à la négation de l’homme que l’homme, comparativement à
l’animal, se retrouve dans un plus petit nombre. Mais la génération, selon
qu’elle signifie la relation, est moins commune que la relation. Donc la
négation de la génération est plus commune que la non-relation et ainsi elle
s’attribue à elle et elle est convervée avec elle, tout comme le commun est
conservé avec le propre. Mais tout ce qui est conservé avec ce qui est opposé
au genre n’est pas contenu dans ce genre. Donc, puisque ¨inengendré est
conservé avec ce qui est du non-relatif n’est pas dans le genre de la relation. |
[2082]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, ingenitum
convenit Patri, secundum quod est principium. Sed ipse non
est principium solum per generationem, sed etiam per spirationem. Ergo
videtur quod non debeat notificari per negationem generationis, sed per
negationem processionis, quae est commune ad utrumque, ut dicatur
improcessibilis ; vel secundum specialem rationem utriusque processionis, ut
sicut dicitur ingenitus, ita dicatur inspirabilis. |
4. En outre, ¨inengendré¨
convient au Père selon qu’il est principe. Mais Lui-même n’est pas principe
uniquement par generation mais aussi par spiration. Il semble donc qu’il ne
doive pas être notifié par la négation de la génération, mais plutôt par la
négation de la procession qui est commune à la génération et à la spiration,
de manière à ce qu’on puisse dire de Lui qu’il ne puisse procéder; ou bien on
le qualifiera d’après les notions propres à chacune des sortes de procession,
de telle manière que tout comme on dit de Lui qu’il est inengendré, de même
il est inspirable au sens où il ne peut être spiré comme c’est le cas pour
l’Esprit-Saint. |
[2083] Super Sent., lib. 1 d. 28
q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod in Littera per Hilarium dicitur. |
Cependant : 1. Ce que dit
Saint-Hilaire dans la Lettre est
contraire aux positions qui précèdent. |
[2084]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quo
persona divina distinguitur ab aliis personis, est notio vel proprietas ejus.
Sed ingenitum soli Patri convenit, ut supra, 13 dist. qu. 1, art. 4, habitum
est. Ergo est notio vel proprietas Patris. |
2.
Par ailleurs, ce par quoi la personne divine se distingue des autres
personnes, c’est sa notion ou sa propriété. Mais ¨inengendré¨ convient
seulement au Père ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 13, quest.
1, art. 4]. ¨Inengendré¨ est donc la notion ou la propriété du Père. |
[2085] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod secundum Augustinum lib. IV De Trinit., cap. XX, § 29, col. 908, Pater est principium totius
divinitatis ; unde etiam Dionysius II de
div. Nom. col. 635, dicit, quod in Patre est fontana deitas [divinitatis éd. de Parme). Unde si in divinis
personis esset ordo qui poneret prius et posterius, Pater esset primum
principium. Sed quia ibi non est talis ordo, loco ejus quod est primum,
dicimus principium non de principio. Unde Pater potest dupliciter
innotescere: vel inquantum est de non principio, et sic innotescit per
notionem innascibilitatis: vel inquantum est principium ; et sic, quia
principium dicitur secundum emanationem quae ab ipso est, secundum duplicem
modum emanationis in divinis, duabus notionibus innotescit ; scilicet
paternitate, inquantum est principium per generationem ; et communi
spiratione, inquantum est principium Spiritus sancti per spirationem amoris ;
et sic patet quod in universo sunt tres notiones Patris. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après Saint-Augustin [IV De la
Trinité, ch. XX, & 29, col. 908], le Père est le principe de toute la
divinité ; c’est pourquoi Denys [11 Les
Noms Divins, col. 635] dit aussi que le Père est la divinité [la source
de la divinité Éd. de Parme] prise
comme source. C’est pourquoi, s’il y avait entre les personnes divines un
ordre qui poserait de l’avant de de l’après, le Père serait le premier
principe. Mais parce qu’il n’y a pas là un tel ordre, au lieu de premier nous
parlons d’un principe qui est sans principe. C’est pourquoi le Père peut être
connu de deux manières : soit en tant qu’il ne vient pas d’un principe
et ainsi il est connu par la notion d’innascibilité, soit en tant qu’il est
principe et ainsi, parce le principe se dit d’après l’émanation qui en
procède, c’est d’après les deux sortes d’émanations qui existent en Dieu,
c’est par deux notions que Dieu sera connu comme principe : à savoir par
la paternité, en tant qu’il est principe par mode de génération, et par la
spiration commune, en tant qu’il est principe de l’Esprit-Saint par la
spiration de l’amoiur ; et ainsi il est clair que ce sont là toutes les
notions du Père. |
[2086]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod aliqua dictio dicitur ponere aliquid dupliciter: vel ita quod illud quod ponit sit de
intellectu ejus sicut aliquid essentiae ipsius, ut homo ponit animal ; vel quia praesupponit illud quasi in
quo fundatur, quamvis non sit de essentia ejus ; sicut omne accidens ponit
substantiam. Dico ergo, quod hoc nomen ingenitus non ponit aliquid quod
constituat intellectum ipsius: quia hoc non posset esse nisi poneret aliquam
rationem principii, vel in communi vel in speciali ; quia nihil aliud
notionale potest Patri convenire, et quocumque modo dicatur non ponet in
numerum innascibilitas cum paternitate, quia commune non ponit in numero cum
proprio ; sed tamen ponit aliquid quod praesupponit ut id in quo fundatur ;
et ex hoc est quod quidam dixerunt, quod « ingenitus » aliquid
ponit, et quidam quod nihil. Sed quamvis nihil ponat quod sit de intellectu
ejus constitutive, non tamen sequitur quod non possit esse notio ; quia illud
cujus ratio consistit in remotione, optime per negationem certificatur, sicut
caecitas et hujusmodi: et hujusmodi est ratio primi, vel ejus quod est non de
principio esse, quia primum est ante quod nihil. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que c’est de deux manières qu’un terme pose quelque
chose : soit de telle manière que
ce qu’il pose fasse partie de sa définition comme un élément de son essence,
comme homme qui pose animal ; Soit parce qu’il suppose
cela comme ce dans quoi il se fonde, bien qu’il ne fasse pas partie de son
essence, comme tout accident suppose une substance. Je dis donc que ce nom, à
savoir ¨inengendré¨, ne pose pas quelque chose qui constitue sa compréhension
car il ne pourrait en être ainsi que si le terme posait une notion de
principe que ce soit dans l’universel ou le particulier ; car aucune
autre notion ne peut convenir au Père et quelle que soit la manière dont on
la dise, l’innascibilité ne pose pas en nombre avec la paternité parce que le
commun ne pose pas en nombre avec le propre ; il pose cependant quelque
chose qu’il présuppose comme ce dans quoi il se fonde : et c’est à cause
de cela que certains ont dit que ¨inengendré¨ pose quelque chose et d’autres
que ce terme ne pose rien. Mais bien qu’il ne pose rien qui soit un élément
constitutif de sa définition, il ne s’ensuit pas cependant que ce terme ne
puisse être une notion ; car ce dont la notion consiste en une exclusion
est rendu pleinement connu par la négation, comme la cécité et les notions de
cette sorte : et telle est la notion de premier ou de ce qui est tel
qu’il ne vienne pas d’un principe, car est premier ce qui n’est précédé par
rien. |
[2087] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ingenitus
non importat negationem absolutam, sed aliquo modo privationem. Omnis enim
negatio quae est in aliquo subjecto determinato, potest dici privatio. Unde
in VIII Metaph., text. 4, dicitur,
quod privatio est negatio in subjecto vel in substantia. Unde dico, quod haec
negatio quam importat « ingenitus », intelligitur ut fundata in
ratione principii, secundum quod est notio Patris ; et hoc modo non convenit
nec essentiae nec Spiritui sancto, quibus non competit esse principium per
originem alicujus divinae personae: nec iterum Filio, cui convenit affirmatio
opposita. Sed ex hoc non
sequitur quod in Patre sit aliqua imperfectio. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que ¨inengendré¨ n’implique pas une négation absolue, mais en
un sens une privation. En effet on peut appeler privation toute négation qui
se trouve dans un sujet déterminé. C’est pourquoi on dit [ VIII Métaphysique, texte 4] que la
privation est une négation dans un sujet ou une substance. D’où je dis que
cette négation qui est impliquée dans ¨inengendré¨ s’entend comme étant fondée sur la notion
de principe en tant qu’elle est la notion du Père ; et prise en ce sens
elle ne convient ni à l’essence ni à l’Esprit-Saint auxquels il n’appartient
pas d’être principes par l’origine d’une personne divine, ni en outre au Fils
auquel l’affirmation opposée convient. Mais à partir de là il ne s’ensuit pas
qu’il y ait la moindre imperfection dans le Père. |
Quamvis enim privatio semper sit ejus
quod natum est haberi ; tamen hoc contingit tripliciter, ut dicit philosophus
V Metaph., text. 27. |
En effet, bien que
la privation renvoie toujours à ce qu’il est naturel de posséder, cependant
cela peut se présenter de trois manières d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 27] |
Vel quando aliquid non habet quod
natum est haberi a quocumque, quamvis ipsum non sit natum habere, sicut pes
non dicitur habere visum: vel quando non habet illud quod natum
est haberi a suo genere, quamvis non ab ipso nec ab aliquo suae speciei,
sicut talpa non habet visum: vel quando non habet illud quod natum
est habere, et quando et ubi et secundum alias conditiones ; et sic proprie
dicitur privatio, et imperfectionem importat: et hoc modo nihil privative in
Deo dicitur ; sed aliis primis modis potest dici. |
Soit quand un être
ne possède pas ce qu’il est naturel à un tel de posséder, bien que lui-même
ne le possède pas, comme c’est le cas pour le pied auquel on n’attribue pas
la vue. Soit quand un être ne possède pas ce qu’il est naturel de
posséder dans son genre, bien que lui-même ni personne de son espèce ne le
possède, comme la taupe qui ne possède pas la vue. Soit quand un être ne possède pas ce qu’il est apte par
nature à posséder, que ce soit selon le temps, le lieu et les autres
conditions requises ; et c’est en ce sens que se dit proprement la privation et qu’elle
implique une imperfection : et en ce sens aucune privation ne s’attribue
à Dieu ; mais on peut parler de privation en Dieu d’après les deux
autres modalités. |
Sed quantum ad primum modum potest
ingenitum dici de essentia et de Spiritu sancto, ut supra, dist. 13, accepit
Hieronymus (dist. XIII) ; sed quantum ad secundum modum dicitur tantum de
Patre: quia ipse est principium notionaliter, et non habet generationem
passivam quam habet Filius, qui etiam notionaliter principium est. |
Mais quant à la première modalité,
¨inengendré¨ peut se dire de l’essence et de l’Esprit-Saint ainsi que
l’entendait Saint-Jérôme précédemment à la distinction 13 ; mais quant à
la deuxième modalité, ¨inengendré¨ se dit seulement du Père : car il est
Lui-même principe quant à la notion et ne possède pas la génération passive
que le Fils possède et qui est lui aussi principe quant à la notion. |
[2088]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
in genere continetur aliquid dupliciter: vel per se et proprie, sicut
species, et ea quae recipiunt praedicationem generis ; vel per reductionem,
sicut principia generis, ut materia et forma ad substantiam ; et unitas et
punctus ad quantitatem ; quamvis neutrum sit quantitas. Ita etiam nulla
negatio vel privatio est in genere per se: quia non habet aliquam quidditatem
nec esse ; sed reducitur ad genus affirmationis, secundum quod in non esse
intelligitur esse, et in negatione affirmatio, ut dicit philosophus, in II Elenchus, cap.IV, quia omnis privatio
per habitum cognoscitur, et remotio per positionem ; et sic etiam non relatio
est in genere relationis, quamvis ea de quibus dicitur ista negatio, non sint
in illo genere. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’un être
est contenu dans un genre de deux façons : soit essentiellement et
proprement, comme les espèces et tout ce qui reçoit l’attribution du
genre ; soit par réduction, comme les principes du genre, comme la
matière et la forme par rapport à la substance, l’unité et le point par
rapport à la quantité, bien qu’aucun d’eux ne soit une quantité. De même,
aucune négation ou privation n’est dans un genre essentiellement car elle ne
possède ni quiddité ni existence ; mais elle se ramène au genre de
l’affirmation, selon que l’être est compris dans le non-être et que
l’affirmation est comprise dans la négation, comme le dit le Philosophe [11 Réfutations Sophistiques, ch. IV] car
toute privation est connue par la possession et toute négation par
l’affirmation ; et en ce sens même la non-relation est dans le genre de
la relation, bien que les choses auxquelles s’attribue cette négation ne
soient pas dans ce genre. |
[2089]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
in hoc quod dicitur « ingenitus », removetur a Patre esse ab alio
simpliciter, et non solum secundum aliquem determinatum modum. Quare
autem nominetur per negationem specialis processionis, scilicet generationis,
potest assignari triplex causa: una
est, quia processio Spiritus sancti secundum ordinem naturae praesupponit
generationem Filii: et ideo, quia negato priori removetur posterius, ad
remotionem generationis a principio fontali, sequitur processionis remotio
per modum amoris: secunda
est, quia per hoc quod dicitur ingenitus, secundum quod est notio Patris,
tollitur omnis modus consequendi generationem: hoc enim convenit Patri
inquantum est principium generationis, ut nullo modo generationem
consequatur. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’en disant de Lui qu’il est ¨inengendré¨, c’est
absolument et non pas selon un mode déterminé qu’on nie du Père qu’il vienne
d’un autre. Mais pourquoi il est nommé par la négation d’une procession
spéciale, à savoir la génération, on peut en donner trois causes: La première en est que la procession de
l’Esprit-Saint, d’après l’ordre de nature, presuppose la generation du Fils:
et c’est pourquoi, parce que le premier étant nié le second se trouve à
disparaître, la disparition de la procession par mode d’amour se trouve à
découler de la disparition de la génération par le principe originel. La deuxième est que, parce que du fait qu’on dit
qu’il est inengendré, selon que c’est là la notion du Père, on fait
disparaître toute manière d’être
attaint par la génération: il convient en effet au Père, en tant qu’il
est le principe de la génération, de n’être en aucune manière le résultat d’une
génération. |
Generationem
autem consequitur aliquid secundum intellectum tripliciter: vel
sicut genitum, ut Filius ; vel
sicut per generationem acceptum, ut essentia divina ; vel
sicut a generato procedens, ut Spiritus sanctus. Unde
nulli horum convenit ingenitus secundum praedictum modum. Tertia potest esse
ratio, quia negatio ingeniti fundatur super rationem principii, ut dictum
est, in corp. art. Quamvis autem Pater sit principium utriusque processionis
divinae, sola tamen ratio per quam est principium generationis, est
proprietas personalis, constituens personam Patris, scilicet paternitas ; et
ideo etiam per generationis negationem eadem persona convenientius et magis
proprie notificatur. |
Mais c’est de trois manières,
selon l’intelligence, qu’un être est le résultat d’une génération: Soit comme étant engender, comme c’est le cas pour le Fils. Soit comme ce qui est reçu au moyen de la génération, comme l’essence
divine. Soit comme ce qui procède de ce qui est engender, comme c’est le cas
pour l’Esprit-Saint. Il suit de là que ¨inengendré¨, pris selon la modalité qui précède, ne
convient à aucune de ces manières. La troisième cause peut être que la négation présente dans
¨inengendré¨ se fonde sur la notion de principe ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article. Mais bien que le Père soit le principe des deux
processions divines, cependant seule la notion par laquelle il est le
principe de la génération, à savoir la paternité, est une propriété
personnelle constituant la personne du Père; et c’est pourquoi la même
personne se trouve à se faire connaître plus convenablement et plus
proprement par la négation de la génération. |
|
|
Articulus II Utrum innascibilitas sit proprietas
personalis patris |
Article 2 – L’innascibilité est-elle la
propriété personnelle du Père ?
|
[2091] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod innascibilitas sit
proprietas personalis Patris. Sicut enim paternitas convenit tantum patri,
ita et innascibilitas. Sed paternitas est proprietas personalis ejus. Ergo et
innascibilitas. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’innascibilité soit une propriété personnelle du Père. En effet, tout comme
la paternité, l’innascibilité convient seulement au Père. Mais la paternité
est une propriété personnelle. Il en est donc de même pour l’innascibilité. |
[2092] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, persona dicit aliquid
distinctum proprietate ad dignitatem pertinente. Sed innascibilitas magis
videtur pertinere ad dignitatem quam paternitas ; quia paternitas
communicatur etiam creaturis, non autem innascibilitas. Ergo innascibilitas
magis est proprietas personalis quam paternitas. |
2. Par ailleurs, la personne
dit un être distinct par une propriété qui appartient à une dignité. Mais
l’innascibilité semble advantage appartenir à une dignité que la paternité;
car la paternité se communique même aux creatures mais non l’innascibilité.
L’innascibilité est donc advantage une propriété personnelle que la
paternité. |
[2093] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, persona non potest intelligi
nisi intelligatur aliquid constituens ipsam in personalitate sua. Sed, ut in Littera dicitur, potest intelligi ingenitus, etiam si non
intelligatur Pater. Ergo oportet quod innascibilitas
constituat personam Patris ; et ita videtur quod sit proprietas personalis. |
3. En outre, la personne ne peut être saisie
que si on saisit quelque chose qui la constitue dans sa personnalité. Mais,
comme on le dit dans la Lettre, on peut saisir ¨inengendré¨, même si on ne
saisit pas la notion de Père. Il faut donc que l’innascibilité constitue la
personne du Père ; et il semble ainsi qu’elle soit une propriété
personnelle. |
[2094]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod
est principium personalis operationis, videtur esse proprietas personalis,
quia propria operatio est a propria forma operantis. Sed innascibilitas est
principium generationis in Patre. Dicitur enim, quod Pater generat, quia est
ingenitus ; unde quaerit delicias in consortio Filii. Ergo videtur quod
innascibilitas sit proprietas personalis. |
4. De plus, ce qui est principe de
l’opération personnelle semble être la propriété personnelle car l’opération
propre vient de la forme propre de celui qui pose l’opération. Mais
l’innascibilité est le principe de la génération dans le Père. On dit en
effet que le Père engendre parce qu’il est inengendré ; de là il cherche
ses délices dans la compagnie du Fils. Il semble donc que l’innascibilité
soit une propriété personnelle. |
[2095]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid
dicitur per positionem, non constituitur negatione vel privatione [negative
vel privative éd. de Parme] tantum.
Sed Pater nominat aliquid positive. Ergo persona Patris non constituitur per
innascibilitatem, quia nihil ponit in intellectu suo. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce
qui se dit par affirmation n’est pas constitué par la négation ou la
privation [négativement ou privativement Éd.
de Parme]. Mais le Père dit quelque chose de manière positive. Donc la
personne du Père n’est pas constituée par l’innascibilité car cette dernière
ne pose rien dans sa compréhension. |
[2096] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod sicut est in inferioribus, quod quidquid consequitur ad esse
perfectum, non est constitutivum illius rei, ita etiam in divinis quidquid
secundum intellectum praesupponit aliquid quo persona constituitur, non
potest esse constitutivum personae ; et inde est quod communis spiratio non
potest esse proprietas personalis, quia praesupponit in Patre et Filio
generationem activam et passivam, quibus illae personae constituuntur.
Similiter innascibilitas, cum ponat negationem, quae fundatur super rationem
principii, ut dictum est, art. praeced., praesupponit secundum intellectum
rationem principii supra quam fundatur, scilicet paternitatem ; et ideo non
potest constituere personam Patris, nec potest esse personalis proprietas. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que, tout comme il en est dans les réalités inférieures, tout ce qui découle
d’un être parfait n’entre pas dans la constitution de cette chose, de même
aussi dans les personnes divines tout ce qui présuppose selon l’intelligence
quelque chose dont la personne est constituée, cela ne peut entrer dans la
constitution de la personne ; d’où il résulte que la spiration commune
ne peut être une propriété personnelle car elle présuppose dans le Père et le
Fils la génération active et passive par lesquelles ces personnes sont
constituées. De la même manière l’innascibilité, puisqu’elle présente une
négation qui se fonde sur la notion de principe, ainsi que nous l’avons dit
dans l’article précédent, présuppose selon l’intelligence la notion de
principe sur laquelle elle se fonde, c’est-à-dire la paternité ; et
c’est là la raison pour laquelle elle ne peut constituer la personne du Père
et ne peut être une propriété personnelle. |
[2097]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod ex hoc quod convenit soli Patri, potest probari quod sit proprietas
Patris, non autem quod sit proprietas personalis, nisi constitueret personam
Patris ad similitudinem differentiae constitutivae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que du fait qu’elle convient seulement au Père, on peut prouver
que l’innascibilité est une propriété du Père mais non pas qu’elle soit une
propriété personnelle, sauf si elle constituait la personne du Père à la
ressemblance de la différence constitutive. |
[2098]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quidquid habet negatio de dignitate, habet ab affirmatione supra quam
fundatur ; et ideo innascibilitas quae fundatur supra talem paternitatem,
pertinet ad dignitatem sicut talis paternitas ; et sicut innascibilitas non
communicatur creaturae, ita nec talis paternitas, scilicet quae non est ab
alio principio, quamvis communicetur paternitas absolute. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que tout ce
que la négation tient sur la dignité, elle le tient de l’affirmation sur
laquelle elle se fonde ; et c’est pourquoi l’innascibilité qui est
fondée sur une telle paternité appartient à la dignité tout comme cette
paternité ; et tout comme l’innascibilité n’est pas communiquée à la
créature, de même cette paternité, à savoir celle qui ne procède pas d’un
autre comme principe, ne lui est pas communiquée non plus, bien que la
paternité prise absolument lui soit communiquée. |
[2099]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
remota paternitate per intellectum, non remanet hypostasis Patris ; et quod
dicitur in Littera, quod remanet
ingenitum, est intelligendum quantum ad communem rationem ingeniti et Patris,
quia separatim inveniuntur in diversis ; non autem secundum quod utrumque
ponitur proprietas Patris. Nihilominus tamen, etiam remota paternitate,
remaneret ingenitum in Deo, non quasi proprietas vel notio alicujus personae
; sed quasi attributum essentiae, ut immensus et increatus. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que si on retire par l’intelligence la paternité, l’hypostase
du Père ne demeure pas ; et ce qu’on dit dans la Lettre, à savoir que
¨inengendré¨ demeure, cela doit s’entendre quant à la notion commune de
¨inengendré¨ et de ¨Père¨, car on les retrouve séparément dans différents
êtres, mais non pas selon que l’une et l’autre sont posées comme propriété du
Père. Néanmoins cependant, même si on retirait la paternité, ¨inengendré¨
demeurerait en Dieu, non pas comme la propriété ou la notion d’une personne,
mais comme un attribut de l’essence, comme immense et incréé. |
[2100]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
innascibilitas non est principium generationis in Patre quasi forma eliciens
hanc operationem, sed solum quasi ponens aliquam conditionem circa
generationem. Sicut enim videmus in alterationibus, quod prima alteratio est
quam operatur alterans non alteratum ; et ex hoc quod non est alteratum,
alteratio quam facit, est prima: ita etiam prima generatio est quae est
generantis non generati ;unde conditionem istam, quod sit prima generatio,
habet ex hoc quod generans est ingenitus. Sed principium formale quasi
eliciens generationem, est forma Patris, quae est paternitas, sicut calor est
principium calefactionis in calido. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
l’innascibilité n’est pas dans le Père un principe de génération à titre de
forme qui provoquerait cette opération, mais seulement comme posant une
condition sur la génération. En effet, tout comme nous voyons dans les
altérations que la première altération est celle qu’opère celui qui altère
sans être altéré et que c’est du fait qu’il n’est pas altéré que l’altération
qu’il fait est la première, de même encore la première génération est celle
qui appartient à celui qui engendre sans avoir été engendré ; d’où la
première génération tient cette condition du fait que celui qui engendre
n’est pas engendré. Mais le véritable principe formel qui tend à la
génération est la forme du Père, à savoir la paternité, tout comme la chaleur
est le principe du réchauffement dans ce qui est chaud. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – L’image |
Prooemium |
Prologue |
[2101]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 pr. Deinde quaeritur de imagine ;
et circa hoc tria quaeruntur: 1 quid sit imago ; 2 utrum imago in divinis dicatur
essentialiter vel personaliter ; 3 si dicatur personaliter, utrum
conveniat filio tantum. |
On s’interroge ensuite sur l’image ; et
à ce sujet on pose trois questions : 1. Qu’est-ce que
l’image ? 2. Est-ce que l’image en
Dieu se dit essentiellement ou personnellement ? 3. Si elle se dit
personnellement, est-ce qu’elle convient seulement au Fils ? |
|
|
Articulus 1Utrum
definitio imaginis: imago est species indifferens ejus rei ad quam
imaginatur, sit competens |
Article 1 – Est-ce que la définition de l’image : « L’image est l’espèce précise de cette chose qu’elle représente » convient ? |
[2103] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur, et ponitur
definitio Hilarii talis. De synodis,
§ 13, col. 940: imago est ejus rei ad
quam imaginatur, species indifferens. Videtur autem quod sit incompetens.
Imago enim est secundum imitationem in exterioribus. Sed species non est de extrinsecis rei
; immo dicit quidditatem intrinsecam. Ergo male ponitur in definitione
imaginis. |
Difficultés : 1. Voici cette définition
de l’image telle que présentée par Saint-Hilaire [Les Synodes, &13, col. 940] : L’image est l’espèce précise de cette chose qu’elle représente.
Mais il semble que cette définition ne soit pas juste. L’image en effet se
dit d’après une imitation dans les choses extérieures. Mais l’espèce ne se
rapporte pas à ce qui est extérieur dans la chose ; bien plutôt, elle
dit la quiddité intrinsèque. C’est donc à tort qu’elle est posée dans la
définition de l’image. |
[2104]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, imago
proprie dicitur quod est ad imitationem alterius. Sed species indifferens
duorum non est ad imitationem alterius, immo est id in quo imitatio
attenditur. Ergo imago non debet dici species, sed habens speciem. |
2. Par ailleurs, l’image se dit proprement
de ce qui se rapporte à l’imitation d’un autre. Mais l’espèce précise de deux
réalités ne se rapporte pas à l’imitation d’un autre, mais elle est bien
plutôt ce en quoi l’imitation se vérifie. L’image ne doit donc pas être
appelée espèce mais ce qui a une espèce. |
[2105]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, eorum quae in
infinitum distant, non potest esse indifferentia. Sed creatura est imago Dei,
a quo tamen in infinitum distat. Ergo indifferens male ponitur in definitione
imaginis. |
3. En outre, pour les choses qui diffèrent à
l’infini les unes des autres, il ne peut y avoir identité d’espèce . Mais la
créature est une image de Dieu dont elle diffère cependant à l’infini. Donc,
¨précise¨ est posé à tort dans la définition de l’image. |
[2106]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, in
definitionibus non debet esse circulus. Sed ex hac definitione sequitur circulus
; definit enim imaginem per rem imaginatam, et imaginatum non potest definiri
nisi per imaginem. Ergo videtur quod male definiat. |
4. Par ailleurs, la définition ne doit pas
être circulaire. Mais cette définition est circulaire : elle définit en
effet l’image par la chose imaginée et la chose imaginée ne peut être définie
que par l’image. Il semble donc que cette définition soit incorrecte. |
[2107]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, de ratione
imaginis est aequalitas et similitudo, ut patet ex alia ejus definitione,
quod imago est rei, ad rem coaequandam,
indiscreta et unita similitudo. Cum igitur in praedicta definitione nihil
ponatur ad aequalitatem et similitudinem pertinens, videtur quod sit
diminuta. |
5. En outre, l’égalité et la ressemblance
font partie de la définition de l’image, comme on le voit à partir d’une
autre définition de l’image, à savoir que l’image
est la similitude indifférenciée et unie à la chose qu’elle doit égaler.
Donc, puisque dans la définition qui précède on ne pose rien qui concerne
l’égalité et la similitude, il semble que ce soit là une définition tronquée. |
[2108] Super Sent., lib. 1 d. 28
q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod ratio imaginis consistit in imitatione ; unde et nomen
sumitur. Dicitur enim imago quasi imitago. De ratione autem imitationis duo
consideranda sunt ; scilicet illud in quo est imitatio, et illa quae se
imitantur. Illud autem respectu cujus est imitatio, est aliqua qualitas, vel
forma per modum qualitatis significata. Unde de ratione imaginis est
similitudo. Nec hoc sufficit, sed oportet quod sit aliqua adaequatio in illa
qualitate vel secundum qualitatem vel secundum proportionem ; ut patet quod
in imagine parva, aequalis est proportio partium ad invicem sicut in re magna
cujus est imago ; et ideo ponitur adaequatio in definitione ejus. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la notion d’image se ramène à celle d’imitation ; c’est de ce nom en
effet que se tire le nom d’image. En effet, qui dit image dit copier. Mais il
y a deux choses à considérer dans la notion de l’imitation, à savoir ce en
quoi il y a imitation et les choses qui s’imitent. Mais ce par rapport à quoi
il y a imitation est une certaine qualité ou une forme signifiée à la manière
d’une qualité. C’est pourquoi la similitude fait partie de la définition de
l’image. Et cela ne suffit pas, mais il faut qu’il y ait une certaine égalité
dans cette qualité, soit selon la qualité soit selon la proportion, comme on
le voit dans une petite image où la proportion des parties entre elles est
égale à celle qu’on retrouve dans la grande chose dont elle est
l’image ; et c’est pourquoi l’égalité est placée dans sa définition. |
Exigitur etiam quod illa qualitas sit
expressum et proximum signum naturae et speciei ipsius ; unde non dicimus
quod qui imitatur aliquem in albedine, sit imago illius ; sed qui imitatur in
figura, quae est proximum signum et expressum speciei et naturae. Videmus
enim diversarum specierum in animalibus diversas esse figuras. |
Il est aussi nécessaire que cette qualité
soit le signe clair et prochain de sa nature et de son espèce ; c’est
pourquoi nous ne disons pas de celui qui imite quelqu’un par la blancheur
qu’il soit son image, mais nous le disons seulement de celui qui l’imite par
la figure, laquelle est le signe clair et prochain de l’espèce et de la
nature. Nous voyons en effet chez les animaux qu’à des espèces différentes correspondent
des figures différentes. |
Ex parte autem imitantium duo sunt
consideranda ; scilicet relatio aequalitatis et similitudinis, quae fundatur
in illo uno in quo se imitantur ; et adhuc ulterius ordo: quia illud quod est
posterius ad similitudinem alterius factum, dicitur imago ; sed illud quod
est prius, ad cujus similitudinem fit alterum, vocatur exemplar, quamvis
abusive unum pro alio ponatur. Et ideo Hilarius ad significandum
ordinem et relationem se imitantium, dixit: « Imago est ejus rei ad quam imaginatur ; ad designandum vero id in
quo est imitatio, dixit: Species
indifferens. |
Mais du côté de ceux qui imitent il y a deux
choses à considérer, à savoir la relation d’égalité et de similitude qui se
fonde sur ce seul rapport dans lequel ils s’imitent ; et par la suite en
plus il y a l’ordre : car ce qui est second et qui est fait à la
ressemblance de l’autre s’appelle image ; mais ce qui est premier et à
la ressemblance duquel l’autre est produit s’appelle modèle, bien que l’un
est abusivement pris pour l’autre. Et c’est pourquoi
Saint-Hilaire, pour signifier l’ordre et la relation des termes entre
lesquels il y a imitation, a dit : «L’image
se rapporte à la chose qu’elle représente» ; et pour signifier ce en
quoi il y a imitation, il a dit : «L’image
est l’espèce précise». |
[2109]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod non in imitatione quorumcumque exteriorum est ratio imaginis ;
sed eorum quae sunt signa quodammodo speciei et naturae ; et ideo posuit
speciem potius quam qualitatem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la notion d’image ne se retrouve pas dans l’imitation de
tout ce qui est extérieur mais seulement dans ce qui est le signe d’une
certaine manière de l’espèce et de la nature ; et c’est pourquoi
Saint-Hilaire parle d’espèce plutôt que de qualité dans la définition. |
[2110]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod ista definitio data est per causam: non enim illud quod est imago, est
ipsa species in qua fit imitatio, proprie loquendo ; sed indifferentia
speciei est causa quare dicatur imago. Vel dicatur, quod utrumque potest dici
imago ; et illud quod imitatur, et id in quo est imitatio, quamvis non ita
proprie ; et sic definit Hilarius. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que cette
définition est donnée par la cause : en effet, ce n’est pas cela même
qui est l’image, à proprement parler, qui est l’espèce même dans laquelle il
y a imitation ; mais la similitude de l’espèce est la cause pour
laquelle on parle d’image. Ou bien on peut encore dire que les deux peuvent
être appelées images, à savoir à la fois ce qui imite et ce en quoi il y a
imitation, bien que dans ce cas il n’y ait pas image à proprement
parler ; et c’est ainsi que Saint-Hilaire définit l’image. |
[2111] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unumquodque
quantum attingit ad rationem imaginis, tantum attingit ad rationem
indifferentiae: secundum enim quod differt, non est imago. Invenitur tamen quidam gradus
perfectionis imaginis. Dicitur enim quandoque imago alterius, in quo
invenitur aliquid simile qualitati alterius, quae designat et exprimit
naturam ipsius ; quamvis illa natura in ea non inveniatur ; sicut lapis
dicitur esse imago hominis inquantum habet similem figuram, cui non subsistit
natura illa cujus est signum ; et sic imago Dei est in creatura, sicut imago
regis in denario, ut dicit Augustinus, lib. (sermo IX) de decem chordis,cap. VIII, col. 82 ; et sic est imperfectus
modus imaginis. Sed perfectior ratio invenitur quando illi qualitati quae
designat naturam similem subest, eadem natura [natura substantiae, subest
natura in specie, éd. de Parme],
sicut est imago hominis patris in filio suo: quia habet similitudinem in
figura, et in natura quam figura significat. Sed perfectissima ratio imaginis
est quando eamdem numero formam et naturam invenimus in imitante cum eo quem
imitatur ; et sic est Filius perfectissima imago Patris: quia omnia attributa
divina, quae sunt per modum qualitatis significata, simul cum ipsa natura
sunt in Filio, non solum secundum speciem, sed secundum unitatem in numero. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que toute chose parvient d’autant plus à la notion
d’image qu’elle parvient à la notion de similitude car en effet, là où il y a
différence, il n’y a pas d’image. On rencontre cependant certains degrés de
perfection de l’image. Parfois en effet l’image se dit de ce dans quoi se
retrouve quelque chose de semblable à
la qualité d’un autre qui désigne et exprime la nature de cet autre, bien que
cette nature ne se retrouve pas en lui ; par exemple on dit de la pierre
qu’elle est l’image de l’homme en tant qu’elle possède une figure semblable,
bien qu’on ne retrouve pas en elle cette nature dont elle est le signe ;
et c’est ainsi que l’image de Dieu est dans la créature, tout comme l’image
du roi est sur le denier, comme le dit Saint-Augustin [Sermon 1X, Sur les dix cordes, ch. VIII, col. 82] ; et cette sorte d’image
est imparfaite. Mais on retrouve une notion plus parfaite de l’image quand
une même nature [la nature de la substance, se tient la nature dans l’espèce Éd. de Parme] se tient sous cette
qualité qui désigne une nature semblable, tout comme l’image de l’homme qui
est père se retrouve dans son fils : car ce dernier possède une
ressemblance et quant à la figure et quant à la nature que la figure
signifie. Mais la notion la plus parfaite de l’image est celle où nous
retrouvons la même forme et la même nature, numériquement parlant, dans celui
qui imite et dans celui qu’il imite ; et c’est ainsi que le Fils est
l’image la plus parfaite du Père : car tous les attributs divins, qui
sont signifiés par mode de qualités, sont simultanément présents dans le Fils
avec la nature elle-même, non seulement selon l’espèce, mais selon une unité
numérique. |
[2112]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
hoc quod dicit: « Ejus rei ad quam
imaginatur », est circumlocutio exemplaris. Unde ponitur in virtute
unius dictionis, et ponitur convenienter in definitione imaginis, sicut prius
in definitione posterioris, et non e converso. Exemplar enim prius est
imagine ; unde non est ibi circulus. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que ce que
dit Saint-Hilaire, à savoir : «De
la chose qu’elle représente», est une circonlocution exemplaire. De là
elle est posée à la place d’un seul terme, et est posée correctement dans la
définition de l’image, tout comme ce qui est premier est posé dans la
définition de ce qui est second, et non inversement. En effet, le modèle est
antérieur à l’image ; c’est pourquoi il n’y a pas là définition
circulaire. |
[2113]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
indifferentia speciei intelligitur et similitudo et aequalitas, qualis ad
imaginem requiritur ; unde illae duae definitiones [quasi add. éd. de Parme] in idem redeunt. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que la
ressemblance de l’espèce s’entend à la fois comme similitude et égalité,
laquelle est requise à l’image ; c’est pourquoi ces deux définitions
reviennent [presque add. Éd. de Parme]
au même. |
|
|
Articulus 2 Utrum imago dicatur
essentialiter |
Article 2 – Parle-t-on de l’image selon l’essence ? |
[2115] Super Sent., lib. 1 d. 28
q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod imago non dicatur
essentialiter. Ut enim supra, dist. 27, dictum est ab Augustino, lib. VII De Trinit., c. 1, col. 903, nihil est
absurdius quam imaginem ad se dici. Sed illud quod essentialiter dicitur in
divinis, ad se dicitur. Ergo absurdum est ut essentialiter dicatur. |
Difficultés : 1. Il semble que l’image ne se dise pas essentiellement. En
effet, comme l’a dit plus haut Saint-Augustin à la distinction 27 [ VII De la Trinité ch. 1, col. 903], rien
n’est plus absurde que de dire que l’image est un terme absolu. Mais ce qui
se dit essentiellement en Dieu se dit absolument. Il est donc absurde de dire
que l’image se dit essentiellement. |
[2116]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, imago de
ratione sua, ut dictum est, art. praeced., importat ordinem. Sed in divinis
non est nisi ordo originis. Cum igitur nihil importans originem, in divinis
essentialiter dicatur, videtur quod nec imago. |
2. Par ailleurs, l’image, de par sa
définition, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, implique un
ordre. Mais en Dieu il n’y a qu’un ordre d’origine. Donc, puisque rien de ce
qui implique l’origine ne se dit essentiellement en Dieu, il semble qu’il en
soit aussi de même pour l’image. |
[2117]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, ex absolutis vel
essentialibus non potest probari personarum distinctio: quia in essentialia
Trinitatis potest deducere naturalis ratio ; non autem in personarum
distinctionem. Sed supra, 2 distinct., qu. 1, art. 4, probata est distinctio
personarum ex ratione imaginis. Ergo imago non dicitur essentialiter. |
3. En outre, à partir des termes absolus ou
essentiels, on ne peut prouver la distinction des personnes : car la
raison naturelle peut conduire aux termes essentiels de la Trinité mais non à
la distionction des personnes. Mais plus haut [dist. 2, quest. 1, art. 4] la
distinction des personnes a été prouvée à partir de la notion d’image.
L’image ne se dit donc pas essentiellement. |
[2118]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in
littera dicitur per Augustinum et Hilarium. |
Cependant : 1. Saint-Augustin et
Saint-Hilaire disent le contraire dans la lettre. |
[2119] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut
dictum est, art. praeced., imago potest dici dupliciter: vel id quod imitatur
aliquem, vel id in quo est imitatio. Si dicatur imago prout proprie accipitur
id quod imitatur alterum ; sic essentia divina non potest dici imago, sed
exemplar ; cujus imago est creatura: quia imago praesupponit ordinem ad
aliquod principium: essentia autem divina non habet aliquod principium ; sed
tamen sic aliqua persona potest dici imago alterius, inquantum persona
praesupponit sibi secundum ordinem naturae aliam personam. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire, tout comme nous l’avons dit dans l’article
precedent, que l’image peut se dire de deux manières: soit ce qui imite un
être, soit ce en quoi il y a imitation. Si l’image se dit selon qu’on la
prend proprement dans ce qui imite un autre, alors on ne peut dire de
l’essence divine qu’elle est une image, mais un modèle dont l’image est la
créature: car l’image presuppose un rapport à un principe: mais l’essence
divine n’a pas de principe; mais de cette manière cependant on peut dire
d’une personne qu’elle est l’image d’une autre pour autant qu’une personne présuppose
à elle-même une autre personne selon un ordre de nature. |
Unde sic imago, secundum quod proprie
de Deo dicitur, semper est personale. Si autem dicatur imago id in quo est
imitatio, sic natura divina est imago ; quia in ipsa est duplex imitatio. Una
personae ad personam, secundum quod Filius in natura divina quam habet a
Patre, imitatur Patrem. Alia creaturae ad creatorem, inquantum creatura
imitatur creatorem, sed imperfecte, secundum aliquam similitudinem bonitatis
ipsius. Et quantum ad primam imitationem, quae scilicet est personae ad
personam, imago in recto significabit essentiam, sed in obliquo faciet
intellectum personarum ; sic enim idem erit imago quod natura divina
personarum in ea se imitantium ; et sic accepit supra Hilarius. Unde probavit ex ratione imaginis et
unitatem essentiae et distinctionem personarum. Sed quantum ad secundam
imitationem, quae est creaturae ad creatorem, imago significabit divinam essentiam,
et connotabit respectum ad creaturam quae imitatur ipsam ; et sic accepit
ibidem Augustinus ; unde ex ratione imaginis non probavit nisi unitatem
essentiae. |
De là, selon qu’elle se dit proprement de
Dieu, de cette manière l’image est toujours personnelle. Mais si par image on
entend ce en quoi il y a imitation, alors la nature divine est une image car
il y a en elle deux imitations. Celle d’une personne à une personne selon
laquelle le Fils imite le Père dans la nature divine qu’il tient du Père.
L’autre est celle de la créature à l’égard du créateur, en autant que la
créature imite le créateur mais imparfaitement, d’après une certaine
ressemblance de sa bonté. Et quant à la première imitation, c’est-à-dire
celle d’une personne à une autre personne, l’image signifiera directement
l’essence mais indirectement elle produira l’intelligence des personnes ;
en effet, l’image sera identique à la nature divine des personnes qui
s’imitent en elle ; et c’est ainsi que l’entendait Saint-Hilaire plus
haut. De là il prouvait à partir de la définition de l’image à la fois
l’unité de l’essence et la distinction des personnes. Mais quant à la
deuxième imitation qui est celle de la créature à l’égard du créateur,
l’image signifiera l’essence divine et indiquera le rapport à la créature qui
imite cette essence ; et c’est ainsi que l’entendait au même endroit
Saint-Augustin et c’est pourquoi à partir de la définition de l’image il ne
prouvait que l’unité de la substance. |
[2120] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 2 a. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta. |
Solutions : Et par ce développement les solutions aux difficultés qui
précèdent sont évidentes. |
|
|
Articulus 3Utrum spiritus sanctus
possit dici imago |
Article 3 – Peut-on dire que l’Esprit Saint est une image ? |
[2122] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod Spiritus sanctus possit dici imago. Primo per Damascenum qui dicit (I Fidei Ortho., cap. XIII) quod Spiritus
sanctus est imago Filii. |
Difficultés: 1. Il semble qu’on puisse dire de l’Esprit-Saint qu’il est une image,
premièrement par l’autorité de Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. XIII] qui dit que l’Esprit-Saint est
l’image du Fils. |
[2123] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut Filius imitatur
Patrem, per omnia consimilis sibi, ita etiam Spiritus sanctus. Sed hoc est
quod requiritur ad perfectam rationem imaginis, ut dictum est, art. 1 hujus
quaest. Ergo Spiritus sanctus est imago Patris. |
2. Par ailleurs, l’Esprit-Saint,
tout comme le Fils, imite le Père par tout ce qui leur est entièrement
semblable. Mais c’est cela qui est requis à une parfaite définition de
l’image, ainsi que nous l’avons dit dans l’article 1 de cette question. Donc
l’Esprit-Saint est l’image du Père. |
[2124]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 3 Si dicis, quod Spiritus sanctus non habet hoc quod sit similis
Patri per omnia, ex ratione processionis, sicut Filius hoc habet inquantum
procedit ut genitus ; contra: quia
processio Spiritus sancti non tantum est processio amoris, sed processio
amoris divini. Sed processio amoris divini, inquantum hujusmodi, habet quod
sit in plenitudine ejusdem naturae. Ergo videtur quod Spiritus sanctus ex
processione sua habeat quod sit imago. |
3. Si tu dis que l’Esprit-Saint ne possède
pas cette ressemblance totale au Père, en raison de sa procession, que le
Fils possède selon qu’il procède en tant qu’il est engendré, j’objecte que la
procession de l’Esprit-Saint n’est pas seulement une procession de l’amour
mais une procession de l’amour divin. Mais la procession de l’amour divin, en
tant que tel, est en possession de la plénitude d’une même nature. Il semble
donc que l’Esprit-Saint soit une image en raison même de sa procession. |
[2125]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, dicitur
absolute, quod Spiritus sanctus est aequalis Patri, et similis, et
connaturalis ; quamvis hoc non habeat ex ratione suae processionis absolute.
Cum igitur similitudo et aequalitas et connaturalitas constituant perfectam
rationem imaginis ; videtur quod Spiritus sanctus absolute dicendus [
dicendus om. Ed. de Parme] sit
imago. |
4. Par ailleurs, c’est absolument qu’on dit
de l’Esprit-Saint qu’il est égal au Père, qu’il lui est semblable et de même
nature, bien qu’il ne possède pas cela totalement en raison de sa procession.
Donc, puisque la similitude, l’égalité et l’identité de nature constituent la
définition parfaite de l’image, il semble qu’on doive dire d’une manière
absolue de l’Esprit-Saint qu’il est une image. |
[2126]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 s. c. 1 Contra est quod
Hilarius dicit, quod aeternitas est in Patre, et species in imagine, et usus
in munere. Sicut ergo munus vel donum est proprium Spiritus sancti, ita imago
Filii. Hoc idem habetur [videtur éd. de
Parme]per Augustinum, supra, distinct. 27. |
Cependant : 1. Saint-Hilaire dit le
contraire, à savoir que l’éternité est dans le Père, l’espèce est dans
l’image et l’usage est dans le présent. Donc, tout comme le présent ou le don
est propre à l’Esprit-Saint, de même l’image est propre au Fils. C’est
également ce qui est établi par [ce qu’on voit chez Éd. de Parme] Saint-Augustin plus haut à la distinction 27. |
[2127] Super Sent., lib. 1 d.
28 q. 2 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod imago, secundum quod personalis dicitur, convenit tantum
Filio, et non Spiritui sancto. Cujus ratio diversimode assignatur. Quidam
enim dicunt, quod cum imago ponat imitationem in exterioribus, et notionalia
in divinis sint quasi exteriora, Filius convenienter dicitur imago Patris,
quia imitatur Patrem etiam in aliqua notione, scilicet in communi spiratione
; non autem Spiritus sanctus, qui nullam notionem communem cum Patre habet. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que l’image,
selon qu’elle se dit personnellement, convient seulement au Fils et non à l’Esprit-Saint. Et on peut en
donner différentes raisons. Certains en effet disent que puisque l’image pose
une imitation dans ce qui est extérieur et que les notions en Dieu sont comme
extérieures, c’est avec raison qu’on dit du Fils qu’il est l’image du Père
car il imite le Père même dans une notion, à savoir dans la spiration
commune, ce qui n’est pas le cas pour l’Esprit-Saint qui ne partage aucune
notion commune avec le Père. |
Sed hoc non videtur conveniens propter
duo : primo, quia notionalia in divinis non
se magis habent per modum exteriorum quam essentialia, praeter illa quae sunt
assequentia substantiam, secundum Damascenum, I Fid. Orthod., cap. IX, col. 838 ; et ideo imitatio in illis
adhuc faceret rationem imaginis. Secundo, quia secundum relationem
originis non attenditur in divinis similitudo aut aequalitas, vel
dissimilitudo vel inaequalitas, ut ex verbis Augustini habitum est supra, 20
distinct. Ad rationem autem imaginis requiritur similitudo et aequalitas, ut
dictum est, art. 1 hujus quaest. |
Mais cette
position semble insuffisante pour deux raisons : premièrement parce que
les termes notionnels en Dieu, d’après Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. 1X, col. 838] ne se présentent pas
davantage à la manière de ce qui est extérieur que les termes essentiels, à
l’exception de ceux qui découlent de la substance ; et c’est pourquoi
l’imitation en eux entraînerait encore la définition de l’image. Deuxièmement
parce que, à considérer la relation d’origine, on ne retrouve en Dieu ni
similitude ni égalité, ni dissimilitude ni inégalité, ainsi que nous l’avons
établi plus haut dans la distinction 20 à partir des paroles de
Saint-Augustin. Mais comme nous l’avons dit dans l’article 1 de cette
question, la similitude et l’égalité sont nécessaires à la définition de
l’image. |
Et ideo alii dicunt, quod impossibile
est unius rei esse plures imagines immediate ducentes in illam, nisi per
materiam divisas ; nec etiam e contrario est possibile quod idem sit imago
plurium ; et ideo, cum Patris imago sit Filius, non potest etiam esse imago
Spiritus sanctus: quia sic plures essent imagines unius. Nec iterum [item éd. de Parme] potest esse quod
Spiritus sanctus sit imago Patris et Filii: quia sic idem esset imago
immediata plurium |
Et c’est pourquoi d’autres disent qu’il est
impossible qu’il y ait plusieurs images d’une seule et même chose qui
conduisent immédiatement à elle, à
l’exception de celles qui sont divisées par la matière ; et ils disent
aussi qu’il n’est pas possible au contraire que la même chose soit l’image de
plusieurs êtres ; et c’est pourquoi, puisque le Fils est l’image du
Père, l’Esprit-Saint ne peut lui aussi en être l’image car ainsi il y aurait
plusieurs images d’un seul et même être. Et en second lieu [pareillement Éd. de Parme] il n’est pas possible
que l’Esprit-Saint soit l’image du Père et du Fils car ainsi le même être serait l’image immédiate de
plusieurs autres. |
Istud etiam non videtur conveniens propter
duo: primo, quia Spiritus sanctus refertur
ad Patrem et Filium ut ad unum principium ; unde posset esse imago eorum ut
sunt unum principium ejus, sicut homo est imago totius Trinitatis. Secundo, quia non est major ratio
quare non possunt esse unius plures imagines quam unius plures similes vel
aequales ; hoc enim convenit in divinis, scilicet quod plures sint similes
vel aequales unius, non per divisionem materiae, sed per distinctionem
relationum. |
Cette position aussi semble insuffisante
pour deux raisons : premièrement parce que l’Esprit-Saint se rapporte au
Père et au Fils comme à un seul et même principe ; d’où il pourrait être leur image en tant qu’ils
sont pour Lui un seul principe, tout comme l’homme est l’image de toute la
Trinité. Deuxièmement parce qu’on
ne voit pas pourquoi il serait plus raisonnable de dire qu’il ne peut y avoir
plusieurs images d’un seul et même être que de dire qu’il peut y avoir
plusieurs êtres semblables et égaux à un seul et même être ; cela en
effet convient aux personnes divines, à savoir que plusieurs soient
semblables et égales à une seule et même autre, non pas par une division de
la matière, mais par une distinction des relations. |
Et ideo dicendum cum aliis, quod
quamvis diversitas rationis attributorum non sufficiat ad distinctionem
realem processionum, tamen sufficit ad diversas notiones eorum, ut supra, 13
dist., quaest. 1, art. 3, dictum est: et ideo quamvis Spiritus sanctus sua
processione accipiat naturam ; quia tamen sua processio non est per modum
naturae, non dicitur nec est generatio quia generatio est processio per modum
naturae ; et per consequens non dicitur Filius. Ita etiam dico quod Filius ex
ratione processionis suae habet quod sit imago, et inquantum procedit ut
Filius, quia Filius dicitur ex hoc quod habet naturam Patris ; et inquantum
procedit ut verbum, quia verbum, ut dictum est, dist. 27, quaest. 2, art. 1,
est quaedam similitudo in intellectu ipsius rei intellectae. Sed Spiritus
sanctus non habet hoc ex ratione suae processionis, quia procedit ut amor ;
et ideo sicut non dicitur Filius, quamvis accipiat sua processione naturam
Patris ; ita nec imago, quamvis habeat similitudinem ad Patrem. |
Et c’est pourquoi il faut dire avec d’autres
que bien que la différence de raison des attributs ne suffise pas à une
distinction réelle des processions, cependant elle suffit à établir leurs
différentes notions, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 13, quest. 1,
art. 3] : et c’est pourquoi, bien que ce soit par la procession que
l’Esprit-Saint reçoit la nature, cependant parce que sa procession n’est pas
par mode de nature, on ne l’appelle pas génération et elle n’en est pas une parce que la génération est une procession
par mode de nature ; et c’est pourquoi par conséquent on ne dit pas de
l’Esprit-Saint qu’il est Fils. De même encore je dis que le Fils, en raison
de sa procession, se trouve à être une image, à la fois en tant qu’il procède
comme Fils, car on l’appelle Fils du fait qu’il possède la nature du Père, et
en tant qu’il procède comme Verbe car le verbe, ainsi que nous l’avons dit
[dist. 27, quest. 2, art. 1] est une certaine similitude de la chose
elle-même en tant qu’elle est conçue dans l’intelligence. Mais l’Esprit-Saint
ne possède pas cela en raison de sa procession car il procède en tant
qu’amour ; et c’est pourquoi, tout comme on ne l’appelle pas Fils, bien
qu’il reçoive la nature du Père par sa procession, de même on ne l’appelle
pas image, bien qu’il possède une ressemblance à l’égard du Père. |
[2128]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod Damascenus large accipit imaginem pro quacumque similitudine. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que Damascène prend ici l’image au sens large pour toute
similitude. |
[2129]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quamvis Spiritus sanctus imitetur Patrem, non tamen habet ex ratione
suae processionis ut imago dicatur ; et ideo non dicitur imago sicut non
dicitur Filius. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
que l’Esprit-Saint imite le Père, il ne le fait cependant pas en raison de sa
procession de manière à être appelé image ; et c’est pourquoi on ne dit
pas de Lui qu’il est image tout comme on ne l’appelle pas Fils. |
[2130]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
identitas rei in divinis non praejudicat distinctioni secundum rationem in
veritate attributorum ; et ideo quamvis sapientia, inquantum est divina, sit
essentia, nihilominus manet ibi propria ratio sapientiae praeter rationem
essentiae, et similiter ratio voluntatis praeter rationem naturae et
intellectus ; et propter hoc etiam remanet distinctio in processionibus quae
sunt per modum voluntatis et intellectus et naturae, ad minus secundum
rationem ; et diversitas rationum causat diversitatem nominum ; unde illa
nomina nunquam concurrerent in idem, nisi rationes in eadem re fundarentur ;
et quia processio per modum voluntatis et naturae non eidem competit in
divinis, ideo nec nomina se consequuntur quae proprias rationes processionum
demonstrant. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
l’identité de la chose en Dieu ne nuit pas à la distinction selon la raison
pour la vérité des attributs ; et c’est pourquoi, bien que le sagesse,
en tant qu’elle est divine, s’identifie à l’essence, néanmoins dans ce cas la
notion propre de sagesse demeure distincte de celle de l’essence, et de la
même manière la notion de volonté demeure distincte de celle de nature et de
celle d’intelligence ; et c’est pour cette raison que demeure aussi la
distinction dans les processions par mode de volonté, d’intelligence et de
nature, au moins selon la raison ; et cette diversité des notions est la
cause de la diversité des noms ; de là ces noms ne coïncident jamais
dans la même chose, à moins que les notions se fondent sur la même
chose ; et parce que la procession qui se réalise par mode de volonté
n’appartient pas en Dieu à la même personne que celle qui se réalise par mode
de nature, c’est pourquoi les noms qui signifient les notions propres des
processions ne s’égalent pas. |
[2131]
Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
quamvis nomen imaginis sit impositum ab aequalitate et similitudine, tamen
est impositum ad significandum rem cui ex modo suae productionis competit
similitudo et aequalitas ; et ideo non oportet quod dicatur absolute similis
et aequalis nisi ex modo suae processionis hoc habeat quod etiam imago
proprie et absolute dicatur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que bien
que le nom d’image soit imposé en partant de l’égalité et de la similitude,
cependant il est imposé pour signifier la chose à la quelle appartient la
similitude et l’égalité à partir du mode de sa production ; et c’est
pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle soit dite semblable et égale d’une
manière absolue, à moins qu’elle ne tienne cela du mode même de sa procession
d’être aussi appelée image au sens propre et absolument. |
|
|
Distinctio 29 |
Distinction 29 – [Le principe] |
|
|
|
|
Quaestio 1 |
Question unique – [Le principe] |
Hic quaeruntur quatuor: 1 utrum una persona sit principium
respectu alterius: et supposito quod sit ; 2 utrum principium dicatur univoce de
Deo respectu divinae personae, et respectu creaturae ; 3 utrum eadem notione Pater et Filius
sint principium Spiritus sancti ; 4 si possint dici unum principium
ipsius. |
On cherche ici à répondre à quatre
questions : 1. Est-ce qu’une personne
est un principe par rapport à une autre : et en supposant qu’elle le
soit ; 2. Est-ce que principe
s’attribue à Dieu de façon univoque par rapport à une personne et par rapport
à la créature ? 3. Est-ce par la même
notion que le Père et le Fils sont principes de l’Esprit-Saint ? 4. Peut-on dire des deux
qu’ils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint ? |
|
|
Articulus 1. lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1
tit. Utrum una persona sit principium alterius. |
Article 1 – Une personne est-elle le principe d’une autre ? |
lib. 1 d. 29
q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod una persona non sit principium alterius.
Nomen enim principii imponitur a prioritate sicut et nomen sonat. Sed in
divinis personis non est prius et posterius, ut supra habitum est, dist. 9,
quaest. 2, art. 1. Ergo una persona non est principium alterius. |
|
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 2.
Praeterea, quod est principium alicujus, videtur esse causa ejus: quia, sicut
dicit philosophus in V Metaph., text. 1, quot modis dicitur causa, tot modis
dicitur principium vel initium. Sed una persona non est causa alterius, quia
in divinis personis nihil est causatum. Ergo una persona non est principium
alterius. |
2. Par ailleurs, ce qui est le principe
d’une chose semble en être la cause : car, ainsi que le dit le
Philosophe [V Métaphysique, texte
1], principe ou commencement se dit d’autant de manières que se dit la cause.
Mais une personne n’est pas la cause d’une autre car dans les personnes
divines, rien n’est causé. Donc une personne n’est pas la cause d’une autre. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 3 Item,
una persona non est principium alterius nisi inquantum dat esse. Sed tale
principium est operativum vel effectivum. Cum igitur una persona non dicatur
factrix vel operatrix alterius, videtur quod una non sit principium alterius. |
3. En outre, une personne n’est le principe
d’une autre que dans la mesure où elle donne l’existence. Mais un tel
principe est opérationnel ou efficient. Donc, puisqu’on ne peut dire qu’une
personne est productrice ou créatrice d’une autre, il semble qu’une personne
ne soit pas le principe d’une autre. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra
est quod in Littera dicitur, quod Pater est principium totius deitatis. |
Cependant : 1. Il est dit au contraire
dans la Lettre que le Père est le principe de toute la divinité. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, a
quocumque oritur aliquid, est principium illius. Sed ab una
persona oritur alia. Ergo una est principium alterius. |
2. Par ailleurs, ce d’où
procède un être est toujours le principe de cet être. Mais une personne
procède d’une autre. Donc une personne est le principe d’une autre. |
lib. 1 d. 29
q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ad significandum originem divinarum
personarum, utendum est talibus nominibus qualia modo originis competant ;
quia secundum Hilarium, IV de Trinit., § 14, col. 107, sermo debet esse rei
subjectus. Hoc autem invenimus in origine divinarum personarum quod tota
essentia unius accipitur in alia, ita quod una numero est essentia trium, et
idem esse. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que pour signifier l’origine des personnes
divines, il faut se servir de noms tells qu’ils conviennent au mode
d’origine, car d’après Saint-Hilaire [IV De
la Trinité, & 14, col. 107], le discours doit être subordonné à la
chose. Mais nous voyons dans l’origine des personnes divines que toute
l’essence de l’une est reçue dans l’autre, ainsi qu’il n’y a qu’une seule
essence pour les trois et que leur existence est la même. |
Et ideo ad significandum ordinem talis
originis, non competit nomen causae propter duo: |
Et c’est pourquoi, pour signifier l’ordre
d’une telle origine, le nom de cause ne convient pas pour deux raisons : |
primo, quia omnis causa vel est extra
essentiam rei, sicut efficiens et finis ; vel pars essentiae, sicut materia
et forma. |
Premièrement parce que toute cause est ou
bien extérieure à l’essence de la chose, comme la cause efficiente et la
cause finale ; ou bien elle est une partie de l’essence, comme la cause
matérielle et la cause formelle. |
Secundo, quia omnis causa habet
ordinem principii ad esse sui causati quod per ipsam constituitur. |
Deuxièmement, parce que toute cause a un ordre de principe par rapport à
l’existence de son effet qui est constitué par elle. |
Pater autem non habet aliquem ordinem
principii ad esse Filii, sicut nec ad esse suum, cum unum et idem sit esse
utriusque: unde Pater non est causa Filii, sed principium ; quia principium
dicit ordinem originis absolute, non determinando aliquem modum qui ab
origine personarum alienus sit. Invenitur enim aliquod principium quod
non est extra essentiam principiati, sicut punctus a quo fluit linea ; et
quod non habet aliquam influentiam ad esse principiati, sicut terminus a quo
dicitur principium motus, et sicut mane dicitur principium diei. |
Mais le Père n’a pas un ordre de principe
par rapport à l’existence du Fils ni par rapport à sa propre existence
puisque l’existence des deux est une seule et même existence : c’est
pourquoi le Père n’est pas la cause du Fils, mais son principe ; car
¨principe¨ dit un ordre d’origine entendu absolument, sans déterminer un mode
précis qui serait étranger à l’origine des personnes. On retrouve en effet un
principe qui n’est pas extérieur à l’essence de ce qui en procède, tout comme
le terme à partir duquel on parle de principe du mouvement, et tout comme on
dit du matin qu’il est le principe du jour. |
Sed nomen auctoris addit super
rationem principii hoc quod est non esse ab aliquo ; et ideo solus Pater
auctor dicitur, quamvis etiam Filius principium dicatur notionaliter. |
Mais le nom d’auteur ajoute ceci à la notion
de principe qu’il ne procède pas d’un autre ; et c’est pourquoi, bien
que le Fils aussi soit appelé principe notionnellement, seul le Père est
appelé auteur. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod quia nomen principii impositum est secundum quod
invenitur in creaturis, ubi principium est prius aliquo modo principiato,
ideo a prioritate imponitur ; sed tamen imponitur ad significandum illud a
quo est aliquid. Unde quamvis quantum ad modum significandi divinis non
competat, sicut et alia omnia [omnia om. nomina, essentialia add. Éd. de
Parme] quae a nobis imposita sunt: tamen quantum ad rem significatam,
propriissime ratio principii ibi [sibi éd. de Parme] competit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que parce que le nom de principe est imposé selon qu’il se
retrouve dans les créatures, là où le principe est premier en quelque sorte
par rapport à ce qui en procède, c’est pourquoi ce nom est imposé en partant
de la priorité ; mais il est cependant imposé en vue de signifier ce
d’où procède un être. Il résulte de là que bien que sous le rapport de son
mode de signifier il ne convienne pas à Dieu, comme tous [tous om. Éd. de Parme] les autres noms
imposés par nous, cependant quant à la chose signifiée , la notion de
principe convient là [à Lui Éd. de
Parme] le plus proprement. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis Pater dicatur principium Filii, non tamen
dicendus est causa, nisi improprie, sicut Chrysostomus, Hom. II super Joan., col. 244, utitur nomine causae, dicens
Patrem causam Filii: principium enim in plus est quam causa, et causa in plus
est quam elementum, sicut dicit Commentator V Metaph. . Unde omnis causa est principium, sed non convertitur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
qu’on dise du Père qu’il est le principe du Fils, on ne doit cependant pas
dire qu’il en est la cause, sauf improprement, comme le fait Saint-Jean
Chrysostome [11 Homélie sur l’Évangile
de Jean, col. 244] en disant que le Père est la cause du Fils : en
effet, principe est plus commun que cause et cause est plus commun
qu’élément, ainsi que le dit le Commentateur [V Métaphysique]. Il résulte de
là que toute cause est un principe, mais non inversement. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quia factio et operatio semper terminantur ad esse rei, ideo
Filius non potest dici factus nec operatus a Patre, cum quo unum esse habet ;
sed tantum generatus, propter originem personae. |
3. Il faut dire en troisième lieu que parce
que toute fabrication et toute production aboutit à l’existence d’une chose,
c’est pourquoi on ne peut dire du Fils qu’il est ¨fait¨ ou produit par le
Père avec lequel il possède une seule et même existence ; mais on peut
seulement dire qu’Il est engendré par Lui, à cause de l’origine de la
personne. |
|
|
Articulus 2 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2
tit. Utrum principium dicatur univoce de
Deo secundum quod dicitur principium divinae personae et creaturae |
Article 2 – Parle-t-on de manière univoque du principe pour Dieu selon qu’il est dit principe de la personne divine ou de la créature ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
|
lib. 1 d. 29
q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod principium
univoce dicatur secundum quod Deus dicitur principium personae divinae et
creaturae. Sicut enim dicit Basilius, lib. II Contra Eunomium, post mod., accipere a Patre Filius habet commune
cum omni creatura ; sed habere per naturam est Filii proprium. Sed ratio
principii fundatur supra originem unius ab alio, ut dictum est, art. praeced.
Ergo principium univoce
dicitur respectu personae divinae et respectu creaturae. |
Difficultés : 1. Il semble que principe
s’attribue univoquement quand on dit de Dieu qu’il est principe de la
personne divine et quand on dit de Lui qu’il est principe de la créature. En
effet, comme le dit Saint-Basile [11 Contre
Eunomius, peu après le milieu], le Fils a en commun avec toute créature
de recevoir du Père ; mais il est propre au Fils de le tenir par nature.
Mais la notion de principe se fonde sur l’origine de l’un par rapport à
l’autre, comme nous l’avons dit dans l’article précédent. Donc, la notion de
principe se dit univoquement par rapport à la personne divine et à la
créature. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2
Praeterea, Magister utitur tali divisione principii, quod principium est de
non principio, et principium de principio, et principium de utroque
principio. In hac autem divisione oportet quod principium
accipiatur et secundum quod dicit respectum ad creaturam, et secundum quod
dicit respectum ad personam. Cum
igitur haec divisio omnino esset inartificialis si principium aequivoce
diceretur, videtur quod principium univoce dicatur secundum utrumque modum. |
2. Par ailleurs, le Maître se sert de cette
division du principe, à savoir qu’il y a un principe qui est sans principe,
principe qui procède lui-même d’un principe, et principe qui procède des deux
principes précédents. Mais dans cette division il faut que le principe se
prenne à la fois selon qu’il se dit par rapport à la créature et selon qu’il
se dit par rapport à la personne. Donc, puisque cette division serait
absolument sans art si principe était attribué de manière équivoque, il semble
que principe se dise univoquement selon les deux modalités. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1
Contra, aeterno et temporali nihil potest esse univocum. Sed principium
respectu creaturae est ex tempore, principium autem respectu divinae personae
est ab aeterno. Ergo principium aequivoce dicitur. |
Cependant : 1. Au contraire, rien ne
peut être univoque par rapport à l’éternel et au temporel. Mais principe, dit
par rapport à la créature, se dit dans le temps ; mais par rapport à la
personne divine, il se dit de toute éternité. Principe s’attribue donc de
manière équivoque dans les deux cas. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2
Praeterea, Pater est principium Filii per generationem, et Spiritus sancti
per spirationem, et creaturae per creationem. Hae autem sunt diversae
rationes originis. Ergo videtur quod principium in istis acceptionibus
aequivoce sumatur. |
2. Par ailleurs, le Père est principe du
Fils par la génération, de l’Esprit-Saint par la spiration et de la créature
par la création. Mais ce sont là des notions d’origine différentes. Il semble
donc que principe, pris selon ces différentes acceptions, s’attribue à Dieu
de manière équivoque. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
|
lib. 1 d. 29
q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, quomodo per prius dicatur. Videtur
enim quod secundum quod dicit respectum ad creaturam. Essentiale enim est prius secundum
intellectum notionali, et commune proprio. Sed esse principium creaturae, est
essentiale et toti Trinitati commune ; esse autem principium divinae personae,
est notionale et proprium. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. On se demande par la
suite de quelle manière principe s’attribue en priorité. Il semble en effet
que ce soit selon qu’il s’attribue dans son rapport à la créature. En effet,
l’essentiel est antérieur au notionnel selon l’intelligence, tout comme le
commun l’est par rapport au propre. Mais être principe de la créature est
essentiel et commun à toute la Trinité, alors qu’être principe de la personne
divine est notionnel et propre à certaines personnes. Donc, principe
s’attribue à Dieu en priorité dans son rapport à la créature. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Contra,
aeternum est prius temporali. Sed principium personae dicitur ab
aeterno ; principium autem creaturae a tempore. Ergo et cetera. |
Cependant :
1. Au contraire, l’éternel
est antérieur au temporel. Mais être principe par rapport à la personne
s’attribue à Dieu de toute éternité, alors que principe par rapport à la
créature s’attribue à Dieu dans le temps. Donc, principe s’attribue à Dieu en
priorité dans son rapport à la personne divine. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question
1
|
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1
co. Respondeo dicendum,
quod idem judicium est de principio et de origine super quam fundatur ratio
principii. Potest autem origo considerari dupliciter: aut secundum communem rationem
originis, quae est aliquid ab aliquo esse ; et sic una ratio est communis ad
originem personarum et originem creaturarum, non quidem communitate
univocationis, sed analogiae: et similiter etiam nomen principii. Potest etiam considerari secundum
determinatum modum originis ; et sic sunt diversae speciales rationes
originis et principii ; sed hoc non facit aequivocationem: quia sic etiam,
secundum philosophum, I De anima,
text. 8, animalis ratio secundum unumquodque est alia. |
Corps
de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le jugement qu’on porte sur le principe est le même que celui qu’on porte
sur l’origine sur laquelle se fonde la notion de principe. Mais l’origine
peut être considérée de deux manières. Soit d’après la notion
commune d’origine qui consiste pour un être à procéder d’un autre ; et
ainsi il y a une seule notion qui est commune à la fois à l’origine des
personnes et à l’origine des créatures, non pas certes par une communauté
d’univocité, mais par une communauté d’analogie : et il en est de même
aussi pour le nom de principe. Mais l’origine peut aussi
être considérée d’après une sorte déterminée d’origine ; et ainsi il y a
différentes notions particulières de ¨origine¨ et différentes notions
particulières de ¨principe¨ ; mais cela n’entraîne pas l’équivoque parce
que, ainsi encore, selon le Philosophe [1 De
l’Âme, texte 8], la notion de l’animal, dans chacun des cas, est
différente. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum
dicendum, quod principium est commune communitate analogiae, et non
univocationis. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que ¨principe¨ est commun par une communauté d’analogie et non par une
communauté d’univocité. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Magister accipit principium in divisione secundum
communem rationem, quae una est, ut dictum est, in corp. art., et non
secundum speciales, quae differunt. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le
Maître entend principe dans sa division selon la notion commune, qui est une
seule et même notion, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article,
et non d’après des notions particulières, lesquelles diffèrent. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis aeterno et temporali nihil sit univocum ; est tamen
aliquid commune secundum analogiam, ut saepe dictum est. |
3. Il faut dire en troisième lieu que bien
qu’il n’y ait rien d’univoque entre le temporel et l’éternel, cependant il y
a du commun selon l’analogie, comme nous l’avons souvent dit. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad speciales rationes originis
quae non faciunt aequivocationem, ut dictum est. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que cet
argument procède de la notion de principe quant à des notions particulières
de l’origine qui n’entraînent pas l’équivoque, ainsi que nous l’avons dit. |
Quaestiuncula 2 |
Réponse à la sous-question
2
|
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 2
co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod processio creaturarum
exemplatur a processione divinarum personarum ; unde, absolute loquendo, per
prius dicitur principium respectu personae quam respectu creaturae. Sed tamen
sciendum, quod in principio, secundum quod dicitur respectu creaturae, est
considerare ipsam habitudinem quae temporalis est, et illud in quo fundatur
ista habitudo, scilicet virtus et operatio divina ; in quibus tamen non est
ratio principii nisi quasi habitualiter ; et sic secundo modo considerando principium
secundum quod dicitur principium creaturae, est prius quam principium divinae
personae quod fundatur in proprietate, per modum quo essentiale dicitur prius
notionali secundum intellectum. Sed hoc non est nisi secundum quid. |
Corps de l’article : Par rapport à ce qu’on
cherche à savoir par la suite, il faut dire que la procession des créatures
se modèle sur la procession des personnes divines ; d’où il résulte, à
parler absolument, que principe se dit en priorité par rapport à la personne
et secondairement par rapport à la créature. Mais il faut savoir
cependant que dans le principe, selon qu’il se dit par rapport à la créature,
il faut considérer la disposition elle-même qui est temporelle et ce sur quoi
se fonde cette disposition, à savoir la puissance et l’opération divines,
dans lesquelles cependant la notion de principe n’est présente qu’à la
manière d’une disposition ; et en considérant ainsi le principe de la
deuxième manière selon qu’il est dit principe de la créature, il est premier
par rapport au principe de la persone divine, lequel se fonde sur la
propriété, à la manière par laquelle on dit de l’essentiel qu’il est premier
par rapport au notionnel selon l’intelligence. Mais il n’en est ainsi que
sous un certain rapport. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 2 ad arg. Et per
hoc patet responsio ad utrumque objectum. |
Et au
moyen de ce que nous venons de dire, la réponse la réponse est claire pour
chacune des deux difficultés. |
|
|
Articulus 3 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3
tit. Utrum proprietas Patris et Filii, qua dicuntur principium Spiritus
sancti, sit tantum una |
Article 3 – N’y a-t-il qu’une seule propriété du Père et du Fils par laquelle ils sont dits le principe de l’Esprit Saint? |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 1
Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod non sit [nisi add. Éd. de Parme]
una proprietas Patris et Filii, secundum quam dicuntur principium Spiritus
sancti. Proprietas enim unitatem et multitudinem trahit a suppositis. Sed
Pater et Filius non sunt unum suppositum. Ergo nec ipsorum est una
proprietas. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas une [qu’une seule add. Éd. de Parme]
seule propriété du Père et du Fils selon laquelle ils sont dits le principe
de l’Esprit-Saint. La propriété en effet tient des suppôts son unité et sa
multiplicité. Mais le Père et le Fils ne sont pas un seul et même suppôt. Il
n’y a donc pas pour eux une seule et même propriété. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea,
nihil idem est uniens principium, et distinguens. Sed notiones in divinis
sunt distinguentes. Ergo videtur quod nulla notio Patrem et Filium uniat. |
2. Par ailleurs, aucun principe d’union
n’est principe de distinction. Mais notions sont en Dieu ce qui distingue. Il
semble donc qu’aucune notion n’unisse le Père et le Fils. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, magis
sunt unum quae uniuntur in natura et proprietate, quam quae uniuntur in
natura tantum. Sed Pater et Filius non sunt magis unum quam Pater et Spiritus
sanctus. Cum igitur Pater et Spiritus sanctus non conveniant nisi in natura,
videtur quod Pater et Filius non uniantur in aliqua proprietate una. |
3. En outre, ceux qui sont unis en nature et
en propriété sont davantage un que ceux qui sont unis en nature seulement.
Mais le Père et le Fils ne sont pas davantage un que le Père et
l’Esprit-Saint. Donc, puisque le Père et le Saint-Esprit n’ont en commun que
la nature, il semble que le Père et le Fils ne sont pas unis par une seule et
même propriété. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea,
propinquius est proprietati illud in quo est, quam illud ad quod dicitur. Sed
proprietates quae sunt in una persona, sunt plures ex hoc quod ad diversa
referuntur ; sicut generatio in Patre ad Filium, et communis spiratio ad
Spiritum sanctum. Ergo multo magis efficientur duae proprietates ex hoc quod
sunt in duabus personis. |
4. De plus, est plus près de la propriété ce
dans quoi est la chose que ce par rapport à quoi elle se dit. Mais les
propriétés qui sont dans une même personne sont plus nombreuses du fait
qu’elles se rapportent à différentes personnes ; par exemple la
génération dans le Père par rapport au Fils et la spiration commune par
rapport à l’Esprit-Saint. Donc, ce seront bien davantage deux propriétés qui
seront produites du fait qu’elles seront dans deux personnes. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, secundum
Anselmum, de process. Spir. Sancti, II,
col. 288, in omnibus Pater et Filius unum sunt, in quibus non distinguit
inter eos relationis oppositio. Sed in communi spiratione Pater et Filius non
opponuntur. Ergo est una et eadem numero in utroque. |
Cependant : 1. Au contraire, selon
Saint-Anselme [De la Procession de
l’Esprit-Saint, 11, col. 288], le Père et le Fils sont un en tout, en
quoi l’opposition de relation ne distingue pas entre eux. Mais le Père et le
Fils ne s’opposent pas par la spiration commune. Donc, cette propriété dont
on parle est une seule et même propriété, numériquement parlant, dans les
deux. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod una numero notio est Patris et Filii, secundum quod principium
spiritus sancti dicuntur, ut dicitur in Littera.
Cujus ratio est, quia distinctionem rerum secundum formam aliquam non
invenimus nisi dupliciter: uno modo secundum quod aliquid commune
distinguitur per plures rationes speciales, sicut ratio generis distinguitur
in plures species ; alio modo secundum quod natura specialis distinguitur in
plura secundum numerum. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il n’y a qu’une seule notion, numériquement parlant, pour le Père et le
Fils, selon qu’ils sont dits le principe de l’Esprit-Saint, ainsi qu’on le
dit dans la Lettre. Et la raison en est qu’il n’est possible de trouver une
distinction dans les choses selon la forme que de deux manières :
premièrement selon que quelque chose de commun se distingue au moyen de
plusieurs notions particulières, comme la notion de genre se distingue en
plusieurs espèces ; deuxièmement selon qu’une nature particulière se
distingue en plusieurs individus. |
Hic autem secundus modus non potest
esse in divinis, duplici ratione: primo, quia multiplicatio secundum
numerum unius speciei non est ex aliquo formali adjuncto, sed ex materiali
principio diviso: quia ratio speciei specialissimae constituitur per adventum
ultimae formae constitutivae: materia autem non est in divinis. Secundo, quia natura specialis non
multiplicatur nisi secundum esse quod in diversis habet: quia tota quidditas
completa est in specie. |
Mais cette deuxième modalité ne peut se
retrouver en Dieu pour deux raisons : premièrement parce que la
multiplication d’une même espèce selon le nombre de provient pas de
quelqu’ajout formel, mais de la division du principe matériel car la notion
de l’espèce la plus particulière est constituée par l’arrivée de la forme
constitutive ultime et il n’y a pas de matière en Dieu. Deuxièmement parce
que la nature particulière ne se multiplie que selon l’existence qu’elle
revêt dans différents êtres car la quiddité complète se retrouve en totalité
dans l’espèce. |
In divinis autem non est nisi unum
esse ; unde non potest esse quod aliquid dictum secundum specialem rationem,
in divinis numero multiplicetur. Relinquitur igitur quod quidquid est
in divinis, vel remaneat indistinctum et unum numero, sicut natura communis
tribus personis: vel habeat rationem communem distinguibilem secundum plures
rationes speciales: sicut relatio communis est tribus, non tamen una numero
relatio, sed alia et alia, etiam secundum rationem specialem distincta. Cum igitur communis spiratio nominet
specialem rationem principii secundum specialem modum originis, impossibile
est quod sit nisi una numero in Patre et Filio. |
Mais dans les personnes divines il n’y a
qu’une seule existence ; il résulte de là qu’il n’est pas possible que
ce qui se dit selon une notion particulière se multiplie par le nombre en
Dieu. Il reste donc que tout ce
qu’on retrouve en elles ou bien demeure indistinct et un par le nombre, comme
la nature commune aux trois personnes, ou bien possède une notion commune
pouvant être distinguée d’après plusieurs notions particulières, tout comme
la relation qui est commune aux trois personnes sans être une numériquement
parlant mais plutôt différente dans chacun des cas d’après une notion
particulière. Donc, puisque la spiration
commune nomme une notion particulière de principe d’après un mode particulier
d’origine, il est impossible qu’elle existe dans le Père et le Fils à moins
d’y être une numériquement parlant. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur
dicendum, quod in creaturis supposita distincta sunt per esse ; et ideo
proprietates ipsorum etiam secundum esse distinguuntur. Sed in divinis
suppositis est unum esse ; unde et proprietas non potest multiplicari
secundum esse, sed solum secundum rationem proprietatis specialem. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
dans les créatures les suppôts se distinguent par l’existence ; et c’est
pourquoi leurs propriétés aussi se distinguent par l’existence. Mais en Dieu
il n’y a qu’une seule existence pour les suppôts, d’où il résulte que la
propriété ne peut être multipliée selon l’existence, mais seulement selon une
notion particulière de propriété. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod secundum idem non potest esse aliquid uniens et distinguens,
et respectu ejusdem ; unde communis spiratio distinguit Patrem a Spiritu
sancto, sed unit Filio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il est
impossible qu’un même principe, sous le même rapport, unisse et
distingue ; il résulte de là que la spiration commune distingue le Père
de l’Esprit-Saint, mais l’unit au Fils. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod secundum Augustinum, supra dist. XX, secundum
relationes originis attenditur aequalitas vel inaequalitas ; et ideo ex hoc
quod Pater convenit cum Filio in aliqua notione, non dicitur magis unum esse
cum eo quam cum Spiritu sancto, sed solum in pluribus. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que d’après Saint-Augustin cité plus haut à la distinction XX, c’est
d’après les relations d’origine que se vérifient l’égalité et l’inégalité; et
c’est pourquoi, du fait que le Père partage une notion avec le Fils, on ne
dit pas de Lui qu’il fait plus un avec le Fils qu’avec le Saint-Esprit, mais
seulement qu’il fait un avec le Fils sous de plus nombreux rapports. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod proprietas relativa, quantum ad esse quod habet, proximius se
habet ad suum suppositum quam ad id ad quod dicitur ; unde si esset ibi
variatio secundum esse, hoc haberet a suppositis. Sed secundum rationem
relationis dicitur ad aliud ; et ideo distinguitur specialis ratio
relationis, secundum quod ad aliud et aliud refertur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la propriété relative, quant à l’existence qu’elle possède, est plus
proche de son suppôt que de l’autre chose à laquelle elle se rapporte; il
résulte de là que s’il y avait là un changement selon l’existence, elle le
tiendrait des suppôts. Mais selon la notion de relation cette propriété se
dit par rapport à quelque chose d’autre; et c’est pourquoi la notion
particulière de relation se distingue selon qu’elle se rapporte à tel ou tel
autre. |
|
|
Articulus 4 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4
tit. Utrum Pater et Filius sint unum principium Spiritus sancti |
Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils le principe unique de l’Esprit Saint ? |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 1
Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod Pater et Filius non sint unum principium Spiritus sancti. Si enim unum
sunt principium, aut unum quod est Pater, aut unum quod non est Pater. Si
unum quod est Pater, ergo Filius est Pater, quod falsum est. Si unum quod non
est Pater, ergo Pater non est Pater, quod iterum falsum est. Ergo
nullo modo sunt unum principium. |
Difficultés : Il semble que le Père et le Fils ne
soient pas un seul principe de l’Esprit-Saint. Si en effet ils sont un seul principe, ou bien cet unique
principe est le Père ou bien il n’est pas le Père. Si cet unique principe est
le Père, donc le Fils est le Père, ce qui est faux. Si cet unique principe
n’est pas le Père, donc le Père n’est pas le Père, ce qui est encore faux.
Donc le Père et le Fils ne sont aucunement un seul et même principe de
l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, de
Patre et Filio et Spiritu sancto, ex eo quod sunt unum principium creaturae,
dicimus, quod sunt unus creator. Sed non dicimus quod Pater et Filius sunt
unus spirator. Ergo non sunt unum principium Spiritus sancti. |
2. Par
ailleurs, au sujet du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint, du faut qu’ils sont
un seul principe de la créature, nous disons qu’ils sont un seul créateur.
Mais nous ne disons pas du Père et du Fils qu’ils sont un seul spirateur.
Don, ils ne sont pas un seul principe de l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, unitas
causa est identitatis. Sed Pater et Filius non dicuntur idem principium
Spiritus sancti. Ergo nec unum. |
3. En
outre, l’unité est cause d’identité. Mais nous ne disons pas que le Père et
le Fils sont un principe identique de l’Esprit-Saint. Ils n’en sont donc pas
un principe unique. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, sicut
supra habitum est, in omnibus Pater et Filius unum sunt, in quibus [non
distinguit relationis oppositio add. Éd de Parme], et in quibus hoc de illo
dicitur. Sed Filius est principium de principio. Ergo Pater et Filius sunt
unum principium. |
Cependant : 1. Au contraire, tout comme nous l’avons
établi plus haut, le Père et le Fils sont un en tout, dans les choses [que la
relation d’opposition ne distingue pas add.
Éd. de Parme], et dans lesquelles cela se dit de celui-ci. Mais le Fils
est un principe qui procède d’un principe. Donc le Père et le Fils sont un
seul et même principe. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea,
unius rei unum est principium. Sed Spiritus sanctus est unus. Ergo unum ejus
est principium. |
2. Par ailleurs, il n’y a qu’un seul
principe pour une seule et même chose. Mais l’Esprit-Saint est une seule et
même réalité. Il n’y a donc qu’un seul principe de l’Esprit-Saint. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod secundum omnes, Pater et Filius sunt unum principium Spiritus
sancti, qui Spiritum sanctum ab utroque confitentur procedere. Sed circa hoc
qualiter dicatur, sunt diversae opiniones. Quidam enim dicunt, quod unum non
designat nisi unitatem proportionis ; quia sicut se habet Pater ad Spiritum
sanctum ut spirans, ita et Filius. Sed istud non sufficit ; quia secundum
unitatem proportionis etiam conveniunt Pater et Filius in ratione suppositi ;
et tamen non dicimus eos esse unum suppositum. Et ideo alii dicunt, quod unum dicit
unitatem naturae: qui videntur inniti auctoritate Anselmi, qui dicit, quod
Pater et Filius spirant Spiritum sanctum De processione Spiritus sancti, cap.
XVIII, inquantum uterque eorum est Deus. Sed nisi aliquid plus dicant, ab
unitate principii notionaliter dicti non excluderetur Spiritus sanctus, qui
non excluditur ab unitate naturae. Et ideo alii dicunt, quod unum dicit
unitatem notionis ; et istud videtur esse conveniens ; quia in substantivis
nominibus unitas et pluralitas attenditur secundum unitatem et pluralitatem
formae significatae ; unde dicimus, unus Deus, propter unitatem divinae
naturae. Forma autem quam significat hoc nomen principium, secundum quod
personaliter sumitur, est ipsa notio vel proprietas, sicut hoc nomen Pater
significat paternitatem. Unde ad
unitatem notionis sequitur unitas principii. Potest nihilominus dici, ut
salvetur dictum Anselmi, quod significat unitatem in potentia spirativa, quae
dicit naturam divinam sub ratione talis proprietatis, quae est principium
operationis personalis, ut supra dictum est, dist. 11, qu. 1, art. 2 et 3. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire que d’après
tous ceux qui confessent que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils, Le
Père et le Fils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint. Mais à ce
sujet il y a différentes positions sur la manière de le dire. En effet, certains disent que ¨un¨ ne
désigne que l’unité de proportion ; car le Fils se rapporte à
l’Esprit-Saint en tant qu’agent de spiration de la même manière que le Père.
Mais cela est insuffisant : car d’après l’unité de proportion le Père et
le Fils se rencontrent aussi dans la notion de suppôt et cependant nous ne
disons pas qu’ils sont un seul et même suppôt. Et c’est pourquoi d’autres disent que
¨un¨ dit l’unité de nature, lesquels semblent s’être appuyés sur l’autorité
de Saint-Anselme [De la Procession de l’Esprit-Saint, ch. XVIII] qui dit que
le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en tant que les deux sont un seul
Dieu. Mais l’Esprit-Saint ne serait pas exclu de l’unité du principe dit
notionnellement, Lui qui n’est pas exclu de l’unité de nature, à moins qu’ils
ne disent quelque chose de plus. Et c’est pourquoi d’autres disent que
¨un¨ dit une unité de notion ; et cette position semble juste car dans
les noms substantifs l’unité et la pluralité se vérifie d’après l’unité et la
pluralité de la forme signifiée ; il résulte de là que nous disons un
seul Dieu en raison de l’unité de la nature divine. Mais la forme que
signifie ce nom ¨principe¨, selon qu’il se prend personnellement, est la
notion elle-même ou la propriété, tout comme ce nom ¨Père¨ signifie la
paternité. D’où il résulte que l’unité du principe
découle de l’unité de la notion. On peut néanmoins dire, pour conserver les
paroles de Saint-Anselme, que le non de principe signifie l’unité dans la
puissance de spiration, unité qui dit la nature divine sous le rapport de telle
propriété qui est le principe de l’opération personnelle, comme nous l’avons
dit plus haut [dist. 11, quest. 1, art. 2 et 3] |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod ista divisio: aut sunt unum quod est Pater, aut sunt
unum quod non est Pater, non est per contradictoria ; unde utraque falsa est.
Sed haec est vera: non sunt unum quod est Pater tantum ; sed sunt unum quod
est Pater et Filius ; sicut sunt etiam unus Deus, qui est Pater et Filius. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier lieu que cette
division : ¨ou bien ils sont le principe unique qui est le Père, ou bien
ils sont le principe unique qui n’est pas le Père¨, ne se fait pas par la
contradiction. Il résulte de là que les deux sont fausses. Mais celle-ci est
vraie : ils ne sont pas ce principe unique qui est le Père seulement,
mais ils sont ce principe unique qui est le Père et le Fils, tout comme ils
sont aussi un seul Dieu qui est le Père et le Fils. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod quamvis dicantur unum principium Spiritus sancti, non
tamen dicuntur unus spirans vel unus spirator: quia hujusmodi distinctiones
imponuntur ab actibus, qui semper significant ut adjacenter, et in talibus
non attenditur in consignando pluraliter pluralitas formae significatae, sed
suppositorum, ut supra dictum est, 16 dist., qu. 1, art. 4. Sed de creatione
non est similis ratio ac de spiratione: quia spiratio praeexigit distinctionem
in suppositis ; unde est aliquo modo a pluribus suppositis inquantum
distincta sunt, cum sit operatio personalis ; sed creatio est opus essentiae
divinae ; unde est opus suppositi indistincti,
prout essentia significatur id quod est, ut hoc nomine Deus ; et ideo sicut
Pater et Filius dicuntur unum, quod est unus Deus, ita et unus creator ; non
tamen creans unus, quia participium est adjectivum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
qu’on dise d’eux qu’ils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint, on
ne dit cependant pas d’eux qu’ils sont un seul à poser l’opération de
spiration, ou qu’ils sont un seul spirateur : parce que des distinctions de cette sorte
sont imposées à partir des actes qui signifient toujours à la manière de ce
qui entoure et dans ces cas ce n’est pas la pluralité de la forme signifiée
qui se vérifie en la notant au pluriel, mais la pluralité des suppôts, comme
nous l’avons dit plus haut [dist. 16, quest. 1, art. 4]. Mais le raisonnement
n’est pas le même pour la création et la spiration : car la spiration
présuppose nécessairement une distinction dans les suppôts ; d’où elle
est opérée en un sens par plusieurs suppôts en tant qu’ils sont distincts,
puisqu’elle est une opération personnelle ; mais la création est une
œuvre de l’essence divine, d’où il résulte qu’elle est l’œuvre d’un suppôt
indistinct, selon que l’essence est signifiée comme ce qui est , comme par le
nom Dieu ; et c’est pourquoi, tout comme on dit que le Père et le Fils
sont un, à savoir un seul Dieu, de même on dit qu’ils sont un seul
créateur ; on ne dit cependant pas qu’ils sont un seul ¨créant¨ car un
participe est un adjectif. |
lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod non conceditur communiter, quod sint idem principium ; quia
ratione articulationis includitur unitas suppositi: sicut etiam supra,
Magister dicit, quod Deus non genuit se Deum, nec alium Deum. Quidam tamen
dicunt, quod Filius et Pater sunt idem Deus, et sunt idem principium, eo quod
ly idem est adjectivum, et non ponit identitatem absolutam, sed respectu ejus
cui adjungitur ; et secundum hoc potest concedi, quod sunt idem principium. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’on ne
concède pas universellement qu’ils sont un même principe ; car en raison
de l’articulation l’unité du suppôt est incluse : tout comme aussi le
Maître dit aussi que Dieu n’a engendré ni lui-même comme Dieu ni un autre
Dieu. Certains disent cependant que le Fils et le Père sont le même Dieu et
qu’ils sont le même principe du fait que ce ¨même¨ est un adjectif et qu’il
ne pose pas une identité absolue, mais seulement par rapport à ce à quoi il
s’ajoute ; et d’après cela on peut concéder qu’ils sont un même
principe. |
|
|
Distinctio 30 |
Distinction 30 – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps] |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic tria quaeruntur: 1 utrum aliquid de Deo ex tempore
dicatur ; 2 utrum ista
significent essentiam divinam ; 3 utrum illa
nomina relativa ponant aliquam relationem realiter in Deo existentem. |
On
cherche ici à répondre à trois questions : 1. Est-ce qu’on dit
quelque chose de Dieu en la dépendance du temps ? 2. Est-ce que ces noms
signifient l’essence divine ? 3. Est-ce que ces noms
relatifs pose une relation réelle qui existe en Dieu ? |
|
|
Articulus 1 [2181] Super Sent., lib. 1
d. 30 q. 1 a. 1 tit. Utrum aliquid dicatur de Deo ex
tempore. |
Article 1 – Dit-on quelque chose de Dieu en rapport avec le temps ? |
[2182] Super Sent., lib. 1 d.
30 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod de Deo nihil ex tempore dicatur. De quo
enim dicitur aliquid ex tempore, quod ante non dicebatur, potest dici esse
factum illud ; sicut homo dicitur esse factus albus, si prius non dicebatur
vere de eo quod esset albus. Sed fieri nullo modo competit Deo,
sicut nec mutari, cum sit primum movens. Ergo videtur quod nihil in Deo ex tempore dicatur. |
|
[2183] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 1 arg. 2 Praeterea, quod praedicatur de aliquo, aut dicitur de eo per se,
aut per accidens. Sed ista non praedicantur per se ; quia quod per se inest,
semper inest ; haec autem non ab aeterno de Deo dicuntur ; nec etiam per
accidens, quia nullum accidens in Deo est ; et praeterea, cum omne per
accidens reducatur ad aliquod per se, haec dicerentur de aliquo alio per se ;
quod non invenitur: quia nihil aliud quam Deus dicitur creator, vel universitatis
dominus. Ergo videtur quod ista nullo modo de Deo dicantur. |
|
[2184] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 1 arg. 3 Si dicatur quod est praedicatio per causam ; contra. Ubicumque
est praedicatio per causam, potest resolvi praedicatio talis, et exponi per
propositionem denotantem habitudinem causae ; ut si dicatur, quod Deus est
spes nostra potest exponi quod spes nostra est a Deo. Sed non potest dici
quod creator sit a Deo. Ergo cum dicitur, Deus est creator, non est
praedicatio per causam. |
3. Si on disait qu’il y a attribution par la
cause, il y a un problème. Partout où il y a attribution par la cause, une
telle attribution peut être résolue et expliquée par une proposition
indiquant un rapport de causalité ; par exemple, si on dit que ¨Dieu est
notre espérance¨, cela peut être expliqué par la proposition suivante :
¨Notre espérance vient de Dieu¨. Mais si on dit que ¨Dieu est créateur¨, cela
ne peut s’expliquer en disant que ¨le créateur vient de Dieu¨. Donc lorsqu’on
dit que ¨Dieu est créateur¨, il n’y a pas attribution par la cause. |
[2185] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 1 arg. 4 Praeterea, omne verum aut est
necessarium aut contingens. Si igitur haec praedicantur de Deo vere ; aut
praedicantur necessario, aut contingenter. Sed non praedicantur necessario,
quia non semper ; nec etiam contingenter, quia in Deo nihil est contingens.
Ergo videtur quod non possint de Deo praedicari. |
4. Par ailleurs, tout ce qui est vrai est
soit nécessaire, soit contingent. Si donc ces noms sont attribués à Dieu en
vérité, ils sont attribués soit nécessairement, soit de manière contingente.
Mais ils ne sont attribués à Dieu ni nécessairement parce qu’ils ne sont pas
toujours attribués, ni de manière contingente car il n’y a rien de contingent
en Dieu. Il semble donc que ces noms ne puissent être attribués à Dieu en
aucune manière. |
[2186] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 1 s. c. 1 Contra est totum quod in Littera dicitur et ab Augustino et a
Magistro, et usus [usu éd de Parme] loquentium, et secundum fidem, et
secundum philosophiam. |
Cependant : 1. Tout ce qui est dit
dans la Lettre, à la fois par
Saint-Augustin et par le Maître, la tradition [par la tradition Éd. de Parme] des Écrivains sacrés, le
contenu de la foi et de la philosophie, tout s’oppose aux conclusions qui
précèdent. |
[2187] Super
Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod necesse est quod aliquid de Deo ex
tempore dicatur. Cum enim omne esse cujuslibet rei effluat ab ipso Deo, non
solum universi, sed cujuslibet partis ejus, oportet quod ipse designetur in
habitudine principii ad quodlibet eorum quae sunt ; et cum multa eorum quae sunt
non semper fuerint, etiamsi ponatur universum semper fuisse, quod quidam
philosophi errantes senserunt, ut intelligatur, VIII Physic., text. 41,
oportet quod nomina designantia illam habitudinem non ab aeterno de Deo
dicantur, sed ex tempore ; quia relatio secundum actum, exigit duo extrema in
actu existere ; unde non potest referri ad creaturam ut actuale principium
creaturae, nisi creatura existente in actu ; quod non semper fuit, sed ex
tempore. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’il est
nécessaire que quelque chose s’attribue à Dieu en la dépendance du temps. En
effet, puisque l’existence de toutes les choses, non seulement dans leur
totalité mais pour chacune de leurs parties, dérive de Dieu lui-même, il faut
que Lui-même soit désigné dans son rapport de principe à chacune des choses
qui existent ; et puisque plusieurs des choses qui existent n’ont pas
toujours existé, même si on posait que l’univers a toujours existé, comme
certains philosophes l’ont cru en s’égarant ainsi que le Philosophe l’a
compris [ VIII Physique, texte 41],
il faut que les noms désignant ce rapport ne se disent pas de Dieu de toute
éternité, mais en la dépendance du temps ; car la relation selon l’acte
exige que deux extrêmes existent en acte ; d’où il résulte de là qu’on
ne peut se rapporter à une créature comme principe actuel de la créature que
par une créature qui existe en acte : ce qui n’a pas toujours existé
mais seulement en la dépendance du temps. |
Hoc autem non contingit de aliis quae
absolute de Deo dicuntur, quod ex tempore dicantur de ipso ; quia ea quae
absolute dicuntur, secundum proprias rationes ponunt in eo aliquid in quo
dicuntur, ut quantitas et qualitas et hujusmodi. Unde nihil horum invenitur
quod non realiter sit in Deo, de quo vere et proprie dicitur ; et propter hoc
non possunt de aliquo ex tempore dici, nisi illud mutetur per susceptionem
ejus quod prius non habuit. |
Mais il n’est pas possible aux termes qui se
disent de Dieu absolument de se dire de Lui dans la dépendance du
temps ; car ces termes qui se
disent de Dieu absolument, d’après leurs notions propres, posent quelque
chose dans celui dans lequel ils se disent, comme la quantité, la qualité,
etc. D’où il résulte que dans ce qu’on attribue à Dieu en vérité et
proprement, on ne retrouve rien de ce qui n’existe pas réellement en
Dieu ; et c’est pour cette raison que ces termes ne peuvent s’attribuer
en la dépendance du temps qu’à ce qui est changé par la réception de de qu’il
ne possédait pas avant. |
Sed relatio secundum rationem suam non
habet quod ponat aliquid in eo de quo dicitur ; sed ponit tantum habitudinem
ad aliud ; unde invenitur aliqua relatio, ut supra, dist. 26, quaest. 2, art.
1, dictum est, non realiter existens in eo de quo dicitur ; et ideo in
talibus habitudines illae de novo dicuntur de aliquo, non per mutationem
ejus, sed illius ad quod dicitur ; et ita est in omnibus quae de Deo ex
tempore dicuntur. |
Mais la relation, de par sa définition même,
ne pose pas nécessairement quelque chose dans celui auquel elle s’attribue,
mais elle pose seulement un rapport à un autre ; d’où il résulte qu’il se rencontre certaines relations ,
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 2, art. 1] qui n’existe
pas réellement dans celui auquel elles s’attribuent ; et c’est pourquoi,
dans ces cas, ces relations se disent d’une nouvelle manière de celui auquel
elle s’attribuent pas, non pas par un changement en lui, mais dans cet autre
par rapport auquel elles se disent ; et il en est ainsi pour tous les
noms qui se disent de Dieu en la dépendance du temps. |
[2188] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut hujusmodi habitudines non
ponuntur realiter esse in Deo, sed secundum rationem tantum ; ita etiam ex
hoc quod de novo de Deo dicuntur, non sequitur quod in eo sit aliquid fieri
secundum rem, sed secundum rationem tantum, sicut dicitur in Ps. LXXXIX, 1:
« Domine refugium factus es nobis ».Tamen etsi concedatur secundum
rationem aliquid, ut refugium vel hujusmodi, factus ; nullo tamen modo dicendus
est mutatus: quia mutatio imponitur pro remotione ejus a quo est motus, sed
fieri pro adeptione ejus ad quod motus terminatur: a Deo autem nullo modo
aliquid removetur, etsi adveniat habitudo aliqua secundum rationem ; unde
etsi dicatur fieri aliquid, non debet dici mutari in illud. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier
lieu que tout comme les relations de
cette sorte ne posent pas quelque chose qui existe réellement en Dieu, mais
posent seulement selon la raison, il en est de même encore du fait que ces
noms s’attribuent à nouveau à Dieu, il ne s’ensuit pas qu’il y ait réellement
en Lui un devenir, mais seulement selon la raison comme le dit le Psalmiste [Psaume LXXXIX, 1] : «Seigneur, tu as été pour nous un refuge».
Cependant, bien qu’on concède qu’il y ait eu un devenir selon la raison,
comme le refuge ou d’autre chose de la sorte, cependant il ne faut dire en
aucune manière qu’il y a eu changement chez Dieu car le terme changement est
imposé pour l’éloignement du terme à partir duquel il y a mouvement, mais le
devenir est imposé pour l’atteinte du terme du terme auquel se termine le
mouvement. Mais rien n’est éloigné de Dieu de quelque manière que ce soit,
bien que lui advienne un rapport selon la raison ; d’où il résulte que
bien qu’il y ait un devenir, on ne doit pas dire qu’il y a un changement en
Lui. |
[2189] Super
Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, secundum
Magistrum, ista praedicantur per accidens, non quod in Deo sint, sed quod in
creaturis. Tamen intelligendum est, quod in istis nominibus est duo
considerare ; scilicet habitudines ipsas, et illud supra quod fundatur ratio
habitudinis in Deo ; sicut habitudo creationis habet pro fundamento in Deo
virtutem divinam, cujus est ducere res in esse de nihilo. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que d’après le Maître, ces termes s’attribuent par accident, non pas
qu’il y ait des accidents en Dieu, mais dans les creatures. Il faut cependant
comprendre qu’il y a deux choses à considerer dans ces noms, à savoir les
relations elles-mêmes et ce sur quoi se fonde la notion de relation en Dieu.
Par exemple la relation de creation a pour fondement en Dieu la puissance
divine à laquelle il appartient de faire passer la créature du néant à
l’existence. |
Si igitur
consideratur hoc quod habent pro fundamento in re divina, constat quod per se
dicuntur, et ab aeterno conveniunt quantum ad illud: quia essentia, virtus,
operatio divina ab aeterno est. Si autem consideratur ipsa habitudo, tunc per accidens de Deo
dicuntur quantum ad hoc. Accidens autem dupliciter dicitur: aut secundum quod
nominat naturam accidentis condivisam substantiae ; et sic in Deo nihil est
accidens ; aut secundum quod nominat aliquid per aliud conveniens ; sicut
dicimus, quod album aedificat per accidens, quia adjungitur ei quod per se
est causa aedificationis, scilicet aedificatori ; et sic per accidens
convenit Deo referri ad aliud extra se. |
Si donc on considère ce que ces relations
ont pour fondement dans la réalité divine, il est clair qu’elle s’attribue
essentiellement et qu’elles conviennent à Dieu de toute éternité sous ce
rapport : car l’essence, la puissance et l’opération divines existent de
toute éternité. Mais si on considère la relation elle-même alors c’est
accidentellement que ces noms s’attribuent à Dieu sous ce rapport. Mais un
accident se dit de deux manières : soit selon qu’il signifie la nature
de l’accident condivisée à la substance et ainsi il n’y a en Dieu aucun
accident ; soit selon qu’il signifie quelque chose qui convient au moyen
d’un autre, comme lorsque nous disons que le blanc construit par accident,
parce qu’il s’unit à ce qui est par soi la cause de la construction, à savoir
au constructeur ; et c’est ainsi qu’il convient accidentellement à Dieu
de se rapporter à un autre en dehors de Lui. |
Non enim dicitur relative, nisi quia
aliud refertur ad ipsum ; sicut dicit philosophus, V metaph., text. 20, quia
scibile est relativum, non quia ipsum referatur, sed quia aliud refertur ad
ipsum. Nec tamen sequitur quod illa habitudo quae in Deo designatur, alteri
conveniat per se, sed magis respectus oppositus, quod est esse creaturam, vel
esse servum, vel aliquid hujusmodi. |
Le relatif en effet ne se dit que parce
qu’un autre se rapporte à lui ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 20], parce que
l’objet du savoir est relatif non pas parce que lui-même se rapporte ou est
relatif, mais parce qu’un autre se rapporte à lui. Et cependant il ne
s’ensuit pas que cette relation qui est désignée en Dieu convienne
essentiellement à un autre, mais plutôt le rapport opposé, à savoir celui
d’être une créature, d’être un esclave ou quelque rapport de la sorte. |
[2190] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest proprie dici praedicatio per
causam ; nisi forte intelligatur quod hujusmodi nomina praedicant habitudinem
alicujus causae. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’on ne
peut à proprement parler d’attribution par la cause, à moins peut-être qu’on
entende par là que les noms de cette sorte attribuent la relation d’une
cause. |
[2191] Super
Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum patet responsio per id quod ad
secundum dictum est ; quia eodem modo praedicantur necessario quo per se, et
eodem modo contingenter quo per accidens ; non tamen sequitur aliquid contingens
in Deo esse. |
4. La réponse à la quatrième
difficulté est évidente au moyen de ce qui a été dit dans la solution à la
deuxième difficulté; car la raison pour laquelle l’essentiel s’attribue
nécessairement est la même que celle pour laquelle l’accidentel s’attribue de
façon contingente; il ne s’ensuit cependant pas qu’il existe quelque chose de
contingent en Dieu. |
|
|
Articulus 2 [2192] Super Sent., lib. 1
d. 30 q. 1 a. 2 tit. Utrum quae dicuntur de Deo ex tempore, significent
divinam essentiam |
Article 2 – Ce qui est dit de Dieu en rapport avec le temps signifie-t-il son essence ? |
[2193] Super
Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum
sic proceditur. Videtur
quod hujusmodi nomina quae de Deo dicuntur ex tempore, non significent
divinam essentiam. Essentia enim divina est aeterna. Sed haec non dicuntur de
Deo ab aeterno. Ergo non significant divinam essentiam. |
Difficultés : 1. Il semble que de tels
noms, ceux qui s’attribuent à Dieu en la dépendance du temps, ne signifient
pas l’essence divine. L’essence divine en effet est éternelle. Mais ces noms
ne se disent pas de Dieu de toute éternité. Ils ne signifient donc pas
l’essence divine. |
[2194] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 2 arg. 2 Praeterea, Deus dicitur ex tempore patientia nostra et spes nostra,
et hujusmodi. Sed hujusmodi, quia habent imperfectionem annexam, non possunt
convenire divinae essentiae ; sicut dicitur quod divina essentia est caritas,
de cujus intellectu non est aliqua imperfectio. Ergo videtur quod non omnia
quae de Deo dicuntur ex tempore, significent divinam essentiam. |
2. Par ailleurs, on dit de Dieu en la
dépendance du temps qu’il est notre patience et notre espérance. Mais de tels
termes, parce qu’ils contiennent une imperfection qui leur est annexée, ne
peuvent convenir à l’essence divine ; par exemple lorsqu’on dit que
l’essence divine est l’amour, dans la définition de laquelle on ne retrouve
pas une imperfection. Il semble donc que ce ne sont pas tous les noms qui se
disent de Dieu dans la dépendance du temps qui signifient l’essence divine. |
[2195] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 2 arg. 3 Praeterea, divina essentia est communis tribus personis. Sed
quaedam dicuntur de Deo ex tempore quae non conveniunt tribus personis, ut
missus, donatus, et hujusmodi. Ergo non omnia significant divinam
essentiam. |
3. Par
ailleurs, l’essence divine est commune aux trois personnes. Mais certains
noms se disent de Dieu dans la dépendance du temps sans nécessairement
convenir aux trois personnes, comme ¨l’envoyé¨, ¨le don¨, et les termes de
cette sorte. Donc, ce ne sont pas tous ces noms qui signifient l’essence
divine. |
[2196] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 2 arg. 4 Item, Deus ex tempore dicitur homo. Sed homo significat humanam
naturam ; quae in incarnatione non est admixta divinae naturae, sed remansit
ab ea distans. Ergo videtur quod ea quae dicuntur ex tempore, non significent
divinam essentiam. |
4. En outre, Dieu est appelé homme en la
dépendance du temps. Mais ¨homme¨ signifie la nature humaine, laquelle dans
l’incarnation n’est pas mélangée à la nature divine mais demeure distincte
d’elle. Il semble donc que les termes qui se disent en la dépendance du temps
ne signifient pas l’essence divine. |
[2197] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 2 s. c. 1 Contra est quod magistri dicunt, quod omne nomen connotans
effectum in creatura, significat divinam essentiam. Sed ea quae ex tempore de
Deo dicuntur, dicuntur in respectu ad creaturam, ut dictum est. Ergo
significant divinam essentiam. |
Cependant : 1. Ce que les maîtres disent, à savoir
que tout nom qui dénote un effet dans la créature signifie l’essence divine,
est contraire à ces objections. Mais ces
noms qui se disent en la dépendance du temps, ainsi que nous l’avons
déjà dit, se disent par rapport à la créature. Ils signifient donc l’essence
divine. |
[2198] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 2 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit, II cap. de div nom., col. 635, quod
omnem beneficam Dei nominationem, de quacumque divinarum personarum dicatur,
in tota deitate oportet in observantiam accipi. Sed omnia quae
dicunt habitudinem ad creaturam, nominant aliquod beneficium in creaturis.
Ergo ad totam Trinitatem pertinent sine distinctione ; et sic idem quod
prius.[19] |
2. Par ailleurs, Denys [Les
Noms Divins, ch. 11, col. 635] dit que toute dénomination de la bienveillance
de Dieu, de quelque personne divine qu’elle se dise, doit être recue à
l’égard de toute la divinité. Mais tous les noms qui se disent en rapport à
la créature nomment un bienfait de Dieu dans la créature. Ils se rapportent
donc à toute la Trinité sans distinction. Et ainsi la conclusion est la même
que précédemment en 1. |
[2199] Super
Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est,
art. 1 istius quaest., nihil ex tempore de Deo dicitur nisi quod importat habitudinem
ad creaturam. Habitudo autem Dei ad creaturam potest designari dupliciter: vel secundum
quod creatura refertur in ipsum sicut in principium ; vel secundum
quod creatura refertur in ipsum ut in terminum. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire, comme nous
l’avons déjà dit dans l’article 1 de cette question, que rien ne se dit de
Dieu en la dépendance du temps, sauf ce qui implique un rapport à la
créature. Mais le rapport de Dieu à la créature peut être désigné de deux
manières : Soit selon que la créature se rapporte à
lui comme à son principe. Soit selon que le créature se rapporte à
lui comme à son terme. |
Si primo modo, hoc contingit
dupliciter: aut enim propria praedicatione
praedicatur aliquid de Deo ex tempore, quod designat habitudinem principii ad
principiatum ; aut aliquid quod designat ipsum
principiatum a Deo, sicut quando est praedicatio per causam, ut cum dicitur,
Deus est spes nostra. |
Si c’est de
la première manière, cela est possible de deux manières : Ou bien en effet quelque chose s’attribue à Dieu en
la dépendance du temps par une attribution propre qui désigne le rapport du
principe à ce qui procède du principe, ou bien quelque chose qui désigne cela
même qui procède de Dieu comme principe, comme lorsqu’il y a attribution par
la cause, comme lorsqu’on dit que Dieu est notre espérance. |
Si primo modo, hoc contingit
dupliciter: aliquando enim nomen imponitur ad
significandum ipsam habitudinem ; sicut hoc nomen dominus, et hujusmodi, quae
sunt relativa secundum esse, et alia dicta de Deo, sunt quidem relativa, quia
etiam significant ex primo suo intellectu habitudinem quae secundum rationem
est in Deo ; sed ex consequenti faciunt intellectum essentiae, secundum quod
talis habitudo fundatur in aliquo essentiali. |
Si c’est de la première manière, cela est
possible de deux manières : Parfois en effet le nom
est imposé pour signifier le rapport lui-même, comme le nom de ¨seigneur¨ et
les noms de cette sorte, qui sont relatifs selon l’existence et les autres
qui sont certes relatifs car ils renvoient eux aussi, de par leur première
signification, à la relation qui est en Dieu selon la raison ; mais par
conséquent ils font connaître l’essence, selon qu’un telle relation se fonde
sur quelque chose d’essentiel. |
Aliquando autem nomen imponitur ad
significandum illud supra quod fundatur habitudo, sicut hoc nomen scientia,
qualitatem, quam consequitur respectus quidam ad scibile. Unde ista talia non
sunt relativa secundum esse ; sed solum secundum dici. Unde ista
principaliter dant intelligere rem alterius praedicamenti, et ex consequenti
important relationem. |
Mais parfois le nom est imposé pour
signifier ce sur quoi se fonde la relation, comme le nom de science signifie
la qualité d’où découle un certain rapport à l’objet connaissable. C’est
pourquoi les noms de cette sorte ne sont pas relatifs quant à l’existence ,
mais seulement quant à l’appellation. D’où il résulte que ceux-là donnent
surtout à compredre une réalité appartenant à un autre prédicament. |
Ita etiam in divinis ; ut patet in hoc
nomine creator, quod imponitur ad significandum divinam actionem, quae est
ipsius essentiae, quam consequitur habitudo quaedam ad creaturam: et ista
principaliter essentiam significant, et ex consequenti important respectum ad
creaturam. Et similis ratio est in illis in quibus est praedicatio per causam
; quia tales locutiones resolvuntur in habitudines causae, ut cum dicitur:
Deus est patientia nostra, idest causa patientiae nostrae ; et in omnibus
istis quae dicuntur de Deo ex tempore, et important habitudinem principii ad
principiatum, verum est quod conveniunt toti Trinitati. Si
autem consideretur relatio creaturae ad creatorem ut ad terminum, possibile
est quod talis relatio creaturae sit ad aliquid essentiale, vel ad aliquid
personale. |
Il en est ainsi encore pour les
personnes divines comme on le voit pour le nom de ¨créateur¨, qui est impose
pour signifier l’action divine qui appartient à son essence d’où découle un
rapport à la créature: et ces noms signifient principalement l’essence et
impliquent principalement un rapport à la créature. Et le raisonnement est le
même pour ces noms dans lesquels il y a attribution par la cause car de tells
locutions s’expliquent dans des relations de causes, comme lorsqu’on dit que
Dieu est notre patience, c’est-à-dire la cause de notre patience; et pour
tous ces noms qui s’attribuent à Dieu en la dépendance du temps et impliquent
un rapport du principe à ce qui en procède, il est vrai qu’ils conviennent à
toute la Trinité. Mais si on considère la relation de la créature au créateur
comme à son terme, il est possible qu’une telle relation de la créature se
rapporte à quelque chose d’essentiel ou à quelque chose de personnel. |
Contingit
autem hoc tripliciter. Aut secundum
operationem, sicut aliquis potest intelligere vel nominare Deum vel
paternitatem. Vel secundum
exemplaritatem, sicut in creatione rerum est terminatio in similitudinem
essentialium attributorum, et in infusione caritatis est terminatio in
similitudinem processionis personalis Spiritus sancti. Vel est terminatio secundum esse ; et
iste modus est singularis in incarnatione, per quam humana natura assumpta
est ad esse et unitatem divinae personae, non autem ad unitatem divinae
naturae. Sed ista relatio qua creatura refertur in Deum ut ad
terminum, includit ex consequenti in se relationem quae est ad Deum ut ad
principium. |
Mais cela est possible de trois
manières. Soit selon l’opération, tout comme quelqu’un peut concevoir ou nommer
Dieu ou la paternité. Soit selon l’exemplarité, tout comme la création des choses se termine
à une ressemblance des attributs essentiels et que l’infusion de la charité
se termine à une resemblance de la procession personnelle de l’Esprit-Saint. Soit encore la relation de la créature au créateur comme à son terme
se termine à l’existence; et cette manière est unique dans le cas de
l’incarnation par laquelle la nature humaine est prise en vue de l’existence
et de l’unité de la personne divine, mais non en vue de l’unité de la nature
divine. Mais cette relation par laquelle la créature se rapporte à Dieu comme
à son terme comprend par conséquent en elle-même la relation qui se rapporte
à Dieu comme à son principe. |
Unde in
omnibus quae dicuntur de Deo secundum habitudinem ad creaturam, ex eo quod
creatura refertur in ipsum ut terminum, considerandum est quod quantum ad
habitudinem termini, possunt tantum convenire personae: sed ratio principii,
quae ibi includitur, ex consequenti convenit toti Trinitati. Unde secundum
habitudinem unam possunt facere intellectum personae, et secundum aliam
faciunt intellectum essentiae ; sicut patet, cum dicitur incarnatus, hoc
tantum Filio competit, quia ad solam personam Filii incarnatio terminata est,
quam tamen tota Trinitas fecit. |
Mais pour ce qui est de tous
les noms qui se disent de Dieu selon la relation à la créature, du fait que
la créature se rapporte à lui comme à son terme, il faut considerer que quant
à la relation de terme, ils ne peuvent convenir qu’à la personne: mais la
notion de principe qui y est incluse convient par conséquent à toute la
Trinité. D’où il résulte que selon une relation ils peuvent faire connaître
la personne et que selon une autre ils peuvent faire connaître l’essence.
Nous voyons par exemple, lorsque nous disons que Dieu s’est incarné, que cela
n’appartient qu’au Fils car l’incarnation a pour terme le seul Fils, même si
elle est l’oeuvre de toute la Trinité comme principe. |
[2200] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod hujusmodi nomina conveniunt Deo ex
tempore, ratione habitudinis importatae vel principaliter, ut cum dicitur
Dominus ; vel ex consequenti, [vel principaliter, vel ex consequenti.
principaliter, éd. de Parme] ut cum dicitur creator: et illa habitudo non est
in divina essentia, nec aliqua res in Deo ; sed secundum essentiam, in qua
fundatur talis habitudo, hujusmodi conveniunt Deo ab aeterno, quasi
habitualiter. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
de tels noms conviennent à Dieu en la dépendance du temps en raison de la
relation impliquée soit à titre de principe, comme lorsqu’on dit dit
Seigneur, soit à titre de conséquent [soit à titre de principe soit à titre
de conséquent. À titre de principe Éd.
de Parme], comme lorsqu’on dit créateur : et cette relation n’est
pas dans l’essence divine, comme aucune chose n’est en Dieu ; mais c’est
selon l’essence sur laquelle se fonde une telle relation que de tels termes
conviennent à Dieu de toute éternité à la manière d’un habitus. |
[2201] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia Dei non est patientia vel spes
; nec hoc significatur, cum dicitur, Deus est spes nostra: sed significatur
circa divinam essentiam habitudo causae respectu talis effectus in nobis. Unde
simile est de his, et de aliis. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que l’essence de Dieu n’est pas la patience ou
l’espérance ; et ce n’est pas cela qui est signifiéé lorsqu’on dit que
Dieu est notre espérance : mais ce qui est signifié, c’est la relation
de cause dans l’essence divine par rapport à un tel effet qui existe en nous.
D’où il résulte qu’il en est de même pour ces noms et pour les autres. |
[2202] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missus, incarnatus et hujusmodi important
duas habitudines, scilicet termini et principii: quarum una, scilicet
habitudo principii, convenit toti Trinitati ; unde dicimus, quod tota
Trinitas mittit vel facit incarnationem ; sed altera convenit alicui personae
determinatae, propter quod hujusmodi nomina non de tota Trinitate dicuntur. |
3. Il faut dire en troisième lieu que ces
noms, à savoir ¨l’envoyé¨, ¨l’incarné¨ et les autres de cette sorte
impliquent deux relations, à savoir celle de terme et celle de
principe : dont la première, à savoir la relation de principe, convient
à toute la Trinité ; c’est pourquoi nous disons que c’est toute la
Trinité qui envoie ou qui produit l’incarnation ; mais la deuxième
relation ne convient qu’à une seule personne déterminée et c’est pour cette
raison que de tels noms ne s’attribuent pas à toute la Trinité. |
[2203] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus dicitur esse homo, inquantum
suppositum divinae naturae, scilicet Filius, subsistit in humana natura per
unionem. Haec autem unio, relatio quaedam est, realiter in
creatura assumpta existens ; quae quidem considerata secundum habitudinem ad
terminum, sic terminatur ad personam Filii, in qua est facta unio ; sed
secundum habitudinem ad principium, sic refertur ad totam Trinitatem, quae
unionem fecit. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’on dit de Dieu qu’il est homme en tant qu’il est le suppôt de la
nature divine, à savoir lorsqu’on parle du Fils qui subsiste dans la nature
humaine à laquelle il est uni. Mais cette union est une certaine relation qui
existe réellement dans la créature qui a été prise; mais cette union certes,
considérée selon la relation au terme se termine ainsi à la personne du Fils
dans laquelle l’union a été faite; mais selon sa relation au principe, alors
elle se rapporte à toute la Trinité qui a fait cette union. |
|
|
Utrum habitudines designatae in nominibus dictis de Deo ex tempore,
sint realiter in Deo |
Article 3 – Est-ce que les relations désignées dans les noms attribués à Dieu en la dépendance du temps existent réellement en Dieu ? |
[2205] Super
Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 1. Ad tertium sic proceditur. Videtur quod habitudines designatae in
istis nominibus, realiter in Deo sint. Nomen enim et ratio cui non subest
aliquid in re, est vana vel falsa. Sed non vane et falso dicimus et cogitamus
Deum dominum et creatorem. Ergo hujusmodi nomina habent
relationes quas significant, respondentes sibi realiter in Deo. |
Difficultés : 1. Il semble que les
relations désignées dans ces noms existent réellement en Dieu. En effet, le
nom et la notion à laquelle rien ne correspond dans la chose sont vains et
faux. C’est ce n’est ni en vain ni faussement que nous disons et pensons que
Dieu est seigneur et créateur. Donc, à ces relations que ces noms signifient
correspondent des relations qui existent réellement en Dieu. |
[2206] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 3 arg. 2. Praeterea, illud quod est secundum rationem tantum, cessante
intellectu ratiocinante non remanebit. Sed si nullus esset ratiocinans, adhuc
Deus esset dominus et creator. Ergo hujusmodi nomina significant aliquid
realiter in Deo existens, et non secundum rationem tantum. |
2. Par ailleurs, ce qui n’existe que selon
la raison ne demeurera pas lorsque l’intelligence aura cessé de raisonner.
Mais s’il n’y avait personne pour raisonner, Dieu serait encore seigneur et
créateur. Donc de tels noms signifient quelque chose qui existe réellement en
Dieu et non seulement selon la raison. |
[2207] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 3 arg. 3. Item, omni relationi respondet suum correlativum, quod sibi opponitur.
Sed cum dicimus creaturam servire, importatur aliqua relatio in creatura
realiter existens. Ergo oportet oppositam relationem alicubi ponere. Sed non
est in creatura, quia tunc creatura esset domina sui ipsius, et creator sui
ipsius ; et oppositi respectus essent in eodem. Ergo oportet
quod in Deo realiter ponantur oppositi respectus relationibus creaturae ad
Deum. |
3. En outre, à toute relation
correspond son corrélatif qui lui est opposé. Mais lorsque nous disons que la
créature est soumise, une relation est impliquée qui existe réellement dans
la créature. Il faut donc poser quelque part une relation oppose. Mais ce ne
peut être dans la créature car alors la créature serait le maître par rapport
à elle-même et créatrice d’elle-même et les rapports opposés existeraient
dans un même sujet. Il faut donc poser réellement en Dieu les rapports
opposés aux relations de la créature à l’égard de Dieu. |
[2208] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 3 arg. 4 Praeterea, illa relativa in quibus non est relatio secundum rem,
invenimus esse ad aliquid secundum dici tantum, sicut scibile, de quo dicit
philosophus, V Metaph., text. 20, quod est relatum quia aliud refertur ad
ipsum. Sed de Deo dicuntur quaedam relativa quae sunt ad aliquid et secundum
suum esse, ut dominus, rex, et hujusmodi. Ergo saltem
illa aliquam relationem realem in Deo significant. |
4. Par
ailleurs, ces termes relatifs dans lesquels il n’y a pas une relation réelle,
nous trouvons qu’ils sont relatifs à quelque chose d’après l’appellation
seulement, comme l’objet du savoir au sujet duquel le Philosophe [V Métaphysique, texte 20] dit qu’il est
relatif parce qu’un autre se rapporte à lui. Mais certains termes relatifs
s’attribuent à Dieu qui sont relatifs aussi quant à son existence, comme les
termes ¨seigneur¨, ¨roi¨, et d’autres de la sorte. Donc ces termes signifient
du moins une relation réelle en Dieu. |
[2209] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 3 s. c. 1. Contra, in Deo nihil est nisi aeternum ; quia quidquid est in
Deo, Deus est. Sed hujusmodi habitudines non sunt aeternae ; propter quod nec
nomina earum ab aeterno de Deo dicuntur. Ergo non sunt realiter in Deo. |
Cependant : 1. Au contraire, il n’y a rien en Dieu
qui ne soit pas éternel car tout ce qui est en Dieu est Dieu. Mais de telles
relations ne sont pas éternelles et c’est à cause de cela que leurs noms ne
s’attribuent pas à Dieu de toute éternité. Elles n’existent donc pas
réellement en Dieu. |
[2210] Super
Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod secundum theologos et philosophos verum est communiter, quod
relationes quibus Deus ad creaturam refertur, non sunt in Deo secundum rem,
sed secundum rationem tantum ; quia intellectus noster non potest accipere
aliquid relative ad alterum dici, nisi ipsum sub opposita habitudine intelligat. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire qu’auprès des
théologiens et des philosophes, il est communément admis comme vrai que les
relations par lesquelles Dieu se rapporte aux créatures n’existent pas en
Dieu en réalité mais seulement selon la raison ; car notre intelligence
ne peut admettre que quelque chose se dise relativement à l’égard d’un autre
que s’il le comprend lui-même sous une relation opposée. |
Sciendum tamen est, quod ratio in
intellectu rerum tripliciter se habet. Quandoque enim apprehendit aliquid
quod est in re secundum quod apprehenditur, ut quando apprehenditur forma
lapidis. Quandoque vero apprehendit aliquid
quod nullo modo in re est, ut quando quis imaginatur Chimaeram, vel aliquid
hujusmodi. |
Il faut cependant savoir que la raison se
présente de trois manières dans la compréhension des choses.Parfois en effet
elle appréhende quelque chose qui est dans la réalité selon qu’elle est
appréhendée, comme lorsqu’on appréhende la forme de la pierre. Mais parfois elle appréhende
quelque chose qui n’existe nullement dans la réalité, comme lorsque quelqu’un
imagine une Chimère ou quelque chose de la sorte. |
Aliquando autem apprehendit aliquid
cui subest in re natura quaedam, non tamen secundum rationem qua
apprehenditur ; sicut patet quando apprehendit intentionem generis
substantiae, quae in re est natura quaedam non determinata secundum se ad
hanc vel ad illam speciem ; et huic naturae apprehensae, secundum modum quo
est in intellectu apprehendente, qui ex omnibus accipit unum quid commune in
quibus invenitur natura illa, attribuit rationem generis, quae quidem ratio
non est in re. Ita etiam est in hujusmodi relationibus, quas intellectus
noster attribuit Deo. Invenit enim in ipso virtutem et essentiam et
operationem, qua creatura producitur in ipsum relationem habens ; et ideo
essentiae illi vel operationi habitudinem attribuit, et secundum quod
intelligit, nomina relativa imponit. |
Mais parfois la raison appréhende quelque
chose au fond de quoi se cache dans la chose une certaine nature, mais non
pas cependant selon le rapport par lequel elle est appréhendée ; on le
voit par exemple quand la raison appréhende l’intention du genre de la
substance qui dans la chose est une certaine nature mais qui n’est pas
déterminée par elle-même à telle ou telle autre espèce ; et à cette
nature appréhendée selon le mode par lequel elle existe dans l’intelligence
de celui qui appréhende et qui reçoit une même notion commune à partir de
tous ceux dans lesquels se trouve cette nature, la raison attribue la notion
de genre, laquelle notion n’existe certes pas dans la chose. Il en est encore
ainsi dans les relations de cette sorte que notre intelligence attribue à
Dieu. Notre intelligence trouve en effet en Dieu la puissance, l’essence et
l’opération par lesquelles la créature est produite en ayant une relation à
son égard ; et c’est pourquoi il attribue la relation à cette essence ou
à cette opération et leur impose des noms relatif conformément à ce qu’il y
comprend. |
[2211] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 3 ad 1 Unde patet responsio ad primum: quia intellectus noster neque
cassus neque vanus est, quia habet aliquid respondens in re, quamvis non
secundum modum quo est in ratione ; sicut etiam intellectus mathematicorum
non est falsus neque vanus est, quamvis nulla linea sit abstracta a materia
in re, sicut ipsi considerant. Unde dicit philosophus, II Physic., text.
18 : abstrahentium non est mendacium. |
Solutions : Et de là la réponse à la première
difficulté est évidente : car notre intelligence n’est ni creuse ni
vaine, car elle possède quelque chose qui lui correspond dans la chose, bien
que ce ne soit pas selon le mode par lequel cette nature existe dans la
raison, tout comme aussi l’intelligence des mathématiciens n’est pas fausse
ni vaine, bien que dans la réalité il n’existe aucune ligne qui soit
abstraite de la matière, telle qu’eux-mêmes la considèrent néanmoins. C’est
pourquoi le Philosophe dit [11 Physique,
texte 18] : Il n’y a pas de mensonge chez ceux qui font abstraction. |
[2212] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiamsi nullus intellectus esset, adhuc
in Deo esset ; unde vere dominus et dici et intelligi posset, scilicet
potentia coercendi subditos ; sed non diceretur vel intelligeretur dominus secundum
actum. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que même si aucune intelligence n’existait, il y en aurait
encore une en Dieu ; d’où il résulte que Dieu pourrait encore
véritablement être compris comme tel et dénommé seigneur, c’est-à-dire par la
puissance de contenir les sujets ; mais il ne pourrait être compris
comme tel et dénommé seigneur en acte. |
[2213] Super Sent., lib. 1 d.
30 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod relativorum invenitur triplex
diversitas. Quaedam sunt quorum utrumque importat relationem non in re
existentem sed in ratione tantum ; sicut quando ens refertur ad non ens, vel
relatio ad relationem, vel aliquid hujusmodi, ut supra, dist. 26, qu. 2, art.
1, dictum est. |
3. Il
faut dire en troisième lieu qu’on retrouve trois sortes de relatifs. Il y en
a certains dont les deux impliquent une relation qui n’existe pas dans la
chose mais dans la raison seulement : par exemple quand l’être se
rapporte au non-être, ou la relation à la relation, ou quelque chose d’autre
de la sorte comme nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 2, art. 1]. |
Quaedam vero quorum alterum importat
relationem realem, et alterum relationem rationis tantum, sicut Pater et
Filius [quaedam… Filius om. Ed de Parme], sicut scientia et scibile. Et
hujusmodi diversitatis ratio est, quia illud supra quod fundatur relatio,
quandoque invenitur in altero tantum, et quandoque in utroque ; ut patet quod
relatio scientiae ad scibile fundatur supra apprehensionem secundum esse
spirituale. |
Mais il y en a certains dont les deux impliquent
une relation réelle, comme le Père et le Fils. Il y en a d’autres enfin dont
l’un implique une relation réelle et l’autre une relation de raison
seulement, comme c’est le cas pour la science et l’objet connaissable. Et la
raison d’une telle diversité est que ce sur quoi se fonde la relation se
retrouve parfois dans l’un seulement et parfois dans les deux, comme on voit
que la relation de la science à l’objet connaissable se fonde sur une
appréhension selon l’existence spirituelle. |
Hoc autem esse spirituale in quo
fundatur relatio scientiae, est tantum in sciente et non in scibili, quia ibi
est forma rei secundum esse naturale ; et ideo relatio realis est in
scientia, non est in scibili. E contrario est de amante et amato ; quia
relatio amoris fundatur super appetitum boni ; bonum autem non est aliquid
existens tantum in anima, sed etiam in rebus. |
Mais cette existence spirituelle sur
laquelle se fonde la relation de science n’existe que dans le sujet de la
science et on dans l’objet connaissable dans lequel la forme de la chose
n’existe que selon une existence naturelle ; et c’est pourquoi la
relation réelle est dans la science et non dans l’objet connaissable. Il en
est autrement pour l’amant et l’objet aimé car la relation de l’amour se fonde
sur l’appétit du bien et le bien n’existe pas seulement dans l’âme mais aussi
dans les choses. |
Unde dicit philosophus, VI Metaph.,
text. 2, quod bonum et malum sunt in rebus ; verum et falsum in anima ; et
ideo dicit Avicenna, tract. III, Metaph., cap. X, quod in amante et amato, in
utroque relativorum est invenire dispositionem per quam referatur ad alterum
; non in sciente et scibili ; et ideo utrobique relatio realis est ; sic
etiam aequalitas, quae immediate fundatur supra quantitatem, quae in utroque
est. |
Partant de là, le Philosophe [ VI
Métaphysique, texte 2] dit que le bien et le mal sont dans les choses mais
que le vrai et le faux sont dans l’âme ; et c’est pourquoi Avicenne [111
Métaphysique, ch. X] dit que pour l’amant et l’objet aimé, il faut retrouver
dans chacun des relatifs une disposition par laquelle il se rapporte à
l’autre, mais qu’il n’en est pas ainsi pour celui qui sait et l’objet du
savoir ; et c’est pourquoi la relation est réelle de part et
d’autre ; et il en est de même encore pour l’égalité, laquelle se fonde
immédiatement sur la quantité, qu’on retrouve réellement dans chacune des
quantités égales. |
Et quia omnes relationes creaturae ad
Deum fundantur supra modum quo accipiunt a Deo, qui in Deo non est, quia non
consequuntur perfectum modum secundum quem Deus in eis operatur ; ideo
relationibus quae sunt in creatura, non respondet aliqua relatio in Deo
realiter ; sed relationi quam Filius accipit a Patre, respondet aliqua
relatio in Patre ; quia secundum unum et eumdem modum et eamdem rationem
Pater dat, et Filius accipit naturam divinam. |
Et parce que toutes les relations de la
créature à Dieu se fondent sur un mode par lequel elles reçoivent de Dieu,
mode qui n’est pas en Dieu, parce qu’elles n’égalent pas le mode parfait
selon lequel Dieu opère en elles, c’est pourquoi aux relations qui sont dans
la créature ne correspond pas une relation réelle en Dieu, mais c’est
seulement à la relation que le Fils reçoit du Père que correspond une
relation dans le Père car c’est d’après un seul et même mode et d’après une
même raison que le Père donne et que le Fils reçoit la nature divine. |
[2214] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1
a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud non facit ad propositum ; quia de
utrisque relativis inveniuntur aliqua quae important relationem realem, et
quae important relationem rationis ; sicut idem importat relationem rationis,
quamvis sit relativum secundum esse ; et scientia importat relationem realem,
quamvis sit relativum secundum dici. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que cela
ne répond pas au propos ; car c’est pour les deux sortes de relatifs
qu’on en retrouve certains qui impliquent une relation réelle et d’autres qui
impliquent une relation de raison, tout comme ¨le même¨ implique une relation
de raison bien qu’il soit un relatif selon l’existence et ¨la science¨
implique une relation réelle, bien qu’elle soit un relatif selon
l’appellation. |
|
|
Distinctio 31 |
Distinction 31 – [Egalité et appropriation] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
|
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [L’égalité des Personnes] |
Prooemium |
Prologue |
Hic
quatuor quaeruntur: 1
de aequalitate ; 2
de appropriatione in communi ; 3
de ratione appropriationis Hilarii ; 4
de appropriatione Augustini. |
La recherche porte ici sur quatre
points : 1. Sur l’égalité. 2. Sur l’appropriation en
général. 3. Sur la notion
d’appropriation de Saint-Hilaire. 4. Sur l’appropriation de
Saint-Augustin. |
|
|
Articulus
1 lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 tit. Utrum aequalitas ponat aliquid in divinis |
Article 1 – L’égalité place-t-elle quelque chose en Dieu ? |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum, suppositis
his quae supra de aequalitate dicta sunt, 19 dist., quaest. 1, art. 1,
quaeritur, utrum aequalitas in divinis aliquid ponat: et videtur quod sic. Quidquid enim est in Deo et in
creaturis, nobilius est in Deo quam in creaturis. Sed aequalitas et
similitudo in creatura aliquid ponunt. Ergo et in Deo. |
Difficultés : 1. Au sujet du premier point, en supposant ce qui a
été dit plus haut [dist. 19, quest. 1, art. 1] sur l’égalité, on cherche à savoir
si l’égalité pose quelque chose en Dieu : et il semble qu’il en soit
ainsi. En effet, tout ce qui existe à la fois en Dieu et dans la créature,
existe en Dieu d’une manière plus excellente que dans les créatures. Mais
l’égalité et la similitude posent quelque chose dans la créature. Ils posent
donc aussi quelque chose en Dieu. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Arius damnatus est, quia aequalitatem
personarum negavit. Non autem fuisset haereticus, nisi aliquid negasset quod
in Deo est. Ergo aequalitas in divinis aliquid positive praedicat. |
2. Par
ailleurs, Arius fut damné parce qu’il niait l’égalité des personnes. Mais il
n’aurait été un hérétique que s’il avait nié quelque chose qui est en Dieu.
Donc l’égalité attribue positivement quelque chose à Dieu. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, aequalitas videtur
esse una essentia in tribus personis indifferens, ut in Littera dicitur. Sed
essentia indifferens, aliquid positive est in Deo. Ergo videtur quod et aequalitas. |
3. En
outre l’égalité semble être une seule et même essence commune aux trois
personnes, comme le dit la Lettre. Mais l’essence commune est quelque chose
qui existe positivement en Dieu. Il semble donc qu’il en soit de même pour
l’égalité. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, aequalitas est
relatio quaedam. Sed relatio aliquid positive praedicat, et non privative.
Ergo videtur quod aequalitas aliquid positive praedicet. |
4. Par
ailleurs, l’égalité est une certaine relation. Mais la relation attribue
positivement quelque chose et non par la privation. Il semble donc que
l’égalité attribue positivement quelque chose. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod a Magistro in Littera dicitur. |
Cependant :
1. Le Maître affirme le
contraire dans la Lettre. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in V Metaph., text.
26, quod aequale opponitur magno et parvo sicut duae privationes ; unde etiam
per privationem aequale definitur. Sed privatio nihil positive praedicat.
Ergo nec aequalitas. |
2. Par
ailleurs, le Philosophe [V Métaphysique,
texte 26] dit que l’égal s’oppose au grand et au petit comme deux
privations ; d’où l’égal se difinit aussi par la privation. Mais la
privation n’attribue rien positivement. Donc l’égal n’attribue rien
positivement. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
aequalitas est relatio quaedam fundata supra unitatem quantitatis ; et in
divinis fundata supra unitatem essentiae, prout significatur nomine
quantitatis virtualis, ut cum dicitur magnitudo, vel aeternitas vel potentia.
Unde
de aequalitate dupliciter convenit loqui: aut quantum ad unitatem
quantitatis, quae est causa ipsius ; aut quantum ad relationem consequentem.
Si quantum ad unitatem quantitatis, supra quam fundatur talis relatio, sic
ratio ejus consistit in privatione, sicut et ratio unitatis, ut supra dictum
est, dist. 24, quaest. 1, art. 3: et ideo dicit Philosophus, V Metaph., text.
6) quod aequale opponitur privative magno et parvo, sicut unum multo ; et
idem in Littera innuitur. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’égalité est une relation qui se fonde sur l’unité de la quantité ;
et dans les personnes divines elle se fonde sur l’unité de l’essence pour
autant qu’elle est signifiée par le nom d’une quantité virtuelle, comme
lorsqu’elle est appelée grandeur, éternité ou puissance. D’où il résulte
qu’il convient de parler de l’égalité de deux manières : soit quant à
l’unité de la quantité qui est la cause de l’égalité ; soit quant à la
relation qui en découle. Si on en parle quant à l’unité de la quantité sur
laquelle se fonde une telle relation, ainsi sa définition consiste dans la
privation, tout comme la définition de l’unité comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 24, quest. 1, art. 3] : et c’est pourquoi le Philosophe [V Métaphysique, texte 6] dit que l’égal
s’oppose par la privation au grand et au petit tout comme l’un s’oppose au
multiple ; et c’est la même chose qui est indiquée dans la Lettre. |
Si
autem consideretur aequalitas quantum ad relationem, sic aequalitas in
creaturis aliquid realiter ponit in utroque extremorum ; sed in divinis
personis nihil, nisi secundum rationem. Cujus ratio est, quia si poneret
aliquam relationem realem in personis, aut hoc esset ex parte essentiae quae
communis est, aut ex parte relationum, quibus distinguuntur. Non autem habet
ex parte essentiae quod sit relatio realis: quia essentia est una et eadem
numero, et idem ad seipsum non refertur aliqua relatione reali, ut supra
dictum est, dist. 26, quaest. 2, art. 1. Nec etiam ex parte personarum
relationibus constitutarum, quia relatio non refertur per aliquam relationem
realem mediam ; quia sic esset abire in infinitum. |
Mais si on
considère l’égalité quant à la relation, ainsi l’égalité dans les
créatures pose réellement quelque chose dans chacun des deux extrêmes ;
mais dans les personnes divines, elle ne pose rien si ce n’est selon la
raison. La raison en est que si l’égalité posait une relation réelle dans les
personnes, cela proviendrait soit du côté de l’essence qui est commune, soit
du côté des relations par lesquelles elles se distinguent. Mais l’égalité ne
peut tenir du côté de l’essence d’être une relation réelle car l’essence est
une et la même par le nombre et le même ne se rapporte pas à soi-même par une
relation réelle, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 2,
art. 1]. Et l’égalité ne peut non plus tenir cela du côté des personnes
constituées par les relations car la relation ne se rapporte pas à quelque chose au moyen d’une relation
réelle intermédiaire car il faudrait ainsi procéder à l’infini. |
Et
ideo dico cum Magistro, quod aequalitas non ponit nisi relationem secundum
nomen vel secundum rationem, cum de Deo dicitur ; sed verum est quod aliquid
ponit, scilicet unitatem essentiae, non quod sit de intellectu ejus, sed quod
praesupponitur ad intellectum ipsius, sicut est in privativis, et in illis
quae dicuntur de Deo ex tempore. |
Et c’est
pourquoi je dis avec le Maître que l’égalité, lorsqu’on parle de Dieu, ne
pose une relation que selon le nom ou selon la raison ; mais il est vrai
qu’elle pose quelque chose, à savoir l’unité de l’essence, non pas que cette
dernière fasse partie de sa définition, mais elle est présupposée à sa
définition comme c’est le cas aussi dans les privatifs et dans les choses qui
se disent de Dieu dans la dépendance du temps. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum,
quod ex parte unitatis universaliter sumptae, secundum quod unum convertitur
cum ente, nec in Deo nec in creatura aequalitas aliquid positive praedicat ;
sicut nec unitas, ut supra dictum est, dist. 24, quaest. 1, art. 3. Sed quia in
creaturis supposita aequalitatis sunt absoluta, ideo referuntur ad invicem
per relationem realem mediam: quod in divinis non competit. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que du côté de
l’unité prise universellement, selon que l’un se convertit avec l’être,
l’égalité n’attribue rien positivement, ni en Dieu ni dans la créature, tout
comme l’unité, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 24, quest. 1, art.
3]. Mais parce que dans les creatures les suppôts de l’égalité sont absolus,
c’est pourquoi ils se rapportent l’un à l’autre par une relation réelle
intermédiaire, ce qui n’a pas lieu dans les personnes divines. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis aequalitas sit secundum
rationem, relatio tamen habet aliquid in re respondens, ratione cujus dicitur
haereticus qui aequalitatem negat ; sicut et qui negaret Deum esse dominum,
quamvis illa relatio nihil secundum rem ponat in Deo. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien qu’il y ait égalité selon la
raison, la relation a cependant quelque chose qui lui correspond dans la
réalité, en raison de quoi est appelé hérétique celui qui nie l’égalité, tout
comme serait appelé hérétique celui qui nierait que Dieu est seigneur, bien
que cette relation ne pose rien en Dieu en réalité. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in creaturis
aequalitas non est una quantitas plurium, sed relatio includens talem
unitatem ; ita in divinis aequalitas non est una essentia, sed relatio
secundum intellectum, consequens essentiae unitatem. |
3. Il faut dire en troisième lieu que tout comme dans les creatures
l’égalité n’est pas une seule et même quantité pour plusieurs, mais plutôt la
relation qui inclut une telle unite, de même dans les personnes divines
l’égalité n’est pas une seule et même essence, mais une relation selon
l’intelligence qui découle de l’unité de l’essence. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa relatio non potest esse
realiter in Deo ; et ideo non sequitur quod aliquid ponat ex hoc quod
relative dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que cette
relation ne peut exister réellement en Dieu ; et c’est pourquoi il ne
s’ensuit pas qu’elle pose quelque chose du fait qu’elle se dise relativement.
|
|
|
Articulus
2 lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 tit. Utrum attributa essentialia hujusmodi debeant appropriari
divinis personis |
Article 2 – Les attributs essentiels de ce genre doivent-ils être appropriés aux personnes divines ? |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod hujusmodi essentialia
attributa personis divinis appropriari non debeant. Quod enim pluribus
commune est, nulli eorum debet appropriari. Sed omnia attributa sunt communia
tribus personis. Ergo
et cetera. |
Difficultés : 1. ll semble que de tels
attributs essentiels ne doivent pas être appropriés aux personnes divines. En
effet, ce qui est commun à plusieurs ne doit être approprié à aucun d’entre
eux. Mais tous ces attributs sont communs aux trois personnes. Ils ne doivent
donc pas être appropriés. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, de similibus idem est judicium. Sed omnia
haec attributa significant essentiam communem. Ergo videtur quod omnia
debeant appropriari, vel nullum ; et quod omnia uni personae approprientur. |
2. Par ailleurs, on doit porter un même
jugement sur des cas semblables. Mais tous ces attributs signifient l’essence
commune. Il semble donc que tous doivent être attribués ou qu’aucun ne doive
l’être, et que tous soient appropriés à une seule et même personne. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, appropriatum secundum rationem sequitur
proprium, quia proprium cadit in ratione appropriati. Sed attributa essentialia non
sequuntur propria secundum intellectum ; quia possunt intelligi propriis non
intellectis, sicut est apud infideles. Ergo non debent dici appropriata. |
3. En
outre, ce qui est approprié selon la raison découle de ce qui est propre car
le propre tombe dans la définition de l’approprié. Mais les attributs
essentiels ne découlent pas du propre selon l’intelligence car ils peuvent
être saisis par l’intelligence même si les propres ne sont pas saisis par
l’intelligence, comme on le voit chez les infidèles. On ne doit donc pas dire
des attributs essentiels qu’ils sont appropriés. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, nihil est faciendum a nobis quod possit
in errorem fidei vergere. Sed si aliquid commune approprietur uni, potest
vergere in errorem fidei, ut credatur aut tantum illi aut magis illi personae
convenire. Ergo
non debemus attributa essentialia personis appropriare. |
4. Par
ailleurs, nous ne devons rien faire qui puisse tendre à nous écarter de la
vérité de la foi. Mais si un attribut commun est approprié à une seule
personne, cela pourrait nous incliner à une erreur touchant la foi, comme de
croire que cet attribut appartiendrait seulement ou danvantage à telle
personne. Nous ne devons donc pas approprier les attributs essentiels aux
personnes. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est auctoritas Hilarii et Augustini in
Littera. |
Cependant : 1. Les témoignages de
Saint-Hilaire et de Saint-Augustin dans la Lettre disent le contraire. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, processiones
personarum distinguuntur et nominantur secundum diversas rationes
attributorum, inquantum dicimus quod Spiritus sanctus procedit per modum
voluntatis, et Filius per modum naturae. Ergo unum attributum, cui competit
ratio processionis personae, potest illi personae appropriari. |
2. Par ailleurs, les processions des personnes se
distinguent et sont dénommées d’après les différentes notions des attributs,
selon que nous disons que l’Esprit-Saint procède par mode de volonté et que
le Fils procède par mode de nature. Donc un même attribut, auquel convient la
notion de la procession d’une personne, peut être approprié à cette personne. |
lib.
1 d. 31 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de appropriatione dupliciter
convenit loqui: aut ex parte nostra, aut ex parte ipsius rei ; et utrobique
invenitur convenientia. Quamvis enim attributa essentialia communia sint
tribus, tamen unum secundum rationem suam magis habet similitudinem ad
proprium unius personae quam alterius, unde illi personae appropriari potest
convenienter. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il convient de parler de l’appropriation de deux manières : soit de
notre côté, soit du côté de la réalité elle-même ; et de part et d’autre
il est possible d’en parler convenablement. En effet, bien que les attributs
essentiels soient communs aux trois personnes, il est cependant possible que
l’un d’eux ait une plus grande ressemblance selon la raison avec ce qui est
propre à une personne qu’avec ce qui est propre à une autre, d’où il peut
convenablement être approprié à cette personne. |
Verbi
gratia. Potentia habet in ratione sua principium ; et ideo appropriatur
Patri, qui est principium non de principio ; et sapientia Filio, qui procedit
ut verbum ; et bonitas Spiritui sancto, qui procedit ut amor, cujus objectum
est bonum ; et ita similitudo appropriati ad proprium personae, facit convenientiam
appropriationis ex parte rei, quae esset etiam si nos non essemus ; sed ex
parte nostra facit convenientiam utilitas consequens. Invenitur enim
distinctio et ordo in attributis divinis et in personis ; sed differenter ;
quia in personis est distinctio et ordo realis, sed in attributis secundum
rationem. |
En d’autres mots, la puissance a raison de
principe et c’est pourquoi elle est appropriée au Père qui est le principe
sans principe ; et la sagesse est appropriée au Fils qui procède en tant
que verbe ; et la bonté est appropriée à l’Esprit-Saint qui procède en
tant qu’amour dont l’objet est le bien ; et ainsi la ressemblance de
l’approprié à l’égard de ce qui est propre à la personne produit la
convenance de l’appropriation du côté de la chose, laquelle existerait même
si nous n’existions pas. Mais de notre côté c’est l’utilité qui en découle
qui rend l’appropriation convenable. Nous rencontrons en effet une
distinction et un ordre dans les attributs divins et dans les personnes, mais
différemment car dans les personnes il y a distinction et ordre réel tandis
que dans les attributs il y a distinction et ordre selon la raison. |
Unde quamvis per attributa non possimus sufficienter
devenire in propria personarum, tamen inspicimus in appropriatis aliquam
similitudinem personarum, et ita valet talis appropriatio ad aliquam fidei
manifestationem, quamvis imperfectam ; sicut etiam ex vestigio et imagine
sumitur aliqua via persuasiva ad manifestationem personarum. |
D’où
il résulte que bien qu’au moyen des attributs nous ne puissions suffisamment
parvenir à ce qui est propre aux personnes, cependant nous découvrons dans
les appropriations une ressemblance ou une similitude des personnes et ainsi
une telle appropriation contribue à une certaine manifestion de la foi, bien
qu’elle soit imparfaite, tout comme du vestige et de l’image se tire un moyen
persuasif pour manifester la personne. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum,
quod ex hoc quod convenit omnibus aliquod attributum, probatur sufficienter
quod non sit proprium unius personae, non tamen quod non sit personae
appropriatum ; quia haec praepositio ad, quae venit ad compositionem
vocabuli, notat accessum cum quadam distantia ; unde, secundum Augustinum,
lib. I
Retract. C XXVI, col. 626, homo qui ita imitatur Deum quod semper invenitur
distantia similitudinis, dicitur imago et ad imaginem ; Filius autem qui
imitatur Patrem sine aliqua dissimilitudine, dicitur imago et non ad
imaginem. Et propter hoc, quia hujusmodi attributa essentialia [om. essentiala Ed. de Parme] accedunt per similitudinem ad rationem
propriorum, et distant per communitatem, recte appropriata dicuntur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que du fait qu’un attribut convient à toutes les personnes, cela prouve
suffisamment qu’il n’est pas propre à une personne mais non pas cependant
qu’il ne soit pas approprié à une personne ; car la préposition ¨à¨, qui
vient dans la composition du terme ¨approprié¨, dénote un accès qui comporte
une certaine distance ; de là, d’après Saint-Augustin [1 Rétractations, ch. XXVI, col. 626] on
dit de l’homme, qui imite Dieu de telle manière qu’il y a toujours une
distance dans la ressemblance, qu’il est l’image et qu’il est ¨à l’image¨ de
Dieu ; mais on dit du Fils qui imite le Père sans aucune dissemblance
qu’Il est l’image et non pas ¨à l’image¨ du Père. Et à cause de cela, parce
que de tels attributs essentiels [essentiels om. Éd. de Parme] accèdent par ressemblance à la notion des
propriétés et en diffèrent par leur caractère commun, sont à juste titre
appelés appropriés. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
quamvis omnia attributa essentialia sint unum re, tamen differunt ratione, et
secundum rationem suam habent similitudinem vel ad originem personarum, ut
potentia, quae est principium productionis, vel ad determinatum modum
originis, ut bonitas ad processionem amoris, et ad processionem verbi
sapientia ; et ita diversis personis possunt ista appropriari. Sed essentia de ratione sua neque
originem neque aliquid ad modum originis pertinens dicit ; et ideo non
appropriatur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
que tous les attributs essentiels soient un en réalité, cependant ils
diffèrent par la raison et d’après leur notion ils ont une ressemblance soit
par rapport à l’origine des personnes, comme la puissance qui est le principe
de production, soit par rapport à un mode déterminé d’origine, comme la bonté
par rapport à la procession de l’amour et comme la sagesse par rapport à la
procession du verbe ; et c’est ainsi
que ces noms peuvent être appropriés à différentes personnes. Mais l’essence
par définition ne signifie pas l’origine et ne dit rien par rapport à ce qui
appartient à un mode d’origine et c’est la raison pour laquelle elle n’est
pas appropriée. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
appropriatum potest sumi dupliciter: aut materialiter, idest id quod
appropriatum est ; et sic illud attributum non sequitur rationem proprii ;
aut formaliter, idest inquantum appropriatum est ; et sic in ratione sua
propria, proprii rationem includit. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que l’approprié peut se tirer de deux
manières : soit matériellement, c’est-à-dire la chose même qui est
appropriée ; et pris ainsi, cet attribut ne découle pas de la notion du
propre ; soit formellement, c’est-à-dire en tant qu’approprié et ainsi
dans sa définition propre il inclut la notion de propre. |
lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
appropriando attributa essentialia determinatis personis, non excludimus
alias personas, nec gradum participationis constituimus ; sed tantum
ostendimus similitudinem in ratione appropriati ad proprium personae, et ex
hoc non sequitur error. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu qu’en appropriant des attributs essentiels à des
personnes déterminées, nous n’excluons pas les autres personnes et nous ne
constituons pas un degré de participation ; mais nous ne faisons que
montrer une similitude dans la notion de l’approprié par rapport à ce qui est
propre à une personne et à partir de cela il ne s’ensuit pas une erreur. |
|
|
Quaestio
II |
Question 2 – [L’appropriation] |
|
|
|
|
Circa tertium duo quaeruntur : 1. de ratione approrpiationis Hilarii ; 2. de expositione Augustini quantum ad hoc quod dicit,
quod imago coaequatur ei cuius est imago, et non e converso : utrum in divinis sit mutua aequalitas ; sed hoc, sup. XIX dist., habitum est |
Sur le troisième point nous cherchons à
savoir deux choses : 1. La notion d’appropriation de
Saint-Hilaire. 2. L’explication de Saint-Augustin quant
à ce qu’il dit, à savoir que l’image doit se comparer à la chose dont elle
est l’image et non inversement et
est-ce qu’il y a en Dieu une égalité mutuelle ; mais cela a été établi
plus haut à la distinction XIX. |
|
|
|
|
Articulus
primus. lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 tit. Utrum Hilarius convenienter appropriet aeternitatem Patri,
speciem Filio, usum Spiritui sancto |
Article 1 – Hilaire approprie-t-il convenablement l’éternité au Père, la forme au Fils et l’usage à l’Esprit Saint ? |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod appropriatio
Hilarii sit incompetens. Quia, secundum Augustinum, IV De Trin., cap. X, col.
932, hujusmodi appropriationes fiunt ad excludendum errorem ; et ideo Patri
attribuitur potentia ne infirmus credatur, sicut patres apud nos propter
senectutem. Sed circa aeternitatem Patris nullus erravit, sicut circa
aeternitatem Filii, ut Arius. Ergo aeternitas magis esset approprianda Filio,
quam Patri. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’appropriation de Saint-Hilaire ne convienne pas. Car, selon Saint-Augustin
[IV De la Trinité, ch. X, col. 932], de telles appropriations sont faites en
vue d’éviter des erreurs ; et c’est pourquoi il attribua la puissance au
Père afin qu’on ne le croit pas faible tout comme nos pères le deviennent en raison
de la vieillesse. Mais sur l’éternité du Père nul ne se trompa comme le fit
Arius au sujet de l’éternité du Fils. Donc, l’éternité devrait davantage être
appropriée au Fils qu’au Père. |
lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum
aequivoca non attenditur aliqua similitudo. Sed aeternitas privat principium
durationis, innascibilitas autem privat principium originis. Cum igitur appropriationes fiant
secundum similitudinem ad propria, videtur quod Patri non sit attribuenda
aeternitas, quia est innascibilis. |
2. Par ailleurs, aucune similitude ne se
vérifie d’après des termes équivoques. Mais l’éternité est affranchie du
principe de la durée, l’innascibilité est affranchie du principe d’origine.
Donc, puisque les appropriations sont faites d’après une ressemblance à la
propriété, il semble que l’éternité ne doive pas être attribuée au Père
auquel on attribue l’innascibilité. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod aeternitas appropriatur Patri, quia
importat ex consequenti proprietatem Patris, scilicet innascibilitatem,
quamvis principaliter significet divinam essentiam ; contra. Quandocumque
notionale additur essentiali, non potest totum praedicari de persona cui non
convenit illa notio ; sicut Deus genitus non praedicatur de Patre. Si igitur
aeternitas aliquo modo in intellectu suo includeret innascibilitatem, nullo
modo Filio conveniret, quod est Arianae impietatis. |
3. Si tu dis que l’éternité est appropriée
au Père parce qu’elle implique par conséquent une propriété du Père, à savoir
l’innascibilité, bien qu’elle signifie principalement l’essence divine, je
réponds au contraire qu’à chaque fois que le notionnel s’ajoute à
l’essentiel, cette notion ne peut dans sa totalité être attribuée à la
personne à laquelle elle ne convient
pas, tout comme le ¨Dieu engendré¨ ne peut être attribué au Père. Si
donc l’éternité incluait d’une certaine manière l’innascibilité dans sa
conception même, elle ne conviendrait au Fils en aucune manière, ce qui
constitue l’impiété d’Arius. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, secundum Dionysium, IV cap. de divinis
nominibus, § 7, col. 702 pulchrum et bonum se consequuntur. Unde videtur quod
omnia pulchrum et bonum appetunt ; unde secundum nomen in Graeco etiam
propinqua sunt, quia bonum dicitur « calos », pulchrum « callos ».
Sed bonitas non
appropriatur Filio, sed Spiritui sancto. Ergo nec species vel pulchritudo. |
4. En
outre, d’après Denys [Les Noms Divins,
ch. IV, & 7, col. 702], le beau et le bien se rejoignent. D’où il semble
que tous désirent le beau et le bon ; d’où il résulte qu’en Grec leurs
noms aussi sont voisins car le bien est signifié par «calos» et le beau par
«callos». Mais la bonté n’est pas appropriée au Fils mais à l’Esprit-Saint.
Donc la forme ou la beauté ne lui est pas appropriée non plus. |
lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, uti est
referre aliquid ad obtinendum hoc quo fruendum est. Sed Spiritus sanctus est
ipsum fruibile, et non refertur ad aliud sicut ad finem. Ergo usus non debet sibi appropriari. |
5. De
plus, ¨user¨ c’est rapporter un être à l’obtention de ce dont il doit jouir.
Mais l’Esprit-Saint est lui-même l’objet de la jouissance et il ne se
rapporte pas à un autre comme à sa fin. On ne doit donc pas lui approprier
l’usage. |
lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in
appropriatione Hilarii, ponuntur tria propria nomina personarum, scilicet
Pater, imago, munus, vel donum, et hoc patet ex praedictis, dist. 8 qu. 1 art. 1 ; et ponuntur tria
appropriata, scilicet aeternitas, quam dicit esse in Patre sicut appropriatam
sibi ; et species, idest pulchritudo, quam dicit esse in imagine, idest in
Filio, qui proprie imago est, ut supra habitum est, dist. 28, quaest. 2, art.
3 ; et usum, quem dicit esse in munere, scilicet in spiritu sancto, qui donum
est. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans l’appropriation de Saint-Hilaire, trois noms de personnes sont
posés, à savoir le Père, l’image et le présent ou le don ; et cela est
clair à partir de ce qui a été dit [dist. 8, quest. 1, art. 1] ; et
trois termes sont appropriés à ces trois noms de personnes, à savoir
l’éternité que dit l’existence du Père comme lui étant appropriée ; et
la forme, c’est-à-dire la beauté que signifie l’existence dans l’image,
c’est-à-dire dans le Fils qui est proprement l’image du Père comme nous
l’avons établi plus haut [dist. 28, quest. 2, art. 3] ; et enfin l’usage
que signifie l’existence dans le présent, c’est-à-dire dans l’Esprit-Saint
qui est le don. |
Ratio
autem hujusmodi appropriationis haec est. Aeternitas enim in ratione sua
habet duo, scilicet quod sit principium omnis durationis, inquantum est prima
mensura: unde ab ipsa fluit et aevum et tempus ; et sic habet similitudinem
ad propria Patris, quae conveniunt sibi inquantum ipse est principium vel per
generationem vel per spirationem, scilicet ad paternitatem et communem
spirationem. |
Mais voici la raison d’une telle
appropriation. En effet, l’éternité, par définition, contient deux éléments,
à savoir celui d’être le principe de toute durée en tant qu’elle est la
première mesure : d’où il résulte que c’est d’elle que s’écoule l’aevum
et le temps ; et c’est de là qu’elle tient sa ressemblance aux
propriétés du Père, à savoir la paternité et la spiration commune, qui lui
conviennent en tant qu’Il est lui-même principe soit par génération soit par
spiration |
Habet
etiam in ratione sua privationem principii, et in hoc convenit cum
proprietate Patris, quae competit sibi secundum quod est auctor, vel non de
principio, scilicet innascibilitate. Ad
rationem autem pulchritudinis duo concurrunt, secundum Dionysium, scilicet
consonantia et claritas. Dicit enim, quod Deus est causa omnis pulchritudinis
inquantum est causa consonantiae et claritatis, sicut dicimus homines
pulchros qui habent membra proportionata et splendentem colorem. His
duobus addit tertium philosophus, IV Ethic., c. VI, ubi dicit, quod
pulchritudo non est nisi in magno corpore ; unde parvi homines possunt dici
commensurati et formosi, sed non pulchri. Et
secundum haec tria, pulchritudo convenit cum propriis Filii: inquantum enim
Filius est imago perfecta Patris, sic est ibi consonantia perfecta ; est enim
aequalis et similis sine inaequalitate et dissimilitudine ; et hoc tangit
Augustinus, liberté. VI De Trinit., cap. X, col. 971, ubi dicit: ubi est
tanta convenientia, id est maxima et prima aequalitas, et prima similitudo. Inquantum
vero est Filius verus, habet perfectam naturam Patris: et ita etiam habet
magnitudinem quae consistit in perfectione divinae naturae, ut supra dictum
est, dist. 19, quaest. 1 art. 2: unde dicit Augustinus quod ibi est perfecta
et summa vita. Sed inquantum est verbum perfectum Patris, habet claritatem
quae irradiat super omnia et in quo omnia resplendent. Unde
dicit Augustinus, quod est tamquam verbum perfectum. Potest etiam totum
accipi ex verbis Augustini secundum rationem consonantiae, quae triplex in eo
considerari potest: id
est consonantia ipsius ad Patrem [cui potentia add. Ed. de Parme] est
aequalis et similis, et hoc tangit Augustinus ubi dicit: « Prima
aequalitas ». Item
consonantia sui ad seipsum, inquantum omnia attributa in eo non differunt,
sed unum sunt ; et hoc tangit ubi dicit: « Cui non est aliud vivere et
aliud esse, sed idem est esse et vivere ». Item
consonantia ad res creatas, quarum rationes in eo sunt, et unum sunt in eo sicut
ipse est unum cum Patre: et hoc tangit ibi: et omnes unum in ea, sicut ipsa
unum de uno cum quo unum. Usus
etiam de ratione sua duo habet. Primo quod est assumptum in facultatem
voluntatis ; et sic convenit Spiritui sancto inquantum est amor: et hoc tangit
Augustinus cum dicit: « Illa ergo dilectio, delectatio, felicitas vel
beatitudo (...) est in Trinitate spiritus sanctus ». Habet
etiam aliud quod est ordinatum ad alterum: et iste etiam ordo competit
Spiritui sancto, inquantum ipse amor, qui est Spiritus sanctus, non tantum
est in Filio, sed redundat in omnes creaturas, secundum quod competit sibi
nomen doni: et hoc tangit Augustinus cum dicit: « Ingenti largitate
atque ubertate perfundens omnes creaturas pro captu earum ». |
L’éternité tient aussi, par
définition, d’être affranchie de tout principe et elle s’accorde en cela avec
la propriété du Père qui lui appartient selon qu’il est l’auteur, le
fondateur, ou qu’il n’a pas de principe, à savoir l’innascibilité. Mais deux éléments
contribuent à la notion de beauté selon Denys, à savoir l’harmonie et
l’éclat. Il dit en effet que Dieu est cause de toute beaukté en autant qu’il
est la cause de l’harmonie et de l’éclat, tout comme nous disons que sont beaux les hommes qui possèdent des
membres harmonieux et une couleur éclatante. Mais à ces deux éléments
le Philosophe [IV Éthique, ch. VI] en
ajoute un troisième, où il dit qu’il n’y a beauté que là où il y a une
certaine grandeur du corps ; d’où il résulte qu’on peut dire des hommes
petits qu’ils sont proportionnés et charmants, mais non pas beaux. Et d’après ces trois
éléments, la beauté s’accorde avec les propriétés du Fils : en effet, en
autant que le Fils est l’image parfaite du Père, il y a là une harmonie
parfaite ; il est en effet égal et semblable au Père sans aucune
inégalité et aucune dissimilitude ; et c’est ce que touche du doigt
Saint-Augustin [ VI De la Trinité,
ch. X, col. 971] où il dit : c’est
là que se trouve l’accord le plus important, c’est-à-dire la plus grande et
la première égalité et la première ressemblance. Mais en tant que le Fils
est vrai, il possède la nature parfaite du Père : et c’est ainsi qu’il
possède aussi la grandeur qui consiste dans la perfection de la nature
divine, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dis.t 19, quest. 1, art.
2] : d’où Saint-Augustin dit que c’est là que se trouve la vie parfaite
et suprême. Mais en tant qu’il est le verbe parfait du Père, il possède
l’éclat qui rayonne sur tout, le Fils est celui en qui tous les êtres
resplendissent. C’est pourquoi Saint-Augustin
dit que le Fils est comme un verbe parfait. La beauté peut aussi être reçue
en totalité à partir des paroles de Saint-Augustin d’après la notion
d’harmonie qui peut être considérée en lui de trois manières :
c’est-à-dire l’harmonie du Fils à l’égard du Père [dont la puissance add. Éd. de Parme] est égale et
semblable et c’est ce que considère Saint-Augustin lorsqu’il dit : «La
première égalité». Il y a en outre son
harmonie par rapport à lui-même, en autant que tous les attributs ne
diffèrent pas en Lui mais sont un ; et c’est ce que touche
Saint-Augustin en disant : «Celui chez qui vivre et exister ne diffèrent
pas mais sont une seule et même réalité». Il y en outre l’harmonie
du Fils à l’égard des choses créées dont les notions sont en Lui et elles ne
font qu’une en Lui tout comme Lui-même fait un avec le Père et c’est ce que
Saint-Augustin touche là où il dit : «et toutes les choses sont une en elle, tout comme elle-même se dit de
l’un avec lequel elle fait un». Mais l’usage aussi par
définition contient deux éléments. Et premièrement il se
prend du côté de la faculté de la volonté ; et ainsi il convient à
l’Esprit-Saint en tant qu’il est amour : et c’est cela que touche
Saint-Augustin lorsqu’il dit : «Donc
cet amour, cette joie, cette félicité ou cette béatitude (…) dans la Trinité,
c’est l’Esprit-Saint». L’usage contient aussi cet
autre élément qui est d’être ordonné à quelque chose d’autre : et cet
ordre aussi convient à l’Esprit-Saint en autant que l’amour même, qui est
l’Esprit-Saint, n’est pas seulement dans le Fils, mais rejaillit sur toutes
les créatures selon que lui appartient le nom de ¨don¨ : et c’est là ce
que touche Saint-Augustin lorsqu’il dit : « Comblant par sa libéralité et son abondance considérables toutes les
créatures selon leurs portées». |
lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum,
quod una et principalis ratio est appropriationis, scilicet similitudo ad
proprium, ut dictum est in corp. art. ; sed possunt esse multae consequentes
utilitates ; quarum unam Augustinus tangit ; unde ex hoc non potest concludi
quod aliquid debeat appropriari Patri vel Filio, nisi adsit ratio
principalis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’il n’y a qu’une seule et première raison de l’appropriation,
à savoir la similitude à l’égard de la propriété, ainsi que nous l’avons dit
dans le corps de l’article ; mais plusieurs utilités peuvent en découler
et Saint-Augustin touche l’une d’elles ; d’où on ne peut conclure à
partir de là que quelque chose soit approprié au Père ou au Fils, à moins que
ne soit présente la raison première. |
lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
in aequivocis quae per fortunam sunt et casum, ut canis, non attenditur
similitudo aliqua ; sed in aequivocis quae dicuntur per respectum ad unum
principium attenditur aliqua similitudo analogiae vel proportionis ; et talis
est multiplicitas hujus nominis principium: unde etiam philosophus, V
metaph., text. 1,
docet reducere omnia hujusmodi ad unum primum principium. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que dans les équivoques qui proviennent de la fortune et du
hasard, par exemple ¨le chien¨, aucune similitude ne se vérifie ; mais
dans les équivoques qui se disent par rapport à un même principe se vérifie
la similitude d’analogie ou de proportion ; et telle est la multiplicité
de ce nom, à savoir ¨principe¨ : d’où le Philosophe [V Métaphysique, texte 1] enseigne aussi qu’il
faut ramener tous les noms de cette sorte à un même premier principe. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa nihil [non éd. de
Parme] valet. |
3. Il faut dire en troisième lieu que cet
argument vaut [ne Éd. de Parme]
rien. |
lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
pulchritudo non habet rationem appetibilis nisi inquantum induit rationem
boni: sic enim et verum appetibile est: sed secundum rationem propriam habet
claritatem et ea quae dicta sunt, quae cum propriis filii similitudinem
habent. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que la beauté n’a raison d’objet désirable que
selon qu’elle revêt la raison de bien : c’est sous ce rapport en effet
que le vrai aussi est désirable ; mais prise selon sa définition propre,
la beauté dénote l’éclat et les caractères que nous avons dit et qui
présentent une similitude avec ce qui est propre au Fils. |
lib.
1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod usus, ut supra dictum est,
dist. 1, quaest. 1, art. 2, sumitur dupliciter. Communiter, prout uti dicitur
assumere aliquid in facultatem voluntatis, et stricte, prout dicit relationem
in finem. Et
primo modo sumitur hic, quo continet in se etiam fruitionem, ut hic dicitur
quod felicitas vel beatitudo ad usum pertinet. Nihilominus tamen competit
proprio [proposito Ed. de Parme], et secundum quod habet rationem ordinis non
quidem in finem, sed in effectum, in quo bonitas divina per Spiritum sanctum
uberrime effunditur. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que
l’usage, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 1, quest. 1, art. 2] se
prend de deux manières. Au sens large, selon que
¨user¨ signifie prendre quelque chose dans la faculté de la volonté ; et
au sens strict, selon qu’il signifie une relation à la fin. Et c’est ici dans le
premier sens que se prend ¨user¨ et en ce sens ¨user¨ contient aussi en lui
la jouissance, de telle manière qu’on puisse ici dire que la félicité ou la
béatitude appartient à l’usage. Néanmoins cependant
l’Esprit-Saint se rapporte au sens propre [au propos Éd. de Parme] du terme, et selon qu’il a raison d’ordre ou de
relation non pas certes à la fin, mais à l’effet dans lequel la bonté divine se
répand avec abondance par l’Esprit-Saint. |
|
|
Quaestio
3 |
Question 3 – [L’appropriation, suite] |
Prooemium lib.
1 d. 31 q. 3 pr. Circa quartum duo quaeruntur: 1
de ratione appropriationis Augustini ; 2
de hoc quod dicit quod omnia sunt unum propter Patrem. |
Prologue Au sujet du quatrième point, on cherche à
savoir deux choses : 1. La notion
d’appropriation de Saint-Augustin. 2. Ce qu’il veut dire
lorsqu’il dit que toutes les personnes sont une à cause du Père. |
|
|
Articulus
1 lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 tit. Utrum Augustinus convenienter appropriet unitatem Patri,
aequalitatem Filio, nexum Spiritui sancto |
Article 1 – Augustin approprie-t-il convenablement l’unité au Père, l’égalité au Fils, le lien à l’Esprit Saint ? |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod appropriatio Augustini,
lib. I De doct. christ., cap.V, col. 21 sit incompetens. Supra enim, 10
dist., quaest. 1, art. 3, dictum est, quod spiritus sanctus est unitas
duorum. Ergo
videtur quod unitas non Patri, sed Spiritui sancto approprietur. |
Difficultés : 1. Il semble que l’appropriation de Saint-Augustin
[1 De la Doctrine Chrétienne, ch.
V, col. 21] ne soit pas juste. Nous avons dit en effet plus haut [dist. 10,
quest. 1, art. 3] que l’Esprit-Saint est l’unité qu’il y a entre le Père et
le Fils. Il semble donc que l’unité doive être attribuée à l’Esprit-Saint et
non au Père. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, appropriatio est secundum similitudinem
ad proprium. Illi ergo personae debet appropriari unitas, in qua
minus de pluralitate invenitur. Sed maxima pluralitas notionum invenitur in
Patre, qui habet tres notiones, minima in Spiritu sancto, qui habet unam
tantum. Ergo
unitas Spiritui sancto et non Patri appropriari debet. |
2. Par
ailleurs, l’appropriation est faite d’après la ressemblance au propre. Donc,
l’unité doit être appropriée à cette personne dans laquelle se retrouve moins
de pluralité. Mais la plus grande pluralité de notions se retrouve dans le
Père, lequel possède trois notions, et c’est dans l’Esprit-Saint qu’on en
retrouve le moins, à savoir une seule. Donc l’unité doit être appropriée à
l’Esprit-Saint et non au Père. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, unitas causa est aequalitatis. Si igitur
unitas Patri appropriatur, et aequalitas sibi appropriari debet, et non
Filio. |
3. En outre, l’unité est cause d’égalité. Si
donc l’unité était appropriée au Père, l’égalité aussi devrait lui être
appropriée et non au Fils. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 4 Item, secundum convenientiam in natura vel in forma
magis attenditur similitudo quam aequalitas. Sed Filius inquantum est genitus a
Patre, habet naturam et formam patris: et similiter imago et Verbum habet
similitudinem ejus ad quod dicitur. Ergo magis debet appropriari Filio
similitudo quam aequalitas. |
4. De
plus, c’est davantage la similitude que l’égalité qui se vérifie d’après la
ressemblance dans la nature ou dans la forme. Mais le Fils, selon qu’il est
engendré par le Père, possède la nature et la forme du Père : et de la
même manière l’image ou le Verbe possède la ressemblance de ce à l’égard de
quoi il se dit. Donc, c’est davantage la similitude ou la ressemblance,
plutôt que l’égalité, qui doit être appropriée au Fils. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, nexus proprie dicitur de Spiritu sancto.
Sed aeternitas et aequalitas non proprie dicuntur de Patre et Filio. Ergo videtur quod appropriatio non sit
uniformis. |
5. Par ailleurs, le lien
se dit proprement de l’Esprit-Saint. Mais l’éternité et l’égalité ne se
disent pas proprement du Père et du Fils. Il semble donc que l’appropriation
ne soit pas uniforme. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod appropriatio Augustini bona
est, et ratio appropriationis haec est. Unitas enim, quantum ad id quod
positive dicit, habet rationem principii secundum quod est principium numeri:
et ita habet similitudinem cum duabus proprietatibus Patris, scilicet cum
paternitate et communi spiratione quibus dicitur principium Filii et Spiritus
sancti. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’appropriation de Saint-Augustin est bonne et voici la raison de cette
appropriation. En effet, l’unité, quant à ce qu’elle dit positivement, a
raison de principe selon qu’elle est le principe du nombre et ainsi elle a
une similitude avec deux propriétés du Père, c’est-à-dire avec la paternité
et la spiration commune, propriétés par lesquelles on dit de Lui qu’il est le
principe du Fils et de l’Esprit-Saint. |
Secundum autem quod ratio ejus consistit in negatione,
sic negat divisionem, et per consequens compositionem praeexistentem ; et ita
negat rationem principii: quia ea in quae aliquid dividitur, sunt principia
integrantia ipsum ; et ita unitas habet similitudinem cum innascibilitate,
sicut et aeternitas, ut dicit Magister. Similiter etiam aequalitas secundum
proprium modum suae processionis convenit Filio, ut patet in omnibus
nominibus personalibus ipsius Filii. Ex eo enim dicitur Filius quod recipit
aequalem et eamdem naturam quam habet generans: similiter etiam imago
includit in se rationem aequalitatis ; et similiter verbum perfectum. Ita etiam nexus convenit Spiritui
sancto ex modo suae processionis inquantum est amor Patris et Filii, quo
uniuntur, et etiam est connectens nos Deo, inquantum est donum. |
Mais selon que sa définition consiste dans
la négation, l’unité ainsi nie la division et par conséquent toute
composition préexistante ; et en ce sens elle nie la notion de
principe : car les éléments dans lesquels une chose se divise sont les
principes qui la constituent ; et ainsi l’unité possède une similitude
avec l’innascibilité, tout comme l’éternité comme le dit le Maître. De la
même manière aussi l’égalité convient au Fils selon le mode propre de sa
procession comme on peut le voir dans tous les noms personnels du Fils
lui-même. C’est à partir de là en effet qu’on dit du Fils qu’il reçoit une
nature égale et identique à celle que possède celui qui l’engendre : de
la même manière encore l’image comprend en elle la notion d’égalité, et il en
est de même pour le verve parfait. De même aussi le lieu convient à l’Esprit-Saint
de par le mode même de sa procession en tant qu’il est l’amour qui a lieu
entre le Père et le Fils par lequel Ils sont unis, et aussi du fait qu’Il est
Celui qui nous unit à Dieu en tant qu’Il est don. |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum,
quod differt unitum et unum ; quia unitum est quod ex pluribus unum effectum
est ; unde unio importat relationem quamdam plurium secundum quod in uno
conveniunt ; sed unum absolute dicitur. Unde dicendum, quod unitas, secundum
quod ponitur pro unione plurium in uno amore, attribuitur Spiritui sancto:
secundum autem quod absolute sumitur inquantum est principium, habet
similitudinem ad proprium Patris: unde appropriatur patri. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’uni et l’un diffèrent ; car l’uni est ce qui a été
rendu un à partir de plusieurs ; d’où l’union implique une certaine
relation entre plusieurs selon qu’ils s’accordent en quelque chose d’un. L’un
de son côté se dit absolument. D’où il faut dire que l’unité, selon qu’elle
est posée pour signifier l’union entre plusieurs dans un seul amour, est
attribuée à l’Esprit-Saint ; mais selon qu’elle se prend absolument en
tant que principe, elle a une similitude avec la propriété du Père, d’où il
résulte qu’elle est appropriée au Père. |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
tres notiones in Patre non sunt tres res, sed tres rationes innotescendi:
unde pluralitas notionum non impedit quin sibi unitas approprietur ; et
praecipue cum ratio unitatis cum omnibus notionibus ejus similitudinem
habeat. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que les trois notions qui sont dans le Père ne
sont pas trois réalités, mais trois raisons qui le font connaître : d’où
il résulte que la pluralité des notions n’empêche pas que l’unité Lui soit
appropriée, surtout lorsqu’on
considère que la notion d’unité a une similitude avec toutes ses notions. |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
aequalitas non est unitas, sed relatio unitatem consequens ; et ideo
appropriatur Filio, qui adaequat Patrem procedens ab eo: quamvis non
approprietur sibi unitas. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que l’égalité n’est pas l’unité, mais plutôt la
relation qui découle de l’unité ; et c’est pourquoi, bien que l’unité ne
soit pas appropriée au Fils, cependant
l’égalité Lui est appropriée, Lui qui
est élgal au Père alors même qu’il en procède. |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
sicut aequalitas appropriatur Filio, ita et similitudo: sed Augustinus posuit
aequalitatem, quia in divinis aequalitas includit similitudinem, et non e
converso. Cum enim in divinis non sit quantitas nisi virtutis, quae fundatur in
aliqua forma ; sequitur ut quaecumque conveniunt in quantitate virtuali,
conveniant in forma ; et ita, si sunt aequalia, quod sint similia. Sed non
convertitur: quia aequalitas privat excessum, quem non privat similitudo ;
unde duo quorum alter altero albior est, sunt similes in albedine, sed non
aequales. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
similitude, tout comme l’égalité, est appropriée au Fils : mais Augustin
a posé l’égalité car en Dieu l’égalité comprend la similitude et non
inversement. En effet, puisqu’en Dieu il n’y a que la quantité virtuelle qui
se fonde sur une forme, il s’ensuit que tout ce qui se rencontre dans une
quantité virtuelle se rencontre dans une forme et par conséquent que s’ils
sont égaux, ils sont aussi semblables. Mais il n’y a pas conversion :
car l’égalité affranchit de l’excès, ce que ne fait pas la similitude ;
d’où il résulte que de deux choses dont l’une est plus blanche que l’autre,
les deux sont semblables mais non égales sous le rapport de la blancheur. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nexus vel connexio amoris
proprium est spiritus sancti. Sed quia quaecumque conveniunt in aliquo uno,
possunt dici connexa in illo ; ideo connexio absolute dicta non importat nisi
convenientiam quamdam ; et sic non est proprium Spiritus sancti, sed
appropriatum. Si tamen sumeretur ut est proprium, non esset magnum
inconveniens, quod assignatio non est uniformis simpliciter: quia hujusmodi
attribuuntur personis inquantum sunt appropriata, et sic accedunt ad rationem
propriorum ; unde proprium et appropriatum inquantum appropriatum, non habent
rationem difformitatis |
5. Il faut dire en cinquième lieu que le
lien ou l’union d’amour est propre à l’Esprit-Saint. Mais parce qu’on peut
dire de tous les êtres qui s’accordent en une même chose qu’ils sont unis en
cette chose, c’est pourquoi l’union dite absolument n’implique qu’un certain
accord ; et en ce sens une telle union n’est pas propre à
l’Esprit-Saint, mais elle lui est appropriée. Si cependant on prenait l’union
en tant qu’elle lui est propre, cela ne poserait pas une grande difficulté
que l’assignation ne soit pas absolument uniforme car de telles assignations
sont attribuées aux personnes en autant qu’elles sont des appropriations et
ainsi elles s’approchent de la notion des propriétés ; d’où il résulte
que la propriété et l’appropriation en tant qu’appropriation, n’ont pas
raison d’équivocité. |
|
|
Articulus
2 lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 tit. Utrum omnia sint unum propter patrem |
Article 2 – Tout est-il un à cause du Père ? |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur falsum quod
dicit Augustinus. Cum enim haec praepositio propter importet habitudinem
alicujus causae ; cum dicitur quod omnia sunt unum propter patrem, aut
importat habitudinem quasi efficientis, aut quasi formae. Si quasi formae, tunc falsum est ;
quia Filius, formaliter loquendo, non est unus cum Patre, sed essentia
divina, vel proprietate sua, vel seipso. Si quasi efficientis, sic idem erit
dictum propter Patrem, ac si diceretur quod habet unitatem a Patre. Sed sicut habet unitatem a Patre
Filius, ita et aequalitatem. Ergo sicut dicuntur omnia unum propter Patrem,
ita dicuntur omnia aequalia propter Patrem ; et sic distinctio nulla esset. |
Difficultés : 1. Il semble que ce que
dit Saint-Augustin soit faux. En effet, puisque cette préposition ¨à cause
de¨ implique un certain rapport de causalité, lorsqu’on dit que toutes les
personnes sont une à cause du Père, cela implique une relation ou bien à
titre de cause efficiente ou bien à titre de cause formelle. Si c’est à titre
de cause formelle, alors l’énoncé est faux ; car le Fils, à parler
formellement, n’est pas un avec le Père, mais il l’est plutôt par l’essence
divine ou par sa propriété ou par lui-même. Si c’est à titre de cause
efficiente, on dira alors qu’il est identique à cause du Père, comme si on
disait qu’il tient l’unité du Père. Mais tout comme le Fils tient l’unité du
Père, il en tient aussi l’égalité. Donc, tout comme on dit que les personnes
sont une à cause du Père, on dit de même qu’elles sont toutes égales à cause
du Père ; et ainsi il n’y a aucune distinction entre elles. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid sit de Patre, constat quod
Filius nullam rationem principii habeat respectu Patris. Si ergo haec
praepositio propter importat habitudinem alicujus principii, videtur omnino
falsum quod dicit, quod omnia sunt aequalia propter Filium. |
2. Par ailleurs, pour tout ce qui est
attribué au Père, il est clair que le Fils n’a aucunement raison de principe
par rapport au Père. Si donc cette préposition ¨à cause de¨ implique un
rapport à un principe, il semble que ce qu’il dit soit absolument faux, à
savoir que toutes sont égales à cause du Fils. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 arg. 3 Item, sicut idem est Deo sapere quod esse ; ita idem
est esse aequalem Deo quod esse. Sed non potest dici quod omnia sint in divinis propter Filium.
Ergo nec quod omnia sint aequalia. |
3. En
outre, tout comme en Dieu la sagesse est identique à l’existence, de même en
Dieu être égal est identique à exister. Mais on ne peut dire que tout existe
en Dieu à cause du Fils. On ne peut
donc dire non plus que tout est égal en Dieu. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur. |
Cependant : 1. Ce qui est dit dans la
Lettre est contraire à ces opinions. |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
dictum Augustini potest verificari dupliciter: scilicet quantum ad numerum
[proprietatem éd.de Parme] personarum et quantum ad numerum [propietatem éd.
de Parme] ipsarum. Si enim consideremus numerum, sic unitas statim in Patre
invenitur ; et ideo propter eum, in quo primo unitas invenitur, secundum
ordinem naturae, omnia dicuntur unum. Sed binarius personarum primo invenitur in Filio, qui
procedit alius a Patre, et similiter aequalitas, quae primo in duobus
invenitur: et propter hoc omnia per Filium aequalia dicuntur, sicut propter
eum in quo primo aequalitas invenitur. Sed in Spiritu sancto primo invenitur
ternarius, et similiter connexio, quae tria requirit, duo connexa et unum
connectens ; et propter hoc omnia dicuntur connexa propter Spiritum sanctum. Si
autem consideremus proprietates personarum, in Patre invenitur ratio
principii quasi primi: et quia in qualibet natura invenitur unum principium
non de principio, a cujus unitate est quod una in omnibus natura propagetur,
omnia dicuntur unum propter patrem: et hoc videtur tangere Hilarius in quadam
notula. Si
consideremus proprium Filii, secundum omnia propria sua convenit sibi quod
adaequet vel coaequet Patrem, et inquantum Filius et inquantum verbum et
inquantum imago. Sicut autem dicimus quod relationes quae sunt ad creaturam,
resultant ex creaturis inquantum referuntur in Deum ; ita etiam relationes
quibus Pater refertur ad filium, suppositis relationibus distinguentibus,
resultant ex hoc quod Filius refertur ad Patrem ; et propter hoc Pater
dicitur aequalis Filio, inquantum Filius coaequat Patrem: et ex hoc etiam
sequitur quod Spiritus sanctus sit aequalis utrique. Nisi
enim Filius qui est principium Spiritus sancti, esset aequalis Patri, nullo
modo aequalem amorem spiraret ; et ita quodammodo ex aequalitate Filii
resultat aequalitas in tota Trinitate. Similiter
etiam proprium est Spiritus sancti quod procedat ut amor, et amor habet
rationem nexus ; et ideo omnia dicuntur propter Spiritum sanctum connexa.
Posset tamen brevius exponi, ut diceretur, quod sunt omnia unum propter
Patrem, id est propter unitatem essentialem quae appropriatur Patri, et sic
de aliis. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que les paroles de Saint-Augustin peuvent se vérifier de deux manières :
c’est-à-dire soit quant au nombre [propriété Éd. de Parme] des personnes, soit quant au nombre de leurs
propriétés. Si en effet nous considérions le nombre, alors l’unité se
retrouve aussitôt dans le Père ; et c’est pourquoi c’est à cause de lui,
dans lequel se retrouve en premier l’unité selon l’ordre de nature, que toutes
les personnes sont dites une. Mais le nombre deux dans
les personnes se retrouve en premier lieu dans le Fils, lequel procède du
Père tout en étant autre que Lui, et il en est de même pour l’égalité qui se
retrouve d’abord entre deux réalités : et c’est à cause de cela qu’on
dit que c’est par le Fils que toutes les personnes sont égales, tout comme
c’est à cause de Lui que l’égalité se retrouve d’abord en lui. Mais c’est
dans l’Esprit-Saint que se retrouve en premier lieu le nombre trois, tout
comme le lien qui exige trois constituantes, à savoir deux choses qui sont
unies et une autre qui les unit ; et c’est à cause de cela qu’on dit que
toutes les personnes sont unies à cause de l’Esprit-Saint. Mais si nous considérions
les propriétés des personnes, on retrouve dans le Père la notion de principe
à titre de ce qui est premier : et parce que dans toute la nature on
retrouve un seul principe sans principe, par l’unité duquel il se fait qu’une
seule nature se multiplie en tous, on dit de toutes les personnes qu’elles
sont une à cause du Père : et c’est là ce que semble avoir considéré
Saint-Hilaire dans une petite remarque. Si nous considérions les
propriétés du Fils, il lui convient selon toutes ses propriétés d’égaler le
Père, à la fois en tant que Fils, en tant qu’image et en tant que Verbe. Mais
tout comme nous disons que les relations qui se rapportent à la créature
résultent des créatures en tant qu’elles se rapportent à Dieu, de même encore
les relations par lesquelles le Père se rapporte au Fils, étant supposées les
relations qui distinguent, résultent du fait que le Fils se rapporte au
Père ; et c’est à cause de cela qu’on dit du Père qu’il est égal au Fils
dans la mesure où le Fils est égal au Père : et il suit aussi de là que
l’Esprit-Saint soit égal aux deux autres personnes. En effet, si le Fils qui
est le principe de l’Esprit-Saint n’était pas égal au Père, en aucune manière
il ne spirerait un amour égal ; et ainsi, en un sens, c’est de l’égalité
du Fils que résulte l’égalité présente dans toute la Trinité. Semblablement encore il
est propre à l’Esprit-Saint de procéder en tant qu’amour e l’amour a raison
de lieu ; et c’est pourquoi on dit de toutes les personnes qu’elles sont
unies à cause de l’Esprit-Saint. On pourrait cependant l’expliquer plus brièvement
pour dire que toutes les personnes sont une à cause du Père, c’est-à-dire à
cause de l’unité essentielle qui est appropriée au Père, et il en est de même
pour les autres propriétés. |
lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum,
quod cum dicitur quod omnia sunt unum propter Patrem, ly
« propter » non tantum dicit habitudinem principii per modum
efficientis, sed etiam per modum formae, inquantum unitatem principii
sequitur unitas formae, scilicet divina essentia, qua in divinis omnia unum
sunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsqu’on dit que toutes les personnes sont une à cause du
Père, ce ¨à cause¨ ne dit pas seulement une relation de principe par mode de
cause efficiente, mais aussi par mode de forme, en autant que l’unité de la
forme, c’est-à-dire l’essence divine par laquelle toutes les personnes en
Dieu sont une, découle de l’unité du principe. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut creaturae non sunt
principium Dei, quamvis dicatur Deus relative, propter hoc quod ad ipsum
creaturae referuntur, quia hujusmodi relationes non sunt realiter in Deo, ita
etiam non sequitur quod Filius sit principium Patris, quia aequalitas non
ponit in Deo relationem realem. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que tout
comme les créatures ne sont pas le principe de Dieu bien que Dieu se dise
relativement pour cette raison que les créatures se rapportent à lui, parce
que de telles relations n’existent pas réellement en Dieu, de même encore il
ne s’ensuit pas que le Fils soit le principe du Père parce que l’égalité ne
pose pas en Dieu une relation réelle. |
lib.
1 d. 31 q. 3 a. 2 ad 3 Et per hoc etiam patet responsio ad tertium. Non enim dicuntur omnia esse aequalia
propter Filium quasi [quia éd. de Parme] Filius sit principium aequalitatis
in Patre, sicut [sed ut éd. de Parme] dictum est in corp. art. |
3. Et par là la réponse à la troisième
difficulté est évidente. En effet, on ne dit pas que toutes les personnes
sont égales à cause du Fils comme si [parce que Éd. de Parme] le Fils était le principe de l’égalité dans le
Père, tout comme [mais comme Éd. de
Parme] nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
|
|
Distinctio 32 |
Distinction 32 – [La médiation dans les processions] |
|
|
Prooemium |
PrologueLa question porte ici sur deux points : premièrement sur ce qui appartient à l’Esprit-Saint ; deuxièmement sur ce qui appartient au Fils. Au sujet du premier point nous cherchons à répondre à trois questions : 1. Est-ce que le Père aime le Fils par l’Esprit-Saint ? 2. Est-ce que le Père s’aime lui-même par l’Esprit-Saint ? 3. Est-ce que le Père et le Fils nous aiment par l’Esprit-Saint ? |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [Le filioque] |
|
|
Articulus 1 [2278] Super Sent., lib. 1
d. 32 q. 1 a. 1 tit. Utrum Pater diligat Filium Spiritu sancto. |
Article 1 – Le Père aime-t-il le Fils en l’Esprit Saint ? |
[2279] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Pater non diligat Filium
Spiritu sancto. Sicut enim idem est Deo esse quod sapere, ita idem est Deo esse
quod diligere. Sed Deus Pater non dicitur esse aliquo modo Spiritu sancto.
Ergo videtur quod nec diligere. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père
n’aime pas le Fils en l’Esprit-Saint. Tout comme pour Dieu la sagesse
s’identifie à l’existence, de même l’existence s’identifie à l’Amour. Mais on
ne dit pas que Dieu le Père existe d’une certaine manière par l’Esprit-Saint.
Il semble donc qu’il n’aime pas par l’Esprit-Saint. |
[2280] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 1 arg. 2 Praeterea, cum dicitur: « Pater diligit Filium Spiritu
sancto », oportet quod ablativus constituatur in habitudine alicujus
causae, vel quasi efficientis, vel quasi formalis. Sed omnis talis
constructio potest resolvi et exponi per aliquam praepositionem designantem
habitudinem causae. Ergo videtur quod Pater diligat Filium vel a Spiritu
sancto, vel per Spiritum sanctum. Harum autem utraque videtur esse falsa ;
quia Spiritus sanctus non habet aliquam habitudinem principii respectu Patris
; sicut praepositio designat. Ergo videtur quod etiam haec sit falsa: Pater
diligit Filium Spiritu sancto. |
2. Par ailleurs, lorsqu’on dit : «Le Père
aime le Fils en l’Esprit-Saint», il faut que l’ablatif soit constitué dans la
relation d’une cause, qu’il s’agisse comme d’une cause efficient ou comme
d’une cause formelle. Mais toute construction de cette sorte peut être
résolue et expliquée par une préposition désignant une relation de cause. Il
semble donc que le Père aime le Fils soit par l’Esprit-Saint, soit au moyen
de l’Esprit-Saint. Mais il semble que chacune des ces propositions soit
fausse car l’Esprit-Saint ne possède aucune relation de principe par rapport
au Père, tout comme la préposition l’indique. Il semble donc que cette autre
proposition aussi soit fausse, à savoir : le Père aime le Fils en l’Esprit-Saint. |
[2281] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 1 arg. 3 Item, hoc verbum diligit aut significat actum essentialem aut
notionalem. Si essentialem, cum idem judicium sit de omnibus essentialibus,
poterit loco ejus poni alius actus essentialis ; ut dicatur Pater vivere
Spiritu sancto, vel intelligere aut velle ; quod falsum est. Si autem dicat
actum notionalem, non dicit aliam notionem quam communem spirationem. Ergo
loco ejus poterit poni hoc verbum « spirat », ut dicatur: Pater
spirat Spiritum sanctum Spiritu sancto ; quod falsum est. Ergo et prima
omnibus modis falsa est. |
3. En outre, ce verbe ¨Il aime¨, signifie ou
bien acte essentiel, ou bien un acte notionnel. Si c’est un acte essentiel,
comme le jugement reste le même pour tous les actes essentiels, on pourra à
sa place mettre un autre acte essentiel, comme lorsqu’on dirait que le Père
vit, conçoit ou veut par l’Esprit-Saint, ce qui est faux. Mais s’il signifie
un acte notionnel, il ne dit pas une autre notion que celle de la spiration
commune. Donc à sa place on pourra mettre ce verbe : ¨Il spire¨, de
manière à dire : le Père spire l’Esprit-Saint en l’Esprit-Saint, ce qui
est faux. Donc la première proposition est fausse de toutes les manières. |
[2282] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis amor quo aliqui se diligunt, est vinculum vel
nexus uniens eos. Sed Spiritus sanctus non potest unire patrem et Filium ;
quia omne uniens habet aliquem influxum super unita, sicut unionem faciens.
Ergo videtur quod Pater et Filius non diligant se Spiritu sancto. |
4. Par ailleurs, tout amour en lequel
certains s’aiment est une attache ou un lieu qui les unit. Mais
l’Esprit-Saint ne peut unir le Père et le Fils car tout ce qui unit possède
une influence sur ce qui est uni en tant qu’il produit cette union. Il semble
donc que le Père et le Fils ne s’aiment pas en l’Esprit-Saint. |
[2283] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 1 s. c. 1 Contra, sicut amor alicujus hominis procedit ab eo, ita et
Spiritus sanctus procedit a Patre et Filio ut amor. Sed unus homo
diligit alium amore qui ab ipso procedit. Ergo et Pater diligit Filium Spiritu sancto, qui est amor ab
ipso procedens ; et est ratio Hugonis de sancto Victore, lib. De Trinitate, Erudit didascal.,
cap. XXIII, col. 837et in Epist ad
Bernard. |
Cependant: 1. Au contraire, tout comme l’amour d’un homme procède de lui, de même
l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’amour. Mais un même
homme en aime un autre par l’amour qui procède de lui. Donc de même le Père
aime le Fils par l’Esprit-Saint, lequel est l’amour qui procède du Père; et
c’est là le raisonnement de Hugues de Saint-Victor [De la Trinité, Instruction
didactique, ch. XXIII, col. 837 et dans la Lettre à Bernard] |
[2284] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 1 s. c. 2 Praeterea, omni amore perfecto aliquid diligitur. Si ergo
Spiritus sanctus est amor perfectus, quod utique verum est, videtur quod eo
aliquis diligat, et aliquis diligatur. Sed non nisi Pater et Filius. Ergo
Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto. |
2. Par ailleurs, un être est aimé par tout
amour parfait. Si donc l’Esprit-Saint est une amour parfait, ce qui est
absolument vrai, il semble que ce soit par lui que quelqu’un aime et que
quelqu’un est aimé. Mais ce ne peut être que le Père et le Fils. Donc le
Père et le Fils s’aiment dans l’Esprit-Saint. |
[2285] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt
plurimae opiniones. Quidam enim dicunt omnes hujusmodi locutiones esse
falsas, et in suo simili ab Augustino retractatas, ubi retractavit quod prius
dixerat, Patrem sapientia ab eo genita sapientem esse, ut in notula in Littera posita patet. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet les opinions sont nombreuses.
En effet, certains disent que de telles expressions sont fausses et qu’elles
ont été rétractées par Saint-Augustin dans une proposition semblable venant
de lui dans laquelle il a rétracté ce qu’il avait antérieurement affirmé, à
savoir: «le Père est sage par la Sagesse engendrée», ainsi qu’on le voit dans
une remarque placée dans la Lettre. |
Sed hoc non
videtur conveniens ; quia Augustinus ea quae retractare voluit, specialiter
expressit ; et praeterea ipse non retractavit dicta aliorum, sed tantum sua. Unde cum ipse et omnes alii communiter
talibus locutionibus utantur, praesumptuosum videtur eas negare. Ideo alii dicunt, eas quidem veras
esse, sed improprias, et sic exponendas: Pater et Filius diligunt se Spiritu
sancto, idest amore essentiali, qui Spiritui sancto appropriatur. |
Mais cela ne
semble pas juste ; car ce que Saint-Augustin a voulu rétracter, il l’a
spécifiquement exprimé ; et par ailleurs, il n’a pas rétracté les
paroles des autres mais seulement les siennes. D’où il résulte que puisque
lui-même et tous les autres se sont habituellement servi de telles expressions,
il semble présomptueux de les nier. C’est pourquoi d’autres disent que ces expressions
sont certes vraies mais qu’elles sont impropres et qu’elles doivent être
expliquées comme suit : le Père et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint,
c’est-à-dire par l’amour essentiel qui est approprié à l’Esprit-Saint. |
Hoc etiam non videtur conveniens ;
quia sic etiam Pater diceretur sapiens Filio, idest sapientia essentiali,
quae Filio appropriatur, et diceretur bonus Spiritu sancto propter eamdem
rationem. Ideo alii dixerunt, quod est vera et propria ; et horum multiplex
est opinio. |
Cela non plus ne semble pas juste car de
cette manière on pourrait aussi dire que le Père est sage par le Fils,
c’est-à-dire par la sagesse essentielle qui est appropriée au fils, tout
comme on pourrait aussi dire de Lui qu’il est bon par l’Esprit-Saint pour la
même raison. C’est pourquoi d’autres disent que cette expression est vraie et
qu’elle se dit proprement ; et l’opinion de ces derniers est multiple. |
Quidam enim dicunt, quod ablativus
ille resolvendus est in praepositionem, ut sit sensus: « Pater diligit
Filium Spiritu sancto », idest per Spiritum sanctum ; et tunc quod ly
« per » denotat subauctoritatem in Spiritu sancto, et auctoritatem
in Patre et Filio, sicut cum dicitur quod Pater operatur per Filium. Sed hoc
non videtur conveniens ; quia per praepositionem per designatur habitudo
causae in causali cui adjungitur, quamvis non respectu operantis, sed
respectu operati |
En effet, certains disent que cet ablatif
¨a¨ qui signifie ¨par¨ doit être résolu dans la préposition de manière à
signifier : «Le Père aime le Fils par l’Esprit-Saint», c’est-à-dire au
moyen de l’Esprit-Saint ; et alors ce «au moyen de» indique comme une
subordination chez l’Esprit-Saint et une autorité dans le Père et le Fils,
tout comme lorsqu’on dit que le Père opère au moyen du Fils. Mais cela ne
semble pas plus juste car par la préposition «per» ou «au moyen de» est
désignée une relation de cause dans la causalité à laquelle il s’ajoute, bien
que ce ne soit pas par rapport à celui qui opère mais par rapport à ce qui
est opéré. |
Filius enim
habet causalitatem in creatura, quamvis non sit principium operationis in
Patre. Sed cum dicitur: » Pater diligit Filium per Spiritum
sanctum », non denotatur aliquis effectus in creatura, nec aliquid cujus
principium Spiritus sanctus sit ; et ideo non est similis ratio dicendi. |
En effet, le Fils a une
causalité dans la créature, bien qu’il ne soit pas principe d’opération dans
le Père. Mais lorsqu’on dit:«Le Père aime le Fils au moyen de
l’Esprit-Saint», on n’indique pas un effet dans la créature ni quelque chose
dont le principe serait l’Esprit-Saint; et c’est pourquoi la raison de
s’exprimer n’est pas semblable. |
Et ideo quidam
dicunt quod ablativus construitur in habitudine signi, et quasi effectus ;
quia sicut generatio quodammodo terminatur ad Filium, ita spiratio quae
designatur in dilectione, terminatur ad Spiritum sanctum. Unde exponunt sic: « Pater et
Filius diligunt se Spiritu sancto » ; idest, Spiritus sanctus est signum
quod Pater et Filius diligunt se. Sed hoc non videtur conveniens ; quia etiam
amor creatus est signum dilectionis, qua Pater et Filius diligunt se ; et ita
per viam istam diceretur, quod Pater et Filius diligunt se amore creato, quod
falsum est. Praeterea Spiritus sanctus est amor Patris, et amore formaliter
aliquid diligitur ; et ita Spiritu sancto, etiam formaliter loquendo, Pater
diligit. |
Et c’est pourquoi certains disent que
l’ablatif est construit dans une relation de signe et comme un effet ;
car tout comme la génération se termine d’une certaine manière au Fils, de
même la spiration qui est désignée dans l’amour se termine à l’Esprit-Saint.
Partant de là, il expliquent cet énoncé : «Le Père et le Fils s’aiment
par l’Esprit-Saint» de la manière suivante : l’Esprit-Saint est le signe
que le Père et le Fils s’aiment. Mais cette explication ne semble pas juste
car même l’amour créé est le signe de l’amour par lequel le Père et le Fils
s’aiment ; et ainsi par cette approche on pourrait dire que le Père et
le Fils s’aiment par l’amour créé, ce qui est faux. Par ailleurs,
l’Esprit-Saint est l’amour du Père, et c’est formellement par l’amour qu’un
être est aimé ; et ainsi, même à parler formellement, c’est par
l’Esprit-Saint que le Père aime. |
Et ideo alii dixerunt, quod ablativus
ille construitur in habitudine formae ; quia Pater et Filius formaliter amore
diligunt qui est Spiritus sanctus. Sed hoc etiam ex toto non videtur
sufficiens ; quia forma non denominat aliquid nisi inhaereat ; et ita cum Spiritus
sanctus non se habeat ad patrem ut inhaerens, sed ut per se subsistens, non
potest esse quod sit sicut forma eliciens actum dilectionis. Et praeterea
forma habet rationem principii respectu ejus cujus est forma, quaecumque
forma sit, vel quantum ad esse substantiale, vel accidentale, et operationem
consequentem ; et ita Spiritus sanctus esset principium alicujus in Patre ;
quod falsum est. |
Et c’est pourquoi d’autres disent que cet
ablatif est construit dans une relation de forme ; car le Père et le
Fils aiment formellement par l’amour qui est l’Esprit-Saint. Mais cela non
plus ne semble pas totalement suffisant ; car la forme n’indique de
l’être qu’à la manière de ce qui existe dans un autre ; et ainsi,
puisque l’Esprit-Saint ne se rapporte pas au Père à la manière d’un être qui
existerait en Lui, mais à la manière d’un être qui subsiste par lui-même, il
n’est pas possible qu’il soit comme une forme qui suscite un acte d’amour. Et
par ailleurs la forme a raison de principe par rapport à ce dont elle est la
forme, quelle que soit la forme dont il s’agisse, soit quant à l’existence
substantielle ou quant à l’existence accidentelle et découlant de
l’opération ; et en ce sens l’Esprit-Saint serait le principe de quelque
chose dans le Père, ce qui est faux. |
Et ideo alii dixerunt, quorum videtur
esse auctor Hugo de s. Victore ubi supra, quod construitur in habitudine
quasi effectus formalis, ut dicatur effectus largo modo omne id quod a
principio est, quia proprie in divinis non est efficiens et effectum ; et
formale dicatur, quod habet actum formae in denominando. Et est sensus: a
Patre et Filio procedit amor, qui est Spiritus sanctus, quo diligit se. Unde
haec opinio simul concludit duas ultimas praedictarum ; unde perfectius
continet veritatem, et sibi consentiendum videtur. |
Et c’est pourquoi d’autres disent, dont
semble faire partie l’auteur Hugues de Saint-Victor nont nous avons parlé
plus haut, que l’ablatif est construit dans une relation d’effet formel,
comme on appelle effet au sens large tout ce qui vient d’un principe car à
proprement parler en Dieu il n’y a ni cause efficiente ni effet ; et on
appelle formel ce qui dans la dénomination possède l’acte de la forme. Et le
sens est alors : l’amour par lequel ils s’aiment, qui est
l’Esprit-Saint, procède du Père et du Fils. D’où cette opinion conclut
simultanément les deux dernières opinions et par conséquent contient plus
parfaitement la vérité et il semble qu’on doive y donner notre assentiment. |
Tamen ad explanationem ejus sciendum
est, quod secundum diversam naturam generis diversus est modus
denominationis. Quaedam enim genera secundum rationem suam significant ut
inhaerens, sicut qualitas et quantitas, et hujusmodi ; et in talibus non fit
denominatio nisi per formam inhaerentem, quae est secundum aliquod esse vel
substantiale vel accidentale. Quaedam autem significant secundum rationem
suam, ut ab alio ens, et non ut inhaerens, sicut praecipue patet in actione. |
Il faut cependant savoir pour l’expliquer
qu’il y a différentes manières de dénommer d’après des natures de genres
différents. En effet, certains genres de par leur définition signifient à la
manière de ce qui est inhérent, comme la qualité, la quantité et les
attributs de cette sorte ; et dans ces cas il n’y a dénomination que par
une forme inhérente qui se présente sous le rapport d’une existence soit
substantielle, soit accidentelle. Mais d’autres genres signifient d’après
leur définition comme un ce qui existe par un autre et non comme ce qui est
inhérent, tout comme on le voit surtout dans l’action. |
Actio enim, secundum quod est actio,
significatur ut ab agente ; et quod sit in agente, hoc accidit sibi inquantum
est accidens. Unde in genere actionis denominatur accidens per id quod ab eo
est, et non per id quod principium ejus est ; sicut dicitur actione agens ;
nec tamen actio est principium agentis, sed e converso. |
L’action en effet, prise en tant qu’action,
est signifiée comme procédant d’un agent ; et que l’action soit dans
l’agent, cela lui arrive en tant qu’elle est un accident. D’où il résulte que
dans le genre de l’action l’accident est dénommé par ce qui procède de lui et
non par ce qui en est le principe, tout comme l’agent est dénommé par
l’action ; et cependant l’action n’est pas le principe de l’agent, mais
c’est l’inverse qui est vrai. |
Et si per impossibile poneretur esse
aliquam actionem quae non esset accidens, non esset inhaerens, et tamen
denominaret agentem, et tunc agens denominaretur per id quod ab eo est, et in
eo non est ut inhaerens. Sed quia cujuslibet actionis principium est aliqua
forma inhaerens, ideo aliquid potest dici agens duobus modis ; vel ipsa actione, quae denominat
agentem et non est principium ejus ; vel forma, quae est principium actionis
in agente, et secundum quid principium agentis ; sicut dicimus ignem moveri
sursum motu proprio, et levitate. |
Et si par impossible on posait qu’il existe
une action qui n’est pas un accident, ce ne serait pas un accident inhérent
et cependant il dénommerait l’agent et alors l’agent serait dénommé par ce
qui procède de lui et qui n’existe pas en lui comme quelque chose d’inhérent.
Mais parce que le principe de toute action est une forme inhérente, c’est
pourquoi un être peut être appelé agent de deux manières : soit par
l’action elle-même qui dénomme l’agent sans en être le principe ; soit
par la forme qui est le principe de l’action dans l’agent et sous un rapport
le principe de l’agent, tout comme nous disons que le feu se meut vers le
haut par son mouvement propre et sa légèreté. |
His visis, patet de facili qualiter
concedendum sit quod dictum est, et quid est quod dubitationem induxerit.
Diligere enim in divinis potest dici vel essentialiter, secundum quod non
importat nisi processionem secundum rationem ; vel notionaliter, secundum
quod importat processionem realem amoris ab amante: et ab utroque modo
invenitur amor dupliciter dici: scilicet ut qualitas, prout amor significat
habitum amantis in amante ; et ut operatio, prout amor significat actum vel
passionem amantis in amante. Si igitur diligere sumatur essentialiter, cum
dicitur, Pater diligit Filium, dicetur diligere denominative amore qui est
actus essentialis, et sicut principio illius actus, ipsa caritate, quae est
substantia divina. |
Ceci étant vu, on voit facilement de quelle
manière il faut condéder ce qui a été dit et en quoi consiste ce qui a
conduit à la difficulté. En effet, aimer en Dieu peut se dire soit
essentiellement, selon qu’il n’implique qu’une procession selon la raison,
soit notionnellement, selon qu’il implique une procession réelle de l’amour
par l’amant ; et l’amour se dit de deux manières par chacune des deux
modalités : c’est-à-dire en tant que qualité selon que l’amour signifie
l’habitus de l’amant dans l’amant, et en tant qu’opération, selon que l’amour
signifie l’acte ou la passion de l’amant dans l’amant. Si donc ¨aimer¨ se
prend essentiellement lorsqu’on dit ¨Le Père aime le Fils¨, aimer se dira
dénominativement par l’amour qui est l’acte essentiel et comme par le
principe de cet acte, par la charité elle-même, qui est la substance divine. |
Si autem sumatur notionaliter, tunc,
si amor significat formam quae est principium hujus actus, dicetur Pater
diligere Filium ipsa proprietate quae est principium processionis Spiritus
sancti, sicut paternitas est principium generationis Filii. Si autem amor
nominet ipsam actionem procedentem, sic Pater dicitur diligere Filium amore
qui est Spiritus sanctus, vel Spiritu sancto ; licet hoc non adeo expressam
contineret veritatem. Et similiter est in aliis nominibus personalibus quae
significant personam per modum operationis, ut « verbum » ; et ideo
dicitur, quod Pater dicit Verbo suo |
Mais si l’amour se prend
notionnellement, alors, si l’amour signifie la forme qui est le principe de
cet acte, on dira que le Père aime le Fils par la propriété même qui est le
principe de la procession de l’Esprit-Saint, tout comme la paternité est le
principe de la génération du Fils. Mais si l’amour nomme l’action même qui
procède, ainsi on dit du Père qu’il aime le Fils par l’amour qui est
l’Esprit-Saint ou qu’il l’aime par l’Esprit-Saint, bien que cela ne se
trouverait pas à exprimer la vérité dans sa totalité. Et il en est de même
pour tous les autres noms personnels qui signifient la personne par mode
d’opération, comme c’est le cas pour le terme «verbe» ; et c’est
pourquoi on dit que le Père parle par son verbe. |
[2286] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod diligere, prout essentialiter
sumitur, est omnibus modis idem quod esse, et quantum ad rem, et quantum ad
modum significandi, qui est significare absolute in divinis. Unde accipiendo
hoc modo diligere, nullo modo Pater diligit Spiritu sancto. Sed diligere
notionaliter sumptum, non idem est Patri quod esse, secundum modum
significandi ; quia diligere dicitur relative, et esse absolute ; et ideo non
sequitur quod Spiritu sancto sit, quamvis Spiritu sancto diligat: sicut
paternitate est Pater, nec tamen paternitate est. Sed sapere in divinis
nunquam dicitur nisi essentialiter ; et ideo nullo modo potest dici quod
Pater sit sapiens sapientia genita. |
Solutions : 1.Il faut donc dire en
premier lieu qu’aimer, selon qu’il se prend essentiellement, est identique à
l’existence de toutes les manières, à la fois quant à la chose signifiée et
quant au mode de signifier qui consiste en Dieu à signifier absolument. D’où
il résulte qu’à prendre aimer en ce sens, c’est-à-dire essentiellement, en
aucune manière le Père n’aime par l’Esprit-Saint. Mais aimer pris
notionnellement n’est pas identique à l’existence chez le Père selon le mode
de signifier car alors aimer se dit relativement tandis qu’exister se dit
absolument ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il existe par
l’Esprit-Saint bien qu’il aime par l’Esprit-Saint, tout comme c’est par la
paternité qu’il est Père mais ce n’est pas par la paternité qu’il existe.
Mais la sagesse en Dieu ne se dit jamais qu’essentiellement et c’est pourquoi
on ne peut en aucune manière dire que le Père est sage par une sagesse
engendrée. |
[2287] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dictum est, in corp. art., amor
personalis non se habet ad Patrem diligentem ut principium dilectionis, sed
magis ut actus denominans: et ideo non construitur in habitudine alicujus
principii, nec in habitudine formae inquantum forma est principium, sed solum
inquantum forma est denominans ; ut cum dicitur: iste est agens actione. Et
ideo, quia propositiones important expresse habitudinem causae, non ita est
propria ista: Pater diligit Filium per Spiritum sanctum, sicut haec: Pater
diligit Spiritu sancto. Quamvis etiam concedi possit, inquantum est
principium denominationis, non simpliciter. Haec autem: Pater diligit a
Spiritu sancto, nullo modo concedenda est: quia dicit principium per modum
efficientis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu tout comme
nous l’avons dit dans le corps de l’article, que l’amour personnel ne se
rapporte pas au Père aimant comme un principe d’amour, mais plutôt comme
l’acte qui dénomme ; et c’est pourquoi il n’est pas construit dans une
relation de principe ni dans une relation de forme pour autant que la forme
est principe, mais seulement pour autant que la forme est ce qui dénomme,
comme lorsqu’on dit : «celui-ci agit dans l’action». Et c’est pourquoi,
parce que les propositions impliquent distinctement une relation de causalité,
cette proposition-ci : «le Père aime le Fils au moyen de
l’Esprit-Saint», n’est pas aussi propre que celle-là : «Le Père aime en
l’Esprit-Saint». Cette dernière en effet, bien qu’elle puisse être concédée
en tant qu’elle est principe de dénomination, elle ne doit cependant pas
l’être absolument. Mais cette proposition : «Le Père aime par
l’Esprit-Saint», ne doit être concédée en aucune manière car elle dit un
principe par mode de cause efficiente. |
[2288] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non dicit actum
essentialem, sed notionalem. Sciendum
tamen est, quod in actu notionali, qui est diligere, duo intelliguntur ;
scilicet actus ipse, et exitus actus ab agente: et ipse actus est persona
Spiritus sancti ; sed emanatio actus ab agente est proprie notio, sive
notionalis actus, qui est processio: et ideo etiam persona Spiritus sancti
non significatur per actum designatum verbo, quia verbum significat actum ut
egredientem ab agente, sed significatur per actum designatum nomine quod
significat actum absolute, ut amor et dilectio. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
¨aimer¨ ne dit pas un acte essentiel, mais un acte notionnel. Il faut
cependant savoir que dans cet acte notionnel, à savoir aimer, on entend deux
choses : c’est-à-dire l’acte lui-même et la sortie de l’acte de
l’agent : et l’acte lui-même est la personne de l’Esprit-Saint ;
mais la sortie de l’acte de l’agent est proprement la notion ou l’acte
notionnel qui est la procession : et c’est pourquoi aussi la personne de
l’Esprit-Saint n’est pas signifiée au moyen d’un acte désigné par un verbe,
car le verbe signifie l’acte comme sortant de l’agent, mais il est signifié
par un acte désigné par un nom qui signifie l’acte absolument, comme l’amour. |
Diligere autem proprie dicit notionem,
quia diligere idem est quod amorem emittere. Unde in verbo diligendi
importatur et ipse actus, qui est persona, ratione cujus secundum illum actum
denominatur Pater diligens amore, qui est persona Spiritus sancti ; et
importat emissionem actus, ratione cujus est notionale. Sed hoc verbum
« spirat » significat ipsam emissionem actus, et non actum emissum:
et ideo Pater non dicitur spirans Spiritu sancto, sed actu, vel proprietate
spirationis. Et simile est de generatione: quia generatio dicit emissionem
geniti ; unde non dicitur quod Pater generat verbo ; sed « dicere »
dicit emissionem verbi, et verbum emissum: et ideo dicitur, quod dicit verbo.
Verbum autem nominat id quod emissum est, et non emissionem ; et ideo verbum
est personale, sicut et amor: et diligere est notionale, sicut dicere. |
Mais aimer dit proprement une notion car
aimer signifie la même chose qu’émettre l’amour. D’où il résulte que dans le
verve ¨aimer¨ est impliqué à la fois l’acte lui-même, qui est la personne, en
raison duquel le Père est dénommé, conformément à cet acte, comme aimant par
l’amour qui est la personne de l’Esprit-Saint ; et il implique aussi
l’émission de l’acte en raison de quoi il est notionnel. Mais ce verbe, à
savoir «il spire», signifie l’émission ou la sortie même de l’acte et non
l’acte émis : et c’est pourquoi on ne dit pas du Père qu’il spire par
l’Esprit-Saint, mais plutôt par l’acte ou par la propriété de la spiration.
Et il en est de même pour la génération : car la génération dit
l’émission de ce qui est engendré ; et de là on ne dit pas du Père qu’il
engendre par le Verbe ; mais dire dit l’émission du verbe et le verbe
émis : et c’est pourquoi on dit du Père qu’il dit par le verbe. Mais le
verbe nomme ce qui est émis et non l’émission ; et c’est pourquoi le
Verbe est personnel, tout comme l’amour, et qu’aimer est notionnel, tout
comme dire. |
[2289] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod haec est vera: Pater et Filius uniuntur
Spiritu sancto, secundum quod Spiritus sanctus est ipsa unio, sicut et amor
quo formaliter uniuntur, ut dictum est, dist. 10, quaest. 1, art. 4, sicut eo
quod ab eis procedit, sicut aliqui uniuntur uno actu. Nec tamen ista
simpliciter concedenda est, quod Spiritus uniat Patrem et Filium ; quia unire
significat per modum unientis effective, quod non convenit Spiritui sancto.
Potest tamen concedi, si intelligatur uniens formaliter, sicut albedo dicitur
facere album. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que cette
proposition est vraie : le Père et le Fils sont unis par l’Esprit-Saint,
selon que l’Esprit-Saint est l’union elle-même, tout comme il est aussi
l’amour par lequel ils sont formellement unis, ainsi que nous l’avons plus
haut [dist. 10, quest. 1, art. 4], tout comme ce par quoi il procède d’eux,
tout comme certains sont uni dans un même acte. Et cependant il ne faut pas
concéder absolument cette proposition, à savoir : «L’Esprit-Saint unit
le Père et le Fils». Car unir signifie par mode de ce qui unit à la manière
d’un agent, ce qui ne convient pas à l’Esprit-Saint. On peut cependant la
concéder, si on entend ¨unit¨ formellement, tout comme on dit de la blancheur
qu’elle rend blanc. |
|
|
Articulus 2 [2290] Super Sent., lib. 1
d. 32 q. 1 a. 2 tit. Utrum Pater diligat se Spiritu sancto |
Article 2 – Le Père s’aime-il par l’Esprit Saint ? |
[2291] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater non diligat se
Spiritu sancto. Aut enim diligere importat actum essentialem, aut notionalem.
Si essentialem, communis est toti Trinitati, et significat divinam essentiam.
Ergo non diligit se essentialiter Spiritu sancto. Si autem significat actum
notionalem ; contra: nullus actus
notionalis reflectitur super eum a quo est: non enim Pater generat se. Si
igitur diligere sit actus notionalis, videtur quod haec sit falsa: Pater
diligit se Spiritu sancto |
Difficultés : 1. Il semble que le Père
ne s’aime pas par l’Esprit-Saint. Ou bien en effet ¨aimer¨ implique un acte
essentiel, ou bien il implique un acte notionnel. S’il implique un acte
essentiel, il est commun à toute la Trinité et signifie l’essence divine.
Dans ce cas, il ne s’aime pas essentiellement par l’Esprit-Saint. Mais s’il
signifie un acte notionnel, au contraire, aucun acte notionnel ne revient sur
celui d’où il procède : en effet, le Père ne s’engendre pas lui-même. Si
donc ¨aimer¨ est un acte notionnel, il semble que la proposition suivante, à
savoir «Le Père s’aime lui-même par l’Esprit-Saint» soit fausse. |
2292] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 2 arg. 2 Praeterea, processio Spiritus sancti secundum ordinem naturae
praesupponit generationem Filii: quia Spiritus sanctus procedit a Patre et
Filio. Sed quidquid convenit Patri secundum seipsum, potest etiam sibi
convenire, generatione Filii non intellecta. Ergo cum diligere se dicatur de
Patre respectu sui ipsius, videtur quod non diligat se Spiritu sancto: quia
sic Spiritus sanctus intelligeretur procedere a Patre per modum amoris, etiam
Filio non existente. |
2. Par ailleurs, la procession de
l’Esprit-Saint selon l’ordre de nature présuppose la génértion du Fils :
car l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils. Mais tout ce qui convient au
Père en Lui-même peut aussi lui convenir même si on fait abstraction de la
génération du Fils. Donc, lorsque ¨aimer¨ se dit du Père par rapport à
lui-même, il semble qu’il ne s’aime pas par l’Esprit-Saint car ainsi
l’Esprit-Saint serait entendu comme procédant du Père par mode d’amour même
si le Fils n’existait pas. |
[2293] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 2 arg. 3 Item, amor gratuitus semper in alterum tendit, ut dicit
Gregorius, Homil., XVII, in Evang., col. 113 quod caritas minus
quam inter duos haberi non potest. Sed caritas creata est exemplata a
caritate increata, quae est Spiritus sanctus. Ergo videtur quod amor iste quo
diligit Pater seipsum, non sit amor personalis, qui est Spiritus sanctus. |
3. En outre, l’amour gratuit tend toujours
vers un autre, comme le dit Saint-Grégoire [Homélie XVII, dans
l’Évangile, col. 113, t. 11] en affirmant que la charité ne peut se
retrouver entre moins de deux personnes. Mais la charité créée est comme une copie de la charité incréée
qui est l’Esprit-Saint. Il semble donc que cet amour par lequel le Père
s’aime lui-même ne soit pas l’amour personnel qui est l’Esprit-Saint. |
[2294] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, quocumque amore amat se Pater, amat se Filius et
Spiritus sanctus. Si igitur Pater amat se Spiritu sancto, ergo et Spiritus
sanctus amabit se Spiritu sancto. Sed omnis amor procedit ab amante. Ergo
Spiritus sanctus procedit a seipso, quod est inconveniens. Ergo nec Pater
Spiritu sancto amat se. |
4. Par ailleurs, quel que soit l’amour par
lequel le Père s’aime lui-même, c’est celui par lequel le Fils et
l’Esprit-Saint s’aiment eux-mêmes. Si donc le Père s’aime par l’Esprit-Saint,
l’Esprit-Saint s’aimera par l’Esprit-Saint. Mais tout amour procède d’un
amant. Donc, l’Esprit-Saint procédera de lui-même, ce qui est absurde. Donc,
le Père ne s’aime pas lui-même par l’Esprit-Saint. |
[2295] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 2 s. c. 1 Contra, Pater eodem amore amat Filium et seipsum. Sed Filium
diligit Spiritu sancto. Ergo et seipsum Spiritu sancto amat. |
Cependant : 1. Au contraire, c’est par
le même amour que le Père aime le Fils et s’aime lui-même. Mais il aime le
Fils par l’Esprit-Saint. Il s’aime donc lui-même par l’Esprit-Saint. |
[2296] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut amor est proprium Spiritus sancti ; ita et
verbum proprium Filii. Sed, secundum Anselmum, Monol., c. XXXII, et XXXIII, col. 185, Pater dicit se verbo,
scilicet quod est Filius. Ergo et amat se amore ab ipso procedente, qui est
Spiritus sanctus. |
2. Par ailleurs, tout comme l’amour est le
propre de l’Esprit-Saint, de même le verbe est le propre du Fils. Mais
d’après Saint-Anselme [Monologues,
ch. XXXII et XXXIII, col. 185] le Père se dit par le verbe, c’est-à-dire par
celui qui est le Fils. Donc, il s’aime lui-même par l’amour qui procède de
Lui et qui est l’Esprit-Saint. |
[2297] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum dicitur Pater diligit se Spiritu
sancto, potest intelligi de dilectione essentiali vel notionali. Si de
dilectione essentiali, sic, sicut nec Filium, ita nec seipsum Spiritu sancto
diligit ; sed caritate essentiali et operatione essentiali. Si autem
intelligatur de dilectione notionali, sic, sicut Filium, ita et se Spiritu
sancto amat: quia diligere notionaliter sumptum nihil aliud dicit quam esse
principium amoris personalis, qui est Spiritus sanctus ; quia amor qui
significatur per modum operationis, denominat Patrem a quo est, ut Pater
dicatur Spiritu sancto diligere. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que lorsqu’on dit que le père s’aime par l’Esprit-Saint, cela peut s’entendre
de l’amour essentiel ou de l’amour notionnel. Si cela s’entend de l’amour
essentiel, alors il n’aime ni lui-même ni le Fils par l’Esprit-Saint mais par
la charité essentielle et par l’opération essentielle. Mais si cela s’entend
de l’amour notionnel, alors il tout comme aime le Fils par l’Esprit-Saint, de
même il s’aime lui-même par l’Esprit-Saint : car ¨aimer¨ pris
notionnnellement ne dit rien d’autre que d’être principe de l’amour personnel
qui est l’Esprit-Saint ; car l’amour qui est signifié par mode
d’opération dénomme le Père duquel il procède, de manière à dire du Père
qu’il aime par l’Esprit-Saint. |
Et cum tota ratio dilectionis quae est
in Filio, sit in Patre, et e converso ; ex neutra parte potest impediri quin
Pater Spiritu sancto seipsum diligat, scilicet nec ex parte spirantis amorem,
nec ex parte diligibilis: quia ipse Pater ex una parte sufficiens principium
est Spiritus sancti, et ex alia parte sufficiens ratio diligibilitatis in
ipso est, et etiam in Spiritu sancto. Unde sicut Pater Filium Spiritu sancto
diligit ; ita et seipsum et Spiritum sanctum Spiritu sancto diligit. |
Et puisque toute disposition à l’amour qui
est dans le Fils est aussi dans le Père et inversement, d’aucun côté il ne
peut être empêché que le Père s’aime lui-même par l’Esprit-Saint, à savoir ni
du côté de celui qui spire l’amour, ni du côté de celui qui est
aimable : car le Père lui-même d’un côté est un principe suffisant de
l’Esprit-Saint et d’un autre côté il y a en lui et même dans l’Esprit-Saint
une disposition suffisante à l’amabilité. D’où il résulte que tout comme le
Père aime le Fils par l’Esprit-Saint, de même il s’aime lui-même et
l’Esprit-Saint par l’Esprit-Saint. |
[2298] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod
intelligitur de actu notionali. Sed sciendum est, quod cum actus omnis
notionalis importet rationem principii quantum ad originem divinae personae,
hoc contingit dupliciter: quandoque enim designatur ratio principii respectu
ejus in quod terminatur actus notionalis, ut cum dicitur: Pater generat
Filium: generare enim importat habitudinem principii quae est in generante
respectu generati: et in talibus non potest fieri reciprocatio, ut dicatur
quod Pater generat se ; quia nulla persona est principium sui ipsius:
quandoque autem habitudo principii non importatur respectu ejus in quod
transit actus, ut patet cum dicitur: |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’aimer
s’entend ici de l’acte notionnel. Mais il faut savoir que puisque tout acte notionnel
a raison de principe quant à l’origine de la personne divine, cela se produit
de deux manières : parfois en effet la raison de principe est désignée
par rapport à ce en quoi se termine acte notionnel, comme lorsqu’on
dit : le Père engendre le Fils ; engendrer en effet implique une
relation de principe qui est dans celui qui engendre par rapport à celui qui
est engendré, et dans ces cas il ne peut y avoir réciprocité de manière à
dire que le Père s’engendre lui-même, car nulle personne n’est le principe de
soi-même ; mais parfois la relation de principe n’est pas impliquée par
rapport à ce en quoi l’acte passe, comme on le voit lorsqu’on dit : |
Pater dat essentiam Filio: non enim
significatur Pater esse principium dati quod est essentia, sed ejus cui datur
; et similiter est in hoc verbo diligere, quod importat habitudinem
principii, non diligentis ad dilectum, sed diligentis ad amorem, qui
importatur in verbo diligit ; et ideo in talibus potest esse reciprocatio: et
hoc contingit, quia verbum diligere non tantum importat emissionem, sed ipsum
amorem emissum ; unde si accipiatur separatim id quod ad originem pertinet
tantum, non erit conversio ; non enim potest dici, quod Pater spiret se. |
Le Père donne l’essence au Fils : cet
énoncé en effet ne signifie pas que le Père est le principe de ce qui est
donné et qui est l’essence, mais plutôt de celui à qui elle est donnée ;
et il en est pareillement pour ce verbe ¨aimer¨, à savoir qu’il implique une
relation de principe non pas de celui qui aime à ce qui est aimé, mais de
celui qui aime à l’amour, laquelle est impliquée dans le verbe ¨il
aime¨ ; et c’est pourquoi dans
ces cas il peut y avoir réciprocité : et il en est ainsi parce que le
verbe ¨aimer¨ n’implique pas seulement une émission, mais l’amour même qui
est émis ; d’où il résulte que si on prenait séparément ce qui
appartient à l’origine seulement, il n’y aurait pas conversion : en
effet, on ne peut pas dire que le Père se spire lui-même. |
[2299] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si generatio Filii non esset, Pater non
diligeret se Spiritu sancto ; quia nec Pater esset, cum persona Patris
paternitate constituatur. Si tamen detur per impossibile quod persona Patris
remaneat, poterit per se amorem spirare personalem. Nec tamen ab hoc
excluditur Filius : quia omnis Patris perfectio est etiam Filii, in qua
secundum relationem originis non opponuntur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que s’il
n’y avait pas la génération du Fils, le Père ne s’aimerait pas par
l’Esprit-Saint ; car le Père n’existerait pas non plus puisque la
personne du Père est constituée par la paternité. Si cependant on accordait
par impossible que la personne du Père demeure, il pourrait par lui-même
spirer l’amour personnel. Et cependant le Fils n’est pas écarté pour autant
par cela : car toute perfection du Père appartient aussi au Fils dans
laquelle ils ne s’opposent pas selon la relation d’origine. |
[2300] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amor gratuitus non est amor privatus, qui
in alterum tendat ; nihilominus tamen et in ipsum amantem reflectitur ; non
enim tantum proximus ex caritate diligendus est ; sed etiam seipsum et
quantum ad animam et quantum ad corpus ex caritate debet homo diligere ; et
ita etiam Pater Spiritu sancto diligit. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
l’amour gratuit qui tend vers un autre n’est pas l’amour propre ;
néanmoins cependant il revient sur l’amant lui-même ; en effet, ce n’est
pas seulement le prochain qu’il faut aimer par charité, mais aussi lui-même
que l’homme doit aimer de charité à la fois quant à l’âme et quant au
corps ; et c’est de même encore que le Père aime par l’Esprit-Saint. |
[2301] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, Spiritus sanctus diligit se
Spiritu sancto, si intelligatur de dilectione essentiali, expresse verum est
; quia sicut seipso Deus est, ita seipso essentialiter diligens est. Si autem
intelligatur de dilectione notionali, tunc in hoc verbo diligere importatur
quasi duplex actus ; scilicet ipse actus amoris qui significat personam Spiritus
sancti, et emissionem [emissio éd. de
Parme] amoris. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint s’aime lui-même par l’Esprit-Saint, si on
l’entend de l’amour essentiel, cela est manifestement vrai ; car tout
comme Dieu existe par lui-même, de même c’est par lui-même qu’il est
essentiellement aimant. Mais si on l’entend de l’amour notionnel, alors dans
ce verbe ¨aimer¨ sont impliqués comme deux actes, à savoir l’acte même de
l’amour [et l’émission Éd. de Parme] qui signifie la personne de
l’Esprit-Saint et l’émission de l’amour. |
Unde diligere notionaliter sumptum,
nihil aliud est quam spirare amorem. Per spirare
enim significatur ipsa emissio ; sed per amorem persona Spiritus sancti ; ac
si diceretur generare Filium. Unde sicut Filio non competit generare Filium,
ita nec Spiritui sancto spirare amorem. Nec ex hoc aliquid imperfectionis in
Spiritu sancto vel in Filio relinquitur, ut ex praedictis patet, dist. 7: et ideo secundum hunc sensum non
conceditur quod Spiritus sanctus notionaliter diligat. Si autem ab intellectu
hujus verbi diligit separetur actus originis per quem efficitur notionale ;
et remaneret tantum id quod personale est, scilicet ipse amor: sic Spiritui
sancto conveniret: quia ipse procedit ut operatio subsistens. |
Il résulte de là que ¨aimer¨ pris
notionnellement n’est rien d’autre que spirer l’amour. Par ¨spirer¨ en effet
on signifie l’émission elle-même ; mais par ¨amour¨ on signifie la
personne de l’Esprit-Saint ; c’est comme si on disait ¨engendrer le Fils¨.
De là, tout comme il ne revient pas au Fils d’engendrer le Fils, de même il
ne revient pas à l’Esprit-Saint de spirer l’amour. Et il ne s’ensuit pas de
là une imperfection dans l’Esprit-Saint ou dans le Fils comme on peut le voir
à partir de ce qui a été dit plus tôt dans la distinction 7 : et c’est
pourquoi on ne concède pas en ce sens que l’Esprit-Saint aime notionnellement.
Mais si on séparait de l’intelligence de ce verbe ¨il aime¨ l’acte d’origine
par lequel il est rendu notionnel et qu’il restait seulement ce qui est
personnel, à savoir l’amour lui-même, alors il conviendrait à l’Esprit-Saint
d’aimer notionnellement, à savoir de spirer l’amour car Il procède Lui-même
en tant qu’opération subsistante. |
Unde ipsa operatio est operans ; et
secundum hoc Spiritus sanctus etiam seipso diligeret seipsum vel Patrem ; et
tunc diligere non importaret aliquid notionale, sed tantum personam alio modo
significatam. |
Il résulte de là que l’opération elle-même
est opérante ; et suite à cela l’Esprit-Saint aussi, par lui-même,
aimerait Lui-même ou le Père ; et alors ¨aimer¨ n’impliquerait pas
quelque chose de notionnel, mais seulement la personne signifiée d’une autre
manière. |
Unde hoc verbum diligere potest
tripliciter sumi. Aut secundum quod dicit essentiam tantum
; et tunc dicit exitum secundum rationem operationis essentialis, quae est
ipsa essentia, ab essentia divina ; et sic Pater non diligit Spiritu sancto,
et similiter Filius et Spiritus sanctus. Aut secundum quod nominat tantum
personam Spiritus sancti ; et sic etiam non dicit exitum, nisi secundum
rationem ; unde secundum hoc convenit tantum Spiritui sancto diligere. Sed
iste modus inconsuetus est. Aut dicit exitum realem ; et tunc
simul importat notionem activam, et personam Spiritus sancti ; et tunc non
convenit nisi Patri et Filio. |
D’où il résulte que ce verbe ¨aimer¨ peut se
prendre de trois manières. Soit
selon qu’il dit l’essence seulement ; et alors il dit selon la raison
une sortie de l’opération essentielle, qui est l’essence elle-même, de l’essence
divine ; et en ce sens ni le Père, ni le Fils ni l’Esprit-Saint n’aime
par l’Esprit-Saint. Soit
selon qu’il nomme seulement la personne de l’Esprit-Saint ; et de la
sorte encore il ne dit une sortie que selon la raison ; d’où il résulte
que pris en ce sens, il ne convient qu’à l’Esprit-Saint d’aimer. Mais ce mode
est inhabituel. Ou
bien encore ce verbe dit une sortie réelle ; et alors il implique
simultanément la notion active et la personne de l’Esprit-Saint ; et
alors il ne convient qu’au Père et au Fils. |
|
|
Articulus 3 [2302] Super Sent., lib. 1
d. 32 q. 1 a. 3 tit. Utrum Pater et Filius diligant nos Spiritu sancto |
Article 3 – Le Père et le Fils nous aiment-ils par l’Esprit Saint ? |
[2303] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Pater et Filius non
diligant nos Spiritu sancto. Omne enim dictum de Deo connotans effectum in
creatura, est essentiale. Sed cum Deus dicitur creaturam
diligere, in dilectione connotatur effectus in creatura, quem diligendo confert.
Ergo oportet quod
essentialiter sumatur. Sed dictum est, art. antec., quod Pater et Filius
nullo modo diligunt Spiritu sancto, si diligere essentialiter sumatur ; quia
Spiritus sanctus nullam rationem habet principii respectu alicujus
essentialis, neque per modum denominantis, neque alio modo. Ergo videtur quod
Pater et Filius non diligunt nos Spiritu sancto. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père
et le Fils ne nous aiment pas par l’Esprit-Saint. En effet, tout ce qu’on dit
de Dieu et qui renvoie à un effet dans la créature est essentiel. Mais
lorsqu’on dit de Dieu qu’il aime la créature, cet amour fait connaître un
effet dans la créature qu’il se trouve à donner en aimant. Il faut donc qu’il
se prenne essentiellement. Mais nous avons dit dans l’article précédent que
le Père et le Fils n’aiment aucunement par l’Esprit-Saint si ¨aimer¨ se prend
essentiellement car l’Esprit-Saint n’a aucunement raison de principe par
rapport à quelque chose d’essentiel, ni à la manière de ce qui dénomme, ni
d’aucune autre manière. Il semble donc que le Père et le Fils ne nous aiment
pas par l’Esprit-Saint. |
[2304] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 3 arg. 2 Praeterea, cum dicitur, Pater diligit Filium Spiritu sancto, ut
supra dictum est, secundum opinionem Hugonis de s. Victore, ubi supra,
ablativus construitur in habitudine effectus quasi formalis. Sed in illa
comparatione qua Deus ad creaturam comparatur, nullo modo se habet Spiritus
sanctus ut effectus, immo magis id quod in creatura efficitur. Ergo videtur
quod non possit salvari haec eadem ratio veritatis. |
2. Par ailleurs, lorsqu’on dit que le Père
aime le Fils par l’Esprit-Saint, comme nous l’avons dit plus haut d’après
l’opinion de Hugues de Saint-Victor, où plus haut l’ablatif est construit
dans une relation d’effet formel. Mais dans cette comparaison par laquelle
Dieu se compare à la créature, l’Esprit-Saint ne se présente aucunement comme
un effet mais bien plutôt comme ce qui est produit dans la créature. Il
semble donc que cette même raison de vérité ne pourrait être sauvée. |
[2305] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, sicut dilectio se habet ad
Spiritum sanctum, ita et generatio ad Filium. Sed Pater non generat nos Filio ; immo potius dicitur
nos regenerare Spiritu sancto. Ergo videtur quod nec nos Spiritu sancto
diligat. |
3. En outre, tout comme
l’amour se rapporte à l’Esprit-Saint, de même la génération se rapporte au
Fils. Mais le Père ne nous engendre pas par le Fils ; on dit bien plutôt
qu’il nous regénère par l’Esprit-Saint. Il semble donc qu’il ne nous aime pas
par l’Esprit-Saint. |
[2306] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 3 s. c. 1 Contra est quod dicitur Joann. 17, 22: « Ut sint unum in nobis, sicut et nos unum sumus ». Non
enim loquitur ibi de unitate essentiali tantum ; quia illo modo Deo non unimur
; sed de unitate consonantiae, vel amoris, quod est Spiritus sanctus. Ergo
videtur quod sicut Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto, ita et nos. |
Cependant : 1. On lit au contraire
dans l’Écriture [Jean, 17, 22] : « Pour
qu’ils soient un en nous tout comme nous sommes un ». En effet, on ne
parle pas là de l’unité essentielle seulement car ce n’est pas de cette
manière que nous sommes unis à Dieu, mais par l’unité d’accord ou d’amour qui
est l’Esprit-Saint. Il semble donc que tout comme le Père et le Fils s’aiment
eux-mêmes par l’Esprit-Saint, de même ils nous aiment par l’Esprit-Saint. |
[2307] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 3 s. c. 2 Praeterea, sicut verbum est proprium Filii, ita et amor proprium
Spiritus sancti. Sed Pater dicit omnem creaturam verbo suo ; unde
Augustinus, lib. I Super Gen. Ad litt.,
cap. II, col. 248 et lib. II, cap. VIII, col. 269, Dixit,
et facta sunt ; idest, verbum genuit in quo erat ut fierent. Ergo diligit
creaturam amore suo, qui est Spiritus sanctus. |
2. Par ailleurs, tout comme le verbe est
propre au Fils, de même l’amour est propre à l’Esprit-Saint. Mais c’est par
son verbe que le Père dit toute créature ; d’où Saint-Augustin [Sur la
Genèse, t. 1, ch. 11, col. 248 et t. 11, ch. VIII, col. 269], en partant de cette parole :
«Il dit et ils furent», dit :
«Il engendra son verbe, dans lequel il
était, pour qu’ils viennent à l’existence». |
[2308] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum simpliciter quod Pater et Filius nos
diligunt Spiritu sancto, sicut supra, 10 dist., expresse habetur. Sciendum
tamen est ad ejus intellectum, quod processio divinarum personarum est
quaedam origo processionis creaturarum ; cum omne quod est primum in aliquo
genere, sit causa eorum quae sunt post ; sed tamen efficientia creaturarum
essentiae communi attribuitur. Unde dicendum est, quod cum dicitur, Pater et
Filius diligunt nos Spiritu sancto, hoc verbum diligere potest sumi
essentialiter et notionaliter ; et utroque modo vera est locutio. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut
absolument dire que le Père et le Fils nous aiment par l’Esprit-Saint, tout
comme nous l’avons distinctement établi plus haut à la distinction 10. Il
faut cependant savoir pour comprendre cela que la procession des personnes
divines est en quelque sorte l’origine de la procession des créatures,
puisque tout ce qui est premier dans un genre est cause des choses qui sont
secondes ; mais cependant le pouvoir de produire les créatures est
attribué à l’essence commune. D’où il faut dire que lorsqu’on dit que le Père
et le Fils nous aiment par l’Esprit-Saint, ce verbe ¨aimer¨ peut se prendre
soit essentiellement, soit notionnellement ; et dans les deux sens
l’expression est vraie. |
Si enim sumatur essentialiter, tunc in
verbo dilectionis designabitur efficientia totius Trinitatis, et in ablativo
designante personam Spiritus sancti, designabitur ratio efficientiae, non ex
parte efficientis, sed ex parte effectorum, quorum ratio et origo est
processio Spiritus sancti, sicut et verbum ; quamvis proprie verbum sit ratio
creaturarum, secundum quod exeunt a Deo per modum intellectus. Unde dicitur,
quod Pater dicit omnia verbo, vel arte sua. Sed Spiritus sanctus est ratio
earum, prout exeunt a Deo per libertatem voluntatis ; et ideo dicitur proprie
diligere creaturam Spiritu sancto, et non verbo. |
Si en effet il se prend essentiellement,
alors dans le verbe ¨aimer¨ sera désigné le pouvoir de produire de toute la
Trinité, et dans l’ablatif qui désigne la personne de l’Esprit-Saint sera
désignée la cause du pouvoir de produire, non pas du côté de la cause
efficiente, mais du côté des effets dont la cause et l’origine est la
procession de l’Esprit-Saint, tout comme le verbe, bien qu’à proprement
parler le verbe soit la cause des créatures selon qu’elles sortent de Dieu
par mode d’intelligence, d’où l’on dit que le Père dit toutes les choses par
son verbe ou par son art. Mais l’Esprit-Saint est la cause des créatures
selon qu’elles sortent de Dieu par la liberté de la volonté ; et c’est
pourquoi on dit proprement du Père qu’il aime la créature par l’Esprit-Saint
et non par le verbe. |
Si autem sumatur notionaliter ; tunc
est vera etiam locutio, sed habet aliam rationem veritatis ; quia verbum
dilectionis non importabit ex principali intentione habitudinem efficientiae
respectu creaturae ; sed principaliter denotabit rationem hujus efficientiae
ex parte effectorum, et ex consequenti dabit intelligere habitudinem
efficientiae, ut supra dictum est, 30 dist., quaest. 1, art. 3, et tunc est
sensus: Pater diligit creaturam Spiritu sancto ; idest, spirat amorem
personalem, qui est ratio omnis liberalis collationis factae a Deo creaturae. |
Mais si on prend ce verbe notionnellement,
alors l’expression reste vraie, mais pour une autre raison ; car le
verbe de l’amour n’impliquera pas de par son intention principale une
relation du pouvoir de production par rapport à la créature, mais elle fera
surtout connaître la cause de ce pouvoir du côté des effets, et par
conséquent donnera à connaître le relation du pouvoir de production, ainsi
que nous l’avons dit plus haut [dist. 30, quest. 1, art. 3] ; et alors
le sens sera le suivant : le Père aime la créature par l’Esprit-Saint,
c’est-à-dire qu’il spire l’amour personnel qui est la cause de toute
contribution libérale faite par Dieu à la créature. |
[2309] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut
dictum est, in corp. art., utroque modo potest sumi. Si enim sumatur essentialiter, nihil
sequitur inconveniens ; quia Spiritus sanctus non designabit principium
diligentium, sed dilectorum. Unde tunc designabitur habitudo ablativi
substantive in ipso ablativo, ut dicit Praepositivus. Si autem sumatur
notionaliter, nominativus poterit connotare effectum in creatura per modum
habitudinis ad terminum, sicut supra dictum est, 30 dist., art. 2.1. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, que le
terme ¨aimer¨ peut se prendre dans les deux sens. Si en effet on le prend
essentiellement, aucune difficulté n’en résulte car l’Esprit-Saint ne
désignera pas le principe de ceux qui aiment, mais celui de ce qui est aimé.
D’où il résulte alors que la relation de l’ablatif sera désignée comme un
substantif dans l’ablatif lui-même, comme le dit le prépositif. Mais si on le
prend notionnellement, le nominatif pourra faire connaître un effet dans la
créature par mode de relation au terme, ainsi que nous l’avons dit plus haut
[dist. 30, quest. 1, art. 2] |
[2310] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in egressu artificiatorum ab arte
est considerare duplicem processum ; scilicet ipsius artis ab artifice, quam
de corde suo adinvenit ; et secundo processum artificiatorum ab ipsa arte
inventa ; ita etiam in processu voluntatis est duo considerare ; scilicet
exitum amoris ab amante, et secundo exitum ipsius rei datae per amorem ab
amore. Unde quantum ad primum exitum se habet Spiritus sanctus in
comparatione Dei ad creaturam ut effectus, sive quod est de principio, sicut
et verbum ; sed quantum ad secundum exitum utrumque se habet ut principium,
scilicet et verbum et amor ; sed creatura ut effectus. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que tout
comme il y a deux processus à considérer dans la sortie des choses
artificielles de l’art, à savoir celui de l’art lui-même qui sort ou provient
de l’artiste et qu’il découvre de par sa propre intellgence, et deuxièmement
celui des choses artificielles qui procède de l’art qui a été découvert, de
même encore il y a deux choses à considérer dans le processus de la
volonté : à savoir le processus par lequel l’amour sort de l’amant, et
deuxièmement la sortie de la chose donnée elle-même par amour par l’amant.
D’où il résulte, quant à la première sortie, que l’Esprit-Saint se présente,
dans la comparaison de Dieu à la créature, comme un effet ou comme ce qui
provient d’un principe, tout comme le verbe ; mais quant à la deuxième
sortie les deux, à savoir le verbe et l’amour, se présentent comme un
principe mais la créature se présente comme un effet. |
[2311] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1
a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc verbum generat importat tantum
originem personae, et non importat personam per modum actus, sicut diligere
et dicere important utrumque ; et ideo Pater non denominatur generans Filio,
sed generatione ; denominatur autem diligens amore qui est Spiritus sanctus.
Generatio autem qua nos regenerat, non est per naturam, sed per voluntatem ;
et ideo ex parte nostra accipiendo, Spiritus sanctus est ratio talis
generationis magis quam Filius, qui procedit per modum naturae. |
3. Il faut dire en troisième lieu que ce
verbe, à savoir ¨il engendre¨, implique seulement l’origine de la personne et
il n’implique pas la personne par mode d’acte, tout comme ¨aimer¨ et ¨dire¨
impliquent les deux ; et c’est pourquoi le Père n’est pas dénommé comme
engendrant par le Fils mais par la génération ; il est cependant dénommé
comme aimant par l’amour qui est l’Esprit-Saint. Mais la génération par
laquelle il nous regénère n’a cependant pas lieu par la nature mais par la
volonté ; et c’est pourquoi, en le prenant de notre côté, l’Esprit-Saint
est la cause d’une telle génération plutôt que le Fils qui procède par mode
de nature. |
|
|
|
Question 2 – [Ce qui convient au Fils] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[2312] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
pr. Deinde quaeritur de his quae pertinent ad Filium ; et circa hoc
quaeruntur duo: 1 utrum Pater sit sapiens Filio, vel
sapientia genita ; 2 utrum ipse
Filius sapientia genita vel ingenita sapiens sit. |
On s’interroge ensuite sur ce qui se rapporte
au Fils et à ce sujet on cherche à répondre à deux questions: 1. Est-ce que le Père est
sage par le Fils ou par une sagesse engendrée? 2. Est-ce que le Fils
lui-même est sage par une sagesse engendrée ou par une sagesse inengendrée? |
|
|
Articulus 1 [2313] Super Sent., lib. 1
d. 32 q. 2 a. 1 tit. Utrum Pater sit sapiens sapientia genita |
Article 1 – Le Père est-il sage par une sagesse engendrée ? |
[2314] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Pater sit sapiens
sapientia genita. Omnis enim sapiens sua sapientia sapiens dicitur. Sed
Filius est sapientia Patris, qui est sapientia ingenita. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que le Père
soit sage par une sagesse engendrée. On appelle sage en effet celui qui est
sage par sa propre sagesse. Mais le Fils est la sagesse du Père qui est une
sagesse inengendrée. Donc, etc. |
[2315] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis sapiens est sapiens illa sapientia sine qua
sapiens non esset. Sed sine Filio Pater sapiens non esset, ut supra dixit
Augustinus, 9 dist. Ergo videtur quod Pater sit sapiens Filio, vel sapientia
genita. |
2. Par ailleurs, tout sage
est sage par cette sagesse sans laquelle il ne serait pas sage. Mais le Père
ne serait pas sage sans le Fils, comme l’a dit plus haut Saint-Augustin à la
distinction 9. Il semble donc que le
Père soit sage par le Fills ou par une sagesse engendrée. |
[2316] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 1 arg. 3 Item, illa sapientia quis sapiens dicitur in qua videt ea quae
ipse cognoscit. Sed supra dixit Augustinus, 31 distinct.: « Ibi, scilicet in verbo, videt omnia Deus ». Ergo et
cetera. |
3. En outre, on dit d’un tel qu’il est sage
par cette sagesse dans laquelle il voit les choses que lui-même connaît. Mais
Saint-Augustin a dit plus haut à la distinction 31 : «Là, c’est-à-dire dans le verbe, Dieu voit
tout». Donc, le Père est sage par une sagesse engendrée. |
[2317] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 1 arg. 4 Praeterea, Deus sapiens non diceretur nisi seipsum videret. Sed
seipsum videt in Filio, sicut res videtur in sua imagine. Ergo videtur quod sit sapiens Filio,
vel sapientia genita. |
4. De plus, on ne dirait pas de Dieu qu’il
est sage s’il ne se voyait pas lui-même. Mais il se voit lui-même dans le
Fils, tout comme une chose est vue dans son image. Il semble donc qu’il soit
sage par le Fils ou par une sagesse engendrée. |
[2318] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 1 s. c. 1 Contra est quod in Littera
ab Augustino dicitur. |
Cependant : 1. Ce que dit
Saint-Augustin dans la Lettre est contraire à ce qu’on conclut dans ces
difficultés. |
[2319] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quamvis Pater dicat se verbo suo,
nullo modo concedendum est quod sapientia genita sapiens sit ; et hoc propter
diversum modum significandi in utroque. Verbum enim significat per modum
operationis, quae denominat illud a quo progreditur, scilicet operantem ;
unde Pater denominatur dicens verbo genito, sicut et diligens amore
procedente. Sed sapientia significatur per modum formae manentis in eo cujus
est ; unde non potest denominari aliquis sapiens nisi per id quod in ipso
est, et non per id quod ab ipso est. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que bien que le Père se dise par son verbe, il ne faut absolument pas
concéder qu’il soit sage par une sagesse engendrée, et cela à cause de la
manière de signifier qui diffère dans les deux cas. Le verbe en effet
signifie par mode d’opération, laquelle dénomme celui duquel elle sort, à
savoir celui qui pose l’opération ; d’où le Père est dénommé comme celui
qui dit par le verbe engendré, tout
comme il est dénommé comme celui qui aime par l’amour qui procède de
lui. Mais la sagesse est signifiée à la manière d’une forme qui demeure dans
celui auquel elle appartient ; il résulte de là qu’un être ne peut être
dénommé sage que par ce qui est en lui et non par ce qui procède de lui. |
Quidquid autem significatur esse in
aliquo per modum formae vel substantialis vel accidentalis, significatur ut
principium alicujus in ipso ; quia forma substantialis est principium
substantialis esse ; et accidentalis dat aliquod esse, scilicet accidentale ;
et utraque principium est operationis in eo in quo est. Cum autem Filius
nullam rationem principii habeat respectu Patris, non potest dici, quod Pater
Filio, vel sapientia genita, sapiens sit. |
Mais tout ce qui est signifié comme existant
dans un être à la manière d’une forme, qu’elle soit substantielle ou
accidentelle, est signifié comme principe de quelque chose en lui ; car
la forme substantielle est principe de l’existence substantielle tandis que
la forme accidentelle donne une certaine existence, à savoir l’existence
accidentelle ; et l’une et l’autre est principe d’opération dans celui
dans lequel elle est. Mais puisque le Fils n’a aucunement raison de principe
par rapport au Père, on ne peut pas dire que le Père soit sage par le Fils ou
par une sagesse engendrée. |
[2320] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sapientia Patris dicitur
dupliciter: scilicet sapientia quae in ipso est, quae est essentialis
sapientia ; et hac formaliter sapiens est, sicut quilibet sapiens denominatur
sapiens sapientia quae in eo est. Dicitur etiam sapientia Patris quae est a
Patre procedens ; et hac non denominatur sapiens, sicut nec homo sapiens
denominatur a sapientia quam in alterum docendo producit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la sagesse du Père se dit de deux manières : à savoir
la sagesse qui est en lui et qui est la sagesse essentielle ; et par
cette sagesse il est formellement sage, tout comme toute personne sage est
appelée sage par la sagesse qui est en elle. Mais la sagesse du Père se dit
aussi de celle qui procède du Père et ce n’est pas par cette sagesse qu’il
est appelé sage, tout comme ce n’est pas par la sagesse qu’il produit dans un
autre par l’enseignement qu’un homme est appelé sage. |
[2321] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus in illa ratione contra
haereticum accipit sapientiam essentialem, sine qua Pater sapiens non esset,
secundum quod ab apostolo est appropriata Filio, 1 Corinth. 1, 24: « Christum Dei virtutem, et Dei sapientiam »
; et sapientia in ratione appropriata non esset, si Filius non esset: unde
oportet Filium patri coaeternum esse, sicut et sapientiam Filio appropriatam. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que dans ce raisonnement contre l’hérétique Saint-Augustin
prend la sagesse essentiellement sans laquelle le Père ne serait pas sage,
selon qu’elle est appropriée au Fils par l’Apôtre [1 Corinthiens, ch. 1, v. 24] : «Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu» ; et la
sagesse n’aurait pas raison d’être appropriée si le Fils n’existait
pas ; d’où il faut que le Fils soit coéternel au Père tout comme il faut
que la sagesse soit appropriée au Fils. |
[2322] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod videre in aliquo
dicitur dupliciter. Aut cujus cognitionem in eo accipit, sicut intellectus
scientiam in sensibilibus accipit, vel intellectus possibilis in lumine
intellectus agentis, vel discipulus in verbo magistri dicto vel scripto. Aut
rem cognitam in alio repraesentatam intueri ; sicut aedificator videt artem
suam in domo quam facit, vel sicut aliquis videt illud quod scit, in libro
ubi scriptum est. Primo ergo modo Pater nihil videt in Filio, quia non
accipit cognitionem a Filio ; sed secundo modo ; quia rationes ipsas omnium
creaturarum in verbo suo posuit, ipsum generando. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que voir dans un autre se dit en deux sens. Soit de celui d’où il reçoit
la connaissance, tout comme l’intelligence reçoit la science des choses
sensibles, comme l’intellect possible reçoit de la lumière de l’intellect
agent, ou comme le disciple qui reçoit du verbe dit ou écrit par le maître.
Ou bien cela se dit aussi de la considération d’une chose connue représentée
dans une autre, tout comme le constructeur voit son art dans la maison qu’il
fait, ou comme quelqu’un voit ce qu’il sait dans le livre où cela est écrit.
Donc dans le premier sens le Père ne voit rien dans le Fils car il ne reçoit
pas sa connaissance du Fils; mais dans le deuxième sens il voit quelque chose
dans le Fils car c’est dans son verbe qu’il a placé les raisons mêmes de
toutes les créatures en l’engendrant. |
[2323] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidam dicunt,
quod quamvis Pater videat in verbo creaturam, non tamen ibi videt se. Non
tamen video causam quare sicut per modum praedictum creaturam in verbo videt,
quae ibi relucet, non multo magis seipsum videat, qui perfectissime in verbo
repraesentatur ; et sic etiam non est inconveniens quod per modum istum in
creatura se videat, quae ipsius divinae bonitatis repraesentativa est per
imaginem vel vestigium ; non tamen sequitur quod Pater sapiens sit sapientia
genita. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que certains disent que bien que le Père voit la créature dans le verbe,
ce n’est cependant pas dans le verbe qu’il se voit lui-même. Mais je ne vois
cependant pas la raison pour laquelle, tout comme de la manière qui précède
il voit la créature dans le verbe où elle brille de sa lumière, le Père ne se
verrait pas encore bien davantage lui-même, lui qui est représenté de la
manière la plus parfaite dans le verbe; et de cette manière il n’y a pas de
difficulté à ce que le Père se voit dans la créature, laquelle représente, à
la manière d’une image ou d’un vestige, la bonté divine elle-même. Il ne
s’ensuit cependant pas que le Père soit sage d’une sagesse engendrée. |
|
|
Articulus 2 [2324] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 2 tit. Utrum Filius sit sapiens sapientia genita |
Article 2 – Le Fils est-il sage d’une sagesse engendrée ? |
Quaestiuncula 1 |
Sous-question 1 –
|
[2325] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit sapiens
sapientia genita. Filius enim non alio est sapiens quam Pater, sicut nec alio
est Deus. Sed Pater est sapiens sapientia essentiali. Ergo et Filius
sapientia essentiali sapiens est. Sed sapientia essentialis non est genita,
sicut nec essentia. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que le Fils
ne soit pas sage d’une sagesse engendrée. Le Fils en effet n’est pas sage par
un autre que le Père, tout comme il n’est pas Dieu par un autre que le Père.
Mais le Père est sage par une sagesse essentielle. Donc le Fils est sage
d’une sagesse essentielle. Maisla sagesse essentielle, tout comme l’essence,
n’est pas engendrée. Donc, le Fils n’est pas sage d’une sagesse engendrée. |
[2326] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sapientia qua denominatur aliquis sapiens, habet
aliquam rationem principii respectu ipsius sapientis. Sed Filius nullo modo
sui ipsius principium est. Ergo videtur quod non sit sapiens sapientia
genita. |
2. Par ailleurs, la sagesse par laquelle
quelqu’un est appelé sage a raison de principe par rapport à celui qui est
sage. Mais le Fils n’est en aucune manière principe de lui-même. Il semble
donc qu’il ne soit pas sage d’une sagesse engendrée. |
[2327] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 2 qc. 1 arg. 3 Item, sicut supra hac dist. dixit Magister, sapientia
genita est ipsa hypostasis filii ; hypostasis autem non significatur per
modum formae. Cum igitur denominatio fiat a forma, videtur quod non possit
dici sapiens sapientia genita. |
3. De plus, tout comme le
Maître l’a dit plus haut, la sagesse engendrée est l’hypostase même du
Fils ; mais l’hypostase n’est pas signifiée par mode de forme. Donc
puisque la dénomination se tire de la forme, il semble qu’on ne puisse dire
que le Fils soit sage d’une sagesse engendrée. |
[2328] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 2 qc. 1 arg. 4 Contra, omne quod per se non est sapiens, non est sapiens
nisi per accidens. Sed Filius non est sapiens per accidens. Ergo est sapiens
per se. Sed ipse est sapientia genita. Ergo est sapiens sapientia genita. |
4. Au contraire, tout ce qui n’est pas sage
par soi n’est sage que par accident. Mais le Fils n’est pas sage par
accident. Donc il est sage par soi ou essentiellement. Mais lui-même est la
sagesse engendrée. Il est donc sage d’une sagesse engendrée. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2 –
|
[2329] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, utrum sit sapiens sapientia ingenita ;
et videtur quod non. Quia sapientia qua aliquis denominatur sapiens,
significatur esse in sapiente per modum formae inhaerentis. Non autem sic
Pater est in Filio, sicut nec e contra. Ergo sicut Pater non dicitur sapiens
sapientia genita, ita nec Filius sapientia ingenita. |
Difficultés : 1. On se demande par la suite s’il est sage d’une
sagesse inengendrée ; et il semble que non. Car la sagesse par laquelle
quelqu’un est appelé sage est signifiée comme existant par mode de forme
inhérente dans celui qui est sage. Mais ce n’est pas ainsi que le Père existe
dans le Fils ni inversement. Donc, tout comme on ne dit pas du Père qu’il est
sage d’une sagesse engendrée, de même on ne dit pas du Fils qu’il est sage
d’une sagesse inengendrée. |
[2330] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 2 qc. 2 s. c. 1 Contra, omnis sapiens, illa sapientia sapiens dicitur a
qua habet quod sit sapiens. Sed Filius a Patre, qui est sapientia ingenita,
habet quod sit sapiens. Ergo Filius est sapiens sapientia ingenita. |
Cependant : Tout sage est appelé sage
par cette sagesse de laquelle il tient d’être sage. Mais c’est du Père, qui
est la sagesse inengendrée, que le Fils tient d’être sage. Donc le Fils est
sage d’une sagesse inengendrée. |
Quaestiuncula 1 |
Réponse à la sous-question
1
|
[2331] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod istae praepositiones,
« a » et « per », in hoc differunt ; quia « a »
designat tantum habitudinem principii per modum efficientis ; sed
« per » designat habitudinem principii secundum quodlibet genus
causae ; unde omne illud quod est ab aliquo, est per illud ; sed non
convertitur. In divinis
autem non potest esse nisi habitudo secundum duplex genus causae ; quarum una
tantum est habitudo realis, scilicet per modum causae efficientis vel
originantis, sicut Pater dicitur principium Filii ; alia vero habitudo
principii potest designari in divinis secundum rationem tantum et non
realiter, scilicet habitudo formae, ut cum dicimus quod Pater est Deus per
deitatem suam. |
Corps
de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que ces prépositions ¨a¨, à savoir ¨par¨ et ¨per¨, à savoir ¨au moyen de¨,
diffèrent en ceci que ¨a¨, à savoir ¨par¨ désigne seulement la relation de
principe à la manière d’une cause efficiente ; mais ¨per¨, à savoir ¨au
moyen de¨, désigne la relation de principe selon tout genre de cause ;
d’où il résulte que tout ce qui existe par un autre existe au moyen de cet
autre, mais non inversement. Mais en Dieu il ne peut y avoir relation que
selon deux genres de causes, dont une seulement est une relation réelle, à
savoir à la manière d’une cause efficiente ou originelle, tout comme on dit
du Père qu’il est le principe du Fils ; mais l’autre relation de
principe peut être désignée en Dieu selon la raison seulement et non
réellement, à savoir la relation de forme, comme lorsque nous disons que le
Père est Dieu par sa divinité. |
Cum ergo dicitur quod Filius est
sapiens sapientia, ablativus iste non potest construi nisi vel in aliqua
habitudine quasi efficientis ; et sic falsa est ; est enim sensus, quod
Filius sit sapiens a sapientia genita, et sit sapiens a seipso, quod falsum
est ; quia sicut esse, ita et sapere habet a Patre, qui sapientia ingenita
est. Unde dicitur per modum istum sapiens a sapientia ingenita, vel per
sapientiam ingenitam, si ly per designat habitudinem principii efficientis ;
et similiter a sapientia ingenita ; non autem a se vel per se vel seipso hoc
modo sapiens est. |
Donc, lorsqu’on dit que le Fils est sage par
la sagesse, cet ablatif ne peut être construit que de deux manières :
soit dans une relation de cause efficiente et alors la proposition est
fausse ; le sens en effet est que le Fils est sage par une sagesse
engendrée et ainsi qu’il est sage par lui-même, ce qui est faux ; car
tout comme son existence, il tient sa sagesse du Père, lequel est une sagesse
inengendrée. D’où l’on dit, suivant cette manière, que le Fils est sage par
une sagesse inengendrée ou au moyen d’une sagesse inengendrée, si ce ¨per¨,
c’est-à-dire ¨au moyen de¨, tout comme ce ¨a¨, à savoir ¨par¨, désigne la
relation d’une cause efficiente ; mais ce n’est pas par lui-même, ni au
moyen de lui-même ni de lui-même que le Fils est sage d’une sagesse
inengendrée. |
Aut construitur in habitudine quasi
principii formalis. Hoc autem contingit dupliciter: quia quod sequitur formam
alicujus rei, potest dici esse per formam illam, sicut homo dicitur intelligere
per animam ; vel per habentem formam ; sicut dicimus quod homo per se est
rationalis, quia per id quod est de essentia sua, scilicet per animam
rationalem ; per se enim, secundum philosophum, significat quod est per
essentiam rei. |
Ou bien encore cet ablatif est construit
dans une relation de principe formel. Mais cela se produit de deux
manières : car ce qui découle de la forme d’une chose, on peut dire à
son sujet ou bien qu’il existe au moyen de cette forme, tout comme on dit de
l’homme qu’il conçoit au moyen de son âme, ou bien qu’il existe au moyen de
ce qui possède la forme, tout comme nous disons que l’homme est
essentiellement rationnel parce que c’est au moyen de ce qui fait partie de
son essence, c’est-à-dire au moyen de son âme rationnelle, qu’il est
rationnel ; en effet, ¨par soi¨, d’après le Philosophe, signifie ce qui
existe au moyen de l’essence de la chose. |
Si igitur consideretur illud quo
Filius formaliter sapiens est, hoc est sapientia essentialis, quae neque
genita neque ingenita est ; et sic per eam et ea sapiens dicitur ; sed nullo
modo ab ea, quia essentia non generat. Si autem consideretur habens illam
formam quae est ipsa hypostasis Filii, quae etiam sapientia genita dicitur ;
sic per sapientiam genitam vel per se sapiens dicitur, sive sapientia genita
vel seipso. |
Si donc on considère ce par quoi le Fils est
formellement sage, c’est-à-dire la sagesse essentielle, laquelle n’est ni
engendrée ni inengendrée, alors on dit du Fils qu’il est sage de cette
sagesse et au moyen de cette sagesse, mais en aucune manière qu’il est sage ¨par¨
cette sagesse car l’essence, d’elle-même, n’engendre pas. Mais si on
considérait celui-là même qui possède cette forme et qui est l’hypostase même
du Fils et dont on dit aussi qu’elle est la sagesse engendrée, alors on dit
de Lui soit qu’il est sage au moyen de la sagesse engendrée ou qu’il est
essentiellement sage, ou bien qu’il est sage d’une sagesse engendrée ou de
lui-même. |
[2332] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sapientia, secundum quod supponit
essentiam, non potest dici ingenita vel genita ; sed secundum quod supponit
hypostasim ; semper tamen essentiam significat, sicut etiam hoc nomen
« Deus ». Et quare hoc nomen sapientia potius talem suppositionem
habere possit quam hoc nomen essentia, supra, 5 distinct., quaest. 1, art. 2,
dictum est. Et tunc, quamvis sit eadem essentia quae est Pater et Filius, non
tamen eadem hypostasis ; et ita non sequitur quod sapientia genita Pater
sapiens sit, sed tantum Filius. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la sagesse, selon qu’elle suppose l’essence, ne
peut être appelée engendrée ou inengendrée ; mais selon qu’elle suppose
l’hypostase, elle signifie cependant toujours l’essence, tout comme aussi ce
nom «Dieu». Et pourquoi ce nom de sagesse peut, de préférence au nom
¨essence¨, avoir une telle supposition, nous l’avons dit plus haut [dist. 5,
quest. 1, art. 2]. Et alors, bien que le Père et le Fils possèdent la même
essence, ils n’ont pas la même hypostase ; et ainsi il ne s’ensuit pas
que le Père soit sage d’une sagesse engendrée, mais seulement le Fils. |
[2333] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in illis quae dicuntur per se, est
aliquid de essentia rei accipere quod est principium illius quod per se
praedicatur, sicut rationale de homine ; nec oportet quod ipsum suppositum de
quo per se aliquid dicitur, sit principium illius, nisi sicut habens vel
sicut operans, ut quando aliqua operatio dicitur esse per se alicujus ; ita
etiam non oportet quod ipsa hypostasis Filii sit principium sui ipsius ; sed
ut id quod est essentia ejus, vel de essentia, sit principium formale hujus
quod est sapientem esse ; et hoc competit Filio, quia per essentiam suam,
quam communem cum Patre habet, sapiens est ; et ideo per se sapiens dicitur. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que pour les prédicats qui sont attribués
essentiellement, il faut prendre dans l’essence de la chose quelque chose qui
soit principe de ce qui est attribué essentiellement, comme rationnel qui est
attribué à l’homme ; et il n’est nécessaire que le suppôt auquel on
attribue essentiellement ce prédicat soit lui-même le principe de ce prédicat
qu’en tant qu’il le possède ou l’opère, comme lorsqu’on dit qu’une opération appartient
essentiellement à un être ; de même encore il n’est pas nécessaire que
l’hypostase elle-même du Fils soit le principe d’elle-même ; mais comme
ce qui est son essence ou ce qui fait partie de son essence, est le principe
formel du fait qu’il soit sage, et que cela appartient au Fils car c’est au
moyen de son essence qu’il a en commun avec son Père qu’il est sage, c’est
pourquoi on dit du Fils qu’il est essentiellement sage. |
[2334] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. |
3. Et par là la réponse à la troisième difficulté
est évidente. |
[2335] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2
a. 2 qc. 1 ad 4 Et quartum concedimus. |
4. Nous
concédons la quatrième difficulté. |
Quaestiuncula 2 |
Sous-question 2
|
[2336] Super
Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod Filius est
sapiens sapientia ingenita, si ablativus construatur in habitudine principii
quasi efficientis ; non autem si construatur in habitudine principii quasi
formalis ; immo sic sapientia essentiali sapiens est, vel seipso. |
Corps de l’article : Par rapport à
ce qui est recherché par la suite il faut dire que le Fils est sage d’une
sagesse inengendrée, si l’ablatif est construit dans une relation de principe
à la manière d’une cause efficiente, mais non pas s’il est construit dans une
relation de principe à la manière d’une forme ; bien au contraire alors
il est sage d’une sagesse essentielle ou de lui-même. |
|
|
Distinctio 33 |
Distinction 33 – [Les propriétés et l’essence] |
Quaestio 1 |
Question unique – [Les propriétés et l’essence] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[2338] d. 33 q. 1 pr. Hic quaeruntur
quinque: 1 utrum proprietates sint divina
essentia ; 2 utrum sint ipsae personae ; 3 utrum sint in personis et in
essentia ; 4 utrum de proprietatibus possint
praedicari adjectiva essentialia et personalia ; 5 utrum de notionibus sine peccato
contrariae opiniones esse possint. |
On cherche ici à répondre à cinq
questions : 1. Est-ce que les
propriétés divines sont l’essence divine ? 2. Est-ce qu’elles sont
les personnes elles-mêmes ? 3. Est-ce qu’elles sont
dans les personnes et dans l’essence ? 4. Est-ce que les
adjectifs essentiels et personnels peuvent être attribués aux
propriétés ? 5. Est-ce que les opinions
contraires au sujet des notions peuvent être sans péché ? |
|
|
Articulus 1 [2339] d. 33 q. 1 a. 1
tit. Utrum relationes divinae sint essentia divina |
Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles son essence ? |
[2340] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 1
Ad primum igitur sic proceditur. Videtur quod relationes ipsae non sint essentia divina. Aut
enim quae relative in Deo dicuntur, sunt relativa secundum esse aut tantum
secundum dici. Sed non tantum secundum dici ; quia sic incideret haeresis
Sabellii, ut supra, dist. 31, in Expos. text., in notula Hilarii habitum est.
Ergo sunt relativa secundum esse. Sed talium relationum, secundum
Philosophum, in Praed., cap. « ad aliquid », esse, est ad
aliud se habere. Ergo cum essentiae divinae esse non sit ad aliud se habere,
sed sit esse absolutum, videtur quod non sit idem cum relatione quae secundum
esse ad aliud est. |
Difficultés : 1. Il semble que les
relations elles-mêmes ne soient pas l’essence divine. En effet, les prédicats
qu’on attribue relativement à Dieu sont ou bien des relatifs selon
l’existence ou bien des relatifs selon l’appellation. Mais ils ne sont pas
seulement des relatifs selon l’appellation car on tomberait ainsi dans
l’erreur de Sabellius, comme nous l’avons établi plus haut à la distinction
31. Ils sont donc des relatifs selon l’existence. Mais pour de tels relatifs,
d’après le Philosophe [Les Prédicaments, ch. Sur la Relation], exister comme
relatif, c’est se rapporter à un autre. Donc, puisque l’existence de
l’essence divine ne consiste pas à se rapporter à un autre mais plutôt à
exister absolument, il semble que l’existence divine ne soit pas la même
chose que la relation dont l’existence consiste à se rapporter à un autre. |
[2341] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, quaecumque sunt idem secundum rem, in quocumque est unum, et
alterum, nec potest instantia fieri. Sed non in quocumque est essentia
divina, est paternitas ; quia essentia divina est in Filio, in quo paternitas
non est. Ergo essentia divina non est idem quod paternitas ; et eadem ratione
nec idem quod alia proprietas. |
2. Par ailleurs, pour toutes les choses qui
sont identiques réellement, partout où l’on rencontre l’une chose on
rencontre aussi l’autre il n’y a pas à insister. Mais ce n’est pas partout où
on retrouve l’essence divine qu’il y a la paternité ; car l’essence
divine est dans le Fils où on ne retrouve pas la paternité. L’essence divine
n’est donc pas identique à la paternité et pour la même raison elle n’est pas
identique à une autre propriété. |
[2342] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod est idem re, sed
differt ratione ; contra. Aut ista
ratio est aliquid in re, aut nihil. Si nihil, cum non sit distinctio nisi
secundum relationes, tunc distinctio personarum non erit secundum rem, sed
secundum rationem tantum, vel intellectum. Si autem sit aliquid in re,
constat quod quidquid est realiter in Deo, Deus vel essentia divina habet
illud. Sed in Deo, est idem habens et quod habetur, ut in Littera dicitur. Ergo essentia divina
est ratio paternitatis, sicut et ipsa res quae est paternitas. Ergo non solum
sunt idem re, sed etiam ratione, si re idem ponantur. |
3. Si tu dis que les deux sont identiques
réellement mais diffèrent selon la raison, je réponds par contre que cette
raison ou cette notion est ou bien quelque chose dans la réalité ou bien elle
n’est rien. Si elle n’est rien, puisqu’il n’y a de distinction entre les
personnes que par les relations, alors la distinction des personnes ne sera
plus selon la réalité mais seulement selon la raison ou selon l’intelligence.
Mais si cette raison est quelque chose dans la réalité, il est clair que tout
ce qui existe réellement en Dieu, Dieu ou l’essence divine le possède. Mais
en Dieu, ce qui possède et ce qui est possédé est identique, ainsi qu’on le
dit dans la Lettre. Donc l’essence
divine est la notion de paternité, tout comme elle est aussi la chose même
qui est la paternité. Les relations sont donc identiques à l’essence non
seulement réellement mais aussi par la
raison ou la notion, si on pose qu’elles sont identiques réellement. |
[2343] Super Sent., lib. 1 d. 33 q. 1
a. 1 arg. 4 Item, si sunt idem re, sed differunt ratione solum ; ergo
proprietas vel relatio non addit supra essentiam nisi rationem quamdam. Sed
similiter relationes quae dicuntur ex tempore, ponunt circa essentiam divinam
aliquas habitudines secundum rationem. Ergo videtur quod non magis sunt in
Deo istae relationes quibus distinguuntur personae, quam istae quae dicuntur
de Deo ex tempore. Sed istae sunt tantum assistentes, et non inhaerentes ;
alias non possent advenire sine aliqua mutatione ipsius Dei. Ergo videtur
quod istae relationes quae distinguunt personas, sint etiam assistentes, et
non essentia divin |
4. En outre, si elles sont identiques
réellement mais diffèrent par la raison seulement, il s’ensuit que la
propriété ou la relation n’ajoute à l’essence qu’une certaine raison. Mais de
la même manière les relations qui se disent en dépendance du temps posent sur
l’essence divine certaines relations selon la raison. Il semble donc que ces
relations par lesquelles les personnes se distinguent ne sont pas davantage
en Dieu que celles qui se disent de Dieu en la dépendance du temps. Mais ces
dernières sont seulement des relations assistantes et non des relations
inhérentes autrement elles ne pourraient survenir sans quelque changement en
Dieu lui-même. Il semble donc que ces relations qui distinguent les personnes
soient elles aussi assistantes et ne soient pas l’essence divine. |
[2344] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 5 Item,
sicut est alia ratio paternitatis et essentiae ; ita est alia ratio essentiae
et bonitatis divinae. Si ergo propter hoc dicit Augustinus, ubi supra, In ps LXVIII quod Deus alio est Pater,
alio Deus ; eadem ratione deberet dicere, quod alio est Deus, alio bonus. Hoc
autem non dicit, immo contrarium asserit. Ergo videtur quod cum dicit, quod
alio est Pater, alio est Deus, non intendat distinguere secundum rationem
tantum, sed etiam secundum rem ; et ita videtur quod paternitas qua Pater est
non sit essentia divina qua Deus est. |
5. En outre, tout comme la
notion de paternité est autre que celle de l’essence, de même la notion de
l’essence est autre que celle de la bonté divine. Si donc pour cette raison
Saint-Augustin dit plus haut [Dans le
Psaume LXVIII] que c’est par autre chose que Dieu est Père et qu’il est
Dieu, pour la même raison il devrait dire que c’est par autre chose qu’il est
Dieu et qu’il est bon. Mais il ne dit pas cela mais bien plutôt il affirme le
contraire. Il semble donc que lorsqu’on dit que c’est par autre chose que
Dieu est Père et que Dieu est Dieu, on ne cherche pas à distinguer selon la
raison seulement, mais aussi selon la réalité ; et il semble ainsi que
la paternité par laquelle Dieu est Père ne soit pas identique à l’essence
divine par laquelle il est Dieu. |
[2345] d. 33 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra,
nihil est adorandum adoratione latriae nisi Deus. Sed
proprietates personarum sunt adorandae, ut cantatur in praefatione missae ss.
Trinitatis: « Ut in personis
proprietas, et in essentia unitas, et in majestate adoretur aequalitas ».
Ergo videtur quod etiam ipsae proprietates sunt aliquid in re, aut nihil. Si nihil, cum personae non
distinguantur nisi proprietatibus, tunc personae non distinguuntur ad invicem
secundum rem, quod est haeresis Sabellii. Si autem sunt aliquid in re, illud
aliquid quod sunt, aut est divina essentia, aut aliquid aliud. Si divina
essentia habetur propositum [Si…propositum om. éd. de Parme]. Si aliquid aliud, illud est in persona in qua
est proprietas. Sed in persona etiam est essentia. Ergo in persona est aliud
et aliud. Ergo est composita. Sed nullum compositum est Deus, ut supra
probatum est, dist. 8, quaest. 4, art. 1. Ergo persona divina non est Deus,
et ita Pater non est Deus, nec Filius est Deus: quod excedit etiam errorem
Arii. Ergo oportet quod proprietates sint essentia divina. |
Cependant : 1. Au contraire, il n’y a
que Dieu qui doive être adoré par un culte de latrie. Mais les propriétés des
personnes doivent être adorées, comme on le chante dans la préface de la
messe de la Sainte Trinité : «Afin que soit adorée la propriété dans les
personnes et l’égalité dans la majesté». Il semble donc que les propriétés
elles-mêmes aussi soient quelque chose dans la réalité ou qu’elles ne soient
rien. Si elles ne sont rien, puisque les personnes ne se distinguent que par
les propriétés, alors les personnes ne se distinguent pas les unes des autres
réellement, ce qui constitue l’hérésie de Sabellius. Mais si les propriétés
sont quelque chose dans la réalité, ce quelque chose qu’elles sont sera ou
bien l’essence divine, ou bien quelque chose d’autre. Si l’essence divine est
établie comme propos [Si … propositum om.
Éd. De Parme]. Si les propriétés sont quelque chose d’autre, cet autre
est aussi dans la personne dans laquelle est la propriété. Mais dans la
personne il y a aussi l’essence. Donc dans la personne il y a ceci mais aussi
autre chose. Donc la personne est composée. Mais nul composé n’est Dieu,
comme nous l’avons prouvé plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 1]. Donc la
personne divine n’est pas Dieu et ainsi ni le Père ni le Fils n’est
Dieu : ce qui surpasse même l’erreur d’Arius. Il faut donc que les
propriétés soient l’essence divine. |
[2346] d. 33 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod simpliciter confitendum est proprietates esse divinam
essentiam. Error enim iste qui in
Littera tangitur, dicitur Porretani fuisse, quem postmodum in Rhemensi
Concilio retractavit. Cum enim, ut supra dictum est, distinct. 8, qu. 4, art.
3, in relatione sint duo, scilicet relationis respectus, quo ad alterum
refertur, in quo consistit relationis ratio ; et iterum ipsum esse
relationis, quod habet secundum quod in aliqua re fundatur, vel quantitate,
vel essentia, vel aliquo hujusmodi ; consideraverat relationes divinas
secundum respectum in quo relationis ratio consistit, ex quo non habet quod
aliquam rem inhaerentem imponat [importet éd
de Parme]. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il faut absolument confesser que les propriétés sont l’essence divine.
Cette erreur qui a été effleurée dans la Lettre, on dit qu’elle a été celle
de Gilbert de la Porrée qu’il rétracta par la suite au Concile de Reims.
Puisqu’en effet, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art.
3], il y a deux choses à considérer dans la relation, à savoir premièrement
l’aspect de la relation elle-même par lequel elle se rapporte à un autre et
en quoi consiste la raison formelle de la relation ; puis, deuxièmement,
l’existence même de la relation qu’elle possède selon qu’elle se fonde sur
une réalité, soit la quantité, la qualité ou quelque chose de la sorte, il
semble qu’il avait considéré les relations divines selon l’aspect dans lequel
consiste la raison formelle de la relation à partir de quoi elle n’a pas à
prescrire [impliquer Éd. de Parme]
une réalité inhérente. |
Unde etiam inveniuntur aliquae
relationes nihil realiter in re ponentes, ut supra dictum est ; propter hoc
dixit eas assistentes, vel exterius affixas. Illae enim proprie relationes
dicuntur exterius affixae et assistentes, quae cum proprie non habeant
fundamentum in re, tantummodo ex habitudine alterius ad rem de qua dicuntur,
adveniunt ; sicut dextrum in columna, quod dicitur de ipsa per hoc quod homo
eam ad sinistram habet ; et hujusmodi etiam sunt relationes quibus Deus ad
creaturas refertur. |
De là il se trouve encore certaines
relations qui ne posent rien réellement dans la chose, comme nous l’avons dit
plus haut ; et c’est à cause de cela qu’il appela ces relations
¨assistantes¨ ou comme fixées de l’extérieur. En effet, on appelle proprement
fixées de l’extérieur ou assistantes ces relations qui, puisqu’elles n’ont
pas à proprement parler un fondement dans la réalité, surviennent seulement à
partir de la relation d’un autre à la chose à laquelle elles
s’attribuent ; par exemple on dit de la colonne qu’elle est à la droite
de l’homme du fait que l’homme est à sa gauche ; et de telles relations
sont aussi celles par lesquelles Dieu se rapporte aux créatures. |
Sed relationes distinguentes personas
non possunt esse hujusmodi, cum fundentur super aliquid quod vere in re est,
scilicet in communicatione naturae ; et ideo sunt reales relationes habentes
esse fundatum in natura rei. Sed haec est natura divinae simplicitatis, ut in
ipsa non nisi unum esse possit esse, nec in ea differat esse et quod est et
quo est. |
Mais les relations qui distinguent les
personnes ne peuvent être de cette sorte, puisqu’elles se fondent sur quelque
chose qui existe véritablement dans la chose dont il est question, à savoir
dans la communication de la nature ; et c’est pourquoi elles sont des
relations réelles ayant une existence fondée dans la nature de la chose. Mais
cette nature est la nature de la simplicité divine qui est telle qu’il ne
puisse y avoir en elle qu’une seule existence et dans laquelle il n’y a
aucune différence entre l’existence, ce qui existe et ce par quoi il y a
existence. |
Istud ergo esse paternitatis non
potest esse aliud esse quam esse essentiae ; et cum esse essentiae sit ipsa
essentia, et esse paternitatis sit ipsa paternitas ; relinquitur de
necessitate quod ipsa paternitas secundum rem est ipsa essentia ; unde non
facit compositionem cum ea. Sed quia manet ibi verus respectus
pertinens ad naturam relationis quae non pertinet ad rationem essentiae, ex
illo respectu relatio [naturam relationes quae non pertinent…ex illo respectu
ratio.Éd. de Parme] potest
distinguere, quamvis essentia non distinguatur, de cujus intellectu non est
iste respectus oppositionem habens et per consequens distinctionem causans.
Et ita dicendum, quod proprietates et essentia sunt idem re, sed differunt
ratione. In aliis autem realibus relationibus in creaturis existentibus est
aliud esse relationis, et substantiae quae refertur ; et ideo dicuntur inesse
; et secundum quod insunt, compositionem faciunt accidentis ad subjectum ;
quod non convenit in divinis relationibus, ut dictum est, dist. 26, quaest.
2, art. 1. |
Donc, cette existence de la paternité ne
peut être une autre existence que l’existence de l’essence ; et puisque
l’existence de l’essence est l’essence elle-même, et que l’existence de la
paternité est la paernité elle-même, il s’ensuit nécessairement que la
paternité elle-même en réalité est l’essence elle-même ; il résulte de
là que la paternité ne fait aucune composition avec l’essence. Mais parce qu’il demeure
là un véritable aspect appartenant à la nature de la relation qui
n’appartient pas à la raison formelle de l’essence, à partir de cet aspect de
la relation [à la nature les relations qui n’appartiennent pas…à partir de
cet aspect la raison Éd. de Parme]
la raison peut distinguer, bien que l’essence elle-même ne soit pas
distinguée, dans l’intelligence de laquelle on ne retrouve pas ce rapport qui
comporte une opposition et qui cause par conséquent une distinction. Et de
cette manière il faut dire que les propriétés et l’essence sont identiques
dans la réalité, mais diffèrent par la raison. Mais dans les autres relations
réelles qui existent dans les créatures l’existence de la relation diffère de
l’existence de la substance à laquelle elle se rapporte ; et c’est
pourquoi on dit alors de ces relations qu’elles sont inhérentes ; et
selon qu’elles sont inhérentes, elles font une composition de l’accident avec
le sujet ; ce qui est impossible pour les relations divines, ainsi que
nous l’avons dit [dist. 26, quest. 2, art. 1]. |
[2347] d. 33 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod relationes istae non sunt tantum secundum dici ad
aliquid, sed etiam secundum esse. Sed sciendum, quod esse dicitur tripliciter
[dupliciter éd. de Parme]. Uno modo dicitur esse ipsa quidditas
vel natura rei, sicut dicitur quod definitio est oratio significans quid est
esse ; definitio enim quidditatem rei significat. Alio modo dicitur esse ipse actus
essentiae ; sicut vivere, quod est esse viventibus, est animae actus ; non
actus secundus, qui est operatio, sed actus primus. Tertio modo dicitur esse quod
significat veritatem compositionis in propositionibus, secundum quod est
dicitur copula: et secundum hoc est in intellectu componente et dividente
quantum ad sui complementum ; sed fundatur in esse rei, quod est actus
essentiae, sicut supra de veritate dictum est, dist. 19, quaest. 5, art. 1.
Dico igitur, quod cum dicitur: « Ad
aliquid sunt, quorum esse est ad aliud se habere », intelligitur de
esse quod est quidditas rei, quae definitione significatur ; quia ipsa natura
relationis per quam constituitur in tali genere, est ad aliud referri: et non
intelligitur de esse quod est actus essentiae ; hoc enim esse habet relatio [ ?] ex his quae causant ipsam in subjecto
secundum quod esse non refertur ad aliud sed ad subjectum, sicut et quodlibet
accidens. Et sic dico, quod non oportet quod
esse essentiae divinae sit ad aliud se habere ; quia illud esse in quo
paternitas et essentia uniuntur, significatur ut esse quod est actus
essentiae ; non autem uniuntur in esse quod significat definitio rei ; quia
alia est ratio paternitatis, qua ad aliud refertur, et alia ratio essentiae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ces relations ne sont pas seulement relatives par
l’appellation mais aussi par l’être. Mais il faut savoir que ¨être¨ se dit de
trois manières [de deux manières Éd. de
Parme]. En un premier sens on
appelle ¨être¨ la quiddité elle-même ou la nature de la chose, tout comme on
dit que la définition est le discours signifiant ce qui est ; la
définition en effet signifie la quiddité de la chose. En un autre sens on
appelle ¨être¨ l’acte même de l’essence, comme vivre, qui est l’être des
vivants, est l’acte de l’âme ; mais on ne parle pas ici de l’acte second
qui est l’opération, mais de l’acte premier. En un troisième sens on
appelle ¨être¨ ce qui signifie la vérité de la composition dans les
propositions, selon que ¨est¨ est appelé copule : et en ce sens l’être
est dans l’intelligence qui compose et divise quant à son complément, mais il
se fonde dans l’être de la chose qui est l’acte de l’essence, comme nous l’avons
dit plus haut [dist. 19, quest. 5, art. 1] au sujet de la vérité. Je dis donc
que lorsqu’on dit : «Sont relatifs
ceux dont l’être est de se rapporter à un autre», cela s’entend de l’être
qui est la quiddité de la chose et qui est signifiée par la définition ;
car la nature même de la relation par laquelle elle est constituée dans tel
genre, est de se rapporter à un autre : et cela ne s’entend pas de
l’être qui est l’acte de l’essence ; en effet, la relation possède cet
être à partir de ce qui la cause dans le sujet selon que l’être ne se
rapporte pas à un autre mais à un sujet, comme tout autre accident. Et je dis ainsi qu’il ne
faut pas que l’être de l’essence divine se rapporte à quelque chose
d’autre ; car cet être dans lequel la paternité et l’essence sont unies
est signifié comme l’être qui est l’acte de l’essence ; elles ne sont
cependant pas unies dans l’être que signifie la définition de la chose ;
car autre est la définition de la paternité par laquelle il y a rapport à un
autre et autre est la définition de l’essence. |
[2348] d. 33 q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod si aliqua duo sint idem, secundum id quod idem sunt,
in quocumque est unum, et alterum. Paternitas autem et essentia divina sunt
idem secundum esse ; et ideo sicut in Filio est esse essentiae, ita et in
Filio est esse paternitatis, quia in divinis non est nisi unum esse. Sed paternitas habet aliquid in quo
non unitur cum essentia, scilicet rationem paternitatis, quae est alia a
ratione essentiae ; unde secundum illam rationem respectus potest esse in
Patre et non in Filio, sed [scilicet éd.
de Parme] distinguere Patrem a Filio ; unde in processu incidit fallacia
accidentis. Neque oportet in his aliquid simile inquiri ; quia in nulla re
creata invenitur aliquid simile divinae simplicitati, ut habens sit id quo
habetur ; omnia enim similia quae possent induci vel de punctis vel de
differentiis existentibus in genere, plus habent de dissimilitudine quam de
similitudine ; et ideo magis abducunt a veritate quam in verum intellectum
inducant. Sicut enim dicit Boetius, lib. De Trin., c. II, col. 1250] in his quae sine materia sunt,
oportet non ad imaginationem deduci: quia hoc plurimum officit in divinis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que si deux réalités sont identiques,
partout où il y a l’une il y a l’autre sous ce rapport selon lequel elles
sont identiques. Mais la paternité et l’essence divine sont identiques selon
l’êre; et c’est pourquoi tout comme dans le Fils il y a l’être de l’essence,
de même dans le Fils il y a l’être de la paternité car en Dieu il n’y a qu’un
seul être. Mais la paternité contient en elle quelque chose en quoi elle n’est
pas unie à l’essence, à savoir la raison formelle de paternité qui diffère de
la raison formelle de l’essence; d’où il résulte selon ce raisonnement que le
rapport peut se rencontrer dans le Père et non dans le Fils, mais
[c’est-à-dire Éd. de Parme]
distinguer le Père du Fils; d’où l’on tombe dans ce processus dans le
sophisme de l’accident. Et il ne faut pas dans ces cas rechercher quelque
chose de semblable car dans aucune créature on ne rencontre quelque chose de
semblable à la simplicité de Dieu de telle manière que celui qui possède soit
ce par quoi il est possédé; en effet, tous les cas semblables qui pourraient
être amenés soit au sujet des points soit au sujet des differences existant
dans le genre contiennent plus de dissemblances que de ressemblances; et
c’est pourquoi ils éloignent advantage de la vérité qu’ils ne conduisent
l’intelligence au vrai. En effet, comme le dit Boèce [De la Trinité, ch. 11, col. 1250, t. 11], pour les choses qui
existent sans matière, il ne faut pas chercher à les ramener à l’imagination,
car cela fait grandement obstacle dans les sujets qui se rapportent à Dieu. |
[2349] d. 33 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod illa responsio bona est. Sciendum est autem, quod ratio
sumitur dupliciter: quandoque enim ratio dicitur id quod est in ratiocinante,
scilicet ipse actus rationis, vel potentia quae est ratio ; quandoque autem
ratio est nomen intentionis, sive secundum quod significat definitionem rei,
prout ratio est definitio, sive prout ratio dicitur argumentatio. |
3. Il faut dire en troisième lieu que cette
réponse est bonne. Il faut cependant savoir que le terme ¨raison¨ se prend de
deux manières : parfois en effet ¨raison¨ signifie ce qui est dans celui
qui raisonne, à savoir l’acte même de la raison, ou la puissance qui est la
raison ; mais parfois ¨raison¨ est le nom d’une intention, soit selon
qu’elle signifie la définition de la chose, selon que ¨raison¨ s’identifie à
définition, soit selon que ¨raison¨ signifie l’argumentation. |
Dico igitur, quod cum dicitur quod est
alia ratio paternitatis et essentiae in divinis, non accipitur ratio secundum
quod est in ratiocinante tantum, sed secundum quod est nomen intentionis, et
significat definitionem rei: quamvis enim in divinis non possit esse
definitio, nec genus nec differentia nec compositio ; tamen si intelligatur
ibi aliquid definiri, alia erit definitio paternitatis, et alia definitio
essentiae. |
Je dis donc que lorsqu’on dit qu’en Dieu la
¨raison¨ de la paternité est autre que la ¨raison¨ de l’essence, ¨raison¨ ne
se prend pas ici selon qu’elle est seulement dans celui qui raisonne mais
selon qu’elle est le nom d’une intention et qu’elle signifie la définition de
la chose : en effet, bien qu’en Dieu il ne puisse y avoir ni définition,
ni genre, ni différence, ni composition, cependant si on entendait qu’il y a
là quelque chose à définir, autre serait la définition de la paternité, autre
celle de l’essence. |
In omnibus autem intentionibus hoc
communiter verum est, quod intentiones ipsae non sunt in rebus sed in anima
tantum, sed habent aliquid in re respondens, scilicet naturam, cui
intellectus hujusmodi intentiones attribuit ; sicut intentio generis non est
in asino, sed natura animalis, cui per intellectum haec intentio attribuitur:
et ita etiam ipsa ratio quam dicimus aliam et aliam in divinis, non est in re
; sed in ratione est aliquid respondens ei, et est in re [sed est in re
aliquid respondens ei in éd. de Parme]
quo fundatur, scilicet veritas illius rei cui talis intentio attribuitur: est
enim in Deo ; unde possunt rationes diversae ibi convenire: et ideo non
sequitur quod Deus sit rationes illae, sed quod sit tantum habens eas: hoc
enim quod dicitur, quod in Deo est idem habens et quod habetur, intelligitur
de illis quae habentur per modum rerum, non autem de illis quae habentur per
modum intentionum ; sicut non possumus dicere quod Deus sit nomen, quamvis
nomen habeat ; sed quod Deus est bonitas, quia bonitatem habet ; similiter
etiam paternitas, quia paternitatem habet ; sed non sequitur quod sit ratio
quamvis rationem [relatio…relationem Ed
de Parme], habeat. |
Il est cependant universellement vrai dans
toutes les intentions que les intentions elles-mêmes ne sont pas dans les
choses mais dans l’âme seulement, mais qu’il y a quelque chose qui leur
correspond dans les choses, à savoir la nature à laquelle l’intelligence
attribue de telles intentions ; par exemple l’intention de genre n’est
pas dans l’âne mais ce qu’il y a dans l’âne c’est la nature animale à
laquelle cette intention est attribuée par l’intelligence : et de même,
la raison formelle elle-même, dont nous disons qu’elle diffère d’une autre en
Dieu n’existe pas réellement en Dieu ; mais dans la raison il y a
quelque chose qui lui correspond, et il y a dans la chose [mais il y a dans
la chose quelque chose qui lui correspond en Éd. de Parme] ce par quoi elle est fondée, à savoir la vérité de
cette chose à laquelle une telle intention est attribuée : elle est en
effet en Dieu ; d’où il résulte que différentes ¨raisons¨ peuvent se
rencontrer là : et c’et pourquoi il ne s’ensuit pas que Dieu soit ces
¨raisons¨ mais qu’il soit seulement celui qui les possède. Ce qu’on dit en
effet, à savoir qu’en Dieu celui qui possède est identique à ce qui est
possédé, cela s’entend de ces ¨raisons¨ qui sont possédées par mode de choses
et non de celles qui sont possédées par mode d’intentions ; par exemple,
nous ne pouvons dire que Dieu soit un nom bien qu’il possède un nom ;
mais nous pouvons dire que Dieu est la bonté parce qu’il possède la
bonté ; semblablement encore nous pouvons dire qu’il est la paternité
parce qu’il possède la paternité ; mais il ne s’ensuit pas qu’il soit la
raison bien qu’il possède une raison [qu’il soit la relation bien qu’il
possède la relation Éd. de Parme]. |
[2350] d. 33 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod illae rationes relationum quae dicuntur de Deo ex tempore, non
habent aliquod esse in re divina in qua fundentur, sicut habent istae
relationes personarum, et ideo non est simile de utrisque. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que ces
¨raisons¨ des relations qui se disent de Dieu en la dépendance du temps n’ont
pas une existence dans la réalité divine sur laquelle elles se fondent
contrairement à ces relations des personnes et c’est pourquoi il ne s’agit
pas là de cas semblables. |
[2351] d. 33 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod scientia non dividitur contra substantiam nisi ex genere suo,
prout est qualitas ; unde dicitur, quod haec est immediata: nulla qualitas
est substantia ; sed haec est mediata: nulla scientia est substantia ; et sic
est in omnibus aliis generibus. Sed, sicut supra, dist. 8, quaest. 4, art. 3,
dictum est, nulla ratio communis alicujus praedicamenti manet in divinis nisi
relationis ; et ideo id quod dicitur ad aliquid in divinis, habet aliam
rationem a ratione substantiae, et alium modum praedicandi condivisum contra
substantiam ; sed scientia et bonitas et hujusmodi, quae sunt in aliis
generibus et dicuntur de Deo, non habent rationem communis generis per quam
dividuntur contra substantiam ; immo loco illius rationis communis qualitatis
vel quantitatis, venit ibi ratio substantiae ; unde dicitur alia ratio esse
scientiae, et alia substantiae in divinis, non quasi [non quia quasi sit éd. de Parme] condivisa contra
rationem substantiae ; sed sicut ratio speciei est alia a ratione generis,
inquantum addit rationem differentiae supra rationem generis ; unde ita in
divinis est alia ratio scientiae et substantiae, sicut in creaturis est alia
ratio scientiae et qualitatis, quod non est simpliciter aliud ; et ideo sicut
in creaturis dicitur, quod eodem est qualis et sciens ; ita in divinis
dicitur quod eodem est substantia et sciens ; non tamen quod eodem sit substantia
et Pater ; cum relatio quae per se substantiae condividitur, secundum
rationem generis et modum significandi in divinis salvetur. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que la
science ne se divise contre la substance que par son genre, selon qu’elle est
une qualité ; d’où l’on dit que la proposition suivante est
immédiate : nulle qualité n’est une substance ; mais cette autre
proposition est médiate : nulle science n’est une substance ; et il
en est de même pour tous les autres genres. Mais comme nous l’avons dit plus
haut [dist. 8, quest. 4, art. 3], aucune notion commune appartenant à un
prédicament ne demeure en Dieu si ce n’est celle de la relation ; et
c’est pourquoi ce qui est dit relativement en Dieu possède une autre notion
que la notion de substance et un autre mode d’attribution qui se divise
contre celui de la substance ; mais la science, la bonté et les notions
de cette sorte qui sont dans d’autres genres et qui s’attribuent à Dieu n’ont
pas une notion commune de genre par laquelle elles se diviseraient contre la
substance ; bien au contraire au lieu de cette notion commune de qualité
ou de quantité, c’est la notion de substance qui s’amène là ; d’où l’on
dit que la notion de science est autre que la notion de substance en Dieu,
non pas comme [non pas parce qu’elle serait comme Éd. de Parme] si elle se divisait contre la notion de substance,
mais comme la notion d’espèce est autre que la notion de genre, en autant
qu’elle ajoute à la notion de genre la notion d’une différence ; d’où il
résulte qu’en Dieu la notion de science est autre que la notion de substance
tout comme dans les créatures la notion de science est autre que la notion de
qualité, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas absolument autres. Et c’est
pourquoi, tout comme on dit pour les créatures que c’est par le même genre
qu’on a la qualité et la science, de même on dit qu’en Dieu c’est par la même
forme qu’on retrouve la substance et la science ; ce n’est cependant pas
pour la même raison formelle qu’on retrouve en Dieu substance et Père ;
puisque la relation se distingue essentiellement de la substance, en Dieu
elle se conserve selon la raison formelle de genre et selon le mode de
signifier. |
. |
|
Articulus 2 [2352] d. 33 q. 1 a. 2
tit. Utrum proprietates sint personae |
Article 2 – Les propriétés sont-elles les personnes ? |
[2353]
d. 33 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod proprietates non sint
personae. Quaecumque enim sunt idem re, multiplicato uno, multiplicatur
reliquum. Si igitur proprietates sunt personae, ergo quot sunt proprietates,
tot sunt personae. Sed proprietates sunt quinque, ut supra dist. 23, quaest.
1, art. 3, dictum est. Ergo et personae ; quod falsum est. |
Difficultés : 1. Il semble que les propriétés ne soient pas les personnes. En effet, tout ce qui est identique en réalité, si l’un est multiplié le reste l’est aussi. Si donc les propriétés sont les personnes, il y aura donc autant de personnes qu’il y aura de propriétés. Mais il y a cinq propriétés ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 23, quest. 1, art. 3]. Il y aura donc cinq personnes, ce qui est faux. |
[2354] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, Deus dicitur trinus propter Trinitatem personarum. Si igitur
proprietates vel notiones sunt personae, videtur etiam quod quinus dici
debeat propter quinarium notionum ; et eadem ratione Pater trinus, et Filius
binus. |
2. Par ailleurs, on dit de Dieu qu’il est
trine en raison de la Trinité des personnes. Si donc les propriétés ou les
notions sont les personnes, il semble aussi qu’on doive dire d’elles qu’elles
sont au nombre de cinq à cause des cinq notions ; et pour la même raison
le Père sera trois et le Fils deux. |
[2355]
d. 33 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, secundum Augustinum, lib. V De Trinit., col. 911, omne quod ad aliquid refertur, est aliquid,
excepto hoc quod ad alterum dicitur ; sicut denarius est aliquid, excepto hoc
quod pretium dicitur. Sed Pater refertur ad alium, quia ad Filium. Ergo
praeter relationem est ibi aliquid invenire quod relationi substat. Hoc autem est hypostasis, vel persona.
Ergo videtur quod proprietates non sunt personae. |
3. En outre, selon
Saint-Augustin [V De la Trinité,
col. 911, t. VIII], tout ce qui a
rapport à la relation est quelque chose en dehors du fait de se rapporter à
un autre ; par exemple le denier est quelque chose en dehors du fait
qu’on dise de lui qu’il est de l’argent. Mais le Père se rapporte à un autre
puisqu’il se rapporte au Fils. Donc en dehors de la relation il y a là
quelque chose à trouver qui se tient sous la relation. Mais cela est
l’hypostase ou la personne. Il semble donc que les propriétés ne soient pas
les personnes. |
[2356] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 4
Praeterea, nihil videtur esse distinctum [distinctivum éd. de Parme] sui ipsius. Sed proprietates distinguunt personas,
ut dicit Damascenus, lib. I Fid. Orth.,
cap. VIII, Ergo proprietates non sunt personae. |
4. Par ailleurs, rien n’est distinct
[distinctif Éd. de Parme] de
soi-même. Mais les propriétés distinguent les personnes, ainsi que le dit
Damascène [1 De la Foi Orthodoxe,
ch. VIII]. Donc les propriétés ne sont
pas les personnes. |
[2357] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 5 Item, omne
concretum addit aliquid super abstractum, sicut album super albedinem. Sed personae divinae significant
concretive, ut Pater et Filius ; proprietates autem significant in abstracto.
Ergo proprietates non sunt personae. |
5. De plus, tout ce qui est concret ajoute à
l’abstrait, comme le blanc ajoute à la blancheur. Mais les personnes divines
signifie à la manière de ce qui est concret, comme le Père et le Fils, alors
que les propriétés signifient dans l’abstrait. Donc les propriétés ne sont
pas les personnes. |
[2358] d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra,
sicut dicit Hilarius,VII De Trinit.,
nec quidquam est Filius nisi Filius. Sed Filius significat relationem. Ergo
videtur quod totum hoc quod est Filius, sit relatio filiationis ; et sic
essentia ejus et hypostasis erit relatio. |
Cependant : 1. Au contraire, comme le
dit Saint-Hilaire [ VII De la Trinité,
t. 11], il n’y a que le Fils qui soit le Fils. Mais le Fils signifie une
relation. Il semble donc que le Fils, dans sa totalité de Fils, soit la
relation de filiation ; et ainsi son essence et son hypostase sera la
relation. |
[2359] d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, omnis forma est principium ejus cujus est forma quantum ad aliquod
sui esse. Si igitur paternitas qua formaliter Pater est Pater, sit aliud ab
ipso Patre, erit aliquid principium Patris et prius eo, quod est
inconveniens. Ergo paternitas non est aliud a Patre, et eadem ratione nec
aliqua proprietas aliud a persona. |
2. Par ailleurs, toute forme est le principe
de ce dont elle est la forme quant à quelque chose de son existence. Si donc
la paternité par laquelle le Père est formellement Père est quelque chose
d’autre que le Père lui-même, elle sera un principe du Père et donc antérieure
à Lui, ce qui pose un problème. Donc la paternité n’est pas autre que le Père
et pour la même raison aucune propriété n’est autre que la personne. |
[2360]
d. 33 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt tres opiniones. Porretani enim dixerunt, quod
proprietates sunt in personis ut assistentes, et non sunt ipsae personae. Sed
hoc non potest esse ; quia aut proprietas aliquid est in re ; et sic si non
est persona in qua est, oportet ibi esse compositionem ; aut nihil est in re ; et sic non erit distinctio
personarum secundum rem. Et ideo alii dicunt, sicut dixit
Praepositivus, quod proprietates sunt ipsae personae secundum rem, nec
distinguuntur a personis etiam secundum rationem, nec aliquo modo. Unde
dixit, in divinis tantum esse essentiam et personas ; et proprietates
negavit. Sed cum dicitur paternitas, sumitur
abstractum pro concreto ; sicut dicimus: rogo benignitatem tuam, idest te
benignum ; et sic etiam proprietates adorari dicuntur. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’à ce sujet on rencontre trois opinions. Les disciples de Gilbert
de la Porrée ont dit en effet que les propriétés sont dans les personnes
comme des assistants et ne sont pas les personnes elles-mêmes. Mais il ne
peut en être ainsi car ou bien la propriété est quelque chose dans la réalité
et ainsi si elle n’est pas la personne dans laquelle elle est, il faudra
qu’il y ait là composition ; Ou bien elle n’est rien
dans la réalité et ainsi il n’y aura pas distinction réelle entre les
personnes. Et c’est pourquoi d’autres
disent, tout comme l’a dit Prépositif, que les propriétés sont les personnes
elles-mêmes en réalité et qu’elles ne se distinguent pas des personnes selon
la raison non plus, ni d’aucune manière. D’où il a dit qu’en Dieu
il n’y a que l’essence et les personnes et nia les propriétés. Mais lorsqu’on dit
¨paternité¨, on prend l’abstrait pour le concret, comme lorsque nous
disons : ¨je fais appel à ta bonté¨, nous voulons dire : ¨je te
demande d’être bon¨. Et c’est ainsi qu’on dit aussi des propriétés qu’elles
doivent être priées ou adorées. |
Et dicebat quod personae cum sint
simplicissimae, se ipsis distinguuntur. Sed hoc etiam non potest stare,
propter duo: primo, quia invenimus in una persona
plures proprietates et relationes, secundum quod ad aliam et ad aliam
personam refertur ; secundo, quia aliquid attribuitur
proprietati quod non attribuitur personae, sicut distinguere, personae autem
distingui ; et ideo oportet quod differant secundum modum significandi
proprietates a persona. |
Et il disait que les personnes, puisqu’elles
sont ce qu’il y a de plus simple, se distinguent par elles-mêmes. Mais cela
aussi ne peut tenir, pour deux raisons : Premièrement parce que
nous retrouvons dans une même personne plusieurs propriétés ou relations
selon qu’elle se rapporte à telle ou telle autre personne ; Deuxièmement parce que
quelque chose est attribué à la propriété qui n’est pas attribué à la
personne, comme à la propriété de distinguer et à la personne d’être
distinguée ; et c’est pourquoi il faut que les propriétés diffèrent de
la personne selon le mode de signifier. |
Nec modus significandi diversus
veritatem haberet, sed vanitatem, nisi esset alia ratio proprietatis et
personae, cui respondet aliquid in re, ut dictum est hac dist., quaest. 1,
art. 1. Et ideo dicimus, quod proprietates et
personae sunt idem re, sed differunt ratione, sicut et de proprietatibus et
de essentia dictum est. Sed in hoc differt, quod ratio proprietatis et
essentiae differt sicut ratio diversorum generum, ut dictum est ; sed ratio
proprietatis et personae differt sicut ratio abstracti et concreti in eodem
genere acceptorum. |
Et un mode de signifier différent n’aurait
pas la vérité pour lui mais serait vain, à moins qu’il y ait une autre raison
formelle de la propriété et de la personne à laquelle correspondrait quelque
chose dans la réalité, ainsi que nous l’avons dit [dist. 33, quest. 1, art.
1]. Et c’est pourquoi nous disons que les propriétés sont identiques à la
personne en réalité mais elles diffèrent par la raison tout comme nous
l’avons dit aussi des propriétés et de l’essence. Mais il y a différence en
ceci que les raisons formelles de propriété et d’essence diffèrent comme les
raisons formelles de genres différents comme nous l’avons dit, alors que les
raisons formelles de propriété et de personne diffèrent comme les raisons
formelles de l’abstrait et du concret pris dans un même genre. |
In concreto autem est duo considerare
in rebus creatis ; scilicet compositionem, et perfectionem ; quia quod
significatur concretive, significatur ut per se existens, ut homo vel album.
Similiter de ratione abstracti duo sunt, scilicet simplicitas, et imperfectio
; quia quod significatur in abstracto, significatur per modum formae, cujus
non est operari vel subsistere in se, sed in alio. Unde patet quod sicut
etiam est in aliis quae de Deo dicuntur, neutra ratio secundum totum divinis
competit ; ex quo probatur, Lib. De
causis, propos. 6, quod nihil proprie de Deo dicitur ; quia nec
abstractum propter imperfectionem, nec concretum propter compositionem. Sed
quantum ad aliquid utrumque vere dicitur ; quia et concretum propter
perfectionem, et abstractum propter simplicitatem. |
Mais il y a deux choses à considérer dans le
concret pour les choses créées ; à savoir la composition et la perfection ;
car ce qui est signifié concrètement est signifié comme existant pas soi,
comme homme et blanc. De même il y a deux choses à considérer au sujet de la
raison formelle de l’abstrait, à savoir la simplicité et
l’imperfection ; car ce qui est signifié dans l’abstrait est signifié à
la manière d’une forme à laquelle il n’appartient pas de poser des opérations
et de subsister en soi, mais plutôt d’exister dans un autre. D’où il est
clair que tout comme on le voit aussi pour les autres noms qu’on attribue à Dieu,
aucune raison formelle ne convient totalement à Dieu, à partir de quoi on
prouve [Des Causes, proposition 6]
qu’aucune des deux sortes de termes ne s’attribue proprement à Dieu : ni
ceux qui sont abstraits à cause de leur imperfection, ni ceux qui sont
concrets à cause de leur composition. Mais sous un certain rapport chacun des
deux s’attribue en vérité : les concrets à cause de leur perfection, les
abstraits à cause de leur simplicité. |
[2361] d. 33 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
igitur dicendum, quod proprietates sunt idem re cum personis quantum ad esse
; sed secundum esse personae non distinguuntur ; unde non sequitur quod
secundum multitudinem proprietatum sit multitudo personarum ; quia distinctio
personarum non est nisi secundum oppositionem relativam ; unde secundum quod
potest variari oppositio relativa in proprietatibus, sequitur distinctio in
personis ; et hoc, si diligenter consideretur, non potest venire ad majorem
numerum quam ternarium ; et ideo relationes oppositae sunt personae, et sunt
duae personae, sicut duae relationes ; sed relationes quae sunt in eadem
persona non oppositae, sunt quidem duae relationes vel proprietates, sed non
duae personae, immo una persona. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que les propriétés sont identiques aux personnes dans la réalité
quant à l’existence ; mais ce n’est pas selon l’existence que les
personnes se distinguent ; d’où il ne s’ensuit pas que la multiplicité des personnes suive la
multiplicité des propriétés ; car la distinction des personnes ne
découle que de l’opposition relative ; d’où il résulte que c’est selon
qu’il puisse y avoir variation de l’opposition relative dans les propriétés qu’il s’ensuit une
distinction dans les personnes ; et si on examine cette question avec
attention, on voit qu’il ne peut résulter un plus grand nombre de personnes
que trois ; et c’est pourquoi les relations opposées sont les personnes,
et qu’il y a deux personnes tout comme il y a deux relations ; mais les
relations qui sont dans la même personne ne sont pas opposées : car il y
a certes là deux relations ou deux propriétés et non pas deux personnes mais
bien plutôt une seule personne. |
[2362] d. 33 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod relationes signantur per modum formarum vel
qualitatum in divinis. Numerus autem proprietatum vel formarum non ponit
simpliciter numerum in rebus ipsis ; sed numerus suppositorum ; sicut
Socrates non dicitur trinus propter hoc quod tres proprietates habeat ; et
ita etiam Pater non dicitur trinus propter tres notiones ; sed Deus dicitur
trinus propter tres personas vel tria supposita. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que les
relations sont signifiées par mode de formes ou de qualités en Dieu. Mais le
nombre des propriétés ou des formes ne pose pas absolument le nombre dans les
choses elles-mêmes, mais c’est le nombre des suppôts qui le fait ; par
exemple on ne dit pas de Socrate qu’il est trois pour cette raison qu’il
possède trois propriétés ; et de même encore on ne dit pas du Père qu’il
est trois à cause des trois notions ; mais on dit plutôt de Dieu qu’il
est trine ou trois à cause des trois personnes ou des trois suppôts. |
[2363] d. 33 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod dictum Augustini, ubi sup., veritatem habet in divinis et in
creaturis, sed diversimode ; quia illud quod in creaturis ad aliquid dicitur,
substat huic [huic om. éd. de Parme]
relationi, sicut subjectum accidenti ; et ideo est aliud et aliud: sed illud
quod in divinis ad aliquid dicitur, est ipsa relatio ; quia in Deo non est
aliud secundum rem, sed [secundum add.
éd. de Parme] rationem essentiae, et habens essentiam quod est persona,
et ipsa proprietas distinguens personam. |
3. Il faut dire en troisième lieu que les
paroles de Saint-Augustin présentées plus haut sont dans la vérité au sujet
de Dieu et des créatures, mais de manière différente ; car ce qui est
dit relativement dans les créatures ; car ce qui dans les créatures
reçoit l’attribution du relatif se tient sous cette [cette om. Éd. de Parme] relation, tout comme le sujet sous l’accident ;
et c’est pourquoi l’un n’est pas l’autre ; mais ce qui en Dieu se dit
relativement est la relation elle-même : car en Dieu, ce qui possède
l’essence et qui est la personne ne diffère pas en réalité mais [selon add. Éd. de Parme] la raison de la
propriété même qui distingue la personne. |
[2364] d. 33 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod proprietas significatur per modum formae, et formae est
distinguere ; ideo proprietates personas distinguunt ; et hoc est quantum ad
modum significandi, qui fundatur in vera ratione proprietatis. Ideo ex hoc
non potest concludi aliqua diversitas secundum rem. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
propriété est signifiée à la manière d’une forme et il appartient à la forme
de distinguer ; et c’est pourquoi les propriétés distinguent les
personnes ; et cela est quant au mode de signifier qui se fonde sur la
véritable raison formelle de propriété. Et c’est pourquoi à partir de là
aucune diversité réelle ne peut être conclue. |
[2365] d. 33 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod in divinis abstractum et concretum non differunt secundum rem,
sed secundum rationem, ut dictum est, in corp. art. Unde ita differt
proprietas a persona sicut deitas a Deo, quod est secundum rationem tantum. |
5. Il faut dire en cinquième lieu qu’en Dieu
l’abstrait et le concret ne diffèrent pas réellement mais selon la raison,
comme nous l’avons dit dans le corps de l’article. D’où il résulte que la
propriété diffère de la personne tout comme la divinité diffère de Dieu, à
savoir selon la raison seulement. |
|
|
Articulus 3 [2366] d. 33 q. 1 a. 3
tit. Utrum proprietates sint in personis et in essentia |
Article 3 – Les propriétés sont-elles dans les personnes et dans l’essence ? |
[2367]
d. 33 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod proprietates
non sint in essentia, nec in personis. Quaecumque enim sunt idem secundum
rem, unum eorum non potest esse in altero ; quia propositiones sunt
transitivae ; unde secundum Philosophum, IV Phys., text. 26, nihil est in seipso, nisi per
accidens. Sed proprietates sunt idem re cum essentia et personis. Ergo
non sunt in essentia vel in personis. |
Difficultés : 1. Il semble que les
propriétés ne soient ni dans l’essence ni dans les personnes. Pour toutes les
choses qui sont identiques dans la réalité, l’une d’elles ne peut exister
dans l’autre car les propositions sont transitives ; d’où, d’après le
Philosophe [IV Physique, ch. 3,
texte 26], rien n’existe en soi-même si ce n’est par accident. Mais les
propriétés sont réellement identiques à l’essence et aux personnes. Elles ne
sont donc ni dans l’essence ni dans les personnes. |
[2368] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 2
Praeterea, omne illud in quo est relatio, refertur ; et omne quod refertur,
in divinis relatione distinguitur. Cum igitur essentia non distinguatur, videtur
quod in essentia non sit relatio. |
2. Par ailleurs, tout ce en quoi il y a
relation, cela se rapporte à un autre ; et en Dieu, tout ce qui se
rapporte à un autre se distingue par la relation. Donc, puisque l’essence
elle-même ne se distingue pas, il semble que dans l’essence il n’y ait pas
relation. |
[2369] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 3 Item,
cum relationes sint consequentes motum vel mutationem aliquam, in quo non
potest esse motus vel mutatio, nec relatio esse poterit. Sed in divinis
nullus potest esse motus vel mutatio. Ergo nec relationes, sive in essentia,
seu in divinis personis. |
3. En outre, puisque les relations suivent
un mouvement ou un certain changement, là où il ne peut y avoir de mouvement
ou de changement, il ne pourra y avoir de relation. Mais en Dieu il ne peut y
avoir de mouvement ou de changement. Il ne peut donc y avoir de relations ni
dans l’essence ni dans les personnes divines. |
[2370] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 4
Praeterea, omne quod est in aliquo, secundum aliquem modum in illo est. Sed
nullus modorum quo aliquid in aliquo a Philosopho, IV Phys., text. 23, inesse dicitur potest convenire ad hoc quod
proprietates in personis sint. Ergo videtur quod nec proprietates sint in
essentia, nec in personis. |
4. De plus, tout ce qui existe dans un autre
y existe selon une certaine modalité. Mais aucune des modalités énumérées par
le Philosophe [IV Physique, texte
23], par lesquelles un être existe dans un autre, ne peut correspondre à la
modalité par laquelle les propriétés existeraient dans les personnes. Il
semble donc que les propriétés n’existent ni dans l’essence ni dans les
personnes. |
[2371]
d. 33 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, in praefatione, ut supra, In personis adoretur proprietas. |
Cependant: 1. On dit au contraire dans la préface citée plus haut: «Que la propriété soit adorée dans les
Personnes». |
[2372]
d. 33 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, quod denominatur ab aliqua forma, oportet
quod habeat illam in se. Sed personae denominantur a proprietatibus ; dicitur
enim a paternitate Pater. Ergo
videtur quod proprietates sint in personis. |
|
[2373] d. 33 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod proprietates sunt in essentia et in personis ; sed
diversimode: quia in essentia sunt per identitatem rei, et non sicut in
supposito ; sed in personis sunt sicut in supposito ; sed diversimode,
secundum quod aliquid dicitur suppositum alicujus dupliciter: vel naturae per
quam constituitur, sicut humanitas est in Socrate, et hoc modo proprietates
personales sunt in personis ; vel sicut illud quod advenit post esse
constitutum, sicut albedo est in Socrate ; et ita secundum intellectum
proprietates non personales, ut innascibilitas et communis spiratio, sunt in
personis ; non tamen ita quod suppositum sit aliquid aliud ab eo quod inest
secundum rem, sed secundum rationem tantum concreti et abstracti, ut dictum
est, art. praeced. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que les propriétés sont dans l’essence et dans les personnes, mais
différemment : car elles sont dans l’essence par une identité réelle et
non comme dans un suppôt ; mais elles sont dans les personnes comme dans
un suppôt ; mais différemment selon qu’on dit d’une chose qu’elle est le
suppôt d’une autre de deux manières : soit d’une nature par laquelle
elle est constituée, tout comme l’humanité est dans Socrate et en ce sens les
propriétés personnelles sont dans les personnes ; soit comme ce qui
advient après que l’être soit constitué, comme la blancheur est dans
Socrate : et ainsi, selon l’intelligence, les propriétés non
personnelles, comme l’innascibilité et la spiration commune, sont dans les
personnes ; mais non pas cependant de telle manière que le suppôt soit
quelque chose d’autre que ce qui est en lui en réalité, mais seulement selon
la raison formelle du concret et de l’abstrait, comme nous l’avons dit dans
l’article précédent. |
[2374] d. 33 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc
patet responsio ad primum ; quia ex hoc quod ratione distinguuntur, et re
idem sunt proprietates cum essentia et personis, unum in altero dicitur esse. |
Solutions : 1. Suite à ce qui précède
dans le corps de l’article, la réponse à la première difficulté est
évidente ; car c’est du fait que les propriétés se distinguent par la
raison et qu’elles soient identiques en réalité à l’essence et aux personnes
qu’on dit à leur sujet qu’elles existent dans l’essence et dans les
personnes. |
[2375] d. 33 q. 1 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in quocumque est relatio sicut in supposito, illud
refertur ; sicut in quocumque est albedo sicut in supposito, illud est album.
In natura autem divina, vel essentia divina, non est proprietas relativa
sicut in supposito, immo per omnimodam rei identitatem ; unde relatio non
potest praedicari concretive de essentia, ut dicatur, essentia refertur: sed
praedicatione designante identitatem, ut dicatur, essentia est relatio ; et
ideo non oportet quod essentia distinguatur: sicut etiam in creaturis
paternitas est in Socrate sicut in supposito ; unde Socrates pater dicitur ;
non autem humanitas ejus pater dicitur, etiam qua posset dici paternitas esse,
non quidem secundum identitatem rei, sicut est in divinis, sed secundum
convenientiam in uno supposito, quod est Socrates, in quo est humanitas et
paternitas. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que partout
où il y a relation comme dans un suppôt, il y a là un rapport à un autre,
tout comme partout où se trouve la blancheur comme dans un suppôt, cela est
blanc. Mais dans la nature ou l’essence divine, il n’y a pas de propriété
relative comme dans un suppôt mais bien plutôt par une identité totalement
réelle ; d’où la relation ne peut être attribuée concrètement à
l’essence de manière à dire que l’essence s’y rapporte, mais plutôt par une
attribution désignant l’identité, de manière à dire que l’essence est la
relation ; et c’est pourquoi il ne faut pas que l’essence soit
distinguée : tout comme encore dans les créatures la paternité est dans
Socrate comme dans un suppôt, d’où Socrate est appelé père, cependant son
humanité n’est pas appelée père, humanité dont on pourrait aussi dire que
c’est par elle que la paternité existe, non pas certes d’après une identité
réelle, comme c’est le cas en Dieu, mais d’après une conformité dans un même
suppôt qui est Socrate dans lequel se trouve l’humanité et la paternité. |
[2376] d. 33 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod hoc quod relatio consequitur motum, accidit relationi
inquantum non est aeterna ; unde si aliquae relationes aeternae sunt, non
consequuntur motum aliquem ; sicut si ponatur mundus aeternus, erit designare
in caelo aliquod corpus aequale alteri, vel duplum vel secundum aliam
proportionem ; et tamen istae relationes non consequuntur motum aliquem vel
mutationem, quia in caelo non est motus ad quantitatem: et similiter, cum
relationes quibus personae distinguuntur, sint ab aeterno, non oportet quod
motum aliquem consequantur ; sed loco motus aliquo modo consequuntur
communicationem et acceptionem naturae divinae. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le
fait que la relation suive le mouvement, cela arrive à la relation en autant
qu’elle n’est pas éternelle ; d’où il résulte que s’il existe certaines
relation qui sont éternelles, elles ne découlent pas d’un mouvement ;
par exemple, si on posait que le monde est éternel, il faudra encore désigner
dans le ciel un corps qui sera soit égal, soit le double ou qui aura une
autre proportion par rapport à un autre corps ; et cependant ces
relations ne découlent pas d’un mouvement ou d’un changement car dans le ciel
il n’y a pas de mouvement qui tende vers une quantité : et de la même
manière, puisque les relations par lesquelles les personnes se distinguent
existent de toute éternité, il est nécessaire qu’elles ne découlent pas d’un
mouvement ; mais au lieu de découler d’un mouvement, elles découlent
d’une certaine manière de la communication et de la réception de la nature
divine. |
[2377] d. 33 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod secundum Hilarium, De
Trinitate, § 19, col. 38) comparatio terrenorum ad divina nulla est ;
unde nullus illorum modorum quem Philosophus enumerat, sufficit ad
explicandum quomodo in divinis aliquid in aliquo esse dicatur ; et praecipue
modus ille quo proprietates in essentia esse dicuntur ; quia non invenitur in
creaturis aliqua diversorum generum in identitatem rei convenire, sicut
relatio et substantia in divinis conveniunt, ratione cujus unum in altero
esse dicitur, scilicet paternitas in essentia, sicut in praeexistente
secundum intellectum. Sed modus ille quo proprietates non personales sunt in
personis, habet aliquid simile illi modo quo forma est in materia, scilicet
forma accidentalis in subjecto ; et modus ille quo proprietates personales
sunt in personis, habet aliquid simile cum illo modo quo differentiae sunt in
specie, vel natura communis in inferiori ; quamvis in his omnibus major
dissimilitudo quam similitudo inveniatur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que selon
Saint-Hilaire [De la Trinité, & 19, col. 38], les choses terrestres ne se
comparent en rien à la réalité divine ; d’où il résulte qu’aucune des
modalités que le Philosophe énumère ne suffit à expliquer comment on peut
dire qu’en Dieu que quelque chose existe dans un autre, et principalement
cette modalité par laquelle on dit que les propriétés existent dans
l’essence ; car il n’arrive pas dans les créatures que certains des
différents genres se rencontrent dans une identité réelle comme c’est le cas
pour la relation et la substance en Dieu et en raison de quoi on peut dire
que l’un est dans l’autre, à savoir que la paternité est dans l’essence comme
dans ce qui préexiste selon l’intelligence. Mais ce mode par lequel les
propriétés non personnelles sont dans les personnes a une certaine
ressemblance avec ce mode par lequel la forme est dans la matière,
c’est-à-dire dans le cas où la forme accidentelle est dans le sujet ; et
ce mode par lequel les propriétés personnelles sont dans les personnes a
quelque similitude avec ce mode par lequel les différences sont dans l’espèce
ou la nature commune est dans l’inférieur, bien que dans tous les cas la
dissimilitude est plus grande que la similitude. |
|
|
Articulus 4 [2378] d. 33 q. 1 a. 4
tit. Utrum essentialia adjectiva praedicentur de proprietatibus |
Article 4 – Les adjectifs essentiels s’attribuent-ils aux propriétés ? |
[2379]
d. 33 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod essentialia adjectiva de
proprietatibus praedicentur. Quaecumque enim sunt idem secundum rem, quidquid
de uno dicitur, et de altero videtur dici ; alias affirmatio et negatio de
eodem verificaretur ; quia de quo non dicitur affirmatio, dicitur negatio.
Sed proprietates sunt ipse Deus, ut probatum est, art. 2. Ergo essentialia
adjectiva, quae de divina essentia praedicantur, etiam de proprietatibus
praedicari debent. |
Difficultés : 1. Il semble que les
adjectifs essentiels s’attribuent aux propriétés. En effet, pour tout ce qui
est identique en réalité, tout ce qui se dit de l’un se dit aussi de l’autre
car autrement l’affirmation et la négation se vérifieraient par rapport à un
même sujet et à un même prédicat car la négation se dit de ce dont
l’affirmation ne se dit pas. Mais les propriétés sont Dieu lui-même comme
nous l’avons prouvé dans l’article 2. Donc les adjectifs essentiels, qui
s’attribuent à l’essence divine, doivent aussi s’attribuer aux propriétés. |
[2380] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 2
Praeterea, de similibus idem est judicium. Sed quaedam adjectiva essentialia
de proprietatibus praedicantur, ut immensus, increatus et caetera. Ergo
videtur quod etiam omnia alia. |
2. Par ailleurs, le jugement qu’on porte sur
les cas semblables doit être le même. Mais certains adjectifs essentiels
s’attribuent aux propriétés, comme immense, incréé et d’autres. Il semble
donc qu’il doive en être de même pour les autres. |
[2381] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 3 Item,
videtur quod etiam adjectiva notionalia seu personalia, de proprietatibus
praedicentur ; quia major est convenientia personalium adjectivorum cum
proprietatibus quam essentialium. Sed quaedam essentialia praedicantur de
proprietatibus, ut dictum est, dist. 22, quaest. 2, art. 1. Ergo multo magis
omnia personalia, ut dicatur: paternitas est generans vel innascibilis: et
sic de aliis. |
3. En outre, il semble que même les
adjectifs notionnels ou personnels s’attribuent aux propriétés ; car la
convenance des adjectifs personnels avec les propriétés est plus grande que
celle des adjectifs essentiels. Mais certains adjectifs essentiels
s’attribuent aux propriétés, comme nous l’avons dit [dist. 22, quest. 2, art.
1]. Donc tous les adjectifs personnels s’attribuent bien davantage aux
propriétés, de manière à dire que la paternité est ce qui engendre ou est
innascible : et il en est de même pour le reste. |
[2382] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 4
Praeterea, secundum Boetium, nulla propositio verior illa est in qua idem de
se praedicatur. Sed omnes dicunt quod in Patre idem est paternitas et
generare. Ergo potest vere dici, quod paternitas generet. |
4. Par ailleurs, d’après Boèce, nulle
proposition n’est plus vraie que celle dans laquelle le même s’attribue au
même. Mais tous disent que dans le Père la paternité est identique à
engendrer. On peut donc dire en vérité que la paternité engendre. |
[2383] Super Sent., lib. 1 d. 33 q. 1
a. 4 s. c. 1 Contra, sicut proprietas est idem re cum personis, ita etiam et
essentia ; quamvis utrumque ratione differat. Sed ratione hujus identitatis
non sequitur quod notionalia adjectiva praedicentur de essentia, propter
diversum modum significandi, qui causat diversitatem suppositionis: non enim
dicitur quod essentia sit genita. Ergo videtur quod eadem ratione non debeat
dici quod filiatio sit genita. |
Cependant : 1. Au contraire, tout
comme la propriété est identique en réalité aux personnes, il en est de même
aussi pour l’essence, bien que les deux diffèrent par la raison. Mais en
raison de cette identité il ne s’ensuit pas que les adjectifs notionnels
s’attribuent à l’essence, à cause d’un mode différent de signifier qui cause
une diversité de supposition : on ne dit pas en effet que l’essence soit
engendrée. Il semble donc pour la même raison qu’on ne doive pas dire que la
filiation soit engendrée. |
[2384] d. 33 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod, sicut dictum est, art. 2, proprietas, persona, et essentia
secundum rem non differunt, sed secundum rationem tantum, et diversum modum
significandi: unde distinguendum est in adjectivis. Quia omnia illa quae
praedicant conditionem rei absolute, praedicantur communiter de proprietate,
persona, et essentia, et hujusmodi ; praecipue si sunt adjectiva negativa, ut
increatus et hujusmodi. Quaecumque vero exprimunt modum significandi in quo
ista tria distinguuntur, non praedicantur de eis communiter. Tamen in his
etiam est diversitas. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
, tout comme nous l’avons dit dans l’article 2, que la propriété, la personne
et l’essence ne diffèrent pas réellement mais seulement selon la raison et
d’après un mode différent de signifier : d’où la nécessité de distinguer
parmi les adjectifs. Car tous ceux qui attribuent une condition de la chose
prise absolument s’attribuent communément à la propriété, à la personne et à
l’essence, surtout s’il s’agit d’adjectifs négatifs comme ¨incréé¨ et
d’autres de même sorte. Mais tous ceux qui expriment un mode de signifier
dans lequel ces trois dernières se distinguent ne s’attribuent pas en commun
à elles. Et cependant même dans ces derniers il y a diversité. |
Quaedam enim sunt quae important illum
modum significandi in principali significato ; sicut hoc nomen commune
importat significando modum essentiae, et similiter hoc nomen distinctum
modum personae, et hoc nomen distinguens modum proprietatis ; et ideo si
istorum praedicatio permutetur, ut dicatur essentia distincta, vel proprietas
communis, vel aliquid hujusmodi ; erit falsa propositio, et non solum
impropria. |
Il y en a certains en effet qui impliquent
ce mode de signifier dans le signifié principal, tout comme ce nom ¨commun¨
implique en signifiant le mode de l’essence, et semblablement ce nom
¨distinct¨ implique le mode de la personne et ce nom ¨qui distingue¨ le mode
de la propriété ; et c’est pourquoi, s’il y a permutation dans
l’attribution de ces termes, de telle sorte qu’on dirait que l’essence est
distincte ou que la propriété est commune, la proposition ne serait pas
seulement impropre mais fausse. |
Quaedam autem important illum modum
non significando ipsum, sed dant eum intelligere ex suo modo significandi ;
sicut illa quae significant per modum actus, quia actus sunt suppositorum.
Unde talia non proprie possunt attribui nisi personis, quae sunt supposita
divinae naturae, non autem proprietati vel essentiae, quae significantur per
modum formae. Unde non proprie dicitur quod paternitas generat, neque quod
paternitas creat ; et similiter etiam illa quae significant concretive, dant
intelligere modum personarum. Unde et haec non est propria: « Paternitas
est sapiens », vel hujusmodi ; et similiter nec haec: « paternitas
est Pater », si ly « Pater » adjective sumatur ; vel:
« paternitas est innascibilis. » |
Il y en a cependant qui impliquent ce mode
no pas en le signifiant, mais donnent à le comprendre à partir de leur
manière de signifier, tout comme ceux qui signifient à la manière d’un acte
car les actes appartiennent aux suppôts. D’où il résulte que de tels
adjectifs ne peuvent être proprement attribués qu’aux personnes qui sont les
suppôts de la nature divine et non pas cependant à la propriété ou à
l’essence qui sont signifiées à la manière d’une forme. D’où il résulte que
ce n’est pas proprement qu’on dit que la paternité engendre ou que la
paternité crée ; et de même aussi ceux qui signifient concrètement
donnent à entendre le mode des personnes. D’où la proposition suivante n’est
pas proprement formulée : «La paternité est sage», tout comme d’autres
de même sorte ; et il en est de même pour la proposition suivante :
«la paternité est le Père», si ce «Père» est pris comme un adjectif ; et
il en est encore de même pour la proposition suivante : «la paternité
est innascible». |
[2385] Super Sent., lib. 1 d. 33 q. 1
a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis sint idem secundum rem,
tamen secundum rationem differunt ; et ideo potest aliquid de uno dici quod
de altero proprie non dicitur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que les propriétés et l’essence soient identiques en
réalité, ils diffèrent cependant par la raison ; et c’est pourquoi
quelque chose peut être attribué à l’une et ne pas être attribué proprement à
l’autre. |
[2386] d. 33 q. 1 a. 4 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod illa adjectiva negativa non dant intelligere aliquem
modum determinatum, qui pertineat proprie ad essentiam vel personam ; sed
dicunt conditiones, quae possunt consequi quidem utrumque quantum ad modum
significandi. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que ces
adjectifs négatifs ne donnent pas à entendre un mode déterminé qui
appartiendrait proprement à l’essence ou à la personne ; mais ils
signifient des conditions qui peuvent certes découler des deux quant au mode
de signifier. |
[2387] d. 33 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod adjectiva personalia non magis conveniunt cum proprietatibus
quam essentialia, quantum ad modum significandi per nomen, quamvis magis
conveniant quantum ad rationem generis ; quia adjectiva personalia et
proprietates significant ad aliquid, et ideo eadem ratione non possunt de
proprietatibus praedicari qua nec essentialia. Tamen de ipsa essentia divina
magis proprie praedicantur essentialia adjectiva, quam personalia de
proprietatibus ; quia proprietas significatur ut ratio quaedam personae ;
unde quantum ad modum significandi magis elongatur a perfectione suppositi
quam essentia, quae dicit totum esse suppositi, licet alio modo significatum.
Sed tamen personalia adjectiva de essentia omnino praedicari non possunt,
propter distinctionem quam significant, quae est opposita modo essentiae. |
3. Il faut dire en troisième lieu que les
adjectifs personnels ne conviennent pas davantage aux propriétés que les
adjectifs essentiels quant au mode de signifier par le nom, bien qu’ils
conviennent davantage quant à la raison formelle du genre ; car les
adjectifs personnels et les propriétés signifient relativement, et c’est
pourquoi les adjectifs personnels, pour la même raison qui fait que les
adjectifs essentiels ne le peuvent, ne peuvent s’attribuer aux propriétés.
Cependant les adjectifs essentiels s’attribuent plus proprement à l’essence
divine que les adjectifs personnels ne s’attribuent aux propriétés ; car
la propriété est signifiée comme une forme de la personne ; d’où il suit
quant au mode de signifier qu’elle s’éloigne davantage de la perfection du
suppôt que l’essence qui signifie tout l’être du suppôt bien qu’il soit
signifié d’une autre manière. Cependant les adjectifs personnels ne peuvent
absolument pas être attribués à l’essence à cause de la distinction qu’ils
signifient, laquelle est opposée au mode de l’essence. |
[2388] d. 33 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod « generare » significat idem cum paternitate in re,
sed differt in modo significandi ; quia « generare » significat ut
egrediens a supposito ; et quia paternitas non significatur ut suppositum,
non potest generare de ea praedicari. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
¨engendrer¨ signifie en réalité la même chose que la paternité, mais elle en
diffère par le mode de signifier ; car ¨engendrer¨ signifie à la manière
de ce qui sort d’un suppôt et parce que la paternité n’est pas signifiée
comme un suppôt, ¨engendrer¨ ne peut lui être attribué. |
|
|
Articulus 5 [2389] d. 33 q. 1 a. 5
tit. Utrum contrariae opiniones de notionibus possint esse sine peccato |
Article 5 – Les opinions contraires concernant les notions peuvent-elles être sans péché ? |
[2390]
d. 33 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod contrariae opiniones de
notionibus non possint esse sine peccato. Sicut enim dicit Augustinus, lib. I
De Trin., cap. III, col. 822, nec
periculosius alicubi erratur quam in materia Trinitatis. Sed contrariae
opiniones de notionibus non possunt esse sine errore alicujus. Ergo
cum iste error sit circa materiam Trinitatis, videtur quod sit
periculosissimus. |
Difficultés: 1. Il semble que les opinions contraires au sujet des notions ne
peuvent être sans péché. En effet, comme le dit Saint-Augustin [1 De la
Trinité, ch. 111, col. 822]: «Nulle
part l’erreur n’est plus dangereuse qu’en matière trinitaire». Mais les
opinions contraires sur les notions ne peuvent être sans erreur à ce sujet.
Donc puisque cette erreur porte sur la matière de la Trinité, il semble
qu’elle soit la plus dangereuse. |
[2391] d. 33 q. 1 a. 5 arg. 2
Praeterea, duorum contradictoriorum oportet alterum esse falsum. Sed quidam
dicunt non esse proprietates, et quidam esse infinitas, et quidam quinque, et
quidam essentiam, et quidam non ; quae contradictorie opponuntur. Ergo
videtur quod ex altera parte interveniat mendacium. Sed secundum Augustinum,
lib. De mendacio, cap. XXI, omnium
mendaciorum gravissimum est quod est circa divina. Ergo videtur quod ista
contrarietas sine peccato non possit esse. |
2. Par ailleurs, de deux
contradictoires, il faut que l’une soit fausse. Mais certains disent qu’elles
ne sont pas les propriétés, d’autres qu’elles sont infinies, d’autres
qu’elles sont au nombre de cinq, d’autres qu’elles sont l’essence et d’autres
encore qu’elles ne sont pas l’essence ; mais ces opinions s’opposent par
la contradiction. Il semble donc qu’il y ait mensonge d’un côté ou de
l’autre. Mais d’après Saint-Augustin [Sur
le Mensonge, ch. XXI], le plus grave de tous les mensonges est celui qui
porte sur Dieu. Il semble donc que cette contrariété ne puisse être sans
mensonge. |
[2392] d. 33 q. 1 a. 5 arg. 3 Si dicas, quod excusantur propter hoc
quod de notionibus nihil in sacra Scriptura habetur, et ita licuit unicuique
opinari quod voluit ; contra. Aut
enim sacra Scriptura dicitur canon Bibliae, aut dicta sanctorum patrum. Si
canon Bibliae, sicut nec de notionibus, ita etiam nec de personis ibi fit
mentio. Ergo per eamdem rationem liceret negare personas, vel diversificari
circa numerum personarum: quod tamen haereticum judicaretur. Si dicta
sanctorum patrum, contra expresse inveniuntur facere mentionem de
proprietatibus, sicut patet in multis auctoritatibus inductis [dictis éd. de Parme]. Ergo videtur quod
omnino excusari non possint. |
3. Mais si
tu dis que ces erreurs peuvent s’excuser du fait que rien n’est établi
dans les Saintes Écritures au sujet des notions et qu’il est ainsi permis à
chacun d’en penser ce qu’il veut, j’objecte
ceci : ou bien en effet par les Saintes Écritures on veut dire le
canon de la Bible ou bien on dit les paroles des saints pères. Si on veut
dire le canon de la Bible, on ne fait là mention ni des personnes ni des
notions. Donc pour la même raison il serait permis de nier les personnes ou
de varier d’opinion sur le nombre des personnes : ce qui serait
considéré comme hérétique. Mais si par là on parle des paroles des saints
pères, on fait là par contre clairement mention des propriétés, comme on le
voit dans de nombreux témoignages qui y sont introduits [dits Éd. de Parme]. Il semble donc que ces
erreurs ne puissent absolument pas être excusées. |
[2393] d. 33 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra,
omne peccatum vel est fidei, vel morum. Sed circa istam contrarietatem non
incidit peccatum morum, quia hoc peccatum est circa actiones ; nec etiam
peccatum fidei, quia nullus articulus fidei negatur. Ergo videtur quod sit
sine peccato. |
Cependant : 1. Au contraire, tout
péché porte soit sur un article de foi, soit sur le comportement. Mais par
rapport à cette contrariété le péché ne porte pas sur le comportement car ce
dernier péché se rapporte aux actions ; et il ne s’agit pas non plus
d’un péché sur la foi car aucun article de foi n’y est nié. Il semble donc
que les opinions contraires sur les notions soient sans péché. |
[2394] d. 33 q. 1 a. 5 co. Respondeo
dicendum, quod contrarie opinari de aliquo, potest esse dupliciter: vel quod
pertineat ad religionem fidei, vel quod non pertineat. Et si quidem sit de
non pertinentibus ad fidem, quibus positis vel remotis nihil inconveniens fidei
sequatur, nullum peccatum est, nisi forte per accidens, scilicet
praesumptionis in eo qui nimis asserit quod dubium est, vel mendacii, vel
inanis gloriae, vel multorum aliorum: quia causae per accidens sunt
infinitae, secundum Philosophum, II Physic.,
text. 23 et II Metaph., text. 6. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’avoir une opinion contraire sur un sujet peut se présenter de deux
manières : soit l’opinion se rapporte à un article de la foi, soit elle
ne s’y rapporte pas. Et si elle concerne des énoncés qui ne se rapportent pas
à la foi et qu’il ne s’ensuive aucune difficulté pour la foi de les affirmer
ou de les nier, il n’y a aucun péché, sauf accidentellement celui de
présomption chez celui qui affirme avec trop d’insistance ce qui est douteux,
ou encore celui de mensonge, de vaine gloire ou de nombreux autres
défauts : car les causes par accident sont infinies selon le Philosophe
[11 Physique, texte 23 et 11 Métaphysique, texte 6] |
Si autem est contradictio de his quae
ad fidem pertinent, hoc potest esse dupliciter. Vel quia est de illis quae expresse in
articulis fidei continentur, quos scire omnes tenentur ; et circa talia
contradictio non est sine peccato in altero, vel erroris simplicis, vel
haeresis si pertinacia adjungatur. |
Mais s’il se présente une contradiction dans
cette opinion par rapport au contenu de la foi, cela est possible de
deux manières. Soit parce qu’elle porte
sur ce qui est clairement contenu dans les articles de la foi que tous sont
tenus de savoir ; et pour les contradictoires de cette sorte l’une
d’elles n’est pas sans péché, qu’il s’agisse d’un péché d’erreur simple ou
d’hérésie s’il s’y ajoute de l’entêtement. |
Vel est de illis ad quae consequitur
aliquid inconveniens et contrarium fidei, licet in fide expressum non sit nec
determinatum ; et tunc ante pertractationem per quam scitur quod aliquid
inconveniens fidei sequitur, potest utrumque sine peccato opinari, et maxime
si pertinacia non adjungatur. |
Soit parce qu’elle porte sur des énoncés
d’où découlent des difficultés et des contrariétés relativement au contenu de
la foi, bien que ces énoncés eux-mêmes ne soient pas clairement exprimés et
fixés dans la foi ; et alors, avant l’approfondissement qui permet de
savoir qu’un inconvénient s’ensuit pour la foi, les deux contradictoires
peuvent être pensées sans qu’il y ait péché, surtout s’il ne s’y ajoute pas
de l’entêtement. |
Sed pertractata veritate et viso quid
sequitur, idem judicium est de his et de illis quae determinata sunt in fide,
quia ad unum sequitur alterum: sicut si aliquis simplex et Scripturas
ignorans, crederet Jacob patrem Isaac fuisse (ad quod sequitur Scripturam
esse falsam, quod est expresse contra fidem) antequam sequi ostenderetur
sibi, posset ejus opinio sine peccato esse ; sed ostenso quod sequitur
Scripturam esse falsam, si adhuc in opinione pertinaciter persisteret,
haereticus judicandus esset. Ita est etiam de notionibus de quibus nihil est
expresse in fide determinatum. |
Mais une fois qu’on a touché la vérité et vu
ce qui s’ensuit, le jugement qu’on doit porter sur ces énoncés doit aller
dans le même sens que celui qu’on porte sur ceux qui ont été fixés clairement
dans le contenu de la foi car ces derniers sont le fondement du jugement
qu’on doit porter sur les premiers : par exemple, si quelqu’un de simple
et ignorant les Écritures croyait que Jacob a été le père d’Isaac (d’où il
s’ensuit que les Écritures sont fausses, ce qui s’oppose expressément à la
foi), avant qu’on lui montre ce qui s’ensuit, son opinion pourrait être sans
péché ; mais lui ayant montré qu’il s’ensuit que les Écritures sont
fausses, s’il persistait encore avec entêtement dans son opinion, il devrait
être jugé comme un hérétique. Et il en est encore de même pour les notions au
sujet desquelles rien n’a été clairement défini dans la foi. |
Tamen ex errore circa notiones
sequitur error circa personas et circa fidem ; sicut si ponantur relationes
esse assistentes tantum, sequitur vel compositio in Deo, vel distinctio non
secundum rem, sed secundum rationem: quod est Sabellianae impietatis ; et
ideo Porretanus, qui primo hoc posuerat, post, viso hoc [viso quod hinc éd. de Parme] sequitur, retractavit. |
Cependant, à partir d’une
erreur sur les notions il s’ensuit une erreur sur les personnes et sur la
foi ; par exemple, si on affirmait que les relations sont seulement
¨assistantes¨, il s’ensuit soit qu’il y a composition en Dieu, soit qu’il y a
en Dieu distinction selon la raison seulement et non une distinction réelle,
ce qui constitue l’impiété de Sabellius ; et c’est pourquoi Gilbert de
la Porrée, qui avait d’abord affirmé cela, ayant vu par la suite ce [ayant vu
que de là Ed. de Parme] qui
s’ensuit, se rétracta. |
Similiter etiam qui proprietates
negant, non omnino ponunt eas non esse ; immo implicite ponunt eas in personis
et eas esse personas. Sed si omnino negarentur esse, haereticum esset ; et
similiter pertinaciter defendere quod relationes sunt tantum assistentes,
haereticum esset: et ideo haeretici in Littera
appellantur. |
Et de la même manière encore ceux qui nient
les propriétés n’affirment pas de manière absolue qu’elles n’existent
pas ; bien plutôt ils les posent implicitement dans les personnes et
affirment qu’elles sont les personnes. Mais s’ils niaient absolument qu’elles
existent, ils seraient hérétiques ; et de la même manière, il serait
hérétique de soutenir avec entêtement que les relations sont seulement
¨assistantes¨. Et c’est pourquoi on les appelle hérétiques dans la Lettre. |
[2395]
d. 33 q. 1 a. 5 ad arg. Et per hoc patet responsio ad ea quae objecta sunt. |
Solutions: Et par là on voit les réponses à ces difficultés. |
|
|
Distinctio 34 |
Distinction 34 – [L’essence et la Personne] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
|
Distinctio 34 Hic est triplex quaestio. Prima de comparatione essentiae ad
personam. Secunda de appropriatione quae in
littera ponitur. Tertia de his quae translative de Deo
dicuntur. Circa primum quaeruntur duo: 1 utrum essentia sit persona ; 2 utrum possit dici, quod tres
personae sint unius essentiae. |
Distinction 34. L’examen porte ici sur trois
points. En premier lieu sur la
comparaison de l’essence à la personne. Deuxièmement sur
l’appropriation qu’on pose dans la Lettre. Troisièmement sur les
choses qui se disent de Dieu par translation. Au sujet du premier point
on cherche à répondre à deux questions : 1. Est-ce que l’essence
est la personne ? 2. Est-ce qu’on peut dire
que les trois personnes appartiennent à une seule et même essence? |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La comparaison de l’essence avec la personne]. |
|
|
Articulus 1 [2398] Super Sent., lib. 1
d. 34 q. 1 a. 1 tit. Utrum persona et essentia in divinis sint idem |
Article 1 – La personne et l’essence sont-elles une même chose en Dieu ? |
[2399]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod persona et essentia in
divinis non sunt idem. Omnis enim persona vel hypostasis in
divinis aut est generans, vel genita, vel procedens. Sed essentia non est hujusmodi, ut
supra, dist. 5, quaest. 1, art. 1, dictum est. Ergo et cetera. |
Difficultés : 1. Il semble que la personne
et l’essence ne soient pas identiques en Dieu. En effet, toute personne ou
toute hypostase en Dieu est ou bien celui qui engendre, celui est qui est
engendré ou celui qui procède. Mais l’essence n’est rien de tel, comme nous
l’avons dit plus haut [dist. 5, quest. 1, art. 1]. Elles ne sont donc pas
identiques. |
[2400] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 arg. 2 Praeterea, affirmatio et negatio nunquam verificantur de eodem.
Verificantur autem de essentia et persona ; quia essentia non est distincta,
persona est distincta. Ergo persona et essentia non sunt idem. |
2. Par ailleurs, l’affirmation et la
négation ne se vérifient jamais simultanément du même. Mais elles se
vérifient de l’essence et de la personne ; car l’essence n’est pas
distincte alors que la personne est distincte. Donc la personne et l’essence
ne sont pas identiques. |
[2401] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 arg. 3 Item, omnis persona vel hypostasis est suppositum alicujus
naturae. Sed idem non potest sibi ipsi supponi. Ergo persona et essentia non
sunt idem. |
3. En outre, toute personne ou toute
hypostase est le suppôt de quelque nature. Mais le même ne peut être un
suppôt pour soi-même. Donc la personne et l’essence ne sont pas identiques. |
[2402] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 arg. 4 Praeterea, omne proprium se habet ex additione ad commune. Sed
essentia est communis, persona autem est proprium. Ergo persona se habet ex
additione ad essentiam. Non igitur sunt omnino idem. |
4. Par ailleurs, tout ce qui est propre se
présente comme une addition à ce qui est commun. Mais l’essence est commune
et la personne est propre. Donc la personne se présente comme une addition à
l’essence. Elles ne sont donc pas absolument identiques. |
[2403] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 arg. 5 Item, nulla duo uniuntur in eo quod omnino idem est utrique ;
quia jam in nullo distingui possent. Sed duae personae, ut Pater et Filius,
uniuntur in essentia. Ergo essentia non omnino idem est utrique personae. |
5. De plus, en aucun cas deux réalités ne
peuvent être unies dans ce qui est absolument identique aux deux car
déjà elles ne pourraient être distinguées en rien. Mais deux personnes, comme
le Père et le Fils, sont unies dans l’essence. Donc l’essence n’est pas
absolument identique aux deux personnes. |
[2404] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 s. c. 1 Contra, per Boetium, De
Trinit., cap. II, col. 1250, in divinis idem est quo est et quod est. Sed
essentia significatur ut quo est, persona ut quod est. Ergo idem est essentia
et persona. |
Cependant : 1. Au contraire, selon
Boèce [De la Trinité, ch. 11, col.
1250], ce qui est et ce par quoi il est sont identiques en Dieu. Mais
l’essence est signifiée comme ce par quoi il est et la personne comme ce qui
est. Donc l’essence et la personne sont identiques. |
[2405] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 s. c. 2 Praeterea, si persona Patris non est ipsa deitas qua Deus
dicitur, Pater dicetur Deus participatione alicujus naturae. Sed illud cujus
participatione aliquid denominat [denominatur Éd. de Parme), est majus et perfectius, quantum ad illud genus
secundum quod denominatur, quam ipsum participans, ut supra habitum est, 22
dist., et Dionysius etiam dicit, cap. XII De
div. Nom., quod participationes excedunt ipsa participantia. Ergo
sequeretur quod aliquid quod non est Pater, scilicet ipsa divinitas, esset
majus et perfectius Patre ; quod est inconveniens. Ergo oportet quod essentia
et persona sint omnino idem. |
2. Par ailleurs, si la personne du Père
n’est pas la divinité même par laquelle il est appelé Dieu, le Père sera
appelé Dieu par la participation d’une nature. Mais ce par la participation
de quoi quelque chose dénomme [est dénommé Éd. de Parme] est plus grand et plus parfait quant à ce genre
selon lequel il est dénommé que celui-là même qui en participe, ainsi que nous
l’avons établi plus haut à la distinction 22 et ainsi que le dit aussi Denys
[Les Noms Divins, ch. XII]
lorsqu’il affirme que les participations transcendent ceux-là même qui en
participent. Il s’ensuivrait donc que quelque chose qui n’est pas le Père, à
savoir la divinité elle-même, serait plus grande et plus parfaite que le
Père, ce qui est absurde. Il faut donc que l’essence et la personne soient
absolument identiques. |
[2406] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 s. c. 3 Praeterea, sequeretur, si essentia esset alia res a tribus
personis, quod essent quatuor res in divinis: quod est haereticum. |
3. Par ailleurs, il s’ensuivrait, si
l’essence était autre en réalité que les trois personnes, qu’il y aurait
quatre réalités en Dieu : ce qui est hérétique. |
[2407]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod persona et essentia omnino re in
divinis non distinguuntur. In illis enim in quibus aliud est essentia quam
hypostasis vel suppositum, oportet quod sit aliquid materiale, per quod natura
communis individuetur et determinetur ad hoc singulare. Unde
illam determinationem materiae vel alicujus quod loco materiae se habet,
addit in creaturis hypostasis supra essentiam et naturam ; unde non omnino
ista in creaturis idem sunt. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire qu’en Dieu la personne et l’essence ne diffèrent
absolument pas quant à la réalité. En effet, dans les choses dans lesquelles
l’essence est autre que l’hypostase ou le suppôt, il faut qu’il y ait quelque
chose de materiel par quoi la nature commune puisse être individuée et
déterminée à cet individu. D’où il résulte que dans les créatures l’hypostase
ajoute à l’essence ou à la nature cette determination de la matière ou de
quelque chose qui tient lieu de matière; c’est pourquoi dans les creatures
l’essence et la personne ne sont pas absolument identiques. |
In Deo autem non est natura ipsius
subsistens per aliquod ad quod determinatur sicut per materiam ; sed per
seipsam est subsistens, et ipsum suum esse subsistens est ; unde natura est
ipsum quod subsistit, et esse in quo subsistit: et propter hoc in Deo omnino
idem est quo est et quod est. Unde oportet quod omnino idem sint re essentia
et persona, etiam si poneretur quod proprietates non essent essentia: quia
personae non habent quod sint personae ex hoc quod subsunt proprietatibus,
sed ex hoc quod subsunt essentiae ; quia persona dicit individuum subsistens
in genere substantiae. |
Mais en Dieu sa nature ne subsiste pas au
moyen de quelque chose qui la déterminerait, comme par une matière, à être
quelque chose ; mais bien plutôt c’est par elle-même qu’elle subsiste et
c’est son être même qui est subsistant ; d’où il résulte que sa nature
est cela même qui subsiste et qu’elle est l’être dans laquelle elle subsiste :
et c’est pour cette raison qu’en Dieu ce qui est et ce par quoi il est sont
absolument identiques. D’où il faut que l’essence et la personne soient
absolument identiques dans la réalité, même si on affirmait que les
propriétés ne sont pas l’essence : car les personnes ne tiennent pas
d’être des personnes du fait de se tenir sous les propriétés mais du fait
qu’elles se tiennent sous l’essence ; car la personne dit un individu
qui subsiste dans le genre de la substance. |
Unde magis est inconveniens ponere
differentiam secundum rem inter essentiam et personam, quam inter essentiam
et proprietatem. Nihilominus tamen essentia et persona distinguuntur secundum
rationem, cui tamen ratio veritatis rei pro fundamento substat. Cum enim in
Deo sit summa simplicitas et summa perfectio, utroque modo possumus Deum
significare ; scilicet quantum ad simplicitatem per nomina abstracta, et
quantum ad perfectionem per nomina concreta, quae significant aliquid
subsistens. |
D’où il est plus problématique de poser une
différence réelle entre l’essence et la personne qu’entre l’essence et la
propriété. Néanmoins cependant l’essence et la personne se distinguent selon
la raison, distinction sous laquelle cependant se tient la vérité de la chose
comme fondement. En effet, puisqu’il y a en Dieu la plus grande simplicité et
la plus grande perfection, nous pouvons signifier Dieu de deux manières, à
savoir quant à la simplicité au moyen des noms abstraits, et quant à la
perfection au moyen des noms concrets qui signifient quelque chose de subsistant. |
Item, in divinis invenimus aliquid
commune secundum rem, et aliquid proprium. Sic ergo ratio personae duo
includit in divinis: nomine enim personae significatur Deus ut subsistens, et
ut proprium ; sed nomine essentiae significatur ut simplex [simpliciter Éd. de Parme], non autem ut
subsistens, et significatur ut commune ; sed nomine paternitatis non
significatur ut subsistens, sed ut proprium, non quidem ut distinctum, sed ut
distinguens. |
En outre nous retrouvons en Dieu quelque
chose de commun selon la réalité et quelque chose de propre. Ainsi donc la
noton de personne inclut deux aspects en Dieu : en effet par le nom de
personne Dieu est signifié comme subsistant et comme propre ; mais par
le nom d’essence il est signifié comme simple [simplement Éd. de Parme], mais
non comme subsistant, et il est signifié comme commun ; mais par le nom
de paternité il n’est pas signifié comme subsistant mais comme propre, et non
pas comme étant distinct, mais comme ce qui distingue. |
Et sic patet quod persona re ab
essentia et proprietate non differt, sed secundum rationem tantum, per quam
utrumque significatur ut formale respectu personae, quantum ad duo quae sunt
de intellectu personae: quia essentia significatur ut forma ejus, inquantum
est subsistens ; et proprietas ut forma ejus, inquantum est proprium vel
incommunicabile. |
Et ainsi il est clair que la personne ne
diffère pas en réalité de l’essence et de la propriété, mais seulement par la
raison par laquelle l’une et l’autre est signifiée comme formellement par
rapport à la personne quant à deux aspects qui font partie de
l’intelligibilité de la personne : car l’essence est signifiée comme sa
forme en tant qu’elle est subsistante et la propriété comme sa forme en tant
qu’elle est propre et incommunicable. |
[2408] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod generare et similes actus
attribuuntur personae divinae secundum duplicem modum significandi quo ab
essentia distinguitur: tum quia significant relationes distinguentes personas
; tum quia significant per modum actus. Actus autem omnis est rei
subsistentis et perfectae ; et ideo non possunt essentiae attribui ex hoc
quod attribuuntur hypostasi ; quia hypostasi attribuuntur secundum id in quo
non est idem cum essentia ; et ideo incidit fallacia accidentis in processu. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que ¨engendrer¨ et les actes semblables sont
attribués à la personne divine d’après deux manières de signifier par
lesquelles elle se distingue de l’essence : tant parce qu’ils signifient
les relations qui distinguent les personnes que parce qu’ils signifient à la
manière d’un acte. Mais tout acte appartient à une chose subsistante et
parfaite ; et c’est pourquoi les actes ne peuvent être attribués à
l’essence du fait qu’ils sont attribués à l’hypostase pour cette raison
qu’ils s’attribuent à l’hypostase d’après ce qui la distingue de
l’essence ; et c’est pourquoi on retrouve dans cet argument un sophisme
de l’accident. |
[2409] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de eodem, secundum quod idem est,
impossibile est aliquid idem affirmare et negare ; sed si in aliquo
distinguantur affirmationes et negationes pertinentes ad illam distinctionem,
de ipso verificari poterunt: quia omnis distinctio, sive rei sive rationis,
fundatur in affirmatione et negatione, sicut patet etiam in synonimis ;
tunica enim et vestis eamdem rem significant, tamen nomina sunt diversa ; et
similiter indumentum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que pour un
même être, en tant qu’il est le même, il est impossible d’affirmer et de nier
la même chose ; mais si les affirmations et les négations qui se
rapportent à cette distinction diffèrent en quelque chose, elles pourront se
vérifier de lui : car toute distinction, qu’il s’agisse d’une
distinction réelle ou d’une distinction de raison, se fonde sur l’affirmation
et la négation tout comme on le voit aussi dans les synonymes ; en
effet, tunique et vêtement signifient la même chose et cependant les noms
sont différents et il en est de même pour manteau. |
Unde affirmationes et negationes quae
pertinent ad rem, non possunt verificari, ut dicatur: tunica est alba,
indumentum non est album ; sed affirmationes et negationes quae pertinent ad
ipsa nomina, possunt verificari, ut dicatur: indumentum est neutri generis,
vestis non est neutri generis. Ita etiam cum persona et essentia sint idem
secundum rem, nihil quod ad naturam rei pertinet, quod praedicatur de
essentia, potest negari de persona, ut dicatur, quod essentia est increata,
et persona non est increata ; essentia est Deus, et persona non est Deus ;
vel aliquid hujusmodi. |
|
Sed quia ratione distinguuntur,
quidquid pertinet ad rationem illam in qua distinguuntur, quod praedicatur de
uno, potest negari de altero, ut dicatur, quod essentia est communis, persona
non est communis ; persona generat, essentia non generat: et sic de aliis.
Unde in omnibus talibus non idem attribuitur essentiae et personae. |
Mais parce que la personne et l’essence se
distinguent par la raison, tout ce qui se rapporte à cet aspect sous lequel
elles se distinguent et qui s’attribue à l’une peut être nié de l’autre,
comme lorsqu’on dit que l’essence est commune et que la personne n’est pas
commune, que la personne engendre et que l’essence n’engendre pas : et
il en est de même pour d’autres prédicats. D’où il résulte que dans tous les
cas de cette sorte ce n’est pas la même chose qui est attribué à l’essence et
à la personne. |
[2410] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod proprie loquendo, non est in divinis
aliquid sub alio ; unde supra, 8 dist., Augustinus non recipit nomen
substantiae in divinis ; et etiam Richardus de s. Victore nomen subsistentiae
in nomen existentiae mutavit. Unde etiam nec proprie ibi suppositum dicitur,
ut suppositio ad rem referatur. Sed utimur talibus nominibus secundum
intellectum nostrum, qui accipit in divinis aliquid respondens illis duobus
in creaturis, quorum unum alteri supponitur, sicut res per se existens
supponitur formae communi simplici ; et intellectus accipit aliquid
simpliciter in Deo, quod respondet formae, et aliquid subsistens, quod idem
est re cum simplici ; et ideo rem subsistentem in divinis nominat suppositum
naturae simplicis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu qu’à proprement parler, en Dieu rien ne se tient sous quelque chose
d’autre ; d’où, comme nous l’avons vu plus haut à la distinction 8,
Augustin n’admet pas le nom de substance pour Dieu ; et même Richard de
Saint-Victor a changé le nom de subsistance en le nom d’existence pour Dieu.
D’où encore suppôt ne se dit pas là proprement de manière à rapporter la
supposition à une réalité. Mais nous nous servons de tels noms conformément à
notre intelligence qui admet en Dieu quelque chose qui correspond à ces deux
aspects dans les créatures, dont l’une est supposée à l’autre, comme la
réalité qui existe par elle-même est supposée à la forme commune simple ;
et l’intelligence admet en Dieu quelque chose de simple qui correspond à la
forme, et quelque chose de subsistant qui est identique en réalité avec ce
qui est simple ; et c’est pourquoi le suppôt d’une nature simple nomme
une réalité subsistante en Dieu. |
[2411] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod commune est duplex. Quoddam enim commune est secundum
rationem ; et istud per additionem alicujus proprii contrahitur et
determinatur ; sicut genus per additionem differentiae, et species per
materiam individuatur. Aliud est commune re, quod quidem
manet indivisum ; unde non oportet quod aliquo addito determinetur ; sicut
est essentia in tribus personis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il y a
deux sortes de commun. Il y a en effet un commun
selon la raison et ce dernier est limité et déterminé par l’addition d’une
propriété, tout comme le genre l’est par l’addition d’une différence et que
l’espèce est individuée par la matière. L’autre est un commun réel
qui demeure certes indivisé ; d’où il ne faut pas qu’il soit déterminé
ou limité par une addition, tout comme c’est le cas pour l’essence dans les
trois personnes. |
Sed verum est quod oportet de
intellectu personae esse aliquam rationem, scilicet relationis, quae non est
de intellectu essentiae ; quae tamen relatio re ab ipsa essentia non differt
; unde nec compositionem facit, nec in aliquo realiter personam ab essentia
distinguit, sed personam a persona. |
Mais il est vrai qu’il faut qu’il y ait une
notion au sujet de l’intelligibilité de la personne, à savoir celle de la
relation, qui ne fasse pas partie de l’intelligibilité de l’essence. Et
cependant cette relation ne diffère pas en réalité de l’essence
elle-même ; d’où elle ne fait pas composition avec elle et ne distingue
en rien dans la réalité la personne de l’essence, mais seulement une personne
d’une autre. |
[2412] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod tres personae uniuntur in essentia, quae
omnino secundum rem idem est unicuique illarum ; tamen differt secundum
rationem ab unaquaque, prout persona includit in se intellectum relationis ; quae
relatio, quamvis, comparata ad essentiam, ratione tantum differat ab ea,
tamen comparata ad suum relatum cui opponitur, realem distinctionem facit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que les
trois personnes sont unies dans l’essence, laquelle en réalité est absolument
identique à chacune d’elles ; cependant elle diffère par la raison de
chacune d’elles, dans la mesure où la personne inclut en elle l’intelligence
de la relation ; mais cette relation, bien que comparée à l’essence elle
en diffère seulement par la raison, cependant, comparée à ce relatif auquel
elle s’oppose elle fait une distinction réelle. |
Non enim relatio distinguit realiter,
nisi secundum oppositionem respectus quam habet. Illa autem oppositio non est
ad hoc in quo relatio habet esse, sed ad hoc ad quod dicitur ; et ideo
relatio non distinguitur realiter ab essentia et persona in qua est, sed a
persona alia ad quam dicitur. |
En effet, la relation ne distingue
réellement que selon l’opposition de la considération qu’elle fait. Mais
cette opposition n’est pas par rapport à ce dans quoi la relation a
l’existence, mais par rapport à ce à l’égard de quoi elle se dit ; et
c’est pourquoi la relation ne se distingue pas réellement de l’essence et de
la personne dans laquelle elle existe, mais de l’autre personne par rapport à
laquelle elle se dit. |
|
|
Articulus 2 [2413] Super Sent., lib. 1
d. 34 q. 1 a. 2 tit. Utrum tres personas esse unius essentiae convenienter
dicatur |
Article 2 – Dit-on convenablement que les trois personnes sont d’une seule essence ? |
[2414]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur inconvenienter dici, quod tres
personae sint unius essentiae. Quia secundum grammaticum, obliqui transitivi
sunt. Sed constructio transitiva exigit diversitatem eorum quae construuntur.
Cum igitur essentia non sit diversa a persona, videtur inconvenienter dici,
tres personas esse unius essentiae. |
Difficultés : 1. Il semble que ce ne
soit pas avec raison qu’on dise des trois personnes qu’elles sont d’une seule
et même essence. Car selon le grammairien, les obliques sont transitifs. Mais
la construction transitive exige la diversité de ce qui est construit. Donc,
puisque l’essence n’est pas différente de la personne, il semble qu’on ait
tort de dire que les trois personnes sont d’une seule et même essence. |
[2415] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 2 arg. 2 Si dicas, quod genitivi
illi construuntur intransitive, sicut cum dicitur donum Spiritus sancti,
idest quod est Spiritus sanctus ; contra.
Sicut tres personae sunt una essentia, ita etiam sunt unus Deus. Ergo si illa
ratio sufficit, adhuc videtur quod similiter possit dici, esse tres personas
unius Dei, quod in Littera negatur. |
2. Si
tu dis que ces cas génitifs sont construits d’une manière intransitive,
comme lorsqu’on parle du don de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire de ce don qui
est l’Esprit-Saint ; je réponds
par contre que tout comme les trois personnes sont une seule essence, de
même encore elles sont un seul Dieu. Donc, si cette raison suffit, il semble
encore qu’on puisse semblablement dire que les trois personnes sont d’un seul
Dieu, ce qui est nié dans la Lettre. |
[2416] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 2 arg. 3 Item, omnis constructio obliqui potest exponi per aliquam
praepositionem cum causali. Sed haec est falsa, quod tres personae sunt ex
eadem essentia, vel de eadem essentia [de eadem essentia om. Éd. de Parme], vel per eadem. Ergo videtur quod haec etiam
sit falsa, quod tres personae sunt unius essentiae. |
|
[2417] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, eadem est ratio rei et unius rei, ut dicit
Philosophus, IV Metaph., text. 3.
Si igitur tres personae sunt unius essentiae, convenienter poterit dici, quod
tres personae sunt essentiae, quod nihil dictum videtur [nihil est dictum Éd. de Parme]. Ergo nec primum. |
4. Par ailleurs la définition d’une chose et
celle d’une même chose sont identiques, comme le dit le Philosophe [IV Métaphysique, texte 3]. Si donc les
trois personnes sont d’une même essence, on pourra dire avec raison que les
trois personnes sont de l’essence, ce qui ne semble rien [rien n’est dit Éd. de Parme] dire. On ne peut donc
dire la première proposition. |
[2418] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 2 s. c. 1 Contra, ut in Littera
habetur, ab omnibus Catholicis consensum et defensum est nomen omoousion. Sed
hoc nihil aliud est quam esse unius essentiae, ut in Littera dicitur. Ergo tres personae sunt unius essentiae. |
Cependant : 1. Au contraire, comme on
l’établit dans la Lettre, le terme «omoousion» est admis et défendu par tous
les Catholiques. Mais ce terme ne signifie rien d’autre que d’être d’une même
essence, comme on le dit dans la Lettre. Donc, les trois personnes sont d’une
même essence. |
[2419]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ista simpliciter concedenda est:
« Tres personae sunt unius essentiae ». Quamvis enim quatuor sint
causae in rebus creatis, non tamen habitudines omnium causarum in Deo
inveniuntur. Habitudo autem causae materialis non competit Deo nec respectu
alicujus quod in ipso est, nec respectu ejus quod in creaturis est: quia
materia imperfecta est et in potentia. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que cette proposition doit être concédée absolument : «Les trois
personnes sont d’une même essence». En effet, bien qu’il y ait quatre sortes
de causes dans les choses créées, cependant en Dieu on ne retrouve pas les
rapports de toutes les causes. Mais le rapport de la cause matérielle ne
convient à Dieu ni par rapport à ce qui est en lui ni par rapport à ce qu’il
est dans les créatures car la matière est imparfaite et en puissance. |
Sed habitudo causae finalis est quidem
in Deo respectu creaturarum, cujus bonitatem finem omnis creaturae dicimus,
non autem respectu alicujus quod in ipso est: non enim una persona est finis
alterius, quia ex hoc sequeretur gradus in bonitate. Habitudo autem causae
formalis competit Deo et respectu creaturae cujus exemplar est, et respectu
ejus quod in ipso est ; tamen ista habitudo non fundatur super aliquam
relationem realem, sed secundum modum significandi ; quia aliquid
significatur ut forma, sicut essentia, et aliquid ut subsistens in forma, sicut
persona. |
Mais le rapport de la cause finale est
certes en Dieu par rapport aux créatures dont nous disons que sa bonté est la
fin de toute créature mais non pas cependant par rapport à ce qui est en lui :
une personne en effet n’est pas la fin d’une autre car il s’ensuivrait de là
qu’il y aurait un degré dans la bonté divine. Cependant le rapport de la
cause formelle convient à Dieu à la fois par rapport à la créature dont il
est le modèle et par rapport à ce qui est en lui : néanmoins ce rapport
ne se fonde pas sur une relation réelle mais sur le mode de signifier car
quelque chose est signifié en tant que forme, comme l’essence, et quelque
chose est signifié comme subsistant dans la forme, à savoir la personne. |
Habitudo autem causae efficientis
competit Deo et respectu creaturae et respectu ejus quod in ipso est, non
quidem essentiae [esse Éd. de Parme],
ad personam, sed personae ad personam, quae ab ipsa [ipso Éd. de Parme] est ; nec tamen ista
habitudo fundatur supra acceptionem intellectus, sed supra relationem, quae
in re est ; ut tamen efficiens large sumatur, quia in divinis non est aliquid
faciens et factum: sed est ibi origo unius personae ab alia. Et ideo [ita Éd. de Parme] patet quod omnis
constructio in divinis respectu divinorum, vel est secundum habitudinem
causae efficientis, ut cum dicitur Filius Patris ; vel secundum habitudinem
causae formalis, ut cum dicitur: tres personae sunt unius essentiae. Unde
dicendum, quod isti genitivi construuntur in habitudine causae formalis. |
Mais le rapport de la cause efficiente
convient à Dieu à la fois par rapport à la créature et par rapport à ce qui
est en lui, non pas certes de l’essence [l’être Éd. de Parme] à la personne, mais de la personne à la personne
qui procède d’elle [de lui Éd. de Parme] ;
et cependans ce rapport ne se fonde pas sur une acception de l’intelligence
mais sur une relation qui est dans la réalité, si on prend cependant la cause
efficiente au sens large car en Dieu il n’y a pas au sens strict de cause
productrice et de produit : mais il y a plutôt là une origine d’une
personne par rapport à une autre. Et c’est pourquoi [ainsi Éd. de Parme] il est clair que toute
construction en Dieu par rapport aux personnes divines se faut soit selon le
rapport de la cause efficiente, comme lorsqu’on dit que le Fils procède du
Père, soit selon le rapport de la cause formelle, comme lorsqu’on dit que les
trois personnes sont d’une même essence. D’où il faut dire que ces génitifs
sont construits dans le rapport de la cause formelle. |
[2420] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis essentia et persona sint
idem re, tamen differunt ratione, quia unum ut forma alterius significatur ;
et talis diversitas sufficit ad grammaticum, qui modos significandi per nomen
considerat. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que l’essence et la personne soient identiques en
réalité, cependant elles diffèrent par la raison car l’une est signifiée
comme la forme de l’autre ; et une telle diversité suffit au grammairien
qui considère les modes de signifier au moyen du nom. |
[2421] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est ibi omnino constructio secundum
identitatem, sed secundum habitudinem formae, ut dictum est, in corp. art. ;
et quia Deus non significatur ut forma trium personarum, ideo non potest dici
quod tres personae sint unius Dei: non enim posset intelligi ista
constructio, nisi possessive: et similiter propter eamdem rationem dicitur,
quod est una essentia trium personarum: non autem quod sit unus Deus trium
personarum quia [non… quia om. Éd. de
Parme] et in nomine Dei importatur habitudo principii creantis et
gubernantis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il n’y a
pas là construction selon l’identité mais selon le rapport de forme, comme
nous l’avons dit dans le corps de l’article ; et parce que Dieu n’est
pas signifié comme la forme des trois personnes, c’est pourquoi on ne peut
dire que les trois personnes sont d’un seul Dieu : cette construction en
effet ne peut s’entendre qu’à la manière d’une possession ; et de la
même manière c’est pour la même raison qu’on dit qu’il y a une seule essence
qui appartient aux trois personnes mais non pas qu’i y a un seul Dieu qui
appartient aux trois personnes car [non…car om. Éd. de Parme] dans le nom de Dieu est impliqué le rapport du
principe qui crée et qui gouverne. |
[2422] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hae praepositiones ex et de designant
habitudinem alicujus quod se habet ad motum vel operationem sicut initium et
non sicut terminus: et ideo designant habitudinem causae efficientis vel
materialis, non autem formae vel finis, quae sunt potius ut terminus motus ;
et ideo nullo modo potest dici quod tres personae sint ex eadem essentia vel
de eadem essentia ; sed potest dici quod sint in eadem essentia ; quia haec
praepositio in potest denotare habitudinem causae formalis continentis. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que ces prépositions ¨ex¨, c’est-à-dire ¨à partir de¨ et ¨de¨,
à savoir ¨de¨, désignent le rapport de ce qui se présente à l’égard du
mouvement ou de l’opération comme le commencement et non comme le
terme : et c’est pourquoi elles désignent le rapport de la cause
efficiente ou de la cause matérielle, mais non celui de la forme ou de la fin
qui sont plutôt comme le terme du mouvement ; et c’est pourquoi on ne
peut dire en aucune manière que les trois personnes existent à partir d’une
même essence ou qu’elles sont d’une même essence ; mais on peut dire
qu’elles sont dans une même essence car cette préposition ¨in¨, à savoir
¨dans¨ peut dénoter le rapport de la cause formelle qui contient. |
[2423] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod istae constructiones quae sunt in
designatione formae, requirunt duos genitivos, quorum unus significet ipsam
formam, et alius determinationem formae ; ut cum dicitur columna mirae
altitudinis ; vel unum genitivum habentem vim genitivorum duorum, ut cum
dicitur vir sanguinum, idest vir multi sanguinis effusor: et ideo oportet etiam
in proposito esse duos genitivos, quorum unus significet ipsam divinam
essentiam, et alius designet simplicitatem aut unitatem ejus, vel aliquam
aliam essentiae conditionem. Unde potest dici convenienter: tres personae
sunt unius essentiae, vel ejusdem essentiae, vel increatae essentiae ; non
autem quod sint essentiae simpliciter. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que ces
construction qui servent à désigner la forme exigent deux génitifs dont l’un
signifie la forme elle-même et l’autre la détermination de la forme, comme
lorsqu’on dit que la colonne est d’une hauteur admirable ; ou bien un
même génitif qui possède la force de deux génitifs, comme lorsqu’on parle
d’un homme de sangs, c’est-à-dire d’un homme qui répand une grande quantité
de sang : et c’est pourquoi il faut aussi pour le propos qu’il y ait
deux génitifs dont l’un signifie l’essence divine même, et l’autre sa
simplicité ou son unité, ou une autre condition de l’essence. D’où on peut
dire avec raison que les trois personnes sont d’une même essence, ou de la
même essence ou d’essence incréée, et non pas qu’elles sont de l’essence purement
simplement. |
|
|
|
Question 2 – [L’appropriation qui est placée dans la Lettre]. |
|
|
Articulus 1 [2424] Super Sent., lib. 1
d. 34 q. 2 a. 1 tit. Utrum potentia convenienter attribuatur Patri, sapientia
Filio, bonitas Spiritui sancto |
Article 1 – La puissance est-elle convenablement attribuée au Père, la sagesse au Fils et la bonté à l’Esprit Saint ? |
[2425] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2
a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur de appropriatione quae in Littera ponitur. Videtur enim quod sit incompetens.
Virtus enim ad potentiam pertinet. Sed virtus appropriatur Filio, 1 Corinth. 1, 24: Christum Dei virtutem. Ergo potentia
non debet appropriari Patri, sed Filio. |
Difficultés : 1. On s’interroge ensuite
sur les appropriations présentées dans la Lettre. Il semble que ces
attributions ne soient pas justes. En effet, la force se rapporte à la
puissance. Mais la force est appropriée au Fils [1 Corinthiens : 1,
24] : Le Christ, force de Dieu.
Donc, la puissance ne doit pas être attribuée au Père mais au Fils. |
[2426] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2
a. 1 arg. 2 Praeterea, principium enuntiationis vel pronuntiationis verbi,
est ipsa sapientia. Sed dicere verbum, quod est Filius, pertinet ad Patrem,
qui est principium ejus. Ergo sapientia debet appropriari Patri potius quam
Filio. |
2. Par ailleurs, le principe de
l’énonciation ou de la prononciation du verbe est la sagesse elle-même. Mais
dire le verbe, lequel est le Fils, appartient au Père qui en est le principe.
Donc la sagesse doit être appropriée au Père davantage qu’au fils. |
[2427] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2
a. 1 arg. 3 Item, sicut Filius procedit per modum intellectus ut verbum, ita
etiam per modum naturae ut Filius. Si ergo sapientia appropriatur Filio, quia
procedit per modum intellectus, eadem ratione debet sibi appropriari natura,
quia procedit per modum naturae. |
3. En outre, tout comme le Fils procède par
mode d’intellect comme verbe, de même encore il procède par mode de nature
comme Fils. Si donc la sagesse est appropriée au Fils car il procède par mode
d’intellect, pour la même raison la nature doit lui être appropriée car il
procède par mode de nature. |
[2428]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Dionysium, ap.
IV de div. Nom., col. 694, bonum est diffusivum sui ipsius, et est
quasi principium fontale omnis emanationis divinae bonitatis. Sed esse
fontale principium convenit Patri. Ergo bonitas debet Patri appropriari. |
4. Par ailleurs, d’après Denys [Les Noms Divins, ch. IV, col. 694], il
est dans la nature du bien de se répandre, et il est le principe d’où, comme
d’une source, procède toute émanation de la bonté divine. Mais il appartient
au Père d’être le principe originel. Donc la bonté doit être appropriée au
Père. |
[2429] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2
a. 1 s. c. 1 Contra est quod in Littera
dicitur. |
Cependant : Ce qu’on dit dans la Lettre est contraire à ce qu’on
conclut dans ces objections. |
[2430]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod nomina personarum dicuntur et de
divinis et de rebus creatis, non quidem univoce, sed per prius et posterius ;
unde secundum alium modum est paternitas et filiatio in creaturis et in
divinis, et ideo appropriatio potest fieri dupliciter: uno modo, considerando rationes
nominum secundum quod de creaturis dicuntur ; et ita appropriatio semper
debet fieri per contrarium, ut modus creaturae a creatore excludatur ; alio modo, considerando rationes
nominum secundum quod in divinis inveniuntur ; et ita debet appropriatio
fieri per similitudinem ad proprium, ut supra, 31 distinct., qu. 2, art. 1,
dictum est. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que les noms des personnes se disent à la fois de Dieu et des choses créées,
non pas certes de manière univoque mais par priorité et postériorité ;
il résulte de là que c’est selon des modes différents que la paternité et la
filiation se retrouvent en Dieu et dans les créatures et c’est pourquoi
l’appropriation peut se produire de deux manières : premièrement en
considérant les raisons formelles des noms selon qu’ils se disent des
créatures et de cette manière l’appropriation se produit toujours par le
contraire de telle manière que le mode de la créature soit exclu du
créateur ; deuxièmement en considérant les raisons formelles des noms
selon qu’ils se rencontent dans les personnes divines et de cette
manière l’appropriation se produit toujours par ressemblance à la propriété
comme nous l’avons dit plus haut [dist. 31, quest. 2, art. 1]. |
Utroque autem modo conveniens est ista
appropriatio. Si enim considerentur rationes horum nominum secundum modum quo
inveniuntur in creaturis, inveniuntur per contrarium facta: quia apud nos
invenitur infirmitas in patribus propter senectutem ; unde Patri caelesti
potentia attribuitur: invenitur imperitia in filiis propter juventutis motus,
et propter inexperientiam ; et ideo Filio Dei sapientia attribuitur. |
Mais cette appropriation est justifiée pour
chacune de ces deux manières. Si en effet les raisons formelles de ces noms
sont considérées selon le mode par lequel ils se retrouvent dans les
créatures, ils se trouvent à avoir été produits par le contraire : car
de notre côté il y a une faiblesse qui se rencontre chez les pères en raison
de la vieillesse, d’où la puissance est attribuée au Père céleste ; et
une ignorance se rencontre chez les fils en raison de l’agitation et de
l’inexpérience de la jeunesse et c’est pourquoi la sagesse est attribuée au
Fils de Dieu. |
Sed nomen spiritus apud nos pertinere
solet ad quamdam rigiditatem et inflationem, vel impetuositatem ; unde
dicitur Isai. 2, 22: « Quiescite
ab homine cujus spiritus in naribus ejus » ; et ideo spiritui sancto
bonitas attribuitur ; et hic modus tangitur in littera. Si autem accipiantur rationes nominum prout in divinis
sunt, sic etiam poterit fieri per assimilationem ad propria ; ut Patri qui
est fontale principium totius divinitatis, potentia ascribatur, quae in
ratione sua principium includit: est enim potentia principium
transmutationis, ut in V Metaph.,
text. 17, dicitur: et quia Filius procedit per modum intellectus, qui
sapientia perficitur, attribuitur sibi sapientia ; et quia Spiritus sanctus
procedit per modum voluntatis, cujus objectum est bonitas, ideo sibi
appropriatur bonitas. |
Mais de notre côté le nom
d’esprit ou de souffle a coutune de se rapporter à une certaine inflexibilité
et à un orgueil ou à une violence, d’où l’Écriture [Isaïe, 2, 22] nous dit : «Tenez-vous à l’écart de l’homme
dont le souffle ne tient qu’à ses narines» ; et c’est pourquoi la bonté
est attribuée à l’Esprit-Saint ; et tel est le mode qui est considéré
dans la Lettre. Mais si on prend les
raisons formelles des noms selon qu’ils se retrouvent en Dieu, ainsi encore
l’appropriation pourra se présenter par une assimilation aux propriétés, de
telle manière qu’au Père, qui est le principe originel de toute divinité, la
puissance soit attribuée, laquelle contient la notion de principe dans sa
définition. La puissance en effet est un principe de changement ainsi qu’on
le dit le Philosophe [V Métaphysique,
texte 17] : et parce que le Fils procède par mode d’intelligence qui
trouve sa perfection dans la sagesse, c’est pourquoi la sagesse lui est
attribuée ; et parce que l’Esprit-Saint procède par mode de volonté dont
l’objet est le bien ou la bonté, c’est pourquoi la bonté lui est attribuée. |
[2431] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2
a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod virtus non nominat potentiam
absolute, sed perfectionem potentiae ; unde dicit Philosophus, I caeli et mundi, text. 32, quod virtus
est ultimum in re de potentia. Sic ergo potest tripliciter virtus
considerari: vel secundum quod in potentia
radicatur, et sic Patri potest appropriari, sicut et potentia: vel inquantum est id per quod potentia
in actum exit, et ita Filio appropriatur, per quem Pater operari dicitur ;
unde et Filius brachium Patris dicitur, Job XL, 4: si habes brachium sicut Deus, ut Gregorius exposuit lib. XXXII, Moral., c. V, § 7. Vel inquantum circa opus bonitatem
imponit, unde dicitur 2 Ethic., cap. V, quod virtus est quae bonum facit
habentem, et opus ejus bonum reddit, et ita appropriatur Spiritui sancto,
sicut et bonitas. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la vertu ne signifie pas la puissance absolument mais la
perfection de la puissance, d’où le Philosophe dit [1 Du Ciel et du Monde, texte 32] que la vertu est ce qu’on
rencontre en dernier dans la puissance de la chose. Ainsi donc la vertu peut
être considérée de trois manières : soit selon qu’elle s’enracine dans
la puissance et ainsi elle peut être appropriée au Père tout comme la
puissance ; soit selon qu’elle est ce par quoi la puissance passe à
l’acte et ainsi elle est appropriée au Fils dont on dit qu’il est celui par
lequel le Père opère, d’où le Fils est appelé la main du Père dans les
Écritures [Job XL, 4] : si tu as une main, comme Dieu, comme
Saint-Grégoire l’expliqua [XXXII La
Morale, ch. V, & 7] ; soit selon que la vertu applique la bonté
à l’œuvre, d’où l’on dit [11 Éthique,
ch. V] que la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et qui rend
bonne aussi son œuvre et en ce sens la vertu, tout comme la bonté, est
appropriée à l’Esprit-Saint. |
[2432]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sapientia
ad verbum potest comparari tripliciter: vel sicut idem, vel sicut prius, vel
sicut posterius, ita in divinis sicut in humanis. Cum enim verbum dicat quamdam
conceptionem intellectus, ista conceptio apud nos oportet quod consequatur
aliquod lumen intellectuale, et saltem lumen intellectus agentis, et primorum
principiorum ex quibus accipitur conclusio. |
|
Unde si consideretur sapientia apud
nos secundum quod consistit in cognitione conclusionis quae mente accipitur,
sic est idem quod verbum mentis ; si autem consideretur sapientia secundum
quod consistit in lumine intellectus agentis et cognitione primorum
principiorum, sic praecedit verbum, quod est conceptio conclusionis ; si
autem accipiatur sapientia quae est adgenerata in mente discipuli per verbum
magistri, sic sequitur verbum. Ita etiam est in divinis: quia ipsa sapientia
genita est idem quod verbum, ut ex praedictis patet, dist. 32, qu. 2, art. 2.
|
|
Ipse autem intellectus paternus se
habet in productione verbi sicut lumen intellectus agentis, cum principiis in
productione conclusionis ; et sic secundum ordinem naturae, sapientia est
principium verbi, sicut dicimus sapientiam ingenitam esse principium
sapientiae genitae. Ipsa autem sapientia creata sequitur verbum, quasi
effecta per ipsum ; unde Eccli. 1, 5: « Fons sapientiae verbum Dei in excelsis » ; et ideo sapientia
essentialis, quae ingenita est neque generans, Filio appropriari potest,
propter similitudinem ipsius ad proprium Filii, inquantum est verbum ; quam
similitudinem non habet ad aliquod proprium Patris. |
|
[2433] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod natura semper habet rationem principii:
est enim principium motus et quietis in eo in quo est, per se, et non
secundum accidens, ut in II Physic., text. 3, dicitur ; et ideo non potest
appropriari Filio, qui est a principio secundum originem naturae, et non
principium in illa origine. Sed sapientia non habet tantum rationem
principii, sed etiam ejus quod est a principio ; et etiam magis, inquantum
proprie sapientia et scientia de conclusionibus est, quamvis etiam sapientia
principiorum sit, ut in VII Ethic., cap. c |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la nature a toujours raison de principe :
elle est en effet le principe, par soi et non par accident, du mouvement et
du repos dans celui dans lequel elle
se trouve, comme le dit le Philosophe [11 Physique,
texte 3] ; et c’est pourquoi elle ne peut être appropriée au Fils qui
procède d’un principe selon une origine de nature et qui n’est pas principe
dans cette origine. Mais la sagesse n’a pas seulement raison de principe mais
aussi de ce qui procède d’un principe et même davantage, pour autant que la
sagesse tout comme la science se rapporte proprement aux conclusions, bien
que la sagesse a aussi pour objet les principes ainsi que le dit le
Philosophe [ VII Éthique, ch. VII] et c’est pourquoi elle peut être
appropriée au Fils. |
[2434] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonum dicitur diffusivum per modum finis,
secundum quod dicitur quod finis movet efficientem. Non autem sic Pater est
principium divinitatis, sed magis per modum efficientis, ut dictum est, in
corp. art. |
4. Il faut dire en quatrième lieu qu’on dit
qu’il est dans la nature du bien de se répandre à la manière d’une fin selon
qu’on dit que la fin meut l’agent. Mais ce n’est pas de cette manière que le
Père est principe de la divinité, mais plutôt à la manière d’un agent, comme
nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
|
|
|
Question 3 – [Ce qui est dit métaphoriquement de Dieu]. |
|
|
Quaestio 3 Prooemium |
Prologue |
[2435] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
pr. Deinde quaeritur de his quae translative de Deo dicuntur ; et circa hoc
quaeruntur duo: 1 utrum aliquid de Deo translative
dicendum sit ; 2 a quibus rebus Deus translative
nominandus sit. |
On s’interroge ensuite sur les noms qui
s’attribuent à Dieu par métaphore et à ce sujet on pose deux questions : 1. Faut-il attribuer à
Dieu des termes qui se disent de Lui par métaphore ? 2. À partir de quelles
sortes de choses doit-on attribuer à Dieu des termes par métaphore. |
|
|
Articulus 1 [2436] Super Sent., lib. 1
d. 34 q. 3 a. 1 tit. Utrum aliquid debeat dici translative de Deo |
Article 1 – Doit-on dire quelque chose de Dieu par métaphore ? |
[2437]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod de Deo nihil translative dici debeat. Sicut enim dicit Boetius, lib. 1 de Trin., c. II col. 1250 in divinis
intellectualiter versari oportet, neque ad imaginationes deduci. Sed hujusmodi transumptivae locutiones
sunt sumptae ex imaginationibus sensibilium. Ergo non est eis utendum in
divinis. |
Difficultés : 1. Il semble que rien ne
doive être attribué à Dieu par métaphore. En effet, comme le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250], c’est
par l’intelligence qu’il faut se tourner vers Dieu et ne pas chercher à le
ramener à des images. Mais les expression métaphoriques de cette sorte sont
tirées des images sensibles. Il ne faut donc pas s’en servir pour chercher à
connaître Dieu. |
[2438]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Philosophum,
VI Top., cap. VII, omnes
transferentes, secundum aliquam similitudinem transferunt. Sed, secundum
Boetium, lib. III, in Porph., col.
99, cap. « De
specie », similitudo est rerum differentium eadem qualitas. Cum igitur
qualitates rerum corporalium non inveniantur in divinis, videtur quod nulla
similitudo vel metaphora possit sumi ex rebus sensibilibus, ut aliquid de Deo
translative dicatur. |
2. Par ailleurs, d’après
le Philosophe [ VI Topiques, ch. VII],
tous ceux qui font ce genre de transports les font d’après une ressemblance.
Mais d’après Boèce [111 Sur Porphyre,
col. 99, ch. «Sur l’espèce»] la ressemblance est une même qualité pour les
choses qui diffèrent. Donc, puisque les qualités des choses corporelles ne se
retrouvent pas en Dieu, il semble qu’aucune ressemblance ou aucune métaphore
ne puisse être tirée des choses sensibles, de manière à ce que quelque
chose puisse être attribué à Dieu par
métaphore |
[2439] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 1 arg. 3 Item, omnis doctrina est ad manifestationem veritatis ; et
praecipue sacra Scriptura. Sed hujusmodi metaphorae, vel symbolicae
locutiones, sunt quasi quaedam velamina veritatis, ut dicit Dionysius, cap.
I, Cael. Hier., § 3. Ergo eis non
videtur utendum in theologia. |
3. En outre, toute doctrine, et surtout les
Saintes Écritures, est en vue de manifester la vérité. Mais de telles
métaphores ou expressions symboliques sont comme des voiles de la vérité
comme le dit Denys [De la Hiérarchie
Céleste, ch. 1, & 3]. Il semble donc qu’il ne faille pas s’en servir
en théologie. |
[2440] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum philosophos, Ex I De anima, text. 26, scientia fit per assimilationem intellectus
ad rem scitam. Intellectus autem noster, cum sit incorporeus et immaterialis,
majorem similitudinem habet cum rebus divinis quam cum rebus corporalibus,
quae materiales sunt. Ergo magis se habet ad cognoscendum divina quam
hujusmodi corporalia ; et ita videtur quod per similitudinem corporalium
nobis divina manifestari non debeant. |
4. Par ailleurs, d’après les philosophes [1 De l’Âme, texte 26], la science
s’acquiert par l’assimilation de l’intelligence à la chose connue. Mais notre
intelligence, puisqu’elle est incorporelle et immatérielle, a une plus grande
ressemblance avec les choses divines qu’avec les choses corporelles qui sont
matérielles. Il lui est donc plus naturel de connaître les choses divines que
les choses corporelles ; et ainsi il semble que nous ne devons pas
manifester les choses divines au moyen de la ressemblance des choses
corporelles. |
[2441] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicit Dionysius, I Caelest. Hier., § 2,: « Neque
possibile est nobis aliter superlucere divinum radium, nisi varietate
similitudinum circumvelatum. Divinus radius autem est veritas divinorum.
Ergo oportet quod sub similitudinibus corporalibus, nobis divinorum veritas
proponatur. |
Cependant : 1. Denys [1 De la Hiérarchie Céleste & 2] dit
le contraire : «Le divin rayon ne
peut luire pour nous que tamisé et diversifié par tous nos saints voiles».
Mais le rayon divin est la vérité des personnes divines. Il faut donc que la
vérité des réalités divines nous soit proposée sous des ressemblances
corporelles. |
[2442]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
convenientissimum est divina nobis similitudinibus corporalibus designari,
cujus ratio potest assignari quadruplex: prima
et principalis propter materiae altitudinem, quae nostri intellectus
capacitatem excedit ; unde non possumus veritatem divinorum secundum modum
suum capere ; et ideo oportet quod nobis secundum modum nostrum proponatur.
Est autem nobis connaturale a sensibilibus in intelligibilia venire, et a
posterioribus in priora ; et ideo sub figura sensibilium intelligibilia nobis
proponuntur, ut ex his quae novimus ad incognita animus surgat. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que la manière de designer les réalités
divines par des similitudes corporelles nous est la plus convenable, et cela
pour quatre raisons: la première et la principale est le caractère élevé de
la matière examinée qui dépasse les capacités de notre intelligence; d’où il
résulte que nous ne pouvons saisir la vérité des réalités divines de la manière
qui leur est propre et c’est pourquoi la vérité de ces réalités nous est
proposée d’après le mode qui nous est propre. Mais il nous est naturel de
parvenir aux vérités intelligibles au moyen des choses sensibles et de
procéder de ce qui est second pour en arriver à ce qui est premier; et c’est
pourquoi les vérités intelligibles nous sont proposées sous la figure des
réalités sensibles afin que l’âme s’élève jusqu’à l’inconnu à partir de ce
que nous avons connu. |
Secunda
ratio est, quia cum in nobis sit duplex pars cognoscitiva, scilicet
intellectiva et sensitiva: providit divina sapientia ut utraque pars,
secundum quod possibile esset, in divina reduceretur ; et ideo figuras
corporalium adhibuit, quae sensitiva parte capi possunt, quia ipsa
intellectualia divinorum non poterat attingere. |
La deuxième raison est que
puisqu’en nous il y a deux parties cognitives, à savoir la partie
intellectuelle et celle qui est sensible, la sagesse divine a prévu que
chacune des parties se rapproche, dans la mesure du possible, des réalités
divines; et c’est pourquoi elle offrit les figures des choses corporelles qui
peuvent être saisies par la partie sensible parce que la partie
intellectuelles ne pouvait parvenir aux vérités intellectuelles des réalités
divines. |
Tertia ratio est, quia de Deo verius
cognoscimus quid non est, quam quid est ; unde Dionysius, cap. II, Cael. Hier.,§ 3, col. 142, dicit, quod
in divinis affirmationes sunt incompactae, negationes verae ; et ideo cum de
omnibus quae de Deo dicimus, intelligendum sit quod non eodem modo sibi
conveniunt sicut in creaturis inveniuntur, sed per aliquem modum imitationis
et similitudinis ; expressius ostendebatur hujusmodi eminentia Dei, per ea
quae sunt magis manifesta ab ipso removeri. Haec autem sunt corporalia ; et
ideo convenientius fuit speciebus corporalibus divina significari, ut his
assuefactus humanus animus disceret, nihil eorum quae de Deo praedicat, sibi
attribuere nisi per quamdam similitudinem, secundum quod creatura imitatur
creatorem. |
La troisième raison est qu’au sujet de Dieu
nous connaissons plus véritablement ce qu’il n’est pas que ce qu’il
est ; d’où Denys [De la Hiérarchie
Céleste, ch. 11, & 3, col. 142] dit qu’au sujet de Dieu les
affirmations sont incompactae et les négations sont vraies ; et c’est
pourquoi, puisqu’il faut comprendre que tout ce que nous attribuons à Dieu ne
se retrouve pas là de la même manière que dans les créatures mais que tout
cela se retrouve dans ces dernières à la manière d’une imitation et d’une
ressemblance, l’excellence de Dieu était manifestée plus clairement de cette
manière, c’est-à-dire par les choses dont il est plus évident qu’elles se
nient de lui. Mais ces choses sont les réalités corporelles ; et c’est
pourquoi il était plus convenable de signifier les réalités divines par des
espèces corporelles pour que par elles l’âme humaine s’accoutume à discerner
que rien de ce qu’il attribue à Dieu ne lui appartient, si ce n’est par une
certaine ressemblance, selon que la créature imite le créateur. |
Quarta ratio est propter occultationem
divinae veritatis: quia profunda fidei occultanda sunt et infidelibus, ne
irrideant, et simplicibus, ne errandi occasionem sumant: et hae omnes causae
assignantur a Dionysio in principio Caelest.
Hierar., ubi supra, et in Epistola
IX ad Titum, col. 1103 |
La quatrième raison est de cacher la vérité
divine : car les vérités profondes de la foi doivent être cachées à la
fois aux infidèles pour qu’elles échappent à leurs moqueries et aux simples
afin qu’ils ne tirent pas de là une occasion de se tromper : et toutes
ces causes sont assignées par Denys au début de son livre, La Hiérarchie Céleste, dont nous avons
parlé plus haut, et par l’Apôtre dans l’Épître 1X à Tite, col. 1103. |
[2443] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod in cognitione intellectualium est
duo considerare ; scilicet principium speculationis, et terminum. Principium
quidem est ex sensibilibus ; sed terminus est in intelligibilibus, secundum
quod in cognitione naturali ex speciebus a sensu acceptis intentiones
universales accipimus per lumen intellectus agentis ; et ideo dicendum est,
quod quantum ad terminum oportet in diem intellectualem versari, sed quantum
ad speculationis principium oportet ex aliquibus sensibilibus speciebus in
divina consurgere. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que pour la connaissance des réalités intellectuelles il y a deux choses
à considérer, à savoir le principe de l’examen spéculatif, puis son terme. Le
principe ou le point de départ en est certes les choses sensibles, mais le
terme en est l’intelligible selon que dans notre connaissance naturelle nous
recevons, au moyen de la lumière de l’intellect agent, les intentions
universelles à partir des espèces reçues par les sens ; et c’est
pourquoi il faut dire que quant au terme il faut se tourner vers la lumière
intellectuelle, mais quant au principe de l’examen spéculatif il faut
s’élever vers les réalités divines à partir des espèces sensibles. |
[2444] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo est duplex: quaedam enim est
per participationem ejusdem formae ; et talis similitudo non est corporalium
ad divina, ut objectio probat. Est etiam quaedam similitudo
proportionalitatis, quae consistit in eadem habitudine proportionum, ut cum
dicitur: sicut se habet octo ad quatuor, ita sex ad tria ; et sicut se habet
consul ad civitatem, ita se habet gubernator ad navem ; et secundum talem
similitudinem fit transumptio ex corporalibus in divina: ut si Deus dicatur
ignis ex hoc quod sicut se habet ignis ad hoc quod liquefacta effluere facit
per suum calorem, ita Deus per suam bonitatem perfectiones in omnes creaturas
diffundit, vel aliquid hujusmodi. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il y a
deux sortes de similitudes : certaines en effet se réalisent par une
participation à une même forme ; et il n’existe pas de similitude de
cette sorte chez les réalités corporelles à l’égard des réalités divines,
ainsi que le montre l’objection. Mais il existe aussi une similitude de
proportionnalité qui consiste dans un même rapport de proportion, comme
lorsqu’on dit que six est à trois ce que huit est à quatre ou que le
pilote est au navire ce que le magistrat est à la cité ; et c’est
d’après une telle similitude qu’il y a transport des choses corporelles aux
réalités divines, comme lorsqu’on dit que Dieu est un feu du fait que tout
comme le feu fait couler ce qu’il a liquéfié par sa chaleur, de même Dieu par
sa bonté répand les perfections dans toutes les créatures, ou qu’on dit
d’autres choses de la sorte. |
[2445] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod manifestatio veritatis est facienda
secundum proportionem recipientium ; et quia quibusdam potius manifestatio
veritatis noceret [officeret Éd. de
Parme] quam prodesset, dum vel ex impietate impugnarent, vel ex
simplicitate deficerent ; ideo est divinorum veritas occultanda, ut dicitur
Matth. VII, 6: « Nolite sanctum
dare canibus ». |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
manifestation de la vérité doit se faire proportionnellement aux capacités de
ceux qui reçoivent ; et parce que chez certains la manifestation de la
vérité nuirait [ferait obstacle Éd. de
Parme] plutôt que de profiter car alors ils la combattraient par impiété
ou la manqueraient à cause de leur simplicité, c’est pourquoi la vérité des
réalités divines doit être cachée comme le dit l’Écriture [Matthieu VII, 6] : «Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens». |
[2446] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod est quaedam assimilatio secundum
convenientiam in natura ; et sic est major assimilatio intellectus nostri ad
divina quam ad sensibilia ; sed haec non est illa quae requiritur ad
scientiam. Est etiam quaedam assimilatio per informationem, quae requiritur
ad cognitionem ; sicut visus assimilatur colori, cujus specie informatur
pupilla. Haec autem informatio non potest fieri in intellectu nostro [om. Éd. de Parme], secundum viam
naturae, nisi per species abstractas a sensu: quia, sicut dicit Philosophus,
III De anima, text. 18, sicut se
habet color ad visum, ita phantasmata ad intellectum ; et ideo constat quod
hoc modo intellectus magis potest assimilari sensibilibus quam divinis. |
4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il y a
une assimilation qui a lieu d’après une convenance dans la nature ; et
en ce sens notre intelligence ressemble davantage aux réalités divines qu’aux
choses sensibles; mais cette ressemblance n’est pas celle qui est requise à
la science. Il y a aussi une ressemblance ou similitude par mode
d’information qui est requise à la connaissance ; par exemple la vue est
rendue semblable à la couleur dont l’espèce informe la pupille. Mais cette
information ne peut se produire dans notre intelligence suivant un chemin
naturel qu’au moyen des espèces sensibles que le sens tire des choses
sensibles : car, comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 18], les images sont à l’intelligence ce que la
couleur est à la vue ; et c’est pourquoi il est clair que c’est de cette
manière que notre intelligence peut ressembler davantage aux choses sensibles
qu’aux réalités divines. |
|
|
Articulus 2 [2447] Super Sent., lib. 1
d. 34 q. 3 a. 2 tit. Utrum transumptio in divinis debeat fieri ex rebus
vilibus |
Article 2 – La métaphore en Dieu doit-elle être faite à partir des choses viles ? |
[2448]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ex rebus vilibus non
debeat fieri transumptio in divina. Sicut enim dictum est, art.
praeced., omnis transumptio fit per aliquem modum similitudinis. Sed in rebus
vilibus non inveniuntur conditiones nobiles, ex quibus ad divina possit
aliqua similitudo attendi. Ergo videtur quod ex talibus rebus non debeant
transumptiones in divina fieri. |
Difficultés: 1. Il semble que le transport des réalités corporelles aux réalités
divines ne doit pas se faire à partir de choses vulgaires. En effet, comme
nous l’avons dit dans l’article precedent, tout transport doit se faire au
moyen d’une sorte de ressemblance. Mais dans les choses vulgaires on ne
rencontre pas de conditions nobles à partir desquelles pourrait se vérifier
une certaine resemblance à l’égard des réalités divines. Il semble donc qu’on
ne doive pas faire d’emprunts à de telles choses pour les transporter par
métaphore aux réalités divines. |
[2449] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 2 arg. 2 Si dicas, quod in rebus quantumcumque vilibus invenitur aliqua
similitudo divinae bonitatis, inquantum sunt vestigium creatoris ; contra. In omni creatura invenitur
similitudo vestigii vel imaginis. Si igitur hoc sufficit ad transumptionem faciendam,
videtur quod ex omnibus creaturis possit fieri transumptio in divina: quod
non invenitur. |
2. Si tu dis que même dans les choses les
plus viles on retrouve une certaine similitude de la bonté divine pour autant
qu’elles sont un vestige du créateur, je dis cependant que dans toute
créature on retrouve la similitude du vestige ou de l’image. Si donc cela
suffisait à faire un transport métaphorique, il semble qu’il pourrait y avoir
transport aux réalités divines à partir de toutes les créatures, ce qu’on
n’observe pas. |
[2450] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 2 arg. 3 Praeterea, expressior similitudo divinae bonitatis est in rebus
incorporeis quam in rebus sensibilibus. Ergo videtur
quod nomina Angelorum magis deberent in divinam praedicationem transumi. |
3. Par
ailleurs, la similitude de la bonté divine est plus élevée dans les réalités
incorporelles que dans les choses sensibles. Il semble donc que ce sont les
noms des Anges qui devraient davantage être l’objet d’un emprunt pour être
attribués à Dieu. |
[2451] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 2 arg. 4 Item, quae sunt omnino diversa, non debent eisdem figuris
exprimi. Sed quaedam figurae sunt quae inducuntur ad designandum contrarias
potestates, et daemones [et daemones om.
Éd. de Parme] sicut nomen serpentis et leonis. Ergo videtur quod ad minus
hujusmodi nomina in divinis transumi non deberent. |
4. En outre, les choses qui sont absolument
différentes ne doivent pas être exprimées par les même figures. Mais il y a
certaines figures qui sont introduites pour désigner des pouvoirs contraires
et des démons [et des démons om. Éd. de
Parme], comme le nom de serpent et celui de lion. Il semble donc qu’il y
a au moins ces noms qui ne doivent pas être empruntés pour être appliqués aux
réalités divines. |
[2452] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 2 s. c. 1 Contra est quod in divinis Scripturis frequenter inveniuntur
nomina etiam brutorum animalium in divinam praedicationem transumi, ut
dicitur Oseae III, 7: « Ero eis
quasi leaena, sicut pardus in via Assyriorum ; et similiter in pluribus
aliis locis. Ergo videtur quod etiam ex vilibus rebus transumptio ad divina
fieri possit. |
Cependant : 1. Au contraire, on
observe fréquemment dans les Saintes Écritures [Osée, 111, 7]qu’on emprunte même les noms des brutes animales
pour les attribuer à Dieu : «Je
serai pour vous comme une lionne, comme un léopard sur le chemin des
Assyriens» ; et des emprunts de cette sorte ont lieu en plusieurs
autres endroits dans les Saintes Écritures. Il semble donc qu’il puisse y
avoir des emprunts à des choses de peu d’importance pour les attribuer à
Dieu. |
[2453]
Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod hanc
quaestionem Dionysius, II cap. Caelest.
Hierarch., § 2, col. 138, pertractat, et ostendit quod etiam convenientius
significantur nobis divina per creaturas viliores, quam per nobiliores. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch.
11, & 2, col. 138] traire de cette question et montre qu’il nous est même
plus convenable de signifier les réalités divines au moyen des créatures plus
familières que par celles qui sont les plus nobles. |
Et
primam rationem assignat, quia his magis occultantur divina, cujus
occultationis necessitas dicta est, art. praec. Secundam
assignat, quia ista magis a Deo removentur et distant: et ideo cum
convenientissimus modus significandi divina sit per negationem, convenientius
istis similitudinibus utimur. Tertiam
assignat ex utilitate nostra ; quia minus datur nobis occasio errandi in
figuris rerum vilium quam in figuris rerum nobilium. Nullus enim dubitat, Deum secundum
proprietatem dici non posse aliquod vile animal ; et ideo constat quod
Scriptura hujusmodi Deo secundum proprietatem non attribuit. |
Et la première raison
qu’il assigne est que par elles les réalités divines se trouvent à être
davantage cachées à ceux pour lesquels il y a nécessité qu’elles le soient,
nécessité dont nous avons parlé dans l’article précédent. La deuxième raison qu’il
assigne est que ces créatures sont davantage éloignées étrangères à
Dieu : et c’est pourquoi, puisque la manière la plus convenable de
signifier les réalités divines se fait par la négation, il est plus
convenable d’user de telles similitudes. La troisième raison qu’il
assigne se tire de notre utilité ; car il y a pour nous moins
d’occasions de se tromper dans les figures des choses ordinaires que dans
celles des choses nobles. En effet, nul ne doute qu’on ne puisse dire
proprement de Dieu qu’il est tel animal familier ; et c’est pourquoi il
est clair que les Écritures n’attribue pas proprement à Dieu de tels noms. |
Sed apud aliquos simplices, qui vix
aliquid praeter sensibilia suspicari possunt, de facili videretur ea quae
sunt nobilissima in corporibus, proprie Deo convenire, si de ipso dicerentur
; et ideo similitudines a rebus vilioribus sumptae, ipsa qualitate rerum
retrahunt animum ab errore. Invenitur tamen etiam in nobilioribus [nobilibus Éd. de Parme], creaturis Deus
significari in Scriptura, sicut sole, et stella, et hujusmodi ; non tamen ita
frequenter. |
Mais chez les esprits qui sont simples et
qui peuvent à peine concevoir quelque chose au-delà des choses sensibles, il
leur semblerait aisément que ceux qui sont les plus nobles parmi les corps
conviendraient proprement à Dieu si on les lui attribuait ; et c’est
pourquoi les similitudes tirées des choses les plus ordinaires, par leur
qualité même de choses ordinaires, préviennent l’âme de l’erreur. Il arrive
cependant aussi aux Écritures de signifier Dieu par de plus nobles [par de
nobles Éd. de Parme] créatures,
comme par le soleil et les étoiles et des choses de cette sorte, mais non pas
aussi fréquemment. |
[2454] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, secundum Dionysium, de div. Nom., cap. IV, §§ 1, 2, et 3, col. 694, quod nihil
divinae bonitatis omnino participatione caret ; et ideo ex rebus
quantumcumque vilibus possunt sumi aliquae convenientes similitudines ad
divina. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu, conformément à ce que dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 1, 2 et 3, col. 694], que rien
n’est totalement privé d’une participation de la bonté divine ; et c’est
pourquoi on peut tirer, même des choses les plus ordinaires, certaines
similitudes qui conviennent à Dieu. |
[2455] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quaedam nomina creaturarum sunt quae non
nominant tantum id quod creatum est, sed etiam defectum culpae annexum ;
sicut nomen Diaboli nominat naturam deformatam peccato: et ideo talibus
nominibus non possumus transumptive uti ad significandum [significandum om. Éd. de Parme] divina. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il y a
certains noms des créatures qui ne nomment pas seulement ce qui appartient à
la créature en tant que créature, mais aussi un manque rattaché à une
faute ; par exemple le nom de Diable nomme une nature déformée par le
péché ; et c’est pourquoi nous ne pouvons nous servir de tels noms par
métaphore pour signifier [signifier om.
Éd. de Parme] les réalités divines. |
[2456] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in creaturis spiritualibus possumus duo
considerare: scilicet ipsas perfectiones divinae bonitatis secundum se
acceptas ; et his nominatur Deus, non quidem symbolice, sed proprie ; sicut
dicitur sapiens et intelligens, et hujusmodi ; unde etiam dicitur in Lib. De
causis, propos. 6, quod Deus nominatur nomine primi causati sui, quod est
intelligentia. |
3. Il faut dire en troisième lieu que nous
pouvons considérer deux aspects dans les créatures spirituelles : à
savoir les perfections mêmes de la bonté divine prises en elles-mêmes ;
et Dieu se trouve à être nommé par elles non pas de manière symbolique, mais
proprement, par exemple lorsqu’on dit de Lui qu’il est sage, intelligent
etc ; c’est de là qu’on dit encore dans le livre intitulé Des Causes, à la proposition 6, que
Dieu est nommé par le nom de son premier effet, qui est l’intelligence. |
Vel possumus considerare ipsum modum
determinatum participandi hujusmodi perfectiones, qui modus pertinet ad
determinatam naturam vel ordinem Angelorum. Unde nomina exprimentia istum
modum non possunt proprie de Deo dici, nec etiam metaphorice, quia metaphora
sumenda est ex his quae sunt manifesta secundum sensum: et ideo nunquam
invenimus Deum in Scriptura nominatum Cherubim vel Seraphim vel aliquid
hujusmodi, sicut leonem vel ursum vel aliquid hujusmodi. |
Ou bien nous pouvons considérer le mode
déterminé même de participation de telles perfections, lequel mode appartient
à une nature déterminée ou à un ordre des Anges. D’où les noms qui expriment
ce mode ne peuvent s’attribuer à Dieu proprement ni même de manière
métaphorique car les métaphores doivent se tirer de ce qui est manifeste aux
sens : et c’est pourquoi il n’arrive jamais dans les Écritures que Dieu
soit appelé Chérubin ou Séraphin ou d’un autre nom de cette sorte, comme on
l’appelle lion, ours ou qu’on lui attribue un autre nom de la sorte. |
[2457] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in una re possunt considerari diversae
proprietates ; et ideo non est inconveniens quod ex eadem re, secundum
diversas sui proprietates, fiat transumptio ad aliqua contraria ; sicut quod
Deus dicitur leo propter liberalitatem, vel fortitudinem, vel aliquid
hujusmodi, et Diabolus dicitur leo propter crudelitatem. Contingit etiam
quandoque, ut dicit Dionysius in Epistolis § 2 [in Epistola ad Titum Éd. de Parme], quod idem nomen
transfertur ad significandum participantem et participationem et
participationis principium ; sicut si ignis dicatur homo habens caritatem, et
ipsa caritas, et Deus caritatem infundens: et secundum omnia diversimode
exponendum est. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
plusieurs propriétés peuvent être considérées dans une seule et même
chose ; et c’est pourquoi il n’y a pas de problème à ce qu’à partir
d’une même chose, d’après des propriétés différentes lui appartenant, il y
ait transport métaphorique à des réalités contraires ; c’est ainsi par
exemple que Dieu est appelé lion à cause de sa générosité ou de sa force, et
que le Diable soit appelé lion à cause de sa cruauté. Il arrive aussi
parfois, comme le dit Denys dans les Épîtres & 2 [dans l’Épître à Tite Éd. de Parme] que le même nom est
transporté par métaphore pour signifier à la fois le participant, la
participation et le principe de participation ; par exemple lorsqu’on
appelle feu à la fois l’homme qui possède la charité, la charité elle-même et
Dieu qui répand la charité : et à chaque fois la signification doit en
être expliquée différemment. |
|
|
Distinctio 35 |
Distinction 35 – [La science de Dieu] |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique – [La science convient-elle à Dieu ?] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic quinque quaeruntur: 1 utrum in Deo sit scientia ; 2 utrum habeat tantum sui scientiam,
vel etiam aliorum ; et si aliorum, quaeritur 3 utrum de eis certam et propriam
cognitionem habeat ; 4 utrum scientia sua sit univoca
nostrae scientiae ; 5 utrum scientia sua possit dici
universalis vel particularis, vel in potentia vel in habitu, sicut scientia
nostra. |
On cherche ici à répondre à cinq questions : 1. Est-ce qu’il y a
science en Dieu ? 2. Possède-t-il seulement
la science qui lui est propre ou aussi celle des autres ? 3. Possède-t-il une
connaissance certaine et propre à leur sujet ? 4. Est-ce que la science
s’attribue univoquement à Lui et à nous ? 5. Peut-on dire de sa
science qu’elle est universelle ou particulière, qu’elle est en puissance ou
en habitus, tout comme la nôtre ? |
|
|
Articulus 1 [2460] Super Sent., lib. 1
d. 35 q. 1 a. 1 tit. Utrum scientia conveniat Deo |
Article 1 – La science convient-elle à Dieu ? |
[2461]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod scientia Deo non
conveniat. Ubi enim non est intellectus, ibi non potest esse scientia. Sed
nomen intellectus proprie Deo non competit ; immo dicitur in Lib. de causis, prop. 6: « Cum Deus dicitur intelligens, nominatur
nomine creati sui primi », quod est intelligentia. Ergo videtur quod
scientia proprie Deo non conveniat. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas de science en Dieu. En effet, où il n’y a pas d’intelligence, il ne peut
y avoir de science. Mais le nom d’intelligence ne convient pas proprement à
Dieu ; bien plutôt, on dit de Lui [Livre
des Causes, prop. 6] :«Lorsqu’on
dit de Dieu qu’il est intelligent, on le nomme par le nom de son premier
effet», lequel est l’intelligence. Il semble donc que la science ne
convienne pas proprement à Dieu. |
[2462] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 1 arg. 2 Praeterea, simplicissimo et primo nihil convenit quod sibi
aliquid praesupponat, ad quod ex additione se habet. Sed scientia
praesupponit vitam et essentiam, et habet se ex additione ad illa, ut ex
principio libri De causis patet.
Ergo cum Deus sit simplicissimus et primus, sibi scientia non competit. |
2. Par ailleurs, à ce qui est suprêmement simple
et premier rien ne convient qui lui présupposerait quelque chose et par
rapport à quoi il se présenterait comme une addition. Mais la science
présuppose la vie et l’essence et elle se présente comme une addition à ces
dimensions, ainsi qu’on le voit à partir du début du livre intitulé Des Causes. Donc, puisque Dieu est ce
qui est suprêmement simple et premier, il ne peut y avoir science en Lui. |
[2463]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, nihil quod pluralitatem
requirit invenitur in eo quod summe est unum. Sed scientia requirit pluralitatem quamdam, scilicet
scientis, scientiae et scibilis. Ergo Deo qui summe unus est, non convenit. |
3. Par ailleurs, rien de ce qui exige une
pluralité ne se retrouve dans ce qui est suprêmement un. Mais la science
exige une certaine pluralité, à savoir celle du savant, de la science et de
l’objet de science. La science ne convient donc pas à Dieu qui est
suprêmement un. |
[2464] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 1 arg. 4 Si dicas, quod in Deo
idem est scibile et sciens: contra.
Nihil sibi ipsi simile dici potest, ut dicit Hilarius, De Syn., post. med., nec aliquid seipsum recipit aut capit. Sed
secundum philosophos scientia est assimilatio scientis ad rem scitam: item
scientia fit secundum receptionem scibilis in sciente. Ergo videtur quod non
possit idem esse in Deo sciens et scitum. |
4. Si tu dis qu’en Dieu l’objet du savoir et
celui qui sait sont identiques, je réponds au contraire qu’aucune chose ne
peut être dite semblable à elle-même, comme le dit Saint-Hilaire [Les Synodes, peu après le milieu] et
rien ne se reçoit et ne se prend soi-même. Mais d’après les philosophes la
science est l’assimilation de celui qui sait à la chose connue : en
outre la science a lieu par la réception de l’objet de science dans celui qui
sait. Il semble donc qu’en Dieu celui qui sait et l’objet connu ne puissent
être identiques. |
[2465]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, secundum Philosophum,
in VI Ethic, cap. VI, scientia
conclusionum est, et intellectus principiorum. Sed cognitio conclusionum
sequitur inquisitionem rationis. Cum igitur in Deo non sit cognitio per
inquisitionem, videtur quod proprie in Deo scientia esse non possit. |
5. Par ailleurs, d’après le
Philosophe [ VI Éthique, ch. VI], la
science porte sur les conclusions et l’intelligence sur les principes. Mais
la connaissance des conclusions suit une recherche de la raison. Donc,
puisqu’en Dieu la connaissance n’est pas le fruit d’une recherche, il semble
qu’il ne puisse y avoir proprement de science en Dieu. |
[2466]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur ad Col. II, 3: in ipso sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae absconditi,
et Commentator XI Metaph. dicit, quod vita et scientia proprie esse in Deo
dicuntur. |
Cependant: 1. L’Écriture [Colossiens,
11, 3] affirme le contraire : En Lui se
trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance divines;
et le Commentateur [XI Métaphysique]
dit qu’on dit de la vie et de la science qu’elles existent proprement en
Dieu. |
[2467] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 1 s. c. 2 Praeterea, nulla perfectio deest ei qui perfectissimus est. Sed
scientia est nobilissima perfectio. Ergo Deo, in quo omnium generum
perfectiones adunantur, ut in V Metaph., text. 21 dicitur, scientia deesse non potest. |
2. Par ailleurs, nulle perfection ne manque
à celui qui est le plus parfait. Mais la science est la perfection la plus
noble. Donc la science, ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 21], ne peut être
absente de Dieu en qui sont réunies les perfections de tous les genres. |
[2468]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum Dionysium, in De div nom., cap. VII,
§ 3, col. 870, tribus viis ex creaturis in Deum devenimus: scilicet per remotionem,
per causalitatem, per eminentiam, quarum quaelibet nos in Dei scientiam
inducit. Prima igitur via, quae est per
remotionem, est haec: cum a Deo omnis potentia et materialitas removeatur, eo
quod ipse est actus primus et purus, oportet essentiam ejus esse denudatam a
materia, et esse formam tantum. Sicut autem particulationis principium est
materia, ita formae debetur intelligibilitas: unde forma principium
cognitionis est ; unde oportet quod omnis forma per se existens separata a
materia, sit intellectualis naturae: et si quidem sit per se subsistens, erit
et intelligens: si autem non sit per se subsistens, sed quasi perfectio
alicujus subsistentis, non erit intelligens [intellectus éd. de Parme], sed principium intelligendi: quemadmodum omnis forma
non in se subsistens non operatur sed est operationis principium, ut
caliditas in igne. Cum igitur ipse Deus sit immunis ab omni materia, et sit
per se subsistens, quia esse suum ab alio non dependet, oportet quod ipse sit
intelligens et sciens. Secunda via, quae est per
causalitatem, est haec. Omne enim agens habet aliquam intentionem et
desiderium finis. Omne autem desiderium finis praecedit aliqua cognitio
praestituens finem, et dirigens in finem ea quae sunt ad finem. Sed in
quibusdam ista cognitio non est conjuncta tendenti in finem ; unde oportet
quod dirigatur per aliquod prius agens, sicut sagitta tendit in determinatum
locum per determinationem sagittantis ; et ita est in omnibus quae agunt per
necessitatem naturae ; quia
horum operatio est determinata per intellectum aliquem instituentem naturam ;
unde, Philosophus, II Physic., text.
75, dicit, quod opus naturae est opus intelligentiae. In aliquibus autem ista
cognitio est conjuncta ipsi agenti, ut patet in animalibus ; unde oportet
quod primum non agat per necessitatem naturae, quia sic non esset primum, sed
dirigeretur ab aliquo priori intelligente. Oportet igitur quod agat per intellectum et voluntatem
; et ita, quod sit intelligens et sciens. Tertia via, quae est per eminentiam,
est haec. Quod enim invenitur in pluribus magis ac magis secundum quod plures
alicui appropinquant, oportet ut in illo maxime inveniatur ; sicut calor in
igne, ad quem quanto corpora mixta magis accedunt, calidiora sunt. Invenitur
autem quod quanto aliqua magis accedunt ad primum, nobilius cognitionem
participant ; sicut homines plus quam bruta et Angeli magis hominibus ; unde
oportet quod in Deo nobilissima cognitio inveniatur. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après Denys [Les Noms Divins, ch. VII, & 3, col. 870], c’est par trois
chemins que nous parvenons à Dieu à partir des créatures : à savoir par
la négation, par la causalité et par la voie d’excellence, dont chacune nous
introduit à la science de Dieu. Donc la première voie, qui
est celle de la négation, est la suivante : puisque toute puissance et
toute matérialité est étrangère à Dieu du fait que Lui-même est un acte pur
et premier, il faut que son essence soit dénudée de matière et qu’elle soit
forme seulement. Mais tout comme le principe de l’individualité est la
matière, de même la forme doit être le principe de l’intelligibilité :
il résulte de là que la forme est le principe de la connaissance ; d’où
il faut que toute forme existant par elle-même et séparée de la matière soit
de nature intellectuelle : et s’il y en a une qui subsiste par elle-ême,
elle sera aussi intelligente : mais si elle n’était pas subsistante par
elle-même mais qu’elle était comme une perfection de ce qui subsiste par
soi-même, elle ne sera pas intelligente [une intelligence Éd. de Parme], mais
un principe d’intellection : c’est ainsi que toute forme qui se subsiste
pas en elle-même ne pose pas d’opérations mais est plutôt principe
d’opération, comme la chaleur dans le feu. Donc puisque Dieu lui-même est exempt
de toute matière et qu’il est subsistant par lui-même, car son existence ne
dépend pas d’un autre, il faut que lui-même soit intelligent et connaissant. La deuxième voie est celle
de la causalité, que voici. Tout agent en effet possède en lui une intention
et un désir de la fin. Mais tout désir de la fin est précédé d’une certaine
connaissance déterminant la fin et dirigeant vers la fin ce qui est ordonné à
la fin. Mais dans certains êtres cette connaissance n’est pas rattachée ou
unie à celui qui tend à la fin ; d’où il faut qu’ils soient dirigés par
un agent qui leur est antérieur, tout comme la flèche tend à un lieu
déterminé fixé à l’avance par l’archer ; et il en est de même pour tous
ceux qui agissent par une nécessité de nature ; car leur opération est déterminée
par une intelligence qui a institué la nature ; d’où le Philosophe [11 Physique, texte 75] dit que l’œuvre de
la nature est l’œuvre d’une intelligence. Mais dans certains êtres cette
connaissance est unie à l’agent lui-même, comme on le voit chez les
animaux ; d’où il faut que le premier agent n’agisse pas par une
nécessité de nature car ainsi il ne serait pas premier mais il serait dirigé
par une intelligence antérieure. Il faut donc qu’il agisse par intelligence
et par volonté et ainsi qu’il soit intelligent et connaissant. La troisième voie, qui est
celle de l’excellence, est la suivante. En effet, tout ce qui se retrouve
dans plusieurs de plus en plus selon qu’ils se rapprochent d’un être, il faut
que ce soit dans ce dernier qu’on le rencontre au plus haut point, comme
c’est le cas pour la chaleur dans le feu par rapport auquel les corps mixtes
sont d’autant plus chauds qu’ils s’en rapprochent davantage. Mais il se
trouve que des êtres participent de la connaissance à un degré d’autant plus
élevé qu’ils se rapprochent davantage de l’intelligence première, tout comme
les hommes en participent davantage que les brutes et les Anges plus que les
hommes ; d’où il faut qu’en Dieu se trouve la connaissance la plus
élevée. |
[2469] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quandocumque scientia vel intellectus
vel aliquid quod ad perfectionem pertinet a Deo negatur, intelligendum est
secundum excessum, et non secundum defectum ; unde dicit Dionysius, in VII
cap. de div. Nom., col. 865:
« Sine mente et insensibile esse,
secundum excessum, et non secundum defectum in Deo est ordinandum ».
Pro tanto ergo negatur nomen intellectus Deo proprie convenire, quia non
secundum modum creaturae intelligit, sed eminentius. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’à chaque fois que la science ou l’intelligence ou quelque
chose qui se rapporte à une perfection est nié de Dieu, il faut l’entendre
selon l’excès et non selon le défaut ; d’où Denys [Les Noms Divins, ch. VII,
col. 865] dit :«Il faut établir
qu’en Dieu être sans esprit et être insensible se dit selon l’excès et non
selon le défaut». Donc on peut d’autant nier que le nom d’intelligence
convienne à Dieu que ce n’est pas selon le mode de la créature qu’il pose son
intellection, mais d’une manière de loin plus excellente. |
[2470] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod circa hujusmodi nomina quae de Deo
dicuntur, invenitur triplex opinio. Quidam enim dicunt, quod scientia,
vita et hujusmodi significant in Deo aliquas dispositiones additas essentiae.
Sed hoc non potest esse ; quia hoc poneret compositionem in Deo, et
possibilitatem in essentia ipsius respectu hujusmodi dispositionum: quod
omnino absurdum est. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que pour
les noms de cette sorte qui se disent de Dieu, on rencontre trois opinions. Certains en effet disent,
que la science, la vie et les attributs de cette sorte signifient en Dieu
certaines dispositions ajoutées à l’essence. Mais cela est impossible car
cela poserait une composition en Dieu et dans son essence une puissance par
rapport à de telles dispositions : ce qui est tout à fait absurde |
Ideo alii dixerunt, quod omnia
hujusmodi nomina nihil praedicant in Deo, nisi forte esse ipsius ; unde
improprie de Deo dicuntur ; sed duabus rationibus inveniuntur dicta de Deo. Vel ratione negationis, ut quando
dicitur Deus sciens, intelligitur non esse ignorans, sicut lapis: |
C’est pourquoi d’autres ont dit que tous les
noms de cette sorte n’attribuent rien en Dieu si ce n’est peut-être son
existence ; de là ils se disent improprement de Dieu ; mais ils se
trouvent à être dits de Dieu pour deux raisons. Soit en raison de la
négation, comme lorsqu’on dit que Dieu sait, on entend qu’il n’est pas
ignorant comme c’est le cas pour la pierre. |
vel propter similitudinem operis, ut
dicatur Deus sciens, quia operatur effectum sicut aliquis sciens ; sicut
dicitur iratus, inquantum punit ad similitudinem irati, non quod ira sit in
eo ; ita nec scientia, nec vita, nec aliquid hujusmodi, sed tantum esse. Sed
hoc non videtur sufficiens. |
Soit en raison de la similitude de l’œuvre,
comme lorsqu’on dit que Dieu sait car il opère un effet tout comme celui qui
sait, tout comme on dit de lui qu’il est en colère selon qu’il punit à la ressemblance
de l’homme qui est en colère et non pas parce que la colère est en lui ;
et il en est de même pour la science, la vie et tout autre attribut de la
sorte qui ne sont pas en lui, sauf l’existence. Mais cette opinion ne semble
pas satisfaisante. |
Primo, quia omnis negatio de re aliqua
fundatur super aliquid in re existens, ut cum dicitur, homo non est asinus,
veritas negationis fundatur supra hominis naturam, quae naturam negatam non
compatitur. Unde si de Deo negatur ignorantia, oportet quod hoc sit ratione
alicujus quod in ipso est: et ita oppositum ignorantiae oportet in ipso
ponere. |
Premièrement parce que toute négation au
sujet d’une être se fonde sur quelque chose qui existe dans l’être en
question, comme lorsqu’on dit que l’homme n’est pas un âne, la vérité de
cette négation se fonde sur la nature de l’homme qui n’est pas compatible
avec la nature niée. D’où il résulte que si l’ignorance est niée de Dieu, il
faut que cela soit en raison de quelque chose qui est en lui : et ainsi
il faut poser en lui le contraire de l’ignorance. |
Secundo, quia omnis actus procedit ab
agente ratione alicujus quod in ipso est, sicut calidum calefacit et leve
ascendit sursum. Unde oportet quod in eo qui operatur actum scientiae, sit
aliquid ad rationem scientiae pertinens ; quamvis illud forte non competenter
tali nomine significetur ; sicut punire Dei actus est justitiae ipsius ; nec
oportet iram in eo ponere, quia punire [punire om. Éd. de Parme] non
est per se actus irae. |
En deuxième lieu parce que l’acte procède de
l’agent en raison de quelque chose qui est en lui, tout comme le chaud
réchauffe et le léger s’élève vers le haut. D’où il faut que dans celui qui
opère l’acte de science il y ait quelque chose qui appartienne à la raison de
science, bien que cela ne soit peut-être pas signifié convenablement par un
tel nom, tout comme punir pour Dieu est l’acte de sa justice et il ne faut
pas poser la colère en lui car punir [punir om. Éd. de Parme] n’est pas essentiellement l’acte de la colère. |
Et ideo dicendum est, quod omnia
hujusmodi proprie dicuntur de Deo quantum ad rem significatam, licet non
quantum ad modum significandi ; et quantum ad id quod est proprium de ratione
cujuslibet horum, licet non quantum ad rationem generis ; ut supra habitum
est, (dist. VIII, qu. 1, art. 1). |
Et c’est pourquoi il faut dire que tous les
attributs de cette sorte se disent proprement de Dieu quant à la chose
signifiée, bien que non quant au mode de signifier, et quant ce qui est
propre à la notion de n’importe quel d’entre eux, bien que non quant à la
notion de genre ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. VIII, quest. 1, art. 1]. |
Et ideo dicendum, quod omnia ista quae
non dicunt aliquam materialem vel corporalem dispositionem, in Deo vere sunt
et verius quam in aliis, nec aliquam compositionem in ipso inducunt ; immo,
sicut ista nomina proprie conveniunt creaturae propter diversa in ipsa
existentia, ita etiam proprie conveniunt Deo propter unicum et simplex suum
esse, quod omnium in se virtutes uniformiter praeaccipit, ut Dionysius dicit,
cap. V de divin. Nomin. § 8, col.
823, quod patet in simili. |
Et c’est pourquoi il faut dire que tous ces
attributs qui ne signifient pas une disposition matérielle ou corporelle
existent vraiment en Dieu et plus véritablement en Lui que dans les autres
êtres et n’introduisent en Lui aucune composition ; bien au contraire,
tout comme ces noms conviennent à la créature en raison d’une diversité qui
existe en elle, de même encore ils conviennent proprement à Dieu à cause de
son existence unique et simple qui contient à l’avance en elle les puissances
de tous les êtres à la manière d’une forme unique et simple ainsi que le dit
Denys [Les Noms Divins, ch. V,
& 8, col. 823], ce que l’on voit dans le semblable. |
Si ponantur tres homines, quorum
unusquisque secundum suum habitum sciat ea quae pertinent ad unam scientiam,
unus scilicet naturalia, alius geometricalia et alius [unus, alius, alius om. Éd. de Parme], grammaticalia ; et
quartus, qui horum omnium per unum habitum scientiam habeat, de quo constat
quod vere poterit dici, quod est grammaticus vel grammatica est in eo, et
similiter geometria, et physica [philosophia, Éd. de Parme]: et quamvis in eo non sit nisi una res, secundum
quam omnia haec sibi conveniunt, tamen aliud et aliud secundum rationem
nominis unumquodque horum in ipso nominat, eo quod unumquodque eorum
imperfecte exprimit illam rem. Ita etiam est et in Deo. |
Supposons trois hommes, dont chacun
conformément à son habitus connaît les choses qui ont rapport à une seule
science, à savoir que l’un connaît les choses naturelles, l’autre les
matières de la géométrie, l’autre [l’un, l’autre, l’autre om. Éd. de Parme] la science
grammaticale ; et supposons un quatrième homme qui par un seul habitus
posséderait la science de tous ceux-là et au sujet duquel il serait clair
qu’on pourrait vraiment dire qu’il est grammairien ou que la grammaire est en
lui et qu’il en est de même pour la géométrie et la physique [philosophie,
Éd. de Parme] ; et bien qu’en lui il n’y ait qu’une seule forme d’après
laquelle toutes ces sciences lui conviennent, cependant ce serait cependant
d’après une définition différente que chacun de ces attributs signifierait en
lui du fait que chacun d’eux exprime imparfaitement cette forme. Et il en est
de même aussi pour Dieu. |
Cum enim in aliis creaturis inveniatur
esse, vivere, et intelligere, et omnia hujusmodi secundum diversa in eis
existentia ; in Deo tamen unum suum simplex esse habet omnium horum virtutem
et perfectionem. Unde cum Deus nominatur ens, non exprimitur aliquid nisi
quod pertinet ad perfectionem ejus et non tota perfectio ipsius ; et
similiter cum dicitur sciens, et volens, et hujusmodi ; et ita patet quod
omnia haec unum sunt in Deo secundum rem, sed ratione differunt, quae non
tantum est in intellectu, sed fundatur in veritate et perfectione rei: et
sicut proprie Deus dicitur ens, ita proprie dicitur sciens et volens, et
hujusmodi: nec est ibi aliqua pluralitas vel additio vel ordo in re, sed in
ratione tantum. |
En effet comme on rencontre dans les créatures
l’existence, la vie, l’intelligence et tous les attributs de cette sorte
selon différentes puissances qui existent en elles et qu’en Dieu cependant
c’est son existence unique et simple qui possède la puissance et la
perfection de tous ces êtres, il résulte de là, puisque Dieu est appelé
l’Être, on n’exprime par là que quelque chose qui appartient à sa perfection
et non pas toute sa perfection ; et il en est de même lorsqu’on dit de
Lui qu’il sait, qu’il veut etc. ; et ainsi il est clair que tous ces attributs
n’en sont qu’un seul en Dieu en réalité et qu’ils diffèrent par la raison,
raison qui n’est pas seulement dans l’intelligence mais qui se fonde sur la
vérité et la perfection de la réalité : et tout comme on dit de Dieu
qu’il est proprement un être, ainsi on dit proprement de lui qu’il sait,
qu’il veut, etc. : et il n’y a là aucune pluralité, aucune addition, ou
aucun ordre dans la réalité, mais seulement dans la raison. |
[2471] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis ad rationem scientiae exigantur
scientia, sciens et scitum ; non tamen exigitur quod haec tria differant
secundum rem: sicut etiam de ratione motus est quod sit movens et motum: sed
quod motum sit aliud a movente, non potest sciri nisi demonstratione, ante
cujus inventionem multi sunt opinati aliquid seipsum movere. |
3. Il faut dire en troisième lieu que bien
que la notion de science présuppose la science elle-même, celui qui sait et
l’objet connu, cependant il n’est pas nécessaire que ces trois conditions
diffèrent dans la réalité : tout comme aussi la notion de mouvement
exige qu’il y ait un moteur et ce qui est mû : mais que l’objet mû soit
autre que le moteur, cela ne peut être su que par démonstration et avant
qu’on l’ait découvert plusieurs ont cru que quelque chose se meut soi-même. |
Sciendum est ergo, quod in omni
intellectu aliqualiter est idem intelligens et intellectum, et in quibusdam
etiam aliqualiter differt ; in aliquibus vero sunt omnino idem. Intellectus
enim humanus, qui aliquando est in potentia, et aliquando in actu, quando est
in potentia intelligens, non est idem cum intelligibili in potentia, quod est
aliqua res existens extra animam ; sed ad hoc quod sit intelligens in actu,
oportet quod intelligibile in potentia fiat intelligibile in actu per hoc
quod species ejus denudatur ab omnibus appenditiis materiae per virtutem
intellectus agentis ; et oportet quod haec species, quae est intellecta in
actu, perficiat intellectum in potentia: ex quorum conjunctione efficitur
unum perfectum, quod est intellectus in actu, sicut ex anima et corpore
efficitur unum, quod est homo habens operationes humanas. |
Il faut donc savoir que dans toute
intelligence celui qui conçoit et ce qui est conçu sont identiques en quelque
sorte et chez certains aussi ils diffèrent en quelque sorte mais dans
d’autres ils sont absolument identiques. L’intelligence humaine en effet qui
est parfois en puissance et parfois en acte, lorsqu’elle conçoit en puissance
elle n’est pas identique à l’intelligible en puissance qui est une chose
existant en dehors de l’âme ; mais pour qu’elle conçoive en acte, il
faut que l’intelligible en puissance devienne intelligible en acte par le
fait que son espèce soit dépouillée de tout le poids de la matière par la
puissance de l’intellect agent ; et il faut que cette espèce, qui est
conçue en acte, donne sa perfection à l’intellect en puissance : de leur
union résulte une seule perfection qui est l’intellect en acte tout comme de
l’union de l’âme et du corps résulte une seule réalité qui est l’homme
possédant les opérations humaines. |
Unde sicut anima non est aliud ab
homine, ita intellectum in actu non est aliud ab intellectu intelligente
actu, sed idem: non tamen ita quod species illa fiat substantia intellectus,
vel pars ejus, nisi formalis, sicut nec anima fit corpus. |
Il résulte de là que tout comme l’âme n’est
pas autre que l’homme, de même l’intellect en acte n’est pas autre que
l’intelligence qui conçoit en acte, mais il lui est identique : non pas
cependant de telle manière que cette espèce devienne la substance de
l’intelligence ou une partie d’elle, sauf une partie formelle, tout comme
l’âme ne devient pas le corps. |
Si ergo est aliquis intellectus, sicut
divinus, qui ad nihil est in potentia, sed est totum actus, et semper in actu,
tunc intellectum ab intellectu nullo modo differt re in eo, sed
consideratione tantum: quia prout consideratur essentia ejus ut immunis a
materia, sic est intelligens, ut probatum est, in corp. art.: sed prout
consideratur essentia sua secundum quod intellectus accipit eam sine materia,
sic est intellectum ; sed prout consideratur ipsum intellectum, prout non
deest sibi intelligenti, sed est in seipso, quodammodo sic est intelligentia
vel scientia: quia scientia nihil aliud est quam impressio vel conjunctio
sciti ad scientem. |
Si donc il existe une intelligence, comme
l’intelligence divine, qui n’est en puissance par rapport à rien et qui est
acte dans sa totalité et qui est toujours en acte, alors en lui l’objet conçu
ne diffère en rien de l’intelligence en réalité mais seulement par la
considération : car selon que son essence est considérée comme
dépouillée de matière, alors elle conçoit ainsi que nous l’avons prouvé dans
le corps de l’article ; mais selon que son essence est considérée en tant
que l’intelligence la reçoit sans matière, alors elle est conçue ; mais
selon que l’objet conçu lui-même est considéré en tant qu’il n’est pas absent
de celui qui conçoit mais qu’il est en lui, c’est ainsi en quelque sorte
qu’il y a intelligence ou science : car la science n’est rien d’autre
que l’application ou l’union de l’objet connu à celui qui connaît. |
[2472] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia ista vocabula, quibus dicimus
scientiam esse assimilationem vel apprehensionem, vel impressionem, vel
aliquid hujusmodi, veniunt ex consideratione intellectus possibilis: qui non
cognoscit nisi per receptionem alicujus speciei, respectu cujus est in
potentia, per quam assimilatur rei extra animam. Unde ubi est intellectus in
actu tantum, nihil horum proprie dicitur, sed secundum modum intelligendi
tantum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que tous
ces termes, par lesquels nous disons que la science est une assimilation ou
une appréhension ou une application ou quelque chose du genre, nous viennent
de la considération de l’intellect possible, lequel ne connaît que par la
réception d’une espèce par rapport à laquelle il est en puissance et par
laquelle il est assimilé à la chose qui existe en dehors de l’âme. D’où il
résulte que là où il y a une intelligence qui est en acte seulement, aucun de
ces termes ne se dit proprement mais seulement selon le mode de concevoir. |
[2473] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ea quae dicuntur de Deo, semper
intelligenda sunt per eminentiam ablato omni eo quod imperfectionis esse
potest. Unde a scientia, secundum quod in Deo est, oportet auferre discursum
rationis inquirentis, et retinere rectitudinem circa rem scitam. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que ce
qu’on dit de Dieu doit toujours s’entendre par mode d’excellence en faisant
abstraction de tout ce qui pourrait impliquer une imperfection. D’où il faut
retirer de la science, selon qu’elle est en Dieu, le discours de la raison
qui cherche à savoir et ne conserver que la justesse par rapport à la chose
connue. |
Sed quia scientia proprie complexorum
est, et intelligere proprie est quidditatis rei ; ideo Deus dicitur sciens,
inquantum cognoscit esse suum ; et dicitur intelligens, inquantum cognoscit
naturam suam, quae tamen non est aliud quam suum esse, nec magis simplex. Et
ideo in Deo non est aliud intelligere quam scire, nisi secundum rationem.
Sapientia vero non ponit in numerum cum scientia et intellectu: quia omnis
sapientia scientia est, sed non convertitur: quia illa scientia solum [sola Éd. de Parme] sapientia est quae
causas altissimas considerat, per quas ordinantur et cognoscuntur omnia
sequentia. Unde proprie Deus sapiens dicitur inquantum seipsum cognoscit, et
intelligens et sciens secundum quod se et alia cognoscit. |
Mais parce que la science a proprement pour
objet ce qui est complexe et que l’intelligence a proprement pour objet la
quiddité de la chose, c’est pourquoi on dit de Dieu qu’il a la science pour
autant qu’il connaît son existence et qu’il a l’intelligence pour autant
qu’il connaît sa nature qui n’est cependant pas autre chose ni plus simple
que son existence. Et c’est pourquoi en Dieu l’intelligence n’est pas autre
que la science, sauf selon la raison. Mais la sagesse n’ajoute pas en nombre
à la science et à l’intelligence : car toute sagesse est une science
mais non inversement car la seule science à être une sagesse est celle qui
considère les causes les plus élevées par lesquelles sont ordonnées et
connues toutes les autres sciences qui s’ensuivent. D’où on dit que Dieu est
sage à proprement parler selon qu’il se connaît lui-même et qu’il a
l’intelligence et la science selon qu’il se connaît lui-même et les autres
êtres. |
|
|
Articulus 2 [2474] Super Sent., lib. 1
d. 35 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus intelligat alia a se |
Article 2 – Dieu connaît-il ce qui est autre que lui ? |
[2475]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non intelligat alia
a se. Intellectum enim perfectio est intelligentis, quia facit ipsum esse in
actu. Sed omnis perfectio excedit id quod perficitur. Si ergo aliquid aliud a
se intelligeret, haberet illud majus se: quod est inconveniens. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne
connaît pas ce qui est autre que lui. L’objet connu en effet est la
perfection de celui qui connaît, car il le fait être en acte. Mais toute
perfection dépasse ce qui est rendu parfait par elle. Si donc il connaissait
quelque chose qui est autre que lui, cet autre serait plus grand que lui, ce
qui est impossible. |
[2476] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum ordinem nobilitatis objectorum est ordo
nobilitatis in operationibus ; unde dicit Philosophus, X Ethic., cap ; IV, quod perfecta operatio felicitatis est respectu
nobilissimi objecti. Sed quidquid est aliud a Deo est vilius et imperfectius
eo. Si igitur intelligeret aliud a se, hoc vergeret in imperfectionem et
vilitatem operationis ipsius. |
2. Par ailleurs, l’ordre d’excellence dans
les opérations découle de l’ordre d’excellence des objets ; d’où le
Philosophe [X Éthique, ch. IV] dit que l’opération parfaite de la félicité se
rapporte à l’objet le plus excellent. Mais tout ce qui est autre que Dieu est
vulgaire et imparfait comparativement à Lui. Si donc il connaissait quelque
chose d’autre que Lui, cela tendrait vers une imperfection et avilissement de
son opération. |
[2477] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 2 arg. 3 Praeterea, intellecta se habent ad intellectum sicut picturae ad
tabulam ; unde Philosophus, III De
anima, text. 14, comparat intellectum possibilem, antequam intelligat,
tabulae in qua nihil scriptum est. Sed impossibile est idem corpus figurari
diversis figuris simul, et secundum eamdem partem. Ergo impossibile est
eumdem intellectum simul plura intelligere. Si igitur intellectus divinus
intelligit se et multa alia, oportet quod sit successio in intellectu ipsius,
quae lassitudinem sibi inducat ex hoc quod non habet in actu illud quod
quaerit: et hoc est inconveniens. |
3. Par ailleurs, ce qui est connu se
rapporte à l’intelligence comme les images à la table ; d’où le
Philosophe [111 De l’Âme, texte 14]
compare l’intelligence possible, avant qu’il connaisse, à la table sur
laquelle rien n’est écrit. Mais il est impossible que le même corps, selon la
même partie, soit représenté simultanément par différentes figures. Il est
donc impossible que la même intelligence connaisse simultanément plusieurs
choses. Si donc l’intelligence divine se connaît elle-même ainsi qu’une
multitude d’autres choses, il faut qu’il y ait dans son intelligence une
succession qui introduit en lui une lassitude du fait qu’il ne possède pas en
acte ce qu’il cherche à savoir : et cela est une impossibilité. |
[2478] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Philosophus,In III De anima, text. 38, scientiae dividuntur quemadmodum et res. Si
ergo Deus intelligat plura, oportet quod in eo sint scientiae plures: et hoc
vergit in pluralitatem divinae essentiae, si sua scientia est ejus essentia,
ut dictum est. |
4. Par ailleurs, tout comme le dit le
Philosophe [111 De l’Âme, texte 38]
les sciences se divisent en quelque sorte suivant la manière dont les choses
se divisent. Si donc Dieu connaît une multitude de chose, il faut qu’il y ait
en Lui plusieurs sciences et cela tend à poser une multiplicité à
l’intérieur même de l’essence divine si sa science est aussi son essence,
ainsi que nous l’avons dit. |
[2479] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 2 s. c. 1 Contrarium est quod habetur ad Heb. 4, 13: omnia nuda et aperta sunt oculis ejus. |
Cependant : 1. L’Apôtre [Épître aux Hébreux, 4, 13] dit le
contraire : À ses yeux, tout est
nu et à découvert. |
[2480] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut dictum est, Deus cognoscit essentiam suam. Sed
per essentiam suam est principium rerum. Ergo ipse cognoscit se esse
principium rerum. Sed impossibile est quod cognoscatur aliquid esse
principium, nisi cognoscatur aliqualiter id cujus est principium ; quia qui
novit unum relativorum, cognoscit et reliquum, ut in Praedicamentis dicitur. Ergo cognoscit alia a se. |
2. Par ailleurs, ainsi que nous l’avons dit,
Dieu connaît son essence. Mais c’est par son essence qu’Il est le principe
des choses. Lui-même connaît donc qu’il est le principe des choses. Mais il
est impossible de savoir qu’un être est un principe que si est connu en
quelque sorte ce dont il est le principe ; car qui connaît un des relatifs connaît
aussi les autres ainsi qu’on le dit dans Les
Prédicaments. Dieu connaît donc ce qui est autre que Lui. |
[ ]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ex secunda
via quae supra, art. praeced., facta est, potest ostendi quod Deus non solum
se, sed etiam alia cognoscit. Cum enim ea quae agunt ex necessitate naturae,
naturaliter tendant in finem aliquem, oportet quod ab aliquo cognoscente
ordinentur in finem illum. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire qu’à partir de la deuxième voie présentée
plus haut dans l’article precedent, on peut montrer que Dieu ne connaît pas
seulement lui-même mais qu’il connaît aussi ce qui est autre que lui. En
effet, puisque les êtres qui agissent par une nécessité de nature tendent
naturellement vers une fin, il faut qu’ils soient ordonnés à cette fin par un
être connaissant. |
Hoc autem est impossibile, nisi ille
cognoscens cognoscat rem illam et operationem ejus, et id [id om. Éd. de Parme] quod ordinatur ;
sicut faber non posset facere securim nisi cognosceret actum incisionis et ea
quae incidenda sunt, ut materiam convenientem inveniat, et formam imprimat ;
et ita oportet quod Deus cognoscat ea quae ad ipsum ordinantur: quia sicut
esse ab ipso habent, ita et ordinem naturalem in finem. |
Mais cela n’est possible que si cet être
connaissant connaît cette chose, son opération et ce [ce om. Éd. de Parme] à
quoi elle est ordonnée; par exemple, l’artisan ne peut faire une hache
que s’il connaît l’acte de l’incision et les choses qui doivent être coupées
afin de trouver une matière qui convient et lui appliquer la forme ; et
c’est de même que Dieu doit connaître les êtres qui sont ordonnés à Lui car
tout comme c’est de Lui qu’ils tiennent leur existence, de même c’est de Lui
qu’ils tiennent leur ordre naturel vers la fin. |
Unde Rabbi Moyses hanc rationem dicit
intendisse David cum dixit Psal. XCIII, 9: Qui finxit oculum non considerat ? Quasi diceret: cum Deus oculum
faceret, numquid ipse non consideravit actum oculi, qui est videre, et
objectum ejus, quod est visibile particulare ? Sciendum tamen est, quod intellectum
dupliciter dicitur, sicut visum etiam. Est enim primum visum quod est ipsa species
rei visibilis in pupilla [potentia Éd.
de Parme] existens, quae est
etiam perfectio videntis, et principium visionis, et medium lumen respectu
visibilis: et est visum secundum, quod est ipsa res extra oculum. |
D’où le Maître Moïse dit que c’est cette
raison que David avait en vue lorsqu’il a dit [Psaume XC111, 9] : Lui qui a façonné l’œil ne serait pas
capable de voir ? C’est
comme s’il avait dit : lorsque Dieu a fait l’œil, lui-même n’a jamais
considéré l’acte de l’œil, qui consiste à voir, ainsi que son objet qui est
une chose visible particulière ? Il faut cependant savoir
que l’objet de l’intellection, tout comme l’objet de la vue, se dit de deux
manières. Il y a en effet l’objet premier de la vue qui est l’espèce même de
la chose visible, laquelle espèce existe dans la pupille [puissance Éd. de Parme], qui est aussi la
perfection de celui qui voit, et le principe de la vision, et la lumière qui
est un intermédiaire par rapport au visible : et c’est là l’objet second
de la vue qui est la chose même en dehors de l’œil. |
Similiter intellectum primum est ipsa
rei similitudo, quae est in intellectu ; et est intellectum secundum [quod
est add. Éd. de Parme] ipsa res,
quae per similitudinem illam intelligitur. Si ergo consideretur intellectum
primum, nihil aliud intelligit Deus nisi se ; quia non recipit species rerum,
per quas cognoscat ; sed per essentiam suam cognoscit, quae est similitudo
omnium rerum. Sed si accipiatur intellectum secundum, sic non tantum se
intelligit, sed etiam alia. Et secundum primum modum dicit Philosophus, II Metaph., text. 51, quod Deus
intelligit tantum se. Et per hoc patet de facili responsio ad objecta. |
Semblablement l’objet premier de
l’intelligence est la similitude même de la chose qui est dans
l’intelligence ; et l’objet second de l’intelligence [qui est add. Éd. de Parme] est la chose
elle-même qui est saisie par l’intelligence au moyen de cette similitude. Si
donc par objet de l’intelligence on entend l’objet premier, Dieu ne connaît
rien d’autre que Lui ; car il ne reçoit pas les espèces des choses au
moyen desquelles il les connaîtrait ; mais il les connaît au moyen de
son essence, laquelle est la similitude de tous les choses. Mais si on entend
par là l’objet second de l’intelligence, alors Dieu ne connaît pas seulement
lui-même mais aussi ce qui est autre que lui. C’est c’est d’après le premier
sens du terme ¨objet¨ que le Philosophe [11 Métaphysique, texte 51] dit que Dieu ne connaît que lui seul. Et
c’est suite à cet exposé qu’on voit facilement les réponses aux difficultés
qui viennent d’être soulevées. |
[2482] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 2 ad 1 Quod enim objicitur primo, quod intellectum est perfectio
intelligentis, verum est de intellecto primo, et non de intellecto secundo.
Non enim lapis, qui est extra animam, est perfectio intellectus ; sed
similitudo lapidis, quae est in anima. |
Solutions : 1. L’objection qui est
présentée en premier, à savoir que l’objet de l’intelligence est la
perfection de l’être intelligent, est vraie si on entend par là l’objet premier
de l’intelligence, mais non de l’objet second. En effet, ce n’est pas la
pierre qui est en dehors de l’âme qui est la perfection de l’intelligence,
mais la similitude de la pierre, similitude qui est dans l’âme. |
[2483] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tripliciter intellectus divinus posset
vilificari, si intelligeret vilia: uno modo si informaretur similitudine
illius vilis ; secundo si simul cum illo vili non
posset intelligere nobile ; tertio si alia operatione intelligeret
et vilius et nobilius. Sed haec omnia remota sunt ab ipso ;
unde sua operatio est perfectissima, quae una et eadem existens, talis est
quod per eam ipse seipsum cognoscit et omnia alia. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que c’est
de trois manières que l’intelligence divine pourrait être avilie si elle
connaissait les choses viles : premièrement si elle était informée par
la similitude de ce qui est vil ; deuxièmement si elle ne pouvait
connaître ce qui est noble en même temps que ce qui est vil ;
troisièmement si elle connaissait ce qui est vil par une autre opération que
celle par laquelle elle connaît ce qui est noble. Mais toutes ces modalités
sont étrangères à Dieu ; d’où il résulte que son opération est la plus
parfaite, laquelle existe en tant qu’une et identique à elle-même, et elle
est telle que par elle Dieu se connaît lui-même et tous les autres êtres. |
/[2484] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio tenet in omni intellectu qui
cognoscit diversa per diversas species ; quod remotum est a Deo, qui
cognoscendo essentiam suam, alia cognoscit. |
3. Il faut dire en troisième lieu que cet
argument vaut pour toute intelligence qui connaît différentes choses au moyen
de différentes espèces, ce qui est étranger à Dieu, lequel connaît toute
chose en connaissant son essence. |
[2485] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quando sunt multa scita quae cognoscuntur
secundum unam rationem medii, genere vel specie, tunc reducuntur in unam
scientiam generalem vel specialem, sicut metaphysica et geometria ; unde si
plura scita reducuntur in unum medium, secundum numerum illorum omnium non
erit nisi scientia una in numero ; et ideo scientia Dei est una numero omnium
rerum, quia per unum medium simplicissimum, quod est sua essentia, omnia
cognoscit. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que lorsque
plusieurs objets de science sont connus d’après une seule raison formelle de
moyen terme, de genre ou d’espèce, alors ils se ramènent tous à une seule science
universelle ou particulière, comme la métaphysique et la géométrie ; de
là, si plusieurs objets de science se ramènent à un seul moyen terme, il n’y
aura qu’un seule science numériquement parlant pour le nombre de tous ces
objets ; et c’est pourquoi il n’y a qu’une seule science de Dieu,
numériquement parlant, pour toutes les choses, car c’est par le seul et même
moyen terme le plus simple, son essence, qu’il connaît toutes les choses. |
|
|
Articulus 3 [2486] Super Sent., lib. 1
d. 35 q. 1 a. 3 tit. Utrum habeat cognitionem certam et propriam de aliis a
se |
Article 3 – A-t-il une connaissance certaine et particulière des autres choses que lui ? |
[2487]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non habeat certam et
propriam cognitionem de aliis a se. Certa enim cognitio non potest de re
haberi nisi per rationem ejus existentem in cognoscente. Sed nihil ejusdem
rationis est in Deo et creaturis. Ergo cum non cognoscat creaturas nisi
cognoscendo id quod in ipso est, videtur quod non habeat propriam et certam
cognitionem de eis. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne
possède pas une connaissance certaine et propre au sujet des choses qui sont
autres que lui. En effet la connaissance certaine d’une chose ne peut être acquise
qu’au moyen de son essence qui existe dans celui qui connaît. Mais rien de ce
qui est en Dieu et dans les créatures n’est d’une même essence. Donc, puisque
Dieu ne connaît les créatures qu’en connaissant ce qui est en lui, il semble
qu’il ne possède pas à leur sujet une connaissance propre et certaine. |
[2488] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 3 arg. 2 Praeterea, per causam primam et remotam non potest haberi certa
cognitio de re. Sed essentia divina est causa prima et remotissima. Ergo cum
Deus non cognoscat res nisi per essentiam suam, videtur quod certam
cognitionem de rebus habere non possit. |
2. Par ailleurs, on ne peut acquérir une
connaissance certaine d’une chose au moyen de sa cause première et éloignée.
Mais l’essence divine est la cause première et la plus éloignée. Donc,
puisque Dieu ne connaît les choses que par son essence, il semble qu’il ne
puisse avoir une connaissance certaine au sujet des choses. |
[2489] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 3 arg. 3 Praeterea, propria cognitio de re non est nisi per id quod est
proprium sibi. Sed impossibile est idem esse proprium pluribus inquantum
plura sunt, etsi aliquid sit proprium pluribus inquantum unum sunt, sicut
risibile omnibus hominibus. Ergo cum Deus cognoscat omnia per unum et idem,
quod est sua essentia, videtur quod non habeat propriam et certam cognitionem
de rebus singulis. |
3. Par ailleurs, une connaissance propre
d’une chose n’a lieu qu’au moyen de ce qui est propre à cette chose. Mais il
est impossible que le même soit propre à une multitude d’êtres en tant qu’ils
sont multiples bien qu’il soit propre à une multitude d’êtres en tant qu’ils
sont un comme risible est propre à tous les hommes. Donc, puisque Dieu
connaît tous les êtres au moyen de quelque chose qui est un et le même, à savoir
son essence, il semble qu’il ne possède pas une connaissance certaine et propre des choses singulières. |
[2490] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 3 arg. 4 Praeterea, illud per quod habetur certa cognitio de re, potest
esse medium ad concludendum [considerandum Éd. de Parme] rem illam. Sed ex essentia divina non potest
concludi esse alicujus rei, cum Deus ab aeterno fuerit, quando res non erat.
Ergo videtur quod Deus per essentiam suam certam cognitionem de rebus habere
non possit. |
4. Par ailleurs, ce au moyen de quoi est
acquise une connaissance certaine au sujet d’une chose peut être le moyen
terme ordonné à la conclusion [la considération Éd. de Parme] au sujet de cette chose. Mais à partir de l’essence
divine on ne peut conclure l’existence d’une chose car Dieu a existé de toute
éternité alors que la chose n’existait pas encore. Il semble donc que Dieu ne
puisse posséder une connaissance certaine des choses au moyen de son essence. |
[2491] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 3 s. c. 1 Sed contra illud est quod dicitur in principio Metaphys.: « Scientia quam Deus habet, dea scientiarum est, et honorabilissima ».
Sed Deus habet scientiam de rebus. Ergo nobilissime cognoscit res, et ita
certissima et propria cognitione. |
Cependant : 1. Mais ce qu’on dit au
début de la Métaphysique contredit
ces difficultés : «La science que
Dieu possède est la déesse des sciences et la plus honorable». Mais
possède la science des choses. Donc, il connaît les choses de la manière la
plus noble et par conséquent par la connaissance la plus certaine et la plus
propre. |
[2492] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 3 s. c. 2 Praeterea, quod est primum in quolibet genere est maximum in
genere illo, ut in II Metaph.
dicitur ; sicut ignis est calidissimus, in quo primo invenitur calor. Sed in
Deo, primo est scientia. Ergo ipse nobilissime cognoscit quidquid cognoscit,
et ita videtur quod de omnibus rebus cognitis propriam et certam cognitionem
habeat. |
2. Par ailleurs, ce qui est premier dans
tout genre est ce qu’il y a de plus excellent dans ce genre, ainsi qu’on le
dit au livre 11 de la Métaphysique,
tout comme le feu est ce qu’il y a de plus chaud car c’est en lui que se
retrouve en premier la chaleur. Mais c’est en Dieu que se retrouve en premier
la science. C’est donc de la manière la plus noble qu’il connaît tout ce
qu’il connaît, et ainsi il semble qu’il possède une connaissance propre et
certaine de toutes les choses connues. |
[2493]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Deus certissime proprias naturas rerum
cognoscit. Sciendum tamen, quod Commentator in II Metaph., text. 51 dicit, quod Deus non habet cognitionem de rebus
aliis a se, nisi inquantum sunt entia: quia enim esse suum est causa essendi
omnibus rebus, inquantum cognoscit esse suum, non ignorat naturam essentiae
inventam in rebus omnibus ; sicut qui cognosceret calorem ignis, non
ignoraret naturam caloris existentis in omnibus calidis: non tamen sciret
naturam hujus calidi et illius, inquantum est hoc et illud. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que Dieu connaît les natures propres des choses de la manière la plus
certaine. Il faut cependant savoir que le Commentateur [11 Métaphysique, texte 5] dit que Dieu ne
possède une connaissance des choses autres que Lui qu’en tant qu’elles sont
des êtres : parce que son être en effet est la cause de l’existence de
toutes les choses, selon qu’il connaît son être, il n’ignore pas la nature de
l’essence rencontrée dans toutes les choses, tout comme celui qui connaîtrait
la chaleur du feu n’ignorerait pas la nature de la chaleur existant dans tous
les corps chauds : il ne connaîtrait cependant pas la nature de tel ou
tel corps chaud en tant qu’il est celui-ci ou celui-là. |
Ita Deus per hoc quod cognoscit
essentiam suam, quamvis cognoscat esse omnium rerum inquantum sunt entia, non
tamen cognoscit res inquantum est haec et illa. Nec ex hoc sequitur, ut ipse
dicit, quod sit ignorans: quia scientia sua non est de genere scientiae
nostrae: inde nec ignorantia opposita sibi potest convenire ; sicut nec de
lapide dicitur quod sit videns vel caecus. |
Ainsi Dieu, du fait qu’il connaît son
essence, bien qu’il connaisse l’être de toutes les choses en tant qu’elles
sont des êtres, ne les connaît pas en tant qu’elles sont telle ou telle
chose. Et il ne suit pas de là, comme il le dit lui-même, que Dieu soit
ignorant : car sa science n’est pas du même genre que la nôtre :
d’où une ignorance opposée ne peut lui convenir, tout comme on ne peut dire
au sujet de la pierre qu’elle ait la vue ou qu’elle soit aveugle. |
Sed haec positio dupliciter apparet
falsa: primo, quia ipse non est causa rerum quantum
ad esse ipsorum solum commune, sed quantum ad omne illud quod in re est. Cum
enim per causas secundas determinetur unaquaeque res ad proprium esse ; omnes
autem causae secundae sunt a prima, oportet quod quidquid est in re, vel
proprium vel commune, reducatur in Deum sicut in causam, cum res a seipsa non
habeat nisi non esse: et ita cognoscet Deus [Deus om. Éd. de Parme] propriam naturam uniuscujusque rei. |
Mais la fausseté de cette position apparaît
de deux manières : premièrement parce que Dieu n’est pas la cause des
choses quant à leur seul être commun, mais quant à tout ce qui est dans la
chose. En effet, puisque c’est au moyen des causes secondes que chaque chose
est déterminée à son être propre et que toutes les causes secondes procèdent
de la cause première, il faut que tout ce qui est dans la chose, le propre
comme le commun, se ramène à Dieu comme à sa cause, puisque la chose ne tient
d’elle-même que le non-être : et c’est ainsi que Dieu [Dieu om. Éd. de Parme] connaît la nature
propre de chaque chose. |
Secundo
improbatur per illud quod supra, in corp. art. praeced., tactum est, quod
impossibile est quod aliquod agens ordinet effectum suum in finem, nisi
cognoscat proprium opus rei per quod ordinatur in finem. Unde si a Deo
ordinatio est omnium rerum in finem suum, oportet quod cognoscat proprium
opus cujuslibet rei, et propriam naturam quae tali operationi convenit. |
Deuxièmement cette position se
trouve à être réfutée par ce qui a été touché plus haut dans l’article precedent, à savoir qu’il est
impossible à un agent d’ordonner son effet à une fin sans connaître la
function propre de la chose par laquelle elle est ordonnée à la fin. D’où il
résulte que si l’ordonnance de toutes les choses à leur fin vient de Dieu, il
faut qu’il connaisse la fonction propre de chaque chose ainsi que la nature
propre qui convient à une telle fonction. |
Nec obstat, si etiam ponatur non
immediate causare ordinem in unaquaque re, sicut quidam philosophi posuerunt,
dicentes, a Deo immediate procedere unum primum, quod est intelligentia
prima, a quo procedat secunda intelligentia, et orbis, et anima ejus. Oportet
enim secundum hoc, quod cognoscat ad minus opus sui primi creati, quod est intelligentia
; et ita cognoscet quae per illud opus produci possunt, et sic deinceps usque
ad ultima rerum ; et sic oportet quod cognoscat omnes proprias naturas et
proprias operationes rerum. |
Et même si on affirmait que Dieu ne cause
pas immédiatement l’ordre dans chaque chose, tout comme certains philosophes
l’ont affirmé en disant que de Dieu procède immédiatement un premier effet
qui est une intelligence première de laquelle procéderait une intelligence
seconde, puis une sphère et son âme, cela ne pose pas de problème. Il faut en
effet, suivant cette position que Dieu connaisse au moins la fonction de son
premier effet créé qui est l’intelligence première : et ainsi il
connaîtra les choses qui peuvent être produites par cette fonction et ainsi de
suite jusqu’à la dernière des choses ; et ainsi il faut qu’il connaisse
toutes les natures propres et toutes les opérations propres des choses. |
[2494] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod esse divinum non negatur ejusdem
rationis esse cum esse nostro quia deficiat a ratione nostri esse, sed quia
excedit. Quanto autem medium perfectius est, tanto in eo res perfectius
cognoscitur: et ideo quanto esse suum excedit nostrum, tanto scientia sua de
esse rei, quod cognoscit per esse suum, excedit scientiam nostram, quae est
de esse rei accepta ab ipsa re. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’on ne nie pas que l’être divin soit d’une même essence que la
nôtre seulement parce qu’il est dépourvu de notre essence, mais parce qu’il
la dépasse. Mais une chose est connue d’autant plus parfaitement dans un être
que cet être est plus parfait : et c’est pourquoi sa science au sujet de
l’être d’une chose qu’il connaît par son être à Lui dépasse d’autant plus
notre science qui porte sur l’être de la chose qu’elle reçoit de la chose
elle-même, que l’être de Dieu dépasse notre être. |
[2495] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nullius scientiae certitudo potest esse
nisi per reductionem in prima sui principia. Sed quod primum principium in
geometricis non sufficit ad certam cognitionem eorum quae consequuntur, hoc
est, quia ipsum non est tota causa eorum ; unde oportet quod adjunctis
omnibus aliis, in eorum notitiam veniatur. Sed ipse Deus est perfecta causa
omnium quae ab ipso sunt ; cum nihil possit accipi quod ab ipso non sit: et
ideo ipse per essentiam suam omnia perfecte cognoscit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il ne
peut y avoir certitude pour aucune science que s’il y a réduction à ses
premiers principes. Mais que le premier principe en géométrie ne suffit pas à
une connaissance certaine des conclusions qui s’ensuivent, c’est parce qu’il
n’en est pas la seule cause ; d’où il faut qu’ayant ajouté tous les
autres principes, on en vienne à leur connaissance. Mais Dieu lui-même est la
cause parfaite de tout ce qui vient de Lui puisqu’on ne peut rien admettre
qui ne vienne pas de Lui : et c’est pourquoi lui-même connaît
parfaitement toute chose par son essence. |
[2496] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod impossibile est idem esse proprium
plurium quae eodem modo ipsum participent, et secundum totum, et perfecte ;
sed bonitatem divinam quamvis omnes res participent, tamen nulla res creata
ipsam perfecte imitatur, sed in aliquo assimilatur sibi una res in quo non
assimilatur sibi alia ; et ideo ipse est propria similitudo uniuscujusque
rei, sicut patet in exemplo prius inducto, art. 1 hujus quaest. in corp., de
illo qui habet habitum sufficientem ad plura scibilia: est enim habitus ille
[illius Éd. de Parme] unus
similitudo uniuscujusque trium habituum, qui in diversis inveniuntur, etiam
secundum id quod unus ab alio distinguitur: convenit enim cum grammatica in
eo quod per ipsum cognoscuntur grammaticalia, et sic de aliis. Et ita patet
quod una res potest esse propria similitudo plurium non perfecte ipsam
imitantium, sicut creaturae non perfecte imitantur divinam bonitatem. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’il est
impossible que le même soit le propre d’une multiplicité d’êtres qui
participeraient de lui de la même manière, en totalité et parfaitement ;
mais bien que toutes les choses participent de la bonté divine, cependant
aucune chose créée ne l’imite parfaitement mais plutôt une chose lui est
assimilée en un aspect sous lequel une autre ne lui est pas assimilée ;
et c’est pourquoi il est lui-même la similitude de chaque chose, comme on le
voit dans l’exemple introduit plus tôt suite au corps de l’article 1 de cette
question, dans la solution à la deuxième difficulté, au sujet de celui qui
possède un habitus qui suffit à connaître plusieurs genres d’objets de
science : en effet, cet [de cet Éd.
de Parme] habitus est une similitude unique de chacun des trois habitus
qui se retrouvent dans différents êtres, même d’après ce qui distingue l’un
de l’autre : il s’accorde en effet avec le grammairien en ceci que par
cet habitus sont connues les choses grammaticales et les choses qui relèvent
des autres sciences. Et ainsi il est clair qu’une seule et même réalité peut
être la similitude propre de plusieurs êtres qui ne l’imitent pas
parfaitement, tout comme les créatures n’imitent pas parfaitement la bonté
divine. |
[2497] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non solum esse divinum est causa essendi
res, sed etiam scientia et voluntas sua: ex quibus optime concluditur esse
rei ; quia illud quod Deus vult esse, cum possit et sciat, virtute essentiae
suae in esse procedit. Haec autem Deo cognita sunt ; et ita certam de rebus
cognitionem habet. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que non
seulement l’être divin est la cause qui fait exister les choses, mais il est
aussi la science et la volonté de ces choses à partir desquelles est conclu
l’être de la chose ; car ce que Dieu veut faire exister, puisqu’il le peut
et le sait de science, cela vient à exister par la seule puissance de son
essence. Mais ces choses sont connues de Dieu et ainsi il possède au sujet
des choses une connaissance certaine. |
|
|
Articulus 4 [2498] Super Sent., lib. 1
d. 35 q. 1 a. 4 tit. Utrum scientia Dei sit univoca scientiae nostrae |
Article 4 – La science de Dieu est-elle univoque à la nôtre ? |
[2499]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur
quod scientia Dei sit univoca scientiae nostrae. Agens enim secundum formam
producit effectum sibi univocum, sicut ignis per calorem inducit calorem
univocum suo calori. Sed sicut dicit Origenes, in XVI Ad Rom., V, 27, col. 1292 et Dionysius, cap. VII de div. Nom., col. 866, Deus dicitur sapiens, inquantum nos sapientia
implet per suam sapientiam. Ergo videtur quod sapientia sua sit nostrae
univoca. |
Difficultés : 1. Il semble que la
science de Dieu soit univoque à la nôtre. En effet, un agent produit un effet
qui lui est univoque conformément à la forme, tout comme le feu par la
chaleur introduit une chaleur univoque à sa chaleur. Mais tout comme le dit
Origène [XVI Aux Romains, V, 27,
col. 1292] et Denys [Les Noms Divins,
ch. VII, col. 866] on dit de Dieu
qu’il est sage selon que c’est par sa sagesse qu’il nous comble de sagesse.
Il semble donc que sa sagesse soit univoque à la nôtre. |
[2500] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 arg. 2 Praeterea, mensura et mensuratum sunt unius rationis ; unde
unicuique propria mensura respondet: non enim eodem mensurantur liquida et
arida, ut in III Metaph. dicitur. Sed scientia Dei mensura est scientiae
nostrae ; quae tanto verior est quanto ad eam magis accedit. Ergo videtur
quod sit univoca scientiae nostrae. |
2. Par ailleurs, la mesure et le mesuré sont
d’un même genre ; d’où à chaque chose correspond une mesure qui lui est
propre : en effet ce n’est pas par la même mesure que les liquides et
les solides sont mesurés comme on le dit au troisième livre de la Métaphysique. Mais la science de Dieu
est la mesure de la nôtre, laquelle est d’autant plus vraie qu’elle
s’approche davantage de la sienne. Il semble donc que sa science est univoque
à la nôtre. |
[2501] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 arg. 3 Si dicas, quod non est
univoca ex eo quod scientia Dei nostram excedit scientiam ; contra. Magis et minus non
diversificant speciem. Sed excessus scientiae attenditur secundum hoc quod
est esse magis et minus scientem. Ergo videtur quod ex hoc univocatio
scientiae non tollatur. |
3. Mais si tu dis qu’elle n’est pas univoque
du fait que la science de Dieu dépasse la nôtre, je réponds à cela que le
plus et le moins n’entraînent pas une différence d’espèce. Mais le
dépassement dans la science se vérifie en ceci qu’on est plus ou moins
savant. Il semble donc que l’univocité de la science ne soit pas réfutée à
partir de là. |
[2502] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 arg. 4 Si dicas, ut dicit
Commentator in X Metaph., text. comm. 51, quod pro tanto non est univoca,
quia scientia Dei est causa rerum, et nostra scientia est causata a rebus ; contra. Scientia speculativa in nobis
causata est a rebus ; sed scientia practica est causa rerum ; nec tamen de
utroque nomen scientiae aequivoce praedicatur. Ergo et ratio praedicta
univocationem non tollit. |
4. Mais si tu dis, comme le dit le
Commentateur [X Métaphysique, texte
comm. 51], qu’elle n’est pourtant pas univoque à la nôtre parce que la
science de Dieu est la cause des choses alors que la nôtre est causée par les
choses, je réponds par contre que même si la science spéculative en nous est
causée par les choses mais que la science pratique est la cause des choses,
cependant le nom de science n’est pas attribué par équivoque à ces deux
sciences. Donc la raison qui précède ne fait pas disparaître l’univocité. |
[2503] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 arg. 5 Contra, aeterno et corruptibili nihil est commune, nisi secundum
nomen, ut in X Metaphysic., text.
comm. 26, a Commentatore dicitur, et etiam a Philosopho. Sed scientia Dei est
aeterna, nostra autem est corruptibilis, quam contingit per oblivionem
amitti, et per doctrinam vel inventionem acquiri. Ergo scientia aequivoce et
nobis et Deo convenit. |
5. Cependant :
Rien n’est commun à
l’éternel et au corruptible, si ce n’est selon le nom, ainsi que le dit le
Commentateur [X Métaphysique, texte
comm. 26] et même le Philosophe. Mais la science de Dieu est éternelle et la
nôtre, qu’il nous arrive de perdre par l’oubli et d’acquérir par
l’enseignement ou la découverte, est corruptible. Donc la science s’attribue
à Dieu et à nous de manière équivoque. |
[2504] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 arg. 6 Praeterea, quaecumque univocantur in aliquo, horum est similitudo
aliqua. Sed omnium similium est aliqua comparatio ; comparatio autem non est
nisi convenientium in natura aliqua. Cum igitur nulla creatura cum Deo
conveniat in aliqua natura communi, quia illa esset utroque prius, videtur
quod nihil univoce de Deo et creatura dicatur. |
6. Par ailleurs il y a similitude entre tous
les êtres qui reçoivent une attribution de manière univoque. Mais il y a un
rapport entre toutes les choses semblables ; mais il n’y a rapport
qu’entre les choses qui s’accordent dans une certaine nature. Donc, puisque
nulle créature ne s’accorde avec Dieu dans une nature commune car cette
dernière serait antérieure à la fois aux créatures et à Dieu, il semble que
rien ne se dise univoquement de Dieu et de la créature. |
[2505] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 arg. 7 Praeterea, nihil univoce dictum potest esse in uno substantia et
in alio accidens. Sed scientia in nobis est accidens, in Deo autem
substantia. Ergo
aequivoce praedicatur. |
7. Par ailleurs, rien de ce qui est attribué
univoquement ne peut être substance dans l’un et accident dans l’autre. Mais
la science en nous est un accident et en Dieu sa substance. La science
s’attribue donc équivoquement de Dieu et de la créature. |
[2506]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod tribus modis contingit aliquid
aliquibus commune esse ; vel univoce, vel aequivoce, vel analogice. Univoce quidem non potest aliquid de
Deo et creatura dici. Hujus ratio est, quia cum in re duo sit considerare:
scilicet naturam vel quidditatem rei, et esse suum, oportet quod in omnibus
univocis sit communitas secundum rationem naturae, et non secundum esse ;
quia unum esse non est nisi in una re ; unde habitus humanitatis non est
secundum idem esse in duobus hominibus: et ideo quandocumque forma
significata per nomen est ipsum esse, non potest univoce convenire, propter
quod etiam ens non univoce praedicatur. Et ideo cum omnium quae dicuntur de
Deo natura vel forma sit ipsum esse, quia suum esse est sua natura, propter
quod dicitur a quibusdam philosophis, quod est ens non in essentia, et sciens
non per scientiam, et sic de aliis, ut intelligatur essentia non esse aliud
ab esse, et sic de aliis: ideo nihil de Deo et creaturis univoce dici potest.
|
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que c’est de trois manières qu’il arrive à un terme d’être commun à plusieurs
réalités : à savoir soit par univocité, soit par équivocité, soit par analogie. Rien certes ne peut être
attribué à Dieu et à la créature par univocité. La raison en est que puisque
dans une chose il y a deux aspects à considérer, à savoir la nature ou la
quiddité de la chose d’une part et sont existence d’autre part, il faut que
pour tous les termes univoques il y ait communauté selon la notion de nature
et non selon l’existence ; car une seule et même existence ne se
retrouve que dans une seule et même chose ; d’où la possession de
l’humanité ne se retrouve pas selon la même existence dans deux hommes :
et c’est pourquoi à chaque fois que la forme signifiée par le nom est
l’existence même, elle ne peut s’attribuer univoquement à une multiplicité et
c’est aussi la raison pour laquelle l’étant ne s’attribue pas de manière univoque.
Et c’est pourquoi, puisque la nature ou la forme de tout ce qu’on attribue à
Dieu est son existence même, ce qui fait dire à certains philosophes qu’Il
existe mais non dans une essence, qu’il sait mais non par la science et qu’il
en est de même pour le reste, c’est pourquoi rien ne peut être attribué
univoquement à Dieu et aux créatures. |
Et ideo quidam dicunt, quod quidquid
de Deo et creatura dicitur, per puram aequivocationem dicitur. Sed hoc etiam
non potest esse ; quia in his quae sunt pure aequivoca per casum et fortunam,
ex uno non cognoscitur alterum, ut quando idem nomen duobus hominibus
convenit. Cum igitur per scientiam nostram deveniatur in cognitionem divinae
scientiae, non potest esse quod sit omnino aequivocum. |
Et c’est pourquoi certains disent que tout
ce qu’on peut dire à la fois de Dieu et des créatures se dit par pure
équivocité. Mais cela non plus n’est pas possible ; car pour les
termes qui sont purement équivoques par le hasard ou la fortune, on ne peut
connaître l’autre à partir de l’un, par exemple lorsque le même nom
appartient à deux hommes. Donc, puisqu’au moyen de notre science nous
parvenons à connaître la science divine, il est impossible qu’il y ait ici
une équivocité absolue. |
Et ideo dicendum, quod scientia
analogice dicitur de Deo et creatura, et similiter omnia hujusmodi. Sed
duplex est analogia. Quaedam secundum convenientiam in
aliquo uno, quod eis per prius et posterius convenit ; et haec analogia non
potest esse inter Deum et creaturam, sicut nec univocatio. Alia analogia est, secundum quod unum
imitatur aliud quantum potest, nec perfecte ipsum assequitur ; et haec
analogia est creaturae ad Deum. |
Et c’est pourquoi il faut dire que la
science se dit de Dieu et de l’homme par analogie, et il en est de même pour
tous les autres termes de la sorte. Mais il y a deux sortes d’attribution par
analogie. La première a lieu d’après
une ressemblance par rapport à une même chose qui convient à l’un en priorité
et à l’autre secondairement ; et il ne peut y avoir cette sorte d’analogie
entre Dieu et la créature, tout comme il ne peut y avoir univocité. L’autre analogie est celle
selon laquelle l’une imite l’autre autant qu’elle le peut sans toutefois
l’atteindre parfaitement ; et c’est cette sorte d’analogie qui se
rapporte à Dieu et à la créature. |
[2507] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ab agente secundum formam non
producitur effectus univocus nisi quando recipiens est proportionatus ad
recipiendum totam virtutem agentis, vel secundum eamdem rationem ; et sic
nulla creatura est proportionata ad recipiendum scientiam a Deo per modum quo
in ipso est ; sicut nec corpora inferiora possunt recipere calorem univoce a
sole, quamvis per formam suam agat. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’un effet univoque n’est produit par une agent selon la forme
que lorsque celui qui reçoit est proportionné à recevoir la totalité de la
puissance de l’agent ou sous la même nature ; et en ce sens aucune
créature n’est proportionnée à recevoir de Dieu la science telle qu’elle
existe en Lui ; tout comme aucun corps inférieur ne peut recevoir du
Soleil la chaleur de manière univoque, bien qu’il agisse au moyen de sa
forme. |
[2508] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia Dei non est mensura coaequata
scientiae nostrae, sed excedens ; et ideo non sequitur quod sit ejusdem
rationis secundum univocationem cum scientia nostra, sed secundum analogiam. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la
science de Dieu n’est pas une mesure qui est égale à notre science, mais une
mesure qui la dépasse ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’elle
soit de même nature que notre science selon l’univocité, mais selon
l’analogie. |
[2509] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod magis et minus nunquam univocationem vel
speciei unitatem [vel…unitatem om. Éd.
de Parme] auferunt ; sed ea ex quibus magis et minus causatur, possunt
differentiam speciei facere, et univocationem auferre: et hoc contingit
quando magis et minus causantur [causatur Éd.
de Parme] non ex diversa participatione unius naturae, sed ex gradu
diversarum naturarum ; sicut Angelus [est Éd.
de Parme] homine intellectualior dicitur [dicitur om. Éd. de Parme]. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le
plus et le moins ne font jamais disparaître l’univocité ou l’unité de
l’espèce [ou…l’unité om. Éd. de Parme] ;
mais ce qui cause le plus et le moins peut faire une différence d’espèce et
faire disparaître l’univocité : et cela est possible quand le plus et le
moins sont causés [est causé Éd. de
Parme] non pas à partir d’une participation d’une seule et même nature,
mais à partir de degrés de natures différentes ; par exemple, on dit [on
dit om. Éd. de Parme] l’Ange [est Éd. de Parme] plus intellectuel que
l’homme. |
[2510] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio Commentatoris, per se non est
sufficiens nisi secundum quod accipitur in tali materia ; scientia enim quae
sic est causa rerum ut scientia divina, non potest scientiae causatae a rebus
univoca esse: cujus ratio dicta est. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le
raisonnement du Commentateur ne vaut essentiellement que s’il se prend dans
un même genre par rapport à telle ou telle matière déterminée ; en
effet, la science qui est ainsi cause des choses comme l’est la science
divine ne peut être univoque par rapport à la science causée par les choses
pour la raison que nous avons déjà dite. |
[2511] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 ad 5 Et quia aliae rationes videntur concludere quod omnino aequivoce
dicatur, ideo ad eas respondendum est. Ad quintum ergo dicendum, quod dictum
illud est intelligendum quantum ad esse, et non quantum ad intentionem rei
quae communiter praedicatur ; quia corpus, etiam secundum hoc quod dicitur ibi,
aequivoce de corruptibilibus et incorruptibilibus praedicatur, cujus tamen
ratio eadem est in utroque si secundum intentionem communem consideretur. |
5. Et parce que les autres arguments
semblent conclure que la science se dit de manière purement équivoque, c’est
pourquoi il faut leur répondre. Et il faut dire par rapport au cinquième que
ce qui est dit doit s’entendre quant à
l’existence et non quant à l’intention de la chose qui s’attribue
communément ; car le corps, même selon ce qui est dit là, s’attribue de
manière équivoque à ce qui est corruptible et à ce qui est incorruptible,
dont la nature est cependant la même dans les deux si on la considère selon
l’intention commune. |
[2512] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inter Deum et creaturam non est similitudo
per convenientiam in aliquo uno communi, sed per imitationem ; unde creatura
similis Deo dicitur, sed non convertitur, ut dicit Dionysius, in lib. De div. Nom., cap. IX, § 6 col. 914. |
6. Il faut dire en sixième lieu qu’entre
Dieu et la créature il n’y a pas similitude par une convenance en un même
point de référence commun, mais par imitation ; d’où on dit de la
créature qu’elle est semblable à Dieu, mais non l’inverse comme le dit Denys
[Les Noms Divins, ch. 1X, & 6, col. 914]. |
[2513] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod scientia non praedicatur de Deo secundum
rationem generis sui, qualitatis vel [scilicet Éd. de Parme] accidentalis, sed solum secundum rationem
differentiae, quae ad perfectionem pertinet, secundum quam a natura
attenditur per imitationem, ut dictum est. |
7. Il faut dire en septième lieu que la
science ne s’attribue par à Dieu en raison de son genre qui est la qualité ou
[c’est-à-dire Éd. de Parme] à titre d’accident mais seulement en raison d’une
différence qui appartient à une perfection à laquelle la nature tend par
l’imitation, ainsi que nous l’avons dit. |
|
|
Articulus 5 [2514] Super Sent., lib. 1
d. 35 q. 1 a. 5 tit. Utrum scientia Dei sit universalis |
Article 5 – La science de Dieu est-elle universelle ? |
[2515]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei sit
universalis. Scientia enim universalis est quae est per causas universales.
Sed Deus scit omnia per causam universalissimam, scilicet per essentiam suam.
Ergo sua scientia est maxime universalis. |
Difficultés : 1. Il semble que la
science de Dieu soit universelle. En effet, la science universelle est celle
qui procède par les causes universelles. Mais Dieu connaît toute chose par sa
cause la plus universelle, à savoir par son essence. Donc sa science est la
plus universelle. |
[2516] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 5 arg. 2 Item, videtur quod sit particularis. Cognitio enim particularis
est per quam cognoscitur propria natura rei. Sed proprias naturas omnium
rerum Deus perfecte cognoscit. Ergo sua scientia particularis est. |
2. En outre, il semble qu’elle soit
particulière. La connaissance particulière en effet est celle par laquelle
est connue la nature propre de la chose. Mais Dieu connaît parfaitement les
natures propres de toutes les choses. Sa science est donc particulière. |
[2517]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 3 Item, videtur quod etiam sit in
potentia. Sicut enim operatio sua extenditur ad ea quae sunt extra ipsum,
quae ipsius operatione causantur, ita et scientia ; cum ea quae extra ipsum
sunt, ab eo cognoscantur. Sed Deus non semper operatus est res in actu, quia
ab aeterno non fuerunt. Ergo videtur quod nec debeat dici semper sciens in
actu, sed quandoque in potentia. |
3. En outre, il semble même que
sa science soit en puissance. En effet, comme son opération s’applique même à
ce qui est en dehors de Lui et qui est causé par son opération, il en est de
même pour sa science, puisque les choses qui sont en dehors de Lui sont
connues par Lui. Mais Dieu n’a pas toujours fait les choses en acte, car
elles n’ont pas existé de toute éternité. Il semble donc qu’on ne puisse dire
non plus qu’il les a toujours connu en acte, mais parfois en puissance. |
[2518] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 5 arg. 4 Item, videtur quod etiam sit in habitu. Sicut enim potentia est
medium inter essentiam et operationem, ita habitus est medium inter potentiam
et actum. Sed quamvis in Deo omnia unum sint, tamen designamus
essentiam, operationem, et virtutem. Ergo et similiter habitum in ipso designare poterimus, ut
dicamus Deum esse scientem in habitu. |
4. En outre, il semble que Dieu possède
aussi la science comme un habitus. En effet, tout comme la puissance est un
intermédiaire entre l’essence et l’opération, de même l’habitus est un
intermédiaire entre la puissance et l’acte. Mais bien qu’en Dieu tout soit
un, cependant nous désignons l’essence, l’opération et la vertu. Nous
pourrions donc de la même manière désigner en Lui un habitus de manière à
dire qu’il y a en Dieu l’habitus de la science. |
[2519]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 5 Item, videtur quod scientia sit in
actu. Nihil enim est
agens nisi secundum quod est in actu. Sed Deus agit
omnia per sapientiam suam ; unde in Psalm. 103, 24, dicitur: Omnia
in sapientia fecisti. Ergo sua scientia maxime est in actu. |
5. En outre, il semble que Dieu soit la
science en acte. En effet, un agent n’est rien d’autre que ce qui est en
acte. Mais Dieu fait toutes les choses par sa sagesse ; d’où l’Écriture
[Psaume 103, 24] dit : Tu as tout fait avec sagesse. Donc sa
science est suprêmement en acte. |
[2520] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 5 s. c. 1 Sed contra, ea quae non sunt ejusdem rationis non dividuntur
eisdem differentiis: quia, secundum Philosophum, in Antepraedicam. diversorum generum diversae sunt species et
differentiae. Sed scientia Dei et scientia nostra non sunt ejusdem rationis.
Ergo cum omnia praedicta sint differentiae nostrae scientiae, videtur quod ad
divinam scientiam non sint referenda. |
Cependant : 1. Les choses qui ne sont
pas de même nature ne sont pas divisées par les mêmes différences car, selon
le Philosophe dans les Anteprédicaments,
les espèces et les différences de genres différents sont elles-mêmes
différentes. Mais la science de Dieu et la nôtre ne sont pas de même nature.
Donc, puisque toutes les choses qui ont déjà été dites sont les différences
de notre science, il semble qu’elles ne doivent pas être rapportées à la
science divine. |
[2521] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 5 s. c. 2 Praeterea, hoc etiam Commentator dicit, in II Metaph., text. com. 51, quod scientia
Dei nec est universalis, nec particularis, nec in potentia. |
2. Par ailleurs, le Commentateur [11 Métaphysique, texte com. 51] dit encore
ceci, à savoir que la science de Dieu n’est ni universelle, ni particulière,
ni en puissance. |
[2522]
Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod nihil
dictorum divinae scientiae convenit, nisi hoc solum quod est semper in actu esse:
cujus ratio est quia conditiones scientiae praecipue attenduntur secundum
rationem medii, et similiter cujuslibet cognitionis. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que rien de ce qui a été dit de la science
divine n’est juste, sauf cela seul qu’elle est toujours en acte: la raison e
nest que les conditions de la science se vérifient surtout selon la raison de
moyen, et qu’il en est de même pour toute connaissance. |
Id autem quo Deus cognoscit quasi
medio, est essentia sua, quae non potest dici universale, quia omne
universale additionem recipit alicujus per quod determinatur ; et ita est in
potentia, et imperfectum in esse ; similiter non potest dici particularis,
quia particularis principium materia est, vel aliquid loco materiae se habens,
quod Deo non convenit. Similiter etiam ab essentia ipsius omnis potentia
passiva vel materialis remota est, cum sit actus purus ; unde nec etiam ratio
habitus sibi competit, quia habitus non est ultima perfectio, sed magis
operatio quae perficit habitum. Et ideo scientia sua neque universalis neque
particularis neque in potentia neque in habitu dici potest, sed tantum in
actu. |
Mais ce par quoi Dieu connaît comme par un moyen,
c’est son essence dont on ne peut dire qu’elle est universelle car tout
universel reçoit l’addition de quelque chose par quoi il se trouve à être
déterminé ; et ainsi il est en puissance quant à cela et imparfait dans
l’existence ; de même on ne peut dire de son essence qu’elle est
particulière car le principe du particulier est la matière ou quelque chose
qui tient lieu de matière et qui ne convient pas à Dieu. De même encore toute
puissance passive ou matérielle est exclue de son essence puisqu’Il est un
acte pur ; d’où il résulte encore que la notion d’habitus ne lui
convient pas car l’habitus n’est pas la perfection ultime mais c’est plutôt
l’opération qui donne sa perfection à l’habitus. Et c’est pourquoi il est
impossible de dire de la science de Dieu qu’elle est universelle,
particulière, en puissance ou en habitus. On doit seulement dire qu’elle est
en acte. |
[2523] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis divina essentia sit causa
universalis rerum, non tamen ita quod aliquid sibi sit addibile, per quod
propria et perfecta causa efficiatur ; immo per seipsum est sufficiens et
perfecta causa cujuslibet rei ; et ideo cognitio quae est per talem causam
non est scientia in universali, sed in propria natura cujuslibet rei. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que la science divine soit la cause universelle des
choses, ce n’est cependant pas de telle manière que quelque chose lui soit
ajoutable et grâce à quoi elle deviendrait une cause propre et
parfaite ; mais bien plutôt elle est par elle-même une cause suffisante
et parfaite de toutes les choses ; et c’est pourquoi la connaissance qui
a lieu par une telle cause n’est pas
une science dans l’universel mais dans la nature propre de toute chose. |
[2524] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Deus cognoscat propriam naturam
cujuslibet rei, non tamen cognoscit per aliquod acceptum a re: quia, ut dicit
Dionysius, VII cap. De div. Nom.,
col. 866, divina scientia non immittit se singulis rebus quae cognoscuntur ;
nec est alia scientia qua seipsum cognoscit et alias res ; et ideo non potest
dici particularis: quia proprie illa scientia est particularis quae est per
medium particulare a re acceptum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
que Dieu connaisse la nature propre de toute chose, il ne la connaît
cependant pas au moyen de ce qu’il tirerait de la chose : car comme le
dit Denys [Les Noms Divins, ch. VII, col. 866] la science divine ne se lance
pas dans les choses singulières qui sont connues ; et la science par
laquelle il se connaît lui-même n’est pas autre que celle par laquelle il
connaît les autres choses ; et c’est pouruquoi on ne peut dire de sa
science qu’elle est particulière car à proprement parler, la science
particulière est celle qui a lieu par un moyen terme particulier tiré de la
chose. |
[2525] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus non agit per operationem mediam: sed
sua operatio est sua essentia: unde sicut scientia semper est in actu et non
in potentia, ita et operatio, quamvis operatum non sit semper: quod contingit
propter ordinem sapientiae disponentis. Et tamen Deus non dicitur fecisse res
ab aeterno, sicut scivit ab aeterno ; quia operatio significatur ut exiens ab
operante in operatum vel factum ; et ideo non potest dici Deus esse faciens
nisi quando aliquid fit. Sed scire, quamvis etiam exteriorum sit, non est
tamen eorum nisi secundum quod sunt in sciente per sui similitudinem ; et
ideo secundum conditionem scientis, et non sciti, dicitur Deus ab aeterno
scivisse etiam quae non ab aeterno fuerunt. |
3. Il faut dire en troisième lieu que Dieu
n’agit pas par une opération intermédiaire : mais son opération est son
essence ; d’où il suit que tout comme la science est toujours en acte et
non en puissance, il en est de même pour l’opération, bien que l’œuvre
réalisée n’ait pas toujours existé : ce qui est possible à cause de
l’ordre de la sagesse qui ordonne. Et cependant on ne dit pas de Dieu qu’il a
fait les choses de toute éternité tout comme il les connaît de toute
éternité car l’opération est signifiée comme sortant de l’agent vers
l’œuvre ou le produit ; et c’est pourquoi on ne peut dire de Dieu qu’il
est en train d’agir que lorsque quelque chose est en train d’être produit.
Mais bien que son savoir porte aussi sur les choses extérieures, il ne porte
cependant sur elles que selon qu’elles existent dans celui qui sait par sa
similitude, à savoir conformément à sa manière de connaître ; et c’est
pourquoi c’est d’après la condition de celui qui connaît et non de ce qui est
connu qu’on dit de Dieu qu’il connaît de toute éternité même les choses qui
n’ont pas toujours existé |
|
|
[2526] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1
a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus nominat principium operationis
perfectum ; et ideo virtutem operativam in Deo significare possumus: sed
habitus non est nisi perfectio alicujus potentiae incompletae ad actum: non
tamen ultima perfectio ; unde ponit duplicem imperfectionem, scilicet et in
potentia perfecta per habitum et in habitu qui per operationem perficitur: et
ideo nomen habitus, proprie loquendo, Deo non competit: et si aliquando
dicatur dominus ab aeterno non in actu sed in habitu, magis est per
similitudinem quam secundum proprietatem dictum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
vertu signifie un principe parfait d’opération ; et c’est pourquoi nous
pouvons signifier en Dieu une vertu d’opération : mais l’habitus n’est
qu’une perfection d’une puissance incomplète à l’égard de l’acte et elle
n’est cependant pas une perfection ultime ; d’où elle pose une double
imperfection, à savoir à la fois dans la puissance qui est complétée par
l’habitus et dans l’habitus qui est complété par l’opération : et c’est
pourquoi, à proprement parler, le nom d’habitus ne convient pas à Dieu et si
on dit parfois que le Seigneur est de toute éternité non pas en acte mais en
habitus, cela se dit davantage par ressemblance que par une propriété réelle. |
|
|
Distinctio 36 |
Distinction 36 – [La connaissance de Dieu et les idées] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
|
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La connaissance de Dieu] |
|
|
Prooemium |
|
[2528] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
pr. Hic est duplex quaestio. Prima de his quae a Deo cognoscuntur.
Secunda de ideis, per quas res cognoscit. Circa primum quaeruntur tria: 1 utrum Deus cognoscat singularia ; 2 utrum cognoscat mala ; 3 qualiter ea quae cognoscit, in ipso
esse dicuntur. |
La recherche porte ici sur deux objets. Le premier se rapporte à
ce qui est connu de Dieu. Le deuxième se rapporte aux idées par lesquelles il
connaît les choses. On cherche à répondre à
trois questions relativement au premier objet : 1. Est-ce que Dieu connaît
les singuliers ? 2. Est-ce qu’il connaît le
mal ? 3. En quel sens peut-on
dire que ce qu’il connaît est en Lui ? |
|
|
Articulus 1 [2529] Super Sent., lib. 1
d. 36 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus cognoscat singularia |
Article 1 – Dieu connaît-il les singuliers ? |
[2530]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non cognoscat
singularia. Dicit enim Boetius, quod universale est dum intelligitur,
particulare dum sentitur. Sed in Deo non est potentia sensitiva, cum sit
virtus impressa organo corporali, nisi forte metaphorice sumendo. Ergo
videtur quod cognitio singularium Deo non conveniat. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne
connaisse pas les singuliers. En effet, Boèce dit que l’universel est l’objet
de l’intelligence et le singulier celui du sens. Mais il n’y a pas de
puissance sensitive en Dieu, puisque le sens est une puissance enfoncée dans
un organe corporel, à moins qu’on ne le prenne peut-être par métaphore. Il
semble donc que la connaissance des singuliers ne convienne pas à Dieu. |
[2531] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 1 arg. 2 Praeterea, nihil cognoscitur ab aliquo nisi secundum quod est in
cognoscente. Sed particulares effectus non sunt in causis universalibus nisi
in potentia. Ergo videtur, cum essentia divina sit universalis causa omnium,
in qua omnia cognoscit, quod singularium propriam cognitionem non habeat. |
2. Par ailleurs, aucune chose n’est connue
par un être que selon qu’elle est dans cet être qui connaît. Mais les effets
particuliers n’existent qu’en puissance dans les causes universelles. Il
semble donc, puisque l’essence divine est la cause universelle de tout dans
laquelle il connaît toute chose, qu’il ne possède pas une connaissance propre
des singuliers. |
[2532]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis cognitio est per
assimilationem cognoscentis ad cognitum. Sed singulare non est singulare nisi
per materiam. Ergo nulla virtus quae abstrahit a materia et ab omnibus
appenditiis ejus, potest cognoscere singulare inquantum est singulare. Sed intellectus divinus est maxime a
materia et a conditionibus materialibus separatus. Ergo Deus singularia non
cognoscit. |
3. Par ailleurs, toute connaissance a lieu par
une assimilation de celui qui connaît à l’objet connu. Mais le singulier
n’est singulier que par la matière. Donc, aucune puissance qui fait
abstraction de la matière et de tout ce qui s’y rattache ne peut connaître le
singulier en tant que singulier. Mais l’intelligence divine est suprêmement
séparée de la matière et des conditions matérielles. Dieu ne connaît donc pas
les singuliers. |
[2533]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Dionysius,
in II cap. De div. Nom. § 5, col. 643, eodem modo creaturae participant,
quamvis sint diversae, unam Dei bonitatem, sicut plures lineae egrediuntur ab
uno centro, et sicut plures figurationes fiunt ab uno sigillo. Sed qui cognoscit centrum non ex hoc
cognoscit lineas productas a centro inquantum est haec et illa, sed in
communi tantum ; et similiter est in alio exemplo inducto. Ergo videtur quod
Deus cognoscendo seipsum, non cognoscat singularia inquantum hujusmodi. |
4. Par ailleurs, ainsi que
le dit Denys [Les Noms Divins, ch.
11, & 5, col. 643], les créatures participent de la même manière, bien
que diversement, de la seule et même bonté divine, tout comme plusieurs
lignes procèdent d’un même centre et tout comme plusieurs figures viennent
d’un même sceau. Mais celui qui connaît le centre ne connaît pas pour autant
les lignes produites à partir du centre en tant qu’elles sont telles et
telles ligne singulières, mais seulement dans l’universel ; et il en est
de même pour l’autre exemple présenté. Il semble donc qu’en se connaissant
Dieu ne connaisse pas les singuliers en tant que tels. |
[2534] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 1 s. c. 1 Contra, ad Heb. 11, 6, « Credere oportet accedentem ad Deum quia est, et quod diligentibus se
remunerator sit ». Sed non potest remunerare opera
hominum singularium, nisi cognoscat operantes et ipsorum opera. Ergo oportet credere quod singularia
Deus cognoscat. |
Cependant : 1. L’Apôtre [Épître aux
Hébreux, 11, 6] dit le contraire : «Celui
qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il récompense ceux qui
le cherchent». Mais Dieu ne peut récompenser les œuvres des hommes
singuliers que s’il connaît ceux qui les font ainsi que leurs œuvres
individuelles. Il faut donc croire que Dieu connaît les singuliers. |
[2535] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 1 s. c. 2 Praeterea, Deus habet de rebus scientiam practicam, quae est
operationis principium. Sed operatio est circa singularia. Ergo videtur quod
sua scientia sit etiam singularium. |
2. Par ailleurs, Dieu possède une science
pratique au sujet des choses, laquelle est principe d’opération. Mais
l’opération a pour objet les singuliers. Il semble donc que sa science se rapporte aussi aux singuliers. |
[2536]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Deus absque dubio omnium, et
universalium et singularium, cognitionem habet. Sciendum tamen, quod circa
hanc quaestionem diversi diversimode processerunt [senserunt Éd de Parme]. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que Dieu possède sans aucun doute une connaissance à la fois des universels
et des singuliers. Il faut cependant savoir qu’à ce sujet les différents
philosophes ont pensé [jugé Éd. de
Parme] différemment. |
Commentator enim in XI Metaph., text.
com. 51, videtur expresse negare Deo particularium cognitionem, nisi
inquantum cognoscit essentiam suam, quae est principium omnis esse. Sed
cum Deus non tantum sit causa esse rerum, sed omnium quae in rebus sunt,
oportet ut cognitionem rerum non tantum in eo quod sunt habeat, sed etiam in
eo quod sunt talia vel talia. Et ideo alii dixerunt, scilicet
Avicenna tract. VIII Metaph., cap.
VII, et Algazel, (apud Aver., lib. Destructionem,
disp. VI, et sequaces eorum, quod Deus cognoscit singularia universaliter ;
quod sic exponunt per exemplum. |
En effet, le Commentateur
[XI Métaphysique, texte com. 51]
semble avoir clairement nié la connaissance des particuliers en Dieu, sauf en
tant qu’il connaît son essence qui est le principe de tout être. Mais puisque
Dieu n’est pas seulement le principe de l’existence des choses mais aussi de
tout ce qu’il y a dans les choses, il faut qu’il possède une connaissance des
choses non seulement en ceci qu’elles existent, mais aussi en cela qu’elles
sont telles et telles choses individuelles. Et c’est pourquoi d’autres
ont dit, comme Avicenne [ VIII Métaphysique,
ch. VII], Algazel [Sur le livre de la Destruction d’Averroès, disp. VI] et ceux qui les ont suivis, que Dieu
connaît les singuliers dans l’universel, ce qu’ils expliquent de la manière
suivante par un exemple. |
Ita etiam dicunt, quod cum omnes
causae reducantur in ipsum Deum sicut in causam, ipse cognoscendo se,
cognoscit omnes causas secundas ; et cognoscendo causas illas, cognoscit omne
quod est effectum ex illis causis, non tamen nisi universaliter. |
Ils disent ainsi encore que puisque toutes
les causes se ramènent à Dieu comme à leur cause, en se connaissant Lui-même,
Dieu connaît du coup toutes les causes secondes ; et en connaissant ces
causes, il ne connaît cependant tout ce qui est produit à partir des ces
causes que dans l’universel. |
Et ideo dicunt, quod Deus non
cognoscit particularia nisi universaliter, ita ut, secundum eos, determinatio
accipiatur ex parte cogniti, et non solum ex parte cognoscentis ; quia si
solum ex parte cognoscentis illa determinatio acciperetur, verum indubitanter
esset quod Deus particularia non particulari scientia cognoscit, ut supra
probatum est, dist. 25, quaest. 1, art. 5. |
Et c’est pourquoi ils disent que Dieu ne
connaît les singuliers que dans l’universel de telle manière que selon eux la
détermination se reçoive du côté de ce qui est connu et non seulement du côté
de celui qui connaît ; car si cette détermination était reçue seulement
du côté de celui qui connaît, il serait vrai sans aucun doute que Dieu ne
connaît pas les particuliers par une science particulière comme nous l’avons
prouvé plus haut [dist. 25, quest. 1, art. 5]. |
Cognoscit tamen particularia secundum
particularitatem ipsorum. Unde dictum illud etiam est insufficiens.
Cognoscere enim hoc modo singulare in universali, non est cognoscere propriam
naturam hujus singularis vel illius ; eo quod quocumque modo universalia
aggregentur, nunquam ex eis fiet singulare, nisi per hoc quod individuantur
per materiam. |
Il connaît cependant les particuliers
d’après leurs caractères particuliers. D’où il résulte que cette opinion
aussi est insuffisante. En effet, connaître le singulier de cette manière, à
savoir dans l’universel, ce n’est pas connaître la nature propre de tel ou de
tel autre singulier du fait que quelle que soit la manière dont les
universels s’associent, ils n’engendreront jamais un singulier, sauf à la
condition d’être individués par une matière. |
Et ideo ex hac etiam via sequeretur
quod Deus non perfectam cognitionem de singularibus haberet. Universales enim
causae non ducunt in cognitionem particularium, nisi secundum quod
particularia participant naturam communem ; et sic ex causis universalibus
non sciretur de particulari nisi quod habet talem vel talem naturam communem
vel accidentaliter vel substantialiter. |
Et c’est pourquoi, même à partir de cette
démarche, il s’ensuivrait que Dieu ne possède pas une connaissance parfaite
des singuliers. En effet, les causes universelles ne conduisent à la
connaissance des particuliers que selon que les particuliers participent
d’une nature commune ; et ainsi à partir des causes universelles on ne
connaîtrait le particulier que selon qu’il possède telle ou telle nature
commune, soit accidentellement, soit substantiellement. |
Ideo alii dixerunt, sicut Rabbi
Moyses, quod Deus scit perfectissime singularia ; et omnes rationes, quae in
contrarium inducuntur, solvit per hoc quod dicit, scientiam Dei esse
aequivocam scientiae nostrae ; unde per conditiones scientiae nostrae non
possumus aliquid de scientia Dei arguere: sicut enim esse Dei non
comprehenditur a nobis, ita nec sua scientia. Hoc confirmat per id quod
habetur per Isa. 55: Sicut exaltati
sunt caeli a terra, sic exaltatae sunt viae meae a viis vestris. |
C’est pourquoi d’autres disent, comme le
Maître Moïse, que Dieu connaît parfaitement les singuliers ; et il
résout tous les arguments qui tendent à penser le contraire par ceci qu’il
dit que la science de Dieu est équivoque par rapport à la nôtre. D’où il
résulte qu’au moyen des conditions de notre science nous ne pouvons rien
déduire au sujet de la science de Dieu : en effet, tout comme nous ne
pouvons concevoir l’existence de Dieu, de même nous ne pouvons concevoir sa
science. Et il confirme cela au moyen de ce que L’Écriture [Isaïe 55] : Il y a autant de distance entre mes chemins et les vôtres qu’il y en
a entre les cieux et la terre. |
Sed istud, quamvis sit verum, tamen
oportet aliquid plus dicere: videlicet, quod quamvis scientia Dei sit
alterius modi a scientia nostra, tamen per scientiam nostram aliqualiter
devenimus in scientiam Dei ; et sic scientia nostra non est penitus aequivoca
[univoca Éd de Parme] scientiae
Dei, sed potius analogica, ut in praecedenti distinctione,XXXV, qu. 1, art.
4, dictum est. Et ideo oportet dicere secundum quid scientia nostra imitatur
scientiam Dei, et in quo deficit et quare ; et ita rationes dissolvere. |
Mais bien que cela soit vrai, il faut
cependant y ajouter ceci, à savoir que bien que la science de Dieu soit d’un
mode plus élevé que la nôtre, cependant nous parvenons en quelque sorte à la
science de Dieu au moyen de notre science ; et ainsi notre science n’est
pas tout à fait équivoque [univoque Éd. de Parme] par rapport à la science de
Dieu, mais plutôt analogique, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist.
XXXV, quest. 1, art. 4]. Et c’est pourquoi il faut dire d’après quoi notre
science imite la science de Dieu et en quoi elle s’en écarte et pourquoi, et
de cette manière résoudre les arguments. |
Unde procedendum est per viam quam
docet Dionysius, VII cap. De div.
Nomin., § 2, col. 867. Dicit enim, quod cum Deus cognoscit res per
essentiam suam quae est causa rerum, eodem modo cognoscit res quo modo esse
rebus tradidit ; unde si aliquid est in rebus non cognitum ab ipso, oportet
quod circa illud vacet divina operatio, idest quod non sit operatum ab ipso ;
et ex hoc accidit difficultas philosophis propter duo: primo, quia quidam ipsorum non
ponebant Deum operari immediate in rebus omnibus, sed ab ipso esse primas
res, quibus mediantibus ab eo aliae producuntur ; et ideo non poterant
invenire qualiter cognosceret res quae sunt hic, nisi in primis causis
universalibus: secundo, quia quidam eorum non
ponebant materiam esse factam, sed Deum agere tantum inducendo formam. |
D’où il faut procéder par le chemin
qu’enseigne Denys [Les Noms Divins,
ch. VII, & 2, col. 867]. Ce
dernier dit en effet que puisque Dieu connaît les choses par son essence qui
est la cause des choses, il connaît les choses de la même manière qu’il
transmet l’existence aux choses ; d’où il faut, si quelque chose dans
les choses n’est pas connu de Lui, qu’à ce sujet l’opération divine ne
s’exerce pas, c’est-à-dire qu’il faut que cela ne soit pas opéré par
Lui ; et à partir de là il s’ensuit pour les philosophes des difficultés
pour deux raisons : premièrement parce que certains parmi eux n’affirmaient
pas que Dieu agit immédiatement dans toutes les choses mais que de Lui
procèdent des réalités premières par l’intermédiaire desquelles les autres
choses sont produites par Lui ; et c’est pourquoi ils ne pouvaient
découvrir de quelle manière Dieu connaît les choses particulières, sauf dans
les causes premières universelles. Deuxièmement, parce que
certains parmi eux n’affirmaient pas que Dieu a fait la matière, mais que
Dieu agit seulement en introduisant des formes. |
Et ideo cum materia sit principium
individuationis, non poterat inveniri apud eos, quomodo Deus singularia,
inquantum hujusmodi, cognoscat. Sed quia nos ponimus Deum immediate operantem
in rebus omnibus, et ab ipso esse non solum principia formalia, sed etiam
materiam rei ; ideo per essentiam suam, sicut per causam, totum quod est in
re cognoscit, et formalia et materialia ; unde non tantum cognoscit res
secundum naturas universales, sed secundum quod sunt individuatae per
materiam ; sicut aedificator si per formam artis conceptam posset producere
totam domum, quantum ad materiam et formam, per formam artis quam habet apud
se, cognosceret domum hanc et illam ; sed quia per artem suam non inducit
nisi formam, ideo ars sua est solum similitudo formae domus ; unde non potest
per eam cognoscere hanc domum vel illam, nisi per aliquid acceptum a sensu. |
Et c’est pourquoi, puisque la matière est le
principe de l’individuation, ils ne pouvaient découvrir comment Dieu connaît
les singuliers en tant qu’ils sont des singuliers. Mais parce que nous posons
que Dieu opère immédiatement dans toutes les choses et que de Lui procèdent
non seulement les principes formels mais aussi la matière de la chose, c’est
pourquoi il connaît par son essence comme par leur cause tout ce qui existe
dans les choses, à la fois ce qui est formel et ce qui est matériel ;
d’où il résulte qu’il ne connaît pas les choses seulement leurs natures
universelles, mais aussi selon qu’elles sont individuées par la
matière ; ainsi le constructeur, s’il pouvait produire par la forme
qu’il a conçue par son art la totalité de la maison quant à la matière et à
la forme, il connaîtrait telle et telle maison par la forme de l’art qu’il
possède en lui ; mais parce que par son art il n’introduit que la forme,
c’est pourquoi son art est seulement une similitude de la forme de la
maison ; d’où il résulte qu’il ne peut connaître par son art telle ou
telle maison, mais seulement par ce qu’il reçoit du sens. |
[2537] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut ex praedictis patet, forma per
quam intellectus divinus intelligit neque est universalis, quia additiones
non recipit, neque singularis, quia a materia et a dispositionibus ejus
immunis est ; sed tamen est principium et similitudo perfecta totius quod in
re est, et materiae et formae, ut dictum est. Et ideo hoc quod dicitur, quod
universale est dum intelligitur, particulare dum sentitur, referendum est ad
cognitionem nostram, quae in sensu est per formam materialem, et in
intellectu per formam universalem ; et ideo particularia non cognoscimus nisi
per virtutem in qua est aliquid particulariter ; sed Deus particularia
cognoscit neque universaliter neque particulariter ex parte cognoscentis, sed
universaliter et particulariter ex parte rei cognitae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que, tout comme on peut le voir à partir de ce qui précède, la
forme par laquelle l’intelligence divine connaît n’est ni universelle parce
qu’elle ne reçoit pas d’additions, ni singulière parce qu’elle est étrangère
à la matière et aux dispositions de la matière ; elle est cependant le
principe et la similitude parfaite de tout ce qui existe dans la chose, à la
fois de la matière et de la forme, ainsi que nous l’avons dit. Et c’est
pourquoi ce qui est dit dans la difficulté, à savoir que l’universel est
l’objet de l’intelligence et le particulier celui du sens, doit être rapporté
à notre connaissance qui a lieu dans le sens par une forme matérielle et dans
l’intelligence par une forme universelle ; et c’est pourquoi nous ne connaissons
les particuliers que par une puissance dans laquelle quelque chose existe
sous une forme particulière ; mais Dieu connaît les particuliers ni
d’une manière universelle ni d’une manière particulière du côté de celui qui
connaît, mais universellement et particulièrement du côté de la chose connue. |
[2538] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in causis universalibus quae non sunt
tota causa rei non potest particulare perfecte sciri. Sed Deus est causa
omnium universalis, ita quod est perfecta causa uniuscujusque ; et ideo se
cognoscens, omnia perfecte cognoscit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que dans
les causes universelles qui ne sont pas toute la cause de la chose le
particulier ne peut être connu parfaitement. Mais Dieu est la cause
universelle de tout de telle manière qu’il est la cause parfaite de chaque
chose ; et c’est pourquoi, en se connaissant, il connaît parfaitement
toute chose. |
[2539] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in Deo non sit aliquid materiale,
sed essentia ejus sit actus tantum, tamen ille actus est causa omnium quae
sunt in re et materialium et formalium ; quem actum imitatur quantum potest
omnis res et quidquid in re est ; et ideo essentia divina est similitudo non
tantum formalium, sed etiam materialium rei ; et ideo per ipsam possunt
cognosci singularia etiam inquantum hujusmodi. |
3. Il faut dire en troisième lieu que bien
qu’en Dieu il n’y ait rien de matériel et que son essence ne soit qu’acte,
cependant cet acte est la cause de tout ce qui se trouve dans la chose, à la
fois de ce qui est matériel et de ce qui est formel, acte que toute chose et
que tout ce qui s’y trouve cherche à imiter dans la mesure du possible ;
et c’est pourquoi l’essence divine est la similitude non seulement de ce qui
est formel dans la chose, mais aussi de ce qui y est matériel ; et c’est
pourquoi les singuliers peuvent être connus par elle, même en tant qu’ils
sont singuliers. |
[2540] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia exempla quae adducuntur a creaturis
in Deum, deficientia sunt, ut idem Dionysius dicit De div. Nom., cap. II, col. 635: non enim invenitur in creaturis
aliqua causa communis quae sit causa totius quod in re est ; sicut sigillum
est causa figurae in cera et non ipsius cerae ; et ideo per cognitionem
sigilli non potest cognosci figura impressa inquantum est haec vel illa, quia
hoc habet ex materia. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que tous
les exemples qui sont tirés des créatures à Dieu sont défectueux comme le dit
aussi Denys [Les Noms Divins, ch.
11, dol. 635] : en effet, on ne retrouve pas dans les créatures une
cause commune qui serait la cause de tout ce qui se trouve dans la
chose ; par exemple le sceau est la cause de la figure qui est dans la
cire et non de la cire elle-même, et c’est pourquoi, par la connaissance du
sceau, on ne peut connaîrte la figure imprimée en tant qu’elle est telle ou
telle autre figure car elle tient cela de la matière. |
|
|
Articulus 2 [2541] Super Sent., lib. 1
d. 36 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus cognoscat mala |
Article 2 – Dieu connaît-il les maux ? |
[2542]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non cognoscat mala.
Sicut enim dicit Commentator, in III De
anima, text. com. 25, si aliquis intellectus sit semper in actu, non
cognoscit privationem omnino. Sed intellectus divinus semper est in actu. Cum
igitur malum sit privatio, ut Augustinus dicit, in Enchir., cap. XI, col. 236, videtur quod Deus non cognoscat
malum. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne
connaisse pas le mal. En effet, tout comme le dit le Commentateur [111 De l’Âme, texte com. 25] si une
intelligence est toujours en acte ne connaît absolument pas la privation.
Mais l’intelligence divine est toujours en acte. Donc, puisque le mal est une
privation, comme le dit Saint-Augustin [Enchiridium, ch. XI, col. 236], il
semble que Dieu ne connaisse pas le mal. |
[2543] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 2 arg. 2 Praeterea, omnis scientia vel est causa scitorum, vel causata ab
eis. Sed Dei scientia causata non est. Cum ergo malorum causa non sit,
videtur quod Deus mala nesciat. |
2. Par ailleurs, toute science est ou bien
la cause de ce qui est connu, ou bien elle en est causée. Mais la science de
Dieu n’est pas causée. Donc, puisqu’elle n’est pas la cause du mal, il semble
que Dieu ignore le mal. |
[2544] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 2 arg. 3 Praeterea, scientia est assimilatio scientis ad rem scitam. Cum
igitur malum inquantum hujusmodi non assimiletur Deo, immo ipse recessus a
similitudine est malum ; videtur quod Deus malum non cognoscat. |
3. Par ailleurs, la science est
l’assimilation de celui qui sait à la chose connue. Donc puisque le mal en
tant que tel n’est pas assimilé à Dieu mais qu’au contraire tout éloignement
d’une similitude de Dieu est le mal, il semble que Dieu ne connaisse pas le
mal. |
[2545] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 2 arg. 4 Si dicas, quod
cognoscit malum per bonum ; contra.
Cognoscere aliquid non per se sed per aliud est imperfectae cognitionis.
Nihil autem imperfectum Deo est attribuendum. Ergo Deus non cognoscit mala
per bona. |
4. Si tu dis que Dieu connaît le mal par le
bien, je réponds au contraire que connaître une chose non pas par elle-même
mais par quelque chose d’autre c’est la connaître imparfaitement. Mais rien
d’imparfait ne doit être attribué à Dieu. Donc Dieu ne connaît pas le mal par
le bien. |
[2546] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in Psal. LXVIII, 6, dicitur: Deus, tu scis insipientiam meam, et
delicta mea a te non sunt abscondita. |
Cependant : 1. Mais l’Écriture [Psaume LXVIII, 6] dit : Mais Toi,
Dieu, tu connais ma sottise et mes fautes ne te sont pas cachées. |
[2547]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Philosophus dicit, in
I De anima, text. 105, quod rectum est judex sui ipsius
et obliqui. Cum igitur malum sit obliquatio a rectitudine boni, videtur quod
Deo, qui omnia bona perfecte cognoscit, notitia mali [boni Éd de Parme] non desit. |
2. Par ailleurs, le Philosophe
[1 De l’Âme, texte 105] dit que
le droit ou le juste est juge de soi-même et de ce qui est tordu. Donc,
puisque le mal est une déviation de la rectitude du bien, il semble donc que
Dieu, qui connaît parfaitement tous les biens, ne soit pas privé de la
connaissance du mal [du bien Éd. de
Parme]. |
[2548]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod nescire dicitur dupliciter: uno modo metaphorice ad similitudinem
nescientis se habere ; et sic ipsum reprobare Dei nescire dicitur, quia malos
a gloria sua excludit ; sicut aliquis ignotos a secretis suis excludit: et
per oppositum Deus dicitur scire quae approbat: et sic verum est quod Deus
dicitur nescire mala. Alio modo dicitur nescire proprie
notitia rei carere, et per oppositum scire notitiam rei habere ; et ita Deus
novit et bona et mala cognoscendo essentiam suam, sicut tenebrae cognoscuntur
per cognitionem lucis, ut dicit Dionysius, VII cap. de div. nom.,§ 2, col. 870 |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le terme ¨ignorer¨ se dit de deux manières : premièrement en un sens
métaphorique à la ressemblance de celui qui ne sait pas qu’il est ; et
en ce sens la condamnation même de Dieu est appelée ignorance car les
méchants sont exclus de sa gloire ; tout comme quelqu’un écarte les
inconnus de ses entretiens secrets et que par opposé on dit de Dieu qu’il
connaît ceux qu’il approuve : et en ce sens il est vrai de dire de Dieu
qu’il ignore le mal. Deuxièmement on dit
qu’ignorer consiste à être privé de la connaissance propre d’une chose et par
opposition on dit que savoir c’est posséder cette connaissance propre de la
chose ; et ainsi Dieu connaît à la fois les biens et les maux en
connaissant son essence, tout comme les ténèbres sont connues par la
connaissance de la lumière ainsi que le dit Denys [Les Noms divins, ch. VII,
& 2m cik, 870]. |
Sed sciendum est, quod privatio non
cognoscitur nisi per habitum oppositum: nec habitui opponitur privatio nisi
circa idem subjectum considerata. Cum autem lucem divinae essentiae impossibile
sit deficere, non opponitur sibi privatio aliqua. Unde malum non opponitur
bono, prout in Deo est determinate ; sed forte opponitur sibi secundum
communem intentionem boni. |
Mais il faut savoir que le privation n’est
connue que par l’habitus qui lui est oppposé : et la privation n’est
opposée à l’habitus que si on la considère par rapport au même sujet. Mais
puisqu’il est impossible que la lumière de l’essence divine soit en défaut,
on ne peut lui opposer aucune privation. D’où il résulte que le mal, en tant
qu’il se trouve déterminément en Dieu, ne s’oppose pas au bien, à moins qu’il
lui est opposé d’après l’intention commune de bien. |
Opponitur autem determinate bono quod est
participatum in creaturis cui potest admisceri defectus. Unde per hoc quod Deus
cognoscit essentiam suam cognoscit ea quae ab ipso sunt, et per ea cognoscit
defectus ipsorum. Si autem essentiam suam cognosceret tantum, nullum malum
vel privationem cognosceret nisi in communi. |
Le mal est cependant déterminément opposé au
bien qui est participé dans les créatures auxquelles peut se mélanger le
manque. D’où il résulte que du fait que Dieu connaît son essence il connaît
les êtres qui procèdent de Lui et par eux il connaît leurs défauts. Mais s’il
connaissait seulement son essence, il
ne connaîtrait aucun mal et aucune privation, si ce n’est dans l’universel. |
[2549] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 2 ad 1 Et ideo patet responsio ad primum: quia ex hoc quod Commentator
ponit, XII Metaph., text. com. 51,
quod nihil nisi essentiam suam cognoscit, sequitur quod mala nescit ; unde
ibidem subdit, quod nescit mala esse ; unde eodem modo quo alia a se
cognoscit, et privationes ipsorum novit: non sicut primum cognitum, quia in
intellectu suo non potest esse aliqua privatio ; sed ab eo sunt secunda
intellecta, ut ex praedictis, dist. 25, qu. 1, art. 2, patet. |
Solutions : 1. Et c’est pourquoi la
solution à la première difficulté est évidente : car à partir de ce que
pose le Commentateur [XII Métaphysique,
texte com. 51], à savoir que Dieu ne connaît que son essence, il s’ensuit
qu’Il ignore les maux ; d’où il ajoute au même endroit qu’Il ignore que
les maux existent ; d’où il résulte qu’Il connaît leurs privations de la
même manière qu’il connaît les choses qui sont autres que lui, non pas en tant
qu’objet connu premier car dans son intelligence il ne peut y avoir aucune
privation, mais en tant qu’objets connus seconds par son intelligence, ainsi
qu’on peut le voir à partir de ce qui précède [dist. 25, qu. 1, art. 2]. |
[2550] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia Dei nullo modo a re causata est
; nec tamen est causa omnium quae cognoscit, sed horum tantum quorum est per
se cognitio, scilicet bonorum. Mala autem cognoscit per bona, ut
dictum est, in corp. art. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que la science de Dieu n’est en aucune manière causée par les choses; et
elle n’est cependant pas la cause de tout ce qu’il connaît, mais seulement de
celles dont il y a connaissance par soi, à savoir des biens. Mais il connaît
les maux par les biens ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[2551]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod malum non
cognoscitur a Deo per similitudinem suam, sed per similitudinem boni:
secundum enim quod Deus cognoscit essentiam suam cognoscit unamquamque rem
quantum de sua bonitate participat, et in quo deficiat ; et ita cognoscit
malum, cum in defectu ratio mali consistat. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que le mal n’est pas connu de Dieu par sa similitude, mais par la
similitude du bien: en effet, selon que Dieu connaît son essence, il connaît
chaque chose en tant qu’elle participe de sa bonté et en tant qu’elle s’en
écarte; et c’est ainsi qu’il connaît le mal, puisque la notion de mal
consiste dans le manque ou le défaut. |
[2552]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cognoscere
per aliud id quod per se natum est cognosci est imperfectae cognitionis ; sed
malum per se nec causam nec voluntatem nec cognitionem habet, sed per bonum,
ut dicit Dionysius, IV cap. De div. nom., §§ 19, 20, 32, col. 715, etc.: et ideo
haec est perfecta cognitio mali, ut per bonum cognoscatur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
connaître par un autre ce qui est naturellement apte à être connu par soi
relève d’une connaissance imparfaite ; mais c’est par le bien et non par
lui-même que le mal possède une cause, une volonté et une connaissance comme
le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 19, 20, 32, col. 715, etc.]. et
c’est pourquoi cette connaissance du mal par le bien est une connaissance
parfaite du mal. |
|
|
Articulus 3 [2553] Super Sent., lib. 1
d. 36 q. 1 a. 3 tit. Utrum res quae cognoscuntur a Deo sint
in Deo |
Article 3 – Ce qui est connu par Dieu est-il en lui ? |
[2554]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod res quae a Deo cognoscuntur, in Deo non sint. Omne illud in quo est
aliquid diversum ab eo, compositum est. Cum igitur Deus sit simplicissimus, videtur quod res quae sunt
diversae ab eo, in ipso non sint. |
Difficultés : 1. Il semble que les
choses connues de Dieu ne soient pas en Lui. Toute réalité dans laquelle il y
a une chose différente d’elle est composée. Donc, puisque Dieu est
suprêmement simple, il semble que les choses qui sont différentes de Lui ne
soient pas en Lui. |
[2555] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 3 arg. 2 Si dicas, quod non sunt
in eo per essentiam, sed per sui similitudinem: contra. Unaquaeque res verius est ubi est per suam essentiam,
quam ubi est per suam similitudinem: quia ibi non videtur esse nisi secundum
quid. Si igitur res in Deo non sunt nisi secundum sui similitudinem, videtur
quod verius et melius sint in seipsis quam in Deo: quod est contra
Augustinum, lib. V Sup. Gen. Ad
litt., cap. XV, col. 332, et Anselmum , in Monol., cap. XXXIV,
col. 189. |
2. Si tu dis qu’elles ne
sont pas en Lui de par leur essence mais par leur ressemblance, je réponds
que chaque chose existe plus véritablement où elle se trouve de par son
essence qu'où elle se trouve par sa ressemblance car elle ne semble exister
là que sous un rapport partiel. Si donc les choses n’existent en Dieu que par
leur ressemblance, il semble qu’elles existent plus véritablement et mieus en
elles-mêmes qu’en Dieu, ce qui est contraire à ce que dit Saint-Augustin [V Sup. Gen. Ad litt., ch. XV, col. 332]
et Saint-Anselme [Monol. Ch. XXXIV,
col. 189]. |
[2556] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 3 arg. 3 Praeterea, similitudo respondet ei cujus est similitudo. Sed res
omnes non habent in se lucem et vitam. Cum igitur in Deo sint vita et lux,
videtur quod non sint in Deo per similitudinem. |
3. Par ailleurs, la similitude correspond à
ce dont elle est la similitude. Mais toutes les choses n’ont pas en elles la
lumière et la vie. Donc, puisqu’il y a en Dieu la lumière et la vie, il
semble que certaines choses ne soient pas en Dieu par leur ressemblance ou
similitude. |
[2557] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 3 arg. 4 Praeterea, ubi est res secundum sui similitudinem, ibi non
attribuitur sibi operatio propria sua: lapis enim in oculo non movetur
deorsum. Sed Act.
XVII, 28 dicitur, quod in ipso Deo
vivimus, movemur et sumus. Ergo videtur quod non sumus in Deo per
similitudinem tantum. |
4. Par ailleurs, là où la chose se trouve d’après sa similitude, on ne
lui attribue pas là son opération propre: en effet, ce n’est pas en tant
qu’elle existe dans l’oeil que la pierre se meut vers le bas. Mais l’Écriture
[Actes, XVII, 28] dit: C’est en Dieu
lui-même que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes. Il
semble donc que nous ne sommes pas en Dieu seulement par mode de similitude. |
[2558]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, similitudines rerum in
Dei scientia existentes, cum ad scientiam pertineant, Filio appropriantur.
Sed in ipso appropriatur in Littera
Spiritui sancto: per ipsum Filio, et ex ipso Patri. Ergo videtur quod non
dicantur res esse in Deo secundum similitudinem. |
5. Par ailleurs, les
similitudes des choses qui existent dans la science de Dieu, puisqu’elles se
rapportent à la science, sont appropriées au Fils. Mais dans la Lettre elles lui sont appropriées dans
l’Esprit-Saint, par le Fils et à partir du Père. Il semble donc qu’on ne dise
pas des choses qu’elles existent en Dieu d’après la similitude. |
[2559]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan.
1, 3: Quod factum est in ipso vita erat. |
Cependant: 1. Ce n’est pas là ce que nous dit l’Écriture [Jean, 1, 3]: Ce qui a été
fait avait la vie en Lui. |
[2560]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod haec
praepositio « in » secundum quod diversis adjungitur, diversas
habitudines notat ; ut cum dicitur esse in toto, vel esse in loco, et
hujusmodi. Et ideo
sciendum, quod aliud est esse in scientia Dei, et aliud in Deo esse et aliud
esse in essentia divina |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que cette préposition ¨in¨, à savoir ¨en¨ ou ¨dans¨, selon qu’on la lie à
différentes choses, signifie différents rapports, comme lorsqu’on dit ¨être
dans un tout¨ ou ¨être dans un lieu¨, ou des expressions de la sorte. Et
c’est pourquoi il faut savoir que les expressions suivantes, à savoir ¨être
dans la science de Dieu¨, ¨être en Dieu¨ et ¨être dans l’essence divine¨
signifient différemment. |
Scientia enim nominat cognitionem
quamdam. Unde esse in scientia nihil aliud est quam per scientiam cognosci ;
et ideo omnia quae Deus scit, et bona et mala, in scientia ejus esse
dicuntur. Sed essentia significatur per modum formae vel naturae ; unde esse
in essentia divina nihil aliud est quam subsistere in natura divina, vel esse
idem naturae divinae ; et ideo creaturae non possunt dici in essentia divina
esse, sed tantum personae divinae et proprietates et attributa. |
En effet, la science signifie une certaine
connaissance. C’est pourquoi exister dans la science n’est rien d’autre que
d’être connu par mode de science ; et c’est pourquoi toutes les choses
que Dieu connaît, à la fois les bonnes et les mauvaises, on dit à leur sujet
qu’elles existent dans sa science. Mais l’essence est signifiée par mode de
forme ou de nature ; d’où exister dans l’essence divine n’est rien
d’autre que de subsister dans la nature divine ou d’avoir la même existence
que la nature divine ; et c’est pourquoi on ne peut dire des créatures
qu’elles existent dans la nature divine, mais seulement des personnes
divines, de leurs propriétés et de leurs attributs. |
Sed hoc nomen Deus significat rem
subsistentem, cujus est esse et operari ; unde esse in Deo potest intelligi
dupliciter: vel quod est in esse ipsius, et sic
creaturae non sunt in Deo ; vel quod subjacet operi ejus, sicut
dicimus opera, quorum domini sumus in nobis esse ; et per modum illum omnia
quae a Deo sunt, in eo esse dicuntur, non autem mala, quae ab ipso non sunt. |
Mais le nom ¨Dieu¨ signifie la réalité
subsistante, à laquelle il appartient d’exister et d’agir ; d’où exister
en Dieu peut s’entendre de deux manières : soit ce qui est dans son
existence et en ce sens les créatures n’existent pas en Dieu ; soit ce
qui est soumis à son opération, tout comme nous disons que les œuvres dont
nous sommes les maîtres sont en nous ; et de cette manière on dit de
toutes les choses qui viennent de Dieu qu’elles existent en Lui, mais non pas
les maux qui ne viennent pas de Lui. |
Et ita patet quod tria praedicta se
habent secundum quemdam ordinem. Quidquid enim est in essentia divina, est in
Deo, quasi pertinens ad esse ipsius ; sed non convertitur ; sicut ea quae
subjacent operi ejus, in ipso sunt, sed non in essentia ejus ; et similiter
quidquid est in Deo, est in scientia ejus ; sed non convertitur, ut patet de
malis. |
Et ainsi il est clair que les trois
expressions qui précèdent se présentent selon un ordre. En effet, tout ce qui
est dans l’essence divine est en Dieu comme appartenant à son existence, mais
non inversement ; par exemple les choses qui sont soumises à son
opération sont en lui mais non dans son essence ; et semblablement tout
ce qui est en Dieu est dans sa science mais non inversement comme on le voit
pour les maux. |
[2561] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in Deo nihil est diversum ab ipso ;
unde et creaturae, secundum hoc quod in Deo sunt, non sunt aliud a Deo: quia
creaturae in Deo sunt causatrix essentia, ut dicit Anselmus ; sunt enim in
Deo per suam similitudinem: ipsa autem essentia divina similitudo est omnium
eorum quae a Deo sunt. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’en Dieu rien n’est autre que Lui ; d’où il suit que les
créatures, selon qu’elles existent en Dieu, ne sont pas autres que Lui :
car les créatures, selon qu’elles existent en Dieu, sont l’essence causatrice,
comme le dit Saint-Anselme : elles sont en effet en Dieu par mode de
similitude : en effet l’essence divine elle-même est la similitude de
tous les êtres qui viennent de Dieu. |
[2562] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse creaturae potest quadrupliciter
considerari: primo modo, secundum quod est in
propria natura ; secundo modo, prout est in cognitione nostra
; tertio modo, prout est in Deo ; quarto modo communiter, prout
abstrahit ab omnibus his. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que
l’existence de la créature peut se considérer de quatre manières :
premièrement selon qu’elle existe dans sa nature propre ; deuxièmement
selon qu’elle existe dans notre connaissance ; troisièmement selon
qu’elle existe en Dieu ; quatrièmement
dans l’universel, selon qu’elle fait abstraction de tous ces cas. |
Cum ergo dicitur quod creatura verius
esse habet in Deo quam in seipsa, comparatur primum et tertium esse respectu
quarti: quia omnis comparatio est respectu alicuius [alicuius Éd. de Parme] communis ; et pro tanto
dicitur quod in Deo habet verius esse, quia omne quod est in aliquo, est in
eo per modum ejus in quo est, et non per modum sui ; unde in Deo est per esse
increatum, in se autem est per esse creatum, in quo minus est de veritate
essendi quam in esse increato. |
Donc lorsqu’on dit que la créature existe
plus véritablement en Dieu qu’en elle-même, on compare la première et la
troisième existence par rapport à la quatrième : car toute comparaison
se fait par rapport à quelque [quelque Éd.
de Parme] chose de commun ; et on dit qu’elle possède une existence
plus véritable en Dieu pour autant que tout être qui existe dans un autre
existe en lui selon le mode de celui dans lequel il existe et non a sa
manière propre d’exister ; d’où il existe en Dieu par une existence
incréée et en lui par une existence créée dans laquelle il y a moins de
vérité d’existence que dans l’existence incréée. |
Si autem comparetur esse primum ad secundum
respectu quarti, inveniuntur se habere secundum excedentia et excessa ; esse
enim quod est in propria natura rei, in eo quod est substantiale, excedit
esse rei in anima quod est accidentale ; sed exceditur ab eo, secundum quod
hoc est esse materiale, et illud intellectuale ; et ita patet quod aliquando
res verius esse habet ubi est per suam similitudinem quam in seipsa. |
Mais si on compare la première existence à
la deuxième par rapport à la quatrième, elles se présentent selon l’excès et
le défaut ; en effet, l’existence qui est dans la nature propre de la
chose, en ceci qu’elle est substantielle, dépasse l’existence de la chose qui
est dans l’âme, laquelle est accidentelle ; mais elle est dépassée par
elle selon ceci que la première est matérielle alors que la deuxième est
intellectuelle ; et ainsi il est clair que parfois la chose possède une
existence plus véritable où elle existe par sa ressemblance que là où elle
existe en elle-même. |
[2563]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similitudo
rei quae est in anima, dupliciter consideratur: vel secundum quod est similitudo rei,
et sic nihil attribuitur sibi nisi quod in re invenitur: aut secundum esse quod habet in anima,
et sic attribuitur sibi intelligibilitas vel universalitas ; sicut etiam
patet in imagine corporali, cui convenit esse lapideum ex parte ejus in quo
est, et non ex parte ejus cujus est similitudo. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
similitude de la chose qui est dans l’âme s’entend de deux manières :
soit selon qu’elle est une similitude de la chose et ainsi on ne lui attribue
rien, sauf ce qui se retrouve dans la chose ; soit selon l’existence
qu’elle a dans l’âme et ainsi on lui attribue l’intelligibilité et
l’universalité, tout comme on le voit aussi dans l’image corporelle à
laquelle il convient d’être une pierre du côté de ce en quoi elle existe et
non du côté de ce dont elle est une similitude |
Similiter dico, quod similitudini
rerum quae est in Deo, convenit esse vitam et lucem, non secundum hoc quod
similitudo rei est, sed secundum quod est in Deo ; et dicitur vita inquantum
est principium operationis ad esse rerum ; sicut etiam dicitur a Philosopho,
in VIII Physic., text. 1, quod
motus caeli est ut vita quaedam natura existentibus omnibus ; sed inquantum
est principium cognitionis rerum, dicitur lux. Vel aliter potest dici, quod
similitudo rei quae in anima est, dicitur vita inquantum est ut forma quaedam
et perfectio intellectus ; et lux, inquantum est principium intellectualis
operationis: et per talem similitudinem dicuntur etiam in Deo res esse vita
et lux: sunt enim in eo sicut artificiata in artifice per suas similitudines. |
Je dis semblablement qu’à la similitude des
choses qui est en Dieu, il convient d’être vie et lumière, non pas en tant
qu’elle est une similitude de la chose, mais en tant qu’elle existe en
Dieu ; et on dit de cette similitude qu’elle est vie en tant qu’elle est
principe d’opération en vue de l’existence des choses ; tout comme le
Philosophe [ VIII Physique, texte 1] dit encore que la nature du mouvement du
ciel est comme une certaine vie pour tout ce qui existe, mais en tant qu’il
est principe de connaissance, on dit de lui qu’il est une lumière. Ou bien on
pourrait dire autrement que la similitude de la chose qui est dans l’âme est
appelée vie en tant qu’elle est comme une certaine forme et la perfection de
l’intelligence ; et on pourrait aussi dire d’elle qu’elle est lumière en
tant qu’elle est principe de l’opération intellectuelle : et c’est par
une telle similitude qu’on dit aussi des choses qu’elles existent en Dieu
comme vie et lumière : elles existent en effet en lui comme les œuvres
d’art existent dans l’artiste par leurs similitudes. |
[2564] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod esse et vivere et moveri, non
attribuuntur rebus in Deo existentibus secundum esse quod in ipso habent, sed
secundum esse quod in seipsis habent a Deo, ut esse pertineat ad essentiam,
vivere ad virtutem, et moveri ad operationem ; vel vivere ad animam, moveri
ad corpus, et esse ad utrumque: et sic res in propria natura existentes
dicuntur esse in Deo, secundum quod esse earum a Deo continetur ; et sic de
aliis, scilicet de motu et vita. |
4. Il faut dire en quatrième lieu
qu’exister, vivre et se mouvoir ne s’attribuent pas aux choses qui existent
en Dieu d’après l’existence qu’elles ont en Lui, mais d’après l’existence
qu’elles tiennent de Dieu et qu’elles ont en elles-mêmes, de sorte qu’exister
se rapporte à l’essence, vivre à la puissance et se mouvoir à l’opération ;
ou bien encore de telle sorte que vivre se rapporte à l’âme, se mouvoir au
corps et exister aux deux : et ainsi on peut dire que les choses
existent en Dieu dans leur nature propre selon que leur existence est
contenue en Dieu ; et il en est de même du reste, à savoir du mouvement
et de la vie. |
[2565] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1
a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod similitudo rei quae est in Deo non est
accepta a re, sed est causa rei ; unde quidquid est in eo per sui
similitudinem, est in eo sicut in principio operante et conservante. Operatio
autem et conservatio rerum a Deo completur per voluntatem et bonitatem ejus:
quia voluntas inter tria, scilicet scientiam, potentiam, et voluntatem,
proximius est ad opus: et ideo « in ipso » appropriatur Spiritui
sancto, qui procedit per modum voluntatis, et cui bonitas appropriatur ; cum
haec praepositio « in » dicat habitudinem ad continens et
conservans. Sed per ipsum appropriatur Filio ; quia
« per » denotat causam formalem ; et ars, per quam sicut per formam
operatur artifex, Filio appropriatur. « Ex ipso » autem propter habitudinem principii,
quam importat haec praepositio « ex », appropriatur Patri, qui est
principium non de principio. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que la
similitude de la chose qui est en Dieu n’est pas tirée de la chose elle-même,
mais elle en est plutôt la cause ; d’où tout ce qui existe en Dieu par
sa similitude est en Lui comme dans le principe qui opère et conserve. Mais
l’opération et la conservation des choses par Dieu sont accomplies par sa
volonté et sa bonté : car la volonté, parmi ces trois dimensions, à
savoir la science, la puissance et la volonté, est la plus proche de
l’œuvre : et c’est pourquoi ¨en lui¨ elle est appropriée à
l’Esprit-Saint qui procède par mode de volonté et auquel la bonté est
appropriée, puisque cette préposition ¨in¨, à savoir ¨dans¨ signifie un
rapport à ce qui contient et qui conserve. Mais ¨per ipsum¨, à savoir ¨par
lui¨ est approprié au Fils parce que ¨per¨, à savoir ¨par¨ indique une cause formelle ;
et l’art, par lequel opère l’artiste comme par une forme, est approprié au
Fils. Mais ¨ex ipso¨, à savoir ¨À partir de lui¨ , à cause du rapport de
principe qu’implique cette préposition ¨ex¨, à savoir ¨à partir de¨, est
attribué au Père qui est un principe sans principe. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [Les idées de Dieu] |
[2566] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
pr. Deinde quaeritur de ideis ; et circa hoc tria quaeruntur. Et
1 an ideae sint ; 2 de pluralitate idearum ; 3
utrum ideae omnium in Deo sint. |
On porte ensuite la recherche
sur les idées; et à ce sujet on pose trois questions: 1. Les idées existent-elles? 2. Y a-t-il plusieurs idées? 3. Y a-t-il en Dieu les idées de tout ce qui existe? |
|
|
Articulus 1 [2567] Super Sent., lib. 1
d. 36 q. 2 a. 1 tit. Quid nomine ideae importetur |
Article 1 – Qu’est-ce qui est impliqué par le nom d’idée ? |
[2568]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
ideas non esse. Sicut enim dicit Philosophus, in I Metaph., text. 32,
« dicere ideas exemplaria esse vaniloquium est, et poeticas metaphoras
dicere ». Sed ideas exemplaria rerum dicimus. Ergo vanum est
ideas dicere. |
Difficultés : 1. Il semble que les Idées
n’existent pas. Comme le dit en effet le Philosophe [1 Métaphysique, texte 32] : «Dire que les Idées sont des modèles, c’est du bavardage et faire des
métaphores à la manière des poètes». Mais nous parlons des Idées à titre
de modèles des choses. Il est donc vain de parler d’Idées. |
[2569] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 1 arg. 2 Praeterea, perfectius est agens quod non eget in sua actione ad
exemplar respicere, quam quod exemplari indiget. Sed Deus est perfectissimum
[perfectum Éd. de Parme] agens.
Ergo non est sibi opus ideis, ad quarum exemplar faciat res ; unde ibidem Philosophus
subdit: « Nam quid est opus ad ideas respicere ? » |
2. Par ailleurs, l’agent qui dans son action
n’a pas besoin de se tourner vers un modèle est plus parfait que celui qui a
besoin d’un modèle. Mais Dieu est l’agent le plus parfait [parfait Éd. de
Parme]. Il n’a donc pas besoin des Idées d’après le modèle desquelles il
ferait les choses ; d’où le Philosophe ajoute au même endroit :
«Car quelle est la nécessité de se tourner vers les Idées ?». |
[2570]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum,
melius scitur res per essentiam suam quam per similitudinem suam. Sed Deus nobilissime cognoscit res.
Ergo scit eas per essentias earum, et non per aliquas similitudines ideales
rerum. |
3. Par ailleurs, d’après Saint-Augustin, la
chose est mieux connue par son essence que par sa similitude. Mais Dieu
connaît les choses de la manière la plus élevée. Il les connaît donc par
leurs essences et non par des similitudes idéales des choses. |
[2571] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis cognitio quae est per medium, videtur esse
collativa, et discursum habere de uno in aliud. Sed Deus cognoscit simplici
intuitu sine discursu et collatione. Ergo videtur quod non cognoscat res
mediantibus ideis. |
4. Par ailleurs, toute connaissance qui
passe par un intermédiaire semble être comparative et tenir un discours d’un
point à un autre. Mais Dieu connaît par une considération simple et sans
discours et comparaison. Il semble donc qu’il ne connaisse pas les choses par
des idées intermédiaires. |
[2572] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicit Augustinus, lib. LXXXIII quaest. q. XLVI : « Qui
negat ideas esse, negat Filium esse ». Sed hoc est haereticum. Ergo et
primum. |
Cependant : 1. Saint-Augustin [Livre
des Quatre-vingt-trois Questions, quest. XLVI] : «Qui nie l’existence des Idées nie que le Fils existe». Mais cela
est hérétique. Donc les Idées existent. |
[2573]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Commentator dicit in
XI Metaph. quod sicut omnes formae
sunt in potentia in prima materia, ita sunt in actu in primo motore. Sed
nihil aliud dicimus ideas, nisi formas rerum in Deo existentes. Ergo verum est ideas esse. |
2. Par ailleurs, le Commentateur [XI Métaphysique] dit que comme toutes les
formes sont en puissance dans la matière première, de même elles sont en acte
dans le premier moteur. Mais nous disons que les Idées ne sont rien d’autre
que les formes des choses qui existent en Dieu. Il est donc vrai que les
Idées existent. |
[2574]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut
formae artificiales habent duplex esse, unum in actu secundum quod sunt in
materia, aliud in potentia secundum quod sunt in mente artificis, non quidem
in potentia passiva, sed activa ; ita etiam formae materiales habent duplex
esse, ut dicit Commentator in XI Metaph., text. com. 18 : unum in actu
secundum quod in rebus sunt ; et aliud in potentia activa secundum quod sunt
in motoribus orbium, ut ipse ponit, et praecipue in primo motore, loco cujus
nos in Deo dicimus. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que tout comme les formes articifielles ont
deux existences, la première en acte selon qu’elles existent dans une matière
et la deuxième en puissance selon qu’elles existent dans l’esprit de
l’artiste, non pas d’une puissance passive mais d’une puissance active, de
même encore les formes matérielles ont deux existences comme le dit le
Commentateur [XI Métaphysique,
texte com. 18]: une en acte selon qu’elles existent dans les choses et
l’autre en puissance active selon qu’elles existent dans les moteurs de
l’univers, comme lui-même l’affirme, et surtout dans le premier moteur; mais
au lieu de cela nous disons qu’elles sont en Dieu. |
Unde
apud omnes philosophos communiter dicitur quod omnia sunt in mente Dei, sicut
artificiata in mente artificis ; et ideo formas rerum in Deo existentes ideas
dicimus, quae sunt sicut formae operativae. |
Il suit de là qu’on dit
communément chez tous les philosophes que tous les êtres existent dans l’Esprit
de Dieu comme les choses artificielles existent dans l’intelligence de
l’artiste; et c’est pourquoi nous appelons ¨Idées¨ les formes des choses qui
existent en Dieu, lesquelles sont comme les formes qui servent de modèles à
l’opération. |
Unde dicit Dionysius loquens de ideis,
in V cap. De div.nom., § 8, col. 823, « Exemplaria dicimus substantificas rationes existentium in Deo
uniformiter praeexistentes, quas theologia praedefinitiones vocat, et divinas
et bonas voluntates existentium praedeterminativas et productivas ».
Per ideas tamen Deus non tantum practicam sed speculativam cognitionem de
rebus habet, cum non solum cognoscat res secundum hoc quod ab ipso exeunt,
sed etiam secundum quod in propria natura subsistunt. |
D’où Denys, en parlant des Idées [Les Noms Divins, ch. V, & 8, col.
823], dit ceci : «Nous appelons
¨modèles¨ les notions formatrices des substances qui préexistent dans la
simplicité de Dieu et que la théologie appelle les prédéterminations et les
bonnes et divines volontés qui produisent et déterminent à l’avance les êtres».
Cependant par les Idées Dieu ne possède pas seulement une connaissance
pratique des choses mais aussi une connaissance spéculative car il en connaît
pas seulement les choses selon qu’elles procèdent de lui mais aussi selon
qu’elles subsistent dans leur nature propre. |
Idea enim dicitur ab eidos, quod est
forma ; unde nomen ideae, quantum ad proprietatem nominis, aequaliter se
habet ad practicam et speculativam cognitionem ; forma enim rei in intellectu
existens, utriusque cognitionis principium est. Quamvis enim secundum usum
loquentium idea sumatur pro forma quae est principium practicae cognitionis,
secundum quod ideas exemplares rerum formas nominamus ; tamen etiam
principium speculativae cognitionis est, secundum quod ideas contemplantes
formas rerum nominamus. |
Le terme ¨idée¨ vient en effet du terme grec
¨eidos¨ qui signifie la forme ; d’où le nom d’idée, quant à la propriété
du nom, se rapporte également à la connaissance pratique et à la connaissance
spéculative ; en effet, la forme de la chose qui existe dans
l’intelligence est le principe des deux sortes de connaissances. En effet,
bien que selon l’usage du langage le terme ¨idée¨ se prend pour la forme qui
est le principe de la connaissance pratique selon que nous appelons ¨idées¨
les formes qui sont les modèles des choses, cependant l’idée est aussi le
principe de la connaissance spéculative selon que nous disons des formes
contemplatives des choses qu’elles sont des idées. |
[2575] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dicit Commentator in XI
Metaph., text. com. 4, Plato et alii antiqui philosophi, quasi ab ipsa
veritate coacti, tendebant in illud quod postmodum Aristoteles expressit,
quamvis non pervenerint in ipsum: et ideo Plato ponens ideas, ad hoc
tendebat, secundum quod et Aristoteles posuit, scilicet eas esse in
intellectu divino ; unde hoc improbare Philosophus non intendit ; sed
secundum modum quo Plato posuit formas naturales per se existentes sine
materia esse. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que tout comme le dit le Commentateur [XI Métaphysique, texte
com. 4], Platon et les autres anciens philosophes, comme poussés par la
vérité elle-même, tendaient vers ce qu’Aristote a exprimé clairement par la
suite, bien qu’ils n’y parvinrent pas : et c’est pourquoi Platon, en
affirmant l’existence des Idées, tendait vers ce qu’Aristote a établi, à
savoir que les Idées existent dans l’Intellect divin ; d’où le
Philosophe ne chercha pas à réfuter cela, mais seulement la manière par
laquelle Platon soutint que les formes naturelles existent par elles-mêmes et
sans matière. |
[2576] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si Deus indigeret respicere in aliquod
exemplar extra se, esset imperfectum agens ; sed hoc non contingit, si
essentia sua exemplar omnium rerum ponatur: quia sic intuendo essentiam suam,
omnia producit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qui si Dieu
avait besoin de se rapporter à un modèle en dehors de Lui, il serait un agent
imparfait ; mais cela n’est pas possible si on affirme que son essence
est le modèle de toutes les choses : car de cette manière, en
considérant son essence il produit tous les êtres. |
[2577] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oportet illud per quod est cognitio rei,
esse unitum cognoscenti ; unde essentia rerum creatarum, cum sit separata a
Deo, non potest esse medium cognoscendi ipsas res a Deo ; sed cognoscit eas
nobiliori medio, scilicet per essentiam suam ; et ideo perfectius cognoscit
et nobiliori modo ; quia sic nihil nisi essentia ejus est principium suae
cognitionis. Oporteret enim quod esset aliud, si per essentiam rerum quasi
per medium cognosceret res, cum medium cognoscendi sit cognitionis
principium. |
3. Il faut dire en troisième lieu que ce par
quoi la chose soit uni à celui qui connaît ; d’où il résulte que
l’essence des choses créées, puisqu’elle est séparée de Dieu, ne peut être le
moyen par lequel Dieu connaît les choses elles-mêmes ; mais il les connaît
par un moyen plus élevé, à savoir par son essence ; et c’est pourquoi il
les connaît d’une manière plus parfaite et plus élevée car ainsi il n’y a que
son essence qui soit le principe de sa connaissance. Il faudrait en effet
qu’il y ait autre chose comme principe de sa connaissance s’il connaissait
les choses comme au moyen de l’essence des choses créées car le moyen de
connaître est un principe de connaissance. |
[2578] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cognitio discursiva est quando ex prius
notis in ignotum devenitur, et non quando per similitudinem rei apprehenditur
res ipsa: quia sic etiam oculus videns lapidem, haberet cognitionem
collativam de ipso: et ideo quamvis Deus sciat res per similitudinem quae in
ipso est, sicut per medium, et quamvis cognoscat etiam ordinem rerum, non
tamen habet discursivam scientiam, quia omnia simul intuetur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il y a
connaissance discursive quand on en vient à ce qu’on ignorait à partir de ce
qu’on connaît avant et non pas quand la chose elle-même est appréhendée au
moyen de la similitude de la chose : car ainsi, en voyant la pierre,
l’œil aurait aussi une connaissance comparative de la pierre : et c’est
pourquoi, bien que Dieu connaisse les choses par la similitude qui est en Lui
comme par un moyen et bien qu’il connaisse aussi l’ordre des choses,
cependant il n’en a pas une connaissance discursive car il considère toutes
les choses simultanément. |
|
|
Articulus 2 [2579] Super Sent., lib. 1
d. 36 q. 2 a. 2 tit. Utrum ideae sint plures |
Article 2 – Y a-t-il plusieurs idées ? |
[2580]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sint plures ideae.
Idea enim dicitur similitudo, per quam cognoscitur res. Sed sicut supra
habitum est, Deus cognoscit omnia per essentiam suam. Cum
igitur essentia sua sit una, videtur quod idea sit tantum una. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il n’y ait
pas plusieurs Idées. On appelle en effet ¨idée¨ la similitude par laquelle la
chose est connue. Mais comme nous l’avons établi plus haut, Dieu connaît
toutes les choses par son essence. Donc, puisque son essence est une, il
semble qu’il ne doive y avoir qu’une seule idée. |
[2581] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 2 arg. 2 Si dicas, quod sunt plures
propter respectus diversos ad res ; contra.
Relationes quae sunt Dei ad creaturam, sunt realiter in creaturis, et
non in Deo. Creaturae autem non fuerunt ab aeterno: ergo nec relationes Dei
ad creaturam. Ergo ideae
non fuerunt plures ab aeterno. Sed Deus non alio modo cognoscit res factas
quam antequam faceret, ut habitum est ex verbis Augustini, lib. V Super Gen. Ad litt., cap. XV ; col.
332. Ergo modo non cognoscit res per plures ideas, sed per unam tantum. |
2. Si tu dis qu’il y a plusieurs Idées à cause des différents rapports
de l’essence divine à différentes choses, je réponds au contraire que les
relations de Dieu à la créature existent réellement dans les creatures et non
en Dieu. Mais les creatures n’ont pas existé de toute éternité: il en est donc
de même pour les relations de Dieu à la créature. Donc les Idées n’ont pas
multiples de toute éternité. Mais Dieu ne connaît pas les choses faites d’une
manière qui est autre qu’avant qu’il les fit ainsi que nous l’avons établi à
partir des paroles de Saint-Augustin [V Super
Gen. Ad litt., ch. XV, col. 332]. Donc il ne connaît pas les choses par
plusieurs Idées mais par une seule. |
[2582]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, ut dictum est, idea se
habet ad rem cujus est, sicut forma artis, quae est in mente artificis, ad
artificiatum. Sed
diversitas artificiatorum provenit ex pluralitate formarum quae sunt in mente
artificis, et non e contrario. Ergo videtur quod nec diversitas rerum
possit inducere pluralitatem idearum. |
3. Par ailleurs, ainsi que nous
l’avons dit, l’Idée se rapporte à la chose dont elle est l’Idée comme la
forme de l’art qui est dans l’esprit de l’artiste se rapporte à l’oeuvre
d’art. Mais la diversité des oeuvres d’art provident de la multiplicité des
formes qui existent dans l’esprit de l’artiste et non inversement. Il semble
donc qu’on ne puisse déduire la multiplicité des Idées de la diversité des
choses. |
[2583]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut idea dicitur
relative ad ideatum, ita et scientia dicitur per respectum ad scibile. Sed quamvis sint plura scita a Deo,
tamen est una ejus scientia. Ergo rerum omnium quae ab ipso
producuntur, est una tantum idea. |
4. Par ailleurs, tout comme
l’Idée se dit relativement à ce dont elle est l’Idée, de même la science se
dit relativement à l’objet de science. Mais bien qu’il y ait plusieurs objets
connus par Dieu, cependant Il ne possède qu’une seule science. Il ne possède
donc qu’une seule Idée de toutes les choses produites par Lui. |
[2584] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 2 s. c. 1 Sed contra, illud in quo non est pluralitas aliqua, non potest
pluraliter consignificari. Sed Augustinus,lib. LXXXXIII Quaestion., quaest. XLVI, col. 30, pluraliter ideas
nominat, dicens, quod ideae sunt rationes rerum stabiles, in mente divina
existentes ; et cum ipsae nec oriantur nec intereant, secundum eas tamen fit
omne quod interit et oritur. Ergo ideae sunt plures. |
Cependant : Ce en quoi il n’y a aucune
pluralité ne peut être signifié par la pluralité. Mais Saint-Augustin [Livre des Quatre-vingt-trois Questions,
quest. XLVI, col. 30] nomme plusieurs Idées lorsqu’il dit : «Les Idées
sont comme les formes premières et immuables des choses qui existent dans
l’Esprit divin ; et bien qu’elles-mêmes ne commencent ni ne finissent,
c’est d’après elles cependant qu’est formé tout ce qui commence et finit. Il
y a donc une multiplicité d’Idées. |
[2585]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Damascenum,
lib. III Fid. Orth., cap. VIII,
col. 1014, differentia est causa numeri. Sed, secundum Augustinum, lib. LXXXXIII Quaestion.,loc. cit., Deus
alia ratione creavit hominem et equum. Ergo videtur quod sint plures rationes
ideales rerum in Deo. |
2. Par
ailleurs, d’après Damascène [111 De la
Foi Orthodoxe, ch. VIII, col.
1014], la différence est la cause du nombre. Mais d’après Saint-Augustin [Livre des Quatre-vingt-trois Questions,
ibid.], c’est par des formes autres que Dieu créa l’homme et le cheval.
Il semble donc qu’il y ait en Dieu plusieurs formes idéales des choses. |
[2586]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum Deus de
singulis rebus propriam cognitionem habeat, oportet quod essentia sua sit
similitudo singularium rerum, secundum quod diversae res diversimode et
particulariter ipsam imitantur secundum suam capacitatem, quamvis ipsa se
totam imitabilem praebeat ; sed quod perfecte non imitantur eam creaturae,
sed difformiter, hoc est ex earum diversitate et defectu, ut dicit Dionysius,
in II cap. De div. nom., § 6, col.
643. Unde
cum hoc nomen idea nominet essentiam divinam secundum quod est exemplar
imitatum a creatura, divina essentia erit propria idea istius rei secundum
determinatum imitationis modum. Et quia alio modo imitantur eam diversae
creaturae, ideo dicitur quod est alia idea vel ratio qua creatur homo et
equus ; et exinde sequitur quod secundum respectum ad plures res quae divinam
essentiam diversimode imitantur, sit pluralitas in ideis, quamvis essentia
imitata sit una: verbi gratia, sicut ex praedictis, dist. 2, quaest. 1, art. 3, patet, quidquid
perfectionis in rebus est, hoc totum Deo secundum unum et idem indivisibile
convenit, scilicet esse, vivere et intelligere et omnia hujusmodi. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque Dieu possède une connaissance propre des choses, il faut que son
essence soit une similitude des choses singulières selon que les différentes
choses l’imitent différemment et partiellement dans la mesure où elles le
peuvent bien qu’elle-même s’offre comme imitable dans sa totalité ; mais
si les créatures n’imitent pas l’essence de Dieu parfaitement mais
partiellement, cela vient de leur diversité et de leur manque comme le dit
Denys [Les Noms Divins, ch. 11,
& 6, col. 643]. Il résulte de là que
puisque le nom d’Idée signifie l’essence divine selon qu’elle est le modèle imité
par la créature, l’essence divine sera l’Idée propre de cette chose selon un
mode déterminé d’imitation. Et parce que différentes créatures l’imitent
d’une manière différente, c’est pourquoi on dit que l’Idée ou la forme par
laquelle l’homme est créé est autre que celle par laquelle le cheval est
créé ; et il suit de là que d’après le rapport à plusieurs choses qui
imitent différemment l’essence divine, il y ait pluralité d’Idées bien qu’il
n’y ait qu’une seule essence imitée : en d’autres mots, tout comme on le
voit par ce qui précède [dist. 2, quest. 1, art. 3], toutes les perfections
qu’on trouve dans les choses, à savoir l’existence, la vie et l’intelligence,
tout cela se retrouve en totalité en Dieu sous une seule et même forme
indivisible. |
Cum autem omnes creaturae imitentur
ipsam essentiam quantum ad esse, non tamen omnes quantum ad vivere: nec
iterum illa quae imitantur ipsam quantum ad esse, eodem modo esse
participant, cum quaedam aliis nobilius esse possideant: et ex hoc efficitur
alius respectus essentiae divinae ad ea quae habent tantum esse et ad ea quae
habent esse et vivere, et similiter ad ea quae diversimode esse habent ; et
ex hoc sunt plures rationes ideales, secundum quod Deus intelligit essentiam
suam ut imitabilem per hunc vel per illum modum. Ipsae enim rationes
imitationis intellectae, seu modi, sunt ideae ; idea enim, ut ex dictis
patet, art. praeced., nominat formam ut intellectam, et non prout est in
natura intelligentis. |
Mais puisque toutes les créatures imitent
l’essence divine quant à l’existence, mais non pas toutes quant à la
vie : et qu’en outre celles qui l’imitent quant à l’existence ne
participent pas de l’existence de la même manière puisque certaines possèdent
une existence plus noble et qu’on obtient de là un rapport de l’essence
divine aux créatures qui possèdent seulement l’existence qui est différent de
celui qu’elle a à l’égard de celles qui possèdent l’existence et la vie, et
qu’il en est de même pour celles qui possèdent différemment l’existence, il
suit de là qu’il existe plusieurs formes idéales selon lesquelles Dieu saisit
son essence comme imitable par telle ou telle autre modalité. En effet, les
formes mêmes d’imitation en tant que conçues, ou leurs modalités, sont les
Idées ; l’Idée en effet, comme on le voit en partant de ce qui a été
dit, nomme une forme en tant que connue par l’intelligence et non en tant
qu’elle existe dans la nature de celui qui pose l’acte d’intellection. |
[2587] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idea non nominat tantum essentiam,
sed essentiam imitabilem ; unde secundum quod est multiplex imitabilitas in
essentia divina, propter plenitudinem suae perfectionis, est pluralitas
idearum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ¨Idée¨ ne signifie pas seulement l’essence, mais l’essence
qui est imitable ; d’où, selon que l’imitabilité est multiple dans
l’essence divine en raison de la plénitude de sa perfection, il y a là une
multiplicité d’Idées. |
[2588] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis relationes quae sunt Dei ad
creaturam, realiter in creatura fundentur, tamen secundum rationem et
intellectum in Deo etiam sunt ; intellectum autem dico non tantum humanum sed
etiam angelicum et divinum ; et ideo quamvis creaturae ab aeterno non
fuerint, tamen intellectus divinus ab aeterno fuit intelligens essentiam suam
diversimode a creaturis imitabilem ; et propter hoc fuit ab aeterno
pluralitas idearum in intellectu divino, non in natura ipsius. Non enim eodem
modo est in Deo forma equi et vita ; quia forma equi non est in Deo nisi
sicut ratio intellecta ; sed ratio vitae in Deo est non tantum sicut
intellecta, sed etiam sicut in natura rei firmata. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
que les relations qui vont de Dieu à la créature se fondent réellement dans
la créature, cependant elles sont aussi en Dieu selon la raison et
l’intelligence ; par intelligence je n’entends pas seulement
l’intelligence humaine mais aussi celle des Anges et celle de Dieu ; et
c’est pourquoi, bien que les créatures n’ont pas existé de toute éternité,
cependant l’intelligence divine de toute éternité saisit son essence
diversement imitable par les créatures ; et pour cette raison il y a eu
de toute éternité une pluralité d’Idées dans l’intelligence de Dieu, non dans
sa nature. En effet, la forme du cheval et la vie n’existent pas de la même
manière en Dieu ; car la forme du cheval n’est en Dieu que comme une
notion saisie par l’intelligence ; mais la notion de la vie est en Dieu
non seulement en tant qu’objet saisi par l’intelligence, mais elle y est
aussi comme dans la nature ferme de la chose. |
[2589] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis pluralitas idearum attendatur
secundum respectus ad res ; non tamen pluralitas rerum est causa pluralitatis
idearum, sed e contrario ; non enim quia res diversimode imitatur divinam
essentiam, ideo intellectus ejus intuetur eam diversimode imitabilem, sed
potius e contrario. Intellectus enim divinus est causa rerum ; distinctio
autem idealium rationum est secundum operationem intellectus divini, prout
intelligit essentiam suam diversimode imitabilem a creaturis. |
3. Il faut dire en troisième lieu que bien
que la pluralité des Idées se vérifie selon le rapport aux choses, ce n’est
cependant pas la pluralité des choses qui est la cause de la pluralité des
Idées, mais c’est l’inverse qui est vrai ; en effet, ce n’est pas parce
que la chose imite différemment l’essence divine que pour cette raison son
intelligence la considère comme différemment imitable, mais c’est plutôt le
contraire qui est vrai. En effet, l’intelligence divine est la cause des
choses ; mais la distinction des formes idéales a pour cause l’opération
de l’intelligence divine en tant qu’il saisit son essence comme étant
différemment imitable par les créatures. |
[2590] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod essentia divina una est, et respectus
plures ; et ideo illud quod nominat tantum essentiam, non potest pluraliter
significari ; sicut est scientia, quae tenet se magis ex parte scientis, ut
forma ipsius. Ratio autem se tenet magis ex parte rei, ut consignificari et
significari pluraliter possit ; dicimus enim rationes plures. Idea autem
quasi medio modo se habet ; quia essentiam et rationem imitationis, quae est
secundum respectum, importat ; et ideo etsi inveniatur in nomine ideae
consignificata pluralitas, ut cum pluraliter profertur, raro tamen aut
nunquam invenitur significata per additionem termini numeralis, ut sic
dicantur plures ideae ; pluralitas enim exprimitur magis significando quam
consignificando. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu que l’essence divine est une et considère une pluralité de
rapports ; et c’est pourquoi ce qui signifie seulement l’essence ne peut
être signifié par la pluralité ; il en est ainsi pour la science,
laquelle se tient davantage du côté de celui qui sait en tant que forme de ce
dernier. Mais la raison se tient davantage du côté de la chose de manière à
pouvoir signifier et être signifié au pluriel ; nous disons en effet
qu’il y a plusieurs raisons. Mais l’Idée se présente comme d’une manière
intermédiaire car elle implique l’essence et la raison de l’imitation
qui a lieu selon le rapport considéré ; et c’est pourquoi, bien qu’on
retrouve dans le nom d’Idée une pluralité qui y est signifiée, comme
lorsqu’on parle au pluriel comme lorsqu’on dit qu’il y a plusieurs Idées,
rarement ou jamais cependant elle se trouve à être signifiée par l’ajout d’un
terme numérique ; en effet, la pluralité est davantage exprimée en
signifiant qu’en cosignifiant. |
|
|
Articulus 3 [2591] Super Sent., lib. 1
d. 36 q. 2 a. 3 tit. Utrum in Deo sint ideae omnium quae
cognoscit |
Article 3 – Y a-t-il en Dieu les idées de tout ce qu’il connaît ? |
[2592]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod non omnium quae cognoscit Deus, ideae in ipso sint. Mala enim cognoscit
Deus. Sed |
Difficultés: 1. Il semble qu’il n’y ait pas en Dieu des Idées de tout ce qu’il
connaît. En effet, Dieu connaît le mal. Mais l’Idée du mal ne peut être en
Lui puisque l’idée implique une imitation. En effet, une chose est mauvaise
du fait qu’elle s’écarte de l’imitation de Dieu. Il n’y a donc pas en Dieu
des Idées de toutes les choses puisqu’il existe plusieurs maux. |
[2593]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, idea nominat formam ;
dicitur enim ab eidos, quod est forma. Sed materiae primae non est aliqua
forma, sicut nec primus actus, qui est Deus, habet aliquam materiam ; alias
neutrum esset primum. Ergo
non omnium est idea in Deo. |
2. Par ailleurs, l’Idée signifie une
forme ; ce terme en effet vient du terme grec ¨eidos¨ qui veut dire
forme. Mais il n’existe aucune forme de la matière première tout comme l’acte
premier qui est Dieu ne possède aucune matière, autrement aucun des deux ne
serait premier. Il n’y a donc pas en Dieu une Idée de tout. |
[2594] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 3 arg. 3 Praeterea, Deus non tantum cognoscit universalia, sed etiam
particularia. Sed particularium inquantum hujusmodi, non videtur esse idea,
cum omnia singularia unius speciei in forma conveniant. Ergo non omnium
cognitorum a Deo est idea. |
3. Par ailleurs, Dieu connaît non seulement
les universels, mais aussi les particuliers. Mais il ne semble y avoir aucune
Idée des particuliers en tant que tels puisque tous les singuliers d’une même
espèce s’accordent dans une même forme. Il n’y a donc pas en Dieu une Idée
correspondant à chaque chose qu’il connaît. |
[2595] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2
a. 3 arg. 4 Praeterea, idea non est nisi alicujus quod eam per imitationem
participat. Sed accidentia cum non sint per se subsistentia, nihil
participant ; sed ipsa sunt participationes quaedam. Ergo cum
accidentia sint cognita a Deo sicut substantiae, videtur quod non omnium
cognitorum a Deo sit idea. |
4. Par ailleurs, il n’y a
d’Idée que pour celui qui en participe par imitation. Mais les accidents,
puisqu’ils ne subsistent pas par eux-mêmes, ne participent de rien mais ils
sont eux-mêmes des participations. Donc, puisque les accidents sont connus de
Dieu tout comme les substances, il semble qu’il n’y ait pas des Idées pour
tout ce qui est connu de Dieu. |
[2596]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omnis cognitio est
per speciem aliquam cogniti in cognoscente. Sed species rerum in Deo
existentes, ideae dicuntur. Ergo omnium cognitorum a Deo idea in ipso est. |
Cependant: Toute connaissance est réalisée par l’espèce de ce qui est connu qui
est présente dans celui qui connaît. Mais les espèces des choses qui existent
en Dieu s’appellent Idées. Il y a donc en Dieu une Idée pour chacune des
choses qu’il connaît. |
[2597]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut ex auctoritate Dionysii, cap.
V De div. nom., § 8, col. 823,
inducta patet, idea dicitur similitudo vel ratio rei in Deo existens,
secundum quod est productiva ipsius rei et praedeterminativa [determinativa Éd. de Parme] ; et ideo unumquodque,
secundum quod se habet ad hoc quod a Deo producatur, ita se habet ad hoc quod
ipsius idea sit in eo. Omne autem quod ab aliquo per se agente producitur,
oportet quod secundum hoc quod ab ipso effectu est, ipsum imitetur ; quia, ut
probat Philosophus, II De anima, text.
34, simile agit sibi simile, tam in his quae agunt per voluntatem quam
in his quae agunt per necessitatem. Unde secundum id quod aliquid a Deo
producitur, secundum hoc similitudinem in ipso habet, et secundum hoc est
idea ipsius in Deo, et secundum hoc a Deo cognoscitur ; et ideo cum omnis res
a Deo producatur, oportet omnium rerum ideas in ipso esse. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que tout comme on le voit par le témoignage
de Denys [Les Noms Divins ch. V,
& 8, col. 823] que nous avons présenté, l’Idée signifie une similitude ou
une notion de la chose qui existe en Dieu selon qu’elle est productrice de la
chose et qu’elle la prédétermine [détermine Éd. de Parme]; et c’est pourquoi chaque chose, selon qu’elle se
présente comme une production de Dieu, est telle qu’il y ait en Lui une Idée
de cette chose. Mais tout être qui est produit par un agent par soi doit
imiter cet agent dans la mesure où il est un effet qui en procède; car, ainsi
que le prouve le Philosophe [11 De
l’Âme, texte 34], le semblable entraîne le semblable, tant dans les êtres
qui agissent par volonté que dans ceux qui agissent par nécessité. D’où il
résulte que, en tant qu’une chose est produite par Dieu, de ce fait elle a en
Lui une similitude et du coup il y a en Dieu une Idée de cette chose et c’est
suivant cela qu’elle est connue de Dieu; et c’est pourquoi, puisque toute
chose est produite par Dieu, il doit y avoir en Lui les Idées de toutes les
choses. |
[2598]
Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod malum,
inquantum malum, nihil est, cum sit privatio quaedam, sicut caecitas ; et ideo
rei malae idea quidem in Deo est, non inquantum mala est, sed inquantum res
est ; et ipsum malum per oppositum bonum cognoscitur a Deo, a quo res
privationi subjecta deficit. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que le mal en tant que mal n’est
rien d’autre qu’une privation, par exemple la cécité; et c’est pourquoi il y
a certes en Dieu une Idée du mal de la chose, non pas en tant qu’elle est
mauvaise, mais en tant qu’elle est une chose; et le mal lui-même est connu de
Dieu par le bien oppose duquel s’écarte la chose sujette à la privation. |
[2599] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod cum materia prima a Deo sit, oportet ideam ejus
aliqualiter in Deo esse ; et sicut attribuitur sibi esse, ita attribuitur
sibi idea in Deo: quia omne esse, inquantum perfectum est, exemplariter
ductum est ab esse divino. Esse autem perfectum, materiae non convenit in se,
sed solum secundum quod est in composito ; in se vero habet esse imperfectum
secundum ultimum gradum essendi, qui est esse in potentia ; et ideo perfectam
rationem ideae non habet nisi secundum quod est in composito, quia sic sibi a
Deo esse perfectum confertur ; in se vero considerata, habet in Deo
imperfectam rationem ideae ; hoc est dictu, quia essentia divina est
imitabilis a composito secundum esse perfectum, a materia secundum esse
imperfectum, sed a privatione nullo modo. Et ideo compositum, secundum
rationem suae formae, habet perfecte ideam in Deo, materia vero imperfecte,
sed privatio nullo modo. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que puisque la matière première vient de Dieu, il faut qu’il y en ait en
quelque sorte une Idée en Dieu; et tout comme l’existence lui est attribuée,
il lui est ainsi attribuée une Idée en Dieu: car tout être, en tant qu’il est
parfait, est tire de l’existence divine comme d’un modèle. Mais l’existence
parfaite ne convient pas à la matière en elle-même mais seulement selon
qu’elle est dans le composé; en elle-même en effet elle possède une existence
imparfaite selon le dernier degré d’existence qui est l’être en puissance; et
c’est pourquoi la matière première ne possède la notion parfaite d’Idée que
selon qu’elle est dans le compose car c’est ainsi que lui est conférée par
Dieu une existence parfaite; mais considérée en elle-même, elle a en Dieu la
notion imparfaite d’Idée; et on dit cela parce que l’essence divine est
imitable par le compose selon une existence parfait, par la matière selon une
existence imparfaite mais par la privation en aucune manière. Et c’est
pourquoi le composé, sous le rapport de sa forme, possède parfaitement une
Idée en Dieu, la matière la possède imparfaitement et la privation
aucunement. |
[2600] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod particularia habent proprias ideas in Deo ; unde alia
est ratio Petri et Martini in Deo, sicut alia ratio hominis et equi. Sed
tamen diversimode [quia diversitas Éd.
de Parme] hominis et equi est secundum formam, cui perfecte respondet
idea: sed distinctio singularium unius speciei essentialis, est secundum
materiam, quae non perfecte habet ideam ; et ideo perfectior est distinctio
rationum respondentium diversis speciebus quam diversis individuis ; ita
tamen quod imperfectio referatur ad res imitantes, et non ad essentiam
divinam quam imitantur. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que les particuliers ont en Dieu leurs Idées propres. D’où il suit qu’en
Dieu la notion de Pierre est autre que celle de Martin, tout comme celle de
l’homme y est autre que celle du cheval. Mais cela se présente cependant différemment
[parce que la différence Éd. de Parme]
de l’homme et du cheval en est une de forme, à laquelle correspond
parfaitement l’Idée: mais la distinction des singuliers d’une même espèce
essentielle se présente selon la matière à laquelle ne correspond pas
parfaitement l’Idée; et c’est pourquoi la distinction des notions qui
correspondent à des espèces différentes est plus parfaite que celle des
notions qui correspondent à différents individus; de telle manière cependant
que l’imperfection se rapporte aux choses qui imitent et non à l’essence
divine qu’elles imitent. |
[2601] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod accidentia etiam perfectum esse non habent ; unde
deficiunt a perfectione ideae: propter quod etiam Plato non posuit ideas
accidentium, sed substantiarum tantum, ut 1 Metaph. Text.
45, dicitur. Tamen secundum quod esse habent per imitationem divinae
essentiae, sic essentia divina est eorum idea. Et sic patent omnia objecta,
et etiam dicta in Littera. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que les
accidents aussi ne possèdent pas une existence parfaite ; d’où ils
s’écartent de la perfection de l’Idée : et c’est pour cette raison aussi
que Platon ne soutint pas l’existence d’Idées pour les accidents, mais
seulement pour les substances comme le dit le Philosophe [1 Métaphysique, texte 45]. Cependant,
selon qu’ils possèdent une existence
par imitation de l’essence divine, en ce sens l’essence divine est
leur Idée. Et c’est ainsi qu’on voit les réponses à toutes les difficultés et
même à celles formulées dans la Lettre. |
|
|
Distinctio 37 |
Distinction 37 – [L’ubiquité de Dieu. La localisation et les mouvements des anges] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
|
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La présence de Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic est duplex quaestio. Primo quomodo Deus in omnibus rebus
sit. Secundo quomodo ubique sit. Circa primum quaeruntur duo: 1
utrum Deus sit in omnibus rebus ; 2 de diversitate modorum quibus in
rebus esse dicitur. |
On examine ici deux questions. Et en premier lieu,
comment Dieu est présent dans toutes les choses. Deuxièmement, comment
peut-on dire de Dieu qu’il est partout. Au sujet du premier point
on cherche à répondre à deux questions : 1. Est-ce que Dieu est
dans toutes les choses ? 2. De quelles manières
différentes dit-on de Lui qu’Il est dans les choses ? |
|
|
Articulus 1 [2603] Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus sit in rebus |
Article 1 – Dieu est-il dans les choses ? |
[2604]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum igitur sic proceditur. Videtur quod Deus in rebus non sit.
Inter causas enim illae solae rei intrinsecae sunt quae partes ejus sunt, ut
materia et forma ; non autem agens et finis. Sed Deus non est causa rerum ut
veniens in constitutionem ipsarum ; quia regit omnes res, praeterquam
commisceatur cum eis, ut dicitur Lib. de
Causis, propos. 20. Ergo Deus in rebus creatis non est. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne
soit pas dans les choses. En effet, parmi les causes d’une chose, seules sont
intrinsèques à la chose celles qui en sont les parties, comme la matière et
la forme, ce qui n’est pas le cas pour l’agent et la fin. Mais Dieu n’est pas
la cause des choses à titre de ce qui entre dans leur constitution ; car
il gouverne toutes les choses sans se mélanger à elles, comme on le dit dans
le livre des Causes, à la proposition 20. Dieu n’est donc pas dans les choses
créées. |
[2605]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, nobilius agens est hoc
quod potest producere effectum in absentia sua, quam quod non potest hoc
facere nisi per suam praesentiam. Deus autem est nobilissimum agens. Cum igitur inveniantur
quaedam agentia et secundum voluntatem et secundum naturam, quae in absentia
sui producunt effectus ; sicut sol in caelo existens, efficit calorem in
terra per emissionem virtutis suae, et rex aliquis per imperium suum multa
efficit ubi ipse non est praesens ; videtur quod multo fortius Deus in
absentia sui possit effectum producere ; et ita non oportet quod sit in rebus
quas condidit. |
2. Par ailleurs, l’agent qui peut produire
un effet en son absence est plus noble que celui qui ne peut le produire qu’en
sa présence. Mais Dieu est l’agent le plus noble. Donc, puisqu’on retrouve
certains agents qui produisent leurs effets en leur absence, soit par la
volonté soit par la nature, comme le Soleil qui est dans le ciel produit la
chaleur sur la Terre par l’émission de sa puissance et comme le roi qui par
ses ordres produit beaucoup de choses là où il n’est pas lui-même présent, il
semble qu’à plus forte raison Dieu en son absence puisse produire ses
effets ; et ainsi il n’est pas nécessaire qu’il soit dans les choses
qu’il a créées. |
[2606] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquod agens nobilius est, tanto nobiliorem
effectum producere potest. Sed perfectius est quod potest per se conservari
in esse absente sua causa quam quod non potest, sicut figura perfectius est
in cera in qua manet etiam sigillo amoto, quam in aqua ubi non manet in
absentia imprimentis. Cum igitur Deus sit perfectissimus agens, videtur quod
rebus quas condidit, contulerit hoc ut etiam in absentia suae causae
conservari possint in esse ; et ita ad conservationem rerum non exigitur quod
Deus in rebus sit. |
3. Par ailleurs, un agent
peut produire un effet d’autant plus noble qu’il est lui-même plus noble.
Mais ce qui peut par soi-même se conserver dans l’existence en l’absence de
sa cause est plus parfait que ce qui ne le peut pas, tout comme la figure qui
est dans la cire dans laquelle elle demeure même une fois qu’on a enlevé le
sceau est plus parfaite que la figure qui est dans l’eau dans laquelle elle
ne demeure pas en l’absence de celui qui la dessinait. Donc, puisque Dieu est
l’agent le plus parfait, il semble qu’il aura donné aux choses qu’il a créées
cela pour qu’elles puissent aussi se conserver dans l’existence en l’absence
de leur cause ; et ainsi il n’est pas nécessaire que Dieu soit dans les
choses pour que celles-ci se conservent. |
[2607] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 1 arg. 4 Praeterea, impossibile est quod duo agentia immediate operentur
eamdem rem, ita quod utrumque illorum perfecte operetur ; quia ad unum
operatum terminatur una operatio, quae exit ab uno operante. Sed singulae res
habent operationes proprias, ut dicit Damascenus, II de fide orth., cap. X, col. 907, quibus suos effectus peragunt. Ergo videtur quod Deus non
immediate sit operans quidquid in rebus efficitur ; et ita videtur quod non
in omnibus rebus sit. |
4. Par ailleurs, il est impossible que deux
agents opèrent immédiatement la même chose de telle manière que chacune
d’elles opère parfaitement ; car une même opération se termine à une
seule œuvre qui procède d’un seul et même agent. Mais les choses singulières
possèdent leurs opérations propres comme le dit Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. X, col. 907]
par lesquelles elles achèvent leurs effets. Il semble donc que Dieu n’opère
pas immédiatement tout ce qu’il produit dans les choses et ainsi il semble
qu’il ne soit pas dans toutes les choses. |
[2608]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, daemones res quaedam
sunt. Sed absurdissime
dicitur Deus in daemonibus esse. Ergo Deus non est in omnibus rebus. |
5. Par ailleurs, les démons sont des
réalités. Mais il est suprêmement ridicule de dire que Dieu est dans les
démons. Donc Dieu n’est pas dans toutes les choses. |
[2609]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Hierem. XXIII, 24:
« Numquid non caelum et terram ego
impleo ? » Sed per caelum et terram intelligitur omnis creatura, ut
patet ex principio Genesis. Ergo
Deus in omnibus creaturis est. |
Cependant : 1. L’Écriture [Jérémie, XXIII, 24] dit au
contraire : «Ne savez-vous pas que ma présence remplit le Ciel et la
Terre ?». Mais par ¨Ciel¨ et ¨Terre¨ on entend toute créature comme on
le voit au début de la Genèse.
Donc, Dieu est dans toutes les créatures. |
[2610]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 2 Hoc etiam videtur per hoc quod
habetur ad Hebr. 1, 3: « Portans
omnia verbo virtutis suae ». Non autem potest conservare res, nisi sit praesens eis. Ergo
videtur quod in omnibus rebus sit. |
2. C’est aussi ce qui semble se dégager de
ce qu’établit l’Apôtre [Épître aux
Hébreux, 1, 3] : «Il soutient
toutes les choses par la parole de sa puissance». Mais Dieu ne peut
conserver les choses que s’il leur est présent. Il semble donc que Dieu soit
dans toutes les choses. |
[2611]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Deus essentialiter in omnibus rebus
est, non tamen ita quod rebus commisceatur, quasi pars alicujus rei. Ad cujus
evidentiam oportet tria praenotare. Primo, quod movens et motum, [agens et
patiens add. Éd. de Parme], et
operans et operatum, oportet simul esse, ut in VII Physic., text. 20,
probatur. Sed hoc diversimode contingit in corporalibus et spiritualibus. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que Dieu est essentiellement dans toutes les choses, mais non pas de telle
manière qu’Il leur serait mélangé comme la partie d’une chose. Et pour le
montrer il faut noter à l’avance trois choses. En premier lieu que le
moteur et le mobile [l’agent et le patient add. Éd. de Parme], et que ce qui pose l’opération et l’œuvre qui
en procède existent simultanément, ainsi que le prouve le Philosophe [ VII Physique, texte 20]. Mais cela se
produit différemment dans les réalités corporelles et dans celles qui sont
spirituelles. |
Quia enim corpus per essentiam suam,
quae circumlimitata est terminis quantitatis, determinatum est ad situm
aliquem, non potest esse quod corpus movens et motum sint in eodem situ ;
unde oportet quod simul sint per contactum ; et sic virtute sua immutat
corpus quia [quod Éd. de Parme]
immediate sibi conjungitur, quod etiam immutatum aliud immutare potest, usque
ad aliquem terminum. ` |
En effet, parce que le corps, de par son
essence même est délimité par les termes de la quantité et qu’il est borné à
occuper un lieu déterminé, il n’est pas possible que le moteur et le mobile
soient dans le même lieu ; d’où il faut qu’ils soient simultanés par le
contact ; et ainsi c’est par sa puissance que le corps change car [ce
qui Éd. de Parme] lui est
immédiatement attaché, lequel encore, une fois changé, peut en changer un
autre, jusqu’à un certain terme. |
Spiritualis vero substantia, cujus
essentia omnino absoluta est a quantitate et situ, ac per hoc loco, non est
distincta ab eo quod movet per locum vel situm ; sed ubi est quod movetur,
ibi est ipsum movens ; sicut anima est in corpore, et sicut virtus movens
caelum dicitur esse in dextra parte orbis quem movet ; unde incipit motus, ut
habetur in VIII Physic. |
Mais la substance spirituelle, dont
l’essence est absolument libre de la quantité et d’une situation et par là du
lieu, n’est pas différente de ce qui meut par le lieu ou par la
situation ; mais là où est le mobile, là est le moteur lui-même, tout
comme l’âme est dans le corps et tout comme on dit que la puissance qui meut
le Ciel est à la droite de l’univers qu’elle meut, comme on l’établit au
huitième livre de la Physique. |
Secundum est, quod esse cujuslibet rei
et cujuslibet partis ejus est immediate a Deo, eo quod non ponimus, secundum
fidem, aliquem creare nisi Deum. Creare autem est dare esse. |
Le deuxième point est que l’existence de
toute chose et de chacune de ses parties vient immédiatement de Dieu du fait
que suivant notre foi, nous ne posons que Dieu comme créateur. Mais créer,
c’est donner l’existence. |
Tertium est, quod illud quod est causa
esse, non potest cessare ab operatione qua esse datur, quin ipsa res etiam
esse cesset. Sicut enim dicit Avicenna, lib. I Sufficientiae, cap. XI, haec est differentia inter agens divinum
et agens naturale, quod agens naturale est tantum causa motus, et agens
divinum est causa esse. |
Le troisième point est que ce qui est cause
de l’existence ne peut cesser l’opération par laquelle il donne l’existence
que si la chose elle-même cesse aussi d’exister. En effet, tout comme le dit
Avicenne [1 De la Suffisance, ch. XI],
telle est la différence entre l’agent divin et l’agent naturel que l’agent
naturel est seulement cause du mouvement alors que l’agent divin est cause de
l’existence. |
Unde, justa ipsum, qualibet causa
efficiente remota, removetur effectus suus, sed non esse rei ; et ideo remoto
aedificatore, non tollitur esse domus, cujus causa est gravitas lapidum quae
manet ; sed fieri domus cujus causa erat ; et similiter remota causa essendi,
tollitur esse. Unde dicit Gregorius, lib. XVI, Moral., c. XXXVII, col. 1143, quod omnia in nihilum deciderent,
nisi ea manus omnipotentis contineret. |
D’où il résulte que suivant l’agent naturel,
une fois enlevée la cause efficiente, son effet disparaît mais non
l’existence de la chose ; et c’est pourquoi, une fois parti le
constructeur, la maison ne perd pas son existence dont la cause est la
lourdeur des pierres qui demeure, mais c’est seulement le devenir de la
maison dont il était la cause qui cesse ; et de la même manière une fois
que la cause de l’existence se retire, l’existence cesse. D’où Saint-Grégoire
[XVI Les Choses Morales, ch. XXXVII,
col. 1143] dit que toutes les choses retrouneraient au néant si elles
n’étaient pas conservées dans la main du Tout-Puissant. |
Unde oportet quod operatio ipsius, qua
dat esse, non sit intercisa, sed continua ; unde dicitur Joan. 5, 17: Pater meus usque modo operatur, et ego
operor. Ex quibus omnibus aperte colligitur quod Deus est unicuique
intimus, sicut esse proprium rei est intimum ipsi rei, quae nec incipere nec
durare posset, nisi per operationem Dei, per quam suo operi conjungitur ut in
eo sit. |
D’où il faut que son opération, par laquelle
il donne l’existence, ne soit pas entrecoupée mais continue ; c’est
pourquoi l’Écriture [Jean, 5, 17]
dit : Mon Père est continuellement
à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre. À partir de tout cela on
comprend clairement que Dieu est intime à chacun, tout comme l’existence qui
est propre à chaque chose est intime à cette chose elle-même, laquelle ne
peut commencer et durer que par l’opération de Dieu, opération par laquelle
il est uni à son œuvre de manière à y être présent. |
[2612] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis essentia divina non sit
intrinseca rei quasi pars veniens in constitutionem ejus ; tamen est intra
rem quasi operans et agens esse uniuscujusque rei ; et hoc oportet in omni
agente incorporeo, ut ex praedictis patet, dist. 8, quaest. 1, art. 2. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que l’essence divine ne soit pas intrinsèque à la chose
comme une partie qui entrerait dans sa constitution, cependant elle est à
l’intérieur de la chose comme ce qui opère et produit l’existence de chaque
chose ; et il faut qu’il en soit ainsi pour tout agent incorporel ainsi
qu’on le voit dans ce qui précède [dist. 8, quest. 1, art. 2]. |
[2613] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod agit per suam absentiam, non
est causa proxima ejus quod fit, sed remota ; virtus enim solis primo
principaliter est [imprimitur Éd. de
Parme] in corpore sibi conjuncto, et sic deinceps usque ad ultimum ; et
haec virtus est lumen ejus per quod agit in his inferioribus, ut Avicenna, lib. cit., cap. 2, dicit. Similiter
patet quod rex praecipiens est causa prima: sed exequens praeceptum est causa
proxima et conjuncta. Deus autem immediate in omnibus
operatur ; unde oportet quod in omnibus sit. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que ce qui agit par son absence n’est pas la cause
prochaine de ce qui devient mais la cause éloignée ; en effet, la
puissance du Soleil est [est appliquée Éd.
de Parme] premièrement et principalement dans le corps qui lui est
rattaché et ainsi de suite jusqu’au dernier ; et cette puissance est sa
lumière par laquelle il agit sur ces corps inférieurs, comme le dit Avicenne
[œuvre citée, ch. 2]. De la même
manière il est clair que le roi qui commande est la cause première mais que
le commandement qui en sort est la cause prochaine et conjointe. Mais Dieu
opère immédiatement dans tous les êtres ; il s’ensuit donc qu’il doit
être présent dans tous les êtres. |
[2614] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut ex praedictis, in corp. art.,
patet, esse rei non potest conservari sine causa essendi, sicut nec motus
sine causa movente. Unde si sine aliquo agente esse rei conservetur, illud
agens non erit causa essendi, sed fiendi [fieri Éd. de Parme] tantum, sicut sigillum est causa figurae in cera ;
unde remoto sigillo remanet figura, sicut etiam de aedificatore dictum est ;
et hoc est agens imperfectum ; unde ratio procedit ex falsis. |
3. Il faut dire en troisième lieu que tout
comme on le voit par ce qui précède dans le corps de l’article, l’existence
de la chose ne peut être conservée sans la cause de l’existence, tout comme
le mouvement ne peut être conservé sans la cause du mouvement. D’où il suit
que si l’existence de la chose est conservée sans aucun agent, cet agent
n’est pas la cause de l’existence mais de ce qui devient [du devenir Éd. de Parme] seulement, tout comme le
sceau est la cause de la figure dans la cire ; et c’est pourquoi la
figure demeure une fois le sceau enlevé, tout comme nous l’avons dit aussi au
sujet du constructeur ; et ce sont là des agents imparfaits, d’où il
suit que l’argument procède de principes
faux. |
[2615] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod respectu ejusdem operationis non potest
esse duplex causa proxima eodem modo ; sed diversimode potest ; quod sic
patet. Operatio reducitur sicut in principium in duo ; in
ipsum agentem, et in virtutem agentis, qua mediante exit operatio ab agente.
Quanto autem agens est magis proximum et immediatum, tanto virtus ejus est
mediata, et primi agentis virtus est immediatissima ; quod sic patet in
terminis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu qu’il ne peut y avoir, selon la même modalité, deux causes prochaines
par rapport à la même operation, mais cela est possible par des modalités
différentes; ce qui devient clair de la manière suivante. L’opération se
ramène à deux choses comme à son principe, à savoir à l’agent lui-même et à
la puissance de l’agent par l’intermédiaire de laquelle l’opération procède
de l’agent. Mais la puissance de l’agent est d’autant plus médiate que
l’agent est plus prochain et immédiat et que la puissance du premier agent
est la plus immédiate; ce qui devient evident dans les termes qui suivent. |
Sint
A, B, C, tres causae ordinatae, ita quod C sit ultima, quae exercet
operationem ; constat tunc quod C exercet operationem per virtutem suam ; et
quod per virtutem suam hoc possit, hoc est per virtutem B, et ulterius per
virtutem A. Unde si quaeratur quare C operatur, respondetur per virtutem suam
; et quare per virtutem suam ; propter virtutem B ; et sic quousque reducatur
in virtutem causae primae in quam docet philosophus quaestiones resolvere in Posterioribus analyt., lib. II, text. 22 et in II Physic., text. 38 |
Soit les termes A, B et C qui sont trois
causes qui se suivent de telle manière que C soit la dernière qui exerce
l’opération ; il est clair alors que C exerce l’opération par sa
puissance ; et qu’il le puisse par sa puissance, cela est possible grâce
à la puissance de B et ultimement par la puissance de A. D’où il suit que si
on demande pourquoi C pose son opération, on répond par sa puissance ;
et pourquoi il le peut par sa puissance, on répond à cause de la puissance de
B et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on en vienne à la puissance de la
cause première dans laquelle les questions doivent être résolues comme
l’enseigne le Philosophe [11 Seconds
Analytiques, texte 22 et 11 Physique,
texte 38]. |
Et ita patet quod cum Deus sit prima
causa omnium, sua virtus est immediatissima omnibus. Sed quia ipsemet est sua
virtus, ideo non tantum est immediatum principium operationis in omnibus, sed
immediate in omnibus operans ; quod in aliis causis non contingit, quamvis
singulae res proprias operationes habeant quibus producunt suos effectus |
Et ainsi il est clair que puisque Dieu est
la cause première de tout ce qui existe, sa puissance est pour toutes les
choses la plus immédiate. Mais parce qu’il est lui-même sa propre vertu,
c’est pourquoi il n’est pas seulement le principe immédiat d’opération dans
toutes les choses, mais il l’est aussi de façon immédiate dans tous les
agents ; ce qui n’est pas possible dans les autres causes, bien que les
choses individuelles possèdent leurs opérations propres par lesquelles elles
produisent leurs effets. |
[2616] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est concedendum simpliciter quod Deus
sit in daemone, duabus de causis. Primo, quia daemon non nominat naturam
tantum, sed naturam deformatam ; cujus deformitatis Deus non est operator. Secundo, quia daemon nominat naturam
intellectualem ; unde cum dicitur, Deus est in daemone, intelligitur per
modum quo natura intellectualis ejus est capax, scilicet per gratiam. Unde
nec de homine peccatore simpliciter dicimus, Deus est in isto homine ; nisi
addatur, inquantum est creatura, vel per essentiam et praesentiam et
potentiam ; quo addito, dicitur etiam Deus in daemone esse. |
5. Il faut dire en cinquième lieu qu’il ne
faut pas concéder absolument que Dieu est dans le démon pour deux raisons. Premièrement parce que le
terme ¨démon¨ ne signifie pas seulement une nature, mais une nature déchue et
que Dieu n’est pas la cause de cette chute. En deuxième lieu parce que
ce même terme signifie une nature intellectuelle ; d’où il suit que
lorsqu’on dit que Dieu est dans le démon, cela s’entend de la manière par
laquelle sa nature intellectuelle est capable, c’est-à-dire par la grâce.
D’où on ne peut dire non plus absolument de l’homme pécheur que Dieu est en
lui, à moins d’ajouter qu’il y est, par son essence, sa présence et sa
puissance, en tant qu’il est une créature. Et ayant fait cet ajout, on peut
aussi dire de Dieu qu’il est dans le démon. |
|
|
Articulus 2 [2617] Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus sit in omnibus per
potentiam, praesentiam et essentiam ; in sanctis per gratiam, in Christo per
esse |
Article 2 – Dieu est-il en tout par puissance, présence et essence, dans les saints par grâce, dans le Christ par l’être ? |
[2618]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter assignentur
modi isti, quibus Deus in rebus esse dicitur. Cum enim dicimus Deum esse in
rebus, significamus qualiter Deus ad res se habeat. Sed Deus uno modo se
habet ad omnia, quamvis non omnia uno modo ad ipsum se habeant, ut dicit
Dionysius, III cap. de div. nom., §
1, col. 679. Ergo videtur quod non debeat esse nisi unus modus existendi Deum
in rebus. |
Difficultés : 1. Il semble que ces
modalités par lesquelles on dit que Dieu est dans les choses ne soit pas
justes. En effet, lorsqu’on dit que Dieu est dans les choses, nous signifions
de quelle manière Dieu se rapporte aux choses. Mais Dieu se rapporte à tout
d’une seule manière, bien que les choses ne se rapportent pas à Lui d’une
seule manière comme le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. 111, & 1, col. 679]. Il semble donc que Dieu ne
doive exister dans les choses que d’après une seule modalité. |
[2619] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 2 arg. 2 Si dicas, quod isti
modi diversificantur secundum diversas habitudines creaturae ad Deum. Contra, quilibet effectus in creatura
causat aliquam habitudinem creaturae ad Deum. Sed quasi infiniti sunt
effectus Dei in creaturis. Ergo infinitis modis dicetur Deus esse in
creaturis, et non quinque tantum. |
2. Si tu dis que ces
modalités se distinguent d’après les différents rapports des créatures à
Dieu, je dis par contre que tout effet dans la créature cause un rapport de
la créature à Dieu. Mais les effets de Dieu dans les créatures sont quasiment
infinis. On dira donc que Dieu est dans les créatures par des modalités
infinies et non pas seulement d’après cinq modalités. |
[2620]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ea secundum quae
diversimode creaturae ad Deum referuntur, non inveniuntur in omnibus
creaturis. Sed quidam istorum modorum conveniunt omni creaturae, scilicet per
essentiam, praesentiam et potentiam. Ergo videtur quod modi isti non
differant secundum diversam habitudinem creaturae ad Deum. |
3. Par ailleurs, ces modalités
selon lesquels les créatures se rapportent à Dieu ne se retrouvent pas dans
toutes les creatures. Mais certaines de ces modalités appartiennent à toute
créature, à savoir l’essence, la presence et la puissance. Il semble donc que
ces modalités ne different pas selon les différents rapports de la créature à
Dieu. |
[2621] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 2 arg. 4 Si dicas, quod
distinguuntur secundum diversas rationes attributorum. Contra, non plus differt potentia ab essentia, quam scientia et
voluntas. Sed esse in rebus per essentiam et potentiam constituit duos modos.
Ergo et similiter diversificabuntur secundum omnia attributa. |
4. Si tu dis qu’elles se distinguent selon
les différentes notions des attributs, je réponds par contre que la puissance
ne diffère pas davantage de l’essence que la science diffère de la volonté.
Mais l’existence dans les choses par l’essence et la puissance constitue deux
modalités. Donc de la même manière les modalités seront diversifiées selon
tous les attributs. |
[2622] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 2 s. c. 1 In contrarium est quod in Littera
dicitur, et auctoritatibus confirmatur. |
Cependant : 1. Ce qu’on dit dans la
Lettre, et qui est confirmé par ceux qui font autorité, est contraire à ces
positions. |
[2623]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod distinctio istorum modorum partim
sumitur ex parte creaturae, partim ex parte Dei. Ex parte creaturae,
inquantum diverso modo ordinatur in Deum et conjungitur ei, non diversitate
rationis tantum, sed realiter. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la distinction de ces modalités se tire en partie du côté de la créature
et en partie du côté de Dieu : du côté de la créature selon qu’elle est
ordonnée à Dieu et qu’elle Lui est unie d’une manière qui diffère, non pas
par une différence de raison seulement, mais par une différence réelle. |
Cum enim Deus in rebus esse dicatur
secundum quod eis aliquo modo applicatur, oportet ut ubi est diversus
conjunctionis vel applicationis modus, ibi sit diversus modus essendi.
Conjungitur autem creatura Deo tripliciter. |
En effet, puisqu’on dit que Dieu est dans
les choses selon qu’il s’attache à elles d’une certaine manière, il faut que
là où il y a une différente modalité d’union ou d’application, il doit y
avoir là une différente modalité d’existence. Mais la créature est unie à
Dieu de trois manières. |
Primo modo secundum similitudinem
tantum, inquantum invenitur in creatura aliqua similitudo divinae bonitatis,
non quod attingat ipsum Deum secundum substantiam: et ista conjunctio
invenitur in omnibus creaturis [divinam bonitatem assimilantibus: et sic erit
modus communis quo Deus est in omnibus creaturis add. Éd. de Parme] per essentiam, praesentiam et potentiam. |
Premièrement par la similitude seulement,
selon que l’on retrouve dans la créature une similitude de la bonté divine,
non pas cependant au point de parvenir à Dieu quant à la substance : et
cette sorte d’union se retrouve dans toutes les créatures [qui ressemblent à
la bonté divine : et ainsi il y aura une modalité commune par laquelle
Dieu est dans toutes les créatures add.
Éd. de Parme] par l’essence, la présence et la puissance. |
Secundo creatura attingit ad ipsum
Deum secundum substantiam suam consideratum, et non secundum similitudinem
tantum ; et hoc est per operationem ; scilicet quando aliquis fide adhaeret
ipsi primae veritati, et caritate ipsi summae bonitati: et sic est alius
modus quo Deus specialiter est in sanctis per gratiam. |
En deuxième lieu la créature parvient à Dieu
lui-même considéré selon sa substance et non seulement selon sa similitude ou
sa ressemblance ; et cela a lieu au moyen d’une opération, à savoir
quand quelqu’un adhère par la foi à la vérité première, et par l’amour à la
bonté suprême elle-même ; et cela donne lieu à une autre modalité par
laquelle Dieu est dans les saints d’une manière spéciale par la grâce. |
Tertio creatura attingit ad ipsum Deum
non solum secundum operationem, sed etiam secundum esse: non quidem prout
esse est actus essentiae, quia creatura non potest transire in naturam
divinam: sed secundum quod est actus hypostasis vel personae, in cujus
unionem creatura assumpta est: et sic est ultimus modus quo Deus est in
Christo per unionem. Ex parte autem Dei non invenitur diversitas in re, sed
ratione tantum, secundum quod distinguitur in ipso essentia, virtus et
operatio. Essentia autem ejus cum sit absoluta ab omni creatura, non est in
creatura nisi inquantum applicatur sibi per operationem: et secundum hoc quod
operatur in re, dicitur esse in re per praesentiam, secundum quod oportet
operans operato aliquo modo praesens esse ; et quia operatio non deserit
virtutem divinam a qua exit, ideo dicitur esse in re per potentiam ; et quia
virtus est ipsa essentia, ideo consequitur ut in re etiam per essentiam sit. |
Troisièmement la créature parvient à Dieu
lui-même non seulement au moyen d’une opération mais aussi selon l’existence,
non pas certes en tant que l’existence est l’acte de l’essence car la
créature ne peut passer à la nature divine, mais selon que l’existence est
l’acte de l’hypostase ou de la personne dans l’union de laquelle la créature
est prise : et cela donne lieu à la dernière modalité par laquelle Dieu
est dans le Christ par l’union. Mais du côté de Dieu on ne
retrouve aucune différence réelle mais seulement des différences de raison
selon que se distinguent en Lui l’essence, la puissance et l’opération. Mais
puisque son essence est libre de toute créature, elle n’est dans la créature
que selon qu’elle s’y applique par l’opération : et selon qu’elle opère
dans la chose, on dit de l’essence qu’elle est dans la chose par la présence
selon qu’il faut que ce qui opère soit en quelque sorte présent à ce qui est
opéré dans la chose ; et parce que l’opération ne fait jamais défaut à
la puissance divine d’où elle procède, c’est pourquoi on dit de Dieu qu’il
est dans la chose ou la créature par la puissance ; et parce que sa
puissance est son essence même, c’est pourquoi il s’ensuit qu’il est aussi
dans la chose par son essence. |
[2624] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si loquamur de unitate et diversitate
secundum rem, sic Deus uno modo se habet ad res: sed quia res diversimode se
habent ad ipsum, contingit Deum significari in diversa habitudine ad res,
inquantum relationes fundatae in creaturis reliquerunt diversas habitudines
secundum rationem in Deo. Si autem consideretur unitas et distinctio secundum
rationem tantum, sic Deus pluribus modis se habet ad res, ut sciens, ut
potens, et sic de aliis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que si on parle d’unité ou de diversité d’après la chose, ainsi
Dieu se rapporte aux choses d’une seule manière ; mais parce que les
choses se rapportent à Lui différemment, il est possible que Dieu soit
signifié dans une relation différente aux choses, selon que les relations
fondées dans les créatures laisseront en Dieu différentes relations selon la
raison. Mais si l’unité et la distinction sont considérées selon la raison
seulement, ainsi Dieu se rapporte aux choses d’après plusieurs modalités, à
savoir comme celui qui sait, celui qui peut, et il en est de même pour les
autres rapports. |
[2625] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod divisio essentialis semper est per
differentias quae per se dividunt aliquod commune ; sicut habens pedes, per
se dividitur per bipes et quadrupes ; non autem per album et nigrum.
Similiter dico, quod Deum esse in creaturis per se dividitur secundum
diversos modos quibus creaturae attingunt Deum: et haec est divisio
essentialis et formalis. Sed si accipiantur diversi effectus in creaturis per
se, in quibus est Deus per naturales effectus tantum, non invenietur nisi
unus modus attingendi in [in om. Éd. de
Parme] Deum quo est communiter in omnibus creaturis [quo est…creaturis om. Éd. de Parme] ; et ideo non est
divisio nisi per accidens et materialis, quae ab omni arte praetermittitur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la
division essentielle a toujours lieu par des différences qui divisent
essentiellement un universel ; par exemple, avoir des pieds se divise
essentiellement en bipède et quadrupède et non en blance et noir. De même je
dis que l’existence de Dieu dans les créatures se divise essentiellement
selon les différentes modalités par lesquelles les créatures parviennent à
Dieu : et c’est là une division essentielle et formelle. Mais si les différents
effets dans les créatures sont pris en eux-mêmes, selon que Dieu est présent
en elles par les effets naturels seulement, on ne retrouvera qu’une seule
modalité d’atteindre à [à om. Éd. de
Parme] Dieu par laquelle Dieu est communément dans toutes les créatures
[par laquelle…créatures om. Éd. de
Parme] ; et c’est pourquoi il n’y a là qu’une division accidentelle
et matérielle qui est écartée dans tout art ou toute science. |
[2626] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi tres modi non sumuntur ex
diversitate creaturae, sed ex parte ipsius Dei operantis in rebus: et ideo
omnem creaturam consequuntur, et praesupponuntur etiam in aliis modis. In quo
enim est Deus per unionem, etiam est per gratiam ; et in quo est per gratiam,
est per essentiam, praesentiam et potentiam. |
3. Il faut dire en troisième lieu que ces
trois modalités ne se tirent pas de la diversité des créatures, mais elles se
tirent du côté de Dieu qui opère dans les choses : et c’est pourquoi
elles s’appliquent à toute créature et elles sont présupposées même dans les
autres modalités. En effet, celui en qui Dieu se trouve par l’union, il s’y
trouve aussi par la grâce ; et celui dans lequel il se trouve par la
grâce, il s’y trouve aussi par l’essence, par la présence et par la
puissance. |
[2627] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod divina attributa non considerantur nisi
secundum triplicem ordinem ad res: vel secundum operationem, vel secundum
virtutem, vel secundum essentiam ; et ideo non sunt nisi tres modi essendi
Deum [ Deum om. Éd. de Parme] in
rebus, qui sumuntur secundum diversum ordinem comparationis Dei ad res. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que les
attributs divins ne sont considérés que sous trois rapports à l’égard des
choses : soit selon l’opération, soit selon la puissance, soit selon
l’essence ; et c’est pourquoi il n’y a que trois modalités d’existence
de Dieu [Dieu om. Éd. de Parme]
dans les choses qui se tirent d’après un rapport différent de comparaison de
Dieu aux choses. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [L’ubiquité de Dieu] |
Prooemium [2628] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
pr. Deinde quaeritur, quomodo Deus ubique esse dicatur: et circa hoc tria
quaeruntur: 1 utrum Deus sit ubique ; 2 utrum hoc sibi soli conveniat ; 3 utrum conveniat sibi ab aeterno. |
Prologue On cherche ensuite à savoir comment on peut
dire de Dieu qu’il est partout : et à ce sujet on pose trois
questions : 1. Est-ce que Dieu est
partout ? 2. Est-ce que l’ubiquité
ne convient qu’à Dieu seul ? 3. Est-ce que l’ubiquité
lui appartient de toute éternité ? |
|
|
Articulus 1 [2629] Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 2 a. 1 tit. Utrum Deus sit ubique |
Article 1 – Dieu est-il partout ? |
[2630]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit ubique. Esse
enim ubique significat in omni loco esse. Sed, sicut dicit Anselmus, Monolog., cap. XXII, col. 176, si usus
admitteret, magis dicendus esset Deus cum omni loco quam in omni loco. Ergo
videtur quod Deus non proprie dicatur ubique esse. |
Difficultés : 1. Il semble
que Dieu ne soit pas partout. En effet, être partout signifie être en tout
lieu. Mais comme le dit Saint-Anselme [Monologues,
ch. XXII, col. 176], si l’usage l’admettait, on devrait davantage dire que
Dieu est avec tout lieu que Dieu est dans tout lieu. Il semble donc qu’on ne
dise pas proprement de Dieu qu’il est en tout lieu. |
[2631] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut tempus nominat mensuram quamdam, sic et locus.
Sed secundum Philosophum,in IV Physic.,
text. 161, esse in tempore est quadam parte temporis mensurari. Ergo esse
in loco significat loco mensurari. Sed Deus est immensus. Ergo non est in
loco. |
2. Par ailleurs, tout
comme le temps signifie une mesure, il en est de même pour le lieu. Mais
d’après le Philosophe [IV Physique, texte 161], exister dans le temps, c’est
être mesuré par une partie du temps. Donc, exister dans le lieu signifie être
mesuré par le lieu. Mais Dieu est immense, il ne peut être mesuré. Il n’est
donc pas dans le lieu. |
[2632] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 1 arg. 3 Item, potest objici ex auctoritate Anselmi qui dicit, quod omne
quod est in loco et tempore, sequitur leges loci et temporis. |
3. En outre, on peut s’objecter à cela par
l’autorité de Saint-Anselme qui dit que tout ce qui existe dans le lieu et le
temps obéit aux lois du lieu et du temps. |
[2633] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut se habent successiva ad tempus, ita se habent
permanentia ad locum. Sed in successivis unum indivisibile et una
indivisibilis operatio non potest esse diversis temporibus. Ergo nec unum
indivisibile permanens potest esse in diversis locis. Sed Deus est
indivisibilis: ergo non est ubique. |
4. Par ailleurs, ce que le successif est au
temps, le permanent l’est au lieu. Mais dans le successif un même moment
indivisible et une même opération indivisible ne peut être en divers temps.
Donc un même indivisible dans le genre du permanent ne peut être dans divers
lieux. Mais Dieu est indivisible : il ne peut donc pas être partout. |
[2634] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 1 arg. 5 Praeterea, nulla conditio corporalis Deo potest convenire nisi
metaphorice. Sed esse in loco est conditio corporis naturalis, adeo quod
etiam corporibus mathematicis [metaphoricis Éd. de Parme] non datur locus nisi similitudinarie, ut dicit
Philosophus ut I de generatione, text.
44. Ergo multo fortius Deo non convenit nisi metaphorice in loco esse vel
ubique. |
5. Par ailleurs, nulle condition corporelle
ne peut convenir à Dieu, sauf par métaphore. Mais exister dans un lieu est
une condition de la nature corporelle à tel point que même aux corps
mathématiques [métaphoriques Éd. de
Parme] on ne donne le lieu que par manière de similitude, comme le dit le
Philosophe [1 De la Génération,
texte 44]. Donc, à plus forte raison, exister dans le lieu ou partout ne
convient à Dieu que par métaphore. |
[2635] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 1 s. c. 1 Sed contra, Deus est in omnibus rebus, ut supra, art. praeced.,
dictum est. Sed locus quilibet res aliqua est. Ergo Deus in omni loco est:
ergo ubique. |
Cependant : 1. Au contraire, Dieu est
dans toutes les choses ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent.
Mais toute chose occupe un lieu. Donc Dieu est dans tout lieu, c’est-à-dire
partout. |
[2636]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod esse in aliquo diversimode convenit
spiritualibus et corporalibus: quia corpus est in aliquo ut contentum, sicut
vinum est in vase ; sed spiritualis substantia est in aliquo ut continens et
conservans. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’exister en quelque chose convient différemment aux êtres spirituels et aux
êtres corporels : car un corps est dans un autre comme dans son contenu,
comme le vin est dans l’outre ; mais la substance spirituelle est dans
un autre comme ce qui le contient et le conserve. |
Cujus ratio est, quia corporale per
essentiam suam, quae circumlimitata est quantitatis terminis, determinatum
est ad locum, et per consequens virtus et operatio ejus in loco est ; sed
spiritualis substantia quae omnino absoluta a situ et quantitate est, habet
essentiam non omnino circumlimitatam loco. |
La raison en est que la nature corporelle
par son essence, laquelle est délimitée par les termes de la quantité, est
déterminée à un lieu, et par conséquent sa puissance et son opération se
déroulent dans un lieu ; mais la substance spirituelle, qui est
totalement dégagée de l’espace et de
la quantité, possède une essence qui n’est pas absolument délimitée par le
lieu. |
Unde non est in loco nisi per
operationem ; et per consequens virtus et essentia ejus in loco est. Dicendum
est ergo, quod si esse in hoc loco sumatur secundum quod corpus in loco esse
dicitur ; sic non convenit Deo esse ubique nisi metaphorice ; quia implet
locum sicut corpus locatum, non quidem distantia dimensionum, sed causalitate
effectuum. |
Il résulte de là qu’elle n’est dans le lieu
que par l’opération et c’est par voie de conséquence que sa puissance et son
essence dont dans le lieu. Il faut donc dire que si ¨exister en ce lieu¨ se
prend selon qu’on dit que le corps est dans le lieu, alors en ce sens il ne
convient que métaphoriquement à Dieu d’être partout ; car il remplit le
lieu tout comme le corps placé dans un lieu, non pas certes par la distance
des dimensions, mais par la causalité de ses effets. |
Si autem accipiatur esse in loco per
modum quo substantia spiritualis in aliquo esse dicitur ; sic propriissime
Deo in loco esse convenit, et ubique: et non quidem ut mensuratum loco, sed
ut dans loco naturam locandi et continendi ; sicut dicitur esse in homine
inquantum dat homini naturam humanitatis: et in qualibet re esse dicitur
inquantum dat rebus proprium esse et naturam. |
Mais si on prend l’expression ¨exister dans
un lieu¨ de la manière par laquelle on dit de la substance spirituelle
qu’elle est en quelque chose, alors il convient le plus proprement à Dieu
d’être dans le lieu et d’être partout : non pas certes de telle manière
qu’il serait mesuré par le lieu, mais de telle manière qu’Il donne au lieu son
aptitude naturelle à recevoir et à contenir ce qui s’y loge, tout comme on
dit qu’Il existe dans l’homme selon qu’il donne à l’homme la nature de
l’humanité et qu’il est dans toute chose selon qu’il donne aux choses leur
existence propre et leur nature. |
[2637] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 1 ad 1 Et per hoc patet responsio ad duo prima et ad auctoritatem Anselmi,
et etiam ad quintum, quae procedunt secundum modum quo corpus in loco esse
dicitur. |
Solutions : 1. Et de ce que nous
venons de dire découle la réponse aux deux premières difficultés et à la
position de Saint-Anselme, et même à la cinquième, lesquelles procèdent
d’arguments qui se tirent de la modalité par laquelle le corps est dans le
lieu. |
[2638] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod indivisibile secundum successionem
dicitur dupliciter. Vel illud quod omnino absolutum est a
successione, ut indivisibile negative sumatur, sicut aeternitas: et tale
indivisibile potest esse in diversis temporibus, immo in omni tempore ; quia
nunc aeternitatis invariatum adest omnibus partibus temporis. Vel illud quod est successionis
terminus, ut instans temporis, et quidquid per illud instans mensuratur ; et
hoc non potest esse in pluribus temporibus. Similiter indivisibile secundum dimensionem
dicitur dupliciter. Vel illud quod omnino absolutum est a
dimensione, sicut substantia spiritualis ; et hoc non est inconveniens in
omnibus vel pluribus locis esse. Vel quod est terminus dimensionis, ut
punctus: et hoc, quia determinatum est ad situm, non potest in pluribus locis
esse ; et ideo, relicta imaginatione, indivisibilitas substantiae
incorporeae, ut Dei vel Angeli vel animae, vel etiam materiae, sicut
indivisibilitas puncti non cogitetur: quia, ut dicit Boetius, lib. I De Trin., c. II, col. 1250, oportet in
intellectualibus non deduci ad imaginationem. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l’indivisible selon la succession se dit de deux
manières. Soit comme ce
qui est absolument dégagé de la succession, de telle manière que l’indivisible
se prenne négativement, tout comme l’éternité : et un tel indivisible
peut être dans divers temps et encore bien davantage dans tout temps car le
maintenant de l’éternité est présent inchangé à toutes les parties du temps. Soit comme ce
qui est le terme de la succession, comme l’instant du temps et tout ce qui
est mesuré par cet instant ; et cet indivisible ne peut être dans
plusieurs temps. Et de la même manière l’invidisible selon la dimension se
dit de deux manières. Soit comme ce
qui est totalement dégagé de la dimension, comme la substance spirituelle et
il n’y a pas de difficulté à ce que cet indivisible existe en plusieurs lieu
ou même en tous les lieux. Soit comme ce
qui est le terme de la dimension, comme le point : et cet indivisible,
parce qu’il est déterminé à une position, ne peut être en plusieurs
lieux ; et c’est pourquoi, mettant de côté l’imagination,
l’indivisibilité de la substance incorporelle, comme celle de Dieu, de l’Ange
ou de l’âme, ou même de la matière, ne doit pas être pensée comme
l’indivisibilité du point : car comme le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250],
dans les questions intellectuelles il ne faut pas se laisser conduire par
l’imagination. |
|
|
Articulus 2 : Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 2 a. 2 tit. Utrum esse ubique soli Deo conveniat |
Article 2 – Être partout convient-il à Dieu seul ? |
[2640]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod esse ubique non soli Deo
conveniat. Ponere enim materiam primam esse Deum, vel etiam ens universale,
ut quidam posuerunt, est haereticum. Sed universale est ubique et semper,
secundum Philosophum, et similiter materia prima, quae est in omni corpore,
quo omnis locus impletur, cum nihil sit vacuum, ut philosophi probant, IV Physic., text. 65. Ergo esse ubique
non tantum Deo convenit. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il ne
convienne pas qu’à Dieu seul d’être partout. En effet, soutenir que la
matière première est Dieu ou même qu’Il est l’être universel, comme certains
l’ont fait, est hérétique. Mais l’universel est partout et toujours, d’après
le Philosophe, et de la même manière la matière première, qui est dans tout
corps par lequel tout lieu est rempli puisqu’il n’y a aucun vide, ainsi que
les philosophes le prouvent [IV Physique,
texte 65]. Donc, être partout ne convient pas uniquement à Dieu. |
[2641] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 2 arg. 2 Praeterea, in omnibus numeratis est aliquis numerus. Sed omnes
partes universi sunt numeratae. Ergo numerus collectus est in toto universo,
et ita est ubique. |
2. Par ailleurs, il y a un nombre dans
toutes les choses nombrées. Mais toutes les parties de l’univers sont
nombrées. Il y a donc un certain nombre qui est étendu à tout l’univers et
qui est ainsi partout. |
[2642] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum, De immort. Animae, cap. XIV, col. 1034) anima tota est in
singulis partibus. Sed potuisset Deus tantum creare unum corpus animatum.
Ergo anima ejus ubique esset. Sed quod soli Deo convenit, nulli creaturae
communicatur. Ergo esse ubique non convenit soli Deo. |
3. Par ailleurs, d’après Saint-Augustin [De l’Immortalité de l’Âme, ch. XIV,
col. 1034] dit que l’âme est en totalité dans chacune des parties du corps.
Mais Dieu aurait pu créer un seul corps animé. Donc son âme serait partout.
Mais ce qui ne convient qu’à Dieu seul n’est communiqué à aucune créature.
Donc, être partout ne convient pas à Dieu seul. |
[2643] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 2 s. c. 1 Sed contra, Ambrosius in Littera
probat Spiritum sanctum esse Deum quia ubique est. Sed probatio nihil
valeret, nisi esse ubique soli Deo conveniret. Ergo esse ubique soli Deo
convenit. |
Cependant : 1. Au contraire,
Saint-Ambroise dans la Lettre prouve que l’Esprit-Saint est Dieu parce qu’il
est partout. Mais la preuve ne vaudrait rien s’il ne convenait pas à Dieu
seul d’être partout. Donc il convient à Dieu seul d’être partout. |
[2644]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod esse ubique si per se sumatur, soli
Deo convenit nec alicui creaturae communicabile est ; sed per accidens potest
alicui convenire. Hoc autem accidens potest dupliciter considerari: vel ex
parte ejus quod in loco est ; vel ex parte loci. Si ex parte ejus quod in
loco est, sic cum per accidens vel per posterius conveniat toti quod
attribuitur sibi ratione suae partis, constat quod illud quod secundum
diversas suas partes est in diversis locis, non primo et per se est in illis
; immo est in uno loco tantum. Unde si esset unum corpus infinitum, illud
esset ubique per accidens, secundum quod diceretur esse ubi sunt suae partes
; et non per se, quia ipsum non esset per se ubi est sua pars. Si ex parte
loci, tunc accidit alicui ubique esse, eo quod non est alius locus quam ille
in quo est ; sed si fuerint multa alia loca, non esset ubique ; sicut si
ponatur unus tantum locus in quo unus homo est. Deo autem per se convenit
ubique esse: quia ipse totus est in quolibet loco ; et infinitis aliis locis
existentibus, in omnibus esset ; et hoc non est communicabile alicui
creaturae nisi communicaretur sibi esse virtutis infinitae. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que si l’expression ¨être partout¨ se prend essentiellement, elle ne convient
qu’à Dieu seul et n’est communicable à aucune créature ; mais elle peut
convenir accidentellement à un autre être. Et cet accident peut être
considéré de deux manières : soit du côté de ce qui est dans le lieu,
soit du côté du lieu lui-même. Si on le considère du côté
de ce qui est dans le lieu alors puisque c’est par accident ou comme secondairement
que convient au tout ce qui lui est attribué en raison de sa partie, il est
clair que ce qui est dans divers lieux selon ses différentes parties n’est
pas dans ses lieux à titre premier et essentiellement mais bien plutôt il est
dans un seul lieu seulement. D’où il résulte que s’il existait un seul corps
infini, ce corps serait partout par accident selon qu’on dirait de lui qu’il
est où sont ses parties ; mais il ne serait pas partout essentiellement
car lui-même ne serait pas essentiellement là où est sa partie. Si on considère cet
accident du côté du lieu lui-même, alors il arrive à un être d’être partout
du fait qu’il n’existe pas un lieu autre que celui dans lequel il
existe ; mais s’il y avait plusieurs autres lieux, il ne serait pas
partout : par exemple si on posait un seul lieu dans lequel il n’y
aurait qu’un seul homme. Mais pour ce qui est de Dieu, il lui appartient
essentiellement d’être partout : car il est lui-même en tout lieu en
totalité ; et s’il existait une infinité d’autres lieux, il serait
présent en tous ces lieux ; et cela n’est communicable à aucune
créature, sauf si une puissance infinie lui était communiquée. |
[2645] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 2 ad 1 Et per hoc patet responsio ad ea quae objecta sunt ; quia omnibus
illis convenit esse ubique per accidens, vel quia secundum diversas partes
sunt, vel quia plura loca non sunt, vel quia secundum unum esse non sunt in
pluribus, sicut universale et praeterea illa quae secundum aliud et aliud
esse sunt in diversis. Numerus vero per se non est in loco ; et tamen
secundum quod in loco est, non est totus in uno loco, sed in diversis
secundum diversas partes. |
Solutions : 1. C’est ainsi que les
réponses aux difficultés sont évidentes car dans tous les cas ¨être partout¨
est pris accidentellement, soit parce que les réalités sont partout d’après
différentes parties, soit parce qu’il n’y a pas plusieurs lieux, soit parce
qu’elles ne sont pas en plusieurs lieu d’après une seule existence, tout
comme l’universel et en outre les choses qui sont en divers lieux selon des
existences différentes. Mais le nombre n’est pas essentiellement dans le
lieu ; et cependant, selon qu’il est dans le lieu, il n’est pas en
totalité en un seul lieu, mais en différents lieux d’après ses différentes parties. |
|
|
Articulus 3 [2646] Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 2 a. 3 tit. Utrum esse ubique conveniat Deo ab aeterno |
Article 3 – Être partout convient-il à Dieu éternellement ? |
[2647]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod esse ubique ab aeterno
Deo conveniat. Primo per hoc quod in littera dicitur ab Ambrosio, quia in
omnibus et ubique semper est, quod est divinitatis proprium. Sed quod est
semper, est aeternum. Ergo esse ubique Deo ab aeterno convenit. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il
convienne à Dieu de toute éternité d’être partout. On le voit premièrement
par ce qu’en dit Saint-Ambroise dans la Lettre,
car c’est le propre de la divinité d’être en tous à la fois partout et
toujours. Mais ce qui est toujours est éternel. Il convient donc à Dieu de
toute éternité d’être partout. |
[2648] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut ubique est distributivum loci, ita semper est
distributivum temporis. Sed Deus ab aeterno est semper, etiam temporibus non
existentibus. Ergo et ab aeterno est ubique, etiam locis non existentibus. |
2. Par ailleurs, tout comme ¨partout¨ est un
distributif du lieu, de même ¨toujours¨ est un distributif du temps. Mais
Dieu existe toujours de toute éternité, alors même que les temps n’existaient
pas. Il est donc partout de toute éternité, alors même que les lieux
n’existaient pas. |
[2649] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 3 arg. 3 Praeterea, esse Deum in rebus coordinatur hic a Magistro ei quod
est esse res in Deo. Sed res ab aeterno fuerunt in Deo, qui aeternam
scientiam de rebus habet. Ergo et Deus ab aeterno est in rebus, et ubique. |
3. Par ailleurs, le Maître
coordonne ici l’existence de Dieu dans les choses à l’existence des choses en
Dieu. Mais les choses furent en Dieu de toute éternité, Lui qui possède une
science éternelle des choses. Donc, Dieu est aussi dans les choses de toute
éternité et il est partout. |
[2650] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 3 s. c. 1 Sed contra, in quocumque est aliquid, illud oportet esse ; quia
in nihilo nihil omnino est. Sed neque locus neque aliqua res ab aeterno
fuerunt. Ergo neque Deo ab aeterno convenit ubique, vel in rebus, esse. |
Cependant : 1. Au contraire, en tout
lieu où il y a un être, ce lieu doit exister car dans le néant il n’y a
absolument rien. Mais aucun lieu ni aucune chose n’a existé de toute
éternité. Il ne convient donc pas à Dieu de toute éternité d’être partout ou
d’exister dans les choses. |
[2651]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum dicitur,
Deus est ubique, importatur quaedam relatio Dei ad creaturam, fundata super
aliquam operationem, per quam Deus in rebus dicitur esse. Omnis autem relatio
quae fundatur super aliquam operationem in creaturas procedentem, non dicitur
de Deo nisi ex tempore, sicut dominus et creator et hujusmodi ; quia
hujusmodi relationes actuales sunt, et exigunt actu esse utrumque extremorum.
Sicut ergo non dicitur operari in rebus ab aeterno, ita nec esse in rebus,
quia hoc operationem ipsius designat. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que lorsqu’on dit que Dieu est partout,
cela implique une relation de Dieu à la créature fondée sur une opération par
laquelle on dit de Dieu qu’il est dans les choses. Mais toute relation qui se
fonde sur une opération qui procède dans les creatures ne se dit de Dieu qu’à
partir du temps, tout comme ¨seigneur¨, ¨créateur¨ et les relations de cette
sorte; car les relations de cette sorte sont actuelles et exigent que chacun
des extrêmes soit en acte. Donc, tout comme on ne dit pas que Dieu a agi de
toute éternité dans les choses, de même on ne dit pas qu’il est dans les
choses de toute éternité car cela désigne son operation. |
[2652]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
Ambrosius accipit semper Deum esse ubique, creaturis existentibus ; illud
enim quod ex parte Dei est, semper est, in quo nihil est novum ; sed defectus
est ex parte creaturae, quae non semper fuit ; unde non potest significari in
habitudine ad creaturam ab aeterno, ut operans circa eam. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que Saint-Ambroise admet que Dieu
a toujours été partout une fois que les creatures ont existé; en effet, ce
qui se tient du côté de Dieu existe toujours, en qui il n’y a rien de
nouveau; mais le défaut vient du côté de la créature qui n’a pas toujours
existé; d’où il résulte que Dieu ne peut être signifié de toute éternité dans
une relation à la créature, en tant qu’il pose sur elle son opération. |
[2653]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
« semper » de virtute vocabuli importat indeficientiam quamdam,
quam aeternitas totam simul habet, sed tempus per successionem diversorum eam
sortitur ; et ideo « semper » potest importare indeficientiam quae
est per successionem continuam ; et sic est distributivum temporum, nec ab
aeterno convenit: quia successio et tempus ab aeterno non fuit. Vel potest dicere indeficientiam
aeternitatis ; et sic ab aeterno convenit. Sed « ubique » in
ratione sua includit locum ; et ideo similis ratio non est utrobique: ubi
enim est in loco esse, et ubique in omni loco. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que
¨toujours¨, de par la puissance du terme, implique une certaine perpétuité
que l’éternité possède simultanément en totalité mais que le temps partage
par la succession d’une diversité ; et c’est pourquoi ¨toujours¨ peut
impliquer une perpétuité qui a lieu par succession continue ; et en ce
sens ce terme est un distributif du temps et ne convient pas de toute
éternité car la succession et le temps n’ont pas existé de toute
éternité. Ou bien encore on peut parler de la perptuité de l’éternité et
ainsi cette perpétuité convient à Dieu de toute éternité. Mais ¨partout¨
inclut le lieu dans sa définition ; et c’est pourquoi la raison n’est
pas semblable dans les deux cas : en effet, ¨où¨ désigne ce qui est dans
le lieu, et ¨partout¨ signifie ce qui est dans tout lieu. |
[2654] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2
a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut motus rationem ex termino accipit,
ita et relatio. Cum autem dicitur Deus esse in rebus, importatur relatio Dei
ad creaturas secundum egressum divinae operationis in eas, quia aeternae non
sunt, nec esse in eis aeternum esse potest. Sed cum dicitur res esse in Deo,
importatur relatio creaturae ad Deum, non secundum exitum ab ipso, sed magis
secundum adunationem creaturarum ad principium ; et quia principium est
aeternum, ideo etiam et scire aeternum, et res ab aeterno in Deo. Deus enim
est in rebus temporaliter per modum rerum, sed res ab aeterno in Deo per
modum Dei ; quia omne quod in altero est, est in eo per modum ejus in quo
est, et non per modum sui. |
3. Il faut dire en troisième lieu que tout
comme le mouvement reçoit sa raison d’être de son terme, il en est de même
pour la relation. Mais lorsqu’on dit que Dieu est dans les choses, cela
implique la relation de Dieu aux créatures selon que l’opération divine
procède en elles car elles ne sont pas éternelles et l’existence en elles ne
peut être éternelle. Mais lorsqu’on dit que les choses sont en Dieu, cela
implique la relation de la créature à Dieu non pas en tant qu’elle procède de
Lui, mais plutôt d’après une union des créatures à leur principe ; et
parce que le principe est éternel, c’est pourquoi aussi son savoir est
éternel et que les choses sont en Dieu de toute éternité. Dieu en effet est
dans les choses d’une manière temporelle à la manière des choses, mais les
choses sont en Dieu de toute éternité à la manière de Dieu ; car tout ce
qui est dans un autre est en lui à la manière de celui dans lequel il est et
non pas à la manière qui lui est propre. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [Le lieu des anges] |
Prooemium |
Prologue |
Hic etiam duplex est quaestio. Prima de loco Angeli. Secunda de motu ipsius ; quia de
immutabilitate Dei, et qualiter ipse ubique est, supra, quaest. 2, art. 1,
hujus dist., expeditum est ; de motu autem et loco corporum non pertinet ad
theologum tractare sed ad naturalem. Circa primum tria quaeruntur: 1 utrum Angelus sit in loco ; 2 utrum unus Angelus possit esse in
pluribus locis simul ; 3 utrum plures Angeli possint esse in
uno loco. |
On considère ici deux questions. La première porte sur le
lieu de l’Ange. ; La deuxième porte sur son
mouvement ; car nous avons traité plus haut [dist. 37, quest. 2, art. 1]
de l’immutabilité de Dieu et de la manière dont Lui-même est partout ;
mais il n’appartient pas au théologien mais au naturaliste de traiter du
mouvement et du lieu des corps. Et au sujet du
premier point on pose trois questions : 1. Est-ce que l’Ange est
dans un lieu ? 2. Est-ce que l’Ange peut
simultanément être en plusieurs lieux ? 3. Est-ce que plusieurs
Anges peuvent être en un seul et même lieu? |
|
|
Articulus 1q [2657] Super Sent., lib.
1 d. 37 q. 3 a. 1 tit. Utrum Angelus sit in loco |
Article 1 – L’ange est-il dans un lieu ? |
[2658]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod Angelus non sit in loco. Dicit enim Boetius, in lib. De hebdom., col. 1311: communis est animi conceptio apud omnes
sapientes incorporalia in loco non esse. Sed Angeli sunt incorporei et
immateriales, ut Dionysius dicit, cap. VII Caeles. Hier. , col. 206. Ergo Angeli non sunt in loco. |
Difficultés: 1. Il semble que l’Ange ne soit pas dans un lieu. Boèce [Sur les Semaines, col. 1311]: Tous les sages pensent communément que les
réalités incorporelles ne sont pas dans un lieu. Mais les Anges sont
incorporels et immatériels, comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. VII, col. 206]. Donc les Anges ne sont pas
dans le lieu. |
[2659] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 1 arg. 2 Praeterea, ei quod omnino absolutum est a situ et dimensione, non
debetur locus nisi per accidens, sicut patet de materia prima. Sed essentia
Angeli omnino est absoluta a situ et dimensione, sicut omnes ponunt, qui eos
incorporeos dicunt. Ergo non debetur sibi locus nisi per accidens. Sed per
accidens non est in loco, nisi assumpto corpore. Ergo videtur quod quando non
assumit corpus, non sit in loco. |
2. Par ailleurs, le lieu ne doit être
attribué que par accident à ce qui est absolument dégagé d’une position et
d’une dimension, comme c’est le cas pour la matière première. Mais l’essence
de l’Ange est absolument dégagée de la position et de la dimension, comme le
soutiennent ceux qui disent qu’ils sont incorporels. On ne doit donc leur
attribuer le lieu que par accident. Mais il ne peut être dans le lieu par
accident que s’il prend un corps. Il semble donc que lorsqu’il ne prend pas
un corps, l’Ange n’est pas dans un lieu. |
[2660] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 1 arg. 3 Si dicas, quod est in
loco per operationem suam. Contra,
quidquid convenit alicui per aliquid oportet illi convenire per quod convenit
; ut si animal est in loco per corpus, oportet corpus in loco esse. Sed
operationi nunquam per se attribuitur esse in loco. Ergo Angelus per
operationem in loco esse non potest. |
3. Si tu dis qu’il est dans un lieu par son
operation, je réponds que tout ce qui convient à un être au moyen d’une chose
doit aussi convenir à cette chose par laquelle cela lui convient; par
exemple, si l’animal est dans un lieu par son corps, il faut que le corps
soit dans le lieu. Mais ce n’est jamais essentiellement qu’on attribue à
l’opération d’être dans un lieu. Donc l’Ange ne peut être dans un lieu par
son opération. |
[2661]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, si per operationem
conveniat sibi esse in loco, non nisi inquantum operatur circa locum aliquem.
Sed Angeli non operantur
semper circa corporalia. Ergo aliquando non alicubi essent. Nec ubique sunt,
quia hoc Dei proprium est. Ergo nusquam sunt: quod videtur absurdum. |
4. Par ailleurs, si c’est par son opération
qu’il lui convient d’être dans un lieu, cela ne peut être que dans la mesure
où il opère dans un lieu. Mais les Anges ne posent pas toujours leurs
opération sur les choses corporelles. Donc parfois ils ne seraient pas
quelque part. Et ils ne sont pas partout puisque cela est le propre de Dieu. Ils
sont donc nulle part, ce qui est ridicule. |
[2662]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, si Angelus est in loco
per operationem suam, ergo et definitive est in loco ; quia operatio sua ad
locum definitur ; et determinatur. Sed similiter aliqua operatio Dei
definitur ad locum aliquem, extra quem illam operationem non exercet, ut
patet in suscitatione alicujus mortui. Ergo videtur quod etiam Deus definitive esset in loco. |
5. Par ailleurs, si l’Ange est dans un lieu
par son opération, il sera donc clairement aussi dans un lieu car son
opération se termine à un lieu et se définit par lui. Mais semblablement
une opértion de Dieu se termine à un lieu déterminé en dehors duquel il
n’exerce pas cette opération, comme on le voit pour la résurrection d’un
mort. Il semble donc que même Dieu serait clairement dans un lieu. |
[2663] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 1 arg. 6 Praeterea, philosophi etiam posuerunt operationes
intelligentiarum esse circa ea quae sunt hic ; nec tamen dixerunt
intelligentiam in aliquo loco esse ; immo Plato posuit ideas nec infra caelum
nec extra caelum esse, quia in loco non sunt, ut in III Physic., texte 19, dicitur. Ergo nec per operationem Angeli in
loco esse dicuntur. |
6. Par ailleurs, les philosophes aussi ont
soutenu que les opérations des intelligences portent sur ce qui est présent
ici, et cependant ils n’ont pas dit que l’intelligence est dans un
lieu ; bien au contraire, Platon a soutenu que les Idées ne sont ni
au-dessous ni en dehors du Ciel, car elles ne sont pas dans le lieu comme le
dit le Philosophe [111 Physique, texte 19]. Donc les Anges ne sont pas dans
le lieu par l’opération. |
[2664] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in Collecta
dicitur: Angeli sancti tui habitent
in ea, qui nos in pace custodiant. Damascenus etiam dicit lib. I, Orthod fid.,cap. XIII, col. 851, quod
ubi operantur ibi sunt ; et multis aliis auctoritatibus facile est probare. |
Cependant : 1. L’Église dit au
contraire dans une Collecte :
«Que vos saints Anges qui habitent dans
cette maison nous conservent dans la paix». Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. XIII, col.
851] dit aussi que les Anges sont là où ils opèrent ; et il est facile
de le manifester par plusieurs autres autorités. |
[2665]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc
triplex est opinio. Una
opinio est philosophorum, quod intelligentiae vel Angeli nullo modo sunt in
loco ; ponunt enim quod intelligentia est quaedam essentia denudata a materia
et ab omnibus conditionibus materialibus, et quod intelligentia movet orbem
per animam conjunctam ipsi orbi, sicut desideratum ab ipsa ; et ideo nullam
applicationem ad corpus vel ad locum habet, quia non immediate operatur circa
aliquod corpus. Haec
autem opinio haeretica est ; quia secundum fidem nostram, ponimus Angelos
immediate circa nos operari. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’à ce sujet il y a trois opinions. La première opinion est
celle des philosophes qui disent que
les intelligences ou les Anges ne sont aucunement dans le lieu ; ils
soutiennent en effet que l’intelligence est une certaine essence privée de la
matière et de toutes les conditions liées à la matière, et que l’intelligence
meut l’univers au moyen de l’âme unie à l’univers lui-même en tant que désiré
par elle ; et c’est pourquoi elle n’a aucune application ou aucun
attachement au corps ou au lieu car elle n’opère pas immédiatement sur un
corps. Mais cette opinion est hérétique car conformément à notre foi,
nous affirmons que les Anges agissent immédiatement sur nous. |
Et ideo alii dicunt, quod ipsi Angelo,
etiam quantum ad essentiam suam, debetur locus a Deo ; et quod non est
intelligibile Angelum esse, nisi locus esset: dicunt tamen, quod Angelus non
est in loco circumscriptive, sed definitive, quia determinatur ad locum
aliquem sic quod est in hoc loco ita quod non in alio ; cum enim essentia
ejus finita sit eo quod creatura est, oportet intelligere quod sit
determinata ad locum aliquem. |
Et c’est pourquoi d’autres disent qu’à
l’Ange lui-même, même quant à son essence, un lieu était réservé par Dieu, et
qu’il n’est intelligible que l’Ange existe que si le lieu existe : ils
disent cependant que l’Ange n’est pas dans un lieu entendu à la manière d’un
espace mesuré, mais dans un lieu précis car il est déterminé à un certain
lieu de telle sorte qu’il est dans ce lieu de telle manière qu’il n’est pas
dans un autre ; en effet, puisque son essence est finie du fait qu’il
est une créature, il faut entendre qu’elle soit déterminée à un certain lieu.
|
Sed ista est valde rudis probatio,
quia procedit ex aequivocatione finis. Cum enim dicitur essentia Angeli
finita, accipitur finis pro fine essentiae et virtutis, secundum quod etiam
definitio terminus dicitur ; et non pro fine dimensionis. Locus autem dicitur
finiens vel finitus secundum terminos quantitatis dimensivae. |
Mais cette argumentation manifeste une
grande ignorance car elle procède d’une équivoque sur la fin. En effet,
lorsqu’on dit que l’essence de l’Ange est finie, fin est pris pour la fin de
l’essence et de la puissance, selon que même la définition est appelée fin,
et non pour la fin de la dimension. Mais on dit du lieu qu’il finit ou qu’il
est fini d’après les termes de la quantité dimensive. |
Finis autem secundum utramque
acceptionem, nullam commensurationem et proportionem habet ; unde non oportet
ut quod est finitum in essentia, ad terminos loci finiatur. Et praeterea quod
aliquid determinetur ad locum aliquem, hoc non est nisi inquantum per aliquem
modum applicatur ad locum illum, et non ad alium. Haec autem applicatio vel
intelligitur secundum situm aut contactum, vel secundum formam, vel secundum
operationem aliquam. |
Mais la fin, d’après chacune des acceptions,
n’a aucune commune mesure et aucune proportion ; d’où il n’est pas
nécessaire que ce qui est fini par l’essence soit fini par les termes du
lieu. Et par ailleurs, qu’un être soit déterminé à un certain lieu, cela n’a
lieu que selon qu’il est appliqué d’une certaine manière à ce lieu et non à
un autre. Mais cette application s’entend soit selon la position ou le
contact, soit selon la forme, soit selon une certaine opération. |
Secundum formam, sicut anima est in
corpore ; quo modo Angelus in re locali esse non potest, cum non sit actus
corporis. Secundum determinatum situm, sicut punctus in linea quam determinat
; quo modo Angelus in loco non est, quia essentia ejus omnino a situ absoluta
est. Secundum contactum, sicut in loco est corpus. Contactus autem dicitur
dupliciter: proprie et metaphorice. Proprie tangere est, habere ultima simul
; et patet quod hoc Angelo convenire non potest. Tactus autem metaphoricus
est per actionem, sicut dicitur contristans tangere ; et iste tactus Angelo potest
convenire. |
Selon la forme, comme l’âme est dans le
corps ; et l’Ange ne peut être dans une chose corporelle de cette
manière puisqu’il n’est pas l’acte d’un corps. Selon une position déterminée,
comme le point sur la ligne qu’il détermine : et l’Ange n’est pas dans
le lieu de cette manière car son essence est totalement dégagée de la
position. Selon le contact comme un corps est dans le lieu. Mais le
contact se dit de deux manières :
proprement et par métaphore. Toucher, à proprement parler, c’est posséder
simultanément les extrémités ; et
il est clair que cela ne peut convenir à l’Ange. Mais le toucher pris par
métaphore a lieu par l’action, tout comme on dit de celui qui est attristé
qu’il touche ; et ce toucher peut convenir à l’Ange. |
Relinquitur ergo quod Angelus definiri
vel determinari non potest ad locum aliquem, nisi per actionem et
operationem. Dico autem operationem communiter secundum quod angelus se habet
ad corpus contentum in loco per modum praesidentis vel ministrantis, aut
aliquo modo agentis, vel patientis [Dico autem… vel patientis om. Éd. de Parme]. |
Il reste donc que l’Ange ne peut être limité
ou déterminé à un certain lieu que par l’action ou l’opération. Mais je parle
de l’opération entendue communément selon que l’Ange se rapporte au corps
contenu dans le lieu à la manière de celui qui préside ou qui sert, ou à la
manière d’un agent ou d’un patient [Mais je dis…ou d’un patient om. Éd. de
Parme]. |
Et ista est tertia opinio, quae ponit
Angelum esse in loco inquantum alicui loco per operationem applicatur. Et hoc
confirmatur auctoritate Gregorii Nysseni [Nazianzeni Éd. de Parme], qui hoc expresse dicit ; unde etiam subjungit,
quod cum deberemus dicere, hic operatur, abusive dicimus, hic est. |
Et c’est là la troisième opinion, laquelle
affirme que l’Ange est dans le lieu selon qu’il est appliqué à un lieu par
une opération. Et cela est confirmé par l'autorité de Saint-Grégoire de Nysse
[de Naziance Éd. de Parme] qui le
dit clairement ; d’où il ajoute encore qu’alors que nous devrions dire
qu’il opère ici, nous disons abusivement qu’il est ici. |
Et ideo hanc opinionem sequendo, quae
rationabilior videtur, dico, quod Angelus et quaelibet substantia incorporea
non potest esse in corpore vel in loco nisi per operationem, quae effectum
aliquem in eo causat. Hoc autem contingit multipliciter. |
Et c’est pourquoi, en suivant cette opinion
qui semble plus raisonnable, je dis que l’Ange, ainsi que toute substance
incorporelle, ne peut êre dans un corps ou dans un lieu que par l’opération
qui cause un certain effet en lui. Mais cela est possible de plusieurs
manières. |
Substantia enim spiritualis potest
alicui conferre non quidem esse, sed aliquid ad esse superadditum ; et sic
Angelus est in loco, inquantum operatur circa aliquod corpus locatum, vel
motum vel lumen corporale [corporale om.
Éd. de Parme], vel aliud hujusmodi ; cui tamen esse non confert.
Aliquando vero substantia spiritualis dat per operationem corpori esse ; non
tamen suum esse, sed aliud ; et hoc modo Deus est in omnibus creaturis quibus
dat esse, sed non suum. |
La substance spirituelle peut conférer à un
être non pas certes l’existence mais quelque chose qui s’ajoute à
l’existence ; et ainsi l’Ange est dans le lieu selon qu’il opère sur un
corps situé dans un lieu ou en mouvement, ou sur la lumière corporelle
[corporelle om. Éd. de Parme] ou
sur quelque chose d’autre de la sorte ; mais il ne lui confère cependant
pas l’existence. Mais parfois la substance spirituelle donne l’existence au
corps par l’opération, non pas la sienne mais une autre ; et c’est de
cette manière que Dieu est dans toutes les créatures auxquelles il donne
l’existence mais non la sienne. |
Aliquando autem dat corpori ipsum suum
esse ; sed hoc contingit dupliciter: quia esse et est actus formae, et est
actus hypostasis. Unde substantia spiritualis potest conferre rei corporali
esse suum inquantum est actus formae, ut sic forma ipsius efficiatur ; et hoc
modo anima est in corpore: aut secundum quod est actus hypostasis et non
formae ; et hoc modo humana natura in Christo assumpta est ad esse divinae
personae, quia facta est unio in hypostasi et non confusio in natura. |
Mais parfois il donne au corps son existence
même ; mais cela se produit de deux manières : car l’existence est
l’acte de la forme et l’acte de l’hypostase. D’où la substance spirituelle
peut conférer à la chose corporelle son existence soit selon qu’elle est
l’acte d’une forme de telle manière que sa forme soit produite ; et
c’est de cette manière que l’âme est dans le corps ; soit selon qu’elle
est l’acte de l’hypostase et non de la forme ; et c’est de cette manière
que la nature humaine est prise dans le Christ pour l’existence de la
personne divine car une union a été produite en hypostase sans confusion de
nature. |
[2666]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod locus
est nomen mensurae ; unde esse in loco proprie significatur ut esse in
mensura ; et sic nulli rei incorporeae convenit in loco esse, scilicet ut in
loco: sed tamen alicui rei incorporeae convenit esse in loco, non ut in loco,
sed sicut operans in operato, vel sicut forma in materia. Unde etiam Angelus non localis dicitur
[Angelus localis dicitur Éd. de Parme]
non nisi secundum quid, inquantum scilicet habet aliquid simile rei locali,
ut scilicet determinetur ad hunc locum potius quam ad illum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire
premièrement que le lieu est le nom d’une mesure ; d’où il résulte
qu’être en un lieu est proprement signifié comme étant dans une mesure ;
et en ce sens il ne convient à aucune réalité incorporelle d’être dans un
lieu, c’est-à-dire comme étant dans un lieu : il convient cependant à
une réalité incorporelle d’être dans un lieu, non pas comme étant elle-même
dans un lieu, mais comme posant une opération sur un ouvrage ou comme une
forme dans la matière. D’où il résulte qu’on dit même de l’Ange qu’il n’est
pas dans le lieu [on dit même de l’Ange qu’il n’est dans le lieu Éd. de Parme] que sous un rapport,
c’est-à-dire pour autant qu’il possède quelque chose de semblable à la chose
qui est dans le lieu, à savoir de manière à être déterminé à tel lieu plutôt
qu’à tel autre. |
[2667] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse in loco ut in loco, non convenit
Angelo nisi per accidens, inquantum scilicet corpus assumptum, vel corpus cui
per operationem applicatur, in loco est ; sed esse in loco ut operans in
operato, convenit Angelo etiam per se, secundum quod per se in loco operatur
; sicut etiam materia prima per se est in loco aut in locato ut pars ; et
sicut punctus per se est in loco ut terminus, non ut locatum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’exister
dans le lieu en tant que tel ne convient à l’Ange que par accident,
c’est-à-dire pour autant que le corps qui est pris ou le corps auquel il est
appliqué par l’opération est lui-même dans le lieu ; mais être dans le
lieu en tant que posant une opération sur un ouvrage, cela convient à l’Ange
même essentiellement selon que son opération porte essentiellement sur un
lieu, tout comme la matière première est essentiellement dans le lieu ou dans
ce qui est placé dans le lieu en tant que partie, et tout comme le point est
essentiellement dans le lieu en tant que terme et non en tant qu’il est
lui-même placé dans le lieu. |
[2668] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio etiam Angeli non est in loco ut
locatum, sed ut perfectio locati: quia operatio agentis semper est perfectio
patientis, inquantum hujusmodi. |
3. Il faut dire en troisième lieu que même
l’opération de l’Ange n’est pas dans le lieu en tant qu’étant elle-même
placée dans un lieu, mais en tant que perfection de ce qui est placé dans le
lieu : car l’opération de l’agent est toujours une perfection du patient
en tant que tel. |
[2669] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc non reputo inconveniens quod Angelus
sine loco possit esse et non in loco, quando nullam operationem circa locum
habet: nec est inconveniens ut tunc nusquam vel in nullo loco esse dicatur ;
sicut etiam non est inconveniens quod nullo colore coloratus dicatur. Sed hoc
tamen non est imaginabile, quia imaginatio continuum non transcendit. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que je ne
crois pas qu’il y ait un inconvénient à ce que l’Ange puisse exister sans le
lieu et comme n’étant pas dans le lieu quand il ne pose aucune opération sur
le lieu : et il n’y a pas de problème à ce qu’on dise alors qu’il n’est
nulle part ou dans aucun lieu, tout comme aussi il n’y a pas de problème à ce
qu’on dise qu’il n’est coloré par aucune couleur. Mais cela cependant n’est
pas imaginable parce que l’imagination ne peut transcender le continu. |
[2670] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus definitive in loco est per
operationem suam, Deus autem non ; quia operatio ipsius Dei, etsi determinata
sit ad locum inquantum transit super operatum, non tamen inquantum exit ab
operante, quia ita operatur hic quod etiam alibi ; sed Angeli operatio
definita est ad locum utroque modo, quia ipse non operatur alibi quam hic, ut
infra, art. seq., dicetur. |
5. Il faut dire en
cinquième lieu que l’Ange est précisément dans un lieu par son opération,
mais non pas Dieu ; car l’opération de Dieu, bien qu’elle soit
déterminée à un lieu en tant qu’elle passe sur son ouvrage, n’est pas
déterminée à un lieu en tant qu’elle sort de l’agent, car Dieu opère ici de
la même manière qu’il opère ailleurs ; mais l’opération de l’Ange est
limitée au lieu des deux manières, car lui-même n’opère pas de la même
manière ailleurs qu’il opère ici, comme on le dira dans l’article qui suit. |
[2671]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod operans non
oportet esse in operato, vel applicari sibi, nisi circa quod immediate
operatur. Philosophi autem ponebant, quod operatio intelligentiae non pervenit
ad ea quae sunt hic nisi mediante motu orbium, et ad orbem non nisi mediante
anima ejus, quam in orbe esse dicebant. Et ideo sequitur intelligentiam omnino absolutam a corpore et
a loco esse. |
6. Il faut dire en sixième lieu qu’il n’est
pas nécessaire que celui qui opère soit dans l’ouvrage ou qu’il lui soit
appliqué, sauf sur ce qu’il opère immédiatement. Mais les philosophes
soutenaient que l’opération de l’intelligence ne parvient aux choses qui sont
ici que par l’intermédiaire du mouvement de l’univers, et qu’elle ne parvient
à l’univers que par l’intermédiaire de son âme dont ils disaient qu’elle est
dans l’univers. D’où il s’ensuit que l’intelligence est totalement dégagée du
corps et du lieu. |
|
|
Articulus 2 [2672] Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 3 a. 2 tit. Utrum Angelus possit esse in pluribus locis |
Article 2 – L’ange peut-il être en plusieurs lieux ? |
[2673]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod Angelus possit simul in pluribus locis esse. Quodlibet enim
corpus est magis determinatum ad locum quam Angelus. Sed aliquod corpus est
simul in pluribus locis, sicut |
Difficultés : 1. Il semble que l’Ange
puisse être simultanément en plusieurs lieux. Tout corps en effet est
davantage déterminé à un lieu que l’Ange. Mais certain corps est
simultanément en plusieurs lieux, comme le corps du Christ est simultanément
sur plusieurs autels. Donc l’Ange peut bien davantage être simultanément en
plusieurs lieux. |
[2674] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 2 arg. 2 Praeterea, quando Angelus assumit corpus, constat quod immediate
movet quamlibet partem ejus: alias motus inordinatus fieret, et dissimilis
motui animalis. Sed Angelus est ubicumque immediate operatur. Ergo Angelus
est in singulis partibus illius corporis: et ita videtur quod sit simul in
pluribus locis. |
2. Par ailleurs, quand l’Ange prend un
corps, il est clair qu’il en meut immédiatement toutes les parties, autrement
le mouvement deviendrait désordonné et ne ressemblerait pas au mouvement de
l’animal. Mais l’Ange est partout où il opère immédiatement. Donc l’Ange est
dans chacune des parties de ce corps et ainsi il semble qu’il soit
simultanément en plusieurs lieux. |
[2675] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 2 arg. 3 Praeterea, caelum Empyreum debetur Angelis secundum opus
contemplationis. Sed quando operantur hic circa nos, non desinunt
contemplari. Ergo simul sunt hic et in caelo Empyreo ; et ita in pluribus locis. |
3. Par ailleurs, le ciel de l’Empyrée est dû
aux Anges pour l’œuvre de la contemplation. Mais quand ils opèrent sur nous,
ils ne cessent pas de contempler. Ils sont donc simultanément ici et dans le
ciel de l’Empyrée, et par conséquent ils sont simultanément en plusieurs
lieux. |
[2676]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne agens cujus virtus
excedit illud in quod operatur, potest etiam circa aliud operari. Sed virtus
Angeli excedit hoc corpus circa quod operatur. Ergo potest etiam in alio
operari: et ita potest in pluribus locis esse ; sed ubi operatur, ibi est. |
4. Par ailleurs, tout agent
dont la puissance dépasse ce sur quoi il opère peut aussi faire porter son
opération sur autre chose. Mais la puissance de l’Ange dépasse ce corps sur
lequel il pose son operation. Il peut donc aussi poser son opération sur
autre chose, et par consequent il peut être en plusieurs lieux; mais là où il
pose son opération, c’est là qu’il est. |
[2677]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Damascenus dicit,II Fidei orth., cap. III, col. 870, quod
dum sunt in caelo, non sunt in terra ; et ita videtur quod non sint simul in
pluribus locis. |
Cependant: 1. Damascène [11 De la Foi
Orthodoxe, ch. 111, col. 870] dit que tant qu’ils sont dans le Ciel, ils
ne sont pas sur la Terre; et ainsi il semble qu’ils ne soient pas
simultanément en plusieurs lieux. |
[2678]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in Littera ponitur et probatur Angelus definitive in loco esse.
Sed quod est in pluribus locis, ad nullum locum est definitum vel
determinatum. Ergo
Angelus non est in pluribus locis. |
2. Par Ailleurs, on
affirme et on prouve dans la Lettre que l’Ange est précisément dans un lieu.
Mais on n’établit et on ne détermine à aucun endroit qu’il soit en plusieurs
lieux. Donc l’Ange n’est pas en plusieurs lieux. |
[2679]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc
sunt diversae opiniones. Quidam
enim dixerunt, quod Angelus potest esse in pluribus locis simul, sed non
ubique, sicut Deus ; corpus autem in uno loco tantum est. Sed hoc reputatum
est pro errore a magistris: quia sequeretur quod Angelus nec definitive nec
circumscriptive in loco esset. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire qu’il existe différentes opinions à ce
sujet. En effet, certains ont dit que l’Ange peut être simultanément en
plusieurs lieux mais non partout comme c’est le cas pour Dieu; mais un corps
ne se trouve qu’en un seul lieu. Mais cela a été considéré comme une erreur
par les maîtres, car il découlerait de cette position que l’Ange ne serait
dans le lieu ni précisément ni circonscriptivement. |
Unde alii dicunt, quod Angelus est in
loco indivisibili: quia ponunt quod essentiae Angeli secundum se debetur
locus ; unde, quia essentia ejus indivisibilis est, oportet quod locus ejus
sit indivisibilis. Sed iste error contingit eis, quia non possunt
imaginationem transcendere, ut intelligant aliquid indivisibile, nisi sicut
habens situm in continuo. |
C’est pourquoi
d’autres disent que l’Ange est dans un lieu indivisible car ils soutiennent
qu’un lieu doit être attribué à l’essence de l’Ange en elle-même ; d’où
il résulte que parce que son essence est indivisible, il faut que son lieu
soit indivisible. Mais ils tombent dans cette erreur parce qu’ils ne peuvent
dépasser l’imagination de telle manière qu’ils n’entendent l’indivisible que
comme ce qui possède une position dans le continu. |
Et ideo dicendum est, quod Angelus est
in uno loco tantum ; sed ille locus potest esse divisibilis vel indivisibilis,
aut magnus vel parvus, secundum quod operatio ejus immediate ad magnum vel
parvum terminatur. Unde si immediate operetur circa totam domum, tota domus
respondet sibi sicut unus locus, ita quod in qualibet parte erit ; sicut
etiam dicimus quod anima est in qualibet parte corporis. |
Et c’est pourquoi il faut dire que l’Ange
est dans un seul lieu, mais ce lieu peut être divisible ou indivisible, grand
ou petit, selon que son opération se termine immédiatement à quelque chose de
grand ou de petit. D’où il résulte que si son opération porte immédiatement
sur toute la maison, toute la maison lui correspondra comme un seul lieu de
telle manière qu’il sera dans chacune de ses parties, tout comme nous disons
aussi que l’âme est dans chacune des parties du corps. |
Et dico immediate, quia si Angelus
moveret lapidem ex cujus motu multa alia moverentur, non oporteret quod esset
nisi ubi est primum motum ; sicut patet etiam in motore corporali, quem
necesse est tangere solum id quod movetur ab eo. Ideo autem dico quod non
potest esse in pluribus locis simul, quia est naturae finitae, et per
consequens virtutis finitae. Impossibile est autem quod ab una virtute finita
procedat nisi una operatio. |
Et je dis ¨immédiatement¨, parce que si
l’Ange mouvait la pierre de telle manière qu’à partir de son mouvement
d’autres choses seraient mises en mouvement, il ne lui serait nécessaire
d’être que là où est le premier mouvement, tout comme on voit encore qu’il
est nécessaire au moteur corporel de toucher seulement ce qui est mû par lui.
Et c’est pourquoi je dis au sujet de l’Ange qu’il ne peut être simultanément
en plusieurs lieux parce que sa nature est finie et que par conséquent sa
puissance aussi est finie. Mais d’une puissance finie ne peut procéder qu’une
seule opération. |
Operatio
autem una est quae terminatur ad unum operatum: et ideo oportet quod operatum
Angeli sit unum, circa quod immediate operatur. Unde sicut anima non est simul in
pluribus corporibus, ita nec Angelus in pluribus locis. Deo autem soli
convenit in pluribus et in omnibus locis esse, quia ipse virtutis infinitae
est ; et quamvis operatio ejus sit una secundum quod est in ipso, quae est
ipsemet ; tamen effectus operationis sunt infiniti, inquantum ipse est
principium dans esse, et per consequens creans omnia alia quae ad esse sunt
superaddita. Unde est in omnibus non solum sicut in uno operato,
sed sicut in pluribus, quia etiam ea per quae distinguuntur res in quibus
operatur, ab ipso sunt. |
Mais une seule et même
opération est celle qui se termine à un seul ouvrage: et c’est pourquoi
l’ouvrage de l’Ange sur lequel il opère immédiatement soit unique. D’où il
résulte que tout comme l’âme n’est pas simultanément en plusieurs corps, de
même l’Ange ne peut être en plusieurs lieux. C’est à Dieu seul cependant
qu’il convient d’être en plusieurs lieux et d’être dans tous les lieux parce
que Lui-même est d’une puissance infinite; et bien qu’il ne pose qu’une seule
opération selon qu’elle est en Lui, cette opération étant Lui-même, cependant
les effets de cette opération sont infinis selon qu’Il est Lui-même le
principe qui donne l’existence et qui crée par consequent tout ce qui
s’ajoute à l’existence. D’où il résulte qu’il est dans tous les êtres non
seulement comme dans un seul ouvrage mais comme dans plusieurs car vient de
Lui même ce par quoi se distinguent les choses dans lesquelles il opère. |
[2680] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus Christi non habet, inquantum
est corpus, nec inquantum divinitati unitum, quod sit in pluribus locis: sed
habet hoc ratione consecrationis et transubstantiationis, inquantum diversi
panes qui in ipsum transubstantiantur sunt in diversi locis: et quia
substantia panis transit in corpus Christi manentibus accidentibus, ideo
manet quantitas utriusque panis, et per consequens locus utriusque: et idem
contingeret in quidquid aliud panis divina virtute transubstantiaretur. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu que ce n’est pas en tant qu’il est un corps ni même en tant qu’il est
uni à la divinité que le corps du Christ tient sa capacité à être en
plusieurs lieux, mais il le tient en raison de la consécration et de la
transubstantiation, en tant que divers pains qui sont transubstantiés en Lui
sont en divers lieux : et parce que la substance du pain passe au corps
du Christ alors que les accidents demeurent, c’est pourquoi la quantité de
l’un et l’autre pain demeure, et par conséquent le lieu de chacun
d’eux : et la même chose se produirait en toute autre chose que le pain
qui serait transubstantié par la puissance divine. |
[2681]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod totum
illud corpus assumptum comparatur ad Angelum sicut unum indivisibile ubi,
prout circa ipsum est una operatio. Unde quamvis sit in qualibet parte ipsius assumpti corporis,
non oportet quod sit in pluribus locis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la
totalité du corps qui est pris par l’Ange se compare à l’Ange comme un seul
lieu indivisible, selon qu’il n’y a qu’une seule opération qui porte sur lui.
D’où il résulte que bien qu’il soit dans chacune des parties de ce corps qui
est pris par lui, il ne s’ensuit pas qu’il soit en plusieurs lieux. |
[2682]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio
est quasi medium inter operans et operatum: unde potest considerari vel
secundum quod exit ab operante, vel secundum quod terminatur ad operatum. Operationi autem Angeli non debetur
locus secundum quod exit ab essentia ejus quae secundum se absoluta est, sed
secundum objectum ad quod terminatur: et ideo operationi contemplativae
Angeli non debetur aliquis locus corporeus, cum objectum contemplationis
spirituale sit: et ideo caelum Empyreum non est de necessitate
contemplationis ; sed assignatur contemplationi per congruentiam, inquantum
locus ille sanctificatus est ad gloriam beatorum, sicut contemplantis [etiam
contemplationis Éd. de Parme]
dicitur magis esse locus Ecclesia, quam forum. Unde non oportet quod
quandocumque contemplatur, sit in caelo Empyreo. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
l’opération est comme un intermédiaire en celui qui opère et son
ouvrage ; d’où il suit qu’elle peut être considérée soit comme ce qui
sort de ceui qui opère, soit comme ce qui se termine à l’ouvrage. Mais le lieu ne doit pas être attribué à
l’opération de l’Ange selon qu’elle sort de son essence qui en elle-même est
parfaitement libre de toute matière, mais selon l’objet auquel elle se
termine ; et c’est pourquoi il ne faut pas attribuer un lieu corporel à
l’opération de contemplation de l’Ange puisque l’objet de la contemplation
est spirituel ; et c’est pourquoi le ciel de l’Empyrée n’est pas
nécessaire à la contemplation, mais il est assigné à la contemplation par
convenance ou proportion, selon que ce lieu a été sanctifié pour la gloire
des bienheureux, tout comme on dit de l’Église qu’elle est davantage que le
forum le lieu de celui qui contemple [aussi le lieu de la contemplation Éd. de Parme]. D’où il n’est pas
nécessaire qu’à chaque fois qu’il contemple, il soit dans le ciel de l’Empyrée. |
[2683] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus Angeli quamvis excedat hoc
operatum excessu quasi quantitatis continuae, eo quod posset circa aliquod
majus operari ; non tamen excedit excessu quantitatis discretae, quia non
potest nisi circa unum operari, sive illud sit magnum sive parvum. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu que la puissance de l’Ange, bien qu’elle dépasse cet ouvrage
comme par un excès de la quantité continue du fait qu’elle pourrait opérer
sur quelque chose de plus grand, elle ne le dépasse cependant pas par un
excès de la quantité discrète car elle ne peut opérer que sur un seul objet,
que cet objet soit grand ou petit. |
|
|
Articulus 3 [2684] Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 3 a. 3 tit. Utrum plures Angeli possint esse in uno loco |
Article 3 – Plusieurs anges peuvent-ils être dans un seul et même lieu ? |
[2685]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod plures Angeli possint
simul esse in uno loco. Magis enim est repletivum loci corpus quam spiritus.
Sed ubi est corpus, potest esse Angelus. Ergo multo magis non impeditur quin
possit esse ubi est alius Angelus. |
Difficultés : 1. Il semble que plusieurs
Anges peuvent être simultanément dans un seul et même lieu. En effet, un
corps, plus qu’un esprit, est apte à remplir un lieu. Mais où est un corps,
un Ange peut y être. Donc, à plus forte raison rien n’empêche qu’un Ange
puisse être là où il y a un autre Ange. |
[2686]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, Contra epistolam fudamenti, cap. XVI, col. 184 et De imm. Animae, cap. XVI, col. 1034, anima est in qualibet parte
corporis. Sed daemones et Angeli, quamvis non illabantur mentibus, illabuntur
tamen corporibus, ut sancti dicunt. Ergo videtur quod Angelus et anima
possint esse in eodem loco, et eadem ratione videtur quod Angelus et Angelus. |
2. Par ailleurs, selon Saint-Augustin [Contre la Lettre du Fondement, ch. XVI,
col. 184 et De l’Immortalité de l’Âme,
ch. XVI, col. 1034], l’âme est dans chacune des parties du corps. Mais les
Démons et les Anges, bien qu’ils ne pénètrent pas les esprits, pénètrent
cependant les corps, ainsi que le disent les saints. Il semble donc que
l’Ange et l’âme peuvent être dans un même lieu, et pour le même raison il
semble qu’il en soit de même pour plusieurs Anges. |
[2687] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 3 arg. 3 Si dicas, quod hoc non potest esse ne sequatur confusio. Contra, majori distinctioni magis
repugnat confusio. Sed magis distinguitur spiritus creatus a spiritu
increato, quam spiritus creatus a spiritu creato. Cum igitur sine aliqua
confusione sint ubi ipse Deus est, intra quem currunt ubicumque mittantur, ut
in Littera dicitur, videtur etiam quod duo Angeli simul esse possint. |
3. Si tu dis que cela
n’est pas possible afin qu’il ne s’ensuive pas une confusion, je réponds par
contre que la confusion répugne à une plus grande distinction. Mais un esprit
créé diffère davantage d’un esprit incréé qu’un esprit créé diffère d’un
autre esprit créé. Donc, puisque deux esprits créés sont sans confusion là où
Dieu lui-même est et à l’intérieur duquel ils courent partout où ils sont
envoyés, comme on le dit dans la Lettre, il semble aussi que deux Anges
puissent y être simultanément. |
[2688] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut Angelus operatur circa corpus, ita etiam
operatur circa Angelum ; quia superiores inferiores illuminant, ut dicit
Dionysius, c. VIII cael. Hier.,
col. 238. Sed per hoc quod operatur circa locum, dicitur esse in loco: ergo
per hoc quod operatur circa Angelum, dicitur esse in Angelo ; et ita videtur
quod duo Angeli in uno loco esse possint. |
4. Par ailleurs, tout comme l’Ange opère sur
un corps, de même encore il opère sur un autre Ange ; car les Anges
supérieurs éclairent ceux qui sont inférieurs, comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. VIII, col. 238]. Mais du fait qu’il opère
sur un lieu, on dit qu’il est dans le lieu : donc du fait qu’il opère
sur un Ange, on dit qu’il est dans un Ange ; et ainsi il semble que deux
Anges peuvent être dans un même lieu. |
[2689] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut se habet corpus ad esse circumscriptive in
loco, ita et Angeli ad esse definitive. Sed duo
corpora non circumscribuntur eodem loco. Ergo nec duo Angeli definiuntur ad
unum locum. |
Cependant: 1. Au contraire, ce que le corps est à une existence circonscrite dans
le lieu, l’Ange l’est à une existence délimitée dans le lieu. Mais deux corps
ne sont pas circonscrits par le même lieu. Donc de même deux Anges ne sont
pas délimités par un seul lieu. |
[2690] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 3 s. c. 2 Praeterea, unius corporis non sunt duae animae ; et tamen anima
substantia spiritualis est, sicut et Angelus. Ergo videtur quod nec duo
Angeli in uno et eodem loco esse possint. |
2. Par ailleurs, il n’y a pas deux âme pour
un même corps et cependant l’âme est une substance spirituelle, tout comme
l’Ange. Il semble donc que deux Anges ne peuvent être dans un seul et même
lieu. |
[2691]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod locus potest sumi proprie et
metaphorice. Locus metaphorice dicitur locus spiritualis Angeli, scilicet
ipse Deus qui ad similitudinem loci continet ; et sic omnes Angeli, immo
omnia entia, sunt in uno loco, scilicet in Deo, quia [Éd. de Parme] qui omnia continet. Sed sic non loquimur de loco,
sed de loco proprie dicto, qui est locus corporalis. |
Corps de
l’article : Je réponds que le lieu
peut être entendu soit proprement soit par métaphore. On appelle lieu métaphorique
le lieu spirituel de l’Ange, à savoir Dieu lui-même qui contient à la
ressemblance d’un lieu ; et en ce sens tous les Anges, bien plus tous
les êtres, sont en un seul lieu, à savoir en Dieu parce qu’Il [qui Éd. de Parme] les contient tous. Mais
ce n’est pas de ce lieu dont nous
parlons, mais du lieu proprement dit qui est le lieu local. |
Et sic dico, secundum communem
opinionem, quod plures Angeli non possunt simul in uno loco esse. Cujus ratio
accipienda est ex parte operationis secundum quam Angelus in loco esse
dicitur: quia, secundum Philosophum,in IV Physic.,
text. 31, tunc pulcherrime unumquodque definitur, quando per definitionem
manifestatur natura rei, et demonstrantur omnes proprietates consequentes, et
solvuntur omnes dubitationes incidentes. |
Et en ce sens je dis, conformément à
l’opinion générale, que plusieurs Anges ne peuvent simultanément être en un
seul et même lieu. Et la raison de cela doit se prendre du côté de
l’opération selon laquelle on dit de l’Ange qu’il est dans un lieu : car
d’après le Philosophe [IV Physique,
texte 31], chaque chose est définie de la plus belle manière quand la nature
de la chose est manifestée par la définition, que par elle sont démontrées
toutes les propriétés qui découlent de sa nature et que sont résolues toutes
les difficultés qui pouvaient se présenter à son sujet. |
Secundum hoc ergo dicendum est quod
impossibile est idem secundum idem pati et moveri a diversis agentibus vel
moventibus, si utrumque sit perfectae virtutis ad inducendum effectum illum.
Sed hoc contingit quando plures movent in virtute unius moventis, quorum
quilibet est imperfectum movens, sicut patet in trahentibus navim ; et hoc
ideo quia ab agente perfecto patiens ducitur in actum perfectum, quo habito,
non remanet in potentia ad suscipiendum aliquid plus. |
D’après cela il faut donc dire qu’il est
impossible au même être et sous le même rapport de subir une action et d’être
mû par des agents ou des moteurs différents si les deux sont d’une puissance
parfaite à introduire cet effet. Mais cela est possible quand plusieurs
agents meuvent sous la puissance d’un même moteur, dont chacun est un moteur
imparfait, tout comme on le voit chez ceux qui tirent un navire ; et il
en est ainsi parce que par un agent parfait un patient est conduit à un acte
parfait et une fois qu’il le possède, il ne demeure plus en puissance à
recevoir quelque chose de plus. |
Cum igitur unus Angelus agens in
virtute imperii divini sit sufficientis virtutis ad educendum in actum totum
illud quod virtute divina operandum est circa aliquod corpus supra actus
corporales [naturales Éd. de Parme],
ad quorum operationes non mittuntur Angeli, non potest esse quod circa idem
operatum conveniant immediate operationes duorum Angelorum ; et ideo non
possunt esse in eodem loco: quia alter eorum superflueret. Unde etiam
philosophi ex Aristoteles, XII Metaph, text.
48, uni orbi non attribuerunt nisi unum motorem. |
Donc puisqu’un même Ange, agissant sous la
puissance du commandement divin, est d’une puissance suffisante pour conduire
à l’acte tout ce qui, par la puissance divine, doit être opéré sur un corps
au-delà des actes corporels [naturels Éd. de Parme] pour lesquels les Anges
ne sont pas envoyés, il n’est pas possible que sur un même ouvrage les
opérations de deux Anges se rencontrent immédiatement ; et c’est
pourquoi ils ne peuvent être dans un même lieu car l’un des deux serait
inutile. D’où même les philosophes à partir d’Aristote [XII Métaphysique, texte 48] n’ont attribué
qu’un seul moteur à un seul et même univers. |
[2692] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non impedit repletio loci quin plures
Angeli simul in uno loco esse possint ; sed confusio operationum, quae
quodammodo redundaret in confusionem virtutis et essentiae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’occupation du lieu n’empêche pas que plusieurs Anges
puissent simultanément être dans un même lieu ; mais ce qui
l’empêcherait, c’est la confusion des opérations qui d’une certaine manière
retomberait sur la confusion de la puissance et de l’essence. |
[2693] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima est in corpore ut forma dans esse,
et operans operationes naturales ; sed Angelus est in corpore ut operans
operationes supernaturales ; et ideo nulla confusio operationum fit ; quia
non est unius rationis operatio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que l’âme
est dans le corps comme une forme qui donne l’existence et qui exécute les
opérations naturelles ; mais l’Ange est dans le corps pour exécuter des
opérations surnaturelles et c’est pourquoi il ne se présente aucune confusion
car il n’y a pas qu’un seul genre d’opération. |
[2694] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 3 ad 3 Et per hoc etiam patet responsio ad tertium ; quia Deus est in rebus
ut dans omnibus esse, et operans in qualibet virtute operante ; et ideo
alterius rationis est operatio ipsius et Angeli operatio [et… operatio om. Éd. de Parme] ; unde non sequitur
confusio. |
3. Et par là on voit aussi la réponse à la
troisième difficulté car Dieu est dans les choses en tant qu’il donne
l’existence à tous les êtres et en tant qu’il opère dans toute puissance
d’opération ; et c’est pourquoi son opération et celle de l’Ange ne sont
pas du même genre [et…opération om. Éd.
de Parme] ; d’où il ne s’ensuit aucune confusion. |
[2695] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3
a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut communiter dicitur, Angelus
illuminans non operatur intra essentiam Angeli, quia non est causa esse ejus
; et lumen receptum in esse ejus non recipitur ; et ideo dicitur quasi
exterius operari per modum suggerentis. Et similiter, quamvis effectus Angeli
non recipiatur intra esse corporis cujus non est causa, recipitur tamen intra
dimensiones ejus, ratione cujus Angelus intrinsecus corpori dici potest ; non
autem animae nec Angelo ; unde non sequitur quod sit in Angelo vel cum Angelo
in uno loco. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que, comme on le dit généralement, l’Ange
qui illumine ou éclaire n’opère pas à l’intérieur même de l’Ange car il n’est
pas la cause de son existence ; et la lumière reçue n’est pas reçue dans
son existence ; et c’est pourquoi on dit de lui qu’il opère de
l’extérieur à la manière de celui qui suggère. Et de la même manière, bien
que l’effet de l’Ange ne soit pas reçu dans l’existence du corps dont il
n’est pas la cause, il est reçu cependant dans ses dimensions, en raison de
quoi on peut dire de l’Ange qu’il est intérieur au corps mais non pas à l’âme
ni à l’Ange ; il résulte de là qu’il ne s’ensuit pas qu’il soit dans l’Ange
ou avec l’Ange dans un seul et même lieu. |
|
|
Quaestio 4 |
Question 4 – [Le mouvement des anges] |
Prooemium |
Prologue |
[2696] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
pr. Deinde quaeritur de motu Angeli ; et circa hoc tria quaeruntur: 1
utrum Angelus moveatur ; 2
utrum pertranseat medium motu suo ; 3
utrum motus ejus sit in tempore, vel in nunc. |
On
s’interroge ensuite sur le mouvement des Anges et à ce sujet on pose trois
questions : 1. Est-ce que l’Ange est
capable de mouvement local? 2. Est-ce qu’il traverse
un milieu intermédiaire en passant d’un lieu à un autre ? 3. Est-ce que son
mouvement est dans le temps ? |
|
|
Articulus 1 [2697] Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 4 a. 1 tit. Utrum Angelus moveatur |
Article 1 – L’ange se meut-il localement ? |
[2698]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angelus non moveatur.
Quia, secundum Philosophum, III Physic.,
text. 9, motus est actus imperfecti ; quia est actus existentis in
potentia, inquantum hujusmodi. Sed Angelus est perfectus, et praecipue
beatus. Ergo non movetur. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Ange ne
soit pas capable de mouvement local. Car, d’après le Philosophe [111 Physique, texte 9] le mouvement est
l’acte de ce qui est imparfait car il l’acte de ce qui est en puissance en
tant que tel. Mais l’Ange est parfait et surtout bienheureux. Il ne se meut
donc pas. |
[2699]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid movetur,
aliqua specie motus movetur. Sed
enumeratis omnibus speciebus motus et mutationis, patet quod nulla convenit
Angelo, nisi forte alteratio et loci mutatio [loci et mutatio Éd. de Parme] ; non enim augetur vel
diminuitur, cum non sit quantus ; nec iterum generatur et corrumpitur, cum in
ipso non sit contrarietas ut per se corrumpatur (quia nihil per se
corrumpitur nisi ratione contrarietatis) et sit per se subsistens, ut non
corrumpatur per accidens ; quia aliquid corrumpitur per accidens [id quod
corrumpitur…corrumpitur Éd. de Parme]
ad corruptionem id quod ad corruptionem ejus in quo est sicut in subjecto. |
2. Par ailleurs, tout ce qui se meut se meut
d’une certaine espèce de mouvement. Mais si on énumère toutes les espèces de
mouvement et de changement, il est clair qu’aucune ne convient à l’Ange, si
ce n’est peut-être l’altération et le changement de lieu [de lieu et le
changement Éd. de Parme] ; en
effet, il n’est pas le sujet de la croissance et de la décroissance puisqu’il
ne possède pas de quantité ; et en outre il n’est ni engendré ni
corrompu puisqu’il n’y a pas en lui de contrariété de manière à être corrompu
par soi (car rien ne se corrompt par soi si ce n’est en raison de la
contrariété) et il est par soi subsistant de manière à ne pas être corrompu
par accident car quelque chose est corrompu par accident [ce qui est corrompu…
est corrompu Éd. de Parme] ce qui
est corrompu par rapport à la corruption de ce dans quoi il se trouve comme
dans un sujet. |
Sed
non movetur alteratione, vel loci mutatione. Ergo nullo modo movetur. Quod autem non [nullo modo Éd. de Parme] alteretur, sic probatur.
Sicut enim probat Philosophus, in VII Physic.,
text. 20, alteratio non est nisi circa qualitates sensibiles, et circa
sensibilem partem animae. Sed haec ab Angelo remota sunt. Ergo Angelus non
alteratur. Similiter videtur quod non movetur secundum locum. Quia omnis
motus localis videtur esse propter aliquam indigentiam. Sed Angelus,
praecipue beatus, nullius est indigens. Ergo localiter non movetur. |
Mais il ne se meut pas par altération ou par
un changement de lieu. Donc il ne se meut d’aucune manière. Mais qu’il ne
[d’aucune manière Éd. de Parme] se
meuve pas par altération, il le prouve de la manière suivante. En effet, tout
comme le Philosophe [ VII Physique,
texte 20] prouve qu’il n’y a altération que sur les qualités sensibles et
dans la partie sensible de l’âme. Mais tout cela est étranger à l’Ange. Il
n’y a donc pas altération dans l’Ange. De la même manière il semble qu’il ne
se meuve pas selon le lieu car il semble que tout mouvement local ait pour
cause un besoin. Mais l’Ange, surtout le bienheureux, n’a besoin de rien. Il
ne se meut donc pas localement. |
[2700]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, si movetur secundum
locum, moveatur ergo de A in B ; et sit B illud in quod primo mutatur. Ergo
cum movetur, aut est in A, aut in B, aut est in utroque. Sed in A non
movetur, quia ibi incipit moveri, et principium motus non est motus ; nec
iterum in B movetur, quia ibi mutatum est. Nihil autem simul movetur et
mutatum est. Ergo oportet quod dum movetur, sit simul in utroque. Sed non
potest esse simul in duobus locis totus, ut probatum est, art. 2, quaest.
praeced. Ergo oportet
quod sit partim in A et partim in B. Ergo est divisibilis ; quod est
inconveniens. |
3. Par ailleurs, s’il se meut selon le lieu,
il se meut donc de A à B ; et soit B ce en quoi il y a changement en
premier. Donc, lorsqu’il se meut, ou bien il est en A, ou bien il est en B,
ou bien il est dans les deux. Mais il ne se meut pas en A, car c’est là le
point de départ du mouvement et le principe du mouvement n’est pas le
mouvement ; et il ne se meut pas davantage en B car c’est là le terme du
mouvement. Il faut donc qu’aussi longtemps qu’il se meut, il soit
simultanément dans les deux. Mais il ne peut être simultanément dans les deux
en son entier, ainsi que nous l’avons prouvé à l’article 2 de la question
précédente. Il faut donc qu’il soit en partie en A et en partie en B. Il est
donc divisible, ce qui n’est pas juste. |
[2701]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 4
Si dicas, quod non movetur per se in loco, sed secundum accidens. Contra, quidquid movetur per accidens
in loco, movetur ad ejus motum in quo est. Sed Angelus est in eo in quo
operatur. Ergo movetur per accidens ad motum ejus. Sed sicut illud in quo est
Angelus, movetur, ita illud in quo est Deus. Ergo et Deus movebitur secundum
locum ; quod est inconveniens: quia Deus nec per se nec per accidens movetur,
ut in VIII Physic. probatur. Ergo
et eadem ratione Angelus nec per se nec per accidens movebitur. |
4. Si tu dis que ce n’est pas par lui-même
qu’il se meut dans le lieu mais par accident, je réponds par contre que tout
ce qui se meut par accident dans le lieu se meut par rapport au mouvement de
celui dans lequel il se trouve. Mais l’Ange est dans celui dans lequel il
pose son opération. Il se meut donc par accident par rapport à son mouvement.
Mais tout comme celui dans lequel l’Ange se trouve se meut, il en est de même
pour celui dans lequel Dieu se trouve. Donc, d’après cette position, Dieu
aussi sera mû selon le lieu, ce qui est absurde car Dieu ne se meut ni par
soi ni par accident comme on le prouve [ VIII Physique]. Donc, pour la même raison, l’Ange non plus ne se meut
ni par soi ni par accident. |
[2702] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 1 arg. 5 Praeterea, ea quae de Deo vel de Angelis metaphorice a sanctis
exponuntur, non sunt eis simpliciter attribuenda. Sed Dionysius, XV cap. Cael. Hier., col. 327, exponit
ascensum et descensum Angelorum inter metaphorica. Ergo videtur quod motus
localis non sit simpliciter Angelo attribuendus. |
5. Par ailleurs, les choses qui sont
exposées par les saints de manière métaphorique sur Dieu et sur les Anges ne
doivent par leur être attribuées purement et simplement. Mais Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. XV col.
327] présente la montée et la descente des Anges parmi les expressions
métaphoriques. Il semble donc que le mouvement local ne doive pas être
attribué aux Anges d’une manière
absolue. |
[2703] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 1 s. c. 1 Sed contra, quod est proprium alicui, sibi soli convenit. Sed
immutabilitas, ut supra, distinct. 8, quaest. 3, art. 1, dictum est, Dei
proprium est. Ergo Angelo non convenit. Potest ergo moveri. |
Cependant : 1. Au contraire, ce qui
est propre à un être n’appartient qu’à lui seul. Mais l’immutabilité, ainsi
que nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 3, art. 1], est propre à
Dieu. Elle ne convient donc pas à l’Ange. Il peut donc se mouvoir. |
[2704] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 1 s. c. 2 Praeterea, omne quod est hic et ibi, et non simul, movetur
secundum locum. Sed Angelus simul non est in duobus locis, ut habitum est. Cum
igitur unus et idem Angelus inveniatur in Scripturis operari in diversis
locis, et ita esse in eisdem [in eisdem om.
Éd. de Parme] (quia ubi operatur ibi est), sicut de Gabriele legitur Luc.
1, qui annuntiavit Zachariae in templo, et Mariae in Nazareth, videtur quod
Angelus secundum locum moveatur. |
2. Par ailleurs, tout ce qui
est ici et là non simultanément se meut selon le lieu. Mais l’Ange n’est pas
simultanément en deux lieux, comme nous l’avons établi. Donc puisqu’on trouve
dans les Écritures un seul et même Ange qui pose une opération en divers
lieux et qu’il se trouve ainsi à être en ces mêmes lieux [en ces mêmes om. Éd. de Parme] (car il est là où il
opère), tout comme on lit au sujet de Gabriel (Luc, 1) qu’il annonça à
Zacharie dans le temple et à Marie à Nazareth, il semble que l’Ange se meuve
localement. |
[2705]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod triplex motus Angeli invenitur a
sanctis traditus. Primus motus est secundum illuminationes a Deo in mentem
Angeli descendentes, qui quidem metaphorice motus dicitur ; et hunc tradit
Dionysius in 4 cap. de Div. Nomin. § 8, col. 703, et distinguit eum per tres
species, scilicet in motum circularem, rectum et obliquum. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a trois sortes de mouvement de l’Ange qui nous sont transmis par les
saints. La première sorte est selon les illuminations qui viennent de Dieu et
qui descendent dans l’esprit de l’Ange, et qu’on appelle certes un mouvement
au sens métaphorique ; et Denys [Les
Noms Divins, ch. 4, & 8, col. 703] nous enseigne cette sorte de
mouvement qu’il distingue en trois espèces, à savoir le mouvement circulaire,
le mouvement rectiligne et le mouvement oblique. |
Motus autem circularis Angeli dicitur
secundum quod lumen intellectuale descendit originaliter a Deo in intellectum
Angeli ; et per illud lumen intellectus Angeli ascendit in contemplationem
Dei: et sic est motus ab eodem in idem, et est uniformis, inquantum lumen
illud non egreditur intellectus simplicitatem. Motus autem rectus dicitur quando
Angelus lumen a Deo receptum inferioribus tradit quasi secundum rectam
lineam. |
Mais on dit du mouvement de l’Ange qu’il est
circulaire selon que la lumière intellectuelle descend dans l’intelligence de
l’Ange en partant de Dieu comme de son origine ; et par cette lumière
l’intelligence de l’Ange s’élève à la contemplation de Dieu : et ainsi
le mouvement a lieu du même vers le même et il est uniforme en tant que cette
lumière ne quitte pas la simplicité de l’intelligence. Mais on dit que son
mouvement est rectiligne quand l’Ange transmet aux anges inférieurs, comme en
suivant une ligne droite, la lumière qu’il a reçue de Dieu |
Sed motus obliquus dicitur prout
consideratur exitus luminis a Deo in mentem Angeli, et deinde reflectitur
lumen illud ad inferiora, quibus lumen suum tradit, per quod lumen inferiora
[lumen inferiora Éd. de Parme] non
reducuntur in Angelum sicut in finem, sed in Deum: et talis motus est quasi
compositus ex recto et circulari, sicut motus qui esset per chordam et arcum
ab eodem in idem. |
Mais on dit que son
mouvement est oblique pour autant
qu’on considère la sortie de la lumière qui va de Dieu vers l’esprit de
l’Ange et que cette lumière se réfléchit ensuite sur les anges inférieurs
auxquels il transmet sa lumière, et par cette lumière les anges inférieurs ne
sont pas ramenés à l’Ange, mais à Dieu comme à leur fin : et un tel
mouvement est comme composé du mouvement rectiligne et du mouvement circulaire,
tout comme le mouvement qui a lieu par la corde et l’arc procède du même et
retourne au même. |
Obliquatur enim motus iste prout
recedit ab uniformitate recepti luminis, quod non similter [similiter non Éd. de Parme] est in secundis Angelis
sicut in primis. Secundus motus est per tempus ; quem assignat ei Augustinus,
ut habetur in Littera ; et quia
tempus, est mensura successivorum, ideo omnem successionem nominat motum per
tempus. Invenitur autem successio in intellectu Angeli: quod sic patet. |
Ce mouvement est oblique
en effet selon qu’il s’écarte de l’uniformité de la lumière de celui qui
reçoit, laquelle ne se retrouve pas semblablement [qui semblablement n’est
pas Éd. de Parme] dans les seconds
Anges comme dans les premiers. Le deuxième mouvement a lieu dans le temps,
lequel lui est assigné par Saint-Augustin comme on l’établit dans la
Lettre ; et parce que le temps est la mesure de ce qui est successif,
c’est pourquoi il appelle toute succession un mouvement dans le temps. Mais
on retrouve une succession dans l’intelligence de l’Ange et c’est ce qu’on
peut voir de la manière qui suit. |
Omnis intellectus qui cognoscit
diversa per diversas species, non potest simul actu illa cognoscere, ut ex
praedeterminatis patet, dist. 25, quaest. 1, art. 2. Intellectus autem Angeli
potest cognoscere res dupliciter, sive duplici specie: scilicet vel in
consideratione verbi, quod est una similitudo omnium rerum ; et sic simul
potest multa videre: vel per species innatas vel concreatas
rerum, quae sibi inditae sunt, quae plures plurium sunt ; unde oportet quod
secundum illas species non cognoscat plura simul. |
Toute intelligence qui connaît différentes
choses au moyen de différentes espèces ne peut simultanément connaître ces
choses en acte, ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été établi
précédemment [dist. 25, quest. 1, art. 2]. Mais l’intelligence de l’Ange peut
connaître les choses de deux manières, c’est-à-dire par deux sortes d’espèce. Soit par la considération
du Verbe, qui est une similitude unique de toutes les choses et en ce sens il
peut voir simultanément plusieurs choses. Soit au moyen des espèces
qui sont dans les choses et qui ont été créées avec les choses dans leur
intimité et qui sont différentes pour différentes choses ; d’où il faut
que l’Ange, d’après ces espèces, ne connaisse pas simultanément plusieurs
choses. |
Unde secundum hoc est successio in
intellectu Angeli ; et ista successio largo modo dicitur motus. Differt tamen
a motu proprie dicto in duobus ad minus |
D’où il résulte que sous ce rapport il y a
succession dans l’intelligence de l’Ange ; et cette succession s’appelle
mouvement au sens large. Et ce mouvement diffère cependant du mouvement
proprement dit au moins sur deux points. |
Primo, quia non est de potentia in
actum, sed de actu in actum. Secundo quia non est continuus:
continuus enim motus est ex continuitate ejus super quod est motus, ut in
lib. V Physic., texte 34, probatur.
Sed inter duas species intellectas non est aliqua [aliqua om. Éd. de Parme] continuatio, sed
successio tantum ; et haec eadem successio motus dicitur ; et similis ratio
est de successione affectionum. |
Premièrement parce qu’il ne procède pas
d’une puissance à un acte, mais d’un acte à un autre. Deuxièmement parce qu’il
n’est pas continu : le mouvement en effet tient sa continuité de la
continuité de ce sur quoi s’exerce le mouvement comme le prouve le Philosophe
[V Physique, texte 34]. Mais entre
deux espèces saisies par l’intelligence il n’y a pas une [une om. Éd. de Parme] continuité mais
seulement succession ; et cette même succession est appelée
mouvement ; et la même raison vaut pour la succession des affections. |
Tertius motus est secundum locum, qui
etiam in Littera attribuitur eis
auctoritate Ambrosii et Bedae. Et quia moveri in loco sequitur ad
esse in loco, ideo eodem modo convenit Angelo moveri in loco sicut esse in
loco: et utrumque est aequivoce respectu corporalium. Dicitur enim Angelus
esse in loco inquantum applicatur loco per operationem ; et quia non simul
est in diversis locis, ideo successio talium operationum per quas in diversis
locis esse dicitur, motus ejus vocatur. Unde sicut conceptiones intellectus
consequenter se habent sine continuatione, ita et operationes ejus ; unde
motus localis Angeli non est continuus ; sed ipsae operationes ejus
consequenter se habentes circa diversa loca, secundum quas in illis esse
dicitur, localis motus ejus vocantur [successivae dicuntur Éd. de Parme]. |
Le troisième mouvement est
le mouvement local qui leur est aussi attribué dans la Lettre par le
témoignage de Saint-Ambroise et de Bède. Et parce que se mouvoir
dans le lieu résulte de l’existence dans le lieu, c’est pourquoi il convient
à l’Ange de se mouvoir dans le lieu de la même manière qu’il existe dans le
lieu : et les deux modalités sont équivoques par rapport aux réalités
corporelles. On dit en effet de l’Ange qu’il est dans le lieu en tant qu’il
est appliqué à un lieu par son opération ; et parce qu’il n’est pas
simultanément en plusieurs lieux, c’est pourquoi la succession de telles
opérations par lesquelles on dit qu’il est en divers lieux s’appelle pour lui
mouvement. D’où il résulte que tout comme les conceptions de l’intelligence
se présentent consécutivement sans continuité, il en est de même pour ses
opérations ; d’où il suit que le mouvement local de l’Ange n’est pas
continu ; mais on dit des opérations elles-mêmes de l’Ange qui se
présentent consécutivement sur divers lieux, et selon lesquelles on dit de
l’Ange qu’il est dans ces lieux, qu’elles sont néanmoins son mouvement local
[sont appelées successives Éd. de Parme]. |
[2706] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod motus, proprie sumendo, semper est
existentis in potentia ; sed aliquando improprie ipsa operatio rei dicitur
motus ejus, ut intelligere et sentire ; et tunc motus est actus perfecti, ut
in III De anima cap. XXVIII
dicitur. Quod autem operatio a motu differat, patet ex X Ethic., cap.IV: et sic sumitur motus a Dionysio, cap. IV de div. nom., scilicet pro operatione
quantum ad primum modum, qui tripartitus est, secundum eum. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le mouvement, pris au sens propre, appartient toujours à ce
qui existe en puissance ; mais parfois on dit improprement de
l’opération même de la chose qu’elle est son mouvement, comme c’est le cas
pour sentir et connaître ; et alors le mouvement est l’acte de ce qui
est parfait comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, ch. XXVIII]. Mais que l’opération diffère du mouvement,
on le voit aussi à partir de ce qu’il dit ailleurs [X Éthique, ch. IV]. et c’est ainsi que Denys [Les Noms Divins, ch. IV] prend le mouvement, à savoir pour
l’opération quant à la première modalité qui d’après lui se divise en trois
parties. |
Sed
duo alii modi motus ponunt aliquam imperfectionem in Angelo, quae tamen non
repugnat beatitudini. Imperfectio
autem potest attendi si comparetur ad Deum, qui uno et eodem, scilicet
essentia sua, simul omnia videt et simul ubique est ; in quo Angelus deficit
a perfectione ejus ; et ideo de loco in locum transit quantum ad tertium
modum motus ejus, et de intellectu ad intellectum quantum ad secundum. |
Mais
les deux autres modalités du mouvement posent une imperfection dans l’Ange,
laquelle cependant ne répugne pas à la béatitude. Mais l’imperfection peut
ici se vérifier si l’Ange est comparé à Dieu qui d’une seule et même manière,
à savoir par son essence, voit tout et est simultanément partout, en quoi
l’Ange est loin de sa perfection ; et c’est pourq[uoi il passe d’un lieu
à un autre quant à la troisième modalité de son mouvement et d’une conception
à une autre quant à la deuxième. |
[2707] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod primus modus motus Angeli non reducitur
in aliquam speciem motus ; est enim metaphorice dictus, quia non est
transitus de uno in aliud, cum Angelus semper in receptione divini luminis
permaneat ; sed secundus modus habet aliquam similitudinem cum motu
alterationis. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la
première sorte de mouvement chez l’Ange ne se ramène pas à une espèce de
mouvement ; elle se dit en effet par métaphore car elle n’est pas un
passage d’un point à un autre puisque l’Ange demeure toujours dans la
réception de la lumière divine ; mais la deuxième sorte a une certaine
ressemblance avec le mouvement d’altération. |
Et quia [quod Éd. de Parme] objicitur, quod alteratio est secundum sensibiles
qualitates ; dicendum, quod verum est quando passio, quae in intellectu
alterationis includitur, proprie sumitur prout dicit transmutationem materiae
[materialem Éd. de Parme] abjicientem a substantia ; sed secundum quod passio
large sumitur pro qualibet receptione, prout etiam intelligere pati quoddam
est, ut in III De anima dicitur,
sic etiam alteratio est in intellectualibus operationibus, secundum quod
dicitur in III De anima quod exire de otio in actum est
novum genus alterationis. Sed tertius modus habet similitudinem cum motu
locali. |
Et parce que [ce qui Éd. de Parme] ce qui est objecté, à savoir que l’altération a
lieu d’après des qualités sensibles, il faut dire que cela est vrai quand la
passion, qui est comprise dans la définition de l’altération, est prise
proprement en tant qu’elle signifie une transmutation de la matière
[matérielle Éd. de Parme] rejetée
de la substance ; mais selon que la passion se prend au sens large pour
toute réception, au sens où même l’intellection est une certaine passion,
comme le dit le Philosophe [111 De
l’Âme], en ce sens aussi l’altération est dans les opérations
intellectuelles selon qu’on dit au troisième livre du traité De l’Âme que passer de l’oisiveté à
l’acte est un nouveau genre d’altération. Mais la troisième sorte a une
ressemblance avec le mouvement local. |
Nec oportet quod sit propter
indigentiam suam, sed propter indigentiam nostram ; non dico sicut propter
finem ultimum, sicut etiam est de motu caeli, cujus finis ultimus non est
generatio inferiorum corporum secundum philosophos [philosophum Éd. de Parme], cum nihil sit propter
vilius se ; sed ultimum intentum est assimilatio ad Deum, cujus similitudinem
consequitur in hoc quod suo modo causa inferiorum efficitur ; sicut etiam
ultimus Angeli finis circa nos operantis est ut divinam similitudinem
consequatur, Deo cooperando in reductione inferiorum in Deum, ut Dionysius
dicit, cap. III Cael. Hier., col.
163. |
Et il n’est pas nécessaire que ce mouvement
soit dû à son indigence mais à la nôtre ; et je ne dis pas cela comme à
cause de la fin ultime comme il en est pour le mouvement du Ciel dont la fin
ultime n’est pas la génération des corps inférieurs selon les philosophes [le
philosophe Éd. de Parme], car rien
n’existe en vue de ce qui est inférieur à soi ; mais l’intention
dernière est l’assimilation à Dieu dont il poursuit la similitude en cela
qu’à sa manière la cause des êtres inférieurs est produite, tout comme aussi
la fin ultime de l’Ange qui opère sur nous est que, en coopérant avec Dieu
pour ramener les êtres inférieurs à Dieu comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 111,
col. 163], la similitude ou la ressemblance à Dieu soit atteinte. |
[2708] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio concluderet, si motus Angeli
poneretur continuus sicut motus corporis ; quia oporteret quamlibet partem
motus esse motum, et ita oporteret quod hoc quod est in aliquo ubi signato
[aliquo signo Éd. de Parme], non
esset pars motus, sed pars motus esset in dimittendo unum locum et
intercipiendo alium conjunctum continue ; unde oporteret quod partim esset in
uno et partim in alio, et sic moveretur. Sed quia motus Angeli localis non
est positus esse continuus, ideo non oportet quod pars illius motus sit motus
; et ideo nec in A movetur, nec in B movetur, licet A et B sint partes ejus ;
sed successio horum quod est esse in A et esse in B, motus ejus vocatur ;
sicut plane patet, si attendatur motus ejus vel secundum intellectum vel
secundum affectum ; quia ipsa successio affectionum motus ejus dicitur. |
3. Il faut dire en troisième lieu que cet
argument serait concluant si on posait que le mouvement de l’Ange est continu
comme l’est le mouvement corporel, car il faudrait alors que toute partie du
mouvement soit un mouvement, et ainsi il faudrait que ce qui est dans quelque
lieu désigné [dans quelque lieu bien marqué Éd. de Parme], ne serait pas une partie du mouvement, mais la
partie du mouvement consisterait à délaisser un lieu et à en prendre un autre
qui lui serait uni de façon continue ; d’où il faudrait qu’il soit en
partie dans un lieu et en partie dans un autre et c’est ainsi qu’il serait en
mouvement. Mais parce que le mouvement local de l’Ange n’est pas posé comme
étant continu, c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’une partie de ce
mouvement soit un mouvement ; et c’est pourquoi il ne se meut ni en A ni
en B, bien que A et B soient des parties de son mouvement ; mais la
succesion qui consiste à être en A puis en B, c’est cela qui s’appelle pour
lui mouvement tout comme on le voit clairement si son mouvement se vérifie
soit selon l’intelligence soit selon l’affectivité car la succession même de
ses affections, c’est cela qu’on appelle son mouvement. |
[2709] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedicto modo movetur Angelus per se
secundum locum, secundum quod etiam per se in loco [per se est in loco Éd. de Parme] operando. Sed
si accipiatur motus in loco per modum corporalis motus, sic non movetur in
loco nisi per accidens ad motum corporis assumpti. Nec tamen oportet quod
Deus per accidens in loco moveatur ; quia nihil movetur per accidens moto eo
in quo est, nisi definitive sit in eo, ita quod non in alio ; sicut anima
movetur per accidens moto toto corpore, et non mota manu tantum. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que c’est de la manière dont nous venons de parler que l’Ange se meut
par soi selon le lieu selon qu’il opère aussi par soi dans le lieu [qu’il est
par soi dans le lieu Éd. De Parme]. Mais si on prend le mouvement dans le
lieu à la manière du mouvement local, alors l’Ange ne se meut dans le lieu
que par accident par rapport au movement du corps qu’il prend. Et cependant
il n’est pas necessaire que Dieu se meuve dans le lieu par accident, car rien
ne se meut par accident dans le corps en mouvement dans lequel il est, à
moins qu’il y soit d’une manière délimitée de telle manière qu’il ne soit pas
dans un autre, tout comme l’âme se meut par accident lorsque tout le corps se
meut et non seulement la main. |
[2710] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 1 ad 5 Et per hoc etiam patet solutio ad quintum ; quia motus localis,
secundum quod est corporum, non convenit Angelo nisi metaphorice ; sed
aequivoce loquendo de motu, convenit ei proprie, ut dictum est. |
5. Et par là on voit aussi la solution à la
cinquième difficulté car le mouvement local, selon qu’il appartient aux
corps, ne convient à l’Ange que par métaphore ; mais si on parle du
mouvement de manière équivoque dans le sens où nous l’avons fait, alors le
mouvement local lui convient proprement. |
|
|
Articulus 2 [2711] Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 4 a. 2 tit. Utrum Angelus in suo motu de
necessitate transeat medium |
Article 2 – L’ange dans son déplacement traverse-t-il nécessairement un espace intermédiaire ? |
[2712]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod Angelus de necessitate transeat medium in suo motu. Quia, sicut
dicitur in V Physic., text. 22, medium est in quod prius venit quod mutatur
quam in quod mutatur ultimum. Si ergo Angelus movetur de A in C, et B sit
medium, oportet quod prius veniat in B quam in C, et ita oportet quod medium
transeat. |
Difficultés: 1. Il semble que l’Ange traverse nécessaiement un espace intermédiaire
dans son movement. Car, comme le dit le Philosophe [V Physique, texte 22]: L’espace
intermédiaire est l’espace que traverse ce qui se meut, avant d’arriver au
terme. Si donc l’Ange se meut de A à C, et que B est l’espace
intermédiaire, il faut d’abord qu’il passe par B avant d’en arriver à C et en
ce sens il faut qu’il passe par une espace intermédiaire. |
[2713]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, moveatur Angelus de A
in C, et B sit medium ; cum est in C, mutatum est. Sed ante omne mutatum
praecedit moveri, ut in VI Physic.,
text. 61, probatur. Ergo
prius movebatur quam veniret in C. Sed in A non movebatur, quia erat locus
indivisibilis Angeli ; et in indivisibili non est motus. Ergo
oportet quod moveatur in B, et ita oportet quod transeat medium. |
2. Par
ailleurs, supposons que l’Ange se meuve de A à C et que B soit l’espace
intermédiaire ; lorsqu’il est rendu à C, son mouvement est terminé. Mais
le mouvement précède tout mouvement terminé, ainsi qu’il est prouvé [ VI Physique, texte 61]. Il était donc en
mouvement avant d’arriver à C. Mais il n’était pas en mouvement en A car
c’était là le lieu indivisible de l’Ange et le mouvement n’a pas lieu dans
l’indivisible. Il faut donc qu’il se meuve en B et il faut donc qu’il
traverse un espace intermédiaire. |
[2714] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 2 arg. 3 Praeterea, Angelus cum est in A, non est in C. Oportet ergo, si
postmodum sit in C, quod vel essentia sua de novo creetur ibi et hic
corrumpatur, vel quod per medium transeat. Sed primum est
impossibile. Ergo oportet quod per medium transeat. |
3. Par ailleurs, lorsque l’Ange
est en A il n’est pas en C. Il faut donc, pour qu’il soit par la suite en C,
soit que son essence y soit créée à nouveau et qu’elle soit corrompue en A,
soit qu’il traverse un espace intermédiaire. Mais la première hypothèse est
une impossibilité. Il faut donc qu’il traverse un espace intermédiaire. |
[2715]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 4
Si dicas, quod cum Angelus sit naturae intellectivae, potest transire de
uno in aliud sine hoc quod pertranseat medium, sicut et cogitatio ; contra. Successio cogitationum est per species, quae aequaliter
sunt ipsi intellectui praesentes et propinquae, et non magis species loci
medii quam extremi. Sed Angelus in uno loco existens non habet omnia loca
praesentia ; sed propinquior est sibi unus locus quam alius. Ergo videtur
quod oporteat quod prius veniat ad medium quam ad extremum. |
4. Si tu dis que puisque l’Ange est une
nature intellectuelle, il peut passer d’un lieu à un autre sans traverser un
espace intermédiaire, tout comme le fait la pensée, je réponds par contre que
la succession des pensées se fait au moyen d’espèces qui sont également
présentes et prochaines à l’intelligence elle-même, et celles d’un lieu
intermédiaire ne sont pas plus présentes que celles d’un lieu éloigné. Mais tous
les lieux ne sont pas également présents à l’Ange qui existe dans un lieu,
mais il est plus proche d’un lieu que d’un autre. Il semble donc qu’il faille
qu’il en vienne d’abord à un lieu intermédiaire avant de parvenir à un lieu
extrême. |
[2716]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 5 Sed contra, ut VI Physic., text. 13 dicitur, et per se patet, omne quod
movetur, prius pertransit locum aequalem quam majorem. Sed Angelo
indivisibili non est locus aequalis nisi indivisibilis et punctalis. Ergo si
movetur, oportet quod transeat punctum antequam lineam. Sed inter quaelibet
duo puncta sunt infinita puncta ; infinita autem non contingit transire. Ergo
si oportet Angelum motum media pertransire, nunquam veniet de principio unius
lineae, quantumcumque parvae, in finem ejus. |
Cependant : 5. Mais le Philosophe [ VI Physique, texte 13] dit au contraire,
et cela est évident de soi, que tout ce qui se meut traverse d’abord un lieu
qui est égal à soi-même avant d’en traverser un plus grand. Mais il n’y a pas
de lieu égal à l’Ange qui est indivisible, si ce n’est un lieu indivisible
qui serait de la nature du point. Si donc l’Ange se meut, il faut qu’il
traverse le point avant de traverser la ligne. Mais entre deux points, quels
qu’ils soient, il y a une infinité de points. Mais il n’est pas possible de
traverser l’infini. Si donc il faut que le mouvement de l’Ange traverse des
espaces intermédiaires, jamais il ne parviendra, en partant du début d’une
seule et même ligne, au terme de cette ligne, si petite qu’elle soit. |
[2717] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 2 arg. 6 Praeterea, eadem ratio est de uno medio et de omnibus. Sed omnia
non potest pertransire, quia sunt infinita, ut probatum est, art. 1, quaest.
2 hujus dist. Ergo nec aliqua ; et ita videtur quod semper veniat de loco in
locum, non pertranseundo medium. |
6. Par ailleurs, la même raison vaut pour un
seul espace intermédiaire et pour tous. Mais l’Ange ne peut traverser tous
les espaces intermédiaires parce qu’ils sont infinis, ainsi que nous l’avons
prouvé [dist. 37, quest. 2, art. 1]. Il ne peut donc en traverser
aucun ; et il semble ainsi il passe toujours d’un lieu à un autre sans
traverser un espace intermédiaire. |
[2718]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc
sunt duae opiniones. Quidam enim dicunt, quod Angelus transit de loco in
locum non pertranseundo medium ; alii dicunt, quod pertransit medium in suo
motu ; et utrique, ut credo, verum dicunt secundum aliquid. Dico enim, quod Angelus potest transire de
loco in locum ita quod transeat omnia media ; et potest esse quod transeat de
loco ad locum sine hoc quod sit in aliquo mediorum ; et potest esse quod sit
in aliquibus, et aliquibus non ; cujus ratio ex praedictis, hac dist.,
quaest. 3, art. 2, sumitur. Dico
enim, quod essentia Angeli secundum se absoluta est ab omni loco, et non
definitur ad locum nisi per operationem ; non autem per operationem secundum
quod exit ab essentia, sed secundum quod terminatur ad operatum in loco. Unde
quando operatur circa hunc locum, ab essentia sua (cum non sit ex se
determinata vel obligata ad locum illum, sed indifferenter se habens ad
omnia, inquantum in se est), potest egredi operatio statim ad locum proximum
vel remotum ; nec operatio ad distans dependet ab operatione ad propinquum.
Unde secundum quod habet aliquid operari vel in omnibus mediis locis vel in
aliquibus vel in nullo, secundum hoc potest pertransire omnia media vel
quaedam vel nullum. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet deux opinions se présentent.
En effet, certains disent que l’Ange passe d’un lieu à un autre sans
traverser un espace intermédiaire; d’autres disent qu’il traverse un espace
intermédiaire dans son mouvement et les deux, comme je le crois, disent vrai
sous un certain rapport. Je dis en effet que l’Ange peut passer d’un lieu à un autre de manière
à traverser tous les espaces intermédiaires; et il lui est possible de passer
d’un lieu à un autre sans traverser aucun intermédiaire et il lui est même
possible d’en traverser certains mais pas d’autres; et la raison de cela se
tire de ce que nous venons tout juste de dire [dist. 37, quest. 3, art. 2]. Je dis en effet que l’essence de l’Ange est en elle-même libre de tout
lieu et ne se définit par rapport au lieu que par son operation; non pas
cependant de l’opération selon qu’elle sort de son essence, mais selon
qu’elle se termine son effet qui est dans le lieu. D’où il suit que lorsqu’il
opère sur ce lieu, l’opération peut immédiatement sortir de son essence
(puisqu’il n’est pas de lui-même déterminé ou forcé à ce lieu, mais il se
présente de lui-même indifféremment à tous les lieux) à un lieu prochain ou
éloigné; et son opération à l’égard de ce qui est éloigné ne dépend pas de
l’opération qu’il pose sur ce qui est rapproché. D’où il résulte que c’est
d’après les opérations qu’il a à poser soit dans tous les intermédiaires,
soit dans certains, soit dans aucun, c’est d’après cela qu’il pourra
traverser tous les intermédiaires, seulement certains ou aucun. |
[2719]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
objectio nulla est, si addatur quod philosophusmet addit. Dicit enim, quod medium est in quod
primo venit continue mutatum. Angeli autem motus non est continuus, ut dictum
est, art. 1, hujus quaest. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’objection est nulle si on ajoute ce que le Philosophe
lui-même ajoute. Il dit en effet que l’espace intermédiaire est ce que
traverse en premier ce qui se meut de façon continue. Mais le mouvement de
l’Ange n’est pas continu, ainsi que nous l’avons dit dans l’article 1 de
cette question. |
[2720] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ante quodlibet mutatum, est moveri ; sed
tamen diversimode est in motu Angeli et in motu corporis. Quia in motu
corporis mutatum esse non est pars moveri, sed terminus ejus ; unde totum
moveri praecedit mutatum esse ; et ideo oportet praesupponere ante id in quod
dicitur mutatum esse, aliquid in quo moveatur. Sed in motu Angeli qui non est
continuus, mutatum esse est una pars motus, ultima scilicet ; et prima pars
est unde incipit moveri ; et neutra pars est motus, sed successio utriusque. Unde
moveri praecedit mutatum esse, sicut totum in discretis partem. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu qu’antérieurement à tout mouvement achevé, il y a movement; mais il en
va différemment pour le mouvement de l’Ange et pour celui d’un corps. Car
pour ce qui est du movement d’un corps, le mouvement achevé ne fait pas
partie du mouvement comme tel mais il en est le terme; d’où il suit que la
totalité du mouvement est antérieure au mouvement achevé; et c’est pourquoi
il est necessaire de présupposer, avant ce qu’on appelle le movement achevé,
un espace dans lequel il y a movement. Mais dans le mouvement de l’Ange qui
n’est pas continu, le mouvement achevé est une partie du mouvement, à savoir
la dernière; et dans ce cas la première partie du mouvement est le point de
départ du mouvement; et aucune de ces parties n’est un mouvement, mais c’est
la succession des deux qui en est un. D’où il suit que le mouvement précède
le mouvement achevé comme le tout précède la partie dans les quantités
discrètes. |
[2721]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa
procederet in illis quae per essentiam suam sunt determinata ad ubi: quod non
contingit in Angelo: unde motus ejus est secundum operationes tantum, quae
sunt hic et ibi successive. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cet argument vaudrait pour les êtres qui sont déterminés par le
lieu: ce qui n’est pas possible pour les Anges dont le mouvement découle
seulement de ses opérations qui ont lieu ici et là d’une manière successive. |
[2722] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dictum illud non est usquequaque
sufficiens ; quia per hoc quod Angelus intelligit hoc et illud, non dicitur
esse hic et ibi ; quia existens in uno loco, potest intelligere id quod est
in alio loco. Sed accedit ad veritatem, inquantum successio
operationum sequitur successionem quae est in intellectu. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que ce qu’on dit dans cet argument n’est pas à ce point suffisant; car
du fait que l’Ange conçoit ceci et cela, il ne s’ensuit pas qu’on doive dire
qu’il est ici et là car étant dans un lieu, il peut concevoir ce qui est dans
un autre lieu. Mais il parvient à la vérité pour autant que la succession des
opérations suit la succession qui est dans l’intelligence. |
[2723] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus potest pertransire per omnia
media ; non tamen oportet quod numeret infinita puncta existentia in linea:
quia locus in quo est Angelus, non semper est indivisibilis, sed quandoque
divisibilis, ut dictum est, in corp. art.: et cum nullum spatium finitum
dividatur in infinita divisibilia actu accepta, constat quod omnia media
pertransire potest. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que l’Ange
peut traverser plusieurs espaces intermédiaires sans qu’il faille cependant
compter une infinité de points existant sur la ligne car le lieu dans lequel
se trouve l’Ange n’est pas toujours indivisible, mais il est parfois
divisible comme nous l’avons dit dans le corps de l’article : et comme
aucun espace fini ne se divise en une infinité d’espaces divisibles pris en
acte, il est clair que l’Ange peut traverser tous les espaces intermédiaires. |
[2724] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est eadem ratio de omnibus mediis ;
quia media possunt accipi divisibilia, et haec finita sunt ; vel
indivisibilia quae infinita sunt, et pertransiri, si actu numerentur, non
possunt. Et praeterea in uno mediorum locorum habet aliquid operari, et non
in alio. Unde sequitur quod per aliquod medium transeat, et non per aliud. |
6. Il faut dire en sixième lieu que le même
raisonnement ne vaut pas pour tous les espaces intermédiaires ; car ces
derniers peuvent être pris comme étant divisibles et alors ils sont
finis ; ou bien ils sont pris comme étant indivisibles et alors ils sont
infinis et ne peuvent être traversés si on les compte en acte. Et par
ailleurs, c’est dans un seul des lieux intermédiaires que l’Ange doit poser
une opération et non dans un autre. D’où il suit qu’il peut traverser un
espace intermédiaire et non un autre. |
|
|
Articulus 3 [2725] Super Sent., lib. 1
d. 37 q. 4 a. 3 tit. Utrum Angelus moveatur in instanti |
Article 3 – L’ange se meut-il dans l’instant ? |
[2726]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur
quod Angelus moveatur in instanti. Mutatio enim Angeli secundum locum, est
simplicior qualibet mutatione corporali. Sed aliquae mutationes corporales
sunt in instanti, ut in VI Physic.,
text. com. 68, Commentator dicit, sicut illuminatio, generatio, corruptio, et
hujusmodi. Multo ergo
fortius mutatio Angeli. |
Difficultés : 1. Il semble que l’Ange se
meuve dans l’instant. En effet, le changement de lieu chez l’Ange est plus
simple que tout changement corporel. Mais certains changements corporels ont
lieu dans l’instant, ainsi que le Commentateur [ VI Physique, texte com. 68]
le dit, à savoir par exemple l’illumination, la génération, la corruption et
les changements de cette sorte. Donc, à plus forte raison, le changement chez
l’Ange a lieu dans l’instant. |
[2727]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, mutetur Angelus de A in
B, sicut in quod primo mutatum est (dicitur autem in [in om. Éd. de Parme] illud primum mutatum esse quod est
locus contiguus [continuus Éd. de Parme]
loco in quo prius erat) ; et si mutatur in tempore, sit tempus in quo mutatur
C. Si ergo istud tempus mensurat illum motum, oportet quod in ultimo nunc
temporis sit in termino motus secundum quod est in B. |
2. Par ailleurs, l’Ange se meut de A à B
comme à ce dans quoi il est mû en premier (mais on dit que ce en [en om. Éd. de Parme] quoi il est mû en
premier est ce lieu qui est contigu [continu Éd. de Parme] au lieu dans lequel il était antérieurement ;
et s’il se meut dans le temps, C est le temps dans lequel il se meut. Si donc
ce temps mesure ce mouvement, il faut que dans le dernier instant du temps il
soit dans le terme du mouvement en tant qu’il est en B. |
Relinquitur ergo quod in toto tempore
praecedente ultimum nunc aut est tantum in A, aut est partim in A et partim
in B. Sed non partim in utroque, quia indivisibilis est. Ergo in tempore illo
erit totus in A. Sed cum omne tempus sit divisibile, in quolibet tempore est
accipere prius et posterius. |
Il reste donc que dans la totalité du temps
qui précède le dernier instant, ou bien il est seulement en A, ou bien il est
en partie en A et en partie en B. Mais il n’est pas en partie dans les deux
car il est indivisible. Donc dans ce temps il sera tout entier en A. Mais
comme tout temps est divisible, il faut admettre un avant et un après dans
tout temps. |
Ergo in priori et posteriori parte
illius temporis Angelus erit in A: ergo quiescit in A: quia potest de eo
dici, quod in A est nunc et prius ; quod est quiescere. Motus ergo Angeli
pars erit quies ejus ; quod est inconveniens. Et, quod plus est, sequitur
quod tempus illud in quo positus est in moveri non mensurat motum ejus, sed
quietem. Ergo videtur quod nullo modo in tempore moveatur. |
Donc dans la partie antérieure et
postérieure de ce temps l’Ange sera en A : donc il se repose en A car on
peut dire de lui qu’il est en A maintenant et avant, et c’est là se reposer.
Donc, une partie du mouvement de l’Ange sera son repos, ce qui est absurde.
Et, qui plus est, il s’ensuit que ce temps dans lequel il est placé dans le
mouvement ne mesure pas son mouvement mais son repos. Il semble donc que
l’Ange ne se meut aucunement dans le temps. |
2728] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 arg. 3 Praeterea, si movetur in tempore, moveatur, ut dictum est, art.
praec., de A in B, in tempore C. Ponatur ergo quod per idem spatium moveatur
quoddam corpus, scilicet F, quod movebitur in majori tempore, scilicet D:
quia Angelus est majoris virtutis quam corpus, et secundum quod additur ad
virtutem moventis sic oportet quod diminuatur de tempore motus: quia major
virtus in minori tempore movet, ut in VI Physic.,
text. 13, dicitur. Sed cum omne tempus finitum proportionem habeat ad
quodlibet tempus finitum, accipiatur proportio duorum temporum, scilicet
temporis C, in quo movetur Angelus, et temporis D, in quo movetur corpus,
sicut proportio tripli ad subtriplum ; quia non differt, quaecumque sit. Accipiatur
etiam aliud corpus quod excedat ipsum, scilicet secundum virtutem in tripla
proportione, et sit G. Inde sic. Secundum excessum virtutis moventis est diminutio in tempore
motus. Sed G excedit D in tripla proportione. |
3. Par ailleurs, s’il se meut dans le temps,
supposons, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, qu’il se meuve de
A à B dans le temps C. On pose donc qu’à travers le même espace, à savoir F,
un corps se meut qui sera mû dans un temps plus grand, à savoir D : car
la puissance de l’Ange est plus grande que celle du corps, et suivant ce
qu’on ajoute à la puissance du moteur, le temps du mouvement diminue
proportionnellement parce qu’une puissance plus grande se meut dans un
temps plus petit comme le dit le Philosophe [ VI Physique, texte 13]. Mais parce que tout temps fini est
proportionné à n’importe quel temps fini, on admet une proportion entre deux
temps, à savoir entre le temps c, dans lequel se meut l’Ange, et le temps D,
dans lequel se meut le corps, tout comme la proportion du triple au
sous-triple, car cela ne change rien, quelle qu’elle soit. On pose aussi un
autre corps qui le dépasse dans la puissance dans la proportion du triple,
soit G. D’où il s’ensuit ceci. C’est d’après l’excès ou le dépassement de la
puissance motrice qu’il y a diminution dans le temps du mouvement. Mais G
dépasse D dans la proportion du triple. |
Ergo
et tempus in quo movetur G per idem spatium, erit minus quam D in tripla
proportione. Sed hoc est tempus C, in quo movebatur Angelus. Ergo in eodem
tempore et aequali movebitur virtus corporalis et virtus Angeli, etiam si
ponatur Angelus moveri velociter quantumcumque potest. Et similis ratio potest accipi ex
parte mobilium, secundum quorum etiam proportionem diminuitur et augetur
tempus motus, ut habetur ex IV Physic.,
text. 11. Ergo cum hoc sit impossibile, videtur quod Angelus in tempore non
moveatur. |
Donc le temps dans lequel se meut G à
travers le même espace sera plus petit dans la proportion du triple que le
temps du mouvement de D dans le même espace. Mais cela est le temps C dans
lequel l’Ange était en mouvement. Donc, la puissance corporelle et la
puissance de l’Ange seront en mouvement dans un temps identique et égal, même
si on pose que l’Ange se meut le plus rapidement qu’il le peut. Et le même
raisonnement peut être admis du côté des mobiles dont le temps du mouvement
diminue ou augmente aussi d’après leur proportion ainsi que l’établit le
Philosophe [IV Physique, texte 11].
Donc, puisque cela est une impossibilité, il semble que l’Ange ne se meut pas
dans le temps. |
[2729] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 arg. 4 Praeterea, omne tempus est divisibile. Si igitur moveatur Angelus
de A in B in aliquo tempore, in medio illius temporis alicubi erit. Sed non
est in A, quia ibi erat in principio temporis ; nec in B, quia ibi erat in
fine temporis ; et dum movetur ; in duobus instantibus non est in eodem ubi,
ut probatur in VI Physic, text. 32. Unde cum in uno instanti sit in A vel in
B, in alio instanti non potest esse in eodem. Ergo in instanti quod est
medium temporis, erit in medio spatii. Sed non
necessario transit medium, ut supra dictum est, art. praeced. Ergo motus ejus non est semper [semper
om. Éd. de Parme] in tempore. |
4. Par ailleurs, tout temps est divisible.
Si donc l’Ange se meut dans le temps de A à B, il sera quelque part au milieu
de ce temps. Mais il n’est pas en A car il était là au début du temps ;
et il n’est pas non plus en B car c’était là le terme du temps ; et tant
et aussi longtemps qu’il se meut, il n’est pas dans le même lieu lors de deux
instants différents, comme le prouve le Philosophe [ VI Physique, texte 32]. Donc, puisque dans un même instant il soit
en A soit en B, dans un autre instant il ne peut être dans le même lieu. Donc
dans l’instant qui est dans le milieu du temps, il sera dans le milieu de
l’espace. Mais il ne traverse pas nécessairement l’espace intermédiaire,
comme nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent. Donc son mouvement
n’est pas toujours [toujours om. Éd. de Parme] dans le temps. |
[2730] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 arg. 5 Sed contra, omnis motus et mutatio habet prius et posterius: quia
habet duos terminos, quorum unus consequitur aliud. Sed numerus prioris et posterioris
in motu est tempus, ut habetur in IV Physic.,
text. 11. Ergo omnis motus mensuratur tempore: ergo et motus Angeli. |
Cependant : 5. Tout mouvement et tout
changement implique un avant et un après car il possède deux termes dont l’un
suit l’autre. Mais le temps est le nombre de l’avant et de l’après dans le
mouvement ainsi que le dit le Philosophe [IV Physique, texte 11]. Donc tout mouvement se mesure par le
temps : il en est donc de même pour le mouvement de l’Ange. |
[2731] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 arg. 6 Praeterea, moveatur Angelus de A in B. Aut in eodem instanti est
in A et in B, aut in diversis. Si in eodem, tunc erit simul in duobus locis,
quod est improbatum ; et praeterea tunc non moveretur ad B, quia nihil
movetur ad id in quo est. Si autem in diversis, ergo est designare duo
instantia, in quorum uno est in A, et sit C: et in altero in B, et sit illud
D. Inde sic. Motus Angeli est inter D et C. Sed inter quaelibet duo instantia
est tempus medium, ut probatur in IV
Physic. Text. 26, 53 et 55, Ergo motus Angeli erit in tempore. |
6. Par ailleurs, supposons que l’Ange se
meut de A à B. Ou bien il est en A et B dans le même instant, ou bien il y
est dans des instants différents. S’il y est dans le même instant, il sera
simultanément dans deux lieux différents, ce qui est incorrect ; et par
ailleurs alors il ne serait pas en mouvement vers B car nul ne se meut là où
il est déjà. Mais s’il est dans les deux lieux dans des instants différents,
alors il faut désigner deux instants, par l’un desquels il est en A, soit
C ; et par l’autre il est en B, soit D. D’où il suit ceci : le
mouvement de l’Ange est entre les instants D et C. Mais toujours entre deux
instants il y a un temps intermédiaire comme le prouve le Philosophe [IV Physique, texte 26, 53 et 55]. Donc le
mouvement de l’Ange sera dans le temps. |
[2732] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 arg. 7 Si dicas, quod illa duo
nunc succedunt numero [numero om. Éd.
de Parme] sibi sine aliquo medio, sicut dictum est de operationibus. Contra, moveatur Angelus de A in B,
ita quod in hoc instanti quod est C, sit in A, et in hoc instanti quod est D,
sit in B. Item ponatur quod aliquod corpus sit G, et moveatur similiter de A
in B, et incipiat simul moveri cum Angelo, scilicet in C. Inde sic. Angelus citius
pervenit ad B, quam corpus G. Ergo in instanti D corpus nondum pervenit ad G
; sed erit citra B. Et sit ille locus R. Inde sic. G movetur de A in R, et in
tempore CD. Sed spatium AR est divisibile. Dividatur ergo in puncto H. Inde
sic. Corpus illud, scilicet G, in instanti C est in A et in instanti D est in
R. Ergo H erit in aliquo alio instanti medio inter illa duo, et sit illud N.
In N ergo Angelus vel erit in A vel in B, vel in medio. Sed non in A, quia
sic in duobus instantibus esset in eodem ubi ; et eadem ratione non est in B.
Ergo oportet quod in instanti N sit in medio: et sic semper procedendo,
invenitur inter quaelibet duo instantia instans et tempus. Ergo oportet quod
motus Angeli sit in tempore continuo. |
7. Si tu dis que ces deux instants se
succèdent numériquement [numériquement om.
Éd. de Parme] l’un à l’autre sans aucun instant intermédiaire ainsi que
nous l’avons dit au sujet des opérations, je réponds par contre que l’Ange se
meut de A à B de telle manière que dans cet instant qui est C il est en A et
que dans cet instant qui est D il est en B. En outre on pose qu’il y a un
corps, à savoir G, et qu’il se meut semblablement de A à B, et qu’il commence
à se mouvoir simultanément avec l’Ange, c’est-à-dire en C. D’où il suit ceci.
L’Ange parvient à B plus rapidement que le corps G. Donc en cet instant D le
corps G n’est pas encore parvenu à B mais il sera en avant de B, soit dans ce
lieu R. D’où ce qui suit. G se meut de A à R et dans le temps CD. Mais
l’espace AR est divisible. On le divise donc au point H. D’où il suit ceci.
Ce corps, à savoir G, dans l’instant C est en A et dans l’instant D il est en
R. Donc, le point H sera dans un autre instant, soit N, intermédiaire
celui-là entre les instants CD. Donc dans l’instant N l’Ange sera soit en A,
soit en B, soit en un lieu intermédiaire. Mais il n’est pas en A car alors en
deux instants dans le même lieu ; et pour la même raison il n’est pas en
B. Il faut donc qu’à l’instant N il soit dans un lieu intermédiaire : et
en procédant toujours de cette manière, on retrouve entre deux instants,
quels qu’ils soient, l’instant et le temps. Il faut donc que le mouvement de
l’Ange se réalise dans un temps continu. |
[2733] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 arg. 8 Si dicatur, quod in motu Angeli non est assignare ultimum instans
in quo sit in A, quia in A est in toto tempore, et in B est in termino
temporis. Inter tempus autem et terminum temporis non est assignare medium,
sicut etiam dicit Philosophus, in VIII Physic.,
text. 11, in mutationibus naturalibus, ut quando aliquis movetur de
albedine in nigredinem, est designare duo tempora, in quorum primo est album,
et in secundo est nigrum, et instans quod contingit duo tempora, tenet se cum
sequenti tempore ; unde in eo est nigrum ; unde non fuit invenire ultimum
nunc, in quo esset album, sed ultimum tempus in cujus termino erit non album. |
8. Supposons qu’on dise que dans le
mouvement de l’Ange il n’y a pas à désigner un instant ultime dans lequel il
est en A, car en A il est dans tout un temps et en B il est au terme du
temps. Mais entre le temps et le terme du temps il n’y a pas à désigner un
temps intermédiaire, puisque le Philosophe [ VIII Physique, texte 11] dit encore que dans les changements naturels,
comme lorsqu’un corps se meut de la blancheur à la noirceur, il faut désigner
deux temps, dont le premier est le blanc et le second est le noir, et l’instant
qui rencontre deux temps se tient avec le temps suivant ; d’où il y a en
lui le noir ; d’où il n’y avait pas à trouver un dernier instant dans
lequel il serait blanc mais un dernier temps dans le terme duquel il sera
non-blanc. |
Si inquam sic dicatur, contra, omnis
motus qui non est semper, medius est inter duas quietes, quarum una est in
termino a quo est motus, altera in termino ad quem est motus. Sed sicut
instans ad quod terminatur motus tenet se cum quiete sequente ; ita instans A
quo incipit motus, tenet se cum quiete praecedente, ut patet quando aliquid
movetur de albedine in nigredinem ; quia sicut in fine temporis quod mensurat
motum est nigrum, ita in principio temporis est album. Ergo ex hoc patet quod
omnis quies trahit ad se et nunc praecedens, et nunc sequens. Inde sic arguo.
Angelus qui movetur de A in B, ut tu [tu om.
Éd. de Parme] dicis, in tempore CD, est in A. Ergo quiescit ibi: quia, ut
probatur in VI Physic., quidquid
est in tempore in aliquo uno ubi, quiescit ibi. Sed ubi est aliquid quiescens
in tempore, est et in termino temporis. Ergo in D, quod est nunc ultimum
temporis, erit Angelus adhuc in A, et non in B, ut ponebatur. |
Si, dira-t-on, qu’on dise par contre que
tout mouvement qui ne dure pas toujours est intermédiaire entre deux repos,
dont l’un est dans le terme d’où part le mouvement et l’autre dans le terme d’arrivée du mouvement. Mais
tout comme l’instant auquel se termine le mouvement se tient avec le repos
suivant, de même l’instant A par lequel commence le mouvement se tient avec
le repos qui précède, ainsi qu’on le voit quand quelque chose se meut de la
blancheur à la noirceur ; car tout commeà la fin du temps qui mesure le
mouvement il y a le noir, de même au début du temps il y a le blanc. Il est
donc clair à partir de cela que tout repos tire à lui à la fois l’instant qui
précède et l’instant qui suit. Il suit de là que je forme l’argumentation
suivante. L’Ange qui se meut de A à B, comme tu [tu om. Éd. de Parme] dis, dans le temps CD, est en A. Il s’y repose
donc, car comme le Philosophe le prouve au sixième livre de la Physique, tout ce qui est dans le
temps est dans un seul lieu et s’y repose. Mais là où il y a quelque chose
qui se repose dans le temps, il se trouve aussi à être dans le terme du
temps. Donc à l’instant D, qui est le dernier instant du temps, l’Ange sera
encore en A et non en B, ainsi qu’on le soutenait. |
[2734] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 arg. 9 Praeterea, omne tempus causatur a motu, ut patet ex IV Physic., text. 128 et sq., Sed Angelus
in A non movetur, nec iterum habet ordinem ad aliquem motum priorem, per
cujus tempus sua quies mensuretur. Ergo nihil est dictu, quod Angelus sit in
A in tempore. |
9. Par ailleurs, tout temps est causé par un
mouvement, ainsi que le manifeste le Philosophe [IV Physique, texte 128 et suivants]. Mais l’Ange, en A, ne se meut
pas ; et en outre il ne se rapporte pas à un mouvement antérieur dont le
temps mesurerait son repos. Il n’y a donc rien dans cette afffirmation qui
soutient qu’en A l’Ange est dans le temps. |
[2735]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum omnis mutatio habeat duos
terminos qui non possunt esse simul quia omnis mutatio est in incontingens,
ut dicitur in 1 Physic., text. 44,
oportet cuilibet motui vel mutationi adesse successionem ex hoc quod non
possunt duo termini esse simul ; et ita tempus, quod est numerus prioris et
posterioris, in quibus consistit tota successionis ratio. Sed hoc diversimode
in diversis contingit. Quandoque enim terminus motus est mediatus principio
motus, vel secundum medium quantitatis dimensivae, sicut est in motu locali
corporum et in motu augmenti et diminutionis, vel secundum medium quantitatis
virtualis cujus divisio attenditur secundum intensionem et remissionem
alicujus formae, sicut in alteratione qualitatum sensibilium: et tunc tempus
per se ipsum motum mensurat: quia ad terminum successive pervenitur, eo quod
divisibilis est. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que puisque tout changement a deux termes qui ne peuvent être simultanés car
tout changement a lieu entre deux points qui ne se touchent pas ainsi que le
dit le Philosophe [1 Physique, texte 44], il faut que tout mouvement comporte
une succession du fait que les deux termes ne peuvent être simultanés ;
et il en est de même pour le temps, qui est le nombre de l’avant et de
l’après en quoi consiste toute la définition de la succession. Mais cela se
produit différemment dans différents êtres. Parfois en effet le terme du mouvement est
médiat au principe du mouvement, ou bien selon le milieu de la quantité de la
dimension, tout comme dans le mouvement local des corps et dans le mouvement
de croissance et de décroissance, soit d’après le milieu de la quantité
virtuelle dont la division se vérifie d’après l’application ou le relâchement
d’une forme, comme dans l’altération des qualités sensibles : et alors
le temps mesure par soi le mouvement lui-même car c’est dans la succession
qu’il parvient au terme du fait qu’il est divisible. |
Quandoque vero terminus ad quem, non
est mediatus termino a quo, sicut est in illis mutationibus in quibus est
mutatio de privatione in formam, vel e converso, ut in generatione et
corruptione, et illuminatione, et in omnibus hujusmodi: et in istis etiam
mutationibus oportet annexum esse tempus, cum constet materiam non simul esse
sub forma et privatione, nec aerem esse simul sub luce et tenebris. |
Mais parfois le terme auquel se termine le
mouvement n’est pas médiat au terme d’où le mouvement procède comme c’est le
cas pour ces changements dans lesquels il y a un changement d’une privation à
une forme ou inversement comme dans la génération et la corruption, dans
l’illumination et dans tous les changements de cette sorte : et il faut
qu’un temps soit rattaché même à ces changements, puisqu’il est clair que la
matière n’est simultanément la même sous la forme et la privation et que
l’air n’est pas simultanément le même dans la lumière et dans l’obscurité. |
Non autem ita quod exitus vel
transitus de uno extremo in aliud fiat in tempore ; sed alterum extremorum,
scilicet primum quod in mutatione abjicitur, est conjunctum cuidam motui vel
alterationi (sicut in generatione et corruptione), vel motui locali solis
(sicut in illuminatione), et in termino illius motus est etiam terminus
mutationis. |
Non pas cependant de telle manière que la
sortie ou le passage d’un extrême à l’autre se fasse dans le temps, mais l’un
des extrêmes, à savoir le premier qui est rejeté dans le changement, est
rattaché à un mouvement ou à une altération (comme dans la génération et la
corruption), ou au mouvement local du soleil (comme dans l’illumination), et
c’est dans le terme de ce mouvement que se trouve aussi le terme du changement. |
Et pro tanto mutatio illa dicitur esse
subito, vel in instanti, quia in ultimo instanti temporis, quod mensurabat
motum praecedentem, acquiritur illa forma vel privatio, cujus nihil prius
inerat. Et in illo instanti dicitur generatum esse, non autem proprie
generari: quia omne quod generatur, generabatur, ut in VI Physic. probatur. Unde omnes tales
mutationes instantaneae sunt termini cujusdam motus ; ut in VI Physic., Commentator dicit. Motus
autem Angeli non potest esse terminus alterius motus. |
Et pourtant on dit de ce
changement qu’il est subit ou qu’il est dans l’instant car dans le dernier
instant du temps qui mesurait le mouvement précédent est acquise cette forme
ou cette privation qui n’y était en rien antérieurement. Et c’est dans cet
instant qu’on dit qu’il y a eu génération mais non cependant qu’il y a
génération à proprement parler car tout ce qui est engendré était engendré
comme on le prouve au sixième livre de la Physique.
D’où il résulte que tous ces changements instantanés sont les termes d’un
mouvement comme le dit le Commentateur [ VI Physique]. Mais le mouvement de l’Ange ne peut être le terme d’un
autre mouvement. |
Unde oportet quod sit in tempore, et
non in instanti. Sed dico, quod tempus istud est aliud a tempore quo
mensuratur motus caeli et aliorum corporalium: quod sic probatur. Nullus
motus mensuratur per motum caeli, nisi qui est ordinatus ad ipsum. Unde etiam
probant philosophi, quod si essent plures mundi, oporteret esse plures primos
motus, et plura tempora. |
D’où il faut qu’il soit dans le temps et non
dans l’instant. Mais je dis que ce temps est autre que le temps par lequel se
mesure le mouvement du ciel et celui des autres corps, ce qui se prouve de la
manière qui suit. Tout mouvement qui est mesuré par le mouvement du ciel est
un mouvement qui y est ordonné. D’où les philosophes prouvent aussi que s’il
y avait plusieurs mondes, il faudrait qu’il y ait plusieurs mouvements
premiers, et par conséquent plusieurs temps. |
Unde cum motus Angeli nullum ordinem
habeat ad motum caeli, et praecipue si motus ejus dicatur processio
operationum, ut dictum est, art. 1 istius quaest., oportet quod non
mensuretur tempore quod est mensura primi mobilis, sed alio tempore, cujus
temporis naturam ex natura motus accipere oportet. In tempore enim est
aliquid quasi formale, quod tenet se ex parte quantitatis discretae, scilicet
numerus prioris et posterioris ; et aliquid materiale, per quod est
continuum, quia continuitatem habet ex motu in quo est sicut in subjecto et
primo mensurato, scilicet motu caeli, ut dicitur 4 Phys. Motus autem ille
habet continuitatem ex magnitudine. |
D’où il suit que puisque le mouvement de
l’Ange ne se rapporte aucunement au mouvement du Ciel, et surtout si on dit
que son mouvement est une procession des opérations comme nous l’avons déjà
dit dans l’article 1 de cette question, il faut qu’il ne soit pas mesuré par
le temps qui est la mesure du premier mobile mais par un autre temps dont il
faut prendre la nature à partir de la nature du mouvement. Dans le temps en
effet il y a quelque chose qui est comme formel et qui se tient du côté de la
quantité discrète, à savoir le nombre de l’avant et de l’après ; et il y
a aussi quelque chose de matériel et par quoi il est continu, car le temps
tient sa continuité du mouvement dans lequel il est comme dans un sujet et
dans ce qui est mesuré en premier, à savoir le mouvement du Ciel, comme on le
dit au quatrième livre de la Physique.
Mais ce mouvement tient sa continuité de l’étendue. |
Unde cum motus Angeli non sit
continuus (quia non est secundum necessitatem conditiones habens magnitudinis
per quam transit, sicut est in illis quae sunt sic nata in loco esse ut eorum
substantia sit commensurata terminis loci, scilicet corporibus), sed per
successionem operationum, in quibus nulla est ratio continuitatis ; ideo
tempus illud non est continuum, sed est compositum ex nunc succedentibus sibi
ut numerus ipsarum operationum succedentium sibi tempus vocetur, sicut ipsa
successio operationum dicitur motus: et quot sunt operationes ex quibus
componitur motus secundum diversa loca, tot erunt nunc, ex quibus componitur
tempus. |
D’où il résulte que puisque le mouvement de
l’Ange n’est pas continu (parce qu’il n’est pas soumis à la nécessité de ce
qui a en soi les conditions de l’étendue par laquelle il passe, comme c’est
le cas pour les êtres pour lesquels il est naturel d’être dans le lieu de
telle manière que leur substance soit mesurée par les termes du lieu, à
savoir les corps), mais que son mouvement se limite à la succession de ses opérations
qui n’ont aucunement raison de continuité, c’est pourquoi ce temps de l’Ange
n’est pas continu, mais il est composé d’instants qui se succèdent comme le
nombre de ses opérations elles-mêmes qui se succèdent s’appelle le temps,
tout comme la succession même des opérations l’appelle le mouvement. Et il y
aura autant d’instants à partir desquels le temps est composé qu’il y aura d’opérations à partir desquelles est
composé le mouvement selon les divers lieux. |
Et hoc etiam consonat ei quod
philosophus dicit in VI Physic., quod ejusdem rationis est indivisibile
moveri, et tempus componi ex nunc, et motum ex momentis, et lineam ex
punctis: quia quamvis linea sit continua, per quam Angelus transit, non tamen
est continuitas secundum quod refertur ad motum Angeli, qui diversa ubi non
continuatim pertransit. |
Et cela s’accorde avec ce que le Philosophe
dit au sixième livre de la Physique, à savoir que c’est pour la même raison
que l’indivisible se meut, que le temps est composé d’instants, le mouvement
de moments et la ligne de points : car bien que la ligne par laquelle
l’Ange passe soit continue, cependant elle n’est pas continue selon qu’elle
se rapporte au mouvement de l’Ange, lequel ne traverse pas les différents
lieux de façon continue. |
[2736] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnes illae mutationes quae
instantaneae dicuntur, sunt termini motus ; quod non contingit in motu
Angeli, ut dictum est, in corp. art. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que tous ces changements dont on dit qu’ils sont instantanés
sont les termes d’un mouvement ; ce qui n’est pas possible pour le
mouvement de l’Ange, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[2737] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tempus illud in quo movetur de A in B,
compositum est ex duobus instantibus ; et in uno instanti est in A, et in
alio in B. Unde non oportet quod in altero eorum quiescat ; quod oporteret de
necessitate, si tempus esset continuum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que ce
temps dans lequel l’Ange se meut de A à B est composé de deux instants ;
et dans un instant il est en A et dans l’autre il est en B. D’où il n’est pas
nécessaire qu’il se repose en l’un d’eux ; mais il faudrait nécessairement
qu’il en soit ainsi si son temps était continu. |
[2738] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest accipi aliqua proportio
temporis in quo movetur corpus, ad tempus in quo movetur Angelus ; quia
tempus quo movetur Angelus, non est divisibile divisione continui, sed
discreti in plura instantia finita ; in tempore autem quo movetur corpus,
sunt infinita instantia in potentia ; et ita nulla est proportio, sicut nec
infiniti ad finitum. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le
temps dans lequel se meut un corps n’est en rien proportionné au temps dans
lequel l’Ange se meut. La raison en est que le temps par lequel l’Ange se
meut n’est pas divisible par une division continu, mais par une division
discrète en plusieurs instants finis ; mais dans le temps par lequel le
corps se meut, il y a une infinité d’instants en puissance ; et c’est
pourquoi il n’y a aucune proportion entre ces temps, tout comme il n’y en a
pas entre l’infini et le fini. |
[2739] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus istud quo Angelus movetur,
divisibile est in duo, quae non copulantur ad unum communem terminum, cum hoc
tempus non sit continuum. Unde non sequitur quod in medio
instanti sit in medio spatii: quia non est necessarium accipere medium
instans. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que ce temps par lequel l’Ange se meut est divisible en deux termes qui
ne se réunissent pas en un terme commun puisque ce temps n’est pas continu.
D’où il ne s’ensuit pas que dans un espace intermédiaire il soit dans un
instant intermédiaire car il n’est pas nécessaire d’admettre un instant
intermédiaire. |
[2740]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 5 Sed quia ex aliis rationibus videtur
concludi, quod motus ejus sit in tempore continuo, ideo ad eas respondendum
est. Dicendum ergo ad quintum, quod omnis motus habet prius et posterius ;
sed diversimode: quia in motu continuo accipitur prius et posterius vel
respectu duorum temporum copulatorum ad unum nunc, vel respectu duorum nunc
includentium unum tempus ; in mutationibus autem instantaneis est prius ipsum
tempus mensurans motum praecedentem, cui adjungitur alterum extremorum, et
posterius ipsum nunc, quod mensurat terminum motus ; et ideo inter duo
extrema non cadit medium, sicut nec inter tempus et nunc. In motu autem Angeli prius et
posterius sunt duo nunc succedentia, inter quae nullum est medium tempus
continuans. |
5. Mais parce qu’à partir des autres
raisonnements on semble conclure que le mouvement de l’Ange est dans un temps
continu, c’est pourquoi il faut leur répondre. Il faut donc dire en réponse à
la cinquième difficulté que tout mouvement comporte un avant et un après,
mais différemment selon les différentes sortes de mouvement : car dans
le mouvement continu on prend l’avant et l’après soit par rapport à deux
temps réunis en un seul instant, soit par rapport à deux instants incluant un
seul temps ; mais dans les changements instantanés, le temps même qui
mesure le mouvement qui précède est premier, auquel s’ajoute l’autre extrême,
et l’instant même qui mesure le terme du mouvement est second ; et c’est
pourquoi entre les deux extrêmes il ne tombe aucun intermédiaire, tout comme
il n’en tombe aucun entre le temps et l’instant. Mais dans le mouvement de
l’Ange l’avant et l’après sont deux instants qui se succèdent et entre
lesquels il n’y a aucun intermédiaire pour continuer le temps. |
[2741] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hoc quod inter duo nunc sit tempus medium,
consequitur tempus ratione continuitatis ; quia haec est passio communis omni
continuo. Continuitatem autem habet ex motu. Unde cum motus Angeli non sit
continuus, ratio non sequitur. |
6. Il faut dire en sixième lieu que cet
énoncé, à savoir qu’entre deux instants il y a un temps intermédiaire, cela
découle du temps en raison de la continuité ; car c’est là la propriété
commune à tout ce qui est continu. Mais sa continuité, le temps la tient du
mouvement. D’où il résulte que puisque le mouvement de l’Ange n’est pas
continu, le raisonnement n’est pas concluant. |
[2742] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4
a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si ponatur motus Angeli et corporis
simul incipere, quando Angelus erit in alio termino secundum aliud instans
sui temporis, corpus etiam erit in alio termino secundum aliud instans sui
temporis. Inter duo autem instantia temporis istius corporis est tempus
medium in eo quod motus ejus est continuus ; unde est ibi signare medium
instans. Sed inter duo instantia Angeli non est
tempus medium. Unde nec medium instans oportet ibi signari ; sed contingit
signari, si in tribus locis successive sit ; quia ita etiam tempus ex tribus
nunc componetur ; unde unum erit medium ; et illa duo instantia possunt
includere omnia instantia temporis, cum etiam unum nunc et instans [aevi
instans Éd. de Parme] includat omne
tempus: et ita non est inconveniens quod dum motus Angeli est in duobus
tantum instantibus, motus corporis sit in infinitis ; quamvis quantumcumque
duret motus corporis, tantumdem etiam duret motus Angeli, et quamvis utrumque
non sit indivisibile. Et praeterea contingit quod quando corpus est in medio
instanti, Angelus in nullo loco sit, cum non sit necessarium eum semper esse
in loco, ut dictum est, quaest. 3, art. 1 ; et ita secundum coordinationem
illius temporis nullum nunc Angelo respondeat, sed tantum aevum. |
7. Il faut dire en septième lieu que si on
pose que le mouvement de l’Ange et celui du corps commencent simultanément,
lorsque l’Ange sera dans un autre terme selon un autre instant de son temps,
le corps aussi sera sera dans un autre terme selon un autre instant de son
temps. Mais entre les deux instants du temps de ce corps il y a un temps
intermédiaire en ceci que son mouvement est continu ; d’où il faut
désigner là un instant intermédiaire. Mais entre les deux
instants de l’Ange il n’y a pas un temps intermédiaire. D’où il n’y a pas à
signaler là un instant intermédiaire, mais il y a lieu d’en signaler un si
l’Ange est successivement en trois lieux car même ainsi le temps sera composé
de trois instants d’où il suit que l’un d’eux sera intermédiaire ; et
ces deux instants peuvent inclure tous les instants du temps puisque même un
seul instant et l’instant [l’instant de l’aevum Éd. de Parme] inclut en lui tout temps : et de cette manière
il n’y a pas de difficulté à ce que, tandis que le mouvement de l’Ange est
seulement dans deux instants, le mouvement du corps soit dans une infinité
d’instants, bien que le mouvement de l’Ange dure aussi longtemps que dure le
mouvement du corps et bien que les deux ne soient pas indivisibles. Et par
ailleurs il est possible que lorsque le corps est dans un instant
intermédiaire, l’Ange ne soit en aucun lieu, puisqu’il ne lui est pas
nécessaire d’être toujours en un lieu, ainsi que nous l’avons déjà dit
[quest. 3, art. 1] ; et ainsi on ne retrouve chez l’Ange aucun instant
qui corresponde à la disposition de ce temps, mais seulement l’éternité. |
[2743]
Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 8 Alia concedimus. |
|
|
|
Distinctio 38 |
Distinction 38 – [La science de Dieu] |
Quaestio 1 |
Question unique – [L’universalité de la science de Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic quinque quaeruntur: 1 utrum scientia Dei sit
causa rerum ; 2 utrum omnia uniformiter cognoscat ; 3 utrum sit enuntiabilium ; 4 utrum eorum quae non sunt ; 5 utrum sit contingentium. |
On cherche ici à répondre à
cinq questions: 1. Est-ce que la science de Dieu est la cause des choses? 2. Est-ce que Dieu connaît tous les êtres suivant une seule et même
forme? 3. Est-ce que sa science porte sur ce qui peut être énoncé? 4. Est-ce que sa science porte sur ce qui n’existe pas? 5. Est-ce que sa science porte sur le contingent? |
|
|
Articulus 1 [2746] Super
Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 tit. Utrum scientia Dei sit causa rerum |
Article 1 – La science de Dieu est-elle la cause des choses ? |
[2747] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic
proceditur. Videtur
quod scientia Dei sit causa rerum. Scientia enim Dei tam a sanctis quam a
prophetis scientiae artificis comparatur. Sed
scientia artificis causa est scitorum per artem producendorum. Ergo videtur quod scientia
Dei sit causa rerum. |
Difficultés : 1. Il semble que la
science de Dieu soit la cause des choses. En effet, aussi bien les saints que
les prophètes comparent la science de Dieu à la science de l’artiste. Mais la
science de l’artiste est la cause des choses qu’il sait devoir être produites
par son art. Il semble donc que la science de Dieu soit la cause des choses. |
[2748] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, cum similitudo sit quaedam unitas in forma,
oportet quod in omni assimilatione vel unum similium sit causa alterius, vel
utrumque ab una causa deducatur ; quia unitas in effectu designat unitatem
causae. Sed scientia est assimilatio quaedam. Ergo oportet semper quod
scientia sit causa sciti, sicut est in scientia practica ; vel scitum causa
scientiae, sicut est in nostra scientia speculativa ; vel utriusque sit causa
una, sicut est in cognitione quam Angeli de rebus habent ; quia ab eodem,
scilicet Deo, imprimuntur species rerum in mente Angeli ad cognoscendum, et
in materia ad essendum. Sed scientiae Dei, quae est ipse Deus, nihil est
causa, neque scitum, neque aliquid. Relinquitur ergo quod ipsa scientia Dei
sit causa sciti. |
2. Par ailleurs, comme la similitude ou la
ressemblance est une certaine unité dans la forme, il faut que dans toute
assimilation ou bien qu’un des semblables soit la cause de l’autre, ou bien
que les deux se tirent d’une même cause ; car l’unité dans les effets
est le signe de l’unité de la cause. Mais la science est une certaine
assimilation. Il faut donc toujours que la science soit la cause de ce qui
est su, tout comme dans la science pratique, ou bien que ce qui est su soit
la cause de la science, comme c’est le cas dans notre science spéculative, ou
bien que pour les deux il n’y ait qu’une seule cause, comme c’est le cas pour
la connaissance que les Anges ont des choses ; car c’est du même
principe, à savoir Dieu, que les espèces des choses sont imprimées dans
l’esprit de l’Ange pour qu’elles soient connues et dans la matière pour
qu’elles existent. Mais de la science de Dieu, qui est Dieu lui-même, rien
n’est la cause, ni ce qui est su, ni quelque chose d’autre. Il reste donc que
la science même de Dieu soit la cause de ce qui est su. |
[2749] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, mensura semper habet rationem principii
respectu mensurati, ut patet ex X Metaph., text. 3 Quantitas enim mensuratur
per principium quantitatis, ut substantiae omnes per principium substantiae.
Sed scientia Dei mensura est rerum ; unde dicit Anselmus, lib. De ver., c.
VII, col. 475, quod unaquaeque res veritatem habet quando implet illud ad
quod in mente divina ordinata est. Ergo scientia Dei est causa scitorum. |
3. Par ailleurs, la mesure
a toujours raison de principe par rapport à ce qui est mesuré, comme on le
voit chez le Philosophe [X Métaphysique,
texte 3]. En effet la quantité est mesurée par le principe de la quantité,
comme toutes les substances sont mesurées par le principe de la substance.
Mais la science de Dieu est la mesure des choses ; d’où Saint-Anselme [De la Vérité, ch. VII, col. 475] dit que chaque chose est dans
la vérité quand elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans l’esprit
divin. Donc la science de Dieu est la cause de ce qu’il sait. |
[2750] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut voluntas Dei est ipse Deus, ita et
scientia ejus. Sed voluntas Dei absolute dicitur causa omnium volitorum, et
bonitas omnium bonorum. Ergo scientia ejus debet dici causa omnium scitorum. |
4. Par ailleurs, la science de Dieu, tout
comme sa volonté, est Dieu lui-même. Mais on dit de la volonté de Dieu
qu’elle est la cause de tout ce qu’il veut, et sa bonté la cause de tous les
biens. On doit donc dire que sa science est la cause de tout ce qu’il sait |
[2751] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 1 arg. 5 Sed contra, cujuscumque causa est Dei scientia, causa est
Deus. Sed non omnium scitorum a Deo, causa est Deus ; quia mala, quae sunt a
Deo scita, non sunt ab ipso. Ergo nec scientia Dei causa est omnium scitorum. |
Cependant : 5. De toute chose dont la
cause est la science de Dieu, la cause est Dieu. Mais ce n’est pas de tout ce
qui est su de Dieu que Dieu est la cause ; car les maux, que Dieu sait
exister, ne viennent pas de Lui. Donc la science de Dieu n’est pas la cause
de tout ce qu’il sait. |
[2752] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, posita causa ponitur effectus. Sed scientia
Dei fuit ab aeterno ; res autem ab aeterno non fuerunt. Ergo scientia Dei non
est causa rerum. |
6. Par ailleurs, du fait
que la cause est posée, l’effet aussi est posé. Mais la science de Dieu a
toujours existé alors que les choses n’ont pas toujours existé. Donc la
science de Dieu n’est pas la cause des choses. |
[2753] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum quod
loquendo de attributis divinis, attendenda est attributorum ratio quae, quia
diversa est diversorum, ideo aliquid attribuitur uni quod non attribuitur
alteri, quamvis omnia sint una res ; et inde est quod bonitas divina dicitur
causa bonorum, et vita causa viventium ; et sic de aliis. Si ergo accipiamus
diversas attributorum rationes, inveniuntur aliqua habere comparationem non
tantum ad habentem, sed etiam ad aliquid sicut ad objectum, ut potentia, et
voluntas, et scientia. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’en parlant des attributs divins, il faut considérer la raison des
attributs qui, parce qu’elle est différente pour chacun, c’est pourquoi
quelque chose est attribué à l’un qui n’est pas attribué à l’autre, bien que
tous ne soient qu’une seule et même chose ; et c’est de là que vient que
l’on dit que la bonté divine est la cause des biens et que sa vie est la
cause des vivants, et qu’il en est de même du reste. Si donc nous considérons
les raisons diverses des attributs, on en trouve certains qui se comparent
non seulement à celui qui les possède, mais qui se comparent aussi à quelque
chose comme à un objet, comme c’est le cas pour la puissance, la volonté et
la science. |
Quaedam autem ad habentem
tantum, ut vita, bonitas, et hujusmodi. Et haec omnia habent unum modum
causalitatis, scilicet per modum communem efficientis exemplaris, ut dicimus,
quod a primo bono sunt omnia bona, et a primo vivente omnia viventia. Sed
illa quae dicuntur per comparationem ad objectum, habent etiam alium modum
causalitatis, respectu scilicet objectorum, ut voluntas respectu volitorum ;
et sic quaeritur hic de causalitate scientiae. |
Mais d’autres attributs se comparent
seulement à celui qui les possède, comme la vie, la bonté, etc. Et tous ceux-là
possèdent un seul mode de causalité, à savoir celui qui se présente par le
mode commun de l’agent exemplaire, comme lorsque nous disons que c’est du
premier bien que viennent tous les biens, et du premier vivant que viennent
tous les vivants. Mais ceux qui se disent par comparaison à un objet ont
aussi un autre mode de causalité, c’est-à-dire par rapport aux objets, comme
la volonté par rapport à ce qui est voulu ; et c’est en ce sens qu’on
s’interroge ici sur la causalité de la science. |
Constat enim quod scientia
sua est causa per modum efficientis et exemplaris omnium scientiarum ; sed
dubium est, utrum sit causa scitorum. Quae sunt objecta scientiae [quae sunt
…scientiae om. Éd. de Parme].
Sciendum est ergo, quod scientia secundum rationem scientiae non dicit
aliquam causalitatem, alias omnis scientia causa esset: sed inquantum est
scientia artificis operantis res, sic habet rationem causae respectu rei
operatae per artem. Unde sicut est causalitas artificis per artem suam, ita
consideranda est causalitas divinae scientiae. |
Il est clair en effet que sa science est
cause par mode de cause efficiente et exemplaire de toutes les sciences mais
le problème est de savoir si elle est la cause des choses qui sont connues.
Lesquelles sont les objets de la science [lesquelles sont …de la science om. Éd. de Parme]. Il faut donc savoir que la science,
entendue en tant que science, ne signifie pas une causalité, autrement toute
science serait cause ; mais pour autant qu’elle est la science de
l’artiste qui produit les choses, alors elle a raison de cause par rapport à
la chose produite par l’art. D’où il résulte que tout comme il y a causalité
de l’artiste par son art, c’est ainsi qu’il faut considérer la causalité de
la science divine. |
Est ergo iste processus in productione
artificiati. Primo scientia artificis
[artificialis Éd. de Parme]
ostendit finem ; secundo voluntas ejus
intendit finem illum ; tertio voluntas imperat actum per quem educatur opus,
circa quod opus scientia artificis ponit formam conceptam. Unde scientia se habet ut
ostendens finem, et voluntas ut dirigens actum et informans opus operatum ;
et ideo constat quod quidquid accidit in effectu per defectum a forma artis,
vel a fine, non reducitur in scientiam artificis sicut in causam. |
Voici donc quel est le processus dans la
production de l’œuvre d’art. En premier lieu la science
de l’artiste [artificielle Éd. de Parme]
montre la fin ; En deuxième lieu sa
volonté tend vers cette fin ; Troisièmement la volonté
commande l’acte par lequel l’œuvre est produite et sur laquelle la science de
l’artiste pose la forme qui a été conçue. D’où la science se
présente comme montrant la fin et la volonté comme dirigeant l’acte et
informant l’œuvre produite ; et c’est pourquoi il est clair que tout ce
qui apparaît dans l’effet par un défaut de la forme de l’art ou de la fin ne
se ramène par à la science de l’artiste comme à sa cause. |
Patet etiam quod
principalitas causalitatis consistit penes voluntatem quae imperat actum. Unde patet quod malum, quod
est deviatio a forma et a fine, non causatur per scientiam [a scientia Éd. de Parme] Dei ; sed tantum
causalitatem habet respectu bonorum, secundum quod consequuntur formam
divinae artis et finem ; non tamen ita [ita om. Éd. de Parme] quod respectu horum dicat perfectam rationem
causalitatis, nisi secundum quod adjungitur voluntati ; et ideo in Littera dicitur, quod scientia
beneplaciti est causa rerum. |
Il est clair aussi que la
primauté de la causalité se tient surtout dans la volonté qui commande
l’acte. D’où il est clair que le
mal, qui est une déviation de la forme et de la fin, n’est pas causé au moyen
de la science [par la science Éd. de
Parme] de Dieu ; mais la science de Dieu a seulement une causalité
par rapport aux biens, selon que ceux-ci découlent de la forme et de la fin
de l’art divin : non pas cependant de telle manière [de telle manière om. Éd. de Parme] que par rapport à
eux elle signifie la notion parfaite de causalité, sauf selon qu’elle
s’ajoute à la volonté ; et c’est pourquoi on dit dans la Lettre que la
science du bien-aimé est la cause des choses. |
Et propter hoc etiam
Avicenna, X lib. De intellig.,
cap.I, dicit, quod inquantum Deus cognoscit essentiam suam, et amat vel vult
eam, secundum quod est principium rerum, quarum vult se esse principium, fluunt
res ab eo. |
Et c’est à cause de cela aussi qu’Avicenne
[X De l’Intelligence, ch. 1] dit
qu’en tant que Dieu connaît son essence, qu’Il l’aime et la désire, selon
qu’il est le principe des choses dont il veut être le principe, les choses
coulent de Lui. |
[2754] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod scientia artificis non est
causa defectus qui contingit in artificiato, quamvis etiam esset praescitus
ab eo ; nec etiam est completa causa artificiati, nisi addatur voluntas, ut
dicit philosophus in IX Metaphysic.,
text. 3, et similiter est etiam de scientia Dei. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la science de l’artiste n’est pas la cause du défaut qui
peut se produire dans l’œuvre d’art, quand bien même il serait connu à
l’avance de l’artiste ; et cette science n’est pas la cause complète de
l’œuvre, à moins qu’on y ajoute la volonté comme le dit le Philosophe [1X Métaphysique, texte 3] et il en est de
même aussi au sujet de la science de Dieu. |
[2755] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod mala non cognoscuntur a Deo per similitudinem suam, sed per
similitudinem bonorum ; ut prius dictum est, dist. 36, quaest. 1, art. 2 ; et
ideo non sequitur quod sit causa nisi bonorum. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que les maux ne sont pas connus de Dieu par sa similitude mais
par la similitude des biens ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist.
36, quest. 1, art. 2] ; et c’est pourquoi il s’ensuit qu’il n’est cause
que des biens. |
[2756] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inquantum scientia Dei est sicut
exemplar per modum artis rerum, sic dicitur mensura earum ; unde mala sicut
deficiunt a participatione formae artis, ita deficiunt a rectitudine mensurae
; et propter hoc etiam malum definitur ab Augustino, lib. De natura boni, cap. IV, et sq.,
col.553, quod est « privatio modi »,
inquantum deficit a mensura ; speciei,
inquantum deficit ab imitatione exemplaris ; ordinis, inquantum deficit a fine. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que pour autant que le science de Dieu est comme un modèle des
choses à la manière d’un art, en ce sens on peut dire d’elle qu’elle en est
la mesure ; d’où il suit que les maux, tout comme ils s’écartent de la
participation de la forme de l’art, de même ils s’écartent de la rectitude de
la mesure ; et c’est pour cette raison encore que le mal est défini par
Saint-Augustin [De la Nature du Bien,
ch. IV et suivants, col. 553] comme étant la ¨privation du mode¨ en tant qu’il s’écarte de la mesure, la
¨privation de l’espèce¨ en tant
qu’il s’écarte de l’imitation du modèle et la ¨privation de l’ordre¨ en tant qu’il s’écarte de la
fin. |
[2757] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod voluntas habet completam rationem
causae, inquantum objectum ejus est finis secundum rationem boni, qui est
causa causarum ; unde et imperium super alias vires habet ; et ideo absolute
voluntas Dei causa rerum dicitur. De scientia autem non similiter se habet
sicut de voluntate, ut dictum est, in corp. art. ; nec etiam ita comparatur
scientia ad scitum sicut vita ad viventem. Non enim scitum dicitur quod habet
scientiam sicut dicitur vivum quod habet vitam [non enim scitum…vitam om. Éd. de Parme]. Unde patet quod
ratio non concludit. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu que la volonté a complètement raison de cause, pour autant que
son objet est la fin selon la raison de bien, laquelle est la cause des
causes ; et c’est de là qu’elle tire sa primauté sur les autres
puissances ; et c’est pourquoi on dit de la volonté de Dieu qu’elle est
la cause absolue des choses. Mais il n’en est pas semblablement de la science
comme il en est de la volonté comme nous l’avons dit dans le corps de
l’article ; et de plus la science ne se compare pas à l’objet de science
comme la vie se compare au vivant. Nous ne disons pas en effet que l’objet de
science possède la science comme nous disons que le vivant possède la vie
[nous ne disons pas en effet de l’objet de science…la vie om. Éd. de Parme]. D’où il est clair
que le raisonnement n’est pas concluant. |
[2758] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 5 Quintum concedimus. |
5. Nous concédons le cinquième
argument. |
[2759] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum,
quod sicut creaturae non exeunt a Deo per necessitatem naturae, vel potentiae
naturalis, ita nec per necessitatem scientiae ; sed per libertatem voluntatis
in qua completur ratio causalitatis ; et ideo non quandocumque scivit
creavit, sed quandocumque voluit. |
6. Il faut dire en sixième lieu
que tout comme les créatures ne procèdent pas de Dieu par une nécessité de
nature ou par la nécessité d’une puissance naturelle, elles n’en procèdent
pas non plus par une nécessité de science mais par la liberté de la volonté
dans laquelle s’accomplit la notion de causalité; et c’est pourquoi ce n’est
pas toutes les fois qu’il sait qu’il crée, mais toutes les fois qu’il veut. |
|
|
Articulus 2 [2760] Super
Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 tit. Utrum scientia Dei sit uniformiter de
rebus scitis |
Article 2 – La science de Dieu concerne-t-elle de manière uniforme les choses connues ? |
[2761] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic
proceditur. Videtur
quod scientia Dei non uniformiter sit de rebus scitis. Omnis enim scientia
quae est de rebus aliter quam sint, est falsa. Sed scientia Dei verissima
est. Cum igitur omnes res non habeant unum modum, videtur quod non
uniformiter sit de omnibus. |
Difficultés : 1. Il semble que la
science de Dieu ne se rapporte pas de manière uniforme aux choses connues. En
effet, toute science est fausse qui se rapporte aux choses autrement qu’elles
ne sont. Mais la science de Dieu est la plus vraie. Donc, puisque toutes les
choses ne possèdent pas la même sorte d’existence, il semble que la science
de Dieu ne se rapporte pas aux choses de manière uniforme. |
[2762] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum
Augustinum, Epist. CXLII, cap. XVI, etc., col.
613, alius modus cognitionis est cognoscere rem per sui essentiam, et alius
[alius om. Éd. de Parme] per sui
similitudinem. Sed Deus seipsum per essentiam suam cognoscit, creaturas vero
per similitudines earum in ipso existentes. Ergo non uniformiter seipsum et
creaturas cognoscit. |
2. Par ailleurs, d’après Saint-Augustin, [Lettre
CXL11, ch. XVI, etc., col. 613] autre est la manière de connaître la chose
par son essence, autre [autre om. Éd.
de Parme] est celle de la connaître par sa similitude. Mais Dieu se
connaît lui-même par son essence et il connaît les créatures par leurs
similitudes qui existent en Lui. Donc il ne se connaît pas lui-même et les
créatures d’une manière uniforme. |
[2763] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ut supra habitum est, dist. 16, quaest. 1,
art. 2, Deus bona cognoscit per se, mala autem per aliud. Sed hoc facit
diversum modum cognitionis. Ergo non uniformiter omnia cognoscit. |
3. D’ailleurs, comme nous l’avons établi
plus haut [dist. 16, quest. 1, art. 2], Dieu connaît le bien par lui-même et
le mal par quelque chose d’autre. Mais cela entraîne une diversité dans la
manière de connaître. Dieu ne connaît donc pas toutes les choses d’une
manière uniforme. |
[2764] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum Dionysium, in VII De divinis nominibus, § 2, col. 867, Deus eodem modo cognoscit res quo
rebus esse tradidit. Sed secundum Augustinum, lib. LXXXIII quaest., qu. XLVI, col. 30, alia ratione creavit hominem
et equum. Ergo alia ratione cognoscit ; et ita non uniformiter de omnibus
est. |
4. En outre, selon Denys [Les Noms Divins, ch. VII, & 2, col. 867], Dieu connaît les
choses de la même manière qu’il leur transmet l’existence. Mais d’après
Saint-Augustin [Les Quatre-vingt-trois
questions, quest. XLVI, col. 30], ce n’est pas pour la même raison que
Dieu créa l’homme et le cheval. Il connaît donc pour des raisons différentes
et ainsi il ne connaît donc pas tous
les êtres d’une manière uniforme. |
[2765] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Dionysius in eodem capitulo dicit, quod
materialia immaterialiter cognoscit, et multa unite, et sic de aliis. Ergo
videtur quod sit uniformiter scientia Dei [scientia Dei om. Éd. de Parme] de omnibus. |
Cependant : 1. Denys dit par contre
dans le même chapitre que Dieu connaît d’une manière immatérielle ce qui est
matériel, dans l’unité ce qui est multiple, et qu’il en est de même pour
le reste. Il semble donc que la science de Dieu [science de Dieu om. Éd. de Parme] soit uniforme pour
tous les êtres. |
[2766] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, modus cognitionis praecipue attenditur penes
rationem medii, ex cujus diversitate de eodem potest haberi opinio et
scientia. Sed Deus eodem medio omnia cognoscit, scilicet per essentiam suam,
ut in eodem capitulo Dionysius dicit. Ergo de omnibus est uniformiter. |
2. Par ailleurs, le mode de connaître se
vérifie surtout dans la notion de moyen terme par la diversité duquel sur la
même chose on peut posséder une opinion ou la science. Mais Dieu connaît tous
les êtres par le même moyen terme, à savoir par son essence, comme le dit
Denys dans le même chapitre. La science de Dieu est donc uniforme pour tous
les êtres. |
[2767] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in
qualibet cognitione potest considerari duplex modus: scilicet modus rei
cognitae et modus cognoscentis. Modus quidem rei cognitae non est modus
cognitionis, sed modus cognoscentis, ut dicit Boetius V De consol. Philos., prop. IV, col. 848. Quod patet ex hoc quod
ejusdem rei cognitio est in sensu cum conditionibus materialibus, quia sensus
est potentia in materia ; in intellectu autem, quia immaterialis est, ejusdem
cognitio est sine appenditiis materiae. Cujus ratio est, quia cognitio non
fit nisi secundum quod cognitum est in cognoscente. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que dans toute connaissance on peut considérer deux modes : à savoir le
mode de la chose connue et le mode de celui qui connaît. Certes ce n’est pas
le mode de la chose connue mais le mode de celui qui connaît qui est le mode
de la connaissance comme le dit Boèce [V De la Consolation de la Philosophie,
prop. IV, col. 848]. Ce qui devient évident à partir de ceci que pour la même
chose il y a la connaissance qui est dans le sens avec les conditions
matérielles car le sens est une puissance établie dans la matière ; mais
il y a aussi pour la même chose une autre connaissance dans l’intelligence
car elle est immatérielle et dégagée des conditions matérielles. Et la raison
en est que la connaissance n’a lieu qu’en tant que le connu est dans celui
qui connaît. |
Unumquodque autem est in
aliquo per modum ipsius, et non per modum sui, ut patet ex libro De causis, propos.10 : et ideo
oportet quod cognitio fiat secundum modum cognoscentis. Quia ergo in
intellectu divino est summa unitas, ideo ejus cognitio est uniformis de
omnibus ; omnia enim in eo unum sunt. Cum ergo quaeritur, utrum Deus omnia
uniformiter cognoscat, distinguendum est ; quia adverbium potest dicere modum
actus cognitionis, et sic verum est ; vel modum objecti, et sic falsum est ;
quia Deus non tantum scit rem, sed proprium modum rei ; unde scit diversis
diversos modos inesse ; et similiter dicendum est ad omnes similes
quaestiones. |
Mais toute chose est dans
une autre par le mode de cet autre et non par le mode qui lui est propre
comme on le voit dans le livre Des Causes,
à la proposition 10 : et c’est pourquoi il faut que la connaissance
s’effectue d’après le mode de celui qui connaît. Donc parce que dans
l’intelligence divine il y a une unité parfaite, c’est pourquoi sa
connaissance est uniforme à l’égard de tous les êtres ; en Lui en effet
tous les êtres sont un. Donc, lorsqu’on demande si Dieu connaît tous les
êtres uniformément, il faut distinguer ; car cet adverbe peut signifier
le mode de l’acte de connaissance, et ainsi l’énoncé est vrai ; ou bien
il signifie le mode de l’objet et alors il est faux ; car non seulement
Dieu connaît la chose mais il en connaît aussi le mode propre ; d’où il
sait que différents modes appartiennent à différents êtres ; et il faut
parler semblablement à l’égard de toutes les questions semblables. |
[2768] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur, scientia quae
est de re aliter quam sit, est falsa, et hoc dupliciter [falsa, est duplex Éd. de Parme]. Quia adverbium ‘aliter’
potest designare modum ipsius scientiae, et sic falsum est ; quia scientia
vera [vera om. Éd. de Parme] est
immaterialis de rebus materialibus. Vel potest designare modum scitorum, et
sic verum est ; unde ad propositum non [non om. Éd. de Parme] concludit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que lorsqu’on dit que la science est fausse lorsqu’elle se
rapporte à la chose autrement qu’elle n’est, cet énoncé peut s’entendre de
deux manières [la fausseté peut être de deux sortes Éd. de Parme]. Car l’adverbe ¨autrement¨ peut désigner le mode de
la science elle-même et ainsi l’énoncé est faux car la vraie science sur les
choses matérielles est elle-même immatérielle. Mais il peut désigner aussi le
mode des objets à connaître et alors l’énoncé est vrai ; il résulte de là
que l’argument n’est pas [n’est pas om.
Éd. de Parme] concluant par rapport au propos. |
[2769] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia Dei per quam seipsum
cognoscit Deus, est etiam similitudo per quam cognoscit omnia creata ; et ita
per idem medium se et alia cognoscit. Unde ex parte cognoscentis invenitur
unitas, sed ex parte cognitorum diversitas, quia aliquod eorum, scilicet ipse
Deus, se habet per identitatem ad medium illud ; alia per imitationem,
scilicet ipsae creaturae. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que
l’essence de Dieu par laquelle Dieu se connaît lui-même est aussi la
similitude par laquelle il connaît toutes les créatures ; et ainsi c’est
par le même moyen terme qu’il se connaît et qu’il connaît tout le reste. D’où
il résulte que du côté de celui qui connaît on retrouve une unité, mais une
diversité du côté des objets à connaître car l’un d’eux, à savoir Dieu
lui-même, se présente comme étant identique à ce moyen terme alors que les
autres, à savoir les créatures, se présentent comme des imitations. |
[2770] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum similiter, quod Deus eodem medio,
scilicet essentia sua, cognoscit et bona et mala ; sed ad hoc medium
diversimode comparantur bona quae ipsum imitantur, et mala quae ab ipso
discedunt. |
3. Il faut dire semblablement en troisième
lieu que Dieu, par le même moyen terme, à savoir son essence, connaît à la
fois le bien et le mal ; mais c’est d’une manière différente que se
comparent à ce moyen terme les biens qui l’imitent et les maux qui s’en
écartent. |
[2771] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod una essentia divina est per quam
esse omnibus tradidit, et per quam omnia cognoscit, ut idem Dionysius dicit.
Alietas autem rationum est ex diversitate respectuum, qui attenduntur
secundum diversitatem rerum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que c’est
par une seule et même essence divine que Dieu donne l’existence à tous les
êtres et qu’il les connaît tous comme le dit aussi Denys. Mais la différence
des raisons tient à la diversité des rapports qui se considèrent selon la
diversité des choses. |
|
|
Articulus 3 [2772] Super
Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 tit. Utrum scientia Dei sit
enuntiabilium |
Article 3 – La science de Dieu concerne-t-elle ce qui peut être énoncé ? |
[2773] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic
proceditur. Videtur
quod scientia Dei non sit enuntiabilium. Scientia enim Dei est de rebus per
ideas earum. Sed idea est similitudo rei
incomplexae. Ergo
videtur quod complexorum vel enuntiabilium Deus scientiam non habeat. |
Difficultés : 1. Il semble que la
science de Dieu ne porte pas sur ce qui peut être énoncé. En effet, la
science de Dieu porte sur les choses au moyen de leurs idées. Mais l’idée est
une similitude d’une chose incomplexe. Il semble donc que Dieu ne possède pas
la science de ce qui est complexe ou de ce que l’on peut énoncer. |
[2774] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, ut dicitur in III De anima, text. 24, quando intellectus intelligit affirmationem
et negationem, fit quaedam compositio intellectuum [intellectuum om. Éd. de Parme]. Sed in divino
intellectu nulla est compositio. Ergo enuntiabilia non cognoscit. |
2. Par ailleurs, comme le dit le Philosophe
[111 De l’Âme, texte 24] quand
l’intelligence saisit l’affirmation et la négation, il y a une certaine
composition des concepts [concepts om.
Éd. de Parme]. Mais il n’y a nulle composition dans l’intelligence
divine. Il ne connaît donc pas ce qui peut être énoncé. |
[2775] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut ibidem dicitur, operationi qua
intellectus affirmat aliquid aut negat, admiscetur tempus ; unde omnis
enuntiatio cum tempore significat. Sed intellectus divinus omnino absolutus
est a tempore. Ergo non est enuntiabilium. |
3. En outre, tout comme on le dit au même
endroit, le temps se mêle à l’opération par laquelle l’intelligence affirme
ou nie quelque chose ; d’où il suit que toute énonciation signifie avec
le temps. Mais l’intelligence divine est absolument dégagée du temps. Sa
science ne porte donc pas sur les énonciations. |
[2776] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, intellectus divinus est verissimus, cui nulla
falsitas admisceri potest. Sed duarum operationum intellectus uni admiscetur
falsitas, scilicet ei qua affirmat aliquid aut negat ; alteri vero non, qua
scilicet intuetur quidditatem rei, ut in III De anima, text. 21, dicitur. Ergo videtur quod ista tantum
operatio sit Deo attribuenda, et non prima, qua enuntiabilia cognoscuntur. |
4. De plus, l’intelligence divine est
suprêmement vraie puisqu’aucune fausseté ne peut l’atteindre. Mais la
fausseté se mêle à l’une des deux opérations de l’intelligence, à savoir à
celle par laquelle on affirme ou nie quelque chose, mais non à l’autre,
c’est-à-dire à celle par laquelle on considère la quiddité de la chose comme
le dit le Philosophe [111 De l’Âme,
texte 21]. Il semble donc que cette dernière opération soit la seule qu’on
doive attribuer à Dieu et non la première par laquelle les énonciations sont
connues. |
[2777] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, nostra scientia non tantum est de rebus, sed
etiam de enuntiationibus. Si ergo scientia [essentia Éd. de Parme] Dei non esset de enuntiationibus, esset imperfectior
quam nostra. |
Cependant : 1. Notre science ne porte
pas seulement sur les choses mais aussi sur les énonciations. Si donc la
science [l’essence Éd. de Parme] de
Dieu ne portait pas sur les énonciations, elle serait plus imparfaite que la
nôtre. |
[2778] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, quidquid praedicit Deus, scit. Sed multa
enuntiabilia per prophetas praedixit, sicut virginem parituram, Isa. 7. Ergo
enuntiabilia scit. |
2. Par ailleurs, tout ce que Dieu prédit, il
le fait. Mais Dieu a prédit de nombreuses énonciations par les prophètes,
comme la conception virginale dans Isaïe 7. Il a donc la science des
énonciations. |
[2779] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod
secundum opinionem Avicennae et ex dictis Algazelis videtur sequi quod Deus
enuntiabilia nesciat, et praecipue in rebus singularibus ; quia ponunt quod
scit singularia tantum universaliter, idest secundum quod sunt in causis
universalibus, et non particulariter, idest in natura particularitatis suae.
Unde concedunt quod scit hoc individuum et illud ; sed non scit hoc
individuum nunc esse et postmodum non esse ; sicut si aliquis sciret eclypsim
quae futura est cras in suis causis universalibus ; non tamen sciret an modo
esset vel non esset, nisi sensibiliter videret. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que d’après l’opinion d’Avicenne et les paroles d’Algazel, il semble
s’ensuivre que Dieu ne connaît pas les énonciations, et surtout en ce qui
concerne les singuliers ; car ils posent que Dieu connaît les singuliers
seulement dans l’universel, c’est-à-dire selon qu’ils existent dans les
causes universelles et non selon ce qui leur est propre, c’est-à-dire dans
leur nature particulière. D’où ils concèdent que Dieu connaît tel et tel
individu, mais il ne sait pas que tel individu existe maintenant et qu’il
n’existe pas par la suite, comme si quelqu’un savait par les causes de
l’éclypse qu’elle doit apparaître demain sans cependant savoir de quelle
manière elle sera ou ne sera pas, à moins de la voir de manière sensible. |
Sed quia supra ostensum est
quod Deus non solum habet hujusmodi cognitionem de particularibus, sed
perfectam, inquantum cognoscit ea in sua particularitate secundum omnes
conditiones individuales quae in eis sunt ; ideo dicendum est, quod Deus non
solum cognoscit ipsas res, sed etiam enuntiabilia et complexa ; tamen
simplici cognitione per modum suum ; quod sic patet. Cum in re duo sint,
quidditas rei, et esse ejus, his duobus respondet duplex operatio
intellectus. |
Mais parce que nous avons montré plus haut
que Dieu ne possède pas seulement une connaissance de cette sorte mais une
connaissance parfaite en tant qu’il connaît les singuliers dans leurs
caractères particuliers selon toutes les conditions individuelles qui sont en
eux, c’est pourquoi il faut dire que Dieu ne connaît pas seulement les choses
elles-mêmes, mais il connaît aussi ce qui peut s’énoncer et ce qui est
complexe, mais à sa manière cependant et par une connaissance qui est
simple ; ce qui apparaît clairement de la manière qui suit. Puisque dans
la chose il y a deux aspects à considérer, à savoir la quiddité de la chose
et son existence, il y a une opération de l’intelligence qui correspond à
chacun de ces aspects. |
Una quae dicitur a
philosophis formatio, qua apprehendit quidditates rerum, quae etiam a
Philosopho, in III De anima [a philosopho … anima, om. Éd. de Parme] dicitur
indivisibilium intelligentia. Alia autem comprehendit esse
rei, componendo affirmationem, quia etiam esse rei ex materia et forma compositae,
a qua cognitionem accipit, consistit in quadam compositione formae ad
materiam, vel accidentis ad subjectum. Similiter etiam in ipso Deo est
considerare naturam ipsius, et esse ejus ; et sicut natura sua est causa et
exemplar omnis naturae, ita etiam esse suum est causa et exemplar omnis esse.
Unde sicut cognoscendo essentiam suam, cognoscit omnem rem ; ita cognoscendo
esse suum, cognoscit esse cujuslibet rei ; et sic cognoscit omnia
enuntiabilia, quibus esse significatur ; non tamen diversa operatione nec
compositione, sed simpliciter ; quia esse suum non est aliud ab essentia, nec
est compositum consequens ; et sicut per idem cognoscit bonum et malum, ita
per idem cognoscit affirmationes et negationes. |
La première est celle que les philosophes
appellent ¨formation¨ et par laquelle il appréhende les quiddités des choses
et que le Philosophe [le Philosophe …l’âme om. Éd. de Parme] dans le troisième livre du traité De l’Âme appelle aussi l’intelligence
des indivisibles. Mais la deuxième embrasse
l’existence de la chose en composant une affirmation car même l’existence de
la chose composée de matière et de forme de laquelle il reçoit la
connaissance, consiste dans une certaine composition d’une forme à une
matière ou d’accidents à un sujet. De la même manière il faut aussi
considérer en Dieu lui-même sa nature et son existence : et tout comme
sa nature est la cause et le modèle de toute nature, de même encore son
existence est la cause et le modèle de toute existence. D’où il résulte que
tout comme en connaissant son essence il connaît toute chose, de même en
connaissant son existence il connaît l’existence de toute chose ; et
ainsi il connaît toutes les énonciations par lesquelles l’existence est
signifiée, non pas cependant par une opération différente ni par une
composition, mais simplement car son existence n’est pas autre que son
essence et il ne s’ensuit en Lui aucune composition ; et tout comme
c’est par la même chose qu’il connaît le bien et le mal, de même c’est par la
même chose qu’il connaît les affirmations et les négations. |
[2780] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliud est de forma existente
in mente artificis et de idea rei quae est in mente divina: quia forma quae
est in mente artificis, non est causa totius quod est in artificiato, sed
tantum formae ; et ideo esse hanc domum, et cetera quae consequuntur naturam
per formam artis, nescit artifex [artifex om.
Éd. de Parme] nisi sensibiliter accipiat: sed idea quae est in mente
divina, est causa omnis ejus quod in re est ; unde per ideam non tantum
cognoscit naturam rei, sed etiam hanc rem esse in tali tempore, et omnes
conditiones quae consequuntur rem vel ex parte materiae vel ex parte formae. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’il en va autrement de la forme qui existe dans l’esprit de
l’artiste et de l’idée de la chose qui est dans l’esprit divin ; car la
forme qui est dans l’intelligence de l’artiste n’est pas la cause de tout
dans l’œuvre d’art, mais seulement de la forme ; et c’est pourquoi
l’artiste [l’artiste om. Éd. de Parme]
ignore que telle maison existe, tout comme il ignore l’existence de toutes
les autres choses qui parviennent à une nature par la forme de l’art, à moins
de la reconnaître par les sens ; mais l’idée qui est dans l’esprit divin
est la cause de toute ce qu’il y a dans la chose ; d’où il suit que par
l’idée Dieu ne connaît pas seulement la nature de la chose, mais aussi que
telle chose existe en ce temps particulier, ainsi que toutes les conditions
qui atteignent la chose soit du côté de sa matière, soit du côté de sa forme. |
[2781] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipsum esse divinum quod est
simplex, est exemplar omnis esse compositi quod in creatura est ; et ideo per
esse suum simplex cognoscit sine compositione intellectuum vel divisione omne
esse vel non esse quod rei convenit. Sed intellectus noster, cujus cognitio a
rebus oritur, quae esse compositum habent, non apprehendit illud esse nisi
componendo et dividendo ; et de tali intellectu philosophus loquitur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que
l’existence divine elle-même qui est simple est le modèle de toute existence
composée présente dans la créature ; et c’est pourquoi il connaît par
son existence simple, sans compostion ou division des concepts, toute
existence ou non-existence qui appartient à la chose. Mais notre
intelligence, dont la connaissance se forme à partir des choses qui ont une
existence composée, n’appréhende cette existence qu’en composant et
divisant ; et c’est de cette intelligence dont le Philosophe parle. |
[2782] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operationi intellectus nostri
componentis et dividentis admiscetur tempus duplici de causa ; tum ex parte
sua, quia accipit scientiam a continuo et tempore, scilicet a sensu et
imaginatione ; tum ex parte intellectorum, quae in tempore sunt. In
operatione autem divini intellectus advenit tempus tantum ex parte
intellectorum, quia sicut alias res determinate cognoscit, ita et tempus ; unde
cognoscit hanc rem esse in tali vel in tali tempore: sed ex parte ipsius
intellectus nullum tempus vel aliqua successio advenit ; quia temporalia
intemporaliter cognoscit. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le
temps se même à cette opération de notre intelligence qui compose et divise
pour deux raisons ; tant du côté de l’opération elle-même qui reçoit la
science de ce qui est continu et temporel, à savoir du sens et de
l’imagination, que du côté des objets connus par l’intelligence qui existent
dans le temps. Mais dans l’opération de l’intelligence divine le temps ne
survient que du côté des objets connus par l’intelligence, car tout comme il
connaît précisément les autres choses, il connaît aussi le temps ; d’où
il sait que telle chose est dans tel ou tel autre temps : mais du côté
de son intelligence il ne survient aucun temps ni aucune succession car il
connaît les réalités temporelles d’une manière qui est intemporelle. |
[2783] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut operationi intellectus
nostri qua inspicit quidditates rerum, non admiscetur falsitas nisi per
accidens, inquantum cognitio quidditatis dependet a cognitione affirmationis,
quod contingit in quidditatibus compositis, et non in simplicibus, ut dicitur
in IX Metaph., text. 22: ita
operationi intellectus divini non potest advenire falsitas nec in
comprehendendo naturas rerum nec in comprehendendo enuntiabilia ; quia
utrumque eadem operatione cognoscit, et per unum idem simplex, ut ex dictis,
in corp. art., patet. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
fausseté ne se mêle que par accident à l’opération de notre intelligence par
laquelle elle considère les quiddités des choses, à savoir pour autant que la
connaissance de la quiddité dépend de la connaissance de l’affirmation, ce
qui se produit pour les quiddités composées et non pour celles qui sont
simples comme le Philosophe [1X Métaphysique,
texte 22] le dit, de même la fausseté ne peut survenir dans l’opération de
l’intelligence divine ni dans la saisie de la nature des choses ni dans la
saisie des énonciations car il connaît les deux par la même opération qui est
la seule et même opération simple comme on le voit à partir de ce qui a été
dit dans le corps de l’article. |
|
|
Articulus 4 [2784] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 4 tit. Utrum scientia Dei sit non entium |
Article 4 – Dieu a-t-il la science du non-être ? |
[2785] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic
proceditur. Videtur
quod scientia Dei non possit esse non entium. Scientia enim importat
respectum ad scibile. Sed ea quae dicunt respectum ad creaturam, non dicuntur
de Deo nisi creaturis existentibus, ut Dominus, et Creator, et hujusmodi.
Ergo videtur quod non possit Deus dici scire res aliquas, nisi quando sunt. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne
puisse avoir la science du non-être. La science en effet implique un rapport
à l’objet de science. Mais les attributs qui signifient un rapport à la
créature ne se disent de Dieu que par rapport aux créatures qui existent,
comme Seigneur, Créateur et les termes de cette sorte. Il semble donc qu’on
ne puisse dire de Dieu qu’il connaît des choses que dans la mesure où elles
existent. |
[2786] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, scientia non est nisi verorum, ut in Posterioribus, lib. 1, text. 5,
dicitur. Sed verum et ens convertuntur. Ergo non est nisi entium. |
2. Par ailleurs, il n’y a
science que de ce qui est vrai, comme le dit le Philosophe [Seconds Analytiques, L. 1, texte 5].
Mais le vrai et l’être se convertissent. Donc la science de Dieu ne porte que
sur l’être. |
[2787] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, scientia Dei est mensura scitorum. Sed ea quae
non sunt non commensurantur alicui. Ergo eorum non est scientia Dei. |
3. En outre, la science de Dieu est la
mesure de ce qui est connu. Mais ce qui n’existe pas ne peut avoir de mesure.
La science de Dieu ne porte donc pas sur ce qui n’existe pas. |
[2788] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, primum cadens in apprehensione intellectus est
ens, ut Avicenna, tract. I Metaph., cap.
VI, dicit. Sed nulla virtus cognocitiva [potest cognoscere Éd. de Parme] aliquid nisi
praesupposita ratione primi objecti, sicut visus nihil videt sine lumine.
Ergo nec aliquis intellectus potest cognoscere nisi entia. |
4. De plus, ce qui entre en premier dans
l’appréhension de l’intelligence est l’être comme le dit Avicenne [1 Métaphysique, ch. VI]. Mais aucune puissance cognitive [ne
peut connaître Éd. de Parme]
quelque chose à moins que ne soit présupposé son rapport au premier objet,
tout comme la vue ne voit rien sans la lumière. Donc une intelligence ne peut
connaître que des êtres. |
[2789] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, quidquid eligitur sine errore, hoc scitur.
Sed secundum Augustinum, Sermo XXVI, §
4, col 173, eliguntur quae non sunt ; nec tamen errat qui eligit, scilicet
Deus. Ergo videtur quod eorum quae non sunt, notitiam habeat. |
Cependant : 1. Il y a connaissance de
science pour tout ce qui est choisi sans erreur. Mais selon Saint-Augustin [Sermon XXVI, & 4, col. 173], sont
choisies des choses qui n’existent pas celui qui choisit, à savoir Dieu, ne
se trompe pas. Il semble donc que Dieu ait une connaissance de ce qui
n’existe pas. |
[2790] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet scibile ad scientiam nostram
ut prius, ita se habet scientia Dei ad scibilia ut prior eis. Sed quaedam
scibilia sunt quorum non habemus scientiam, ut Philosophus I Poster., text. 24 tradidit. Ergo et
scientia Dei potest esse eorum quae non sunt. |
2. Par ailleurs, tout comme l’objet de
science se rapporte à notre science en tant que premier, de même la science
de Dieu se rapporte aux objets de science comme leur étant première. Mais il
y a des objets de science dont nous n’avons pas la science comme l’enseigne
le Philosophe [Premiers Analytiques,
texte 24]. Donc la science de Dieu peut porter même sur ce qui n’existe pas. |
[2791] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum,
quod quidquid cognoscitur, aliquo modo oportet esse, ad minus in ipso
cognoscente ; unde et Avicenna, tract. VII Metaph., cap. 1, dicit, quod de eo quod omnino est non ens, nihil
potest enuntiari. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que tout ce qui est connu doit exister en
quelque sorte, au moins dans celui-là même qui connaît; d’où Avicenne [ VII Métaphysique, ch. 1] dit que rien ne
peut être énoncé au sujet de ce qui n’existe absolument pas. |
Unde secundum quod aliqua se
habent ad esse, ita se habent ad divinam cognitionem. Esse autem rei potest
tripliciter considerari: vel prout est in propria sua natura ex suis
principiis educta, vel prout est in potentia alicujus causae, vel prout est
in apprehensione alicujus cognoscentis. |
D’où les choses se rapportent à la
connaissance divine selon qu’elles se rapportent à l’être. Mais l’être ou
l’existence d’une chose peut se considérer de trois manières : soit
selon qu’elle est conduite de ses principes à la nature qui lui est propre,
soit selon qu’elle existe dans la puissance d’une cause, soit selon qu’elle
est dans l’appréhension d’un sujet connaissant. |
Omnia ergo illa quae habent
esse in sua natura secundum quodcumque tempus, Deus ab aeterno scivit, et
apprehendendo naturam ipsorum, et videndo ea esse, non tantum in cognitione
sua, vel potentia alicujus causae, sed etiam in esse naturae ; quod patet,
quia constat quod re existente cognoscit Deus ipsum esse quod habet in
propria natura. |
Donc toutes les choses qui possèdent
l’existence dans leur nature selon le temps, Dieu les connaît de toute
éternité, à la fois en saisissant leur nature et en voyant leur existence non
seulement dans sa connaissance ou dans la puissance d’une cause mais aussi
dans leur existence de nature ; ce qui est évident car il est clair
qu’une fois que la chose existe, Dieu connaît l’existence même qu’elle
possède dans sa nature propre. |
Si autem ab aeterno non
cognovisset nisi esse ejus quod est in cognitione, vel in potentia causae,
cognitio sua proficeret per temporum successiones ; et talia dicitur Deus
scire scientia visionis. Res autem illas quarum esse in nullo tempore est in
propria natura, cognoscit esse in potentia causae vel creaturae deficientis,
sicut mala, vel in potentia operativa sua, sicut bona. |
Mais si Dieu n’avait connu de toute éternité
que son existence qui est dans la connaissance ou dans la puissance d’une
cause, sa connaissance progresserait par les successions des temps ; et
on dit de Dieu qu’il connaît cela par une science de vision. Mais ces choses
dont l’existence n’est en aucun temps dans leur nature propre, il sait
qu’elles existent dans la puissance d’une cause ou d’une créature déchue,
comme les maux, ou dans sa puissance d’opération, comme les biens. |
[2792] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod omnes relationes quae fundantur super aliquam operationem
actualem procedentem in creaturas, non possunt convenire Deo, nisi ex tempore
creaturis existentibus ; sed relatio importata in scientia, potentia et
voluntate non fundatur super aliquam operationem actualiter in creaturam
procedentem ; et ideo non est simile. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que toutes les relations qui se
fondent sur une opération actuelle qui procède dans les créatures ne peuvent
convenir à Dieu qu’à partir du temps une fois que les créatures existent;
mais la relation impliquée dans la science, la puissance et la volonté ne se
fonde pas sur une opération qui procède actuellement dans la créature; et
c’est pourquoi le rapport n’est pas semblable. |
[2793] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod secundum quod non entia habent veritatem, sic ea Deus scit: quae enim
erunt post mille annos non scit ea Deus esse nunc ; quoniam non est verum ea
esse nunc ; sed scit ea futura esse tunc quando verum erit ea esse: similiter
illa quae nec sunt nec erunt nec fuerunt, scit ea esse in cognitione sua, et
in potentia causarum suarum, prout est verum ea sic esse. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que selon que les choses qui n’existent pas détiennent de la vérité,
Dieu les connaît: en effet, celles qui ne doivent exister que dans mille ans,
Dieu ne peut savoir à leur sujet qu’elles existent maintement puisqu’il n’est
pas vrai qu’elles existent maintenant; mais Il sait qu’elles existeront alors
qu’il sera vrai qu’elles existent: semblablement, celles qui n’existent pas,
qui n’existeront pas et qui n’ont pas existé, il sait qu’elles existent dans
sa connaissance et dans la puissance de leurs causes en tant qu’il est vrai
qu’elles existent de cette manière. |
[2794] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod illud quod non est non scitur a Deo ut commensuratum actu scientiae
suae, sed ut commensurabile: et hoc sufficit ad scientiae veritatem. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que ce qui n’existe pas n’est pas connu de Dieu en tant que proportionné
en acte à sa science mais comme pouvant l’être et cela suffit à la vérité de
la science. |
[2795] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod quidquid cognoscitur, cognoscitur ut ens, vel in propria natura, vel in
causa sua, vel in cognitione aliqua: et sic etiam sunt entia omnia quae Deus
cognoscit. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que tout ce qui est connu est connu en tant qu’être, soit dans sa nature
propre, soit dans sa cause, soit dans une connaissance: et c’est ainsi
qu’existent aussi tous les êtres que Dieu connaît. |
|
|
Articulus 5 [2796] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 tit. Utrum scientia Dei sit contingentium |
Article 5 – La science de Dieu concerne-t-elle les futurs contingents ? |
[2797] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic
proceditur. Videtur
quod scientia Dei non sit contingentium. Scientia enim Dei est causa omnium
scitorum bonorum. Sed omnis causa necessaria inducit necessaris effectum
[necessarios effectus Éd. de Parme]:
posita enim causa, necessario ponitur effectus, nisi causa sit deficiens in
minori parte, sicut causa naturalis. Cum ergo scientia Dei non sit deficiens,
videtur quod id cujus est, sit necessarium, et ita non sit contingentium. |
Difficultés : 1. Il semble que la
science de Dieu ne porte pas sur ce qui est contingent. La science de Dieu en
effet est la cause de tous les biens qu’il connaît. Mais toute cause
nécessaire conduit nécessairement [à des effets nécessaires Éd. de Parme] : en effet, une
fois la cause posée, nécessairement l’effet est posé, à moins que la cause ne
soit déficiente dans une petite partie, comme la cause naturelle. Donc
puisque la science n’est pas nullement en défaut, il semble que ce dont il a
la science soit nécessaire et qu’ainsi sa science ne porte pas sur le
contingent. |
[2798] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, scientia non est nisi verorum. Sed in futuris
contingentibus non est alterum determinate verum, ut philosophus probat I Periher., cap. ult.. Ergo videtur quod
non possit esse eorum scientia divina. |
2. Par ailleurs, il n’y a de science que sur
ce qui est vrai. Mais parmi les futurs contingents, il n’y en a pas un qui
soit déterminément vrai comme le Philosophe [1 Peri Hermeneias, ch. dernier] le prouve. Il semble donc qu’ils ne
soient pas l’objet de la science de Dieu. |
[2799] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, si sit contingentium, ponatur quod Deus sciat
Socratem currere ; inde sic. Aut est possibile Socratem non currere, aut
impossibile. Si enim est impossibile ipsum non currere, ergo ab aequipollenti
necesse est ipsum currere, et sic haberetur propositum, quod illud cujus est
scientia Dei, sit necessarium. Si autem possibile est ipsum non currere,
ponatur ergo. Possibile enim est, secundum Philosophum, I Priorum., cap. XII, quo posito, non sequitur inconveniens. Sed
positum erat quod Deus sciret Socratem currere. Ergo scit esse quod non est.
Omnis autem talis scientia falsa est. Ergo scientia Dei erit falsa, quod est
impossibile. Relinquitur ergo quod Socratem non currere, non fuit possibile
sed necessarium. |
3. En outre, si sa science avait pour objet
ce qui est contingent, supposons que Dieu sache que Socrate court ; d’où
il suit ceci. Ou bien il est possible que Socrate ne courre pas, ou bien cela
est impossible. Si en effet il est impossible qu’il ne courre pas, il est
donc nécessaire par équivalence qu’il courre et ainsi on obtiendra le propos
que ce dont il y a science en Dieu est nécessaire. On pose donc s’il est
possible qu’il ne courre pas. En effet, selon le Philosophe [1 Premiers Analytiques, ch. XII], le
possible est ce qui, étant posé, aucune difficulté ne suit. Mais on posait
que Dieu sait que Socrate court. Il sait donc que ce qui n’existe pas existe.
Mais une science de cette sorte est fausse. Donc la science de Dieu sera
fausse, ce qui est impossible. Il reste donc qu’il n’était pas possible mais
nécessaire que Socrate ne courre pas. |
[2800] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 arg. 4 Si dicatur,
quod est necessarium necessitate consequentiae et non necessitate
consequentis ; sive necessitate conditionata, hac scilicet conditione si est
praescitum, et non necessitate absoluta: contra,
in omni vera conditionali si antecedens est necessarium absolute, et
consequens est necessarium absolute: quia ad antecedens semper sequitur
consequens, et ad necessarium nunquam sequitur nisi necessarium sicut ad
verum nunquam sequitur [nisi necessarium…nunquam sequitur om. Éd. de Parme] falsum, quamvis e
converso, ut probatur in 1 Posterior., text.
13. Sed hujus conditionalis, Socrates currit si est praescitum a Deo,
antecedens est necessarium absolute: tum quia omne praeteritum est
necessarium, tum quia omne aeternum est necessarium. Ergo et Socratem currere
est necessarium absolute: ergo videtur quod scientia non est nisi de
necessariis. |
4. Mais si on dit que cela est nécessaire
par une nécessité de conséquence et non par une nécessité du conséquent, ou
par une nécessité conditionnelle, c’est-à-dire à cette condition que cela
soit déjà connu, et non par une nécessité absolue, je réponds par contre que
dans toute vraie conditionnelle si l’antécédent est un nécessaire absolu, le
conséquent aussi sera un nécessaire absolu : car le conséquent suit
toujours l’antécédent, et d’un antécédent nécessaire ne découle jamais qu’un
conséquent nécessaire, tout comme du vrai ne découle jamais [que le
nécessaire…ne suit jamais om. Éd. de
Parme] le faux, bien que l’inverse soit possible comme le prouve le
Philosophe [1 Seconds Analytiques,
texte 13]. Mais l’antécédent de cette conditionnelle, à savoir ¨Socrate court
si cela est déjà connu de Dieu¨,
est absolument nécessaire : tant parce que tout ce qui est passé est
nécessaire que parce que tout ce qui est éternel est nécessaire. Donc le
conséquent, à savoir que Socrate court, cela est absolument nécessaire. Il
semble donc que la science de Dieu ne porte que sur le nécessaire. |
[2801] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, secundum
philosophum in Lib. Priorum, cap. IX, ex majori de
necessitate, et minori de inesse, sequitur conclusio de necessitate. Inde
sic. Omne scitum a Deo necesse est esse verum. Sed hoc est scitum a Deo. Ergo
necesse est esse verum ; et sic idem quod prius. |
5. Par ailleurs, d’après le Philosophe [Premiers Analytiques, ch. 1X], d’une
majeure nécessaire et d’une mineure affirmative, la conclusion suit
nécessairement. D’où ce qui suit. Tout ce qui est connu de Dieu est
nécessairement vrai. Mais telle chose est connue de Dieu. Elle est donc
nécessairement vraie ; et par conséquent la conclusion doit être la même
que précédemment. |
[2802] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 arg. 6 Si dicas, quod
ista est duplex: scitum a Deo necesse est esse verum: quia potest esse de
dicto ; et sic est composita et vera: vel potest esse de re ; et sic est
divisa et falsa: hoc enim dictum est necessarium, scilicet scitum a Deo est
verum ; sed hanc rem quae ponitur sciri a Deo non necesse est fieri, quia
contingenter fit: contra, ista
distinctio tenet tantum sine [in Éd. de
Parme] formis separabilibus, in quibus subjectum esse potest, non autem
in formis inseparabilibus a subjecto. Unde istam nullus distinguit: cygnum
album possibile est esse nigrum: quia albedo a cygno non separatur nisi
secundum rationem et intellectum ; unde quod non potest simul esse cum albo,
non potest simul esse cum cygno. Sed in hoc quod dicitur scitum, importatur
quiddam semper concomitans subjectum: quia quod semel est scitum a Deo, non
potest non esse scitum ab eo. Ergo videtur quod distinctio illa nihil ad
propositum valeat. |
6. Si
tu dis que cette proposition, à savoir : ¨il est nécessaire que ce
qui est connu de Dieu soit vrai¨, est double : car elle peut être au
sujet de l’énoncé lui-même et ainsi elle est composée et vraie ; ou bien elle peut être au
sujet de la chose et ainsi elle est prise séparément et fausse : en
effet, cette énoncé est nécessaire, à savoir que ce qui est connu de Dieu est
vrai ; mais cette chose dont on affirme qu’elle est connue de Dieu, il
n’est pas nécessaire qu’elle vienne à exister, car elle est produite de
manière contingente ; à cela je réponds au contraire que cette
distinction tient seulement sans [dans Éd.
de Parme] les formes séparables dans lesquelles le sujet peut exister,
mais non dans les formes qui sont inséparables du sujet. D’où personne ne
distingue la forme dans cet exemple : ¨il est possible que le cygne
blanc soit noir¨, car la blancheur ne se sépare du cygne que selon la raison
et l’intelligence ; d’où il suit que ce qui ne peut exister
simultanément avec le blanc ne peut exister simultanément avec le cygne. Mais
dans la chose dont on dit qu’elle est connue est toujours impliqué un sujet
qui accompagne : car ce qui est une fois connu de Dieu ne peut pas ne
pas être connu de Lui. Il semble donc que cette distinction ne vaut rien par
rapport au propos. |
[2803] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 arg. 7 Si dicas quod
contingens quando futurum est, potest non esse ; sed non ex quo ponitur
praesens vel praeteritum ; et sic Deus, cognitionem ejus habet: contra, omnis scientia quae est de
aliquo praesente, de quo non erat quando futurum erat, recipit additionem
secundum temporum successionem. Sed scientia Dei nihil accipit additionis a
rebus, nec est in ea aliqua successio secundum tempora. Ergo si futura contingentia
non cognoscit, ut futura sunt, nullo modo est contingentium, ut sunt
praesentia vel praeterita. |
7. Si tu dis que le contingent, quand il est
futur, peut ne pas exister, mais non pas celui à partir duquel on pose le
présent ou le passé, et que c’est ainsi que Dieu en a la connaissance, je
réponds par contre que toute science qui porte sur un présent, sur lequel
elle ne portait pas quand il était futur, reçoit une addition d’après la
succession des temps. Mais la science de Dieu ne reçoit rien des choses par
addition et elle ne suit pas la succession selon le temps. Donc, s’il ne
connaît pas les futurs contingents en tant qu’ils sont futurs, sa science ne
porte en aucune manière sur les contingents en tant qu’ils sont présents ou
passés. |
[2804] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, ea quae
subsunt libero arbitrio sunt maxime contingentia. Sed horum cognitionem Deus
habet: alias non redderet unicuique secundum opera sua. Ergo sua scientia est
contingentium. |
Cependant : 1. Par contre, les choses
qui sont soumises au libre arbitre sont contingentes au plus haut point. Mais
Dieu a la connaissance de ces choses, autrement il ne rendrait pas à chacun
selon ses œuvres. Donc sa science porte sur le contingent. |
[2805] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, supra habitum est quod scientia Dei est
omnium. Sed non omnia ex necessitate contingunt, ut ad ipsum sensum patet, et
a philosophis probatum est, VI Metaph.,
text. 6, et in fide suppositum est. Ergo scientia Dei non tantum est
necessariorum, sed etiam contingentium. |
2. Par ailleurs, nous avons
établi plus haut que Dieu a la science de tout ce qui existe. Mais ce n’est
pas tout ce qui existe qui se produit nécessairement ainsi que cela est
évident aux sens, prouvé par les philosophes [ VI Métaphysique, texte 6], et supposé par notre foi. Donc la science
de Dieu ne porte pas seulement sur le necessaire mais aussi sur le
contingent. |
[2806] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod
propter hujusmodi difficultates, quidam philosophi, ut Averroes, XII Metaph., text. 10 et 51, negaverunt,
Deum de particularibus contingentibus cognitionem habere, cogitantes
intellectum divinum ad modum intellectus nostri ; et ideo erraverunt. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’en raison de ces difficultés, certains philosophes, comme Averroès [XII Métaphysique, texte 10 et 51],
concevant l’intelligence divine à la manière de notre intelligence, ont nié
que Dieu a la connaissance des particuliers contingents ; et c’est
pourquoi ils se sont trompés. |
Quod autem intellectus
divinus non impediatur a cognitione particularium ratione particulationis
quae est ex materia, sicut intellectus noster impeditur, in 36 distin.,
quaest. 1, art. 1, ostensum est ; et ideo nunc restat inquirere utrum
impediatur ratione contingentiae: contingentia enim videtur duplici ratione
effugere divinam cognitionem. |
Mais que l’intelligence divine ne soit pas privée
de la connaissance des particuliers en raison de l’individuation qui vient de
la matière comme c’est le cas pour notre intelligence ainsi que nous l’avons
montré plus haut [dist. 36, quest. 1, art. 1], c’est pourquoi il nous reste
maintenant à savoir s’il en est empêché en raison de la contingence : la
contingence en effet semble échapper à la connaissance divine pour deux
raisons. |
Primo propter ordinem causae ad causatum. Quia causae necessariae et
immutabilis videtur esse effectus necessarius ; unde cum scientia Dei sit
causa rerum, et sit immutabilis, videtur quod [non add. Éd. de Parme] possit esse contingentium. |
Premièrement à cause du rapport de la cause
au causé. Car il semble que l’effet d’une cause nécessaire et immuable soit
nécessaire ; d’où il suit que puisque la science de Dieu est la cause
des choses et qu’elle est immuable, il semble qu’elle [ne add. Éd. de Parme] puisse porter sur
le contingent. |
Secundo propter ordinem
scientiae ad scitum ; quia cum scientia sit certa cognitio, ex ipsa ratione
certitudinis etiam exclusa causalitate, requirit certitudinem et determinationem
in scito, quam contingentia excludit, et quod scientia ex ratione
certitudinis suae requirat determinationem in scito [et quod scientia… in
scito om. Éd. de Parme] ut patet in
scientia nostra, quae non est causa rerum, et in scientia Dei respectu malorum. |
Deuxièmement à cause du rapport de la
science à l’objet de science ; car puisque la science est une
connaissance certaine, la causalité aussi étant écartée de la notion même de
certitude, elle exige une certitude et une détermination dans l’objet de
science que la contingence n’admet pas, et que la science en raison de sa
certitude exige une détermination dans l’objet de science [et que la science
… dans l’objet de science om. Éd. de
Parme], comme on le voit pour notre science qui n’est pas la cause des
choses et pour la science de Dieu par rapport aux maux. |
Sed neutrum horum removet scientiam contingentium a Deo. Et de primo quidem satis
manifeste potest accipi. Quandoque enim sunt causae multae ordinatae,
effectus ultimus non sequitur causam primam in necessitate et contingentia,
sed causam proximam ; quia virtus causae primae recipitur in causa secunda
secundum modum causae secundae. |
Mais aucune de ces raisons n’empêche Dieu
d’avoir la science des contingents. Et on peut l’admettre assez manifestement
au sujet de la première raison. En effet, lorsqu’il y a plusieurs causes
ordonnées les unes aux autres, l’effet dernier ne suit pas la cause première
dans la nécessité et la contingence, mais il suit la cause prochaine ;
car la puissance de la cause première est reçue dans la cause seconde à la
manière de la cause seconde. |
Effectus enim ille non
procedit a causa prima nisi secundum quod virtus causae primae recipitur in
secunda causa: ut patet in floritione arboris cujus causa remota est motus
solis, proxima autem virtus generativa plantae. Floritio autem potest
impediri per impedimentum virtutis generativae, quamvis motus solis
invariabilis sit. Similiter etiam scientia Dei est invariabilis causa omnium
; sed effectus producuntur ab ipso per operationes secundarum causarum ; et
ideo mediantibus causis secundis necessariis, producit effectus necessarios,
ut motum solis et hujusmodi ; sed mediantibus causis secundis contingentibus
producit effectus contingentes. |
En effet, cet effet ne
procède de la cause première que selon que la puissance de la cause première
est reçue dans la cause seconde comme on le voit dans la floraison de l’arbre
dont la cause éloignée est le mouvement du soleil et la cause prochaine est
la puissance générative de la plante. Mais la floraison peut être empêchée
par une obstacle de la puissance générative bien que le mouvement du soleil
soit invariable. Semblablement aussi la science de Dieu est la cause
invariable de tous les êtres mais les effets sont produits par lui à travers
les opérations des causes secondes ; et c’est pourquoi il produit des
effets nécessaires, comme le mouvement du soleil et des choses de la sorte,
au moyen de causes secondes nécessaires ; mais au moyen de causes
secondes contingentes il produit des effets contingents. |
Sed adhuc manet dubitatio
major de secundo [secunda Éd. de Parme]:
quia causa prima necessaria potest simul esse cum defectu causae secundae,
sicut motus solis cum sterilitate arboris ; sed scientia Dei non potest simul
stare cum defectu causae secundae. |
Mais il reste une difficulté majeure au
sujet de la deuxième [seconde Éd. de
Parme] raison : car la cause première nécessaire peut simultanément
s’exercer avec un défaut de la cause seconde, tout comme le mouvement du
soleil avec la stérilité de l’arbre ; mais la science de Dieu ne peut se
trouver simultanément avec un défaut de la cause seconde. |
Non enim potest esse quod
Deus sciat simul hunc cursurum, et iste deficiat a cursu ; et hoc est propter
certitudinem scientiae et non propter causalitatem ejus. Oportet enim
invenire ad hoc quod sit certa scientia, aliqua [aliquam Éd. de Parme] certitudinem in scito. Sciendum est igitur, quod
antequam res sit non habet esse nisi in causis suis. Sed causae quaedam sunt
ex quibus necessario sequitur effectus, quae impediri non possunt, et in
istis causis habet causatum esse certum et determinatum, adeo quod potest ibi
demonstrative sciri, sicut est ortus solis, et eclypsis, et hujusmodi.
Quaedam autem sunt causae ex quibus consequuntur effectus ut in majori parte,
sed tamen deficiunt in minori parte ; unde in istis causis effectus futuri
non habent certitudinem absolutam, sed quamdam, inquantum sunt magis
determinatae causae ad unum quam ad aliud ; et ideo per istas causas potest
accipi scientia conjecturalis de futuris, quae tanto magis erit certa, quanto
causae sunt magis determinatae ad unum ; sicut est cognitio medici de
sanitate et morte futura, et judicium astrologi de ventis et pluviis futuris.
|
Il n’est pas possible en effet simultanément
que Dieu sache que celui-ci court et que ce dernier soit en défaut par
rapport à la course ; et il en est ainsi à cause de la certitude de la
science et non en raison de sa causalité. En effet, pour qu’il y ait la
certitude la science, il faut qu’il y ait une [certaine Éd. de Parme] certitude dans l’objet connu de science. Il faut donc savoir
qu’avant que la chose existe, elle n’a d’existence que dans ses causes. Mais
il y a des causes à partir desquelles l’effet suit nécessairement, lesquelles
ne peuvent être empêchées, et dans ces causes le causé possède une existence
certaine et déterminée à ce point qu’on puisse en avoir là une connaissance
démonstrative comme c’est le cas pour le lever du soleil, l’apparition de
l’éclypse, etc. Mais il y a des causes à partir desquelles les effets
découlent dans la plupart des cas mais font défaut à l’occasion ; d’où
il résulte que pour ces sortes de causes les effets futurs ne possèdent pas
une certitude absolue mais relative, pour autant que ces causes sont
davantage déterminées à un effet qu’à un autre ; et c’est pourquoi, au
moyen de ces causes, on peut admettre une science conjecturale des événements
futurs, laquelle sera d’autant plus certaine que les causes seront davantage
déterminées à un seul effet, comme c’est le cas pour la connaissance du
médecin au sujet de la santé et de la mort à venir et pour le jugement de
l’astronome sur les vents et les pluies à venir. |
Sed quaedam causae sunt quae
se habent ad utrumque: et in istis causis effectus de futuro nullam habent
certitudinem vel determinationem ; et ideo contingentia ad utrumlibet in
causis suis nullo modo cognosci possunt. Sed quando jam efficiuntur in rerum
natura, tunc habent in seipsis esse determinatum ; et ideo quando sunt in
actu, certitudinaliter cognoscuntur, ut patet in eo qui videt Socratem
currere, dum currit, quia Socratem currere dum currit, necessarium est ; et
certam cognitionem habere potest. Dico igitur, quod intellectus
divinus intuetur ab aeterno unumquodque contingentium non solum prout est in
causis suis, sed prout est in esse suo determinato. |
Mais il y a des causes qui ne sont pas
davantage déterminées à un effet qu’à un autre : et dans ces causes les
effets à venir ne possèdent aucune certitude ou aucune détermination ;
et c’est pourquoi les effets contingents dans un sens ou dans l’autre ne
peuvent aucunement être connus dans leurs causes. Mais lorsqu’ils sont déjà
produits dans la nature des choses, alors ils possèdent en eux-mêmes une
existence déterminée ; et c’est pourquoi, lorsqu’ils existent en acte,
ils sont connus avec certitude comme on le voit chez celui qui voit Socrate
courir alors même qu’il court car il est nécessaire que Socrate, aussi
longtemps qu’il court, courre ; et c’est ainsi que celui qui voit cela
peut en avoir une connaissance certaine. Je dis donc que
l’intelligence divine saisit de toute éternité chacun des contingents non
seulement en tant qu’il existe dans ses causes, mais en tant qu’il est dans
son existence déterminée. |
Nisi enim hoc esset [nisi…
esset om. Éd. de Parme], cum re
existente ipsam rem videat prout in esse suo determinato est, aliter
cognosceret rem postquam est quam antequam fiat ; et sic ex eventibus rerum
aliquid ejus accresceret cognitioni. Patet etiam quod Deus ab aeterno non
solum vidit ordinem sui ad rem, ex cujus potestate res erat futura, sed ipsum
esse rei intuebatur. |
Si cela n’était pas [si … n’était pas om. Éd. de Parme], alors qu’il verrait
la chose elle-même selon qu’elle est dans son existence déterminée une fois
que la chose aurait existé, il connaîtrait la chose après son existence
autrement qu’avant qu’elle soit produite et ainsi quelque chose s’ajouterait
à sa connaissance à partir de ce qui se déroule dans les choses. Il est donc
clair que Dieu de toute éternité voit non seulement son rapport à la chose
par la puissance duquel la chose était appelée à exister, mais il saisit
aussi l’existence même de la chose. |
Quod qualiter sit, evidenter
docet Boetius in fine De consol.,lib. V, prosa ult., col. 808. Omnis
enim cognitio est secundum modum cognoscentis, ut dictum est. Cum igitur Deus
sit aeternus, oportet quod cognitio ejus modum aeternitatis habeat, qui est
esse totum simul sine successione. |
Et de quelle manière il en est ainsi, Boèce
l’enseigne avec évidence [V De la
Consolation de la Philosophie, prose dernière, col. 808]. En effet, toute
connaissance a lieu d’après le mode de celui qui connaît, ainsi que nous
l’avons dit. Donc puisque Dieu est éternel, il faut que sa connaissance
corresponde au mode de l’éternité dans lequel tout est présent simultanément
sans la moindre succession. |
Unde sicut quamvis tempus sit
successivum, tamen aeternitas ejus est praesens omnibus temporibus una et
eadem et indivisibilis ut nunc instans [stans Éd. de Parme] ; ita et cognitio sua intuetur omnia temporalia,
quamvis sibi succedentia, ut praesentia sibi, nec aliquid eorum est futurum
respectu ipsius, sed unum respectu alterius. Unde secundum Boetium, col. 860,
melius dicitur providentia quam praevidentia: quia non quasi futurum, sed
omnia ut praesentia uno intuitu procul videt, quasi ab aeternitatis specula. |
D’où il résulte que bien que le temps soit
successif, cependant l’éternité de Dieu, laquelle est une, identique à
elle-même et indivisible, est présente à tous les temps comme l’instant [qui
se tient Éd. de Parme]
présent ; et c’est ainsi que sa connaissance considère tous les
événements temporels, bien qu’ils soient successifs, comme lui étant présents
et il n’y a aucun d’eux qui soit futur par rapport à lui, mais ils sont tous,
l’un par rapport à l’autre, comme un seul événement. D’où, selon Boèce (col.
860), il est préférable de parler de providence plutôt que de
prévoyance : car il voit toutes les choses non pas comme étant futures,
mais par une seule considération il les voit toutes comme présentes
simultanément à ses côtés, comme sur la montagne de l’éternité. |
Sed tamen potest dici
praescientia, inquantum cognoscit id quod futurum est nobis, non sibi. Quod
ut melius pateat, exemplis ostendatur. Sint quinque homines qui successive in
quinque horis quinque contingentia facta videant. Possum ergo dicere, quod
isti quinque vident haec contingentia succedentia praesentialiter. Si autem
poneretur quod isti quinque actus cognoscentium essent actus unus, posset
dici quod una cognitio esset praesentialiter de omnibus illis cognitis
successivis. |
Mais on peut cependant
parler de préscience, pour autant qu’il connaît ce qui est futur pour nous
mais pas pour lui. Ce qui serait davantage évident si on le montrait par des
exemples. Supposons cinq hommes qui voient successivement cinq énénements
contingents à cinq moments différents. Je peux donc dire que ces cinq hommes
voient présentement ces événements contingents qui se succèdent. Mais si on
posait que ces cinq actes de connaissance n’étaient qu’un seul acte, on
pourrait dire qu’il n’y a présentement qu’une seule connaissance actuelle
pour tous ces événements successifs connus. |
Cum ergo Deus uno aeterno
intuitu, non successivo, omnia tempora videat, omnia contingentia in
temporibus diversis ab aeterno praesentialiter videt non tantum ut habentia
esse in cognitione sua. Non enim Deus ab aeterno cognovit in rebus tantum se
cognoscere ea, quod est esse in cognitione sua ; sed etiam ab aeterno vidit
uno intuitu et videbit singula tempora, et rem talem esse in hoc tempore, et
in hoc deficere. |
Donc puisque Dieu voit tous les temps par
une seule saisie éternelle et non successivement, il voit de toute éternité
comme présents tous les contingents dans leurs temps différents et non
seulement comme possédant l’existence dans sa connaissance. En effet, Dieu
connaît de toute éternité dans les choses non seulement qu’il les connaît, ce
qui constitue leur existence dans sa connaissance ; mais aussi il les
voit par un seul regard dans l’éternité et il voit aussi les temps singuliers
et telle chose exister dans tel temps et faillir en telle ou telle chose. |
Nec tantum videt hanc rem
respectu praecedentis temporis esse futuram, et respectu futuri praeteritam:
sed videt istud tempus in quo est praesens, et rem esse praesentem in hoc
tempore, quod tamen in intellectu nostro non potest accidere, cujus actus est
successivus secundum diversa tempora: et ita patet quod nihil prohibet
contingentium ad utrumlibet certam scientiam Deum habere, cum intuitus ejus
ad rem contingentem referatur secundum hoc quod praesentialiter in actu est
quando jam ejus esse determinatum est, et certitudinaliter cognosci potest. |
Et il ne voit pas seulement que telle chose
est future par rapport à un temps précédent et qu’elle est passée par rapport
à un temps futur : mais il voit ce temps dans lequel elle est présente
et que la chose est présente en ce temps, ce qui n’est cependat pas possible
à notre intelligence dont l’acte est successif suivant différents
temps : et ainsi il est clair que rien n’empêche Dieu d’avoir une
science certaine des contingents qui vont dans un sens ou dans l’autre,
puisque son regard se rapporte à la chose contingente selon ceci qu’elle
existe présentement en acte quand son existence est déjà déterminée et peut
être connue avec certitude. |
[2807] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod a causa prima non trahit effectus necessitatem, sed solum a
causa proxima, ut dictum est, in corp. art. ; et ideo ratio non procedit. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que l’effet ne tire pas sa
nécessité de la cause première, mais seulement de la cause prochaine, comme
nous l’avons dit dans le corps de l’article; et c’est pourquoi le
raisonnement n’est pas valide. |
[2808] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod futurum contingens non est determinate verum antequam fiat, quia non
habet causam determinatam ; et ideo ejus certa cognitio haberi non potest ab
intellectu nostro, cujus cognitio est in tempore determinato et successive. Sed dum est in actu,
determinate verum est ; et ideo a cognitione quae est praesens illi actui,
potest certitudinaliter cognosci ; sicut patet etiam de visu corporali: et
quia cognitio divina aeternitate mensuratur, quae eadem manens omni tempori
praesens est, ideo [ideo om. Éd. de
Parme] unumquodque contingentium videt prout est in suo actu. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le
futur contingent n’est pas déterminément vrai avant qu’il se réalise car il
n’a pas encore une cause déterminée ; et c’est pourquoi on ne peut en
avoir une connaissance certaine par notre intelligence dont la connaissance
est successive et dans un temps déterminé. Mais alors qu’il vient à exister
en acte, il est déterminément vrai ; et c’est pourquoi il peut alors
être connu avec certitude par une connaissance qui est présente à cet acte,
tout comme on le voit aussi pour la vision corporelle ; et parce que la
connaissance divine est mesurée par l’éternité qui est présente à tout temps
en demeurant la même, c’est pourquoi [c’est pourquoi om. Éd. de Parme] elle voit chacun des contingents en tant qu’il
est dans son acte. |
[2809] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actus divinae cognitionis transit
supra contingens, etiam si futurum sit nobis [nunc Éd. de Parme], sicut transit visus noster supra ipsum dum est ;
et quia esse quod est, quando est, necesse est ; quod tamen absolute non est
necessarium ; ideo dicitur, quod in se consideratum est contingens, sed
relatum ad Dei cognitionem est necessarium ; quia ad ipsam non refertur nisi
secundum quod est in esse actuali ; et ideo simile est sicut si ego videam
Socratem praesentialiter currere ; quod quidem in se est contingens, sed
relatum ad visum meum, est necessarium. Unde bona est distinctio, quod est necessarium
necessitate consequentiae et non consequentis, vel necessitate conditionata,
non absoluta. |
3. Il faut dire en troisième lieu que l’acte
de la connaissance divine passe sur le contingent, même s’il est futur pour
nous [maintenant Éd. de Parme] tout
comme notre vue passe sur lui alors qu’il existe ; et parce que l’être
qui existe, quand il existe, est nécessaire, lequel cependant n’est pas
nécessaire absolument, c’est pourquoi on dit que c’est considéré en lui-même
ou absolument qu’il est contingent mais par rapport à la connaissance de Dieu
il est nécessaire car il ne se rapporte à elle que selon qu’il est dans son
existence actuelle ; et c’est pourquoi cela est semblable au cas où je
vois Socrate courir présentement car ce fait pris en lui-même ou absolument
est contingent mais par rapport à ma vue il est nécessaire. Et c’est pourquoi
cette distinction est bonne, à savoir qu’il est nécessaire par une nécessité
de conséquence et non par une nécessité du conséquent, ou par une nécessité
conditionnelle et non par une nécessité absolue. |
[2810] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum
quod ad hoc argumentum multipliciter respondetur. Quidam enim dicunt, quod hoc antecedens, scilicet hoc esse praescitum
a Deo, non est necessarium. Et si objiciatur, quod est dictum de praeterito,
ergo est necessarium ; respondent, quod hoc habet instantiam in praeteritis
quae dicunt respectum ad futurum ; unde cum dicitur hoc fuisse futurum,
quamvis sit dictum de praeterito ; tamen quia dependet a futuro, non est
necessarium ; quia quod fuit quandoque futurum, potest non esse futurum ;
quia futurus quis incedere non incedet, ut dicitur in 2 de Generat., text. 64. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu qu’on répond de plusieurs manières à l’argumentation sous ce
rapport. En effet, certains disent
que cet antécédent, à savoir que cela est déjà connu de Dieu, n’est pas
nécessaire. Et si on objecte que c’est un énoncé qui porte sur le passé, et
qu’il est donc nécessaire, alors ils répondent que cela présente une difficulté
pour les événements qui disent un rapport au futur ; d’où il suit que
lorsqu’on dit que cela a été dans le futur, bien que l’énoncé soit attribué
au passé, cependant parce qu’il dépend du futur, il n’est pas
nécessaire ; car ce qui a été une fois dans le futur peut ne pas être dans
le futur ; car il arrive à tel futur ne ne pas survenir ainsi que le dit
le Philosophe [2 De la Génération,
texte 64]. |
Sed ista instantia nulla est ; quia quamvis
quod fuit futurum, possit non esse futurum impeditis causis quae erant
determinatae ad effectum ut in majori parte, non tamen potest non fuisse
futurum ; semper enim verum erit dicere: hoc quandoque fuit futurum.
Similiter non est ad propositum ; quia cum dicitur praescitum, non importatur
tantum ordo ad futurum, sed etiam actus quidam, qui significatur ut
praeteritus. Et ideo alii dicunt, sicut
videtur Magister dicere in Littera,
quod hoc antecedens non est necessarium ; quia praescitum, quamvis secundum
vocem consignificet tempus praeteritum, tamen significat actum divinum, cui
non accidit praeteritum: et ideo sicut Deus potest non praescire, ita potest
non praescisse. Sed istud etiam non solvit ; quia quamvis actus divinus non
habeat necessitatem coactionis, habet tamen necessitatem immobilitatis,
loquendo de actibus intrinsecis, ut velle, intelligere, et hujusmodi ; unde
non est contingens non esse, si ponatur esse. |
Mais cette objection ne
vaut rien car bien qu’il était dans le futur il pouvait ne pas être dans le
futur, les causes qui étaient déterminées à cet effet dans la plupart des cas
ayant été empêchées, cependant il ne peut pas ne pas avoir été dans le
futur ; en effet, il sera toujours vrai de dire : cela fut une fois
dans le futur. De la même manière cette difficulté ne se rapporte pas au
propos ; car lorsqu’on dit que cela est déjà connu, ce n’est pas
seulement un rapport au futur qui est impliqué mais aussi un acte qui est
signifié comme étant passé. Et c’est pourquoi d’autres
disent, comme semble le faire le Maître dans la Lettre, que cet antécédent
n’est pas nécessaire ; car l’expression ¨connu d’avance¨ ou ¨prévu¨,
bien que selon le mot elle signifie
aussi le temps passé, elle signifie cependant l’acte divin qui n’est pas
atteint par le passé : et c’est pourquoi, tout comme Dieu peut ne pas
prévoir, de même il peut ne pas avoir prévu. Mais cela non plus ne résout pas
le problème, car bien que l’acte divin n’ait pas une nécessité d’obligation,
cependant il a une nécessité d’immobilité si on parle des actes intrinsèques
comme celui de vouloir, de concevoir et les autres de même sorte, d’où il ne
peut lui arriver de ne pas être si on pose qu’il est. |
Et quia consequens non potest
poni non esse, quin etiam antecedens ponatur non esse, consequens non poterit
poni non esse. Sed hoc certum est quod antecedens potest poni esse ; verum
enim est determinate Deum aliquid futurum nunc scire ; et ita sequitur quod
consequens non possit poni non esse, etiam absolute sumptum ; et multo minus
quod possit contingere non esse. Et ideo alii dicunt, quod
istud antecedens est contingens, quia designantur ibi duo, scilicet actus
divinus qui immutabilis est, et ordo ad futurum, qui mutabilis est
mutabilitate rei ; et ideo totum judicandum est contingens propter alterum
tantum. Istum enim esse hominem album, contingens est, quamvis esse hominem
sit necessarium. |
Et parce que le conséquent ne peut être posé
comme n’étant pas que si l’antécédent aussi est posé comme n’étant pas, le
conséquent ne pourra être posé comme n’étant pas. Mais cela est certain que
l’antécédent peut être posé comme étant ; en effet, il est déterminément
vrai que Dieu sait maintenant ce qui doit arriver dans le futur ; et
ainsi il s’ensuit que le conséquent, même s’il est pris absolument, ne peut
être posé comme n’étant pas, et encore moins qu’il pourrait lui arriver de ne
pas exister. Et c’est pourquoi d’autres
disent que cet antécédent est contingent, car il y a là deux choses qui sont
signifiées, à savoir l’acte divin qui est immuable, et le rapport au futur
qui est changeant par un changement dans la chose ; et c’est pourquoi
l’ensemble de l’énoncé, antécédent et conséquent, doit être jugé comme
contingent à cause d’une seule des parties. En effet, il est contingent que
celui-ci soit un homme blanc, bien qu’il soit nécessaire qu’il soit un homme. |
Sed istud etiam non videtur
dubitationem solvere. Cum enim dicitur Deus praescivisse aliquid, ordo ille
ad futurum designatur ibi ut objectum super quod transit actus. Est enim sensus: praescivit, idest scivit hoc esse futurum. |
Mais
même ce raisonnement ne semble pas résoudre la difficulté. En effet,
lorsqu’on dit que Dieu a déjà prévu quelque chose, ce rapport au futur est
désigné là comme un objet sur lequel passe l’acte. En effet, la signification
est celle-ci : Dieu a su à l’avance, c’est-à-dire qu’il savait que cela
allait arriver dans le futur. |
Quando autem aliquod dictum
ponitur ut materia alicujus actus, ut dictum, oportet quod materialiter
sumatur, et non secundum quod ad significationem rei refertur ; ut cum
dicitur: scio istum currere: ea autem quae sic sumuntur, nullam differentiam
contingentiae vel necessitatis in propositione faciunt ; tum quia veritas et
necessitas propositionis ex principali verbo pendet, in quo intelligitur
compositio: tum etiam quia dictum hoc modo positum non sumitur ut verum et
falsum, vel ut necessarium vel contingens, sed ut dictum quoddam tantum. |
Mais lorsqu’un énoncé est posé comme la
matière d’un acte, en tant qu’énoncé, il faut qu’il soit pris matériellement
et non selon qu’il se rapporte à la signification de la chose, comme
lorsqu’on dit : je sais que celui-ci court ; mais les choses qui
sont prises de cette manière ne font aucune différence quant à contingence ou
à la nécessité dans la proposition, tant parce que la vérité et la nécessité
de la proposition dépend de l’expression principale dans laquelle se comprend
la composition, tant parce que l’énoncé posé de cette manière n’est pas pris
comme vrai ou faux, comme nécessaire ou contingent, mais seulement comme un
énoncé. |
Unde aequalis necessitas vel
contingentia est harum duarum propositionum: dico Socratem currere, et dico
solem moveri ; etiam posito quod ipsum dicere sit necessarium ; et ita posito
etiam quod ordo ille importatus ad futurum sit mutabilis, nihil impeditur de
necessitate antecedentis. |
D’où il suit que la nécessité ou la
contingence de ces deux propositions est égale : ¨je dis que Socrate
court¨ et ¨je dis que le soleil est en mouvement¨, même en posant que
l’énoncé lui-même est nécessaire ; et ainsi, même en posant que cet
ordre qui se rapporte au futur est changeant, rien ne fait obstacle à la
nécessité de l’antécédent. |
Unde alii dicunt, hoc
antecedens esse necessarium ; nec tamen consequens est necessarium ; quia
illa maxima intelligitur tantum in illis conditionalibus [conditionibus Éd. de Parme] in quibus antecedens est
causa proxima consequentis. Sed hoc etiam non plene solvit,
quia regula illa non probatur a Philosopho, I Posterior., text. 17, ratione
causalitatis, sed ratione consequentiae, secundum quam ex necessario sequitur
necessarium, sive sit causa, sive sit effectus. |
C’est pourquoi d’autres disent
que cet antécédent est nécessaire et cependant que le conséquent n’est pas
nécessaire, car cette maxime s’entend seulement pour ces conditionnelles
[conditions Éd. de Parme] dans
lesquelles l’antécédent est la cause prochaine du consequent. Mais cela non
plus ne résout pas pleinement la difficulté car cette règle n’est pas prouvée
par le Philosophe [1 Seconds
Analytiques,texte 17] en raison de la causalité mais en raison de la consequence
d’après laquelle le necessaire découle du necessaire, qu’il s’agisse de la
cause ou de l’effet. |
Et ideo aliter dicendum est,
quod antecedens est necessarium absolute, tum ex immobilitate actus tum etiam
ex ordine ad scitum ; quia ista res non ponitur subjacere scientiae divinae
nisi dum est in actu, secundum quod determinationem et certitudinem habet.
Ipsum enim necesse est esse dum est ; et ideo similis necessitas est
inserenda in consequente, ut scilicet accipiatur ipsum quod est Socratem
currere, secundum quod est in actu ; et sic terminationem et necessitatem
habet. |
Et c’est pourquoi il faut s’exprimer
autrement en disant que l’antécédent est nécessaire absolument, tant à cause
de l’immobilité de l’acte qu’à cause aussi du rapport à l’objet connu ; car
on ne pose que cette chose est soumise à la science de Dieu qu’en tant qu’il
est en acte, selon qu’il possède une détermination et une certitude. En
effet, il est nécessaire que Lui-même soit pendant qu’Il existe ; et
c’est pourquoi il faut insérer une nécessité semblable dans le conséquent de
manière à admettre cela même que Socrate court selon qu’il est en acte et
c’est ainsi qu’il possède une définition et une nécessité. |
Unde patet quod si sumatur
Socratem currere secundum hoc quod ex antecedente sequitur, necessitatem
habet: non enim sequitur ex antecedente nisi secundum quod substat divinae
scientiae, cui subjicitur prout consideratur praesentialiter in suo esse
actuali ; unde etiam sic sumendum est consequens, quomodo patet quod
consequens necessarium est: necesse enim est Socratem currere dum currit. |
D’où il est clair que si on prend la course
de Socrate selon qu’elle découle de l’antécédent, elle est nécessaire :
en effet, elle ne découle de l’antécédent que selon qu’elle est assujettie à
la science de Dieu à laquelle elle est soumise selon qu’elle est considérée
présentement dans son existence actuelle ; d’où il suit que c’est aussi
de cette manière que doit se prendre le conséquent, manière par laquelle il
est clair que le conséquent est nécessaire : il est nécessaire en effet
que Socrate courre alors même qu’il court. |
[2811] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ista ; omne scitum a Deo necesse
est esse, est duplex, eo quod potest esse de dicto, vel de re : et si sit
de dicto vera est, et si sit de re, falsa est : et similiter conclusio
duplex est. Et hujus distinctionis ratio est, quia potest istud sumi secundum
conditionem qua subjacet divinae scientiae ; et hoc est secundum quod habet
esse determinatum in actu, et sic necessitatem habet, vel potest ista res
sumi sine aliqua conditione ; et sic non est necessaria: quia potest sic
considerari ut est in causis suis antequam sit in actu, et ibi non habet
necessitatem, nec ibi est scita a Deo futura esse ; non enim scit Deus
effectum contingentem esse determinatum in causa sua: quia esset falsa
scientia, cum in causa sua determinatum non sit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que cette
proposition, à savoir: ¨tout ce que Dieu sait existe nécessairement¨,
peut s’entendre de deux manières du fait qu’elle peut se dire soit de
l’énoncé, soit de la chose ; si elle se dit de l’énoncé, elle est vraie
mais si elle se dit de la chose, elle est fausse ; et semblablement il y
a deux conclusions. Et la raison de cette distinction est que cette
proposition peut se prendre d’après la condition par laquelle la chose est
soumise à la science de Dieu, selon qu’elle possède une existence déterminée
en acte et par conséquent une nécessité, ou bien cette même chose peut être
prise sans aucune condition et ainsi elle n’est pas nécessaire : car
elle peut être considérée de telle manière qu’elle existe dans ses causes
avant d’exister en acte et dans ce cas elle ne possède aucune nécessité et
n’est pas connue de Dieu comme devant exister dans le futur ; Dieu en
effet ne peut connaître qu’un effet contingent soit déterminé dans sa cause
car ce serait là une science fausse puisque qu’un effet, alors même qu’il
existe dans sa cause, n’est pas déterminé. |
[2812] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis iste respectus ad rem sit
inseparabilis secundum quod attingit eam ; non tamen attingit eam nisi prout
est in esse actuali praesentialiter considerata ; et ideo potest fieri
distinctio secundum quod res illa consideratur ut cadens sub respectu illo
vel ut non cadens. Verbi gratia, cursus Socratis subjacet certitudini divinae
scientiae, prout est in actu ; et hoc non habuit semper, quia quandoque erat
in potentia tantum, et secundum quod sic tantum erat, non erat subjicibilis
certitudini divinae scientiae: si enim Deus vidisset ipsam causam, ut
Socratem, et non vidisset immediate effectum in esse suo sicut nos futura
cognoscimus, nunquam potuisset istud scire ; et ideo patet quod distinctio
illa, scilicet quod possit esse de re, vel de dicto, bona est. |
6. Il faut dire en sixième lieu que bien que
ce rapport à la chose soit inséparable selon qu’il l’atteint, cependant il ne
l’atteint que selon qu’elle est considérée présentement dans son existence
actuelle ; et c’est pourquoi il peut se produire une distinction selon
que cette chose est considérée comme tombant ou non sous ce rapport. En
d’autres mots, la course de Socrate est soumise à la certitude de la science
de Dieu en tant qu’elle existe en acte ; et il n’a pas toujours eu cette
certitude parce qu’une fois elle existait en puissance seulement et selon
qu’elle existait seulement de cette manière, elle ne pouvait pas être
assujettie à la certitude de la science divine : si en effet Dieu avait
vu la cause elle-même, par exemple Socrate, et n’avait pas vu immédiatement
l’effet dans son existence tout comme nous connaissons les événements futurs,
jamais il n’aurait pu savoir cela ; et c’est pourquoi il est clair que
cette distinction, à savoir que la proposition peut porter sur la chose ou
sur l’énoncé, est bonne. |
[2813] Super Sent., lib. 1 d.
38 q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus non tantum cognoscit ea
quae sunt nobis praesentia, sed quae sunt nobis praeterita et futura, supra
quae tamen omnia intuitus divinus cadit, secundum quod suis temporibus
praesentia sunt. Unde non sequitur quod aliquam rem Deus quandoque sciat quam
aliquando nescivit. |
7. Il faut dire en septième lieu que Dieu ne
connaît pas seulement les choses qui nous sont présentes, mais aussi celles qui
sont passées et futures pour nous ; et cependant le regard divin tombe
sur toutes ces choses selon qu’elles sont présentes en leurs temps. D’où il
résulte qu’il ne s’ensuit pas que Dieu connaît parfois une chose qu’il
ignorait autrefois. |
|
|
Distinctio 39 |
Distinction 39 –
[Science de Dieu et providence]
|
|
|
Prooemium |
Prologue |
|
|
Hic est duplex
quaestio : prima de invariabilite scientiae divinae ; Secunda
de universlitate providentiae eijusdem. |
La recherche porte ici sur deux
points: premièrement sur l’invariabilité de la science divine. Deuxièmement sur l’universalité de sa providence. |
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [l’invariabilité de la science divine] |
Prooemium |
Prologue |
|
|
Circa primum tria quaeruntur:
1 utrum Deus possit non scire
illud quod scit ; 2 utrum possit aliquid scire
quod non scit, vel plura quam scit ; 3 utrum Deus sciat infinita. |
On cherche à répondre à trois interrogations
par rapport au premier point. 1. Est-ce que Dieu peut ne
pas savoir ce qu’il sait ? 2. Est-ce que Dieu peut en
arriver à savoir ce qu’il ne sait pas ou plus de chose que ce qu’il
sait ? 3. Est-ce que Dieu connaît
un nombre infini d’objets ? |
|
|
Articulus 1 [2816] Super
Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus possit non scire illud quod est
scitum ab eo |
Article 1 – Dieu peut-il ne pas connaître ce qui est connu par lui ? |
[2817]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit
non scire illud quod scitum est ab eo ; quia, secundum Augustinum, lib. XXVI Contra Faustum, cap.
IV, col. 481, Hieronymum, Ad Eustoch.,
epist., XXII, de custo. Virginitatis, § 5, col. 397, et Philosophum, in VI Ethic, cap. II, Deus non potest facere
ut id quod est praeteritum, non fuerit. Sed cum dicitur: hoc est scitum a
Deo, significatur ut praeteritum. Ergo non potest non esse scitum ab eo. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu ne
puisse pas ne pas connaître ce qu’il connaît ; car, selon Saint-Augustin
[XXVI, Contre Faustus, ch. IV, col.
481], Saint-Jérôme [Lettre à Eustochium,
XXII, Sur la Conservation de la
Virginité, & 5, col. 397] et le Philosophe [ VI Éthique, ch. 11],
Dieu ne peut faire en sorte que ce qui est passé n’a pas été. Mais lorsqu’on
dit : ¨cela est connu de Dieu¨, cela est signifié comme étant passé.
Donc cela ne peut pas ne pas être connu de Dieu. |
[2818] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 1 arg. 2 Si dicas, quod
est praeteritum dependens a futuro, hoc nihil est, ut prius dictum est, dist.
XXXVII, quaest. 1, art. 3, quia non importatur in
participio tantum ordo ad futurum, ut in hoc participio futurum ; sed etiam
actus quidam. |
2. Si tu dis que c’est là un passé qui depend du futur, cela ne vaut
rien comme nous l’avons dit plus haut [dist. 37, quest. 1, art. 3] car le
participe n’implique pas seulement un rapport au futur comme le futur est
impliqué dans ce participe, mais aussi un certain acte. |
[2819] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omne quod est, necesse est esse dum est, ut
dicit Philosophus, I Perih., cap.
ult.. Sed scire Dei non est nisi ut ens actu, cum mensuretur aeternitate, in
qua nihil praeterit vel succedit. Ergo videtur quod non possit non esse ; et
ita Deus non possit non scire illud quod scit. |
3. Par ailleurs, tout ce qui est, il est
nécessaire qu’il soit tant qu’il est, comme le dit le Philosophe [1 Peri Hermeneias, ch. dernier]. Mais le
savoir de Dieu n’existe que comme un être en acte puisqu’il est mesuré par
l’éternité dans laquelle rien ne passe et rien ne fait suite. Il semble donc
qu’il ne puisse pas ne pas être. Par conséquent Dieu ne peut pas ne pas
savoir ce qu’il sait. |
[2820]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Philosophum,
in II de generat., text. 68, omne
aeternum est necessarium. Sed quodlibet scire Dei est aeternum. Ergo est necessarium ;
ergo ab aequipollenti non potest non esse. |
4. En outre, d’après le Philosophe [11 De la Génération, texte 68], tout ce
qui est éternel est nécessaire. Mais tout savoir de Dieu est éternel. Tout
savoir de Dieu est donc nécessaire et donc par équivalence il ne peut pas ne
pas être. |
[2821] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 1 arg. 5 Scire ipsius est ipsum esse ejus. Sed ipse non potest non
esse. Ergo non potest non scire quod scit. |
5. Le savoir de Dieu est son être même. Mais
Lui-même ne peut pas ne pas être. Donc, il ne peut pas ne pas savoir ce qu’il
sait. |
[2822]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quidquid Deus scit,
operando operatur. Sed potest non operari quod operatur. Ergo potest non
scire illud quod scit. |
Cependant : Tout ce que Dieu sait, il
le sait par son opération. Mais il peut ne pas poser l’opération qu’il pose.
Il peut donc ne pas savoir ce qu’il sait. |
[2823]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut attributa divina
differunt secundum proprias rationes, et sunt tamen una res ; ita etiam actus
attributorum sequuntur rationes eorum ; et ideo alicui actui attribuitur quod
alteri non convenit. Dicimus enim Deum scire quod non vult, vel quod non
facit. Est ergo haec ratio voluntatis ut libere actum suum producat ; quod
enim fit voluntate, non fit necessitate, ut dicit Augustinus ; unde potest
velle et non velle. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout comme les attributs divins diffèrent d’après les définitions qui
leur sont propres et qu’ils ne sont cependant qu’une seule réalité, de même
aussi les actes des attributs découlent de leurs définitions ; et c’est
pourquoi on attribue à un acte ce qui ne convient pas à un autre. Nous disons
en effet que Dieu sait ce qu’il ne veut pas ou ce qu’il ne fait pas. Telle
est donc la définition de la volonté qu’elle produit librement son
acte ; en effet, ce qui est fait pas la volonté n’est pas fait par
nécessité, comme le dit Saint-Augustin ; d’où il suit qu’elle peut
vouloir et ne pas vouloir. |
Sed hoc intelligendum est,
dum actus est in egrediendo a voluntate ; quia postquam transit, non subjacet
facultati ejus ; non enim potest non voluisse quod voluit. Similiter non
subjacet facultati ejus ut utrumque simul producat ; non enim potest simul
velle et non velle. Et hoc non tantum intelligendum est de actu ipsius
voluntatis immediato ; sed de omnibus actibus imperatis a voluntate, sicut
cogitare, loqui, et hujusmodi. |
Mais cela soit s’entendre en tant que l’acte
est sur le point de sortir de la volonté car après que l’acte est passé, il
n’est plus soumis à sa faculté ; en effet, la volonté ne peut pas ne pas
avoir voulu ce qu’elle a voulu. Semblablement il n’est plus en son pouvoir de
produire simultanément les deux actes : en effet, elle ne peut simultanément
vouloir et ne pas vouloir. Et cela ne doit pas s’entendre seulement de l’acte
immédiat de la volonté, mais de tous les actes commandés par la volonté,
comme penser, parler et les actes de cette sorte. |
Cum igitur actus divinae
voluntatis semper sit in actu, et non pertransiens in futurum, semper est
quasi in egrediendo a voluntate ; et ideo manet libertas divinae voluntatis
respectu ipsius. Unde potest dici, quod Deus potest non velle hoc ; non tamen
potest ut simul velit et non velit, vel ut nunc velit et postmodum non velit,
accipiendo « post » et « nunc » ex parte voluntatis, quia
[quae Éd. de Parme] mutabilis esse
non potest. |
Donc, puisque l’acte de la volonté divine
est toujours en acte sans passer vers un futur, il est comme toujours en train
de sortir de la volonté ; et c’est pourquoi la liberté de la volonté
divine demeure par rapport à lui. D’où l’on peut dire que Dieu peut ne pas
vouloir cela mais il ne le peut cependant pas de manière à vouloir et ne pas
vouloir simultanément, ou de manière à le vouloir maintenant et à ne pas le
vouloir après, en prenant ¨après¨ et ¨maintenant¨ du côté de la volonté,
parce [laquelle Éd. de Parme]
qu’elle ne peut changer. |
Et quia dictum est supra, dist. VIII,
quaest. 3, art. 1, de actu divinae scientiae, secundum quod est causa operis
ejus ut informans ipsum, quod est imperatus a voluntate ; ideo potest concedi
quod Deus hoc modo potest non praescire. Non tamen potest esse ut simul
praesciat et non praesciat, vel quod nunc praesciat et postmodum non praesciat,
loquendo de praescientia ex parte scientiae tantum ; ita quod non fiat vis de
ratione futuri ; quia quod modo est futurum, postea erit praesens ; et tunc
non erit [est Éd. de Parme]
praescitum, sed scitum est. |
Et parce que nous avons dit plus haut [dist.
VIII, quest. 3, art. 1] au sujet de
l’acte de la science divine, selon qu’il est la cause de son œuvre en tant
qu’il l’informe, qu’il est commandé par la volonté, c’est pourquoi on peut
concéder que Dieu peut, de cette manière, ne pas savoir à l’avance. Cependant
il n’est pas possible qu’il sache et qu’il ne sache pas à l’avance
simultanément, ou qu’il sache à l’avance maintenant et qu’il ne sache pas à
l’avance par la suite, en parlant de la préscience du côté de la science
seulement de telle manière que la notion du futur n’en reçoive aucune force
car ce qui par sa manière d’être est futur sera présent par la suite et alors
il ne sera [est Éd. de Parme] plus
connu à l’avance mais connu. |
Et ideo dicendum est secundum
distinctionem Magistri, quod si accipiatur conjunctim, Deus non potest non
scire quod scitum est ab eo: si autem accipiatur divisim, sic est in
potestate sua scire et non scire ; et haec libertas demonstratur cum dicitur
quod Deus potest hoc non scire. |
Et c’est pourquoi il faut dire conformément
à la distinction du Maître que si on prend l’énoncé en ensemble tout à la
fois, Dieu ne peut pas ne pas savoir ce qui est su de Lui ; mais si on
le prend séparément, alors il est en son pouvoir de savoir et de ne pas
savoir ; et cette liberté est manifestée lorsqu’on dit que Dieu peut ne
pas savoir cela. |
[2824]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus
scientiae divinae nunquam transit in praeteritum, sed semper est in actu: et
ideo semper manet in libertate voluntatis. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que l’acte de la science divine
ne passe jamais dans le passé, mais il est toujours en acte: et c’est
pourquoi il demeure toujours dans la liberté de la volonté. |
[2825] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa solutio nihil valet. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que cette
solution ne vaut rien. |
[2826] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod est, necesse est esse
dum est ; absolute tamen loquendo, non necesse est esse. Ita et Deo scire
necesse est dum scit ; non tamen necesse est eum scire nisi necessitate
immobilitatis, quae voluntatis libertatem non excludit ; et haec libertas
significatur cum dicitur, quod Deus potest hoc non scire vel non velle. |
3. Il faut dire en troisième lieu que ce qui
est, il est nécessaire qu’il soit tant qu’il est ; à parler absolument
cependant, il n’est pas nécessaire qu’il soit. De même il est nécessaire à
Dieu de savoir dès lors qu’il sait ; cependant il ne lui est nécessaire
de savoir que par une nécessité d’immobilité, laquelle n’exclut pas la
liberté de la volonté ; et cette liberté est signifiée lorsqu’on dit que
Dieu peut ne pas savoir ou ne pas vouloir cela. |
[2827] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omne aeternum est necessarium
necessitate immobilitatis, quae libertatem voluntatis non excludit, ut dictum
est, dist. VIII, quaest. 3, art. 1. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que tout
ce qui est éternel est nécessaire par une nécessité d’immobilité qui n’exclut
pas la liberté de la volonté, comme nous l’avons déjà dit [dist. VIII, quest. 3, art. 1]. |
[2828] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet esse et scire sint idem
secundum rem, tamen scire sequitur voluntatem ut imperatum ab ipsa, esse
autem non ; et ideo esse suum non subjacet libertati voluntatis, sicut scire
operativum creaturae. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que bien
que l’être et le savoir sont identiques selon la chose ou en réalité,
cependant le savoir suit la volonté en tant qu’il est commandé par elle contrairement à l’être ; et c’est
pourquoi son être n’est pas soumis à la liberté de la volonté tout comme le
savoir qui produit les créatures. |
|
|
Articulus 2 [2829] Super
Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus possit scire aliquid quod
nescit |
Article 2 – Dieu peut-il savoir ce qu’il ne sait pas ? |
[2830]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit
scire aliquid quod nescit. Nihil enim existentium cognoscit Deus nisi per
ideam. Sed non potest aliqua idea in ipso esse quae non sit: quia cum idea
sit forma rei in Deo existens, non potest intelligi quod aliqua forma
adveniat Deo sine mutatione ejus. Ergo non potest scire ea quae non scit. |
Il semble que Dieu ne
puisse pas savoir quelque chose qu’il ne sait pas. En effet, tout ce que Dieu
connaît des choses, c’est par l’idée. Mais il ne peut y avoir en Lui une idée
qui n’existe pas, car puisque l’idée est une forme de la chose qui existe en
Dieu, on ne peut comprendre qu’une idée lui advienne sans qu’il y ait un
changement en Lui. Il ne peut donc savoir ce qu’il ne sait pas. |
[2831]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, scientia realiter
refertur ad scibile, et dependet ad ipsum. Sed mutato eo quod ad aliquid
dependet, etiam ipsum mutatur. Ergo videtur quod si aliquid posset esse scitum a Deo quod non
est modo scitum ab eo, scientia ejus possit mutari. |
2. Par ailleurs, la science se rapporte réellement
à l’objet de science et en dépend. Mais une fois changé ce dont il dépend,
lui-même aussi est changé. Il semble donc que si quelque chose peut être
connu de Dieu qui n’est pas connu de
Lui maintenant, sa science pourra changer. |
[2832] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, quantitas scientiae attenditur secundum
quantitatem scibilium, sicut quantitas virtutis secundum quantitatem
objectorum. Ergo ad pluralitatem scibilium sequitur augmentum scientiae. Sed
si posset scire aliquid quod non scit, posset plura scire quam sciat. Ergo
posset augeri ejus scientia ; quod est impossibile. Ergo et primum. |
3. En outre, la quantité de la science se
vérifie d’après la quantité des objets de science, tout comme la quantité de
la vertu se vérifie d’après la quantité des ses objets. La croissance de la
science découle donc de la multiplicité des objets de science. Mais s’il
pouvait arriver à connaître quelque chose qu’il ne sait pas, il pourrait
connaître plus de choses qu’il n’en connaît et donc sa science pourrait
augmenter, ce qui est impossible. Il ne peut donc savoir ce qu’il ne sait
pas. |
[2833] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, supra dictum est, dist. XXXVIII, quaest. 1,
art. 4, quod Deus non tantum scit ea quae sunt, sed et ea quae non sunt. Ab
his autem nihil potest aliud esse, cum nihil sit medium inter ens et non ens.
Ergo non potest aliquid aliud scire ab illis quae scit. |
4. De plus, ainsi que nous l’avons dit plus
haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 4], Dieu sait non seulement les choses
qui sont mais aussi celles qui ne sont pas. Et en dehors de ces choses, il
n’y en a pas d’autres, puisqu’il n’y a aucun intermédiaire entre l’être et le
non-être. Il ne peut donc savoir autre chose que les choses qu’il sait. |
[2834]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Deus potest operari
quod non operatur. Sed quidquid operatur, operatur per suam scientiam. Ergo potest scire aliquid
aliud ab his quae scit. |
Cependant : 1. Dieu peut opérer ce
qu’Il n’opère pas. Mais tout ce qu’il opère, Il l’opère par sa science. Il
peut donc savoir quelque chose d’autre que ce qu’Il sait. |
[2835]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Deus dicitur scire aliquid
dupliciter ; a/ vel scientia visionis,
secundum quod videt res quae sunt vel erunt vel fuerunt non solum in potentia
causarum suarum, sed etiam in esse proprio ; vel scientia simplicis
intelligentiae, secundum quod scit ea quae nullo tempore sunt, esse in
potentia causarum suarum. De hac igitur loquendo, Deus
non potest scire aliquid aliud ab his quae scit ; quia nihil potest esse
aliud ab his quae sunt et quae possunt esse. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on peut dire qu’il y a deux manières pour Dieu de savoir quelque chose. Soit par la science de
vision selon laquelle il voit les choses qui sont, qui seront et qui ont été
non seulement dans la puissance de leurs causes mais aussi dans leur
existence propre. Soit pas la science de
simple intelligence selon laquelle il sait que les choses qui n’existent en
aucun temps existent dans la puissance de leurs causes. Donc, si on parle de cette
dernière connaissance, Dieu ne peut savoir quelque chose d’autre que ce qu’il
sait, car il ne peut y avoir rien d’autre que ce qui existe et ce qui peut
exister. |
Loquendo autem de scientia
visionis de qua hic Magister loquitur, sic potest aliquid aliud videre ab his
quae videt, secundum quod potest ei quod habet esse in potentia sua tantum,
dare esse in propria natura. Si tamen hoc in esse produceret, ab aeterno ab
eo esset praescitum ; et ideo distinguendum est hoc etiam sicut et supra,
art. praeced. Si enim intelligatur conjunctim, sic Deus non potest scire quod
non scit: quia ista duo sunt incompossibilia, quod Deus sciat aliquid quod ab
aeterno nescivit. Si autem intelligatur divisim, sic est verum, et designatur
potestas libertatis, ut supra dictum est, art. antec., et non mutabilitas
scientiae vel voluntatis. |
Mais si on
parle de la science de vision dont le Maître parle ici, alors Dieu peut voir
autre chose que ce qu’il voit selon qu’il peut donner, à ce qui ne possède
l’existence qu’en puissance, une existence dans sa nature propre. Si
cependant il amenait cette chose à exister, elle serait connue à l’avance de
lui de toute éternité ; et c’est pourquoi cela aussi doit être distingué
comme nous l’avons fait plus haut dans l’article précédent : si en effet
l’énoncé s’entend tout à la fois, alors Dieu ne peut savoir ce qu’il ne sait
pas car ces deux énoncés sont inconciliables, à savoir que Dieu sache ce
qu’il a ignoré de toute éternité. Mais si on l’entend séparément, alors il
est vrai et c’est la puissance de la liberté qui est ainsi désignée, comme
nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent, et non un changement
dans la science ou la volonté. |
[2836] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idea secundum essentiam est
una, et non distinguitur nisi per respectum ad diversa. Unde si poneretur
aliqua alia res, non fieret additio alicujus formae, sed respectus tantum.
Vel dicendum melius, quod sicut ipsum scire est subjectum libertati
voluntatis, ita et idea, secundum quod ad ipsam terminatur actus divinae
scientiae, sicut scientia artificis ad formam artificiati quam excogitat: et
ideo similis est ratio de idea et de actu sciendi. Sicut enim non potest poni
quod actus sciendi sit in eo, et quod non fuerit ; ita non potest designari
quod idea sit in eo et non fuerit ; tamen respectu utriusque potest designari
libertas voluntatis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’idée, dans son essence, est une et ne se distingue que
dans son rapport à différents objets. D’où il suit qui si on pose une autre
chose, cela n’entraîne pas l’addition d’une forme, mais seulement un rapport.
Ou, pour mieux dire, que tout comme le savoir est assujetti à la liberté de
la volonté, il en est de même pour l’idée selon qu’elle est le terme de
l’acte de la science divine, tout comme la science de l’artiste se termine à
la forme de l’œuvre qu’il a conçue : et c’est pourquoi il ne est de même
pour l’idée et pour l’acte de savoir. En effet, tout comme on ne peut
soutenir que l’acte de savoir est en lui et qu’il n’y était pas, de même on
ne peut pas signifier que l’idée est en lui et qu’elle n’y était pas ;
cependant, la liberté de la volonté peut être signifiée par rapport aux deux. |
[2837] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia nostra dependet a
scibili ; sed scibile dependet a scientia Dei ; unde sicut scientia nostra
variatur, scibili immobili permanente ; ita scibile mutatur, scientia Dei non
mutata. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que notre
science dépend de l’objet de science, mais que l’objet de science dépend de
Dieu ; d’où il résulte que tout comme notre science change alors que l’objet
de science demeure immobile, de même l’objet de science change alors que la
science de Dieu ne change pas. |
[2838] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aliquo modo concedatur
quod Deus potest scire aliquid aliud ab his quae scit ; non tamen videtur
posse concedi quod possit scire plura quam scit ; quia cum dicitur, plura,
designatur comparatio ad aliquid praeexistens, cum quo hoc non erat ; et hoc
non potest esse, ut ista duo sint simul vera: prius nescivit, et modo
scit : nec hoc ipse potest : et ita patet quod cum dicitur, potest
plura scire, aliquo modo pertinet ad sensum compositum. Unde Magister non
simpliciter concedit, sed opinionem narrat ; et similiter non debet concedi
quod scientiae ejus aliquid addatur, nec aliquid hujusmodi, quod facit
intellectum sensus compositi. Si tamen concederetur, non ideo sequeretur
scientiam posse augeri ; quia ipse per unum et idem scit multa et pauca, quod
est primum et per se objectum scientiae ejus, scilicet essentiam suam quae
est similitudo rerum [ejus Éd. de Parme]. |
3. Il faut dire en troisième lieu que bien
qu’on concède d’une certaine manière que Dieu peut savoir quelque chose
d’autre que ce qu’il sait, cependant il ne semble pas qu’on puisse concéder
qu’il puisse connaître plus de choses que ce qu’il sait car lorsqu’on dit
¨plus de choses¨, cela implique une comparaison à une situation préexistante
par rapport à laquelle cela cela n’existait pas ; et il est impossible
que ces deux énoncés soient simultanément vrais, à savoir qu’avant il ne
savait pas et maintenant il sait ; et lui-même ne peut faire cela :
et ainsi il est clair que lorsqu’on dit que Dieu peut savoir plus de choses,
cela se rapporte en un sens au sens composé. D’où il suit que le Maître ne
concède pas absolument cet énoncé, mais il rapporte une opinion ; et
semblablement on ne doit pas concéder que quelque chose s’ajoute à sa science
ni rien d’autre de la sorte qui ferait entendre l’énoncé en son sens composé.
Si cependant on le concédait, il ne s’ensuivrait pas que sa science puisse
augmenter car c’est toujours par une seule et même chose que Lui-même connaît
plusieurs ou peu de choses, à savoir par son essence qui est la [sa Éd. de
Parme] similitude des choses. |
[2839] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ea quae non sunt, Deus non scit
scientia visionis ; et de hac tantum hic loquimur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que les
choses qui n’existent pas, Dieu ne les connaît pas par une science de vision
et c’est seulement de cette dernière dont nous parlons ici. |
|
|
[2840] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus sciat infinita |
Article 3 – Dieu connaît-il l’infini ? |
[2841]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus sciat
infinita. Scientia enim numeratur secundum scita. Sed in Psal. CXLVI, 5,
dicitur, quod Sapientiae ejus non est
numerus. Ergo scita ejus sunt infinita. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu
connaisse un nombre infini d’objets. En effet, la science se nombre d’après
les objets connus. Mais on lit dans les Écritures [Psaume CXLVI, 5] : Sa
sagesse est sans limite. Donc Dieu connaît un nombre infini d’objets. |
[2842] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Deus non alio modo scit quasdam species numerorum
quam alias. Sed quasdam scit actu et determinata scientia quascumque aliquis
homo scit. Cum igitur species numerorum sint infinitae, videtur quod ipse
sciat infinita determinate. |
2. Par
ailleurs, Dieu ne connaît pas certaines espèces de nombres autrement que
d’autres. Mais toutes les espèces de nombre qu’un homme connaît, Dieu en
connaît certaines en acte et par une science déterminée. Donc, puisque les
espèces de nombre sont infinies, il semble que Dieu connaisse déterminément
une infinité d’objets. |
[2843] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, particularia sunt infinita. Sed Deus scit
particularia, ut supra, dist. XXXVI, quaest. 1, art. 1, dictum est. Ergo scit
infinita. |
3. En outre, les particuliers sont infinis.
Mais Dieu connaît les particuliers, ainsi que nous l’avons dit plus haut
[dist. XXXVI, quest. 1, art. 1]. Donc, il connaît une infinité d’objets. |
[2844] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, potentia sua est [dicitur Éd. de Parme] infinita, et dicitur infinitorum simpliciter. Sed
nihil potest facere nisi per scientiam. Ergo videtur quod scientia ejus sit
infinitorum simpliciter. |
4. De plus, sa puissance
est [dite Éd. de Parme] infinie et
on dit qu’elle est capable d’une infinité de choses. Mais tout ce qu’il fait,
Il ne le fait que par sa science. Il semble donc que sa science ait une
infinité d’objets purement et simplement. |
[2845] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 arg. 5 Sed contra, quidquid scitur, perfecte scientia
comprehenditur. Sed quidquid comprehenditur, intellectus comprehensione
finitur, ut dicit Augustinus in Lib. De
videndo Deum, Epist., CXLVI,
cap. IX, col. 606, et Philosophus in II Metaph.,
text. 19. Cum igitur infinitum non possit finiri, videtur quod a nullo
intellectu possit perfecte sciri. |
Cependant : 5. Tout objet de
connaissance est parfaitement saisi par la science. Mais tout ce qui est
saisi ou compris se termine à la compréhension de l’intelligence, comme le
disent Saint-Augustin [Pour Voir Dieu,
Lettre CXLVI, ch. 1X, col. 606] et
le Philosophe [11 Métaphysique,
texte 19]. Donc, puisque l’infini ne peut avoir de terme, il semble qu’il ne
puisse être parfaitement connu d’aucune intelligence. |
[2846] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 arg. 6 Si dicamus,
quod quamvis sit infinitum in se, tamen comparatum [comparatur Éd. de Parme] ad intellectum divinum, finitum
[infinitum om. Éd. de Parme] est, contra ; quod dicitur de aliquo
diversimode respectu diversorum, est in genere relationis ; ex hoc enim
probat Philosophus, in Praed., cap.
« De quantit. », magnum et parvum relativa esse. Ergo quidquid
praedicatur de aliquo absolute, cuicumque comparetur, conveniet sibi. Sed
esse infinitum est praedicatum absolutum. Ergo quod in se est infinitum,
respectu nullius potest dici finitum. |
6. Si nous disons que bien
qu’il soit infini en lui-même, cependant comparé [il est comparé Éd. de Parme] à l’intelligence divine,
l’infini [l’infini om. Éd. de Parme]
est fini, je réponds par contre que ce qui s’attribue différemment par
rapport à plusieurs est dans le genre de la relation ; c’est à partir de
là en effet que le Philosophe [Les
Prédicaments, ch. «De la Quantité»] prouve que le grand et le petit sont
des relatifs. Donc, tout ce qui s’attribue à un être absolument conviendra
aussi à tous ceux auxquels il se comparera. Mais être infini est un prédicat
absolu. Donc ce qui est infini en soi ne peut être attribué à rien en tant
que fini. |
[2847] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, infinitum finito infinitum est ; quia non
potest pertransiri ab eo. Sed sicut infinitum non pertransitur a finito, ita
non transitur ab infinito, ut probatur in IV Physic., text. 19. Ergo infinitum neque respectu finiti neque
respectu infiniti finitum est. |
7. De plus, l’infini est infini par rapport
au fini parce qu’il ne peut être traversé par lui. Mais tout comme l’infini
n’est pas traversé par le fini, de même il n’est pas traversé par l’infini
comme le prouve le Philosophe [IV Physique,
texte 19]. Donc l’infini n’est fini ni par rapport au fini, ni par rapport à
l’infini. |
[2848] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, quidquid scitur in actu, actu est in sciente.
Sed infinita non possunt esse in actu. Ergo infinita sciri non possunt. |
8. Par ailleurs, tout ce qui est connu en
acte est présent en acte dans celui qui sait. Mais l’infini ne peut être en
acte. Donc Dieu ne peut connaître une infinité d’objets. |
[2849]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod infinitum potest accipi
dupliciter. Vel intensive ad modum quantitatis continuae ; et sic Deus non
scit infinitum in actu: quia quantitas infinita continua neque est neque esse
potest ; nisi dicatur scire infinitum, inquantum seipsum scit, qui infinitus
est. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’infini peut s’entendre de deux manières. Soit quant à l’étendue, à la
manière d’une quantité continue ; et en ce sens Dieu ne connaît pas
l’infini en acte car la quantité continue infinie n’existe pas et ne peut
exister, à moins qu’on veuille dire qu’il connaît l’infini en tant qu’Il se
connaît lui-même, Lui qui est infini. |
Alio modo potest sumi
infinitum secundum quantitatem discretam ; et sic dicendum est, quod scientia
simplicis intelligentiae Deus scit infinita quae sunt in potentia ipsius, non
tantum secundum individua, sed etiam secundum species. Posset enim infinitas
alias species procreare, et scit se posse illas. |
En un autre sens l’infini peut se prendre
d’après la quantité discrète et en ce sens il faut dire que Dieu, par la
science de l’intelligence simple connaît les infinis qui sont dans sa
puissance, non seulement quant aux individus, mais aussi quant aux espèces. En
effet, il peut créer une infinité d’autres espèces et il sait qu’il peut les
créer. |
Unde si poneretur mundus semper fuisse et
nunquam deficere, sicut philosophi posuerunt, ex VIII Physic., text. 13, scientia sua esset infinitorum, etiam videndo
singula in proprio esse: quod scientiae nostrae non potest convenire, quia
non potest singula proprie cognoscere nisi per diversas formas ab eis acceptas
; unde oportet quod unum post aliud intelligat, ut ex praedictis, dist. XXXV,
quaest. 1, art. 1, patet ; et ita si intelligeret infinita, sequeretur quod
infinita numeraret ; quod est impossibile. Sed tamen intellectus noster
potest quodammodo intelligere infinita, inquantum intelligit formam
universalem, quae est in potentia ad infinita singularia. |
D’où il suit que si on pose que le monde a
toujours existé et qu’il ne cessera jamais d’exister tout comme certains
philosophes [ VIII Physique, texte
13] l’ont pensé, sa science aurait des objets infinis, même en voyant les
individus dans leur existence propre, ce qui ne peut se produire dans notre
science car elle ne peut proprement connaître les singuliers que par les
différentes formes qu’ils reçoivent ; d’où il faut qu’elle saisisse
l’une par l’autre, comme on le voit en partant de ce qui précède [dist. XXXV,
quest. 1, art. 1]. Et par conséquent, si notre intelligence saisissait une
infinité d’objets, il s’ensuivrait qu’elle pourrait nombrer l’infini, ce qui
est impossible. Mais cependant notre intelligence peut en un sens saisir
l’infini en tant qu’elle saisit la forme universelle qui est en puissance à
une infinité de singuliers. |
Unde etiam a philosophis
probatur intellectus immaterialis esse, quia quodammodo est virtutis
infinitae ; quod nullo modo virtuti in materia existenti convenire potest.
Intellectus autem divinus, uno, quod est essentia sua, omnia quae sunt vel
possunt esse intelligit, non tantum universali cognitione, sed etiam propria
et determinata, ut ex praedictis, dist. 35, quaest. 1, art. 3, patet ; unde
non oportet quod cognoscat res diversas aliquo transitu, sed uno intuitu
omnia videt ; et propter hoc non prohibetur esse infinitorum. |
C’est pourquoi aussi des philosophes
prouvent que l’intelligence est immatérielle car elle est d’une certaine
manière d’une puissance infinie, ce qui en aucune manière ne peut convenir à
une puissance qui existe dans la matière. Mais l’intelligence divine, de par
son unité qui est son essence, embrasse tout ce qui existe et tout ce qui
peut exister, non seulement par une connaissance universelle, mais aussi par
une connaissance propre et déterminée comme nous l’avons vu [dist. 35, quest.
1, art. 3] ; d’où il ne lui est pas nécessaire de connaître les différentes
choses comme par un passage, mais plutôt il voit tous les êtres comme par un
seul regard ; et à cause de cela il n’est pas empêché de connaître une
infinité d’objets. |
[2850] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod scientiae Dei dicitur non
esse numerus propter infinitam virtutem ejus in comprehendendo, et non
propter infinitatem scitorum scientia visionis determinata, per quam res in
propria natura cognoscuntur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’on dit de Dieu qu’il n’y a pas de mesure à son savoir à cause
de sa puissance infinie à saisir et non à cause d’une infinité d’objets
connus par une science déterminée de vision par laquelle les choses sont
connues dans leur nature propre. |
[2851] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliquas species numerorum scit
Deus etiam scientia visionis, sed non omnes ; quia posito initio et fine
mundi, est aliqua species numeri quam res in successione temporum existentes
non praetergrediuntur ; omnes tamen scit scientia simplicis intelligentiae. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que Dieu
connaît certaines espèces de nombres même par sa science de vision, mais pas
toutes ; car si on pose le commencement et la fin du monde, il y a une
espèce de nombre que les choses qui existent dans la succession des temps ne
dépassent pas ; Dieu cependant connaît toutes les espèces de nombre par
sa science de simple intelligence. |
[2852] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod numerus particularium non est
infinitus simpliciter nisi supposita aeternitate mundi, quod est contra
fidem. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le
nombre des particuliers n’est infini absolument que si on pose l’éternité du
monde, ce qui est contraire à la foi. |
[2853] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod potentia respicit sicut objectum
ens possibile, cujus ratio non dependet ab esse in actu ; unde si nunquam
ponantur infinita reduci in actum successione temporis, dicitur tamen potentia
simpliciter infinitorum. Scientiae autem objectum est verum, quod cum ente
convertitur ; unde non potest dici scientia simpliciter eorum quae non habent
esse in actu secundum aliquod tempus, sed secundum quid tantum, sicut etiam
secundum quid esse dicuntur in potentia causae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
puissance se tourne vers l’être possible comme objet et c’est pour cette
raison qu’elle ne dépend pas de l’être en acte ; il résulte de là que si
on posait que l’infini ne sera jamais conduit à l’acte dans la succession du
temps, on peut cependant dire que la puissance se rapporte absolument à
l’infini. Mais l’objet de la science est le vrai qui se convertit avec
l’être ; il suit de là qu’on ne peut dire absolument, mais seulement
sous un certain rapport, que la science a pour objet les choses qui n’ont pas
d’existence en acte selon la succesion des temps, tout comme on dit aussi de
ces mêmes choses qu’elles existent sous un certain rapport dans la puissance
de la cause. |
[2854] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod intellectus discurrens per rem,
non potest comprehendere rem infinitam, quia finiret eam numerando partes
ejus ; sed scientia Dei sine discursu uniformiter est unius et multorum,
finitorum et infinitorum. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que
l’intelligence qui discourt en passant d’une chose à une autre ne peut saisir
une chose infinie car elle finirait par nombrer ses parties ; mais la
science de Dieu saisit tout avec la même simplicité et sans aucun discours
l’un comme le multiple, le fini comme l’infini. |
[2855]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 6 Sextum concedimus. |
6. Nous concédons la sixième
difficulté. |
[2856]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
intellectus divinus non intelligit res pertranseundo ; unde objectio non
procedit. |
7. Il faut dire en septième lieu que Dieu ne connaît pas les choses en
les traversant et c’est pourquoi l’objection ne tient pas. |
[2857]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omnia quae
Deus scit, sunt in ipso unum, et non distinguuntur nisi per diversos
respectus. Non
est autem inconveniens relationes quae sequuntur operationem intellectus,
esse infinitas, ut dicit Avicenna, tract. III Metaph., cap. X. |
8. Il faut dire en huitième lieu que toutes
les choses que Dieu connaît ne sont qu’une seule chose en Lui et ne se
distinguent que par des rapports différents. Il n’y a cependant pas de
difficulté à ce que les relations qui découlent de l’opération de l’intelligence
soient infinies, comme le dit Avicenne [111 Métaphysique, ch. X.] |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [l’universalité de la providence divine] |
Prooemium |
Prologue |
|
|
[2858] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 2 pr. Deinde quaeritur de divina providentia ; et circa hoc duo
quaeruntur: 1 quid sit ; 2
utrum sit omnium. |
On
s’interroge ici sur la divine providence et à ce sujet on pose deux
questions : 1. Quelle est-elle ? 2. Est-ce qu’elle porte
sur tout ? |
|
|
Articulus 1 [2859] Super
Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 tit. Utrum providentia pertineat ad
scientiam |
Article 1 – La providence appartient-t-elle à la science ? |
[2860]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod providentia pertineat ad scientiam. Sicut enim dicit Boetius, in V De consolatione, pros. VI, col. 858,
providentia Dei dicitur, quia porro videt quasi a specula aeternitatis. Sed
videre pertinet ad scientiam. Ergo videtur quod et providentia. |
Difficultés: 1. Il semble que la providence appartienne à la science. En effet,
comme le dit Boèce [V De la Consolation,
pros. VI, col. 858], on l’appelle
providence parce qu’elle voit loin comme de la montagne de l’éternité. Mais
voir appartient à la science. Il semble donc qu’il en soit aussi de même pour
la providence. |
[2861]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, videtur quod ad
omnipotentiam. Dicitur enim Sapient. 14, 3: Tu autem pater gubernas omnia providentia. Sed gubernatio
pertinet ad potentiam, ut habetur ad Hebr. 1, 3: Portansque omnia verbo virtutis suae. Videtur ergo quod et
providentia. |
2. En outre, il semble qu’elle relève de la
toute-puissance. L’Écriture [Sagesse,
14, 3]dit en effet : Mais toi, Père, c’est par ta providence que tu
gouvernes toute chose. Mais gouverner est un acte qui se rapporte à la
puissance, comme l’Écriture [Épître aux
Hébreux, 1, 3] : Il soutient l’univers par la parole de sa puissance. Il semble
donc qu’il ne soit de même pour la providence. |
[2862]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, videtur quod ad voluntatem.
Sicut enim dicit Damascenus, II Fid.
Orthod., cap. XXIX, col. 963, providentia est divina voluntas secundum
quam omnia in finem convenientem deductionem accipiunt ; et ita videtur
expresse quod ad voluntatem pertineat. |
3. En outre, il semble qu’elle se
rapporte à la volonté. En effet, tout comme le dit Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. XXIX, col.
963], la providence est la volonté divine d’après laquelle tous les êtres
sont reçoivent leur direction vers la fin qui leur convient; et ainsi il
semble qu’elle se rapporte clairement à la volonté. |
[2863]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod sit idem quod
dispositio. Sicut enim dicit Boetius, in IV De consol., pros. VI, col. 814,providentia est ratio in summo
omnium principe constituta, per quam cuncta disponit. Sed disponere est
dispositionis. Ergo videtur quod dispositio divina et providentia idem sint. |
4. En outre, il semble que la
providence soit la même chose que la disposition. En effet, tout comme le dit
Boèce [IV De la Consolation, pros. VI, col. 814], la providence est la raison
qui est constituée dans le chef le plus élevé et par laquelle il dispose tout
le people. Mais l’acte de disposer se rapporte à la disposition. Il semble
donc que la disposition divine et la providence ne soient qu’une seule et
même chose. |
[2864]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, videtur quod sit idem quod
fatum. Comparatio enim alicujus ad diversa non diversificat ejus essentiam.
Sed fatum et providentia non differunt nisi secundum comparationem ad
diversa: sicut enim dicit Boetius, modus quo res geruntur, cum ad divinam
cognitionem refertur, providentia dicitur: cum vero ad res ipsas quae
geruntur, fatum vocatur. Ergo videtur quod providentia et fatum non differant per
essentiam. |
5. De plus, il semble
qu’elle s’identifie à la prédiction. En effet, le rapport d’un être à
différentes choses n’en change pas l’essence. Mais la prédiction et la
providence ne diffèrent que selon le rapport à différentes choses. : en
effet, tout comme le dit Boèce, la manière par laquelle les choses sont
dirigées, puisqu’elle se rapporte à la connaissance divine, s’appelle
providence : mais lorsqu’elle s’applique aux choses même qui sont
dirigées, elle s’appelle prédiction. Il semble donc que la providence et la
prédiction ne diffèrent pas par l’essence. |
[2865]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ista tria,
dispositio, scientia et providentia, se habent per additionem unius ad
alterum. Cum enim Deus de rebus creatis scientiam quasi practicam habeat, ad
modum scientiae artificis ejus scientia consideranda est. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que ces trois notions, à savoir la
disposition, la science et la providence, se présentent par addition l’une
par rapport à l’autre. En effet, puisque Dieu possède une science des choses
créées qui est comme pratique, il faut la considérer sa science selon le mode
de la science de l’artiste. |
Sciendum
est ergo, quod artifex praeconcipiendo artificiatum suum considerat finem primo
; et
deinde considerat ordinem rei quam facere intendit, ad finem illum, et
ordinem etiam partium ad invicem, sicut quod fundamentum sit sub pariete, et
paries sub tecto ; et iste ordo partium ad invicem ordinatur ulterius ad
finem domus. |
Il faut donc savoir que
l’artiste ou l’artisan, en concevant à l’avance son oeuvre, considère
premièrement la fin; et ensuite il considère l’ordre de la chose qu’il
cherche à faire par rapport à cette fin, et aussi l’ordre des parties entre
elles, par exemple que les fondations sont sous les murs et les murs sous le
toit; et cet ordre des parties entre elles est finalement ordonné à la fin de
la maison. |
Tertio
oportet quod consideret ea quibus promoveatur ad consecutionem finis, et ut
tollantur ea quae possunt impedire finem ; unde excogitat sustentamenta domus
per aliquas appendicias et fenestras et hujusmodi, quibus domus sit apta ad
habitationem. Ista
ergo excogitatio nominatur nomine scientiae, ratione solius cognitionis et
non ratione alicujus operationis. Unde est et finis, et eorum
quae sunt ad finem. Sed ratione ordinis excogitati in re operanda, vocatur
nomine dispositionis: quia dispositio ordinem quemdam significat ; unde
dispositio dicitur generationis ordinatio. Sed ratione eorum quae promovent
in finem, dicitur providentia: providus enim dicitur qui bene conjectat de
conferentibus in finem, et de his quae impedire possunt. Unde etiam in Deo
scientia dicitur, secundum quod habet cognitionem et sui ipsius, et eorum
quae facit. |
Troisièmement il faut qu’il considère les
choses par lesquelles il progresse dans la poursuite de la fin et qu’il fasse
disparaître celles qui empêchent de la réaliser ; d’où il imagine des
compléments de la maison par certains
appendices et fenêtres par lesquels la maison est apte à être habitée. Nous
appelons donc cette réflexion du nom de science en raison de la seule
connaissance et non en raison d’une opération. Et cette réflexion se
rapporte à la fin et aux choses qui sont ordonnées à la fin. Mais en raison
de l’ordre de ce qui est imaginé par rapport à la chose qui doit être faite,
elle est appelée du nom de disposition : car la disposition signifie un
certain ordre ; d’où l’on dit que la disposition est une mise en ordre
de la génération. Mais en raison des choses qui favorisent la fin, elle est
appelée providence : on appelle prévoyant en effet celui qui conjecture
avec justesse les choses qui contribuent à la fin et celles qui peuvent
l’empêcher. D’où elle est aussi appelée science du côté de Dieu selon qu’il
possède la connaissance à la fois de Lui-même et des choses qu’il fait. |
Sed dispositio dicitur
ratione duplicis ordinis quem ponit in rebus ; scilicet rei ad rem, secundum
quod juvant se invicem ad consequendum finem ultimum ; et iterum totius
universi ad ipsum Deum: sicut etiam Philosophus ponit, in XI Metaph., text. 52, ubi etiam ponit
exemplum de ordine partium exercitus ad invicem, et ad bonum ducis.
Providentia autem dicitur secundum quod rebus ita ordinatis attribuit ea quae
ordinem conservant et propellit omnium inordinationem. |
Mais la providence est appelée disposition
en raison de deux ordres qu’elle place dans les choses, à savoir celui qu’il
y a d’une chose à une autre, selon qu’elles s’aident mutuellement dans la
poursuite de la fin ultime ; et il y a en outre celui de tout l’univers
par rapport à Dieu, comme l’affirme aussi le Philosophe [XI Métaphysique, texte 52] où il présente
aussi l’exemple de l’ordre des parties de l’armée entre elles et l’ordre de
l’armée par rapport au bien du chef qui est la victoire. Mais on l’appelle
providence selon qu’elle attribue aux êtres ainsi ordonnés les choses qui
conservent l’ordre et qu’elle repousse le désordre de tous les êtres. |
[2866] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod providentia et dispositio
diversimode consideratae pertinent ad scientiam voluntatem et potentiam: quod
sic patet ex simili inducto. Potest enim aliquis artifex cognitionem habere
de artificiatis speculative tantum, sine hoc quod operari intendat: et sic
providentia et dispositio ejus pertinet tantum ad scientiam. Secundum autem quod ulterius ordinat in opus cum proposito exequendi,
pertinet ad scientiam et voluntatem. Secundum autem quod exequitur in opere,
sic pertinet ad scientiam, voluntatem et potentiam per quam operatur. Ita
etiam in Deo est. Patet etiam quod primis duobus modis accepta sunt aeterna,
sed tertio modo sunt ex tempore. Et ipsa executio providentiae, gubernatio
dicitur. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que c’est sous une considération différente que la providence et
la disposition appartiennent à la science, à la volonté et à la
puissance : ce qui devient évident à partir de la similitude présentée.
En effet, un artiste peut n’avoir qu’une connaissance spéculative des œuvres
d’art sans chercher à les réaliser et ainsi sa providence et sa disposition
se rapportent seulement à la science. Mais selon que par la suite il ordonne
une œuvre avec le propos de la réaliser, alors sa providence et sa
disposition se rapportent à la science et à la volonté. Mais selon qu’il
exécute ou achève l’œuvre, alors sa providence et sa disposition se
rapportent à la science, à la volonté et à la puissance par laquelle il
opère. Il en est aussi de même pour Dieu. Et il est clair aussi que prises
d’après les deux premières modalités elles sont éternelles mais que d’après
la troisième, elles sont dans le temps. Et l’exécution même de la providence
s’appelle proprement gouvernement. |
[2867] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 2 a. 1 ad 2 Unde patet solutio ad secundum et tertium et similiter ad
quartum: quia providentia includit dispositionem et addit: et propter hoc
etiam per providentiam disponere dicitur. |
2. Nous voyons à partir de là la solution à
la deuxième et à la troisième et aussi à la quatrième difficulté : car la providence inclut
la disposition et y ajoute et c’est pour cette raison qu’on dit aussi de la
providence qu’elle dispose. |
[2868] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod providentia et fatum differunt
per essentiam: sicut enim forma domus est aliud per essentiam, secundum quod
est in mente artificis ubi nomen artis habet, et secundum quod est in
lapidibus et lignis ubi artificium dicitur ; ita etiam ratio gubernationis
rerum aliud esse habet in mente divina, ubi providentia dicitur, et aliud in
causis secundis, quarum officio gubernatio divina expletur: ex quibus fatum
dicitur a for faris ; vel quia est quoddam effatum divinae ordinationis,
sicut verbum vocale est quoddam effatum interioris conceptus: vel ex eo quod
ex harum consideratione causarum fari solebant antiquitus de rebus futuris,
sicut ex consideratione motus caeli praecipue. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que la
providence et la prédiction diffèrent essentiellement : en effet, tout
comme la forme de la maison est autre par l’essence selon qu’elle est dans
l’intelligence de l’artiste où elle a pour nom ¨l’art¨, et selon qu’elle
existe dans les pierres et les pièces de bois où elle a pour nom ¨œuvre
d’art¨, de même aussi la notion de gouvernement des choses possède une autre
existence dans l’esprit divin où on l’appelle providence que celle qu’elle
possède dans les causes secondes par la fonction desquelles le gouvernement
divin est complété : et c’est à partir d’elles qu’on parle de ¨fatum¨, à
savoir de prédiction, qui vient de ¨for faris¨ qui veut dire prendre la
parole dans le sens de prophétiser ; soit parce qu’elle est une certaine
expression de l’arrangement divin, tout comme le verbe vocal est une certaine
expression d’un concept intérieur, soit parce que c’est à partir de la
considération de ces causes que les anciens avaient coutume de faire des
prédictions au sujet des événements futurs, par exemple surtout à partir de
la considération du mouvement du ciel. |
|
|
Articulus 2 [2869] Super
Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 tit. Utrum providentia sit omnium |
Article 2 – La providence s’applique-t-elle à tout ce qui existe ? |
[2870]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod non omnium sit providentia. Ad providentiam enim pertinet
remotio eorum quae impediunt a fine. Sed malum dicitur per deordinationem a
fine. Cum igitur multa mala sint in universo, videtur quod non omnia
providentiae divinae subjaceant. |
Difficultés: 1. Il semble que toutes les choses ne soient pas
soumises à la providence divine. Il appartient en effet à la providence
d’écarter les choses qui éloignent de la fin. Mais le mal dit un désordre par
rapport à la fin. Donc, puisqu’il existe de nombreux maux dans l’univers, il
semble que ce ne soient pas toutes les choses qui sont soumises à la
providence divine. |
[2871]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, nihil quod casu fit,
est provisum: quia casus dicitur inopinatus rei eventus, et secundum
Philosophum, in III Metaph., text. 62,
est in his quae aguntur propter aliquid, cum aliud contingat praeter id quod
intendebatur. Sed multa fiunt casu in mundo, ut probat philosophus in VI Metaph., text. 6 ; alias omnia ex
necessitate contingerent, nisi causae aliquae deficerent ut in minori parte,
quod casum inducit. Ergo non omnia sunt provisa a Deo. |
2. Par ailleurs, rien de ce qui
arrive par hazard n’est prévu, car qui dit ¨hasard¨ dit un événement
inattendu d’une chose, et selon le Philosophe [111 Métaphysique, texte 62], le hasard se présente dans les choses
qui sont faites en vue d’une fin, lorsque quelque chose d’autre se produit
que ce à quoi on s’attendait. Mais dans l’univers de nombreuses choses se
produisent par hasard, comme le prouve le Philosophe [ VI Métaphysique, texte 6]; autrement,
tout se produirait par nécessité si certaines causes ne se trouvaient pas
rarement en défaut, ce qui ouvre la porte au hasard. Donc, tout n’est pas
prévu par Dieu. |
[2872]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, omne quod est provisum,
est ordinatum in unum. Sed liberum arbitrium non est ordinatum in unum, sed
se habet ad utrumlibet. Ergo ea quae sunt a libero arbitrio, providentiae
divinae non subjacent. |
3. Par ailleurs, tout ce qui
est prévu est ordonné à un seul et unique effet. Mais le libre arbitre n’est
pas ordonné à un seul effet mais à de nombreux possibles. Donc, les actes qui
proviennent du libre arbitre ne sont pas soumis à la providence divine. |
[2873]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne quod est provisum,
consequitur finem ut in pluribus, nisi sit providentia errans. Sed malum invenitur ut in
pluribus, quod est secundum exitum a fine. Ergo universum providentia non
regitur. |
4. En outre, tout ce qui est prévu parvient
à sa fin dans la plupart des cas, à moins que la providence ne s’égare. Mais
le mal se rencontre le plus souvent selon qu’on s’écarte de la fin. Donc,
l’univers n’est pas gouverné par la providence. |
[2874]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, providentiae proprium
est ordinare. Sed multa inordinate contingunt in universo tam in rebus
naturalibus, sicut quod aestates sunt pluviosae et hiemes siccae, quam etiam
in hominibus, ut quod justi ab impiis puniuntur, qui prosperitatibus affluunt
et multa hujusmodi. Ergo
videtur quod universum providentia non regatur. |
5. De plus, c’est le propre de la providence
d’ordonner. Mais de nombreux événement se produisent de manière désordonnée
dans l’univers, tant dans les choses naturelles, comme par exemple des étés
pluvieux et des hivers secs, que chez les hommes, comme les justes qui sont
punis par des criminels, lesquels possèdent des biens en abondance, et
beaucoup d’autres choses de cette sorte. Il semble donc que l’univers n’est
pas conduit par une providence. |
[2875]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, Habac. 1, 14, dicitur: Numquid facies homines ut pisces maris ? Et
hoc dicit admirando ea quae videntur inordinate in hominibus contingere. Ergo videtur quod ad bruta non se extendat Dei providentia. |
6. Par
ailleurs, l’Écriture [Habac. 1, 14]
nous dit : Pourquoi as-tu fait les
humains comme les poissons de la mer ? Et le prophète dit cela à
cause de l’étonnement qu’il ressent à voir le désordre répandu chez les
humains. Il semble donc que la providence divine ne s’étende pas aux brutes animales. |
[2876] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod habetur Sap. XII, 13 quod cura ei est de omnibus. Sed nomine curae vel solicitudinis, providentia
signatur. Ergo providentia ejus ad omnia se extendit. |
Cependant : 1. L’Écriture [Sagesse, XII, 13] nous dit le
contraire : Il n’y a personne qui
prenne soin de tout comme toi. Mais par le nom de soin ou de sollicitude,
c’est la providence qui est signifiée. Donc, la providence divine s’applique
ou s’étend à tous les êtres. |
[2877]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod haec quaestio fere ab omnibus
sapientibus ventilata est, et ideo oportet diversorum positiones videre, ut
erroribus evitatis, viam veritatis teneamus. Sciendum est ergo primo, quod
quidam posuerunt, nullius rei esse providentiam, sed omnia casu contingere:
et ista fuit positio Democriti, et quasi omnium antiquorum naturalium [om. Éd. de Parme], qui negaverunt
causam agentem et posuerunt tantum causam materialem. Sed haec positio satis
efficaciter in philosophia improbata est. |
Corps de l’article : Je réponds qu’il faut dire
que cette question a été agitée par presque tous les sages, et c’est pourquoi
il faut examiner ces différentes positions afin d’en éviter les erreurs et de
demeurer sur le chemin de la vérité. Il faut donc savoir en
premier lieu que certains ont soutenu qu’aucune chose n’est soumise à une
providence et que tout est le résultat du hasard. Et telle fut la position de
Démocrite et de presque tous les anciens naturalistes [naturalistes om. Éd. de Parme], qui ont nié la
cause efficiente et n’ont posé que la cause matérielle. Mais cette position a
été réfutée avec suffisamment de force en philosophie. |
Alii posuerunt providentiam
esse quarumdam rerum et non omnium, et hi dividuntur in duas vias. |
D’autres ont soutenu qu’il y a providence
pour certaines choses mais non pour toutes, et ceux-là se divisent en deux
branches distinctes. |
Quaedam enim positio est,
quod providentia Dei non se extendit nisi ad species, et non ad individua, nisi
quae necessaria sunt ; eo quod ponebant, illud quod exit cursum suum,
providentiae legibus non subjacere ; et ideo ea quae frequenter deficiunt a
cursu ordinato, non sunt provisa, sicut particularia corruptibilia et
generabilia ; et ista opinio imponitur Aristoteli: quamvis ex verbis suis
expresse haberi non possit, sed Commentator suus expresse ponit eam in XI
Metaph., text. 52. Dicit enim, quod non est fas divinae bonitati habere
sollicitudinem de singularibus nisi secundum quod habent communicationem in
natura communi, sicut quod aranea sciat facere telam, et hujusmodi. Sed haec
opinio expresse tollit judicium Dei de operibus hominum. |
L’une d’elles en effet soutient que la
providence divine ne s’applique qu’aux espèces et non aux individus, à moins
qu’ils ne soient nécessaires, du fait qu’ils affirmaient que ce qui sort de
son cours n’est pas soumis aux lois de la providence ; et c’est pourquoi
les choses qui s’écarte souvent d’une marche réglée ne sont pas prévues,
comme c’est le cas pour les particuliers corruptibles et ceux qui peuvent
être engendrés ; et cette position est attribuée à Aristote, bien
qu’elle ne puisse être établie clairement à partir de ses paroles, mais son
Commentateur [XI Métaphysique,
texte 52] l’affirme explicitement. Il dit en effet qu’il n’est permis à la
bonté divine d’avoir de la sollicitude pour les singuliers que selon qu’ils
communiquent dans une nature commune, tout comme l’araignée qui sait faire
une toile et des choses de la sorte. Mais cette opinion supprime totalement
le jugement de Dieu sur les œuvres des hommes. |
Et ideo alia positio fuit,
quod Deus providentiam habet de omnibus quae dicta sunt, et ulterius de
individuis hominum, non tantum secundum quod communicant in specie, sed etiam
secundum particulares actus eorum ; et hanc ponit Rabbi Moyses, lib. III,
cap. XVIII, et rationem assignat ex eo quod in homine etiam particulari
invenitur natura intellectualis, per quam comprehendit intellectu suo formam
speciei, inquantum est species: quia intellectus attribuit intentionem
universalitatis naturae apprehensae, quam non habet in rebus extra animam ;
et ideo individuum hominis etiam non deseritur a providentia quae est
specierum, et praecipue quia communicat cum substantiis perpetuis, quarum
etiam est per se providentia et secundum individua, et hoc quantum ad
nobiliorem partem ejus, quae est intellectus. |
Et c’est pourquoi il y eut
aussi l’autre position qui soutient que Dieu exerce sa providence sur tous
les êtres dont nous avons parlé et en plus sur les êtres humains, et non
seulement en tant qu’ils communiquent dans une même espèce, mais même en tant
qu’ils posent des actes particuliers ; et c’est cette position que
présente Rabbi Moïse [Doct. Perplex.
111, ch. XVII], et il en donne la raison du fait que dans l’homme particulier
aussi se rencontre la nature intellectuelle par laquelle il comprend par son
intelligence la forme de l’espèce en tant qu’elle est une espèce : car
c’est à l’intelligence qu’il attribuait l’intention d’universalité de la
nature appréhendée qu’elle ne possède pas dans les choses en dehors de
l’âme ; et c’est pourquoi l’individu humain aussi n’est pas abandonné
par la providence qui porte sur les espèces, et surtout parce qu’il
communique avec les substances éternelles sur lesquelles porte aussi la
providence en tant qu’individus et cela quant à leur partie la plus noble qui
est l’intelligence. |
Sed quia divina cognitio
aequaliter est singularium et universalium, ut supra habitum est ; et ejus
qui summe bonus est, est ordinare omnia ad finem, secundum quod nata sunt:
non videtur conveniens non omnium etiam singularium providentiam esse. Et
praeterea hoc est expresse contra sententiam domini, Matth. X, dicentis, quod
unus ex passeribus non cadit in terram sine patre caelesti, idest sine
providentia ejus. |
Mais parce que la connaissance divine porte
également sur les singuliers et les universels, ainsi que nous l’avons établi
plus haut, il qu’il appartient à celui qui est suprêmement bon d’ordonner
tous les êtres à leur fin selon leurs capacités, il ne semble pas convenable
que la providence ne porte pas sur tout, même sur les singuliers. Et par
ailleurs cette position est clairement opposée à la pensée du Seigneur
[Matthieu X, 29] qui dit qu’aucun moineau ne tombe à terre sans que le Père
céleste, à savoir la providence, le sache. |
Aliorum positio est, quod
Deus omnium providentiam habeat. Sed horum quidam dicunt omnium providentiam
aequaliter esse ; et hos necesse est incidere in tres errores. |
Mais il y a aussi l’autre position de ceux
qu soutiennent que Dieu fait porter sa providence sur tous les êtres. Mais
parmi eux certains disent que la providence se porte également sur tous les
êtres ; et cela conduit nécessairement à trois erreurs. |
Quidam enim aestimantes simul
esse providentiam bonorum et malorum, cum haec duo non possint esse intenta
ab uno agente, coacti sunt ponere duos deos, quorum unus providet bona, alius
mala, secundum haeresim Manichaeorum. Et haec positio sufficienter a sanctis
et philosophis improbata est: quia malum non habet causam efficientem, nec
potest esse intentum. |
Certains en effet, croyant qu’il y a
simultanément providence pour pour ce qu’il y a de bien et de mal, comme ces
deux sortes de choses ne peuvent pas être voulues par le même agent, ont été
forcés à poser deux dieux dont l’un fournit les biens et l’autre les maux,
d’après l’hérésie des Manichéens. Et cette position a été amplement réfutée
par les saints et les philosophes : car le mal n’a pas de cause
efficiente et ne peut faire l’objet d’une intention. |
Alii aestimantes, quod
similiter sit providentia contingentium et necessariorum, coacti sunt liberum
arbitrium et contingentiam negare, asserentes cuncta quae providentiae
subjacent, ex necessitate evenire, quod ad sensum patet esse falsum. Alii aestimantes similiter
esse providentiam rationabilium et irrationabilium, coacti sunt ponere quod
nihil mali etiam brutis contingit quod non sit in poenam eis provisum, vel in
occasionem majoris praemii ; unde ponunt quod peccatum est occidere brutum,
sicut et hominem: quod quidam haeretici nostri temporis sentire videntur. |
D’autres, croyant qu’il y
a semblablement providence pour le contingent et le nécessaire, ont été
poussés à nier le libre arbitre et la contingence, affirmant que toutes les
choses qui sont soumises à la providence se produisent nécessairement, ce qui
est manifestement faux et contraire aux sens. D’autres, croyant que la
providence s’applique semblablement aux êtres rationnels et à ceux qui sont
irrationnels, ont été poussés à soutenir qu’aucun mal ne se produit aussi
chez les brutes animales sans que ne leur soit prévue une peine ou au moment
favorable une plus grande récompense ; d’où ils affirment que le péché
tombe sur la brute animale comme sur l’homme, ce que certains hérétiques de
notre époque semblent penser. |
Sed quia haec omnia a fide
aliena sunt, ideo simpliciter dicendum est, quod omnia providentiae
subjacent, sed non eodem modo: et qualiter hoc sit, videndum est. Dictum est
enim, quod providentia dispositionem supponit, quae ordinem in rebus determinat
in diversarum naturarum gradu salvatum. |
Mais parce que toutes ces opinions sont
étrangères à la foi, c’est pourquoi il faut absolument dire que tous les
êtres sont soumis à la providence mais non de la même manière : et il
faut voir de quelle manière il en est ainsi. Nous avons dit en effet que la
providence suppose la disposition qui détermine un ordre dans les choses,
ordre qui est conservé dans les degrés des différentes natures. |
Cum igitur providentiae non
sit destruere ordinem rerum, expletur effectus providentiae in rebus secundum
convenientiam rei prout nata est consequi finem. Sicut enim dicit Dionysius,
IV cap. de div. nom., § 33, col.
732, non est providentia naturas rei destruere, sed salvare ; et ideo quasdam
res sic instituit ut secundum suam conditionem consequantur finem per
principium quod est natura tantum, sicut in omnibus irrationabilibus [tantum
…irrationabilibus om. Éd. de Parme]
; in aliquibus super hoc principium addit aliud, quod est voluntas. |
Donc puisque la providence ne doit pas
détruire l’ordre des choses, l’effet de la providence est accompli dans les
choses proportionnellement aux capacités naturelles de la chose à atteindre
la fin. En effet, comme le dit Denys [Les
Noms Divins, ch. IV, & 33, col. 732], il appartient à la providence
non pas de détruire la nature de la chose mais de la conserver ; et
c’est pourquoi elle a établi certaines choses de telle manière qu’elles
parviennent à la fin selon leur condition au moyen d’un principe qui est la
nature seulement, comme c’est le cas pour tous les êtres irrationnels
[seulement … irrationnels om. Éd. de
Parme] ; et à certains elle a ajouté à ce principe un autre principe
qui est la volonté. |
In his autem quae
consequuntur finem per principium quod est natura, invenitur quidam gradus ;
eo quod quarumdam rerum natura impediri non potest a consecutione effectus
sui ; et iste est gradus altior, sicut est in corporibus caelestibus: unde in
his nihil contingit non intentum a Deo ex defectu ipsorum ; et propter hoc
Avicenna dicit, tract. VIII Metaph., cap.
VI, quod supra orbem lunae non est malum, loquens de malo naturae [loquens … om. Éd. de Parme]. |
Mais pour ces êtres qui poursuivent leur fin
au moyen du principe qui est la nature, on retrouve une gradation, du fait
que la nature de certaines choses ne peut être empêchée de parvenir à son
effet et ce degré est le plus élevé comme c’est le cas pour les corps
célestes : d’où il suit que dans ces choses il ne se produit rien qui ne
soit pas recherché par Dieu en raison d’un défaut qui se tiendrait de leur
côté ; et c’est pour cette raison qu’Avicenne [ VIII Métaphysique, ch. VI] dit qu’au-dessus du monde de la Lune on
ne retrouve pas le mal, parlant alors du mal de la nature [parlant…om. Éd. de Parme]. |
Alius autem gradus naturae
est quae impediri potest et deficere, sicut natura generabilium et
corruptibilium: et quamvis ista natura sit inferior in bonitate, tamen etiam
bona est ; et melius est quod utraque sit simul, quam quod altera tantum. Si
autem Deus contulisset huic naturae quod nunquam deficeret, jam non esset
haec natura, sed alia ; et sic non esset utraque natura, in quo universi
perfectioni derogaretur. |
Mais il y a un autre degré de nature qui
peut être empêché de parvenir à la fin et faire défaut, comme c’est le cas
pour la nature des êtres peuvent être engendrés et corrompus : et bien
que cette nature soit inférieure en bonté, cependant elle aussi est bonne ;
et il est préférable que les deux existent ensemble plutôt qu’une seule
existe. Mais si Dieu avait donné à cette nature de ne jamais faire défaut,
elle ne serait plus telle nature mais une autre et ainsi les deux natures ne
se trouveraient pas à être retranchées de la perfection universelle. |
Unde hanc naturam condidit
praesciens defectum contingentem, qui est malum naturae ; sed non intendens.
Sed ita providit ut si malum contingeret ex defectu alicujus naturae,
ordinaretur in bonum ; sicut videmus quod corruptio unius est generatio
alterius ; et iste modus providentiae extendit se etiam usque ad bruta
animalia, quae potius aguntur instinctu naturae quam electione voluntatis. Et
ideo malum quod accidit in eis, recompensatur per bonum naturae, non per
bonum praemii, sicut quod mors muscae est victus araneae. |
D’où il suit que Dieu créa cette nature en
sachant à l’avance mais sans le rechercher, qu’elle pourrait faire défaut, ce
qui est un mal de nature. Mais il veilla à ce que, si le mal devait se
produire en raison d’un défaut d’une nature, il soit ordonné au bien ;
c’est ainsi que nous voyons que la corruption de l’un est ordonnée à la
génération de l’autre ; et cette forme de providence s’applique aussi
jusqu’aux brutes animales qui agissent par un instinct de nature plutôt que
par un choix de la volonté. Et c’est pourquoi le mal qui se produit en elles
est compensé par un bien de nature et non par un bien de récompense, tout
comme la mort de la mouche est la nourriture de l’araignée. |
Sed in nobilioribus creaturis
invenitur aliud principium praeter naturam, quod est voluntas ; quod quanto
vicinius est Deo, tanto a necessitate naturalium causarum magis est liberum,
ut dicit Boetius, V De consol., prosa
II, col. 834 ; et ideo ex conditione sua sequitur quod rectum ordinem tenere
possit tendendo in finem, et etiam deficere. |
Mais chez les créatures plus nobles on
retrouve, à côté de la nature, un autre principe, à savoir la volonté, lequel
est d’autant plus libéré de la nécessité des causes naturelles, comme le dit
Boèce [V De la Consolation, prose
11, col. 834], qu’il est plus proche de Dieu ; et c’est pourquoi il
découle de sa condition qu’il puisse garder un ordre sans détour en tendant
vers la fin et qu’il puisse aussi faire défaut. |
Si autem inevitabiliter in
finem tenderet, per divinam providentiam tolleretur sibi conditio suae
naturae, ut dicit Dionysius, ubi supra ; et ideo taliter a Deo instituta est
ut etiam deficere posset ; ita tamen quod in potestate ejus esset deficere
vel non deficere ; hoc autem non contingebat quod non erat in defectu
naturalis principii. |
Mais si la volonté tendait inévitablement
vers la fin, la condition de sa nature lui serait retirée par la divine
providence comme le dit Denys plus haut ; et c’est pourquoi elle fut
établie par Dieu de telle manière qu’elle puisse aussi faire défaut, de telle
manière cependant qu’il soit en son pouvoir de faire défaut ou de ne pas
faire défaut ; mais il n’était pas possible qu’elle ne soit pas en
défaut d’un principe naturel. |
Et istos defectus voluntatum
contingentes praeter intentionem providentiae praescivit Deus et ordinavit
eos in bonum non tantum naturae, sed etiam similis generis [singularis
gratiae Éd. de Parme], sicut in
bonum justitiae (quod ostenditur cum culpa per poenam ordinatur), et in bonum
voluntatis aliorum, qui per eorum nequitiam vel corriguntur de peccatis, vel
in meritis et gloria crescunt ; et in multa alia: quae humana ratio non
sufficit explicare. |
Et Dieu a connu à l’avance ces défauts des
volontés se produisant en dehors de l’intention de la providence et il les a
ordonnés non seulement au bien de la nature, mais aussi à celui d’un genre
semblable [singulier de la grâce Éd. de
Parme], comme au bien de la justice (lequel est manifesté lorsque la
faute est réglée par la peine), et au bien de la volonté des autres, lesquels
à travers leurs injustices ou bien se corrigent de leurs fautes ou bien
croissent en mérites et en gloire ; et il les a ordonnés aussi à de
nombreux autres biens que la raison humaine est impuissante à expliquer de
manière satisfaisante. |
Unde patet quod bonum et
malum subjacent divinae providentiae, sed malum tamquam praescitum et
ordinatum, sed non ut intentum a Deo ; bonum vero quasi intentum ; sed
necessarium ita quod deficere non possit, et contingens ita quod deficere
possit ; et voluntarium ita quod poenam vel praemium habeat, aut in praemium
vel in poenam alicujus ordinetur ; naturale autem ita quod consequatur finem
naturalem, si bonum est, et cedat in bonum alterius naturae, si malum est. |
D’où il est clair que le bien et le mal sont
soumis à la providence divine, mais le mal en tant que connu à l’avance et ordonné
au bien et non en tant que voulu par Dieu, alors que le bien lui est soumis
en tant qu’il est voulu par Dieu ; et le nécessaire est soumis à la
providence de telle manière qu’il ne puisse faire défaut et le contingent en
tant qu’il puisse faire défaut ; mais le volontaire lui est soumis de
telle manière qu’il reçoive une peine ou une récompense ou qu’il soit ordonné
par la récompense ou la peine de quelque chose, mais le naturel de telle
manière qu’il parvienne à sa fin naturelle si elle est bonne, et qu’il passe
au bien d’une autre nature s’il est mauvais. |
[2878] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum est, quod providentiae est dirigere
unumquodque in finem, et subtrahere impedimenta, salvata tamen natura in
finem directa, ex cujus conditione defectibili mala contingunt, et non ex
divina intentione, quae ipsa mala in bonum ordinat. |
Solutions : 1. Il faut dire en premier
lieu qu’il appartient à la providence de conduire chaque chose à sa fin et de
retirer les obstacles, tout en conservant cependant la nature qui est dirigée
vers sa fin de telle manière que des maux peuvent se produire en raison de la
condition possiblement défaillante de cette nature et non en raison de la
volonté divine qui ordonne au bien les maux eux-mêmes. |
[2879] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod effectus consequitur conditionem
causae suae proximae ; et ideo quamvis sit aliquid a Deo provisum, dicitur
casu fieri, si accidat praeter intentionem naturae operantis ; vel fortuna,
si accidit praeter intentionem agentis a proposito. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que l’effet
découle de la condition de sa cause prochaine ; et c’est pourquoi, bien
qu’il soit quelque chose de prévu par Dieu, on dit qu’il est produit par
hasard s’il se produit en dehors de l’intention de la nature qui opère ;
ou par la fortune s’il se produit en dehors
de l’intention que l’agent se proposait. |
[2880]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod liberum
arbitrium per se ordinatum est ad unum, scilicet ad bonum, ita quod ab eo
deficere possit, et quod in ipso sit. Si enim inevitabiliter in unum tenderet, tolleretur
ratio voluntatis in tali natura. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le
libre arbitre est essentiellement ordonné à un seul effet, c’est-à-dire au
bien, mais de telle manière cependant qu’il puisse s’en écarter et qu’il
puisse se tenir en lui. Si en effet le libre arbitre tendait inévitablement
vers un seul effet, la notion de volonté serait supprimée dans une telle
nature. |
[2881]
Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod malum
potest accipi vel in rebus naturalibus, vel in voluntariis. Et si accipiatur in
naturalibus, constat quod malum est ut in paucioribus, tum secundum supposita, quia
malum naturae non contingit nisi in sphaera generabilium et corruptibilium,
quae est parvae quantitatis respectu corporum caelestium in quibus malum esse
non potest, quia incorruptibilia sunt, et motus eorum inordinationem habere
non possunt, cum semper eodem modo sint ; tum etiam considerando in
eodem, quia causae naturales consequuntur effectus suos in majori parte, et
deficiunt in minori, et ex hoc malum incidit. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le mal
peut s’entendre soit dans les choses natuelles, soit dans les actes
volontaires. Et si on l’entend dans les choses naturelles, il est clair que
le mal se produit dans peu de cas, tant selon les suppôts, car le mal de
nature ne se produit que dans la sphère des êtres qui peuvent être engendrés
et corrompus, laquelle est de faible quantité par rapport aux corps célestes
dans lesquels le mal ne peut exister puisqu’ils sont incorruptibles et que
leurs mouvements ne sont pas susceptibles de désordres puisqu’ils
s’effectuent toujours de la même manière, qu’en les considérant aussi dans un
même sujet car les causes naturelles atteignent leurs effets dans la plupart
des cas et s’en écartent rarement : et c’est de là que s’ensuit le mal. |
Sicut
enim in naturalibus invenitur triplex gradus ; aliquid enim est quod habet
esse tantum in actu ; et huic nullus defectus essendi advenire potest: sicut
corpora caelestia [sicut… caelestia iom. Éd.
de Parme]. aliquid autem est quod est
tantum in potentia, sicut materia prima ; et hoc semper habet defectum, nisi
removeatur per aliquod agens reducens eam in actum: est etiam aliquid quod habet
actum admixtum privationi ; et hoc propter actum dirigentem in opere recte
operatur ut in majori parte, deficit autem in minori, sicut patet in natura
generabilium et corruptibilium ; ita etiam est in intellectualibus. Est enim
aliqua intellectualis natura quae est actus completus sine admixtione
alicujus privationis vel potentiae ; et ex hac non potest aliquid non rectum
procedere, sicut patet de Deo. |
En effet, on retrouve dans les choses
naturelles trois degrés ; il y a en effet des êtres qui ne possèdent
l’existence qu’en acte ; et à ce degré d’être il ne peut survenir aucun
défaut d’existence, comme c’est le cas pour les corps célestes [tout comme …
célestes om. Éd. de Parme]. Mais il y a de l’être qui
est seulement en puissance, comme la matière première ; et cette forme
d’être est toujours en défaut, à moins qu’elle ne s’écarte de ce défaut au
moyen d’un agent qui la conduise à l’acte. Mais il y a aussi de
l’être qui consiste en la composition d’un acte et d’une privation ; et
il en est ainsi parce que l’acte qui dirige dans la réalisation de l’œuvre
opère correctement dans la plupart des cas et fait défaut dans peu de cas
ainsi qu’on le voit dans la nature des êtres pouvant être engendrés et
corrompus ; il en est de même aussi pour les êtres intellectuels. Il
existe en effet une nature intellectuelle qui est un acte complet sans aucun
mélange de privation ou de puissance ; et de cet acte rien ne peut
procéder incorrectement, comme on le voit pour Dieu. |
Est etiam quaedam natura cui
admiscetur potentia, sed tamen in ipsa sua natura habet aliquem actum
dirigentem in operatione, sicut est in Angelis ; et ideo talis natura deficit
a rectitudine ut in minori parte. |
Mais il y a aussi une
nature intellectuelle à laquelle se mélange de la puissance, mais elle
possède cependant dans sa nature un acte qui dirige dans l’opération, comme
c’est le cas pour les Anges ; et c’est pourquoi une telle nature
s’écarte de la rectitude dans peu de cas. |
Sed in natura humana
perfectiones secundae, quibus diriguntur opera, non sunt innatae, sed vel
acquisitae vel infusae. Unde Commentator in III de anima, text. 14, comparat intellectum potentialem humanum
materiae primae, et philosophus tabulae in qua nihil scriptum est ; et ideo
ipsa natura humana in se considerata aequaliter se habet indifferenter ad
omnia vel intelligenda vel facienda ; et quia malum contingit multifariam
secundum Dionysium, IV cap. De div.
nom., § 30, col. 730, et bonum uno modo ; ideo ut in pluribus flectitur
in malum. |
Mais dans la nature humaine les perfections
secondes par lesquelles les œuvres sont conduites ne sont pas innées mais
acquises ou infuses. D’où le Commentateur [111 De l’Âme, texte 14] compare l’intellect possible des humains à la
matière première et le Philosophe le compare à la tablette sur laquelle rien
n’est écrit ; et c’est pourquoi la nature humaine, considérée en
elle-même se présente également et indifféremment à l’égard de tout ce qui
doit être connu ou fait ; et parce que le mal se présente sous des
formes diverses d’après Denys [IV Les
Noms Divins, & 30, col. 730] et le bien sous une seule forme, c’est
pourquoi elle se tourne vers le mal dans la plupart des cas. |
Sic enim considerata natura
humana, nondum est ut agens perfectum, nisi respectu naturalium operationum ;
sed tunc est agens perfectum quantum ad omnes suas operationes, quando jam
perfecta est perfectionibus secundis, quae sunt virtutes ; et ideo quando
determinatur per perfectionem secundam vel infusam vel acquisitam, tunc
determinatur ad unum, vel ad quod tendat ut in majori parte, sicut in statu
viae, vel ut semper, sicut in statu patriae. |
En effet, la nature humaine considérée de
cette manière n’existe pas encore en tant qu’agent parfait, si ce n’est par
rapport aux opérations naturelles ; mais elle est un agent parfait quant
à toutes ses opérations quant elle a déjà été achevée par les perfections
secondes qui sont les vertus ; et c’est pourquoi, quand la nature
humaine se trouve à être réglée par la perfection seconde, qu’elle soit
infuse ou acquise, alors elle est ordonnée à un seul effet, soit à celui vers
lequel elle tend le plus souvent comme
c’est le cas pour la vie ici-bas, soit à celui vers lequel elle tend
toujours, comme c’est le cas dans la patrie céleste. |
Et ideo Tullius, Lib. II de inventione, § 159,comparat virtutem
naturae, dicens quod est habitus voluntarius in modum naturae rationi
consentaneus ; et ideo voluntas perfecta virtute justitiae se habet ad opera
justa, sicut ignis ad motum sursum. Et per hoc etiam patet quod
magis servatur ordo providentiae in bonis quam in |
Et c’est pourquoi Tullius [11 De l’Invention, & 159] compare la
vertu à la nature en disant qu’elle est l’habitus volontaire qui consent à la
raison à la manière de la nature; et c’est pourquoi la volonté, par la vertu
parfaite de la justice se rapporte aux oeuvres justes de la même manière que
le feu se rapporte au mouvement vers le haut. Et c’est par là aussi qu’on
voit que l’ordre de la providence est davantage observé dans les biens que
dans les maux. |
[2882] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quidquid est in mundo, totum
ordinatum est ; quamvis ratio ordinis nobis non appareat in quibusdam, et
praecipue in voluntariis, cum malis quandoque bona quandoque mala eveniant,
et similiter bonis. Sed ratio ordinis hujus scitur a Deo ; sicut medicus scit
quare quibusdam aegris quandoque det calida et quandoque frigida, et
similiter sanis ; quod tamen ignorans artem admiratur, ut dicit Boetius, IV de consol., prosa VI, col. 818. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que tout
ce qui est dans l’univers est ordonné dans sa totalité, bien que le rapport
de l’ordre ne nous apparaisse pas dans certaines choses, et surtout dans les
actes volontaires, puisqu’à des maux ce sont parfois des biens et parfois des
maux qui surviennent, et qu’il en est de même pour les biens. Mais le rapport
de cet ordre est connu de Dieu, tout comme le médecin sait pourquoi il donne
parfois de la chaleur et parfois du froid à certains malades, et qu’il fait
semblablement pour ceux qui sont sains, alors que celui qui ignore cet art
s’en étonne comme le dit Boèce [IV De
la Consolation, prose VI, col.
818]. |
Ista tamen inordinatio si
diligenter advertitur, invenitur non in his ad quae per se ordinatur humana
opera, et quae per se sunt tantum bona vel mala. Habet enim bonum opus semper
sibi adjunctum bonitatis praemium in perfectione virtutis, quae est bonum
humanum, et in consecutione beatitudinis, ad quam opera humana ordinantur ;
et e contrario est de malis. Sed ista permixtio videtur
accidere in his bonis quae extra hominem sunt, vel quae non sunt bona ejus
inquantum est homo, sicut in bonis corporalibus et in bonis naturae [fortunae
Éd. de Parme] ; cum tamen ista
permixtio semper ordinetur ad id quod est per se hominis bonum, scilicta
gratiae [vel gratiae Éd. de Parme],
vel gloriae, secundum apostolum Rom. 8, 28: Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, vel in justitiae
divinae manifestationem ; frequenter enim impii prosperantur in hac vita, ut
manifestior appareat in judicio eorum animadversio. |
Mais si on examine avec
attention ce désordre ou ce mélange, il se trouve non pas dans les choses
vers lesquelles les opérations humaines sont essentiellement ordonnées et qui
sont essentiellement seulement bonnes ou mauvaises. L’œuvre bonne en effet se
trouve toujours à être unie à la récompense de la bonté dans la perfection de
la vertu qui est le bien humain et dans la poursuite du bonheur auquel les
opérations humaines sont ordonnées ; et c’est le contraire pour les
maux. Mais ce mélange semble se
produire dans ces biens qui sont à l’extérieur de l’homme ou qui ne sont pas
ses biens en tant qu’il est homme, comme c’est le cas pour les biens
corporels ou pour les biens de la nature [de la fortune Éd. de Parme] ; puisque cependant ce mélange est toujours
ordonné à ce qui est le bien essentiel de l’home, à savoir celui de la grâce
[ou de la grâce Éd. de Parme] ou de
la gloire selon l’Apôtre [Romains
8, 28] : Toutes choses contribuent
au bien de ceux qui aiment Dieu, ou dans la manifestation de la justice
divine ; souvent en effet les criminels trouvent la prospérité en cette
vie afin que leur châtiment apparaisse plus manifestement dans le jugement. |
[2883] Super Sent., lib. 1 d.
39 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ex illa auctoritate innuitur quod
non est similiter providentia de brutis et de hominibus ; et hoc verum est,
ut ex praedictis, in corp. art., patet. |
6. Il faut dire en sixième lieu qu’à partir
de cette autorité il est indiqué que la providence ne se présente pas
semblablement à l’égard des brutes animales et des hommes ; et cela est
vrai, ainsi qu’on le voit dans le corps de l’article. |
|
|
Distinctio 40 |
Distinction 40 – [La prédestination] |
Prooemium |
Prologue |
|
|
|
|
|
|
Quaestio 1 |
Question 1 – [La nature de la prédestination] |
Prooemium |
Prologue |
[2884] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1
pr. Hic est duplex quaestio. Prima est de praedestinatione. Secunda de reprobatione. Circa primum quaeruntur tria. Primo
quid sit praedestinatio. Secundo,
quorum sit. Tertio, de certitudine ejus. Circa primum quaeruntur duo: 1
utrum praedestinatio sit in creatura, vel tantum in Deo ; 2 quid in Deo nominet. |
On cherche à répondre ici à deux questions. La première porte sur la
prédestination. La deuxième porte sur la
réprobation. Au sujet du premier point
on cherche à répondre à trois interrogations : 1. Qu’est-ce que la
prédestination ? 2. À quelle sorte d’êtres
se rapporte-t-elle ? 3. La prédestination
est-elle certaine ? Concernant la première
interrogation, on cherche à résoudre deux difficultés : 1. Est-ce que la
prédestination est dans la créature ou seulement en Dieu ? 2. Qu’est-ce que la
prédestination signifie en Dieu ? |
|
|
Articulus 1 [2885] Super Sent., lib. 1
d. 40 q. 1 a. 1 tit. Utrum praedestinatio sit aliquid in
praedestinato |
Article 1 – La prédestination est-elle quelque chose dans le prédestiné ? |
[2886]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod praedestinatio sit
aliquid in re praedestinata. Omnis enim actio infert ex se passionem. Sed cum
dicitur, Deus praedestinat, significatur in verbo actus divinus. Ergo videtur
quod respondeat sibi aliqua passio in creatura, quae sit praedestinatio
passive dicta, sicut etiam de creatione est ; invenitur enim creatio actio,
et creatio passio. |
Difficultés : 1. Il semble que la
prédestination soit quelque chose dans l’être qui est prédestiné. En effet,
toute action cause d’elle-même une passion. Mais lorsqu’on dit que Dieu
prédestine, l’acte divin est signifié dans un verbe. Il semble donc que lui
corresponde une passion dans la créature qui soit la prédestination prise
passivement, tout comme il en est aussi de même pour la création ; il y
a en effet la création comme action et la création comme passion. |
[2887]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis denominatio fit
secundum aliquam formam inhaerentem, sicut secundum qualitatem dicimur
quales. Sed praedestinatione aliquid denominatur, cum praedestinatus dicitur.
Ergo videtur quod praedestinatio sit aliquid in ipso. |
2. Par
ailleurs, toute dénomination est faite d’après une forme inhérente, tout
comme nous disons ¨quel¨ d’après la forme de la qualité. Mais c’est d’après
la prédestination qu’un être est dénommé lorsqu’on dit de lui qu’il est
prédestiné. Il semble donc que la prédestination soit quelque chose dans le
prédestiné. |
[2888] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1
a. 1 arg. 3 Praeterea, comparatio est eorum quae sunt unius generis. Sed in
Glossa Joan. 1, dicitur, quod « melius
erat Nathanaeli duas naturas in Christo cognoscere quam praedestinatum esse ».
Cum igitur cognitio naturarum, cui comparatur praedestinatio, in ipso aliquid
ponat, videtur quod praedestinatio sit aliquid in praedestinato. |
3. En outre, il y a comparaison pour les
choses qui sont du même genre. Mais il est dit dans la Glose de Jean 1 :
«Il était préférable à Nathanaël de
connaître les deux natures dans le Christ que d’être prédestiné». Donc,
puisque la connaissance des natures, à laquelle se compare la prédestination,
pose quelque chose en lui, il semble que la prédestination soit quelque chose
dans le prédestiné. |
[2889]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nullum aeternum
definitur per temporale. Sed
praedestinatio definitur per temporale: quia dicitur, quod est praeparatio
gratiae in praesenti et gloriae in futuro. Ergo non est aeterna. Sed omnis
actio quae temporaliter de Deo dicitur, ponit actu [actu om. Éd. de Parme] aliquem effectum in creatura, sicut regere,
gubernare, et hujusmodi. Ergo videtur quod praedestinatio sit aliquid etiam
in praedestinato. |
4. De plus, rien d’éternel ne se définit par
le temporel. Mais la prédestination se définit par le temporel car on dit
qu’elle est une préparation de la grâce dans le présent et de la gloire dans
le futur. Elle n’est donc pas éternelle. Mais toute action qui se dit
temporellement de Dieu pose en acte [acte om. Éd. de Parme] un effet dans la
créature, comme par exemple diriger, gouverner, etc. Il semble donc que la
prédestination soit aussi quelque chose dans le prédestiné. |
[2890] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1
a. 1 s. c. 1 Sed contra, non eliguntur nisi praedestinati. Sed eliguntur qui
non sunt, ut dicit Augustinus, De verbo
Apost., sermo XXVI, § 4, col. 170, olim Lib. de Praedest. Sanct., cap. 17. Ergo videtur quod
praedestinatio sit non entium. Sed in non ente non potest aliquid esse. Ergo
praedestinatio non est aliquid in praedestinato. |
Cependant : 1. Il n’y a que les
prédestinés qui sont élus. Mais il y a des élus qui n’existent pas, comme le
dit Saint-Augustin [Du Verbe Apost.,
sermon XXVI, & 4, col. 170, autrefois le Livre de la Prédestination des Saints, ch. 17]. Il semble donc
que la prédestination se rapporte à ce qui n’existe pas. Mais il ne peut y
avoir de l’être dans le non-être. Donc la prédestination ne peut être quelque
chose dans le prédestiné. |
[2891] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1
a. 1 s. c. 2 Praeterea, ut supra, dist. 38, dixit Magister, praedestinatio
est quaedam species scientiae divinae. Sed scientia
nihil est in scito, sed tantum in sciente. Ergo videtur quod praedestinatio non ponat aliquid in
praedestinato. |
2. En outre, comme l’a dit le Maître dans la
distinction 38, la prédestination est une sorte de science divine. Mais la
science n’est en rien dans l’objet de science mais plutôt dans celui qui
sait. Il semble donc que la prédestination ne pose rien dans le prédestiné. |
[2892]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ponere
aliquid in alio potest intelligi dupliciter. Aut
quod ipsum significatum per nomen in aliquo esse dicatur, sicut albedo ponit
aliquid in albo: et sic dico, quod praedestinatio non ponit aliquid in
praedestinato, sed in praedestinante tantum. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que poser quelque chose dans un autre peut
s’entendre de deux manières. Soit qu’on dise que ce qui est signifié par le nom existe dans un
être, tout comme la blancheur pose quelque chose dans ce qui est blanc: et en
ce sens je dis que la prédestination ne pose pas quelque chose dans le
prédestiné, mais seulement dans celui qui predestine. |
Aut
ita quod ad significatum quod est in uno, sequitur aliquid esse in alio ;
sicut paternitas ponit aliquid in filio, cum tamen ipsa secundum suum esse in
patre tantum sit, sed dicitur ponere aliquid in filio, inquantum ad
paternitatem sequitur aliquid esse in filio. Sed hoc contingit dupliciter. Vel quia relinquatur illud esse in
alio simul, sicut paternitas relinquit filiationem: aut non necessario simul, sed vel
prius vel posterius, sicut auditus ponit percussionem sonantem simul aut
prius ; et hoc modo dico, quod praedestinatio ponit aliquid in praedestinato:
quia ad operationem hanc Dei sequitur effectus praedestinationis in esse
[inesse Éd. de Parme] praedestinato
non semper quandocumque est praedestinatio, sed quandoque ; et hic effectus
est gratia et gloria. |
Soit de telle manière que du signifié qui
est dans l’un il s’ensuive que quelque chose existe dans un autre, tout comme
la paternité qui pose quelque chose dans le fils, bien que cependant la
paternité elle-même selon son existence ne soit que dans le père ; mais
on dit qu’elle pose quelque chose dans le fils pour autant que de cette
paternité il s’ensuit quelque chose qui existe dans le fils. Mais cela est
possible de deux manières. Ou bien parce que cette
existence est laissée dans l’autre simultanément, comme la paternité laisse
la filiation ; ou bien elle n’est pas nécessairement laissée
simultanément, mais avant ou après, tout comme l’audition pose un choc qui
résonne simultanément ou avant ; et c’est en ce sens que je dis que la
prédestination pose quelque chose dans le prédestiné : car un effet de
la prédestination suit cette opération de Dieu dans l’être [est dans l’être
Éd. de Parme] prédestiné non pas toujours tant qu’il y a prédestination mais
parfois ; et cet effet est la grâce et la gloire. |
[2893]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, ut
Philosophus, IX Metaph., text. 16
tradit actionum quaedam transeunt in exteriorem materiam circa quam aliquem
effectum operantur, ut patet in actionibus naturalibus sicut ignis calefacit
lignum, et in artificialibus, sicut aedificator facit domum ex materia ; et
in talibus actio est recepta in eo quod fit, per modum passionis, secundum
quod motus est in moto ut in subjecto: et ideo in talibus est invenire
actionem in re agente, et passionem in re patiente. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que, comme le Philosophe [1X Métaphysique, texte 16] l’enseigne,
certaines actions passent dans une matière extérieure sur laquelle elles
opèrent un effet, comme on le voit dans les actions naturelles comme le feu
qui réchauffe le bois, et dans les opérations artificielles, comme le
constructeur qui fait la maison à partir d’une matière; et dans ces cas l’action
est reçue par mode de passion dans ce qui est produit selon que le mouvement
est dans le mobile comme dans un sujet: et c’est pourquoi dans ces cas on
retrouve une action dans la chose qui agit et une passion dans la chose qui
subit. |
Quaedam
vero sunt quae in exteriorem materiam non transeunt ut effectum aliquem circa
ipsam producant, ut patet in visione, quae cum sit actio videntis, nullum
effectum in re visa efficit ; et tales actiones, quae proprie operationes
dicuntur, in ipsis operantibus tantum sunt. Unde non potest fieri conversio
passionis ad actionem acceptam a re exteriori, secundum quod in se est, sed
solum secundum quod in operante est: etsi enim oculus videt lapidem, lapis
tamen non videtur nisi secundum quod est in oculo per sui similitudinem. |
Mais il y a des actions qui ne
passent pas dans une matière extérieure de manière à produire sur elle un
effet, comme cela est manifeste pour la vision, qui bien qu’elle soit
l’action de celui qui voit, ne produit aucun effet sur la chose vue; et de telles
actions, qu’on appelle proprement opérations, n’existent que dans ceux-là
même qui opèrent. D’où il résulte qu’il ne peut y avoir conversion de la
passion à l’action prise d’une chose extérieure selon qu’elle existe en
elle-même, mais seulement selon qu’elle existe dans celui qui opère: en
effet, bien que l’oeil voit la pierre, cependant la pierre n’est vue que
selon qu’elle existe dans l’oeil par sa similitude. |
Secundum
hoc ergo dico, quod creatio est talis actio quae effectum exteriorem
relinquit ; unde oportet passive sumptam creationem aliquid in re creata
esse, sicut calefactionem in calefacto. Praedestinatio vero cum nominet
operationem voluntatis et intellectus existentem solum in ipso operante,
sicut visio in vidente et speculatio in speculante, si passive accipiatur,
non erit aliquid in praedestinato, secundum quod in se consideratur, sed
solum secundum quod in praedestinante est secundum suam similitudinem per
quam ibi cognoscitur, sicut et scitum in sciente: ex quo etiam patet quod
praedestinatio non nominatur per aliquam passionem in ipso existentem, sed
per operationem ipsius praedestinantis, sicut et res denominatur visa per
operationem videntis ; et per hoc patet solutio ad secundum [et per hoc
…secundum om. Éd.
de Parme]. |
Conformément à cela je dis donc que la
création est une action telle qu’elle laisse un effet extérieur ; d’où
il faut que la création prise passivement soit quelque chose dans la chose
créée, tout comme le réchauffement soit quelque chose dans ce qui est
réchauffé. Mais la prédestination, puisqu’elle signifie une opération de la
volonté et de l’intelligence qui existe seulement dans celui-là même qui
opère comme c’est le cas pour la vision dans celui qui voit et l’intellection
dans celui qui possède l’intelligence, si on l’entend passivement, elle ne
sera pas quelque chose dans le prédestiné selon qu’il est considéré en
lui-même, mais seulement selon qu’il existe dans celui qui prédestine selon
sa similitude par laquelle il y est connu, tout comme l’objet de science est
dans celui qui sait ; d’où il est clair aussi que la prédestination
n’est pas nommée par une passion existant dans le prédestiné, mais par une
opération existant dans celui qui prédestine, tout comme on dit de la chose
qu’elle est vue par l’opération de celui qui voit ; et c’est au moyen de
cela que la solution à la deuxième difficulté est évidente [et c’est au moyen
de cela … est évidente om. Éd. de Parme]. |
Vel aliter dicitur, quod
praedestinatio, proprie loquendo de actione, secundum quod in naturalibus sumitur,
non est actio, sed operatio. Operatio enim agentis quaedam est ut transiens
in effectum, et haec proprie actio vel passio dicitur : et tali actioni
semper respondet e converso passio ; unde invenitur calefactio actio et
calefactio passio, et similiter creatio actio et creatio passio. Quaedam vero
operatio est quae non significatur ut procedens in aliquem effectum, sed
magis secundum quod est aliquid in ipso ; et si quidem haec recipiatur in
ipso, illa receptio dicetur passio ; et actio consequens conjunctum ex
recepto et recipiente dicetur operatio: quia operatio semper est perfecti, ut
patet in sensu: sentire enim est quaedam operatio sentientis, nec procedens
in effectum aliquem circa sensibile, sed magis secundum quod species
sensibilis in ipso est ; unde sentire quantum ad ipsam receptionem speciei
sensibilis nominat passionem, similiter et intelligere quod etiam pati
quoddam est, ut in III De anim.,
text. 2, dicitur: sed quantum ad actum consequentem ipsum
sensum perfectum per speciem nominat operationem, quae dicitur motus sensus,
de quo dicit Philosophus, in III De
anim., text. 11, quod
est actus perfecti. |
Ou bien on peut encore
dire que la prédestination, en parlant proprement de l’action selon qu’elle
se prend dans les choses naturelles, n’est pas une action mais une opération.
Il y a en effet une opération de l’agent qui passe dans un effet, et c’est
elle qui s’appelle proprement action ou passion : et à une telle action
correspond toujours à l’inverse une passion ; d’où on rencontre alors un
réchauffement comme action et un réchauffement comme passion, et de même une
création comme action et une création comme passion. Mais il y a une opération
qui n’est pas signifiée comme procédant dans un effet mais plutôt comme étant
quelque chose qui est dans l’agent ; et si certes cette opération est
reçue en lui, cette réception s’appelle passion ; et l’action qui suit
la réunion de ce qui est reçu et de celui qui reçoit sera appelée
opération : car l’opération appartient toujours à celui qui est parfait
comme on le voit pour le sens : sentir en effet est une opération de
celui qui sent et elle ne procède à aucun effet sur le sensible, mais plutôt
en tant que l’espèce sensible est en lui ; d’où il résulte que ¨sentir¨,
quant à la réception de l’espèce sensible, nomme une passion, tout comme
l’acte d’intellection qui est aussi une certaine passion comme le dit le
Philosophe [111 De l’Âme, texte 2] ;
mais quant à l’acte qui découle du sens rendu parfait par l’espèce, il nomme
une opération qu’on appelle le mouvement du sens au sujet duquel le
Philosophe [111 De l’Âme, texte 11]
dit qu’il est l’acte de ce qui est parfait. |
Sed
in Deo est similitudo rei cognitae, non per receptionem sed per essentiam
suam ; unde suum intelligere nullo modo dicit passionem, sed operationem
tantum. Omnes igitur tales operationes non habent passiones respondentes nisi
per modum significandi tantum ; sicut cum dicitur aliquid sciri, non ponitur
aliqua passio secundum rem in scito, sed solum quidam respectus ad scientem
secundum rationem, qui per modum passionis significatur a grammatico, sicut
et operatio per modum actionis ; unde dicit quod scire est activum, et sciri
passivum. |
Mais en Dieu il y a une
similitude de la chose connue, non pas par une reception mais par son
essence; d’où son acte d’intellection ne dit en aucune manière une passion,
mais une opération seulement. Donc toutes les operations de cette sorte ne
possèdent pas de passions correspondantes, si ce n’est quant au mode de
signifier seulement; par exemple lorsqu’on dit qu’une chose est connue, on ne
pose aucune passion en réalité dans ce qui est connu, mais seulement un
rapport selon la raison à celui qui connaît, rapport qui est signifié par le
grammairien à la manière d’une passion, tout comme l’opération est signifiée
à la manière d’une action; et c’est pourquoi il dit que connaître est actif et
être connu est passif. |
Unde dico quod praedestinatio est
quaedam operatio divina, et praedestinari non ponit aliquam passionem in
praedestinato, sed solum respectum quemdam secundum modum intelligendi, qui
respectus relinquitur ex assimilatione sciti quae est in sciente. |
Il résulte de là que je
dis que la prédestination est une certaine opération divine et qu’être
prédestiné ne pose pas une passion dans le prédestiné, mais seulement un
certain rapport qui suit le mode de concevoir, lequel rapport est laissé à
cause de la similitude de l’objet connu qui est dans celui qui connaît. |
[2894] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in omnibus absolutis denominatur aliquid
per id quod sibi inest: sed in relativis quandoque denominatur aliquid per id
quod in ipso est, sicut pater paternitate, quae realiter in ipso est:
quandoque autem denominatur eo quod solum in altero est ; sicut in illis in
quorum alio est relatio secundum rem, et in alio secundum rationem tantum.
Unde dicit Philosophus, Metaph.,
text. 20, quod scibile dicitur relativum, non quia ipsum referatur, sed quia
aliud refertur ad ipsum: et ita patet quod praedestinatio secundum rem nihil
est nisi in intellectu divino. |
2. Il faut dire en
deuxième lieu que dans tous les absolus on dénomme quelque chose par ce qui
lui appartient : mais dans les relatifs quelque chose est parfois
dénommé par ce qui est en lui, comme le père par la paternité, laquelle est
réellement en lui ; mais parfois il est dénommé par ce qui est seulement
dans l’autre, comme dans ces cas pour lesquels il y a relation réelle dans
l’un mais dans l’autre seulement relation selon la raison. D’où le Philosophe
[V Métaphysique, texte 20] dit que
l’objet de science est dit relatif non pas parce que lui-même se rapporte ou
est relatif à celui qui sait, mais parce que l’autre, celui qui sait, se
rapporte ou est relatif à lui ; et c’est ainsi qu’il est clair que la
prédestination n’est rien en réalité si ce n’est dans l’intelligence divine. |
[2895]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod comparatio
illa non attenditur absolute cognitionis duarum naturarum in Christo ad
praedestinationem, sed cognitionis talis [talis om. Éd. de Parme] simul cum praedestinatione ad praedestinationem
simul cum statu veteris legis: praedestinatio enim stat cum utroque. Unde
dicit, quod « Melius est
Nathanaeli cognoscere duas naturas in Christo quam esse praedestinatum, et
manere sub umbra legis et mortis » ; ac si diceret : melius est
esse praedestinatum et habere gratiam Novi Testamenti, quam esse
praedestinatum et non habere gratiam Novi Testamenti: quia praedestinatio
currit cum utroque testamento. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que cette comparaison ne se vérifie pas absolument de la connaissance
des deux natures dans le Christ par rapport à la prédestination, mais de
cette [cette om. Éd. de Parme]
connaissance prise simultanément avec la predestination par rapport à la
predestination prise simultanément avec la position de la loi ancienne: la
predestination en effet se conserve dans les deux cas. D’où il dit que «Il est préférable à Nathanaël de connaître
les deux natures dans le Christ que d’être prédestiné, et de demeurer sous l’ombre
de la loi et de la mort»; c’est comme s’il disait: il est préférable
d’être prédestiné et de posséder la grâce du Nouveau Testament que d’être
prédestiné et ne pas posséder la grâce du Nouveau Testament: car la
prédestination poursuit son cours dans les deux testaments. |
[2896]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod temporale
non ponitur in definitione aeterni in recto, quasi denotans substantiam
aeterni ; sed in obliquo nihil prohibet poni, ut significetur respectus aeterni
ad temporale: et sic gratia et gloria in definitione praedestinationis
ponitur. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le temporel n’est pas posé directement dans la définition de
l’éternel, comme s’il indiquait la substance de l’éternel; mais rien n’empêche
qu’il y soit pose indirectement de manière à signifier le rapport de
l’éternel au temporel; et c’est ainsi que la grâce et la gloire sont posées
dans la définition de la prédestination. |
|
|
Articulus 2 [2897] Super Sent., lib. 1
d. 40 q. 1 a. 2 tit. Utrum praedestinatio pertineat ad
scientiam |
Article 2 – La prédestination appartient-elle à la science ? |
[2898]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur.
Videtur quod praedestinatio ad scientiam pertineat. Quia, ut dicitur in Littera, praedestinatio sine
praescientia non potest esse. Praescientia autem scientiam nominat cum ordine
ad futura. Ergo
praedestinatio ad scientiam pertinet. |
Difficultés : 1. Il semble que la
prédestination appartienne à la science. Car, ainsi qu’on le dit dans la
Lettre, la prédestination ne peut exister sans la préscience. Mais la
préscience nomme la science avec un rapport au futur. Donc la prédestination
appartient à la science. |
[2899]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, videtur quod ad voluntatem. Dicit enim Augustinus, De predestinatione sanctorum, quod
praedestinatio est propositum miserendi. Proponere
autem est actus voluntatis, quia videtur idem esse quod finem determinare. Ergo
videtur quod praedestinatio ad voluntatem pertineat. |
2. En outre, il semble que la
predestination se rapporte à la volonté. Saint-Augustin [De la Prédestination des Saints] dit en effet que la
predestination est le propos de secourir. Mais le propos est un acte de la
volonté car il semble s’identifier à la determination de la fin. Il semble
donc que la predestination appartienne à la volonté. |
[2900]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, videtur quod ad potentiam. Quia praeparare est actus potentiae.
Sed praedestinatio est praeparatio beneficiorum Dei, ut in Littera dicitur. Ergo et cetera. |
3. De plus, il semble que la prédestination
appartienne à la puissance. Car la préparation est un acte de la puissance.
Mais la prédestination la préparation des bienfaits de Dieu comme on le dit
dans la Lettre. Donc, etc. |
[2901] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1
a. 2 arg. 4 Item, videtur quod sit idem quod providentia vel dispositio. Quia
praedestinatio dicitur alicujus in finem directio. Sed ordo in
finem pertinet ad providentiam vel dispositionem. Ergo videtur quod et
praedestinatio. |
4. En outre, il semble qu’elle
s’identifie à la providence ou à la disposition. Car la predestination dit la
direction de quelqu’un vers sa fin. Mais l’ordre vers la fin appartient à la
providence ou à la disposition. Il semble qu’il en soit aussi de même pour la
predestination. |
[2902]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 5 Item, videtur quod sit idem quod
liber vitae. Vita enim animae est per gratiam et gloriam. Sed praedestinatio
est praeparatio gratiae in praesenti et gloriae in futuro, secundum
magistralem definitionem. Ergo
ad librum vitae pertinet. |
5. Par ailleurs, il semble que la
prédestination soit la même chose que l’arbre de vie. En effet, la vie de
l’âme s’accomplit par la grâce et la gloire. Mais la prédestination est la
préparation de la grâce pour le présent et de la gloire pour le futur, selon
la définition du maître. La prédestination appartient donc au livre de vie. |
[2903]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod
praedestinatio includit in intellectu suo providentiam, et aliquid addit.
Addit autem ad minus tria: |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que la predestination inclut dans sa
definition la providence et y ajoute quelque chose. Mais elle ajoute au moins
trois choses: |
unum
ex parte ipsorum praedestinatorum: quia cum providentia Dei sit respectu
omnium, et specialiter quodammodo sit respectu habentium voluntatem,
praedestinatio includit in se providentiam secundum illum specialem modum quo
est hominum, et habentium voluntatem. |
Elle en ajoute une du côté des
prédestinés eux-mêmes car puisque la providence de Dieu se rapporte à tous
les êtres, et qu’elle se rapporte spécialement d’une certaine manière à ceux
qui possèdent la volonté, la prédestination inclut en elle la providence
d’après ce mode spécial par lequel elle se rapporte aux hommes et à ceux qui
possèdent la volonté. |
Secundum
addit ex parte ipsius finis et eorum quae habentur ut promoventia ad finem ;
cum enim providentia respiciat ordinem uniuscujusque boni ad quemlibet finem,
praedestinatio est tantum respectu eorum quae sunt elevata supra facultatem
naturae, ut gloriae, quae est in perfecta Dei fruitione, et gratiae
promoventis in ipsam ; unde dicit Damascenus, quod praedestinatio est eorum
quae non sunt in nobis. |
Elle en ajoute une deuxième du
côté de la fin elle-même et de ce qui est possédé pour progresser vers la
fin; en effet, puisque la providence se rapporte à l’ordre de chaque bien
vers la fin, la prédestination se rapporte seulement à ce qui est élevé
au-dessus des capacités naturelles, comme c’est le cas pour la gloire qui
consiste dans la parfaite jouissance de Dieu, et pour la grâce qui contribue
à progresser vers elle; c’est pourquoi Damascène dit que la prédestination se
rapporte à ce qui n’est pas en nous. |
Tertium addit ex parte ipsius
praedestinantis, ex cujus parte videtur duo addere: primo, quia providentia est quaedam
[idem quod Éd. de Parme] ars
gubernationis rerum, quae secundum rationem sui nominis potest salvari in
speculatione tantum ; sed praedestinatio importat providentiam, secundum quod
est ordinata ad executionem operis per voluntatem ; et ideo definitur per
propositum et per praeparationem: secundo addit praescientiam exitus ex
parte ejus quod providetur ; unde potest aliquid ab ordine providentiae
quantum ad id quod intentum est, exire ; sicut Deus vult omnes homines salvos
fieri, licet non omnes salventur: non autem ab ordine praedestinationis.
Dicit enim praedestinatio intentionem divinam de salute istius cum
praescientia ejus quod salvabitur ; et ideo dicitur, quod est praescientia et
praeparatio. |
Elle ajoute une troisième chose du côté de
celui-là même qui prédestine et cela de deux manières : premièrement,
parce que la providence est [identique à Éd.
de Parme] un certain art de gouverner les choses, qui d’après la
signification de son nom peut être conservé dans une considération purement
spéculative, mais que la prédestination implique la providence en tant
qu’elle est ordonnée à l’exécution de l’œuvre par la volonté, c’est pourquoi
elle se définit par le propos et par la préparation ; deuxièmement, elle
ajoute la préscience du résultat du côté de celui qui est pourvu ; d’où
quelque chose peut résulter de l’ordre de la providence quant à ce qui est
recherché : par exemple, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés,
bien que tous ne le soient pas mais non en raison de l’ordre de la
prédestination. En effet, la prédestination dit l’intention de Dieu au sujet
du salut de celui-ci avec la préscience de celui qui sera sauvé ; et c’est
pourquoi d’elle qu’elle est une préscience et une préparation. |
[2904]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 1 Unde patet solutio ad primum ; quia
non tantum ponitur praescientia in ejus definitione. |
Solutions: 1. Et de là résulte la solution à la première difficulté car ce n’est
pas seulement la prescience qui est posée dans sa definition. |
[2905]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
propositum non simpliciter nominat actum voluntatis, sed praesupponit actum
cognitionis ostendentis finem in quem voluntas tendit. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que le propos ne nomme pas purement et simplement un acte de la volonté,
mais il presuppose l’acte de la connaissance qui manifeste la fin vers
laquelle la volonté tend. |
[2906]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
praeparatio quae ponitur in definitione praedestinationis, non est secundum
executionem in opus, sed intelligitur secundum propositum divinae voluntatis. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la preparation qui est placée dans la definition de la predestination
n’est pas prise en tant qu’elle entre dans l’exécution de l’oeuvre mais elle
s’entend selon le propos de la volonté divine. |
[2907]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
praedestinatio est quidam modus providentiae ; sed addit aliqua specialia
super eam, ut dictum est, in corp. art. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la prédestination est une certaine sorte de providence, mais elle y
ajoute certaines notions particulières, ainsi que nous l’avons dit dans le
corps de l’article. |
[2908]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod liber
vitae metaphorice dicitur. Sicut enim in libro aliquid scribitur, ex quo in
eo veritas rei intelligitur ; ita etiam in intellectu describuntur
similitudines rerum, per quas res cognoscuntur ; unde intellectus possibilis
ante intelligere comparatur tabulae in qua nihil est scriptum, in III de
anima, text. 14. |
5. Il faut dire en
cinquième lieu que c’est par métaphore qu’on parle du livre de vie. En effet,
tout comme dans un livre quelque chose est écrit à partir de quoi on conçoit
la vérité de la chose, de même aussi dans l’intelligence sont représentées
les similitudes des choses par lesquelles les choses sont connues ;
c’est pourquoi l’intellect possible, avant l’acte d’intellection, est comparé
à la tablette sur laquelle rien n’est écrit comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 14]. |
Cum ergo dicitur liber vitae in Deo,
potest sumi vita vel ex parte Dei intelligentis ; et sic praescientia
creaturarum dicitur liber vitae, quia Quod
factum est in ipso vita erat ; Joan. 1, 3: vel ex parte rei scitae ; et
sic dicitur liber vitae praescientia vitae quae est in conformitate ad Deum. |
Donc, lorsqu’on parle du livre de vie en
Dieu, on peut le prendre soit du côté de Dieu qui conçoit ; et en ce
sens la préscience des créatures est appelée le livre de vie car l’Écriture
[Jean, 1, 3] dit : Ce qui a été
fait avait la vie ne Lui ; soit du côté de la chose connue et en ce
sens on appelle livre de vie la préscience de la vie qui est conforme à Dieu. |
Haec autem est duplex ; scilicet vita
gratiae, et vita gloriae, quae ad perfectam conformitatem accedit. Unde cujus
talis vita repraesentatur in libro divinae praescientiae, dicitur simpliciter
scribi in libro vitae ; secundum quid autem, scilicet quantum ad praesentem
justitiam, dicitur ibi scribi, cujus vita gratiae tantum ibi cognoscitur. Et
etiam quodammodo dicuntur ibi scribi opposita horum, scilicet gloriae et gratiae
inquantum per hoc cognoscuntur. |
Mais cette dernière est de deux
sortes : à savoir la vie de la grâce, et la vie de la gloire qui
parvient à une parfaite conformité à Dieu. D’où il suit qu’on dit de celui
dont une telle vie est représentée dans le livre de la préscience divine
qu’il est purement et simplement écrit dans le livre de vie ; mais on
dit qu’y est écrit seulement sous un certain rapport, c’est-à-dire quant à la
justice présente, celui dont la vie de la grâce seulement y est connue. Et on
dit même en un certain sens qu’y sont écrits leurs opposés, c’est-à-dire ceux
de la gloire et de la grâce dans la mesure où ces dernières sont connues par
eux. |
Sic ergo patet quod liber vitae est
medium inter praescientiam communiter sumptam et praedestinationem: quia
praescientia est communiter omnium, sed liber vitae est tantum cognitio
gratiae vel gloriae ; sed praedestinatio est non tantum gratiae, sed gratiae
simul et gloriae. Unde nullus dicitur esse praedestinatus quantum ad
praesentem justitiam, sicut dicitur scriptus in libro vitae ; et super hoc
addit praedestinatio propositum voluntatis. |
Ainsi donc il est clair que le livre de vie
est un intermédiaire entre la préscience prise universellement et la
prédestination : car la préscience se rapporte communément à tous mais
le livre de vie est seulement la connaissance de la grâce ou de la
gloire ; mais la prédestination est non seulement la connaissance de la
grâce, mais simultanément celle de la grâce et de la gloire. D’où il résulte
qu’on ne dira de personne qu’il est prédestiné quant à la justice présente
comme le dit ce qui est écrit dans le livre de vie car la prédestination
ajoute à cela le propos de la volonté. |
|
|
Quaestio 2 |
Question 2 – [L’objet de la prédestination] |
|
|
[2909] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 tit. Quorum sit praedestinatio |
Article 1 – Qui est concerné par la prédestination ? |
[2910] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur, quorum sit praedestinatio. Et videtur quod sit
tantum eorum qui sunt. Praedestinatio enim significat missionem quamdam. Sed
nihil mittitur nisi quod est. Ergo praedestinatio est tantum entis. |
Difficultés : 1. Il semble que la
prédestination ne concerne que ceux qui existent. La prédestination en effet
signifie une certaine mission. Mais toute mission s’addresse à ceux qui
existent. La prédestination ne s’addresse donc qu’à ceux qui existent. |
[2911] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 arg. 2 Praeterea, quod non est, non potest ad aliquid praeparari. Sed
praedestinatio est praeparatio quaedam. Ergo videtur quod non sit non entium. |
2. Par ailleur, ce qui n’existe pas ne peut
être préparé pour quelque chose. Mais la prédestination est une certaine
préparation. Il semble donc qu’elle ne concerne pas ceux qui n’existent pas. |
[2912] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 arg. 3 Item, videtur quod non sit Angelorum. Quia, secundum Augustinum,
praedestinatio est propositum miserendi. Sed Angeli nunquam fuerunt miseri.
Cum igitur misericordia, ut dicit Bernardus, [ut …Bernardus om. Éd. de Parme] miseriam respiciat, videtur quod eis praedestinari
non competit. |
3. En outre, il semble
qu’elle ne concerne pas les Anges. Car selon Saint-Augustin, la
prédestination est le propos de secourir. Mais les Anges ne furent jamais
dans la misère. Donc, puisque la miséricorde, comme le dit Saint-Bernard
[comme … Bernard om. Éd. de Parme]
se rapporte à la misère, il semble qu’il ne convienne pas aux Anges d’être
prédestinés. |
[2913] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 arg. 4 Item, videtur quod nec beatis, qui sunt in gloria. Quia quod est
in fine ultimo, non potest dirigi in aliud [illud Éd. de Parme]. Sed beati sunt in suo fine ultimo.
Ergo eis non competit praedestinari. |
4. De plus, il semble que la
predestination ne s’applique pas non plus aux bienheureux qui sont dans la
gloire. Car ce qui est parvenu à la fin ultime n’a plus besoin d’être dirigé
vers autre chose [vers elle Éd. de
Parme]. Mais les bienheureux sont parvenus à leur fin ultime. Il ne leur
appartient donc plus d’être prédestinés. |
[2914]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, videtur quod nec Filio Dei.
Quia praedestinatio importat antecessionem quamdam, sicut et praescientia. Sed respectu Filii Dei, cum sit
aeternus, non potest designari aliqua antecessio. Ergo filio Dei
praedestinari non competit. |
5. En outre, il semble qu’elle ne s’applique
pas au Fils de Dieu. Car la prédestination implique un certain antécédent,
tout comme la préscience. Mais aucun antécédent ne peut être identifié par
rapport au Fils de Dieu puisqu’il est éternel. Il ne convient donc pas au
fils de Dieu d’être prédestiné. |
[2915]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 6 Sed e contrario videtur quod
praedestinatio sit omnium hominum. Quia Deus, secundum Dionysium, cap. IV, De div. nom., col. 694, aequaliter se habet ad omnia. Ergo si
aliquibus ipse praeparat gratiam, et omnibus. Sed praedestinatio est gratiae
praeparatio. Ergo si aliquos praedestinat, et omnes praedestinat. |
6. Mais au contraire il semble que la
prédestination s’applique à tous les hommes. Car Dieu, d’après Denys [Les Noms Divins, ch. IV, col. 694], se
présente de la même manière à l’égard de tous. Si donc Dieu prépare la grâce
pour certains, il la prépare aussi pour tous. Mais la prédestination est la
préparation de la grâce. Donc, si Dieu prédestine certains, il les prédestine
tous. |
[2916] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut dirigimur in bona gratiae a Deo, ita et in bona
naturae ; quia omne bonum nostrum ab ipso est. Sed bona naturae omnibus
largitur, bonis et malis, ut habetur Matth.
5. Cum ergo praedestinatio sit directio in finem (finis autem est bonum)
videtur quod praedestinatio sit omnium. |
7. Par ailleurs, tout comme nous sommes
conduits par Dieu vers les biens de la grâce, de même nous sommes conduits
par Lui vers les biens de la nature car tous nos biens nous viennent de Lui.
Mais il distribue à tous les biens de la nature, aux bons comme aux méchants,
comme le dit l’Écriture [Matthieu,
5]. Donc, puisque la prédestination est une direction vers la fin (et que la
fin est le bien), il semble que la prédestination s’adresse à tous. |
[2917]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod
praedestinatio dicitur esse aliquorum dupliciter: vel sicut finis et
conferentium ad finem ; et sic dicitur esse gratiae et gloriae ; vel eorum
qui finem consequuntur ; et sic est omnium qui gloriam per Dei gratiam
adipiscuntur. Utrumque
autem ex nomine praedestinationis accipi potest, in quo conjungitur actus
destinationis cum hac praepositione prae per compositionem advenientem |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la prédestination concerne certaines choses de deux manières : soit
en tant que fin et en tant que ce qui contribue à progresser vers la fin et
en ce sens on dit de la prédestination qu’elle concerne la grâce et la
gloire ; soit en tant qu’elles découlent de la fin et en ce sens elle
concerne tous ceux qui ont atteint la gloire par la grâce de Dieu. Mais on
peut entendre l’une et l’autre à partir du nom de prédestination, dans lequel
est uni l’acte de destination à la préposition ¨pré¨ par la composition qui
lui advient. |
Destinare
autem significat directionem alicujus in aliquid, sicut nuntii. Dicitur etiam
alio modo destinare, ut habetur II Machab., VI, 20: Eleazarus destinavit non admittere illicita propter vitae amorem.
Sed haec significatio videtur deducta ex prima ; quod enim proponitur,
dirigitur in executionem operis. Illud autem proprie dicitur dirigi in aliquid quod non habet
in se unde in illud vadat: et ideo proprie in illa dicitur praedestinatio
quae homo ex naturalibus suis consequi non potest, scilicet gratiam et
gloriam. |
Mais destiner signifie la direction d’un
être vers quelque chose, comme celle du messager. Mais ¨destiner¨ se dit
aussi en un autre sens, comme le dit l’Écriture [11 Maccabés, VI, 20] : Éléazar se proposa de n’admettre aucune
chose illicite par amour de la vie. Mais cette signification semble
découler de la première ; en effet, ce qu’on se propose, on le conduit à
l’exécution d’une œuvre. Mais on dit à proprement parler qu’est dirigé vers
quelque chose ce qui ne possède pas en soi ce qui lui faut pour marcher vers
ce quelque chose : et c’est pourquoi on dit que la prédestination
concerne proprement les réalités auxquelles l’homme ne peut parvenir à partir
de ses capacités naturelles, à savoir la grâce et la gloire. |
Et ideo dicit Damascenus, ubi supra,
quod praedestinatio est eorum quae non sunt in nobis. Et ideo quidquid non
potest consequi gratiam et gloriam, illud non praedestinatur ; sed illi
tantum praedestinari dicuntur qui consecuturi sunt gloriam per gratiam. Sed
haec praepositio prae importat antecessionem, quae diversimode diversis
convenit. Invenitur enim in praedestinatione hominis antecessio aeternitatis
ad naturam, et naturae ad gratiam, et gratiae ad gloriam. |
Et c’est pourquoi Damascène dit, où nous
l’avons cité plus haut, que la prédestination se rapporte à ce qui n’est pas
en notre pouvoir. Et c’est pourquoi ce qui ne peut rechercher la grâce et la
gloire n’est pas prédestiné, mais seuls peuvent être appelés prédestinés ceux
qui peuvent poursuivre la gloire par la grâce. Mais cette préposition ¨pré¨
implique une antécédence qui convient différemment à différents êtres. On
retrouve en effet dans la prédestination de l’homme une antécédence de
l’éternité à la nature, de la nature à la grâce et de la grâce à la gloire. |
In Angelo autem invenitur antecessio
aeternitatis ad naturam, et naturae ad gratiam, secundum eos qui ponunt
Angelos tantum in naturalibus creatos, sed secundum eos, [secundum eos, om. Éd. de Parme] non gratiae ad
gloriam duratione. Secundum autem alios, qui ponunt Angelos in gratia
creatos, non invenitur antecessio naturae ad gratiam secundum durationem, sed
gratiae ad gloriam. In Christo autem non invenitur
antecessio aeternitatis ad personam, sed tantum ad alteram naturarum [naturam
Éd. de Parme] ; nec naturae ad
gratiam, nec gratiae ad gloriam, quantum ad fruitionem, sed solum quantum ad
impassibilitatem animae et dotes corporis ; et sic diversimode praedestinatio
diversis convenit. |
Mais chez l’Ange on retrouve
une antériorité de l’éternité à la nature et de la nature à la grâce chez
ceux qui posent l’Ange seulement dans les créatures naturelles, mais non de
la grâce à la gloire par la durée d’après eux [d’après eux om. Éd. de Parme]. Mais selon d’autres
qui posent que les Anges sont créés dans la grâce, on ne retrouve pas chez
eux une antériorité de la nature à la grâce selon la durée, mais de la grâce
à la gloire. Mais chez le Christ on ne retrouve pas une antériorité de
l’éternité a la personne, mais seulement à l’autre des natures [à l’autre nature
Éd. de Parme], ni de la nature à la
grâce, ni de la grâce à la gloire, quant à la jouissance, mais seulement
quant à l’impassibilité de l’âme et aux qualités corporelles; et c’est ainsi
que la prédestination convient différemment à différents êtres. |
[2918] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illi qui non sunt nec erunt, non
praedestinantur ; sed illi qui erunt, quamvis non sint, quos Deus scientia
visionis cognoscit ; et quamvis ipsi non dirigantur actu in aliquid, ut in
propria natura existentes, tamen praediriguntur in finem, prout sunt in Dei
praescientia. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ceux qui n’existent pas et n’existeront pas ne sont pas
prédestinés ; mais ceux qui existeront, bien qu’ils n’existent pas
encore, Dieu les connaît par sa science de vision ; et bien qu’eux-mêmes
ne soient pas dirigés en acte vers leur fin en tant qu’existant dans leur
nature propre, cependant ils sont comme prédirigés vers leur fin selon qu’ils
existent dans la préscience de Dieu. |
[2919] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod est duplex praeparatio. Quaedam
materiae, secundum quod disponitur ad recipiendum formam ; et sic non
praeparatur nisi quod est. Quaedam autem est praeparatio agentis, ut sit
agens ; et ista sicut est in naturalibus, inquantum agens acquirit
dispositionem per quam agat, ita est in artifice, secundum quod concipit
formam artificiati, et proponit eam exequi in opere ; et talis praeparatio
est in Deo etiam respectu futurorum. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il y a
deux sortes de préparation. Il y en a une qui est matérielle, selon laquelle
la matière est disposée à recevoir la forme ; et en ce sens il n’y a que
ce qui existe qui puisse être préparé. Mais il y a aussi une préparation de
l’agent en tant qu’agent ; et cette préparation, tout comme on la trouve
dans les êtres naturels dans la mesure où l’agent acquiert la disposition par
laquelle il agit, de même on la trouve aussi chez l’artisan, selon qu’il
conçoit la forme de l’œuvre et qu’il se propose de l’exécuter dans une œuvre
extérieure ; et une telle préparation existe aussi en Dieu par rapport
aux êtres futurs. |
[2920] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa definitio data est de
praedestinatione inquantum respicit statum praesentis miseriae, et non de
ipsa absolute. Vel potest dici, quod misereri sumitur hic non pro amotione
miseriae prius habitae, sed pro collatione eorum sine quibus miseria esset,
et praecipue quae sola gratuita voluntate conferuntur. |
3. Il faut dire en troisième lieu que cette
définition a été donnée au sujet de la prédestination selon qu’elle se
rapporte à la condition de la misère présente et non au sujet de la
prédestination prise absolument. Ou bien on pourrait encore dire qu’être
l’objet de la miséricorde ne se prend pas ici dans le sens d’être retiré
d’une misère dont on a été atteint antérieurement, mais pour la réunion de
tous les dons sans lesquels il y aurait misère, et surtout de ceux qui sont
attribués par la seule volonté gratuite. |
[2921] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedestinatus potest accipi dupliciter.
Vel participialiter secundum quod consignificat tempus praeteritum ; et sic
existentes in patria sunt praedestinati ; quia quod semel est praeteritum,
semper erit praeteritum. Vel alio modo potest sumi naturaliter [neutraliter Éd. de Parme] ; et sic non proprie
possunt dici praedestinati nisi secundum quod diriguntur in continuitatem
beatitudinis ; quod tamen non proprie dicitur ; quia beatitudo [beatitudo om. Éd. de Parme] extensionem successionis non habet. |
4. Il faut dire en
quatrième lieu que ¨prédestiné¨ peut se prendre en deux sens. Soit en tant
que participe selon qu’il consignifie le temps passé ; et en ce sens
ceux qui existent dans la patrie sont prédestinés car ce qui une fois a été
passé sera toujours passé. Ou bien en un autre sens il peut se prendre en
tant que nom [au neutre Éd. de Parme],
et en ce sens ne peuvent être appelés proprement prédestinés que ceux qui
sont dirigés dans la continuité de la béatitude ; cependant cela ne se
dit pas proprement parce que la béatitude [béatitude om. Éd. de Parme] ne comporte pas une extension de la succession. |
[2922]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis
non possit designari aliqua antecessio ad personam Filii Dei absolute, potest
tamen designari ad naturam humanam, vel ad personam, secundum quod in tali
natura subsistit. Sed hoc habet quaeri magis in III dist. II, art. 3. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que bien qu’on ne puisse désigner une antériorité absolue à l’égard de
la personne du Fils de Dieu, cependant on peut en désigner une à l’égard de
la nature humaine ou à l’égard de la personne selon qu’il subsiste dans une
telle nature. Mais cela doit davantage faire l’objet d’une recherche [L. 111,
dist. 11, art. 3]. |
[2923] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis Deus, quantum in se est,
aequaliter se habeat ad omnes, non tamen aequaliter se habent omnes ad ipsum
; et ideo non aequaliter omnibus gratia praeparatur. |
6. Il faut dire en sixième
lieu que bien que Dieu, quant à lui, se présente d’une manière égale à
l’égard de tous les êtres, mais eux ne se présentent pas également à son
égard ; et c’est pourquoi la grâce n’est pas préparée de manière égale
pour tous. |
[2924] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2
a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod praedestinatio est proprie eorum quae
sunt elevata super facultatem naturae, ut dictum est, in corp. art.: et ideo
non oportet quod omnium sit praedestinatio qui a Deo bona naturalia
percipiunt, sed eorum quibus gratia et gloria praeparatur. |
7. Il faut dire en septième lieu se rapporte
proprement à ce qui est élevé au-dessus des facultés naturelles, ainsi que
nous l’avons dit dans le corps de l’article : et c’est pourquoi il ne
s’ensuit pas que la prédestination s’adresse à tous ceux qui reçoivent de
Dieu les biens naturels, mais seulement à ceux pour qui la grâce et la gloire
sont préparés. |
|
|
Quaestio 3 |
Question 3 – [La certitude de la prédestination] |
|
|
[2925] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1
tit. Utrum praedestinatio sit certa |
Article 1 – La prédestination est-elle certaine ? |
[2926] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3
a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur de certitudine praedestinationis. Et videtur
quod non sit certa. Dicitur enim Apoc. III, 2: Tene quod habes, ne alius accipiat coronam tuam. Aut hoc
intelligitur de corona praesentis justitiae, aut de corona gloriae. Sed non
de corona praesentis justitiae ; quia gratia quam quis habet, eo peccante
destruitur, nec de subjecto in subjectum mutatur. Ergo intelligitur de corona
gloriae. Sed gloria non est alicujus in statu viae nisi quia est sibi praedestinata.
Ergo videtur quod unus possit accipere hoc quod alii praedestinatum est ; et
ita praedestinatio certitudinem non habet. |
Difficultés : 1. Il semble
que la prédestination ne soit pas certaine. L’Écriture [Apocalypse, 111, 2] : Tiens
fermement ce que tu possèdes afin qu’un autre ne prenne pas ta couronne.
Ou bien cela s’entend de la couronne de la justice présente ou bien de la
couronne de gloire. Mais cela ne s’entend pas de la couronne de la justice
présente ; car la grâce que quelqu’un possède est détruite s’il vient à
pécher et ne passe pas d’un sujet à un autre. Cela s’entend donc de la
couronne de gloire. Mais la gloire n’appartient à quelqu’un dans la condition
de cette vie que parce qu’elle lui est prédestinée. Il semble donc que l’un
puisse recevoir cela même qui est prédestiné à un autre ; et ainsi la
prédestination n’a pas de certitude. |
[2927]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, Gregorius in Moralibus, lib. XXV, c. VIII, dicit,
quod aliis cadentibus, in eorum locum alii succedunt. Sed locus gloriae non
potest dici eorum, nisi quia est eis praedestinatus. Ergo idem quod prius. |
2. Par ailleurs, Saint-Grégoire [Des Questions Morales, livre XXV, ch. VIII] dit que les uns ayant tombé, d’autres
leur succèdent en leurs lieux. Mais on ne peut dire que le lieu de gloire est
à eux que parce qu’il leur est prédestiné. Il faut donc conclure comme nous
l’avons fait précédemment. |
[2928]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Psal. LXVIII, 12, dicitur: Deleantur de libro viventium. Sed non
potest deleri de libro quod ibi scriptum non est. Cum ergo praedestinatio sit
liber vitae, ut dictum est, videtur quod aliquid a praedestinatione possit
deficere: et ita non erit certa. |
3. En outre, l’Écriture [Psaume LXVIII, 12] dit : Qu’ils soient effacés du livre des vivants.
Mais ce qui n’est pas écrit dans un livre ne peut en être effacé. Donc,
puisque la prédestination est le livre de vie, comme nous l’avons dit, il
semble que quelque chose puisse échapper à la prédestination et ainsi elle
n’est pas certaine. |
[2929] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3
a. 1 arg. 4 Praeterea, eorum quae non sunt determinata nec in se nec in
causis suis, non potest esse certitudo. Sed motus liberi arbitrii, quod est
causa ad utrumlibet, non sunt determinati nec in se nec in suis causis,
antequam sint. Ergo cum effectus praedestinationis expleatur motibus liberi
arbitrii, quae sunt opera meritoria, videtur quod praedestinatio nullam
certitudinem habeat. |
4. De plus, il ne peut y avoir certitude
pour ce qui n’est déterminé ni en soi-même ni dans ses causes. Mais les
mouvements du libre arbitre, lequel est une cause dans un sens ou dans un
autre, ne sont déterminés ni en eux-mêmes ni en leurs causes avant d’exister.
Donc, puisque les effets de la prédestination s’accomplissent par les
mouvements du libre arbitre que sont les œuvres méritoires, il semble que la
prédestination ne possède aucune certitude. |
[2930] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3
a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis certa cognitio posita de necessitate concludit
cognitum. Sed illud quod est aeternum, cum sit in omni tempore, potest in
quocumque tempore poni. Cum igitur praedestinatio sit aeterna, potest poni
aliquis praedestinatus antequam salvetur. Ergo potest concludi, iste
salvabitur, sicut verum. Sed si futurum contingens esset verum, tunc
accideret de necessitate, ut probat Philosophus, I Periher, cap. ult.. Ergo sequeretur quod iste ex necessitate
salvaretur, et quod non posset non salvari ; et sic liberum arbitrium
periret, quod est impossibile: et impossibile non sequitur nisi ex
impossibili. Ergo videtur quod impossibile sit praedestinationem certitudinem
habere ; quia alia probata sunt possibilia esse. |
5. Par ailleurs, de toute connaissance
certaine est nécessairement conclu un connu. Mais ce qui est éternel,
puisqu’il contient tout temps, peut être posé en tout temps. Donc, puisque la
prédestination est éternelle, on peut poser que quelqu’un est prédestiné
avant d’être sauvé. On peut donc conclure comme vrai que celui-ci sera sauvé.
Mais si un futur contingent était vrai, alors il se produirait nécessairement
comme le prouve le Philosophe [1 Peri
Hermeneias, ch. dernier]. Il s’enssuivrait donc que celui-ci serait
nécessairement sauvé et qu’il ne pourrait pas ne pas être sauvé ; en
conséquence, le libre arbitre serait détruit, ce qui est impossible, et
l’impossible ne peut découler que de l’impossible. Il semble donc impossible
que la prédestination possède une certitude parce qu’on a prouvé que d’autres
choses sont possibles. |
[2931] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3
a. 1 s. c. 1 Sed contra, praedestinatio in sui ratione includit
praescientiam. Sed ipse Deus habet certam cognitionem de omnibus quae
cognoscit, ut supra, dist. XXXVI, quaest. 1, art. 3, habitum est. Ergo
videtur quod praedestinatio sit certa. |
Cependant : 1. La prédestination
inclut la préscience dans sa définition. Mais Dieu lui-même possède une
connaissance certaine de tout ce qu’il connaît comme nous l’avons établi plus
haut [dist. XXXVI, quest. 1, art. 3]. Il semble donc que la prédestination
soit certaine. |
[2932]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam dixerunt quod Deus non
cognoscit futura contingentia nisi secundum quod sunt, scilicet sciens ea
esse contingentia, sicut necessaria esse necessaria. Sed hoc improbat
Boetius, De consol., lib. V, prosa
ult., col. 858 : quia secundum hoc sequeretur quod Deus non plus
cognosceret de salute hominum futura quam homo, qui scit etiam eam
contingentem. Unde alii dixerunt, quod praedestinatio habet certitudinem, ita
quod numerus salvandorum apud Deum est certus, accipiendo numerum quo
numeramus, scilicet quod salvabuntur centum vel mille, et sic de aliis. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que certains ont dit que Dieu ne connaît les futurs contingents que selon ce
qu’ils sont, c’est-à-dire en sachant qu’ils sont contingents, tout comme il
sait que ce qui est nécessaire est nécessaire. Mais Boèce [De la Consolation, livre V, prose
dernière, col. 858] a réfuté cela parce que suivant cela il s’ensuivrait que
Dieu n’en connaîtrait pas plus que l’homme au sujet du salut futur des
hommes, l’homme sachant lui aussi que ce salut est contingent. C’est pourquoi
d’autres ont dit que la prédestination possède une certitude de telle manière
que le nombre des sauvés auprès de Dieu est certain, en entendant par
¨nombre¨ celui par lequel nous comptons, à savoir qu’il y en aura cent ou
mille à être sauvés. |
Non autem certus est numerus
materialiter sumptus, scilicet quo ad supposita ; quia isti homines possunt
et salvari et non salvari. Sed hoc est attribuere Deo imperfectam
cognitionem. Si enim cognoscit quod tot salvabuntur, et non quod isti ;
imperfecta est ejus cognitio, et in universali tantum. Si autem cognoscit
quod etiam isti, oportet hoc certum esse ; quia cognitio ejus incerta esse
non potest, sicut nec falli [falsa Éd.
de Parme]. |
Mais le nombre pris matériellement,
c’est-à-dire celui par lequel il n’est appliqué qu’au nombre de suppôts,
n’est pas certain ; car ces hommes-ci peuvent à la fois être sauvés et
ne pas être sauvés. Mais dire cela, c’est attribuer à Dieu une connaissance
imparfaite. Si en effet il connaît que tant d’hommes seront sauvés mais non
pas si tel ou tel autre le sera, il ne connaît que dans l’universel. Mais
s’il connaît aussi que tels serons sauvés, il faut que cela soit
certain ; car sa connaissance ne peut être incertaine, tout comme elle
ne peut faillir [être fausse, Éd. de
Parme]. |
Et ideo dicendum est, quod numerus
praedestinatorum utroque modo acceptus, scilicet et formaliter et materialiter,
certus est Deo, sed incertus est nobis. Nec tamen ista certitudo necessitatem
salvandis imponit ; quod patet ex his quae dicta sunt. Praedestinatio enim
includit in suo intellectu praescientiam, et providentiam salutis omnium.
Providentia autem, ut dictum est, quamvis sit omnium, non tamen omnia
necessario contingunt, sed secundum conditionem causarum proximarum, quarum
naturas et ordinem providentia et praedestinatio salvat. |
Et c’est pourquoi il faut dire que le nombre
des prédestinés, pris dans les deux sens, à savoir formellement et
matériellement, est connu de Dieu avec certitude, mais d’une manière
incertaine de nous. Et cependant cette certitude de Dieu n’impose aucune
nécessité à ceux qui doivent être sauvés, ce qui est évident en partant de ce
que nous avons dit. La prédestination en effet inclut dans sa définition la
préscience et la providence du salut de tous. Mais la providence, comme nous
l’avons dit, bien qu’elle s’adresse à toutes les choses, ce ne sont cependant
pas toutes les choses qui se produisent nécessairement, mais elles se
produisent suivant les conditions des causes prochaines dont la providence et
la prédestination conservent les natures et l’ordre. |
Praescientia etiam non imponit
necessitatem rebus nec inquantum est causa, cum sit causa prima, cujus
conditionem effectus non habet, sed causae proximae ; nec ratione
adaequationis ad rem scitam quae ad rationem veritatis et certitudinis
scientiae exigitur, quia adaequatio ista attenditur scientiae Dei ad rem non
secundum quod est in causis suis, in quibus est ut possibile futurum tantum,
sed ad ipsam rem, secundum quod habet esse determinatum, prout est praesens,
et non futurum: et hoc supra, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 5, expositum est
; et ita patet quod certitudo praedestinationis nullam necessitatem salvandis
imponit. |
La préscience non plus n’impose une
nécessité aux choses, ni en tant que cause car elle est la cause première
dont l’effet ne prend pas la condition mais il prend plutôt celle de la cause
seconde ; ni en raison de l’adéquation à la chose connue qui est exigée
à cause de la vérité et de la certitude de la science, parce que cette
adéquation se vérifie de la science de Dieu à la chose non pas selon qu’elle
existe dans ses causes dans lesquelles elle existe comme un futur possible
seulement, mais à la chose elle-même selon qu’elle possède une existence
déterminée en tant que présente et non en tant que future : et cela a
été expliqué plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 5] ; et ainsi il
est clair que la prédestination n’impose aucune nécessité à ceux qui doivent
être sauvés. |
[2933] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3
a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod utroque modo potest exponi. Si enim
intelligatur de corona praesentis justitiae, dicitur coronam ejus alius
accipere, dum opera ipsius in caritate facta, quae sibi et aliis proderant,
secundum quod Spiritus caritatis facit communia merita sanctorum, ipso
peccante sibi prodesse desinunt ad meritum vitae aeternae ; eorum tamen
fructus in illis manet qui in gratia perseverant ; non autem ita quod eadem
numero gratia quae est in uno, ipso peccante, in altero fiat. Et similiter
exponitur, si intelligitur de corona futurae gloriae ; quia sancti in patria
existentes gaudent de omnibus meritis sanctorum qui in mundo sunt. Unde
aliquo peccante, cujus multa merita praecesserunt, gaudium illorum meritorum
in aeternum manebit in beatis, quod ipse peccando amisit ; non ita quod
gloria quae praedestinata est uni, alteri detur. Dicitur tamen:
Ne alius accipiat coronam tuam, non
ad excludendum praedestinationis certitudinem, sed ad ostendendam arbitrii
libertatem. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que le terme ¨couronne¨ peut être
expliqué dans les deux sens. S’il s’entend en effet de la couronne de la justice
présente, on dit qu’un autre en reçoit la couronne, aussi longtemps que ses
oeuvres sont faites dans la charité, lesquelles étaient utiles à lui et aux
autres selon que l’Esprit d’amour rend communs les mérites des saints; mais à
celui-là même qui a péché elles cessent d’être utiles au mérite de la vie
éternelle; cependant leurs fruits demeurent chez ceux qui persévèrent dans la
grâce, non pas cependant de telle manière que ce soit la même grâce
numériquement parlant qui est dans l’un, lorsqu’il commet le péché, qui passe
dans un autre. Et il s’explique semblablement si on entend ce terme de la
couronne de gloire; car les saints qui existent dans la patrie se réjouissent
de tous les mérites des saints qui sont dans le monde. D’où il suit qu’un tel
ayant péché dont les mérites passés sont nombreux, la joie de ces mérites,
que ce dernier a perdus en péchant, demeurera éternellement chez les
bienheureux; non pas cependant de telle manière que la gloire qui était
destinée à l’un soit donnée à l’autre. Cependant lorsqu’on dit: Afin qu’un autre ne prenne pas ta couronne,
ce n’est pas pour exclure la certitude de la prédestination, mais pour
manifester la liberté de jugement ou de décision. |
[2934]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dictum
Gregorii non intelligitur de loco qui sanctis praedestinatus est, sed de loco
quem tenent in Ecclesia per statum praesentis justitiae ; quia Ecclesia
nunquam destituitur existentibus in gratia ; unde peccantibus quibusdam, alii
in gratiam a Domino advocantur. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que les paroles de Saint-Grégoire ne s’entendent pas du lieu qui est
prédestiné aux saints, mais du lieu qu’ils tiennent dans l’Église par la
condition de la justice présente, car l’Église n’est jamais abandonnée par
ceux qui existent dans la grâce; d’où il suit que, certains ayant péché,
d’autres sont appelés à la grâce par le Seigneur. |
[2935]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod
praedestinatio est liber vitae secundum quod dicitur in eo aliquid scribi non
solum quantum ad praesentem justitiam, sed etiam quantum ad futuram gloriam ;
et sic nullo modo potest dici aliquis deleri de libro vitae ; sed illud quod
est ibi scriptum quantum ad praesentem justitiam tantum, dicitur deleri, non
mutatione facta ex parte libri, ut aliquid in eo fuerit, quod postmodum non
sit ; sed ex parte illius qui in libro scriptus dicitur, inquantum scilicet
ipse mutatur a statu praesentis justitiae ; et sic vita ejus non
repraesentatur ut praesens, sed ut praeterita. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la prédestination est le livre de vie selon qu’on dit qu’en lui
quelque chose est écrit non seulement quant à la justice présente, mais aussi
quant à la gloire future; et en ce sens en aucune manière on ne peut dire que
quelqu’un soit effacé du livre de vie; mais on dit qu’est effacé ce qui y est
écrit quant à la justice présente seulement, non pas en raison d’un
changement fait du côté du livre de telle manière qu’il y avait quelque chose
avant qui ne s’y trouve plus par la suite, mais en raison d’un changement du
côté de celui dont on dit qu’il est écrit dans le livre, c’est-à-dire pour
autant que lui-même s’est écarté de la condition de la justice présente; et
ainsi sa vie ne s’y trouve plus représentée en tant que présente mais en tant
que passé. |
[2936] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod contingens futurum, ut motus liberi
arbitrii, quamvis non sit determinatum in causa sua, est tamen determinatum
in esse suo secundum quod est actu ; et sic subjacet certitudini
praescientiae, sicut supra dictum est de futuris contingentibus, dist.
XXXVIII, quaest. 1, art. 5. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le
futur contingent, comme le mouvement du libre arbitre, bien qu’il ne soit pas
déterminé dans sa cause, est cependant déterminé dans son existence selon
qu’il est en acte ; et en ce sens il est soumis à la certitude de la
préscience comme nous l’avons dit plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 5]
au sujet des futurs contingents. |
[2937] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illud quod mensuratur aeternitate, est
simul cum omni tempore, ita tamen quod nullo eorum mensuratur ; et ideo actus
divinae praescientiae non potest poni ita esse nunc, quasi mensuretur per
praesens tempus, ut ordinem praesentis ad futurum ad suum scitum habeat ; sed
ad omne tempus et ad omne scitum habet ordinem praesentis ad praesens. Unde
cum dicitur, Deus praescit hoc, non intelligitur quod hoc sit futurum
respectu divinae scientiae, sed respectu hujus temporis in quo profertur: et
ideo oportet hujusmodi verba et participia dicta de Deo a determinatione
temporis absolvere, ut consignificent nunc aeternitatis, et non temporis ;
alias inevitabiliter sequitur error. |
5. En cinquième lieu il faut dire que tous
ceux qui sont mesurés par l’éternité sont simultanés à tout temps de telle
manière cependant qu’aucun d’eux ne soit mesuré par lui ; et c’est
pourquoi on ne peut affirmer que l’acte de la préscience divine soit dans le
moment présent de telle manière que, comme mesuré par le temps présent, il
présente un ordre du présent au futur à l’égard de l’objet connu ; mais
par rapport à tout temps et à tout objet connu il présente l’ordre du présent
au présent. D’où il suit que lorsqu’on dit que Dieu a la préscience de telle
chose, on n’entend pas que cela soit futur par rapport à la science divine,
mais seulement futur par rapport à ce temps dans lequel cet énoncé est
exprimé : et c’est pourquoi il faut se défier de tels verbes et de tels
participes lorsqu’ils sont dits de Dieu dans la détermination du temps,
puisqu’ils consignifient l’instant de l’éternité et non celui du temps ;
autrement, il s’ensuit nécessairement une erreur. |
|
|
Quaestio 4 |
Question 4 – [La réprobation] |
Prooemium |
Prologue |
[2938] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
pr. Deinde quaeritur de reprobatione ; et circa hoc duo quaeruntur: 1 quid sit ; 2 utrum Deus sit causa obdurationis et
excaecationis, quae reprobationi quodammodo respondet. |
On s’interroge ensuite sur la réprobation ;
et à ce sujet on pose deux questions : 1. Qu’est-ce que la
réprobation ? 2. Est-ce que Dieu est la
cause de l’endurcissement et de l’aveuglement qui correspond d’une certaine
manière à la réprobation ? |
Articulus 1 [2939] Super Sent., lib. 1
d. 40 q. 4 a. 1 tit. Utrum reprobatio addat aliquid supra praescientiam |
Article 1 – La réprobation ajoute-t-elle quelque chose à la prescience ? |
[2940]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur
quod reprobatio nihil addat supra praescientiam. Reprobatio enim malorum est.
Sed horum non habet Deus nisi scientiam simplicis notitiae, ut supra, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 1, habitum
est. Ergo reprobatio supra praescientiam nihil addit. |
Difficultés : 1. Il semble que la
réprobation n’ajoute rien à la préscience. La réprobation en effet se
rapporte aux méchants. Mais Dieu n’a à leur sujet qu’une science de simple
connaissance, comme nous l’avons établi plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1,
art. 1]. Donc la réprobation n’ajoute rien à la préscience. |
[2941] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod addit aliquid supra commune, non appropriat
sibi nomen communis, sicut convertibile quod non indicat substantiam rei
appropriat sibi nomen proprii: quia non addit aliquid, sicut definitio addit.
Sed reprobatio appropriat sibi nomen praescientiae: dicimus enim communiter
malos praescitos, et bonos praedestinatos. Ergo videtur quod reprobatio nihil
supra praescientiam addat. |
2. Par ailleurs, ce qui ajoute quelque chose
à du commun ne s’approprie pas le nom du commun, tout comme le convertible
qui n’indique pas la substance de la chose s’approprie le nom du
propre : car il n’ajoute pas quelque chose comme la définition ajoute.
Mais la réprobation s’approprie le nom de la préscience : nous disons en
effet en commun que Dieu a la préscience des méchants et que les bons sont
prédestinés de Dieu. Il semble donc que la réprobation n’ajoute rien à la
préscience. |
[2942] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 1 arg. 3 Praeterea, Magister supra, XXVIII dist., posuit rationes eorum
quae aliquid supra praescientiam et scientiam addunt, ut dispositionis,
providentiae et cetera. Ergo cum non fecerit ibi de reprobatione mentionem,
videtur quod nihil supra praescientiam addat. |
3. En outre, le Maître [dist. XXXVIII] a
présenté plus haut les définitions des notions qui ajoutent quelque chose à
la préscience et à la science, comme celle de la disposition, de la
providence, etc. Donc, puisqu’il n’a pas fait là mention de la réprobation,
il semble que la réprobation n’ajoute rien à la préscience. |
[2943] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 1 s. c. 1 Sed contra, praescientia est omnium tam bonorum quam malorum.
Sed reprobatio non est nisi damnandorum. Ergo aliquid supra rationem
praescientiae addit. |
Cependant : 1. La préscience s’adresse
à tous, aussi bien aux bons qu’aux méchants. Mais la réprobation ne s’adresse
qu’aux méchants. Elle ajoute donc quelque chose à la notion de préscience. |
[2944] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 1 s. c. 2 Praeterea, reprobatio opponitur approbationi. Sed approbatio
dicit aliquid in voluntate. Cum ergo opposita sint ejusdem, videtur quod
reprobatio ponat aliquid in voluntate et non in praescientia tantum. |
2. En outre, la réprobation s’oppose à
l’approbation. Mais l’approbation dit quelque chose dans la volonté. Donc,
puisque les opposés se rapportent au même genre, il semble que la réprobation
aussi pose quelque chose dans la volonté et non seulement dans la préscience. |
[2945]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod reprobatio
addit supra praescientiam rationem providentiae. Cum enim providentia divina
sit communiter omnium, tamen quodam speciali modo et privilegiato est eorum
in quibus invenitur voluntas, per quam aeternae gloriae capaces sunt ; unde
specialis quidam modus providentiae divinae attenditur, secundum ordinem
talis naturae in finem gloriae, et secundum collationem eorum quae in finem
illum [illum om. Éd.
de Parme] promovent. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la réprobation ajoute à la préscience la notion de providence. Puisqu’en
effet la providence divine est commune à tous, cependant d’une manière spéciale
et privilégiée elle s’adresse à ceux dans lesquels se retrouve la volonté par
laquelle ils sont capables de la gloire éternelle ; d’où un certain mode
spécial de la providence divine se vérifie d’après l’ordre d’une nature de
cette sorte par rapport à la finalité de la gloire et selon la réunion des
choses qui contribuent à cette [cette om.
Éd. de Parme] fin. |
Et quia ex conditione talis naturae
est ut a consecutione finis deficere possit, ideo per providentiam divinam
ordinatum est ut talis defectus in bonum justitiae cedat, dum culpae poena
adhibetur: et ideo sicut providentia divina respectu ipsius boni, quod est
per consecutionem gratiae et gloriae, cum praescientia eventus, dicitur
praedestinatio ; ita providentia divina respectu mali oppositi cum
praescientia defectus, dicitur reprobatio. Et quia bonum subjacet
providentiae ut causatum et ordinatum, ideo dicitur, quod praedestinatio est
causa gratiae et gloriae ad quam ordinatur. |
Et parce qu’il est de la condition d’une
telle nature de pouvoir faire défaut quant à l’obtention de la fin, c’est
pourquoi il a été ordonné par la providence divine qu’un tel défaut se rende
au bien de la justice aussi longtemps que la peine de la faute est
appliquée : et c’est pourquoi, tout comme la providence divine par
rapport au bien qui est atteint par l’obtention de la grâce et de la gloire
avec la préscience du résultat s’appelle prédestination, de même la
providence divine par rapport au mal opposé avec la préscience du manque ou
du défaut s’appelle réprobation. Et parce que le bien est soumis à la
providence comme un effet ordonné par elle, c’est pourquoi on dit que la prédestination
est la cause de la grâce et de la gloire à laquelle cette nature est
ordonnée. |
Sed quia malum non subjacet
providentiae ut intentum vel causatum, sed solum ut praescitum et ordinatum,
ideo reprobatio est tantum praescientia culpae, et non causa ; sed poenae,
per quam culpa ordinatur est praescientia et causa. |
Mais parce que le mal n’est pas soumis à la
providence en tant que recherché par elle ou en tant qu’effet mais seulement
en tant que prévu et réglé, c’est pourquoi la réprobation est seulement la
préscience de la faute et non pas sa cause, mais elle est la préscience et la
cause de la peine par laquelle la faute est réglée. |
[2946] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod malorum ut fiant, Deus habet
scientiam simplicis notitiae ; sed ut ordinentur, habet etiam horum scientiam
approbationis ; et hoc importat reprobationis nomen. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que Dieu a la science de la simple connaissance par rapport aux
maux à venir mais pour qu’ils soient réglés il en a aussi une science
d’approbation qui porte avec elle le nom de réprobation. |
[2947] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod reprobatio non addit aliquid [aliquid om. Éd. de Parme] ex parte reprobati supra praescientiam, quia nihil causatur in
ipso per quod malus fiat ; et ideo appropriat sibi nomen commune: addit tamen
aliquid ex parte Dei reprobantis ; scilicet voluntatem ordinis poenae ad
culpam. Unde etiam in abstracto non ita appropriat sibi nomen commune sicut
in concreto ; unde magis dicitur reprobatus praescitus quam praescientia
reprobatio. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la
réprobation n’ajoute pas quelque chose [quelque chose om. Éd. de Parme] à la préscience du côté du réprouvé, car rien
n’est causé en lui par quoi le mal serait produit ; et c’est pourquoi la
réprobation s’approprie le nom commun ; elle ajoute cependant quelque
chose du côté de Dieu qui réprouve, à savoir la volonté d’ordonner la faute à
la peine. D’où il suit encore qu’il n’y a pas appropriation dans l’abstrait
aussi bien que dans le concret et c’est pourquoi il est préférable de dire
que le réprouvé est connu d’avance plutôt que la réprobation est une
préscience. |
[2948] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod reprobatio opponitur praedestinationi ;
et ideo per oppositum datur intelligi posita praedestinatione. |
3. Il faut dire en
troisième lieu que la réprobation s’oppose à la prédestination, et c’est
pourquoi elle donne à entendre la prédestination qu’on a posée. |
|
|
Articulus 2 [2949] Super Sent., lib. 1
d. 40 q. 4 a. 2 tit. Utrum Deus sit causa obdurationis |
Article 2 – Dieu est-il la cause de l’endurcissement ? |
[2950]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur
quod obdurationis et excaecationis causa sit Deus per id quod habetur II
Corinth. 4, 4: Deus hujus saeculi
excaecavit mentes infidelium, et una Glossa (ordinaria) exponit de Deo
vero. Ergo videtur quod
ipse sit causa obdurationis et excaecationis. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu soit
cause d’endurcissement et l’aveuglement si on en croit ce que dit l’Écriture
[11 Corinthiens, 4, 4] : Le dieu de ce monde a aveuglé les esprits des
infidèles, et une glose (ordinaire) l’explique au sujet du vrai Dieu. Il
semble donc que Dieu lui-même soit la cause de l’endurcissement et de
l’aveuglement. |
[2951] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 2 arg. 2 Praeterea, excaecatio et obduratio sunt quaedam poenae. Sed omnis
poena justa est et a Deo est. Ergo excaecatio et obduratio a Deo sunt. |
2. Par ailleurs,
l’endurcissement et l’aveuglement sont des peines. Mais toute peine juste
vient de Dieu. Donc, l’endurcissement et l’aveuglement viennent de Dieu. |
[2952]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Philosophum in
Posterioribus, lib. 1, text. 30,
si affirmatio est causa affirmationis, et negatio est causa negationis. Sed
velle divinum est causa quod iste habeat gratiam, quia scilicet ipse vult.
Ergo videtur quod non velle Dei sit causa quare iste gratiam non habeat. Sed
hoc est obduratio. Ergo ex parte Dei accipienda est causa obdurationis. |
3. Par ailleurs, d’après le Philosophe [Seconds Analytiques, 1, texte 30] si
l’affirmation est la cause de l’affirmation, la négation est la cause de la
négation. Mais le vouloir divin est la cause que celui-ci possède la grâce, à
savoir parce que lui-même le veut. Il semble donc que le non-vouloir de Dieu
soit la cause pour laquelle celui-là ne possède pas la grâce. Mais cela même
est l’endurcissement. Il faut donc prendre la cause de l’endurcissement du
côté de Dieu. |
[2953]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Philosophus
in II Physic., text. 30, id quod
per sui praesentiam est causa salutis navis, scilicet gubernator, per sui absentiam
est causa periculi. Sed Deus per sui praesentiam in anima est causa gratiae. Ergo per sui absentiam est causa
obdurationis. |
4. Comme le dit le Philosophe [11 Physique, texte 30], celui qui par sa
présence est la cause du salut du navire, à savoir le pilote, est cause de sa
perte par son absence. Mais Dieu, par sa présence dans l’âme, est cause de la
grâce. Donc, par son absence, il est cause d’endurcissement. |
[2954] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicunt sancti communiter, Dionysius, cap. IV
de divin. Nomin., col. 694,
Augustinus,In Personne. XXXV, V, 4,
col. 343, Anselmus lib. De concord.
Gratiae et lib. Arb. Ante med., scilicet quod causa quare iste non habet
gratiam, est quia ipse noluit accipere, et non quia Deus noluit dare: quia
lumen suum omnibus offert quod tamen ab omnibus non percipitur, sicut nec
lumen solis a caeco. Sed obduratio est ipsa carentia gratiae. Ergo
obdurationis causa non est ex parte Dei. |
Cependant : 1. Les saints, comme Denys
[Les Noms Divins, ch. IV, col.
694], Saint-Augustin [En la Personne,
XXXV, V, 4, col. 343] et Saint-Anselme [De
l’Accord qu’il y a entre la Grâce et le Libre Arbitre] disent
universellement le contraire, à savoir que la cause pour laquelle celui-ci ne
possède pas la grâce est que lui-même ne veut pas la recevoir et non pas que
Dieu refuse de la lui donner : car sa lumière s’offre à tous, laquelle
n’est cependant pas perçue par tous comme la lumière du soleil n’est pas
parçue par l’aveugle. Mais l’endurcissement est la privation même de la
grâce. Donc la cause de l’endurcissement ne se tient pas du côté de Dieu. |
[2955] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 2 s. c. 2 Praeterea, nullus culpatur vel punitur de eo cujus causa in ipso
non est. Sed homo punitur et culpatur pro obduratione, vel
pro carentia gratiae. Ergo
hujusmodi causa est ipse. |
2. En outre, nul n’est coupable ou n’est
puni de ce dont la cause ne se trouve pas en lui. Mais l’homme est puni et il
est coupable pour son endurcissement ou pour l’absence de la grâce. Il en est
donc lui-même la cause. |
[2956]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod obduratio dicitur quandoque actus
voluntatis obstinatae in malum, cui pertinaciter adhaeret ; et sic constat
quod obdurationis causa non est Deus, sed homo ; sicut nec alicujus actus
peccati, inquantum deformis est. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que l’endurcissement se dit parfois de l’acte de la volonté qui persévère
dans le mal auquel elle adhère avec opiniâtreté ; et en ce sens il est
clair que la cause de l’endurcissement, comme de tout acte mauvais en tant
que laid ou difforme, n’est pas Dieu mais l’homme. |
Quandoque vero obduratio dicitur ipsa
privatio gratiae, quae etiam excaecatio dicitur: quia gratia est quoddam
lumen animae, et perfectio quaedam habilitans ipsam ad bonum. Istum autem carere gratia, ex duobus
contingit: tum quia ipse non vult recipere: tum quia Deus non sibi infundit, vel
non vult sibi infundere. Horum autem duorum talis est ordo, ut secundum non
sit nisi ex suppositione primi. |
Mais parfois l’endurcissement signifie
seulement la privation même de la grâce : car la grâce est pour l’âme
comme une lumière et une perfection qui la rend apte au bien. Mais cette privation de la
grâce est possible pour deux raisons : Tant parce que l’homme
lui-même ne veut pas la recevoir que parce que Dieu ne la répand pas ou ne
veut pas la répandre en lui. Mais parmi ces deux causes il y a cet ordre que
la deuxième raison n’existe que si on suppose la première. |
Cum enim Deus non velit nisi bonum,
non vult istum carere gratia nisi secundum quod bonum est. Sed quod iste
careat gratia, non est bonum simpliciter ; unde hoc absolute consideratum,
non est volitum a Deo. Est tamen bonum ut careat gratia si eam habere non
vult, vel si ad eam habendam negligenter se praeparat, quia justum est, et
hoc modo est volitum a Deo. |
En effet, puisque Dieu ne veut que le bien,
il ne veut pas, en tant qu’il est bon, que celui-ci soit privé de la grâce.
Mais que celui-ci soit privé de la grâce, cela n’est pas bon
absolument ; d’où il suit que cela, considéré absolument, n’est pas
voulu par Dieu. Il est cependant bon qu’il soit privé de la grâce s’il refuse
de la recevoir ou s’il se prépare négligemment à la recevoir car cela est
juste et en ce sens cela est voulu par Dieu. |
Patet ergo quod hujus defectus
absolute causa prima est ex parte hominis qui gratia caret ; sed ex parte Dei
non est causa hujus defectus, nisi ex suppositione illius quod est causa ex
parte hominis. Et per hunc modum invenitur dici Deus quandoque causa
excaecationis vel obdurationis, non quidem immittendo malitiam sed non
impartiendo gratiam, quod in ipso est. Si enim non necessario impartitur
gratiam, in ipso est et non impartiri ; unde ejus quod est non impartiri,
aliquo modo causa est. Iste autem defectus potest dupliciter
considerari, sicut etiam quilibet alius. |
Il est donc clair que la
cause première de ce défaut se tient absolument du côté de l’homme qui est
privé de la grâce ; mais la cause de ce défaut ne se tient du côté de
Dieu qu’en supposant que la cause première de ce défaut se tient du côté de
l’homme. Et c’est de cette manière qu’on se trouve à dire parfois que Dieu
est la cause de l’aveuglement et de l’endurcissement, non pas certes en
introduisant en l’homme la méchanceté mais en ne communiquant pas la grâce,
ce qui est en son pouvoir. Si en effet ce n’est pas nécessairement qu’il
communique la grâce, il est en son pouvoir de ne pas la communiquer ;
d’où il suit que celui à qui il appartient de ne pas communiquer est en
quelque sorte la cause. Mais ce défaut, comme tout
autre aussi, peut être considéré de deux manières. |
Cum enim defectus incidat ex defectu
causae secundae et non ex defectu causae primae ; quem tamen defectum Deus
non impedit, tamen impedire posset, ne impedimentum naturae cedat ; si iste
defectus gratiae comparetur ad voluntatem, quae est sicut causa proxima,
invenitur voluntas habere causalitatem ad ipsum, quae bonum propositum non
accipit, cum accipere possit ; et ex hoc est culpabilis et vituperabilis:
quia malum, cujus principium est voluntas, est hujusmodi. |
Comme en effet le défaut survient non pas en
raison du défaut de la cause première mais en raison du défaut de la cause
seconde, défaut que Dieu cependant pourrait empêcher mais n’empêche pas afin
que l’obstacle de la nature ne disparaisse pas, si ce défaut de la grâce se
compare à la volonté qui en est comme la cause prochaine, la volonté se
trouve à avoir une causalité à son égard, laquelle n’accueille pas la bonne
résolution alors qu’elle pourrait l’accueillir et c’est de là qu’elle tient
d’être coupable et digne de blâme : car le mal, dont le principe est la
volonté, est de ce genre. |
Si
autem comparetur ad ipsum Deum, non invenitur causatus ab ipso, sed tantum
permissus et ordinatus, ut scilicet sit in poenam ipsius voluntatis deficere
; unde dicit Augustinus in I Confessionum.,
cap. XII, col. 670 : Jussisti domine, et sic est, ut omnis inordinatus animus sibi ipsi
sit poena ; et talis ordinatio a Deo est. Unde respectu ipsius defectus
nullam causalitatem habet, sed respectu ordinationis tantum: et hoc
significatur cum obdurare dicitur. |
Mais si on compare ce
défaut de la grâce à Dieu lui-même, il ne se trouve pas à être causé par Lui,
mais seulement permis et réglé, c’est-à-dire de telle manière qu’il
appartienne à la volonté de se terminer dans la peine ; et c’est
pourquoi Saint-Augustin [Confessions,
ch. XII, col. 670] dit : Tu l’as
ordonné, Seigneur, et il en est ainsi, afin que toute âme déréglée soit à
elle-même une châtiment ; et une telle disposition vient de Dieu.
D’où il suit que Dieu ne détient aucune causalité à l’égard du défaut
lui-même, mais seulement par rapport à la disposition : et c’est cela
qui est signifié lorsqu’on parle d’endurcissement. |
[2957]
Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 ad 1 Et per hoc patet responsio ad
primum. Quidam tamen dicunt, quod Deus est
causa obdurationis sicut natura causa quietis: quod expresse falsum est ;
quia quies naturalis est finis motus naturalis, et per se intenta a natura,
quod hic dici non potest ; et ideo dicendum, quod Deus dicitur excaecare
permittendo defectum et ordinando. |
Solutions : 1. Et suite à cela la
réponse à la première difficulté est évidente. Certains disent cependant
que Dieu est la cause de l’endurcissement comme la nature est cause de
repos : ce qui est manifestement faux ; car le repos naturel est la
fin du mouvement naturel et il est recherché par soi par la nature, ce qu’on
ne peut dire dans le cas qui nous occupe ; et c’est pourquoi il faut
dire qu’on dit de Dieu qu’Il aveugle en permettant le défaut et en le
réglant. |
[2958] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod obdurari dicitur poena prout dicit
defectum jam ordinatum ; et sic reducitur in divinam causalitatem non ratione
defectus sed ratione ordinis qui est [a Deo add. Éd. de Parme] |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’on dit
de l’endurcissement qu’il est une peine selon qu’il signifie un défaut déjà
réglé ; et en ce sens il se ramène à la causalité divine non pas en
raison du défaut mais en raison de l’ordre qui y est [de Dieu, add. Éd. de Parme]. |
[2959] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod effectus non consequitur nisi
concurrentibus omnibus causis ; sed ex defectu unius consequitur negatio
effectus. Dico ergo, quod causa gratiae sicut agens est ipse Deus, et sicut
recipiens est ipsa anima per modum subjecti et materiae ; et ideo, quia
formae inductae non est causa materia neque subjectum, nisi tale subjectum
[subjectum om. Éd. de Parme] ex
cujus principiis fluit accidens, quale accidens non est gratia ; ideo non
dicitur simpliciter anima causa gratiae, sed recipiens tantum ; Deus autem
causa. Nec oportet quod omnis defectus incidat ex parte agentis ; sed potest
incidere ex parte recipientis: et ita est in proposito. |
3. Il faut dire en troisième lieu que
l’effet ne suit que si toutes les causes y contribuent ; mais si une
seule fait défaut, il s’ensuit la négation de l’effet. Je dis donc que la
cause de la grâce en tant qu’agent est Dieu lui-même et que la cause de la
grâce en tant que récepteur est l’âme elle-même à la manière d’un sujet et
d’une matière ; et c’est pourquoi ; et c’est pourquoi, parce que ni
la matière ni le sujet n’est la cause de la forme introduite, si ce n’est ce
sujet [sujet om. Éd. de Parme] par
les principes duquel découle cet accident qui n’est pas la grâce, c’est
pourquoi on ne dit pas absolument que l’âme est la cause de la grâce mais
plutôt qu’elle en est le récepteur seulement, et que Dieu en est la cause. Et
il n’est pas nécessaire que tout défaut survienne du côté de l’agent mais il
peut survenir du côté du récepteur et c’est le cas pour le propos qui nous
intéresse. |
[2960] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4
a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus quantum est in se, nulli est absens ;
sed homo a Deo praesente se absentat, sicut a praesente lumine qui claudit
oculos ; et ideo non est simile quod pro simili inducitur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu, quant à
ce qu’il est en lui-même, n’est loin de personne ; mais l’homme
s’éloigne ou s’absente de la présence de Dieu, tout comme celui qui ferme les
yeux à la lumière présente ; et c’est pourquoi la similitude qui est
présentée n’en est pas une. |
|
|
Distinctio 41 |
Distinction 41 – [L’élection en Dieu] |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique – [Y a-t-il en Dieu une élection ?] |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[2962] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
pr. Hic quaeruntur quinque: 1 utrum electio Deo ab aeterno
conveniat ; 2 de ordine praedestinationis ad
electionem ; 3 utrum praescientia meritorum sit
causa praedestinationis et reprobationis ; 4 utrum praedestinatio juvetur meritis
et orationibus sanctorum ; 5 utrum Deus sciat nunc omne quod olim
scivit. |
On cherche ici à répondre à cinq
questions : 1. Est-ce que l’élection
convient à Dieu de toute éternité ? 2. Y a-t-il un ordre de la
prédestination à l’élection ? 3. Est-ce que la
préscience des mérites est la cause de la prédestination et de la
réprobation ? 4. Est-ce que la
prédestination peut être aidée par les mérites et les prières des
saints ? 5. Est-ce que Dieu sait
maintenant tout ce qu’il a su autrefois ? |
|
|
Articulus 1 [2963] Super Sent., lib. 1
d. 41 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Deo sit electio |
Article 1 – Y a-t-il en Dieu une élection ? |
[2964] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod
electio nullo modo in Deo sit ab aeterno [ab aeterno om. Éd. de Parme]. Electio enim, secundum Philosophum, in III Ethic., cap. VII, sequitur consilium
sicut conclusio ejus. Consilium autem, ut ibidem dicit, est quaestio quaedam.
Cum igitur Deo non
competat inquisitiva cognitio, videtur quod Deo non competat electio. |
Difficultés : 1. Il semble que
l’élection ne soit aucunement en Dieu de toute éternité [de toute éternité om. Éd. de Parme]. En effet, d’après
le Philosophe [111 Éthique, ch. VII], l’élection suit le conseil comme s’il
en était la conclusion. Mais le conseil, comme il le dit au même endroit, est
une certaine enquête. Donc, puisque la connaissance par mode recherche ou
d’enquête n’appartient pas à Dieu, il semble que l’élection ne lui convienne
pas. |
[2965] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 1 arg. 2 Praeterea, electio ponit discretionem quamdam. Sed Deus
aequaliter se habet ad omnes, quia Dionysius in IV cap., De divinis nominibus, col. 694 sicut [sicut om. Éd. de Parme] dicit: « Sicut enim sol non ratiocinans
neque praeeligens radios suos diffundit in omnia corpora, ita et divina
bonitas in omnes creaturas ». Ergo videtur quod Deo eligere non
competat. |
2. Par ailleurs, l’élection pose une
certaine distinction ou séparation. Mais Dieu se présente à tous d’une
manière égale car tout comme [tout comme om.
Éd. de Parme] Denys [Les Noms
Divins, ch. IV, col. 694] le dit : «Tout comme le Soleil répand ses rayons sur tous les corps sans
discourir ni choisir entre eux, la bonté divine fait de même pour toutes les
créatures». Il semble donc qu’il ne convienne pas à Dieu de choisir. |
[2966] Super
Sent., Lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, electio requirit multitudinem
in eis quorum est electio. Sed ab aeterno omnia non fuerunt nisi unum in Deo.
Ergo videtur quod electio
non sit aeterna. Sed quidquid est in Deo, est aeternum. Ergo
electio nihil ponit in Deo. |
2.
Par ailleurs, l’élection exige une multiplicité dans ceux-là même parmi
lesquels il y a élection. Mais tous les êtres n’ont pas existé de toute
éternité, sauf dans l’unité en Dieu. Il semble donc que l’élection ne soit
pas éternelle. Mais tout ce qui est en Dieu est éternel. L’élection ne pose
donc rien en Dieu. |
[2967] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, operationi eligentis aliquid
intelligitur praeexistere in re quae eligitur. Sed operationi divinae nihil
praeexistit in creatura. Ergo
videtur quod electio Deo non competat. |
4. En outre, on comprend que dans la chose
qui est choisie il y a quelque chose qui préexiste à l’opération de celui qui
choisit. Mais dans la créature, rien ne préexiste à l’opération divine. Il
semble donc que l’élection ne convienne pas à Dieu. |
[2968] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, ad Ephes. 1, 4, dicitur: Elegit nos in ipso ante mundi constitutionem, ut essemus sancti.
Ergo videtur quod Deo conveniat electio. |
Cependant : 1. L’Apôtre [Lettre aux Éphésiens, 1, 4] dit au
contraire : Dieu nous avait déjà
choisis en Lui avant même la création du monde pour que nous soyons saints.
Il semble donc que l’élection convienne à Dieu. |
[2969] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod electio importat
segregationem quamdam. Haec autem segregatio non potest esse nisi aliquorum
quae habent aliquam permixtionem vel convenientiam ; ideo illius quod in se
determinatum est et discretum, non potest esse electio. Et ideo electio, ut dicitur in III
Ethic., cap. VI, non est finis ultimi, qui unicuique naturaliter est
determinatus, sed tantum eorum quae sunt ad finem, ad quem per plura media
diversimode [diversimode om. Éd. de
Parme] deveniri potest ; licet
quaedam sint convenetia [convenientiora Éd.
de Parme] quae eliguntur. Haec autem segregatio potest esse
tantum in conceptione alicujus operantis, vel etiam in executione operis. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que l’élection implique une certaine
séparation. Mais cette séparation ne peut exister que pour ceux qui se
mélangent et ont une certaine convenance; c’est pourquoi il ne peut y avoir
élection pour ce qui est déterminé et séparé. Et c’est pourquoi l’élection,
comme le dit le Philosophe [111 Éthique,
ch. VI] l’élection ou le choix ne
porte pas sur la fin ultime, laquelle est déjà naturellement déterminée pour
chacun, mais seulement sur les choses qui sont ordonnées à la fin à laquelle
on peut parvenir diversement [diversement om.
Éd. de Parme] par de nombreux moyens, bien que certains de ceux qui sont
choisis soient advantage convenables [plus convenables Éd. de Parme]. Mais cette separation peut exister seulement dans
la conception de celui qui opère ou aussi dans l’exécution de l’oeuvre. |
Ex his tria
possumus accipere circa electionem de Deo dictam: primo, quod
electio non convenit Deo respectu sui ipsius ; non enim est electio finis,
sed eorum quae sunt ad finem: secundo potest
accipi ex quibus eliguntur, electi a Deo [electi… Deo Éd. de Parme] quia scilicet ab his qui nati sunt participare
eumdem finem ; unde non dicitur quod homines qui eliguntur ad gloriam,
eligantur ab irrationabilibus, sed ab hominibus, qui nati sunt gloriam
assequi: tertio potest
accipi quod electio uno modo est aeterna, alio modo temporalis. Si enim
accipiatur secundum quod est in proposito ipsius Dei, sic aeterna est ; quia
ab aeterno voluit bonos a |
À partir de là nous pouvons
admettre trois choses au sujet de l’élection qu’on attribue à Dieu. Premièrement que l’élection ne convient pas à Dieu par rapport à
lui-même; en effet, l’élection ne porte pas sur la fin mais sur les moyens
ordonnés à la fin. Deuxièmement, l’élection peut être admise à partir de ceux-là même
parmi lesquels les élus de Dieu sont choisis, à savoir de ceux qui sont aptes
à participer de la même fin; d’où l’on ne dit pas que les hommes qui sont
choisis pour la gloire sont choisis ou séparés des êtres irrationnels, mais
des hommes qui ont une aptitude à parvenir à la gloire. Troisièmement on peut admettre que l’élection est en un sens
éternelle, en un autre sens temporelle. Si en effet elle est entendue comme
existant dans l’intention de Dieu, alors elle est éternelle car c’est de
toute éternité que Dieu a voulu séparer les bons des méchants pour les
accueillir dans la gloire. Mais si l’élection s’entend selon qu’elle est dans
l’exécution de l’oeuvre, en ce sens elle est temporelle, tout comme lorsque
quelqu’un se sépare de la faute originelle ou actuelle pour en venir à la
grâce, ou de la condition commune pour en venir à la fonction de prélat, et
il en est de même pour les autres choses qui sont spécialement conférées à
certains par la faveur divine. |
[2970] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod accidit
electioni quod sequatur inquisitionem, ex eo scilicet quod est in tali natura
quae eorum quae sunt ad finem, sine inquisitione cognitionem non habet, sicut
est in nobis ; quod omnino Deo non competit, qui omnium certam cognitionem
habet. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il arrive à l’élection de
suivre une enquête, c’est-à-dire du fait qu’elle se trouve dans une nature
qui ne peut posséder sans recherche la connaissance des choses qui sont en
vue de la fin, comme c’est le cas pour nous; mais cela ne convient aucunement
à Dieu qui possède une connaissance certaine de tout. |
[2971] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ipse,
quantum in se est, aequaliter se habeat ad omnia, non tamen omnia eamdem
idoneitatem habent ad recipiendum largitionem bonitatis ejus: et hujus
diversitatis cognitionem et ordinationem habet, et ideo convenit sibi
electio. Quod autem dicit
Dionysius de comparatione divinae bonitatis ad solem, intelligendum est esse
simile quantum ad universalitatem communicationis, et non quantum ad
privationem electionis. Sicut enim sol nulli radios suos subtrahit, ita nec
Deus munera bonitatis suae ; quae tamen non eodem modo in omnibus reperiuntur
[recipiuntur Éd. de Parme] ; et
hujus diversitatis Deus est cognitor et ordinator, quod soli corporali non
competit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
que Dieu, quant à ce qu’il est en lui-même, se présente de la même manière
par rapport à tous les êtres, cependant tous les êtres ne présentent pas une
capacité égale à recevoir les largesses de sa bonté : et Dieu possède la
connaissance et l’ordonnance de cette diversité, et c’est pourquoi il lui
convient de choisir. Mais ce que dit Denys au sujet de la comparaison de la
bonté divine au soleil, il faut l’entendre comme similitude par rapport à
l’universalité de la communication et non quant à la privation de l’élection.
En effet, tout comme le Soleil ne retire aucun de ses rayons, de même Dieu ne
retire par les bienfaits de sa bonté, lesquels cependant ne sont pas obtenus
[reçus Éd. de Parme] par tous de la
même manière ; et Dieu est celui qui connaît et ordonne cette diversité,
ce qui n’appartient pas au Soleil corporel que nous voyons. |
[2972] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus ab aeterno non tantum cognovit de
rebus illud esse quod tunc in ipso habebant, sed esse quod in propria natura
habiturae erant, secundum quod esse unitatem non habent, sed magnam
distantiam ad participandam divinam bonitatem: et ita convenit sibi ab
aeterno electio. |
3. Il faut dire en troisième lieu que Dieu
de toute éternité connaît non seulement au sujet des choses cette existence
qu’elles possèdent maintenant en Lui, mais aussi l’existence qu’elle sont
appelées à posséder dans leur nature propre, existence selon laquelle elles
ne possèdent pas l’unité mais sont fort éloignées de participer de la bonté
divine : et c’est ainsi que l’élection appartient à Dieu de toute
éternité. |
[2973]
Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod operationi
creationis non praeexistit aliquid in re ; et ideo non proprie dicuntur eligi
ea quae terminantur ad esse ; sed operationi divinae qua justificat et
glorificat, praeexistit natura vel in proprio esse vel in divina cognitione. |
4. Il faut dire en quatrième lieu qu’à
l’opération de la création, rien ne préexiste dans la chose ; et c’est
pourquoi on ne dit pas proprement des choses qui en viennent à se fixer dans
l’existence qu’elles sont choisies ; mais à l’opération divine par
laquelle Dieu justifie et glorifie préexiste une nature soit dans l’existence
propre, soit dans la connaissance divine. |
|
|
Articulus 2 [2974] Super Sent., lib. 1
d. 41 q. 1 a. 2 tit. Utrum electio praecedat secundum
rationem praedestinationem |
Article 2 – L’élection précède-t-elle la prédestination en raison ? |
[2975] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
electio praedestinationem non praecedat secundum rationem. Electio enim addit
aliquid supra praescientiam, alias etiam esset malorum. Addit autem actum
voluntatis, ut patet ex Philosopho, III Ethic.,
cap. V et Lib. VI, c. II. Cum ergo praedestinatio nihil addat supra
praescientiam nisi voluntatem salutis quorumdam, videtur quod electio
praedestinationem non praecedat secundum rationem, sed sit idem sibi. |
Difficultés: 1. Il semble que l’élection ne précède pas la prédestination selon la
raison. L’élection en effet ajoute quelque chose à la prescience autrement
elle se rapporterait elle aussi aux maux. Mais elle ajoute l’acte de la
volonté comme on le voit chez le Philosophe [111 Éthique, ch. V et livre VI,
ch. 11]. Donc, puisque la prédestination n’ajoute à la prescience que la
volonté du salut de certains, il semble que l’élection ne précède pas la
prédestination selon la raison mais qu’elle lui soit identique. |
[2976] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, electio praesupponit
diversitatem in eis inter quae est electio. Sed diversitas quae est in
hominibus ad consecutionem finis, est per effectum praedestinationis, idest
per gratiam. Ergo videtur
quod electio etiam praedestinationem sequatur secundum rationem. |
2. En outre, l’élection
présuppose la diversité chez ceux parmi lesquels il y a élection. Mais la
diversité qu’il y a chez les hommes par rapport à l’atteinte de la fin a lieu
par un effet de la prédestination, à savoir par la grâce. Il semble donc que
l’élection aussi suive la prédestination selon la raison. |
[2977] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, vocatio sequitur
praedestinationem, ut habetur Rom. VIII, 30: Quos
praedestinavit, hos et vocavit. Sed vocatio videtur idem esse electioni ;
quia quod eligitur ad aliquid, videtur quodammodo vocari in illud. Ergo
videtur quod electio praedestinationem sequatur. |
3. Par ailleurs, la
vocation suit la prédestination comme le dit l’Écriture [Épître aux Romains, VIII,
30] : Ceux que Dieu a prédestinés,
il les a aussi appelés. Mais la vocation ou l’appel semble être identique
à l’élection ; car ce qui est choisi en vue d’une fin semble en un sens
être appelé à cette fin. Il semble donc que l’élection suive la
prédestination. |
[2978] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 2 s. c. 1 Sed contra, dilectio praesupponit electionem, sicut ipsum nomen
ostendit. Sed praedestinatio sequitur dilectionem ; quia non praeparantur
bona nisi eis qui diliguntur. Ergo videtur quod praedestinatio electionem
sequatur. |
Cependant : 1. Au contraire, l’amour
présuppose l’élection ainsi que le nom lui-même (dilectio) le montre en
latin. Mais la prédestination suit l’amour car les biens ne sont préparés que
pour ceux qui sont aimés. Il semble donc que la prédestination suive
l’élection. |
[2979] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod praedestinatio et
electio addunt aliquid supra praescientiam, sicut dispositio et providentia,
ut intelligatur quod sicut dispositio et providentia se habent respectu
omnium communiter, ita electio et praedestinatio respectu hominum ; unde
sicut providentia addit supra dispositionem, ita praedestinatio supra
electionem. Quod satis
patet ex his quae supra dicta sunt, dist. XL, quaest. 1, art. 2. Dictum est
enim, quod dispositio divina attenditur in ordinatione partium universi ad
invicem et ad finem, secundum quod una natura alii praefertur ex ordine
divinae sapientiae. Similiter est in electione. Ipsa enim
divina ordinatio qua quidam aliis praeferuntur ad consequendam beatitudinem,
electio dicitur. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que la prédestination et l’élection
ajoutent quelque chose à la prescience,
tout comme la disposition et la providence de telle sorte qu’on entende
que tout comme la disposition et la providence se rapportent à tous
universellement, ainsi l’élection et la predestination se rapportent aux
hommes; il résulte de là que tout comme la providence ajoute à la
disposition, de même la prédestination ajoute à l’élection. Ce qui apparaît
d’une manière suffisamment claire suite à ce qui a été dit plus haut [dist.
XL, quest. 1, art. 2]. Nous avons dit en effet que la disposition divine se
vérifie dans l’organisation des parties de l’univers entre elles et dans leur
ordonnance par rapport à la fin selon qu’une nature est préférée à une autre
en raison de l’ordonnance de la sagesse divine. Il en est de même pour
l’élection. En effet, l’ordonnance divine elle-même par laquelle certains
sont préférés à d’autres pour l’atteinte de la beatitude, cela s’appelle
élection. |
Providentia
autem attenditur in collatione eorum per quae res attingunt finem ; et in
applicatione ad finem. Similiter praedestinatio attenditur in hoc quod
electis praeparantur bona gratiae et bona gloriae, quibus applicantur ad
finem ; et hoc patet etiam ex modo loquendi consueto. Sicut enim dicimus
disponi res, provideri autem tam res ipsas quam etiam ea quae rebus
conferuntur in finem ordinantia, ita etiam electio proprie est hominum, sed
praedestinatio tam hominum quam etiam eorum quae eis conferuntur: non enim
dicitur, quod gratia eligatur homini ; dicitur tamen, quod gratia
praedestinatur homini. |
Mais la providence se vérifie
dans la réunion des moyens par lesquels les choses atteignent leur fin et
dans l’application à la fin. Semblablement la prédestination se vérifie en
ceci que les biens de la grâce et les biens de la gloire, par lesquels les
élus s’appliquent à la fin, sont préparés pour les élus; et cela est clair si
on est attentif à la manière habituelle de parler. En effet, tout comme nous
disons que les choses sont disposées et que sont objets de providence aussi
bien les choses elles-mêmes que les moyens qui sont fournis aux choses pour
les ordonner à la fin, de même encore l’élection se dit proprement des hommes
mais la predestination se dit aussi bien des hommes que des moyens qui leur
sont conférés: on ne dit pas en effet que la grâce est choisie pour l’homme
mais on dit cependant que la grâce est prédestinée à l’homme. |
[2980] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod electio non
est actus voluntatis absolute, sed in ordine ad intellectum ordinantem, sicut
Philosophus ibidem innuit. Praedestinatio
autem dicit actum voluntatis absolute, qui consequitur ordinem istum. Electio
enim divina est qua aliqui ex ordine suae sapientiae ordinantur ad finem
beatitudinis ; sed praedestinatio est secundum quod praeparantur eis ea quae
perducunt in finem: et ideo sicut voluntas ordinans in finem praecedit actum
voluntatis praeparantis ea quae ducunt in finem ; ita electio praedestinationem
praecedit. |
Solutions : 1. Il faut dire que
l’élection ou le choix n’est pas l’acte de la volonté d’une manière absolue,
mais en rapport avec l’intelligence qui ordonne comme l’indique le Philosophe
au même endroit. Mais la prédestination signifie l’acte de la volonté d’une
manière absolue, lequel découle de cet ordre. En effet, l’élection divine est
celle par laquelle certains sont ordonnés à la fin de la béatitude à partir
de l’ordre de sa sagesse ; mais la prédestination est l’acte de la volonté
selon lequel lui sont préparées les choses qui conduisent à la fin : et
c’est pourquoi, tout comme la volonté qui ordonne à la fin précède l’acte de
volonté qui prépare les choses qui conduisent à la fin, de même l’élection
précède la prédestination. |
[2981] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod electio divina non praeexigit
diversitatem gratiae, quia hoc electionem consequitur ; sed praeexigit
diversitatem naturae in divina cognitione, et facit diversitatem gratiae,
sicut dispositio diversitatem naturae facit. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que
l’élection divine n’a pas pour prérequis la diversité de la grâce car cela
suit l’élection ; mais elle a pour prérequis la diversité de nature dans
la connaissance divine et elle fait la diversité de la grâce, tout comme la
disposition fait la diversité de nature. |
[2982] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vocatio semper est temporalis, quia ponit
adductionem quamdam ad aliquid. Et ideo est quaedam vocatio ad esse per
creationem, cui, ut dictum est, dist. XXXIX, quaest. II, art. 1, non
respondet aeterna electio ; unde dicitur Rom. 4, 17: Qui vocat ea quae non sunt tamquam ea quae sunt. Et est quaedam
vocatio temporalis ad gratiam, cui respondet et electio temporalis et
aeterna. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
vocation est toujours temporelle car elle pose comme un certain
accompagnement vers un but. Et c’est pourquoi il y a une certaine vocation à
exister par la création à laquelle ne correspond pas une élection éternelle
ainsi que nous l’avons dit [dist. XXXIX, quest. 11, art. 1] ; d’où
l’Écriture [Épître aux Romains, 4, 17] nous dit : Le Dieu qui appelle à l’existence ceux qui n’existent pas. Et il
y a une certaine vocation temporelle à la grâce à laquelle correspond à la
fois une élection temporelle et une élection éternelle. |
Haec autem
vocatio est vel interior per infusionem gratiae, vel exterior per vocem
praedicatoris. Interior autem vocatio et temporalis electio ad gratiam,
semper sunt simul ; sed differunt secundum rationem ; quia electio inquantum
dicit segregationem, respicit terminum a quo, vocatio autem terminum ad quem
magis ; sed differt a justificatione secundum rationem ; quia vocatio
pertinet ad motum naturae proficiscentis in gratiam ; sed justificatio
respicit esse consequens terminum motus, secundum quod gratia facit justum
esse. De dilectione autem
quomodo se habeat ad electionem et praedestinationem, pertinet ad 3 librum,
ubi agitur de dilectione qua Deus diligit creaturam, XXXII dist., quaest. 1,
art. 2. |
Mais cette vocation ou cet appel est ou bien
intérieur par l’infusion de la grâce, ou bien extérieur par la voix du
prédicateur. Mais l’appel intérieur et l’élection temporelle à la grâce sont
toujours simultanés mais diffèrent selon la raison ; car l’élection, en
tant qu’elle signifie une séparation, se rapporte au terme de départ alors
que l’appel se rapporte plutôt au terme de la destination ; mais l’appel
ou la vocation diffère de la justification selon la raison car la vocation
appartient au mouvement de la nature qui progresse vers la grâce alors que la
justification se rapporte à l’existence qui suit le terme du mouvement selon
que la grâce rend juste. Mais au sujet de l’amour et de la manière dont il se
rapporte à l’élection et à la prédestination, cela relève du livre 3 [dist.
XXXII, quest. 1, art. 2] où on traite de l’amour par lequel Dieu aime la
créature |
|
|
Articulus 3 [2983] Super Sent., lib. 1
d. 41 q. 1 a. 3 tit. Utrum praescientia meritorum sit causa praedestinationis |
Article 3 – La préscience des mérites est-elle la cause de la prédestination ? |
[2984] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 3 arg. 1 Deinde quaeritur, utrum praescientia meritorum sit causa
praedestinationis. Et videtur quod sic. Primo per Glossam Ambrosii quae
habetur super epistolam ad Rom., cap. 9, ubi haec verba ex persona Dei
proponit: dabo illi gratiam quem scio
ad me toto corde post errorem reversurum. Sed propositum dandi gratiam
dicitur praedestinatio. Ergo videtur quod praescientiam meritorum praesupponat. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il en soit
ainsi. On le voit d’abord dans la glose de Saint-Ambroise qui porte sur la
Lettre aux Romains au chapitre 9 où il présente ces paroles venant de la
personne de Dieu : Je donnerai la
grâce de la miséricorde à celui que je sais d’avance devoir revenir à moi de
tout son cœur après s’être détourné de son erreur. Mais l’intention de
donner la grâce s’appelle prédestination. Il semble donc que la
prédestination présuppose la préscience des mérites. |
[2985] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 3 arg. 2 Praeterea, voluntas Dei praedestinantis, injusta esse non potest.
Sed ad justitiam distributivam pertinet ut inaequalia non nisi inaequalibus
tribuantur. Cum ergo homines non sint inaequales ad perceptionem gratiae nisi
per aliqua opera ipsorum vel aliorum, cum ex natura omnes habeant capacitatem
gratiae, videtur quod praescientia operum sit causa praedestinationis. |
2. En outre la volonté de Dieu qui
prédestine ne peut être injuste. Mais il appartient à la justice distributive
de n’attribuer des choses inégales qu’à des êtres inégaux. Donc, puisque les
hommes ne sont inégaux à recevoir la grâce que par certaines de leurs œuvres propres
ou par celles des autres puisque tous possèdent de par leur nature une
aptitude à la grâce, il semble que la préscience des œuvres soit la cause de
la prédestination. |
[2986] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 3 arg. 3 Praeterea, in praescientia operum duo sunt ; unum aeternum,
scilicet Dei scientia ; et unum temporale, scilicet opera praescita.
Similiter in praedestinatione duo sunt: unum aeternum, scilicet voluntas
divina ; et alterum temporale, scilicet collatio gratiae. Sed aeternum quod est in praescientia,
est prius ratione, et quodammodo causa ejus aeterni [aeterni om. Éd. de Parme] quod est in praedestinatione ; quia voluntas scientiam
[praescientiam Éd. de Parme]
praesupponit. Similiter temporale est aliquo modo causa temporalis, quia opus
quo iste se praeparavit ad gratiam, est aliqua causa, ad minus sicut
dispositio materialis, ad acceptionem gratiae ; et opus informatum gratia,
est causa meritoria gloriae. Ergo videtur quod praescientia operum sit causa
praedestinationis. |
Par ailleurs, il y a deux choses dans la
préscience des œuvres : l’une est éternelle, à savoir la science de
Dieu, et l’autre est temporelle, à savoir les œuvres connues d’avance. De la même manière il y a
deux choses dans la prédestination : l’une qui est éternelle, à savoir
la volonté divine, et l’autre qui est temporelle, à savoir la communication
de la grâce. Mais la part éternelle qui
est dans la préscience est première par la raison et elle est en quelque
sorte cause de l’éternel [éternel om.
Éd. de Parme] qui est dans la prédestination car la volonté présuppose la
science [la préscience Éd. de Parme].
Semblablement le temporel est en quelque sorte la cause du temporel car
l’œuvre par laquelle celui-ci se prépare à la grâce est une certaine cause,
au moins en tant que disposition matérielle, de la réception de la
grâce ; et l’œuvre informée par la grâce est une cause méritoire de la
gloire. Il semble donc que la préscience des œuvres soit la cause de la
prédestination. |
[2987] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, praedestinatio praesupponit
electionem. Sed electio alicujus ab aliquo non est nisi propter aliquam
idoneitatem majorem ad consecutionem finis. Hoc autem non potest esse nisi
per majorem praeparationem ad gratiam, quae per opera fit. Ergo videtur quod praedestinatio
praesupponat praescientiam operum. |
4. Par ailleurs, la prédestination
présuppose l’élection. Mais l’élection
d’un tel par un autre n’a lieu qu’à cause d’une certaine aptitude plus grande
à atteindre la fin. Mais cela ne peut avoir lieu qu’au moyen d’une plus
grande préparation à la grâce laquelle préparation n’est possible que par les
œuvres. Il semble donc que la prédestination présuppose la préscience des
œuvres. |
[2988] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 3 arg. 5 Praeterea, praedestinatio est voluntas salutis hominis, non
tantum ut intelligatur de voluntate antecedente (quia hac voluntate vult
omnes homines salvos facere, ut dicit Damascenus, II Fid. Orthod., cap. ult., col. 970), sed de voluntate consequente.
Cum igitur voluntas consequens respiciat merita, videtur quod praescientia
meritorum sit causa praedestinationis. |
5. De plus, la prédestination est la volonté
du salut de l’homme, entendue non seulement en tant que volonté première (car
par cette volonté il veut rendre tous les hommes sauvés comme le dit
Damascène [11 De la Foi Orthodoxe,
ch. dernier, col. 970] mais aussi entendue comme volonté seconde. Donc
puisque la volonté seconde se rapporte aux mérites, il semble que la
préscience des mérites soit la cause de la prédestination. |
[2989] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 3 s. c. 1 Sed contra, omne illud quod respicit meritum est aliquo modo
debitum, et non omnino gratuitum. Sed praedestinatio est ex gratuita
voluntate, quam nulla merita advocant, ut dicit Augustinus, in Epistola CXCIV, ad Sixtum, col. 874. Ergo videtur quod praescientia meritorum non
sit causa praedestinationis. |
Cependant : 1. Tout ce qui se rapporte
aux mérites est en quelque sorte dû ou obligé et non totalement gratuit. Mais
la prédestination vient d’une volonté gratuite qu’aucun mérite ne peut
appeler comme le dit Saint-Augustin dans la Lettre CXCIV à Sixte,
col. 874]. Il semble donc que la préscience des mérites ne soit pas la cause
de la prédestination. |
[2990] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ad idem est totum quod in
Littera adducitur. |
2. En outre, tout ce qui est amené
dans la Lettre conduit à la même conclusion. |
[2991] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod praescientia
meritorum vel aliquorum operum, nullo modo est causa praedestinationis
divinae ; quod patet, si consideretur totum id quod in praedestinatione est
de essentia ipsius. Sed
nihil prohibet, illud quod est effectus praedestinationis, scilicet gratia et
gloria, quae oblique ponuntur in ejus definitione, habere aliquam causam ex
parte nostrarum operum [operationum Éd.
de Parme]. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la préscience des mérites ou de certaines œuvres n’est en aucune manière
la cause de la prédestination divine ; et cela est clair si on considère
tout ce qui dans la prédestination se rapporte à son essence. Mais rien
n’empêche que ce qui est les effets de la prédestination, à savoir la grâce
et la gloire, qui sont placées indirectement dans sa définition, soient
causés en quelque sorte par nos œuvres [opérations Éd. de Parme]. |
De essentia autem [enim Éd. de Parme] praedestinationis est
praescientia et voluntas salutis aliquorum. Scientia autem de salute eorum
non causatur a scientia operum aliquorum ; quia ipse non venit in cognitionem
effectus per causam, sed per seipsum. Unde non potest dici in eo, quod ipse
scit hoc, quia scit causam hujus ; sed inquantum intuetur essentiam suam,
quae est omnium similitudo, videt unumquodque in se, tam causam quam
causatum. |
Mais [en effet Éd. de Parme] la préscience et la volonté du salut de certains
hommes font partie de l’essence de la prédestination. Mais la science de leur
salut n’est pas causée par la science de certaines œuvres ; car Lui-même
n’en vient pas à la connaissance de l’effet par la cause mais par Lui-même.
D’où l’on ne peut dire que Lui-même sait cela parce qu’il en sait la
cause ; mais plutôt, en tant qu’il saisit son essence qui est une
similitude de tout ce qui existe, il voit chaque chose en elle-même, aussi
bien la cause que l’effet. |
Similiter etiam voluntas sua cum sit
libera, magis etiam quam aliqua voluntas ; non habet causam nisi finem
voluntatis suae. Finis autem voluntatis suae est sua bonitas, quae est
ipsemet: unde dicitur communiter quod Deus vult hoc propter bonitatem suam,
non quia scivit [scit Éd. de Parme]
hoc, vel quia hoc factum est. Sed tamen effectus voluntatis ejus, scilicet
ipsum volitum ordinatum ad bonitatem suam, potest procedere ex aliqua causa
quam Deus praescivit ab aeterno ; et istum ordinem causae ad causatum Deus
vult, et vult quod effectus sit quia causa est ; non autem ita quod
causalitas referatur ad voluntatem, sed ad volitum: et ista causa voliti, non
volendi, dicitur ratio quaedam voluntatis ex parte effectus. Sed haec causa in quibusdam habet
completam rationem causae, [et sufficienter inducit effectum add. Éd. de Parme], quandoque vero est
tantum dispositio. Ita etiam ad duplicem effectum praedestinationis
diversimode se habet nostra opera [operatio Éd. de Parme] ; quia opus meritorium informatum gratia, est causa
meritoria gloriae ; sed opus bonum praecedens gratiam, non est causa
meritoria ejus, sed solum dispositio quaedam. Unde patet quod praedestinatio
causam non habet, sed habet rationem ex parte effectus, secundum quam
rationabilis [rationalis Éd. de Parme]
et justa dicitur. |
De la même manière aussi puisque sa volonté
est libre et bien davantage que toute autre volonté, elle n’a pas de cause si
ce n’est la fin de sa volonté. Mais la fin de sa volonté est sa bonté, à
savoir Lui-même : d’où l’on dit généralement que Dieu veut ceci à cause
de sa bonté et non parce qu’il a connu [connaît Éd. de Parme] ceci ou parce que cela a été fait. Mais cependant
l’effet de sa volonté, à savoir cela même qui voulu et qui est ordonné à sa
bonté, peut procéder d’une cause que Dieu a connu d’avance de toute
éternité ; et Dieu veut cet ordre ou ce rapport de la cause à l’effet et
il veut que l’effet existe parce que la cause existe mais non pas cependant
de telle manière que la causalité s’adresse à la volonté mais à l’objet
voulu : et cette cause de l’objet voulu qui n’est pas la cause du
vouloir, on l’appelle une certaine cause de la volonté du côté de l’effet. Mais cette cause chez
certains a complètement raison de cause [et conduit suffisamment à l’effet add. Éd. de Parme], mais parfois elle
est seulement une disposition. De même encore nos euvres [nos opérations Éd. de Parme] se présentent différemment
par rapport à deux effets de la prédestination ; car l’œuvre méritoire
informée par la grâce est une cause qui est méritoire de la gloire ;
mais l’œuvre bonne qui précède la grâce n’est pas une cause qui mérite la
grâce, mais seulement une certaine disposition à son égard. D’où il est clair
que la prédestination n’a pas de cause mais elle a une raison du côté de
l’effet, raison selon laquelle on dit de la prédestination qu’elle est
raisonnable [rationnelle Éd. de Parme]
et juste. |
[2992] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in illis verbis Ambrosii non
designatur quod opus nostrum sit causa voluntatis divinae, neque etiam quod
sit causa ipsius dationis gratiae, sed solum dispositio quaedam ; ut hoc
intelligatur non de opere sequente gratiam, quod virtutem merendi habet a
gratia, et neque causa ejus est, neque dispositio ad ipsam ; sed de opere
praecedente, quod est dispositio ad gratiam. Illi enim Deus proponit gratiam
infundere quem praescit se ad gratiam praeparaturum ; non tamen propter
praeparationem, quae non est sufficiens causa gratiae, nec finis voluntatis
ejus, sed propter bonitatem suam. Vult tamen quod iste habeat gratiam, quia
praeparavit se, secundum modum loquendi quo dicitur, quod dat sibi gratiam
quia praeparavit se ; ut conjunctio denotet dispositionem et non causam. Sed
respectu actus volendi non potest designare neque dispositionem neque causam
; non enim ideo voluit quia iste praeparavit se, sed solum quia bonus [bonum Éd. de Parme] est. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que par ces paroles Saint-Ambroise ne veut pas signifier que
notre œuvre soit la cause de la volonté divine, ni même qu’elle soit la cause
du don même de la grâce, mais seulement une certaine disposition, de telle
manière que cela s’entende non pas de l’œuvre qui suit la grâce qui tient son
pouvoir de mérite de la grâce et qui n’en est ni une cause ni même une
disposition, mais de l’œuvre qui précède la grâce et qui dispose à la
recevoir. En effet, Dieu se propose
de répandre la grâce en celui dont il sait à l’avance qu’il est préparé à la
recevoir mais il ne le fait cependant pas à cause de la préparation, laquelle
n’est pas une cause suffisante de la grâce ni même la fin de sa volonté, mais
à cause de sa seule bonté. Il veut cependant que celui-ci possède la grâce
car il s’est préparé, suivant en cela la manière de parler par laquelle on
dit qu’il donne à un tel la grâce parce qu’il s’est préparé, de telle manière
que la conjonction indique une disposition et non une cause. Mais par rapport
à l’acte de vouloir elle ne peut désigner ni une cause ni même une
disposition ; en effet, ce n’est pas parce que celui-ci s’est préparé
que Dieu a voulu lui donner la grâce, mais seulement parce qu’il est bon [la
bonté Éd. de Parme]. |
[2993]
Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam in
justo homine causa eliciens actum volendi est finis voluntatis ; sed ex parte
effectus accipit causam ex opere hominum, quod discretionem in eis facit ; ut
si quaereretur a justo judice: quare vis huic plus dare quam illi ? Si vellet reddere causam voluntatis, diceret:
propter bonum justitiae, quod in hoc opere relucet. Si autem
vellet assignare causam operis, diceret: eo quod iste magis dignus est. Sed
tamen sciendum, quod praedestinatio, respectu ultimi effectus, habet rationem
justitiae distributivae, scilicet respectu gloriae: et ideo possumus dicere
quod Deus dat isti gloriam et non illi, quia iste meretur, et non ille ; et
similiter vult quod iste habeat et non ille, quia iste dignus est et non
ille. Sed respectu primi effectus, scilicet gratiae, habet rationem magis
liberalitatis quam justitiae ; quia gratia datur gratis, et non redditur
meritis. Unde ex parte recipientis non est assignare causam quare dignus sit
gratia, sed solum
dispositionem quamdam. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que même
chez l’homme juste la cause qui provoque l’acte de vouloir est la fin de la
volonté ; mais du côté de l’effet l’acte de vouloir reçoit sa cause de
l’œuvre des hommes qui produit chez eux une séparation ; c’est comme si
un juge juste demandait : pourquoi veux-tu donner plus à tel homme qu’à
tel autre ? S’il voulait donner la cause
de la volonté, il dirait : à cause du bien de la justice qui
transparaît dans cette œuvre. Mais s’il voulait désigner la cause de l’œuvre,
il dirait : du fait que celui-ci est plus digne. Il faut cependant
savoir que la prédestination, par rapport à l’effet ultime, à savoir la
gloire, a raison de justice distributive : et c’est pourquoi nous
pouvons dire que Dieu donne à un tel la gloire et non à tel autre parce que
celui-ci la mérite et non tel autre ; et semblablement il veut que
celui-ci la possède et non tel autre parce que celui-ci est digne et non tel
autre. Mais par rapport au premier effet, à savoir la grâce, il a davantage
raison de libéralité que de justice car la grâce est donnée gratuitement et
n’est pas rendue en fonction des mérites. D’où il suit que du côté de celui
qui reçoit il n’y a pas à identifier la cause pour laquelle il serait digne
de la grâce, mais on ne peut trouver là qu’une certaine disposition. |
[2994] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praescientia non est causa voluntatis, quia
voluntas libera est. Possum enim illud quod scio, non velle: et ideo ratio
non procedit ; quia causa eliciens actum voluntatis non est nisi finis ejus. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
préscience n’est pas la cause de la volonté puisque la volonté est libre. Ce
que je sais en effet, je peux ne pas le vouloir et c’est là la raison pour
laquelle l’argument ne tient pas car la cause qui provoque l’acte de la
volonté n’est rien d’autre que sa fin. |
[2995] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod electio divina
requirit diversitatem in electis, non tamen quae sit causa voluntatis
eligentis, immo potius e converso: sic enim dispositio ejus causat rerum
diversitatem in naturis. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que l’élection divine exige une différence chez les élus, non pas une
différence qui serait cause de la volonté qui choisit mais bien plutôt celle
qui serait dans un rapport inverse: c’est ainsi en effet que sa disposition
cause la diversité ou la différence des choses dans leurs natures. |
[2996] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in intellectu
praedestinationis includitur voluntas consequens quae respicit opera non
quasi causam voluntatis, sed sicut causam meritoriam gloriae, et sicut praeparationem
ad gratiam. |
5. Il faut dire en cinquième
lieu que dans la définition de la prédestination est comprise la volonté qui
suit, laquelle se rapporte aux oeuvres non pas en tant qu’elles sont comme la
cause de la volonté mais en tant qu’elles sont comme la cause méritoire de la
gloire et comme une préparation à la grâce. |
|
|
Articulus 4 [2997] Super Sent., lib. 1
d. 41 q. 1 a. 4 tit. Utrum praedestinatio juvetur aliquo
opere humano |
Article 4 – La prédestination est-elle aidée par l’œuvre de l’homme ? |
[2998] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 4 arg. 1 Quarto quaeritur, utrum praedestinatio juvetur aliquo opere
humano. Et videtur quod non. Causa enim quae per se inducit effectum sine
adjutorio alterius perfectior est quam quae adjuvatur ad effectum inducendum.
Sed praedestinatio est causa perfectissima. Ergo non juvatur aliquo ad
effectum suum. |
Difficultés : 1. Il semble que non. En
effet, la cause qui conduit par elle-même à un effet sans l’aide d’un autre
est plus parfaite que celle qui est aidée pour produire son effet. Mais la
prédestination est la cause la plus parfaite. Elle n’est donc pas aidée dans
la production de son effet. |
[2999] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 4 arg. 2 Praeterea, illud quo posito vel remoto, nihilominus manet
effectus, non videtur juvare ad consecutionem effectus. Sed ex quo
praedestinatio ponitur esse alicujus, sive aliquis oret pro eo sive non oret,
salvabitur: quia praedestinatio irrita esse non potest. Ergo videtur quod
omnino nihil juvet ad salutem ejus. |
2.
Par ailleurs, ce qui, étant enlevé ou posé, l’effet demeure néanmoins, cela
ne semble pas aider à atteindre l’effet. Mais du fait que la prédestination
est posée, l’existence d’un être, que quelqu’un prie pour lui ou non, sera
sauvée : car la prédestination ne peut être contrariée. Il semble donc
qu’absolument rien n’aide à son salut. |
[3000] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 4 arg. 3 Praeterea, effectus praedestinationis est gratia et gloria,
quorum utrumque a solo Deo est. Ergo nihil aliud juvat ad praedestinationis
effectum. |
3. En outre, l’effet de la prédestination
est la grâce et la gloire, et les deux ne viennent que de Dieu. Donc, rien
d’autre ne peut contribuer à produire l’effet de la prédestination. |
[3001] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius dicit in Dial., liv. 1, cap. VIII,
quod praedestinatio orationibus sanctorum juvatur ; quod probat per id quod
habetur Genes. 25, quod Isaac oravit pro uxore sua Rebecca, eo quod sterilis
esset ; et dominus dedit ei conceptum ; et tamen Jacob qui de illo conceptu
natus est, praedestinatus erat ad vitam. |
Cependant : 1. Saint-Grégoire [Dial. 1, ch. VIII] dit le contraire, à savoir que la
prédestinatio est aidée par les prières des saints ; et il le manifeste
au moyen de l’Écriture [Genèse 25],
là où Isaac a prié pour son épouse Rébecca du fait qu’elle était stérile et
le Seigneur lui a donné de concevoir et cependant Jacob, qui est né de cette
conception, était prédestiné à la vie. |
[3002] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 4 s. c. 2 Praeterea, si praedestinatio non juvatur ex operibus nostris,
ergo non oportet orare pro aliquo ut salvetur, et eadem ratione neque pro
seipso ; neque aliquod opus bonum operari: et ita lex divina vana est, quae
ad bonum operandum nos inducit. |
2. De plus, si la prédestination n’est pas
aidée par nos œuvres, il n’est donc pas nécessaire de prier pour le salut
d’un tel ni pour soi-même pour la même raison, et il n’est pas même
nécessaire de faire des bonnes œuvres et ainsi la loi divine est inutile,
laquelle nous amène à poser de bonnes opérations. |
[3003] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 4 s. c. 3 Potentiae etiam [Praeterea, potentiae Éd. de Parme] naturales et habitus gratuiti in vanum erunt, ex
quo non oportet nos operari ad consecutionem finis ; quae omnia
inconvenientia sunt. Ergo praedestinatio orationibus sanctorum juvatur. |
3. Les puissances [Par
ailleurs, les puissances Éd. de Parme]
naturelles et les habitus gratuits seront vains, du fait qu’il ne nous est
pas nécessaire de travailler à la poursuite de la fin ; et toutes ces
conséquences sont absurdes. La prédestination est donc aidée par les prières
des saints. |
[3004] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod ista quaestio
dependet a praedicta, artic. antec.: eo enim modo praedestinatio juvatur quo
causam habet. Unde sicut
dictum est quod praedestinatio, inquantum est actus divinus, qui est velle
vel scire, non habet aliquam causam ex parte nostra ; ita etiam nec ex parte
ista adjutorium habet ; quia hunc actum qui est velle, Deus nulla creatura
cooperante operatur. Sed effectus praedestinationis hoc modo habet adjutorium
quo [quod Éd. de Parme] et causam
habet. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que cette question dépend de celle qui précède dans l’article précédent :
en effet, la prédestination est aidée de la manière par laquelle elle a une
cause. Partant de là, tout comme nous avons dit que la prédestination, en
tant qu’elle est un acte divin qui est le vouloir et le savoir, n’a aucune
cause qui viendrait de nous, de même encore de ce côté elle n’a besoin
d’aucune aide ; car cet acte qui est le vouloir, Dieu le pose sans
aucune contribution de la part de la créature. Mais l’effet de la
prédestination implique une aide de la manière par laquelle [qu’il Éd. de Parme] il a une cause. |
Unde secundum hoc omnis causa cujus
operatione interveniente completur effectus praedestinationis, dicitur
praedestinationem juvare, vel per modum causae meritoriae, vel ex condigno,
sicut aliquis habens gratiam meretur suo actu vitam aeternam ; vel ex
congruo, sicut aliquis orando pro aliquo alio meretur ei primam gratiam, vel
etiam persuadendo ad bonum ; unde 1
Corinth., 3, 9, dicitur: Dei enim
adjutores sumus ; vel per modum dispositionis, sicut quando quis
praeparat se ad habendam gratiam ; vel etiam naturali operatione, sicut motus
caeli et omnes causae naturales juvant praedestinationem, inquantum eorum
officio perficitur generatio et sustentatio electorum. |
D’où il s’ensuit conformément à cela qu’on
dit de toute cause, par l’opération de laquelle est complété l’effet de la
prédestination, qu’elle aide la prédestination, soit à la manière d’une cause
méritoire, soit d’une manière tout à fait digne, tout comme celui qui possède
la grâce mérite par son acte la vie éternelle ; soit à partir de ce qui
convient, comme celui qui en priant pour quelqu’un d’autre lui mérite la
première grâce, soit encore en le persuadant de faire le bien ; d’où
l’Écriture [1 Corinthiens, 3, 9]
dit : Nous sommes en effet des
collaborateurs de Dieu ; soit à la manière d’une disposition, comme
lorsque quelqu’un se prépare à recevoir la grâce ; ou encore par une
opération naturelle, comme le mouvement du ciel et toutes les causes
naturelles aident la prédestination dans la mesure où par leurs fonctions la génération
et la conservation des élus est accomplie. |
[3005] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod adjutorium istud non est propter
indigentiam praedestinationis, sed ut salvetur ordo quem in rebus divina
sapientia constituit, ut scilicet effectus procedat a causa prima mediantibus
causis secundis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que cette aide a lieu non pas à cause d’un manque ou d’un défaut
du côté de la prédestination mais pour que soit conservé l’ordre que la
sagesse divine a établi dans les choses, c’est-à-dire de telle manière que
l’effet procède de la cause première par l’intermédiaire des causes secondes. |
[3006] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in argumento
supponitur falsum. Si
enim Stephanus pro persecutoribus non orasset, forte Paulus salvus non
fuisset: sicut si aliquis non faceret opera meritoria, non acciperet coronam
quae praedestinata est sibi. Nec tamen praedestinatio frustrari potest: quia
praescitum est a Deo quod iste tali causa et tali ordine salvabitur. Unde
sicut est incompossibile praedestinationi quod iste non salvetur, ita est
etiam sibi incompossibile quod non fuerit oratum pro eo, quamvis utrumque in
se sit possibile non esse. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que cet
argument suppose un principe qui est faux. Si en effet Stéphane n’avait pas
prié pour ses bourreaux, peut-être que Paul n’aurait pas été sauvé, tout
comme si quelqu’un ne faisait pas les œuvres méritoires, il ne recevrait pas
la couronne qui lui est destinée. Et cependant la prédestination ne peut être
contrariée car il est connu d’avance de Dieu que celui-ci sera sauvé par
telle cause et par tel ordre. D’où il suit que tout comme il est impossible à
la prédestination que celui-ci ne soit pas sauvé, de même il lui est aussi
impossible qu’on ne priera pas pour lui, bien qu’il soit possible à chacun
des deux pris en eux-mêmes de ne pas exister. |
[3007] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod causa infundens gratiam est solus Deus ;
sed dispositio ad gratiam potest esse ex ipso eodem qui gratiam recipit ; sed
meritum gratiae ex congruo potest esse etiam alterius justi ; sed ex condigno
est etiam ipsius hominis Christi, cujus merita efficaciam habuerunt in totam
humanam naturam, quia ipse caput Ecclesiae est. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
cause qui répand la grâce est Dieu seul ; mais la disposition à la grâce
peut venir de celui-là même qui reçoit la grâce ; mais le mérite de la
grâce à partir du convenable peut aussi appartenir à un autre juste ; mais
à partir d’une manière tout à fait digne elle appartient aussi à l’homme même
du Christ, dont les mérites ont obtenu une efficacité dans toute la nature
humaine car il est lui-même la tête de l’Église. |
|
|
Articulus 5 [3008] Super Sent., lib. 1
d. 41 q. 1 a. 5 tit. Utrum quidquid olim Deus scivit, modo sciat |
Article 5 – Tout ce que Dieu a connu autrefois, le connaît-il maintenant ? |
[3009] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 arg. 1 Quinto quaeritur, utrum quidquid Deus sciverit olim, modo sciat.
Et videtur quod sic. Scientia enim Dei, ut supra habitum est, est
invariabilis. Sed omnis scientia quae desinit esse alicujus cujus prius
fuerat, variatur. Ergo videtur quod quidquid Deus olim scivit, modo sciat. |
Difficultés : 1. Il semble que Dieu
sache maintenant ce qu’il a connu autrefois. La science de Dieu en effet,
comme nous l’avons établi plus haut, est invariable. Mais toute science qui
cesse d’exister sur un objet sur lequel elle portait avant est une science variable.
Il semble donc que ce que Dieu a connu autrefois, il le connaît maintenant. |
.[3010] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 arg. 2 Praeterea, omne scitum a Deo, aut accipitur ut res quaedam, aut
ut enuntiabile significans esse rem. Sed quamcumque rem Deus scivit modo scit
; quia una et eadem res est quae modo est praesens et prius fuit futura et
cras erit praeterita ; et similiter videtur esse una veritas enuntiabilis
[enunciabilis Éd. de Parme], quia
veritas enuntiabilis reducitur ad veritatem rei sicut ad causam. Ergo videtur
quod quidquid Deus olim scivit, modo sciat, sive sit res, sive enuntiabile. |
2. Par ailleurs, tout ce qui est connu de
Dieu est reçu soit comme une chose soit comme une énonciation signifiant que
la chose existe. Mais toute chose que Dieu a connue il la connaît maintenant
car c’est une seule et même chose qui est présente maintenant, qui avant
était à venir et qui demain sera passée ; et semblablement il semble
qu’il n’y ait qu’une seule et même vérité exprimée dans l’énonciation [qui
puisse être énoncée Éd. de Parme]
car la vérité de l’énonciation se ramène à la vérité de la chose comme à sa
cause. Il semble donc que tout ce que Dieu a connu, il le sait maintenant,
soit en tant que chose soit en tant qu’énonciation. |
[3011] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 arg. 3 Praeterea, consignificatio se habet propinquius [propinquis Éd. de Parme] ad dictionem quam ad
orationem. Sed diversus modus significandi non impedit unitatem nominis ;
unde dicitur a grammaticis: albus, alba, album esse unum nomen, et sic de
aliis. Cum ergo haec enuntiabilia, Socratem currere et cucurrisse, ad unum
instans relata, in diversis temporibus prolata, non differant nisi per
diversam consignificationem temporis, videtur quod sit unum enuntiabile ; et
sic idem quod prius. |
3. En outre la cosignification est plus
proche [est proche Éd. de Parme] du
mot que du discours. Mais une manière différente de signifier n’empêche pas
l’unité du nom ; d’où les grammairiens disent que blanc et blanche,
c’est un seul et même nom et qu’il en est de même pour d’autres cas
semblables. Donc, puisque ces énonciations, à savoir Socrate court et Socrate
a couru, relatifs à un seul et même instant, mais prononcés à des moments
différents, ne diffèrent que par une cosignification différente du temps, il
semble qu’en réalité ces deux énoncés n’en soient qu’un seul et alors il faut
conclure de la même manière que précédemment. |
[3012] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 arg. 4 Praeterea, aut unitas temporis pertinet ad unitatem enuntiabilis,
aut non. Si pertinet ad unitatem enuntiabilis, ergo cum dicta enuntiabilia
referantur ad unum tempus, videtur quod sit unum enuntiabile. Si autem non
pertinet, ergo cum dicta enuntiabilia non distinguantur nisi per diversam
consignificationem temporis, videtur quod sint unum enuntiabile. |
4. De plus, ou bien l’unité du temps
appartient à l’unité de l’énonciation, ou bien ce n’est pas le cas. Si elle
appartient à l’unité de l’énonciation, donc puisque les énonciations qui sont
dites se rapportent à un seul temps, il semble qu’il y ait une seule
énonciation. Mais si elle ne lui appartient pas, alors, puisque les
énonciations qui sont dites ne se distinguent que par une cosignification
différente du temps, il semble qu’il n’y ait qu’une seule énonciation. |
[3013] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 arg. 5 Praeterea, enuntiabile etiam res quaedam est rationis. Sed
quamcumque rem Deus scivit, scit. Ergo ex hoc etiam videtur sequi quod
quodcumque enuntiabile Deus scivit, scit. |
5. Par ailleurs, l’énonciation est elle
aussi une certaine chose, à savoir un être de raison. Mais toute chose que
Dieu a connue, il la connaît. Il semble donc aussi découler de là que toute
énonciation que Dieu a connue, il la connaît. |
[3014] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 s. c. 1 Sed contra, omne verum est scitum a Deo [omne scitum a Deo est
verum Éd. de Parme]. Sed quondam
verum erat Christum esse moriturum. Ergo fuit scitum a Deo. |
Cependant : 1. Au contraire, tout ce
qui est vrai est connu de Dieu [tout ce qui est connu de Dieu est vrai Éd. de Parme]. Mais il était vrai
autrefois que le Christ allait mourir. Donc cela était connu de Dieu. |
[3015] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 s. c. 2 Item, quidquid est scitum a Deo est verum. Ergo cum modo non sit
verum Christum esse moriturum, non est scitum a Deo. Non ergo quidquid Deus
scivit, scit. |
2. En outre, tout ce qui est connu de Dieu
est vrai. Donc, puisque maintenant il n’est pas vrai que le Christ va mourir,
cela n’est pas connu de Dieu. Donc, tout ce que Dieu a connu, il ne le
connaît pas. |
[3016] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 s. c. 3 Si dicas, quod in
processu est figura dictionis, quia mutatur « quid » in
« quando », contra: ista
solutione posita, remanet eadem difficultas: quia mutabitur propositio et
dicetur: non quodcumque enuntiabile Deus scivit, scit, ut conclusum est. Sed
enuntiabile est aliquod scitum. Ergo non quidquid Deus scivit, scit. |
3. Si tu dis qu’il y a un changement dans la configuration du mot
parce que «quid», à savoir «quoi» est changé en «quando», à savoir en
«quand», je réponds par contre qu’une fois posée cette solution, la
difficulté demeure la même car la proposition sera changée et on dira :
ce n’est pas tout énoncé que Dieu a connu, il connaît, qui est conclu. Mais
une énonciation est queque chose de connu. Donc ce n’est pas tout ce que Dieu
a connu qu’il connaît. |
[3017] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist.
XXXVIII, quaest. 1, art. 3, scientia Dei non tantum est rerum, sed etiam
enuntiabilium. Si ergo scientia Dei referatur ad res, sic nulli dubium est
quin omnem rem quam Deus scivit, sciat ; et sic optime procedit solutio
Magistri in Littera. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut
dire, comme nous l’avons souligné plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 3]
que la science de Dieu ne se rapporte pas seulement aux choses, mais aussi
aux énonciations. Si donc la science de Dieu se rapporte aux choses, ainsi il
n’est douteux à personne que toute chose que Dieu a connue, il la
connaît ; et en ce sens la solution du Maître procède d’une manière
excellente dans la Lettre. |
Una enim et eadem res est quae
significatur cum diversis temporibus profertur: Socrates currit et cucurrit ;
scilicet cursus Socratis. Si autem referatur ad enuntiabilia, tunc super hoc
fuit duplex opinio. |
En effet, c’est une seule et même chose qui
est signifiée lorsqu’elle est prononcée en différents temps : en effet,
qu’on dise Socrate court ou Socrate a couru, il s’agit toujours de la même
course de Socrate. Mais si on se rapporte aux énonciations, alors à ce sujet
il y a deux opinions. |
Quidam enim dixerunt, quod ad unitatem
rei significatae sequitur unitas enuntiabilis, quamvis etiam cum diversa
consignificatione temporis proferatur ; et secundum hoc sequitur quod enuntiabile
quod semel est verum, semper fuit et est verum ; et ita quod semel est scitum
a Deo, semper erit scitum ab eo. |
Certains
en effet ont dit que l’unité de l’énonciation suit l’unité de la chose
signifiée, bien qu’encore elle soit prononcée avec une cosignification du
temps qui est différente ; et d’après cette opinion il s’ensuit que
l’énonciation qui a une fois été vraie le fut toujours et l’est encore ;
et c’est ainsi que ce qui a été une fois connu de Dieu sera toujours connu de
Lui. |
Sed ista positio expresse contrariatur
dictis Philosophi in Praedicamentis cap.
« De substantiis » qui
dicit, quod eadem propositio, scilicet Socrates sedet, quae prius erat vera,
Socrate sedente, eodem surgente efficitur falsa. Et praeterea si ab unitate
rei enuntiabile haberet unitatem, eadem ratione ex diversitate haberet
diversitatem ; et ita hoc enuntiabile, Socratem currere, diversis temporibus
prolatum, non esset unum, nec aliquod nomen significans diversas res unum
esset ; et sic periret tam aequivocatio quam univocatio, quarum utraque
requirit unitatem nominis quod pluribus convenit. Unde ab omnibus modernis
conceditur, quod sunt duo diversa enuntiabilia, Socratem currere et
cucurrisse, etiam si ad eumdem cursum referantur. Et secundum hoc
distinguendum est de enuntiabili. |
Mais
cette position est clairement contredite par les paroles du Philosophe [Les Prédicaments, ch. «Des
substances»] qui dit que la même proposition, à savoir Socrate est assis,
laquelle était vraie lorsque Socrate était assis, est fausse lorsqu’il se
lève. Et par ailleurs, si l’énonciation tenait son unité de l’unité de la
chose, pour la même raison elle tiendrait sa diversité de la diversité de la
chose ; et ainsi cette énonciation, à savoir Socrate court ne serait
plus une si elle était prononcée en des temps différents et aucun nom
signifiant différentes choses ne serait un seul et même nom ; et c’est
ainsi que disparaîtrait aussi bien l’équivoque que l’univoque, puisque les
deux exigent qu’un même nom s’applique à plusieurs choses différentes. C’est
pourquoi tous les modernes concèdent que les énoncés suivants, à savoir
Socrate court et Socrate a couru, sont deux énoncés différents même s’ils se
rapportent à la même course. Et c’est conformément à cela qu’il faut faire
une distinction au sujet de l’énonciation. |
Quia vel potest sumi inquantum est res
quaedam rationis quasi materialiter ; et sic quodcumque enuntiabile scivit,
scit: semper enim scit hoc enuntiabile, Socratem currere, habere talem
naturam et tales partes. Vel potest sumi significative, prout per ipsum
designatur esse rei cum suis conditionibus quae dantur intelligi ex
consignificatione verbi ; et sic non quodcumque enuntiabile Deus scivit,
scit. Scivit enim hoc enuntiabile esse verum, Christum crucifigi, cum
crucifigebatur ; sed non scit modo esse verum, sed fuisse verum. |
En
effet, elle peut s’entendre comme matériellement comme un certain être de
raison ; et en ce sens, tout énoncé que Dieu a connu, il le connaît :
en effet, il sait toujours que cet énoncé, à savoir Socrate court, possède
telle nature et telles parties. Mais elle peut aussi s’entendre dans sa
signification selon que par elle est désigné l’être de la chose avec ses
conditions qui sont données à être comprises à partir de la cosignification
du verbe ; et en ce sens ce n’est pas toute énonciation que Dieu a
connue qu’il connaît. Il a su en effet que cet énoncé était vrai, à savoir
que le Christ a été crucifié, lorsqu’il était crucifié ; mais il ne sait
pas maintenant que cela est vrai, mais plutôt que cela a été vrai. |
[3018] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc non contingit ex aliqua mutatione
facta circa scientiam Dei, sed circa rem ipsam. Sicut enim cum dicimus, Deus
praescivit Christum moriturum, designatur respectus ad futurum, unde quando
desinit esse futurum, Deus jam non praescit illud, nulla tamen mutatione in
ejus praescientia facta ; ita etiam cum dicitur, Deus scivit Christum
moriturum, designatur respectus futuri in participio. Unde re in praeteritum
transeunte, non manet idem respectus, quo remoto, Deus nescit rem sub tali
respectu esse. Unde non variatur ejus scientia qui uno intuitu omnia
conspicit, sed variatur respectus et [in Éd.
de Parme] natura rei. Contingit enim, ut supra dictum est, dist. XXXXVI
qu. 1, art. 3, quod in relativis praedicationibus fiat mutatio reliquo
[altero Éd. de Parme] extremorum
mutato, altero invariabili manente. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que cela ne se produit pas à partir d’un changement qui a lieu
sur la science de Dieu mais sur la chose elle-même. En effet, tout comme nous
disons que Dieu a connu d’avance que le Christ allait mourir, cet énoncé
désigne un rapport au futur, d’où il suit que lorsque cet événement cesse
d’être futur, Dieu déjà ne connaît plus cela à l’avance, non pas cependant à
cause d’un changement survenu dans sa préscience ; de même encore
lorsque nous disons que Dieu a su que le Christ allait mourir, un rapport au
futur est désigné dans le participe. C’est pourquoi, l’événement s’étant écoulé
dans le passé, le rapport ne demeure plus le même et ce rapport ayant
disparu, Dieu ne sait pas que la chose existe sous ce rapport. D’où il suit
que sa science ne varie pas, laquelle saisit toutes les choses par une seule
considération, mais c’est le rapport qui varie et [dans Éd. de Parme] la nature de la chose. Il est possible en effet,
comme nous l’avons dit plus loin [dist. XXXXVI, quest. 1, art. 3] que dans
les attributions relatives il y ait un changement alors que l’un [l’autre Éd. de Parme] des extrêmes est changé et
que l’autre demeure inchangé. |
[3019] Super
Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis veritas
enuntiabilis causetur ab esse rei, non tamen oportet quod propter unitatem
rei enuntiabile unitatem habeat, sed veritatem. Unitatem autem habet et diversitatem
ex his ex quibus essentialiter constituitur, scilicet ex partibus suis ; unde
cum diversae sint partes horum enuntiabilium, Socratem currere et cucurrisse,
diversa sunt enuntiabilia. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
que la vérité de l’énonciation soit causée par l’existence de la chose, il
n’est cependant pas nécessaire que l’énonciation tienne son unité de l’unité
de la chose, mais seulement la vérité. Mais l’énonciation tient plutôt son
unité et sa diversité des éléments à partir desquels elle est constituée, à
savoir de ses parties ; et c’est pourquoi, puisque les parties de ces
énonciations sont différentes, à savoir Socrate court et Socrate a couru,
nous avons là des énonciations différentes. |
[3020] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod diversus modus significandi facit etiam
diversum nomen ; sed quod dicatur idem nomen a grammatico, hoc non est quia
simpliciter sit unum, cum sint plures voces, albus, alba, album, et multiplicato
genere, quod est vox, necesse sit multiplicari speciem, quod est nomen ; unde
ubi multae voces et multa nomina ; sed dicuntur unum nomen quia pertinent ad
idem condeclinium. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’un mode
différent de signifier entraîne aussi un nom différent ; mais ce qui est
appelé un même nom par le grammairien, ce n’est pas pour cette raison que ce
nom est absolument un puisqu’il y a plusieurs mots, à savoir albus, alba,
album qui en latin veulent dire blanc, blanche, etc., et si on multiplie le
genre qui est le mot, il est nécessaire qu’on multiplie l’espèce qui est le
nom ; d’où il suit que là où il y a plusieurs mots, il y a plusieurs
noms ; mais ces termes sont appelés un seul nom parce qu’ils
appartiennent à la même codéclinaison. |
[3021] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus significatum est extra essentiam
enuntiabilis ; et ideo ab eo enuntiabile non concipit unitatem vel
diversitatem sed a tempore consignificato: quia propter diversam consignificationem
temporis sunt diversae terminationes verborum et diversae voces ; unde et
diversa enuntiabilia. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le
temps qui est signifié est extérieur à l’essence de l’énonciation ; et
c’est pourquoi ce n’est pas de lui que l’énonciation contient l’unité ou la
diversité mais du temps cosignifié : car c’est à cause d’une
cosignification différente du temps qu’il y a différentes terminaisons des
verbes et différents mots ; et c’est pourquoi il y a différentes
énonciations. |
[3022] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1
a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod accipiendo enuntiabile ut est res
quaedam, sic procedit argumentatio ; sed sic non est ad propositum. |
5.Il faut dire en cinquième lieu que
l’argument procède en prenant l’énonciation en tant que chose ; mais en
procédant de la sorte, il ne se rapporte pas au propos. |
|
|
Distinctio 42 |
Distinction 42[20] -- [La condition de la toute puissance de Dieu[21]] |
|
|
Prooemium |
Prologue[22] |
|
|
lib. 1 d. 42 q. 1 pr. Determinato de
scientia Dei, hic Magister secundo determinat de potentia ejus ; et dividitur
in partes duas : in prima Magister ostendit universalitatem potentiae ipsius,
secundum quam omnipotens dicitur ; in secunda excludit quorumdam errorem,
potentiam Dei limitantium, 43 dist. : quidam tamen de suo sensu
gloriantes, Dei potentiam sub mensura coarctare conati sunt. |
Ayant traité de la science de Dieu, le Maître traite
ici en deuxième lieu de sa puissance et cette section se divise en deux
parties : dans la première le Maître manifeste l’universalité de sa
puissance selon laquelle on dit de Dieu qu’il est tout-puissant ; dans
la deuxième il écarte une erreur de certains qui limitent, à la distinction
43, la puissance de Dieu : certains
cependant, se glorifiant de leur jugement, se sont efforcés de réduire la
puissance de Dieu à une mesure. |
Prima in duas : in prima inquirit,
quare Deus omnipotens dicatur ; in secunda quaestionem determinat, ibi : quod
enim Deus omnia possit, pluribus auctoritatibus comprobatur [1] Et dividitur in duas : in prima
determinat quaestionem tenendo alteram partem ; in secunda solvit ea quae pro
parte reliqua inducuntur, ibi : ex quibusdam autem
auctoritatibus traditur, ideo vere dici omnipotentem, quia quidquid vult
potest. [4] |
La première partie se divise elle-même en deux :
dans la première il se demande pourquoi on dit de Dieu qu’il est
tout-puissant ; dans la deuxième il répond à la question, là où il
dit : que Dieu soit tout-puissant,
cela est confirmé par de nombreuses autorités [1]. Et cette dernière se divise
en deux parties : dans la première il répond à la question en prenant
une des parties ; dans la deuxième il résout les difficultés qui sont
introduites en faveur de la partie qui reste, là où il dit : cependant certaines autorités enseignent
qu’il est véritablement tout-puissant pour cette raison qu’il peut tout ce
qu’il veut. [4] |
Circa primum tria facit : primo
ostendit veritatem, scilicet quod Deus omnia possit ; secundo excludit
quasdam instantias, tres scilicet, quarum prima est de actibus corporalibus,
secunda de peccatis, tertia de passionibus, ibi : sed
quaeritur quomodo omnia posse dicatur, cum nos quaedam possimus quae ipse non
potest [2]
; tertio ex dictis concludit perfectam omnipotentiae rationem, ibi : hic
ergo diligenter considerantibus omnipotentia ejus secundum duo apparet…[3] Ex quibusdam tamen
auctoritatibus traditur, ideo vere dici omnipotentem, quia quidquid vult
potest [4]. |
Au sujet du
premier point il fait trois choses : en premier lieu il manifeste la
vérité, à savoir que Dieu peut tout ; en deuxième lieu il écarte
certaines objections qui sont au nombre de trois, dont la première porte sur
les actes corporels, la deuxième sur les péchés et la troisième sur les
passions, là où il dit : mais on
se demande comment on peut dire de lui qu’il peut tout puisque nous sommes
capables de certaines choses dont Lui-même n’est pas capable [2] ;
en troisième lieu, en partant de ce qui a été dit, il termine avec une
définition parfaite de la toute-puissance, là où il dit : ici donc, pour ceux qui examinent la
question avec soin, la toute-puissance de Dieu apparaît d’après deux… [3]
Cependant certaines autorités
enseignent que la raison pour
laquelle on dit de Dieu qu’il est tout-puissant, c’est qu’il peut tout ce
qu’il veut [4]. |
Hic inducit ea quae ad alteram partem
quaestionis facere videntur, quod scilicet dicatur omnipotens, quia omnia
potest facere quae vult ; et dividitur in partes tres : in prima inducit
auctoritates ad partem illam ; in secunda solvit eas, ibi : sed
ad hoc potest dici [5] ; in tertia assignat relationis multiplicitatem, ut
videatur qualiter hoc etiam Deo sit proprium, ibi : sed
cave quomodo intelligas, potest quidquid vult [6]. |
Il introduit
ici les difficultés qui semblent jouer en faveur de l’autre partie de la
question, à savoir qu’on dit de Lui qu’il est tout-puissant parce qu’il peut
faire tout ce qu’il veut ; et cette section se divise en trois
parties : dans la première partie il introduit les autorités en faveur
de cette partie ; dans la deuxième il les résout, là où il dit : mais on peut répondre à cela
[5] ; dans la troisième il assigne la multiplicité de la relation afin
de voir de quelle manière cela aussi est propre à Dieu, là où il dit : mais prends garde à la manière dont tu
entends qu’il peut tout ce qu’il veut [6]. |
Hic est duplex quaestio. Prima est de
potentia Dei secundum se. Secunda de his quae suae potentiae subjacent. Circa
primum quaeruntur duo : 1 utrum potentia Deo conveniat ; 2 utrum in eo sit
una potentia, vel plures. |
On examine
donc ici deux questions. La première porte sur la puissance de Dieu en
elle-même. La deuxième porte sur les choses qui sont soumises à sa puissance.
Au sujet de la première on pose deux questions : 1. Est-ce que
la puissance convient à Dieu ? 2. Y a-t-il en
Lui une seule puissance ou plusieurs ? |
|
|
|
Question 1 – [La puissance de Dieu en soi] |
|
|
lib. 1 d. 42
q. 1 a. 1 tit. Utrum in Deo sit potentia. |
Article 1 – Y a-t-il de la puissance en Dieu ? |
lib. 1 d. 42
q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod potentia Deo non conveniat. Sicut enim
potentia se habet ad actum, ita habet se primus actus ad potentiam. Sed
primae potentiae, quae est materia, non est aliquis actus qui sit de essentia
ejus. Ergo nec primi actus, qui est Deus, est aliqua potentia. |
Difficultés : 1. Il semble
que la puissance ne convienne pas à Dieu. En effet, la puissance est à l’acte
ce que l’acte premier est à la puissance. Mais pour la puissance première qui
est la matière, il n’y a pas d’acte qui fasse partie de son essence. Donc, il
n’y a pas non plus de puissance qui appartienne à l’acte premier qui est
Dieu. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 2
Praeterea, omne quod agit per essentiam suam, [non[23]]agit mediante aliqua potentia ; quia
potentia est medium inter essentiam et operationem. Sed Deus cum sit primum
agens, non participatione alicujus, sed per essentiam suam agit, ut Dionysius
dicit, et Avicenna probat. Ergo non convenit sibi aliqua potentia per quam
agat. |
2. Par
ailleurs, tout ce qui agit par son essence n’agit pas par l’intermédiaire
d’une puissance car la puissance est un intermédiaire entre l’essence et
l’opération. Mais Dieu, puisqu’il est l’agent premier et qu’il agit par son
essence et non en participant d’un autre être comme le dit Denys et le prouve
Avicenne, c’est pourquoi il ne convient pas à Dieu qu’il agisse au moyen
d’une puissance. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, omnis potentia vel est activa vel passiva, secundum philosophum.
Sed Deo non convenit potentia passiva, quia nihil potest pati, ut in littera
dicitur : nec iterum activa, quia, sicut ibidem dicitur a philosopho,
potentia activa est principium transmutationis in aliud, secundum quod est
aliud ; Deus autem in agendo non requirit materiam in quam agat. Ergo videtur
quod nullo modo sibi potentia conveniat |
3. Par ailleurs,
toute puissance est ou bien active, ou bien passive, d’après le Philosophe [V
Métaphysique, texte 17]. Mais la
puissance passive ne convient pas à Dieu puisqu’Il ne peut rien pâtir, comme
on le dit dans la Lettre ; et la puissance active non plus ne peut lui
convenir car, comme le dit au même endroit le Philosophe, la puissance active
est un principe de changement dans un autre en tant qu’autre ; mais
Dieu, lorsqu’il agit, n’exige pas une matière sur laquelle il agit. Il semble
donc que la puissance ne lui convienne d’aucune manière. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, omnis potentia est principium alicujus operationis. Sed Deo non
convenit operatio, nisi quae sit sua essentia. Cum ergo suae essentiae nihil
sit principium, quia essentia neque est genita neque procedens, videtur quod
potentia sibi non conveniat. |
4. En outre,
toute puissance est le principe d’une opération. Mais en Dieu il n’y a
d’opération que celle qui est son essence. Donc, puisque rien n’est le
principe de son essence car son essence n’est pas engendrée et ne procède de
rien, il semble que la puissance ne lui convienne pas. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 5
Praeterea, Dei potentia aut est semper conjuncta actui, aut non. Si primo
modo, omnis autem potentia conjuncta actui inducit effectum quandocumque ipsa
est ; potentia autem Dei ab aeterno fuit ; ergo et effectus ejus, scilicet
creaturae, ab aeterno sunt : quod haereticum est. Si secundo modo, omnis
autem potentia non conjuncta actui, et conjungibilis, est imperfecta, et perficitur
per actum ; ergo aliquid imperfectum erit in Deo : quod cum sit inconveniens,
videtur potentia omnino in Deo non esse. |
5. De plus, la
puissance de Dieu dans tous les cas est unie ou non à un acte. Si elle l’est,
toute puissance unie à un acte est conduit cependant à son effet tant
qu’elle-même existe ; cependant la puissance de Dieu a existé de toute
éternité ; donc son effet aussi, à savoir les créatures, ont existé de
toute éternité, ce qui est hérétique. Si elle ne l’est pas, toute puissance
qui n’est pas unie à un acte et peut lui être unie est cependant imparfaite
et trouve son achèvement par l’acte : il y aura donc quelque chose
d’imparfait en Dieu ; et puisque cela est contradictoire, il semble que
la puissance n’existe absolument pas en Dieu. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed
contra est quod habetur Luc.
1, 49 : fecit mihi magna qui potens est. Et in Psalm. 88, 10 : potens
es, domine, et veritas tua in circuitu tuo. |
Cependant : 1. Au
contraire l’Écriture [Luc, 1, 49]
nous dit : Dieu, le Tout-Puissant,
a fait pour moi de grandes choses. Et on y [Psaume 88, 10] lit aussi : Tu es puissant, Seigneur, et ta vérité t’environne. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 2
Praeterea, omnis effectus producitur per potentiam causae efficientis. Sed
Deus est causa efficiens rerum. Ergo in ipso oportet potentiam ponere. |
2. En outre,
tout effet est produit par la puissance d’une cause efficiente. Mais Dieu est
la cause efficiente des choses. Il faut donc soutenir qu’il y a de la
puissance en Lui. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod nomen potentiae primo impositum fuit ad significandum
potestatem hominis, prout dicimus aliquos homines esse potentes, ut Avicenna
dicit, et deinde etiam translatum fuit ad res naturales. Videtur autem in
hominibus esse potens qui potest facere quod vult de aliis sine impedimento ;
et secundum quod impediri potest, sic minuitur potentia ejus. Impeditur autem
potentia alicujus vel naturalis agentis vel etiam voluntarii, inquantum
potest pati ab aliquo. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que le nom de puissance fut imposé en
premier lieu pour signifier la puissance de l’homme, selon que nous disons
que certains hommes sont puissants, comme Avicenne le dit, et ce mot fut
ensuite transféré aux choses naturelles. Il semble cependant que celui qui
est puissant chez les hommes est celui qui peut faire ce qu’il veut des
autres sans en être empêché ; et c’est selon qu’il peut en être empêché
que sa puissance se trouve à être diminuée. Mais la puissance d’une être, qu’il
s’agisse d’un agent naturel ou d’un agent volontaire, est empêchée selon
qu’il peut subir ou pâtir quelque chose de la part d’un autre. |
Unde de ratione potentiae, quantum ad
primam impositionem sui, est non posse pati. Unde etiam illud quod non potest
pati, etsi nihil possit agere, dicimus potens ; sicut dicitur durum quod
habet potentiam ut non secetur. Et ex hoc concluditur perfecta ratio
potentiae in Deo : tum quia omnia agit, quod convenit sibi inquantum est
actus primus et perfectus (nihil enim agit nisi secundum quod est actu ens)
tum quia nihil patitur, quod convenit sibi inquantum est actus purus sine
permixtione alicujus materiae : unumquodque enim patitur ratione alicujus
materialis in ipso. |
D’où il suit
que, quant à sa première imposition, ne pouvoir pâtir fait partie de la
définition de la puissance. D’où il suit aussi que nous appelons puissant
l’être qui ne peut pâtir, mais s’il ne peut rien faire ou agir ; par
exemple nous appelons dur ce qui n’a aucune puissance à être coupé. Et c’est
à partir de là qu’est conclue la définition parfaite de la puissance en
Dieu : tant parce qu’il fait tout, ce qui lui convient en tant qu’il est
l’acte premier et parfait (en effet, tout agent agit selon qu’il est un être
en acte) que parce qu’il ne pâtit ou ne subit rien, ce qui lui convient en
tant qu’il est un acte pur qui n’est mélangé à aucune matière : en
effet, tout être pâtit en raison de ce qu’il y a de matériel en lui. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod esse primam potentiam non convenit materiae secundum
principalem significationem potentiae : quia, ut dictum est, in corp. art.,
potentia primo imposita est ad significandum principium actionis ; sed
secundo translatum est ad hoc ut illud etiam quod recipit actionem agentis,
potentiam habere dicatur ; et haec est potentia passiva ; ut sicut potentiae
activae respondet operatio vel actio, in qua completur potentia activa ; ita
etiam illud quod respondet potentiae passivae, quasi perfectio et
complementum, actus dicatur. Et propter hoc omnis forma actus dicitur, etiam
ipsae formae separatae ; et illud quod est principium perfectionis totius,
quod est Deus, vocatur actus primus et purus, cui maxime illa potentia
convenit. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu qu’être la première puissance ne covient pas à la
matière selon la signification première de la puissance car, ainsi que nous
l’avons dit dans le corps de l’article, le nom de puissance a été imposé en
premier lieu pour signifier le principe de l’action ; mais il a été en deuxième
lieu transféré à autre chose de telle manière qu’on dise aussi de ce qui
reçoit l’action de l’agent qu’il possède de la puissance, laquelle puissance
dans ce cas est la puissance passive ; de la sorte, tout comme à la
puissance active correspond l’opération ou l’action dans laquelle la
puissance active trouve son achèvement, de même aussi ce qui correspond à la
puissance passive en tant que perfection et achèvement s’appelle acte. Et
c’est pour cette raison que toute forme s’appelle acte, même les formes
séparées ; et ce qui est le principe de toute perfection, à savoir Dieu,
est appelé acte premier et pur, et la puissance lui convient au plus haut
point. |
lib. 1 d. 42
q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potentia importat, [ut dictum est,
in Resp. ad primum, Éd. Parme]
rationem principii actionis ; unde quidquid sit illud quod est principium
agendi, potentia dicitur, sicut calor et frigus, et hujusmodi ; et sic etiam
ipsa essentia divina, secundum hoc quod est principium operationis, potentia
vocatur, non quod potentia sit aliud ab essentia in Deo. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la puissance
implique [comme nous l’avons dit dans la réponse à la première difficulté Éd. De Parme] la notion de principe
d’action; il suit de là que tout ce qui est principe d’action est appelé
puissance, comme la chaleur, le froid et les choses de la sorte; et en ce
sens, l’essence divine elle-même, en tant qu’elle est principe d’opération,
est appelée puissance, mais non pas dans le sens où la puissance serait autre
chose que l’essence en Dieu. |
lib. 1 d. 42 q. 1
a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deo nullo modo potentia passiva convenit,
sed activa tantum. Potentiae autem activae accidit quod requirat subjectam
materiam in quam agat, inquantum est imperfecta, non potens in totam rei
substantiam : quae imperfectio a divina potentia removetur. Vel dicendum,
quod secundum Avicennam, agens aliter dicitur in naturalibus et in divinis :
agens enim naturale agit per motum : et quia omnis motus est actus existentis
in potentia, ideo requiritur materia, quae motui substernatur : divinum autem
agens agit in eo quod dat esse non per motum ; unde potentia activa est
principium operationis in aliud sicut in effectum productum, non sicut in
materiam transmutatam. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la puissance
passive ne convient aucunement à Dieu, mais seulement la puissance active.
Mais il arrive à la puissance active, en tant qu’elle est imparfaite et
impuissante à agir sur toute la substance de la chose, d’exiger comme sujet
une matière sur laquelle elle agit; mais cette imperfection doit être exclue
de la puissance divine. Ou bien il faut dire que selon Avicenne, l’agent se
dit autrement pour les choses naturelles et pour Dieu: l’agent naturel en
effet agit au moyen du mouvement et parce que tout mouvement est l’acte de ce
qui est en puissance, c’est pourquoi un tel agent exige la matière qui est
comme le fondement du mouvement; mais l’agent divin agit en ceci qu’il donne
l’existence sans recourir au mouvement; d’où il suit que la puissance active
est le príncipe d’opération dans un autre comme dans un effet produit et non
comme dans une matière transformée. |
lib. 1 d. 42 q. 1
a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus non agit operatione media, quae sit
aliud ab essentia sua ; sed suum esse est suum operari, et suum operari est
sua essentia : nihilominus tamen essentia significatur ut principium essendi
; et eadem ratione potest significari potentia ut principium operandi, et
praeter hoc ut principium operati. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que Dieu n’agit pas
par une opération intermédiaire qui serait autre que son essence; mais son
existence même est son opération et son opération est son essence: néanmoins
cependant l’essence est signifiée comme príncipe d’existence; et pour la même
raison la puissance peut être signifiée comme príncipe d’opération et en
outre comme príncipe de l’oeuvre en tant qu’effet de l’opération. |
lib. 1 d. 42 q. 1
a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod operatio sua est idem quod potentia sua
secundum rem ; et ideo non potest operationi suae potentia non esse
conjuncta. Nec tamen semper consequitur effectus quandocumque operatio est,
quia operatio quodammodo regulatur voluntate et sapientia ordinante ; unde
effectus non sequitur nisi ad nutum voluntatis divinae, secundum cujus
dispositionem ex operatione aeterna sequitur effectus temporalis. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que son opération, en
réalité, est identique à sa puissance; et c’est pourquoi il n’est pas
possible à son opération de ne pas être unie à sa puissance. Et cependant
l’effet ne suit pas toujours à chaque fois qu’il y a opération parce que
l’opération est en quelque sorte réglée par la volonté et par la sagesse qui
ordonne; d’où il suit que l’effet ne s’ensuit qu’au gré de la volonté divine
et c’est suivant la disposition de cette dernière qu’à partir d’une opération
éternelle s’ensuit un effet temporel. |
|
|
Articulus 2 : Utrum in Deo sit tantum
una potentia. lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 tit. |
Y a-t-il en Dieu une seule puissance ? |
lib. 1 d. 42
q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sit tantum una potentia in Deo. Non
enim potest esse unum et idem proprium uni, et pluribus commune. Sed potentia
creandi communis est tribus personis ; posse autem generare proprium est patri.
Ergo est alia et alia potentia. |
Difficultés : 1. Il semble
qu’il n’y ait pas qu’une seule puissance en Dieu. Il est impossible en effet
qu’une seule et même chose soit propre à l’un et commune à plusieurs. Mais la
puissance de créer est commune aux trois personnes ; cependant la
puissance d’engendrer est propre au Père. Ce sont donc là deux puissances
différentes. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 2
Praeterea, in nobis inveniuntur quidam actus naturales, ut generare, et
hujusmodi ; et quidam voluntarii, ut aedificare domos, et hujusmodi ; et
quidam animales, ut intelligere, scire, et hujusmodi. Sed
hujusmodi actus reducuntur in nobis in diversas potentias. Cum igitur
singulis praedictorum actuum respondeat similis actus in Deo, quia dicimus
ipsum scientem, creantem, et generantem : videtur quod sit plures potentias
in eo ponere, ad quas isti actus reducuntur. |
2. Par ailleurs, on retrouve en nous certains actes
qui sont naturels, comme engendrer et les actes de cette sorte, et d’autres
qui sont volontaires, comme construire des maisons et des actes de cette
sorte, et enfin d’autres qui sont des actes de l’âme, comme comprendre,
savoir, etc. Mais de tels actes se ramènent en nous à des puissances
différentes. Donc, puisqu’à chacun de ces actes correspond un acte semblable
en Dieu, car nous disons de lui qu’il sait, qu’il crée et qu’il engendre, il
semble qu’il faille poser plusieurs puissances en Lui auxquelles se ramènent
ces actes. |
lib. 1 d. 42
q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophos[24],
substantiae separatae dividuntur in intellectum et voluntatem. Non autem
sicut in diversas naturas. Ergo sicut in diversas potentias. Ergo
in Deo ad minus sunt duae potentiae. |
3. En outre, d’après les philosophes, les substances
séparées se distinguent en intelligence et en volonté, mais non pas en tant
que natures différentes. Il faut donc que ce soit en tant que puissances
différentes. Donc, il y a au moins deux puissances en Dieu. |
lib. 1 d. 42
q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ratio potentiae consistit in hoc quod est esse
principium operationis. Sed quodlibet attributum divinum, [secundum propriam
rationem [add. Éd. Parme] est principium operationis
: quia ex bonitate ejus fluit omnis bonitas, et ex vita ejus fluit omnis
vita, et sic de aliis, ut Dionysius tradit. Ergo sicut dicimus plura
attributa, sic debemus dicere plures potentias. |
4. De plus, la
notion de puissance consiste en ceci qu’elle est un principe d’opération.
Mais tout attribut divin [d’après la notion qui lui est propre add. Éd. de
Parme] est principe d’opération : car c’est de sa bonté que découle
toute bonté, et c’est de sa vie que découle toute vie et il en est de même
pour le reste ainsi que l’enseigne Denys. Donc, tout comme nous disons
plusieurs attributs, de même nous devons dire plusieurs puissances. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed
contra, secundum Augustinum, quidquid in divinis absolute dicitur,
singulariter et non pluraliter praedicatur. Sed potentia
inter absoluta continetur. Ergo non sunt plures potentiae in Deo, sed una
tantum. |
Cependant : 1. Selon Saint-Augustin au contraire, tout ce qui est attribué en Dieu
d’une manière absolue, s’attribue au singulier et non au pluriel. Mais la
puissance fait partie des attributs absolus. Il n’y a donc pas plusieurs
puissances en Dieu mais une seule. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, secundum philosophum in Lib. de causis, omnis virtus unita plus
est infinita quam multiplicata. Sed virtus divina est maxime infinita. Ergo
videtur quod sit maxime una, nullam multitudinem [multiplicationem Éd. Parme]
habens. |
2. Par ailleurs, selon le Philosophe dans son Livre sur les Causes, toute puissance qui est une est plus
infinie que si elle est multipliée. Mais la puissance divine est suprêmement
infinie. Il semble donc qu’elle soit suprêmement une et qu’elle ne possède
aucune multiplicité [multiplication Éd.
de Parme]. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod in Deo simpliciter et absolute dicendum est unam tantum
potentiam esse. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il n’y a en Dieu, simplement et absolument, qu'une seule
puissance. |
Cum[25] enim potentia secundum modum intelligendi
sit medium inter essentiam et operationem, ex utraque parte potest ejus
unitas et diversitas pensari. Sed tamen simpliciter unitatem et
multiplicationem habet ex parte essentiae : non quae est subjectum ejus, quia
contingit in una essentia plures esse virtutes vel potentias ; sed ex parte
essentiae quae est immediatum principium actus : sicut in igne alia est
potentia qua fertur sursum, scilicet levitas, alia qua dissolvit vel urit,
scilicet caliditas ; et ex parte autem operationis non dicitur una vel
plures simpliciter, sed secundum quid : quia tunc magis dicitur esse una
potentia plurium, quam plures potentiae. Et ita cum immediatum principium
cujuslibet suae operationis sit sua essentia, quae simpliciter una est ; ideo
et potentia una est. Sed inquantum est principium operationum distinctarum
secundum rationem, accipit aliam et aliam rationem potentiae, sicut et
essentia habet plures rationes attributorum. Nec tamen ex hoc est quod sint
plures, sed tantum una potentia. |
En effet,
comme la puissance selon la manière de la comprendre est intermédiaire entre
l'essence et l'opération, son unité et sa diversité peuvent être considérées
des deux côtés. Mais cependant c’est d’une manière absolue qu’elle possède
l'unité et la multiplicité du côté de
l'essence, non pas de celle qui est son substrat, parce qu'il arrive que
dans une seule essence il y ait plusieurs pouvoirs ou puissances, mais du
côté de l'essence qui est le principe immédiat de l'acte, comme dans le feu
il y a une puissance par lequel il est porté vers le haut, c'est-à-dire la
légéreté, et une autre qui dissout ou brûle, c'est-à-dire la chaleur. Mais du côté de l'opération la puissance ne possède pas l’unité ou la
multiplicité absolument, mais sous un certain rapport, parce qu'alors on dit
davantage qu'il y a une seule puissance pour plusieurs [opérations] que
plusieurs puissances. Et ainsi comme le principe immédiat de chacune de ses
opérations est son essence, qui est absolument une, c’est pourquoi il n’y a
aussi qu’une seule puissance. Mais en tant qu'elle est principe d'opérations
distinctes selon la raison, elle reçoit à chaque fois une définition
différente de la puissance, tout comme l'essence qui a plusieurs natures
d'attributs. Et cependant de ce fait, il n’y en a pas plusieurs, mais
seulement une. |
Potentia enim activa, quae sola in Deo
invenitur, potest dupliciter considerari : vel quantum ad essentiam
potentiae, vel quantum ad actiones quae a potentia procedunt. |
En effet, la
puissance active, qui seule se trouve en Dieu, peut être considérée de deux
manières : soit quant à l’essence de la puissance, soit quant aux actions qui
procèdent de la puissance. |
Dico autem essentiam potentiae illud
quod est immediate principium actus, in quocumque genere sit, sicut calor
principium calefactionis. Principium autem omnium divinarum operationum est
sua essentia, quia per essentiam suam agit. Unde sicut essentia sua est una
re, pluralitatem quamdam rationum habens secundum diversa attributa, ut supra
dictum est, dist. 2, qu. Unic. art. 2, ita etiam potentia Dei re est una, sed
secundum diversas rationes attributorum pluralitatem rationum accipit :
cuilibet enim attributo convenit ratio potentiae, secundum quod competit esse
principium operationis. Et quia operatio Dei est ejus essentia, ideo etiam
ipsa est una secundum rem, diversimode significata secundum diversas rationes
diversorum attributorum, et secundum diversitatem effectuum, qui simpliciter
plures sunt. |
J'appelle
cependant essence de la puissance ce qui est immédiatement principe de
l’acte, en quelque genre que ce soit, comme la chaleur est le principe de
l’échauffement. Mais le principe de toutes les opérations divines est son
essence, parce que c’est par elle que Dieu agit. C’est pourquoi, de même que
son essence est une en réalité, avec une certaine pluralité de raisons selon
les différents attributs, comme on l’a dit plus haut (dist.2, quest.
unique, art.2), de même la puissance de Dieu est une en réalité, mais
selon les diverses raisons des attributs[26],
elle reçoit une pluralité de raisons ; car à chaque attribut convient la
raison de puissance selon qu’il lui convient d’être un principe d’opération.
Et parce que l’opération de Dieu est son essence, c’est pourquoi elle-même
est une en réalité, mais signifiée de différentes manières, selon les
différentes raisons des différents attributs, et selon la diversité des effets
qui sont absolument multiples. |
Patet ergo
quod potentia, sive secundum essentiam suam consideretur, sive etiam per
comparationem ad divinam operationem, secundum quod in operante est, unitatem
habet ; sed multitudo realis est tantum in effectibus qui ex operatione
divina causantur. Et ideo
patet quod absolute dicendum est, potentiam divinam esse unam ; sed tamen
quod est plurium ; quia judicium de unitate rei absolute sumendum est
secundum essentiam ejus, et non secundum id quod extra est. |
Il est donc
clair que la puissance, qu’elle soit considérée selon son essence ou même par
rapport à l’opération divine, selon qu’elle est dans celui qui opère, possède
l’unité : mais la multiplicité réelle n’existe que dans les effets qui sont
causés par l’opération divine. Et c’est pourquoi il est clair qu’il faut
absolument dire que la puissance divine est une, mais cependant qu'elle se
rapporte à plusieurs opérations, parce que le jugement sur l’unité de la
chose doit absolument être tiré de son essence et non de ce qui lui est extérieur.
|
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod potentia generativa nominat essentiale conjunctum
notionali, sicut cum dicitur, Deus generat. Unde illud quod est essentiale
pertinens ad rationem potentiae commune est tribus, sicut est potentia
essendi : eadem enim potentia pater generat, et filius nascitur, sed notio
remanet propria patri et hoc plenius patet ex dictis supra, distinct. 26,
quaest. 2, art. 3. |
Solutions : 1. La puissance générative désigne ce qui concerne
l'essentiel[27] joint à la notion[28], comme
quand on dit que Dieu engendre. D’où il suit que ce qui est l’essentiel et
appartient à la notion de puissance est commun aux trois personnes, comme la
puissance d’exister : en effet, c’est par la même puissance que le Père
engendre et que le Fils naît, mais la notion demeure propre au Père, et cela apparaît
plus pleinement à partir de ce qui a été dit plus haut (dist.26, qu.2, art.3[29]). |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod Deo idem est principium essendi et operandi ; unde
sicut Deus eodem est unus, ens, justus, et sic de aliis ; ita ipse eodem
operatur actus diversarum rationum, nos autem diversis. |
2. Il faut
donc dire en deuxième lieu qu’en Dieu le principe d’être et celui d’opérer
est le même[30] ; c’est pourquoi, tout comme c’est par le
même principe que Dieu est un, qu’il existe, qu’il est juste etc., de même
c’est par le même principe que lui-même opère des actes de natures
différentes que nous opérons par des principes différents. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod in omnibus aliis substantiis separatis non videtur omnino idem
esse re voluntas et intellectus ; sed quod in aliis est secundum diversitatem
realem, est in Deo secundum unitatem rei et distinctionem rationis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que dans toutes les autres substances séparées, la
volonté et l’intelligence ne semblent pas être absolument identiques en
réalité, mais ce qui dans les autres existe selon une diversité réelle existe
en Dieu selon l'unité réelle et la distinction de raison. |
lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod attributa in Deo sunt unum re, et distinguuntur tantum ratione
et ideo nomen potentiae, et quidquid alius est nomen rei, si sit nomen primae
impositionis non potest pluraliter praedicari, ut dicantur plura attributa
esse plures potentiae, vel plures bonitates, vel aliquid hujusmodi ; sed
nomina secundae impositionis, ut attributum et hujusmodi, pluraliter
praedicantur. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que les attributs en Dieu sont un en réalité et ne se
distinguent que par la raison, et c’est pourquoi le nom de puissance et tout
autre qui est un nom de chose, s'il est le nom de la première imposition, il
ne peut pas être attribué au pluriel, pour dire que plusieurs attributs sont
plusieurs puissances, ou plusieurs bontés, ou quelque chose de la sort ;
mais les noms de la seconde imposition, comme l’attribut, et les noms de
cette sorte sont attribués au pluriel. |
|
|
|
Question 2 – [Ce qui est soumis à la puissance de Dieu] |
|
|
Quaestio 2. Prooemium. lib. 1 d. 42 q. 2 pr. Deinde quaeritur
de his quae subjecta sunt divinae potentiae ; et circa hoc quaeruntur tria :
1 utrum Deus possit quidquid est alteri possibile ; 2 utrum possit facere
impossibilia ; 3 utrum sit aliquid judicandum simpliciter possibile vel
impossibile, secundum causas superiores vel inferiores. |
PrologueEnsuite on cherche ce que sont les sujets de la
puissance divine, et à ce propos on cherche trois choses. 1. Dieu peut-il
tout ce qui est possible à un autre ? 2.
Peut-il faire l'impossible ? 3. Faut-il juger quelque chose comme absolument
possible ou impossible selon les causes supérieures ou les causes inférieures
? |
|
|
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 tit. Articulus 1 : Utrum Deus
possit quidquid est alteri possibile. |
Article 1 – Dieu peut-il tout ce qui est possible à un autre ? |
lib. 1 d. 42
q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus possit quidquid alteri possibile est.
Omnis enim potentia creata est exemplata a potentia ipsius, sicut omne bonum
a bonitate ejus. Sed quidquid est in exemplato, verius et perfectius
invenitur in primo exemplari. Ergo potentia Dei se extendit ad omnia in
quacumque creata potentia potest. |
Difficultés
:[31]. 1. Il semble que Dieu puisse tout ce qui est possible à
un autre. Car toute puissance créée est l'image de sa puissance, comme tout
bien est l'image de sa bonté. Mais tout ce qui est dans l'image se retrouve
avec plus de vérité et de perfection dans le premier exemplaire ou dans son
modèle. Donc la puissance de Dieu s'étend à tout ce à quoi la puissance créée
peut s’appliquer. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 2
Praeterea, philosophus dicit, quod Deus, et etiam studiosus potest prava
agere. Sed nihil ita elongatur a potentia ejus sicut malum. Ergo videtur quod
ipse omnia possit quae creatura potest. |
2. Par
ailleurs, le philosophe dit (IV Topiques,
ch. 111, 5, 126 a 37-39[32])
que Dieu, même appliqué, peut aussi faire de mauvaises choses. Mais rien
n'est si éloigné de sa puissance que le mal. Donc il semble qu'il peut tout
ce que peut la créature. |
lib. 1 d. 42
q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, de ratione voluntatis est, ut libertatem ad
utrumlibet habeat. Sed in Deo verissime invenitur voluntas. Ergo potest utrumlibet, et bonum et
malum. |
3. En outre, il
est dans la nature de la volonté d’avoir la liberté de choisir l’une ou
l’autre des possibilités qui s’offrent à elle. Mais la volonté se trouve très
véritablement en Dieu. Donc il peut l'un et l'autre, le bien et le mal. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 4
Praeterea, nihil quod est laudabilitatis, ei subtrahendum est qui magnus est
et laudabilis nimis. Sed posse facere malum et non facere est laudabilitatis
: sicut dicitur Eccli. 31, 10, in laudem unius viri justi : qui potuit
transgredi, et non est transgressus ; facere mala, et non fecit. Ergo Deo
convenit. Et sic idem quod prius. |
4. De plus, rien
de ce qui est digne de louange ne doit lui être retiré à lui qui est grand et
tout à fait digne de louange. Mais pouvoir faire le mal ou ne pas le faire
est digne de louange, comme le dit l'Écriture [Ecclésiate, 31, 10], en louange à un homme juste : «Il a pu pécher et ne l'a pas fait, faire
le mal et il ne l'a pas fait. » Donc cela convient à Dieu. Et ainsi il
faut conclure comme nous l’avons fait plus haut. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed
contra, sicut Deus non potest non esse Deus, ita non potest esse imperfectus.
Sed quaedam dicitur creatura posse sua infirmitate vel imperfectione sicut
pati, mori, et hujusmodi. Ergo videtur quod Deus non omnia possit quae
creatura potest. |
Cependant : 1. Au
contraire, tout comme Dieu ne peut pas ne pas être Dieu, de même il ne peut pas
être imparfait. Mais on dit qu’une créature peut certaines choses par sa
faiblesse ou son imperfection, comme pâtir, mourir, etc. Donc il semble que
Dieu ne peut pas faire tout ce que la créature peut faire. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 s. c. 2
Praeterea, summum bonum non potest esse causa alicujus mali, sicut nec summe
calidum causa alicujus frigoris. Sed Deus est summe bonus. Ergo nullum malum
facere potest. Creatura autem hoc potest. Non ergo quidquid creatura potest,
et ipse Deus potest. |
2. Le bien suprême ne peut pas être la
cause d'aucun mal, tout comme ce qui est suprêmement chaud ne peut pas être
cause du froid. Mais Dieu est suprêmement bon. Donc il ne peut faire aucun
mal. Mais la créature le peut. Donc Dieu n’est pas capable de tout ce dont la
créature est capable. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod quidquid perfectionis in creatura est, totum est exemplariter
eductum ex perfectione creatoris ; ita tamen quod illam perfectionem
imperfectius creatura habet quam in Deo sit[33]. Et ideo potentia creaturae inquantum
deficit a repraesentatione divinae potentiae, deficit a perfecto posse. Unde
quod attribuitur sibi secundum quod est in tali gradu participata, non
oportet quod divinae potentiae attribuatur. Sicut etiam dicimus essentiam lapidis
exemplatam a divina essentia, nec tamen dicimus Deum esse lapidem ; ita etiam
non dicimus Dei potentiam esse potentiam ambulandi vel patiendi, quasi
proximum principium ambulationis et passionis, ita quod ipse ambulet vel
patiatur. |
Corps de
l’article : Je réponds que tout ce qu’il y a de perfection dans la
créature, procède entièrement de la perfection du créateur comme d’un modèle,
de telle manière cependant que la créature possède cette perfection de façon
moins parfaite qu'elle n'est en Dieu. Et ainsi la puissance de la créature, en
tant qu'elle est une faible représentation de la puissance divine, est loin
d’être une puissance parfaite. C'est pourquoi ce qui lui est attribué selon
qu’elle est participée en un tel degré, ne doit pas être attribué à la
puissance divine. Tout comme nous disons que l'essence de la pierre est image
de l'essence divine et que nous ne disons pas pour autant que Dieu est une
pierre, de même aussi nous ne disons pas que la puissance de Dieu est
la puissance de marcher ou de pâtir comme principe prochain de la marche ou
de la passion, de telle manière que lui-même marcheait ou pâtirait. |
Sciendum tamen, quod gradus
potentiarum, sicut et naturarum, divina dispositione ordinati sunt secundum
quod una plus vel minus deficit a perfectione divinae potentiae. Et ideo
videndum est quod quamvis nullus actus proprius harum potentiarum secundum
gradus determinatos conveniat potentiae divinae sicut principio proximo,
tamen omnes actus proprii harum potentiarum egredientes ab eis secundum
rationem ordinis in quo constitutae sunt reducuntur in Deum sicut in causam
primam. Unde quamvis non dicamus quod Deus possit ambulare vel pati, dicimus
tamen quod creat ambulationem et passionem in aliis. Sed actus qui
egrediuntur a determinatis potentiis praeter dictam rationem ordinis nullo
modo in causalitatem divinae potentiae reducuntur ; non enim dicimus quod
possit peccare, nec in aliis peccatum facere. |
Il faut savoir
cependant que les degrés dans les puissances, comme ceux des natures, ont été
ordonnés par la disposition divine, selon que l’une est plus ou moins
déficiente par rapport à la perfection de la puissance divine. Et c’est
pourquoi il faut voir que bien qu’aucun acte plus propre de ces puissances,
selon les degrés déterminés, ne convienne à la puissance divine comme à son
principe le plus proche, cependant tous les actes propres de ces puissances,
qui sortent d’elles selon la raison de l’ordre dans lequel elles ont été
constituées, se ramènent à Dieu comme à leur cause première. D’où il suit que
bien que nous ne disions pas que Dieu peut marcher ou pâtir, nous disons
cependant qu'il crée la marche ou la passion dans les autres. Mais les actes
qui sortent de puissances déterminées en dehors de la raison de l'ordre dont
nous venons de parler ne se ramènent en aucune manière à la causalité de la
puissance divine ; nous ne disons pas en effet qu'il puisse pécher, ni qu’il
puisse provoquer un péché dans les autres. |
lib. 1 d. 42
q. 2 a. 1 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum. lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, secundum quosdam, quod ly prava accipiendum est
materialiter, ut sit sensus : Deus potest facere prava, idest quae modo prava
sunt, quae tamen si ipse faceret, prava non essent. Vel dicendum quod
loquitur conditionaliter, ut intelligatur, si vellet ; cujus conditionalis et
antecedens est impossibile, et consequens ; et hoc non est inconveniens,
sicut haec : si centum sunt minus quam quinque, sunt minus quam decem. |
Solutions : 1. Et par là
apparaît la réponse à la première difficulté. 2. Il faut
dire en deuxième lieu que selon certains, l’expression ¨mauvaises choses¨
doit s’entendre matériellement de manière à signifier : Dieu peut faire de
mauvaises choses, c'est-à-dire des choses qui sont maintenant mauvaises, de
telle manière cependant que s'il les faisait lui-même, elles ne seraient plus
mauvaises. Ou bien encore il faut dire que le Philosophe parle ici d’une
manière conditionnelle de manière à ce qu’on entende : ¨s'il le voulait¨.
Et à la fois l’antécédent et le conséquent de cette conditionnelle sont
impossibles et cela ne pose pas de difficulté, comme dans le cas
suivant : si cent était un nombre plus petit que cinq, il serait aussi
plus petit que dix. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod posse peccare, secundum Anselmum et Boetium, non pertinet ad
libertatem voluntatis ; sed magis est conditio voluntatis deficientis
inquantum est ex nihilo. Sed in hoc attenditur ratio libertatis, quod possit
hoc facere vel non facere, aut hoc vel aliud facere. |
3. Pouvoir
pécher, selon Saint-Anselme [Du Libre
Arbitre, ch. 1, col. 489] et Boèce [V De
la Consolation, prose II, col. 836, t. 1], ne convient pas à la liberté
de la volonté, mais est plutôt la condition d’une volonté déficiente en tant
qu'elle vient du néant. Mais la notion de liberté se vérifie en ceci qu'il
est possible de faire ceci ou ne pas le faire, ou faire ceci ou autre chose. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod aliquid est laudabile inferiori naturae, quod in superiori
vituperabile esset ; sicut esse ferox in cane et leone est laudabile, sed in
homine vituperabile : ita et non peccare cum possit, est laus hominis, sed
blasphemia Dei, si de ipso dicatur. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que quelque
chose est louable dans une nature inférieure qui est condamnable dans une
nature supérieure ; en effet, tout comme il est louable pour le chien ou le
lion mais condamnable pour l’homme d’être cruel, de même il est louable pour
l’homme de ne pas pécher alors qu’il le peut, mais dire cela de Dieu est
blasphématoire. |
|
|
Articulus 2 : Utrum Deus possit quae
sunt impossibilia naturae. lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 tit. |
Article 2 – Dieu peut-il ce qui est impossible à la nature ? |
lib. 1 d. 42
q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ea quae naturae sunt impossibilia, Deus
non possit. Sicut enim dicit Commentator, in 8 Metaph., omnis alteratio est
ab aliquo agente corporali. Sed Deus est agens incorporale. Ergo videtur quod
nulla alteratio a Deo possit fieri in creatura inferiori, nisi mediante motu
superioris corporis, quod est primum alterans non alteratum. Sed mediante
illo motu nihil impossibile naturae fieri potest. Ergo Deus nihil naturae
impossibile facere potest. |
Difficultés
: 1. Il semble
que Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible à la nature. Car, comme le
dit le Commentateur[34],
[VIII Métaphysique, texte com. 4]
tout changement vient d'un agent corporel. Mais Dieu est un agent incorporel.
Donc il semble qu'aucun changement ne peut venir de Dieu dans une créature
inférieure, si ce n’est par l'intermédiaire du mouvement du corps supérieur
qui est le premier moteur non mû. Mais
par l'intermédiaire de ce mouvement il ne peut rien faire qui soit impossible
à la nature. Donc Dieu ne peut rien faire d'impossible à la nature. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 2
Praeterea, omnis impossibilitas vel necessitas quae est in propositionibus,
reducitur ad hoc primum principium, quod est impossibile simul affirmare et
negare, secundum philosophum. Sed hoc dicitur Deus non posse quod affirmatio
et negatio sint simul vera. Ergo nullum impossibile naturae facere potest. |
2. Par
ailleurs, toute impossibilité ou nécessité qui est dans les propositions se
ramène à ce premier principe, à savoir qu'il est impossible d'affirmer et de
nier en même temps, selon le Philosophe [V Métaphysique, texte 9]. Mais cela veut dire que Dieu ne peut pas
faire que l'affirmation et la négation soient simultanément vraies. Donc il
ne peut faire aucune chose qui est impossible à la nature. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 3
Praeterea, magis est impossibile quod est impossibile per se, quam quod est
impossibile per accidens. Sed impossibile per accidens Deus facere non
potest. Ergo nihil eorum quae per se sunt impossibilia. Probatio mediae. Deus
non potest facere quod illud quod est praeteritum non fuerit, ut probatur
auctoritate Hieronymi qui dicit, quod cum cetera Deus possit non potest de
corrupta facere virginem ; et per Augustinum, et per philosophum ubi
Agathonem commendat dicentem : hoc solo privatur Deus ingenita facere quae
facta sunt. |
3. En outre, ce
qui est impossible par soi est plus impossible que ce qui est impossible par
accident. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par accident. Il
ne peut donc rien faire de ce qui est impossible par soi. Preuve de la
mineure : Dieu ne peut pas
faire que ce qui est passé n'ait pas existé, comme le prouve l'autorité de Saint-Jérôme
[Lettre XXII, Sur la Conservation de la
Virginité à Eustache, & 5,
col. 397, t. 1] qui dit que « Dieu,
qui peut tout, ne peut pas faire d’une femme séduite une femme qui ne l’a pas
été.» et par celle de Saint-Augustin [XXVI, Contre Faust, ch. V, col. 481, t. VIII et par le Philosophe [ VI Éthique, ch. 11] où Agathon confie que
: « Il y a une seule chose qui
soit impossible à Dieu : faire que ce qui a été fait n’ait pas été fait. ». |
Sed praeteritum non fuisse, non est
impossibile nisi per accidens, quia hoc ipsum quod praeteritum est, prius
quam fieret, contingens erat non esse, ut Socratem currere. Ergo non potest
facere illud quod est impossibile per accidens. |
Mais que le
passé n'ait pas existé, cela n'est impossible que par accident, parce que cela
même qui est passé, avant de se produire, pouvait ne pas exister, comme le
fait pour Socrate de courir. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est
impossible par accident. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 4
Praeterea, secundum Augustinum, Deus non potest facere aliquid contra
rationes quas primitus indidit ; et in quadam Glossa ad Rom. 11 dicitur, quod
Deus cum sit auctor naturae, nihil contra naturam facit. Sed ea quae sunt
naturae impossibilia, videntur contra naturam esse. Ergo nihil horum Deus
facere potest. |
4. Selon
Augustin (La Genèse au sens littéral,
VI, 14) Dieu ne peut pas faire quelque chose contre les raisons qu'il a
d'abord induites, et dans une certaine glose à Rm. 11[35] il est dit : que, comme Dieu est l'auteur de
la nature, il ne fait rien contre elle. Mais ce qui est impossible à la
nature, semble être contre elle. Donc Dieu ne peut rien faire de cela. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 5 Sed
contra, qui omnia dicit, nihil excludit. Sed in littera dicitur et probatur,
quod Deus omnia potest. Ergo ab ejus omnipotentia impossibilia non
excluduntur. |
Cependant : 5. Qui dit
tout n'exclut rien. Mais dans La Lettre
il est dit et prouvé que Dieu peut tout. Donc l’impossible n'est pas exclu de
sa toute-puissance. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 6
Praeterea, Hilarius dicit, quod plus potest Deus facere quam nos possumus
dicere, ut habitum est supra, 19 dist. : quod probatur etiam ex hoc quod
habetur Luc. 1, 37 : non erit impossibile apud Deum omne verbum. Sed nihil
ita est impossibile quin nos dicere possimus, etiam contingere simul
affirmare et negare ; quod quidam philosophi dixerunt. Ergo videtur quod
omnia hujusmodi Deus possit facere. |
6. En outre,
Saint-Hilaire dit que Dieu peut faire davantage que ce nous pouvons dire,
comme nous l’avons établi plus haut à la distinction 19. ; ce qui est
prouvé aussi à partir de ce que nous en dit l’Écriture [Luc 1, 37] : «Aucune parole
ne sera impossible à Dieu». Mais rien n'est impossible à ce point que
nous ne puissions pas le dire, et même qu’il est possible d’affirmer et de
nier simultanément, ce que certains philosophes ont soutenu. Il semble donc
que Dieu puisse faire toutes les choses de cette sorte. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 7
Praeterea, magis distat Deus et homo, quam duo contraria. Sed Deus univit
humanam naturam divinae. Ergo multo magis potest facere quod duo contraria
sint simul in eodem ; ex quo sequitur quod affirmatio et negatio sint simul
vera ; et si hoc potest, omnia potest. |
7. De plus, il
y a plus de distance entre Dieu et l'homme qu’entre deux contraires. Mais
Dieu a uni la nature humaine à la nature divine. Il peut donc bien davantage
faire que deux contraires existent simultanément dans un même être; d’où il
s’ensuit que l'affirmation et la négation sont simultanément vraies. Et s'il
peut cela, il peut tout. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 8
Praeterea, sicut caecitas est contraria dispositio visioni, ita virginitas
conceptui. Sed Deus fecit ut virgo manens virgo conciperet, et mater esset.
Ergo potest facere ut caecus manens caecus visum habeat : et sic idem quod
prius. |
8. Par
ailleurs, tout comme la cécité est une disposition contraire à la vision, de
même la virginité est contraire à la conception. Mais Dieu a fait qu'une
vierge demeure vierge après avoir conçu et être devenue mère. Il peut donc
faire que l'aveugle demeure aveugle après avoir retrouvé la vue : la
conclusion sera donc la même que la précédente. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod posse importat respectum medium inter potentem et possibile,
sicut scire inter scientem et scibile : et ideo aliquid posse potest negari
ex parte potentis, et aliquid ex parte possibilis. Nullum autem posse quod
sine imperfectione est, negatur de Deo ex parte ipsius Dei potentis, sed
negatur ab eo ex parte ejus posse defectivum, quod non est pure posse, sed
admixtum cum non posse ; quia potentia ejus defectum habere non potest. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que le pouvoir établit un
rapport intermédiaire entre celui qui peut et le possible, tout comme le fait
le savoir entre celui qui sait et l’objet de science; et c'est pourquoi un
pouvoir peut être nié du côté de celui qui peut tout comme il peut être nié
aussi du côté du possible. Mais aucun
pouvoir qui est sans imperfection n’est nié de Dieu du côté de sa puissance
même, mais il est nié de Lui que de son côté son pouvoir serait défaillant,
lequel ne serait pas un pur pouvoir, mais un pouvoir mélangé à du non-pouvoir ;
car la puissance de Dieu ne peut être défaillante. |
Unde non conceditur quod ipse possit
peccare, vel aliquid hujusmodi. Negatur etiam quandoque Deus aliquid posse ex
parte ipsius possibilis, quod nullo modo rationem possibilis habere potest :
et hoc dicimus impossibile esse per se. Et cujusmodi sit hoc, investigandum
est. |
C'est pourquoi
on ne concède pas qu'il puisse pécher, ou autres choses de ce genre. On nie
aussi parfois que Dieu puisse quelque chose du côté du possible qui ne peut
en aucune manière avoir raison de possible, et nous disons de cela que c’est
de l’impossible par soi. Et il faut chercher à savoir de quelle sorte est cet
impossible. |
Sciendum igitur, quod omnis potentia
vel est ad esse vel ad non esse, sicut potentia quae est ad corrumpendum.
Unde quidquid non potest habere rationem entis vel non entis, illud non
potest esse possibile : et ideo hoc quod est idem simul esse et non esse, est
in se impossibile : quia quod est ens et non ens, neque est ens neque non
ens. Et ideo dicitur Deus hoc facere non posse, non propter defectum
potentiae ejus, sed quia hoc deficit a ratione possibilis ; sicut dicitur non
scire falsum quia [Éd. Parme quod] a ratione scibilis deficit, et per
consequens dicitur non posse facere omne illud in quo contradictio implicatur
: et propter hoc non potest facere quod illud quod praeteritum est non fuerit
; quia quod est, necesse est esse dum est, et impossibile est non esse tunc
dum est, et cum ista necessitate et impossibilitate in praeteritum transit ;
et hoc est quod Augustinus dicit : « si quis dicit : Deus, quia
omnipotens est, faciat ut quae facta sunt, non fuerint ; non videt se hoc
dicere : faciat ut quod verum est, eo ipso quod verum est, non sit ». |
Il faut donc
savoir que toute puissance est ordonnée soit à de l'être soit à du non-être,
comme c’est le cas pour la puissance qui est ordonnée à corrompre. D’où il
suit que tout ce qui ne peut avoir raison d'étant ou de non-étant ne peut pas
être possible : et c’est pourquoi la même chose qui serait simultanément de
l’être et du non être serait en elle-même impossible, parce que ce qui est
étant et non-étant, n'est ni étant ni non-étant. Et c’est pourquoi on dit que
Dieu ne peut pas faire cela, non pas à cause d’un défaut de sa puissance,
mais parce que cela est contraire à la nature du possible ; de même on dit
qu’il ne connaît pas le faux, parce qu’il [lequel Éd. de Parme] est dépourvu de la nature de l’objet connaissable[36],
et par conséquent on dit de Lui qu'il ne peut pas faire tout ce en quoi est
impliquée une contradiction : et c’est pour cette raison qu’il ne peut
pas faire que ce qui est passé n'ait pas existé, parce qu’il est nécessaire
que ce qui existe existe, tant qu'il existe et il lui est impossible de ne
pas exister tant qu'il existe, et c’est avec cette nécessité et cette
impossibilité qu’il passe dans le passé. Et c'est ce que dit Augustin (Contre Fauste, XXVI, ch. 5, col. 481,
t. VIII) : « Si quelqu'un
dit : parce que Dieu est tout puissant, qu'il fasse que ce qui a été fait
n'ait pas été, il ne voit pas qu’il dit ceci: qu'il fasse que ce qui est
vrai, du fait même que cela est vrai, ne le soit pas ». |
Et ex hoc sequitur ulterius quod
nullum eorum possit in quibus contrarium praedicati est in definitione
subjecti, ut quod faciat hoc, scilicet hominem non esse rationalem, vel
triangulum non habere tres lineas. In hoc ipso enim quod ponitur triangulus,
ponitur tres lineas habere : unde hoc est simul habere tres et non habere. |
Et il suit de
là par conséquent qu’il ne peut aucune des choses dans lesquelles le
contraire du prédicat propre à un sujet se retrouverait dans la définition du
sujet, de telle manière qu’il ferait par exemple que l'homme ne serait pas
raisonnable, ou que le triangle n'aurait pas trois côtés. Car du fait même qu’on
pose l’existence d’un triangle, on pose qu'il a trois côtés. Et c'est
pourquoi faire cela reviendrait à dire que le triangle, simultanément,
possède trois côtés et ne possède pas trois côtés. |
Et ex hoc ulterius sequitur quod non
possit facere esse aliqua opposita simul in eodem ; quia in definitione unius
contrarii est privatio alterius, et in definitione privationis est negatio,
sicut prius est in posteriori. Sed quidquid in se non repugnat rationi entis
vel rationi non entis, hoc Deus potest facere ; sicut caelum non esse, vel
esse alium mundum, vel inducere visum prius caeco, et hujusmodi. Haec enim
non sunt in se impossibilia, sed alicui. |
Il en découle
ensuite que Dieu ne peut pas faire que des opposés existent simultanément
dans un même sujet, parce que dans la définition d'un contraire il y a la
privation de l'autre et dans la définition de la privation il y a la
négation, tout comme l’antérieur est dans le postérieur. Mais Dieu peut faire
tout ce qui ne s'oppose pas en soi à la nature de l'être ou à celle du non-être
; par exemple il peut faire que le ciel n'existe pas, ou qu’il existe un
autre monde ou il peut donner la vue à celui qui était aveugle, etc. Ces
choses en effet ne sont pas impossibles en soi, mais à certains seulement. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod posset exponi, quod hoc non potest fieri secundum ordinem
naturalis operationis, quamvis possit esse per actionem agentis supra
naturam, nisi esset contra intentionem ejus qui haec expresse de Deo inducit
: et ideo in hoc erravit, nec ejus auctoritas recipienda est : quia hujus
contrarium etiam philosophi tradunt. Dicit enim Avicenna, quod materia magis
obedit principiis separatis et conceptionibus eorum, quam contrariis
agentibus in natura. Sed quidquid sit de aliis, hoc de Deo firmissime
tenendum est, qui virtutem suam caelo non alligavit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on pourrait
expliquer que cela ne peut pas se produire selon l'ordre de l'opération
naturelle, quoique cela soit possible par l'action d’un agent surnaturel, à
moins que ce soit contre l'intention de celui qui l'a introduite expressément
de Dieu ; et c'est pourquoi le Commentateur s'est trompé à ce sujet et on ne
doit pas accepter son autorité, car même les philosophes ont enseigné le
contraire de ce qu’il dit. Avicenne [Métaphysique
II, 3] dit en effet que la matière obéit plus aux principes séparés et à
leurs conceptions, qu'aux agents contraires présents dans la nature. Mais
pour tout ce qui est du reste, il faut s’en tenir très fermement à cela au
sujet de Dieu qui n’a pas lié sa puissance au ciel. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod secundum hoc quod aliquid est impossibile, reducitur
in illud principium : unde quod est impossibile per se, includit illud [om.
Illud Éd. Parme] principium in se : et tale impossibile non potest ipse Deus
facere, ut ex dictis, in corp. art., patet ; et quod est impossibile alicui,
includit dictum principium in ordine sui ad illud, sicut patet cum dicitur,
quod impossibile est mortuum reviviscere ; vivere enim per se possibile est,
sed in corpore mortuo non est potentia ad hunc effectum inducendum, et ex hoc
est impossibile. Unde si poneretur posse vivere ex sua virtute, simul
poneretur ejusdem rei habere potentiam et impotentiam ; nec hoc facit Deus
quando mortuum resuscitat, ut corpus per propriam potentiam vivendi vivat,
sed per potentiam quam sibi confert. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que d’après cela,
l’impossibilité d’une chose se ramène à ce principe[37] : c'est pourquoi ce qui est impossible par
soi inclut en soi ce [ce om. Éd. de Parme] principe, et Dieu lui-même ne peut
pas faire un tel impossible, comme on le voit à partir ce qui a été dit dans
le corps de l'article ; et ce qui est impossible à quelqu'un inclut ce
principe dont on a parlé dans son rapport à lui, comme on le voit quand on
dit qu'il est impossible à un mort de revivre ; car vivre en effet est
possible par soi, mais dans le corps qui est mort il n'y a pas la puissance
de le conduire à cet effet, et de ce fait il lui est impossible de vivre. Et
il suit de là que si on pensait qu'il puisse vivre par sa propre puissance,
on soutiendrait simultanément qu'il appartient à la même chose d’avoir la puissance
et l'impuissance à l’égard d’un même effet ; et cela Dieu ne le fait pas
quand il ressuscite un mort, c’est-à-dire de telle manière qu’il fait que le
corps vive par sa propre puissance de vivre, mais par la puissance qu'il lui
confère. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod praeterita non fuisse, potest accipi ut impossibile per
accidens, et ut impossibile per se. Si enim accipiatur ipsa res quae dicitur
praeterita, ut cursus Socratis, non habet impossibilitatem nisi per accidens
suum, quod est extra rationem ejus, scilicet praeteritionem : et ipsa res in
se considerata non dicitur Deo impossibilis. Potest enim hanc rem facere,
scilicet quod Socrates non currat. Si autem accipiatur secundum quod stat sub
hoc accidente quod est praeteritio, sic est impossibile per se : et hoc
dicitur Deus facere non posse ; et simile est de hoc quod dicitur : Socratem
non currere dum currit est impossibile : quia ratione adjuncti habet
impossibilitatem per se. |
3. Il faut dire en troisième lieu que lorsqu’on dit que
le passé n'a pas existé, cela peut être pris soit comme impossible par
accident, soit comme impossible par soi. Car si on prend la chose même dont
on dit qu’elle est passée, par exemple la course de Socrate, elle n'a d'impossibilité
que par son accident qui est en dehors de sa nature, à savoir le fait d’être
passée; et on ne dit pas que la chose même, considérée en elle-même, est
impossible à Dieu. Car Dieu peut faire cette chose, à savoir que Socrate ne
coure pas. Mais si on considère cette chose selon qu’elle se tient sous cet
accident qui est le passé, elle est alors impossible par soi ; et on dit
alors que Dieu ne peut pas faire cela ; et il en est de même pour ce
qu’on dit ici : il est impossible à Socrate de ne pas courir alors même qu’il
court, parce qu'en raison de ce qui est ajouté il a une impossibilité par soi.
|
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod Deus materiae primae indidit duplices rationes, scilicet
causales, vel obedientiales, per quas omnes natae sunt obedire Deo, ut fiat
ex eis quidquid ei placuerit. Indidit etiam rationes seminales, scilicet
principia activa, per quae effectus naturales exercentur ; et contra has
aliquando dicitur facere in miraculis quae facit. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que Dieu a introduit deux raisons dans la matière
première ; à savoir les raisons causales ou obédientielles, par lesquelles
toutes sont destinées à obéir à Dieu, pour qu'il en fasse ce qui lui aura
plu. Il a induit aussi des raisons séminales, à savoir des principes actifs,
par lequels les effets naturels sont exercés, et contre lesquels on dit
parfois qu'il agit dans les miracles qu'il fait. |
Sed proprie loquendo tunc etiam contra
eas non facit, sed praeter eas, vel super eas. Super eas, quando inducit
effectum in quem natura nullo modo attingere potest, sicut forma gloriae
corporibus gloriosis. Praeter eas facit, quando effectum quem natura inducere
potest, sine officio causarum naturalium producit, ut quando aquam in vinum
convertit, Joan. 2. |
Mais à
proprement parler, même alors il ne le fait pas contre elles, mais à côté
d'elles, ou au-dessus d'elles. Au-dessus, quand il produit un effet que la
nature ne peut atteindre en aucune manière, comme la forme de la gloire pour
les corps glorieux. Il les fait à côté d'elles, quand il produit un effet que
la nature peut produire, et qu’il le produit sans l'aide des causes
naturelles, comme quant il a changé l'eau en vin (Jn 2). |
Sed contra eas non facit ; quia non
facit[38] ut causa naturalis activa manens
eadem secundum speciem, effectum essentialem alium habeat, ut quod ignis
manens ignis infrigidet[39]
; sicut non potest esse quod simul sit eadem et alia. Sed
bene potest destruere unam naturam, et facere aliam ; abjicere unam formam a
materia, et inducere aliam : sic enim et contra naturam aeris facit ignis,
quando ipsum corrumpit. |
Mais il ne le
fait pas contre elles, parce qu'il ne fait pas [ni ne peut faire add. Éd. de Parme] que la cause naturelle
active demeurant la même selon l’espèce, produise un effet essentiellement
différent, par exemple que le feu, tout en demeurant feu, refroidisse, tout
comme il est impossible que cette cause soit simultanément la même et une
autre. Mais il peut bien détruire une nature et en faire une autre, rejeter
une forme de la matière et y en introduire une autre : en ce sens en
effet il fait le feu contre la nature de l’air lorsqu’il le corrompt. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod sub distributione omnium non potest accipi nisi ens vel non
ens. Sed ea quae diximus Deum non posse, neque sunt entia simpliciter, neque
non entia. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu qu’il n’y a que l’étant et le non-étant qui puisse
diviser tout ce qui existe. Mais ce que nous avons dit que Dieu ne peut pas,
ce ne sont pas des étants purement et simplement, ni des non-étants. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod dicta impossibilia quamvis ore proferri possint, tamen corde
concipi non possunt, ut probat philosophus in 5 Metaph. ; unde non proprie et
perfecte sunt verba. |
6. Il faut
dire en sixième lieu que bien que ce que nous avons dit être impossible
puissent être prononcé extérieurement par la bouche, cela ne peut cependant
être conçu intérieurement par l’esprit, comme le Philosophe [Métaphysique, V, texte 16] le prouve; et
c'est pourquoi, à parler proprement et parfaitement, ce ne sont pas là des
paroles. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod Deus non conjunxit humanam naturam divinae, ita quod
esset eadem natura, vel quod una persona secundum idem esset Deus et homo,
sed secundum aliud et aliud ; et sic non est dubium quod contraria in eodem
conjungere potest ; quia et natura hoc facit. |
7. Il faut
dire en septième lieu que Dieu n'a pas joint la nature humaine à la nature
divine, de telle manière qu'elle serait une même nature, ou qu'une seule et
même personne serait Dieu et homme sous le même rapport, mais selon des
rapports différents ; et en ce sens il n'y a pas de doute qu’il peut unir les
contraires dans un même être, parce que la nature elle-même le fait. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum
dicendum, quod non est simile. Quia caecitas est privatio ipsius visus, unde
includit in se negationem ejus : unde non potest facere Deus quod simul sit
caecus et videns. Sed in ratione virginitatis non includitur negatio
maternitatis, sed negatio conjunctionis ad virum ; et ideo ratio non
procedit. |
8. Il faut
dire en huitième lieu que l’analogie soulevée ici ne s’applique pas . Parce
que la cécité est la privation de la vue elle-même, elle inclut en elle sa
négation : c'est pourquoi Dieu ne peut pas faire qu'il soit
simultanément aveugle et voyant. Mais la négation de la maternité n'est pas
incluse dans la notion de virginité, mais cette dernière est la négation de
l’union à un homme ; et c’est pourquoi l’argument ne tient pas. |
|
|
Articulus 3 : Utrum
aliquid sit judicandum impossibile, secundum causas inferiores lib. 1 d. 42
q. 2 a. 3 tit. |
Article 3 – Faut-il juger l'impossible selon les causes inférieures ? |
lib. 1 d. 42
q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod aliquid non sit judicandum impossibile
simpliciter secundum causas inferiores. Super illud 1 ad Corinth. 1, 20 :
stultam fecit Deus sapientiam hujus mundi, ita dicit Glossa : sapientiam
hujus mundi, Deus stultitiam fecit, ostendens possibile quod ipsa impossibile
judicabat. Sed sapientia hujus mundi judicat aliquid impossibile esse
secundum causas inferiores. Ergo videtur quod hoc stultum sit dicere. |
Difficultés
: 1. Il semble que quelque chose ne doive pas être jugé
impossible simplement selon les causes inférieures ; A ce sujet, l’Écriture [I Corinthiens, 1, 20 : « Dieu a rendu folle la sagesse de ce monde ».
La glose dit : «La sagesse de ce monde,
Dieu l’a rendue folle, en manifestant comme possible ce qu’elle jugeait
impossible. ». Mais c’est d’après les causes inférieures que la sagesse
de ce monde juge que quelque chose est impossible. Donc il semble qu’il soit
fou de le dire. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 2.
Praeterea, constat quod causa inferior impium justificare non potest. Sed
tamen non dicimus hoc esse impossibile, et similiter nec mundum fore antequam
esset, quem natura facere non potest. Ergo videtur quod non sit aliquid
dicendum impossibile ex eo quod causae inferiori est impossibile. |
2. Par
ailleurs, il est clair qu'une cause inférieure ne peut pas justifier l'impie.
Mais cependant nous ne disons pas que cela est impossible, et de la même
manière le monde ne sera pas avant d'être, lui que la nature ne peut pas
faire[40].
Il semble donc qu’il ne faut pas dire d’une chose qu’elle est impossible du
fait qu’elle est impossible pour la cause inférieure. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 3
Praeterea, constat quod illuminare caecum et dare virgini conceptum, naturae
est impossibile ; et tamen ista fieri potuerunt, et facta sunt. Ergo videtur
quod secundum causas inferiores aliquid impossibile judicandum non sit. |
3. En outre, il
est clair que rendre la vue à un aveugle et donner à une vierge de concevoir est
impossible à la nature, et cependant cela a pu être fait et a été fait. Il
semble donc que ce n’est aps d’après les causes inférieures que quelque chose
doit être jugé impossible. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed
contra, nihil Deo est impossibile, ut dicitur Luc. 1. Si ergo secundum causam
superiorem tantum aliquid impossibile diceretur et possibile, nihil
impossibile foret. Ergo videtur quod sit judicandum de impossibilitate
secundum causas inferiores. |
Cependant : 1. Rien n'est
impossible à Dieu, comme le dit l’Écriture [Luc 1]. Si donc on disait que quelque chose est impossible et
possible uniquement selon la cause supériere, il n'y aurait rien
d'impossible. Donc il semble qu'il faut juger de l'impossibilité d'après les
causes inférieures. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 s. c. 2
Praeterea, necessarium et impossibile sunt contraria. Sed aliquid non dicitur
necessarium propter necessitatem causae primae, ut supra dictum est, dist.
38, quaest. Unic., art. 5, quia sic omnia essent necessaria. Ergo nec
possibile et impossibile judicandum est secundum superiores causas. |
2. De plus
nécessaire et impossible sont des contraires. Mais on ne dit pas que quelque
chose est nécessaire en raison de la nécessité de la cause première, comme
nous l’avons dit plus haut [dist. 38, quest. unique, art. 5], parce qu'ainsi
tout serait nécessaire. Donc il ne faut pas juger du possible et de
l'impossible selon les causes supérieures. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod impossibile est dupliciter. Aliquid enim est ex se
impossibile, sicut dictum est, art. antec., de his quae contradictionem
includunt ; et haec judicantur impossibilia absolute, non per respectum ad
causas superiores vel inferiores. |
Corps de
l’article : Il y a deux sortes d'impossibilité. Certaines choses en
effet sont impossibles de soi, comme nous l’avons dit dans l'article précédent
pour celles qui contiennent une contradiction et ce sont celles quon juge
être impossibles absolument, et non par rapport avec les causes supérieures
ou inférieures. |
Aliquid autem est impossibile, quod
quantum in se est non habet rationem impossibilis, sed in ordine ad aliquid ;
et in istis distinguendum est ; quia possibile potest dici secundum potentiam
activam et passivam ; et utroque modo dicitur aliquid possibile et
impossibile simpliciter per comparationem ad suam causam proximam activam vel
materialem, cujus conditiones effectus sequitur, ut prius dictum est. |
Mais d’autres
choses sont impossibles qui n’ont pas de soi raison d’impossibilité, mais qui
sont impossibles seulement par rapport à quelque chose, et parmi elles il
faut distinguer : car le possible peut se dire selon la puissance active et
la puissance passive ; et c’est des deux manières qu’une chose est dite
possible ou impossible simplement par rapport à sa cause prochaine active ou
matérielle, dont l'effet suit les conditions, comme nous l’avons dit
précédemment. |
Verbi gratia : materia statuae remota,
est terra et aqua : materia proxima cuprum et lignum. Dicimus autem ex cupro
posse fieri statuam, non autem ex terra : hoc enim solum dicimus esse in
potentia in aliquo absolute, quod potest educi de materia uno motore, ut in 9
Metaph. dicitur. |
En d’autres
mots, la matière éloignée de la statue est la terre et l'eau, alors que la
matière prochaine en est le cuivre et le bois. Mais nous disons que c’est à
partir du cuivre que la statue peut être produite et non à partir de la terre
; en effet, nous disons qu’est en
puissance absolument à l’égard de quelque chose cela seul qui peut être tiré
de la matière par un seul moteur, comme le dit le Philosophe [Métaphysique, IX, texte 16]. |
Dicendum est ergo, quod omnes effectus
qui sunt immediate ipsius Dei, non per causam secundam mediam, ut creatio
mundi, creatio animae, et glorificatio animae, et hujusmodi, judicandi sunt
possibiles vel impossibiles secundum causam superiorem divinam. |
Il faut donc dire
que tous les effets qui procèdent immédiatement de Dieu lui-même, et non par l’intermédiaire d’une cause
seconde, comme la création du monde, celle de l'âme, sa glorification, etc., doivent être jugées possibles ou impossibles
d’après la cause divine supérieure. |
Possunt nihilominus aliqui eorum
judicari possibiles secundum causas passivas inferiores ; quia causae
receptivae se habent in inferioribus sicut anima se habet ad corpus
praeparatum per operationem naturae, et ad gratiam per liberum arbitrium. Sed
illi effectus qui nati sunt ex causis esse inferioribus proximis activis et
passivis, judicandi sunt possibiles vel impossibiles secundum causas
inferiores : sicut in visione caeci et in resurrectione mortui, et hujusmodi
: vita enim et visio sunt effectus immediati causarum inferiorum, scilicet
formarum unitarum corpori. |
Certains
d’entre eux peuvent néanmoins être jugés possibles d’après les causes passives
inférieures ; car les causes réceptives se présentent dans les êtres
inférieurs de la même manière que l'âme par rapport au corps préparé par
l'opération de la nature et par raport à la grâce par le libre arbitre. Mais
ces effets qui sont destinés à exister à partir des causes inférieures
prochaines actives ou passives, doivent être jugées possibles ou impossibles
d’après les causes inférieures, comme dans la vision de l'aveugle, la résurrection
des morts et les cas de cette sorte : en effet, la vie et la vision sont
des effets immédiats des causes inférieures, à savoir des formes unies à un
corps. |
lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod sapientia mundi in hoc stulta reputata est, quia
judicavit haec impossibilia naturae, ita esse impossibilia, quod etiam Deus
ea facere non posset. Aliquid tamen potest dici simpliciter impossibile quod
alicui est possibile ; sicut aliquid dicitur simpliciter album, quod secundum
aliquid sui non est album. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que la sagesse du monde est réputée folle en ceci
qu'elle a jugé que ces choses impossibles à la nature étaient impossibles à
ce point que même Dieu ne pouvait pas les faire. Cependant on peut dire d’une
chose qu’elle est purement et simplement impossible même si elle est possible
à quelqu'un, tout comme on dit que quelque chose est purement et simplement
blanc même si elle n’est pas blanche quant à une de ses parties. |
lib. 1 d. 42
q. 2 a. 3 ad 2 Et per hoc patet responsio ad alia. Expositio textus. lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 expos. Potuit
Deus simul cuncta facere. [2] Non solum ita quod conderet omnes species, sed
etiam omnia individua specierum, quae in toto tempore fiunt ; sed ratio prohibuit,
non quidem per contrarietatem, sed per incompossibilitatem ; non enim potest
esse quod Deus aliquid faciat, et illud rationale non sit ; unde ratio se
habet sicut determinans opus, et potentia sicut exequens. |
2. Et cela éclaire les réponses aux autres difficultés.
Exposition du texte de Pierre Lombard. «Dieu a pu faire
tout en même temps. » Non seulement de manière à établir toutes les
espèces, mais aussi tous les individus des espèces qui apparaissent dans la
totalité du temps ; mais la raison l’a empêché, non pas par contrariété, mais
par « incompossibilité » ; en effet, il n'est pas possible que Dieu
fasse quelque chose et que cela ne soit pas rationnel ; c'est pourquoi
la raison se présente comme
déterminant l’oeuvre et la puissance comme l’exécutant. |
Quia non esset hoc potentiae, sed
infirmitatis [4]. Et hoc etiam dicit Dionysius, et ponit exemplum, sicut cum
aliquid dicitur esse non ens : hoc enim ipsum esse est non esse ; ita et
posse deficere ab eo quod est perfecte possibile, non est posse simpliciter. |
«Parce que cela ne relèverait pas d’une
puissance, mais d’une infirmité. » Et cela, Denys le dit aussi, et il en
donne un exemple, comme lorsqu’on dit qu’une chose est du non-être : en
effet, cet être même est du non-être, de telle sorte que le pouvoir de
s’écarter de ce qui est possible parfaitement, cela n'est pas un pouvoir pris
absolument. |
Homo autem vel Angelus, quantumcumque
beatus est, non est potens ex se vel per se [7]. Sciendum quod homo ex se vel
a se, nihil boni potest facere : quia istae praepositiones de, et ab denotant
causam efficientem : unde dicitur homo posse facere aliquid ab eo a quo
potentiam habet ; constat enim quod quidquid boni habet, ab alio habet. Sed
per denotat causam formalem ; unde quaedam potest facere per se, scilicet
quae complentur principiis naturalibus, quaedam autem non per se, sicut ea
quae fiunt per virtutem divinam, ut miracula, et hujusmodi : et inde etiam
est quod filius dicitur omnia agere per se, sed non a se. |
«Mais l'homme ou l'ange, quelque bienheureux
qu’il soit, n'est pas puissant de lui-même ou par lui-même. » Il faut
savoir que l'homme de lui-même ou par lui-même ne peut rien faire de bien,
parce que ces prépositions de et ab [de et par] désignent une cause
efficiente : c'est pourquoi c’est de celui-là même duquel il tient une
puissance qu’on dit de l'homme qu’il peut faire quelque chose ; car il
est clair en effet que tout ce qu'il a de bon, c’est d’un autre qu’il le
tient. Mais per [par, au moyen de]
signale la cause formelle, c'est pourquoi il peut faire certaines choses par
lui-même, à savoir celles qui sont achevées par les principes naturels, mais
il y a certaines choses qu’il ne peut pas faire par lui-même, comme celles
qui sont produites par la puissance divine, comme les miracles, etc. : et
c'est de là qu'on dit que le Fils fait tout par lui-même mais non de lui-même.
|
|
|
Expositio
textus |
Explication du texte de Pierre Lombard,
Dist. 42
|
Cap. 184 (1). De omnipotentia Dei : quare dicatur
omnipotens, cum nos multa possimus quae ipse non possit. Nunc de omnipotentia
Dei agendum est : ubi prima consideratio occurrit : quo modo vere Deus
dicatur omnipotens : an quia omnia possit, an tantum quia ea possit quae
vult. |
1. De la toute-puissance de Dieu : pour quelle raison dit-on
dit-on de Lui qu’il est tout-puissant, alors que nous pouvons beaucoup de
choses qu’il ne peut pas faire ? Maintenant il nous faut traiter de la
toute-puissance de Dieu alors que notre première considération va porter
sur la vraie manière dont on dit que
Dieu est tout-puissant : est-ce parce qu’il peut tout, ou seulement
parce qu’il peut ce qu’il veut ? |
Quod enim Deus
omnia possit, pluribus auctoritatibus comprobatur [1] ; Ait enim
Augustinus in libro Quaestionum veteris ac novae
legis : « Omnia quidem potest Deus : sed non facit nisi quod convenit
veritati eius, et justitiae. » Idem in eodem : « Potuit Deus cuncta facere simul : sed ratio prohibuit, id est,
voluntas. » Rationem nempe ibi voluntatem Dei appellavit, quia Dei voluntas
rationabilis est et aequissima. Fatendum est ergo Deum omnia posse. |
En effet, que
Dieu puisse tout est corroboré par de nombreuses autorités ; en effet
Augustin [ Des questions de
l’ancienne et de la nouvelle Loi, quest. 97, col. 2291, t. 111] « Dieu peut tout, mais il ne fait que ce qui
convient à sa vérité et à sa justice. » Et dans le même livre (quest.
106) : « Dieu a pu tout faire en
même temps, mais la raison, c'est-à-dire sa volonté, l’a interdit. » La
volonté de Dieu, il l’a sans doute appelée raison parce que la volonté de Dieu est
rationnelle et elle est la plus juste. Il faut donc reconnaître que Dieu peut
tout. |
Cap. 185 (2).
Quomodo dicatur Deus omnia posse. Sed quaeritur
quo modo omnia posse dicatur, cum nos quaedam possimus, quae ipse non potest
[2]. Non potest enim ambulare, loqui, et huiusmodi, quae a natura divinitatis
sunt penitus aliena, cum horum instrumenta nullatenus habere queat incorporea
et simplex substantia. |
2. Mais en quel sens dit-on que Dieu peut tout ? Mais on cherche de quelle manière
on dit qu’il peut tout, alors que nous pouvons certaines choses qu'il ne peut
pas lui-même faire. En effet il ne peut pas marcher, parler, etc., choses qui
sont tout à faire étrangères à la nature de la divinité, puisque la substance
simple et incorporelle ne possède en aucune manière les outils nécessaires à
poser de telles opérations. |
Quibus id respondendum
arbitror, quod huiusmodi actiones, ambulatio scilicet et locutio, et
huiusmodi, a Dei potentia alienae non sunt, sed ad ipsam pertinentes. Licet
enim huiusmodo actiones in se Deus habere non possit, non enim potest
ambulare, vel loqui, et huiusmodi, eas tamen in creaturis potest operari :
facit enim ut homo ambulet, et loquatur et huiusmodi. Non ergo per istas
actiones divinae potentiae detrahitur aliquis, quia et hoc potest facere
omnipotens. |
A cela je
crois qu’il faut répondre que les actions de ce genre, à savoir marcher,
parler etc., ne sont pas étrangères à la puissance de Dieu mais lui
appartiennent. En effet, bien que Dieu ne puisse pas avoir en lui des actions
de cette sorte, car il ne peut ni marcher, ni parler etc., il peut cependant
opérer ces opérations dans les créatures : c’est lui en effet qui fait que
l’homme marche, parle, etc. Donc par ces actions, personne n’enlève quelque
chose à la puissance divine, parce que le tout puissant peut lui aussi les
poser. |
Sed sunt alia
quaedam quae Deus nullatenus facere potest, ut peccata : non enim potest
mentiri, non potest peccare. Sed non ideo omnipentiae Dei in aliquo
detrahitur vel derogatur, si peccare non posse dicitur, quia non est hoc
potentiae, sed infirmitatis. Si enim hoc posset, omnipotens non esset. Non
ergo impotentiae sed potentiae imputandum est, quod ista non potest. Unde
Augustinus, in XV lib. De Trinit., cap. XV :
« Magna, inquit, Dei potentia
est, non posse mentiri. Sunt enim quaedam quae in aliis rebus potentiae
deputanda sunt, in aliis vero minime, et quae in aliis laudabilia sunt, in
aliis vero reprehensibilia sunt. Non ergo ideo Deus minus potens est qui
peccare non potest, cum omnipotens nullatenus possit esse qui hoc potest. » |
Mais il y a
d’autres choses que Dieu ne peut faire en aucune manière, comme les
péchés : en effet, il ne peut pas mentir, il ne peut pas pécher. Mais si
on dit que Dieu ne peut pas pécher, on n’enlève ou on ne retire rien pour
cette raison à sa toute puissance, parce que cela ne relève pas d’une
puissance mais plutôt d’une infirmité. Car, s’il était capable de pécher, il
ne serait pas tout-puissant. Ce n’est donc pas à une impuissance mais à une
puissance qu’il faut imputer qu’il ne puisse faire de telles choses. C’est
pourquoi Augustin [De la Trinité, XV,
ch. XV, col. 1078, t. VIII] dit :
« Grande, dit-il, est la puissance de Dieu, de ne pas
pouvoir mentir. Il y a en effet certaines activités chez certains qui doivent
être attribuées à la puissance, mais pas du tout chez d’autres ; et les
choses qui sont louables chez les uns sont repréhensibles chez les autres.
Donc ce n’est pas parce qu’il ne peut pas pécher que pour cette raison Dieu
serait moins puissant puisque celui qui le peut ne pourrait en aucune manière
être tout-puissant. » |
Sunt
etiam et alia quaedam quae Deus non potest ; unde videtur non omnia posse.
Non enim potest mori vel falli. Unde Augustinus in I lib. De
symbolo ad catech., cap. 1, (col. 627) : « Deus
omnipotens non potest falli, non potest miser fieri, nec potest vinci. Haec
utique et hujusmodo absit ut possit omnipotens. Si enim passionibus atque
defectibus subjici posset, omnipotens minime foret. Et inde monstratur
omnipotens, quia ei haec propinquari non valent. Potest tamen haec in aliis
operari. » |
Il y a encore
d’autres choses que Dieu ne peut pas faire : c'est pourquoi il semble qu’il
ne puisse pas tout faire. En effet, il ne peut ni mourir ni se tromper. C'est
pourquoi Augustin [ I Du Symbole pour
les Catéchètes, ch. 1, col. 627, t. VI] dit : « Dieu le tout-puissant ne peut pas se tromper, il ne peut pas devenir
malheureux, il ne peut pas être vaincu. Puisse le tout puissant ne pas
pouvoir cela et d’autres choses. Car s’il pouvait être soumis aux passions et
aux défaillances de ce genre, il ne serait pas tout-puissant. Et ainsi il se
montre tout-puissant, parce que ces passions ne peuvent pas l’atteindre. Cela
peut cependant être opéré chez d’autres. » |
Cap.
186 (3). Quod omnipotentia Dei secundum duo consideretur. Hic
ergo diligenter considerantibus omnipotentia eius secundum duo
apparet [3] : scilicet qui omnia facit quae vult et nihil omnino
patitur. Secundum utrumque Deus omnipotens verissime praedicatur : quia nec
aliquid est quod ei ad patiendum corruptionem inferre valeat, nec aliquid ad
faciendum impedimentum afferre. Manifestum est itaque Deum omnino nihil posse
pati, et omnia facere posse praeter ea sola quibus eius dignitas laederetur
eiusque excellentiae derogaretur, in quo tamen non est minus omnipotens : hoc
enim posse, non esset posse, sed non posse. Nemo ergo Deum impotentem in
aliquo dicere praesumat, qui omnia potest quae posse potentiae est, et inde
vere dicitur omnipotens. |
3. La toute-puissance de Dieu est
considérée sous deux aspects. Ici
donc, à ceux qui la considèrent avec attention, sa toute-puissance apparaît
sous deux aspects : à savoir qu’il fait tout ce qu'il veut et qu’il ne subit
absolument rien. Selon l’un et l’autre aspect, Dieu est considéré très
véritablement comme tout-puissant : parce qu’il n’y a rien qui puisse lui
faire subir la corruption et il n’y a rien qui puisse apporter un empêchement à son action. C'est pourquoi il est clair
que Dieu ne peut absolument rien subir, et qu’il peut tout faire à
l’exception de ce qui blesserait sa dignité et qui amoindrirait son
excellence, ce en quoi il n’est cependant pas moins tout-puissant. Car pouvoir
cela ne serait pas une puissance mais une impuissance. Donc que personne
n’ose dire que Dieu est impuissant en quelque chose, parce qu’il peut tout ce
qui est un pouvoir de puissance, et c’est de là qu’on dit de Lui qu’il est vraiment
tout-puissant. |
Ex
quibusdam tamen auctoritatibus traditur ideo vere dici omnipotens, quia
quidquid vult potest [4] Unde Augustinus in Enchir., cap. XCVI : « Non ob aliud veraciter vocatur omnipotens nisi quoniam
quidquid vult potest, nec voluntate cuiuspiam creaturae voluntatis impeditur
effectus. » Idem in lib. De spir. et lit. : « Non potest Deus facere injusta, quia ipse est summa justitia
et bonitas. Omnipotens vero est, non quod possit omnia facere, sed quia
potest efficere quidquid vult, ita ut nihil valeat eius voluntati resistere
quin compleatur, aut aliquo modo impedire eamdem. » |
Cependant
certaines autorités enseignent qu'on le dit vraiment tout-puissant, parce
qu'il peut tout ce qu'il veut. C'est pourquoi Augustin [Enchir., ch. 96, col. 276, t. VI] dit
: « Il n'est appelé vraiment tout-puissant
que parce qu'il peut tout ce qu'il veut et que l'effet de sa volonté n’est
empêché par la volonté d’aucune créature.». De même, il dit encore [L’Esprit
et la Lettre, ch. XXXI, col. 234, t. X] : « Dieu ne peut pas
commettre d’injustice, parce qu’il est la justice et la bonté suprêmes. Mais
il est tout-puissant, non pas parce qu’il pourrait tout faire, mais parce
qu’il peut réaliser tout ce qu’il veut, de sorte que rien n’a le pouvoir de
résister à sa volonté de telle manière qu’elle ne serait pas acccomplie ou qu’elle
serait empêchée de quelque manière. » |
Joannes
Chrysostomus, in homil. quadam de expositione
symboli, homil. II, ait : « Omnipotens dicitur
Deus, quia posse illius non potest invenire non posse, dicente Propheta, Ps
CXIII, 2 : « Omnia quaecumque voluit
fecit. » Ipse est ergo omnipotens, ut totum quod vult possit. Unde Apostolus,
Rom. IX, 19 : Ejus, inquit, voluntati quis resistit ? » His
auctoritatibus videtur ostendi quod Deus ex eo tantum dicatur omnipotens,
quid omnia potest quae vult, non quia omnia possit. |
Saint-Jean
Chrysostome, dans une homélie, [Homélie
sur l’explication du Symbole, homélie
11] dit : « On dit de Dieu qu’il
est tout-puissant, parce qu’il est impossible que son pouvoir devienne un
non-pouvoir, car le prophète dit [Psaume.
CXIII, 2] « Tout ce qu'il a
voulu, il l’a fait. » Donc il est tout-puissant de telle manière qu’il peut
tout ce qu’il veut. C’est pourquoi l’Apôtre [Romains, 1X, 19) dit : « Qui,
dit-il, résiste à sa volonté ? ». Ces
autorités semblent donc montrer qu’on dit que Dieu est tout-puissant,
seulement parce qu’il peut tout ce qu’il veut, non pas parce qu’il peut absolument
tout. |
Sed ad hoc potest dici,
[5] quod Augustinus ubi dicit, lib. I De symb., cap. 1 : « Omnipotens non dicitur quod omnia possit, » etc., tam
ample et generaliter accipit « omnia », ut etiam mala includeret
quae Deus non potest nec vult. Non ergo negavit eum posse omnia quae convenit
ei posse. |
Mais on peut
répondre à cela qu’Augustin, là [1 Sur
le Symbole, ch. 1] où il dit « On
ne le dit pas tout puissant parce qu’il peut tout », etc., entend « tout » si totalement et
généralement qu’il incluerait aussi les maux que Dieu ne peut pas et ne veut
pas. Donc il n’a pas nié qu’il peut tout ce qui convient à son pouvoir. |
Similiter cum
dicit, in Enchirid, : Non ob aliud
veraciter dicitur omonipotens nisi quoniam quidquid vult potest », non
negat eum posse etiam ea quae non vult ; sed adversus illos qui dicebant Deum
multa velle quae non poterat, affirmat eum posse quidquid vult, et ex eo vere
dici omnipotentem, non ob aliud, quam quia potest quidquid vult. Sed cave
quodmodo intelligas, potest quidquid vult – [6] an quidquid vult se posse, an
quidquid vult facere, an quidquid vult fieri. Si enim dicas, ideo
omnipotentem vocari quid potest quidquid vult se posse ; ergo et Petrus
similiter omnipotens dici potest, vel quilibet sanctorum beatorum quia potest
quidquid vult se posse et potest facere quidquid vult facere. |
De la même
façon, lorsqu’il dit [Enchir., XXIV,
96) : « Ce n’est pas pour autre
chose qu’on le dit tout puissant, sinon qu’il peut vraiment tout ce qu’il
veut ». Il ne nie pas non plus qu’il peut aussi ce qu’il ne veut pas
; mais contre ceux qui disaient que Dieu veut beaucoup de choses qu’il ne
pouvait pas, il affirme qu’il peut tout ce qu’il veut, et c’est à cause de
cela qu’on le dit vraiment tout-puissant, et non pas pour une raison autre
que parce qu’il peut tout ce qu’il veut. Mais prends garde à la manière dont
tu entends cette expression : 'Il peut tout ce qu’il veut' : Veut-il tout ce
qu’il peut, veut-il tout faire ou veut-il que tout soit fait ? Car si tu dis
qu’il est appelé tout puissant parce qu’il veut tout ce qu’il peut, on peut
donc dire de la même manière que Pierre, ou n’importe lequel des saints
bienheureux, est tout-puissant parce qu’il peut tout ce qu'il veut pouvoir et
peut faire tout ce qu’il veut faire. |
Non enim vult facere nisi
quod facit, nec posse nisi quod potest. Sed non potest facere quidquid vult
fieri : vult enim salvos fieri qui salvandi sunt ; verumtamen eos salvare non
valet. Deus autem quidquid vult fieri potest facere. Si enim vult aliquid
fieri per se, potest illud facere per se, et per se fecit, sicut cælum et
terram per se fecit, quid voluit ; si autem fieri per creaturam, et per eam
operatur, sicut per homines facit domos, et huiusmodi artificialia. Et Deus
quidem ex se et per se potest : homo autem vel angelus, quantumcumque beatus
est, non est potens ex se, vel per se. |
En effet, il
ne veut faire que ce qu’il fait et ne pouvoir que ce qu’il peut. Mais il ne
peut pas faire tout ce qu’il veut qu’il soit fait ; car il veut que soient
sauvés ceux qui doivent l’être ; mais pourtant il ne peut pas les sauver.
Mais Dieu peut faire tout ce qu’il veut qu’il soit fait. Car s’il veut que
quelque chose soit fait par lui, il peut le faire par lui-même, et il l’a
fait par lui-même comme il a fait par lui-même le ciel et la terre, ce qu’il
a voulu ; mais s’il a voulu que ce soit fait par une créature, il opère par
son intermédiaire, comme il fait faire par les hommes des maisons et d’autres
œuvres artificielles de cette sorte. Et Dieu le peut de lui-même et par lui-même
: mais l’homme ou l’ange, tout autant qu’il soit bienheureux, quelque heureux
qu’il soit, n’est pas puissant de lui-même ou par lui-même. |
Sed forte
dicent : « Nec Dei Filius potest a se,
nec Spiritus sanctus, sed solus Pater. Ille enim potest a se qui est a se ;
Filius autem, quia non est a se, sed a Patre, non potest a se, sed a Patre et
Spiritus sanctus ab utroque. » |
Mais ils
diront peut-être : « Et le Fils de
Dieu ne peut pas de lui-même, ni l’Esprit Saint, mais le Père seulement. En
effet, celui qui peut de lui-même est celui qui existe de lui-même ; mais le Fils,
parce qu’il n’existe pas de lui-même mais du Père, ne peut pas de lui-même,
mais du Père alors que l’Esprit-Saint peut de l’un et de l’autre ». |
Ad quod
dicimus, quia licet Filius non possit a se nec operatur a se, potest tamen et
operatur per se ; sic et Spiritus sanctus. Unde Hilarius in XI lib. de Trinit., post med., : « Naturae, inquit,
cui contradicis, haeretice, haec unitas est, ut ita per se agat Filius nec a
se agat ; et ita non a se agit ut per se agat. » Per se autem dicitur agere
et potens esse, quia naturalem habet potentiam eamdem quam et Pater, qui
potens est et operatur : sed quia illam habet a Patre, non a se ; ideo a
Patre non a se dicitur posse et agere. Homo autem vel angelus gratuitam habet
potentiam qua potens est. |
A cela nous
disons que, bien que le Fils ne puisse pas de lui-même et n’opère pas de
lui-même, il peut cependant et il opère par lui-même, tout comme l’Esprit
Saint. C’est pourquoi Saint-Hilaire (XI De la Trinité, 48, PL 319 C après le
milieu) : « Cette unité de nature,
dit-il, que tu contredis, ô hérétique, c’est pour que le Fils agisse par
lui-même et non de lui-meme ; et ainsi il n’agit pas de lui-même, pour agir
par lui-même.» Mais on dit qu’il peut agir et exister par lui-même parce
qu’il possède la même puissance naturelle que le Père, lequel est puissant et
agit ; mais parce qu’il l’a du Père, non de lui-même, c’est pourquoi on dit
que sa puissance et son action procède non pas de lui mais du Père. Mais
l’homme ou l’Ange a une puissance gratuite par laquelle il est puissant. |
Ideo ergo vere ac proprie Deus Trinitas omnipotens
dicitur quia per se, id est naturali potentia, potest quidquid vult fieri
quod non possit facere per se vel per creaturas ; et nihil vult se posse quod
non possit, et omne quod vult fieri vult se posse, sed non omne quod vult se
posse, vult fieri. Si enim vellet fieret, quia voluntati eius nihil resistere
potest. |
Donc c'est
pourquoi on dit que vraiment et à proprement parler le Dieu Trinité est tout
puissant, parce que par lui-même, c'est-à-dire par une puissance naturelle,
il peut tout ce qu’il veut être fait, qu’il ne pourrait faire par lui-même ou
par les créatures : et il ne veut pas pouvoir ce qu’il ne pourrait pas et
tout ce qu’il veut qui soit fait il veut le pouvoir, mais ce n’est pas tout
ce qu’il veut pouvoir qu’il veut être fait. Si en effet il le voulait, cela
serait fait parce que rien ne peut résister à sa volonté. |
Tunc non latebit quod nunc latet. Nec
utique injuste Deus noluit salvos fieri, cum possint salvi esse, si vellent.
Tunc in clarissima sapientiae luce videbitur quod nunc piorum fides habet,
antequam manifesta cognitione videatur, quam certa et immutabilis et
efficacissima sit voluntas Dei, quae multa possit et non velit ; nihil autem
quod non possit velit. Idem in lib. De natura et gratia, cap. VII :
« Dominus Lazarum suscitavit in corpore. Numquid dicendum est : Non
potuit Judam suscitare in mente ? Potuit quidem, sed noluit. » His
auctoritatibus aliisque multis aperte docetur quod Deus multa possit facere
quae non vult : |
Alors ce qui
est maintenant caché ne le sera pas. Et de toute façon, ce n’est pas
injustement que Dieu n'a pas voulu qu'ils soient sauvés, puisqu'ils pouvaient
l'être, s'ils le voulaient. Alors, dans la lumière la plus brillante de la
sagesse, on verra ce que possède maintenant la foi des hommes pieux, avant
qu'elle paraisse dans une connaissance manifeste, combien la volonté de Dieu
est certaine, immuable et très efficace, elle qui pourrait beaucoup et ne
veut pas ; mais il ne voudrait rien de qu'il ne pourrait pas. De même on lit
[La nature et la grâce, ch. VII] : « Le Seigneur a ressuscité Lazare dans son corps» . Ne faut-il
pas dire : « Il n'a pas pu
ressusciter Juda en esprit » Il a pu le faire certes, mais il n'a
pas voulu. ». Par ces autorités et de nombreuses autres, il est montré
ouvertement que Dieu pourrait faire beaucoup de choses qu'il ne veut pas : |
10. Quod sine mutabilitate potentiae
vel voluntatis potest Deus et alia velle et alia facere quam vult vel facit
*. quod etiam ratione probari potest. Non enim vult Deus omnes homines
justificare, et tamen quis dubitat eum posse ? Potest ergo Deus aliud facere
quam facit, et tamen si aliud faceret, alius ipse non esset. Et potest aliud
velle quam vult, et tamen eius voluntas nec alia, nec nova, nec mutabilis
aliquo modo potest esse. Quod etsi possit velle quod numquam voluit, nec
tamen noviter nec nova voluntate, sed sempiterna tantum voluntate velle
potest ; potest enim velle quod ab aeterno potest voluisse ; habet enim
potentiam volendi et nunc et ab aeterno, quod tamen nec modo vult, nec ab
aeterno. |
10. Que Dieu peut, sans changement de la puissance et
de la volonté, vouloir d’autres choses et en faire d’autres que celles qu’il
veut ou qu’il fait, cela aussi peut être manifesté par la raison. Car Dieu ne
veut pas justifier tous les hommes, et cependant qui doute qu'il le peut ?
Donc il peut faire autre chose que ce qu'il fait, et cependant s'il faisait
autre chose, il ne serait pas lui-même un autre. Et il peut vouloir autre
chose que ce qu'il veut, et cependant sa volonté ne peut et cependant sa
volonté ne serait pas autre ni nouvelle et elle ne peut être changeante de
quelque manière. Et quoiqu’il puisse vouloir ce qu'il n'a jamais voulu, ce ne
sera cependant ni à nouveau ni par une nouvelle volonté, mais il peut
seulement le vouloir par une volonté éternelle ; il peut en effet
vouloir ce qu’il peut avoir voulu de toute éternité ; il possède en
effet la puissance de vouloir à la fois maintenant et de toute éternité ce
que cependant il ne veut ni maintenant ni de toute éternité. |
|
|
Distinctio 43 |
Distinction 43 – [La puissance de Dieu, suite] |
|
|
Prooemium |
Prologue 43 |
Circa primum
quaeruntur duo : 1. Utrum
potentia Dei sit infinita ? 2. Utrum
omnipotentia sua, quae convenit sibi secundum infinitatem potentiae, sit
creaturae communicabilis ? Deinde
quaeritur de necessitate divinae operationis ; et circa hoc quaeruntur
duo : 1. Utrum
operetur ex necessitate naturae ? 2. Utrum
operetur ex necessitate suae justitiae ? |
Au sujet du
premier point on cherche à répondre à deux questions : 1. La puissance de Dieu est-elle infinie ? 2. Est-ce que la toute puissance de Dieu, en
tant qu’elle est infinie, peut être communiquée aux créatures ? On s’interroge
ensuite sur la nécessité de l’opération divine et à ce sujet on pose deux
questions : 1. Dieu
opère-t-il par une nécessité de nature ? 2. Est-ce
qu’il opère par la nécessité de sa justice ? |
|
La puissance de Dieu est-elle
infinie ? |
43 q. 1 pr. Hic Magister excludit
errorem quorumdam contra praedeterminata, qui Dei potentiam limitabant,
dicentes, non simpliciter omnium esse Dei potentiam : et dividitur in partes
duas : in prima improbat errorem eorum, inquantum limitabant Dei potentiam,
ad res quae fiunt ; in secunda inquantum limitabant ad qualitatem earum ;
dicebant enim, nec alia nec meliora posse Deum facere quam quae facit, 44
dist., ibi : nunc illud restat
discutiendum, utrum melius aliquid possit facere quam facit. [d. 44, 1] |
Le Maître écarte
ici l’erreur de certains contre ce qui a été établi précédemment, lesquels
limitaient la puissance de Dieu, en disant qu'elle ne s’applique pas
absolument à toutes [les personnes[41]]
et cette section se divise en deux parties : dans la première il réfute leur
ereur en tant qu’ils limitaient la puissance de Dieu, au devenir des choses ;
deuxièmement en tant qu’ils limitaient sa puissance quant à la qualité des
choses car ils disaient que Dieu ne peut faire des choses autres et
meilleures que celles qu’il fait (d. 44, quest. 1), là où il dit : maintenant il reste à discuter ceci, à
savoir s’il pourrait faire quelque chose de meilleur que ce qu’il fait . |
Prima in tres : in prima narrat eorum
positionem ; in secunda ponit probationes eorum, et solvit eas, ibi : istamque primam suam opinionem
verisimilibus argumentis, causisque commentitiis, nec non et sacrarum
auctoritatum testimoniis munire conantur ; in tertia inducit auctoritates
ad veritatem probandam, ibi : fateamur
ergo Deum plura posse facere quae non vult, et posse dimittere quae facit. Istamque
suam primam opinionem verisimilibus argumentis (...) munire conantur. |
La première
partie se divise en trois : dans la première il rapporte leur position ;
dans la seconde il donne leurs preuves et les résoud : « Ils s’efforcent de construire leur
première opinion par des arguments vraisemblables et des causes inventées et
aussi par les témoignages des saintes autorités » ; dans la
troisième il présente des autorités pour prouver la vérité, là où il dit : «Avouons donc que Dieu peut faire plus de
choses qu’il ne veut cependant pas faire, et qu’il peut renoncer à plusieurs
choses qu'il fait. » Cette première opinion qui est la leur, par des
arguments vraisemblables (…) ils s’efforcent de l’assurer. |
Hic ponit probationes eorum ; et
dividitur in partes tres : in prima ponit quaedam probabilia argumenta quae
habebant ; in secunda ponit quasdam causas quas adinveniebant, ibi : addunt quoque et alia ; in tertia
ponit quasdam auctoritates quas inducebant ad suae opinionis confirmationem,
ibi : his autem illi scrutatores qui
defecerunt scrutantes scrutinia, sanctorum annectunt testimonia.
Probationes autem et responsiones patent in littera. |
Il présente
ici leurs preuves ; et il divise cela en trois parties : dans la première il
présente certains arguments probables auxquels ils tenaient ; dans la
deuxième il présente quelques causes qu’ils inventaient, là où il dit : ils en ajoutent aussi d’autres ; dans
la troisième il présente certaines autorités qu’ils avançaient pour confirmer
leur opinion, là où il dit : mais ces fouineurs qui se sont trompés en dans
leurs recherches ajoutent les témoignages des saints. Mais les preuves et les
réponses sont claires dans La Lettre. |
Circa hanc
opinionem oportet duo quaerere, secundum quod duo ponebant. Primo ponebant, quod non potest facere
aliquid eorum quae non facit : et in hoc negabant infinitatem divinae
potentiae. Unde prima quaestio sit de infinitate divinae potentiae. Secundo
ponebant Deum non posse non facere ea quae facit ; et in hoc inducebant Deum
agere ex necessitate ; et ideo secunda quaestio erit, utrum Deus agat ex
necessitate. Circa primum quaeruntur duo : 1 utrum potentia Dei sit infinita
; 2 utrum omnipotentia sua, quae convenit sibi secundum infinitatem
potentiae, sit creaturae communicabilis. |
Et au sujet de
cette opinion il faut soulever deux questions par rapport à deux de leurs
affirmations. Premièrement, ils soutenaient que ce que Dieu ne fait pas, il
ne peut pas le faire. selon qu’ils en présentaient deux: et en cela
ils niaient l’infinité de la puissance divine. D’où la première question
porte sur l’infinité de la puissance divine. Deuxièmement ils soutenaient que
Dieu ne peut pas ne pas faire ce qu’il fait ; et en cela ils étaient amenés à
penser que Dieu agit par nécessité ; et c'est pourquoi la seconde question sera
: Dieu agit-il par nécessité ? Et au sujet du premier point on cherche à
répondre à deux questions : 1. Est-ce que
la puissance de Dieu est infinie ? 2. Est-ce que sa toute-puissance, qui
lui convient selon l’infinité de la puissance, est communicable à la créature
? |
|
|
|
Question 1 – [Les limites de la puissance de Dieu] |
|
|
Quaestio 1, articulus 1 : Utrum
potentia Dei sit infinita. d. 43 q. 1 a. 1 tit. |
Article 1 – La puissance de Dieu est-elle infinie ? |
d. 43 q. 1 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod potentia Dei non sit infinita. Sicut enim dicit
philosophus, infinitum habet rationem partis et materiae, et ita imperfecti.
Sed potentia Dei est perfectissima. Ergo non debet dici infinita. |
Difficultés
:[42]. Il semble que la puissance Dieu ne soit pas infinie. En
effet, comme le Philosophe le dit [111 Physique,
texte 37], l'infini a raison de partie et de matière et ainsi d'imparfait.
Mais la puissance de Dieu est absolument parfaite. Donc on ne doit pas dire
qu'elle est infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea,
secundum philosophum, finitum et infinitum congruunt quantitati. Sed omne
quantum est divisibile. Cum igitur potentia divina sit simplex, videtur quod
neque finita neque infinita dicenda sit. |
2. Par
ailleurs, selon le Philosophe, [1 Physique
texte 15] le fini et l'infini se rencontrent dans la quantité ; mais toute
quantité est divisible. Donc comme la puissance de Dieu est simple, il semble
qu’on ne doive pas dire qu’elle est finie ou infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea,
secundum philosophos, si esset aliqua potentia activa cui non responderet
aliqua potentia passiva in natura, illa esset frustra. Sed nulla potentia
passiva est ad recipiendum effectum infinitum. Cum ergo potentia activa Dei
non sit frustra, videtur quod non sit infinita. |
3. En outre, selon
les philosophes, si on on se fie à Aristote [V Métaphysique, texte 17] s'il y avait une puissance active à
laquelle ne corresponde pas une puissance passive dans la nature, elle serait
vaine. Mais il n’existe aucune puissance passive pour recevoir un effet
infini. Donc comme la puissance active de Dieu ne peut être vaine, il semble
qu'elle ne soit pas infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea,
nullum infinitum comprehendi potest : quia, secundum Augustinum in Lib. de videndo Deum, illud comprehenditur
cujus fines circumspiciuntur. Sed intellectus divinus comprehendit potentiam
suam, cum totam potentiam suam Deus cognoscat. Ergo sua potentia non est
infinita. |
4. Par ailleurs,
rien d’infini n’est intelligible, parce que, selon Saint-Augustin [De la vision de Dieu, Epître CXLVII, à Pauline, ch. IX, col. 606] on n’appréhende que ce dont les
limites sont définies. Mais l'esprit divin appréhende sa puissance, puisque
Dieu connaît toute sa puissance. Donc sa puissance n'est pas infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1
arg. 5 Praeterea, omnis potentia potest reduci in actum. Si ergo potentia Dei
sit infinita, poterit actu infinita facere. Sed si actu infinita fecisset, aut aliquid posset facere
amplius, et sic infinito esset aliquid majus. Vel nihil amplius facere
posset, et sic impotens ex his quae faceret redderetur, et sua potentia ad
opera ejus finiretur, et infinita non esset : quae omnia impossibilia sunt.
Ergo Dei potentia non est infinita. |
5. De plus, toute puissance peut être conduite à son acte.
Si donc la puissance de Dieu était infinie, il aurait pu la rendre infinie en
acte. Mais s'il l’avait rendue infinie en acte, ou bien il pourrait faire
quelque chose de plus grand, et ainsi il y aurait quelque chose de plus grand
que l'infini ; ou bien il ne pourrait rien faire de plus grand et ainsi
il serait rendu impuissant par ce qu'il ferait, et sa puissance se limiterait
à ses œuvres, et ne serait pas infinie : choses qui sont toutes impossibles. Donc la puissance de Dieu
n'est pas infinie. |
d. 43 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, in
magnitudine infinita semper est virtus infinita, sicut philosophi probant,
sive ponatur magnitudo molis, quam tamen impossibile est esse infinitam, sive
magnitudo virtutis. Sed in Psalm. 144,
3, dicitur, quod magnitudinis ejus non
est finis. Ergo virtus vel potentia ejus est infinita. |
Cependant :
Dans une
grandeur infinie, il y a toujours une puissance infinie, ainsi que le
prouvent les philosophes [ VIII Physique,
texte 58], qu’il s’agisse de la grandeur d'une masse, laquelle ne peut
cependant pas être infinie, ou de la grandeur d’une puissance. Mais
l’Écriture [Psaume 144, 3] dit qu’Il
n'y a pas de fin à sa grandeur. Donc son pouvoir et sa puissance sont infinis[43].
|
d. 43 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod infinitum potest dupliciter sumi : privative, et sic Deo non
convenit : nihil enim, proprie loquendo, privative de ipso dici potest, ut
supra dictum est, dist. 7, qu. 2, art. 2 : vel negative, et sic Deus dicitur
infinitus, secundum Damascenum, quia nullo modo finitur. Quod qualiter sit,
investigandum est. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il y a deux manières de considérer l’infini. Soit par la
privation, et en ce sens il ne convient pas à Dieu car rien, à proprement
parler, ne peut être attribué à Dieu de manière privative comme nous l'avons
dit plus haut [dist.7, quest.2, art.2] ; soit par la négation et en ce
sens l’infini s’attribue à Dieu, selon Jean Damascène [1 De La foi orthodoxe, ch. 2, col. 791 et ch. 4, col. 798], parce
qu'il n'est fini en aucune manière. Il faut donc chercher à savoir comment il
l’est. |
Quidam enim accipientes finitum et
infinitum solum secundum quod sunt passiones quantitatis, non poterant in Deo
invenire infinitatem, nisi secundum quod inveniebant in eo rationem
quantitatis virtualis ; unde dicebant Deum esse infinitum, quia virtus ejus
est infinita. Ideo accidit quod quidam negaverunt essentiam Dei esse
infinitam in ratione essentiae consideratam ; et sic a sanctis eam videri
asserebant. Sed istud erroneum est. Et ideo aliter dicendum, quod secundum
philosophum, finis vel terminus multipliciter dicitur. Uno modo terminus
quantitatis, sicut punctus lineae ; et hoc modo dicitur a positione et a
privatione talis finis, finitum et infinitum, secundum quod est passio
quantitatis ; et sic non sunt in incorporeis. |
Car certains
qui n’entendent le fini et l'infini qu’en tant qu’ils sont des propriétés de
la quantité ne pouvaient trouver l'infini en Dieu, que selon qu'ils
trouvaient en lui la nature de la quantité de la puissance ; c'est pourquoi
ils disaient que Dieu est infini, parce que sa puissance est infinie. C’est
pourquoi il est arrivé que certains ont nié que l'essence de Dieu, considérée
en tant qu’essence, est infinie ; et ils se réclamaient des saints pour la
voir ainsi. Mais cela est faux. Et c'est pourquoi il faut plutôt dire que
d’après le Philosophe, le mot ¨fin¨ ou ¨terme¨ se dit en plusieurs sens. On
le dit en un sens du terme de la quantité, comme le point de la ligne, et en
ce sens on parle du fini et de l’infini par la position et la privation de
telle fin, selon qu’elle est une propriété de la quantité. Et en ce sens le
fini et l’infini ne sont pas dans les êtres incorporels. |
Dicitur alio modo finis quantum ad
essentiam rei, sicut ultima differentia constitutiva est ad quam finitur
essentia speciei. Unde illud quod significat essentiam rei, vocatur definitio
vel terminus ; et sic dicitur unumquodque finiri per illud quod determinat
vel contrahit essentiam suam ; sicut natura generis, quae de se est
indifferens ad multa, finitur per unam differentiam ; et materia prima, quae
de se est indifferens ad omnes formas (unde et infinita dicitur) finitur per
formam ; et similiter forma, quae, quantum in se est, potest perficere
diversas partes materiae, finitur per materiam in qua recipitur. Et a
negatione talis finis essentia divina infinita dicitur. Omnis enim forma in
propria ratione si abstracte consideretur, infinitatem habet ; sicut in
albedine abstracte intellecta, ratio albedinis non est finita ad aliquid ;
sed tamen ratio coloris et ratio essendi determinatur in ea, et contrahitur
ad determinatam speciem. |
En un autre
sens la fin se dit de l'essence de la chose, comme la différence constitutive
ultime est pour celle à laquelle se termine l'essence de l'espèce. C'est
pourquoi ce qui signifie l'essence de la chose s’appelle sa définition ou son
terme. Et c’est en ce sens qu’on dit que chaque chose se termine à ce qui
détermine ou limite son essence ; tout comme la nature du genre, qui est
d’elle-même indifférenciée à l’égard d’une multiplicité, est limitée par une
seule différence et que la matière première, qui d’elle-même est
indifférenciée par rapport à toutes les formes, (et c'est pourquoi on dit
d’elle qu’elle est infinie) est limitée par la forme, et que de la même
manière la forme, en ce qui la concerne, peut achever les diverses parties de
la matière, et elle est limitée par la matière en laquelle elle est reçue. Et
nier une telle fin revient à dire que l’essence divine est infinie. Toute
forme en effet, si on la considère séparément dans sa notion propre, a raison
d’infini, tout comme dans la blancheur entendue séparément, la notion de
blancheur n’est pas limitée à une chose déterminée; mais cependant la nature
de la couleur et celle de l’être s’y trouve déterminée et limitée à une
espèce déterminée. |
Et ideo illud quod habet esse
absolutum et nullo modo receptum in aliquo, immo ipsemet est suum esse, illud
est infinitum simpliciter ; et ideo essentia ejus infinita est, et bonitas
ejus, et quidquid aliud de eo dicitur ; quia nihil eorum limitatur ad
aliquid, sicut quod recipitur in aliquo, limitatur ad capacitatem ejus. Et ex
hoc quod essentia est infinita, sequitur quod potentia ejus infinita sit ; et
hoc expresse dicitur in Lib. de causis,
quod ens primum habet virtutem simpliciter infinitam, quia ipsummet est sua
virtus. |
Et c'est
pourquoi celui qui possède une existence absolue qui n’est reçue en rien en
aucune manière, et qui à cause de cela est bien lui-même sa propre existence,
cet être est absolument infini ; et c’est pourquoi son essence est
infinie, tout comme sa bonté et toute autre chose qu'on lui attribue, parce
qu’aucun de ces attributs n'est limité, contrairement à ce qui est reçu dans quelque
chose et qui se trouve ainsi à être limité par la capacité de ce qui le
reçoit. Et du fait que l'essence est infinie, il en découle que sa puissance
est infinie, et cela est dit clairement dans le Livre des Causes, (prop. 16), à savoir que l'étant premier a une
puissance absolument infinie, parce qu'il est lui-même sa propre puissance. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod illa objectio procedit de infinito quod privative dicitur,
quod scilicet natum est habere finem, et non habet ; et sic ratio ejus
consistit in materia cum privatione ; et hoc Deo non competit. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que cette objection procède de cet infini qui se
dit par la privation, à savoir de ce qui est destiné à avoir une fin et n'en
a pas, et ainsi sa raison consiste dans une matière qui s’accompagne d’une
privation, et cela ne convient pas à Dieu. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod objectio illa procedit de infinito secundum quod dicitur a
privatione finis, qui est terminus quantitatis. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que cette difficulté procède de l'infini selon qu'il se
dit par privation de la fin qui est le terme de la quantité. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod potentia Dei activa non est propter finem, sed est finis
omnium : et ideo quamvis nulla potentia passiva adaequet eam, non est frustra
; quia frustra est, quod est ad finem quem non inducit ; aliae tamen
potentiae activae et passivae accedunt ad eam quantum possunt. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la puissance active de Dieu n'est pas en vue d’une
fin, mais elle est elle-même la fin de tout : et c'est pourquoi, quoique
nulle puissance passive ne l'égale, elle n'est pas vaine pour autant, parce
qu’est vain ce qui est en vue d’une fin qu'il ne peut atteindre ; cependant
les autres puissances actives et passives y parviennent autant qu'elles le
peuvent. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod de ratione comprehensionis sunt duo. Unum est quod fines ejus
rei apprehendantur vel contineantur ; et sic infinitum nullo modo
comprehenditur neque a finito neque ab infinito : nec sic Deus seipsum
comprehendit, quia fines non habet. Aliud est ratione ejus, scilicet nihil
comprehensi esse extra comprehensorem ; et [sic infinitum seipsum conprehendit
(om. É. Parme)] et sic etiam
intellectus divinus essentiam suam et potentiam comprehendit, cum nihil extra
ipsum sit. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’il y a deux choses qui font partie de la nature de
l'appréhension : la première est que les termes de cette chose soient
appréhendée ou saisis ; et en ce sens l'infini n'est nullement appréhendé, ni
par le fini ni par l'infini : et en ce sens Dieu ne s'appréhende pas parce
qu'il n'a pas de terme ou de limite. La deuxième chose qui fait partie de la
nature de l’appréhension est que rien de ce qui est appréhendé n'est en
dehors de celui qui l'appréhende ; et [en ce sens l’infini se comprend
lui-même om. Éd. de Parme] en ce
sens aussi l'esprit divin appréhende son essence et il appréhende sa
puissance, puisqu'il n'y a rien en dehors de lui. |
d. 43 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod nullus effectus producitur per aliquam potentiam per modum qui
est contra rationem ipsius, sicut potentia motiva non facit omnes partes
motus esse simul : jam enim non esset motus, cum de ratione motus sit
successis : et talis actus est in infinitum, secundum philosophum in 3
Physic., qui scilicet semper est permixtus potentiae ; et ideo non reducitur
in actum nisi successive ; et ideo non sequitur quod Deus possit facere esse
in actu omnia infinita quae potest, quia jam infinita essent finita. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu qu’aucun effet n'est produit par une puissance d’une
manière qui serait contraire à sa nature ; par exemple la puissance de
mouvoir ne fait pas toutes les parties du mouvement en même temps, car alors
il n'y aurait pas de mouvement, puisque la succession est de la nature du
mouvement. Et selon le Philosophe [111 Physique,
texte 60] c’est l’acte qui est toujours mêlé à de la puissance qui est dans
l’infini et c'est pourquoi il ne se ramène à l'acte que successivement ;
et c'est pourquoi aussi il ne s’ensuit pas que Dieu puisse faire exister en
acte l’infinité des choses qu’il peut faire, parce qu’alors l'infini serait
fini. |
|
|
d. 43 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnipotentia Dei possit
communicari creaturae |
Article 2 – La toute puissance de Dieu peut-elle être communiquée aux créatures ? |
d. 43 q. 1 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnipotentia Dei creaturae communicari possit.
Omnipotentia enim Dei non est dignior quam sua bonitas. Sed bonitas ejus
communicatur creaturis. Ergo et omnipotentia. |
Difficultés
:[44] Il semble que
la toute-puissance de Dieu puisse être communiquée aux créatures. La toute-puissance
de Dieu en effet n'est pas plus digne que sa bonté. Mais celle dernière est
communiquée aux créatures. Il en est donc de même pour sa toute puissance. |
d. 43 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea,
sicut habere omnem potentiam est de perfectione divina, ita et habere omnium
scientiam ; et etiam scientia ad plura se extendit, quia ad bona et mala. Sed
habere omnium scientiam communicatum est animae Christi. Ergo et habere
omnipotentiam : et sic omnipotentia videtur creaturae communicabilis. |
2. Par
ailleurs, tout comme la possession de toute puissance fait partie de la perfection
de Dieu, il en est de même pour la possession de la science de tout ; et même
la science s'étend à plus de choses parce qu'elle s'applique au bien et au
mal. Mais avoir la science de tout a été communiqué à l'âme du Christ. Donc
la possession de la toute-puissance aussi lui a été communiquée et par
conséquent la toute-puissance semble être communicable à la créature. |
d. 43 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea,
fides facit omnia possibilia : quia nihil impossibile est credenti, sicut habetur
Matth. 17. Sed fides creaturae
infunditur. Ergo et omnipotentia communicatur. |
3. En outre, la
foi rend tout possible ; parce que rien n'est impossible à celui qui croit
comme l’établit l’Écriture [Matthieu,
17, 19]. Mais la foi est répandue dans la créature. Donc la toute-puissance
aussi lui est communiquée. |
d. 43 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea,
sicut probatum est a philosophis, omnis virtus separata a materia est
infinita, quia non est accipere proportionem virtutis materialis ad virtutem
substantiae separatae. Sed Angeli, qui sunt creaturae, sunt
substantiae a materia separatae, secundum Dionysium. Cum ergo Deus dicatur omnipotens
propter infinitatem suae potentiae, videtur quod omnipotentia aliquibus
creaturis communicari possit. |
4. De plus,
comme cela a été prouvé par les philosophes [Le Livre des Causes, prop. 6], toute puissance séparée de la
matière est infinie, parce qu’il n’a pas à admettre un rapport à une
puissance matérielle à l’égard de la puissance d’une substance séparée. Mais
les Anges, qui sont des créatures, sont des substances séparées de la matière
selon Denys [1 De la Hiérarchie Céleste,
ch. VII, col. 206]. Donc, puisqu’on dit de Dieu qu’il est tout-puissant à
cause de l'infini de sa puissance, il semble que la toute puissance puisse être
communiquée à certaines créatures. |
d. 43 q. 1 a.
2 s. c. 1 Sed contra, creatio uniuscuiusque pertinet ad Dei potentiam. Sed nulli rei conferri potest ut
sibimet creando esse conferat. Ergo nulli rei creatae omnipotentia conferri
potest. |
Cependant : 1. La création de tout être relève de la puissance de
Dieu. Mais en créant elle ne peut communiquer l’être à aucune chose de
manière à se communiquer lui-même. Donc la toute-puissance ne peut être
conférée à aucun être créé. |
q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, quidquid
alicui creaturae communicabile est de perfectionibus divinis, totum animae
Christi communicatum est. Sed sibi non est communicata omnipotentia, ut in 3
hujus dicitur. Ergo nulli creaturae communicabilis est. |
2. Par
ailleurs, tout ce qui est communicable à une créature et qui fait partie des
perfections de Dieu, a été entièrement communiqué à l'âme du Christ. Mais la
toute puissance ne lui a pas été communiquée, comme il est dit dans les
troisième livre des Sentences [dist. 14, quest. 1, art. 4]. Donc, la
toute-puissance n'est communicable à aucune créature. |
d. 43 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod virtus vel potentia semper consequitur essentiam ; unde
impossibile est, ut essentiae finitae sit virtus infinita. Impossibile est
autem aliquam essentiam creatam esse infinitam, eo quod esse suum non est
absolutum et subsistens, sed receptum in aliquo. Si enim esset esse
absolutum, non differret ab esse divino. Non enim potest esse pluralitas
alicujus naturae, sicut albedinis vel vitae, nisi hoc modo quod unum sit
absolutum, et aliud alteri conjunctum, vel utrumque in diversis receptum ; eo
quod substantia uniuscujusque rei est simul, ut ex 5 Metaph., patet. Unde sicut nulli creaturae potest communicari
quod sit Deus, ita non potest sibi communicari quod sit infinitae essentiae
et infinitae potentiae, et quod omnipotentiam habeat. |
Réponse : Je réponds qu’il faut dire que le pouvoir ou la
puissance découle toujours de l'essence ; d’où il
est impossible qu’une puissance infinie vienne d'une essence finie. Mais il
est aussi impossible qu'une essence créée soit infinie, du fait que son être
n'est ni absolu, ni subsistant, mais reçu en quelque chose. Car s'il était
absolu, il ne différerait pas de l'être divin. En effet, il ne peut pas y
avoir pluralité d'une nature, comme celle de la blancheur ou de la vie, que
de cette manière selon laquelle l'un soit absolu, et l'autre joint à un
autre, ou que les deux soient reçus dans quelque chose de différent, du fait
que la substance de toute chose existe simultanément comme nous le montre le
Philosophe [V Métaphysique texte
15]. D’où il suit que
tout comme il est impossible que soit communiqué à la créature qu’elle soit
Dieu, de même il ne peut lui être communiqué qu’elle soit d’une essence
infinie, d’une puissance infinie et qu’elle possède la toute-puissance. |
d. 43 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quidquid perfectionis est in creatura, totum est exemplatum a
perfectione divina, tamen perfectius est in Deo quam in creatura, nec
secundum illum modum in creatura esse potest quo in Deo est : ideo omne nomen
quod designat perfectionem divinam absolute, non concernendo aliquem modum,
communicabile est creaturae, ut potentia, sapientia, bonitas, et hujusmodi.
Omne autem nomen concernens modum quo illa perfectio est in Deo, creaturae
incommunicabile est, ut est summum bonum esse, omnipotentem et hujusmodi. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que tout ce qu'il y a de perfection dans la
créature est en totalité l'image de la perfection divine, perfection qui
existe cependant plus parfaitement en Dieu que dans la créature, et qui ne
peut exister dans la créature de la manière qu’elle existe en Dieu : c'est
pourquoi tout nom qui désigne la perfection divine de façon absolue,
indépendamment d’une modalité, est communicable à la créature, comme la
puissance, la sagesse, la bonté, etc. Mais tout nom qui concerne la modalité
ou la manière par laquelle cette perfection est en Dieu est incommunicable à
la créature, en tant qu’il est l'être suprêmement bon, tout puissant, etc. |
2 Ad secundum dicendum, quod potentia
significatur per egressum ab essentia ; unde ei quod habet essentiam finitam,
potentia infinita communicari non potest. Sed scientia animae est in
recipiendo ; unde potest secundum quod unitur alicui infinito ut objecto,
omnem scientiam habere ; et sic anima Christi in verbo omnia videt. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la puissance est signifiée par une sortie de
l'essence ; c'est pourquoi une puissance infinie ne peut pas être
communiquée à ce qui a une essence finie. Mais la science de l'âme consiste à
recevoir ; c'est pourquoi elle peut, selon qu'elle est unie à quelque chose
d'infini en tant qu’objet, posséder toute science ; et ainsi l'âme du Christ
voit tout dans le Verbe. |
d. 43 q. 1 a.
2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ibi est accommoda distributio. Non enim
virtus fidei absolute ad omnia se extendit, sicut ad creationem caeli, et
hujusmodi ; sed tantum ad ea quae faciunt ad confirmationem fidei, ut
suscitare mortuos, sanare infirmos, et hujusmodi. Nec ista etiam efficiuntur
aliqua virtute creata quae sit in credente, sed virtute increata ad preces
fidelis : et ideo dictum est supra, in corp. art., quod homo nec per se nec a
se ista facit. Hoc autem attribuitur potius fidei quam alii virtuti,
inquantum ea quae creduntur, quodammodo miraculis probantur, ut habetur Marc. ult., 20 : domino cooperante, et sermonem confirmante, sequentibus signis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’il y a là une distribution convenable. En effet, la
puissance de la foi ne s'applique pas
absolument à tout, comme à la création du ciel, etc. ; mais seulement aux
choses qui contribuent à la confirmation de la foi, comme la résurrection des
morts, la guérison des malades, etc. Et ces choses aussi ne sont pas
produites par une puissance créée qui est dans le croyant, mais par une
puissance incréée à la prière du fidèle : et c'est pourquoi nous avons
dit plus haut dans le corps de l'article que l'homme ne fait ces choses ni
par lui-même ni de lui-même, mais cela est plutôt attribué à la foi qu'à une
autre puissance, dans la mesure où ce qui l’on croit est en quelque sorte
prouvé par les miracles comme le dit l’Écriture [Marc, 16, 20]: « Le
Seigneur agissait avec eux, confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient.
» |
d. 43 q. 1 a. 2 ad 4. Ad quartum
dicendum, quod ibi et in Lib. de causis,
dicitur, quod virtus intelligentiae creatae non est infinita simpliciter : et
probatur per hoc quod ipsa virtus intelligentiae non est per se subsistens,
sed est recepta in aliquo subsistente. Nulla enim intelligentia est sua
virtus, sicut nec aliqua creatura. Dicitur tamen ibi, quod est infinita
inferius, et non superius ; quod sic exponitur ibidem : quia si comparetur
virtus intelligentiae ad superius suum, scilicet Deum, manifestatur finita,
inquantum non recipit divinam virtutem in se, secundum suam totam
infinitatem, sed per modum possibilem sibi ; sed in comparatione ad ea quae
sub ipsa sunt, dicitur infinita, inquantum in infinitum potest movere, et
infinitos effectus producere per motum, secundum positionem philosophorum qui
ponunt intelligentias movere orbes ; sicut etiam virtus solis potest dici
infinita inferius, inquantum scilicet per eam possent infinita generari, si
mundus semper maneret. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’ici et dans Le
livre des causes (prop. 16), il est dit que la puissance de
l'intelligence créée n'est absolument pas infinie : et cela est prouvé
du fait que la puissance même de l'intelligence n'est pas subsistante par
elle-même, mais est reçue dans quelque chose de subsistant[45].
En effet, aucune intelligence n'est sa propre puissance, tout comme aucune
créature non plus. On y dit cependant qu’elle est infinie par le bas et non
par le haut, ce qu’on explique au même endroit : parce que si on compare le
pouvoir de l'intelligence à ce qui lui est supérieur, à savoir Dieu, elle se
montre comme étant finie en tant qu'elle ne reçoit pas la puissance divine en
elle selon son infinité totale, mais d’une manière qui lui est possible ;
mais par rapport aux choses qui lui sont inférieures, on la dit infinie en
tant qu'elle peut mouvoir à l'infini et produire par le mouvement des effets
infinis, si on se rapporte à l’opinion des philosophes [XII Métaphysique, texte 47] qui
soutiennent que ce sont des intelligences qui meuvent les orbes du ciel, tout
comme on peut dire que la puissance du soleil est infinie par le bas en tant
que par elle une infinité de choses pourrait être engendrée si le monde
demeurait toujours. |
|
|
|
Question 2 – [La nécessité de l'opération divine] |
|
|
Quaestio 2, Prooemium. d. 43 q 2 pr. Deinde quaeritur de
necessitate divinae operationis ; et circa hoc quaeruntur duo : 1 utrum
operetur ex necessitate naturae ; 2 utrum operetur ex necessitate suae
justitiae. |
PrologueOn s’interroge
ensuite sur la nécessité de l'opération divine, et à ce sujet on soulève deux
questions : 1. Dieu
opère-t-il par une nécessité de nature ? 2. Opère-t-il par la nécessité de sa
justice ? |
|
|
Articulus 1d. 43 q. 2 a. 1 tit. Utrum
Deus operetur de necessitate naturae. |
Article 1 – Dieu opère-t-il par nécessité de nature ? |
d. 43 q. 2 a.
1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus operetur per
necessitatem naturae. Dicit enim Dionysius : sicut noster sol non ratiocinans, non eligens, radios suos diffundit
in omnia corpora ; ita et divina bonitas in omnia entia. Sed operari sine
ratiocinatione et electione, est operari per necessitatem naturae. Ergo Deus
per necessitatem naturae operatur. |
Difficultés
:[46] 1. Il semble que Dieu opère par une
nécessité de nature. Denys [Les Noms
divins, ch. IV, col. 694] dit en effet : «De même que notre soleil répand ses rayons sur tous les corps sans
réfléchir et sans choisir, de même la divine bonté répand sa bonté sur tous
les êtres.» Mais opérer sans réfléchir et sans choisir, c'est opérer par
une nécessité de nature. Donc Dieu opère par une nécessité de nature. |
d. 43 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne
agens per essentiam suam agit per necessitatem naturae : quia quod
consequitur ad essentiam alicujus rei inquantum est essentia, necessario ab
ipso consequitur, si esse ponatur. Sed Deus agit per essentiam suam, cum sit
primum agens, ut ibidem etiam Dionysius dicit. Ergo videtur agere ex
necessitate naturae. |
2. En outre, tout
agent qui agit par son essence agit par une nécessité de nature, car ce qui
découle de l'essence d’un être en tant qu’essence, découle nécessairement de
lui si on pose qu’il existe. Mais Dieu agit par son essence, puisqu'il est le
premier agent, comme Denys le dit aussi au même endroit. Donc Dieu semble
agir par une nécessité de nature. |
d. 43 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea,
sicut Deus per se est bonus, ita etiam est ens per se necessarium, cum omnia
ab ipso necessitatem habeant ; et omne quod est per aliud, reducitur ad id
quod est per se. Sed in per se bono nihil est nisi bonum. Ergo etiam
in Deo per se necessario, nihil est nisi necessarium ; et ita operatio ejus
necessaria est, et ex necessitate operatur. |
3. Par
ailleurs, de même que Dieu est bon par soi, de même encore il est l’être qui
est nécessaire par soi, puisque tous les êtres tirent leur nécessité de lui
et que tout ce qui existe par un autre se ramène à ce qui existe par soi.
Mais dans le bien par soi il n’y a que le bien. Donc de même en Dieu qui est
nécessaire par soi, il n'y a que le nécessaire, et par conséquent son
opération est nécessaire et il opère par nécessité. |
d. 43 q. 2 a.
1 arg. 4 Praeterea, impossibile est causam necessarii non esse necessariam.
Sed omnia entia creantur per operationem divinam. Si igitur non esset
necessaria, nihil in mundo esset necessarium, sed totum contingens. Hoc autem est falsum, et contra sensum
et omnem scientiam. Ergo videtur quod Deus ex necessitate operetur. |
4. De plus, il
est impossible que la cause de ce qui est nécessaire ne soit pas nécessaire.
Mais tous les êtres sont créés par l'opération divine. Si donc son opération
n'était pas nécessaire il n'y aurait rien de nécessaire dans l’univers, mais
tout serait contingent. Mais cela est faux, et à la fois contraire au bon
sens et à toute science. Il semble donc que Dieu opère par nécessité. |
d. 43 q. 2 a. 1
s. c. 1 Sed contra, ab uno secundum necessitatem naturae operante, non est
nisi unum : quia, secundum philosophum, De
gener. II, text. 56 idem semper facit idem. Ergo si Deus esset agens per
necessitatem naturae, ab ipso non esset nisi unum immediate, et ab ipso uno
esset aliud vel alia, et sic deinceps. Hoc autem est falsum et contra fidem,
quae Deum omnium entium creatorem confitetur, et nullum alium creatorem esse.
Ergo non agit ex
necessitate naturae. |
Cependant : 1. Au
contraire, d’un même agent qui opère par une nécessité de nature ne procède
qu’un seul effet : car, selon le Philosophe [11 De la génération, texte 56] la même cause produit toujours
le même effet. Si donc Dieu agissait par une nécessité de nature, de lui ne
procéderait qu’un seul effet immédiat et de ce même effet il en procéderait un autre ou des autres
et ainsi de suite ; mais cela est faux et contraire à la foi, qui confesse
que le Dieu est le créateur de tous les êtres et qu'il n'y a aucun autre
créateur. Dieu n'agit donc pas par une nécessité de nature. |
d. 43 q. 2 a.
1 s. c. 2 Praeterea, omnis agens per necessitatem naturae producit effectum
coaevum sibi nisi impediatur. Sed virtus Dei, quae infinita est, impediri non potest. Si
ergo res ex necessitate naturae ageret, mundum sibi coaeternum creasset :
quod etiam contra fidem est. Non ergo agit per necessitatem naturae. |
2. Par
ailleurs, tout ce qui agit par une nécessité de nature produit un effet qui
lui est contemporain, à moins qu'il soit empêché. Mais la puissance de Dieu,
qui est infinie, ne peut pas être empêchée. Si donc il faisait les choses par
une nécessité de nature, il aurait créé un monde qui lui serait coéternel, ce
qui est aussi contraire à la foi. Dieu n'agit donc pas par une nécessité de
nature. |
d. 43 q. 2 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod omne quod est ex necessitate naturae, vel est intentum vel
ordinatum ad finem, vel non. Et si quidem non est intentum vel ordinatum ad
finem, erit casu ; quia casus nihil aliud est quam natura agens praeter
intentionem, ut in 2 Physic.
dicitur ; et sic monstra in natura fiunt ex necessitate naturae et sic etiam
corruptio animalis ex necessitate naturae particularis hujus individui,
quamvis sit [sint Éd. Parme]
ordinata in finem a natura universali, ut corruptio unius sit generatio
alterius. Sic autem non potest esse quod Deus agat ex necessitate naturae ;
quia sequeretur quod omnia casu contingerent, quasi ea quae accidunt ex
necessitate materiae, et quod nulla natura intenderet finem ; quod est contra
philosophum. Non enim intendit natura creata finem, nisi inquantum a sua
causa est ordinata. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire que toute chose qui existe à partir d’une nécessité de
nature, ou bien est dirigée ou ordonnée à sa fin, ou bien elle ne l’est pas.
Et si elle ne l'est pas, elle existera par hasard, parce que le hasard n'est
rien d'autre que la nature qui agit en dehors de l'intention, comme le
Philosophe le dit [11 Physique texte
61] ; et c’est ainsi que des monstres sont produits dans la nature par une
nécessité de nature et c’est ainsi aussi que la corruption animale est
produite par une nécessité de la nature particulière de cet individu, bien
qu’elle soit [qu’elles soient Éd. de
Parme] ordonnée à une fin par la nature universelle, de manière à ce que
la corruption de l'un soit la génération de l'autre. Mais il n'est pas
possible que Dieu agisse ainsi par une nécessité de nature car il
s’ensuivrait que tout arriverait par hasard, comme les choses qui arrivent par
la nécessité de la matière, et que qu’aucune nature ne tendrait vers une fin,
ce qui est contraire à la pensée du Philosophe [11 Physique, texte 49]. En effet, la nature créée ne tend à une fin
que dans la mesure où elle y est ordonnée par sa cause. |
Si autem est ordinatum ad finem ;
oportet quod hoc sit vel ab alio ordinante separato, vel ab ordinante
conjuncto. Ab ordinante separato, operationes naturae quae sunt ad finem,
certitudinaliter tendunt in finem illum ex provisione et ordinatione alicujus
causae sic ordinantis. Unde Themistius dicit, quod natura agit quasi esset
mota ex causis superioribus, idest inquantum est in ea quidam instinctus ab
ordinatione substantiarum separatarum. Sic etiam non potest esse quod illud
quod est a Deo, sit hoc modo ordinatum in finem : quia sic oporteret aliquid
prius Deo esse, ex cujus directione et ordinatione suum opus intenderet et
consequeretur finem. |
Mais si elle est
ordonnée à une fin, il faut qu’elle y soit ordonnée ou bien quelque chose
d’autre et de séparé de ce qui l’y ordonne, ou bien par quelque chose qui lui
est uni. Si ce qui l’y ordonne est un agent séparé, les opérations de la
nature qui sont en vue d’une fin y tendent avec certitude par la prévoyance
et l’ordonnance de la cause qui ordonne de cette manière. C'est pourquoi
Thémestius [11 Physique, ch. IV] dit
que la nature agit comme si elle était mue à partir de causes supérieures,
c'est-à-dire en tant qu'il y a en elle un certain instinct dû à l’ordonnance
des substances séparées. Et en ce sens aussi il n'est pas possible que ce qui
vient de Dieu soit ordonné à une fin de cette manière car il faudrait alors
que quelque chose soit antérieur à Dieu, par la direction et l’ordonnance
duquel son œuvre tendrait et parviendrait à sa fin. |
Relinquitur ergo quod ea quae aguntur
virtute naturae suae, sint ordinata in finem ab ordinante conjuncto ipsi
agenti, quod est sapientia ejus ; et ita ea quae aguntur ab ipso procedunt ex
ordine sapientiae ejus et per consequens ex voluntate ipsius, qui amat hunc ordinem,
et non ex necessitate naturae ; et hoc praecipue apparet in dispositione
caelorum, in quibus multa sunt, ut numerus stellarum, et distantia earum, et
quantitas orbium, et hujusmodi, de quibus nulla potest ratio assignari nisi
ex ordine sapientiae conditoris ; quamvis forte alicujus diversitatis quae
est in generabilibus et corruptibilibus possit ratio assignari ex diversitate
materiae ; et propter hoc dominus frequenter in Scripturis in ostensionem
divinitatis suae remittit ad considerationem caelorum, ut Isai. 40, 26 : levate in caelum oculos vestros, et videte quis creavit eos. |
Il reste donc
que ce qui est fait par la puissance de sa nature est ordonné à la fin par ce
qui ordonne en tant qu’il est uni à l'agent, et qui est sa sagesse ; et ainsi
les choses qui sont faites par lui procèdent de l'ordre de sa sagesse et par
conséquent de sa volonté qui aime cet ordre, et non pas d’une nécessité de
nature ; et cela apparaît surtout dans la disposition des cieux, où il y
a beaucoup de choses, comme le nombre des étoiles, leur distance, la quantité
des orbes, et les choses de cette sorte, auxquelles on ne peut assigner de
raison si ce n’est celle de l'ordre de la sagesse du créateur, bien que
peut-être la raison d’une certaine diversité qu’on retrouve dans les êtres
qui sont sujets à la génération et à la corruption puisse être attribuée à
une diversité de la matière ; et c'est pour cette raison que le Seigneur
dans les Écritures [Isaïe, 40, 26]
nous renvoie fréquemment à la considération des cieux pour manifester sa
divinité: « Levez vos yeux vers le
ciel, et voyez qui les a créés. » |
d. 43 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod Dionysius non intendit assignare convenientiam bonitatis
divinae ad solem visibilem quantum ad necessitatem agendi, sed quantum ad
universalitatem causandi : quod patet ex hoc quod continuo ostendit radios
divinae bonitatis usque ad ultima entium diffundi. |
Solutions : 1. Il faut
dire en premier lieu que Denys ne cherche pas à indiquer la ressemblance de
la bonté divine au soleil visible sous le rapport de la nécessité de
l’action, mais sous le rapport de l’universalité de la causalité ; ce
qui apparaît du fait qu’il montre immédiatement après que les rayons de la
bonté divine se répandent jusqu'au dernier des êtres. |
d. 43 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod sicut voluntas et essentia et sapientia in Deo idem sunt re,
sed ratione distinguuntur ; ita etiam distinguuntur et operationes secundum
rationes diversorum attributorum, quamvis sit una tantum ipsius operatio,
quae est sua essentia. Et ideo, quia creatio rerum quamvis sit operatio
essentiae ejus, non tamen inquantum solum est essentia, sed etiam inquantum
est sapientia et voluntas ; ideo sequitur conditionem scientiae et voluntatis
; et quia voluntas libera est, ideo dicitur Deus ex libertate voluntatis res
facere, et non ex naturae necessitate. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que tout comme la volonté, l'essence et la sagesse en
Dieu sont identiques en réalité mais diffèrent par la raison, de même encore
les opérations diffèrent selon les raisons des différents attributs, bien
qu’il n’y ait qu’une seule opération qui lui appartienne, laquelle est son
essence. Et c’est pourquoi, parce que la création des choses, bien qu’elle
soit l'opération de son essence, ne l’est cependant pas seulement en tant
qu’elle est l’essence, mais aussi en tant qu'elle est sagesse et volonté, c'est
pourquoi il s’en suit une création de la science et de la volonté ; et parce
que la volonté est libre, on dit que Dieu fait les choses par la liberté de
la volonté et non par une nécessité de nature. |
d. 43 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quidquid in Deo est, est sua essentia : et ideo totum est
aeternum et increatum, et necessarium ; sed tamen effectus qui ex ejus
operatione procedit, non necessario procedit : quia procedit ab operatione
secundum quod est a voluntate ; et ideo producit effectum secundum libertatem
voluntatis. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que tout ce qui est en Dieu est son essence ; et c’est
pourquoi il est en totalité éternel, incréé et nécessaire ; mais cependant
les effets qui procèdent de son opération, n’en procèdent pas nécessairement,
parce qu'ils procèdent d’une opération qui naît elle-même de sa
volonté ; et c’est pourquoi il produit un effet selon la liberté de la
volonté. |
d. 43 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod non est dicendum voluntatem Dei esse contingentem, aut
operationem ipsius, quia contingentia mutabilitatem importat, quae in Deo
proprie nulla est ; sed tamen est libertas voluntatis et operationis, prout
exit a voluntate. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’il ne faut pas dire que la volonté de Dieu, ou son
opération, est contingente parce que la contingence implique la mutabilité,
laquelle à proprement parler n’a aucune place en Dieu ; mais il y a en Dieu
la liberté de la volonté et de l’opération en tant que cette dernière procède
de la volonté. |
|
|
Articulus 2 d. 43 q. 2 a. 2 tit. Utrum
Deus agat de necessitate justitiae |
Article 2 – Dieu agit-il par une nécessité de justice ? |
d. 43 q. 2 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus agat de necessitate justitiae. Sicut enim
dicit Glossa super illud 2 ad Timoth.
2, 13 : seipsum negare non potest,
seipsum negaret, si justitiam suam dimitteret, quae est ipse. Cum
igitur necessarium sit Deum seipsum non negare, videtur quod ex necessitate
justitiae agat. |
Difficultés:[47] : 1. Il semble
que Dieu agit par une nécessité de justice. En effet, comme le dit la Glose
sur ce verset [2 Épître à Timothée,
2, 13] : «Il ne peut pas se nier
lui-même.», il se nierait lui-même s'il abandonnait sa justice, qui est
lui-même. Donc puisqu’il est nécessaire que Dieu ne se nie pas lui-même, il
semble qu'il agit par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea,
quidquid non est justum, si fiat, injuste et contra justitiam fit. Sed Deus
nihil potest facere injuste et contra justitiam, quia sic posset peccare.
Ergo videtur quod de necessitate justitiae agat. |
2. En outre, tout
ce qui se produit et qui n'est pas juste, si cela vient à exister, cela est produit injustement et contre la justice.
Mais Dieu ne peut rien d’injuste et de contraire à la justice, parce qu'alors
il pourrait pécher. Il semble donc qu'il agisse par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a.
2 arg. 3 Praeterea, causae naturales dicuntur agere per necessitatem naturae,
eo quod determinatae sunt ad unum. Sed voluntas Dei immutabiliter determinata est ad justitiam.
Ergo videtur quod agat de necessitate justitiae. |
3. Par
ailleurs, on dit des causes naturelles qu’elles agissent par une nécessité de
nature, du fait qu’elles sont ordonnées à un seul effet determiné. Mais la
volonté de Dieu est immuablement déterminée à la justice. Il semble donc
qu'il agisse par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 arg. 4 Sed contra,
Jonae 2, dicitur in Glossa : Deus
misericors paratus salvare per misericordiam quos non potest per justitiam
; et ita videtur quod non de necessitate justitiae agat. |
Cependant : 4. Au
contraire, on dit dans la Glose au sujet de Jonas 2: «Le Dieu miséricordieux est prêt à sauver par miséricorde, ceux qu'il
ne peut sauver par la justice[48] »
et ainsi il semble qu'il n'agisse pas par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea,
constat quod salvare illos qui sunt in Inferno, non est justitiae, sed magis contra
justitiam videtur. Sed, sicut legitur, ad preces beati
Gregorii dominus Trajanum imperatorem idolatram et ob hoc in Inferno
damnatum, ab Inferis revocavit, et vitae restituit. Ergo videtur quod non agat de
necessitate justitiae. |
5. Par
ailleurs, il est clair que sauver ceux qui sont en Enfer ne relève pas de la
justice, mais semble plutôt contraire à la justice. Mais, comme on le lit,
aux prières du bienheureux Grégoire[49],
le Seigneur rappela des enfers l'empereur Trajan l’idolâtre, qui pour cette
raison d’idolâtrie avait été condamné à l’Enfer, et il lui rendit la vie. Il
semble donc que Dieu n'agisse pas par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, si
non potest agere nisi secundum justitiam, aut hoc intelligitur de justitia
creata, aut de justitia increata. Sed non de justitia creata, quia ea
operatio Dei [qua res illa quae est Éd. Parme], non regulatur ; nec etiam de
justitia increata, quia illa potentiae non contrariatur nec voluntati. Ergo
videtur quod non agat de necessitate justitiae. |
6. De plus, s'il
ne peut agir que selon la justice, ou bien cela s’entend de la justice créée,
ou bien de la justice incréée. Mais cela ne s’entend pas de la justice créée,
parce que l’opération de Dieu [par laquelle cette chose qui existe Éd. de Parme] n'est pas réglée par
elle, ni non plus de la justice incréée parce qu'elle n'est pas
contraire à la puissance ni à la volonté. Il semble donc qu'il n'agisse pas
par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod Deum agere de necessitate justitiae, potest intelligi
dupliciter. Aut ita quod nihil possit agi ab eo quod si fieret, justum non
esset ; et sic verum est ; sicut enim non potest facere aliquid quod si
fieret, non esset volitum ab eo, et quod non esset scitum ab eo : ita est de
justo. Nihil enim potest facere quod si fieret, non esset justum. Aut potest
intelligi quod ex justitia sua determinetur ad aliquod unum faciendum, ita
quod aliud facere non possit : et sic falsum est. Et hujus ratio est, quia
quandocumque tota determinatio operis est ex parte operantis, in operante est
determinare ad hunc modum hoc vel illud. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’on peut entendre de deux manières que Dieu agit par une
nécessité de justice. Soit de telle manière que rien ne peut être fait par
lui de telle manière que s'il le faisait, cela ne serait pas juste ; et en ce
sens cela est vrai ; en effet, tout comme il ne peut rien faire de tel que
s’il le faisait, cela ne serait pas voulu par lui et ne serait pas connu de
lui, il en est de même pour ce qui est du juste. En effet, il ne peut rien
faire de tel que cela ne serait pas juste. Car il ne peut pas faire que ce
qu'il ferait ne soit pas juste. Soit on l’entend de telle manière que Dieu se
détermine de par sa justice à faire une seule chose de telle manière qu’il ne
puisse pas en faire une autre : et en ce sens l’énoncé est faux. La
raison en est qu’à chaque fois que la détermination totale de l'œuvre se
tient du côté de celui qui opère, c'est à lui qu’il revient de la déterminer
de telle ou telle autre manière. |
Quando autem ipsum opus ex se
determinatum est, non est ulterius in operante. Verbi gratia, in operibus
humanis aliquid, quantum est de sui natura, est indifferens, ut sedere vel
non sedere ; et utrumque determinatur ad hoc quod est esse virtuosum, ex
parte hominis, qui adhibet debitas circumstantias. Unde ex necessitate
justitiae ad neutrum cogitur ; sed quodcumque faciat, justum erit debitis
circumstantiis adhibitis ex ordine rationis. Aliquid autem est ex sua forma
determinatum ad unum, sicut mentiri, quod in se malum est, vel servare
aequalitatem justitiae, quod in se bonum est ; quorum nec unum praeterire,
nec alterum facere sine injustitia possumus. |
Quand l'œuvre
elle-même est déterminée d’elle-même, sa détermination n’est plus dans celui
qui opère. En d’autres mots, il y a dans les opérations humaines des
choses qui, quant à leur nature, sont
indifférentes, comme s'asseoir ou ne pas s'asseoir, et c’est du côté de
l’homme qui applique les circonstances appropriées que chacune des deux est
déterminée à être vertueuse. C'est pourquoi il n'est forcé à aucune des deux
possibilités par une nécessité de justicel'un ni à l'autre, mais quoiqu'il
fasse, l’œuvre sera juste par les circonstances appropriées appliquées par
l'ordre de la raison. Mais il y a des choses qui de par leur forme sont déjà
tournées dans un sens déterminé, comme mentir qui est un mal en soi, ou
servir l’égalité de justice qui est un bien en soi ; et parmi ces
choses, nous ne pouvons omettre l’une et faire l’autre sans qu’il y ait
injustice. |
Dico ergo, quod quidquid est
ordinatum, justum vel bonum in rebus creatis, totum est ex ipsa voluntate Dei
ordinante ; et ideo ex necessitate justitiae non facit hoc, quin aliud etiam
facere posset : quia modum ordinis quem circa hoc ponit, etiam circa aliud
ponere posset : sicut enim scientia sua est causa verorum creatorum, e
contrario scientiae nostrae ; ita et justa voluntas sua est causa justorum.
Unde si aliud faceret, illud justum faceret et injustus ipse non esset. |
Je dis donc
que tout ce qui est ordonné comme étant juste et bon dans les créatures,
vient entièrement de la volonté même de Dieu qui l'ordonne, et c'est pourquoi
il ne fait pas cela par une nécessité de justice de telle manière qu’il ne
pourrait pas aussi faire autre chose ; parce que la sorte d'ordre qu'il pose
sur ceci, il pourrait le poser aussi sur autre chose : en effet, tout comme
sa science est la cause des vérités créées, contrairement à notre science, de
même sa volonté juste est cause de ce qui est juste. D’où il suit que s'il
faisait une autre chose, il la ferait juste et lui-même ne serait pas
injuste. |
d. 43 q. 2 a.
2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod justitia potest accipi dupliciter. Vel
ipsa ordinatio divinae voluntatis quae in Deo est ; et sic non potest facere
praeter justitiam, sicut non potest facere praeter scientiam. Aut potest
accipi secundum quod ex ordine voluntatis suae determinatur justitia in
aliquo opere causato ; et praeter illam justitiam facere potest, nec seipsum
negaret : quia in hoc etiam quod faceret, ordo suae justitiae appareret ; et
ideo nec contra justitiam faceret, nec injuste. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que la justice
peut être prise en deux sens. Ou bien l'ordonnance même de la volonté divine
qui est en Dieu, et en ce sens il ne peut pas agir contre la justice, tout comme
il ne peut pas agir contre la science. Ou bien elle aussi se prendre selon
que la justice est déterminée dans toute œuvre causée à partir de l’ordre de
sa volonté ; et il peut agir au-delà ou en dehors de cette justice, et
il ne se nierait pas lui-même en le faisant, parce que l’ordre de sa justice
apparaîtrait en cela aussi qu’il ferait ; et c’est pourquoi il n’agirait pas
contre la justice et ne serait pas injuste. |
d. 43 q. 2 a.
2 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum. |
2. Et par cela
apparaît la réponse à la deuxième difficulté. |
d. 43 q. 2 a.
2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis voluntas Dei sit immutabiliter
determinata ad justitiam, tamen ordo justitiae non est determinatus ad hanc
rem vel ad illam. Unde
non sequitur quod ex necessitate justitiae hoc vel illud faciat. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que bien que la volonté de Dieu soit immuablement
déterminée à la justice, cependant l'ordre de la justice n'est pas déterminé
à cette chose ou à une autre. D’où il ne s’ensuit pas qu'il fasse ceci ou
cela par une nécessité de justice. |
d. 43 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod justitia dicitur dupliciter de Deo. Uno modo retributio pro
meritis : et hoc respondet justitiae cuilibet [de alio judice Éd. Parme] specialiter dictae ; et quia hoc
attendit aequalitatem et ordinem ex parte ipsarum rerum, ideo Deus hanc
justitiam quandoque praetermittit ; et secundum misericordiam procedit opus
ejus. Alio modo dicitur justitia decentia divinae bonitatis, cui respondet in
politicis justitia communiter dicta quae est communis virtus, secundum
philosophum : et quia hoc respicit ordinem ex parte ipsius Dei, ideo praeter
hanc Deus nunquam facit nec facere potest ; nihil enim potest facere quod
ipsum non deceat : et huic justitiae non repugnat liberalitas qua alicui
confertur id quod sibi debitum non est, et hoc est Dei misericordia, qua
etiam peccatoribus dignis morte gratiam infundit, ut digni sint vita ; et sic
ponit alium ordinem in re ipsa, ut scilicet quod ex culpa ordinabatur ad
poenam, ex gratia ordinetur ad gloriam. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que la justice
s’attribue à Dieu en deux sens. En un premier sens à titre de
rétribution pour les mérites et cela correspond à toute justice [de l’autre
juge add. Éd. de Parme] dite
particulièrement ; et parce que cela concerne l'égalité et l'ordre du côté
des choses elles-mêmes, c’est pourquoi Dieu omet quelquefois cette justice et
son œuvre procède selon la miséricorde. En un autre sens on appelle justice
la convenance de la bonté divine, à laquelle correspond en politique la
justice dite communément, laquelle est une puissance commune selon le Philosophe
[V Éthique, ch. 111] : et parce que
cela concerne l'ordre du côté de Dieu lui-même, c’est pourquoi Dieu n'agit
jamais et ne peut jamais agir contre cette justice ; en effet il ne peut
rien faire qui ne lui convienne pas. Et la libéralité, par laquelle ce qui ne
lui est pas dû est conféré à quelqu'un, ne répugne pas à cette justice et c'est
là la miséricorde de Dieu, par laquelle il répand la grâce même aux pécheurs
dignes de mort, pour qu'ils soient dignes de la vie ; et ainsi il pose
un autre ordre dans la chose elle-même, à savoir de telle manière que ce qui
était ordonné au châtiment par la faute est ordonné à la gloire par la grâce.
|
d. 43 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod idem est de Trajano qui forte post quingentos annos suscitatus
est, et de aliis qui post unum diem suscitati sunt ; de omnibus enim dicendum
est, quod non finaliter damnati erant : praesciebat enim Deus eos sanctorum
precibus a poenis liberandos, et vitae restituendos ; et sic ex liberalitate
bonitatis suae eis veniam contulit, quamvis aeternam poenam meruissent. Non
enim est simile de ipso in quem solum peccatur, et de alio judice. Unde et
Deus libere remittere potest sine ullius offensa ; de alio judice [non alius judex Éd. de Parme] qui
punire habet culpam in alium, vel in rempublicam, vel in Deum commissam ;
unde et poenam licite remittere non potest. |
5. Il faut dire en cinquième lieu qu’il
en est de même pour Trajan qui fut ressuscité après peut-être cinq cents ans,
et pour d’autres qui l'ont été après un seul jour ; car il faut dire de tous
que finalement ils n'avaient pas été condamnés ; car Dieu prévoyait qu'ils
seraient libérés du châtiment par les prières des saints, et ramenés à la
vie ; et ainsi par la libéralité de sa bonté il leur a confèré la grâce,
bien qu’ils avaient mérité une peine éternelle. Il n’en est pas de même en
effet pour lui contre qui seul il a
péché, et pour un autre juge. C'est pourquoi Dieu peut remettre librement les
fautes sans offenser personne, mais pour un autre juge [mais non un autre
juge Éd. de Parme] qui a à punir
une faute contre un autre, contre l'état, ou commise contre Dieu, il ne peut
légalement remettre la peine pour cette raison. |
d. 43 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextu m
dicendum, quod dicitur Deus non posse injuste facere, non propter justitiae
suae contrarietatem ad suam potentiam, sed propter justitiae
incompossibilitatem. Haec enim duo sunt incompossibilia, quod Deus aliquid
faciat, et illud justum non sit. |
6. Il faut
dire en sixième lieu qu’on dit que Dieu ne peut pas agir injustement, non à
cause de l'opposition de sa justice à l’égard de sa puissance, mais à cause
de l'imcompossibilité de sa justice. Ces deux choses en effet sont
incompossibles, à savoir que Dieu fasse quelque chose et que cela ne soit pas
juste. |
|
|
Expositio textus |
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 43 |
D 43 q. 2, a. 2 expos. His autem
respondemus duplicem verborum intelligentiam aperientes. Solutio magistri in
hoc consistit, quod cum dicitur, Deus non potest facere nisi quod justum est,
hoc quod dico justum potest intelligi prius conjungi cum hoc verbo est a quo
restringitur ad standum pro praesentibus, quam cum hoc verbo potest ; et sic
falsa est. Est enim sensus : Deus non potest facere nisi id quod modo justum
est : quod falsum est. Potest enim facere quaedam quae modo nihil sunt. Vel
potest prius intelligi conjungi cum hoc verbo, potest, habente vim ampliandi,
quam cum hoc verbo est ; et in hoc sensu est vera : quia sic hoc nomen
justum, supponit pro praesenti confuso non secundum aliquod determinatum
tempus. Et est sensus : Deus non potest facere aliquid quod non est justum,
in quocumque tempore ponatur ab eo factum ; et per modum istum procederunt
[solvuntur Éd. Parme] omnes objectiones. |
« Nous
répondons à cela en ouvrant la double intelligibilité des paroles. » La
solution du Maître consiste en ceci que, quand on dit que Dieu ne peut faire
que ce qui est juste, ce que j’appelle juste peut d’abord s’entendre comme
étant uni à ce verbe ¨est¨ par lequel
il est limité à devoir tenir lieu des
choses présentes, avant d’être uni à ce verbe : ¨il peut¨ ; et en ce
sens l’énoncé est faux. En effet, le sens est alors celui-ci : Dieu ne
peut faire que ce qui est juste maintenant ; ce qui est faux. Il peut en
effet faire des choses qui ne sont rien maintenant. Ou bien on peut d’abord
entendre ¨juste¨ comme étant uni à ce verbe : ¨il peut¨, possédant ainsi
une plus grande puissance de multiplication qu’avec ce verbe ¨est¨ ; et
en ce sens l’énoncé est vrai car alors ce nom ¨juste¨ suppose en guise de
temps présent un temps confus qui n’est pas un temps déterminé. Et le sens
devient alors : Dieu ne peut rien faire qui ne soit pas juste, quelque soit
le temps dans lequel il le fasse et de cette manière toutes les difficultés
sont franchies [résolues Éd. de Parme].
|
Cap. 188 (1) An Deus possit facere
aliquid melius quam facit vel alio vel meliori modo. Nunc illud resta
discutiendum utrum melius aliquid possit facere quam facit. |
1. Dieu
peut-il faire quelque chose de meilleur que ce qu’il fait ou d’une autre
manière qui serait meilleure ? Maintenant il reste à discuter si Dieu
pourrait faire mieux que ce qu'il fait. |
2. Illi
dicunt non posse. Solent enim illi scrutatores dicere, quod ea quae facit
Deus, non potest meliora facere ; quia si posset facere et non faceret,
invidus esset, et non summe bonus. Et hoc ex simili astruere conantur. Ait
enim Augustinus in lib. LXXXIII Quaest.qu.
L, col. 31 : « Deus quem genuit, quoniam meliorem se generare non
potuit, nihil enim Deo melius, generare debuit aequalem. Si enim voluit et
non potuit, infirmus est. Si potuit et noluit, invidus.» Ex quo confirmatur
aequalem genuisse Filium. A simili volunt dicere quod si potest Deus rem
meliorem facere quam facit, invidus est. Sed non valet hujus similitudinis
inductio, quia Filium genuit de substantia sua : ideoque si posset gignere
aequalem et non gigneret, invidus esset ; alia vero quae non de substantia
sua facit, meliora facere potest. |
1. Ceux-ci disent qu’il ne le peut pas. Car
ces chercheurs ont l’habitude de dire que les choses que Dieu fait, il ne
peut pas les faire meilleures ; car s'il le pouvait et ne les faisait pas, il
serait jaloux, et non suprêmement bon. Et ils essayent de le démontrer à
partir d’une similitude. En effet, Saint-Augustin [Les Quatre-vingt-trois questions, quest. L, col. 31] dit :
« Celui que Dieu a engendré,
puisqu’il n'a pas pu l’engendrer meilleur que lui, car rien en effet n'est
meilleur que Dieu, il a dû l’engendrer égal à Lui. Si en effet il a voulu le
faire et n’a pas pu le faire, il est faible. S'il a pu le faire et ne l'a pas
voulu, il est jaloux ». Et à partir de là il est confirmé que le
fils a été engendré égal à Dieu. C’est par une similitude qu’ils veulent dire
que si Dieu peut faire une chose
meilleure que celle qu’il fait, il est jaloux. Mais la présentation de cette similitude
ne tient pas car c’est de sa substance même que Dieu a engendré le Fils :
D'une manière semblable, ils veulent
dire que si Dieu peut faire une chose meilleure qu'il ne fait, il est jaloux.
Mais la présentation de cette similitude ne tient pas parce que Dieu a
engendré le Fils à partir de sa propre substance : c'est pourquoi il
faut plutôt dire que s’il avait pu engendrer son égal et ne l’avait pas fait,
il aurait été jaloux ; mais c’est les autres choses, à savoir celles
qu’il ne fait pas à partir de sa substance même, qu’il peut faire meilleures. |
3. Quaestio qua illi arctantur. Verum hic
ab eis responderi deposco. Cur dicunt rem aliquam, sive etiam rerum
universitatem, in qua major consummatio expressa est, non posse esse meliorem
quam est ? Sive ideo quia summe bona est, ita ut nulla omnino boni perfectio
ei desit ; sive ideo quia majus bonum quod ei deest capere ipsa non valeat.
Sed si illa summe bona dicitur ut nulla ei perfectio boni desit, jam creatura
Creatori aequatur. Si vero jam non potest melior esse, quia bonum amplius
quod ei deest, capere ipsa non valet, iam hoc ipsum non posse, defectionis
est, non consummationis : et potest esse melior, si fiat capax melioris boni
: quod ipse potest qui eam fecit. Potest ergo Deus meliorem rem facere quam
facit. Unde Augustinus, Super Genes. Ad
litteram, lib. XI, cap. VII, col 433) : Talem potuit Deus hominem fecisse
qui nec peccare posset nec vellet : et si talem fecisset, quis dubitat eum
meliorem fuisse ? Ex
praedictis constat quod potest Deus et alia facere quam facit, et quae facit,
meliora ea facere quam facit. |
3. La question qui les presse. Mais je
réclame ici qu’ils me disent la vérité. Pourquoi disent-ils qu’une chose ou
bien même la totalité des choses, dans laquelle s'exprime un plus grand
accomplissement, ne peut pas être meilleure qu'elle n’est ? Ou bien, parce
qu’elle est suprêmement bonne, de telle manière qu'absolument aucune
perfection du bien ne lui manque, ou bien parce qu'elle-même ne peut pas
saisir un bien plus grand qui lui manque. Mais si on dit d’elle qu’elle est
suprêment bonne, de sorte qu'aucune perfection dans le bien ne lui manque,
alors la créature est égale au Créateur. Mais si elle ne peut pas être meilleure,
parce qu'elle est incapable de saisir un bien plus grand qui lui manque, déjà
cette impuissance relève d’un manque et non d’un accomplissement et elle ne
peut être meilleure que si elle devient capable d'un bien meilleur : ce
que peut faire celui-là même qui l’a faite. Donc Dieu peut faire une chose
meilleure qu'il ne la fait. C'est pourquoi Saint-Augustin [ Sur La Genèse au sens littéral, liv. XI, ch.
7, col. 433[50]]
dit : « Dieu aurait pu aussi faire l'homme tel qu'il ne puisse
ni ne veuille pécher, et s'il l'avait fait tel, qui doute qu'il aurait été
meilleur ? De ce qui précède, il est clair que Dieu peut faire d'autres
choses que ce qu'il fait, et ce qu'il fait, il peut le faire meilleur qu'il
ne le fait. |
4. Utrum alio vel maiori modo possit facere
quam facit. Post haec considerandum est utrum alio modo, vel meliori quam
facit, possit ea facere quae facit. Si modus operationis ad sapientiam opificis
referatur, nec alius nec melior modus esse potest. Non enim potest facere
aliquid aliter vel melius quam facit, id est alia sapientia, vel majori
sapientia : nihil enim sapientius potest facere quam facit. Si vero referatur modus ad rem ipsam
quam facit Deus, dicimus, quia et alius et melior potest esse modus. Et
secundum hoc concedi potest, quia ea quae facit potest facere melius, et
aliter quam facit ; quia potest quibusdam meliorem modum existendi praestare,
et quibus alium. Unde Augustinus, in XIII lib. de Trinit., c. X, col. 1024, dicit, quod fuit et alius modus
nostrae liberationis possibilis Deo, qui omnia potest ; sed nullus alius
nostrae miseriae sanandae fuit convenientior. Potest ergo
Deus eorum quae fecit quaedam etiam minus bono facere quam facit : ut tamen
modus referatur ad qualitatem operis, id est creaturae, non ad sapientiam
Creatoris. |
4. Peut-il faire les choses d’une manière
autre ou meilleure que celle par laquelle il les fait ? Suite à cela il
faut considérer s’il peut faire les choses qu’il fait d’une manière autre ou meilleure que celle
par laquelle il les fait. Si le mode d'opération se rapporte à la sagesse de
celui qui fait l’oeuvre, il ne peut y avoir une modalité autre ou meilleure.
Il ne peut pas en effet faire une chose autre ou meilleure que celle qu’il
fait, c'est-à-dire par une sagesse autre ou meilleure : en effet, il ne
peut rien faire d’autre avec plus de sagesse que ce qu'il fait. Mais si la
manière d’opérer se rapporte à la chose même que Dieu fait, nous disons alors
que la manière peut être autre et meilleure. Et suite à cela, on peut concéder
que ce qu'il fait, il peut le faire mieux et autrement qu'il ne le fait parce
qu'il peut offrir à certains un mode d'existence meilleur et à d’autres une
autre manière d’exister. C'est pourquoi Saint-Augustin [XIII De La
Trinité, ch. X, col. 1024], dit qu'il était possible à Dieu, Lui qui peut
tout, de nous libérer d’une autre manière ; mais aucune autre manière ne
convenait davantage à la guérison de notre misère. Dieu peut donc, parmi les
choses qu’il a faites, en faire aussi certaines d’une moins bonne manière
qu’il les a faites, à condition cependant que la manière d’opérer se rapporte
à la qualité de l'œuvre, c'est-à-dire à la créature, et non à la sagesse du Créateur. |
Cap. 189
(2). 1. Utrum Deus semper possit omne quod potuit ? |
1. Dieu
peut-il toujours faire tout ce qu'il a pu faire autrefois ? |
Praeterea quaeri solet utrum Deus
semper possit omne quod olim potuit. Quod quibusdam non videtur, dicentibus :
Potuit Deus incarnari, et potuit mori et resurgere, et alia huiusmodi quae
modo non potest. Potuit ergo quae modo non potest, et ita habuit potentiam
quam modo non habet ; unde videtur potentia eius imminuta. |
Ensuite on a
l’habitude de se demander si Dieu peut toujours tout ce qu'il a pu autrefois.
Certains ne semblent pas le penser, qui disent : Dieu a pu s'incarner, il a
pu mourir et resssusciter et il a pu faire d’autres choses de ce genre, qu'il
ne peut plus maintenant. Donc il a pu ce qu'il ne peut pas maintenant ; et
ainsi il a eu une puissance qu'il n'a plus maintenant ; c'est pourquoi sa
puissance semble diminuée. |
2. Ad quod dicimus, quia sicut omnia
semper scit quae aliquando scivit, et semper vult quae aliquando voluit, nec
unquam aliquam scientiam amittit, nec voluntatem mutat quam habuit, ita omnia
semper potest quae aliquando potuit, nec unquam aliqua potentia sua privatur.
Non est ergo privatus potentia incarnandi vel resurgendi, licet non possit
modo incarnari vel resurgere. Sicut enim potuit olim incarnari, ita et potest
modo incarnatus esse : in quo eiusdem rei potentia monstratur. |
2. À cela nous
disons, que de même qu'il sait toujours tout ce qu'il a su une fois, et qu'il
veut toujours ce qu'il a voulu une fois, et qu’il n’a jamais perdu la moindre
science, et que la volonté qu’il avait ne change pas, de même il peut
toujours ce qu’il a pu autrefois et jamais il n’est privé de sa puissance. Il
n'est donc pas privé de la puissance de s'incarner ou de ressusciter, bien
qu'il ne puisse maintenant s'incarner et ressusciter. Tout comme il a pu
autrefois s'incarner, de même il peut maintenant avoir été incarné, ce en
quoi se manifeste sa puissance pour une même chose. |
3. Ut enim olim scivit se
resurrecturum et modo scit se resurrexisse, nec est alia scientia, illud olim
scivisse, et hoc modo scire, sed eadem omnino ; et sicut voluit olim
resurgere et modo resurrexisse, in quo unius rei voluntas exprimitur : ita
potuit olim nasci et resurgere, et modo ipse potest natus fuisse et
resurrexisse et est ejusdem rei potentia. |
3. En effet,
de même qu'autrefois il a su qu'il ressusciterait et que maintenant il sait
qu'il est ressuscité, ce n’est pas par une autre science qu’il l'a su
autrefois et qu’il le sait maintenant, mais c'est tout à fait par la même
science ; et tout comme il a voulu autrefois ressusciter et qu’il veut
maintenant avoir ressuscité, en quoi s'exprime la volonté à l’égard d’une
même chose, de même il a pu autrefois naître et ressusciter, et maintenant il
peut être né et avoir ressuscité, et c'est là la puissance à l’égard d’une
seule et même chose. |
Si enim posset modo nasci et
resurgere, non esset idem posse. Verba enim diversorum temporum diversis
prolata temporibus et diversis adjuncta adverbiis, eumdem faciunt sensum : ut
modo loquentes dicimus : « Iste potest legere hodie » ; cras autem
dicemus : « Iste potest legisse, vel potuit legere heri » ubique
unius rei monstratur potentia. Si autem diversis temporibus loquentes ejusdem
temporibus verbis et adverbis utamur, dicentes hodie : iste potest legere
hodie, et dicentes cras : iste potest hodie legere, non idem sed diversa
dicimus eum posse. |
S'il pouvait en effet naître et ressusciter maintenant,
ce ne serait pas la même puissance. En effet les paroles prononcées en des
temps différents transportés à des temps différents et ajoutées à des
adverbes[51] différents, rendent la même signification,
de telle manière que nous disons maintenant : « Celui-ci peut lire
aujourd'hui » ; demain nous dirons aussi : « Celui-ci peut avoir
lu ou il a pu lire hier » ; et dans les deux cas se manifeste une
puissance à l’égard d’une même chose. Mais si parlant en des temps différents
nous nous servons des temps, des mots et des adverbes du même temps en disant
aujourd’hui : celui-là peut lire aujourd'hui, et en disant demain : il
peut lire aujourd'hui, nous ne disons pas qu’il peut la même chose, mais des
choses différentes. |
4. Fateamur ergo Deum semper posse
quidquid semel potuit. Id est, habere omnem illam potentiam quam semel
habuit, et illius omnis rei potentiam cujus semel habuit : sed non semper
facere omne illud quod aliquando potuit facere. Potest quidem facere aut
fecisse aliquando quod potuit : similiter quidquid voluit, et vult, id est
omnem quam habuit voluntatem, et modo habet ; et cujuscumque rei voluntatem
habuit, et modo habet : non tamen vult esse vel fieri omne quod aliquando
voluit esse, vel fieri, sed vult fuisse vel factum esse. Ita et de scientia
Dei dicendum est. |
4. Avouons
donc que Dieu peut toujours tout ce qu'il a pu une fois. C'est-à-dire, avoir
toute cette puissance qu'il a eue une fois et la puissance de tout ce qu'il a
eu une fois, mais il ne peut pas toujours faire ce qu'il a pu faire à
certains moments. Il peut certes faire ou avoir fait à un certain moment ce
qu'il a pu faire ; de même tout ce qu'il a voulu, et veut, c'est-à-dire toute
volonté qu'il a eue, il l'a maintenant ; et la volonté qu’il a eu pour chaque
chose, il l'a maintenant ; cependant il ne veut pas qu'existe et soit fait
tout ce qu'il a voulu quelquefois, ou que ce soit fait, mais il veut que cela
ait existé ou ait été fait. Et c'est ainsi qu'il faut parler de la science de
Dieu[52]. |
|
|
Distinctio 40 |
Distinction 44 – [La puissance de Dieu dans sa création] |
|
|
Quaestio 1 |
Question unique – [La puissance de Dieu relativement à la création] |
1. Utrum
Deus unamquamque rem potuerit meliorem facere quam fecit ? 2. Utrum
potuerit melius facere ipsum universum ? 3. De
quibusdam excellentissimis creaturis utrum Deus eas facere potuerit
meliores ? 4. Utrum
quidquid olim Deus potuit facere, et modo possit. ? |
Article 1 – Dieu aurait-il pu
faire une créature meilleure que celle qu'il a faite ? Article 2 – Dieu aurait-il pu
faire un univers meilleur ? Article 3 – Dieu aurait-il pu
rendre l'humanité du Christ meilleure qu'elle ne l'est ? Article 4 – Dieu peut-il faire
tout ce qu'il a pu faire autrefois ? |
|
|
Prooemium |
Prologue |
d. 44 q. 1 pr. Hic excludit
praedictorum errorem quantum ad hoc quod ponebant potentiam Dei limitari ad
qualitatem rerum ; et dividitur
in partes duas : in prima excludit errorem ; in secunda determinat quamdam
quaestionem per quam videbatur in divina potentia diminutio poni, ibi : praeterea quaeri solet, utrum Deus semper
possit omne quod olim potuit |
Il écarte ici
l'erreur de certains quant à ceci qu’ils soutenaient que la puissance de Dieu
était limitée par rapport à la qualité des choses, et cette section se divise
en deux parties : dans la première, il écarte l'erreur ; dans la seconde il
répond à une question par laquelle on semblait poser une diminution dans la
puissance divine : «Par ailleurs on a
coutume de se demander si Dieu peut toujours tout ce qu'il a pu autrefois.» |
Prima in duas : in prima inquirit,
utrum Dei potentia limitetur ad rerum bonitatem ; in secunda inquirit, utrum
limitetur ad rerum modum, ibi : post haec considerandum est utrum alio modo
vel meliori quam facit, possit ea facere quae facit. |
La première
partie se divise en deux : Dans la première on cherche à savoir si la
puissance de Dieu est limitée quant à la bonté des choses ; dans la
deuxième, si elle est limitée quant à la manière de les faire, là où il
dit : suite à cela il faut
considérer s’il peut faire les choses qu'il fait d'une autre manière ou d'une
meilleure manière. |
Circa primum duo facit. Primo excludit
rationem eorum qui ponebant Deum non posse res meliores facere quam faciat ;
secundo per rationem destruit eorum positionem, ibi : verum hic ab eis
responderi deposco [1]. Sententia in littera plana est. |
Au sujet du
premier point il fait deux choses. Dans la première il rejette le
raisonnement de ceux qui soutenaient que Dieu ne peut pas faire des choses
meilleures que celles qu’il fait ; dans la deuxième, il réfute leur
position par un raisonnement, là où il dit : Mais je réclame qu'ils me répondent la vérité. La phrase est
claire dans La Lettre. |
Hic quatuor quaeruntur : 1 utrum Deus
unamquamque rem potuerit meliorem facere quam fecit ; 2 utrum potuerit melius
facere ipsum universum ; 3 de quibusdam excellentissimis creaturis utrum Deus
eas facere potuerit meliores ; 4 utrum quidquid olim Deus potuit facere, et
modo possit. |
Ici on pose
quatre questions : 1. Dieu aurait-il pu faire chaque chose meilleure qu'il ne
l’a faite? 2. Aurait-il pu faire l'univers meilleur ? 3. Au sujet des
créatures les plus élevées, Dieu aurait-il pu les faire meilleures ? 4. Est-ce que tout
ce que Dieu a pu faire autrefois, il peut le faire maintenant ? |
|
|
Articulus 1 d. 44 q. 1 a. 1 tit. Utrum
Deus potuerit facere aliquam creaturam meliorem quam fecerit |
Article 1 – Dieu aurait-il pu faire une créature meilleure qu'il ne l’a faite ? |
d.
44 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus nullam
creaturam meliorem facere potuerit quam sit : quia secundum Dionysium, et
Platonem, optimi est optima adducere. Sed optimo nihil melius potest esse. Ergo his quae Deus fecit
qui optimus est, nihil melius esse potest. |
Difficultés :[53] 1. Il semble que Dieu n'a pu
faire aucune créature meilleure qu'elle n'est, car selon Denys [Les noms divins, ch. IV, col. 694 et
Platon (Le banquet, ch. IV], il
appartient au meilleur de produire ce qu’il y a de meilleur. Mais rien ne
peut être meilleur que celui qui est suprêmement excellent. Donc, rien ne
peut être meilleur que ce que Dieu fait, lui est suprêmement excellent. |
44 q. 1 a. 1 arg.
2 Praeterea, secundum Basilium, accipere a patre, filio cum omni creatura
commune est. Sed in his
quae sunt unius rationis, tenet idem modus arguendi. Ergo cum Augustinus,
arguat ex hoc quod in Deo invidia esse non potest, quod filium meliorem quam genuit,
generare nequiverit, videtur etiam quod res creatas meliores quam sint,
facere non potuerit. |
2. Par
ailleurs, selon Saint-Basile [11 Contre
Eunomius], il est commun au Fils
et à toute créature de recevoir du Père. Mais la même manière de raisonner
vaut pour les choses qui sont de même nature. Donc puisqu’Augustin [Les Quatre-vingt-trois Questions, qu.
50, col. 31[54] et 11 Contre
Maximin, ch. 18, col. 785] conclut, à partir de ceci qu'il ne peut pas y
avoir de jalousie en Dieu, qu’il n'a pas pu engendrer un Fils meilleur que
Celui qu’il a engendré, il semble aussi qu'il n'a pas pu faire les choses
créées meilleures qu'elles ne sont. |
d. 44 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea,
effectus qui producitur a causa secundum totam suam potentiam, non potest ab
ipsa melior fieri. Sed quamlibet creaturam Deus operatur tota sua potentia,
quia per essentiam suam, quae indivisibilis est. Ergo nullam rem meliorem
potest facere quam sit [fit Éd. Parme]. |
3. En outre,
l’effet qui est produit par une cause selon toute sa puissance de cette cause
ne peut pas être produit par elle meilleur qu’il n’est. Mais Dieu produit
toute créature par toute sa puissance, parce qu'il la produit par son essence
qui est indivisible. Donc Dieu ne peut faire aucun être meilleur qu’il n’est
[n’a été produit Éd. de Parme]. |
d. 44 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, una res non deficit a bonitate alterius, nisi per hoc quod
deficit a participatione divinae bonitatis. Iste autem defectus non ex parte
Dei est, qui aequaliter se habet ad omnes creaturas, secundum Dionysium, sed
ex parte ipsius rei, quae magis vel minus bonitatis divinae capax est. Ergo
videtur quod Deus unamquamque rem meliorem non possit facere quam sit [fit
Éd. Parme]. |
4. De plus,
une même chose ne s’écarte de la bonté d’une autre que parce qu’elle s’écarte
de la participation de la bonté divine. Mais ce défaut ne vient pas de Dieu,
lequel se présente à toutes les créatures d’une manière égale selon Denys [Les noms divins, ch. II, § 5 et 6 col.
643], mais de la chose elle-même, qui est plus ou moins susceptible de recevoir
la bonté de Dieu. Il semble donc que Dieu ne puisse faire aucune chose
meilleure qu’elle n’est. |
d. 44 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra,
cuilibet finito possibilis est additio. Sed cujuslibet creaturae bonitas
finita est. Ergo potest sibi fieri additio. Sed quidquid potest fieri, Deus,
qui omnipotens est, facere potest. Ergo videtur quod quamlibet rem meliorem
facere possit. |
Cependant : 1. Il est
possible d’ajouter à tout ce qui est fini. Mais la bonté de toute créature
est finie. Il est donc possible de l’augmenter. Mais tout ce qui peut être
fait, Dieu, qui est tout-puissant peut le faire. Il semble donc qu’il puisse
faire tout chose meilleure qu’elle n’est. |
d. 44 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea,
quidquid natura facit, et Deus facere potest. Sed operatione
naturae mutantur res in melius, ut homo de pueritia in juventutem. Ergo et Deus res meliores potest
facere quam sunt. |
2. Par
ailleurs, tout ce que la nature fait, Dieu peut aussi le faire. Mais par
l’opération de la nature les choses sont changées pour le mieux, comme
l’homme qui passe de l’enfance à l’adolescence. Donc Dieu aussi peut faire
les choses meilleures qu’elles ne sont. |
d. 44 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod uniuscujusque rei in se consideratae est duplex bonitas, sicut
et duplex esse, cum ens et bonum convertantur ; scilicet bonitas essentialis,
ut homini esse vivum et rationale ; et bonitas accidentalis, ut sanitas,
scientia et hujusmodi. Loquendo de bonitate accidentali, unicuique rei
majorem bonitatem Deus conferre potuisset. Loquendo autem de bonitate
essentiali, qualibet re creata meliorem aliam rem facere potuisset, non tamen
potuit hanc rem facere esse majoris bonitatis : quia si adderetur ad
bonitatem essentialem aliquid, non esset eadem res, sed alia : quia, secundum
philosophum in [om. Éd. Parme] 8 Metaph., sicut numeris [numeris om. Éd.
Parme] unitas addita vel subtracta semper variat speciem ; ita in
definitionibus differentia addita vel subtracta ; verbi gratia, si
definitioni bovis addatur rationale, jam non erit bos, sed alia species,
scilicet homo ; si subtrahatur sensibile, remanebit vivens vita arborum. |
Corps de
l’article : Je réponds
qu’il faut dire qu’il y a deux sortes de bonté pour chaque chose considérée
en elle-même, tout comme il y a aussi deux sortes d’existence, puisque l’être
et le bien se convertissent : à savoir la bonté essentielle, comme pour
l’homme d’être vivant et doué de raison, et la bonté accidentelle, comme la santé,
la science, etc. Si on parle de la bonté accidentelle, Dieu aurait pu conférer
à chaque chose une plus grande bonté. Mais si on parle de la bonté
essentielle, il aurait pu faire une autre chose meilleure que de n’importe
quelle chose créée, mais il n’aurait cependant pas pu faire que cette chose
soit d’une plus grande bonté, parce que s’il avait ajouté quelque chose à la
bonté essentielle d’une chose, ce ne serait plus la même chose, mais une
autre ; car, selon le Philosophe [ VIII Métaphysique, texte 10], de même que l’unité ajoutée ou
soustraite à un nombre fait varier l’espèce, de même la différence ajoutée ou
soustraite de la définition fait aussi changer l’espèce ; par exemple, si à
la définition du bœuf on ajoutait “rationnel”, ce ne sera plus un bœuf, mais
une autre espèce, à savoir l’homme ; mais si on enlevait ¨sensible¨ l’être à
définir demeurerait vivant mais de la vie des arbres. |
Unde sicut Deus non potest facere quod
ternarius manens ternarius habeat quatuor unitates, quamvis quolibet numero
majorem numerum facere possit ; ita non potest facere quod haec res maneat
eadem, et majorem bonitatem essentialem habeat vel minorem. Ex omnibus enim
his sequeretur quod affirmatio et negatio essent simul vera : quod Deus non
potest facere, ut dictum est, dist. 42, quaest. 2, art. 2. |
D’où il suit
que tout comme Dieu ne peut pas faire que trois demeure trois tout en ayant
quatre unités, bien qu’il puisse faire de tout nombre un nombre plus grand,
de même il ne peut pas faire que cette chose demeure la même tout en ayant
une plus grande ou une plus petite bonté essentielle. Autrement en effet il
s’ensuivrait de tout cela que l'affirmation et la négation seraient
simultanément vraies, ce que Dieu ne peut pas faire ainsi que nous l’avons
dit plus haut [dist. 42, qu. 2, a. 2]. |
d. 44 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quaelibet res in se considerata, non est optima, nisi forte
inquantum attingit omnem bonitatem suam essentialem ; sicut si diceretur
ternarius esse maximus, quia attingit quantitatem suae speciei ; sed in
ordine ad universum est optima, sicut Augustinus dicit. |
Solutions : 1. Il faut
donc dire en premier lieu que toute chose considérée en elle-même n’est
parfaite qu’en tant qu’elle atteint toute sa bonté essentielle, tout comme on
dirait que trois est parfait parce qu’il atteint la quantité qui est propre à
son espèce ; mais dans son rapport à l’univers, la bonté est parfaite comme
le dit Saint-Augustin [Enchir. ch.
10, col. 236[55]]. |
d. 44 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod quamvis accipere a patre sit commune filio cum omni creatura
communitate analogiae ; tamen habere per naturam est sibi proprium, sicut
ipsemet Basilius [Basilius om. Éd. Parme) dicit ; et ideo aequalitas paterna
debetur sibi per naturam. Unde si non aequalem genuisset, cum potuisset, Deus
pater invidus esset : quia subtraxisset dignitatem filio, quam deberet et
posset habere. Sed creatura nunquam potest pertingere ad
aequalitatem Dei, nec alia mensura bonitatis sibi debetur, quam secundum
determinationem divinae voluntatis : et ideo nulla invidia in Deo resultat si
rem meliorem facere potuit quam fecerit. Et hoc est quod Hilarius dicit, quod omnibus creaturis
substantiam Dei voluntas attulit, sed filio natura dedit. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que quoique recevoir du Père soit commun au Fils et à
toute créature par une communauté d’analogie, cependant il est propre au Fils
de le posséder par nature comme Saint-Basile [Saint-Basile om. Éd. de Parme] le dit lui-même ; et
c’est pourquoi l’égalité au Père lui est due par nature. D’où il suit que si
Dieu le Père, ainsi qu’il le pouvait, n’avait pas engendré un Fils égal à
lui, le Père aurait été jaloux, parce il aurait
retiré à son Fils la dignité qu'il devait et pouvait avoir. Mais jamais la
créature ne peut atteindre l'égalité avec Dieu, et aucune autre mesure de
bonté ne lui est due que celle qu’il possède conformément à la détermination
de la volonté divine ; et c'est pourquoi, si Dieu a pu faire une chose
meilleure qu'il ne l'a faite, il n’en résulte aucune jalousie en Lui. Et
c’est ce que Saint-Hilaire [Les
Synodes,§ 58, col. 520] dit, à savoir que la volonté de Dieu a apporté la
substance à toutes les créatures, il a donné la nature au Fils. |
d. 44 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quamvis Deus producat unumquodque creatum tota sua potentia
infinita, non tamen sequitur quantitas bonitatis in effectu, nisi secundum
voluntatem opificis, quae se habet ut imperans [ad add. Éd. Parme] opus, quod
potentia exequendo educit. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que bien que
Dieu produise toute créature par toute sa puissance infinie, cependant
la grandeur de sa bonté ne découle dans l’effet que selon la volonté de
l’artiste qui est comme le maître de son œuvre, ce que la puissance
amène à l’existence en l’exécutant. |
d. 44 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod diversus gradus in entibus non tantum est ex parte rerum,
quarum capacitates ab invicem distant, sed etiam ex ordine sapientiae
disponentis, quae diversas capacitates rebus tribuit, quibus postmodum
secundum providentiam suam dona sua largitur, quae pro diversitate
capacitatum a Deo ordinatarum, diversimode a diversis participantur. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que les degrés différent qu’on retrouve parmi les
êtres ne viennent pas seulement des choses, elles dont les capacités
diffèrent entre elles, mais aussi de l’ordre de la sagesse de celui qui les dispose,
sagesse qui a attribué des capacités différentes aux choses auxquelles par la
suite selon sa providence il a distribué ses dons, lesquels sont participés
différemment par les différents êtres en raison de la diversité des capacités
ordonnées par Dieu. |
d. 44 q. 1 a.
1 ad s. c. Ad alia patet responsio per ea quae dicta sunt, in corp. Art. |
Solution aux ¨cependant¨ : La réponse à ces difficultés est claire
au moyen ce qui a été dit dans le corps de l’article. |
|
|
Articulus
2d. 44 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus potuerit facere universum melius. |
Article 2 – Dieu aurait-il pu faire un univers meilleur ? |
d. 44 q. 1 a.
2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod universum Deus melius
facere non potuerit : quia, secundum Augustinum, sunt bona quae condidit Deus
etiam singula ; simul autem omnia valde bona. Sed eo quod est superlative bonum, nihil melius esse
potest. Ergo universo nihil melius esse potest. |
Difficultés : Il semble que
Dieu aurait pu faire un univers meilleur, parce que, selon Saint-Augustin (Enchir. ch. 10, col. 236[56]],
les choses que Dieu a créées, même prises séparément, sont bonnes, mais prises ensemble elles sont
suprêmement bonnes. Mais rien ne peut être meilleur que ce qui est
suprêmement bon. Donc rien ne peut être meilleur que l’univers. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea,
universum includit omne bonum. Sed nihil potest esse omni bono melius. Ergo
Deus non potuit universum melius facere. |
2. Par
ailleurs, l’univers inclut tout bien. Mais rien ne peut être meilleur que
tout bien. Donc Dieu n’a pas pu faire un univers meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea,
secundum Dionysium, bonum et melius inveniuntur in rebus, secundum quod
quaedam participant plures de bonitatibus divinis quam aliae, sicut ea quae vivunt
praeferuntur existentibus tantum, et sic deinceps. Sed omnes perfectiones
divinae creaturae communicabiles, creaturis aliquibus communicatae sunt. Ergo
videtur quod universum melius esse non possit. |
3. Selon Denys
[les noms divins, ch. 4, col. 694],
le bien et le meilleur se retrouvent dans les choses, selon que certaines
participent de bontés divines plus nombreuses que d’autres, tout comme celles
qui possèdent la vie sont meilleurs que celles qui ne possèdent que
l’existence et il en est ainsi pour le reste. Mais toutes les perfections
divines communicables à la créature ont été communiquées à certaines
créatures, Donc il semble que l’univers ne puisse pas être meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea,
quanto aliquid magis est ordinatum, melius est : unde et malum definitur ab
Augustino per privationem ordinis. Sed in universo nihil est inordinatum, cum
et ipsum malum ordinatum sit a Deo, ut supra dictum est, dist. 36, quaest. 1,
art. 2. Ergo videtur quod universum melius esse non possit. |
4. En outre,
une chose est d’autant meilleure qu’elle est davantage ordonnée : c'est
pourquoi le mal est défini par Saint-Augustin [De la Nature du Bien, ch. IV, col. 553] comme étant la privation
de l’ordre. Mais dans l’univers rien n’est sans ordre, puisque le mal lui-même
est ordonné au bien par Dieu, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 36, quest.
1, art. 2.]. Donc il semble que l’univers ne puisse pas être meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 5 Sed contra,
secundum philosophum, albius est quod est nigro impermixtius. Ergo etiam
melius est quod est impermixtius malo. Sed Deus potuit facere universum in
quo nihil mali esset. Ergo cum in hoc universo multa sint mala, videtur quod
Deus universum melius facere potuerit. |
Cependant : 5. Au
contraire, selon le Philosophe [111 Topiques],
est plus blanc ce qui n’est pas mélangé au noir. Donc est aussi meilleur ce
qui n’est pas mélangé au mal. Mais Dieu a pu faire un univers dans lequel il
n’y aurait rien de mauvais. Donc comme dans cet univers-ci il y a beaucoup de
maux, il semble que Dieu aurait pu faire un univers meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, si
majori aequale addatur, totum fiet majus. Ergo et si meliori melius addatur,
totum fiet melius. Sed Angelus est melior quam lapis. Ergo duo Angeli sunt
aliquid melius quam Angelus et lapis. Ergo et si quaelibet pars universi
esset Angelus, universum multo melius esset. Hoc autem Deus potuit facere.
Ergo et cetera. |
6. En outre,
si on ajoute de l’égal à du plus grand, le tout devient plus grand. Donc si
on ajoute du meilleur à du mieux, le tout devient meilleur. Mais l’ange est
meilleur que la pierre. Donc deux anges sont quelque chose de meilleur que
l’ange et la pierre. Donc si toute partie de l’univers était de nature
angélique, l’univers serait bien meilleur. Cela Dieu a pu faire cela. Donc,
etc. |
d. 44 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod, secundum philosophum in XI Metaph., bonum universi consistit
in duplici ordine ; scilicet in ordine partium universi ad invicem, et in
ordine totius universi ad finem, qui est ipse Deus ; sicut etiam est in
exercitu ordo partium exercitus ad invicem, secundum diversa officia, et est
ordo ad bonum ducis, quod est victoria ; et hic ordo est praecipuus, propter
quem est primus ordo. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que selon le
Philosophe [XI Métaphysique , texte
52], le bien de l'univers consiste en deux sortes d’ordre : à savoir l’ordre
de ses parties entre elles, et l’ordre de l’univers entier à l’égard de sa
fin, qui est Dieu lui-même, tout comme il y a dans l’armée l’ordre de ses
parties entre elles, selon les différentes charges, et il y a aussi l’ordre
ou le rapport de l’armée à l’égard du bien du chef, lequel bien est la
victoire ; et ce dernier ordre est principal puisqu’il est celui en vue
duquel existe le premier ordre. |
Accipiendo ergo bonum ordinis qui est
in partibus universi ad invicem, potest considerari vel quantum ad partes
ipsas ordinatas, vel quantum ad ordinem partium. Si quantum ad partes ipsas,
tunc potest intelligi universum fieri melius, vel per additionem plurium
partium, ut scilicet crearentur multae aliae species, et implerentur multi
gradus bonitatis qui possunt esse, cum etiam inter summam creaturam et Deum
infinita distantia sit ; et sic Deus melius universum facere potuisset et
posset : sed illud universum se haberet ad hoc sicut totum ad partem ; et sic
nec penitus esset idem, nec penitus diversum ; et haec additio bonitatis
esset per modum quantitatis discretae. Vel potest intelligi fieri melius
quasi intensive, quasi mutatis omnibus partibus ejus in melius, quia si
aliquae partes meliorarentur aliis non melioratis, non esset tanta bonitas
ordinis ; sicut patet in cithara, cujus si omnes chordae meliorantur, fit
dulcior harmonia ; sed quibusdam tantum melioratis, fit dissonantia. |
Donc si on
prend le bien de l’ordre qui se tient du côté des parties de l’univers entre
elles, il peut être considéré soit quant aux parties elles-mêmes qui sont
ordonnées, soit quant à l’ordre des parties. Si on le considère quant aux
parties elles-mêmes, alors l’univers peut être pensé comme pouvant devenir meilleur,
ou bien par l’addition de plusieurs parties, c’est-à-dire selon que plusieurs autres espèces seraient créées,
et que soient ainsi comblés de nombreux degrés de bonté qui peuvent exister,
puisqu’il y a une distance infinie entre la créature la plus élevée et Dieu,
et c’est ainsi que Dieu aurait pu faire un univers meilleur et il le pourrait :
mais cet univers serait à cet univers qui est le nôtre comme le tout à la
partie et ainsi il ne serait plus tout à fait le même, ni tout à fait
différent ; et cette addition de bonté se ferait à la manière d’une quantité
discrète. Ou bien on peut entendre qu’il deviendrait meilleur en intensité
pour ainsi dire, comme si toutes ses parties étaient changées pour le mieux,
parce que si certaines parties étaient meilleures alors que d’autres ne
l’étaient pas, il n’y aurait pas une aussi grande bonté de l’ordre, comme on
le voit pour la cithare : en effet, si toutes ses cordes sont accordées,
l’harmonie devient plus douce, mais si certaines seulement le sont, il se
produit une dissonance. |
Haec autem melioratio omnium partium
vel potest intelligi secundum bonitatem accidentalem, et sic posset esse
talis melioratio a Deo manentibus eisdem partibus et eodem universo ; vel secundum
bonitatem essentialem, et sic etiam esset Deo possibilis, qui infinitas alias
species condere potest. Sed sic non essent eaedem partes, et per consequens
nec idem universum, ut ex praedictis patet. Si autem accipiatur ipse ordo
partium, sic non potest esse melior per modum quantitatis discretae, nisi
fieret additio in partibus universi ; quia in universo nihil est inordinatum
: sed intensive posset esse melior manentibus eisdem partibus quantum ad
ordinem qui sequitur bonitatem accidentalem : quanto enim aliquid in majus
bonum redundat, tanto ordo melior est. Sed ordo qui sequitur bonitatem
essentialem, non posset esse melior, nisi fierent aliae partes et aliud
universum. |
Mais cette
amélioration de toutes les parties peut s’entendre soit selon une bonté
accidentelle et ainsi, l’univers lui-même et ses parties demeurant les mêmes,
il pourrait y avoir une telle amélioration venant de Dieu; soit selon une
bonté essentielle, et cela serait encore possible à Dieu qui peut créer une
infinité d’autres espèces. Mais alors les parties ne seraient plus les mêmes
et par conséquent l’univers lui-même ne serait plus le même comme on le voit
en partant de ce qui a été dit. Mais si on considère l’ordre même des parties, alors l’univers ne
peut être meilleur à la manière d’une quantité discrète que si une addition
est faite dans les parties de l’univers, parce qu’en lui rien n’est sans
ordre, mais il peut être meilleur en intensité si les parties demeurent les
mêmes quant à l’ordre qui découle de la bonté accidentelle : l’ordre est
d’autant meilleur en effet que quelque chose rejaillit en un bien plus grand.
Mais l’ordre qui découle de la bonté essentielle, ne pourrait être meilleur
que si d’autres parties étaient produites ainsi qu’un autre univers. |
Similiter ordo qui est ad finem,
potest considerari vel ex parte ipsius finis ; et sic non posset esse melior,
ut scilicet in meliorem finem universum ordinaretur, sicut Deo nihil melius
esse potest : vel quantum ad ipsum ordinem ; et sic secundum quod cresceret
bonitas partium universi et ordo earum ad invicem, posset meliorari ordo in
finem, ex eo quod propinquius ad finem se haberent, quanto similitudinem
divinae bonitati magis consequerentur, quae est omnium finis. |
De la même
manière l’ordre qui est en vue de la fin peut être considéré soit du côté de
la fin même et ainsi il ne pourrait pas être meilleur, c’est-à-dire de telle
manière que l’univers serait ordonné à une fin meilleure puisque rien ne peut
être meilleur que Dieu ; soit quant à l’ordre lui-même ; et ainsi selon
que la bonté des parties de l’univers croîtrait ainsi que leur ordre entre
elles, l’ordre en vue de la fin pourrait être amélioré du fait qu’elles se
trouveraient plus proches de la fin, d’autant plus qu’elles parviendraient
davantage à ressembler à la bonté divine qui est la fin de tout. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum
ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de ordine universi, supposita natura
eadem talium partium ; quia sic melior ordo esse non potuit, ut dictum est,
in corp. art. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier
lieu que Saint-Augustin parle de l’ordre de l’univers, en supposant que la nature
de telles parties reste la même, parce qu’ainsi l’ordre n’a pas pu être
meilleur, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod non loquimur de universo quantum ad hoc nomen, sed
quantum ad hanc rem, quae modo universum dicitur : in quo quamvis omne quod
actu bonum est, contineatur, non tamen omne bonum quod Deus potest facere. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que nous ne parlons pas de l’univers quant à ce nom,
mais quant à cette réalité qu’on appelle aujourd’hui l’univers : dans
lequel, bien que tout ce qui est bon en acte y soit contenu, on ne retrouve
pas tout bien que Dieu peut faire. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod participandi eamdem perfectionem divinam sunt multi modi ;
sicut sapientiae divinae participatio est in intellectualibus substantiis
aliter, et aliter in rationalibus, scilicet hominibus, et etiam usque ad
bruta se extendit, quae sensitivam cognitionem habent. Quamvis ergo omnes
perfectiones forte creaturae communicabiles, sint creaturae communicatae, non
tamen secundum omnem modum quo possunt a creatura participari. |
3. Il faut
dire en troisième lieu qu’il y a plusieurs manières de participer de la même
perfection divine, tout comme la participation de la sagesse divine est autre
dans les substances intellectuelles, autre dans les substances rationnelles,
à savoir les hommes, et elle va même jusqu’à s’appliquer aux brutes animales
qui ont une connaissance sensible. Donc, quoique toutes les perfections
communicables aux créatures leur soient de fait communiquées, les créatures
n’en participent cependant pas selon toutes les manières. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod quamvis ordo universi non possit esse melior ex hoc quod
plures partes hujus universi sint ordinatae, posset tamen esse melior, si ad
melius bonum, sicut ad finem proximum, ordinaretur : quod contingeret, si
meliores partes universi fierent, ut dictum est. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que bien que l’ordre de l’univers ne puisse être meilleur
du fait que plusieurs de ses parties sont ordonnées, il pourrait cependant
être meilleur, s’il était ordonné à un bien meilleur, comme s’il était
ordonné à sa fin prochaine, ce qui serait possible si les meilleures parties
de l’univers étaient produites, ainsi que nous l’avons dit. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod universum in quo nihil mali esset, non esset tantae bonitatis
quantae hoc universum : quia non essent tot bonae naturae in illo sicut in
isto, in quo sunt quaedam naturae bonae quibus non adjungitur malum, et
quaedam quibus adjungitur : et est melius utrasque naturas esse, quam alteras
tantum. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu qu’un univers dans lequel il n’y aurait aucun mal ne
serait pas d’une si grande bonté que cet univers-ci, parce qu’il n’y aurait
pas en lui autant de bonnes natures qu’en celui-ci, dans lequel il y a
certaines natures bonnes auxquelles le mal n’est pas rattaché, et certaines
auxquelles il l’est : et il est meilleur que les deux natures existent
plutôt qu’une seule. |
Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod quamvis Angelus absolute sit melior quam lapis, tamen utraque
natura est melior quam altera tantum : et ideo melius est universum in quo
sunt Angeli et aliae res, quam ubi essent Angeli tantum : quia perfectio
universi attenditur essentialiter secundum diversitatem naturarum, quibus
implentur diversi gradus bonitatis, et non secundum multiplicationem
individuorum in una natura. |
6. Il faut
dire en sixième lieu que quoique l’Ange soit absolument meilleur que la
pierre, cependant les deux natures sont meilleures qu’une seule : et
c'est pourquoi l’univers dans lequel il y a les anges et les autres choses
est meilleur que celui où il n’y aurait
que les Anges seulement, parce que la perfection de l’univers se vérifie
essentiellement d’après la diversité des natures par lesquelles les
différents degrés de bonté sont comblés, et non d’après la multiplication des
individus dans une seule et même nature. |
|
|
d. 44 q. 1 a. 3 tit. Articulus 3.
Utrum Deus potuerit facere humanitatem Christi meliorem quam sit. |
Article 3 – Dieu aurait-il pu rendre l’humanité du Christ meilleure qu’elle ne l’est ? |
d. 44 q. 1 a.
3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod humanitatem Christi Deus meliorem facere non
potuerit quam sit. Tanto enim unumquodque melius est, quanto Deo propinquius.
Sed nullum creatum potest esse Deo propinquius quam quod unitur sibi in
unitate personae, sicut humana natura in Christo. Ergo videtur quod nihil ea
melius facere potuerit Deus. |
Difficultés
: 1. Il semble
que Dieu n’aurait pas pu faire l’humanité du Christ meilleure qu’elle ne
l’est. En effet, un être est d’autant meilleur qu’il est plus proche de Dieu.
Mais rien de créé ne peut être plus proche de Dieu que ce qui lui est uni
dans l’unité de la personne, comme la nature humaine dans le Christ. Il
semble donc que Dieu n’aurait rien pu faire de meilleur qu’elle. |
d. 44 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea,
infinito non potest esse aliquid majus. Sed bonitas animae Christi est
infinita : quia datus est ei spiritus non ad mensuram, Joan. 3. Ergo nihil ea
melius fieri potest. |
2. Par
ailleurs, rien ne peut être plus grand que l’infini. Mais la bonté de l’âme
du Christ est infinie, parce que l’Esprit lui a été donné sans mesure [Jean, 3.]. Donc rien de meilleur n’aurait pu être fait. |
44 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod
nec beata virgine : quia secundum Anselmum, decuit ut virgo quam Deus
unigenito filio suo praeparavit in matrem, ea puritate niteret, qua major sub
Deo nequit intelligi. Sed nihil potest Deus facere quod sibi in bonitate vel
puritate aequetur. Ergo videtur quod nihil melius beata virgine facere
possit. |
3. En outre, il
semble que la bienheureuse Vierge n’aurait pa pu être meilleure parce que
d’après Saint-Anselme [De la conception
de la Vierge ch. 18, col. 451] il convenait que la Vierge que Dieu avait
préparée comme mère pour son Fils unique, brille de cette pureté qui est
telle qu’on ne puisse en concevoir une plus grande à l’exception de Dieu. Mais
Dieu ne peut rien faire qui lui soit égal en bonté ou en pureté. Donc il
semble qu'il n'a pu rien faire de meilleur que la bienheureuse Vierge. |
d. 44 q. 1 a.
3 arg. 4 Praeterea, secundum Augustinum in Lib. Conf., Angelus factus est prope Deum.
Sed beata virgo exaltata est etiam super choros Angelorum, sicut Augustinus
[Hieronymus Éd. De Parme], tradit, et Ecclesia de ipsa cantat. Ergo nihil ea
Deo proximius esse potest, et ita nec melius. |
4. De plus, selon
Saint-Augustin [XII Les Confession,
ch. 7, col. 828], l’Ange a été fait proche de Dieu. Mais la bienheureuse
Vierge a été élevée même au-dessus du chœur des Anges, tout comme Saint-Augustin
[Saint-Jérôme Éd. de Parme] [Sermon sur l’Assomption] l’enseigne,
et comme l’Église elle-même le célèbre. Donc rien ne peut être plus proche de
Dieu qu’elle, ni ainsi être meilleur. |
d. 44 q. 1 a.
3 arg. 5 Item, videtur quod nec beatitudine creata. Quia secundum Boetium,
beatitudo est status omnium bonorum congregatione [aggregatione Éd. De Parme] perfectus. Sed omni bono
nihil potest esse melius. Ergo nec beatitudine creata. |
5. Par
ailleurs, il semble que la béatitude créée ne peuvait pas non plus être
meilleure qu’elle n’est, parce que selon Boèce [111 De la Consolation, prose
II, col. 724], la béatitude est l'état qui est parfait par la réunion
[l’accumulation Éd. de Parme]de
tous les biens. Mais rien ne peut être meilleur que la totalité des biens.
Donc rien ne peut être meilleur que la béatitude créée. |
d. 44 q. 1 a.
3 s. c. 1 Sed contra, bonum increatum, omne creatum bonum in infinitum
excellit. Sed inter infinite distantia possunt esse multa media.
Ergo quolibet bono creato potest Deus multa meliora facere. |
Cependant :
Au contraire,
le bien incréé dépasse à l'infini tout bien créé. Mais il peut y avoir de
nombreux intermédiaires entre ce qui est infiniment différent. Donc Dieu peut
faire une multitude de choses meilleures que tout bien créé. |
d. 44 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum,
quod sicut quolibet bono creato, eo quod finitum est, potest aliquid melius
esse ; ita bono increato, eo quod infinitum est, nihil melius esse potest. Et
ideo bonitas creaturae dupliciter considerari potest. Aut quae est ipsius in
se absolute, et sic qualibet creatura potest esse aliquid melius : aut per
comparationem ad bonum increatum ; et sic dignitas creaturae recipit quamdam
infinitatem ex infinito cui comparatur, sicut humana natura inquantum est
unita Deo, et beata virgo inquantum est mater Dei, et gratia inquantum
conjungit Deo ; et universum inquantum est ordinatum in Deum. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que de même
qu’il peut y avoir quelque chose de meilleur que n'importe quel bien créé,
parce qu'il est fini, de même il ne peut y avoir rien de meilleur qu’un bien
incréé, parce qu'il est infini,. Et c’est pourquoi la bonté de la créature
peut être considérée de deux manières. Soit en tant qu’elle est celle qui lui
appartient en elle-même absolument et en ce sens toute créature peut être
quelque chose de meilleur ; soit en tant qu’on la compare au bien incréé
; et en ce sens la dignité de la créature reçoit une certaine infinité de
l'infini auquel elle se compare, tout comme la nature humaine en tant qu'elle
est unie à Dieu et la Bienheureuse Vierge en tant qu’elle est mère de Dieu,
et la grâce en tant qu’elle unit à Dieu, et même l'univers en tant qu’il est ordonné
à Dieu. |
Sed tamen in istis comparationibus est
etiam ordo duplex : primo, quia quanto nobiliori comparatione in Deum
refertur, nobilius est ; et sic humana natura in Christo nobilissima est ;
quia per unionem comparatur ad Deum, et post beata virgo, de cujus utero caro
divinitati unita, assumpta est, et sic deinceps : secundo, quia quaedam
istarum comparationum est secundum respectum tantum, sicut universi ad finem,
et matris ad filium : et ideo ex dignitate comparationis non potest sumi
judicium de re absolute, ut dicatur, quod beata virgine non potest aliquid
melius esse ; sed secundum quid, ut dicatur, quod non potest esse melioris
mater, nec ad majus bonum ordinatum universum. |
Mais cependant
il y a aussi deux sortes d’ordre dans ces comparaisons : premièrement
parce qu'il est d’autant plus noble qu’il se rapporte à Dieu par une
comparaison plus noble; et en ce sens la nature humaine dans le Christ est la
plus noble parce qu'elle se compare à Dieu par mode d’union et par la suite
vient la Bienheureuse Vierge, dont la chair par son sein est unie à la
divinité, a été élevée à Dieu, et ainsi de suite. Deuxièmement parce qu’il y
a une de ces comparaisons qui a lieu selon le rapport seulement, comme celui
de l'univers à sa fin, et de la mère à son fils. Et c'est pourquoi on ne peut
tirer un jugement absolu sur la chose à partir de la dignité de la
comparaison de manière à dire que rien ne puisse être meilleur que la
bienheureuse Vierge, mais seulement sous un certain rapport, de manière à
dire qu’il ne peut y avoir une meilleure mère, et non pas que l’univers est
ordonné à un plus grand bien. |
Sed quaedam [alia, Éd. Parme]
comparatio, scilicet per unionem, est etiam secundum esse : et ideo judicium
simpliciter de natura unita, est secundum comparationis bonitatem, ut
dicatur, quod Christo homine nihil melius esse potest : sed judicium quod est
praeter hanc comparationem, est secundum quid tantum, ut cum dicitur, quod
humana natura in Christo, inquantum est creata, potest aliquid esse melius ;
et hoc ideo, quia natura considerata praeter esse suum, est secundum rationis
acceptionem tantum. |
Mais il y a une
[autre Éd. de Parme] comparaison, à
savoir celle qui a lieu par mode d’union, qui se présente aussi sous le
rapport de l’existence ; c'est pourquoi le jugement absolu sur la nature unie
se fait d’après la bonté de la comparaison de sorte qu’on dise qu’il ne peut
y avoir rien de mieux que le Christ-Homme : mais le jugement qui est en
dehors de cette sorte de comparaison est relatif seulement, comme lorsqu’on
dit qu’il peut y avoir quelque chose de meilleur que la nature humaine dans
le Christ, en tant qu'elle est créée. Et il en est ainsi parce que la nature
considérée en dehors de son existence se présente seulement comme une
conception de la raison. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quamvis humana natura sit divinitati unita in persona, tamen
naturae remanent distantes in infinitum ; et ex hac parte potest esse aliquid
melius humana natura in Christo, non ex parte qua unita est. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
bien que la nature humaine soit unie à la divinité dans la personne[57],
cependant les natures demeurent infiniment éloignées, et de ce côté, et non
pas du côté par lequel elle est unie, il peut y avoir quelque chose de
meilleur que la nature humaine dans le Christ. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod gratia habitualis animae Christi infusa, non est simpliciter
et per se infinita, sed secundum quid, sicut dictum est supra, dist. 43,
quaest. Unic., art. 2, quod virtus intelligentiae est infinita inferioris [in
fieri Éd. Parme], inquantum potest in infinitos effectus ; ita et gratia
Christi dicitur infinita secundum quid, inquantum potest in omnes effectus
gratiae, et per accidens, inquantum concurrit ad ipsam unionem infiniti boni,
ut medium congruitatis, et ad operationem Christi, quae est infiniti valoris,
inquantum est operatio divinae personae. |
2. Il faut
dire en deuxième lieu que la grâce habituelle infusée dans l’âme du Christ
n’est pas absolument infinie par elle-même, mais selon un rapport seulement, tout
comme nous avons dit plus haut [dist. 43, quest. unique, art. 2], que la
puissance d’une intelligence inférieure est infinie [dans le devenir Éd. de Parme], en tant qu’elle peut
agir dans des effets infinis ; de même on dit de la grâce du Christ qu’elle
est infinie relativement, en tant qu'elle peut opérer dans tous les effets de
la grâce, et par accident, en tant qu’elle contribue à l’union même au bien
infini, en tant qu’intermédiaire de la conformité, et à l’opération du Christ
qui est d’une valeur infinie, en tant qu’elle est l’opération d’une personne
divine. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod puritas intenditur per recessum a contrario : et ideo potest
aliquid creatum inveniri quo nihil purius esse potest in rebus creatis, si
nulla contagione peccati inquinatum sit ; et talis fuit puritas beatae virginis,
quae a peccato originali et actuali immunis fuit. Fuit tamen sub
Deo, inquantum erat in ea potentia ad peccandum. Sed bonitas intenditur per
accessum ad terminum quod in infinitum distat, scilicet summum bonum. Unde quolibet finito bono potest
aliquid melius fieri. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que la pureté se vérifie par le retrait du contraire
et c'est pourquoi on peut trouver quelque chose de créé dont rien ne soit
plus pur parmi les choses créées, s'il n'est souillé par aucune participation
au péché ; et telle fut la pureté de la Bienheureuse Vierge qui fut
exempte du péché originel et actuel. Cependant elle fut inférieure à Dieu en
tant qu'il y avait en elle une puissance à pécher[58].
Mais la bonté se vérifie par la proximité du terme qui est infiniment
éloigné, à savoir le bien suprême. C'est pourquoi il peut y avoir quelque
chose de meilleur que n'importe quel bien fini. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod inter Angelos et Deum est infinita distantia ; unde posset
Deus facere multos intermedios gradus bonitatis : et ideo quamvis beata virgo
sit exaltata super Angelos, quia tamen non usque ad aequalitatem Dei, manet
adhuc infinita distantia ; et potest adhuc aliquid melius esse. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu qu’entre les Anges et Dieu, la distance est infinie ;
c'est pourquoi Dieu pourrait faire de nombreux degrés intermédiaires de bonté
; et c'est pourquoi, bien que la bienheureuse Vierge soit élevée au-dessus
des Anges, mais non pas cependant au point d’être l’égale de Dieu qui en
demeure encore infiniment éloigné, il peut encore y avoir quelque chose de
meilleur. |
d. 44 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod beatitudo creata habet quamdam infinitatem ex eo quod
conjungit infinito bono : in se enim considerata comprehendit omnia bona
participabilia homini. Unde si naturae capacitas major esset, major esset
participatio, et perfectior beatitudo ; sicut beatitudo unius sancti
praeponitur beatitudini alterius. Tamen sciendum, quod Boetius vult, quod
haec definitio essentialiter beatitudini increatae conveniat ; aliis autem
per participationem. |
5. Il faut
dire en cinquième lieu que la béatitude créée comporte une certaine infinité
du fait qu'elle est unie à un bien infini : considérée en elle-même en effet, elle comprend tous les
biens auxquels l'homme peut participer. C'est pourquoi, si la capacité de la
nature était plus grande, la participation serait plus grande et la béatitude
plus parfaite, tout comme la béatitude d'un saint est plus parfaite que celle
d'un autre. Il faut cependant savoir que Boèce veut que cette définition
convienne essentiellement à la béatitude incrée et aux autres par
participation. |
|
|
Articulus 4. d. 44 q. 1 a. 4 tit.
Utrum Deus possit facere omne quod olim potuit |
Article 4 – Dieu peut-il faire tout ce qu'il a pu autrefois ? |
d. 44 q. 1 a.
4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit facere omne quod olim potuit.
Potentia enim Dei non se extendit tantum ad species, sed etiam ad individua :
quia ipse facit et formam et materiam. Sed antequam Socrates esset, potuit
Socratem facere. Ergo et Socrate existente potest Socratem facere. Hoc autem
falsum est, quia sic substantia rei esset bis, quod est impossibile. Ergo non
quidquid potuit, potest. |
Difficultés
: 1. Il semble
que Dieu ne peut pas faire tout qu'il a pu faire autrefois. Sa puissance en
effet ne s'applique pas seulement aux espèces, mais aussi aux individus,
parce que c’est lui qui fait la forme et la matière. Mais avant que Socrate
existe, Dieu pouvait faire Socrate. Donc même si Socrate existe, il peut
faire Socrate. Mais cela est faux, parce qu'alors la substance de la chose existerait
deux fois, ce qui est impossible. Donc ce n’est pas tout ce qu’il a pu faire
qu’il peut encore faire. |
d. 44 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, olim
potuit Deus non incarnari. Sed modo non posset non incarnatus esse, sicut nec
aliquod praeteritum non fuisse. Ergo non quidquid olim potuit, modo potest. |
2. Par
ailleurs, Dieu pouvait autrefois ne pas s'incarner. Mais maintenant il ne
pourrait pas ne pas avoir été incarné, tout comme rien de passé ne peut ne
pas avoir existé. Ce n’est donc pas tout ce qu’il a pu faire autrefois qu’il
peut faire maintenant. |
d. 44 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas, quod
sicut potuit olim facere aliquid, ita potest modo fecisse illud, et hoc est
unum et idem posse, contra : quia similiter ille qui excaecatus est, potest
modo vidisse, cum prius videre potuerit ; et tamen non dicimus, quod quidquid
potuerit, possit. Ergo videtur quod nec de Deo dicendum sit. |
3. Mais si tu
dis que tout comme il a pu autrefois faire quelque chose, de même il peut maintenant
l’avoir fait et que les deux sont une seule et même puissance, je réponds au
contraire de la même manière que celui qui a été aveugle peut maintenant
avoir vu un jour alors qu’il pouvait voir, nous ne disons pas pour autant
qu’il peut faire tout ce qu’il a pu faire. Donc il semble qu'il ne faille pas
le dire de Dieu non plus. |
d. 44 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Deus
ab aeterno potuit non praedestinare Petrum, quem voluntarie praedestinavit.
Sed modo non potest eum non praedestinare : quia non potest esse quod aliquis
sit prius praedestinatus et postea non praedestinatus. Ergo non quidquid
potuit, potest. |
4. En outre,
Dieu pouvait de toute éternité ne pas prédestiner Pierre qu'il a
volontairement prédestiné. Mais maintenant il ne peut pas ne pas le
prédestiner, parce qu'il n'est pas possible que quelqu'un soit d'abord
prédestiné et non par la suite. Donc il ne peut pas tout ce qu'il a pu. |
d. 44 q. 1 a. 4 arg. 5 Sed contra,
quantitas potentiae attenditur secundum multitudinem objectorum : quia
virtualis quantitas dividitur secundum objecta. Sed potentia Dei diminui non
potest. Ergo videtur quod quidquid Deus olim potuit, et modo possit. |
Cependant : 5. Au
contraire, la quantité de la puissance se vérifie d'après la multiplicité des
objets, parce que la quantité virtuelle se divise selon les objets. Mais la
puissance de Dieu ne peut être diminuée. Donc il semble que tout ce que Dieu
a pu faire autrefois, il le pourrait maintenant. |
d. 44 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod hoc quod negetur aliquem posse aliquid, potest contingere ex
duobus : vel ex defectu potentiae, sicut qui non habet potentiam visivam,
dicitur non posse videre ; aut ex parte objecti quod non habet rationem
possibilis, sicut habens visum dicitur non posse videre sonum, qui non est
visibilis. Et primo modo nihil dicitur Deus non posse, cum sua potentia sit
perfectissima ; sed secundo modo dicitur non posse quaedam, sicut quod idem
simul sit et non sit. Unde magis proprie diceretur ista non posse fieri quam
Deum ista facere non posse. Similiter dicendum est, quod hoc quod aliquis non
possit quidquid potuit, potest contingere ex duobus : vel quia amittit
aliquam potentiam quam habebat ; et sic Deo non competit, immo hoc modo
procedit solutio Magistri in littera ; vel ex mutatione objecti, quod amittit
rationem possibilis, quam prius habebat ; potentia enim activa est respectu
alicujus operandi [operabilis alicujus, Éd. de Parme] Unde quando aliquid est
jam determinatum ut sit praesens in actu, vel in praeteritum transiit,
possibilis rationem amittit ; et ideo dicitur, quod Deus illud facere non
potest : quod quidem est eadem res, sed diversis enuntiabilibus
[enuntiationibus Éd. de Parme] significata propter temporum diversitatem. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire que nier que
quelqu'un puisse faire quelque chose, cela est possible de deux manières : soit
à partir d’un défaut de la puissance, tout comme on dit de celui qui n'a pas
la puissance de la vue qu’il ne peut voir ; soit du côté de l'objet qui n'a
pas la nature d’un possible, tout comme on dit de celui qui a la vue qu’il ne
peut voir un son, lequel n'est pas visible. Et suivant la première manière,
rien n’est impossible à Dieu puisque sa puissance est la plus parfaite ; mais
de la deuxième manière, certaines choses lui sont impossibles, comme de faire
que la même chose soit et ne soit pas simultanément. C'est pourquoi il faut
plus proprement dire que ce sont ces choses qui ne sont pas possibles, plutôt
que de dire que Dieu ne peut pas les faire. De la même manière il faut dire
que cet énoncé, à savoir que quelqu'un ne pourrait pas faire tout ce qu'il a
pu faire, cela peut arriver de deux manières : soit parce qu'il a perdu la
puissance qu'il avait et cette manière ne convient pas à Dieu mais bien
plutôt c’est d’après cette modalité que procède la solution du Maître dans La Lettre ; soit par un changement
dans l’objet qui a perdu la nature du possible qu'il avait avant ; la
puissance active en effet se rapporte à ce qui doit être opéré [à quelque
chose d’opérable Éd. de Parme].
D’où il suit que quand quelque chose est déjà déterminé en tant que présent
en acte ou s’écoule dans le passé, il perd la nature du possible, et c'est
pourquoi on dit que Dieu ne peut pas le faire : ce qui est certes la
même chose mais signifiée par des énoncés [énonciations Éd. de Parme] différents, à cause de la différence des temps. |
d. 44 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod quando jam est existens actu, amittit rationem possibilis
fieri. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en premier lieu que
quand quelque chose qui existe déjà en acte, il perd la nature d’un possible
à devenir. |
d. 44 q. 1 a. 4 ad 2 Et similiter
dicendum est ad secundum, quod procedebat de praeterito. |
2. Et de la
même manière il faut dire en deuxième lieu que l’argumentation de la deuxième
difficulté procédait du passé. |
d. 44 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod cum dicitur, aliquis potest fecisse hoc vel illud, potest
dupliciter intelligi : vel ita quod praeteritum se teneat ex parte
possibilis, et sic nihil est dictu ; quia quod praeteritum est, possibilis
rationem amittit : vel quod intelligatur circa exitum possibilis a potentia ;
et sic dicitur, Deus potest fecisse hoc vel illud, quia habet potentiam qua
hoc fecit. Sed hoc caeco non convenit : non enim habet potentiam qua
quandoque vidit ; unde nullo modo verum est quod caecus possit vidisse. |
3. Il faut
dire en troisième lieu que lorsqu’on dit que quelqu'un peut avoir fait ceci
ou cela, on peut l’entendre de deux manières : soit de telle manière que le
passé se tienne du côté du possible, et ainsi il ne dit rien parce que ce qui
est passé a perdu sa nature de possible ; soit ce qui est entendu comme
possible sorti d’une puissance et en ce sens on dit que Dieu peut avoir fait
ceci ou cela parce qu'il possède la puissance par laquelle il a fait cela.
Mais cela ne convient pas à un aveugle : en effet il ne possède plus la
puissance par laquelle il voyait autrefois ; c'est pourquoi il n'est vrai en
aucune manière que l'aveugle puisse avoir vu. |
44 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum,
quod actus praedestinationis aeternitate mensuratur, et non in praeteritum
transit : et ideo semper eodem modo possibilis rationem habet, inquantum est
ex liberalitate voluntatis divinae ; sed ex parte effectus in praeteritum
transit, et secundum hoc possibilis rationem amittit. |
4. Il faut
dire en quatrième lieu que l'acte de prédestination est mesuré par l'éternité
et ne s’écoule pas dans le passé ; et c'est pourquoi il possède toujours de
la même manière la nature du possible, en tant qu'il procède de la liberalité
de la volonté divine ; mais du côté de l'effet il s’écoule dans le passé, et
suivant cela il perd sa nature de possible. |
d. 44 q. 1 a.
4 ad 5 Ad quintum etiam patet responsio ex dictis, in corp. art. |
5. La réponse à
la cinquième difficulté est aussi évidente à partir de ce qui a été dit dans
le corps de l’article. |
|
|
Expositio textus |
Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44 |
Expositio textus d. 44 q. 1 a. 4 expos. Licet non
possit modo incarnari. Videtur hoc esse falsum : quia sicut filius carnem
assumpsit, ita et pater potuit et potest carnem assumere, ut in 3, dist. 1,
quaest. 2, art. 3, dicitur. Ergo videtur quod etiam possit nunc incarnari. Ad
quod dicendum, quod Magister intelligit de eadem numero incarnatione quae
olim facta est. Si enim modo incarnaretur, non esset idem incarnari numero,
sed alia incarnatio. |
« Bien qu'il ne puisse maintenant
être incarné ». Cela paraît faux parce que de même que le Fils a pris
chair, de même le Père a pu et il peut prendre chair, comme on le dit au
livre 3 [dist. 1, quest. 2, art. 3][59].
Il semble donc qu'il puisse encore être incarné maintenant. Il faut répondre
à cela que le Maître l’entend de la même incarnation, numériquement parlant, qui
a été faite autrefois. S'il s'incarnait maintenant en effet, ce ne serait
plus la même incarnation, numériquement parlant, mais une autre incarnation. |
|
|
Distinctio
45 |
Distinctio 45 – [La volonté en Dieu] |
|
|
Prooemium |
Prologue
|
|
|
Hic
quatuor quaeruntur: 1
utrum in Deo sit voluntas ; 2
utrum voluntas sit suiipsius ipsius sicut [sui… sicut om. Éd. de Parme] tantum objecti vel etiam aliorum ; 3
utrum voluntas sua sit causa eorum quae fiunt ; 4 de
divisione voluntatis ejus in voluntatem signi et beneplaciti. |
On cherche ici à répondre à quatre
questions : 1.
Y a-t-il en Dieu une volonté ? 2.
Est-ce que sa volonté ne se rapporte qu’à lui comme [à lui…comme om. Éd. de Parme] à son seul objet ou
aussi aux autres êtres ? 3.
Est-ce que sa volonté est la cause des choses qui sont produites ? 4.
Est-ce que sa volonté se distingue en volonté de signe et en volonté de bon
plaisir ? |
|
|
Articulus
1 [3201] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Deo sit voluntas |
Article
1 – La volonté existe-t-elle en Dieu ?
|
[3202] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas Deo non
conveniat. Voluntas enim appetitus quidam est. Sed omnis appetitus est imperfecti ; unde etiam 1
Physic., text. 8 dicitur, quod materia appetit formam. Ergo cum in Deo nulla
sit imperfectio, videtur quod nec voluntas. |
[60] Difficultés : 1. Il semble que la
volonté ne convienne pas à Dieu. En effet, la volonté est un appétit. Mais
tout appétit appartient à ce qui est imparfait ; c’est pourquoi aussi le
Philosophe [1 Physique, texte 8]
dit que la matière désire la forme. Donc, puisqu’en Dieu il n’y a aucune
imperfection, il semble qu’il n’y ait aussi aucune volonté. |
[3203]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, actus voluntatis est tendere
in finem, qui est ejus objectum. Sed ei quod est finis ultimus, non competit
tendere in finem. Ergo cum Deus sit finis omnium, videtur quod sibi voluntas
non competat. |
2. Par ailleurs, l’acte de la volonté
consiste à tendre vers la fin qui est son objet. Mais il n’appartient pas à
la fin ultime de tendre vers une fin. Donc puisque Dieu qui est la fin de
tout, il ne lui convient pas d’avoir une volonté. |
[3204]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Philosophum in
III De anima, text. 50, voluntas
est movens motum, quia movetur a volito. Sed secundum Boetium, III lib. De consolat. Metr. IX, col. 758, Deus
immobilis manens dat cuncta moveri ; unde etiam in IX Metaph., text. 37,
dicitur quod movet sicut desideratum. Desideratum autem non motum movet
desiderium. Ergo videtur quod voluntas sibi non competat. |
3. En outre, d’après le Philosophe [111 De l’Âme, texte 50], la volonté est un
moteur qui est mû car elle est mue par ce qui est voulu comme bien. Mais
d’après Boèce [111 De la Consolation,
metr. 1X, col. 758], Dieu qui demeure immobile donne à tous les êtres d’être
mus ; d’où le Philosophe [1X Métaphysique,
texte 37] dit aussi de Dieu qu’il meut à titre de bien désiré. Mais le bien
désiré meut le désir sans être mû. Il semble donc que la volonté ne convienne
pas à Dieu. |
[3205]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Philosophum,
in III De anima, text. 50, et etiam secundum Damascenum, II Fid. Orth., cap. XXII, col. 943, voluntas est in
ratione. Sed ratio nominat obumbratam cognitionem, quia oritur in umbra
intelligentiae, ut dicit Isaac in libro Definitionum, qualis cognitio Deo non
competit. Ergo videtur quod nec voluntas. |
4. Par ailleurs, selon le Philosophe [111 De l’Âme, texte 50] et aussi selon
Damascène [11 De la Foi Orthodoxe,
ch. XXII, col. 943], la volonté est dans la raison. Mais la raison nomme une
connaissance obscure car elle naît dans l’ombre de l’intelligence comme le
dit Isaac dans le livre des Définitions,
connaissance qui est étrangère à Dieu. Il semble donc que la volonté non plus
ne lui convienne pas. |
[3206]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium sunt plurimae
auctoritates canonis et sanctorum, quae etiam in Littera inducuntur. |
Cependant : 1.
Il y a plusieurs autorités du canon et des saints, qui sont aussi présentées
dans la Lettre, qui soutiennent le
contraire. |
[3207]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum illud
supremum quod est in nobis maxime Deo conformamur. Sed supremum in nobis
videtur voluntas esse quae est motor aliarum virtutum, secundum Anselmum,
lib. De peccato orig., c.ap. IV,
col. 436et etiam est liberrimum in natura nostra. Ergo videtur quod voluntas
maxime Deo sit attribuenda. |
2. Par ailleurs, c’est d’après ce qu’il y a
de plus élevé en nous que nous nous conformons à Dieu. Mais il semble que ce
qu’il y a de plus élevé en nous soit la volonté, laquelle est le moteur de
toutes les autres puissances d’après Saint-Anselme [De la Faute Originelle, ch. IV, col. 436], tout en étant ce qu’il
y a de plus libre dans notre nature. Il semble qu’on doive suprêmement
attribuer la volonté à Dieu. |
[3208]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, omnes qui Deum
confitentur, eum felicissimum ponunt. Sed felicitas sine delectatione esse
non potest, ut in 1 Ethic. dicitur.
Ergo in Deo est summa delectatio. Sed delectatio non potest esse sine
concupiscentia vel voluntate: quia delectatio consistit in quadam voluntatis
complacentia. Ergo videtur quod voluntas in Deo sit. |
3.
De plus, tous ceux qui confessent l’existence de Dieu soutiennent qu’il est
suprêmement heureux. Mais la félicité ne peut exiter sans la délectation
ainsi que le dit le Philosophe [1 Éthique].
Il y a donc en Dieu la délectation la
plus élevée. Mais la délectation ne peut exister sans la concupiscence ou la
volonté, car la délectation consiste dans une certaine complaisance de la
volonté. Il semble donc qu’il y ait volonté en Dieu. |
3209] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 co. Respondeo
dicendum, quod in omni natura ubi invenitur cognitio, invenitur etiam
voluntas et delectatio. Cujus ratio est, quia omne quod habet virtutem
cognoscitivam, potest dijudicare conveniens et repugnans ; et quod
apprehenditur ut conveniens oportet esse volitum vel appetitum. Et ideo in
nobis secundum duplicem cognitionem sensus et intellectus est duplex
appetitiva ; una quae sequitur apprehensionem intellectus, quae voluntas
dicitur ; alia quae sequitur apprehensionem sensus ; quae dividitur in
irascibilem et concupiscibilem. |
Corps de l’article : Je
réponds qu’il faut dire que dans toute nature où on retrouve une connaissance
on retrouve aussi une volonté et une délectation. Et la raison en est que
tout ce qui possède une puissance cognitive peut discerner ce qui convient de
ce qui est contraire, et que tout ce qui appréhendé comme étant convenant
doit être voulu ou désiré. Et c’est pourquoi il y a en nous deux appétits qui
correspondent à deux sortes de connaissance, à savoir celle du sens et celle
de l’intelligence ; et la puissance appétitive qui découle de
l’appréhension de l’intelligence s’appelle volonté alors que la puissance
appétitive qui découle de l’appréhension du sens se divise en irascible et en
concupiscible. |
Unde
cum in Deo, ut supra ostensum est, dist. XXXV, quaest. unica, art. 1, sit
intellectualis cognitio, oportet quod in eo etiam sit voluntas et delectatio,
secundum quod una et simplici operatione Deus gaudet, ut in VII Ethic., cap. XIV,
dicit philosophus. In omni enim natura cognoscente operatio perfecta et
naturalis delectabilis est. |
D’où il suit que puisqu’en Dieu, ainsi que
nous l’avons dit [dist. XXXV, quest. unique, art. 1], il y a la connaissance
intellectuelle, il faut qu’il y ait aussi en Lui la volonté et la
délectation, selon que Dieu se réjouit par une seule et simple opération
comme le dit le Philosophe [ VII Éthique,
ch. XIV]. En effet, dans toute nature qui connaît, l’opération parfaite et
naturelle est délectable. |
[3210]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
quamvis in Deo dicatur esse voluntas, non tamen conceditur ibi esse
appetitus: quia secundum Augustinum,in psalm. CXVIII, conc. VIII, § 4, col.
1521, appetitus proprie est rei non habitae. Deus autem totum suum bonum in
se habet. Unde nec etiam in nobis proprie voluntas appetitus est quando
volito conjuncta est. Sed amor est rei jam habitae, secundum Augustinum ibid. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que bien qu’on dise qu’il y a volonté en
Dieu, on ne doit cependant pas concéder qu’il y a là appétit : car d’après
Saint-Augustin [Psaume CXVIII,
conc. VIII, & 4, col. 1521]
l’appétit se rapporte proprement à une chose qui n’est pas possédé. Mais Dieu
possède ne Lui tout son bien. C’est pourquoi même en nous la volonté n’est
pas proprement un appétit quand elle est unie au bien qu’elle voulait. Mais
selon Saint-Augustin au même endroit, il y a amour pour la chose déjà
possédée. |
[3211] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad
2 Et per hoc patet etiam responsio ad secundum. Quia
tendere in finem accidit voluntati secundum quod est distans a fine ; sed
operationem habere circa finem, hoc est voluntati essentiale ; et haec
praecipue Deo convenit, qui se amat, et in se delectatur. |
2. Et par là on voit aussi la réponse à la
deuxième difficulté. Car tendre vers une fin est possible pour la volonté
selon qu’elle est encore éloignée de la fin mais il est essentiel à la
volonté que son opération porte sur la fin ; et cela convient surtout à
Dieu qui s’aime et trouve sa délectation en Lui-même. |
[3212]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas
non movetur nisi a fine: finis autem voluntatis divinae est ipsa sua bonitas
quae est idem quod voluntas secundum rem ; et ideo non sequitur quod Deus sit
movens motum, proprie loquendo, quia omne movens est aliud a moto. Sed forte
propter hoc Plato posuit quod primum movens seipsum movet, inquantum
cognoscit se et amat se, ut in VIII Physic.,
text., com. 51, dicit Commentator ; et hoc non nisi metaphorice dicitur,
sicut etiam dicitur, quod finis movet. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
volonté n’est mue que par la fin : mais la fin de la volonté divine est
sa propre bonté qui est identique en réalité à sa volonté ; et c’est
pourquoi il ne s’ensuit pas à proprement parler que Dieu soit un moteur qui
est mû car tout moteur est autre que ce qui est mû. Et c’est peut-être pour
cette raison que Platon a soutenu que le premier moteur se meut lui-même en
tant qu’il se connaît et s’aime lui-même ainsi que le dit le Commentateur [
VIII Physique, texte com.
51]` ; et cela ne se dit que par métaphore, tout comme on dit aussi que
la fin meut. |
[3213]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum
gradum cognitionis etiam est gradus virtutis appetitivae ; quantum enim ratio
superat sensum, tantum voluntas rationis superat appetitum sensus ; et quanto
intellectus divinus superat rationem nostram, tanto voluntas ejus superat
voluntatem nostram ; et hoc per rationem concludebatur, scilicet quod Deo non
conveniat voluntas ad modum voluntatis nostrae ; et tamen sicut ratio nostra
vocatur intellectus, et intellectus divinus vocatur ratio, ut patet in VII
cap. De divin. Nomin., § 4, col.
871, propter convenientiam in immaterialitate ; ita et voluntas communi
nomine utrobique dicitur. |
4.[61] Il faut dire en quatrième lieu que les
degrés de la puissance appétitive découlent des degrés de la
connaissance ; en effet, la volonté de la raison commande d’autant plus
à l’appétit du sens que la raison commande au sens ; et la volonté de
Dieu commande d’autant plus à notre volonté que son Intelligence commande à
notre raison ; et par ce raisonnement on concluait ceci, à savoir que la
volonté ne convient pas à Dieu de la même manière que la volonté nous
convient ; et cependant tout comme notre raison est appelée intelligence
et que l’intelligence divine est appelée aussi raison comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. VII, & 4, col. 871] à cause de leur
ressemblance dans l’immatérialité, de même on se sert aussi du nom commun de
volonté dans les deux cas. |
|
|
Articulus
2 [3214] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 tit. Utrum voluntas Dei sit
tantum sui ipsius |
Article
2 – La volonté de Dieu ne se rapporte-t-elle qu’à lui seul ?
|
[3215] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod voluntas Dei non sit nisi sui
ipsius. Quia, secundum Philosophum, voluntas est finis ; electio autem eorum
quae sunt ad finem, ut dicitur in III
Ethic., cap. V, Sed nihil aliud est finis suae operationis nisi
ipse. Ergo voluntas sua est tantum sui ipsius. |
[62] Difficultés : 1.
Il semble que la volonté de Dieu ne veuille pas autre chose que lui-même. En
effet, selon le Philosophe, la volonté se rapporte à la fin alors que la
délibération et le choix se rapportent aux moyens ordonnés à la fin comme le
dit le Philosophe [111 Éthique, ch.
V]. Mais la fin de l’opération de Dieu n’est rien d’autre que Lui-même. Sa
volonté ne se rapporte donc qu’à lui-même. |
[3216] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, voluntas movetur a volito. Sed nihil potest esse movens
voluntatem divinam nisi ipse. Ergo voluntas sua est tantum sui ipsius. |
2. Par ailleurs, la volonté est mue par le
bien voulu. Mais rien d’autre que Lui-même ne peut mouvoir la volonté divine.
Donc sa volonté ne se rapporte qu’à Lui-même. |
[3217]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, cujuslibet voluntas est
ejus quod est bonum sibi. Sed omne quod est bonum alicui differt ad eum,
utrum illud sit, vel non sit. Cum igitur de nullo creato differat ad ipsum,
utrum sit, vel non sit ; eo quod bonorum nostrorum non eget, sed totum bonum
in se habet ; videtur quod voluntas sua ad ea quae sunt extra eum, non se
extendat. |
3. En outre, la volonté de tout être se
rapporte à ce qui est son bien. Mais cela fait une différence pour un être que
tout ce qui est un bien pour lui existe ou n’existe pas. Donc, puisque cela
ne fait aucune différence pour Dieu que les êtres créés existent ou
n’existent pas du fait qu’il n’a pas besoin de nos biens mais qu’il possède
tout bien en Lui, il semble que sa volonté ne s’étende pas aux choses qui
sont en dehors de lui. |
[3218]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 arg.
4 Praeterea, ea quae sunt ad finem, non quaeruntur nisi propter finem. Ergo
habito fine non est ulterius voluntas eorum quae sunt ad finem. Sed omnium creaturarum finis est divina
bonitas, quae in ipso Deo ab aeterno est. Ergo videtur quod ad ea quae sunt
extra ipsum voluntas ejus non se extendat. |
4. De plus,
les choses qui sont ordonnées à la fin ne sont recherchées qu’à cause de la
fin. Donc, une fois la fin possédée, il n’y a plus lieu pour la volonté de se
rapporter aux choses qui sont ordonnées à la fin. Mais la fin de toutes les
creatures est la bonté divine qui est en Dieu lui-même de toute éternité. Il
semble donc que la volonté de Dieu ne s’applique pas aux choses qui sont en
dehors de Lui. |
[3219]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, amor consistit in
actu voluntatis. Sed de Deo dicitur, Sap. XI, 35 quod diligit omnia quae sunt, et nihil odit eorum quae
fecit. Ergo voluntas ejus est etiam creatorum ab eo. |
Cependant : 1.
Au contraire, l’amour consiste dans un acte de la volonté. Mais l’Écriture [Sagesse, XI, 24] dit au sujet de Dieu
qu’il aime tout ce qui existe et qu’il
n’a de dégoût pour rien de ce qu’il a fait. Sa volonté se rapporte donc
aussi aux créatures qui viennent de Lui. |
[3220]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet
scientia Dei ad verum, ita se habet voluntas ejus ad bonum. Sed scientia ejus
est omnium verorum. Ergo et voluntas ejus est omnium bonorum. |
2. En outre, tout comme la science de Dieu
se rapporte au vrai, de même sa volonté se rapporte au bien. Mais sa science
porte sur toutes les vérités. Donc sa volonté porte sur tous les biens. |
[3221] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod sicut Deus cognoscendo essentiam suam cognoscit
omnia quae sunt ab eo, inquantum sunt similitudo quaedam veritatis ejus ; ita
etiam volendo vel amando essentiam suam, vult omnia quae sunt ab eo,
inquantum habent similitudinem bonitatis ejus. Unde id quod est volitum primo
ab eo, est bonitas sua tantum. |
Corps de l’article : Je
réponds qu’il faut dire que tout comme c’est en connaissant son essence que
Dieu connaît tout les êtres qui viennent de Lui en tant qu’il sont une
certaine similitude de sa vérité, de même encore c’est en voulant ou en
aimant son essence qu’il veut tous les êtres qui viennent de Lui en tant
qu’ils possèdent une ressemblance de sa bonté. D’où il suit que ce qui est
premièrement voulu par Lui, c’est sa bonté seulement. |
Alia
vero vult in ordine ad bonitatem suam: non autem hoc modo ut per ea aliquid
bonitatis acquirat, sicut nos facimus circa alios bene operando, sed ita quod
eis de bonitate sua aliquid largiatur: et ideo liberalitas est quasi proprium
ipsius, secundum Avicennam, trac. XI, Metaph. :
quia ex operatione sua non intendit aliquod sibi commodum provenire: sed vult
bonitatem suam in alios diffundere ; et ideo Augustinus, I De doctr. Christ., cap. XXXII, col. 32, dicit, quod ipse utitur
nobis ad bonitatem suam et utilitatem nostram. |
Mais il
veut les autres êtres par rapport à sa bonté mais non pas cependant de telle
manière que par eux il acquière quelque chose de la bonté comme nous le
faisons par rapport aux autres en agissant bien, mais de telle manière qu’Il
leur accorde quelque chose de sa bonté: et c’est pourquoi sa libéralité est
comme ce qui lui est proper d’après Avicenne [XI Métaphysique]: car il ne cherche pas à tirer pour lui-même un
avantage de son operation mais il veut plutôt répandre sa bonté dans les
autres; et c’est pourquoi Saint-Augustin [1 De la Doctrine Chrétienne, ch. XXXII, col. 32, t. 111] dit que
Lui-même se sert de nous pour nous attirer à sa bonté et pour notre avantage. |
[3222] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod in objecto alicujus potentiae est duo
considerare: scilicet illud quod est materiale, et illud quod formaliter
complet rationem objecti ; sicut patet in visu: quia color est visibile in
potentia, et non efficitur visibile in actu nisi per actum lucis. Similiter
dico, quod illud quod formaliter complet rationem voliti, est finis, ex quo
est ratio boni ; et hoc intelligit Philosophus cum dicit, III Ethic., cap. V, quod voluntas est finis ; sed ea quae sunt ad
finem, se habent materialiter ad objectum voluntatis, ut scilicet sint volita
per ordinem finis, sicut color videtur per actum lucis. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il y a
deux choses à considerer dans l’objet de cette puissance: à savoir ce qui est
materiel et ce qui achève formellement
la notion d’objet, comme on le voit pour la vue: car la couleur est visible
en puissance et elle ne devient visible en acte que par l’acte de la lumière.
De la même manière je dis que ce qui achève formellement la notion d’objet
voulu, c’est la fin d’où vient la notion de bien; et c’est là ce qu’entend le
Philosophe [111 Éthique, ch. V]
lorsqu’il dit que l’objet de la volonté, c’est la fin; mais les choses qui
sont ordonnées à la fin se présentent comme matériellement par rapport à
l’objet de la volonté, c’est-à-dire de telle manière qu’elles sont voulues
par rapport à la fin, tout comme la couleur est vue par l’acte de la lumière. |
[3223] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod illud quod est volitum sicut finis, est movens
voluntatem, et perficiens eam: et sic nihil movet voluntatem divinam nisi
Deus: sed illud quod est ordinatum ad finem est volitum ab eo sicut effectum
a voluntate, et motum ab ea ; sicut patet in voluntate artificis quae est
principium operationum ordinatarum in finem. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que ce qui est voulu comme une fin, c’est cela qui
meut la volonté et qui lui donne sa perfection: et en ce sens il n’y a rien
qui meut la volonté divine si ce n’est Dieu lui-même; mais ce qui est ordonné
à la fin est voulu par Lui comme un effet produit par la volonté et mû par
elle, tout comme on le voit pour la volonté de l’artiste qui est le principe
des opérations ordonnées à la fin. |
[3224] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 ad
3 Ad tertium dicendum, quod voluntas Dei non est nisi ejus quod est suum
bonum ; sed tamen non eodem modo sicut in voluntate nostra, quae vult bonum
suum, quo scilicet perficitur sicut fine, vel per quod finem consequitur ;
sed voluntas divina vult bonum suum quod est ipsa et quod ab ea est, et non
per quod juvatur ; et ideo non refertur [refert ad ipsius Éd. de Parme] perfectionem, utrum
volitum ab eo sit vel non sit. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que la volonté de Dieu ne se rapporte qu’à ce qui
est son bien, mais d’une manière qui n’est pas la même que celle qu’on
retrouve dans notre volonté qui veut son bien, c’est-à-dire celui par lequel
en tant que fin elle trouve son achèvement ou celui par lequel elle parvient
à la fin; mais la volonté divine veut son bien qui n’est rien d’autre
qu’elle-même et qui vient d’elle et non pas celui par lequel elle est aidée; et
c’est pourquoi il est sans conséquence pour sa perfection que ce qu’il veut
existe ou n’existe pas. |
[3225] Super Sent., lib. 1, d. 45, q. 1, a. 2,
ad 4. Ad quartum dicendum, quod Deus non ordinat
creaturas in finem bonitatis suae, quasi per eas bonitatem suam assequatur,
sed ut ipsae creaturae divina operatione similitudinem aliquam divinae
bonitatis acquirant, quod esse non posset, nisi eo volente et faciente. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que Dieu n’ordonne
pas les creatures à la fin de sa bonté comme si par elles il poursuivait sa
bonté mais pour que les créatures elles-mêmes par son opération acquièrent
une certaine ressemblance de la bonté divine, ce qui ne serait pas possible
s’il ne le voulait et ne le faisait pas. |
Articulus
3 [3226] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 tit. Utrum voluntas Dei sit
causa rerum |
Article
3 – La volonté de Dieu est-elle la cause des choses ?
|
[3227] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod voluntati divinae
non sit adscribenda rerum causalitas. Voluntas enim Dei est tantum bonorum.
Sed omnium bonorum sufficiens causa est scientia ipsius. Ergo non oportet voluntatem
Dei causam rerum ponere. |
[63]
Difficultés : 1. Il semble que ce
ne soit pas à la volonté divine qu’il faille imputer la causalité des choses.
La volonté de Dieu en effet ne se rapporte qu’aux biens. Mais la cause
suffisante de tous les biens est sa science. Il ne faut donc pas soutenir que
la volonté de Dieu est la cause des choses. |
[3228] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, Deus non est causa rerum nisi per suam operationem. Sed
esse principium operationis pertinet ad causam ratione potentiae. Ergo
potentia potius dicenda est causa rerum quam voluntas. |
2. Par ailleurs, Dieu n’est la cause des
choses que par son opération. Mais être principe d’opération relève de la
cause en raison de la puissance. Donc, c’est plutôt à la puissance qu’à la
volonté qu’on doit attribuer la causalité des choses. |
[3229]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, a causa contingente
nunquam potest esse effectus necessarius. Sed voluntas est causa contingens:
quia ad utrumlibet se habet. Ergo non potest esse causa necessariorum. Cum
igitur in mundo sint multa necessaria, ut omnia incorruptibilia, videtur quod
non omnium causa sit voluntas. |
3. En outre, jamais un effet nécessaire ne
peut procéder d’une cause contingente. Mais la volonté est une cause
contingente car elle peut se déterminer d’un côté ou de l’autre. Elle ne peut
donc être la cause des effets nécessaires. Donc, puisque dans l’univers il y
a de nombreux effets nécessaires, comme tous les êtres incorruptibles, il
semble que la volonté ne soit pas la cause de tous ces effets. |
[3230]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, posita causa
sufficiente alicujus rei, superflue adduntur ad eamdem rem aliae causae. Si
ergo voluntas Dei sufficiens causa rerum est (insufficiens enim non potest
esse), videtur quod omnes causae naturales superfluant, et omnes potentiae
animae et omnes habitus infusi: quod frivolum est. |
4. De plus, une fois posée la cause
suffisante d’une chose, il est inutile d’ajouter d’autres causes à cette même
chose. Si donc la volonté de Dieu est la cause suffisante des choses, car
elle ne peut en effet être une cause insuffisante, il semble alors que toutes
les causes naturelles sont inutiles, tout comme toutes les puissances de
l’âme et tous les habitus infus ; mais il est futile de dire cela. Donc,
la volonté divine n’est pas la cause des choses. |
[3231]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ex causa sufficienti
potest aliquid demonstrari. Si ergo voluntas Dei sufficiens est causa omnium,
videtur quod haec sit sufficiens demonstratio ad omnia: quare hoc est? Quia
Deus voluit ; et sic facile esset omnia scire, et supervacua essent sanctorum
et philosophorum studia qui ad assignandas divinarum operationum rationes
multipliciter laboraverunt: quod stultum est dicere. |
5. Par ailleurs, à partir d’une cause
suffisante il est possible de démontrer quelque chose. Si donc la volonté de
Dieu est la cause suffisante de tous les êtres, il semble que celle-ci soit
une démonstration suffisante par rapport à eux tous : pourquoi cela
existe-t-il ? Parce que Dieu l’a voulu ; et ainsi il serait facile
de tout savoir et par conséquent les études et les doctrines des saints et
des philosophes qui ont travaillé de plusieurs manières à assigner les raisons
des opérations divines seraient superflues : or, soutenir cela est une
sottise. Donc, etc. |
[3232]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, secundum Philosophum,
VI Metaph., text. 1, omnium artificiatorum principium est
voluntas artificis. Sed ea quae sunt procedunt a Deo sicut artificiata ab
artifice, ut a sanctis et philosophis traditur. Ergo omnium quae sunt, causa
est Dei voluntas. |
Cependant : 1.
Au contraire, d’après le Philosophe [ VI Métaphysique,
texte 1], le principe de toutes les œuvres d’art est la volonté de l’artiste.
Mais tous les êtres qui existent procèdent de Dieu comme les œuvres d’art
procèdent de l’artiste ainsi que l’enseignent les saints et les philosophes.
Donc, la volonté de Dieu est la cause de tout ce qui existe. |
[3233] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 s.
c. 2 Praeterea, Dionysius dicit in IV cap. De div.nomin., § 13 :
« Amor trahit superiora in provisionem minus habentium ». Sed omnia
quae sunt, provisione divina in esse prodierunt. Cum igitur amor in actu
voluntatis consistat, videtur quod principium omnium rerum sit divina
voluntas. |
2. Par
ailleurs, Denys [Les Noms Divins,
ch. IV, & 13] dit: «L’amour meut
les êtres supérieurs à pourvoir aux besoins de ceux qui possèdent moins».
Mais tout ce qui existe est venu à l’existence par les soins de Dieu. Donc,
puisque l’amour consiste en un acte de la volonté, il semble que le principe
de toutes les choses soit la volonté divine. |
[3234] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod opus determinatum non progreditur nisi a determinato
agente ; et inde est quod illud quod est tantum in potentia, non agit, quia
se habet indeterminatae ad multa ; sed forma quae est terminans potentiam
materiae, principium actionis dicitur ; et ideo in omnibus quorum potentia
activa determinata est ad unum effectum, nihil requiritur ex parte agentis ad
agendum supra potentiam completam, dummodo non sit impedimentum ex defectu
recipientis ad hoc quod sequatur effectus: sicut patet in omnibus agentibus
ex necessitate naturae. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire qu’une oeuvre
déterminée ne vient que d’un agent determine; et c’est à cause de cela que ce
qui n’existe qu’en puissance n’agit pas car il se présente comme
indéterminément par rapport à une multiplicité de possibles; mais c’est la
forme, qui determine la puissance de la matière, qui est appelée principe
d’action; et c’est pourquoi, chez tous les êtres dont la puissance active est
déterminée à produire un seul effet, rien d’autre en dehors de la puissance
complète n’est requis du côté de l’agent pour agir afin que l’effet
s’ensuive, aussi longtemps qu’il n’y a pas un empêchement en raison d’un
défaut du côté de celui qui reçoit. |
Potentia autem Dei cum sit infinita, non magis
determinatur ad hoc quam ad illud: nec ex parte operis [materiae opus Éd. de Parme] ejus determinationem
recipere potest, quia ipse etiam materiam et formam producit. Unde oportet
quod supra rationem potentiae sit aliquid aliud per quod opus determinetur.
Hoc autem fit per scientiam, quae propriam rationem rei cognoscit. Sed
quia scientia se habet ad opposita, est enim et bonorum et malorum, ideo
oportet aliquid adhuc addere in quo perficiatur ratio causae ; et hoc est
voluntas quae determinate accipit unum ex duobus quae scit vel quae potest. Unde
perfecta ratio causalitatis in his quae non agunt ex necessitate naturae,
invenitur primo in voluntate, ut dicit Philosophus, in IX Metaph., text. 1 : et hoc
convenit voluntati, inquantum objectum ejus est finis, qui est causa
causarum, et a quo sumitur determinatio operis, ut patet ex II Physic.: et
ideo voluntati divinae ascribitur causalitas rerum. |
Mais la puissance de Dieu, puisqu’elle est
infinie, n’est pas davantage déterminée à cet effet plutôt qu’à tel
autre : et cette puissance ne peut recevoir sa détermination du côté de
l’œuvre [de la matière de l’œuvre Éd.
de Parme] parce que Lui-même produit à la fois la matière et la forme.
C’est pourquoi il faut qu’outre la notion de puissance il y ait quelque chose
d’autre au moyen de quoi l’œuvre soit déterminée. Mais cela a lieu au moyen
de la science qui connaît la nature propre de la chose. Mais parce que la
science est tournée vers les opposés car elle s’intéresse à la fois aux biens
et aux maux, c’est pourquoi il faut encore ajouter quelque chose en quoi la
notion de cause trouve son achèvement ; et cela est la volonté qui, à
partir de deux choses qu’elle sait ou qu’elle peut, en reçoit déterminément
une seule. Et c’est de là que la notion parfaite de causalité, chez les êtres
qui n’agissent pas par une nécessité de nature, se retrouve premièrement dans
la volonté ainsi que le dit le Philosophe [1X Métaphysique, texte 1] : et cela convient à la volonté,
selon que son objet est la fin, laquelle est la cause des causes d’où se tire
la détermination de l’œuvre comme on le voit chez le Philosophe [11 Physique, texte 31] ; et c’est
pourquoi la causalité des choses est attribuée à la volonté divine. |
[3235]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in
scientia non perficitur ratio causalitatis, ut dictum est, in corp. art.,
nisi adjuncta voluntate: ideo voluntas potius dicitur causa quam scientia. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que la notion de causalité ne trouve pas
son achèvement dans la science, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de
l’article, à moins qu’on y ajoute la volonté : et c’est pourquoi c’est
davantage la volonté que la science qui est appelée cause des choses. |
[3236]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas
est principium operationis, ut primum imperans opus ; sed potentia in his
quae agunt per voluntatem, est principium operis ut exequens: et in hoc
consistit ratio potentiae ut sit proximum principium operis, et non primum:
et sic voluntas Dei potius dicitur causa rerum quam potentia. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la
volonté est principe d’opération pour autant que c’est elle en premier qui
commande l’œuvre ; mais la puissance, chez ceux qui agissent par
volonté, est principe de l’œuvre en tant qu’exécutrice de l’oeuvre : et
c’est en cela que consiste la notion de puissance en tant qu’elle est le
principe prochain de l’œuvre et non en tant que premier principe : et
c’est en ce sens qu’on dit que la volonté de Dieu, plutôt que sa puissance,
est la cause des choses. |
[3237]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas
divina libertatem habet, et ex hoc convenit sibi quod sit ad utrumlibet ; sed
super hoc habet immutabilitatem, ut ei quod vult, immobiliter adhaereat, ex
quo illud velle ponitur: et hanc immobilitatem imitantur ea quae sunt
necessaria in entibus, quamvis non ipsam adaequent: et propter hoc non est
dicendum, quod sit causa contingens: quia contingentia mutabilitatem
important. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la volonté
divine possède la liberté et c’est de là qu’il lui appartient de se tourner
d’un côté comme de l’autre ; mais en plus de cela elle possède
l’immutabilité de telle manière qu’elle adhère immuablement à ce qu’elle veut,
d’où on pose qu’elle veut cela : et ceux qui sont nécessaires parmi les
êtres imitent cette immobilité bien qu’ils ne l’égalent pas. Et c’est pour
cette raison qu’il ne faut pas dire que la volonté divine est une cause
contingente car la contingence implique mutabilité. |
[3238]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod causalitas
divinae voluntatis non excludit omnes causas proximas rerum ; nec hoc est ex
insufficientia voluntatis, sed ex ordine sapientiae ejus quae effectus
mediantibus aliis causis provenire disposuit, ut sic etiam causandi dignitas
creaturis communicaretur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
causalité de la volonté divine n’exclut pas toutes les causes prochaines des
choses ; et cela ne vient pas d’une insuffisance de la part de cette volonté,
mais de l’ordre de sa sagesse qui a décidé que les effets allaient provenir
d’autres causes intermédiaires, de manière à communiquer ainsi aux créatures aussi
le mérite d’être causes. |
[3239]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
demonstratio quae facit scientiam de re, sumitur ex causis proximis rei ; et
ideo oportet ad scientiam de rebus habendam nobis alias rationes quaerere
post voluntatem ejus, quae est causa prima rerum et communis ; et praecipue
cum voluntatem ejus non plene cognoscamus, ut in ea propriam rei rationem
videamus, sicut ipse videt qui in se omnia cognoscit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que la
démonstration, qui produit la science au sujet d’une chose, se tire des
causes prochaines de la chose ; et c’est pourquoi il nous faut, pour en
arriver à la possession de la science des choses, rechercher d’autres causes
que la volonté divine, laquelle est la cause première et commune des choses,
et surtout puisque nous ne connaissons pas pleinement sa volonté de manière à
voir en elle la raison propre de la chose, contrairement à Dieu qui, se
voyant lui-même, connaît tout en Lui. |
|
|
Articulus
4 [3240] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 tit. Utrum voluntas Dei distinguatur in voluntatem
beneplaciti et voluntatem signi |
Article
4 – La volonté de Dieu se distingue-t-elle en volonté de bon plaisir et
volonté de signe[64] ?
|
[3241] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4
arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod distinctio voluntatis in Littera posita, sit incompetens. Sicut
enim voluntas Dei se habet ad plura, ita et scientia ejus. Sed
scientiae non assignantur diversa signa. Ergo videtur quod nec voluntati
assignari debeant ; cum etiam utrumque occultum sit aequaliter. |
Difficultés :[65] 1.
Il semble que la distinction de la volonté présentée dans la Lettre ne convienne pas. En effet la
science de Dieu, tout comme sa volonté, se rapporte à une multiplicité. Mais
on n’assigne pas à la science une diversité de signes. Il semble donc qu’on
ne doive pas non plus assigner à la volonté une diversité de signes puisque
l’un et l’autre aussi sont également cachés. |
[3242]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, omne signum cui non
respondet signatum, est signum falsum. Sed istis signis voluntatis quae in Littera ponuntur, quandoque non
respondet signatum: quia permittit mala quae non vult, et praecipit etiam
bona quae non vult fieri, ut in Littera
dicitur. Ergo videtur quod sint falsa signa, et ita pro signis assignari non
debeant. |
[66] Par ailleurs, tout signe auquel ne
correspond pas à une chose signifiée est un signe qui est faux. Mais à ces
signes de la volonté qui sont présentés dans la Lettre il ne correspond
parfois aucun signifié : car il
permet des maux qu’il ne veut pas et commande même des biens qu’il ne veut
pas, comme on le dit dans la Lettre.
Il semble donc que ce soient là des signes qui sont faux et ils ne doivent
donc pas être donnés comme signes. |
[3243]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut invenitur bonum
et melius, ita invenitur malum et pejus, ut veniale et mortale. Sed respectu
horum duorum fiendorum est tantum unum signum, scilicet prohibitio. Ergo
videtur quod etiam bonorum esse debeat unum tantum signum et non duo,
scilicet praeceptum et consilium. |
3. Par ailleurs, tout comme on retrouve du
bien et du mieux, de même on retrouve du mal et du pire, comme le véniel et
le mortel. Mais par rapport à ces deux choses à devenir il n’y a qu’un seul
signe, à savoir l’interdiction. Il semble donc que même pour les biens il ne
doit y avoir qu’un seul signe et non deux, c’est-à-dire le commandement et le
conseil. |
[3244]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, objectum voluntatis est
bonum. Sed malum fieri non est bonum, ut infra dicetur, dist. seq., quaest.
unica, art. 4. Ergo respectu hujus mali respectu [respectu huius Éd. de Parme] nullum signum voluntatis
divinae debet esse: et ita permissio superfluit. |
4. En outre, l’objet de la volonté est le
bien. Mais l’apparition du mal n’est pas un bien comme nous le dirons plus
loin [dist. suivante, quest. unique, art. 4]. Donc par rapport au mal [à cela
Éd. de Parme] il ne doit y avoir
aucun signe de la volonté divine : et ainsi la permission est inutile. |
[3245]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, sicut signa voluntatis
respiciunt diversa, ita et voluntas beneplaciti est diversorum. Si ergo
assignantur diversa signa voluntatis propter diversitatem eorum, videtur quod
etiam voluntas beneplaciti multiplicari debeat ; aut si non hoc, nec illud. |
5. De plus, tout comme les signes de la
volonté se rapportent à différentes choses, de même la volonté de bon plaisir
se rapporte à différentes choses. Si donc différents signes de la volonté
sont assignés à cause de leur diversité, il semble que même la volonté de bon
plaisir doive être multipliée, ou bien si cette dernière ne l’est pas,
l’autre ne doit pas l’être non plus. |
[3246] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 co.
Respondeo dicendum, quod de Deo quaedam dicuntur proprie, quaedam
metaphorice. Ea quae proprie de ipso dicuntur, vere in eo sunt ; sed ea quae
metaphorice, dicuntur de eo per similitudinem proportionabilitatis ad
effectum aliquem, sicut dicitur ignis Deuter. 4, eo quod sicut ignis se habet ad consumptionem
contrarii, ita Deus ad consumendum nequitiam. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que certaines
choses se disent de Dieu proprement et d’autres par métaphore. Les choses qui se disent de
Lui proprement existent véritablement en Lui; mais les choses qui se disent
de Lui par métaphore se disent de Lui par une similitude de proportionnalité
par rapport à un effet, tout comme l’Écriture le dit au sujet du feu [Deutér. 4] du fait que le feu est à la
destruction du contraire ce que Dieu est à la destruction de la méchanceté. |
Unde ipsum esse destruentem nequitiam, est
ipsum esse ignem, et ipsa consumptio activa est igneitas ejus ; et per modum
istum ipsa punitio dicitur ira ejus: et quia effectus est signum causae, ideo
ea secundum quae attenditur similitudo vel irae vel alicujus alterius dicuntur
esse signa: unde punitio dicitur signum irae ejus. |
D’où l’être même qui détruit la méchanceté est
l’être même du feu et la destruction active elle-même est son embrasement; et
de cette manière la punition elle-même est appellee sa colère: et parce que
l’effet est le signe de la cause, c’est pourquoi on dit de ces choses,
d’après lesquelles se vérifie la similitude soit de la colère soit de quelque
chose d’autre, qu’elles sont des signes: c’est pourquoi on dit de la punition
qu’elle est le signe de sa colère. |
Sed
dico, quod Deus potest dici velle aliquid dupliciter. Vel proprie, et sic
dicitur velle illud cujus voluntas vere in eo est, et quod sibi complacet ;
et haec est voluntas beneplaciti. Dicitur etiam aliquid velle metaphorice, eo
quod ad modum volentis se habet, inquantum praecipit vel consulit vel aliquid
hujusmodi facit. Unde ea in
quibus attenditur similitudo istius rei ad voluntatem Dei, voluntates ejus
metaphorice dicuntur: et quia talia sunt effectus, dicuntur signa. |
Mais je
dis qu’on peut dire de Dieu qu’il veut quelque chose de deux manières. Soit
proprement et en ce sens on dit qu’il veut ce dont la volonté est
véritablement en Lui et qui Lui plait: et telle est la volonté de bon
Plaisir. Mais on dit aussi de Lui qu’il veut quelque chose par métaphore du
fait qu’il se présente à la manière de celui qui veut selon qu’il commande,
qu’il conseille ou qu’il fait quelque chose de la sorte. D’où il suit que les
choses dans lesquelles se vérifie la ressemblance de cette chose à l’égard de
la volonté de Dieu s’appellent métaphoriquement ses volontés: et parce que
les effets sont tells, ils sont appelés des signes. |
Horum autem signorum diversitatis ratio haec
est. Assignantur enim haec signa voluntati divinae secundum quod est rerum
humanarum, quibus speciali modo providet. Potest ergo signum voluntatis
accipi aut secundum ordinationem hominum in finem aeternae salutis, aut
secundum executionem ordinis. |
Mais voici quelle est la raison de la
diversité de ces signes. Ces signes en effet sont assignés à la volonté
divine selon qu’elle porte sur les choses humaines auxquelles elle pourvoit
d’une manière spéciale. Le signe de la volonté peut donc se prendre soit
selon l’ordonnance de l’homme par rapport à la fin du salut éternel, soit
selon l’exécution de l’ordre. |
Ad
finem autem consequendum providentiae est duo largiri ; ea scilicet quibus
res promoveatur in finem, et ea quibus ab impedientibus liberetur. Sicut
autem res naturales tendunt in fines suos naturales per virtutes activas ex
providentia divina eis collatas, ita et humana voluntas per consilia et
praecepta ordinatur in finem, et a peccatis quae impediunt consecutionem
finis, retrahitur prohibitionibus ; sicut etiam animalibus divina providentia
contulit cornua et ungues, et hujusmodi, quibus se juvent contra impugnantia.
Si
autem pertinet ad executionem ordinis, hoc potest esse dupliciter. Aut
secundum quod tendit in id ad quod ordinatum est, bonum faciendo: et respectu
hujus est hoc signum quod est operatio: quia Deus in nobis omnia bona operatur.
Aut etiam exeundo ab illo ordine, mala faciendo, qui etiam exitus
providentiae subjacet non ut provisus sed ut ordinatus: et respectu hujus est
permissio. Vel
potest sumi melius sic: quia vel signum voluntatis est respectu praesentium ;
et sic respectu bonorum est operatio, respectu malorum permissio: vel est
futurorum: et sic respectu malorum est prohibitio ; respectu boni ad quod
omnes tenentur, praeceptum ; sed respectu perfectioris boni quod non omnes
attingunt, est consilium: et continentur hoc versu: « Praecipit,
ac prohibet, permittit, consulit, implet ». |
Mais il y a deux choses à prodiguer par la
providence pour la poursuite de la fin ; à savoir les choses par
lesquelles l’être progresse vers la fin et celles par lesquelles il est
libéré de ce qui l’empêche d’y parvenir. Mais tout comme les choses
naturelles tendent vers leurs fins naturelles au moyen des vertus actives qui
leur sont accordées par la providence divine, de même la volonté humaine est
ordonnée à la fin par les conseils et les préceptes, et par les interdictions
elle est retirée des péchés qui sont des obstacles à l’atteinte de la
fin ; tout comme aussi la providence divine accorde aux animaux des
cornes, des griffes et des outils de la sorte par lesquels ils se défendent
contre leurs agresseurs. Mais
si le signe de la volonté se prend selon l’exécution de l’ordre, cela est
possible de deux manières. Soit
selon qu’il tend vers ce à quoi il est ordonné en faisant le bien : et
par rapport à cela il y a ce signe qui est l’opération : car Dieu opère
en nous tous les biens. Soit aussi en sortant de cet ordre en faisant le mal,
laquelle sortie est aussi soumise à la providence non pas ne tant que voulue
ou cautionnée mais en tant qu’ordonné : et par rapport à cela il y a la
permission. Soit
on peut le prendre encore mieux de la manière suivante : car soit le
signe de la volonté se rapporte à ce qui est présent et alors par rapport aux
biens il y a l’opération et par rapport aux maux la permission ; soit à
ce qui est à venir et ainsi par rapport aux maux il y a l’interdiction et par
rapport au bien auquel tous sont tenus, il y a le précepte ; mais par
rapport à un bien plus parfait que tous n’atteignent pas, il y a le
conseil : et tout cela est contenu dans ce verset : «Il commande et interdit, il permet, il
conseille et il accomplit son opération». |
[3247]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
scientia Dei vere et perfecte est omnium, sed non voluntas: et ideo quaedam
metaphorice dicitur velle quae simpliciter non vult, propter quod voluntas
signi assignatur. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que la science de Dieu porte vraiment et
parfaitement sur tout, mais non la volonté : et c’est pourquoi on dit de
Dieu par métaphore qu’il veut certaines choses qu’il ne veut pas absolument, à
cause de quoi on lui attribue la volonté de signe. |
[3248]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod effectus
qui est signum alicujus secundum proprietatem in uno, est signum ejusdem
secundum similitudinem in altero, in omnibus quae metaphorice dicuntur ;
sicut punitio est signum irae in homine, et in Deo est signum voluntatis
puniendi, quae per similitudinem ira dicitur. Et similiter dico, quod istis
signis respondet aliquid in Deo, quod per similitudinem dicitur voluntas
hujus rei, ut praecepto voluntas praecipiendi, et ordinandi naturam
rationalem in finem, et sic de aliis. Unde patet quod haec signa non sunt
falsa. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que l’effet
qui est le signe de quelque chose selon une propriété dans l’un est le signe
de la même chose selon une similitude dans un autre pour tout ce qui se dit
par métaphore ; tout comme la punition est le signe de la colère dans
l’homme, de même en Dieu elle est le signe de la volonté de punir, laquelle
est appelée colère par similitude. Et je dis de même qu’à ces signes
correspond quelque chose en Dieu qu’on appelle par similitude volonté de
telle chose, comme au précepte correspond la volonté de commander et
d’ordonner la nature rationnelle à la fin, et il en est de même pour les
autres signes. C’est pourquoi il est clair que ces signes ne sont pas faux. |
[3249] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad
3 Ad tertium dicendum, quod sicut in dispositione naturarum dantur a Deo
diversae virtutes, quarum una est nobilior altera, ut sic una res perfectius
consequatur finem quam alia ; ita etiam in dispositione hominum sunt diversa
ordinantia in finem ; unum communiter omnium, scilicet praeceptum ; et
alterum perfectorum, scilicet consilium. Sed omne peccatum est in
exeundo ab ordine finis ; et ideo cuilibet peccatum quodlibet vitandum est.
Nec in hoc diversus gradus hominum attenditur ; et propter hoc unum signum
tantum datur de hoc, scilicet prohibitio. |
3. Il faut dire en troisième lieu que tout
comme dans la disposition des natures différentes puissances sont données par
Dieu dont l’une est plus noble que l’autre de telle manière qu’une chose
atteigne plus parfaitement la fin qu’une autre, de même encore dans la
disposition des hommes il y a différentes ordonnances vers la fin : il y
en a une qui est commune à tous, à savoir le précepte ; et il y en a une
autre qui se rapporte aux parfaits, à savoir le conseil. Mais tout péché
consiste à sortir de l’ordre de la fin et c’est pourquoi tout homme est tenu d’éviter
le péché. Et en cela ne se vérifient pas différents degrés chez les
hommes ; et c’est pour cette raison qu’un seul signe est donné par
rapport à cela, lequel est l’interdiction. |
[3250]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus non
vult mala proprie fieri ; sed vult aliquid eis conjunctum, ut infra dicetur,
dist. seq., quaest. Unic., art. 4 ; ex quo sequitur quod permittat: et ideo
permissio ipsa effectus est alicujus voluntatis, et metaphorice voluntas
dicitur. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que Dieu
ne veut pas à proprement parler que les maux arrivent mais il veut que
quelque chose leur soit uni comme on le dira plus loin [dist. Suivante,
quest. unique, art. 4] ; d’où il s’ensuit qu’il permet les maux :
et c’est pourquoi la permission elle-même est un effet d’une volonté et
s’appelle volonté par métaphore. |
[3251]
Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod voluntas
divina, quamvis sit plurium volitorum, non tamen est nisi una: quia omnia illa
vult in uno per se volito, scilicet sua bonitate ; sicut omnia etiam
cognoscit cognoscendo essentiam suam. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que la
volonté divine, ;bien qu’elle porte sur de nombreux objets voulus, n’en
est pas moins une seule volonté : car toutes les choses qu’elle veut,
elle les veut toutes dans une seule réalité voulue par elle-même, à savoir sa
bonté, tout comme aussi en connaissant son essence elle connaît toute chose. |
|
|
|
Distinction 46 – (2) La volonté de Dieu
|
|
|
|
|
|
|
Prooemium |
Prologue
|
Hic quaeruntur
quatuor: 1 utrum Deus omnes
homines salvos fieri velit; 2 utrum mala fieri
sit bonum; 3 utrum malum sit
de perfectione universi; ` 4 utrum Deus mala
fieri velit. |
On cherche ici à répondre à quatre
questions : 1.
Est-ce que Dieu a voulu que tous les hommes soient sauvés ? 2.
Est-il bon que du mal arrive? 3.
Est-ce que le mal fait partie de la perfection de l’univers ? 4.
Est-ce que Dieu veut que le mal arrive ? |
|
|
Articulus 1 [3254]
Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus velit omnes homines
salvos fieri |
Article
1 : Dieu veut-il que tous les hommes soient sauvés ?
|
[3255] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad
primum sic proceditur. Videtur quod Deus omnes homines salvos fieri velit.
Primo per auctoritatem apostoli, quae etiam in Littera inducitur, quae est 1 Tim. 2, 4: Omnes homines vult salvos fieri. |
Difficultés : 1.
Il semble que Dieu a voulu que tous les hommes soient sauvés. On le voit
d’abord par l’autorité de l’Apôtre [1 Timothée,
2, 4] qui est présentée dans la Lettre
et que voici : Lui qui veut que
tous les hommes soient sauvés. |
[3256] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 2 Si dicas quod
vult voluntate conditionata, et non absoluta. Contra, voluntas conditionata est voluntas imperfecta. Sed nihil
imperfectum Deo est attribuendum. Ergo etc. |
2. Si
tu dis qu’Il le veut d’une volonté conditionnée et non d’une volonté
absolue, je réponds à cela que la
volonté conditionnée est une volonté imparfaite. Mais rien d’imparfait ne
doit être attribué à Dieu. Donc, etc. |
[3257] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 3
Praeterea, voluntas habentis caritatem imitatur voluntatem divinam. Sed
habens caritatem, cujuslibet salutem optat. Ergo videtur quod et Deus omnium
salutem velit. |
3. Par
ailleurs, la volonté de celui qui possède la charité imite la volonté divine.
Mais en possédant la charité, il choisit le salut de tous. Il semble donc que
Dieu aussi veut le salut de tous. |
[3258] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 4
Praeterea, omne agens per intentionem, vult quod opus suum finem consequatur.
Sed
finis hominis est salus aeterna, ad quam Deus eum creavit. Ergo vult omnes
homines salvos fieri. |
4. En outre, tout ce qui agit par intention
veut que son œuvre parvienne à sa fin. Mais la fin de l’homme est le salut
éternel pour lequel Dieu l’a créé. Il veut donc que tous les hommes soient
sauvés. |
[3259] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nullus potest salvari nisi Deus eum
velit salvare. Si ergo Deus omnem hominem salvare vult, non est in potestate
cujuslibet hominis ut salvetur. Sed pro eo quod non
est in potestate nostra, non meremur poenam vel vituperium. Ergo non est
imputandum eis qui non salvantur: quod falsum est. Ergo videtur quod Deus
omnes homines salvare velit. |
5. De plus, nul ne peut être sauvé que si
Dieu veut qu’il soit sauvé. Si donc Dieu veut sauver tout homme, il n’est pas
dans le pouvoir de tout homme d’être sauvé. Mais pour ce qui n’est pas en
notre pouvoir, nous ne méritons pas le châtiment ou le blâme. Il ne faut donc
pas les attribuer à ceux qui ne sont pas sauvés : ce qui est faux. Il
semble donc que Dieu a voulu sauver tous les hommes. |
[3260] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, praedestinatio est propositum
miserendi, secundum Augustinum. Si igitur Deus vellet omnes salvari, omnes
essent praedestinati. Sed hoc falsum est: quia cum non omnes salventur,
aliquis esset praedestinatus qui non salvaretur. Ergo non vult Deus omnes
homines salvos fieri. |
Cependant : 1.
Au contraire, la prédestination est la volonté de la miséricorde selon
Saint-Augustin. Si donc Dieu voulait sauver tous les hommes, tous seraient
prédestinés au salut. Mais cela est faux, car puisque ce ne sont pas tous les
hommes qui sont sauvés, il y aurait des prédestinés qui ne seraient pas
sauvés. Dieu ne veut donc pas que tous les hommes soient sauvés. |
[3261] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, voluntas Dei est prima et summa
causa rerum, ut supra dictum est, dist. 45, quaest. 1, art. 3. Sed posita
causa, ponitur effectus. Sed non omnes salvantur. Ergo videtur quod nec
voluntas Dei sit de omnium salute. |
2. Par ailleurs, la volonté de Dieu est la
cause première et souveraine des choses comme nous l’avons dit plus haut
[dist. 45, quest. 1, art. 3]. Mais une fois la cause posée, l’effet l’est
aussi. Mais ce ne sont pas tous les hommes qui sont sauvés. Il semble donc
que la volonté de Dieu ne vise pas le salut de tous. |
3262] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, secundum Damascenum, II
Fid. Orth., cap. XXIX, col. 970,
quod voluntas est duplex; scilicet antecedens, et consequens: et hoc
contingit non ex aliqua diversitate voluntatis divinae, sed propter diversas
conditiones ipsius voliti. Potest enim in unoquoque homine considerari natura
ejus et aliae circumstantiae ipsius, ut quod est volens et praeparans se ad
salutem suam, vel etiam repugnans et contrarie agens. Si ergo in homine
tantum natura ipsius consideretur, aequaliter bonum est omnem hominem
salvari: quia omnes conveniunt in natura humana. Et cum omne bonum sit
volitum a Deo, hoc etiam Deus vult, et hoc vocatur voluntas antecedens, qua
omnes homines salvos fieri vult, secundum Damascenum. |
Corps de l’article : Je
réponds qu’il faut dire que selon Saint-Jean Damascène [11 De la Foi
Orthodoxe, ch. XXIX, col. 970], il y a deux sortes de volonté : à savoir
celle qui précède et celle qui suit, et cela n’est pas dû à une diversité du
côté de la volonté divine mais à des conditions diverses du côté de ce qui
est voulu. Il est possible en effet de considérer en tout homme sa nature
d’une part et les autres circonstances d’autre part, à savoir s’il veut son
salut et s’y prépare, ou s’il y répugne et agit en s’y opposant. Si donc dans
l’homme on considère seulement sa nature, il est également bon que tout homme
soit sauvé : car tous partagent la même nature humaine. Et puisque tout
bien est voulu de Dieu, Dieu veut aussi cela et cela s’appelle la volonté qui
précède ou antécédente par laquelle Dieu veut que tous les hommes soient
sauvés selon Damascène. |
Et hujus voluntatis
effectus est ipse ordo naturae in finem salutis, et promoventia in finem
omnibus communiter proposita, tam naturalia quam gratuita, sicut potentiae
naturales, et praecepta legis, et hujusmodi. Consideratis autem omnibus
circumstantiis personae, sic non invenitur de omnibus bonum esse quod
salventur; bonum enim est eum qui se praeparat et consentit salvari per
largitatem gratiae divinae; nolentem vero et resistentem non est bonum
salvari, quia injustum est. Et quia hoc modo se habet aliquid ad hoc quod sit
volitum a Deo, sicut se habet ad hoc quod sit bonum; ideo istum hominem sub
illis conditionibus consideratum, non vult Deus salvari, sed tantum istum qui
est volens et consentiens; et hoc dicitur voluntas consequens, eo quod
praesupponit praescientiam operum non tamquam causam voluntatis, sed quasi
rationem voliti, ut supra dictum est, dist. 45, quaest. unica, art. 3. |
Et l’effet de cette volonté est l’ordre même
de la nature en vue de la fin du salut et les dispositions en vue de la fin
qui sont universellement proposées à tous, aussi bien celles qui sont
naturelles que celles qui sont gratuites comme les puissances naturelles et
les préceptes de la loi, etc. Mais si on considère toutes les circonstances
de la personne, alors on ne trouve pas qu’il soit bon pour tous qu’ils soient
sauvés ; il est bon en effet que soit sauvé celui qui se prépare au
salut et y consent par le don de la grâce divine ; mais il n’est pas bon
que soit sauvé celui qui refuse le salut et y résiste car cela est injuste.
Et parce que les choses se présentent par rapport à ce qui est voulu de Dieu
de la même manière qu’elles se présentent par rapport à leur bonté, c’est
pourquoi Dieu ne veut pas que cet homme, considéré sous ces conditions, soit
sauvé ; mais il veut que soit sauvé seulement celui qui le veut et y
consent et cela s’appelle la volonté qui suit ou conséquente du fait qu’elle
présuppose la préscience des œuvres non pas en tant que cause de la volonté
mais comme raison de ce qui est voulu comme nous l’avons dit plus haut [dist.
45, quest. unique, art. 3]. |
[3263] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, secundum
Damascenum, verbum apostoli intelligitur de voluntate antecedente, et non de
consequente. Sed secundum Augustinum, in Enchir.,
cap. CIII, col. 280, intelligitur
de consequente. Unde exponit eam dupliciter. Uno modo ut sit distributio
accommoda pro omnibus qui salvantur, ut in Littera dicitur. Alio modo ut sit distributio pro generibus
singulorum, quia de qualibet conditione hominum aliquos praedestinavit ad
vitam; et non pro singulis generum. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que d’après Damascène, la parole de
l’Apôtre s’entend de la volonté qui précède et non de celle qui suit. Mais
d’après Saint-Augustin [Enchir. ch.
C111, col. 280], elle s’entend de la volonté qui suit. Et c’est pourquoi il
l’explique de deux manières. Premièrement de manière à être une distribution
appliquée à tous ceux qui sont sauvés, comme on le dit dans la Lettre.
Deuxièmement de manière à être une distribution pour des genres d’individus,
et non pour des individus de certains genres, parce qu’il a prédestiné à la
vie certains des hommes de toute condition. |
[3264] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas antecedens
potest dici conditionata, nec tamen est imperfectio ex parte voluntatis
divinae, sed ex parte voliti, quod non accipitur cum omnibus circumstantiis
quae exiguntur ad rectum ordinem in salutem. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la volonté
qui précède peut être appelée conditionnée sans être cependant une
imperfection du côté de la volonté divine mais plutôt du côté de ce qui est
voulu, lequel n’est pas compris avec toutes les circonstances qui sont
exigées pour un ordre qui convient au salut. |
[3265] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habens caritatem, optat
omnibus salutem aeternam absolute, eo quod cognitioni suae non subjacent
conditiones quibus a salute aliquis deordinatur, quae divinae cognitioni subjacent;
et ideo non est idem judicium de voluntate habentis caritatem, et de
voluntate consequente ipsius Dei. |
3. Il faut dire en troisième lieu que celui
qui possède la charité choisit absolument pour tous le salut éternel du fait
que les conditions par lesquelles quelqu’un s’écarte du salut ne sont pas
exposées à sa connaissance tandis qu’elles le sont à la connaissance
divine ; et c’est pourquoi il ne faut pas juger de la volonté de celui
qui possède la charité de la même manière qu’on juge de la volonté
conséquente de Dieu. |
[3266] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sapiens artifex non
vult quod opus suum finem attingat nisi secundum rationem finis: si enim
aliquam habeat contrariam dispositionem ad formam quam inducere intendit, non
inducit in eo formam, nisi forte illa indispositione remota; sicut
aedificator non vult quod lapides conveniant ad constitutionem domus ruditate
in eis manente; et ita etiam est de Deo. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
l’artiste qui est sage ne veut que son œuvre atteigne sa fin que selon la
raison de fin : si en effet elle contient une disposition contraire à la
forme qu’il cherche à amener, il n’amène en elle la forme que si cette
indisposition est enlevée, tout comme le constructeur ne veut pas que les
pierres entrent dans la constitution de la maison à cause de la grossièreté
qui demeure en elles ; et il en est encore de même pour Dieu à notre
égard. |
[3267] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod istae conditiones
quibus homo efficitur deordinatus a consecutione finis, sub quibus existentem
Deus eum salvum esse non vult, sunt ex ipso homine: et ideo totum quod
sequitur, sibi imputatur ad culpam. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que ces
conditions par lesquelles l’homme est rendu déréglé par rapport à l’atteinte
de la fin, et au sujet duquel Dieu ne veut pas qu’il soit sauvé tant qu’il
existe dans ces conditions, ces conditions viennent de l’homme
lui-même : et c’est pourquoi tout ce qui s’ensuit lui est imputé pour le
châtiment. |
|
|
Articulus 2 [3268] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 tit. Utrum sit bonum fieri mala |
Article
2 : Est-il bon que des choses mauvaises soient faites?
|
[3269] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad
secundum sic proceditur. Videtur quod mala fieri sit bonum. Verum enim et
bonum convertuntur. Sed mala fieri est verum. Ergo est bonum. |
Difficultés : 1. Il semble qu’il
soit bon qu’il y ait des maux. Le vrai et le bien se convertissent en effet.
Mais il est vrai que des maux se produisent. Cela est donc bon. |
[3270] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid est volitum, est bonum:
quia malum est praeter voluntatem, ut dicit Dionysius, IV cap. De div. Nom.,§ 32. Sed mala fieri est
volitum a faciente malum voluntarie. Ergo mala fieri est bonum. |
2. Par ailleurs, tout ce qui est voulu est
bon : car le mal est contraire à la volonté comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 32].
Mais celui qui fait le mal volontairement veut que le mal se produise. Il est
donc bon que des maux se produisent. |
[3271] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod est causa boni, videtur
esse bonum, et non malum; sicut frigidum non est causa calidi. Sed hoc quod
est mala fieri, est causa boni; sicut ex actione mala causatur bona passio,
et multa hujusmodi, quae ex hoc quod mala fiunt, eliciuntur. Ergo mala fieri
est bonum. |
3. En outre, ce qui est cause du bien semble
être un bien et non un mal, tout comme le froid n’est pas la cause du chaud.
Mais la production même des maux est la cause du bien, tout comme à partir
d’une action mauvaise se trouve à être causée une bonne passion et de
nombreuses choses de ce genre qui découlent de l’apparition de maux. Il est
donc bon que des maux se produisent. |
[3272] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne justum est bonum. Sed mala
fieri est justum. Ergo, et cetera. Probatio
mediae. Omnis poena a Deo est et justa est. Sed unum peccatum est poena
alterius, ut Gregorius dicit, lib. XXV Moral.,
cap. IX, col. 23, et probatur ex hoc quod habetur ad Rom. 1, 24: Propter quod tradidit illos Deus in
desideria cordis eorum, in immunditiam; et in Apoc. ult. 2: Qui in sordibus est sordescat adhuc.
Ergo mala fieri est justum: ergo est bonum. |
4. De plus, tout ce qui est juste est bon.
Mais il est juste que des maux arrivent. Donc, etc. Preuve de la mineure. Tout châtiment vient de Dieu et est juste.
Mais un seul péché est la punition d’un autre comme le dit Saint-Grégoire
[XXV Moral. ch. 1X, col. 23] et
comme cela est prouvé à partir des paroles de l’Apôtre [1 Romains 1, 24] : C’est pourquoi Dieu les a livrés, selon
les convoitises de leur cœur, à l’impureté , et de celles de
Saint-Jean [Apoc. 22, 11] : Celui qui est dans les souillures, il se
souille encore. Il est donc juste que le mal arrive et cela est donc bon. |
[3273] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, quaedam mala sunt, sicut actus
peccati, quorum esse est in fieri. Si igitur eorum fieri est bonum, et ipsa
sunt bona [esse est bonum Éd. de Parme];
quod a nulla opinione conceditur. |
Cependant : 1.
Au contraire, il y a des maux, comme les actes de péché, dont l’existence est
en devenir. Si donc leur devenir est bon, eux-mêmes aussi sont bons [l’être
est un bien Éd. de Parme] ;
mais aucune opinion ne concède cela. |
[3274] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 s. c. 2
Praeterea, motus, secundum Philosophum, in V Physic., text. 5, recipit speciem a termino. Sed quodlibet fieri
terminatur ad esse hoc ejus quod fit. Ergo cum malum non sit bonum, videtur
quod nec malum fieri, bonum sit. |
2. Par
ailleurs le mouvement d’après le Philosophe [V Physique, texte 5] reçoit son espèce de son terme. Mais tout
devenir se termine à l’existence de cela même qui devient. Donc, puisque le
mal n’est pas un bien, il semble que le devenir du mal ne soit pas non plus
un bien. |
[3275] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 co. Respondeo
dicendum, quod super hoc sumuntur duae opiniones in Littera, quae in quodam concordant, in hoc scilicet quod est,
mala non esse bona; in quodam vero discordant, eo quod una ponit mala fieri
vel esse, bonum esse; alia vero hoc negat: et haec videtur verior, sicut et
Magister dicit. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire
qu’à ce sujet on tire deux opinions de la Lettre,
lesquelles s’accordent sur un point, à savoir en ceci que les maux ne sont
pas des biens, mais diffèrent en cela que l’une affirme qu’il est bon que des
maux arrivent ou existent alors que l’autre le nie: et cette dernière opinion
semble plus juste, tout comme le Maître le dit aussi. |
Omnibus enim
constat quod malum, per se loquendo, bonum non est; sed per accidens potest
esse bonum, inquantum scilicet conjungitur in universo alicui bono, ad quod
per accidens ordinem habet; sicut aedificator dicitur albus per accidens,
inquantum scilicet ars aedificativa et albedo in eodem subjecto conveniunt:
et quia esse vel fieri ponit quemdam ordinem, secundum quod includit
compositionem quamdam; ideo prima opinio dicebat, quod esse mala vel fieri
bonum est. |
Il est clair en effet pour tous que le mal,
à parler essentiellement, n’est pas un bien ; mais il peut être un bien
par accident, c’est-à-dire en tant qu’il est uni à quelque chose dans un tout
qui est bon auquel il est ordonné par accident, tout comme on dit du
constructeur qu’il est blanc par accident, c’est-à-dire selon que l’art de la
construction et la blancheur se rencontrent dans un même sujet : et
parce que l’être ou le devenir pose un certain ordre, selon qu’il contient
une certaine composition, c’est pourquoi la première opinion disait que
l’existence ou le devenir du mal est un bien. |
Sed hoc non
sufficit: [quia sicut malum
per se non est bonum, ita etiam ordo mali non est bonum secundum se, cum
magis malum, inquantum hujusmodi, sit inordinatum; et ipsa inordinatio est
ordo ejus, sicut ipsum privari est esse ejus, et ipsa negatio est ejus
positio, sicut est in ceteris privationibus. Et ideo mala fieri vel esse,
malum est, et non bonum:] quia cum dicitur
mala esse absolute, nullo addito, ly esse designat compositionem hujus privationis
ad subjectum, in qua compositione non consistit ratio bonitatis; sicut etiam
cum dicimus albedinem esse abstractum, significamus ordinem ejus ad
subjectum, quia accidentis esse est inesse. Sed comparatio mali ad bonum quod
ex Deo elicitur, significat ly esse positum in hoc dicto, mala esse
occasiones bonorum. Et ideo hoc bonum est, mala esse occasiones bonorum; sed
mala esse simpliciter, non est bonum. |
Mais cela ne suffit pas : [car tout comme le mal pris en lui-même non pas un
bien, de même aussi l’ordre du mal, pris en lui-même, n’est pas un bien
puisque le mal, en tant que tel, est plutôt un désordre ; et c’est ce
désordre même qui est son ordre, tout comme c’est la privation même qui est
son être et que son affirmation est la négation même, comme c’est le cas
aussi pour les autres privations. Et c’est pourquoi c’est un mal et non un
bien que les maux se produisent ou existent :] Car lorsqu’on dit purement et simplement que les
maux existent, sans ajouter aucune explication, ce ¨existent¨ désigne la
composition de cette privation avec le sujet dans laquelle composition ne
consiste pas la notion de bonté, tout comme aussi lorsque nous disons
abstraitement que la blancheur existe, nous signifions son rapport à un
sujet, car l’être même d’un accident consiste à exister dans un sujet. Mais
pour ce qui est du rapport du mal au bien qui est choisi de Dieu, ce
¨exister¨ qui est placé dans cet énoncé signifie que les maux sont des
occasions des biens. Et c’est pourquoi cela est bien, à savoir que les maux soient
des occasions du bien ; mais il n’est pas bien que les maux existent
absolument ou purement et simplement. |
[3276] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. XIX, quaest., V,
art. 2, veritas est de his quorum ratio completur per operationem animae et
fundamentum habent in re. Non est autem inconveniens quod de re mala sit
operatio animae bona, et quod rei malae ratio sit in anima bona; sicut etiam
non ens in re dicitur ens in anima ratiocinante, ut negationes et
privationes, sicut patet ex 4 Metaphys.,
secundum Commentatorem. Unde si procedatur a bonitate veritatis secundum quod
completur in operatione animae, ad bonitatem ejus quod est in re, erit
fallacia accidentis: hoc enim quod est mala esse, accidit huic quod est in
re, in quo consistit ratio veri, ut scilicet significetur vel intelligatur
aliquid sicut est in re. Unde nihil prohibet dicere, quod mala esse est
verum; sed haec veritas, qua vere dicitur vel significatur mala esse, est
bonum, quamvis mala esse sit malum. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que, tout comme nous l’avons dit plus haut
[dist. XIX, quest. V, art. 2], la vérité porte sur ce dont la notion est
achevée par l’opération de l’âme et qui a un fondement dans la réalité. Mais
il n’y a pas de difficulté à l’opération de l’âme soit bonne par rapport à
une chose mauvaise et que d’une chose mauvaise la notion soit bonne dans
l’âme, tout comme aussi un non-être dans la chose est appelé être dans l’âme
qui raisonne, comme les négations et les privations, tout comme on l’observe
chez les Commentateur [IV Métaphysique]. C’est pourquoi, si on procède de la
bonté de la vérité selon qu’elle est achevée dans l’opération de l’âme à la
bonté de ce qui est dans la réalité, il y aura sophisme de l’accident :
cela même en effet que des maux existent arrive à ce qui existe dans la
réalité en quoi consiste la notion du vrai, c’est-à-dire de telle manière
qu’on signifie ou qu’on entend quelque chose comme existant dans la réalité.
D’où il suit que rien n’empêche de dire qu’il est vrai que des maux
existent ; mais cette vérité, à savoir celle par laquelle il est vrai de
dire ou de signifier que des maux existent, est bonne, bien qu’il soit mal
que des maux existent. |
[3277] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mala fieri non est
volitum per se, sed per accidens tantum, inquantum est bonum aestimatum
ratione alicujus boni annexi: quia nihil est pure malum, secundum Dionysium,
cap. IV De div. nom., § 32, etc.,
col. 734. Ideo omnis malus quodammodo est ignorans, secundum Philosophum, III
Ethic., cap. III, inquantum
decipitur in eligendo. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que le
devenir du mal n’est pas voulu par soi mais seulement par accident, dans la
mesure où quelque chose est jugé bon en raison d’un bien qui y est
rattaché : car rien n’est absolument mal selon Denys [Les Noms Divins, ch. IV, &32,
etc., col. 734]. C’est pourquoi tout méchant en un sens est un ignorant
d’après le Philosophe [111 Éthique,
ch. 111], en tant qu’il se trompe en choisissant. |
[3278] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod mala fieri non est
causa boni, nisi occasionaliter et per accidens. Est enim quaedam causa per accidens quae nihil operatur ad effectum,
sicut musica aedificatoris ad domum. Est etiam quaedam causa per accidens,
cujus operatio attingit usque ad effectum, quem tamen praeter intentionem
inducit : et talis causa per accidens est casus vel fortuna; sicut
fodiens sepulcrum ad sepeliendum, invenit thesaurum praeter intentionem.
Quaedam vero causa per accidens est quae aliquid operatur, non tamen
pertingit ejus operatio usque ad effectum, sed ad aliquid effectui [sed
…effectui om. Éd. de Parme] conjunctum;
et sic mala fieri est per accidens causa boni; sicut patet quod persecutio
tyranni non attingit [tangit Éd. de
Parme] patientiam martyris, sed cruciatum corporis qui est materia
patientiae; et talis causa dicitur proprie occasio. Unde non sequitur quod
mala fieri sit bonum; quia unum contrariorum potest esse per accidens causa
alterius, sicut frigidum per accidens calefacit, ut in VIII, Physic., text.
32, dicitur. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le
devenir du mal n’est la cause du bien que d’une manière occasionnelle et
accidentelle. Il y a en effet une cause par accident qui n’a aucune
efficacité à l’égard de l’effet, comme la musique du constructeur à l’égard
de la maison. Mais il y a aussi une cause par accident dont l’opération
parvient jusqu’à l’effet qu’il produit cependant hors de l’intention :
et une telle cause par accident est le hasard ou la fortune, tout comme celui
qui creuse une fosse pour inhumer trouve un trésor inattendu. Mais il y a une
cause par accident qui opère quelque chose sans que son opération cependant
parvienne jusqu’à l’effet mais à quelque chose qui est rattaché à l’effet
[mais…à l’effet om. Éd. de Parme] ;
et c’est ainsi que le devenir du mal est la cause du bien par accident, tout
comme on voit que la persécution du tyran n’atteint [ne touche Éd. de Parme] par la résistance du
martyr mais le supplice du corps qui est la matière de la résistance ;
et c’est une telle cause qu’on appelle proprement occasion. D’où il ne
s’ensuit pas que le devenir du mal soit un bien car un des contraires peut
accidentellement être la cause d’un autre, tout comme le froid qui réchauffe
par accident, comme le dit le Philosophe [ VIII Physique, texte 32]. |
[3279] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum per se non est
poena, sed per accidens tantum, scilicet ratione antecedentis et consequentis
eam. Si enim consideretur actio peccati secundum quod egreditur ab agente
voluntario, sic habet rationem culpae et injustitiae; sed antecedens hanc
actionem, scilicet desertio a Deo propter meritum praecedentis culpae,
inquantum est ex ordinatione divina, rationem poenae habet, et justa est.
Unde non sequitur quod mala fieri sit bonum. Similiter etiam defectus qui
consequitur ipsum actum peccati in eo quod dum inordinate persequitur parvum
bonum, deficit a magno bono, poena est ex justa Dei ordinatione proveniens;
ut cum aliquis quaerit delectationem corporis, et amittit delectationem Dei;
et propter hoc dicit Augustinus, I Conf.,
cap. XII, col. 670, quod omnis inordinatus animus sibi ipsi est poena. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que le
péché n’est pas essentiellement le châtiment, mais seulement
accidentellement, c’est-à-dire en raison de ce qui le précède ou de ce qui le
suit. Si en effet on considère l’action du péché selon qu’elle sort d’un
agent volontaire, en ce sens elle a raison de châtiment et d’injustice ;
mais ce qui précède cette action, à savoir l’abandon de Dieu à cause de la
peine du châtiment qui précède, selon qu’il vient de l’ordonnance divine, a
raison de châtiment et est juste. D’où il ne s’ensuit pas qu’il soit bon que
des maux se produisent. De même encore le défaut qui suit l’acte même du
péché en ceci qu’alors même qu’on poursuit dans le dérèglement un petit bien,
on s’éloigne d’un grand bien, c’est là un châtiment qui provient d’une juste
ordonnance de Dieu, comme lorsque quelqu’un recherche les plaisirs sensibles
et se prive de la joie de la présence de Dieu ; et c’est pour cette
raison que Saint-Augustin [1 Les
Confessions, ch. XII, col. 670] dit que toute âme déréglée est à
elle-même un châtiment. |
|
|
Articulus 3 [3280] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 tit. Utrum malum sit de perfectione universi |
Article
3 : Le mal contribue-t-il à la perfection de l’univers ?
|
[3281] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad
tertium sic proceditur. Videtur quod malum sit de perfectione universi.
Dicit enim Dionysius, in IV cap. De
divin. Nom., § 19, col. 718 : « Erit malum ad omnis, idest
universi, perfectionem conferens, et toti secundum seipsum non imperfectum
esse largiens ». |
Difficultés : 1.
Il semble que le mal fasse partie de la perfection de l’univers. Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 19,
col. 718] dit en effet : «Le mal
concourt à la perfection de tout, c’est-à-dire de l’univers et selon qu’il
donne à chacun il n’est pas imparfait». |
[3282] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, bonum universi est bonum ordinis.
Sed in universo malum est ordinatum: unde dicitur in Littera, quod malum bene ordinatum et suo loco positum,
eminentius commendat bona. Ergo malum est de perfectione universi. |
2. Par ailleurs, le bien de l’univers est le
bien de l’ordre. Mais dans l’univers le mal est ordonné : d’où on dit
dans la Lettre que le mal, ramené à
l’ordre et mis à sa juste place, fait ressortir supérieurement les biens. Le
mal fait donc partie de la perfection de l’univers. |
[3283] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 3
Praeterea, illud sine quo multae perfectiones universo deessent, ad
perfectionem universi confert. Sed malum est hujusmodi: si enim corruptio
elementorum non esset, non esset forma mixti, neque anima in corpore mixto
sicut forma [sicut forma om. Éd. de
Parme] ; et si non esset
persecutio, non esset patientia martyrum; et si non esset miseria, non esset
misericordia. Ergo et cetera. |
3. En outre, ce sans quoi de nombreuses
perfections sont absentes de l’univers, cela même contribue à la perfection
de l’univers. Mais le mal est quelque chose de la sorte : si en effet il
n’y avait pas la corruption des éléments, il n’y aurait pas la forme du
composé, ni l’âme dans le corps composé en tant que forme [en tant que forme om. Éd. de Parme] ; et s’il n’y
avait pas de persécutions, il n’y aurait pas la patience des martyrs ;
et s’il n’y avait pas la misère ou le malheur, il n’y aurait pas la
miséricorde. Donc, etc. |
[3284] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omnis ratio bonitatis confert ad
universi perfectionem. Sed si malum non esset, aliqua ratio bonitatis
universo deesset, scilicet bonitas comparationis, qua bonum commendatur per
comparationem ad malum. Ergo malum est de perfectione universi. |
4. De plus, toute cause de bonté contribue à
la perfection de l’univers. Mais si le mal n’existait pas, une cause de bonté
serait absente de l’univers, à savoir la bonté de comparaison par laquelle le
bien resssort par comparaison au mal. Donc le mal fait partie de la
perfection de l’univers. |
[3285] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 5 Sed contra, quidquid est de perfectione
universi, est vel existens, sicut substantia, vel in existentibus, sicut
accidentia. Sed malum non est hujusmodi, ut Dionysius, ubi supra, probat.
Ergo non est de perfectione universi. |
Cependant : 5.
Tout ce qui fait partie de la perfection de l’univers est soit un être, comme
la substance, soit ce qui existe dans un être, comme les accidents. Mais le
mal n’est rien de ce genre, comme Denys le prouve plus haut. Le mal ne fait
donc pas partie de la perfection de l’univers. |
[3286] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, illud sine quo universum melius
esset, non confert ad perfectionem universi. Sed si malum non esset,
universum melius esset: quia malum plus tollit uni quam addat alteri, quia ei
cujus est, tollit bonitatem absolutam, alteri autem addit bonitatem
comparationis. Ergo etc. |
6. Par ailleurs, ce sans quoi l’univers
serait meilleur ne contribue pas à la perfection de l’univers. Mais si le mal
n’existait pas, l’univers serait meilleur : car le mal enlève plus d’un
côté que ce qu’il ajoute de l’autre
car à celui auquel il s’attache, il enlève d’un côté une bonté absolue alors
qu’il ajoute de l’autre une bonté de comparaison. Donc, le mal ne contribue
pas à la perfection de l’univers. |
[3287] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod malum per se ad universi perfectionem non confert:
illud enim per se confert ad perfectionem alicujus totius quod est pars
constituens ipsum, vel causa per se alicujus perfectionis in ipso. Sed malum
non est pars universi, quia neque habet naturam substantiae neque accidentis,
sed privationis tantum, ut Dionysius dicit; nec iterum per se aliquod bonum
causat. Sed
per accidens confert ad universi perfectionem, inquantum conjungitur alicui
quod est de perfectione universi. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il
faut dire que le mal ne contribue pas essentiellement à la perfection de
l’univers : en effet, ce qui contribue essentiellement à la perfection
d’un tout est une partie qui le constitue ou une cause essentielle d’une
perfection en lui. Mais le mal n’est pas une partie de l’univers car il ne
possède pas la nature d’une substance ou d’un accident, mais seulement celle
d’une privation comme le dit Denys ; et en outre il n’est pas la cause
essentielle d’un bien. Mais c’est par accident qu’il contribue à la
perfection de l’univers selon qu’il est rattaché à quelque chose qui fait
partie de la perfection de l’univers. |
Hoc autem potest
esse vel per antecedens malum, vel consequens. Antecedens, sicut natura quae
quandoque deficit, et quandoque non, ut liberum arbitrium hominis; et sine
tali natura, ex cujus defectu incidit malum, non esset universum perfectum in
omnibus gradibus bonitatis. Consequens autem est illud bonum quod
occasionatur ex malo, quod est decor resultans in bonum ex comparatione mali,
vel aliqua perfectio, ad quam materialiter malum se habet, sicut persecutio
ad patientiam, vel aliis infinitis modis: quia causae per accidens infinitae
sunt, secundum Philosophum, in II Physic.,
text. 1. |
Mais cela est possible soit par ce qui
précède le mal, soit par ce qui le suit. Par ce qui précède, comme une nature
qui parfois fait défaut et parfois non, comme le libre arbitre de
l’homme ; et sans une telle nature, par le défaut de laquelle le mal
arrive, l’univers ne serait pas parfait dans tous les degrés de bonté. Mais
ce qui suit le mal est ce bien qui est occasionné à partir du mal, qui est
une convenance qui rejaillit sur le bien à partir de sa comparaison au mal,
ou une certaine perfection à l’égard de laquelle le mal se présente
matériellement, comme la persécution par rapport à la patience du martyr, ou
d’une infinité d’autre manières, car les causes par accident sont infinies
selon le Philosophe [11 Physique,
texte 1]. |
[3288] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius concludit
hoc ducendo ad impossibile: et ideo relinquit hoc quasi pro inconvenienti,
quod malum per se sit de perfectione universi. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que Denys présente cela comme une
conclusion qui résulte d’un argument qui conduit à l’impossible : et
c’est pourquoi il abandonne cet énoncé comme une difficulté qui découle du
principe que le mal ferait essentiellement partie de la perfection de
l’univers. |
[3289] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud bonum ordinis,
quo malum ordinatum est, non est in eo in quo est malum, sed in altero; sicut
saevitia tyranni ordinatur per patientiam, quae est in martyre; vel in eodem
jam altero, sicut humilitas [habitualis Éd.
de Parme], quae resultat ex praecedente peccato in eo qui per
poenitentiam jam alter effectus est: quia justus ordinat peccatum praecedens
in eodem. Unde malum non confert ad
perfectionem universi, nisi per accidens. |
2. Il
faut dire en deuxième lieu que ce bien de l’ordre par lequel le mal est
ordonné ne se trouve pas dans celui dans lequel est le mal, mais dans un
autre, tout comme la méchanceté qui est dans le tyran est ordonnée par la
patience qui est dans le martyr, ou
dans le même qui est déjà devenu autre, tout comme l’humilité [habituelle Éd. de Parme] qui résulte du péché qui
précède chez celui qui par la pénitence ou la réparation est déjà rendu
autre: car le juste ordonne, dans la même personne, le péché qui précède à ce
qui est juste. |
[3290] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod illas perfectiones non per se adducit malum, sed
consequuntur illud per accidens; et ideo ratio non procedit. |
3. Il
faut dire en troisième lieu que le mal n’apporte pas de lui-même ces
perfections, mais elles le suivent par accident; et c’est pourquoi l’argument
ne tient pas. |
[3291] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 4 Et similiter dicendum ad quartum. Sciendum tamen,
quod etsi nullum malum esset, adhuc posset esse bonitas comparationis magis
boni ad minus bonum: quamvis enim minus bonum careat aliqua perfectione quae
est in magis bono, non tamen oportet quod sit malum: quia malum consistit in
privatione ejus quod est debitum et natum haberi, sicut est caecitas. |
4. Et il faut dire de même en quatrième
lieu. Il faut cependant savoir que même s’il n’y avait aucun mal, il pourrait
encore y avoir une bonté de comparaison d’un plus grand bien à un moins grand
bien : en effet, bien que le moins grand bien manque d’une perfection
qui est dans le plus grand bien, il ne s’ensuit pas cependant qu’il soit un
mal : car le mal consiste dans la privation de ce qui est attendu et qui
est naturellement apte à être possédé, comme c’est le cas pour la cécité par
rapport à la vue. |
[3292] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod intentio Dionysii, est
dicere, quod malum non sit aliquid positive, neque ut per se subsistens,
neque ut in alio ens; et ex hoc potest ostendi quod non pertineat per se ad
perfectionem universi; sed per accidens pertinere, nihil prohibet. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que
l’intention de Denys est de dire que le mal n’est pas quelque chose qui
existe positivement, ni en tant que subsistant par lui-même, ni en tant
qu’existant dans un autre ; et c’est à partir de là qu’on peut montrer
que le mal n’appartient pas essentiellement à la perfection de l’univers,
mais rien n’empêche qu’il lui appartienne accidentellement. |
[3293] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod de omnibus malis
universaliter verum est quod si non permitterentur esse, universum
imperfectius esset; quia non essent naturae illae ex quorum conditione est ut
deficere possint; quibus subtractis universum imperfectius esset, non
impletis omnibus gradibus bonitatis. Sed aliqua mala
sunt quae si non essent, universum esset imperfectius; illa scilicet ad quae
consequitur major perfectio quam illud quod privatur; sicut est corruptio
elementorum, ad quam sequitur mixtio, et formae mixtorum nobiliores formis
elementorum. Quaedam vero mala
sunt quae si non essent, universum perfectius esset; illa scilicet quibus
majores perfectiones privantur quam in alio acquirantur, sicut praecipue est
in malis culpae, quae ab uno privant gratiam et gloriam, et alteri conferunt
bonum comparationis, vel aliquam rationem perfectionis, qua etiam non habita,
posset perfectio ultima haberi; sicut sine patientiae actu in persecutionibus
illatis potest aliquis ad vitam aeternam pervenire. Unde si nullus homo
peccasset, universum genus humanum melius foret; quia etiam etsi directe
salus unius occasionetur ex culpa alterius, tamen sine illa culpa salutem
consequi posset; nec tamen haec mala neque illa per se ad perfectionem
faciunt universi: quia perfectionum non sunt causae, sed occasiones. |
6. Il faut dire en sixième lieu qu’il est
universellement vrai pour tous les maux que s’il n’était pas permis qu’ils
existent, l’univers serait plus imparfait car n’existeraient pas ces natures
dont la condition est qu’elles puissent faire défaut ; une fois
enlevées, l’univers serait plus imparfait puisque tous les degrés de bonté ne
seraient pas comblés. Mais
il y a des maux qui, s’ils n’existaient pas, l’univers serait plus imparfait,
à savoir ceux-là même d’où découle une plus grande perfection que ce qui en
était privé, comme c’est le cas pour la corruption des éléments d’où découle
la composition et les formes des corps mixtes, lesquelles sont plus nobles
que les formes des éléments. Mais
il existe des maux qui, s’ils n’existaient pas, l’univers serait plus
parfait, à savoir ceux qui privent de plus grandes perfections que celles qui
sont acquises d’un autre côté, comme c’est le cas surtout dans les maux du
châtiment qui d’un côté privent de la grâce et de la gloire et de l’autre
confèrent le bien de comparaison ou quelque cause de perfection qui, même si
elle n’était pas possédée, la perfection ultime pourrait l’être, tout comme
quelqu’un pourrait parvenir à la vie éternelle sans l’acte de la patience
dans les persécutions endurées. D’où
il suit que si aucun homme n’avait péché la totalité du genre humain s’en
porterait mieux ; car même si le salut de l’un était directement
occasionné à partir de la faute d’un autre, il pourrait cependant parvenir au
salut sans cette faute ; et cependant ni ces maux-ci ni ces maux-là ne
contribuent essentiellement à la perfection de l’univers car ils ne sont pas
des causes des perfections mais seulement des occasions. |
|
|
Articulus 4 [3294] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 tit. Utrum Deus velit mala fieri |
Article
4 : Dieu veut-il que de mauvaises choses soient faites ?
|
[3295] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad
quartum sic proceditur. Videtur quod Deus velit mala fieri. Quia, secundum
Senecam, Ad Lucillum, epist. LXXI, sapientis
non est turbari, sed magis gaudere in infortuniis, in quibus bonum virtutis
suae praecipue apparet; quod etiam Philosophus, in Ethic., cap. XCVI, de felice innuit. Sed Deus est sapientissimus
et felicissimus. Cum ergo decor justitiae et sapientiae suae appareat in
malis quae fiunt, videtur quod Deus velit mala fieri. |
Difficultés : 1. Il semble que
Dieu veuille que les maux se produisent. Car d’après Sénèque [À Lucillus, Lettre LXXI] il
n’appartient pas au sage de s’attrister, mais de se réjouir dans l’infortune
dans laquelle surtout apparaît le bien de sa vertu ; et c’est ce
qu’indique aussi le Philosophe [1 Éthique,
ch. XC VI] au sujet de l’homme heureux. Mais Dieu est l’être le plus sage et
le plus heureux. Donc, puisque la beauté de sa justice et de sa sagesse
apparaît dans les maux qui se produisent, il semble que Dieu veuille que les
maux arrivent. |
[3296] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, mala fieri et non fieri sunt
opposita secundum affirmationem et negationem. Sed inter talia opposita non
cadit medium. Cum igitur haec sit falsa, Deus vult mala non fieri, ut
communiter conceditur, videtur quod haec sit vera, Deus vult mala fieri. |
2. Par ailleurs, que des maux se produisent
et que des maux ne se produisent pas, ce sont là deux énoncés selon
l’affirmation et la négation. Mais entre de tels opposés il ne peut tomber
aucun intermédiaire. Donc puisque cet énoncé est faux, à savoir que Dieu veut
que des maux ne se produisent pas, ainsi qu’on le concède en général, il
semble que cet énoncé soit vrai, à savoir que Dieu veut que des maux se
produisent. |
[3297] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, nullius sapientis voluntas est
impossibilium. Sed impossibile est quin remoto hoc quod est mala non fieri,
sequatur mala fieri. Cum igitur a voluntate Dei removeatur hoc quod est mala
non fieri, quia Deus non vult mala non fieri, videtur quod necessario velit
mala fieri. |
3. En outre, la volonté d’aucun sage ne se
porte vers ce qui est impossible. Mais il est impossible, si on exclut que
des maux ne se produisent pas, qu’il ne s’ensuive pas que des maux se
produisent. Donc, puisqu’on exclut de la volonté de Dieu que des maux ne se
produisent pas, car Dieu ne veut pas que des maux ne se produisent pas, il
semble qu’Il veuille nécessairement que des maux se produisent. |
[3298] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, sicut Deus est auctor gratiae, ita
est et auctor naturae; et sicut culpa est privatio boni gratiae, ita et poena
est privatio boni naturae, secundum Augustinum. Cum igitur Deus velit poenas
Inferni, videtur quod eadem ratione velit mala culpae fieri. |
4. De plus, tout comme Dieu est l’auteur de
la grâce, de même il est aussi l’auteur de la nature ; et tout comme la
faute est la privation du bien de la grâce, de même aussi la peine est la
privation du bien de la nature selon Saint-Augustin. Donc, puisque Dieu a
voulu les peines de l’Enfer, il semble pour la même raison qu’il a voulu que
les maux de la faute se produisent. |
[3299] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, voluntas non nisi finis est, et
eorum quae ordinantur in finem. Sed mala non fiunt nisi per deordinationem a
fine. Ergo Deus non vult mala fieri. |
Cependant : 1. La volonté ne se rapporte qu’à la fin et
à ce qui est ordonné à la fin. Mais les maux ne se produisent que par un
désordre à l’égard de la fin. Donc Dieu ne veut pas que les maux se
produisent. |
[3300] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quicumque conformat voluntatem suam
voluntati Dei, non peccat. Sed quilibet peccator eo ipso peccat quod vult a
se mala fieri. Ergo in hoc voluntatem suam divinae non conformat: ergo Deus
non vult mala fieri. |
2. Par ailleurs, aucun de ceux qui
conforment leur volonté à la volonté de Dieu ne commet le péché. Mais tout
pécheur commet le péché par cela même qu’il veut faire le mal. C’est donc en
cela qu’il ne conforme pas sa volonté à la volonté divine : donc, Dieu
ne veut pas que le mal se produise. |
[3301] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 co.
Respondeo dicendum, quod cum voluntas Dei sit causa bonorum omnium, et omnium
suorum volitorum; hoc modo se habet aliquid ad hoc quod sit volitum a Deo,
sicut se habet ad hoc quod sit bonum. Unde cum malum fieri secundum se non sit
bonum, ut dictum est, art. antec., non erit per se volitum a Deo. Sed
utrumque bonum sibi conjunctum est bonum et a Deo volitum, scilicet et
antecedens, quod est conditio naturae potentis deficere, quam Deus in tali
conditione instituit et conservat; unde dicitur, quod non vult mala fieri,
sed vult permittere mala fieri. Vult etiam bonum consequens, ex quo malum
ordinatur: ex quo sequitur quod velit mala facta ordinare, non autem quod velit
ea fieri. |
Corps de l’article : Je
réponds qu’il faut dire que puisque la volonté de Dieu est la cause de tous
les biens et de tout ce qu’il veut, toute chose se rapporte à ce qui est
voulu de Dieu de la même manière qu’elle se rapporte à ce qui est bien. D’où
il suit que puisque la production du mal en lui-même n’est pas un bien comme
nous l’avons dit dans l’article précédent, elle ne sera pas voulue par Dieu.
Mais chacun des biens qui lui est uni est un bien et est voulu de Dieu, à
savoir celui qui précède, qui est la condition de la nature pouvant défaillir
que Dieu a établie et qu’il conserve dans cette condition : et c’est à
partir de là qu’on dit que Dieu ne veut pas que le mal arrive mais veut
permettre qu’il arrive. Il veut aussi le bien qui suit et à partir duquel le
mal est ordonné : d’où il suit qu’il veut ordonner le mal qui a été fait
mais qu’Il ne veut pas qu’il arrive. |
[3302] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod decor divinae
sapientiae apparet in permissione malorum, et ordinatione, quorum utrumque
vult Deus, sed non malum fieri, quod secundum se dicit recessum a decore
speciei exemplaris primi. |
Solutions : 1.
Il faut donc dire en premier lieu que la beauté de la sagesse divine apparaît
en ceci que Dieu permet les maux et qu’Il les ordonne et Dieu veut ces deux
derniers actes mais non que le mal, qui implique en lui-même un éloignement de la beauté de l’espèce exemplaire
première, arrive. |
[3303] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis fieri et non
fieri mala, sint opposita per affirmationem et per negationem; non tamen haec
duo, velle fieri et velle non fieri, contradictorie opponuntur: quia utrumque
est affirmativum, actu voluntatis in utroque affirmato. Unde neutra concedenda
est, neque ipsum velle mala fieri, neque velle non fieri; sed non velle
fieri, quod est negativum; non autem velle fieri; quia hic remanet actus
voluntatis affirmatus; et negatio fertur ad volitum, sicut et in toto
condeclinio ejus. Unde idem est nolle fieri, et velle non fieri. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
que les maux arrivent et que les maux n’arrivent pas sont des opposés par
l’affirmation et la négation, cependant les deux énonciations suivantes, à
savoir vouloir que les maux arrivent et vouloir que les maux n’arrivent pas,
ce sont pas des énonciations qui s’opposent par la contradiction car chacune
d’elles est affirmative par un acte de la volonté qui est affirmatif dans les
deux cas. D’où il suit qu’aucune des deux ne doit être concédée, à savoir ni
qu’Il veuille que le mal arrive, ni qu’Il veuille qu’il n’arrive pas, mais
plutôt qu’il ne veuille pas qu’il arrive, lequel énoncé est négatif ;
non pas cependant qu’Il veuille qu’il arrive car ici l’acte de la volonté
demeure affirmatif ; et la négation se porte sur ce qui est voulu, comme
dans toute sa déclinaison. D’où il suit que ne pas vouloir qu’il arrive et
vouloir qu’il n’arrive pas, c’est la même chose. |
[3304] Super Sent.,
lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod mala culpae non fieri
vult Deus voluntate antecedente, non autem voluntate consequente, nisi de
illis quos scit mala non velle facere: quia voluntas consequens recipit
conditionem creaturae. Nec tamen sequitur quod voluntate consequente velit
mala fieri, sed vult permittere mala fieri. Nec tamen impossibile vult: quia
non vult ut simul mala fiant et non fiant, vel quod neutrum eorum sit unum,
sicut objectio procedebat. Fieri enim mala, et mala non fieri, sunt
contradictorie opposita; et ideo inter ea non potest esse medium; sed velle
mala fieri, et velle non fieri, non sunt contradictoria; et ideo non est
necesse alterum esse verum. |
3. Il faut dire en troisième lieu que c’est
par une volonté antécédente ou qui précède que Dieu veut que les maux de la
faute ne se produisent pas, et non par une volonté qui suit ou conséquente,
sauf pour ceux dont il sait qu’ils ne veulent pas faire le mal : car la
volonté conséquente admet la condition de la créature. Il ne s’ensuit
cependant pas que par la volonté conséquente il veut que le mal arrive, mais
il veut permettre que le mal arrive. Et cependant il ne veut pas l’impossible
car il ne veut pas que le mal arrive et qu’il n’arrive pas simultanément ni
que les deux soient une seule et même chose comme l’objection le supposait.
En effet, le mal arrive et le mal n’arrive pas sont des énoncés qui
s’opposent par la contradiction et c’est pourquoi entre eux il ne peut y
avoir un intermédiaire ; mais vouloir que le mal arrive et vouloir qu’il
n’arrive pas ne sont pas des contradictoires ;
et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que l’une soit vraie. |
[3305] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sicut malum oppositum gratiae non est volitum a Deo;
ita nec malum oppositum naturae; sed tamen ordinem unius ad alterum vult. Hic
autem ordo importatur in ratione poenae: et ideo poenam vult inferri, sed
culpam non vult fieri: quia in culpa significatur malum, secundum quod exit a
causa deficiente, et non secundum quod ordinatur a Deo ordinante. |
4. Il
faut dire en quatrième lieu que tout comme le mal opposé à la grâce n’est pas
voulu de Dieu, de même le mal opposé à la nature n’est pas voulu de Dieu;
mais Il veut cependant l’ordre de l’un à l’autre. Mais cet ordre est impliqué
dans la notion de peine: et c’est pourquoi il veut que la peine soit portée,
mais il ne veut pas que la faute arrive car dans la faute ou le péché le mal
est signifié selon qu’il sort d’une cause déficiente et non selon qu’il
procède de l’ordre de Dieu. |
|
|
Distinctio
47 |
Distinction 47 – (3) La volonté de Dieu - Son efficacité |
|
|
Prooemium |
Prologue |
[3307]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 pr. |
|
Hic
quaeruntur quatuor: 1
utrum voluntas beneplaciti semper efficaciter impleatur; 2
utrum praeter voluntatem ejus aliquid fiat; 3
utrum illud quod fit praeter ejus voluntatem, voluntati ipsius obsequatur; 4
utrum illud quod est praeter ejus voluntatem, possit praecepto ejus
subjacere. |
On cherche ici à répondre à quatre
questions : 1. Est-ce que la volonté
de bon plaisir est toujours accomplie efficacement ? 2. Y a-t-il des choses qui
se produisent en dehors de sa volonté ? 3. Est-ce que ce qui se
produit en dehors de sa volonté s’accorde avec sa volonté ? 4. Est-ce que ce qui se
produit en dehors de sa volonté peut être soumis à son commandement ? |
|
|
Articulus
1 [3308]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 tit. Utrum voluntas divina semper
efficaciter impleatur |
Article 1 : La volonté divine s’accomplit-elle toujours efficacement ? |
[3309] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1
arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas divina non
semper efficaciter impleatur. Causa enim quae ad utrumlibet se habet, non est
efficax in productione effectus. Sed divina voluntas est ad utrumlibet: quia
quod potest velle, potest non velle. Ergo, etc. |
Difficultés : 1. Il semble que la
volonté divine se soit pas toujours accomplie efficacement. En effet, une
cause qui peut aller dans un sens comme dans l’autre n’est pas efficace dans
la production d’un effet. Mais la volonté divine peut aller dans un sens
comme dans l’autre car ce qu’elle peut vouloir, elle peut ne pas le vouloir.
Donc, etc. |
[3310]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis causae cujus
effectus impediri non potest, effectus est necessarius. Si ergo voluntas
divina adeo est efficax quod impediri non possit, effectus ejus erit
necessarius. Sed omnium causa est voluntas divina, ut supra habitum est,
dist. 45, quaest. unica, art. 3. Ergo omnia ex necessitate contingunt: quod
est impossibile: ergo et primum. |
2. Par ailleurs, pour toute cause dont
l’effet ne peut être empêché, l’effet est nécessaire. Si donc la volonté
divine est à ce point efficace qu’elle
ne peut être empêchée, son effet sera nécessaire. Mais la volonté
divine est la cause de tout ce qui existe, comme nous l’avons établi plus
haut [dist. 45, quest. unique, art. 3]. Donc, tous ses effets se produisent
nécessairement, ce qui est impossible. Donc, la volonté divine ne s’accomplit
pas toujours efficacement. |
[3311]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis causa prima quae
producit effectum mediante causa secunda quae impediri potest, non producit
efficaciter effectum suum; sicut motus solis est causa pullulationis arborum,
mediante virtute generativa arboris quae deficere potest: unde effectus efficaciter
non producitur, nec demonstrari potest ex causa prima. Sed voluntas Dei est
causa prima, non excludens causas secundas, quae deficere possunt. Ergo
videtur quod non efficaciter producat effectum. |
3. Par ailleurs, toute cause première qui
produit un effet par l’intermédiaire d’une cause seconde qui peut être
empêchée ne produit pas efficacement son effet, tout comme le mouvement du
soleil est la cause de la multiplication des arbres par l’intermédiaire de la
puissance générative de l’arbre qui peut être empêchée : d’où il suit
que l’effet n’est pas produit efficacement et ne peut être démontré à partir
de la cause première. Mais la volonté de Dieu est la cause première, laquelle
n’exclut pas les causes secondes qui peuvent défaillir. Il semble donc que la
volonté divine ne produise pas efficacement son effet. |
[3312] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, quidquid modo vult Deus, ab aeterno voluit. Sed ab aeterno
non voluit facere nisi quod facit. Ergo cum non possit facere nisi quod vult
(alias voluntas sua non esset efficax), videtur sequi quod non possit facere
nisi quod facit: quod falsum est: ergo et primum, ex quo sequitur. |
4. En outre, tout ce que Dieu
veut maintenant, il l’a voulu de toute éternité. Mais de toute éternité il n’a
voulu faire que ce qu’il fait. Donc, puisqu’il ne peut faire que ce qu’il
veut (autrement sa volonté ne serait pas efficace), il semble s’ensuivre
qu’il ne puisse faire que ce qu’il fait: ce qui est faux. Il s’ensuit donc de
là que la volonté divine ne s’accomplit pas toujours efficacement. |
[3313] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 s.
c. 1 Sed contra, nulla causa impeditur nisi ab aliquo fortiori agente. Sed
nihil est fortius divina voluntate. Ergo impediri non potest. |
Cependant : 1. Aucune cause n’est
empêchée, si ce n’est par un agent plus puissant. Mais rien n’est plus
puissant que la volonté divine. Elle ne peut donc être empêchée. |
[3314]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ex hoc quod voluntas
non consequitur volitum, sequitur diminutio gaudii. Sed Deus est
felicissimus, cujus gaudium est perfectissimum. Ergo nunquam volitum ejus
deficit quin sit. |
2. Par ailleurs, du fait que la volonté ne
parvient pas à ce qu’elle veut, il s’ensuit une diminution de la joie. Mais
Dieu est suprêmement heureux, dont la Joie est la plus parfaite. Il n’arrive
donc jamais que ce qu’il veut lui fasse défaut. |
[3315] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 co.
Respondeo dicendum, quod quidquid vult Deus voluntate consequente,
totum fit; non autem quidquid vult voluntate antecedente; quia hoc non
simpliciter vult et perfecte, sed secundum quid tantum; nec ista imperfectio
est ex parte voluntatis, sed ex conditione voliti. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que tout ce que Dieu par la volonté conséquente s’accomplit totalement, mais
non tout ce qu’il veut par la volonté antécédente car il ne veut pas
cela absolument et parfaitement, mais seulement relativement et cette
imperfection ne se tient pas du côté de sa volonté mais est due à la condition
de ce qui est voulu. |
Est
enim e contrario de voluntate et cognitione speculativa: cognitio enim
speculativa perficitur in abstractione a singularibus; sed voluntas, et
quidquid aliud est ordinatum ad opus, perficitur in particulari, circa quod
est operatio. Illud ergo est simpliciter et perfecte volitum quod subjacet
voluntati secundum omnes particulares conditiones circumstantes ipsum
particulare: et hoc pertinet ad voluntatem consequentem, quae respicit opera
et dispositiones, quibus aliquis sufficienter ordinatur ad hoc quod est sibi
conveniens et debitum: et hoc est quod dicitur Deus velle simpliciter, ut
salutem, vel aliquid hujusmodi: et ideo talis voluntas non potest impediri,
sicut nec praescientia, cui subjicitur res secundum illas conditiones quibus
in actu consistit. |
En effet, la volonté et la connaissance
spéculative procèdent d’une manière qui est opposée : la connaissance
spéculative trouve en effet son achèvement du fait qu’elle fait abstraction
des singuliers ; mais la volonté et toute autre faculté qui est ordonnée
à une œuvre trouve son achèvement dans le particulier sur lequel porte
l’opération. Donc, ce qui est absolument et parfaitement voulu, c’est ce qui
est soumis à la volonté selon toutes les conditions particulières qui entourent
le particulier lui-même : et cela appartient à la volonté conséquente
qui se rapporte aux œuvres et aux dispositions par lesquelles quelqu’un est
suffisamment ordonné à ce qui lui convient et qui lui est destiné : et
c’est là ce que Dieu veut absolument, comme le salut ou ce qui est de cette
nature : et c’est pourquoi une telle volonté ne peut être empêchée, tout
comme sa préscience à laquelle est soumise la chose selon ces conditions par
lesquelles elle se maintient en acte. |
Illud
autem quod est rectum et bonum secundum aliquam conditionem rei universalem
consideratam, non habet rationem voliti simpliciter, sed secundum quid
tantum; sicut istum hominem, inquantum est homo, non est nisi bonum salvari,
eo quod natura sua ad hoc est ordinata, et hoc Deus vult voluntate
antecedente, secundum quam non dicitur aliquid velle simpliciter: et ideo
talis voluntas potest non impleri. |
Mais ce qui est droit et bien selon une
condition considérée universellement dans la chose ne possède pas absolument
mais seulement relativement la notion d’objet voulu, tout comme cet homme, en
tant qu’il est homme, ne peut être que bon à être sauvé du fait que sa nature
est ordonnée à cela et que Dieu veut cela par une volonté antécédente selon
laquelle on ne dit pas de Lui qu’il veut quelque chose absolument : et
c’est pourquoi une telle volonté peut ne pas être accomplie. |
[3316]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
voluntas Dei se habet ad utrumlibet, non per modum mutabilitatis, ut possit
aliquid prius velle et postmodum nolle; sed potius per modum liberalitatis:
quia actus voluntatis suae semper est in potestate ejus: et ideo ista duo
sunt incompossibilia, ut prius velit aliquid et postmodum nolit. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la volonté de Dieu peut se porter dans un sens comme dans
l’autre non pas par mode de changement, de telle manière qu’il pourrait
d’abord vouloir quelque chose et par la suite ne plus le vouloir, mais plutôt
par mode de libéralité : car l’acte de sa volonté est toujours en son
pouvoir : et c’est pourquoi ces deux possibilités, à savoir vouloir
d’abord une chose et ensuite ne plus
la vouloir, Lui sont incompatibles. |
[3317]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis
voluntas Dei sit immutabilis et invincibilis, non tamen sequitur quod omnis
effectus ejus sit necessarius necessitate absoluta quam habet res a causa sua
proxima, sed solum necessitate conditionata, sicut et de praescientia dictum
est, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 2. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que bien
que la volonté de Dieu soit immuable et invincible, il ne s’ensuit pas
cependant que tout effet venant de lui soit nécessaire d’une nécessité
absolue que la chose tient de sa cause prochaine, mais seulement d’une
nécessité conditionnée, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. XXXVIII,
quest. 1, art. 2] au sujet de la préscience. |
[3318]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntati
divinae non solum subjacet expletio effectus, sed etiam omnium causarum
praecedentium ordo, secundum illas conditiones quibus determinantur ad
effectum sine defectu, ut quod talis volens et merens salutem salvetur:
voluntati enim consequenti subjicitur effectus cum omnibus causis suis, secundum
quod sunt non impeditae. |
3. Il faut dire en troisième lieu non
seulement l’accomplissement de l’effet est soumis à la volonté divine, mais
aussi l’ordre de toutes les causes qui précèdent selon ces conditions par
lesquelles elles sont déterminées à produire l’effet sans défaut, de telle
manière que celui qui veut et mérite le salut soit sauvé : c’est à la
volonté conséquente en effet qu’est soumis l’effet avec toutes ses causes,
d’où il suit qu’ils ne sont pas empêchés. |
[3319]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus nihil
potest facere quod non esset volitum ab eo, si fieret; tamen in potestate sua
multa sunt quae modo nec volita sunt, nec bona sunt; quia non sunt, nec
unquam erunt. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que Dieu
ne peut rien faire qui ne soit pas voulu de Lui, si cela venait à
arriver ; cependant il y a beaucoup de choses en son pouvoir qui ne sont
pas voulues maintenant et qui ne sont pas bonnes parce qu’elles ne sont pas
et qu’elles ne seront jamais. |
|
|
Articulus
2 [3320]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 tit. Utrum nihil fiat praeter Dei voluntatem |
Article 2 : Est-ce que rien ne se fait en dehors de la volonté de Dieu ? |
[3321] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2
arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nihil fiat praeter
Dei voluntatem. Dicit enim dominus Matth. XII, 30: Qui non est mecum, contra
me est. Ergo quod est praeter voluntatem Dei, est contra ipsam. Sed nihil fit
contra Dei voluntatem; alias voluntas Dei vinceretur. Ergo et praeter eam nihil
fit. |
Difficultés : 1. Il semble que rien ne
se produise en dehors de la volonté de Dieu. Le Seigneur [Matthieu XII, 30] dit en effet : Qui n’est pas avec moi est contre moi.
Donc, ce qui est en dehors de la volonté de Dieu s’oppose à elle. Mais rien
n’arrive qui s’oppose à la volonté de Dieu, car alors la volonté divine
serait vaincue. Par conséquent, rien ne se produit en dehors de la volonté
divine. |
[3322]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, potentius est illud
contra quod et praeter quod nihil potest fieri, quam illud praeter quod
aliquid fieri potest. Sed voluntas Dei est potentissima. Ergo praeter eam
nihil fit. |
2. Par ailleurs, celui contre lequel et en
dehors duquel rien ne peut se produire est plus puissant que celui en dehors
duquel quelque chose peut se produire. Mais la volonté de Dieu est la plus
puissante. Donc, rien ne peut se produire en dehors d’elle. |
[3323]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, permissio minimum habet
de ratione voluntatis. Sed praeter ejus permissionem nihil fit, ut in Littera
dicitur. Ergo multo minus praeter
voluntatem beneplaciti, vel praeter alia signa voluntatis. |
3. En outre, la permission a
très peu raison de volonté. Mais rien ne se produit en dehors de sa
permission, comme la Lettre le dit.
Il est donc encore beaucoup moins possible qu’il se produise quelque chose en
dehors de la volonté de bon plaisir ou en dehors des autres signes de la
volonté. |
[3324] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit, in lib. XIX De civit. Dei, cap. XVI,
col. 644, quod ad innocentis officium pertinet non solum nemini mala facere,
sed et peccata prohibere. Sed praeter ejus voluntatem qui omnia bona vult,
nihil potest fieri nisi peccatum. Cum ergo Deus sit innocentissimus, videtur
quod ad ipsum pertineat non permittere, sed impedire omne quod est praeter
ejus voluntatem. |
4. De plus, Saint-Augustin [XIX De la Cité de Dieu, ch. XVI, col. 644]
dit qu’il est du devoir de l’innocent non seulement de ne faire du mal à
personne, mais aussi d’interdire les fautes. Mais en dehors de sa volonté qui
veut tous les biens, il n’y a que le péché qui peut se produire. Donc,
puisque Dieu est suprêmement innocent, il semble qu’il lui appartienne de ne
pas permettre, mais d’empêcher tout ce qui est contraire à sa volonté. |
[3325]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in Littera
dicitur. |
Cependant : 1. Ce qui est dit dans la Lettre est contraire à ce qu’on pose
dans ces difficultés. |
[3326]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, videmus multa fieri
quae non vult fieri, ut supra habitum est, dist. XLVI, quaest. unic., art. 4. Ergo fiunt multa
praeter ejus voluntatem. |
2. Par ailleurs, nous voyons de
nombreuses choses se produire qu’Il ne veut pas, ainsi que nous l’avons
établi plus haut [dist. XLVI, quest. unique, art. 4]. Donc, de nombreuses
choses se produisent en dehors de sa volonté. |
[3327] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 co.
Respondeo dicendum, quod fieri aliquid praeter voluntatem est dupliciter. Aut quod voluntas sit de opposito; et hoc est
non tantum praeter voluntatem, sed etiam contra voluntatem: aut
ita quod voluntas nec sit de hoc, nec de opposito; et hoc est praeter
voluntatem, sed non contra. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’il y a deux manières pour une chose de se produire en dehors de la
volonté. Soit de telle manière
qu’une volonté porte sur l’opposé et cela est non seulement en dehors de la
volonté mais aussi contraire à la volonté. Soit de telle manière que
la volonté ne porte ni sur cela ni sur le contraire et cela est en dehors de
la volonté mais non pas contraire à la volonté. |
Possumus
ergo loqui de voluntate vel beneplaciti, vel signi; et de voluntate
beneplaciti vel consequente, vel antecedente. Loquendo ergo de voluntate
beneplaciti consequente, aliquid fit praeter eam, sed non contra eam: quia
totum impletur quod voluntate consequente vult, ut dictum est; sed oppositum
ejus quod vult voluntate antecedente, fieri potest, cum non semper impleatur:
et ideo et praeter eam et contra eam fieri potest. Signa autem voluntatis
quaedam respondent voluntati antecedenti, ut praeceptum, consilium et
prohibitio, quibus omnibus ordinatur rationalis natura in salutem, quod est
voluntatis antecedentis. |
Nous pouvons donc parler de la volonté soit
en tant que volonté de bon plaisir, soit en tant que volonté de signe ;
et si on parle de la volonté de bon plaisir, on peut en parler soit en tant
que conséquente, soit en tant qu’antécédente. Si on parle donc de la volonté
de bon plaisir qui est conséquente, quelque chose se produit en dehors d’elle
mais non contre elle : car ce qu’il veut par la volonté conséquente est
accompli en totalité, comme nous l’avons dit ; mais l’opposé de ce qu’il
veut par une volonté antécédente peut se produire parce qu’elle n’est pas
toujours accomplie ou réalisée : et c’est pourquoi il peut se produire
quelque chose en dehors et contre elle. Mais certains signes de la volonté
correspondent à la volonté antécédente, comme le précepte, le conseil et
l’interdiction, et c’est par eux tous que la nature rationnelle est ordonnée
au salut qui relève de la volonté antécédente. |
Unde
et praeter eam et contra eam fieri potest. Sed alia duo signa, scilicet
permissio et operatio, respondent voluntati consequenti, sed diversimode:
quia operatio pertinet ad ipsum effectum, de quo est voluntas consequens; et
ideo sicut non potest aliquid fieri contra voluntatem consequentem, sed
praeter eam, ita nec contra operationem, sed praeter eam. Non enim potest
esse oppositum ejus quod Deus operatur: quia sic opposita simul essent; sed
multa fiunt quae Deus non operatur. Sed
permissio pertinet ad causam, quae voluntati consequenti subjicitur, ut sit
potens deficere et non deficere; cujus tamen effectus, scilicet deficere, non
pertinet ad voluntatem consequentem neque antecedentem; sed tamen pertinet ad
causam illam cujus est permissio facultatem respiciens. |
D’où il suit que quelque chose
peut se produire en dehors et contre elle. Mais les deux autres signes, à
savoir la permission et l’opération, correspondent à la volonté conséquente,
mais différemment: car l’opération concerne l’effet lui-même sur lequel porte
la volonté conséquente; et c’est pourquoi, tout comme quelque chose ne peut
se produire contre la volonté conséquente mais seulement en dehors d’elle, de
même rien ne peut se produire contre l’opération mais seulement en dehors
d’elle. Rien en effet ne peut être l’opposé de ce que Dieu opère car alors
les opposés existeraient simultanément; mais de nombreuses choses se
produisent que Dieu n’opère pas. Mais la permission concerne la cause, laquelle est soumise à la volonté
conséquente, de telle manière qu’elle ait le pouvoir défaillir ou ne pas
défaillir, dont l’effet cependant, à savoir faillir, n’appartient ni à la volonté
conséquente ni à la volonté antécédente, mais il appartient cependant à cette
cause de laquelle la permission s’intéresse à la faculté. |
Unde praeter permissionem non fit quod fit
praeter voluntatem consequentem: unde praeter permissionem nihil potest
fieri, nec contra eam; tamen potest fieri oppositum ejus quod permissum est:
quod tamen fit secundum permissionem; quia permissio respicit potentiam
causae ad utrumque oppositorum se habentem: unde neutrum oppositorum contra
permissionem est, sed utrumque est secundum eam. |
D’où il suit qu’il ne se
produit pas en dehors de la permission ce qui se produit en dehors de la
volonté conséquente: c’est pourquoi rien ne peut se produire en dehors de la
permission, ni contre elle; il peut cependant se produire l’opposé de ce qui est permis, ce
qui se produit cependant conformément à la permission car la permission
s’intéresse à la puissance de la cause qui se rapporte à chacun des opposés:
d’où il suit qu’aucun des opposés n’est contre la permission mais chacun d’eux
y est conforme. |
[3328] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad
1 Ad primum ergo dicendum, quod illi qui non sunt cum Deo, quantum in eis
est, contra Deum sunt inquantum contrariantur voluntati antecedenti divinae;
nihil tamen contra voluntatem consequentem faciunt, sed praeter eam; non
tamen praeter permissionem. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en premier lieu que ceux qui ne sont pas avec
Dieu, selon que cela leur est possible, sont contre Dieu dans la mesure où
ils s’opposent à la volonté divine antécédente; ils ne font cependant rien
contre la volonté conséquente, mais seulement en dehors d’elle, et non pas
cependant en dehors de la permission. |
[3329] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad
2 Ad secundum dicendum, quod non est ex impotentia divinae voluntatis, quod
aliquid praeter eam fiat; sed ex ordine sapientiae ejus, quae rebus potentiam
ad utrumlibet contulit: et hoc est bonum, et Deus vult voluntate consequente. |
2. Il faut dire en deuxième
lieu que ce n’est pas à cause de l’impuissance de la volonté divine que
quelque chose se produit en dehors d’elle, mais c’est à cause de l’ordre de
sa sagesse qui accorde aux choses la puissance de se porter dans les deux
sens: et cela est bien et Dieu le veut par sa volonté conséquente |
[3330] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad
3 Ad tertium dicendum, quod permissio respicit potentiam causae, quae se
habet ad utrumque; et ideo quidquid fiat, non fit praeter eam. Unde hoc non
contingit ex proximitate ad voluntatem beneplaciti, ut objectio innuebat. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que la permission s’intéresse à la puissance de la cause qui peut se
porter dans les deux sens; et c’est pourquoi, quoiqu’il se produise, cela ne
se produit pas en dehors d’elle. D’où il suit que cela ne se produit pas en
raison d’une proximité par rapport à la volonté de bon plaisir comme
l’objection l’indiquait. |
[3331] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad
4 Ad quartum dicendum, quod officium innocentis non est prohibere peccata,
nisi secundum conditionem aliorum : non enim debet ligare homines ne
peccent, sed per admonitionem prohibere: ita et Deus, salvata conditione
humanae libertatis, peccata prohibet suis legibus. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que le devoir de l’innocent n’est pas d’interdire les péchés, si ce
n’est suivant la condition des autres: en effet, il ne doit pas attacher les
hommes afin qu’ils ne commettent pas le péché mais plutôt les en empêcher par
des avertissements: de même Dieu, conservant la condition de la liberté
humaine, interdit les péchés par ses lois. |
|
|
Articulus
3 [3332]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 tit. Utrum id quod est contra voluntatem
Dei, non obsequatur voluntati ejus |
Article 3 : Est-ce que ce qui est contre la volonté de Dieu n’obéit pas à sa volonté ? |
[3333] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3
arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod illud quod est contra Dei
voluntatem non obsequatur voluntati ejus. Voluntas enim consequens non
contrariatur voluntati antecedenti. Sed malum quod est praeter voluntatem
divinam, est contra voluntatem antecedentem. Ergo voluntati consequenti non
obsequitur. |
Difficultés : 1. Il semble que ce qui
est contre la volonté de Dieu n’obéisse pas à sa volonté. En effet, la
volonté conséquente n’est pas contraire à la volonté antécédente. Mais le mal
qui est en dehors de la volonté divine est contre la volonté
antécédente : il n’obéit donc pas à la volonté conséquente. |
[3334] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3
arg. 2 Praeterea, omne quod obsequitur divinae voluntati, quae semper vult
bonum, consistit in ordine ad bonum. Sed malum quod fit praeter Dei
voluntatem, secundum se est inordinatum. Ergo voluntati divinae non
obsequitur. |
2. Par
ailleurs, tout ce qui obéit à la volonté divine, laquelle veut toujours le
bien, consiste à être ordonné au bien. Mais le mal qui se produit en dehors
de la volonté de Dieu est désordonné en lui-même. Il n’obéit donc pas à la
volonté divine. |
[3335] Super Sent., lib. 1 d.
47 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, boni merentur in hoc quod divinae voluntati
obsequuntur, et ex hoc eis praemium debetur. Si ergo mali in hoc quod
peccando praeter Dei voluntatem faciunt, ejus voluntati obsequuntur, ex
peccato eis debetur praemium: et hoc est contra apostolum, Rom. 3, 8: « Faciamus mala, ut veniant bona ». Ergo et primum falsum esse
videtur. |
3. En outre, les bons sont méritoires en
ceci qu’ils obéissent à la volonté divine, et c’est de là qu’une récompense
leur est due. Si donc les méchants, en cela qu’ils commettent le péché et
agissent en dehors de la volonté divine se trouvent à obéir à sa volonté,
c’est en raison du péché qu’une récompense leur est due : et cela est
contraire à ce que dit l’Apôtre [Romains
3, 8] : «Devrions-nous faire le
mal pour qu’en sorte le bien ?». Donc, le principe qui prétend que
ceux qui agissent en dehors de la volonté divine obéissent à sa volonté est
faux. |
[3336] Super Sent., lib. 1 d.
47 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, malum est praeter intentionem omnis agentis:
nihil enim ad malum respiciens operatur, ut dicit Dionysius, in IV cap. De div. nom., § 19, col. 715. Sed
illud quod est praeter intentionem voluntatis, non obsequitur voluntati ejus
quae est de fine intento. Ergo mala quae fiunt praeter
voluntatem ejus, non obsequuntur voluntati ipsius. |
4. De plus, le mal est en
dehors de l’intention de tout agent: en effet, personne n’agit en ayant le
regard tourné vers le mal comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 19, col. 715]. Mais ce qui est en
dehors de l’intention de la volonté n’obéit pas à sa volonté qui porte sur la
fin recherché. Donc les maux qui se produisent en dehors de sa volonté
n’obéissent pas à sa volonté. |
[3337] Super Sent., lib. 1 d.
47 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in Littera a Gregorio dicitur. |
Cependant : 1. Mais ce que dit
Saint-Grégoire dans la Lettre est
contraire à ce que concluent ces objections. |
[3338] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 s.
c. 2 Praeterea, voluntas divina est causa potentissima. Sed ad potentiam
alicujus pertinet ut etiam quod contra ipsum quis facere nititur, in ipsius
obsequium cedat. Ergo ita est de voluntate divina. |
2. Par ailleurs, la volonté divine est la
cause la plus puissante. Mais il appartient aussi à la puissance d’un être
que celui qui s’efforce d’agir contre lui en vienne à lui obéir. Il en est
donc ainsi pour la volonté divine. |
[3339] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 co.
Respondeo dicendum, quod omnia quae fiunt praeter voluntatem divinam, etiam
contra voluntatem antecedentem, obsequuntur quodammodo voluntati consequenti.
Voluntas autem consequens dupliciter potest accipi. Aut
secundum quod sequitur conceptionem finis tantum; et sic voluntas est de fine
in communi sine aliqua determinatione ejus quod est ad finem. |
Corps de l’article: Je réponds qu’il faut dire que tout ce qui se produit en dehors de la
volonté divine, même contre la volonté antécédente, obéit en quelque sorte à
la volonté conséquente. Mais la volonté conséquente peut se prendre de deux
manières. Soit selon qu’elle suit la conception de la fin seulement et de cette
manière la volonté porte sur la fin en general sans aucune determination de
ce qui est en vue de la fin. |
Aut
secundum quod sequitur conceptionem ejus quod est ad finem, et conditionem
ejus; et sic voluntas consequens est de consecutione finis secundum aliquem
determinatum modum. Verbi gratia, aedificator in constitutione domus habet
duos motus voluntatis. Unum quo vult formam domus inducere in materiam sine
hoc quod aliquid consideret determinate de partibus domus. Alium motum habet quo, considerato quod lapis
iste est aptus ad fundamentum, vult ipsum in fundamento collocare. |
Soit selon qu’elle suit la
conception de ce qui est en vue de la fin ainsi que sa condition et de cette
manière la volonté conséquente porte sur la poursuite de la fin selon une
modalité déterminée. En d’autres mots, le constructeur possède deux
mouvements de volonté par rapport à la constitution de la maison. Un premier
movement par lequel il veut introduire la forme de la maison dans la matière
sans une consideration déterminée sur les parties de la maison. Mais il
possède un deuxième movement par lequel, ayant considéré que cette pierre est
propre aux fondations, il veut l’intégrer dans les fondations. |
Utroque autem modo accipiendo voluntatem
consequentem in Deo, mala quae fiunt obsequuntur sibi. Si
enim accipiatur voluntas prout est de ordine universi in communi, constat
quod malum quod exit ab ordine praecepti, in contrarium ordinem relabitur, ut
dicit Boetius, De consol., prose VI, col. 820, scilicet in ordinem poenae ad
culpam: velut lapis mollis et levis, qui non est aptus ad fundamentum, in
supremo parietis ponitur. Similiter
etiam patet quod obsequitur voluntati consequenti secundo modo acceptae, quae
est quod iste praevisus peccator puniatur: nisi enim ista conditio in eo per
actum peccati fieret, voluntas divina de poena ejus non impleretur; sicut
ipsa gravitas lapidis obsequitur voluntati artificis, qua vult eum sic
ordinari ut in fundamento ponatur. |
Mais c’est en prenant la volonté conséquente
en Dieu d’après ces deux manières que les maux qui se produisent lui
obéissent. Si en effet on prend la volonté selon qu’elle porte sur l’ordre de
l’univers en général, il est clair que le mal qui sort de l’ordre du
commandement entre dans un ordre contraire comme le dit Boèce [De la Consolation, prose VI, col. 820], c’est-à-dire dans l’ordre du
châtiment à l’égard de la faute, de la même manière que la pierre souple et
légère, qui n’est pas apte à entrer dans les fondations, est placée dans la
partie supérieure du mur. De la même manière encore
il est clair que le mal qui se produit obéit à la volonté conséquente prise
de la deuxième manière et qui est que ce pécheur que Dieu a prévu soit
puni : en effet, la volonté divine sur son châtiment n’est accomplie que
si cette condition en lui se produit par l’acte du péché, tout comme la lourdeur
de la pierre obéit à la volonté de l’artiste, puisque c’est à cause de cette
lourdeur qu’il veut que cette pierre soit posée dans les fondations. |
[3340]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
voluntas antecedens et consequens non contrariantur, quia utraque est de
bono: sed hoc quod aliquid est contra unam quod non est contra aliam, sed
obsequitur sibi, est ex parte voliti, cujus conditiones diversimode
considerantur, ut dictum est, in corp. articuli. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que la volonté antécédente et la volonté conséquente ne
s’opposent pas, car les deux ont pour objet le bien : mais le fait que
quelque chose soit contraire à l’une et non contraire à l’autre mais lui
obéit, cela vient du côté de ce qui est voulu, dont les conditions sont
considérées différemment, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article. |
[3341]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut
malum non est per se ordinatum, ita non obsequitur per se divinae voluntati,
sed per accidens, quia praeter intentionem facientis malum. Non enim peccator
intendit peccando puniri a Deo, in quo voluntas Dei completur. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que tout
comme le mal n’est pas ordonné par lui-même, de même il n’obéit pas par
lui-même à la volonté divine, mais par accident parce qu’il est en dehors de
l’intention de celui qui fait le mal. En effet, le pécheur, en commettant le
péché, ne cherche pas à être puni par Dieu, ce en quoi la volonté de Dieu est
accomplie. |
[3342]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in actu
malo et bono duo est considerare; scilicet unum, secundum quod egreditur ab
agente; et alium, secundum quod ab eo in finem ordinatur. Actus ergo bonus
quantum ad utrumque obsequitur divinae voluntati: quia et ipse agens in bonum
eum ordinat secundum beneplacitum divinae voluntatis, et Deus ordinat ipsum
per bonum consequens, scilicet praemium, quod meritis reddit: et ideo, quia
ipse homo est causa hujus obsequii, in hoc meretur. Sed actus malus secundum
id quod est ab agente, inordinatus est; sed tamen ordinatur a Deo per poenam
advenientem, vel per aliquod bonum quod ex eo elicitur: et ideo malus se
habet tantum passive ad hoc obsequium, et non active; sicut in Littera
dicitur, quod impletur de eo voluntas Dei, quam ipse non implet: et ideo non
meretur sic obsequendo: meretur enim quis secundum actum cujus causa est. |
3. Il faut dire en troisième lieu qu’il y a
deux choses à considérer dans l’acte mauvais et dans l’acte bon ; à
savoir premièrement selon qu’il sort de l’agent et l’autre selon que par lui
il est ordonné à la fin. Donc l’acte bon obéit à la volonté divine sous les
deux rapports car l’agent lui-même ordonne l’acte à la fin selon le bon
plaisir de la volonté divine et Dieu l’ordonne par le bien qui suit, à savoir
la récompense qu’Il rend aux mérites : et c’est pourquoi, parce que
l’homme lui-même est la cause de cette obéissance, c’est en cela qu’il est
méritoire. Mais l’acte mauvais, selon qu’il vient de l’agent, est
désordonné ; cependant, il est ordonné par Dieu au moyen du châtiment
qui survient ou par quelque bien qu’il fait sortir de lui : et c’est
pourquoi le mal se présente seulement d’une manière passive à l’égard de
cette obéissance et non pas activement, tout comme on dit dans la Lettre que
la volonté de Dieu est accomplie au sujet du mal sans que le mal ne
l’accomplisse : et c’est pourquoi il n’acquiert aucun mérite en
obéissant de cette manière : l’homme en effet n’est digne de mérite que selon
l’acte dont il est la cause. |
[3343]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis
malum sit praeter intentionem Dei, tamen ordinatio mali est intenta a Deo; et
huic intentioni operans malum praeter intentionem obsequitur, faciens id quod
est praeter Dei intentionem, scilicet peccatum. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que bien
que le mal soit en dehors de l’intention de Dieu, cependant l’ordonnance du
mal est intentionnelle de la part de Dieu ; et celui qui fait le mal, en
faisant ce qui est en dehors de l’intention de Dieu, à savoir le péché, obéit
à cette intention sans en avoir l’intention,. |
|
|
Articulus
4 [3344]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 tit. Utrum id quod est praeter voluntatem
Dei praecepto non subjaceat ? |
Article 4 : Ce qui est en dehors de la volonté de
Dieu n’est-il pas soumis au précepte ?
|
[3345] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4
arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod id quod est
praeter Dei voluntatem, praecepto non subjaceat, et praecipue peccatum.
Praeceptum enim est indicativum divinae voluntatis. Sed quicumque ostendit se
velle quod non vult, fictor est: quod longe est a Deo. Ergo videtur quod nihil quod fit contra
voluntatem ejus, vel praeter eam, praecipiat. |
Difficultés: 1. Il semble que ce qui est en dehors de la volonté de Dieu, et
surtout le péché, n’est pas soumis au précepte. Le précepte en effet indique
quelle est la volonté divine. Mais quiconque manifeste qu’il veut ce qu’il ne
veut pas est un artisan de mensonges, ce qui est fort éloigné de Dieu. Il
semble donc que Dieu ne commande rien de ce qui se produit contre ou en
dehors de sa volonté. |
[3346] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4
arg. 2 Praeterea, cum praeceptum respondeat voluntati antecedenti, ad quam
pertinet ordinatio naturae in bonum, nihil potest praecipi quod est contra
hunc ordinem. Sed omne peccatum est hujusmodi: quia est contra
legem naturae. Ergo videtur quod praecepto non subjaceat. |
2. Par ailleurs, comme le précepte
correspond à la volonté antécédente, à laquelle appartient l’ordonnance de la
nature au bien, rien ne peut être commandé qui serait contre cet ordre. Mais
tout péché est contre cet ordre car il est contre la loi de la nature. Il
semble donc qu’il ne soit pas soumis au précepte. |
[3347]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, nullus obediens divinis
praeceptis male facit. Sed quaedam sunt quae nunquam possunt nisi male fieri,
cum sint conjuncta malo fini, ut invidia, et hujusmodi, secundum philosophum
in II Ethic., cap. IV. Ergo videtur quod ista a Deo praecipi non possint. |
3. En outre, rien de ce qui obéit aux
préceptes divins ne fait le mal. Mais il y a des choses qui ne peuvent se
produire que dans le mal puisqu’elles sont unies à une fin mauvaise, comme
l’envie et les choses de cette sorte, ainsi que le dit le Philosophe [11 Éthique, ch. IV]. Il semble donc que
ces choses ne puissent être commandées par Dieu. |
[3348]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, de similibus idem est
judicium. Sed omnia
peccata similia sunt in hoc quod lege divina prohibentur. Cum igitur quaedam
nullo modo sub praecepto cadant, ut desperare de Deo, et habere odio ipsum,
et hujusmodi, videtur quod nullum peccatum sub praecepto divino cadere
possit. |
4. En outre, le jugement doit
rester le même au sujet de ce qui est semblable. Mais tous les péchés sont
semblables en ceci qu’ils sont interdits par la loi divine. Donc, puisque
certaines choses ne tombent aucunement sous le précepte, comme désespérer de
Dieu, le haïr et des choses de la sorte, il semble qu’aucun péché ne puisse
tomber ou être soumis au précepte divin. |
[3349] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 s.
c. 1 Sed contra, occidere filium innocentem est peccatum, et contra legem
naturae. Hoc autem Abrahae praeceptum legimus, Genes. XXII et eumdem de
obedientia commendatum. Ergo videtur quod peccatum sub praecepto divino
cadere possit. Et similiter etiam est hoc quod legitur Oseae 1, quod Dominus
praecepit sibi accipere mulierem fornicariam, et facere ex ea filios
fornicationum. |
Cependant: 1. Au contraire, tuer son fils innocent est un péché et est contraire
à la loi naturelle. Mais nous lisons que cela est commandé à Abraham [Genèse XXII, 2] et qu’il lui est
recommandé d’obéir à ce même précepte. Il semble donc que le péché puisse
tomber ou se ranger sous le précepte divin. Et semblablement encore il y a ce
qu’on lit chez le prophète [Osée, 1], à savoir que le Seigneur lui
commanda d’accueillir la femme de la prostitution et de faire avec elle les
fils de la fornication. |
[3350] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 co.
Respondeo dicendum, quod praeceptum est signum voluntatis divinae,
respondens voluntati antecedenti, et non consequenti. Unde quod est praeter voluntatem consequentem,
cadit sub praecepto, non autem quod est praeter voluntatem antecedentem. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que le précepte est un signe de la volonté divine qui correspond à la volonté
antécédente et non à la volonté conséquente. D’où il suit que ce qui est en
dehors de la volonté conséquente tombe sous le précepte ou lui est soumis
mais non pas ce qui est en dehors de la volonté antécédente. |
Sed
in hoc tamen considerandum est, quod aliquid secundum se acceptum est praeter
voluntatem antecedentem, quod, aliqua conditione adveniente vel substracta, est
de voluntate antecedente; sicut illa quae secundum se considerata, mala sunt;
sed inquantum stant sub praecepto divino, recipiunt quamdam rationem
bonitatis, ut sic in ipsa voluntas tendere debeat: quod quidem in quibusdam
per se malis contingit, et in quibusdam non. |
Mais en cela il faut cependant considérer
que ce qui, pris en soi, est en dehors de la volonté antécédente, si on
ajoute ou enlève une condition, cela fait cependant partie de la volonté
antécédente, comme les choses qui considérées en elles-mêmes sont
mauvaises mais qui, dans la mesure où elles se tiennent sous le précepte
divin, ont raison de bien de telle manière que la volonté doive tendre vers
elles : ce qui certes est possible pour certaines choses qui sont
mauvaises par elles-mêmes mais non pour d’autres. |
Bonum
enim in rebus surgit ex duplici ordine: quorum primus ordo et principalis est
rerum omnium ad finem ultimum, qui Deus est; secundus ordo est unius rei ad
aliam rem: et primus ordo est causa secundi, quia secundus ordo est propter
primum. Ex hoc enim quod res sunt ordinatae ad invicem, juvant se mutuo, ut
ad finem ultimum debite ordinentur. |
En effet, le bien dans les choses jaillit de
deux ordres : dont le premier et le principal est l’ordre de toutes les
choses par rapport à la fin ultime qui est Dieu ; le deuxième ordre est
celui d’une seule et même chose par rapport à une autre chose : et le
premier ordre est la cause du deuxième car le deuxième ordre est en vue du
premier. En effet, à partir de cela même que les choses sont ordonnées entre
elles, elles s’entraident mutuellement de manière à être ordonnées comme il
convient à la fin ultime. |
Unde
oportet quod subtracta bonitate quae est ex ordine unius rei ad finem ultimum
nihil bonitatis remanere possit sed substrata bonitate quae est ex ordine
unius rei ad rem aliam, nihilominus potest remanere illa bonitas quae est ex
ordine rei ad finem ultimum: quia primum non dependet ex secundo, sicut
secundum ex primo. Dico
ergo, quod quaedam peccata nominant deordinationem unius rei ad rem aliam,
sicut homicidium, odium fraternum, inobedientiam ad praelatum, et hujusmodi. Unde
si talia bonitatem illam retinere possent quae est ex ordine ad finem
ultimum, proculdubio bona essent, et in ea voluntas ferri posset. |
D’où il faut, si disparaît le bien qui vient
de l’ordre d’une même chose par rapport à la fin ultime, qu’il ne puisse rien
rester de bien ; mais si disparaît le bien qui vient de l’ordre d’une
chose à une autre chose, il peut néanmoins demeurer ce bien qui vient de
l’ordre d’une chose à la fin ultime : car ce qui est premier ne dépend
pas de ce qui est second, alors que ce qui est second dépend de ce qui est
premier. Je dis donc que certains
péchés signifient le désordre d’une même chose par rapport à une autre chose,
par exemple l’homicide, la haine fraternelle, la désobéissance au prélat et
les péchés de cette sorte. D’où il suit que si de tels péchés pouvaient
retenir cette bonté qui vient de l’ordre à l’égard de la fin ultime, ils
seraient sans doute des biens et la volonté pourrait se porter vers eux. |
Sed
hoc non posset esse nisi virtute divina, per quam ordo in rebus institutus
est. Sicut enim non potest fieri, nisi per miraculosam operationem virtutis
divinae, ut quod recipit esse a primo agente, mediante aliqua causa secunda,
habeat esse destructa vel subtracta causa secunda, ut hoc quod accidens sit
sine subjecto, sicut in sacramento altaris: ita etiam non potest fieri, nisi
per miraculum virtutis divinae, ut id quod natum est recipere bonitatem ex
ordine ad finem ultimum mediante ordine ad rem illam, habeat bonitatem,
subtracto ordine qui erat ad rem illam; unde ille actus qui est occidere
innocentem, vel resistere praelato, non potest esse bonus nec bene fieri nisi
auctoritate vel praecepto divino. |
Mais cela ne peut se produire que par la
puissance divine par laquelle l’ordre a été établi dans les choses. Tout
comme en effet il ne peut arriver que par une opération miraculeuse de la
puissance divine que ce qui reçoit l’existence du premier agent par
l’intermédiaire d’une cause seconde ait l’existence une fois détruite ou
enlevée la cause seconde de manière que l’accident soit sans le sujet, comme
dans le sacrement de l’autel, de même encore il ne peut arriver que par un
miracle de la puissance divine que ce qui est apte à recevoir le bien à
partir de l’ordre à l’égard de la fin ultime par l’intermédiaire de l’ordre à
telle chose, possède encore le bien une fois retiré l’ordre qui était ordonné
à cette chose ; d’où il suit que cet acte qui consiste à tuer un
innocent ou à résister à un prélat ne peut être bon ni même devenir bon que
par l’autorité et le commandement divins. |
Unde
in talibus nullus dispensare potest, nisi Deus quasi miraculose. Quaedam vero peccata sunt quae dicunt
deordinationem a fine ultimo immediate. Contingit enim aliquem actum peccati
esse immediate circa id quod est ad finem: et quia forma bonitatis est a fine
in his quae sunt ad finem, oportet quod etiam forma malitiae sit ex hoc quod
recedit a fine; et id quod est quasi materiale est actus exercitus circa id
quod est inordinabile in finem, sicut in fornicatione et homicidio, et in
hujusmodi. |
D’où il suit que dans ces cas
nul ne peut partager si ce n’est Dieu comme miraculeusement. Mais il y a
certains péchés qui disent un désordre immédiat par rapport à la fin ultime.
Il est possible en effet qu’un acte de péché porte immédiatement sur ce qui
est en vue de la fin: et parce que la forme de la bonté se tient de la fin
dans les choses qui sont en vue de la fin, il faut aussi que la forme de la
malice se tienne de ce qui s’écarte de la fin; et ce qui est comme materiel
est l’acte qui est exercé sur ce qui ne peut être ordonné à la fin, comme
dans le cas de la fornication, de l’homicide et dans les actes de la sorte. |
Unde si ei quod est ad finem, conferatur alius
ordo in finem, tolletur inordinatio, et remanebit actus ordinatus subjacens
voluntati antecedenti. Hoc autem non potest fieri nisi ab eo
qui ordinem illum posuit: et ideo ea quae sunt ordinata per legem divinam,
non sunt mutabilia vel dispensabilia nisi praecepto divino; et similiter quod
statutum est a quocumque superiori inviolabiliter observandum, non potest ab
inferiori mutari: et sic Deus occisionem Isaac, quae de se inordinationem
habebat ex eo quod filius innocens non erat ordinatus in finem per viam
occisionis a patre, ordinatam fecit, ponendo hunc ordinem, ut esset ad
manifestationem fidei et amoris Abrahae, ut esset posteris in exemplum, et in
significationem mortis Christi: et in occisionem sic ordinatam divina
auctoritate licite consensit voluntas Abrahae. |
D’où il suit que si on confère à ce qui est
en vue de la fin un autre ordre vers la fin, on enlève le désordre, et il
restera un acte ordonné obéissant à la volonté antécédente. Mais cela ne peut
se produire que par celui qui a posé cet ordre : et c’est pourquoi les
choses qui sont ordonnées par la loi divine ne sont changeables ou ne peuvent
être dispensées que par le précepte divin ; et de la même manière, ce
qui a été statué par un supérieur comme devant être observé inviolablement ne
peut être changé par un inférieur : et c’est ainsi que Dieu rendit le
meurtre d’Isaac ordonné, qui de soi contenait un désordre du fait que le fils
innocent n’était pas ordonné à la fin par la voie du meurtre par le père, en
posant cet ordre, pour qu’il serve à manifester la foi et l’amour d’Abraham
de manière à être un exemple pour ceux qui suivraient et comme une image
signifiant la mort du Christ : et c’est à cette mort ainsi ordonnée par
l’autorité divine que la volonté d’Abraham consentit avec raison. |
Quaedam
autem peccata sunt quorum actus inordinatus est immediate circa finem, ut
peccata quae sunt in Deum, ut odire ipsum, et desperare de eo, et hujusmodi:
et cum actus ex objecto speciem trahat, constat hujusmodi actus etiam
secundum speciem in genere naturae malos esse; unde ab eis talis inordinatio
auferri non potest. |
Mais il y a certains péchés dont l’acte est
désordonné de manière immédiate par rapport à la fin, comme les péchés qui se
rapportent directement à Dieu, comme le haïr et désespérer de lui, et les
péchés de cette sorte ; et comme l’acte tire son espèce de l’objet, il
est clair que de tels actes sont mauvais même selon l’espèce dans le genre de
la nature ; c’est pourquoi un tel désordre ne peut être retiré d’eux. |
Non
enim posset auferri ex hoc quod ordinarentur in finem, cum secundum esse suum
sint deordinati a fine; contingeret enim quod aliquid esset simul ordinatum
et inordinatum; unde hujusmodi nunquam subjacent divino praecepto. Et propter
hoc dicitur, quod contra praecepta primae tabulae, quae ordinant immediate in
Deum, Deus dispensare non potest; sed contra praecepta secundae tabulae, quae
ordinant immediate ad proximum, Deus potest dispensare; non autem homines in
his dispensare possunt. |
En effet, un tel désordre ne peut être
retiré d’eux du fait qu’ils seraient ordonnés à la fin puisque selon leur
existence même ils sont déréglés par rapport à la fin elle-même ; il
serait possible en effet que quelque chose soit simultanément réglé et
déréglé : d’où il suit que de tels actes ne sont jamais soumis au
précepte divin. Et on dit pour cette raison que Dieu ne peut dispenser contre
les préceptes de la première table qui ordonnent immédiatement à Dieu ;
mais contre les préceptes de la deuxième table, qui ordonnent immédiatement au
prochain, Dieu peut dispenser mais non les hommes cependant qui même dans ces
cas ne peuvent dispenser. |
[3351]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
quamvis Deus non vellet voluntate consequente, quod Abraham filium occideret,
voluit tamen voluntate antecedente, quod voluntas Abrahae in hoc ferretur,
secundum quod erat jam ordinatum; et talem voluntatem praeceptum expressit;
et ideo non fuit fictio. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que bien que Dieu ne veuille pas, par la volonté conséquente,
qu’Abraham tue son fils, il a voulu cependant par la volonté antécédente que
la volonté d’Abraham se porte vers cela en tant que cet acte était déjà
ordonné ; et cependant le précepte exprima la volonté et c’est pourquoi
il ne fut pas une fiction ou un mensonge. |
[3352]
Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipsa
occisio innocentis prout substat deordinationi a fine, quae advenit sibi post
speciem completam ab objecto proximo, est contra legem naturae, et non potest
bene fieri; sed remota tali inordinatione, est conveniens legi naturae, quae
dictat omne illud esse faciendum quod est ordinatum et praeceptum a Deo. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que la mort
même d’un innocent, selon qu’elle se tient sous un dérèglement par rapport à
la fin qui lui advient après que son espèce a été complétée par son objet
prochain, est contre la loi de la nature, et ne peut devenir un bien ;
mais une fois enlevé un tel dérèglement, elle s’accorde à la loi de la nature
qui dicte que tout ce qui est ordonné et commandé par Dieu doit être fait. |
[3353] Super Sent., lib. 1 d. q. 1 a. 4 ad 3
Et per hoc patet solutio ad tertium. |
3. Et suite à cela la réponse à
la troisième difficulté est évidente. |
[3354] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 ad
4 Ad quartum dicendum, quod non est similis ratio in omnibus, ut ex
praedictis patet, in corp. art. |
4. Il faut dire en quatrième
lieu que la raison n’est pas semblable dans tous les cas comme nous l’avons
vu à partir de ce qui precede dans le corps de l’article. |
|
|
Distinctio 48 |
Distinction 48 – La volonté de Dieu (4). La conformité
de la volonté de l’homme à celle de Dieu
|
|
|
Prooemium |
Prologue |
Hic quatuor quaeruntur: 1 utrum voluntas hominis divinae voluntati
conformari possit; 2 in quo attenditur principaliter
conformitas; 3 utrum ad illam conformitatem omnes
teneantur; 4 utrum teneantur
etiam ad conformitatem quae est in volito. |
On cherche à répondre ici à
quatre questions: 1. Est-ce que la volonté de l’homme peut se conformer à la volonté
divine? 2. En quoi surtout se vérifie cette conformité? 3. Est-ce que tous sont tenus à cette conformité? 4. Est-ce qu’ils sont tenus aussi à la conformité qui est dans l’objet
voulu? |
|
|
Articulus 1 [3357] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1
tit. Utrum voluntas humana divinae voluntati non possit conformari |
Article 1 : Est-ce que la volonté humaine ne peut pas se conformer à la volonté divine ? |
[3358] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas
humana divinae conformari non possit. Sic enim dicitur Isai. 55, 9: Sicut
exaltantur caeli a terra, ita exaltatae sunt viae meae a viis vestris. Sed terra nunquam potest conformari caelo.
Ergo nec cogitationes vel voluntates hominum divinae voluntati. |
Difficultés : 1. Il semble que la
volonté humaine ne puisse pas se conformer à la volonté divine. C’est ainsi
en effet que parle l’Écriture [Isaïe 55,
9] : Autant les cieux sont élevés
au-dessus de la terrre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies.
Mais la terre ne peut jamais se conformer aux cieux. Donc les pensées et les
volontés des hommes ne peuvent se conformer à la volonté divine. |
[3359] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1
arg. 2 Praeterea, eorum quae in infinitum distant, nulla est conformitas:
quia conformitas est secundum approximationem aliquam. Sed voluntas Dei in
infinitum distat a voluntate hominum: « Quantum enim distat Deus ab
homine, tantum voluntas Dei a voluntate hominis », ut dicit Glossa super
illud Psalm. 32, 1: Exultate justi in domino etc. Ergo
voluntas hominis divinae voluntati non conformatur. |
2. Par ailleurs, entre les êtres qui sont
infiniment éloignés les uns des autres, il n’y a aucune conformité car
il ne peut y avoir conformité que selon une certaine proximité. Mais la
volonté de Dieu diffère à l’infini de la volonté des hommes, comme le dit la
Glose : «Autant la volonté de Dieu
diffère de la volonté de l’homme que Dieu diffère de l’homme», dans son
commentaire sur ce passage du psalmiste [Psaume
32, 1 : Réjouissez-vous, les
justes, dans le Seigneur etc. Donc la volonté de l’homme ne peut se
conformer à la volonté divine. |
[3360] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1
arg. 3 Praeterea, conformitas ponit convenientiam duorum in forma una; sicut
ipsum nomen ostendit. Sed quaecumque conveniunt in aliquo uno habent aliquid
prius et simplicius se, scilicet illud in quo conveniunt. Cum igitur divina
voluntate nihil sit simplicius et prius, videtur quod sibi nulla voluntas
creata conformari possit. |
3. Par ailleurs, qui dit
conformité dit une convenance entre
deux êtres dans une même forme, ainsi que le nom lui-même l’indique. Mais
tous les êtres qui se rencontrent dans quelque chose d’un présupposent
quelque chose d’autre qui leur est antérieur et plus simple, à savoir ce dans
quoi ils se rencontrent. Donc, puisque rien n’est plus simple et antérieur à
la volonté divine, il semble qu’aucune volonté créée ne puisse se conformer à
elle. |
[3361] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1
arg. 4 Praeterea, nihil est conforme nisi conformi; quia conformitas est
relatio aequiparantiae, ponens similem habitudinem in utroque extremorum. Sed non
dicimus voluntatem divinam conformem esse voluntati humanae. Ergo nec e
converso. |
4. Par ailleurs, rien n’est
conforme si ce n’est à ce qui est conforme car la conformité est une relation
de comparaison entre égaux qui pose un rapport semblable dans les deux extrêmes.
Mais nous ne disons pas que la volonté divine est conforme à la volonté
humaine. Donc, inversement, la volonté humaine ne peut être conforme à la
volonté divine. |
[3362] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nullum regulatum fit rectum nisi
per conformitatem ad regulam. Sed
voluntas divina regula est voluntatis humanae, et intellectus suus,
intellectus humani. Ergo omnis voluntas recta conformis est voluntati
divinae. |
Cependant : 1. Au contraire, rien de
ce qui est réglé ne devient droit si ce n’est par une conformité à une règle.
Mais la volonté divine est la règle de la volonté humaine et son intelligence
est la règle de l’intelligence humaine. Donc, toute volonté droite est
conforme à la volonté divine. |
[3363] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1
s. c. 2 Praeterea, cujuslibet obedientis voluntarie voluntas conformatur
voluntati praecipientis. Sed multi voluntarie divinis praeceptis obediunt.
Ergo multorum voluntas conformatur voluntati divinae. |
2. Par ailleurs, la volonté de tous ceux qui
obéissent volontairement se conforme à la volonté de celui qui commande. Mais
nombreux sont ceux qui obéissent volontairement aux préceptes divins. Donc,
de nombreuses volontés se conforment à la volonté divine. |
[3364] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod conformitas est
convenientia in forma una, et sic idem est quod similitudo quam causat unitas
qualitatis, ut in V Metaph., text. 20, dicitur. Unde hoc modo aliquid Deo
conformatur quod sibi assimilatur. Contingit autem aliqua dici similia
dupliciter. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
que la conformité est une convenance dans une seule et même forme et ainsi
elle est la même chose que la similitude que cause l’unité de la qualité
comme le dit le Philosophe [V Métaphysique,
texte 20]. D’où il suit qu’un être se conforme à Dieu de la manière qu’il lui
est assimilé. Mais c’est de deux manières qu’il est possible de dire de
certains êtres qu’ils sont semblables. |
Vel ex eo quod participant unam formam,
sicut duo albi albedinem; et sic omne simile oportet esse compositum ex eo in
quo convenit cum alio simili, et ex eo in quo differt ab ipso, cum similitudo
non sit nisi differentium, secundum Boetium.Unde sic Deo nihil potest esse
simile nec conveniens nec conforme, ut frequenter a philosophis dictum
invenitur. |
Soit du fait qu’ils participent d’une même
forme, comme deux choses blanches participent de la blancheur ; et en ce
sens tout ce qui est semblable doit être composé de ce qu’il a en commun avec
l’autre semblable et de ce en quoi il diffère de lui, puisqu’il ne peut y
avoir similitude, selon Boèce, que pour des êtres qui sont différents. D’où
il suit qu’en ce sens rien ne peut être semblable, en accord ou conforme à
Dieu, ainsi que le disent fréquemment les philosophes. |
Vel ex eo quod unum quod participative
habet formam, imitatur illud quod essentialiter habet. Sicut si corpus album diceretur
simile albedini separatae, vel corpus mixtum igneitate ipsi igni. Et talis
similitudo quae ponit compositionem in uno et simplicitatem in alio, potest
esse creaturae ad Deum participantis bonitatem vel sapientiam vel aliquid
hujusmodi, quorum unumquodque in Deo est essentia ejus; et sic voluntas
nostra divinae conformatur. |
Soit du fait que celui qui possède la forme
par participation imite celui qui la possède par essence, comme on dirait du
corps blanc qu’il est semblable à la blancheur séparée ou que le corps mixte
est semblable à l’embrasement du feu lui-même. Et une telle similitude qui
pose la composition en l’un et la simplicité dans l’autre peut être celle de
la créature à l’égard de Dieu lorsqu’elle participe de la bonté, de la
sagesse ou des autres perfections de la sorte dont chacune est en Dieu son
essence ; et c’est en ce sens que notre volonté peut se conformer à la
volonté divine. |
Sed haec conformitas voluntatis potest
intelligi vel de ipsa potentia voluntatis quae homini
est data ad exemplar voluntatis divinae, quae pertinet ad similitudinem, in
qua consistit ratio imaginis, et est communis bonis et malis; et de hac
conformitate non quaerimus hic. Vel potest intelligi de actu voluntatis,
qui etiam voluntas dicitur, et de hac conformitate hic quaerimus: quia in
ista conformitate consistit meritum vel etiam demeritum, eo quod homo est
causa actus voluntatis sed non potentiae; unde ista conformitas est tantum
bonorum. |
Mais cette conformité de la volonté peut
s’entendre de deux manières. Soit de la puissance même
de la volonté qui est donnée à l’homme en rapport avec le modèle de la
volonté divine, ce qui s’applique à la similitude dans laquelle consiste la
notion d’image et qui est commune aux bons et aux méchants ; et ce n’est
pas sur cette conformité que nous nous interrogeons ici. Soit de l’acte de la
volonté qu’on appelle aussi volonté, et c’est cette conformité que nous
examinons ici : car c’est dans cette conformité que consiste le mérite
ou même le démérite, du fait que l’homme est la cause de l’acte de la volonté
mais non pas de la puissance elle-même ; d’où il suit que cette
conformité ne s’applique qu’à ceux qui sont bons. |
[3365] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus loquitur ibi de malis, qui per
terram significantur, qui in actu suae voluntatis recedunt a similitudine
divina. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que le Seigneur parle là des maux qui sont signifiés par le nom
¨terre¨, lesquels s’éloignent de la similitude divine dans l’acte de sa
volonté. |
[3366] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod in infinitum distantium non potest esse
conformitas per modum aequalitatis vel etiam secundum aliquam convenientiam
in aliquo in participando ab utroque, sed per modum illum qui supra dictus
est in corp. art. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que pour
les êtres qui diffèrent à l’infini il ne peut y avoir conformité par mode
d’égalité ou encore selon une ressemblance en quelque chose d’autre dont les
deux participeraient, mais de cette manière dont nous avons parlé plus haut
dans le corps de l’article. |
[3367] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 3 Et per hoc patet etiam responsio ad tertium, quod
procedit secundum primum modum distinctionis assignatae. |
3. Et suite à cela devient
manifeste aussi la réponse à la troisième difficulté qui procède d’après la
première modalité de distinction assignée. |
[3368] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum Dionysium, in
IX cap. De div. nomin., § 6, col.
914, conversio similitudinis non recipitur in causis et causatis in quibus
dicitur similitudo per imitationem, sed solum in aequipotentibus in quibus
est similitudo per similem participationem ejusdem: non enim dicimus quod homo
sit similis suae imagini, sed e converso. Unde non est dicendum quod Deus sit similis vel conformis creaturae,
sed quod creatura Deo conformetur imitando ipsum quantum potest. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que
d’après Denys [Les Noms Divins, ch.
1X, & 6, col. 914], la conversion de la similitude ne s’admet pas dans
les causes et les effets dans lesquels la similitude se dit par imitation,
mais seulement chez les êtres qui sont d’égale puissance dans lesquels il y a
similitude par une participation semblable à une même forme : nous ne
disons pas en effet que l’homme est semblable à son image, mais plutôt
l’inverse. D’où il suit qu’il ne faut pas dire que Dieu est semblable ou
conforme à la créature, mais plutôt que la créature se conforme à Dieu en l’imitant
dans la mesure du possible. |
|
|
Articulus 2 [3369] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
tit. Utrum conformitas voluntatum attendatur praecipue secundum volitum |
Article 2 : La conformité des volontés se vérifie-t-elle surtout selon ce qui est voulu ? |
[3370] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod
conformitas voluntatum praecipue secundum volitum attendatur. Conformitas
enim attenditur secundum convenientiam in forma. Sed forma et perfectio
voluntatis est ipsum volitum, sicut et scitum est perfectio scientis. Ergo secundum convenientiam in volito est
conformitas voluntatum. |
Difficultés : 1. Il semble que la
conformité des volontés se vérifie surtout selon ce qui est voulu. La conformité en effet se vérifie selon la
rencontre dans une forme. Mais la forme et la perfection de la volonté est
l’objet voulu lui-même, tout comme l’objet connu est la perfection de celui
qui sait. Donc, il y a conformité des volontés selon la ressemblance dans
l’objet voulu. |
[3371] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
arg. 2 Praeterea, actus cognoscuntur et judicantur per objecta, secundum
Philosophum, II De anima, text. 33.
Sed objectum voluntatis est volitum. Ergo videtur quod secundum unitatem
voliti sit conformitas voluntatum. |
2. Par ailleurs, les actes sont connus et
jugés par leurs objets selon le Philosophe [11 De l’Âme, texte 33]. Mais l’objet de la volonté est l’objet
voulu. Il semble donc qu’il y ait conformité des volontés selon l’unité de
l’objet voulu. |
[3372] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
arg. 3 Si dicas quod objectum voluntatis est bonum et secundum hoc attenditur
conformitas: Contra, voluntas non
est nisi boni. Si igitur ex convenientia in bono est conformitas voluntatis,
videtur quod omnis voluntas, etiam peccati, divinae voluntati conformetur. |
3. Si tu dis que l’objet de la volonté est
le bien et que c’est d’après cela que se vérifie la conformité, je réponds
par contre que la volonté ne se rapporte qu’au bien. Si donc la conformité de
la volonté se tire du rapport au bien, il semble que toute volonté, y compris
celle du pécheur, sera conforme à la volonté divine. |
[3373] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
arg. 4 Praeterea, voluntas occidentium Christum non solum concurrit cum
voluntate divina in quoddam volitum idem, sed etiam in quoddam bonum,
scilicet in passionem Christi, quae magnum bonum fuit. Ergo si ex hoc
attenditur ratio conformitatis, videtur quod voluntas Judaeorum divinae
conformis fuit. |
4. Par ailleurs, la volonté de ceux qui ont
tué le Christ s’accorde non seulement avec la volonté divine dans un même
objet voulu, mais même dans un certain bien, à savoir dans la passion du
Christ qui fut un très grand bien. Si donc c’est à partir de là que se
vérifie la notion de conformité, il semble que la volonté des Juifs soit
conforme à la volonté divine. |
[3374] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
arg. 5 Praeterea, ratio bonitatis est ex fine. Sed contingit aliquem propter
bonum finem agentem divinae voluntati non conformari, sicut qui furatur
diviti, ut det eleemosynas pauperi. Ergo videtur quod etiam nec ex fine
conformitas voluntatis attendatur. |
5. En outre, la notion de bien se tire de la
fin. Mais il est possible qu’en agissant en vue d’une bonne fin on ne se
conforme pas à la volonté divine, comme celui qui vole les riches pour donner
des aumônes aux riches. Il semble donc que la conformité de la volonté ne se
tire pas non plus de la fin. |
[3375] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
arg. 6 Si dicas, quod attenditur
principaliter in hoc quod homo vult quod Deus vult eum velle: contra, volitum et velle non sunt idem
nisi per accidens, ut quando velle unius est volitum ab alio. Sed ista
conformitas est ad voluntatem divinam inquantum ipsum nostrum velle est
volitum a Deo, qui vult hoc nos velle quod volumus. Ergo per hunc modum non
conformatur velle nostrum ad velle divinum, nisi per accidens; et ita ex his
omnibus videtur quod conformitas attendenda sit secundum volitum. |
6. Si
tu dis que la conformité de la volonté se vérifie surtout en ceci que
l’homme veut ce que Dieu veut qu’il veuille, je réponds par contre que l’objet voulu et le vouloir ne sont identiques que
par accident, comme lorsque le vouloir de l’un est voulu de l’autre. Mais
cette conformité est à l’égard de la volonté divine en tant que notre vouloir
lui-même est voulu de Dieu qui veut que nous voulions ce que nous voulons.
Donc de cette manière notre vouloir ne se conforme que par accident au
vouloir divin ; et ainsi à partir de tous ces cas il semble que la
conformité doive se vérifier selon l’objet voulu. |
[3376] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
s. c. 1 Sed contra, duo contraria, inquantum hujusmodi, non conformantur
eidem. Sed duae sanctorum voluntates de oppositis volitis conformantur
divinae voluntati, cum utraque sit recta, sicut patet in Littera de hoc quod quidam mortem Pauli nolebant, quam ipse
volebat. Ergo non est conformitas secundum volitum. |
Cependant : 1. Deux contraires, en
tant que tels, ne se conforment pas à une même forme. Mais deux volontés de
saints portant sur des objets voulus contraires se conforment à la volonté
divine, puisque les deux sont droites, tout comme on le voit dans la Lettre par rapport à ceci que certains
ne voulaient pas la mort de Paul, mort que lui-même pourtant voulait. Donc la
conformité ne se mesure pas d’après l’objet voulu. |
[3377] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, art.
praeced., hic quaeritur de conformitate quantum ad voluntatis actum. Actus
autem voluntatis humanae potest imitari actum voluntatis divinae dupliciter. Vel quantum ad esse naturae; et sic non
loquimur hic: quia hoc convenit actui voluntatis secundum quod exit a
potentia, cujus conformitatem dimisimus. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire,
comme nous l’avons dit dans l’article précédent, qu’on s’interroge ici sur la
conformité quant à l’acte de la volonté. Mais l’acte de la volonté humaine
peut imiter l’acte de la volonté divine de deux manières. Soit quant à l’être de
nature ; et ce n’est pas en ce sens que nous parlons ici : car cela
convient à l’acte de la volonté selon qu’il sort de la puissance, et nous
avons mis de côté la conformité de l’acte de la volonté pris en ce sens,
ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent. |
Vel quantum ad perfectionem superadditam,
secundum quam dicitur actus talis vel talis; et hanc conformitatem hic
quaerimus, quae est quasi secundum speciem moris. Haec autem conformitas
quadrupliciter potest considerari secundum habitudinem quatuor causarum: scilicet secundum causam materialem, sicut
quando est idem volitum quod se habet ut materia circa quam est actus
voluntatis; et ideo ista conformitas est secundum quid tantum, et non
simpliciter: quia esse simpliciter non est a materia, sed a forma. Vel secundum causam efficientem; sicut
quando aliquis vult quod Deus vult eum velle; hunc enim ordinem voluntatis
Deus in eo fecit. |
Soit quant à une perfection surajoutée selon
laquelle on dit de l’acte qu’il est tel ou tel ; et c’est cette
conformité que nous cherchons à connaître, laquelle est comme selon l’espèce
ou la sorte de comportement. Mais cette conformité peut être considérée de
quatre manières sous le rapport des quatre causes : À savoir soit selon la
cause matérielle, comme lorsque c’est le même objet voulu qui se présente
comme une matière sur laquelle porte l’acte de la volonté ; et c’est
pourquoi cette conformité est relative seulement et non absolue : car
l’être pris absolument ne vient pas de la matière mais de la forme. Soit selon la cause
efficiente tout comme lorsque quelqu’un veut ce que Dieu veut qu’il
veuille ; c’est Dieu en effet qui a fait cet ordre de la volonté en lui. |
Vel secundum causam finalem; sicut quando
aliquis in gloriam Dei facta sua ordinat, propter quam Deus omnia facit; et
in his duobus essentialiter conformitas consistit. Vel secundum causam formalem, ut aliquis ex
caritate velit, sicut Deus omnia ex caritate vult; ex habitu enim est forma
actus, et in hoc consistit perfectio conformitatis. Hujus autem dicti ratio
haec est, quia essentialis assimilatio aliquorum attenditur secundum illud
unde species trahitur: species autem cujuslibet actus voluntarii trahitur ex
objecto, quod est forma voluntatis producentis actum. |
Soit selon la cause finale, tout comme
lorsque quelqu’un ordonne ses actions à la gloire de Dieu, gloire en vue de
laquelle Dieu a fait toutes choses ; et c’est dans ces deux derniers
rapports que la conformité consiste essentiellement. Soit selon la cause
formelle, comme lorsque quelqu’un veut par charité, tout comme Dieu veut
toute chose par amour ou par charité ; c’est de l’habitus en effet que
vient la forme de l’acte et c’est en cela que consiste la perfection de la
conformité. Mais la raison de ce qui est dit ici est que l’assimilation
essentielle de certains se vérifie selon ce d’où l’espèce se tire : mais
l’espèce de tout acte volontaire se tire de son objet, ce qui est la forme de
la volonté qui produit l’acte. |
Ad objectum autem alicujus actus duo
concurrunt: unum quod se habet quasi materialiter, et alterum quod est sicut
formale, complens rationem objecti; sicut ad visibile concurrit lux et color.
Illud autem quod se habet materialiter ad objectum voluntatis, est quaecumque
res volita: sed ratio objecti completur ex ratione boni. Unde ex hoc actus
voluntatis humanae conformatur voluntati divinae quod tendit in bonum sicut
voluntas divina. Et ex hoc etiam actus bonus est repraesentans bonitatem
divinam. Et haec est conformitas secundum causam efficientem, quia Deus
unamquamque voluntatem in bonum ordinavit. Et hoc vult Deus nos velle,
inquantum voluntas nostra ordinata est. |
Mais deux choses se rapportent à l’objet de
tout acte : une qui se présente comme matériellement et l’autre comme
formellement qui accomplit la notion d’objet, tout comme deux choses concourrent
à l’objet visible, à savoir la lumière et la couleur. Mais ce qui se présente
comme matériellement à l'égard de l’objet de la volonté est toute chose
voulue : mais la raison ou la notion d’objet est achevée par la notion
de bien. D’où il suit que l’acte de la volonté humaine se conforme à la
volonté divine du fait qu’il tend au bien comme la volonté divine. Et c’est
de là aussi que l’acte bon est une image de la bonté divine. Et telle est la
conformité selon la cause efficiente car Dieu a ordonné toute volonté au bien.
Et c’est cela que Dieu veut que nous voulions dans la mesure où notre volonté
est ordonnée. |
Sed haec conformitas includit conformitatem
finis, inquantum hoc volitum habet rationem bonitatis ex fine, etsi quandoque
etiam in se bonum sit; unde ex hoc attenditur essentialiter conformitas, non
autem ex ipsa re volita ex qua actus speciem non trahit. Sed habitus
caritatis addit perfectionem in bonitate actus. Et ideo secundum causam
formalem attenditur perfectio conformitatis, ut tanto actus voluntatis nostrae
divinae voluntati sit conformior, quanto est melior et perfectior. |
Mais cette conformité inclut la conformité
de la fin, en tant que cet objet voulu tient de la fin la raison de bien,
bien que parfois aussi il soit un bien en soi ; d’où il suit que c’est à
partir de cela que se vérifie essentiellement la conformité, mais non à
partir de la chose voulue elle-même de laquelle l’acte ne tire pas son
espèce. Mais l’habitus de la charité ajoute une perfection à la bonté de
l’acte. Et c’est pourquoi c’est d’après la cause formelle que se vérifie la
perfection de la conformité de telle manière que plus l’acte de notre volonté
est conforme à la volonté divine, meilleur et plus parfait il est. |
[3378] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod volitum non est perfectio voluntatis, vel
objectum, nisi inquantum stat sub ratione boni, sicut nec color objectum
visus et perfectio, nisi secundum quod stat sub actu lucis. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu que l’objet voulu n’est la perfection de la volonté ou son objet
que dans la mesure où il se tient sous la notion de bien, tout comme la
couleur n’est l’objet de la vue et sa perfection que si elle se tient sous
l’acte de la lumière. |
[3379] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 2 Unde patet ad secundum responsio. |
2. D’où il suit que la réponse
à la deuxième difficulté est évidente. |
[3380] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in eo qui peccat,
voluntas rationis non tendit in id quod est sibi bonum, sed in id quod est
alteri bonum, scilicet concupiscibili et irascibili: non enim homo dicitur
homo propter concupiscibilem vel irascibilem, sed propter rationem; et ideo
non est bona voluntas. Si tamen irascibilis per se tenderet in suum objectum,
quod est suum bonum, non est culpabilis, sicut est in brutis, et haberet
quamdam conformitatem ad voluntatem divinam inquantum tendit in id in quod
ordinavit eam Deus. |
3. Il faut dire en troisième
lieu que dans celui qui commet le péché la volonté de la raison ne tend pas
vers ce qui lui est un bien, mais vers ce qui est le bien d’un autre, à
savoir vers le bien du concupiscible et de l’irascible: en effet, on ne dit
pas de l’homme qu’il est homme en raison de l’irascible ou du concupiscible,
mais à cause de la raison; et c’est pourquoi sa volonté n’est pas bonne. Si
cependant l’irascible tend de lui-même vers son objet, qui est son bien, il
n’est pas coupable, comme c’est le cas pour les brutes animales, et il a une
certaine conformité à l’égard de la volonté divine selon qu’il tend vers ce à
quoi Dieu l’a ordonné. |
[3381] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
ad 4 Ad quartum dicendum, quod passio Christi habebat duo: scilicet quod erat salvativa humani
generis; et sic haec res volita stabat sub ratione boni et erat volita a Deo
et a sanctis: vel secundum quod erat afflictiva
innocentis, et sic non habebat rationem boni, et sic erat volita a Judaeis,
unde non volebant bonum simpliciter nisi per accidens, sed per se loquendo
volebant simpliciter malum aestimatum bonum, inquantum satisfaciebant irae
suae, vel invidiae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
passion du Christ comportait deux éléments essenties : à savoir qu’elle
était salvatrice du genre humain et ainsi cet objet voulu se tenait sous
la raison de bien et était voulu de Dieu et des saints ; d’autre part
elle était cause de la souffrance d’un innocent et ainsi elle n’avait pas
raison de bien et c’est en ce sens qu’elle était voulue par les Juifs, d’où
il suit qu’ils ne voulaient que par accident le bien pris absolument, mais à parler proprement ils
voulaient le mal absolument qu’ils jugeaient comme un bien selon qu’ils
donnaient satisfaction à leur colère et à leur envie. |
[3382] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut forma naturalis est in materia ab
agente, ita forma bonitatis est in volito a fine; et sicut materia
improportionata ad formam adveniente debito agente nunquam consequitur
formam, sicut lapis non fit caro a virtute digestiva; ita etiam volitum
improportionatum ad bonitatem, quantumcumque sit bonus finis, nunquam
bonitatem recipit; et talia sunt quae per se sunt mala, ut furari et
hujusmodi; nisi deformitas tollatur auctoritate divina, ut supra, distinc.
XLVII, quaest. unica, art. 3, dictum est. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que tout
comme la forme naturelle est dans la matière par l’intervention de l’agent,
de même la forme du bien est dans l’objet voulu à cause de la fin ; et
tout comme une matière qui advient à la forme par un agent qui convient, si
elle n’est pas proportionnée, n’est jamais suivie de la forme, tout comme la
pierre ne devient pas de la chair par la puissance de digestion, de même
encore un objet voulu qui n’est pas proportionné au bien, si bonne que soit
la fin, ne reçoit jamais la forme du bien ; et tels sont les actes qui
sont mauvais par eux-mêmes comme voler, et les actes de la sorte, à moins que
leur dérèglement ne soit retiré par l’autorité divine ainsi que nous l’avons
dit plus haut [dist. XLVII, quest. unique, art. 3]. |
[3383] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2
ad 6 Ad sextum dicendum quod omne volitum divinum imitatur voluntatem ipsius
inquantum est sicut Deus vult, non tamen imitatur in ratione volendi, et
bonitate actus voluntatis; sed solum actus voluntatis humanae tendens in
bonum ad quod ordinatum est secundum Dei voluntatem; unde non tantum est ibi
conformitas voluntatis nostrae inquantum est volita, sed inquantum est
volens, et bonum actum voluntatis eliciens. |
6. Il faut dire en sixième lieu que tout
objet voulu qui est divin imite la volonté divine dans la mesure où il est
semblable à ce que Dieu veut, et il ne l’imite pas en raison du vouloir et de
la bonté de l’acte de la volonté ; mais l’acte de la volonté humaine
imite la volonté divine seulement en tendant au bien auquel il est ordonné
conformément à la volonté de Dieu ; d’où il suit qu’il y a là conformité
de notre volonté non seulement dans la mesure où elle est voulue mais dans la
mesure où elle veut en choisissant un bon acte de la volonté. |
|
|
Articulus 3 [3384] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
tit. Utrum ad conformitatem divinae voluntatis non teneamur |
Article 3 : Ne sommes-nous pas tenus à la conformité de la volonté divine ? |
[3385] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ad
conformitatem divinae voluntatis non teneamur. Sicut enim rectitudo
voluntatis humanae est per conformitatem ad voluntatem divinam, ita rectitudo
intellectus nostri per conformitatem ad intellectum divinum. Sed non omnes
tenentur ad conformandum intellectum suum intellectui divino; alias nullus
habens falsam opinionem, salvaretur. Ergo et pari ratione non tenemur ad
conformitatem voluntatis. |
Difficultés: 1. Il semble que nous ne soyons pas tenus d’être conformes à la
volonté divine. En effet, tout comme la rectitude de la volonté humaine a
lieu par la conformité à la volonté divine, de même la rectitude de notre
intelligence a lieu par la conformité à l’intelligence divine. Mais tous ne
sont pas tenus à conformer leur intelligence à l’intelligence divine,
autrement aucun de ceux qui ont une
opinion fausse ne serait sauvé. Donc, pour la même raison, nous ne sommes pas
tenus à la conformité de notre volonté. |
[3386] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nullus obligatur ad impossibile
sibi; alias peccatum non esset voluntarium, sed necessarium. Sed voluntas obstinata in malo non potest
divinae voluntati conformis esse, quae semper bona est. Ergo videtur quod
tales ad conformitatem non tenentur. |
2. Par ailleurs, personne n’est obligé à ce
qui lui est impossible, autrement le péché ne serait pas volontaire mais
nécessaire. Mais la volonté qui s’obstine dans le mal ne peut être conforme à
la volonté divine, laquelle est toujours bonne. Il semble donc que ceux-là ne
sont pas tenus d’être conformes. |
[3387] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quicumque peccat, in ipso actu
peccati voluntatem suam voluntati divinae non conformat. Si ergo ad
conformitatem omnes tenemur, videtur quod quicumque peccat, duplici peccato
peccet; scilicet peccato transgressionis quod committit, et peccato
omissionis quo conformitatem non implet ad quam tenetur: et hoc est falsum. |
3. En outre, quiconque commet
le péché, c’est dans l’acte même du péché qu’il ne conforme pas sa volonté à
la volonté divine. Si donc tous étaient tenus à la conformité, il semble que
quiconque commettrait le péché serait doublement fautif: à savoir par le
péché de transgression qu’il commet et par le péché d’omission par lequel il
n’accomplit pas ce à quoi il est tenu: et cela est faux; donc, etc. |
[3388] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quicumque non facit id ad quod
faciendum obligatur, peccat mortaliter omittendo. Sed quicumque peccat
venialiter, ipso actu non conformat voluntatem suam voluntati divinae. Ergo si ad hoc tenetur, peccat mortaliter:
quod falsum est: ergo et primum. |
4. De plus, quiconque ne fait pas ce à qu’il
est tenu de faire commet un péché mortel par omission. Mais quiconque commet
un péché véniel, c’est par l’acte même qu’il ne conforme pas sa volonté à la
volonté divine. Si donc il était tenu à cela, il commettrait un péché
mortel, ce qui est faux ; donc, tous ne sont pas tenus de conformer leur
volonté à la volonté divine. |
[3389] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
arg. 5 Praeterea, quidquid vult Deus fieri, fit. Ergo quidquid vult nos velle,
nos volumus. [Sed mali non volunt bona facere. Ergo Deus non vult eos velle
bona. Si ergo conformitas humanae voluntatis ad divinam est in hoc quod homo
vult quod Deus vult eum velle, videtur quod homo peccando non recedat a
conformitate voluntatis : quod falsum est. |
5. Par ailleurs, tout ce que Dieu veut, cela
arrive. Donc, tout ce qu’Il veut que nous voulions, nous [nous om. Éd. de Parme] le voulons. Mais les
méchants ne veulent pas faire le bien. Si donc la conformité de la volonté
humaine à la volonté divine consiste en ceci que l’homme veut ce que Dieu
veut qu’il veuille, il semble que l’homme pécheur ne s’écarte pas de la
conformité de la volonté, ce qui est faux. |
[3390] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
arg. 6 Praeterea, sicut volitum divinum est nobis ignotum, ita et finis ad
quem opus suum ab ipso ordinatur; cum etiam in rebus naturalibus plerumque
difficile sit assignare finem. Sed nullus tenetur ad id quod ignorat. Ergo ad
illam conformitatem quae est ex parte finis non tenemur. |
6. Aussi, tout comme ce qui est voulu de
Dieu nous est inconnu, de même aussi nous est inconnue la fin à laquelle il
ordonne son œuvre, tout comme dans les choses naturelles aussi il nous est
difficile d’assigner la fin. Mais nul n’est tenu à l’égard de ce qu’il
ignore. Donc, nous ne sommes pas tenus à l’égard de cette conformité qui se
tient du côté de la fin. |
[3391] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
arg. 7 Praeterea, nullus tenetur ad id quod non est in potestate sua. Sed
habere caritatem non est nobis ex nobis. Ergo videtur quod ad illam
conformitatem quae est in forma caritatis, non teneamur. |
7. De plus, nul n’est tenu à l’égard de ce
qui n’est pas en son pouvoir. Mais posséder la charité ne nous vient pas de
nous. Il semble donc que nous ne soyons pas tenus à cette conformité qui
consiste dans la forme de la charité. |
[3392] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omnes tenemur ad obediendum Deo,
et ad habendum rectam voluntatem. Sed hoc non potest esse nisi conformemur
divinae voluntati. Ergo ad conformitatem ejus omnes tenemur. |
Cependant : 1. Nous sommes tous tenus
d’obéir à Dieu et d’avoir une volonté droite. Mais cela ne nous est possible
qu’en nous conformant à la volonté divine. Nous sommes donc tous tenus d’être
conformes à sa volonté. |
[3393] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 co. Respondeo
dicendum, quod ad illud proprie dicitur aliquis teneri, quod si non facit,
peccatum incurrit. In omnibus autem et naturalibus et voluntariis peccatum
contingit ex hoc quod aliquid non pervenit ad illud ad quod ordinatum est, ut
in II Phys., text. 82, dicitur, ut patet in monstris et erroribus qui
contingunt in operatione artis. Sed tamen differenter est in naturalibus et
voluntariis: quia in naturalibus defectus ab ordine incidit ex
necessitate ; sed in voluntariis ipsa voluntas est causa sui defectus:
quia in nobis est posse deficere et non deficere. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on dit proprement de quelqu’un qu’il est tenu à ces choses qui, s’il ne
les fait pas, il encourt un péché. Mais dans toutes les choses, à la fois
naturelles et volontaires, la faute est possible du fait qu’un être ne
parvient pas à ce à quoi il est ordonné, ainsi que le dit le Philosophe [11 Physique, texte 82], comme on le voit
dans les monstres et les erreurs qui se produisent dans les opérations de
l’art. Mais il en va différemment dans les opérations de la nature et dans
celles de la volonté : car dans les choses naturelles le dérèglement par
rapport à l’ordre se produit nécessairement ; mais dans les actes
volontaires c’est la volonté elle-même qui est la cause de son
dérèglement : car il y a en nous le pouvoir de défaillir et de ne pas
défaillir. |
Unde defectus voluntatis ab eo ad quod ordinata
est, non solum habet rationem peccati, sed etiam culpae. Cum igitur dictum
sit, quod conformitas voluntatis attendatur secundum hoc quod tendit per
actum suum in id ad quod ordinatum est, oportet quod defectus conformitatis
inducat peccatum et culpam; et ideo tenemur ad conformitatem voluntatis. |
D’où il suit que le défaut ou le dérèglement
de la volonté par rapport à ce à quoi elle est ordonnée n’a pas seulement
raison de faute mais aussi de blâme. Donc, puisque nous avons dit que la
conformité de la volonté se vérifie selon ceci que par son acte elle tend
vers ce à quoi elle est ordonnée, il faut que le défaut de conformité amène
la faute et le blâme ; et c’est pourquoi nous sommes tenus à la
conformité de notre volonté. |
Sed sciendum, quod ad aliquid tenemur
directe, quod scilicet per se est in potestate nostra; et sic tenemur ad
conformitatem, qua volumus id quod congruit nos velle, et secundum rectum
finem; quia in utrumque istorum per naturalia nostra possumus. Ad aliquid
vero tenemur indirecte, sicut ad habendam gratiam, quod secundum se non est
in potestate nostra; sed in potestate nostra est facere aliquid, quo facto
habebimus gratiam; et sic tenemur etiam ad illam conformitatem quae est
secundum formam caritatis. |
Mais il faut savoir que nous sommes tenus
directement à quelque chose, à savoir à ce qui est par soi en notre
pouvoir ; et ainsi nous sommes tenus à cette conformité par laquelle
nous voulons ce qu’il convient que nous voulions et conformément à une fin
qui est juste car pour ces deux cas nous avons le pouvoir d’agir par nos
capacités naturelles. Mais nous sommes
tenus à certaines choses indirectement, par exemple à la possession de la
grâce qui en elle-même n’est pas en notre pouvoir ; mais il est en notre
pouvoir de faire quelque chose qui, étant fait, nous posséderons la
grâce ; et ainsi nous sommes tenus même à cette conformité qui a lieu
selon la forme de la charité. |
[3394] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est simile de voluntate et intellectu:
quia defectus intellectus non est in potestate nostra, sicut defectus
voluntatis: quia intellectus violenter cogitur quandoque rationibus, ut in V
Metaph., text. 6, dicitur, non autem voluntas. Et tamen in his quae
necessaria sunt ad salutem, tenemur intellectum nostrum divino conformare, ut
in his quae fidei sunt: quia in his, si quod in nobis est facimus, divinum
nobis non deerit auxilium. In
aliis etiam peccaret quis, si voluntarie secundum intellectum verum
impugnaret, et falso adhaereret. |
Solutions : 1. Il faut donc dire en
premier lieu qu’il n’en va pas de même pour la volonté et pour l’intelligence
car le défaut de l’intelligence n’est pas en notre pouvoir comme le défaut de
la volonté. La raison en est que l’intelligence, mais non la volonté, est
parfois contrainte avec force par des raisons ainsi que le dit le Philosophe
[V Métaphysique, texte 6]. Et cependant, pour les choses qui sont nécessaires
au salut, comme c’est le cas pour les vérités de la foi, nous sommes tenus de
conformer notre intelligence à l’intelligence divine car dans ce cas, si nous
faisons ce qui est en notre pouvoir, l’assistance divine ne nous manquera
pas. Mais dans les autres cas aussi il y aurait péché si, en combattant
volontairement ce qui est vrai selon l’intelligence, on adhérait à ce qui est
faux. |
[3395] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
ad 2 Ad secundum dicendum, quod dum voluntas est obstinata, simul divinae
voluntati conformis esse non potest; sed in statu viae nullus est qui mentis
obstinationem non possit deponere, et sic divinae voluntati conformari: sed
damnatis est in poenam inflictum ut ab obstinatione sua nunquam curentur, et
tamen manet in eis culpa perpetua cum poena numquam : non tamen
demerentur, quia non sunt in via, sed ad terminum viae, ubi est poena,
devenerunt. |
2. Il faut dire en deuxième lieu qu’aussi
longtemps que la volonté s’entête dans le mal, elle ne peut être
simultanément conforme à la volonté divine ; mais dans la condition de
cette vie, il n’y a personne qui ne puisse abandonner l’entêtement de
l’esprit et ainsi se conformer à la volonté divine : mais à ceux qui ont
été condamnés au chatiment, il a été imposé de ne jamais être guéris de leur
entêtement, et cependant il demeure toujours en eux la faute éternelle avec
le châtiment : et ils n’arrivent cependant pas à gagner des mérites car
ils ne sont plus sur le chemin, mais ils en sont venus au terme du chemin où
se trouve le châtiment. |
[3396] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
ad 3 Ad tertium dicendum, quod conformitas voluntatis est communis ad omnia
praecepta legis naturalis et scriptae quibus in bonum ordinamur: unde
quicumque peccat contra quodcumque praeceptum, contra conformitatem peccat;
non tamen facit duo peccata, quia commune non ponit in numerum contra
proprium. |
3. Il faut dire en troisième lieu que la
conformité de la volonté est commune par rapport à tous les préceptes de la
loi naturelle et de la loi écrite par lesquels nous sommes ordonnés au
bien : d’où il suit que quiconque est fautif à l’encontre de n’importe
quel précepte est fautif à l’égard de la conformité ; il ne fait
cependant pas deux fautes, car le commun ne pose rien par le nombre en dehors
de ce qui est propre. |
[3397] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
ad 4 Ad quartum dicendum, quod praecepta affirmativa non obligant ad semper;
eo quod impossibile est nobis semper agere, ut in Lib. De somno et vigilia dicitur: et ideo non oportet quod semper actu
voluntatem nostram divinae conformemus; sed sufficit quod semper in habitu,
et quandoque in actu. Unde qui peccat venialiter, non committit contra
conformitatem, sed solum praeter conformitatem facit, sicut praeter legem. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que les
préceptes affirmatifs n’obligent pas à la continuité du fait qu’il nous est
impossible d’agir toujours comme le dit le Philosophe [Du Sommeil et de la Veille] : et c’est pourquoi il n’est pas
nécessaire que nous conformions toujours en acte notre volonté à la volonté
divine ; mais il suffit que nous la conformions toujours par l’habitus
et parfois en acte. D’où il suit que celui qui commet un péché véniel n’est
pas fautif à l’encontre de la conformité, mais il agit seulement à côté de la
conformité tout comme il agit à côté de la loi. |
[3398] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum dicitur conformitatem attendi secundum hoc
quod volumus id quod vult nos Deus velle, intelligitur de voluntate
antecedente, cujus effectus est ordo naturae nostrae in bonum. Objectio autem
procedit de voluntate consequente, et ideo non procedit. |
5. Il faut dire en cinquième lieu que
lorsqu’on dit que la conformité se vérifie selon ceci que nous voulons ce que
Dieu veut que nous voulions, cela s’entend de la volonté antécédente, dont
l’effet est l’ordre de notre nature par rapport au bien. Mais la difficulté
procède de la volonté conséquente et c’est pourquoi l’argument ne tient pas. |
[3399] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3
ad 6 Ad sextum dicendum, quod licet finem proprium scire non possimus, finem
tamen ultimum a quo est omnis bonitas in finibus proximis, scire possumus, ut
scilicet omnia in Deum ordinemus, qui propter seipsum universa fecit, ut
dicitur Proverb. 16. |
6. Il faut dire en sixième lieu que bien que
nous ne pouvons connaître la fin propre, nous pouvons cependant connaître la
fin ultime, de laquelle vient tout bien dans les fins prochaines, de telle
manière que nous pouvons ordonner tous nos actes à Dieu qui a fait toute
chose pour Lui-même comme le dit l’Écriture [Proverbes 16, 4]. |
[3400] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum patet responsio per id quod dictum
est. |
7. La réponse à cette difficulté est évidente au moyen de ce qui a
été dit. |
|
|
Articulus 4 [3401] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4
tit. Utrum ad conformitatem in volito teneamur |
Article 4 : Sommes-nous tenus à la conformité dans ce qui est voulu ? |
[3402] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod ad
conformitatem in volito non teneamur. Nullus enim ad ignotum tenetur. Sed volitum divinum est nobis ignotum,
sicut et ejus praescitum. Ergo videtur quod ad hoc non teneamur. |
Difficultés : 1. Il semble que nous ne
soyons pas tenus à la conformité à l’objet voulu. Nul en effet n’est tenu à
l’égard de l’inconnu. Mais ce qui est voulu de Dieu nous est inconnu, tout
comme ce qui est connu de Lui à l’avance. Il semble donc que nous ne soyons
pas tenus à la conformité à cet égard. |
[3403] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4
arg. 2 Si dicatur, quod potest alicui revelari; contra. Posito quod alicui sua damnatio reveletur, iste non tenetur
suam damnationem velle; quinimmo tenetur suam salutem velle, quia tenetur se
ex caritate diligere, et sibi summum bonum optare. Ergo non tenetur velle
quod scit Deum velle. |
2. Si on dit que cela peut être révélé à
certains, je réponds à l’encontre de cela que si sa damnation est révélée à
quelqu’un, ce dernier n’est pas tenu de vouloir sa damnation ; bien au
contraire, il est tenu de vouloir son salut car il est tenu de s’aimer par
charité et de choisir pour lui-même son plus grand bien. Il n’est donc pas
tenu de vouloir ce qu’il sait que Dieu veut. |
[3404] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4
arg. 3 Praeterea, Christus sciebat passionem suam a Deo esse volitam, et
tamen aliqua voluntate passionem noluit, ut infra dicit Magister, in III,
dist. XVII. Cum igitur Christus nihil omiserit eorum quae sunt de rectitudine
vitae, ad quae omnes tenemur, videtur quod ad conformitatem in volito non
teneamur. |
3. Par ailleurs, le Christ savait que sa
passion était voulue de Dieu et cependant par une certaine volonté il ne la
voulait pas comme le dit plus loin le Maître [111 Sent., dist. XVII]. Donc, puisque le Christ n’a rien négligé des
choses qui font partie de la rectitude de la vie auxquelles nous sommes tous
tenus, il semble que nous ne soyons pas tenus à la conformité à l’objet
voulu. |
[3405] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4
arg. 4 Item objicitur de beata Virgine, quae passionem Filii non voluit;
alias de morte tristata non fuisset, quod est contrarium ejus quod habetur
Luc. 2, 35: « Tuam ipsius animam
pertransibit gladius ». |
4. En outre, on présente une objection au
sujet de la Vierge Marie qui ne voulut pas la passion de son Fils autrement
elle ne se serait pas attristée de sa mort, ce qui est contraire à ce qui est
établi dans l’Écriture [Luc 2,
35] : «Et toi-même, une épée te
transpercera l’âme». |
[3406] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, voluntas divina innotescit nobis per
signa voluntatis. Sed
permissio, quae est unum signorum, est etiam de malis culpae, quae nullo modo
velle debemus. Ergo non tenemur conformare voluntatem nostram divinae in
volito. |
5. De plus, la volonté divine se fait
connaître à nous par les signes de la volonté. Mais la permission, qui est un
des signes, se rapporte aussi aux maux de la faute que nous ne devons vouloir
en aucune manière. Nous ne sommes donc pas tenus de conformer notre volonté à
la volonté divine par rapport à l’objet voulu. |
[3407] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4
s. c. 1 Sed contra, super illud Psal. C : « Non adhaesit mihi cor pravum », dicit Glossa: cor pravum
habet qui non vult quod Deus vult. Sed omnes tenemur non habere cor pravum. Ergo
tenemur ad conformandum voluntatem nostram voluntati divinae in volito. |
Cependant: 1. Au contraire, sur ce
passage de l’Écriture [Psaume C]: «Le coeur insensé ne s’est pas attaché à
moi», la Glose dit: celui qui ne
veut pas ce que Dieu veut a un coeur insensé. Mais nous sommes tous tenus
de ne pas avoir un Coeur insensé. Nous sommes donc tenus de conformer notre
volonté à la volonté divine quant à l’objet voulu. |
[3408] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, secundum Tullium, lib. De
amic, amicorum est idem
velle et nolle. Sed tenemur Deo esse amici. Ergo tenemur idem velle quod ipse
vult. |
2. Par ailleurs, d’après Cicéron [De l’amitié], il appartient aux amis
de vouloir et de rejeter les mêmes choses. Mais nous sommes tenus d’être les
amis de Dieu. Nous sommes donc tenus de vouloir les mêmes choses que Lui-même
veut. |
[3409] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 co. Respondeo
dicendum, quod Deus dicitur aliquid velle voluntate antecedente; et de hoc
non est dubium quin voluntatem nostram in tali volito divinae conformare
debeamus, quia hoc est in quod voluntas nostra ordinata est. |
Corps de
l’article : Je réponds qu’il faut dire
qu’on dit de Dieu qu’il veut quelque chose par la volonté antécédente ;
et à ce sujet il n’y a pas de doute que nous devions conformer notre volonté
à la volonté divine quant à ce qui est voulu, car c’est là ce à quoi notre
volonté est ordonnée. |
Dicitur etiam aliquid velle voluntate
consequente; et hoc volitum non semper notum est nobis, nisi quatenus
operatione ejus manifestatur; et hoc addit aliquam rationem bonitatis ad rem,
ut possit esse volita, quia Deus eam vult; sicut enim aliquid habet in se
bonitatem, ut facere eleemosynam, et tamen advenit sibi aliqua ratio
bonitatis ex fine; ita etiam advenit sibi aliqua ratio bonitatis ex hoc quod
est volitum et ordinatum a Deo. Eo enim ipso quod aliquid apprehenditur ut
volitum a Deo, apprehenditur ut bonum. Unde voluntas consequens hanc
apprehensionem, tenetur tendere in illud: alioquin non esset motus voluntatis
bonus, nec Deo conformis, si bonum refugeret. |
Mais on dit aussi de Lui qu’il veut quelque chose par la volonté
conséquente; et cet objet voulu n’est pas toujours connu de nous, à moins
qu’il ne nous soit manifesté par son opération; et cela ajoute un rapport de
bonté à la chose, de sorte qu’elle puisse être voulue parce que Dieu la veut,
tout comme en effet quelque chose possède en soi de la bonté, comme faire l’aumône,
et cependant il lui survient un rapport de bonté du côté de la fin; c’est
ainsi qu’il lui servient un rapport de bonté du fait que cela est voulu et
ordonné par Dieu. En effet, du fait même qu’une chose est appréhendée comme
voulue de Dieu, elle est appréhendée comme un bien. D’où il suit que la
volonté qui suit cette apprehension est tenue de tendre vers cette chose:
autrement le mouvement de la volonté ne serait pas bon ni conforme à Dieu
s’il se retirait du bien. |
Sciendum tamen,
quod cum sint diversi gradus appetitus consequentes diversas apprehensiones,
nullus appetitus tenetur tendere in illud bonum cujus rationem non
apprehendit.Verbi gratia, in nobis est quidam appetitus sensitivus consequens
apprehensionem sensus, qui non est nisi de bono convenienti secundum corpus:
unde hoc appetitu appetitur delectabile secundum sensum; nullo autem modo
aliquod bonum spirituale, ut scientia. Est et quaedam voluntas in nobis naturalis, qua appetimus id quod
secundum se bonum est homini, inquantum est homo; et hoc sequitur
apprehensionem rationis, prout est aliquid absolute considerans: sicut vult
homo scientiam, virtutem, sanitatem et hujusmodi. Est etiam in nobis quaedam
voluntas deliberata consequens actum rationis deliberantis de fine et
diversis circumstantiis; et secundum hanc tendimus in illud quod habet
rationem bonitatis ex fine, vel ex aliqua circumstantia. |
Il faut cependant savoir que puisqu’il y a
différents degrés d’appétits qui découlent de différentes appréhensions, nul
appétit n’est tenu de tendre vers ce bien dont il n’appréhende pas la raison.
En d’autres mots, il y a en nous un appétit sensitif qui suit l’appréhension
du sens et qui ne se rapporte qu’au bien qui convient au corps : c’est
pourquoi c’est par cet appétit qu’est désiré ce qui est délectable selon le
sens, mais en aucune manière n’est recherché par lui un bien spirituel comme
la science. Mais il y a aussi en nous une volonté naturelle par laquelle nous
désirons ce qui est un bien en soi pour l’homme en tant qu’homme ; et cela
découle de l’appréhension de la raison selon qu’elle considère les choses
dans l’absolu : par exemple l’homme veut la science, la vertu, la santé
et les choses de cette sorte. Mais il y a aussi en nous une certaine volonté
délibérée qui suit l’acte de la raison qui délibère sur la fin et les
différentes circonstances ; et c’est d’après cette volonté que nous
tendons vers ce qui a raison de bien à partir de la fin ou de quelque
circonstance. |
Si ergo sit aliquid quod habeat has omnes
rationes bonitatis, quilibet appetitus si sit rectus, tendit in hoc; si autem
desit aliqua ratio dictarum, oportet illum appetitum cui respondet talis
ratio, non tendere in hoc; sed forte in contrarium, si forte habeat
contrariam rationem; sicut secari propter sanitatem est contristabile
secundum sensum, nec secundum se bonum est, sed tantum ex fine; et ideo
sectionem solum voluntas deliberata eligit, sed voluntas naturalis et
appetitus sensitivus abhorret. |
Si donc il existe quelque chose qui possède
toutes ces raisons ou ces rapports au bien, s’il existe un appétit qui est
droit, il tend vers cela ; mais s’il manque un des rapports dont on a
parlé, il faut que cet appétit, auquel correspond telle raison, ne tende pas
vers cela mais peut-être vers le contraire si par hasard il possède
une raison contraire ; par exemple, être amputé en vue de la santé est affligeant
selon le sens et n’est pas un bien en soi, mais seulement par rapport à la
fin ; et c’est pourquoi seule la volonté délibérée choisit l’amputation,
mais la volonté naturelle et l’appétit sensible la fuit. |
Similiter etiam dicendum est in proposito.
Si enim apprehendatur aliquid esse volitum a Deo, quod praecipue per signum
operationis manifestatur; voluntas deliberata, quae sequitur rationem, prout
est comprehendens et conferens de ista ratione bonitatis, tenetur illud velle,
quamvis voluntas naturalis et appetitus sensitivus refugiant; et in
refugiendo voluntati divinae conformantur, inquantum tendunt in bonum
secundum rationem apprehensam; sicut est in illo qui pie dolet de morte
patris, vel alicujus utilis in Ecclesia. |
Il faut dire de même quant à notre propos.
Si en effet quelque chose était appréhendé comme voulu par Dieu, ce qui est
manifesté surtout par le signe de l’opération, la volonté délibérée, qui suit
la raison qui saisit et rassemble des éléments sur ce rapport au bien, est
tenue de vouloir cela bien que la volonté naturelle et l’appétit sensible
s’en éloignent ; et en s’éloignant ils se conforment à la volonté divine
selon qu’ils tendent vers le bien selon la raison appréhendée, comme pour
celui qui s’attriste naturellement de la mort du père ou de quelque chose
d’utile dans l’Église. |
Sciendum tamen, quod in talibus motus
voluntatis deliberatae in peccatoribus est corruptus, qui ex toto relinquunt
deliberationem rationis, et sequuntur impetum voluntatis naturalis et
sensitivae, murmurantes de Dei ordinatione; in justis vero viatoribus manet
quidem integer, sed imperfectus dupliciter. |
Il faut cependant savoir que dans ces cas le
mouvement de la volonté délibérée chez les pécheurs est corrompu, lesquels
abandonnent totalement la délibération de la raison et suivent l’élan de la
volonté naturel et de l’appétit sensible, se plaignant de l’ordonnance de
Dieu ; mais chez ceux qui cheminent dans la justice le mouvement de la
volonté délibérée demeure certes entier mais imparfait de deux manières. |
Tum
ex parte cognitionis, quia non plene voluntatem divinam cognoscit: tum ex
parte affectionis, quia retardatur ex motibus inferioribus: unde in talibus
sufficit non recalcitrare divinae ordinationi, nec oportet gaudium experiri
de hoc quod secundum voluntatem fit, sicut etiam dicit Philosophus, in IV Ethic., cap. X, quod sufficit fortem
non tristari in periculis mortis, quamvis non gaudeat, sicut est in actibus
aliarum virtutum; et haec est conformitas viae. |
Tant du côté de la
connaissance, car ils ne connaissent pas pleinement la volonté divine, que du
côté de l’affectivité car ils sont retardés par les mouvements
inférieurs : d’où il suffit dans ces cas de ne pas regimber contre
l’ordonnance divine, et il ne faut pas éprouver de la joie au sujet de ce qui
se produit selon la volonté, tout comme le Philosophe [IV Éthique, ch. X] dit aussi qu’il suffit
à celui qui est fort de ne pas s’attrister dans les dangers de mort bien
qu’il ne s’en réjouisse pas, comme c’est le cas pour les actes des autres
vertus ; et telle est la conformité du chemin. |
Sed in beatis est motus voluntatis
delibératione integer et perfectus, tum ex parte cognitionis, quia voluntatem
divinam plene cognoscunt ; tum ex parte affectionis, quae dominatur omni
inferiori appetitui, nec in aliquo retardatur vel impeditur : unde in
videndo illud quod Deus vult, quod et ipsi volunt, gaudium experiuntur :
de quo in Psalm. LVII, 2, dicitur : « Laetabitur ustus cum viderit vindictam ». |
Mais chez les bienheureux le mouvement de la
volonté par la délibération est entier et parfait, tant du côté de la
connaissance, car ils connaissent pleinement la volonté divine, que du côté
de l’affectivité qui commande à tout appétit inférieur et n’est retardé ou
empêché en rien : d’où il suit que, en voyant ce que Dieu veut,
eux-mêmes le veulent et en éprouvent de la joie ; et l’Écriture [Psaume LVII, 2] dit à ce sujet :
« Joie pour le juste de voir la
vengeance ». |
[3410] Super Sent.,
lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod volitum divinum,
quantum ad voluntatem antecedentem, est nobis notum ex ipsa naturali
inclinatione ; sed volitum voluntatis consequentis innotescit nobis vel
per revelationem vel per operationem. |
Solutions: 1. Il faut donc dire en
premier lieu que ce qui est voulu de Dieu, quant à la volonté antécédente,
nous est connu de par l’inclination naturelle elle-même; mais ce qui est
voulu quant à la volonté conséquente nous est connu soit par la revelation,
soit par l’opération. |
[3411] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4
ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa positio est quasi impossibilis :
quia nulli sua damnatio revelatur, sicut etiam nec Angelis, ut dicit
Augustinus lib. XI Supra Genes. Ad litt.,
cap. XVII et XVIII, col. 438 : si tamen revelaretur, posset credere
secundum comminationem et non secundum praescientiam dictum : tenetur
tamen velle istum ordinem justitiae, quo si in peccatis moritur,
damnatur ; quia hoc est quod Deus vult, et non damnationem per se, neque
culpam. |
2. Il faut dire en deuxième lieu que cette
position est comme impossible : car à personne n’est révélée sa
damnation, tout elle ne l’est pas même révélée aux Anges, comme le dit
Saint-Augustin [XI Sur la Genèse prise
à la Lettre, ch. XVII et XVIII, col. 438] : si cependant elle était
révélée, il pourrait croire selon la menace et non selon ce qu’en dit la
préscience : il est cependant tenu de vouloir cet ordre de la justice
par lequel s’il meurt dans les péchés, il sera damné car c’est là ce que Dieu
veut et non pas la damnation en elle-même ni le péché. |
[3412] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4
ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus voluntate rationis deliberata volebat
passionem suam, et similiter beata Virgo, et quilibet sanctus ; quamvis
voluntas naturalis dissentiret. |
3. Il faut dire en troisième lieu que le
Christ, tout comme la bienheureuse Vierge et chacun des saints, voulait sa
passion par la volonté délibérée de la raison, bien qu’elle lui répugnait par
la volonté naturelle. |
[3413] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4
ad 4 Ad quartum dicendum, quod permissio nunquam significat quod voluntas sit
de culpa, sed de bono quod adjungitur culpae. |
4. Il faut dire en quatrième lieu que la
permission ne signifie jamais que la volonté porte sur la faute elle-même,
mais plutôt sur le bien qui est rattaché à la faute. |
[1] Il semble
qu’on pourrait, en tenant compte d’Aristote traduire « selon l’art »
par scientifique. C’est un des sens du mot. — Quand Thomas reprendra le sujet
dans la Somme théologique, il posera la question : Cette doctrine
argumente-t-elle ? Ici il traite le même sujet mais en considérant surtout la
méthode.
[2] Note du traducteur : Saint Augustin a écrit le
De doctrina christiana pour formuler
des règles d’interprétation de l’Écriture. Il commence par faire une
distinction tout à fait générale entre les choses et les signes. Le livre I est
consacré aux choses. D’où une deuxième distinction : les choses dont on jouit,
celles dont on use, celles dont on jouit et dont on use. Le livre II est
consacré aux signes. Pierre Lombard, en ces trois permiers livres[2],
ne retient essentiellement que la distinction entre usage et fruition, que
Thomas reprendra par la suite dans son étude sur la volonté. (Ia// IIæ, qu. 11
et 16). La perspective est alors très différente. Il ne s’agit plus de méthode
pour la sacra pagina, mais de l’étude
des actes humains.
[3] Thomas opère en trois étapes : Dieu
peut-il être connu, ensuite peut-il être connnu par l’intermédiaire des
créatures et entre les deux articles, il pose le problème de l’évidence de
Dieu.
[4] Thomas réfute ici l’argument de saint Anselme
qui pense que Dieu est évident (Prologion,
Livre apologétique contre Gaunilion). L’argument sera repris avec des
variantes par Descartes et Leibnitz. Thomas rejette cette thèse par deux séries
d’arguments : Il en trouve la source dans l’habitude. Les hommes sont
tellement habitués à entendre le nom de Dieu qu’ils finissent par le considérer
comme évident. La seconde démonstration fait la différence entre ce qui est
évident en soi et évident pour nous. (Cf. C.G.
I, 11 –Q. sur la vérité, q. 10, a.
12).
[5] Parall. : Ia, q. 45, a. 7
(vestige de la Trinité) – Ia, q. 93,
a. 6, c.
[6] «. Sur la mer fut ton chemin, ton sentier sur
les eaux innombrables. Et tes traces, nul ne les connut. » (BJ. )
[7] Les noms essentiels (qui concernent
l'essence) semblent être les suivants : essence, personne, hypostase, nature,
bonté.
[8] Il en reviendra à dire plus simplement
en Pot. 2, les deux puissances
sont-elles identiques ?
[9] Les
catégories comprennent la substance et les 9 accidents. La substance n’est pas
dans les accidents. « La catégorie de la substance est plus noble que les
autres catégories, mais on ne l’attribue pas à Dieu, comme le dit Augustin (Trin. VII,V, 10) (Q. de pot. q. 1, a. 1 arg. 11). Il préfère l’emploi du mot essence. BA 15, p. 536-537). Ce qui est
dans la catégorie ou dans le genre de la substance est dans un genre. Or Dieu
n’est pas dans un genre. Démontration CG.
I, 25, - Q. de verit., q. 1, a. 1, c.
– Q. de pot., q. 7, a. 3, ad 4.
[10] Les catégories ou accidents sont au nombre de
9 : quantité, qualité, relation, action, passion, temps, lieu, habitus. Il
n’y a pas d’accidents en Dieu. Cf Aristote Catégories,
4, 1 b 25.
[11] Il faut remarquer la différence avec l’article
précédant. Il s’agit ici de l’unité de nature du Père et du Fils, alors que
dans l’article précédant, il s’agissait d’une unité numérique. Dans
l’introduction on lit « en tant qu’ils sont un en essence ou en
notion ».
[12] Il s’agit de l’esprit de l’homme (mens).
[13] Pour ces petites questions, on trouve d’abord
à la suite les objections des quatre articles, et ensuite les quatre réponses.
[14] La distinction 17 est consacrée à la charité.
Parmi les parallèles deux grandes études : celle de la Somme (IIa IIæ, q. 23 ss), et question 2 du De virtutibus,
(De caritate), qui ont été écrites
vers la même époque. En arrière plan, il faut remarquer l’étude des habitus,
liès à la charité. (« La foi est un habitus » Ia, IIæ, q.52, a. 1, sc. ).
[15] Ou complet
[16] Parall. : Ia, qu. 26, a. 3.
[17] Dans l’introduction l’article est signalé
comme : « Recherche sur la pluralité des noms divins donnés dans
La Lettre ». Pour Ambroise, la
répartition est triple (De fide, prol.
2) : Il y a certains noms qui montrent la propriété de la divinité ; il y
en a certains qui expriment la remarquable unité de la majesté divine ;
d’autres qui parlent au figuré et par image. Les identifications de la
propriété sont la génération, le Fils, le verbe, etc., celles de l’unité, la
sagesse étenelle, la vertu, la vérité,etc. la splendeur de la
ressemblance : le caractère, le miroir, etc. Lombard, dist. 22,ch. 1. On
remarquera qu’à ces trois divisions s’opposent les trois premières objections.
[18] Les hypostases sont les substances spéciales à
chacune des trois personnes de la Trinité, en tant que substantiellement
distinctes des deux autres. Elles sont subsistantes, sans division. Le point de
vue de Boèce : « Les Grecs, de façon plus pertinente que nous, ont
donné à la subsistence (sic)
individuelle de la nature rationnelle le nom d’hypostase, tandis que nous, par
manque de termes exprimant bien le sens de cette notion, nous avons repris le
nom déjà utilisé de persona pour
désigner ce que les Grecs appellent hypostase ». (Boèce, La personne du Christ, III, trad. H.
Merle).
[19] Voir Emery Trin.
P. 304 note 6
[20] Note du traducteur : Les trois distinctions
42, 43, 44, sont consacrées par Pierre Lombard à la puissance de Dieu. Elles se
situent, après les traités de la science de Dieu (d 35 à 41) et avant la
volonté de Dieu (d 45 à 48) qui terminent le livre I consacré à Dieu. Une
première remarque importante : Thomas au contraire des autres parle de
puissance et non de toute puissance. Il y a un rapport évident avec la question
I du De Potentia, cependant l’ordre est différent du fait que, dans les
Sentences, il est obligé de suivre un ordre imposé. Ces distinctions, aussi
bien celle de Pierre Lombard et de Thomas, que d’autres, sont étudiées dans un
livre précieux : La puissance et son ombre de Pierre Lombard à Luther, sous la
direction d’Olivier Boulnois (Aubier 1994).
Nous avons
conservé notre traduction qui se veut aussi proche que possible du texte latin,
pour que ceux qui ont « un peu de latin », puisse suivre quasiment
mot à mot la traduction.
[21] Si l'on s'en tient à l'analyse de Saint
Bonaventure (d. 42 expositio textus), on peut dire que la d. 42 étudie la
puissance et le possible, d. 43 la grandeur de la puissance, d 44 la puissance
quant à son mode, sive qualitatem rerum.
[22] Plan du texte de P. Lombard, donné par Thomas
: 1. Pourquoi dit-on que Dieu est tout puissant, a) Vérité, b) exclusion des
trois objections : les actes corporels, les péchés, les passions. –2.
Démonstration – 3. Il conclut à la nature parfaite de la toute puissance ; a)
Autorités, b) résolution, c) multiplicité des relations.
Bonaventure
divise le texte en quatre parties : 1. La puissance est toute puissance, 2.
Comment dit-on qu’il peut tout, 3. Les signes qui révèle la puissance. 4. Les
autres raisons de sa toute puissance.
[23] Cf. E. -H. Weber, Dialogue et dissensions entre st Bonaventure et st Thomas d’Aquin à
Paris 1252-1273. Il considère, à juste titre, que le texte de Mandonnet est
fautif et qu’il faut suppleer non.
[24] Éd. Mandonnet ajoute : ex Avicenna, lib. De intellig, cap. IV.
[25] Éd. De Parme. Ce paragraphe en entier [cum enim…una potentia] n’est pas dans
les manuscrits, précise Mandonnet.
[26] En Ia,
qu. 32, a. 1, Thomas donne une liste d'attributs, ceux que les philosophes ont
reconnu : la puissance pour le Père, la sagesse pour le Fils, la bonté pour
l'Esprit Saint. Et ceux reconnus dans le mystère de la Trinité : génération,
filiation et procession. La réponse de I
Sent. d2a2 éclaire ce paragraphe. Il y a en Dieu des attributs (sagesse et
bonté citées) distincts l'un de l'autre et par analogie ils se retrouvent dans
les créatures. Doctrine attribuée à Denys par Thomas.
[27] C'est-à-dire l'essence.
[28] Les notions sont les propriétés qui notifient
distinctement chaque Personne de la Trinité. Pour permettre de distinguer les
trois Personnes, il faut qu'il y ait des propriétés caractéristiques :
paternité, filiation, procession, qui sont les notions communes, et
l'innascibilité (on peut considérer qu'elle est passive et qu'elle ne constitue
pas la personne). « …nous signifions en Dieu, non pas des choses, mais
comme des raisons formelles par lesquelles les Personnes sont connues. (Ia, qu. 32, a. 2, ad 2). Ajoutons que
«le pouvoir créateur est commun à toute la Trinité. », ainsi que toutes les
œuvres ad extra (La Trinité, I, éd
des Jeunes, pp. 196).
[29] « …la paternité est appelée relation
selon qu'elle se rapporte au Fils, elle est appelée propriété en tant qu'elle
convient seulement à Dieu, elle est appelée notion en tant qu'elle est le
principe formel pour connaître le Père »
[30] Le principium
essendi est le principe d'être, mais dans le De Potentia, Thomas parle
généralement d'identité pour l'essence et l'opération.
[31] Parall : I Sent. d43q1a1 – Ia, qu.
25, a. 2 — CG. 1, 43 – Compendium 19
– Pot. qu. 1, a. 6 — qu. 7. a. 1 – Phys. VIII lect. 23 – Méta. XII
lect. 8.
[32] « Dieu peut et avec zèle, faire de
mauvaises actions. »
[33] Éd. Mandonnet : perfectius creatura habet
quam in Deo sit Deus perfectum.
[34] Averroès.
[35] Rm. 11, 24 à propos de Greffé contre nature. Cf. Pot. qu. 1, a. 3, obj. 1.
[36] Le
mal, étant négatif, n’a pas d’intelligibilté.
[37] Le principe de contradiction.
[38] Éd. Parme add. Nec facere potest.
[39] Éd. Parme omet : ut quod ignis manens ignis infrigidet.
[40] Cf. Pot.
qu. 1, a. 4, obj. 5 : «Que le monde a dû être possible avant d’exister.
Mais il ne fut pas possible par les causes inférieures. » Les causes
inférieures ne jouent pas dans la création puisqu’elle est ex nihilo.
[41] Abélard fut condamné au Concile de Sens,
particulièrement pour cette assertion : « Quod pater sit plena potentia,
Filus quaedam potentia, Spiritus sanctus nulla potentia. »
[42] Parall.
: Pot. qu. 1, a. 2 – Ia, qu. 25,
a. 2 — CG. I, 43 — Compendium 18 – Phys.,
VII, lect. 23 – Méta. XII, lect. 8.
[43] Objection en Pot. Question 1, a. 2.
[44] Parall. : Pot. qu. 1, a. ?
[45] Il s’agit de l’Intelligence issue de l’être
premier, selon les théories du De causis
et d’Avicenne. Voir plus loin, qu. 2, a. 1, sc 1.
[46] Parall. : CG. I, 80 ss., III, 97 — Verit
qu. 23, a. 1 – Pot. qu. 1, a. 5 –
qu. 10, a. 2, ad 6.
[47] Parall.
: CG. II, 23, Pot. qu. 3, a. 15.
[48] Glose de Jérôme (In Jonas, verset 9, PL. 1137) : « Deus natura misericors est
et paratus ut salvet clementia quos non potest salvare justitia. »
[49] Saint Grégoire, Vita, livre II, § 44.
[50] …Ils disent : « Dieu n'avait-il pas
d'autres moyens pour délivrer l'homme des misères de sa condition mortelles
? » (à propos du Christ).
[51] Les adverbes qui indiquent le temps.
[52] Il relie donc, comme attributs de Dieu la
science (Dist. 39) et la puissance (Dist. 42 à 44).
[53] Parall. : Ia, qu. 25, a. 6.
[54] « Dieu a dû engendrer égal à lui, celui
qu'il a engendré ; car il n'a pu engendrer meilleur que lui, puisqu'il n'y a
rien de meilleur que Dieu. En effet, s'il l'eût voulu sans le pouvoir, c'eût
été impuissance s'il l'eût pu sans le vouloir, t'eût été jalousie. Donc il a dû
engendrer son Fils égal à lui-même. »
[55] « Toutes les choses… qui sans être
souverainement, ni également, ni immuablement bonnes ne laissent pas de l’être
même isolément et qui, prise dans leur ensemble, sont tout à fait bonnes.(Gn.1, 3) » BA 9, p. 119.
[56] Sed tamen bona etiam singula : bonnes…même
isolément. (cf. note précédante).
[57] Il s’agit du Christ.
[58] Mandonnet signale, à juste titre, le texte en
faveur de l’Immaculée Conception, mais il y a une petite restriction.
[59] Titre de l’article : « A-t-il été plus
convenable que ce soit le Fils qui s’incarne ou le Père ou l’Esprit Saint ?
[60] Parall. : Ia, qu. 19, a. 1 – qu. 5,
a. 2 – CG I, 72, 73 – IV, 19 – QD Verit., qu. 23, a. 1 – Comp. Theo., c. 32.
[61] « Les saintes Ecritures appellent Dieu
Raison (ou verbe, logos) ». Trad. M. De Gandillac.
[62] Parall. : Ia, qu. 19, a. 2 – CG. I,
75, 76, 77 – QD Verit., qu. 23, a. 4.
[63] Parall. : Ia, qu. 19, a. 4 – 1 Sent. d.
43, qu. 2, a. 1 – CG. II, 23 – QD Pot. Qu. 1, a. 5 – qu. 3, a. 15
[64] « La volonté proprement dite est appelée
volonté de bon plaisir et la volonté métaphorique est appelée volonté de signe,
parce que le signe d’une volonté est pris en ce cas pour la volonté même »
(Ia, qu. 19, a. 11, c).
[65] Parall. : Ia, qu. 19, a. 2.
[66] « Parce que que Dieu commande à beaucoup
ce qu’ils ne font pas, et empêcher ce dont ils ont soin et conseille ce qu’il
n’acccomplissent pas ».