SAINT THOMAS D'AQUIN

Docteur de l'Eglise

COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD

 (1254-1256)

© Copyright, Traduction et notes par Serge Pronovost, 2018

Edition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

 Prologue général, la théologie, Le Dieu unique

 

Il s'agit de la toute première œuvre de saint Thomas, la première de ses Sommes de théologie.

Le texte latin est en caractère 12, en bleu.

La traduction française est faite à partir de l’édition électronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, réalisée par le professeur Enrique Alarcón, dans le cadre de la publication accessible par ordinateur du Corpus thomisticum (Université de Navarre, 2004). http://www.corpusthomisticum.org

 

SAINT THOMAS D'AQUIN_ 1

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin_ 1

Prologue général, la théologie, Le Dieu unique_ 1

LIVRE 1_ 16

Prologue_ 16

Le premier livre : [Dieu et sa Trinité] 16

Le second livre : [La création par Dieu] 17

Le troisième livre : [La restauration des oeuvres de Dieu : Le Christ et la grâce] 19

Le quatrième livre : [Les moyens sacramentels et la fin des êtres] 20

TEXTE DE PIERRE LOMBARD, prologue : La théologie_ 22

COMMENTAIRE DE SAINT THOMAS SUR LE PROLOGUE (La théologie) 24

Question unique : [La doctrine sacrée] 24

Prologue_ 24

Article 1 – Outre les disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à l’homme ? 25

Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine outre les sciences physiques ? 28

Article 3: [La nature de cette science] 31

Article 4 – Dieu est-il le sujet de cette science ? 37

Article 5 – La manière de procéder est-elle selon l’art  ? 39

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1_ 51

Distinction 1 – [L'usage et la fruition de Dieu] 60

Prologue_ 60

Question 1 – [La jouissance et l’usage] 63

Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ? 63

Article 2 – L’usage est-il un acte de la raison ? 68

Question 2 – [Jouir de Dieu] 70

Prologue_ 70

Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ? 70

Article 2 – Est-ce que jouir de Dieu est une fruition unique ? 73

Question 3 – [L’usage des créatures] 75

Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que Dieu ? 75

Question 4 – [Ceux qui jouissent et utilisent] 77

Prologue_ 77

Article 1 – La jouissance appartient-elle à toutes les choses ? 78

Est-ce que l’usage s’attribue à ceux qui existent dans la Patrie ? 81

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1_ 83

Distinction 2 – [L’unité en Dieu] 89

Qestion unique : [Unité de l’essence divine] 89

Proème. 89

Article 1 – N’y a-t-il qu’un seul Dieu ? 90

Article 2 – Y a-t-il plusieurs attributs en Dieu ? 93

Article 3 – La pluralité des notions par lesquelles les attributs diffèrent, est-elle seulement dans l’intellect ou aussi en Dieu ? 96

Article 4 – Y a-t-il en Dieu plusieurs personnes ? 107

Article 5 – Les personnes divines diffèrent-elles réellement ou en raison ? 109

Distinction 3 – [Comment on vient à la connaissance de Dieu par sa trace des créatures] 112

Prologue_ 112

Question 1 – [La connaissance de Dieu dans les créatures] 112

Article 1 – Dieu peut-il être connu par un intellect créé ? 112

Article 2 – L'existence de Dieu est-elle évidente par soi ? 116

Article 3 – Dieu peut-il être connu par l'homme à travers les créatures ? 119

Article 4 – Les philosophes ont-ils connu la Trinité d’une connaissance naturelle par les créatures ? 122

Question 2 – [Les traces] 125

Prologue_ 125

Article 1 – La ressemblance de Dieu dans les créatures peut-elle être appelée vestige ? 125

Article 2 – Est-ce que les parties du vestige sont au nombre de trois ou n’y en a-t-il que deux ? 127

Article 3 – Y a-t-il une trace en toute créature ? 131

Question 3 – [Le substrat de l’image] 134

Prologue_ 134

Article unique : L’esprit est-il le seul sujet de l’image ? 134

Question 4 – [La connaissance de l’image] 137

Proème_ 137

Article 1 – Est-ce que la mémoire a rapport à l’image ? 137

Article 2 – Les puissances de l'âme sont-elles son essence ? 142

Article 3 – Est-ce qu’une seule et même puissance naît d’une autre ? 146

Article 4 – Est-ce que l’image s’applique dans les puissances rationnelles par  rapport à n’importe quel objet ? 147

Article 5 – Est-ce que les puissances rationnelles sont toujours en acte par rapport aux objets auxquels l’image s’applique ? 150

Question 5 – [Les parties de l’image] 152

Article unique : Ces parties de l’image : l’esprit, la connaissance et l’amour, diffèrent-elles des autres parties ? 152

Distinction 4 – [La génération en Dieu] 155

Prologue_ 155

Question 1 – [La génération divine] 155

Article 1 – Y a-t-il de la génération en Dieu ? 155

Article 2 – Cette proposition : « Dieu a engendré Dieu » est-elle fausse ? 159

Article 3 – Dieu s’est-il engendré lui-même comme Dieu ou a-t-il engendré un autre Dieu ? 162

Question 2 – [L’attribution divine] 166

Prologue_ 166

Article 1 – Peut-on former une proposition au sujet de Dieu ? 166

Article 2 – La personne peut-elle être attribuée à l'essence ? 168

Distinction 5 – [Les noms qui signifient l’essence de Dieu dans l’abstrait] 170

Prologue_ 170

Question 1 – [L'essence se comporte-t-elle vis-à-vis de la génération comme ce qui engendre ?] 171

Article 1 – L’essence engendre-t-elle ? 171

Article 2 – L'acte d'engendrer est-il attribué à l'un des noms essentiels ? 174

Question 2 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce d’où vient la génération ?] 177

Prologue_ 177

Article 1 – Le Fils est-il engendré de la substance du Père ? 177

Article 2 – Le Fils vient-il du néant ? 179

Question 3 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce qui est le terme de la génération] 181

Article unique : L’essence est-elle le terme de la génération ? 181

Distinction 6 – [La génération en son principe] 183

Question unique : [La nécessité de la génération du Fils] 183

Prologue_ 183

Article 1 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nécessité ? 184

Article 2 – Le Père a-t-il engendré le Fils par volonté ? 186

Article 3 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nature ? 188

Distinction 7 – [La puissance générative en Dieu. Principe] 190

Prologue_ 190

Question 1 – [La puissance d’engendrer en Dieu] 190

Article 1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ? 190

Article 2 – La puissance générative est-elle une relation ? 193

Article 3 – Parle-t-on de manière univoque de la puissance d’engendrer et de la puissance créatrice ? 196

Question 2 – [L’état commun de cette puissance] 198

Prologue_ 198

Article 1 – La puissance d’engendrer est-elle dans le Fils ? 198

Article 2 – Le Fils peut-il engendrer un autre fils ? 200

Distinction 8 – [Les attributs divins : être, éternité, immutabilité, simplicité] 203

Prologue_ 203

Question 1 – [L’être de Dieu] 204

Prologue_ 204

Article 1 – Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ? 204

Article 2 – Dieu est-il l'être de toutes les choses ? 209

Article 3 – Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les noms divins ? 211

Question 2 – [L’éternité divine] 214

Prologue_ 214

Article 1 – La définition de l’éternité donnée par Boèce convient-elle ? 214

Article 2 – L'éternité convient-elle à Dieu seulement ? 218

Article 3 – Peut-on attribuer à Dieu des paroles temporelles? 221

Question 3 – [L’immutabilité de Dieu] 225

Prologue_ 225

Article 1 – Dieu est-il changeant de quelque manière ? 225

Article 2 – Toute créature est-elle changeante ? 228

Article 3 – Les modes de changement des créatures sont-ils attribués convenablement par Augustin ? 231

Question 4 – [La simplicité en Dieu] 234

Prologue_ 234

Article 1 – Dieu est-il simple d’une simplicité qui est absolue? 234

Article 2 – Dieu est-il dans la catégorie de la substance ? 238

Article 3 – Est-ce que les autres prédicaments s’attribuent à Dieu ? 242

Question 5 – [La simplicité du côté des créatures] 245

Prologue_ 245

Article 1 – Existe-t-il une créature simple ? 245

Article 2 – L'âme est-elle simple ? 248

Article 3 – L'âme est-elle toute entière dans tout le corps et en chaque partie ? 255

Distinction 9 – [La distinction des personnes] 258

Question 1 – [La distinction du Père et du Fils] 259

Prologue_ 259

Article 1 – Le Fils est-il autre que son Père ? 259

Article 2 – Peut-on dire que le Père et le Fils sont plusieurs éternels ? 262

Question 2 – [La coéternité du Père et du Fils] 265

Prologue_ 265

Article 1 – Le Père est-il antérieur au Fils ? 265

Article 2 – La génération divine doit-elle être signifiée par le temps présent ? 267

Distinction 10 – [L’Esprit Saint comme amour] 270

Prologue_ 270

Question unique : [L’Esprit Saint comme amour] 270

Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il comme amour ? 270

Article 2 – L’Esprit Saint est-il l’amour que le Père a pour le Fils ? 274

Article 3 – L’Esprit Saint est-il l’union du Père et du Fils ? 276

Article 4 – Appelle-t-on au sens propre, l’Esprit Saint, la personne qui procède par amour ? 278

Article 5 – Y a-t-il seulement trois Personnes en Dieu ? 281

Distinction 11 – [La procession de l’Esprit Saint] 285

Prologue_ 285

Question unique : [La procession de l’Esprit Saint] 287

Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils ? 287

Article 2 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un ? 292

Article 3 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un en nature ? 293

Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils un seul agent de spiration ? 296

Texte de Pierre Lombard_ 298

Distinction 12 – [La procession de l’Esprit Saint – suite] 299

Question unique : [L’Esprit Saint procède-t-il antérieurement et plus pleinement du Père que du Fils ?] 299

Prologue_ 299

Article 1 – La génération est-elle antérieure à la procession ? 299

Article 2 – L'Esprit Saint procède-t-il plus du Père que du Fils ? 302

Article 3 – L'Esprit Saint procède-t-il du Père par l'intermédiaire du Fils ? 304

Distinction 13 – [la procession du Saint Esprit – suite] 308

Prologue_ 308

Question unique : [La procession du Saint Esprit] 308

Article 1 – Y a-t-il une procession en Dieu ? 308

Article 2 – N'y a-t-il qu'une seule procession en Dieu ? 309

Article 3 – La procession de l'Esprit Saint doit-elle être appelée procession ou génération ? 314

Article 4 – Doit-on dire que l’Esprit Saint est inengendré ? 318

Distinction 14 – [La procession de l’Esprit Saint – suite] 320

Prologue_ 320

Question 1 – [La procession temporelle en soi] 320

Article 1 – Y a-t-il une procession de l’Esprit Saint qui est temporelle ? 320

Article 2 – La procession temporelle se distingue-t-elle réellement de la procession éternelle ? 324

Question 2 – [En raison de qui dit-on que l’Esprit Saint procède temporellement, ou selon quoi cela se produit-il ?] 327

Prologue_ 327

Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné temporellement ? 327

Article 2 – La procession temporelle de l’Esprit Saint s’étend-elle à tous les dons ? 331

Question 3 – [Par qui la procession temporelle de l’Esprit Saint est-elle faite ?] 335

Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné par les saints ? 335

Distinction 15 – [La mission en Dieu] 338

Prologue15 338

Question 1 – [Qu’est ce que la mission des Personnes divines ?] 338

Prologue_ 338

Article 1 – La mission convient-elle aux Personnes divines ? 339

Article 2 – La mission signifie-t-elle une notion ? 342

Question 2 – [La mission convient-elle à toutes les personnes ?] 344

Article 1 – La mission convient-elle à toutes les personnes ? 344

Question 3 – [La mission par comparaison à celui qui envoie] 347

Prologue_ 347

Article 1 – Est-ce qu’une personne s’envoie ou se donne elle-même ? 347

Article 2 – L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ? 352

Question 4 – [La mission invisible du Fils en soi] 354

Prologue_ 354

Article 1 – Le Fils est-il envoyé invisiblement en esprit ? 355

Article 2 – La mission du Fils se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ? 359

Article 3 – La mission peut-elle être éternelle ? 362

Question 5 – [la mission du Fils par comparaison avec ceux à qui il est envoyé] 364

Prologue_ 364

Article 1 – La mission est-elle faite pour les créatures sans raison ? 364

Article 2 – La mission invisible a–t-elle été plus complète après l’Incarnation qu’avant ? 372

Article 3 – Par la mission invisible se fait-il que nous ne sommes plus en ce monde ? 374

Distinction 16 – [Les missions visibles] 376

Question unique : [Les missions visibles des Personnes divines] 376

Prologue_ 376

Article 1 – Une mission visible convient-elle aux Personnes divines ? 376

Article 2 – La mission visible aurait-elle dû exister pour les Pères de l’ancien Testament ? 380

Article 3 – La mission visible est-elle faite seulement dans une forme corporelle ? 383

Article 4 – Les formes de la mission visible sont-elles formées par l’intervention des anges ? 388

Distinction 17 – [Les missions invisibles de l’Esprit Saint] 391

Prologue_ 391

Question 1 – [La nature de la charité] 391

Article 1 – La charité est-elle quelque chose de créé dans l’âme ? 391

Article 2 – La charité est-elle un accident ? 399

Article 3 – La charité est-elle donnée selon la capacité des choses naturelles ? 402

Article 4 – La charité est-elle connue avec certitude par celui qui la possède ? 405

Article 5 – La charité doit-elle être aimée par charité ? 409

Question 2 – [La croissance de la charité] 413

Prologue_ 413

Article 1 – La charité s’accroît-elle ? 413

Article 2 – La charité s’accroît-elle par addition ? 420

Article 3 – La charité s’accroît-elle par n’importe quel acte ? 425

Article 4 – L’accroissement de la charité a-t-il une limite ? 430

Article 5 – La charité diminue-t-elle ? 434

Distinction 18 – [L’Esprit Saint comme don] 439

Question unique : [L’Esprit Saint comme don] 439

Prologue_ 439

Article 1 – Est-ce que le nom don est un nom essentiel ? 439

Article 2 – Le don est-il le propre de l’Esprit Saint ? 442

Article 4 – L’Esprit Saint tient-il de la même procession d’être don et Dieu ? 448

Article 5 – Peut-on appeler l’Esprit Saint notre don ? 450

Distinction 19 – [Les personnes divines, leurs relations, leur égalité] 453

Prologue_ 453

Question 1 – [L’égalité des personnes divines] 453

Article 1 – Y a-t-il de l’égalité en Dieu ? 453

Article 2 – L’égalité en Dieu est-elle réciproque ? 457

Question 2 – [Ce en quoi l’égalité des personnes divines est atteinte] 460

Prologue_ 460

Article 1 – L’éternité est-elle la substance de Dieu ? 460

Article 2 : L’instant de l’éternité est-il l’éternité elle-même ? 466

Question 3 – [La grandeur des personnes divines] 469

Prologue_ 469

Article 1 – La grandeur convient-elle à Dieu ? 470

Article 2 – Le Père est-il dans le Fils et inversement ? 473

Question 4 – [Le tout attribué à Dieu] 475

Prologue_ 475

Article 1 – Y a-t-il en Dieu un tout intégral ? 476

Article 2 – Y a-t-il en Dieu un tout universel ? 478

Question 5 – [La vérité] 481

Prologue_ 481

Article 1 – La vérité est-elle l’essence de la chose ? 481

Article 2 – Tout est-il vrai d’une vérité incréée ? 490

Article 3 – Y a-t-il plusieurs vérités éternelles ? 495

Distinction 20 – [La puissance du Fils] 501

Question unique : [La puissance du Fils] 501

Article 1 – Le Fils est-il tout puissant ? 501

Article 2 – Le Fils est-il égal au Père ? 505

Article 3 – Y a-t-il un ordre dans les personnes divines ? 507

Distinction 21 – [Les noms divins (1)] 510

Question 1 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du sujet ?] 510

Prologue_ 510

Article 1 – Cette proposition, ‘Seul Dieu est Dieu’, est-elle fausse ? 511

Article 2 – Cette proposition : « Le Père seul est Dieu », est-elle vraie ? 515

Question 2 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du prédicat ?] 519

Prologue_ 520

Article 1 – Cette proposition : « La Trinité est le seul Dieu », est-elle vraie ? 520

Article 2 – Le Père est-il le seul Dieu ? 523

Distinction 22 – [Les noms divins – suite] 526

Question 1 – [Le nom attribué à Dieu] 526

Prologue_ 526

Article 1 – Est-ce que Dieu peut être désigné par un nom ? 526

Article 2 – Peut-on employer un nom au sens propre pour Dieu ? 530

Article 3 – Dieu a-t-il un seul nom ? 534

Article 4 – La division des noms de Dieu donné par Ambroise est-elle insuffisante ? 538

Distinction 23 – [Le nom « personne »] 542

Prologue_ 542

Article 1 – « Substance, subsistance, essence, personne », employés pour Dieu sont-ils des synonymes ? 542

Article 2 – Ce nom « personne » est-il employé au sens propre pour Dieu ? 550

Article 4 – « Personne » est-il prédiqué au pluriel en Dieu ? 560

Distinction 24 – [L’unité en Dieu] 563

Prologue_ 563

Question 1 – [L’unité en Dieu] 563

Prologue_ 563

Article 1 – Peut-on dire que Dieu est un ? 563

Article 2 – Y a-t-il un nombre en Dieu ? 568

Article 3 – L’unité et le nombre placent-ils quelque chose en Dieu ou l’excluent-ils ? 571

Article 4 – L’un et le nombre signifient-ils l’essence ? 579

Question 2 – La diversité en Dieu_ 581

Prologue_ 581

Article 1 – Y a-t-il de la diversité en Dieu ? 582

Article 2 – Trinité est-il un nom essentiel ? 584

Distinction 25 – [Parle-t-on de manière univoque de Dieu et des créatures ?] 587

Prologue_ 587

Question unique : [La définition de la personne] 587

Article 1 – La définition de la personne donnée par Boèce convient-elle ? 587

Article 3 – La personne est-elle commune aux trois personnes ? 598

Article 4 – Peut-on dire que les trois personnes sont trois choses ? 603

Distinction 26 – [Les hypostases et les relations] 606

Question 1 – [L’hypostase] 606

Prologue_ 606

Article 1 – Est-ce que l’hypostase s’attribue proprement à Dieu ? 606

Article 2 – Si on exclut en esprit les relations, les hypostases demeurent-elle distinctes ? 612

Question 2 – [Les propriétés] 615

Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles tout à fait inexistantes ? 616

Article 2 – Les relations d'origine distinguent-elles les hypostases ? 622

Article 3 – Les notions sont-elles seulement cinq ? 627

Distinction 27 – [Les propriétés et le Verbe] 632

Question 1 – [Les propriétés] 632

Prologue_ 632

Article 1 – Les propriétés se distinguent-elles entre elles ? 632

Article 2 – L'opération personnelle précède-t-elle en raison la relation de la personne ? 637

Question 2 – [Le Verbe] 640

Prologue_ 640

Article 1 – Parle-t-on du Verbe au sens propre en Dieu ? 640

Article 2 – Le verbe est-il dit selon la personne ? 644

Article 3 – Le verbe dit-il toujours le rapport à la créature ? 652

Distinction 28 – [L’innascibilité et l’image] 656

Question 1 – [L’innascibilité] 656

Prologue_ 657

Article 1 – L’innascibilité est-elle la propriété du Père ? 657

Article 2 – L’innascibilité est-elle la propriété personnelle du Père ? 662

Question 2 – L’image_ 664

Prologue_ 664

Article 1 – Est-ce que la définition de l’image : « L’image est l’espèce précise de cette chose qu’elle représente » convient ? 665

Article 2 – Parle-t-on de l’image selon l’essence ? 668

Article 3 – Peut-on dire que l’Esprit Saint est une image ? 670

Distinction 29 – [Le principe] 673

Question unique – [Le principe] 673

Article 1 – Une personne est-elle le principe d’une autre ? 674

Article 2 – Parle-t-on de manière univoque du principe pour Dieu selon qu’il est dit principe de la personne divine ou de la créature ? 676

Article 3 – N’y a-t-il qu’une seule propriété du Père et du Fils par laquelle ils sont dits le principe de l’Esprit Saint?  679

Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils le principe unique de l’Esprit Saint ? 681

Distinction 30 – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps] 684

Question unique – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps] 684

Prologue_ 684

Article 1 – Dit-on quelque chose de Dieu en rapport avec le temps ? 684

Article 2 – Ce qui est dit de Dieu en rapport avec le temps signifie-t-il son essence ? 688

Article 3 – Est-ce que les relations désignées dans les noms attribués à Dieu en la dépendance du temps existent réellement en Dieu ? 692

Distinction 31 – [Egalité et appropriation] 696

Prologue_ 696

Question 1 – [L’égalité des Personnes] 696

Prologue_ 696

Article 1 – L’égalité place-t-elle quelque chose en Dieu ? 696

Article 2 – Les attributs essentiels de ce genre doivent-ils être appropriés aux personnes divines ? 699

Question 2 – [L’appropriation] 702

Article 1 – Hilaire approprie-t-il convenablement l’éternité au Père, la forme au Fils et l’usage à l’Esprit Saint ? 702

Question 3 – [L’appropriation, suite] 706

Prologue_ 706

Article 1 – Augustin approprie-t-il convenablement l’unité au Père, l’égalité au Fils, le lien à l’Esprit Saint ? 707

Article 2 – Tout est-il un à cause du Père ? 709

Distinction 32 – [La médiation dans les processions] 712

Prologue_ 712

Question 1 – [Le filioque] 712

Article 1 – Le Père aime-t-il le Fils en l’Esprit Saint ? 712

Article 2 – Le Père s’aime-il par l’Esprit Saint ? 719

Article 3 – Le Père et le Fils nous aiment-ils par l’Esprit Saint ? 724

Question 2 – [Ce qui convient au Fils] 727

Prologue_ 727

Article 1 – Le Père est-il sage par une sagesse engendrée ? 727

Article 2 – Le Fils est-il sage d’une sagesse engendrée ? 729

Distinction 33 – [Les propriétés et l’essence] 733

Question unique – [Les propriétés et l’essence] 733

Prologue_ 733

Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles son essence ? 733

Article 2 – Les propriétés sont-elles les personnes ? 741

Article 3 – Les propriétés sont-elles dans les personnes et dans l’essence ? 745

Article 4 – Les adjectifs essentiels s’attribuent-ils aux propriétés ? 748

Article 5 – Les opinions contraires concernant les notions peuvent-elles être sans péché ? 751

Distinction 34 – [L’essence et la Personne] 754

Prologue_ 754

Question 1 – [La comparaison de l’essence avec la personne]. 754

Article 1 – La personne et l’essence sont-elles une même chose en Dieu ? 754

Article 2 – Dit-on convenablement que les trois personnes sont d’une seule essence ? 760

Question 2 – [L’appropriation qui est placée dans la Lettre]. 763

Article 1 – La puissance est-elle convenablement attribuée au Père, la sagesse au Fils et la bonté à l’Esprit Saint ?  763

Question 3 – [Ce qui est dit métaphoriquement de Dieu]. 767

Prologue_ 767

Article 1 – Doit-on dire quelque chose de Dieu par métaphore ? 767

Article 2 – La métaphore en Dieu doit-elle être faite à partir des choses viles ? 771

Distinction 35 – [La science de Dieu] 774

Question unique – [La science convient-elle à Dieu ?] 774

Prologue_ 774

Article 1 – La science convient-elle à Dieu ? 774

Article 2 – Dieu connaît-il ce qui est autre que lui ? 781

Article 3 – A-t-il une connaissance certaine et particulière des autres choses que lui ? 785

Article 4 – La science de Dieu est-elle univoque à la nôtre ? 789

Article 5 – La science de Dieu est-elle universelle ? 793

Distinction 36 – [La connaissance de Dieu et les idées] 796

Prologue_ 796

Question 1 – [La connaissance de Dieu] 796

Article 1 – Dieu connaît-il les singuliers ? 796

Article 2 – Dieu connaît-il les maux ? 802

Article 3 – Ce qui est connu par Dieu est-il en lui ? 804

Question 2 – [Les idées de Dieu] 809

Article 1 – Qu’est-ce qui est impliqué par le nom d’idée ? 809

Article 2 – Y a-t-il plusieurs idées ? 812

Article 3 – Y a-t-il en Dieu les idées de tout ce qu’il connaît ? 815

Distinction 37 – [L’ubiquité de Dieu. La localisation et les mouvements des anges] 818

Prologue_ 818

Question 1 – [La présence de Dieu] 818

Prologue_ 818

Article 1 – Dieu est-il dans les choses ? 819

Article 2 – Dieu est-il en tout par puissance, présence et essence, dans les saints par grâce, dans le Christ par l’être ?  824

Question 2 – [L’ubiquité de Dieu] 827

Prologue_ 827

Article 1 – Dieu est-il partout ? 827

Article 2 – Être partout convient-il à Dieu seul ? 830

Article 3 – Être partout convient-il à Dieu éternellement ? 831

Question 3 – [Le lieu des anges] 833

Prologue_ 833

Article 1 – L’ange est-il dans un lieu ? 834

Article 2 – L’ange peut-il être en plusieurs lieux ? 839

Article 3 – Plusieurs anges peuvent-ils être dans un seul et même lieu ? 842

Question 4 – [Le mouvement des anges] 845

Prologue_ 845

Article 1 – L’ange se meut-il localement ? 846

Article 2 – L’ange dans son déplacement traverse-t-il nécessairement un espace intermédiaire ? 852

Article 3 – L’ange se meut-il dans l’instant ? 856

Distinction 38 – [La science de Dieu] 865

Question unique – [L’universalité de la science de Dieu] 865

Prologue_ 865

Article 1 – La science de Dieu est-elle la cause des choses ? 865

Article 2 – La science de Dieu concerne-t-elle de manière uniforme les choses connues ? 870

Article 3 – La science de Dieu concerne-t-elle ce qui peut être énoncé ? 872

Article 4 – Dieu a-t-il la science du non-être ? 876

Article 5 – La science de Dieu concerne-t-elle les futurs contingents ? 878

Distinction 39 – [Science de Dieu et providence] 890

Prologue_ 890

Question 1 – [l’invariabilité de la science divine] 890

Prologue_ 890

Article 1 – Dieu peut-il ne pas connaître ce qui est connu par lui ? 891

Article 2 – Dieu peut-il savoir ce qu’il ne sait pas ? 893

Article 3 – Dieu connaît-il l’infini ? 896

Question 2 – [l’universalité de la providence divine] 900

Prologue_ 900

Article 1 – La providence appartient-t-elle à la science ? 900

Article 2 – La providence s’applique-t-elle à tout ce qui existe ? 903

Distinction 40 – [La prédestination] 912

Prologue_ 912

Question 1 – [La nature de la prédestination] 912

Prologue_ 912

Article 1 – La prédestination est-elle quelque chose dans le prédestiné ? 913

Article 2 – La prédestination appartient-elle à la science ? 918

Question 2 – [L’objet de la prédestination] 921

Article 1 – Qui est concerné par la prédestination ? 921

Question 3 – [La certitude de la prédestination] 925

Article 1 – La prédestination est-elle certaine ? 925

Question 4 – [La réprobation] 929

Prologue_ 929

Article 1 – La réprobation ajoute-t-elle quelque chose à la prescience ? 929

Article 2 – Dieu est-il la cause de l’endurcissement ? 932

Distinction 41 – [L’élection en Dieu] 935

Question unique – [Y a-t-il en Dieu une élection ?] 935

Prologue_ 935

Article 1 – Y a-t-il en Dieu une élection ? 935

Article 2 – L’élection précède-t-elle la prédestination en raison ? 938

Article 3 – La préscience des mérites est-elle la cause de la prédestination ? 941

Article 4 – La prédestination est-elle aidée par l’œuvre de l’homme ? 946

Article 5 – Tout ce que Dieu a connu autrefois, le connaît-il maintenant ? 948

Distinction 42 -- [La condition de la toute puissance de Dieu] 952

Prologue_ 953

Question 1 – [La puissance de Dieu en soi] 954

Article 1 – Y a-t-il de la puissance en Dieu ? 954

Y a-t-il en Dieu une seule puissance ? 958

Question 2 – [Ce qui est soumis à la puissance de Dieu] 961

Prologue_ 961

Article 1 – Dieu peut-il tout ce qui est possible à un autre ? 962

Article 2 – Dieu peut-il ce qui est impossible à la nature ? 964

Article 3 – Faut-il juger l'impossible selon les causes inférieures ? 970

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42_ 974

Distinction 43 – [La puissance de Dieu, suite] 979

Prologue 43 979

Question 1 – [Les limites de la puissance de Dieu] 980

Article 1 – La puissance de Dieu est-elle infinie ? 980

Article 2 – La toute puissance de Dieu peut-elle être communiquée aux créatures ? 984

Question 2 – [La nécessité de l'opération divine] 987

Prologue_ 987

Article 1 – Dieu opère-t-il par nécessité de nature ? 987

Article 2 – Dieu agit-il par une nécessité de justice ? 991

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 43_ 995

Distinction 44 – [La puissance de Dieu dans sa création] 999

Question unique – [La puissance de Dieu relativement à la création] 999

Prologue_ 999

Article 1 – Dieu aurait-il pu faire une créature meilleure qu'il ne l’a faite ? 1000

Article 2 – Dieu aurait-il pu faire un univers meilleur ? 1003

Article 3 – Dieu aurait-il pu rendre l’humanité du Christ meilleure qu’elle ne l’est ? 1007

Article 4 – Dieu peut-il faire tout ce qu'il a pu autrefois ? 1010

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44_ 1012

Distinctio 45 – [La volonté en Dieu] 1013

Prologue_ 1013

Article 1 – La volonté existe-t-elle en Dieu ? 1013

Article 2 – La volonté de Dieu ne se rapporte-t-elle qu’à lui seul ? 1016

Article 3 – La volonté de Dieu est-elle la cause des choses ? 1019

Article 4 – La volonté de Dieu se distingue-t-elle en volonté de bon plaisir et volonté de signe ? 1022

Distinction 46  (2) La volonté de Dieu_ 1026

Prologue_ 1026

Article 1 : Dieu veut-il que tous les hommes soient sauvés ? 1026

Article 2 : Est-il bon que des choses mauvaises soient faites? 1029

Article 3 : Le mal contribue-t-il à la perfection de l’univers ? 1033

Article 4 : Dieu veut-il que de mauvaises choses soient faites ? 1036

Distinction 47 – (3) La volonté de Dieu - Son efficacité_ 1039

Prologue_ 1039

Article 1 : La volonté divine s’accomplit-elle toujours efficacement ? 1040

Article 2 : Est-ce que rien ne se fait en dehors de la volonté de Dieu ? 1042

Article 3 : Est-ce que ce qui est contre la volonté de Dieu n’obéit pas à sa volonté ? 1045

Article 4 : Ce qui est en dehors de la volonté de Dieu n’est-il pas soumis au précepte ? 1048

Distinction 48 – La volonté de Dieu (4). La conformité de la volonté de l’homme à celle de Dieu_ 1053

Prologue_ 1053

Article 1 : Est-ce que la volonté humaine ne peut pas se conformer à la volonté divine ? 1053

Article 2 : La conformité des volontés se vérifie-t-elle surtout selon ce qui est voulu ? 1056

Article 3 : Ne sommes-nous pas tenus à la conformité de la volonté divine ? 1060

Article 4 : Sommes-nous tenus à la conformité dans ce qui est voulu ? 1064

 

 

 

Textum Parmae 1858 editum ac automato translatum a Roberto Busa SJ in taenias magneticas denuo recognovit Enrique Alarcón atque instruxit.

© Copyright, Traduction et notes par Serge Pronovost

 

 

LIBER I

LIVRE 1

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

Ego sapientia effudi flumina : ego quasi trames aquae immensae defluo : ego quasi fluvius Dorix, et sicut aquaeductus exivi de Paradiso. Dixi : rigabo hortum plantationum, et inebriabo partus mei fructum. Eccli. 24, 40.

Moi, la Sagesse, j’ai relâché des torrents : je me répands comme un cours d’eau immense : je suis comme le fleuve Diorix, et comme un cours d’eau je suis sorti du Paradis. J’ai dit : j’irriguerai abondamment le jardin de mes plantations et j’enivrerai le fruit de mon enfantement. (Si. 24, 30-31).

 

 

 

Le premier livre : [Dieu et sa Trinité]

Inter multas sententias quae a diversis de sapientia prodierunt, quid scilicet esset vera sapientia, unam singulariter firmam et veram apostolus protulit dicens Christum Dei virtutem et Dei sapientiam, qui etiam nobis a Deo factus est sapientia, 1 ad Corinth. 1, 24 et 30. Non autem hoc ita dictum est, quod solus filius sit sapientia, cum pater et filius et spiritus sanctus sint una sapientia, sicut una essentia ; sed quia sapientia quodam speciali modo filio propriis [appropriatur Éd. Parme], eo quod sapientiae opera cum propriis [proprietatibus Éd. De Parme] filii plurimum convenire videntur. Per sapientiam enim Dei manifestantur divinorum abscondita, producuntur creaturarum opera, nec tantum producuntur, sed [etiam Éd. De Parme] restaurantur et perficiuntur : illa, dico, perfectione qua unumquodque perfectum dicitur, prout proprium finem attingit.

Parmi les nombreuses sentences sur la sagesse produites par différents auteurs pour exprimer ce que devait être la vraie sagesse, l’apôtre en a déclaré une qui est spécialement forte et vraie en disant : Le Christ est la puissance et la sagesse de Dieu, lui qui a aussi été fait sagesse pour nous par Dieu. (1Cor. 1, 24 et 30). Mais cela n’a pas été dit de telle manière que seul le Fils serait sagesse, puisque le Père, avec le Fils et l’Esprit-Saint, sont une seule et même sagesse tout comme ils sont une seule et même essence, mais en ce sens que la sagesse semble appartenir en propre au Fils d’une manière spéciale, du fait que les œuvres de la sagesse semblent grandement ressortir de ce qui est propre au Fils. En effet, c’est par la Sagesse de Dieu que sont manifestés les trésors cachés de la divinité, que sont produites les œuvres des créatures, et qu’elles ne sont pas seulement produites, mais aussi restaurées et conduites à leurs perfections ; et j’appelle ici perfection celle par laquelle on dit de chaque chose qu’elle est parfaite dans la mesure où elle parvient à la fin qui lui est propre.

Quod autem manifestatio divinorum pertineat ad Dei sapientiam, patet ex eo quod ipse Deus per suam sapientiam seipsum plene et perfecte cognoscit. Unde si quid de ipso cognoscimus oportet quod ex eo derivetur, quia omne imperfectum a perfecto trahit originem : unde dicitur Sapient. 9, 17 : Sensum tuum quis sciet, nisi tu dederis sapientiam ? Haec autem manifestatio specialiter per filium facta invenitur : ipse enim est verbum patris, secundum quod dicitur Joan. 1, unde sibi manifestatio dicentis patris convenit et totius Trinitatis. Unde dicitur Matth. 11, 27 : Nemo novit patrem nisi filius et cui filius voluerit revelare : et Joan. 1, 18 : Deum nemo vidit unquam, nisi unigenitus qui est in sinu patris.

Mais qu’il appartienne à la sagesse de Dieu de manifester le divin, cela est évident du fait que Dieu lui-même, par sa sagesse, se connaît lui-même dans sa plénitude de la façon la plus parfaite. C’est pourquoi, si nous connaissons quelque chose de Lui, il faut que cette connaissance provienne de Lui, car tout ce qui est imparfait tire son origine de ce qui est parfait ; c’est pourquoi on lit ceci au livre de la Sagesse (9, 17) :  Qui connaîtra ta Pensée, si tu ne lui donnes pas ta Sagesse ? Mais il se trouve que cette manifestion du divin a spécialement été faite par le Fils : en effet, il est Lui-même le Verbe du Père, conformément à ce qu’on lit dans le premier chapitre de l’Évangile de Jean, et c’est pourquoi c’est à lui qu’il revient de révéler ce que dit le Père et toute la Trinité. C’est pourquoi Matthieu dit (11, 27) : Personne n’a connu le Père, si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils a voulu le révéler ; et Jean dit de même (1, 18) : Dieu, personne ne l’a jamais vu, si ce n’est celui qui est le seul à avoir été engendré dans le sein du Père.

Recte ergo dicitur ex persona filii : ego sapientia effudi flumina. Flumina ista intelligo fluxus aeternae processionis, qua filius a patre, et spiritus sanctus ab utroque, ineffabili modo procedit. Ista flumina olim occulta et quodammodo infusa [confusa Éd. De Parme]erant, tum in similitudinibus creaturarum, tum etiam in aenigmatibus Scripturarum, ita ut vix aliqui sapientes Trinitatis mysterium fide tenerent. Venit filius Dei et infusa [inclusa Éd. De Parme] flumina quodammodo effudit, nomen Trinitatis publicando, Matth. ult. 19 : Docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine patris et filii et spiritus sancti. Unde Job 28, 2 : Profunda fluviorum scrutatus est et abscondita produxit in lucem. Et in hoc tangitur materia primi libri.

C’est donc à juste titre que ces paroles sont dites de la bouche du Fils : Moi la sagesse, j’ai relâché des torrents. J’entends par torrents l’écoulement d’une procession éternelle par lequel, selon un mode ineffable, le Fils procède du Père et l’Esprit-Saint du Père et du Fils. Autrefois ces torrents étaient cachés et d’une certaine manière n’étaient connus que confusément, aussi bien à travers les similitudes des créatures que dans les énigmes que présentent les Écritures, de telle manière qu’à peine quelques sages adhéraient par la foi au mystère de la Trinité. Mais le Fils de Dieu vint et il répandit en quelque sorte des torrents intérieurs en proclamant le nom de la Trinité comme il est dit dans Matthieu (28, 19) : Enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est aussi pourquoi on lit dans Job (28, 2) : Il a scruté la profondeur des fleuves et il a amené à la lumière ce qui était dans l’obscurité. Et par ces considérations, nous touchons à la matière du premier livre.

 

 

 

Le second livre : [La création par Dieu]

 

 

Secundum quod pertinet ad Dei sapientiam est creaturarum productio : ipse enim de rebus creatis non tantum speculativam, sed etiam operativam sapientiam habet, sicut artifex de artificiatis ; unde in Psalm. 103 : Omnia in sapientia fecisti. Et ipsa sapientia loquitur, Proverb. 8, 30 : Cum eo eram cuncta componens. Hoc etiam specialiter filio attributum invenitur, inquantum est imago Dei invisibilis, ad cujus formam omnia formata sunt : unde Coloss. 1, 15 : Qui est imago Dei invisibilis, primogenitus omnis creaturae, quoniam in ipso condita sunt universa ; et Joan. 1, 3 : Omnia per ipsum facta sunt. Recte ergo dicitur ex persona filii : ego quasi trames aquae immensae de fluvio ; in quo notatur et ordo creationis et modus. Ordo, quia sicut trames a fluvio derivatur, ita processus temporalis creaturarum ab aeterno processu personarum : unde in Psalmo 148, 5, dicitur : Dixit, et facta sunt.

 

Ce qui relève en deuxième lieu de la sagesse divine, c’est la production des créatures : Dieu lui-même en effet ne possède pas seulement une sagesse spéculative au sujet des choses créées, mais aussi une sagesse opérationnelle, comparable à celle de l’artisan par rapport aux choses artificielles ; c’est pourquoi le Psaume dit (103) : Tu as tout fait avec sagesse. Et c’est la sagesse elle-même qui parle dans les Proverbes (8, 30) : J’étais avec lui, disposant toute chose. Cela même se trouve encore à être spécialement attribué au Fils selon qu’il est l’image visible du Dieu invisible à la forme duquel toutes les choses ont été façonnées ; c’est pourquoi on lit dans l’Épître aux Colossiens : C’est lui qui est l’image du Dieu invisible, le Premier-né parmi toutes les créatures, puisque c’est en lui que toutes les choses ont été créées ; et c’est pourquoi aussi Jean (1, 3) dit : Tout a été fait par Lui. C’est donc avec raison que la personne du fils dit : Je suis comme le chemin parcouru par l’eau abondante d’un fleuve ; en quoi on remarque à la fois l’ordre et le mode de la création. L’ordre, parce que tout comme le cheminement provient du fleuve, de même la marche temporelle des créatures provient de la procession éternelle des personnes : c’est pourquoi le Psalmiste dit (148, 5) : Il dit, et cela fut.

Verbum genuit, in quo erat ut fieret [fierent Éd. De Parme], secundum Augustinum. Semper enim id quod est primum est causa eorum quae sunt post, secundum philosophum ; unde primus processus est causa et ratio omnis sequentis processionis. Modus autem signatur quantum ad duo : scilicet ex parte creantis, qui cum omnia impleat, nulli tamen se commetitur ; quod notatur in hoc quod dicitur, immensae. Item ex parte creaturae : quia sicut trames procedit extra alveum fluminis, ita creatura procedit a Deo extra unitatem essentiae, in qua sicut in alveo fluxus personarum continetur. Et in hoc notatur materia secundi libri.

 

Selon Augustin, le Père engendra le Verbe dans lequel il était afin que toutes les choses voient le jour. Toujours en effet, selon le Philosophe, ce qui est premier est la cause de ce qui vient par la suite ; c’est pourquoi le premier processus est la cause et la raison de toute procession qui vient par la suite. Mais le mode est signifié quant à deux rapports : c’est-à-dire d’une part quant au créateur qui, bien qu’il comble toute chose ne se mélange cependant à aucune, ce qui est signifié au moyen du terme immense. Le mode est signifié d’autre part du côté de la créature car tout comme le chemin procède ou sort du lit du fleuve, de même la créature procède de Dieu en sortant de l’unité de son essence dans laquelle, comme dans le lit d’un fleuve, le flux des personnes est contenu. Et c’est par là qu’est désignée la matière du second livre.

 

 

 

Le troisième livre : [La restauration des oeuvres de Dieu : Le Christ et la grâce]

 

 

Tertium, quod pertinet ad Dei sapientiam, est operum restauratio. Per idem enim debet res reparari per quod facta est ; unde quae per sapientiam condita sunt, decet ut per sapientiam reparentur : unde dicitur Sapient. 9, 19 : Per sapientiam sanati sunt qui tibi placuerunt ab initio.

 

Ce qui relève en troisième lieu de la sagesse divine, c’est la restauration de la création. En effet une chose doit être réparée par cette même cause par laquelle elle a été faite ; c’est pourquoi il convient que les choses qui ont été créées par la sagesse soient réparées par elle. C’est pourquoi on lit dans le livre de la Sagesse (9, 19) : Ceux qui t’ont plu dès le début, c’est par la sagesse qu’ils ont été guéris.

Haec autem reparatio specialiter per filium facta est, inquantum ipse homo factus est, qui, reparato hominis statu, quodammodo omnia reparavit quae propter hominem facta sunt ; unde Coloss. 1, 20 : Per eum reconcilians omnia, sive quae in caelis, sive quae in terris sunt. Recte ergo ex ipsius filii persona dicitur : ego quasi fluvius Dorix, et sicut aquaeductus exivi de Paradiso. Paradisus iste, gloria Dei patris est, de qua exivit in vallem nostrae miseriae ; non quod eam amitteret, sed quia occultavit : unde Joan. 16, 28 : Exivi a patre et veni in mundum. Et circa hunc exitum duo notantur, scilicet modus et fructus. Dorix enim fluvius rapidissimus est ; unde designat modum quo, quasi impetu quodam amoris nostrae reparationis Christus complevit mysterium ; unde Isaiae 59, 19 : Cum venerit quasi fluvius violentus, quem spiritus domini cogit.

 

Mais cette réparation, c’est spécialement le Fils qui l’a réalisée puisque lui-même a été fait homme et, ayant restauré la condition de l’homme, il a restauré du même coup en quelque sorte tout ce qui avait été fait en vue de l’homme ; c’est pourquoi il est dit dans l’Épître aux Colossiens (1, 20) : C’est par Lui qu’il a tout réconcilié, ce qui est dans les cieux comme ce qui est sur la terre. C’est donc avec raison qu’il est dit de la bouche même de la personne du Fils : Moi, je suis comme le fleuve Dorix et comme un cours d’eau sorti du Paradis. Ce Paradis est la gloire de Dieu le Père d’où il est sorti pour entrer dans la vallée de notre misère, non pas parce qu’il avait perdu cette gloire, mais parce qu’il l’a cachée : c’est pourquoi Jean dit de Lui (16, 28) : Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde. Et au sujet de cette sortie, il faut noter deux choses, à savoir le mode et le fruit. En effet, le fleuve Dorix est très rapide ; c’est pourquoi est désigné par cette similitude le mode par lequel, comme par un certain élan d’amour pour notre réparation, il a accompli le mystère ; c’est pourquoi Ésaïe dit (59, 19) : Lorsqu’Il sera venu comme un fleuve impétueux poussé par l’Esprit du Seigneur.

Fructus autem designatur ex hoc quod dicitur, sicut aquaeductus : sicut enim aquaeductus ex uno fonte producuntur divisim ad fecundandam terram, ita de Christo profluxerunt diversarum gratiarum genera ad plantandam Ecclesiam, secundum quod dicitur Ephes. 4, 11 : Ipse dedit quosdam quidem apostolos, quosdam autem prophetas, alios vero Evangelistas, alios autem pastores et doctores, ad consummationem sanctorum in opus ministerii, in aedificationem corporis Christi. Et in hoc tangitur materia tertii libri : in cujus prima parte agitur de mysteriis nostrae reparationis, in secunda de gratiis nobis collatis per Christum.

 

Mais pour ce qui est du fruit, il est identifié à partir de l’expression ¨comme un cours d’eau¨ : en effet, tout comme les cours d’eau sont produits à partir d’une seule et même source qui se divise pour féconder la terre, de même à partir du Christ seul se sont écoulés des genres de grâces différentes pour planter l’Église, conformément à ce qu’on dit dans l’Épître aux Éphésiens (4, 11) : Lui-même a donné à certains d’être apôtres, à d’autres d’être prophètes, à d’autres d’être évangélistes, à d’autres d’être pasteurs et docteurs pour le perfectionnement des saints dans l’œuvre du ministère, pour l’édification du Corps du Christ. Et c’est en cela qu’on touche du doigt la matière du troisième livre dont la première partie traite des mystères de notre réparation et la seconde des grâces recueillies pour nous par le Christ.

 

 

 

Le quatrième livre : [Les moyens sacramentels et la fin des êtres]

 

 

Quartum, quod ad Dei sapientiam pertinet, est perfectio, qua res conservantur in suo fine. Subtracto enim fine, relinquitur vanitas, quam sapientia non patitur secum ; unde dicitur Sap. 8, 1, quod sapientia attingit a fine usque ad finem fortiter et disponit omnia suaviter. Suaviter autem unumquodque tunc dispositum est quando in suo fine, quem naturaliter desiderat, collocatum est. Hoc etiam ad filium specialiter pertinet, qui, cum sit verus et naturalis Dei filius, nos in gloriam paternae hereditatis induxit ; unde Hebr. 2, 10 : Decebat eum propter quem et per quem facta sunt omnia, qui multos filios in gloriam adduxerat.

 

Ce qui relève en quatrième lieu de la Sagesse de Dieu, c’est la perfection par laquelle les choses sont conservées dans leur finalité. En effet, si on enlève la fin, il ne reste que la vanité, laquelle est incompatible avec la Sagesse. C’est pourquoi on dit dans le livre de la Sagesse (8, 1) que la sagesse passe d’une fin à une autre avec force et qu’elle dispose tout avec douceur. Mais chaque chose est disposée avec douceur quand elle a été posée dans sa finalité qu’elle désire naturellement. Mais cela revient spécialement au Fils qui, puisqu’il est le Fils véritable et naturel de Dieu, nous a conduits à la gloire de l’héritage paternel ; et c’est pourquoi l’Apôtre nous dit dans l’Épître aux Hébreux (2, 10) : Il revenait à celui pour qui et par qui tout a été fait de conduire à la gloire une multitude de fils.

Unde recte dicitur : Dixi : rigabo hortum plantationum. Ad consecutionem enim finis exigitur praeparatio, per quam omne quod non competit fini, tollatur ; ita Christus etiam, ut nos in finem aeternae gloriae induceret, sacramentorum medicamenta praeparavit, quibus a nobis peccati vulnus abstergitur. Unde duo notantur in verbis praedictis, scilicet praeparatio, quae est per sacramenta, et inductio in gloriam. Primum per hoc quod dicitur : Rigabo hortum plantationum. Hortus enim iste Ecclesia est, de qua Cant. 4, 12 : Hortus conclusus soror mea sponsa : in quo sunt plantationes diversae, secundum diversos sanctorum ordines, quos omnes manus omnipotentis plantavit. Iste hortus irrigatur a Christo sacramentorum rivis, qui ex ejus latere profluxerunt : unde in commendationem pulchritudinis Ecclesiae dicitur in Num. 24, 5 : Quam pulchra tabernacula tua, Jacob. Et post sequitur, 6 : Ut horti juxta fluvios irrigui. Et ideo etiam ministri Ecclesiae, qui sacramenta dispensant, rigatores dicuntur, 1 Corinth. 3, 6 : Ego plantavi, Apollo rigavit. Inductio autem in gloriam notatur in hoc quod sequitur : Et inebriabo partus mei fructum.

 

C’est pourquoi il est dit avec raison dans la citation initiale: J’ai dit: j’arroserai le jardin de mes plantations. Il est nécessaire en effet qu’il y ait une préparation qui soit ordonnée à la poursuite de la fin, au moyen de laquelle soit écarté tout ce qui ne contribue pas à la fin; c’est ainsi encore que le Christ, afin que nous soyions introduits dans cette fin qu’est la gloire éternelle, prépara pour nous ces remèdes que sont les sacrements par lesquels est enlevée de nous la blessure du péché. De là il y a deux mots à retenir des paroles qui précèdent, à savoir le terme préparation et l’expression introduction dans la gloire. Et la première idée, celle de preparation, est rendue par cet énoncé: J’arroserai le jardin de mes plantations. Ce jardin en effet est l’Église dont on parle dans le Cantique (4, 12): Tu es mon jardin privé, ma soeur, mon épouse: dans ce jardin, il y a différentes plantations, correspondant aux différents ordres des saints, qui ont toutes été plantées par la main du Tout-Puissant. Ce jardin est arrosé par le Christ grâce aux ruisseaux des sacrements qui ont coulé de son côté: c’est pourquoi, dans la louange de la beauté de l’Église, on dit dans le livre des Nombres (24, 5): Comme tes tentes sont belles, ô Jacob! Et plus loin on voit suivre ceci (24, 6): Comme des jardins qui baignent près des fleuves. Et c’est pour cette raison aussi que les ministres de l’Église qui distribuent les sacrements sont appelés par l’Apôtre, dans la Première Épître aux Corinthiens (3, 6) ¨ceux qui arrosent¨ : J’ai planté, Apollos a arrosé. Mais l’introduction dans la gloire est soulignée dans l’expression qui suit: Et j’enivrerai le fruit de mon enfantement.

Partus ipsius Christi sunt fideles Ecclesiae, quos suo labore quasi mater parturivit : de quo partu Isa. ult., 9 : Numquid ego, qui alios parere facio, ipse non pariam ? Dicit dominus. Fructus autem istius partus sunt sancti qui sunt in gloria : de quo fructu Cant. 5, 1 : Veniat dilectus meus in hortum suum et comedat fructum pomorum suorum. Istos inebriat abundantissima sui fruitione ; de qua [fruitione et Éd. De Parme] ebrietate Psalm. 35, 9 : Inebriabuntur ab ubertate domus tuae. Et dicitur ebrietas, quia omnem mensuram rationis et desiderii excedit : unde Isa. 64, 4 : Oculus non vidit, Deus, absque te quae praeparasti expectantibus te. Et in hoc tangitur materia quarti libri : in cujus prima parte agitur de sacramentis ; in secunda de gloria resurrectionis. Et sic patet ex praedictis verbis intentio libri Sententiarum.

 

Mais ce que le Christ enfante, ce sont les fidèles de l’Église qu’il a enfantés par son travail comparable à celui de la mère qui a enfanté : et c’est de cet enfantement dont parle Ésaïe à la fin de son livre (66, 9) : Et moi qui fais enfanter les autres, je ne pourrais pas moi-même enfanter ? Dit le Seigneur. Mais les fruits de cet enfantement sont les saints qui vivent dans la gloire, fruits dont le Cantique (5, 1) dit : Que mon bien-aimé vienne dans son jardin et qu’il mange le fruit de ses arbres. Il les enivre de sa joie immense ; et de cette joie et de cet enivrement le Psaume (35, 9) dit : Ils seront enivrés par l’abondance de ta maison. Et il parle d’enivrement parce que cette joie dépasse toute mesure de la raison et du désir. Et c’est pourquoi Ésaïe (64. 3) dit : Jamais un œil n’a vu qu’un autre dieu que Toi ait préparé de telles choses pour ceux qui t’attendent. Et c’est avec ce point qu’on touche du doigt la matière du quatrième livre dont la première partie traite des sacrements et la seconde de la gloire de la résurrection. Et c’est ainsi qu’apparaît avec clarté, en nous appuyant sur les paroles qui précèdent, le propos du livre des Sentences.

 

 

 

 

 

 

Prooemium

TEXTE DE PIERRE LOMBARD, prologue : La théologie

 

 

1. Cupientes aliquid de penuria ac tenuitate nostra cum paupercula in gazophylacium Domini mittere, ardua scandere, opus ultra vires nostras agere praesumsimus, consummationis fiduciam laborisque mercedem in Samaritano statuentes, qui, prolatis in curationem semivivi duobus denariis, supereroganti cuncta redere professus est. Delectat nos veritas pollicentis, sed terret immensitas laboris : desiderium hortatur proficiendi, sed dehortatur infirmitas deficiendi, quam vincit zelus domus Dei. "Quo inardescentes, fidem nostram adversus errores carnalium atque animalium hominum" Davidicae turris clypeis munire vel potius munitam ostendere ac theologicarum inquisitionum abdita aperire nec non et sacramentorum ecclesiaticorum pro modico intelligentiae nostrae notitiam traducere studuimus, "non valentes studiosorum fratrum votis iure resistere, eorum in Christo laudabilibus studiis lingua ac stilo nos servire flagitantium, quas bigas in nobis agitat Christi caritas".

 

Désirant introduire quelque chose de notre dénuement et de notre petitesse, avec notre pauvreté, dans le trésor du Seigneur et nous élever dans les hauteurs, nous avons osé nous engager dans une œuvre qui dépasse nos capacités en fondant l’assurance de la récompense du travail accompli sur le Samaritain lui-même, lequel, ayant cédé deux deniers pour les soins à donner à celui qui était à peine vivant, promit de rendre tout ce qui serait dépensé en sus. La vérité de cette promesse nous réjouit, mais l’immensité du travail à accomplir nous effraie : le désir de servir nous pousse à avancer, mais notre faiblesse, que vainc notre zèle pour la maison du Seigneur, nous conseille d’abandonner. ¨Embrasés par ce zèle, nous lançons notre foi à l’assaut des erreurs des hommes charnels et sans esprit¨. Nous travaillons à fortifier notre foi avec les boucliers de la Tour de David, ou plutôt à la montrer une fois fortifiée, à manifester les secrets des recherches théologiques, et à ne pas transmettre une connaissance tronquée de notre intelligence sur les sacrements de l’Église, ne pouvant résister à juste titre aux vœux de nos frères dévoués et aux efforts louables de ceux qui sont dans le Christ et qui nous exhortent à servir par la langue et la plume, ce char à double attelage que l’amour du Christ excite en nous.

"Quamvis non ambigamus omnem humani eloquii sermonem calumniae atque contradictioni aemulorum semper fuisse obnoxium, quia, dissentientibus voluntatum motibus, dissentiens quoque fit animorum sensus", "ut, cum omne dictum veri ratione perfectum sit, tamen, dum aliud aliis aut videtur aut complacet, veritati vel non intellectae vel offendenti impietatis error obnitatur, ac voluntatis invidia resultet", "quam Deus huius saeculi operatur in illis diffidentiae filiis, qui non rationi voluntatem subiiciunt nec doctrinae studium impendunt, sed his quae somniarunt sapientiae verba coaptare nituntur, non veri, sed placiti rationem sectantes, quos iniqua voluntas non ad intelligentiam veritatis, sed ad defensionem placentium incitat, non desiderantes doceri veritatem, sed ab ea ad fabulas convertentes auditum (II Tim. 4, 4)

¨Bien que nous ne doutions pas que tout discours du langage humain a toujours été assujetti à la calomnie et à la contradiction des envieux parce que, une fois que les mouvements de la volonté sont divisés, les jugements des âmes le deviennent aussi¨ (Hilaire, Trinité, X, 1)… ¨de telle sorte que, puisque toute parole est parfaite en raison de sa vérité cependant, alors même que ce qui plaît et apparaît vrai à chacun diffère de l’un à l’autre, l’erreur de l’impiété s’oppose à la vérité soit parce que cette dernière n’est pas comprise soit parce qu’elle choque et alors la jalousie de la volonté résiste à la vérité¨, ¨que le Dieu de ce siècle opère chez ces fils de la dissidence¨ qui ne soumettent pas leur volonté à la raison et ne consacrent pas leur application à la doctrine mais s’efforcent d’adapter les paroles de la sagesse à ceux qui rêvent ne suivant pas ainsi la raison du vrai, mais celle de l’agrément, eux qu’une volonté inique ne pousse pas à comprendre la vérité mais à défendre ce qui leur plaît, ne cherchant pas à être enseignés par la vérité mais à se détourner d’elle pour tendre leurs oreilles vers les fables (11 Tm. 4, 4.).

2. Quorum professio est magis placita quam docenda conquirere nec docenda desiderare, sed desideratis doctrinam coaptare. Habent rationem sapientiae in superstitione : quia fidei defectionem sequitur hypocrisis mendax, ut sit vel in verbis pietas, quam amiserit conscientiae, ipsamque simulatam pietatem omnium [omni, alt.] verborum mendacio impiam reddunt, falsae doctrinae institutis fidei sanctitatem corrumpere molientes auriumque pruriginem sub novello sui desiderii dogmate aliis ingerentes, qui contentioni studentes contra veritatem sine foedere bellant". "Inter veri namque assertionem et placiti defensionem pertinax pugna est, dum se et veritas tenet, et se voluntas erroris tuetur". Horum igitur et Deo odibilem ecclesiam evertere atque ora oppilare, ne virus nequitiae in alios effundere queant, et lucernam veritatis in candelabro exaltare volentes, in labore multo ac sudore hoc volumen, Deo praestante, compegimus ex testimoniis veritatis in aeternum fundatis, in quatuor libros distinctum.

 

Leur enseignement tient plus de l’agrément que ce qu’on doit enseigner à acquérir et ne pas enseigner à désirer, mais il consiste à adapter la doctrine à leurs désirs. Ils trouvent la justification de leur sagesse dans la religiosité : parce que le mensonge de l’hypocrisie suit la disparition de la foi, comme la piété existe même dans les paroles, laquelle se sera éloignée de la conscience, ils rendent impie par le mensonge la piété simulée de toutes leurs paroles en travaillant à corrompre la vérité de la foi par les principes d’une fausse doctrine et en suscitant chez les autres une démangeaison des oreilles sous le nouveau dogme de leur désir, eux qui sans mandat travaillent avec application à combattre la vérité. ¨Car entre l’affirmation de la vérité et la défense de ce qui plaît, il existe une guerre constante aussi longtemps que la vérité est soutenue et que la volonté de l’erreur se maintient¨ (Hilaire, ibid.). Voulant donc renverser leur église qui est détestable à Dieu et fermer leurs bouches afin qu’ils ne répandent pas chez les autres le poison de leur perversité, et élever sur le candélabre la lumière de la vérité, nous avons rédigé, avec beaucoup de travail et de peines, avec l’aide de Dieu et à partir des témoignages de la vérité qui se fondent sur l’éternité, ce volume qui se divise en quatre livres.

In quo maiorum exempla doctrinamque reperies, in quo per dominicae fidei sinceram professionem vipereae doctrinae fraudulentiam prodidimus, aditum demonstrandae veritatis complexi nec periculo impiae professionis inserti, temperato inter utrumque moderamine utentes. Sicubi vero parum vox nostra insonuit, non a paternis dicessit limitibus. "Non igitur debet hic labor cuiquam pigro vel multum docto videri superfluus, cum multis impigris multisque indoctis, inter quos etiam mihi, sit necessarius" (Augustin, Trin. 3, 1), brevi volumine complicans Patrum sententias, appositis eorum testimoniis, ut non sit necesse quaerenti librorum numerositatem evolvere, cui brevitas collecta quod quaeritur offert sine labore. "In hoc autem tractatu non solum pium lectorem, sed etiam liberum correctorem desidero, maxime ubi profunda versatur veritatis quaestio, quae utinam tot haberet inventores, quot habet contradictores (Augustin, La Trinité, 3, 2)" Ut autem quod quaeritur facilius occurrat, titulos, quibus singulorum librorum capitula distinguuntur, praemisimus.

Tu trouveras dans ce livre les exemples et la doctrine des Anciens, dans lequel, par une enseignement sincère de la foi dans le Seigneur, nous avons mis à jour la tromperie d’une doctrine empoisonnée, l’accès à la vérité à démontrer que nous embrassons et nous ne l’avons pas mélangée au danger de la doctrine impie, usant d’une conduite réglée à leur égard. Mais si notre voix a quelque peu retenti, elle ne s’est pas écartée du chemin tracé par les Pères. ¨Ce travail ne doit donc pas paraître inutile à quelque paresseux ou à quelque grand docteur car il est nécessaire à de nombreuses personnes actives et à de nombreux ignorants dont je fais partie¨ (Augustin, La Trinité, 3, 12), car nous avons embrassé dans un petit volume les sentences des Pères accompagnées de leurs témoignages, afin qu’il ne soit pas nécessaire à celui qui cherche d’ouvrir un grand nombre de livres, alors qu’une brève collection lui offre ce qu’il cherche sans effort. ¨Mais pour l’examen de ce traité je désire non seulement un lecteur bienveillant mais encore un critique libre, surtout là où la question de la vérité se présente avec profondeur ; plût à Dieu que la vérité en vienne aussi bien à être découverte qu’à être contredite¨. (Augustin, La Trinité, 3, 2). Mais afin que ce qu’on recherche se présente plus facilement, nous avons fait précéder des titres par lesquels les chapitres de chacun des livres se trouvent à être distingués.

Explicit Prologus

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMENTAIRE DE SAINT THOMAS SUR LE PROLOGUE (La théologie)

 

 

Quaestio 1

Question unique : [La doctrine sacrée]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad evidentiam hujus sacrae doctrinae, quae in hoc libro traditur, quaeruntur quinque : 1° de necessitate ipsius ; 2° supposito quod sit necessaria, an sit una, vel plures ; 3° si sit una, an practica, vel speculativa : et si speculativa, utrum sapientia, vel scientia, vel intellectus ? 4° de subjecto ipsius ; 5° de modo.

Pour mettre en évidence cette doctrine sacrée qui est rapportée dans ce livre, on s’interroge sur cinq points : 1° Sur sa nécessité : 2° En supposant qu’elle soit nécessaire, s’agit-il d’une seule et même doctrine ou de plusieurs ? 3° S’il s’agit d’une seule et même doctrine, est-elle pratique ou spéculative, et si elle est spéculative, est-ce une sagesse, une science ou une intelligence ? 4° Quel est son sujet ? 5° Quel est son mode ?

[Article 1 – En dehors des disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à l'homme ?

Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine en plus des sciences physiques ?

Article 3 – [La nature de cette science]

Sous question 1 : La théologie est-elle pratique ou discursive ?

Sous question 2 : Est-elle une science ?

Sous question 3 : Est-elle une sagesse ?

Article 4 – Dieu est-il l'object de cette science ?

Article 5 – Ce mode de procéder est-il scientifique ?]

 

 

q. 1 a. 1 tit. Articulus 1 : Utrum praeter physicas disciplinas alia doctrina sit homini necessaria.

Article 1 – Outre les disciplines physiques y a-t-il une autre discipline nécessaire à l’homme ?

q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod praeter physicas disciplinas nulla sit homini doctrina necessaria. Sicut enim dicit Dionysius in epistola ad Polycarpum, philosophia est cognitio existentium ; et constat, inducendo in singulis, quod de quolibet genere existentium in philosophia determinatur ; quia de creatore et creaturis, tam de his quae sunt ab opere naturae, quam de his quae sunt ab opere nostro. Sed nulla doctrina potest esse nisi de existentibus, quia non entis non est scientia. Ergo praeter physicas disciplinas nulla doctrina debet esse.

 

Difficultés :

1. Par rapport à cette première question on procède de la manière suivante. Il semble qu’en dehors des disciplines physiques, aucune discipline ne soit nécessaire à l’homme. Ainsi que le dit en effet Denys dans sa Lettre à Polycarpe, la philosophie est la connaissance de ce qui existe ; et on constate, en examinant les cas particuliers, qu’on traite en philosophie de tous les genres d’êtres, car on y traite du créateur comme des créatures, aussi bien de celles qui sont l’œuvre de la nature que de celles qui sont produites par nous. Mais toute doctrine porte sur ce qui existe car il n’existe pas de science du non-être. Il ne doit donc exister aucune doctrine en dehors des disciplines physiques.

q. 1 a. 1 arg. 2 Item, omnis doctrina est ad perfectionem : vel quantum ad intellectum, sicut speculativae, vel quantum ad effectum [affectum Éd. De Parme] procedentem in opus, sicut practicae. Sed utrumque completur per philosophiam ; quia per demonstrativas scientias perficitur intellectus, per morales affectus. Ergo non est necessaria alia doctrina.

 

2. En outre, tout doctrine se rapporte à une perfection, soit quant à l’intelligence comme dans les disciplines spéculatives, soit quant à l’appétit qui procède dans une œuvre comme c’est le cas dans celles qui sont pratiques. Mais la philosophie embrasse les deux sortes de disciplines, car c’est par les sciences démonstratives que l’intelligence atteint sa perfection et c’est par les sciences morales que l’appétit parvient à la sienne. Il n’est donc pas nécessaire de faire appel à une doctrine autre que la philosophie.

q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quaecumque naturali intellectu possunt cognosci ex principiis rationis, vel sunt in philosophia tradita, vel per principia philosophiae inveniri possunt. Sed ad perfectionem hominis sufficit illa cognitio quae ex naturali intellectu potest haberi. Ergo praeter philosophiam non est necessaria alia doctrina. Probatio mediae. Illud quod per se suam perfectionem consequi potest, nobilius est eo quod per se consequitur [consequi non potest Éd. De Parme]. Sed alia animalia et creaturae insensibiles ex puris naturalibus consequuntur finem suum ; quamvis non sine Deo, qui omnia in omnibus operatur. Ergo et homo, cum sit nobilior eis, per naturalem intellectum cognitionem sufficientem suae perfectioni habere potest.

 

3. De plus, tout ce qui peut être naturellement connu par notre intelligence à partir des principes de la raison, ou bien est enseigné en philosophie, ou bien peut être découvert au moyen des principes de la philosophie. Mais cette connaissance qui peut être acquise naturellement à partir de l’intelligence est suffisante à l’homme pour parvenir à sa perfection. Une autre doctrine en dehors de la philosophie n’est donc pas necessaire à l’homme. Preuve de la mineure. Ce qui est capable de parvenir à sa perfection par lui-même est plus noble que ce qui en est incapable. Mais les autres animaux et les creatures qui ne sont pas dotées de sensibilité parviennent à leur fin à partir d’appétits purement naturels, bien que ce ne soit pas sans Dieu qui opère tout en toutes choses. Donc l’homme, qui est plus noble que ces creatures, peut à plus forte raison acquérir la connaissance suffisante à sa perfection au moyen de son intelligence naturelle.

q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Hebr. 11, 6 : Sine fide impossibile est placere Deo. Placere autem Deo est summe necessarium. Cum igitur ad ea quae sunt fidei, philosophia non possit [ascendere Éd. De Parme], oportet esse aliquam doctrinam quae ex fidei principiis procedat.

Cependant :

1. Au contraire, Paul dit dans sa Lettre aux Hébreux (11, 6) : Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu. Mais ce qui nous est le plus nécessaire, c’est justement de plaire à Dieu. Donc, puisque la philosophie ne peut s’élever jusqu’aux choses qui relèvent de la foi, il faut qu’il existe une doctrine qui procède des principes mêmes de la foi.

q. 1 a. 1 s. c. 2 Item, effectus non proportionatus causae, imperfecte ducit in cognitionem suae causae. Talis autem effectus est omnis creatura respectu creatoris, a quo in infinitum distat. Ergo imperfecte ducit in ipsius cognitionem. Cum igitur philosophia non procedat nisi per rationes sumptas ex creaturis, insufficiens est ad Dei cognitionem faciendam. Ergo oportet aliquam aliam doctrinam esse altiorem, quae per revelationem procedat, et philosophiae defectum suppleat.

2. En outre, si l’effet n’est pas proportionné à sa cause, il ne mène qu’imparfaitement à sa cause. Mais toute créature est un effet de cette sorte par rapport à son créateur qui la dépasse infiniment. Donc, toute créature ne conduit qu’imparfaitement à la connaissance de son créateur. Donc, puisque la philosophie ne procède qu’au moyen de raisons qui sont tirées des creatures, elle ne peut suffire à produire en nous une connaissance parfaite de Dieu. Il faut donc qu’il existe une autre doctrine, plus élevée, qui procède de la révélation et qui complète ce qui manque à la philosophie.

q. 1 a. 1 co. Ad hujus evidentiam sciendum est, quod omnes qui recte senserunt posuerunt finem humanae vitae Dei contemplationem. Contemplatio autem Dei est duplex [dupliciter Éd. De Parme]. Una per creaturas, quae imperfecta est, ratione jam dicta, in qua contemplatione philosophus, felicitatem contemplativam posuit, quae tamen est felicitas viae ; et ad hanc ordinatur tota cognitio philosophica, quae ex rationibus creaturarum procedit. Est alia Dei contemplatio, qua videtur immediate per suam essentiam ; et haec perfecta est, quae erit in patria et est homini possibilis secundum fidei suppositionem. Unde oportet ut ea quae sunt ad finem proportionentur fini, quatenus homo manuducatur ad illam contemplationem in statu viae per cognitionem non a creaturis sumptam, sed immediate ex divino lumine inspiratam ; et haec est doctrina theologiae. Ex hoc possumus habere duas conclusiones.

 

Corps de l’article :

Pour avoir l’évidence de ceci il faut savoir que tous ceux qui ont pensé avec justesse ont posé que le fin de la vie humaine est la contemplation de Dieu. Mais on accède à la contemplation de Dieu de deux manières. La première se réalise au moyen des créatures, laquelle est imparfaite pour la raison que nous avons déjà dite, et c’est dans cette contemplation que le Philosophe a posé la félicité contemplative qui est cependant la félicité de passage ; et c’est à cette félicité qu’est ordonnée toute la connaissance philosophique qui procède de raisons tirées des créatures. Mais il existe une autre contemplation de Dieu par laquelle il est vu de façon immédiate au moyen de son essence ; et cette connaissance se réalisera parfaitement dans le royaume du Père et elle est accessible à l’homme en s’appuyant sur la foi. Et de là il faut que, comme les choses qui sont en vue de la fin soient proportionnées à la fin, l’homme soit conduit à cette contemplation jusque dans la condition de la vie présente par une connaissance qui ne se tire pas des créatures mais qui est inspirée de façon immédiate de la lumière divine ; et cette manière de procéder est celle de la doctrine théologique. Et de là nous pouvons tirer deux conclusions.

Una est, quod ista scientia imperat omnibus aliis scientiis tamquam principalis : alia est, quod ipsa utitur in obsequium sui omnibus aliis scientiis quasi vassallis, sicut patet in omnibus artibus ordinatis, quarum finis unius est sub fine alterius, sicut finis pigmentariae artis, qui est confectio medicinarum, ordinatur ad finem medicinae, qui est sanitas : unde medicus imperat pigmentario et utitur pigmentis ab ipso factis, ad suum finem. Ita, cum finis totius philosophiae sit infra finem theologiae, et ordinatus ad ipsum, theologia debet omnibus aliis scientiis imperare et uti his quae in eis traduntur.

 

La première est que cette science est première par rapport à toutes les autres et qu’elle leur commande : la deuxième est qu’elle-même se sert de toutes les autres sciences comme de servantes soumises à sa volonté comme on le voit pour tous les arts qui sont ordonnés les uns aux autres et dont la fin de l’un est subordonnée à la fin de l’autre, tout comme la fin de l’art de la pharmacie, qui est la production des médicaments, est ordonnée à la fin de la médecine qui est la santé : c’est pourquoi le médecin commande au pharmacien et se sert des médicaments produits par lui pour parvenir à sa fin. De même , puisque la fin de la philosophie est inférieure à la fin de la théologie et qu’elle lui est ordonnée, la théologie doit commander à toutes les autres sciences et se servir de ce qui y est enseigné.

q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, quamvis philosophia determinet de existentibus [et Éd. De Parme] secundum rationes a creaturis sumptas, oportet tamen esse aliam quae existentia consideret secundum rationes ex inspiratione divini luminis acceptas.

Solutions.

1. Par rapport à la première difficulté, il faut dire que bien que la philosophie traite des êtres d’après des raisons tirées des créatures, il faut cependant qu’il y ait une autre discipline qui considère les êtres d’après des raisons reçues de l’inspiration de la lumière divine.

q. 1 a. 1 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum : quia philosophia sufficit ad perfectionem intellectus secundum cognitionem naturalem, et affectus secundum virtutem acquisitam : et ideo oportet esse aliam scientiam per quam intellectus perficiatur quantum ad cognitionem infusam, et affectus quantum ad dilectionem gratuitam.

 

2. Et par là on voit clairement la solution à la deuxième difficulté : car la philosophie suffit à la perfection de l’intelligence quant à la connaissance naturelle, et à celle de l’appétit quant à l’acquisition de la vertu : et c’est pour cette raison qu’il faut qu’il y ait une autre science par laquelle l’intelligence parvienne à sa perfection quant à une connaissance infuse et l’appétit quant à un amour de charité.

q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in his quae acquirunt aequalem bonitatem pro fine, tenet propositio inducta, scilicet, nobilius est eo quod per se consequi non potest. Sed illud quod acquirit bonitatem perfectam pluribus auxiliis et motibus, est nobilius eo quod imperfectam bonitatem acquirit paucioribus, vel per seipsum, sicut dicit philosophus ; [in V Caeli et Mundo,texte 53, sive cap. XII Éd. Mandonnet] et hoc modo se habet homo respectu aliarum creaturarum, qui factus est ad ipsius divinae gloriae participationem.

3. Par rapport à la troisième difficulté, il faut dire que pour les choses qui parviennent à un bien égal en tant que fin, la proposition présentée est valide, à savoir que ce qui peut par soi parvenir à sa fin est plus noble que ce qui en est incapable. Mais ce qui parvient à un bien parfait par une multiplicité d’instruments et de mouvements est plus noble que ce qui acquiert un bien imparfait par peu de moyens ou par lui-même, ainsi que le dit le Philosophe (Du Ciel et du Monde, livre V, texte 53 ou chapitre XII, Éd. Mandonnet) ; et c’est de cette manière que se présente l’homme par rapport aux autres créatures, lequel a été fait pour participer à la gloire divine elle-même.

 

 

Articulus 2. q. 1 a. 2 tit : Utrum tantum una doctrina debeat esse praeter physicas.

Article 2 – Doit-il n'y avoir qu'une seule doctrine outre les sciences physiques ?

q. 1 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic proceditur. Videtur quod non una tantum doctrina debeat esse praeter physicas doctrinas, sed plures. De omnibus enim de quibus instruitur homo per rationes creaturarum, potest instrui per rationes divinas. Sed scientiae procedentes per rationes creaturarum sunt plures, differentes genere et specie, sicut moralis, naturalis et cetera. Ergo scientiae procedentes per rationes divinas, debent plures esse.

 

Par rapport à ce deuxième article on procede de la manière suivante.

Difficultés.

1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir qu’une seule doctrine en dehors des sciences physiques mais qu’on  doive en poser plusieurs. L’homme en effet peut être instruit par des raisons divines de toutes les choses dont il est instruit par des raisons tirées des créatures. Mais les sciences qui procèdent de raisons tirées des créatures sont multiples et diffèrent par le genre et l’espèce comme c’est le cas pour la science morale, la science de la nature et les autres. Donc les sciences qui procèdent de raisons divines doivent aussi être multiples.

q. 1 a. 2 arg. 2 Item, una scientia est unius generis [subjecti add. Éd. de Parme], sicut dicit philosophus ( I Posteriorum, texte 34 Éd. Mandonnet). Sed Deus et creatura, de quibus in divina doctrina tractatur, non reducuntur in unum genus, neque univoce neque analogice. Ergo divina scientia non est una. Probatio mediae. Quaecumque conveniunt in uno genere univoce vel analogice, participant aliquid idem, vel secundum prius et posterius, sicut substantia et accidens rationem entis, vel aequaliter, sicut equus et bos rationem animalis. Sed Deus et creatura non participant aliquid idem, quia illud esset simplicius et prius utroque. Ergo nullo modo reducuntur in idem genus.

2. En outre, une même science ne se rapporte qu’à un seul genre-sujet, ainsi que le dit le Philosophe (1 Seconds Analytiques, texte 34, Éd. Mandonnet). Mais Dieu et les créatures, dont traite la doctrine sacrée, ne se ramènent pas à un seul et même genre, ni de façon univoque, ni de façon analogue. Donc la science divine n’est pas une science unique. Preuve de la mineure. Tout ce qui est contenu dans un même genre de façon univoque ou analogue participe de quelque chose qui est un, soit selon l’avant et l’après, comme la substance et l’accident par rapport à la notion d’être, soit selon l’égalité, comme le cheval et le bœuf participent de la définition de l’animal selon la même mesure. Mais Dieu et la créature ne participent pas d’une même chose car cette dernière serait plus simple et antérieure à l’un et à l’autre. Donc, Dieu et la créature ne se ramènent pas à un même genre.

q. 1 a. 2 arg. 3 Item, ea quae sunt ab opere nostro, sicut opera virtutum et quae sunt ab opere naturae, non reducuntur ad eamdem scientiam ; sed unum pertinet ad moralem, alterum ad naturalem. Sed divina scientia determinat de his quae sunt ab opere nostro, tractando de virtutibus et praeceptis : tractat etiam de his quae non sunt ab opere nostro, sicut de Angelis et aliis creaturis. Ergo videtur quod non sit una scientia.

 

3. De plus, les opérations qui sont le résultat de notre volonté, comme les actes de vertu, et celles qui sont produites par la nature ne se ramenent pas à une seule et même science ; au contraire, les premières se rapportent à la science morale et les secondes à la science de la nature. Mais la science divine traite à la fois des opérations qui relèvent de notre volonté lorsqu’il est question des vertus et des commandements, et de celles qui n’en relèvent pas lorsqu’il est question des anges et des autres créatures. Il semble donc que la science divine ne soit pas une science unique.

q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quaecumque conveniunt in ratione una possunt ad unam scientiam pertinere : unde etiam omnia, inquantum conveniunt in ratione entis, pertinent ad metaphysicam. Sed divina scientia determinat de rebus per rationem divinam quae omnia complectitur : omnia enim et ab ipso et ad ipsum sunt. Ergo ipsa una existens potest de diversis esse.

Cependant :

1. Tout ce qui se ramène à une notion unique peut relever d’une seule et même science : c’est pourquoi tous les êtres, dans la mesure où ils ont en commun la notion d’être, relèvent de la métaphysique. Mais la science divine traite des choses au moyen de la notion de Dieu qui embrasse tous les êtres : en effet, tous les êtres viennent de Lui et sont ordonnés à Lui. Donc cette seule et même science, sous ce même rapport, peut porter sur des êtres différents.

q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, quae sunt diversarum scientiarum, distinctim et in diversis libris determinantur. Sed in sacra Scriptura permixtim in eodem libro quandoque determinatur de moribus, quandoque de creatore, quandoque de creaturis, sicut patet fere in omnibus libris. Ergo ex hoc non diversificatur scientia.

2. Par ailleurs, les choses qui appartienntent à des sciences différentes sont traitées séparément dans des livres différents. Mais dans les Saintes Écritures on traite pêle mêle dans le même livre tantôt des mœurs humaines, tantôt du Créateur, tantôt des créatures, ainsi qu’on le voit dans presque tous les livres. Il ne s’ensuit donc pas de là une différence de science.

q. 1 a. 2 co. Respondeo. Ad hoc notandum est, quod aliqua cognitio quanto altior est, tanto est magis unica et ad plura se extendit : unde intellectus Dei, qui est altissimus, per lumen quod est ipse Deus, omnium rerum cognitionem habet distincte. Ita et cum ista scientia sit altissima et per ipsum lumen inspirationis divinae efficaciam habens, ipsa unica manens, non multiplicata, diversarum rerum considerationem habet, non tantum in communi, sicut metaphysica, quae considerat omnia inquantum sunt entia, non descendens ad propriam cognitionem moralium, vel naturalium. Ratio enim entis, cum sit diversificata in diversis, non est sufficiens ad specialem rerum cognitionem ; ad quarum manifestationem divinum lumen in se unum manens, secundum beatum Dionysium in principio caelestis hierarchiae, efficaciam habet.

Corps de l’article.

Je réponds à cela qu’il faut remarquer que plus une connaissance est élevée, plus elle possède d’unité et s’étend à un plus grand nombre de choses : c’est pourquoi l’intelligence de Dieu, laquelle est l’intelligence la plus élevée, par cette Lumière qui est la sienne et qui est son être même, possède une connaissance distincte de toutes les choses. Ainsi, puisque cette science est la plus élevée et qu’elle possède sa puisssance grâce à la lumière même de l’inspiration divine, tout en demeurant une sans se multiplier, elle porte sa considération sur des choses différentes non seulement sous l’angle de l’universel comme le fait la métaphysique qui considère tous les êtres en tant qu’êtres sans descendre à une connaissance spécifique des choses morales ou naturelles. En effet, la notion d’être, bien qu’elle se différencie dans des êtres différents, ne suffit pas à parvenir à une connaissance spécifique des choses ; au contraire, la lumière divine, laquelle demeure une en elle-même, a le pouvoir de manifester cela ainsi que le dit le bienheureux Denys au début de son traité intitulé De la Hiérarchie céleste.

q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod divinum lumen, ex cujus certitudine procedit haec scientia, est efficax ad manifestationem plurium quae in diversis scientiis in philosophia traduntur, ex eorum rationibus in eorum cognitionem procedentibus ; et ideo non oportet scientiam istam multiplicari.

Solutions.

1. Il faut donc dire à l’égard de la première difficulté que la lumière divine qui possède la certitude d’où procède cette science, a la puissance de manifester la multiplicité des choses qui sont enseignées dans les différentes sciences philosophiques qui procèdent des raisons qui leur sont propres pour parvenir à les connaître ; et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que cette doctrine se multiplie en différentes sciences.

q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creator et creatura reducuntur in unum, non communitate univocationis sed analogiae. Talis autem communitas potest esse dupliciter. Aut ex eo quod aliqua participant aliquid unum secundum prius et posterius, sicut potentia et actus rationem entis, et similiter substantia et accidens ; aut ex eo quod unum esse et rationem ab altero recipit, et talis est analogia creaturae ad creatorem : creatura enim non habet esse nisi secundum quod a primo ente descendit : unde nec nominatur ens nisi inquantum ens primum imitatur ; et similiter est de sapientia et de omnibus aliis quae de creatura dicuntur.

 

2. Par rapport à la deuxième difficulté il faut dire que le Créateur et la créature se ramènent à quelque chose d’un non pas par une ressemblance univoque mais par une ressemblance analogue. Mais une telle ressemblance peut se présenter de deux manières. Soit du fait que certais objets participent de quelque chose d’un selon l’avant et l’après, comme la puissance et l’acte par rapport à la notion d’être et il en est de même aussi pour la substance et l’accident ; soit que l’un des objets reçoive de l’autre l’être et la définition, et tel est le type d’analogie qui existe entre la créature et le Créateur : la créature en effet ne possède l’être que selon qu’elle procède du premier être : d’où la créature n’est appelée être que pour autant qu’elle imite l’Être premier ; et il en est de même pour la sagesse et pour tous les autres attributs qui se disent de la créature.

q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ea quae sunt ab opere nostro et ea quae sunt ab opere naturae, considerata secundum proprias rationes, non cadunt in eamdem doctrinam. Una tamen scientia utrumque potest considerare, quae per lumen divinum certitudinem habet, quod est efficax ad cognitionem utriusque. Potest tamen aliter dici, quod virtus quam theologus considerat, non est ab opere nostro : immo eam Deus in nobis sine nobis operatur, secundum Augustinum.

3. Il faut dire en troisième lieu que les opérations qui procèdent de notre volonté et celles qui procèdent de la nature, si on les considère d’après les raisons qui leur sont propres, ne relèvent pas d’une même science. Mais les deux peuvent faire l’objet de cette même science qui, parce qu’elle possède la certitude de la lumière divine, a la puissance de connaître les deux. On pourrait néanmoins encore dire que la puissance que le théologien considère n’est pas celle qui est le résultat de nos propres efforts : c’est plutôt celle que Dieu opère en nous sans nous, d’après les paroles d’Augustin.

 

 

Articulus 3

Article 3: [La nature de cette science]

Quaestiuncula 1 : Utrum sit practica vel spéculative

Sous-question 1 – [La théologie est-elle pratique ou spéculative ?]

q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Circa tertium sic proceditur. Videtur quod ista doctrina sit practica. Finis enim practicae est opus, secundum philosophum. Sed ista doctrina, quae fidei est, principaliter est ad bene operandum ; unde Jacob. 2, 26 : Fides sine operibus mortua est ; et Psalm. 110, 10 : Intellectus bonus omnibus facientibus eum. Ergo videtur quod sit practica.

Difficultés.

1. Il semble que cette doctrine soit pratique. La fin d’une discipline pratique est en effet l’œuvre à réaliser d’après le Philosophe. Mais cette doctrine, qui se fonde sur la foi, a pour fin principale de bien agir ; c’est pourquoi on lit dans la Lettre de Jacques (2. 26) : La foi sans les actes est une foi morte ; et dans le Psaume (110, 10) : L’ Intelligence est bonne pour tous ceux qui font le bien. Il semble donc que cette doctrine soit pratique.

q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 1 Contra, dicit philosophus, quod nobilissima scientiarum est sui gratia. Practicae autem non sunt sui gratia, immo propter opus. Ergo, cum ista nobilissima sit scientiarum, non erit practica.

 

Cependant.

1. Mais contrairement à cela le Philosophe dit que la science la plus noble est celle qui est recherchée pour elle-même. Mais les sciences pratiques ne sont pas recherchées pour elles-mêmes, mais en vue d’une œuvre à réaliser. Donc, puisque cette science est la plus noble des sciences, elle n’est pas pratique.

q. 1 a. 3 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, practica scientia determinat tantum ea quae sunt ab opere nostro. Haec autem doctrina considerat Angelos et alias creaturas, quae non sunt ab opere nostro. Ergo non est practica, sed speculativa.

 

2. Par ailleurs, une science pratique ne traite que de ce qui procède de nos opérations. Mais cette doctrine considère les anges et les autres créatures qui sont étrangers à nos opérations. Cette doctrine n’est donc pas pratique mais spéculative.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Est-elle une science ?]

q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, utrum sit scientia ; et videtur quod non. Nulla enim scientia est de particularibus, secundum philosophum (I Post., texte 7 [Éd. Mandonnet]. Sed in sacra Scriptura gesta traduntur particularium hominum, sicut Abraham, Isaac et cetera. Ergo non est scientia.

Difficultés.

1. On cherche à savoir par la suite si cette doctrine est une science ; et il semble que ce ne soit pas le cas. Aucune science en effet ne porte sur des cas particuliers d’après le Philosophe (Seconds Analytiques, 1, texte 7, Éd. Mandonnet). Mais dans les Saintes Écritures on rapporte les faits et gestes d’individus comme Abraham, Isaac et les autres. La doctrine sacrée n’est donc pas une science.

q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, omnis scientia procedit ex principiis per se notis, quae cuilibet sunt manifesta. Haec autem scientia procedit ex credibilibus, quae non ab omnibus conceduntur. Ergo non est scientia.

2. En outre, toute science procède de principes connus pas soi qui sont évidents pour tous. Mais cette doctrine procède de ce qu’il faut croire et qui n’est pas admis par tous les hommes. Cette doctrine n’est donc pas une science.

q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 3 Praeterea, in omni scientia acquiritur aliquis habitus per rationes inductas. Sed in hac doctrina non acquiritur aliquis habitus : quia fides, cui tota doctrina haec innititur, non est habitus acquisitus, sed infusus. Ergo non est scientia.

 

3. De plus, dans toute science un habitus est acquis au moyen des raisons qu’on amène. Mais dans cette doctrine aucun habitus n’est acquis : car la foi, sur laquelle repose toute cette doctrine, n’est pas un habitus acquis mais répandu en nous par Dieu. Elle n’est donc pas une science.

q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 Contra, Augustinus [secundum Augustinum Éd. De Parme], theologia est scientia de rebus quae ad salutem hominis pertinent. Ergo est scientia.

Cependant.

1. D’après Augustin, la théologie est la science qui traite des choses qui se rapportent au salut de l’homme. Elle est donc une science.

Quaestiuncula 3

Sous question 3 : [Est-elle une sagesse ?]

q. 1 a. 3 qc. 3 arg. 1 Ulterius quaeritur, utrum sit sapientia ; et videtur quod non. Quia, sicut dicit philosophus, sapiens debet esse certissimus causarum. Sed in ista doctrina non est aliquis certissimus ; quia fides, cui haec doctrina innititur, est infra scientiam et supra opinionem. Ergo non est sapientia.

Difficulté.

On se demande par la suite si cette doctrine est une sagesse et il semble que ce ne soit pas le cas. Car, ainsi que le dit le Philosophe, le sage doit avoir la connaissance la plus certaine des causes. Mais dans cette doctrine, ce degré de certitude n’est pas présent parce que la foi sur laquelle se fonde cette doctrine, est intermédiaire entre la science et l’opinion. Cette docrine n’est donc pas une sagesse.

q. 1 a. 3 qc. 3 s. c. 1 Contra, 1 Corinth. 2, 6 : Sapientiam loquimur inter perfectos. Cum ergo hanc doctrinam ipse docuerit et de ipsa loquatur, videtur quod ipsa sit sapientia.

Cependant.

À l’opposé, Saint Paul dans la Première Épître aux Corinthiens (2, 6) dit ceci : Nous parlons une Sagesse entre parfaits. Donc, puisque c’est cette doctrine que lui-même a enseignée et dont il a parlé, il semble que cette doctrine soit une sagesse.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1 (La théologie est-elle pratique ou spéculative ?)

Super Sent., q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ista scientia, quamvis sit una, tamen perfecta est et sufficiens ad omnem humanam perfectionem, propter efficaciam divini luminis, ut ex praedictis patet. Unde perficit hominem et in operatione recta et quantum ad contemplationem veritatis : unde quantum ad quid practica est et etiam speculativa. Sed, quia scientia omnis principaliter pensanda est ex fine, finis autem ultimus istius doctrinae est contemplatio primae veritatis in patria, ideo principaliter speculativa est.

Corps de l’article.

Je réponds qu’il faut dire que cette science, bien qu’elle soit une, est cependant parfaite et satisfait à l’ensemble de la perfection humaine à cause de la puissance de la lumière divine, ainsi que nous l’avons vu précédemment. De là, elle assure la perfection de l’homme à la fois quant à l’opération droite et quant à la contemplation de la vérité : et c’est pourquoi elle est sous un rapport pratique et sous un autre spéculative. Mais parce que toute science doit d’abord s’apprécier quant à sa fin, et que la fin ultime de cette doctrine est la contemplation de la Vérité première dans la patrie céleste, c’est pour cette raison qu’elle est principalement spéculative.

Et, cum habitus speculativi sint tres, secundum philosophum, scilicet sapientia, scientia et intellectus ; dicimus quod est sapientia, eo quod altissimas causas considerat et est sicut caput et principalis et ordinatrix omnium scientiarum : et est etiam magis dicenda sapientia quam metaphysica, quia causas altissimas considerat per modum ipsarum causarum, quia per inspirationem a Deo immediate acceptam ; metaphysica autem considerat causas altissimas per rationes ex creaturis assumptas. Unde ista doctrina magis etiam divina dicenda est quam metaphysica : quia est divina quantum ad subjectum et quantum ad modum accipiendi ; metaphysica autem quantum ad subjectum tantum. Sed sapientia, ut dicit philosophus (In Ethic., cap. VIII vel 7), considerat conclusiones et principia ; et ideo sapientia est scientia et intellectus ; cum scientia sit de conclusionibus et intellectus de principiis.

Et parce que les habitus spéculatifs sont au nombre de trois d’après le Philosophe, à savoir la sagesse, la science et l’intelligence, nous disons qu’elle est une sagesse du fait qu’elle considère les causes les plus élevées et qu’elle est comme la têre et le principe d’ordre par rapport aux autres sciences auxquelles elle commande : et on doit même dire qu’elle est davantage une sagesse que la métaphysique, car elle considère les causes les plus élevées à la manière de ces causes elles-mêmes car elle se fonde sur une inspiration reçue directement de Dieu alors que la métaphysique considère les causes les plus élevées par des raisons tirées des créatures. C’est pourquoi cette doctrine doit davantage être appelée divine que la métaphysique : car elle est divine à la fois quant au sujet et on mode de procéder alors que la métaphysique est divine quant au sujet seulement. Mais la sagesse, ainsi que le dit le Philosophe dans l’Éthique (chapitre  VIII), considère à la fois les conclusions et les principes  et c’est pour cette raison qu’elle est à la fois science et intelligence puisque la science porte sur les conclusions et l’intelligence sur les principes.

q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod opus non est ultimum intentum in hac scientia, immo potius contemplatio primae veritatis in patria, ad quam depurati ex bonis operibus pervenimus, sicut dicitur Matth. 5, 8 : Beati mundo corde ; et ideo principalius est speculativa quam practica.

Solutions ou réponses aux difficultés.

1. Il faut donc dire par rapport à la première difficulté que l’œuvre à réaliser n’est pas la fin ultime de cette science, mais plutôt la contemplation de la Vérité première dans la patrie céleste est cette fin à laquelle nous parviendrons lorsque nous serons purifiés par les bonnes œuvres ainsi qu’il est dit dans Matthieu (5, 8) : Heureux ceux qui ont le cœur pur ; et c’est pourquoi cette doctrine est davantage spéculative que pratique.

q. 1 a. 3 qc. 1 ad s. c. Alia duo concedimus.

2. Nous concédons les deux autres.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2 [La théologie est-elle une science ?]

q. 1 a. 3 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod ista doctrina scientia est, [ut dictum est Éd de Parme].

Corps de l’article.

Quant à ce qu’on recherche par la suite il faut dire que cette doctrine est une science ainsi que nous l’avons dit.

q. 1 a. 3 qc. 2 ad 1 Et quod objicitur, quod est de particularibus, dicendum, quod non est de particularibus inquantum particularia sunt, sed inquantum sunt exempla operandorum : et hoc usitatur etiam in scientia morali ; quia operationes particularium circa particularia sunt ; unde per exempla particularia, ea quae ad mores pertinent, melius manifestantur, vel dicendum quod in scientia duo. Ex primo habet quod est ex necessariis : ex contingentibus enim non potest causari certitudo ; ex secundo quod est ex aliquibus principiis ; sed hoc est diversimode in diversis, quia superiores scientiae sunt ex principiis per se nota, sicut geometria, et huiusmodi habentia principia per se nota, ut : si ab aliquibus aequalia deruas, etc. Inferiores autem scientiae, quae superioribus subalternantur, non sunt ex principiis per se notis, sed supponunt conclusiones probatas in superioribus scientiis, et eis utuntur pro principiis quae in veritate non sunt principia per se nota, sed in superioribus scientiis per principia per se nota probantur, sicut perspectiva quae est de linea visuali, et subalternatur geometriae a qua etiam supponit quae probantur de linea, inquantum linea, et per illa tanquam per principia probat conclusiones quae sunt de linea, inquantum visualis.

 

Réponses aux difficultés.

1. Quant à l’objection qui dit que cette doctrine considère les cas particuliers, il faut dire qu’elle n’examine pas les particuliers en tant que tels, mais en tant qu’exemples de ce qu’il faut faire ; et on use du même procédé en science morale ; car les opérations des individus portent sur des cas particuliers ; c’est pourquoi, au moyen d’exemples particuliers, les choses qui se rapportent aux mœurs sont mieux manifestées ; ou bien il faut dire qu’il y a deux choses à considérer dans la science. Premièrement, elle procède de ce qui est nécessaire : la certitude ne peut en effet être causée par ce qui est contingent : deuxièmement, elle procède de certains principes ; mais cela se présente différemment dans différentes sciences, car les sciences supérieures procèdent de principes connus par eux-mêmes, comme la géométrie, laquelle possède des principes connus par eux-mêmes comme : si tu retires de certaines quantités des quantités égales etc. Mais les sciences inférieures qui sont subordonnées aux sciences supérieures ne procèdent pas de principes connus par eux-mêmes, mais elles supposent des conclusions prouvées dans des sciences supérieures et s’en servent comme principes qui en vérité ne sont pas des principes connus par eux-mêmes, mais elles sont prouvées dans des sciences supérieures au moyen de principes connus par eux-mêmes : par exemple, la science de la perspective a pour sujet la ligne visuelle et elle est subordonnée à la géométrie de laquelle elle suppose aussi les conclusions qui sont prouvées au sujet de la ligne en tant que ligne, et partant de ces conclusions comme de principes elle prouve les conclusions qui se rapportent à la ligne en tant que visuelle.

Potest autem scientia aliqua esse superior alia dupliciter : vel ratione subjecti, ut geometria quae est de magnitudine, superior est ad perspectivam quae est de magnitudine visuali ; vel ratione modi cognoscendi, et sic theologia est inferior scientia quae in Deo est. Nos enim imperfecte cognoscimus id quod ipse perfectissime cognoscit, et sicut scientia subalternata a superiori supponit aliqua, et per illa tanquam per principia procedit ; sic theologia articulos fidei quae infallibiliter sunt probati in scientia Dei supponit, et eis credit, et per istud procedit ad probandum ulterius illa quae ex articulis sequuntur. Est ergo theologie scientia quasi subalternata divinae scientiae qua accipit principia sua.

Mais une science peut être supérieure à une autre de deux manières : soit en raison du sujet comme la géométrie, dont le sujet est l’étendue, est supérieure à la perspective qui a pour sujet l’étendue visuelle ; soit en raison du mode de connaître, et ainsi la théologie est inférieure à la science qui est en Dieu. En effet, nous ne connaissons qu’imparfaitement ce que Lui-même connaît parfaitement, et comme une science subordonnée, la théologie suppose certaines vérités qu’elle emprunte à une science supérieure et elle procède à partir d’elles comme à partir de principes ; ainsi, la théologie suppose les articles de foi qui sont prouvés de manière infaillible dans la science de Dieu et elle y adhère et grâce à eux elle procède à la preuve de ce qui découle par la suite de ces principes. La science théologique est donc comme subordonnée à la science de Dieu de laquelle elle reçoit ses principes.

q. 1 a. 3 qc. 2 ad 2 Ad aliud dicendum, quod ista doctrina habet pro principiis primis articulos fidei, qui per lumen fidei infusum per se noti sunt habenti fidem, sicut et principia naturaliter nobis insita per lumen intellectus agentis. Nec est mirum, si infidelibus nota non sunt, qui lumen fidei non habent : quia nec etiam principia naturaliter insita nota essent sine lumine intellectus agentis. Et ex istis principiis, non respuens communia principia, procedit ista scientia ; nec habet viam ad ea probanda, sed solum ad defendendum a contradicentibus, sicut nec aliquis artifex potest probare sua principia.

 

2. Par rapport à l’autre difficulté il faut dire que cette doctrine a pour principes les premiers articles de la foi qui sont connus par eux-mêmes au moyen de la lumière infuse de la foi chez celui qui a la foi, tout comme les principes qui nous sont naturellement donnés par la lumière de l’intellect agent. Et il n’est pas étonnant qu’ils ne soient pas connus des infidèles qui ne possèdent pas la lumière de la foi car même les principes donnés par la nature ne seraient pas connus sans la lumière de l’intellect agent. Et cette science, ne rejetant pas les principes communs, procède à partir de ces principes ; et elle ne s’aventure pas à les prouver, mais seulement à les défendre contre ceux qui les contredisent, tout comme un artisan ne peut prouver ses principes.

q. 1 a. 3 qc. 2 ad 3 Ad aliud dicendum, quod, sicut habitus principiorum primorum non acquiritur per alias scientias, sed habetur a natura ; sed habitus conclusionum a primis principiis deductarum : ita etiam in hac doctrina non acquiritur habitus fidei, qui est quasi habitus principiorum ; sed acquiritur habitus eorum quae ex eis deducuntur et quae ad eorum defensionem valent

3. Par rapport à l’autre difficulté, il faut dire que, tout comme l’habitus des premiers principes n’est pas acquis par les autres sciences mais est plutôt donné par la nature et que c’est l’habitus des conclusions déduites des premiers principes qui est acquis ; de même encore dans cette doctrine, ce n’est pas l’habitus de la foi qui est acquis, lequel est comme l’habitus des principes, mais ce qui est acquis, c’est plutôt l’habitus des conclusions qu’on déduit des articles de la foi et qui servent à les défendre.

q. 1 a. 3 qc. 2 ad s. c. Aliud concedimus

Nous concédons cet énoncé.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3.

q. 1 a. 3 qc. 3 co. Ad id quod ulterius quaeritur, an sit sapientia, dicendum, quod propriissime sapientia est, sicut dictum est.

Quant à ce qui est recherché par la suite, à savoir si cette doctrine est une sagesse, il faut dire qu’elle l’est au plus haut point, ainsi que nous l’avons dit.

q. 1 a. 3 qc. 3 ad 1 Et quod objicitur, quod non est certissimus aliquis in ista doctrina, dicimus, quod falsum est : magis enim fidelis et firmius assentit his quae sunt fidei quam etiam primis principiis rationis. Et quod dicitur, quod fides est infra scientiam, non loquitur de fide infusa, sed de fide acquisita, quae est opinio fortificata rationibus. Habitus autem istorum principiorum, scilicet articulorum, dicitur fides et non intellectus, quia ista principia supra rationem sunt, et ideo humana ratio ipsa perfecte capere non valet ; et sic fit quaedam defectiva cognitio, non ex defectu certitudinis cognitorum, sed ex defectu cognoscentis. Sed tamen ratio manuducta per fidem excrescit in hoc ut ipsa credibilia plenius comprehendat, et tunc ipsa quodammodo intelligit : unde dicitur Isa. 7, 9, secundum aliam litteram : nisi credideritis, non intelligetis.

Réponses aux difficultés. Cette objection, laquelle prétend que celui qui s’occupe de cette science n’est pas le plus certain, est fausse : en effet, celui qui croit adhère même plus fermement aux articles de la foi qu’aux premiers principes de la raison. Et ce qu’on a dit, à savoir que la foi est inférieure à la science, cela ne se dit pas de la foi infuse mais de la foi acquise, laquelle est une opinion affermie par des raisonnements. Mais l’habitus de ces principes, c’est-à-dire des articles de la foi, on l’appelle foi et non intelligence car ces principes transcendent la raison et c’est pourquoi la raison humaine elle-même est impuissante à les saisir parfaitement ; et c’est ainsi qu’apparait une imperfection dans la connaissance non pas en raison d’un défaut de certitude du côté de l’objet connu mais d’un défaut de certitude du côté de celui qui connaît. La raison cependant, conduite par la foi dépasse ses limites en cela qu’elle comprend plus pleinement les articles de la foi eux-mêmes et les saisit alors en un certain sens : c’est pourquoi on lit dans Ésaïe (7, 9) d’après une autre version : À moins de croire, tu ne comprendreras pas.

 

 

q. 1 a. 4 tit. Utrum Deus sit subjectum istius scientiae.

Article 4 – Dieu est-il le sujet de cette science ?

q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Deus sit subjectum istius scientiae. Omnis enim scientia debet intitulari et denominari a suo subjecto. Sed ista scientia dicitur theologia, quasi sermo de Deo. Ergo videtur quod Deus sit subjectum ejus.

Objections.

1. Il semble que Dieu soit le sujet de cette science. En effet, toute science doit être intitulée et dénommée d’après son sujet. Mais cette science est dénommée théologie, à savoir discours sur Dieu. Il semble donc que Dieu soit le sujet de cette science.

Contra, Boetius dicit quod simplex forma subjectum esse non potest. Sed Deus est hujusmodi. Ergo non potest esse subjectum.

 

À l’opposé, Boèce dit qu’une forme simple ne peut être un sujet. Mais Dieu est justement une forme simple ; il ne peut donc être le sujet de cette science.

q. 1 a. 4 arg. 2 Item, videtur, secundum Hugonem de sancto Victore, quod opera restaurationis sint subjectum : sic enim dicit, quod opera primae conditionis sunt materiae aliarum scientiarum, opera autem restaurationis sunt materia theologiae. Ergo et cetera. Contra, quidquid determinatur in scientia debet contineri sub subjecto ipsius. Sed in theologia determinatur de operibus creationis, ut patet Genes. 1° Ergo videtur quod opera restaurationis non sint subjectum.

 

2. En outre, d’après Hugues de Saint Victor, il semble que les œuvres de la Réparation soient  un sujet : il dit ainsi en effet que les œuvres de la première condition sont les matières des autres sciences et que les œuvres de la Réparation sont la matière de la théologie. Donc, etc. À l’opposé, tout ce dont on traite dans une science doit être contenu dans le sujet de cette science. Mais en théologie on traite des œuvres de la création comme on le voit au tout début du livre de la Genèse. Il semble donc que les œuvres de la Réparation ne soient pas le sujet.

q. 1 a. 4 arg. 3 Item, videtur quod res et signa sint subjectum : illud enim est subjectum in scientia circa quod tota scientiae intentio versatur. Sed tota intentio theologiae versatur circa res et signa, ut dicit Magister sententiarum. Ergo res et signa sunt subjectum. Contra, per rationes subjecti debet scientia differre ab aliis scientiis, cum quaelibet scientia habeat proprium subjectum. Sed de rebus et signis considerant etiam aliae scientiae. Ergo non sunt proprium subjectum hujus scientiae.

3. De plus, il semble à certains que les choses et les signes soient le sujet : dans un science donnée en effet le sujet est ce sur quoi porte toute l’intention de cette science. Mais tout le propos de la théologie est dirigé sur les choses et les signes ainsi que le dit le Maître des sentences. Donc, les choses et les signes sont le sujet. Par contre, une science doit différer des autres par la définition du sujet puisque toute science possède un sujet qui lui est propre. Mais les autres sciences considèrent elles aussi les choses et les signes. Donc, ces derniers ne sont pas le sujet de cette science.

q. 1 a. 4 co. Respondeo, quod subjectum habet ad scientiam ad minus tres comparationes. Prima est, quod quaecumque sunt in scientia debent contineri sub subjecto. Unde considerantes hanc conditionem, posuerunt res et signa esse subjectum hujus scientiae ; quidam autem totum Christum, idest caput et membra ; eo quod quidquid in hac scientia traditur, ad hoc reduci videtur. Secunda comparatio est, quod subjecti cognitio principaliter attenditur in scientia. Unde, quia ista scientia principaliter est ad cognitionem Dei, posuerunt Deum esse subjectum ejus. Tertia comparatio est, quod per subjectum distinguitur scientia ab omnibus aliis ; quia secantur scientiae quemadmodum et res, ut dicitur in 3 de anima : et secundum hanc considerationem, posuerunt quidam, credibile esse subjectum hujus scientiae.

Corps de l’article.

Je réponds que le sujet se compare à la science au moins sous trois rapports. Le premier est que tout ce qui est examiné dans la science doit être contenu dans le sujet. C’est pourquoi ceux qui ont considéré cette condition ont posé que les choses et les signes sont le sujet de cette science ; d’autres cependant ont posé que c’est la totalité du Christ, à savoir la tête et les membres du fait que tout ce qui est enseigné dans cette science semble se ramener à cela. Le deuxième rapport est que la connaissance du sujet est ce qui est poursuivi principalement dans la science. De là, parce que cette science vise principalement la connaissance de Dieu, il ont posé que Dieu en est le sujet. Le troisième rapport est qu’une science se distingue justement de toutes les autres par son sujet car les sciences se divisent comme les choses ainsi qu’on le dit au troisième livre de l’Âme : et sous ce rapport, certains ont posé que ce qu’il faut croire est le sujet de cette science.

Haec enim scientia in hoc ab omnibus aliis differt, quia per inspirationem fidei procedit. Quidam autem opera restaurationis, eo quod tota scientia ista ad consequendum restaurationis effectum ordinatur. Si autem volumus invenire subjectum quod haec omnia comprehendat, possumus dicere quod ens divinum cognoscibile per inspirationem est subjectum hujus scientiae. Omnia enim quae in hac scientia considerantur, sunt aut Deus, aut ea quae ex Deo et ad Deum sunt, inquantum hujusmodi : sicut etiam medicus considerat signa et causas et multa hujusmodi, inquantum sunt sana, idest ad sanitatem aliquo modo relata. Unde quanto aliquid magis accedit ad veram rationem divinitatis, principalius consideratur in hac scientia.

Cette science en effet diffère de toutes les autres sciences en ceci qu’elle procède au moyen de l’inspiration de la foi. Mais certains ont posé que les œuvres de la Réparation sont le sujet du fait que toute cette science est ordonnée à la poursuite de l’effet de la Réparation. Mais si nous voulons trouver le sujet qui se trouve à comprendre tous ce points, nous pouvons dire que le sujet de cette science est l’être divin qui est connaissable  par l’inspiration de la foi. En effet, tout ce qui est examiné dans cette science est soit Dieu, soit ce qui vient de Dieu et est ordonné à Lui en tant que tel : c’est ainsi encore que le médecin considère les signes et les causes et beaucoup de choses de cette sorte en tant qu’elles sont saines, c’est-à-dire pour autant qu’elles se rapportent d’une certaine manière à la santé. De là, ce qui se rapproche le plus d’un véritable rapport à Dieu, c’est là ce qui est examiné principalement dans cette science.

q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus non est subjectum, nisi sicut principaliter intentum, et sub cujus ratione omnia quae sunt in scientia, considerantur. Quod autem objicitur in contrarium, quod forma simplex non potest esse subjectum, dicimus, quod verum est accidentis : nihilominus tamen potest esse subjectum praedicati in propositione ; et omne tale potest esse subjectum in scientia, dummodo illud praedicatum de eo probari possit.

Réponses aux objections.

1. Il faut dire que Dieu n’est le sujet de cette science que parce qu’Il en est le propos principal et c’est sous ce rapport que toutes les autres choses sont examinées dans cette science. Mais ce qu’on présente comme objection, à savoir qu’une forme simple ne peut être un sujet, nous disons que cela est vrai si on le dit de l’accident : il peut cependant être le sujet d’un prédicat dans une proposition et dans ce cas il peut être sujet dans une science, aussi longtemps que ce prédicat puisse être prouvé comme lui appartenant.

q. 1 a. 4 ad 2 Ad aliud dicendum, quod opera restaurationis non sunt proprie subjectum hujus scientiae, nisi inquantum omnia quae in hac scientia dicuntur, ad restaurationem nostram quodammodo ordinantur.

2. Il faut dire par rapport à cette autre objection que les œuvres de la Réparation ne sont pas à proprement parler le sujet de cette science que dans la mesure où tout ce qui est dit dans cette science est ordonné en un sens à notre renouvellement.

q. 1 a. 4 ad 3 Ad aliud dicendum, quod res et signa communiter accepta, non sunt subjectum hujus scientiae, sed inquantum sunt quaedam divina.

3. Il faut dire à l’égard de cette autre objection que les choses et les signes, pris absolument, ne sont pas le sujet de cette science, mais il le sont dans le mesure où ils se rapportent à Dieu.

 

 

Articulus 5 : Utrum modus procedendi sit artificialis

Article 5 – La manière de procéder est-elle selon l’art [1] ?

q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. [Videtur quod modus procedendi non sit artificialis add. Éd. De Parme]. Nobilissimae [enim add. Éd. De Parme] scientiae debet esse nobilissimus modus. Sed quanto magis [modus add. Éd. De Parme] est artificialis, tanto nobilior est. Ergo, cum haec scientia sit nobilissima, modus ejus debet esse artificialissimus.

Objections.

1. Il semble que le mode de procéder ne soit pas selon l’art. Le mode le plus noble doit en effet appartenir à la science la plus noble. Mais un mode est d’autant plus noble qu’il est davantage conforme à l’art. Donc, puisque cette science est la plus noble, son mode doit être le plus conforme à l’art.

q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, modus scientiae debet ipsi scientiae proportionari. Sed ista scientia maxime est una, ut probatum est. Ergo et modus ejus debet esse maxime unicus. Cujus contrarium videtur, cum quandoque comminando, quandoque praecipiendo, quandoque aliis modis procedat.

2. En outre, le mode d’une science doit être proportionné à la science elle-même. Mais cette science est une au plus haut point ainsi qu’on l’a prouvé. Par conséquent, son mode doit être le plus un ; mais il semble que ce soit le contraire qu’on observe, puisqu’on y procède parfois en menaçant, parfois en enseignant, parfois selon d’autres modes.

q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, scientiarum maxime differentium non debet esse unus modus. Sed poetica, quae minimum continet veritatis, maxime differt ab ista scientia, quae est verissima. Ergo, cum illa procedat per metaphoricas locutiones, modus hujus scientiae non debet esse talis.

3. De plus, il ne doit pas exister un seul mode pour les sciences les plus différentes. Mais la poétique, qui contient très peu de vérités diffère au plus haut point de cette science qui est la plus vraie. Donc, puisque cette science procède au moyen de locutions métaphoriques, le mode de la doctrine sacrée ne doit pas lui être identique sur ce point.

q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, Ambrosius : Tolle argumenta ubi fides quaeritur. Sed in sacra scientia maxime quaeritur fides. Ergo modus ejus nullo modo debet esse argumentativus.

4. Ensuite, Ambroise dit : Là où c’est la foi qu’on cherche, qu’on écarte les arguments. Mais dans la doctrine sacrée, c’est surtout la foi qu’on cherche. Donc, son mode ne doit aucunement faire usage d’arguments.

q. 1 a. 5 s. c. 1

Contra, 1 Pet. 3, 15 : Parati semper ad satisfactionem omni poscenti vos rationem de ea, quae in vobis est, spe. Hoc autem sine argumentis fieri non valet. Ergo debet quandoque argumentis uti.

 

Au contraire :

On lit dans la Première Lettre de Pierre (3, 15) : Soyez toujours prêts à vous défendre face à tous ceux qui vous demandent de justifier l’espérance qui est en vous. Mais il est impossible de réaliser cela sans former des arguments. On doit donc parfois se servir d’arguments.

q. 1 a. 5 s. c. 2 Idem habetur ex hoc quod dicitur Tit. 1, 9 : Ut potens sit exhortari in doctrina sana et eos qui contradicunt, arguere.

Saint Paul tient le même discours dans sa Lettre à Tite (1, 9) : Pour qu’il soit capable d’exhorter les autres à se conformer à la doctrine saine et d’argumenter contre ceux qui la contredisent.

q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod modus cujusque scientiae debet inquiri secundum conditiones materiae, ut dicit Boetius, et philosophus. Principia autem hujus scientiae sunt per revelationem accepta ; et ideo modus accipiendi ipsa principia debet esse revelativus ex parte infundentis, ut in revelationibus prophetarum, et orativus ex parte recipientis, ut patet in Psalmis. Sed quia, praeter lumen infusum, oportet quod habitus fidei distinguatur ad determinata credibilia ex doctrina praedicantis, secundum quod dicitur Rom. 10, 14 : quomodo credent ei quem non audierunt ? Sicut etiam intellectus principiorum naturaliter insitorum determinatur per sensibilia accepta, veritas autem praedicantis per miracula confirmatur, ut dicitur Marc. ult. 20 : Illi autem profecti praedicaverunt ubique, domino cooperante et sermonem confirmante sequentibus signis ; oportet etiam quod modus istius scientiae sit narrativus signorum, quae ad confirmationem fidei faciunt : et, quia etiam ista principia non sunt proportionata humanae rationi secundum statum viae, quae ex sensibilibus consuevit accipere, ideo oportet ut ad eorum cognitionem per sensibilium similitudines manuducatur : unde oportet modum istius scientiae esse metaphoricum, sive symbolicum, vel parabolicum.

Corps de l’article.

Je réponds qu’il faut dire que le mode de toute science doit se rechercher conformément aux conditions de sa matière comme le disent Boèce et le Philosophe. Mais les principes de cette science sont reçus de la révélation ; et pour cette raison la manière de recevoir ces principes doit être du type de la révélation du côté de celui qui infuse, comme dans les révélations des prophètes, et du type de la prière du côté de celui qui reçoit comme on le voit dans les Psaumes. Mais parce que, en dehors de la lumière infuse, il faut que l’habitus de la foi se distingue quant à des objets de foi déterminés tirés de la doctrine de celui qui fait œuvre de prédication, conformément à ce qui est dit dans l’Épître aux Romains (10, 14) : Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? Alors, tout comme l’intelligence des principes donnés naturellement est déterminée par la réception des qualités sensibles et que de même la vérité de celui qui proclame est confirmée par les miracles ainsi qu’on le dit à la fin de l’Évangile de Marc (20) : Partout où ils partaient prêcher, le Seigneur les aidait et les accompagnait par des signes qui confirmaient la vérité de leurs discours ; c’est pourquoi il faut aussi que le mode de cette science relate les signes qui contribuent à confirmer la foi ; et, parce qu’en outre ces principes ne sont pas proportionnés à la raison humaine dans la condition de la vie présente, laquelle a coutume de recevoir les vérités à partir des choses sensibles, c’est pourquoi il faut que nous soyons conduits à la connaissance de ces principes par des similitudes sensibles : de là il faut que le mode de cette science soit métaphorique ou symbolique, ou comporte des paraboles.

Ex istis autem principiis ad tria proceditur in sacra Scriptura : scilicet ad destructionem errorum, quod sine argumentis fieri non potest ; et ideo oportet modum hujus scientiae esse quandoque argumentativum, tum per auctoritates, tum etiam per rationes et similitudines naturales. Proceditur etiam ad instructionem morum : unde quantum ad hoc modus ejus debet esse praeceptivus, sicut in lege ; comminatorius et promissivus, ut in prophetis ; et narrativus exemplorum, ut in historialibus. Proceditur tertio ad contemplationem veritatis in quaestionibus sacrae Scripturae ; et ad hoc oportet modum etiam esse argumentativum, quod praecipue servatur in originalibus sanctorum et in isto libro, qui quasi ex ipsis conflatur.

Mais à partir de ces principes on procède à trois choses dans les Saintes Écritures : c’est-à-dire à la réfutation des erreurs qui ne pourrait avoir lieu sans argumentation ; et c’est pourquoi le mode de cette science doit parfois être argumentatif, en procédant aussi bien au moyen d’autorités que de raisonnements et de similitudes tirées de la nature. Mais on y procède aussi à la formation des mœurs : et c’est pourquoi sous ce rapport son mode doit être didactique comme dans la Loi ; menaçant et prendre la forme d’une promesse, comme dans les Prophètes ; et elle doit faire le récit  des faits exemplaires, comme dans les parties historiques. On y procède en troisième lieu à la contemplation de la vérité dans les questions de l’Écriture Sainte ; et pour cela il faut que son mode soit aussi argumentatif, lequel mode est conservé surtout pour les œuvres d’origine des saints et dans ce livre qui est comme composé à partir d’eux.

Et secundum hoc etiam potest accipi quadrupliciter modus exponendi sacram Scripturam : quia secundum quod accipitur ipsa veritas fidei, est sensus historicus : secundum autem quod ex eis proceditur ad instructionem morum, est sensus moralis ; secundum autem quod proceditur ad contemplationem veritatis eorum quae sunt viae, est sensus allegoricus ;et secundum quod proceditur ad contemplationem veritatis eorum quae sunt patriae, est sensus anagogicus. Ad destructionem autem errorum non proceditur nisi per sensum litteralem, eo quod alii sensus sunt per similitudines accepti et ex similitudinariis locutionibus non potest sumi argumentatio ; unde et Dionysius dicit (in Epistola ad Titum, in Princip.) quod symbolica theologia non est argumentativa.

Et c’est encore d’après cela que la manière d’expliquer les Saintes Écritures peut se prendre de quatre façons : car selon qu’on reçoit la vérité même de la foi, il y a le sens historique : mais selon qu’à partir d’elles on procède à la formation des mœurs, il y a le sens moral ; selon qu’on procède à la contemplation de la vérité des choses qui appartiennent au passage dans cette vie, le sens est allégorique ; selon qu’on procède à la contemplation de la vérité des choses qui appartiennent à la patrie céleste, le sens est anagogique. Mais pour la réfutation des erreurs on ne procède qu’au moyen du sens littéral du fait que les autres sens sont reçus par des similitudes et que l’argumentation ne peut se tirer de locutions qui comportent des similitudes ; c’est pourquoi Denys dit au début de sa Lettre à Tite que la théologie symbolique n’est pas argumentative.

q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod modus artificialis dicitur qui competit materiae ; unde modus qui est artificialis in geometria, non est artificialis in ethica : et secundum hoc modus hujus scientiae maxime artificialis est, quia maxime conveniens materiae.

Réponses aux objections.

1. Par rapport à la première objection, il faut dire qu’est conforme à l’art le mode qui est conforme à la matière ; c’est pourquoi le mode qui est conforme à l’art pour la géométrie n’est pas celui qui est valide pour l’éthique : et la raison pour laquelle ce mode est le plus conforme à l’art par rapport à cette science, c’est qu’il convient à sa matière.

q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ista scientia una sit, tamen de multis est et ad multa valet, secundum quae oportet modos ejus multiplicari, ut jam patuit.

2. Il faut dire sur ce deuxième point que bien que cette science soit une, elle porte cependant sur de nombreuses choses et elle excelle en de nombreuses matières d’après lesquelles ses modes doivent se diversifier ainsi que nous l’avons déjà vu.

q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod poetica scientia est de his quae propter defectum veritatis non possunt a ratione capi ; unde oportet quod quasi quibusdam similitudinibus ratio seducatur : theologia autem est de his quae sunt supra rationem ; et ideo modus symbolicus utrique communis est, cum neutra rationi proportionetur.

3. Sur ce troisième point il faut dire que la science poétique porte sur une matière qui ne peut être saisie par la raison à cause de son manque de vérité ; c’est pourquoi il faut que la raison soit séduite par certaines similitudes : mais la théologie porte sur des réalités qui dépassent la raison ; et c’est pourquoi le mode symbolique est commun aux deux sciences parce qu’aucune d’elles n’est proportionnée à la raison.

q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod argumenta tolluntur ad probationem articulorum fidei ; sed ad defensionem fidei et inventionem veritatis in quaestionibus ex principiis fidei, oportet argumentis uti : sic etiam apostolus facit, 1 Corinth. 15, 16 : si Christus resurrexit, ergo et mortui resurgent.

4. Il faut dire sur ce point que les arguments sont écartés pour ce qui est de prouver les articles de la foi ; mais il faut se servir d’arguments pour la défense de la foi et la découverte de la vérité pour les questions qui découlent des principes de la foi : c’est ainsi encore que l’Apôtre dit dans sa Première Épître aux Corinthiens (15, 16) : Si le Christ est ressuscité, c’est donc que les morts ressusciteront.

 

 

q. 1 pr. Huic operi Magister prooemium praemittit, in quo tria facit. Primo reddit auditorem benevolum ; secundo docilem, ibi, "Horum igitur Deo odibilem Ecclesiam evertere, atque ora oppilare (...) volentes, in labore multo ac sudore volumen, Deo praestante, compegimus" ; tertio attentum, ibi, "non ergo debet hic labor cuiquam pigro vel multum docto videri superfluus.". Benevolum reddit assignando causas moventes ipsum ad compilationem hujus operis, ex quibus ostenditur affectus ipsius in Deum et proximum. Sunt autem tres causae moventes. Prima sumitur ex parte sui, scilicet desiderium proficiendi in Ecclesia ; secunda ex parte Dei, scilicet promissio mercedis et auxilii ; tertia ex parte proximi, [scilicet instantia precum sociorum. Add. Éd. De Parme].

Le maître fait précéder cette œuvre d’un proème dans lequel il fait trois choses. En premier lieu il rend l’auditeur bienveillant ; en deuxième lieu, il le rend docile, là où il dit : ¨Voulant donc détruire leur Église odieuse à Dieu et fermer leur bouche (…), nous avons, avec l’aide de Dieu, rédigé ce volume avec beaucoup de travail et de sueur.¨ En troisième lieu, il rend le rend attentif là où il dit : ¨Ce travail ne doit pas paraître inutile à quelque paresseux ou à quelque grand savant.¨ Il a rendu l’auditeur bienveillant en indiquant les causes qui l’ont poussé à rédiger cet ouvrage, lesquelles sont révélatrices de son amour pour Dieu et le prochain. Mais il y a trois causes qui l’ont poussé à réaliser ce travail. La première se prend de son côté, à savoir le désir de progresser dans l’Église ; la deuxième se prend du côté de Dieu, à savoir la promesse de la récompense et de l’aide pour y arriver ; la troisième se prend du côté du prochain, à savoir les supplications pressantes de ses compagnons.

Sed contra sunt tres causae retrahentes. Prima ex parte sui, defectus ingenii et scientiae ; secunda ex parte operis, altitudo materiae et magnitudo laboris ; tertia ex parte proximi, invidorum contradictio. Harum autem causarum moventium duae primae insinuant caritatem in Deum, tertia in proximum : unde dividitur in duas. In primo ponit causas moventes quae ostendunt caritatem in Deum ; in secundo causam quae ostendit caritatem in proximum, ibi, "non valentes studiosorum fratrum votis jure resistere".

Mais à l’opposé il y a trois causes qui tendent à le faire reculer devant la tâche. La première se tient de son côté, à savoir son manque d’intelligence et de science; la deuxième se tient du côté de l’oeuvre en raison du caractère élevé de la matière et de l’étendue du travail; la troisième se tient du côté du prochain, à savoir la contradiction des envieux. Mais parmi les causes qui le poussent à agir, les deux premières sont révélatrices de son amour pour Dieu et la troisième de son amour pour le prochain: et c’est pourquoi cette partie se divise en deux. Dans la première il présente les causes actives qui montrent son amour pour Dieu; dans la deuxième il présente celle qui manifeste son amour pour le prochain, là où il dit: ¨Ne pouvant pas résister avec raison aux prières de mes frères zélés

Causis autem moventibus adjungit etiam retrahentes : unde primo ponit quasi quamdam controversiam causarum moventium et retrahentium ; secundo victoriam, ibi, "quam vincit zelus domus Dei". "Cupientes" In hoc notatur primo causa movens, scilicet desiderium proficiendi. "Aliquid" sonat immodicitatem. "De penuria ac tenuitate nostra". Hic tangitur prima causa retrahens, scilicet defectus scientiae. Et dicitur penuria proprie defectus exterioris substantiae, unde transfertur ad defectum scientiae acquisitae. "Tenuitate", quae proprie est defectus substantiae interioris, unde transfertur ad defectum ingenii. "Cum paupercula", de qua Marc. 12 et Lucae 21. "Gazophylacium". Gazophylacium repositorium dicitur divitiarum. Gazae enim Persice, divitiae Latine dicuntur, et phylasso Graece, Latine servare : et quandoque sumitur pro arca in quo arca reponitur, sicut 4 Reg. 12, 9 : Tulit Joiada pontifex gazophylacium unum etc., quandoque pro loco in quo arca reponitur, sicut Joan. 8, 20 : haec locutus est Jesus in gazophylacio. Hic autem significat studium sacrae Scripturae, in quo sancti sua opera reposuerunt.

 

Mais à ces causes actives il ajoute encore celles qui le retiennent d’agir: c’est pourquoi il présente d’abord comme un combat qu’il y a entre les causes qui le poussent à agir et celles qui le retiennent; en deuxième lieu, il présente la victoire, là où il dit: ¨que le zèle pour la maison du Seigneur a vaincu¨. Lorsqu’il dit ¨Désirant¨, il indique en premier lieu la première cause active, à savoir son désir de progresser dans l’Église. Lorsqu’il dit ¨Quelque chose¨, cela renvoie à la démesure de la tâche. Par l’expression ¨Sur notre pauvreté et notre dénuement¨, il touche ici du doigt la première cause qui le retient, à savoir son manque de science. Et le terme de pauvreté exprime à proprement parler le manque d’une substance extérieure et c’est pourquoi il est appliqué à un manque  de science acquise; mais le terme de petitesse se rapporte proprement à un défaut de substance intérieure et c’est pourquoi il est appliqué à un manque d’intelligence. ¨Avec la pauvre femme¨ dont parle Marc (12, 41-44) et Luc (21, 1-4). ¨Gazophylacium¨. Gazophylacium signifie la sale où l’on depose les richesses. En effet, le terme ¨gazae¨, qui vient de la langue perse, correspond au terme en latin divitiae qui veut dire richesses et ¨phylasso¨, qui est un terme grec, correspond au terme latin servare qui veut dire  conserver: et parfois gazophylacium signifie le coffer dans lequel le trésor est depose ainsi qu’on le dit dans le deuxième livre des Rois (12, 10): ¨Le prêtre Yéhoyada prit un coffre…¨, et parfois pour le lieu dans lequel le coffre est depose, ainsi qu’on le voit dans Jean (8, 20): ¨Jésus prononça ces paroles dans la sale du Trésor¨. Mais ce terme signifie ici le lieu de l’étude des Saintes Écritures dans lequel les saints avaient deposé leurs oeuvres.

"Ardua scandere". Hic ponitur secunda causa retrahens ex parte operis, et dicuntur ardua divina quantum est in se. Scanduntur autem quasi triplici gradu. Primus est in derelinquendo sensum ; secundus in derelinquendo phantasias corporum ; tertius in derelinquendo rationem naturalem. "Opus ultra vires". Hic ostenditur altitudo materiae per comparationem ad nos.

Lorsqu’il ajoute ¨S’élever sur les hauteurs¨, il présente la deuxième cause qui le retient du côté du travail à accomplir, et les réalités divines sont appelées hauteurs quant à ce qu’elles sont en elles-mêmes. Et on s’y élève comme en trois étapes. La première se fait en se dégageant des sens; la deuxième en délaissant les images des corps; la troisième, en se détachant de la raison naturelle. Et lorsqu’il dit ¨Un travail au-delà de nos forces¨, il montre par là à quel point la matière à examiner est élevée par rapport à nos capacités.

Contra, Eccli. 3, 22 : Altiora te ne quaesieris. Respondeo. Verum est ex consideratione [confidentia Éd. De Parme] propriarum virium ; sed ex confidentia divini auxilii possumus elevata supra nostrum posse speculari.

Mais au contraire on lit dans l’Ecclésiaste (3, 22) : ¨Ne cherche pas à connaître   ce qui te dépasse¨. Je réponds que cela est vrai si on ne se fie qu’à ses propres forces ; mais en nous appuyant sur l’aide de Dieu, nous pouvons examiner les réalités qui sont élevées au-dessus de nos capacités.

"Praesumpsimus". Contra, Eccli. 37, 3 : Ô praesumptio nequissima ! Ergo videtur quod peccaverit. Respondeo. Expone "praesumpsimus", idest prae aliis sumpsimus.. Vel dic, quod esset praesumptio per comparationem ad vires humanas ; sed per comparationem ad Dei auxilium, quo omnia possumus, sicut dicitur Philipp. ult. 13 : omnia possum in eo qui me confortat, non est praesumptio.

 

¨Nous avons anticipé¨. Mais nous lisons au contraire dans l’Ecclésiaste (37, 3): ¨Ô vaine anticipation!¨. Il semble donc avoir  commis une faute. Je réponds que ¨Nous anticipons¨ s’explique comme synonyme de nous saisissons avant les autres…Ou bien disons qu’il y aurait là une folle anticipation par rapport aux forces humaines; mais par rapport à l’aide que nous recevons de Dieu, par laquelle nous pouvons tout, cela n’est pas de la présomption et il faut dire comme l’Apôtre dans son Épître aux Philippiens (4, 13): Je puis tout en Celui qui me rend fort.

"Consummationis fiduciam". Hic ponit secundam causam moventem ex parte Dei. "In Samaritano". Sumitur de parabola quae est Lucae 10, per quam significatur Deus. In Psal. 120, 4 : Ecce non dormitabit neque dormiet qui custodit Israel. Samaritanus enim interpretatur custos. "Semivivi", hominis per peccatum spoliati gratia et vulnerati in naturalibus. Duobus denariis, duobus testamentis, quasi regis imagine insignitis, dum veritatem continent a prima veritate exemplatam. "Supereroganti", idest superaddenti, sicut sancti patres suis studiis fecerunt.

En disant : ¨La confiance dans l’accomplissement¨, il présente ici la deuxième cause qui le pousse à agir du côté de Dieu. ¨Dans le Samaritain¨. Cette expression est tirée de la parabole qu’on retrouve en Luc (10, 29-37) et par laquelle Dieu est signifié. Et dans le Psaume (120, 4) : Vois, il ne dormira ni ne sommeillera, le gardien d’Israël. Samaritain en effet peut s’interpréter comme signifiant gardien. ¨À moitié mort¨ s’applique à l’homme qui, par le péché, est dépourvu de la grâce et qui, parmi les êtres naturels, est un être blessé. Par les deux deniers, image des deux testaments, comme marqués à l’image du roi, alors qu’ils contiennent une vérité qui est à l’image de la vérité première. ¨À ce que tu auras dépensé en plus¨, c’est-à-dire à ce que tu auras ajouté, tout comme les saints pères l’ont fait par leurs études.

Contra, Apocalyps. ult. 18 : Si quis apposuerit ad haec, apponet Deus super illum plagas. Respondeo. Est apponere duplex : vel aliquid quod est contrarium, vel diversum ; et hoc est erroneum vel praesumptuosum : vel quod continetur implicite, exponendo ; et hoc est laudabile.

On lit au contraire à la fin du livre de l’Apocalypse (22, 18) : Et si quelqu’un ajoute quelque chose à ces paroles, Dieu le chargera de fléaux.  Je réponds à cela qu’il y a deux manières d’ajouter : soit en ajoutant quelque chose de contraire ou de différent, et cela est une erreur ou une présomption ; soit en expliquant ce  qui est déjà contenu mais implicitement, et cela est louable.

"Delectat". Hic colligit quatuor causas enumeratas. "Quam vincit". Hic ponit victoriam. "Zelus". Zelus, secundum Dionysium (De div. Nom. 4, 13) est amor intensus, unde non patitur aliquid contrarium amato. "Domus Dei" idest Ecclesiae. "Quo inardescentes", scilicet dum non patimur Ecclesiam ab infidelibus impugnari. "Carnalium", quantum ad illos qui inveniunt sibi errores, ut carnis curam faciant in desideriis, Rom. 13, sicut qui negant providentiam divinam de rebus humanis, et animae perpetuitatem, ut impune possint peccare. "Animalium", quantum ad errantes, ex eo quod non elevantur supra sensibilia, sed secundum rationes corporales volunt de divinis judicare. Davidicae turris. Hoc sumitur Cant. 4, 4 : "Sicut turris David collum tuum, quae aedificata est cum propugnaculis : mille clypei pendent ex ea, omnis armatura fortium". Per David significatur Christus : turris ejus est fides vel Ecclesia : clypei sunt rationes et auctoritates sanctorum. "Vel potius munitam ostendere" ; quia ipse non invenit rationes, sed potius ab aliis inventas compilavit : et in hoc tangit unam utilitatem, scilicet exclusionem erroris. "Ac theologicarum inquisitionum abdita aperire".Hic tangit aliam quantum ad manifestationem veritatis ; et hoc in primis tribus libris. "Nec non et sacramentorum ecclesiasticorum pro modulo [pro modico Lombard] intelligentiae nostrae notitiam tradere studuimus : et hoc quantum ad quartum".

¨ Il se réjouit¨. Et il recueille ici les quatre causes qui ont été énumérée. ¨Qu’il a vaincu¨. Il présente ici la victoire. ¨Le zèle¨. D’après Denys (Les Noms Divins, 4, 13), le zèle est un amour intense qui ne souffre pas ce qui s’oppose à l’objet aimé.  ¨La maison de Dieu¨, c’est-à-dire l’Église. ¨Pour laquelle nous nous enflammons¨, c’est-à-dire alors même que nous ne pouvons pas supporter que l’Église soit combattue par les infidèles. ¨Des hommes charnels¨, quant à ceux qui se retrouvent dans des erreurs, comme ceux qui se soucient de la chair pour en satifaire les convoitises (Romains, 13, 14), comme ceux qui nient la Providence divine dans les choses humaines ainsi que l’immortalité de l’âme de sorte qu’ils pourraient pécher impuniment. ¨Des animaux¨, quant à ceux qui s’égarent du fait qu’ils ne s’élèvent pas au-dessus des réalités sensibles et veulent juger des choses divines d’après des raisons tirées des réalités corporelles. La tour de David. Cette expression est tirée du Cantique des Cantiques (4, 4) : Ton cou est comme la tour de David construite avec des remparts : mille boucliers y sont suspendus, toutes les armes des combattants. David représente ici le Christ ; sa tour est la foi ou l’Église ; les boucliers sont les raisons et l’autorité des saints. ¨Ou plutôt montrer l’abri des fortifications¨ car ce n’est pas lui qui a découvert les raisons mais il a plutôt dépouillé celles qui ont été découvertes par les autres : et en cela il touche du doigt une utilité, à savoir le rejet de l’erreur. ¨Et dévoiler les secrets des recherches théologiques¨. Il indique ici une autre utilité quant à la manifestation de la vérité ; et il fait cela dans les trois premiers livres. ¨Et nous nous sommes appliqués à enseigner la connaissance des sacrements de l’Église dans la mesure de notre intelligence : et c’est là l’objet du quatrième livre¨.

"Non valentes studiosorum fratrum votis jure resistere". Hic ponit causam moventem, quae dicit caritatem in proximum : et primo ponit causam moventem ; secundo retrahentem, ibi, "quamvis non ambigamus omnem humani eloquii sermonem calumniae atque contradictioni aemulorum semper fuisse obnoxium".

¨ Ne pouvant pas résister avec raison aux prières de nos frères dévoués¨. Il présente ici la cause motrice qui exprime la charité envers le prochain : et en premier lieu il présente la cause motrice ; en deuxième lieu celle qui le retient, là où il dit : ¨bien que nous ne doutions pas que tout discours de l’éloquence humaine a toujours été assujetti à la calomnie et à la contradiction des envieux¨.

"Lingua", ad praesentes, vel quantum ad communicationem doctrinae ; "stylo", propter absentes, vel ad perpetuandam memoriam.

¨Par la langue¨, à l’égard de ceux qui sont presents, pour leur communiquer la doctrine; ¨par la plume¨, à l’égard de ceux qui sont absents, pour en perpétuer la mémoire

"Bigas", idest linguam et stylum, quibus quasi duabus rotis vehitur a magistro in discipulum, agitat Christi caritas. Hoc sumitur 2 Corinth. 5, 14 : caritas Christi urget nos.

 

¨Les deux¨, c’est-à-dire la langue et la plume, par lesquels, comme par deux roues la vérité est transportée du maître au disciple, s’avance ici la charité du Christ. Et cela est tiré de la deuxième Épître aux Corinthiens (5, 14) : Car l’amour du Christ nous presse.

Contra, Eccle. 9, 1 : "Nemo scit, utrum amore an odio dignus sit". Ergo et cetera. Respondeo. Caritas dicitur uno modo habitus infusus ; et hunc nullus potest scire se habere certitudinaliter, nisi per revelationem ; sed potest conjicere per aliqua signa probabilia. Alio modo dicitur caritas amor multum appretians amatum ; et sic aliquis potest scire se habere caritatem. "Quamvis non ambigamus omnem humani eloquii sermonem calumniae atque contradictioni aemulorum semper fuisse obnoxium".Hic ponit tertiam causam retrahentem, scilicet contradictionem invidorum : et circa hoc tria facit. Primo ponit contradictionis evidentiam per simile in aliis ; secundo contradictionis causam ex inordinatione voluntatis, ex qua error, ex qua invidia, ex qua contradictio oritur, ibi, "quia dissentientibus voluntatum motibus, dissentiens quoque fit animorum sensus" ; tertio contradicentium nequitiam, ibi, "qui non rationi voluntatem subjiciunt".

 

Mais on lit au contraire dans l’Ecclésiaste (9, 1) : ¨Nul ne sait s’il est digne d’amour ou de haine¨. Il en est donc ainsi pour le reste. Je réponds que la charité se prend en un sens comme un habitus infus ; et cet habitus, nul ne peut savoir avec certitude qu’il le possède, si ce n’est par révélation ; mais il peut le conjecturer au moyen de signes probables. En un autre sens charité se dit de l’amour qui estime grandement l’objet aimé ; et ainsi, en ce sens, quelqu’un peut savoir qu’il possède la charité. ¨Bien que nous ne doutions pas que tout discours de l’éloquence humaine a toujours été assujetti à la calomnie  et à la contradiction des envieux¨. Il présente ici la troisième cause qui le retient, à savoir la contradiction des envieux : et à ce sujet il fait trois choses. En premier lieu il présente l’évidence de la contradiction au moyen d’une similitude chez les autres ; en deuxième lieu il présente la cause de la contradiction qui se tient du côté d’un désordre de la volonté à partir duquel naissent l’erreur, l’envie et la contradiction, là où il dit : ¨car chez ceux qui sont en désaccord par les mouvements de la volonté il se produit aussi un jugement discordant des âmes¨ ; en troisième lieu il présente la malice des contradicteurs, là où il dit : ¨ceux qui ne soumettent pas la volonté à la raison¨.

"Calumniae", quae est occulta et particularis impugnatio ; "contradictioni", quae est aperta, et in toto, et universalis ; "obnoxium", quasi poenae vel noxae addictum.

 

¨À la calomnie¨, laquelle est cachée et constitue une forme d’attaque particulière ; ¨à la contradiction¨, qui se fait ouvertement, en totalité et universellement ; ¨assujetti¨, en tant que lié à la peine et au préjudice.

"Veri ratione perfectum" ; idest, perficiebat secundum rationem veritatis, videlicet quantum ad illos qui male intelligunt, et tamen malum intellectum pertinaci voluntate defendunt.

¨Achevé par la raison du vrai¨ ; c’est-à-dire qu’il accomplissait tout par la raison de la vérité, c’est-à-dire par opposition à ceux qui comprennent mal et qui cependant défendent leurs erreurs par une volonté obstinée.

"Complacet", quantum ad illos quorum voluntas inordinate post se trahit judicium rationis, ut verum judicetur illud quod placet. "Offendenti", idest quod displicet.

 

¨Ce qui plaît¨ s’adresse à ceux dont la volonté désordonnée traîne à sa suite le jugement de la raison, de telle sorte que ce qui plaît est considéré comme étant vrai et est préféré ¨à ce qui heurte¨, c’est-à-dire à ce qui déplaît.

Contra, 3 Esdrae, 4, 39 : Omnes benignantur in operibus ejus. Ergo et cetera. — Respondeo. Veritas secundum se semper amatur ; sed per accidens potest haberi odio, et hoc accidens est infinitum : quia causae per accidens, secundum philosophum (Physique, II, texte 3 sive cap. V) infinitae sunt.

Mais on lit au contraire dans Esdras (3, 11) : Tous se réjouissent dans ses œuvres. Donc…  Je réponds que la vérité en tant que telle est toujours aimée ; mais par accident elle peut être tenue en haine, et cela à l’infini : car les causes par accident sont infinies ainsi que le dit le Philosophe dans sa Physique (livre 11, chapitre 5).

"Deus hujus saeculi". Sumitur 2 Corinth., 4, et exponitur de Deo vero, qui operatur invidiam, permittendo ; vel de Diabolo, cui saeculum obedit, qui operatur suggerendo. Diffidentiae, vel quia diffidunt de Deo, vel quia de eis diffidendum est ex ratione morbi, quamvis non ex potestate medici.

 

¨ Le Dieu de ce siècle¨. Cette expression est tirée de la deuxième Épitre aux Corinthiens (ch. 4), et se dit du vrai Dieu qui suscite l’envie en la permettant, ou bien du Diable auquel ce siècle obéit, qui suscite l’envie en la suggérant. De la défiance, ou bien parce qu’ils se défient de Dieu, ou bien parce qu’il faut se défier d’eux à cause de leur maladie, bien qu’elle ne relève pas du pouvoir du médecin.

"Qui non rationi voluntatem subjiciunt". Hic ostendit contradicentium nequitiam : et primo ex inordinata professione ; secundo ex simulata religione, ibi, "Habent rationem sapientiae in superstitione" ; tertio ex pertinaci contentione, ibi, "qui contentioni studentes, contra veritatem sine foedere bellant".

¨Qui ne soumettent pas la volonté à la raison¨. Il montre ici la malice des contradicteurs : et il le fait en premier lieu à partir du dérèglement de leur déclaration ; en deuxième lieu, en partant de leur fausse religion, là où il dit : ¨C’est dans la religiosité qu’ils ont l’apparence de la sagesse¨ ; en troisième lieu il le fait en partant de leurs efforts obstinés, là où il dit : ¨ceux qui, s’appliquant avec effort, luttent sans loi contre la vérité¨.  

Ostendit autem primo ex duobus eos esse inordinatos, scilicet quia voluntas non sequitur rationem, sed e converso ; quod tangit ubi dicit : "Qui non rationi voluntatem subjiciunt" : et quia rationem suam non subjiciunt sacrae doctrinae ; quod notatur ibi, "nec doctrinae studium impendunt".

 

Mais il montre d’abord à partir de deux points qu’ils sont déréglés, c’est-à-dire parce que leur volonté ne suit pas la raison mais que c’est l’inverse qui se produit dans leur cas, ce qu’il manifeste là où il dit :  ¨Ceux qui ne soumettent pas leur volonté à la raison¨ ; et aussi parce qu’ils ne soumettent par leur raison à la sainte doctrine : ce qu’il indique là où il dit : ¨ils ne consacrent pas leur zèle à la doctrine¨.

"Somniarunt", quasi phantasiando, sicut homo in somniis. "Sed ad fabulas convertentes auditum." Sumitur de 2 Timoth. 4. Fabula enim composita est ex miris, secundum philosophum (Poét. IV, Metaph. I, Lectio 3), et isti semper volunt nova audire. "Professio", idest studium. "Docenda", idest digna doceri. "Rationem", idest argumentum ad ostendendum sapientiam. "In superstitione", superflua religione exterius simulata. Quia fidei defectionem sequitur hypocrisis mendax. Sumitur 1 Timoth. 4, 1 : Discedent quidam a fide, attendentes spiritibus erroris, et doctrinis Daemoniorum in hypocrisi loquentium mendacium. "Omnium verborum."

¨Ils auront déliré¨ comme dans des rêves, comme le fait l’homme dans son sommeil. ¨Mais ils tourneront leurs oreilles vers des fables.¨, lequel passage est tiré de la deuxième Épître à Timothée (4, 4). Une fable en effet, selon le Philosophe (Poétique IV ; Métaphysique (L. 1, l. 3) est composée de faits prodigieux et ceux-là désirent toujours entendre des choses nouvelles.  ¨Leur travail¨, c’est-à-dire leur occupation. ¨Qui doit être enseigné¨, c’est-à-dire qui mérite d’être enseigné. ¨La raison¨, c’est-à-dire l’argument qui manifeste la sagesse. ¨Dans la religiosité¨, c’est-à-dire dans la vaine religion simulée extérieurement. Car du défaut de foi découle le monsonge de l’hypocrisie ainsi que le souligne l’apôtre dans la première Épître à Timothée (4,1) : Certains s’écarteront de la foi pour suivre des esprits trompeurs et des doctrines inspirées par les démons, séduits par ¨toutes les paroles¨ mensongères de l’hypocrisie.

Contra, Beda : "Nulla falsa est doctrina, quae non aliqua vera intermisceat".

On lit au contraire dans Bède : ¨Il n’y a pas de doctine fausse dans laquelle ne se mêle quelque vérité¨.

Respondeo, illa vera quae dicunt, quamvis in se vera sint, tamen quantum ad usum eorum falsa sunt, quia falso utuntur eis.

Je réponds que les choses qu’ils disent sont vraies ; cependant, bien qu’elles soient vraies en elles-mêmes, cependant elles sont fausses quant à l’usage qu’ils en font, puisqu’ils s’en servent faussement.

"Pruriginem", idest inordinatum desiderium nova audiendi, sicut pruritus concitatur ex calore inordinato. Sumitur ex 2 Tim. 4, 3 : Erit tempus, cum (...) ad sua desideria coacervabunt sibi magistros, prurientes auribus. "Dogmate", propter hoc quod ratio voluntatem sequitur. "Contentioni", quae, secundum Ambrosium ad Rom. est impugnatio veritatis cum confidentia clamoris. "Veritas". III Esdr. 4, 38 : "Veritas manet, et invalescit in aeternum".

 

¨Démangeaison¨, c’est-à-dire un désir désordonné d’entendre des choses nouvelles comme le prurit est excité par une chaleur excessive, comme le dit Paul dans sa deuxième livre à Timothée (4, 3): Car un temps viendra où (…) les gens, l’oreille les démangeant, s’entoureront de maîtres conformes à leurs désirs. ¨D’une manière dogmatique¨, parce que la raison suit la volonté. ¨ ¨Au combat¨, qui, selon Ambroise sur l’Épître aux Romains, est l’assaut de la vérité avec la confiance de la clameur. ¨La vérité¨. On lit dans 111 Esdras (4, 38): La vérité demeure, et elle s’établit pour l’éternité.

"Horum igitur Deo odibilem Ecclesiam evertere atque ora oppilare (...) volentes, in labore multo ac sudore hoc volumen, Deo praestante, compegimus". Hic reddit auditorem docilem, praelibando causas operis : et primo ponit causam finalem quantum ad duas utilitates, scilicet destructionem erroris ; unde dicit : odibilem Ecclesiam : Psalm. 25, 5 : "Odivi Ecclesiam malignantium" : "ne virus", idest ne venenum, "in alios effundere queant" : "et manifestationem veritatis" : unde dicit : "Lucernam veritatis in candelabro exaltare volentes". Sumitur de Luc. 8, 16 : "Nemo accendit lucernam, et ponit eam sub modio". "In candelabro", idest in aperto. Secundo tangit causam efficientem, scilicet principalem, "Deo praestante" : instrumentalem, "Compegimus" : quia hoc opus est quasi compaginatum ex diversis auctoritatibus. "Sudore", quocumque defectu corporali, qui sequitur laborem spiritualem. Tertio ostendit causam materialem ibi : ex testimoniis veritatis, Psalm. 118, 152 : "Initio cognovi de testimoniis tuis". Quarto causam formalem quantum ad distinctionem librorum : "in quatuor libros :" et quantum ad modum operis : "in quo majorum exempla", quantum ad similitudines ; "doctrinam", quantum ad rationes, "reperies""Vipereae", haereticae : haeretici enim pariendo alios in sua haeresi, pereunt sicut vipera. "Prodidimus", reseravimus. Adjicit viam. "Complexi", amplexantes. "Impiae", infidelis. "Inter utrumque", scilicet, nec nimis alte, nec nimis humiliter : vel inter duos contrarios errores, sicut Sabellii, et Arii. "Non a paternis discessit limitibus", secundum illud Proverb. 22, 28 : "Non transferes terminos antiquos, quos posuerunt patres tui".

¨Voulant donc renverser leur Église détestable à Dieu et fermer leur bouche (…), nous avons rédigé, avec l’aide de Dieu, ce livre avec beaucoup de travail et de sueur¨. Ici il rend l’auditeur docile en effleurant les causes de cet ouvrage : et en premier lieu il présente la cause finale quant à deux utilités, à savoir premièrement la destruction de l’erreur ; c’est pourquoi il dit : Église détestable, ainsi qu’on le lit dans le Psaume (25, 5) : ¨Déteste l’Église des malfaiteurs¨ : ¨afin que le poison¨, c’est-à-dire le venin, ¨ils ne puissent le répandre dans les autres¨ ; puis deuxièmement ¨la manifestation de la vérité ¨ : c’est pourquoi il dit : ¨Voulant relever la chandelle de la vérité dans le chandellier¨. C’est aussi ce qu’on lit dans Luc (8, 16) :  ¨Personne n’allume une lampe pour la mettre sous un lit¨. Dans le chandellier¨, c’est-à-dire en pleine évidence. En deuxième lieu il considère la cause efficiente, c’est-à-dire la cause principale, en disant : ¨Avec l’aide de Dieu¨ ; instrumentale en disant : ¨nous avons rédig騠: car cet ouvrage a été rédigé comme à partir de différentes autorités. ¨Avec sueur¨ et de tout autre défaut corporel qui suit le travail spirituel. En troisième lieu il indique la cause matérielle là où il dit : à partir des témoignages de la vérité, ainsi qu’on le voit dans le Psaume (118, 152) : ¨Depuis le début j’ai connu de tes témoignages¨. En quatrième lieu il considère la cause formelle quant à la distinction des livres : ¨en quatre livres¨ ; et quant au mode d’opérer : ¨dans lequel, les exemples des grands¨, par rapport aux similitudes ; ¨la doctrine¨, quant aux arguments, ¨tu trouveras¨. ¨De la vipère¨, de l’hérétique : car les hérétiques en effet, en séduisant les autres par leurs erreurs périssent comme une vipère. ¨Nous nous sommes avancés¨, nous avons révélé. Il ajoute le chemin. ¨J’ai embrassé¨, en saisissant. ¨De l’impie¨, de l’infidèle. Entre les deux, c’est-à-dire ni trop haut ni trop humblement : ou bien encore entre deux erreurs contraires, comme celle de Sabellius et celle d’Arius. Elle ne s’est pas éloignée des limites paternelles, conformément à ce passage des Proverbes (22, 28) : ¨Ne déplace pas les bornes anciennes que tes ancêtres ont posées¨.

"Non igitur debet hic labor cuiquam pigro, vel multum docto, videri superfluus". Hic reddit auditorem attentum : et primo ex utilitate operis, ibi : "brevi volumine complicans patrum sententias".Sententia, secundum Avicennam, est definitiva et certissima conceptio. Secundo ex profunditate materiae, ibi : "in hoc autem tractatu pium lectorem, qui secundum fidem intelligat, liberum correctorem, qui solum propter correctionem corrigat, "desidero". Liber enim, secundum philosophum (in proemium Metaph.) dicitur qui causa sui est, et non propter odium vel invidiam. Tertio ex ordinatione modi procedendi, ibi : "ut autem quod quaeritur facilius occurrat, titulos quibus singulorum librorum capitula distinguuntur, praemisimus".

Ce travail ne doit donc pas sembler inutile au paresseux ou au grand savant. Et ici il rend l’auditeur attentif : et il le fait premièrement à partir de l’utilité de l’ouvrage, là où il dit : ¨rassemblant dans un court traité les sentences des Pères¨. Et la sentence, d’après Avicenne, exprime une conception définitive et très certaine. En deuxième lieu, il le fait à partir de la profondeur de la matière, là où il dit : ¨et pour ce traité ne ne désire qu’un lecteur vertueux, qui comprend en s’appuyant sur la foi, et un correcteur libre, qui ne corrige qu’en vue de la rectitude¨. Car on appelle livre, d’après le Philosophe (dans le proème de la Métaphysique), ce qui n’existe qu’en vue de soi-même et non en vue de la haine ou de l’envie. En troisième lieu, il le fait à partir de l’ordonnance du mode de procéder, là où il dit : ¨afin que ce qu’on recherche se présente plus facilement, nous faisons précéder les titres par lesquels se distinguent les chapitres de chacun des libres¨.

 

 

Distinctio 1

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1[2]

 

1. Omnis doctrina est de rebus vel de signis. Veteris ac novae Legis continentiam diligenti indagine etiam atque etiam considerantibus nobis, praevia Dei gratia innotuit sacrae paginae tractatum circa res vel signa praecipue versari. Ut enim egregius doctor Augustinus ait in libro De Doctrina Christiana : "Omnis doctrina vel rerum est, vel signorum. Sed res etiam per signa discuntur. Proprie autem hic res appellantur, quae non ad significandum aliquid adhibentur ; signa vero, quorum usus est in significando".

 

 

- Eorum autem aliqua sunt quorum omnis usus est in significando, non in iustificando, id est, quibus non utimur nisi aliquid significandi gratia, ut aliqua sacramenta legalia ; alia quae non solum significant, sed conferunt quod intus adiuvet, sicut evangelica sacramenta. - Ex quo aperte intelligitur, quae hic appellentur signa, res illae videlicet quae ad significandum aliquid adhibentur. "Omne igitur signum etiam res aliqua est : quod enim nulla res est", ut in eodem Augustinus ait, omnino nihil est ; "non autem" e converso "omnis res signum est", quia non adhibetur ad significandum aliquid.

De l’usage et de la jouissance.

1. Toute doctrine a pour objet soit les choses soit les signes. À nous qui considérons sans cesse par une recherche attentive le contenu de la Loi ancienne et nouvelle, la grâce prévenante de Dieu a fait connaître que le traité de la page sacrée se rapporte principalement aux choses et aux signes. Comme le dit en effet l’éminent docteur, Augustin, dans son livre de La Doctrine Chrétienne : ¨Toute doctrine se rapporte soit aux choses, soit aux signes. Mais les choses se saisissent aussi par les signes. Mais ici on appelle proprement ¨chose¨ ce qui n’est pas employé pour signifier quelque chose d’autre et ¨signe¨ ce qui sert à signifier¨

- Mais parmi ceux-là il y en a certains dont tout l’usage ne consiste qu’à signifier et non à justifier et dont nous ne nous servons qu’en vue de signifier quelque chose, comme c’est le cas pour certains sacrements légaux ; et il y en a d’autres qui non seulement signifient, mais qui confèrent une aide intérieure, comme les sacrements évangéliques. – De là on comprend clairement qu’on appelle ici signes ces choses qui sont employées pour signifier quelque chose. ¨Donc tout signe est aussi une certaine chose : ce qui en effet n’est aucune chose¨, comme le dit Augustin dans le même livre, n’existe absolument pas ; ¨ce n’est cependant pas¨, à l’inverse, ¨toute chose qui est un signe¨, car ce n’est pas toute chose qui est présentée pour signifier quelque chose.

2. Cumque his intenderit theologorum speculatio studiosa atque modesta, divinam Scripturam, formam praescriptam in doctrina tenere advertet.

2. Et comme l’étude appliquée et mesurée des théologiens s’étend à cela, elle voit à ce que l’Écriture divine conserve la forme prescrite dans la doctrine.

3. De his ergo nobis, aditum ad res divinas aliquatenus intelligendas Deo duce aperire volentibus, disserendum est ; et "primum de rebus, postea de signis disseremus".

3. Nous devons donc traiter de ces choses, nous qui voulons ouvrir jusqu’à un certain point une porte sur la compréhension des choses divines sous la conduite de Dieu ; et ¨en premier lieu nous traiterons des choses, puis des signes¨.

Cap. 2., 1. De rebus communiter agit.

 

"Id ergo in rebus considerandum est, ut in eodem Augustinus ait, quod res aliae sunt quibus fruendum est, aliae quibus utendum est, aliae quae fruuntur et utuntur. Illae quibus fruendum est, nos beatos faciunt. Istis quibus utendum est, tendentes ad beatitudinem adiuvamur et quasi adminiculamur, ut ad illas res quae nos beatos faciunt, pervenire eisque inhaerere possimus".

Chapitre 2, 1. Il traite des choses universellement.

¨Il faut donc, comme le dit Augustin dans le même traité, considérer ce point, à savoir qu’autres sont les choses dont il faut jouir, autres celles dont il faut user, autres encore celle dont il faut jouir et user. Celles dont il faut jouir nous rendent heureux. Et tendant au bonheur, nous sommes aidés et comme appuyés par les choses dont il faut user pour que par elles nous puissions parvenir et nous attacher à ces choses qui nous rendent heureux¨.

2. De rebus quae fruuntur et utuntur*. "Res vero, quae fruuntur et utuntur, nos sumus, quasi inter utrasque constituti", et Angeli sancti (Angeli et Sancti al.).

 

2. Il traite des choses dont on jouit et dont on use*.

¨Nous sommes les choses dont on jouit et dont on use, étant établis, comme les saints Anges (les Anges et les Saints), comme entre les deux premières sortes de choses.

3. Quid sit frui et uti*. "Frui autem est amore inhaerere alicui rei propter se ipsam ; uti vero, id quod in usum venerit referre ad obtinendum illud quo fruendum est, alias abuti est, non uti, nam usus illicitus abusus vel abusio nominari debet".

 

3. Qu’est-ce que jouir et user.

¨Mais jouir, c’est s’attacher par amour à une chose pour elle-même ; mais user, c’est rapporter ce dont on use à l’obtention de ce dont il faut jouir, autrement il s’agit d’un abus et non d’un usage car on doit appeler abus ou mauvais usage l’usage qui n’est pas légitime¨.

4. De rebus quibus fruendum est*. "Res igitur quibus fruendum est, sunt Pater et Filius et Spiritus Sanctus. Eadem tamen Trinitas quaedam summa res est communisque omnibus fruenitibus ea, si tamen res dici debet et non rerum omnium causa, si tamen et causa. Non enim facile potest invenire nomen quod tantae excellentiae conveniat, nisi quod melius dicitur Trinitas haec unus Deus".

4. Des choses dont il faut jouir*.

¨Donc les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Cependant la même Trinité est la chose ou la réalité la plus élevée et elle est commune à toutes les choses qui en jouissent, si cependant elle doit être appelée chose plutôt que cause de toutes les choses, si cependant il s’agit bien ici de cause. Il n’est pas facile en effet de trouver un nom qui convienne à une réalité aussi excellente à moins qu’on ne dise d’une manière plus heureuse que cette Trinité est un seul Dieu¨.

5. De rebus quibus utendum est*. Res autem, quibus utendum est, mundus est et in eo creata. Unde Augustinus in eodem : "Utendum est hoc mundo, non fruendum, ut invisibilia Dei per ea quae facta sunt intellecta conspiciantur, id est ut de temporalibus aeterna capiantur". - Item in eodem (c. XXII) : "In omnibus rebus illae tantum sunt quibus fruendum est, quae aeternae et incommutabiles sunt ; ceteris autem utendum est, ut ad illarum perfruitionem perveniatur". Unde Augustinus in libro decimo De Trinitate (cap. X, 13) : "Fruimur cognitis in quibus ipsis propter se voluntas delectata conquiescit ; utimur vero eis quae ad aliud referimus quo fruendum est".

5. Au sujet des choses dont il faut user*. ¨Mais les choses dont il faut user sont le monde et ce qui y a été créé. C’est pourquoi Augustin dit dans le même livre : ¨Il faut user de ce monde et non en jouir pour que les réalités invisibles se rapportant à Dieu soient comprises au moyen de celles qui ont été créées, c’est-à-dire pour que ce qui est éternel soit saisi à partir de ce qui est temporel¨. – Et de plus, dans le même livre (c. XXII) : ¨Parmi toutes les choses, il ne faut jouir que de celles-là seules qui sont éternelles et immuables ; et il ne faut qu’user des autres pour qu’au moyen de ces dernières on parvienne à la jouissance des premières¨. C’est pourquoi Augustin dit au dixième livre (ch. X, 13) de son traité de La Trinité : ¨Nous jouissons des connaissances dans lesquelles la volonté se repose avec complaisance pour elles-mêmes ; mais nous usons de celles que nous rapportons à une autre dont nous devons jouir¨.

Cap 3. 1. Item quid intersit inter frui et uti, aliter quam supra. Notandum vero, quod idem Augustinus in libro decimo De Trinitate, aliter quam supra accipiens uti et frui, sic dicit : "Uti est assumere aliquid in facultatem voluntatis ; frui autem est uti cum gaudio, non adhuc spei, sed iam rei. Ideoque omnis qui fruitur, utitur : assumit enim aliquid in facultatem voluntatis cum fine delectationis ; non autem omnis qui utitur, et fruitur, si id quod in facultatem voluntatis assumit, non propter ipsum, sed propter aliud appetivit". - Et attende quia videtur Augustinus dicere illos frui tantum qui in re gaudent, non iam in spe ; et ita in hac vita non videmur frui, sed tantum uti, ubi gaudemus in spe, cum supra dictum sit frui esse "amore inhaerere alicui rei propter se", qualiter etiam hic multi adhaerent Deo.

Ch. 3. 1.  En outre qu’y a-t-il entre la jouissance et l’usage et qui diffère de ce qui a été dit plus haut ? Mais il faut remarquer qu’Augustin, au dixième livre De la Trinité, parle autrement de la jouissance et de l’usage qu’il ne le fait plus haut lorsqu’Il dit : ¨User, c’est disposer d’une chose au gré de la volonté ; mais jouir, c’est user d’une chose avec joie, non pas dans l’espoir de posséder la chose, mais dans la chose déjà possédée. Et c’est pourquoi on se trouve à user de tout ce dont on jouit : on dispose en effet d’une chose dans la faculté de la volonté, chose qui s’accompagne de délectation ; mais on ne jouit pas de tout ce dont on use si ce dont on dispose dans la faculté de la volonté n’est pas désiré pour soi-même mais pour autre chose¨. – Et il faut ici faire attention car Augustin semble dire que ce sont seulement ceux qui se délectent dans la chose possédée qui jouissent et non pas ceux qui espèrent la posséder ; et ainsi en cette vie il semble pas que nous ne jouissons pas mais que nous usons seulement, là où notre joie en est une d’espérance, alors que nous avons dit plus haut que jouir, c’est ¨être attaché par amour à une chose pour elle-même¨, et que plusieurs, même ici, sont attachés à Dieu de cette manière.

2. Determinatio eorum quae videntur contraria. Haec ergo, quae sibi contradicere videntur, sic determinamus, dicentes nos et hic et in futuro frui, sed ibi proprie et perfecte et plene, ubi per speciem videbimus quo fruemur ; hic autem, dum in spe ambulamus, fruimur quidem, sed non adeo plene. Unde in libro decimo De Trinitate : "Fruimur cognitis in quibus voluntas est". Idem in libro De Doctrina christiana ait : "Angeli illo fruentes iam beati sunt, quo et nos frui desideramus ; et quantum in hac vita iam fruimur, vel per speculum vel in aenigmate, tanto nostram peregrinationem et tolerabilius sustinemus et ardentius finire cupimus".

2. Réponse aux difficultés. Nous répondons donc de la manière suivante à ce qui semble faire difficulté en disant que nous jouissons à la fois maintenant et dans le futur, mais là à proprement parler, parfaitement et en plénitude où nous verrons par essence ce dont nous jouirons; mais ici, tant que nous marchons dans l’espérance, nous jouissons certes, mais non pas parfaitement. C’est pourquoi au dixième libre De La Trinité on lit: ¨Nous jouissons des connaissances dans lesquelles la volonté se tient¨. De même dans le libre De La Doctrine chrétienne Augustin dit: ¨Les Anges sont déjà heureux alors qu’ils jouissent de Celui dont nous désirons jouir; et plus nous jouissons déjà en cette vie, soit comme par un miroir, soit par énigme, plus nous supportons avec une plus grande tolérance notre voyage et désirons plus ardemment en arriver au terme¨.

Alia determinatio*. Potest etiam dici quod qui fruitur etiam in hac vita, non tantum habet gaudium spei, sed etiam rei, quia iam delectatur in eo quod diligit, et ita iam rem aliquatenus tenet.

 

Autre réponse*.

On peut aussi dire que celui qui jouit déjà en cette vie ne possède pas seulement une joie dans l’espérance de la chose, mais aussi une joie dans la chose elle-même parce qu’il se délecte déjà dans l’objet de son amour et qu’il le possède déjà ainsi d’une certaine manière.

- 3. Constat ergo, quia debemus Deo frui et non uti. "Illo enim, ut ait Augustinus, frueris, quo efficeris beatus (…) et in quo spem ponis, ut ad id pervenias". De hoc idem ait in libro De Doctrina christiana : "Dicimus ea re nos frui, quam diligimus propter se, et ea re nobis fruendum esse tantum, qua efficimur beati, ceteris vero utendum". - Frequenter tamen "dicitur frui, cum delectatione uti. Cum enim adest quod diligitur, etiam delectationem secum gerit. Si tamen per eam transieris, et ad illud ubi permanendum est eam retuleris, uteris ea, et abusive, non proprie diceris frui. Si vero inhaeseris atque permanseris, finem in ea ponens laetitiae tuae, tunc vere et proprie frui dicendus es : quod non est faciendum nisi in illa Trinitate, id est in summo et incommutabili bono".

3. Il est donc clair que nous devons jouir de Dieu et non en user. Comme le dit Augustin, ¨tu jouiras de Celui par lequel tu sera rendu heureux (…) et dans lequel tu places ton espoir afin de t’y unir ¨. Et il dit la même chose à ce sujet dans son livre De La Doctrine chrétienne :  ¨Nous disons que nous jouissons de cette chose que nous aimons pour elle-même et nous ne devons jouir que de cette seule chose qui nous rend heureux mais user de toutes les autres¨. – Cependant, ¨jouir se dit souvent de l’usage qui s’accompagne de délectation. Lorsqu’en effet l’objet de l’amour est présent, il apporte aussi avec lui la délectation. Si cependant tu passes par elle  et que, la ramenant là où il faut demeurer, tu t’en sers, alors c’est de façon abusive et non pas à proprement parler qu’on devra dire que tu en jouis. Mais si tu t’y attaches et que tu y demeures, plaçant en elle la fin de ta joie, alors c’est en vérité et à proprement parler qu’on dira de toi que tu en jouis : ce qui ne doit avoir lieu que pour cette Trinité, à savoir pour le bien par excellence et immuable¨.

4. Utrum hominibus sit utendum vel fruendum. Cum autem homines qui fruuntur et utuntur aliis rebus, res aliquae sint, quaeritur "utrum frui se debeant, an uti, an utrumque". Ad quod sic respondet Augustinus in libro De Doctrina christiana., cap. XXII : "Si propter se homo diligendus est, fruimur eo ; si propter aliud, utimur eo. Videtur autem mihi propter aliud diligendus. Quod enim propter se diligendum est, in eo constituitur beata vita, cuius etiam spes hoc tempore nos consolatur". In homine autem spes ponenda non est, quia "maledictus" est qui hoc facit. Ergo si liquide advertas, nec se ipso quisquam frui debet, quia non se debet diligere propter se, sed propter illud quo fruendum est".

4. S’il faut user ou jouir des hommes.

Mais puisque les hommes qui se servent des autres choses sont eux aussi en quelque sorte des choses, on se demande ¨ s’il doivent jouir, user, ou à la fois jouir et user les uns des autres¨. Et c’est de la manière suivante qu’Augustin répond à cette question dans le livre De La Doctrine Chrétienne (ch. XXII) : ¨ Si c’est pour lui-même que l’homme doit être aimé, alors nous en jouissons ; si c’est en vue d’autre chose, alors nous en usons. Mais il me semble que c’est en vue d’autres chose qu’il doit être aimé. En effet, ce qui doit être aimé pour soi-même, c’est en cela même que doit consister la vie heureuse dont l’espérance en cette vie nous console¨. Mais l’espérance ne doit pas être placée en l’homme car ¨maudit¨ est celui qui fait cela. Donc, si tu vois avec netteté, personne ne doit jouir de lui-même car personne ne doit s’aimer pour lui-même mais pour ce dont il doit jouir¨.

5. Huic autem contrarium videtur quod Apostolus, ad Philemonem loquens, ait : "Ita, frater, ego te fruar in Domino." Quod ita determinat Augustinus : "Si dixisset tantum 'te fruar', et non addidisset 'in Domino', videretur finem dilectionis ac spem constituisse in eo ; sed quia illud addidit, in Domino se finem posuisse eodemque frui significavit". "Cum enim, ut idem Augustinus ait, homine in Deo frueris, Deo potius quam homine frueris".

5. Mais ce que l’Apôtre dit en s’adressant à Philémon semble s’opposer à cela : ¨Ainsi mon frère, je jouis de toi dans le Seigneur¨. Ce que précise Augustin de la manière qui suit : ¨S’il avait dit seulement ¨je jouis de toi¨, et qu’il n’avait pas ajouté ¨dans le Seigneur¨, la finalité de l’amour ainsi que l’espérance aurait paru avoir été placé en lui ; mais parce qu’il a ajouté cela, il a placé sa finalité dans le Seigneur et il a signifié par là que sa jouissance est en Lui¨. Augustin dit encore la même chose autrement : ¨En effet, lorsque tu jouis de l’homme en Dieu, tu jouis davantage de Dieu que de l’homme¨.

6. Hic quaeritur utrum Deus fruatur an utatur nobis. Sed cum Deus diligat nos, ut frequenter Scriptura dicit, quae "eius dilectionem erga nos multum commendat", quaerit Augustinus, quomodo diligit, an ut utens, an ut fruens. - Et procedit ita : "Si fruitur nobis, eget bono nostro : quod nemo sanus dixerit. Ait enim Propheta : 'Bonorum meorum non indiges' ; omne enim bonum nostrum vel ipse est, vel ab ipso est. Non ergo fruitur nobis, sed utitur. Si enim nec fruitur nobis nec utitur, non invenio, quomodo diligat nos. Neque tamen sic utitur nobis ut nos aliis rebus. Nos enim res quibus utimur, ad id referimus ut Dei bonitate perfruamur ; Deus vero ad suam bonitatem usum nostrum refert. Ille enim miseretur nostri propter suam bonitatem, nos autem nobis invicem propter illius bonitatem ; ille nostri miseretur ut se perfruamur, nos vero invicem nostri miseremur ut illo fruamur. Cum enim nos alicuius miseremur et alicui consulimus, ad eius quidem facimus utilitatem eamque intuemur ; sed et nostra fit consequens, cum misericordiam quam aliis impendimus, non reliquit Deus sine mercede. Haec autem merces summa est, ut ipso perfruamur". - Item "quia bonus est sumus, et in quantum sumus, boni sumus. Porro quia etiam iustus est, non impune mali sumus ; et in quantum mali sumus, in tantum etiam minus sumus. Ille igitur usus, quo nobis utitur Deus, non ad eius, sed ad nostram utilitatem refertur, ad eius vero tantummodo bonitatem".

6. On se demande ici si Dieu jouit ou use de nous.

Mais puisque Dieu nous aime, ainsi que les Écritures, qui louent abondamment son amour pour nous, nous l’affirment souvent, Augustin se demande de quelle manière il nous aime: est-ce en tant qu’il se sert de nous ou en tant qu’il jouit de nous? – Et il procède ainsi: ¨S’il jouit de nous, il a besoin de nous comme d’un bien: ce qu’aucune personne saine d’esprit ne dira. Le Prophète dit en effet: ¨Tu n’as pas besoin de mes biens¨: en effet, la totalité de notre bien consiste en Lui ou vient de Lui. Donc, il ne jouit pas de nous mais plutôt il se sert de nous. Si en effet il ne jouit pas de nous et qu’il ne se sert pas de nous, je ne vois pas comment il nous aime. Et cependant il ne se sert pas de nous comme nous nous servons des autres choses. En effet, les choses dont nous nous servons, c’est à Lui que nous les rapportons pour jouir de sa Bonté; mais c’est à sa bonté que Dieu rapporte notre usage. Ce dernier en effet a pitié de nous à cause de sa bonté, et nous avons mutuellement pitié les uns des autres à cause de sa bonté; il a pitié de nous pour que nous jouissions de Lui alors que nous avons mutuellement pitié de nous pour jouir de Lui. En effet, lorsque nosu avons pitié de quelqu’un et que nous en prenons soin, nous le faisons à son profit et c’est ainsi que nous le considérons; mais il s’ensuit aussi un profit pour nous car la pitié que nous accordons aux autres ne laisse pas Dieu sans recompense. Et cette recompense est la plus grande qui soit, laquelle consiste à ce que nous jouissions de Lui¨. En outre, ¨c’est parce qu’Il est bon que nous sommes et dans la mesure où nous avons de l’être, nous sommes bons. Mais de plus, parce qu’Il est aussi juste, ce n’est pas impunément que nous sommes mauvais; et dans la mesure où nous sommes mauvais, dans la même mesure nous avons aussi moins d’être. Donc cet usage par lequel Dieu se sert de nous ne se rapporte pas à son profit mais au nôtre mais il ne doit être attribué qu’à sa seule bonté¨.

7. Utrum fruendum an utendum sit virtutibus. Hic considerandum est utrum virtutibus sit utendum an fruendum. - Quibusdam videtur quod eis sit utendum, et non fruendum. Et hoc confirmant auctoritate Augustini, qui, ut praetaxatum est, dicit "non esse fruendum nisi Trinitate, id est summo et incommutabili bono". - Item dicunt ideo non esse fruendum eis, quia propter se amandae non sunt, sed propter aeternam beatitudinem ; illud autem quo fruendum est, propter se amandum est. - Sed quod virtutes propter se amandae non sunt, immo propter solam beatitudinem, probant auctoritate Augustini, qui in libro decimo tertio De Trinitate contra quosdam ait : "Forte virtutes, quas propter solam beatitudinem amamus, sic persuadere nobis audent ut ipsam beatitudinem non amemus ; quod si faciunt, etiam ipsas utique amare desistimus, quando illam, propter quam solam istas amavimus, non amamus". Ecce his verbis videtur Augustinus ostendere, quod virtutes non propter se, sed propter solam beatitudinem amandae sint. Quod si ita est, ergo eis fruendum non est.

7. Faut-il jouir ou user des vertus ?

Il faut ici considérer s’il faut user ou jouir des vertus. – Il semble à certains qu’il faille en user et non en jouir. Et ils confirment cela par l’autorité d’Augustin qui, comme il l’a stipulé, ¨qu’on ne doit jouir que de la Trinité, c’est-à-dire du bien par excellence et immuable¨. – En outre ils disent que la raison pour laquelle on ne doit pas en jouir, c’est parce qu’elles ne doivent pas être aimées pour elles-mêmes mais en vue du bonheur éternel ; mais ce dont il faut jouir doit être aimé pour soi-même. – Mais que les vertus ne doivent pas être aimées pour elles-mêmes mais plutôt en vue de la seule béatitude, ils le prouvent par l’autorité d’Augustin qui dit, pour s’opposer à l’opinion contraire dans le treizième livre faisant partie de son traité De La Trinité : ¨À moins qu’ils osent nous persuader, puisque nous n’aimons les vertus qu’en vue de la seule béatitude, que nous n’aimons pas la béatitude elle-même ; si c’est le cas, nous devons cesser de les aimer elles aussi alors même que nous n’aimons pas celle-ci en vue de laquelle nous aimons celles-là¨. Et voici que par ces paroles Augustin semble montrer que les vertus ne doivent pas être aimées pour elles-mêmes, mais uniquement en vue de la seule béatitude.

8. Aliis vero contra videtur, scilicet quod eis fruendum sit, quia propter se petendae et amandae sunt. Et hoc confirmant auctoritate Ambrosii, qui ait super illum locum Epistolae ad Galatas : 'Fructus autem spiritus est caritas, gaudium, pax, patientia etc. ' : "Haec non nominat opera, sed fructus, quia propter se petenda sunt". Si vero propter se petenda sunt, ergo propter se amanda.

8. Mais il semble à d’autres au contraire qu’il faille jouir des vertus car elles doivent être recherchées et aimées pour elles-mêmes. Et ils confirment cela par l’autorité d’Ambroise qui dit sur ce passage de l’Épître aux Galates (5, 22) : ¨Mais les fruits de l’Esprit sont l’amour, la joie, la paix, la patience, etc.¨ : ¨Et il ne les appelle pas œuvres mais fruits parce qu’ils doivent être recherchés pour eux-mêmes¨. Mais s’ils doivent être recherchés pour eux-mêmes, ils doivent donc être aimés pour eux-mêmes.

9. Nos autem harum quae videtur auctoritatum repugnantiam de medio eximere cupientes, dicimus quod virtutes propter se petendae et amandae sunt, et tamen propter solam beatitudinem. Propter se quidem amandae sunt, quia delectant sui possessores sincera et sancta delectatione, et in eis pariunt gaudium spirituale. Verumtamen non est hic consistendum, sed ultra gradiendum. Non hic haereat dilectionis gressus, neque hic sit dilectionis terminus, sed referatur hoc ad illud summum bonum cui soli omnino inhaerendum est, quia illud propter se tantum amandum est, et ultra illud nihil quaerendum est : illud est enim supremus finis. - Ideo Augustinus dicit quod eas diligimus propter solam beatitudinem, non quin eas propter se diligamus, sed quia id ipsum, quod eas diligimus, referimus ad illud summum bonum cui soli inhaerendum est ; et in eo permanendum finisque laetitiae ponendus. Quare virtutibus non est fruendum.

 

9. Désirant donc retirer de l’opinion commune l’apparente contradiction qui ressort de ces autorités, nous disons que les vertus doivent être recherchées et aimées pour elles-mêmes, mais qu’elles doivent cependant l’être en vue de la seule béatitude. Elles doivent certes être aimées pour elles-mêmes parce qu’elles réjouissent d’une sainte et sincère délectation ceux qui la possèdent et elles engendrent en eux une joie spirituelle. Et pourtant il ne faut pas d’arrêter ici mais plutôt poursuivre la marche. Ce n’est pas ici que se fixe la progression de l’amour et ce n’est pas ici que se trouve le terme de l’amour, lequel terme s’attribue plutôt au plus grand bien auquel seul il convient de s’attacher d’une manière absolue et car lui seul doit être aimé pour lui-même et au-delà duquel rien ne doit être recherché : telle est en effet la finalité ultime. – C’est pour cette raison qu’Augustin dit que nous aimons les vertus en vue de la seule béatitude, non pas que nous ne les aimions pas pour elles-mêmes, mais parce que cela même que nous aimons, nous le rapportons au bien par excellence auquel seul il faut s’attacher ; et c’est en lui qu’il faut demeurer et que la finalité de la joie doit être placée. Et c’est pourquoi il ne faut pas jouir des vertus.

10. Sed dicet aliquis : "Frui est amore inhaerere alicui rei propter se ipsam", ut praedictum est ; si ergo virtutes propter se amandae sunt, et eis fruendum est. - Ad quod dicimus : In illa descriptione, ubi dicitur 'propter se ipsam', intelligendum est 'tantummodo', ut scilicet ametur propter se ipsam tantum, ut non referatur ad aliud, sed ibi ponatur finis, ut supra ostendit Augustinus dicens : "Si inhaeseris atque permanseris, finem ponens laetitiae, tunc vere et proprie frui dicendus est : quod non est faciendum nisi in illa Trinitate, id est summo et incommutabili bono". - Utendum est ergo virtutibus, et per eas fruendum summo bono. Ita et de voluntate bona dicimus ; Unde Augustinus in libro decimo De Trinitate ait : "Voluntas est per quam fruimur". Ita et per virtutes fruimur, non eis, nisi forte aliqua virtus sit Deus, ut caritas, de qua post tractabitur.

 

10. Mais quelqu’un dira : ¨Jouir, c’est s’attacher par amour à une chose pour elle-même¨, ainsi que nous l’avons déjà dit ; si donc les vertus doivent être aimées pour elles-mêmes, on doit donc en jouir. – Voici ce que nous répondons à cela : Dans cette définition, là où nous disons ¨pour elle-même¨, il faut comprendre ¨seulement¨, c’est-à-dire que l’objet de l’amour soit aimé pour lui seul de telle manière qu’il ne soit pas ordonné à quelque chose d’autre mais que ce soit en lui que la finalité est placée, comme le montre plus haut Augustin lorsqu’il dit : ¨Si tu t’attaches et que tu demeures dans l’objet dans lequel tu places la finalité de la joie, c’est alors qu’on devra dire de toi que tu jouis en vérité et à proprement parler : ce qui ne doit être fait qu’à l’égard de cette Trinité, laquelle est le bien par excellence et immuable¨. – Il faut donc user des vertus et par elles jouir du bien suprême. Et c’est de cette manière que nous parlons de la bonne volonté ; c’est pourquoi Augustin dit, au dixième livre de son traité intitulé De la Trinité : ¨C’est par la volonté que nous jouissons¨. Ainsi, c’est au moyen des vertus que nous parvenons à la jouissance, non pas des vertus elles-mêmes, à moins peut-être qu’une des vertus ne soit Dieu lui-même en tant que charité, ce dont nous traiterons par la suite.

11. Epilogus. "Omnium igitur, quae dicta sunt ex quo de rebus specialiter tractavimus, haec summa est" : quod aliae sunt quibus fruendum est, aliae quibus utendum, aliae quae fruuntur et utuntur ; et inter eas quibus utendum est, quaedam sunt per quas fruimur, ut virtutes et potentiae animi, quae sunt naturalia bona. De quibus omnibus, antequam de signis tractemus, agendum est ; ac primum de rebus quibus fruendum est, scilicet de sancta atque individua Trinitate.

11. Épilogue.

¨Donc, de tout ce dont nous avons parlé et à partir de quoi nous avons traité des choses en particulier, voici la plus importante¨ : autres sont les choses dont il faut jouir, autres sont celles dont il faut user, autres sont celles dont il faut jouir et user : et parmi celles dont il faut user, il y a celles au moyen desquelles nous jouissons, comme les vertus et les puissances de l’âme, lesquelles sont des biens naturels. Et nous devons examiner tout cela avant même de traiter des signes ; et nous devons en premier lieu examiner les choses dont il faut jouir, c’est-à-dire de la sainte et unique Trinité.

 

 

 

 

 

 

Distinctio 1

Distinction 1 – [L'usage et la fruition de Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

 

Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ?

Article 2 – Utiliser est-il un acte de la raison ?

Question 2

Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ?

Article 2 – Jouir de Dieu, est-ce une seule jouissance ?

Question 3

Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que Dieu ?

Question 4

Article 1 – Convient-il de jouir de toutes choses ?

Article 2 – L’usage convient-il à ceux qui sont dans la patrie ?

Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 pr. Finito prooemio, hoc est initium praesentis operis in quo Magister divinorum nobis doctrinam tradere intendit quantum ad inquisitionem veritatis et destructionem erroris : unde et argumentativo modo procedit in toto opere : et praecipue argumentis ex auctoritatibus sumptis. Dividitur autem in duas partes : in quarum prima inquirit ea de quibus agendum est, et ordinem agendi ; in secunda prosequitur suam intentionem : et in duas partes dividitur. Secunda ibi : hic considerandum est utrum virtutibus sit utendum, an fruendum.

Le proème étant terminé, voici le commencement du présent ouvrage dans lequel le Maître cherche à nous transmettre la doctrine ayant pour objet les choses divines, à la fois quant à la recherche de la vérité et quant à la réfutation de l’erreur : c’est pourquoi, dans tout l’ouvrage, il procède selon le mode de l’argumentation en se servant surtout d’arguments tirés d’autorités. Et cet ouvrage se divise en deux parties : dans la première il cherche à déterminer les choses dont il faut traiter ainsi que l’ordre selon lequel il faut les traiter ; dans la deuxième il poursuit son propos, laquelle se divise en deux parties. La deuxième partie commence là où il dit : il faut ici considérer s’il faut utiliser les vertus ou bien s’il faut en jouir.

Ea autem de quibus in hac doctrina considerandum est, cadunt in considerationem hujus doctrinae, secundum quod ad aliquid unum referuntur, scilicet Deum, a quo et ad quem sunt. Et ideo ea de quibus agendum est dividit per absolutum et relatum : unde dividitur in partes duas. In prima ponit divisionem eorum de quibus agendum est per absolutum et relatum secundum cognitionem, in secunda secundum desiderium, ibi : id ergo in rebus considerandum.

Mais les choses qu’il faut considérer dans cette doctrine tombent sous la considération de cette doctrine selon qu’elle se rapportent à quelque chose d’un, à savoir Dieu d’où elles tirent leur origine et vers lequel elles tendent comme vers leur finalité. Et c’est la raison pour laquelle il divise les choses dont il faut traiter selon qu’elles se prennent absolument et relativement : c’est pourquoi sa division se présente en deux parties. Dans la première il présente la division des choses dont il faut traiter absolument et ralativement selon la connaissance alors que dans la deuxième il la présente selon le désir là où il dit : donc, il faut considérer cela dans les choses.

Circa primum duo facit. Primo ponit divisionem eorum de quibus agendum est, in res et signa, quae ad cognitionem rerum ducunt ; secundo concludit ordinem agendi, ibi : cumque his intenderit theologorum speculatio studiosa atque modesta, divinam Scripturam formam praescriptam in doctrina tenere advertet.

 

Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il présente la division, en choses et en signes qui conduisent à la connaissance des choses,  des choses dont il faut traiter ; en deuxième lieu il conclut l’ordre selon lequel les traiter, là où il dit : et comme l’étude soignée et modeste des théologiens se sera appliquée à ces choses, elle sera attentive à ce que l’Écriture divine conserve la forme prescrite dans la doctrine.

In primo tria facit. et dividitur in partes duas. Primo ponit divisionem ; secundo probat per auctoritatem, ibi : ut enim egregius doctor Augustinus ait ; tertio ponit membrorum divisionis expositionem, ibi : proprie autem hic res appellantur quae non ad significandum aliquid adhibentur : ubi primo exponit quid sit res ; secundo quid sit signum, ibi : signa vero quorum usus est in significando ; tertio utriusque comparationem, ibi : omne igitur signum etiam res aliqua est.

 

Dans la première partie qui se divise en deux il fait trois choses. En premier lieu il présente la division ; dans la deuxième il la prouve au moyen d’une autorité, là où il dit : en effet, comme le dit l’éminent docteur Augustin ; en troisième lieu il présente l’explication des membres de la division, là où il dit : mais à proprement parler on appelle ici choses ce qui n’est pas employé pour signifier quelque chose d’autre : et là il explique d’abord ce qu’est une chose et en deuxième lieu ce qu’est un signe, là où il dit : mais les signes dont l’usage consiste à signifier ; en troisième lieu il explique la comparaison de l’un à l’autre là où il dit : donc tout signe est aussi une certaine chose.

Id ergo in rebus considerandum est. Hic, dimissis signis, subdividit res per absolutum et relatum ex parte desiderii, scilicet per fruibile, quod propter se desideratur, et utibile, cujus desiderium ad aliud refertur : et dividitur in partes duas. Primo ponit divisionem ; secundo epilogat et concludit intentionem et ordinem, ibi : omnium igitur quae dicta sunt, ex quo de rebus specialiter tractavimus, haec summa est. Circa primum duo facit. Primo manifestat partes divisionis per definitiones ; secundo quantum ad supposita, ibi : res igitur quibus fruendum est, sunt pater, et filius, et spiritus sanctus.

 

Voici ce qu’il faut considérer dans les choses. Ici, mettant de côté les signes, il subdivise les choses prises absolument et relativement du côté du désir, c’est-à-dire en objets de jouissance qui sont désirables pour eux-mêmes, et en objets d’usage, dont le désir se rapporte à quelque chose d’autre : et cette section se divise en deux parties. En premier lieu il présente la division ; en deuxième lieu il résume et conclut son propos ainsi que l’ordre à suivre, là où il dit : voici donc la somme de toutes les choses qui ont été dites et à partir desquelles nous avons traité des choses en particulier. Au sujet du premier point il fait deux choses. En premier lieu il manifeste les parties de la division au moyen de définitions ; en deuxième lieu il les manifeste quant à ce qu’elles supposent, là où il dit : donc, les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint.

Circa primum quatuor facit. Primo definit fruibilia per effectum ; secundo utibilia, ibi : istis quibus utendum est, tendentes ad beatitudinem adjuvamur ; tertio definit utentia, et fruentia ibi : res vero quae fruuntur et utuntur, nos sumus ; quarto definit uti et frui ad probationem totius : frui autem est amore alicui rei inhaerere propter seipsam. Et eodem ordine procedit manifestando secundum supposita. Notandum vero, quod idem Augustinus (...) aliter quam supra accipiens frui et uti, sic dicit.

Au sujet du premier point il fait quatre choses. En premier lieu, il définit par l’effet l’objet de jouissance ; en deuxième lieu l’objet d’usage là où il dit : cherchant la béatitude, nous sommes aidés par ce dont il faut user ; en troisième lieu il définit ceux qui usent et ceux qui jouissent là où il dit : mais nous sommes les choses qui jouissent et usent ; en quatrième lieu il définit ce qu’est user et jouir pour l’ensemble de la preuve : mais jouir, c’est s’attacher par amour à une chose pour elle-même. Et dans le même ordre il procède à la manifestation de la division selon ce qu’elle suppose : Mais il faut remarquer que le même Augustin, prenant autrement que plus haut jouir et user, parle ainsi.

Hic ponit contrarietatem ad haec tria. Primo ponit diversam assignationem uti et frui ; secundo concludit contrarietatem ad praedicta, ibi : et attende, quod videtur Augustinus dicere illos frui tantum qui in re gaudent ; tertio ponit solutionem, ibi : haec ergo quae sibi contradicere videntur, sic determinamus. Et primo solvit per divisionem ; secundo per interemptionem, ibi : potest etiam dici, quod qui fruitur etiam in hac vita non tantum habet gaudium spei, sed etiam rei.

 

Il présente ici une opposition à l’égard de ces trois points. En premier lieu il présente une définition différente de jouir et d’user ; en deuxième lieu il conclut le contraire de ce qui a été dit, là où il dit : et fais attention à ce qu’Augustin semble dire que seuls jouissent ceux qui se réjouissent dans la chose ; en troisième lieu il présente la solution là où il dit : nous résoudrons de la manière suivante ces choses qui semblent se contredire. Et en premier lieu il résout par une division ; en deuxième lieu, il résout par réfutation, là où il dit : on peut aussi dire que celui qui jouit déjà en cette vie ne possède pas seulement une joie en espérance mais une joie dans la chose.

"Cum autem homines, qui fruuntur et utuntur aliis rebus, res aliquae sint, quaeritur, utrum se frui debeant, an uti, an utrumque". Hic movet dubitationes de habitudine eorum quae pertinent ad invicem : et primo quaerit de utentibus et fruentibus, an sint utibilia vel fruibilia ; secundo de fruibilibus, scilicet de Deo, utrum sit utens nobis vel fruens, ibi : sed cum Deus diligat nos (...) quaerit Augustinus quomodo diligat, an ut utens, an ut fruens ; tertio de quibusdam utibilibus, utrum sint fruibilia, ibi : hic considerandum est, utrum virtutibus sit utendum, an fruendum. Quaelibet harum partium dividitur in quaestionem et solutionem.

 

¨Mais puisque les hommes, qui jouissent et usent des autres choses, sont eux-mêmes certaines choses, on demande s’il doivent jouir, user, ou à la fois jouir et user d’eux-mêmes¨. Il soulève ici des difficultés sur la nature des choses qui s’attribuent mutuellement: et en premier lieu, il s’interroge sur les choses qui usent et jouissent pour savoir si elles sont elles-mêmes objets d’usage ou de jouissance ; en deuxième lieu il s’interroge sur les objets de jouissance, à savoir sur Dieu pour savoir s’il use ou jouit de nous, là où il dit : mais puisque Dieu nous aime (…), Augustin se demande comment il aime, à la manière de celui qui use ou à la manière de celui qui jouit ; en troisième lieu, il s’interroge sur certains objets d’usage pour savoir s’ils sont objets de jouissance, là où il dit : il faut ici examiner s’il faut user des vertus ou en jouir. Et chacune de ces parties se divise en question et réponse.

Hic quaeruntur tria : primo, de uti et frui. Secundo, de utibilibus et fruibilibus. Tertio, de utentibus et fruentibus.

La recherche porte ici sur trois points : en premier lieu sur la nature de l’usage et de la jouissance. En deuxième lieu sur les objets d’usage et de jouissance. En troisième lieu sur ceux qui usent et jouissent.

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La jouissance et l’usage]

 

 

Circa primum quaeruntur duo : 1 quid sit frui secundum rem ; 2 quid sit uti secundum rem.

Par rapport au premier point on se demande deux choses : premièrement ce que c’est réellement que jouir ; deuxièmement ce que c’est réellement qu’user.

 

 

Articulus 1 [64] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 tit. Utrum frui sit actus intellectus.

Article 1 – La fruition est-elle un acte de l’esprit ?

[65] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum sic proceditur. Videtur quod frui sit actus intellectus. Nobilissimus enim actus est nobilissimae potentiae. Altissima autem potentia in homine est intellectus. Ergo, cum frui sit perfectissimus actus hominis, quia ponit hominem in suo fine ultimo, videtur quod sit actus intellectus.

Arguments :

1. Au sujet de la première question on procède ainsi. Il semble que la jouissance soit un acte de l’intelligence. En effet, l’acte le plus noble procède de la puissance la plus noble. Mais la puissance la plus noble chez l’homme est l’intelligence. Donc, puisque la jouissance est l’acte le plus parfait de l’homme puisqu’elle place l’homme dans sa finalité ultime, il semble qu’elle soit l’acte de l’intelligence.

[66] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Augustinus, visio est tota merces. Sed merces totius meriti consistit in fruitione divinitatis. Ergo fruitio est essentialiter visio. Sed visio est actus intellectus : ergo et fruitio.

2. Par ailleurs, comme le dit Augustin, la vision est la récompense parfaite. Mais la récompense de tout le mérite consiste à jouir de la divinité. Donc la jouissance est essentiellement la vision. Mais la vision est l’acte de l’intelligence : il en est donc de même pour la jouissance.

[67] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 3 Sed videtur quod sit actus voluntatis. Actus enim determinatur ex objecto. Sed objectum fruitionis est fruibile, quod est finis ultimus. Finis autem, cum rationem boni habeat, est objectum voluntatis. Ergo et frui est actus voluntatis.

3. Mais il semble que la jouissance soit l’acte de la volonté. En effet, un acte se définit à partir de son objet. Mais l’objet de la jouissance est ce dont on peut jouir qui est la fin ultime. Mais la fin, parce qu’elle a raison de bien, est l’objet de la volonté. La jouissance est donc l’acte de la volonté.

[68] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, Augustinus, definit fruitionem per voluntatem dicens : fruimur cognitis, in quibus ipsis propter se voluntas delectata conquiescit. Ergo magis videtur esse actus voluntatis quam intellectus.

4. Par ailleurs, Augustin définit la jouissance par la volonté lorsqu’il dit : nous jouissons des choses qu’on connaît dans lesquelles et pour elles-mêmes la volonté se repose avec complaisance. La jouissance semble donc être davantage l’acte de la volonté que celui de l’intelligence.

[69] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, videtur quod sit actus omnium potentiarum. Praemium enim respondet merito. Sed homo meretur per omnes potentias. Ergo et secundum omnes praemiabitur. Sed praemium est ipsa fruitio : ergo fruitio est omnium potentiarum.

5. En outre, il semble que la jouissance soit l’acte de toutes les puissances. En effet, la recompense correspond au mérite. Mais c’est au moyen de toutes les puissances que l’homme est digne de mérite et c’est donc grâce à elles qu’il sera recompensé. Mais la recompense est la jouissance elle-même: la jouissance est donc l’acte de toutes les puissances.

[70] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit, quod homo inveniet pascua interius in divinitate salvatoris, et exterius in humanitate. Ergo videtur quod tam vires exteriores quam interiores fruentur.

6. Par ailleurs Augustin dit que l’homme trouvera sa nourriture intérieure dans la divinité du sauveur et sa nourriture extérieure dans son humanité. Il semble donc que la jouissance appartienne aussi bien aux puissances extérieures qu’à celles qui sont intérieures.

[71] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 7 Sed videtur quod nullius potentiae sit. Omnis enim actus denominatur a potentia cujus est, sicut intelligere ab intellectu. Sed frui non denominatur ab aliqua potentia. Ergo et cetera.

7. Mais il semble que la jouissance n’appartienne à aucune puissance. Tout acte en effet est dénommé par la puissance d’où il procède, comme l’acte d’intelliger est dénommé par cette puissance qu’est l’intelligence. Mais la jouissance n’est dénommée à partir d’aucune puissance. Elle n’appartient donc à aucune puissance.

[72] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 8 Unde ulterius quaeritur, cujus habitus actus sit : et videtur quod tantum caritatis. Sicut enim dicitur 1 Corinth. 13, caritas virtus perfecta est. Sed, secundum philosophum, felicitas est operatio virtutis perfectae. Ergo fruitio, in qua est tota nostra felicitas, est actus caritatis.

8. À partir de là on se demande par la suite de quel habitus la jouissance est l’acte : et il semble qu’elle soit l’acte de la seule charité. En effet, comme le dit l’Apôtre dans sa première Épître aux Corinthiens (ch. 13), la charité est la vertu parfaite. Mais d’après le Philosophe, la félicité est l’opération de la vertu parfaite. Donc la jouissance, dans laquelle consiste toute notre félicité, est l’acte de la charité.

[73] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 9 Hoc idem videtur ex definitione Augustini inducta in littera : frui est amore inhaerere alicui rei propter seipsam.

9. Il semble que la même conclusion doive se tirer de la définition présentée dans la lettre : jouir, c’est s’attacher à une chose pour elle-même par amour.

[74] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 10 Sed videtur quod non tantum caritatis. Ad fruitionem enim tria concurrunt, perfecta visio, plena comprehensio, et inhaesio amoris consummati. Ergo videtur quod sit actus etiam succedentium fidei, et spei.

10. Mais il semble que la jouissance n’appartienne pas seulement à l’habitus de la charité. En effet, trois éléments contribuent à la jouissance : la vision parfaite, la compréhension complète et l’adhésion de l’amour achevé. Il semble donc que la jouissance soit aussi l’acte de la foi et de l’espérance qui suivent.

[75] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, secundum fruitionem conjungimur Deo. Sed omnis virtus conjungit nos Deo, cum virtus sit dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in 7 Physic. Ergo fruitio est actus secundum omnem virtutem.

11. Par ailleurs, c’est pas la jouissance que nous sommes unis à Dieu. Mais toute vertu nous unit à Dieu, puisque la vertu est la disposition du parfait à l’égard de ce qu’il y a de mieux, comme on le dit au septième livre des Physiques. La jouissance est donc l’acte de toutes les vertus.

[76] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod fruitio consistit in optima operatione hominis, cum fruitio sit ultima felicitas hominis. Felicitas autem non est in habitu, sed in operatione, secundum philosophum. Optima autem operatio hominis est operatio altissimae potentiae, scilicet intellectus, ad nobilissimum objectum, quod est Deus : unde ipsa visio divinitatis ponitur tota substantia nostrae beatitudinis, Joan. 17, 3 : haec est vita aeterna, ut cognoscant te solum Deum verum.

 

Corps de l’article.

Je réponds qu’il faut dire que la jouissace consiste dans l’opération la plus parfaite de l’homme, puisqu’elle est sa félicité ultime. Mais la félicité ne se range pas dans un habitus mais dans une opération d’après le Philosophe. Mais l’opération parfaite de l’homme est celle de sa puissance la plus élevée, là savoir l’intelligence, à l’égard de l’objet le plus noble qui est Dieu : c’est pourquoi c’est dans la vision même de la divinité qu’est placée l’essence de notre béatitude dans sa totalité, ainsi que le dit Jean dans son évangile (17, 3) : La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, Toi le seul vrai Dieu.

Ex visione autem ipsum visum, cum non videatur per similitudinem, sed per essentiam, efficitur quodammodo intra videntem, et ista est comprehensio quae succedit spei, consequens visionem quae succedit fidei, sicut spes quodammodo generatur ex fide. Ex hoc autem quod ipsum visum receptum est intra videntem, unit sibi ipsum videntem, ut fiat quasi quaedam mutua penetratio per amorem. Sic dicitur 1 Joan. 4, 16 : qui manet in caritate, in Deo manet et Deus in eo. Ad unionem autem maxime convenientis sequitur delectatio summa ; et in hoc perficitur nostra felicitas, quam fruitio nominat ex parte sui complementi, magis quam ex parte principii, cum in se includat quamdam delectationem. Et ideo dicimus quod est actus voluntatis, et secundum habitum caritatis, quamvis secundum ordinem ad potentias et habitus praecedentes.

Mais cela même qui est vu dans la vision, puisqu’il n’est pas vu par ressemblance mais par essence, est rendu présent d’une certaine manière à l’intérieur de celui qui voit et cela est la compréhension qui succède à l’espérance qui suit la vision qui succède à la foi, tout comme l’espérance est engendrée en quelque sorte à partir de la foi. Mais du fait que cela même qui est vu est reçu à l’intérieur à l’intérieur de celui qui voit, il unit à lui celui-là même qui voit, de sorte qu’il se produit par amour comme une certaine pénétration mutuelle. C’est ainsi que parle Jean dans sa première Lettre (4, 16) : qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Mais la plus grande délectation suit l’union à ce qui convient le plus parfaitement ; et c’est en cela que notre félicité trouve son achèvement qu’il appelle jouissance du côté de son complément plutôt que du côté de son principe puisque la félicité implique en elle une certaine délectation. Et c’est la raison pour laquelle nous disons que la jouissance est un acte de la volonté et, selon l’habitus, de la charité, bien que ce soit selon le rapport des puissances aux habitus qui précèdent.


 

[77] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod appetitus semper sequitur cognitionem. Unde, sicut inferior pars habet sensum et appetitum, qui dividitur in irascibilem et concupiscibilem, ita suprema pars habet intellectum et voluntatem, quorum intellectus est altior secundum originem, et voluntas secundum perfectionem. Et similis ordo est in habitibus, et etiam in actibus, scilicet visionis et amoris. Fruitio autem nominat altissimam operationem quantum ad sui perfectionem.

Solutions.

1. En réponse au premier argument il faut dire que l’appétit suit toujours la connaissance. De là, tout comme la partie inférieure possède le sens et l’appétit sensible, lequel se divise en irascible et concupiscible, ainsi la partie supérieure possède l’intelligence et la volonté, parmi lesquelles l’intelligence est supérieure quant à l’origine alors que la volonté est supérieure quant à la perfection. Et le même ordre se présente dans les habitus et même dans les actes, en l’occurrence pour la vision et pour l’amour. Mais la jouissance se trouve à dénommer l’opération qui est supérieure quant à la perfection.

[78] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 2 Et similiter etiam patet solutio ad secundum : quia visio non habet perfectam rationem felicitatis, nisi secundum quod est operatio perfecta per ea quae sequuntur. Perficit enim delectatio operationem, sicut pulchritudo juventutem, ut dicitur 10 Ethic.

2. Et c’est de la même manière qu’apparaît clairement la solution au deuxième argument: car la vision n’a parfaitement raison de félicité qu’au moyen de ce qui la suit. En effet, c’est la delectation  qui achève et complete la vision, tout comme la beauté achève et complète la jeunesse, ainsi qu’on le dit au dixième livre de l’Éthique.

[79] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Alia duo concedimus.

3 et 4. Nous concédons les deux autres arguments.

[80] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 5 Ad aliud dicendum, quod inferiorum potentiarum non potest esse fruitio proprie dicta : non enim habent operationem circa finem ultimum, quem non apprehendunt, cum sint virtutes materiales ; sed sicut nunc intellectus perficitur accipiendo ab inferioribus potentiis, ita erit in patria e converso, quod perfectio et gaudium superioris partis redundabit in inferiores potentias. Unde Augustinus : sensus vertetur in rationem, inquantum scilicet sua remuneratio et gaudium a ratione emanabit.

5. Par rapport à cet autre argument il faut dire qu’il ne peut y avoir jouissance à propremet parler pour les puissances inférieures : elles ne possèdent pas en effet une opération qui se rapporte à la fin ultime qu’elles n’appréhendent pas  puisqu’elles sont des puissances matérielles ; mais tout comme ici-bas notre intelligence parvient à son achèvement en empruntant aux puissances inférieures, de même dans la patrie céleste à l’inverse la perfection et l’allégresse de la partie supérieure rejaillira sur les puissances inférieures. C’est pourquoi Augustin dit : le sens se changera en raison, c’est-à-dire dans la mesure où sa récompense et sa joie tirera son origine de la raison.

[81] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 6 Ad aliud dicendum, quod humanitas Christi non est ultimus finis : unde in visione ejus non erit proprie fruitio, sed erit quoddam accidentale gaudium, et non substantialis beatitudo.

6. Par rapport à cet argument il faut dire que l’humanité du Christ n’est pas la fin ultime : c’est pourquoi dans la vision de son humanité il n’y aura pas à proprement parler jouissance, mais il y aura une certaine joie accidentelle et non pas la béatitude prise essentiellement.

[82] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 7 Ad aliud dicendum, quod quando aliquis actus est absolute alicujus potentiae, denominatur ab illa, sicut intelligere ab intellectu ; sed quando est actus unius potentiae secundum ordinem ad alteram, a nulla denominatur ; sicut scire est actus rationis secundum ordinem ad intellectum inquantum principia deducit in conclusiones ; similiter frui est actus voluntatis consequens actum intellectus, scilicet apertam Dei visionem.

7. Quant au septième argument il faut dire que quand un acte appartient absolument à une puissance, c’est d’elle qu’il tient sa dénomination, comme c’est le cas pour intelliger par rapport à l’intelligence ; mais quand un acte appartient à a une puissance mais d’après un rapport à une autre, alors il n’est dénommé par aucune ; par exemple, savoir est un acte de la raison quant à son rapport à l’intelligence selon qu’il tire les conclusions des principes ; de la même manière la jouissance est l’acte de la volonté qui suit l’acte de l’intelligence, ce dernier consistant en une claire vision de Dieu.

[83] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 8 Alia duo concedimus.

8 et 9. Nous concédons ces deux autres arguments.

[84] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 10 Ad alia patet solutio per ea quae dicta sunt : quia, quamvis tria concurrant ad fruitionem, tamen in amore perficitur, ut prius, in corp. art., dictum est.

10. La solution à cet autre argument devient claire au moyen de ce qui a été dit : car, bien que ces trois éléments contribuent à la jouissance, c’est cependant par l’amour qu’elle trouve sa perfection ainsi que nous l’avons dit précédemment dans le corps de l’article.

[85] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 1 ad 11 Ad ultimum dicendum, quod aliae virtutes conjungunt Deo per modum meriti et dispositionis, sed sola caritas per modum perfectae unionis.

11. Il faut dire à la fin que les autres vertus nous unissent à Dieu par le mérite et la disposition, mais seule la charité nous unit à Lui à la manière d’une union achevée.

 

 

Articulus 2 [86] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 tit. Utrum uti sit actus rationis

Article 2 – L’usage est-il un acte de la raison ?

[87] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic proceditur. Videtur quod uti sit actus rationis. Ordinare enim unum ad alterum est potentiae conferentis, cujusmodi est ratio. Sed uti dicit ordinem ad finem. Ergo est actus rationis.

Arguments :

1. On procède de la manière suivante quant au second article. Il semble que l’usage soit un acte de la raison. En effet, ordonner quelque chose à quelque chose d’autre appartient à la puissance qui compare, et la raison est une puissance de cette sorte. Or l’usage signifie que quelque chose est ordonné à une fin. Il est donc un acte de la raison.

[88] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, ut dicit philosophus, ordinatio eorum quae sunt ad finem et inventio finis pertinent ad prudentiam. Prudentia autem est habitus rationis. Ergo et uti, quod dicit talem ordinationem, est actus rationis.

2. Par ailleurs, comme le dit le Philosophe, l’ordre des moyens à la fin et la découverte de la fin relèvent de la prudence. Mais la prudence est un habitus de la raison. Donc l’usage, qui implique un tel ordre, est un acte de la raison.

[89] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed videtur quod sit actus voluntatis, quia voluntas ponitur in definitione ejus : uti enim est assumere aliquid in facultatem voluntatis.

Au contraire :

1. Mais il semble que l’usage soit un acte de la volonté car la volonté est placée dans la définition de l’usage : user en effet c’est disposer d’une chose dans la faculté de la volonté.

[90] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, illud ordinatur ad finem quod finem consequitur. Sed frui, dicit consecutionem finis, [uti vero dicit ordinem ad finem, ergo ejusdem est fruit et uti om. Éd. De Parme] sed frui est actus voluntatis, ut dictum est, in articulo antecedente. Ergo et uti.

2. De plus, est ordonné à la fin ce qui obtient la fin. Mais la jouissance signifie l’obtention de la fin (mais l’usage signifie l’ordre des moyens à la fin et il appartient donc à la même faculté de jouir et d’user) et la jouissance est un acte de la volonté ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Donc, l’usage est aussi un acte de la volonté.

[91] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod uti dicitur multipliciter. Aliquando enim nominat quamlibet operationem, secundum quod dicimus usum alicujus rei esse bonum vel malum ; et secundum hoc videtur definiri ab Augustino : uti est assumere aliquid in facultatem voluntatis ; idest, ut operemur de eo quo utimur ad nutum voluntatis. Aliquando dicit frequentiam operationis, secundum quod usus est idem quod consuetudo : et sic definit Victorinus : usus est actus frequenter de potentia elicitus. Sed utroque modorum istorum est actus cujuslibet potentiae. Dicitur etiam aliquando uti eorum quae ad finem ordinantur aliquem ; et sic uti sumitur hic quantum ad primam definitionem quae ponitur. Illud autem quod est ad finem, inducitur ad finem suum tribus operationibus. Prima est operatio rationis praestituentis finem et ordinantis et dirigentis in ipsum. Secunda est operatio voluntatis imperantis. Tertia est operatio virtutis motivae exequentis. Uti autem nominat executionem ejus quod ad finem ordinatum est, non secundum actum proprium alicujus motivarum virium, sed communiter praesupposita ordinatione in finem. Unde est actus voluntatis, quae est universalis motor virium secundum ordinem ad rationem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’usage se dit en plusieurs sens. Parfois en effet ce terme signifie toute opération selon que nous disons que l’usage d’une chose est bon ou mauvais : et c’est en ce sens que ce terme semble être défini par Augustin : user, c’est en disposer au gré de la faculté de la volonté ; c’est-à-dire de telle manière que nous employions la chose dont nous nous servons conformément aux ordres de la volonté. Mais parfois ce terme signifie la fréquence de l’opération, selon que l’usage signifie la même chose que l’habitude : et c’est ainsi que Victorin le définit : l’usage est l’acte qui est fréquemment choisi par la puissance. Mais pour chacune de ces modalités l’usage est l’acte de toute puissance. On dit encore parfois que quelqu’un use des choses qui sont ordonnées à la fin ; et en ce sens l’usage se tire ici du côté de la première définition qui a été posée. Mais ce qui est ordonné à une fin est conduit a sa fin par trois opérations. La première est l’opération de la raison qui détermine la fin, qui ordonne et conduit à la fin. La deuxième est l’opération de la volonté qui commande. La troisième est l’opération de la puissance motrice qui exécute. Mais l’usage signifie l’exécution de ce qui est ordonné à la fin, non pas d’après l’acte qui est propre à une des puissances motrices, mais universellement, une fois posé l’ordre déterminé par la raison. Par conséquent, l’usage est l’acte de la volonté, laquelle est l’agent universel qui met en mouvement toutes les puissances conformément à l’ordre de la raison.

[92] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod uti praesupponit ordinem ; sed ejus substantia magis est in executione voluntatis.

Solutions:

1. Il faut dire par rapport au premier argument que l’usage suppose l’ordre, mais essentiellement il se range dans l’exécution de la volonté.

[93] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod prudentia est perfectio rationis practicae, secundum quod est recta. Rectitudo autem ejus et veritas est, ut dicitur 6 Ethic., secundum convenientiam cum appetitu recto. Unde prudentia non tantum perficit ad actum qui est ipsius rationis, sed etiam ad actum voluntatis, qui regulatus est ratione ; sicut eligere, etsi sit actus voluntatis vel liberi arbitrii, est tamen prudentiae.

2. Quant au deuxième argument, il faut dire que la prudence est la perfection de la raison pratique dans la mesure où la raison est droite. Mais comme on le dit au sixième livre de l’Éthique, la prudence est droite et vraie selon qu’elle s’accorde avec l’appétit qui est droit. C’est pourquoi la prudence n’est pas seulement la perfection de l’acte de la raison en tant que telle, mais aussi de l’acte de la volonté qui est réglé par la raison ; par exemple, bien que choisir soit l’acte de la volonté ou du libre arbitre, il relève cependant de la prudence.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Jouir de Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

[94] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 pr. Circa objecta dictorum actuum, primo quaeritur de fruibilibus ; secundo de utibilibus. Quantum ad primum duo quaeruntur : 1 utrum solo Deo sit fruendum ; 2 utrum una tantum fruitione vel pluribus.

Par rapport aux objets des actes dont nous avons parlé, on s’interroge en premier sur ceux dont on peut jouir ; en deuxième lieu, sur ceux dont on peut user. Quant au premier point, on se demande deux choses : premièrement, ne faut-il jouir que de Dieu seul ; deuxièmement, ne faut-il en jouir que d’un seul ou de plusieurs actes de jouissance.

 

 

Articulus 1 [95] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 tit. Utrum fruendum sit solo Deo.

Article 1 – Faut-il jouir seulement de Dieu ?

[96] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non solo Deo fruendum sit. His enim rebus fruendum est, ut dicitur in littera, quae nos beatos faciunt. Beatitudo autem creata beatos nos facit. Ergo ea fruendum est : non ergo tantum Deo.

Arguments:

1. Dans ce premier article on procede de la manière suivante. Il semble qu’on ne doive pas jouir seulement de Dieu. Comme on le dit dans la Lettre, il faut jouir de ce qui nous rend heureux. Mais la béatitude créée nous rend heureux. Nous devons donc en jouir et donc ne pas jouir seulement de Dieu.

[97] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, ultimus finis hominis est sua felicitas. Felicitas autem ejus est perfectissima operatio. Cum igitur ultimo fine fruendum sit, operatione perfectissima fruendum est : quod etiam videtur per philosophum qui dicit, quod felicitas non quaeritur propter aliquid aliud : et per Boetium, qui dicit, quod beatitudo est status omnium bonorum aggregatione perfectus.

2. Par ailleurs, la fin ultime de l’homme est sa félicité. Mais sa félicité est son opération la plus parfaite. Donc, puisqu’il faut jouir de la fin ultime, il faut jouir de l’opération la plus parfaite : ce que semble dire aussi le Philosophe qui dit que la félicité n’est pas recherchée en vue de quelque chose d’autre ; et Boèce parle dans le même sens lorsqu’il dit : la béatitude est l’état parfait par la réunion de tous les biens.

[98] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, Tullius dicit : honestum est quod sua vi nos trahit, et sua dignitate nos allicit. Sed quod per se allicit, propter se amatur. Ergo omni honesto fruendum est, et ita omnibus virtutibus. Ergo non tantum Deo.

3. En outre, Cicéron dit : l’honnête est ce qui nous tire par sa force et nous attire par sa dignité. Mais ce qui attire par soi-même est aimé pour soi-même. Il faut donc jouir de tout ce qui est honnête et par conséquent de toutes les vertus. Il ne faut donc pas jouir seulement de Dieu.

[99] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, apostolus ad Philemonem 20, dicit : itaque, frater, ego te fruar in domino. Ergo etiam homine justo frui possumus, et per consequens quolibet homine, qui est ad imaginem Dei, et qualibet creatura, in qua est vestigium Dei.

4. De plus, l’Apôtre, dans sa Lettre à Philémon (20) dit : c’est pourquoi, mon frère, je jouis de toi dans le Seigneur. Nous pouvons donc jouir aussi de l’homme juste et par conséquent de tout homme qui est à l’image de Dieu et de toute créature dans laquelle est présent un vestige de Dieu.

[100] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, ratio dilectionis est bonitas. Sed omnis bonitas refertur ad bonitatem Dei a qua fluit et cujus similitudinem gerit. Ergo nihil est diligendum nisi in ordine ad Deum. Ergo solo Deo fruendum est.

Cependant :

1. La cause de l’amour est le bien. Mais tout bien se rapporte et dépend de ce Bien qui est Dieu et duquel il découle et dont il porte la ressemblance. Donc, tout ne doit être aimé qu’en étant rapporté à Dieu. Il ne faut donc jouir que de Dieu seul.

[101] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Proverb. 16, 4, dicitur : universa propter semetipsum operatus est Deus. Ergo ipse est finis omnium. Omnia ergo propter ipsum diligenda sunt : et sic idem quod prius.

2. On dit dans le Proverbe (16. 4) : C’est pour lui-même que Dieu a tout créé. C’est donc Lui-même qui est la fin de tout. C’est donc pour Lui-même que tout doit être aimé et par conséquent on doit conclure la même chose que précédemment.

[102] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod frui aliquo dicitur tripliciter. Aut sicut objecto ; et hoc modo solo Deo fruendum est : quia ad bonitatem ipsius Dei ordinatur tota bonitas universi ; sicut bonum totius exercitus ad bonum ducis, ut dicitur 12 Metaph. Alio modo sicut habitu eliciente actum fruitionis ; et hoc modo beatitudine creata et caritate fruendum est. Tertio modo fruimur aliquo sicut instrumento fruitionis ; et hoc modo fruimur potentia, cujus fruitio est actus.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que jouir de quelque chose de dit de trois manières. Ou bien jouir se dit de l’objet de la jouissance et en ce sens on ne doit jouir que de Dieu : car c’est à ce Bien suprême qu’est ordonné tout bien présent dans l’univers, tout comme le bien de toute l’armée est ordonné au bien du chef, ainsi que le dit le Philosophe au douzième livre de la Métaphysique. En un autre sens jouir se dit comme de l’habitus qui provoque l’acte de la jouissance et en ce sens il faut jouir de la béatitude créée et de la charité. En un troisième sens nous jouissons de quelque chose comme d’un instrument de la jouissance et en ce sens nous jouissons de la puissance dont l’acte est la jouissance.

[103] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquid facit beatum dupliciter : vel effective, sicut Deus ; et hoc solo fruendum est velut objecto : vel formaliter, sicut albedo facit album ; et hoc fruendum est formaliter loquendo, et sic beatitudo beatum facit.

Solutions :

1. Il faut dire à l’égard du premier argument que quelque chose nous rend heureux de deux manières : soit à titre de cause efficiente, comme Dieu et on ne doit jouir que de cela comme objet ; soit à titre de cause formelle, comme la blancheur rend blanc et on doit jouir de cela formellement parlant et en ce sens la béatitude rend heureux.

[104] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectum operationis terminat et perficit ipsam, et est finis ejus. Unde impossibile est operationem habere rationem finis ultimi. Sed, quia objectum non consequimur nisi per operationem, ideo est idem appetitus operationis et objecti. Unde, si aliquo modo ipsa fruitione fruimur, hoc erit inquantum fruitio nos Deo conjungit : et eadem fruitione fruemur fine et operatione, cujus objectum est finis ultimus ; sicut eadem operatione intelligo intelligibile et intelligo me intelligere.

2. Il faut dire à l’égard du deuxième argument que c’est l’objet de l’opération qui est son terme, sa perfection et sa finalité. C’est pourquoi il est impossible que l’opération ait d’elle-même raison de fin ultime. Mais parce que nous ne parvenons à l’objet qu’au moyen de l’opération, c’est pourquoi le désir de l’opération et celui de l’objet sont identiques. C’est pourquoi, si en un sens nous jouissons de la jouissance elle-même, cela sera dans la mesure où la jouissance nous unit à Dieu : et ce sera par la même jouissance que nous jouirons à la fois de la fin et de l’opération dont l’objet est la fin ultime ; par exemple c’est par la même opération que j’intellige l’intelligible et que j’intellige que j’intellige.

[105] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod propter se dicitur dupliciter. Uno modo secundum quod opponitur ad propter aliud ; et hoc modo virtutes et honestum non propter se diliguntur, cum etiam ad aliud referantur. Alio modo dicitur propter se, secundum quod opponitur ad per accidens ; et sic dicitur propter se diligi quod habet in natura sua aliquid movens ad diligendum : et hoc modo virtutes propter se diliguntur, quia habent in se aliquid unde quaerantur, etsi nihil aliud ab eis contingeret : non tamen est inconveniens ut aliquid propter se ametur et tamen ad alterum ordinetur, sicut dicitur in 1 Ethic. Est autem aliquid quod desideratur, non propter aliquid quod in se habet, sed tantum secundum quod ordinatur ad alterum, ut effectivum illius ; sicut potio amara amatur, non propter aliquid quod in ipsa est, sed quia sanitatem efficit : et hujusmodi nullo modo propter se diliguntur ; sive propter se dicat causam formalem, sicut virtus dicitur propter se diligi ; sive finalem, sicut Deus.

Quant au troisième argument, il faut dire que ¨pour soi¨ se dit de deux manières. En un sens selon qu’il s’oppose à ¨pour autre chose¨ et en ce sens les vertus et l’honnête ne sont pas aimés pour eux-mêmes puisqu’ils se rapportent aussi à autre chose. En un autre sens ¨pour soi¨ se dit d’après son opposition à ¨par accident¨ ; et en ce sens on dit qu’est aimé pour soi-même ce qui possède dans sa nature même quelque chose qui pousse à devoir l’aimer et en ce sens les vertus sont aimées pour elles-mêmes parce qu’elles possèdent en elles-mêmes quelque chose qui fait qu’on les recherche, même si rien d’autre ne provenait d’elles : il n’y a pas de problème cependant à ce qu’une chose soit aimée pour elle-même et à ce qu’elle soit aussi ordonnée à quelque chose d’autre, ainsi qu’on le dit dans le premier livre de l’Éthique. Il y a cependant des choses qui sont désirées non pas à cause de quelque chose qu’elles ont en elles mais seulement selon qu’elles sont ordonnées à quelque chose d’autre parce qu’elles le produisent : c’est ainsi par exemple qu’on aime la potion amère non pas à cause de quelque chose qui est en elle, mais parce qu’elle produit la santé ; et les choses de cette sorte ne sont en aucune manière aimées pour elles-mêmes, que le ¨pour soi¨ se rapporte à la cause formelle, comme on dit que la vertu est aimée pour elle-même ou qu’il se rappporte à la cause finale, comme on dit de Dieu qu’il est aimé pour lui-même.

[106] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod homine justo non est simpliciter fruendum, sed in Deo ; ita quod objectum fruitionis sit Deus ; et repraesentans ipsum gratiae objectum per similitudinem, in qua inhabitat Deus, sit homo sanctus. Nec tamen sequitur quod homine peccatore sit fruendum in Deo, quia non est in eo gratia, quae facit Deum inhabitare, et quae est exemplar expressum illius summae bonitatis, qua fruendum est : et multo minus hoc sequitur de creatura irrationali : non enim sufficit ad hoc similitudo imaginis et vestigii, sed similitudo gratiae.

4. Pour ce qui est du quatrième argument il faut dire qu’il ne faut pas jouir de l’homme juste à parler absolument, mais seulement par rapport à Dieu, de telle manière que l’objet de la jouissance soit Dieu et que celui qui rend présent par ressemblance l’objet même de la grâce dans laquelle Dieu habite soit un homme saint. Il ne s’ensuit pas cependant qu’il fait jouir en Dieu d’un homme pécheur car il n’y a pas en lui la grâce qui ferait que Dieu habite en lui et qui est l’expression de cette suprême bonté dont il faut jouir ; et on peut encore moins le dire d’une créature irrationnelle car il ne suffit pas pour cela de la ressemblance d’une image ou d’un vestige, mais seulement de la ressemblance de la grâce.

 

 

Articulus 2 : [107] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 tit. Utrum fruamur Deo una fruitione

Article 2 – Est-ce que jouir de Dieu est une fruition unique ?

[108] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic proceditur. Videtur quod non una fruitione Deo fruamur. Actus enim distinguuntur secundum objecta. Sed objecta fruitionis sunt tres res distinctae proprietatibus personalibus, scilicet pater, filius, et spiritus sanctus. Ergo fruitiones sunt tres.

Difficultés :

1. À l’égard de ce deuxième article on procède de la manière suivante. Il semble que nous ne jouissons pas de Dieu par un seul acte de jouissance. Les  actes en effet se distinguent d’après leurs objets. Mais les objets de la jouissance sont trois réalités qui se distinguent par des propriétés personnelles, à savoir le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Il y a donc trois jouissances.

[109] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, operatio animae sistens in communi non est perfecta, nisi etiam descendat ad propria, sicut cognitio generis perficitur per cognitionem differentiae ; et multo plus desiderium et amor perficitur in particulari. Sed fruitio est operatio perfecta. Ergo non tantum fruemur essentia communi tribus personis, sed singulis personis et proprietatibus ipsarum ; et ita videtur quod non sit una tantum fruitio.

2. De plus, l’opération de l’âme qui pose l’universel n’est parfaite que si elle descend aussi à ce qui est propre, tout comme la connaissance du genre n’est parfaite qu’au moyen de la connaissance de la différence ; et l’amour et le désir trouvent encore davantage leur achèvement dans le singulier. Mais la jouissance est une opération parfaite. Nous ne jouissons donc pas seulement de l’essence qui est commune aux trois Personnes mais aussi de chacune des Personnes ainsi que de ses propriétés. Et ainsi il semble qu’il n’y ait pas qu’une seule jouissance.

[110] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, quidquid habet filius solet referre ad patrem a quo habet, sicut Joan. 7, 16, dicitur : mea doctrina non est mea, sed ejus qui misit me. Sed bonitatem accepit filius a patre nascendo, sicut essentiam. Ergo et fruitionem bonitatis filii debemus referre in fruitionem patris. Ergo non est aequaliter fruendum tribus personis : multo minus ergo nec eadem fruitione.

3. En outre, le Fils a coutume de rapporter tout ce qu’il possède à son Père de qui il le tient, ainsi qu’on le voit dans Jean (7, 16) : Ce que j’enseigne ne vient pas de moi mais de Celui qui m’a envoyé. Mais le Fils a reçu du Père la Bonté comme essence en naissant. Nous devons donc rapporter la jouissance de la bonté du Fils à la jouissance du Père. Il ne faut donc pas jouir également des trois Personnes : et donc nous devons encore moins en jouir d’une seule et même jouissance.

[111] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut Deus Trinitas est unum principium omnium, ita est unus finis omnium. Sed eadem operatio communis est totius Trinitatis, inquantum est unum principium. Ergo eadem est fruitio trium, inquantum est unus finis.

Cependant :

1. Tout comme le Dieu trinitaire est le seul principe de tout ce qui existe, de même il est la seule fin de tout ce qui existe. Mais l’opération commune de toute la Trinité est la même selon qu’Elle est le seul principe de tout. Donc, selon qu’Elle est la seule fin de tout, il n’y a qu’une seule et même jouissance pour les trois Personnes.

[112] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, operatio felicitatis est ad nobilissimum objectum, ut dicit philosophus. Nobilissimum autem est unum tantum, quia quod per superabundantiam dicitur, uni soli convenit. Ergo, cum fruitio sit operatio ultimae felicitatis, refertur ad unum tantum objectum ; ergo fruimur tribus personis, inquantum sunt unum : ergo inquantum est unum objectum.

2. Par ailleurs, l’opération de la félicité se rapporte à l’objet le plus noble ainsi que le dit le Philosophe. Mais l’objet le plus noble est unique car ce qui se dit de la manière la plus excellente ne convient qu’à un seul. Donc, puisque la jouissance est l’opération de la félicité ultime, elle ne se rapporte qu’à un seul objet ; nous jouissons donc des trois Personnes selon leur unité et donc dans la mesure où elles constituent un seul objet.

[113] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod una fruitione fruimur tribus personis : et hujus ratio est duplex. Una ex parte essentiae. Objectum enim fruitionis est summa bonitas ; unde fruitio respicit unamquamque personam, inquantum est summum bonum ; unde cum eadem numero sit bonitas trium, eadem erit et fruitio. Alia ratio sumitur ex parte proprietatum. Sicut enim dicit philosophus qui novit unum relativorum, cognoscit et reliquum ; et sic cum tota fruitio originetur ex visione, ut prius dictum est, qui fruitur uno relativorum inquantum hujusmodi, fruitur et reliquo. Personae autem tres distinguuntur tantum secundum relationes ; et ideo in fruitione unius includitur fruitio alterius ; et ita est fruitio eadem trium. Sed prima ratio melior est, quae tangit rationem objecti, a qua actus habet unitatem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que c’est par une seule et même jouissance que nous jouissons des trois Personnes : et il y a deux raisons pour cela. La première se tient du côté de l’essence. En effet, l’objet de la jouissance est le bien suprême ; c’est pourquoi la jouissance se rapporte à chacune des Personnes selon qu’elle est le bien suprême : de là, puisque la bonté des trois Personnes est la même par le nombre, la jouissance qui y correspond sera aussi la même. L’autre rasion se tire du côté des propriétés. En effet, comme le dit le Philosophe, qui connaît un des relatifs connaît aussi les autres ; et ainsi, puisque la jouissance dans sa totalité tire son origine de la vision ainsi que nous l’avons dit précédemment, celui qui jouit d’un des relatifs en tant que relatif jouit aussi des autres. Mais les trois Personnes ne se distinguent que par les relations et c’est pourquoi la jouissance de l’une comprend aussi la jouissance de l’autre ; et c’est ainsi qu’il n’y a qu’une seule et même jouissance pour les trois Personnes. Mais la premiere raison est préférable parce qu’elle traite de l’objet duquel l’acte tient son unité.

[114] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum : quia tres personae non distinguuntur secundum id quod sunt objectum fruitionis, immo uniuntur in eo, scilicet in summa bonitate.

Solutions:

1. Et au moyen de cette réponse la solution à la première difficulté deviant évidente: car les trois Personnes ne se distinguent pas selon cela même qu’elles sont l’objet de la jouissance mais au contraire elles sont unies en cela, à savoir en tant que bien suprême.

[115] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod proprietate uniuscujusque personae fruimur, ut paternitate ; tamen paternitas non dicit rationem fruitionis : unde fruemur paternitate, inquantum paternitas est idem re quod summa bonitas, differens tamen ratione.

2. Il faut dire à l’égard de la deuxième difficulté que nous jouissons de ce qui est propre à chacune des Personnes, par exemple de la paternité ; cependant la paternité elle-même n’a pas raison de jouissance et c’est pourquoi nous jouissons de la paternité selon qu’elle est identique par la chose au bien suprême ; elle en diffère cependant par la raison.

[116] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa reductio non ponit gradum bonitatis in patre et filio, sed tantum ordinem naturae ; et ideo non tollitur aequalitas et unitas fruitionis.

3. Pour ce qui est de la troisième difficulté, il faut dire que tout ramener au Père ne pose pas un degré différent de bonté dans le Père et le Fils mais seulement un ordre de nature ; et c’est pourquoi cet argument n’empêche pas l’égalité et l’unité de la jouissance.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [L’usage des créatures]

 

 

Articulus 1 [117] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 tit. Utrum utendum sit omnibus aliis a Deo.

Article 1 – Faut-il utiliser tout ce qui est autre que Dieu ?

[118] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur de utibilibus, utrum omnibus aliis praeter Deum sit utendum. Et videtur quod non. Uti enim est assumere aliquid in facultatem voluntatis. Illud autem tantum est hoc modo assumptum quod nostrae operationi subjacet. Non autem omnia creata sunt talia, sicut caelum et Angeli, quae non sunt operabilia a nobis. Ergo non possumus omnibus uti.

Difficultés :

1. On s’interroge ensuite sur ce qui est objet d’usage, à savoir s’il faut user de tous les autres êtres qui ne sont pas Dieu. Et il semble qu’on doive répondre par la négative. User en effet, c’est disposer d’une chose au gré de la volonté. Mais seul se prend de cette manière ce qui est soumis à notre opération. Mais ce ne sont pas toutes les créatures, par exemple le Ciel et les Anges, qui sont de cette sorte, puisqu’ils ne sont pas soumis à nos opérations. Nous ne pouvons donc pas user de tous les autres êtres qui ne sont pas Dieu.

[119] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, illo utimur quo tendentes ad beatitudinem juvamur. Sed creaturis impedimur frequenter, sicut dicitur Sap. 14, 2 : creaturae factae sunt in odium et in tentationem animabus hominum, et in muscipulam pedibus insipientium. Ergo non omnibus possumus uti.

2. En outre, nous usons de ce qui nous aide à tendre à la béatitude. Mais les créatures nous empêchent fréquemment d’y tendre ainsi qu’on le dit dans le livre de la Sagesse (14, 11) : les créatures sont devenues des objets de haine et de tentation pour les âmes des hommes et des pièges pour les pieds des insensés. Nous ne pouvons donc pas user de tous les êtres qui ne sont pas Dieu.

[120] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, si omnibus praeter Deum tenemur uti, ergo quandocumque non referimus aliquid in Deum, peccamus ; sed quandocumque referimus aliquid in Deum, meremur. Ergo omnis actus est meritorius, et sic nullus actus erit indifferens.

3. De plus, si nous étions tenus d’user de tout ce qui n’est pas Dieu, nous pécherions à chaque fois que nous ne rapporterions pas quelque chose à Dieu ; mais à chaque fois que nous rapportons quelque chose à Dieu, nous faisons du bien. Donc, tout acte est méritoire et ainsi aucun acte ne sera indifférent.

[121] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, sequitur quod nullum peccatum sit veniale ; quia, si refertur in ultimum finem, non est aliquod peccatum ; si autem constituatur aliquis finis alius ultimus, non relatus ad finem ultimum, est peccatum mortale. Cum igitur omnis actus rationis sit ad aliquem finem, oportet quod ille finis vel sit finis ultimus, et sic non est peccatum ; vel sit alius finis non relatus ad finem ultimum, et sic erit peccatum mortale. Ergo nihil est peccatum veniale.

4. Par ailleurs, il s’ensuit qu’aucune faute ne sera vénielle ; car si on le rapporte à la fin ultime, un acte ne sera pas un péché ; mais si une autre fin est constituée comme la fin ultime et n’est pas ordonnée à la fin ultime, alors l’acte est un péché mortel. Donc, puisque tout acte de la raison est ordonné à une fin, il faut que cette fin soit ou bien la fin ultime et ainsi cet acte ne sera pas un péché ; ou bien qu’elle soit une autre fin qui n’est pas rapportée à la fin ultime, et il y aura alors péché mortel. Donc, rien n’est un péché véniel.

[122] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, 1 Corinth. 10, 31 : sive manducatis, sive bibitis (...) omnia in gloriam Dei facite. Ergo videtur quod omnibus sit utendum.

Cependant :

1. On lit dans la premère Épître aux Corinthiens (10, 31) : Que vous mangiez ou que vous buviez (…), faites tout pour la gloire de Dieu. Il semble donc que nous devions user de tout.

[123] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 s. c. 2 Item, sicut Deus est perfectae potentiae, ita est perfectae bonitatis. Sed ad perfectionem potentiae ejus pertinet quod nihil habeat esse nisi productum ab ipso. Ergo et ad perfectionem divinae bonitatis pertinet quod ametur nihil, nisi quod est in ordine ad ipsum.

2. De plus, tout comme la puissance de Dieu est parfaite, de même sa bonté est parfaite. Mais il appartient à la perfection de sa puissance que tout ce qui existe soit produit par Lui. Il appartient donc à la perfection de la bonté divine que tout soit aimé par rapport à Lui.

[124] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quaecumque sunt bona, non habent bonitatem nisi inquantum accedunt ad similitudinem bonitatis divinae. Unde oportet, cum bonitas sit ratio dilectionis et desiderii, ut omnia amentur in ordine ad bonitatem primam. Omne autem quod bonum est, a Deo est : unde quae ab ipso non sunt, nec quaerenda sunt, nec eis utendum est : et ideo nullo peccato utendum est, quia peccatum non est a Deo. Poena autem a Deo est ; et ideo poena utendum est, et ordinanda ad finem, secundum quod promovet meritum hominis, ducens eum in considerationem suae infirmitatis, et secundum quod purgat peccata. Similiter etiam res mundi ab ipso sunt, et eis utendum est, vel inquantum conferunt ad Dei cognitionem, ostendentes ipsius magnitudinem, vel secundum quod praebent subsidium vitae nostrae ordinatae in Deum. Similiter opera nostra quae mala non sunt, ab ipso sunt, et propter ipsum facienda : non quod quamlibet operationem oporteat semper actualiter referre in Deum ; sed sufficit ut habitualiter in Deo constituant finem suae voluntatis.

Corps de l’article :

Je réponds en disant que tout ce qui est bon ne possède de bonté que dans la mesure où il arrive à ressembler à la bonté divine. C’est pourquoi il faut, puisque le bien est la cause de l’amour et du désir, que toute chose soit aimée dans son rappport au bien premier. Mais tout ce qui est bon vient de Dieu ; de là, tout ce qui ne vient pas de Lui ne doit pas être recherché et on ne doit pas en user : et c’est pourquoi on ne doit user d’aucun péché parce que le péché ne vient pas de Dieu. Mais le châtiment vient de Dieu ; et c’est pourquoi il faut user du châtiment qui doit être ordonné à la fin selon qu’il fait la promotion du mérite de l’homme en l’amenant à considérer son infirmité et à le purger de ses fautes. De la même manière encore les choses du monde viennent de Lui et il faut en user, soit dans la mesure où elles contribuent à connaître Dieu en manifestant sa grandeur, soit dans la mesure où elles offrent une aide à notre vie ordonnée à Dieu. De même encore nos œuvres qui ne sont pas mauvaises viennent de Lui et doivent être faites en vue de Lui : ce n’est pas qu’il faille toujours ordonner à Dieu n’importe quelle opération de façon actuelle, mais il suffit d’établir en Dieu de manière habituelle la fin de sa volonté.

[125] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illis creaturis non utimur tamquam a nobis operatis, sed sicut in Dei cognitionem ducentibus.

Solutions:

1. Pour ce qui est de la première difficulté, il faut dire que nous n’usons pas de ces creatures comme étant faites par nous, mais comme conduisant à la connaissance de Dieu.

 

[126] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creaturae, quantum est in se, non impediunt nos a consequenda beatitudine ; sed ex parte nostra, inquantum eis abutimur, in eis sistendo, sicut in fine.

2. Quant à la deuxième difficulté il faut dire que ce ne sont pas les créatures, prises en elles-mêmes qui nous empêchent d’atteindre le bonheur; mais c’est nous qui, par nos abus, y faisons obstacle en cherchant à nous y établir comme dans notre finalité ultime.

[127] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, secundum theologum, nullus actus procedens a voluntate deliberante est indifferens ; quia, si refertur in Deum, supposita gratia, meritorius est ; si autem non est referibilis, peccatum est ; si vero est referibilis et non referatur, vanus est : otiosum autem inter peccata apud theologum computatur.

3. Il faut dire en troisième lieu que d’après le théologien aucun acte procèdant de la volonté délibérante n’est indifferent; car si on le rapporte à Dieu en supposant la grâce, il est méritoire; si cependant il ne peut être rapport à Dieu, il est un péché; mais s’il peut être rapporté à Dieu et qu’on ne le rapporte pas, il est inutile: cependant, le théologien classe l’oisiveté parmi les péchés. 

[128] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, quamvis ille qui peccat venialiter non referat actu in Deum suam operationem, nihilominus tamen Deum habitualiter pro fine habet : unde non ponit creaturam finem ultimum, cum diligat eam citra Deum ; sed ex hoc peccat, quia excedit in dilectione ; sicut ille qui nimis immoratur viae, non tamen exit a via.

4. Pour ce qui est de la quatrième difficulté il faut dire que bien que celui qui fait un péché véniel ne rapporte pas son opération à Dieu de manière actuelle, il prend néanmoins  Dieu comme fin d’une manière habituelle : par conséquent, il ne pose pas la créature comme sa fin ultime lorsqu’il l’aime avant d’aimer Dieu ; mais son péché consiste à aimer la créature de façon excessive comme celui qui, s’attardant sur la route, n’en sort cependant pas.

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [Ceux qui jouissent et utilisent]

 

 

Prooemium

Prologue

[129] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 pr. Deinde quaeritur de fruentibus et utentibus. Et 1 de fruentibus ; 2 de utentibus.

Ensuite on s’interroge sur ceux qui jouissent et ceux qui utilisent.

 

 

Articulus 1 [130] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 tit. Utrum frui conveniat omnibus rebus.

Article 1 – La jouissance appartient-elle à toutes les choses ?

[131] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Fruitio dicit desiderium quietatum in fine. Sed omnis creatura, etiam insensibilis, desiderat naturaliter suum finem. Ergo, cum contingat ipsam consequi suum finem et quiescere in eo, videtur quod fruitio sit creaturae insensibilis.

Difficultés :

1. On procède ainsi à l’égard de ce premier article. Qui dit jouissance signifie un désir qui se repose dans la fin possédée. Mais toute créature, même celle qui est insensible, désire naturellement sa fin. Donc, puisqu’il arrive que celle-ci atteigne sa fin et s’y repose, il semble que la jouissance appartienne même à la créature insensible.

[132] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, fruitio est ejus quod per se quaeritur, non relatum ad alterum. Sed bruta quaerunt aliqua in quibus delectantur et non referunt ad aliud, quia carent ratione ordinante. Ergo brutorum est fruitio.

2. De plus, la jouissance porte sur ce qui est recherché pour soi et non pour autre chose. Mais les bêtes recherchent les choses dans lesquelles elles se délectent sans les rapporter à quelque chose d’autre car elles sont privées de la raison qui ordonne. La jouissance appartient donc aux bêtes.

[133] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, naturali dilectione contingit aliquem diligere Deum super omnia, cum naturaliter cognoscatur esse summum bonum, et ita propter se amandum. Sed fruimur eo quod propter se amamus. Ergo contingit hominem existentem in naturalibus tantum, frui Deo.

3. En outre, il arrive d’aimer Dieu de préférence à toute chose d’un amour naturel lorsqu’on connaît naturellement qu’Il est le bien suprême et qu’il doive ainsi être aimé pour lui-même. Mais nous jouissons de ce que nous aimons pour soi-même. Il est donc possible à l’homme qui n’existe que dans le cadre des choses naturelles de jouir de Dieu.

[134] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, contingit quod aliquis existens in peccato mortali, alicujus suae actionis Deum finem ultimum constituat, non referens ad aliud. Hoc autem est frui. Ergo peccator etiam potest frui Deo.

4. Par ailleurs, il est possible à celui qui existe dans l’état de péché mortel d’établir Dieu comme la fin ultime d’une de ses actions sans la rapporter à quelque chose d’autre. Mais c’est cela même qui est la jouissance. Donc même le pécheur peut jouir de Dieu.

[135] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 5 Sed e contrario videtur quod nec etiam justus fruatur in via. Frui enim est quiescere voluntatem delectatam in cognitis propter se. Sed quamdiu aliquis est in via, non quiescit. Ergo quamdiu est in via, aliquis Deo non fruitur.

5. Mais au contraire il semble que même le juste ne peut jouir de Dieu ici-bas. La jouissance en effet est le repos de la volonté qui se délecte dans ce qui est connu pour soi. Mais aussi longtemps que l’homme vit ici-bas, sa volonté ne peut trouver de repos. Donc, aussi longtemps que l’homme vit ici-bas, il ne peut jouir de Dieu.

[136] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 6 Praeterea, videtur quod nec etiam beati fruantur. Sicut enim habetur in littera, omne quod fruitur aliquo eget illo. Sed quidquid eget aliquo caret illo. Cum igitur beati non careant Deo, videtur quod non fruantur illo.

6. Bien plus, il semble que même les bienheureux ne jouissent pas de Dieu. Ainsi qu’il est établi dans le document, tout ce qui jouit d’une chose en a besoin. Mais tout ce qui a besoin d’une chose en est privé. Donc, puisque les bienheureux ne sont pas privés de Dieu, il semble qu’ils n’en jouissent pas.

[137] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 arg. 7. Ex quo etiam concluditur quod nec seipso Deus fruatur, cum non seipso indigeat.

7. On conclut aussi de là que Dieu lui-même ne jouit pas puisqu’il n’a pas besoin de Lui-même.

[138] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, qu. 1, art. 1, fruitio ponit quamdam delectationem in fine. Delectatio autem non potest esse nisi in cognoscente : propter quod Plato dixit, quod delectatio est generatio sensibilis in naturam ; id est, quae sentitur naturae conveniens ; et ideo cum creaturae insensibiles non cognoscant, non delectantur nec fruuntur. Item, fruitio proprie loquendo, est tantum ultimi finis. Bruta autem ultimum finem non apprehendunt, nec finem proximum possunt ordinare ad finem ultimum, cum careant ratione, cujus est ordinare. Unde non proprie fruuntur. Similiter peccator ponit finem ultimum in quo non est ; unde, cum verum finem non habeat, non vere fruitur. Ulterius autem fruitio dicit delectationem in fine ; unde perfecta fruitio non est, nisi sit perfecta delectatio, quae esse non potest ante consecutionem finis : et ideo justus homo non perfecte fruitur ; sed beati, qui consecuti sunt finem, vere et perfecte et proprie fruuntur.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que, tout comme nous l’avons dit plus haut (qu. 1, a. 1), qui dit jouissance pose une certaine délectation dans la fin. Il ne peut cependant y avoir délectation que dans celui qui connaît : et c’est pour cette raison que Platon a dit que la délectation est une génération sensible dans la nature, c’est-à-dire qui est perçue comme convenant à la nature ; et c’est pourquoi, puisque les créatures insensibles sont privées de connaissance, elles ne peuvent ni se délecter ni jouir. En outre, la jouissance à proprement parler ne se rapporte qu’à la fin ultime. Mais les bêtes ne peuvent appréhender la fin ultime et elles ne peuvent ordonner une fin prochaine à la fin ultime puisqu’elles sont privées de la raison à laquelle il appartient d’ordonner. Par conséquent les bêtes ne jouissent pas à proprement parler. De même le pécheur établit la fin ultime dans ce qui ne l’est pas ; c’est pourquoi, puisqu’il ne possède pas la véritable fin, il ne connaît pas la véritable jouissance. Enfin cependant la jouissance implique une délectation dans la fin possédée ; par conséquent, la jouissance parfaite n’est qu’une délectation parfaite qui ne peut exister avant d’avoir atteint la fin ; et c’est pourquoi l’homme juste ne jouit pas parfaitement ; mais les bienheureux, lesquels ont atteint la fin, jouissent au sens propre, c’est-à-dire d’une jouissance véritable et parfaite.

[139] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, quamvis omne desiderium consequatur cognitionem, desiderium tamen creaturae insensibilis non sequitur cognitionem in ipsa existentem, sed cognitionem motoris primi (quicumque sit ille) ordinantis unumquodque in suum finem : et ideo sine cognitione nec delectationem nec fruitionem habent.

Solutions:

1. Il faut donc dire par rapport à la première difficulté que bien que tout desir suive une connaissance, cependant le désir de la creature insensible ne suit pas une connaissance qui est présente en elle-même, mais il suit la connaissance du premier moteur (quel que soit ce moteur) qui ordonne toute chose à sa fin: et c’est pour cette raison que ces créatures, sans une connaissance présente en elles, n’éprouvent ni delectation ni jouissance.

[140] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod pecora, quamvis delectentur in fine, ille tamen finis non est ultimus ; immo est relatus ad aliud, non ab ipsis, sed a primo ordinante omnia in seipsum : et ideo, cum non delectentur in ultimo fine simpliciter, sed in ultimo apprehenso ab eis, aliquo modo dicuntur frui, sed improprie.

2. Il faut dire en second lieu que les bêtes, même si elles se délectent dans une fin, cette fin n’est cependant pas la fin ultime; bien plus, cette fin est ramenée à une autre fin, non pas par elles-mêmes, mais par le premier moteur qui ordonne tout à Lui-même: et c’est pourquoi, puisque les bêtes ne se délectent pas dans la fin ultime prise absolument mais dans ce qui est appréhendé ultimement par elles, on peut dire d’elles qu’elles jouissent en un certain sens mais non au sens propre du terme.

[141] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod delectatio sequitur operationem perfectam. Perfecta autem est operatio quae procedit ab habitu. Habitus autem acquisiti vel naturales non perficiunt ad ultimam beatitudinem patriae, ut supra habitum est, sufficienter, et proxime : [quia, ut dicit Augustinus in Lib. de poenitentia, immo X De Trin.,cap. V elicitive, "quodam familiari contactu ad experiendam ejus suavitatem adjacet amanti amata creatura. "Sed voluptas creatoris longe alterius generis est" Éd. De Parme] et ideo sine habitu gratuito non est delectatio talis quae ad fruitionem sufficiat. Vel dicendum, quod delectatio naturalis non ponit aliquam operationem in actu, sed tantum quamdam naturalem inclinationem, quae in actum reducitur per habitum caritatis.

3. Il faut dire en troisième lieu que la délectation suit l’opération parfaite. Mais l’opération parfaite est celle qui procède de l’habitus. Mais les habitus, aussi bien ceux qui sont acquis que ceux qui sont naturels, ne réalisent pas parfaitement et de façon prochaine la béatitude ultime de la patrie, ainsi que nous l’avons établi plus haut : [car, comme le dit avec insistance Augustin dans le Livre sur la Pénitence, ou plutôt dans le dixième livre Sur la Trinité (ch. V) : La créature aimée habite auprès de l’amant pour expérimenter sa suavité par un contact familier. ¨Mais de loin la volupté du créateur est d’un autre genre¨ Éd. De Parme] ; et c’est pourquoi, sans l’habitus qui est gratuit, la délectation n’est pas telle qu’elle suffise à la jouissance. Ou bien encore il faut dire que la délectation naturelle ne pose pas une opération en acte mais seulement une inclination naturelle qui est conduite à l’acte au moyen de l’habitus de la charité.

[142] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod existens in mortali peccato, diligit aliquid habitualiter supra Deum, etsi non in actu semper ; et ideo non fruitur ipso, sed illo ad quod omnia ordinat.

4. Il faut dire en quatrième lieu que celui qui existe en l’état de péché mortel préfère quelque chose à Dieu de manière habituelle, bien que ce ne soit pas toujours en acte ; et c’est pourquoi il ne jouit pas de Lui, mais de ce à quoi il ordonne tout le reste.

[143] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod est duplex quies, scilicet quies desiderii, et quies motus. Quies desiderii est quando desiderium sistit in aliquo propter quod omnia facit et quaerit, et non desiderat aliquid ulterius ; et hoc modo voluntas justi quiescit in via in Deo. Quies autem motus est quando pervenitur ad terminum quaesitum ; et ista quies voluntatis erit in patria. Haec autem quies facit perfectam fruitionem, sed prima imperfectam.

5. Il faut dire en cinquième lieu qu’il y a deux sortes de repos, à savoir le repos du désir et le repos du mouvement. Le repos du désir a lieu quand le désir s’arrête dans un objet pour lequel il fait tout et mène sa recherche, et au-delà duquel il ne désire rien d’autre ; et en ce sens la volonté du juste se repose ici-bas en Dieu. Mais le repos du mouvement a lieu quand on parvient au terme qu’on recherchait ; et ce repos de la volonté se produira dans la patrie. Mais c’est ce repos qui produit la jouissance parfaite, alors que le premier ne produit qu’une jouissance imparfaite.

[144] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod aliquid eget altero dupliciter. Aut sicut eo a quo dependet secundum esse ; et hoc modo omnia egent Deo ; quia, secundum Gregorium, omnia in nihilum tenderent, nisi ea manus conditoris teneret : non enim est tantum causa fieri, sed esse rerum ; et hoc modo beati egent Deo. Alio modo dicitur quis egere illo quod nondum habet ; et sic non egent.

6. Il faut dire en sixième lieu que c’est de deux manières qu’une chose a besoin d’une autre. Ou bien elle en a besoin comme d’une chose dont elle dépend pour son existence et en ce sens toute chose a besoin de Dieu ; car selon Grégoire, si le Créateur ne les tenait dans sa main, tous les êtres tendraient au néant : en effet, Il n’est pas seulement la cause du devenir, mais aussi de l’existence même des choses ; et c’est en ce sens que même les bienheureux ont besoin de Dieu. Mais en un autre sens ¨avoir besoin¨ se dit de celui qui ne possède pas encore l’objet dont il a besoin et ce sens ne s’applique pas aux bienheureux.

[145] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 1 ad 7 Ad ultimum dicendum, quod hoc intelligendum est, quando fruens et id quo fruitur sunt diversa in essentia : quod non est in divina fruitione : et ideo perfecte ipse fruitur seipso : unde Gregorius : esto gloriosus, et speciosis induere vestibus ; dicit : ipse gloriosus est qui, dum seipso fruitur, accedentis laudis indigens non est.

7. Il faut dire finalement que cet argument doit s’entendre pour les cas où celui qui jouit et la chose dont il jouit ne partagent pas la même essence : ce qui n’est pas le cas pour la jouissance de Dieu ; et c’est pourquoi Il jouit parfaitement de Lui-même. Par conséquent Grégoire a raison de dire : Sois glorieux et revêtu de riches vêtements ; il dit : Lui-même est glorieux qui, alors qu’il jouit de Lui-même, n’a pas besoin des louanges qui Lui parviennent.

 

Articulus 2 : [146] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 tit. Utrum usus conveniat existentibus in patria

Est-ce que l’usage s’attribue à ceux qui existent dans la Patrie ?

[147] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in patria nullus erit utens. Via enim non est necessaria habito fine ; unde Bernardus : quid necesse est scala tenenti jam solium ? Sed usus est eorum quae sunt ad finem, quae se habent per modum viae. Igitur in beatis consecutis finem non erit usus.

Difficultés:

1. Voici comment on procède par rapport à ce deuxième article. Il semble que dans la patrie nul ne sera sujet de l’usage. En effet, le chemin qui conduit à destination n’est pas necessaire à celui qui a déjà atteint son but. Mais l’usage se rapporte aux choses qui sont ordonnées à la fin et qui se présentent à la manière d’un chemin. Il n’y aura donc pas d’usage chez les bienheureux qui sont parvenus à la fin.

[148] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, uti est referre aliquid in alterum. Sed hoc non potest fieri nisi unum cogitetur post aliud ; quod non videtur esse in patria, secundum Augustinum, quia non sunt ibi cogitationes volubiles. Ergo videtur quod non sit ibi usus.

2. En outre, user d’une chose, c’est l’ordonner à une autre. Mais cela n’est possible que si une chose est pensée suite à une autre ; mais il ne semble pas que cela soit possible dans la patrie d’après Augustin car il n’y a pas là de pensées réfléchies. Il semble donc qu’il n’y ait pas là d’usage.

[149] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, constat quod in patria manet dilectio Dei et proximi, quia caritas nunquam excidit, 1 Corinth. 13, 8. Sed proximus nunquam diligetur propter se, sed propter Deum. Semper ergo erit ibi dilectio usus.

Cependant :

 Il est évident que dans la patrie l’amour du prochain et de Dieu demeurent car on lit dans la première Épître aux Corinthiens (13, 8) : L’amour ne meurt jamais. Mais le prochain n’est jamais aimé pour pour lui-même, mais pour Dieu. Il y aura donc toujours usage dans la Patrie. Il y aura donc toujours là un amour d’usage.

[150] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod usus est eorum quae sunt ad finem. Sed eorum quae sunt ad finem, quaedam sunt includentia finem et contingentia ipsum, et haec sunt quae non repugnant perfectioni finis, sicut dispositiones materiae manent cum forma substantiali ; et talium erit usus in patria ; sicut perfectiones naturales, et septem dona spiritus sancti, et alia quae ex sua ratione imperfectionem non dicunt. Quaedam autem sunt ad finem sicut distantia a fine, ut motus et hujusmodi ; et ista propter suam imperfectionem non compatitur finis : unde talium non erit usus in patria ; sicut poenae, et actus fidei et spei et cibi et hujusmodi.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’usage se rapporte à ce qui est ordonné à la fin. Mais parmi les choses qui sont ordonnées à la fin, certaines la contiennent et lui sont unies, lesquelles ne s’opposent pas à la perfection de la fin, comme les dispositions de la matière qui demeurent lorsque la matière est unie à la forme substantielle ; et pour ces choses il y aura usage dans la patrie : par exemple, les perfections naturelles, les sept dons de l’Esprit-Saint et d’autres choses qui par nature n’impliquent pas une imperfection. Mais d’autres choses sont ordonnées à la fin comme l’éloignement par rapport à la fin, le mouvement et d’autres choses de cette sorte, lesquelles sont incompatibles avec la fin en raison de leurs imperfections et c’est pourquoi il n’y aura pas usage de ces choses dans la patrie comme ce sera le cas pour les peines, les actes de foi et d’espérance, les aliments corporels et les choses de cette sorte.

[151] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut invenimus in processu cognitionis, quod in cognitionem principiorum venit quis per principiata, quibus tamen habitis, magis ipsa cognoscit quam principiata ; nec indiget principiatis ad cognitionem principiorum quae jam per se cognoscit ; neque tamen principiatorum cognitionem amittit ; immo illa cognitio per principia perficitur : ita est in processu hominis in Deum, qui per creaturas in Deum venit : quo habito, creaturis non eget ad ipsum habendum, sed per ipsum venit in perfectum usum omnium aliorum. Sic etiam est in processu naturae, quod per dispositiones acquiritur forma, quae habita, est principium omnium accidentium ; et ita est in omnibus aliis invenire.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que le processus que nous retrouvons pour la connaissance se compare à celui que nous retrouvons pour l’homme à l’égard de Dieu. Celui en effet qui parvient à la connaissance des principes au moyen des effets, une fois que ces principes sont possédés, il les connaît mieux que les effets et il n’a plus besoin des effets pour connaître ces principes qu’il connaît déjà par soi ; et il ne se dessaisit cependant pas de la connaissance des effet ; au contraire cette connaissance est rendue plus parfaite par la connaissance des principes. Et il en est de même pour l’homme par rapport à Dieu dans le processus par lequel l’homme vient à Dieu au moyen des créatures : une fois qu’il y est venu, il n’a plus besoin des créatures pour le posséder, mais au moyen de Dieu il en vient à un parfait usage de tous les autres êtres. Il en est encore de même quant à la manière dont procède la nature : la forme est acquise au moyen des dispositions de la matière, mais une fois acquise, la forme est principe de tous les accidents. Et il en est encore de même pour tout le reste.

[152] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cogitatio volubilis proprie dicitur quae est per discursum rationis, cui non offertur statim quod quaerit : unde oportet quod inveniat procedendo ab uno in aliud. Ibi autem statim sine difficultate occurret in illo divino lumine quidquid quaeretur : unde etiam homines intelligent intellectu deiformi, sicut et Angeli. Non autem excluditur successio cogitationum in patria, et multo minus ordo unius ad alterum, qui etiam sine successione esse potest.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la pensée réfléchie se dit proprement du discours de la raison à laquelle ne se présente pas immédiatement ce qu’elle recherche : c’est pourquoi il faut qu’elle mène une recherche en procédant d’une chose à une autre. Mais dans la patrie s’offrira de façon immédiate et sans difficulté  dans la lumière divine tout ce qui sera recherché : c’est pourquoi les hommes aussi comprendront par une intelligence qui a la forme de Dieu et qui sera semblable à celle des Anges. La succession des pensées n’est cependant pas abolie dans la patrie et encore moins l’ordre qu’il y a entre une chose et une autre qui peut aussi exister sans la succession dans le temps.

[153] Super Sent., lib. 1 d. 1 q. 4 a. 2 ad s. c. Aliud concedimus.

Nous concédons l’argument en sens contraire.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 1

Circa litteram quaeritur de hoc quod dicitur : innotuit, sacrae paginae tractatores circa res vel signa praecipue versari. Videtur enim divisio esse incompetens : eo quod contingit idem signum esse et rem ; sicut corpus Christi verum et character in Baptismo.

On s’interroge sur ce qui est dit dans le document, à savoir : il est devenu connu que ceux qui commentent les écritures sacrées traitent principalement des choses et des signes. Il semble en effet que la division n’est pas juste du fait qu’il arrive que la chose et le signe soient identiques, tout comme le vrai corps du Christ et son signe dans le Baptême.

2. Praeterea, ipsemet dicit quod omne signum res est ; et ita videtur quod divisio non sit per opposita.

De plus, lui-même dit que tout signe est une chose ; et il semble ainsi que la division ne se fait pas par les opposés.

3. Item, creaturae omnes sunt signum divinae bonitatis ; et ita videtur quod fere omnia quae in hac doctrina traduntur sunt signa.

En outre, toutes les créatures sont le signe de la bonté divine ; et ainsi il semble que presque tout ce dont on traite dans cette doctrine soit des signes.

Ad quod dicendum, quod ista divisio non est data per oppositas res, sed per oppositas rationes secundum absolutum et relatum. Signum enim est quod est institutum ad aliquid significandum : res autem est quae habet absolutam significationem non ad aliud relatam. Unde non est inconveniens quod idem sit signum et res respectu diversorum ; sicut etiam idem homo est pater et filius. Unde patet solutio ad primum.

Il faut répondre à cela que cette division n’est pas donnée au moyen de choses opposées, mais au moyen de définitions qui s’opposent selon l’absolu et le relatif. Un signe en effet est ce qui est institué pour signifier quelque chose ; mais une chose est ce qui possède une signification absolue en elle-même et non pas relativement à quelque chose d’autre. C’est pourquoi il n’y a pas de difficulté à ce qu’une même réalité soit à la fois signe et chose sous des rapports différents, comme c’est le cas aussi pour le même homme qui est à la fois père et fils. C’est pourquoi la solution à la première difficulté est évidente.

Ad secundum dicendum, quod res dupliciter sumitur in processu hujus locutionis ; sumitur enim communiter pro omni ente ; et sic omne signum est res : sumitur etiam magis stricte pro eo quod est res tantum et non signum, et sic contra signum dividitur.

Pour ce qui est de la deuxième difficulté, il faut dire que le terme ¨chose¨ se prend de deux manières dans la façon dont on procède dans ce discours ; il se prend en effet en un sens large, communément, pour tout ce qui existe, et en ce sens tout signe est une chose ; mais il se prend aussi en un sens plus étroit pour ce qui n’est que chose et non signe, et en ce sens le terme ¨chose¨ s’oppose à signe dans la division.

Ad tertium dicendum, quod quamvis creaturae sint signum alicujus, nihilominus tamen ad hoc principaliter non sunt institutae : et ideo non continentur sub signis, nisi secundum quid.

Pour ce qui est de la troisième difficulté il faut dire que bien que les créatures soient le signe de quelque chose, ce n’est cependant pas dans ce but qu’elles ont été établies principalement : et c’est pourquoi les craétures ne sont pas contenues dans les signes comme une de leurs parties, si ce n’est sous un certain rapport.

Deinde quaeritur de hoc quod dicitur : et primo de rebus, postea de signis disseremus. Videtur enim quod prius agendum est de signis. Res enim per signa discuntur, ut in littera dicitur. Ergo per cognitionem signorum devenimus in cognitionem rerum.

On s’interroge ensuite sur ce qui est dit ici : et en premier lieu nous traiterons de choses et par la suite des signes. Il semble en effet qu’il faut d’abord traiter des signes. C’est en effet au moyen des signes que les choses sont enseignées ainsi que le dit le texte. C’est donc par la connaissance des signes que nous parvenons à la connaissance des choses.

Ad quod dicendum, quod hoc sequitur, quando signa et res sunt ejusdem ordinis, scilicet quod prius determinandum est de signis quam de rebus quae per illa signa significantur. Sic autem non se habent signa sacramentalia ad ea de quibus in primis tribus libris agitur. Vel dicendum, quod alius est ordo servandus in accipiendo cognitionem, et tradendo. Accipiens enim cognitionem procedit de signis ad signata, quasi modo resolutorio, quia signa magis sunt nota quo ad ipsum ; sed tradens cognitionem signorum, oportet quod res ante signa manifestet, eo quod signa sumuntur per similitudinem ad res : unde oportet praecognoscere res ad cognitionem signorum, ad quarum similitudinem sumuntur.

Il faut répondre à cela que cette conclusion s’ensuit quand les signes et les choses sont du même ordre, c’est-à-dire quand il faut traiter des signes avant les choses qui sont signifiées par ces signes. Mais ce n’est pas de cette manière que se présentent les signes sacramentels par rapport aux choses dont on traite dans les trois premiers livres. Ou bien il faut dire que l’ordre à observer pour acquérir la connaissance diffère de celui qu’il faut observer pour l’enseigner. En effet, celui qui acquiert la connaissance procède des signes pour aller à ce signifié par eux, comme par un mode de résolution, car les signes sont plus connus par rapport à lui ; mais en enseignant la connaissance des signes, il faut manifester les choses avant les signes du fait que les signes sont tirés de leur ressemblance aux choses : par conséquent il faut connaître les choses avant de connaître les signes qui sont choisis d’après leurs ressemblances aux choses.

Deinde quaeritur de hoc quod dicit : nos sumus quasi inter utrasque constituti. Videtur enim ex hoc quod homo sit medium inter utibilia et fruibilia : cujus contrarium videtur ex hoc quod virtus continetur inter utibilia. Virtus autem est de maxime bonis, secundum Augustinum, quibus nullus male utitur. Naturales autem potentiae sunt media bona, quibus aliquis male potest uti, et bene : et ita videtur quod virtutes sunt supra hominem.

On s’interroge ensuite sur ce qu’il dit : nous sommes constitués comme entre chacun des deux. Il semble en effet d’après ces paroles que l’homme se situe entre les objets d’usage et ceux de jouissance : mais il semble qu’il n’en soit pas ainsi du fait que la vertu se prend parmi les objets d’usage. Mais la vertu se trouve parmi les plus grands biens d’après Augustin, biens dont nul ne peut mal user. Mais les puissances naturelles sont des biens intermédiaires dont chacun peut bien ou mal user, de sorte qu’il semble que les vertus soient des biens supérieurs à l’homme.

Ad quod dicendum, quod ordo bonorum dupliciter potest considerari. Aut per comparationem ad rectitudinem vitae ; et hoc modo virtus, quae est sicut causa per se talis rectitudinis, est maximum bonum ; potentia autem naturalis, quae est sicut materiale ad talem rectitudinem, est medium ; et res aliae quae sunt exterius adminiculantes, sunt minima bona. Potest etiam considerari ordo bonorum secundum progressum in beatitudinem, et hoc modo ipsum beatificans erit maximum bonum, et participans beatitudinem erit medium, et disponens ad ipsam erit minimum.

Il faut répondre à cela que l’ordre des biens peut être considéré de deux manières : soit par rapport à la rectitude de vie et en ce sens la vertu, qui est comme la cause par soi d’une telle rectitude, est le plus grand bien ; mais la puissance naturelle, qui est comme la cause matérielle d’une telle rectitude, est un bien intermédiaire ; et les autres choses, qui sont comme des aides extérieures, sont les moindres biens. On peut aussi considérer l’ordre des biens d’après le cheminement vers la béatitude et en ce sens cela même qui rend bienheureux est le plus grand bien, cellui qui participe de la béatitude est le bien intermédiaire et ce qui dispose à la béatitude est le moindre bien.

Item quaeritur de hoc : res aliae sunt quibus fruendum est, aliae quibus utendum est, aliae quae fruuntur et utuntur. Omne enim quod est, vel est finis, vel est ad finem. Sed fruibile habet rationem finis, utibile autem rationem eorum quae sunt ad finem. Ergo utibile et fruibile sufficienter dividunt res, et ita tertium membrum superfluit, praecipue cum ipse post dicat, quod hominibus, qui utentes et fruentes sunt, utendum est.

On s’interroge en outre sur ces paroles : autres sont les choses dont il faut jouir, autres celles dont il faut user et autres enfin sont celles dont il faut à la fois jouir et user. En effet, tout ce qui existe est soit une fin, soit ce qui est en vue de la fin. Mais l’objet de jouissance a raison de fin alors que l’objet d’usage a raison de ce qui est en vue de la fin. Donc, l’objet d’usage d’une part et l’objet de jouissance d’autre part divisent les choses de manière satisfaisante et ainsi le troisième membre de la division est superflu, principalement parce que lui-même dit par la suite qu’il faut user des hommes qui sont à la fois ceux qui font usage et ceux qui jouissent.

Ad quod dicendum, quod aliquid est ad finem ordinatum dupliciter : vel sicut progrediens in finem ; et hoc modo fruens et utens est ad finem : vel sicut via in finem ; et hoc modo utibile est ad finem : unde utibile non comprehendit omnia quae sunt ad finem, nisi valde large acceptum. Nec est inconveniens, si idem contineatur sub duobus membris, cum divisio sit data per oppositas rationes, et non per oppositas res.

Il faut répondre à cela qu’une chose est ordonnée à une fin de deux manières : soit à la manière de ce qui progresse vers la fin, et en ce sens ce qui jouit et use est en vue de la fin ; soit à la manière d’un chemin vers la fin et c’est en ce sens que l’objet d’usage est ordonné à la fin : et c’est pourquoi l’objet d’usage ne comprend pas en soi tout ce qui est ordonné à la fin, à moins qu’on ne le prenne assurément au sens large. Et il n’y a pas de difficulté à ce que la même chose soit contenue dans deux parties différentes d’une même division, puisque la division se donne ici au moyen de deux raisons opposées et non pas au moyen de deux choses opposées.

Item quaeritur de hoc : uti vero est id quod in usum venerit referre ad obtinendum illud quo utendum est. Videtur quod male notificet : quia usum non est magis notum quam uti ; et ita videtur quod definitio non sit per magis nota.

De plus on s’interroge sur ceci : mais user, c’est ce qui viendra à être reporté, dans l’usage qu’on en fait, à l’obtention de ce dont il faut user. Mais il semble que la définition soit mal faite car le terme ¨usage¨ n’est pas plus connu que le terme ¨user¨ ; et il semble ainsi que la définition ne procède pas au moyen de ce qui est plus connu.

Ad quod dicendum, quod totum hoc quod dicitur : id quod in usum venerit, ponitur loco unius dictionis, et est circumlocutio hujus quod dico utibile, quod est objectum hujus actus uti. Actus autem convenienter per suum objectum definitur.

Il faut répondre à cela que l’ensemble de ce qui est dit, à savoir : ce qui viendra dans l’usage, est posé au lieu d’un terme unique, et est une locution qui remplace le terme ¨l’utile¨, lequel désigne l’objet de l’acte d’user. Mais un acte est défini correctement au moyen de son objet.

Item quaeritur de hoc : non enim facile potest inveniri nomen quod tantae excellentiae conveniat, quae sit causa hujus dicti. Ad quod dicendum, quod nos imponimus nomina rebus secundum quod veniunt in cognitionem nostram ; et quia nos cognitionem accipimus a rebus creatis, imponimus nomina secundum modum rerum creatarum. Ea autem quae sunt in creaturis, non sunt per eumdem modum in Deo, sed excellentiori modo ; ideo nomina quae nos imponimus, non sunt sufficientia ad significandum Deum, sicut patet quod nomina significantia in abstracto, significant quid imperfectum non per se subsistens, ut humanitas, vel albedo ; concreta autem significant quid compositum, quorum neutrum divinae convenit nobilitati.

On s’interroge par ailleurs sur ce qui est dit ici : on ne peut en effet découvrir facilement le nom qui convient à un bien d’une telle excellence et qui serait la cause de ce qui est dit. Il faut répondre à cela que nous imposons les noms aux choses selon qu’elles viennent à être connues de nous ; et parce que nous acquérons les connaissances à partir des choses créées, nous imposons les noms d’après le mode des choses créées. Mais ce qu’on retrouve dans les choses créées n’existe pas de la manière en Dieu, mais selon d’une manière plus excellente ; et c’est pour cette raison que les noms que nous imposons ne signifient pas Dieu d’une manière qui lui est adéquate, comme on le voit pour les noms qui signifient d’une manière abstraite, lesquels signifient quelque chose d’imparfait qui ne subsiste pas par soi, comme l’humanité et la blancheur ; et les noms concrets pour leur part signifient quelque chose qui existe par soi mais qui est composé : on voit donc bien qu’aucune de ces deux sortes de noms n’est parfaitement ajustée à l’excellence de Dieu.

Item quaeritur de hoc : tanto nostram peregrinationem et tolerabilius sustinemus, et ardentius finire cupimus. Videtur enim contrarium, per id quod dicitur Proverb. 13, 12 : spes quae differtur, affligit animam. Et ita per hoc quod in speculo cognoscimus, et praesentiam desideramus, intolerabilius absentiam sustinemus.

On s’interroge en outre sur ceci : et nous supportons d’autant plus notre pèlerinage et nous désirons d’autant plus vivement le terminer. Il se semble que ce soit le contraire qui soit vrai selon ce qu’on en dit au livre des Proverbes (13, 12) : l’espoir qui est reporté attriste l’âme. Et ainsi du fait que nous Le connaissons comme par un miroir, nous en désirons la présence et en supportons l’absence d’une manière plus intolérable.

Ad quod dicendum, quod inquantum spes est desiderati absentis, sic est causa afflictionis ; inquantum autem res desiderata per spem et imperfectam cognitionem aliquo modo efficitur praesens, sic affert quamdam delectationem.

Il faut répondre à cela que dans la mesure où l’espoir se rapporte à un objet désiré qui est absent, cet espoir est cause d’affliction ; mais dans la mesure où la chose désirée est rendue présente d’une certaine manière par l’espoir et une connaissance imparfaite, elle apporte alors une certaine délectation.

Deinde quaeritur de hoc quod dicit : notandum quod idem Augustinus (...) aliter quam supra, accipiens uti et frui, sic dicit". Unius enim unica est definitio, sicut et esse. Ergo de uti et frui non debent dari multae definitiones.

On s’interroge ensuite sur ce qu’il dit ici : Il faut remarquer que le même Augustin (…) concevant autrement qu’il ne l’a fait plus haut l’usage et la jouissance, parle ainsi. Pour une même chose en effet il n’y a qu’une seule définition tout comme il n’y a qu’une seule existence. On ne doit donc pas donner plusieurs définitions de l’usage et de la jouissance.

Ad quod dicendum, quod si inveniretur aliqua definitio quae diceret esse rei secundum comparationem ad omnes causas ipsius proprias, esset perfectissima, et una tantum ; sed inveniuntur definitiones notificantes esse rei plures secundum diversas causas. Unde aliqua datur per causam finalem, quaedam per formalem, et sic de aliis. Inveniuntur etiam aliae notificationes sumptae ex proprietatibus consequentibus esse rei, et tales etiam possunt esse plures.

Il faut répondre à cela que si on rencontrait une définition qui exprimerait l’existence de la chose d’après un rapport à toutes ses causes propres, ce serait là sa définition la plus parfaite et la seule définition. Mais on rencontre des définitions qui font connaître l’existence de la chose d’après des causes différentes. Il est donc possible de donner pour une même chose une définition par la cause finale, une autre par la cause formelle et il en est de même pour les autres. Il se rencontre même d’autres définitions tirées des propriétés qui découlent de l’existence de la chose et celles-là aussi peuvent être nombreuses.

Dicendum ergo, quantum ad praesens pertinet, quod prima definitio de frui, scilicet, frui est amore alicui rei inhaerere propter seipsam, datur per comparationem ad objectum, et habitum elicientem actum ; secunda autem, scilicet, fruimur cognitis in quibus ipsis propter se voluntas delectata conquiescit, datur per comparationem ad potentiam cujus est actus secundum ordinem ad potentiam praecedentem, scilicet cognitivam ; tertia, scilicet, frui est uti cum gaudio, non adhuc spei, sed jam rei, datur per proprietatem consequentem actum, inquantum perfectus est, scilicet gaudium de re habita. Similiter dicendum quod prima definitio de uti, scilicet, uti est referre quod in usus venerit, ad obtinendum id quo fruendum est, datur per comparationem ad objectum et ad finem de uti proprie dicto : alia autem, scilicet, uti est assumere aliquid in facultatem voluntatis, datur de uti communiter sumpto per comparationem ad potentiam operantem et universaliter moventem.

Il faut donc dire, quant à ce qui se rapporte au propos actuel que la première définition de la jouissance, à savoir que jouir c’est s’attacher à une chose pour elle-même par amour, est donnée ici par rapport à l’objet même de la jouissance et à l’habitus qui fait naître l’acte ; mais la deuxième, à savoir : nous jouissons des choses connues dans lesquelles la volonté se repose pour elles-mêmes avec complaisance, est donnée par rapport à la puissance dont elle est l’acte conformément à un rapport à la puissance qui précède, c’est-à-dire la puissance cognitive ; la troisième, à savoir que jouir, c’est user avec joie, non pas la joie de l’espérance, mais celle de la chose déjà possédée, se donne par la propriété qui découle de l’acte dans la mesure où cet acte est parfait, à savoir la joie qui découle de la chose possédée. De la même manière il faut dire que la première définition de l’usage, à savoir que user, c’est ce qui viendra à être reporté, dans l’usage qu’on en fait, à l’obtention de ce dont il faut jouir, est donnée par rapport à l’objet et à la fin de l’usage proprement dit ; mais l’autre, à savoir que user c’est disposer d’une chose au gré de la faculté de la volonté, est donnée au sujet de l’usage pris communément par rapport à la puissance qui pose l’opération et qui meut universellement.

Deinde circa hoc quod dicit : neque tamen sic utitur nobis ut nos aliis rebus, notandum quod ostendit differentiam usus nostri ad usum divinum in duobus : scilicet in hoc quod nos referimus usum nostrum, quo operamur circa res, ad utilitatem nostram ; ille vero non ad utilitatem suam, sed nostram. Item ipse refert usum suum, quo rebus utitur, ad bonitatem suam ; nos vero non ad bonitatem nostram, sed ipsius.

Ensuite, par rapport à ce qu’il dit ici: et il n’use pas de nous de la même manière que nous usons des autres choses, il faut remarquer qu’il manifeste une double difference entre notre usage et l’usage divin: à savoir que notre usage, par lequel posons des operations sur les choses, nous le rapportons à notre utilité propre alors que Lui ne rapporte pas son usage à son utilité propre mais à la nôtre. De plus, Lui-même attribute à sa bonté son usage par lequel il se sert des choses alors que nous n’attribuons pas notre usage à notre bonté mais à la sienna.

Et hoc ostendit in operibus misericordiae primo, et planum est : et secundo in operibus creationis : ipse enim propter bonitatem suam fecit nos ; et ideo dicit : quia bonus est, sumus ; et ex eo quod sumus, habemus bonitatem : et hoc prodest nobis. [Unde dicit : "inquantum est, boni sumus" om. Éd. De Parme]. Et sic patet quod hoc opus est ad nostram utilitatem. Tertio ostendit in opere justitiae ; ipse enim punit nos propter bonitatem suam ; et ideo dicit : quia justus est, non impune mali sumus : quia justitia ejus bonitas ejus est. Hoc etiam ad utilitatem nostram cedit ; quia ad hoc punimur pro malo, ut a malo recedamus, et ita a non esse : propter quod dicit : inquantum mali sumus, minus sumus ; quia quanto magis mali sumus, minus sumus : malum enim est privatio ; unde quanto multiplicatur in nobis, tanto elongat nos ab esse perfecto.

Et il manifeste cela en premier lieu dans les œuvres de miséricorde, et cela est évident, puis il le manifeste en deuxième lieu dans les œuvres de la création : en effet, c’est à cause de sa bonté qu’il nous a faits et c’est pourquoi il dit : parce qu’il est bon, nous sommes; et du fait que nous sommes, nous avons de la bonté : et cela nous est utile. [De là il dit : ¨parce qu’il est, nous sommes bons¨]. Et ainsi il est clair que cette œuvre de la création est à notre avantage. En troisième lieu il le montre par l’œuvre de la justice ; c’est Lui-même en effet qui nous punit à cause de sa bonté et c’est pourquoi il dit : parce qu’il est juste, ce n’est pas impunément que nous sommes méchants : parce que sa justice est sa bonté. Et cela aussi tourne à notre avantage ; car nous sommes punis pour le mal que nous avons fait afin que nous nous en détachions et qu’ainsi nous nous détachions aussi du non-être ; et c’est pour cette raison qu’il dit : dans la mesure où nous sommes mauvais, nous avons moins d’être ; car nous avons d’autant moins d’être que nous sommes plus mauvais ; le mal en effet est une privation ; pour cela, le mal nous éloigne d’autant plus d’une existence parfaite qu’il grandit en nous

 Deinde quaeritur de hoc quod dicit : item quia bonus est, sumus. Videtur enim esse falsum : sicut enim dicit Boetius, si removeatur per intellectum bonitas a Deo, adhuc remanebunt alia entia et alia, sed non bona. Ergo non quia bonus est, sumus.

Ensuite on s’interroge sur ce qu’il dit ici : en outre, parce qu’il est bon, nous sommes. Cela semble faux en effet : en effet, tout comme le dit Boèce, si notre intelligence retire de Dieu la bonté, il restera encore d’autres êtres, mais non de bons êtres. Ce n’est donc pas parce qu’il est bon que nous sommes.

Respondeo dicendum, quod opera divina possunt comparari ad divina attributa sicut ad causam efficientem exemplarem ; et hoc modo sapientia creaturae est a sapientia Dei, et esse creaturae ab esse divino, et bonitas a bonitate ; et sic loquitur Boetius (loc. cit.). Sed tamen quia bonitas habet rationem finis, et finis est causa omnium causarum, ideo omnes istae processiones perfectionum in creaturas attribuuntur bonitati divinae etiam a Dionysio, (De div. Nom.,) quamvis a diversis attributis exemplentur. Item quaeritur de hoc quod dicit : inquantum sumus, boni sumus. Alia enim est ratio boni et entis ; et ita videtur falsum dicere.

Je réponds qu’il faut dire que les œuvres divines peuvent se comparer aux attributs divins comme à leur cause efficiente exemplaire : et en ce sens la sagesse de la créature vient de la sagesse divine et l’être de la créature procède de l’être divin, et la bonté de la créature de la bonté divine ; et c’est ainsi que parle Boèce. Cependant, parce que le bien a raison de fin et que la fin est la cause de toutes les autres causes, c’est pourquoi toutes ces processions des perfections dans les créatures sont attribuées à la bonté divine même par Denys dans Les Noms Divins bien qu’elles se trouvent a être reproduites là par différents attributs. On s’interroge de plus ce qu’il dit ici : nous sommes bons dans la mesure où nous sommes. En effet, la notion du bien diffère de celle de l’être et ainsi il semble faux de dire cela.

Respondeo dicendum, quod quamvis bonum et ens differant secundum intentiones, quia alia est ratio boni et entis ; tamen convertuntur secundum supposita, eo quod omne esse est a bono et ad bonum ; unde inquantum non dicit identitatem intentionis, sed aequalitatem suppositorum boni et entis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que bien que le bien et l’être diffèrent en tant que notions, car la définition du bien diffère de celle de l’être, cependant ils se convertissent en tant que sujet du fait que tout ce qui existe vient du bien et est ordonné au bien ; par conséquent  dans la mesure où ne dit pas l’identité des notions, mais l’identité des sujets du bien et de l’être.

 

 

 

 

 

 

Distinctio 2

Distinction 2 – [L’unité en Dieu]

 

 

Quaestio 1

Qestion unique : [Unité de l’essence divine]

 

 

Prooemium

Proème.

Ad evidentiam eorum quae hic dicuntur, quinque quaeruntur : 1 de unitate divinae essentiae ;

2 utrum in illa unitate sit invenire diversitatem attributorum ;

3 utrum pluralitas rationum, secundum quas attributa differunt, sit aliquo modo in Deo, vel tantum in intellectu ratiocinantis ;

4 utrum illa unitas compatiatur pluralitatem personarum ;

5 si compatitur, utrum pluralitas illa sit pluralitas realis, vel rationis tantum.

Pour manifester les choses qui sont dites ici on s’interroge sur cinq points :

1. Sur l’unité de l’essence divine.

2. Doit- on retrouver dans cette unité une diversité d’attributs ?

3. Est-ce que la multiplicité des définitions, d’après lesquelles les attributs diffèrent, se retrouve en un sens en Dieu ou seulement dans l’intelligence qui raisonne ?

4. Est-ce que cette unité est compatible avec la pluralité des Personnes ?

5. Si elle est compatible, est-ce que cette pluralité est réelle ou s’agit-il seulement d’une pluralité de raison ?

 

 

Articulus 1 [156] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus sit tantum unus

Article 1 – N’y a-t-il qu’un seul Dieu ?

 

[157] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non sit necessarium ponere unum Deum. Ab uno enim primo et simplici procedit tantum unum, secundum philosophum [VIII Physic., text. 49, sive c. VI et VIII Metaph., text. 15, sive cap. VI]. Sed plures bonitates inveniuntur participari in creaturis, sicut sapientia, bonitas, pax et hujusmodi. Ergo videtur quod procedant a pluribus primis principiis, et sic est ponere plures deos : et hic videtur fuisse error gentilium, ut dicit Dionys. [lib. de div. Nom., cap XI, § 6], quod etiam patet ex hoc quod ponebant unum Deum sapientiae, et aliam deam pacem, et sic de aliis.

Difficultés :

1. On procède de la manière suivante à l’égard de cette première question. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de poser un seul Dieu. En effet, à partir de l’un premier et simple ne procède qu’un seul être d’après le Philosophe [ VIII Physic. Ch.  VI ;  VIII Metaph. Ch.  VI]. Mais plusieurs biens se trouvent à être participés par les créatures, comme la sagesse, la bonté, la paix et les biens de cette sorte. Il semble donc que ces biens procèdent de plusieurs premiers principes, et ainsi il faut poser plusieurs dieux : et telle semble avoir été l’erreur des Gentils comme le dit Denys dans le livre Des Noms Divins [Ch. XI, 6], ce qui apparaît encore clairement du fait qu’ils posaient l’existence d’un dieu de la sagesse, d’une déesse de la paix et ainsi de suite.

[158] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, sicut dicitur 5 Metaph.,[text. 18] perfectum unumquodque est, quando potest producere sibi simile in natura. Sed divina essentia est perfectissima. Ergo videtur quod possit producere aliam essentiam sibi similem, ita quod sint plures divinae essentiae.

2. En outre, comme on le dit au cinquième livre du traité de la Métaphysique, une chose  est parfaite quand elle peut produire ce qui lui est semblable par nature. Mais l’essence divine est la plus parfaite. Il semble donc qu’elle puisse produire une autre essence qui lui est semblable, de sorte qu’il y aurait plusieurs essences divines.

[159] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, prima materia, quae est pura potentia, est una ; et quanto formae sibi sunt propinquiores, inveniuntur pauciores numero. Primo enim perficitur per quatuor formas elementares, post per plurimas formas mixtorum corporum. Ergo in ultimo remotionis a materia, debet inveniri maxima pluralitas ; et ita videtur quod, cum Deus sit maxime remotus a materia, et natura divina sit maxime multiplicata ; et sic sunt plures dii.

3. En outre la matière première, qui est pure puissance, est une ; et plus les formes en sont rapprochées, plus on les retrouve en petit nombre. En premier lieu en effet la matière première est complétée par les quatre formes élémentaires et par la suite par les multiples formes des corps mixtes. Donc dans l’éloignement extrême de la matière, on doit retrouver une multiplicité extrême de formes ; et il semble ainsi, puisque Dieu est extrêmement éloigné de la matière, que la nature divine se multiplie à l’extrême et qu’il y ait ainsi plusieurs dieux.

[160] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, omnis natura quae invenitur in pluribus secundum prius et posterius, oportet quod descendat ab uno primo, in quo perfecte habeatur. Unitas enim principiati attestatur unitati principii, sicut omnis calor originatur ab uno calidissimo, quod est ignis. Sed entitas invenitur in pluribus secundum prius et posterius. Ergo oportet esse unum primum ens perfectissimum, a quo omnia entia habent esse, et hic est Deus. Est igitur unus Deus.

Cependant :

1. Toute nature qu’on retrouve dans plusieurs êtres selon l’avant et l’après  doit provenir d’un seul premier principe dans lequel elle se présente parfaitement. L’unité de l’effet est en effet confirmée par l’unité du principe, tout comme toute chaleur tire son origine de ce seul corps le plus chaud qui est le feu. Mais l’être se retrouve chez plusieurs selon l’avant et l’après. Il faut donc qu’il y ait un seul être premier absolument parfait, duquel tous les autres êtres tirent leur être et tel est Dieu. Il n’y a donc qu’un seul Dieu.

[161] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, si sint plures dii per essentiam distincti, oportet quod eorum essentiae dividantur ab invicem essentiali differentia, sicut quae differunt specie vel genere vel quae differunt numero. Si autem differunt genere vel specie, oportet quod aliqua differentia differant. Illa autem differentia aut pertinet ad bonitatem, aut non. Si non, ergo Deus, in quo erat differentia, non habet puram bonitatem ; et sic non est purum bonum. Si autem pertinet ad bonitatem, et illa non invenitur in alio, ergo ille in quo non invenitur non erit perfectus in bonitate. Oportet autem Deum esse summum bonum, quod sit et purum et perfectum in bonitate. Ergo impossibile est esse plures deos.

2. De plus, s’il y avait plusieurs dieux distincts par leur essence, il faudrait que leur essence se distinguent l’une de l’autre par une différence essentielle, comme les choses qui diffèrent par l’espèce ou le genre, ou qu’elles diffèrent par le nombre. Mais s’ils diffèrent par le genre ou l’espèce, il faut qu’ils diffèrent par une différence. Mais cette différence ou bien concerne la bonté ou bien ne la concerne pas pas. Si elle ne la concerne pas il s’ensuit que le Dieu, dans lequel était la différence, ne possède pas une pure bonté et ainsi n’est pas purement bon. Mais si la différence concerne la bonté et que cette dernière ne se retrouve pas dans l’autre, celui dans lequel elle ne se retrouve pas ne sera pas parfait en termes de bonté. Mais il faut que Dieu soit le bien suprême et qu’il soit la bonté pure et parfaite. Il est donc impossible qu’il y ait plusieurs dieux.

62] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 3 Si dicatur, quod illa differentia est eadem secundum speciem in utroque, sed differens numero, contra : quidquid est ejusdem speciei, non dividitur secundum numerum, nisi secundum divisionem materiae vel alicujus potentialitatis. Ergo si [ergo et Éd. de Parme] illa differentia est eadem secundum speciem, differens numero. Oportebit ergo quod in Deo sit aliquid potentiale, et sic ens diminutum et dependens ad aliud, quod est contra rationem primi entis.

3. Mais si on dit que cette différence est la même selon l’espèce chez les deux et qu’ils ne diffèrent que par le nombre, il se présente une difficulté : tout ce qui est de même espèce ne se divise par le nombre que selon une division de la matière ou d’une potentialité. Donc si cette différence est la même selon l’espèce, il n’y a différence que par le nombre. Il faudra donc qu’en Dieu il y ait potentialité et il y aura donc en lui un être diminué et qui dépend d’un autre : et cela est contraire à la notion même d’un être premier.

[163] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 s. c. 4 Praeterea, ejus in quo non differt suum esse et sua quidditas, non potest participari quidditas sua sive essentia, nisi et esse participetur. Sed quandocumque dividitur essentia alicujus per participationem, participatur essentia eadem secundum rationem et non secundum idem esse. Ergo impossibile est ejus in quo non differt essentia et esse, essentialem participationem dividi vel multiplicari. Tale autem est Deus : alias esset suum esse acquisitum ab aliquo. Ergo impossibile est quod divinitas multiplicetur vel dividatur ; et ita erit unus tantum Deus.

4. Par ailleurs, pour l’être dans lequel l’existence ne diffère pas de la quiddité, la quiddité ou l’essence ne peut être participée que si l’existence elle-même peut être participée. Mais toutes les fois que l’essence d’une chose est divisée par mode de participation, cette même essence est participée selon la raison et non selon une même existence. Il est donc impossible, pour celui dans lequel l’essence ne diffère pas de l’existence, qu’il y ait division ou multiplication d’une participation essentielle. Mais Dieu est un être de cette sorte : autrement son existence serait acquise à partir d’un autre être. Il est donc impossible qu’il y ait une multiplication ou une division de Dieu  et il n’y a donc ainsi qu’un seul Dieu.

[164] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum omnis multitudo procedat ex [ab Éd. de Parme] unitate aliqua, ut dicit Dionysius, oportet universitatis multitudinem ad unum principium omnium [omnium Om. Éd. de Parme] entium primum reduci, quod est Deus ; hoc enim et fides supponit et ratio demonstrat.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que puisque tout multiplicité procède d’une unité, ainsi que le dit Denys, il faut que la multiplicité qu’on retrouve dans l’univers se ramène à un univque premier principe de tous les êtres qui est Dieu ; et c’est là en effet ce que la foi affirme et ce que la raison démontre.

[165] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis bonitates participatae in creaturis sint differentes ratione, tamen habent ordinem ad invicem et una includit alteram et una fundatur super altera ; sicut in intelligere includitur vivere, et in vivere includitur esse ; et ideo non reducuntur in diversa principia, sed in unum. Si etiam ordinem non haberent, non propter hoc excluderetur unitas primi principii : quia quod in principio unitum est, in effectibus multiplicatur : semper enim in causa est aliquid nobilius quam in causato. Unde primum principium licet sit unum et simplex re, sunt tamen in eo plures rationes perfectionum, ut sapientia, vita [scilicet sapientiae, vitae Éd. de Parme] et hujusmodi, secundum quas diversae perfectiones re differentes in creaturis causantur.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que bien que les biens dont les créatures participent diffèrent par la raison, elles sont cependant ordonnées entre elles car l’une comprend l’autre et l’une se fonde sur l’autre ; par exemple, intelliger est une forme de vie et la vie est une forme d’existence ; et c’est pourquoi ces biens ne se ramènent pas à des principes différents mais à un seul. Et même si ces biens n’étaient pas ordonnés entre eux, l’unité du premier principe ne serait pas écartée pour cela : car ce qui est uni dans le principe se  trouve à être divisé dans les effets : en effet, quelque chose existe toujours d’une manière plus noble dans la cause que dans l’effet. De là, bien que le premier principe soit un et simple en tant qu’être, il y a cependant en lui plusieurs perfections de natures différentes comme la sagesse, la vie et d’autres perfections de cette sorte d’après lesquelles différentes perfections qui diffèrent par la chose sont causées dans les créatures.

[166] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod hoc est de perfectione divinae essentiae, quod sibi similis et aequalis alia essentia esse non potest. Si enim ab ipsa esset, oporteret quod esse illius esset dependens ab ipsa, et sic incideret in illam essentiam potentialitas, per quam distingueretur ab essentia divina, quae est actus purus. Non autem oportet quod quidquid est de nobilitate creaturae, sit de nobilitate creatoris, quae ipsam improportionabiliter excedit ; sicut aliquid est de nobilitate canis, ut esse furibundum, quod esset ad ignobilitatem hominis, ut dicit Dionysius [cap ; Iv de div. Nom. § 25].

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il est de la perfection même de l’essence divine qu’il ne puisse exister une autre essence qui lui serait égale et semblable. Si en effet il existait une autre essence divine différente d’elle-même, il faudrait que cette autre essence divine soit dépendante d’elle-même et on retrouverait ainsi dans cette autre essence une potentialité par laquelle elle  se distinguerait de l’essence divine qui est acte pur. Mais il ne faut pas que ce qui fait partie de l’excellence de la créature se retrouve dans l’excellence du créateur, cette dernière dépassant la première sans aucune commune mesure : par exemple, la fureur qui fait partie de l’excellence du chien serait serait méprisable si on la retrouvait chez l’homme ainsi que le dit Denys dans Les Noms Divins (ch. 4).

[167] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod simplex principium habet rationem unitatis ; et quia materia est potentia tantum, ideo est una numero, non per unam formam quam habeat, sed per remotionem omnium formarum distinguentium ; et per eamdem rationem actus purus et primus est unus, non multiplicabilis sicut materia multiplicatur per adventum formarum, sed omnino impossibilis ad diversitatem.

3. En troisième lieu il faut dire qu’un principe simple a raison d’unité ; et parce que la matière n’est que puissance, c’est pourquoi elle une par le nombre et non par la possession d’une forme unique, mais par l’éloignement de toutes les formes qui la distingueraient ; et pour la même raison l’acte pur et premier est un et ne peut être multiplié, comme la matière se multiplie par la réception des formes, mais l’altérité lui est absolument impossible.

 

 

Articulus 2 [168] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Deo sint plura attributa

Article 2 – Y a-t-il plusieurs attributs en Dieu ?

[169] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 1 Circa secundum sic proceditur. Videtur quod in divina essentia non sit pluralitas attributorum. Illud enim est maxime unum quod omnino a pluralitate removetur. Albius enim est, secundum philosophum [III Top., cap. VIII], quod est nigro impermixtius. Sed divina essentia est summe una, quae est principium totius unitatis. Ergo in ea nulla pluralitas attributorum cadere poterit [potest Éd. de Parme].

Difficultés :

1. On procède de la manière suivante pour ce deuxième article. Il semble qu’il n’y ait pas pluralité d’attributs dans l’essence divine. En effet, est suprêmement un ce qui est absolument éloigné de la multiplicité. D’après le Philosophe en effet, dans ses Topiques (3, 8), est plus blanc ce qui est moins mélangé au noir. Mais l’essence divine est suprêmement une, laquelle est principe de toute unité. On ne pourra donc retrouver en elle aucune pluralité d’attributs.

[170] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, unius simplicis [simplicitatis Éd. de Parme] est operatio una. Sed divina essentia est una et simplex. Ergo habet tantum unam operationem. Diversorum autem attributorum sunt operationes diversae, sicut scientiae scire et voluntatis velle et sic de aliis. Ergo in Deo non invenitur diversitas attributorum.

2. En outre, il appartient à un principe un et simple d’avoir une opération simple. Mais l’essence divine est une et simple. Elle ne possède donc qu’une seule opération. Mais des opérations différentes appartiennent à des attributs différents, comme le savoir relève de la science et le vouloir de la volonté et il en est de même pour le reste. On ne retrouve donc pas en Dieu une pluralité d’attributs.

[171] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut dicit Augustinus, omne quod simpliciter melius est esse quam non esse, Deo est attribuendum. Sed sapientia, bonitas et hujusmodi simpliciter sunt melius esse quam non esse. Ergo sunt in Deo.

Cependant :

1. Comme le dit Augustin, tout ce qu’il est préférable qu’il existe plutôt que de ne pas exister doit être attribué à Dieu. Mais il est préférable que la sagesse, la bonté et les attributs de cette sorte existent plutôt qu’ils n’existent pas. On doit donc les retrouver en Dieu.

[172] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne quod dicitur secundum quid, originatur ab eo quod est simpliciter et absolute. Sed invenimus quaedam esse perfecta non absolute, sed secundum suam naturam, quaedam plus et quaedam minus. Ergo oportet esse aliquod perfectum absolute et simpliciter, a quo omnia alia perficiantur. Sed, sicut dicit philosophus [in V Metaph. , text. 21], perfectum simpliciter est in quo inveniuntur omnes nobilitates repertae in omnibus generibus, et Commentator dicit ibidem, quod hoc est Deus. Ergo in Deo est reperire potentiam, bonitatem, et quidquid aliud est nobilitatis in quacumque re.

Par ailleurs, tout ce qui se dit relativement tire son origine de ce qui se dit simplement et absolument. Mais nous découvrons que certaines choses sont parfaites non pas absolument mais d’après leur nature, certaines plus et d’autres moins. Il faut donc qu’il y ait quelque chose de parfait absolument et simplement, duquel tous les autres êtres tirent leurs perfections. Mais tout comme le dit le Philosophe dans sa Métaphysique (V, 16), est parfait absolument ce en quoi se rencontrent toutes les excellences qu’on découvre dans tous les genres, et le Commentateur dit au même endroit que c’est cela même qui est Dieu. Il faut donc retrouver en Dieu la puissance, la bonté et toute autre excellence  qu’on rencontre dans toutes les choses.

[173] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quidquid est entitatis et bonitatis in creaturis, totum est a creatore : imperfectio autem non est ab ipso, sed accidit ex parte creaturarum, inquantum sunt ex nihilo. Quod autem est causa alicujus, habet illud excellentius et nobilius. Unde oportet quod omnes nobilitates omnium creaturarum inveniantur in Deo nobilissimo modo et sine aliqua imperfectione : et ideo quae in creaturis sunt diversa, in Deo propter summam simplicitatem sunt unum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout ce qu’on rencontre d’être et de bonté dans les créatures vient totalement du créateur : mais aucune imperfection ne vient de Lui mais vient des créatures selon qu’elles sont tirées du néant. Mais ce qui est cause de quelque chose le possède en lui d’une manière plus excellente et plus élevée. D’où il faut que toutes les perfections appartenant à toutes les créatures  se retrouvent en Dieu d’une manière plus élevée et sans aucune imperfection : et c’est pourquoi ce qui existe dans les créatures dans la diversité n’existe en Dieu que dans l’unité en raison de sa suprême simplicité.

Sic ergo dicendum est, quod in Deo est sapientia, bonitas, et hujusmodi, quorum quodlibet est ipsa divina essentia, et ita omnia sunt unum re. Et quia unumquodque eorum est in Deo secundum sui verissimam rationem, et ratio sapientiae non est ratio bonitatis, inquantum hujusmodi, relinquitur quod sunt diversa ratione, non tantum ex parte ipsius ratiocinantis sed ex proprietate ipsius rei : et inde est quod ipse non est causa rerum omnino aequivoca, cum secundum formam suam producat effectus similes, non univoce, sed analogice ; sicut a sua sapientia derivatur omnis sapientia, et ita de aliis attributis, secundum doctrinam Dionysii [de div. Nom. Cap. VII]. Unde ipse est exemplaris forma rerum, non tantum quantum ad ea quae sunt in sapientia sua, scilicet secundum rationes ideales, sed etiam quantum ad ea quae sunt in natura sua, scilicet attributa.

Ainsi donc il faut dire qu’en Dieu on retrouve la sagesse, la bonté et les attributs de cette sorte dont chacun est l’essence divine et ainsi tous sont un par la chose. Et parce que chacun de ces attributs est en Dieu selon sa notion la plus vraie et que la notion de sagesse n’est pas la notion de bonté en tant que telle, il s’ensuit qu’elles sont différentes par la raison non seulement du côté de celui qui raisonne mais en raison de la propriété de la chose elle-même : et il suit de là que Lui-même n’est pas une cause absolument équivoque des choses puisqu’il produit d’après sa forme des effets qui lui sont semblables non pas d’une manière univoque, mais d’une manière analogue : par exemple, c’est de sa sagesse que provient toute sagesse, et il en est de même pour tous ses autres attributs d’après l’enseignement de denys [Les Noms Divins, ch.  VII]. C’est pourquoi il est Lui-même la forme exemplaire des choses non seulement quant à ce qui est dans sa sagesse, c’est-à-dire d’après des notions idéales, mais aussi quant à ce qui est dans sa nature, c’est-à-dire les attributs.

Quidam autem dicunt, quod ista attributa non differunt nisi penes connotata in creaturis : quod non potest esse : tum quia causa non habet aliquid ab effectu, sed e converso : unde Deus non dicitur sapiens quia ab eo est sapientia, sed potius res creata dicitur sapiens inquantum imitatur divinam sapientiam : tum quia ab aeterno creaturis non existentibus, etiam si nunquam futurae fuissent, fuit verum dicere, quod est sapiens, bonus et hujusmodi. Nec idem omnino significatur per unum et per aliud, sicut idem significatur per nomina synonima.

Certains cependant affirment que ces attributs ne diffèrent que lorsqu’ils sont exprimés dans les créatures : ce qui est impossible : tant parce que ce n’est pas la cause qui tire de l’effet ce qu’elle possède mais c’est l’inverse qui est vrai ; c’est pourquoi on ne dit pas de Dieu qu’il est sage parce qu’il tire sa sagesse d’un tel, mais plutôt c’est la chose créée dont on dit qu’elle est sage en tant qu’elle imite la sagesse divine ; tant parce que de toute éternité, les créatures n’existant pas, et même si elle n’avaient jamais existé, il était vrai de dire qu’Il est sage, bon, et possède les attributs de cette sorte. Et on ne signifie pas absolument la même chose par l’un et par l’autre de ces termes comme on signifie la même chose par des noms synonymes.

[174] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod pluralitas attributorum in nullo praejudicat summae unitati : quia ea quae in aliis sunt ut plura, in eo sunt unum, et remanet pluralitas tantum secundum rationem, quae non opponitur summae unitati in re, sed necessario ipsam consequitur, si simul adsit perfectio.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la multiplicité des attributs n’empêche aucunement l’unité la plus parfaite : car ce qui dans les autres existe dans la multiplicité existe en Lui dans l’unité et ne demeure multiple que selon la raison, ce que n’empêche pas l’unité la plus parfaite selon la chose mais en découle nécessairement, si la perfection est présente simultanément.

[175] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod operatio Dei est sua essentia. Unde sicut essentia est una, ita operatio est una in re, sed plurificatur per diversas rationes : sicut etiam est ex parte essentiae, quae licet sit una, considerantur tamen in ea plures rationes attributorum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’opération de Dieu est son essence. De là, tout comme l’essence est une, de même l’opération est une quant à la chose mais elle se multiplie au moyen des notions différentes tout comme c’est à partir de l’essence qui, bien qu’elle soit une, que sont cependant considérées en elle les nombreuses notions des attributs.

 

 

Quaestio 1 Articulus 3 lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 tit. Utrum pluralitas rationum, quibus attributa differunt, sit tantum in intellectu, vel etiam in Deo ;

Article 3 – La pluralité des notions par lesquelles les attributs diffèrent, est-elle seulement dans l’intellect ou aussi en Dieu ?

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 1 Circa tertium sic proceditur. Videtur quod pluralitas rationum secundum quas attributa differunt, nullo modo sit in Deo, sed tantum in intellectu ratiocinantis. Dicit enim Dionysius [I cap. de div. Nom. § 4, 589 D] Omnem sanctorum theologorum hymnum invenies ad bonos thearchiae processus, manifestative, et laudative Dei nominationes dividentem. Et est sensus, quod nomina quae in laudem divinam sancti assumunt, secundum diversos divinitatis processus, quibus ipse Deus manifestatur, dividuntur. Ergo ista pluralitas non est ex parte Dei, sed ex parte diversorum effectuum, ex quibus intellectus noster Deum diversimode cognoscit et nominat.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de ce troisième article. Il semble que la multiplicité des notions d’après lesquelles les attributs diffèrent n’existe nullement en Dieu, mais seulement dans l’intelligence de celui qui raisonne. Denys dit en effet [Les Noms Divins, 1, & 4, 13, 589] : Tu trouveras toute la louange des saints théologiens qui distingue clairement et avec évidence les noms divins par rapport aux bons processus de la théarchie. Et le sens en est que les noms que ces saints prennent dans la louange divine se divisent d’après les différents manière dont les créatures procèdent de la divinité et par lesquelles Dieu se manifeste. Cette multiplicité ne se tient donc pas du côté de Dieu mais du côté des différents effets à partir desquels notre intelligence connaît et nomme Dieu de différentes manières.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 2. Praeterea, Dionysius[in Epist. Ad Gajun] dicit : si aliquis videns Deum, intellexerit quod vidit, non ipsum vidit sed aliquid eorum quae sunt ejus. Si ergo praedicta nomina differunt secundum diversas rationes quas de eis intelleximus, istis rationibus nihil respondet quod in Deo sit, sed in his quae Dei sunt, scilicet creaturis.

2. Par ailleurs Denys dit dans sa Lettre à Gaïus : Si quelqu’un, voyant Dieu, comprend ce qu’il a vu, il comprendra que ce n’est pas Lui qu’il a vu, mais une des choses qui viennent de Lui. Si donc les noms qui précèdent diffèrent d’après différentes notions que nous avons comprises à leur sujet, rien de ce qui est en dieu ne correspond à ces notions, mais c’est plutôt les choses qui viennent de Dieu, à savoir les créatures, qui y correspondent.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Commentator dicit [XI Metaph., text. 31) loquens de hujusmodi nominibus, quod multiplicitas, quam ista nomina praetendunt, est in Deo secundum intellectum, et nullo modo secundum rem. Ergo videtur quod pluralitas harum rationum sit secundum intellectum nostrum tantum.

3. Par ailleurs, le Commentateur dit [Métaphysique XI, 31], en parlant de ces noms que la multiplicité que ces noms mettent de l’avant est en Dieu seulement selon l’intelligence et nullement selon la chose. Il semble donc que la multiplicité de ces notions n’existe que selon notre intelligence.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quidquid est in Deo, Deus est. Si ergo istae rationes secundum quas attributa differunt, sunt in Deo, ipsae sunt Deus. Sed Deus est unus et simplex. Ergo istae rationes, secundum quod in Deo sunt, non sunt plures.

4. Par ailleurs, tout ce qui est en Dieu est Dieu. Si donc ces notions, d’après lesquelles les attributs diffèrent, sont en Dieu, ces notions elles-mêmes sont Dieu. Mais Dieu est un et simple. Donc ces notions, en tant qu’elles sont en Dieu, ne sont pas multiples.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, illud quod in se est unum omnibus modis, non est radix alicujus multitudinis in eo existentis. Sed essentia divina est una omnibus modis, quia est summe una. Ergo non potest esse radix alicujus multitudinis in ea existentis. Pluralitas ergo dictarum rationum non radicatur in essentia divina sed in intellectu tantum.

5. En outre, ce qui en soi est un absolument n’est pas la racine d’une multiplicité existant en lui. Mais l’essence divine est une absolument puisqu’elle est parfaitement une. Elle ne peut donc être la racine d’une multiplicité existant en elle. Donc, la multiplicité de ces notions ne s’enracine pas dans l’essence divine mais dans l’intelligence seulement.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, Damascenus dicit, quod in Deo omnia sunt unum praeter ingenerationem et generationem et processionem. Si ergo sapientia et bonitas et hujusmodi attributa sunt in Deo, secundum quod in ipso sunt, non habent aliquam pluralitatem. Ergo pluralitas rationum quam nomina significant, non est in Deo, sed in intellectu nostro tantum.

6. De plus, Damascène dit qu’en Dieu toutes les choses sont une au-delà de toute création, de toute génération et de toute procession. Si donc la sagesse, la bonté et tous les attributs de cette sorte sont en Dieu, ils ne posséderont aucune multiplicité en tant qu’ils existeront en Lui. Donc la multiplicité des notions que ces noms signifient n’existe pas en Dieu lui-même, mais seulement dans notre intelligence

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, Dionysius [ult. cap. de div. Nom. § 1] dicit quod Deus dicitur perfectus sicut omnia in seipso comprehendens ; et hoc est etiam quod philosophus et Commentator dicit, quod Deus dicitur perfectus, quia omnes perfectiones quae sunt in omnibus generibus rerum in ipso sunt. Haec autem perfectio, qua Deus perfectus est, est secundum rem, et non secundum intellectum tantum. Ergo ista attributa quae perfectionem demonstrant, non sunt tantum in intellectu, sed in re, quae Deus est.

Cependant :

1. Denys dit dans le dernier chapitre des Noms Divins [13, & 1] qu’on dit de Dieu qu’il est parfait en tant qu’il comprend en Lui toute chose ; et c’est là ce que disent aussi le Philosophe et le Commentateur, à savoir qu’on dit de Dieu qu’il est parfait parce qu’existent en Lui toutes les perfections qui existent dans tous les genres d’êtres. Mais cette perfection par laquelle Dieu est parfait existe selon la chose, réellement, et non pas seulement selon l’intelligence. Donc ces attributs qui manifestent la perfection n’existent pas seulement dans l’intelligence mais dans cette réalité qui est Dieu.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Dionysius[IX cap. De div. Nom. § 6] dicit, quod creaturae dicuntur Deo similes, inquantum imitantur Deum, qui perfecte imitabilis non est a creatura. Ista autem imitatio est secundum participationem attributorum. Ergo creaturae sunt Deo similes, secundum sapientiam, bonitatem et hujusmodi. Sed hoc non posset esse, nisi praedicta essent in Deo secundum proprias rationes. Ergo ratio sapientiae et bonitatis proprie in Deo est ; et ita hujusmodi rationes non sunt tantum ex parte intellectus.

2. De plus, Denys dit au chapitre 1X des Noms Divins [&6, col. 914, t. 1] qu’on dit des créatures qu’elles sont semblables à Dieu selon qu’elles imitent Dieu qui ne peut être imité parfaitement par la créature. Mais cette imitation se produit d’après une participation des attributs. Donc, les créatures sont semblables à Dieu d’après la sagesse, la bonté et les attributs de cette sorte. Mais cela ne peut avoir lieu que si les attributs qui précèdent existent en Dieu selon la nature qui leur est propre. Donc, la nature de la sagesse et de la bonté existent proprement en Dieu et ainsi de telles natures n’existent pas seulement du côté de l’intelligence.

[185] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 3 Praeterea, sapientia non dicitur aequivoce de Deo et creatura ; alias sapientia creata non duceret in cognitionem sapientiae increatae ; et similiter est de potentia et bonitate et de aliis hujusmodi. Sed ea quae praedicantur de pluribus secundum rationes omnino diversas, aequivoce praedicantur. Ergo aliquo modo ratio sapientiae, secundum quod de Deo dicitur et de creaturis, est una, non quidem per univocationem, sed per analogiam : et similiter est de aliis. Sed ratio sapientiae, secundum quod de creaturis dicitur non est eadem ratio cum ratione bonitatis et potentiae. Ergo etiam secundum quod ista de Deo dicuntur, non sunt eaedem rationes sed diversae.

3. En outre, la sagesse ne s’attribue pas à Dieu et à la créature de manière équivoque : autrement, la sagesse créée ne conduirait pas à la connaissance de la sagesse incréée ; et il en est de même pour la puissance, la bonté et tous les autres attributs de cette sorte. Mais ce qui s’attribue à une multiplicité d’après des significations totalement différentes s’attribuent de manière équivoque. Donc, d’une certaine manière, la notion de sagesse, selon qu’elle se dit de Dieu et des créatures, est une : non pas certes d’une manière univoque, mais par analogie : et il en est de même pour les autres notions. Mais la notion de sagesse, selon qu’elle se dit des créatures, n’est pas une notion identique à la notion de bonté ou à celle de puissance. Donc, même lorsque ces attributs se disent de Dieu, leurs notions ne sont pas identiques mais différentes.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 4 Praeterea, sicut Deus vere est Pater, ita etiam vere est sapiens. Sed ex hoc quod vere Deus est Pater, non potest dici quod ratio paternitatis sit in intellectu tantum. Ergo nec ex hoc quod Deus vere est sapiens, potest dici quod ratio sapientiae sit in intellectu tantum. Sed ratio paternitatis, quae realiter in Deo est, non est eadem cum ratione divinitatis. Unde nec paternitate est Deus, nec divinitate est Pater : et tamen ista pluralitas rationum non tollit simplicitatem divinam, propter hoc quod essentia et paternitas idem sunt in re. Ergo similiter si ponamus sapientiam et essentiam esse idem re omnino, et rationes eorum diversas, non tolletur simplicitas divinae essentiae. Sed divinae essentiae simplicitas est tota causa quare ista attributa in Deo non differunt. Ergo non est inconveniens ponere, quod sapientiae et bonitatis ratio in Deo est, et tamen una non est altera, si res omnino una ponatur.

4. Par ailleurs, tout comme Dieu est véritablement Père, de même encore il est véritablement sage. Mais du fait que Dieu est véritablement Père, on ne peut dire que la notion de paternité est seulement dans l’intelligence. Donc du fait que Dieu est véritablement sage, on ne peut dire que la notion de sagesse n’existe que dans l’intelligence. Mais la notion de paternité, qui existe réellement en Dieu, n’est pas identique à la notion de divinité. De là, ce n’est pas par la paternité qu’il est Dieu et ce n’est pas par la divinité qu’il est Père. Et cependant cette pluralité de notion n’empêche pas la simplicité divine pour cette raison que l’essence et la paternité sont identiques par la chose. Donc de même, si nous posions que la sagesse et l’essence sont absolument identiques par la chose et que leurs notions sont différentes, la simplicité de l’essence divine ne serait pas supprimée pour autant. Mais la simplicité de l’essence divine est la seule cause pour laquelle ces attributs ne diffèrent pas en Dieu. Il n’y a donc pas de difficulté à poser que la notion de sagesse et de la bonté sont en Dieu et cependant que l’une n’est pas l’autre, si on pose que la chose est absolument une.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 s. c. 5 Si dicatur quod non est simile de relationibus personalibus et de attributis essentialibus, quia in Deo non sunt nisi duo praedicamenta, scilicet substantia et relatio, unde ratio relationis est alia a ratione substantiae, non tamen ratio sapientiae et aliorum absolutorum est alia a substantia : Contra. Relatio in divinis habet duplicem comparationem : unam ad suum correlativum, secundum quam ad aliquid dicitur ; aliam ad essentiam, secundum quam est idem re cum ea. Sed secundum id quod aliquid est idem alteri, non facit numerum cum eo. Ergo quod relationes ad aliud praedicamentum pertineant quam ad praedicamentum substantiae, est per comparationem ad suum relativum. Ergo adhuc manet eadem comparatio sapientiae et paternitatis ad essentiam.

5. Si on dit qu’il n’en est pas de même pour les relations personnelles et pour les attributs essentiels parce qu’en Dieu il n’y a que deux prédicaments, à savoir la substance et la relation et que de ce fait la notion de la relation diffère de celle de la substance et que cependant la notion de la sagesse et des autres attributs essentiels ou absolus ne diffère pas de la substance, il faut répondre à cela que la relation dans les personnes divines se présente sous deux rapports : le premier se présente à l’égard de son corrélatif, selon lequel on l’appelle relatif ; l’autre se présente à l’égard de l’essence, selon lequel il lui est identique par la chose. Mais en tant qu’une chose est identique à une autre, elle ne fait pas nombre avec elle. Donc, que les relations appartiennent à un autre prédicament qu’à celui de la substance, cela est dû au rapport à leurs corrélatifs. Donc, le rapport de la sagesse et de la paternité à l’essence demeure encore le même.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, art. praeced., in corp., sapientia et bonitas et omnia hujusmodi sunt omnino unum re in Deo, sed differunt ratione : et haec ratio non est tantum ex parte ipsius ratiocinantis, sed ex proprietate ipsius rei.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que, ainsi que nous l’avons dit plus haut dans le corps de l’article précédent, la sagesse et la bonté, ainsi que tous les attributs de cette sorte sont absolument un par la chose en Dieu, mais ils diffèrent par la notion : et cette notion ne se tient pas seulement du côté de celui-là même qui raisonne, mais du côté de la propriété de la chose elle-même.

Ad cujus rei evidentiam, ut diligenter explicetur, quia ex hoc pendet totus intellectus eorum quae in 1 libro dicuntur, quatuor oportet videre.

Primo quid sit ratio secundum quam dicimus attributa ratione differre.

Secundo quomodo dicatur aliqua ratio in aliqua re esse vel non esse.

Tertio utrum istae rationes diversae attributorum sint in Deo vel non.

Quarto utrum pluralitas istarum rationum sit tantum ex parte intellectus nostri vel aliquo modo ex parte rei.

Pour expliquer cela avec plus de soin pour en avoir davantage l’évidence, car c’est de cela que dépend toute la compréhension des choses dont on traite dans ce premier livre, il faut saisir quatre points.

En premier lieu il faut voir quelle est la raison pour laquelle nous disons que les attributs diffèrent par la raison.

En deuxième lieu comment on dit qu’une notion existe ou n’existe pas dans une chose.

En troisième lieu il faut voir si ces notions différentes des attributs existent ou non en Dieu.

En quatrième lieu il faut voir si la multiplicité de ces notions existe seulement du côté de notre intelligence ou d’une certaine manière aussi du côté de la chose.

Quantum ad primum pertinet, sciendum est, quod ratio, prout hic sumitur, nihil aliud est quam id quod apprehendit intellectus de significatione alicujus nominis : et hoc in his quae habent definitionem, est ipsa rei definitio, secundum quod philosophus dicit [IV Metaph., text ; 11] : Ratio quam significat nomen est definitio. Sed quaedam dicuntur habere rationem sic dictam, quae non definiuntur, sicut quantitas et qualitas et hujusmodi, quae non definiuntur, quia sunt genera generalissima. Et tamen ratio qualitatis est id quod significatur nomine qualitatis ; et hoc est illud ex quo qualitas habet quod sit qualitas. Unde non refert, utrum illa quae dicuntur habere rationem, habeant vel non habeant definitionem. Et sic patet quod ratio sapientiae quae de Deo dicitur, est id quod concipitur de significatione hujus nominis, quamvis ipsa sapientia divina definiri non possit. Nec tamen hoc nomen ratio significat ipsam conceptionem, quia hoc significatur per nomen sapientiae vel per aliud nomen rei ; sed significat intentionem hujus conceptionis, sicut et hoc nomen definitio, et alia nomina secundae impositionis.

Quant à ce qui appartient au premier point, il faut savoir que le terme ¨notion¨, tel qu’il est pris ici, n’est rien d’autre que ce qu’appréhende l’intelligence au sujet de la signification d’un nom : et cela, pour les choses qui ont une définition, est la définition de la chose elle-même, selon ce qu’en dit le Philosophe dans sa Métaphysique [Livre IV, text. 11] : la notion signifiée par le nom est la définition. Mais il y a des réalités dont on dit qu’elles ont une telle notion mais qui ne sont pas définies, comme la quantité et la qualité, car ils sont les genres les plus universels. Et pourtant la notion de la qualité est ce qui est signifié par le nom de qualité et c’est là ce par quoi la qualité est une qualité. De là, il n’importe pas que ce qu’on dit avoir une notion ait ou non une définition. Et ainsi il est clair que la notion de sagesse qui est attribuée à Dieu est ce qu’on conçoit au sujet de la signification de ce nom, bien que la sagesse divine elle-même ne puisse être définie. Et cependant ce nom de notion ne signifie pas la conception elle-même, car cela est signifié par le nom de sagesse ou par une autre nom de la chose ; mais il signifie plutôt l’intention de cette conception, comme ce nom de définition et les autres noms de la seconde imposition.

 

 

 

 

Et ex hoc patet secundum, scilicet qualiter ratio dicatur esse in re. Non enim hoc dicitur, quasi ipsa intentio quam significat nomen rationis, sit in re ; aut etiam ipsa conceptio, cui convenit talis intentio, sit in re extra animam, cum sit in anima sicut in subjecto : sed dicitur esse in re, inquantum in re extra animam est aliquid quod respondet conceptioni animae, sicut significatum signo.

Et c’est à partir de là que le deuxième point  devient clair, à savoir de quelle manière on dit qu’une notion existe dans la chose. En effet, on ne dit pas cela comme si l’intention elle-même que signifie le nom de notion existait dans la chose ou comme si encore la conception elle-même à laquelle appartient telle intention existait dans la chose en dehors de l’âme, puisque cette conception existe dans l’âme comme dans son sujet ; mais on dit qu’elle existe dans la chose dans la mesure où dans la chose, en dehors de l’âme, il y a quelque chose qui correspond à la conception de l’âme, tout comme le signifié correspond au signe.

Unde sciendum, quod ipsa conceptio intellectus tripliciter se habet ad rem quae est extra animam.

De là, il faut savoir que la conception même de l’intelligence se rapporte de trois façons à la chose qui est en dehors de l’âme.

Aliquando enim hoc quod intellectus concipit, est similitudo rei existentis extra animam, sicut hoc quod concipitur de hoc nomine homo ; et talis conceptio intellectus habet fundamentum in re immediate, inquantum res ipsa, ex sua conformitate ad intellectum, facit quod intellectus sit verus, et quod nomen significans illum intellectum, proprie de re dicatur.

Parfois en effet cela même que l’intelligence conçoit est une similitude de la chose qui existe en dehors de l’âme, comme ce que l’intelligence conçoit au sujet de ce nom homme ; et une telle conception de l’intelligence a un fondement dans la chose d’une manière immédiate, dans la mesure où la chose elle-même, du fait de sa conformité à l’intelligence, fait que l’intelligence est dans le vrai et que le nom signifiant cette conception se dit proprement de la chose.

Aliquando autem hoc quod significat nomen non est similitudo rei existentis extra animam, sed est aliquid quod consequitur ex modo intelligendi rem quae est extra animam : et hujusmodi sunt intentiones quas intellectus noster adinvenit ; sicut significatum hujus nominis genus non est similitudo alicujus rei extra animam existentis ; sed ex hoc quod intellectus intelligit animal ut in pluribus speciebus, attribuit ei intentionem generis ; et hujusmodi intentionis licet proximum fundamentum non sit in re sed in intellectu, tamen remotum fundamentum est res ipsa. Unde intellectus non est falsus, qui has intentiones adinvenit. Et simile est de omnibus aliis qui consequuntur ex modo intelligendi, sicut est abstractio mathematicorum et hujusmodi.

Parfois cependant ce que signifie le nom n’est pas une similitude de la chose qui existe en dehors de l’âme mais est quelque chose qui découle de la manière de saisir la chose qui est en dehors de l’âme : et les intentions que notre intelligence découvre sont quelque chose de cette sorte ; par exemple la signification du nom genre n’est pas une similitude d’une chose qui existe en dehors de l’âme ; mais du fait que l’intelligence saisit la notion d’animal comme existant dans plusieurs espèces, il lui attribue l’intention de genre ; et bien que le fondement prochain d’une telle intention n’est pas dans la chose mais dans l’intelligence, cependant le fondement éloigné est la chose elle-même. De là, l’intelligence qui découvre ces intentions n’est pas dans le faux. Et il en est de même pour toutes les autres notions qui découlent de la manière de comprendre, comme on peut le voir dans les abstractions mathématiques et les représentations de cette sorte.

Aliquando vero id quod significatur per nomen, non habet fundamentum in re, neque proximum neque remotum, sicut conceptio Chimerae : quia neque est similitudo alicujus rei extra animam, neque consequitur ex modo intelligendi rem aliquam naturae : et ideo ista conceptio est falsa. Unde patet secundum, scilicet quod ratio dicitur esse in re, inquantum significatum nominis, cui accidit esse rationem, est in re : et hoc contingit proprie, quando conceptio intellectus est similitudo rei.

Mais parfois ce qui est signifié par le nom n’a dans la chose ni un fondement prochain, ni un fondement éloigné, comme la conception ¨chimère¨ : car cette conception n’est pas une similitude d’une chose qui existe en dehors de l’âme et elle ne découle pas de la manière de comprendre une chose ayant une nature ; et c’est pourquoi cette conception est fausse. C’est pourquoi le deuxième point est clair, à savoir qu’on dit qu’une notion existe dans une chose dans la mesure où la signification du nom, à laquelle correspond la notion, existe dans la chose ; et cela se produit à proprement parler quand la conception de l’intelligence est une similitude de la chose.

Quantum ad tertium, scilicet utrum rationes attributorum in Deo sint, sciendum est, quod circa hoc videtur esse duplex opinio. Quidam enim dicunt, ut Avicenna [lib. de intelligen.] et Rabbi Moyses [lib. I, cap. LVII et LVIII] quod res illa quae Deus est, est quoddam esse subsistens, nec aliquid aliud nisi esse, in Deo est : unde dicunt, quod est esse sine essentia. Omnia autem alia quae Deo attribuuntur, verificantur de Deo dupliciter, secundum eos : vel per modum negationis, vel per modum causalitatis.

Quant au troisième point, à savoir si les notions des attributs existent en Dieu, il faut savoir qu’à ce sujet on retrouve deux opinions. Certains en effet, comme Avicenne [Livre sur l’intelligence] et le Rabin Moïse [Livre 1, ch. LVIII], disent que cette réalité qui est Dieu est un être subsistant et qu’en Dieu il n’y a rien d’autre que l’être : et à partir de là ils disent qu’il est un être sans essence. Mais toutes les autres choses qui sont attribuées à Dieu se vérifient de Lui de deux manières selon eux : soit par mode de négation soit par mode de causalité.

Per modum negationis dupliciter : vel ad removendum privationem seu defectum oppositum, ut dicimus Deum sapientem, ut removeatur defectus qui est in carentibus sapientia ; vel secundum quod aliquid ex negatione consequitur, sicut est de hoc nomine unus, qui ex hoc ipso quod non est divisus, est unus.

Par mode de négation de deux manières : soit pour écarter une privation ou un défaut opposé, comme lorsque nous disons que Dieu est sage pour écarter le défaut qu’on retrouve chez ceux qui manquent de sagesse ; soit d’après quelque chose qui découle d’une négation, comme on le voit par exemple pour le nom ¨un¨, qui signifie qu’un être est un par cela même qu’il n’est pas divisé.

Similiter ex hoc ipso quod est immaterialis, est intelligens. Unde, secundum eos, omnia ista nomina potius sunt inventa ad removendum, quam ad ponendum aliquid in Deo. Item per modum causalitatis dupliciter : vel inquantum producit ista in creaturis, ut dicatur Deus bonus, quia bonitatem creaturis influit et sic de aliis ; vel inquantum ad modum creaturae se habet, ut dicatur Deus volens vel pius, inquantum se habet ad modum volentis vel pii in modo producendi effectum, sicut dicitur iratus, quia ad modum irati se habet. Et secundum hanc opinionem sequitur quod omnia nomina quae dicuntur de Deo et creaturis, dicantur aequivoce, et quod nulla similitudo sit creaturae ad creatorem ex hoc quod creatura est bona vel sapiens vel hujusmodi aliquid ; et hoc expresse dicit Rabbi Moyses.

De la même manière, par cela même qu’il est immatériel, il est intelligent. De là, d’après eux, tous ces noms ont plutôt été découverts pour écarter que pour poser quelque chose en Dieu.

En outre par mode de causalité de deux manières: soit selon qu’il produit ces attributs dans les créatures, comme lorsqu’on dit que Dieu est bon parce qu’il répand la bonté dans les créatures et qu’il en est de même pour les autres attributs; soit dans la mesure où il se presente à la manière de la créature, comme lorsqu’on dit que Dieu veut ou qu’il est juste, selon qu’Il se presente à la manière de celui qui veut et qui est juste dans sa façon de produire son effet, tout comme on dit qu’il est en colère parce qu’il se presente à la manière de celui qui est fâché. Et d’après cette opinion il s’ensuit que tous les noms qu’on attribue à la fois à Dieu et aux créatures s’attribuent de manière équivoque et qu’il n’y a aucune similitude de la créature au créateur en partant du fait que la créature est bonne, sage ou possède un attribut de cette sorte; et le Rabin Moïse s’exprime clairement à ce sujet.

Secundum hoc, illud quod concipitur de nominibus attributorum, non refertur ad Deum, ut sit similitudo alicujus quod in eo est. Unde sequitur quod rationes istorum nominum non sunt in Deo, quasi fundamentum proximum habeant in ipso, sed remotum ; sicut nos dicimus de relationibus quae ex tempore de Deo dicuntur ; hujusmodi enim relationes in Deo secundum rem non sunt, sed sequuntur modum intelligendi, sicut dictum est de intentionibus. Et sic, secundum hanc opinionem, rationes horum attributorum sunt tantum in intellectu, et non in re, quae Deus est ; et intellectus eas adinvenit ex consideratione creaturarum vel per negationem vel per causalitatem, ut dictum est.

D’après cela, ce qui est conçu au sujet des noms des attributs n’est pas rapporté à Dieu comme s’il s’agissait d’une similitude de quelque chose qui existerait en Lui. Il suit de là que les notions de ces noms n’existent pas en Dieu comme si elles avaient en lui un fondement prochain, mais un fondement éloigné, tout comme nous le disons pour les relations que nous attribuons à Dieu à partir du temps; de telles relations en effet n’existent pas en Dieu selon la chose, mais elles découlent de la manière de comprendre comme nous l’avons dit au sujet des intentions. Et ainsi, d’après cette opinion, les notions de ces attributs n’existent que dans l’intelligence et non pas dans la réalité dont on parle et qui est Dieu; et l’intelligence les découvre à partir de la considération des créatures soit par la négation, soit par la causalité ainsi que nous l’avons dit.

Alii vero dicunt, ut Dionysius [cap. XIII de div. Nom. § 1] et Anselmus [Monol., cap. III], quod in Deo praeeminenter existit quidquid perfectionis in creaturis est. Et haec eminentia attenditur quantum ad tria : scilicet quantum ad universalitatem, quia in Deo sunt omnes perfectiones adunatae, quae non congregantur in aliqua [aliqua una Éd. de Parme] creatura.

Item quantum ad plenitudinem, quia est ibi sapientia sine omni defectu, et similiter de aliis attributis : quod non est in creaturis.

Iterum [Item Éd. de Parme] quantum ad unitatem ; quae enim in creaturis diversa sunt, in Deo sunt unum. Et quia in illo uno habet omnia, ideo secundum illud unum causat omnia, cognoscit omnia et omnia sibi per analogiam similantur.

Mais d’autres, comme Denys [Les Noms Divins, ch. XIII, &1] et Anselme [Monol. Ch. 111], dissent que chacune des perfections qui existent dans les creatures existe en Dieu d’une manière incomparablement plus élevée. Et cette élévation doit s’entendre de trois manières: c’est-à-dire premièrement quant à l’universalité, car en Dieu on retrouve toutes les perfections réunies, lesquelles ne sont réunies dans aucune creature.

En outre cela doit s’entendre quant à la plenitude car là la sagesse est présente sans aucun défaut et il en  est de même pour les autres attributs: ce qui n’a pas lieu chez les creatures.

De plus, cette élévation doit s’entendre enfin quant à l’unité; en effet ce qui est séparé dans les créatures est un en Dieu. Et parce que c’est dans cet unité qu’il possède tous les êtres, c’est pourquoi c’est d’après cet un qu’il cause tous les êtres, qu’il les connaît tous et qu’il les rend tous semblables à lui par analogie.

Secundum ergo hanc opinionem, conceptiones quas intellectus noster ex nominibus attributorum concipit, sunt vere similitudines rei, quae Deus est, quamvis deficientes et non plenae, sicut est de aliis rebus quae Deo similantur. Unde hujusmodi rationes non sunt tantum in intellectu, quia habent proximum fundamentum in re quae Deus est. Et ex hoc contingit quod quidquid sequitur ad sapientiam, inquantum hujusmodi, recte et proprie convenit Deo. Hae autem opiniones, quamvis in superficie diversae videantur, tamen non sunt contrariae, si quis dictorum rationes ex causis assumit dicendi. Quia primi consideraverunt ipsas res creatas, quibus imponuntur nomina attributorum, sicut quod hoc nomen sapientia imponitur cuidam qualitati, et hoc nomen essentia cuidam rei quae non subsistit : et haec longe a Deo sunt : et ideo dixerunt, quod Deus est esse sine essentia, et quod non est in eo sapientia secundum se.

Donc d’après cette opinion, les conceptions que notre intelligence conçoit à partir des noms des attributs sont véritablement des similitudes de la réalité qui est Dieu, bien qu’elles soient déficientes et non complètes, comme les autres choses qui sont semblables à Dieu. De là, de telles notions n’existent pas seulement dans l’intelligence parce qu’elles possèdent un fondement prochain dans cette réalité qui est Dieu. Et de là il résulte que tout ce qui découle de la sagesse en tant que telle appartient de bon droit et proprement à Dieu. Mais ces opinions, bien qu’elles apparaissent différentes en apparence, ne sont cependant pas contraires  si c’est à partir des causes qu’on choisit de parler des raisons de ce qui est dit. Car les premiers ont considéré les choses créées elles-mêmes auxquelles sont imposés les noms des attributs, tout comme le nom sagesse est imposé à une qualité et le nom essence à une chose qui ne subsiste pas : et ces choses sont fort éloignées de Dieu : et c’est pourquoi ils ont dit que Dieu est un être sans essence et que la sagesse en tant que telle n’existe pas en Lui.

Alii vero consideraverunt modos perfectionis, ex quibus dicta nomina sumuntur : et, quia Deus secundum unum simplex esse omnibus modis perfectus est, qui importantur per hujusmodi nomina, ideo dixerunt, quod ista nomina positive Deo conveniunt. Sic ergo patet quod quaelibet harum opinionum non negat hoc quod alia dicit : quia nec primi dicerent [dicunt Éd. de Parme] aliquem modum perfectionis Deo deesse, nec secundi qualitatem, aut res non subsistentes in Deo ponerent [ponunt. Éd. de Parme].

Mais les autres ont considéré les modes de perfection à partir desquels ces noms se tirent ; et, parce que Dieu, d’après un êre un et simple, est parfait de toutes les manières qui sont introduites par de tels noms, c’est pourquoi ils ont dit que ces noms conviennent à Dieu positivement. Ainsi donc, il est clair que chacune de ces opinions ne nie pas ce que l’autre dit : car les premiers ne diraient pas qu’un mode de perfection manque à Dieu et les seconds ne poseraient pas en Dieu une qualité ou des choses qui ne subsistent pas.

Sic ergo patet tertium, scilicet quod rationes attributorum sunt vere in Deo, quia ratio nominis magis se tenet ex parte ejus a quo imponitur nomen, quam ex parte eius cui imponitur.

Ainsi donc le troisième point est clair, à savoir que les notions des attributs existent véritablement en Dieu car la notion du nom se tient davantage du côté de celui par lequel le nom est imposé que du côté de ce à quoi il est imposé.

Quantum vero ad quartum, scilicet utrum [Et sic patet quartum, quod Éd. de Parme] pluralitas istorum nominum sit tantum est ex parte intellectus nostri formantis diversas conceptiones de Deo, quae dicuntur diversae rationes, ut ex dictis, art. anteced., patet, sed ex parte ipsius Dei, inquantum scilicet est aliquid in Deo correspondens omnibus istis conceptionibus, scilicet plena et omnimoda ipsius perfectio, secundum quam contingit quod quodlibet nominum significantium istas conceptiones, de Deo vere et proprie dicitur ; non autem ita quod aliqua diversitas vel multiplicitas ponatur in re, quae Deus est, ratione istorum attributorum.

Quant au quatrième point, à savoir si la pluralité de ces noms se tient seulement du côté de notre intelligence qui forme les différentes conceptions de Dieu et qu’on appelle les différentes notions ainsi que nous le voyons à partir de ce qui est dit dans l’article précédent, mais du côté de Dieu lui-même, c’est-à-dire dans la mesure où il y a quelque chose en Dieu qui correspond à toutes ces conceptions, c’est-à-dire la perfection pleine et complète de Celui-ci, d’après laquelle il résulte que n’importe quel des noms signifiantces conceptions s’attribue véritablement et proprement à Dieu ; non pas cependant de telle manière qu’une diversité ou une multiplicité soit posée en la réalité qui est Dieu par la notion de ces attributs.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 1 His visis facile est respondere ad objecta. Ad primum ergo dicendum, quod intentio Dionysii est dicere, quod secundum diversas bonitates quas creaturis influit Deus nominatur, manifestatur et laudatur ; non autem ita quod rationes illarum bonitatum ex hoc verificentur de eo quia creaturis eas influit, sed magis e converso, ut dictum est, in corp. Quamvis enim conditio causae cognoscatur ex conditionibus effectus, non tamen conditio causae verificatur propter conditiones effectus, sed e converso.

Solutions :

1. Ceci étant vu, il est facile de répondre aux difficultés. Il faut dire à l’égard de la première difficulté que l’intention de Denys est de dire que Dieu est nommé, manifesté et loué d’après les différentes bontés qu’Il répand dans les créatures ; non pas cependant de telle manière que les notions correspondant à ces bontés se vérifient de lui du fait qu’il les répand dans les créatures, mais plutôt il les répand dans les créaturs du fait de sa bonté, ainsi que nous l’avons dit dans les corps de l’article. Bien en effet que la condition de la cause est connue à partir ds conditions de l’effet, ce n’est cependant pas la condition de la cause qui se vérifie à cause des conditions de l’effet, mais c’est plutôt l’inverse qui est vrai.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod intellectus noster id quod concipit de bonitate vel de sapientia non refert in Deum quasi in eo sit per modum quo ipse concipit, quia hoc esset comprehendere ejus sapientiam vel bonitatem ; sed intelligit ipsam bonitatem divinam, cui aliqualiter simile est quod intellectus noster concipit, esse supra id quod de eo concipitur. Unde per hujusmodi conceptiones non videtur ipse Deus secundum quod in se est, sed intelligitur supra intellectum. Et hoc vult dicere Dionysius in illa auctoritate.

Quant à la deuxième difficulté, il faut dire que ce que conçoit notre intelligence au sujet de la bonté ou de la sagesse ne se rapporte pas à Dieu comme si ces conceptions existaient en elle à la manière dont Lui-même conçoit, car cela reviendrait à comprendre sa sagesse et sa bonté ; mais elle saisit que la bonté divine elle-même, à laquelle ce que notre intelligence conçoit est semblable d’une certaine manière, est au-delà de ce qui est conçu à son sujet. De là, au moyen des conceptions de cette sorte, Dieu lui-même n’est pas vu tel qu’il est en lui-même mais il est saisi comme étant au-dessus de l’intelligence. Et c’est là ce que veut dire Denys par ce témoignage.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod multiplicitas ista attributorum nullo modo ponitur in Deo quasi ipse secundum rem sit multiplex ; sed tamen ipse secundum suam simplicem perfectionem, multitudini istorum attributorum correspondet, ut vere de Deo dicantur. Et hoc intendit Commentator.

3. Il faut dire en troisième lieu que cette multiplicité des attributs n’est en aucune manière posée en Dieu comme si Lui-même était multiple en réalité ; mais Lui-même cependant selon sa perfection qui est simple correspond à la multiplicité de ces attributs de sorte que ces attributs se disent véritablement de Dieu. Et c’est là ce que le Commentateur cherche à montrer.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ratio hominis non dicitur esse in homine quasi res quaedam in ipso, sed est sicut in subjecto in intellectu, et est in homine sicut in eo quod praestat fulcimentum veritati ipsius ; ita etiam ratio bonitatis divinae est in intellectu sicut in subjecto, in Deo autem sicut in eo quod correspondet per quamdam similitudinem isti rationi, faciens ejus veritatem. Unde patet quod ratio procedit ex malo intellectu ejus quod dicitur.

4. Il faut dire en quatrième lieu que tout comme on ne dit pas que la notion de l’homme est dans l’homme comme une chose qui est en lui, mais qu’elle est dans l’intelligence comme dans un sujet et qu’elle est dans l’homme comme dans celui qui fournit un soutien à sa vérité ; de même encore la notion de bonté divine est dans l’intelligence comme dans un sujet, et en Dieu comme dans celui qui correspond par une certaine ressemblance à cette notion de manière à la rendre vraie. D’où il est clair que cette difficulté procède d’une mauvaise interprétation de ce qui est dit.

[193] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur fundari vel radicari in aliquo metaphorice, ex quo firmitatem habet. Rationes autem intellectae habent duplicem firmitatem : scilicet firmitatem sui esse, et hanc habent ab intellectu, sicut alia accidentia a suis subjectis ; et firmitatem suae veritatis, et hanc habent ex re cui conformantur. Ex eo enim quod res est vel non est locutio et intellectus veritatem vel falsitatem habet. Rationes ergo attributorum fundantur vel radicantur in intellectu quantum ad firmitatem sui esse, quia, ut dictum est, art. anteced., intellectus est earum subjectum ; in essentia autem divina quantum ad firmitatem suae veritatis ; et hoc in nullo repugnat divinae simplicitati.

5. Il faut dire en cinquième lieu que c’est de manière métaphorique qu’on dit d’une chose qu’elle se fonde ou s’enracine dans une autre de laquelle elle tient sa fermeté. Cependant les notions qu’on conçoit possèdent une double fermeté : à savoir premièrement la fermeté de leur existence qu’elles tiennent de l’intelligence comme les autres accidents tiennent la leur de leurs sujets ; puis deuxièmement la fermeté de leur vérité qu’elles tiennent de la chose à laquelle elles se conforment. En effet, du fait qu’une chose est ou n’est pas, la parole et l’intelligence possèdent vérité ou fausseté. Donc, les notions des attributs se fondent ou s’enracinent dans l’intelligence quant à la fermeté de leur existence car, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, l’intelligence est leur sujet ; cependant, quant à la fermeté de leur vérité, elles s’enracinent dans l’essence divine ; et cela ne répugne en rien à la simplicité divine.

lib. 1 d. 2 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in Deo omnia sunt unum re, praeter ingenerationem, generationem, et processionem, quae constituunt personas re distinctas : non autem oportet quod quidquid praeter ista de Deo dicitur, sit unum ratione. Et similiter intelligendum est quod dicit Boetius [I De trin., cap. VI], quod sola relatio multiplicat Trinitatem, scilicet pluralitate reali. Tunc enim aliquid est unum re et ratione multiplex, quando una res respondet diversis conceptionibus et nominibus, ut de ea verificentur ; sicut punctum, quod cum sit una res, respondet secundum veritatem diversis conceptionibus de eo factis, sive prout cogitatur in se, sive prout cogitatur centrum, sive prout cogitatur principium linearum ; et hae rationes sive conceptiones sunt in intellectu sicut in subjecto, et in ipso puncto sicut in fundamento veritatis istarum conceptionum. Quamvis istud exemplum non sit usquequaque conveniens, sicut nec alia quae in divinis inducuntur.

6. En sixième lieu il faut dire qu’en Dieu tous les attributs qui constituent les personnes distinctes par la chose sont un par la chose, au-delà de toute création, de toute génération de toute procession : il ne faut pas cependant que tout ce qui est dit de Dieu en-dehors de cela soit un par la raison. Et c’est de la même manière qu’il faut comprendre ce que dit Boèce [1 De Trinitate, ch.  VI], à savoir que la relation seule multiplie la Trinité, c’est-à-dire la multiplicité réelle de Dieu. Alors en effet quelque chose est un par la chose et multiple par la raison quand une même chose  s’accorde avec différentes conceptions et différents noms de telle manière que ces derniers se vérifient de cette chose. Par exemple le point qui, alors qu’il est une seule et même chose, s’accorde selon la vérité avec différentes conceptions qu’on fait de lui, soit selon qu’il est pensé absolument et en lui-même, soit selon qu’il est pensé en tant que centre, soit selon qu’il est pensé en tant que principe de la ligne ; et ces notions ou ces conceptions sont dansl’intelligence comme dans un sujet, et elles sont dans le point comme dans le fondement de la vérité de ces conceptions. Bien que cet exemple ne soit pas en tout point convenable, comme les autres choses qui sont introduites pour parles des choses divines.

 

 

Quaestio 1, articulus 4 [195] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 tit. Utrum in divinis sint plures personae

Article 4 – Y a-t-il en Dieu plusieurs personnes ?

[196] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod in unitate divinae essentiae non sit pluralitas personarum. In omnibus enim creaturis ita est quod ad multiplicationem suppositorum sequitur multiplicatio essentiae secundum numerum, sicut alia humanitas est numero in Socrate et Platone. Sed creaturae sunt exemplatae a Deo. Cum igitur divinam essentiam impossibile sit multiplicari, ut supra ostensum est, hac dist., art. 1, videtur quod impossibile sit esse ibi pluralitatem suppositorum, vel personarum.

Difficultés:

1. On procède de la manière suivante pour ce quatrième article. Il semble qu’il n’y ait pas une pluralité de personnes dans l’unité de l’essence divine. Dans toutes les creatures en effet les choses se produisent de telle manière que la multiplication de l’essence selon le nombre découle de la multiplication des individus, tout comme l’humanité est autre par nombre dans Socrate et dans Platon. Mais les creatures sont multipliées par Dieu. Donc, puisqu’il est impossible que l’essence divine soit multipliée comme nous l’avons montré plus haut dans cette distinction à l’article premier, il semble qu’il soit impossible qu’il y ait là une pluralité d’individus ou de personnes.

[197] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, eorum quae sunt idem, si unum multiplicatur vel communicatur, et reliquum. Sed in Deo idem est quo est et quod est, sive essentia et suppositum. Si ergo essentia non multiplicatur, ergo nec suppositum. Ergo et cetera.

2. En outre, si parmi les choses qui sont identiques, si l’une d’elles est multipliée ou communiquée, il en sera de même des autres. Mais en Dieu, ce par quoi il est, à savoir l’essence, est identique à ce qui est, à savoir l’individu. Si donc l’essence n’est pas multipliée, l’individu ne le sera donc pas non plus. Il n’y aura donc pas une multiplicité de personnes en Dieu.

[198] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, natura speciei ad hoc multiplicatur in pluribus individuis, quia non potest totam perfectionem habere in uno, eo quod individuum est corruptibile, et species incorruptibilis : unde in incorruptibilibus est tantum unum individuum in una specie, sicut sol. Sed natura divina habet omnem perfectionem in uno supposito. Ergo vanum est esse pluralitatem suppositorum, et hoc non potest esse in Deo.

3. En outre, la nature de l’espèce est multipliée dans plusieurs individus pour cela qu’elle ne peut posséder toute sa perfection dans un seul individu du fait que l’individu est corruptible et que l’espèce est incorruptible : c’est pourquoi dans les êtres incorruptibles il n’y a qu’un seul individu pour chaque espèce, comme c’est le cas pour le soleil. Mais la nature divine possède toute sa perfection dans un seul individu. Il est donc vain qu’il y ait une pluralité d’individus et cela ne peut avoir lieu en Dieu.

[199] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra. Sicut dicit Dionysius [De div. Nom., cap. IV, § 1, 694], bonum est communicativum sui. Sed Deus est summe bonus. Ergo summe se communicabit. Sed in creaturis non summe se communicat, quia non recipiunt totam bonitatem suam. Ergo oportet quod sit communicatio perfecta, ut scilicet totam suam bonitatem alii communicet. Hoc autem non potest esse in diversitate essentiae. Ergo oportet esse plures distinctos in unitate divinae essentiae.

Cependant :

1. Ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 1, 694], il est dans la nature du bien de se communiquer. Mais Dieu est le bien dans toute sa perfection. Il se communiquera donc au plus haut point. Mais il ne se communique pas au plus haut point dans les créatures, puisqu’elles ne reçoivent pas sa bonté dans sa totalité. Il faut donc qu’il y ait une communication parfaite de telle manière que sa bonté se communique à une autre dans sa totalité. Mais cela ne peut avoir lieu dans une essence différente. Il faut donc qu’il y ait une pluralité de personnes distinctes dans l’unité de l’essence divine.

Hoc idem arguitur ex perfectione divinae beatitudinis, quae ponit summum gaudium quod sine consortio haberi non potest. Hoc etiam arguitur ex perfectione divinae caritatis. Perfecta enim caritas est amor gratuitus qui tendit in alium. Sed non erit amor summus, nisi summe diligat. Summe autem non diligit creaturam, quae non summe diligenda est. Ergo oportet quod in ipsa creatrice essentia, sit summe diligens et summe dilectus, distincti in essentiae unitate.

Cette même chose se démontre à partir de la perfection de la béatitude divine qui pose en Dieu la joie la plus parfaite qui ne peut être possédée sans une communauté. La même chose se défend aussi à partir de la perfection de la charité divine. La charité parfaite en effet est l’amour gratuit qui tend vers un autre. Mais il n’y aura d’amour parfait pour Dieu que s’il aime parfaitement. Mais il n’aime pas parfaitement la créature, laquelle ne peut être aimée parfaitement. Il faut donc que dans l’essence créatrice elle-même il y ait une personne qui aime parfaitement et une autre qui est aimée parfaitement, les deux étant distinctes dans l’unité de l’essence.

I[200] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 co. Respondeo : concedendum est absque ulla ambiguitate, esse in Deo pluralitatem suppositorum vel personarum in unitate essentiae, non propter rationes inductas, quae non necessario concludunt, sed propter fidei veritatem.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut concéder sans aucun doute qu’il y a en Dieu une pluralité d’individus ou de personnes dans l’unité de l’essence, non pas en raison des arguments présentés qui ne concluent pas avec nécessité, mais à cause de la vérité de la foi.

[201] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creatura differt essentia rei et esse suum, nec habet essentia esse nisi propter comparationem ad habentem essentiam ; et ideo quando essentia creata communicatur, communicatur tantum secundum rationem suam et non secundum esse, quia secundum illud esse non est nisi in uno tantum habente. Divina autem essentia est idem quod suum esse ; et ideo quando communicatur essentia, communicatur etiam esse. Unde essentia non tantum est una secundum rationem, sed secundum esse ; et propter hoc potest esse una numero in pluribus suppositis. Creaturae autem quamvis exemplentur a Deo, tamen deficiunt a repraesentatione ejus.

Solutions:

1. Il faut dire en premier lieu que dans la creature il y a une difference entre l’essence de la chose et son existence et l’essence ne possède d’existence qu’en raison de son rapport à celui qui possède l’essence; et c’est pourquoi, quand l’essence créée est communiquée, elle est communiquée seulement d’après sa nature et non pas selon son existence car selon cette existence elle n’existe que dans celui-là seul qui la possède. Mais l’essence divine est identique à son existence; et c’est pourquoi, quand l’essence est communiquée, l’existence aussi est communiquée. De là, l’essence est une non seulement selon la nature, mais aussi selon l’existence; et c’est pour cette raison que l’essence peut être une par le nombre dans plusieurs individus. Mais, bien que les créatures soient reproduites par Dieu, elles sont impuissantes cependant à Le représenter de façon adéquate.

[202] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia et suppositum sunt in Deo idem re, nihilominus tamen differunt ratione, sicut de attributis dictum est supra, art. praeced. Unde Commentator [II Metaph., text. 39] dicit, quod vita et vivens non significant idem in Deo, sicut nomina synonyma : et ideo contra rationem suppositi est quod communicetur, non autem contra rationem essentiae. Ideo una essentia communicatur pluribus suppositis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que l’essence et l’individu sont en Dieu identiques par la chose, cependant ils diffèrent néanmoins par la raison ou la notion, comme c’est le cas pour les attributs dont nous avons parlé plus haut dans l’article précédent. De là, le Commentateur dit [11 Métaphysiques, text. 39] que la vie et le vivant ne signifient pas la même chose en Dieu comme c’est le cas pour les noms qui sont synonymes : et c’est pourquoi il est contraire à la notion d’individu d’être communiqué mais cela n’est pas contraire à la notion d’essence. C’est pourquoi une même essence se communique à plusieurs individus.

[203] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod necessitas finis est necessitas conditionata et ex suppositione. Unde non quaeritur in illis quae sunt necessaria absolute, et multo minus in illis quae sunt per se necessaria, non habentia necessitatem ab aliquo. Unde dico, quod pluralitas suppositorum in divina essentia non est propter aliquem finem ; immo propter seipsam est necessario, cum ipse Deus sit finis omnium. Unde non potest concludi quod sit vana, quia vanum est quod est ordinatum ad finem quem non consequitur.

3. Il faut dire en troisième lieu que la nécessité de la fin est une nécessité conditionnée et hypothétique. De là, on ne la recherche pas dans ces choses qui sont nécessaires absolument et encore moins dans celles qui sont nécessaires par soi et qui ne tirent pas leur nécessité d’un autre. C’est pourquoi je dis que la pluralité des individus dans l’essence divine n’est pas en raison d’une fin ; bien plutôt, c’est pour elle-même qu’elle est de toute nécessité puisque c’est Dieu lui-même qui est la fin de tous les êtres. C’est pourquoi on ne peut conclure qu’elle soit vaine car est vain ce qui est ordonné à une fin qui n’est pas atteinte.

 

 

Articulus 5 [204] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 tit. Utrum divinae personae differant realiter aut tantum ratione

Article 5 – Les personnes divines diffèrent-elles réellement ou en raison ?

[205] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod pluralitas suppositorum in divinis non sit realis, sed tantum rationis. Sicut enim dicit Damascenus [lib. I de fide ortho., cap. II], tres personae re idem sunt, ratione autem et cogitatione [cognitione Éd. de Parme] distinguuntur. Ergo videtur quod non sit ibi pluralitas realis.

Difficultés :

1. On procède de la manière suivante à l,égard de ce cinquième article. Il semble que la pluralité des personnes en Dieu ne soit pas réelle, mais seulement une pluralité de raison. Ainsi que le dit en effet Damascène [1 De La Foi Orthodoxe, ch. 11], les trois personnes sont identiques par la chose mais elles diffèrent par la raison et par la pensée. Il semble donc là que la pluralité des personnes ne soit pas réelle.

[206] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, Augustinus dicit [V de Trin., cap. VIII], quod tres personae in nullo absoluto distinguuntur, sed tantum in his quae sunt ad aliquid. Res autem non est ad aliquid, sed est absolutum. Ergo videtur quod tres personae non sunt tres res, et ita non est ibi realis distinctio.

2. Par ailleurs, Augustin dit [V De Trinitate, ch.  VIII] que les trois personnes ne se distinguent en rien prises absolument, mais selulement dans leurs relations. Mais une chose n’est pas une relation mais un absolu. Il semble donc que les trois personnes ne sont pas trois choses et ainsi qu’il n’y ait pas là une distinction réelle.

[207] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 3 Item, personae distinguuntur per proprietates. Proprietates autem illae non addunt supra essentiam secundum rem, sed tantum secundum rationem. Ergo videtur quod distinctio personarum, quam faciunt, sit tantum distinctio rationis.

3. En outre, les personnes se distinguent par leurs propriétés. Mais ces propriétés n’ajoutent rien à l’essence selon la chose mais seulement selon la raison. Il semble donc que la distinction des personnes due à ces propriétés soit seulement une distinction de raison.

[208] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 arg. 4 Item, sicut paternitas et essentia differunt ratione, ita sapientia et essentia. Si ergo hoc sufficit ad distinctionem realem suppositorum, videtur quod etiam secundum diversa attributa distinguantur realiter supposita ; et ita sunt tot personae quot attributa. Hoc autem est inconveniens. Ergo proprietates non faciunt realem distinctionem suppositorum.

4. De plus, tout comme la paternité et l’essence diffèrent par la raison, de même la sagesse et l’essence diffèrent par la raison. Si donc cela suffit à distinguer réellement les individus, il semble que ce soit aussi d’après leurs différents attributs que se distinguent réellement les individus ; et ainsi il y aura par conséquent autant de personnes qu’il y aura d’attributs, ce qui est absurde. Donc, les propriétés n’entraînent pas une distinction réelle des personnes.

[209] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra, Augustinus [I de Doct. christ., cap. 5] dicit : res quibus fruendum est, sunt pater et filius et spiritus sanctus. Ergo tres personae sunt plures res. Ergo eorum pluralitas est pluralitas realis.

Cependant :

1. Augustin dit [1 De La Doctrine Chrétienne, ch. V] : Les choses dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc, les trois personnes sont plurieurs réalités. Donc, leur pluralité est une pluralité réelle.

[210] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 s. c. 2 Item, distinctio rationis non sufficit ad distinctionem suppositorum, cum unus et idem homo possit in se diversas rationes habere, et cum suppositum dicat quid reale. Si ergo non est in divinis nisi distinctio rationis, non erit ibi vera pluralitas personarum ; quod est haereticum.

2. De plus, une distinction de raison ne suffit pas à distinguer les individus, puisqu’un seul et même homme peut en lui-même avoir plusieurs rapports et qu’un individu dit quelque chose de réel. Si donc il n’y a dans les personnes divines qu’une distinction de raison, il n’y aura pas là une véritable pluralité de personnes, ce qui constitue une erreur de doctrine.

[211] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod dicere, personas distingui tantum ratione, sonat haeresim Sabellianam : et ideo simpliciter dicendum est, quod pluralitas personarum est realis. Quo modo autem hoc possit esse, videndum est.

Je réponds qu’il faut dire que dire que les personnes divines ne se distinguent que par la raison, c’est émettre l’hérésie de Sabellius : et c’est pourquoi il faut absolument dire que la pluralité des personnes est réelle. Mais de quelle manière cela est possible, il faut le voir dans ce qui suit.

 

 

Sciendum est igitur, quod proprietas personalis, scilicet relatio distinguens, est idem re quod divina essentia, sed differens ratione, sicut et de attributis dictum est. Ratio autem relationis est ut referatur ad alterum. Potest ergo dupliciter considerari relatio in divinis : vel per comparationem ad essentiam, et sic est ratio tantum ; vel per comparationem ad illud ad quod refertur, et sic per propriam rationem relationis relatio realiter distinguitur ab illo. Sed per comparationem relationis ad suum correlativum oppositum distinguuntur personae, et non per comparationem relationis ad essentiam : et ideo est pluralitas personarum realis et non tantum rationis.

Il faut donc savoir que la propriété de la personne, à savoir la relation qui la distingue, est identique par la chose à l’essence divine, mais elle en diffère par la raison, tout comme nous l’avons dit pour les attributs. Mais il est de la nature même de la relation de poser un rapport à un autre. La relation dans les personnes divines peut donc être considérée de deux manières : soit par rapport à l’essence et ainsi elle est seulement une notion ; soit par rapport à celui auquel elle se rapporte et ainsi la relation, par la notion propre de relation, se distingue réellement de lui. Mais c’est par la comparaison de la relation à son corrélatif opposé que les personnes se distinguent et non par la comparaison de la relation à l’essence : et c’est pourquoi la pluralité des personnes est réelle et non seulement une pluralité de raison.

[212] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas Damasceni sic intelligenda est. Ratione, idest relatione ; et dicitur relatio ratio, per comparationem ad essentiam, ut dictum est, in corp.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le témoignage de Damascène doit se comprendre de la manière suivante : par raison ou notion, on doit ici entendre relation ; et la relation est appelée raison ou notion par rapport à l’essence, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

[213] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod res est de transcendentibus, et ideo se habet communiter ad absoluta et ad relativa [relata Éd. de Parme] ; et ideo est res essentialis, secundum quam personae non differunt, et est res relativa sive personalis, secundum quam personae distinguuntur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le terme ¨chose¨ se dit des transcendants, et c’est pourquoi il s’attribue comunément à ce qui est absolu et à ce qui est relatif ; et c’est pourquoi ¨chose¨ se rapporte à l’essence selon laquelle les personnes ne diffèrent pas, et elle se rapporte à la relation ou à la personne, selon laquelle les personnes se distinguent.

[214] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis relatio per comparationem ad essentiam sit ratio tantum, tamen per comparationem ad suum correlativum est res et realiter distinguens ab ipso.

3. Il faut dire en troisième lieu que bien que la relation par rapport à l’essence ne soit qu’une notion, cependant par rapport à son corrélatif elle est une réalité qui distingue réellement de lui.

[215] Super Sent., lib. 1 d. 2 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet sapientia secundum suam rationem differat ab aliis attributis, non tamen opponitur ad aliquod aliud attributum, cum sapientia bonitatem, vitam [vitam om. Éd. de Parme] et alia attributa secum compatiatur in eodem subjecto. Et ideo non habet rationem distinguendi supposita divinae naturae, sicut habent relationes oppositae. Sed sicut sapientia divina realiter facit effectum sapientiae propter veritatem rationis ipsius, quae manet ; ita relatio facit veram distinctionem propter rationem relationis veram, quae salvatur.

4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que la sagesse d’après sa définition diffère des autres attibuts, elle ne s’oppose pas cependant à un autre attribut puisque la sagesse est compatible avec la bonté, la vie et d’autres attributs dans un même sujet. Et c’est pourquoi il n’y a pas lieu qu’elle distingue les personnes qui ont la nature divine, contrairement aux relations qui sont opposées entre elles. Mais tout comme la sagesse divine produit réellement l’effet de la sagesse à cause de la vérité de sa notion qui demeure, de même la relation produit une véritable distinction à cause de la véritable notion de relation qui est conservée.

 

 

Distinctio 3

Distinction 3 – [Comment on vient à la connaissance de Dieu par sa trace des créatures]

 

 

Prooemium

Prologue

I Sent. D. 3, qu. 1 Quia autem in parte ista ostenditur, qualiter venitur in cognitionem Dei per vestigium creaturarum, ideo quaeruntur duo:

primo de divina cognitione.

Secundo de creaturarum vestigio.

Circa primum quaeruntur quatuor:

1 utrum Deus sit cognoscibilis a creaturis ;

2 utrum Deum esse sit per se notum ;

3 utrum possit cognosci per creaturas, et quorum sit Deum per creaturas cognoscere ;

4 quid de Deo philosophi per creaturas cognoscere potuerunt.

Mais parce que dans la partie qui suit on montre comment on en vient à la connaissance de Dieu par les traces qu’on en perçoit dans les créatures, c’est pourquoi on s’interroge sur deux points : en premier lieu sur la connaissance de Dieu ; en deuxième lieu sur les traces qu’en laissent les créatures.

Et par rapport au premier point on cherche à répondre à quatre questions :

1. Est-ce que Dieu peut être connu par les créatures ?

2. Est-ce que Dieu est connu par lui-même ?

3. Est-ce que Dieu peut être connu au moyen des créatures et à qui appartient-il de connaître Dieu au moyen des créatures ?

4. Qu’est-ce que les philosophes peuvent connaître de Dieu au moyen des créatures ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La connaissance de Dieu dans les créatures][3]

 

 

Articulus 1.Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus possit cognosci ab intellectu creato.

Article 1 – Dieu peut-il être connu par un intellect créé ?

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit cognoscibilis a creato intellectu. Dicit enim Dionysius, cap. I de div. Nom. § 1, quod Deum nec dicere nec intelligere possumus: quod sic probat. Cognitio est tantum existentium. Sed Deus est supra omnia existentia. Ergo est supra [omnem add. Éd. de Parme] cognitionem.

Difficultés :

1. On procède de la manière suivante à l’égard de ce premier article. Il semble que Dieu ne puisse être connu par une intelligence créée. Denys dit en effet [Les Noms Divins, ch. 1, &1] que nous ne pouvons ni comprendre ni dire ce qu’est Dieu, ce qu’il prouve de la manière suivante. La connaissance ne porte que sur les étants. Mais Dieu transcende tous les étants. Dieu transcende donc toute connaissance.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, Deus plus distat a quolibet existentium intelligibilium notorum nobis, quam distet intelligibile a sensibili. Sed sensus non potest intelligibile cognoscere. Ergo nec Deus potest a nostro intellectu cognosci.

2. En outre, Dieu est plus éloigné de chacun des étants intelligibles connus de nous que l’intelligible est éloigné du sensible. Mais le sens ne peut connaître l’intelligible. Dieu ne peut donc être connu par notre intelligence.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, omnis cognitio est per speciem aliquam, per cujus informationem fit assimilatio cognoscentis ad rem cognitam. Sed a Deo non potest abstrahi aliqua species, cum sit simplicissimus. Ergo non est cognoscibilis.

3. De plus, toute connaissance a lieu au moyen d’une espèce par l’information de laquelle se produit l’assimilation de celui qui connaît à la chose connue. Mais on ne peut tirer de Dieu aucune espèce, puisqu’Il est ce qu’il est suprêmement simple. Il ne peut donc être connu de nous.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, ut dicit philosophus, (III Physic., text. 4), omne infinitum est ignotum ; cujus ratio est, quia de ratione infiniti est, ut sit extra accipientem secundum aliquid sui, et tale est ignotum. Sed Deus est infinitus. Ergo est ignotus.

4. Par ailleurs, comme le dit le Philosophe [111 Physiques, text. 4], tout ce qui est infini est inconnu ; la raison en est qu’il est de la nature de l’infini de demeurer étranger pour tout ce qui le concerne à celui qui cherche à l’accueillir, et de lui demeurer ainsi inconnu. Mais Dieu est infini. Il est donc inconnu.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, philosophus dicit (III de Animam text. 7), quod ita se habent phantasmata ad intellectum, sicut colores ad visum. Sed visus corporalis nihil videt sine colore. Ergo intellectus noster nihil intelligit sine phantasmate. Cum igitur de Deo non possit formari aliquod phantasma, ut dicitur Isa. XL, 18, Quam imaginem ponetis ei ? Videtur quod non sit cognoscibilis a nostro intellectu.

5. En outre, le Philosophe dit [111 De l’Âme, text. 7] que les images se rapportent à l’intelligence de la même manière que les couleurs se rapportent à la vue. Mais la vue corporelle ne voit rien sans la couleur. Donc notre intelligence ne comprend rien sans l’image. Donc, puisqu’on ne peut former aucune image par rapport à Dieu comme le dit Ésaïe [XL, 18] : Quelle image pourriez-vous fournir de Lui ?, il semble qu’Il ne puisse être connu par notre intelligence.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Hierem. 9, 24, dicitur: In hoc glorietur qui gloriatur, scire et nosse me. Sed ista non est vana gloria ad quam Deus hortatur. Ergo videtur quod possibile sit Deum cognoscere.

Cependant :

1. Jérémie dit [9, 23] : Mais qui veut se glorifier, qu’il trouve sa gloire en ceci : avoir de l’intelligence et me connaître. Mais cette gloire à laquelle Dieu nous exhorte n’est pas vaine. Il semble donc qu’il soit possible de connaître Dieu.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item, ut supra dictum est, etiam secundum philosophum (X Ethico., cap. X), ultimus finis humanae vitae est contemplatio Dei. Si igitur ad hoc homo non posset pertingere, in vanum esset constitutus ; quia vanum est, secundum philosophum, quod ad aliquem finem est, quem non attingit ; et hoc est inconveniens, ut dicitur in Psal. 88, 48: Numquid enim vane constituisti eum ?

2. Par ailleurs, comme nous l’avons dit plus haut et aussi d’après le Philosophe [X Éthiques, ch. X], la fin ultime de la vie humaine est la contemplation de Dieu. Si donc l’homme ne pouvait pas parvenir à cette fin, il aurait été produit en vain ; car d’après le Philosophe, est vain ce qui est ordonné à une fin qu’il ne peut atteindre ; et il est impossible qu’il en soit ainsi pour l’homme ainsi que le dit le Psalmiste [88, 48] : Tu l’aurais en effet de tout temps créé pour l’envoyer au néant ?

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 s. c. 3 Item, ut dicit philosophus (III de anima, text. 7), in hoc differt intelligibile a sensibili, quia sensibile excellens destruit sensum ; intelligibile autem maximum non destruit, sed confortat intellectum. Cum igitur Deus sit maxime intelligibilis quantum in se est, quia est primum intelligibile, videtur quod a nostro intellectu possit intelligi: non enim impediretur nisi propter suam excellentiam.

3. En outre, ainsi que le dit le Philosophe [111, de l’Âme, text. 7], l’intelligible diffère du sensible en ceci qu’un sensible extrême détruit le sens alors que l’intelligible le plus élevé ne détruit pas l’intelligence mais l’affermit. Donc, puisque Dieu quant à lui-même est l’intelligible le plus élevé du fait qu’il est le premier intelligible, il semble qu’il puisse être saisi par notre intelligence : celle-ci en effet ne pourrait en être empêchée qu’en raison de l’excellence de ce premier intelligible.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod non est hic quaestio, utrum Deus in essentia sua immediate videri possit, hoc enim alterius intentionis est ; sed utrum quocumque modo cognosci possit. Et ideo dicimus quod Deus cognoscibilis est ; non autem ita est cognoscibilis, ut essentia sua comprehendatur. Quia omne cognoscens habet cognitionem de re cognita, non per modum rei cognitae, sed per modum cognoscentis. Modus autem nullius creaturae attingit ad altitudinem divinae majestatis. Unde oportet quod a nullo perfecte cognoscatur, sicut ipse seipsum [perfecte add. Éd. de Parme] cognoscit.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il ne s’agit pas ici de savoir si Dieu peut être vu immédiatement dans son essence, car c’est là le propos d’une autre question; mais il s’agit de chercher à savoir si Dieu peut être connu d’une certaine manière. Et c’est pourquoi nous disons que Dieu peut être connu mais non pas de telle manière qu’il soit possible de saisir son essence. Car tout être qui connaît possède une connaissance de la chose connue, non pas à la manière de la chose connue, mais à la manière de celui qui connaît. Aucun mode de connaître appartenant à une créature ne peut cependant parvenir à s’élever à la hauteur de la divine majesté. De là il doit nécessairement s’ensuivre qu’il n’est connu parfaitement par aucune d’elle de la manière qu’Il se connaît lui-même.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut [sicut om. Éd. de Parme] Deus non est hoc modo existens sicut ista existentia, sed in eo est natura entitatis eminenter. Unde, [sicut add. Éd. de Parme] non est omnino expers entitatis, ita etiam non omnino est expers cognitionis, quin cognoscatur ; sed non cognoscitur per modum aliorum existentium, quae intellectu creato comprehendi possunt.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que Dieu n’existe pas à la manière dont les autres êtres existent mais en lui la nature de l’être existe de la manière la plus excellente. De là, il n’est absolument pas dénué d’être et de même encore il n’est absolument pas dénué de connaissance qui ne soit connue ; mais il n’est pas connu à la manière des autres êtres, lesquels peuvent être compris par une intelligence créée.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis plus distet Deus a quolibet intelligibili, secundum naturae proprietatem, quam intelligibile a sensibili, tamen plus convenit in ratione cognoscibilitatis [cognoscibilis Éd. de Parme]. Omne enim quod est separatum a materia, habet rationem ut cognoscatur sicut intelligibile: quod autem materiale est cognoscitur ut sensibile.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que Dieu est plus éloigné de tout intelligible, quant à la propriété de nature, que l’intelligible ne l’est du sensible, il est  cependant davantage proportionné à la nature de ce qui est connaissable. En effet, tout ce qui est séparé de la matière a raison de connaissable en tant qu’intelligible ; mais ce qui est matériel est connu en tant que perceptible par les sens.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod species, per quam fit cognitio, est in potentia cognoscente secundum modum ipsius cognoscentis: unde eorum quae sunt magis materialia quam intellectus, species est in intellectu simplicior quam in rebus ; et ideo hujusmodi dicuntur cognosci per modum abstractionis. Deus autem et Angeli sunt simpliciores nostro intellectu ; et ideo species quae in nostro intellectu efficitur, per quam cognoscuntur, est minus simplex. Unde non dicimur cognoscere ea per abstractionem, sed per impressionem ipsorum in intelligentias nostras.

3. Il faut dire en troisième lieu que l’espèce, au moyen de laquelle se produit la connaissance, est dans la puissance qui connaît selon le mode de celui-là même qui connaît : c’est pourquoi, pour les choses qui sont plus matérielles  que l’intelligence, l’espèce est plus simple dans l’intelligence que dans les choses ; et c’est pourquoi on dit de ces choses qu’elles sont connues par mode d’abstraction. Mais Dieu et les Anges sont plus simples que notre intelligence ; et c’est pourquoi les espèces qui sont produites dans notre intelligence et par lesquelles ils sont connus sont moins simples. De là, nous ne disons pas que nous les connaissons par abstraction mais par une impression de ces réalités dans nos intelligences.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod infinitum dicitur dupliciter, scilicet privative et negative. Infinitum privative est quod secundum suum genus est natum habere finem, non habens ; et tale, cum sit imperfectum, ex sui imperfectione perfecte non cognoscitur, sed secundum quid. Infinitum negative dicitur quod nullo modo finitum est ; et hoc est quiddam quod se ad omnia extendit, perfectissimum, non valens ab intellectu creato comprehendi, sed tantum attingi.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’infini se dit de deux manières, à savoir à la manière d’une privation et d’une négation. L’infini selon la privation est celui qui selon son genre est apte à avoir une fin mais qui ne la possède pas ; et un tel infini, puisqu’il est imparfait, n’est pas connu parfaitement mais seulement sous un certain rapport en raison de son imperfection. L’infini selon la négation se dit de qui est n’est fini d’aucune manière : et c’est là l’être le plus parfait qui étend sa puissance sur toute chose, ne pouvant être saisi mais seulement abordé par une intelligence créée.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod philosophus (III de anima, text. 30], loquitur de cognitione intellectus connaturali nobis secundum statum viae ; et hoc modo Deus non cognoscitur a nobis nisi per phantasmata, non sui ipsius, sed causati sui per quod in ipsum devenimus. Sed per hoc non removetur quin cognitio aliqua possit esse intellectus, non per viam naturalem nobis, sed altiorem, scilicet per influentiam divini luminis ad quam phantasma non est necessarium.

5. Il faut dire en cinquième lieu que le Philosophe [111, de l’Âme, text. 30] par ici de la connaissance de l’intelligence qui nous est naturelle en cette vie ; et en ce sens Dieu n’est connu de nous qu’au moyen des images qui ne Le représentent pas mais qui se rapportent à ses effets et au moyen desquelles nous nous approchons de Lui. Mais cela n’empêche pas qu’il puisse y avoir une certaine connaissance de l’intelligence de Dieu, non pas de la manière qui nous est naturelle mais selon un mode plus élevé, c’est-à-dire au moyen du secours de la lumière divine pour lequel les images ne sont pas nécessaires.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad s. c. 1 Alia concedimus.

1.Nous concédons les réponses aux deux premières difficultés.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 1 ad s. c. 3 Tamen ad ultimum, quia concludit, quod Deus etiam nunc maxime cognoscatur a nobis, respondendum est, quod quodammodo est simile in intellectu et sensu, et quodammodo dissimile. In hoc enim simile est quod sicut sensus non potest in id quod non est proportionatum sibi, ita nec intellectus, cum omnis cognitio sit per modum cognoscentis, secundum Boetium (De Consol., lib. V, prosa VI): in hoc autem dissimile est quod intelligibile excellens non corrumpit, sicut excellens sensibile ; unde intellectus non deficit a cognitione excellentis intelligibilis quia corrumpatur, sed quia non attingit. Et ideo non perfecte Deum videre potest intellectus creatus.

3. Cependant à la fin, parce qu’il conclut que Dieu aussi est en cette vie parfaitement connu de nous, il faut répondre qu’en un sens il en est de même pour l’intelligence et le sens mais non en un autre sens.  Il en est de même en ce sens que l’intelligence, tout come le sens, n’est pas proportionné à Dieu, puisque toute connaissance a lieu d’après le mode de celui qui connaît selon Boèce [De la Consolation, livre V, prose  VI] : mais ils diffèrent en cela que l’intelligible le plus élevé ne corromp pas l’intelligence contrairement au sensible extrême à l’égard du sens ; d’où il suit que l’intelligence n’est pas privée de la connaissance de l’intelligible par excellence pour cette raison qu’il est corrompu par lui, mais parce qu’il ne l’atteint pas. Et c’est là la raison pour laquelle une intelligence créée ne peut parfaitement voir Dieu.

 

 

I Sent. D. 3, qu. 1, a. 2. Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deum esse sit per se notum.

Article 2 – L'existence de Dieu est-elle évidente par soi ?[4]

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deum esse sit per se notum. Illa enim dicuntur per se nota quorum cognitio naturaliter est nobis insita, ut: omne totum est majus sua parte. Sed cognitio existendi Deum, secundum Damascenum (lib. de Fide orth., cap. 1) naturaliter est omnibus inserta [insita. Éd. de Parme). Ergo Deum esse est per se notum.

Difficultés.

1. On procède de la manière qui suit à l’égard de ce deuxième article. Il semble que l’existence de Dieu soit connue par soi. On dit en effet que sont connues par soi les choses dont la connaissance nous est naturellement donnée, comme de connaître que tout tout est plus grand que chacune de ses parties. Mais d’après Damascène [Livre au sujet de la Foi orthodoxe, ch. 1], la connaissance de l’existence de Dieu nous est naturellement donnée. Donc, la connaissance de l’existence de Dieu nous est connue par elle-même.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, sicut se habet lux sensibilis ad visum, ita se habet lux intelligibilis [intellectualis Éd. de Parme] ad intellectum. Sed lux visibilis seipsa videtur ; immo nihil videtur, nisi mediante ipsa. Ergo Deus seipso immediate cognoscitur.

2. De plus, ce que la lumière sensible est à la vue, la lumière intelligible l’est à l’intelligence. Mais la lumière sensible se voit par elle-même ; bien plus, rein n’est vu si ce n’est par son intermédiaire. Donc Dieu est connu immédiatement par Lui-même.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, omnis cognitio est per unionem rei cognitae ad cognoscentem. Sed Deus est per seipsum intrinsecus animae etiam magis quam ipsa sibi. Ergo per seipsum cognosci potest.

3. En outre, toute connaissance s’accomplit par l’union de la chose connue à celui qui connaît. Mais Dieu est par lui-même uni à l’âme davantage encore que l’âme ne l’est à elle-même. Dieu peut donc être connu par lui-même.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud est per se notum quod non potest cogitari non esse. Sed Deus non potest cogitari non esse. Ergo ipsum esse, per se est notum. Probatio mediae est per Anselmum (Prosl., cap. XV): Deus est quo majus cogitari non potest. Sed illud quod non potest cogitari non esse, est majus eo quod potest cogitari non esse. Ergo Deus non potest cogitari non esse, [cum sit illud quo nihil majus cogitari potest add. Éd. de Parme]. Potest aliter probari. Nulla res potest cogitari sine sua quidditate, sicut homo sine eo quod est animal rationale mortale. Sed Dei quidditas est ipsum suum esse, ut dicit Avicenna (de inteligentiis, cap.1). Ergo Deus non potest cogitari non esse.

4. Par ailleurs, est connu par soi ce qui ne peut être pensé comme non existant. Mais Dieu ne peut être pensé comme n’existant pas. Donc son existence est connue par elle-même. La mineure est prouvée par Anselme [Prosl., ch. XV] : Dieu est ce dont on ne peut rien penser de plus grand. Mais ce qui ne peut être pensé comme n’existant pas est plus grand que ce qui peut être pensé comme n’existant pas. Donc, Dieu ne peut être pensé comme n’existant pas [puisqu’Il est Celui au sujet de qui on ne peut rien penser de plus grand]. Mais on pourrait la prouver autrement. Aucune chose ne peut être pensée sans sa quiddité, comme l’homme ne peut être pensé sans ceci qu’il est un animal rationnel et mortel. Mais la quiddité de Dieu est son existence même, ainsi que le dit Avicenne [Les Intelligences, ch. 1]. Donc, Dieu ne peut être pensé comme n’existant pas.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, ea quae per se sunt nota, ut dicit philosophus (IV Metaph., text. 28), etsi exterius negentur ore, nunquam interius negari possunt corde. Sed Deum esse, potest negari corde. Psalm. 13, 1: Dixit insipiens in corde suo: non est Deus. Ergo Deum esse non est per se notum.

Objections :

1. Ainsi que le dit le Philosophe [IV Métaph. text. 28] bien qu’on puisse extérieurement nier de vive voix ce qui est connu de soi, on ne peut jamais le nier intérieurement par l’esprit. Mais l’existence de Dieu peut être nié intérieurement dans l’esprit. Le psalmiste dit en effet [Psaume 13, 1] : L’insensé dit en son cœur : Dieu n’existe pas. Donc, l’existence de Dieu n’est pas connue par elle-même.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 s. c. 2 Item, quidquid est conclusio demonstrationis non est per se notum. Sed Deum esse demonstratur etiam a philosophis (VIII Phys., text. 33, item XII Metaph., text. 35). Ergo Deum esse non est per se notum.

2. En outre, aucune conclusion d’une démonstration n’est connue par elle-même. Mais l’exisntece de Dieu est démontrée même par les philosophes [ VIII Phys, text, 33l XII Métaph. text.35]. Donc, l’existence de Dieu n’est pas connue par elle-même.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 co. Respondeo, quod de cognitione alicujus rei potest aliquis dupliciter loqui: aut secundum ipsam rem, aut quo ad nos. Loquendo igitur de Deo secundum seipsum, esse est per se notum, et ipse est per se intellectus, non per hoc quod faciamus ipsum intelligibile, sicut materialia facimus intelligibilia in actu.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’on peut parler de la connaissance d’une chose de deux manières : soit d’après la chose elle-même, soit d’après nous-mêmes. Donc, en parlant de Dieu d’après lui-même, son existence est connue par elle-même et il est lui-même intelligible par lui-même et on par le fait que nous le rendons intelligible comme nous le faisons pour les choses matérielles que nous rendons intelligibles en acte.

Loquendo autem de Deo per comparationem ad nos, sic iterum dupliciter potest considerari.

Aut secundum suam similitudinem et participationem ; et hoc modo ipsum esse, est per se notum ; nihil enim cognoscitur nisi per veritatem suam, quae est a Deo exemplata ; veritatem autem esse, est per se notum.

Mais en parlant de Dieu par rapport à nous-mêmes, nous pouvons encore considérer le problème de deux manières.

Soit selon sa ressemblance et sa participation et en ce sens son existence elle-même est connue par soi ; rien en effet n’est connue si ce n’est par sa vérité qui est modelée par Dieu ; mais que la vérité existe, cela est connu par soi.

Aut secundum suppositum, idest considerando ipsum Deum, secundum quod est in natura sua quid incorporeum ; et hoc modo non est per se notum ; immo multi inveniuntur negasse Deum esse, sicut omnes philosophi qui non posuerunt causam agentem, ut Democritus et quidam alii (I Metaph., text.9) Et hujus ratio est, quia ea quae per se nobis nota sunt, efficiuntur nota statim per sensum ; sicut visis toto et parte, statim cognoscimus quod omne totum est majus sua parte sine aliqua inquisitione.

Soit selon le sujet lui-même, c’est-à-dire en considérant Dieu lui-même, selon qu’il est dans sa nature même un être incorporel ; en ce sens Il n’est pas connu par soi ; au contraire, il s’en trouve plusieurs qui ont nié l’existence de Dieu, comme tous les philosophes qui n’ont pas posé une cause efficiente, comme Démocrite et certains autres [1 Métaph. text. 9]. Et la raison en est que les choses qui nous sont connues par soi sont rendues connues par les sens de façon immédiate ; par exemple, voyant ce qu’est un tout et une partie, nous connaissons aussitôt, sans aucune recherche, que tout tout est plus grand que sa partie.

xUnde philosophus (I Posterior., text. 24): Principia cognoscimus dum terminos cognoscimus. Sed visis sensibilibus, non devenimus in Deum nisi procedendo, secundum quod ista causata sunt et quod omne causatum est ab aliqua causa agente et quod primum agens non potest esse corpus, et ita in Deum non devenimus nisi arguendo ; et nullum tale est per se notum. Et haec est ratio Avicennae, lib. de Intellig. cap. 1.

C’est pourquoi le Philosophe dit [1 Seconds Analytiques, text. 24] : Nous connaissons les principes dès lors que nous connaissons les termes. Mais en voyant les choses sensibles, on en vient à Dieu seulement par ce procédé suivant lequel ces effets existent, que tout effet vient d’une cause efficiente et que le premier agent ne peut être un corps et c’est ainsi que nous ne parvenons à Dieu qu’à force de raisonner ; et rien de ce qui est connu de cette manière n’est connu par soi. Et telle est l’argumentation d’Avicenne [Livre sur les Intelligences, ch. 1].

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod auctoritas Damasceni intelligenda est de divina cognitione nobis inserta [insita Éd. de Parme], secundum ipsius similitudinem et non secundum quod est in sua natura ; sicut etiam dicitur, quod omnia appetunt Deum: non quidem ipsum prout consideratur in sua natura, sed in sui similitudine ; quia nihil desideratur, nisi inquantum habet similitudinem ipsius, et etiam nihil cognoscitur.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que le témoignage de Damascène sur la connaissance de Dieu qui nous est donnée doit s’entendre d’après sa similitude dans les choses  et non pas d’après son existence dans sa nature propre, tout comme on dit aussi que tout être désire Dieu, non pas certes selon qu’on Le considère dans sa nature, mais dans ses ressemblances ; car rien n’est désiré et même rien n’est connu qu’à la condition d’avoir une similitude.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod visus noster est proportionatus ad videndum lucem corporalem per seipsam ; sed intellectus noster non est proportionatus ad cognoscendum naturali cognitione aliquid nisi per sensibilia ; et ideo in intelligibilia pura devenire non potest nisi argumentando [arguendo Éd. de Parme].

2. Il faut dire en deuxième lieu que notre faculté de voir est proportionnée à voir par elle-même la lumière corporelle ; mais notre intelligence n’est proportionnée à connaître quelque chose par une connaissance naturelle qu’au moyen des choses sensibles ;  et c’est pourquoi notre intelligence ne peut parvenir à saisir les purs intelligibles que par l’argumentation.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Deus sit in anima per essentiam, praesentiam et potentiam, non tamen est in ea sicut objectum intellectus ; et hoc requiritur ad cognitionem. Unde etiam anima sibi ipsi praesens est ; tamen maxima difficultas est in cognitione animae, nec devenitur in ipsam, nisi ratiocinando ex objectis in actus et ex actibus in potentiam [potentias. Éd. de Parme]

3. Il faut dire en troisième lieu que bien que Dieu soit dans l’âme par son essence, sa présence et sa puissance, il n’est cependant pas en elle comme objet de l’intelligence ; et cela est une exigence pour la connaissance. De là l’âme aussi est présente à elle-même ; il existe cependant une grande difficulté à connaître l’âme et on y arrive qu’en raisonnant à partir des objets dans les actes et à partir des actes pour en venir à la puissance.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio Anselmi ita intelligenda est. Postquam intelligimus Deum, non potest intelligi quod sit Deus, et possit cogitari non esse ; sed tamen ex hoc non sequitur quod aliquis non possit negare vel cogitare, Deum non esse ; potest enim cogitare nihil hujusmodi esse quo majus cogitari non possit ; et ideo ratio sua procedit ex hac suppositione, quod supponatur aliquid esse quo majus cogitari non potest.

4. Il faut dire en quatrième lieu que le raisonnement d’Anselme doit s’entendre de la manière qui suit. Après avoir vu ce qu’il en est de Dieu, on ne peut à la fois comprendre qu’Il existe et pouvoir penser qu’il n’existe pas ; il ne s’ensuit cependant pas à partir de là qu’on ne puisse pas nier Dieu ou penser qu’Il n’existe pas ; on peut en effet penser qu’il n’y a rien de tel dont il ne soit pas possible de penser quelque chose de plus grand ; et c’est pourquoi le raisonnement d’Anselme procède de cette hypothèse qui suppose qu’il y a quelque chose dont on ne peut rien penser de plus grand.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 2 ad s. c. Et similiter etiam dicendum ad aliam probationem.

Réponse à l’objection :

Et il faut répondre la même chose à l’autre preuve.

 

 

Articulus 3 b. 1 d. 3 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus possit cognosci ab homine per creaturas.

Article 3 – Dieu peut-il être connu par l'homme à travers les créatures ?

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus possit cognosci per creaturas ab homine. Rom. 1, 20: invisibilia Dei a creatura mundi per ea quae facta sunt, intellecta conspiciuntur. Creatura autem dicitur [videtur Éd. de Parme].esse homo, secundum expositionem Magistri. Ergo per creaturas ab homine potest cognosci.

Difficultés :

1. Voici comme on procède à l’égard de ce troisième article. Il semble que Dieu puisse être connu par l’homme au moyen des créatures. C’est ce que dit Paul dans sa Lettre aux romains [1, 20] : Ce qui ne peut être vu de Dieu par la créature du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres. Mais la créature dont on parle est l’homme, selon l’explication du Maître. Donc, Dieu peut être connu par l’homme au moyen des créatures.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, videtur quod ab Angelo. Cognitio enim Dei per creaturas fit per hoc quod videtur divina bonitas relucens in creatura. Sed Angelus cognoscens res in proprio genere, videt divinam bonitatem in ipsis. Ergo cognoscit creatorem ex creaturis.

2. En outre, il semble qu’il puisse être connu par l’Ange. La connaissance de Dieu au moyen des creatures a lieu du fait qu’on voit la bonté  divine se refléter dans la creature. Mais l’Ange, en connaissant les choses dans leur genre propre, voit la bonté divine en eux. Donc il connaît le créateur à partir d’elles.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod etiam bruta. Nulli enim fit praeceptum nisi ei qui cognoscit praeceptum. Sed Jonae, 4, dicitur, quod praecepit dominus vermi, quod percuteret hederam. Ergo vermis potest cognoscere divinum praeceptum, et ita potest etiam cognoscere praecipientem.

3. De plus, il semble qu’il en soit de même aussi pour la brute. Le commandement ne s’adresse en effet qu’à celui qui connaît le commandement. Mais dans le livre de Jonas, 4, on dit que le Seigneur commanda au ver de frapper le lierre. Donc le ver peut connaître le commandement divin et ainsi il peut même connaître Celui qui le donne.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 4 Item, videtur quod etiam a peccatoribus possit cognosci: dicitur enim Rom. 1, 21: cum Deum cognovissent, non sicut Deum glorificaverunt. Tales autem peccatores fuerunt. Ergo et cetera.

4. Par ailleurs, il semble que Dieu puisse être connu même par les pécheurs : dit en effet dans la Lettre aux Romains (1, 21) : Puisqu’ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu gloire comme ils le devaient à Dieu. Mais de tels pécheurs ont existé. Donc, etc.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 5 Contra, omnis effectus ducens in cognitionem suae causae, est aliquo modo proportionatus sibi. Sed creaturae non sunt proportionatae Deo. Ergo ex eis non potest homo in suam cognitionem venire.

Cependant :

5. Au contraire, tout effet qui conduit à la connaissance de sa cause est en un sens proportionné à cette cause. Mais les craétures ne sont pas proportionnées à Dieu. Donc, l’homme ne peut à partir d’elles en venir à la connaissance de Dieu.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 6 Item, videtur quod nec Angeli. Quod enim per se cognoscitur, non cognoscitur per aliquid aliud. Sed Deum cognoscunt Angeli per se, videntes ipsum in sua essentia. Ergo non cognoscunt ipsum per creaturas.

6. En outre, il semble que les Anges ne le puissent pas non plus. En effet, ce qui est connu par soi n’est pas connu par quelque chose d’autre. Mais les Anges connaissent Dieu par lui-même, le voyant dans son essence. Donc, ils ne connaissent pas Dieu au moyen des créatures.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 7 Item, videtur quod nec etiam a brutis. Nulla enim potentia affixa organo habet virtutem ad cognoscendum nisi speciem materialem, eo quod cognitio sit in cognoscente secundum modum ipsius cognoscentis [.cognoscentis om. Éd. de Parme]. Sed bruta non habent virtutes cognoscitivas, nisi sensitivas, quae sunt affixae organo. Ergo nullo modo possunt cognoscere Deum, qui omnino est immaterialis.

7. De plus, il semble que les brutes animales ne le puissent pas non plus. Toute puissance en effet qui est liée à un organe ne peut connaître qu’une espèce matérielle, du fait que la connaissance est dans celui qui connaît selon le mode de celui-à même qui connaît. Mais les brutes animales ne possèdent comme puissances cognitives que celles qui sont sensibles, lesquelles sont rattachées à un organe. Elles ne peuvent donc en aucune manière connaître Dieu qui est absolument immatériel.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 arg. 8 Item, videtur quod nec etiam a peccatoribus. Ambrosius enim dicit super illud, Matth. 5, 8: « Beati mundo corde quoniam ipsi Deum videbunt ». (lib. I In luc, 27) Si qui mundo corde sunt, Deum videbunt, ergo alii non videbunt ; neque enim maligni Deum videbunt, neque is qui Deum videre noluerit, potest videre Deum.

8. Enfin, il semble qu’il ne puisse non plus être connu par les pécheurs. En effet en commentant Matthieu (5, 8): ¨Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu¨, Ambroise dit: Si ceux qui ont le coeur pur verront Dieu, alors les autres ne Le verront pas; les méchants en effet ne verront pas Dieu, et celui qui ne voudra pas voir Dieu ne pourra le voir.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, cum creatura exemplariter procedat ab ipso [ab ipso om. Éd. de Parme] Deo sicut a causa quodammodo simili per [secundum Éd. de Parme] analogiam, [eo scilicet quod quaelibet creatura eum imitatur secundum possibilitatem naturae suae, add. Éd. de Parme] ex creaturis potest in Deum deveniri tribus illis modis quibus dictum est, scilicet per causalitatem, remotionem, eminentiam.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que puisque la créature procède à la manière d’un modèle de Dieu lui-même comme d’une cause qui lui est en quelque sorte semblable par analogie [à savoir du fait que toute créature imite Dieu selon les possibilités de sa nature], il est possible de parvenir à la connaissance de Dieu à partir des créatures  selon les trois modalités dont nous avons parlé, c’est-à-dire par la causalité, la négation et l’excellence.

Ad hoc autem quod aliquis ex creaturis in Deum deveniat, duo requiruntur:

scilicet quod ipsum Deum possit aliquo modo capere, et ideo brutis non convenit talis processus cognitionis ;

secundo requiritur quod cognitio divina in eis incipiat a creaturis et terminetur ad creatorem ; et ideo Angelis non convenit Deum cognoscere per creaturas, neque beatis hominibus, qui a creatoris cognitione procedunt in creaturas. Sed convenit iste processus hominibus, secundum statum viae, bonis et malis.

Mais afin de parvenir à la connaissance de Dieu au moyen des créatures, deux choses sont nécessaires : à savoir en premier lieu qu’on puisse saisir Dieu d’une certaine manière, et c’est pourquoi un tel procédé de connaissance n’appartient pas aux brutes animales ; il est requis en deuxième lieu que la connaissance de Dieu commence en partant des créatures et se termine au créateur : et c’est pourquoi il n’appartient pas aux Anges et aux bienheureux de connaître Dieu au moyen des créatures, lesquels procèdent de la connaissance du créateur pour aller à celle des créatures. Mais ce procédé convient aux hommes en cette vie, qu’ils soient bons ou mauvais.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 1 Primum ergo concedimus.

Solutions:

1. Nous concédons ce qui est dit dans la première difficulté.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Angelus cognoscat divinam bonitatem relucere in creatura, non tamen ex creatura venit in creatorem, sed e contrario.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que l’Ange connaît que la bonté divine se reflète dans la créature, ce n’est cependant pas à partir de la créature qu’il en vient à connaître le créateur mais c’est plutôt en suivant le procédé inverse.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praeceptum Dei non devenit ad vermem, ita quod intentionem praecepti apprehenderet, sed quia divina virtute mota est ejus aestimativa naturali motu ad complendum [explendum Éd. de Parme] illud quod Deus disponebat.

3. Il faut dire en troisième lieu que le commandemant de Dieu ne parvient pas au ver de telle manière que ce dernier appréhende l’intention du précepte mais parce que par la puissance divine son estimative est poussée par un movement naturel à accomplir ce que Dieu avait ordonné.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 4 Quartum concedimus.

4. Nous concédons ce qui est dit dans la quatrième difficulté.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod creatura est effectus non proportionatus creatori ; et ideo non ducit in perfectam cognitionem ipsius sed in imperfectam.

5. Il faut dire en cinquième lieu que la créature est un effet qui est sans commune mesure avec le créateur ; et c’est la raison pour laquelle elle ne conduit pas à une connaissance parfaite mais imparfaite du créateur.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 3 ad 6 Sextum et septimum concedimus.

6 et 7. Nous concédons les arguments présentés dans 6 et 7.

Ad octavum dicendum, quod Ambrosius loquitur de visione Dei per essentiam, quae erit in patria, ad quam nullus malus poterit pervenire. Similiter etiam ad cognitionem fidei nullus venit nisi fidelis. Sed cognitio naturalis de Deo communis est bonis et malis, fidelibus et infidelibus.

Il faut dire par rapport à l’argument présenté dans 8 qu’Ambroise parle de la vision de Dieu par son essence qui aura lieu dans la patrie céleste à laquelle aucun méchant ne pourra avoir accès. De même encore, nul ne vient à la connaissance de Foi excepté le fidèle. Mais la connaissance naturelle de Dieu est commune aux bons et aux méchants, aux fidèles et aux infidèles.

 

 

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 tit. Utrum philosophi naturali cognitione cognoverint Trinitatem ex creaturis

 

Article 4 – Les philosophes ont-ils connu la Trinité d’une connaissance naturelle par les créatures ?

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod philosophi naturali cognitione ex creaturis in Trinitatem devenerunt. Dicit enim Aristoteles (in principio De caelo et mundi, text., 5) : Et per hunc quidem numerum, scilicet ternarium, adhibuimus nos ipsos magnificare Deum unum eminentem proprietatibus eorum quae creata sunt. Similiter etiam Plato, in Parmen, loquitur multa de paterno intellectu et multi alii philosophi.

Difficultés :

1. On procède de la manière qui suit par rapport à ce quatrième article. Il semble que les philosophes en sont venus à une connaissance de la Trinité au moyen d’une connaissance naturelle en partant des créatures. Aristote dit en effet [au début du traité du Ciel et du Monde, text. 5] : Et par ce nombre, à savoir le nombre trois, nous nous sommes appliqués à glorifier l’excellence du Dieu unique par les propriétés des choses qui ont été créées. De même encore Platon, dans son Parménide, et de nombreux autres philosophes, disent de nombreuses choses sur l’intelligence du père.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, philosophi potuerunt devenire in cognitionem eorum quae in creaturis relucent. Sed in anima est expressa similitudo Trinitatis personarum. Ergo videtur quod per potentias animae, quas philosophi multum consideraverunt, potuerunt in Trinitatem personarum devenire.

2. De plus, les philosophes ont pu en venir à la connaissance de ce qui se reflète dans les creatures. Mais dans l’âme il y a une resemblance  qui représente la Trinité des personnes. Il semble donc qu’au moyen des puissances de l’âme que les philosophes ont grandement considérées, ces derniers ont pu en venir à une connaissance de la Trinité des personnes.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, Richardus de s. Victore (De Trin., cap. IV), dicit: « Credo sine dubio quod ad quamcumque explanationem veritatis, quae necesse est esse, non modo probabilia, immo et necessaria argumenta non desunt ». Sed necessarium est cognoscere Trinitatem. Ergo videtur quod ad ipsius cognitionem philosophi rationem habere potuerunt. Quod etiam videtur ex probationibus supra inductis, dist. 2, art. 4, quibus Trinitas probatur.

3. En outre, Richard de Saint Victor [de la Trinité, ch. IV] dit : Je crois sans aucun doute que pour toute explication de la vérité qui doit nécessairement exister, les arguments, non pas ceux qui se présentent sous une forme probable, mais plutôt ceux qui sont nécessaires, ne manquent pas. Mais il est nécessaire de connaître la Trinité. Il semble donc que pour cette connaissance les philosophes ont pu posséder des arguments. Ce qui apparaît aussi à partir des preuves introduites plus haut [dist. 2, art. 4], par lesquelles on prouve la Trinité.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 arg. 4 Item, dicitur Rom. 1 in Glossa quod philosophi non pervenerunt ad notitiam personae tertiae, scilicet Spiritus sancti, et idem habetur super Exod. 8, ubi dicitur, quod magi Pharaonis defecerunt in tertio signo. Ergo videtur ad minus quod ad notitiam duarum personarum venerunt.

4. Par ailleurs, on dit dans la glose de la Lettre aux Romains que les philosophes ne sont pas parvenus à la connaissance de la troisième personne, à savoir l’Esprit-Saint et on affirme la même chose au livre de l’Exode [ch. 8] que les magiciens de Pharaon renoncèrent au troisième signe. Il semble donc qu’ils en vinrent au moins à la connaissance de deux personnes.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, Hebr. 11, 1: Fides est substantia sperandarum rerum, argumentum non apparentium. Sed Deum esse trinum et unum, est articulus fidei. Ergo non est apparens rationi.

Cependant :

1. On dit dans la Lettre aux Hébreux (11, 1) : La foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas. Mais que Dieu soit à la fois trine et un, cela est un article de foi. Donc, cela n’est pas accessible à la raison.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod per naturalem rationem non potest perveniri in cognitionem Trinitatis personarum ; et ideo philosophi nihil de hoc sciverunt, nisi forte per revelationem vel auditum ab aliis. Et hujus ratio est, quia naturalis ratio non cognoscit Deum nisi ex creaturis. Omnia autem quae dicuntur de Deo per respectum ad creaturas, pertinent ad essentiam et non ad personas. Et ideo ex naturali ratione non venitur nisi in attributa divinae essentiae. Tamen personas, secundum appropriata eis, philosophi cognoscere potuerunt, cognoscentes potentiam, sapientiam, bonitatem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’on ne peut parvenir à la connaissance de la Trinité des personnes par la raison naturelle ; et c’est pourquoi les philosophes n’ont rien su à ce sujet, si ce n’est bien sûr par révélation ou pour l’avoir entendu dire par d’autres. Et la raison en est que la raison naturelle ne connaît Dieu qu’à partir des créatures. Mais tout ce qu’on dit de Dieu en partant des créatures se rapporte à l’essence divine et non aux personnes de la divinité. Et c’est pourquoi en s’appuyant sur la raison naturelle on ne peut arriver à connaître que les attributs de l’essence divine. Cependant les philosophes pouvaient, selon le mode qui leur convient, connaître les personnes en connaissant la puissance, la sagesse et la bonté.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, secundum expositionem Commentatoris, Aristoteles non intendit Trinitatem personarum in Deo ponere ; sed propter hoc quod in omnibus creaturis apparet perfectio in ternario, sicut in principio, medio et fine, ideo antiqui honorabant Deum in sacrificiis et orationibus triplicatis. Plato autem dicitur multa cognovisse de divinis, legens libris [libros Éd. de Parme] veteris legis, quos invenit in Aegypto. Vel forte intellectum paternum nominat intellectum divinum, secundum quod in se quodam modo concipit ideam mundi, quae est mundus archetypus.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que d’après l’explication du Commentateur, Aristote ne cherche pas à affirme qu’il y a trois personnes en Dieu ; mais pour cette raison que le nombre trois semble présenter une perfection dans toutes les créatures comme le commencement, le milieu et la fin, c’est pourquoi les anciens honoraient Dieu dans des sacrifices et des discours qui se multipliaient par trois. Mais on dit que Platon a connu beaucoup de choses sur Dieu en lisant les libres de la loi ancienne qu’il trouva en Égypte. Ou bien peut-être appelle-t-il intelligence paternelle l’intelligence divine d’après laquelle il conçut en lui-même d’une certaine manière l’Idée du monde qui est le premier monde en tant que principe.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo Trinitatis relucens in anima est omnino imperfecta et deficiens, sicut infra dicet Magister. Sed dicitur expressa per comparationem ad similitudinem vestigii.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la similitude de la Trinité qui se reflète dans l’âme est absolument imparfaite et déficiente, comme le dira plus loin le Maître. Mais on dit qu’elle représente la Trinité sous le rapport d’une ressemblance de vestige.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si dictum Richardi intelligatur universaliter, quod omne verum possit probari per rationem, est expresse falsum ; quia prima principia per se nota non probantur. Si autem aliqua sunt in se nota quae nobis occulta sunt, illa probantur per notiora quo ad nos. Notiora autem quo ad nos sunt effectus principiorum. Ex effectibus autem creaturarum, Trinitas personarum probari non potest, ut dictum est. Et ideo relinquitur quod nullo modo possit probari ; et omnes rationes inductae sunt magis adaptationes quaedam, quam necessario concludentes. Remoto enim per impossibile intellectu distinctionis personarum, adhuc remanebit in Deo summa bonitas et beatitudo et caritas.

3. En troisième lieu il faut dire que si les paroles de Richard s’entendent absolument, à savoir que tout ce qui est vrai peut être prouvé par la raison, cela est manifestement faux ; car les premiers principes connus par soi ne sont pas prouvés. Mais s’il y a des vérités connues par soi qui nous sont inconnues, celles-là sont prouvées par des vérités plus connues de nous. Mais les vérités plus connues de nous sont des effets de principes. Mais à partir des effets des créatures, la Trinité des personnes ne peut être prouvée, ainsi que nous l’avons dit. Et c’est pourquoi il s’ensuit qu’elle ne peut en aucune façon être prouvée ; et toutes les raisons qu’on introduit sont davantage des ajustements que des raisons qui concluent avec nécessité. Si on écarte en effet par impossible la compréhension de la distinction des personnes, il demeurera encore en Dieu la bonté, la béatitude et la charité sous leur forme la plus parfaite.

Lib. 1 d. 3 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod philosophi non pervenerunt in cognitionem duarum personarum quantum ad propria, sed solum quantum ad appropriata, non inquantum appropriata sunt, quia sic eorum cognitio dependeret ex propriis, sed inquantum sunt attributa divinae naturae.

4. Il faut dire en quatrième lieu que les philosophes ne sont pas parvenus à la connaissance de deux personnes quant à ce qui les distingue en propre mais seulement quant à des effets appropriés, non pas cependant en tant qu’ils sont appropriés, car ainsi la connaissance de ces derniers dépendrait de leurs effets propres, mais en tant qu’ils sont des attributs de la nature divine.

Et si objiciatur, quod similiter devenerunt in cognitionem bonitatis, quae appropriatur spiritui sancto, sicut in cognitionem potentiae et sapientiae, quae appropriantur patri et filio: dicendum, quod bonitatem non cognoverunt quantum ad potissimum effectum ipsius, incarnationem scilicet et redemptionem. Vel quia non tantum intenderunt venerationi bonitatis divinae, quam etiam non imitabantur, sicut venerati sunt potentiam et sapientiam.

Et si on objectait que de la même manière ils sont parvenus à la connaissance de la bonté qui est appropriée à l’Esprit-Saint comme à la connaissance de la puissance et de la sagesse qui sont respectivement appropriés au Père et au Fils, il faut dire qu’ils n’ont pas connu la bonté quant à son effet le plus puissant, à savoir l’incarnation et la rédemption. Ou encore qu’ils n’ont pas cherché à vénérer la bonté divine, qu’ils n’ont pas même imitée, comme ils ont vénéré la puissance et la sagesse.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les traces] [5]

 

 

Prooemium

Prologue

Prooemium Lib. 1 d. 3 q. 2 pr

Deinde quaeritur de vestigio, circa quod quaeruntur tria:

1 quid sit vestigium ;

2 de partibus vestigii ;

3 utrum in omni creatura vestigium inveniatur.

Proème, Livre 1, d. 3, q. 2 pr.

On s’interroge ensuite sur le vestige, au sujet duquel on pose trois questions :

1. Qu’est-ce qu’un vestige ?

2. Quelles en sont les parties ?

3. Est-ce qu’on retrouve un vestige en toute créature ?

 

 

 

Articulus 1- I Sent. D.3, qu. 2, a. 1. Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 tit. Utrum similitudo Dei in creaturis, possit dici vestigium

Article 1 – La ressemblance de Dieu dans les créatures peut-elle être appelée vestige ?

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod similitudo Creatoris reperta in creatura, non potest dici vestigium. Per vestigium enim res investigatur. Sed divina majestas est investigabilis: unde dicitur Rom. 11, 33: O altitudo divitiarum sapientiae et scientiae Dei, quam incomprehensibilia sunt judicia ejus, et investigabiles viae ejus ! Et Psalm. 76, 20: Et vestigia tua non cognoscentur[6]. Ergo videtur quod similitudo creatoris in creatura non sit vestigium.

Difficultés :

1. Voici comment on procède par rapport à cette question. Il semble que la similitude du Créateur découverte dans la créature ne puisse être appelée vestige. C’est au moyen d’un vestige en effet qu’une chose est découverte. Mais la divine majesté ne peut être découverte : c’est pourquoi Paul dit dans la Lettre aux romains (11, 33) : O abîme des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Et le Psalmiste nous dit (76, 20) : Et tes traces, nul ne les connut. Il semble donc que la similitude du créateur dans la créature ne soit pas un vestige.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, vestigium est impressio quaedam consequens motum ejus cujus est vestigium. Sed Deus res producit sine aliquo sui motu, Jac. 1, 17: Apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio. Ergo vestigium non potest dici de similitudine creaturae, quae a creatore producitur.

Par ailleurs, un vestige est une impression qui découle du mouvement de ce dont il est le vestige. Mais Dieu produit les choses sans aucun mouvement selon ce que Jacques en dit dans sa Lettre  (1, 17) : Celui chez qui n’existe aucun changement ni l’ombre d’une variation. On ne peut donc attribuer le terme de vestige à la similitude de la créature qui est produite par le Créateur.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, vestigium, secundum quod hic sumitur, inducit in cognitionem personarum. Sed per creaturas non potest haberi cognitio Trinitatis, ut dictum est. Ergo similitudo reperta in creaturis non debet dici vestigium ; vel vestigium non ducit in Trinitatem.

3. En outre le vestige, dans le sens où il est pris ici, introduit à la connaissance des personnes. Mais on ne peut acquérir une connaissance de la Trinité au moyen des creatures, ainsi que nous l’avons dit. Donc la similitude découverte dans les créatures ne doit pas être appelée vestige; ou bien encore, si on le fait, le vestige ne conduit pas à la Trinité.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, Gregorius dicit, (X Moral., c.VIII) super illud Job 11, 7: « Forsitan vestigia » Dei comprehendes ? » Benignitas visitationis, qua viam nobis ostendit, ejus vestigia dicuntur. Ergo videtur, quod vestigium non sit similitudo Dei reperta in creaturis.

4. Grégoire dit de plus [X Moral., ch.  VIII] au sujet de ce passage de Job (11, 7): ¨Peut-être pretends-tu comprendre les vestiges de Dieu?¨: La bienveillance de la manifestation par laquelle il nous montre la voie est ce qu’on appelle son vestige. Il semble donc que la similitude de Dieu découverte dans les creatures ne soit pas un vestige.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod vestigium, secundum quod hic dicitur [sumitur Éd. de Parme], metaphorice accipitur, et sumitur ad similitudinem vestigii proprie dicti, quod est impressio quaedam, confuse ducens in cognitionem alicujus, cum non repraesentet ipsum nisi secundum partem, scilicet pedem, et secundum inferiorem superficiem tantum. Tria ergo considerantur in ratione vestigii: scilicet similitudo, imperfectio similitudinis, et quod per vestigium in rem cujus est vestigium devenitur. Secundum hoc ergo, quia in creaturis invenitur similitudo creatoris, per quam in ipsius cognitionem devenire possimus, et est imperfecta similitudo ; ideo in creaturis dicitur vestigium creatoris. Et quia creaturae [creaturae om. Éd. de Parme] magis deficiunt a repraesentatione distinctionis personarum, quam essentialium attributorum ; ideo magis proprie dicitur creatura vestigium, secundum quod ducit in personas, quam secundum quod ducit in divinam essentiam.

Corps de l’article:

Je réponds que le vestige, dans le sens où il est pris ici, se dit dans un sens métaphorique et se tire d’une resemblance avec le vestige proprement dit, lequel est une certaine impression qui conduit confusément à la connaissance d’une chose puisqu’elle ne la représente que selon une partie, à savoir le pied et seulement d’après une étendue inférieure. Tois aspects sont donc considérés dans la notion de vestige: à savoir la similitude, l’imperfection de la similitude et ce qui est découvert au moyen du vestige dans la chose dont elle est le vestige. D’après cela par conséquent, parce que dans les créatures on retrouve une similitude du créateur, par laquelle nous pouvons en venir à la connaissance de ce dernier et que cette similitude est imparfaite, c’est pourquoi cette similitude dans les créatures est appellée vestige du créateur. Et parce que les creatures s’écartent davantage d’une representation de la distinction qu’il y a entre les personnes que de la représentation des attributs essentiels, c’est pourquoi la créature est plus proprement appellée vestige selon qu’elle conduit à la connaissance des personnes que selon qu’elle conduit à la connaissance de l’essence divine.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod divinae viae dicuntur investigabiles, quia non ad plenum ipsius opera comprehendere possumus, non quod ex creaturis nullo modo in ipsas devenire possimus.

Solutions:

1. Il faut dire premièrement qu’on dit des voies de Dieu qu’elles sont impénétrables, non pas parce qu’à partir des creatures nous ne pouvons parvenir en aucune manière à celles-ci mais parce que nous ne pouvons parvenir à comprendre pleinement ses oeuvres.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in his quae dicuntur per translationem, sufficit quod attendatur similitudo quantum ad aliquid, et non oportet quod quantum ad omnia ; alias esset proprietas [identitas Éd. de Parme], et non similitudo.

2. Il faut dire en deuxième lieu que pour les choses qui sont dites métaphoriquement, il suffit que la similitude s’étende à un certain rapport et non pas à tous les rapports ; autrement, le terme désignerait une propriété ou une identité et non pas une similitude.

ib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per vestigium non devenimus in cognitionem personarum, nisi valde confuse ; quia per appropriata personis, magis quam per ipsarum propria, sicut patet ex littera. Appropriata autem sunt essentialia, quamvis similitudinem habeant cum propriis personarum.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’au moyen d’un vestige on n’en vient pas à la connaissanace des personnes, si ce n’est sans doute d’une manière confuse ; car alors c’est au moyen des attributs qui sont appropriés aux personnes qu’on les connaît plutôt que par ceux qui leur sont propres, ainsi qu’on le voit à partir du document. Mais les attributs appropriés sont essentiels, bien qu’ils entretiennent une similitude avec ceux qui sont propres aux personnes.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod uni rei possunt esse multa similia ; unde non est inconveniens quod ab eodem transumentur [transmutentur Éd. de Parme] aliqua diversa secundum diversas similitudines ; et ideo potest esse quod similitudo reperta in creaturis dicatur vestigium in quantum confuse repraesentat ; et opera divinae bonitatis in mysterio incarnationis ostensa dicantur vestigia Dei inquantum per ea nobis via paratur ad veniendum in ipsum.

4. Il faut dire en quatrième lieu que pour une seule et même chose il peut exister plusieurs similitudes ; de là il n’y a pas de problème à ce que divers rapports selon différentes similitudes soient reçus par une même chose ; et c’est pourquoi il peut arriver que la similitude découverte dans les créatures soit appelée vestige selon qu’elle représente confusément ce dont elle est la similitude ; et les œuvres de la bonté divine manifestées dans le mystère de l’incarnation sont appelées vestige de Dieu dans la mesure où elles nous préparent le chemin pour parvenir jusqu’à Lui.

 

 

Articulus 2 Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 tit. Utrum partes vestigii sint tres tantum vel duae.

Article 2 – Est-ce que les parties du vestige sont au nombre de trois ou n’y en a-t-il que deux ?

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod debeant esse tantum duae partes vestigii. Vestigium enim est proprietas quaedam creaturae. Sed creatura habet tantum duas partes essentiales, scilicet materiam et formam. Ergo videtur quod secundum has partes duae tantum sint partes vestigii.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de ce deuxième article. Il semble qu’un vestige ne comporte que deux parties. Un vestige en effet est une certaine propriété d’une créature. Mais la créature ne possède que deux parties essentielles, à savoir la matière et la forme. Il semble donc que le vestige ne comporte que deux parties d’après ces composantes.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, videtur quod quatuor. Per vestigium enim non tantum repraesentatur personarum Trinitas, sed etiam unitas essentiae. Ergo oportet esse tria respondentia tribus personis et quartum respondens unitati essentiae.

2. En outre, il semble qu’un vestige comporte quatre parties. Par un vestige en effet ce n’est pas seulement la Trinité des personnes qui est représentée, mais aussi l’unité de l’essence. Il faut donc qu’il y ait trois parties qui correspondent aux trois personnes et une autre qui correspond à l’unité de l’essence.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, vestigium dicitur in creatura secundum quod repraesentat creatorem. Cum igitur in creaturis repraesententur plurima attributa ipsius Dei, quae participantur a creaturis, sicut patet per Dionysium (de div. Nom., cap. IX) videtur quod sint plurimae partes.

3. De plus, on dit qu’il y a vestige dans la créature selon qu’elle représente le Créateur. Donc, puisqu’une multitude d’attributs de Dieu, dont les créatures participent, sont représentés dans celles-ci, ainsi qu’on le voit chez Denys [Les Noms Divins, ch. 1X], il semble qu’un vestige comporte une multitude de parties.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 arg. 4 Item, a diversis inveniuntur partes diversae assignatae ; sicut Sap. 11, 21 dicitur: omnia in numero, pondere et mensura disposuisti ; et Augustinus (de natura boni, cap. III), ponit modum, speciem et ordinem ; et multis aliis modis secundum diversos. Quaeritur ergo de ratione diversitatis assignationum.

4. Par ailleurs, différentes parties se trouvent à être attribuées d’après différents principes, ainsi qu’il est dit dans le livre de la Sagesse (XI, 20) : Tu as tout réglé avec nombre, poids et mesure ; et Augustin pose [Sur la Nature du Bien, ch. 111] le mode, l’espèce et l’ordre ; et c’est de plusieurs autres manières que se font les attributions d’après différents critères. On s’interroge donc sur la raison de la diversité des attributions.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod vestigium invenitur in creatura, inquantum imitatur divinam perfectionem. Perfectio autem creaturae non statim habetur in suis principiis, quae imperfecta sunt, ut patet in materia et forma, quorum neutrum habet per se [per se om. Éd. de Parme] esse perfectum ; sed in conjunctione ipsius creaturae ad suum finem. Distantia autem natura non conjungit sine medio: et ideo in creaturis invenitur principium, medium et finis, secundum quae tria ponebat Pythagoras perfectionem cujuslibet creaturae. Et secundum rationem etiam horum trium repraesentatur in creaturis distinctio divinarum personarum, in quibus Filius est media persona, sed Spiritus sanctus est in quo terminatur processio personarum.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire qu’on retrouve un vestige dans la creature dans la mesure où elle imite la perfection divine. Mais la perfection de la creature n’est pas possédée immédiatement dans ses principes, lesquels sont imparfaits, ainsi qu’on peut le voir dans la matière et la forme, alors qu’aucune des deux ne possède par elle-même une existence parfaite, mais seulement dans la mesure où elles sont unies dans la créature en vue de sa fin. Mais ce n’est pas sans intermédiaire que la nature réunit ce qui est éloigné: et c’est pourquoi dans les créatures on retrouve un commencement, un milieu et une fin sur lesquels Pythagoras fondait la perfection de toute créature. Et c’est encore suivant la notion de ces trois principes que se trouve à être représentée dans les creatures la distinction des personnes divines dans lesquelles le Fils est la personne intermédiaire et l’Esprit-Saint est celle dans laquelle se termine la procession des personnes.

Contingit autem inter duo extrema esse plurima [plura Éd. de Parme] media ; et ideo contingit quod principium et medium et finis diversimode possunt assignari, secundum quod ex his omnibus, [scilicet principio, medio et fine, et multis mediis add. Éd. de Parme], quaedam possunt accipi ut principium et quaedam ut medium et quaedam ut finis, diversimode combinando ; et ideo contingit quod a diversis partes vestigii diversimode sunt assignatae. Verbi gratia, primum quod pertinet ad perfectionem rei, sunt principia ipsius rei ; ultimum autem est perfectio [ipsius add. Éd. de Parme] rei secundum comparationem [operationem Éd. de Parme] suam ad alias res non tantum prout in se perfecta est. Inter haec autem multa sunt media. Est enim dispositio principiorum, sive inclinatio ad esse principiati ; est etiam limitatio principiorum sub forma principiati, et est forma ipsius principiati et est virtus et operatio et multa hujusmodi.

Il arrive cependant qu’entre deux extrêmes il y ait plusieurs intermédiaires ; et c’est pourquoi il arrive que le commencement, le milieu et la fin puissent être attribués de diverses manières selon qu’à partir de tous ces termes [à savoir le commencement, le milieu et la fin et les nombreux intermédiaires] certains puissent se prendre comme commencement, certains comme milieu et certains comme fin par des combinaisons différentes ; et c’est pourquoi il arrive que les parties du vestige soient attribuées différemment par différentes combinaisons. En d’autres mots, les principes de la chose elle-même sont ce qui se rapporte en premier lieu à la perfection de la chose ; mais ce qui s’y rapporte en dernier lieu c’est son rapport aux autres choses [l’opération, d’après l’Éd. de Parme] et non seulement selon qu’elle est parfaite en elle-même. Mais entre ces deux termes il y a de nombreux intermédiaires. Il y a en effet la disposition des principes ou l’inclination à l’existence de ce qui résulte du principe ; il y a aussi la limitation des principes sous la forme de ce qui résulte des principes, il y a la forme de l’effet lui-même, en plus de la puissance, de l’opération et de plusieurs autres facteurs de cette sorte.

Potest ergo assignari vestigium, ut pro principio sumatur solum illud quod primum est, scilicet ipsa substantia principiorum ; et pro medio illud quod est immediate sequens, scilicet dispositio principiorum sive inclinatio ad esse principii ; et pro fine illud totum quod consequitur ; et secundum hoc sumitur illud quod dicitur Sapien. 11, numerus, pondus et mensura ; quia numerus pertinet ad pluralitatem principiorum, pondus ad inclinationem principiorum in esse principiati, mensura ad terminationem principiorum sub esse creati terminato [terminat Éd. de Parme] ; ita quod in ista terminatione sumatur et terminatio in esse et in operari et in omnibus aliis. Item potest aliter sumi, ut pro principio sumatur ipsa substantia principiorum et inclinatio et quidquid aliud pertinet ad principia, et pro medio sumatur ipsa forma principiati, et pro ultimo sumatur ipsa comparatio ipsius rei ad ea quae sunt extra rem. Et sic sumuntur illa verba Augustin, lib. LXXXIII quest., d. XVIII.: « Quod constat, quod discernitur, quod congruit ».

Le vestige peut donc être assigné de telle manière que soit pris pour principe seulement ce qui est premier, à savoir la substance même des principes ; et que soit pris pour milieu ce qui suit immédiatement, c’est-à-dire la disposition des principes ou l’inclination à l’existence de ce qui résulte du principe ; et que soit pris pour fin ce tout qui en découle ; et c’est d’après cela que se prend ce qui est dit dans le livre de la Sagesse (ch. 11), à savoir le nombre, le poids et la mesure ; car le nombre se rapporte à la multiplicité des principes, le poids à l’inclination des principes à l’existence de ce qui en résulte ou de l’effet, et la mesure à l’établissement des principes sous l’existence achevée de ce qui est créé ; de telle manière que dans cet achèvement  on entende à la fois l’achèvement dans l’existence et l’opération et l’achèvement dans toutes les autres étapes. On peut aussi recevoir cela autrement, de telle manière que pour principe on prenne la substance même des principes et l’inclination et toute autre chose qui se rapporte aux principes, qu’on prenne pour intermédiaire la forme même de l’effet et que pour fin on prenne le rapport même de la chose elle-même à ce qui est extérieur à la chose. Et c’est ainsi qu’on reçoit ces paroles d’Augustin  [Livre des Quatre-vingt-trois Questions, d. XVIII] : ¨Ce qui les constitue, ce qui les distingue, ce qui convient¨.

Constat enim res per ipsa sua principia, discernitur per formam, congruit per comparationem ad alterum: et quasi similiter sumuntur ista, modus, species et ordo ; ita quod modus pertineat ad principia determinata sub esse principiati, species ad formam, ordo ad comparationem ad alterum ; nisi quod ista sunt abstracta et prima concreta ; et quasi similiter accipiuntur ista, unum, verum et bonum ; ut unitas rei pertineat ad suam determinationem prout ex principiis constituta est, et veritas secundum quod habet formam, et bonum secundum quod ordinatur ad finem. Item etiam potest sumi pro principio tota res secundum quod est etiam perfecta per formam, et pro medio virtus, et pro fine operatio ; et sic sumitur illa Dionysii: essentia, virtus et operatio. Et sic patet quod secundum quod perfectio rei potest intelligi terminari ad diversa, et secundum quod unum membrum potest multa vel pauca includere, invenitur diversitas partium vestigii in omnibus secundum unam communem rationem principii, medii et finis assignatam [signatam. Éd. de Parme].

C’est par ses principes eux-mêmes en effet que la chose est constituée, par sa forme qu’elle se distingue et c’est dans son rapport à la chose à laquelle elle est ordonnée qu’elle convient : et c’est comme de la même manière que se prennent ces trois termes, à savoir le mode, l’espèce et l’ordre, de telle manière que le mode se rapporte aux principes déterminés dans l’existence de l’effet, l’espèce à la forme et l’ordre au rapport à autre chose, si ce n’est que cette dernière séquence est abstraite alors que la première est concrète ; et c’est encore comme de la même manière que se reçoivent les termes suivants, à savoir l’un, le vrai et le bien, de telle manière que l’unité de la chose se rapporte à sa définition selon qu’elle est constituée de principes déterminés, la vérité à la forme qu’elle possède et le bien à la fin à laquelle elle est ordonnée. En outre on peut encore prendre pour principe la totalité de la chose selon qu’elle est achevée par sa forme, pour intermédiaire la puissance et pour fin l’opération ; et c’est de cette manière que se prennent ces termes de Denys, à savoir l’essence, la puissance et l’opération. Et ainsi il est clair que selon que la perfection de la chose peut s’entendre comme s’arrêtant à différentes termes, et selon qu’un même membre peut contenir plusieurs ou peu d’éléments, la diversité des parties du vestige se retrouve en tous d’après une même notion commune de principe, de milieu et de fin ayant été attribuée.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sint duae partes essentiales creaturae, nihilominus tamen est accipere habitudinem unius ad alteram, et multas etiam perfectiones consequentes, secundum quas partes vestigii assignari possunt.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien qu’il y ait dans la créature deux parties essentielles, il faut néanmoins comprendre le rapport de l’une à l’autre et aussi les nombreuses perfections qui en découlent d’après lesquelles les parties du vestige peuvent être attribuées.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in Deo essentia non facit numerum cum personis, ita et in creatura est, quod tribus partibus vestigii substat ipsum esse creaturae repraesentans essentiam non connumeratum tribus partibus vestigii.

2. Il faut dire en deuxième lieu que tout comme en Dieu l’essence ne fait pas nombre avec les personnes, de même dans la créature l’existence même de la créature représentant l’essence qui se tient sous les trois parties du vestige ne compte pas parmi les trois parties du vestige.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod proprietates creaturarum, ex quibus ducimur in divina attributa, quamvis sint plura, habent tamen ordinem ad invicem principii, medii et finis, sub quorum rationibus in tres personas ducunt, qualitercumque diversificentur.

3. Il faut dire en troisième lieu que les propriétés des créatures à partir desquels nous sommes conduits aux attributs divins, bien qu’elles soient nombreuses, sont cependant ordonnées les unes aux autres en tant que principes, intermédiaires et fins, et c’est sous le rapport de ces notions qu’elles conduisent aux trois personnes, peu importe par ailleurs de quelle manière ces propriétés diffèrent entre elles.

 

 

Articulus 3 Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 tit. Utrum in omni creatura sit vestigium

Article 3 – Y a-t-il une trace en toute créature ?

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non in omni creatura sit vestigium. Similitudo enim vestigii dividitur contra similitudinem imaginis. Sed quaedam creaturae sunt in quibus est similitudo imaginis, sicut in homine. Ergo in illis non est vestigium.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de ce troisième article. Il semle qu’il n’ y ait pas un vestige en toute créature. La ressemblance du vestige en effet se distingue par opposition à la ressemblance de l’image. Mais il existe des créatures dans lesquelles il y a une ressemblance sous la forme de l’image, par exemple chez l’homme. Il n’y a donc pas dans ces créatures une similitude de vestige.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 2 Item, vestigium est similitudo imperfecte repraesentans. Sed aliquae creaturae sunt quae sunt [quae sunt om. Éd. de Parme] perfecta similitudo divinae bonitatis, sicut gratiae gratum facientes, cum quibus Deus dicitur inhabitare in homine. Ergo in illis non est vestigium.

2. En outre, le vestige est une similitude dont la représentation est imparfaite. Mais il y a certaines créatures qui sont une similitude parfaite de la bonté divine, comme les grâces qui rendent agréable et avec lesquelles on dit de Dieu qu’il habite en l’homme. Il n’y a donc pas de vestige en elles.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, si accipiamus singulas partes vestigii, quaelibet earum creatura est, sicut modus, vel species. Si igitur in qualibet creatura est vestigium, tunc modi erit modus, species et ordo ; et ita erit abire in infinitum, quod nec intellectus nec natura patitur.

3. De plus, si on prend chacune des parties du vestige, chacune d’elles est une créature, comme le mode ou l’espèce. Si donc il y a vestige en toute créature, alors il y aura un mode, une espèce et un ordre du mode et ainsi on ira à l’infini, ce qui ne s’accorde ni avec l’intelligence, ni avec la nature.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 4 Item, Ambrosius dicit: « Lucis natura est ut non sit in numero, pondere et mensura, sicut alia creatura ». In his autem tribus attenditur vestigium, secundum Augustinum, ut dictum est, art. antecedent. Cum igitur lux sit creatura, videtur quod non in qualibet creatura sit vestigium.

4. En outre, Ambroise dit : ¨La nature de la lumière est telle, contrairement aux autres créatures, qu’elle ne comporte ni nombre, ni poids, ni mesure.¨ Mais ces trois termes s’appliquent au vestige, d’après Augustin, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Donc, puisque la lumière est une créature, il semble qu’il n’y ait pas vestige en toute créature.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, Bernardus: « Modus caritatis est non habere modum ». Ergo caritas, cum sit creatura, non habet modum, speciem et ordinem ; et sic idem quod prius.

5. Par ailleurs, Bernard dit : ¨Le mode de la charité consiste à ne pas avoir de mode¨. Donc la charité, bien qu’elle soit une créature, ne possède ni mode, ni espèce, ni ordre. Donc, le vestige ne se retrouve pas en toute créature.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 s. c. 1 Contra, Sap. 11, 2: omnia in numero, pondere et mensura disposuisti. Item Augustinus loquens de modo, specie, et ordine, dicit: ubi haec tria magna sunt, magnum bonum est ; ubi parva, parvum ; ubi nulla, nullum. Sed omnis creatura est aliquod bonum. Ergo omnis creatura habet haec tria.

Cependant :

1. On lit dans le livre de la Sagesse (11, 20) : Tu as tout réglé avec nombre, poids et mesure.  En outre, Augustin dit, en parlant du mode, de l’espèce et de l’ordre : là où ces trois dispositions sont considérables, il y a un grand bien ; là où elles sont minimes, le bien est minime ; là où elles sont absentes, le bien est absent. Mais toute créature est un bien. Donc, toute créature possède ces trois dispositions.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod vestigium invenitur in creatura, secundum quod consequitur esse perfectum a Deo, ut supra dictum est, art. praecedenti. Unde in his tantum simpliciter est invenire vestigium quae perfecta sunt in se ; et hujusmodi sunt tantum individua in genere substantiae.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que le vestige se rencontre dans la créature selon qu’elle imite la perfection de Dieu, ainsi que nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent. De là, à parler absolument, le vestige se rencontre seulement dans les êtres qui sont parfait en eux-mêmes; et sont de cette sorte seulement les individus contenus dans le genre de la substance.

Accidentia autem non habent esse, nisi dependens a substantia ; unde etiam in accidentibus non est vestigium, nisi secundum ordinem ad substantiam ; ita quod accidentia magis sint modi, species et ordines substantiarum, quam ipsa habeant speciem, modum et ordinem: nisi effective Deus dicatur species, modus et ordo accidentium. Tamen, cum secundum quodlibet accidens addatur aliquod esse ipsi substantiae, erit secundum illud esse aliquo modo considerare vestigium. Unde quod privat illud accidens, privat partes vestigii, scilicet modum, speciem et ordinem, quantum ad illud esse ; sicut peccatum, quod privat gratiam, dicitur privatio modi, speciei et ordinis, secundum esse gratuitum ; nihilominus tamen manent haec tria secundum esse naturae.

Mais les accidents ne possèdent d’existence qu’en dépendant de la substance; par conséquent encore il n’y a de vestige dans les accidents que selon leur rapport à la substance de sorte que les accidents sont bien les modes, les espèces et les ordres des substances plutôt qu’ils ne possèdent par eux-mêmes une espèce, un mode et un ordre, à moins bien sûr que Dieu, comme cause efficiente, ne soit appelé l’espèce, le mode et l’ordre des accidents. Cependant, puisque suite à tout accident une certaine forme d’existence est ajoutée à la substance, il faudra considérer d’une certaine manière un vestige selon cette existence. Par la suite, ce qui prive de cet accident prive des parties du vestige, à savoir du mode, de l’espèce et de l’ordre quant à cette existence; par exemple on dit du péché, qui prive de la grâce, qu’il est une privation du mode, de l’espèce et de l’ordre quant à l’existence de la grâce; cependant, ces trois dispositions demeurent selon l’existence de la nature.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in superiori semper includitur virtus inferioris, sicut in anima etiam est virtus naturae. Anima enim est natura ipsius corporis, quod per ipsam movetur, et dat sibi esse naturale, et super hoc habet proprias operationes suas: et ideo cum similitudo imaginis sequatur animam secundum id quod intellectualis est, non excluditur ab ea ratio vestigii, quae consequitur ipsam secundum quod natura quaedam est creata.

Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que la puissance inférieure est toujours comprise dans celle qui est supérieure, tout comme dans l’âme il y a encore la puissance de la nature. L’âme en effet est ce qui par nature appartient au corps, lequel se meut par elle et lui donne d’être naturelle, laquelle possède par delà le corps les opérations qui lui sont propres; et c’est pourquoi, bien que la similitude de l’image découle de l’âme en tant qu’elle est intellectuelle, cependant il ne faut pas écarter de cette dernière la notion de vestige qui découle de l’âme en tant que nature créée.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 2 Et similiter etiam dicendum ad secundum, quod gratia gratum faciens, secundum id quod addit aliis creaturis, dicitur perfecta similitudo, non quidem simpliciter, sed respectu aliarum creatarum similitudinum ; sed secundum id in quo communicat cum aliis creaturis, habet rationem vestigii.

2. Il faut semblablement dire encore en deuxième lieu que la grâe qui rend agréable à Dieu, quant à ce qu’elle ajoute aux autres créatures, est appelée similitude parfaite, non pas absolument parlant, mais par rapport aux autres similitudes créées; mais quant à ce qu’elle partage en commun avec les autres créatures, elle a raison de vestige.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliquid dicitur modificari aliquo dupliciter.

Vel formaliter, et sic res dicitur modificari suo modo, qui in ipsa est.

Vel effective, et sic omnia modificantur ab eo qui modum rebus imponit ; et hinc est quod Deus dicitur effective modus omnium rerum.

Secundum hoc ergo dico, quod modus creaturae non habet modum quo formaliter modificetur, sed modum modificantem effective ; et ita est in omnibus aliis partibus vestigii.

3. En troisième lieu il faut dire qu’on dit d’une chose qu’elle est modifiée par quelque chose de deux manières.

Soit formellement, et ainsi on dit d’une chose qu’elle est modifiée par son mode qui est en elle.

Soit de façon efficiente et ainsi toutes les choses sont modifiées par celui qui impose un mode aux choses. Et c’est pour cela qu’on dit de Dieu qu’il est le mode de toutes les choses à la manière d’une cause efficiente.

Je dis donc d’après cela que le mode de la créature ne possède pas le mode par lequel elle est modifiée formellement, mais le mode qui modifie à la manière d’une cause efficiente ; et il en est de même pour toutes les autres parties du vestige.

Lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod lux in se considerata, creata est in numero, pondere et mensura, cum habeat finitum esse et posse, sicut et aliae creaturae ; sed respectu aliarum creaturarum corporalium habet indeterminatam virtutem, eo quod per lucem omnia corpora aliquo modo informantur et per ipsam omnia corpora inferiora perficiuntur in suis naturis ; et hoc accidit sibi inquantum est forma universalis et primi alterantis, scilicet caeli ; et pro tanto non dicitur in numero, pondere et mensura esse creata.

4. En quatrième lieu, il faut dire que la lumière, considérée en elle-même, est créée en nombre, poids et mesure, puisqu’elle possède une existence et une puissance limitées, comme les autres créatures ; mais par rapport aux autres créatures corporelles elle possède une puissance qui n’est pas limitée du fait que tous les autres corps sont en quelque sorte informés par la lumière et que par elle tous les corps inférieurs trouvent leur achèvement dans leur nature propre ; et cela lui arrive dans la mesure où elle est une forme universelle et qu’elle relève de la première cause du changement, à savoir le ciel ; et quant à cela qu’on dit de la lumière qu’elle n’est pas créée en nombre, poids et mesure.

[308] Super Sent., lib. 1 d. 3 q. 2 a. 3 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod caritas potest dupliciter considerari.

Aut secundum esse quod habet in subjecto ; et hoc modo modum habet secundum mensuram capacitatis recipientis, vel ex natura vel ex conatu.

Aut secundum inclinationem in objectum, et sic intelligitur non habere modum: quia objectum, cum sit infinitum, non proportionatur voluntati nostrae: unde nunquam tantum potest amare Deum quin amplius amandus sit et se amare velit.

5. Il faut dire finalement que la charité peut être considérée de deux manières.

Soit selon l’existence qu’elle possède dans le sujet ; et de cette manière elle possède un mode d’après la mesure de la capacité de celui qui la reçoit ou bien naturellement ou bien avec effort.

Soit selon l’inclination qu’elle a vers son objet et ainsi elle se comprend comme n’ayant pas de mode : car l’objet lui-même, puisqu’il est infini, est sans commune mesure avec notre volonté : c’est pourquoi on ne peut jamais aimer Dieu jusqu’à ce point où il doit être aimé et veut être aimé.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Le substrat de l’image]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intelligentiam hujus partis duo quaeruntur:

1 de subjecto imaginis ;

2 de partibus imaginis enumeratis.

Pour comprendre cette partie on cherche à savoir deux choses :

1. Ce qu’il en est du sujet de l’image.

2. Ce qu’il en est des parties énumérées de l’image.

 

 

Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 tit. Utrum tantum mens sit subjectum imaginis.

Article unique : L’esprit est-il le seul sujet de l’image ?

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod non tantum mens sit subjectum imaginis. Augustinus enim ostendit, lib. II De Trin., cap. 2, imaginem Trinitatis in visu corporali secundum tria quae necessaria sunt ad visionem, scilicet res exterior et imago ejus in oculo, et intentio videntis, quae ista duo conjungit. Visus autem corporeus non pertinet ad mentem. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. On procède de la manière suivante pour l’examen de la question qui précède. Il semble que ce ne soit pas seulement l’esprit qui soit le sujet de l’image. Augustin manifeste en effet [Livre 11 De la Trinité, ch. 2] l’image de la Trinité dans la vision corporelle d’après trois conditions qui sont nécessaires à la vision corporelle, à savoir la chose extérieure, l’image de cette chose dans l’œil, et l’intention de celui qui voit, laquelle réunit les deux premières. Mais la vision corporelle n’appartient pas au domaine de l’esprit. Donc, l’esprit n’est pas le seul sujet de l’image.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 2 Item, Damascenus, lib. III De fide orthod., cap. XVIII, assignat imaginem in libero arbitrio, quod etiam non videtur esse de pertinentibus ad mentem.

2. De plus, Damascène [Livre 111 De la Foi orthodoxe, ch. XVIII] attribue l’image au libre arbitre qui lui non plus ne semble pas faire partie de ce qui appartient à l’esprit.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 3 Item, Augustinus, XIV de Trin., cap. VIII : « Imago Trinitatis ibi quaerenda est in anima nostra, quo nihil habet melius ». Haec autem videtur esse ratio superior, secundum quam aeternis contemplandis inhaeret. Ergo videtur quod in ratione superiori sit imago.

3. Par ailleurs, Augustin [XVI De la Trinité, ch.  VIII] dit : ¨L’image de la Trinité doit être recherchée dans notre âme là où elle ne possède rien de mieux¨. Mais cette partie semble être la raison supérieure d’après laquelle l’âme s’attache à contempler les vérités éternelles. Il semble donc que le sujet de l’image soit la raison supérieure.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 4 Item, Dionysius IV cap. De divin. Nom., § 22, col. 723 : Angelus est imago divina. Ergo videtur quod non tantum in mente nostra sit imago.

4. En outre, Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 22, col. 723] dit : L’Ange est l’image de Dieu. Il semble donc que l’image ne soit pas seulement dans notre esprit.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 arg. 5 Contra, videtur quod in nulla creatura sit imago. Imago enim, ut dicit Hilarius De Synod. § 13, est rei ad rem coaequandam discreta et unica similitudo. Sed nulla res creata coaequat creatorem. Ergo in nulla creatura potest imago creatoris inveniri.

Cependant :

Il semble au contraire que l’image ne soit dans aucune créature. L’image en effet, comme le dit Hilaire [Sur le Synode, & 13] est la similitude distincte et unique d’une chose pour égaler la chose. Mais aucune chose créée ne peut égaler le Créateur. On ne peut donc dans aucune créature retrouver une image du Créateur.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod imago in hoc differt a vestigio: quod vestigium est confusa similitudo alicujus rei et imperfecta ; imago autem repraesentat rem magis determinate secundum omnes suas [suas om. Éd. de Parme] partes et dispositiones partium, ex quibus etiam aliquid de interioribus rei percipi potest. Et ideo in illis tantum creaturis dicitur esse imago Dei quae propter sui nobilitatem ipsum perfectius imitantur et repraesentant ; et ideo in Angelo et homine [tantum dicitur imago divinitatis, et in homine add. Éd. de Parme] secundum id quod est in ipso nobilius. Alia autem, quae plus et minus participant de Dei bonitate, magis accedunt ad rationem imaginis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’image diffère en cela du vestige que ce dernier est une similitude confuse et imparfaite d’une chose alors que l’image représente la chose plus déterminément selon toutes ses parties et toutes les dispositions de ses parties, à partir desquelles encore on peut percevoir quelque chose de ce qu’il y a à intérieur même de la chose. Et c’est pourquoi on dit qu’il y a une image de Dieu seulement dans ces créatures qui en raison de leur excellence, imitent et représentent plus parfaitement Dieu ; et c’est pourquoi l’image de Dieu n’est présente que dans l’Ange et dans l’homme, et dans l’homme d’après ce qu’il y a en lui de plus excellent. D’autres créatures cependant, qui participent plus ou moins de la bonté de Dieu, s’approchent davantage de la notion d’image.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus in multis ostendit similitudinem Trinitatis esse ; sed in nullo esse perfectam similitudinem, sicut in potentiis mentis, ubi invenitur distinctio consubstantialis et aequalitas. Constat autem illa tria in visu dicta, non esse consubstantialia, et ideo solum in mente ponit imaginem.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’Augustin montre que la similitude de la Trinité existe dans de nombreux êtres ; mais dans aucun d’eux on ne retrouve une similitude parfaite  comme dans les puissances de l’esprit où on retrouve une distinction consubstantielle et une égalité. Mais il est clair que ces trois conditions dont on a parlé pour la vision corporelle ne sont pas consubstantielles, et c’est pourquoi c’est seulement dans l’esprit qu’il pose l’existence de l’image.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in libero arbitrio non potest esse perfecta similitudo, cum non inveniatur ibi aliqua distinctio potentiarum ; nec etiam est excellentior pars animae, cum sit tantum operativa. Et pars [constat autem quod add. Éd. de Parme] contemplativa nobilior est parte operativa. Sed Damascenus assignat ibi imaginem, large vocans imaginem quamcumque similitudinem. Imitatur autem Deum liberum arbitrium, inquantum est primum principium suorum operum non potens cogi.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans le libre arbitre il ne peut y avoir une similitude parfaite puisqu’on ne retrouve pas là une distinction des puissances ; et ce n’est pas non plus la partie la plus excellente de l’âme puisqu’elle est seulement opérationnelle. Mais il est clair que la partie comtemplative est plus noble que la partie opérationnelle. Mais Damascène désigne là l’image au sens large, désignant par image toute similitude. Mais le libre arbitre est une imitation de Dieu pour autant que, ne pouvant être contraint, il est le premier principe des ses opérations.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio superior inhaeret aeternis contemplandis, inquantum sunt regula et norma agendorum, prout scilicet ex divinis rationibus dirigimur in nostris operibus. Unde ibi non est imago ; sed in illa parte quae aeterna secundum se contemplatur.

3. Il faut dire en troisième lieu que la raison supérieure s’attache à la contemplation des vérités éternelles dans la mesure où ces dernières sont les règles et les modèles de nos actions, c’est-à-dire pour autant que c’est à partir des raisons divines que nous sommes dirigés dans nos opérations. C’est pourquoi il n’y a pas là image, mais seulement dans cette partie où les vérités éternelles sont contemplées pour elles-mêmes, en tant que telles.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod imago Trinitatis potest attendi tripliciter.

Vel quantum ad expressam repraesentationem divinorum attributorum ; et sic, cum divinae bonitates copiosius effulgeant in Angelo quam in homine, Angelus est expressior imago Dei quam homo, unde etiam signaculum dicitur Ezech. XXVIII, secundum expositionem Gregorii, lib. XXXIII Moralium, cap. XXXIII.

Vel quantum ad distinctionem personarum ; et sic expressior est similitudo in homine quam in Angelo, quia in Angelo suae potentiae sunt minus distinctae.

Vel inquantum ipse Deus est principium rerum ; et sic imago invenitur in homine et non in Angelo, inquantum unus homo est principium omnium hominum, sicut Deus omnium rerum, et inquantum anima est in toto corpore tota, sicut Deus in mundo. Sed quia ista repraesentatio est quantum ad exteriora, simpliciter concedendum est quod angelus magis est ad imaginem, quam homo.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’image de la Trinité peut se prendre de trois manières.

Soit quant à la représentation distincte des attributs divins ; et ainsi, puisque les bontés divines se répandent plus abondamment dans l’Ange que dans l’homme, l’Ange est une image plus distincte de Dieu que l’homme et c’est pourquoi Ézéchiel (XXVIII) dit de lui qu’il est une marque distinctive de Dieu d’après l’explication qu’en donne Grégoire [Livre XXXIII, Sur les Choses Morales, ch. XXXII].

Soit en tant que Dieu lui-même est le principe des choses ; et ainsi l’image se retrouve en l’homme et non dans l’Ange, pour autant qu’un seul homme est le principe de tous les hommes, tout comme Dieu est le principe de toutes les choses, et pour autant que l’âme est toute entière dans tout le corps, tout comme Dieu est dans le monde. Mais parce que cette représentation se rapporte à ce qui est extérieur, il faut concéder, absolument parlant, que l’Ange s’approche davantage de l’image que l’homme.

Lib. 1 d. 3 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum [ultimum Éd. de Parme] dicendum, quod imago invenitur in Filio et in creatura differenter, ut dicit Augustinus, lib. de decem Chordis, cap., sicut imago regis in filio, et in denario. Filius enim Dei est perfecta imago Patris, perfecte repraesentans ipsum: creatura autem, secundum quod deficit a repraesentatione, deficit a perfecta ratione imaginis. Unde etiam dicitur imago, et ad imaginem: quod de Filio non dicitur. Et ideo non oportet quod creatura simpliciter adaequet creatorem: hoc enim tantum verum est de Filio, qui est perfecta imago ; sed sicut secundum quid repraesentat, ut imperfecta imago, ita etiam secundum quid adaequat [coaequat. Éd. de Parme].

5. Il faut dire finalement que l’image se retrouve dans le Fils et dans la créature, mais différemment, ainsi que le dit Augustin [Livre Sur les Dix Cordes], tout comme l’image du roi est dans son fils et sur la pièce de monnaie. En effet, le Fils de Dieu est une image parfaite du Père qui le représente parfaitement : mais la créature, selon qu’elle s’écarte de cette représentation, s’écarte de la notion parfaite de l’image. C’est pourquoi on dit encore d’elle qu’elle est image et qu’elle s’approche de l’image, ce qu’on ne peut dire au sujet du Fils. Et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire  que la créature soit absolument égale au Créateur : cela en effet n’est vrai que du Fils, lequel est une image parfaite ; mais parce que la créature représente Dieu sous un certain rapport, en tant qu’image imparfaite, de même encore elle se compare à lui sous un certain rapport et non absolument.

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [La connaissance de l’image]

 

 

Prooemium

Proème

Lib. 1 d. 3 q. 4 pr. Deinde quaeritur de partibus imaginis: et primo de prima assignatione ; secundo de secunda. Circa primum quaeruntur quinque:

1 de partibus imaginis quid unaquaeque sit, et qualiter ab invicem differant ;

2 quomodo se habeant ad essentiam, utrum sint ipsa essentia animae ;

3 quomodo se habeant ad invicem, utrum scilicet una ex alia oriatur ;

4 de ipsis per comparationem ad objectum, scilicet respectu cujus objecti attenditur in ipsis imago Trinitatis ;

5 de ipsis per comparationem ad actum, utrum scilicet semper sint in suis actibus dictae potentiae.

On s’interroge ensuite sur les parties de l’image : et en premier lieu sur la première attribution ; en deuxième lieu sur la deuxième. Et sur la première partie on cherche à savoir cinq choses :

1. sur les parties de l’image on cherche à savoir ce qu’est chacune d’elles, et de quelle manière elles diffèrent entre elles.

2. comment ces parties se rapportent à l’essence : constituent-elles l’essence même de l’âme ?

3. quel  rapport y a-t-il entre elles ? Est-ce que l’une naît de l’autre ?

4. des parties de l’image par rapport à leur objet, c’est-à-dire par rapport à l’objet de laquelle s’entend en elles l’image de la Trinité.

5. de ces parties par rapport à leur acte, à savoir est-ce que les puissances dont on parle sont toujours en acte ?

 

 

Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 tit. Utrum memoria pertineat ad imaginem

Article 1 – Est-ce que la mémoire a rapport à l’image ?

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod memoria non pertineat ad imaginem. Sicut enim dicit Augustinus, XII de Trin., cap ; 17, quod in anima reperies commune cum brutis, ad sensualitatem pertinet. Memoria autem est communis nobis et brutis. Igitur cum imago non sit in sensualitate, videtur quod memoria ad imaginem non pertineat.

Difficultés:

1. Voici comment on procède pour cette question. Il semble que la mémoire ne se rapporte pas à l’image. Comme le dit en effet Augustin [Livre XII De la Trinité, ch. 17], ce que tu partages en commun avec les brutes animales se rapporte à la sensualité. Mais la mémoire est commune au genre humain et aux brutes animales. Donc, puisque l’image ne se retrouve pas dans la sensualité, il semble que la mémoire ne se rapporte pas à l’image.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 2 Item, omnis potentia apprehendens determinatam temporis differentiam pertinet ad sensitivam partem et non ad intellectum, qui est universalium, quae intellectus abstrahit [quae abstrahunt Éd. de Parme] a quolibet tempore. Sed memoria concernit tempus praeteritum. Ergo non pertinet ad intellectivam partem in qua est imago, sed ad sensitivam.

2. En outre, toute puissance qui appréhende une difference déterminée de temps appartient à la partie sensitive et non à l’intelligence dont l’objet est l’universel que l’intelligence sépare du temps. Mais la mémoire concerne le temps passé. La mémoire n’appartient donc pas à la partie intellectuelle dans laquelle est l’image, mais à la partie sensitive de l’âme.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 3 Item, dicitur, XI, Metaph., text. 36, a Commentatore, quia natura intellectiva dividitur in intellectum et voluntatem ; nec ullus unquam philosophus in intellectiva parte posuit memoriam ; qui tamen potentias animae consideraverunt. Ergo memoria non pertinet ad imaginem.

3. De plus, le Commentateur [Livre XI, Métaph., text. 36] dit que la nature intellectuelle se divise par l’intelligence et la volonté ; mais jamais aucun philosophe n’a posé la mémoire dans la partie intellectuelle ; pourtant, les philosophes ont étudié les puissances de l’âme. La mémoire n’appartient donc pas à l’image.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod nec intelligentia pertineat ad imaginem. Secundum enim Dionysium, De caelest. Hier., cap. IV, § 2, distinguuntur quatuor gradus entium, scilicet intellectualia, rationalia, sensibilia et simpliciter existentia. Homo autem non continetur sub intellectualibus, sed sub rationalibus. Cum igitur hic quaeratur quid sit imago, secundum quod est in homine, videtur quod intelligentia ad imaginem non pertineat.

4. Par ailleurs, il semble que l’intelligence elle-même n’appartienne pas à l’image. En effet, d’après Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. IV, &2] tous les êtres se divisent en quatre degrés, à savoir les intellectuels, les rationnels, les sensibles et ceux qui existent tout simplement. L’homme cependant n’est pas contenu dans les êtres intellectuels mais dans les rationnels. Donc, puisqu’on recherche ici ce qu’est l’image selon qu’elle existe dans l’homme, il semble que l’intelligence ne se rapporte pas à l’image.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 5 Item, potentiae distinguuntur per actus. Sed nosse et intelligere non differunt nisi forte sicut habere in habitu et intueri in actu, secundum quae non diversificantur potentiae, cum ejusdem potentiae sit habere habitum et elicere actum. Ergo intelligentia, cujus actus assignatur intelligere, non est alia potentia a memoria, cujus assignatur nosse.

5. En outre, les puissances se distinguent par leurs actes respectifs. Mais connaître et comprendre ne diffèrent peut-être que comme posséder par habitus diffère de considérer en acte, différence qui n’établit pas une distinction de puissance, puisqu’il appartient à la même puissance de posséder l’habitus et de poser l’acte. Donc, l’intelligence à laquelle est attribué l’acte de comprendre, n’est pas une puissance distincte de la mémoire à laquelle est attribué l’acte de connaître.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 6 Item, videtur quod nec voluntas. Voluntas enim est principium operativum. Sed imago quaerenda est in parte suprema quae est speculativa. Ergo voluntas non pertinet ad imaginem.

6. De plus, il semble qu’il en soit de même pour la volonté. La volonté en effet est le principe de nos actions. Mais l’image doit être recherché dans la partie supérieure de l’âme qui est spéculative. La volonté ne se rapporte donc pas à l’image.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 7 Item, Augustinus, De spiritu et anima, cap.X, imago est in potentia cognoscendi, similitudo in potentia diligendi. Sed voluntas non est potentia cognoscendi, sed magis diligendi. Ergo non pertinet ad imaginem sed ad similitudinem.

7. Par ailleurs, selon Augustin [De L’Esprit et de l’Âme, ch. X], l’image est dans la puissance de connaître alors que la similitude est dans la puissance d’aimer. Mais la volonté n’est pas dans la puissance de connaître mais plutôt dans la puissance d’aimer. La volonté ne se rapporte donc pas à l’image mais à la similitude.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 arg. 8 Praeterea, illud quod imperat aliis et movet alia, est prius eis. Sed voluntas movet omnes potentias alias, ut dicit Anselmus (lib. De similitudinis, c.II ,. Ergo est prior quam memoria et intelligentia, et ita non respondet ordini personarum ista assignatio, cum voluntas Spiritui sancto approprietur.

8. En outre, ce qui commande aux autres et les meut leur est antérieur. Mais la volonté meut toutes les autres puissances de l’âme, comme le dit Anselme [Livre sur les Similitudes, ch. 11]. Elle est donc antérieure à la mémoire et à l’intelligence et ainsi cette attribution ne correspond pas à l’ordre des personnes, puisque la volonté est appropriée à l’Esprit-Saint.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod omnis proprietas consequens essentiam animae secundum suam naturam, vocatur hic potentia animae, sive sit ad operandum sive non. Cum igitur natura animae sit receptibilis inquantum habet aliquid de possibilitate, eo quod omne habens esse ab aliquo est possibile in se, ut probat Avicenna, lib. De intellig., cap. IV, et non sit impressa organo corporali, cum habeat operationem absolutam a corpore, scilicet intelligere ; consequitur ipsam quaedam proprietas, ut impressa retineat.

Corsp de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que toute propriété qui suit l’essence de l’âme selon sa nature s’appelle ici puissance de l’âme, qu’elle soit ordonnée ou non à l’action. Donc, puisque la nature de l’âme est apte à recevoir dans la mesure où elle possède de la puissance, du fait que tout ce qui tient son existence d’un autre est en soi en puissance comme le prouve Avicenne [Livre de l’Intelligence, ch. IV], et qu’elle ne dépend pas d’un organe corporel, puisqu’elle possède une opération dégagée du corps, c’est-à-dire comprendre, une propriété en découle pour qu’elle puisse retenir ce qui la marque.

Unde dicitur, III de anima, text. 6, quod anima est locus specierum, praeter quam non tota, sed intellectus. Ista ergo virtus retinendi dicitur hic potentia memoriae. Ulterius, quia anima est immunis a materia, et omnis talis natura est intellectualis, consequitur ut id quod in ipsa tenetur ab ea intelligatur, et ita post memoriam sequitur intelligentia.

C’est pourquoi on dit [111 De l’Âme, text. 6] que l’âme est le lieu des espèces, non pas toute l’âme, mais l’intelligence. Donc, cette capacité à retenir, on l’appelle ici la puissance de la mémoire. Par la suite, parce que l’âme est dégagée de la matière et qu’une nature de cette sorte est intellectuelle, il s’ensuit que ce qui est conservé en elle soit compris, et ainsi l’intelligence suit la mémoire.

Item, quia id quod intelligitur accipitur ut conveniens intelligenti, ideo consequitur voluntas, quae tendit in ipsum conveniens: nec potest ultra procedere ; quia voluntas est respectu finis, cum ejus objectum sit bonum, et rei perfectio non extendatur ultra finem. Et secundum hoc sunt tres potentiae distinctae ab invicem, memoria, intelligentia et voluntas.

En outre, parce que ce qui est compris est reçu comme convenant à celui qui comprend, c’est pourquoi s’ensuit la volonté qui tend à ce qui est convenable ; et elle ne peut procéder au-delà de ce point car la volonté se rapporte à la fin, puisque son objet est le bien, et que la perfection d’une chose ne s’étend pas au-delà de sa fin. Et c’est pour cela qu’il y a trois puissances distinctes les unes des autres, à savoir la mémoire, l’intelligence et la volonté.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod memoria, secundum quod hic sumitur, non est communis nobis et brutis, ut patet ex auctoritate philosophi inducta, in corp., art., quia sola intellectiva anima in se retinet quod accipit, sed sensitiva in organo corporali.

1. Il faut donc dire en premieur lieu que la mémoire, au sens où nous l’entendons ici, n’est pas commune à l’homme et aux brutes animales, ainsi qu’on le voit par le témoignage que présente le philosophe dans le corps de l’article, car seule l’âme intellectuelle retient en elle-même ce qu’elle reçoit, alors que l’âme sensible le retient dans un organe corporel.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aequivocatur nomen memoriae. Memoria enim, secundum quod hic accipitur, abstrahit a qualibet differentia temporis, ut in littera dicitur, quia est praesentium, praeteritorum et futurorum ; unde sumitur hic pro memoria quae est potentia sensitivae partis, quae habet organum in postrema parte capitis, et est thesaurus intentionum sensibilium cum sensu, non a sensu acceptarum, ut dicit Avicenna, lib. De anima, part. IV, cap. IV.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le nom de mémoire est pris de manière équivoque dans cette difficulté. La mémoire en effet, ainsi que nous l’entendons ici, fait abstraction de toute différence de temps comme on peut le voir dans le texte, car elle a pour objet à la fois le présent, le passé et le futur ; et c’est pourquoi elle se prend ici par opposition à la mémoire qui est dans la partie sensible de l’âme, laquelle a un organe dans la partie arrière de la tête, et est comme l’entrepôt des intentions sensibles reçues avec le sens et non seulement du sens, comme le dit Avicenne [Livre de L’Âme, partie IV, ch. IV].

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod philosophi accipiebant potentias illas tantum quae ordinantur ad aliquem actum. Proprietas autem retentiva ipsius animae non habet aliquem actum ; sed loco actus habet hoc ipsum quod est tenere ; et ideo de memoria sic dicta non fecerunt mentionem inter potentias animae.

3. Il faut dire en troisième lieu que les philosophes d’admettaient que ces puissances qui sont ordonnées à un acte. Mais à la propriété de conserver de l’âme elle-même ne correspond pas un acte, mais à la place d’un acte il lui revient cela même qui consiste à conserver; et c’est pourquoi, parmi les puissances de l’âme, ils ne firent pas mention de la mémoire dont nous avons parlé.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, VII cap. De divin. Nom., § 3, natura inferior secundum supremum sui attingit infimum naturae superioris ; et ideo natura animae in sui supremo attingit infimum naturae angelicae ; et ideo aliquo modo participat intellectualitatem in sui summo. Et quia secundum optimum sui assignatur imago in anima, ideo potius assignatur secundum intelligentiam, quam secundum rationem ; ratio enim nihil aliud est nisi natura intellectualis obumbrata: unde inquirendo cognoscit et sub continuo tempore quod intellectui statim et plena luce offertur [confertur Éd. de Parme] ; et ideo dicitur esse intellectus principiorum primorum, quae statim cognitioni se offerunt.

4. Il faut dire en quatrième lieu que, tout comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, & 3], la partie la plus élevée d’une nature inférieure atteint la partie la moins élevée d’une nature supérieure ; et c’est pourquoi la nature de l’âme dans ce qu’elle possède de plus élevé atteint ce qu’il y a de moins élevé dans la nature angélique ; et c’est pourquoi elle participe d’une certaine manière de la nature intellectuelle dans ce qu’elle a de plus noble. Et parce que c’est d’après ce qu’elle possède de plus noble que l’image est attribuée à l’âme, c’est pourquoi l’image lui est attribuée davantage d’après l’intelligence que d’après la raison ; la raison en effet n’est rien d’autre qu’une nature intellectuelle obscurcie : c’est pourquoi elle connaît par mode d’enquête et dans la continuité du temps ce qui s’offre à l’intelligence de façon immédiate et en pleine lumière ; et c’est pourquoi on dit que l’intelligence a pour objet les premiers principes qui s’offrent immédiatement à la connaissance.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod intelligere et nosse differunt: nosse enim est notitiam rei apud se tenere ; intelligere autem dicit intueri. Quamvis autem cujuslibet potentiae sit tenere suum habitum et objectum ; hoc tamen non est earum, nisi inquantum est in eis virtus memoriae, quae immediate sequitur essentiam naturae, sicut virtus prioris semper est in posteriori.

5. Il faut dire en cinquième lieu que comprendre et connaître diffèrent : connaître en effet c’est conserver en soi la connaissance de la chose alors que comprendre implique la considération actuelle de la chose. Mais bien qu’il appartienne à toute puissance de posséder l’habitus et l’objet, cependant cela ne leur appartient  que dans la mesure où il y a en elles la puissance de la mémoire qui suit immédiatement l’essence de la nature, tout comme la puissance de ce qui est antérieur est toujours présente dans ce qui est postérieur.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod voluntatis objectum est bonum. Bonum autem habet rationem finis. Finis autem est et contemplationis et actionis. Et ideo voluntas non tantum se habet ad partem activam, sed etiam ad contemplativam: unde pertinet ad supremam partem animae.

6. Il faut dire en sixième lieu que l’objet de la volonté est le bien. Mais le bien a raison de fin. Mais la fin se rapporte à la fois à la contemplation et à l’action. Et c’est pourquoi la volonté ne se rapporte pas seulement à la partie active mais aussi à la partie contemplative; par conséquent la volonté appartient à la partie supérieure de l’âme.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Augustinus vocat large potentiam cognoscendi, sive quae ordinatur ad cognitionem, sicut memoria, sive qua cognoscitur, sicut intelligentia, sive quae cognitionem consequitur, sicut voluntas. Potentiam autem diligendi nominat habitus gratuitos, quibus Deum meritorie diligimus ; et ideo dicitur quod homo per peccatum amittens Dei similitudinem abiit in regionem dissimilitudinis, sed non amisit imaginem.

7. Il faut dire en septième lieu qu’Augustin parle de la puissance de connaître au sens large, que ce soit celle qui est ordonnée à connaître, comme la mémoire, celle par laquelle on connaît, comme l’intelligence, ou celle qui suit la connaissance, comme la volonté. Mais il appelle puissance d’amour les habitus de la grâce par lesquels nous aimons Dieu avec comme il se doit d’être aimé; et c’est pourquoi on dit que par le péché l’homme, en perdant sa resemblance avec Dieu, s’en est allé dans un état de dissimilitude, mais n’a pas perdu son image.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod, sicut in artibus est quod illa quae considerat finem, imperat et movet artes considerantes ea quae sunt ad finem, sicut medicus imperat pigmentario, ut supra dictum est, ita etiam est in potentiis animae. Voluntas enim, quia considerat finem, movet alias omnes potentias quae ordinantur ad finem et imperat eis actus suos. Unde quamvis prior sit movendo, non tamen sequitur quod sit prior in esse ; sicut etiam finis est ultimus in esse, et tamen movet efficientem.

8. Il faut dire en huitième lieu que, tout comme dans les arts celui qui considère la fin commande et meut les arts qui considèrent les moyens ordonnés à la fin, comme c’est le cas pour le médecin qui commande au pharmacien comme nous l’avons dit plus haut, il en est de même dans les puissances de l’âme. La volonté en effet, parce qu’elle considère la fin, meut toutes les autres puissances qui sont ordonnées à la fin et commande leurs actes. Par conséquent, bien qu’elle soit première quant au mouvement, il ne s’ensuit cependant pas qu’elle soit première quant à l’existence ; tout comme aussi la fin est dernière dans l’existence, elle meut cependant l’agent.

 

 

Articulus 2 Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 tit. Utrum potentiae animae sint essentia ejus

Article 2 – Les puissances de l'âme sont-elles son essence ?

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod essentia animae sit suae potentiae. Primo per hoc quod dicitur in littera: ista tria sunt una mens, una vita, una essentia.

Difficultés:

1. On procède de la manière suivante à l’égard de cette deuxième question. Il semble que l’essence de l’âme s’identifie à ses puissances. Premièrement au moyen de ce qui est dit dans le texte: ces trois facultés sont un seul esprit, une seule vie, une seule essence.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 2 Item, idem est principium essendi et operandi. Sed anima est principium essendi, cum sit forma substantialis corporis. Ergo per seipsam est principium operationum. Non oportet ergo esse potentias medias.

2. En outre, le principe de l’existence est identique au principe de l’opération. Mais l’âme est le principe de l’existence, puisqu’elle est la forme substantielle du corps. C’est donc par elle-même qu’elle est le principe des opérations. Il ne faut donc pas chercher des puissances intermédiaires  entre l’âme et les opérations.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 3 Item, forma substantialis nobilior est quam accidentalis. Sed forma accidentalis facit operationes suas sine aliqua virtute media. Ergo et forma substantialis ; et sic idem quod prius.

3. De plus, la forme substantielle est plus noble que la forme accidentelle. Mais la forme accidentelle fait ses opérations sans aucune puissance intermédiaire. Il en est donc encore de même pour la forme substantielle ; la conclusion est donc la même que pour l’argument précédent.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, materia prima est sua potentia. Sed sicut materiam potentia passiva consequitur, ita formam potentia active. [in materia est potentia passiva, ita in forma potentia activa Éd. de Parme]. Ergo etiam forma essentialis est sua potentia activa ; et sic idem quod prius.

4. Par ailleurs, la matière première est sa propre puissance. Mais tout comme la puissance passive découle de la matière, de même la puissance active découle de la forme. [la puissance passive est dans la matière comme la puissance active est dans la forme : Éd. De Parme]. Donc, la forme substantielle aussi est sa propre puissance active ; la conclusion est donc la même que précédemment.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 arg. 5 Praeterea, omne illud quod non est de essentia rei, est accidens. Sed sensus et ratio, quae sunt potentiae quaedam, non sunt accidentia, cum sint principia differentiarum substantialium. Ergo sunt de essentia ipsius animae.

5. De plus, tout ce qui n’est pas de l’essence de la chose est un accident. Mais le sens et la raison, qui sont des puissances, ne sont pas des accidents puisqu’ils sont les principes des différences substantielles. Ils font donc partie de l’essence de l’âme elle-même.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut se habet posse ad esse, ita se habet potentia ad essentiam. Sed in solo Deo verum est dicere, quod suum esse sit suum posse. Ergo in nullo alio sua essentia est sua potentia: et ita nec in anima.

Cependant :

1. Le pouvoir est à l’existence ce que la puissance est à l’essence. Mais c’est en Dieu seul qu’il est vrai de dire que son existence est son pouvoir. Il n’y a donc aucun autre être chez lequel l’essence est sa puissance et il n’en est pas ainsi non plus dans l’âme.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne agens quod agit per essentiam suam, est agens primum, ut dicit Avicenna lib. De intelligent., cap. 1. Cujus ratio est, quia omne secundum agens agit inquantum participat aliquid ; et ita agit per aliquid additum essentiae. Sed anima non est agens primum. Ergo non est agens per suam essentiam, sed per suam potentiam. Ergo sua potentia non est sua essentia.

2. De plus, tout agent qui agit pas son essence est l’agent premier comme le dit Avicenne [Livre de l’Intelligence, ch. 1]. La raison en est que tout agent second agit en tant que participant de quelque chose, et il agit ainsi au moyen de quelque chose qui s’ajoute à son essence. Mais l’âme n’est pas l’agent premier. Elle n’agit donc pas par son essence, mais par sa puissance. Sa puissance n’est donc pas son essence.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 s. c. 3 Praeterea, cum perfectio et perfectibile [perfectibilia Éd. de Parme] sint proportionata, oportet quod perfectibilia diversarum proportionum recipiant diversas perfectiones. Organa autem corporis animati diversa sunt diversarum proportionum in commixtione. Ergo diversimode perficiuntur ab anima. Non autem quantum ad esse, quia anima, cum sit forma substantialis, dat unum esse toti corpori. Ergo oportet quod diversimode perficiantur quantum ad perfectiones consequentes esse, secundum quas habent diversas operationes. Has autem perfectiones, quae sunt principia operationum animae, vocamus potentias. Ergo oportet potentias animae diversas esse ab essentia, utpote emanantes ab ipsa.

3. En outre, puisque la perfection et le perfectible [les perfectibles selon l’Éd. De Parme] sont proportionnés, il faut que les perfectibles des différentes proportions reçoivent différentes perfections. Mais les organes du corps animé sont différents dans un mélange de différentes proportions. Ils se trouvent donc à être achevés différemment par l’âme mais non pas quant à l’existence car l’âme, étant la forme substantielle, donne une seule existence à tout le corps. Il faut donc que les différents organes soient achevés par l’âme quant à des perfections qui suivent l’existence et d’après lesquelles elles possèdent différentes opérations. Mais ces perfections, qui sont les principes des opérations de l’âme, nous les appelons puissances. Il faut donc que les puissances de l’âme soient différentes de l’essence en tant qu’émanant d’elle.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 co Respondeo dicendum, quod effectus proprius et immediatus oportet quod proportionetur suae causae ; unde oportet quod in omnibus illis, in quibus principium operationis proximum est de genere substantiae, quod operatio sua sit substantia ; et hoc solum in Deo est: et ideo ipse solus est qui non agit per potentiam mediam differentem a sua substantia. In omnibus autem aliis operatio est accidens: et ideo oportet quod proximum principium operationis sit accidens, sicut videmus in corporibus quod forma substantialis ignis nullam operationem habet, nisi mediantibus qualitatibus activis et passivis, quae sunt quasi virtutes et potentiae ipsius. Similiter dico, quod ab anima, cum sit substantia, nulla operatio egreditur, nisi mediante potentia: nec etiam a potentia perfecta operatio, nisi mediante habitu.

Corps de l’article :

Je réponds en disant que l’effet propre et immédiat doit être proportionné à sa cause ; de là il faut, dans tous les cas  où le principe prochain de l’opération est du genre de la substance, que son opération soit sa substance ; et cela ne se produit qu’en Dieu : et c’est pourquoi Lui seul est celui qui n’agit pas par une puissance intermédiaire différente de sa substance. Dans tous les autres cas cependant l’opération est un accident : et c’est pourquoi il faut que le principe prochain de l’opération soit un acident comme nous voyons dans les corps que la forme substantielle du feu ne possède aucune opération si ce n’est par l’intermédiaire de qualités actives et passives qui sont comme ses vertus et ses puissances. De la même manière je dis que de l’âme, puisqu’elle est une substance, ne sort aucune opération, si ce n’est au moyen d’une puissance et même qu’une opération parfaite ne procède d’une puissance que par l’intermédiaire d’un habitus.

Hae autem potentiae fluunt ab essentia ipsius animae, quaedam ut perfectiones partium corporis, quarum operatio fit [efficitur Éd. de Parme] mediante corpore, ut sensus, imaginatio et hujusmodi ; et quaedam ut existentes in ipsa anima, quarum operatio non indiget corpore, ut intellectus, voluntas et hujusmodi ; et ideo dico, quod sunt accidentia: non quod sint communia accidentia, quae non fluunt ex principiis speciei, sed consequuntur principia individui ; sed sicut propria accidentia, quae consequuntur speciem, originata ex principiis ipsius: simul tamen sunt de integritate ipsius animae, inquantum est totum potentiale, habens quamdam perfectionem potentiae, quae conficitur ex diversis viribus.

Mais ces puissances s’écoulent de l’essence de l’âme elle-même : certaines comme des perfections des parties du corps, dont l’opération a lieu [est produite Ed. de Parme] par l’intermédiaire du corps, comme le sens, l’imagination et les facultés de cette sorte ; certaines comme existant dans l’âme elle-même, dont l’opération n’a pas besoin du corps, comme l’intelligence, la volonté et les facultés de cette sorte ; et c’est pourquoi je dis qu’elles sont des accidents : non pas des accidents communs, lesquels ne découlent pas des principes de l’espèce mais des principes individuels ; mais elles sont plutôt des accidents propres qui découlent de l’espèce et tirent leur origine des principes de celle-ci : elles vont cependant de pair avec l’intégrité de l’âme elle-même selon qu’elle est un tout potentiel, possédant une perfection de puissance, qui est réalisé par le concours de différentes forces.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur: tres potentiae sunt una mens, non est praedicatio essentialis, sed totius potestativi de suis partibus. Unde de potentiis imaginis propinquius et prius praedicatur mens: quia mentis, inquantum hujusmodi, sunt istae potentiae in quibus consistit integritas imaginis: et minus proprie vita, quae tamen includit potentias in generali, quae sunt principium operum vitae ; et adhuc minus proprie dicuntur una essentia, in qua, secundum id quod est essentia, non includuntur potentiae, nisi sicut in origine, eo quod ab essentia oriuntur potentiae, in quibus attenditur imago.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit que les trois puissances sont un seul esprit, l’attribution n’est pas essentielle est est plutôt celle d’un tout investi de puissance à ses parties. Par conséquent, l’esprit est attribué plus prochainement et antérieurement aux puissances de l’image : car c’est à l’esprit, en tant que tel, qu’appartiennent ces puissances dans lesquelles consiste l’intégrité de l’image ; et la vie s’attribue moins proprement à elles, laquelle contient cependant les puissances en général qui sont le principe des opérations de vie ; et on dit encore moins proprement de ces opérations qu’elles sont une seule essence, laquelle, en tant que telle, ne contient les puissance que comme dans leur origine du fait que c’est de l’essence que sortent les puissances auxquelles s’applique l’image.

Totum enim potentiale, quasi medium est inter integrale et universale. Universale enim adest cuilibet parti subjectivae secundum esse et perfectam virtutem, et ideo proprie praedicatur de parte sua. Sed totum integrale non adest cuilibet parti, neque secundum esse, neque secundum virtutem. Non enim totum esse domus est in pariete, neque tota virtus ; et ideo nullo modo praedicatur de parte. Totum autem potentiale adest cuilibet parti secundum se, et secundum aliquid virtutis, sed non secundum perfectam ; immo secundum perfectam virtutem adest tantum supremae potentiae ; et ideo praedicatur quidem, sed non adeo proprie sicut totum universale.

Un tout potentiel en effet est comme un intermédiaire entre un tout intégral et un tout universel. L’universel en effet est présent à chacune des parties subjectives selon l’existence et une parfaite puissance et c’est pourquoi il s’attribue proprement à sa partie. Mais le tout intégral n’est pas présent à chacune de ses parties, ni selon l’existence, ni selon la puissance. En effet, ce n’est pas la totalité de la maison qui est dans le mur et elle n’y est pas non plus selon toute sa puissance, et c’est pourquoi elle ne s’attribue nullement à sa partie. Mais le tout potentiel est présent à chacune des parties selon l’existence et selon une partie de sa puissance mais non selon une puissance parfaite ; au contraire, elle n’est présente selon une puissance parfaite qu’à la puissance la plus élevée ; et c’est pourquoi le tout potentiel s’attribue certes, mais pas tout à fait proprement comme le tout universel.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad Ad secundum dicendum, quod essentia ipsius animae est etiam principium operandi, sed mediante virtute. Principium autem essendi est immediate, quia esse non est accidens.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’essence de l’âme est aussi un principe d’opération, mais par l’intermédiaire de la puissance. Elle est principe d’existence mais d’une manière immédiate car l’existence n’est pas un accident.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 Ad tertium dicendum, quod forma accidentalis est virtus alterius, per quam producitur operatio, qui est effectus proportionatus sibi, sicut causae proximae ; forma autem substantialis non est hoc modo proportionata operationi, ut dictum est, in corp. art.

3. Il faut dire en troisième lieu que la forme accidentelle est une autre sorte de puissance par laquelle c’est l’opération qui est produite, laquelle lui est proportionnée comme à sa cause prochaine ; mais la forme substantielle n’est pas proportionnée de cette manière à l’opération ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si per potentiam passivam intelligatur relatio [vel ordo add. Éd. de Parme] materiae ad formam, tunc materia non est sua potentia, quia essentia materiae non est relatio. Si autem intelligatur potentia, secundum quod est principium in genere substantiae, secundum quod potentia et actus sunt principia in quolibet genere, ut dicitur Metaph., text. 26, sic dico, quod materia est ipsa sua potentia.

4. Il faut dire en quatrième lieu que si par puissance passive on entend la relation [ou l’ordre add. Éd. De Parme] de la matière à la forme, alors la matière n’est pas sa puissance car l’essence de la matière n’est pas la relation. Mais si on entend plutôt par là la puissance, selon qu’elle est un principe dans le genre de la substance, en tant que la puissance et l’acte sont des principes dans tout genre comme le dit le Philosophe dans sa Métaphysique (text. 26), alors je dis que la matière est d’elle-même puissance.

Et hoc modo se habet materia prima, quae est primum recipiens, ad potentiam passivam, sicut se habet Deus, qui est primum agens, ad potentiam activam. Et ideo materia est sua potentia passiva, sicut et Deus sua potentia activa. Omnia autem media habent utramque potentiam participative, et potentia materiae non est ad aliquam operationem, sed ad recipiendum tantum.

Et c’est de cette manière que la matière première, laquelle est comme un premier réceptacle, est à la puissance passive ce que Dieu, qui est le premier agent, est à la puissance active. Et c’est pourquoi la matière est d’elle-même puissance passive tout comme Dieu est de lui-même puissance active. Mais tous les intermédiaires possèdent par participation ces deux sortes de puissances, et la puissance de la matière n’est pas ordonnée à une opération mais seulement à recevoir.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sensus, secundum quod est nomen potentiae, non est principium hujus differentiae quae est sensibile ; sed secundum quod nominat naturam sensitivam: et ita est de aliis.

5. Il faut dire en cinquième lieu que le sens, selon qu’il est le nom désignant une puissance, n’est pas le principe de cette différence, à savoir ¨sensible¨ ; mais c’est plutôt selon qu’il nomme la nature sensible qu’il est le principe de cette différence : et il en est de même pour les autres termes.

 

 

Articulus 3 Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 tit. Utrum una potentia oriatur ex alia

Article 3 – Est-ce qu’une seule et même puissance naît d’une autre ?

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod una potentia non oriatur ex alia. Quaecumque enim simul sunt, unum ex altero non oritur. Sed omnes potentiae simul sunt in anima ex creatione. Ergo una non oritur ex alia.

Difficultés :

1. Voivi comment on procède par rapport à cette troisième question. Il semble qu’une même puissance ne peut naître d’une autre. En effet, de tout ce qui existe simultanément, rien ne peut naître d’un autre Mais toutes les puissances existent simultanément dans l’âme depuis la création. Il est donc impossible qu’une puissance naisse d’une autre.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne accidens causatur ex suo subjecto. Sed una potentia non est subjectum alterius, quia accidens non est subjectum accidentis. Ergo una potentia non oritur ex alia.

2. En outre, tout accident est causé à partir de son sujet. Mais une même puissance n’est pas le sujet d’une autre car un accident n’est pas le sujet d’un autre accident. Une puissance ne peut donc naître d’une autre.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 s. c. 1 Contra, potentiae determinantur secundum actus. Sed actus unius potentiae sequitur naturaliter ad actum alterius potentiae, et originatur ex ipsa ; sicut intelligere sequitur ad hoc quod est tenere notitiam. Ergo ita est etiam in potentiis.

Cependant :

1. Les puissances se définissent d’après leurs actes. Mais l’acte d’une puissance suit naturellement l’acte d’une autre puissance et tire son origine d’elle, tout comme comprendre suit la conservation de la connaissance. Il en est donc de même pour les puissances.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 s. c. 2 Si dicas, quod ordo est in actibus ratione objectorum, et non ratione potentiarum, in idem redibit: quia objecta sunt perfectiones potentiarum, et formae ipsarum. Perfectio autem proportionatur perfectibili ; et sic idem quod prius.

2. Si tu dis que l’ordre qui est présent dans les actes est en raison des objets et non en raison des puissances, cela revient au même : car les objets sont les perfections des puissances et leurs formes. Mais la perfection est proportionnée au perfectible et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod omnis numerositas, quae descendit naturaliter ab aliquo uno, oportet quod descendat secundum ordinem, quia ab uno non exit nisi unum ; et ideo cum multae potentiae egrediantur ab essentia animae, dicimus, quod in potentiis animae est ordo naturalis ; et cum omnes fluant ab essentia, una tamen fluit mediante alia ; et inde est, quod posterior potentia supponit in definitione sui priorem, et actus posterioris dependet a priori. Si enim definiamus intellectum, definietur per suum actum, qui est intelligere, et in definitione actus ejus cadet actus prioris potentiae, et ipsa potentia. Oportet enim quod in definitione hujus actus qui est intelligere, cadat phantasma, quod est objectum ejus, [ut in III De anima, text. 39, dicitur Éd. Mandonnet] quod per actum imaginationis repraesentatur intellectui ; et hoc etiam videmus in accidentibus corporum, quod omnia alia accidentia elementorum fluunt ab essentia, mediantibus primis qualitatibus.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que toute multiplicité qui procède naturellement de quelque chose d’un doit en procéder suivant un ordre, car de l’un ne peut provenir qu’un seul ; et c’est pourquoi, puisque plusieurs puissances sortent de l’essence de l’âme, nous disons que parmi les puissances de l’âme il y a un ordre naturel ; et puisque toutes découlent de l’essence, l’une se trouve à en découler par l’intermédiaire d’une autre ; et il suit de là qu’une puissance postérieure suppose dans sa définition celle qui la précède, et que l’acte d’une puissance postérieure dépend de l’acte d’une puissance antérieure. Si en effet nous définissions l’intelligence, nous la définirions par son acte qui est intelliger, et dans la définition de son acte entrerait l’acte d’une puissance antérieure et cette puissance elle-même. Il faut en effet que dans la définition de cet acte, à savoir intelliger, entre l’image, conformément à ce qu’affirme le Philosophe [111 de l’Âme, text. 39] en disant que son objet est ce qui est représenté à l’intelligence au moyen de l’acte de l’imagination ; et nous voyons cela même dans les accidents des corps, à savoir que tous les autres accidents des éléments découlent de l’essence par l’intermédiaire des premières qualités.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sint simul tempore, nihilominus tamen una naturaliter prior est altera.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’elles existent simultanément dans le temps, néanmoins une même puissance est par nature antérieure à une autre.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod accidens ex seipso non habet virtutem producendi aliud accidens ; sed a substantia potest unum accidens procedere mediante alio, secundum quod illud praesupponitur in subjecto ; et ita etiam accidens non potest esse per se subjectum accidentis, sed subjectum mediante uno accidente subjicitur alteri ; propter quod dicitur superficies esse subjectum coloris.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’un accident ne possède pas de lui-même la capacité de produire un autre accident ; mais un même accident peut procéder de la substance par l’intermédiaire d’un autre accident selon que ce dernier est présupposé dans le sujet ; et ainsi encore un accident ne peut être par lui-même le sujet d’un autre accident, mais c’est le sujet qui est compris sous cet autre accident par l’intermédiaire d’un accident ; et c’est pour cette raison qu’on dit de la surface qu’elle est le sujet de la couleur.

 

 

Articulus 4. Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 tit. Utrum imago attendatur in potentiis rationalibus respectu quorumlibet objectorum

Article 4 – Est-ce que l’image s’applique dans les puissances rationnelles par  rapport à n’importe quel objet ?

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod imago attendatur in istis potentiis respectu quorumlibet objectorum. Potentia enim ex natura potentiae se habet similiter ad omnia sua objecta. Sed per habitus diversos restringitur ad haec vel ad illa. Cum igitur assignatio primae imaginis sit secundum potentias, non secundum habitus, videtur quod sit respectu quorumlibet objectorum.

Difficultés :

1. On procède de la manière qui suit par rapport à cette quatrième question. Il semble que l’image se prenne dans ces puissances par rapport à n’importe quel objet. La puissance en effet, de par la nature même de la puissance, se rapporte de la même manière à tous ses objets. Mais c’est par des habitus différents qu’elle se limite à ceux-ci ou à ceux-là. Donc puisque l’attribution de la première image se fait selon les puissances et non selon les habitus, il semble que l’image se prenne par rapport à tout objet.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea, Augustinus, lib. XII, De Trin. , cap. IV: « Cum in natura mentis humanae quaerimus Trinitatem, in tota quaerimus, non separantes actionem temporalium a contemplatione aeternorum ». Omnia autem objecta vel sunt aeterna, vel temporalia. Ergo respectu quorumlibet objectorum attenditur imago.

2. De plus, Augustin [Livre XII, De la Trinité, ch. IV] dit : ¨Puisque nous recherchons la Trinité dans la nature de l’esprit humain, nous la recherchons dans tout son esprit, ne séparant pas l’action dans les choses temporelles de la contemplation des vérités éternelles¨. Mais tous les objets sont soit éternels, soit temporels. L’image doit donc s’appliquer à tout objet.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 s. c. 1 Contra, ad rationem imaginis exigitur aequalitas imaginis [imaginis om. Éd. de Parme]. Sed non in omnibus objectis invenitur aequalitas: non enim quantumcumque cognosco aliquid, tantum volo illud. Ergo videtur quod non respectu omnium attendatur imago.

Cependant :

1. L’égalité de l’image est requise à la notion d’image. Mais ce n’est pas parmi tous les objets qu’on retrouve l’égalité : ce n’est pas en effet parce que je connais à ce point une chose que je la veux pour autant. Il semble donc que l’image se prenne par rapport à tout objet.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 s. c. 2 Praeterea, secundum istam assignationem imaginis, intelligentia sequitur memoriam. Sed in illis quae per acquisitionem cognoscimus, ex intelligentia sequitur memoria. Ergo videtur quod ista assignatio imaginis non attenditur respectu quorumlibet objectorum.

2. De plus, d’après cette attribution de l’image, l’intelligence suit la mémoire. Mais dans les choses qui sont connues par mode d’acquisition, c’est la mémoire qui suit l’intelligence. Il semble donc que cette attribution de l’image ne se prenne pas par rapport à n’importe quel objet.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 co Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, hac distin., quaest. 3, art. 1, imago dicit expressam repraesentationem. Expressa autem repraesentatio est in ipsis potentiis propter quinque. Quorum duo se tenent ex parte ipsius animae, scilicet consubstantialitas et distinctio potentiarum, et ideo se habent indifferenter respectu quorumlibet objectorum ; alia vero tria, scilicet aequalitas, et ordo, et actualis imitatio respiciunt objecta, unde se habent diversimode respectu diversorum objectorum. Potest autem attendi in potentiis animae duplex aequalitas, scilicet potentiae ad potentiam et potentiae ad objectum. Et haec secunda aequalitas salvatur hic diversimode respectu diversorum objectorum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction [qu. 3, art. 1], l’image réfère à une représentation distincte. Mais une représentation distincte dans les puissances mêmes est due à cinq conditions. Parmi ces dernières, deux se tiennent du côté de l’âme elle-même, à savoir la consubstantialité et la distinction des puissances et par là elles se rapportent indifféremment à tout objet ; mais les trois autres, à savoir l’égalité, l’ordre et l’imitation actuelle s’adressent aux objets et c’est pourquoi elles se présentent  différemment par rapport à différents objets. Mais on peut remarquer dans les puissances de l’âme une double égalité, à savoir celle d’une puissance à une autre puissance et celle d’une puissance à son objet. Et cette deuxième égalité est conservée ici différemment par rapport à différents objets.

 

In illis enim quae per habitum acquisitum discuntur, non servatur ordo, ut dictum est supra, qu. 2, art. 3, quia intelligendi actus praecedit actum memorandi ; et ideo non est ibi actualis repraesentatio ipsius Trinitatis, secundum quod intendit illis objectis quae non exprimunt Trinitatem.

Pour les choses en effet qui sont apprises au moyen d’un habitus acquis, l’ordre n’est pas observé ainsi que nous l’avons dit plus haut [qu. 2, art. 3], car l’arte de comprendre précède l’acte de se mémoriser ; et c’est pourquoi il n’y a pas là une représentation actuelle de la Trinité elle-même selon qu’elle s’applique à ces objets  qui n’expriment pas la Trinité.

Servatur autem ibi aequalitas quaedam, scilicet potentiae ad potentiam: quia quaecumque comprehenduntur una potentia, comprehenduntur alia: non quod quidquid intelligimus, simpliciter velimus ; sed aliquo modo in voluntate sunt, inquantum volumus nos ea intelligere: sed non servatur aequalitas potentiae ad objectum: quia res corporales sunt in anima nobiliori modo quam in seipsis, cum anima sit nobilior eis, ut dicit Augustinus. Si autem considerentur istae potentiae respectu hujus objecti quod est anima, sic salvatur ordo, cum ipsa anima naturaliter sit sibi praesens ; unde ex notitia procedit intelligere, et non e converso.

Mais une certaines égalité est observée là, là savoir celle d’une puissance à une autre puissance car tout ce qui est compris par une puissance est compris par une autre : ce n’est pas que nous voulons purement et simplement tout ce que nous comprenons, mais en un sens les choses que nous comprenons sont dans notre volonté dans la mesure où nous voulons les comprendre ; mais l’égalité de la puissance à son objet n’est pas observée parce que les choses corporelles sont dans l’âme selon un mode plus excellent que celui qu’elles ont en elles-mêmes puisque l’âme est d’une substance plus noble que la leur, ainsi que le dit Augustin. Mais si ces puissances étaient considérées par rapport à cet objet qui est l’âme, alors l’ordre est observé puisque l’âme elle-même est naturellement présente à elle-même ; et c’est pourquoi c’est de la connaissance que procède l’acte de comprendre et non inversement.

Servatur etiam aequalitas potentiae ad potentiam simpliciter: quia quantum se intelligit, tantum se vult et diligit: non sicut in aliis, quod velit se tantum intelligere, sed simpliciter. Servatur etiam ibi aequalitas potentiae ad objectum. Servatur etiam ibi actualis imitatio ipsius Trinitatis, inquantum scilicet ipsa anima est imago expresse ducens in Deum. Si autem considerentur respectu hujus objecti quod est Deus, tunc servatur ibi actualis imitatio. Maxime autem servatur ordo, quia ex memoria procedit intelligentia, eo quod ipse est per essentiam in anima, et tenetur ab ipsa non per acquisitionem. Servatur etiam ibi aequalitas potentiae ad potentiam simpliciter, sed non potentiae ad objectum: quia Deus est altior quam sit anima. Unde dico, quod imago quodammodo attenditur respectu quorumlibet objectorum ; verius autem respectu sui ipsius, et verissime respectu hujus objecti quod est Deus ; nisi tantum quod deest aequalitas potentiae ad objectum, quae etiam non multum facit ad imaginem.

L’égalité d’une puissance à une autre est aussi observée absolument parlant : car elle se veut et elle s’aime autant qu’elle se comprend : non pas comme dans les autres, qu’elle veut seulement se comprendre, mais absolument. Est observée aussi dans ce cas l’égalité de la puissance à l’objet. Est observée aussi dans ce cas l’imitation actuelle de la  Trinité, c’est-à-dire dans la mesure où l’âme elle-même est l’image distincte qui conduit à Dieu. Mais si les puissances étaient considérées par rapport à cet objet qui est Dieu, alors dasn ce cas est observée l’imitation actuelle. Mais l’ordre est observé au plus haut point car l’intelligence procède de la mémoire du fait qu’elle-même est par essence dans l’âme et que ce n’est pas par mode d’acquisition qu’elle est possédée par elle. Est encore conservée dans ce cas l’égalité d’une puissance à une autre absolument, mais non pas celle d’une puissance à son objet car Dieu est d’une nature plus élevée que celle de  l’âme. C’est pourquoi je dis que l’image s’applique en un sens à tout objet ; mais cela est plus vrai par rapport à lui-même et le plus véritablement par rapport à cet objet qui est Dieu ; à moins seulement que ne manque l’égalité de la puissance à son objet qui ne contribue pas grandement à l’image.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis ista assignatio imaginis attendatur secundum potentias absolute, nihilominus tamen praecipue attenditur secundum id quod est altissimum in eis ; et hoc est respectu eorum objectorum quae per sui essentiam sunt in anima.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que cette attribution de l’image se considère d’après les puissances prises absolument, néanmoins elle se prend d’après ce qu’il y a de plus élevé en elles ; et cela se fait par rapport à leurs objets qui sont dans l’âme par essence.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus vult, quod respectu quorumlibet objectorum sit aliquo modo imago: sed praecipue respectu hujus objecti quod est Deus et quod est anima: ipse enim in multis requirit similitudinem Trinitatis, ut ad perfectam imaginem deveniat.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’Augustin veut que par rapport à tout objet il y ait image d’une certaine manière, mais principalement par rapport à cet objet qui est Dieu et à celui qui est l’âme : lui-même en effet exige en plusieurs points de la ressemblance à la Trinité qu’elle parvienne à une image parfaite.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 4 ad s. c. Ad aliud patet responsio per ea quae dicta sunt.

3. Par rapport à ce qui est dit par la suite, ce que nous avons dit y répond clairement.

 

 

Articulus 5 : Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 tit. Utrum potentiae rationales sint semper in actu respectu objectorum, in quibus attenditur imago

Article 5 – Est-ce que les puissances rationnelles sont toujours en acte par rapport aux objets auxquels l’image s’applique ?

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod istae potentiae non semper sint in suis actibus respectu horum objectorum, in quibus praecipue attenditur imago. Dicit enim philosophus, II De anima, text. 17, quod una potentia existente in actu, altera abstrahitur ab actu suo. Sed istae tres sunt diversae potentiae. Ergo impossibile est quod quaelibet semper sit in suo actu respectu cujuslibet objecti.

Difficultés :

1. Voici comment on procède par rapport à ce cinquième article. Il semble que ces puissances ne sont pas toujours en acte par rapport à ces objets auxquels s’applique principalement l’image. Le Philosophe en effet [11 De L’Âme, text. 17] dit qu’une puissance existant en acte, l’autre est tirée de son acte. Mais ces trois puissances sont différentes. Il est donc impossible que toute puissance soit toujours en acte par rapport à tout objet.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 arg. 2 Item, philosophus, IV Metaph., text.12, dicit quod non contingit multa simul intelligere. Sed anima quandoque intelligit quaedam alia. Ergo tunc non intelligit simul seipsam [et Deum add. Éd. de Parme]

2. En outre, le Philosophe [IV Métaphysique, text. 12] dit qu’il n’est pas possible de comprendre plusieurs choses simultanément. Mais l’âme comprend parfois certaines autres choses. Donc, dans ce cas elle ne comprend pas elle-même [et Dieu add. Éd. De Parme] simultanément.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 arg. 3 Item, ad hoc quod anima intelligat vel videat, secundum Augustinum, XI de trin., cap. II, requiritur intentio cognoscentis, per quam species cognoscibilis in rem deducatur. Sed quandoque anima intelligit ex intentione se intelligere. Cum igitur non percipiamus nos intelligere semper animam et Deum, videtur quod intellectus noster non semper sit in actu, respectu horum objectorum.

3. En outre, pour que l’âme puisse comprendre ou voir, d’après Augustin [XI De la Trinité, ch. 11], l’intention de celui qui connaît est requise, par laquelle l’espèce connaissable soit tirée de la chose. Mais parfois l’âme comprend à partir de l’intention de se comprendre. Donc, puisque nous ne percevons pas toujours que nous comprenons l’âme et Dieu, il semble que notre intelligence ne soit pas toujours en acte par rapport à ces objets.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 s. c. 1 Contra, philosophus dicit III de anima, text. 20), quod intellectus agens semper intelligit. Maxime autem hoc videtur respectu eorum quae semper sibi sunt praesentia, sicut anima et Deus. Ergo videtur quod intellectus, horum respectu, semper sit in actu.

Cependant :

1. Le Philosophe [111 De l’Âme, text. 20] dit que l’intellect agent pose toujours son opération de comprendre. Mais cela se voit le plus à l’égard des chose qui lui sont toujours présentes, comme l’âme et Dieu. Il semble donc que, par rapport à ces objet, l’intellect soit toujours en acte.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 s. c. 2 Praeterea, dicit Augustinus, De Trin., cap. XI, 18, quod quidquid est in memoria mea, illud memini. Sed anima et Deus semper est praesens memoriae. Ergo memoria semper est in actu eorum, et similiter est in aliis.

2. En outre, Augustin [De la Trinité, ch. XI, 18] dit que je me suis rappelé de tout ce qui est dans ma mémoire. Mais  l’âme et Dieu sont toujours présents à la mémoire. Donc la mémoire est toujours en acte par rapport à ces objets et il en est de même pour les autres puissances.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, secundum Augustinum, De util. Credendi, cap. XI, differunt cogitare, discernere et intelligere. Discernere est cognoscere rem per differentiam sui ab aliis. Cogitare autem est considerare rem secundum partes et proprietates suas: unde cogitare dicitur quasi coagitare. Intelligere autem dicit nihil aliud quam simplicem intuitum intellectus in id quod sibi est praesens intelligibile. Dico ergo, quod anima non semper cogitat et discernit de Deo, nec de se, quia sic quilibet sciret naturaliter totam naturam animae suae, ad quod vix magno studio pervenitur: ad talem enim cognitionem non sufficit praesentia rei quolibet modo ; sed oportet ut sit ibi in ratione objecti, et exigitur intentio cognoscentis. Sed secundum quod intelligere nihil aliud dicit quam intuitum, qui nihil aliud est quam praesentia intelligibilis ad intellectum quocumque modo, sic anima semper intelligit se et Deum [indeterminate add. Éd. de Parme], et consequitur quidam amor indeterminatus.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que , d’après Augustin [De l’utilité de Croire, ch. XI], penser, distinguer et comprendre diffèrent. Distinguer, c’est connaître la chose au moyen de ce qui la distingue des autres choses. Mais penser, c’est considérer la chose d’aprèss ses parties et ses propriétés : c’est pourquoi penser signifie comme battre ou brasser ensemble. Mais comprendre ne dit rien d’autre qu’un simple regard de l’intelligence sur ce qui lui est présent comme intelligible. Je dis donc que l’âme n’est pas toujours en train de penser et de distinguer au sujet de Dieu et d’elle-même car ainsi tout homme connaîtrait naturellement toute la nature de son âme, tâche qu’il parvient à peine à réaliser au prix d’un travail considérable : en effet, la présence de la chose, de quelque manière que ce soit, ne suffit pas à parvenir à une telle connaissance ; mais il faut qu’elle soit là sous la raison d’objet et l’intention de celui qui connaît est requise. Mais selon que comprendre ne signifie rien d’autre qu’un examen, qui n’est rien d’autre que la présence de l’intelligible à l’intelligence de quelque manière que ce soit, en ce sens l’âme se comprend toujours elle-même ainsi que Dieu [d’une manière indéterminée add. Éd. De Parme], et il s’ensuit un amour indéterminé.

Alio tamen modo, secundum philosophos, intelligitur quod anima semper se intelligit, eo quod omne quod intelligitur, non intelligitur nisi illustratum lumine intellectus agentis, et receptum in intellectu possibili. Unde sicut in omni colore videtur lumen corporale, ita in omni intelligibili videtur lumen intellectus agentis ; non tamen in ratione objecti sed in ratione medii cognoscendi.

D’une autre manière cependant, d’après les philosophes, on comprend que l’âme se comprend toujours elle-même du fait que tout ce qui est compris n’est compris qu’en tant qu’il est éclairé par la lumière de l’intellect agent et qu’il est reçu dans l’intellect possible. De là, tout comme la lumière corporelle est vue à travers toute couleur, de même la lumière de l’intellect agent est vue dans tout intelligible, non pas cependant sous la raison d’objet, mais sous la raison d’un moyen de connaître.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc est intelligendum quando potentiae operantur circa diversa objecta: tunc enim una impedit aliam in actu suo, vel ex toto retrahit. Sed quando ordinantur ad idem objectum, tunc una juvat aliam ; sicut illud quod videmus, facilius imaginamur.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que c’est là ce qu’il faut comprendre quand les puissances posent leurs opérations sur différents objets : alors en effet une puissance empêche une autre puissance dans son opération ou la retire du tout. Mais quand différentes puissances sont ordonnées à un même objet, alors l’une assiste l’autre comme dans le cas par exemple où ce que nous voyons est plus facile à imaginer.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus loquitur de intelligere, secundum quod est operatio intellectus completa distinguentis vel cogitantis, et non secundum quod hic sumitur intelligere.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le philosophe parle de comprendre selon qu’il s’agit là de l’opération complète de l’intelligence de celui qui distingue ou qui pense et non pas selon le sens de comprendre qui est pris ici.

Lib. 1 d. 3 q. 4 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum similiter, quod intentio intelligentis non requiritur ad tale intelligere, sicut dictum est, in corpore art.

3. Il faut dire de la même manière en troisième lieu que l’intention de celui qui comprend n’est pas requise à une telle compréhension ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

 

 

Quaestio 5

Question 5 – [Les parties de l’image]

 

 

Articulus 1 Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 tit. Utrum hae partes imaginis, mens, notitia et amor differant ab aliis partibus.

Article unique : Ces parties de l’image : l’esprit, la connaissance et l’amour, diffèrent-elles des autres parties ?

1 Deinde quaeritur de alia assignatione imaginis, scilicet mente, notitia et amore.

1. Ensuite on s’interroge sur une autre attribution de l’image, à savoir l’esprit, la connaissance et l’amour.

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg. Et videtur quod ista non differt a praedicta, sicut [si Éd. de Parme] dicitur, quod ista assignatur secundum habitus, illa secundum potentias: imago enim attenditur in anima praecipue respectu hujus objecti quod est anima et hujus objecti quod est Deus. Sed anima non cognoscit seipsam tali modo cognitionis, de quo hic loquimur, mediante habitu, sed per suam essentiam. Ergo non videtur quod secundum aliquos habitus assignetur imago.

Difficultés :

1. Il semble que cette attribution ne diffère pas de celle dont nous avons parlé précédemment (mémoire, intelligence, volonté), comme [si Éd. De Parme] on dit que celle-ci s’attribue d’après les habitus alors que celle-là s’attribue d’après les puissances : l’image en effet s’applique à l’âme principalement par rapport à cet objet qui est l’âme et à cet objet qui est Dieu. Mais l’âme ne se connaît pas elle-même d’après le mode de connaître dont nous parlons ici, au moyen d’un habitus, mais par son essence. Il ne semble donc pas que l’image s’attribue selon des habitus.

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, nullus habitus est consubstantialis, cum omnis habitus sit accidens. Sed notitia et amor sunt consubstantiales ipsi menti, ut hic dicitur. Ergo non sunt habitus.

2. Par ailleurs, aucun habitus n’est consubstantiel, puisque tout habitus est un accident. Mais la connaissance et l’amour sont consubstantiels à l’esprit lui-même, comme on le dit ici. Ils ne sont donc pas des habitus.

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 3 Item, mens superius, quaest. 3, art. 1, fuit accepta non pro habitu, sed pro potentiarum subjecto. Cum igitur eodem modo notificetur hic, sicut supra, a Magistro, scilicet pro eo quod in anima est excellentius, videtur quod non sit habitus: et ita haec assignatio non est secundum habitus.

3. En outre, l’esprit [quest. 3, art. 1] a été admis plus haut non pas comme un habitus mais comme le sujet des puissances. Donc, puisqu’il est ici notifié de la même façon qu’il l’a été plus haut par le Maître, à savoir pour ce qu’il y a de plus excellent dans l’âme, il semble qu’il ne soit pas un habitus ; par conséquent, cette attribution n’est pas faite d’après les habitus.

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, constat quod habitus non operatur sed est principium operandi. Cum igitur hic dicat, quod mens novit se et amat se, videtur quod non sumatur pro habitu.

4. De plus, il est clair que l’habitus ne pose pas d’opération mais il est plutôt principe d’opération. Donc, lorsqu’on dit ici que l’esprit se connaît et s’aime, il semble que cela ne se prenne pas à la manière d’un habitus.

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 arg. 5 Contra, cuilibet potentiae respondet suus habitus. Si igitur mens non sit habitus, sed ipsa essentia animae, secundum quod hic sumitur, erunt quatuor partes imaginis, scilicet mens et tres habitus trium potentiarum ; et ita non repraesentabunt Trinitatem.

Cependant :

À toute puissance correspond son habitus. Si donc l’esprit n’est pas un habitus mais l’essence même de l’âme d’après la manière de l’entendre ici, il y aura quatre parties de l’image, à savoir l’esprit et les trois habitus des trois puissances et ainsi elles ne représenteront pas la Trinité.

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod mens multipliciter dicitur secundum quosdam. Quandoque enim dicitur ipsa natura intellectiva, sicut Dionysius, IV de divin. Nomin., 694) vocat Angelos divinas mentes. Quandoque dicitur ipse intellectus examinans res, secundum quod mens dicitur a metior metiris, et juxta hoc etiam supra sumitur, quod mens est superior pars animae. Quandoque dicitur pro memoria a reminiscendo dicta ; et ita dicunt quod sumitur hic: unde dicunt quod mens hic sumitur pro habitu memoriae, et notitia pro habitu intelligentiae et amor pro habitu voluntatis. Sed quia ista opinio non procedit secundum Magistri opinionem [intentionem Éd. de Parme], et nimis extorta est ; ideo aliter dicendum est, quod mens sumitur hic, sicut et supra, pro ipsa superiori parte animae, quae est subjectum praedictae imaginis, et notitia est habitus memoriae, et amor habitus voluntatis ; et ita haec assignatio sumitur secundum essentiam et habitus consubstantiales ; praedicta autem secundum potentias. Unde in ista non est tanta conformitas sicut in praedicta, nec ita propria assignatio: propter quod etiam ultimo ponitur.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après certains l’esprit se dit selon plusieurs acceptions. Parfois en effet on prend ce terme dans le sens de la nature intellectuelle, comme le fait Denys [IV, Les Noms Divins, 694] lorsqu’il appelle les Anges esprits divins. Parfois le terme ¨esprit¨ est pris pour l’intellect lui-même qui examine les choses, selon l’esprit se dit de l’acte de mesurer, et c’est conformément à cela aussi qu’il est pris plus haut, à savoir que l’esprit est la partie supérieure de l’âme. Parfois l’esprit se dit de la mémoire qui se tire de l’acte de se souvenir ; et ils se trouvent ainsi à dire ce qu’on entend ici : ils disent par conséquent  que l’esprit se prend ici pour l’habitus de la mémoire, la connaissance pour l’habitus de l’intelligence et l’amour pour l’habitus de la volonté. Mais parce que cette opinion ne procède pas selon l’opinion du Maître [intention Éd. De Parme] et qu’elle est trop forcée, c’est pourquoi il faut dire ici autrement que l’esprit se prend ici, tout comme précédemment, pour la partie supérieure de l’âme, laquelle est le sujet de l’image dont nous avons parlé, que la connaissance est l’habitus de la mémoire et que l’amour est l’habitus de la volonté ; et de cette manière cette attribution se prend d’après l’essence et les habitus consubstantiels, alors que la précédente se prenait d’après les puissances. C’est pourquoi cette attribution n’est pas aussi conforme ni aussi propre que la précédente : et c’est pour cette raison aussi qu’elle a été présentée en dernier lieu.

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad esse habitus intellectivi duo concurrunt: scilicet species intelligibilis, et lumen intellectus agentis, quod facit eam intelligibilem in actu: unde si aliqua species esset quae in se haberet lumen, illud haberet rationem habitus, quantum pertinet ad hoc quod esset principium actus. Ita dico, quod quando ab anima cognoscitur aliquid quod est in ipsa non per sui similitudinem, sed per suam essentiam, ipsa essentia rei cognitae est loco habitus. Unde dico, quod ipsa essentia animae, prout est mota a seipsa, habet rationem habitus. Et sumitur hic notitia materialiter pro re nota ; et similiter est dicendum de amore.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que deux facteurs contribuent à l’existence d’un habitus intellectuel : à savoir l’espèce intelligible, et la lumière de l’intellect agent qui la rend intelligible en acte : par conséquent s’il y avait une espèce qui possédait en soi la lumière, elle aurait raison d’habitus quant à ceci qu’elle serait principe d’un acte. Ainsi je dis que quand ce qui est connu par l’âme est en elle non pas au moyen de ce qui lui ressemble mais au moyen de son essence, l’essence même de la chose connue tient lieu d’habitus. De là je dis que l’essence même de l’âme, selon qu’elle est mue par elle-même, a raison d’habitus. Et la connaissance se prend ici matériellement parlant  pour la chose connue ; et il faut dire la même chose de l’amour.

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 2 Unde etiam patet solutio ad secundum: quia habitus isti erunt consubstantiales, cum sint in ipsa substantia animae, nec sunt ibi alii habitus. Si autem diceremus, quod per notitiam et amorem significantur actus et non habitus, planius esset ; et tunc dicerentur consubstantiales, sicut et de potentiis supra dictum est, dist. 3, quaest. 4, art. 2.

2. Et de là apparaît encore la solution à la deuxième difficulté : car ces habitus seront consubstantiels puisqu’ils sont dans la substance même de l’âme et il n’y a pas là d’autres habitus. Mais si nous disions que par la connaissance et l’amour ce sont les actes et non les habitus qui sont signifiés, alors l’énoncé serait plus clair ; et alors ces habitus seraient appelés consubstantiels, tout comme nous l’avons dit plus haut [distinction 3, question 4, article 2] au sujet des puissances

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 3 Tertium et quartum concedimus.

3 et 4. Nous concédons la troisième et la quatrième difficulté.

Lib. 1 d. 3 q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod habitus est principium elicitum [elicitivum Éd. de Parme] operationis. Unde, quia memoria non habet per se actum qui sit simpliciter operatio, non respondet sibi aliquis habitus, sed eodem habitu notitia, scilicet [scilicet om. Éd. de Parme] memoria et intelligentia reducuntur in unam operationem.

5. Il faut dire en cinquième lieu que l’habitus est le principe  qui décide [qui choisit Éd. de Parme] de l’opération. De là, parce que la mémoire ne possède pas d’elle-même un acte qui soit une opération absolument parlant, il n’y a pas d’habitus qui lui correspond, mais c’est par le même habitus que la connaissance, c’est-à-dire la mémoire, et l’intelligence sont ramenées à une seule opération.

 

 

Distinctio 4

Distinction 4 – [La génération en Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intellectum hujus partis de duobus quaeritur :

primo de divina generatione.

Secundo de divina praedicatione.

Circa primum tria quaeruntur : 1 an in divinis sit generatio ;

2 supposito quod sic, an haec sit vera : Deus genuit Deum ;

3 de aliis locutionibus quae ex ista littera concluduntur.

Afin de comprendre cette partie on s’interroge sur deux choses :

Premièrement sur la génération en Dieu.

Deuxièmement sur ce que l’on attribue à Dieu.

Au sujet du premier point on s’interroge sur trois points :

1. Y a-t-il un génération dans les personnes divines ?

2. En supposant qu’il ne soit ainsi, cet énoncé est-il vrai : Dieu a engendré Dieu ?

3. Sur les autres paroles qui sont conclues à partir de ce document.

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La génération divine]

 

 

Articulus 1.1 lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 tit. Utrum generatio sit in Deo.

Article 1 – Y a-t-il de la génération en Dieu ?

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit generatio.

Generatio enim est species mutationis, secundum philosophum, V Physic., text. 4.. Sed a Deo removetur mutatio, Jac. 1, 17 : Apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio. Ergo nec generatio.

Difficultés :

1. On procède de la manière suivante à l’égard de ce premier article. Il semble qu’il n’y ait pas génération en Dieu.

La génération en effet est une espèce de changement d’après le Philosophe [V Physiques, text. 4]. Mais dans la Lettre de Jacques (1, 17), on écarte de Dieu le changement : Celui chez qui n’existe aucun changement ni l’ombre d’une variation. Il n’y a donc pas de génération en Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quanto creaturae sunt nobiliores, magis accedunt ad divinam similitudinem. Sed in creaturis nobilioribus non invenitur generatio, sicut in Angelis et in corporibus caelestibus, sed tantum in inferioribus. Ergo videtur quod nec in Deo inveniatur.

2. Par ailleurs, quand les créatures s’approchent d’autant plus de la ressemblance divine qu’elles sont plus nobles. Mais on ne retrouve pas de génération dans les créatures qui sont plus nobles, comme on le voit pour les Anges et les corps célestes, mais on observe la génération seulement chez les créatures inférieures. Il semble donc qu’il n’y en ait pas non plus en Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, ubicumque est generatio, oportet quod sit aliquid in genito communicatum a generante. Sed per illud quod sibi a generante communicatur non distinguitur a generante. Ergo oportet ibi esse aliquid aliud per quod ab ipso distinguatur, cum omne genitum a generante distinctum sit. Ergo omne quod generatur, est compositum, cum sit ibi aliquid et aliquid. Sed in Deo non est compositio. Ergo nec generatio.

3. En outre, partout où il y a génération, il faut qu’il y ait quelque chose qui soit communiqué dans celui qui est engendré par celui qui engendre. Mais celui qui est engendré ne se distingue pas, par ce qui lui est communiqué par celui qui engendre, de celui qui engendre. Il faut donc qu’il y ait là quelque chose d’autre au moyen de quoi il se distingue de celui qui engendre puisque tout ce qui est engendré est distinct de celui qui l’engendre. Donc, tout ce qui est engendré est un composé puisqu’il y a là quelque chose est quelque chose d’autre. Mais il n’y a pas de composition en Dieu. Il n’y a donc pas non plus génération.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, generatio est actus medius inter generantem et genitum. Sed inter Patrem et Filium non est aliquid medium. Ergo videtur quod non sit ibi generatio.

4. De plus, la génération est un acte intermédiaire entre celui qui engendre et celui qui est engendré. Mais il n’y a pas d’intermédiaire entre le Père et le Fils. Il semble donc qu’il n’y ait pas là de génération.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Isa. ult., 9 : Ego qui generationem tribuo sterilis ero ?

Cependant :

1. On lit dans Isaïe (66, 9) : Moi qui fais naître, je serai stérile ?

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item, omne quod communicat se, communicat se ratione actus qui est in ipso ; quia potentia non agit nec communicat se. Sed divina essentia est primus et purus actus. Ergo videtur quod summe communicet se. Sed non communicat se summe in creaturis, cum non terminetur in eamdem naturam talis communicatio. Ergo videtur quod communicet se per generationem in Filio ; haec enim est maxima communicatio.

2. En outre, tout ce qui se communique, se communique en raison de l’acte qui est en lui ; car la puissance n’est pas capable par elle-même de poser une opération et de se communiquer. Mais l’essence divine est un acte pur et premier. Il semble donc qu’elle se communique au plus haut point. Mais elle ne se communique pas au maximum dans les créatures parce qu’une telle communication ne se termine pas dans une même nature. Il semble donc en effet que cette communication maximale doive se communiquer par la génration dans le Fils.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod generationem esse in divinis, ratione efficaciter confirmari non potest, sicut supra dictum est, dist. 3, quaest. 1, art. 4, sed auctoritate et fide tenetur : unde simpliciter concedendum est, generationem esse in divinis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’on ne peut confirmer efficacement par la raison qu’il y a génération dans les personnes divines, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 3, quest. 1, art. 4], mais c’est par la foi et l’autorité qu’on soutient qu’il y a génération dans les personnes divines.

Sciendum tamen est, quod, cum omnis perfectio sit in Deo et nulla imperfectio, quidquid perfectionis invenitur in creatura, de Deo dici potest quantum ad id quod est perfectionis in ipsa, omni remota imperfectione. Si autem nomen imponitur ab eo quod imperfectionis est, sicut lapis, vel leo, tunc dicitur de Deo symbolice vel metaphorice. Si autem imponitur ab eo quod est perfectionis, dicitur proprie, quamvis secundum modum eminentiorem.

Il faut cependant savoir que puisqu’il y a en Dieu toute perfection et aucune imperfection, tout ce qu’on retrouve de perfection dans la créature peut s’attribuer à Dieu quant à ce qu’il y a en elle de perfection, en écartant toute imperfection. Mais si le nom est imposé en partant de ce qui relève de l’imparfait comme la pierre ou le lion, alors on le dit de Dieu de manière symbolique ou métaphorique. Mais si le nom est imposé en partant de ce qui relève de la perfection, alors il se dit proprement de Dieu, bien que ce soit selon un mode plus excellent.

Dicitur autem nomen imponi ab eo quod est quasi differentia constitutiva et non ex ratione generis ; et ideo quandocumque aliquid secundum suum genus dicit imperfectionem, et secundum differentiam, perfectionem, illud [illud om. Éd. de Parme] invenitur in Deo quantum ad rationem differentiae, et non quantum ad rationem generis : sicut scientia non est in Deo quantum ad rationem habitus vel qualitatis, quia sic habet rationem accidentis ; sed solum secundum id quod complet rationem scientiae, scilicet cognoscitivum certitudinaliter aliquorum.

Mais on dit que le nom est imposé en partant de ce qui est comme la différence constitutive et non à partir de la notion de genre ; et c’est pourquoi, toutes les fois que quelque chose dit une imperfection selon son genre et une perfection selon sa différence, cela se retrouve en Dieu quant à la notion de différence et non quant à la notion de genre : par exemple la science n’est pas en Dieu quant à la notion d’habitus ou de qualité, car elle aurait ainsi raison d’accident; mais elle est en Dieu seulement d’après ce qui complète la définition de la science, à savoir qu’elle connaît des choses avec certitude.

Similiter dico, quod si accipiamus genus generationis, secundum quod invenitur in inferioribus, imperfectionis est : mutatio enim, quae est genus ipsius, ponit exitum de potentia ad actum, et per consequens ponit materialitatem in genito, et per consequens divisionem essentiae : quae omnia divinae generationi non competunt.

Je dis de la même manière que si nous prenons le genre de la génération selon qu’il se retrouve dans les créatures inférieures, il dit une imperfection : le changement en effet, qui est son genre, pose un passage de la puissance à l’acte et pose par conséquent la matérialité dans ce qui est engendré et par conséquent la division de l’essence : et tout cela est contraire à la génération divine.

Si autem consideretur secundum differentiam suam, per quam completur ratio generationis, sic dicit aliquam perfectionem : passive enim accepta dicit acceptationem essentiae in perfecta similitudine ; cujus communicationem dicit, si sumatur active : quorum neutrum imperfectionem dicit : communicatio enim consequitur rationem actus : unde omnis forma, quantum est de se, communicabilis est ; et ideo communicatio pertinet ad nobilitatem.

Mais si on considère la génération d’après sa différence par laquelle est achevée la définition de la génération, cette dernière dit alors une perfection : prise passivement en effet elle dit la réception de l’essence dans une similitude parfaite ; si on la prend activement, elle dit la communication de cette similitude parfaite. Mais dans aucun cas elle ne dit une imperfection : la communication en effet suit la notion de l’acte : c’est pourquoi toute forme en tant que telle est communicable et c’est pourquoi la communication relève de l’excellence.

Et hoc modo accepta generatione est per prius in Deo, et omnis generatio in creaturis descendit ab illa, et imitatur eam quantum potest, quamvis deficiat. Unde ad Ephes. 3, 15 : Ex quo omnis paternitas in caelis et in terra nominatur. Si autem accipiatur secundum rationem usitatam in nomine, secundum quam dicimus generationem in creaturis, sic non convenit Deo nisi transumptive, sicut et alia corporalia.

Prise en ce sens, la génération se retrouve à titre premier en Dieu et toute génération observée dans les créatures procède d’elle et l’imite dans la mesure du possible bien qu’elle s’en écarte. C’est pourquoi on lit [Lettre aux Éphésiens, 3, 15] : De qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom. Mais si on prenait la génération d’après la notion généralement admise par l’usage du nom d’après laquelle nous parlons de la génération telle qu’on la retrouve dans les créatures, alors elle ne conviendrait à Dieu que par transfert métaphorique, comme toutes les autres réalités corporelles.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 1 Et per hoc jam patet solutio ad primum : quia generatio, secundum suum genus, quod est mutatio, in divinis non invenitur ; unde in Deo non est mutatio, sed operatio divinae naturae, secundum Damascenum, lib. I Fide orth., cap. VIII. Differt autem operatio a motu, secundum philosophum, Ethic., V, cap. IV, V et VI, quia operatio est actus perfecti, sed motus est actus imperfecti, quia existentis in potentia.

Solutions :

1. Et par ce que nous venons de dire, la solution à la première difficulté est déjà claire : car la génération selon son genre qui est le changement ne se retrouve pas dans les personnes divines ; de là il n’y a pas en Dieu de changement, mais une opération de la nature divine d’après Damascène [1 Livre sur la Foi Orthodoxe, ch.  VIII]. Or l’opération diffère du mouvement selon le Philosophe [V Éthique, ch. IV, V,  VI] car l’opération est l’acte de ce qui est parfait alors que le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait parce qu’il est l’acte de ce qui existe en puissance.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nulla creatura susceptibilis est generationis sine eo quod est imperfectionis in ipsa : cum enim in omni creatura differat essentia et esse, non potest essentia communicari alteri supposito, nisi secundum aliud esse, quod est actus essentiae [in qua est add. Éd. de Parme] ; et ideo oportet essentiam creatam communicatione dividi, quod imperfectionis est ; et ideo in perfectissimis creaturis non invenitur, sed in his quae magis removentur a divina similitudine.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’aucune créature n’est susceptib le de génération sans qu’il y ait quelque chose d’imparfait en elle : en effet, puisque dans toute créature l’essence diffère de l’existence, l’essence ne eput être communiquée à un autre sujet que selon une autre existence, laquelle est l’acte de l’essence [dans laquelle elle est add. Éd. de Parme] ; et c’est pourquoi il faut que l’essence créée soit divisée par la communication, ce qui relève de l’imperfection ; et c’est pourquoi, dans les créatures les plus parfaites on ne retrouve pas cette division, mais seulement chez celles qui sont les plus éloignées de la ressemblance divine.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in divina generatione non est aliquid additum essentiae in genito, per quod differat a generante ; sed ex hoc ipso quod accipit essentiam a generante, distinguitur ab eo relatione dantis et accipientis : quae relationes non differunt ab essentia realiter, sed tantum ratione, ut dictum est, dist. 11, quaest. 1, art. 5. Et ideo non sequitur ibi compositio : quod in aliis esse non potest, quia nulla relatio est substantia secundum rem in creaturis. Unde oportet quod omne generatum sit compositum, et sic iterum patet quod generatio in creaturis sine imperfectione esse non potest.

3. Il faut dire en troisième lieu que dans la génération divine il n’y a pas quelque chose qui est ajouté à l’essence dans celui qui est engendré et par quoi il diffère de celui qui engendre ; dans ce cas en effet, du fait même qu’il reçoit l’essence de celui qui engendre, l’engendré se distingue de lui par la relation de donneur à receveur, relation qui ne diffère pas de l’essence par la chose mais par la raison seulement, ainsi qu’on l’a dit précédemment [dist. 11, quest. 1, art. 5]. Et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas là une composition : ce qui n’est pas possible dans les autres êtres car aucune relation, chez les créatures, n’est la substance selon la chose. De là, il faut toujours dans ces cas que tout ce qui est engendré soit composé, et ainsi il est clair en outre que la génération dans les créatures ne peut exister sans imperfection.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod generatio realiter non est aliquid medium inter Patrem et Filium, cum generatio secundum rem passive accepta, sit ipsa filiatio, quae est proprietas Filii, et est in Filio ; et accepta vero active [cum in Patre accipitur active. Éd. de Parme], est ipsa paternitas quae est in Patre, et est ipse Pater : tamen significat proprietatem per modum actus, et ista significatio fundatur aliquo modo supra rem in acceptione unius ab altero.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la génération réelle n’est pas un intermédiaire entre le Père et le Fils puisque la génération selon la chose, prise passivement est la filiation même, laquelle est la propriété du Fils et est présente dans le Fils ; mais prise activement [puisque dans le Père la génération est prise activement. Éd. de Parme], elle est la paternité même qui est dans le Père, et qui est le Père lui-même : cependant elle signifie la propriété par mode d’acte, et cette signification se fonde d’une certaine manière par-dessus la chose dans le rapport de l’un à l’autre.

 

 

Articulus 2.lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 tit. Utrum ista propositio, Deus genuit Deum, sit falsa.

Article 2 – Cette proposition : « Dieu a engendré Dieu » est-elle fausse ?

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod haec sit falsa, Deus genuit Deum. Generatio enim importat relationem distinguentem personas, ut dictum est, (art. praeced.) Si igitur conceditur, quod Deus genuit Deum, oportet quod concedatur quod Deus distinguitur a Deo, et quod Deus est alius a Deo, quod non conceditur.

Difficultés :

1. On procède de la manière qui suit à l’égard de ce deuxième article. Il semble que cette proposition, Dieu a engendré Dieu, soit fausse. La génération en effet implique une relation qui distingue les personnes, ainsi que nous l’avons dit [article précédent]. Si donc on concède que Dieu a engendré Dieu, il faut concéder que Dieu se distingue de Dieu et que Dieu est autre que Dieu, ce qu’on ne peut concéder.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, terminus in praedicato positus non trahit terminum in subjecto positum extra suam significationem, sed tantum restringit ipsum ratione consignificationis temporis, ut stet pro praesentibus, praeteritis, et futuris : quin potius est e converso, secundum Boetium, lib. I Trin., cap. V, quod talia sunt praedicata, qualia permiserint subjecta. Sed hoc nomen Deus significat essentiam. Ergo per verbum quod praedicatur, non trahitur ad standum pro persona, sed supponit essentiam. Haec autem est falsa, essentia genuit essentiam, ut infra dicetur, dist. 5, quaest. 1, art. 1. Ergo et haec, Deus genuit Deum.

2. Par ailleurs, le terme posé dans le prédicat ne tire pas le terme posé dans le sujet en dehors de sa signification, mais le limite seulement en raison de la double signification du temps pour se fixer dans le présent, le passé et le futur : mais n’en serait-il pas plutôt, au contraire, comme le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. V], que les présicats sont tels que l’auront permis les sujets. Mais ce nom, Dieu, signifie l’essence. Donc, par le verbe qui est attribué, ce nom n’est pas entraîné à représenter la personne, mais suppose l’essence. Mais cette proposition, à savoir l’essence engendre l’essence, est fausse, ainsi qu’on le dira plus loin [dist. 5, quest. 1, art. 1]. Et par conséquent celle-là aussi est fausse : Dieu a engendré Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, si Deus genuit Deum, ergo Deus est generans, et Deus est genitus. Sed quidquid dicitur de singulis personis, potest dici de Deo. Ergo [Sed. Éd. de Parme] de Patre dicitur quod est generans et de Filio quod non est generans. Ergo potest dici quod Deus generat et Deus non generat : quod falsum est. Ergo et prima est falsa, Deus genuit Deum.

3. En outre, si Dieu a engendré Dieu, Dieu est celui qui engendre et Dieu est aussi celui qui est engendré. Mais tout ce qui est dit de chacune des personnes peut être dit de Dieu. Donc [Mais, Éd. de Parme]. Mais on dit du Père qu’Il est celui qui engendre et du Fils qu’Il n’est pas celui qui engendre. On peut donc dire que Dieu engendre et que Dieu n’engendre pas : ce qui est faux. Donc, la première proposition est fausse, à savoir que Dieu a engendré Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, in symbolo dicitur : Deum de Deo genitum. Sed non generatur de Deo, nisi sicut de generante. Ergo Deus generat Deum.

Cependant :

1. On dit au contraire dans le Symbole des Apôtres : Dieu né de Dieu. Mais on ne peut naître de Dieu que comme de Celui qui engendre. Donc, Dieu engendre Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Deus dicit habentem deitatem. Ergo quidquid dicitur de habente deitatem, potest dici de Deo. Sed potest dici : habens deitatem generat habentem deitatem. Ergo potest dici : Deus generat Deum.

2. En outre, Dieu désigne celui qui possède la divinité. Donc, tout ce qui et dit de celui qui possède la divinité peut se dire de Dieu. Mais on peut dire que celui qui possède la divinité engendre celui qui possède la divinité. On peut donc dire que Dieu engendre Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ista est simpliciter vera et concedenda, Deus generat Deum. Sed circa veritatem ejus est duplex opinio.

Quidam enim dicunt, quod hoc nomen Deus significat essentiam et supponit essentiam quantum est de se, sed propter indifferentiam essentiae ad personas in divinis, ex adjuncto notionali trahitur ad supponendum pro persona.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que cette proposition, à savoir que Dieu engendre Dieu, est vraie absolument parlant et qu’elle doit être admise. Mais il existe deux opinions relativement à sa vérité.

Certains en effet disent que ce nom Dieu signifie l’essence quant à lui-même, mais en raison de l’indifférence de l’essence à l’égard des personnes divines, mais par l’ajout d’une notion il est entraîné à se substituer à la personne.

Alii dicunt quod hoc nomen Deus significat essentiam, et supponit, quantum est de se, personam, tamen indistincte : unde potest supponere unam tantum vel plures personas : unam cum dicitur, Deus generat : plures, ut cum dicitur Deus est Trinitas. Et haec opinio videtur verior esse.

D’autres disent que le nom Dieu signifie l’essence et suppose de lui-même la personne, mais indistinctement : par conséquent il peut supposer une seule ou plusieurs personnes : une seule comme lorsque je dit que Dieu engendre ; plusieurs, comme lorsque je dis que Dieu est trine. Et cette dernière opinion se présente comme la plus vraie.

Quamvis enim, ut dicitur Lib. de causis, prop. 6, omne nomen deficiat a significatione divini esse, propter hoc quod nullum nomen significat simul aliquid perfectum et simplec [simpliciter Éd. de Parme] quia abstracta non significant ens per se subsistens, et concreta significant ens compositum, nihilominus tamen abjicientes id quod imperfectionis est, utimur utrisque nominibus in divinis, abstractis propter simplicitatem, concretis propter perfectionem. Unde hoc nomen Deus significat per modum perfecti et per se subsistentis, sicut et hoc nomen homo : unde, sicut et hoc nomen homo in se importat non tantum essentiam, sed etiam suppositum, sed indistincte alias non praedicaretur de individuis, ita et hoc nomen Deus. Et ideo de se habet quod possit supponere pro persona, et non habet quod supponat pro essentia ex modo significandi nominis, sed tantum ex ratione divinae simplicitatis, in qua idem est re essentia et suppositum.

En effet, bien que , comme on dit [Livre des Causes, prop. 6] que tout nom fait défaut par rapport à la signification de l’existence divine pour cette raison qu’aucun nom ne signifie simultanément quelque chose de parfait et de simple [simplement Éd. de Parme] car les termes abstraits ne signifient pas un être qui subsiste par soi  et les termes concrets signifient de l’être composé, néanmoins cependant, rejetant ce qu’il y a d’imparfait, nous utilisons les deux sortes de noms pour signifier Dieu, des termes abstraits pour signifier sa simplicité et des termes concrets pour signifier sa perfection d’être subsistant. Par conséquent ce nom, Dieu, signifie à la manière de ce qui est parfait et subsiste par soi, comme le nom homme ; par conséquent tout comme le nom homme implique en lui-même non seulement l’essence, mais aussi le sujet, mais indistinctement autrement il ne s’attribuerait pas aux individus, il en est de même pour ce nom, Dieu. Et c’est pourquoi ce nom tient de lui-même qu’il puisse être mis à la place de la personne et il ne tient pas du mode de signifier du nom qu’il puisse être mis à la place de l’essence, mais il le tient seulement en raison de la simplicité de Dieu dans laquelle l’essence et le sujet sont identiques par la chose.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generari significat proprietatem per modum actus ; actus autem est suppositorum tantum : humanitas enim non generat, sed homo : et ideo cum dicitur, Deus generat Deum, locutio simpliciter est vera, quia actus non potest referri nisi ad suppositum. Sed referri et distingui non significant actus nisi grammatice loquendo ; et ideo possunt referri ad essentiam et ad suppositum : et ideo non simpliciter conceditur, Deus distinguitur a Deo, ne distinctio referatur ad essentiam ; et praecipue cum hoc nomen Deus importet suppositum indistinctum, quod non distinguitur nisi personali proprietate adjuncta, ut paternitate vel filiatione.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le fait d’êre engendré signifie une propriété à la manière d’un acte ; mais un acte n’appartient qu’à un individu : en effet, ce n’est pas l’humanité mais l’homme qui engendre ; et c’est pourquoi, lorsqu’on dit que Dieu engendre Dieu, l’expression est vraie absolument car l’acte ne peut être rapporté qu’à un individu. Mais rapporter et distinguer ne signifient un acte que grammaticalement parlant et c’est pourquoi ils peuvent être attribués à la fois à l’essence et à l’individu : et c’est pourquoi il ne faut pas concéder absolument que Dieu se distingue de Dieu, afin que la distinction ne s’attribue pas à l’essence ; et principalement puisque ce nom, Dieu, implique implique indistinctement l’individu, lequel n’est distingué que par une propriété personnelle ajoutée, comme la paternité ou la filiation.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, quamvis hoc nomen Deus significet essentiam, tamen, quantum est de se, supponit habentem essentiam, et rem naturae, etiam non intellectis personis, quas fides distinguit. Unde potest supponere pro persona, etiamsi ab alio non restringatur. Et quia supponit personam indistincte, ideo potest stare in locutione pro quacumque persona : et sic reddit locutionem veram. Unde in hac propositione, Deus generat Deum, in supposito stat pro patre, in apposito pro filio.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que le nom Dieu signifie l’essence, cependant, de lui-même, il suppose celui qui possède l’essence et la chose de nature, même si les personnes, que la foi distingue, ne sont pas comprises. C’est pourquoi il peut être mis à la place d’une personne, même s’il n’est pas limité par un autre terme. Et parce qu’il suppose la personne indistinctement, c’est pourquoi dans le discours il peut représenter toute personne, de manière à render vrai le discours. Par consequent, dans cette proposition, Dieu engendre Dieu, le terme pris comme sujet tient lieu de père et dans le prédicat il tient lieu de fils

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum quod hoc nomen Deus, proprie loquendo, nec est universale nec singulare ; sed habet aliquid de ratione universalis, scilicet quod praedicatur essentialiter de pluribus suppositis ; et inde habet quod ea quae praedicantur de singulis suppositis, praedicantur de ipso : habet autem de ratione singularis hoc quod non multiplicatur ad multitudinem suppositorum : dicimus enim, quod Pater et Filius sunt unus Deus, sed Socrates et Plato sunt plures homines : et ex parte ista habet hoc nomen Deus quod negatio et affirmatio dictae de ipso [dictae de ipso om. Éd. de Parme] opponuntur contradictorie : unde sicut istae non possunt simul esse verae, Socrates currit et non currit ; ita nec istae, Deus generat et non generat.

3. Il faut dire en troisième lieu que ce nom, Dieu, à proprement parler, n’est ni universel, ni singulier ; mais il possède quelque chose du concept universel, à savoir qu’il s’attribue essentiellement à plusieurs sujets ; et de là il tient que ce qui s’attribue aux sujets individuels s’attribue à lui-même ; mais il possède aussi quelque chose de la notion du singulier par cela qu’il ne se multiplie pas à l’égard de la multiplicité des sujets : nous disons en effet que le Père et le Fils sont un seul Dieu, mais que Socrate et Platon sont plusieurs hommes : et de ce côté ce nom Dieu tient que la négation et l’affirmation qu’on dit de Lui [qu’on dit de lui om. Éd. de Parme] s’opposent de manière contradictoire : de là, tout comme ces propositions ne peuvent êre vraies simultanément, à savoir Socrate court et Socrate ne court pas, de même ces propositions, à savoir Dieu engendre et Dieu n’engendre pas, ne peuvent être vraies simultanément.

 

 

Articulus 3. lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus genuit se Deum vel alium Deum

Article 3 – Dieu s’est-il engendré lui-même comme Dieu ou a-t-il engendré un autre Dieu ?

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod genuit vel se Deum, vel alium Deum. Idem enim et diversum universaliter dividunt ens. Sed se est relativum identitatis, alius autem importat diversitatem. Ergo oportet dicere, quod genuit vel se Deum vel alium Deum.

Difficultés :

1. On procède de la manière qui suit à l’égard de ce troisième article. Il semble ou bien qu’il se soit engendré lui-même comme Dieu, ou bien qu’il ait engendré un autre Dieu. En effet, le même et l’autre divisent tous les êtres. Mais le ¨soi-même¨ est un relatif d’identité alors que ¨l’autre¨ implique la diversité. Il faut donc dire que Dieu a engendré ou bien lui-même comme Dieu, ou bien un autre Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, ut supra dictum est, art. anteced., hoc nomen ‘Deus’ trahitur ad standum pro persona ex notionali adjuncto. Sed alius importat distinctionem notionalem. Ergo ly alius hoc nomen Deus facit stare pro persona. Sed haec est vera : Deus genuit aliam personam divinam. Ergo et haec : Deus genuit alium Deum.

2. En outre, comme nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent, ce nom ¨Dieu¨ est entraîné à tenir la place d’une personne à partir de l’ajout d’une notion. Mais l’autre implique la distinction d’une notion. Donc le nom Dieu avec l’ajout de la notion ¨autre¨ tient la place d’une personne. Mais cette proposition est vraie : Dieu a engendré une autre personne divine. Donc celle-là l’est aussi, à savoir que Dieu a engendré un autre Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod haec sit vera, Deus genuit se Deum. Idem enim, ut dicit philosophus, V Metaph., cap. XV ; in ant. exempl., cap. XVII, est unum in substantia, sicut aequale unum in quantitate. Sed sicut una magnitudo est Patris et Filii, sic et una substantia. Ergo sicut conceditur ista, Deus genuit aequalem Deum ; ita debet concedi ista, Deus genuit eumdem Deum. Unde similiter et haec, Deus genuit se Deum, cum se sit relativum identitatis.

3. De plus, il semble que cette proposition soit vraie, à savoir que Dieu s’est engendré lui-même comme Dieu. Le même en effet, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, ch. XV], est l’un dans la substance comme l’égal est l’un dans la quantité. Mais tout comme la grandeur du Père et celle du Fils sont une, de même leur substance est une. Donc, tout comme on concède cette proposition-ci, à savoir que Dieu a engendré un Dieu égal, de même on doit concéder cette proposition-là, à savoir que Dieu a engendré le même Dieu. D’où on dit semblablement concéder cette autre proposition, à savoir que Dieu s’est engendré soi-même comme Dieu, puisque ¨soi-même¨est un relatif d’identité.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 4 Item, quaeritur de aliis duabus propositionibus, scilicet, genuit Deum, qui est Deus Pater, vel Deum qui non est Deus Pater. Videtur enim quod haec sit falsa : genuit Deum qui est Deus Pater. Qui enim cum sit relativum, facit secundam notitiam suppositorum. Sed iste terminus Deus, ad quem refertur, stabat pro persona Filii. Ergo et relativum supponet personam Filii. Sed haec est falsa : Filius est Deus Pater. Ergo et haec, Deus genuit Deum, qui est Deus Pater.

4. En outre, on s’interroge sur ces deux propositions, à savoir que Dieu a engendré Dieu qui est Dieu le Père ou Dieu qui n’est pas Dieu le Père. Il semble en effet que cette proposition soit fausse : Dieu a engendré Dieu qui est Dieu le Père. Puisque le pronom ¨qui¨ est un relatif, il fait une deuxième connaissance des sujets. Mais ce terme Dieu auquel il réfère, tenait lieu de la personne du Fils. Donc le relatif aussi supposait la personne du Fils. Mais cette proposition, à savoir le Fils est Dieu le Père, est fausse. Donc celle-là l’est aussi : Dieu a engendré Dieu, qui est Dieu le Père.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod etiam negativa sit falsa. Negatio enim respicit terminum sequentem formalem. Ergo cum dicit, Deus genuit Deum qui non est Deus Pater, a Filio, quem refert relativum, per negationem removetur ly Deus, qui in praedicato ponitur, non tantum quantum ad suppositum, sed quantum ad formam ; et ita divina essentia removebitur a Filio, quod falsum est.

5. Il semble que même la negative soit fausse. La négation en effet considère le terme qui suit la proposition formelle. Donc, lorsqu’il dit que Dieu a engendré Dieu qui n’est pas Dieu le Père, par la négation, ce Dieu, qui est placé dans le prédicat, est écarté du Fils auquel réfère le relative, non seulement quant au sujet, mais aussi quant à la forme; et ainsi l’essence divine sera écartée du Fils, ce qui est faux.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Magister in littera negat utramque praemissarum ; eo quod alius, cum notet diversitatem, ponit formam suam circa terminum cui adjungitur, cum sit adjectivum, et ita designabitur diversitas in forma divinitatis. Ly se autem cum sit relativum identitatis, refert idem suppositum ; et ita cum dico : genuit se Deum, ponitur indistinctio suppositi inter Patrem et Filium ; et cum dicitur, genuit alium Deum, ponitur diversitas naturae ; et ideo utraque neganda est.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le Maître, dans le document nie chacune des deux propositions du fait que ¨autre¨, signifiant la différence, pose sa forme sur le terme auquel il s’ajoute, puisqu’il et un adjectif, et ainsi la différence sera notée dans la forme de la divinité. Mais ce ¨soi¨, puiqu’il est un relatif d’identité, se rapporte au même sujet ; et ainsi lorsque je dis : Dieu s’est engendré soi-même comme Dieu, un manque de distinction du sujet est posé entre le Père et le Fils ; et lorsqu’on dit que Dieu a engendré un autre Dieu, on pose une diversité de nature ; et c’est pourquoi chacune des deux propositions doit être niée.

Sed sunt aliqui qui distinguunt istam, genuit alium Deum ; quia ly alium potest teneri substantive vel adjective. Si adjective, tunc erit locutio falsa, quia ponet diversitatem circa hunc terminum Deus ; si substantive, tunc erit constructio appositiva, et locutio erit vera, et erit sensus, genuit alium [Deum add/ Éd de Parme], qui est Deus. Sed, quia non invenitur quod adjectivum in masculino genere substantivetur, et maxime cum adjungitur sibi substantivum, ideo haec distinctio non videtur multum valere ; nisi forte subintelligatur hoc participium ens ut dicatur alium entem Deum. Sed hoc erit nimis extortum ; et ideo dicendum cum Magistro quod utraque falsa est.

Mais il y en a d’autres qui nuancent cette proposition, à savoir Dieu a engendré un autre Dieu ; car ¨autre¨ peut être pris comme substantif ou comme adjectif. S’il est pris comme adjectif, alors l’énoncé sera faux car il posera une différence par rapport à ce terme, Dieu ; s’il est pris comme substantif, alors il y aura une apposition et l’énoncé sera vrai et aura pour signification que Dieu a engendré un autre [Dieu add. Éd. de Parme] qui est Dieu. Mais parce qu’il n’arrive pas que l’adjectif dans le genre masculin devienne un substantif, et principalement lorsqu’un substantif lui est ajouté, c’est pourquoi cette distinction ne semble pas avoir une grande valeur, à moins peut-être qu’on ne sous-entende le participe ¨étant¨, comme lorsqu’on dit  que Dieu a engendré un autre étant Dieu. Mais cette expression sera trop forcée ; et c’est pourquoi il faut dire comme le Maître que chacune des deux propositions est fausse.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idem et diversum sufficienter dividunt ens creatum, propter hoc quod ubicumque in creaturis est diversitas suppositorum, est diversitas essentiae ; sed in Deo in diversis suppositis est una essentia : et ideo nec identitas competit propter diversitatem suppositorum nec diversitas propter identitatem essentiae ; sed tantum unitas.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le même et l’autre divisent l’être créé avec satisfaction pour cette raison que partout où il y a une diversité de sujets dans les créatures, il y a aussi une diversité de nature. Mais en Dieu il n’y a qu’une seule essence dans les différents sujets : et c’est pourquoi l’identité ne se rencontre pas à cause de la diversité des sujets et que la diversité ne se rencontre pas à cause de l’identité de l’essence, et qu’on ne retrouve alors que l’unité.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod alius importat distinctionem in communi, non magis personalem quam essentialem : et ideo quando adjungitur termino personali, importat distinctionem personalem ; quando autem adjungitur termino essentiali, importat diversitatem essentiae, secundum exigentiam formae illius termini ; cum termini, praecipue substantiales, recipiant diversitatem et pluralitatem ex parte suae formae.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le terme ¨autre¨ implique une distinction universelle, et non pas une distinction qui serait davantage personnelle qu’essentielle : et c’est pourquoi, quand il est ajouté à un terme personnel, il implique une distinction personnelle ; mais quand il est ajouté à un terme essentiel, il implique une diversité d’essence, d’après l’exigence de la forme de ce terme, puisque les termes, principalement ceux qui sont substantiels, reçoivent la diversité et la pluralité du côté de leur forme.

Ad tertium dicendum, quod idem significat unitatem in substantia ; et praeter hoc, quia relativum est et habet articulationem implicitam, importat unitatem suppositi, et multo plus hoc pronomen se, quod est etiam relativum reciprocum, quod non est reperire in hoc nomine aequale : et ideo non est simile quod pro simili inducitur.

3. En troisième lieu il faut dire que le même signifie l’identité de substance ; et en plus de cela, parce qu’il est un relatif et qu’il possède une articulation implicite, il implique l’unité du sujet ; et il en est encore bien davantage ainsi pour le pronom ¨soi¨, qui est aussi un relatif réciproque, ce qui ne se rencontre pas par rapport au mot ¨égal¨ : et c’est pourquoi ce qui est introduit comme un semblable n’est pas semblable.

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Magister distinguit utramque illarum propositionum. Si enim cum dicitur, Deus genuit Deum, qui est Deus Pater, ly Pater construitur appositive ad ly Deus, locutio falsa est : quia tunc ly Deus restringetur ad standum pro persona patris ; et sic erit sensus : genuit Deum, qui est ipse Pater : et sic affirmativa falsa est, et negativa vera. Si autem intelligantur non per appositionem, sed mediate conjungi illi duo termini, scilicet Deus, et Pater ; ut sit sensus : genuit Deum qui est Deus et Deus est Pater ; tunc affirmativa vera est, et negativa falsa.

4. Il faut dire en quatrième lieu que le Maître a distingué chacune de ces propositions. Si en effet, lorsqu’on dit : Dieu a engendré Dieu, qui est Dieu le Père, ce Père est construit appositivement à ce Dieu, l’expression est fausse : car alors ce Dieu est limité à représenter la personne du père ; et ainsi le sens sera : Dieu a engendré Dieu qui est le Père lui-même : et ainsi l’affirmative sera fausse et la négative vraie. Mais si les termes ne sont pas pris par apposition, mais que ces deux termes, à savoir Dieu et le Père, sont pris comme réunis au milieu, de manière à ce que le sens soit : Dieu, qui est Dieu le Père, a engendré Dieu, alors l’affirmative sera vraie et la négative fausse.

Praepositivus tamen dixit, quod utraque falsa est, nec sunt contradictoriae propter diversam suppositionem hujus relativi qui : in affirmativis enim refert tantum suppositum antecedentis, et cum antecedens supponat pro persona filii, referret personam filii, de qua non est verum dicere, quod sit Deus pater. In negativa vero relativum refert non tantum suppositum, sed etiam essentiam. Unde oporteret quod hoc praedicatum Deus pater removeretur non tantum a supposito filii, sed etiam ab essentia : et ita falsa est.

Cependant la conjunction prepositive dit que chacune des deux est fausse, et elles ne sont pas contradictoires à cause de la supposition différente du relatif ¨qui¨: dans les affirmatives en effet il se rapporte seulement au sujet de l’antécédent, et comme l’antécédent suppose comme personne le Fils, il se rapporterait à la personne du Fils au sujet de laquelle il n’est pas vrai de dire qu’elle est Dieu le Père. Mais dans la negative le relative ne se rapporte pas seulement au sujet mais aussi à l’essence. D’où il faudrait que le prédicat, Dieu le Père, soit écarté non seulement du sujet, le Fils, mais aussi de l’essence: et ainsi elle serait fausse.

Sed quia hac distinctione facta, adhuc habet locum distinctio Magistri, et praecipue in affirmativa ; et iterum quia non videtur necessarium esse quod in negativis relativum referat aliter quam in affirmativis, nisi forte propter negationem, cujus est confundere terminum et facere eum teneri simpliciter (quod tamen non habet respectu praecedentis, sed tantum respectu sequentis) : ideo videtur efficacior via Magistri, et secundum ipsum concedendum est, quod utraque potest esse vera et falsa ; secundum cujus distinctionem patet solutio ad quartum argumentum.

Mais parce que, cette distinction étant faite, la distinction du Maître a encore sa place et principalement dans l’affirmative ; et en outre parce qu’il ne semble pas qu’il soit nécessaire que dans les négatives le relatif se rapporte autrement que dans les affirmatives, excepté peut-être à cause de la négation à laquelle il appartient de confondre le terme et de le faire prendre absolument (ce qu’elle ne fait cependant pas par rapport à ce qui précède, mais seulement par rapport à ce qui suit) : c’est pourquoi la démarche du Maître semble plus efficace et conformément à lui il faut concéder que chacune des deux propositions peut être vraie et fausse ; et c’est d’après cette distinction que la solution à la quatrième difficulté

lib. 1 d. 4 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando duo termini contrahuntur per appositionem, terminus appositus efficitur quasi forma ei cui apponitur. Unde si intelligatur appositive : genuit Deum qui non est Deus Pater, negatio non removebit formam divinitatis sed paternitatis a Filio.

5. Il faut dire en cinquième lieu que quand deux termes se trouvent à être réunis par apposition, le terme qui est apposé est établi comme la forme pour le terme auquel il est apposé. De là, si l’expression, à savoir Celui qui n’est pas Dieu le Père a engendré Dieu est entendue dans sa forme appositive, la négation n’enlèvera pas la forme de la divinité, mais enlèvera du Fils la forme de la paternité.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’attribution divine]

 

 

Prooemium

Prologue

lib. 1 d. 4 q. 2 pr. Deinde quaeritur de divina praedicatione. Et circa hoc duo quaeruntur :

1 utrum possit fieri praedicatio in divinis per propositionem aliquam ;

2 utrum possit persona praedicari de essentia.

Livre 1, dist. 4, quest. 2, proème.

On s’interroge ensuite sur les attributions qui s’adressent à Dieu. Et à ce sujet on se demande deux choses :

1. Est-il possible qu’il y ait attribution à Dieu au moyen d’une proposition ?

2. Est-ce qu’une personne peut être attribuée à l’essence ?

Articulus 1. lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 tit. Utrum de divinis possit formari propositio

Article 1 – Peut-on former une proposition au sujet de Dieu ?

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in divinis non possit aliqua formari propositio, in qua aliquid de ipso praedicetur. Veritas enim signi consistit in conformitate signi ad signatum. Sed omnis praedicatio fit per aliquam compositionem. Cum igitur in Deo nulla sit compositio, videtur quod de ipso nulla possit formari vera praedicatio.

Difficultés:

1. Il semble qu’on ne puisse former une proposition sur Dieu dans laquelle un prédicat serait attribué à un sujet. En effet, la vérité du signe consiste dans la conformité du signe au signifié. Mais toute attribution est produite au moyen d’une composition. Donc, puisqu’il n’y a en Dieu aucune composition, il semble qu’on ne puisse former à son sujet aucune veritable attribution.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 arg. 2 Item Dionysius, cap. II caelest hierar., § 3 142 : in Deo negationes sunt verae affirmationes incompactae. Appellatur autem incompactum illud quod non est debito modo ordinatum, nec est competens. Sed talis inordinatio inducit falsitatem in propositionibus. Ergo videtur idem quod prius.

2. En outre, Denys [La Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 3, 142] dit: En Dieu les négations sont de vraies affirmations qui sont défectueuses. Mais on appelle défectueux ce qui n’est pas ordonné de la manière qui est juste et qui ne convient pas. Mais un tel défaut d’ordre introduit de la fausseté dans les propositions. Il semble donc que la conclusion soit la même que la précédente.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra ; fidei non potest subesse falsum. Sed multae propositiones affirmativae enunciantur a nobis de Deo secundum fidem nostram, scilicet quod Deus est trinus et unus. Ergo videtur quod de Deo possit formari vera propositio.

Cependant :

1. Mais la foi ne peut se fonder sur le faux. Mais nous formons plusieurs propositions affirmatives sur Dieu conformément à notre foi, par exemple que Dieu est à la fois trine et un. Il semble donc que de vraies propositions puissent être formées au sujet de Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 s. c. 2 Item, secundum Boetium, nulla propositio est verior illa in qua idem de se praedicatur. Sed quidquid est in divinis, est idem re, cum in Deo sit idem habens et habitum, et quod est et quo est, excepto quod una persona non est alia. Ergo videtur quod de Deo possint formari verissimae locutiones.

2. En outre, d’après Boèce, aucune proposition n’est plus vraie que celle dans laquelle le même est attribué au même. Mais tout ce qui est en Dieu est le même par la chose, puisqu’en Dieu est identique à la fois ce qui possède et ce qui est possédé, la chose qui existe et ce par quoi elle existe, à l’exception qu’une seule et même personne n’est pas l’autre. Il semble donc que les propositions les plus vraies puissent être formées au sujet de Dieu.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod enuntiatio sequitur apprehensionem. Unde secundum quod intelligimus aliqua, oportet quod enuntiemus illa. Apprehensio autem fit secundum potestatem apprehendentis ; et ideo ea quae sunt simplicia intellectus noster enuntiat per modum cujusdam compositionis ; sicut e contrario Deus intelligit res compositas modo simplici : et inde est quod intellectus noster de Deo format propositiones ad modum rerum compositarum, a quibus naturaliter cognitionem accipit.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’énonciation suit la compréhension. De là, il faut que nous énoncions les choses conformément à la manière dont nous les comprenons. Mais la compréhension se produit conformément à la puissance de celui qui comprend ; et c’est pourquoi notre intelligence énonce par mode de composition les choses qui sont simples, tout comme au contraire Dieu saisit les choses composées d’après un mode qui est simple : et il suit de là que notre intelligence forme sur Dieu des propositions d’après le mode qu’il applique aux choses composées desquelles il reçoit naturellement la connaissance.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod intellectus noster deficit a cognitione divinae majestatis, similiter etiam et enuntiatio deficit a significatione perfecta ; nihilominus tamen est veritas, inquantum intellectus formans enuntiationem accipit duo quae sunt diversa secundum modum et idem secundum rem. Unde secundum diversitatem rationum format praedicatum et subjectum, et secundum identitatem componit.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que notre intelligence est loin de connaître la divine majesté tout comme notre discours est aussi loin de la signifier parfaitement ; néanmoins, il y a cependant là vérité dans la mesure où notre intelligence en formant l’énonciation reçoit deux choses qui sont différentes selon le mode et identitques selon la chose. Ensuite, conformément à la diversité des notions elle forme un prédicat et un sujet, et conformément à l’identité elle les compose.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod affirmativae propositiones pro tanto dicuntur incompactae in divinis, quia nihil eorum quae praedicantur de ipso significant ipsum per modum quo ipse est, sed per modum quo intellectus noster accipit ex rebus creatis informatus. Unde oportet quod nomina illa praedicata de Deo intelligantur praedicari remotis illis modis quibus de creaturis praedicantur. Unde Dionysius, de divin nomin., cap. VII, 866, omnes divinas praedicationes ita docet exponere : Deus est sapiens, et non sapiens, scilicet sicut alia, ut differat in eo sapientia a sapiente ; sed est supersapiens, inquantum est in ipso nobiliori modo sapientia quam significetur per nomen.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’on dit que les propositions affirmatives attribuées à Dieu sont d’autant plus défectueuses que rien en elles de ce qui Lui est attribué ne Le signifie à la manière dont Lui-même existe, mais seulement à la manière dont notre intelligence reçoit l’information des choses créées. De là il faut que ces noms qu’on attribue à Dieu soient compris comme étant attribués sans ces modalités d’après lesquelles on les attribue aux créatures. C’est pourquoi Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, 866] enseigne qu’il faut expliquer de la manière qui suit toutes les attributions qu’on fait à Dieu : Dieu est sage et il n’est pas sage comme les autres le sont, c’est-à-dire de telle manière qu’en Lui différerait la sagesse et celui qui est sage ; au contraire, il est sage au-delà de toute sagesse, selon que la sagesse en Lui existe selon un mode plus excellent que celui qui est signifié par le nom.

 

 

Articulus 2. lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 tit. Utrum persona possit praedicari de essentia

Article 2 – La personne peut-elle être attribuée à l'essence ?

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod persona non possit praedicari de essentia. Praedicatum enim habet rationem formae. Sed persona est suppositum formae, vel naturae. Ergo persona non habet rationem quod praedicetur de natura vel essentia.

Difficultés :

1. On procède de la manière qui suit par rapport à cette deuxième question. Il semble que la personne ne puisse être attribuée à l’essence. En effet, le prédicat a raison de forme. Mais la personne est le sujet de la forme ou de la nature. Donc la personne n’a pas raison d’être attribuée à la nature ou à l’essence.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, praedicatum semper significatur inesse subjecto. Persona autem non significatur ut inhaerens essentiae, sed e converso. Ergo persona non potest praedicari de essentia.

2. En outre, le prédicat est toujours signifié comme appartenant au sujet. Mais la personne n’est pas signifiée comme appartenant à l’essence, mais c’est plutôt l’inverse qui se produit. Donc la personne ne peut être attribuée à l’essence.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, superius per se praedicatur de suo inferiori, sicut homo de Socrate ; sed Socrates accidentali praedicatione praedicatur de homine ; accidit enim homini esse Socratem. Sed sicut Socrates est suppositum humanae naturae, ita Pater est suppositum naturae divinae. Ergo videtur quod haec non sit vera, Deus est Pater, nisi forte per accidens.

3. De plus, le supérieur s’attribue de lui-même ou essentiellement à son inférieur, comme l’homme s’attribue à Socrate. Mais Socrate s’attribue accidentellement à l’homme ; en effet, il est accidentel à l’homme d’être Socrate. Mais tout comme Socrate est le sujet de la nature humaine, de même le Père est le sujet de la nature divine. Il semble donc qu’il ne soit pas vrai de dire que Dieu est le Père, sauf peut-être par accident.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 4 Item, sicut dictum est, Sup., qu. 1, art. 2, hoc nomen Deus, quantum est de se, supponit personam. Sed haec est falsa : una persona est Pater et Filius et Spiritus sanctus. Ergo haec etiam : unus Deus est Pater et Filius et Spiritus sanctus.

4. En outre, comme nous l’avons dit plus haut [quest. 1, art. 2], ce nom Dieu, en tant que tel, suppose une personne. Mais cette proposition est fausse, à savoir qu’une seule et même personne est à la fois le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc cette proposition elle aussi est fausse, à savoir qu’un même Dieu est à la fois Père, Fils et Esprit-Saint.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 arg. 5 Item videtur quod haec etiam sit falsa, Deus est Trinitas. Nihil enim praedicatur de homine quod non praedicetur de aliquo supposito hominis. Sed Trinitas neque praedicatur de Patre neque de Filio neque de Spiritu sancto. Ergo per eamdem rationem non potest dici quod Deus sit Trinitas.

5. Par ailleurs il semble que cette autre proposition soit fausse : Dieu est Trinité. Rien en effet n’est attribué à l’homme qui ne soit pas attribué à un sujet de l’homme. Mais la Trinité n’est attribuée ni au Père, ni au Fils, ni au Saint-Esprit. Donc, pour la même raison on ne peut dire que Dieu soit Trinité.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in divinis est omnino indifferentia naturae ad suppositum ; et ideo nec est ibi universale neque particulare : et ideo sicut vere praedicatur essentia de persona, ita et e converso. Sed verum est quod quantum ad modum significandi plus habet de proprietate propositio in qua praedicatur essentia, quam in qua praedicatur persona, cum praedicatum se habeat loco formae.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il n’y a absolument aucune différence entre la nature et le sujet dans les personnes divines ; et c’est pourquoi il n’y a pas lieu  de distinguer dans ce cas l’universel du particulier : et c’est pour cette raison que tout comme l’essence s’attribue véritablement à la personne, de même inversement la personne s’attribue véritablement à l’essence. Mais quant au mode de signifier lui-même, il est vrai que la proposition dans laquelle l’essence s’attribue est possède plus d’intelligibilité que celle dans laquelle la personne s’attribue, puisque le prédicat tient lieu de forme.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis persona sit suppositum, nihilominus tamen propter indifferentiam suppositi ad naturam persona est aequalis simplicitatis cum natura ; et ideo de se conversim praedicantur.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que la personne soit le sujet, néanmoins cependant en raison de l’absence de différence entre le sujet et la nature, la personne est égale à la nature en simplicité ; et c’est pourquoi ils s’attribuent réciproquement l’un à l’autre.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum : quia in Deo habens et habitum sunt idem re.

2. Et par là on voit la solution à la deuxième difficulté car en Dieu celui qui possède est identique par la chose à ce qui est possédé.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in divinis non est aliquid accidentale, nec est ibi universale et particulare ; et ideo nihil dicitur ibi per accidens, neque per consequens, sicut in creaturis ; sed tantum attenditur ibi alius et alius modus significandi.

3. Il fuat dire en troisième lieu qu’en Dieu il n’y a rien d’accidentel, et il n’y a là ni universel ni particulier; et c’est pourquoi il n’y a rien là qui soit dit par accident et par conséquent comme dans les créatures; mais il faut seulement comprendre qu’il y a là plusieurs manières de signifier.

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen Deus, quantum est de se, quamvis supponat pro persona, nihilominus tamen non supponit pro aliqua persona distincte, immo indeterminate ; nec forma significata per nomen Deus, a qua nomen imponitur, est proprietas personalis, sed potius [potius om.. Éd. de Parme] natura communis : et ideo unitas significata per hoc adjectivum unus, refertur ad formam divinitatis, et non ad suppositum. Sed hoc nomen persona imponitur a personali proprietate, quae est forma significata per terminum ; et ideo haec est falsa : una persona est Pater et Filius et Spiritus sanctus ; quia significaretur una personalitas trium personarum.

4. Il faut dire en quatrième lieu que ce nom, Dieu, en tant que tel, bien qu’il suppose une personne, néanmoins il ne suppose pas une personne distinctement mais bien plutôt d’une manière indéterminée ; et la forme signifiée par le nom Dieu, à partir de laquelle le nom est imposé, n’est pas une propriété personnelle mais plutôt une nature commune : et c’est pourquoi l’unité signifiée par l’adjectif ¨un¨ se rapporte à la forme de la divinité et non au sujet. Mais le nom personne est imposé à partir d’une propriété personnelle, laquelle est la forme signifiée par le terme ; et c’est pourquoi cette proposition est fausse : une même personne est à la fois le Père, le Fils et l’Esprit-Saint, car alors une seule des trois personnes serait signifiée. 

lib. 1 d. 4 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Pater supponit personam distinctam, similiter et Filius et Spiritus sanctus ; sed hoc nomen Deus supponit personam indeterminate ; et ideo ratione indeterminationis aliquid potest praedicari de Deo quod de nulla distinctarum personarum praedicatur : sicut etiam de homine dicitur, quod nulli singularium convenit esse commune vel speciem vel aliquid hujusmodi. Quod autem plures personae hominum non possunt simul praedicari de hoc nomine homo, ratio est quia plures personae non sunt unus homo sicut plures personae sunt unus Deus et Trinitas ; et ideo convenienter dicitur : Deus est tres personae vel Trinitas [vel Trinitas om. Éd. de Parme].

5. Il faut dire en cinquième lieu que le Père suppose une personne distincte, tout comme le Fils et l’Esprit-Saint ; mais le nom Dieu suppose la personne d’une manière indéterminée ; et c’est pourquoi, en raison de cette indétermination, quelque chose peut être attribué à Dieu qui ne peut être attribué à aucune des personnes prise séparément : tout comme aussi se dit de l’homme ce qui est commun ou l’espèce ou quelque chose de la sorte qui ne convient à aucun des individus. Mais que plusieurs personnes humaines ne puissent être simultanément être attribuées à ce nom ¨homme¨, la raison en est que plusieurs personnes ne sont pas un seul et même homme comme plusieurs personnes divines sont un seul et même Dieu et la Trinité ; et c’est pourquoi on dit avec raison que Dieu est trois personnes ou la Trinité [ou la Trinité om. Éd. de Parme]

 

 

Distinctio 5

Distinction 5 – [Les noms qui signifient l’essence de Dieu dans l’abstrait]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intelligentiam hujus partis de tribus quaeritur :

primo utrum essentia se habeat ad generationem sicut generans.

Secundo utrum se habeat sicut de quo est generatio.

Tertio utrum se habeat sicut id quod est terminus generationis.

Circa primum duo quaeruntur :

1 utrum essentia generet ;

2 dato quod non, utrum similiter sit in omnibus aliis essentialibus nominibus.

Pour comprendre cette partie on s’interroge sur trois points :

1. En premier lieu est-ce que l’essence se rapporte à la génération comme ce qui engendre ?

2. En deuxième lieu est-ce qu’elle s’y rapporte comme au sujet de la génération ?

3. En troisième lieu, est-ce qu’elle y est présente en tant que terme de la génération ?

Au sujet du premier point on se demande deux choses :

1. Est-ce que l’essence engendre ?

2. Si on accorde que non, est-ce que l’essence se présente de la même manière dans tous les autres noms essentiels ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L'essence se comporte-t-elle vis-à-vis de la génération comme ce qui engendre ?]

 

 

Articulus 1. lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 tit. Utrum essentia generet.

Article 1 – L’essence engendre-t-elle ?

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod essentia generet. Major enim est oppositio affirmationis et negationis, quam relationis. Sed oppositio relationis facit in divinis ut una persona non sit alia. Ergo fortius faciet hoc contradictio. Sed persona Patris est generans. Si igitur essentia non generet, Pater non erit essentia ; quod est impossibile.

Difficultés :

1. On procède de la manière qui suit à l’égard de ce premier article. Il semble que l’essence engendre. L’opposition de l’affirmation et de la négation est plus grande que l’opposition de relation. Mais dans la relation, l’opposition fait que dans les personnes divines une personne n’est pas l’autre. Donc, l’opposition de contradiction fera cela à plus forte raison. Mais la personne du Père engendre. Si donc l’essence n’engendre pas, le Père ne sera pas l’essence : ce qui est impossible.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid praedicatur de aliquo potest supponere illud. Sed essentia praedicatur de patre et vere. Ergo potest supponere pro Patre, et ita potest recipere praedicationem Patris. Ergo potest concedi quod essentia generet.

2. De plus, tout ce qui est attribué à une chose peut lui être substitué. Mais l’essence est attribuée au Père et en vérité. Elle peut donc être substituée au Père et ainsi elle peut recevoir l’attribution du Père. On peut donc concéder que l’essence engendre.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, si essentia est Pater, ergo est Pater Filii. Sed relativa dicuntur ad convertentiam. Ergo et Filius erit Filius essentiae. Ergo essentia generat.

3. En outre, si l’essence est le Père, elle est donc le Père du Fils. Mais les relatifs se disent suivant la conversion. Donc le Fils sera le Fils de l’essence. Donc l’essence engendre.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, essentia est res generans. Sed res generans est generans. Ergo essentia est generans.

4. De plus, l’essence est une chose qui engendre. Mais une chose qui engendre engendre. Donc l’essence engendre.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, sicut se habet essentia ad personam, ita persona ad essentiam. Sed de persona praedicantur attributa essentiae, sicut potentia, bonitas, et cetera. Ergo et de essentia proprietates personae. Ergo potest dici, quod essentia est generans.

5. Par ailleurs, l’essence est à la personne ce que la personne est à l’essence. Mais les attributs de l’essence, comme la puissance, la bonté et les autres caractères de cette sorte sont attibués à la personne. Donc les propriétés de la personnes le sont à l’essence.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contrarium ostenditur per rationes Magistri.

Cependant :

Le maître manifeste le contraire au moyen de raisonnements.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in creaturis actus sunt suppositorum ; et essentia non agit, sed est principium actus in supposito : non enim humanitas generat, sed Socrates virtute suae naturae. In creaturis autem essentia realiter differt a supposito ; et ideo nullus actus proprie de essentia praedicatur nisi causaliter. In divinis autem essentia realiter non differt a supposito, sed solum ratione, sive quantum ad modum significandi : quia suppositum est distinctum, et essentia est communis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que dans les créatures les actes appartiennent aux individus et que l’essence n’agit pas d’elle-même mais elle est le principe de l’acte dans l’individu : en effet, ce n’est pas l’humanité qui engendre, mais Socrate par la puissance de sa nature. Mais dans les créatures, l’essence diffère réellement de l’individu : et c’est pourquoi aucun acte n’est attribué proprement à l’essence, si ce n’est comme à sa cause. Mais dans les personnes divines l’essence ne diffère par réellement ou par la chose de l’individu, mais seulement par la raison, ou quant au mode de signifier, car l’individu est distinct alors que l’essence est commune.

Et ideo in divinis quaecumque praedicantur de supposito non secundum modum quo differt ab essentia, praedicantur etiam de essentia : dicimus enim, quod essentia creat et gubernat et hujusmodi. Sed actus qui dicitur de supposito secundum modum secundum quem differt ab essentia, non potest de essentia praedicari ; et hujusmodi est actus generandi, qui praedicatur de supposito Patris, secundum quod distinctum est a supposito Filii : unde non est concedendum quod essentia generet, sed quod Pater generat virtute essentiae, vel naturae. Unde etiam dicit Damascenus, lib. I Fid. Orth., cap. VIII, quod generatio est opus divinae naturae existens.

Et c’est pourquoi dans les personnes divines tout ce qui est attribué à l’individu, mais non selon le mode par lequel il diffère de l’essence, s’attribue aussi à l’essence : nous disons en effet que l’essence crée, gouverne, etc. Mais l’acte qui s’attribue à l’individu, d’après le mode selon lequel il diffère de l’essence, ne peut s’attribuer à l’essence ; et l’acte d’engendrer est de cette sorte, lequel s’attribue à cet individu qu’est le Père selon qu’il est distinct de cet individu qu’est le Fils : il ne faut par conséquent pas concéder que l’essence engendre, mais plutôt que le Père engendre par la puissance de l’essence ou de la nature. Et c’est pourquoi Damascène dit aussi [1 De la Foi Orthodoxe, ch.  VIII] que la génératioin est l’œuvre de la nature divine existante.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod affirmatio et negatio dicuntur maxime opponi, quia in eis non importatur aliqua convenientia : in privative enim oppositis importatur convenientia quantum ad subjectum, quia nata sunt fieri circa idem ; in contrariis autem relativis etiam quantum ad genus, quia scilicet sunt in eodem genere. Unde in utraque oppositione utrumque extremorum significatur per modum entis et naturae cujusdam. Illud autem in quo invenitur aliquid non permixtum contrario, est maximum et primum in genere illo, et causa omnium aliorum ; et ideo oppositio affirmationis et negationis, cui non admiscetur aliqua convenientia, est prima et maxima oppositio, et causa omnis oppositionis et distinctionis ; et ideo oportet quod in qualibet alia oppositione includatur affirmatio et negatio, sicut primum in posteriori.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on dit que l’affirmation et la négation est l’opposition la plus grande car il n’y a entre elles rien de commun : en effet, dans les opposés par la privation il y a un rapport quant au sujet car ils sont aptes à se produire dans un même sujet ; mais dans les contraires par la relation il y a un rapport quant au genre puisqu’ils sont dans le même genre. C’est pourquoi dans ces deux sortes d’oppositions chacun des extrêmes est signifié à la manière d’un être et d’une certaine nature. Mais ce en quoi se retrouve quelque chose sans être mélangé à son contraire est ce qu’il y a de premier et de plus excellent dans ce genre et qui est la cause de tous les autres ; et c’est pourquoi l’opposition de l’affirmation et de la négation, dans laquelle rien de commun ne se mêle, est la première et la plus grande opposition, et la cause de toute opposition et de toute distinction ; et c’est pourquoi il faut que dans toute autre opposition soient comprises l’affirmation et la négation, comme ce qui est premier est compris dans ce qui est second.

Unde plura requiruntur ad alias oppositiones quam ad oppositionem contradictionis, quia se habent ex additione ad ipsam. Unde non oportet quod, si contrarietas non inveniatur nisi in diversis realiter, quod affirmatio et negatio inveniatur in diversis realiter ; immo sufficit etiam distinctio rationis ad affirmationem et negationem, cum quaelibet distinctio, ut dictum est, includat affirmationem et negationem : et talis distinctio, scilicet rationis, est inter essentiam et personam. Sed opposita relative aliquando requirunt diversitatem vel distinctionem realem ; et talia sunt quae divinas personas distinguunt : aliquando autem distinctionem rationis tantum ; ut cum dicitur idem eidem idem : et hoc melius dicetur in Tractatu de relationibus, dist. 26, quaest. 2, art. 1.

Et c’est pourquoi les autes oppositions requièrent plus de conditions que l’opposition de contradiction parce qu’elles sont constituées comme à partir d’éléments ajoutés à l’opposition de contradiction. Par conséquent il ne faut pas que, si la contrariété ne se retrouve que dans des sujets réllement différents, que l’affirmation et la négation se retrouvent elles aussi dans des sujets réellement différents ; au contraire, pour qu’il y ait affirmation et négation, il suffit même qu’il y ait distinction de raison, puisque toute distinction, ainsi que nous l’avons dit, comprend l’affirmation et la négation : et une telle distinction, à savoir une distinction de raison, se rapporte à l’essence et à la personne. Mais les opposés par la relation exigent parfois une différence ou une distinction réelle ; et tels sont les opposés qui distinguent les personnes divines ; mais parfois ils n’impliquent qu’une distinction de raison, comme lorsqu’on dit que le même est identique au même : et tout cela est mieux expliqué dans Le Traité des Relations (dist. 26, quest. 2, art. 1).

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia non praedicatur de supposito ratione modi significandi in utroque, sed ratione indifferentiae secundum rem propter simplicitatem divinae naturae, et ideo non oportet quod supponat Patrem.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’essence n’est pas attribuée à l’individu en raison du mode de signifier qui est présent dans les deux, mais en raison de l’absence de différence réelle ou selon la chose, à cause de la simplicité de la nature divine et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle se substitue au Père.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur essentia est Pater, est duplex locutio ex eo quod ly Pater potest teneri quasi adjective, ut ponat formam suam circa essentiam ; et sic falsa est, quia proprietates non determinant essentiam : vel potest sumi substantive, et tunc supponit pater in praedicato pro persona Patris ; et sic vera est, nec oportet quod fiat hoc modo conversio : ergo Filius est Filius essentiae ; sed, ergo Filius est Filius Patris, qui est essentia.

3. Il faut dire en troisième lieu que lorsqu’on dit que l’essence est le Père, il y a là deux discours du fait que Père peut être pris comme adjectif de manière à poser sa forme sur l’essence ; et ainsi le discours est faux car les propriétés ne déterminent pas l’essence ; mais Père peut être pris comme substantif et alors père dans le prédicat est pris pour la personne du Père ; et ainsi le discours est vrai et alors il ne faut pas que la conversion se produise de cette façon : donc le Fils est le Fils de l’essence ; mais plutôt : donc, le Fils est le Fils du Père, lequel est l’essence.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, essentia est res generans, ly res potest supponere essentiam, vel personam. Si essentiam, sic falsa est, quia sic adjectivum poneret formam suam circa essentiam ; si personam, sic vera est ; et tunc non sequitur : ergo essentia est generans, quia tunc non circa idem ponetur forma adjectivi.

4. Il faut dire en quatrième lieu que lorsqu’on dit que l’essence est une chose qui engendre, la chose ici peut être prise pour l’essence ou la personne. Si elle est prise pour l’essence, alors la proposition est fausse car ainsi l’adjectif poserait sa forme sur l’essence ; si elle est prise pour la personne, ainsi elle est vraie  et alors il ne s’ensuit pas : donc l’essence est ce qui engendre car alors ce n’est pas sur la même chose qu’est posée la forme de l’adjectif.

ib. 1 d. 5 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum essentia et persona differant in modo significandi, illud quod praedicatur de persona ratione modi significandi secundum quod ab essentia distinguitur, non praedicatur de essentia, ut generans et genitum [generatum : alias Éd. de Parme] juiusmodi similiter [etiam add. Éd. de Parme] est ex parte essentiae ; illud enim quod praedicatur de essentia ratione modi significandi quo differt a supposito distincto, non praedicatur de supposito ; sicut essentia est communis tribus, tamen non potest dici hoc de aliqua personarum.

5. Il faut dire en cinquième lieu que puisque l’essence et la personne diffèrent par le mode de signifier, ce qui est attribué à la personne, comme ce qui engendre ou ce qui est engendré, en raison du mode de signifier selon lequel elle se distingue de l’essence, ne s’attribue pas à l’essence, et il en est de même du côté de l’essence : en effet, ce qui est attribué à l’essence en raison du mode de signifier par lequel elle diffère d’un sujet distinct, l’essence ne s’attribue pas au sujet ; comme l’essence est commune aux trois personnes, elle ne peut cependant être atribuée à l’une des personnes.

 

 

Articulus 2. lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 tit. Utrum actus generandi praedicetur de aliquo nominum essentialium

Article 2 – L'acte d'engendrer est-il attribué à l'un des noms essentiels ?[7]

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod actus generandi de nullo nominum essentialium praedicetur. Sicut enim tres personae sunt una essentia, ita etiam sunt unus Deus. Sed, secundum rationem Magistri, non potest dici essentia generare, ne notetur essentiae distinctio. Ergo similiter non potest dici, Deus generat, ne sequatur deorum pluralitas.

Difficultés :

1. Il semble que l’acte d’engendrer ne s’attribue à aucun des noms essentiels. En effet, tout comme les trois personnes sont une seule essence, de même encore elles sont un seul Dieu. Mais, d’après le raisonnement du Maître, on ne peut dire de l’essence qu’elle engendre afin de ne pas indiquer une distinction de l’essence. Donc, de la même manière on ne peut dire que Dieu engendre pour ne pas que s’ensuive une pluralité de dieux.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, persona et hypostasis et substantia non dicuntur relative. Sed, secundum Magistrum, ideo essentia non potest dici generare, quia relative non dicitur. Ergo similiter nec persona vel hypostasis.

2. En outre, la personne et l’hypostase et la substance ne se disent pas relativement. Mais, d’après le Maître, on ne peut dire que l’essence engendre par ce qu’elle ne se dit pas relativement. Il en est donc de même pour la personne ou l’hypostase.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, ista nomina, natura, bonitas et hujusmodi, sunt aequalis abstractionis sicut essentia. Si igitur essentia propter modum significandi in abstracto non potest generare, ergo videtur quod nec aliquod aliorum.

3. De plus, ces noms, à savoir nature, bonté etc., sont d’une abstraction égale à celle de l’essence. Si donc l’essence, en raison de son mode de signifier dans l’abstrait, ne peut engendrer, il semble donc que les autres noms ne le puissent pas davantage.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contrarium ostenditur per multas auctoritates in littera.

Cependant :

De nombreuses autorités présentées dans le document manifestent le contraire.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, art. praec. in corp., generare proprie convenit supposito inquantum distinctum ; et ideo quanto magis appropinquat nomen ad suppositum distinctum, tanto verius potest praedicari de ipso actus generandi. Unde haec est propriissima, Pater generat, quia imponitur nomen patris a proprietate distinguente. Et similiter potest dici, persona generat, quia nomen personae imponitur a proprietate communi, quae dicitur personalitas : et consequenter minus proprie dicitur, Deus generat ; quia, quamvis claudat in se suppositum, non tamen suppositum distinctum ; nec imponitur nomen a proprietate distinguente, sed ab essentia communi.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent, il appartient au sujet en tant que distinct d’engendrer ; et c’est pourquoi l’acte d’engendrer peut s’attribuer avec d’autant plus de vérité que le nom (auquel il s’attibue ) s’approche davantage du sujet distinct. C’est pourquoi c’est la proposition suivante qui est la plus appropriée : le Père engendre ; car le nom de Père est imposé à partir d’une propriété qui le distingue. Et on peut même dire que la personne engendre, car le nom de personne est imposé à partir d’une propriété commune qu’on appelle la personnalité : et par conséquent on le dit moins proprement, tout comme on dit moins proprement que Dieu engendre car bien que le terme Dieu enferme en lui le suppôt, il ne contient cependant pas le suppôt distinct et le nom n’est pas imposé à partir d’une propriété qui le distingue, mais à partir de l’essence commune.

In omnibus autem abstractis etiam est ordo : quia quaedam ordinem dicunt ad actum, sicut virtus, bonitas, lux, natura et hujusmodi : et quia actus sunt suppositorum, ideo in istis invenitur dictum, quod sapientia generat vel natura generat ; tamen hujusmodi locutiones non sunt extendendae, sed pie intelligendae. Quaedam vero nomina sunt quae non dicunt ordinem ad operationem, sed tantum imponuntur secundum rationem nominis ab actu substandi, sicut substantia. Unde hoc nomen substantia adhuc accedit ad rationem suppositi, sed hoc nomen essentia removetur omnino a ratione suppositi : et ideo minime potest dici, quod essentia generet. Si tamen inveniretur, esset exponenda, essentia generat, idest Pater, qui est essentia.

Cependant dans tous les termes abstraits aussi il y a un ordre : car certains expriment un ordre en direction d’un acte, comme la vertu, la bonté, la lumière, la nature, etc. : et parce que les actes appartiennent aux suppôts, c’est pourquoi pour ces termes il arrive de dire que la sagesse engendre ou que la nature engendre ; cependant de telles expressions ne doivent pas s’étendre mais s’entendre bienveillamment. Mais il y a des noms qui ne disent pas un ordre à une opération, mais sont seulement imposés d’après la notion du nom de l’acte de subsister, comme le terme substance. Par  conséquent le nom substance atteint encore la notion de suppôt, mais le nom d’essence s’écarte absolument de la notion de suppôt : et c’est pourquoi on peut le moins dire que l’essence engendre. Si cependant cela se produisait, il faudrait expliquer cette expression, à savoir l’essence engendre, en disant que c’est le Père, qui est l’essence, qui engendre.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc nomen Deus includit in se suppositum indeterminate, et ratione ejus a quo nomen imponitur, includit in se naturam : unde ratione modi significandi est quasi medium inter essentiam et personam distinctam : et ideo nec repugnat sibi modus essentiae ratione indeterminationis, nec modus distinctae personae ratione suppositi : et ideo potest dici, Deus generat, et, Deus est communis tribus personis.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ce nom, à savoir Dieu, inclut en lui le suppôt d’une manière indéterminée, et en raison de ce à partir de quoi ce nom est imposé, il inclut aussi en lui la nature : c’est pourquoi, en raison de son mode de signifier, il est comme intermédiaire entre l’essence et la personne distincte : et c’est pourquoi ni le mode de l’essence en raison de l’indétermination, ni le mode de la personne distincte en raison du suppôt ne s’oppose à ce nom ; et c’est pourquoi on peut dire que Dieu engendre et que Dieu est commun aux trois personnes.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relativum in divinis multipliciter dicitur ; propriissime enim relativum est quod secundum suum nomen ad aliud refertur, ut Pater. Aliud autem dicitur relativum quod sequitur vel causat relationem, sicut generatio et generare. Aliud autem quod implicite claudit in se relationem, sicut Trinitas personas distinctas relatione ; et hoc nomen persona includit in se relationem distinguentem. Aliud autem potest dici relativum, inquantum pro relatione ponitur, sicut Deus, et etiam quaedam nomina abstracta, cujus ratio dicta est in corpore.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les personnes divines ¨relatif¨ se dit en plusieurs sens ; relatif en effet d’après son nom se dit le plus proprement de ce qui se rapporte à un autre, comme Père. Mais on appelle aussi relatif ce qui suit ou ce qui cause la relation, comme la génération ou l’acte d’engendrer. Mais en un autre sens encore, on appelle relatif ce qui renferme implicitement en soi une relation, comme la Trinité qui renferme en elle les trois personnes par la relation, et le nom de personne qui renferme en lui la relation qui distingue. On peut encore autrement appeler relatif ce qui est posé à la place d’une relation, et aussi certains noms abstraits pour la raison dont nous avons parlé dans le corps de l’article.

lib. 1 d. 5 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod majoris abstractionis est essentia quam bonitas vel sapientia : quia quamvis aequaliter abstrahant a supposito, tamen essentia super hoc abstrahit etiam ab actu ; illa vero dicunt ordinem ad actum.

3. Il faut dire en troisième lieu que le terme d’essence est d’une plus grande abstraction que les termes de bonté et de sagesse : car bien qu’ils font également abstraction d’un suppôt, cependant l’essence ajoute aussi à cela l’abstraction d’un acte alors que les autres signifient un ordre en direction d’un acte.

 

 

Quaestio 2 : Utrum essentia se habeat ad generationem sicut id de quo est generatio ?

Question 2 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce d’où vient la génération ?]

 

 

Prooemium

Prologue

lib. 1 d. 5 q. 2 pr. Deinde quaeritur, utrum essentia se habeat ad generationem sicut id de quo est generatio ; et circa hoc duo quaeruntur :

1 utrum filius generetur de substantia patris ;

2 utrum sit ex nihilo.

On se demande ensuite si l’essence se rapporte à la génération comme ce d’où vient la génération ; et à ce sujet  on se demande deux choses :

1. Est-ce que le Fils est engendré de la substance du Père ?

2. Est-il engendré à partir de rien ?

 

 

Articulus 1 lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 tit. Utrum filius sit genitus de substantia patris.

Article 1 – Le Fils est-il engendré de la substance du Père ?

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod filius non sit genitus de substantia patris. Omnis enim praepositio transitiva est. Transitio autem requirit diversitatem vel distinctionem. Cum igitur filius non distinguatur ab essentia patris, non potest dici de essentia ejus natus.

Difficultés :

1. Il semble que le Fils ne soit pas engendré de la substance du Père. En effet, toute préposition est transitive. Mais toute transition exige diversité ou distinction. Donc, puisque le fils ne se distingue pas de l’essence du père, on ne peut dire qu’Il soit né de son essence.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, sicut se habet natura humana ad Socratem, ita divina essentia ad Filium. Sed Socrates non potest dici de essentia humana. Ergo nec Filius de essentia Patris.

2. En outre, ce que la nature humaine est à Socrate, la nature divine l’est au Fils. Mais on ne peut dire que Socrate vient de l’essence humaine. Donc, le Fils ne peut venir de l’essence du Père.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, de semper dicit ordinem. Sed inter Filium et essentiam non est ordo neque temporis, neque naturae, cum essentia non sit generans, sed Pater ; neque causalitatis. Ergo videtur quod nullo modo sit de essentia Patris.

3. De plus, ¨de¨ exprime toujours un ordre. Mais entre le Fils et l’essence il n’y a ni ordre de temps, ni ordre de nature puisque ce n’est pas l’essence qui engendre mais le Père ; et il n’y a pas non plus un ordre de causalité. Il semble donc qu’en aucune manière le Fils vienne de la substance du Père.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 arg. 4 Si dicas, quod hoc dicitur propter consubstantialitatem Filii ad Patrem, contra. Sicut essentia Patris est essentia Filii, ita tota essentia Filii est in Patre. Ergo eadem ratione potest dici Pater de substantia Filii, sicut e contrario.

4. Si tu dis qu’on peut dire cela en raison de la consubstantialité du Fils et du Père, j’objecte ceci. Tout comme l’essence du Père est l’essence du Fils, ainsi toute l’essence du Fils est dans le Père. On peut donc dire pour la même raison que le Père vient de la substance du Fils, tout comme on peut dire l’inverse.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contrarium ostenditur per auctoritates in littera.

Cependant :

Le contraire est manifesté par de nombreuses autorités dans le document.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod haec praepositio de proprie designat principium et consubstantialitatem ; haec autem praepositio ex designat tantum ordinem principii. Unde quidquid dicitur esse de aliquo, ex illo est, sed non convertitur, sicut dicitur infra, 36 distinct. Unde haec praepositio ex quandoque notat ordinem temporis tantum, ut, ex mane fit dies ; quandoque ordinem principii agentis, sicut, artificiata sunt ex artifice : quandoque principium materiale, ut, cultellus fit ex ferro.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que cette préposition, de, désigne à proprement parler le principe et la consubstantialité, alors que cette préposition, à partir de, désigne seulement le rapport au principe. De là, tout ce qui est dit venir d’un être, existe à partir de cet être comme on le dit plus loin [distintion 36]. C’est pourquoi cette préposition, ¨à partir de¨, indique parfois l’ordre du temps seulement, comme le jour qui existe à partir du matin ; parfois il indique l’ordre par rapport au principe agent, comme la chose artificielle que existe à partir de l’artisan ; et parfois seulement l’ordre par rapport au principe matériel, comme le couteau qui existe à partir du fer.

Sed de, cum notet consubstantialitatem, semper notat vel principium materiale, [sicut, cultellus est de ferro add. Éd. de Parme] ; vel agens consubstantiale, sicut dicimus quod homo filius generatur de patre suo, cum sit generatio per decisionem substantiae. Et secundum istum modum filius dicitur de Patre et de essentia Patris : tamen de Patre sicut de generante, et de essentia sicut de principio generationis communicato. Unde etiam accedit ad similitudinem secundum materiam, si a materia removeatur totum quod est imperfectionis et remaneat haec sola de conditionibus materiae, quod est manens in re et per eam res subsistit ; et praecipue res artificiata, quae est in genere substantiae propter suam materiam et non propter suam formam, ut dicit Commentator, in II De anima, com.4.

Mais la préposition ¨de¨, puisqu’elle réfère à la consubstantialité, indique toujours soit le principe matériel [comme le couteau qui vient du fer add. Éd. de Parme] ; soit l’agent consubstantiel, comme nous disons que l’homme fils est engendré de son père puisqu’il y a génération au moyen d’une division de la substance. Et c’est d’après ce mode qu’on dit du Fils qu’il vient du Père et de l’essence du Père : cependant il vient du Père comme de celui qui engendre et de l’essence comme du principe de la génération qui est communiqué. De là il parvient aussi à une ressemblance selon la matière si on écarte de la matière tout ce qu’il y a d’imperfection et qu’il ne reste plus de toutes les conditions de la matière que celle-là seule, à savoir qu’elle est ce qui demeure dans la chose et que c’est par elle que la chose subsiste ; et cela et surtout vrai de la chose artificielle qui est dans le genre de la substance en raison de sa matière et non en raison de sa forme, ainsi que le dit le Commentateur [11 De l’Âme, com. 4].

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod de, ut deductum est, dicit consubstantialitatem et ordinem ad principium, et consubstantialitas respicit essentiam ; et ordo, ratione cujus est transitio, respicit personam generantem : non enim dicimus quod Filius sit de essentia, sed quod sit de essentia Patris ; et ideo non oportet esse distinctionem Filii ab essentia sed a Patre.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la préposition ¨de¨, telle qu’elle a été établie, exprime la consubstantialité et l’ordre à l’égard du principe, et la consubstantialité concerne l’essence alors que l’ordre, par la raison dont il est le passage, concerne la personne qui engendre : nous ne disons pas en effet que le Fils vient de l’essence, mais qu’Il vient de l’essence du Père ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’il y ait distinction entre le Fils et l’essence, mais entre le Fils et le Père.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similiter Socrates dicitur nasci de natura patris vel substantia, sicut Filius Dei, tamen differenter ; quia Filius Dei est de tota substantia Patris, sed Socrates est de parte substantiae.

2. Il faut dire en deuxième lieu que de même que Socrate est dit naître de la nature du père ou de sa substance, tout comme le Fils naît de la substance de Dieu, cependant il y a une différence : car le Fils de Dieu vient de la totalité de la substance du Père, alors que Socrate ne vient que d’une partie de la substance.

Item ad aliud. Quia Socrates subsistit non tantum per essentiam, sed etiam per materiam, per quam individuatur natura humanitatis in ipso. Sed Filius Dei subsistit per essentiam Patris, cum essentia Patris non sit pars Filii, sed totum quod est Filius.

Il y a encore une autre différence. Car Socrate subsiste non seulement par l’essence, mais aussi par la matière grâce à laquelle la nature de l’humanité est individuée en lui. Mais le Fils de Dieu subsiste par l’essence du Père, puisque l’essence du Père n’est pas une partie du Fils, mais tout ce qu’est le Fils.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum sicut ad primum.

3. Il faut répondre à la troisième difficulté de la même manière qu’à la première.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non notatur ibi tantum consubstantialitas, sed etiam ordo ad principium, qui non salvatur, si diceretur : Pater est de essentia Filii.

4. Il faut dire en quatrième lieu que ce n’est pas seulement la consubstantialité qui est signifiée là, mais aussi l’ordre à l’égard du principe qui ne serait pas conservé si on disait : le Père vient de l’essence du Fils.

 

 

Articulus 2. lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 tit. Utrum filius sit ex nihilo.

Article 2 – Le Fils vient-il du néant ?

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod filius sit ex nihilo. Illud enim dicitur ex nihilo esse quod non est ex praejacenti materia. Sed Filius est hujusmodi, quia non est de aliquo sicut de materia. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. Il semble que le Fils vienne du néant. On dit en effet que vient du néant ce qui n’existe pas à partir d’une matière préexistante. Mais c’est le cas du Fils car il ne vient pas de quelque chose qui serait comme une matière. Donc le Fils vient du néant.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, quidquid non habet esse nisi ab alio, quantum est in se, est non ens, cum inter esse et non esse non sit medium. Sed Filius non habet esse nisi a Patre. Ergo de se habet non esse. Sed omne tale, secundum Avicennam, VII suae Metaph., cap. VII, est ex nihilo. Ergo Filius est ex nihilo.

2. De plus, tout ce qui n’existe que par un autre, quant à ce qu’il est en lui-même, est du non-être, puisqu’entre l’être et le non-être il n’y a pas d’intermédiaire. Mais le Fils ne possède d’existence que par le Père. Il ne possède donc de lui-même que du non-être. Mais tout ce qui est ainsi d’après Avicenne [ VII Métaphysique, ch.  VII] vient du néant. Donc le Fils vient du néant.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, omne quod est ex nihilo, est creatum. Sed filius est increatus. Ergo et cetera.

Cependant :

1. Tout ce qui vient du néant est créé. Mais le Fils est incréé. Il ne vient donc pas du néant.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 s. c. 2 Item, secundum Damascenum,lib. I Fid. Orth, cap. III, omne quod est ex nihilo est vertibile in nihil. Sed Filius non est hujusmodi. Ergo et cetera.

2. De plus, selon Damascène [Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. 111], tout ce qui vient du néant peut retourner au néant. Mais le Fils ne pelut retourner au néant. Il ne vient donc pas du néant.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 co. : Respondeo dicendum, quod differt dicere aliquid non esse ex aliquo, et aliquid esse ex nihilo. Cum enim dicitur non esse ex aliquo sicut ex materia, nihil ponitur ; et hoc convenit Filio Dei. Cum autem dicitur esse ex nihilo, remanet ordo affirmatus ad nihil. Sed aliquid habet ordinem ad nihil dupliciter ; scilicet ordinem temporis et ordinem naturae. Ordinem temporis ex eo quod prius fuit non ens, et postea est ens ; et hoc nulli aeterno convenit. Ordinem naturae, quando aliquid habet esse dependens ab alio ; hoc enim ex parte sui non habet nisi non esse, cum totum esse suum ad alterum dependeat ; et quod est alicui ex se ipso, naturaliter praecedit id quod est ei ab altero. Et ideo, supposito quod caelum, et hujusmodi, fuerit ab aeterno, adhuc tamen est verum dicere quod est ex nihilo, sicut probat Avicenna. Neutro autem modo Filius habet ordinem ad nihil. Non enim habet ordinem temporis, quia aeternus est : non habet ordinem naturae, quia suum esse est absolutum, non dependens ab alio.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’affirmer que quelque chose ne vient pas d’un autre n’est pas la même chose que soutenir que quelque chose vient du néant. Lorsqu’on dit en effet qu’une chose ne vient pas d’une autre comme d’une matière, on n’affirme rien et cela peut se dire du Fils de Dieu. Mais lorsqu’on dit qu’une chose vient du néant, il subsiste là l’affirmation d’un ordre à l’égard du néant. Mais une chose possède un ordre à l’égard du néant de deux manières, à savoir un ordre du temps et un ordre de nature. Un ordre du temps du fait il y eut d’abord du non-être et après de l’être ; et cela n’appartient à rien de ce qui est éternel. Mais il y a une ordre de nature quand un être possède une existence qui dépend d’un autre ; cela en effet ne possède de soi-même que du non-être puisque la totalité de son existence dépend d’un autre ; et ce qui chez un être lui vient de lui-même précède naturellement ce qui lui vient d’un autre. Et c’est pourquoi, en supposant même que le ciel, et les autres êtres de cette sorte, ait existé de toute éternité, il est encore cependant vrai de dire qu’il vient du néant, ainsi que le prouve Avicenne. Mais le Fils n’est ordonné au néant d’aucune de ces manières. En effet, il n’est pas soumis à l’ordre du temps puisqu’il est éternel. Et il n’est pas soumis à un ordre de nature car son existence est absolue et ne dépend pas d’un autre.

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis non sit de materia, non tamen sequitur quod non de aliquo, quia est de substantia Patris : quo etiam remoto, adhuc non sequeretur quod esset ex nihilo, ut dictum est : quia Pater non est de aliquo, et tamen non est ex nihilo. [Idem autem est esse Patris et Filii. Add. Éd. de Parme].

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que le Fils ne vienne pas d’une matière, il ne s’ensuit pas pour autant qu’il ne vienne pas d’un autre, car il vient de la substance du Père : et même en écartant cette dernière raison, il ne s’ensuivrait pas encore qu’il viendrait du néant, ainsi que nous l’avons dit : car le Père ne vient pas d’un autre et cependant il ne vient pas du néant. [Mais l’existence du Père est identique à celle du Fils. Add. Éd. de Parme].

lib. 1 d. 5 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod filius quamvis totum esse suum habeat ab alio, nihilominus tamen esse suum non est dependens, quia accipit a Patre idem numero esse quod ipse habet : et ideo non est dependens esse suum, sicut esse creaturae quae in nihilum caderet, nisi ab alio contineretur [sicut…contineretur om. Éd. de Parme], neque possibile, neque ex nihilo : quod necessario sequeretur, si aliud in numero esse reciperet.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que le Fils tienne toute son existence d’un autre, néanmoins son existence n’est dépendante car il reçoit du Père la même existence individuelle que ce dernier possède : et c’est pourquoi son existence n’est pas dépendante, comme l’existence de la créature qui tomberait dans le néant si elle n’était contenue par un autre [comme… contenue om. Éd. de Parme] et elle ne serait pas même possible et ne pourrait venir du néant : ce qui devrait s’ensuivre nécessairement si le Fils recevait une existence individuelle différente par le nombre.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [L’essence se comporte-t-elle comme ce qui est le terme de la génération]

 

 

Articulus 1 lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 tit. Utrum essentia sit terminus generationis.

Article unique : L’essence est-elle le terme de la génération ?

lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur, utrum essentia sit terminus generationis. Videtur quod non. Generatio enim est inter duos terminos, scilicet terminum a quo et terminum ad quem. Sed generatio Filii non habet terminum a quo, quia non est ex non esse. Ergo etiam non habet terminum ad quem.

Difficultés :

1. On se demande ensuite si l’essence est le terme de la génération. Et il semble que non. La génération en effet est comme un chemin entre deux termes : le point de départ et le point d’arrivée. Mais la génération du Fils ne possède pas de point de départ car il ne vient pas du non-être. Il ne possède donc pas non plus de point d’arrivée.

lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 2 Item, omne quod est terminus generationis, est generatum per se vel per accidens : per se, sicut ipsa res generata ; per accidens, sicut forma ejus. Sed essentia nullo modo generata est, sicut nec generans : quia sequeretur distinctio. Ergo non est terminus generationis.

2. De plus, tout terme d’une génération est ce qui est engendré par soi ou par accident : par soi, comme par exemple la chose même qui est engendrée ; par accident, comme la forme qui lui advient. Mais l’essence, tout comme celui qui engendre, n’est nullement engendrée, car il s’ensuivrait une distinction. L’essence n’est donc pas le terme de la génération.

lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, si esset terminus, hoc non esset nisi sicut acceptum per generationem. Sed Filius non accepit essentiam. Ergo essentia non [non om. Éd. de Parme] est terminus generationis. Probatio mediae. Accipere enim cum non conveniat tribus personis, est actus notionalis. Sed nullus actus notionalis terminatur ad essentiam, sicut patet quod Pater non generat essentiam. Ergo nec Filius accepit essentiam.

3. Par ailleurs, si elle était le terme de la génération, cela ne se produirait que comme étant reçu au moyen de la génération. Mais le Fils ne reçoit pas l’essence. Donc, l’essence n’est pas le terme de la génération [ ne pas om. Éd. de Parme]. Preuve de la mineure. En effet, recevoir est un acte notionel puisqu’il ne convient pas aux trois personnes. Mais aucun acte notionel ne se termine à l’essence, comme on le voit pour le Père qui n’engendre pas l’essence. Donc le Fils ne reçoit pas l’essence.

lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, illud in quo est generatio, est terminus generationis. Sed Hilarius,lib. IX de Trinitate, in textu, dicit, quod nativitas unigenita in naturam ingenitam subsistit. Ergo natura vel essentia est terminus generationis.

Cependant:

1. Ce en quoi il y a generation est le terme de la generation. Mais Hilaire [1X De la Trinité] dit dans son texte que la naissance unique subsiste dans une nature unique. Donc, la nature ou l’essence est le terme de la generation.

lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, generatio invenitur in divinis, ut supra dictum est, dist. 4, quaest. 1, art. 1, secundum id quod est perfectionis in ipsa. Sed tota perfectio generationis est ex termino ad quem. Ergo in generatione divina est terminus ad quem. Sed hoc non est aliud quam essentia. Ergo et cetera.

2. Par ailleurs, il y a génération en Dieu, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 1], selon ce qu’il y a de perfection en elle. Mais toute la perfection de la génération vient de son point d’arrivée. Il y a donc dans la génération divine un point d’arrivée. Mais cela n’est rien d’autre que l’essence. L’essence est donc le terme de la génération.

lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod terminus generationis in creaturis potest accipi dupliciter, sicut etiam et principium. Dicitur enim principium generationis ipsum generans ; et huic principio correspondet sicut terminus ipsum genitum. Dicitur etiam principium generationis a quo incipit generatio, et hoc modo principium vel initium generationis est privatio formae inducendae ; et huic principio terminus oppositus est forma per generationem inducta. Sicut etiam in dealbatione terminus a quo est nigredo et terminus ad quem est albedo ; similiter in divinis terminus generationis (quamvis non sit ibi actio vel mutatio) potest accipi dupliciter : scilicet ipsum generatum, et hoc est Filius ; vel essentia accepta a Filio per generationem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le terme de la génération chez les créatures peut s’entendre de deux manières, tout comme aussi le principe. On dit en effet que le principe de la génération est celui-là même qui engendre ; et le terme qui correspond à ce principe est celui qui est engendré. Le principe de la génération est aussi appelé le point de départ de la génération et en ce sens le principe ou le commencement de la génération est la privation de la forme qui doit être introduite ; et le terme opposé à ce principe est la forme introduite au moyen de la génération. Par exemple, dans la génération de la blancheur le point de départ est le noir et le point d’arriver est le blanc ; de la même manière dans les personnes divines le terme de la génération (bien qu’il n’y ait pas là action ou changement) peut se prendre de deux manières :  à savoir cela même qui est engendré et c’est là le Fils ; ou l’essence reçue du Fils au moyen de la génération.

lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio et quilibet motus totam imperfectionem habet ex termino a quo, quod est privatio vel contrarium includens privationem ; et ideo in generatione divina non est terminus a quo, sed tantum terminus ad quem, a quo est tota perfectio generationis.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la génération et tout mouvement tient toute son imperfection de son point de départ qui est la privation ou le contraire qui comprend la privation ; et c’est pourquoi dans la génération divine il n’y a pas en ce sens de point de départ mais seulement un point d’arrivée d’où vient toute la perfection de la génération.

lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia divina non est genita in filio neque per se neque per accidens : quia eadem essentia est in generante et genito. Si autem essentia esset divisa, tunc sequeretur necessario quod esset genita per accidens, quamvis non per se, sicut in rebus creatis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’essence divine n’est engendrée dans le Fils ni par soi ni par accident : car c’est la même essence qui est dans celui qui engendre et dans celui qui est engendré. Mais si l’essence était divisée, alors il s’ensuivrait nécessairement qu’elle serait engendrée par accident bien qu’elle ne le serait pas par soi, comme c’est le cas dans les choses créées.

lib. 1 d. 5 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis accipere sit actus notionalis, potest tamen terminari ad essentiam : quod sic patet ; quia in generatione divina, sicut in qualibet alia, est tria considerare, scilicet generantem et genitum et naturam communicatam per generationem. Possunt ergo verba notionalia designare comparationem generantis ad genitum, sicut generare vel dare ; vel geniti ad essentiam ut accipere, vel geniti ad generantem, sicut nasci [vel generantis ad essentiam, vel geniti ad essentiam, ut accipere ; vel geniti ad generantem, sicut nasci. Éd. de Parme].

3. Il faut dire en troisième lieu que bien que recevoir soit un acte notionel, il peut cependant se terminer à l’esssence ; ce qui devient clair de la manière suivante : car dans la génération divine, comme dans toute autre génération, il y a trois choses à considérer, à savoir celui qui engendre, celui qui est engendré et la nature qui est communiquée par la génération. Les verbes notionels peuvent donc signifier le rapport de celui engendre à celui qui est engendré, comme engendrer ou donner ; ou le rapport de celui qui est engendré à l’essence, comme recevoir, ou encore le rapport de celui qui est engendré à celui qui engendre, comme naître [ou de celui qui engendre à l’essence, ou de celui qui est engendré à l’essence, comme recevoir ; ou de celui qui est engendré à celui qui engendre, comme naître. Éd. de Parme].

Sciendum igitur, quod, cum omne verbum notionale significet actum personae ut distincta est, oportet quod semper egrediatur a persona distincta : et ideo nullum verbum tale exit ab essentia, ut dicatur essentia generare vel dare notionaliter vel accipere vel nasci. Verba autem quae designant comparationem generantis ad essentiam vel geniti ad essentiam, terminantur ad essentiam, quia ex parte illa non sunt distinctiva ; et hujusmodi verba sunt accipere et dare.

Il faut donc savoir que puisque tout verbe notionel signifie l’acte d’une personne en tant que distincte, il faut qu’il provienne toujours d’une personne distincte : et c’est pourquoi aucun verbe de cette sorte ne sort de l’essence de telle manière qu’on dirait que l’essence engendre ou donne notionnellement ou reçoit ou naît. Mais les verbes qui désignent le rapport de celui qui engendre à l’essence ou de celui qui est engendré à l’essence, se terminent à l’essence car de ce côté ils ne sont pas distinctifs ; et recevoir et donner sont des verbes de cette sorte.

Sed verba quae designant comparationem geniti ad generantem vel e converso, sunt distincta ex utraque parte ; et ideo ex neutra parte potest eis adjungi essentia ; quia nec essentia generat, nec Pater generat essentiam ; quod patet etiam ex significatione verborum ; quia generans, inquantum generans, distinguitur a genito et e converso. Sed dans distinguitur quidem ab eo cui dat, sed non ab eo quod dat : quia aliquis potest dare seipsum. Similiter et accipiens distinguitur ab eo a quo accipit, sed non ab eo quod accipit de necessitate ; aliquis enim accipere seipsum potest, sicut servus manumissus.

Mais les verbes qui désignent le rapport de celui qui est engendré à celui qui engendre, ou inversement, sont distincts de part et d’autre ; et c’est pourquoi ni d’un côté ni de l’autre l’essence ne peut leur être ajoutée ; car l’essence n’engendre pas et le Père n’engendre pas l’essence ; ce qui apparaît encore clairement à partir de la signification des verbes ; car celui qui engendre, en tant que tel, se distingue de celui qui est engendré et inversement. Mais celui qui donne se distingue certes de celui à qui il donne mais non de ce qu’il donne : car on peut se donner soi-même. De la même manière celui qui reçoit se distingue de celui de qui il reçoit, mais non de ce qu’il reçoit de toute nécessité ; on peut en effet se recevoir soi-même, comme l’esclave qui a reçu la liberté.

 

 

Distinctio 6

Distinction 6 – [La génération en son principe]

 

 

Quaestio 1

Question unique : [La nécessité de la génération du Fils]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intelligentiam hujus partis tria quaeruntur : 1 utrum Pater genuit Filium necessitate ;

2 utrum voluntate ;

3 utrum natura.

Pour comprendre cette partie, on cherche à répondre à trois questions :

1. Est-ce que le Père a engendré le Fils par nécessité ?

2. L’a-t-il engendré par volonté ?

3. L’a-t-il engendré par nature ?

 

 

Articulus 1 lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 tit. Utrum pater genuit Filium necessitate.

Article 1 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nécessité ?

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Pater genuit Filium necessitate. Necessarium enim et possibile dividunt ens. Si igitur Pater non genuit Filium necessitate, genuit ipsum contingenter vel possibiliter : quod est impossible.

Difficultés :

1. Il semble que le Père a engendré le Fils par nécessité. L’être se divise en nécessaire et possible. Si donc le Père n’a pas engendré le Fils par nécessité, il l’a engendré d’une manière contingente ou d’une manière possible ; mais cela est impossible.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne aeternum est necessarium. Sed generatio Filii a Patre est aeterna. Ergo necessaria.

2. Par ailleurs, tout ce qui est éternel est nécessaire. Mais la génération du Fils par le Père est éternelle. Elle est donc nécessaire.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut Deus est per se bonus, ita est per se ens necessarium : omne enim quod est per participationem, reducitur ad id quod est per se. Sed in per se bono nihil potest esse nisi bonum. Ergo nec in per se necessario aliquid nisi necessarium. Cum igitur generatio sit in Deo, ergo erit necessaria.

3. De plus, tout comme Dieu est bon par soi, de même il est par soi un être nécessaire : en effet, tout ce qui existe par participation se ramène à ce qui existe par soi. Mais dans le bien par soi il ne peut exister que du bien. Donc dans le nécessaire par soi il ne peut exister que du nécessaire. Donc, puisque la génération est en Dieu, elle sera nécessaire.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, omnis necessitas est ratione alicujus fortioris [fortioris om. Éd. de Parme] cogentis vel interius vel exterius. Sed Deo non potest esse aliquid fortius. Ergo ibi non potest esse necessitas.

Cependant :

1. Toute nécessité existe en raison de quelque chose de plus fort [fort om. Éd. de Parme] qui contraint soit intérieurement soit extérieurement. Mais il n’y a rien de plus fort que Dieu. Il ne peut donc pas y avoir là nécessité.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Augustinus, V de Civit. Dei, cap. X, dividit necessitatem in coactionem et prohibitionem. Sed neutrum Deo convenit. Ergo et cetera.

2. Par ailleurs, Augustin [V De la Cité de Dieu, ch. X] divise la nécessité en obligation et en interdiction. Mais aucune des deux ne convient à Dieu. Donc, le Père n’a pas engendré le Fils par nécessité.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum, V Metaph., text. 6, necessarium dicitur multipliciter. Est enim necessarium absolute, et necessarium ex conditione ; et hoc est duplex : scilicet ex conditione finis vel ex conditione agentis. Necessarium ex conditione agentis, est necessarium per violentiam : non enim eum qui violenter currit, necesse est currere, nisi sub hac conditione, si aliquis eum cogit. Necessarium ex conditione finis est illud sine quo non potest consequi aliquis finis, vel non ita faciliter. Finis autem est duplex : vel ad esse, et hoc modo cibus vel nutrimentum dicuntur esse necessaria, quia sine eis non potest esse homo ; vel pertinens ad bene esse, et sic dicitur esse navis necessaria eunti ultra mare ; quia sine ea exercere non potest actionem suam.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 6], le nécessaire se dit de plusieurs manières. Il y a en effet le nécessaire absolu et le nécessaire conditionnel ; et ce dernier nécessaire se divise à son tour en deux : le nécessaire par la fin et le nécessaire par l’agent. Le nécessaire qui se fonde sur une condition de l’agent est le nécessaire par violence : en effet, celui qui court par violence ne court nécessairement qu’à cette condition d’y être forcé par quelqu’un. Le nécessaire qui se fonde sur une condition de la fin est ce sans quoi la fin ne peut être atteinte, ou ne peut être atteinte avec autant de facilité. Mais il y a deux sortes de fins : il y a celle qui est ordonnée à l’être, et en ce sens on dit de l’aliment ou de la nourriture qu’ils sont nécessaires parce que sans eux l’homme ne peut exister ; mais il y a aussi la fin qui est ordonnée au bien-être et en ce sens on dit du navire qu’il est nécessaire à celui qui veut traverser la mer car sans lui il ne peut réaliser son action.

Necessarium autem absolute dicitur quod est necessarium per id quod in essentia sua est ; sive illud sit [sua om. Éd. De Parme] ipsa essentia, sicut in simplicibus ; sive, sicut in compositis, illud principium sit materia, sicut dicimus, hominem mori est necessarium ; sive forma, sicut dicimus, hominem esse rationalem est necessarium. Hoc autem absolute necessarium est duplex. Quoddam enim est quod habet necessitatem et esse ab alio, sicut in omnibus quae causam habent : quoddam autem est cujus necessitas non dependet ab alio, sed ipsum est causa necessitatis in omnibus necessariis, sicut Deus.

Mais le nécessaire absolu est celui qui a lieu au moyen de ce qui est dans l’essence de la chose; alors ou bien cela est l’essence même de la chose, comme dans les corps simples, ou bien ce principe est la matière, comme dans les corps composés, comme lorsque nous disons qu’il est nécessaire que l’homme meurre, ou bien ce principe est la forme, comme lorsque nous disons qu’il est necessaire que l’homme soit rationnel. Mais ce necessaire absolu est de deux sortes. Il y a en effet des êtres qui tiennent d’un autre la nécessité et l’existence, comme tous les êtres qui on tune cause; mais il y a un être dont la nécessité ne dépend pas d’un autre, mais Lui-même, à savoir Dieu, est la cause de la nécessité pour tout ce qui est nécessaire.

Dicendum ergo, quod generatio in divinis non est ex necessitate conditionata, sive conditionetur ex fine, sive ex agente. Non ex agente ; cum ipse Deus sit primum principium et ultimus finis. Sed est necessaria necessitate absoluta, sicut est necessitas primae causae quae non dependet ab alio, sed ipsa potius est causa necessitatis in omnibus aliis. [quae… omnibus alliis om. Éd. de Parme] Et per hoc patet solutio ad utramque partem : quia primae rationes procedunt de necessitate absoluta, et aliae de necessitate coactionis quae repugnat necessitati absolutae : et de ista procedebat haereticus, et secundum hoc negatur in littera.

Il faut donc dire que la génération dans les personnes divines ne vient pas d’une nécessité conditionnée, et elle n’est pas conditionnée par une fin ou par un agent. Elle n’est pas conditionnée par un agent puisque Dieu lui-même est le premier principe et la fin ultime. Mais la génération divine est nécessaire d’une nécessité absolue comme elle est la nécessité de la première cause qui ne dépend pas d’un autre, mais elle-même est plutôt cause de nécessité pour tous les autres êtres. [qui…pour tous les autres êtres om. Éd. de Parme] Et par là deveint évidente la solution aux deux séries de difficultés :  car les premiers arguments procèdent de la nécessité absolue et les autres de la nécessité de contrainte qui répugne à la nécessité absolue et c’est de cette raison que procédait l’hérétique et c’est suivant cela qu’il est rejeté dans le document.

 

 

Articulus 2.lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 tit. Utrum pater genuit filium voluntate.

Article 2 – Le Père a-t-il engendré le Fils par volonté ?

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod pater genuit filium voluntate.

Difficultés :

1. Il semble que le Père a engendré le Fils par volonté.

Omne enim bonum est volitum a Deo, sicut omne verum scitum. Sed generatio Filii est optimum. Ergo est volitum a Deo ; et ita Pater genuit Filium voluntate.

En effet, tout ce qui est bon est voulu par Dieu, comme tout ce qui est vrai est connu de Lui. Mais la génération du Fils est ce qu’il y a de plus excellent. Elle est donc voulue par Dieu ; et ainsi, le Père a engendré le Fils par volonté.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in generatione humana ita est quod principium inclinans ad generandum, est voluntas. Sed generatio humana extrahitur a divina. Ergo et similiter erit in generatione divina, et ita videtur quod Pater genuit Filium voluntate.

2. Par ailleurs, les choses sont telles dans la generation humaine que le principe qui incline à engendrer est la volonté. Mais la génération humaine est tirée de la generation divine. Il en sera donc de même dans la generation divine et ainsi il semble que le Père a engender le Fils par volonté.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, Origenes, in Apol. Pamphil. Col. 583, dicit de Patre loquens : germen proferens voluntatis factus est verbi pater. Sed illud quod est germen voluntatis, est natum voluntate generantis. Ergo Pater genuit Filium voluntate

3. De plus, Origène [Apol. Pamphil. Col. 583], dit, en parlant du Père : En énonçant le germe de la volonté, le Père fit la Parole. Mais le germe de la volonté est apte à engendrer par volonté. Donc le Père a engendré le Fils par volonté.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, voluntas est principium productionis eorum quae per artem producuntur in rebus humanis. Sed Filius non producitur a Patre sicut artificiatum, immo sicut ars ; sed creaturae sicut artificiata. Ergo videtur quod Pater non genuit Filium voluntate ; sed voluntate creaturas produxit.

Cependant:

1. La volonté est le principe de production des choses qui sont produites par l’art dans les choses humaines. Mais le Fils n’est par produit par le Père comme un artefact, mais plutôt comme art, et il a produit les creatures comme des artefacts. Il ne semble donc pas que le Père a engender le Fils par volonté; mais c’est par volonté qu’il a produit les creatures.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Hilarius, lib. de synodis, can. XXIV, col. 512 : Si quis voluntate Dei filium tamquam factum dicat, anathema sit. Ergo et cetera.

2. En outre, Hilaire [Livre sur les Synodes, can. XXIV, clo. 512] dit ceci : Si quelqu’un dit que le Fils de Dieu a été produit par volonté, qu’il soit anathème. Donc, le Père n’a pas engendré le Fils par volonté.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod voluntas potest comparari ad aliquid dupliciter : aut sicut potentia ad objectum, aut sicut principium. Si comparetur ad aliquid sicut ad objectum, tunc omne volitum a Deo, potest dici esse voluntate ejus ; et sic potest dici, pater est Deus voluntate sua ; vult enim se esse Deum ; et similiter potest concedi quod Pater genuit Filium voluntate. Si autem comparetur voluntas ad aliquid sicut principium, hoc potest esse dupliciter : quia aut illud ad quod comparatur sicut principium dicit rationem principiandi ; aut dicit ipsum principiatum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la volonté se compare à une chose de deux manières : ou bien comme une puissance à un objet, ou bien comme un principe. Si elle se compare à une chose comme à son objet, alors on peut dire que tout ce qui est voulu par Dieu vient de sa volonté ; et ainsi on peut dire que le Père est Dieu par sa volonté : il veut en effet être Dieu ; et de la même manière on peut concéder que le Père a engendré le Fils par volonté. Mais si c’est en tant que principe qu’on compare la volonté à une chose, cela peut se faire de deux manières : car ou bien ce à quoi elle se compare en tant que principe a raison de ce qui doit être commencé, ou bien a raison d’effet.

Si primo modo, sic comparatur voluntas ad processionem Spiritus sancti, qui procedit ut amor, in quo voluntas principiata omnia, scilicet creaturas, amore producit ; et secundum hunc modum etiam intellectus in Deo se habet ad generationem Filii, qui procedit ut verbum et ars.

Si c’est de la première manière, alors la volonté se compare à la procession de l’Esprit-Saint, qui procède en tant qu’Amour, dans lequel la volonté produit par amour tous les effets, c’est-à-dire les créatures. Et c’est de cette manière aussi que l’intelligence en Dieu se rapporte à la génération du Fils qui procède en tant que verbe et art.

Si secundo modo, tunc principiatum voluntatis procedit a voluntate secundum voluntatis conditionem. Voluntas autem, quantum est in se, libera est : unde principiata voluntatis sunt tantum ea quae possunt esse vel non esse. Et hoc modo constat, quod voluntas divina comparatur ad creationem rerum, et non ad generationem Filii. Et hinc est quod quidam distinguunt voluntatem in tria, scilicet in voluntatem accedentem, quae scilicet de novo accedit operi vel operanti, et talis non est in Deo secundum aliquem trium dictorum modorum voluntatis, quia omnis operatio ejus est a voluntate aeterna. Item in voluntatem concomitantem quae dicitur secundum comparationem ad objectum tantum ; et sic est in Deo respectu generationis Filii. Item in voluntatem antecedentem ; et sic dicit comparationem principii ad principiatum ; et sic est respectu creaturarum.

Si c’est de la deuxième manière, alors l’effet de la volonté procède de la volonté d’après la condition de la volonté. Mais la volonté, quant à sa nature même, est libre: de là les effets de la volonté sont seulement ceux qui peuvent être ou ne pas être. Et il est clair que c’est de cette manière que la volonté divine se compare à la création des choses et non pas à la génération du Fils. Et il suit de là que certains font trois distinctions sur la volonté: à savoir la volonté qui s’approche, c’est-à-dire qui aborde pour la première fois l’oeuvre ou l’opération et cette volonté n’existe en Dieu selon aucun des trois mode de volonté don nous avons parlé car toute operation de Dieu procède d’une volonté éternelle; il y a en outre la volonté qui accompagne qui se dit par rapport à son objet seulement et cette volonté est en Dieu par rapport à la generation du Fils; il y a enfin la volonté qui précède et cette volonté dit le rapport du principe à l’effet et qui se rapporte aux créatures.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit secundum comparationem voluntatis ad objectum tantum.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que cet argument procède du rapport de la volonté à son objet seulement.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum quod generatio humana non est aeterna, et ideo potest habere voluntatem antecedentem, quod non potest esse in divina.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la génération humaine n’est pas éternelle et c’est pourquoi elle peut avoir une volonté qui précède, ce qui ne peut être le cas pour Dieu.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Origenes vocat germen voluntatis id in quo quiescit Patris beneplacitum ; et haec est Filius, sicut ipse dixit Matth. 3, 17 : Hic est Filius meus dilectus, in quo mihi complacui. Aliae autem rationes procedunt de voluntate antecedente, sive secundum comparationem principii ad principiatum.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’Origène appelle ¨germe de la volonté¨ ce en quoi se repose le bon plaisir du Père, à savoir le Fils, ainsi qu’il l’a dit lui-même en Matthieu (3, 17) : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai placé tout mon amour. Mais tous les autres arguments procèdent de la volonté qui précède ou de la volonté d’après le rapport du principe à l’effet.

 

 

Articulus 3

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 tit. Utrum pater genuit filium naturaliter.

Article 3 – Le Père a-t-il engendré le Fils par nature ?

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod pater non naturaliter genuit filium. Hilarius, De synodis, can. XXV, col. 512, : Non naturali necessitate ductus Pater genuit Filium. Ergo videtur quod non sit naturalis generatio.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de cette question. Il semble que le Père n’a pas engendré le Fils par nature. Hilaire [Sur Les Assemblées, can. XXV, col. 512] dit en effet : Ce n’est pas par une nécessité naturelle que le Père a été conduit à engendrer le Fils. Il semble donc qu’il ne s’agisse pas là d’une génération naturelle.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, in Deo idem est voluntas et natura. Sed Pater non genuit Filium voluntate. Ergo nec genuit Filium natura.

2. De plus, la volonté s’identifie à la nature en Dieu. Mais le Père n’a pas engendré le Fils par volonté. Il ne l’a donc pas engendré non plus par nature.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut supra habitum est, dist. 3, quaest. 1, art. 3, philosophi per rationes creaturarum potuerunt devenire in cognitionem divinae naturae. Sed cognita natura cognoscitur operatio naturae. Ergo potuerunt devenire in cognitionem generationis aeternae, si Pater naturaliter genuit Filium : cujus contrarium superius est ostensum, dist. 3, quaest. 1, art. 4.

3. En outre, ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 3, quest. 1, art. 3], les philosophes ont pu en arriver à la connaissance de la nature divine au moyen des causes des creatures. Mais une fois connue la nature, l’opération de la nature est connue. Ils ont donc pu en arriver à la connaissance de la génération éternelle, si le Père a engendré le Fils par nature: ce dont on a pourtant plus haut démontré le contraire [dist. 3, quest.1, art. 4]

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, Hilarius, De synodis § 58, col. 520 : Omnibus creaturis substantiam Dei voluntas attulit ; sed Filio natura dedit. Ergo videtur quod Pater genuit Filium natura.

Cependant :

1. Hilaire dit [Sur les Assemblées, &58, col. 520] : À toutes les créatures la volonté de Dieu a apporté la substance, mais au Fils Dieu l’a donnée par nature. Il semble donc que le Père a engendré le Fils par nature.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Damascenus, lib. I Fid. orth., cap. VIII : Generatio est opus divinae naturae existens. Ergo et cetera.

2. En outre, Damascène dit [Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch.  VIII] : La génération est une œuvre qui existe dans la nature divine. Donc, etc.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod essentia divina, ut dictum est, dist. 3, art. 4, est principium omnium actuum divinorum ; licet essentia sub ratione essentiae non dicat principium actus qui est operatio, sed qui est esse. Sed cum in essentia sit considerare diversa attributa, quae sunt realiter unum in ipsa, ratione tamen distincta ; actus refertur ad essentiam secundum hoc attributum vel illud, secundum quod exigit conditio actus ; sicut intelligere est ab essentia divina, inquantum ipsa est intellectus ; et res volitae, quae possunt esse vel non esse, producuntur ab essentia, inquantum ipsa est voluntas. Et quia de ratione generationis est ut producatur genitum in similitudinem generantis, et hujus productionis principium pertinet ad naturam, quae est ex similibus similia procreans ; ideo dicitur, quod Pater natura generat [genuit Éd. de Parme] Filium.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’essence divine, ainsi que nous l’avons dit [dist. 3, art. 4] est le principe de tous les actes divins, bein que l’essence en tant qu’essence ne signifie pas le principe de l’acte qui est l’opération mais celui de l’acte qui est l’être. Mais puisque dans l’essence il faille considérer de nombreux attributs qui sont réellement un en elle mais différents par la raison, l’acte se rapporte à l’essence d’après cet attribut ou cet autre, selon ce qu’exige la condition de l’acte ; par exemple, comprendre vient de l’essence divine pour autant qu’elle est elle-même une intelligence, et les choses voulues, qui peuvent être ou ne pas être, sont produites par l’essence pour autant qu’elle-même est une volonté. Et parce qu’il est de la nature même de la génération de produire ce qui est engendré à la ressemblance de ce qui engendre, et que le principe de cette production appartient à la nature, laquelle procrée du semblable à partir du semblable, c’est pourquoi nous disons que le Père a engendre [a engendré Éd. de Parme] le Fils par nature.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Hilarius naturalem necessitatem appellat, quando virtute naturae aliquid agitur quod est contrarium voluntati, sicut fames et sitis in nobis ; unde voluntas patitur quasi quamdam violentiam a natura ; et talis necessitas non est in Deo.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’Hilaire appelle nécessité naturelle quand quelque chose se passe en nous par une puissance de la nature qui est contraire à la volonté, comme la faim et la soif en nous ; c’est pourquoi la volonté se trouve à souffrir comme une certaine violence de la part de la nature ; et une telle nécessité ne se trouve pas en Dieu.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis natura et voluntas sint idem re, differunt tamen ratione, ut dictum est. Et ideo essentia divina in ratione naturae est principium alicujus, cujus principium non est ipsa eadem, prout habet rationem voluntatis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que la nature et la volonté soient un par la chose, elles diffèrent cependant par la raison, ainsi que nous l’avons déjà dit. Et c’est pourquoi l’essence divine, en tant que nature, est principe de quelque chose dont elle-même n’est pas le principe en tant qu’elle a raison de volonté.

lib. 1 d. 6 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod naturam est [contingit Éd. de Parme] cognoscere dupliciter. Vel perfecte comprehendendo ipsam ; et sic philosophi non cognoverunt naturam divinam : quia sic cognovissent omnia opera divina, et quaecumque sunt in ipsa. Vel est cognoscere [est om. Éd. de Parme] per effectus ; et ita philosophi cognoverunt. Quia vero creatura non perfecte repraesentat naturam divinam, secundum quod est principium generationis aeternae et consubstantialis ; ideo generationem divinam, quae est ejus operatio, non cognoverunt philosophi.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’il faut [qu’il est possible Éd. de Parme] connaître la nature de deux manières. Soit en la comprenant parfaitement et en ce sens les philosophes n’ont pas connu la nature divine car alors ils auraient connu toutes les œuvres divines et tout ce qu’il y a en elle. Soit en la connaissant au moyen des effets ; et de cette manière les philosophes ont connu la nature divine. Mais parce que les créatures ne représentent pas parfaitement la nature divine selon qu’elle est le principe de la génération et de la consubstantialité éternelles, c’est pourquoi les philosophes n’ont pas connu la génération divine qui est l’opération de la nature divine.

 

 

Distinctio 7

Distinction 7 – [La puissance générative en Dieu. Principe]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

Question 1

Article 1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ?

Article 2 – la puissance générative est-elle une relation ?

Article 3 – Parle-t-on de la puissance d'engendrer et celle de créer de manière univoque ?

Question 2

Article 1 – La puissance d'engendrer est-elle dans le Fils ?

Article 2 – Le Fils peut-il engendrer un autre Fils

Quæstiuncula 1 : Le Père peut-il engendrer un autre fils ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La puissance d’engendrer en Dieu]

 

 

Hic quaeruntur duo :

primo de potentia generandi in Deo.

Secundo de communitate ipsius. Circa primum tria quaeruntur :

1 utrum in Deo sit potentia ad generandum ;

2 quid sit illa potentia, an sit absolutum aliquid vel ad aliquid ;

3 de comparatione ipsius ad potentiam creandi.

On s’interroge ici sur deux choses :

En premier lieu sur la puissance d’engendre qui est en Dieu.

En deuxième lieu sur le caractère commun de cette puissance. Et au sujet du premier point on pose trois questions :

1. Est-ce qu’il y a en Dieu une puissance d’engendrer ;

2. Quelle est cette puissance ? Est-elle quelque chose d’absolu ou de relatif ?

3. Est-elle semblable ou différente de la puissance de créer ?

 

 

Articulus 1 : 7 q. 1 a. 1 tit. Utrum potentia generativa sit in Deo.

Article 1 – Y a-t-il de la puissance générative en Dieu ?

7 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit potentia ad generandum. Quidquid enim exit ab aliqua potentia, sive sit potentia agentis sive materiae, prius est in potentia quam sit in actu. Sed generatio Filii a Patre non est hujusmodi, cum sit aeterna. Ergo non exit ab aliqua potentia. Ergo in Deo non est potentia ad generandum.

Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait pas en Dieu une puissance d’engendrer. En effet, tout ce qui sort d’une puissance, que ce soit de la puissance d’un agent ou de celle d’une matière, est d’abord en puissance avant d’être en acte. Mais la génération du Fils du Père n’est pas une génération de cette sorte, puisqu’elle est éternelle. Le Fils ne provient donc pas d’une puissance. Il n’y a donc pas en Dieu une puissance d’engendrer.

7 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod per se est naturae, non exit ab ea mediante aliqua potentia, sicut anima dat tale esse corpori nullo mediante. Sed generatio est per se opus naturae, ut dicit Damascenus, Lib I, Fid. Orth., cap.VIII, col. 814. Ergo non est opus potentiae ; et sic idem quod prius.

2. De plus, ce qui appartient par soi à la nature ne naît pas d’elle au moyen d’une puissance, comme l’âme qui donne telle existence au corps sans aucun intermédiaire. Mais la génération est par soi une œuvre de la nature, ainsi que le dit Damascène [Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch.  VIII, col. 814]. La génération n’est donc pas l’œuvre d’une puissance et ainsi la conclusion est identique à celle qui précède.

7 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis potentia vel est activa vel passiva. Sed in Patre non est potentia passiva ad generandum Filium, quia secundum eam magis diceretur mater quam pater. Nec est etiam in eo potentia activa ; quia, secundum philosophum, V Metaph., text. 17 et IX metaph., text. 2, potentia activa est principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud : unde potentia activa exigit materiam in quam agat. Generatio autem Filii non est ex materia. Ergo videtur quod in Deo non sit potentia ad generandum.

3. Par ailleurs, toute puissance est ou bien active ou bien passive. Mais il n’y a pas dans le Père une puissance passive à engendrer le Fils car dans ce cas il devrait être appelé mère plutôt que père. Et il n’y a pas en Lui une puissance active non plus car d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 17, et 1X Métaphysique, texte 2] une puissance active est un principe de changement dans un autre en tant qu’autre : c’est pourquoi la puissance active exige une matière dans laquelle agir. Mais la génération du fils ne procède pas d’une matière. Il semble donc qu’il n’y ait pas en Dieu une puissance d’engendrer.

7 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Augustinus, II Contra Maxim., cap. VII, col. 761, arguit : Si pater non potuit generare Filium aequalem et coaeternum sibi, impotens fuit. Ergo ex hoc videtur quod potentia divina etiam se extendat ad generationem Filii.

Cependant:

1. Augustin [Contre Maxim. Ch.  VII, col. 761] affirme: Si le Père ne put engendrer un Fils qui lui soit égal et coéternel, il fut impuissant. Il semble donc à partir de là que la puissance divine s’étend même à la génération du Fils.

7 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis operatio demonstrat potentiam ipsius operantis. Cum igitur actus generationis in infinitum transcendat productionem creaturarum, quae tamen divinam omnipotentiam manifestat, videtur quod multo fortius generatio Filii sit manifestativa divinae potentiae, et non nisi sicut actus ejus. Ergo videtur quod in Deo sit potentia generandi.

2. De plus, toute opération manifeste la puissance  de celui-là même qui pose l’opération. Donc, puisque l’acte de la génération dépasse à l’infini la production des créatures qui manifeste cependant la toute-puissance divine, il semble à plus forte raison que la génération du Fils manifeste la puissance divine puisqu’elle est son acte. Il semble donc qu’il y ait en Dieu une puissance d’engendrer.

7 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in creaturis aliquid producitur per potentiam naturalem, et hoc producitur per similitudinem naturae ipsius producentis, sicut homo generat hominem : producitur etiam aliquid per potentiam rationalem, et hoc producitur in similitudinem producentis quantum ad speciem, non naturae, sed in ratione existentiae [existentem Éd. de Parme] ; cum omne agens agat sibi simile aliquo modo ; sicut domus producitur ab artifice, et recipit similitudinem speciei quam artifex habet in mente.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que dans les créatures quelque chose est produit par une puissance naturelle, et que cela est produit à la ressemblance de la nature de celui qui produit, comme c’est le cas pour l’homme qui produit un homme ; mais quelque chose est produit aussi par une puissance rationnelle et cela est produit à la ressemblance de celui qui produit quant à l’espèce qui n’est pas celle de la nature, mais de celle qui existe dans la raison, puisque tout agent produit ce qui lui ressemble d’une certaine manière : par exemple, la maison est produite par l’artisan et reçoit la ressemblance de la forme que l’artisan a à l’esprit.

Et secundum hos duos modos aliquid producitur a Deo. Procedit enim aliquid a Deo in similitudinem naturae, recipiens totam naturam ; nec eamdem specie tantum, sed eamdem numero ; et sic Filius procedit a Patre per actum generationis. Unde in Deo est potentia ad generandum similis potentiae naturali. Procedit etiam aliquid a Deo in similitudinem ideae existentis in mente divina, quod non recipit naturam divinam, sicut creaturae. Unde potentia operandi in creaturis est sicut potentia rationalis in Deo ; et secundum istam potentiam attenditur omnipotentia in Deo. Persona enim divina, quae procedit per potentiam quasi naturalem, non est aliquid connumeratum omnibus. Unde potentia generandi non continetur sub omnipotentia, sicut potentia creandi. Hoc tamen melius explicabitur infra, XX dist. [sicut… XX dist. om. Éd. de Parme].

Et une chose est produite par Dieu selon ces deux modalités. En effet un être procède de Dieu selon une ressemblance de nature en recevant toute sa nature ; et il n’est pas seulement de même espèce, mais de même individualité ; et c’est ainsi que le Fils procède du Père par son acte de génération. Il y a par conséquent en Dieu une puissance à engendrer qui est semblable à une puissance naturelle. Mais quelque chose peut encore procéder de Dieu à la ressemblance d’une idée existant dans l’esprit divin et qui ne reçoit pas la nature divine, comme c’est le cas pour les créatures. C’est pourquoi la puissance d’opérer dans les créatures est comme une puissance rationnelle en Dieu ; et c’est d’après cette puissance que s’entend la toute-puissance de Dieu. En effet la Personne divine qui procède de Dieu par une puissance quasi naturelle, n’est pas quelque chose qui est compté parmi tous les autres êtres. C’est pourquoi la puissance d’engendrer n’est pas comprise dans la toute-puissance comme c’est le cas pour la puissance de créer. Cela sera cependant mieux expliqué par la suite lors de l’examen de la distinction XX [comme … dist. XX om. Éd. de Parme].

7 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illud est verum, quando actus differt realiter a potentia a qua exit : tunc enim oportet quod prius sit in potentia quam in actu vel tempore vel natura. Sed in Deo est omnino idem re essentia, potentia et operatio, sed differunt tantum ratione ; et ideo in divinis non valet.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ce qui est dit là est vrai quand l’acte diffère réellement de la puissance de laquelle il procède : il faut alors en effet que l’être en question existe d’abord en puissance avant d’exister en acte, ou bien par le temps ou bien par la nature. Mais en Dieu l’essence, la puissance et l’opération sont absolument identiques par la chose et diffèrent seulement par la raison. Et c’est pourquoi cet argument ne tient plus à l’égard des personnes divines.

Vel dicendum, quod in divinis personis est tantum ordo naturae, quo, secundum Augustinum, aliquis est ex alio, et non prior alio. Unde non potest concludi aliqua prioritas per hoc quod Filius generatur ex potentia Patris.

Ou bien il faut dire qu’il n’y a dans les personnes divines qu’un ordre de nature par lequel, selon Augustin, l’un procède de l’autre et non antérieurement à l’autre. C’est pourquoi on ne peut conclure aucune antériorité du fait que le Fils est engendré à partir de la puissance du Père.

7 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod natura vel essentia comparatur ad duo : ad habentem, et ad id cujus natura est principium. Inter essentiam igitur et habentem essentiam non cadit aliqua potentia media quantum ad actum ipsius essentiae in habentem, qui est esse ; sed ipsa essentia dat esse habenti : et iste actus est quasi actus primus. Egreditur etiam ab essentia alius actus, qui est etiam actus habentis essentiam sicut agentis, et essentiae sicut principii agendi : et iste est actus secundus, et dicitur operatio : et inter essentiam et talem operationem cadit virtus media differens ab utroque, in creaturis etiam realiter, in Deo ratione tantum ; et talis actus est generare ; et ideo, secundum modum intelligendi, natura non est principium ipsius nisi mediante potentia.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la nature ou l’essence se compare à deux choses : d’abord à celui qui la possède, puis à ce dont la nature est le principe. Donc entre l’essence et celui qui la possède on ne trouve aucune puissance intermédiaire quant à l’acte de l’essence même dans celui qui la possède, et qui est l’existence ; mais l’essence elle-même donne l’existence à celui qui la possède : et cet acte est comme l’acte premier. Mais de l’essence sort un autre acte qui est aussi l’acte de celui qui possède l’essence en tant qu’agent et qui est l’acte de l’essence comme principe d’action : et c’est là l’acte second qu’on appelle l’opération ; et c’est entre l’essence et une telle opération qu’on retrouve une puissance intermédiaire qui diffère des deux ( de l’essence et de l’opération) réellement et par la raison dans les créatures, mais en Dieu par la raison seulement ; et cet acte est l’acte d’engendrer ; et c’est pourquoi, d’après le mode de comprendre, la nature n’est le principe de cet acte que par l’intermédiaire d’une puissance.

 

 

 

 

 

Article 2 – La puissance générative est-elle une relation ?

7 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod potentia generandi sit ad aliquid. Remoto enim intellectu distinctarum personarum a divinis, adhuc manet intellectus omnium quae absolute dicuntur, sicut bonitas, sapientia et hujusmodi. Sed remoto intellectu personarum, non remanet potentia generandi : quia remotis personis removetur generatio, et remota generatione removetur potentia generandi ; non enim potest in divinis esse aliquid in potentia quod non sit actu ; alias Deus esset mutabilis. Ergo non est de absolutis, sed de ad aliquid dictis.

Difficultés :

1. On procède de la manière qui suit par rapport à cette deuxième question. Et il semble que la puissance d’engendrer soit une relation. Si en effet on fait disparaître de Dieu l’intelligence des personnes divines, il demeure encore l’intelligence de tous les attributs qui se disent absolument de Lui, comme la bonté, la sagesse, etc. Mais si on écarte l’intelligence des personnes, la puissance d’engendrer n’est pas conservée : car une fois écartées les personnes, la génération est elle aussi écartée et une fois cette dernière écartée, la puissance d’engendrer l’est aussi ; il ne peut en effet exister en Dieu une puissance qui ne soit pas en acte, autrement Dieu serait sujet au changement. La puissance d’engendrer ne fait donc pas partie des attributs absolus, mais de ceux qui se disent par la relation.

7 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, potentiae distinguuntur per actus. Sed generare in divinis est ad aliquid dictum : quia generatio est proprietas ipsa relativa, ut supra dictum est, dist. 4, qu. 1, art. 2. Ergo et potentia generandi.

2. De plus, les puissances se distinguent par leurs actes. Mais en Dieu engendrer se dit par la relation : car la génération est elle-même une propriété qui est relative ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 2]. Donc la puissance d’engendrer l’est aussi.

7 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis operatio propria alicujus rei egreditur a forma propria ejusdem, sicut comburere a forma ignis. Sed generare Filium in divinis, est propria operatio Patris. Ergo principium illius erit propria forma Patris. Hoc autem est paternitas, quae relatio quaedam est. Cum igitur principium operationis sit potentia, videtur quod potentia generandi sit ad aliquid.

3. En outre, toute operation qui est propre à une chose procède de la forme qui est propre à cette chose, tout comme brûler procède de la forme du feu. Mais en Dieu, engendrer le Fils est l’opération propre du Père. Donc le principe de cette opération sera la forme qui est propre au Père. Mais c, il semble ette forme est la paternité, laquelle est une relation. Donc, puisque le principe de l’opération est la puissance, il semble que la puissance d’engendrer soit une relation.

7 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, cujus est actus, ejus est potentia, secundum philosophum. De sensu et sens., lect. 5, Sed, secundum Damascenum, I Fid. Ortho., cap. VIII, col 814, generatio est actus naturae. Ergo et potentia generandi [generandi om. Éd. De Parme] est ipsius naturae. Sed [om. Éd. De Parme] natura autem est absolute dictum. Ergo et potentia.

Cependant :

1. D’après le Philosophe, ce d’où procède l’acte est la puissance de cet acte [Du Sens et du Senti, leçon 5]. Mais d’après Damascène, [1 De la Foi Orthodoxe, ch.  VIII, col. 814] la génération est l’acte de la nature. Et donc la puissance d’engendrer [d’engendrer om. Éd. de Parme] appartient à la nature elle-même. Mais [om. Éd. de Parme] la nature se dit cependant absolument. Il en est donc de même pour la puissance.

7 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in qualibet generatione univoca idem est principium generationis et terminus ; sicut homo generat hominem. Sed terminus generationis in divinis est essentia, quae communicatur per generationem, ut supra dictum est, dist. 5, qu. 1, art. 1. Ergo essentia etiam est principium generationis ; et sic videtur quod potentia generandi [generandi om. Éd. De Parme] sit essentiale.

2. En outre, dans toute génération univoque, le principe est identique à son terme, tout comme l’homme qui engendre un homme. Mais en Dieu le terme de la génération est l’essence, laquelle se communique parla génération ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 5, quest. 1, art. 1]. Donc l’essence est aussi le principe de la génération. Et ainsi il semble que la puissance d’engendrer [d’engendrer om. Ed. de Parme] soit essentielle.

7 q. 1 a. 2 co. Respondeo, quidam dixerunt, quod potentia generandi simpliciter est ad aliquid non tantum ex parte actus, sed etiam ex parte ipsius potentiae : potentia enim dicit relationem principii. Sed hoc nihil est : quia potentia non est relativum secundum suum esse, sed solum secundum dici : immo potentia significat etiam illud quod est principium, et non tantum relationem principii. Sic enim quaerimus hic de potentia generandi. Principium autem cujuslibet operationis divinae, ut supra dictum est, dist. 4, qu. 1, art. 1, est essentia divina.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que certains ont soutenu que que la puissance d’engendrer, à parler absolument, est relative non seulement du côté de l’acte mais aussi du côté de la puissance elle-même : qui dit puissance en effet dit relation à un principe. Mais cela n’est rien : car la puissance n’est pas relative quant à son existence, mais seulement quant à l’attribution : bien plutôt, la puissance signifie aussi cela même qui est principe et non seulement la relation au principe. C’est en ce sens en effet que nous menons ici notre recherche sur la puissance d’engendrer. Mais le principe de toute opération divine, ainsi que nous l’avons dit [dist. 4, quest. 1, art. 1], est l’essence divine.

Sed ab essentia egreditur aliquis actus, secundum quod essentia est sapientia ; et aliquis, secundum quod est voluntas ; et sic de aliis attributis. Similiter dico, quod cum proprietas realiter sit essentia, essentia secundum quod est ipsa paternitas, est principium hujus actus qui est generare, non sicut agens, sed sicut quo agitur : unde principium generationis est essentiale sub ratione relationis : unde est quasi medium inter essentiale et personale ; ex parte enim illa qua potentia, quae est media inter essentiam et operationem, radicatur in essentia, est absolutum ; ex parte autem illa qua conjungitur operationi, est relativum.

Mais certains actes procèdent de l’essence selon que l’essence est sagesse ; et d’autres selon que l’essence est volonté et il en est de même pour les autres attributs. De même, je dis que puisque la propriété est réellement l’essence, l’essence en tant qu’elle est la paternité elle-même est le principe de cet acte qui est celui d’engendrer, non pas en tant qu’agent, mais comme ce par quoi l’opération est posée : c’est pourquoi le principe de la génération est essentiel sous le rapport de la relation : de là il est comme intermédiaire entre ce qui est essentiel et ce qui est personnel ; en effet, du côté par lequel la puissance, qui est intermédiaire entre l’essence et l’opération, s’enracine dans l’essence, le principe de la génération est absolu ; mais du côté par lequel il est uni à l’opération, il est relatif.

7 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, remoto intellectu personarum, remanent ea quae sunt pure absoluta. Sed hujusmodi est potentia generandi, ut dictum est, in corp. art., et ideo non remanet, subtractis personis.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu qu’une fois qu’on écarte l’intelligence des personnes, les attributs qui sont purement absolus demeurent. Mais la puissance d’engendrer est de cette sorte ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article et c’est pourquoi elle n’est pas conservée une fois qu’on fait abstraction des personnes.

7 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis potentiae innotescant per actus, non tamen oportet quod in eodem genere ponantur potentiae et actus, praecipue de potentiis activis : unde quamvis generare sit ad aliquid, non tamen oportet quod potentia generandi sit ad aliquid ; sed verum est quod posse generare est posse ad aliquid accusativi casus.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que les puissances sont connues par leurs actes, il n’est cependant pas nécessaire que les puissances et les actes soient posés dans le même genre, principalement dans le cas des puissances actives : de là, bien qu’engendrer soit un relatif, il n’est cependant pas nécessaire que la puissance d’engendrer soit un relatif ; mais il est vrai que le pouvoir d’engendrer soit un pouvoir relatif à un accusatif.

7 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod natura communis in unoquoque operatur secundum conditionem ipsius : unde anima sensibilis habet in diversis animalibus diversas operationes, et etiam in diversis organis sentiendi. Et hoc ideo est, quia natura communis determinatur et contrahitur in unoquoque, secundum proprietates inventas in illo. Divina autem natura non contrahitur neque determinatur per proprietates suppositorum ; tamen natura divina in Patre est proprietas patris, et in Filio est proprietas Filii. Ideo autem non contrahitur, quia proprietas non est aliud [ab essentia vel add. Éd. De Parme] ipsa natura, ut adveniat sibi quasi dispositio contrahens. Ideo etiam [natura add.. Éd. De Parme] non determinatur vel distinguitur, quia relatio non distinguitur secundum id quod est (sed secundum hoc tantum comparatur ad essentiam, cum qua est idem re) sed secundum quod ad alterum est, et sic respicit personam, et distinguit eam : et ideo in Patre est principium operationis secundum proprietatem patris et in Filio secundum proprietatem Filii. Unde eadem operatio est et naturae communis, et propriae formae ipsius patris : et ideo potentia generandi, ut dictum est, in corp. art., est medium inter absolutum et relatum. Et hoc voluerunt quidam dicere, dicentes potentiam generandi absolutum, si consideretur potentia remota, vel indisposita et ad aliquid si consideretur potentia disposita [et ad aliquid…disposita om. Éd. De Parme] ; quamvis improprie locuti sint, quia proprietas non disponit essentiam, sed suppositum.

3. Il faut dire en troisième lieu que la nature commune opère en chaque être d’après les conditions de cet être : c’est pourquoi l’âme sensible est capable de différentes opérations dans des animaux différents, et même dans des organes de sensation différents. Et il en est ainsi parce que la nature commune se détermine et se limite en chaque être d’après les propriétés qui se trouvent en lui. Mais la nature divine n’est pas  limitée et bornée par les propriétés des suppôts ; cependant la nature divine dans le Père est la propriété du Père et dans le Fils elle est la propriété du Fils. C’est pourquoi cependant que cette nature n’est pas restreinte ou diminuée de manière à recevoir une disposition qui la limiterait, parce que la propriété n’est rien d’autre que la nature même [que l’essence ou add. Éd. de Parme]. C’est pourquoi encore elle [la nature add. Ed. de Parme] n’est pas limitée ou différenciée, car la relation ne se distingue selon ce qui est (mais seulement selon qu’elle se compare à l’essence avec laquelle elle est identique par la chose) mais selon qu’elle se rapporte à un autre et ainsi elle concerne la personne et la distingue : et c’est pourquoi dans le Père elle est le principe d’opération selon la propriété du Père et dans le Fils selon la propriété du Fils. Par conséquent la même opération relève à la fois de la nature commune et de la forme propre du Père lui-même : et c’est pourquoi la puissance d’engendrer, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, est intermédiaire entre l’absolu et le relatif. Et c’est là ce que certains ont voulu dire en disant que la puissance d’engendrer est un absolu si la puissance est considérée comme retirée ou non ordonnée, et comme un relatif si la puissance est considérée comme ordonnée [comme relatif…ordonnée om. Éd. de Parme] ; ils se sont cependant exprimés improprement, car la propriété n’ordonne pas l’essence mais le suppôt.

7 q. 1 a. 2 ad s. c. Et per ea quae dicta sunt, patet etiam solutio ad sequentia.

Et la solution aux arguments qui suivent devient claire au moyen de ce que nous avons dit.

 

 

Articulus 37 q. 1 a. 3 tit. Utrum potentia dicatur univoce de potentia generandi et potentia creandi.

Article 3 – Parle-t-on de manière univoque de la puissance d’engendrer et de la puissance créatrice[8] ?

7 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod potentia non dicitur univoce de potentia generandi et creandi. Potentiae enim distinguuntur per actus, et actus per objecta. Sed Filius Dei et creaturae non univocantur in aliquo. Ergo nec generatio et creatio. Igitur ulterius nec potentia generandi et creandi.

Difficultés :

1. Il semble que la puissance ne s’attribue pas univoquement à la puissance d’engendrer et à celle de créer. Les puissances en effet se distinguent par leurs actes et les actes par leurs objets. Mais le Fils de Dieu et les créatures ne reçoivent aucune attribution univoque. Donc, la génération et la création n’en reçoivent pas non plus. Par conséquent, la puissance d’engendrer et de créer ne reçoivent pas une attribution univoque.

7 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, potentia creandi est simpliciter absoluta. Sed potentia generandi est quodammodo ad aliquid. Cum igitur nihil univocetur ad absolutum et relatum, cum sint in diversis praedicamentis, videtur quod potentia non univoce dicatur de utraque.

2. En outre, la puissance de créer est absolue en tant que telle. Mais la puissance d’engendrer est en quelque sorte relative. Donc, puisque rien ne se dit univoquement de l’absolu et du relatif, puisqu’ils sont dans des prédicaments différents, il semble que la puissance ne se dise pas univoquement des deux.

7 q. 1 a. 3 arg. 3 Contra, sicut dictum est, art. antec., potentia generandi est ipsa divina essentia ; similiter etiam potentia creandi, cum Deus sit primum agens, et omnis sua operatio sit per suam essentiam. Ergo videtur quod utraque sit una potentia.

3. Cependant, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, la puissance d’engendrer est l’essence divine elle-mpeme ; et il en est de même encore de la puissance de créer, puisque Dieu est l’agent premier, et que toute son opération s’effectue par son essence. Il semble donc que les deux puissances soient une seule et même puissance.

7 q. 1 a. 3 arg. 4 Supposito quod potentia aliquo modo de eis dicatur secundum prius et posterius, quaeritur quae istarum potentiarum sit prior, et videtur quod potentia creandi. Commune enim est ante proprium, et essentiale ante personale, secundum rationem intelligendi. Sed potentia creandi est communis tribus personis ; potentia autem generandi videtur proprie pertinere ad personam Patris. Ergo videtur quod potentia creandi sit prior.

4. En supposant que la puissance se dise d’une certaine manière de ces puissances selon l’avant et l’après, on se demande laquelle de ces puissances est antérieure à l’autre, et il semble que ce soit la puissance de créer. En effet, le commun est antérieur au propre, et l’essentiel l’est au personnel, selon l’ordre d’intelligibilité. Mais la puissance de créer est commune aux trois personnes, alors que la puissance d’engendrer semble appartenir en propre à la personne du Père. Il semble donc que la puissance de créer soit antérieure.

7 q. 1 a. 3 arg. 5 Contra, secundum ordinem actuum est ordo potentiarum. Sed generatio est prior creatione, sicut aeternum temporali. Ergo et potentia generandi est prior.

5. Cependant, l’ordre des puissances est conforme à l’ordre des actes. Mais la génération est antérieure à la création, comme l’éternel l’est au temporel. Donc, la puissance d’engendrer est antérieure.

7 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod potentia est medium, secundum rationem intelligendi, inter essentiam et operationem naturae. Possunt ergo considerari potentia creandi et potentia generandi secundum quod radicantur in essentia divina : et sic est una numero potentia, nedum univoce dicta. Possunt etiam considerari ex parte qua conjunguntur operationi, et secundum hoc potentia dicitur de eis non univoce, sed secundum prius et posterius, et potentia generandi erit prior secundum rationem intelligendi quam potentia creandi, sicut generatio est prior creatione.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la puissance est intermédiaire, selon l’ordre d’intelligibilité, entre l’essence et l’opération de la nature. La puissance de créer et celle d’engendrer peuvent donc être considérées selon qu’elles s’enracinent dans l’essence divine :  et ainsi ce ne sont plus qu’une seule puissance par le nombre et à plus forte raison elles se disent de manière univoque. Elles peuvent aussi être considérées du côté par lequel elles se rattachent à l’opération et de ce point de vue elles ne se voient pas attribuer la puissance de manière univoque, mais plutôt selon l’avant et l’après  et alors la puissance d’engendrer est antérieure à la puissance de créer selon l’ordre d’intelligibilité, tout comme la génération est antérieure à la création.

7 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum, quod procedit de potentia comparata ad actum.

Solutions:

1. Et au moyen de ce que nous avons dit la solution à la première difficulté, laquelle procède de la puissance compare à l’acte, est évidente

7 q. 1 a. 3 ad 2 Et similiter ad secundum, quia potentia generandi non est ad aliquid nisi ex parte illa qua conjungitur actui.

2. Et il en est de même pour la deuxième difficulté, car la puissance d’engendrer n’est relative que du coté par lequel elle se rattache à l’acte.

7 q. 1 a. 3 ad 3 Et similiter ad tertium, quod procedit e contrario de potentia secundum quod se tenet a parte essentiae.

3. Et il en est de même pour la troisième qui procède au contraire de la puissance selon qu’elle se prend du côté de l’essence.

7 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod commune in divinis est ante proprium, quando commune per se accipitur secundum rationem intelligendi ; sed quando commune accipitur cum respectu ad creaturas, ratione respectus adjuncti, est posterius quam proprium alicujus personae, secundum rationem intelligendi.

4. Il faut dire pour la quatrième difficulté qu’en Dieu le commun est antérieur au propre quand le commun se prend en lui-même selon l’ordre d’intelligibilité ; mais quand le commun se prend par rapport aux créatures, en raison du rapport ajouté, il est postérieur à ce qui est propre à une personne, selon la raison d’intelligibilité.

7 q. 1 a. 3 ad 5 Quintum concedimus.

5. Nous concédons la quatrième difficulté.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’état commun de cette puissance]

 

 

Prooemium

Prologue

7 q. 2 pr. Deinde quaeritur de communitate hujus potentiae ; et circa hoc duo quaeruntur :

1 utrum potentia generandi sit in Filio ;

2 utrum Filius possit generare

 

Nous nous interrogeons ensuite sur le caractère commun de cette puissance ; et à ce sujet nous nous posons deux questions :

1. Est-ce que la puissance d’engendrer est dans le Fils ?

2. Est-ce que le Fils peut engendrer ?

 

 

Articulus 1 : 7 q. 2 a. 1 tit. Utrum potentia generandi sit in filio.

Article 1 – La puissance d’engendrer est-elle dans le Fils ?

7 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Sicut supra dictum est, in corp. art. 2, qu. praeced., potentia generandi includit in se rationem paternitatis. Sed paternitas non est in Filio. Ergo nec potentia generandi.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de cette question. Ainsi que nous l’avons dit plus haut dans le corps de l’article 2 de la question précédente, la puissance d’engendrer inclut en elle la notion de paternité. Mais la paternité n’est pas dans le Fils. La puissance d’engendrer n’y est donc pas non plus.

7 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, cum potentia dicat rationem principii, potentia generandi dicit principium generationis. Sed Filio nullo modo competit esse principium generationis : esset enim principium suiipsius. Ergo in Filio nullo modo est potentia generandi.

2. En outre, puisque la puissance a raison de principe, la puissance d’engendrer a raison de principe de génération. Mais il n’appartient d’aucune manière au Fils d’être principe de génération : Il serait en effet principe de lui-même. La puissance d’engendrer n’est donc dans le Fils d’aucune manière.

7 q. 2 a. 1 arg. 3 Contra, sicut supra dictum est, in hac dist. qu. 1, art. 2, potentia generandi est ipsa divina essentia. Sed essentia Patris tota est in Filio. Ergo videtur quod etiam potentia generandi sit in filio.

3. Cependant :

Ainsi que nous l’avons dit précédemment dans cette distinction (quest. 1, art. 2), la puissance d’engendrer est l’essence divine elle-même. Mais l’essence du Père dans sa totalité est dans le Fils. Il semble donc que même la puissance d’engendrer soit dans le Fils.

7 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, nulla scientia vel voluntas est patris, quae non sit Filii. Ergo nec etiam aliqua potentia, cum potentia illis duobus condividatur. Sed potentia generandi est in Patre. Ergo et in Filio.

4. De plus, il n’y a aucune science et aucune volonté du Père qui ne soit pas aussi celle du Fils. Il n’y a donc aussi aucune puissance de Père qui ne soit pas celle du Fils puisque la puissance se divise en ces deux dernières constituantes. Mais la puissance d’engendrer est dans le Père. Elle est donc aussi dans le Fils.

7 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod potentia generandi dicitur tripliciter, secundum quod generandi potest esse gerundium verbi impersonalis, vel verbi personalis activi, vel verbi personalis passivi.

Si sit gerundium verbi impersonalis, tunc potentia generandi est potentia qua ab aliquo generatur ; et ita est in Filio potentia generandi, idest qua a Patre generatur.

Si sit gerundium verbi personalis activi, tunc potentia generandi dicitur potentia ut generet ; et sic non est in Filio.

Si sit gerundium verbi personalis passivi, tunc potentia generandi dicitur potentia ut generetur ; et ita est in filio, quia eadem potentia quae in Patre est ut generet, est in Filio ut generetur. Et ista distinctio fundatur super id quod dictum est, in corp., art. 2, quaest. praeced., quod potentia generandi est essentia divina, a qua, prout in Patre est paternitas, est generatio activa ; et prout in Filio est filiatio, erit generatio passiva.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la puissance d’engendrer se dit de trois manières : selon qu’engendrer se prenne comme le gérondif d’un verbe impersonnel, comme celui d’un verbe personnel actif, ou celui qu’un verbe personnel passif.

S’il est le gérondif d’un verbe impersonnel, alors la puissance d’engendrement est la puissance par laquelle on est engendré par un autre ; et ainsi il y a dans le Fils une puissance d’engendrement, c’est-à-dire celle par laquelle il est engendré par le Père.

S’il est le gérondif d’un verbe personnel actif, alors la puissance d’engendrer signifie une puissance qui engendre et ainsi une telle puissance n’est pas dans le Fils.

S’il est le gérondif d’un verbe personnel passif, alors la puissance d’engendrer signifie une puissance qui permet à l’être d’être engendré ; et une telle puissance est dans le Fils, car la même puissance qui est dans le Père pour qu’il engendre est dans le Fils pour qu’Il soit engendré. Et cette distinction se fonde sur ce qui a été dit [quest. 1, art. 2, corps], à savoir que la puissance d’engendrer est l’essence divine par laquelle, en tant qu’elle est paternité dans le Père, est une génération active ; mais en tant qu’elle est filiation dans le Fils, elle est une génération passive.

7 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia generandi ex parte qua conjungitur actui includit in se paternitatem ; et secundum hoc non convenit filio : sed ex parte illa qua radicatur in essentia, non includit ; et ita convenit Filio, secundum quod generandi est gerundium verbi impersonalis, ut sit sensus : potentia generandi est in Filio, idest, essentia divina per quam a Patre fit generatio.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la puissance d’engendrer, prise du côté par lequel elle est rattachée à l’acte, inclut en elle la paternité ; et de ce point de vue elle n’appartient pas au Fils. Mais prise du côté par lequel elle s’enracine dans l’essence, elle n’inclut pas en elle la paternité et en ce sens elle appartient au Fils, selon qu’engendrer est le gérondif d’un verbe impersonnel, de sorte que le sens soit le suivant : la puissance d’engendrer, à savoir l’essence divine par laquelle il y a génération par le Père, est dans le Fils.

7 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potentia generandi non est nisi in Patre, secundum quod habet rationem principii in se inclusam per modum paternitatis. Sed alio modo potest esse in Filio, sicut dictum est.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la puissance d’engendrer n’est que dans le Père selon qu’elle a la raison de principe incluse en elle par mode de paternité. Mais en un autre sens elle peut être dans le Fils ainsi que nous l’avons dit.

7 q. 2 a. 1 ad 3 Et ex his etiam quae dicta sunt patet solutio ad tertium.

3. La solution à la troisième difficulté devient elle aussi claire à partir de ce que nous avons dit.

7 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod voluntas et scientia non habent rationem principii respectu generationis Filii, qui procedit per modum naturae, sed tantum respectu creaturarum, quae producuntur a Deo sicut artificiata ; sed potentia etiam habet rationem principii ad generationem divinam, et ideo magis potest trahi ad personale, ut sit proprium alicujus personae, quam scientia et voluntas.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la volonté et la science n’ont pas raison de principe à l’égard de la génération du Fils, qui procède par mode de nature, mais seulement à l’égard des créatures qui sont produites par Dieu à la manière d’artefacts ; mais la puissance aussi a raison de principe par rapport à la génération divine, et c’est pourquoi elle peut, plus que la science et la volonté, être attribuée à ce qui est personnel de manière à être propre à une personne.

 

 

Articulus 2 : 7 q. 2 a. 2 tit. Utrum Filius possit generare alium Filium

Article 2 – Le Fils peut-il engendrer un autre fils ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1

7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius possit generare Filium alium. Secundum enim potentiam non impeditam est aliquid potens operari. Sed in Filio est aliquo modo potentia generandi, ut dictum est, art. anteced. Cum igitur potentia Dei non possit impediri, videtur quod Filius possit generare alium Filium.

Difficultés :

1. Il semble que le Fils puisse engendrer un autre Fils. En effet, c’est d’après une puissance qui n’est pas empêchée qu’une chose peut produire son opération. Mais dans le Fils il y a en un sens une puissance d’engendre ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Donc, puisque la puissance de Dieu ne peut être empêchée, il semble que le Fils puisse engendrer un autre Fils.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Filius est imago Patris perfecte repraesentans ipsum, secundum perfectam similitudinem. Sed Pater potest generare. Ergo videtur quod etiam Filius ; alias non perfecte assimilatur sibi.

2. En outre, le Fils est une image du Père qui Le représente parfaitement d’après une similitude parfaite. Mais le Père peut engendrer. Il semble donc que le Fils le puisse aussi, autrement il ne lui ressemblerait pas parfaitement.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Praeterea, quaecumque operatio est alicujus naturae communis, si est in uno suorum suppositorum, est et in alio : sicut intelligere et ratiocinari est operatio naturae humanae in Socrate et Platone. Sed generatio est operatio divinae naturae in Patre. Ergo et in Filio. Videtur ergo quod Filius possit generare Filium.

3. De plus, toute opération appartient à une nature commune, et si elle est dans l’un de ses suppôts, elle est aussi dans l’autre : par exemple comprendre et raisonner sont des opérations de la nature humaine qui se retrouvent à la fois dans Socrate et Platon. Mais la génération est une opération de la nature divine dans le Père. Elle est donc aussi dans le fils. Il semble donc que le Fils puisse engendrer un autre Fils.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Item, posse generare est aliquid dignitatis patris ; alias non esset proprietas personalis. Sed nulla dignitas est in Patre quae non sit in Filio, cum sint omnino aequales in dignitate. Ergo Filius potest generare.

4. Par ailleurs, le pouvoir d’engendrer est quelque chose qui appartient à la dignité du Père, autrement il ne serait pas une propriété personnelle. Mais toute dignité qui est dans le Père est aussi dans le Fils, puisqu’ils sont absolument égaux en dignité. Donc, le Fils peut engendrer.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Contra, secundum Anselmum [Augustinum Éd. De Parme], minimum inconveniens Deo est impossibile. Sed si Filius generaret Filium, sequeretur in Deo inconveniens, quia ille Filius generaret alium, et sic in infinitum. Ergo videtur quod Filius non possit generare.

Cependant :

1. Selon Anselme [Augustin Éd. de Parme], la plus petite incohérence est impossible à Dieu. Mais si le Fils engendrait un Fils, il s’ensuivrait en Dieu une incohérence car ce Fils engendrait un autre Fils et il en serait ainsi à l’infini. Il semble donc que le Fils ne puisse engendrer.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, si ille Filius generaret alium [si …alium om. Éd. De Parme] non esset ibi summa unio et indistantia aequalis, quia Filius Deus propinquius se haberet ad Filium quam ad Patrem, et hoc non videtur in divinis competere.

2. En outre, si ce Fils engendrait un autre Fils [si…un autre om. Éd. de Parme], il n’y aurait pas là la plus grande union et la plus parfaite intimité, car le Fils de Dieu serait plus près du Fils que du Père, et cela ne semble pas que cela puisse convenir aux personnes divines.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 s. c. 3 Praeterea, qui non potest esse pater, non potest generare. Sed Filius non potest esse pater, quia sequeretur confusio personarum. Ergo et cetera.

3. Par ailleurs, celui qui ne peut être le Père ne peut pas engendrer. Mais le Fils ne peut être le Père, car il s’ensuivrait une confusion des Personnes. Le Fils ne peut donc engendrer un autre Fils.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2

7 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, utrum Pater possit generare alium Filium : et videtur quod sic. Quia per generationem in nullo diminuitur ejus potentia. Ergo qua ratione potest generare unum, potest et generare plures.

On se demande par la suite si le Père peut engendrer un autre Fils : et il semble qu’il en soit ainsi pour cette raison que sa puissance n’est diminuée en rien par la génération. Donc, pour la même raison qu’Il peut engendrer un seul Fils, il peut en engendrer plusieurs.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam dixerunt quod Filius potest generare alium Filium, sed ista potentia nunquam reducetur in actum propter inconveniens, quod Augustinus inducit in littera. Sed hoc nihil est : quia in perpetuis, secundum philosophum in III Phys., text. 32 non differt esse et posse, et multo minus in divinis : unde quidquid non est in Deo non potest esse ibi, alias Deus esset mutabilis. Unde dicendum simpliciter, quod Filius non potest generare Filium. Et ratio hujus est, quia ille Filius in nullo distingueretur ab alio. Cum enim personae divinae non distinguantur secundum divisionem materiae, quia non sunt materiales, non remanet ibi alia distinctio nisi per relationes originis. Impossibile est autem quod una relatio originis, sicut filiatio, multiplicetur secundum numerum, quia talis multiplicatio esset materialis. Unde in Deo non potest esse nisi una filiatio, et una filiatione non constituitur nisi unus Filius ; et ita in divinis non possunt esse plures Filii, nec plures Patres ; et hoc pertinet ad perfectionem Filii, quia nihil de filiatione est extra ipsum in divinis, unde est perfectus Filius.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que certains ont soutenu que le Fils peut engendrer un autre Fils mais que cette puissance ne passe jamais à l’acte en raison d’une incohérence qu’Augustin introduit dans une lettre. Mais il n’en est rien : car pour ce qui est éternel, d’après le Philosophe [111 Physique, texte 32], il n’y a aucune différence entre l’existence et le pouvoir, et encore moins chez les personnes divines : par conséquent, ce qui ne se retrouve pas en Dieu ne peut se retrouver là, autrement Dieu serait sujet au changement. C’est pourquoi il faut dire, à parler absolument, que le Fils ne peut engendrer un autre Fils. Et la raison en est que ce Fils ne se distinguerait en rien de l’autre. En effet, puisque les personnes divines ne se distinguent pas d’après une division de la matière, car ils ne sont pas matériels, il ne se conserve pas là d’autre distinction que celle qui est causée par les relations d’origine. Il est cependant impossible qu’une même relation d’origine, par exemple la filiation, soit multipliée selon le nombre, car une telle multiplication serait matérielle. C’est pourquoi en Dieu il ne peut y avoir qu’une seule filiation, et par cette seule filiation un seul Fils est constitué ; et ainsi dans les personnes divines il ne peut y avoir plusieurs Fils et plusieurs Pères ; et cette unicité appartient à la perfection du Fils, car il n’y a rien de la filiation qui soit en dehors de Lui dans les personnes divines, d’où il suit qu’Il est le Fils parfait.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in Filio non est potentia generandi ; nisi secundum quod radicatur in essentia, et non ex parte qua conjungitur actui generandi : et ideo non sequitur quod sit actus ibi.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il n’y a dans le Fils une puissance d’engendrer que selon qu’elle s’enracine dans l’essence et non selon qu’elle se rattache à l’acte d’engendrer : et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il y ait là un acte.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ubicumque est similitudo, oportet quod ibi sit aliqua distinctio : quia, secundum Boetium, lib. III in Porphyr. ‘De l’espèce’, col. 99 in similitudo est rerum differentium eadem qualitas, alias non esset similitudo, sed identitas. Unde inter Filium et Patrem salvatur perfecta similitudo. Sed remanente distinctione, in omnibus attributis conveniunt. Si autem Filius generaret non remaneret distinctio inter Patrem et Filium, cum non sit ibi distinctio, nisi per relationes originis ; et non possit ibi esse nisi una paternitas tantum, ut dictum est, in corp. art.

2. Il faut dire en deuxième lieu que partout où il y a ressemblance, il faut qu’il y ait là une distinction : car, selon Boèce [111 Porphyre, De l’Espèce, col. 99], dans la ressemblance il y a une qualité semblable pour des choses différentes, autrement il n’y aurait pas similitude mais identité. C’est pourquoi une parfaite ressemblance est conservée entre le Père et le Fils. Mais, la distinction étant conservée, ils se ressemblent dans tous les attributs. Mais si le Fils engendrait, la distinction entre le Père et le Fils ne serait plus conservée puisqu’il n’y a là distinction que par les relations d’origine : et il ne peut y avoir là qu’une seule paternité, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod generare non est actus divinae naturae, nisi secundum quod natura divina est ipsa paternitas ; et sub tali ratione natura divina non est in Filio.

3. En troisième lieu il faut dire qu’engendrer n’est l’acte de la nature divine que selon que la nature divine est la paternité elle-même ; et sous ce rapport la nature divine n’est pas dans le Fils.

7 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dignitas est de absolute dictis : et ideo eadem est dignitas Patris et Filii numero, sicut eadem essentia. Unde sicut paternitas in Patre est essentia, et eadem essentia est in Filio non paternitas, sed filiatio ; ita eadem dignitas numero quae in Patre est paternitas, in Filio est filiatio.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la dignité fait partie de ce qui se dit absolument : et c’est pourquoi la dignité du Père et celle du Fils sont identiques par le nombre, tout comme l’est leur essence. C’est pourquoi, tout comme la paternité dans le Père est l’essence et que la même essence qui est dans le Fils n’est pas la paternité mais la filiation, de même la même dignité par le nombre qui dans le Père est paternité, dans le Fils est filiation.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3

7 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, patet solutio etiam per praedicta ; quia impossibile est in divinis plures esse filios : hoc enim non est ex defectu potentiae patris, sed ex distinctione suppositorum divinae naturae, quae tolleretur, ut dictum est, in corp. art.

Corps de l’article :

À l’égard de ce qu’on cherche à savoir par la suite, la solution est évidente aussi au moyen de ce qui a été dit précédemment ; car il est impossible qu’il y ait plusieurs fils dans les personnes divines : et cela ne vient pas d’un défaut de puissance de la part du Père, mais de la distinction des suppôts de la nature divine qui serait supprimée, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

 

 

Dictinctio 8

Distinction 8 – [Les attributs divins : être, éternité, immutabilité, simplicité]

 

 

Prooemium

Prologue

 

Question 1 – [L’être de Dieu]

Article 1 Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ?

Article 2. Dieu est-il l'être de toutes les créatures ?

Article 3. Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les noms divins ?

Question 2 – [L’éternité de Dieu]

Article 1. La définition de l'éternité donnée par Boèce convient-elle ?

Article 2. L'éternité convient-elle à Dieu seulement ?

Article 3. Est-ce que les paroles temporelles peuvent se dire de Dieu ?

Question 3 – [L’immutabilité de Dieu]

Article 1. Dieu est-il changeant de quelque manière ?

Article 2. Toute créature est-elle changeante ?

Article 3. Les modes de changement des créatures ont-ils été assignés convenablement par Augustin.

Question 4 – [La simplicité de Dieu]

Article 1. Dieu est-il tout à fait simple ?

Article 2. Dieu est-il dans la catégorie de la substance ?

Article 3. Est-ce que d'autres catégories que la substance peuvent se dire de Dieu ?

Question 5 – [La simplicité des créatures]

Article 1. Y a-t-il une créature qui soit simple ?

Article 2. L'âme est-elle simple ?

Article 3. L'âme est-elle toute en tout et toute en chaque partie ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’être de Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

Circa primam partem distinctionis, in qua agitur de proprietate divini esse, duo quaeruntur:

primo de ipso esse divino.

Secundo de mensura ejus, scilicet aeternitate.

In primo tria quaeruntur:

1 utrum esse Deo proprie conveniat ;

2 utrum suum esse sit esse cujuslibet creaturae ;

3 de ordine hujus nominis, qui est, ad alia divina nomina.

Au sujet de la première partie de la distinction, dans laquelle on traite de la propriété de l’existence divine, on s’interroge sur deux choses :

Premièrement sur l’existence même de Dieu.

Deuxièmement sur la mesure de cette existence, à savoir l’éternité.

Et sur le premier point on se demande trois choses :

1. Est-ce que l’existence appartient proprement à Dieu ?

2. Est-ce que son existence est l’existence de toute créature ?

3. Quel est le rapport de ce nom, ¨celui qui est¨, aux autres noms divins ?

 

 

Articulus 1. lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 tit. Utrum esse proprie dicatur de Deo.

Article 1 – Parle-t-on au sens propre de l'être en Dieu ?

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod esse non proprie dicatur de Deo. Illud enim est proprium alicui quod sibi soli convenit. Sed esse non solum convenit Deo, immo etiam creaturis. Ergo videtur quod esse non proprie Deo conveniat.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de cette première question. Il semble que l’existence ne se dise pas proprement de Dieu. En effet, ce qui est propre à un être n’appartient qu’à lui. Mais l’existence n’appartient pas qu’à Dieu, mais bien aussi aux créatures. Il semble donc que l’existence n’appartienne en propre à Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, non possumus nominare Deum, nisi secundum quod ipsum cognoscimus ; unde Damascenus lib. Fid. Orth., cap. XIII : « Verbum est Angelus », idest nuntius intellectus. Sed nos non possumus cognoscere Deum in statu viae immediate, sed tantum ex creaturis. Ergo nec nominare. Cum igitur qui est non dicat aliquem respectum ad creaturas, videtur quod non proprie nominet Deum.

2. Par ailleurs, nous ne pouvons nommer Dieu que d’après ce que nous connaissons de Lui ; c’est pour cette raison que dans son livre, Damascène [De la Foi orthodoxe, ch. XIII] dit : ¨L’Ange est une Parole¨, c’est-à-dire une intelligence qui annonce ou fait connaître. Mais nous ne pouvons connaître Dieu de façon immédiate dans l’état de la vie présente, mais seulement à partir des créatures. Nous ne pouvons donc pas non plus le nommer. Donc, puisque ¨celui qui est¨ ne dit rien par rapport aux créatures, il semble que ce nom ne se dise pas proprement de Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut sapientia creata deficit a sapientia increata, ita et esse creatum ab esse increato. Sed propter hoc nomen sapientiae dicitur deficere a perfecta significatione divinae sapientiae, quia est impositum a nobis secundum apprehensionem creatae sapientiae. Ergo videtur quod eadem ratione nec hoc nomen qui est, proprie significet divinum [Deum Éd. de Parme] esse: et ita non oportet dici magis proprium nomen ejus quam alia nomina.

3. De plus, tout comme la sagesse créée est fort éloignée de la sagesse incréée, de même l’existence créée est fort éloignée de l’existence incréée. Mais c’est pour cette raison qu’on dit que le nom de sagesse est loin de signifier parfaitement la sagesse divine car il est imposé par nous d’après une compréhension de la sagesse créée. Il semble donc pour la même raison que ce nom, à savoir ¨celui qui est¨, ne signifie pas proprement l’existence divine [Dieu, Éd. de Parme].

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, Damascenus lib. I, Fid. Orth., cap. 9, dicit, quod « qui est » non significat quid est Deus, sed quoddam pelagus substantiae infinitum. Sed infinitum non est comprehensibile, et per consequens non nominabile sed ignotum. Ergo videtur quod qui est non sit divinum nomen.

4. En outre, Damascène [Livre 1, De la Foi Orthodoxe, ch. 9] dit que ¨celui qui est¨ ne signifie pas ce qu’est Dieu mais comme une mer de substance infinie. Mais l’infini n’est pas intelligible et il ne peut par conséquent être nommé mais seulement rester inconnu. Il semble donc que ¨celui qui est¨ ne soit pas un nom divin.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Exod. III, 14, Dixit Dominus [Deus Éd. de Parme] ad Moysen: si quaesierint nomen meum, sic dices filiis Israel: Qui est, misit me ad vos. Hoc idem videtur per Damascenum ubi supra, cap. IX, dicentem quod qui est, maxime est proprium nomen Dei: et per Rabbi Moysen, qui dicit, hoc nomen esse nomen Dei ineffabile, quod dignissimum habebatur.

Cependant :

1. On lit dans l’Exode (111, 14) que le Seigneur dit à Moïse : S’ils te demandent mon nom, tu parleras ainsi aux fils d’Israël : Celui qui est m’a envoyé vers vous. Cette parole semble être identique à ce que dit Damascène plus haut au chapitre 1X où il dit que ¨celui qui est¨ est le nom qui se dit le plus proprement de Dieu, et identique aussi à ce que dit le rabbi Moïse qui dit que ce nom est le nom ineffable de Dieu et le plus digne qu’on possédait.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod qui est, est maxime proprium nomen Dei inter alia nomina. Et ratio hujus potest esse quadruplex: prima sumitur ex littera ex verbis Hieronymi secundum perfectionem divini esse. Illud enim est perfectum cujus nihil est extra ipsum. Esse autem nostrum habet aliquid sui extra se: deest enim aliquid quod jam de ipso praeteriit, et quod futurum est. Sed in divino esse nihil praeteriit nec futurum est: et ideo totum esse suum habet perfectum, et propter hoc sibi proprie respectu aliorum convenit esse.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que ¨celui qui est¨ est le nom qui, parmi tous les autres noms, s’attribue le plus proprement à Dieu. Et on peut le montrer au moyen de quatre raisons. La première se tire du texte à partir des paroles de Jérôme sur la perfection de l’existence divine. Est parfait en effet ce dont rien n’est en dehors de lui. Mais notre existence a quelque chose qui est en dehors d’elle : elle manque en effet de quelque chose qui lui échappe encore à présent et qui est dans l’avenir. Mais rien ne manque à l’existence divine et qui est dans l’avenir : et c’est pourquoi il possède toute son existence dans sa perfection, et c’est pour cette raison que l’existence, parmi tous les autres noms, est le nom qui lui convient en propre.

Secunda ratio sumitur ex verbis Damasceni lib. I Fid. Orth., cap. IX), qui dicit, quod qui est significat esse indeterminate, et non quid est: et quia in statu viae hoc tantum de ipso cognoscimus, quia est, et non quid est, nisi per negationem, et non possumus nominare nisi secundum quod cognoscimus, ideo propriissime nominatur a nobis « qui est ».

La deuxième raison se tire des paroles de Damascène [1, De la Foi Orthodoxe, ch. 1X], qui dit que ¨celui qui est¨ signifie l’existence d’une manière indéterminée et non pas ce qu’est la chose : et parce que dans l’état de la vie présente nous connaissons de Lui seulement qu’Il est et non ce qu’Il est, sauf par la négation, et que nous ne pouvons le nommer que d’après ce que nous en connaissons, c’est pourquoi nous le nommons de la manière la plus propre qui soit par ce nom : ¨celui qui est¨.

Tertia ratio sumitur ex verbis Dionysii, qui dicit, quod esse inter omnes alias divinae bonitatis participationes, sicut vivere et intelligere et hujusmodi, primum est, et quasi principium aliorum, praehabens in se omnia praedicta, secundum quemdam modum unita ; et ita etiam Deus est principium divinum, et omnia sunt unum in ipso.

La troisième raison se tire des paroles de Denys qui dit que l’existence, parmi toutes les autres participations de la bonté divine, comme vivre, comprendre etc., est la première et comme le principe de toutes les autres, possédant à l’avance en elle, unies d’après une certaine modalité, toutes les autres dont nous avons parlé ; et c’est pourquoi encore Dieu est le principe divin et que toutes les choses existent en Lui dans l’unité.

Quarta ratio potest sumi ex verbis Avicennae, Metaph., tract. VIII, cap. 1, in hunc modum, quod, cum in omni quod est sit considerare quidditatem suam, per quam subsistit in natura determinata, et esse suum, per quod dicitur de eo quod est in actu, hoc nomen res imponitur rei a quidditate sua, secundum Avicennam tract. II Metaph, cap. 1, hoc nomen qui est vel ens imponitur ab ipso actu essendi. Cum autem ita sit quod in qualibet re creata essentia sua differat a suo esse, res illa proprie denominatur a quidditate sua, et non ab actu essendi, sicut homo ab humanitate. In Deo autem ipsum esse suum est sua quidditas: et ideo nomen quod sumitur ab esse, proprie nominat ipsum, et est proprium nomen ejus: sicut proprium nomen hominis quod sumitur a quidditate sua.

La quatrième raison peut se tirer des paroles d’Avicenne [Métaphysique, traité  VIII, ch. 1] de la manière qui suit, à savoir que puisque dans tout ce qui existe il faut considérer la quiddité, par laquelle la chose existe dans une nature déterminée, puis l’existence par laquelle on dit d’elle qu’elle existe en acte, selon Avicenne [Métaphysique, traité 11, ch. 1] le nom ¨chose¨ est imposé à la chose en partant de sa quiddité, alors que ce nom ¨qui est¨ ou ¨étant¨ lui est imposé à partir de l’acte même d’exister. Mais puisque toute chose créée est telle que son essence diffère de son existence, cette chose est proprement dénommée à partir de sa quiddité, comme l’homme qui est dénommé à partir de son humanité, et non à partir de son acte d’exister. Mais en Dieu son existence même est sa quiddité : et c’est pourquoi le nom qui est tiré de l’existence Le nomme proprement et est son nom propre, tout comme le nom propre de l’homme est celui qui se tire de sa quiddité.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur aliquid proprie convenire alicui, hoc potest intelligi dupliciter: aut quod per proprietatem excludatur omne extraneum a natura subjecti, ut cum dicitur proprium hominis esse risibile, quia nulli extraneo a natura hominis convenit ; et sic esse non dicitur proprium Deo, quia convenit etiam creaturis.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit que quelque chose appartient en propre à un être, cela peut s’entendre de deux manières : soit par ¨propre¨ on exclut tout ce qui est extérieur à la nature du sujet, comme lorsqu’on dit que la capacité de rire est le propre de l’homme, car cette capacité ne se retrouve nulle part à l’extérieur de la nature humaine ; et en ce sens l’existence ne s’attribue pas proprement à Dieu car elle appartient aussi aux créatures.

Aut secundum quod excluditur omne extraneum a natura praedicati, ut cum dicitur, hoc proprie esse aurum, quia non habet admixtionem alterius metalli, et hoc modo esse dicitur proprium Deo, quia non habet admixtionem divinum esse alicujus privationis vel potentialitatis, sicut esse creaturae. Et ideo pro eodem in littera sumitur proprietas et veritas: verum enim aurum dicimus esse quod est extraneo impermixtum.

Soit par propre on exclut tout ce qui est extérieur à la nature du prédicat, comme lorsqu’on dit que cela est proprement de l’or car aucun autre métal ne s’y trouve mélangé et c’est en ce sens que l’existence se dit proprement de Dieu, car l’existence divine ne se trouve mélangée à aucune privation et à aucune potentialité, comme c’est le cas pour les créatures. Et c’est pourquoi dans le document ¨propriété¨ et ¨vérité¨ sont pris comme des termes identiques : nous disons en effet qu’est vrai l’or qui n’est mélangé à aucun métal étranger.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex creaturis contingit Deum nominari tripliciter.

Uno modo quando nomen ipsum actualiter connotat effectum in creatura propter relationem ad creaturam importatam in nomine, sicut creator et dominus.

Alio modo quando ipsum nomen nominat secundum suam rationem principium alicujus actus divini in creaturis, sicut sapientia, potentia et voluntas.

Alio modo quando ipsum nomen dicit aliquid repraesentatum in creaturis, sicut vivens: omnis enim vita exemplata est a vita divina. Et similiter hoc nomen qui est nominat Deum per esse inventum in creaturis, quod exemplariter deductum est ab ipso.

2. Il faut dire en troisième que c’est de trois manières qu’il arrive de nommer Dieu à partir des créatures.

Premièrement quand le nom lui-même fait actuellement connaître un effet dans la créature en raison d’une relation à la créature qui est introduite dans le nom, comme c’est le cas pour créateur et seigneur.

Deuxièmement lorsque le nom lui-même se trouve à nommer d’après sa signification le principe d’un acte divin dans les créatures, comme la sagesse, la puissance et la volonté.

Enfin, quand le nom lui-même signifie quelque chose qui est représenté dans les créatures, comme le terme ¨vivant¨ : en effet, toute vie qui est copiée dans les créatures provient de la vie divine. Et il en est de même pour ce nom, à savoir ¨celui qui est¨ : ce nom en effet dénomme Dieu au moyen de l’existence découverte dans les créatures, existence qui est tirée de Lui à la manière dont une copie est tirée d’un modèle.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum esse creaturae imperfecte repraesentet divinum esse, et hoc nomen qui est imperfecte significat ipsum, quia significat per modum cujusdam concretionis et compositionis ; sed adhuc imperfectius significatur per alia nomina: cum enim dico, Deum esse sapientem, tunc, cum in hoc dicto includatur esse, significatur ibi duplex imperfectio: una est ex parte ipsius esse concreti, sicut in hoc nomine qui est ; et superadditur alia ex propria ratione sapientiae. Ipsa enim sapientia creata deficit a ratione divinae sapientiae: et propter hoc major imperfectio est in aliis nominibus quam in hoc nomine qui est ; et ideo hoc est dignius et magis Deo proprium.

3. Il faut dire en troisième lieu que puisque l’existence de la créature représente imparfaitement l’existence divine et que le nom ¨celui qui est¨ Le signifie imparfaitement car il signifie par mode de concrétion et de composition ; mais les autres noms Le signifient encore plus imparfaitement : en effet, lorsque je dis que Dieu est sage, alors, puisque dans ce qui est dit est inclut ¨être¨, il y a là deux imperfections qui sont signifiées : une qui se tient du côté de l’existence concrète, comme pour ce nom, à savoir ¨celui qui est¨ ; et il s’en ajoute une autre du côté de la signification propre de la sagesse. En effet, la sagesse créée elle-même est fort éloignée de la signification de la sagesse divine : et c’est pour cette raison qu’il y a une plus grande imperfection dans les autres noms que dans le nom ¨celui qui est¨ ; et c’est pourquoi ce nom est le plus digne et celui qui appartient le plus proprement à Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod alia omnia nomina dicunt aliam rationem determinatam [esse determinatum et particulatum Éd. de Parme] ; sicut sapiens dicit aliquid esse ; sed hoc nomen qui est dicit esse absolutum et indeterminatum per aliquid additum ; et ideo dicit Damascenus quod non significat quid est Deus, sed significat quoddam pelagus substantiae infinitum, quasi non determinatum. Unde quando in Deum procedimus per viam remotionis, primo negamus ab eo corporalia ; et secundo etiam intellectualia, secundum quod inveniuntur in creaturis, ut bonitas et sapientia ; et tunc remanet tantum in intellectu nostro, quia est, et nihil amplius: unde est sicut in quadam confusione. Ad ultimum autem etiam hoc ipsum esse, secundum quod est in creaturis, ab ipso removemus ; et tunc remanet in quadam tenebra ignorantiae, secundum quam ignorantiam, quantum ad statum viae pertinet, optime Deo conjungimur, ut dicit Dionysius, et haec est quaedam caligo, in qua Deus habitare dicitur.

4. Il faut dire en quatrième lieu que les autres noms expriment une autre signification déterminée [une existence déterminée et particulière Éd. de Parme] ; par exemple, le terme sage dit quelque chose qui existe ; mais le nom ¨celui qui est¨ dit une existence absolue et qui n’est pas déterminée par quelque chose d’ajouté ; et c’est pourquoi Damascène dit que ce terme ne signifie pas ce qu’est Dieu, mais qu’il signifie comme une mer de substance infinie et comme indéterminée. De là, lorsque nous nous avançons vers Dieu par voie de négation, nous nions d’abord de Lui les êtres corporels ; deuxièmement nous nions aussi de Lui les réalités intellectuelles selon qu’elles se retrouvent dans les créatures, comme la bonté et la sagesse ; et alors il ne demeure plus dans notre intelligence que l’existence et rien de plus : de là, il y a en elle comme un manque de distinction. Mais à la fin aussi, cette existence même, selon qu’elle se retrouve dans les créatures, nous la nions de Lui ; et alors elle demeure dans l’obscurité de l’ignorance, et c’est selon cette ignorance que nous nous unissons le mieux à Dieu dans l’état de cette vie ainsi que le dit Denys, état qui se compare comme à des ténèbres dans lesquelles Dieu habite.

 

 

Articulus 2 I Sent. D. 8, q. 1, a. 2 lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus sit esse omnium rerum.

Article 2 – Dieu est-il l'être de toutes les choses ?

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus sit esse omnium rerum per id quod dicit Dionysius 4 capit. Caelest. Hierar.: Esse omnium est superesse divinitatis. Hoc etiam idem dicit 5 capit. de divinis nominibus: ipse Deus est esse existentibus.

Difficultés :

1. À l’égard de cette question il semble que Dieu soit l’être de toutes les choses au moyen de ce que dit Denys [La Hiérarchie Céleste, ch. 4] : L’existence de toutes les choses est la supra-existence de Dieu. Et il le dit encore [Les Noms Divins, ch. 5] ici : C’est Dieu lui-même qui est l’existence même de ceux qui existent.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, nulla creatura est per se sed per aliud. Esse autem non est per aliud, quia si esset per aliud esse, iterum eadem quaestio esset de illo, et sic in infinitum procederet, et ita videtur quod esse non sit quid causatum, et ita est Deus.

2. En outre, aucune créature n’existe par elle-même, mais plutôt par un autre. Mais l’existence ne vient pas d’un autre car si l’existence venait d’une autre existence, il faudrait encore se poser la même question au sujet de cette dernière existence et ainsi on procéderait à l’infini ; et ainsi il semble que l’existence ne soit pas quelque chose qui est causé et il en est ainsi de Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ea quae sunt et nullo modo differunt, sunt idem. Sed Deus et esse rei sunt et nullo modo differunt. Ergo sunt idem. Probatio mediae. Quod sint manifestum est ; quod autem non differant, videtur. Quaecumque enim differunt, aliqua differentia differunt. Sed quaecumque differunt aliqua differentia, in se habent aliquam differentiam, et ita sunt composita ; sicut homo habet in se rationale. Cum igitur esse sit simplex, et similiter Deus, videtur quod non differant.

3. De plus, les choses qui existent et ne diffèrent en rien sont identiques. Mais Dieu et l’existence de la chose existent et ne diffèrent en rien. Ils sont donc identiques. Preuve de la mineure. Il est manifeste qu’elles existent ; mais qu’elles ne diffèrent pas, il semble qu’il en soit ainsi. En effet, toutes les choses qui diffèrent par quelque différence possèdent en elles une différence et les réalités composées sont ainsi, tout comme l’homme qui a en lui cette différence d’être rationnel. Donc comme l’existence est simple et qu’il en est de même pour Dieu, il semble qu’ils ne diffèrent pas.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, nihil est magis in re quod sit unitum sibi quam esse suum. Sed Deus non unitur rebus, quod patet etiam per philosophum Lib. De causis, (prop. 20): « Causa prima regit omnes res, praeterquam commisceatur cum eis ». Ergo Deus non est omnium esse.

Cependant :

1. Il n’y a rien dans la chose qui ne lui soit plus uni que son existence même. Mais Dieu n’est pas uni aux choses, ce qui est clair encore au moyen de ce qui est dit par le Philosophe [Le Livre des Causes, prop. 20] : la cause première gouverne toutes les choses, excepté qu’elle ne se mélange pas avec elles. Donc, Dieu n’est pas l’existence de toutes les choses.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, nihil habet esse, nisi inquantum participat divinum esse, quia ipsum est primum ens, quare causa est omnis entis. Sed omne quod est participatum in aliquo, est in eo per modum participantis: quia nihil potest recipere ultra mensuram suam. Cum igitur modus cujuslibet rei creatae sit finitus, quaelibet res creata recipit esse finitum et inferius divino esse quod est perfectissimum. Ergo constat quod esse creaturae, quo est formaliter, non est divinum esse.

2. En outre, aucun être ne possède une existence, si ce n’est dans la mesure il participe de l’existence divine, car Dieu lui-même est le premier à exister, et c’est pourquoi il est la cause de tout être. Mais tout ce qui est participé dans un être est en lui selon le mode de celui-là même qui en participe : car aucun être ne peut recevoir une participation au-dela de la mesure qui lui est propre. Donc puisque le mode de toute chose créée est fini, toute chose créée reçoit une existence finie et inférieure à l’existence divine, laquelle est la plus parfaite qui soit. Il est donc clair que l’existence de la créature, par laquelle elle existe formellement, n’est pas l’existence divine.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 co. Respondeo, sicut dicit Bernardus, Sermo,4 super Cant., Deus est esse omnium non essentiale, sed causale. Quod sic patet. Invenimus enim tres modos causae agentis. Scilicet causam aequivoce agentem, et hoc est quando effectus non convenit cum causa nec nomine nec ratione: sicut sol facit calorem qui non est calidus.

Corps de l’article :

Je réponds, comme le dit Bernard [Sermon 4 sur le Cantique], que Dieu est l’existence de toutes les choses, non pas comme faisant partie de leur essence, mais à la manière d’une cause. Ce qui est clair de la manière qui suit. Nous retrouvons en effet trois modalités d’opération pour la cause efficiente : à savoir la cause qui est efficiente de manière équivoque, et cela a lieu lorsque l’effet ne s’accorde avec sa cause ni par le nom ni par la définition, tout comme le soleil qui rend chaud, lui qui n’est pas chaud.

Item causam univoce agentem, quando effectus convenit in nomine et ratione cum causa, sicut homo generat hominem et calor facit calorem. Neutro istorum modorum Deus agit. Non univoce quia nihil univoce convenit cum ipso. Non aequivoce, cum effectus et causa aliquo modo conveniant in nomine et ratione licet [licet om. Éd. de Parme] secundum prius et posterius ; sicut Deus sua sapientia facit nos sapientes, ita tamen quod sapientia nostra semper deficit a ratione sapientiae suae, sicut accidens a ratione entis, secundum quod est in substantia.

Il y a encore la cause qui est efficiente de manière univoque quand l’effet s’accorde avec sa cause à la fois par le nom et par la définition, comme l’homme qui engendre un homme et la chaleur qui produit la chaleur. Mais Dieu n’agit selon aucun de ces modes. Il n’agit pas de manière univoque car rien ne lui correspond de manière univoque. Et il n’agit pas de manière équivoque, puisque la cause et l’effet correspondent d’une certaine manière par le nom et par la définition, bien [bien om. Éd. de Parme] que ce soit selon l’avant et l’après ; par exemple Dieu par sa sagesse nous fait sages de telle manière cependant que notre sagesse est toujours en défaut à l’égard de la définition de sa sagesse à Lui, tout comme l’accident est en défaut à l’égard de la définition de ce qui possède l’existence, selon qu’il existe dans une substance.

Unde est tertius modus causae agentis analogice. Unde patet quod divinum esse producit esse creaturae in similitudine sui imperfecta: et ideo esse divinum dicitur esse omnium rerum, a quo omne esse creatum effective et exemplariter manat.

Il y a enfin la cause efficiente qui agit de manière analogue. De là il est clair que l’existence divine produit l’existence des créatures selon une ressemblance imparfaite de sa propre existence : et c’est pourquoi on dit de l’existence de Dieu, de laquelle toute existence des créatures provient comme d’une cause efficiente et d’un modèle, qu’elle est l’existence de toutes les choses.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad dictum Dionysii, quod ita intelligendum est, ut patet ex hoc quod dicit superesse: si enim Deus esset essentialiter esse creaturae, non esset superesse creatum.

Solutions :

1. Et au moyen de ce que nous avons dit la solution aux paroles de Denys devient évidente, à savoir qu’elles doivent s’entendre de la manière suivante ainsi qu’on le voit à partir de cette expression : supra-existence ; si en effet Dieu était essentiellement l’existence des créatures, il ne transcenderait pas l’existence créée.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse creatum non est per aliquid aliud, si ly per dicat causam formalem intrinsecam ; immo ipso formaliter est creatura ; si autem dicat causam formalem extra rem, vel causam effectivam, sic est per divinum esse et non per se.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’existence créée n’existe pas par quelque chose d’autre si par ce ¨par¨ on signifie une cause formelle intrinsèque ; bien au contraire cette existence est formellement par elle-même la créature ; mais si elle signifie une cause formelle extérieure à la chose ou une cause efficiente, en ce sens l’existence créée existe par l’existence divine et non par elle-même.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod prima non sunt diversa nisi per seipsa: sed ea quae sunt ex primis, differunt per diversitatem primorum ; sicut homo et asinus differunt istis differentiis diversis, rationale et irrationale, quae non diversificantur aliis differentiis, sed seipsis: ita etiam Deus et esse creatum non differunt aliquibus differentiis utrique superadditis, sed seipsis: unde nec proprie dicuntur differre, sed diversa esse: diversum enim est absolutum, sed differens est relatum, secundum philosophum 10 Metaph. Text. 13. Omne enim differens, aliquo differt ; sed non omne diversum, aliquo diversum est.

3. Il faut dire en troisième lieu que les différences qui sont premières ne diffèrent entre elles que par elles-mêmes ; mais les choses qui proviennent de celles qui sont premières diffèrent entre elles par les différences des premières ; par exemple, l’homme et l’âne diffèrent par ces différences, à savoir rationnel et irrationnel, lesquelles ne se distinguent plus par d’autres différences, mais par elles-mêmes : de même encore Dieu et l’existence des créatures ne diffèrent pas par des différences qui s’ajoutent à l’un et à l’autre, mais ils diffèrent par eux-mêmes : c’est pourquoi on ne dit pas à proprement parle qu’ils diffèrent, mais qu’ils sont autres ou divers ; en effet, le divers se prend absolument alors que le  différent se prend relativement, selon le Philosophe [10 Métaphysique, texte 13]. En effet, tout ce qui est différent diffère par quelque chose, mais ce n’est pas tout ce qui est autre ou divers qui est divers par quelque chose d’autre.

 

 

Articulus 3lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 tit. Utrum hoc nomen qui est sit primum inter nomina divina.

Article 3 – Ce nom «qui est» est-il le premier parmi les noms divins ?

 

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur enim quod hoc nomen qui est non sit primum inter divina nomina. De prioribus enim prius est agendum. Sed Dionysius prius agit de bono in Lib. De divinis nominibus, quam de existente. Ergo videtur bonum prius esse ente.

Difficultés :

1. Il semble que ce nom, ¨celui qui est¨, ne soit pas le premier parmi tous les noms divins. En effet, il faut traiter en premier lieu de ce qui est premier. Mais Denys traite du bien avant de traiter de l’existence dans le livre intitulé Les Noms Divins. Il semble donc que le bien soit antérieur à l’être.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, illud quod est communius videtur esse prius. Sed bonum est communius quam ens: quia divinum esse extendit se tantum ad entia quae esse participant ; bonum autem extendit se ad non entia, quae etiam in esse vocat: dicitur enim bonum a boare, quod est vocare, ut Commentator dicit Super Lib. de ‘Divin. Nominib. c. IV. Ergo bonum est prius quam ens.

2. En outre, ce qui est plus commun semble être antérieur. Mais le bien est plus commun que l’être : car l’existence divine s’étend seulement aux êtres qui participent de l’existence ; mais le bien s’étend aussi à ce qui n’existe pas encore et qu’il appelle aussi à exister : le bien en effet tire son origine du terme ¨boare¨  qui signifie ¨appeler¨, ainsi que le Commentateur le dit [Sur le Libre des Noms Divins, ch. IV].

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quaecumque sunt aequalis simplicitatis, unum non est prius altero. Sed ens, verum, bonum, et unum sunt aequalis simplicitatis: quod patet ex hoc quod ad invicem convertuntur. Ergo unum non est altero prius.

3. De plus, parmi tout ce qui est d’une égale simplicité, on ne peut rien trouver qui serait antérieur au reste. Mais l’être, le vrai, le bien et l’un sont d’une égale simplicité : ce qui est clair du fait qu’ils se convertissent entre eux. Aucun de ces termes n’est donc antérieur à l’autre.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, secundum Dionysium, De divin. Nom., cap.1, § 4, divina attributa non innotescunt nobis nisi ex eorum participationibus, quibus a creaturis participantur. Sed inter omnes alias participationes esse prius est, ut dicitur 5 cap. De div. nom. his verbis: ante alias ipsius, scilicet Dei, participationes, esse positum est. Cui etiam dictum philosophi consonat Lib. De causis, prop. 4, prima rerum creatarum est esse. Ergo videtur quod, secundum rationem intelligendi, in Deo esse sit ante alia attributa, et qui est inter alia nomina.

Cependant :

1. D’après Denys [Les Noms Divins, ch. 1, &4], les attributs divins ne nous deviennent connus qu’à partir de leurs participations dont les créatures participent. Mais parmi toutes les participations, l’existence est première, ainsi que Denys le dit [Les Noms Divins, ch. 5] par ces paroles : avant ses (à savoir celles de Dieu) autres participations, Il attribua l’existence. Et l’opinion du Philosophe s’accorde aussi avec cet énoncé [Le Livre des Causes, prop. 4] : la première des choses créées est l’existence. Il semble donc que, d’après la raison d’intelligibilité, l’existence en Dieu est le premier de tous les attributs et ¨celui qui est¨ est le premier de tous les noms divins.

Praeterea, illud quod est ultimum in resolutione, est primum in esse. Sed ens, ultimum est in resolutione intellectus : quia remotis omnibus aliis, ultimo remanet ens. Ergo est primum naturaliter.

2. En outre, ce qui est dernier dans la résolution est premier dans l’existence. Mais l’être est dernier dans la résolution de l’intelligence car si on écarte tout le reste, en dernier il ne reste plus que l’être. L’être est donc premier par nature.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ista nomina, ens et bonum, unum et verum, simpliciter secundum rationem intelligendi praecedunt alia divina nomina: quod patet ex eorum communitate. Si autem comparemus ea ad invicem, hoc potest esse dupliciter:

vel secundum suppositum ; et sic convertuntur ad invicem, et sunt idem in supposito, nec unquam derelinquunt se ;

vel secundum intentiones eorum ; et sic simpliciter et absolute ens est prius aliis.

Cujus ratio est, quia ens includitur in intellectu eorum, et non e converso. Primum enim quod cadit in imaginatione intellectus, est ens, sine quo nihil potest apprehendi ab intellectu ; sicut primum quod cadit in credulitate intellectus, sunt dignitates, et praecipue ista, contradictoria non esse simul vera: unde omnia alia includuntur quodammodo in ente unite et distincte [indistincte Éd. de Parme], sicut in principio ; ex quo etiam habet quamdam decentiam ut sit propriissimum divinum nomen.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que ces noms, à savoir l’être et le bien, l’un et le vrai, précèdent absolument selon la raison d’intelligibilité les autres noms divins : ce qui est évident à partir de leur universalité. Mais si nous les comparons entre eux, cela peut se faire de deux manières : soit d’après le suppôt, et ainsi ils se convertissent entre eux et ils sont identiques dans le suppôt et ne se séparent jamais ; soit d’après leurs significations et alors l’être est simplement et absolument antérieur aux autres noms.

La raison en est que l’être est inclut dans la signification des autres noms mais l’inverse n’est pas vrai. En effet, la première représentation qui tombe dans l’intelligence, sans laquelle rien ne peut être saisi par cette dernière, est l’être ; tout comme les ¨dignités¨, et surtout celle qui pose que les contradictoires ne peuvent être vraies simultanément, sont ce à quoi en premier l’intelligence donne son adhésion. Par conséquent, toutes les autres notions sont contenues d’une certaine manière dans la notion d’être sous le mode de l’unité et de l’indétermination, comme dans un principe ; d’où il convient encore que ce nom soit celui qui appartienne le plus proprement à Dieu.

Alia vero quae diximus, scilicet bonum, verum et unum, addunt super ens, non quidem naturam aliquam, sed rationem: sed unum addit rationem indivisionis ; et propter hoc est propinquissimum ad ens, quia addit tantum negationem: verum autem et bonum addunt relationem quamdam ; sed bonum relationem ad finem, verum relationem ad formam exemplarem ; ex hoc enim unumquodque verum dicitur quod imitatur exemplar divinum, vel relationem ad virtutem cognoscitivam ; dicimus enim verum aurum esse, ex eo quod habet formam auri quam demonstrat, et sic fit verum judicium de ipso. Si autem considerentur secundum rationem causalitatis, sic bonum est prius: quia bonum habet rationem causae finalis, esse autem rationem causae exemplaris et effectivae tantum in Deo: finis autem est prima causa in ratione causalitatis.

Mais les autres noms que nous Lui attribuons, à savoir le bien, le vrai et l’un, ajoutent à la notion d’être non pas certes une certaine nature, mais un aspect de raison, une notion : or l’un ajoute la notion d’indivisibilité et c’est pour cette raison que cette notion est la plus proche de la notion d’être, car elle n’ajoute que la négation ; mais le vrai et le bien ajoutent une certaine relation : le bien ajoute une relation à la fin alors que le vrai ajoute une relation à la forme exemplaire, du fait que tout ce qui est vrai imite le modèle divin, ou une relation à la puissance cognitive : nous disons en effet que l’or est vrai du fait qu’il possède vraiment la forme de l’or qu’il manifeste extérieurement et qu’ainsi le jugement qu’on porte sur lui devient vrai. Mais si on considère ces notions sous le rapport de la causalité, alors le bien est premier : car le bien a raison de cause finale alors que l’être a raison de cause exemplaire et efficiente seulement en Dieu ; mais la fin est la première cause sous le rapport de la causalité.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum dicendum, quod Dionysius tractat de divinis nominibus secundum quod habent rationem causalitatis, prout scilicet manifestantur in participatione creaturarum ; et ideo bonum ante existens determinat.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que Denys traite des noms divins selon qu’ils ont raison de causalité, c’est-à-dire dans la mesure où ils se manifestent dans la participation des créatures ; et c’est pourquoi il traite du bien avant de traiter de l’être ou de l’existence.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum est communius non secundum ambitum praedicationis, quia sic convertitur cum ente, sed secundum rationem causalitatis ; causalitas enim efficiens exemplaris extenditur tantum ad ea quae participant formam actu suae causae exemplaris ; et ideo causalitas entis, secundum quod est divinum nomen, extenditur tantum ad entia, et vitae ad viventia ; sed causalitas finis extenditur etiam ad ea quae nondum participant formam, quia etiam imperfecta desiderant et tendunt in finem [nondum participantia rationem finis, quia sunt in via ad eum add. Éd. de Parme]. Vocat enim Dionysius non ens materiam propter privationem adjunctam ; unde etiam dicit 4 cap. De div. nom. § 3,, quod ipsum non existence [ens Éd. de Parme] desiderat bonum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le bien est plus commun non pas selon l’étendue de l’attribution car alors il se convertit avec l’être, mais sous le rapport de la causalité ; en effet, la causalité efficiente exemplaire s’étend seulement aux choses qui participent en acte de la forme de leur cause exemplaire ; et c’est pourquoi la causalité de l’être, selon qu’il est un nom divin, s’applique seulement à ce qui existe en acte, tout comme la causalité de la vie s’applique seulement aux vivants ; mais la causalité de la fin s’étend même aux choses qui ne participent pas encore de la forme, car même ce qui est imparfait désire et tend vers la fin [qui ne participent pas encore de la fin parce qu’ils sont encore en chemin vers elle add. Éd. De Parme].  Denys en effet donne au non-être le nom de matière en raison de la privation qui lui est rattachée ; c’est pourquoi Denys [Les Noms Divins, ch. 4, & 3] dit aussi que même ce qui n’existe pas [le non-être Éd. de Parme] désire le bien.

lib. 1 d. 8 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod convertuntur secundum suppositum considerata ; sed tamen secundum intentionem, ens est simplicius et prius aliis, ut dictum est.

3. Il faut dire en troisième lieu que ces notions se convertissent selon qu’on les considère dans le suppôt ; mais selon leur signification, l’être possède une plus grande simplicité et une priorité par rapport aux autres, ainsi que nous l’avons dit.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’éternité divine]

 

 

Prooemium

Prologue

lib. 1 d. 8 q. 2 pr. Deinde quaeritur de mensura divini esse, quae est aeternitas ; et circa hoc tria quaeruntur:

1 quid est aeternitas ;

2 cui conveniat ;

3 utrum de aeterno verba diversorum temporum praedicari possint.

On s’interroge ensuite sur la mesure de l’existence de Dieu qui est l’éternité ; et à ce sujet on pose trois questions :

1. Qu’est-ce que l’éternité ?

2. À qui appartient-elle ?

3. Est-ce que les verbes qui expriment les différents temps peuvent être attribués à ce qui est éternel ?

 

 

Articulus 1lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 tit. Utrum definitio aeternitatis a Boetio posita, sit conveniens.

Article 1 – La définition de l’éternité donnée par Boèce convient-elle ?

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Et ponitur definitio aeternitatis a Boetio, 5 de Consol.: aeternitas est interminabilis vitae tota simul et perfecta possessio. Sed videtur quod ista definitio inconvenienter assignetur. Interminabile enim dicit negationem. Sed negatio non certificat aliquid. Ergo videtur quod in definitione aeternitatis poni non debeat.

1. La définition de l’éternité présentée par Boèce [5 De la Consolation] est la suivante : la possession entière, parfaite et simultanée d’une vie sans terme. Mais il semble que cette définition ne soit pas assignée avec justesse. Sans terme en effet ne dit qu’une négation. Mais une négation ne fait pas connaître une chose avec certitude. Il semble donc que cela ne doive par entrer dans la définition de l’éternité.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, prima mensura respondet primo mensurato. Sed primum inter mensurata est esse. Ergo videtur quod aeternitas, quae est prima mensura, non debet definiri per vitam sed per esse.

2. En outre la première mesure correspond au premier mesuré. Mais l’existence est la première des réalités à être mesurées. Il semble donc que l’éternité, qui est la première mesure, ne doive pas être définie par la vie mais par l’existence.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, simplex non habet mensuram, immo simplicissimo mensurantur omnia alia, secundum philosophum, X Metaph., text. 3. Sed vita divina est simplicissima. Ergo non respondet aliquid sibi in ratione mensurae, sed ipsa habet rationem mensurae: et ita nec aeternitas, quae rationem mensurae dicit.

3. De plus, le simple n’a pas de mesure, mais plutôt tout le reste est mesuré par ce qu’il y a de plus simple d’après le Philosophe [X Métaphysique, texte 3]. Mais la vie divine est ce qu’il y a de plus simple. Donc, rien ne lui correspond en terme de mesure, mais c’est elle-même qui a raison de mesure : et ainsi l’éternité, qui a raison de mesure, n’est pas sa mesure.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, totum dicitur respectu partium. Sed de ratione durationis est quod partes ejus non sint simul: quia impossibile est simul esse duas durationes, nisi una includat aliam, sicut Augustinus dicit, XI De civitate Dei, cap. VI.. Ergo videtur duo opposita dicere, cum dicit, tota simul.

4. Par ailleurs, le tout se dit par rapport aux parties. Mais il est de la nature même de la durée que ses parties ne soient pas simultanées :  car il est impossible que deux durées soient simultanées, à moins que l’une soit contenue dans l’autre, ainsi que le dit Augustin [XI De la Cité de Dieu, ch.  VI]. Il semble donc qu’on dise deux choses qui s’opposent lorsqu’on dit : entière et simultanée.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, totum includit in se rationem perfectionis. Ergo videtur quod perfecta superfluit.

5. En outre, le tout implique en lui-même la notion de perfection. Il semble donc que le terme parfait soit de trop.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 arg. 6 Item, aeternitas habet rationem durationis. Sed possessio nihil dicit ad durationem pertinens. Ergo videtur quod non debet poni in definitione aeternitatis, ad minus in recto, et sicut genus: quia quod sic ponitur in definitione alicujus, debet dicere quid sit definitum.

6. Par ailleurs, l’éternité a raison de durée. Mais la possession ne dit rien qui se rapporte à la durée. Il semble donc que ce terme ne doive pas être posé dans la définition de l’éternité, au moins directement et comme un genre : car ce qui est placé de cette manière dans la définition d’un défini doit dire ce qu’est le défini.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aeternitas dicitur quasi ens extra terminos. Esse autem aliquod potest dici terminatum tripliciter:

vel secundum durationem totam, et hoc modo dicitur terminatum quod habet principium et finem ;

vel ratione partium durationis, et hoc modo dicitur terminatum illud cujus quaelibet pars accepta terminata est ad praecedens et sequens ; sicut est accipere in motu ; vel ratione suppositi in quo esse recipitur: esse enim recipitur in aliquo secundum modum ipsius, et ideo terminatur, sicut et quaelibet alia forma, quae de se communis est, et secundum quod recipitur in aliquo, terminatur ad illud ; et hoc modo solum divinum esse non est terminatum, quia non est receptum in aliquo, quod sit diversum ab eo.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’éternité se dit comme de l’être posé en dehors de termes. Mais on peut dire qu’une existence possède des termes de trois manières :

Soit selon la durée totale et en ce sens une chose est dite avoir des termes lorsqu’elle a un commencement et une fin.

Soit en raison des parties de la durée et en ce sens on dit qu’a des termes ce dont n’importe quelle partie qu’on prend est terminée par rapport à ce qui précède et à ce qui suit, tout comme on le fait pour le mouvement.

Soit en raison du suppôt dans lequel l’existence est reçue : l’existence en effet est reçue dans une être selon le mode de cet être et c’est pourquoi elle se trouve ainsi à être déterminée comme toute autre forme qui de soi est commune, et c’est de la manière qu’elle est reçue dans un être que l’existence se trouve à être limitée ou déterminée à cet être ; et en ce sens seule l’existence divine n’est pas déterminée car elle n’est pas reçue dans quelque chose d’autre qui ne serait pas elle.

Dico ergo, quod ad excludendam primam terminationem, quae est principii et finis totius durationis, ponitur, interminabilis vitae ; et per hoc dividitur aeternum ab his quae generantur et corrumpuntur.

Je dis donc que pour exclure de la définition de l’éternité la première détermination, qui est celle du début et de la fin de la durée totale, il dit : de la vie sans terme ; et par là il se trouve à distinguer l’éternité des choses qui sont engendrées et corrompues.

Ad excludendum autem secundam terminationem, scilicet partium durationis, additur, tota simul: per hoc enim excluditur successio partium, pro qua unaquaeque pars finita est et transit: et per hoc dividitur aeternum a motu et tempore, etiam si semper fuissent et futura essent, sicut quidam posuerunt.

Mais pour exclure la deuxième détermination, à savoir celle des parties de la durée, il ajoute : entière et simultanée ; par là en effet il écarte la succession des parties en faveur de laquelle toute partie est finie et passagère : et par là l’éternel se distingue du mouvement et du temps, même s’ils avaient toujours existé et devaient toujours exister, ainsi que certains l’ont soutenu.

Ad excludendum tertiam terminationem, quae est ex parte recipientis, additur, perfecta: illud enim in quo non est esse absolutum, sed terminatum per recipiens, non habet esse perfectum sed illud solum quod est suum esse: et per hoc dividitur esse aeternum ab esse rerum immobilium creatarum, quae habent esse participatum, sicut spirituales creaturae.

Pour écarter la troisième délimitation qui se tient du côté de celui qui reçoit, il ajoute : parfaite ; en effet, celui en qui l’existence n’est pas absolue mais limitée par celui qui reçoit, ne possède pas une existence parfaite contrairement à celui qui est son existence même : et par là l’existence éternelle se distingue de l’existence des réalités immobiles créées qui possèdent une existence par participation, comme les créatures spirituelles.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod simplicia, et praecipue divina, nullo modo melius manifestantur quam per remotionem, ut dicit Dionysius. Cujus ratio est, quia ipsorum esse intellectus perfecte non potest comprehendere ; et ideo ex negationibus eorum quae ab ipso removentur, manuducitur intellectus ad ea aliqualiter cognoscenda. Unde et punctus negatione definitur. Et praeterea in ratione aeternitatis est quaedam negatio, inquantum aeternitas est unitas, et unitas est indivisio, et hujusmodi non possunt sine negatione definiri.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que les réalités qui sont simples, et surtout Dieu, ne peuvent en aucune manière être mieux manifestées que par la négation ainsi que le dit Denys. La raison en est que l’intelligence ne peut saisir parfaitement leur existence ; et c’est pourquoi, à partir des négations des choses qui sont écartées par elle, l’intelligence est conduite petit à petit vers celles qui sont à connaître jusqu’à un certain point. C’est pourquoi le point aussi est défini par la négation. Et de plus dans la notion d’éternité il y a une certaine négation, selon que l’éternité est une sorte d’unité et que l’unité est indivisible, et de telles notions ne peuvent être définies sans la négation.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod vivere hic large sumitur ad omne esse secundum etiam quod Augustinus dicit, lib. II Contre Max., cap. XII, col. 768, quod quaelibet mutatio creaturae, aliqua mors ejus est. Vel dicendum, quod quia in illo qui solus habet aeternitatem, esse et vivere sunt omnino idem ; ideo ratione ejus [actus, Éd. de Parme] in quo est aeternitas, posuit aeternitatem mensuram vitae.

2. En deuxième lieu il faut dire que vivre se prend ici au sens large pour tout ce qui existe selon ce qu’en dit encore Augustin [Livre 11 Contre Max., ch. XII, col. 768], à savoir que tout changement dans la créature est pour elle une certaine mort. Ou bien il faut dire que parce dans celui-là seul qui possède l’éternité, exister et vivre sont absolument identiques, c’est pourquoi il affirmé que l’éternité est la mesure de la vie en raison de celui [de l’acte Éd. de Parme] dans lequel se trouve l’éternité.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vivere et esse dicuntur per modum actus ; et quia cuilibet actui respondet mensura sua, ideo oportet ut divino esse et vitae divinae intelligatur adjacere aeternitas, quasi mensura ; quamvis realiter non sit aliud a divino esse ; et quia vivere magis habet rationem actus etiam [etiam om. Éd. de Parme] quam esse, ideo forte definit aeternitatem per vitam potius quam per esse.

3. Il faut dire en troisième lieu que vivre et exister se dire à la manière d’un acte ; et parce qu’à tout acte correspond sa mesure, c’est pourquoi il faut que l’éternité soit comprise comme accompagnant, comme une mesure, l’existence divine et  la vie divine ; bien qu’en réalité l’éternité ne diffère pas de l’existence divine ; et parce que vivre a davantage raison d’acte encore [encore om. Éd. de Parme] qu’exister, c’est pourquoi peut-être il définit l’éternité par la vie plutôt que par l’existence.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in successivis est duplex imperfectio: una ratione divisionis, alia ratione successionis, quia una pars non est cum alia parte ; unde non habent esse nisi secundum aliquid sui. Ut autem excludatur omnis imperfectio a divino esse, oportet ipsum intelligere sine aliqua divisione partium perfectum, et hoc dicit nomen ‘tota’: non enim dicit rationem partium. Item oportet ipsum intelligere sine successione, et hoc notatur [importatur Éd. de Parme] per adverbium simul.

4. Il faut dire en quatrième lieu que dans la succession il y a une double imperfection ; la première imperfection est en raison de la division alors que la deuxième est en raison de la succession, car une partie n’est pas avec l’autre partie ; c’est pourquoi elles ne possèdent l’existence que partiellement. Mais pour écarter toute imperfection de l’existence divine, il faut la comprendre comme parfaite sans aucune division de ses parties, et c’est ce que veut signifier ¨entière¨ : ce terme en effet ne dit pas la notion de parties. En outre il faut comprendre cette existence sans aucune sucession, et cela est signifié [introduit Éd. de Parme] par l’adverbe ¨simultanément¨

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod imperfectio esse potest considerari dupliciter. Vel quantum ad durationem ; et sic dicitur esse imperfectum cui deest aliquid de spatio durationis debitae ; sicut dicimus vitam hominis qui moritur in pueritia, imperfectam vitam ; et talis imperfectio tollitur per ly tota. Est etiam quaedam imperfectio quantum ad modum habendi, sicut omnis creatura habet imperfectum esse ; et talis imperfectio tollitur per ly perfecta unde non superfluit.

5. Il faut dire en cinquième lieu que l’imperfection peut être considérée de deux manières. Soit quant à la durée, et ainsi on dit qu’est imparfait celui à qui manque quelque chose de l’espace de durée qui est due, tout comme nous disons que la vie de l’homme qui meurt dans sa jeunessse est une vie imparfaite ; et une telle imperfection est écartée par ce terme : entière. Mais il y a encore une certaine imperfection quant à la manière de posséder, comme toute créature qui possède une existence imparfaite ; et une telle imperfection est écartée par le terme parfait qui n’est par conséquent pas de trop.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod duratio dicit quamdam distensionem ex ratione nominis: et quia in divino esse non debet intelligi aliqua talis distensio, ideo Boetius non posuit durationem, sed possessionem, metaphorice loquens ad significandum quietem divini esse ; illud enim dicimus possidere, quod quiete et plene habemus ; et sic Deus possidere vitam suam dicitur, quia nulla inquietudine molestatur.

6. Il faut dire en sixième lieu que la durée dit une certaine extension (dans le temps) en raison du nom : et parce que dans l’existence  divine on ne doit pas entendre une telle extension, c’est pourquoi Boèce n’a pas posé dans sa définition la durée, mais la possession, parlant par métaphore pour signifier le repos de l’existence divine ; en effet, nous disons posséder ce dont nous jouissons pleinement et paisiblement ; et c’est de cette manière que nous disons de Dieu qu’Il possède sa vie car il n’est tourmenté par aucune inquiétude.

 

 

Articulus 2 ib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 tit. Utrum aeternitas tantum Deo convenait

Article 2 – L'éternité convient-elle à Dieu seulement ?

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod aeternitas non tantum Deo conveniat. Aeternitas enim non est nobilior quam bonitas. Sed bonitas communicatur cum creaturis, ita quod a bono Deo creatura sit bona. Ergo videtur quod similiter aeternitas, ut alia ab ipso sint aeterna.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de cette deuxième question. Il semble que l’éternité n’appartienne pas qu’à Dieu. En effet, l’éternité n’est pas plus noble que la bonté. Mais la bonté est communiquée aux créatures de telle manière que c’est d’un Dieu bon que la créature tient sa bonté. Il semble donc qu’il en soit de même pour l’éternité de sorte que les autres êtres soient éternels de par son éternité à Lui.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Dan. XII, 3: qui ad justitiam erudiunt multos, fulgebunt quasi stellae in perpetuas aeternitates. Sed plures aeternitates non sunt unius aeterni. Ergo videtur quod sint plura aeterna, et non tantum Deus.

2. On lit dans Daniel (XII, 3): Ceux qui auront enseigné la justice à un grand nombre resplendiront comme des étoiles dans les éternités perpétuelles. Mais plusieurs éternités n’appartiennent pas à une seul être éternel. Il semble donc qu’il y ait plusieurs êtres qui soient éternels et pas seulement Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, in Psal. LXXV, 5: illuminans tu mirabiliter a montibus aeternis. Sed montes sunt creaturae. Ergo etiam creaturae sunt aeternae.

3. Par ailleurs, le Psalmiste dit (LXXV, 5): Tu resplendis admirablement sur les monts éternels. Mais les monts sont des créatures. Donc, même les créatures sont éternelles.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 4 Similiter etiam ignis Inferni dicitur aeternus, Matth. 25, 41: Ite maledicti in ignem aeternum. Ergo et cetera.

4. De la même manière encore on dit [Matth. 25, 41] du feu de l’Enfer qu’il est éternel: Allez, maudits, au feu éternel! La conclusion est donc la même ici.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 arg. 5 Item, philosophus dicit, quod omne necessarium est aeternum. Sed multa sunt necessaria. Ergo et cetera. Huic etiam consonat quod dicit Augustinus, IV de trinitate, cap. XVIII, col. 904, quod veritas aeterna est.

5. En outre, le Philosophe dit que tout ce qui est necessaire est éternel. Mais plusieurs énoncés sont nécessaires. Donc, la conclusion est la même. Et ce que dit Augustin [IV De la Trinité, ch. XVIII, col. 904] s’accorde avec cela lorsqu’il affirme que la vérité est éternelle.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, aeternum est esse interminatum, ut dictum est, art. praec. Sed solus Deus est hujusmodi. Ergo et cetera.

Cependant :

L’éternité est une existence sans terme, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Mais seul Dieu existe de cette manière. Donc, seul Dieu est éternel.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut ex praedicta definitione patet, aeternitas non potest nisi Deo convenire simpliciter et absolute secundum perfectam rationem aeternitatis. Sed secundum quod aliqua participant de interminabilitate aeternitatis, aliquo modo dicuntur aeterna participative.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout comme on le voit à partir de la définition qui précède, l’éternité ne peut appartenir, à parler absolument et simplement, qu’à Dieu seul d’après la définition parfaite de l’éternité. Mais selon que certains participent de l’absence de limite de l’éternité, on dit d’eux qu’ils sont éternels relativement, c’est-à-dire par participation.

Quod vero nullo modo interminabilitatem participat, nullo modo aeternum dicitur, sicut temporale, quod incipit et finitur. Dico ergo, quod quibusdam communicatur interminabilitas, secundum quod excludit terminum durationis ex parte post ; et hoc modo ignis Inferni dicitur aeternus, quia nunquam finietur. Utrum autem aliquod aeternum possit esse, quod non habeat principium durationis, quaeretur in principio secundi.

Mais ce qui ne participe en aucune manière de l’absence de limite de l’éternité ne peut aucunement être appelé éternel, par exemple ce qui est temporel et qui a un commencement et une fin. Je dis donc qu’à certains êtres est communiqué l’absence de limite selon qu’est enlevé le terme de la durée du côté de l’après ; et en ce sens le feu de l’Enfer est dit éternel car il ne finira jamais. Mais existe-t-il quelque chose qui puisse être éternel du côté de l’avant, sans avoir de commencement de sa durée, nous chercherons à le savoir au début du second livre.

Aliquibus autem creaturis communicatur interminabilitas, secundum quod excludit terminationem quae est ex successione partium ; et istae sunt spirituales creaturae, quarum esse est totum simul. Sed interminabilitas quae excludit omnem imperfectionem, non communicatur alicui creaturae, cum nulla creatura possit esse perfecta simpliciter ; sed communicatur sibi perfectio quaedam, scilicet quam nata [nota Éd. de Parme] est creatura attingere, ut sit perfecta secundum suam naturam: et sic Angeli et homines beati sunt perfecti, quia totum habent id ad quod eorum natura capax est: unde Angeli beati, magis sunt in participatione aeternitatis quam in naturalibus tantum considerati.

Mais l’absence de limite est communiquée à certaines créatures selon qu’elle exclut le terme ou la limite qui se tient du côté de la succession des parties ; et c’est le cas pour ces créatures qui sont spirituelles dont l’existence est entière et simultanée. Mais l’absence de limite qui exclut toute imperfection n’est communiquée à aucune créature, puisqu’aucune créature ne peut être absolument parfaite ; mais plutôt ce qui lui est communiqué, c’est une certaine perfection, c’est-à-dire  celle pour l’atteinte de laquelle la créature est faite de manière à être parfaite conformément à sa nature : et en ce sens les Anges et les hommes bienheureux sont parfaits parce qu’ils possèdent tout ce dont leur nature est capable : c’est pourquoi les Anges bienheureux participent davantage de l’éternité que ceux qu’on considère seulement parmi les êtres naturels.

Ex hoc potest colligi differentia inter aeternitatem, aevum et tempus. Illud enim quod habet potentiam non recipientem actum totum simul, mensuratur tempore: hujusmodi enim habet esse terminatum et quantum ad modum participandi, quia esse recipitur in aliqua potentia, et non est absolutum quantum ad partes durationis, quia habet prius et posterius. Illud autem quod habet potentiam differentem ab actu, sed quae totum actum simul suscipiat, mensuratur aevo: hoc enim non habet nisi unum modum terminationis, scilicet quia esse ejus est receptum in alio a se, ut dictum est, hac dist., quaest. 1, art. 1. Illud vero quod non habet potentiam differentem ab esse, mensuratur aeternitate ; hujusmodi enim esse est omni modo interminatum. Unde patet etiam quod aevum non est nisi quaedam aeternitas participata.

Et à partir de là on peut recueillir la différence qu’il y a entre l’éternité, l’aevum et le temps. Ce qui en effet possède la puissance de ne pas recevoir l’acte entièrement et simultanément est mesuré par le temps : un tel être en effet possède une existence limitée à la fois à cause du mode de participation parce qu’il reçoit l’existence dans une certaine puissance et parce qu’il n’est pas absolu quant aux parties de la durée car il est soumis à l’avant et à l’après. Mais ce qui, tout en possèdant une puissance différente de son acte, reçoit simultanément la totalité de l’acte, est mesuré par l’aevum : cet être en effet ne possède qu’une seule sorte de limite, à savoir parce que son existence est reçue dans quelque chose d’autre qu’elle-même, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction (quest. 1, art. 1). Mais ce qui ne possède pas une puissance différente de son existence est mesuré par l’éternité ; une telle existence en effet n’est limitée d’aucune manière. D’où il est clair aussi que l’aevum n’est qu’une participation de l’éternité prise au sens propre.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis divina bonitas sit communicabilis, non tamen secundum modum altissimum, prout est in Deo: unde summa bonitas non communicatur. Et quia aeternitas dicit esse secundum altissimum modum, qui est in Deo, ideo non communicatur ; sed esse absolute sumptum communicatur, sicut et bonum.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que la bonté divine soit communicable, elle ne l’est pas cependant de la manière la plus élevée comme elle existe en Dieu : de là, la bonté parfaite n’est pas communiquée. Et parce que l’éternité signifie une existence selon le mode le plus élevé qui existe en Dieu, c’est pourquoi elle non plus n’est pas communiquée ; mais l’existence prise absolument est communiquée, tout comme le bien.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Daniel accipit ibi aeternitates participatas in beatis, quae erunt plures secundum plures beatos.

2. Il faut dire en deuxième lieu que Daniel parle ici des éternités dont les bienheureux participent et qui sont multiples selon qu’elles existent chez plusieurs bienheureux.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod montes aeterni possunt dici ipsi Angeli, qui dicuntur aeterni participative, ut dictum est, in corp. art. Vel dicendum, quod potest intelligi etiam ad litteram de montibus corporalibus ; et dicuntur aeterni propter longaevitatem durationis.

3. Il faut dire en troisième lieu que les Anges eux-mêmes peuvent être appelés monts éternels parce qu’ils sont éternels par participation, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. Ou bien encore il faut dire qu’on peut aussi entendre cette expression comme pouvant se dire littéralement des monts corporels ; et on les dit éternels en raison de la longévité de leur existence.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ignis Inferni dicitur etiam aeternus, inquantum participat aliquam conditionem aeternitatis, scilicet non habere finem.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’on dit aussi du feu de l’Enfer qu’il est éternel selon qu’il participe d’un caractère de l’éternité, à savoir ne pas avoir de fin.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod necessaria sunt aeterna tantum in mente divina, sicut etiam veritates enuntiabilium fuerunt ab aeterno in Deo, et non aliter: nisi ponerentur creaturae ab aeterno, sicut philosophi posuerunt.

5. Il faut dire en cinquième lieu que les propositions nécessaires sont éternelles seulement dans l’esprit divin, tout comme aussi les vérités des énoncés qui existent de toute éternité en Dieu et qui ne peuvent être autrement : à moins qu’on affirme, ainsi que les philosophes l’ont soutenu, que les créatures sont éternelles.

 

 

Articulus 3. ib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 tit. Utrum verba temporalia possint dici de Deo

Article 3 – Peut-on attribuer à Dieu des paroles temporelles?

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod verba temporalia non possint dici de Deo. Unicuique enim respondet propria mensura. Sed tempus est propria mensura motus. Cum igitur in Deo nullus sit motus, videtur quod de Deo nullum temporale dici possit.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de ce troisième article. Il semble qu’on ne puisse attribuer à Dieu des paroles temporelles. À toute chose en effet correspond une mesure qui lui est propre. Mais le temps est la mesure qui est propre au mouvement. Donc, puisqu’en Dieu il n’y a aucun mouvement, il semble qu’aucune parole temporelle ne puisse être attribuée à Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 2 Item, quandocumque aliquid importans aliquam conditionem corporalem dicitur de Deo, metaphorice vel symbolice dicitur. Sed tempus est conditio consequens ipsa corpora, quia sequitur motum, et motus magnitudinem, secundum philosophum, IV Phys.,text. 99. Ergo videtur quod quandocumque aliquod verbum temporale dicitur de Deo, sit metaphorice dictum.

2. De plus, quelque chose impliquant une condition corporelle se dit parfois de Dieu par métaphore ou de manière symbolique. Mais le temps est une condition qui suit les corps eux-mêmes puisqu’elle découle du mouvement et que le mouvement découle de l’étendue d’après le Philosophe [IV Physique, texte 99]. Il semble donc que parfois une parole temporelle soit attribuée à Dieu et qu’elle soit une expression métaphorique.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod tantum praesens de Deo debeat dici. Aeternitas enim, quae est mensura divini esse secundum rationem intelligendi, omni [omni om. Éd. de Parme] caret successione. Sed solum praesens non includit successionem ; praeteritum enim et futurum dicuntur per relationem ad praesens, et non e converso ; et relatio illa est in ordine successionis. Ergo solum praesens de Deo debet dici.

3. En outre, il semble que le présent seul doive être attribué à Dieu. L’éternité en effet, qui est la mesure de l’existence divine selon ce qu’il faut en comprendre, est privée de toute [toute om. Éd. de Parme] succession. Mais seul le présent ne comprend pas en lui la succession ; le passé et le futur en effet se disent par rapport au présent et non inversement ; et cette relation entre dans l’ordre de succession. Il n’y a donc que le présent qu’on doive attribuer à Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 4 Item, videtur quod praeteritum. Divinum enim esse est perfectum. Sed inter alia tempora praeteritum magis sonat perfectionem. Ergo de Deo maxime dici debet.

4. De plus, il semble que le passé puisse se dire de Dieu. En effet, l’existence divine est parfaite. Mais parmi tous les temps, le passé est celui qui signifie le plus la perfection. C’est donc surtout ce temps qui doit lui être attribué.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod praeteritum imperfectum. Quia Joannes in principio Evangelii sui altissime de Deo locutus est. Sed ipse ibi utitur verbis praeteriti imperfecti temporis ad designandum divinam aeternitatem, dicens: In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. Ergo videtur quod ista verba maxime competant ad significandum divinam aeternitatem.

5. En outre, il semble que ce doive être le passé imparfait. Car Jean, au début de son Évangile, a parlé de Dieu de la manière la plus élevée. Mais lui-même se sert là de verbes appartenant au temps du passé imparfait pour designer l’éternité divine lorsqu’il dit: Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Donc, il semble que ces verbes conviennent au plus haut point pour signifier l’éternité divine.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 arg. 6 Item, videtur quod futurum. Divinum enim esse maxime distat a defectu. Cum igitur futurum remotius sit inter alia a deficiendo, videtur quod maxime competat in divinis.

6. Mais il semble que le futur soit plus approprié pour signifier l’éternité divine. L’existence divine en effet est celle qui est la plus loin d’être en défaut. Donc, puisque le futur est parmi tous les autres temps celui qui est le plus éloigné d’être en défaut, il semble qu’il convienne davantage à Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod enuntiatio non potest fieri de aliquo nisi secundum quod cadit in cognitionem. Omne autem cognoscens cognoscit secundum modum suum, ut dicit Boetius ; lib. V De consol., pros. 2, et ideo, quia ratio nostra connaturale habet secundum statum viae accipere cum tempore, propter hoc quod ejus cognitio oritur a sensibilibus, quae in tempore sunt, ideo non potest formare enuntiationes nisi per verba temporalia: unde cogitur de Deo enuntians, verbis temporalibus uti, quamvis intelligat eum supra tempus esse: nihilominus tamen istae locutiones non sunt falsae.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’on ne peut former une énonciation sur une chose que dans la mesure où cette dernière vient à être connue. Mais ce qui est capable de connaître connaît selon les modalités qui lui sont propres, ainsi que le dit Boèce [ 1 De la Consolation, pros. 2], et c’est pourquoi, parce que notre raison naturelle doit ici-bas appréhender les choses en fonction du temps pour cette raison que sa connaissance se forme à partir des choses sensibles qui existent dans le temps, c’est pourquoi elle ne peut former des énonciations qu’au moyen de verbes temporels : de là elle est réduite, en formant des énoncés sur Dieu, de se servir de verbes temporels, bien qu’elle comprenne elle-même que Dieu transcende le temps ; et néanmoins cependant ces façons de parler ne sont pas fausses.

Divinum enim esse, ut dicit Dionysius, de divinis nominibus, c. V § 4, col. 818, praeaccipit sicut causa in se omne esse quantum ad id quod est perfectionis in omnibus ; et ideo enuntiamus de ipso verba omnium temporum, propter id quod ipse nulli tempori deest, et quidquid est perfectionis in omnibus temporibus, ipse habet.

L’existence divine en effet, ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. V, &4, col. 818], contient en elle comme dans leur cause toutes les existences quant à ce qu’il y a de parfait en elles ; et c’est pourquoi nous formons sur Dieu des énoncés au moyen de verbes de tous les temps pour cette raison que Lui-même n’est absent à aucun temps et qu’Il possède tout ce qu’il y a de parfait dans tous les temps.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando verba temporalia dicuntur de Deo, intellectus noster non attribuit divino esse illud quod est imperfectionis in singulis temporibus, sed quod est perfectionis in omnibus ; aeternitas enim includit in se omnem perfectionem modo simplici, quae est in temporalibus divisum [divisa et temporibus diversis Éd. de Parme] cum tempus imitetur perfectionem aeternitatis, quantum potest.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsque les verbes temporels sont dits de Dieu, notre intelligence n’attribue pas à l’existence divine ce qu’il y a d’imparfait dans chacun de ces temps, mais ce qu’il y a de parfait dans tous ces temps ; l’éternité en effet contient en elle selon le mode de la simplicité toutes les perfections qui dans les choses temporelles se rencontrent dans la division [divisées et dans des temps différents Éd. de Parme], puisque le temps se trouve à imiter, dans la mesure du possible, la perfection de l’éternité.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliqua dictio potest importare conditionem corporalem dupliciter. Vel quantum ad rem significatam principaliter in nomine ; et tale quid non dicitur de Deo nisi symbolice, sicut leo et agnus et ira et hujusmodi.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’un énoncé comporter une condition corporelle de deux manières. Soit quant à la chose qui est signifiée principalement dans le nom : et un tel énoncé ne se dit de Dieu que dans un sens symbolique, comme lorsqu’on dit de Lui qu’Il est un lion, un agneau, en colère, etc.

Vel quantum ad modum significandi, et non quantum ad rem significatam ; et ista proprie dicuntur de Deo, quamvis non perfecte ipsum repraesentent: alias omnia nomina dicta de Deo essent symbolica, quia modus significandi ipsorum est secundum quod de creaturis dicuntur ; et de talibus haec sunt verba, fuit et erit quae significant essentiam per modum actus, et consignificant tempus.

Soit quant au mode même de signifier et non quant à la chose même qui est signifiée ; et ces noms se disent proprement de Dieu bien qu’ils ne Le représentent pas parfaitement, (car autrement tous les noms s’attribueraient à Dieu selon le mode symbolique) car le mode de signifier de ces noms de deuxième type est celui dont on use pour les attribuer aux créatures ; et dans ce cas, tels sont les verbes ¨fut¨ et ¨sera¨, lesquels signifient l’essence à la manière d’un acte et transportent avec eux la signification du temps.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quantum ad id quod praesens non implicat successionem nec habet aliquid de non esse inclusum, inter alia proprius Deo competit ; nihilominus tamen verba aliorum temporum dicuntur de Deo secundum id quod perfectionis est in ipsis, et non ratione successionis vel alicujus defectus.

3. Il faut de en troisième lieu que le présent, quant à ceci qu’il n’implique pas la succession et qu’il ne contient pas en lui du non-être, convient plus proprement à Dieu que tout autre temps ; néanmoins cependant les verbes relatifs aux autres temps se disent de Dieu selon la perfection qui est impliquée en eux et non en raison de la succession ou de tout autre défaut.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nomine perfectionis praeteritum de Deo dicitur, et quia non est novum, secundum quod ipse praeteritis non defuit. Nihilominus tamen intelligendum est, quod aliquando per praesens magis designatur perfectio quam per praeteritum: quaedam enim sunt quorum esse est in fieri, et horum perfectio non est nisi quando venitur ad terminum, et horum perfectio magis significatur per praeteritum, sicut sunt motus, et hujusmodi successiva.

4. Il faut dire en quatrième lieu que le passé se dit de Dieu par un nom de perfection et parce qu’il n’est pas nouveau, selon que Lui-même n’abandonne pas ce qui est passé. Il faut néanmoins comprendre que c’est parfois plus par le présent que par le passé qu’une perfection est désignée : il y a des choses en effet dont l’existence est dans le devenir et leur perfection ne s’accomplit que lorsqu’elles parviennent à leur terme, et leur perfection est davantage signifiée par le passé, comme c’est le cas pour le mouvement et tout ce qui est soumis à la progression.

Quaedam autem sunt quorum esse consistit in permanendo ; et horum perfectio designatur magis per praesens quam per praeteritum: quia in hoc quod sunt, habent perfectionem ; et praeteritum dicitur secundum recessum ab esse. Unde etiam in divinis ea quae dicuntur per modum rei permanentis verius signantur per praesens, ut, Deus est bonus, ut hujusmodi ; quae autem signantur per modum actus, verius signantur per praeteritum, sicut infra, dist. 9, dicit Gregorius quod magis proprie dicimus filium natum, quam nasci.

Mais il y a certaines choses dont l’existence consiste dans la permanence ; et leur perfection est davantage désignée par le présent que par le passé car elles possèdent leur perfection par cela même qu’elles existent. Et le passé se dit d’après un éloignement de l’être. C’est pourquoi même pour les choses divines ce qui se dit par mode de permanence se dit est signifié davantage en vérité par le présent : par exemple, comme lorsqu’on dit que Dieu est bon ; mais ce qui est signifié par mode d’acte est signifié davantage en vérité par le passé ainsi que le dit plus loin Grégoire dans la distincition 9 lorsqu’il affirme que nous disons plus proprement que le Fils est né que lorsque nous disons qu’Il naît.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quoad aliquid magis proprie dicitur de ipso Deo praeteritum imperfectum quam praeteritum perfectum, eo scilicet quod terminationem non includit, sicut verbum praeteriti perfecti ; unde in illis quae significantur per modum actus, verius dicitur praeteritum perfectum, quia horum perfectio non potest significari nisi ex termino ; quae autem significantur non per modum operationis, verius significantur per praeteritum imperfectum, quia horum perfectio non dependet ex termino.

5. Il faut dire en cinquième lieu que d’un certain point de vue le passé imparfait se dit plus proprement de Dieu que le passé parfait du fait qu’il ne contient pas un terme comme c’est le cas pour le verbe du passé parfait ; c’est pourquoi, pour les choses qui sont signifiées par mode d’acte, le passé parfait se dit davantage en vérité parce leur perfection ne peut être signifiée qu’à partir du terme ; mais pour celles qui ne sont pas signifiées par mode d’opération, elles sont davantage signifiées en vérité par le passé imparfait car leur perfection ne dépend pas d’un terme.

lib. 1 d. 8 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod futurum maxime removetur a divina praedicatione, propter hoc quod nondum est, nisi in potentia. Nihilominus tamen secundum id quod est perfectionis in ipso, scilicet quod longius distat a deficiendo, de Deo dicitur, abjecta imperfectione.

6. Il faut dire en sixième lieu que le futur est le temps le plus éloigné de l’attribution divine pour cette raison qu’il n’existe encore qu’en puissance. Néanmoins cependant, selon ce qu’il y a de perfection en lui, à savoir selon qu’il est le plus éloigné d’un défaut, il se dit de Dieu une fois  l’imperfection écartée.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [L’immutabilité de Dieu]

Prooemium

Prologue

lib. 1 d. 8 q. 3 pr. Dei etiam solius essentia incommutabilis dicitur proprie. Hic prosequitur de secundo attributo, scilicet immutabilitate, dicens solum Deum incommutabilem esse, alias autem omnes creaturas aliquo modo mutabiles ; et circa hoc tria quaeruntur:

1 utrum Deus sit omnino immutabilis ;

2 utrum omnis creatura sit mutabilis ;

3 de modis mutationum, quos Augustinus assignat in littera.

Il n’y a encore que la seule essence de Dieu qui soit immuable à proprement parler. Ceci traite du deuxième attribut de Dieu, à savoir l’immutabilité, en disant que seul Dieu est immuable et que toutes les créatures sont de quelque manière changeantes ; et à ce sujet on cherche à répondre à trois questions :

1. Est-ce que Dieu est absolument immuable ?

2. Est-ce que toute créature est changeante ?

3. Quels sont les modes de changements qu’Augustin identifie identifie dans son texte ?

 

 

Articulus 1.lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 tit. Utrum Deus aliquo modo sit mutabilis.

Article 1 – Dieu est-il changeant de quelque manière ?

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus sit aliquo modo mutabilis. Sap. 7, 24: omnibus mobilibus mobilior est sapientia. Sed sapientia divina, de qua loquitur, est ipse Deus. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de cette première question. Il semble que Dieu soit changeant d’une certaine manière. On lit en effet dans le livre de la Sagesse (7,24) : La Sagesse est plus mobile que tout ce qui se meut. Mais la Sagesse divine, dont il parle, est Dieu lui-même. Donc Dieu est changeant de quelque manière.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid movet seipsum, movetur a seipso. Sed, sicut dicit Augustinus super Genes. ad lit., lib. VIII, cap. XX, col.388 : spiritus creator movet se nec per tempus nec per locum. Ergo videtur quod moveatur.

2. Par ailleurs, tout ce qui se meut soi-même est mû par soi-même. Mais, tout comme le dit Augustin [ VIII1 Super Genes. ad litt., ch. XX, col. 388, t. 111] : L’Esprit créateur se meut lui-même, mais ni dans le temps ni dans le lieu. Il semble donc que Dieu se meuve.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 arg. 3 Item, omne quod est per alterum, reducitur ad illud quod est per se. Sed invenimus multa quae moventur per alios motores. Ergo oportet esse aliquid quod moveatur a seipso. Sed omnis creatura mota movetur ab alio, quia a Deo. Ergo Deus est motus a se.

3. En outre, tout ce qui existe par un autre se ramène à ce qui existe par soi. Mais nous rencontrons une multitude de choses qui sont mues par des moteurs extérieurs. Il faut donc qu’il y ait un être qui se meuve par lui-même. Mais toute créature qui se  meut est mue par un autre qui est Dieu. Donc Dieu est mû par lui-même.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod exit de otio in actum, aliquo modo movetur, secundum philosophum, III Physic., text. 16, quia omnis operatio quae est ab operante non moto est semper. Sed Deus quandoque creat in actu, vel infundendo gratiam, cum prius hoc non fecerit. Ergo videtur quod ad minus sit in eo mutatio de habitu in actum.

4. De plus, tout ce qui passe du reposà l’acte est mû de quelque manière selon le Philosophe [111 Physique, texte 16], car toute operation qui vient d’un agent immobile est éternelle. Mais Dieu crée parfois en acte, soit en répandant la grâce, alors qu’il n’avait pas fait cela antérieurement. Il semble donc qu’il y ait au moins en lui le changement de l’habitus à l’acte.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, Malach. III, 6: ego Deus, et non mutor ; et Jacob. I, 17: apud quem non est transmutatio, nec vicissitudinis obumbratio.

Cependant :

1. Malachie dit (111, 6) : Je suis Dieu et je ne change pas ; et on lit dans Jacques (1, 17) : Celui qui ne change pas et chez qui il n’y a pas l’ombre d’une variation.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut probat philosophus, VIII Physic., text. 34, omne quod movetur, ab alio movetur. Si igitur illud a quo movetur mobile ipsum, etiam movetur, oportet quod ab aliquo motore moveatur. Sed impossibile est ire in infinitum. Ergo oportet devenire ad primum motorem, qui movet et nullo modo movetur ; et hic est Deus. Ergo omnino est immutabilis.

2. En outre, tout comme le prouve le Philosophe [ VIII Physique, texte 34], tout ce qui se meut est mû par un autre. Si donc ce par quoi le mobile se meut, se meut lui aussi, il faut qu’il se meuve par l’action d’un moteur extérieur. Mais il est impossible de procéder ainsi à l’infini. Il faut donc en venir à un premier moteur qui meut tout en n’étant mû d’aucune manière ; ce premier moteur est Dieu. Et il est absolument immuable.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod omnis motus vel mutatio, quocumque modo dicatur, consequitur aliquam possibilitatem, cum motus sit actus existentis in potentia. Cum igitur Deus sit actus purus, nihil habens de potentia admixtum, non potest in eo esse aliqua mutatio.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout mouvement ou tout changement, quelle qu’en soit la sorte, découle d’une possibilité, puisque le mouvement est l’acte de ce qui existe encore en puissance. Donc, puisque Dieu est acte pur, n’étant mélangé à aucune puissance, il ne peut y avoir en Lui aucun changement.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod divina sapientia non dicitur mobilis quia in se moveatur, sed inquantum procedit in effectus ; et ista processio non est proprie motus, sed quamdam similitudinem motus habet. In motu enim locali processivo, illud quod est in uno loco, fit postmodum in alio, et deinde in alio, et sic deinceps quousque compleatur motus. Similiter autem divina sapientia, quae est exemplar rerum, facit similitudinem suam in creatura secundum ordinem: quia prius efficiuntur in participatione divinae similitudinis creaturae superiores, et posterius inferiores.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on n’attribue pas la mobilité à la sagesse divine parce qu’en elle-même elle se meut mais pour autant qu’il y a des effets qui procèdent d’elle ; et cette procession n’est pas à proprement parler un mouvement, mais elle possède une certaine ressemblance à l’égard du mouvement. Dans le mouvement local progressif en effet, ce qui est dans tel lieu devient par la suite dans un autre lieu et ainsi successivement jusqu’à ce que le mouvement soit complété. De la même manière en quelque sorte la sagesse divine, laquelle est la cause exemplaire des choses, produit dans la créature sa ressemblance selon un certain ordre : car ce sont en premier lieu les créatures supérieures, puis celles qui sont inférieures, qui ont été produites par participation à la ressemblance divine.

Unde in hoc habet similitudinem motus: quia ipsa divina sapientia secundum similitudinem suam efficitur in creatura. In duobus autem deficit a ratione motus: primo quia non est idem numero quod est in hoc et in illo ; sed similitudo ejus ; secundo, quia non est ibi ordo temporis, secundum quod procedit in diversas creaturas, sed tantum ordo naturae: quia per prius naturaliter sunt in participatione divinae bonitatis creaturae nobiliores, et si non tempore, saltem natura, et sic etiam intelligitur quod Dionysius dicit in principio Cael. Hierar., 1, §1, 120 B : Sed et patre luminum moto etc., et quod frequenter dicit, divinam bonitatem vel sapientiam procedere in creaturas.

C’est donc en cela que cette procession ressemble au mouvement : car c’est la sagesse divine elle-même qui est produite dans la créature selon la ressemblance. Et c’est sous deux rapports qu’elle se distingue du mouvement : premièrement, ce n’est pas la même chose par le nombre qui est en ceci et en cela, mais seulement une ressemblance ; deuxièmement, parce qu’il n’y a pas là un ordre temporel selon lequel elle procède dans les créatures, mais seulement un ordre de nature : car c’est par nature que les craétures plus nobles sont les premières à exister dans la participation de la bonté divine ; et si ce n’est pas par le temps, elles les sont au moins par nature et c’est ainsi encore que l’entend  Denys au début de La Hiérarchie Céleste (1, &1, 120 B) : Mais toute procession par laquelle Dieu se manifeste vient à nous par le Père des lumières etc., et c’est là ce qu’il dit en de nombreuses occasions, à savoir que la bonté ou la sagesse divine procède dans les créatures.

[682] Super Sent., lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus accipit large moveri, secundum quod ipsum intelligere est moveri quoddam et velle, quae proprie non sunt motus sed comparatione [operationes Éd. de Parme]. In hoc enim verificatur dictum Platonis in Parmenide, qui dicit: Deus movet se ; sicut dicit Commentator, XII Metaph., cap. II, qui dicit quod Deus intelligit se et vult se: sicut etiam dicimus, quod finis movet efficientem. Vel dicendum, quod movet se in creaturarum productione, ut dictum est, hac dist., quaest. 1, art. 1.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’Augustin parle ici du mouvement au sens large, selon que l’opération de l’intelligence et celle de la volonté sont un certain mouvement, lesquelles ne sont pas proprement un mouvement mais seulement par comparaison [les opérations Éd. de Parme]. C’est en cela que se vérifie la parole de Platon dans le Parménide qui dit : Dieu se meut ; comme le dit le Commentateur [XII Métaphysique, ch. 11] qui dit que Dieu se comprend et se veut : tout comme nous disons aussi que la fin meut l’agent. Ou bien il faut dire qu’Il se meut dans la production des créatures ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction, à l’article 1 de la question 1.

[683] Super Sent., lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod impossibile est aliquid movere seipsum nisi secundum diversas partes, ita quod una pars sit movens et alia mota ; sicut etiam in animali est anima movens et corpus motum. Cujus ratio est, quia nihil movet nisi secundum quod est in actu, nec movetur nisi secundum quod est in potentia, et haec duo non possunt simul eidem inesse respectu ejusdem. Et quia Deus est simplex, non potest esse quod seipsum moveat, proprie loquendo. Quod ergo objicitur quod omne mobile per aliud reducitur ad mobile per se, verum est de reductione quae est ad primum in genere illo. Unde secundum philosophos, omnia mobilia reducuntur ad primum mobile, quod dicebant motum ex se, quia est compositum ex motore et moto. Sed hoc ulterius oportet reducere in primum simplex, quod est omnino immobile.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’il est impossible à une chose de se mouvoir soi-même si ce n’est d’après différentes parties, de telle manière qu’une partie meuve et que l’autre soit mue ; tout comme nous voyons encore que l’âme meut et que le corps est mû. La raison en est que rien ne meut qui ne soit en acte et rien n’est n’est mû qui ne soit en puissance, et ces deux dimensions ne peuvent exister simultanément  dans un même sujet sous un même rapport. Et parce que Dieu est simple, il est impossible, à proprement parler, qu’Il se meuve lui-même. Donc, ce qu’on objecte, à savoir que tout ce qui est mû par un autre se ramène à ce qui se meut par soi est vrai de cette réduction à l’égard de ce qui est premier dans tel genre. C’est pourquoi d’après les philosophes tous les mobiles se ramènent à un premier mobile qu’ils disaient être mû à partir de lui-même parce qu’ils le disaient être composé d’un moteur et d’un mû. Mais il faut à la fin ramener cela à un être premier et simple qui est absolument immobile.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in omnibus in quibus operatio differt a substantia, oportet esse aliquem modum motus ex hoc quod exit de novo in operationem ; quia acquiritur in ipso operatio, quae prius non erat. In Deo autem operatio sua est sua substantia: unde sicut substantia est aeterna, ita et operatio. Sed non sequitur operationem operatum ab aeterno, sed secundum ordinem sapientiae, quae est principium operandi.

4. Il faut dire en quatrième lieu que dans tous les cas où l’opération diffère de la substance, il faut qu’il y ait une sorte de mouvement du fait qu’il passe une nouvelle fois à l’opération car alors est acquise en lui l’opération qui n’y était pas antérieurement. Mais en Dieu son opération est sa substance : de là, tout comme la substance est éternelle, de même son opération est éternelle. Mais l’effet ou l’œuvre produite ne suit pas l’opération de toute éternité mais suivant l’ordre de la sagesse qui  est le principe de l’opération.

 

 

Articulus 2lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 tit. Utrum omnis creatura sit mutabilis.

Article 2 – Toute créature est-elle changeante ?

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non omnis creatura sit mutabilis. Omnis enim mutatio ut dicitur in V Phys., text. 7, est generatio vel corruptio vel motus. Sed quaedam sunt in quibus nullum horum est, sicut Angeli, et hujusmodi, quae sunt separata a materia et motu secundum philosophos, XII Metaph., text. 30. Ergo non omnis creatura mutabilis est.

Difficultés :

1. Il semble que toute créature ne soit pas changeante. Tout changement en effet, comme le dit [V Physique, texte 7] le Philosophe, est soit une génération, soit une corruption, soit un mouvement. Mais il existe des êtres, comme les Anges et les êtres qui sont séparés de la matière et du mouvement d’après les philosophes [XII Métaphysique, texte 30], dans lesquels ne se trouve aucun de ces changements. Donc, ce n’est pas toute créature qui est changeante.

Lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid est mutabile pertinet ad considerationem naturalis, cujus est considerare motum. Sed substantiae separatae a materia non considerantur a naturali. Ergo non sunt mutabiles.

2. Par ailleurs, tout ce qui est changeant relève de la considération du naturaliste auquel il appartient d’examiner le mouvement. Mais les substances séparées de la matière ne sont pas examinées par le philosophe de la nature. Elles ne sont donc pas changeantes.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, quidquid mutatur, subjicitur mutationi. Sed formae simplices non possunt esse subjectum ut dicit Boetus, De Trinitae, cap. II, col. 1250. Ergo non possunt mutari

3. De plus, tout est changé est le sujet  d’un changement. Mais, comme le dit Boèce [De la Trinité, ch. 11, col. 1250], les formes simples ne peuvent être un sujet. Elles ne peuvent donc pas être changées.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut in Littera dicitur, omnis creatura movetur per tempus vel per locum. Sed quaedam sunt creaturae quorum non est locus et tempus ; sicut universale, quod, secundum philosophum, I Post., text. 7, est ubique et semper ; et sicut materia prima, de qua dicit Augustinus, XII, Confess. Cap. XIX, col. 836, quod successiones temporum, non habet. Ergo non omnis creatura mutatur.

4. En outre, comme il est dit dans le document, toute créature se meut par le temps ou par le lieu. Mais il y a certaines créatures pour lesquelles il n’y a ni lieu ni temps, comme c’est le cas pour l’universel qui, selon le Philosophe [1 Seconds Analytiques, texte 7], se retrouve partout et toujours ; et il en est de même pour la matière première, au sujet de laquelle Augustin [XII Confessions, ch. XIX, col. 836] dit qu’elle n’est pas soumise à la succession des temps. Ce n’est donc pas toute créature qui est soumise au changement.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra, Psalm., 101, 28: Mutabis eos, et mutabuntur.

Cependant :

1. Le Psalmiste dit (101, 28) : Tu les changeras et ils seront changés.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Damascenus, lib. I Fidei orth., cap. III, col. 795, dicit: omne quod est ex nihilo, vertibile est in nihil ; quod enim a mutatione incepit, subjacere mutationi necesse est. Sed omnis creatura est hujusmodi. Ergo et cetera.

En outre, Damascène [ 1, De la Foi Orthodoxe, ch. 111, col. 795] dit : Tout ce qui sort du néant peut retourner au néant ; tout ce qui a commencé à exister par le changement est nécessairement soumis au changement. Toute créature est donc soumise au changement.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. 1, motus, quocumque modo dicatur, sequitur potentiam. Cum igitur omnis creatura habeat [aliquam potentiam vel Éd. de Parme] aliquid de potentia, quia solus Deus est purus actus, oportet omnes creaturas mutabiles esse, et solum Deum immutabilem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que, tout comme nous l’avons dit dans l’article 1, le mouvement, quelle que soit la manière dont on le prenne, découle d’une puissance. Donc, puisque toute créature a en elle [une puissance Éd. de Parme] de la potentialité, car seul Dieu est acte pur, il faut que toute créature soit changeante et que seul Dieu soit immuable.

Est autem considerare duplicem possibilitatem: unam secundum id quod habet [res add. Éd. de Parme] ; alteram secundum id quod nata est habere. Prima consequitur creaturam [naturam Éd. de Parme] secundum quod habet esse ab alio ; omne enim quod esse suum ab alio habet, non est per se necesse esse, ut probat Avicenna ; unde, quantum est in se, est possibile, et ista possibilitas dicit dependentiam ad id a quo est.

Mais il y a deux sortes de puissances à considérer : la première selon ce qu’elle possède [la chose add. Éd. de Parme] ; la deuxième selon ce qu’elle est apte à posséder naturellement. La première résulte de la créature [nature Éd. de Parme] selon qu’elle tient d’un autre son existence ; en effet, tout ce qui tient son existence d’un autre, il n’est pas nécessaire qu’il existe ainsi que le prouve Avicenne ; de là, quant à ce qu’il est en lui-même, il n’est qu’un possible ou une puissance et cette possibilité dit une dépendance à l’égard de ce par quoi il existe.

Haec autem possibilitas est duplex. Quaedam secundum dependentiam totius esse ad id a quo est res secundum totum esse suum, et illud [hujusmodi Éd. de Parme] est Deus ; et hanc dependentiam sive possibilitatem consequitur mutabilitas quaedam, quae est vertibilitas in nihil, secundum Damascenum ubi supra. Tamen haec non proprie est mutabilitas [mutabilitas dicitur Éd. de Parme] dicitur, nec creatura secundum hoc proprio mutabilis est ; et ideo Augustinus de hoc non facit mentionem in Littera.

Mais cette possibilité d’existence est double. Il y a une possibilité d’existence d’après la dépendance de toute l’existence à l’égard de ce par quoi la chose existe d’après la totalité de son existence, et cela [un tel être Éd. de Parme] est Dieu ; et de cette dépendance ou de cette possibilité résulte un certain changement qui est le retour possible au néant, comme Damascène l’a souligné plus haut. Cependant ce changement n’est pas à proprement parler un changement [ne s’appelle pas changement Éd. de Parme] et ce n’est pas d’après cela proprement que la créature est changeante ; et c’est pourquoi Augustin n’en fait pas expressément mention dans sa Lettre.

Et hujus ratio est duplex, quia in omni mutabili est invenire aliquid quod substernitur ei quod per mutationem amovetur, et de hoc dicitur quod potest mutari. Sed si accipiamus totum esse creaturae quod dependet a Deo, non inveniemus aliquid substratum de quo possit dici quod potest mutari.

Et il y a deux raisons pour cela, car dans tout ce qui peut changer il faut retrouver quelque chose qui se tient sous ce qui est retiré par le changement, et on peut dire que cela peut changer. Mais si nous prenons la totalité de l’existence de la créature qui dépend de Dieu, nous ne retrouvons pas un substrat au sujet duquel on puisse dire qu’il peut changer.

Alia ratio est, quia nihil dicitur possibile cujus contrarium est necessarium, vel quod non potest esse, nisi impossibili posito. Esse autem creaturae omnino deficere non potest, nisi retrahatur inde fluxus divinae bonitatis in creaturis, et hoc est impossibile ex immutabilitate divinae voluntatis, et contrarium necessarium ; et ideo ex hoc creatura non potest dici simpliciter corruptibilis vel mutabilis sed sub conditione si sibi relinquatur ; et hoc est quod dicit Gregorius ; lib. XVI, Moralium, cap. XXXVII, col. 1343,: In nihilum omnia deciderent, nisi ea manus omnipotentis contineret.

L’autre raison est que rien n’est dit possible dont le contraire est nécessaire, ou qui ne peut exister que s’il est posé comme impossible. Mais l’existence de la créature ne peut absolument s’éteindre que si le flot de la bonté divine est retiré aux créatures, et cela est impossible à cause de l’immuabilité de la volonté divine et cela est contraire à ce qui est nécessaire ; et c’est pourquoi sous ce rapport la créature ne peut être dit simplement corruptible ou changeante, à condition toutefois que l’existence lui soit conservée ; et c’est là ce que dit Grégoire [XVI, Des Choses Morales, ch. XXXVII, col. 1343] : Tous retourneraient au néant si la main du Tout-Puissant ne les tenait.

Est etiam quaedam dependentia sive possibilitas rei secundum partem sui esse, scilicet formam, praesupposita materia, vel eo quod est loco materiae ; et hanc possibilitatem sequitur mutatio variabilitatis, ex eo quod id quod habet ab alio, potest amittere, quantum est in se, nisi forte impediatur ex immutabilitate causae, ut dictum est, art. praeced. ; et hoc modo sancti in gloria sunt immutabiles in esse gloriae propter immutabilitatem divinae voluntatis. Secunda possibilitas consequitur creaturam secundum quod non est perfecta simpliciter ; secundum hoc enim semper possibilis est ad receptionem.

Mais il y a aussi une dépendance ou une possibilité de la chose d’après une partie de son existence, à savoir sa forme, la matière ou ce qui en tient lieu étant présupposé ; et le changement de la variabilité résulte de cette possibilité du fait que ce que la chose, quant à ce qu’elle est en elle-même, tient d’un autre, elle peut le perdre à moins que cela ne soit empêché en raison de l’immuabilité de la cause, comme nous l’avons dit dans l’article précédent ; et en ce sens les saints qui jouissent de la gloire de Dieu sont immuables dans leur existence en présence de cette gloire en raison de l’immuabilité de la volonté divine. La deuxième possibilité résulte de la créature selon que son existence n’est pas absolument parfaite ; sous ce rapport en effet elle est toujours en puissance à recevoir.

Unde secundum hoc etiam dicitur omnis creatura mutabilis, accipiendo large mutationem, secundum quod omne recipere dicitur pati quoddam et moveri, sicut dicit philosophus in Lib. 3 de anima, text. 12 : intelligere quoddam pati est.

Par conséquent sous ce rapport on dit encore de toute créature qu’elle est changeante, en prenant le changement au sens large, selon qu’on dit de toute réception qu’elle est une certaine passion, un certain mouvement, ainsi que le dit le Philosophe [111 De l’âme, texte 12] : L’acte de l’intelligence est une certaine passion.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod philosophi consideraverunt tantum illam mutationem quae est secundum variationem formae substantialis vel accidentalis cujus causa non est immutabilis ; et hanc diviserunt per generationem et corruptionem et motum. Talem autem mutationem non est possibile in Angelis esse quantum ad id quod in natura eorum est.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que les philosophes n’ont considéré que ce changement qui a lieu selon la variation de la forme substantielle ou de la forme accidentelle dont la cause n’est pas immuable ; et c’est pourquoi leur division du changement contient la génération, la corruption et le mouvement. Mais il est impossible qu’il y ait de tels changements chez les Anges quant à ce qui existe dans leur nature.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 2 Et per hoc patet solutio ad secundum, quia naturalis non considerat nisi dictam mutationem.

2. Et par là on voit la solution à la deuxième difficulté car le naturaliste ne considère que les changements dont nous venons de parler.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Magister et Augustinus loquuntur hic de creaturis quae habent esse perfectum ; formae autem non habent esse perfectum, cum non subsistant in se, sed in alio. Vel dicendum, quod dupliciter dicitur aliquid mutabile ; vel quia subjicitur mutationi, et hoc modo id tantum quod est in potentia, mutatur ; aut sicut id quod removetur vel abjicitur in [in om. Éd. De Parme] mutatione ; et sic formae, quae sunt actus, mutabiles sunt. Non hoc tamen videtur esse de intentione Augustini.

3. Il faut dire en troisième lieu que le Maître, tout comme Augustin, parle ici des créatures qui possèdent une existence parfaite ; mais les formes ne possèdent pas une existence parfaite puisqu’elles ne subsistent pas en elles-mêmes mais dans quelque chose d’autre. Ou bien encore il faut dire qu’une chose est dite changeante de deux manières ; soit parce qu’elle est sujette au changement et en ce sens seul ce qui est en puissance est changeant ; soit comme ce qui est rejeté ou écarté dans [dans om. Éd. de Parme] le changement ; et ainsi les formes, qui sont des actes, sont changeantes. Mais cela ne semble pas avoir été l’intention d’Augustin.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum similiter, quod materia prima et universale non habent in se esse completum ; sed esse eorum est in particularibus compositis: et ideo esse non mutant per se, sed tantum per accidens, sicut est de formis.

4. Il faut dire de la même manière en quatrième lieu que la matière première et l’universel ne possèdent pas en eux-même une existence complète ; mais leur existence se retrouve dans des composés particuliers : et c’est pourquoi leur existence n’est pas changée essentiellement mais accidentellement, tout comme celle des formes.

 

 

Articulus 3 lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 tit. Utrum modi mutationis creaturarum convenienter assignentur ab Augustino.

Article 3 – Les modes de changement des créatures sont-ils attribués convenablement par Augustin ?

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Augustinus inconvenienter assignet modos mutationis creaturarum. Secundum illud enim est mutatio in quo invenitur motus, sicut secundum quantitatem vel qualitatem. Sed in quando non est motus, ut dicit philosophus, V Phys., text. 9. Ergo videtur quod nihil dicat creaturas moveri per tempora.

Difficultés :

1. Il semble qu’Augustin n’identifie pas comme il convient les modes de changements présents dans les créatures. D’après lui en effet il y a changement là où on retrouve le mouvement, comme celui selon la quantité et celui selon la qualité. Mais il n’y a pas de mouvement dans le temps comme le dit le Philosophe [V Physique, texte 9]. Il semble donc qu’il ne dise rien des créatures qui se meuvent par le temps.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, in nulla divisione debet unum membrum contineri sub alio. Sed omnis motus qui est per locum, est etiam [etiam om. Éd. De Parme] per tempus. Ergo videtur inconvenienter dividere mutationem in mutationem loci et temporis.

2. Par ailleurs, dans aucune division on ne doit retrouver un membre qui est contenu dans un autre. Mais tout mouvement qui s’effectue dans le lieu se réalise aussi [aussi om. Éd. de Parme] par le temps. Il semble donc incorrect de diviser le changement en changement de lieu et en changement de temps.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 3 Praeterea, motus, secundum philosophum est in tribus generibus, scilicet quantitate, qualitate, et ubi: et adhuc est in substantia generatio et corruptio simpliciter, et in omnibus generibus generatio et corruptio secundum quid: qui omnes inveniuntur in creatura corporali. Ergo videtur quod diminute assignet mutationem creaturarum corporalium per ubi, sive per locum tantum.

3. En outre, le mouvement selon le Philosophe se retrouve dans trois genres: la quantité, la qualité et le lieu; et en outre dans le genre de la substance il y la génération et la corruption proprement dites et dans tous les autres genres la génération et la corruption sous un certain rapport: et tous ces changements se retrouvent dans la créature corporelle. Il semble donc qu’il assigne sous une forme diminutive le changement des créatures corporelles par le changement selon le où, c’est-à-dire par le lieu seulement.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, tempus est mensura primi mobilis. Ergo quod non habet ordinem ad motum primi mobilis, non habet relationem ad tempus. Sed affectiones animarum non ordinantur ad motum caeli nec subjacent sibi. Ergo inconvenienter dicit, quod moveri per tempus est per affectiones mutari.

4. De plus, le temps est la mesure du premier mobile. Donc, ce qui n’a pas rapport au mouvement du premier mobile n’a pas de relation avec le temps. Mais les affections des âmes n’ont pas de rapport au mouvement du ciel et ne lui sont pas soumises. Il dit donc incorrectement que se mouvoir dans le temps c’est être changé dans les affections.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in motu proprie accepto est duo reperire, scilicet continuitatem et successionem: et secundum quod habet continuitatem, sic proprie mensuratur per locum, quia ex continuitate magnitudinis est continuitas motus [ut dicitur IV Physic., text. 99 et V Physic., text ; 39 add. Éd. Mandonnet] secundum autem quod habet successionem, sic proprie mensuratur per tempus ; unde tempus dicitur numerus motus secundum prius et posterius. Quia autem inveniuntur aliqui motus habentes continuitatem et successionem, aliqui autem habentes successionem tantum, sicut motus affectionum, et etiam cogitationum, quando scilicet anima transit de una cogitatione in aliam (inter enim illas duas intentiones cogitatas non est aliqua continuitas) ideo divisit mutationem creaturae per locum et tempus.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux choses à retrouver dans le mouvement pris au sens propre, à savoir la continuité et la succession : et selon qu’il posssède la continuité, ainsi il est proprement mesuré par le lieu car la continuité du mouvement vient de la continuité de l’étendue [ainsi qu’on le dit dans IV Physique, texte 99 et V Physique, texte 39 ; add. Éd. Mandonnet] ; mais selon qu’il possède la succession, alors le mouvement se mesure proprement par le temps ; c’est pourquoi on dit du temps qu’il est la mesure du mouvement selon l’avant ety l’après. Mais parce qu’il se rencontre certains mouvements qui possèdent à la fois la continuité et la succession et d’autres qui ne possèdent que la succession, comme celui des affections et celui des pensées, c’est-à-dire quand l’âme passe d’une pensée à une autre (il n’y a en effet entre ces deux intentions pensées aucune continuité), c’est pourquoi il divise le changement de la créature par le lieu et par le temps.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in genere quando non est motus, sicut in terminante motum ; nullus enim motus terminatur ad quando sicut ad ubi: est tamen motus in quando, sicut in mensurante.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le mouvement n’est pas dans le genre du temps comme dans le terme du mouvement ; aucun mouvement en effet ne se termine à un temps comme il se termine à un lieu : le mouvement se termine cependant au temps comme à ce qui le mesure.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod divisio intelligenda est cum praecisione, ut sic scilicet intelligatur, quod quaedam mutatio est per locum et tempus ; quaedam autem per tempus tantum ; quod patet ex his quae dicta sunt.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la division doit s’entendre avec précision, c’est-à-dire de manière à se comprendre ainsi, à savoir que certains changements ont lieu dans le temps et le lieu alors que d’autes ont lieu dans le temps seulement, ce qui est manifeste à partir de ce qui a été dit.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in corporalibus sint plures motus, omnes tamen ordinantur ad motum localem caeli, qui est causa omnis motus corporalis ; et ideo per motum localem tanguntur omnes. Vel potest dici, quod alii motus a motu locali tanguntur per mutationem quae est per tempus: quia, sicut Commentator probat, nullus alius motus est simpliciter continuus nisi motus localis ; et ipse Augustinus dicit in littera, quod Deus creaturam corporalem movet et per tempus et per locum.

3. Il faut dire en troisième lieu que bien qu’il y ait plusieurs sortes de mouvements dans les réalités corporelles, elles sont cependant toutes ordonnées au mouvement local du ciel qui est la cause de tout mouvement corporel ; et c’est pourquoi par le mouvement corporel on se trouve à toucher tous les mouvements. On peut encore dire que les autres mouvements sont touchés par  le mouvement local au moyen du changement qui a lieu dans le temps : car, tout comme le Commentateur le prouve, aucun autre mouvement n’est absolument continu, sauf le mouvement local ; et Augustin lui-même dit dans la letre que Dieu meut la créature corporelle à la fois par le temps et par le lieu.

lib. 1 d. 8 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus dupliciter dicitur:

uno modo numerus prioris et posterioris inventorum in motu caeli ; et istud tempus continuitatem habet a motu, et motus a magnitudine, et hoc tempore mensurantur omnia quae habent ordinem ad motum caeli, sive per se, sicut motus corporales, sive per accidens, sicut aliquae operationes animae, secundum quod habent aliquam relationem ad corpus. Et hoc modo tantum accipitur a philosophis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que le temps se dit de deux manières : premièrement comme le nombre de l’avant et de l’après de ce que l’on rencontre dans le mouvement du ciel ; et ce temps tient sa continuité du mouvement et le mouvement la tient de l’étendue, et c’est par ce temps que sont mesurées toutes les réalités qui se rapportent au mouvement du ciel, soit par soi, comme les mouvements corporels, soit par accident comme certaines opérations de l’âme selon qu’elles ont une relation au corps. Et c’est de cette manière seulement que le temps s’entend par les philosophes.

Alio modo, dicitur tempus magis communiter numerus ejus quod habet quocumque modo prius et posterius: et sic dicimus esse tempus mensurans simplices conceptiones intellectus, quae sunt sibi succedentes: et istud tempus non oportet quod habeat continuitatem, cum illud secundum quod attenditur motus, non sit continuum. Et sic accipitur hic tempus, et frequenter a theologis.

Deuxièmement le temps se dit plus communément comme le nombre de ce qui possède de quelque façon que ce soit de l’avant et de l’après : et c’est ainsi que nous disons que le temps est ce qui mesure les conceptions simples de l’intelligence qui se succèdent les unes aux autres : et il n’est pas nécessaire que ce temps possède de la continuité puisque ce d’après quoi s’entend le mouvement n’est pas continu. Et c’est ainsi que se prend ici le temps, comme le prennent fréquemment les théologiens.

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [La simplicité en Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intellectum hujus partis duo quaeruntur: primo de divina simplicitate. Secundo de simplicitate creaturae.

Pour arriver à comprendre cette partie, on s’interroge sur deux choses : premièrement sur la simplicité de Dieu ; deuxièmement sur la simplicité de la créature.

 

 

Circa primum tria quaeruntur:

1 si in Deo sit omnimoda simplicitas ;

2 an contineatur in praedicamento substantiae ;

3 si alia praedicamenta de ipso dicantur.

Au sujet du premier point on pose trois questions :

1. Y a-t-il en Dieu une simplicité absolue ?

2. Dieu est-il contenu dans le prédicament de la substance ?

3. Est-ce que les autres prédicaments lui sont attribués ?

 

Articulus 1 lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 tit. Utrum Deus sit omnino simplex.

Article 1 – Dieu est-il simple d’une simplicité qui est absolue?

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit simplex omnino. Ens enim cui non fit additio, est ens commune praedicatum de omnibus de quo nihil potest vere negari. Sed Deus non est hujusmodi. Ergo ad esse suum fit aliqua additio. Non est ergo simplex.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de cette première question. Il semble que Dieu ne soit pas simple d’une simplicité absolue. En effet, l’être auquel rien ne s’ajoute est l’être commun qui est attribué à tous et duquel rien ne peut être véritablement nié. Mais Dieu n’est pas un être de cette sorte. Il y a donc quelque chose qui s’ajoute à son existence. Donc, il n’est pas simple.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius, lib. De hebdom. Col. 1311,: « Omne quod est esse participat ut sit ; alio autem participat, ut aliquid sit ». Sed Deus verissime est ens et est aliquid, quia bonus et sapiens et hujusmodi. Ergo Deus habet esse suum quo est, et super hoc habet aliquid aliud quo aliquid est. Ergo non est simplex.

2. Par ailleurs, Boèce [De Hebdom. Col. 1311] dit : ¨Toute chose qui existe participe de l’être pour exister ; mais elle participe par ailleurs pour être aussi quelque chose de déterminé¨. Mais Dieu est le plus véritablement celui qui est et il est quelque chose, car il est bon, sage etc. Donc Dieu possède son existence par laquelle il existe et en plus de cela il possède quelque chose d’autre par quoi il est quelque chose. Il n’est donc pas simple.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 3 Item, de quocumque praedicatur aliquid quod non est de substantia sua, illud non est simplex. Sed quidquid praedicatur de aliquo postquam non praedicabatur, illud non est de substantia sua, cum nulli rei substantia sua de novo adveniat. Cum igitur de Deo praedicetur aliquid postquam non praedicabatur, ut esse dominum et creatorem quae dicuntur de ipso ex tempore, videtur quod ipse non sit simplex.

3. Toute chose à laquelle ce qui lui est attribué ne fait pas partie de sa substance, cette chose n’est pas simple. Mais tout ce qui est attribué à un être sans lui avoir été attribué antérieurement ne fait pas partie de sa substance puisque la substance d’aucun être ne lui survient à nouveau. Donc, puisque quelque chose est attribué à Dieu à nouveau sans lui avoir été attribué avant, comme d’être seigneur et créateur qui se disent de Lui à partir du temps, il semble que Lui-même ne soit pas simple.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, ubicumque sunt plures res in uno, ibi oportet esse aliquem modum compositionis. Sed in divina natura sunt tres personae realiter distinctae, convenientes in una essentia. Ergo videtur ibi esse aliquis modus compositionis.

4. De plus, partout où il y a plusieurs choses dans une seule, il faut qu’il y ait là une certaine forme de composition. Mais dans la nature divine il y a trois personnes réellement distinctes qui ont en commun une seule et même essence. Il semble donc qu’il y ait là une certaine forme de composition.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 s. c. 1 Contra, omne compositum est posterius suis componentibus: quia simplicius est prius in se, quam addatur sibi aliquid ad compositionem tertii. Sed primo simpliciter nihil est prius. Cum igitur Deus sit primum principium, non est compositus.

Cependant :

1. Tout composé est postérieur à ses composantes : car ce qui est plus simple est antérieur en soi à ce qui lui est ajouté pour la composition d’une troisième chose. Mais rien n’est antérieur à ce qui est absolument premier. Donc, puisque Dieu est le tout premier principe, il n’est pas composé.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quod est primum dans omnibus esse, habet esse non dependens ab alio: quod enim habet esse dependens ab alio, habet esse ab alio, et nullum tale est primum dans esse. Sed Deus est primum dans omnibus esse. Ergo suum esse non dependet ab alio. Sed cujuslibet compositi esse dependet ex componentibus, quibus remotis, et esse compositi tollitur et secundum rem et secundum intellectum. Ergo Deus non est compositus.

2. En outre, ce qui est premier de manière à donner l’existence à tout le reste, cela même possède une existence qui ne dépend pas d’un autre : en effet, ce qui possède une existence qui dépend d’un autre tient son existence de cet autre et rien de tel n’est premier à donner l’existence. Mais Dieu est le premier principe qui donne l’existence à tous les êtres. Donc, son existence ne dépend pas d’un autre. Mais l’existence de tout composé dépend des éléments de sa composition qui, une fois retirés, l’existence du composé disparaît elle aussi à la fois quant à la chose et quant à l’intelligence. Donc, Dieu n’est pas un être composé.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 s. c. 3 Item, illud quod est primum principium essendi, nobilissimo modo habet esse, cum semper sit aliquid nobilius in causa quam in causato. Sed nobilissimus modus habendi esse, est quo totum aliquid est suum esse. Ergo Deus est suum esse. Sed nullum compositum totum est suum esse, quia esse ipsius sequitur componentia, quae non sunt ipsum esse. Ergo Deus non est compositus. Et hoc simpliciter concedendum est.

3. En outre, ce qui est le premier principe de l’existence possède l’existence de la manière la plus noble puisque toujours quelque chose possède une existence plus noble dans la cause que celle qu’il a dans l’effet. Mais la manière la plus noble de posséder l’existence est celle par laquelle tout ce qu’est la chose est son existence. Donc Dieu est sa propre existence. Mais aucun composé n’est dans sa totalité son existence car son existence résulte de ses composantes qui ne sont pas son existence même. Donc Dieu n’est par un être composé. Et cela doit être concédé absolument.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliquid esse sine additione dicitur dupliciter. Aut de cujus ratione est ut nihil sibi addatur: et sic dicitur de Deo: hoc enim oportet perfectum esse in se ex quo additionem non recipit ; nec potest esse commune, quia omne commune salvatur in proprio, ubi sibi fit additio.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que c’est de deux manières qu’on peut dire que quelque chose existe sans addition. Ou bien il est dans sa nature même que rien ne lui soit ajouté et c’est ainsi que cela se dit de Dieu : cela doit être en effet parfait en soi du fait qu’il ne reçoit aucune addition ; et il ne peut être commun car tout universel est conservé dans le propre où quelque chose lui est ajoute.

Aut ita quod non sit de ratione ejus quod fiat sibi additio, neque quod non fiat, et hoc modo ens commune est sine additione. In intellectu enim entis non includitur ista conditio, sine additione ; alias nunquam posset sibi fieri additio, quia esset contra rationem ejus ; et ideo commune est, quia in sui ratione non dicit aliquam additionem, sed potest sibi fieri additio ut determinetur ad proprium ; sicut etiam animal commune dicitur esse sine ratione, quia de intellectu ejus non est habere rationem, neque non habere ; asinus autem dicitur sine ratione esse, quia in intellectu ejus includitur negatio rationis, et per hoc determinatur secundum differentiam propriam.

Ou bien quelque chose est sans addition de telle manière qu’il ne soit pas dans sa nature ni que quelque chose lui soit ajouté, ni que quelque chose ne lui soit pas ajouté, et c’est en ce sens que l’être commun est sans addition. En effet, dans la compréhension de l’être n’est pas incluse cette condition, à savoir sans addition, autrement jamais une addition ne pourrait lui arriver car cela serait contraire à sa nature ; et c’est pourquoi cet être est commun car dans sa définition on ne dit aucune addition, mais il peut lui survenir une addition de manière à ce qu’il se détermine à quelque chose de propre ; c’est de cette manière encore qu’on dit de l’animal, pris universellement, qu’il est sans raison car posséder la raison, tout comme ne pas la posséder, ne fait pas partie de sa compréhension ; mais on dit de l’âne au contraire qu’il est sans raison car dans la compréhension qu’on s’en fait est incluse la négation de la raison et par là il se trouve à être déterminé selon une différence qui lui est propre.

Ita etiam divinum esse est determinatum in se et ab omnibus aliis divisum, per hoc quod sibi nulla additio fieri potest. Unde patet quod negationes dictae de Deo, non designant in ipso aliquam compositionem.

C’est de cette manière encore que l’existence divine est déterminée en elle-même et séparée de toutes les autres par cela même qu’aucune addition ne peut lui arriver. D’où il est clair que les négations qu’on dit de Dieu ne désignent en Lui aucune composition.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in rebus creatis res determinatur ut sit aliquid, tripliciter:

aut per additionem alicujus differentiae, quae potentialiter in genere erat ;

aut ex eo quod natura communis recipitur in aliquo, et fit hoc aliquid ;

aut ex eo quod alicui additur accidens, per quod dicitur esse vel sciens vel albus.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les choses créées la chose est déterminée à être quelque chose de trois manières :

soit par l’addition d’une différence qui existait potentiellement dans le genre ;

soit du fait que la nature commune est reçue dans un sujet pour devenir tel individu ;

soit du fait qu’à un individu un accident s’ajoute par lequel on dise de lui qu’il est soit savant, soit blanc.

Nullus istorum modorum potest esse in Deo, quia ipse non est commune aliquid, cum de intellectu suo sit quod non addatur sibi aliquid [alicui additur accidens Éd. de Parme] ; nec etiam ejus natura est recepta in aliquo, cum sit actus purus ; nec etiam recipit aliquid extra essentiam suam, eo quod essentia sua continet omnem perfectionem.

Aucune de ces manières ne peut exister en Dieu car Lui-même n’est pas comme un genre commun puisqu’il est dans sa nature que rien ne lui soit ajouté [à quoi s’ajoute l’accident Éd. de Parme] ; et en plus sa nature n’est pas telle qu’elle soit reçue dans quelque chose puisqu’Il est acte pur ; et enfin il ne reçoit pas quelque chose qui serait extérieur à son essence du fait que son essence contient toute perfection.

Remanet autem quod sit aliquid determinatum per conditionem negandi ab ipso omnem additionem [vel conditionem Éd. de Parme], et per hoc removetur ab eo omne illud quod possibile est additionem recipere. Unde per suum esse absolutum non tantum est, sed aliquid est. Nec differt in eo quo est et aliquid esse, nisi per modum significandi, vel ratione, ut supra dictum est, (dist. 2, qu. unica, art. 2), de attributis. Dictum autem Boetii intelligitur de participantibus esse, et non Deo qui essentialiter est suum esse. Ex quo patet quod attributa nullam compositionem in ipso faciunt. Sapientia enim secundum suam rationem non facit compositionem, sed secundum suum esse, prout in subjecto realiter differens est ab ipso ; qualiter in Deo non est, ut dictum est, (in hac dist. qu. 1, art. 1).

Il demeure cependant qu’il soit un être déterminé par cette condition de devoir nier de Lui toute addition [ou condition Éd. de Parme] et par là on écarte de Lui tout ce qui est en puissance à recevoir une addition. C’est pourquoi par son existence absolue il n’existe pas seulement, mais il existe comme être déterminé. Et en Lui il n’y a pas de différence entre ce par quoi il est et ce qu’il est, si ce n’est par la manière de signifier ou par la raison, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, qu. Unique, art. 2] au sujet des attributs. Mais les paroles de Boèce s’entendent de ceux qui existent par participation et non de Dieu qui est essentiellement sa propre existence. D’où il est clair que ses attributs n’entraînent aucune composition en Lui. Ce n’est pas en effet selon sa définition que la sagesse entraîne une composition mais c’est selon son existence selon que dans un sujet elle diffère réellement de ce dernier ; mais comme nous l’avons dit [dans cette distinction, question 1, article 1], ce n’est pas de cette manière que les choses se passent en Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hujusmodi relationes quae dicuntur de Deo ex tempore, non ponunt aliquid in ipso realiter, sed tantum in creatura. Contingit enim, ut dicit philosophus, V Metaph., text. 20, aliquid dici relative, non quod ipsum referatur, sed quia aliquid refertur ad ipsum ; sicut est in omnibus quorum unum dependet ab altero, et non e contrario ; sicut scibile non est relativum, nisi quia scientia refertur ad ipsum ; scibile enim non dependet a scientia, sed e converso. Sed quia intellectus noster non potest accipere relationem in uno relativorum [extremorum Éd. de Parme] quin intelligatur in illo ad quod refertur, ideo ponit relationem quamdam circa ipsum scibile, et significat ipsum relative. Unde illa relatio quae significatur in scibili, non est realiter in ipso, sed secundum rationem tantum ; in scientia autem realiter. Ita etiam relatio importata per hoc nomen Deus, vel creator, cum de Deo dicatur, non ponit aliquid in Deo nisi secundum intellectum, sed tantum in creatura. Ex quo patet quod diversitas relationum ipsius Dei ad creaturas non ponit compositionem in ipso.

3. Il faut dire en troisième lieu que de telles relations attribuées à Dieu à partir du temps n’affirment pas quelque chose qui existent en Lui réellement, mais seulement dans la créature. Il arrive en effet, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 20] que quelque chose se dise relativement non pas de manière à se rapporter à quelque chose d’autre, mais parce que quelque chose d’autre se rapporte ou se compare à lui ; il en est ainsi par exemple dans tous les cas où une même chose dépend d’une autre mais non inversement. Par exemple l’objet qui peut être connu n’est relatif que parce que la science se rapporte à lui ; en effet, ce n’est pas l’objet à connaître qui dépend de la science mais c’est l’inverse qui est vrai. Mais parce que notre intelligence  ne peut recevoir une relation dans un seul des relatifs [extrêmes Éd. de Parme] qui n’est compris que par comparaison à celui auquel il se rapporte, c’est pourquoi il pose une certaine relation sur l’objet à connaître lui-même et le signifie relativement. C’est pourquoi cette relation qui est signifiée dans l’objet à connaître n’existe pas en lui selon la réalité mais seulement selon la raison, alors que cette relation existe en réalité dans la science. De même encore la relation impliquée par ce nom, à savoir Dieu ou créateur, lorsqu’elle se dit de Dieu, ne pose quelque chose en Dieu que selon l’intelligence mais quelque chose de réel seulement dans la créature. D’où il est clair que la diversité des relations de Dieu lui-même aux créatures ne pose aucune composition en Lui.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. 2, qu. unica, art. 5, proprietas personalis comparata ad essentiam, non differt re ab ipsa, et ideo non facit compositionem cum ea ; sed comparata ad suum correlativum, facit distinctionem realem ; sed ex illa parte non est aliqua unio, et ideo nec compositio. Unde relinquitur ibi tres esse res et tamen nullam compositionem. Ex hoc patet nomina personalia nullam in Deo compositionem significare.

4. Il faut dire en quatrième lieu que, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, qu. Unique, art. 5], la propriété personnelle comparée à l’essence ne diffère pas par la chose de cette dernière, et c’est pourquoi elle ne fait pas composition avec l’essence ; mais comparée à son corrélatif, elle fait une distinction réelle ; mais de ce côté il n’y a pas union et c’est pourquoi il n’y a pas non plus composition. D’où il s’ensuit qu’il y a là trois réalités qui existent et cependant aucune composition. D’où il est clair que les noms personnels ne signifient en Dieu aucune composition.

 

 

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 tit. Utrum Deus sit in praedicamento substantiae.

Article 2 – Dieu est-il dans la catégorie de la substance ?[9]

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus sit in praedicamento substantiae. Omne enim quod est, vel est substantia vel accidens. Sed Deus non est accidens, ergo est substantia. Cum igitur substantia praedicetur de ipso sicut praedicatum substantiale, et non conversim, quia non omnis substantia est Deus, videtur quod de ipso praedicetur sicut genus, et ita Deus est in genere substantiae.

Difficultés :

1. Voici comment on procède à l’égard de cette deuxième question. Il semble que Dieu soit dans le prédicament de la substance. En effet, tout ce qui existe est soit une substance, soit un accident. Mais Dieu n’est pas un accident ; il est donc une substance. Donc puisque la substance s’attribue à Lui comme un prédicat substantiel et non inversement car ce n’est pas toute substance qui est Dieu, il semble que la substance Lui est attribuée comme un genre et ainsi Dieu est dans le genre de la substance.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, substantia est quod non est in subjecto, sed est ens per se. Cum igitur Deo hoc maxime conveniat, videtur quod ipse sit in genere substantiae.

2. Par ailleurs, la substance est ce qui n’existe pas dans un sujet mais elle est ce qui existe par soi. Donc, puisque cela appartient à Dieu de la façon la plus excellente, il semble que Lui-même soit dans le genre de la substance.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum, X Metaph., text. 3, unumquodque mensuratur minimo sui generis, et dicit ibi Commentator quod illud ad quod mensurantur omnes substantiae est primus motor, qui, secundum ipsum, est Deus. Ergo Deus est in genere substantiae.

3. De plus, selon le Philosophe [X Métaphysique, texte 3], toute chose est mesurée par ce qu’il y a de plus petit dans son genre, et là le Commentateur dit que ce à quoi se mesurent toutes les substances est le premier moteur qui, d’après lui, est Dieu. Dieu est donc dans le genre de la substance.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid est in genere [substantiae add. Éd. de Parme], aut est sicut generalissimum, aut est sicut contentum sub ipso. Sed Deus non est in genere substantiae sicut generalissimum, quia praedicaretur de omnibus substantiis ; nec etiam sicut contentum sub genere [contentum sustantiae Éd. de Parme], quia adderet aliquid, supra genus [scilicet supra add. Éd. de Parme] et ita non esset divina essentia simplicissima. Ergo Deus non est in genere substantiae.

Cependant :

1. Tout ce qui est dans le genre [de la substance add. Éd. de Parme] y est soit comme le plus universel, soit comme ce qui est contenu en lui. Mais Dieu n’est pas dans le genre de la substance comme ce qu’il y a de plus universel car alors Il s’attribuerait à toutes les substances ; et Il ne s’y trouve pas non plus comme contenu dans le genre [comme un contenu de la substance Éd. de Parme] car alors il ajouterait quelque chose au genre [c’est-à-dire au genre add. Éd. de Parme] et ainsi l’essence divine ne serait plus la plus simple. Donc, Dieu n’est pas dans le genre de la substance.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 s. c. 2. Praeterea, quidquid est in genere, habet esse suum determinatum ad illud genus. Sed esse divinum nullo modo determinatum [terminatum Éd. de Parme] est ad aliquod genus ; quinimmo comprehendit in se nobilitates omnium generum, ut dicit philosophus et Commentator, in V Metaph., text. 21. Ergo Deus non est in genere substantiae. Quod simpliciter concedendum est.

2. De plus, tout ce qui est dans un genre possède une existence qui est déterminée ou limitée à ce genre. Mais l’existence divine n’est d’aucune manière déterminée [limitée Éd. de Parme] à un genre particulier ; mais au contraire elle comprend en elle-même les perfections de tous les genres, ainsi que le disent le Philosophe et le Commentateur [V Métaphysique, texte 21]. Donc, Dieu n’est pas dans le genre de la substance. Et cela doit être concédé purement et simplement.

Hujus autem ratio quadruplex assignatur, prima ponitur in littera ex parte nominis sumpta. Nomen enim substantiae imponitur a substando, Deus autem nulli substat.

Il y a quatre raisons pour manifester cela et la première qui est présentée dans le document se tire du côté du nom. En effet, le nom même de substance a été imposé à partir de l’idée de se tenir dessous, alors que Dieu ne se tient sous rien.

Secunda sumitur ex ratione ejus quod est in genere. Omne enim hujusmodi addit aliquid supra genus, et ideo illud quod est summe simplex, non potest esse in genere.

La deuxième se tire de la nature de ce qui est dans un genre. En effet tout ce qui est dans un genre ajoute quelque chose au genre, et c’est pourquoi ce qui est le plus simple ne peut se trouver dans un genre.

Tertia ratio subtilior est Avicennae, tract. V Metaph., cap.IV et tract. IX, cap. 1. Omne quod est in genere, habet quidditatem differentem ab esse, sicut homo ; humanitati enim ex hoc quod est humanitas, non debetur esse in actu ; potest enim cogitari humanitas et tamen ignorari an aliquis homo sit. Et ratio hujus est, quia commune, quod praedicatur de his quae sunt in genere, praedicat quidditatem, cum genus et species praedicentur in eo quod quid est.

Une troisième raison plus fine nous vient d’Avicenne [Métaphysique V, ch. IV et 1X, ch. 1]. Tout ce qui est dans un genre possède une quiddité qui est différente de son existence, comme c’est le cas pour l’homme : en effet, du seul fait que l’humanité est l’humanité, il ne lui est pas nécessaire d’exister en acte ; on peut en effet penser l’humanité et cependant ignorer si tel homme existe. Et la raison en est que l’universel, qui est attribué à ce qui est contenu dans le genre, attribue la quiddité, puisque le genre et l’espèce sont attribués dans l’essence.

Illi autem quidditati non debetur esse nisi per hoc quod suscepta est in hoc vel in illo. Et ideo quidditas generis vel speciei non communicatur secundum unum esse omnibus, sed solum secundum unam rationem communem. Unde constat quod esse suum non est quidditas sua. In Deo autem esse suum est quidditas sua : aliter enim accideret quidditati, et ita esset acquisitum sibi ab alio, et non haberet esse per essentiam suam. Et ideo Deus non potest esse in aliquo genere.

Mais il n’est nécessaire à cette quiddité d’exister qu’à la condition d’être reçue dans celui-ci ou dans celui-là. Et c’est pourquoi la quiddité du genre ou de l’espèce n’est pas communiquée à tous d’après une seule existence, mais seulement d’après une seule définition commune. De là il est clair que son existence n’est pas sa quiddité. Mais en Dieu l’existence est identique à la quiddité : autrement il Lui surviendrait une quiddité et ainsi elle Lui serait acquise par un autre et il ne posséderait par l’existence par son essence. Et c’est là la raison pour laquelle Dieu ne peut être dans un genre.

Quarta causa est ex perfectione divini esse, quae colligit omnes nobilitates omnium generum. Unde ad nullum genus determinatur, ut objectum est.

La quatrième raison se tire de la perfection de l’existence divine qui réunit toutes les perfections qu’on retrouve dans tous les genres. C’est pourquoi Dieu ne peut être limité à aucun genre, ainsi que nous l’avons expliqué.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus simpliciter non est accidens, nec tamen omnino proprie potest dici substantia ; tum quia nomen substantiae dicitur a substando, tum quia substantia quidditatem nominat, quae est aliud ab esse ejus. Unde illa est divisio entis creati. Si tamen non fieret in hoc vis, largo modo potest dici substantia, quae tamen intelligitur supra omnem substantiam creatam, quantum ad id quod est perfectionis in substantia, ut non esse in alio et hujusmodi, et tunc est idem in praedicato et in subjecto, sicut in omnibus quae de Deo praedicantur ; et ideo non sequitur quod omne quod est substantia, sit Deus ; quia nihil aliud ab ipso recipit praedicationem substantiae sic acceptae, secundum quod dicitur de ipso ; et ita propter diversum modum praedicandi non dicitur substantia de Deo et creaturis univoce, sed analogice. Et haec potest esse alia ratio quare Deus non est in aliquo genere, quia scilicet nihil de ipso et de aliis univoce praedicatur.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que Dieu n’est absolument pas un accident et il ne peut cependant absolument pas être appelé substance au sens propre, tant parce que le nom de substance se dit de ce qui se tient dessous que parce que la substance désigne une quiddité qui est autre que son existence. Et c’est pourquoi la substance est une division de l’être créé. Cependant, s’il n’y a rien de forcé en cela, au sens large Dieu peut être appelé substance si on l’entend cependant comme une substance qui transcende toute substance créée quant à ce qu’il y a de perfection dans la substance, comme de ne pas exister dans un autre  et d’autres choses de ce genre et alors c’est la même chose qu’on retrouve dans le sujet et le prédicat, comme tout ce qui est attribué à Dieu ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que tout ce qui est substance soit Dieu ; car rien d’autre que Lui ne reçoit l’attribution de la substance prise en ce sens selon qu’elle se dit de Lui ; et ainsi, en raison d’un mode différent d’attribution, la substance ne se dit pas de Dieu et des créatures d’une manière univoque, mais par analogie. Et cela peut constituer une autre raison pour laquelle Dieu n’est pas dans un genre, c’est-à-dire parce que rien ne s’attribue de manière univoque à Dieu et aux autres êtres.

Lib. 1, dist. 8, qu. 4, art. 2, ad. 2.

Ad secundum dicendum, quod ista definitio, secundum Avicennam, tract. 11 Metaph., cap. 1, et tract. 111, cap.  VIII, non potest esse substantiae : substantia est quae non est in subjecto. Ens enim non est genus. Haec autem negatio ¨non in subjecto¨ nihil ponit ; unde hoc quod dico, ens non est in subjecto, non dicit aliquod genus : quia in quolibet genere oportet significare quidditatem aliquam, ut dictum est, de cujus intellectu non est esse. Ens autem non dicit quidditatem, sed solum actum essendi, cum sit principium ipsum ; et ideo non sequitur : est non in subjecto, ergo est in genere substantiae ; sed oportet addi : est habens quidditatem quam consequitur esse non in subjecto ; ergo est in genere substantiae. Sed hoc dictum Deo non convenit, ut dictum est.

2. Il faut dire en deuxième lieu que cette définition, d’après Avicenne [Métaphysique, tr. 11, ch. 1 ; et tr. 111, ch.  VIII] ne peut pas être celle de la substance : la substance est ce qui n’existe pas dans un sujet. L’être en effet n’est pas un genre. Cette négation cependant, à savoir ¨n’est pas dans un sujet¨, n’affirme rien ; de là ce que je dis, à savoir l’être n’est pas dans un sujet, cela ne dit pas un genre car dans tout genre il faut signifier une certaine quiddité, ainsi que nous l’avons dit, dans la compréhension de laquelle il n’y a pas l’existence. L’être cependant ne dit pas une quiddité, mais seulement l’acte d’exister puisqu’il est le principe même ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas ceci : ceci n’est pas dans un sujet, donc ceci est dans le genre de la substance ; mais il faut ajouter : ceci possède une quiddité qui découle de ne pas exister dans un sujet, donc ceci est dans le genre de la substance. [mais il faut …dans le genre de la substance om. Éd. de Parme]. Mais cela ne convient pas à Dieu, ainsi que nous l’avons dit [nous l’avons dit om. Éd. de Parme] dans la citation précédente.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod mensura proprie dicitur in quantitatibus: dicitur enim mensura illud per quod innotescit quantitas rei, et hoc est minimum in genere quantitatis vel simpliciter, ut in numeris, quae mensurantur unitate, quae est minimum simpliciter ; aut minimum secundum positionem nostram, sicut in continuis, in quibus non est minimum simpliciter ; unde ponimus palmum loco minimi ad mensurandum pannos, vel stadium ad mensurandum viam.

3. Il faut dire en troisième lieu que la mesure se dit proprement de la quantité : on dit en effet d’une mesure qu’elle est ce par quoi la quantité de la chose est connue, et cela est la plus petite partie dans le genre de la quantité soit absolument comme dans les nombres qui sont mesurées par l’unité qui set la plus petite partie absolument ; soit la plus petite partie selon notre position, comme c’est le cas dans les quantités continues dans lequelles il n’y a pas de plus petite partie absolue ; c’est pourquoi nous prenons le palme comme étant la plus petite quantité pour mesurer les pièces d’étoffe, ou le stade pouir mesurer le chemin parcouru.

Exinde transumptum est nomen mensurae ad omnia genera, ut illud quod est primum in quolibet genere et simplicissimum et perfectissimum dicatur mensura omnium quae sunt in genere illo ; eo quod unumquodque cognoscitur habere de veritate generis plus et minus, secundum quod magis accedit ad ipsum vel recedit, ut album in genere colorum. Ita etiam in genere substantiae illud quod habet esse perfectissimum et simplicissimum, dicitur mensura omnium substantiarum, sicut Deus. Unde non oportet quod sit in genere substantiae sicut contentum, sed solum sicut principium, habens in se omnem perfectionem generis sicut unitas in numeris, sed diversimode ; quia unitate non mensurantur nisi numeri ; sed Deus est mensura non tantum substantialium perfectionum, sed omnium quae sunt in omnibus generibus, sicut sapientiae, virtutis et hujusmodi. Et ideo quamvis unitas contineatur in uno genere determinato sicut principium, non tamen Deus.

De là le nom de mesure a été transporté à tous les genres, de sorte que ce qui est premier, le plus simple et le plus parfait dans tout genre soit appelé la mesure de tout ce qui est dans ce genre ; du fait que toute chose est connue comme possédant plus ou moins de la vérité du genre selon qu’elle s’approche ou s’éloigne davantage de la mesure, comme du blanc dans le genre de la couleur. De même encore dans le genre de la substance ce qui possède l’existence la plus parfaite et la plus simple, comme Dieu, est appelé la mesure de toutes les substances. C’est pourquoi il ne faut pas que la mesure soit dans le genre de la substance comme ce qui y est contenu, mais seulement comme un principe qui possède en lui toute la perfection du genre comme c’est le cas pour l’unité par rapport aux nombres, mais différemment ; car il n’y a que les nombres qui soient mesurés par l’unité alors que Dieu est la mesure non seulement des perfections substanctielles, mais de toutes les perfections qui sont dans tous les genres, par exemple de la sagesse, de la vertu etc. Et c’est pourquoi, bien que l’unité soit contenue dans un genre déterminé comme principe, ce n’est pas le cas pour Dieu.

 

 

Articulus 3 : lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 tit. Utrum alia praedicamenta de Deo dicantur

Article 3 – Est-ce que les autres prédicaments s’attribuent à Dieu ?[10]

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 arg. 1Ad tertium sic proceditur. Videtur etiam quod alia praedicamenta de Deo dicantur. De quocumque enim praedicatur species, et genus. Sed scientia, quae est species qualitatis, invenitur in Deo, et magnitudo, quae est species quantitatis. Ergo et quantitas et qualitas.

Difficultés :

1. Il semble que les autres prédicaments aussi s’attribuent à Dieu. L’espèce et le genre en effet s’attribuent à tout. Mais la science, qui est une espèce de la qualité, se retrouve en Dieu, comme la grandeur qui est une espèce de la quantité. Donc la quantité et la qualité s’attribuent à Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, philosophus in IV Metaph., text. 4 et seq., dicit: « unum in substantia facit idem, in quantitate aequale, in qualitate simile ». Sed in Deo dicitur vere aequalitas et similitudo. Ergo oportet de eo dici aliquid per modum qualitatis et quantitatis, sicut scientiam vel magnitudinem.

2. En outre, le Philosophe [IV Métaphysique, texte 4 et suiv.] dit : ¨De l’un dans la substance résulte le même, dans la quantité l’égal et dans la qualité le semblable¨. Mais en Dieu on parle véritablement de l’égal et du semblable. Il faut donc Lui attribuer quelque chose selon le mode de la qualité et de la quantité, comme la science ou la grandeur.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, natura generis propriissime reperitur in eo in quo primo est. Sed Deus est primum agens. Ergo in eo actio praecipue invenitur.

3. De plus, la nature du genre se découvre le plus proprement dans ce en quoi elle se retrouve en premier. Mais Dieu est l’agent premier. C’est donc en Lui que l’action se retrouve en premier.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 arg. 4 Praeterea, quanto aliquid est debilioris esse, tanto magis repugnat summae perfectioni. Sed inter omnia alia entia relatio habet debilissimum esse, ut dicit Commentator, XI Metaph., text. 11, unde etiam fundatur super alia omnia entia, sicut supra quantitatem aequalitas, et sic de aliis. Cum igitur in divinis inveniatur relatio, multo fortius alia praedicamenta.

4. Par ailleurs, un être répugne d’autant plus à la plus grande perfection qu’il est plus faible. Mais parmi tous les autres êtres, la relation comme catégorie possède l’existence la plus faible, ainsi que le dit le Commentateur [XI Métaphysique, texte 11], et c’est pourquoi elle se fonde sur tous les autres êtres comme l’égalité se fonde sur sur la quantité, et il en est ainsi du reste. Donc, puisqu’on retrouve une relation entre les personnes divines, on y retrouve à plus forte raison les autres catégories.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 s. c. 1 Contra, Augustinus V De Trin., cap. VIII : omne quod de Deo dicitur, aut secundum substantiam aut secundum relationem dicitur ; et ita alia praedicamenta non erunt in divinis. Hoc etiam habetur ex auctoritate Augustini in littera.

Cependant :

1. Augustin [V De la Trinité, ch.  VIII] dit : Tout ce qui se dit de Dieu se dit soit selon la substance, soit selon la relation ; et ainsi les autres prédicaments de se retrouvent pas en Dieu. Cette conclusion se tire aussi de l’autorité d’Augustin dans le document.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod quidquid inventum in creaturis, de Deo praedicatur, praedicatur eminenter, ut dicit Dionysius, sicut etiam est in omnibus aliis causis et causatis. Unde oportet omnem imperfectionem removeri ab eo quod in divinam praedicationem venit. Sed in unoquoque novem praedicamentorum duo invenio ; scilicet rationem accidentis et rationem propriam illius generis, sicut quantitatis vel qualitatis. Ratio autem accidentis imperfectionem continet: quia esse accidentis est inesse et dependere, et compositionem facere cum subjecto per consequens. Unde secundum rationem accidentis nihil potest de Deo praedicari.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout ce qu’on retrouve dans les créatures et qui s’attribue à Dieu Lui est attribué de la manière la plus excellente, ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins,  VII, & 3, col. 870, t. 1], comme c’est le cas aussi pour toutes les autres causes et leurs effets. D’où il faut que toute imperfection soit exclue de ce qui est présent dans la perfection divine. Mais dans chacun des neuf autres prédicaments je découvre deux choses : à savoir la notion d’accident et la notion propre à ce genre, comme la quantité et la qualité. Mais la notion d’accident contient une imperfection : car l’être d’un accident est d’exister dans un autre et de dépendre, et par conséquent de produire une composition avec le sujet. C’est pourquoi rien ne peut être attribué à Dieu d’après la notion d’accident.

Si autem consideremus propriam rationem cujuslibet generis, quodlibet aliorum generum, praeter ad aliquid, importat imperfectionem ; quantitas enim habet propriam rationem in comparatione ad subjectum ; est enim quantitas mensura substantiae, qualitas dispositio substantiae, et sic patet in omnibus aliis. Unde eadem ratione removentur a divina praedicatione secundum rationem generis, sicut removebantur per rationem accidentis. Si autem consideremus species ipsarum, tunc aliqua secundum differentias completivas important aliquid perfectionis, ut scientia, virtus et hujusmodi. Et ideo ista praedicantur de Deo secundum propriam rationem speciei et non secundum rationem generis. Ad aliquid autem, etiam secundum rationem generis, non importat aliquam dependentiam ad subjectum ; immo refertur ad aliquid extra: et ideo etiam secundum rationem generis in divinis invenitur. Et propter hoc tantum remanent duo modi praedicandi in divinis, scilicet secundum substantiam et secundum relationem ; non enim speciei contentae in genere debetur aliquis modus praedicandi, sed ipsi generi.

Mais si nous considérons la notion propre à un genre, n’importe quel des autres genres en dehors de la relation implique une imperfection; la quantité en effet possède une notion propre par rapport au sujet: elle est en effet la mesure de la substance, alors que la qualité est une disposition de la substance et il est clair qu’il en est ainsi pour tous les autres genres. C’est pourquoi ces autres genres sont exclus de l’attribution divine selon la notion du genre pour la même raison qu’ils en étaient exclus pour la raison de l’accident. Mais si nous considérons les espèces de ces genres, alors certaines, d’après leurs differences complémentaires, impliquent quelque perfection, comme la science, la vertu, etc. Et c’est pourquoi ces genres s’attribuent à Dieu selon la notion propre à l’espèce et non pas selon la notion de genre en tant que tel. Mais la relation, même selon la notion de genre, n’implique pas quelque dépendance à l’égard d’un sujet; bien au contraire, elle se rapporte à quelque chose d’extérieur: et c’est pourquoi elle se retrouve dans les personnes divines même selon la notion de genre. Et c’est pour cette raison qu’il ne reste que deux modes d’attribution qui s’appliquent aux personnes divines, à savoir celui de la substance et celui de la relation; c’est au genre lui-même en effet qu’est dû un mode d’attribution et non à l’espèce qui est contenue dans le genre.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut dictum est, in corp. art., scientia non praedicatur de Deo secundum rationem generis, sed secundum propriam differentiam, quae complet rationem ipsius. Unde non praedicatur univoce de Deo et de aliis ; sed secundum prius et posterius.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent, la science ne s’attribue pas à Dieu selon la notion de genre mais selon la différence propre qui complète sa notion. C’est pourquoi elle ne s’attribue pas à Dieu et aux autres être de manière univoque, mais selon l’avant et l’après.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in divinis quaedam dicuntur habere modum quantitatis vel qualitatis ; non quia secundum talem modum praedicentur de Deo, sed secundum modum quo inveniuntur in creaturis, prout nomina quae a nobis imposita sunt, modum habent qualitatis et quantitatis: sicut etiam Damascenus dicit, lib. I Fide orth., cap. XII, col. 834, quod quaedam dicuntur de Deo sicut assequentia substantiam, cum tamen, prout in ipso est, nihil sit assequens.

2. Il faut dire en deuxième lieu que parmi les personnes divines certaines sont dites posséder le mode de la quantité ou celui de la qualité; non pas parce qu’ils s’attribuent à Dieu selon un tel mode mais selon le mode par lequel ils se retrouvent dans les créatures, dans la mesure où les noms que nous imposons possèdent le mode de la qualité ou de la quantité; tout comme Damascène dit encore [De la Foi Orthodoxe, 1, ch. XII, col. 834] que certaines choses se disent de Dieu comme si elles atteignaient la substance bien que cependant, considérées en elles-mêmes, elles n’atteignent rien.

lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actio, secundum quod est praedicamentum, dicit aliquid fluens ab agente, et cum motu ; sed in Deo non est aliquid medium secundum rem inter ipsum et opus suum, et ideo non dicitur agens actione quae est praedicamentum, sed actio sua est substantia. De hoc tamen plenius dicetur in principio secundi, (dist. 1, qu. unica, art. 2).

3. Il faut dire en troisième lieu que l’action, en tant que prédicament, dit quelque chose qui découle d’un agent et qui s’accompagne de mouvement ; mais en Dieu il n’y a aucun intermédiaire en réalité entre Lui et son œuvre, et c’est pourquoi on ne dit pas de Lui qu’il est un agent par une action qui serait un prédicament, mais au contraire son action est sa substance. Nous parlerons cependant de cela d’une manière plus exhaustive au début du second livre [dist. 1, qu. unique, art. 2].

Lib. 1 d. 8 q. 4 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod debilitas esse relationis consideratur secundum inhaerentiam sui ad subjectum: quia non ubje aliquid absolutum in ubject, sed tantum per respectum ad aliud. Unde ex hoc habet magis quod veniat in divinam praedicationem : quia quanto minus addit, tanto minus repugnat simplicitati.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la faiblesse de l’existence de la relation est considérée d’après son attachement au sujet : car elle ne pose pas quelque chose d’absolu dans le sujet, mais seulement par rapport à quelque chose d’autre. Et c’est pourquoi à partir de là il lui appartient davantage d’en venir à une attibution aux personnes divines : car elle répugne d’autant moins à la simplicité qu’elle ajoute moins.

 

 

Quaestio 5

Question 5 – [La simplicité du côté des créatures]

 

 

Prooemium

Prologue

lib. 1 d. 8 q. 5 pr. Deinde quaeritur de simplicitate ex parte creaturae ; et circa hoc tria quaeruntur:

1 utrum aliqua creatura sit simplex ;

2 utrum anima sit simplex, quia hoc habet specialem difficultatem ;

3 utrum sit tota in qualibet parte corporis.

On s’interroge ensuite sur la simplicité qui se tient du côté de la créature ; et à ce sujet on pose trois questions :

1. Y a-t-il une créature qui soit simple ?

2. Est-ce que l’âme est simple ? Car cela présente une difficulté spéciale.

3. L’âme est-elle totalement présente dans chacune des parties du corps ?

 

Articulus 1 lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 tit. Utrum aliqua creatura sit simplex

Article 1 – Existe-t-il une créature simple ?

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aliqua creatura simplex sit. Forma enim est compositioni contingens, simplici et invariabili essentia consistens. Sed forma est creatura. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. Il semble qu’il y ait simplicité chez certaines créatures. La forme en effet est congingente à la composition et consiste en une essence simple et invariable. Mais la forme est une créature. Il y a donc simplicité chez la créature.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, resolutio intellectus non stat quousque invenit compositionem, sive sint separabilia secundum rem, sive non ; multa enim separantur intellectu quae non separantur actu, secundum Boetium, De hebdom., col. 1311, Illud ergo in quo ultima stat resolutio intellectus est omnino simplex. Sed ens commune est hujusmodi. Ergo et cetera.

2. Par ailleurs, la résolution de l’intelligence ne s’arrête pas tant que l’on retrouve de la composition, que l’objet de la résolution soit séparable en réalité ou non : il y a plusieurs objets en effet selon Boèce [Les Hebdomadaires, co. 1311]qui sont séparés par l’intelligence mais qui ne le sont pas en acte. Donc, ce en quoi s’arrête la dernière résolution de l’intelligence est absolument simple. Mais l’être commun est absolument simple. La simplicité existe donc chez la créature.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 3 Praeterea, si omnis creatura est composita, constat quod non est composita nisi ex creaturis. Ergo et componentia sua erunt composita. Igitur itur [universaliter Éd. de Parme] in infinitum (quod natura et intellectus non patitur) ; vel erit devenire ad prima componentia simplicia, quae tamen creaturae sunt. Ergo et cetera.

3. De plus, si toute créature est composée, il est clair qu’elle n’est composée que de ce qui est créé, d’autres créatures. Donc, les composantes elles-mêmes seront composées. On ira donc [universellement Éd. de Parme] à l’infini (ce qui n’est compatible ni avec nature ni avec l’intelligence) ; ou bien il faudra en venir à de premières composantes simples qui sont cependant des créatures. Il y donc simplicité chez la créature.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 arg. 4 Si dicatur, quod illa componentia non possunt esse simplicia, quia habent habitudinem concretam, quod sint ab alio: contra, illud quod est extrinsecum rei, non facit compositionem cum re ipsa. Sed agens est extrinsecum a re. Ergo per hoc quod res est ab aliquo agente, non inducitur in ipsam aliqua compositio.

4. Si on disait que ces composantes ne peuvent être simples car elles possèdent une manière d’être qui et concrète, et qu’elles viennent d’un autre : mais ce qui est extrinsèque à la chose ne fait pas composition avec elle. Mais l’agent est extrinsèque à la chose. Donc, par cela que la chose vient d’un agent extérieur, cela ne conduit pas à introduire en elle une composition.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 s. c. 1 Contra, Boetius, De Trinitate, cap. II: col. 1250: « In omni eo quod est citra primum, differt et quod est et quo est ». Sed omnis creatura est citra primum. Ergo est composita ex esse et quod est.

Cependant :

1. Boèce [De la Trinité, ch. 11, col. 1250] dit : ¨Dans tout ce qui est en deçà de ce qui est premier, ce qui existe diffère de  ce par quoi la chose existe¨. Mais toute créature est en deçà de ce qui est premier. Elle est donc composée de l’existence et de ce qui existe.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis creatura habet esse finitum. Sed esse non receptum in aliquo, non est finitum, immo absolutum. Ergo omnis creatura habet esse receptum in aliquo ; et ita oportet quod habeat duo ad minus, scilicet esse, et id quod esse recipit.

2. De plus, toute créature possède une existence qui est finie. Mais l’existence qui n’est pas reçue dans un autre n’est pas finie mais elle est plutôt absolue. Donc, toute créature possède une existence qui est reçue dans un autre ; et ainsi, il faut qu’elle possède au moins deux éléments, à savoir l’existence et ce qui reçoit l’existence.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod omne quod procedit a Deo in diversitate essentiae, deficit a simplicitate ejus. Ex hoc autem quod deficit a simplicitate, non oportet quod incidat in compositionem ; sicut ex hoc quod deficit a summa bonitate, non oportet quod incidat in ipsam aliqua malitia. Dico ergo quod creatura est duplex.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout ce qui procède de Dieu s’écarte de la simplicité de ce dernier. Mais du fait qu’elle s’écarte de cette simplicité, il ne s’ensuit pas nécessairement que la créature tombe dans la composition, tout comme du fait qu’elle s’écarte de la bonté la plus excellente, il ne s’ensuit pas qu’il se rencontre en elle de la méchanceté. Je dis donc qu’il y a deux sortes de créatures.

Quaedam enim est quae habet esse completum in se, sicut homo et hujusmodi, et talis creatura ita deficit a simplicitate divina quod incidit in compositionem. Cum enim in solo Deo esse suum sit sua quidditas, oportet quod in qualibet creatura, vel in corporali vel in spirituali, inveniatur quidditas vel natura sua, et esse suum, quod est sibi acquisitum a Deo, cujus essentia est suum esse ; et ita componitur ex esse, vel quo est, et quod est.

Il y en a qui possèdent une existence complète en elles-mêmes, comme l’homme et les créatures de cette sorte, et ces créatures s’écartent de la simplicité divine de telle manière qu’elles tombent dans la composition. En effet, puisque c’est en Dieu seul que l’existence est identique à la quiddité, il faut que dans toute créature, soit corporelle soit spirituelle on retrouve à la fois une quiddité et une nature d’une part et une existence d’autre part qui lui soit acquise par Dieu dont l’essence est son existence ; et ainsi toute créature est composée de son existence, ou de ce par quoi elle est, et de ce qu’elle est.

Est etiam quaedam creatura quae non habet esse in se, sed tantum in alio, sicut materia prima, sicut forma quaelibet, sicut universale ; non enim est esse alicujus, nisi particularis subsistentis in natura ; et talis creatura non deficit a simplicitate, ita quod sit composita.

Mais il y a aussi une autre sorte de créature qui ne possède pas l’existence en elle-même mais seulement dans un autre comme la matière première, comme toute forme, comme l’universel ; et une telle créature en effet n’est pas l’existence d’un être, sauf d’un être particulier qui subsiste dans une nature ; et une telle créature ne s’écarte pas de la simplicité de telle manière qu’elle serait composée.

Si enim dicatur, quod componitur ex ipsa sua natura et habitudinibus quibus refertur ad Deum vel ad illud cum quo componitur, item quaeritur de illis habitudinibus utrum sint res, vel non: et si non sunt res, non faciunt compositionem ; si autem sunt res, ipsae non referuntur habitudinibus aliis, sed se ipsis: quia illud quod per se est relatio, non refertur per aliam relationem. Unde oportebit devenire ad aliquid quod non est compositum, sed tamen deficit a simplicitate primi: et defectus iste perpenditur ex duobus: vel quia est divisibile in potentia vel per accidens, sicut materia prima, et forma, et universale ; vel quia est componibile alteri, quod divina simplicitas non patitur.

Si en effet on disait qu’elle est composée de sa nature et des manières d’êtres par lesquelles elle se rapporte à Dieu ou à ce avec quoi elle est composée, il faudrait encore savoir au sujet de ces manières d’être si elles sont des choses ou non : et si elles ne sont pas des choses, elles ne font pas composition ; mais si elles sont des choses, elles-mêmes ne se rapportent pas à d’autres manières d’être mais à elles-mêmes : car ce qui constitue une relation en soi-même ne se rapporte pas à une autre relation. C’est pourquoi il faudra en venir à quelque chose qui n’est pas composé mais qui s’écarte cependant de la simplicité première : et ce défaut se juge d’après deux choses : soit parce qu’elle est divisible en puissance ou par accident comme la matière première, la forme et l’universel ; soit parce qu’elle peut entrer en composition avec quelque chose d’autre, ce qui n’est pas compatible avec la simplicité divine.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 1 ad arg. Et per hoc patet solutio ad ea quae objecta sunt. Primae enim rationes procedebant de illis creaturis quae non habent esse completum, quae non componuntur ex aliis sicut ex partibus ; et aliae duae procedebant de creaturis quae habent esse completum.

Et par là on voit manifestement la solution aux difficultés qui ont été présentées. Les deux premières raisons en effet procédaient de ces créatures qui ne possèdent pas en elles-mêmes une existence complète et qui ne sont pas composées d’autres choses comme de parties ; les deux dernières procédaient des créatures qui possèdent une existence complète.

 

 

Articulus 2, lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 tit. Utrum anima sit simplex.

Article 2 – L'âme est-elle simple ?

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 1. Ad secundum sic proceditur. Videtur quod anima sit simplex. Sicut enim dicit philosophus, de anima, text. 2, anima est forma corporis. Sed ibidem dicit, quod forma neque est materia neque compositum. Ergo anima non est composita.

Difficultés :

1. Il semble que l’âme soit simple. Comme le dit en effet le Philosophe [11 De l’Âme, texte 2], l’âme est la forme du corps. Mais il dit au même endroit que la forme n’est ni une matière, ni un composé. L’âme n’est donc pas un composé.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, omne quod est compositum, habet esse ex suis componentibus. Si igitur anima sit composita, tunc ipsa in se habet aliquod esse, et illud esse nunquam removetur ab ea. Sed ex conjunctione animae ad corpus relinquitur esse hominis. Ergo esse hominis est esse duplex, scilicet esse animae, et esse conjuncti: quod non potest esse, cum unius rei sit unicum esse.

2. Par ailleurs, tout ce qui est composé, c’est à partir de ses composantes qu’il possède l’existence. Si donc l’âme était un composé, elle posséderait en elle-même une existence et cette existence ne pourrait jamais lui être enlevée. Mais c’est de l’union de l’âme et du corps que résulte l’existence de l’homme. L’existence de l’homme est donc double, à savoir l’existence de l’âme et celle du composé : mais cela est impossible car une seule et même chose il n’y a qu’une seule existence.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea, omnis compositio quae advenit rei post suum esse completum, est sibi accidentalis. Si igitur anima est composita ex suis principiis, habens in se esse perfectum, compositio ipsius ad corpus erit sibi accidentalis. Sed compositio accidentalis terminatur ad unum per accidens. Ergo ex anima et corpore non efficitur nisi unum per accidens ; et ita homo non est ens per se, sed per accidens.

3. En outre, toute composition qui survient à la chose suite à son existence complète lui est accidentelle. Si donc l’âme est composée de ses principes, possédant en elle-même une existence parfaite, sa composition avec le corps lui sera accidentelle. Mais toute composition accidentelle se termine à une unité accidentelle. Donc, de l’union du corps et de l’âme ne résulterait qu’une unité accidentelle et ainsi l’homme ne serait pas un être essentiel, par soi, mais un être accidentel.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 4 Contra, Boetius, I De Trin., cap. II, col. 1250: Nulla forma simplex potest esse subjectum. Sed anima est subjectum et potentiarum et habituum et specierum intelligibilium. Ergo non est forma simplex.

4. Au contraire, Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250] dit : Aucune forme simple ne peut être un sujet. Mais l’âme est le sujet à la fois des puissances, des habitus et des espèces intelligibles. L’âme n’est donc pas une forme simple.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 5 Praeterea, forma simplex non habet esse per se, ut dictum est, art. praec., in corp. Sed illud quod non habet esse nisi per hoc quod est in altero, non potest remanere post illud, nec etiam potest esse motor, quamvis possit esse principium motus, quia movens est ens perfectum in se ; unde forma ignis non est motor ut dicitur VIII Physic. Text. 40. Anima autem manet post corpus, et est motor corporis. Ergo non est forma simplex.

5. Par ailleurs, la forme simple ne possède pas d’existence par elle-même, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent. Mais ce qui ne possède l’existence que du fait qu’il existe dans un autre ne peut continuer à exister sans cet autre et il ne peut non plus être un moteur bien qu’il puisse être le principe d’un mouvement, car tout moteur est un être qui est parfait en lui-même ; c’est pourquoi la forme du feu n’est pas un moteur ainsi que le dit le Philosophe [ VIII Physique, texte 40]. Mais l’âme continue à exister sans le corps et elle est le moteur du corps. Elle n’est donc pas une forme simple.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 arg. 6 Praeterea, nulla forma simplex habet in se unde individuetur, cum omnis forma sit de se communis. Si igitur anima est forma simplex, non habebit in se unde individuetur ; sed tantum individuabitur per corpus. Remoto autem eo quod est causa individuationis, tollitur individuatio. Ergo remoto corpore, non remanebunt animae diversae secundum individua ; et ita non remanebit nisi una anima quae erit ipsa natura animae.

6. De plus, aucune forme simple ne possède en elle le principe de son individuation, puisque toute forme est de soi universelle. Si donc l’âme est une forme simple, elle ne possède pas en elle le principe de son individuation mais elle ne peut être individuée que par un principe corporel.  Mais une fois enlevé ce qui est cause d’individuation, l’individuation elle-même disparaît. Donc, une fois enlevé ce qui est corporel, il ne restera plus d’âmes différentes dans des individus différents ; et ainsi il ne restera plus qu’une seule âme qui sera la nature même de l’âme.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod hic est duplex opinio. Quidam enim dicunt, quod anima est composita ex materia et forma ; quorum etiam sunt quidam dicentes, eamdem esse materiam animae et aliorum corporalium et spiritualium. Sed hoc non videtur esse verum, quia nulla forma efficitur intelligibilis, nisi per hoc quod separatur a materia et ab appendentiis materiae. Hoc autem non est inquantum est materia corporalis perfecta corporeitate, cum ipsa forma corporeitatis sit intelligibilis per separationem a materia.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux opinions à ce sujet. Certains disent en effet que l’âme est composée de matière et de forme ; parmi lesquels encore certains soutiennent que la matière de l’âme est la même que celle des autres corps et des réalités spirituelles. Mais cela ne semble pas être vrai car aucune forme ne devient intelligible, si ce n’est par ceci qu’elle est séparée de la matière et de ce qui dépend de la matière. Mais il n’en est pas ainsi selon que la matière corporelle est parfaite par la corporéité, puisque la forme même de la corporéité est intelligible par la séparation de la matière.

Unde illae substantiae quae sunt intelligibiles per naturam, non videntur esse materiales: alias species rerum in ipsis non essent secundum esse intelligibile. Unde Avicenna dicit, tract. III, cap. VIII, quod aliquid dicitur esse intellectivum, quia est immune a materia. Et propterea materia prima, prout consideratur nuda ab omni forma, non habet aliquam diversitatem, nec efficitur diversa per aliqua accidentia ante adventum formae substantialis, cum esse accidentale non praecedat substantiale. Uni autem perfectibili debetur una perfectio. Ergo oportet quod prima forma substantialis perficiat totam materiam.

C’est pourquoi ces substances qui sont intelligibles par nature ne semblent pas être matérielles : autrement les espèces des choses ne seraient pas en elles selon une existence intelligible. C’est pourquoi Avicenne dit [traité 111, ch.  VIII] qu’on dit d’un être qu’il est intellectuel parce qu’il est dépourvu de matière. Et c’est à cause de cela que la matière première, selon qu’on la considère comme dénuée de toute forme, ne possède aucune diversité et n’est différenciée par aucun accident avant que lui suivienne la forme substantielle, puisque l’existence accidentelle ne précède pas l’existence substantielle. Mais à un seul et même perfectible n’est due qu’une seule perfection. Il faut donc que la forme substantielle première donne sa perfection à toute la matière.

Sed prima forma quae recipitur in materia, est corporeitas, a qua nunquam denudatur, ut dicit Comment. Ergo forma corporeitatis est in tota materia, et ita materia non erit nisi in corporibus. Si enim diceres, quod quidditas substantiae esset prima forma recepta in materia, adhuc redibit in idem ; quia ex quidditate substantiae materia non habet divisionem, sed ex corporeitate, quam consequuntur dimensiones quantitatis in actu ; et postea per divisionem materiae, secundum quod disponitur diversis sitibus, acquiruntur in ipsa diversae formae. Ordo enim nobilitatis in corporibus videtur esse secundum ordinem situs ipsorum, sicut ignis est super aerem ; et ideo non videtur quod anima habeat materiam, nisi materia aequivoce sumatur.

Mais la première forme qui est reçue dans la matière est la corporéité de laquelle elle n’est jamais dépouillée, comme le dit le Commentateur. Donc, la forme de la corporéité est présente dans toute la matière et de cette manière la matière ne sera présente que dans les corps. Mais si tu disais que la quiddité de la substance est la première forme qui est reçue dans la matière, on en reviendrait encore au même ; car ce n’est par de la quiddité de la substance que la matière tient la division, mais de la corporéité d’où découlent les dimensions de la quantité en acte ; et par la suite, grâce à la division de la matière selon qu’elle est disposée en différentes positions, diverses formes sont acquises en elle. En effet, l’ordre d’excellence parmi les corps semble découler de l’ordre de leur position, tout comme le feu qui est au-dessus de l’air ; et c’est pourquoi il ne semble pas que l’âme possède une matière, à moins que cette dernière ne soit prise en un sens équivoque.

Alii dicunt, quod anima est composita ‘ex quo est’ et ‘quod est’. Differt autem quod est a materia ; quia ‘quod est’, dicit ipsum suppositum habens esse ; materia autem non habet esse, sed compositum ex materia et forma ; unde materia non est quod est, sed compositum.

D’autres disent que l’âme est composée de ¨ce par quoi elle est¨ et de ¨ce qui est¨. Mais ¨ce qui est¨ diffère de la matière ; car ¨ce qui est¨ renvoie au suppôt lui-même qui possède l’existence ; mais la matière elle-même ne possède pas l’existence, mais c’est le composé de la matière et de forme qui la possède ; c’est pourquoi ce n’est pas la matière, mais le composé qui est ¨ce qui est¨.

Unde in omnibus illis in quibus est compositio ex materia et forma, est etiam compositio ex quo est et quod est. In compositis autem ex materia et forma quo est potest dici tripliciter.

Potest enim dici quo est ipsa forma partis, quae dat esse materiae.

Potest etiam dici quo est ipse actus essendi, scilicet esse, sicut quo curritur, est actus currendi.

Potest etiam dici quo est ipsa natura quae relinquitur ex conjunctione formae cum materia, ut humanitas ; praecipue secundum ponentes quod forma, quae est totum, quae dicitur quidditas, non est forma partis, de quibus est Avicenna, tract. V, cap. III.

C’est pourquoi, dans tous les cas où il y a composition de matière et de forme, il y a aussi composition de ¨ce par quoi la chose est¨ et de ¨ce qui est¨. Mais dans les composés de matière et de forme le ¨ce par quoi la chose est¨ peut se dire de trois manières.

Le ¨ce par quoi la chose est peut en effet se dire de la forme d’une partie, qui donne l’existence à la matière.

Il peut aussi se dire de l’acte même d’exister, à savoir l’existence, tout comme ce par quoi un tel court est l’acte même de courrir.

Le ¨ce par quoi la chose est¨ peut encore se dire de la nature même qui découle de l’union de la forme avec la matière, par exemple l’humanité ; surtout d’après ceux qui affirment, comme Avicenne [Traité V, ch. 111], que la forme, qui est le tout et qu’on appelle quiddité, n’est pas la forme d’une partie

Cum autem de ratione quidditatis, vel essentiae, non sit quod sit composita vel compositum ; consequens poterit inveniri et intelligi aliqua quidditas simplex, non consequens compositionem formae et materiae. Si autem inveniamus aliquam quidditatem quae non sit composita ex materia et forma, illa quidditas aut est esse suum, aut non. Si illa quidditas sit esse suum, sic erit essentia ipsius Dei, quae est suum esse, et erit omnino simplex. Si vero non sit ipsum esse, oportet quod habeat esse acquisitum ab alio, sicut est omnis quidditas creata.

Mais puisqu’il est de la nature même de la quiddité qu’elle ne soit pas composée ou qu’elle ne soit pas un composé, il s’ensuit qu’on pourra trouver et intelliger une quiddité simple qui ne résulte pas de la composition d’une forme et d’une matière. Mais si nous trouvions une quiddité qui n’est pas composée de matière et de forme, cette quiddité serait ou non sa propre existence. Si cette quiddité était sa propre existence, ce serait là l’essence de Dieu lui-même, lequel est son existence même, et elle serait absolument simple. Mais si cette quiddité n’était pas son existence même, il faudrait qu’elle possède une existence acquise d’un autre, comme c’est le cas pour toute quiddité créée.

Et quia haec quidditas posita est non subsistere in materia, non acquireretur sibi esse in altero, sicut quidditatibus compositis, immo acquiretur sibi esse in se ; et ita ipsa quidditas erit hoc quod est, et ipsum esse suum erit quo est. Et quia omne quod non habet aliquid a se, est possibile respectu illius ; hujusmodi quidditas cum habeat esse ab alio, erit possibilis respectu illius esse, et respectu ejus a quo esse habet, in quo nulla cadit potentia ; et ita in tali quidditate invenietur potentia et actus, secundum quod ipsa quidditas est possibilis, et esse suum est actus ejus. Et hoc modo intelligo in Angelis compositionem potentiae et actus, et de quo est et quod est, et similiter in anima. Unde Angelus vel anima potest dici quidditas vel natura vel forma simplex, inquantum eorum quidditas non componitur ex diversis ; sed [om. Éd. De Parme] tamen advenit [sibi add. Éd. De Parme] compositio horum duorum, scilicet quidditatis et esse.

Et parce qu’on affirme de cette quiddité qu’elle ne subsiste pas dans une matière, il ne lui serait pas acquis d’exister dans un autre, comme c’est le cas pour les quiddités composées, mais il lui serait plutôt acquis d’exister en elle-même ; et ainsi la quiddité elle-même sera ¨ce qui est¨ et son existence elle-même sera ¨ce par quoi elle est¨. Et parce que tout ce qui ne possède pas quelque chose par soi-même est en puissance par rapport à cette chose, une telle quiddité, puisqu’elle tient son existence d’un autre, sera en puissance par rapport à cette existence et par rapport à celui, dans lequel ne se rencontre nulle puissance, de qui elle tient cette existence ; et c’est ainsi que dans une telle quiddité se retrouvent à la fois puissance et acte, selon que la quiddité elle-même est la puissance et que son existence est son acte. Et c’est de cette manière que je comprends la composition de la puissance et de l’acte, et de ¨ce par quoi la chose est¨ et de ¨ce qui est¨ chez les Anges, et il en est de même pour l’âme. Et c’est pourquoi l’Ange et l’âme peuvent êre appelés quiddité, nature ou forme simple selon que leur quiddité n’est pas composée de différentes parties ; mais [om. Éd. de Parme] on [ y add. Éd. de Parme] retrouve cependant composition de ces deux éléments, à savoir la quiddité et l’existence.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod anima non est composita ex aliquibus quae sint partes quidditatis ipsius, sicut nec quaelibet alia forma ; sed quia anima est forma absoluta, non dependens a materia, quod convenit sibi propter assimilationem et propinquitatem ad Deum, ipsa habet esse per se, quod non habent aliae formae corporales. Unde in anima invenitur compositio esse et quod est, et non in aliis formis: quia ipsum esse non est formarum corporalium absolute, sicut eorum quae sunt, sed compositi.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que l’âme n’est pas composée d’éléments qui seraient les parties de sa quiddité, tout comme elle n’est composée d’aucune autre forme ; mais parce que l’âme est une forme absolue, qui ne dépend pas de la matière, ce qui lui revient en raison de sa ressemblance et de sa proximité par rapport à Dieu, c’est essentiellement qu’elle possède l’existence , ce que ne possèdent pas les autres formes corporelles. C’est pourquoi on retrouve dans l’âme composition d’existence et de ¨ce qui est¨, et non dans les autres formes : car l’existence elle-même n’appartient pas aux formes corporelles prises absolument comme à des choses qui existent, mais elle appartient au composé.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima sine dubio habet in se esse perfectum, quamvis hoc esse non resultet ex partibus componentibus quidditatem ipsius, nec per conjunctionem corporis efficitur ibi aliquod aliud esse ; immo hoc ipsum esse quod est animae per se, fit esse conjuncti: esse enim conjuncti non est nisi esse ipsius formae. Sed verum est quod aliae formae materiales, propter earum imperfectionem, non sunt per illud esse, sed sunt tantum principia essendi.

2. Il faut dire en deucième lieu que l’âme en elle-même sans aucun doute possède une existence parfaite, bien que cette existence ne résulte pas de parties composant sa quiddité et que par l’union au corps n’est pas produite là une autre existence ; bien au contraire, cette existence même qui appartient essentiellement à l’âme devient l’existence du composé : l’existence en effet du composé n’est que l’existence de la forme elle-même. Mais il est vrai que les autres formes matérielles, en raison de leur imperfecion, ne possèdent pas cette forme d’existence mais ne sont que des principes d’existence.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 3 Et per hoc etiam patet solutio ad tertium: quia compositio quae advenit animae post esse completum, secundum modum intelligendi, non facit aliud esse, quia sine dubio illud esse esset accidentale, et ideo non sequitur quod homo sit ens per accidens.

3. Et c’est ainsi que la solution à la troisième difficulté devient elle aussi évidente : car la composition qui arrive à l’âme suite à une existence complète, conformément à la manière de le comprendre, n’entraîne pas une autre existence, car sans aucun doute cette existence serait accidentelle, et c’est pourquoi il ne résulte pas que l’homme soit un être par accident.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod si Boetius loquitur de subjecto respectu quorumcumque accidentium, dictum [suum add. Éd. De Parme] est verum de forma quae est ita simplex quod etiam est suum esse, sicut est Deus: et talis simplicitas nec in anima nec in Angelo est. Si autem loquitur de subjecto respectu accidentium quae habent esse firmum in natura, et quae sunt accidentia individui ; tunc est verum dictum suum etiam de forma simplici, cujus quidditas non componitur ex partibus.

4. Il faut dire en quatrième lieu que si Boèce parle du sujet par rapport à tout accident, l’énoncé [son add. Éd. de Parme] est vrai au sujet de la forme qui est simple en ce sens qu’elle est aussi son existence comme c’est le cas pour Dieu : et une telle simplicité n’est présente ni dans l’âme ni chez l’Ange. Mais si on parle du sujet par rapport aux accidents qui possèdent une existence ferme dans la nature et qui sont les accidents d’un individu, alors son énoncé est vrai aussi au sujet de la forme simple dont la quiddité n’est pas composée de parties.

Sunt enim quaedam accidentia quae non habent esse vere, sed tantum sunt intentiones rerum naturalium ; et hujusmodi sunt species rerum, quae sunt in anima, item accidentium habentium esse naturae quoniam consequuntur naturam individui, scilicet materiam, per quam natura individuatur, sicut album et nigrum in homine ; unde etiam non consequuntur totam speciem: et talibus accidentibus non potest subjici anima.

Il existe en effet certains accidents qui ne possèdent pas une existence dans la réalité mais qui ne sont que des intentions des choses naturelles ; et ces intentions sont les espèces des choses, lesquelles espèces existent dans l’âme, et en outre des accidents qui possèdent une existence de nature puisqu’ils découlent de la nature de l’individu, c’est-à-dire de la matière par laquelle la nature est individuée, comme c’est le cas pour le blanc ou le noir dans l’homme ; c’est pourquoi aussi ils ne résultent pas de toute l’espèce : et l’âme en tant que telle ne peut être le sujet de tels accidents.

Quaedam autem habent esse naturae, sed consequuntur ex principiis speciei, sicut sunt proprietates consequentes speciem ; et talibus accidentibus potest forma simplex subjici, quae tamen non est suum esse ratione possibilitatis quae est in quidditate ejus, ut dictum est, in corp. art., et talia accidentia sunt potentiae animae ; sic enim et punctus et unitas habent suas proprietates.

Mais certains accidents possèdent une existence de nature mais ils découlent des principes de l’espèce, comme c’est le cas pour les propriétés qui découlent de l’espèce ; et une forme simple peut être le sujet de tels accidents, laquelle cependant n’est pas sa propre existence en raison de la puissance qui est dans sa quiddité, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, et de tels accidents sont les puissances de l’âme ; c’est de cette manière en effet que le point et l’unité possèdent leurs propriétés.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod omnis forma est aliqua similitudo primi principii, qui est actus purus: unde quanto forma magis accedit ad similitudinem ipsius, plures participat de perfectionibus ejus. Inter formas autem corporum magis appropinquat ad similitudinem Dei, anima rationalis ; et ideo participat de nobilitatibus Dei, scilicet quod intelligit, et quod potest movere, et, quod habet esse per se ; et anima sensibilis minus, et vegetabilis adhuc minus et sic deinceps. Dico igitur, quod animae non convenit movere, vel habere esse absolutum, inquantum est forma ; sed inquantum est similitudo Dei.

5. Il faut dire en cinquième lieu que toute forme est une certaine similitude du premier principe qui est acte pur : c’est pourquoi une forme participe d’un plus grand nombre de ses perfections dans la mesure où elle s’approche davantage de sa ressemblance. Mais parmi les formes des corps, c’est l’âme rationnelle qui s’approche davantage de la ressemblance de Dieu ; et c’est pourquoi elle participe davantage des perfections, c’est-à-dire qu’elle comprend, qu’elle peut mouvoir et qu’elle possède essentiellement l’existence ; et l’âme sensitive en participe moins et l’âme végétative encore moins et il en est encore davantage ainsi pour le reste. Je dis donc que ce n’est pas en tant que forme qu’il convient à l’âme de mouvoir ou de posséder une existence absolue, mais en tant qu’elle est une similitude de Dieu.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod, secundum praedicta, in anima non est aliquid quo ipsa individuetur, et hoc intellexerunt qui negaverunt eam esse hoc aliquid, et non quod non habeat per se absolutum esse. Et dico quod non individuatur nisi ex corpore. Unde impossibilis est error ponentium animas prius creatas, et postea incorporatas: quia non efficiuntur plures nisi secundum quod infunduntur pluribus corporibus. Sed quamvis individuatio animarum dependeat a corpore quantum ad sui principium, non tamen quantum ad sui finem, ita scilicet quod cessantibus corporibus, cesset individuatio animarum.

6. Il faut dire en sixième lieu, suivant ce qui a été dit précédemment, qu’il n’y a pas dans l’âme quelque chose par quoi elle-même est individuée, et ceux qui ont nié qu’elle soit une réalité individuelle ont compris cela, et non pas qu’elle ne possède pas par elle-même une existence absolue. Et je dis que l’âme n’est individuée que par le corps. C’est pourquoi l’erreur de ceux qui soutiennent que les âmes ont été créées en premier puis qu’elles ont ensuite été incorporées, est une absurdité : car une multiplicité d’individus n’est rendue possible que si elle repose sur une multiplicité de corps. Mais bien que l’individuation des âmes dépende du corps quant à son principe, elle n’en dépend cependant pas quant à sa fin, c’est-à-dire de telle manière que les corps cessant d’exister, l’individuation des âmes cesserait elle aussi.

Cujus ratio est quod cum omnis perfectio infundatur materiae secundum capacitatem suam, natura animae ita infundetur diversis corporibus, non secundum eamdem nobilitatem et puritatem: unde in unoquoque corpore habebit esse terminatum secundum mensuram corporis. Hoc autem esse terminatum, quamvis acquiratur animae in corpore, non tamen ex corpore, nec per dependentiam ad corpus. Unde, remotis corporibus, adhuc remanebit unicuique animae esse suum terminatum secundum affectiones vel dispositiones quae consecutae sunt ipsam prout fuit perfectio talis corporis.

La raison en est que puisque toute perfection se fonde sur la matière suivant les capacités de cette dernière, c’est de cette manière aussi que la nature de l’âme est introduite dans divers corps, à savoir d’après une perfection et une pureté différentes : c’est pourquoi  dans tout corps l’âme possédera une existence limitée d’après la mesure du corps. Mais cette existence limitée, bien que ce soit dans le corps qu’elle soit donnée à l’âme, ce n’est cependant pas à partir du corps ni par une dépendance à l’égard du corps qu’elle lui est acquise. C’est pourquoi, une fois disparus les corps, il subsistera encore en toute âme son existence limitée d’après les affections ou les dispositions qui en découlaient selon qu’elle était la perfection de tel corps.

Et haec est solutio Avicennae, et potest manifestari per exemplum sensibile. Si enim aliquid unum non retinens figuram distinguatur per diversa vasa, sicut aqua ; quando vasa removebuntur, non remanebunt proprie figurae distinctae ; sed remanebit una tantum aqua. Ita est de formis materialibus, quae non retinent esse per se. Si autem sit aliquid retinens figuram quod distinguatur secundum diversas figuras per diversa instrumenta, etiam remotis illis, remanebit distinctio figurarum, ut patet in cera ; et ita est de anima, quae retinet esse suum post corporis destructionem, quod etiam manet in ipsa esse individuatum et distinctum.

Et telle est la solution d’Avicenne, et elle peut être manifestée par un exemple sensible. Si en effet quelque chose d’un qui ne retient pas une figure, par exemple de l’eau, se distingue par différents contenants, lorsque les contenants seront retirés, les figures distinctes ne demeureront pas mais il ne demeurera plus qu’une seule et même quantité d’eau. Il en est de même pour les formes matérielles qui ne retiennent pas par elles-mêmes l’existence. Mais s’il existe une matière qui retient la figure et qui se distingue selon différentes figures obtenues au moyen de différents instruments, même si ces derniers sont retirés,  la distinction des figures sera conservée, comme on peut le voir pour cette matière qu’est la cire ; et il en est ainsi pour l’âme humaine, qui retient son existence après la destruction du corps, à savoir que demeure encore en elle une existence individuée et distincte.

 

 

Articulus 3 lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 tit. Utrum anima sit tota in toto, et tota in qualibet parte.

Article 3 – L'âme est-elle toute entière dans tout le corps et en chaque partie ?

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod anima non sit tota in qualibet parte corporis. Cum enim anima sit forma simplex, totalitas ejus attenditur secundum potentias. Sed non in qualibet parte corporis sunt omnes ejus potentiae. Ergo non est tota in qualibet parte corporis.

Difficultés :

1. Il semble que l’âme ne soit pas totalement présente dans chacune des parties du corps. En effet, puisque l’âme est une forme simple, sa totalité doit s’entendre d’après ses puissances. Mais ce n’est pas dans chacune des parties du corps que se retrouvent toutes ses puissances. L’âme n’est donc pas totalement présente dans chacune des parties du corps.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 2 Praeterea, animal est quod est compositum ex anima et corpore. Si igitur anima esset in qualibet parte corporis tota, quaelibet pars corporis esset animal, sicut quaelibet pars ignis est ignis. Ergo et cetera.

2. Par ailleurs, un animal est composé d’une âme et d’un corps. Si donc l’âme était totalement présente dans chacune des parties du corps, chacune d’elles serait l’animal, tout comme chaque partie du feu est du feu. Donc, etc.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 3 Praeterea, constat quod anima influit vitam corpori. Si igitur anima esset tota in qualibet parte corporis, quaelibet pars corporis immediate acciperet vitam ab anima ; et ita vita unius partis non dependeret ab alia: quod videtur falsum, quia vita totius corporis dependet ex corde. Ergo et cetera.

3. De plus, il est clair que l’âme fait passer la vie dans le corps. Si donc l’âme était totalement dans chaque partie du corps, toute partie du corps recevrait immédiatement la vie de l’âme ;  et ainsi la vie d’une partie ne dépendrait pas d’une autre : ce qu’on voit être faux car la vie de tout le corps dépend du cœur. Donc, etc.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, corpus habet diversas partes distinctas. Si igitur anima esset in qualibet parte corporis tota, tota esset in pluribus locis simul. Hoc autem non videtur convenire nisi Deo. Ergo et cetera.

4. En outre, le corps possède différentes parties bien distinctes. Si donc l’âme était totalement présente dans chacune des parties du corps, elle serait totalement présente dans plusieurs lieux simultanément. Mais cela ne semble appartenir qu’à Dieu seul. Donc, etc.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 s. c. 1 Contra, forma substantialis adest cuilibet parti materiae: non enim perficit tantum totum, sed singulas partes. Sed anima est forma substantialis corporis animati. Ergo est in qualibet parte ejus tota.

Cependant :

1. La forme substantielle est présente à chaque partie de la matière : en effet, elle ne donne pas la perfection qu’au tout, mais aussi à chacune de ses parties. Mais l’âme est la forme substantielle du corps animé. Elle est donc présente totalement dans chacune de ses parties.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, videmus quod anima aequaliter cito sentit laesionem in qualibet parte corporis. Hoc autem non esset, nisi anima adesset cuilibet parti. Ergo anima est tota in qualibet parte corporis.

2. En outre, nous voyons que l’âme ressent rapidement et également une blessure dans chacune des parties du corps. Mais cela n’aurait pas lieu si l’âme n’était pas présente totalement dans chaque partie du corps. Donc l’âme est présente totalement dans chacune des parties du corps.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod quidam posuerunt animam dupliciter posse considerari: aut secundum suam essentiam, aut secundum quod est quoddam totum potentiale.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que certains ont soutenu que l’âme peut être examinée de deux manières : soit selon son essence, soit selon qu’elle est un certain tout potentiel.

Si primo modo, sic dicebant, ipsam non esse in toto corpore, sed in aliqua parte ejus, scilicet corde, et per cor vivificare totum corpus per spiritus vitales procedentes a corde.

Si secundo modo, sic anima consideratur ut quaedam potentia integrata ex omnibus particularibus potentiis ; et sic tota anima est in toto corpore, et non tota in qualibet parte corporis: immo, sicut dicit philosophus, II De anima, text. 9, partes animae se habent ad partes corporis sicut tota anima ad corpus totum ; unde si pupilla esset animal, visus esset anima ejus.

Si on la considère de la première façon, ils disaient que l’âme n’est pas dans tout le corps, mais dans une de ses parties, à savoir le cœur et que par le cœur tout le corps est vivifié par les esprits vitaux qui procèdent du coeur.

Si c’est de la deuxième manière, alors l’âme est considérée comme une certaine puissance renouvelée à partir de toutes les puissances particulières ; et vue ainsi, l’âme est toute entière dans tout le corps, et non toute entière dans chacune des parties du corps : bien au contraire, comme le dit le Philosophe [11 De l’Âme, texte 9], les parties de l’âme se rapportent aux parties du corps comme la totalité de l’âme à la totalité du corps ; de là, si la pupille était un animal, la vue serait son âme.

Hujus autem positionis causa, fuit duplex falsa imaginatio: una est, quia imaginati sunt animam esse in corpore sicut in loco, ac si tantum esset motor, et non forma, sicut est nauta in navi ; alia est, quia imaginati sunt simplicitatem animae esse ad modum puncti, ut sit aliquid indivisibile habens situm indivisibilem. Et utrumque horum stultum est. Et ideo dicendum cum Augustino, quod anima secundum essentiam suam considerata, tota est in qualibet parte corporis.

Mais la cause de cette opinion fut  une vision fausse à double titre : la première est qu’ils croyaient que l’âme est dans le corps comme dans un lieu, comme si elle était seulement un moteur, à la manière du pilote dans son navire, et non une forme ; la deuxième est qu’ils croyaient que l’âme est simple à la manière du point, comme si elle était quelque chose d’indivisible possédant une position indivisible. Et ces visions sont toutes les deux insensées. Et c’est pourquoi il faut dire avec Augustin que l’âme, prise selon son essence, est totalement présente dans chacune des parties du corps.

[Idem dicit Albertus add. Éd. De Parme]. Non tamen tota, si accipiatur secundum totalitatem potentiarum ; sic enim est tota in toto animali. Et ratio hujus est, quia nulli substantiae simplici debetur locus, nisi secundum relationem quam habet ad corpus. Anima autem comparatur ad corpus ut ejus formatio a qua totum corpus et quaelibet pars ejus habet esse, sicut a forma substantiali. Et tamen potentias ejus, non omnes partes corporis participant ; immo sunt aliquae potentiae quibus non est possibile perfici aliquid corporeum, sicut potentiae intellectivae ; aliae autem sunt, quae possunt esse perfectiones corporum, non tamen eas omnes influit anima in qualibet parte corporis, cum non quaelibet pars corporis sit ejusdem harmoniae et commixtionis ; et nihil recipitur in aliquo nisi secundum proportionem recipientis ; et ideo non eamdem perfectionem recipit ab anima auris et oculus, cum tamen quaelibet pars recipiat esse.

[Albert dit la même chose add. Éd. de Parme]. Elle n’y est cependant pas totalement présente, si l’âme se prend selon la totalité des puissances : de cette manière en effet elle est totalement présente dans tout l’animal. Et la raison en est qu’aucune substance simple n’est tenue d’avoir un lieu, sauf d’après la relation qu’elle entretient avec le corps. Mais l’âme se compare au corps comme une forme à la matière, forme de laquelle tout le corps et chacune de ses parties tient son existence comme de la forme substantielle. Et cependant ce ne sont pas toutes les parties du corps qui participent de ses puissances ; bien au contraire, il y a des puissances pour lesquelles il n’est pas possible de compléter quelque chose de corporel comme c’est le cas pour les puissances intellectuelles ; mais il y en a d’autres qui peuvent être les perfections des corps, mais l’âme ne se répand pas en elles toutes dans chacune des parties du corps, puisque ce n’est pas chaque partie du corps qui présente le même ordre et la même composition ; et tout ce qui est reçu dans un être y est reçu proportionnellement à celui qui reçoit ; et c’est pourquoi ce n’est pas la même perfection que l’oreille et l’œil reçoivent de l’âme, bien que cependant chacune des parties reçoive l’existence.

Unde si consideretur anima prout est forma et essentia, est in qualibet parte corporis tota ; si autem prout est motor secundum potentias suas, sic est tota in toto, et in diversis partibus secundum diversas potentias.

C’est pourquoi, si l’âme est considérée en tant qu’essence et forme, elle est totalement présente dans chacune des parties du corps ; si cependant elle est considérée en tant que moteur d’après ses puissances, ainsi elle est totalement dans le tout et elle est dans ses différentes parties d’après ses différentes puissances.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicimus totam animam esse in qualibet parte corporis, intelligimus per totum perfectionem naturae suae, et non aliquam totalitatem partium ; totum enim et perfectum est idem, ut dicit philosophus, Physic. III, text. 54.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que lorsque nous disons que toute l’âme est dans chacune des parties du corps, nous entendons par ¨toute¨ la perfection de sa nature et non une certaine totalité des parties ; en effet, ainsi que le dit le Philosophe [111 Physique, texte 54], le tout et la perfection signifient la même chose.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod perfectibile debet esse proportionatum suae perfectioni. Anima autem quamvis sit forma simplex, est tamen multiplex in virtute, secundum quod ex ejus essentia oriuntur diversae potentiae ; et ideo oportet corpus proportionatum sibi habere partes distinctas ad recipiendum diversas potentias ; unde etiam anima dicitur esse actus corporis organici. Et quia non quaelibet pars animalis habet talem distinctionem, non potest dici animal. Sed animae minus nobiles quae habent parvam diversitatem in potentiis, perficiunt etiam corpus quod est quasi uniforme in toto et partibus ; et ideo ad divisionem partium efficiuntur diversae animae actu in partibus, sicut etiam in animalibus annulosis et plantis. Non tamen ante divisionem in hujusmodi animalibus quaelibet pars dicitur animal, nisi in potentia ; sicut nullius continui pars est nisi in potentia: unde nec pars ignis est aliquid actu, nisi post divisionem.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le perfectible doit être proportionné à sa perfection. Mais l’âme, bien qu’elle soit une forme simple, est cependant multiple en puissance, selon que différentes puissances sortent de son essence ; et c’est pourquoi il faut que le corps qui lui est proportionné possède des parties distinctes pour recevoir différentes puissances ; c’est pourquoi encore on dit de l’âme qu’elle est l’acte d’un corps organisé. Et parce que chaque partie de l’animal ne possède pas cette distinction, elle ne peut être appelée un animal. Mais les âmes qui sont moins nobles qui possèdent une petite diversité dans leurs puissances se trouvent aussi à compléter un corps qui est comme uniforme dans son tout et dans ses parties ; et c’est pourquoi, suite à la division des parties, différentes âmes sont produites en acte dans les parties comme on le voit encore chez les animaux à anneaux et les plantes. Chez ces animaux cependant, avant la division, ce n’est qu’en puissance que chaque partie est appelée animal, tout comme pour tout continu sa partie n’existe qu’en puissance : c’est pourquoi une partie du feu n’est quelque chose en acte qu’après la division.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vivere in animali dicitur dupliciter:

uno modo vivere est ipsum esse viventis, sicut dicit philosophus, II de anima, text. 37 : « vivere viventibus est esse » ; et hoc modo anima immediate facit vivere quamlibet partem corporis, inquantum est ejus forma ;

alio modo dicitur vivere pro operatione animae quam facit in corde prout est motor ; et talis est vita quae defertur per spiritus vitales ; et talem vitam influit primo in cor, et postea in omnes alias partes. Et inde est quod laeso corde perit operatio animae in omnibus partibus corporis, et per consequens esse ipsarum partium, quod conservatur per operationem animae.

3. Il faut dire en troisième lieu que chez l’animal, vivre de dit de deux manières :

En un premier sens vivre est l’existence même du vivant comme le dit le Philosophe [11 De l’Âme, texte 37] : ¨Pour les vivants, vivre c’est exister¨. Et en ce sens l’âme, en tant qu’elle est la forme du corps,  fait vivre immédiatement chaque partie du corps.

En un autre sens vivre se dit pour l’opération de l’âme que l’âme fait dans le cœur en tant qu’elle est moteur ; et telle est la vie qui est apportée par les esprits vitaux ; et c’est en premier lieu dans le cœur que l’âme déverse une telle vie, et par la suite dans toutes les autres parties. D’où il résulte que l’opération de l’âme cesse dans toutes les parties du corps une fois que le cœur est blessé, et que cesse par conséquent aussi l’existence des parties elles-mêmes, existence qui est conservée par l’opération de l’âme.

lib. 1 d. 8 q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod anima non est in corpore vel in partibus corporis, sicut in loco, sed sicut forma in materia, et ideo non sequitur quod sit in pluribus locis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’âme n’est pas dans le corps ou dans les parties du corps comme dans un lieu, mais comme la forme est dans la matière et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’elle soit dans plusieurs lieux.

 

 

 

 

 

 

Distinctio 9

Distinction 9 – [La distinction des personnes]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La distinction du Père et du Fils]

 

 

Prooemium

Prologue

Circa hanc partem quaeruntur duo:

primo de distinctione Filii a Patre.

Secundo de coaeternitate. [aeternitatem Éd. de Parme]

Circa primum duo quaeruntur:

1 utrum propter distinctionem possit dici Filius alius a Patre ;

2 utrum Pater et Filius propter eamdem distinctionem possint dici plures aeterni.

Dans cette partie on s’interroge sur deux choses :

Premièrement sur la distinction qu’il y a entre le Fils et le Père.

Deuxièmement sur la coéternité. [éternité Éd. de Parme]

Au sujet du premier point on pose deux questions :

1. Est-ce qu’en raison de la distinction on peut dire que le Fils est autre que le Père ?

2. Est-ce qu’on peut dire du Père et du Fils, en raison de la même distinction, qu’ils sont plusieurs éternités ?

 

 

Articulus 1.Article 1.[779] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 tit. Utrum Filius sit alius a Patre

Article 1 – Le Fils est-il autre que son Père ?

[780] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit alius a Patre. Alius enim, secundum Priscianum, lib. II, cap. « De pronomine », est relativum diversitatis substantiae. Sed Pater et Filius sunt unius substantiae. Ergo Filius non potest dici alius a Patre.

Difficultés :

1. Il semble que le Fils ne soit pas autre que le Père. En effet, ¨autre¨, selon Priscien [Traité sur l’art de la Grammaire, Livre 11, ch. Sur le Pronom], est un terme relatif qui renvoie à une diversité de substance. Mais le Père et le Fils sont une seule et même substance. Donc le Fils ne peut être dit autre que le Père.

.[781] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 2. Item, unitas substantiae impedit quod Filius non potest dici aliud esse a Patre, propter diversitatem significatam per ly aliud. Sed alius et aliud non differunt nisi secundum modum significandi: quia alius masculine, aliud neutraliter significat. Cum igitur modus significandi non variet significationem, videtur quod nec etiam alius a Patre dici possit.

2. En outre, l’unité de la substance empêche que le Fils puisse être dit autre que le Père, à cause de la diversité signifiée par le terme ¨aliud¨. Mais ¨alius¨  et ¨aliud¨ ne diffèrent que par le mode de signifier : car ¨alius¨signifie le masculin alors que ¨aliud¨ signifie le neutre. Donc, puisque le mode de signifier ne change pas la signification, il semble qu’on ne puisse non plus dire qu’il est autre que le Père.

[782] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, si Filius dicitur alius a Patre, hoc non est nisi quia Filius est a Patre. Sed Pater est a seipso. Ergo Pater erit alius a seipso.

3. En outre, si on dit que le Fils est autre que le Père, ce n’est que parce que le Fils vient du Père. Mais le Père vient de lui-même. Donc, le Père sera autre que lui-même.

  [783] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, proprietas secundum Porphyrium, in Praedicabili., cap. « De different., », non facit alietatem, sed magis alteritatem. Pater autem non distinguitur a Filio nisi per proprietatem relationis. Ergo Pater non potest dici alius a Filio, sed alter.

4. De plus, la propriété selon Porphyre [Les Prédicables, ch. De la différence], n’entraîne pas une altérité mais plutôt une différence. Mais le Père ne se distingue du Fils que par la propriété de relation. Donc le Père ne peut être dit autre que le Fils, mais seulement différent.

[784] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, quaecumque distinguuntur realiter, unum eorum est alia res ab alio. Sed Pater et Filius, ut supra dictum est, dist. 2, quaest. unica, art. 5, distinguuntur realiter. Ergo Pater est alia res a Filio ; et eodem modo potest dici esse alius a Filio. Hoc etiam videtur per verbum Augustini in littera.

Cependant :

1. Pour toutes les choses qui se distinguent en réalité, l’une d’elles est une chose différente de l’autre. Mais le Père et le Fils, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, quest. Uniquqe, art. 5], se distinguent en réalité. Donc le Père est une réalité autre que le Fils ; et de la même manière on peut dire qu’il est autre que le Fils. C’est ce que manifestent encore les paroles d’Augustin dans le document.

[785] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in divinis invenimus tria, scilicet essentiam, personam, proprietatem, quibus aptantur tria genera. Essentiae enim, quia communis est et indistincta, aptatur neutrum genus, quod est informe non importans sexus distinctionem. Personae vero, quae est distincta et significatur ut aliquid existens in natura divina, aptatur masculinum genus quod est genus distinctum, et non femininum propter imperfectionem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que nous retrouvons trois choses dans les personnes divines, à savoir l’essence, la personne et la propriété, lesquelles s’appliquent à trois genres. À l’essence en effet, parce qu’elle est commune et indifférenciée, s’applique le genre qui est le neutre, lequel est informe et n’implique pas la distinction de sexe. Mais le genre masculin qui est un genre distinct, et on le genre féminin en raison de son imperfection, s’applique à la personne qui est distincte et qui est signifiée comme quelque chose d’existant dans la nature divine.

Proprietati autem, quae significatur per modum formae, aptatur genus femininum ; sic etiam essentiae aptari potest, inquantum essentia significatur ut forma ; et ideo propter unitatem essentiae non potest dici Pater aliud [alius Éd. de Parme] a Filio, sed propter distinctionem personae dicitur alius. Istud autem videtur magis esse adaptatio, quam expressio proprietatis locutionis.

 

Mais c’est à la propriété, qui est signifiée par mode de forme, que s’applique le genre féminin ; mais il peut s’appliquer aussi à l’essence selon que l’essence est signifiée en tant que forme ; et c’est pourquoi, en raison de l’unité de l’essence, on ne peut dire du Père qu’Il est autre chose [autre Éd. de Parme] que le Fils, mais en raison de la distinction des personnes on peut dire de Lui qu’il est autre que le Fils. Mais cela semble être davantage un ajustement que l’expression d’une propriété du langage.

Unde dicendum aliter, quod hoc contingit, quia neutrum genus substantivatur ; et ideo importat diversitatem simpliciter et absolute, quae est diversitas essentiae ; sed masculinum genus et femininum tenentur adjective ; unde ponunt diversitatem circa terminos personales qui in locutione ponuntur, cum dicitur: Filius est alius a Patre ; et hoc explicabitur in solutionibus argumentorum.

C’est pourquoi il faut dire autrement que cela est possible car le genre neutre est pris comme un substantif : et c’est pourquoi il implique diversité purement et simplement, c’est-à-dire une diversité d’essence ; mais les genres masculin et féminin sont pris comme des adjectifs et c’est pourquoi ils posent une diversité sur les termes personnels qui sont placés dans le discours lorsque l’on dit : Le Fils est autre que le Père ; et cela sera expliqué dans les réponses aux difficultés.

[786] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod alius semper significat diversitatem substantiae. Sed substantia dicitur dupliciter:

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’autre signifie toujours une diversité de substance : mais substance se dit de deux manières :

quandoque enim sumitur pro essentia, sicut est in usu Latinorum ; quandoque pro supposito essentiae, vel pro re naturae primi praedicamenti, quae dicitur hypostasis apud Graecos ; et hoc secundo modo non est eadem substantia Patris et Filii: quia sic substantia significat personam ; et hac ratione potest dici alius.

Parfois ce terme est pris pour l’essence comme c’est la coutume en latin ; mais parfois il est pris pour le suppôt de l’essence ou pour la chose de nature du premier prédicament qu’on appelle hypostase chez les Grecs ; et en ce deuxième sens la substance du Père n’est pas la même que celle du Fils car alors substance signifie la personne ; et c’est pour cette raison qu’elle peut être dite autre.

[787] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod neutrum genus substantivatur, et non masculinum. Substantivum autem significationem suam habet absolutam ; sed adjectivum ponit significationem suam circa proprie [proprie om. Éd. de Parme] substantivum [subjectum Éd. de Parme]. Quando autem aliquid dicitur absolute, intelligitur de eo quod simpliciter est, sicut ens, absolute dictum, significat substantiam ; et ideo quia alietas essentiae est simpliciter alietas, ideo neutrum genus substantivatum importat alietatem essentiae. Sed genus masculinum, quia adjective tenetur, ponit alietatem circa suum subjectum. Unde si terminus personalis est, designat suum substantivum distinctionem personarum [personalis est suum substantivum designat Éd. de Parme]. Et ideo haec est vera: Pater est alius a Filio. Si autem sit terminus essentialis, designat diversitatem substantiae ; unde haec est falsa: Pater est alius Deus a Filio. Et similiter neutrum adjective sumptum, quando adjungitur termino personali, importat alietatem personae, ut cum dicitur: Pater est aliud suppositum a Filio. Unde hoc non contingit ex variata significatione, sed ex eo quod alietas significata in masculino et neutro, non ad idem refertur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le genre neutre, et non le masculin, est pris comme substantif. Mais le substantif possède une signification absolue alors que l’adjectif pose sa signification sur ce qui lui est propre [propre om. Éd. de Parme] comme substantif [sujet Éd. de Parme]. Mais quand quelque chose se dit absolument, il se comprend comme existant purement et simplement, comme l’être, dit absolument, signifie la substance ; et c’est pourquoi, parce que l’altérité de l’essence est une altérité pure et simple, le genre neutre pris comme substantif implique une altérité d’essence. Mais le genre masculin, parce qu’il est pris comme adjectif, pose une altérité sur son sujet. C’est pourquoi, si le terme est personnel, son substantif désigne une distinction de personnes [le terme personnel désigne son substantif Éd. de Parme]. Et c’est pourquoi cette proposition est vraie : Le Père est autre que le Fils. Mais si le terme est essentiel, il désigne une diversité de substance et c’est pourquoi cette proposition est fausse : Le Père est un autre Dieu que le Fils. Et de la même manière le neutre, pris comme adjectif, lorsqu’il est ajouté à un terme personnel, implique une altérité de personnes, comme lorsqu’on dit : le Père est un suppôt autre que le Fils. Et c’est pourquoi cela n’est pas possible si on change la signification, mais seulement si l’altérité signifiée au masculin et au neutre ne se rapporte pas à la même chose.

[788] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec est impropria: Pater est a se ; et exponenda est per negationem ; id est, non est ab alio. Ista autem est propria: Filius est a Patre. Unde non est simile.

3. Il faut dire en troisième lieu que cette proposition est impropre : le Père vient de lui-même ; et elle dit être expliquée par la négation, c’est-à-dire qu’Il ne vient pas d’un autre. Mais celle-ci est se dit proprement : le Fils vient du Père. C’est pourquoi elle n’est pas semblable.

[789] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proprietas in divinis non tantum est proprietas, sed etiam subsistens: Paternitas enim est ipse Pater ; et ideo proprietas facit alium magis proprie, quam alterum. De hoc tamen infra plenius habebitur, dist. 26, quaest. 2, art. 2.4

4. Il faut dire en quatrième lieu que la propriété chez les personnes divines n’est pas seulement une propriété, mais aussi une substance : la Paternité en effet est le Père lui-même ; et c’est pourquoi la propriété rend plus proprement autre que divers. Nous traiterons cependant plus loin [dist. 26, quest. 2, art. 2.4] de ce sujet d’une manière plus complète.

 

 

Articulus 2 [790] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 tit. Utrum Pater et Filius possint dici plures aeterni ?

Article 2 – Peut-on dire que le Père et le Fils sont plusieurs éternels ?

[791] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater et Filius non possint dici plures aeterni, per id quod habetur in symbolo Athanasii: Et tamen non tres aeterni.

Difficultés :

1. Il semble qu’on ne puisse dire du Père et du Fils qu’ils sont plusieurs éternels en s’appuyant sur ce qui est établi dans le symbole d’Athanase : Et cependant ils ne sont pas trois éternels.

[792] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus, V De Trinit., cap. VIII, col. 916 : quidquid in divinis ad se dicitur, singulariter de tribus, et non pluraliter praedicatur. Sed aeternus ad se dicitur: non enim est relativum. Ergo singulariter de tribus dicitur, et non pluraliter.

2. Par ailleurs, Augustin [V De la Trinité, ch.  VIII, col. 916] dit : Tout ce qui se dit absolument de Dieu s’attribue aux trois personnes au singulier et non au pluriel. Mais éternel se dit absolument : en effet, il n’est pas un relatif. Donc il s’attribue aux trois personnes au singulier et non au pluriel.

[793] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut una deitas est trium personarum, ita etiam est una aeternitas, cum aeternitas sit ipsa divina substantia. Sed non potest dici: Pater et Filius sunt [plures add. Éd. de Parme] dii ; propter unitatem divinitatis. Ergo nec etiam propter unitatem aeternitatis potest dici: Pater et Filius sunt [plures add. Éd. de Parme] aeterni.

3. En outre, tout comme une même divinité appartient aux trois personnes, de même c’est une même éternité qi appartient aux trois personnes puisque l’éternité est la substance divine elle-même. Mais on ne peut dire : le Père et le Fils sont [plusieurs add. Éd. de Parme] des dieux, en raison de l’unité de la divinité. Donc en raison de l’unité de l’éternité on ne peut non plus dire : le Père et le Fils sont [plusieurs add. Éd. de Parme] des éternels.

[794] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 4 Si dicas, quod hoc est, quia Deus est substantivum, sed aeternus est adjectivum, et ideo aeternus recipit pluralem numerum, secundum numerum suppositorum. Contra, adjectivum significatur per modum accidentis. Sed in Deo non potest esse aliquod accidens, quia, sicut dicit Boetius, lib. I De Trinit., cap. IV, col. 1252, caetera praedicamenta cum in divinam venerint praedicationem mutantur in substantiam. Ergo non potest ibi esse adjectivum.

4. Mais tu pourrais dire qu’ils sont plusieurs éternels parce que Dieu est un substantif mais qu’éternel est un adjectif et que c’est là pourquoi éternel reçoit le nombre pluriel selon le nombre des suppôts. Cependant l’adjectif signifie à la manière d’une accident. Mais en Dieu il ne peut y avoir aucun accident car, ainsi que le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. IV, col. 1252], lorsque les autres prédicaments en viennent à l’attribution divine, ils se changent en la substance. Eternel ne peut donc pas être pris là comme adjectif.

Sed contra est quod habetur in Symbolo Athanasii, quod tres personae sunt sibi coaeternae.

Cependant on établit dans le Symbole d’Athanase que les trois personnes sont coéternelles.

[795] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, adjectivum trahit numerum a substantivo. Sed aeternus est adjectivum. Cum ergo Pater et Filius sint plures quidam, videtur quod debeant dici aeterni.

5. De plus, l’adjectif tire son nombre du substantif. Mais éternel est un adjectif. Donc, puisque le Père et le Fils sont plusieurs personnes, il semble qu’ils doivent être appelées éternels.

[796] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod haec est differentia inter adjectiva et substantiva: quia substantiva significant per modum substantiae, et ideo significant rem suam absolute ; et ideo substantivum non dicitur in plurali numero, nisi formatio sua numeretur ; adjectivum autem significat per modum accidentis, quod non habet esse absolutum, nec unitatem: sed esse suum et unitas sua dependet ex eo cui inhaeret. Unde etiam non multiplicatur secundum numerum per divisionem alicujus quod sit pars sui, sicut species substantiarum multiplicantur per individua, secundum divisionem materiae.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que telle est la différence entre les adjectifs et les substantifs : car les substantifs signifient à la manière d’une substance et c’est pourquoi ils signifient leur chose absolument ; et c’est pourquoi le substantif ne se dit au pluriel que si sa formation est comptée ; mais l’adjectif signifie à la manière d’un accident qui ne possède ni une existence ni une unité absolue mais son existence et son unité dépendent de ce en quoi il se trouve. C’est pourquoi encore il ne se multiplie pas selon le nombre par la  division de ce qui serait une de ses parties comme les espèces des substances se multiplient en individus par la division de la matière.

Sed accidens multiplicatur secundum divisionem subjecti in quo est ; unde haec albedo est alia ab illa, inquantum haec est hujus, et illa illius ; et ideo adjectivum non habet numerum pluralem, nisi ex parte suppositorum. Dicendum igitur, quod omnes termini essentiales [essentiales om. Éd. de Parme] significantes substantiam per modum substantiae, sicut sunt substantiva, non praedicantur in plurali de tribus personis, eo quod forma [formatio Éd. de Parme] significata, scilicet ipsa essentia divina, non dividitur.

Mais l’accident se multiplie d’après la division du sujet dans lequel il se trouve ; c’est pourquoi cette blancheur-ci diffère de cette blancheur-là selon qu’elle appartient à celui-ci et celle-là à celui-là ; et c’est pourquoi l’adjectif ne possède le nombre pluriel que du côté de son suppôt. Il faut donc dire que tous les termes essentiels [essentiels om. Éd. de Parme] signifiant la substance par mode de substance, comme les substantifs, ne s’attribuent pas au pluriel aux trois Personnes du fait que la forme [la formation Éd. de Parme] signifiée, à savoir l’essence divine elle-même, ne se divise pas.

Termini vero significantes substantiam adjective per modum inhaerentis, vel assequentis substantiam, ut dicit Damascenus, I Fid. Orthod., cap. IX, col. 834, praedicantur in plurali de tribus personis, propter pluralitatem suppositorum. Sed tamen in talibus terminis, qui significant substantiam adjective, est ordo. Quaedam enim significant ut inhaerenter, non significantes substantiam quantum ad modum significandi quem grammatici considerant dicentes, nomen significare substantiam cum qualitate, sicut verba et participia: et ista nullo modo debent praedicari in singulari, quia significant per modum actus, qui non significatur nisi ut inhaerens.

Mais les termes qui signifient la substance à la manière d’un adjectif par mode d’inhérence ou de ce qui arrive à la substance, comme le dit Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. 1X, col. 834], s’attribuent au pluriel aux trois Personnes en raison de la pluralité des suppôts. Mais dans de tels termes cependant qui signifient la substance à la manière d’un adjectif, il y a un ordre. Certains en effet signifient comme étant présents dans la substance, qui ne signifient pas la substance quant au mode de signifier que les grammairiens considèrent  en disant que le nom signifie la substance avec une qualité, tout comme les verbes et les participes : de tels termes ne doivent en aucune manière être attribués au singulier car ils signifient à la manière d’un acte qui n’est signifié que comme étant présent dans la substance.

Quaedam autem significant substantiam quantum ad modum consideratum a grammaticis, sicut nomina adjectiva. Omne enim nomen significat substantiam et qualitatem ; sed formam quae est qualitas, significant ut inhaerentem ; et talia possunt magis praedicari singulariter, et praecipue quia possunt substantiari, sicut aeternus, et hujusmodi. Quando tamen talibus adjectivis additur per compositionem aliqua praepositio denotans habitudinem personae ad personam, magis trahuntur ad suppositum ; et tunc nunquam debent praedicari in singulari, sed tantum in plurali, sicut coaeternus.

Mais il y a les termes qui signifient la substance quant au mode considéré par les grammairiens, comme les noms adjectifs. Tout nom en effet signifie la substance et la qualité ; mais ils signifient la forme, qui est une qualité, comme étant présente dans la substance ; et de tels noms peuvent davantage être attribués au singulier et surtout parce qu’ils peuvent être pris comme des substantifs, comme éternel et les termes de cette sorte. Quand cependant à de tels adjectifs s’ajoute une préposition par composition dénotant le rapport d’une personne à une autre, ils sont davantage appliqués au suppôt ; et alors ils ne doivent jamais être attribués au singulier mais seulement au pluriel, comme coéternel.

[797] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 1 Dico igitur ad primum, quod si aeternus substantive sumatur, tunc praedicatur in singulari de tribus ; et sic accipit Athanasius. Si adjective, tunc praedicatur pluraliter. Sed coaeternus semper debet pluraliter praedicari, propter habitudinem personae ad personam, quam importat.

Solutions :

1. Je dis donc en premier lieu que si éternel est pris comme substantif, alors il s’attribue au singulier aux trois personnes. Et c’est ainsi qu’Athanase le prend. Mais si on le prend comme adjectif, alors il s’attribue au pluriel. Mais coéternel doit toujours s’attribuer au pluriel en raison du rapport qu’il implique de la personne à la personne.

[798] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut dictum est, in corp. art., adjectiva non habent numerum ex seipsis, sed ex suis suppositis ; et ideo aeternus, quamvis non numeretur ex seipso, quia absolutum est, tamen praedicatur in plurali propter pluralitatem suppositorum, quae relativa sunt.

2. Il faut dire en deuxième lieu que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, ce n’est pas d’eux-mêmes que les adjectifs possèdent un nombre, mais ils le tiennent de leurs suppôts ; et c’est pourquoi éternel, bien qu’il ne se dénombre pas de lui-même car il est un absolu, il s’attribue cependant au pluriel en raison de la pluralité des suppôts qui sont des relatifs.

[799] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium: quia Deus non est adjectivum, ut recipiat numerum ab alio, sicut aeternus. Unde non posset pluraliter praedicari nisi propter pluralitatem suae formae: quam pluralitatem non est in Deo ponere.

3. Et par là la réponse à la troisième difficulté devient évidente : car Dieu n’est pas un adjectif qui, comme éternel, reçoit son nombre d’un autre. De là il ne pourrait s’attribuer au pluriel qu’en raison de la pluralité de sa forme, pluralité qu’il n’y a pas lieu de poser en Dieu.

[800] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis secundum rem non sit accidens in divinis, tamen quantum ad modum significandi potest aliquid ut adjacens significari, vel assequens substantiam ; et inde sunt adjectiva in divinis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que bien qu’il n’y ait pas en réalité d’accidents dans les personnes divines, il se peut cependant que, quant au mode de signifier, quelque chose soit signifié comme étant rattaché ou comme advenant à la substance ; et c’est de là qu’on retrouve des adjectifs dans les Personnes divines.

 

 

 

Question 2 – [La coéternité du Père et du Fils]

 

 

Prooemium

Prologue

[801] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 pr. Deinde quaeritur de coaeternitate Filii ad Patrem ; et quaeruntur duo:

1 utrum Pater aliquo modo sit prior Filio ;

2 si non, sed generatio est aeterna, quibus verbis significari debeat.

 On s’interroge ensuite sur la coéternité du Fils à l’égard du Père ; et on pose alors deux questions :

1. Est-ce que le Père est antérieur au Fils de quelque manière ?

2. Si ce n’est pas le cas, la génération étant éternelle, par quels verbes doit-elle être signifiée ?

 

 

Articulus 1 [802] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 tit. Utrum Pater sit prior Filio

Article 1 – Le Père est-il antérieur au Fils ?

 [803] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Pater sit prior Filio. Sicut enim se habet corruptio ad desitionem, ita se habet generatio ad inceptionem. Sed omne quod corrumpitur, desinit esse. Ergo omne quod generatur, incipit esse per generationem. Ergo Filius coepit esse ; et ita est posterior Patre.

Difficultés :

1. Il semble que le Père soit antérieur au Fils. En effet, tout comme la corruption se rapporte au terme, la génération se rapporte au commencement. Mais tout ce qui se corrompt cesse d’exister. Donc, tout ce qui est engendré  commence à exister par la génération. Donc le Fils a commencé à exister ; et ainsi il est postérieur au Père.

[804] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 2, nihil accipit aliquid, nisi quod non habet. Sed omne quod generatur, accipit esse a generante. Ergo omne quod generatur, ante generationem non habet esse ; et sic idem quod prius.

2. On ne reçoit que ce que l’on ne possède pas. Mais tout ce qui est engendré reçoit l’existence de celui qui engendre. Donc tout ce qui est engendré ne possède pas l’existence avant d’être engendré ; et ainsi la conclusion est la même que précédemment.

[805] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 3, principium naturaliter prius est eo cujus est principium. Sed Pater est principium Filii. Ergo etsi non tempore, saltem natura est prior ipso.

3. Le principe est naturellement antérieur à ce dont il est le principe. Mais le Père est le principe du Fils. Donc, si ce n’est pas par le temps, Il Lui est au moins antérieur par nature.

[806] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, dare esse est aliqua dignitas. Sed Pater dat esse suum Filio. Ergo ad minus dignitate Pater est prior Filio.

4. De plus, donner l’existence constitue une dignité. Mais le Père donne son existence au Fils. Donc le Père est antérieur au Fils au moins par la dignité.

[807] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, omne illud quo aliquid est prius, non est simpliciter primum. Si ergo Filio esset Pater prior, Filius non esset simpliciter primum. Sed omnes dicunt Deum esse primum principium, sicut dicit philosophus, I Metaph., I, 7. Ergo Filius non esset Deus: quod Ariani concedunt.

Cependant :

1. Tout ce dont quelque chose est antérieur, cela n’est pas absolument premier. Si donc le Père était antérieur au Fils, le Fils ne serait pas absolument premier. Mais tous disent que Dieu est le premier principe, comme le Philosophe le dit [1 Métaphysique, 1, 7]. Donc le Fils ne serait pas Dieu : ce que les Ariens concèdent.

[808] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Pater nullo modo est prior Filio, neque duratione, neque natura, neque intellectu, neque dignitate: in Patre enim et Filio non possumus nisi duo considerare.

Vel id quod absolutum est: et hoc utrique commune est: unde ex hoc unus non habet prioritatem ad alium, cum essentia divina non sit divisibilis, ut supra ostensum est, in hac dist., qu. 1, art. 1.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le Père n’est d’aucune manière antérieur au Fils, ni par la durée, ni par la nature, ni par l’intelligence, ni par la dignité : dans le Père et le Fils en effet on ne peut considérer que deux choses.

Soit ce qui est absolu : et cela est commun aux deux : c’est pourquoi de ce point de vue l’un ne possède aucune antériorité sur l’autre puisque l’essence divine n’est pas divisible comme nous l’avons montré plus haut dans cette distinction [quest. 1, art. 1].

Vel id quod est ad aliquid. Relativorum autem est simul esse natura, secundum philosophum, in Praedicam., cap. « De relat., », et etiam tempore: quia posita se ponunt, et perempta se perimunt: et etiam intellectu, cum unum per alterum definiatur: quamvis enim in hominibus ille qui est pater, sit prior eo qui est filius, ut Socrates Platone ; nihilominus tamen ista duo relativa, inquantum relativa sunt, Pater et Filius simul sunt omnibus modis praedictis. Unde patet quod Pater nullo modo potest esse prior Filio ; neque secundum id quod absolutum, neque secundum id quod ad aliquid est.

On peut encore considérer ce qui est relatif. Mais pour les relatifs l’existence est simultanée par nature, selon ce qu’en dit le Philosophe dans ses Prédicaments, au chapitre intitulé ¨Des relatifs¨, et elle l’est aussi par le temps :  car si l’un est posé les deux le sont et si l’un est anéanti les deux le sont : et leur existence est simultanée aussi par l’intelligence car l’un se définit par l’autre bien qu’en effet chez les hommes celui qui est père soit antérieur à celui qui est fils, comme Socrate est antérieur à Platon ; cependant ces deux relatifs, à savoir le Père et le Fils,  en tant qu’ils ont relatifs, existent néanmoins simultanément de toutes les manières dont nous venons de parler. C’est pourquoi il est clair que le Père n’est en aucune manière antérieur au Fils, quelque soit la manière dont on les considère, soit absolument, soit relativement.

[809] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio quae opponitur corruptioni, est mutatio ; et tali generationi semper annexa est inceptio. Sed generatio, prout est in divinis, non est mutatio, ut supra dictum est, dist. 4, quaest. 1, art. 1, sed operatio naturae divinae prout est in Patre. Et quia naturalis operatio semper sequitur id cujus est, cum natura divina in Patre sit aeterna, et generatio erit aeterna.

Solutions:

1. Il faut dire en premier lieu que la génération qui s’opose à la corruption est un changement; et à une telle génération est toujours rattaché un commencement. Mais la génération, selon qu’elle existe chez les personnes divines, n’est pas un changement ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 1] mais une operation de la nature divine existant dans le Père. Et parce qu’une operation naturelle correspond toujours à ce à quoi elle appartient, puisque la nature divine est éternelle dans le Père, la génération aussi sera éternelle.

[810] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod accipit aliquid, non habet illud a se, non tamen sequitur quod non habeat illud simpliciter: quia potest esse quod illud accipere nunquam inceperit ; et ita Filius accepit esse a Patre, nec habet esse a se, sed ab aeterno a Patre accepit esse.

2. Il faut dire en deuxième lieu que si ce qui reçoit quelque chose ne le possède pas de lui-même, il ne s’ensuit pas cependant qu’il ne possède absolument pas cela : car il se peut qu’il n’ait jamais commencé de recevoir cela ; et c’est de cette manière que le Fils a reçu l’existence du Père et qu’il ne possède pas l’existence de Lui-même, mais il a reçu l’existence du Père de toute éternité.

[811] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod principium potest dupliciter considerari:

vel id quod est principium, et hoc est prius naturaliter eo cujus est principium ;

vel secundum relationem principii, et sic est simul naturaliter cum principiato. Si igitur esset aliquis ab eodem habens quod sit aliquis et quod sit ad aliquid ; omnino simul esset naturaliter cum eo ad quod diceretur. Et quia in divinis Pater ab eodem habet quod sit aliquis et quod sit Pater ; est simul natura cum Filio, non solum inquantum est Pater, sed simpliciter.

3. Il faut dire en troisième lieu que par le terme de principe on peut considérer deux choses :

Soit cela même qui est le principe et cela est antérieur à ce dont il est le principe.

Soit la relation de principe et alors le principe est par nature simultané avec ce dont il est le principe. Si donc il existait un être qui du même coup tiendrait son existence et d’être en relation, il serait par nature absolument simultané avec ce dont il est dit relatif. Et parce que dans les Personnes divines le Père tient du même coup son existence et sa Paternité, il est par nature simultané avec le Fils, non seulement en tant que Père, mais absolument.

[812] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proprietas qua Pater dat esse, est dignitas sua. Sed quia dignitas est de absolutis, ideo eadem dignitas est in Patre et Filio, et eadem dignitas quae in Patre est paternitas, in Filio est filiatio ; sicut paternitas in Patre est divina essentia vel divina bonitas, et eadem essentia in numero vel bonitas, est filiatio in Filio.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la propriété par laquelle le Père donne l’existence est sa dignité propre. Mais parce que le dignité porte sur des absolus, c’est pourquoi il y a une même dignité dans le Père et dans le Fils, et la même dignité qui dans le Père est la paternité se retrouve dans le Fils sous la forme de la filiation ; tout comme la paternité dans le Père est l’essence divine ou la bonté divine, la même essence ou bonté par le nombre est la filiation dans le fils.

 

 

Articulus 2 [813] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 tit. Utrum generatio divina debeat significari per tempus praesens.

Article 2 – La génération divine doit-elle être signifiée par le temps présent ?

[814] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod generatio divina debeat significari per praesens tempus. Praesens enim maxime aeternitati competit, eo quod non habet successionem. Sed generatio divina est aeterna. Ergo debet significari per praesens tempus.

Difficultés :

1. Il semble que la génération divine doive être signifiée par le temps présent. Le présent en effet semble convenir plus proprement à l’éternité du fait qu’il n’implique pas la succession. Mais la génération divine est éternelle. Elle doit donc être signifiée par le temps présent.

[815] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Avicenna, tract. VI, Metaph., cap. II), distinguit duplex agens:

quoddam quod est causa fiendi tantum, et istud non influit in rem nisi dum est in fieri ;

quoddam autem quod est principium essendi, et hoc agens non cessat ab influendo in causatum suum quamdiu habet esse. Constat autem quod Pater non est principium Filii sicut principium fiendi, quia Filius non est factus ; sed sicut principium essendi, quia dat sibi esse. Ergo quandiu Filius habet esse, Pater dat sibi esse, quae datio est generatio. Cum igitur Filius verissime dicatur semper esse, et magis quam fuisse, verius diceretur semper nasci quam semper natus.

2. Par ailleurs, Avicenne [ VI Métaphysique, ch. 11] distingue deux sortes d’agents :

La première qui est la cause du devenir seulement, et celle-ci ne se répand dans la chose que lorsqu’elle est en devenir ; l’autre cependant est le principe de l’existence, et un tel agent ne cesse de passer dans son effet tant qu’il possède l’existence. Il est clair cependant que le Père n’est pas le principe du Fils en tant que principe de devenir, car le Fils n’est pas produit, mais en tant que principe d’existence parce qu’il lui donne d’exister. Donc, aussi longtemps que le Fils possède l’existence, le Père lui donne d’exister, et ce don est une génération. Donc puisqu’on dit du Fils avec la plus grande justesse qu’il existe de toute éternité, plus qu’il a toujours existé, on dira avec plus de vérité qu’il naît de toute éternité que si on dit qu’il est né de toute éternité.

[816] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 3 Contra, illud quod est semper in fieri, est imperfectum. Sed quod semper nascitur, significatur semper ut in fieri. Ergo significatur ut imperfectum. Ergo non proprie dicitur Filius semper nasci, cum ab eo secludatur omnis imperfectio.

3. Mais au contraire, ce qui est toujours en devenir est imparfait. Mais ce qui naît toujours est signifié comme étant toujours en devenir. Il est donc signifié comme imparfait. On ne dit donc pas proprement du Fils qu’Il naît toujours, puisque toute imperfection est exclue de Lui.

[817] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne illud quod consequitur generationem secundum modum intelligendi, est quasi terminus generationis. Sed relatio filiationis consequitur generationem secundum modum intelligendi. Ergo se tenet ex parte termini generationis. Sed terminus generationis non significatur per praesens, sed per praeteritum. Ergo Filius verius dicitur natus quam nascens.

4. En outre, tout ce qui suit la génération selon la manière de la comprendre est comme le terme de la génération. Mais la relation de filiation suit la génération selon la manière de la comprendre. Elle se tient donc du côté du terme de la génération. Mais le terme de la génération n’est pas signifié par le présent mais par le passé. On dit donc avec davantage de vérité que le Fils est né que si on dit qu’Il est en train de naître.

[818] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est superius, dist. 8, qu. 2, art. 3, nullum verbum alicujus temporis perfecte aeternitatem repraesentat. Unde cum generatio Filii sit aeterna, ut dictum est, dist. 4, qu. 1, art. 1, non sufficienter exprimitur per verbum alicujus temporis ; unde per diversorum temporum verba significari potest, ut quidquid est perfectionis in quolibet tempore, divinae generationi attribuatur, et omnis imperfectio excludatur.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, qu. 2, art. 3], qu’aucun verbe, quel qu’en soit le temps, ne représente parfaitement l’éternité. C’est pourquoi, puisque la génération du Fils est éternelle ainsi que nous l’avons dit [dist. 4, qu. 1, art. 1], elle n’est exprimée avec satisfaction par aucun verbe de quelque temps qu’il soit ; c’est pourquoi elle peut être exprimée au moyen de verbes de différents temps de telle manière que ce qu’il y a de perfection dans chaque temps soit attribué à la génération divine et que toute imperfection en soit exclue.

Cum igitur in omni inferiori generatione vel in quocumque fieri, ipsum esse sit imperfectum, quia hujusmodi non sunt nisi in fieri, et perfectio non est nisi quando fieri terminatur, et tunc esse non retinet generatio creaturae, sicut etiam in termino motus non est motus ; in divina tamen generatione invenitur simul et perfectio et esse.

Donc, alors que dans toute génération inférieure ou dans tout devenir l’existence elle-même est imparfaite car de tels êtres n’existent que dans le devenir et qu’il n’y a perfection que lorsque le devenir est terminé et que la génération de la créature ne retient pas alors l’existence, tout comme aussi dans le terme du mouvement il n’y a plus de mouvement ; dans la génération divine cependant on retrouve simultanément la perfection et l’existence.

Unde ad significandum esse divinae generationis, quod nunquam transit, possumus uti verbo praesentis temporis, ut dicamus filium generari a Patre ; ad significandum vero generationis perfectionem possumus verbo praeteriti temporis uti, ut dicamus filium natum ; ut autem utrumque concludatur simul, scilicet perfectio et esse generationis, convenientissime dicitur semper natus ; ut per sempiternitatem significetur esse generationis indeficiens, et per praeteritum tempus ipsius perfectio.

C’est pourquoi, pour signifier l’existence de la génération divine, laquelle ne passe jamais, nous pouvons faire usage d’un verbe du temps présent, comme lorsque nous disons que le fils est engendré par le Père ; mais pour signifier la perfection de la génération nous pouvons user d’un verbe du temps passé, comme lorsque nous disons que le Fils est né ; mais pour que les deux dimensions soient conclues simultanément, à savoir à la fois la perfection et l’existence de la génération, il convient au plus haut point de dire qu’il est toujours né, de telle manière que par l’éternité soit signifiée l’existence indéfectible de la génération, et par le temps passé sa perfection.

Si autem diceremus, semper nascitur, designaretur solum esse generationis indeficiens, sed non perfectio ; et ideo melius dicitur semper natus quam semper nascens. In aliis autem divinis quae non significantur ut in fieri, convenientius utimur praesenti tempore.

Mais si nous disions qu’il naît toujours, il n’y aurait que l’existence indéfectible de la génération qui serait désignée mais non sa perfection ; et c’est pourquoi on parle avec plus de justesse lorsqu’on dit qu’il est toujours né que si on dit qu’il est toujours en train de naître. Mais pour toutes les autres caractéristiques divines qui ne sont pas signifiées comme dans le devenir, on use avec plus d’à propos du temps présent.

[819] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis praesens aeternitati conveniat maxime, quia ponit esse in actu, tamen in illis quae per modum fieri significant, importat imperfectionem, quia talia dum habent esse, imperfecta sunt ; et ideo in talibus convenientius utimur praeterito, praecipue si addatur aliquid ad indeficientiam designandam.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que le temps présent convienne au plus haut point à l’éternité car il pose l’existence en acte, cependant pour les cas qui signifient par mode de devenir, il implique une imperfection car de tels êtres, tant et aussi longtemps qu’ils possèdent l’existence, sont imparfaits ; et c’est pourquoi dans ces cas on se sert de préférence du temps passé, surtout si quelque chose est ajouté pour désigner l’indéfectibilité ou la perpétuité.

[820] Super Sent., lib. 1 d. 9 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per illam rationem probatur quod esse divinae generationis nunquam transeat, et hoc significatur per praesens ; tamen ex modo significandi, quia significatur per modum fieri, importatur quaedam imperfectio ; et ideo oportet uti praeterito tempore, et hoc sequentia argumenta concludunt.

2. Il faut dire en deuxième lieu que par cet argument on prouve que l’existence de la génération divine ne passe jamais, et cela est signifié par le présent ; cependant de par son mode de signifier, car il signifie par mode de devenir, il implique une certaine imperfection ; et c’est pourquoi il faut user du temps passé et c’est là ce que concluent les arguments qui suivent.

 

 

Distinctio 10

Distinction 10 – [L’Esprit Saint comme amour]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intellectum hujus partis quinque quaeruntur:

1 utrum Spiritus sanctus procedat ut amor ;

2 utrum sit amor quem Pater habet in Filium, et e contrario ;

3 utrum sit nexus vel unio Patris et Filii ;

4 utrum ex processione sua possit dici proprie Spiritus sanctus ;

5 de numero personarum.

Afin de bien comprendre cette partie nous cherchons à répondre à ces cinq questions :

1. Est-ce que l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour ?

2. Est-il l’amour que le Père porte au Fils ou est-ce plutôt l’inverse ?

3. Est-il le lien ou l’union entre le Père et le Fils ?

4. Est-ce à partir de sa procession qu’il peut être appelé proprement Esprit-Saint ?

5. Quel est le nombre des Personnes ?

 

 

Quaestio 1

Question unique : [L’Esprit Saint comme amour]

 

 

Articulus 1 : [823] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat ut amor.

Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il comme amour ?

[824] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non procedat ut amor. Quia Spiritus sanctus procedit ut persona in se subsistens. Amor autem non significat aliquid per modum subsistentis ; immo per modum inhaerentis formae, vel passionis. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint ne procède pas en tant qu’amour, car c’est en tant que personne qui subsiste en elle-même qu’elle procède. Mais l’amour ne signifie pas quelque chose à la manière d’une substance mais bien plutôt à la manière d’une forme ou d’une passion rattachée à autre chose. Donc, Il ne procède pas en tant que forme.

[825] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, nunquam natura communicatur nisi per actum naturae. Sed amor non significat actum naturae, sed magis voluntatis. Ergo cum per processionem Spiritus sancti communicetur tota divina natura personae procedenti, videtur quod Spiritus sanctus non procedat ut amor.

2. Par ailleurs, jamais la nature ne se communique autrement que par un acte de la nature. Mais l’amour ne signifie pas un acte de la nature mais plutôt de la volonté. Donc, puisqu’au moyen de la procession de l’Esprit-Saint c’est toute la nature divine qui est communiquée à cette Personne qui procède, il semble que l’Esprit-Saint ne procède pas en tant qu’amour.

[826] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, non est idem modus processionis creaturae et personae divinae. Sed creaturae procedunt a Deo per actum voluntatis, cujus opus est creatio, secundum Damascenum, lib. I Fid. Orth., c. VIII, col. 811. Ergo nulla persona divina procedit per modum amoris, qui est actus voluntatis.

3. En outre, le mode de procession de la créature n’est pas identique au mode de procession de la personne divine. Mais les créatures procèdent de Dieu  par son acte de volonté dont l’œuvre est la création selon Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch.  VIII, col. 811]. Donc, aucune Personne divine ne procède par mode d’amour, lequel est un acte de la volonté.

[827] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, modus processionis personae est proprius personae procedenti, quia per processionem distinguitur una persona ab alia. Sed amor est commune tribus personis, ut dicitur in Littera. Ergo nulla persona ut amor procedit.

4. De plus, le mode de procession de la personne est propre à la personne qui procède, car c’est par sa procession qu’une Personne se distingue d’une autre. Mais l’amour est commun aux trois Personnes, ainsi qu’on le lit dans le Document. Donc, aucune Personne ne procède en tant qu’amour.

[828] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, non est idem appropriatum et proprium, quia appropriatum sumitur juxta rationem proprii: unde sapientia, quae appropriatur Filio, nulli personae propria est. Sed amor, ut dicitur in littera, est appropriatum Spiritui sancto. Ergo non est proprius modus suae processionis ut procedat ut amor

5. Enfin, ce qui est approprié n’est pas identique à ce qui est propre, car l’approprié se tire immédiatement à côté de la notion du propre : de là la sagesse, qui est appropriée au Fils, n’est propre à aucune Personne. Mais l’amour, comme on le lit dans le Document, est approprié à l’Esprit-Saint. Ce n’est donc pas là le mode propre de sa procession de procéder en tant qu’amour.

[829] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, imago creata, quae est in anima, repraesentat Trinitatem in creatura. Sed in imagine creata procedit aliquid per modum notitiae, et aliquid per modum amoris. Cum igitur in Trinitate increata procedat Filius per modum notitiae, erit alia persona procedens per modum amoris.

Cependant :

1. L’image créée qui est dans l’âme représente la Trinité dans la créature. Mais dans l’image créée on a quelque chose qui procède par mode de connaissance, et quelque chose qui procède par mode d’amour. Donc puisque dans la Trinité incréée le Fils procède par mode de connaissance, il y aura une autre Personne qui procède par mode d’amour.

[830] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item, cognitio perfecta non est, nisi adjungatur voluntas. Sed sicut se habet intellectus ad voluntatem, ita et verbum ad amorem. Ergo verbum non erit perfectum sine amore. Sed Verbum Dei perfectum est. Ergo et associatur sibi amor perfectus ; et hic est Spiritus sanctus.

2. En outre, une connaissance n’est parfaite que si elle est unie à la volonté. Mais ce que l’intelligence est à la volonté, le verbe l’est à l’amour. Donc le verbe ne pourra être parfait sans l’amour. Mais le verbe de Dieu est parfait. Donc un amour parfait lui est rattaché et c’est là l’Esprit-Saint.

[831] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in processione creaturarum duo est considerare ex parte ipsius creatoris:

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que dans la procession des créatures il y a deux choses à considérer du côté du créateur lui-même :

scilicet naturam ex cujus plenitudine et perfectione omnis creaturae perfectio et efficitur et exemplatur, ut supra dictum est, dist. 2, qu. unic., art. 2,

À savoir la nature d’une part à partir de la plénitude et de la perfection de laquelle toute perfection de la créature est produite et modelée, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, quest. Unique, art. 2],

et voluntatem, ex cujus liberalitate, non naturae necessitate haec omnia creaturae conferentur. Supposita autem, secundum fidem nostram, processione divinarum personarum in unitate essentiae, ad cujus probationem ratio sufficiens non invenitur, oportet processionem personarum, quae perfecta est, esse rationem et causam processionis creaturae.

Et la volonté d’autre part, à partir de la libéralité de laquelle et non à partir d’une nécessité de nature, toutes ces créatures sont réunies. Mais ayant posé, conformément à notre foi, la procession des Personnes divines dans l’unité de l’essence, ce que la raison ne se montre par capable de démontrer, il faut que le procession des Personnes, laquelle est parfaite, soit la raison et la cause de la procession de la créature.

Unde sicut processionem creaturarum naturae divinae perfectionem imperfecte repraesentantium reducimus in perfectam imaginem, divinam perfectionem plenissime continentem, scilicet Filium, tamquam in principium, et quasi naturalis processionis creaturarum a Deo, secundum scilicet imitationem naturae, exemplar et rationem ; ita oportet quod, inquantum processio creaturae est ex liberalitate divinae voluntatis, reducatur in unum principium, quod sit quasi ratio totius liberalis collationis. Haec autem est amor, sub cujus ratione omnia a voluntate conferuntur ; et ideo oportet aliquam personam esse in divinis procedentem per modum amoris, et haec est Spiritus sanctus. Et inde est quod quidam philosophi totius naturae principium amorem posuerunt.

De là, tout comme nous ramenons la procession des créatures qui représentent imparfaitement la perfection de la nature divine à une image parfaite contenant dans sa plénitude la perfection divine, à savoir au Fils, comme au principe de la procession naturelle des créatures qui viennent de Dieu, c’est-à-dire d’après une imitation, un modèle et une raison de la nature ; de même il faut, dans la mesure où la procession de la créature vient de la liberté de la volonté divine, qu’elle soit ramenée à un principe unique qui soit comme la cause de ce libre rassemblement. Et cette cause est l’amour en raison duquel toutes les choses sont rassemblées par la volonté ; et c’est pourquoi il faut qu’il y ait parmi les Personnes divines une Personne qui procède par mode d’amour, laquelle est l’Esprit-Saint. Et c’est pour cette raison que certains philosophes ont soutenu que l’amour est le principe de toute la nature.

[832] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet amor, inquantum amor, non dicat quid perfectum et subsistens ; tamen inquantum est Dei amor, a quo omnis imperfectio removetur, habet quod sit perfectum quid et subsistens ; et simile est de Verbo.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que l’amour, en tant qu’amour, ne signifie pas en lui-même un être parfait et subsistant, cependant en tant qu’il est l’amour de Dieu duquel toute imperfection est exclue, il possède une existence parfaite et subsistante ; et il en est de même pour le Verbe.

[833] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut per primum processum naturae communicatur tota natura divina, cum sit perfectus ; ita et per primum processum voluntatis, qui est ratio omnis processionis voluntariae a Deo, communicatur tota voluntas ; et quia in Deo idem est voluntas et natura, nec tota voluntas, quae infinita est, posset esse nisi in natura infinita ; et non nisi boni infiniti, quasi objecti aequantis infinitam voluntatem, unde nec amor, qui est ratio voluntatis, potest esse nisi infinitus ; ideo oportet etiam communicari naturam. Unde amor, quamvis non dicat communicationem naturae inquantum est amor, dicit tamen inquantum est amor Dei et primus processus divinae voluntatis.

2. En deuxième lieu il faut dire que tout comme dans la première procession de la nature, puisqu’elle est parfaite, c’est toute la nature divine qui est communiquée, de même par la première procession de la volonté, laquelle est la cause de toute procession volontaire provenant de Dieu, c’est toute la volonté qui est communiquée ; et parce qu’en Dieu la volonté et la nature sont identiques et qu’une volonté totale qui est infinie ne pourrait exister que dans une nature infinie et ne peut porter que sur un bien infini comme objet qui  proportionné à une volonté infinie, c’est pourquoi l’amour, qui est la cause de la volonté, ne peut être qu’infini ; et c’est pourquoi il faut aussi que la nature soit communiquée. C’est pourquoi l’amour, bien qu’en tant qu’amour, il ne signifie pas la communication de la nature, il la signifie cependant dans la mesure où il est l’amour de Dieu et le premier mouvement de la volonté divine.

[834] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creatura procedit a voluntate sicut res operata per voluntatem ; sed Spiritus sanctus sicut ratio cujuslibet operis voluntatis, sicut etiam Filius producitur ut ars omnium eorum quae per intellectum divinum constituta sunt.

3. Il faut dire en troisième lieu que la créature procède de la volonté comme l’œuvre d’art est réalisée au moyen de la volonté ; mais l’Esprit-Saint est comme la cause de toute œuvre de la volonté comme aussi le Fils est engendré comme l’art d’où toutes les choses sont constituées par l’intelligence divine.

[835] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod amor in divinis tripliciter sumitur. Quandoque enim sumitur essentialiter, quandoque personaliter, quandoque notionaliter.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’amour se prend de trois manières dans les Personnes divines. Il se prend en effet tantôt essentiellement, tantôt personnellement, tantôt notionnellement.

Quando sumitur essentialiter, non dicit aliquam processionem vel relationem realem, sed tantum rationis, sicut etiam cum de Deo dicimus intelligens et intellectum: eadem enim persona potest esse intelligens et intellecta.

Quand il se prend essentiellement, il ne signifie pas une procession ou une relation réelles, mais seulement de raison, tout comme lorsque nous disons aussi de Dieu qu’il comprend et qu’il est compris : en effet, la même personne peut à la fois comprendre et être comprise.

Quando autem dicitur personaliter, tunc importatur processio et relatio realis, et significatur ipsa persona, sive res procedens, sicut amor est quoddam procedens.

Quand il se prend personnellement, alors il implique une procession et une relation réelles et alors ce qui est signifié c’est la Personne elle-même ou la réalité qui procède, tout comme l’amour est quelque chose qui procède.

Quando autem dicitur notionaliter, significat ipsam rationem processionis personae: quia amor non tantum est procedens, sed etiam dicit rationem sub qua alia procedunt. Secundum ergo quod est essentiale, est commune tribus, sed appropriatur Spiritui sancto ; ut cum dicitur, Deus caritas est, 1 Joan. 4, 16 ; secundum autem quod est personale, est proprium Spiritus sancti ; et dicitur, quod Spiritus sanctus procedit ut amor. Secundum autem quod est notionale, est quaedam relatio vel notio communis Patri et Filio, quae etiam dicitur communis spiratio ; et hoc modo significatur amor in hoc verbo diligunt: cum dicitur, Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto.

Mais quand il se dit notionnellement, il signifie la cause même de la procession de la Personne : car l’amour n’est pas seulement ce qui procède, mais il signifie aussi la raison sous laquelle les autres procèdent. Donc, selon qu’il est essentiel, l’amour est commun aux trois Personnes, mais il est approprié à l’Esprit-Saint, comme lorsqu’on dit que Dieu est Amour [1 Jean, 4, 16] ; mais selon qu’il est personnel, il est le propre de l’Esprit-Saint et c’est ainsi qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il procède en tant qu’amour. Mais selon qu’il est notionnel, l’amour est une relation ou une notion commune au Père et au Fils, qu’on appelle aussi le souffle commun ;  et c’est en ce sens qu’est signifié l’amour dans cette parole où on dit qu’Ils s’aiment, lorsqu’on dit du Père et du Fils qu’ils s’aiment par l’Esprit-Saint.

 [836] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod amor, secundum quod est proprium, non est appropriatum. Sapientia autem ita est appropriata quod nunquam potest esse proprium. Et ratio hujus est, quia sapientia non significatur per modum alicujus exeuntis ab aliquo, sed per modum quiescentis in subjecto ; et ideo semper est essentialis, et nunquam personalis. Sed amor significatur per modum exitus ; nihilominus tamen significat aliquid absolutum. Exitus autem ille potest intelligi ut realis, vel secundum rationem tantum. Ex parte ergo qua significat aliquid absolutum, est essentiale ; et tunc relatio, vel exitus importatus, erit rationis tantum, sicut cum dicitur idem eidem idem. Quando autem ille exitus significatur non tantum ut rationis, sed ut realis, tunc amorem significat personalem.

5. En deuxième lieu il faut dire que l’amour, en tant qu’il set propre, n’et pas approprié. Mais la sagesse est appropriée de telle manière qu’elle ne peut jamais être propre. Et la raison en est que la sagesse n’est pas signifiée à la manière de ce qui sort d’un autre, mais à la manière de ce qui repose dans un sujet. Et c’est pourquoi elle est toujours essentielle et jamais personnelle. Mais l’amour est signifié à la manière d’une sortie ; néanmoins il signifie cependant quelque chose d’absolu. Mais cette sorte peut se comprendre soit comme étant réelle, soit selon la raison seulement. Donc, du côté par lequel il signifie quelque chose d’absolu, il est essentiel ; et alors la relation ou la sortie impliquée en sera une de raison seulement, comme lorsqu’on dit que le même est identique au même. Mais lorsque cette sortie est signifiée non seulement comme en étant une de raison seulement mais comme étant réelle, alors elle signifie un amour personnel.

 

 

Articulus 2 [837] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus sit amor quem habet Pater in Filium.

Article 2 – L’Esprit Saint est-il l’amour que le Père a pour le Fils ?

[838] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non sit amor quem Pater habet in Filium vel e contrario. Quidquid enim procedit in aliud tendens, non procedit ut per se subsistens. Sed Spiritus sanctus procedit ut persona subsistens per se. Ergo non procedit in Filium.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint ne soit pas l’amour que le Père porte au Fils ou inversement. En effet, tout ce qui procède en tendant vers un autre ne procède pas en tant qu’être subsistant. Mais l’Esprit-Saint procède en tant que personne qui subsiste par elle-même. Il ne procède donc pas vers le Fils.

[839] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, quod procedit in aliquid, recipitur in illo, nisi sit ex defectu recipientis. Sed in Filio non est aliquis defectus. Si ergo Spiritus sanctus procedit a Patre ut in Filium, Filius recipit Spiritum sanctum. Sed quidquid Filius recipit a Patre, recipit per generationem. Ergo processio per quam Spiritus sanctus procedit a Patre in Filium, est generatio, vel etiam prius secundum rationem, sicut quod includitur in illa.

2. De plus, ce qui procède vers quelque chose est reçu dans cette chose à moins d’un défaut du côté de celui qui reçoit. Mais il n’y a aucun défaut dans le Fils. Si donc l’Esprit-Saint procède du Père comme au Fils, le Fils reçoit l’Esprit-Saint. Mais tout ce que le Fils reçoit du Père, il le reçoit par mode de génération. Donc la procession par laquelle l’Esprit-Saint procède du Père au Fils est une génération ou encore elle lui est antérieure selon la raison comme ce qui est inclu en elle.

[840] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, etsi Filius aliquid accipiat a Patre, tamen Pater nihil accipit a Filio. Ergo cum illud in quod est aliquid, se habeat in ratione recipientis, nullo modo poterit dici Spiritus sanctus amor quem habet Filius in Patrem.

3. En outre, bien que le Fils reçoive quelque chose du Père, cependant le Père ne reçoit rien du Fils. Donc, puisque ce en quoi se trouve quelque chose a raison de récepteur, en aucune manière l’Esprit-Saint ne pourra être appelé l’amour que le fils a pour le Père.

[841] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, omnis amor procedit ab amante in amatum. Sed Spiritus sanctus est amor, ut supra dictum est, art. anteced. in Resp. ad 4. Ergo videtur, cum Pater amet Filium et e contrario, quod Spiritus sanctus sit amor Patris in Filium et e contrario.

Cependant:

1. Tout amour procède d’un amant vers un objet aimé. Mais l’Esprit-Saint est amour ainsi que nous l’avons dit plus haut [art. Précéd., dans la réponse à la quatrième difficulté]. Il semble donc, puisque le Père aime le Fils et inversement, que l’Esprit-Saint soit l’amour que le Père porte au Fils et inversement.

[842] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc videtur per auctoritatem Hieronymi in littera.

2. C’est encore là ce qui apparaît clairement par l’autorité de Jérôme dans le document.

[843] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in processione Spiritus sancti est considerare duo: scilicet processionem ipsam, et modum procedendi. Et quia Spiritus sanctus procedit ut res distincta et per se existens, non habet ex processione sua, inquantum processio est, quod sit a Patre in Filium, vel e contrario ; sed quod sit in se subsistens. Si autem consideretur modus processionis quia procedit ut amor, ut dictum est, art. praec., ad 2, cum amatum secundum rationem intelligendi sit id in quod terminatur amor, et amans a quo exit amor: cum Pater amet Filium, potest dici amor Patris in Filium ; et cum Filius amet Patrem, amor Filii in Patrem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux choses à considérer dans la procession de l’Esprit-Saint : à savoir la procession elle-même et le mode de procéder. Et parce que l’Esprit-Saint procède à la manière d’une réalité distincte et existant par elle-même, il ne Lui est pas nécessaire que  sa procession, en tant que procession, procède du Père au Fils ou inversement, mais qu’Il soit une réalité subsistant en elle-même. Mais si on considère le mode de la procession, car l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour ainsi que nous l’avons dit plus haut [art. précéd., réponse à la deuxième difficulté], puisque l’objet aimé d’après son intelligibilité est ce en quoi l’amour trouve son terme et que l’amant est ce d’où procède l’amour, il s’ensuit que puisque le Père aime le Fils, l’Esprit-Saint peut être appelé l’amour que le Père a pour le Fils et comme le Fils aime le Père, il est aussi être appelé l’amour que le Fils a pour le Père.

[844] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad primum. Quia Spiritus sanctus non habet ut sit amor unius personae in aliam ex hoc quod est persona procedens, sed ex hoc quod procedit ut amor.

Solutions:

1. Et c’est par là qu’apparaît la solution à la première difficulté. Car l’Esprit-Saint est nécessairement l’amour d’une personne pour une autre du fait qu’il procède en tant qu’amour et non pas du fait qu’il est une personne qui procède.

[845] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur Filius amari a Patre, non praedicatur secundum rem quod Filius aliquid a Patre accipiat, sed quod terminetur in ipsum actus amoris ; et ideo hoc quod dicitur esse Spiritus sanctus amor Patris in Filium, non pertinet ad generationem, sed ad Spiritus sancti processionem.

2. Il faut dire en deuxième lieu que lorsqu’on dit que le Fils est aimé du Père, on ne dit pas que c’est en réalité que le Fils reçoit quelque chose du Père mais que c’est en Lui que se termine l’acte d’amour; et c’est pourquoi ce qui est dit ici, à savoir que l’Esprit-Saint est l’amour du Père pour le Fils, cela n’appartient pas à la génération, mais à la procession de l’Esprit-Saint.

[846] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 2 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium. Quia sicut cum dicitur, quod Pater habet amorem in seipsum, non significatur ibi aliqua terminatio vel acceptio secundum rem, sed tantum secundum modum significandi ; ita etiam cum dicitur Spiritus sanctus amor Filii in Patrem, non ponitur quod Pater aliquid accipiat, nisi quod secundum modum significandi in ipsum terminatur amor Filii, sicut in amatum.

3. Et par là on voit clairement la solution à la troisième difficulté. Car tout comme lorsque nous disons que le Père a de l’amour pour Lui-même, on ne signifie pas par là un terme ou une concession selon la chose mais seulement selon le mode de signifier ; de même encore lorsque nous disons que l’Esprit-Saint est l’amour du Fils pour le Père, on n’affirme pas que le Père reçoit quelque chose, si ce n’est que selon le mode de signifier l’amour du Fils se termine en Lui comme dans l’objet aimé.

 

 

Articulus 3 [847] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 tit. Utrum Spiritus sanctus sit unio Patris et Filii

Article 3 – L’Esprit Saint est-il l’union du Père et du Fils ?

[848] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non sit nexus vel unio Patris et Filii. Quod enim est discretum et distinctum ab aliquibus, non est unitivum ipsorum. Sed Spiritus sanctus est distinctus a Patre et Filio. Ergo non est unio utriusque.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint ne soit pas le lien ou l’union qu’il y a entre le Père et le Fils. En effet, il n’y a pas de lien entre les choses et celles dont elles se distinguent et sont séparées. Mais l’Esprit-Saint est distinct du Père et du Fils. Il n’y a donc pas de lien entre les deux.

[849] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nexus vel unio habet quasi rationem medii inter ea quae uniuntur vel connectuntur. Sed Spiritus sanctus non est media in Trinitate persona, sed tertia. Ergo non est unio vel nexus.

2. De plus, le lien a raison d’intermédiaire entre les choses qui sont unies ou reliées. Mais l’Esprit-Saint n’est pas la personne intermédiaire dans la Trinité, mais la troisième personne. Il n’est donc pas le lien ou l’union entre les deux autres Personnes.

[850] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, nexus dicitur quo aliqua nectuntur. Sed sive hoc intelligatur effective, sive formaliter, illud quo aliqua nectuntur habet aliquam rationem principii annexam. Ergo cum Spiritus nullo modo sit principium Patris et Filii, immo e contrario, non poterit dici nexus vel unio utriusque.

3. En outre, le lien se dit de ce par quoi certaines choses sont rattachées. Mais qu’on entende cela effectivement ou formellement, ce par quoi certaines choses sont rattachées a une raison ajoutée de principe. Donc, puisque l’Esprit-Saint n’est en aucune manière le principe du Père et du Fils et que c’est bien plutôt le contraire qui est vrai, on ne pourra dire de Lui qu’Il est le lien ou l’union entre le Père et le Fils.

[851] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, Dionysius, lib. De divin. Nomin., cap. IV, § 15, col. 714 : Amorem sive divinum sive angelicum sive intellectualem sive animalem sive naturalem dicamus, unitivam quamdam et concretivam accipimus virtutem. Sed Spiritus sanctus est amor Patris et Filii. Ergo est unio ipsorum.

Cependant :

Denys dit [Les Noms Divins, ch. IV, &15, col. 714] : Nous admettons que l’amour, qu’il soit divin, angélique, intellectuel, animal ou naturel, est puissance d’union et de rassemblement. Mais l’Esprit-Saint est l’maour du Père et du Fils. Il est donc l’union ou le lien qu’il y a entre les deux.

[852] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 s. c. 2 Hoc etiam videtur ex auctoritate apostoli, Eph. 4, 3: soliciti servare unitatem Spiritus in vinculo pacis ; et ita amor habet rationem vinculi et nexus.

2. Cela se voit aussi par l’autorité de l’Apôtre [Épître aux Éphésiens, 4, 3] : Appliquez-vous à conserver l’unité de l’Esprit par ce lien qu’est la paix. Et c’est ainsi que l’amour a raison de lien ou de joint.

[853] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod amor semper ponit complacentiam amantis in amato. Quando autem aliquis placet sibi in aliquo, trahit se in illud et conjungit se illi quantum potest, ita ut illud efficiatur suum ; et inde est quod amor habet rationem uniendi amantem et amatum. Et quia Spiritus sanctus procedit ut amor, ex modo processionis habet ut sit unio Patris et Filii. Possunt enim Pater et Filius considerari vel inquantum conveniunt in essentia, et sic uniuntur in essentia ; vel inquantum distinguuntur in personis, et sic uniuntur per consonantiam amoris: quia et si per impossibile poneretur quod non essent unum per essentiam, ad perfectam jucunditatem oporteret in eis intelligi unionem amoris.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’amour pose toujours une complaisance de l’amant pour l’objet aimé. Mais quand on se complaît en quelqu’un, on se trourne vers lui et on s’y unit dans la mesure du possible afin qu’il devienne soi ; et c’est de là que l’amour a raison d’unir l’amant à l’objet aimé. Et parce que l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour, c’est de cette forme de procession qu’il se trouve à être l’union du Père et du Fils. Le Père et le Fils peuvent en effet être considérés  soit  selon qu’ils se rencontrent dans une même essence et ainsi ils sont unis dans cette même essence, soit selon qu’ils se distinguent par la personne et alors ils sont unis par l’harmonie de l’amour :  car si par impossible on posait qu’ils ne sont pas un par l’essence, il faudrait que soit comprise en eux l’union de l’amour pour une joie parfaite.

[854] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex ipsa processione Spiritus sanctus habet quod procedat ut persona ; et sic est distinctus a Patre et Filio [et sic …Filio om. Éd. de Parme] sed ex modo processionis habet quod sit vinculum vel unio amantis et amati. Utrum autem Pater et Filius diligant se Spiritu sancto, infra quaeretur, dist. 32, quaest. 1, art. 1 et 2.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que c’est de la procession elle-même qu’il revient à l’Esprit-Saint de procéder comme personne ; et c’est ainsi qu’il est distinct du Père et du Fils [et ainsi…du Fils om. Éd. de Parme], mais c’est du mode de procession qu’il Lui revient d’être le lien ou l’union de l’amant à l’objet aimé. Mais est-ce que le Père et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint, nous chercherons à le savoir plus loin [dist. 32, quest. 1, art. 1 et 2]

[855] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inquantum procedit a duobus, habet quod sit tertia in Trinitate persona ; sed ex modo procedendi, quod sit unio utriusque personae.

2. Il faut dire en deuxième lieu que pour autant qu’Il procède des deux autres Personnes, il revient à l’Esprit-Saint d’être la troisième personne de la Trinité; mais il Lui revient, considérant le manière dont il procède, d’être le lien entre les deux autres Personnes.

[856] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Pater et Filius dicuntur uniri Spiritu sancto, non effective, sed quasi formaliter. Sed forma est duplex:

quaedam enim manens et quiescens in his quorum est forma ; et sic per modum formae se habet ad personas divina essentia, et sic uniuntur formaliter amore essentiali.

Est etiam aliquid formaliter uniens, non quasi inhaerens, sed sicut procedens ab utroque unitorum ; ac si diceremus, aliqua duo corpora uniri per aliquem liquorum [aliquorum Éd. de Parme] ab eis procedentem ; et ita Pater et Filius uniuntur Spiritu sancto. Unde non sequitur quod sit principium Patris et Filii, sed e converso. Hoc tamen magis discutietur, dist. 32, ut Sup., quando quaeretur, utrum Pater et Filius diligant se Spiritu sancto.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’on dit du Père et du Fils qu’ils sont unis par l’Esprit-Saint non pas à la manière d’une cause efficiente, mais comme formellement. Mais il y a deux sortes de formes : il y a en effet celle qui demeure et repose dans les choses dont elle est la forme ; et c’est de cette manière que l’essence divine se rapporte aux Personnes et c’est ainsi que ces dernières sont unies formellement par un amour essentiel.

Il y a aussi celle qui unit formellement non pas en tant qu’elle est présente dans la chose, mais en tant qu’elle procède des choses qui sont unies, comme si on disait que deux corps sont unis par un des fluides [de certains Éd. de Parme]qui en procèdent ; et c’est ainsi que le Père et le Fils sont unis par l’Esprit-Saint. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il soit le principe du Père et du Fils, mais au contraire. Cela sera cependant davantage discuté à la distinction 32 quand on cherchera à savoir si le Père et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint.

 

 

 

Articulus 4 [857] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 tit. Utrum persona procedens per modum amoris, proprie dicatur Spiritus sanctus

Article 4 – Appelle-t-on au sens propre, l’Esprit Saint, la personne qui procède par amour ?

[858] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod persona quae procedit ut amor, non proprie dicatur Spiritus sanctus. Illud enim quod est commune tribus personis, non efficitur proprium, nisi aliquo proprio adjuncto. Sed Spiritus convenit tribus personis, Joan. 4, 24: Spiritus est Deus. ‘Sanctus’ autem quod additur, est etiam commune, et non proprium. Ergo videtur quod Spiritus sanctus non sit proprium nomen alicujus personae.

Difficultés ;

1. Il semble que la Personne qui procède en tant qu’amour ne s’appelle pas proprement Esprit-Saint. En effet, ce qui est commun aux trois Personnes n’est rendu propre que par un ajout qui lui est propre. Mais l’Esprit est commun aux trois Personnes ainsi que Jean (4, 24) le dit : L’esprit est Dieu. Mais le terme ¨saint¨, qui est ajouté, est lui aussi commun et non pas propre. Il semble donc que ¨Esprit-Saint¨ ne soit pas le nom propre d’une Personne.

[859] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, personae distinguuntur per relationem originis. Sed hujusmodi relationes, secundum modum intelligendi, consequuntur processiones personarum. Ergo quaelibet persona debet denominari secundum processionem aliquam. Sed Spiritus sanctus nullam processionem vel processionis modum exprimit. Ergo non videtur esse nomen alicujus personae.

2. Par ailleurs, les Personnes se distinguent par la relation d’origine. Mais de telles relations, selon la manière de les comprendre, résultent des processions des Personnes. Donc, toute Personne doit être dénommée d’après une procession. Mais l’Esprit-Saint n’exprime aucune procession ou un mode de procession. Il ne semble donc pas être le nom d’une Personne.

[860] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas, quod dicitur Spiritus sanctus, quia procedit ut amor, scilicet ad similitudinem ejus quod [dico add. Éd. de Parme] duo amantes conspirant sibi in amore per osculum oris, unde fit respiratio: contra, secundum hoc, nomen Spiritus sumeretur ex similitudine spiritus corporalis. Sed omne tale nomen dicitur de Deo metaphorice, et non proprie nec secundum prius. Cum igitur nomina personalia inveniantur in divinis proprie, et etiam per prius quam in creaturis, ut dicitur Ephes. 3, 15: Ex quo omnis paternitas in caelis et in terra nominatur ; videtur quod per istum modum nulla persona divina debeat nominari Spiritus sanctus.

3. Si tu dis qu’on l’appelle Esprit-Saint parce qu’il procède en tant qu’amour, c’est-à-dire à la ressemblance de ce qu’on voit chez deux amants qui se serrent mutuellement dans l’amour au moyen d’un baiser de la bouche, d’où résulte une respiration, il faudra dire à l’encontre de cela que le nom d’Esprit se tire d’après cela d’une ressemblance à un esprit corporel. Mais tout nom de cette sorte se dit de Dieu sous la forme de la métaphore et non proprement ni par priorité. Donc, puisque les noms personnels se retrouvent proprement dans les personnes divines et même antérieurement aux créatures, comme le dit l’Apôtre [Ephésiens 3, 15] : De qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom, il semble que suivant ce mode aucune Personne divine ne doive être appelée Esprit-Saint.

[861] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, sicut processio, quae est per modum amoris, est sancta ; ita illa quae est per modum naturae. Ergo sicut non dicitur Filius sanctus, ita non debet dici Spiritus sanctus.

4. En outre, tout comme la procession qui a lieu par l’amour est sainte, de même est sainte celle qui a lieu par la nature. Donc, tout comme on ne dit pas Fils-Saint, de même on ne dit pas Esprit-Saint.

[862] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 s. c. 1 In contrarium est tota Scriptura, et totus usus Ecclesiae, quae tertiam in Trinitate personam sic nominat.

Cependant :

Toute l’Écriture et toute la tradition de l’Église est contraire à cette position en nommant ainsi la troisième Personne de la Trinité : Esprit-Saint.

 

[863] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod spiritus est nomen positum ad significandum subtilitatem alicujus naturae ; unde dicitur tam de corporalibus quam de incorporeis: aer enim spiritus dicitur propter subtilitatem ; et exinde attractio aeris et expulsio dicitur inspiratio et respiratio ; et exinde ventus etiam dicitur spiritus ; et exinde etiam subtilissimi vapores, per quos diffunduntur virtutes animae in partes corporis, dicuntur spiritus ; et similiter incorporea propter suam subtilitatem dicuntur spiritus ; sicut dicimus Spiritum Deum, et Angelum, et animam.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le terme ¨esprit¨ est le nom posé pour signifier la subtilité d’une nature ;  c’est pourquoi on le dit aussi bien des réalités corporelles que de celles qui sont incorporelles : l’air est appelé esprit en raison de sa subtilité ; et c’est de là que l’entrée de l’air et sa sortie sont appelées inspiration et respiration ; et c’est pourquoi le vent aussi est appelé esprit ; et c’est pourquoi encore les vapeurs les plus subtiles  par lesquelles se répandent les puissances de l’âme dans les parties du corps s’appellent aussi esprits ; et de la même manière les réalités incorporelles, en raison de leur subtilité, sont appelées esprits. C’est ainsi en effet que nous atribuons à Dieu, à l’Ange et à l’âme humaine le nom d’esprit.

Et inde est etiam quod dicimus duos homines amantes se, et concordes, esse unius spiritus vel conspiratos ; sicut etiam dicimus eos esse unum cor et unam animam ; sicut dicitur Eth. IX, cap. X : proprium amicorum est, unam animam in duobus corporibus esse. Subtilitas autem dicitur per remotionem a materialitate ; unde ea quae habent multum de materia vocamus grossa, sicut terram ; et ea quae minus, subtilia, sicut aerem et ignem. Unde cum removeri a materia magis sit in incorporeis, et maxime in Deo, spiritualitas secundum rationem significationis suae per prius invenitur in Deo, et magis in incorporeis quam in corporalibus ; quamvis forte secundum impositionem nominis spiritualitas magis se teneat ad corporalia, eo quod nobis qui nomina imposuimus, eorum subtilitas magis est manifesta.

Et c’est pourquoi nous disons encore de deux hommes qui s’aiment et qui sont d’accord qu’ils sont d’un même esprit ou qu’ils sont en harmonie, tout comme nous disons encore qu’ils sont un seul cœur et une seule âme ; tout comme on le dit le Philosophe [ 1X Éth. Ch. X] : le propre des amis est d’être une seule âme dans deux corps. Mais la subtilité se dit par opposition à la matérialité ; c’est pourquoi les choses dont la matière est abondante, par exemple la terre, sont appelées grossières alors que celles qui en ont peu, comme l’air et le feu, sont appelées subtiles. Donc, puisque le fait d’être éloigné de la matière se retrouve davantage dans les réalités incorporelles et surtout en Dieu, la spiritualité, en raison de sa signification se retrouve premièrement en Dieu, et davantage dans les réalités incorporelles que dans celles qui sont corporelles ; bien que selon l’imposition du nom la spiritualité se tienne peut-être davantage du côté des réalités corporelles du fait que pour nous qui imposons les noms, leur subtilité nous est davantage manifeste.

Secundum hoc igitur dico, quod Spiritus, inquantum nominat subtilitatem naturae, commune est tribus personis ; sed duplici ratione nominatur Spiritus sanctus a spiritualitate.

Una et praecipua est, ut credo, quia per ipsum et dona ipsius in participationem divinae spiritualitatis trahimur, inquantum a temporalibus removemur. Unde contemptores temporalium spirituales dicuntur: et hoc convenit sibi inquantum procedit ut amor, qui habet rationem primi doni in quo omnia dona donantur.

Alia ratio est quia est amor Patris in Filium, quo se diligunt ; et amantem et amatum dicimus in spiritu uniri.

D’après cela je dis donc que l’Esprit, selon qu’il nomme une subtilité de nature, est commun aux trois Personnes ; mais c’est pour deux raisons que l’Esprit-Saint se dénomme à partir de la spiritualité.

La première et la principale est, comme je crois, que c’est par Lui est ses dons que nous sommes attirés à participer à la spiritualité divine selon que nous nous éloignons des choses temporelles. C’est pourquoi ceux qui méprisent les choses temporelles sont appelés spirituels : et cela convient à l’Esprit-Saint selon qu’Il procède en tant qu’amour, Lequel a raison de premier don dans lequel tous les dons sont distribués.

L’autre raison est que l’Esprit-Saint est l’amour du Père pour le Fils par Lequel Ils s’aiment : et nous disons que l’amant et l’aimé sont unis en esprit.

[864] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc quod dico, Spiritus sanctus, potest dupliciter considerari: vel quantum ad virtutem vocabulorum, et sic convenit toti Trinitati prout sumitur in virtute duarum dictionum ; vel quantum ad impositionem Ecclesiae, per quam hoc impositum est ad significandum unam personam, quasi circumlocutio unius nominis, propter defectum vocabulorum, quia linguae nostrae deficiunt a narratione Dei ; et sic proprie convenit Spiritui sancto. Et rationem convenientiae assignat Augustinus in Littera. Quia enim est communitas Patris et Filii, decet ut communi nomine nominetur.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que  lorsque je dis ¨Esprit-Saint¨, cette expression peut être considéré de deux manières : soit quant à la puissance des mots, et ainsi ce terme s’applique à toute la Trinité selon qu’il se prend dans la puissance des deux termes ; soit quant à l’imposition qu’en a fait l’Église et par laquelle cette expression a été imposée pour signifier une personne, comme une circonlocution d’un nom en raison d’un manque de termes car nos langues sont impuissantes à parler parfaitement de Dieu ; et ainsi cette expression convient proprement à l’Esprit-Saint. Et Augustin désigne la raison de cette convenance dans la Lettre en disant que puisqu’Il est commun au Père et au Fils, il est juste qu’Il soit nommé par un nom commun.

[865] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ex ratione suae processionis Spiritus sanctus procedit ut amor ; et inquantum est amor, convenit sibi quod nominetur per spiritualitatem, ut dictum est, in corp. art., et sic aliquo modo nomen Spiritus sancti quemdam modum processionis exprimit, quia amoris.

2. Il faut dire en deuxième lieu que c’est en raison de sa procession que l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour : et en tant qu’il est amour, il lui convient qu’il soit nommé par la spiritualité ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article et c’est ainsi que d’une certaine manière le non d’Esprit-Saint exprime un certain mode de procession pour cette raison qu’Il est le mode de procession de amour.

[866] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Spiritus per prius dicitur de divinis quam de corporeis, sicut praedictum est, loc. cit., et ideo objectio illa non tenet ; nec credo ab illa similitudine Spiritum sanctum vocari.

3. Il faut dire en troisième lieu que l’Esprit se dit des personnes divines avant de se dire des réalités corporelles ainsi que nous l’avons dit précédemment et c’est pourquoi cette objection ne tient pas ; et je ne crois pas que l’Esprit-Saint soit dénommé à partir de cette similitude.

[867] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut dicit Dionysius, cap. XII De div. Nom., § 2, col.970, sanctitas est ab omni immunditia libera et perfecta et immaculata munditia ; et ideo convenienter sanctitas spiritualitati adjungitur, quae etiam a materialitate separationem dicit, ut sic per spiritualitatem designetur separatio a materia, et per sanctitatem a materialibus defectibus. Vel dicendum, quod natura semper eodem modo operatur ; et ideo in opere naturae non est invenire rectum et non rectum, sicut in opere voluntatis. Et ideo convenienter sanctitas, quae rectitudinem voluntatis importat, adjungitur processioni amoris, et non generationi, quae est opus naturae.

4. Il faut dire en quatrième lieu que, tout comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. XII, &2, col. 970] : la sainteté est détachée de toute souillure et consiste en une propreté parfaite et sans tache ; et c’est pourquoi la sainteté est rattachée à juste titre à la spiritualité, puisqu’elle implique elle aussi une séparation de la matière de telle manière que par spiritualité on désigne une séparation de la matière et que par sainteté on signifie une séparation des défauts matériels. Ou bien il faut dire que la nature opère toujours de la même manière ; et c’est pourquoi dans les œuvres de la nature on ne retrouve pas du juste et de l’injuste comme dans les œuvres de la volonté. Et c’est pourquoi la sainteté, qui implique une rectitude de la volonté, est rattachée à juste titre à la procession de l’amour et non à la génération qui est une œuvre de la nature.

 

 

Articulus 5 [868] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 tit. Utrum tantum tres personae sint in divinis

Article 5 – Y a-t-il seulement trois Personnes en Dieu ?

[869] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod non sint tantum tres personae in divinis. In divinis enim non plus distat voluntas et natura, quam intellectus. Sed alia persona est procedens per modum voluntatis vel amoris, ab illa quae procedit per modum naturae vel generationis. Ergo adhuc debet esse alia quae procedat per modum intellectus.

Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait pas seulement trois personnes en Dieu. En Dieu en effet  il n’y a pas plus de différence entre la volonté et la nature qu’entre l’intelligence et la nature. Mais la personne qui procède par mode de volonté ou d’amour est autre que celle qui procède par mode de nature ou de génération. Il doit donc y avoir encore une autre personne qui procède par mode d’intelligence.

[870] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, sicut Pater diligit Filium, ita etiam diligit Spiritum sanctum. Sed amor quo Pater diligit Filium, est una persona. Ergo et amor quo diligit Spiritum sanctum, est una persona, et ita sunt plures quam tres.

2. Par ailleurs, tout comme le Père aime le Fils, de même encore il aime l’Esprit-Saint. Mais l’amour par lequel le Père aime le Fils est une Personne. Donc, l’amour par lequel il aime l’Esprit-Saint est une autre Personne et ainsi il y a plus que trois personnes.

[871] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 3 Item, sicut est perfecta bonitas et liberalitas in Patre et Filio, ita et in Spiritu sancto. Sed propter summam bonitatem et liberalitatem convenit Patri quod naturam suam communicet alii, quia bonum est communicativum sui. Ergo eadem ratione Spiritus sanctus communicabit naturam suam perfecta communicatione. Sed non perfecte communicat creaturae. Ergo communicabit alii divinae personae.

3. En outre, il y a dans l’Esprit-Saint, tout comme dans le Père et dans le Fils, une parfaite bonté et une parfaite liberté. Mais en raison de son excellente bonté et de son excellente liberté, il revient au Père de communiquer sa nature à un autre, car il est dans la nature du bien de se communiquer. Donc pour la même raison l’Esprit-Saint communiquera sa nature par une parfaite communication. Mais il ne la communique pas parfaitement à la créature. Il la communiquera donc à une autre personne divine.

[872] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 4 Item, in Deo non tantum est natura et voluntas, sed plura alia attributa, quorum unumquodque habet rationem principii. Sed voluntati et naturae respondet aliqua processio, inquantum habent rationem principii. Ergo etiam et aliis attributis respondebunt aliae processiones, secundum quas multiplicabuntur personae multo plures quam tres.

4. De plus, il n’y a pas seulement en Dieu la nature et la volonté, mais plusieurs autres attributs dont chacun a raison de principe. Mais à la nature et à la volonté correspond respectivement une procession selon qu’elles ont raison de principe. Donc d’autres processions correspondront aussi aux autres attributs, processions selon lesquelles se  multiplieront les personnes en un nombre plus grand que trois.

[873] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 arg. 5 Sed contra, videtur quod sint tantum duae. Personae enim non distinguuntur nisi secundum relationes originis. Sed relatio originis est secundum quam aliquis est ab alio. Ergo videtur quod sit tantum una persona, quae sit ens ab alia, et reliqua a qua est alius. Ergo sunt tantum duae personae.

5. Il semble cependant qu’il n’y ait que deux Personnes en Dieu. Les Personnes en effet ne se distinguent que par les relations d’origine. Mais une relation d’origine est celle selon laquelle un être vient d’un autre. Il semlbe donc qu’il n’y ait qu’une personne qui soit un être qui vient d’un autre et que le reste soit celle d’où vient cet autre. Il n’y a donc que deux Personnes en Dieu.

[874] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod non sunt nisi tres personae in divinis. Et ratio hujus est, quia in divinis propter essentiae simplicitatem non potest esse distinctio secundum aliquod absolutum, sed secundum relationem, et tantum secundum relationem originis, ut infra probabitur, dist. 26, quaest. 2, art. 2. Item, relatio originis non potest constituere personam, si significet in communi ; sed oportet quod significet aliquid proprium et determinatum. Habet enim se loco differentiae constitutivae respectu personae, quam oportet esse propriam.

Corps de l’article ;

Je réponds qu’il faut dire qu’il n’y a que trois Personnes en Dieu. Et la raison en est qu’il ne peut y avoir en Dieu, en raison de la simplicité de l’essence, une distinction selon quelque chose d’absolu, mais seulement selon la relation, et seulement selon la relation d’origine ainsi qu’on le prouvera plus loin [dist. 26, quest. 2, art. 2.]. En outre la relation d’origine ne peut constituer la Personne si elle signifie dans l’universel, mais il faut qu’elle signifie quelque chose de propre et de déterminé. Elle tient lieu en effet de différence constitutive, laquelle doit être propre, par rapport à la personne.

 Item, quia persona est nomen dignitatis, oportet quod illa relatio sit ad dignitatem pertinens. Sic ergo oportet tria considerare in constituentibus personas, scilicet quod sit relatio originis, quod sit propria, quod sit ad dignitatem pertinens

De plus, parce que ¨personne¨ est un nom de dignité, il faut que cette relation concerne la dignité. Ainsi donc il faut considérer trois choses dans ce qui constitue les personnes, à savoir qu’il y ait une relation d’origine, qu’elle soit propre et qu’elle concerne la dignité.

Relatio autem originis in communi importatur in his duobus, qui ab alio, et a quo alius. Hoc etiam quod dico, a quo alius, est quidem ad dignitatem pertinens, sed commune est. Unde oportet, ad hoc quod constituat personam, quod determinetur per specialem modum originis. In divinis autem non potest esse nisi duplex modus originis, secundum quod omne agens dividitur in agens a natura et agens a voluntate: et istae actiones inventae in creaturis, ut supra dictum est, dist. 4, quaest. 1, art. 1, reducuntur, ut in causam et exemplar, in duas processiones in divinis, quarum una est per modum naturae et vocatur generatio, et alia per modum voluntatis et vocatur spiratio, ut supra dictum est, loc. cit. Oportet igitur ita specificare, a quo alius per generationem, a quo alius per spirationem.

Mais la relation d’origine prise dans l’universel est introduite dans ces expressions, à savoir ¨celui qui vient d’un autre¨ et ¨ celui d’où il vient¨. Et ce que je dis, à savoir ¨celui d’où il vient¨, concerne certes la dignité, mais est universel. C’est pourquoi il faut, pour que cela constitue la personne, que l’expression soit déterminée par un mode particulier d’origine. Mais en Dieu il ne peut y avoir que deux modes d’origine, selon que tout agent se divise soit en agent par nature, soit en agent par volonté: et ces actions qu’on trouve dans les créatures, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 4, quest. 1, art. 1], se ramènent, comme dans leur cause et leur modèle, aux deux processions qui sont présentes en Dieu dont l’une se fait par mode de nature et qu’on appelle la generation alors que l’autre se fait par mode de volonté et qu’on appelle le soufflé ainsi que nous l’avons dit dans la reference que nous venons de citer. Il faut donc préciser ¨celui d’où vient l’autre¨ par génération et ¨celui d’où vient l’autre¨ par respiration.

Haec autem duo non habent repugnantiam: quia idem potest esse principium plurium diversis modis. Unde ex hoc non constituentur duae personae, sed una tantum ; quia nihil habet virtutem distinguendi, nisi quod habet aliquam rationem oppositionis. Sic igitur habemus unam personam, a qua est aliquis per generationem et spirationem, sicut Pater. Si autem accipiamus aliud, scilicet, qui est ab alio, quamvis importet relationem originis, tamen non sufficit ad constituendam personam: tum quia commune est, tum quia nihil dignitatis importat. Esse enim ab alio potest aliquid vel nobili vel ignobili modo.

Mais ces deux formes de relations d’origine ne s’opposent pas : car le même agent peut être le principe de plusieurs effets selon différentes modalités. C’est pourquoi à partir de là ce ne sont pas deux personnes qui sont constituées, mais seulement une seule ; car rien n’a la capacité d’être distingué s’il ne contient pas en lui une cause d’opposition. Ainsi donc nous avons une personne de laquelle vient une autre personne par génération  et par respiration, à savoir le Père. Mais si nous prenons l’autre terme de la relation, à savoir celui qui vient de l’autre, bien qu’il implique une relation d’origine, cependant il ne suffit pas à constituer une Personne, tant parce qu’il est commun que parce qu’il n’implique rien de la dignité. Quelque chose en effet peut venir d’un autre soit d’une manière honorable, soit d’une manière méprisable.

Unde oportet ad hoc quod constituatur persona, quod determinetur per specialem modum ad dignitatem pertinentem ; et isti sunt tantum duo in divinis, et ideo oportebit ita dicere: qui est ab alio per generationem, et qui est ab alio per spirationem. Ista autem duo non possunt uni convenire, quia una res habet tantum unum modum quo oritur ex alio. Non enim idem in specie est a natura et ab arte, nec per putrefactionem et seminationem. Et ideo erit una persona quae est ab alia per generationem, et hic est Filius ; et alia quae est ab alia per spirationem, et hic est Spiritus sanctus. Et cum istae relationes non possint multiplicari secundum numerum, ita quod remaneat unitas in specie, eo quod non est ibi aliqua divisio materialis, oportet quod sint tantum tres personae.

D’où il faut, pour que soit constituée la Personne, qu’elle soit déterminée par un mode particulier qui concerne la dignité ; et il n’y a que deux mode de cette sorte en Dieu, et c’est pourquoi il faudra parler de la manière suivante : celui qui vient d’un autre par génération et celui qui vient d’un autre par respiration. Mais ces deux modes particuliers ne peuvent s’appliquer à un seul, car une même réalité ne possède qu’une seule modalité par laquelle elle provient d’une autre. En effet, ce qui vient de la nature et ce qui vient de l’art n’est pas identique par l’espèce, ni ce qui est le résultat d’une putréfaction et d’une reproduction. Et c’est pourquoi il n’y aura qu’une seule personne qui vient d’une autre par génération, et celle-ci est le Fils, et une seule autre qui vient d’une autre par respiration, et celle-là est l’Esprit-Saint. Et puisque ces relations ne peuvent se multiplier selon le nombre de manière à ce que soit conservée l’unité dans l’espèce du fait qu’il ne peut y avoir là de division matérielle, il faut qu’il n’y ait que trois Personnes en Dieu.

[875] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod processio intellectus et naturae habent quamdam similitudinem per quam distinguuntur a processione per modum voluntatis. Potest enim procedere aliquid ab uno vel a pluribus [Potest… pluribus om. Éd. de Parme]. Quod autem procedit per modum naturae, procedit ut ab uno, si illud perfectum sit ; et similiter quod procedit per modum intellectus ; non enim plures homines habent unam conceptionem in numero. Et ita Filio, qui est tantum ab uno, scilicet a Patre, attribuitur uterque modus ; procedit enim per modum naturae ut Filius, et per modum intellectus ut Verbum. Sed voluntas tendit in alium, et potest esse reciprocatio, ut ex duobus una voluntatis procedat conformitas, quae est unio utriusque. Et ideo procedere per modum voluntatis convenit Spiritui sancto, qui procedit a duobus, uniens eos, inquantum sunt distinctae personae. Inquantum enim sunt una essentia, uniuntur per essentiam ; et secundum hoc est inter eos amor essentialis.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la procession de l’intelligence et celle de la nature ont quelque ressemblance par laquelle elles se distinguent de la procession par mode de volonté. Quelque chose en effet peut procéder d’un seul ou de plusieurs [peut…plusieurs om. Éd. de Parme]. Mais ce qui procède par mode de nature ne procède que d’un seul si celui-ci est parfait ; et il en est de même pour ce qui procède par mode d’intelligence ; en effet, plusieurs hommes ne possèdent pas une même conception numériquement parlant. Et ainsi au Fils, qui ne provient que d’un seul et même principe, à savoir le Père, on attribue les deux modes : il procède en effet du Père par mode de nature comme Fils et il en procède par mode d’intelligence comme Verbe. Mais la volonté tend vers un autre et il peut y avoir réciprocité de telle manière que de deux personnnes procède une conformité de volonté qui est l’union des deux. Et c’est pourquoi il appartient à l’Esprit-Saint de procéder par mode de volonté, Lui qui procède de deux Personnes en les unissant en tant qu’elles sont deux Personnes distinctes. En effet, en tant que les deux Personnes sont une même essence, elles sont unies par l’essence et conformément à cela il y a entre elles un amour essentiel.

[876] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut est in inferioribus, quod non alio actu potentia fertur in objectum et in actum suum, eodem enim actu intellectus intelligit se et intelligit se intelligere ; ita etiam cum Spiritus sanctus procedat ut amor quo Pater amat Filium, non oportet quod sit alius amor quo amet illum amorem ; et praecipue cum ille amor non differat ab isto nisi secundum numerum, et non secundum rationem. Et talis diversitas in divinis non potest esse, ut supra, dist. 9, quaest. 1, art. 1, probatum est.

2. Il faut dire en deuxième lieu que tout comme dans les réalités inférieures ce n’est par un acte différent que la puissance est conduite à son objet et à son acte : en effet, c’est par le même acte que l’intelligence se comprend et qu’elle comprend qu’elle se comprend ; de même encore lorsque l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour par lequel le Père aime le Fils, il ne faut pas qu’il y ait un autre amour par lequel il aime cet amour ; et surtout puisque cet amour ne diffère de celui-là que par le nombre et non par la raison ; et une telle diversité ne peut exister en Dieu comme nous l’avons prouvé plus haut [dist. 9, quest. 1, art. 1].

[877] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod liberalitas et bonitas sunt essentialia ; essentialia autem non sunt principia actuum notionalium, nisi secundum quod ipsa essentia est idem re quod proprietas vel notio, ut supra, dist. 2, quaest. unica, art. 3, dictum est. Unde bonitas vel liberalitas in Patre, non est principium generationis, nisi inquantum bonitas est sua paternitas ; in Filio autem bonitas non est Paternitas sed filiatio. Unde eadem bonitate et liberalitate Pater generat, et Filius generatur, et Pater spirat, et Spiritus sanctus spiratur. Unde secundum Augustinum, lib. III Contra Maximinum, c. XVIII, § 3, col. 786, cum dico, de quo est, est quaestio originis et non aequalitatis ; sed cum quaeritur, qualis vel quantus. Et ideo per hoc quod Spiritus sanctus non producit aliam personam, non est minoris liberalitatis vel bonitatis.

3. Il faut dire en troisième lieu que la liberté et la bonté sont des attributs essentiels ; mais les principes des actes notionnels ne sont essentiels que selon que l’essence même est identique par la chose à la propriété ou à la notion, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, question unique, art. 3]. C’est pourquoi la liberté ou la bonté dans le Père n’est principe de génération que selon que la bonté est sa Paternité ; mais dans le Fils la bonté n’est pas la Paternité mais la Filiation. C’est pourquoi c’est par la même bonté et la même liberté que le Père engendre et que le Fils est engendré, et que le Père spire et que l’Esprit-Saint est spiré. C’est pourquoi, comme Augustin [111, Contre Maximin, ch. XVIII, & 3, col. 786], lorsque je dis ceci, à savoir d’où il vient, la question en est une d’origine et non d’égalité comme lorsque la question porte sur la qualité et la quantité. Et c’est pourquoi l’Esprit-Saint n’est pas d’une moins grande liberté ou bonté par cela même qu’il ne produit pas une autre personnes.

[878] Super Sent., lib. 1 d. 10 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia attributa divina sunt principium productionis per modum efficientis exemplaris ; sicut bonitatem omnia bona imitantur, et essentiam omnia entia, et sic de aliis. Unde omnis illa processio est per modum naturae ; et ideo non oportet esse plures modos processionis in divinis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que tous les attributs divins sont principes de production par mode de modèle efficient ; par exemple tous les biens imitent la Bonté et tous les êtres imitent l’Essence et il en est de même pour les autres. C’est pourquoi toute cette procession a lieu par mode de nature ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’il y ait  plusieurs modes de procession en Dieu.

 

 

Distinctio 11

Distinction 11 – [La procession de l’Esprit Saint]

 

 

Prooemium

Prologue

[881] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 pr. Hic determinat de processione Spiritus sancti quantum ad suum principium ; et dividitur in duas partes : in prima ostendit, spiritum sanctum procedere a patre et filio ; in secunda inquiritur utrum aequaliter ab utroque procedat, 12 dist. : item quaeritur, cum Spiritus sanctus a patre procedat et a filio, utrum prius vel magis processerit a patre quam a filio. Prima in duas : in prima probat veritatem ; in secunda excludit errorem, ibi : Graeci tamen dicunt, spiritum sanctum procedere tantum a patre et non a filio.

Quae dividitur in duas : in prima ostendit Graecorum controversiam ; in secunda reducit ad concordiam intellectus, ibi : sciendum tamen est, quod Graeci confitentur spiritum sanctum esse filii, sicut et patris. Prima in duas : in prima ponit objectionem Graecorum ; in secunda solutionem, ibi : nos autem illa verba ita determinamus. Sciendum tamen, quod Graeci confitentur spiritum sanctum esse filii, sicut et patris. Hic ostendit Graecorum concordiam ad Latinos quantum ad sensum, quamvis in verbis sit differentia ; et circa hoc duo facit : primo ostendit quod Graeci concedunt, spiritum sanctum esse a filio in suo aequivalenti, quia scilicet concedunt eum esse filii ; secundo ostendit per multas auctoritates doctorum Graecorum, quod etiam concedunt spiritum sanctum expresse esse a filio, ibi : unde et quidam eorum Catholici doctores (...) professi sunt spiritum sanctum etiam procedere a filio.

Il traite ici de la procession de l’Esprit-Saint quant à son principe ; et cette section se divise en deux parties : dans la première il montre que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils ; dans la deuxième, à la distinction 12, on se demande s’Il procède des deux d’une manière égale : on se demande en outre, puisque l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils, s’Il procède antérieurement ou davantage du Père que du Fils. La première partie se divise elle-même en deux parties : dans la première il prouve la vérité ; dans la deuxième il écarte une erreur, là où il dit : les Grecs disent cependant que l’Esprit-Saint procède seulement du Père et non du Fils.

Cette dernière partie se divise en deux : dans la première il montre cette difficulté provenant des Grecs ; dans la deuxième il la ramène à un accord de l’intelligence, là où il dit : il faut cependant savoir que les Grecs confessent que l’Esprit-saint appartient au Fils tout comme il appartient au Père. La première partie se divise en deux : dans la première il présente l’objection des Grecs ; dans la deuxième il présente la réponse, là où il dit : mais nous répondons ainsi à ces paroles. Il faut cependant savoir que les Grecs confessent que l’Esprit-Saint appartient au Fils tout comme il appartient au Père. Il montre ici l’accord qu’il y a entre les Grecs et les Latins quant au sens, bien qu’il y ait une différence quant aux paroles elles-mêmes ; et à ce sujet il fait deux choses : premièrement il montre que les Grecs concèdent que l’Esprit-Saint vient du Fils dans son égalité, c’est-à-dire parce qu’ils concèdent qu’il appartient au Fils ; deuxièmement il montre par de nombreux témoignages des docteurs Grecs qu’ils concèdent même clairement que l’Esprit-Saint vient du Fils, là où il dit : c’est pourquoi certains d’entre eux, comme les docteurs Catholiques (…), ont confessé que l’Esprit-Saint procède aussi du Fils.

Ad intelligentiam hujus partis quatuor quaeruntur : 1 utrum Spiritus sanctus procedat a Patre et Filio ; 2 dato quod sic, utrum procedat ab eis inquantum sunt unum, vel inquantum sunt plures. Et si inquantum unum ; 3 quaeritur utrum inquantum sunt unum in essentia, vel inquantum sunt unum in aliqua notione ;

4 utrum possint dici Pater et Filius unus spirator.

Pour comprendre cette partie on pose quatre questions :

1. Est-ce que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils ?

2. Si on accorde qu’il en est ainsi, est-ce qu’il procède d’eux en tant qu’ils sont un ou en tant qu’ils sont plusieurs personnes ?

3. Et si c’est en tant qu’ils sont un, est-ce en tant qu’ils sont un dans l’essence ou en tant qu’ils sont un dans une notion ?

4. Est-ce qu’on peut dire du Père et du Fils qu’ils ne sont qu’une seule et même spiration ?  

 

 

Quaestio 1

Question unique : [La procession de l’Esprit Saint]

 

 

Articulus 1 [882] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat a Patre et Filio

Article 1 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils ?

[883] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non procedat a Filio, sed tantum a Patre. Dionysius [de divin.nomin. cap.II] quod Pater quidem est fontana deitas, Filius et Spiritus sanctus deigenae deitatis, si ita oportet dicere, pullulationes sunt, et sicut flores divinae naturae, et sicut divina lumina, a sanctis eloquiis accepimus. Sed pullulatio non est a pullulatione, nec flos a flore. Ergo nec Spiritus sanctus a Filio.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint ne procède pas du Fils mais seulement du Père. Denys [Les Noms Divins, ch. 11] dit que le Père est certes la source de la divinité, et que le Fils et l’Esprit-Saint sont comme la descendance de Dieu, s’il faut parler ainsi, et ses rejetons, et nous  admettons des Écrivains sacrés qu’ils sont comme les fleurs de la nature divine et comme des lumières divines. Mais un rejeton ne vient pas d’un rejeton ni une fleur ne vient d’une fleur. Donc l’Esprit-Saint ne vient pas du Fils.

[884] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, in Legenda B. Andreae dicitur : Pax vobis et universis qui credunt in unum Deum Patrem, et in unum Filium ejus Dominum nostrum Jesum, et in unum Spiritum sanctum procedentem ex Patre, et in Filio permanentem. Quod autem permanet in aliquo procedens ab alio, non procedit ab eo in quo permanet ; alias non diceretur manere in eo. Ergo Spiritus sanctus non procedit a Filio.

2. Par ailleurs on dit dans la Légende de Saint-André : Paix à vous et à tous ceux qui croient en un seul Dieu le Père, et en son Fils unique notre Seigneur Jésus, et en un seul Esprit-Saint qui procède  du Père et demeure dans le Fils. Mais ce qui demeure dans un être en procédant d’un autre ne procède pas de celui dans leqel il demeure, autrement on ne dirait pas qu’il demeure en lui. Donc, l’Esprit-Saint ne procède pas du Fils.

[885] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, Damascenus, [de Fid. Orth., c. VII] : Spiritum sanctum ex Patre dicimus, et Spiritum patris nominamus ; ex Filio autem Spiritum non dicimus, Spiritum vero Filii nominamus. Ergo et cetera.

3. En outre, Damascène [De la Foi Orthodoxe, ch.  VII] dit : Nous disons que l’Esprit-Saint vient du Père et nous l’appelons l’Esprit du Père ; nous ne disons pas cependant que l’Esprit vient du Fils, mais nous l’appelons néanmoins l’Esprit du Fils. Donc, etc.

[886] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, hoc videtur per quasdam similitudines. Spiritus enim corporalis, quo verbum vocale profertur, non procedit a verbo, immo utrumque a loquente. Ergo nec Spiritus sanctus procedit a Filio, qui est Verbum ; sed utrumque a Patre.

4. De plus, cela se voit par certaines similitudes. En effet l’esprit corporel, par lequel le verbe vocal est proféré, ne procède pas du verbe mais bien plutôt les deux procèdent de celui qui parle. Donc, l’Esprit-saint ne procède pas du Fils qui est le Verbe, mais les deux procèdent du Père.

[887] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, ex sole procedit splendor et calor, ita quod neutrum ex altero. Sed Filius est splendor Patris, Hebr. 1, Spiritus sanctus autem est sicut calor, cum sit amor. Ergo et cetera.

5. Par ailleurs, l’éclat et la chaleur procèdent du soleil de telle manière qu’aucun des deux ne procède de l’autre. Mais le Fils est la splendeur du Père [Épître aux Hébreux, 1], mais l’Esprit-Saint est comme sa chaleur puisqu’Il est amour. Donc, etc.

[888] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 6 Item, videmus quod illud quod procedit corporaliter, procedit ex uno loco in alium, et non ex illis duobus. Ergo et Spiritus sanctus procedit ex Patre in Filium, et non ex Patre et Filio.

6. En outre, nous voyons que ce qui procède corporellement, procède d’un lieu à un autre et non de ces deux lieux. Donc l’Esprit-Saint procède du Père vers le Fils et non du Père et du Fils.

[889] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 7 Item, hoc videtur ratione. Nullum enim simplex potest esse a duobus ; alias enim effectus esset simplicior causa, quod est impossibile. Sed Spiritus sanctus est simplex. Ergo non est a duobus.

7. De plus, cela se voit aussi par raisonnement. En effet, rien de ce qui est simple ne vient d’une dualité, car autrement en effet l’effet serait plus simple que sa cause, ce qui est impossible. Mais l’Esprit-Saint est simple. Il ne vient donc pas d’une dualité, c’est-à-dire du Père et du Fils.

[890] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, Spiritus sanctus non minus convenit cum Patre quam Filius, nec minoris est dignitatis. Si igitur Filius communicat cum Patre in spiratione Spiritus sancti, videtur quod Spiritus sanctus communicet cum Patre in generatione Filii, et hoc est falsum. Ergo et primum.

8. En outre, l’Esprit-Saint n’est pas moins uni au Père que le Fils et qu’il ne possède pas moins de dignité que Lui. Si donc le Fils communique avec le Père dans la spiration de l’Esprit-Saint, il semble que l’Esprit-Saint communique avec le Père dans la génération du Fils, et cela est faux. Donc, puisque ce conséquent est faux, l’antécédent l’est aussi.

[891] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea, aut Pater perfecte spirat Spiritum sanctum, aut non. Si non, ergo est aliqua imperfectio in Patre, quod est impossibile. Si perfecte, ergo superfluus est alius spirans. In divinis autem nihil est superfluum. Ergo Filius non spirat Spiritum sanctum.

9. Par ailleurs, ou bien le Père est l’agent parfait de la spiration de l’Esprit-Saint, ou bien il ne l’est pas . S’il ne l’est pas, il y a donc une imperfection dans le Père, ce qui est impossible. Mais s’il en est l’agent parfait, un autre agent de spiration serait donc inutile. Mais il n’y a rien d’inutile en Dieu. Le Fils n’est donc pas un agent de spiration de l’Esprit-Saint.

[892] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium sunt multae auctoritates in Littera positae.

Cependant :

1. De nombreux témoignages présentés dans le Document affirment le contraire.

[893] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 2 Idem ostenditur per similitudinem. Quia in anima est imago Trinitatis. Sed amor in anima, qui repraesentat Spiritum sanctum, procedit a notitia, quae repraesentat Filium. Ergo in divinis Spiritus sanctus procedit a Filio.

2. La même chose est manifestée par la similitude de l’âme qui est une image de la Trinité. Mais l’amour dans l’âme, lequel représente l’Esprit-Saint, procède d’une connaissance qui représente le Fils. Donc en Dieu l’Esprit-Saint procède du Fils.

[894] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 s. c. 3 Item, omnis amor procedit ab amante. Sed Spiritus sanctus [amor add. Ed de Parme] est Patris et Filii, secundum auctoritatem Damasceni inductam. Ergo procedit ab utroque [ut amor ipsorum. om. Ed. de Parme].

3. En outre, tout amour procède d’un amant. Mais l’Esprit-Saint [l’amour add. Éd. de Parme] est l’amour du Père et du Fils selon le témoignage introduit par Damascène. Il procède donc des deux [en tant qu’amour communiqué entre ces deux Personnes om. Éd. de Parme].

[895] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum simpliciter, quod Spiritus sanctus procedit a Filio. Hoc enim remoto, inevitabiliter removetur distinctio Filii et Spiritus sancti. Cum enim divinae personae secundum nihil absolutum distinguantur, oportet quod omnis ipsarum distinctio sit secundum relationes originis. Unde si Spiritus sanctus et Filius non distinguerentur per hoc quod unus est ab alio, oporteret quod uterque esset una persona. Nec hoc remoto posset dici quod distinguerentur personaliter Filius et Spiritus sanctus per diversum modum procedendi a patre, ut quod Filius procederet per modum naturae, et Spiritus sanctus per modum voluntatis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut absolument dire que l’Esprit-Saint procède du Fils. En effet, si on rejette cette affirmation, la distinction entre le Fils et l’Esprit-Saint est nécessairement abolie. En effet, puisque les Personnes divines ne se distinguent par rien d’absolu, il faut que toute distinction qu’il y ait entre elles tienne à des relations d’origine. C’est pourquoi, si l’Esprit-Saint et le Fils ne se distinguaient pas par le fait que l’un vient de l’autre, il s’ensuivrait que les deux ne seraient plus qu’une seule et même personne. Et cela rejeté, on ne pourrait dire que le Fils et l’Esprit-Saint se distingueraient personnellement par une manière différente de procéder du Père et qui serait telle que le Fils procéderait du Père par mode de nature et l’Esprit-Saint par mode de volonté.

Ille enim modus diversus aut haberet [diceret Éd. de Parme] diversitatem per oppositionem relationis, et sic rediret idem quod prius : aut diceret diversitatem in absolutis ; et tunc vel realem diversitatem, et sic esset compositio in Deo ; vel diversitatem rationum, et sic non posset esse inter Filium et Spiritum sanctum nisi diversitas rationis ; et hoc non sufficit ad distinctionem personarum, ut supra dictum est, dist. 2, quaest. Unic., art. 5. Et ideo cum Filius non sit a Spiritu sancto, relinquitur quod Spiritus sanctus sit a Filio.

Ce mode différent de procéder  présenterait [signifierait Éd. de Parme] en effet une diversité par l’opposition de relation, et ainsi elle reviendrait à ce qui précède : ou bien elle signifierait une diversité par quelque chose d’absolu ; et alors on aurait ou bien une diversité réelle et ainsi il y aurait composition en Dieu, ou bien on aurait une diversité de raisons  et ainsi on ne retrouverait plus entre le Fils et l’Esprit-Saint qu’une diversité de raison et cela ne suffit pas à distinguer les Personnes ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 2, quest. unique, art. 5]. Et c’est pourquoi, puisque le Fils ne vient pas de l’Esprit-Saint, il reste que l’Esprit-Saint vient du Fils.

[896] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod locutiones illae sunt symbolicae ; et ideo ex eis non procedit argumentum, sicut idem Dionysius dicit in Epistola ad Titum ; quia symbolica theologia non est argumentativa. Est autem similitudo quantum ad aliquid, scilicet quod flores sunt ab uno ; non tamen quantum ad omnia.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ces expressions sont symboliquees ; et c’est pourquoi à partir d’elles on ne peut procéder par argumentation, comme le dit aussi Denys dans l’Épître à Tite ; car la théologie symbolique n’est pas argumentative. Mais il y a ressemblance sous un rapport, à savoir que les fleurs viennent d’un principe unique ; mais il n’y a pas ressemblance sous tous les rapports.

[897] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Spiritus sanctus dicitur manere in filio, non quod sit distinctus ab eo, sed quia virtus spirativa est in Patre, et a Patre est in Filio, sicut et omnia quae Filius habet, et ibi manet, et non procedit ulterius, quia Spiritus sanctus non habet virtutem spirandi, ut scilicet spiret, sed ut spiretur, ut supra dictum est, dist. 7, quaest. 2, art. 2, de potentia generativa Filii. Vel dicendum, quod intelligitur de Filio secundum naturam assumptam, in quo nihil fuit contrarium gratiae Spiritus sancti ; et ideo in ipso dicitur quiescere, sicut etiam dicitur habitare in sanctis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint demeure dans le Fils, on ne veut pas dire qu’il y est comme distinct de Lui, mais parce que la puissance de spiration est dans le Père et que par le Père elle est dans le Fils, comme tout ce que possède le Fils et y demeure sans procéder ultérieurement, car l’Esprit-Saint ne possède pas la puissance de spiration de telle manière que Lui-même ne spire pas mais est spiré seulement, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 7, quest. 2, art. 2] au sujet de la puissance de génération du Fils. Ou bien il faut dire qu’on l’entend du Fils au sujet de la nature qu’il a prise et dans laquelle il ne fut contraire en rien à la grâce de l’Esprit-Saint ; et c’est pourquoi on dit que l’Esprit-Saint repose dans le Fils, tout comme on dit aussi qu’il habite dans les bienheureux.

[898] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Damasceno in hac parte non creditur, quia dicitur fuisse tempore illo quo incepit controversia super hac quaestione inter Graecos et Latinos. Tamen non negat quin sit ex filio ; sed dicit se non concedere quod sit a filio, quia adhuc apud eos in dubio vertebatur.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’on n’adhère pas à la position de Damascène en ce point car il a existé à cette époque dans laquelle a commencé la controverse sur cette question entre les Grecs et les Latins. Cependant il ne nie pas que l’Esprit-Saint procède du Fils, mais plutôt il dit qu’il ne concède pas qu’Il vienne du Fils car c’est encore dans le doute qu’il se tournait vers eux.

[899] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum est duplex, scilicet vocale, et verbum mentis ; et duplici verbo respondet duplex spiritus. Verbo enim vocali respondet spiritus corporalis, verbo mentali spiritus amoris intimi. Unde dico, quod Verbum, secundum generationem aeternam est simile verbo mentali ; et ideo a verbo procedit Spiritus sanctus, sicut a verbo mentali amor. Sed Filius, secundum quod carnem assumpsit, habet similitudinem verbi vocalis ; et sicut formatio vocis fit per aerem respiratum, ita incarnatio Verbi facta est operatione Spiritus sancti.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il y a deux sortes de verbes : le verbe vocal et le verbe mental ; et à ces deux verbes correspondent deux esprits. Au verbe vocal correspond l’esprit corporel et au verbe mental correspond l’esprit d’un amour intime. C’est pourquoi je dis que le Verbe, selon sa génération éternelle, est semblable au verbe mental ; et c’est pourquoi l’Esprit-Saint procède du Verbe comme l’amour procède du verbe mental. Mais le Fils, selon qu’Il a pris chair, partage quelque ressemblance avec le verbe vocal ; et tout comme la formation de la voix se fait par l’air qui est respiré, de même l’incarnation du Verbe est produite par l’opération de l’Esprit-Saint.

[900] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in illa similitudine supponitur falsum. Calor enim procedit ex splendore, secundum philosophos ; unde dicit Avicenna [VI De Naturalibus, part. III, cap. I] quod sol non facit calorem in inferioribus nisi mediante splendore.

5.  Il faut dire en cinquième lieu qu’on suppose quelque chose de faux dans cette similitude. La chaleur en effet procède de la splendeur selon les philosophes; c’est pourquoi Avicenne dit [ VI Des Choses Naturelles, part. 111, ch. 1] que le soleil ne produit la chaleur dans les choses inférieures que par l’intermédiaire de la splendeur.

[901] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod processio dicitur proprie in divinis, sicut et generatio. Unde non sumitur a similitudine processionis localis, quia hoc esset metaphorice dictum ; sed dicit exitum a principio. Non autem omne quod est a principio, procedit in aliud ; sed aliquid procedit ut in se subsistens ; et ita procedit Spiritus sanctus a Patre et Filio.

6. Il faut dire en sixième lieu que la procession se dit proprement de Dieu, tout comme la generation. C’est pourquoi elle ne se tire pas de la similitude de la procession selon le lieu, car elle se dirait alors d’une façon métaphorique, mais elle dit plutôt la sortie ou la provenance d’un principe. Mais ce n’est pas tout ce qui vient d’un principe qui procède dans un autre; mais il arrive que quelque chose procède en tant  que subsistant en soi-même; et c’est ainsi que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils.

[902] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod simplex non potest procedere a pluribus quae sunt diversa per essentiam, quorum sunt diversae operationes. Sed Pater et Filius virtute unius naturae spirant Spiritum sanctum unica spiratione. Et ideo qui spiratur est simplex.

7. Il faut dire en septième lieu que le simple ne peut procéder d’une pluralité où il y a diversité par essence et dont les opérations diffèrent. Mais le Père et le Fils sont les agents d’une unique spiration de l’Esprit-Saint par la puissance d’une nature unique. Et c’est pourquoi Celui qui est spiré est simple.

[903] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod non potest Spiritus sanctus communicare Patri in generatione Filii duplici ratione.

Primo, quia Filius procedit per modum naturae, quia per actum generationis ; et actus naturae est unius tantum ; sed Spiritus sanctus procedit ut amor per modum voluntatis. Sed plures uniuntur in voluntate ad aliquem actum ; et ideo Spiritus sanctus potest esse a Patre et Filio.

Alia ratio est, quia repugnaret proprietati Spiritus sancti, qua scilicet procedit a Patre et Filio ut amor : non enim potest esse quod duo sint principium sibi invicem. Unde sicut Pater Filio non communicat paternitatem, ut seipsum generet, ita nec spiritui sancto, ut Filium generet. Sicut enim [autem Éd de Parme] est inconveniens quod aliquid generetur ex seipso, ita etiam vel plus, quod aliquid generetur ab eo cujus est principium.

8. Il faut dire en huitième lieu qu’il y a deux raisons pour lesquelles l’Esprit-Saint ne peut partager la génération du Fils à partir du Père.

Premièrement parce que le Fils procède par mode de nature qui se fait au moyen de l’acte de génération ; et l’acte de la nature ne relève que d’un seul principe ; mais l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour par mode de volonté. Et plusieurs peuvent s’unir par la volonté en vue d’un même acte ; et c’est pourquoi l’Esprit-Saint peut provenir à la fois du Père et du Fils.

L’autre raison est que ce partage répugnerait à la propriété de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire à celle par laquelle Il procède du Père et du Fils en tant qu’amour : il est impossible en effet que deux réalités soient mutuellement principes l’une de l’autre. C’est pourquoi, tout comme le Père ne communique pas sa paternité au Fils de sorte que ce dernier engendrerait le Père, de même il ne la communique pas non plus à l’Esprit-Saint de sorte que ce dernier engendrerait le Fils. En effet [mais Éd. de Parme] tout comme il est impossible que quelque chose soit engendré à partir de soi-même, de même ou encore plus il est impossible qu’un être soit engendré par celui dont il est le principe.

[904] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 1 ad 9 Ad ultimum dicendum, quod Pater perfecte spirat Spiritum sanctum. Sed quia omnis perfectio patris communicatur filio, quae non repugnat suae proprietati, cum nihil distinguat inter eos nisi originis relatio, oportet quod sicut communicat sibi perfectionem divinitatis, ita etiam perfectionem spirandi. Unde non est propter imperfectionem Patris quod Filius spiret, sed propter perfectionem Filii, qui habet totam perfectionem Patris. Eodem enim modo posset argui quod Filius non esset Deus, vel quod non crearet.

9. Il faut dire finalement que le Père est un agent parfait de la spiration de l’Esprit-Saint. Mais parce que toute perfection du Père qui ne s’oppose pas à la propriété du fils, est communiquée au Fils, car rien ne les distingue si ce n’est la relation d’origine, il faut que tout comme il lui communique la perfection de la divinité, de même il faut qu’il Lui communique aussi la perfection de la spiration. C’est pourquoi ce n’est pas en raison d’un imperfection du Père que le Fils est lui aussi agent de spiration, mais c’est en raison de la perfection du Fils qui tient toute sa perfection du Père. C’est de la même manière en effet qu’on pourrait faire difficulté en déclarant que le Fils n’est pas Dieu ou qu’il ne crée pas.

 

 

Articulus 2 [905] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat a Patre et Filio inquantum sunt unum

Article 2 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un ?

[906] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus procedit a Patre et Filio, non inquantum sunt unum. Spiritus sanctus enim procedit ab eis ut nexus vel unio quaedam. Sed nexus est distinctorum. Ergo procedit ab eis, ut distincti sunt.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint ne procède pas du Père et du Fils en tant qu’ils sont un. En effet l’Esprit-Saint procède d’eux en tant que lien ou union entre eux. Mais un lien n’existe qu’entre des êtres distincts. L’Esprit-Saint procède donc d’eux en tant qu’ils sont distincts.

[907] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, Pater et Filius diligunt se et inquantum sunt unum in essentia, et inquantum sunt distinctae personae ; si enim per essentiam distinguerentur, adhuc diligerent se. Diligunt autem se, inquantum sunt unum in essentia, amore essentiali. Ergo inquantum sunt distincti in personis, amore [personali add. Ed. de Parme] ab eis procedente. Sed hic amor est Spiritus sanctus. Ergo Spiritus sanctus procedit ab eis, inquantum sunt distinctae personae.

2. En outre, le Père et le Fils s’aiment à la fois en tant qu’ils sont un dans l’essence et en tant qu’ils sont des personnes distinctes ; si en effet ils se distinguaient par l’essence, ils s’aimeraient encore. Mais ils s’aiment d’un amour essentiel en tant qu’ils sont un dans l’essence. Donc, en tant qu’ils se distinguent comme Personnes, ils s’aiment d’un amour [personnel add. Éd. de Parme] qui procède d’eux. Mais cet amour est l’Esprit-Saint. Donc l’Esprit-Saint procède d’eux en tant qu’ils sont des Personnnes distinctes.

[908] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, actus sunt suppositorum. Si ergo spirare est actus Patris et Filii, oportet quod sit actus eorum, inquantum sunt supposita distincta. Sed Spiritus sanctus procedit ab eis per actum spirationis. Ergo procedit ab eis inquantum sunt personae distinctae.

3. De plus, les actes appartiennent aux suppôts. Si donc l’acte de spiration est l’acte du Père et du Fils, il faut que cet acte leur appartienne  en tant qu’ils sont des suppôts distincts. Mais l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils au moyen de l’acte de spiration. Il procède donc d’eux en tant qu’ils sont des personnes distinctes.

[909] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, Pater et Filius distinguuntur paternitate et filiatione. Ergo si Spiritus sanctus procedit ab eis inquantum sunt personae distinctae, procedet a Patre inquantum habet paternitatem et a Filio inquantum habet filiationem. [Ergo paternitate Pater refertur ad spiritum sanctum add. Ed. de Parme]. Sed Pater paternitate refertur ad Filium. Ergo eadem relatione, [scilicet paternitate add. Ed. de Parme], refertur ad Filium et Spiritum sanctum, et eadem erit processio utriusque, quod stare non potest.

Cependant:

1. Le Père et le Fils se distinguent par la paternité et la filiation. Donc, si l’Esprit-Saint procède d’eux en tant qu’Ils sont des personnes distinctes, il procède du Père en tant qu’il possède la paternité, et du Fils selon qu’il possède la filiation. [C’est donc par la paternité que le Père se rapporte à l’Esprit-Saint add. Éd. de Parme]. Mais c’est par la paternité que le Père se rapporte au Fils. C’est donc par la même relation [à savoir par la paternité add. Éd. de Parme] que le Père se rapporte au Fils et à l’Esprit-Saint, et ainsi il n’y aura donc qu’une même procession pour les deux, ce qu’il est impossible de soutenir.

[910] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 s. c. 2 Item, ut dictum est, dist. 8, quaest. 5, art. 2, nullum simplex procedit a pluribus, nisi in essentia uniantur et operatione. Sed Spiritus sanctus est simplex. Ergo procedit a Patre et Filio inquantum sunt unum.

2. En outre, ainsi que nous l’avons déjà dit [dist. 8. Quest. 5, art. 2], rien de simple ne procède d’une multiplicité, à moins que cette multiplicité ne soit unie dans l’essence et l’opération. Mais l’Esprit-Saint est simple. Il procède donc du Père et du Fils en tant qu’Ils sont un.

[911] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omnis actus refertur ad duo originaliter, scilicet ad agentem, et ad principium actionis. Agens autem est ipsum suppositum, ut homo vel ignis ; et principium actionis est aliqua forma in ipso, substantialis vel accidentalis. Dico ergo, quod ly inquantum potest dicere conditionem agentis, vel principium actionis. Si dicat conditionem agentis vel operantis, sic procedit Spiritus sanctus a Patre et Filio inquantum sunt plures, et inquantum sunt distinctae personae, quia ab eis pluribus et distinctis procedit. Si autem dicat conditionem principii actionis, sic dico, quod procedit ab eis inquantum sunt unum. Cum enim operatio non sit nisi ab uno principio oportet aliquid esse unum in Patre et Filio, quod est principium hujus actus qui est spirare, qui est unus et simplex, quo una et simplex persona Spiritus sancti procedit.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout acte se rapporte à deux choses dans son origine : à l’agent et au principe d’action. Mais l’agent est le suppôt lui-même, comme l’homme ou le feu ; et le principe d’action est une forme qui est en lui, soit substantielle, soit accidentelle. Je parle donc de cet acte selon qu’il peut signifier la condition de l’agent ou le principe de l’action. S’il signifie la condition de l’agent ou de celui qui pose l’opération, alors l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils selon qu’ils sont des personnes multiples et selon qu’ils sont des Personnes distinctes, car c’est de leur multiplicité et de leur distinction qu’Il procède. Mais si cet acte signifie la condition du principe d’action, alors je dis qu’Il procède d’eux en tant qu’ils sont un. En effet, puisqu’une opération ne procède que d’un seul principe, il faut qu’il y ait quelque chose d’un dans le Père et le Fils qui soit le principe de cet acte qui est la spiration, lequel et lui-même un et simple, duquel l’unique et simple personne de l’Esprit-Saint procède.

[912] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad totum. Quid autem sit illud unum commune in Patre et Filio, patebit in sequenti articulo.

Solutions :

Et c’est ainsi qu’on voit la solution à l’ensemble des difficultés soulevées plus haut. C’est dans l’article suivant qu’apparaîtra avec clarté ce qu’est ce principe commun présent dans le Père et le Fils.

 

 

Articulus 3

Article 3 – L’Esprit Saint procède-t-il du Père et du Fils en tant qu’ils sont un en nature ?[11]

[914] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus procedat a Patre et Filio, inquantum sunt unum in natura. Natura enim non communicatur nisi per actum naturae. Sed Spiritus sanctus procedendo accipit totam naturam divinam sicut Filius nascendo. Ergo principium actus, quo communicatur sibi natura divina, est natura. Ergo et cetera. Et hoc idem videtur per Anselmum in Tract. De process. Spiritui sancti, cap. VI qui dicit, quod ridiculum est dicere, quod propter relationem tota essentia Patris et Filii sit in Spiritu sancto, et non potius propter essentiam.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un par leur nature. La nature en effet ne se communique que par un acte de la nature. Mais par la procession l’Esprit-Saint reçoit la totalité de la nature divine tout comme le Fils la reçoit par la génération. Donc le principe de l’acte par lequel la nature divine lui est communiquée est la nature. Donc, etc. Et Anselme [Traité sur la Procession de l’Esprit-Saint, ch.  VI] semble manifester la même conclusion  en disant qu’il est absurde de dire que c’est à cause de la relation et non pas plutôt à cause de l’essence que la totalité de l’essence du Père et du Fils est dans l’Esprit-Saint.

[915] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Spiritus sanctus procedit ut amor. Amor autem dicit processum voluntatis. Ergo Spiritus sanctus procedit a patre et filio, inquantum sunt unum in voluntate. Sed voluntas, cum sit de absolutis, tenet se ex parte naturae. Ergo et cetera.

2. En outre, l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour. Mais l’amour signifie un processus de la volonté. Donc, l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils selon qu’Ils sont un par la volonté. Mais la volonté, puisqu’elle porte sur des absolus, se tient du côté de la nature. Donc, etc.

[916] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, cum proprietas recipiat numerum a supposito, impossibile est duorum suppositorum esse eamdem numero proprietatem vel notionem. Sed Pater et Filius sunt supposita distincta. Ergo non possunt convenire in aliqua una notione : et ita Spiritus sanctus non procedet a patre et filio inquantum sunt unum in notione aliqua. Restat ergo quod inquantum sunt unum in essentia.

3. De plus, puisque c’est du suppôt que la propriété reçoit le nombre, il est impossible que la même propriété ou notion par le nombre appartienne à deux suppôts différents. Mais le Père et le Fils sont des suppôts distincts. Ils ne peuvent donc pas se rencontrer dans une notion unique : et ainsi il est impossible que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un dans une notion. Il reste donc qu’Il en procède selon qu’ils sont un dans l’essence.

[917] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 4 Sed contra, in virtute divinae essentiae communicat non tantum Filius, sed etiam Spiritus sanctus. Si igitur Pater et Filius spirant spiritum sanctum inquantum sunt unum in natura, oportet quod etiam Spiritus sanctus simul cum eis spiret seipsum, quod est impossibile. Ergo et primum.

4. Au contraire, ce n’est pas seulement le Fils, mais aussi l’Esprit-Saint qui communique dans la puissance de l’essence divine. Si donc le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en tant qu’ils sont un par la nature, il faut que l’Esprit-Saint se spire lui-même simultanément avec eux, ce qui est impossible. Donc, ce n’est pas en tant qu’ils sont un par la nature que le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint.

[918] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 arg. 5 Si dicas, quod repugnat proprietas Spiritus sancti : contra, proprietates non distinguunt nec determinant essentiam, sed tantum personam. Ergo quidquid convenit essentiae in persona Patris et Filii, convenit etiam in persona Spiritus sancti.

5. Si tu dis que la propriété de l’Esprit-Saint s’oppose à cela, il faut dire au contraire que les propriétés ne distinguent et ne déterminent pas l’essence mais seulement la personne. Donc, tout ce qui appartient à l’essence dans les personnes du Père et du Fils se rencontre aussi dans la personne de l’Esprit-Saint.

[919] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Pater et Filius spirant Spiritum sanctum, inquantum sunt unum in potentia spirativa. Potentia autem spirativa, sicut et supra dictum est, dist. 7, quaest. 1, art. 2, dicit aliquid quasi medium inter essentiam et proprietatem, eo quod dicit essentiam sub ratione proprietatis : sic enim actus notionalis ab essentia egreditur, non sicut ab agente, sed sicut ab eo quo agitur. Generatio enim non egreditur ab essentia inquantum est essentia, sed inquantum est paternitas.

Corps de l’article :

Je réponds en disant que le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en tant qu’ils sont un dans la puissance de spiration. Mais la puissance de spiration, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 7, quest. 1, art. 2] renvoie comme à un intermédiaire entre l’essence et la propriété, du fait qu’elle signifie l’essence sous la raison de propriété : c’est ainsi en effet que l’acte notionnel sort de l’essence, non pas comme d’un agent, mais comme de ce par quoi il est amené. La génération en effet ne sort pas de l’essence en tant qu’essence mais en tant qu’elle est paternité.

Et si ista duo, scilicet essentia et paternitas, differrent in divinis, egrederetur ab utroque generatio ; sed a paternitate immediate, et ab essentia sicut a primo principio. Similiter dico, quod spiratio egreditur ab essentia, non sicut a spirante, sed sicut a principio spirationis, inquantum habet rationem alicujus notionis quae est communis Patri et Filio, quae dicitur communis spiratio : et ita spirativa potentia dicit essentiam sub ratione talis proprietatis. Et ideo dico, quod procedit Spiritus sanctus a Patre et Filio, inquantum sunt unum in essentia, et in aliqua notione, scilicet in communi spiratione. Et per hoc solvenda sunt argumenta ad utramque partem.

Et si ces deux aspects, à savoir l’essence et la paternité, diffèrent en Dieu, la génération proviendrait des deux ; mais de fait elle provient de la paternité de façon immédiate et de l’essence comme d’un premier principe. De la même manière je dis que la spiration sort de l’essence non pas comme de ce qui spire, mais comme du principe de la spiration, en tant qu’elle a raison de notion commune au Père et au Fils et qu’on appelle la spiration commune : et c’est ainsi que la puissance de spiration signifie l’essence sous la raison d’une telle propriété. Et c’est pourquoi je dis que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’ils sont un dans l’essence et dans une notion, à savoir dans la spiration commune. Et c’est ainsi que se trouvent à être solutionnées les difficultés qui ont été présentées de part et d’autre.

[920] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod natura communicatur per actum naturae, communiter loquendo ; sed determinata communicatio debet esse per actum naturae sub aliqua propria ratione acceptae ; et ideo communicatio quae est per spirationem, est actus divinae naturae, inquantum habet rationem spirationis. Et hoc intendit Anselmus, quod impossibile est dicere, quod processionis, quae terminatur in naturam, non sit aliquo modo natura principium, cum sit ibi quasi communicatio univoca. Deus enim procedit a Deo, sicut ignis ab igne.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que, à parler universellement, la nature se communique au moyen d’un acte de nature ; mais une communication déterminée doit avoir lieu au moyen d’un acte de nature pris sous une raison propre ; et c’est pourquoi la communication qui a lieu par spiration est un acte de la nature divine en tant qu’elle a raison de spiration. Et c’est ce que cherche à montrer Anselme, à savoir qu’il est impossible de dire que la nature ne soit pas de quelque manière principe de la procession, laquelle a pour terme la nature, puisqu’il y a là comme une communication univoque. Dieu en effet procède de Dieu comme le feu procède du feu.

[921] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 2 Et per hoc patet solutio etiam ad secundum : quia eadem est ratio de voluntate et essentia.

2. Et c’est par là qu’on voit aussi la solution à la deuxième difficulté, car le raisonnement relatif à la volonté est le même que celui qui se rapporait à l’essence.

[922] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod diversorum suppositorum secundum essentiam distinctorum non potest esse notio una ; sed si eorum sit essentia una, erit et operatio una. Et quia relatio secundum intellectum innascitur ex aliqua operatione, per consequens erit et relatio una : et ita Pater et Filius possunt convenire in una proprietate relativa.

3. Il faut dire en troisième lieu que pour des suppôts différents, il ne peut y avoir une notion unique d’après l’essence de ce qui diffère; mais si leur essence est unique, leur opération le sera aussi. Et parce que la relation selon l’intelligence naît d’une opération, par conséquent la relation sera elle aussi unique : et ainsi le Père et le Fils peuvent se rencontrer dans une propriété relative unique.

[923] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ab essentia, inquantum est essentia, non est actus spirandi, sed inquantum habet rationem talis proprietatis, scilicet communis spirationis. Et quia rationem hanc non habet essentia in Spiritu sancto, ideo non sequitur quod Spiritus sanctus per essentiam suam spiret.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’acte de spiration ne vient pas de l’essence en tant qu’essence mais en tant qu’elle a raison de cette propriété qui est la spiration commune. Et parce que l’essence dans l’Esprit-Saint n’a pas cette raison, c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que l’Esprit-Saint spire par son essence.

[924] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod si proprietas in persona esset aliud ab essentia, de necessitate determinaret ipsam per se vel per accidens ; sed quia est idem quod essentia secundum rem, ideo non advenit sibi ut restringens vel determinans eam ; tamen secundum unam proprietatem est principium unius actus, cujus non est principium secundum rationem alterius proprietatis : sicut patet etiam quod est principium hujus actus, velle, secundum rationem voluntatis, et hujus actus, scire, secundum rationem scientiae ; et tamen essentia per hoc non determinatur realiter, neque distinguitur. Et ideo, cum secundum rationem communis spirationis essentia in Patre et Filio sit principium actus notionalis quo Spiritum sanctum spirant ; non oportet quod in Spiritu sancto eadem essentia sit principium ejusdem actus, cum essentia divina in Spiritu sancto non sit communis spiratio, sicut in Patre et Filio.

5. Il faut dire en cinquième lieu que si la propriété dans la Personne était autre que l’essence, elle la déterminerait nécessairement  essentiellement ou accidentllement ; mais parce qu’en réalité ou selon la chose elle est identique à l’essence, elle ne lui survient pas comme ce qui la limite ou la détermine ; c’est cependant d’après une même propriété qu’elle est principe d’un même acte pour lequel elle n’est pas principe d’après la raison d’une autre propriété : tout comme il est clair aussi que l’essence est le principe de cet acte, à savoir vouloir, d’après la raison de volonté, tout comme elle est le principe de cet acte, savoir, d’après la raison de science ; et cependant l’essence n’est ni déterminée ni distinguée réellement par cela. Et c’est pourquoi, puisque c’est sous la raison de spiration commune que l’essence dans le Père et le Fils est le principe de l’acte notionnel par lequel ils spirent l’Esprit-Saint, il ne faut pas que dans l’Esprit-Saint la même essence soit le principe du même acte, puisque l’essence divine dans l’Esprit-Saint n’est pas la spiration commune comme c’est le cas dans le Père et le Fils.

 

 

Articulus 4

Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils un seul agent de spiration ?

[926] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur, quod Pater et Filius sint unus spirator. Per hoc enim non importatur nisi unitas in actu spirandi. Sed uno actu spirant Pater et Filius. Ergo sunt unus spirator, sicut unus Deus propter unitatem deitatis.

Difficultés :

1. Il semble que le Père et le Fils soient un seul agent de spiration. C’est par cela en effet qu’est causée l’unité dans l’acte de spiration. Mais c’est par un acte unique que le Père et le Fils accomplissent la spiration. Il n’y a donc qu’un seul agent de spiration, tout comme il n’y a qu’un seul Dieu en raison de l’unité de la divinité.

[927] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut Pater et Filius conveniunt in actu creandi, ita etiam in actu spirandi. Sed propter illam convenientiam Pater et Filius dicuntur unus creator. Ergo eadem ratione debent dici unus spirator.

2. En outre, tout comme le Père et le Fils sont unis dans l’acte de création, de même encore ils sont unis dans l’acte de spiration. Mais c’est en raison de cette union qu’on dit du Père et du Fils qu’ils sont un seul créateur. Donc pour la même raison on doit dire d’eux qu’ils sont un seul agent de spiration.

[928] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, principium dicit relationem consequentem ad actum, quo est principium. Sed Pater et Filius dicuntur unum principium Spiritus sancti, ut infra habebitur, distin. 29, qu. Unic., art. 4. Ergo etiam dici debent unus spirator.

3. De plus, le principe signifie une relation qui découle de l’acte par lequel il est principe. Mais on dit du Père et du Fils qu’ils sont un principe unique de l’Esprit-Saint, comme nous l’établirons plus loin [dist. 29, quest. uniq. Art. 4]. On doit donc aussi dire d’eux qu’Ils sont un seul agent de spiration.

[929] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, quicumque spirant, sunt spirantes. Sed Pater et Filius spirant spiritum sanctum. Ergo sunt spirantes ; ergo etiam sunt spiratores Spiritus sancti.

Cependant :

1. Tous ceux qui posent l’acte de spiration sont des agents de spiration. Mais le Père et le Fils posent l’acte de spiration de l’Esprit-Saint. Ils posent donc un acte de spiration ; ils sont donc aussi des agents de spiration de l’Esprit-Saint.

[930] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod actus recipit numerum a suppositis ; unde etiam verbum significans substantiam per modum actus, dicitur de pluribus personis pluraliter, quamvis sit essentia una, sicut Joan. 10, 30 : Ego et Pater unum sumus. Actus autem significatur etiam in verbo et in participio et in nomine verbali ; sed tamen participium plus accedit ad substantiam quam verbum, et adhuc nomen verbale magis quam participium [vel verbum om. Ed. de Parme). Et ideo non possumus [praesumimus Éd. de Parme] dicere, quod Pater et Filius spiret Spiritum sanctum ; vel quod sint spirans, vel quod sint spirator ; sed quod spirent, et sint spirantes et sint spiratores ; et quamvis sit actus unus quo spirant, tamen secundum quod unumquodque eorum magis accedit ad significandum actum, minus proprie potest in singulari praedicari.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’acte reçoit son nombre des suppôts ; c’est pourquoi aussi un verbe signifiant la substance à la manière d’un acte se dit de plusieurs personnes de plusieurs manières, bien que l’essence soit unique ainsi que le dit Jean (10, 30) : Le Père et moi sommes un. Mais un acte est signifié aussi dans un verbe, un participe et un nom verbal ; mais le participe s’approche cependant davantage de la substance que le verbe, et le nom verbal encore davantage que le participe [ou le verbe om. Éd. de Parme]. Et c’est pourquoi nous ne pouvons [présumons Éd. de Parme] dire que le Père et le Fils ¨pose¨ l’acte de spiration, ou qu’ils ¨est en train de poser l’acte de spiration¨ ou qu’ils sont ¨un agent de spiration¨ ; mais plutôt qu’ils posent l’acte de spiration, qu’ils sont en train de poser l’acte de spiration et qu’ils sont des agents de spiration ; et bien qu’il n’y ait qu’un seul acte par lequel ils posent l’acte de spiration, cependant selon que chacune de ces expressions s’approche davantage de la signification de l’acte, elle peut moins proprement s’attribuer au singulier.

¨[931] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis actus sit unus, tamen quando significatur ut actus egrediens a pluribus suppositis, oportet quod significetur pluraliter. Actus enim trahit numerum a suppositis.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que l’acte soit unique, cependant quand il est signifié comme un acte qui procède de plusieurs suppôts, il faut qu’il soit signifié au pluriel. En effet, l’acte tire son nombre des suppôts.

[932] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod creatio est actus trium personarum, non secundum quod distinctae sunt, sed secundum quod uniuntur in essentia : quia etiam per intellectum remota distinctione personarum, adhuc remanebit creatio. Et ideo dicimus quod Pater et Filius et Spiritus sanctus sunt unus creator, quamvis non dicamus quod sint unus creans ; quia nomen verbale plus recedit ab actu quam participium. Sed spiratio est actus conveniens pluribus suppositis quodammodo, secundum quod distinguuntur, ut supra dictum est, in corp. art. Et ideo etiam in nomine verbali oportet quod actus pluraliter significetur.

2. Il faut dire en second lieu que la création est un acte des trois personnes non pas en tant qu’elles sont distinctes, mais en tant qu’elles sont unies dans l’essence : car même si par l’intelligence on met de côté la distinction des personnes, la création demeure encore. Et c’est pourquoi nous disons que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint sont un seul créateur, bien que nous ne disons pas qu’ils sont un seul ¨créant¨, car le nom verval s’éloigne davantage de l’acte que le participe. Mais la spiration est un acte qui convient d’une certaine manière, selon qu’ils se distinguent, à plusieurs suppôts ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. Et c’est pourquoi il faut que l’acte soit signifié au pluriel même dans le nom verbal.

[933] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod principium non nominat aliquem actum, sed tantum relationem ; et quia Pater et Filius referuntur una relatione ad Spiritum sanctum, ideo dicuntur unum principium Spiritus sancti, sed non unus spirator.

3. Il faut dire en troisième lieu que principe ne désigne pas un acte mais seulement une relation ; et parce que le Père et le Fils se rapportent à l’Esprit-Saint par une relation, c’est pourquoi on dit d’eux qu’ils sont un unique principe de l’Esprit-Saint mais non qu’ils en sont un agent unique de spiration.

 

 

Expositio textus

 

Texte de Pierre Lombard

 

 [934] Super Sent., lib. 1 d. 11 q. 1 a. 4 expos. Misit Deus spiritum filii sui in corda nostra. Haec probatio non videtur sufficiens : quia Graeci confitentur spiritum sanctum esse filii, sed non a filio. Sed dicendum, quod cum oporteat genitivum in aliqua habitudine construi, non potest alia inveniri nisi habitudo originis, quia sola talis relatio personas distinguit ; et ideo oportet concedere, quod Spiritus sanctus a filio oriatur. Quem ego mittam vobis a patre. Videtur etiam haec probatio insufficiens : quia hic loquitur de temporali processione Spiritus sancti, quam Graeci a filio esse concedunt, non autem aeternam. Sed dicendum, quod cum temporalis processio includat aeternam, ut infra dicetur, dist. 15, qu. 4, art. 5, oportet quod a quo procedit temporaliter, etiam ab aeterno procedat. Qui aliud docuerit, vel aliter praedicaverit, idest contrarium. Haec Magister bene exponit, aliud pro contrario sumens : quod enim non est contrarium sacrae Scripturae, veritas ejus est, secundum Anselmum, nec potest esse quod omnia credenda explicite in illo symbolo contineantur in quo de descensu ad Inferos nulla mentio sit. Processio autem Spiritus sancti continetur ibi implicite, inquantum ibi continetur distinctio personarum, quae aliter esse non posset, ut dictum est. Sed quaerunt Graeci quomodo fuerunt Latini ausi hoc addere. Ad quod dicendum, quod necessitas fuit, sicut eorum error ostendit, et auctoritas Romanae Ecclesiae synodum congregandi, in qua exprimeretur aliquid quod implicite in articulis fidei continebatur.

Dieu a envoyé l’esprit de son Fils dans nos cœurs. Cet argument ne semble pas suffisante : car les Grecs confessent que l’Esprit-Saint est du Fils mais non qu’il vient du Fils. Mais il faut dire que puisqu’il faut que ce qui est engendré soit constitué dans un certain rapport, on ne peut y trouver un autre rapport que celui de l’origine, car c’est seulement une relation de cette sorte qui distingue les personnes ; et c’est pourquoi il faut concéder que l’Esprit-Saint provient du Fils. Celui que je vous enverrai par mon Père. Il semble que même cela ne soit pas un argument suffisant : car il parle ici de la procession temporelle de l’Esprit-Saint que les Grecs concèdent provenir du Fils sans concéder qu’il en soit de même pour la procession éternelle. Mais il faut dire que puisque la procession temporelle comprend celle qui est éternelle, ainsi qu’on le dira plus loin [dist. 15, quest. 4, art. 5], il faut que ce d’où elle procède selon le temps soit aussi ce d’où elle procède de toute éternité. Certains auront enseigné autre chose ou auront proclamé autrement, c’est-à-dire le contraire. Et le Maître explique bien cela en prenant autre chose pour le contraire : en effet ce qui n’est pas contraire aux Écritures fait partie de sa vérité selon Anselme, et il n’est pas possible que tout ce qui doit être cru soit contenu explicitement dans ce Symbole dans lequel il n’est nullement fait mention de la descente aux Enfers. Mais la procession de l’Esprit-Saint y est implicitement contenue selon qu’y est contenue explicitement la distinction des Personnes qui ne pourrait exister autrement ainsi que nous l’avons dit. Mais les Grecs demandent  comment les Latins ont pu oser ajouter cela. Il faut répondre à cela qu’il était nécessaire de le faire, tout comme leur erreur le montre, et l’autorité de l’Église Romaine devait réunir le synode dans lequel serait exprimé quelque chose qui était contenu implicitement dans les articles de la foi.

 

 

Distinctio 12

Distinction 12 – [La procession de l’Esprit Saint – suite]

 

 

Quaestio 1

Question unique : [L’Esprit Saint procède-t-il antérieurement et plus pleinement du Père que du Fils ?]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intellectum hujus partis tria quaeruntur : 1 utrum generatio filii praecedat aliquo modo processionem Spiritus sancti ; 2 utrum Spiritus sanctus prius vel plenius procedat a Patre quam a Filio ; 3 utrum procedat a Patre mediante Filio.

Pour comprendre cette partie, on cherche à répondre à ces trois questions :

1. Est-ce que la génération du Fils précède de quelque manière la procession de l’Esprit-Saint ?

2. Est-ce que l’Esprit-Saint pricède antérieurement et plus pleinement du Père que du Fils ?

3. Procède-t-il du Père par l’intermédiaire du Fils ?

 

 

Articulus 1 [936] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 tit. Utrum generatio sit prior processione

Article 1 – La génération est-elle antérieure à la procession ?

[937] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod generatio praecedat processionem. Principium enim processionis, ad minus naturaliter, est prius processione. Principium autem processionis Spiritus sancti est Filius, qui est terminus generationis ; ut supra dictum est, dist. 5, qu. 2, art. 1. Ergo generatio praecedit processionem.

Difficultés :

1. Il semble que la génération précède la procession. En effet le principe de la procession, au moins par nature, est antérieur à la procession elle-même. Mais le principe de la procession de l’Esprit-Saint est le Fils qui est le terme de la génération ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 5, quest. 2, art. 1]. Donc la génération précède la procession.

[938] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, cum sint duo agentia in rebus creatis, scilicet natura et propositum vel voluntas ; actio naturae praecedit actionem voluntatis, quia actio voluntatis fundatur super actionem naturae. Sed generatio Filii est a Patre per modum naturae ; processio Spiritus sancti ab utroque per modum voluntatis. Ergo generatio est prior processione.

2. En outre, puisqu’il y a deux agents dans les choses créées, à savoir la nature et le propos ou la volonté, l’action de la nature précède celle de la volonté car l’action de la volonté se fonde sur l’action de la nature. Mais la génération du Fils vient du Père par mode de nature, alors que la procession de l’Esprit-Saint vient des deux par mode de volonté. Donc la génération est antérieure à la procession.

[939] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 arg. 3. Praeterea, in anima est imago Trinitatis in qua processus notitiae a mente praecedit processum amoris. Sed processus notitiae repraesentat generationem Filii ; processus amoris processionem Spiritus sancti. Ergo ut prius.

3. De plus, il y a dans l’âme une image de la Trinité dans laquelle le processus de la connaissance par l’intelligence précède le processus de l’amour. Mais le processus de la connaissance représente la génération du Fils, alors que le processus de l’amour représente la procession de l’Esprit-Saint. La génération est donc représentée comme antérieure à la procession.

[940] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur in Littera, quod Spiritus sanctus non procedit jam nato Filio ; quod oporteret, si nativitas processionem praecederet.

Cependant :

1. On dit dans le document que l’Esprit-Saint ne procède pas après que le Fils soit déjà né, ce qui devrait se passer si la naissance précédait la procession.

[941] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet Filius ad Patrem in ratione ordinis, ita Spiritus sanctus ad filium. Sed Pater nullo modo prior est Filio, ut supra ostensum est, dist. 9, qu. 2, art. 1, nec intellectu nec dignitate nec tempore. Ergo nec Filius Spiritu sancto prior est. Ergo nec generatio processione : quia sicut se habet Filius ad Spiritum sanctum, ita generatio ad processionem.

2. De plus, sous le rapport de l’ordre, l’Esprit-Saint est au Fils ce que le Fils est au Père. Mais le Père n’est aucunement antérieur au Fils, ainsi que nous l’avons montré plus haut [dist. 9, quest. 2, art. 1], ni par l’intelligence, ni par la dignité, ni par le temps. Donc le Fils n’est pas antérieur à l’Esprit-Saint. Et la génération n’est donc pas antérieure à la procession car la génération est à la procession ce que le Fils est à l’Esprit-Saint.

[942] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, secundum Augustinum [contr. Maximinien., II, 14], in divinis non est aliquis ordo nisi ordo naturae. Ordo autem naturae est quo aliquis est ex alio, non quo aliquis est prior altero ; et ideo in divinis nullo modo potest aliquid altero prius dici. Et ratio hujus est, quia in divinis non potest considerari nisi id quod absolutum est, et hoc unum est et indivisibile, in quo prioritas vel posterioritas non invenitur vel id quod ad aliquid dicitur. Horum autem quae ad aliquid dicuntur, natura est ut sint simul tempore, intellectu, natura. Et ideo dicimus, quod generatio non est prior processione aliquo modo qui possit ad divina referri ; sed tantum secundum modum intelligendi, qui est in intellectu nostro tantum, accipiente generationem et processionem in divinis secundum similitudines repertas in creaturis, quae deficientes sunt ad repraesentandum generationem et processionem prout sunt in divinis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, d’après Augustin [Contre Maximien, 11, 14], qu’il n’y a en Dieu qu’un ordre de nature. Mais l’ordre de nature est celui par lequel une personne vient d’un autre et non pas celui par lequel une personne est antérieure à une autre. Et c’est pourquoi en Dieu il n’y a rien qui puisse être dit antérieur à un autre. Et la raison en est qu’en Dieu on ne peut considérer que ce qui est absolu, et cela est un et indivisible, où on ne peut retrouver de la  priorité ou de la postériorité ou ce qui se dit relativement. Mais pour les choses qui se disent relativement, leur nature est qu’elles soient simultanées par le temps, l’intelligence et la nature. Et c’est pourquoi nous disons que la génération n’est pas antérieure à la procession d’une manière qui pourrait se rapporter à Dieu, sauf seulement d’après le mode de comprendre qui n’existe que dans notre intelligence, en prenant la génération et la procession dans les Personnes divines d’après des ressemblances qu’on découvre dans les créatures qui sont incapables de représenter parfaitement la génération et la procession en tant qu’elles existent dans les Personnes divines.

[943] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod principium, secundum relationem principii non est eo prius cujus est principium aliquo modo ; sed id quod est principium, naturaliter est prius. Si autem ille qui est principium, ipsa relatione sit quis, vel persona distincta ; omnis prioritas removetur ab eo respectu illius cujus est principium ; et ita, cum Filius, ut supra dictum est, dist. 9, qu. 2, art. 1, ipsa sua relatione sit persona distincta, nullo modo est prior Spiritu sancto. Sed verum est quod propter ordinem naturae Spiritus sanctus est a Filio ; quamvis enim communis spiratio non sit proprietas personalis Filii, est tamen ipsa persona filii, sicut bonitas divina est ipse Deus ; et prima processio correspondens sibi est proprietas personalis Spiritus sancti.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que le principe, selon la relation de principe, n’est pas antérieur à ce dont il est le principe de quelque manière ; mais ce qui est le principe est naturellement antérieur. Mais si celui qui est le principe, par la relation elle-même est quelqu’un ou une personne distincte, toute antériorité disparaît de lui par rapport à ce dont il est le principe ; et ainsi, puisque le Fils , comme nous l’avons dit plus haut [dist. 9, quest. 2, art. 1], de par sa relation elle-même est une Personne distincte, l n’est nullement antérieur à l’Esprit-Saint. Mais il est vrai qu’en raison de l’ordre de nature  l’Esprit-Saint vient du Fils ; en effet, bien que la spiration commune ne soit pas une propriété personnelle du Fils, elle est cependant la personne même du Fils, tout comme la bonté divine est Dieu lui-même ; et la première procession qui lui correspond est la propriété personnelle de l’Esprit-Saint.

[944] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum et tertium, quod rationes illae deficiunt ex hoc quod similitudines inventae in creaturis non perfecte repraesentant ea quae sunt in Deo ; et hoc patet in proposito : quia non invenitur aliqua creatura quae ab eodem habeat quod ad aliquid dicatur, et sit in se subsistens.

2. Il faut dire en deuxième et troisième lieu que ces arguments sont faibles du fait que les similitudes qu’on découvre dans les créatures ne représentent pas parfaitement la réalité divine ; et cela est évident dans le propos car on ne retrouve aucune créature qui tienne du même principe de se dire relativement et de subsister en elle-même.

 

 

Articulus 2 [945] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus magis procedat a Patre quam a Filio

Article 2 – L'Esprit Saint procède-t-il plus du Père que du Fils ?

[946] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus magis procedat a Patre quam a Filio. Sicut enim dicit philosophus [in lib. De causis], omnis causa primaria plus est influens in suum causatum quam causa secundaria. Sed Filius est quasi secunda causa, Pater autem quasi primum principium, quod non est de aliquo. Ergo Spiritus sanctus magis procedit a Patre quam a Filio.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint procède davantage du Père que du Fils. Ainsi que le dit le Philosophe [Au sujet des Causes], toute cause première a plus d’influence sur son effet que la cause secondaire. Mais le Fils est comme une cause seconde, alors que le Père est comme le premier principe qui ne procède de rien. Donc, l’Esprit-Saint procède davantage du Père que du Fils.

[947] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, philosophus [in I Posteriorum, text. 5] : « propter quod unumquodque tale et illud magis ». Sed Filius hoc quod est principium Spiritus sancti habet a Patre. Ergo Pater magis est principium quam Filius.

2. En outre, le Philosophe [1 Seconds Analytiques, texte 5] dit : Ce à cause de quoi une chose est telle, cela l’est davantage. Mais le Fils tient du Père qu’il soit principe de l’Esprit-Saint. Donc le Père est davantage principe de l’Esprit-Saint que le Fils.

[948] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod est principium alicujus principaliter et proprie, videtur esse magis ejus principium quam illud quod non est ita. Sed, sicut dicitur in littera, Spiritus sanctus procedit a Patre principaliter et proprie ; non autem dicitur hoc de Filio. Ergo et cetera.

3. Par ailleurs, ce qui est principe d’une chose au premier titre et à proprement parler semble davantage en être principe que ce qui ne l’est pas de cette manière. Mias, comme on le dit dans le document, l’Esprit-Saint procède du Père à titre premier et à proprement parler ; mais on ne dit pas cela du Fils. Donc, etc.

[949] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Spiritus sanctus non habet aliquid quod non habeat a Patre ; habet autem aliquid quod non habet a Filio, hoc scilicet quod procedit a Patre. Ergo Spiritus sanctus magis procedit a Patre quam a Filio.

4. De plus l’Esprit-Saint ne possède rien qu’il ne tient pas du Père ; il possède cependant quelque chose qu’il ne tient pas du Fils, à savoir cela même qu’il procède du Père. L’Esprit-Saint procède donc davantage du Père que du Fils.

[951] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ubi est summa aequalitas, non potest esse magis et plenius. Sed inter Patrem et Filium est summa aequalitas. Ergo Spiritus sanctus non potest esse magis ab uno quam ab alio.

Cependant :

Par ailleurs, là où on retrouve l’égalité la plus grande, on ne peut retrouver du plus et une plus grande plénitude. Mais entre le Père et le Fils l’égalité est parfaite. Donc l’Esprit-Saint ne peut procéder davantage de l’un que de l’autre.

[952] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Spiritus sanctus nec prius nec plenius nec magis procedit a Patre quam a Filio. Et ratio hujus tota est, quia Pater et Filius sunt unum principium Spiritus sancti ; et ubi est unitas, non potest esse distinctio plenitudinis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’Esprit-Saint ne procède ni antérieurement, ni plus pleinement, ni davantage du Père que du Fils. Et toute la raison en est que le Père et le Fils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint ; et là où l’unité est présente il ne peut y avoir une différence de plénitude.

[953] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Pater quamvis dicatur principium Filii et Spiritus sancti, tamen non potest dici causa, proprie loquendo : causa enim semper ponit diversitatem essentiae, sicut patet in omnibus. Sed principium aliquod a quo aliquid fluit, est consubstantiale rei cujus est principium ; sicut dicimus, quod punctum est principium lineae, et cor principium animalis, et fundamentum domus ; et ideo propter consubstantialitatem Pater dicitur principium, sed non causa. Praeterea, causatum habet dependentiam ad causam. Sed principium importat originem quamdam, secundum quod dicitur principium, ex quo incipit aliquid. Item, quamvis dicatur principium, non tamen potest dici primum ; quia ibi non est aliquid prius et posterius, ut dictum est, dist. 9, quaest. 2, art. 1. Unde patet quod illa auctoritas non est ad propositum : quia Pater nec est causa nec primaria respectu Filii et Spiritus sancti. Si tamen in hoc non fiat vis, adhuc Pater et Filius respectu Spiritus sancti non se habent sicut duo principia, sed sicut unum ; et ideo nullus gradus inter eos invenitur in spirando Spiritum sanctum.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que bien qu’on dise du Père qu’Il est le principe du Fils et de l’Esprit-Saint, cependant on ne peut dire qu’il en est la cause à proprement parler : la cause en effet pose toujours une diversité d’essence ainsi qu’on le voit dans tous les cas. Mais un principe duqueel quqelque chose s’écoule est consubstantiel à la chose dont il est le princpe ; par exemple nous disons que le point est le principe de la ligne et que le cœur est le principe de l’animal et que les fondations sont le principe de la maison ; et c’est pourquoi c’est en raison de la consubstantialité qu’on dit du Père qu’Il est principe et non une cause. Par ailleurs, l’effet a une dépendance par rapport à sa cause. Mais le principe implique une certaine origine d’après laquelle il est dit principe et d’où procède quelque chose. En outre, bien qu’on dise du Père qu’il est principe, on ne peut dire de Lui qu’il est premier car il n’y a rien là qui soit antérieur et postérieur ainsi que nous l’avons dit [dist. 9, quest. 2, art. 1]. D’où il est clair que cette autorité n’a pas rapport au propos car le Père n’est ni cause ni premier par rapport au Fils et à l’Esprit-Saint. Si cependant il n’y avait pas de force dans ce raisonnement, ajoutons par ailleurs le Père et le Fils par rapport à l’Esprit-Saint ne se présentent pas comme deux principes, mais comme un seul ; et c’est pourquoi il ne se trouve entre eux aucun degré ou aucun rang dans la spiration de l’Esprit-Saint.

[954] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dictum philosophi verificatur, quando illud quod convenit alicui propter aliquid aliud, est diversum in utroque, et praecipue quando unum est causa alterius essentiali ordine causae ; tunc enim causalitas sua est respectu totius speciei, et non unius individui tantum, ut dicit Avicenna [IX Metaph., cap. II), sicut calor est magis in igne quam in corpore mixto, quia propter ignem est in corpore mixto. Sed quamvis Filius habeat a Patre hoc quod spirat Spiritum sanctum, nihilominus tamen non est hoc diversum in Patre et Filio ; quia eamdem virtutem spirativam, quam Pater habet, Filio communicat : et ideo per illam aequaliter Pater et Filius spiritum sanctum spirant. Et si etiam non esset una numero, sed specie tantum, ratio non valeret : sicut patet in omnibus univocis generationibus : non enim Pater Socratis plus influit in filium Socratis quam Socrates.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la parole du Philosophe se vérifie lorsque ce qui appartient à une chose en raison d’une autre est différent dans les deux, et surtout quand l’une est la cause de l’autre selon l’ordre essentiel de la cause ; alors en effet sa causalité est par rapport à toute l’espèce et non par rapport à un seul individu, ainsi que le dit Avicenne [1X Métaphysique, ch. 11], comme c’est le cas pour la chaleur qui est davantage dans le feu que dans le corps mixte parce que c’est à cause du feu qu’elle est dans le corps mixte. Mais bien que le Fils tienne du Père cela même qu’Il spire l’esprit-Saint, néanmoins cet acte n’est pas différent dans le Père et dans le Fils ; car c’est la même puissance de spiration que le Père possède et qu’Il communique au Fils : et c’est pourquoi le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint d’une manière égale au moyen de cette puissance. Et encore si elle n’était pas une par le nombre mais seulement par l’espèce, la raison ne tiendrait plus, comme on le voit dans tous les cas de génération univoque : en effet, le père de Socrate ne se répand pas davantage dans le fils de Socrate que Socrate lui-même.

[955] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Spiritus sanctus dicitur esse principaliter a Patre, quia in Patre est auctoritas spirationis, a quo etiam habet Filius virtutem spirativam, et non propter aliquem ordinem vel gradum prioritatis vel posterioritatis Patris et Filii. Similiter etiam propter eamdem rationem dicitur proprie procedere a Patre, maxime cum haec praepositio a apud Graecos notet relationem ad primam originem : unde apud eos non dicitur, quod lacus sit a rivo, sed quod est a fonte ; et inde est etiam, quod non concedunt, quod Spiritus sanctus sit a Filio, sed a Patre. Nihilominus tamen non est dicendum, quin etiam a Filio proprie procedat, qui cum Patre est unum principium Spiritus sancti. Non autem sic rivus et fons sunt unum principium laci.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’Il vient principalement du Père parce que c’est dans le Père que se trouve l’autorité de la spiration, de qui le Fils possède aussi la puissance de spiration, et non pas à cause d’un ordre ou d’un degré de priorité ou de postériorité du Père et du Fils. De la même manière encore, pour la même raison qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il procède proprement du Père, surtout à cause de cette préposition ¨a¨ qui désigne chez les Grecs une relation à l’origine première : c’est pourquoi chez eux on ne dit pas que le lac vient du ruisseau, mais qu’il vient de la source ; et c’est de là aussi qu’ils ne concèdent pas que l’Esprit-Saint vient du Fils, mais plutôt qu’Il vient du Père. Néamoins cependant il ne faut pas dire qu’il procède aussi proprement du Fils, lequel avec le Père est un unique principe de l’Esprit-Saint. Ce n’est cependant pas de cette manière que le ruisseau et la source sont un unique principe du lac.

[956] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Spiritus sanctus non aliter nec alia processione procedit a Patre quam a Filio : unde processio Spiritus sancti tota est a Filio, sicut etiam tota est a Patre. Unde non sequitur quod alia res sit in Spiritu sancto quae non sit a Filio. Sed verum est quod illa processio non est a Filio secundum omnem sui habitudinem, sed hoc in nullo derogat plenitudini processionis. Accidit enim processioni Spiritus sancti quod secundum habitudinem qua est a Filio, sit a Patre : non quia a Filio est Spiritus sanctus, sed quia Filius est a Patre.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’Esprit-Saint ne procède pas du Père autrement qu’Il procède du Fils, ni par une autre procession : de là, la procession de l’Esprit-Saint vient totalement du Fils tout comme elle vient aussi totalement du Père. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il y ait autre chose dans l’Esprit-Saint qui ne viendrait pas du Fils. Mais il est vrai que ce n’est pas selon toute sa nature que cette procession vient du Fils mais cela n’enlève rien à la plénitude de la procession. Il est accidentel en effet à la procession de l’Esprit-Saint que selon le rapport sous lequel elle vient du Fils, elle vienne aussi du Père : ce n’est pas parce que l’Esprit-Saint vient du Fils, mais parce que le Fils vient du Père.

 

 

Articulus 3 [957] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 tit. Utrum Spiritus sanctus procedat a Patre mediante Filio ?

Article 3 – L'Esprit Saint procède-t-il du Père par l'intermédiaire du Fils ?

[958] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus procedat a Patre mediante Filio. Illud enim per quod aliquid procedit, videtur esse medium in processione. Sed Spiritus sanctus procedit a Patre per Filium. Ergo procedit a Patre mediante Filio.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint procède du Père par l’intermédiaire du Fils. En effet, ce par quoi quelque chose procède se présente comme un intermédiaire dans la procession. Mais l’Esprit-Saint procède du Père par le Fils. Il en procède donc par l’intermédiaire du Fils.

[959] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, constat quod tertium non exit a primo, nisi per medium. Sed Spiritus sanctus dicitur esse tertia persona in Trinitate. Ergo non procedit a Patre, qui est principium non de principio, nisi mediante Filio.

2. De plus, il est clair qu’un troisième ne sort d’un premier que par un intermédiaire. Mais on dit que l’Esprit-Saint est la troisième personne de la Trinité. Donc, Il ne procède du Père, lequel est un principe sans principe, que par l’intermédiaire du Fils.

[960] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in imagine creata amor repraesentat Spiritum sanctum, et notitia Filium. Sed amor non procedit a mente nisi mediante notitia. Ergo nec Spiritus sanctus a Patre nisi Filio mediante.

3. En outre, dans l’image créée l’amour représente l’Esprit-Saint, et la connaissance représente le Fils. Mais l’amour ne procède de l’intelligence que par l’intermédiaire de la connaissance. Donc l’Esprit-Saint ne procède du Père que par l’intermédiaire du Fils.

[961] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 arg. 4 Sed contra, videtur quod immediatius procedit a Patre quam a Filio. Immediatum enim principium dicitur principalius quam mediatum, ut patet in primis propositionibus, quae immediatae dicuntur. Sed Spiritus sanctus procedit principaliter a Patre. Ergo immediatius procedit ab ipso quam a Filio.

4. Au contraire, il semble que l’Esprit-Saint procède plus immédiatement du Père que du Fils. On dit en effet du principe immédiat qu’il est un principe plus premier que celui qui est médiat, ainsi qu’on le voit pour les propositions premières qu’on appelle immédiates. Mais l’Esprit-Saint procède premièrement du Père. Donc, il procède plus immédiatement du Père que du Fils.

[962] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod omne medium aliquo modo distinguitur ab his inter quae medium dicitur. Cum autem in spiratione Pater et Filius sint duo spirantes, inquantum sunt unum in potentia spirativa, possumus loqui de actu spirationis per comparationem ad ipsos spirantes, vel ad principium spirandi sicut virtute cujus fit spiratio. Si autem consideremus ipsum principium, scilicet potentiam spirativam, cum in hoc non distinguantur Pater et Filius, non potest dici spiratio esse a Patre mediante Filio.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout intermédiaire se distingue de quelque façon  des extrêmes entre lesquels il est dit être intermédiaire. Mais comme dans la spiration le Père et le Fils sont deux agents de spiration, selon qu’Ils sont un dans la puissance de spiration, nous pouvons parler de l’acte de spiration par rapport aux agents eux-mêmes ou par rapport au principe de spiration comme à la puisssance d’où vient la spiration. Mais si nous considérons le principe lui-même, à savoir la puissance de spiration, puisqu’en cela le Père et le Fils ne se distinguent pas, on ne peut dire que la spiration vient du Père par l’intermédiaire du Fils.

Si autem consideremus ipsos spirantes qui distincti sunt, et secundum hoc praebent suppositum spirationi, sic est ibi mediatio, secundum quod est ibi ordo naturae : quia Filius est ex Patre, et Spiritus sanctus simul a Patre et Filio. Unde dicit Richardus (V de Trinitate, cap. VI et VII), quod generatio in divinis est a Patre immediate ; sed processio Spiritus sancti quodammodo est mediate et quodammodo immediate. Immediate quantum ad virtutem spirativam, quae est una patris et Filii, et iterum quantum ad ipsum suppositum Patris quod immediate est principium processionis, quia ipse simul et Filius spirant. Sed mediate, inquantum Filius, qui spirat, est a Patre.

Mais si nous considérons ceux-là même qui posent cette opération et qui sont distincts, et qui en cela fournissent un suppôt à la spiration, alors il y a là une médiation selon qu’il y a là un ordre de nature : car le Fils vient du Père et l’Esprit-Saint vient simultanément du Père et du Fils. C’est pourquoi Richard dit [V De la Trinité, ch.  VI et  VII] que la génération dans les Personnes divines vient immédiatement du Père, mais que le procession de l’Esprit-Saint est en un sens médiate et en un autre sens immédiate. Elle est immédiate quant à la puissance de spiration qui est une seule spiration du Père et du Fils et aussi quant au suppôt même du Père qui est immédiatement le principe de la procession car c’est Lui et le Fils qui posent simultanément cette opération. Mais elle est médiate en tant que le Fils, qui pose cette opération, vient du Père.

[963] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod per hoc quod dicitur, Spiritum sanctum procedere a Patre per filium, designatur auctoritas in Patre respectu Filii ; quia Filius habet a Patre quod Spiritum sanctum spiret. Ex hoc autem non ponitur mediatio aliqua nisi ex parte suppositorum, quae distinguuntur per hoc quod unum est ab alio, ratione cujus in uno est auctoritas respectu alterius.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint procède du Père par le Fils, on désigne l’autorité du Père apr rapport au Fils ; car c’est du Père que le Fils tient son opération de spiration de l’Esprit-Saint. Et c’est à cause de cela qu’il n’y a lieu de poser une médiation que du côté des suppôts eux-mêmes qui se distinguent par ceci que l’un vient de l’autre, en raison de quoi l’autorité est dans l’un par rapport à l’autre.

[964] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Spiritus sanctus uno modo, ut dictum est, procedit a Patre mediante Filio : sed hoc non excludit quin etiam immediate a Patre procedat, ut dictum est, in corp. art. praeced.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’Esprit-Saint procède en un sens du Père par l’intermédiaire du Fils comme nous l’avons dit ; mais cela  n’empêche pas qu’il procède aussi immédiatement du Père, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent.

[965] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod imago quae est in anima, deficienter repraesentat Trinitatem ; notitia enim est omnino distincta a mente ; et ideo simpliciter amor a mente mediante notitia procedit. Sed in divinis personis Filius non quantum ad omnia distinguitur a Patre ; et ideo secundum aliquid non est ibi mediatio.

3. Il faut dire en troisième lieu que l’image qui est dans l’âme représente faiblement la Trinité ; la connaissance en effet est absolument distincte de l’intelligence ; et c’est pourquoi l’amour procède   de l’intelligence par l’intermédiaire de la connaissance. Mais dans les Personnes divines le Fils ne se distingue pas du Père sous tous les rappports ; et c’est pourquoi sous certains rapports il n’y a pas médiation.

[966] Super Sent., lib. 1 d. 12 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quando sunt multae causae agentes ordinatae, possunt dupliciter considerari, secundum quod est duo invenire in agente, scilicet ipsum agens quod exercet actionem, et virtutem ipsius quae est principium actionis impositio. Si igitur considerentur causae agentes ordinatae secundum rationem agentis cujus est agere, sic quanto agens est posterius, tanto magis est proximum et immediatum ad actionem, et ad id quod per actionem educitur.

4. Il faut dire en quatrième lieu que lorsqu’il y a multiplicité de causes agentes ordonnées, elles peuvent être considérées de deux manières, selon qu’il y a deux aspects qui se trouvent dans l’agent, à savoir l’agent lui-même qui exerce l’action et la puissance de ce dernier qui est le principe de l’action à laquelle elle s’applique. Si donc on considère les causes agentes ordonnées sous le rapport de l’agent auquel il appartient d’agir, alors l’agent est d’autant plus prochain et immédiat par rapport à l’action et à ce qui est amené par l’action qu’il est postérieur.

Si autem considerentur quantum ad virtutem quae est principium operationis, quanto causa est magis prima, tanto est magis immediata, eo quod agens secundum non agit, nisi inquantum est motum a primo, et secundum quod virtus primi est in ipso. Unde oportet ut semper resolvatur virtus ultimi agentis in virtutem agentis primi. Verbi gratia, quod planta generat plantam hoc habet a virtute solis, et quod sol moveat ad generationem plantae, habet a virtute motoris sui quicumque sit ille.

Mais si ces causes sont considérées quant à la vertu qui est le principe de l’action, alors la cause est d’autant plus immediate qu’elle est antérieure du fait que l’agent second n’agit que dans la mesure où il est mû par le premier et dans la mesure où la puissance du premier est en lui. C’est pourquoi il faut toujours que la puissance du dernier agent soit ramenée à la puissance du premier agent. En d’autres mots, que la plante engendre une plante, elle le tient de la puissance du soleil, et que le soleil  provoque la génération d’une plante, il le tient de la puissance de son agent, quel qu’il soit.

Et inde est quod quia Deus est agens primum, ipse immediatius se habet secundum virtutem suam ad quamlibet operationem naturae, quam aliquod agens naturale. Et inde est etiam quod propositiones primae dicuntur immediatae, quia praedicatum non conjungitur subjecto per virtutem alterius causae praecedentis. Inde est etiam quod haec praepositio per, quae denotat causam mediam, quandoque notat auctoritatem in recto, quandoque in obliquo : in recto, ut cum dicitur : rex facit hoc per balivum ; tunc enim mediatio attenditur quantum ad ipsos operantes. In obliquo, cum dicitur : praepositus facit hoc per regem.

Et il suit de là que parce que Dieu est l’agent premier, c’est lui qui selon sa puissance est une cause plus immédiate que tout agent naturel par rapport à toute opération de la nature. Et il s’ensuit encore qu’on appelle imémédiates les propositions premières parce que le prédicat n’est pas rattaché au sujet par la puissance d’une autre cause antérieure. D’où il suit encore que cette préposition ¨par¨, qui signifie une cause intermédiaire, signifie parfois une autorité directe, parfois une autorité indirecte : directe, comme lorsqu’on dit : le roi fait cela par son bailli : alors en effet la médiation se prend quant à ceux-là mêmes qui posent l’opération. Mais elle signifie une autorité indirecte comme lorsqu’on dit : l’intendant fait cela par le roi.

Hic enim consideratur mediatio quantum ad virtutem, quae est principium operationis. Virtus enim superioris est quasi medium, per quod operans suae operationi conjungitur ; in Patre autem et in Filio non est accipere distinctionem quantum ad principium operationis, quia illud est idem in utroque, scilicet divina potentia ; sed solum quantum ad operantes, qui sunt ad invicem distincti. Et ideo, cum in Patre sit auctoritas, dicitur Pater operari per filium, et nullo modo Filius per Patrem. Inde est etiam quod secundum aliquem modum Filius est medium in operatione Patris, sed Pater nullo modo in operatione Filii.

Alors dans ce cas en effet la médiation se prend du côté de la puissance qui est le principe de l’opération. En effet la puissance de la cause supérieure est comme un intermédiaire par lequel celui qui pose l’opération est rattaché à son opération; mais il n’y a pas à chercher de distinction dans le Père et dans le Fils quant au principe de l’opération car c’est la même puissance numériquement parlant qui existe dans les deux, à savoir la puissance divine; mais il n’y a distinction que du côté de ceux qui posent l’opération et qui sont distincts entre eux. Et c’est pourquoi, puisque l’autorité est dans le Père, on dit que le Père opère par le Fils et en aucune manière que le Fils opère par le Père. Et c’est pourquoi encore, en un certain sens, le Fils est un intermédiaire dans l’opération du Père, mais le Père ne l’est nullement dans l’opération du Fils.

 

 

Distinctio 13

Distinction 13 – [la procession du Saint Esprit – suite]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intelligentiam hujus partis, quatuor quaeruntur : 1 utrum in Deo sit aliqua processio ;

2 si est, utrum sit una tantum vel plures ;

3 qualiter duae processiones nominari debeant ;

4 si Spiritus sanctus, qui procedit, non dicatur genitus, utrum debeat dici ingenitus.

Pour comprendre cette partie, on cherche à répondre à quatre questions :

1. Y a-t-il une procession en Dieu?

2. Y en a-t-il une seule ou plusieurs ?

3. De quelle manière les deux processions doivent-elles être nommées ?

4. Est-ce qu’on doit dire de l’Esprit-Saint qui procède et n’est pas engendré, qu’Il est inengendré ?

 

 

Quaestio 1

Question unique : [La procession du Saint Esprit]

 

 

Articulus 1 [969] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 tit. Utrum processio sit in Deo.

Article 1 – Y a-t-il une procession en Dieu ?

 

[970] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit processio. Processio enim dicit motum quemdam processivum. Omnis autem motus indigentiae et imperfectionis est, et Deo non competit. Ergo in Deo non est processio.

Difficultés :

Il semble qu’il n’y ait pas de procession en Dieu. En effet, qui dit procession dit un certain mouvement progressif. Mais tout mouvement relève d’un manque et d’une imperfection et n’appartient pas à Dieu. Il n’y a donc pas de procession en Dieu.

[971] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, processio dicit exitum unius ab alio. Exitus autem est per distantiam exeuntis ab eo ex quo exit. Cum igitur in divinis personis sit omnino indistantia, videtur quod ibi non sit processio.

2. En outre, toute procession implique qu’un être sorte d’un autre. Mais une sortie se réalise par une distantiation de celui qui sort par rapport à celui d’où il sort. Donc, puisqu’en Dieu il n’y a absolument aucune distance, il semble qu’il n’y ait là aucune procession.

[972] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis processio est ab aliquo in aliquid. Sed divinae personae cum sint per se subsistentes, non sunt ab aliquo in aliquid. Ergo videtur quod non conveniat eis procedere.

3. De plus, toute procession a lieu d’un être à un autre. Mais les Personnes divines, puisqu’elles subsistent par elles-mêmes, n’existent par par un passage d’un être à un autre. Il semble donc qu’il ne leur appartient pas de procéder.

[973] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, Joan. 15, 26 : cum venerit Paraclitus, quem ego mittam a patre, spiritus veritatis, qui a patre procedit. Ergo et cetera.

Cependant :

1. Jean (15, 26) dit dans son évangile : Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité, qui procède du Père…Donc, il y a bien procession en Dieu.

[974] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, in anima est imago Trinitatis. Sed in anima invenitur notitia procedere a mente, et amor ab utroque. Videtur ergo quod sit processio etiam in divinis personis.

2. Par ailleurs, il y a dans l’âme une image de la Trinité. Mais dans l’âme il se trouve que la connaissance procède de l’intelligence, et l’amour procède de ces deux dernières. Il semble donc qu’il y ait procession même chez les Personnes divines.

[975] Super Sent., lib. 1 d. 13 q.

1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod processio dicitur dupliciter :

uno modo dicit motum localem qui proprie est motus animalis motu progressivo, et talis processio non potest esse in divinis, nisi metaphorice loquendo : secundum similitudinem enim talis processionis dicitur divina sapientia vel bonitas procedere in creaturas, secundum quod similitudinem suam gradatim efficit in illis ; secundum quem modum quaedam Deo aliis similiora sunt.

Alio modo dicitur processio eductio principiati a suo principio ; et cum in divinis personis una sit ab alia sicut a principio, per modum istum proprie est processio in divinis.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que le terme de procession se dit en deux sens:

Il se dit premièrement à la manière du mouvement local qui est proprement celui de l’animal qui se meut d’un mouvement progressif, et une telle procession ne peut exister en Dieu, si ce n’est en un sens métaphorique: c’est à la resemblance d’une telle procession qu’on dit de la sagesse ou de la bonté divine qu’elle procède dans les créatures selon qu’elle imprime peu à peu sa resemblance en elles; et selon ce mode certaines créatures ressemblent davantage à Dieu que d’autres.

Mais en un autre sens le terme de procession se dit de la sortie d’un principe de ce qui en résulte; et comme en Dieu une personne vient d’une autre comme de son principe, c’est de cette manière qu’on retrouve proprement une procession en Dieu.

[976] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in creaturis quaelibet processio est per aliquem motum vel mutationem ; quia nec aliquid localiter procedit nisi per motum, nec aliquid a causa sua egreditur nisi aliqua mutatione contingente circa ipsum a quo egreditur, si sit de essentia ejus, vel saltem circa id quod egreditur. In divinis autem est origo unius personae ab alia sine aliqua mutatione, ut supra de generatione dictum est, dist. 4, quaest. 1, art. 1, cum nihil praedicetur de Deo secundum id quod imperfectionis est in ipso.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que dans les créatures toute procession se réalise par un mouvement ou un changement ; car ce n’est que par le mouvement que quelque chose procède selon le lieu et ce n’est que par un changement se produisant sur cela même d’où elle sort qu’une chose sort de sa cause si elle est de même essence qu’elle, ou au moins sur cela même qui en sort.

[977] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in divinis personis non sit distantia secundum locum neque secundum essentiam, est tamen distinctio in personis secundum proprietates personales ; et hoc sufficit ad rationem processionis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que dans les Personnes divines il n’y ait distance ni selon le lieu ni selon l’essence, il y a cependant une distinction entre elles d’après les propriétés personnelles. Et cela suffit à la notion de procession.

[978] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod processio localis est in aliquid sicut in terminum motus ; sed quod procedit a causa, non oportet quod in alterum procedat, et sic sumitur processio in divinis.

3. Il faut dire en troisième lieu que la procession locale est dans une chose comme dans le terme du mouvement ; mais ce qui procède d’une cause ne procède pas nécessairement dans un autre et c’est en ce sens que se prend la procession dans les Personnes divines.

 

 

[979] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 tit. Utrum processio divina sit tantum una

Article 2 – N'y a-t-il qu'une seule procession en Dieu ?

[980] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in divinis una tantum sit processio. Sicut enim paternitas notat proprietatem originis, ut a quo est aliquis ; ita processio, ut qui est ab alio. Sed supra dictum est, dist. 7, quaest. 2, art. 2, quod in divinis non potest esse nisi una paternitas. Ergo nec nisi una processio.

Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait qu’une seule procession en Dieu. En effet, tout comme la paternité désigne une propriété d’origine, comme celui d’où vient un être, de même la procession désigne la propriété d’origine comme celui qui vient d’un autre. Mais nous avons dit plus haut [dist. 7, quest. 2, art. 2] qu’il ne peut y avoir qu’une paternité en Dieu. Il ne peut donc y avoir qu’une seule procession.

[981] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in omnibus habentibus unam naturam in specie, non est nisi unus modus quo natura illa communicatur ; unde etiam dicit Commentator 8 Physic., quod mures qui generantur ex putrefactione terrae, et qui generantur ex semine, non sunt ejusdem speciei. Sed per processionem personarum communicatur natura divina, quae est una tantum non solum in specie, sed etiam in numero. Ergo non est nisi unus modus processionis in divinis.

2. Par ailleurs, pour tous les êtres qui possèdent une même nature dans l’espèce, il n’y a qu’une seule manière par laquelle cette nature est communiquée ; c’est pourquoi le Commentateur dit aussi [8 Physique] que les souris qui sont engendrées par la putréfaction de la terre et celles qui sont engendrées à partir d’une semence ne sont pas de même espèce. Mais par la procession des Personnes c’est la nature divine qui est communiquée, laquelle est unique non seulement par l’espèce mais aussi par le nombre. Il n’y a donc qu’une seule forme de procession dans les Personnes divines.

[982] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, operationes vel actus distinguuntur ad invicem penes terminos et penes principia. Sed processio in divinis est semper ab eodem principio, quia omnis processio est virtute naturae ipsius producentis ; est etiam ad eumdem terminum per processionem acceptum, quia in processione divina semper accipitur divina natura. Ergo videtur quod non sit nisi una processio in divinis.

3. En outre, les opérations ou les actes se distinguent les uns des autres par les termes et par les principes. Mais la procession en Dieu vient toujours d’une même principe car toute procession vient de la puissance de la nature de celui-là même qui produit ; et par la procession c’est toujours le même terme qui est atteint car dans la procession divine c’est toujours à la nature divine qu’on aboutit. Il semble donc qu’il n’y ait qu’une seule procession en Dieu.

 

[983] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, si sunt duae processiones, aut differentiam habebunt ex parte essentiae, aut ex parte relationum, cum non sint plura in divinis. Sed ex parte essentiae non invenitur diversitas nisi rationis secundum pluralitatem attributorum ; diversitas autem rationis non causat pluralitatem realem, qualem oportet esse processionum duarum, secundum quas duae personae realiter distinctae procedunt. Ergo ex parte essentiae non potest sumi realis diversitas processionum. Similiter nec ex parte relationum ; relationes enim secundum rationem intelligendi consequuntur processiones ; eo enim Filius est, quia a Patre procedit. Ergo videtur quod nullo modo possunt esse processiones plures in divinis.

4. De plus, s’il y a deux processions, ou bien elles se différencieront du côté de l’essence, ou bien du côté des relations, car il n’y a rien d’autre en Dieu. Mais du côté de l’essence on ne retrouve qu’une différence de raison d’après la multiplicité des attributs ; mais une différence de raison n’entraîne pas une multiplicité réelle qu’il doit y avoir pour qu’il y ait deux processions d’après lesquelles deux Personnes réellement distinctes procèdent. Une différence réelle de processions ne peut donc se tirer du côté de l’essence. Elle ne peut non plus se tirer du côté des relations puisque les relations en effet, selon la manière de les comprendre, découlent des processions ; c’est parce qu’Il procède du Père que le Fils existe comme Fils. Il semble donc qu’en aucune manière il ne peut y avoir plusieurs processions en Dieu.

[984] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, secundum unam processionem est unus tantum procedens. Sed in divinis sunt duae personae procedentes, scilicet Filius et Spiritus sanctus, ut habetur in littera. Ergo videtur quod oportet esse duas processiones.

Cependant :

1. Au contraire, un seul être procède d’une seule et même procession. Mais en Dieu il y a deux personnes qui procèdent, à savoir le Fils et l’Esprit-Saint, ainsi qu’on l’établit dans le document. Il semble donc qu’il faut qu’il y ait deux processions.

[985] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt quod istae duae processiones realiter distinguuntur, nec oportet quaerere quo distinguantur, quia sunt prima distinguentia personas ; sicut nec quaerimus quo distinguuntur rationale et irrationale. Sed hoc non videtur conveniens : quia generatio et processio nullam habent oppositionem ad invicem ; omnis autem distinctio formalis est secundum aliquam oppositionem. Et praeterea processio et generatio significantur per modum operationum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que certains disent que ces deux processions se distinguent réellement et qu’il ne faut pas chercher par quoi elles se distinguent parce qu’elles sont premières à distinguer les personnes, tout comme nous ne cherchons pas à savoir par quoi se distinguent le rationnel et l’irrationnel. Mais cela ne semble pas juste car la génération et la procession ne s’opposent nullement entre elles ; mais toute distinction formelle implique une opposition. Et dès lors la procession et la génération signifient par mode d’opération.

Hoc autem non convenit, ut per operationes vel motus, distinguantur operantia vel operata ; sed magis e converso, quia actiones differunt specie secundum formas agentium, ut calefacere et infrigidare, et motus secundum terminos. Et ideo alii dicunt quod differentia sumitur ex hoc quod generatio est processio naturae, et processio Spiritus sancti est processio voluntatis. Sed hoc etiam non competit : quia voluntas et natura in divinis solum ratione distinguuntur.

Mais il ne convient pas que ce soit par les opérations ou par les mouvements que se distinguent ceux qui posent les opérations et les œuvres ; mais c’est plutôt l’inverse car les actions, comme réchauffer et refroidir, diffèrent par l’espèce d’après les formes des agents, et les mouvements diffèrent d’espèce d’après leurs termes. Et c’est pourquoi d’autres disent que la différence se tire de ceci que la génération est une procession de la nature alors que la procession de l’Esprit-Saint est une procession de la volonté. Mais cela non plus n’est pas valable car la nature et la volonté ne se distinguent en Dieu que par la raison.

Unde talis distinctio, realis distinctionis ratio esse non potest, quia principium non est debilius principiato. Et praeterea secundum hoc processio intellectus, secundum quam dicitur Verbum, esset alia a processione naturae, secundum quam dicitur Filius. Et ideo dicendum, quod in divinis non potest esse aliqua realis distinctio et pluralitas, nisi secundum relationes originis.

C’est pourquoi une telle distinction ne peut être la raison d’une distinction réelle car le principe n’est pas plus faible que ce qui en résulte. Et par la suite suivant cela la procession de l’intelligence d’après laquelle se dit le Verve serait autre que la procession de la nature selon laquelle se dit le Fils. Et c’est pourquoi il faut dire qu’en Dieu il ne peut y avoir une distinction réelle et une multiplicité que d’après les relations d’origine.

Et ideo secundum hoc nos oportet investigare pluralitatem procedentium et processionum. Dico igitur secundum hoc, quod est in divinis aliqua processio secundum quam una persona procedit ab una ; et haec est processio generationis, secundum quam Filius est a Patre ; et ideo dicitur esse per modum naturae vel intellectus ; procedit enim ut Filius, et ut Verbum : quia in utroque modo istarum processionum, scilicet naturae et intellectus, est unius ab uno processio. Item est aliqua processio in divinis quae est simul a duobus, scilicet ab eo qui procedit et ab eo a quo procedit ; et haec distinguitur a prima secundum originem ; quia ista secunda processio est a procedente secundum processionem praedictam, quae est per modum naturae.

Et c’est pourquoi suivant cela il nous faut rechercher la multiplicité de ceux qui procèdent et des processions. Je dis donc suivant cela qu’il y a en Dieu une procession d’après laquelle une seule Personne procède d’une seule autre et c’est là la procession de la génération d’après laquelle le Fils vient du Père ; et c’est pourquoi on dit que c’est là une procession par mode de nature ou d’intelligence ; cette Personne en effet procède en tant que Fils et en tant que Verbe : car dans chacune de ces deux sortes de processions, à savoir celle de la nature et celle de l’intelligence, un seul être procède d’un seul autre. Il y a en outre en Dieu une procession qui vient simultanément de deux autres, à savoir de celui qui procède et de celui duquel il procède ; et cette procession se distingue de la première d’après l’origine ; car cette deuxième procession vient de ce qui procède d’après la procession précédente et qui opère par mode de nature.

Et inde est quod ista processio dicitur per modum voluntatis esse, quia per consensum ex duobus volentibus potest unus amor procedere. Et secundum istos modos diversos originis, producuntur plures personae relatione originis distinctae, scilicet Filius, qui est a Patre, et Spiritus sanctus, qui est ab utroque. Unde concedo quod nisi Spiritus sanctus esset a Filio, non esset assignare distinctionem realem inter Filium et Spiritum sanctum.

Et c’est pourquoi on dit que cette procession a lieu par mode de volonté, car c’est de l’accord de deux volontés que peut procéder un unique amour. Et c’est d’après ces différentes sortes d’origine que sont produites plusieurs Personnes qui se distinguent par une relation d’origine : le Fils qui vient du Père, et le Saint-Esprit qui vient du Père et du Fils. C’est pourquoi nous concédons qu’il n’y a lieu d’assigner une distinction réelle entre le Fils et l’Esprit-Saint que parce que l’Esprit-Saint vient du Fils.

[986] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod paternitas dicit modum determinatum originis, qui ulterius non potest multiplicari secundum diversam rationem originis, sed tantum secundum materiam, ut diversificetur in numero ; sed processio dicit originem in communi, et potest secundum duos modos originis determinari ; scilicet quod sit processio unius ab uno non procedente, et quod sit processio etiam a procedente. Plures modi non possunt inveniri qui distinguantur ex ratione originis ; et ideo non possunt esse plures processiones in divinis quam duae. Si enim acciperetur processio ab uno procedente vel pluribus, non esset differentia nisi secundum unum et plura, quae differentia nullo modo ad originem pertinet, sicut si divideretur gressibile, non per bipes et quadrupes, sed per album et nigrum.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la paternité renvoie à un mode déterminé d’origine qui ne peut par la suite se multiplier d’après une notion différente d’origine, mais seulement d’après la matière pour se différencier par le nombre ; mais c’est dans l’universel que la procession renvoie à l’origine et elle peut être précisée suivant deux modes ; à savoir le premier où un seul être procède d’un seul autre qui ne procède pas et le second cas où il y a procession même de ce qui procède. On ne peut trouver davantage de sortes de processions qui se distinguent par la notion d’origine et c’est pourquoi il n’y a pas plus que deux processions en Dieu. Si en effet on prenait une procession venant d’un seul  principe qui procède ou de plusieurs, il n’y aurait de différence que selon l’un et le multiple, différence qui ne renvoie nullement à l’origine, par exemple si on divisait les animaux qui marchent non pas en bipèdes et quadrupèdes, mais en blancs et noirs.  

 [987] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in natura creata est duplex communicatio : una quae est per modum naturae, et alia quae est per modum amoris. Non autem in utraque communicationum communicatur natura, sed tantum in ea quae est per modum naturae. Ex imperfectione autem voluntatis creatae est quod non potest communicari per eam natura ; quia illud quod procedit per modum voluntatis, scilicet amor, non est hypostasis per se subsistens, sicut in divinis ; et ideo ex perfectione divinae naturae est quod communicetur non tantum per actum naturae, qui est generatio, sed per actum voluntatis, qui est consensus amoris.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans la nature créée il y a deux sortes de communications : la première qui est par mode de nature et la deuxième qui est par mode d’amour. Et ce n’est pas dans les deux sortes de communications que la nature est communiquée, mais seulement dans celle qui est par mode de nature. C’est en raison de l’imperfection de la volonté créée que la nature ne peut être comuniquée par cette dernière ; car ce qui procède par mode de volonté, à savoir l’amour, n’est pas une hypostase qui subsiste par elle-même comme c’est le cas en Dieu ; et c’est pourquoi c’est en raison de la perfection de la nature divine que cette dernière est communiquée non seulement par l’acte de nature qui est la génération mais aussi par l’acte de volonté qui est l’accord de l’amour.

[988] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod distinguuntur processiones in divinis et penes principium et penes terminum [finem Éd. de Parme]. Ut enim superius dictum est, quamvis natura divina sit principium generationis in Patre, non tamen absolute sub ratione naturae, sed sub ratione paternitatis. Et similiter natura, inquantum est natura divina, quae accipitur [Et similiter a natura divina, inquantum est natura quae acquiritur Éd. de Parme] in Filio per generationem, non habet Filius quod sit Filius, sed ab eo quod natura in Filio secundum rem est ipsa filiatio. Et ita patet quod ipsae relationes se habent aliquo modo ut principium et ut terminus ad ipsas processiones.

3. Il faut dire en troisième lieu que les processions en Dieu se distinguent à la fois par le principe et par le terme [la fin Éd. de Parme]. En effet, ainsi que nous l’avons dit plus haut, bien que la nature divine soit le principe de la génération dans le Père, ce n’est cependant pas d’une manière absolue nous la notion de nature, mais sous la notion de paternité. Et de la même manière la nature, selon qu’elle est la nature divine, qui est reçue [Et de la même manière c’est de la nature divine, selon qu’elle est la nature qui est acquise Éd. de Parme] dans le Fils par la génération ne fait pas que le Fils soit le Fils, mais que par là la nature qui est reçue dans le Fils est selon la chose la filiation elle-même. Et ainsi il est clair que le relations  elles-mêmes se présentent d’une certaine manière comme principe et comme terme par rapport aux processions.

[989] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, cum secundum processiones distinguantur personae, quae realiter plures sunt, non potest dici quod processiones re non differunt sed ratione tantum. Nihil enim causat distinctionem majorem, formaliter loquendo, quam sit distinctio qua distinguuntur ipsa ad invicem. Sed sicut proprietates personales, secundum quod comparantur ad essentiam, sunt idem re, quia sunt divina essentia, a qua tantum ratione differunt ; secundum autem quod ad aliquid dicuntur, sunt secundum rem plures ; ita est etiam de processionibus : quia secundum quod comparantur ad naturam ut principium vel terminum [terminus Éd. de Parme], non distinguuntur nisi ratione, secundum quod dicitur in Deo voluntas et natura ratione differre ; sed quia comparantur etiam ad proprietates relativas sicut ad principium vel terminum, ut dictum est, dist. 2, qu. 1, art. 5, ideo ex hoc etiam habent realem differentiam.

4. Il faut dire en quatrième lieu que puisque c’est d’après les processions que se distinguent les personnes, lesquelles sont réellement multiples, on ne peut dire que les processions diffèrent seulement par la raison et non pas réellement. Rien en effet ne cause une différence majeure, à parler formellement, si ce n’est la distinction par laquelle les Personnes se distinguent l’une de l’autre. Mais tout comme les propriétés personnelles, selon qu’elles se comparent à l’essence, sont identiques par la chose parce qu’elles sont l’essence divine de laquelle elles diffèrent seulement par la raison, mais selon qu’elles se disent relativement elles sont réellement multiples, il en est de même aussi des processions : car selon qu’elles se comparent à la nature comme principe ou terme [terme Éd. de Parme], elles ne se distinguent que par la raison, selon qu’on dit que la volonté et la nature en Dieu ne diffèrent que par la raison ; mais parce qu’elles se comparent aussi aux propriétés relatives comme à leur principe ou à leur terme ainsi que nous l’avons dit [dist. 2, quest. 1, art. 5], c’est pourquoi elles tiennent aussi de cela une différence réelle.

[990] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 2 ad s. c. 1 Quod ergo objicitur, quod relationes consequuntur processiones, unde magis videtur quod processiones diversae causent diversitatem relationum, quam e converso ; vel ad minus erit ibi circulatio : dicendum, quod relatio in divinis non tantum habet quod sit relatio, sed etiam quod sit personalis, idest constituens personam ; et ex hoc habet quasi actum differentiae constitutivae et formae propriae ipsius personae, cujus est operatio generationis vel spirationis ; et ideo non est inconveniens quod secundum relationis rationem relationes consequantur ipsas processiones, et recipiant differentiam ab eis ; secundum autem quod sunt formae propriae ipsarum personarum, causent differentiam processionum.

1. Ce qui et présenté comme objection, à savoir que les relations découlent des processions, d’où il semble davantage que les processions différentes causent la diversité des relations plutôt que l’inverse, ou au moins qu’il y aura cercle vicieux, il faut dire que la relation en Dieu ne tient pas seulement qu’elle soit une relation, mais aussi qu’elle soit personnelle, c’est-à-dire qu’elle constitue la Personne ; et c’est de là qu’elle tient comme l’acte de la différence constitutive et de la forme propre de la Personne elle-même, dont l’opération est celle de la génération ou de la spiration ; et c’est pourquoi il n’y a pas de problème à ce que selon la notion de relation les relations découlent des processions elles-mêmes et reçoivent d’elles leur différence ; mais selon qu’elles sont les formes propres des Personnes elles-mêmes, les relations causent la différence des processions.

 

 

Articulus 3

Article 3 – La procession de l'Esprit Saint doit-elle être appelée procession ou génération ?

[992] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod processio Spiritus sancti non debet nominari processio, sed generatio. Si enim non sit generatio, tunc contra generationem dividitur. Sed nullum commune dividitur contra proprium. Cum igitur processio sit communis generationi et processioni Spiritus sancti, videtur quod processio Spiritus sancti non debeat nominari processio.

Difficultés :

1. Il semble que la procession de l’Esprit-Saint ne doive pas être appelée procession, mais plutôt génération.  Si en effet elle n’était pas une génération, alors elle se distinguerait par opposition à la génération. Mais rien de ce qui est commun ne se distingue par opposition à ce qui est propre. Donc, puisque la procession est commune à la fois à la génération et à la procession de l’Esprit-Saint, il semble que la procession de l’Esprit-Saint ne doive pas être appelée procession.

[993] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut generatio Filii dicit specialem modum originis, ita et processio Spiritus sancti ; alias non esset proprietas constitutiva personae, ut prius dictum est, art. antec. Sed processio non dicit aliquem specialem modum originis, ut dictum est, art. 1, istius dist. Ergo modus originis Spiritus sancti non debet per processionem nominari.

2. Par ailleurs, tout comme la génération du Fils signifie un mode d’origine particulier, il en est de même pour la procession de l’Esprit-Saint ; autrement, il n’y aurait pas une propriété constitutive de la personne comme nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent. Mais le terme de procession ne dit pas un mode particulier d’origine comme nous l’avons dit dans l’article premier de cette distinction. Donc, le mode d’origine de l’Esprit-Saint ne doit pas être dénommé par le terme de procession.

[994] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut Filius accipit totam naturam et substantiam Patris, ita et Spiritus sanctus. Sed illa processio secundum quam aliquis accipit naturam ejus a quo procedit, dicitur generatio, etiam in inferioribus, ut patet inducendo in singulis. Ergo videtur quod processio Spiritus sancti debet dici generatio.

3. En outre, tout comme le Fils reçoit toute sa nature et toute sa substance du Père, il en est de même de l’Esprit-Saint. Mais cette procession, selon laquelle un être reçoit la nature de celui duquel il procède, s’appelle génération même chez les êtres inférieurs ainsi qu’on le voit par l’examen des cas particulieurs. Il semble donc que la procession de l’Esprit-Saint doive être appelée génération.

[995] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, Damascenus, definiens generationem dicit sic : generatio est divinae naturae opus existens, ut versionem, qui generat, non suscipiat, et ut neque Deus prior neque posterior sit. Sed processio Spiritus sancti est opus divinae naturae et cetera. Ergo videtur quod sit generatio. Quod autem sit opus divinae naturae et non voluntatis, probatur per Hilarium, qui dicit, quod omnibus creaturis substantiam voluntas attulit, sed Filio natura dedit. Sed Spiritus sanctus non est creatura ; et ita non habet substantiam per voluntatem, sed per naturam Patris.

4. De plus Damascène, lorsqu’il définit la génération, parle ainsi :  la génération est l’œuvre de la nature divine qui existe de telle manière que celui qui engendre ne reçoit pas le changement et que Dieu n’est ni antérieur ni postérieur. Mais la procession de l’Esprit-Saint est une œuvre de la nature divine etc. Donc il semble qu’elle soit une génération. Mais qu’elle soit l’œuvre de la nature divine et non de la volonté, cela est prouvé par Saint-Hilaire qui dit que la volonté a apporté la substance à toutes les créatures mais que la nature l’a donnée au Fils. Mais l’Esprit-Saint n’est pas une créature et ainsi il ne tient pas sa substance de la volonté mais de la nature du Père.

[996] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, quidquid procedit per modum generationis, procedit ut genitum, praecipue in rebus viventibus. Sed Spiritus sanctus non procedit ut genitus : alias essent duo filii in Trinitate, quod non potest esse. Ergo processio Spiritus sancti non debet dici generatio.

Cependant :

Au contraire, tout ce qui procède par mode de génération procède à la manière de ce qui est engendré, surtout chez les vivants. Mais l’Esprit-Saint ne procède pas à la manière de ce qui est engendré : autrement, il y aurait deux fils dans la Trinité, ce qui est impossible. La procession de l’Esprit-Saint ne doit donc pas être appelée génération.

[997] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod in divinis est accipere commune et proprium, quamvis non sit accipere universale, et particulare. Ad hoc enim quod sit universale et particulare, exigitur aliqua diversitas realis, ut supra dictum est, dist. 8, quaest. 4, art. 1, quidditatis communicabilis, et esse quod proprium est. Et talis diversitas non potest esse in divinis. Sed est ibi accipere commune et proprium dupliciter, scilicet secundum rem, et secundum rationem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’en Dieu il faut admettre du commun et du propre, bien qu’il n’y ait pas à admettre de l’universel et du particulier. En effet, pour qu’il y ait de l’universel et du particulier, il faut qu’il y ait une différence réelle, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 1], entre une quiddité communicable et une existence qui est propre. Et une telle différence ne se trouve pas en Dieu. Mais il faut y admettre du commun et du propre de deux manières, à savoir selon la chose, en réalité, et selon la raison.

Secundum rem, sicut dicimus essentiam esse communem tribus personis, et unamquamque personam distingui per id quod sibi est proprium. Secundum rationem autem, sicut quando intellectus noster in divinis accipit aliquid et quantum ad rationem communem vel indeterminatam, et quantum ad rationem determinatam et propriam : quia utrumque ad dignitatem pertinet, et ratio generis et ratio differentiae : sicut in divinis est ratio cognitionis, quae communis est, et ratio scientiae, quae propria est et determinata ; nec tamen unum est genus alterius, secundum quod in Deo sunt. Ita dico, quod processio dicitur secundum rationem communem originis, generatio autem secundum determinatam originis rationem. Unde se habent sicut commune et proprium ; non tamen sicut genus et species.

Selon la chose, comme  nous disons que l’essence est commune aux trois Personnes et que toute personne se distingue par ce qui lui est propre. Mais selon la raison, comme lorsque notre intelligence admet en Dieu quelque chose à la fois quant à la notion commune ou indéterminée et quant à la notion déterminée ou propre : car les deux se rapportent à la dignité, à la fois la notion de genre et celle de différence : par exemple en Dieu il y a la notion de connaissance, qui est commune, et la notion de science qui est propre et déterminée ; et cependant, selon qu’elles existent en Dieu, l’une n’est pas le genre de l’autre. Ainsi je dis que la procession se dit selon une notion commune d’origine, et la génération selon une notion déterminée d’origine. C’est pourquoi elles se présentent dans le rapport du commun au propre et non dans celui du genre à l’espèce.

[998] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod processio, secundum quod sumitur in communi ratione, non condividitur generationi ; sed prout sumitur secundum determinatum modum processionis, qui Spiritui sancto competit.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que la procession, ne se distingue pas par opposition à la génération selon qu’on la prend dans sa notion commune mais selon qu’elle se prend d’après un mode déterminé de procession qui appartient à l’Esprit-Saint.

[999] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod frequenter invenimus quod aliquod proprium denominatur nomine communi ; sicut omne convertibile dicitur proprium, sive significet quid est res, sive non. Sed tamen hoc nomen sibi specialiter retinet illud convertibile quod substantiam non significat, quia non addit aliquid nobilitatis quo nominari possit. Non autem sic dicimus in proposito : non enim origo spiritus sancti nominatur communi nomine, quia nihil addit supra rationem, vel minus habet quam generatio Filii, cum Spiritus sanctus Filio sit aequalis in dignitate. Sed hujusmodi assignantur tres rationes.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il arrive souvent que quelque chose de propre soit dénommé par un nom commun, comme tout ce qui est convertible est appelé propre, qu’il signifie ou non ce qu’est la chose. C’est cependant le convertible qui ne signifie pas la substance qui retient pour lui ce nom d’une manière spéciale car il n’ajoute rien de notable par quoi il pourrait être nommé. Mais ce n’est pas en ce sens que nous parlons dans notre propos : en effet, l’origine de l’Esprit-Saint n’est pas dénommée par un nom commun parce qu’elle n’ajoute rien à la nature de la génération du Fils ou qu’elle lui est inférieure, puisque l’Esprit-Saint est égal au Fils en dignité. Mais on présente trois raisons pour expliquer cette attribution qu’on fait à l’Esprit-Saint d’un nom commun.

Prima est, quia Spiritus sanctus maxime accedit ad processionem : non enim tantum ipse procedit sicut et Filius, sed a procedente procedit, quod Filio non competit.

La première est que l’Esprit-Saint accède davantage à la procession : en effet, Lui-même ne procède pas à la manière du Fils, mais Il procède de ce qui procède, ce qui n’est pas le cas pour le Fils.

secunda est, quia cum processio dicatur dupliciter, scilicet secundum motum localem et secundum exitum causati a causa, uterque modus aliquo modo competit origini Spiritus sancti.

La deuxième est que puisque la procession se dit en deux sens, à savoir selon le mouvement local et selon qu’une effet sort de sa cause, les deux modalités appartiennent d’une certaine manière à l’Esprit-Saint.

Inquantum enim procedit ut persona distincta, sic sua processio habet similitudinem ad exitum causati a causa. Inquantum autem procedit ut amor, qui tendit [in add. Éd. de Parme] alterum non sicut in recipiens, sed sicut in objectum, habet similitudinem cum processione locali, quae est ex aliquo in aliquid. Pater enim amat Filium amore, qui est Spiritus sanctus. Filio autem non competit processio nisi secundum unum modum, scilicet exitum a causa.

En effet, selon qu’Il procède en tant que personne distincte, ainsi sa procession ressemble à la sortie d’un effet de sa cause. Mais selon qu’il procède en tant qu’amour qui se continue  [vers add. Éd. de Parme] dans un autre non pas comme dans ce qui reçoit mais comme dans un objet, alors il ressemble à une procession locale qui va d’un point à un autre. En effet, c’est par l’amour qui est l’Esprit-Saint que le Père aime le Fils. Mais il n’y a qu’un seul mode de procession qui appartient au Fils, à savoir celui qui consiste pour un effet à sortir de sa cause.

Tertia ratio (et credo quod melior est) quia in rebus creatis invenimus aliquid in se subsistens, procedere per modum naturae, et hoc dicimus generari ; unde secundum hoc potuimus processionem Filii proprio nomine nominare, scilicet generationis nomine. Sed non invenimus aliquid in creaturis per se subsistens, procedere per modum amoris, sicut Spiritus sanctus procedit : et ideo istam processionem non potuimus nominare nomine proprio, sed tantum communi.

La troisième raison (et je crois que c’est la meilleure) est que dans les choses créées nous découvrons que ce qui subsiste en soi procède par mode de nature et nous appelons cela être engendré ; par la suite c’est d’après cela que nous avons pu nommer la procession du Fils au moyen d’un nom propre, à savoir par le nom de génération. Mais dans les créatures nous n’observons rien qui subsiste par soi et qui procède par mode d’amour à la manière dont l’Esprit-Saint procède : et c’est pourquoi nous n’avons pu dénommer cette procession  par un nom propre mais seulement par un nom commun.

[1000] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod processio amoris, inquantum hujusmodi, non habet quod per ipsam natura aliqua communicetur ; sed hoc habet inquantum est in divinis, ubi non potest esse aliquid imperfectum. Et ideo Spiritus sanctus secundum rationem processionis, communiter loquendo, non habet quod communicetur sibi natura ; et ideo talis processio non potest dici generatio secundum suam propriam rationem. Ex ipsa enim ratione generationis est quod natura genito communicetur : quamvis enim diversitas rationis non sufficiat ad realem processionum differentiam, sufficit tamen ad differentem nominationem.

3.  Il faut dire en troisième lieu que la procession de l’amour, en tant que telle, n’a pas le pouvoir de communiquer par elle-même une nature ; mais elle possède ce pouvoir en tant qu’elle existe en Dieu en qui rien d’imparfait ne peut exister. Et c’est pourquoi il ne revient pas à l’Esprit-Saint que lui soit communiquée une nature d’après la notion de procession telle qu’on l’entend communément ; et c’est pourquoi une telle procession ne peut être appelée génération si on prend ce terme d’après sa définition propre. En effet, il est de la nature même de la génération de communiquer une nature à ce qui est engendré : en effet, bien qu’une différence de définition ne suffise pas à établir une différence réelle de processions, elle suffit cependant à établir une dénomination différente.

[1001] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod natura non est principium processionis Spiritus sancti sub ratione naturae, sed sub ratione voluntatis, a qua procedit amor ; et ideo sua processio non dicitur nativitas, cum nativitas a natura dicatur. Nec tamen ex hoc sequitur quod Spiritus sanctus sit creatura. Voluntas enim comparatur ut principium ad ipsa principiata, et sic comparatur ad creaturas ; vel ad ipsam rationem principiandi, et sic comparatur ad amorem, qui est Spiritus sanctus, sicut intellectus ad artem, ut superius dictum est, dist. 10, quaest. 1, art. 3.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la nature n’est pas le principe de la procession de l’Esprit-Saint sous le rapport de la nature, mais sous le rapport de la volonté de laquelle l’amour procède ; et c’est pourquoi sa procession n’est pas appelée naissance, puisque la naissance se dit à partir de la notion de nature. Et cependant il ne suit pas de là que l’Esprit-Saint soit une créature. C’est en tant que principe en effet que la volonté se compare à ce qui en résulte et c’est ainsi qu’elle se compare aux créatures ; ou bien elle se compare à la notion même de principe et c’est ainsi qu’elle se compare à l’amour, qui est l’Esprit-Saint, comme l’intelligence se compare à l’art, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 10, quest. 1, art. 3].

 

 

Articulus 4 [1002] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 tit. Utrum spiritus sanctus debeat dici ingenitus

Article 4 – Doit-on dire que l’Esprit Saint est inengendré ?

[1003] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus debet dici ingenitus. Et primo per auctoritatem Hieronymi in littera.

Difficultés :

1. Il semble qu’on doive dire de l’Esprit-Saint qu’Il est inengendré. Et premièrement en raison de l’autorité de Saint-Jérôme dans le document.

[1004] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, terminus infinitus convertitur cum negatione, supposita existentia subjecti ; sicut non homo, non est homo. Quidquid enim est et non est homo, est non homo. Sed ingenitus est terminus infinitus. Ergo cum Spiritus sanctus sit, et non sit genitus, videtur quod sit ingenitus.

2. Par ailleurs, un terme infini se convertit avec la négation, une fois supposée l’existence du sujet ; tout comme un non-homme n’est pas un homme. En effet, tout ce qui existe et n’est pas un homme est un non-homme. Mais ¨inengendré¨ est un terme infini. Donc, puisque l’Esprit-Saint existe et qu’Il n’est pas engendré, il semble qu’il soit inengendré.

[1005] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, ingenitum aut dicit relationem, aut absolutum. Sed non dicit relationem notionalem, quia tunc non posset dici essentia ingenita. Ergo videtur quod sit de absolutis ; et ita videtur convenire Spiritui sancto.

3. En outre, inengendré dit soit une relation, soit un absolu. Mais il ne dit pas une relation notionnelle, car alors on ne pourrait pas dire de l’essence qu’elle est inengendrée. Il semble donc que ce soit un terme qui fait partie des absolus ; et ainsi il semble que ce terme convienne à l’Esprit-Saint.

[1006] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed in contrarium est quod dicitur in littera, quod solus pater ingenitus est. Ergo non spiritus sanctus.

Cependant :

1. Mais au contraire on dit dans le document que seul le Père est inengendré. Donc l’Esprit-Saint n’est pas inengendré.

[1007] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in divinis, proprie loquendo, nihil potest dici privatum [privative Éd. de Parme] : quia ad rationem privationis exigitur quod aliquid sit aptum natum habere quod non habet. Hoc autem Deo competere non potest. Unde oportet quod ingenitus sumatur negative et non privative. Sed negatio quaedam negat in genere determinato, et haec habet aliquid simile privationi, inquantum ponitur aliquod determinatum genus. Est etiam quaedam negatio extra genus ; et haec est absoluta negatio, quia nullum genus determinat.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’en Dieu, à proprement parler, la privation ne peut être attribuée à rien [par privation Éd. de Parme] : car la notion de privation suppose nécessairement qu’une chose est apte à posséder ce qu’elle ne possède pas. Mais cela ne peut se rencontrer en Dieu. C’est pourquoi il faut que ¨inengendré¨ se prenne par la négation et non par la privation. Mais une certaine négation nie quelque chose dans un genre déterminé, et celle-ci a quelque chose de semblable à la privation en tant qu’elle pose un genre déterminé. Mais il y a une négation qui est étrangère à un genre et celle-là est une négation absolue car elle ne précise aucun genre.

Dico ergo, quod ingenitus si dicat negationem extra genus, tunc convenit omni ei quod est et quod non est ab alio per generationem, sive sit ab aliquo alio sive non, et sive sit creatum sive increatum ; et secundum hoc possumus dicere Patrem ingenitum, et Spiritum sanctum, et essentiam divinam, et primas creaturas, quae non exierunt in esse per generationem. Si autem sit negatio in genere, hoc potest esse dupliciter, secundum quod in divinis accipitur : vel in genere divinae naturae ; et sic adhuc convenit Patri, Spiritui sancto et essentiae ; vel in genere principii in natura divina ; et sic non convenit nisi patri, et tunc erit notio Patris. Principium enim aliquod potest innotescere aut secundum quod aliquid est ab illo, et sic Pater innotescit per generationem et spirationem activam : aut secundum quod non est ab alio, et sic est notio Patris ingenitus.

Je dis donc que si ¨inengendré¨ renvoie à une négation étrangère à un genre, alors il convient à tout ce qui existe et qui ne vient pas d’un autre par mode de génération, qu’il vienne d’un autre ou non, qu’il soit créé ou incréé ; et en ce sens nous pouvons dire que le Père, l’Esprit-Saint, l’essence divine et les premières créatures qui ne sont pas venues à l’existence par mode génération, sont tous inengendrés. Mais si on parle d’une négation qui est dans un genre, cela peut exister de deux manières selon qu’on le prend en Dieu : soit dans le genre de la nature divine et ainsi ce terme convient ce terme s’attribue encore au Père, à l’Esprit-Saint et à l’essence ; soit dans le genre du principe dans la nature divine et alors ce terme n’appartient qu’au Père et alors il sera la notion même de Père. Un principe en effet peut se faire connaître soit selon qu’une chose vient de lui et ainsi le Père se fait connaître par la génération et par la spiration active ; soit selon qu’il ne vient pas d’un autre et ainsi ¨inengendré¨ est la notion de Père.

[1008] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Hieronymus accipit ingenitum, idest non genitum, secundum quod negatio est extra genus ; vel in genere divinae naturae, et non in genere principii.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que Saint-Jérôme prend inengendré, c’est-à-dire non-engendré, comme une négation étrangère à un genre ou comme étant dans le genre de la nature divine et non dans le genre de principe.

[1009] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod negatio termini infiniti non est negatio in aliquo genere determinato, sed tantum in genere entis ; et ideo potest dici de omni ente cui non convenit affirmatio : sed negatio quae negat in aliquo genere determinato, non potest dici extra illud genus.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la négation présente dans un terme infini n’est pas une négation dans un genre déterminé, mais seulement dans le genre de l’être ; et c’est pourquoi elle peut se dire de tout être auquel l’affirmation ne se vérifie pas : mais la négation qui nie dans un genre déterminé ne peut se dire en dehors de ce genre.

[1010] Super Sent., lib. 1 d. 13 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ingenitus, secundum quod convenit tantum Patri, dicit notionem Patris ; et sic non convenit essentiae. Secundum autem quod convenit essentiae et Spiritui sancto, non dicit aliquam notionem, nec etiam aliquid de absolutis, quia sic etiam conveniret Filio ; sed removet notionem quamdam, scilicet generationem passivam.

3. Il faut dire en troisième lieu que ¨inengendré¨, en tant que ce terme convient seulement au Père, signifie la notion de Père et en ce sens il ne convient pas à l’essence. Mais selon que ce terme convient à l’essence et à l’Esprit-Saint, il ne signifie pas une notion ni même un des absolus car alors il conviendrait même au Fils ; mais il exclut cependant une certaine notion, à savoir celle de génération passive.

 

 

Distinctio 14

Distinction 14 – [La procession de l’Esprit Saint – suite]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intellectum hujus partis tria quaeruntur:

primo de processione temporali secundum se.

Secundo ratione cujus Spiritus sanctus temporaliter procedere dicatur, vel secundum quid fiat.

Tertio a quo fiat.

Circa primum duo quaeruntur:

1 utrum sit aliqua temporalis processio Spiritus sancti ;

2 utrum ponat in numerum cum aeterna.

Pour comprendre cette partie, nous faisons porter nos interrogations sur trois points :

Premièrement sur la procession temporelle en elle-même.

Deuxièmement sur la raison pour laquelle nous disons que l’Esprit-Saint procède temporellement et selon laquelle elle se produit.

Troisièmement sur ce d’où elle est produite.

Et sur le premier point nous posons deux interrogations :

1. Est-ce qu’il existe une procession temporelle de l’Esprit-Saint ?

2. Est-ce qu’elle est numériquement distincte de celle qui est éternelle ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La procession temporelle en soi]

 

 

Articulus 1 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 tit. Utrum aliqua processio Spiritus sancti sit temporalis.

Article 1 – Y a-t-il une procession de l’Esprit Saint qui est temporelle ?

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla processio Spiritus sancti sit temporalis. Sicut enim generatio est proprietas aeterna Filii secundum quam distinguitur a Patre, ita processio Spiritus sancti est proprietas secundum quam distinguitur a Patre et Filio. Sed generatio Filii non dicitur temporalis nisi secundum naturam assumptam. Cum igitur Spiritus sanctus nullam assumpserit naturam, nec assumet, videtur quod nulla sit ejus processio temporalis.

Difficultés :

1. Il semble qu’aucune procession de l’Esprit-Saint ne soit temporelle. En effet, tout comme la génération est une propriété éternelle du Fils selon laquelle il se distingue du Père, de même la procession de l’Esprit-Saint est une propriété selon laquelle Il se distingue du Père et du Fils. Mais on ne dit de la génération du Fils qu’elle est temporelle que selon la nature qu’il a prise. Donc, puisque l’Esprit-Saint n’aura pris et ne prendra  aucune nature, il semble qu’aucune procession temporelle ne lui appartienne.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne illud cui convenit aliquid temporaliter, est mutabile vel variabile. Hoc autem Spiritui sancto non convenit, cum sit verus Deus. Ergo nec temporalis processio.

2. Par ailleurs, tout ce à quoi appartient quelque chose selon le temps, cela même est changeant et variable. Mais le changement ne peut s’attribuer à l’Esprit-Saint puisqu’il est Dieu en vérité. On ne peut donc lui attribuer non plus une procession temporelle.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum philosophum Lib. De causis, prop.31, inter rem cujus substantia et operatio est in tempore, et inter rem cujus substantia et operatio est in momento aeternitatis, est res media, cujus operatio est in tempore, et substantia in aeternitate. Rem autem illam, cujus substantia et operatio est in aeternitate, dicit substantias separatas, et praecipue Deum. Cum igitur processio sit operatio ipsius Dei, sive active sive passive intelligatur, videtur quod non sit in tempore, et ita nec temporalis dici debeat.

3. En outre, d’après le Philosophe [Livre des Causes, prop. 31], entre la réalité dont la substance et l’opération sont dans le temps et celle dont la substance et l’opération sont dans le moment de l’éternité, il y a une réalité intermédiaire dont l’opération est dans le temps et dont la substance est dans l’éternité. Mais il dit de ces réalités dont la substance et l’opération sont dans l’éternité, et surtout de Dieu, qu’elles sont des substances séparées. Donc puisque le procession est une opération de Dieu lui-même, qu’on la prenne activement ou passivement, il semble qu’elle ne soit pas dans le temps et qu’elle ne doive pas non plus être appelée temporelle.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, illud quod elevat hominem supra tempus, non potest dici temporale. Sed per processionem Spiritus sancti in hominem elevatur homo supra omnia temporalia: quia, secundum Augustinum, IV De Trinit., cap. XX, § 28, inquantum aliquod aeternum mente capimus, non in hoc mundo sumus. Ergo non debet dici temporalis.

4. De plus, ce qui élève l’homme au-dessus du temps ne peut être appelé temporel. Mais par la procession de l’Esprit-Saint dans l’homme, l’homme est élevé au-dessus de tout ce qui est temporel : car selon Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, & 28], dans la mesure où nous saisisson quelque chose d’éternel par notre intelligence, nous ne sommes pas en ce monde. La procession de l’Esprit-Saint ne doit donc pas être appelée temporelle.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, in processione temporali, quae etiam missio dicitur, includitur intellectus processionis aeternae, secundum Augustinum, De Trinit., cap. XV et XVI, col. 921, et II De Trinit., cap. V col. 848 Sed denominatio debet fieri a digniori. Igitur etsi in processione esset aliquid temporale, non deberet dici temporalis, sed aeterna.

5. Aussi, selon Augustin [V De la Trinité, ch. XV et XVI, col. 921, t.  VIII et 11 De la Trinité, ch. V col. 848] dans la procession temporelle qu’on appelle aussi mission est comprise l’intelligence de la procession éternelle. Mais la dénomination doit provenir de ce qui est plus digne. Donc, bien que dans la procession il y ait quelque chose de temporel, elle ne doit pas être appelée temporelle, mais plutôt éternelle.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contrarium dicitur per auctoritates in Littera.

Cependant :

1. Mais plusieurs autorités disent le contraire dans le document.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, contingit aliquem ex tempore habere Spiritum sanctum, qui prius non habuit. Sed Spiritus sanctus non habetur nisi ut procedens a Patre et Filio, cum sit donum utriusque. Ergo est ejus aliqua processio temporalis, secundum quam procedit ad sanctificandum creaturam, ut in littera dicitur.

2. De plus, il est possible que quelqu’un reçoive l’Esprit-Saint dans un temps déterminé alors qu’il ne Le possédait pas antérieurement. Mais l’Esprit-Saint n’est dans un homme qu’en tant qu’Il procède du Père et du Fils, puisqu’il est un don qui vient des deux. Il y a donc une procession de l’Esprit-Saint qui est temporelle et selon laquelle il procède à la sanctification de la créature, ainsi qu’on le dit dans le document.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quamvis in personis divinis, proprie loquendo, dicatur processio secundum rationem exitus a principio, qui non necessario tendit in aliud, tamen processio Spiritus sancti ex modo suae processionis habet, inquantum scilicet procedit ut amor, quod in alium tendat, scilicet in amatum, sicut in objectum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que bien que dans les Personnes divines, la procession se dit à proprement parler selon la notion de ce qui sort d’un principe et qui ne tend par nécessairement vers un autre, cependant la procession de l’Esprit-Saint tient du mode même de sa procession, à savoir selon qu’Il procède en tant qu’amour, qu’il tende vers un autre, c’est-à-dire vers ce qui est aimé comme vers son objet.

Et quia processiones personarum aeternae, sunt causa et ratio totius productionis creaturarum, ideo oportet quod sicut generatio Filii est ratio totius productionis creaturae secundum quod dicitur Pater in Filio omnia fecisse, ita etiam amor Patris tendens in Filium ut in objectum, sit ratio in qua Deus omnem effectum amoris creaturis largiatur ; et inde est quod Spiritus sanctus, qui est amor quo Pater amat Filium, est etiam amor quo amat creaturam impartiendo sibi suam perfectionem.

Et parce que les processions éternelles des Personnes sont la cause et la raison de la production totale des créatures, c’est pourquoi il faut que tout comme la génération du Fils est la raison de la production totale de la créature selon qu’on dit du Père qu’Il a tout fait dans le Fils, de même encore l’amour du Père qui tend vers le Fils comme vers son objet est la raison par laquelle Dieu prodigue tout effet de l’amour aux créatures ; et c’est de là que l’Esprit-Saint, qui est l’amour par lequel le Père aime le Fils, est aussi l’amour par lequel Il aime la créature en lui communiquant sa perfection.

Poterit ergo processio istius amoris dupliciter considerari:

vel secundum quod tendit in objectum aeternum, et sic dicetur aeterna processio,

vel secundum quod procedit ut amor in objectum creatum, inquantum scilicet per illum amorem, creaturae aliquid a Deo confertur ; et sic dicetur processio temporalis, ex eo quod ex novitate effectus consurgit nova relatio creaturae ad Deum, ratione cujus oportet Deum sub nova habitudine ad creaturam significari, ut patet in omnibus quae de Deo ex tempore dicuntur.

La procession de cet amour pourra donc être considéré de deux manières :

Soit selon qu’elle tend vers son objet éternel et ainsi on dira de la procession qu’elle est éternelle.

Soit selon qu’elle procède en ant qu’amour vers l’objet créé, c’est-à-dire en tant que par cet amour quelque chose est donné par Dieu à la créature ; et ainsi on dira de la procession qu’elle est temorelle du fait qu’une nouvelle relation de la créature à Dieu naît de la nouveauté de l’effet, par la raison dont il faut que Dieu soit signifié à l’égard de la créature sous un nouveau rapport, ainsi qu’on le voit pour tout ce qui se dit au sujet de Dieu à partir du temps.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio de ratione sui non dicit respectum nisi ad eum a quo est generatio. Hoc autem dupliciter potest esse in Filio:

aut sicut a quo accipit divinam naturam, et sic est generatio aeterna a Patre ;

aut sicut a quo accipit naturam humanam, et sic est temporalis generatio a matre. Processio autem Spiritus sancti, ut dictum est, dist. 13, quaest. unica, art. 2, non solum dicit respectum ad principium a quo procedit, secundum quem aeterna tantummodo est, sicut et generatio ; sed etiam importat respectum ad eum in quem procedit, secundum quem temporalis dici potest.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que la génération, de par sa définition ne signifie un rapport qu’à celui d’où procède la génération. Mais cela peut exister dans le Fils de deux manières :

Soit comme de celui d’où Il reçoit la nature divine, et ainsi la génération vient du Père de toute éternité ;

Soit comme de celui d’où il reçoit la nature humaine et en ce sens la génération qui vient de la mère est temporelle. Mais la procession de l’Esprit-Saint, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 13, quest. unique, art. 2], ne dit pas seulement un rapport au principe d’où Il procède et selon lequel la procession est seulement éternelle, tout comme la génération ; mais cette procession implique aussi un rapport à celui vers lequel elle procède et selon lequel elle peut être appelée temporelle.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inquantum per amorem, qui est Spiritus sanctus, aliquod donum creaturae confertur, nulla mutatio vel variatio fit in ipso amore, sed in eo cui per amorem aliquid datur ; si tamen mutatio, et non potius perfectio dici debet. Et ideo ille temporalis respectus non ponitur circa Spiritum sanctum realiter, sed solum secundum rationem ; realiter autem in creatura quae mutatur ; sicut fit cum dicitur Deus Dominus ex tempore.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans la mesure où un don est tranmis à la créature par l’amour qui est l’Esprit-Saint, aucun changement ou aucune variation ne se produit dans l’amour lui-même, mais seulement dans celui auquel quelque chose est donné par l’amour, si cependant cela doit être appelé un changement et non pas plutôt une perfection. Et c’est pourquoi ce rapport temporel n’est pas  attribué à l’Esprit-Saint comme étant réel, mais seulement selon la raison ; mais il est attribué à la créature qui change comme étant réel, tout comme cela se produit lorsque nous disons de Dieu qu’Il est Seigneur pour nous qui existons dans le temps.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio divina dupliciter potest considerari:

vel ex parte operantis, et sic est aeterna ;

vel quantum ad effectum operationis, et sic potest esse temporalis. Sed tamen quia Deus non agit per operationem quae sit media inter ipsum et operatum, sed sua operatio est in ipso et est tota sua substantia ; ideo operatio ejus essentialiter aeterna est, sed effectus temporalis.

3. Il faut dire en troisième lieu que l’opération divine peut être considérée de deux manières :

Soit du côté de celui qui pose l’opération et en ce sens elle est éternelle ;

Soit quant à l’effet de l’opération et en ce sens elle peut être temporelle. Mais parce que Dieu n’agit par au moyen d’une opération qui serait un intermédiaire entre lui et l’effet de l’opération, mais que son opération et en Lui et qu’elle est toute sa substance, c’est pourquoi son opération est essentiellement éternelle, mais son effet est temporel.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliquid potest dici temporale multipliciter:

vel quia subjacet variationi temporis, et hoc modo processio non dicitur temporalis, etiam quantum ad effectum gratiae ;

vel quia habet initium in tempore, et sic gratia dicitur temporalis, et eadem ratione processio ratione effectus.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’une chose peut être dite temporelle de plusieurs manières :

Soit parce qu’elle est soumise à la variation du temps et en ce sens la procession ne peut être dite temporelle, même quant à l’effet de la grâce ;

Soit parce qu’elle a un commencement dans le temps et en ce sens la grâce est dite temporelle, et pour la même raison la procession en raison de l’effet.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquod conjunctum non potest affirmari nisi pro utraque parte, sed negari potest pro altera parte tantum ; sicut patet in veritate et falsitate copulativae propositionis. Et quia temporale claudit in se quamdam negationem cum affirmatione, scilicet aliquando esse et prius non fuisse, aeternum autem importat tantum affirmationem essendi ; ideo conjunctum non potest dici aeternum, nisi utrumque aeternum sit ; temporale autem dici potest, etiam si alterum tantum sit temporale, sicut creator importat divinam operationem et connotat effectum in creatura actualiter, ratione cujus Deus non dicitur creator ab aeterno sed ex tempore.

5. Il faut dire en cinquième lieu qu’une proposition double ne peut être affirmée que pour les deux parties mais peut être niée pour une partie seulement, ainsi qu’on peut le voir pour la vérité et la fausseté d’une proposition copulative. Et parce que le temporel renferme en lui une certaine négation avec une affirmation, c’est-à-dire ce qui vient enfin à exister sans avoir existé antérieurement, l’éternel implique cependant uniquement l’affirmation de l’existence ; c’est pourquoi ce qui est double ne peut être appelé éternel que si les deux parties le sont, mais il peut être appelé temporel même si seulement une des parties est temporelle ; par exemple, la notion de créateur implique une opération divine et fait connaître un effet en acte dans la créature, en raison de quoi Dieu n’est pas appelé créateur de toute éternité, mais à partir d’un temps déterminé.

 

 

Articulus 2 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 tit. Utrum processio temporalis distinguatur realiter ab aeterna

Article 2 – La procession temporelle se distingue-t-elle réellement de la procession éternelle ?

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod temporalis processio ponat in numerum cum aeterna, ut sit alia et alia processio. Aeternum enim et temporale non possunt idem esse in essentia. Sed quae differunt per essentiam, simpliciter multiplicantur et numerantur. Ergo aeterna processio et temporalis simpliciter sunt duae.

Difficultés :

1. Il semble que la procession temporelle soit numériquement différente de celle qui est éternelle, de sorte de sorte que l’une soit réellement différente de l’autre. En effet, l’éternel et le temporel ne peuvent être identiques par l’essence. Mais les choses qui diffèrent par l’essence se multiplient et se comptent absolument parlant. Donc la procession éternelle et celle qui est temporelle sont réellement deux processions absolument différentes.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, idem non est signum sui ipsius. Sed processio temporalis, secundum Augustinum, lib. V De Trinit., XV est signum aeternae. Ergo non sunt una processio.

2. En outre, une même chose n’est pas signe d’elle-même. Mais la procession temporelle, d’après Augustin [V De la Trinité, ch. XV], est le signe de celle qui est éternelle. Les deux ne sont donc pas une seule et même procession.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, cum una dicatur processio aeterna et alia temporalis, aut hoc erit quia essentialiter differunt, aut quia una addit super aliam. Sed aeterna non potest addere supra temporalem, quia sic temporalis esset naturaliter prior aeterna ; nec etiam temporalis potest se habere ex additione ad aeternam, cum aeterno, quia perfectum est, nihil sit addibile. Ergo relinquitur quod essentialiter differant, et ita simpliciter sunt duae.

3. Par ailleurs, puisque l’une des processisons est appelée éternelle et que l’autre est appelée temporelle, il en sera ainsi soit parce qu’elles diffèrent essentiellement, soit parce que l’une ajoute à l’autre. Mais la procession éternelle ne peut ajouter à celle qui est temporelle car ainsi celle qui est temporelle serait naturellement antérieure à celle qui est éternelle ; et aussi la procession qui est temporelle ne peut se prendre par addition à celle qui est éternelle car à l’éternel, parce qu’il est parfait, rien ne peut être ajouté. Il reste donc que les deux processions diffèrent essentiellement et qu’alors elles sont deux processions absolument différentes.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut Filius se habet ad generationem passivam, ita et Spiritus sanctus ad processionem passivam. Sed propter aeternam generationem et temporalem, Filius dicitur habere duas nativitates et bis natus. Ergo et Spiritus sanctus dicitur habere duas processiones

4. En outre, ce que le fils est à la génération passive, l’Esprit-Saint l’est à la procession passive. Mais à cause de la génération éternelle et de celle qui est temporelle, on dit du Fils qu’il possède deux naissances et qu’il est né deux fois. On dit donc de l’Esprit-Saint qu’il possède deux processions.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 5 Contra, processio ponit aliquid in ipso procedente. Sed processio temporalis, inquantum est temporalis, nihil ponit circa Spiritum sanctum. Ergo oportet quod in processione temporali essentialiter includatur aeterna. Ergo non differunt essentialiter, nec simpliciter sunt plures.

5. Au contraire, la procession pose quelque chose dans celui-là même qui procède. Mais la procession temporelle, en tant qu’elle est temporelle, n’affirme rien au sujet de l’Esprit-Saint. Il faut donc que la procession éternelle soit incluse essentiellement dans la procession temporelle. Elles ne diffèrent donc pas essentiellement et elles ne sont pas absolument différentes.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 arg. 6 Item, ea quae non sunt ejusdem rationis, non connumerantur ad invicem. Sed temporale et aeternum non sunt ejusdem rationis. Ergo non potest dici quod sint duae processiones, temporalis et aeterna.

6. De plus, les choses qui n’appartiennent pas à une même définition ne sont pas comptées comme faisant partie d’un même ensemble. Mais le temporel et l’éternel n’appartiennent pas à une même définition. On ne peut donc dire qu’il y ait deux processions, l’une temporelle et l’autre éternelle.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum processio semper dicat respectum procedentis ad illum a quo procedit, Spiritus sanctus autem ad Patrem non refertur nisi relatione aeterna ; oportet quod nulla processio Spiritus sancti sit alia essentialiter ab aeterna ; sed potest sibi advenire aliquis respectus alius ex parte ejus in quem est, sicut in amatum, et ratione illius dicitur temporalis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que puisque la procession signifie toujours un rapport de celui qui procède à celui duquel il procède, mais que l’Esprit-Saint ne se rapporte au Père  que par une relation éternelle, il faut qu’aucune procession de l’Esprit-Saint ne soit essentiellement différente de celle qui est éternelle ; mais il pouet lui advenir un rapport différent du côté de celui dans lequel il est comme dans l’objet aimé, et c’est en raison de ce rapport qu’on dit de la procession qu’elle est temporelle.

Dicendum ergo, quod est una processio essentialiter propter respectum unum procedentis ad id a quo procedit, quem principaliter importat. Processio autem est duplex, vel gemina, ratione duorum respectuum in duo objecta, scilicet in aeternum et temporale: quorum unus, scilicet aeternus, realiter est in ipso procedente ; alius autem secundum rationem tantum in Spiritu sancto, sed secundum rem in eo in quem procedit. Horum tamen respectuum primus includitur in secundo, sicut ratio et causa ejus ; unde secundus se habet ex additione ad primum.

Il faut donc dire qu’il n’y a essentiellement qu’une seule procession à cause de l’unique rapport de celui qui procède par rapport à celui d’où il procède qu’elle implique principalement. Mais la procession est double ou forme un couple, en raison de deux rapports à deux objets, à savoir à l’éternel et au temporel : dont le premier, à savoir l’éternel, existe réellement dans celui-là même qui procède ; mais l’autre n’existe dans l’Esprit-Saint que selon la raison mais réellement dans celui dans lequel Il procède. Cependant, parmi ces deux rapports, le premier est compris dans le second comme sa raison et sa cause ; c’est pourquoi le second rapport se prend par addition à l’égard du premier.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod processio non dicitur temporalis secundum id quod est, sed ratione respectus ad creaturam, temporalis dicitur, ut dictum est, art. 1 hujus quaest.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la procession n’est pas appelée temporelle selon ce qu’elle est en elle-même, mais c’est en raison du rapport à la créature qu’elle est dite temporelle, ainsi que nous l’avons dit dans l’article premier de cette question.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod processio temporalis dicitur esse signum aeternae, quantum ad effectum ex quo consurgit respectus ille temporalis secundum quem processio temporalis dicitur. Effectus autem hujus processionis est amor gratuitus, qui est similitudo quaedam amoris increati, qui est Spiritus sanctus, et per consequens signum ejus.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’on dit de la procession temporelle qu’elle est le signe de celle qui est éternelle quant à l’effet à partir duquel apparaît ce rapport temporel d’après lequel la procession est appelée temporelle. Mais l’effet de cette procession est l’amour gratuit qui est une certaine ressemblance de l’amour incréé, lequel est l’Esprit-Saint ; et par conséquent cet amour gratuit est le signe de l’amour incréé.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aeterno secundum rem nihil sit addibile ; nihilominus tamen aeternum potest intelligi in aliqua habitudine se habere ad aliquod temporale: quae tamen habitudo non ponitur realiter circa ipsum aeternum, ut dictum est. Et quia intellectus potest repraesentari per nomen, quia voces sunt notae earum quae sunt in anima passionum, ut lib. I Perih., ideo potest aeterno imponi aliquod nomen, prout intelligitur sub illa habitudine, sicut Deus dicitur Dominus ex tempore. Ita etiam dicitur processio temporalis.

3. Il faut dire en troisième lieu que bien qu’à l’éternel selon la chose rien ne puisse être ajouté, néanmoins cependant l’éternel peut se comprendre comme étant dans un certain rapport à quelque chose de temporel : lequel rapport n’est cependant pas affirmé comme existant réellement dans l’éternel lui-même, ainsi que nous l’avons dit. Et parce que le concept peut être représenté par un nom, car les sons de voix sont les signes de ces passions qui sont dans l’âme comme on le dit au premier livre du Peri Hermeneias, c’est pourquoi on peut imposer un nom à l’éternel en tant qu’il est compris sous ce rapport, tout comme c’est à partir du temps qu’on dit de Dieu qu’Il est Seigneur. Et c’est encore de la même manière qu’on peut dire de la procession qu’elle est temporelle.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod generatio Filii temporalis et aeterna distinguuntur etiam secundum respectum ad principium a quo sunt, quia aeterna est a Patre et temporalis a matre, et secundum diversas naturas ; et ideo una realiter non est alia. Sed de processione non est simile, ut dictum est, art. antec

4. Il faut dire en quatrième lieu que la génération temporelle du Fils se distingue aussi de celle qui est éternelle selon le rapport au principe d’où elles viennent, car la génération éternelle vient du Père et celle qui est temporelle vient de la mère, et ces deux générations résultent en des natures différentes ; et c’est pourquoi l’une diffère réellement de l’autre. Mais il n’en est pas de même pour la procession ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 5 Quintum concedimus.

5. Nous concédons la cinquième difficulté.

 lib. 1 d. 14 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod processio temporalis et aeterna, consideratae secundum respectum procedentis ad principium, a quo est, sunt omnino idem, nedum ejusdem rationis ; et ex hac parte non numerantur. Sed consideratae secundum respectum ad id in quod est processio per modum dictum, non sunt ejusdem rationis, scilicet per univocationem, sed analogice ; quia unum est ratio alterius ; et ita possunt connumerari: sicut etiam dicimus Deum et hominem duas res.

6. Il faut dire en sixième lieu que la procession temporelle et celle qui est éternelle, considérées d’après le rapport de celui qui procède au principe d’où il procède, sont absolument identiques et non seulement d’une même définition ; et de ce côté elles ne se distinguent pas par le nombre. Mais si on les considère d’après le rapport à ce dans quoi la procession existe de la manière que nous avons dite, elles n’appartiennent pas à une même définition, c’est-à-dire que procession n’est plus ici un mot univoque, mais un mot analogue ; car l’une est la raison de l’autre ; et en ce sens elles se distinguent par le nombre, tout comme nous disons encore que Dieu et l’homme sont deux réalités distinctes.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [En raison de qui dit-on que l’Esprit Saint procède temporellement, ou selon quoi cela se produit-il ?]

 

 

Prooemium

Prologue

lib. 1 d. 14 q. 2 pr. Deinde quaeritur, secundum quid attendatur processio temporalis, et circa hoc duo quaeruntur:

1 utrum ipse Spiritus sanctus secundum processionem temporalem detur, vel tantum dona ejus, vel utrumque.

Et si utrumque, quaeritur, secundum quae dona dicatur Spiritum sanctum dari vel procedere temporaliter

 On se demande ensuite selon quoi s’étend la procession temporelle et à ce sujet on pose deux questions :

1. Est-ce l’Esprit-Saint lui-même, ses dons, ou les deux à la fois qui sont donnés selon la procession temporelle ?

2. Et si ce sont les deux qui sont donnés, selon quels dons dit-on de l’Esprit-Saint qu’Il est donné ou qu’Il procède temporellement ?

 

 

Articulus 1 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus temporaliter detur

Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné temporellement ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 –

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod ipse Spiritus sanctus non procedat temporaliter vel detur. Illud enim quod secundum se est ubique non videtur usquam secundum se procedere. Sed Spiritus sanctus, cum sit Deus, est ubique. Ergo non potest in quemquam procedere.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint ne procède pas ou n’est pas donné temporellement. En effet, ce qui en soi-même est partout ne semble pas en soi-même procéder en quelque lieu. Mais l’Esprit-Saint, puisqu’Il est Dieu, est partout. Il ne peut donc pas procéder en quelque lieu.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 2 Si dicas, quod potest esse secundum aliquem modum in aliquo secundum quem prius non erat, adhuc habetur propositum ; quia, secundum Dionysium, De div. nom., c. III, col. 679, et auctorem [philosophum Éd. Mandonnet] Lib. De causis prop. 24. Deus eodem modo se habet ad omnia, quamvis non omnia eodem modo se habeant ad ipsum. Sed iste modus diversus in creaturis est ex diversis perfectionibus quas ex Deo consequuntur. Ergo videtur quod [ex add. Éd. de Parme] hoc quod Spiritus sanctus dicatur [dicitur Éd. de Parme] aliter esse in isto quam prius, non sit [fuit, non Éd. de Parme] propter aliud est nisi quia aliquem effectum consequitur iste quem prius non consequebatur: et sic tota datio vel processio refertur ad dona, et non ad ipsum Spiritum sanctum

2. Si tu dis qu’il peut procéder en un endroit d’une certaine manière selon laquelle il n’était pas antérieurement, la question demeure ; car selon Denys [Les Noms Divins, ch. 111, col. 679] et l’auteur [le philosophe Éd. Mandonnet] dans son livre Sur les Causes, proposition 24, Dieu est toujours de la même manière face à tout, bien que ce ne soient pas tous les êtres qui se présentent toujours de la même manière par rapport à Dieu. Mais ces manières d’être différentes qu’on retrouve dans les créatures proviennent de perfections différentes qu’elles poursuivent et qui viennent de Dieu. Il semble donc que [à partir de Éd. de Parme] cela même qu’on dise [dit Éd. de Parme] de l’Esprit-Saint qu’Il soit autrement dans celui-ci qu’Il ne l’était antérieurement ne soit [était Éd. de Parme] pas  parce qu’Il est autre, si ce n’est parce que celui-ci poursuit un effet qu’il ne poursuivait pas antérieurement : et ainsi toute la donation ou la procession se rapporte aux dons et non à l’Esprit-Saint lui-même.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 3 Item, ut dictum est, in hac dist., quaest. 1, art. 2, processio temporalis nihil secundum rem addit ex parte ipsius procedentis ad processionem aeternam. Sed secundum processionem aeternam ipse Spiritus sanctus non procedit in aliquam creaturam. Ergo nec secundum temporalem, quantum ex parte ipsius Spiritus sancti, sed solum quantum ad dona ipsius.

3. En outre, ainsi que nous l’avons déjà dit [dist. 14, quest. 1, art. 2], la procession temporelle n’ajoute rien en réalité du côté de celui-là même qui procède  en regard de la procession éternelle. Mais selon la procession éternelle l’Esprit-Saint lui-même ne procède pas dans une créature. Donc, Il n’y procède pas davantage selon la procession temporelle en tant qu’Esprit-Saint lui-même, mais seulement en tant que dons qui viennent de Lui.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 arg. 4 Praeterea, constat quod virtus infusa non est deficientior in operibus meritoriis, quam virtus acquisita in operibus politicis. Sed virtus acquisita sufficienter dirigit hominem in omnibus civilibus. Ergo infusa in omnibus meritoriis. Non igitur oportet, ut videtur, quod cum virtute infusa ipse Spiritus sanctus detur, sed vel solus Spiritus sanctus, vel sola virtus.

4. De plus, il est clair que  la vertu infuse n’est pas plus faible dans les œuvres méritoires que la vertu acquise dans les œuvres politiques. Mais la vertu acquise guide suffisamment l’homme dans toutes les activités civiles. Donc la vertu infuse dirige suffisamment l’homme dans toutes les œuvres méritoires. Il ne faut donc pas, comme on le voit, que ce soit l’Esprit-saint lui-même qui soit donné avec la vertu infuse, mais plutôt soit seulement l’Esprit-Saint, soit seulement la vertu.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 1 Contra, Rom. 5, 5, dicitur: caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum, qui datus est nobis. Ergo videtur quod utrumque detur.

Cependant :

1. Au contraire, l’Apôtre dit [Romains 5, 5] : L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné. Il semble donc que ce soient les deux qui ont été donnés.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, amor habet rationem primi doni, quia in ipso omnia ex liberalitate conferuntur. Cum igitur Spiritus sanctus sit amor, videtur quod habeat rationem doni. Sed non nisi quia datur. Ergo videtur quod ipse Spiritus sanctus detur.

2. De plus, l’amour a raison de premier don car c’est en lui que tous les autres sont attribués par pure bonté. Donc puisque l’Esprit-Saint est amour, il semble qu’il ait raison de don. Mais cela n’est possible que parce qu’Il est donné. Il semble donc que l’Esprit-Saint lui-même soit donné.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2.

lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur circa hoc, si utrumque datur, quid per prius datur. Et videtur quod Spiritus sanctus: quia per ipsum dantur alia, et quia habet rationem primi doni.

Difficulté :

1. On se demande par la suite à ce sujet, si ce sont les deux qui sont donnés, ce qui est donné en priorité. Et il semble que ce soit l’Esprit-Saint : parce que c’est à travers Lui que les autres dons sont donnés, et parce qu’Il a raison de premier don.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Sed e contrario videtur quod dona per prius. Quia dona ipsius disponunt nos ad hoc quod ipsum habeamus. Dispositio autem prior est eo ad quod disponit. Ergo et cetera.

Cependant :

1. Mais au contraire il semble que ce soient les dons qui sont attribués en priorité. Car ses dons nous disposent à Le recevoir. Mais la disposition est antérieure à ce à quoi elle dispose. Donc, etc.

Quaestiuncula 1

Sous-question 1.

lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ipsemet Spiritus sanctus procedit temporali processione, vel datur, et non solum dona ejus. Si enim consideremus processionem Spiritus sancti ex parte ejus a quo procedit, non est dubium quin secundum illum respectum ipsemet Spiritus sanctus procedat. Si autem consideremus processionem secundum respectum ad id in quo procedit, tunc, sicut dictum est, in hac dist., quaest. 1, art. 1, respectus iste in Spiritu sancto ponitur, non quia ipse realiter referatur, sed quia alterum refertur ad ipsum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que c’est l’Esprit-Saint lui-même qui procède ou qui est donné selon une procession temporelle, et non seulement ses dons. Si en effet nous considérons la procession de l’Esprit-Saint du côté de celui d’où Il procède, il n’y a pas de doute que sous ce rapport c’est l’Esprit-Saint lui-même qui procède. Mais si nous considérons la procession sous le rapport de ce en quoi Il procède, alors, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction [quest. 1, art. 1], ce rapport est posé dans l’Esprit-Saint non pas parce que Lui-même se rapporte réellement à autre chose, mais parce que quelque chose d’autre se rapporte à Lui.

Cum igitur in acceptione donorum ipsius non solum relatio nostra terminetur ad dona, ut ipsa tantum habeamus, sed etiam ad Spiritum sanctum, quia aliter ipsum habemus quam prius ; non tantum dicentur dona ipsius procedere in nos, sed etiam ipsemet ; secundum hoc enim ipse dicitur referri ad nos, secundum quod nos referimur in ipsum. Et ideo procedit ipse in nos et dona ipsius: quia et dona ejus recipimus et per eadem ad ipsum nos aliter habemus, inquantum per dona ejus ipsi Spiritui sancto conjungimur, [vel ille nobis add. Éd. de Parme], per donum nos sibi assimilanti [assimilans Éd. de Parme].

Donc puisque dans la réception de ses dons notre relation ne se termine pas seulement à ses dons de sorte que nous ne posséderions que les dons eux-mêmes, mais aussi à l’Esprit-Saint car c’est Lui-même que nous possédons d’une manière  qui est autre qu’antérieurement ; ce ne sont pas seulement ses dons dont on dit qu’ils procèdent en nous, mais aussi Lui-même ; on dit en effet qu’Il se rapporte à nous selon que nous nous rapportons à Lui. Et c’est pourquoi Lui-même procède en nous avec ses dons : car en même temps que nous recevons ses dons, par eux nous nous présentons à Lui différemment, selon qu’au moyen de ses dons nous nous unissons à l’Esprit-Saint Lui-même [ou Lui-même à nous add. Éd. de Parme], Lui étant rendus semblables par le don [rendant semblable Éd. de Parme].

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod cum dicitur Deus esse ubique, importatur quaedam relatio Dei ad creaturam, quae quidem realiter non est in ipso, sed in creatura. Contingit autem ex parte creaturae istas relationes multipliciter etiam diversificari secundum diversos effectus quibus Deo assimilatur ; et inde est quod significatur ut aliter se habens ad creaturam quam prius. Et propter hoc Spiritus sanctus, qui ubique est secundum relationem aliquam [aliquam om. Éd. de Parme] creaturae ad ipsum, potest dici de novo esse in aliquo, secundum novam relationem ipsius creaturae ad ipsum.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit que Dieu est partout, cela implique une relation de Dieu à la créature qui n’existe certes pas réellement en Lui, mais dans la créature. Il est possible cependant que ces relations, du côté de la créature, se différencient d’après différents effets par lesquels elle est assimilée à Dieu ; et c’est de là qu’Il est signifié comme se présentant à la créature autrement qu’antérieurement. Et à cause de cela on peut dire de l’Espri-Saint, qui est partout selon une certaine relation [certaine om. Éd. de Parme] de la créature à Lui, qu’Il existe pour la première fois dans un être d’après  une nouvelle relation de la créature elle-même à Lui.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ille modus aliter se habendi, diversificetur ex diversis donis receptis in creatura, tamen relatio creaturae non sistit in donis illis, sed ulterius tendit in eum per quem illa dona dantur. Et ideo possumus significare, nos alio modo habere Spiritum sanctum, et Spiritum sanctum aliter a nobis haberi ; et hoc significatur cum dicitur ipsemet in nos procedere vel nobis dari.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que cette manière d’être différente se différencie à partir des dons différents reçus dans la créature, cependant la relation de la créature ne s’arrête pas à ces dons, mais tend ultérieurement vers Celui par lequel ces dons sont distribués. Et c’est pourquoi nous pouvons signifier que nous possédons l’Esprit-Saint d’une autre manière, et que l’Esprit-Saint est possédé par nous autrement ; et cela est signifié lorsqu’on dit de Lui qu’Il procède en nous ou qu’Il nous est donné.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non dicitur ipsemet in nos procedere, quia circa ipsum aliquid fiat ; sed quia ex eo quod nos ad ipsummet aliter nos habemus, ipse potest significari sub alio respectu se habere ad nos. Et ita dicitur in nos procedere quantum ad illum respectum quem processio ponit ad id in quod est processio ; licet non quantum ad illum quem ponit ad id a quo est

3. Il faut dire en troisième lieu qu’on ne dit pas de Lui qu’Il procède en nous parce que quelque chose se produit en Lui ; mais parce que du fait que nous nous présentons différemment à Lui, Lui-même peut être signifié sous un autre rapport comme se présentant à nous. Et ainsi on dit de Lui qu’Il procède en nous quant à ce rapport que la procession pose à l’égard de ce vers quoi il y a procession, bien que ce ne soit pas quant à ce rapport qu’elle pose à l’égard de ce d’où il y a procession.

lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus infusa est multo sufficientior quam virtus acquisita, et ex ratione suae perfectionis habet quod nos maxime Deo conjungat et assimilet ; secundum quam conjunctionem innascitur nobis novus respectus ad Deum. Unde quanto sufficientior est, tanto magis in ipsa Spiritus sanctus procedere dicitur et cum ipsa. Utrum autem oporteat aliquod donum creatum dari cum spiritu sancto, erit quaestio infra, dist. 18, quaest. unica, art. 3.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la vertu infuse est de beaucoup plus suffisante que la vertu acquise, et c’est en raison de sa perfection qu’elle a le pouvoir de nous unir et de nous assimiler à Dieu au plus haut point ; et c’est d’après cette union que naît en nous un nouveau rapport à Dieu. C’est pourquoi elle est d’autant plus suffisante que l’Esprit-Saint procède davantage en elle et avec elle. Mais faut-il qu’un don créé soit donné avec l’Esprit-Saint, la question sera posée plus loin [dist. 18, quest. unique, art. 3].

lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 1 ad s. c. Alia duo concedimus.

Nous concédons les deux autres difficultés.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2.

lib. 1 d. 14 q. 2 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod ordo aliquorum secundum naturam potest dupliciter considerari.

Aut ex parte recipientis vel materiae ; et sic dispositio est prior quam id ad quod disponit: et sic per prius recipimus dona Spiritus sancti quam ipsum spiritum, quia per ipsa dona recepta spiritui sancto assimilamur.

Aut ex parte agentis et finis ; et sic quod propinquius erit fini et agenti, dicitur esse prius: et ita per prius recipimus Spiritum sanctum quam dona ejus, quia et Filius per amorem suum alia nobis donavit. Et hoc est simpliciter esse prius.

Corps de l’article :

Il faut dire, par rapport à ce qu’on  se demande par la suite, que l’ordre de certaines choses selon la nature peut être considéré de deux manières.

Soit du côté de celui qui reçoit ou de la matière.

Et en ce sens la disposition est antérieure à ce à quoi elle dispose : et ainsi nous recevons en priorité les dons de l’Esprit-Saint plutôt que l’Esprit-Saint lui-même, car c’est par les dons reçus que nous sommes assimilés à l’Esprit-Saint.

Soit encore du côté de l’agent et de la fin ; et en ce sens on dira qu’est antérieur ce qui est le plus proche de la fin et de l’agent : et ainsi nous recevons l’Esprit-Siant antérieurement à ses dons, car le Fils par son amour nous a donné les autres. Et c’est là ce qui est antérieur absolument.

 

 

Articulus 2 : lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 tit. Utrum processio temporalis Spiritus sancti attendatur secundum omnia dona.

Article 2 – La procession temporelle de l’Esprit Saint s’étend-elle à tous les dons ?

 

 

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod secundum omnia dona processio temporalis Spiritus sancti attendatur. Omne enim donum quod creaturae confertur, ex liberalitate divinae voluntatis procedit. Sed ratio conferendi per liberalitatem est amor. Ergo videtur quod secundum quaelibet dona creaturae collata, Spiritus sanctus detur vel procedat.

Difficultés :

1. Il semble que la procession temporelle de l’Esprit-Saint s’étend à tous les dons. En effet, tout don qui est conféré à la créature procède de la générosité de la volonté divine. Mais la raison de cette prodigalité est l’amour. Il semble donc que l’Esprit-Saint soit donné ou qu’Il procède d’après tous les dons réunis de la créature.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, in collatione cujuslibet doni, creatura secundum aliquem respectum se habet ad Deum secundum quem prius non se habebat. Assimilatur enim sibi secundum participationem illius perfectionis quam de novo a Deo recepit. Sed hoc erat Spiritum sanctum temporaliter procedere, quod significari Spiritum sanctum in habitudine aliqua ad creaturam, ex eo quod creatura novo modo referebatur ad ipsum. Ergo videtur quod Spiritus sanctus etiam secundum dona naturalia mittatur, et non tantum secundum gratum facientia.

2. Par ailleurs, dans la réception de tout don, la créature se présente à Dieu sous un rapport selon lequel elle ne se présentait pas antérieurement. Elle Lui est rendue semblable en effet d’après la participation de cette perfection qu’elle reçoit de Dieu pour la première fois. Mais c’est là en quoi consiste la procession temporelle de l’Esprit-Saint, à savoir d’être signifié dans un certain rapport à la créature, du fait que la créature se rapporte à Lui pour la première fois. Il semble donc que l’Esprit-Saint soit envoyé même d’après les dons naturels et non seulement d’après ceux qui nous rendent agréables à Dieu.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum, IV de Trinit., cap. XX, col. 906, mitti est cognosci quod ab alio sit. Sed aliquis sine gratia gratum faciente potest cognoscere Spiritum sanctum ab alio esse per fidem informem. Ergo videtur quod processio temporalis non semper sit secundum donum gratum faciens.

3. De plus, selon Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, col. 906], être envoyé c’est être connu comme venant d’un autre. Mais quelqu’un, sans la grâce qui rend agréable à Dieu peut connaître par la foi informe que l’Esprit-Saint vient d’un autre. Il semble donc que la procession temporelle n’a pas toujours lieu d’après un don qui rend agréable à Dieu.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, Rabanus, in XII, v. 11, 1 ad Cor., dicit, quod Spiritus sanctus datus est apostolis ad operationem miraculorum. Hoc autem donum non est gratum faciens, sed tantum gratis datum. Ergo etiam secundum haec dona potest attendi temporalis processio Spiritus sancti.

4. En outre, l’Apôtre [1 Corinth., ch. XII, v. 10] dit que l’Esprit-Saint est donné aux apôtres pour opérer les miracles. Cependant ce don ne rend pas agréable à Dieu mais il est seulement donné gratuitement. C’est donc même à ces dons que peut s’étendre la procession temporelle de l’Esprit-Saint.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, Sapient. 1, 5: Spiritus sanctus disciplinae effugiet fictum. Quicumque autem caret gratia gratum faciente, pro ficto habetur. Ergo in nullum talem Spiritus sanctus procedit.

Cependant:

1. On lit au contraire dans La Sagesse (1, 5): L’Esprit-Saint, l’éducateur, fuit la fourberie. Mais quiconque est privé de la grâce qui rend agréable à Dieu est tenu pour fourbe. Donc, l’Esprit-Saint ne procède en aucune personne de cette sorte.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Spiritus sanctus non procedit in aliquem nisi quem inhabitat Deus, sicut in templo suo: quia per Spiritum sanctum efficitur quis templum Dei, 1 Corinth. 6. Sed in nullo dicitur habitare Deus nisi per gratiam gratum facientem. Ergo secundum hoc donum tantum temporalis processio Spiritus sancti attenditur.

2. En outre, l’Esprit-Saint ne procède qu’en celui que Dieu habite comme Il habite son temple: car c’est pas l’Esprit-Saint que quelqu’un devient le temple de Dieu [1 Corinth. 6]. Mais on ne dit que Dieu habite quelqu’un que par la grâce qui rend agréable à Dieu. Ce n’est donc qu’à cette sorte de don que la procession temporelle de l’Esprit-Saint s’applique.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in exitu creaturarum a primo principio attenditur quaedam circulatio vel regiratio, eo quod omnia revertuntur sicut in finem in id a quo sicut a principio prodierunt.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire qu’un certain circuit et un certain retour s’applique à la sortie des créatures du premier principe du fait que toutes les choses se retournent, comme vers leur fin, vers celui d’où elles procèdent comme de leur principe.

Et ideo oportet ut per eadem quibus est exitus a principio, et reditus in finem attendatur. Sicut igitur dictum est, dist. 13, quaest. 1, art. 1, quod processio personarum est ratio productionis creaturarum a primo principio, ita etiam est eadem processio ratio redeundi in finem, quia per Filium et Spiritum sanctum sicut et conditi sumus, ita etiam et fini ultimo conjungimur ; ut patet ex verbis Augustini, de vera religione, LV, 113, col. 172, positis in 3 dist., ubi dicit: Principium ad quod recurrimus, scilicet Patrem, et formam quam sequitur, scilicet Filium, et gratiam qua reconciliamur.

C’est pourquoi il faut que ce soit par les mêmes choses par lesquelles a lieu la sortie du principe que le retour tende vers la fin. Donc, tout comme nous avons dit [dist. 13, quest. 1, art. 1] que la procession des Personnes est la cause de la production des créatures par le premier principe, de même encore c’est la même procession qui est la cause du retour vers la fin, car tout comme c’est par le Fils et l’Esprit-Saint que nous sommes fondés, de même encore c’est par eux que nous sommes rattachés à la fin ultime;   c’est là ce qu’on voit par les paroles d’Augustin [De la Vraie Religion, LV, 113, col. 172] présentées dans la distinction 3, où il dit: le Principe vers lequel nous retournons, à savoir le Père, et la forme qui est poursuivie, à savoir le Fils, et la grâce par laquelle nous sommes réconciliés.

Et Hilarius dicit infra 31 dist.: Ad unum initiabile omnium initium per Filium universa referimus. Secundum hoc ergo processio divinarum personarum in creaturas potest considerari dupliciter.

Aut inquantum est ratio exeundi a principio ; et sic talis processio attenditur secundum dona naturalia, in quibus subsistimus, sicut dicitur a Dionysio, IV de div. nom., cap. IV, col. 694, divina sapientia vel bonitas in creaturas procedere. Sed de tali processione non loquimur hic.

Et Saint-Hilaire dit plus loin dans la distinction 31 : C’est à un unique pouvoir de commencement de tous les commencements par le Fils  que nous rapportons toutes les choses. C’est donc conformément à cela que la procession des Personnes divines dans les créatures peut être considérée de deux manières.

Soit en tant qu’elle est la notion de la sortie du principe et en ce sens une telle procession s’applique aux dons naturels dans lesquels nous subsistons ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, col. 694] lorsqu’il affirme que la sagesse et la bonté divines procèdent dans les créatures. Mais nous ne parlons pas ici de cette procession.

 Potest etiam attendi inquantum est ratio redeundi in finem, et est secundum illa dona tantum quae proxime conjungunt nos fini ultimo, scilicet Deo, quae sunt gratia gratum faciens et gloria, et de ista processione loquimur hic. Sicut enim in generatione naturali generatum non conjungitur generanti in similitudine speciei nisi in ultimo generationis, ita etiam in participationibus divinae bonitatis non est immediata conjunctio ad Deum per primos effectus quibus in esse naturae subsistimus, sed per ultimos quibus fini adhaeremus ; et ideo concedimus, Spiritum sanctum non dari nisi secundum dona gratum facientia.

Mais elle peut aussi s’entendre comme la notion du retour vers la fin et alors la procession n’a lieu que selon ces seuls dons qui nous rattachent intimement à la fin ultime, c’est-à-dire à Dieu, et qui sont la grâce et la gloire qui nous rendent agréables à Dieu, et c’est de cette procession que nous parlons ici. En effet, tout comme dans la génération naturelle ce qui est engendré n’est rattaché à celui qui engendre dans la ressemblance de l’espèce qu’à la fin de la génération, de même encore dans les participations de la bonté divine il n’y a pas une union immédiate à Dieu au moyen des premiers effets par lesquels nous subsistons dans l’existence de la nature, mais au moyen des derniers grâce auxquels nous sommes unis à la fin ; et c’est pourquoi nous concédons que l’Esprit-Saint n’est pas donné que selon les dons qui nous rendent agréables à Dieu.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in collatione donorum naturalium vel gratis datorum attendatur magna liberalitas, tamen perfectio liberalitatis attenditur in his quae ultimae perfectioni conjungunt: et ista sunt quae immediate ordinant nos in finem ; et ideo secundum ista dona praecipue Spiritus sancti processio attenditur

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que dans la réunion des dons naturels ou de ceux qui sont donnés gratuitement on remarque une grande libéralité, cependant la perfection de la libéralité se remarque dans ceux qui unissent à la perfection ultime : et ces dons sont ceux qui nous ordonnent immédiatement à la fin ; et c’est pourquoi la procession de l’Esprit-Saint s’étend surtout d’après ces dons.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in processione Spiritus, secundum quod hic loquimur, prout scilicet claudit in se dationem Spiritus sancti, non sufficit quod sit nova relatio, qualiscumque est, creaturae ad Deum ; sed oportet quod referatur in ipsum sicut ad habitum: quia quod datur alicui habetur aliquo modo ab illo. Persona autem divina non potest haberi a nobis nisi vel ad fructum perfectum, et sic habetur per donum gloriae ; aut secundum fructum imperfectum, et sic habetur per donum gratiae gratum facientis ; vel potius sicut id per quod fruibili conjungimur, inquantum ipsae personae divinae quadam sui sigillatione in animabus nostris relinquunt quaedam dona quibus formaliter fruimur, scilicet amore et sapientia ; propter quod Spiritus sanctus dicitur esse pignus hereditatis nostrae.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans la procession de l’Esprit dont nous parlons ici, c’est-à-dire dans la mesure où elle enferme en elle le don de l’Esprit-Saint, il ne suffit pas qu’il y ait une nouvelle relation, quelle qu’elle soit, de la créature à Dieu, mais il faut qu’elle se rapporte à Lui comme à ce qui est possédé : car ce qui est donné à l’un se trouve à être possédé de quelque manière par ce dernier. Mais la personne divine ne peut être possédée par nous que pour une jouissance parfaite et ainsi elle est possédée par le don de la gloire, ou selon une jouissance imparfaite et ainsi elle est possédée par le don de la grâce qui rend agréable à Dieu ; ou de préférence elle est possédée comme ce par quoi nous sommes unis à l’objet de la jouissance, selon que les personnes divines elles-mêmes déposent en nos âmes certains dons par lesquels nous jouissons formellement, c’est-à-dire de l’amour et de la sagesse ; c’est à cause de cela que nous disons de l’Esprit-Saint qu’il est le gage de notre héritage.

 lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non qualiscumque cognitio sufficit ad rationem missionis, sed solum illa quae accipitur ex aliquo dono appropriato personae, per quod efficitur in nobis conjunctio ad Deum, secundum modum proprium illius personae, scilicet per amorem, quando Spiritus sanctus datur. Unde cognitio ista est quasi experimentalis.

3. Il faut dire en troisième lieu que ce n’est pas n’importe quelle connaissance qui remplit la notion de mission, mais seulement celle qui est reçue à partir d’un don approprié à la personne et par lequel est produite en nous l’union à Dieu selon le mode propre de cette personne, c’est-à-dire par l’amour, quand l’Esprit-Saint est donné. C’est pourquoi cette connaissance est comme expérimentale.

lib. 1 d. 14 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis operatio virtutum non sit donum gratum faciens, tamen cum dono gratum faciente conferri potest. Et quia apostoli hoc donum non sine gratia gratum faciente acceperunt, ideo dicuntur temporaliter accepisse Spiritum sanctum in collatione hujus doni.

4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que l’opération des vertus ne soit pas un don qui rend agréable à Dieu, cependant elle peut être donnée avec le don qui rend agréable à Dieu. Et parce que les apôtres n’ont pas reçu ce don sans la grâce qui rend agréable à Dieu, c’est pourquoi on dit qu’ils ont reçu temporellement l’Esprit-Saint en union à ce don.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Par qui la procession temporelle de l’Esprit Saint est-elle faite ?]

 

 

Articulus 1 lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 tit. Utrum Spiritus sanctus detur a viris sanctis ;

Article 1 – L’Esprit Saint est-il donné par les saints ?

 lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur a quo Spiritus sanctus procedit: et quaeritur hic, utrum Spiritus sanctus detur a sanctis viris ; alia enim quae ad hanc inquisitionem pertinent, infra dicentur, dist. 16, quaest. unica, art. 2. Videtur autem quod sancti viri Spiritum sanctum dare possunt. Remissio enim peccatorum non fit nisi per Spiritum sanctum. Sed sancti viri possunt remittere peccata, Joan. 20, 23: Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis. Ergo videtur quod possunt dare Spiritum sanctum.

Difficultés :

1. On se demande ensuite de qui l’Esprit-Saint procède : et on se demande ici si l’Esprit-Saint est donné par des hommes saints. En effet, les autres choses qui appartiennent à cette recherche seront exposées plus loin [dist. 16, quest. unique, art. 2]. Il semble cependant que des hommes saints peuvent donner l’Esprit-Saint. En effet, la rémission des péchés n’est réalisée que par l’Esprit-Saint. Mais les hommes saints peuvent remettre les péchés [Jean, 20, 23] : Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Il semble donc que les hommes saints peuvent donner l’Esprit-Saint.

 lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, gratia Spiritus sancti est sicut lumen spirituale. Sed unum corpus illuminatum lumine corporali potest et aliud illuminare. Ergo et unus existens in gratia potest alteri gratiam conferre.

2. De plus, la grâce de  l’Esprit-Saint est comme une lumière spirituelle. Mais un corps illuminé par une lumière corporelle peut en illuminer un autre. Donc, celui qui existe dans la grâce peut conférer la grâce à un autre.

 lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, qui dat occasionem damni, damnum dedisse videtur. Ergo qui facit aliquid, quo facto confertur gratia Spiritus sancti, videtur gratiam Spiritus sancti conferre. Sed ministri Ecclesiae sacramenta dispensant, in quibus gratia Spiritus sancti datur. Ergo videtur quod Spiritum sanctum dare possint.

3. En outre, celui qui donne l’occasion d’un tort semble avoir donné le tort. Donc celui qui fait quelque chose, et par l’action de qui la grâce de l’Esprit-Saint est conférée, celui-là semble avoir conféré la grâce de l’Esprit-Saint. Mais les ministres de l’Église distribuent les sacrements dans lesquels la grâce de l’Esprit-Saint est donnée. Il semble donc qu’ils peuvent donner l’Esprit-Saint.

 lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, dans nunquam est inferior eo quod datur. Sed quilibet minister Ecclesiae est inferior Spiritu sancto, et quasi instrumentum ipsius. Ergo nullus talis Spiritum sanctum dare potest.

Cependant :

1. Au contraire, celui qui donne n’est jamais inférieur à ce qui est donné. Mais tout ministre de l’Église est inférieur à l’Esprit-Saint et en est comme l’instrument. Donc, aucun d’eux ne peut donner l’Esprit-Saint.

 lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Spiritus sanctus non datur nisi in gratia gratum faciente. Gratiam autem talem nulla creatura conferre potest. Ergo nec Spiritum sanctum. Probatio mediae. Nullum infinitum potest esse a potentia finita. Gratia autem habet quamdam virtutem infinitam, inquantum scilicet ipsi Deo qui est infinitus, conjungit. Ergo cum omnis potentia creaturae sit finita, gratia gratum faciens a nulla creatura conferri potest.

2. Par ailleurs, l’Esprit-Saint n’est donné que dans la grâce sanctifiante. Mais aucune créature ne peut conférer une telle grâce. Donc, aucune créature ne peut donner l’Esprit-Saint.

Preuve de la mineure :

Rien d’infini ne peut venir d’une puissance finie. Mais la grâce possède une puissance infinie, c’est-à-dire en tant qu’elle unit à Dieu qui est infini. Donc, puisque toute puissance qui se trouve dans la créature est finie, aucune créature ne peut conférer la grâce sanctifiante.

 lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod nulla creatura potest dare Spiritum sanctum, sed solus Deus. Cum enim in processione temporali, ut dictum est, duo sint ; scilicet respectus aeternus, quo Spiritus sanctus exit a Patre et Filio, et respectus temporalis qui consurgit ex eo quod creatura per donum susceptum novo modo se habet ad ipsum: constat quod neutro modo potest ab aliqua creatura processio temporalis Spiritus sancti intelligi: quod enim a nulla creatura Spiritus sanctus procedat secundum relationem aeternam, nulli dubium est.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’aucune créature ne peut donner l’Esprit-Saint et que seul Dieu le peut. En effet, ainsi que nous l’avons dit, puisqu’il y a deux choses à considérer dans la procession temporelle, à savoir un rapport éternel par lequel l’Esprit-Saint provient du Père et du Fils, et un rapport temporel qui provient du fait que la créature se présente à Dieu d’une nouvelle manière par le don reçu : il est clair que la procession temporelle de l’Esprit-Saint ne peut être comprise d’aucune de ces manières par une créature : en effet, personne ne doute que l’Esprit-Saint ne procède d’aucune créature selon la relation éternelle.

Similiter etiam nulla creatura gratiam gratum facientem, in qua sola Spiritus sanctus datur, conferre potest. Cujus ratio potest dupliciter assignari.

De la même manière aussi aucune créature ne peut conférer la grâce sanctifiante qui est la seule dans laquelle l’Esprit-Saint est donné. Et la raison peut en être donnée de deux manières.

Primo, quia cum omnis operatio creaturae praesupponat potentiam materiae, impossibile est quod aliqua creatura aliquam formam producat in esse, quae non educitur de potentia materiae: et inde est quod anima rationalis a solo Deo creatur. Et quia gratia gratum faciens elevat hominem supra totum esse naturae, inquantum elicit actum et ordinat in finem in quem natura per sua principia attingere non potest ; non est perfectio educta de potentia materiae ; et ideo a solo Deo confertur

Premièrement, parce que toute opération de la créature présuppose la puissance de la matière, il  est impossible qu’une créature fasse exister une forme qui ne soit pas tirée de la puissance de la matière : et c’est pourquoi l’âme rationnelle n’est créée que par Dieu. Et parce que la grâce sanctifiante élève l’homme au-dessus de la totalité de son existence naturelle selon qu’elle engage l’acte et l’ordonne à une fin que la nature ne peut atteindre par ses seuls principes, et que la perfection n’est pas tirée d’une puissance de la matière, c’est pourquoi elle n’est conférée que par Dieu.

Alia ratio potest esse, quia cum omnis actio sit secundum aliquam similitudinem in per se agentibus, secundum quod videtur quod unumquodque agit sibi simile ; oportet, si aliqua perfectio acquisita in aliquo immediate conjungat alicui sicut similitudo ipsius, quod immediate ab ipso producatur. Et quia per gratiam efficimur ipsi Deo conjuncti, et non mediante aliqua creatura ; ideo oportet quod gratia immediate a Deo in nos procedat.

On peut présenter une deuxième raison car puisque toute action est produite d’après  une certaine ressemblance chez les agents par soi, selon qu’on voit que chacun fait ce qui lui est semblable ; il faut, si une perfection acquise dans un être l’unit immédiatement à un autre comme sa ressemblance, que cet être soit produit immédiatement par lui. Et parce que par la grâce nous sommes unis à Dieu lui-même et non par l’intermédiaire d’une créature, c’est pourquoi il faut que la grâce procède immédiatement de Dieu en nous.

Tertia ratio potest etiam sumi ex virtute ipsius gratiae, ex qua eliciuntur in nobis actus meritorii, qui ducunt in infinitum bonum, sicut objectio tangit ; et ex eo quod in omnibus agentibus ordinatis per modum agentis et instrumenti, ultima perfectio attribuitur primo agenti ; sicut forma substantialis non est per calorem ignis, qui est quasi instrumentum, sed per virtutem caelestem.

Une troisième raison peut encore se tirer de la puissance de la grâce elle-même, à partir de laquelle sont obtenus en nous les actes méritoires qui conduisent à un bien infini, comme une objection l’indique ; et du fait que dans tous les agents qui sont ordonnés à la manière d’un agent et de son instrument la perfection ultime est attribuée à l’agent premier comme c’est le cas pour la forme substantielle qui n’est pas d’abord produite par la chaleur du feu qui est comme un instrument, mais par la puissance céleste.

lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ministri Ecclesiae non remittunt peccata auctoritate, vel per modum efficientis ; sed solus Deus, qui dicit Isa. 43, 25: Ego sum qui deleo iniquitates tuas propter me. Remittunt autem per modum ministerii: et ideo etiam possunt dici ministri collationis Spiritus sancti, sed non datores, quia hoc importat auctoritatem.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que les ministres de l’Église ne remettent pas les péchés de leur propre autorité ou par mode de cause efficiente, mais seul Dieu le fait lorsqu’il dit [Isa. 43, 25] : C’est moi, moi, qui efface tes crimes par égard pour moi. Mais les ministres ne remettent les péchés par mode de ministère : et c’est pourquoi on peut encore dire à leur sujet qu’ils sont les ministres de la communication de l’Esprit-Saint et non ses donateurs car cela implique autorité.

lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod lumen spirituale est nobilius et potentius quam lumen corporale, et ex sua dignitate habet quod a nullo creato potest produci, sicut et anima rationalis, ut dictum est, in corp. hujus art.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la lumière spirituelle est plus noble et plus puissante que la lumière corporelle, et c’est de sa dignité qu’elle tient de ne pouvoir être produite par aucune créature, comme c’est le cas pour l’âme rationnelle, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de cet article.

lib. 1 d. 14 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ille qui dat occasionem damni, videtur damnum fecisse interpretative, sed non proprie ; et tamen qui dat occasionem damni, facit aliquid proportionatum et sufficiens ad hoc quod damnum sequatur. Sed nulla operatio ministri in se considerata, prout exit a ministro, est proportionata et sufficiens ut sequatur Spiritus sancti donatio ; sed solum hoc habet ex divina institutione et dignatione ; et ideo tota causalitas in Deum refertur.

3. Il faut dire en troisième lieu que celui qui donne l’occasion d’un tort semble avoir produit le tort en un sens mais non à proprement parler ; et cependant celui qui donne l’occasion du tort fait quelque chose qui est proportionné au tort et qui suffit à entraîner le tort. Mais aucune opération d’un ministre, considérée en elle-même, en tant qu’elle provient d’un ministre, n’est proportionnée à la donation de l’Esprit-Saint et ne suffit à l’entraîner ; mais elle ne tient cela que de la seule institution divine et de son excellence ; et c’est pourquoi la causalité de la donation de l’Esprit-Saint doit être totalement rapportée à Dieu.

 

 

Distinctio 15

Distinction 15 – [La mission en Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue15

 

Question 1

Article 1 La mission convient-elle aux Personnes divines ?

Article 2 La mission signifie-t-elle une notion ?

Question 2

Article 1. La mission convient-elle à toutes les personnes ?

Question 3

Article 1 Est-ce qu’une personne s’envoie ou se donne-t-elle elle-même ?

Article 2 L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ?

Question 4

Article 1 Le Fils est-il envoyé invisiblement dans l’esprit[12] ?

Article 2 La mission du Fils se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ?

Article 3 La mission peut-elle être éternelle ?

Question 5

Article 1 La mission est-elle faite pour les créatures sans raison ?

qc. 2. Le Fils et l’Esprit Saint sont-ils envoyés à tous les saints[13] ?

qc. 3. Y a-t-il une mission pour les anges ?

qc. 4. Une mission peut-elle être faite pour le Christ en tant qu’homme ?

Article 2 La mission invisible a-t-elle été plus complète après l’Incarnation ?

Article 3 Par la mission invisible se fait-il que nous ne sommes plus en ce monde ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Qu’est ce que la mission des Personnes divines ?]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intellectum hujus partis de tribus quaeritur:

primo de missione secundum se.

Secundo de ipsa ex parte missi.

Tertio de eadem ex parte mittentis.

Circa primum duo quaeruntur:

1 utrum missio aut datio conveniat divinis personis ;

2 quid significet, utrum essentiam, vel notionem.

Pour comprendre cette partie, on s’interroge sur trois points :

Premièrement sur la mission en elle-même.

Deuxièmement sur la mission prise du côté de celui qui est envoyé.

Troisièmement sur la mission prise du côté de celui qui envoie.

Et au sujet du premier point on se demande deux choses :

1. Est-ce que la mission ou la donation convient aux personnes divines ?

2. Cette mission signifie-t-elle l’essence ou la notion ?

 

 

Articulus 1 [1082] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 tit. Utrum missio conveniat divinis personis

Article 1 – La mission convient-elle aux Personnes divines ?

[1083] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio non conveniat divinis personis. Missio enim videtur dicere quamdam loci mutationem, secundum quod dicimus nuntium mitti ad aliquem locum. Sed divinis personis, quae ubique sunt, non convenit aliqua loci mutatio. Ergo nec missio.

Difficultés :

1. Il semble que la mission ne convienne pas aux personnes divines. La mission en effet semble signifier un changement de lieu selon que nous disons du messager qu’il est envoyé vers un lieu. Mais aux personnes divines qui sont partout,  on ne peut attribuer un changement de lieu, ni par conséquent une mission.

[1084] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, super illud Ezech., 16, 53: Convertens restituam eos conversione Sodomorum cum filiabus suis, et conversione Samariae et filiarum ejus ; dicit Hieronymus: « Quod conjunctum est et in uno corpore copulatum, mitti non potest ». Sed una persona conjuncta est alii majori unione quam aliqua copulatio corporalis. Ergo una persona non potest mitti ab alia.

2. Par ailleurs, sur ce passage d’Ézéchiel (16, 53) : ………., Saint-Jérôme dit : Ce qui vous est uni et conjoint dans un seul et même corps ne peut être envoyé.  Mais une personne est unie à une autre par une union plus grande que l’union corporelle. Donc, une Personne ne peut être envoyée par une autre.

[1085] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, nihil pertinens ad inferioritatem potest dici de una persona respectu alterius, cum non sint gradus in Trinitate ; unde dicit Damascenus, lib. III, Fid orthod., cap. XIV, col. 1042, quod Christus non est obediens Patri nisi secundum quod homo. Missio autem et datio videntur importare quamdam inferioritatem in misso et dato. Ergo neutrum convenit divinae personae.

3. En outre, rien d’inférieur par rappport à une autre ne peut être attribué à une personne  puisqu’il n’y a pas de degrés parmi les Personnes de la Trinité ; c’est pourquoi Damascène [111, De la Foi Orthodoxe, ch. XIV, col. 1042] dit que  le Christ n’obéit à son Père qu’en tant qu’Il est homme. Mais la mission  et la donation semblent impliquer une certaine infériorité dans celui qui est envoyé et  donné. Donc, ni l’un ni l’autre ne convient à la Personne divine.

[1086] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, constat quod divina persona est in infinitum dignior quam aliquis Angelus. Sed Angeli superiores qui sunt assistentes, secundum Dionysium, XIII, Caelest. Hierar., col. 299, non mittuntur ad nos propter suam dignitatem. Ergo multo minus divinae personae mittuntur.

4. De  plus, il est clair qu’une Personne divine est infiniment plus digne qu’un Ange. Mais les Anges supérieurs qui sont des assistants d’après Denys [XIII De la Hiérarchie Céleste, col. 299], ne sont pas envoyés vers  nous en raison de leur dignité. Donc, à bien plus forte raison les personnes divines ne sont pas envoyées.

[1087] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium autem sunt plurimae auctoritates canonis et sanctorum, ut in littera.

Cependant :

Un grand nombre d’autorités du canon et de saints affirment le contraire, comme on le voit dans le document.

[1088] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod missio vel datio ratione suae significationis dicit exitum alicujus ut missi ab aliquo sicut a mittente, et ad aliquem terminum. Iste autem exitus in creaturis est secundum distantiam corporalem missi a mittente, et in comparatione ad terminum ponit in misso esse ubi non fuit prius. Quia autem omnis imperfectio amovenda est ab his quae in divinam praedicationem veniunt, ideo missio in divinis intelligitur non secundum exitum localis distantiae, nec secundum aliquam novitatem advenientem ipsi misso, ut sit ubi prius non fuerat ; sed secundum exitum originis ab aliquo ut a principio, et secundum novitatem advenientem ei ad quem fit missio, ut novo modo persona missa in eo esse dicatur.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que le mission ou la donation en raison de sa signification dit la sortie de  quelqu’un à titre d’envoyé de la part de quelqu’un qui envoie vers un certain terme. Mais chez les créatures cette sortie s’opère d’après une distance corporelle entre celui qui est envoyé et celui qui envoie, et par rapport au terme elle pose chez celui qui est envoyé d’être en un lieu où il n’était pas antérieurement. Mais parce que toute imperfection doit être écartée de ce qui est attribué aux personnes divines, c’est pourquoi la mission, en tant qu’elle s’applique à Dieu, doit s’entendre non pas d’après une sortie qui implique une  distance dans le lieu, ni selon une nouveauté qui arrive à celui-là même qui est envoyé de sorte qu’il serait là où il n’était  pas avant, mais d’après une sortie d’origine de quelqu’un comme de son principe, et d’après une nouveauté qui arrive à celui à qui est ordonnée la mission comme terme, de telle manière qu’on dise que la personne envoyée est en lui d’une nouvelle manière.

Ex quo patet quod missio de ratione sui differt a processione et datione. Processio enim, inquantum processio, dicit realem distinctionem et respectum ad principium a quo procedit, et non ad aliquem terminum. Datio autem non importat distinctionem dati a principio a quo datur, quia idem potest dare seipsum ; sed tantum ab eo cui datur, ut supra dictum est, dist. 14, qu. 2, art. 1. Sed missio ponit distinctionem in misso et ad principium et ad terminum. Et ideo cum dicitur Spiritus sanctus mitti, includitur in significatione missionis uterque respectus, scilicet temporalis et aeternus ; aeternus prout a Patre et Filio procedit ; et temporalis prout significatur in habitudine ad creaturam, quae novo modo ad ipsum se habet.

D’où il est clair que la mission de par sa notion diffère de la procession et de la donation. La procession en effet, en tant que procession, dit une distinction réelle et un rapport au principe d’où elle procède et non un rapport à un terme. Mais la donation n’implique pas une distinction entre ce qui est donné et le principe duquel il est donné, car un même être peut se donner lui-même, mais elle implique une distinction entre ce qui est donné et celui auquel se fait le don, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 14, quest. 2, art. 1]. Mais la mission pose une distinction de l’envoyé à la fois à l’égard du principe et du terme. Et c’est pourquoi, lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint est envoyé, les deux rapports sont compris dans la signification de la mission, à savoir celui qui est temporel et celui qui est éternel: éternel en tant qu’elle procède du Père et du Fils, temporel en tant que la mission est signifiée dans son rapport à la créature qui se présente à l’Esprit-Saint d’une nouvelle manière.

[1089] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus, qui ubique est, non possit esse ubi non fuerat, loci mutatione circa ipsum intellecta ; tamen potest esse aliquo modo quo prius non fuerat, mutatione facta circa illud in quo esse dicitur ; et in hoc salvatur ratio missionis.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que bien que l’Esprit-Saint, qui est partout, ne puisse être là où il n’était pas auparavant par un changement de lieu étant pris comme lui appartenant, cependant il peut être  selon un mode par lequel il n’était pas avant grâce à un changement produit sur la chose même dans laquelle on dit qu’Il est ; et c’est en cela que se conserve la notion de mission.

[1090] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Glossa Hieronymi intelligitur de missione creaturae quae fit per loci mutationem, quae non potest esse nisi ejus quod localiter separatur. Ad divinam autem missionem sufficit distinctio personarum in essentiae unitate.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la somme de Saint-Jérôme doit ici s’entendre de la mission de la créature qui s’opère par un changement de lieu et qui ne peut avoir lieu que pour celui qui s’éloigne d’un lieu. Mais la distinction des Personnes dans l’unité de l’essence suffit à conserver la mission divine.

[1091] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod obedientia est proprie respectu praecepti, quod proprie ad dominium pertinet. Unde patet quod obedientia gradum importat dignitatis. Unde non potest dici de persona Filii vel Spiritus sancti secundum divinitatem. Mittere autem non ponit gradum dignitatis, sed auctoritatem principii in uno, respectu alterius qui ab illo exit: et iste ordo est in divinis personis.

3. Il faut dire en troisième lieu que l’obéissance se rapporte proprement au commandement qui appartient en propre au Seigneur. C’est pourquoi il est clair que l’obéissance implique un degré de dignité. Et c’est pourquoi  elle ne peut se dire de la personne du Fils  ou de l’Esprit-Saint sous le rapport de la divinité. Mais la mission ne pose pas un degré de dignité, mais l’autorité d’un principe dans un être par rapport à un autre qui sort de lui : et cet ordre existe dans les Personnes divines.

[1092] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non secundum eamdem rationem missio dicitur de Angelo et de divina persona. Angelus enim missus localiter movetur, cum sit ubi prius non fuerat: quia cum sunt in caelo, non sunt in terra. Unde missio talis aliquam indignitatem vel inferioritatem gradus ponit circa missum. Non autem missio divinae personae a qua omnino loci mutatio excluditur. Et praeterea effectus ille ad quem est missio personae divinae etiam immediate est ab ipsa persona, scilicet gratia gratum faciens, ut dictum est, dist. 14, qu. 2, art. 2. Effectus autem superiorum Angelorum efficitur in nos mediantibus inferioribus Angelis, secundum Dionysium, caelest. Hier., cap. XIII, § 3, col. 299, et ideo non dicuntur ipsi superiores Angeli ad nos mitti, sed inferiores, qui circa nos immediate operantur ; sicut etiam nec missio divinae personae est secundum illas perfectiones quas creatura a Deo recipit, agente aliqua media creatura.

4. Il faut dire en quatrième lieu que ce n’est pas d’après la  même notion qu’on parle de la mission de l’Ange et de celle de la Personne divine. En effet, l’Ange qui est envoyé se meut localement, puisqu’il est là où il n’était pas avant: car alors même qu’ils sont dans le ciel, ils ne sont pas sur la terre. C’est pouquoi une telle mission pose une indignité ou une infériorité de degré sur celui qui est envoyé. Ce qui n’est pas le cas pour la mission de la personne divine de laquelle  tout changement de lieu est absolument exclu. Et de plus cet effet auquel la mission de la personne divine est ordonné, à savoir la grâce sanctifiante, est immédiatement produit par la Personne elle-même, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 14, quest. 2, art. 2]. Mais les effets  des Anges supérieurs  sont produits en nous par l’intermédiaire des Anges inférieurs d’après Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. XIII, & 3, col. 299], et c’est pourquoi on ne dit pas des Anges supérieurs qu’ils sont envoyés vers nous, mais on le dit seulement des Anges inférieures qui agissent immédiatement sur nous; tout comme aussi la mission de la Personne divine, d’après  ces perfections que la créature reçoit de Dieu, ne se fait pas par l’action d’une créature intermédiaire.

 

 

Articulus 2 [1093] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 tit. Utrum missio significet notionem

Article 2 – La mission signifie-t-elle une notion ?

[1094] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio significet notionem. Dicit enim Beda in quadam Homil., quod missio Spiritus sancti est ejus processio. Sed processio est notionale. Ergo et missio.

Difficultés :

1. Il semble que la mission signifie une notion. Bède dit en effet dans une de ses  homélies que la mission de l’Esprit-Saint est sa procession. Mais la procession est notionnelle. Donc la mission l’est aussi.

[1095] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid importat originem in divinis, est notionale: quia essentia divina non originatur, nec aliquam personam originat. Missio autem, ut dictum est, in art. antec., importat exitum originis ab alio sicut a principio. Ergo est notionale.

2. Par ailleurs, tout ce qui implique une origine en Dieu est notionel : car l’essence divine n’a pas d’origine et ne donne pas son origine à une Personne. Mais la mission, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, implique, sous le rapport de l’origine, une sortie d’un autre comme d’un principe. Elle est donc notionnelle.

[1096] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 3 Contra, secundum Dionysium, De div. nom., cap. II, col. 615, omne nomen connotans effectum aliquem in creatura, dictum de Deo pertinet ad communitatem essentiae. Sed missio importat effectum aliquem in creatura, ut dictum est. Ergo significat essentiam.

3. Au contraire, selon Denys [Les Noms Divins, ch. 11, col. 615], tout nom qui signifie un effet dans la créature, dit de  Dieu, relève de la communauté de l’essence. Mais la mission implique un effet dans la créature, ainsi que nous  l’avons dit. Elle signifie donc l’essence.

[1097] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, nulla notio communis est Filio et Spiritui sancto. Sed missio communis est utrique: uterque enim legitur missus, ut in Littera dicitur. Ergo missio non dicit aliquam notionem.

4. De plus, aucune notion n’est commune au Fils et à l’Esprit-Saint. Mais la mission est commune aux deux : chacun des deux en effet est choisi comme envoyé, ainsi qu’on le dit dans le document. Donc la mission ne dit pas ne notion.

[1098] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quaedam nomina sunt in divinis quae significant tantum personam, ut Pater et Filius ; quaedam quae tantum significant essentiam, sicut hoc nomen essentia ; quaedam quae significant utrumque, sicut dictum est, dist. 7, qu. 1, art. 1, de potentia generandi et spirandi. Et ita dico, quod missio est et essentiale et notionale, secundum aliud et aliud. Secundum enim respectum quem importat missio ad suum principium, est notionale ; secundum autem respectum quem importat ad effectum in creatura, est essentiale.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il y a certains noms qui à l’égard de Dieu signifient seulement la personne, comme Père et Fils ; il y en a d’autres qui signifient seulement l’essence, comme ce nom, ¨essence¨ ; mais il y en a d’autres qui signifient les deux, ainsi que nous l’avons dit [dist. 7, quest. 1, art. 1] au sujet de la puissance de génération et de la puissance de spiration. Et ainsi je dis que la mission est à la fois essentielle et notionnelle, mais sous des rapports différents. En effet, selon le rapport que la mission implique à son principe, elle est notionnelle ; mais sous le rapport que la mission implique à l’effet qu’elle produit dans la créature, elle est essentielle.

Sed circa hoc est duplex opinio.

Quidam enim dicunt, quod principaliter significat notionem, et ex consequenti essentiam secundum effectum connotatum.

Alii dicunt e converso ; et hoc mihi videtur verius esse, considerata virtute vocabuli. Missio enim secundum rationem sui nominis non dicit exitum ab aliquo sicut a principio a quo missio esse habet ; sed solum in ordine ad effectum missionis ponitur auctoritas alicujus ad missum. Servus enim qui mittitur a domino, non exit ab ipso secundum suum esse, sed sicut a principio movente ipsum per imperium ad hunc actum.

Mais à ce sujet il y a deux opinions.

Certains en effet dissent que la mission signifie principalement une notion et par consequent l’essence d’après l’effet qui lui est rattaché.

Mais d’autres dissent le contraire et cela me semble plus près de la vérité si on considère la puissance du mot lui-même. La mission en effet, d’après la signification du nom ne dit pas la sortie d’un être comme du principe par lequel la mission tient son existence mais seulement dans le rapport à l’effet de la mission l’autorité de quelqu’un est posée à l’égard de celui qui est envoyé. En effet, l’esclave qui est envoyé par le seigneur ne sort pas de lui quant à son existence mais comme d’un principe qui le meut à cet acte par un commandement.

Sed quia in divinis personis non potest esse auctoritas respectu missi, nisi secundum originem essendi, ideo ex consequenti importatur relatio originis in missione, secundum quam est notionale ; et principaliter importatur ordo ad effectum missionis secundum quem est essentiale. Sed in processione temporali est e converso: quia processio secundum notionem suam, prout sumitur in divinis, dicit exitum a principio originante, et non dicit ordinem ad effectum nisi ex consequenti ; scilicet quantum ad modum processionis, [qui est temporalis add. Éd. de Parme], ut dictum est, art. antec. Et ideo processio temporalis videtur esse principaliter notionale, et ex consequenti significare essentiam ratione connotati effectus. [Dico autem, quod hic accedit plus Éd. de Parme]. Datio autem accedit adhuc plus ad essentiam quam missio, ut patet ex dictis.

Mais parce que dans les Personnes divines il ne peut y avoir une autorité par rapport à celui qui est envoyé que d’après l’origine de l’existence, c’est pourquoi par conséquent la relation d’origine est impliquée dans la mission et d’après laquelle la mission est notionnelle ; et principalement c’est le rapport à l’effet de la mission qui est impliqué et d’après  lequel la mission est essentielle. Mais dans la procession temporelle c’est l’inverse : car la procession selon sa notion, si on la prend dans les personnes divines, dit une sortie d’un principe d’origine et ne dit pas un rapport à un effet si ce n’est comme conséquence, c’est-à-dire quant à la modalité de la procession, [qui est temporelle add. Éd. de Parme] ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Et c’est pourquoi la procession temporelle semble être principalement notionnelle et par conséquent signifier l’essence en raison de l’effet qui lui est rattaché. [Mais je dis qu’ici s’approche davantage Éd. de Parme]. Mais la donation s’approche encore davantage de l’essence que la mission ainsi qu’on le voit en partant de ce qui a été dit.

 [1099] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 ad 1 Et per hoc patet solutio ad tria prima argumenta.

Solutions:

1. Suite à cela, la solution aux trois premières difficultés est évidente.

[1100] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod notio potest significari in divinis dupliciter: aut proprie, sicut paternitas vel innascibilitas ; aut communiter, sicut esse ab alio vel a quo est alius ; et hoc modo significatur notio in missione ; et ideo communis est duabus personis ab alio existentibus.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la notion en Dieu peut être signifiée de deux manières : ou bien proprement, comme la paternité et l’inascibilité ; ou bien au sens large, comme d’exister par un autre ou ce par quoi un autre existe ; et en ce sens la notion est signifiée dans la mission ; et c’est pourquoi elle est commune à deux personnes qui existent par un autre.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La mission convient-elle à toutes les personnes ?]

 

 

Articulus 1 [1101] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 tit. Utrum missio conveniat omnibus personis

Article 1 – La mission convient-elle à toutes les personnes ?

[1102] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur cui convenit mitti. Et videtur quod toti Trinitati. Sicut enim dicit Damascenus, lib. I Fide, orthod., cap.II, col. 79, in divinis omnia unum sunt, praeter ingenerationem, generationem et processionem. Sed missio nullum horum est. Ergo videtur quod toti Trinitati convenit.

Difficultés :

1. On se demande ensuite à qui il convient d’être envoyé. Et il semble que cela convienne à toute la Trinité. En effet, comme le dit Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. 11, col. 79], en Dieu tout est un, à l’exception de l’inascibilité, de la génération et de la procession. Mais la mission n’appartient à aucune de ces trois notions. Il semble donc que la mission appartienne à toute la Trinité.

[1103] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, missio divinae personae intelligitur secundum hoc quod ipsa persona per missionem manifestatur. Unde dicit Augustinus, IV De Trinit., cap. XX, col. 906, quod mitti est cognosci quod ab alio sit. Sed effectus in creatura qui fit per missionem, manifestat totam Trinitatem sicut causatum suam causam. Ergo videtur quod tota Trinitas mittatur.

2. Par ailleurs, la mission de la personne divine se comprend selon ceci que  la personne elle-même est manifestée par la mission. C’est pourquoi Augustin dit [IV De la Trinité, ch. XX, col. 906] qu’on dit qu’est envoyé ce qui est connu comme venant d’un autre. Mais l’effet qui est produit par la mission dans la créature manifeste toute la Trinité comme le causé manifeste sa cause. Il semble donc que toute la Trinité soit envoyée.

[1104] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut dona appropriata Filio et et Spiritui sancto sunt communicabilia creaturae, scilicet sapientia et bonitas, ita et dona appropriata Patri, scilicet potentia. Sed ratione illorum donorum appropriatorum eis dicuntur Spiritus sanctus et Filius mitti. Ergo eadem ratione et Pater.

3. En outre, tout comme les dons appropriés au Fils et à l’Esprit-Saint, à savoir la sagesse et la bonté, sont cummunicables à la créature, de même encore les dons appropriés au Père, à savoir la puissance, sont eux aussi communicables à la créature. Mais c’est en raison de ces dons qui leur sont appropriés qu’on dit du Fils et de l‘Esprit-Saint qu’ils sont envoyés. Pour la même raison, il en est donc de même pour le Père.

[1105] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, ubicumque est Filius vel Spiritus sanctus, est et Pater. Sed Spiritus sanctus vel Filius dicuntur mitti, quia novo modo existunt in aliqua creatura. Ergo videtur quod simul cum eis Pater mittatur, et ita toti Trinitati convenit mitti.

4. De plus, partout où sont le Fils et l’Esprit-Saint, le Père y est aussi. Mais on dit de l’Esprit-Saint et du Fils qu’ils sont envoyés parce qu’ils existent d’une nouvelle manière dans la créature. Il semble donc que le Père soit envoyé simultanément avec eux et qu’il convienne ainsi à toute la Trinité d’être envoyée.

[1106] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 5 Sed contra, videtur quod solus Filius mittatur. Sicut enim dicit Augustinus, IV de Trinitate, cap. XX, col. 906, mitti est cognosci quod ab alio sit. Sed cognitio appropriatur Filio, qui est Verbum et sapientia Patris. Ergo solus Filius videtur mitti.

5. Au contraire, il semble que seul le Fils soit envoyé. En effet, comme le dit Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, col. 906], on dit qu’est envoyé ce qui est connu comme venant d’un autre. Mais la connaissance est appropriée au Fils qui est le Verbe et la sagesse du Père. Il semble donc que seul le Fils soit envoyé.

[1107] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 arg. 6 Item, videtur quod solus Spiritus sanctus. Omnia enim dona spiritualia pertinent ad manifestationem Spiritus, ut habetur 1 Corinth. 12, 7: unicuique datur manifestatio Spiritus ad utilitatem. Sed per missionem manifestatur persona divina. Ergo videtur quod solus Spiritus mittatur in omnibus donis.

6. Aussi, il semble que seul l’Esprit-Saint soit envoyé. En effet, tous les dons spirituels appartiennent à la manifestation de l’Esprit ainsi que l’affirme l’Apôtre [1 Corinth., 12, 7] : À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit pour le service. Mais la personne divine est manifestée par la mission. Il semble donc que seul l’Esprit-Saint soit envoyé dans tous les  dons.

[1108] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 1, in omni missione oportet quod ponatur aliqua auctoritas alicujus ad ipsum missum. In divinis autem personis non est auctoritas nisi secundum originem ; et ideo nulli personae divinae convenit mitti nisi ei quae est ab alio, respectu cujus potest in alio designari auctoritas ; et ideo Spiritus sanctus et Filius dicuntur mitti, et non Pater vel Trinitas ipsa.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, comme nous l’avons déjà dit [dist. 15, quest. 1, art. 1], que dans toute mission il faut que l’autorité d’une personne soit posée à l’égard de celui qui est envoyé. Mais dans les personnes divines il n’y a d’autorité que selon l’origine ; et c’est pourquoi il ne convient à une personne divine d’être envoyée que si elle vient d’une autre et sous ce rapport l’autorité peut être désignée comme étant dans l’autre ; et c’est pourquoi on dit du Fils et de l’Esprit-Saint qu’ils sont envoyés et non le Père ou la Trinité elle-même.

[1109] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in missione includitur intellectus processionis et generationis implicite quantum ad id quod commune est eis, scilicet esse ab alio: quamvis non quantum ad propriam rationem generationis vel processionis.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que dans la mission  sont implicitement inclus les concepts de procession et de génération quant à ce  qui leur est commun, à savoir d’exister par un autre, bien qu’ils ne le soient pas quant à leur définition propre.

[1110] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in missione non tantum est effectus doni creati creaturae collati, sed etiam, ut dictum est, in corp. art., ponitur auctoritas alicujus principii respectu ipsius missi. Unde in missione personae cognoscitur persona ab alia esse, secundum Augustinum IV De Trinit., cap. XX, col. 906. Et quia hoc non convenit toti Trinitati nec ipsi Patri, ideo non potest dici Pater vel Trinitas mitti. Et praeterea effectus ille magis appropriatur uni personae quam alii, secundum quem una persona dicitur mitti et non alia.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans la mission il n’y a pas seulement l’effet du don qui est uni à la créature mais aussi, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article l’autorité d’un principe est posée par rapport à celui qui est envoyé. C’est pourquoi dans la mission de la  personne il est connu que la personne vient d’une autre d’après Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, col. 906]. Et parce que cela ne convient pas à toute la Trinité ni au Père lui-même, c’est pourquoi on ne peut attribuer la mission ni au Père ni à la Trinité. Et par ailleurs tel effet est davantage approprié à une personne qu’à une autre, selon lequel on dit d’une personne et non d’une autre qu’elle est envoyée.

[1111] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia, quae appropriatur patri, non habet rationem ut pertineat ad reditum in finem ; sed magis pertinet ad exitum a principio, dicit enim potentia rationem principii: et ideo non pertinet ad missionem, quae fit ad revocandum rationalem creaturam in Deum. Et praeterea Pater, in quo est prima auctoritas, non potest designari mitti, quia respectu ejus nulla habetur auctoritas.

3. Il faut dire en troisième lieu que la puissance qui est appropriée au Père n’a pas raison de se rapporter à un retour vers la fin mais plutôt elle se rapporte à une sortie d’un principe car la puissance en effet a raison de principe : et c’est pourquoi elle ne se rapporte pas à la mission qui a lieu pour rappeler la créature rationnelle à Dieu. Et par ailleurs le Père dans lequel se tient la première autorité, ne peut être identifié comme un envoyé car au-dessus de Lui il n’y a aucune autorité.

[1112] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum Pater sit in Filio, et Filius in Spiritu sancto, quando Filius mittitur, simul et venit Pater et Spiritus sanctus ; sive intelligatur de adventu Filii in carnem, cum ipse dicat, Joan. 8, 16: Solus non sum [et non sum solus Éd. de Parme], sed ego, et qui misit me Pater, sive intelligatur de adventu in mentem, cum ipse dicat, Joan. 14, 23: Ad eum veniemus, et mansionem apud eum faciemus. Et ideo adventus vel inhabitatio convenit toti Trinitati: quae non dicuntur nisi ratione effectus conjungentis ipsi Trinitati, quamvis ille effectus ratione appropriationis possit ducere magis in unam personam quam in aliam. Sed missio super hoc addit auctoritatem alicujus respectu personae quae mitti dicitur ; et ideo non potest convenire nisi personae quae est ab alio principio.

4. Il faut dire en quatrième lieu que puisque le Père est dans le Fils et que le Fils est dans l’Esprit-Saint, quand le Fils est envoyé, le Père et l’Esprit-Saint viennent simultanément ; soit qu’on le prenne quant à la venue du Fils dans la chair comme Il le dit lui-même dans Jean (8, 16) : Je ne suis pas seul [et je ne suis pas seul Éd. de Parme] mais il y a moi et le Père qui m’a envoyé ; soit qu’on le prenne quant à sa venue dans notre intelligence, comme Il le dit lui-même dans Jean (14, 23) : Nous viendrons chez lui et nous ferons notre maison en lui. Et c’est pourquoi la venue ou l’habitation convient à toute la Trinité et ces termes ne sont dits qu’en raison de l’effet qui unit à la Trinité elle-même, bien que cet effet en raison de l’appropriation puisse conduire davantage à une personne qu’à une autre. Mais la mission ajoute à cela l’autorité d’une personne par rapport à la personne qu’on dit être envoyée ; et c’est pourquoi la mission ne peut convenir qu’à la personne qui vient d’une autre comme de son principe.

[1113] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis cognitio approprietur Filio, tamen donum illud ex quo sumitur experimentalis cognitio, quae necessaria est ad missionem, non necessario appropriatur Filio, sed quandoque Spiritui sancto, sicut amor.

5. Il faut dire en cinquième lieu que bien que la connaissance soit appropriée au Fils, cependant ce don, d’où se tire la connaissance expérimentale qui est nécessaire à la mission, n’est pas nécessairement approprié au Fils, mais parfois à  l’Esprit-Saint en tant qu’amour.

[1114] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in dono duo est considerare:

scilicet rationem doni, et sic manifestat omne donum Spiritum sanctum, inquantum habet rationem primi doni, secundum quod est amor ;

aut secundum speciem doni, et sic aliquod donum manifestat ipsum Filium, sicut sapientia vel scientia.

6. Il faut dire en sixième lieu qu’il y a deux choses à considérer dans le don :

Soit la notion universelle de don et ainsi tout don manifeste l’Esprit-Saint selon qu’Il a raison de premier don en tant qu’Il est amour ;

Soit l’espèce du don et ainsi un don particulier manifeste le Fils lui-même en tant qu’il est sagessse ou science.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La mission par comparaison à celui qui envoie]

 

 

Prooemium

Prologue

[1115] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 pr. Deinde quaeritur de missione per comparationem ad mittentem, et circa hoc duo quaeruntur:

1 utrum alicui personae conveniat quod mittat se, vel procedat a se, vel det ;

2 utrum Filius mittatur a Spiritu sancto.

Par la suite on s’interroge sur la  mission par rapport à celui qui envoie et à ce sujet on pose deux questions :

1. Convient-il à une personne de s’envoyer elle-même, de procéder d’elle-même ou de se donner  elle-même?

2. Est-ce que le Fils est envoyé par l’Esprit-Saint ?

 

 

Articulus 1 [1116] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 tit. Utrum aliqua persona mittat se vel det

Article 1 – Est-ce qu’une personne s’envoie ou se donne elle-même ?

[1117] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod nulla persona det se, vel mittat se. Dans enim semper videtur habere auctoritatem respectu dati. Sed nulla persona habet auctoritatem respectu sui ipsius. Ergo videtur quod nulla persona det se.

Difficultés :

1. Il semble q’aucune personne ne s’envoie ou ne se donne elle-même. Celui qui donne en effet semble toujours posséder une autorité par rapport à ce qui est donné. Mais aucune Personne ne possède une autorité par rapport à elle-même. Il semble donc qu’aucune personne ne se donne.

[1118] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 2 Item supra, dist. 14, dixit Magister, quod homines non possunt dare Spiritum sanctum, quia ab eis non procedit. Sed nulla persona procedit a seipsa ; alias esset principium sui ipsius. Ergo nulla persona seipsam dare potest.

2. En outre, plus haut (dist. 14), le Maître a dit que les hommes ne peuvent donner l’Esprit-Saint car il ne procède pas d’eux. Mais aucune personne ne procède d’elle-même autrement elle serait principe d’elle-même. Donc, aucune personne ne peut se donner elle-même.

[1119] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 3 Item, sicut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 2, missio ponit exitum ipsius missi a mittente. Sed nulli personae convenit [exire a seipsa Éd. de Parme] mittere se. Ergo nulli personnae convenit mittere se

3. De plus, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction (quest. 1, art. 2), la mission affirme que l’envoyé lui-même sort de celui qui envoie. Mais il ne convient à aucune personne [de sortir d’elle-même Éd. de Parme] de s’envoyer elle-même. Donc il ne convient à aucune personne de s’envoyer elle-même.

[1120] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 4 Item, sicut dictum est, processio principaliter importat respectum personae ad principium a quo distinguitur. Sed nulla persona divina distinguitur a seipsa. Ergo nec a se procedit.

4. Par ailleurs, ainsi que nous l’avons dit, la processon implique principalement un rapport de la personne à un principe dont elle se distingue. Mais aucune personne divine ne se distingue d’elle-même. Donc aucune personne divine ne procède d’elle-même.

[1121] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, haec praepositio a importat habitudinem principii. Sed nulla res est principium sui ipsius. Ergo etsi conceditur quod aliqua persona mittit se, non debet concedi quod mittatur a se.

5. De plus, cette préposition ¨par¨ implique un rapport à un principe. Mais aucune chose  n’est le principe d’elle-même. Donc, bien qu’on concède qu’une personne s’envoie elle-même, on ne doit pas concéder qu’elle est envoyée par elle-même.

[1122] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra, Augustinus, IV De Trinit., cap. XX, XXIX, col. 908 : « Sicut generari est Filium esse a Patre, ita Filium cognosci esse a Patre, est Filium mitti ». Sed ista cognitio potest causari a Filio. Ergo et missio Filii potest esse a Filio.

Cependant :

1. Au contraire, Saint-Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, & 29 , col. 908] dit :  ¨Tout comme la génération fait exister le Fils par le  Père, de même c’est la mission du Fils qui fait connaître que le Fils vient du Père¨. Mais cette connaissance peut être causée par le Fils et par conséquent la mission du fils peut venir du Fils.

[1123] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 s. c. 2 Item, hoc videtur ex his quae in littera dicuntur.

2. En outre cela est clair en partant de ce qui est dit dans le document.

[1124] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum differentiam donationis, missionis et processionis superius assignatam in hac dist., quaest. 1, art. 1, diversimode oportet in hac quaestione loqui. Si enim accipiamus donationem sive dationem, de ratione dationis non videtur plus esse nisi quod datum libere a dante habeatur. Hoc autem potest esse dupliciter:

aut sicut aliquis libere seipsum habet, vel aliquid quod in ipso est ; aut sicut libere aliquis habet suam possessionem,

vel id respectu cujus dominium habet, secundum quod habere multis modis dicitur.

Corps de  l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après la distinction qui a été assignée [dist. 15, quest. 1, art. 1] entre la donation, la mission et la procession, il importe dans cette question de parler de différentes manières. Si en effet nous prenons la donation, il ne semble pas y avoir plus dans la définition de la donation que ce qui est donné est possédé librement par celui qui donne. Mais cela peut avoir lieu de deux manières :

Soit comme celui qui se possède lui-même librement ou qui possède librement quelque chose qui est en lui ; ou comme celui qui possède librement sa possession.

Soit ce par rapport à quoi il possède une autorité, selon que ¨posséder¨ se dit de multiples manières.

Unde de ratione donationis non est quod ponatur aliqua auctoritas respectu ipsius dati (potest enim aliquis et seipsum ex amore dare alicui in amicum), nisi specificetur datio secundum specialem modum habendi, qui est secundum dominium. Talis autem donatio nulla est respectu divinorum. Et ideo donatio non exigit aliquam rationem principii respectu ipsius dati. Unde dari, potest convenire et essentiae divinae, prout dicimus quod Pater dat essentiam suam Filio ; et potest convenire Patri, ut dicatur Pater seipsum dare ; et similiter Filio, et Spiritui sancto. Nec notabitur aliqua distinctio dantis ad datum, nisi forte secundum rationem, sicut intelligentis ad intellectum. Et sic concedimus simpliciter quod persona dat se, et datur a se.

C’est pourquoi il ne fait pas partie de la notion de donation qu’une autorité soit posée par rapport à cela même qui est donné (quelqu’un peut en effet par amour se donner lui-même dans son ami), à moins que la donation ne soit spécifiée d’après un mode spécial de possession qui est celui du maître. Mais il n’y a aucune donation de cette sorte par rapport aux personnes divines. Et c’est pourquoi la donation n’exige pas l’idée de principe par rapport à cela même qui est donné. C’est pourquoi ¨être donné¨ peut s’attribuer à la fois à l’essence divine, selon que nous disons que le Père donne son essence au Fils, au Père lorsque nous disons que le Père se donne lui-même, et de la même manière au Fils et à l’Esprit-Saint. Et on ne notera pas une distinction entre celui qui donne et ce qui est donné, saug bien sûr selon la  raison comme on le fait entre celui qui comprend et ce qui est compris. Et c’est ainsi que nous concédons absolument que la personne se donne elle-même et qu’elle est donnée par elle-même.

Sed circa missionem est major difficultas, quam attestatur opinionum diversitas. Quidam enim dicunt, quod omnes tales sunt falsae: Spiritus sanctus mittit se vel Filius mittit se. Et dicunt, rationes Magistri non valere ; quia cum missio includat in se notionem, non oportet quod in potentia vel operatione missionis tres personae conveniant, sicut nec in generatione vel potentia generandi. Et dicunt etiam non esse simile de missione in carnem, secundum quam Filius seipsum mittere dicitur ; quia in illa missione natura creata assumitur in unitatem divinae personae ; quod non contingit in aliis missionibus.

Mais en ce qui concerne la mission la difficulté est plus grande, ce qu’atteste la diversité des opinions. Certains en effet disent que toutes ces propositions sont fausses : L’esprit-Saint s’envoie lui-même ou le Fils s’envoie lui-même. Et ils disent que les raisonnements du Maître ne sont pas valides ; car puisque le mission inclut en elle la notion, il ne faut pas que dans la puissance et l’opération de la mission les trois personnes  se rencontrent, tout comme il ne faut pas qu’elles se rencontrent dans la génération ou la puissance d’engendrer. Et ils disent encore qu’il n’en est pas de même pour la mission dans la chair selon laquelle on dit du Fils qu’il s’envoie lui-même ; car dans cette mission la nature créée est assumée dans l’unité de la personne divine, ce qui ne se produit pas dans les autres missions.

Et si in auctoritate aliqua invenitur quod Spiritus sanctus mittat se, glossandum est: idest, a Spiritu sancto est effectus, in quo ab alio cognoscitur esse. Sed quia sancti communiter talibus locutionibus utuntur et praecipue Augustinus et Magister hoc concedunt ; ideo alii dixerunt, quod missio aliquando proprie sumitur, aliquando improprie. Quando missio sumitur proprie, importat distinctionem missi ab eo a quo fit missio ; et ideo hoc modo non potest dici quod Spiritus sanctus mittat se. Communiter autem sumitur et improprie missio pro influentia vel datione ; et sic dicunt Spiritum sanctum mittere se quia dat se vel quia inspirat se.

Et si on trouve dans une autorité que l’Esprit-Saint s’envoie lui-même, on doit s’en moquer : à savoir qu’il y a un effet produit par l’Esprit-Saint dans lequel effet est connu qu’il vient d’un autre. Mais parce que les saints se servent communément de telles locutions, et surtout Augustin et le Maître, ils concèdent cela ; c’est pourquoi d’autres auront dit que la mission se prend parfois proprement, parfois improprement. Quand la mission se prend proprement, elle implique une distinction de celui qui est envoyé de celui d’où vient la mission ; et c’est pourquoi en ce sens on ne peut dire que l’Esprit-Saint s’envoie lui-même. Mais prise communément et improprement, la mission tient lieu d’influence ou de donation ; et en ce sens ils disent que l’Esprit-Saint s’envoie lui-même parce qu’il se donne lui-même ou parce qu’il s’inspire lui-même.

Et haec opinio est Praepositini et Altisiodorensis, lib. I Summae VIII. Et quia haec opinio parum videtur recedere a prima ; ideo dixerunt alii, quod proprie dicitur Spiritus sanctus se mittere. Et huic consentiendum videtur, si virtus nominis attendatur. Missio enim, ut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 1, importat duo ; scilicet missum esse ab alio, ratione auctoritatis quam importat ; et iterum effectum, secundum quem novo modo in aliqua creatura Spiritus sanctus dicitur. Unde sensus est: Spiritus sanctus mittitur ; idest, est ab aliquo, et fit novo modo in aliquo, nulla tamen mutatione facta circa ipsum, ut prius dictum est.

Notandum est autem, quod diversimode verificatur locutio, quando aliquod conjunctum praedicatur de aliquo secundum esse, et quando secundum fieri. Quando enim praedicatur secundum esse, oportet quod utrumque illorum esse dicatur ; ut si dicam, Socrates est homo albus, oportet eum esse hominem, et album esse ; nisi alterum diminuat rationem alterius, ut cum dicitur, homo mortuus.

Et cette opinion est celle de Préposition et d’Altisiodore [1 De la Somme  VIII]. Et parce que cette opinion semble peu s’éloigner de la première c’est pourquoi d’autres ont dit que c’est proprement qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il s’envoie. Et il semble qu’il faille se rallier à cette position si on s’arrête à la puissance du nom. La mission en effet, ainsi que nous l’avons dit [dist. XIV, quest. 1, art. 1], implique deux choses : à savoir que l’envoyé vient d’un autre en raison de l’autorité qu’elle implique ; et en outre elle implique l’effet selon lequel on dit de l’Esprit-Saint est présent d’une manière nouvelle dans une créature. C’est pourquoi le sens est : l’Esprit-Saint est envoyé, c’est-à-dire qu’il vient de la part d’un autre et il se fait présent d’une  nouvelle manière dans une créature sans qu’aucun changement ne soit produit en Lui, ainsi que nous l’avons dit antérieurement.

Il faut cependant remarquer que la locution se vérifie différemment quand ce qui est rattaché à une chose s’attribue à quelque chose selon l’existence et selon le devenir. Quand il s’attribue selon l’existence, il faut dire de chacun des deux qu’il existe ; par exemple si je dis que Socrate est un homme blanc, il faut qu’il soit un homme et qu’il soit blanc, à moins que l’un des deux n’amoindrisse la notion de l’autre comme lorsqu’on dit ¨homme mort¨.

Sed quando praedicatur conjunctum secundum fieri, sufficit quod alterum in fieri praedicetur ; ut si dicam, Socrates est nunc factus homo albus, sufficit ad veritatem hujus locutionis, quod sit nunc factus albus, quamvis non sit factus homo. Item notandum est, quod quando aliquod compositum praedicatur de aliquo secundum fieri, diversimode se habet in faciente et in facto. Quia ex parte facti, oportet quod utrumque praedicetur secundum esse, etsi non utrumque secundum fieri, ut si dicam, iste est factus homo albus, oportet eum esse hominem et esse album, nisi alterum sit diminuens ; non autem oportet quod fiat homo, sed sufficit quod fiat album.

Mais quand ce qui est rattaché s’attribue selon le devenir, il suffit que l’un s’attribue dans le devenir ; comme lorsque je dis que Socrate est maintenant en train de devenir un homme blanc, il suffit, pour que cette locution soit vraie, qu’il soit maintenant en train de devenir blanc bien qu’il ne soit pas en train de devenir homme. Il faut en outre noter que lorsqu’un composé s’attribue à un sujet selon le devenir, cela se présente différemment dans ce qui est en train de devenir et dans  ce qui est devenu. Car du côté de ce qui est devenu, il faut que chacun des deux soit attribué selon l’existence bien que chacun d’eux ne soit pas attribué selon le devenir, comme si je disais que celui-ci est devenu homme blanc, il faut qu’il soit homme et qu’il soit blanc, sauf si l’un est un terme de diminution ; cependant il ne faut pas qu’il devienne homme, mais il suffit qu’il devienne blanc.

 

 

Unde oportet ad hoc ut dicatur missus, quod et sit ab alio, et fiat in aliquo secundum novam habitudinem. Propter quod Pater non potest dici mitti, quia non est ab aliquo. Si autem accipiamus ex parte mittentis, tunc mittere Spiritum sanctum nihil aliud est quam facere Spiritum sanctum existentem ab alio, esse in aliquo secundum novam habitudinem ; et ideo cuicumque personae convenit facere alterum istorum, scilicet quod sit in aliquo secundum novam habitudinem, dicetur mittere Spiritum sanctum, quamvis non sit principium Spiritus sancti, secundum quod est ab aliquo. Et quia tota Trinitas facit Spiritum sanctum esse in aliquo secundum novam habitudinem, propter donum collatum totius Trinitatis ; ideo tota Trinitas dicitur mittere Spiritum sanctum ; et ipse seipsum mittit et ipse a se mittitur sub eodem sensu.

C’est pourquoi il faut, pour dire qu’une Personne est envoyée, qu’elle vienne d’une autre et qu’elle se présente dans un être sous un nouveau rapport. Et c’est pourquoi on ne peut dire du Père qu’il est envoyé car il ne vient pas d’un autre. Mais si on le prend du côté de celui qui envoie, alors envoyer l’Esprit-Saint n’est rien d’autre que de faire que l’Esprit-Saint, qui existe par un autre, soit dans un être sous un nouveau rapport ; et c’est pourquoi on dira de toute Personne à laquelle il convient de remplir une de ces conditions de la mission, à savoir pour l’esprit-Saint d’être dans un être sous un nouveau rapport, qu’elle envoie l’Esprit-Saint, bien qu’elle ne soit pas le principe de l’Esprit-Saint selon qu’Il vient d’un autre. Et parce que toute la Trinité rend l’Esprit-Saint présent dans un être sous un nouveau rapport, pour cette raison ce dernier est le don réuni de toute la Trinité ; c’est pourquoi on dit de toute la Trinité qu’elle envoie l’Esprit-Saint ; et dans le même sens Il s’envoie lui-même et Il est envoyé par lui-même.

Ulterius, si loquamur de processione, habebit minus de proprietate, et minus proprie dicetur, Spiritum sanctum procedere a se, quam mitti a se. Sed tamen, quia processio temporalis, ut dictum est, loc. cit., ponit novam habitudinem ad creaturam in quam procedit, et omnis novitas pertinet ad aliquam factionem ; ideo etiam secundum processionem temporalem Spiritus sanctus ens ab alio est et existens novo modo in aliquo. Et sic sub eodem sensu conceditur quod Spiritus sanctus procedat a se temporaliter.

Par la suite, si nous parlons de procession, le terme sera moins propre et on dira moins proprement de l’Esprit-Saint qu’Il procède de lui-même que si on dit qu’il est envoyé par lui-même. Cependant, parce que la procession temporelle, ainsi que nous l’avons dit, pose un nouveau rapport à la créature dans laquelle il procède et que toute nouveauté appartient à une production, c’est pourquoi encore selon la procession temporelle l’Esprit-Saint est un être qui vient d’un autre et qui existe d’une nouvelle manière dans un être. Et ainsi en ce sens nous concédons que l’Esprit-Saint procède temporellement de lui-même.

[1125] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est de ratione dationis quod ponatur aliqua auctoritas respectu dati, nisi quando datur aliquid quod habetur per modum dominii ; et talis datio non est in divinis, ut dictum est, in corp. art.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il ne fait pas partie de la notion de donation qu’une autorité soit posée par rapport à ce qui est donné sauf quand est donné quelque chose qui est possédé à la manière d’un maître ; et une telle donation ne se trouve pas en Dieu, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

[1126] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod neutrum horum homines efficiunt quae in missione importantur ; quia nec gratiam conferunt, nec ab eis Spiritus sanctus procedit ; et ideo nullo modo potest homo mittere Spiritum sanctum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que les hommes ne produisent aucune des choses qui sont impliquées dans la mission ; car ils ne confèrent pas la grâce et l’Esprit-Saint ne procède pas d’eux ; et c’est pourquoi en aucune manière l’homme ne peut envoyer l’Esprit-Saint.

[1127] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio non ponit tantum exitum ; sed cum hoc aliquid aliud, scilicet esse in creatura secundum novam habitudinem. Et quamvis secundum alterum, scilicet exitum, non referatur ad se sicut ad principium ; tamen secundum utrumque conjunctum refertur ad se sicut ad principium ; ipse enim facit, se existentem ab alio, secundum novam habitudinem esse in aliquo ratione perfectionis quam illi confert.

3. Il faut dire en troisième lieu que la mission ne pose pas seulement une sortie ; mais avec cela elle pose quelque chose d’autre, à savoir une existence dans la créature d’après une nouvelle relation. Et beine  qued’apre`s l’autre aspect, à savoir la sortie, l’Esprit-Saint ne se rapporte pas à lui-même comme à un principe, cependant d’après les deux aspects réunis il se rapporte à  Lui-même comme à un principe ; c’est Lui-même en effet qui, existant par un autre, se fait exister dans un être selon un nouveau rapport en raison de la perfection qu’il lui apporte

[1128] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis processio importet tantum respectum ad personam a qua habet esse, tamen processio temporalis, ut dictum est, importat respectum ad creaturam in quam procedit ; et hujus ratione temporaliter dicitur procedere a se, sicut et mitti a se.

4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que la procession implique seulement un rapport à la personne de laquelle Il tient l’existence, cependant la procession temporelle, comme nous l’avons dit, implique un rapport à la créature dans laquelle Il procède ; et en raison de ce rapport on dit qu’il procède temporellement de lui-même, tout comme on dit qu’il est envoyé par lui-même.

[1129] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ipse Spiritus sanctus quamvis non sit principium sui ipsius simpliciter, tamen ipse facit, se existentem ab alio, esse in aliquo secundum novam habitudinem ; et secundum hoc, totum conjunctum refertur in se sicut in principium, ratione alterius tantum, ut patet ex praedictis in hoc art.

5. Il faut dire en cinquième lieu que l’Esprit-Saint lui-même, bien qu’il ne soit pas le principe de Lui-même à parler absolument, cependant Lui-même, existant par un autre, se fait exister dans un être dans une nouvelle relation ; et d’après cela, tout ce qui est ainsi conjoint se rapporte à lui comme à un principe, en raison de l’autre seulement, comme cela est clair à partir de ce qui précède dans cet article.

 

 

Articulus 2 [1130] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 tit. Utrum Spiritus sanctus mittat vel det Filium

Article 2 – L’Esprit Saint envoie-t-il ou donne-t-il le Fils ?

[1131] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus non det vel mittat Filium. Augustinus, III De Trinit., cap. V, col. 849, enim dicit, quod exire Filium a Patre et venire in mundum hoc est Filium mitti a Patre. Sed Filius non exit a Spiritu sancto. Ergo non mittitur ab ipso.

Difficultés :

1. Il semble que l’Esprit-Saint ne donne pas ou n’envoie pas le Fils. En effet, Augustin [111 De la Trinité, ch. V, col. 849] dit que le fait que le Fils sorte du Père et qu’il vienne dans le monde, telle est la mission que  le Fils reçoit du Père. Mais le Fils ne sort pas de l’Esprit-Saint. Il n’est donc pas envoyé par Lui.

[1132] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 arg. 2 Item, sicut Filius se habet ad Patrem, ita Spiritus sanctus ad Filium. Sed Filius nullo modo mittit Patrem. Ergo nec Spiritus sanctus Filium.

2. En outre, l’Esprit-Saint se rapporte au Fils comme le Fils se rapporte au Père. Mais en aucune manière le Fils n’envoie le Père. Donc l’Esprit-Saint n’envoie pas le Fils.

[1133] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra, Isa. 48, 16: Et tunc misit me Dominus, et Spiritus ejus ; et exponit Glossa de Filio. Ergo mittitur a Patre et Spiritu sancto.

Cependant :

On lit au contraire dans Isaïe (48, 16) : Alors le Seigneur et son Esprit m’a envoyé ; et la Somme donne cette explication au sujet du Fils. Donc le Fils est envoyé par le Père et par l’Esprit-Saint.

[1134] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 s. c. 2 Item, Ambrosius, lib. III, cap. II, col. 811 De Spiritu sancto : « Datus Filius est a Patre, ut Isaias dicit, 9, 6, Filius datus est nobis. Datus est (audeo dicere) et a Spiritu sancto, quia a Spiritu sancto missus est ». Ergo et cetera.

2.  De même Ambroise [111 De l’Esprit-Saint, ch. 11, col. 811] : ¨Le Fils a été donné par le Père comme le dit Isaïe (9, 6) : Le Fils nous a été donné. Il a été donné (j’ose dire) aussi par l’Esprit-Saint car c’est par l’Esprit-Saint qu’il a été envoyé¨. Donc, etc.

 

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que certains  distinguent trois missions chez le Fils.

La première par laquelle Il a été envoyé dans la chair, une deuxième par laquelle il a été envoyé dans l’esprit et une troisième par laquelle il est envoyé en prédication ; et ils disent que le Fils est envoyé par l’Esprit-Saint selon cette dernière mission mais non selon les deux premières dans lesquelles il n’est envoyé que par le Père. La raison en est, selon eux, que la mission de la  prédication peut convenir au Christ en raison de la nature humaine dont l’acceptation est présupposée ; mais les deux premières missions se rapportent à la Personne même du Fils car la mission dans la chair appartient à la personne elle-même en elle-même, et non en raison de la  nature humaine dont l’acceptation découle de la mission selon l’intelligence comme l’effet découle de sa cause et comme le terme suit le mouvement.

Et similiter in mentem non mittitur ratione humanae naturae. Et quia Spiritus sanctus non habet auctoritatem respectu personae Filii sed tantum respectu naturae assumptae, ideo concedunt tertiam missionem Filii esse a Spiritu sancto et non duas primas.

Sed quia, ut dictum est, in hac distin., quaest. 1, art. 2, non requiritur de necessitate quod in mittente sit auctoritas respectu missi, sed tantum efficientia respectu ejus secundum quod missus dicitur mitti ; ideo concedimus quod Spiritus sanctus et tota Trinitas misit Filium, secundum quamlibet missionem ; et praecipue cum Augustinus, in lib. II De Trint., cap. V, 8 expresse dicat eum missum a Spiritu sancto loquens de missione in carne: « mitti, inquiens, a Patre sine Spiritu sancto non potuit: quia Pater intelligitur eum misisse, cum fecit eum ex femina ; quod utique non fecit sine Spiritu sancto ».

Et de la même manière il n’est pas envoyé dans l’esprit en raison de la nature humaine. Et parce que l’Esprit-Saint ne possède pas une autorité par rapport à la personne du Fils mais seulement par rapport à la nature qu’il a prise, c’est pourquoi ils concèdent que la trisième mission du Fils vient de l’Esprit-Saint et non les deux premières.

Mais parce que, ainsi que nous l’avons dit [dist. 15, quest. 1, art. 2], il n’est par nécessairement requis qu’il y ait chez celui qui envoie une autorité par rapport à celui qui est envoyé mais seulement une efficience par rapport à celui selon lequel on dit de l’envoyé qu’il est envoyé, c’est pourquoi nous concédons quel’Esprit-Saint et toute la Trinité envoie le Fils selon chacune des missions ; et surtout qu’Augustin [11 De la Trinité, ch. V, 8] dit expressément que le Fils est envoyé par l’Esprit-Saint en parlant de la mission dans la chair : ¨Le Fils n’a pas pu être envoyé par le Père sans l’Esprit-Saint, parce que l’on comprend que le Père l’a envoyé lorsqu’il l’a fait à partir d’une femme, ce qu’Il n’a  pas fait sans l’Esprit-Saint¨.

[1136] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando Pater dicitur mittere Filium, in mittente intelligitur auctoritas respectu missi, non inquantum est mittens, sed inquantum est Pater ; et ideo Filium mitti a Patre est ipsum exire a Patre. Non autem ostenditur auctoritas in mittente cum seipsum Filius mittere dicitur, vel cum Spiritus sanctus eum mittit ; et ideo Filium mitti a se vel a Spiritu sancto, non est ipsum exire a se vel a Spiritu sancto.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que lorsqu’on dit du Père qu’il envoie le Fils, une autorité est comprise dans celui qui envoie par rapport à celui qui est envoyé, non pas en tant qu’il est celui qui envoie, mais en tant qu’Il est Père ; et c’est pourquoi l’envoie du Fils pas le Père est sa sortie même du Père. Mais aucune autorité n’est manifestée dans celui qui envoie lorsqu’on dit que le Fils s’envoie lui-même ou que l’Esprit-Saint l’envoie ; et c’est pourquoi l’envoie du Fils par lui-même ou par l’Esprit-Saint n’est pas une sortie de Lui-même ou de l’Esprit-Saint.

[1137] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Filius non potest mittere Patrem ; quia Pater non potest mitti, cum non sit ab alio. Si ab alio esset, et mitti posset et Filius eum mitteret.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le Fils ne peut envoyer le Père ; car le Père ne peut être envoyé puisqu’Il ne vient pas  d’un autre. S’il venait d’un autre, il pourrait être envoyé et le Fils l’enverrait.

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [La mission invisible du Fils en soi]

 

 

Prooemium

Prologue

[1139] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 pr. Ad intellectum hujus partis de duobus quaeritur. Primo de missione Filii invisibili, secundum se ; quia de visibili dicetur in 3.

Secundo de missione per comparationem ad eos ad quos sit missio.

Pour comprendre cette partit on s’interroge sur deux points : en premier lieu sur la mission invisible du Fils en elle-même car on parlera de sa mission visible dans le livre 3 ; en deuxième lieu sur la mission par rapport à ceux pour lesquels il y a mission.

Circa primum tria quaeruntur:

1 utrum missio invisibilis conveniat Filio ;

2 utrum fit distincta a missione Spiritus sancti invisibili ;

3 utrum aliqua missio sit aeterna, sicut processio est aeterna et temporalis.

Et au sujet du premier point on pose  trois questions :

1. Convient-il au Fils d’avoir une mission invisible ?

2. Cette mission serait-elle distincte de la mission invisible de l’Esprit-Saint ?

3. Y a-t-il une mission qui est éternelle, tout comme il y a une procession qui est éternelle et une autre qui est temporelle ?

 

 

Articulus 1 [1140] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 tit. Utrum Filius invisibiliter mittatur in mentem

Article 1 – Le Fils est-il envoyé invisiblement en esprit ?

[1141] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius invisibiliter in mentem non mittatur. Ad missionem enim divinae personae requiritur quod cognoscatur ipsa persona adveniens ; et praecipue in missione sapientiae, quam nullus habens ignorat. Sed adveniente Filio, non cognoscitur ejus adventus. Job 9, 11: Si venerit ad me, non intelligam. Non videbo illum, si abierit [non …abierit om. Éd. de Parme]. Ergo videtur quod Filius non mittatur in mentem.

Difficultés :

1. Il semble que le Fils ne soit pas envoyé invisiblement en esprit. Il est requis en effet à la mission de la personne divine que la personne qui survient soit connue ; et c’est surtout le cas pour la mission de la sagesse que nul n’ignore lorsqu’il la possède. Mais lorsque le Fils vient, sa venue n’est pas connue. C’est là ce  qui est dit en Job 9, 11 : Si tu viens vers moi, je ne comprendrai pas. Je ne le verrai pas s’il s’en va [ne…s’en va om. Éd. de Parme]. Il semble donc que le Fils ne soit pas envoyé en esprit.

[1142] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg. 2 Item, missio est idem quod processio temporalis, ut supra dictum est, dist. ista, quaest. 1, art. 1. Sed, sicut supra diximus, processio non habet quod dicatur temporalis, nisi secundum respectum in quem est ; quem respectum habet processio Spiritus sancti ex ipso modo processionis, inquantum procedit ut amor. Cum igitur processio Filii ex suo modo non habeat respectum ut in quem, sed solum ut a quo, videtur quod processio temporalis Filio non conveniat, et ita nec missio.

2. En outre, la mission est identique à la procession temporelle, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 1, art. 1]. Mais, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la procession n’a à être dite temporelle que par rapport à celui dans lequel elle est ; et la procession de l’Esprit-Saint tient ce rapport de son mode même de procession dans la mesure où il procède en tant qu’amour. Donc, puisque la procession du Fils quant à son mode ne possède pas un rapport à celui dans lequel elle est mais seulement  à celui par lequel elle est, il semble quela procession temporelle ne convienne pas au Fils et par conséquent ni la mission.

[1143] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, persona divina non mittitur nisi in donis gratiae gratum facientis. Sed dona pertinentia ad intellectum quae appropriantur Filio, non sunt gratum facientia, cum sint communia bonis et malis, ut dicitur 1 Corinth. 13: « Si habuero omnem scientiam (...) caritatem autem non habuero, nihil sum ». Ergo Filius non dicitur mitti invisibiliter in donis sibi appropriatis ; et ita nullo modo.

3. Par ailleurs, la personne divine n’est envoyée que dans les dons de la grâce sanctifiante. Mais les dons qui se rapportent à l’intelligence, lesquels sont appropriés au Fils, ne sont pas ceux de la grâce sanctifiante, puisqu’ils sont communs aux bons et aux méchants comme le dit l’Apôtre [1 Corinth. 13] : ¨Même si je possède toute la science (…) si je ne possède pas l’amour, je ne suis rien¨. On ne peut donc dire que le Fils est envoyé invisiblement dans les dons qui lui sont appropriés ; et alors, Il n’est envoyé d’aucune manière.

[1144] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 s. c. 1 In contrarium est quod habetur Sap. 9, 10: Mitte illam, sapientiam, de caelis, scilicet tuis, a sede magnitudinis tuae. Non autem loquitur de sapientia essentialiter dicta ; quia illa non mittitur, cum non sit ab alio. Ergo loquitur de sapientia genita, quae est Filius.

Cependant :

1. On affirme le contraire dans ce passage [Sagesse 9, 10] : Envoyez-la, cette sagesse, de vos cieux, du trône de votre gloire. Cependant on ne parle pas ici de la sagesse prise absolument car celle-là n’est pas envoyée puisqu’elle ne vient pas d’un autre. On parle donc de la sagesse qui est engendrée, laquelle est le Fils.

[1145] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 s. c. 2 Item, Augustinus, libro IV De trinit., cap. XX, 29, col. 906 : Sicut Filium generari, est ipsum esse a Patre ; ita Filium mitti est cognosci quod sit a Patre. Hoc autem contingit. Ergo et Filium mitti.

2. En outre, Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, 29, col. 906] dit : Tout comme la génération du Fils est son existence même par le Père, de même la mission du Fils consiste à être connu comme venant du Père. Mais cela est possible. Il est donc possible  que le Fils soit envoyé.

[1146] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut in exitu rerum a principio dicitur bonitas divina in creaturas procedere, inquantum repraesentatur in creatura per similitudinem bonitatis divinae in ipsa receptam [bonitas divina recepta Éd. de Parme] ; ita in reductione rationalis creaturae in Deum intelligitur processio divinae personae, quae et missio dicitur, inquantum propria relatio ipsius personae divinae repraesentatur in anima per similitudinem aliquam receptam, quae est exemplata et originata ab ipsa proprietate relationis aeternae ; sicut proprius modus quo Spiritus sanctus refertur ad Patrem, est amor, et proprius modus referendi Filium in Patrem est, quia est verbum ipsius manifestans ipsum.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que tout comme dans le fait que  les choses sortent de leur principe on dit que la bonté divine procède dans les creatures dans la mesure où elle est représentée dans la créature par une similitude de la bonté divine recue en la créature[bonté divine recue Éd. De Parme], de même dans le retour de la créature rationnelle à Dieu on entend la procession de la personne divine qui est aussi appelée mission, dans la mesure où la relation propre de la personne divine elle-même est représentée dans l’âme par une certaine similitude recue qui est comme un exemplaire qui tient son origine de la propriété même de la relation éternelle; par exemple le mode propre par lequel l’Esprit-Saint se rapporte au Père est l’amour, et il est le mode propre de rapporter le Fils au Père car le Fils est le verbe qui manifeste le Père.

Unde sicut Spiritus sanctus invisibiliter procedit in mentem per donum amoris, ita Filius per donum sapientiae ; in quo est manifestatio ipsius Patris, qui est ultimum ad quod recurrimus. Et quia secundum receptionem horum duorum efficitur in nobis similitudo ad propria personarum ; ideo secundum novum modum essendi, prout res est in sua similitudine, dicuntur personae divinae in nobis esse, secundum quod novo modo eis assimilamur ; et secundum hoc utraque processio dicitur missio.

C’est pourquoi, tout comme l’Esprit-Saint procède invisiblement dans l’esprit par le don de l’amour, il en est de même pour le Fils par le don de sagesse; et en cela nous avons une  manifestation du Père qui est le dernier auquel nous recourons. Et parce que d’après la reception de ces deux sortes de dons est produite en nous une resemblance à l’égard de ce qui est propre aux personnes, c’est pourquoi d’après ce nouveau mode d’exister, selon que la chose  existe dans cette ressemblance, on dit que les Personnes divines existent en nous selon que nous sommes assimilés à elles d’une manière nouvelle; et conformément à cela les deux processions sont appelées missions.

Ulterius, sicuti praedicta originantur ex propriis personarum, ita etiam effectum suum non consequuntur ut conjungantur fini, nisi virtute divinarum personarum ; quia in forma impressa ab aliquo agente est virtus imprimentis. Unde in receptione hujusmodi donorum habentur personae divinae novo modo quasi ductrices in finem vel conjungentes. Et ideo utraque processio dicitur datio, inquantum est ibi novus modus habendi.

Par la suite, comme les dons dont on vient de parler tirent leur origine de ce qui est propre aux personnes, de même encore leur effet n’est atteint de  manière à être uni à la fin que par la puissance de l’Esprit-Saint car dans la forme inprimée par un agent est présente la puissance de celui qui imprime. C’est pourquoi dans la réception de tels dons les personnes divines se présentent d’une nouvelle manière comme conduisant ou unissant à la fin. Et c’est pourquoi chacune des deux processions est appelée donation, dans la mesure où il y a là un nouveau mode de possession.

[1147] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ad rationem missionis non requiritur quod sit ibi cognitio actualis personae ipsius, sed tantum habitualis, inquantum scilicet in dono collato, quod est habitus, repraesentatur proprium divinae personae sicut in similitudine ; et ita dicitur quod mitti est cognosci quod ab alio sit per modum repraesentationis, sicut [repraesentationis. Sicut Éd. de Parme] aliquid dicitur se manifestare vel facere cognitionem de se, inquantum se repraesentat in sui similitudine.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que pour la notion de mission il n’est pas exigé qu’il y ait là une connaissance actuelle  de la personne elle-même, mais seulement une connaissance habituelle, c’est-à-dire dans la mesure où dans le bien rattaché, qui est un habitus (possédé ?), ce qui est propre à la personne divine est représenté comme dans une similitude ; et ainsi on dit qu’être envoyé c’est être connu comme existant par un autre par mode de représentation, tout comme [de représentation. Tout comme Éd. de Parme] on dit qu’une chose se manifeste ou se fait connaître selon qu’elle se représente dans ce  qui lui ressemble.

Sed tamen me habere actuale donum, in quo persona divina detur, non possum scire certitudinaliter in actu, propter similitudinem actuum naturalium [moralium Éd. de Parme] ad actus meritorios etsi possim ex aliquibus signis conjicere nisi per revelationem fiat certitudo ; et ideo dicit Job: si venerit ad me, non videbo eum ; si abierit, non intelligam ; quia certitudinaliter gratia gratum faciens in qua est adventus divinae personae, cognosci non potest ; quamvis ipsum donum perceptum sit in se sufficienter ductivum in cognitionem advenientis personae.

Mais je ne peux savoir en acte avec certitude que je possède un don actuel dans lequel la personne se donne à cause de la  ressemblance des actes naturels [moraux Éd. de Parme] aux actes méritoires bien que je puisse à partir de certains signes le conjecturer, à moins que la certitude ne vienne de la révélation ; et c’est pourquoi Job dit : S’il vient vers moi, je ne le verrai pas ; s’il s’éloigne, je ne le saisirai pas. Car la grâce sanctifiante, dans laquelle est la venue de la personne divine, ne peut être connue avec certitude, bien que le don perçu conduise suffisamment en lui-même à la connaissance de la personne qui vient.

[1148] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod proprium Spiritus sancti, quod est amor, potest dupliciter habere respectum ad creaturam, vel ut objectum, vel secundum rationem principii exemplaris ad principiatum exemplatum. Sed proprium Filii unam tantum habere potest relationum dictarum, scilicet illam quae est secundum rationem principii ; et hoc sufficit ad processionem temporalem Filii, quamvis secundum plura possit attendi respectus temporalis in processione Spiritus sancti: et ita etiam missio utrique convenire potest.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le propre de l’Esprit-Saint, qui est amour, peut avoir deux rapports à la créature : soit comme objet, soit selon la notion de principe exemplaire à ce qui en résulte comme copie à l’image de l’exemplaire. Mais le propre du Fils ne peut avoir qu’une seule des relations que nous avons dites, à savoir celle qui est selon la notion de principe ; et cela suffit à la procession temporelle du Fils, bien que le rapport temporel dans la procession de l’Esprit-Saint puisse puisse comporter plus de rapports : et ainsi la mission peut convenir à chacun des deux.

1149] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quando aliquid participatur non secundum suum actum perfectum, sed secundum aliquem modum, non dicitur proprie haberi ; sicut animalia habent aliquem modum prudentiae, non tamen dicuntur prudentiam habere, quia non habent actum rationis, qui proprie est actus prudentiae, scilicet ipsa electio ; unde magis habent aliquid simile prudentiae quam prudentiam.

3. Il faut dire en troisième lieu que lorsqu’un être est participé non pas d’après son acte parfait mais d’une certaine manière, on ne dit pas qu’il est possédé à proprement parler ; par exemples les animaux possèdent une certaine sorte de prudence mais on ne dit pas pour cela qu’ils possèdent la prudence car ils ne possèdent pas l’acte de la raison, lequel est proprement l’acte de la prudence, c’est-à-dire le choix ; c’est pourquoi, au lieu de posséder la prudence, ils possèdent plutôt quelque chose de semblable à la prudence.

Videmus autem in cognitione duos gradus: primum, secundum quod cognitio intellectiva tendit in unum ; secundum, prout verum accipit ut conveniens et bonum. Et nisi sit aliqua resistentia ex tali cognitione, sequitur amor et delectatio ; quia, secundum philosophum, VII Ethic., cap. XIII et XIV, delectatio consequitur operationem perfectam non impeditam. Unde felicitas contemplativa est quando aliquis pervenit ad ultimam operationem intellectus et ipsam sine impedimento exercet. Constat autem quod in processione Verbi aeterni est cognitio perfecta secundum omnem modum, et ideo ex tali notitia procedit amor.

Mais nous observons deux degrés dans la connaissance : le premier, selon que la connaissance intellectuelle tend vers quelque chose d’un ; le deuxième, selon qu’elle reçoit le vrai comme convenable et comme un bien. Et à moins qu’un obstacle ne naisse de cette connaissance, il s’ensuit l’amour et la délectation ; car d’après le Philosophe [ VII Éthic. Ch. XIII et XIV, la délectation suit l’opération parfaite non-empêchée. C’est pourquoi la félicité contemplative a lieu quand on parvient à l’opération ultime de l’intelligence et qu’on l’exerce sans obstacle. Il est clair cependdant que dans la procession du verbe éternel il y a connaissance parfaite sous tous les rapports et c’est pourquoi l’amour procède d’une telle connaissance.

Unde dicit Augustinus, III De Trint., cap. X,: « Verbum quod insinuare intendimus cum amore notitia est ». Quandocumque igitur habetur cognitio ex qua non sequitur amor gratuitus, non habetur similitudo Verbi, sed aliquid illius. Sed solum tunc habetur similitudo Verbi, quando habetur cognitio talis ex qua procedit amor, qui conjungit ipsi cognito secundum rationem convenientis. Et ideo non habet Filium in se inhabitantem nisi qui recipit talem cognitionem.

C’est pourquoi Augustin [111 De la Trinité, ch. X] dit : ¨Le verbe que nous cherchons à faire entendre est une connaissance pleine d’amour¨. Donc à chaque fois qu’est possédée une connaissance de laquelle ne suit pas l’amour gratuit, la similitude du Verbe n’est pas possédée mais quelque chose de Lui. Mais la similitude du Verbe n’est possédée que lorsqu’est possédée cette connaissance de laquelle procède l’amour qui unit à l’objet connu lui-même sous le rapport de ce qui convient. Et c’est pourquoi ne possède le Verbe qui habite en lui que celui qui reçoit une telle connaissance.

Hoc autem non potest esse sine gratia gratum faciente. Unde constat quod, simpliciter et proprie loquendo, Filius nec datur nec mittitur, nisi in dono gratiae gratum facientis ; sed in aliis donis quae pertinent ad cognitionem, participatur aliquid de similitudine Verbi.

Mais cela ne peut avoir lieu  sans la grâce sanctifiante. C’est pourquoi il est clair que, à parler absolument et proprement, le Fils n’est donné ou envoyé que dans le don de la grâce sanctifiante. Mais pour ce qui est des autres dons qui se rapportent à la connaissance, c’est quelque chose de la similitude du Verbe qui est participé.

 

 

[1150] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 tit. Utrum missio Filii distinguatur a missione Spiritus sancti

Article 2 – La mission du Fils se distingue-t-elle de celle de l’Esprit Saint ?

[1151] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio Filii distinguatur a missione Spiritus sancti. Missio enim est temporalis processio, ut supra dixit Magister, dist. 14. Sed alia est ratio processionis Filii, alia ratio processionis Spiritus sancti: quia Spiritus sanctus procedit ut amor, Filius ut verbum. Ergo et alia ratio missionis.

Difficultés :

1. Il semble que la mission du Fils se distingue de celle de l’Esprit-Saint. La mission en effet est une procession temporelle, ainsi que l’a dit le Maître dans la distinction 14. Mais autre est la raison de la procession du Fils, autre est celle de la procession de l’Esprit-Saint : car l’Esprit-Saint procède en tant qu’amour alors que le Fils procède en tant que verbe. Donc la mission de l’un diffère de la  mission de l’autre.

[1152] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 2 Item, omne quod convenit aliquibus secundum prius et posterius non convenit eis secundum eandem rationem. Sed Spiritui sancto convenit datio per prius quam Filio, quia habet rationem primi doni: ergo alia est ratio dationis in utroque. Ergo et missionis, cum missio sit ipsa datio.

2. En outre, tout ce qui convient à plusieurs selon l’avant et l’après  ne leur convient pas selon la même définition. Mais la donation convient à l’Esprit-Saint avant de convenir au Fils, car elle a raison de premier don : donc, la raison de la donation diffère chez l’un et chez l’autre et par conséquent, puisque la mission est la donation elle-même, la raison de la mission diffère dans les deux cas.

[1153] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, dona in quibus datur Filius et Spiritus sanctus sunt diversa et non dependentia ad invicem. Sed eorum quae non dependent ad invicem, unum potest esse sine alio. Ergo missio Filii potest esse sine missione Spiritus sancti et e converso, et ita sunt distinctae etiam secundum tempus missionis.

3. De plus, les dons dans lesquels le Fils et l’Esprit-Saint sont donnés sont différents et ne dépendent pas les uns des autres. Mais parmi les choses qui ne dépendent pas les unes des autres, les unes peuvent exister sans les autres. Donc la mission du Fils peut exister sans celle de l’Esprit-Saint et inversement, et ainsi elles sont distinctes même selon le temps de la mission.

[1154] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, videmus sensibiliter quosdam simplices ferventes esse in amore divino, qui tamen sunt valde hebetes in cognitione divinae sapientiae et e converso. Cum igitur missio Filii sit secundum donum sapientiae et missio Spiritus sancti sit secundum amoris donum, videtur quod una missio sine alia possit esse.

4. Par ailleurs, nous voyons de nos yeux certaines âmes simples et ferventes exister dans l’amour divin et qui sont cependant grandement dépourvues dans la connaissance de la sagesse divine et inversement. Donc, puisque la mission du Fils s’opère selon le don de la sagesse et que la mission de l’Esprit-Saint s’effectue selon le don de l’amour, il semble donc qu’une mission puisse exister sans l’autre.

[1155] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 arg. 5 Contra, missio Spiritus sancti est ad sanctificandum creaturam, ut supra dixit Magister, dist. 14. Si igitur missio Filii quae est etiam in gratia gratum faciente, cujus est sanctificare, esset alia a missione Spiritus sancti, essent duae missiones ad sanctificandum creaturam rationalem ; et ita altera superflueret, quod non invenitur in operibus divinis. Ergo una missio non distinguitur ab alia.

5. Au contraire, la mission de l’Esprit-Saint est ordonnée à la sanctification de la créature ainsi que l’a dit plus haut le Maîrte dans la distinction 14. Si donc la mission du Fils, qui est aussi dans la grâce sanctifiante à laquelle il appartient de sanctifier, était distincte de celle de l’Esprit-Saint, ily aurait deux missions ordonnées à la sanctification de la créature rationnelle ; et ainsi l’une des deux serait superflue, ce qui ne se rencontre pas dans les œuvres divines. Donc, une mission ne se distingue pas de l’autre.

[1156] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de distinctione missionum Filii et Spiritus sancti, tripliciter contingit loqui: aut quantum ad ipsarum diversitatem realem, aut quantum ad rationem missionis, aut quantum ad earum separationem. Si primo modo, cum in missione duo considerentur: scilicet exitus personae missae ab alia, et effectus secundum quem novo modo in creatura persona divina esse dicitur ; utroque modo missio Filii est alia a missione Spiritus sancti secundum rem: quia et generatio qua Filius exit a Patre, est alia a processione Spiritus sancti qua exit ab utroque. Similiter donum quod perficit intellectum, scilicet sapientia, secundum quod attenditur missio Filii, est aliud a dono quod perficit affectum vel voluntatem, secundum quod attenditur missio Spiritus sancti.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il est possible de parler de trois manières de la distinction qu’il y a entre la mission du Fils et celle de l’Esprit-Saint : soit quant à la distinction réelle qu’il y a entre elles, quant à la notion  de mission ou quant à leur séparation. Si on en parle de la première manière, puisqu’il y a dans la mission deux aspects à considérer, à savoir le fait que la personne envoyée sort d’une autre et l’effet selon lequel on dit de la personne divine qu’elle existe d’une nouvelle manière dans la créature ; et par ces deux aspects la mission du Fils diffère de celle de l’Esprit-Saint par une différence réelle : car la génération par laquelle le Fils sort du Père diffère de la procession de l’Esprit-Saint par laquelle ce dernier sort des deux autres. De la même manière le don qui donne sa perfection à l’intelligence, à savoir la sagesse, et selon lequel s’étend la mission du Fils, diffère du don qui donne sa perfection à l’affectivité ou à la volonté et selon lequel s’étend la mission de l’Esprit-Saint.

Si autem secundo modo de earum distinctione loquamur, hoc potest esse dupliciter ;

aut secundum rationem propriam utriusque, aut secundum communem. Si secundum communem, tunc eadem ratio est missionis Filii et Spiritus sancti quantum ad utrumque ; quia et esse ab alio commune est utrique, et similiter esse novo modo in creatura.

Mais si on parle de leur distinction d’après la deuxième manière, cela peut se faire de deux manières ;

Soit d’après la notion qui est propre à chacune des deux, soit d’après la notion commune. Si c’est d’après la notion commune, alors la notion de la mission du Fils est la même que celle de l’Esprit-Saint sous les deux rapports car exister par une autre est commun aux deux Personnes et il en est de même pour ce qui est d’exister d’une nouvelle manière dans la créature.

Sed secundum propriam rationem utrumque differt: quia et propria ratio processionis Filii non est propria ratio processionis Spiritus sancti, cum ille procedat ut amor, et hic ut Filius vel verbum ; et similiter proprius modus quo Filius dicitur esse in creatura, non est proprius modus quo Spiritus sanctus est ; quinimmo unus per sapientiam, alter per amorem.

Si autem tertio modo, tunc dico, quod una missio nunquam est sine alia ; quia amor sequitur notitiam ; notitia perfecta, secundum quam est missio Filii, semper inducit in amorem, et ideo simul infunduntur et simul augmentantur.

Mais selon la notion propre de mission les deux diffèrent : car d’une part la notion propre de la procession du Fils n’est pas la notion propre de la procession de l’Esprit-Saint, puisque ce dernier procède en tant qu’amour et que le premier procède en tant que Fils ou Verbe ; et de la même manière d’autres part le mode propre par lequel on dit du Fils d’il existe dans la créature n’est pas le mode propre par lequel on dit de l’Esprit-Saint qu’il existe dans la créature : car le premier y existe par la sagesse alors que le dernier y existe par l’amour.

Mais si on en parle de la troisième manière, alors je dis qu’une mission n’est jamais sans l’autre ; car l’amour suit la connaissance ; et la connaissance parfaite, qui soutient la mission du Fils, conduit toujours à l’amour, et c’est pourquoi ils se fondent et croissent simultanément.

[1157] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis sit alia processio secundum rem, conveniunt tamen in quodam communi secundum rationem, quod est esse ab alio.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que bien que les deux procession diffèrent réellement, elles se rencontrent cependant dans une notion commune qui est celle d’exister par un autre.

[1158] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, ut prius diximus, in divinis non est prius et posterius ; tamen exitus Spiritus sancti praesupponit exitum Filii, secundum ordinem naturae ; et ex parte ista, si liceret ita loqui, possemus dicere, quod missio Filii ex parte exitus importati, est prior missione Spiritus sancti.

2. Il faut dire en deuxième lieu que, ainsi que nous l’avons dit plus tôt, il n’y a pas d’avant et d’après en Dieu ; cependant la sortie de l’Esprit-Saint présuppose, d’après un ordre de nature, la sortie du Fils ; et de ce côté, s’il était permis de parler ainsi, nous pourrions dire que la mission du Fils, du côté de la sortie qu’elle implique, est antérieure à la mission de l’Esprit-Saint.

Sed hoc esset secundum rationem propriam utriusque, et non secundum rationem communem. Si autem considerentur istae missiones quantum ad effectum in creatura, hoc dupliciter: vel ex parte ipsius dantis vel mittentis ; vel ex parte ipsorum donorum in quibus fit missio. Si ex parte donorum, tunc simpliciter naturaliter notitia praecedit amorem, et ex parte illa missio Filii missionem Spiritus sancti. Sed hoc erit secundum rationis propriae considerationem, et non communis ; sicut omnes species motus aequaliter conveniunt in ratione communi motus ; tamen secundum esse suum proprium, motus localis est prior aliis motibus. Si autem ex parte dantis, cum primum movens et inclinans ad dandum sit ipse amor, sic datio Spiritus sancti est prior datione Filii. Sed hoc non ita exprimitur in ratione missionis.

Mais il en serait ainsi d’après la notion propre à chacun et non d’après la notion commune. Mais si on considérait ces missions quant à l’effet qu’elles produisent dans la créature, on le ferait de deux manières : soit du côté de celui-là même qui donne ou qui envoie ; soit du côté des dons mêmes dans lesquels s’opère la mission. Si on le fait du côté des dons, alors la connaissance précède naturellement l’amour de façon absolue, et de ce côté la mission du Fils précède la mission de l’Esprit-Saint. Mais cela sera d’après la considération de la notion propre et non d’après celle qui est commune ; par exemple, toutes les espèces de mouvement se rencontrent également dans la notion commune de mouvement ; cependant, selon l’existence qui lui est propre, le mouvement local est antérieur aux autres mouvements. Mais si on considère ce problème du côté de celui qui donne, puisque le moteur qui est premier et qui incline à donner est l’amour lui-même, alors la donation de l’Esprit-Saint est antérieure à la donation du Fils. Mais cela n’est pas exprimé de cette manière dans la notion de mission.

[1159] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dona in quibus mittitur Filius et Spiritus sanctus, consequuntur se invicem necessario, ut supra ostensum est, in corp. art., et ideo ratio procedit ex falsis.

3. Il faut dire en troisième lieu que les dons dans lesquels le Fils et l’Esprit-Saint sont envoyés se suivent nécessairement comme nous l’avons montré plus haut dans le corps de l’article et c’est pourquoi cet argument procède de prémisses fausses.

[1160] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa notitia ex qua procedit amor, viget in ferventibus divino amore, qua scilicet cognoscunt divinam bonitatem inquantum est finis, et inquantum est largissime in eos profluens sua beneficia ; et talem notitiam perfecte non habent qui amore ipsius non accenduntur.

4. Il faut dire en quatrième lieu que cette connaissance de laquelle procède l’amour, est  florissante dans ceux qui brûlent de l’amour divin, à savoir cette connaissance par laquelle ils connaissent la bonté divine en tant que fin et en tant qu’elle coule abondamment en eux de par sa bienfaisance ; et ceux qui ne sont pas élevés par son amour ne possèdent pas parfaitement une telle connaissance.

[1161] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod utraque missio ordinatur ad finem unum ultimum, scilicet conjungere Deo ; sed effectus utriusque missionis differt secundum duo quae inveniuntur in rationali creatura, quibus Deo conjungitur, scilicet intellectus et affectus, et ita neutra superfluit.

5. Il faut dire en cinquième lieu que les deux missions sont ordonnées à une même fin ultime, à savoir d’être uni à Dieu ; mais l’effet de chaque mission diffère d’après deux aspects qu’on retrouve dans la créature rationnelle et par lesquels elle est unie à Dieu, à savoir l’intelligence et l’affectivité, et ainsi aucune des deux n’est inutile ou superflue.

 

 

Articulus 3[1162] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 tit. Utrum missio possit esse aeterna

Article 3 – La mission peut-elle être éternelle ?

[1163] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod missio possit esse aeterna. Sicut enim dicit Gregorius, Homil., XXVI, in octav. Paschae, 2, col. 1198, « eo mittitur Filius quo generatur ». Sed generatio ejus est aeterna. Ergo et missio.

Difficultés :

1. Il semble que la mission puisse être éternelle. En effet, comme le dit Saint Grégoire [Homélie XXVI, dans l’Octave de Pâques, 2, col. 1198] : ¨Le Fils est envoyé du fait qu’il est engendré¨. Mais sa génération est éternelle. Donc sa mission aussi est éternelle.

[1164] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg. 2 Item, sicut missio dicit respectum a quo est, et in quem ; ita et processio amoris, ut supra dictum est, in hac dist., quaest. 1, art. 2. Sed processio amoris est aeterna a Patre in Filium. Ergo et missio potest esse aeterna.

2. En outre, tout comme la mission dit un rapport à celui d’où elle procède et au terme auquel elle est ordonnée, il en est de même pour la procession de l’amour comme nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 1, art. 2]. Mais la procession de l’amour qui va du Père au Fils est éternelle. Donc la mission aussi peut être éternelle.

[1165] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut missio dicitur per respectum ad creaturam, ita et donum. Sed donum Spiritus sancti dicitur ab aeterno. Ergo et missio potest dici aeterna.

3. De plus, tout comme la mission se dit par rapport à la créature, il en est de même pour le don. Mais le don de l’Esprit-Saint se dit de toute éternité. Donc la mission peut être dite éternelle.

[1166] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 s. c. 1 Contra est illud quod Augustinus in littera dicit: Non eo quod de Patre natus est, dicitur Filius missus.

Cependant :

1. Augustin dit le contraire dans la lettre : Ce n’est pas du fait qu’il est né du Père que le Fils est envoyé.

[1167] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 s. c. 2 Praeterea, missio semper ponit novum modum existendi in aliquo ipsius missi. Sed nihil novum est aeternum. Ergo non est aeterna, sed tantum temporalis: et hoc simpliciter concedendum est.

2. Par ailleurs, la mission pose toujours pour celui qui est envoyé un nouveau mode d’exister dans un être. Mais rien de nouveau n’est éternel. Donc la mission n’est pas éternelle mais temporelle : et cela doit être concédé absolument.

[1168] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Gregorii potest tripliciter exponi.

Uno modo quod loquatur de generatione temporali ipsius Filii, secundum quam dicitur missus in carne.

Secundo modo ut ly eo non sit adverbium, sed ablativi casus ; ut sit sensus: ab eo a quo generatur mittitur: et hoc verum est.

Tertio modo ut loquatur non de missione in actu, sed secundum aptitudinem: ex hoc enim Filius est, ut ita dicam, missibilis, quo a Patre per generationem exivit. Esse enim ab alio non dicit totam rationem missionis, ut patet ex dictis.

Solutions :

1. Il faut dire en troisième lieu que la parole de Saint Grégoire peut s’expliquer de trois manières.

Premièrement dans le sens où il parle de la génération temporelle du Fils selon laquelle on dit de lui qu’Il est envoyé dans la chair.

Deuxièmement de telle manière que ce ¨du fait¨ ne soit pas pris comme un adverve mais comme un ablatif, de sorte que le sens serait : il est envoyé du fait qu’Il est engendré : et cela est vrai.

Troisièmement de telle manière qu’il ne parle pas de la mission en acte, mais selon l’aptitude : de sorte que je dirais que le Fils est apte à être envoyé du fait qu’Il sort du Père par la génération. En effet, le seul fait d’exister par un autre ne dit pas la totalité de la notion de mission, comme on le voit à partir de ce qui a été dit.

[1169] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod processio amoris, quamvis sit in aliquem, non tamen ponit novum modum existendi in illo, et ideo potest esse aeterna: sed missio ponit novitatem existendi in aliquo, et ideo non potest esse aeterna. Et propter hoc, quamvis possit concedi aliquo modo quod Spiritus sanctus procedat a Patre in Filium ab aeterno, non tamen conceditur quod mittatur a Patre in Filium ab aeterno.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la procession de l’amour, bien qu’elle soit dans un être, elle ne pose cependant pas une nouvelle manière d’exister dans cet être, et c’est pourquoi elle peut être éternelle : mais la mission au contraire pose une mouvelle manière d’exister dans un être et c’est pourquoi elle ne peut être éternelle. Et pour cette raison, bien qu’on puisse concéder en un sens que l’Esprit-Saint du Père dans le Fils de toute éternité, on ne concède pas cependant qu’Il soit envoyé par le Père dans le Fils de toute éternité.

[1170] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio est nomen verbale, unde importat actualem relationem ad creaturam ; sed donum imponitur ab aptitudine donandi, et ideo non importat actualem respectum ad creaturam ; propter quod ab aeterno Spiritus sanctus dicitur donum, non autem missus, sicut nec datus.

3. Il faut dire en troisième lieu que la mission est un nom verbal et c’est pourquoi il implique une relation actuelle à la créature ; mais le don est un nom imposé à partir de l’aptitude à donner et c’est pourquoi il n’implique pas une relation actuellee à la créature ; et c’est pour cette raison qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’Il est un don de toute éternité, mais non qu’Il est envoyé ni qu’il est donné de toute éternité.

 

 

Quaestio 5

Question 5 – [la mission du Fils par comparaison avec ceux à qui il est envoyé]

 

 

Prooemium

Prologue

[1171] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 pr. Deinde quaeritur de missione Filii per comparationem ad eos ad quos mittitur ; et circa hoc tria quaeruntur: 1 ad quos fiat missio Filii vel Spiritus sancti ;

2 supposito quod ad omnes sanctos, utrum plenius post incarnationem quam ante ;

3 de effectu invisibilis missionis: utrum faciat eos ad quos mittitur, non in hoc mundo esse.

On s’interroge ensuite sur la mission du Fils par rapport à ceux auxquels il est envoyé ; et à ce sujet on pose trois questions :

1. Quels sont ceux pour lesquels il y a mission du Fils ou de l’Esprit-Saint ?

2. En supposant qu’elle s’adresse à tous les saints, est-elle plus substantielle après l’incarnation qu’avant ?

3. Au sujet de l’effet invisible de la mission, est-ce qu’elle fait que ceux auxquels elle est envoyée n’existent plus en ce monde ?

 

 

Articulus 1 [1172] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 tit. Utrum missio fiat ad creaturas irrationales

Article 1 – La mission est-elle faite pour les créatures sans raison ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 –

[1173] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio fiat etiam ad creaturas irrationales. Est enim missio ad sanctificandum creaturam, ut dictum est, dist. 14, quaest. 2, art. 2. Sed quaedam creaturae irrationales dicuntur sanctificari, ut templum et vasa. Ergo et ad eas fit missio.

Difficultés :

1. Il semble que la mission s’adresse même aux créatures irrationnelles. En effet, la mission est ordonnée à la sanctification de la créature ainsi que nous l’avons dit [dist. 14, quest. 2, art. 2]. Mais on dit de certaines créatures irrationnelles qu’elles sont sanctifiées, comme un temple ou un vase. La mission s’adresse donc à elles.

[1174] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 arg. 2 Item, in nullo potest esse gratia, nisi missio ad ipsum fiat. Sed in sacramentis continetur gratia, et tamen sunt insensibiles creaturae. Ergo ad eas fit missio.

2. En outre, la grâce ne peut être dans un être que si la mission s’adresse à lui. Mais la grâce est contenue dans les sacrements, lesquels sont cependant des créatures insensibles. La mission s’adresse donc aux créatures insensibles.

[1175] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 arg. 3 Item, Filius non tantum procedit ut Verbum manifestans Patrem per modum cognitionis, sed etiam ut repraesentans Patrem secundum similitudinem naturae. Sed omnes creaturae etiam insensibiles, habent similitudinem generationis Filii, inquantum procedunt in aliqua imitatione divinae naturae, secundum attributa participata ; sicut rationalis creatura participando sapientiam, habet similitudinem ipsius, inquantum procedit ut Verbum. Ergo cum ratione istius assimilationis dicatur Filius mitti ad rationales creaturas inquantum est Verbum, eadem ratione debet mitti ad irrationales inquantum est Filius.

3. De plus, le Fils ne procède pas seulement comme Verbe qui manifeste le Père par mode de connaissance, mais aussi comme représentant le Père selon une similitude de nature. Mais toutes les créatures, même celles qui sont insensibles, ont une similitude de la génération du Fils en tant qu’elles procèdent dans une certaine imitation de la nature divine d’après des attributs participés ; par exemple la créature rationnelle, en participant de la sagesse, possède une similitude possède une similitude de cette sagesse qui procède comme Verbe. Donc, puisque c’est en raison de cette assimilation qu’on dit du Fils qu’il est envoyé aux créatures rationnelles en tant qu’Il est Verbe, pour la même raison Il doit être envoyé aux créatures irrationnelles en tant qu’Il est Fils.

[1176] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 arg. 4 Contra, missio divinae personae est tantum secundum gratiam gratum facientem, ut dictum est. Hujus autem creaturae rationales tantum capaces sunt. Ergo ad eas tantum fit missio.

4. Au contraire, la mission de la Personne divine n’a lieu que selon la grâce sanctifiante, comme nous l’avons dit. Cependant, seules les créatures rationnelles sont capables de recevoir cette grâce. C’est donc à elles seules que la mission s’adresse.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 – [Dit-on que le Fils et l’Esprit Saint sont envoyés pour tous les saints pour l’accroissement de la grâce ?]

[1177] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad omnes sanctos, ratione augmenti gratiae, dicatur mitti Filius vel Spiritus sanctus. Et videtur quod non. Quia missio dicit novum modum existendi personae divinae in creatura. Sed per gratiae augmentum non dicitur alio modo Deus esse in sanctis quam prius. Ergo ad eos non fit missio divinae personae.

Difficultés :

1. On se demande par la suite si on doit dire que le Fils et l’Esprit-Saint sont envoyés à tous les saints pour l’accroissement de la grâce. Car la mission dit une nouvelle manière d’exister de la Personne divine dans la créature. Mais par l’augmentation de la grâce on ne dit pas de Dieu qu’il existe dans les saints d’une manière qui est autre qu’antérieurement. La mission de la Personne divine ne s’adresse donc pas à eux.

[1178] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 arg. 2 Praeterea, missio personae fit ad revocandum rationalem creaturam, ut Magister dicit. Sed non revocantur nisi errantes. Ergo cum sancti non sint errantes, ad eos non fit missio.

2. Par ailleurs, la mission de la Personne a lieu pour rappeler la créature rationnelle, ainsi que le dit le Maître. Mais seuls ceux qui se sont égarés sont rappelés ou ramenés. Donc, puisque les saints ne se sont pas égarés, la mission ne s’adresse pas à eux.

[1179] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Contra, Spiritus sanctus missus est ad apostolos in Pentecostes in visibili missione. Sed missio visibilis demonstrat invisibilem. Ergo etiam et invisibiliter. Sed ipsi prius habebant gratiam. Ergo secundum augmentum gratiae in sanctis, dicitur ad eos mitti Filius vel Spiritus sanctus.

Cependant :

1. Au contraire, l’Esprit-Saint a été envoyé aux Apôtres à la Pentecôte dans une mission visible. Mais la mission visible manifeste la mission invisible. Donc, l’Esprit-Saint leur a été envoyé aussi d’une manière invisible. Mais ces derniers possédaient déjà la grâce avant. Donc, c’est pour l’augmentation de la grâce qu’on dit du Fils et de l’Esprit-Saint leur a été envoyé.

Quaestiuncula 3

Sous-question 3 – [La mission de l’Esprit Saint est-elle pour les anges et les autres bienheureux ?]

[1180] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad Angelos et ad alios beatos fiat missio Spiritus sancti. Videtur quod non. Missio enim semper est secundum aliquem effectum gratiae, qui in ea mittitur. Sed in Angelis et beatis, qui devenerunt ad terminum vitae, neque datur de novo gratia neque augetur. Ergo ad eos non fit missio.

Difficultés :

1. On se demande par la suite si la mission de l’Esprit-Saint s’adresse aux Anges et aux autres bienheureux. En effet, la mission a toujours lieu d’après un certain effet de la grâce qui est envoyée en elle. Mais dans les Anges et les bienheureux qui seront parvenus au terme de la vie, une nouvelle grâce ne sera ni donnée ni augmentée. La mission ne s’adresse donc pas à eux.

[1181] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 arg. 2 Item, non est idem nuntius et ad quem fit missio. Sed in missione Filii et Spiritus sancti, Angeli se habent ut nuntii, quia custodiunt et suggerunt. Ergo videtur quod ad eos non fiat missio, quia sic oporteret ire in infinitum.

2. En outre, le messager n’est pas identique à celui à qui s’adresse la mission. Mais dans la mission du Fils et de l’Esprit-Saint, les Anges se présentent comme des messagers car ils protègent et conseillent. Il semble donc que la mission ne s’adresse pas à eux, car ainsi il faudrait procéder à l’infini.

[1182] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 s. c. 1 Sed contrarium habetur ex littera.

Cependant : On établit le contraire dans le document.

Quaestiuncula 4

Sous-question 4 : [Une mission peut-elle être faite pour le Christ en tant qu’homme ?]

[1183] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 arg. 1 Ulterius, quaeritur, utrum ad Christum, secundum quod homo, possit fieri missio. Videtur quod non. Missio enim semper est ad distans. Sed humana natura nunquam fuit in Christo distans a divina ; immo a principio conceptionis suae fuit conjuncta per unionem et plenitudinem omnis gratiae. Ergo videtur quod ad eum non fiat missio.

Difficultés :

1. Par la suite, on se demande s’il peut y avoir une mission qui s’adresse au Christ en tant qu’il est homme. Et il semble que non. Une mission en effet est toujours ordonnée à ce qui est éloigné. Mais dans le Christ la nature humaine ne fut jamais éloignée de la nature divine ; bien au contraire, dès le début de sa conception elle lui fut unie par une union et une plénitude de toute grâce. Il semble donc que la mission ne s’adresse pas à Lui.

[1184] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 arg. 2 Praeterea, missio est ad sanctificandum creaturam. Sanctificatur autem quod non est sanctum. Cum igitur Christus nunquam fuerit non sanctus, videtur quod ad eum non possit fieri missio.

2. De plus, la mission est ordonnée à la sanctification de la créature. Mais ce qui est sanctifié n’est pas saint. Donc, puisque le Christ ne fut jamais dans un état où il n’était pas saint, il semble qu’il ne puisse y avoir une mission qui s’adresse à Lui.

[1185] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 arg. 3 Contra, missio Spiritus sancti est ipsa datio. Sed Spiritus sanctus datus est Christo, ut dicitur Joan. 3, 34: non ad mensuram dat Deus Spiritum. Ergo ad eum fit missio.

3. Au contraire, la mission de l’Esprit-Saint est la donation elle-même. Mais l’Esprit-Saint a été donné au Christ ainsi qu’on le lit dans Jean (3, 34) : Dieu Lui a donné l’Esprit sans mesure. Donc, la mission s’adresse au Christ.

[1186] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 arg. 4 Praeterea, missio visibilis est signum invisibilis. Sed ad Christum facta est missio visibilis Spiritus sancti in columbae specie, Matth. 3. Ergo et invisibilis.

4. Par ailleurs, la mission visible est le signe de la mission invisible. Mais la mission visible de l’Esprit-Saint s’est adressée au Christ sous la forme d’une colombe comme le dit Matthieu au chapitre 3 de son évangile.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[1187] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum missio divinae personae sit solum in donis gratiae gratum facientis, ad illos solum fit missio quibus hujusmodi dona conferri possunt ; et ideo concedimus quod ad omnes rationales creaturas potest fieri missio, nisi sint depravatae per obstinationem in malo, sicut Daemones et damnati, et non ad irrationales creaturas.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que puisque la mission de la Personne divine n’est présente que dans les dons de la grâce sanctifiante, la mission ne s’adresse qu’à ceux auxquels de tels dons peuvent être conférés ; et c’est pourquoi nous concédons qu’il peut y avoir mission pour toutes les créatures rationnelles, à moins qu’elles ne soient corrompues par une persévérance dans le mal, comme c’est le cas pour le Démon et les damnés ; mais il n’y a pas mission pour les créatures irrationnnelles.

[1188] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sanctificari tripliciter dicitur:

uno modo secundum quod sanctum dicitur mundum, prout sanctificatio dicitur emundatio a peccato per gratiam ;

alio modo secundum quod sanctum dicitur firmum, prout dicitur sanctificatio, confirmatio in bono per donum gratiae vel gloriae, et istis duobus modis est tantum in rationali creatura, et secundum hos tantum fit missio ;

tertio modo dicitur sanctificatio, secundum quod aliquid accommodatur ad usum divini cultus, quem decet omnis munditia, et hoc modo dicuntur templum et vasa sanctificari.

Solutions :

1. ll faut donc dire en premier lieu qu’être sanctifié se dit de trois manières :

En un sens selon qu’on dit du monde qu’il est saint pour autant qu’on appelle sanctification la purification du péché par la grâce.

En un autre sens selon qu’on appelle saint ce qui est ferme, pour autant que la sanctification se dit de la confirmation dans le bien par le don de la grâce ou de la gloire, et, par ces deux modalités, la mission est seulement dans la créature rationnelle et ne s’effectue en elle que par ces modalités.

En un troisième sens la sanctification se dit de ce qu’on applique à l’usage du culte divin qui exige une pureté absolue, et c’est en ce sens qu’on dit d’un temple ou d’un vase qu’ils sont sanctifiés.

[1189] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in sacramentis non habetur gratia sicut in subjecto gratiae, sed sicut in instrumento in quo confertur gratia. De hoc tamen habebitur in 4, distin. 1, quaest. 1, art. 1. Unde sanctificatio sacramentorum pertinet ad tertium modum, secundum quem non fit missio.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les sacrements la grâce n’est pas contenue comme dans le sujet de la grâce mais comme dans l’instrument par lequel la grâce est conférée. Nous traiterons cependant de cela plus loin [livre 4, dist. 1, quest. 1, art. 1]. C’est pourquoi la sanctification se rapporte au troisième sens du nom sanctification d’après lequel il n’y a pas mission.

[1190] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missio pertinet ad reditum creaturae in finem ; et ideo non potest esse missio, nisi secundum illa quae possunt dicere relationem in finem. Sed generatio Filii, inquantum Filius est, dicitur tantum secundum exitum a principio, et ideo secundum rationem illam non pertinet ad missionem, sed magis ad creationem, secundum quod res educuntur in esse, prout dicitur, quod per Filium omnia facta sunt. Sed ratio Verbi et amoris possunt se habere ad utrumque ; et ideo ratio Verbi et amoris pertinet ad creationem et ad missionem.

Et praeterea, imitatio divinae naturae, quam Filius perfecte accipit, est etiam secundum primos effectus, quibus in esse naturae subsistimus: qui non sufficiunt ad talem conjunctionis rationem qualem missio requirit.

3. Il faut dire en troisième lieu que la mission se rapporte au retour de la créature à sa finalité; et c’est pourquoi il ne peut y avoir mission que pour ce qui peut dire une relation à la finalité. Mais la génération du Fils, en tant que Fils, se dit seulement d’après une sortie du principe, et c’est pourquoi elle ne peut se rapporter à la mission d’après cette définition, mais plutôt à la création selon laquelle les choses sont amenées à l’existence, comme on dit que c’est pas le Fils que toute chose a été faite. Mais les notions de Verbe et d’amour peuvent comporter les deux rapports et c’est pourquoi ces deux notions se rapportent à la fois à la création et à la mission.

Et par ailleurs l’imitation de la nature divine qui est reçue parfaitement dans le Fils se réalise aussi selon les premiers effets par lesquels nous subsistons dans notre existence de nature, lesquels cependant ne suffisent pas à la notion de réunion exigée par la mission.

[1191] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 1 ad 4 Quartum concedimus.

4. Nous concédons la quatrième difficulté.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

[1192] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod Filius et Spiritus sanctus dicuntur mitti ad sanctos secundum augmentum gratiae. Sed augmentum gratiae potest esse dupliciter:

 Corps de l’article :

Il faut dire, par rapport à ce qu’on se demande par la suite, que le Fils et l’Esprit-Saint sont envoyés aux saints pour l’augmentation de la grâce. Mais il peut y avoir augmentation de la grâce de deux manières.

aut secundum intentionem ejusdem virtutis tantum, et ratione hujus augmenti non dicitur nova missio ;

aut secundum quod per augmentum gratiae perficit in novum usum vel actum gratiae, et secundum hoc dicitur Spiritus sanctus et Filius mitti nova missione ; verbi gratia, notitia talis quae habetur de Deo, ut ex ea procedat amor, sufficit ad rationem missionis Filii.

Soit conformément à l’intention de la même  puissance seulement, et en raison de cette augmentation on ne dit pas qu’il y a nouvelle mission ;

Soit selon que par l’augmentation de la grâce il y a perfectionnement dans un nouvel usage ou un nouvel acte de la grâce, et c’est conformément à cela qu’on dit que l’Esprit-Saint et le Fils sont envoyés dans une nouvelle mission ; en d’autres mots, une telle connaissance qui est possédée sur Dieu, de telle manière que l’amour procède d’elle, suffit à la notion de mission du Fils.

Quando autem ita notitia per inspirationem elevatur ut etiam divina mysteria cognoscat, sic datur in dono prophetiae. Et similiter est de Spiritu sancto, quia amor caritatis quicumque sufficit ad missionem Spiritus sancti. Sed quando virtus amoris excrescit, ut ratione amoris conferatur sibi aliquis alius usus gratiae, ut miracula facere, vel sine difficultate omnem tentationem vincere, vel aliquid hujusmodi, tunc dicitur esse nova missio Spiritus sancti. Quidam tamen dicunt quod in omni augmento gratiae gratum facientis, est missio divinae personae, quod etiam facile potest sustineri.

Mais quand la connaissance est ainsi élevée par l’inspiration qu’elle connaît aussi les mystères divins, elle est donnée dans la don de prophétie. Et il en est de même pour l’Esprit-Saint car tout amour de charité suffit à la mission de l’Esprit-Saint. Mais quand la puissance de l’amour s’étend démesurément, de telle sorte qu’en raison de l’amour lui est conféré un autre usage de la grâce, comme de faire des miracles ou de vaincre toute tentation sans difficulté ou de poser toute opération de cette sorte, alors on dit qu’il y a une nouvelle mission de l’Esprit-Saint. Certains disent cependant que dans toute augmentation de la grâce sanctifiante il y a une mission d’une Personne divine qui peut encore être soutenue avec facilité.

[1193] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis non sit alius modus accipiendo generales modos, tamen est secundum aliquem specialem modum, inquantum secundum specialem usum gratiae assimilat sibi illum ad quem fit missio. Vel etiam est in eo pleniori modo ; et hoc sufficit ad missionem quantum ad secundam opinionem.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien qu’il n’y ait pas une autre manière de recevoir les modes généraux, cependant cela a lieu d’après une manière spéciale, dans la mesure où celui qui est envoyé s’assimile d’après un usage spécial de la grâce celui auquel est ordonnée la mission. Ou bien encore Il est en lui d’une manière plus parfaite ; et cela suffit à la mission entendue selon la deuxième opinion.

[1194] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod revocare aberrantem accidit missioni ex parte ejus ad quem fit missio qui est in culpa. Missio enim determinat terminum ad quem, ut scilicet per missionem gratia conferatur ; non autem ex ratione missionis determinatur terminus a quo, sive sit status culpae, sive sit status naturalium tantum, vel etiam status minoris gratiae. Vel dicendum, quod quamvis non revocet actu errantem, tamen gratia facit ne erret, et haec est quaedam revocatio ab errore.

2. Il faut dire en deuxième lieu  que le rappel de celui qui s’égare se produit dans la mission du côté de celui auquel la mission est ordonnée, lequel est dans le péché. La mission en effet précise le terme d’arrivée de la mission, c’est-à-dire que par la mission la grâce soit conférée ; mais par la notion de mission le terme du départ n’est pas déterminé, qu’il s’agisse de l’état de la faute, de celui des choses naturelles seulement ou même de l’état d’une grâce inférieure. Ou bien il faut dire que bien qu’elle ne rappelle pas en acte celui qui s’égare, cependant la grâce fait qu’il ne s’égare pas et c’est là un certain rappel qui détourne de l’erreur.

Quaestiuncula 3

Réponse à la sous-question 3

[1195] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 co. Ad id quod ulterius quaeritur de Angelis et beatis, dicendum, quod visio quae est essentialis beatitudini, et caritas et hujusmodi quae pertinent ad praemium substantiale, non augentur in eis ex quo jam beati sunt effecti ; sed per hoc non tollitur quin aliquae revelationes novae fiant in eis, cum quantumcumque perficiatur eorum cognitio, in infinitum a Dei cognitione excedatur ; et secundum illas novas revelationes consurgunt ad Dei amorem, non quidem ut magis ament, sed ut sub alia ratione eorum amor dirigatur in Deum.

Corps de l’article:

Il faut dire, par rapport à ce qu’on cherche à savoir par la suite au sujet des Anges et des  bienheureux, que la vision qui est essentielle à la béatitude essentielle, et la charité et les autres attributs de cette sorte qui appartiennent à la recompense substantielle, n’augmentent pas en eux du fait qu’ils ont déjà été rendus bienheureux; mais cela n’empêche pas que de nouvelles révélations se produisent en eux, puisque quelle que soit la perfection à laquelle parvient leur connaissance, elle est dépassée à l’infini par la connaissance de Dieu; et conformément à ces nouvelles révélations ils s’élèvent à l’amour de Dieu, non pas de telle manière qu’ils L’aiment advantage, mais de telle manière que leur amour se tourne vers Dieu sous un autre rapport.

[1196] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 ad 1 Dicendum igitur ad primum, quod Angelis facta est missio Filii et Spiritus sancti in ipsa collatione gratiae vel gloriae. Ulterius etiam fit ad eos missio Filii et Spiritus sancti, postquam beati sunt effecti, secundum novas revelationes et novos modos amandi. Et per hoc patet responsio ad primum. Quia quamvis non fiat ad eos missio secundum augmentum gratiae intensive, fit tamen, secundum quod quodammodo eorum gratia extensive ad plura augetur ex novis revelationibus.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la mission du Fils et de l’Esprit-Saint a été faite aux Anges dans l’union même à la grâce ou à la gloire. Par la suite encore il y a mission du Fils et de l’Esprit-Saint envers eux, après qu’ils aient été rendus bienheureux, d’après de nouvelles révélations et de nouvelles manières d’aimer. Et par là la réponse à la première difficulté est claire. Car bien qu’il ne se produise pas à leur égard une mission selon une augmentation de la grâce d’une manière intensive, il s’en produit une cependant, selon que leur grâce d’une certaine manière s’étend à plusieur chose d’une manière extensive à partir de nouvelles révélations.

[1197] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in eadem missione non est idem nuntius et ad quem fit missio ; sed in diversis non est inconveniens. Dico igitur, quod in missione divinarum personarum ad nos, Angeli sunt missi vel nuntii, non tamquam ipsi menti illabentes, sed per ministerium exterius. In missione vero quae fit ad eos, non sunt ipsi sicut nuntii, nisi forte secundum quod superiores Angeli cooperantur divinis personis in illuminatione inferiorum. Sed tamen non erit abire in infinitum: quia est devenire ad supremos Angelos, qui immediate lumen divinae revelationis recipiunt.

2. Il faut dire en deuxième lieu que pour la même mission, le messager n’est pas identique à celui à qui s’adresse la mission ; mais pour des missions différentes, cela n’est pas un problème. Je dis donc que dans la mission des Personnes divines à notre égard, les Anges sont des envoyés et des messagers, non pas en tant que …, mais par un ministère de extérieur. Mais pour la mission qui s’adresse à eux, ils ne sont pas eux-mêmes comme des messagers, à moins peut-être selon que des Anges supérieurs collaborent avec les Personnes divines pour l’illumination des Anges inférieurs. On ne pourra cependant procéder à l’infini car il faut en venir à des Anges suprêmes qui reçoivent immédiatement la lumière de la révélation divine.

Quaestiuncula 4

Réponse à la sous-question 4

[1198] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 co. Ad id quod ulterius quaeritur de Christo, dicendum, quod non est dubium quin ad humanam naturam in Christo missus sit Dei Filius missione visibili quae est in carnem. Sed utrum ad Christum, secundum quod homo est, mittatur Filius invisibiliter, vel Spiritus sanctus visibiliter vel invisibiliter, dubium est. Quidam enim dicunt, quod ad ipsum nulla invisibilis missio facta est. Cujus rationem assignant, quia Christus ab initio conceptionis suae plenus fuit omni gratia: unde gratia in eo nullo modo fuit augmentata. Et ideo neque ratione collationis gratiae, neque ratione augmenti potest ad eum fieri missio invisibilis. Sed missio visibilis Spiritus sancti ad ipsum facta est, ad manifestationem interioris gratiae et non alicujus missionis interioris quae aliquam novitatem in gratia importaret. Alii dicunt, et verius, ut videtur, quod ad animam Christi facta est missio invisibilis in collatione gratiae quam in initio suae conceptionis accepit ; sed postmodum nulla missio ad eum facta est, quia nulla circa ipsius gratiam innovatio facta est.

Corps de l’article :

Quant à ce qu’on cherche à savoir par la suite sur le Christ il faut dire qu’il n’y a pas de doute que le Fils de Dieu, par la mission visible qui est dans la chair, a été envoyé pour prendre la nature humaine qui est dans le Christ. Mais est-ce que le Fils d’une manière invisible ou l’Esprit-Saint d’une manière visible ou invisible, a été envoyé vers le Christ, cela n’est pas évident. Certains en effet disent qu’aucune mission invisible n’a été faite pour lui. Et ils en donnent pour raison que le Christ dès le début de sa conception fut rempli de toute grâce : de là, la grâce en lui ne fut augmentée d’aucune manière. Et c’est pourquoi ni en raison de la réunion de la grâce ni en raison de son augmentation il ne peut y avoir mission invisible à son égard. Mais il y a eu mission visible de l’Esprit-Saint à son égard pour manifester la grâce intérieure et non une mission intérieure qui impliquerait une nouveauté dans la grâce. D’autres disent, et avec plus de justesse, comme on le voit, qu’une mission invisible a été faite pour l’âme du Christ dans la réunion de la grâce qu’il a reçue au début de sa conception ; mais par la suite aucune mission n’a été faite pour lui, car aucune nouveauté n’a été apportée à sa grâce.

[1199] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod humana natura quamvis tempore non fuerit ante unionem, tamen prius est ipsam considerare secundum intellectum in se quam ut unitam ; et ideo ad ipsam fit missio Filii per gratiam unionis, quae dicitur missio in carnem. Similiter etiam secundum quod intelligitur unita, adhuc est distans a divina natura secundum conditionem naturae, quamvis non secundum unitatem personae ; et ideo ad naturam humanam etiam unitam potest fieri missio per gratiam invisibilem in mentem, quamvis tempore natura gratiam non praecedat.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien qu’il n’y ait pas eu de  nature humaine antérieurement à l’union selon le temps, cependant il faut la considérer en elle-même  selon l’intelligence avant de la considérer comme étant unie ; et c’est pourquoi c’est à la nature humaine que la mission du Fils est ordonnée par la grâce de l’union, qu’on appelle la mission dans la chair. De la même manière encore selon qu’elle est comprise comme étant unie, elle est encore éloignée de la nature divine selon une condition de nature, bien qu’elle ne le soit pas selon l’unité de la personne ; et c’est pourquoi il peut y avoir mission à l’égard de la nature humaine, même en tant qu’elle est unie, par une grâce invisible dans l’esprit, bien que la nature ne précède pas la grâce selon le temps.

[1200] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sanctificare est sanctum facere. Sanctum autem facere contingit dupliciter: vel ex non sancto, vel ex sancto.

Ex non sancto dupliciter: vel privative, idest quod primum fuerit natum habere sanctitatem non habens, et sic sanctificari non convenit Christo ;

vel negative, et sic convenit Christo ex non sancto fieri sanctum secundum humanam naturam, quae prius quam esset, sancta non erat ; et hoc sufficit ad rationem missionis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que sanctifier signifie rendre saint. Mais rendre saint se produit de deux manières : soit à partir de ce qui n’est pas saint, soit à partir de ce qui est déjà saint.

Et à partir de ce qui n’est pas saint, il arrive de rendre saint de deux manières : soit par la privation, c’est-à-dire pour qui ne possède pas la sainteté mais qui était apte à la posséder, et en ce sens sanctifier ne convient pas au Christ ;

Soit négativement, et en ce sens il convient au Christ à partir de ce qui n’est pas saint de devenir saint selon la nature humaine qui, avant d’exister, n’était pas sainte ; et cela suffit à la notion de mission.

Ex sancto autem fieri sanctum, est dupliciter: vel ex minus sancto facere magis sanctum, et in tali sanctificatione adhuc salvatur ratio missionis, sed talis sanctificatio vel missio Christo non competit ; vel secundum continuationem sanctitatis, ut sit sanctificari, in sanctitate continuari. Sed hoc proprie non dicitur. Unde haec sanctificatio non sufficit ad rationem missionis, quia non ponitur aliqua innovatio ; quamvis talis sanctificatio Christo conveniat, ut ipse dicit Joan. 17, 19: Ego pro eis sanctifico meipsum.

Mais devenir saint à partir de ce qui est déjà saint se produit de deux manières : soit de rendre plus saint à partir de ce qui est moins saint et dans une telle sanctification est encore conservée la notion de mission, mais une telle sanctification ou mission ne convient pas au Christ ; soit selon la continuité de la sainteté, de telle manière qu’être sanctifié, c’est continuer dans la sainteté. Mais cela ne se dit pas proprement de la sanctification. C’est pourquoi cette sanctification ne suffit pas à la notion de mission, car on ne retrouve pas en elle l’idée d’innovation, bien qu’une telle sanctification convienne au Christ comme il le dit lui-même dans Jean (17,19) : Mais moi, c’est pour eux que je me sanctifie.

[1201] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 ad 3 Ad tertium, secundum aliam opinionem, potest dici, quod non omnis datio est missio, sed illa quae fit alicui praeexistenti ; quamvis hoc non multum habeat rationis.

3. On peut dire en troisième lieu, d’après une autre opinion, que toute donation n’est pas une mission mais celle qui arrive à qui existe déjà, bien que cela ne contienne pas beaucoup de raison.

[1202] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 1 qc. 4 ad 4 Ad quartum patet responsio per praedicta, in corp. art.

4. La réponse à la quatrième difficulté est claire au moyen de ce qui a été dit dans le corps de l’article.

 

 

Articulus 2 [1203] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 tit. Utrum missio invisibilis fuerit plenior post incarnationem quam ante

Article 2 – La mission invisible a–t-elle été plus complète après l’Incarnation qu’avant ?

[1204] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod missio invisibilis non plenior fuerit post incarnationem quam ante. Missio enim fit per quamdam irradiationem divinae bonitatis in donis gratiae gratum facientis. Sed sol corporalis, cui bonitatem divinam Dionysius, IV de divin. Nomin. §§1 et 4, col. 694, assimilat, semper aequaliter irradiat. Ergo videtur quod missio omni tempore aequaliter fiat.

Difficultés :

1. Il semble que la mission invisible ne fut pas plus complète après qu’avant l’incarnation. La mission en effet se produit par une irradiation de la bonté divine dans les dons de la grâce sanctifiante. Mais le soleil physique, auquel Denys [IV Les Noms Divins, & 1 et 4, col. 694] compare la bonté divine, irradie toujours d’une manière égale. Il semble donc qu’en tout temps la mission a lieu d’une manière égale.

[1205] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, Augustinus, De bono conjugali, cap. XXI, § 26, col. 391, dicit, quod caelibatus Joannis non praefertur conjugio Abrahae, et ita videtur quod sancti novi testamenti non sint majoris meriti quam sancti veteris testamenti. Sed plenitudo missionis attenditur secundum copiam gratiae, quae est principium merendi. Ergo videtur quod non plenius sit facta post incarnationem quam ante. Hoc etiam videtur, quod sancti veteris testamenti proponuntur nobis in exemplum perfectae virtutis, sicut patet ad Hebr. 11, ut Job proponitur in exemplum patientiae, Abraham in exemplum fidei ; et sic de aliis.

2. Par ailleurs Augustin [Le bien conjugal, ch. XXI, & 26, col. 391] dit que le célibat de Jean n’est pas préféré au mariage d’Abraham et il semble ainsi que les saints  du nouveau testament ne sont pas d’un plus grand mérite que les saints de l’ancien testament. Mais la plénitude de la mission se prend selon une imitation de la grâce, laquelle est le principe du mérite. Il semble donc que la mission n’a pas été rendue plus complète après l’incarnation qu’avant. On le voit encore à ce que les saints de l’ancien testament nous sont proposés comme exemples d’une vertu parfaite, comme le montre l’Apôtre dans l’Épître aux Hébreux (11), comme Job qui est présenté comme un exemple de patience et Abraham comme un exemple de foi ; et il en est ainsi pour les autres.

[1206] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 s. c. 1 Contra Augustinus, IV De Trin., cap. XX, § 29, col. 908, exponens illud Joan. 7, 39: Nondum erat Spiritus datus, quia Jesus nondum erat glorificatus ait: Quomodo hoc intelligitur nisi quod illa datio Spiritus vel missio futura erat qualis nunquam ante fuerat ? Non enim antea nulla erat, sed non talis erat. Ergo videtur quod post incarnationem plenior fuerit.

Cependant :

Augustin prend une position contraire [IV De la Trinité, ch. XX, & 29, col. 908] en expliquant ce passage de Jean (7, 39) : L’Esprit-Saint n’avait pas encore été donné, car Jésus n’avait pas encore été glorifié, lorsqu’il dit : Comment comprendre ce passage autrement qu’en ce sens, à savoir que cette donation ou cette mission à venir de l’Esprit-Saint était telle qu’elle n’avait jamais été avant ? En effet, elle n’était pas nulle avant, mais elle n’avait pas une telle importance. Il semble donc qu’elle fut plus complète après qu’avant l’incarnation.

[1207] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de missione possumus loqui dupliciter:

vel ex parte ipsius mittentis, et sic cum apud ipsum nulla sit transmutatio, aequalis fit missio in omni tempore ; nisi forte secundum praedeterminationem sapientiae et praescientiae suae, secundum quod praeordinavit sine sui mutatione, secundum diversas congruitates temporum, aliquid uno tempore facere, et non alio ;

vel ex parte eorum ad quos fit missio ; et sic illi qui magis sunt parati ad perceptionem gratiae, pleniorem gratiam consequuntur.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que nous pouvons parler de la mission de deux manières :

Soit du côté de celui-là même qui envoie, et ainsi puisqu’il n’y a en lui aucun changement, la mission est égale en tout temps, sauf peut-être d’après la prédétermination de sa sagesse et de sa préscience, selon qu’il a ordonné à l’avance sans aucun changement de sa part, d’après les différentes opportunités des époques, de faire quelque chose en tel temps et on en un autre ;

Soit du côté des êtres vers lesquels se porte la mission ; et ainsi ceux qui sont davantage préparés à recevoir la grâce y parviennent plus pleinement.

Dicendum igitur, quod quia per adventum Christi remotum est obstaculum antiquae damnationis, totum humanum genus effectum est paratius ad perceptionem gratiae quam ante: tum propter solutionem pretii, et victoriam Diaboli ; tum etiam propter doctrinam Christi, per quam clarius nobis innotescunt divina. Et ideo, loquendo communiter, plenior facta est missio post incarnationem quam ante, quia de plenitudine ejus omnes accepimus. Sed verum est quod ad aliquas speciales personas est in veteri testamento plenissima facta missio secundum perfectionem virtutis ; et ipsi tamen de plenitudine Christi acceperunt, inquantum in fide mediatoris salvati sunt, secundum Augustinum, lib. III, De gratia Christi et de peccato originali., c. XXIV, col. 398.

Il faut donc dire que par la venue du Christ est écarté l’obstacle de l’ancienne damnation, tout le genre humain a été rendu plus prêt qu’avant à recevoir la grâce ; tant à cause de la perte de la récompense et de la victoire du Diable d’une part, qu’à cause de la doctrine du Christ par laquelle les choses divines nous sont connues plus clairement. Et c’est pourquoi, pour parler universellement, la mission a été rendue plus complète après qu’avant l’incarnation car nous avons tout reçu de sa plénitude. Mais il est vrai que pour certaines personnes spéciales de l’ancien testament la mission fut la plus complète selon la perfection de sa puissance ; et cependant eux-mêmes ont accueilli la plénitude du Christ selon qu’ils ont été sauvés par leur foi dans le médiateur, d’après Augustin [111 De la Grâce du Christ et du péché originel, c. XXIV, col. 398]

[1208] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod illa ratio procedit ex parte ipsius mittentis, qui, quantum in se est, semper aequaliter se habet ad gratiam conferendam.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que cet argument procède de celui-là même qui envoie qui, quant à ce qu’il est en lui-même, est toujours égal à lui-même dans sa manière de conférer la grâce.

[1209] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sancti veteris testamenti dupliciter possunt considerari:

vel quantum ad gratiam personalem, et sic per fidem mediatoris consecuti sunt gratiam aeque plenam his qui sunt in novo testamento et multis plus et multis minus ;

vel secundum statum naturae illius temporis, et sic cum adhuc continerentur obnoxii divinae sententiae pro peccato primi parentis, nondum soluto pretio, erat in eis aliquod impedimentum, ut non ad eos ita plena missio fieret, sicut fit in novo testamento etiam per traductionem in gloriam, in qua omnis perfectio naturae amovetur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que les saints de l’ancien testament peuvent être considérés de deux manières :

Soit quant à la grâce personnelle et ainsi par leur foi dans le médiateur ils ont atteint une grâce également pleine à ceux du nouveau testament, et plus abondamment que plusieurs et moins abondamment que plusieurs ;

Soit d’après l’état de nature de ce temps, et ainsi puisqu’ils étaient encore contenus comme prisonniers de la sentence divine pour la faute des premiers parents, la récompense n’étant pas encore détruite, il y avait en eux un obstacle tel qu’une mission complète ne pouvait leur être adressée comme c’est le cas dans le nouveau testament même par le passage à la gloire dans laquelle toute perfection de nature est écartée.

 

 

Articulus 3 [1210] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 tit. Utrum per missionem invisibilem efficimur ne simus in hoc mundo

Article 3 – Par la mission invisible se fait-il que nous ne sommes plus en ce monde ?

[1211] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per missionem invisibilem efficimur quod non in hoc mundo simus. Qui enim est in caelis, non est in mundo. Sed apostolus in persona omnium sanctorum dicit, Phil. 3, 20: Nostra conversatio in caelis est. Ergo videtur quod sancti ad quos fit missio, non sint in mundo.

Difficultés :

1. Il semble que par la mission invisible il se fait que nous ne sommes plus en ce monde. En effet, celui qui est dans les cieux n’est pas en ce monde. Mais l’Apôtre, dans la personne de tous les saints, dit [Phil. 3, 20] : Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux. Il semble donc que les saints envers auxquels s’adresse la mission ne sont plus en ce monde.

[1212] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 arg. 2 Item, Augustinus dicit, quod anima verius est ubi amat, quam ubi est. Sed esse essentialiter in aliquo, est verissimus modus essendi in eo. Ergo sancti essentialiter sunt in caelestibus, quae amant.

2. En outre, Augustin dit que l’âme est plus véritablement là où elle aime que là où elle est. Mais être essentiellement pour un être est le mode d’être le plus vrai qu’il y a en lui. Donc les saints sont essentiellement dans les cieux qu’ils aiment.

[1213] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 arg. 3 Praeterea, cum anima fit substantia incorporalis, non determinatur ad locum nisi per accidens. Ibi ergo erit anima essentialiter ubi est per accidens. Sed in suo objecto est anima per accidens sicut in sua materia. Ergo essentialiter est ubi est suum objectum.

3. De plus, puisque l’âme est une substance incorporelle, ce n’est que par accident qu’elle est déterminée à un lieu. L’âme sera donc essentiellement là où elle est par accident. Mais dans son objet l’âme existe par accident comme dans sa matière. Elle est donc essentiellement là où est son objet.

[1214] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, nos dicimus Angelos esse in aliquo loco, propter hoc quod ibi operantur. Sed operatio animae est circa objectum. Ergo anima essentialiter est ubi est suum objectum.

4. Par ailleurs nous disons que les Anges sont dans un lieu pour cette raison que c’est là qu’ils posent une opération. Mais l’opération de l’âme porte sur un objet. Donc l’âme est essentiellement là où est son objet.

[1215] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 s. c. 1 Contra, forma nunquam excedit id cujus est forma. Sed anima est forma essentialis corporis. Ergo non est essentialiter nisi ubi est corpus. Corpus autem nunquam est extra mundum, quamdiu vivimus. Ergo missio invisibilis non facit nos in hoc mundo non esse.

Cependant :

Au contraire, la forme n’outrepasse jamais ce dont elle est la forme. Mais l’âme est la forme substantielle du corps. Donc, elle n’est essentiellement que là où est le corps. Mais le corps n’est jamais en dehors du monde, tant que nous vivons. Donc la mission invisible ne fait pas que nous ne sommes plus en ce monde.

[1216] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod anima nostra comparatur ad duo: scilicet ad corpus, cui dat esse substantiale, per quod etiam ipsa est ; non enim est aliud animae esse quam hoc quod corpori dat, ut supra dictum est, dist. 8, quaest. 5, art. 2. Comparatur etiam ad objectum suum, a quo recipit esse secundum perfectionem secundam, quod est esse accidentale. Et ideo anima essentialiter est ubi est corpus suum ad quod habet essentialem relationem. Ubi autem est objectum suum, non est essentialiter, sed solum per quamdam conformitatem: prout dicitur quod scientia est assimilatio scientis ad rem scitam. Et hoc modo intelligitur quod dicitur in Littera: « Secundum quod aliquod aeternum mente percipimus, non in hoc mundo sumus » ; quia non conformatur affectus noster et intellectus mundanis rebus et caducis, sed caelestibus et aeternis ; et sic etiam intelligendum est quod apostolus dicit: Nostra conversatio in caelis est ; ut patet ex cantu Ecclesiae : « cogitatione et amore in illa aeterna patria conversatio est [ut patet…conversatio est om. Éd. de Parme].

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que notre âme se compare à deux choses : à savoir au corps, auquel il donne l’être substantiel par lequel elle aussi existe ; en effet, l’existence de l’âme n’est pas autre que celle qu’elle donne au corps, ainsi que nous l’avons dit [dist. 8, quest. 5, art. 2]. Notre âme se compare aussi à son objet, duquel elle reçoit une existence selon une perfection seconde qui est son être accidentel. Et c’est pourquoi l’âme est essentiellement là où est son corps avec lequel elle a une relation essentielle. Mais l’âme n’est pas essentiellement, mais seulement par une certaine conformité, là où est son objet, pour autant qu’on dit que la science est l’assimilation de celui qui sait à la chose qu’il sait. Et c’est de cette manière qu’on comprend ce qui est dit dans le Document : ¨Selon que par l’esprit nous saisisson qu’elle quelque chose d’éternel, nous ne sommes pas en ce monde¨ ; car notre affectivité et notre intelligence n’est pas conformé aux choses du monde qui sont passagères, mais aux choses célestes et éternelles ; et c’est encore de cette manière qu’il faut comprendre ce que l’Apôtre dit : Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux ; tout comme on le voit dans ce chant de l’Église : ¨Par la pensée et l’amour notre relation est dans cette patrie éternelle [comme on le voit…notre relation est om. Éd. de Parme]

[1217] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 1 Unde patet responsio ad primum.

Solutions:

1. À partir de là la réponse à la première difficulté est évidente.

[1218] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis esse substantiale animae sit in conjunctione ad corpus, tamen tota nobilitas ipsius est, secundum quod per actus suos nobilissimos suis perfectionibus conjungitur. Et ideo Augustinus dicit animam verius esse ubi amat, quia ibi est secundum suum nobilius esse, quod est secundum perfectionem ultimam.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que l’existence substantielle de l’âme est dans son union au corps , cependant toute sa noblesse  a lieu selon que par ses actes les plus nobles elle est unie à ses perfections. Et c’est pourquoi Augustin dit que l’âme est plus véritablement là où elle aime car c’est là qu’elle existe d’après une existence plus noble conforme à sa perfection ultime.

[1219] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod locus non convenit animae nisi per accidens: tamen ad hoc quod in loco essentialiter esse dicatur, oportet quod etiam essentialiter conjungatur ei, ratione cujus sibi locus attribuitur. Sed anima non conjungitur objecto suo essentialiter, sed tantum secundum similitudinem ipsius receptam in anima: quia lapis non est in anima, sed species lapidis, secundum philosophum, De anima, texte 38 : cui etiam speciei, sive intentioni, conjungitur anima, non quantum ad esse primum, quod est substantiale, sed quantum ad esse secundum, quod est esse accidentale. Et ideo ratione objecti sui non dicitur anima essentialiter esse in loco.

3. Il faut dire en troisième lieu que le lieu ne convient à l’âme que par accident : cependant, pour qu’on dise qu’elle existe essentiellement dans un lieu, il faut encore qu’elle lui soit essentiellement unie à la chose en raison de laquelle le lieu lui est attribué. Mais l’âme n’est pas unie essentiellement à son objet mais seulement d’après sa similitude reçue dans l’âme : car ce n’est pas la pierre qui est reçue dans  l’âme mais la forme de la pierre, selon le Philosophe [De l’Âme, texte 38] : et à cette forme ou à cette intention l’âme s’unit encore non pas quant à son existence première qui est substantielle, mais quant à son existence seconde qui est accidentelle. Et c’est pourquoi on ne dit pas pas que l’âme existe essentiellement dans le lieu en raison de son objet.

[1220] Super Sent., lib. 1 d. 15 q. 5 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod operatio Angeli in res corporales est operatio activa ; et ideo oportet quod per virtutem suam, quae non separatur ab essentia sua, conjungatur corpori in quod operatur, sicut motor mobili. Sed operatio animae intellectualis in rem quam cognoscit et diligit, est operatio non activa, sed receptiva ; et ideo non oportet quod conjungatur ei essentialiter, sed quod intentio illius recipiatur in ipsa anima.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’opération de l’Ange dans les choses corporelles est une opération active ; et c’est pourquoi il faut que par sa puissance qui n’est pas séparée de son essence, il s’unisse au corps dans lequel il opère, comme le moteur est uni au mobile. Mais l’opération de l’âme intellectuelle dans la chose qu’il connaît et qu’il aime est une opération qui n’est pas active mais réceptive ; et c’est pourquoi il ne faut pas qu’elle s’unisse à elle essentiellement mais plutôt que l’intention de la chose soit reçue dans l’âme elle-même.

 

 

Distinctio 16

Distinction 16 – [Les missions visibles]

 

 

Quaestio 1

Question unique : [Les missions visibles des Personnes divines]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

Ad intellectum hujus partis quatuor quaeruntur:

1 de ipsa missione visibili secundum se ;

2 ad quos fieri debeat ;

3 quibus speciebus ;

4 per quos missio visibilis administrata sit.

Pour comprendre cette partie nous nous interrogeons sur quatre points :

1. Sur la mission visible en elle-même.

2. À qui elle doit s’adresser.

3. Les formes qu’elle doit revêtir.

4. Au moyen de qui la mission visible doit être administrée.

 

 

Articulus 1 [1223] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 tit. Utrum missio visibilis conveniat divinae personae

Article 1 – Une mission visible convient-elle aux Personnes divines ?

[1224] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod missio visibilis divinae personae non competat. Missio enim est, ut prius dictum est, dist. 15, qu. 1, art. 1, secundum quod divina persona aliquo novo modo est in aliquo quo prius non fuit. Sed in nulla creatura visibili potest esse aliquo modo quo prius non fuerit ; est enim in omnibus creaturis essentialiter, potentialiter, praesentialiter ; et praeter hoc est in sanctis mentibus per gratiam, quo modo in aliquo visibili corporeo esse non potest. Ergo videtur quod missio visibilis non sit [possit esse Éd. de Parme].

Difficultés :

1. Il semble qu’une mission visible ne convienne pas à une Personne divine. Une mission en effet, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 15, qu. 1, art. 1] a lieu selon qu’une personne divine existe dans un être d’une manière nouvelle par laquelle elle n’y existait pas avant. Mais elle ne peut exister dans une créature visible d’une manière par laquelle elle n’y  était pas avant ; Dieu en effet est dans toutes les créatures essentiellement, potentiellement et par sa présence ; et en plus de cela elle est dans les esprits saints par la grâce, ce qui ne peut être le cas pour certains corps visibles. Il semble donc qu’il n’y ait [ne puisse y avoir Éd. de Parme] pars de mission visible pour une Personne divine.

[1225] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 2 Si dicas [dicis Éd. de Parme] quod esse in illis creaturis visibilibus alio modo est, quia sicut in signo ; contra, omnis effectus repraesentans causam est signum illius quo in ipsam potest deveniri. Sed omnes creaturae repraesentant ipsum Deum tamquam causam per imaginem vel vestigium. Ergo secundum hoc in omnibus creaturis mittetur visibiliter, nec alio modo erit in illis visibilibus creaturis, in quibus mitti dicitur, quam prius.

2. Si tu disais [dis Éd. de Parme] qu’exister dans ces creatures visible a lieu d’une autre manière, car elle y existe comme dans un signe, il faudrait dire au contraire que tout effet représentant une cause est un signe par lequel on peut parvenir à sa cause. Mais toutes les créatures, en tant qu’images ou vestiges, représentent Dieu lui-même comme cause. Donc, d’après cette position la Personne divine serait envoyée visiblement dans toutes les créatures, et il n’y aurait pas une autre manière pour la Personne divine d’être présente dans ces créatures visibles, dans lesquelles on dit qu’elle est envoyée, que celle que nous avons présentée avant.

[1226] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, ratio sacramenti est quod in ipso sit Deus sicut in signo visibili. Si igitur propter hoc dicitur visibiliter mitti, quia in rebus visibilibus est, sicut in signis ; tunc illae res essent sacramenta, et in omnibus sacramentis esset missio visibilis.

3. Par ailleurs, la définition du sacrement est ce en quoi Dieu existe comme dans un signe visible. Si donc on dit que la Personne divine est envoyée visiblement pour cette raison qu’elle est dans les choses visibles comme dans des signes, alors ces choses seraient des sacrements et il y aurait mission visible dans tous les sacrements.

[1227] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit in Littera, quod ex hoc Spiritus sanctus visibiliter mitti dicitur, quod facta est quaedam species creaturae ex tempore, in qua visibiliter ostenderetur. Sed in apparitionibus veteris testamenti in visibilibus creaturis ostendebantur divinae personae, sicut ipsi Abrahae, Genes. 18. Ergo secundum hoc videtur quod missio visibilis non sit aliud quam apparitio.

4. En outre, Augustin dit dans la Lettre, qu’on dit que l’Esprit-Saint est envoyé visiblement du fait qu’une certaine espèce de créature est produite dans le temps, dans laquelle il serait manifesté visiblement. Mais dans les apparitions de l’ancien testament les Personnes divines étaient manifestées dans des créatures visibles, comme ce fut le cas pour Abraham (Genèse 18). Donc, suivant cela, il semble que la mission visible ne soit rien d’autre qu’une apparition.

[1228] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 5 Si dicatur, quod missio visibilis ostendit missionem invisibilem, quod non facit apparitio ; contra, per missionem invisibilem efficitur aliquis dignus Dei amore: Sed nemo scit utrum amore vel odio dignus sit, Eccle. 9, 1, nec videtur hoc utile scire, quia alias non esset ita homini occultatum. Ergo videtur quod nulla visibilis apparitio fiat ad missionis interioris manifestationem.

5.  Si on dit que la mission visible manifeste la mission invisible, ce que ne fait pas une apparition, il faut dire par contre que par la mission invisible quelqu’un est rendu digne de l’amour de Dieu : Mais personne ne sait s’il est digne d’amour ou de haine (Ecclés. 9, 1) et il ne semble pas utile de savoir cela car autrement cela ne serait pas ainsi caché à l’homme. Il semble donc qu’aucune apparition visible ne se produit pour manifester la mission intérieure.

[1229] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, nihil potest manifestari per aliquid, nisi sufficienter illud ducat in ipsum. Sed nulla creatura visibilis ducit sufficienter in cognitionem gratiae invisibilis. Ergo videtur quod invisibilis missio per visibiles species non manifestetur.

6. Par ailleurs, aucune chose ne peut être manifestée par une autre à moins que cette dernière ne conduise suffisamment à elle. Mais aucune créature visible ne conduit suffisamment à la connaissance de la grâce invisible. Il semble donc que la mission invisible n’est pas manifestée par des espèces visibles.

[1230] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut processio temporalis non est alia quam processio aeterna essentialiter, sed addit aliquem respectum ad effectum temporalem ; ita etiam missio visibilis non est alia essentialiter ab invisibili missione Spiritus sancti, sed addit solam rationem manifestationis per visibile signum.

Ad rationem ergo visibilis missionis Spiritus sancti tria concurrunt, scilicet quod missus sit ab aliquo ; et quod sit in alio secundum aliquem specialem modum, et quod utrumque istorum per aliquod visibile signum ostendatur, ratione cujus tota missio visibilis dicitur.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que tout comme la procession temporelle ne diffère pas essentiellement de la procession éternelle mais ajoute seulement un rapport à un effet temporal, de même encore la mission visible ne diffère pas essentiellement de la mission invisible de l’Esprit-Saint mais ajoute seulement l’idée de manifestation au moyen d’un signe visible.

Il y a donc trois choses qui contribuent à définir la mission visible de l’Esprit-Saint, à savoir qu’il soit envoyé par une autre Personne, qu’il soit dans une creature d’après une modalité spéciale, et que chacun des deux soit manifesté par un signe visible, en raison de quoi on dit qu’il y a mission visible.

[1231] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa visibilis creatura, secundum quam missio dicitur visibilis, aliter se habet in missione visibili Filii, et in missione visibili Spiritus sancti. Quia in missione Filii se habet non solum ut per quod vel in quo ostenditur missio, sed etiam ut ad quod fit missio ; quia naturam humanam visibilem assumpsit in unitatem personae ; secundum quam assumptionem visibiliter in carnem mitti dicitur. Et ideo in ipsa natura visibili quodam novo modo per carnem existit, scilicet per unionem non tantum in anima, sed etiam in corpore. At in missione visibili Spiritus sancti illa creatura visibilis non se habet ut ad quod fit missio ; sed solum ut ostendens missionem invisibilem factam in aliquem ; et ideo non oportet quod in illa creatura visibili sit novo modo nisi sicut in signo ; sed est novo modo in eo ad quem fit missio.

Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que cette créature visible d’après laquelle on parle de mission visible, se présente autrement dans la mission visible du Fils et dans la mission visible de l’Esprit-Saint. Car dans la mission du Fils elle se présente non seulement comme ce par quoi ou en quoi la mission est manifestée, mais aussi comme le terme vers lequel il y a mission; car il a choisi la nature humaine visible dans l’unité de la Personne; et c’est d’après ce choix qu’on dit qu’il a été envoyé visiblement dans la chair. Et c’est pourquoi il existe dans la nature visible elle-même d’une manière nouvelle par la chair, c’est-à-dire par une union non seulement à une âme, mais aussi à un corps. Et dans la mission visible de l’Esprit-Saint cette créature visible ne se présente pas comme le terme auquel est ordonnée la mission mais seulement comme manifestant la mission invisible réalisée dans un être; et c’est pourquoi il ne faut pas que la Personne existe  dans cette créature visible  selon un nouveau mode mais qu’elle y existe comme dans un signe; mais elle existe d’une nouvelle manière dans celui qui est le terme de la mission.

[1232] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis omnis creatura significet Deum esse et bonitatem ipsius ; non tamen significat ipsum esse per gratiam in aliquo nisi ad hoc specialiter instituatur, sicut illae creaturae visibiles ad hoc specialiter factae sunt, ut in eis praesentia Spiritus sancti insinuetur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que toute créature est le signe de l’existence de Dieu et de sa bonté, cependant toute créature ne signifie pas son existence par la grâce dans un être, à moins d’avoir été instituée spécialement à cette fin comme ces créatures visible qui ont été faites spécialement à cette fin de telle manière que la présence de l’Esprit-Saint s’introduise en elles.

[1233] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod per sacramenta significatur praesentia divinae inhabitationis, sicut in signis institutis, non ad tempus, sed semper. Sed illae creaturae visibiles non fuerunt institutae ut significarent gratiam divinae inhabitationis semper, sed solum in illo tempore determinato ; et ideo non est simile.

3. Il faut dire en troisième lieu que la présence de la divine habitation est signifiée par les sacrements comme dans des signes institués, non pas par rapport à un temps déterminé, mais toujours. Mais ces créatures visibles ne furent pas instituées pour signifier la grâce de l’habitation divine toujours, mais seulement dans tel temps déterminé; et c’est pourquoi on ne parle pas ici de la même chose.

Vel aliter dicendum, et melius, quod sacramenta veteris legis significabant quidem gratiam affuturam, sed non praesentem, eo quod in eis gratia non conferebatur. Sacramenta vero novae legis non tantum sunt signa, sed etiam causae quodammodo ; et ideo non significant gratiam ut jam habitam, sed ut per sacramenta inducendam. Sed illae species sunt tantum signa praesentis gratiae et non causae, sicut patet quod circa Christum, ad quem visibilis missio facta est, nihil gratiae invisibilis effectum est. Unde etiam omnes ad quos missio visibilis facta est, gratiam habent ; non autem omnes quibus sacramenta conferuntur, gratiam suscipiunt, quia causalitas sacramentorum impeditur: significant enim gratiam, non ut existentem, sed ut causandam quodammodo per ipsa.

Ou bien encore il faut dire autrement, et même mieux, que les sacrements de l’ancienne alliance signifiaient certes une grâce à venir mais non présente, du fait qu’en eux la grâce n’était pas conférée. Mais les sacrements de la nouvelle loi ne sont pas seulement des signes, mais ils sont aussi des causes en quelque sorte ; et c’est pourquoi ils ne signifient pas la grâce en tant qu’elle serait déjà possédée, mais comme introduite par les sacrements. Mais ces formes ou ces espèces sont seulement des signges d’une grâce présente et non pas des causes de la grâce, ainsi qu’on le voit par rapport au Christ, pour lequel ne mission visible a été faite, rien d’une grâce invisible n’a été fait. C’est pourquoi encore tous ceux à qui une mission visible a été faite possèdent la grâce ; cependant ce ne sont pas tous ceux à qui les sacrements sont conférés qui reçoivent la grâce car la causalité des sacrements est empêchée : en effet, ils signifient la grâce non pas comme existante, mais comme devant être causée d’une certaine manière par eux.

[1234] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod missio visibilis includit in se apparitionem, et super hoc aliquid addit, scilicet rationem missionis ; quae in duobus consistit, ut dictum est, in corp. art. Unde de ratione apparitionis non est nisi quod aliquod divinum in signo visibili manifestetur, non autem quod manifestetur origo unius personae ab alia, nec inhabitatio secundum specialem modum essendi in eo cui fit apparitio, vel in aliquo alio, sicut patet in apparitione facta Abrahae ; quamvis enim apparuerint tres ad manifestandum numerum personarum, tamen ordo unius personae, secundum quem est ab alio, in illo signo visibili non manifestabatur ; et inde est quod apparitio potest Patri convenire, non autem missio visibilis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la mission visible comprend en elle une apparition et elle ajoute à cela quelque chose de plus, à savoir la notion de mission ; laquelle consiste en deux points ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. C’est pourquoi dans la notion d’apparition il n’y a rien d’autre que quelque chose de divin qui est manifesté dans un signe sensible, et non pas la manifestation de l’origine d’une personne par rapport à une autre, ni l’habitation d’après un mode spécial d’existence dans celui à qui se présente l’apparition ou dans un autre, ainsi qu’on le voit dans l’apparition faite à Abraham ; en effet, bien qu’il y eut trois hommes qui lui apparurent pour manifester le nombre des Personnes, cependant l’ordre d’une Personne, d’après lequel elle vient d’une autre, cela n’est pas manifesté dans ce signe visible ; d’où l’apparition peut convenir au Père mais non pas la mission visible.

[1235] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nullus per se potest scire utrum dignus sit odio vel amore ; sed potest sibi divinitus propter aliquam utilitatem manifestari ; et non solum sibi, sed aliis etiam ; [quia add. Éd. de Parme] quod est uni utile, non est utile omnibus. Unde non oportet quod si uni reveletur, quod omnibus.

5. Il faut dire en cinquième lieu que personne ne peut par lui-même savoir s’il est digne d’amour ou de haine ; mais quelque chose de divin peut lui être manifesté pour une certaine utilité ; et non seulement à lui mais aussi aux autres ; [parce que add. Éd. de Parme] ce qui est utile à l’un n’est pas utile à tous. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que ce qui est révélé à l’un soit révélé à tous.

[1236] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis una creatura visibilis non sufficiat ad hoc quod ducat in cognitionem invisibilis missionis, tamen ex sua novitate excitat videntes in admirationem et inquisitionem, et tunc inquirentibus per gratiam invisibilem et per doctrinam praedicatoris exterius potest missio invisibilis designata edoceri.

6. Il faut dire en sixième lieu que bien qu’une créature visible ne suffise pas à conduire à la connaissance d’une mission invisible, cependant de par sa nouveauté elle pousse à l’admiration et à la recherche ceux qui la voient, et alors , à ceux qui recherchent, la mission invisible désignée peut être enseignée par une grâce invisible et par la doctrine du prédicateur extérieur.

 

 

Articulus 2 [1237] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 tit. Utrum missio visibilis debuerit fieri ad patres veteris testamenti

Article 2 – La mission visible aurait-elle dû exister pour les Pères de l’ancien Testament ?

[1238] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur etiam quod ad patres veteris testamenti missio visibilis fieri debuerit. Missio enim visibilis est signum invisibilis missionis. Sed ad patres veteris testamenti facta est missio invisibilis, ut supra dictum est, distinct. 15, qu. 5, art. 2. Ergo videtur quod etiam visibilis fieri debuerit.

Difficultés :

1. Il semble encore que la mission visible aurait dû exister pour les Pères de l’ancien testament. En effet, la mission visible est le signe de la mission invisible. Mais la mission invisible a été faite aux Pères de l’ancien testament, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 5, art. 2]. Il semble donc que la mission visible aurait dû leur être faite.

[1239] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, constat quod gratia novi testamenti est gratia plenitudinis, inquantum de plenitudine Christi omnes accepimus. Si igitur ad illos de primitiva Ecclesia propter gratiae plenitudinem missio Spiritus sancti fiebat, videtur quod etiam ad omnes fideles fieri debuerit.

2. Par ailleurs, il est clair que la grâce du nouveau testament est la grâce de la plénitude selon que nous recevons tous de la plénitude du Christ. Si donc la mission de l’Esprit-Saint existait pour ceux de l’église primitive à cause de la plénitude de la grâce, il semble qu’elle aurait dû exister aussi pour tous les fidèles

[1240] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, per visibiles missiones et visibilia signa, apostoli notitiam fidei in multos diffuderunt, sicut dicitur Marci ult.: Illi autem profecti, praedicaverunt ubique, domino cooperante, et sermonem confirmante sequentibus signis. Sed sicut illi tenebantur ad praedicationem fidei, ita etiam et praelati nostri temporis. Ergo videtur quod ad eos etiam missio visibilis fieri debeat.

3. En outre, par les missions visibles et les signes visibles, les apôtres ont répandu en plusieurs la connaissance de la foi, ainsi que le dit Marc à la fin de son évangile : Pour eux, ils s’en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant avec eux et confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient. Mais tout comme ceux-là étaient tenus à la prédication de la foi, de même aussi les prélats de notre temps le sont. Il semble donc que la mission visible doive aussi exister pour eux.

[1241] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, constat quod beata virgo plenissimam gratiam habuit inter omnes puras creaturas. Si igitur missio visibilis fit ad ostendendum plenitudinem gratiae inhabitantis, videtur quod ad ipsam fieri debuerit missio specialis.

4. De plus, il est clair que la  bienheureuse vierge parmi toutes les créatures pures a possédé la grâce la plus complète. Si donc la mission visible existe pour manifester la plénitude de la grâce qui habite, il semble qu’une mission spéciale aurait dû exister pour elle.

[1242] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 arg. 5 E contrario videtur quod ad Christum non debuit fieri missio. Missio enim visibilis est signum invisibilis missionis. Sed ad Christum nulla missio invisibilis Spiritus sancti facta est, nisi forte in principio suae conceptionis. Ergo videtur quod postmodum nulla missio visibilis ad eum fieri debuerit.

5. Il semble  au contraire qu’une mission n’a pas dû exister pour le Christ. La mission visible en effet est le signe de la mission invisible. Mais il semble qu’aucune mission invisible de l’Esprit-Saint n’a été faite pour le Christ, excepté peut-être au début de sa conception. Il semble donc que par la suite aucune mission visible n’a dû exister pour Lui.

[1243] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut in missione invisibili Spiritus sancti ex plenitudine divini amoris redundat gratia in mentem, et per illum effectum gratiae accipitur cognitio illius personae divinae experimentalis ab ipso cui fit missio, ita in missione visibili attenditur alius gradus redundantiae, inquantum scilicet gratia interior propter sui plenitudinem quodammodo redundat in visibilem ostensionem, per quam manifestatur inhabitatio divinae personae, non tantum ei cui fit missio, sed etiam aliis.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que tout comme dans la mission invisible de l’Esprit-Saint la grâce abonde dans l’esprit de par la plenitude de l’amour divin, et que par cet effet de la grâce est recue une connaissance expérimentale de cette personne divine par celui à qui s’adresse la mission, de même dans la mission visible on considère un autre degré de débordement, c’est-à-dire dans la mesure où la grâce intérieure, en raison de sa plénitude, déborde d’une certaine manière, dans une manifestation visible par laquelle est manifestée l’habitation de la divine personne, non seulement sur celui à qui s’adresse la mission mais aussi sur les autres.

Unde oportet quod ad missionem visibilem duo concurrant, scilicet quod sit gratiae plenitudo in illis ad quos fit missio, et ulterius quod plenitudo ordinetur ad alios, ut per aliquem modum gratia abundans redundet in eos: propter quod manifestatio gratiae interioris non tantum habenti, sed etiam aliis fit. Et ideo Christo primo, et postmodum apostolis missio, visibilis scilicet, facta est, quia per eos plures gratia diffusa est, secundum quod per eos Ecclesia plantata est.

C’est pourquoi deux choses sont requises à la mission visible, à savoir qu’il y ait plénitude de grâce chez ceux à qui s’adresse la mission, et par la suite que cette plénitude soit ordonnée aux autres, afin que la grâce d’une certaine manière déborde sur eux : c’est pour cette raison que la manifestation de la grâce intérieure a lieu non seulement chez celui qui la possède, mais aussi chez les autres. Et c’est pourquoi la mission, c’est-à-dire celle qui est visible, a d’abord eu lieu dans le Christ et par la suite dans les apôtres car c’est à travers leur grand nombre que la grâce s’est répandue de telle manière que c’est à travers eux que l’Église a été implantée.

[1244] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis aliqui patres veteris testamenti gratiam plenissimam acceperint personalem, tamen quia nondum erat tempus gratiae, propter impedimentum originalis peccati, a quo nondum morte Christi natura humana remedium acceperat, ideo non debuit significari plenitudo gratiae ut praesens, sed tantum ut futura in apparitionibus et legalibus sacramentis. Vel ex alia parte non erat tunc tempus spiritualis propagationis, per quam spirituali modo diversae gentes in Dei cognitione regenerantur, sed carnali propagatione cultus divinus a patribus in filios procedebat: et ideo non debuit significari gratia per missionem visibilem, quae significat gratiam tendentem in alios.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que bien que certains Pères de l’ancien testament ont reçu la grâce personnelle la plus abondante, cependant parce que le temps de la grâce n’était pas encore arrivé, à cause de l’empêchement du péché originel pour lequel la nature humaine n’avait pas encore reçu la guérison par la mort du Christ, c’est pourquoi la plénitude de la grâce n’a pas dû être signifiée dans les apparitions et dans les sacrements légaux comme étant présente, mais seulement comme étant à venir. Ou bien d’un autre côté ce n’était pas encore le temps de la propagation spirituelle par laquelle différentes nations seraient regénérées dans la connaissance de Dieu d’une manière spirituelle, mais celui où le culte divin passait des pères aux fils par une propagation charnelle ; et c’est pourquoi la grâce n’a pas dû être signifiée par une mission visible qui signifie la grâce qui tend vers les autres.

[1245] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod fideles primitivae Ecclesiae erant quasi semen quoddam spirituale per quos debuit pullulare fides in omnibus gentibus ; et ideo ad eos visibilis missio facta est, ad ostendendum quod per eos plantanda erat Ecclesia in cognitione Dei per universum mundum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que les fidèles de l’Église primitive était comme une certaine semence spirituelle et c’est grâce à eux que la foi a dû se multiplier chez tous les peuples ; et c’est pourquoi la mission visible s’est adressée à eux, pour montrer que l’Église devait être implantée  par eux dans la totalité du monde pour la connaissance de Dieu.

[1246] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod duplici ratione non oportet modo fieri missionem visibilem, sicut tunc:

primo quia iste est naturalis ordo quod ex visibilibus in invisibilia veniatur. Unde primis tamquam adhuc rudibus in Dei cognitione signa visibilia ostendebantur ; sed jam modo innotescente et publicata fide, sufficit cognitio in invisibilibus signis, quae sunt dona gratiarum mentibus infusa. Videmus enim aliquid proficere novae plantulae, quod postmodum sibi non adhibetur, quando ad perfectum venit.

Alia ratio est, quia signa illa et visibiles missiones fuerunt quasi argumentum confirmans fidei veritatem. Illius autem cujus probatio semel perfecta est, non oportet probationem iterari ; sed ex suppositione prioris probationis procedere. Ita etiam non oportet quod per nova signa modo fides probetur, sed per ea quae tunc facta sunt.

3. Il faut dire en troisième lieu que pour deux raisons il ne faut pas que la mission visible ait lieu comme alors :

Premièrement parce que l’ordre qui consiste à aller du visible à l’invisible est un ordre naturel. C’est pourquoi aux membres de l’Église primitive qui étaient encore ignorants de la connaissance de Dieu de nombreux signes visibles étaient manifestés ; mais la foi étant annoncée et s’étant déjà fait connaître, la connaissance des signes invisibles suffit, lesquels sont les dons des grâces répandus dans les esprits. Nous voyons en effet qu’une plante progresse d’une nouvelle bouture qui par la suite ne lui est pas jointe quand elle est parvenue à sa perfection.

L’autre raison est que ces signes et les missions visibles furent comme des signes pour confirmer la vérité de la foi. Mais pour les choses dont la preuve est parfaite une fois pour toutes, la preuve n’a pas besoin d’être renouvelée, mais il faut aller de l’avant en s’appuyant sur ce qui a été prouvé antérieurement. Ainsi encore il n’est pas nécessaire que la foi soit prouvée en procédant par de nouveaux signes, mais par les choses qui ont déjà été réalisées.

 

[]1247] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod inter alios qui fuerunt de primitiva Ecclesia, in die Pentecostes etiam beatae virgini visibilis missio Spiritus sancti facta est. Sed quamvis singularem plenitudinem gratiae consecuta sit, tamen non fuit ad ipsam facta missio visibilis specialis: quia non ordinabatur gratia sua ad plantationem Ecclesiae per modum doctrinae et administrationis sacramentorum, sicut per apostolos factum est. Unde apostolus dicit 1 ad Timoth. 2, 12: Mulierem in Ecclesia loqui non permitto.

4. Il faut dire en quatrième lieu que parmi ceux qui furent membres de la primitive Église, la mission de l’Esprit-Saint au jour de la Pentecôte a eu lieu aussi pour la bienheureuse vierge. Mais bien qu’elle parvint à une plenitude exceptionnelle de la grâce, cependant la mission visible spéciale n’a pas eu lieu pour elle: car sa grâce n’était pas ordonnée à l’implantation de l’Église par mode d’enseignement et d’administration des sacrements comme ce fut le cas par les apôtres. C’est pourquoi l’Apôtre dit [1Tm. 2, 12]: Je ne permets pas à la femme d’enseigner dans l’Église.

[1248] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod missio visibilis ostendit missionem invisibilem non semper tunc fieri, sed sufficit si etiam prius facta fuerit. Quare autem tunc missio visibilis ad Christum facta sit, dicetur infra, art. seq.

5. Il faut dire en cinquième lieu que la mission visible ne manifeste pas toujours la mission invisible en devenir, mais il suffit même qu’elle ait déjà eu lieu antérieurement. Mais pourquoi alors la mission visible a eu lieu pour le Christ, on le dira plus loin dans l’article suivant.

 

 

Articulus 3 [1249] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 tit. Utrum missio visibilis fiat tantum in specie corporali

Article 3 – La mission visible est-elle faite seulement dans une forme corporelle ?

[1250] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod missio visibilis non solum fiat in specie corporali. Est enim triplex missionis genus, scilicet corporalis, imaginaria et intellectualis, ut dicitur in Glossa Isidori. Per quamlibet autem harum potest fieri divinorum manifestatio. Ergo videtur quod sicut est missio aliqua quae fit secundum visionem intellectualem, scilicet per gratiam invisibilem, et aliqua quae fit secundum corporalem, scilicet secundum species corporales ; ita etiam sit aliqua secundum visionem imaginariam per species imaginarias.

Difficultés:

1. Il semble que la mission visible n’ait pas lieu seulement dans une espèce corporelle. Il y a en effet trois genres de missions, à savoir corporelle, imaginaire et intellectuelle, ainsi qu’on le dit dans la glose d’Isidore. Et Dieu peut se manifester dans n’importe laquelle de ces missions. Il semble donc que tout comme il y a une mission qui a lieu d’après une vision intellectuelle, c’est-à-dire au moyen d’une grâce invisible, et une autre qui a lieu d’après une vision corporelle, c’est-à-dire d’après des espèces corporelles, de même encore il y a une mission qui a lieu d’après une vision imaginaire au moyen d’espèces imaginaires.

[1251] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, quanto aliquid nobilius est, tanto nobiliores proprietates habet. Sed nobilioribus proprietatibus creatura nobilior divinam bonitatem repraesentat. Ergo cum missio visibilis sit ad manifestandum divinas personas, videtur quod semper per creaturas nobilissimas fieri debet, ut per stellam vel aliquid hujusmodi, et non per columbam vel ignem.

2. Par ailleurs, un être possède des propriétés d’autant plus nobles que sa nature est plus noble. Mais c’est par ses propriétés plus nobles qu’une créature noble représente la bonté divine. Donc, puisque la mission visible a lieu pour manifester les Personnes divines, il semble qu’elle doive toujours avoir lieu au moyen des créatures les plus nobles, par exemple au moyen des étoiles ou de quelque chose du genre, et non pas au moyen d’une colombe ou du feu.

[1252] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, Spiritum veritatis non decet aliqua fictio. Sed Spiritus sanctus est Spiritus veritatis, ut dicitur Joan. 15. Ergo non decet quod per aliquas species, quibus non subsit rei veritas, appareat ; et ita videtur quod columba illa, in qua apparuit, verum animal fuerit, et linguae et ignis, verae linguae et verus ignis. Quod non videtur ; quia non comburebat ignis, et columba, peracto illo officio, reversa est in pristinam materiam, ut sancti dicunt. Et praeterea si essent verae res, non ducerent in aliud.

3. De plus, une fiction ne convient pas à l’Esprit de vérité. Mais l’Esprit-Saint est l’Esprit de vérité, comme on le dit dans l’Évangile de Jean au chapître 15. Il ne convient donc pas qu’Il apparaisse au moyen de certaines espèces par lesquelles la vérité de la chose ne subsiste pas ; et ainsi il semble que cette colombe, dans laquelle Il apparut, devait être un véritable animal, et les langues et le feu, de véritables langues et du véritable feu. Mais il semble que ce ne fut pas le cas car le feu ne brûlait pas et la colombe, ayant rempli sa fonction, retourna à sa matière primitive ainsi que le disent les saints. Et par ailleurs si elles étaient de véritables choses, elles ne conduiraient pas à autre chose.

[1253] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, Spiritus sanctus unus est, ut dicitur 1 Corinth. 12, 13: Uno spiritu potati sumus. Sed signum debet respondere signato. Ergo videtur quod in uno tantum signo Spiritus sanctus apparere debuerit.

4. En outre, l’Esprit-Saint est un, comme le dit l’Apôtre [1 Co. 12, 13] : C’est par un seul Esprit que nous avons tous été abreuvés. Mais le signe doit correspondre au signifié. Il semble donc que c’est dans un seul signe que l’Esprit-Saint  aurait dû apparaître.

[1254] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, sicut Spiritus sanctus invisibiliter mittitur in mentem, ita et Filius ; et per utramque missionem ordinatur aliquis ad plantationem Ecclesiae. Cum igitur missio visibilis ad hoc ostendendum facta sit, videtur quod sicut Spiritus sanctus visibilibus signis ad aliquos missus est, ita et Filius etiam sine hoc quod carnem assumpsit.

5. Aussi, le Fils, tout comme l’Esprit-Saint, est envoyé invisiblement dans l’Esprit ; et chacun est ordonné à l’implantation de l’Église par ces deux missions. Donc, puisque la mission visible a été faite pour manifester ces deux missions invisibles, il semble que tout comme l’Esprit-Saint a été envoyé vers certains par des signes visibles, de même le Fils devait l’être sans même devoir prendre chair.

[1255] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. anteced., missio visibilis fit ad significandum plenitudinem gratiae redundantis in multos ; propter quod manifestatio talis aliis etiam fit. Redundat autem gratia dupliciter, scilicet per instructionem, et per operationem, secundum quod se habet aliquo modo ille in quo est gratiae plenitudo, efficienter ad gratiam. Uterque autem modus redundantiae fuit in Christo. Ipse enim per doctrinam suam nos in Dei cognitionem adduxit, ut dicitur Joan. 1, 18: Unigenitus, qui est in sinu Patris, ipse enarravit.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que, ainsi que nous l’avons déjà dit dans l’article precedent, que la mission visible a lieu pour manifester la plenitude de la grâce qui déborde sur plusieurs; et c’est pourquoi une telle manifestation a lieu aussi pour les autres. Mais la grâce rejaillit de deux manières, c’est-à-dire par l’instruction et par l’opération selon lesquelles celui dans qui se trouve la plénitude de la grâce se présente en un sens d’une manière efficace à l’égard de la grâce. Mais ces deux modalités de débordement furent dans le Christ. En effet, de par son enseignement, Il nous conduisit à la connaissance de Dieu ainsi qu’Il le dit Lui-même [Jean, 1, 18]: Le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître.

Ipse etiam gratiam dedit, inquantum Deus, effective, et inquantum homo, per modum meriti. Unde ad significandum redundantiam gratiae ipsius in nos per modum operationis, facta est missio visibilis ad ipsum in Baptismo: quia tunc ipse nihil accipiens a Baptismo, tactu suae mundissimae carnis vitam regenerativam [regenerantem Éd. de Parme] contulit aquis, efficienter ut Deus, et meritorie ut homo.

Lui-même nous donna aussi la grâce, d’une manière efficace en tant que Dieu et par son mérite en tant qu’homme. C’est pourquoi, pour signifier le débordement de sa grâce en nous par mode d’opération, il y a eu la mission visible à son égard lors de son Baptême : car alors lui-même ne recevant rien du Baptême, il apporta aux eaux, efficacement en tant que Dieu et d’une façon méritoire en tant qu’homme, une vie regénérative [qui regénère Éd. de Parme] par le seul toucher de sa chair la plus pure.

Et ideo in specie columbae facta est ad eum missio Spiritus sancti, ad significandum fecunditatem spiritualem: quia columba animal fecundissimum est. Propter quod etiam Pater apparuit in sono vocis naturalem filiationem ipsius protestans, dicens Matth. 17, 5: Hic est filius meus dilectus. Ad cujus filiationis similitudinem per baptismalem gratiam in filios adoptionis regeneramur, ut dicitur Roman. 8, 29: Quos praescivit, eos et praedestinavit conformes fieri imagini Filii ejus. Ad insinuandum vero redundantiam gratiae ex ipso in alios per modum doctrinae, apparuit Spiritus super ipsum in nube lucida, cujus est lumen spargere. Job 37, 2: Nubes spargunt lumen suum.

Et c’est pourquoi il y a eu mission de l’Esprit-Saint à son égard sous la forme d’une colombe, pour signifier sa fécondité spirituelle : car la colombe est l’animal le plus fécond. Et c’est pour cette raison aussi que le Père apparut dans un son de voix témoignant avec force de la filiation naturelle de celui-ci, en disant [Mt. 17, 5] : Celui-ci est mon fils bien-aimé. Et c’est à la ressemblance de cette filiation que nous sommes regénérés par la grâce baptismale en des fils d’adoption comme le dit l’Apôtre [Rm. 8, 29] : Ceux qu’il a d’avance discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils. Mais pour faire connaître le débordement de la grâce de Lui aux autres par mode d’enseignement, l’Esprit-Saint apparut sur Lui dans un nuage lumineux auquel il appartient de répandre la lumière ainsi qu’il est dit [Job 37, 2] : Les nuages répandent sa lumière.

In quo signatur effusio doctrinae per praedicationem, secundum Gregorium, lib. XXVII Moral., cap. XXXI, col. 132. Et hoc in transfiguratione, ut dicitur Matth. 17, secundum Glossam Augustini, Annotationes in Job, c. XXXVII, col. 868 et Bernardi. Et ideo cum vox Patris tunc super ipsum intonuit: Hic est Filius meus dilectus, additum est, ipsum audite. Unde patet quod non oportet fieri visibilem missionem ad Christum a principio conceptionis suae ; sed tunc quando incepit ejus gratia in alios redundare. Similiter etiam apostolis bis facta est visibilis missio Spiritus sancti.

Et c’est en cela qu’est signifiée l’effusion de la doctrine par la prédication selon Saint-Grégoire [XXVII, Moral. ch. XXXI, col. 132]. Et cela est manifesté dans la transfiguratin comme il est dit dans Matthieu au chapître 17, conformément à la glose d’Augustin [Annotations sur Job, ch. XXXVII, col. 868] et de Bernard. Et c’est pourquoi lorsque la voix du Père retentit alors sur lui : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, elle ajouta : écoutez-le. C’est pourquoi il est clair qu’il ne fallait pas que la mission visible à l’égard du Christ au début de sa conception, mais alors que sa grâce commença à déborder sur les autres. De la même manière encore la mission visible de l’Esprit-Saint fut faite deux fois sur les apôtres.

Primo ad insinuandum redundantiam gratiae ex ipsis per modum operationis, in administrationem sacramentorum, in specie flatus, ut legitur Joan. 20: unde et ibi dicitur, 23: Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis ; et quorum retinueritis, retenta sunt ; ut ostenderetur quia talis auctoritas non devenit in eos nisi ex influxu capitis, scilicet Christi. In Christum autem devenit immediate ab ipso Patre ; et propter hoc in ipso significabatur haec auctoritas per volatum columbae desuper advenientis ; in apostolis autem per speciem flatus a Christo procedentis.

Premièrement pour faire connaître le débordement de la grâce à partir d’eux par mode d’opération, dans l’administration des sacrements, sous la forme d’un soufflé comme le dit Jean (20, 23): Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus; pour que soit manifesté qu’une telle autorité ne leur venait que par l’influence de la tête, c’est-à-dire du Christ. Mais le Christ tenait cette autorité immédiatement du Père lui-même; et c’est pour cette raison que cette autorité  était signifiée en Lui par le vol d’une colombe venant d’en haut, et chez les apôtres sous la forme d’un soufflé venant du Christ.

Secundo facta est ad eos missio visibilis, ad insinuandum redundantiam per modum doctrinae ; et hoc in die Pentecostes, ut legitur actuum 2. Et ideo apparuit super eos in linguis igneis: Verbis ut essent proflui, et caritate fervidi zelantes proximorum salutem.

Deuxièmement la mission visible de l’Esprit-Saint a eu lieu sur les apôtres pour faire connaître le débordement par mode d’enseignement ; et cela au jour de la Pentecôte comme on le lit au chapître deux des Actes . Et c’est pourquoi l’Esprit apparut sur eux comme des langues de feu : pour qu’ils soient inondés de paroles et brûlants d’amour, zélés pour le salut de leurs prochains.

[1256] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod visio imaginaria dicitur proprie revelatio et non apparitio vel missio, et hujusmodi visiones prophetis saepe factae sunt. In missione enim visibili ostenditur praesentia gratiae inhabitantis. Species autem quae est in imaginatione, non est necessario rei praesentis, sicut species quae est in sensu ; et ideo per corporales species exteriori visioni subjectas, magis debet manifestari interior missio, quam per imaginarias.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu qu’une vision imaginaire s’appelle proprement révélation et non pas apparition ou mission, et de telles visions prophétiques ont souvent eu lieu. En effet, la présence de la grâce d’habitation est manifestée dans la mission visible. Mais l’espèce qui est dans l’imaginatio n’est pas nécessairement celle de la chose présente comme c’est le cas pour l’espèce qui est dans le sens ; et c’est pourquoi la mission intérieure doit davantage être manifestée par les espèces corporelles soumises à la vision extérieure que par des espèces imaginaires.

[1257] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis in nobilioribus creaturis divinae perfectionis similitudo, quo ad attributa essentialia, magis inveniatur expressa ; tamen quo ad exitum unius personae ab alia, et quantum ad modum processionis donorum a Deo, et effectus ipsorum, potest etiam in ignobilioribus creaturis similitudo convenientior attendi, sicut fecunditas in columba et locutio in lingua, et hoc oportuit per missionem visibilem significari

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que la ressemblance de la perfection divine se retrouve plus clairement dans les créatures plus nobles quant à ses attributs essentiels, cependant, quant à la sortie d’une Personne d’une autre et quant au mode de procession des dons de Dieu et des leurs effets, cette ressemblance peut aussi se remarquer plus convenablement dans les créatures inférieures, comme la fécondité pour la colombe et la parole pour la langue, et cela devait être signifié par la mission visible.

. Vel dicendum, secundum Dionysium,II cap. Caelest hierarch, § 2, col. 138, quod inferiores creaturae eo ipso quo magis distant a participatione divinarum personarum, convenientius per ea divina manifestantur vel significantur ; quia non potest ex hoc aliquis error provenire propter manifestam distantiam eorum a divinis ; qui error posset contingere, si per nobiles creaturas divina significarentur: de facili enim posset aliquis errare, credens aliquod numen esse in stella, vel in aliqua nobiliori creatura.

Ou bien il faut dire, selon Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 2, col. 138], que les créatures inférieures, par cela même qu’elles sont plus éloignées d’une participation des Personnes divines, ces dernières sont plus convenablement manifestées ou signifiées par elles; car à cause de la distance manifeste qu’il y a entre elles et Dieu, aucune erreur ne peut provenir de là, erreur qui pourrait se produire si les personnes divines étaient signifiées par des créatures nobles: : alors en effet quelqu’un pourrait facilement se tromper en croyant qu’il existe une divinité dans l’étoile ou dans quelque noble créature.

[1258] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod columba illa non fuit verum et naturale animal, sed tantum similitudo columbae visibiliter ostensa in aliqua materia ad hoc praeparata. Unde etiam peracto officio in pristinam materiam est reversa. Nec fuit ibi aliqua fictio, quia illa similitudo columbae non ostendebatur ad manifestandum aliquam veritatem in ipsa columba, sed ad manifestandas proprietates invisibilis missionis. Et ideo non fuit ibi falsitas signi, quia signatum respondebat signo, et res similitudini ; sicut aliquis loquens per metaphoricas locutiones, non mentitur: non enim intendit sua locutione ducere in res quae per nomina significantur, sed magis in illas quarum illae res significatae per nomina similitudinem habent: similiter de igne dicendum est [dicendum est om. Éd. de Parme]. Sed natura visibilis in qua Filius apparuit, assumebatur ad esse et non tantum ad signum ; et ideo oportuit quod verum esse hominis haberet.

3. Il faut dire en troisième lieu que cette colombe n’était pas un animal véritable et naturel, mais seulement une similitude de la colombe manifestée visiblement dans une matière préparée à cette fin. C’est pourquoi encore, une fois sa fonction accomplie, elle retourna à sa matière originelle. Et il n’y eut pas là une fiction, car cette similitude de la colombe n’était pas montrée pour manifester une vérité dans la colombe elle-même, mais pour manifester les propriétés de la mission invisible. Et c’est pourquoi il n’y eut pas là une erreur de signe, car le signifié correspondait au signe, et la chose à la similitude ; tout comme celui qui parle par locutions métaphoriques ne ment pas : en effet, il ne cherche pas par son discours à conduire aux choses qui sont signifiées par les noms, mais plutôt à celles avec lesquelles ces choses signifiées par les noms ont une ressemblance : c’est de la même manière qu’il faut parler [qu’il faut parler om. Éd. de Parme] du feu. Mais la nature visible dans laquelle le Fils est apparu était assumée pour l’existence et non seulement comme signe ; et c’est pourquoi il fallait qu’il possède une véritable existence d’homme.

[1259] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod species illae in quibus Spiritus sanctus apparuit, significant effectus Spiritus sancti, secundum quos Spiritus sanctus dicitur multiplex, quamvis substantialiter sit unus, ut dicitur Sap. 7. Et ideo secundum plures species apparuit et pluries. Sed quia natura visibilis, in qua Filius apparuit, assumpta est ad esse unum in persona Filii Dei ; sicut est unum esse personae, ita est una tantum talis missio.

4. Il faut dire en quatrième lieu que ces espèces dans lesquelles l’Esprit-Saint est apparu signifient des effets de l’Esprit-Saint d’après lesquelles on dit de l’Esprit-Sant qu’il est multiple, bien qu’Il soit substantiellement un, comme on le dit au chapître 7 du livre de la Sagesse. Et c’est pourquoi Il est apparu sous plusieurs espèces et en plusieurs occasions. Mais parce que la nature visible dans laquelle le Fils est apparu a été prise en vue d’une existence unique dans la Personne du Fils de Dieu, tout comme il n’y a qu’une seule existence de la Personne, de même il n’y a qu’une seule mission de cette sorte.

[1260] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 3 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod apparitio sub aliena specie, quae includitur in missione visibili, non competit nisi ei quod non habet speciem per quam corporaliter videri possit. Missio autem visibilis, ut dictum est, art. anteced., non debuit esse ante tempus gratiae. Tempus autem gratiae incepit, quando Filius Dei carnem assumpsit. Et quia inseparabiliter assumpsit, ideo tempore quo convenit fieri visibilem missionem, semper habet speciem visibilem propriam, in qua videri potest. Unde nunquam competit sibi missio visibilis, nisi una quae est in natura assumpta [assumptam Éd. de Parrme]. Quare autem Spiritus sanctus naturam non assumpserit in unitatem personae, quaeretur in 3, distin. 1, quaest. 2, art. 3.

5. Il faut dire en dernier lieu qu’une apparition sous une forme étrangère, qui est comprise dans la mission visible, n’appartient qu’à celui qui ne possède pas l’espèce par laquelle il pourrait être vu corporellement. Mais la mission visible, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, ne devait pas exister avant le temps de la grâce. Mais le temps de la grâce commença quand le Fils de Dieu prit chair. Et parce qu’il la prit inséparablement, c’est pourquoi à l’époque à laquelle il convient qu’il y ait mission visible, Il possède toujours la forme visible propre dans laquelle il peut être vu. C’est pourquoi il ne lui appartient jamais qu’une seule mission visible à savoir celle qui existe dans la nature qui est prise [qu’il a prise Éd. de Parme]. Mais pourquoi l’Esprit-Saint n’a pas pris une nature dans l’unité de la Personne, on cherchera à le savoir dans le livre 3 [dist. 1, quest. 2, art. 3].

 

 

Articulus 4 [1261] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 tit. Utrum species missionis visibilis sint formatae ministerio Angelorum

Article 4 – Les formes de la mission visible sont-elles formées par l’intervention des anges ?

[1262] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod illae species visibiles, ministerio Angelorum formatae non sint. Dicit enim Augustinus, III De trinit., cap. quod sermones Dei in novo testamento non per Angelos, sed per ipsum Deum facti sunt. Ergo illa locutio, sive ille sonus qui in novo testamento factus est, Matth. 17, 5: Hic est Filius meus dilectus, non est per Angelos formatus ; et eadem ratione nec alia quae ad missionem pertinent visibilem.

Difficultés :

1. Il semble que ces formes visibles ne soient pas formées par le ministère des Anges. En effet,  Augustin [111 De la Trinité, ch. XI, &22, co. 882, t.  VIII] dit que les discours de Dieu dans le nouveau testatement ne sont pas faits par les Anges mais par Dieu lui-même. Donc cette parole ou ce son de voix qui a été fait dans le nouveau testament  [Mt. 17, 5] : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, n’a pas été formé par les Anges ; et pour la même raison il en est de même pour les autres paroles qui se rapportent à la mission visible.

[1263] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, corpori quod per Angelum formatur, unitur Angelus, sicut motor mobili. Si igitur illae species per Angelos formatae sunt, tunc sunt corpora assumpta ab Angelis. Ergo in eis non dicetur mitti divina persona, sed Angelus.

2. Par ailleurs, l’Ange est uni, comme le moteur au mobile, au corps qui est formé par l’Ange. Si donc ces formes sont formées par les Anges, alors elles sont des corps pris par les Anges. On ne dira donc pas que dans ces formes c’est la Personne divine qui est envoyée, mais l’Ange.

[1264] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, sicut visibilis missio Filii facta est per corpus assumptum, ita missio visibilis Spiritus sancti per hujusmodi species. Sed corpus Christi assumptum, Angeli nullo modo formaverunt. Ergo nec species illas visibiles.

3. En outre, tout comme la mission visible du Fils a été faite par la prise d’un corps, de même le mission visible de l’Esprit-Saint a été faite par des formes de cette sorte. Mais les Anges n’ont en aucune manière formé le corps pris par le Christ. Ils n’ont donc pas formé non plus ces formes visibles.

[1265] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 arg. 4 Contra, Gregorius XXVIII Moral., c. 1, § 4 col. 449, loquens de illa voce, qua Pater respondit Filio: Et clarificavi, et clarificabo, Joan. 12, 28, ita dicit: « Nimirum de caelestibus loquens verba sua, quae ab hominibus audiri voluit, rationali administrante creatura formavit » ; et eadem ratio est de aliis. Ergo videtur quod omnes administratae sunt per Angelos.

4. Au contraire, Saint-Grégoire [XXVIII, Moral. ch. 1, & 4, col. 449], en parlant de ce son de voix par lequel le Père répondit au Fils [Jean 12, 28] : Je l’ai glorifié et je le glorifierai, dit : ¨Assurément, prononçant des cieux ses paroles qu’il voulait faire entendre des hommes, il les forma par l’administration d’une créature rationnelle¨ ; et la même raison vaut pour les autres cas. Il semble donc que toutes les formes de la mission visible sont administrées par les Anges.

[1267] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod in hoc est duplex opinio.

Quidam dicunt, quod in hoc differunt missiones novi testamenti ab apparitionibus veteris testamenti, quod apparitiones veteris testamenti factae sunt per Angelos, ut sancti communiter volunt ; missiones autem novi testamenti factae sunt immediate per divinas personas. Quapropter in illis speciebus divinae personae mitti dicuntur, et non Angeli.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet il y a deux opinions.

Certains disent que les missions du nouveau testament diffèrent des apparitions de l’ancien testament en ceci que les apparitions de l’ancien testament ont été faites par les Anges, ainsi que le veulent communément les saints, alors que les missions du nouveau testament ont été faites immédiatement par les Personnes divines. C’est pourquoi les Personnes divines, et non des Anges, ont été envoyées dans ces formes.

Alii dicunt e contrario, quod utrumque Angelorum ministerio perfectum est. Videtur autem quod utrique quantum ad aliquid verum dicant. In utroque enim, scilicet apparitione veteris testamenti et missione visibili, est duo considerare: scilicet illud quod exterius apparet, et aliquid quod interius efficitur vel factum signatur. Sed tamen diversimode, quia in apparitione veteris testamenti illud exterius apparens non refertur ut signum ad illud quod interius est, sed ad aliquid aliud, sicut ad significandum Trinitatem, vel aliquid hujusmodi ; unde illud quod interius est, nihil aliud est quam ipsa cognitio vel illuminatio animae de rebus quae per signa exteriora significantur

D’autres disent au contraire que les deux ont été accomplies par le ministère des Anges. Mais il semble que les deux opinions soient dans le vrai sous un certain rapport. Dans les deux cas en effet, c’est-à-dire dans l’apparition de l’ancien testament et dans la misión visible, il y a deux choses à considérer: à savoir ce qui apparaît extérieurement et quelque chose qui est produit intérieurement ou qui est signalé comme étant fait. Mais différemment cependant, car dans l’apparition de l’ancien testament cela même qui apparaît extérieurement n’est par rapporté comme un signe par rapport à ce qui existe intérieurement mais par rapport à quelque chose d’autre, comme pour signifier la Trinité ou quelque chose de la sorte; c’est pourquoi ce qui existe intérieurement n’est rien d’autre que la connaissance ou l’illumination même de l’âme au sujet des choses qui sont signifiées par les signes extérieurs.

Et quia illuminationes divinae descendunt in nos, secundum Dionysium, cap. IV, Caelest. Hier. § 2, etc., col 179, per Angelos, ideo ministerio Angelorum in illis apparitionibus utrumque factum est, scilicet et quod exterius est, et quod interius ; et ideo nullo modo est ibi missio divinae personae, quae tantum attenditur secundum immediatum effectum ipsius personae divinae.

Et parce que d’après Denys [La Hiérarchie Céleste, ch. IV, & 2, etc., col. 179, t. 1] les illuminations divines descendent en nous par les Anges, c’est pourquoi dans ces apparitions les deux aspects sont faits par le ministère des Anges, à savoir ce qui existe extérieurement et ce qui existe intérieurement ; et c’est pourquoi en aucune manière il n’y a là mission de la Personne divine, laquelle ne s’applique qu’à un effet immédiat de la Personne divine elle-même.

In missione autem visibili, illud quod exterius apparet, est signum ejus quod interius est factum, vel tunc, vel prius ; unde interius non ponitur tantum aliqua cognitio, sed aliquis effectus gratiae gratum facientis, qui est immediate a divina persona, ratione cujus divina persona mitti dicitur.

Mais dans la mission visible, ce qui apparaît extérieurement est le signe de ce qui est réalisé intérieurement, soit au moment même, soit antérieurement ; c’est pourquoi ce n’est pas seulement une connaissance qui est affirmée intérieurement, mais un effet de la grâce sanctifiante qui provient immédiatement de la Personne divine et en raison de quoi on dit que c’est la Personne divine elle-même qui est envoyée.

Unde in missione visibili illud quod est interius, immediate sine ministerio Angelorum effectum est, propter quod ratione illius effectus persona divina mitti dicitur ; sed quantum ad id quod est exterius, Angeli ministerium habent, ut Gregorius dicit.

C’est pourquoi ce qui existe intérieurement dans la mission visible est produit immédiatement sans le ministère des Anges, et c’est à cause de cela qu’on dit de la Personne divine est envoyée en raison de cet effet ; mais quant à ce qui existe extérieurement dans ces missions, il y a ministère de l’Ange, comme le dit Saint-Grégoire.

[1268] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Augustinus loquitur de sermone quem Filius Dei in corpore assumpto protulit, quem constat immediate a Deo esse prolatum.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu qu’Augustin parle du discours que le Fils de Dieu prononça dans le corps qu’il avait pris, et dont il est clair qu’il a été immédiatement prononcé par Dieu.

[1269] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Angelus habeat operationem in creatura exterius apparente, non tamen habet in effectu interiori ; et ideo ratione ejus persona divina mitti dicitur. Nec est inconveniens ut persona divina simul, et Angelus mittatur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que l’Ange pose une opération dans une créature qui apparaît extérieurement, il n’a cependant pas une opération dans l’effet intérieur ; et c’est pourquoi, en raison de cet effet, on dit de la personne divine qu’elle est envoyée. Et il ne convient pas que la Personne divine et l’Ange soient envoyés simultanément.

[1270] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod corpus assumptum est unitum ipsi personae divinae, unione ad unum esse personale. Unde non decuit propter suam dignitatem ut non a Deo formaretur. Non autem similis ratio est in aliis.

3. Il faut dire en troisième lieu que le corps qui est pris est uni à la Personne divine elle-même par une union  en vue d’une seule existence personnelle. C’est pourquoi il ne convenait pas, en raison de sa dignité, qu’il ne soit pas formé par Dieu. Et la raison n’est pas la même pour les autres cas.

[1271] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dictum Gregorii referendum est tantum ad illud quod exterius est, et non quantum ad interius significatum.

4. Il faut dire en quatrième lieu que le passage de Saint-Grégoire doit être rapporté seulement à ce qui existe extérieurement et non à ce qui est signifié intérieurement.

[1272] Super Sent., lib. 1 d. 16 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod dictum Dionysii habebat veritatem in effectibus qui a creatura possunt esse ; non autem talis effectus est, gratia ; et ideo quantum ad interius, quod est in missione visibili, Angeli non habent operationem, sed solum quantum ad exterius.

5. Il faut dire en cinquième lieu que la parole de Denys est conforme à la vérité pour les effets qui peuvent exister par la créature ; mais la grâce n’est pas un effet de cette sorte ; et c’est pourquoi, quant à l’effet intérieur qui existe dans la mission visible, les Anges n’interviennent pas par une opération mais seulement quant à ce qui apparaît extérieurement.

 

 

Distinctio 17

Distinction 17 – [Les missions invisibles de l’Esprit Saint]

 

 

Prooemium

Prologue[14]

 

Révision acchevée 20/04/06

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La nature de la charité]

 

 

Articulus 1 [1275] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 tit. Utrum caritas sit aliquid creatum in anima

Article 1 – La charité est-elle quelque chose de créé dans l’âme ?

[1276] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod caritas non sit aliquid creatum in anima. Agens enim quod sine medio operatur perfectius est quam illud quod non agit nisi per medium. Sed Spiritus sanctus operatur in nobis velle et perficere in actibus meritoriis, secundum apostolum: Qui enim spiritu Dei aguntur hi filii Dei sunt, Roman. 8, 14. Ergo cum ipse sit perfectissimum agens, videtur quod non moveat ad hanc operationem per aliquem habitum creatum medium.

Difficultés:

1. Il semble que la charité ne soit pas quelque chose de créé dans l’âme. En effet, un agent qui opère sans intermédiaire est plus parfait qu’un agent qui n’agit que par un intermédiaire. Mais l’Esprit-Saint opère en nous le vouloir et l’exécution dans les actes méritoires d’après l’Apôtre [Romains 8, 14]: En effet, tous ceux qui sont animés par l’Esprit de Dieu, ceux-là sont des fils de Dieu. Donc, puisque l’Esprit-Saint est l’agent le plus parfait, il semble qu’il ne pousse pas à cette opération par un intermédiaire qui serait un habitus créé.

[1277] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, sicut anima se habet ad corpus ut vita ipsius, ita se habet Deus ad animam, ut dicit Augustinus De verbis Apostoli, Serm. XVIII et XXVIII. Sed anima non vivificat corpus per aliquam formam mediam. Ergo nec Spiritus sanctus animam per habitum medium.

2. Ce que l’âme est au corps comme principe de vie, Dieu l’est à l’âme comme le dit Augustin [Sur les Paroles de l’Apôtre, Serm. XVIII et XXVIII]. Mais l’âme ne vivifie pas le corps par une forme intermédiaire. Donc, l’Esprit-Saint ne vivifie pas l’âme par un habitus intermédiaire.

[1278] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, esse gratiae immediatius est a Deo et propinquius, quam esse naturae. Sed Deus in creatione non est usus aliquo medio, quando naturam instituit. Ergo nec in recreatione, quando gratiam infundit.

3. Par ailleurs, l’existence de la grâce vient plus immédiatement et prochainement de Dieu que l’existence de la nature. Mais Dieu dans la creation ne s’est pas servi d’un intermédiaire quand il a institué la nature. Il ne s’en est donc pas servi non plus dans la recréation quand il a introduit la grâce.

[1279] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 4 Hoc etiam ostenditur ex dignitate caritatis. Omnis enim creatura est vanitas. Si ergo caritas est creatura, vanitas erit. Sed vanitas non conjungit veritati, nec confirmat in veritate. Ergo caritas non conjungeret nos Deo ; quod falsum est.

4. Cela est manifeste aussi en partant de la dignité de la charité. Toute créature en effet est vanité. Si donc la charité est une créature, elle sera vanité. Mais la vanité ne s’unit pas à la vérité et ne s’affirme pas dans la vérité. Donc la charité ne nous unirait pas à Dieu, ce qui est faux.

[1280] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nullum finitum est virtutis infinitae: cum virtus fluat ab essentia. Sed omnis creatura finita est. Ergo nullius creaturae virtus infinita est. Sed virtus caritatis infinita est, quia movet per infinitam distantiam ; conjungit enim creaturam creatori, et facit de peccatore justum. Ergo videtur quod non sit creatura.

5. En outre, rien de fini n’appartient à une puissance infinie, puisque la puissance découle de l’essence. Mais toute créature est finie. Donc la puissance d’aucune créature n’est infinie. Mais la puissance de la charité est infinie car elle meut sur une distance infinie ; elle unit en effet la créature au créateur et d’un pécheur elle fait un juste. Il semble donc qu’elle ne soit pas une créature.

[1281] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 6 Item, nulla creatura est dignior quam anima Christi. Sed caritas est dignior quam anima Christi ; quia ipsa caritate anima Christi bona est. Ergo caritas non est creatura.

6. De plus, aucune créature n’est plus noble que l’âme du Christ. Mais la charité est plus noble que l’âme du Christ, car c’est par la charité elle-même que l’âme du Christ est bonne. Donc la charité n’est pas une créature.

[1282] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea, majori bono debetur major amor. Sed Deus est infinitum bonum, et infinita fecit pro nobis. Igitur debemus sibi infinitum amorem. Sed amor quo diligimus Deum, est caritas. Ergo caritas est quid infinitum. Ergo non est creatura.

7. Par ailleurs, à un plus grand bien doit correspondre un plus grand amour. Mais Dieu est un bien infini, et il a produit pour nous des biens infinis. Nous lui devons donc un amour infini. Mais l’amour par lequel nous aimons Dieu est la charité. Donc la charité est quelque chose d’infini. Elle n’est donc pas une créature.

[1283] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, omne creatum est in praedicamento aliquo. Sed quidquid continetur in decem generibus, est aliqua natura. Si ergo caritas sit quid creatum, erit natura quaedam. Sed natura adveniens naturae non facit nisi naturam. Ergo anima habens caritatem, si caritas sit quid creatum, non habebit nisi esse naturae. Sed per caritatem potest mereri. Ergo natura aliqua per se poterit in actus meritorios ; quod est haeresis Pelagiana. Videtur ergo quod caritas non sit quid creatum.

8. Enfin, tout ce qui est créé se range dans un prédicament. Mais tout ce qui est contenu dans les dix genres est une nature. Si donc la charité est quelque chose de créé, elle sera une certaine nature. Mais une nature qui s’ajoute à une nature ne peut produire qu’une nature. Donc l’âme qui possède la charité, si la charité est quelque chose de créé, n’aura qu’une existence de nature. Mais par la charité elle peut obtenir du mérite. Donc une nature sera capable par elle-même d’actes méritoires, ce qui constitue l’hérésie de Pélage. Il semble donc que la charité ne soit pas quelque chose de créé.

[1284] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, omne quod recipitur in aliquo, recipitur in eo per modum recipientis. Sed amor increatus, qui est Spiritus sanctus, participatur in creatura. Ergo secundum modum ipsius creaturae. Sed modus ejus est finitus. Ergo oportet quod recipiatur in creatura aliquis amor finitus. Sed omne finitum est creatum. Ergo in anima habente Spiritum sanctum, est aliqua caritas creata.

Cependant:

1. Au contraire, tout ce qui est reçu dans un être y est reçu à la manière de celui qui reçoit. Mais l’amour incréé, qui est l’Esprit-Saint, est participé dans la créature. Il y est donc participé selon le mode de la créature elle-même. Mais son mode est fini. Il faut donc que ce soit un amour fini qui soit reçu dans la créature. Mais tout ce qui est fini est créé. Il y a donc une charité créée dans l’âme qui possède l’Esprit-Saint.

[1285] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 2 Item, omnis assimilatio fit per formam aliquam. Sed per caritatem efficimur conformes ipsi Deo ; qua amissa, dicitur anima deformari. Ergo videtur quod caritas sit quaedam forma creata manens in anima.

2. En outre, toute assimilation se réalise au moyen d’une certaine forme. Mais c’est par la charité que nous sommes rendus conformes à Dieu, de telle manière que si elle manque, on dit de l’âme qu’elle est déformée. Il semble donc que la charité soit une certaine forme créée qui demeure dans l’âme.

[1286] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea constat quod Deus aliquo modo est in sanctis quo non est in creaturis. Sed ista diversitas non potest poni ex parte ipsius Dei, qui eodem modo se habet ad omnia. Ergo videtur quod sit ex parte creaturae, scilicet quod ipsa creatura habeat aliquid quod alia non habent. Aut ergo habet ipsum divinum esse ; et sic omnes justi assumerentur a Spiritu sancto in unitatem personae, sicut natura humana assumpta est a Christo in unitatem personae ipsius Filii Dei: quod non potest esse. Aut oportet quod illa creatura, in qua speciali modo Deus esse dicitur, habeat in se aliquem effectum Dei, quem alia non habent. Iste autem effectus non potest esse tantum actus ; quia sic in justis dormientibus non esset alio modo quam in aliis creaturis. Ergo oportet quod sit aliquis habitus. Oportet igitur aliquem habitum caritatis creatum esse in anima, secundum quem Spiritus sanctus ipsam inhabitare dicitur

3. De plus, il est clair que Dieu est dans les saints selon un mode par lequel il n’est pas dans les créatures. Mais cette différence ne peut être posée du côté de Dieu lui-même qui est le même à l’égard de tout. Il semble donc que cette différence se tienne du côté de la créature, c’est-à-dire qu’une créature possède quelque chose que les autres ne possèdent pas. Donc, soit qu’elle possède l’existence divine elle-même ; et ainsi tous les justes seraient seraient assumés par l’Esprit-Saint dans l’unité de la Personne, tout comme la nature humaine est assumée par le Christ dans l’unité de la Personne du Fils de Dieu lui-même, ce qui est impossible. Ou bien il faut que cette créature, dans laquelle on dit de Dieu qu’il y exise selon un mode spécial, possède en elle un effet de Dieu que les autres ne possèdent pas. Mais cet effet ne peut être seulement un acte, car ainsi dans les justes qui reposent il n’en serait pas autrement que dans les autres créatures. Il faut donc qu’il y ait un certain habitus. Il faut donc qu’il y ait dans l’âme un certain habitus créé de la charité, selon lequel on dit de l’Esprit-Saint qu’Il y habite.

[1287] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod tota bonitas ipsius animae est ex caritate: unde quantum bona est tantum habet de caritate ; et si caritatem non habeat, nihil est, sicut dicitur 1 Corinth., 13. Constat autem quod per caritatem anima non habet minus de bonitate in esse gratiae, quam per virtutem acquisitam in esse politico.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que toute la bonté de l’âme elle-même vient de la charité, d’où elle est aussi bonne qu’elle possède de la charité ; et si elle ne possédait pas de charité, elle ne serait rien, ainsi que le dit l’Apôtre [1 Corinth. 13]. Mais il est clair que par la charité l’âme ne possède  pas moins de bonté dans l’existence de la grâce qu’elle n’en possède dans l’existence politique par la vertu acquise.

Virtus autem politica duo facit: quia facit bonum habentem, et opus ejus bonum reddit. Multo fortius igitur hoc facit caritas. Neutrum autem horum effici poterit, nisi caritas sit habitus creatus. Constat enim quod omne esse a forma aliqua inhaerente est, sicut esse album ab albedine, et esse substantiale a forma substantiali.

Mais la vertu politique produit deux choses : car elle rend bon celui qui la possède et elle rend bonne son œuvre. Donc à plus forte raison la charité produit ces deux effets. Mais la charité ne pourra produire aucun de ces effets si elle n’est pas un habitus créé. Il est clair en effet que toute existence vient d’une forme inhérente, tout comme d’être blanc vient de la blancheur, et que l’existence substantielle vient d’une forme substantielle.

Sicut igitur non potest intelligi quod paries sit albus sine albedine inhaerente ; ita non potest intelligi quod anima sit bona in esse gratuito sine caritate et gratia informante ipsam. Similiter etiam, cum actus proportionetur potentiae operativae sicut effectus propriae causae, impossibile est intelligere quod actus perfectus in bonitate sit a potentia non perfecta per habitum ; sicut etiam calefacere non potest esse ab igne nisi mediante calore.

Ainsi donc on ne peut comprendre qu’un mur soit blanc sans qu’il y ait en lui la blancheur ; de même on ne peut comprendre que l’âme soit bonne dans l’existence gratuite sans la charité et sans la grâce qui l’informe. De la même manière encore, puisque l’acte est proportionnée à la puissance d’opération comme l’effet est proportionné à la cause qui lui est propre, il est impossible de comprendre qu’un acte qui est parfait en bonté vienne d’une puissance qui ne serait pas achevée par un habitus, tout comme aussi réchauffer ne peut venir du feu que par l’intermédiaire de la chaleur.

Et ideo cum actus caritatis perfectionem quamdam habeat ex hoc quod est meritorius omnibus modis, oportet ponere, caritatem esse habitum creatum in anima ; quae quidem efficienter est a tota Trinitate, sed exemplariter manat ab amore, qui est Spiritus sanctus: et ideo frequenter invenitur quod Spiritus sanctus sit amor quo diligimus Deum et proximum, sicut etiam dicitur a Dionysio,cap. IV Caelest. Hier. §1 col. 178, quod esse divinum est esse omnium rerum, inquantum scilicet ab eo omne esse exemplariter deducitur. Magister tamen vult quod caritas non sit aliquis habitus creatus in anima ; sed quod sit tantum actus qui est ex libero arbitrio moto per Spiritum sanctum, quem caritatem dicit.

Et c’est pourquoi, puisque l’acte de la charité possède une telle perfection du fait qu’elle est plus méritoire de toutes les manières, il faut affirmer que la charité est un habitus créé dans l’âme, laquelle est certes l’effet de toute la Trinité, mais elle demeure en nous à titre d’exemplaire grâce à cet amour qui est l’Esprit-Saint : et c’est pourquoi il arrive fréquemment que l’Esprit-Saint soit l’amour par lequel nous aimons Dieu et le prochain, comme dit encore Denys [IV De la Hiérarchie Céleste, & 1, col. 178] que l’existence de Dieu est l’existence de toutes les choses, c’est-à-dire pour autant que toute existence se tire de Lui comme d’un modèle. Mais le Maître veut que la charité ne soit pas un habitus créé dans l’âme, mais qu’elle soit seulement un acte qui vient du libre arbitre  mû par l’Esprit-Saint qu’Il appelle charité.

Ad cujus explanationem, quidam dixerunt, quod sicut lux dupliciter potest considerari, vel prout est in se, et sic dicitur lux ; vel prout est in extremitate diaphani terminati, et sic lux dicitur color (quia hypostasis coloris est lux, et color nihil aliud est quam lux incorporata) ; ita dicunt, quod Spiritus sanctus, prout in se consideratur, Spiritus sanctus et Deus dicitur ; sed prout consideratur ut existens in anima, quam movet ad actum caritatis, dicitur caritas.

Et pour expliquer cela certains ont dit que tout comme la lumière peut être considérée de deux manières, c’est-à-dire soit en elle-même et ainsi elle est appelé lumière, soit selon qu’elle se termine à une extrémité de l’air et alors la lumière s’appelle couleur (car la substance de la couleur est la lumière et la couleur n’est rien d’autre qu’une lumière dans un corps), de même ils disent que l’Esprit-Saint, considéré en lui-même, s’appelle Esprit-Saint et Dieu ; mais selon qu’il est considéré comme existant dans l’âme qu’Il meut à l’acte de charité, il s’appelle charité.

Dicunt enim, quod sicut Filius univit sibi naturam humanam solus, quamvis sit ibi operatio totius Trinitatis ; ita Spiritus sanctus solus unit sibi voluntatem, quamvis ibi sit operatio totius Trinitatis. Sed hoc non potest stare ; quia unio humanae naturae in Christo terminata est ad unum esse personae divinae: et ideo idem actus numero est personae divinae et naturae humanae assumptae. Sed voluntas alicujus sancti non assumitur in unitatem suppositi Spiritus sancti. Unde cum operatio a supposito unitatem habeat et diversitatem ; non potest esse quod intelligatur esse una operatio voluntatis et Spiritus sancti, nisi per modum quo Deus operatur in qualibet re.

Ils disent en effet que tout comme le Fils seul s’est uni à une nature humaine bien qu’il y ait là l’opération de toute la Trinité, de même seul l’Esprit-Saint s’est uni à la volonté bien qu’il y ait là l’opération de toute la Trinité. Mais cela ne peut se défendre ; car l’union à la nature humaine dans le Christ se termine à une seule existence de la personne divine : et c’est pourquoi c’est le même acte, numériquement parlant, qui appartient à la fois à la personne divine et à la nature humaine assumée. Mais la volonté d’un saint n’est pas assumée dans l’unité du suppôt de l’Esprit-Saint. C’est pourquoi, puisque l’opération tient son unité et sa diversité du suppôt lui-même, c’est pourquoi il est impossible de comprendre qu’une seule et même opération appartienne à la fois à la volonté et à l’Esprit-Saint, sauf à la manière par laquelle Dieu opère en une chose.

Sed iste modus non sufficit ad operationis perfectionem ; quia operatio consequitur conditiones causae proximae in necessitate et contingentia et perfectione et hujusmodi, et non primae causae. Unde non est intelligere quod sit operatio perfecta voluntatis per quam uniatur Spiritui sancto, nisi sit ibi habitus perficiens potentiam operativam: nec potest esse similitudo actus voluntatis ad Spiritum sanctum, nisi sit similitudo Spiritus sancti in anima per aliquam formam, quae est principium actus quo Spiritui sancto conformetur ; unde oportet in anima poni aliquem formam, per quam Spiritui sancto conformetur [unde… conformetur om. Éd de Parme] quia actus ad hoc non sufficit, ut dictum est.

Mais cette manière ne suffit pas à la perfection de l’opération ; car l’opération suit les conditions de la cause prochaine sous le rapport de la nécessité, de la contingence, de la perfection et sous d’autres rapports, et non les conditions de la cause première. Et c’est pourquoi on ne peut comprendre qu’il y ait une opération parfaite de la volonté par laquelle elle est unie à l’Esprit-Saint qu’à condition qu’il y ait là un habitus qui donne son achèvement à la puissance d’opération : et il ne peut y avoir similitude entre l’acte de la volonté et l’Esprit-Saint que s’il y a une similitude de l’Esprit-Saint dans l’âme au moyen d’une forme qui soit le principe de l’acte par lequel elle se conforme à l’Esprit-Saint ; c’est pourquoi il faut poser qu’il y a dans l’âme une forme par laquelle elle se conforme à l’Esprit-Saint [c’est pourquoi … elle se conforme om. Éd. de Parme] car l’acte ne suffit pas à cela ainsi que nous l’avons dit.

[1288] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in gratificatione animae est considerare duplicem operationem Spiritus sancti.

Unam, quae terminatur ad esse secundum actum primum qui est esse gratum in habendo habitum caritatis.

Aliam, secundum quam operatur actum secundum, qui est operatio movens voluntatem in opus dilectionis:

et utroque modo oportet incidere medium non propter indigentiam vel defectum ipsius Spiritus operantis, sed propter necessitatem animae recipientis ; sed diversimode. Quia quo ad primum effectum, qui est esse gratiae, caritas est medium per modum causae formalis: quia nullum esse potest recipi in creatura, nisi per aliquam formam. Ad effectum autem secundum, qui est operatio, est medium caritas in ratione causae efficientis secundum quod virtutem quae est principium operandi reducimus in causam agentem: quia etiam non est possibile aliquam operationem perfectam a creatura exire, nisi principium illius operationis sit perfectio potentiae operantis, prout dicimus habitum elicientem actum esse principium ejus.

Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que dans la gratification de l’âme il faut considérer deux opérations de l’Esprit-Saint.

La première qui se termine à l’existence selon l’acte premier qui est l’existence de la grâce dans la possession de l’habitus de la charité.

La deuxième, selon laquelle il opère l’acte second, qui est l’opération qui meut la volonté à une oeuvre d’amour:

Et dans les deux cas, mais de différentes manières, il faut rencontrer un intermédiaire non pas à cause d’un manque ou d’un défaut du côté de l’opération de l’Esprit-Saint lui-même, mais à cause d’une nécessité qui se tient du côté de l’âme qui reçoit. Car quant au premier effet, qui est l’existence de la grâce, la charité est un intermédiaire à la la manière d’une cause formelle, car aucune forme d’existence ne peut être recue dans la créature  sans quelque forme. Mais quant au deuxième effet qui est l’opération, la charité est un intermédiaire sous le rapport d’une cause efficiente selon que nous ramenons la vertu, qui est principe d’opération, à une cause agente: car encore il n’est possible qu’une opération parfaite sorte de la créature que si le principe de cette opération est la perfection de la puissance d’opération, selon que nous disons que l’habitus qui décide de l’acte est le principe de cet acte.

[1289] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima comparatur ad corpus non tantum ut causa agens, secundum quod est motrix corporis, sed etiam ut forma ; unde formaliter seipsa facit vivere corpus, secundum quod vivere dicitur esse viventium. Deus autem non est forma ipsius animae vel voluntatis, qua formaliter vivere possit ; sed dicitur vita animae sicut principium exemplariter influens vitam gratiae ipsi. Similiter dicendum de luce, quod lux potest dupliciter considerari. Vel prout est in ipso corpore lucido ; et sic se habet ad illuminationem aeris ut principium efficiens, nec illuminat nisi per formam luminis influxam ipsi diaphano illuminato: vel prout est in diaphano illuminato ; et sic est forma ipsius, qua formaliter est lucidum. Deus autem dicitur esse illuminans lux per modum lucis quae est in ipso corpore lucenti per se, et non per modum quo illuminatum formaliter illuminatur a forma lucis in ipso recepta. Sed illi lumini recepto assimilatur caritas vel gratia recepta in anima.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’âme se compare au corps non seulement comme une cause agente, selon qu’elle meut le corps, mais aussi comme une forme ; c’est pourquoi c’est formellement elle qui fait vivre le corps, selon que nous disons que vivre est l’existence même des vivants. Mais Dieu n’est pas la forme de l’âme elle-même ou de la volonté, par laquelle elle peut vivre formellement ; mais on dit de Dieu qu’Il est la vie de l’âme au sens où, comme principe, à la manière d’un modèle, Il répand la vie de la grâce en elle. Il faut dire la même chose de la lumière, à savoir qu’elle peut être considérée de deux manières. Soit selon qu’elle est dans le corps  même qui est éclairé ; et ainsi elle se rapporte à l’illumination de l’air comme un principe efficient et elle n’éclaire que parla forme de la lumière répandue sur l’air illuminé lui-même ; soit selon qu’elle est dans l’air éclairé ; et ainsi elle est sa forme par laquelle l’air est formellement éclairé. Mais on dit de Dieu qu’il est une lumière qui éclaire à la manière d’une lumière qui est dans le corps même qui éclaire par lui-même et non pas à la manière par laquelle ce qui est éclairé est formellement éclairé par la forme de la lumière reçue en lui. Mais c’est à cette lumière reçue que se compare la charité ou la grâce reçue en l’âme.

[1290] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnino simile est de creatione et recreatione. Sicut enim Deus per creationem contulit rebus esse naturae, et illud esse est formaliter a forma recepta in ipsa re creata, quae est quasi terminus operationis ipsius agentis ; et iterum forma illa est principium operationum naturalium, quas Deus in rebus operatur: ita etiam et in recreatione Deus confert animae esse gratiae ; et principium formale illius esse est habitus creatus, quo etiam perficitur operatio meritoria quam Deus in nobis operatur ; et ita iste habitus creatus partim se habet ad operationem Spiritus sancti ut terminus, et partim ut medium.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’il en est absolument de même pour la création et la recréation. En effet, tout comme Dieu confère aux choses une existence de nature par la création, et que cette existence vient formellement d’une forme reçue dans la chose créée elle-même et qui est comme le terme de l’opération de l’agent lui-même, et que cette forme est par la suite le principe des opérations naturelles que Dieu opère dans les choses, de même encore dans la recréation Dieu confère à l’âme l’existence de la grâce ; et le principe formel de cette existence est un habitus créé par lequel l’opération méritoire que Dieu opère en nous trouve sa perfection ; et c’est ainsi que cet habitus créé se rapporte à l’opération de l’Esprit-Saint en partie comme terme et en partie comme intermédiaire.

[1291] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas, inquantum est ex nihilo, habet quod sit vanitas ; sed inquantum procedit a Deo ut similitudo ipsius, non habet rationem vanitatis, immo conjungendi ipsi Deo.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la charité, pour autant qu’elle est créée à partir de rien, possède quelque chose de la vanité ; mais pour autant qu’elle procède de Dieu comme une ressemblance de Lui, n’a pas raison de vanité mais plutôt de moyen devant unir à Dieu lui-même.

[1292] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod aliquid dicitur facere dupliciter: vel per modum efficientis, sicut pictor facit parietem album ; vel per modum formae, sicut albedo facit album. Facere igitur de peccatore justum vel Deo conjunctum, est ipsius Dei sicut efficientis, et ipsius caritatis sicut formae. Unde non potest concludi quod caritas sit virtutis infinitae, sed solum quod est effectus virtutis infinitae.

5. Il faut dire en cinquième lieu que c’est de deux manières qu’on dit d’une chose qu’elle ¨fait¨ : soit à la manière d’une cause efficiente, comme le peintre qui rend le mur blanc ; soit à la manière d’une forme, comme la blancheur qui fait qu’une chose est blanche. Donc c’est à Dieu comme cause efficiente et à la charité comme forme qu’il appartient de rendre le pécheur juste ou uni à Dieu. On ne peut donc conclure que la charité soit d’une puissance infinie, mais seulement qu’elle est l’effet d’une puissance infinie.

[1293] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nobilitas aliquorum potest attendi dupliciter: vel simpliciter, vel secundum quid. Videtur autem simpliciter dignius esse quod secundum suum esse nobilius est, et hoc modo anima Christi et anima cujuscumque justi est nobilior quam caritas creata, quae habet esse accidentis. Videtur etiam aliquid dignius secundum quid, quod secundum aliquod dignius est ; et hoc modo caritas creata est nobilior quam anima Christi. In quolibet enim genere actus est nobilior quam potentia, quantum ad illud genus. Unde sicut albedo corporis Christi quantum ad hoc esse quod est esse album, est nobilior quam sit corpus Christi ; ita etiam scientia ejus creata est nobilior quam anima ejus quantum ad hoc quod est esse scientem, quod est esse secundum quid. Et similiter caritas quantum ad tale esse: quia se habet in esse illo ad animam Christi, sicut actus ad potentiam.

6. En sixième lieu il faut dire que la noblesse de certains êtres peut se remarquer de deux manières : soit absolument, soit d’une certaine manière. Mais il semble que soit plus digne absolument ce qui est plus noble selon son existence, et en ce sens l’âme du Christ et l’âme de tout juste est plus noble que la charité créée qui possède l’existence d’une accident. Il semble encore qu’un être soit plus digne d’une certaine manière ce qui est plus digne sous un rapport déterminé ; et en ce sens la charité créée est plus noble que l’âme du Christ. Dans tout genre en effet l’acte est plus noble que la puissance quant à ce genre déterminé. C’est pourquoi tout comme la blancheur du corps du Christ, quant à cette existence déterminée qui consiste à être blanc, est plus noble que ne l’est le corps du Christ, de même encore sa science créée est plus noble que son âme quant à ceci qu’il existe comme savant qui est une existence sous un certain rapport. Et il en est de même pour la charité quant à cette existence déterminée : car elle se rapporte à l’âme du Christ dans cette existence comme l’acte se rapporte à la puissance.

[1293] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod secundum Philosophum VIII Ethicorum, cap. VIII, numquam in quibusdam amicitiis contingit aequivalens reddere ; sed sufficit ad aequitatem amicitiae illud quod est possibile reddi ; sicut filius numquam potest patri carnali reddere aliquid aequivalens ei quod ab ipso acceptit, scilicet esse et doctrinam et nutrimentum. Multo minus divinis beneficiis et bonitati suae possumus reddere amorem aequivalentem. Unde non sequitur quod amor quo Deum diligimus sit infinitus quantum ad substantiam actus : licet [sed… habet Éd. De Parme] infinitatem habeat, ex hoc quod objectum amoris omnibus aliis praeponitur : sed sufficit quod amemus cum amore commensurato nobis.

7. Il faut dire en septième lieu que d’après le Philosophe [ VIII Éthiques, ch.  VIII] il n’est jamais possible dans certaines amitiés de rendre la pareille ; mais il suffit, pour que l’amitié soit équitable, de faire ce qu’il est possible de faire ; par exemple, le fils ne peut jamais rendre à son père charnel quelque chose qui soit égal à ce qu’il a reçu de lui, à savoir l’existence, l’enseignement et la nourriture. Nous pouvons encore moins rendre à Dieu un amour qui soit équivalent à sa bonté et aux bienfaits divins que nous en retirons. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas, dans cet argument, que l’amour par lequel nous aimons Dieu soit infini quant à l’essence même de l’acte, bien [mais…il possède Éd. de Parme] qu’il possède un certain caractère d’infinité du fait que l’objet de l’amour dans ce cas est préférable à tous les autres. Il suffit donc que nous aimions Dieu d’un amour qui nous est proportionné.

[1295] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 1 ad 8 Ad ultimum dicendum, quod natura dicitur multipliciter, secundum Boetium de duabus naturis c. 1, col. 1341, : dicitur enim uno modo natura omne quod est, vel substantia vel accidens ; et hoc modo gratia est natura quaedam. Alio modo dicitur natura quod est principium motus et quietis ipsius in quo est, unde illud dicitur esse naturale vel quod causatur a principiis naturalibus, vel causari potest ; et hoc modo caritas non est natura, quia per principia naturalia creaturae non potest causari ; et secundum hunc modum dicit Pelagius, per naturalia sola hominem posse in actus meritorios.

8. Il faut dire finalement que selon Boèce [De Duabus Naturis ch. 1, col. 1341] nature se dit suivant plusieurs significations : en un premier sens en effet nature signifie tout ce qui existe, soit la substance, soit l’accident ; et en ce sens la grâce est une certaine nature. Mais en un autre sens nature signifie ce qui est principe du mouvement ou du repos de celui dans lequel elle est et c’est pourquoi on dit qu’est naturel soit ce qui est causé, soit ce qui peut être causé  par les principes naturels ; et en ce sens la charité n’est pas nature car elle ne peut être causée par les principes naturels de la créature ; et c’est en ce sens que Pélage dit que l’homme est capable d’actes méritoires par les seuls principes naturels.

 

 

[1296] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 tit. Utrum caritas sit accidens

Article 2 – La charité est-elle un accident ?

[1297] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caritas non sit accidens. Nullum enim accidens extenditur ultra suum subjectum. Sed caritas extenditur ultra suum subjectum, quia caritate etiam alios amamus. Ergo videtur quod caritas non sit accidens.

Difficultés :

1. Il semble que la charité ne soit pas un accident. Aucun accident en effet ne s’étend au delà de son sujet. Mais la charité s’étend au-delà de son sujet, car c’est par la charité que nous aimons aussi les autres. Il semble donc que la charité ne soit pas un accident.

[1298] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, omne accidens est causatum a substantia ; quia, secundum Avicennam, tract. II Metaph., cap ; 1, subjectum est quod est in se completum, praebens alteri occasionem essendi. Sed caritas non causatur a principiis animae in qua est. Ergo videtur quod non sit accidens.

2. En outre, tout accident est causé par la substance ; car, selon Avicenne [traité 11, Métaphysique, ch. 1], le sujet est ce qui est complet en soi et qui offre à un autre l’occasion d’exister. Mais la charité n’est pas causée par les principes de l’âme dans laquelle elle existe. Il semble donc qu’elle ne soit pas un accident.

[1299] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullum accidens est melius et nobilius suo subjecto. Sed caritas est melior quam anima. Ergo non est in anima sicut accidens in subjecto. Probatio mediae. Propter quod unumquodque tale, et illud magis. Sed anima est bona propter caritatem. Ergo caritas est melior.

3. Par ailleurs, aucun accident n’est plus noble et meilleur que son sujet. Mais la charité est meilleure que l’âme. Elle n’existe donc pas dans l’âme comme un accident dans son sujet. Preuve de la mineure. Cela même, à cause de quoi un être est tel, l’est davantage. Mais l’âme est bonne à cause de la charité. La charité est donc meilleure que l’âme.

[1300] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 arg. 4 Item, agens semper est honorabilius patiente, secundum philosophum, in III De anima, text. 19. Sed caritas agit in animam, mundando ipsam a peccatis. Ergo est honorabilior anima, et ita idem quod prius.

4. De plus, l’agent est toujours plus digne que le patient selon le Philosophe [111 de L’Âme, texte 19]. Mais la charité agit dans l’âme en la purifiant de ses péchés. Elle est donc plus digne que l’âme et il faut donc conclure de la même manière que précédemment.

[1301] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid potest adesse et abesse praeter subjecti corruptionem, est accidens. Caritas est hujusmodi. Ergo et cetera.

Cependant :

1. Tout ce qui peut être présent et absent au-delà de la corruption du sujet est un accident. Or c’est le cas pour la charité. Elle est donc un accident.

[1302] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod omne illud quod advenit alicui post esse completum, advenit sibi accidentaliter ; nisi forte assumatur ad participationem ipsius esse substantialis, sicut dictum est supra, 8 dist., quaest. 5, art. 2, de anima. Sed hoc tamen non sufficit ut dicatur accidens in se: potest enim aliquid in se substantia esse, et advenire alicui accidentaliter, sicut vestimenta ; sed si adveniat post esse completum ut forma inhaerens, de necessitate est accidens. Et quia post esse naturale animae advenit sibi caritas ut forma perficiens ipsam ad esse gratiae, prout dictum est, art. antec., ideo oportet quod sit accidens.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout ce qui survient à un être suite à une existence complète est un accident, à moins peut-être que cela ne soit pris pour participer à l’existence substantielle de cet être, ainsi que nous l’avons dit plus haut au sujet de l’âme [dist. 8, quest. 5, art. 2]. Mais cela n’est pas suffisant pour être appelé un accident en soi : quelque chose peut en effet être une substance en soi et survenir à un être accidentellement, comme les vêtements ; mais si quelque chose survient à un être suite à une existence complète comme une forme qui lui est inhérente, alors cela est nécessairement un accident. Et parce  que la charité, suite à l’existence naturelle de l’âme, survient en elle comme une forme qui la complète en vue de l’existence de la grâce, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, c’est pourquoi il faut qu’elle soit un accident.

[1303] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idem accidens numero nunquam extenditur ultra subjectum suum, idest ut sit in alio sicut in subjecto ; sed bene extenditur extra subjectum suum sicut ad objectum operationis ; sed diversimode in operatione activa et passiva. Quia in activa extenditur ad objectum extrinsecum, imprimens similitudinem formae suae in ipso, sicut patet quod calor ignis active calefacit aliud corpus, et est operatio activa. Similiter etiam quando est operatio passiva, et extenditur in aliud objectum extrinsecum, cujus similitudo in ipso recipitur ; et ita anima per habitum scientiae scit ea quae sunt extra ipsam, et per habitum amoris eadem amat.

Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que le même accident individuel ne s’étend jamais au delà de son sujet, c’est-à-dire de telle manière qu’il serait dans un autre comme dans un sujet; mais il s’étend bien en dehors de son sujet comme vers l’objet de l’opération, mais d’une manière différente dans l’opération active et dans celle qui est passive. Car dans l’opération active il s’étend à un objet extrinsèque, imprimant la similitude de sa forme en lui, comme on le voit pour la chaleur du feu qui réchauffe activement un autre corps et dont l’opération est active. Il en est de même encore quand l’opération est passive et s’étend à un autre objet extérieur dont la resemblance est recue en lui; et c’est ainsi que l’âme, connaît les choses qui sont en dehors d’elle par l’habitus de la science et les aime par l’habitus de l’amour.

[1304] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod subjectum diversimode se habet ad diversa accidentia. Quaedam autem sunt accidentia naturalia quae creantur ex principiis subjecti ; et hoc dupliciter: quia vel causantur ex principiis speciei, et sic sunt propriae passiones, quae consequuntur totam speciem ; vel ex principiis individui, et sic sunt communia consequentia principia naturalia individua. Sunt etiam quaedam accidentia per violentiam inducta, sicut calor in aqua, et ista sunt repugnantia principiis subjecti. Quaedam autem sunt quae quidem causantur ab extrinseco non repugnantia principiis subjecti, sed magis perficientia ipsa, sicut lumen in aere: et ita etiam caritas in anima est ab extrinseco. Tamen sciendum, quod omnibus accidentibus, communiter loquendo, subjectum est causa quodammodo, inquantum scilicet accidentia in esse subjecti sustentantur ; non tamen ita quod ex principiis subjecti omnia accidentia educantur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le sujet se rapporte différemment à différents accidents. Car parmi les accidents certains sont des accidents naturels qui sont créés à partir des principes du sujet, et cela de deux manières : car ou bien ils sont causés à partir des principes de l’espèce et ainsi ils sont des passions propres qui suivent toute l’espèce ; ou bien ils sont causés par les principes de l’individu  et ainsi ils sont des accidents communs qui suivent les principes naturels individuels. Mais il y a aussi certains accidents qui sont provoqués par violence, comme la chaleur pour l’eau et ceux-là sont contraires aux principes du sujet. Mais il y en a certains qui sont certes causés par un principe extérieur et qui ne répugnent pas aux principes du sujet mais qui plutôt les perfectionnent comme la lumière le fait pour l’air : et c’est ainsi encore que que la charité est introduite dans l’âme par un principe extérieur. Il faut ependant savoir, à parler universellement, que le sujet se présente face à tous les accidents comme une cause d’une certaine manière, c’est-à-dire pour autant que les accidents sont soutenus dans l’existence du sujet mais non pas cependant de telle manière que tous les accidents sont tirés des principes du sujet.

[1305] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod eadem ratione posset probari quod nulla perfectio animae esset accidens, nec aliqua perfectio corporis: quia unumquodque perfectibile habet bonitatem ex sua perfectione. Dicendum est igitur, quod simpliciter anima est melior caritate, et quodlibet subjectum suo accidente ; sed secundum quid est e converso. Cujus ratio est, quia esse, secundum Dionysium, V cap. de div. nominibus, col. 815, est nobilius omnibus aliis quae consequuntur esse: unde esse simpliciter est nobilius quam intelligere, si posset intelligi intelligere sine esse. Unde illud quod excedit in esse, simpliciter nobilius est omni eo quod excedit in aliquo de consequentibus esse ; quamvis secundum aliud possit esse minus nobile. Et quia anima et quaelibet substantia habet nobilius esse quam accidens, ideo simpliciter nobilior est. Sed quantum ad aliquod esse, vel secundum aliquod accidens, potest accidens esse nobilius, quia se habet ad substantiam sicut actus ad potentiam ; et hanc bonitatem consequentem habet substantia ab accidentibus, sed non bonitatem primam essendi.

3. Il faut dire en troisième lieu que c’est par le même raisonnement qu’on pourrait prouver qu’aucune perfection de l’âme n’est un accident et qu’aucune perfection du corps n’est un accident : car tout ce qui est perfectible tient sa bonté de sa perfection. Il faut donc dire, à parler absolument, que l’âme est meilleure que la charité et que tout sujet est meilleur que son accident ; mais sous un certain rapport, c’est le contraire. Et la raison en est que l’existence, selon Denys [Les Noms Divins, ch. V, col. 815], est plus noble que tout ce qui découle de l’existence : c’est pourquoi l’existence à parler absolument est plus noble que l’intelligence si l’intelligence pouvait se prendre sans l’existence. C’est pourquoi ce qui excelle dans l’existence est absolument plus noble que tout ce qui excelle dans une des choses qui suivent l’existence, bien que selon un autre rapport il puisse être moins noble. Et parce que l’âme et toute substance possède une existence plus noble qu’un accident, c’est pourquoi elle est plus noble absolument. Mais quant à une certaine forme d’existence ou d’après un accident, l’accident peut être plus noble car il se rapporte à la substance comme l’acte à la puissance ; et la substance tient des accidents cette bonté qui découle de l’existence mais non pas cette bonté première d’exister.

[1306] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritas non dicitur agere in animam per modum efficientis, sed solum formaliter ; et secundum id quod forma est, quantum ad esse secundum, nobilior est.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’on ne dit pas que la charité agit dans l’âme à la manière d’une cause efficiente, mais seulement à la manière d’une cause formelle ; et selon qu’elle est une forme, elle est meilleure quant à l’existence seconde.

 

 

Articulus 3 [1307] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 tit. Utrum caritas detur secundum capacitatem naturalium

Article 3 – La charité est-elle donnée selon la capacité des choses naturelles ?

[1308] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod caritas detur secundum capacitatem naturalium. Ita dicitur Matth. 25, 15: Dedit unicuique secundum propriam virtutem ; ubi Glossa Hieronymi: Non pro largitate vel parcitate, alii plus vel minus recipiunt ; sed secundum virtutem recipientium. Sed ante adventum caritatis non intelligitur nisi virtus quae est secundum naturalia. Ergo videtur quod secundum capacitatem naturalium caritas infundatur.

Difficultés :

1. Il semble que la charité soit donnée selon les capacités des choses naturelles. C’est que ce que dit l’évangéliste [Matthieu : 25, 15] : Il donna à chacun selon ses capacités ; et à ce sujet la glose de Saint-Jérôme dit : Ce n’est pas à cause d’une prodigalité ou d’une modération que certains ont reçu plus ou moins, mais à cause des capacités de ceux qui reçoivent. Mais avant l’arrivée de la charité il n’y a pas d’autres capacités à chercher que celles qui sont naturelles. Il semble donc que la charité soit répandue selon les capacités des choses naturelles.

[1309] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 2 Item, sicut se habet forma substantialis ad esse naturae, ita caritas ad esse gratiae. Sed forma substantialis datur secundum capacitatem materiae, ut dicit Plato, II De anima mundi. Ergo et caritas datur secundum capacitatem naturae, quae per eam perficitur.

2. De plus, la charité est à l’existence de la grâce ce que la forme substantielle est à l’existence de la nature. Mais la forme substantielle est donnée selon la capacité de la matière comme le dit Platon [De l’Âme du Monde, ch. 11]. Donc la charité est donnée suivant la capacité de la nature qui tient d’elle sa perfection.

[1310] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut gloria praesupponit gratiam, ita gratia praesupponit naturam. Sed gloria datur secundum modum gratiae, ut qui plus habet de capacitate, plus etiam de gloria recipiat. Ergo videtur quod etiam caritas detur secundum capacitatem naturae, ut qui meliora naturalia habet, major sibi caritas infundatur.

3. Par ailleurs, tout comme la gloire présuppose la grâce, de même la grâce présuppose la nature. Mais la gloire est donnée selon le mode de la grâce de telle manière que celui qui a plus de capacités reçoit aussi plus de gloire. Il semble donc que la charité aussi soit donnée selon la capacité de la nature de telle manière qu’une plus grande charité soit introduite dans celui qui possède de meilleures capacités naturelles.

[1311] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 arg. 4 Item, in quibuscumque invenitur perfectio ejusdem rationis, videtur esse idem modus consequendi illam perfectionem, cum unaquaeque res proprium modum habeat. Sed caritas invenitur in hominibus et Angelis secundum rationem eamdem, quod patet ex actu et fine. Cum igitur Angeli consecuti sint majorem caritatem et meliora gratuita, secundum gradum naturalium, videtur etiam quod in hominibus ita sit.

4. En outre, dans tous ceux chez lesquels on retrouve une perfection pour la même raison, il semble que la manière d’atteindre cette perfection soit la même puisque toute chose possède un mode qui lui est propre. Mais la charité se retrouve chez les hommes et les Anges selon la même raison, ce qui apparaît clairement à partir de l’acte et de la fin. Donc puisque les Anges obtiennent une plus grande charité et de meilleurs grâces suivant le degré de leurs capacités naturelles, il semble qu’il en soit aussi de même chez les hommes.

[1312] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, natura angelica altior est et sublimior quam natura humana. Sed aliqui homines, secundum gradum gratiae assumuntur ad sublimius praemium quam Angeli, cum, secundum Gregorium, Hom. XXXIV in Evang. § 1, col. 1252, ad singulos ordines Angelorum aliqui homines assumantur. Ergo videtur quod perfectiones gratiae et gloriae non dentur secundum mensuram naturalium. Hoc idem videtur per hoc quod dicitur Prov. XXX, 28: Stellio manibus nititur ; ubi dicit Gregorius quod gratia major infunditur, secundum quod ad habendum gratiam aliquis magis nititur.

Cependant :

Au contraire, la nature angélique est plus élevée et plus grande que la nature humaine. Mais certains hommes, conformément au degré de la grâce, sont établis dans une plus grande récompense que les Anges puisque, selon Saint-Grégoire [Homélie XXXIV, in Évang. & 1, col. 1252], certains hommes sont établis à des degrés particuliers des Anges. Il semble donc que les perfections de la grâce et de la gloire ne soient pas données selon les capacités des choses naturelles. La même chose apparaît au moyen de ce que nous dit l’Écriture [Proverbes XXX, 28] : Le lézard que l’on capture à la main ; et là-dessus Saint-Grégoire dit qu’une plus grane grâce est versée dans celui qui s’efforce davantage de posséder la grâce.

[1313] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, cum Deus habeat se aequaliter ad omnia, oportet quod diversitas donorum receptorum ab ipso, attendatur secundum diversitatem recipientium. Diversitas autem recipientium attenditur, secundum quod aliquid est magis aptum et paratum ad recipiendum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que, puisque Dieu est le même à l’égard de tout, il faut que la diversité des dons reçus de lui soit considérée d’après la diversité de ceux qui reçoivent. Mais la diversité de ceux qui reçoivent se prend suivant qu’un être est davantage apte et prêt à recevoir.

Sicut autem videmus in formis naturalibus, quod per dispositiones accidentales, sicut calorem et frigus et hujusmodi, materia efficitur magis vel minus disposita ad suscipiendum formam ; ita etiam in perfectionibus animae ex ipsis operibus animae anima efficitur habilior vel minus habilis ad consequendum perfectionem suam. Sed tamen differenter se habent operationes animae ad perfectiones infusas vel acquisitas. Acquisitae enim perfectiones sunt in natura ipsius animae, in potentia, non pure materiali sed etiam activa, secundum quod [qua Éd. de Parme] aliquid est in causis seminalibus.

Mais tout comme nous voyons dans les formes naturelles que la matière, par des dispositions naturelles comme la chaleur, le froid et des caractéristiques de cette sorte, est rendue plus ou moins disposée à recevoir la forme, de même encore pour les perfections de l’âme, en partant des œuvres mêmes de l’âme, l’âme est rendue plus ou moins habile à poursuive sa perfection. Cependant les opérations de l’âme se présentent différemment par rapport aux perfections infuses et à celles qui sont acquises. Les perfections acquises existent en effet en puissance dans la nature de l’âme, non pas par une puissance purement matérielle mais aussi active, selon laquelle [par laquelle Éd. de Parme] une chose existe dans sa cause comme dans une semence.

Sicut patet quod omnis scientia acquisita est in cognitione primorum principiorum, quae naturaliter nota sunt, sicut in principiis activis ex quibus concludi potest. Et similiter virtutes morales sunt in ipsa rectitudine rationis et ordine, sicut in quodam principio seminali. Unde philosophus, VII Ethic., cap. V, dicit esse quasdam virtutes naturales, quae sunt quasi semina virtutum moralium. Et ideo operationes animae se habent ad perfectiones acquisitas, non solum per modum dispositionis, sed sicut principia activa. Perfectiones autem infusae sunt in natura ipsius animae sicut in potentia materiali et nullo modo activa, cum elevent animam supra omnem suam actionem naturalem. Unde operationes animae se habent ad perfectiones infusas solum sicut dispositiones.

Par exemple il est clair que toute science acquise existe dans la connaissance des premiers principes qui sont naturellement connus comme dans les principes actifs à partir desquelles elle peut être tirée. Et de la même manière les vertus morales existent dans la rectitude même et l’ordre de la raison comme dans un principe et une semence. C’est pourquoi le Philosophe [ VII Éthiques, ch.. V] dit qu’il existe certaines vertus naturelles qui sont comme les semences des vertus morales. Et c’est pourquoi les opérations de l’âme se rapportent aux perfections acquises non seulement à la manière d’une disposition mais comme des principes actifs. Mais les perfections infuses sont dans la nature de l’âme elle-même comme dans une puissance matérielle  et en aucune manière comme dans une puissance active puisqu’elles élèvent l’âme au-dessus de  la totalité de son action naturelle. C’est pourquoi les opérations de l’âme ne se présentent que comme des dispositions face aux perfections infuses.

Dicendum est igitur, quod mensura secundum quam datur caritas, est capacitas ipsius animae, quae est ex natura simul, et dispositione quae est per conatum operum: et quia secundum eumdem conatum magis disponitur natura melior ; ideo qui habet meliora naturalia, dummodo sit par conatus, magis recipiet de perfectionibus infusis ; et qui pejora naturalia, quandoque magis recipiet, si adsit major conatus.

Il faut donc dire que la mesure selon laquelle la charité est donnée est la capacité de l’âme elle-même qui vient à la fois de la nature et de la disposition acquise par l’entreprise des œuvres : et parce que suivant les mêmes efforts la nature est davantage disposée à être meilleure, c’est pourquoi celui qui possède de meilleurs moyens naturels, pourvu que les efforts demeurent égaux, recevra davantage de perfections infuses ; et celui qui possède des ressources naturelles moindres recevra parfois davantage si des efforts plus grands sont présents.

[1314] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus recipientis non est consideranda secundum naturam tantum ; sed etiam secundum dispositionem conatus advenientem naturae: et ita etiam est in formis substantialibus respectu materiae.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la capacité de celui qui reçoit ne doit pas être considérée seulement selon la nature mais aussi selon la disposition de l’effort qui survient à la nature : et il en est encore de même dans les formes substantielles par rapport à la matière.

[1315] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 2 Unde patet solutio ad secundum.

2. À partir de là la solution à la deuxième difficulté est évidente.

[1316] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ipsa gratia est dispositio naturae ad gloriam. Unde non requiritur quod interveniat alia dispositio media [media om. Éd. de Parme] inter caritatem et gloriam: sed inter naturam et gratiam cadit conatus medius, quasi dispositio.

3. Il faut dire en troisième lieu que la grâce elle-même est une disposition de la nature à l’égard de la gloire. De là il n’est pas requis qu’intervienne une autre disposition intermédiaire [intermédiaire om. Éd. de Parme] entre la charité et la gloire : mais entre la nature et la grâce tombe l’effort intermédiaire comme à titre de disposition.

[1317] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in Angelis non est aliquid quod contendat ad motum naturae intellectualis, ex quo conatus naturae retardetur, sicut in natura hominis est natura sensitiva, quae tendit in contrarium de se ad id quo tendit [ad id…tendit om. Éd. de Parme] motus naturae intellectivae, scilicet delectabile secundum sensum, nisi cogatur et reguletur ab ipsa ; et ideo in Angelis est diversitas secundum diversitatem naturae. Haec tamen melius in 2, dist. 3, quaest. 1, art. 4, dicentur.

4. Il faut dire en quatrième lieu que chez les Anges il n’y a pas quelque chose qui tend avec effort au mouvement de la nature intellectuelle par quoi le mouvement de la nature serait retardé, comme dans la nature de l’homme il y a la nature sensible qui de soi tend à ce qui est contraire à ce vers quoi tend [à ce…tend om. Éd. de Parme] le mouvement de la nature intellectuelle, à savoir à ce qui est délectable selon le sens, à moins qu’elle ne soit contrainte et réglée par elle ; et c’est pourquoi chez les Anges il y a une diversité selon une diversité de nature. Mais nous verrons mieux cela plus loin [Livre 2, dist. 3, quest. 1, art. 4]

 

 

Articulus 4 [1318] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 tit. Utrum caritas certitudinaliter ab habente cognoscatur

Article 4 – La charité est-elle connue avec certitude par celui qui la possède ?

[1319] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod caritas certitudinaliter ab habente cognoscatur. Ita enim dicitur in Littera: Magis novit quis dilectionem qua diligit, quam fratrem quem diligit. Sed fratrem suum certitudinaliter cognoscit. Ergo multo magis caritatem qua ipsum diligit.

Difficultés :

1. Il semble que la charité soit connue avec certitude par celui qui la possède. C’est de cette manière en effet qu’on s’exprime dans le document : Quelqu’un connaît davantage l’amour par lequel il aime que le frère qu’il aime. Mais il connaît son frère avec certitude. Il connaît donc bien davantage la charité par laquelle il l’aime.

[1320] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 2 Item, philosophus dicit, II Post. lect. 20, contra Platonem, quod inconveniens est habere nos nobilissimos habitus, et nos lateant. Sed caritas est habitus nobilissimus. Ergo videtur quod ab habente certitudinaliter cognoscatur.

2. En outre, le Philosophe [11 Seconds Analytiques, lect. 20] dit à l’encontre de Platon qu’il est absurde de posséder les plus nobles habitus et qu’ils nous soient cachés. Mais la charité est le plus noble des habitus. Il semble donc qu’elle soit connue avec certitude par celui qui la possède.

[1321] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, quicumque habet fidem, scit se habere fidem. Sed fides non magis est praesens animae [animae om. Éd. de Parme], quam caritas. Ergo et qui habet caritatem, scit se habere illam.

3. Par ailleurs, quiconque possède la foi sait qu’il la possède. Mais la foi n’est pas plus présente à l’âme [âme om. Éd. de Parme] que la charité. Donc celui-là qui possède la charité sait aussi qu’il la possède.

[1322] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 4 Item, quidquid cognoscitur ab anima, cognoscitur ab ea per hoc quod praesens sibi efficitur per sui [sui om. Éd. de Parme] similitudinem. Sed magis est praesens animae quod est in ipsa essentialiter, quam quod est per sui similitudinem. Ergo cum caritas essentialiter sit in anima, videtur quod certius cognoscatur ab habente quam res exteriores quae per sui similitudinem cognoscuntur.

4. De plus, tout objet connu par l’âme est connu par elle au moyen de ce qui lui est rendu présent par une similitude de lui [de lui om. Éd. de Parme]. Mais est plus présent à l’âme l’objet qui est en elle essentiellement que ce qui est en elle par une similitude de lui. Donc, puisque la charité est présente dans l’âme essentiellement, il semble qu’elle soit connue avec plus de certitude par celui qui la possède que les choses extérieures qui sont connues par leurs similitudes.

[1323] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, caritas est quoddam lumen spirituale, ut habetur 1 Joan., 2, 10: Qui diligit fratrem, in lumine manet. Sed lux seipsa videtur. Ergo videtur quod similiter caritas ; et sic certius quam alia cognoscatur.

5. Par ailleurs, la charité est une certaine lumière intellectuelle comme le dit l’Écriture [1 Jean, 2, 10] : Qui aime son frère demeure dans la lumière. Mais la lumière elle-même est perçue. Il semble donc que la charité semblablement soit vue ; et ainsi elle est connue avec plus de certitude que les autres choses.

[1324] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, per caritatem quae est in aliquo efficitur dignus Dei amore. Sed, ut dicitur Eccle. 9, 1, Nemo scit, utrum amore an odio dignus sit. Ergo videtur quod nullus sciat se habere caritatem certitudinaliter.

Cependant :

1. Au contraire, c’est par la charité qui est en soi qu’on est rendu digne de l’amour de Dieu. Mais, comme il est dit [Ecclésiaste 9, 1] : Personne ne sait s’il est digne d’amour ou de haine. Il semble donc que nul ne sache avec certitude s’il possède la charité.

[1325] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, apostolus dicit 1 Corinth. 4, 4: Nihil mihi conscius sum, sed non in hoc justificatus sum. Cum ergo nullum majus signum possit haberi de caritate quam non habere conscientiam peccati mortalis, et hoc non sufficit ; videtur quod per nullum signum possit aliquis certitudinaliter scire se habere caritatem.

2. En outre, l’Apôtre [1 Corinth. 4, 4] dit : Ma conscience ne me reproche rien, mais je n’en suis pas justifié pour autant. Donc, puisqu’on ne peut posséder aucun signe plus grand au sujet de la charité que celui de ne pas avoir conscience d’un péché mortel et que cela ne suffit pas, il semble qu’on ne puisse savoir avec certitude au moyen d’aucun signe qu’on possède la charité.

[1326] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, secundum philosophum, II Métaph., text. 1, aliquid dicitur esse difficile ad cognoscendum dupliciter: vel secundum se, vel quo ad nos. Dicendum est igitur quod ea quae per esse suum non sunt unum in materia, quantum in se est, sunt maxime nota ; sed quo ad nos sunt difficillima ad cognoscendum ; propter quod dicit philosophus, ibidem, quod intellectus noster se habet ad manifestissima naturae, sicut oculus vespertilionis ad lucem solis. Cujus ratio est, quia cum intellectus noster potentialis sit in potentia ad omnia intelligibilia, et ante intelligere non sit in actu aliquod eorum ; ad hoc quod intelligat actu, oportet quod reducatur in actum per species acceptas a sensibus illustratas lumine intellectus agentis ; quia, sicut dicit philosophus, III De anima, text. 32, sicut se habent colores ad visum, ita se habent phantasmata ad intellectum potentialem. Unde cum naturale sit nobis procedere ex sensibus ad intelligibilia, ex effectibus in causas, ex posterioribus in priora, secundum statum viae, quia in patria alius modus erit intelligendi ; ideo est quod potentias animae et habitus non possumus cognoscere nisi per actus, et actus per objecta. In actu autem animae est plura considerare: scilicet speciem ipsius actus, quae est ab objecto, et modum et effectum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après le Philosophe [11Métaphysique, texte 1], une chose est dite difficile à connaître de deux manières : soit en elle-même, soit quant à nous. Il faut donc dire que les choses qui dans leur existence ne sont pas unies à la matière, autant qu’elles le sont en elles-mêmes, sont les plus connues ; mais quant à nous, elles sont les plus difficiles à connaître ; et c’est pour cela que le Philosophe, au même endroit, dit que  le rapport de notre intelligence à ce qui est le plus manifeste par nature  est le même que celui de l’œil de l’oiseau de nuit à la lumière du soleil. La raison en est que puisque notre intellect possible est en puissance à tous les intelligibles et qu’avant de concevoir il n’eat aucun d’eux en acte, pour concevoir ou intelliger en acte, il faut qu’il passe à l’acte d’intelliger au moyen des espèces reçues des sens et éclairées par la lumière de l’intellect agent ; car, ainsi que le dit le Philosophe [111 de L’Âme, texte 32], ce que les couleurs sont à la vue, de même les images le sont à l’intellect possible. C’est pourquoi, puisqu’il nous est naturel ici-bas de procéder du sensible à l’intelligible, des effets aux causes, de ce qui est second à ce qui est premier parce que dans la patrie céleste il y aura une autre manière d’intelliger, c’est pourquoi nous ne pourvons connaître les puissances de l’âme et leurs habitus  que par leurs actes et les actes par leurs objets. Mais dans l’acte de l’âme il y a plusieurs choses à considérer : à savoir l’espèce de l’acte lui-même, qui se tire de son objet, le mode et l’effet.

Si igitur accipiamus actum caritatis, qui est diligere Deum et proximum, ex specie actus, non discernitur utrum sit a potentia imperfecta, vel perfecta per habitum ; quia ad idem objectum ordinatur potentia et habitus, sicut scientia et intellectus possibilis. Modus autem quem ponit habitus in opere est facilitas et delectatio, unde [ut Éd. de Parme] dicit philosophus, II Ethic., c. III, quod signum habitus oportet accipere fientem in opere delectationem. Per istum autem modum non discernitur utrum sit ab habitu caritatis infuso, vel ab habitu acquisito.

Si donc nous considérons à part l’acte de charité, qui consiste à aimer Dieu et son prochain, à partir de l’espèce même de cet acte, on ne distingue pas s’il vient d’une puissance imparfaite ou d’une puissance qui est complétée par un habitus ; car c’est au même objet que sont ordonnés la puissance et l’habitus, par exemple la science et l’intellect possible. Mais le mode que présente l’habitus dans l’opération est la facilité et le plaisir et de là [de telle manière que Éd. de Parme] le Philosophe dit [11 Éthique, ch. 111] que le signe qu’il faut prendre de l’habitus est qu’il produit le plaisir dans l’opération. Mais par ce mode on ne distingue pas si l’acte de charité vient d’un habitus infus de charité ou d’un habitus acquis.

Effectus autem proprius dilectionis, secundum quod est ex caritate, est in virtute merendi. Hoc autem nullo modo cadit in cognitionem nostram nisi per revelationem. Et ideo nullus certitudinaliter potest scire se habere caritatem ; sed potest ex aliquibus signis probabilibus conjicere. Caritatem etiam increatam, quae Deus est, quamdiu vivimus, per speciem non videmus, ut dicitur 1 Corinth. 13.

Mais l’effet propre de l’amour, selon qu’il vient de la charité, réside dans la capacité de mériter. Et cela ne vient en aucune manière à notre connaissance si ce n’est par la révélation. Et c’est pourquoi personne ne peut savoir avec certitude s’il possède la charité, mais il peut le conjeturer à partir de signes probables. Comme le dit l’Apôtre [1 Corinth., ch. 13], tant que nous vivons en cette vie, nous ne pouvons voir non plus telle qu’elle est, spécifiquement, la charité incréée qui est Dieu.

Quamvis quidam aliter dicant, quod ipsam caritatem, quae Deus est, in nobis videmus, sed visio est adeo tenuis, scilicet quod nec visio potest dici, nec aliquis percipit se videre ; eo quod visio ipsius Dei quasi confunditur et admiscetur in cognitione aliorum. Sicut etiam dicunt, quod anima semper se intelligit, sed tamen non semper de se cogitat. Hoc autem quomodo intelligendum est, supra, dist. 3, qu. 1, art. 2, dictum est.

Bien que certains parlent autrement, à savoir que nous voyons en nous la charité même qui est Dieu, cette vision cependant est faible, c’est-à-dire qu’on ne peut pas même l’appeler vision et qu’on ne ne perçoit pas en train de voir du fait que la vision de Dieu se confond et se mêle à la connaissance des autres choses. Par exemple ils disent aussi que l’âme se saisit toujours elle-même mais cependant elle ne pense pas toujours à elle-même. Mais nous avons dit plus haut [dist. 3, quest. 1, art. 2] comment cela doit se comprendre.

[1327] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod auctoritates Augustini in Littera positae loquuntur de cognitione ex parte ipsius cognoscibilis, et non ex parte cognoscentis.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que les témoignages d’Augustin présentés dans le Document parlent de la connaissance prise du côté de l’objet connaissable lui-même et non du côté de celui qui connaît.

[1328] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod philosophus ibi loquitur de habitibus nobilissimis partis cognitivae. Sed istorum habituum actus perfecte exprimunt suos habitus quantum ad id quod est proprium eis ; sicut in actu scientiae est certitudo per causam, in qua expresse scientia demonstratur ; et multo plus est hoc in intellectu principiorum. Et ideo qui habet scientiam, scit se habere, quamvis non e converso: quia aliqui se credunt habere, qui non habent. Semper enim ad rectum mensuratur obliquum ; et ideo, secundum philosophum, III Ethic., c. VIII, virtuosus est mensura in operibus humanis ; quia illud est bonum, quod virtuosus appetit ; et similiter etiam est de rectitudine intellectus ; quia illud est verum quod videtur habenti rectum intellectum ; non autem quod videtur cuilibet.

2. Il faut dire en deuxième lieu parle à cet endroit des habitus les plus nobles de la partie cognitive. Mais les actes de ces habitus expriment parfaitement leurs habitus quant à ce qui leur est propre ; par exemple dans l’acte de science la certitude s’obtient au moyen de la cause dans laquelle la science est démontrée de manière explicite ; et il en est bien davantage ainsi dans l’intelligence des principes. Et c’est pourquoi celui qui possède la science sait qu’il la possède mais l’inverse n’est pas nécessairement vrai : car certains croient posséder la science mais ils ne la possèdent pas. En effet, c’est toujours par rapport à ce qui est droit que se mesure ce qui est courbé; et c’est pourquoi, d’après le Philosophe [111 Éthique, ch. 8], la mesure des actes humains est le vertueux ; car ce qui est bon, c’est ce que le vertueux désire ; et il ne est de même encore pour la rectitude de l’intelligence car est vrai ce que voit celui qui possède une intelligence droite et non pas ce que le premier venu voit.

[1329] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 3 Et per hoc patet etiam solutio ad tertium. Quia actus fidei per ipsum objectum, quod est creditum, distinguitur ab actibus aliorum habituum vel potentiae imperfectae, quae non potest per se in tale objectum ; et ideo habens fidem scit se illam habere.

3. Et au moyen de ce qui vient d’être dit la solution à la troisième difficulté est évidente. Car c’est pas son objet lui-même, qui est ce qui est cru, que l’acte de foi se distingue des actes des autres habitus ou d’une puissance imparfaite qui est incapable par elle-même d’un tel objet ; et c’est pourquoi celui qui possède la foi sait qu’il la possède.

[1330] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad hoc quod aliquid cognoscatur ab anima, non sufficit quod sit sibi praesens quocumque modo, sed in ratione objecti. Intellectui autem nostro nihil est secundum statum viae praesens ut objectum, nisi per aliquam similitudinem ipsius, vel ab ipso effectu acceptam: quia per effectus devenimus in causas. Et ideo ipsam animam et potentias ejus et habitus ejus non cognoscimus nisi per actus, qui cognoscuntur per objecta. Nisi largo modo velimus loqui de cognitione, ut Augustinus loquitur, secundum quod intelligere nihil aliud est quam praesentialiter intellectui quocumque modo adesse.

4. Il faut dire en quatrième lieu que pour qu’une chose soit connue par l’âme, il ne suffit pas qu’elle lui soit présente de n’importe quelle manière, mais seulement en tant qu’objet de connaissance. Mais en cette vie, aucun être n’est présent à notre intelligence en tant qu’objet si ce n’est n’est au moyen d’une similitude de cet être, ou reçue de son effet : car c’est au moyen des effets que nous parvenons aux causes. Et c’est pourquoi nous ne connaissons l’âme elle-même, ses puissances et ses habitus que par leurs actes qui ne sont eux-mêmes connus que par leurs objets. À moins que nous voulions parler de la connaissance au sens large comme le fait Augustin, au sens où comprendre ou intelliger n’est rien d’autre que ce qui est présent maintenant d’une manière ou d’une autre à l’intelligence.

[1331] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod per hoc quod caritas creata vel increata est lux, ostenditur quod in se cognoscibilis sit, sed non cognoscitur, ab intellectu nostro in se nisi per effectum suum, ratione jam dicta, in corp. art.

5. Il faut dire en cinquième lieu que du fait que la charité créée ou incréée est une lumière, on montre qu’elle est connaissable en elle-même mais non pas qu’elle est connue en elle-même par notre intelligence, si ce n’est par son effet pour la raison que nous avons déjà dite dans le corps de l’article.

 

 

Articulus 5 [1332] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 tit. Utrum caritas sit ex caritate diligenda

 Article 5 – La charité doit-elle être aimée par charité ?

[1333] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod caritas non sit ex caritate diligenda. Quatuor enim tantum sunt diligenda ex caritate, ut in 3, dist. 27, qu. unica, art. 5, dicetur: scilicet, Deus, proximus, anima, corpus. Sed caritas nullum horum est. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. Il semble que la charité ne doive pas être aimée par charité. Il n’y a en effet que quatre choses qui doivent être aimées par charité comme nous le dirons plus loin [Livre 3, dist. 27, quest. unique, art. 5] : à savoir Dieu, le prochain, l’âme et le corps. Mais la charité n’est aucune de ces réalités. Elle ne doit donc pas être aimée par charité.

[1334] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 2 Item, nulla res denominat seipsam, quia albedo non dicitur alba. Sed dilectum denominatur a dilectione. Ergo dilectio non diligitur, nec caritas caritate amatur.

2. De plus, aucune chose ne se voit attribuer à elle-même son propre nom, car on ne dit pas de la blancheur qu’elle est blanche. Mais ce qui est aimé est dénommé à partir de l’amour. Donc l’amour n’est pas aimé et la charité n’est pas aimée par charité.

[1335] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, sicut se habet sensus ad sentire, ita se habet affectus ad diligere. Sed sensus proprius non sentit se sentire. Ergo nec affectus diligit suam dilectionem. Caritas autem est in affectu. Ergo caritas ex caritate non diligitur.

3. Par ailleurs, l’affectivité est à l’acte d’aimer ce que le sens est à l’acte de sensation. Mais le sens propre ne sent pas qu’il sent. Donc l’affectivité n’aime pas son amour. Mais la charité est dans l’affectivité. Donc la charité n’est pas aimée par charité.

[1336] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, omne quod diligitur, aliqua dilectione diligitur. Si igitur actus caritatis amatur, oportet quod aliquo alio actu ametur, et ille eadem ratione erit diligendus. Ergo hoc modo ducitur in infinitum, quod non est ponendum. Ergo videtur quod caritas non sit ex caritate diligenda.

4. En outre, tout ce qui est aimé est aimé d’un certain amour. Si donc l’acte de charité est aimé, il faut qu’il soit aimé d’un autre acte et ce dernier pour la même raison devra être aimé d’un autre acte. Et de cette manière on sera conduit à procéder à l’infini, ce qui est impossible. Il semble donc que la charité ne doive pas être aimée par charité.

[1337] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra est quod habetur in Littera ex verbis Augustini: Qui proximum diligit, consequens est ut ipsam praecipue dilectionem diligat. Sed proximus diligendus est ex caritate. Ergo et caritas.

Cependant :

1. C’est le contraire qui est établi dans le document à partir des paroles d’Augustin : Qui aime son prochain, c’est principalement l’amour même qu’il aime. Mais le prochain doit être aimé par charité. Il en est donc de même pour la charité.

[1338] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 s. c. 2 Item, proximus non est diligendus ex caritate, nisi inquantum habet imaginem Dei. Sed expressius repraesentat Deum caritas, quam imago naturalis quae est in anima. Ergo videtur quod ipsa sit magis ex caritate diligenda.

2. En outre, le prochain ne doit être aimé par charité que pour autant qu’il possède l’image de Dieu. Mais la charité représente plus clairement Dieu que l’image naturelle qui est dans l’âme. Il semble donc que la charité elle-même doive davantage être aimée par charité.

[1339] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod aliquid est diligibile dupliciter: vel sicut ratio dilectionis, vel sicut objectum, sicut etiam color videtur ut objectum, et lumen ut ratio per quam color est visibilis in actu. Sicut autem eodem actu videtur color et lux, ita etiam eodem actu diligitur quod amatur ut objectum et ut ratio objecti. Sciendum est igitur quod caritas potest tripliciter sumi ; vel pro caritate increata, quae Spiritus sanctus est ; vel pro caritate habituali ; vel pro actu caritatis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’un être peut être aimé de deux manières : soit comme la raison de l’amour, soit comme l’objet de l’amour, tout comme aussi la couleur est vue comme objet, et la lumière comme la raison par laquelle la couleur est visible en acte. Mais tout comme c’est par le même acte que la couleur et la lumière sont vues, de même aussi c’est par le même acte qu’est aimé ce qui est aimé comme objet et ce qui est aimé en tant que raison de l’objet. Il faut donc savoir que la charité peut se prendre de trois manières ; soit en tant que charité incréée qui est l’Esprit-Saint ; soit en tant que charité habituelle ; soit en tant qu’acte de charité.

Quodlibet autem istorum est ratio diligendi, et potest esse objectum dilectionis ; sicut proximum diligimus inquantum in ipso Deus inhabitat, et habitum caritatis habet, et actum exercet ; et sic diliguntur ut ratio diligibilis. Si autem considerentur in se, sic adhuc diliguntur ut objectum dilectionis. Sic autem non diligitur caritatis habitus vel actus dilectione amicitiae vel benevolentiae quae inanimatorum esse non potest, ut philosophus, VIII Ethic., cap. 1, dicit, sed dilectione cujusdam complacentiae, secundum quod diligere dicimur illud quod approbamus, et quod esse volumus.

Et chacune de ces charités est une raison d’aimer et peut aussi être objet d’amour ; tout comme nous aimons le prochain en tant que Dieu habite en lui, qu’il possède l’habitus de la charité et qu’il exerce l’acte de charité ; et dans ces cas il y a amour en tant que raison de ce qui est aimable. Mais si on les considère en eux-mêmes, alors en outre ils sont aimées en tant qu’objets d’amour. Mais alors l’habitus et l’acte de charité ne peut être aimé d’une amour d’amitié ou de bienveillance qui ne peut avoir lieu pour les objets inanimés, comme le dit le Philosophe [ VIII Éthiques, ch. 1], mais seulement d’un amour de complaisance, selon que nous disons aimer ce que nous approuvons ou ce que nous voulons être.

[1340] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas est quodammodo medium inter Deum et proximum: quia est similitudo Dei, et etiam est ratio diligendi ipsum proximum ; et ideo consequitur ad dilectionem utriusque.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la charité est d’une certaine manière un intermédiaire entre Dieu et le prochain car elle est une similitude de Dieu et aussi la raison d’aimer le prochain ; et c’est pourquoi elle atteint à l’amour des deux.

[1341] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod denominatio proprie est secundum habitudinem accidentis ad subjectum: sic autem dilectum non denominatur a dilectione, sed magis sicut objectum ; et ideo ratio non procedit.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la dénomination a proprement lieu d’après le rapport de l’accident au sujet : mais de cette manière ce qui est aimé n’est pas dénommé à partir de l’amour, mais plutôt comme un objet ; et c’est pourquoi cet argument ne nous fait pas avancer.

[1342] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in potentiis materialibus hoc contingit quod potentia non reflectitur super suum actum, propter hoc quod determinata est secundum complexionem [compilationem Éd. de Parme] organi. Visus enim particularis non potest cognoscere nisi illud cujus species spiritualiter in pupilla potest recipi ; et ideo visus non potest comprehendere suum actum. Si autem hoc esset necessarium in omnibus, quod actus cujuslibet potentiae non cognosceretur a propria potentia, sed a superiore, tunc oporteret quod vel in potentiis animae iretur in infinitum, vel remaneret aliquis actus animae imperceptibilis.

3. Il faut dire en troisième lieu que dans les puissancs matérielles il est possible que la puissance ne revienne pas sur son acte pour cette raison qu’elle est déterminée suivant la complexion [dépouillement Éd. de Parme] de l’organe. Une vision particulière en effet ne peut connaître que ce dont l’espèce peut être reçue immatériellement dans la pupille ; et c’est pourquoi la vue ne peut comprendre son propre acte. Mais s’il était nécessaire qu’il en soit ainsi pour toutes les puissances, à savoir que l’acte de n’importe quelle puissance ne soit pas connu par la puissance qui lui est propre mais par une puissance supérieure, alors il faudrait soit qu’on procède à l’infini dans les puissances de l’âme, soit qu’un acte de l’âme demeure inintelligible.

Et ideo dicendum, quod potentiae immateriales reflectuntur super sua objecta ; quia intellectus intelligit se intelligere, et similiter voluntas vult se velle et diligere. Cujus ratio est, quia actus potentiae immaterialis non excluditur a ratione objecti. Objectum enim voluntatis est bonum ; et sub hac ratione diligit voluntas omne quod diligit ; et ideo potest diligere actum suum inquantum est bonus ; et similiter est ex parte intellectus ; et propter hoc Lib. De Caus., prop. 15, dicitur quod cujuscumque actio redit in essentiam agentis per quamdam reflexionem, oportet essentiam ejus ad seipsam redire, idest in se subsistentem esse, non super aliud delatam, idest non dependentem a materia.

Et c’est pourquoi il faut dire que les puissances immatérielles font un retour sur leurs objets ; car l’intelligence comprend qu’elle comprend et la volonté veut vouloir et aimer. La raison en est que l’acte d’une puissance immatérielle n’est pas écarté de la notion d’objet. L’objet de la volonté en effet est le bien et c’est sous cette raison que la volonté aime tout ce qu’elle aime ; et c’est pourquoi elle peut aimer son acte dans la mesure où il est bon ; et il en est de même du côté de l’intelligence ; et c’est pour cette raison qu’on dit [Livre des Causes, prop. 15] que l’action de quiconque qui aboutit à l’essence de l’agent par un certain retour en arrière, il faut que son essence se ramène à elle-même, c’est-à-dire qu’elle soit subsistante en elle-même sans être portée par quelque chose d’autre, c’est-à-dire sans dépendre de la matière.

[1343] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus dilectionis, secundum quod tendit in alterum, constat quod differt numero ab actu dilectionis qui in alio diligitur, sive diligatur ut objectum, sive ut ratio diligendi. Sed quia etiam animam suam potest aliquis ex caritate diligere, potest etiam ex caritate actum suae caritatis diligere. Et tunc distinguendum est.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’acte d’amour, selon qu’il tend vers un autre, il est clair qu’il diffère numériquement de l’acte d’amour qui est aimé dans un autre, qu’il soit aimé comme objet ou comme raison d’aimer. Mais parce que quelqu’un peut aimer par charité même son âme, il peut aussi par charité aimer l’acte de sa charité. Et alors il faut distinguer.

Quia vel dilectio fertur in actum dilectionis proprium, sicut in rationem dilectionis tantum ; et sic constat quod eodem actu numero diligitur diligens et actus ejus ; et sic idem actus diligitur per actum qui est ipse. Vel diligitur ut objectum dilectionis, et sic est alius actus dilectionis numero qui diligitur et quo diligitur ; sicut patet planius in actu intellectus. Cum enim actus distinguantur per objecta, oportet dicere diversos actus qui terminantur ad objecta diversa. Unde sicut sunt diversi actus quibus intellectus intelligit equum et hominem, ita sunt diversi actus in numero, quo intelligit equum et quo intelligit actum illius sub ratione actus. Nec est inconveniens quod in actibus animae eatur in infinitum in potentia, dummodo actus non sint infiniti in actu. Unde etiam Avicenna concedit non esse impossibile quin relationes consequentes actum animae, multiplicentur in infinitum.

Car ou bien l’amour se porte vers l’acte propre de l’amour comme vers la raison de l’amour seulement et ainsi il est clair que c’est par le même acte numériquement parlant que sont aimés celui qui aime et son acte ; et ainsi c’est le même acte qui est aimé par l’acte qui est lui-même. Ou bien il est aimé comme objet d’amour et ainsi ce qui est aimé et ce par quoi il est aimé  sont des actes différents d’amour numériquement parlant, tout comme on le voit plus clairement dans l’acte de l’intelligence. En effet, puisque les actes se distinguent par leurs objets, il faut dire que les actes qui se terminent à des objets différents sont eux-mêmes différents. C’est pourquoi tout comme sont différents les actes par lesquels l’intelligence conçoit le cheval et l’homme, de même l’acte par lequel l’intelligence conçoit le cheval et celui par lequel elle conçoit cet acte sous la raison d’acte sont des actes différents numériquement parlant. Et il n’y a pas de problème à aller à l’infini en puissance dans les actes de l’âme, pourvu que les actes ne soient pas infinis en acte. C’est pourquoi même Avicenne [111 Métaphysique, ch. X] concède qu’il n’est pas impossible que les relations découlant de l’acte de l’âme se multiplient à l’infini.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [La croissance de la charité]

 

 

Prooemium

Prologue

Ad intelligentiam hujus partis quinque quaeruntur:

1 utrum caritas augeatur ;

2 de modo augmenti ;

3 utrum quolibet actu augeatur ;

4 utrum sit aliquis terminus augmenti ;

5 utrum diminuatur.

Pour comprendre cette partie on s’interroge sur cinq points :

1. Est-ce que la charité peut s’accroître ?

2. De quelle manière ?

3. Est-ce qu’elle s’accroît par n’importe quel acte ?

4. Est-ce que cet accroissement se limite à un terme ?

5. Est-ce que la charité peut diminuer ?

 

 

Articulus 1 [1346] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 tit. Utrum caritas augeatur

Article 1 – La charité s’accroît-elle ?

[1347] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod caritas non augeatur. Nihil enim augetur nisi quantum. Sed nullum simplex est quantum, quia omne quantum est divisibile. Caritas autem est simplex habitus, et ita non est quantum per se, nec similiter per accidens, cum ejus subjectum, scilicet anima, sit etiam indivisibile. Ergo non augetur.

Difficultés :

1. Il semble que la charité ne puisse croître. Rien en effet n’est le sujet d’une croissance si ce n’est ce qui possède une quantité. Mais rien de simple ne possède une quantité car toute quantité est divisible. Mais la charité est un habitus qui est simple et ainsi elle n’est une quantité ni par soi ni par accident puisque son sujet, à savoir l’âme, est elle aussi indivisible. Elle ne peut donc croître.

[1348] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 2 Si dicis, quod quanta est, non quantitate molis, sed virtutis, contra: quantitas virtutis dividitur secundum objecta in quae virtus potest. Sed in omnia objecta caritatis potest quaelibet caritas, quantumcumque parva. Ergo non augetur secundum quantitatem virtutis.

2. Si tu dis qu’elle est une quantité non pas par la quantité d’une masse matérielle mais d’une puissance, il faut dire cependant que la quantité d’une puissance de divise d’après les objets dans lesquels la puissance peut se diviser. Mais toute charité, si petite qu’elle soit, peut se diviser dans tous les objets de charité. La charité ne peut donc croître selon la quantité d’une puissance.

[1349] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, cum augmentum sit species motus, quidquid augetur movetur, et quod essentialiter augetur essentialiter movetur. Sed quod movetur est corpus, ut probat philosophus, VI Physic. : text. 32 ; et quod naturaliter movetur corrumpitur. Cum igitur caritas non corrumpatur, quia caritas nunquam excidit, 1 Corinth. 13, 8, nec sit corpus mobile ; videtur quod non essentialiter augeatur.

3. En outre, puisque la croisssance est une espèce de mouvement, tout ce qui croît se meut, et tout ce qui croît essentiellement se meut essentiellement. Mais ce qui se meut est un corps ainsi que le prouve le Philosophe [ VI Physiques, texte 32] ; et ce qui se meut par nature se corrompt. Donc, puisque la charité ne peut se corrompre, car la charité ne meurt jamais [1 Corinth. 13, 8], elle n’est pas non plus un corps en mouvement ; il semble donc qu’elle ne puisse croître essentiellement.

[1350] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, cujus causa semper se habet eodem modo, illud neque augetur neque minuitur, nec aliquo modo variatur. Sed causa immediata caritatis Deus est, qui semper eodem modo se habet. Ergo caritas non variatur per augmentum.

4. De plus, ce dont la cause est toujours la même n’est sujet ni à croissance, ni à diminution, ni à aucune sorte de changement. Mais la cause immédiate de la charité est Dieu qui est toujours le même. Donc la charité ne peut changer par augmentation.

[1351] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, constat quod augmentum qualitatis non potest reduci ad aliquam speciem motus, nisi ad alterationem. Sed alteratio, ut probat philosophus VII Physic., text. 20, non est nisi circa partem animae sensitivam, et circa objecta ejus. Cum ergo caritas qualitas sit et sit in parte intellectiva, alioquin non esset in Angelis, qui sensitiva carent, videtur quod non augeatur.

5. Par ailleurs, il est clair que l’augmentation d’une qualité ne peut se ramener à une espèce de mouvement que selon l’altération. Mais l’altération, comme le prouve le Philosophe [ VII Physiques, texte 20], ne se rapporte qu’à la partie sensitive de l’âme et à ses objets. Donc, puisque la charité est une qualité et qu’elle est dans la partie intellective de l’âme, autrement on ne la retrouverait pas chez les Anges qui sont privés de la partie sensitive, il semble que la charité ne soit pas le sujet d’une croissance.

[1352] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, Augustinus, Tract. V Super I Epist. Joan., § 4, dicit: Caritas cum fuerit nata, nutritur ; cum fuerit roborata, perficitur. Omne autem in quo progressus secundum diversos gradus attenditur, augetur. Ergo et cetera.

Cependant :

1. Au contraire, Augustin [Traité V, Sur la Première Lettre de Jean, & 4] dit : Lorsque la charité sera née, elle se nourrira ; lorsqu’elle aura été fortifiée, elle se perfectionnera. Mais toute chose dans laquelle on remarque un processus qui s’échelonne suivant différents degrés est sujette à croissance. Il en est donc ainsi pour la charité.

[1353] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, per actum devenimus in cognitionem habitus. Sed contingit actum caritatis intensiorem fieri. Ergo etiam et caritas augeri potest.

2. Par ailleurs, c’est au moyen de l’acte que nous parvenons à la connaissance de l’habitus. Mais il arrive que se produise une augmentation de l’acte de charité. L’habitus de la charité peut donc augmenter lui aussi.

[1354] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam posuerunt caritatem essentialiter non augeri, et horum fuit quadruplex opinio.

Quidam enim dixerunt, ut Magister in littera, quod caritas secundum se non augetur, sed dicitur augeri in nobis, inquantum nos in caritate proficimus ; et hoc quia ponit caritatem esse Spiritum sanctum, in quem variatio non cadit. Sed hoc non potest stare: quia non est intelligibile, quod nos in caritate, quae Spiritus sanctus est, proficiamus, nisi aliquid fiat in nobis quod prius non fuit ; et hoc non potest esse tantum actus, cum omnis actus sit ex virtute aliqua, et actus perfectus, quali Spiritu sancto unimur, est a virtute perfecta per habitum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que certains ont affirmé que la charité, essentiellement, ne peut croître et parmi eux il y a eu quatre opinions.

Certains en effet ont dit, comme le Maître dans ce document, que la charité en elle-même ne croît pas, mais on dit qu’elle croît en nous dans la mesure où nous progressons dans la charité ; et cette opinion découle de ce qu’il pose que la charité est l’Esprit-Saint lui-même dans lequel il ne peut se rencontrer aucun changement. Mais cette position ne peut tenir : car on ne peut comprendre que nous progressions dans la charité qui est l’Esprit-Saint que s’il se produit quelque chose en nous qui n’y était pas avant ; et cela ne peut être seulement un acte puisque tout acte vient d’une certaine puissance, et que tout acte parfait par lequel nous sommes unis à l’Esprit-Saint, vient d’une puissance qui est achevée par un habitus.

Alii dixerunt, quod caritas essentialiter non augetur, sed dicitur augeri, inquantum magis firmatur in subjecto, secundum ipsam radicationem. Sed ex hoc etiam sequitur ipsam augeri essentialiter. Nulla enim forma potest intelligi magis firmari in subjecto, nisi per hoc quod habet majorem victoriam super subjectum suum. Augmentum autem victoriae redundat in augmentum virtutis, et per consequens in augmentum essentiae: quia virtus, si non est ipsa essentia, oportet quod sit ab essentia, et commensuretur sibi sicut effectus causae proximae.

D’autres disent que la charité ne croît pas essentiellement, mais on dit qu’elle croît selon qu’elle est davantage fixée, selon son enracinement même, dans un sujet. Mais il découle encore de cette position que la charité croît essentiellement. En effet, on ne peut comprendre qu’une forme se fixe davantage dans un sujet que du fait qu’elle obtient une plus grande supériorité sur son sujet. Mais l’augmentation de la supériorité retombe sur l’augmentation de la puissance et par conséquent sur l’augmentation de l’essence : car la puissance, si elle n’est pas l’essence même, il faut qu’elle vienne de l’essence et qu’elle lui soit proportionnée, comme l’effet est proportionné à sa cause prochaine.

Alii dixerunt, quod caritas essentialiter non augetur, sed adveniente majori caritate, minor caritas, quae inerat, destruitur. Hoc etiam non potest stare: quia nulla forma destruitur, nisi vel ex contrario agente, vel per accidens ex corruptione subjecti. Cum igitur subjectum caritatis maneat, et caritas adveniens caritati inventae non contrarietur ; non potest esse quod destruatur nec per se nec per accidens, sicut ignis parvus a magno igne propter consumptionem materiae.

D’autres disent que la charité ne croît pas essentiellement, mais qu’une fois survenue une plus grande charité, la plus petite charité qui était présente disparaît. Mais cela non plus ne peut tenir : car aucune forme n’est détruite, si ce n’est par un agent contraire ou par accident suite à la corruption du sujet. Donc, puisque le sujet de la charité demeure et que la charité qui survient n’est pas contraire à la charité déjà obtenue, il est impossible que la charité soit détruite soit essentiellement soit par accident, comme un petit feu est détruit par un grand feu à cause de la corruption de la matière.

Alii dixerunt, quod caritas non augetur nisi quantum ad fervorem. Sed hoc etiam non potest stare: quia fervor caritatis dupliciter accipitur: proprie et metaphorice. Metaphorice, secundum quod dicimus caritatem esse calorem, et intensionem actus caritatis metaphorice dicimus fervorem, secundum quod Dionysius, VII De cael. hier., col. 206, ponit fervidum in amore Angelorum. Sic autem fervor acceptus, est per se consequens essentiam caritatis ; unde non potest in tali fervore fieri augmentum, nisi ipsa caritas essentialiter augeatur ; cum simul varietur res et omnia quae per se consequuntur ipsam.

D’autres disent que la charité ne croît que quant à la ferveur. Mais cela non plus ne peut tenir car la ferveur de la charité se prend de deux manières : soit proprement, soit d’une manière métaphorique. Elle se prend d’une manière métaphorique selon que nous disons que la charité est de la chaleur et que nous appelons métaphoriquement  ferveur l’augmentation de l’acte de charité, conformément à ce que Denys dit [ VII De la Hiérarchie Céleste, col. 206] lorsqu’il affirme qu’il y a de la ferveur dans l’amour des Anges. Mais prise en ce sens, la ferveur découle essentiellement de l’essence de la charité ; c’est pourquoi il ne peut y avoir croissance dans une telle ferveur que si la charité elle-même croît essentiellement, puisque la chose et tout ce qui découle de la chose changent simultanément.

Alio modo dicitur fervor prout est in parte sensitiva ; cum enim vires inferiores sequantur motum superiorum, si sit intensior, sicut videmus quod ad apprehensionem mulieris dilectae totum corpus exardescit et movetur ; ita etiam quando affectus superior movetur in Deum, consequitur quaedam impressio etiam in virtutibus sensitivis, secundum quam incitantur ad obediendum divino amori. Intensio autem istius fervoris non sufficit ad augmentum caritatis: quia secundum augmentum istius fervoris non attenditur quantitas meriti, cum consistat in dispositione corporis. Unde magis ferventes non semper magis merentur. Sed ille qui dicitur crescere in charitate, crescit etiam in merito, si sit in statu merendi.

En un autre sens on appelle ferveur ce qui existe dans la partie sensitive ; en effet, puisque les puissances inférieures suivent le mouvement des puissances supérieures s’il s’y manifeste une plus grande intensité, comme nous voyons qu’à l’appréhension de la femme aimée tout le corps s’enflamme et s’émeut, de même encore quand l’affectivité supérieure se meut vers Dieu, il s’ensuit une impression même dans les parties sensitives d’après laquelle elles sont portées à obéir à l’amour divin. Mais l’intensité de cette ferveur ne suffit pas à l’augmentation de la charité : car ce n’est pas d’après l’augementation de cette ferveur que se considère la quantité du mérite, puisqu’elle consiste dans une disposition du corps. C’est pourquoi les plus fervents ne sont pas toujours ceux qui méritent le plus. Mais celui dont on dit qu’il croît dans la charité, il faut aussi qu’il croisse dans le mérite s’il est dans l’état de mériter.

Et ideo dicendum, quod charitas essentialiter augetur. Sciendum tamen est, quod augeri nihil aliud est quam sumere majorem quantitatem ; unde secundum quod aliquid se habet ad quantitatem ; ita se habet ad augmentum. Quantitas autem dicitur dupliciter ; quaedam virtualis, quaedam dimensiva. Virtualis quantitas non est ex genere suo quantitas, quia non dividitur divisione essentiae suae ; sed magnitudo ejus attenditur ad aliquid divisibile extra, vel multiplicabile, quod est objectum vel actus virtutis. Sed ex genere suo est vel forma accidentalis in genere qualitatis, vel forma substantialis, quae tamen non est major vel minor. Et ideo augmentum secundum quantitatem virtutis non pertinet ad speciem motus quae augmentum dicitur, sed magis ad alterationem ; et hoc modo augetur caritas et aliae qualitates.

Et c’est pourquoi il faut dire que la charité croît essentiellement. Il faut cependant savoir que croître n’est rien d’autre que prendre une plus grande quantité ; c’est pourquoi un être se rapporte à la croissance de la même manière qu’il se rapporte à la quantité. Mais la quantité se dit de deux manières : soit quant à la puissance, soit quant à la dimension. La quantité potentielle n’est pas une quantité de par son genre lui-même car elle ne se divise pas par la division de son essence mais son étendue se considère par rapport à quelque chose qui est divisible extérieurement, ou qui est multipliable, à savoir l’objet ou l’acte de la puissance. La quantité potentielle est donc, de par son genre, ou bien une forme accidentelle dans le genre de la qualité, ou bien une forme substantielle qui cependant ne peut être plus grande ou plus petite. Et c’est pourquoi la croissance selon la quantité de la puissance n’appartient pas à cette espèce de mouvement qu’on appelle la croissance, mais plutôt à l’altération ; et c’est en ce sens que la charité et les autres qualités croissent.

Quantitas autem dimensiva est quorumdam per accidens, sicut albedinis, quae dicitur quanta secundum quantitatem superficiei, ut in Praedicamentis « De quant. », dicitur. Unde non augetur nisi per accidens ; sed per se invenitur in corporibus quae per se augentur. Hoc autem contingit dupliciter. Quia aliquando illud quod sumit majorem quantitatem, movetur de quantitate minori in majorem. Aliquando autem est sine motu ipsius quod augeri dicitur ; unde non quaelibet pars augetur, sicut quaelibet pars moti per se movetur.

Mais la quantité dimentionnelle appartient à certaines choses d’une manière accidentelle, comme à la blancheur qui est dite grande d’après la quantité de la surface, ainsi qu’on le dit dans le Traité des Prédicaments au chapître intitulé ¨De la Quantité¨.  C’et pourquoi la couleur ne croît que par accident, mais elle se retrouve par elle-même dans les corps qui croissent essentiellement. Mais cela est possible de deux manières. Car parfois ce qui prend une quantité plus grande se meut d’une quantité plus petite à une quantité plus grande. Mais parfois la quantité plus grande est acquise sans mouvement de la part de celui dont on dit qu’il croît ; c’est pourquoi ce n’est pas toute partie qui croît, comme toute partie de ce qui se meut se meut essentiellement.

Et hoc contingit quando efficitur major quantitas per additionem quantitatis, sicut quando additur lignum ligno, vel linea lineae. Unde hoc est augmentum, sed non motus augmenti. Quod autem moveatur aliquid ad majorem quantitatem, contingit dupliciter: vel ita quod quantitas sit per se terminus motus ; vel quod consequatur terminum.

Et cela se produit quand une quantité plus grande est réalisée par l’addition d’une quantité, comme lorsqu’on ajoute du bois à du bois, une ligne à une autre ligne. C’est pourquoi cela est une croissance mais non un mouvement de croissance. Mais qu’une chose se meuve vers une plus grande quantité, cela est possible de deux manières : soit de telle manière que la quantité soit par elle-même le terme du mouvement, soit qu’elle suive le terme.

 Quando per se quantitas est terminus motus, oportet quod sit ibi additio ad totum, et quod ad quamlibet partem, ut totum augeatur et quaelibet pars ejus ; sicut est in animali et in planta ; et tunc proprie est motus augmenti. Unde motus augmenti non est nisi in habentibus nutritivam. Consequitur autem quantitas [quantitatis om. Éd. de Parme] terminum motus, quando est ad formam aliquam quam consequitur aliqua quantitas. Cuilibet enim formae debetur quantitas determinata: et quia motus non specificatur nisi ab eo quod est per se terminus motus, ideo talis motus non dicitur per se motus augmenti ; sed vel generatio si sit forma substantialis, sicut quando ex aere fit ignis ; vel alteratio, quando est forma accidentalis, sicut in rarefactione aeris patet.

Quand la quantité est par elle-même le terme du mouvement, il faut qu’il y ait là une addition par rapport au tout et par rapport à chacune des parties pour que le tout croisse et que chacune de ses parties croisse ; et c’est là ce qu’on observe chez l’animal et la plante ; et c’est alors qu’on parle proprement de mouvement de croissance. Et c’est pourquoi le mouvement de croissance ne se retrouve que chez ceux qui possèdent la capacité de se nourrir. Mais la quantité [quantité om. Éd. de Parme] suit le terme du mouvement quand une quantité est en vue d’une certaine forme qu’elle poursuit. À toute forme en effet est due une quantité déterminée : et parce qu’un mouvement n’est spécifié que par ce qui est par soi le terme du mouvement, c’est pourquoi un tel mouvement n’est pas appelé par soi un mouvement de croissance ; mais il s’agit là d’une génération si la forme est substantielle, comme lorsque le feu est obtenu à partir de l’air, ou d’une altération si la forme est accidentelle comme on le voit dans la raréfaction de l’air.

[1355] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod caritas, quamvis non habeat quantitatem dimensivam neque per se neque per accidens, quia subjectum etiam ejus non est quantum ; tamen in ea quantitas virtutis est, ratione cujus augeri dicitur, sicut et albedo et calor.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la charité, bien qu’elle ne possède une quantité dimentionnelle ni essentiellement ni accidentellement parce que son sujet n’est pas lui non plus une quantité, cependant il y a en elle, comme dans la blancheur et la chaleur, la quantité d’une puissance en raison de laquelle on peut dire qu’elle croît.

[1356] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas virtutis attenditur dupliciter: vel quantum ad numerum objectorum, et hoc est per modum quantitatis discretae ; vel quantum ad intensionem actus super idem objectum ; et hoc est sicut quantitas continua ; et ita excrescit virtus caritatis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la quantité de la puissance se prend de deux manières : soit quant au nombre des objets, et cela à la manière d’une quantité discrète ; soit quant à l’intensité de l’acte sur le même objet, et cela à la manière d’une quantité continue ; et c’est ainsi que se développe ou s’accroît la vertu de charité.

[1357] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod caritas non dicitur augeri quasi subjectum augmenti, cum sit accidens, sed quia secundum ipsam attenditur augmentum ; sicut etiam quantitas augeri dicitur, et albedo variari quando aliquid per albedinem variatur. Nec oportet quod si essentialiter augetur, quod destruatur. Dicitur enim aliquid secundum essentiam suam moveri dupliciter: vel quia essentia est per se terminus motus, et sic moveri per essentiam est essentiam amittere et corrumpi ; vel quia est motus [motus om. Éd. de Parme] secundum aliquid conjunctum essentiae, quod est per se terminus motus, sicut dicitur aliquid moveri essentialiter dum secundum locum movetur, quia secundum suam essentiam in loco est.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’on ne dit pas que la charité croît à titre de sujet de la croissance puisqu’elle est un accident, mais parce que c’est par rapport à elle qu’on considère la croissance, tout comme on dit aussi que la quantité augmente que la blancheur varie quand quelque chose varie par la blancheur. Et il n’est pas nécessaire qu’elle soit détruite si elle augmente essentiellement. C’est de deux manières en effet qu’on dit d’une chose qu’elle se meut suivant son essence : soit parce que son essence est essentiellement le terme du mouvement, et ainsi se mouvoir par essence c’est perdre l’essence et se corrompre ; soit parce qu’elle est en mouvement [mouvement om. Éd. de Parme] d’après quelque chose qui est uni  à l’essence et qui est par soi le terme du mouvement, tout comme on dit qu’une chose se meut essentiellement alors qu’elle se meut selon le lieu, car c’est d’après son essence qu’elle est dans un lieu.

Et sic essentiale augmentum dicitur quod est secundum quantitatem essentiam consequentem, manente una et eadem essentia sub diversa quantitate ; sive quantitas sit ipsa essentia rei, sicut quantitas virtutis est idem cum ipsa virtute, et tamen movetur per se loquendo secundum quantitatem, secundum majorem et minorem perfectionem virtutis ; nec tunc per se secundum essentiam movetur, quia esse suum retinet: sive sit aliud ab essentia, sicut patet in augmento corporali. Nec oportet quod omne quod movetur, sit corpus, nisi accipiatur de motu naturali, qualis non est motus animae.

Et ainsi la croissance se dit essentiellement de ce qui suit l’essence selon la quantité, l’essence demeurant la seule et unique essence sous des quantités différentes ; que la quantité soit l’essence même de la chose, comme la quantité de la puissance est identique à la puissance elle-même, et cependant à parler essentiellement elle se meut d’après la quantité d’après une plus grande et une plus petite perfection de la puissance ; et cependant alors elle ne se meut pas essentiellement d’après l’essence car elle conserve son existence. Soit encore la quantité est autre que l’essence, comme on le voit dans la croissance corporelle. Et il n’est pas nécessaire que tout ce qui se meut soit un corps, à moins qu’on ne parle du mouvement naturel, lequel n’est pas le mouvement de l’âme.

[1358] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis causa efficiens caritatis sit in se immobilis ; tamen secundum ordinem sapientiae suae, potest alicui majorem caritatem praebere pro beneplacito suae voluntatis, et secundum quod aliquis diversimode se ad caritatem praeparat, qui etiam se habet aliquo modo ad caritatem ut causa materialis recipiens ad cujus diversitatem etiam sequitur variatio in effectu.

4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que la cause efficiente de la charité soit en elle-même immobile, cependant, suivant l’ordonnance de sa sagesse, elle peut fournir à un tel une plus grande charité pour le bon plaisir de sa volonté et conformément à une préparation différente de chacun à l’égard de la charité, chacun se rapportant encore d’une certaine manière à la charité comme la cause matérielle qui reçoit et c’est de la diversité de cette cause matérielle que découle encore une variation dans l’effet.

[1359] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, cum alteratio passiva includat in intellectu suo passionem, sicut duplex est passio, ita et duplex est alteratio. Dicitur enim communiter passio uno modo omnis receptio, secundum etiam quod intelligere pati dicitur, et sic etiam alteratio secundum istam passionem consistit in qualibet variatione circa receptionem alicujus qualitatis ; et hoc modo potest esse alteratio etiam in substantiis pure intellectualibus, et sic alteratio potest esse in caritate. Alio modo dicitur proprie passio, quando abjicitur aliquid a substantia, et hoc est ex actione contrarii transmutantis ; et secundum istam passionem alteratio dicta non est nisi circa sensibilia et circa sensibilem partem animae per se, et circa intellectum per accidens, quantum ad illas qualitates quae in parte intellectiva ex sensibus oriuntur, sicut sunt omnes habitus acquisiti ; quorum non est caritas.

5. Il faut dire en cinquième lieu que puisque l’altération passive inclut dans sa compréhension une passion, et comme il y a deux sortes de passion, il y aura deux sortes d’altération. En  un sens en effet on appelle communément passion toute réception suivant laquelle on appelle aussi passion l’acte de l’intelligence et de la même manière encore l’altération suivant cette signification consiste en une certaine variation par rapport à la réception d’une qualité ; et en ce sens il peut y avoir altération même dans les substances purement intellectuelles, et c’est en ce sens qu’il peut y avoir altération dans la charité. En un autre sens passion se dit proprement quand quelque chose est rejeté de la substance et cela provient de l’action d’un agent contraire qui transforme ; et c’est d’après cette sorte de passion que l’altération ne se dit que des choses sensibles et essentiellement par rapport à la partie sensible de l’âme, et accidentellement par rapport à la partie intellectuelle de l’âme quant à ces qualités qui naissent dans l’âme intellectuelle à partir des sens comme c’est le cas pour tous les habitus acquis dont la charité ne fait pas  partie.

 

 

Articulus 2 [1360] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 tit. Utrum caritas augeatur per additionem

Article 2 – La charité s’accroît-elle par addition ?

[1361] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod caritas augeatur per additionem. Philosophus enim dicit, I De generatione, text. 32 : Augmentum est praeexistenti quantitati additamentum. Si igitur caritas augetur, oportet quod praeexistenti caritati alia caritas addatur.

Difficultés :

1. Il semble que la charité croisse par addition. Le Philosophe dit en effet [1 De la Génération, texte 32] : La croissance est une addition à une quantité préexistante. Si donc la charité croît, il faut qu’une autre charité s’ajoute à une charité préexistante.

[1362] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, nihil potest augere caritatem nisi Deus qui dedit. Sed Deus non agit aliquid in anima de novo nisi per novum influxum. Non potest autem intelligi novus influxus nisi aliquid de novo infundatur. Ergo videtur quod caritas augeatur per hoc quod alia caritas de novo infusa praesenti addatur.

2. En outre, rien ne peut augmenter la charité si ce n’est Dieu qui l’a donnée. Mais Dieu ne fait rien de nouveau dans l’âme si ce n’est au moyen d’une influence nouvelle. Mais on ne peut comprendre qu’il y ait une influence nouvelle à moins que quelque chose ne soit répandu à nouveau. Il semble donc que la charité augmente ou croît du fait qu’une autre charité nouvellement répandue s’ajoute à celle qui est présente.

[1363] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, si non augetur per additionem novae caritatis a Deo, non videtur posse augeri nisi per recessum a contrario caritatis. Sed contra, augmentum caritatis potest esse in illis in quibus nihil est de contrario caritatis, sicut in Angelo, et homine in statu innocentiae. Ergo videtur quod isto modo caritas non augeatur, sed praedicto modo.

3. De plus, si la charité n’est pas accrue par Dieu au moyen de l’addition d’une nouvelle charité, il semble qu’elle ne puisse croître qu’au moyen d’un retrait de ce qui est contraire à la charité. Mais cependant, la croissance de la charité peut avoir lieu dans ceux chez lesquels il n’y a rien de contraire à la charité, comme chez les Anges et chez les hommes qui sont dans l’état d’innocence. Il semble donc que la charité ne puisse croître de cette manière mais de la manière qui précède.

[1364] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, videtur, secundum hoc, quod Deus non est causa augmenti caritatis, sed homo, qui se a contrario caritatis refrenat, sicut a concupiscentia. Et hoc est inconveniens. Ergo videtur quod non augeatur nisi per additionem.

4. Par ailleurs, il semble, d’après cela, que ce ne soit pas Dieu qui est la cause de l’augmentation de la charité, mais l’homme qui se soustrait à ce qui est contraire à la charité, par exemple à la concupiscence. Mais cela est impossible. Il semble donc que la charité ne croisse que par addition.

[1365] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, simplex simplici additum, nihil majus efficit, ut probat philosophus, I de generatione, text. 8. Sed caritas est quid simplex. Ergo per additionem caritatis ad caritatem non efficitur major caritas.

Cependant :

1. Au contraire, le simple ajouté au simple ne produit pas quelque chose de plus grand, ainsi que le prouve le Philosophe [1 De la Génération, texte 8]. Mais la charité est quelque chose de simple. Donc l’addition d’une charité à une autre ne produit pas une charité plus grande.

[1366] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Dionysium, V cap. De div. nom., tantum distat inter ipsas Dei participationes et participantes, quod participatio quanto simplicior est tanto nobilior, participans vero quanto majorem habet compositionem donorum participatorum, tanto nobilius est ; sicut esse est nobilius quam vivere, et vivere quam intelligere, si unum sine altero intelligatur: omnibus enim esse praeeligeretur. Sed quod habet plura ex his, melius est. Sed caritas est quaedam participatio divinae bonitatis. Ergo quanto compositior est per additionem caritatis ad caritatem, minus valebit. Igitur si caritas augetur per additionem, quanto magis augetur, minus erit eligenda. Hoc autem est ridiculum. Ergo non augetur per additionem.

2. Par ailleurs, d’après Denys [Les Noms Divins, ch. V], les participations et les participants de Dieu diffèrent seulement entre eux en ceci que la participation est d’autant plus noble qu’elle est plus simple, mais le participant est d’autant plus noble qu’il possède une plus grande composition des dons participés ; par exemple exister est plus noble que vivre, et vivre plus qu’intelliger, si l’un se comprend sans l’autre : en effet, exister est préférable à tout le reste. Mais ce qui, à partir de là, possède davantage, est meilleur. Mais la charité est une certaine participation de la bonté divine. Donc, plus elle est composée par l’addition d’une charité à une charité, moins elle vaudra. Donc, si la charité croît par addition, plus elle croîtra, moins elle devra être choisie. Mais cela est ridicule. Elle ne croît donc pas par addition.

[1367] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod eorum qui ponunt caritatem essentialiter augeri, dicta revertuntur in duas opiniones: quarum una est, quod augetur per additionem caritatis ad caritatem ; alia est quod augetur per intensionem secundum accessum ad terminum ; et in hoc revertitur quod quidam dicunt, caritatem augeri per multiplicationem sui in anima sicut lux in aere: lux enim non augetur nisi per intensionem, sicut aliae qualitates.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que parmi ceux qui affirment que la charité croît essentiellement, ce qui est dit se ramène à deux opinions: dont l’une pretend qu’elle croît par l’addition d’une charité à une autre et l’autre qu’elle croît par l’intensité d’après l’accès au terme; et c’est à cela que se ramène ce que certains disent, à savoir que la charité croît par sa multiplication dans l’âme comme c’est le cas pour la lumière dans l’air: la lumière en effet ne croît que par intensité comme les autres qualités.

Primam autem positionem non possum intelligere ; quia in omni additione oportet intelligere duo diversa, quorum unum alteri additur. Si autem intelligantur duae caritates, aut intelligentur diversae secundum speciem aut numerum. Constat quod non secundum speciem, cum omnes caritates sint in eadem specie virtutis.

Mais la première position m’est inintelligible car dans toute addition il faut comprendre deux choses différentes dont l’une s’ajoute à l’autre. Mais si on entend deux charités, on les entend différentes soit selon l’espèce, soit selon le nombre. Mais il est clair que ce n’est pas selon l’espèce, puisque toutes les charités font partie de la même espèce de vertu.

Diversitas autem secundum numerum est ex diversitate materiae, sicut haec albedo differt ab illa numero, quia est in diverso subjecto. Unde non potest qualitas addi qualitati nisi per hoc quod subjectum subjecto additur. Caritas autem quae potest addi, nunquam fuit in alio subjecto, antequam in isto ; et secundum hoc quod est in isto, non differt numero ab alia caritate in eodem existente, ut probatum est, in hac dist., quaest. 1, art. 1. Unde nullo modo est intelligere ibi additionem. Sed ista positio provenit ex falsa imaginatione, quia augmentum caritatis imaginati sunt ad modum augmenti corporalis, in quo fit additio quantitatis ad quantitatem.

Mais la différence selon le nombre vient d’une différence de matière, tout comme cette blancheur diffère de telle autre par le nombre parce qu’elle est dans un sujet différent. C’est pourquoi une qualité ne peut être ajoutée à une qualité que par ceci qu’un sujet est ajouté à un sujet. Mais la charité qui peut être ajoutée ne fut jamais dans un autre sujet avant d’être dans celui-ci ; et selon qu’elle existe dans celui-ci, elle ne diffère pas par le nombre d’une autre charité qui existe dans le même sujet ainsi que nous l’avons prouvé [dist. 17, quest. 1, art. 1]. C’est pourquoi en aucune manière il y a lieu d’entendre là une addition. Mais cette position vient d’une fausse imagination car ils ont imaginé la croissance de la charité à la manière de la croissance corporelle dans laquelle il y a addition d’une quantité à une quantité.

Et ideo dico, quod quando caritas augetur, nihil ibi additur, sicut philosophus etiam dicit in IV Physic., texte 84, quod aliquid efficitur magis album vel magis calidum, non per additionem alicujus albedinis vel caloris ; sed quia illa qualitas quae prius inerat intenditur secundum propinquitatem ad terminum.

Et c’est pourquoi je dis que quand la charité croît, rien n’est ajouté là ainsi que le Philosophe le dit aussi [IV Physique, texte 84], à savoir qu’une chose est rendue plus blanche ou plus chaude non pas par l’addition d’une blancheur ou d’une chaleur mais parce que cette qualité qui était déjà présente dans un corps s’intensifie selon sa proximité par rapport au terme.

Haec autem intensio contingit diversimode in qualitatibus simplicibus et compositis, primis et secundis. Qualitates enim compositae vel secundae, intenduntur secundum intensionem qualitatum primarum, sicut sapor et sanitas et alia hujusmodi, secundum intensionem caloris et frigoris, humoris et siccitatis.

Mais cette intensification se présente différemment dans les qualités simples et composées, dans celles qui sont premières et celles qui sont secondes. En effet, les qualités composées ou secondes s’intensifient d’après l’intensification des qualités premières, comme la saveur, la santé et les qualités de cette sorte s’intensifient d’après l’intensification de la chaleur et du froid, de l’humidité et de la sécheresse.

Qualitates autem primae et simplices intenduntur ex causis suis, scilicet ex agente et recipiente. Agens enim intendit reducere patiens de potentia in actum suae similitudinis, quantumcumque potest.

Mais les qualités premières et simples s’intensifient à partir leurs causes, c’est-à-dire à partir de l’agent et de celui qui reçoit. L’agent en effet cherche à faire passer le patient de la puissance à l’acte de sa ressemblance dans la mesure du possible.

Sicut autem non calidum est potentia caloris ; ita minus calidum est potentia respectu magis calidi. Unde sicut per potentiam calidi efficitur de non calido calidum, non quod ponatur ibi aliquis calor, sed quia calor qui est in potentia, educitur in actum ; ita etiam efficitur magis calidum per actionem calidi, inquantum educitur calor, qui inerat ut actus imperfectus, in majorem perfectionem et majorem assimilationem agentis ; et hoc contingit, secundum quod potentia subjecta actui, quae quidem, quantum in se est, ad multa se habet, magis ac magis terminatur ab actu illo ; vel quia augetur virtus agentis, sicut ex conjunctione plurium luminarium intenditur illuminatio ; vel ex parte ipsius materiae, secundum quod efficitur susceptibilior illius actus, sicut aer quanto plus attenuatur, fit susceptibilior luminis.

Mais tout comme ce qui n’est pas chaud est en puissance à être chaud, de même ce qui est moins chaud est en puissance à être plus chaud. C’est pourquoi tout comme c’est par la puissance à la chaleur que ce qui n’est pas chaud devient chaud, non pas parce qu’on pose là une chaleur, mais parce que la chaleur qui est en puissance passe à l’acte, de même encore ce qui est moins chaud est rendu plus chaud par l’action du chaud dans la mesure où la chaleur, qui était présente comme un acte imparfait, passe à une perfection plus grande et à une plus grande ressemblance à l’agent ; et cela est possible selon que la puissance qui est placée sous l’acte, et qui certes en elle-même se rapporte à une multiplicité, est délimitée de plus en plus par cet acte ; soit parce que la puissance de l’agent croît, tout comme l’illumination s’intensifie à partir de la réunion de plusieurs luminaires ; soit du côté de la matière elle-même selon qu’elle est rendue plus apte à recevoir cet acte, tout comme l’air devient plus capable de recevoir la lumière selon qu’il est rendu d’autant plus fin.

Intensio autem caritatis non contingit ex hoc quod virtus agentis fortificetur, sed tantum ex hoc quod natura recipiens, quae quantum in se est, dispositionem quamdam habet secundum quod est in potentia ad plura, magis ac magis praeparatur ad susceptionem gratiae, secundum quod ex dicta multitudine, scilicet confusione potentialitatis, in unum colligitur per operationes quibus ad caritatem suscipiendam praeparatur, ut prius dictum est, art. 1 istius quaest. Et ideo Dionysius perfectum sanctitatis semper designat per hoc quod est ex partita [partita : sparsa Éd. de Parme] vita sparsa vita in unicam consurgere.

Mais l’intensification de la charité n’est pas possible à partir de ceci que la puissance de l’agent est fortifiée, mais seulement à partir de ceci que la nature de celui qui reçoit, qui quant à ce qu’elle est en elle-même, possède une certaine disposition selon qu’elle est en puissance à une multiplicité, est préparée de plus en plus à recevoir la grâce selon qu’à partir de cette multiplicité dont on parle, à savoir le mélange des potentialités, elle se concentre sur une seule finalité au moyen des opérations par lesquelles elle se prépare à recevoir la charité ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 17, quest. 2, art. 1]. Et c’est pourquoi Denys désigne toujours la perfection de la sainteté par ceci  que la vie qui est dispersée du fait qu’elle est partagée [partagée : dispersée Éd. de Parme] soit élevée à une vie unique et remarquable.

Et sic patet quod augmentum caritatis simile est augmento qualitatum naturalium, licet origo ejus differat ab origine illarum. Cujus ratio est, quia qualitates naturales educuntur de potentia materiae, quarum inchoationes quasdam materiae Deus opere creationis indidit ; et ideo quando in actum procedunt, est exitus de imperfecto ad perfectum.

Et ainsi il est clair que la croissance de la charité est semblable à la croissance des qualités naturelles, bien que l’origine de celle-ci soit différente de l’origine de celles-là. La raison en est que les qualités naturelles procèdent de la puissance de la matière, qualités dont Dieu, par l’œuvre de la création, a donné certains fondements ou commencements à la matière ; et c’est pourquoi, quand ces qualités passent à l’acte, il y a là comme un passage de l’imparfait au parfait.

Dona autem gratuita non educuntur quasi de potentia naturae ; quia nihil est in potentia naturali quod per agens naturale educi non possit. Et ideo origo gratiae est per novam infusionem ; sed augmentum ejus est per hoc quod de imperfecto ad perfectum actus infusus educitur.

Mais les dons de la grâce ne sont pas produits comme à partir d’une puissance de la nature car il n’y a rien dans une puissance naturelle qui ne puisse être produit par un agent naturel. Et c’est pourquoi l’origine de la grâce a lieu par une infusion inusitée; mais sa croissance a lieu par ceci que son acte est produit de l’imparfait au parfait.

[1368] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod propositio philosophi intelligitur de augmento corporali, quod fit semper per additionem quantitatis, quia in hac materia ab ipso proponitur.

Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que la proposition du Philosophe s’entend de la croissance corporelle qui a toujours lieu par l’addition d’une quantité, car c’est pour cette matière que cette proposition est présentée par lui.

[1369] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus una et eadem operatione agit in omnia quae sunt, quamvis forte illa operatio differat solum secundum rationem, secundum quod exit a ratione diversorum attributorum, vel diversarum idearum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que c’est par une seule et même opération que Dieu agit en tout ce qui existe, bien que peut-être cette opération diffère seulement par la raison selon qu’elle procède de la notion de différents attributs ou de différentes idées.

Unde dico, quod una et eadem operatione infunditur gratia et augetur ; nec est diversitas nisi ex parte recipientis, quod ex illa operatione plus minusve recipit, secundum quod ad eam diversimode praeparatur ; sicut eadem irradiatione solis efficitur aer clarus et magis clarus, depulsis nebulosis vaporibus qui receptionem luminis impediebant ; unde non oportet quod sit ibi alia et alia claritas.

C’est pourquoi je dis que c’est par une seule et même opération que la grâce est répandue et qu’elle croît ; et il n’y a de différence que du côté de celui qui reçoit, à savoir qu’à partir de cette opération il reçoit plus ou moins selon qu’il est préparé différemment à la recevoir ; tout comme c’est par le même rayonnement du soleil que l’air est rendu clair et plus clair une fois qu’ont été repoussées les brumes qui empêchaient la réception de la lumière ; c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait là telle et telle autre clarté.

Praeterea, etiam si essent duae operationes, non oporteret quod terminarentur ad duo diversa secundum substantiam ; sed prima terminaretur ad esse caritatis imperfectae, secunda ad eamdem caritatem secundum perfectionem, secundum quod aliquid educitur de imperfecto ad perfectum.

Par ailleurs, même s’il y avait deux opérations, il ne serait pas nécessaire qu’elles se terminent à deux choses différentes selon la substance; mais la première operation se terminerait à l’existence d’une charité imparfaite et la seconde  à la même charité selon sa perfection, selon que quelque chose est conduit de l’imparfait au parfait.

[1370] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non est de ratione intensionis alicujus qualitatis, quod sit per remotionem a contrario ; sed hoc accidit qualitati, secundum quod inest in subjecto participante contrarium. Sed hoc est de necessitate intensionis quod qualitas educatur de imperfecto ad perfectum, sicut patet de diaphano, in quo nihil est contrarium luci, quod potest lumen intendi secundum incrementum virtutis illuminantis. Haec autem imperfectio est ex potentialitate ipsius naturae, quae subjicitur perfectioni et actui. Cum enim omnis potentia receptiva ad multa se habeat, secundum istam multitudinem ipsius, dissimile est principio agenti, quod est terminatum ad actum unum ; et secundum quod ista confusio potentialitatis magis subjicitur actui, perfectior perficitur actus, et ipsum perfectum magis efficitur unum, et magis assimilatum principio agenti. Haec autem confusio potentialitatis est in qualibet natura creata, secundum id [id om. Éd. de Parme] quod nondum est perfecta per actum. Unde etiam per istum modum ponit Dionysius, purgationem in Angelis, scilicet secundum quod removentur a confusione dissimilitudinis.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’il n’entre pas dans la définition de l’intensité d’une qualité qu’elle ait lieu au moyen d’un éloignement de la qualité contraire ; mais cela se produit dans le cas d’une qualité qui appartient au sujet qui participe de la qualité contraire. Mais il appartient nécessairement à l’intensité que la qualité soit conduite de l’imparfait au parfait comme on le voit pour le diaphane dans lequel il n’y a rien de contraire à la lumière, à savoir que la lumière peut s’intensifier selon l’augmentation de la puissance de celui qui éclaire. Mais cette imperfection vient d’une potentialité de la nature elle-même qui est soumise au perfectionnement et à l’acte. En effet, puisque toute puissance réceptive est apte à une multiplicité, c’est d’après cette multiplicité qui la concerne qu’elle s’oppose au principe agent qui est déterminé à l’égard de son acte ; et selon que cette sorte de mélange de potentialité est davantage soumis à l’acte, l’acte se trouve à être achevé plus parfaitement et cela même qui est achevé est davantage rendu un et davantage rendu semblable au principe agent. Mais ce mélange de potentialité est présent dans toute nature créée selon ceci [ceci om. Éd. de Parme] qu’elle n’est pas encore achevée par l’acte. C’est pourquoi c’est encore de cette manière que Denys présente la purgation chez les Anges, à savoir selon qu’ils s’écartent du mélange de la dissemblance.

[1371] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod eodem modo sumus causa augmenti gratiae, sicut et causa ipsius gratiae, scilicet per modum dispositionis tantum. Sed efficientia utrobique est ex parte ipsius Dei, sicut patet ex his quae supra dicta sunt, in corp. art.

4. Il faut dire en quatrième lieu que c’est de la même manière que nous sommes causes de l’augmentation de la grâce et que nous sommes causes de la grâce elle-même, à savoir à la manière d’une disposition seulement. Mais la cause efficiente dans les deux cas se trouve du côté de Dieu lui-même comme on le voit en s’appuyant sur ce qui a été dit plus haut dans le corps de l’article.

 

 

Articulus 3 [13 72] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 tit. Utrum caritas augeatur quolibet actu

Article 3 – La charité s’accroît-elle par n’importe quel acte ?

[1373] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod caritas quolibet actu augeatur. Ubi enim eadem causa est, et idem effectus. Sed omnes actus caritatis sunt ejusdem speciei quantum ad esse morale, sicut omnes actus fortitudinis. Ergo cum aliquis actus caritatis caritatem augeat, videtur etiam quod quilibet actus.

Difficultés :

1. Il semble que la charité croît par n’importe quel acte. Là en effet où la cause est la même, l’effet est le même. Mais tous les actes de charité sont de même espèce quant à l’existence morale, comme c’est le cas pour tous les actes de force. Donc puisque tout acte de charité augmente la charité, il semble qu’il en soit de même pour n’importe quel acte.

[1374] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 2 Item, quod facere potest majus, potest etiam facere minus. Sed quodlibet actu caritatis meretur quis vitam aeternam. Ergo et potest mereri augmentum caritatis.

2. En outre, ce qui peut faire plus peut aussi faire moins. Mais c’est par n’importe quel acte de charité que quelqu’un mérite la vie éternelle. C’est donc aussi par n’importe quel acte qu’il peut mériter l’augmentation de la charité.

[1375] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, quilibet actus caritatis est longe potentior quantum ad esse gratiae, quam actus qui sunt ex naturalibus tantum. Sed per actus qui sunt tantum ex naturalibus, homo praeparatur per modum dispositionis ad recipiendum gratiam. Ergo multo magis per quemlibet actum caritatis disponitur ad caritatis augmentum.

3. Par ailleurs, n’importe quel acte de charité est de loin plus puissant quant à l’existence de la grâce que les actes qui viennent des puissances naturelles seulement. Mais c’est par les actes qui viennent des seules puissances naturelles que l’homme se prépare à recevoir la grâce par mode de disposition. C’est donc bien davantage par n’importe quel acte de charité que l’homme se dispose à la croissance de la charité.

[1376] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 4 Contra, ex eisdem principiis ex quibus aliquid nascitur, et augmentatur. Sed unus actus non sufficit ut disponens [ad dispositionem Éd. de Parme] ut caritas infundatur. Ergo nec ad hoc ut augeatur. Probatio mediae. Majorem causalitatem habet actus noster ad virtutem acquisitam quam ad caritatem infusam. Sed unus actus non sufficit ad generationem virtutis acquisitae ; quinimmo ex frequenti bene agere fit homo bonus, secundum philosophum, II Ethic., cap. 1. Ergo multo minus unus actus sufficit disponere ad caritatem.

4. Au contraire, une chose croît à partir des mêmes principes à partir desquels elle naît. Mais un seul acte ne suffit pas pour disposer [à la disposition Éd. de Parme] à répandre la charité. Donc, un seul acte ne suffit pas non plus pour la faire croître. Preuve de la mineure. Notre acte possède une plus grande causalité à la vertu acquise qu’à la charité infuse. Mais un seul acte ne suffit pas à la génération de la vertu acquise ; mais au contraire c’est par la répétition de bonnes actions que l’homme devient bon d’après le Philosophe [11 Éthique, ch. 1]. Donc un seul acte suffit beaucoup moins à disposer à la charité.

[1377] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, secundum augmentum caritatis augetur etiam praemium substantiale ; sed non quolibet actu charitatis augetur praemium substantiale [sed… substantiale om. Éd. de Parme] dicitur enim communiter, quod pluribus operibus in caritate factis, non plus meretur quis quantum ad augmentum praemii substantialis, quam uno ex aequali caritate facto. Ergo non quolibet actu caritatis caritas augetur.

5. De plus, c’est d’après la croissance de la charité qu’est aussi accrue la récompense substantielle ; mais ce n’est pas par n’importe quel acte de charité qu’est accrue la récompense substantielle [mais…substantielle om. Éd. de Parme] puisqu’on dit en effet communément que quelqu’un ne mérite pas davantage, quant à l’augmentation de la récompense substantielle, au moyen de plusieurs œuvres faites dans la charité que par une seule faite dans une charité égale. Ce n’est donc pas par n’importe quel acte de charité que la charité croît.

[1378] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod non eodem modo se habet actus informatus caritate ad augmentum caritatis, et actus praecedens caritatem ad habendam caritatem. Actus enim qui est ex caritate, ordinatur ad augmentum caritatis et per modum dispositionis et per modum meriti ; sed actus praecedens caritatem ordinatur ad consequendum caritatem solum per modum dispositionis, ut supra dictum est, art. antec., non per modum meriti: quia ante caritatem nullum potest esse meritum. Neuter autem actus ordinatur ad habendam vel augmentandam caritatem per modum alicujus efficientiae, sicut actus nostri ad habendum habitus acquisitos.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le rapport de l’acte informé par la charité à la croissance de la charité n’est pas le même que celui de l’acte qui précède la charité à celui qui la possède. En effet, l’acte qui vient de la charité est ordonné à la croissance de la charité à la fois à la manière d’une disposition et à la manière d’un mérite ; mais l’acte qui précède la chatité est ordonné à la poursuite de la charité uniquement à la manière d’une disposition, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, et non à la manière d’un mérite : car avant la possession de la charité, il ne peut y avoir aucun mérite. Mais ni l’un ni l’autre n’est ordonné à la possession ou à l’augmentation de la charité à la manière d’une cause efficiente comme c’est le cas pour nos actes qui sont ordonnés à la possession des habitus acquis.

Sciendum est igitur, quod actus qui praecedit caritatem, quandoque unus solus disponit ultima dispositione ut infundatur caritas, secundum immobilitatem divinae bonitatis, per quam unicuique largitur secundum quod praeparatum est ad recipiendum: quandoque autem unus actus non disponit nisi dispositione remota, et sequens actus magis disponit, et sic deinceps, secundum quod ex multis bonis actibus pervenitur ad ultimam dispositionem, inquantum actus sequens semper agit in virtute omnium praecedentium ; ut patet in guttis cavantibus lapidem, quod non quaelibet aufert aliquid de lapide, sed omnes praecedentes disponunt, et una ultima agens in virtute omnium praecedentium, inquantum scilicet invenit materiam dispositam per praecedentes, complet cavationem.

Il faut donc savoir que pour ce qui est de l’acte qui précède la charité, un seul suffit parfois pour disposer l’âme d’une disposition ultime telle que la charité soit répandue, conformément à l’immobilité de la bonté divine, charité par laquelle elle se donne à chacun en autant qu’il est préparé à la recevoir ; parfois cependant un seul acte ne dispose que par une disposition éloignée, et l’acte qui suit dispose davantage et ainsi de suite, selon qu’à partir de plusieurs actes bons on parvienne à la disposition ultime, dans la mesure où l’acte qui suit agit toujours dans la puissance de ceux qui précèdent ; c’est ce qu’on voit par exemple dans le cas des gouttes qui creusent la pierre, à savoir que ce n’est pas n’importe laquelle d’entre elles qui enlève une partie à la pierre, mais toutes celles qui précèdent la préparent, mais la seule et dernière goutte, agissant dans la puissance de toutes celles qui ont précédé, c’est-à-dire dans la mesure où elle trouve la matière disposée par les gouttes qui ont précédé, achève le creusage.

Hoc autem ideo contingit, quia homo est dominus sui actus. Unde potest agere secundum totam virtutem naturae suae vel secundum partem: quod non contingit in illis quae agunt ex necessitate naturae: semper enim agunt tota virtute sua. Quando ergo ita est quod homo non habens caritatem ex tota virtute bonitatis naturalis sibi inditae movetur ad caritatem, tunc unus actus disponit eum ultima dispositione, ut caritas sibi detur.

Mais cela n’est possible que parce que l’homme est maître de ses actes. C’est pourquoi il peut agir soit selon la totalité de la puissance de sa nature, soit selon une partie seulement : ce qui n’est pas possible chez ceux qui agissent par une nécessité de nature : ces derniers en effet agissent toujours par la totalité de leur puissance. Donc quand il en est ainsi que l’homme qui ne possède pas la charité se meut vers la charité par toute la puissance de la bonté naturelle qui lui est donnée, alors un seul acte le dispose d’une disposition dernière telle que la charité lui est donnée.

Quando vero non secundum totam virtutem, sed secundum aliquid ejus praeparatur ad caritatem, tunc actus non est sicut dispositio ultima, sed remota, et per plures actus poterit pervenire ad dispositionem ultimam. Similiter dico ex parte alia, quod quando actus caritatis procedit ex tota virtute habentis et quantum ad virtutem naturae et quantum ad virtutem habitus infusi, tunc unus actus disponit, et meretur augmentum caritatis, ut statim fiat. Quando autem non secundum totam virtutem procedit actus ille, tunc est ut dispositio remota, et poterit tunc per plures actus pervenire ad augmentum caritatis, non tamen de necessitate: quia homo, quantumcumque sit dispositus, potest non agere secundum rationem dispositionis illius: quod non contingit in dispositionibus non voluntariis, ratione jam dicta, paulo sup.

Mais quand ce n’est pas selon toute sa puissance, mais d’après une partie seulement qu’il se prépare à la charité, alors l’acte ne se présente pas comme une disposition dernière, mais comme une disposition éloignée, et c’est alors par plusieurs actes qu’il pourra parvenir à la disposition dernière. D’un autre côté je dis semblablement que quand l’acte de charité procède de toute la puissance de celui qui possède à la fois quant à la puissance de la nature et quant à la puissance de l’habitus infus, alors un seul acte dispose et mérite la croissance de la charité de telle manière qu’elle est produite aussitôt. Mais quand cet acte de charité ne procède pas suivant toute la puissance, alors il n’y a qu’une disposition éloignée, et il pourra alors parvenir à la croissance de la charité au moyen de plusieurs actes, mais non nécessairement : car l’homme, quelle que soit sa disposition, peut ne pas agir en raison de cette disposition : ce qui n’est pas possible pour les dispositions qui ne sont pas volontaires pour la raison que nous avons déjà dite un peu plus haut.

[1379] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non eodem modo se habet quilibet actus caritatis, eo quod unus potest esse magis intensus, et etiam unus potest esse disponens in virtute plurium praecedentium, ut dictum est, in corp. art., et ideo non sequitur idem effectus.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que ce n’est pas de la même manière que se présente n’importe quel acte de charité, du fait que l’un peut être plus intense, et même que l’un peut disposer par la puissance des nombreux autres qui précèdent, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, et c’est pourquoi ce n’est pas le même effet qui suit.

[1380] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod praemium substantiale vitae aeternae ordinatur sicut finis ad actus caritatis, et commensuratur ad invicem, non secundum aequiparantiam, sed secundum proportionem. Unde actui caritatis debetur praemium substantiale, et actui majoris caritatis majus praemium. Unde quilibet actus caritatis, inquantum est informatus tali habitu, ordinatur ad praemium substantiale ; non tamen ad augmentum praemii, sicut nec ad augmentum caritatis, secundum quod caritas remanet primum principium merendi, sed solum secundum quod augmentum caritatis pertinet ad perfectionem praemii.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la récompense substantielle de la vie éternelle est ordonnée à l’acte de charité comme à sa fin et qu’ils sont proportionnés l’un à l’autre non pas selon l’égalité mais selon la proportion. C’est pourquoi à un acte de charité est due une récompense substantielle et qu’à un acte de charité plus grand est due une récompense substantielle plus grande. C’est pourquoi tout acte de charité, en autant qu’il est informé par un tel habitus, est ordonnée à une récompense substantielle, mais non pas cependant à la croissance de la récompense ni à la croissance de la charité, selon que la charité demeure le premier principe du mérite, mais seulement selon que la croissance de la charité appartient à la perfection de la récompense.

[1381] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium jam patet responsio per id quod dictum est, quia actus caritatis excedit actum praecedentem caritatem in hoc quod habet virtutem merendi, et ita accedit plus ad causalitatem caritatis quam actus praecedens caritatem.

3. La réponse à la troisième difficulté est déjà claire au moyen de ce qui a été dit, car l’acte de charité dépasse l’acte qui précède la charité en ceci qu’il possède la puissance du mérite et qu’ainsi il accède advantage à la causalité de la charité que l’acte qui précède la charité.

[1382] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ad hoc quod aliqua perfectio introducatur, duo requiruntur.

Unum ex parte introducentis, ut sua operatio commensuretur secundum aequalitatem perfectioni introducendae: non enim ex parva calefactione inducitur calor ignis, sed ex tali calefactione, quae habet aequalem virtutem, ad minus ex suo principio, calori ignis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que pour qu’une perfection soit introduite, deux conditions sont requises.

Une qui se tient du côté de celui qui introduit, afin que son operation soit proportionnée selon l’égalité à la perfection devant être introduite: en effet, ce n’est pas à partir d’une petit réchauffement que la chaleur du feu est introduite, mais à partir d’un réchauffement qui possède une puissance égale, au moins à son début, à la chaleur du feu.

Aliud ex parte recipientis, ut dispositio sua proportionetur eodem modo perfectioni inducendae. Contingit autem quandoque, sicut in operibus animae, quod aliquid disponitur et perfectionem recipit a seipso, ut in scientia et virtute patet. Unde ad perfectam dispositionem sufficit quod anima operetur secundum virtutem proportionatam illi perfectioni quae inducenda est: et quia tota capacitas animae vix sufficit ad receptionem tantae perfectionis quanta est caritas, nisi Deus de sua liberalitate suppleret ; ideo ad hoc quod sit in anima ultima dispositio ad caritatem requiritur actus qui sit secundum totam virtutem suam, et iste sufficit quantum in nobis est ; sed minor non sufficit ad talem dispositionem.

Une autre condition se tient du côté de celui qui reçoit, de telle manière que sa disposition soit proportionnée d’une manière semblable à la perfection devant être introduite. Mais il est parfois possible, comme c’est le cas pour les opérations de l’âme, que ce soit d’elle-même qu’une chose soit disposée à une perfection et la reçoive, comme on le voit pour la science et la vertu. C’est pourquoi, pour en venir à une disposition parfait, il suffit que l’âme opère suivant une puissance proportionnée à cette perfection qui doit être introduite: et parce que toute la puissance de l’âme ne suffit à peine à recevoir cette si grande perfection qu’est la charité que si Dieu la complète de sa bonté, c’est pourquoi, pour qu’il y ait dans l’âme une disposition dernière à la charité, il faut que l’acte procède suivant toute sa puissance, et cela suffit quant à ce qui relève de nous; mais un acte plus faible ne suffit pas à une telle disposition.

Ulterius in illis perfectionibus in quibus per actum animae non tantum est dispositio, sed etiam ipsa perfectio, exigitur quod actus ipsius animae sit proportionatus et aequalis in virtute ipsi perfectioni introducendae. Omnis autem habitus de ratione sua habet quod sit difficile mobilis ; idest, habet firmitatem quamdam. Unde quando una actio animae habet firmitatem, inducit habitum ; sicut patet quod una demonstratio propter sui certitudinem et firmitatem facit habitum scientiae.

Par la suite, pour ces perfection dans lesquelles au moyen de l’acte de l’âme il n’y a pas seulement disposition mais aussi la perfection elle-même, il est nécessaire que l’acte de l’âme elle-même soit proportionné et égal en puissance à la perfection même devant être introduite. Mais il est dans la nature même d’un habitus d’être difficilement mobile, c’est-à-dire de posséder une certaine fermeté. C’est pourquoi, quand une même action de l’âme possède de la fermeté, elle conduit à un habitus ; on voit par exemple qu’une démonstration, en raison de sa certitude et de sa fermeté, produit l’habitus de la science.

Quando autem unus actus non habet firmitatem, non sufficit unus, sed oportet quod sint plures. Unde ex uno argumento dialectico non generatur opinio, sed ex pluribus congregatis. Ita etiam quia actus voluntatis humanae non habet firmitatem, cum voluntas indeterminate se habeat ad multa, habitus virtutum politicarum, qui acquiruntur per actus voluntatis, non possunt acquiri tantum per unum actum, sed oportet quod multi conveniant. Habitus autem caritatis non habet firmitatem per actum animae, sed a causa sua, quae Deus est ; et ideo unus actus voluntatis potest sufficere ad hoc quod caritas infundatur, et similiter ad hoc quod augeatur.

Mais quand un même acte ne possède pas la fermeté, il ne suffit pas à lui seul, mais il faut qu’il y ait plusieurs actes. C’est pourquoi ce n’est pas à partir d’un seul argument dialectique mais à partir de plusieurs que l’opinion est engendrée. De même encore, parce que l’acte de la volonté humaine ne possède pas de fermeté, puisque la volonté se rapporte indéterminément à une multiplicité, les habitus des vertus politiques, qui sont acquis par les actes de la volonté, ne peuvent être acquis par un seul acte mais il faut que plusieurs y contribuent. Mais l’habitus de la charité ne tient pas sa fermeté de l’acte de l’âme, mais de sa cause propre qui est Dieu; et c’est pourquoi un seul acte de volonté ne peut suffire pour que la charité soit répandue  et aussi à ce qu’elle soit accrue.

[1383] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando est talis actus caritatis qualis requiritur ad augmentum caritatis, tunc etiam augetur praemium substantiale, quod debetur caritati majori consequenti actum, non caritati quae est radix actus. Non autem omnes sunt tales, ut dictum est, in respons., ad 2 istius art. ; et ideo ad multitudinem actuum non sequitur de necessitate augmentum praemii substantialis.

5. Il faut dire en cinquième lieu que quand il y a un acte de charité tel qu’il est requis à la croissance de la charité, alors c’est aussi la récompense substantielle qui est accrue, laquelle est due à une charité plus grande qui suit l’acte et non à la charité qui est la racine de l’acte. Mais ce ne sont pas tous les actes de charité qui sont de cette sorte, ainsi que nous l’avons dit dans la réponse à la deuxième difficulté de cet article ; et c’est pourquoi la croissance de la récompense substantielle ne découle pas nécessairement de la multitude de tous les actes de charité.

 

 

Articulus 4 [1384] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 tit. Utrum augmentum caritatis habeat aliquem terminum

Article 4 – L’accroissement de la charité a-t-il une limite ?

[1385] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod augmentum caritatis habeat aliquem terminum. Perfectio enim non excedit capacitatem perfectibilis. Sed capacitas animae finita est. Ergo non potest recipere nisi perfectionem finitam. Sed omnis motus qui est ad finitum, finitus est. Ergo augmentum caritatis, quod est ad perfectionem animae, est finitum.

Difficultés :

1. Il semble que l’accroissement de la charité comporte une limite. La perfection en effet ne dépasse pas la capacité de ce qui est perfectible. Mais la capacité de l’âme est limitée. Elle ne peut donc recevoir qu’une perfection limitée. Mais tout mouvement qui est ordonné à un terme est fini. Donc la croissance de la charité, qui est ordonnée à la perfection de l’âme, est limitée.

[1386] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 2 Praeterea, nihil ordinate movetur ad id quod consequi non potest, secundum philosophum, III Physic., text. 47 ; sicut qui non potest esse in Aegypto, non movetur ordinate ad eundum illuc. Sed infinitum distans nullus potest consequi, cum nullus motus possit esse secundum distantiam infinitam. Ergo nullus motus est infinitus. Sed augmentum caritatis est quidam motus. Ergo venit ad aliquem terminum.

2. Par ailleurs, rien ne se meut avec ordre vers ce qu’il ne peut atteindre d’après le Philosophe [111 Physique, texte 47] ; par exemple, celui qui ne peut être en Égypte ne peut se mouvoir avec ordre pour y aller. Mais nul ne peut atteindre à ce qui est infiniment éloigné, puisqu’aucun mouvement ne peut exister suivant une distance infinie. Donc, aucun mouvement n’est infini. Mais la croissance de la charité est un certain mouvement. Elle doit donc en venir à un terme.

[1387] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut infra, in 3, distinct. 13, dicit Magister, gratia Christi nihil potest etiam Deus majus facere. Sed si augmentum caritatis et gratiae esset in infinitum, qualibet caritate posset esse aliqua major. Ergo non est infinitum. Et similiter potest dici de beata virgine, de qua dicit Anselmus, De concept. Virg., cap. XVIII, col. 451, quod ea puritate nituit qua major sub Deo nequit intelligi. Et similiter etiam de beatis, quorum caritas augeri non potest. Per quae omnia videtur quod augmentum caritatis venit ad terminum aliquem, qui augeri non potest.

3. En outre, ainsi que nous le verrons plus loin [Livre 3, dist. 13] le Maître dit que par la grâce du Christ même Dieu ne peut rien faire de plus. Mais si la croissance de la charité et de la grâce était infinie, il pourrait y avoir pour toute charité une charité plus grande. La croissance de la charité n’est donc pas infinie. Et on peut dire la même chose de la bienheureuse Vierge, de laquelle Saint-Anselme [De la Conception de la Vierge, ch. 18, col. 451] dit qu’elle brilla d’une pureté telle qu’on ne peut pas en saisir une plus grande qui soit inférieure à celle de Dieu. Et on peut dire encore la même chose des bienheureux, dont la charité ne peut croître. Et c’est par tous ces cas qu’on voit que la croissance de la charité en vient à un terme qui ne peut être augmenté.

[1388] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 s. c. 1 Contra, augmentum caritatis est, secundum majorem assimilationem ad Deum. Sed quantumcumque aliquis accedat ad Dei similitudinem, semper in infinitum distat ab eo. Ergo semper magis potest accedere ; et ita videtur quod augmentum caritatis non sit infinitum.

Cependant :

1. Au contraire, la croissance de la charité a lieu suivant une plus grande ressemblance à Dieu. Mais si près qu’on puisse s’approcher de la ressemblance de Dieu, on en demeure cependant toujours infiniment éloigné. On peut donc toujours s’en approcher davantage ; et ainsi il semble que la croissance de la charité ne soit pas finie.

[1389] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quando caritatis actus procedit a majori caritate, majoris est virtutis in merendo. Sed actus caritatis imperfectae meretur augmentum caritatis. Ergo multo magis merebitur quando caritas magis perficietur, et ita augmentum caritatis nunquam stabit.

2. En outre, quand l’acte de charité procède d’une plus grande charité, elle est d’une plus grande puissance quant au mérite. Mais l’acte d’une charité imparfaite demande une augmentation de la charité. Donc, quand la charité sera plus parfaite elle demandera encore davantage à s’accroître, et ainsi la croissance de la charité ne s’arrêtera jamais.

[1390] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod de termino augmenti caritatis dupliciter possumus loqui: aut quantum ad id quod est, aut quantum ad id quod potest esse. Sicut etiam dicimus, quod summum malum non est quo non possit esse aliquid pejus ; tamen aliquid est summe malum quo nihil est pejus. Similiter dico, quod augmentum caritatis pervenit ad aliquem terminum ultra quem caritas non augetur in quolibet homine ; non tamen pervenit ad aliquem terminum ultra quem non possit augeri.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que c’est de deux manières que nous pouvons parler du terme de la croissance de la charité : soit quant à ce qu’il est, soit quant à ce qu’il peut être. Par exemple nous disons aussi que le plus grand mal est ce dont il ne peut y avoir rien de pire ; cependant il y a un mal suprême dont il n’y a rien de pire. De la même manière je dis que la croissance de la charité parvient à un terme au-delà duquel la charité ne croît plus en aucun homme ; elle ne parvient cependant pas à un terme au-delà duquel elle ne peut parvenir.

Cujus ratio est ex parte ejus quod movetur secundum hoc augmentum, et ex parte ejus ad quod movetur. Id autem ad quod movetur anima in augmento caritatis, est similitudo divinae caritatis, cui assimilatur ; ad quam, cum infinita sit, in infinitum potest accedi plus et plus, et nunquam adaequabitur perfecte.

La raison de cela se tient du côté de ce qui se meut selon cette croissance et du côté de ce vers quoi il se meut. Mais ce vers quoi se meut l’âme dans la croissance de la charité, c’est la ressemblance de la charité divine à laquelle elle est assimilée ; et quant à cette charité divine, puisqu’elle est infinie, l’âme peut s’en approcher de plus en plus à l’infini, et elle ne s’y élèvera jamais de manière à l’égaler parfaitement.

Ex parte autem ejus quod movetur est quod ipsa anima, quantum plus recipit de bonitate divina et lumine gratiae ipsius, tanto capacior efficitur ad recipiendum ; et ideo quanto plus recipit, tanto plus potest recipere. Cujus ratio est, quia potentiae materiales sunt terminatae et finitae secundum exigentiam materiae ; et ideo non possunt recipere nisi secundum proportionem materiae ; potentiae autem immateriales non limitantur ex materia, sed magis secundum quantitatem bonitatis divinae in eis perceptae.

Mais du côté de celui qui se meut il y a que l’âme elle-même, selon qu’elle reçoit davantage de la bonté de Dieu et de la lumière de sa grâce, elle est rendue d’autant plus capable d’en rcevoir ; et c’est pourquoi elle peut d’autant plus recevoir qu’elle reçoit davantage. La raison en est que les puissances matérielles soit limitées et finies d’après les exigences de la matière ; et c’est pourquoi elles ne peuvent recevoir que proportionnellement à la matière ; mais les puissances immatérielles ne sont pas limitées par la matière mais plutôt par la quantité de bonté divine reçue en elles.

Unde quanto plus additur de bonitate, tanto magis est de potentia ad capacitatem ; sicut patet in exemplo philosophi de sensu et intellectu, III De anima,Text. 7,. Dicit enim quod sensus a fortibus sensibilibus corrumpuntur, et non augetur eorum capacitas, quia sunt potentiae materiales ; sed intellectus quanto magis intelligit difficilia, tanto etiam plus potest ; ita etiam quanto natura spiritualis plus recipit de caritate, plus potest recipere.

Et c’est pourquoi l’âme humaine a d’autant plus de puissance à la capacité qu’on y ajoute davantage de bonté ainsi qu’on le voit dans l’exemple du Philosophe sur le sens et l’intelligence [111 De l’Âme, texte 7]. Il dit en effet que les sens sont détruits par des qualités sensibles extrêmes et que leurs capacités ne s’en trouvent pas accrues parce qu’ils ont des puissances matérielles ; mais l’intelligence au contraire devient d’autant plus capable de comprendre qu’elle saisit des vérités qui sont difficiles à comprendre. De même encore une nature spirituelle peut d’autant plus recevoir de charité qu’elle en reçoit davantage.

Quidam autem comparantes capacitatem substantiae spiritualis capacitati substantiae materialis, dixerunt quod est terminus in augmento caritatis secundum capacitatem naturae scilicet quod quando [quando om. Éd. de Parme] tantum recipit de caritate quod impleatur capacitas prima quae erat ex natura, nec potest plus recipere.

Mais certains, comparant la capacité de la substance spirituelle à la capacité de la substance matérielle, ont dit qu’il y a dans la croissance de la charité un terme d’après la capacité de la nature, à savoir que quand [quand om. Éd. de Parme] elle reçoit une telle quantité de charité que la capacité première qui venait de la nature est comblée, elle ne peut en recevoir davantage.

Et ponunt exemplum de aere, qui habet terminum subtilitatis suae, quem non excedit. Unde potest in eo intendi lumen, secundum quod magis et magis depuratur a vaporibus permixtis ; sed quando pervenitur ad puritatem naturae suae, non potest amplius purificari, nec illuminari ab eodem illuminante. Sed non est simile de capacitate substantiae materialis et spiritus, ut dictum est, in hac dist., qu. 1, art. 3.

Et ils donnent l’exemple de l’air qui a une limite à sa subtilité et qu’il ne dépasse pas. Et c’est pourquoi la lumière peut pénétrer en lui selon qu’il se libère de plus en plus des vapeur qui y sont mélangées ; mais quand il est parvenu à la pureté de sa nature, il ne peut être purifié davantage ni être éclairé par le même éclairage. Mais il n’en est pas de même de la capacité de la substance matérielle et de celle de l’esprit ainsi que nous l’avons déjà dit [dist. 17, quest. 1, art. 3].

[1391] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis capacitas animae sit finita in actu, tamen potest plus et plus in finitum elongari, secundum quod plus et plus recipit. Nunquam tamen erit infinita, nec recipiet perfectionem infinitam ; sicut etiam patet in additione numeri, qui in infinitum est possibilis [imposibilis Éd. de Parme] ; nunquam tamen est aliquis numerus infinitus in actu ; quia potentia additionis numerorum, ut dicit Commentator in III Physic., text. 68, non est una, sed semper ex nova additione efficitur alia potentia in numero secundum quod efficitur nova species numeri. Unde quaelibet potentia potest exire in actum, non tamen potest esse ut omnes exeant in actum, quia in quolibet actu additur etiam potentia ; et ita est etiam hic de capacitate animae.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que la capacité de l’âme soit limitée en acte, elle peut cependant s’étendre de plus en plus dans la limite selon qu’elle reçoit de plus en plus. Jamais cependant elle ne sera infinie et ne recevra une perfection infinie ; tout comme on le voit aussi pour l’addition du nombre qui est un infini possible [impossible Éd. de Parme] ; cependant, jamais on ne rencontre un nombre infini en acte ; car la puissance de l’addition des nombres, comme le dit le Commentateur [111 Physique, texte 68] n’est pas une mais c’est toujours une autre puissance dans un nombre qui est produite à partir d’une nouvelle addition, selon qu’une nouvelle espèce de nombre est produite. C’est pourquoi toute puissance peut passer à l’acte, et cependant il est impossible que toutes passent à l’acte car dans tout acte s’ajoute aussi une puissance ; et ainsi il en est encore de même pour la capacité de l’âme.

[1392] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quodlibet augmentum caritatis terminatum est, et est ad terminum quem consequi potest homo ; sed tamen ille terminus, cum non sit actus purus, est permixtus potentiae ; unde adhuc potest esse aliud augmentum numero, et ita in infinitum augmentum succedere augmento, et hoc modo intelligitur augmentum caritatis interminatum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que toute croissance de la charité a un terme et elle se rapporte à un terme que l’homme peut atteindre ; mais cependant ce terme, puisqu’il n’est pas un acte pur, est mélangé à une puissance ; c’est pourquoi il peut encore y avoir une autre croissance numériquement parlant, et ainsi une croissance peut succéder à une croissance à l’infini, et c’est en ce sens que se comprend une croissance illimitée de la charité.

[1393] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod gratia Christi, quamvis secundum essentiam esset finita, tamen secundum quid fuit infinita, inquantum scilicet erat dispositio congruitatis ad unionem, et inquantum concurrebat in operationem Christi, qui erat virtutis infinitae ex hoc quod erat persona divina, et aliis modis, ut dicetur in 3, dist. 17, qu. 1, art. 2, qu. 3, et ex hoc habebat quod non poterat augeri.

3. Il faut dire en troisième lieu que la grâce du Christ, bien qu’elle soit limitée selon l’essence, elle fut cependant infinie sous un certain rapport, c’est-à-dire selon qu’elle était une disposition de conformité à l’union, et selon qu’elle contribuait à l’opération du Christ qui était d’une puissance infinie du fait qu’il était une personne divine, et de d’autres manières comme on le dira [Livre 3, dist. 17, quest. 1, art. 2] plus loin. Et c’est de là qu’elle tenait de ne pouvoir croître.

 Ad illud quod objicitur de beata virgine, dicendum est, quod differt puritatis augmentum, et caritatis. Augmentum enim puritatis est secundum recessum a contrario ; et quia in beata virgine fuit depuratio ab omni peccato, ideo pervenit ad summum puritatis ; sub Deo tamen, in quo non est aliqua potentia deficiendi, quae est in qualibet creatura, quantum in se est. Caritatis autem augmentum est per accessum ad divinam bonitatem ; et ideo non habuit beata virgo summam caritatem qua major non possit intelligi, quia etiam profecit in caritate et gratia.

Quant à la difficulté qu’on présente au sujet de la bienheureuse Vierge, il faut dire que la croissance de la pureté diffère de la croissance de la charité. En effet, la croissance de la pureté se fait d’après un retrait de son contraire ; et parce que dans la bienheureuse Vierge il y eut une épuratioin de tout péché, c’est pourquoi elle est parvenue au sommet de la pureté ; une pureté inférieure à celle de Dieu cependant, dans lequel il n’y a aucune puissance à défaillir qu’on retrouve en toute créature en tant que telle. Mais la croissance de la charité a lieu au moyen d’un rapprochement de la bonté divine ; et c’est pourquoi la bienheureuse Vierge n’a pas possédé la charité suprême au-delà de laquelle on ne peut en penser une plus grande car elle-même a progressé en charité et en grâce.

Ad illud quod objicitur de beatis, dicendum, quod caritas non augetur in eis propter conditionem status: quia non sunt in via, sed in termino viae. Unde datur eis praemium secundum illud quod caritas in statu viae in eis crevit.

Quant à la difficulté soulevée par rapport aux bienheureux, il faut dire que la charité ne croît pas en eux à cause d’une condition  de leur état : car ils ne sont pas sur le chemin d’ici-bas, mais au terme du chemin. C’est pourquoi il leur est donné une récompense conforme à l’accroissement de la charité dans l’état du chemin d’ici-bas.

 

 

            Articulus 5 [1394] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 tit. Utrum caritas minuatur

Article 5 – La charité diminue-t-elle ?

[1395] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod caritas minuatur. Contraria enim nata sunt fieri circa idem. Sed augmentum et diminutio sunt contraria. Cum igitur caritas augeatur, videtur quod minuatur.

Difficultés :

1. Il semble que la charité diminue. Les contraires en effet sont aptes à être produits dans un même sujet. Mais la croissance et la décroissance sont des contraires. Donc puisque la charité croît, il semble qu’elle décroisse ou diminue.

[1396] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 2 Item, Augustinus dicit, Enchir., cap. CXXXI, col. 288 : « Ubi magna cupiditas, ibi parva caritas ; » et alibi, Conf. : « Minus te amat qui aliquid tecum amat ». Sed contingit cupiditatem augeri. Ergo etiam caritatem contingit minui.

2. En outre, Augustin [Enchir. ch. CXXXI, col. 288] dit : ¨Où la cupidité est grande, la charité est petite ;¨ et ailleurs dans les Confessions : ¨Celui qui aime quelque chose avec toi t’aime moins¨. Mais il est possible à la cupidité de croître. Donc il est aussi possible à la charité de diminuer.

[1397] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, veniale peccatum est malum culpae. Sed omne malum aliquod bonum adimit sibi oppositum. Cum igitur malo culpae opponatur bonum gratiae vel caritas, adimet veniale peccatum bonum caritatis. Sed non adimit totum, quia sic excluderet a regno ; sola enim caritas dividit inter filios regni et perditionis, secundum Augustinum, et sic esset mortale. Ergo adimit aliquid ejus ; ergo diminuit ipsam.

3. Par ailleurs, le péché véniel est le mal de la faute. Mais tout mal enlève le bien qui lui est opposé. Donc, puisque le bien de la grâce ou de la charité est opposé au mal de la faute, le péché véniel enlève le bien de la charité. Mais il ne l’enlève pas totalement, car il écarterait ainsi du règne ; d’après Augustin en effet, seule la charité fait la séparation entre les fils du règne et ceux de la perdition, et ainsi le péché véniel serait mortel. Il enlève donc seulement une partie du bien de la charité ; donc il diminue la charité.

[1398] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 arg. 4 Item, secundum quod aliquis se disponit ad caritatem et gratiam, secundum hoc sibi Deus infundit, quia, secundum Augustinum, lumen divinae gratiae omnibus praesens est. Sed quod aliqui non suscipiant eam, est quia avertunt se ab illa ; sicut qui claudit oculos ad lumen solis. Sed contingit quod aliquis minus disponit se ad caritatem quam prius fecerat. Ergo minus participabit de lumine gratiae et de caritate.

4. En outre, c’est selon que nous nous disposons à la charité et à la grâce que Dieu les répand en nous car, selon Augustin, la lumière de la grâce divine est présente à tous. Mais si certains ne la reçoivent pas, c’est parce qu’ils s’en détournent, tout comme ceux qui ferment leurs yeux à la lumière du soleil. Mais il est possible que quelqu’un se dispose moins à la charité qu’il ne le faisait avant. Il participera donc moins de la lumière de la grâce et de la charité.

[1399] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 s. c. 1 Contra, quaelibet caritas creata est finita. Sed omne finitum, secundum philosophum, I Physic., Texte 37, consumitur per ablationem, ablato quodam semper et semper. Si igitur veniale diminuit aliquid de caritate, sequens etiam diminuit, et sic multiplicatis venialibus tota caritas tolletur. Sed caritas non tollitur nisi per mortale peccatum. Ergo multa venialia fient unum mortale, quod nullus ponit.

Cependant :

1. Au contraire, toute charité créée est limitée. Mais tout ce qui est limité, selon le Philosophe [1 Physique, texte 37], est détruit par le retrait, une fois qu’on aura enlevé encore et encore. Si donc le péché véniel enlève quelque chose à la charité, celui qui suit aussi diminue et ainsi toute la charité sera enlevée par la multiplication des péchés véniels. Mais la charité n’est enlevée que par le péché mortel. Et donc plusieurs péchés véniels deviendront un péché mortel, ce que personne n’affirme.

[1400] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 s. c. 2 Si dicas, quod in ista ablatione est sicut in divisione continui, quae est in infinitum, si fiat secundum eamdem proportionem, et non secundum eamdem quantitatem, contra: quando est divisio secundum eamdem proportionem, illud quod post aufertur, semper est minus eo quod prius auferebatur ; sicut si primo auferatur tertia pars lineae, et postea tertia illius residui, et sic deinceps ; semper acceptum post, erit minus secundum quantitatem. Sed quod sequens veniale non habeat minorem virtutem quam primum, potest contingere. Ergo adimet de caritate quantum et primum ; et ita consumetur per ablationem.

2. Si tu dis que cette sorte de retrait ou d’enlèvement est semblable à celui qui a lieu dans la division du continu qui est infinie, si elle a lieu selon la même proportion et non selon la même quantité, je m’oppose : quand il y a division selon la même proportion, ce qui est enlevé après est toujours plus petit que ce qui avait été enlevé avant ; par exemple si tu enlèves d’abord la troisième partie de la ligne et que tu enlèves ensuite la troisième partie de ce qui reste et ainsi de suite : toujours ce qui est pris par après sera moindre selon la quantité. Mais il est possible que le péché véniel qui suit ne possède pas une plus petite puissance que le premier. Donc il enlèvera de la charité autant que le premier et ainsi la charité sera détruite par le retrait.

[1401] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod caritas non potest diminui essentialiter, nisi forte per successionem, ita scilicet quod destruatur caritas quae inest, per mortale peccatum, et postmodum minor infundatur per minorem praeparationem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la charité ne peut être diminuée essentiellement, sauf peut-être par le remplacement, c’est-à-dire de telle manière que la charité qui est présente soit détruite par le péché mortel et que par la suite elle soit répandue plus faiblement par une plus faible préparation.

Et causa hujus est, quia causa diminutionis caritatis non potest sumi ex parte Dei ; cum nullus defectus reducatur in ipsum qui est actus completus, sicut in causam. Oporteret ergo, si caritas diminuatur, quod diminutionis causa ex parte nostra suscipiatur.

Defectus autem contingens ex parte nostra, vel est ex cessatione actus vel ex inordinatione. Ex cessatione actus non potest remitti caritas, sicut habitus virtutum acquisitarum, secundum id quod in se est. Firmitas enim caritatis ipsius non est ex actu nostro, sed ex principio influente, ut dictum est, in hac quaest., art. 2.

Et la cause en est que la cause de la diminution de la charité ne peut se prendre du côté de Dieu, puisqu’aucun défaut ne se ramène à Lui, qui est complet, comme à sa cause. Il faudrait donc, si la charité diminue, que la cause de la diminution se reçoive de notre côté.

Mais un défaut se produisant de notre côté a lieu soit par l’arrêt de l’acte soit par un désordre. Mais la charité, selon ce qu’elle est en elle-même ne peut être affaiblie à partir de l’arrêt de l’acte, comme c’est le cas pour les habitus des puissances acquises. En effet, la fermeté de la charité elle-même ne lui vient pas de notre acte, mais du principe qui répand la grâce, ainsi que nous l’avons dit dans l’article deux de cette question.

Unde cessantibus actibus, manet nihilominus idem robur caritatis. Sed verum est quod per actus frequentes disponuntur omnes vires animae, et membra corporis rediguntur in obsequium caritatis, in quo consistit fervor, ut dictum est ; et ideo ex otio tepescit caritatis fervor.

C’est pourquoi, les actes ayant cessé, il reste néanmoins une même force de la charité. Mais il est vrai que c’est pas des actes fréquents que toutes les forces de l’âme sont disposées et que les membres du corps sont ramenés à une soumission à la charité, en quoi consiste la ferveur comme nous l’avons dit ; et c’est pourquoi la ferveur de la charité se refroidit par l’oisiveté.

Habitus autem acquisitarum virtutum, robur et firmitatem habent ex nostris operibus: unde cessantibus operibus, remittitur robur virtutis etiam in se. Inordinatio autem actus vel est circa finem, vel circa ea quae sunt ad finem. Si circa finem, ita scilicet quod finis tollatur ; sic caritas, secundum quam adhaeretur fini, tollitur: et hoc fit per mortale peccatum

Mais les habitus des puissances acquises tiennent leur force et leur solidité de nos opérations : c’est pourquoi, si les opérations cessent, la force de la puissance est affaiblie même en elle-même. Mais le désordre de l’acte se rapporte soit à la fin, soit aux moyens qui sont ordonnés à la fin. S’il se rapporte à la fin, c’est-à-dire de telle manière que la fin soit supprimée ; alors la charité, d’après laquelle on adhérait à la fin, est elle aussi supprimée : et cela se produit par le péché mortel.

Si autem circa ea quae sunt ad finem, ita scilicet quod finis remaneat, et inordinate aliquis immoretur circa ea quae sunt ad finem ; talis inordinatio, quae est peccati venialis, non attingit caritatem, quae est secundum adhaesionem finis, et ideo nihil diminuit de ipsa.

Mais si le désordre a lieu par rapport aux moyens qui sont ordonnés à la fin, c’est-à-dire de telle manière que la fin elle-même demeure, et que quelqu’un s’arrête avec désordre sur les moyens qui sont ordonnés à la fin, un tel désordre, qui relève du péché véniel, n’atteint pas la charité qui concerne l’adhésion à la fin, et c’est pourquoi ce désordre ne diminue en rien la charité.

Sed verum est quod sicut ea quae sunt ad finem disponunt ad finem, ita inordinatio in eis est dispositio ad inordinationem quae est circa finem, secundum quod dicimus, quod veniale peccatum est dispositio ad mortale. Unde per hujusmodi venialia disponitur quis ad amissionem caritatis.

Mais il est vrai que tout comme les choses qui sont en vue de la fin disposent à la fin, de même le désordre qui se présente en elles est une disposition à un désordre qui se rapporte à la fin, selon que nous disons que le péché véniel est une disposition au péché mortel. Et c’est pourquoi quelqu’un, par de telles fautes vénielles, est disposé à l’abandon de la charité.

 Et inde est quod caritas dicitur diminui quantum ad radicationem et fervorem, et non quantum ad essentiam. Quantum ad radicationem quidem, secundum quod fit dispositio ad contrarium, unde minuitur firma inhaesio caritatis ; secundum fervorem vero, prout impeditur obedientia inferiorum virium ad superiores, ex quo dictus fervor causabatur.

Et c’est de là qu’on dit que la charité est diminuée quant à son enracinement et à sa ferveur, et non quant à son essence. Quant à son enracinement certes, selon que se produit une disposition à ce qui est contraire, d’où s’ensuit une diminution d’un ferme attachement à la charité ; mais quant à la ferveur, pour autant que la soumission des puissances inférieures aux puissances supérieures, qui causait la ferveur dont on parle, est empêchée.

[1402] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod contraria nata sunt fieri circa idem, nisi alterum naturaliter insit. Et dicitur naturaliter inesse, quando consequitur causas ejus. Unde dico, quod augmentabilitas, quia ex parte suscipientis et influentis potest esse aliqua causa augmenti, et non diminutionis, ut dictum est, in corp. art.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que les contraires sont aptes à se produire dans un même sujet, à moins que l’un d’eux y soit naturellement présent. Et on dit qu’il y est naturellement présent quand il découle de ses causes. C’est pourquoi je dis que c’est le cas pour la capacité de croître, car il peut y avoir une cause de croissance du côté de celui qui reçoit et de celui qui répand, mais non de diminution, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

[1403] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commensuratio cupiditatis et caritatis per oppositum, potest intelligi dupliciter: vel quantum ad ipsum fieri caritatis, vel quantum ad esse. Si quantum ad fieri, tunc verum est quod quanto per actus inordinatos magis dominatur in eo cupiditas, minus disponitur ad caritatem vel augmentum ejus: quia ad habendum caritatem vel ad proficiendum in ea disponunt actus nostri. Si quantum ad esse, tunc, cum actus nostri non sint causa esse ipsius caritatis, ex inordinatione actuum per cupiditatem nihil derogatur caritati quantum ad suum esse, sed solum quantum ad fervorem, secundum quod dehabilitantur inferiores partes a caritatis obedientia.

2.  Il faut dire en deuxième lieu que la proportion inverse de la cupidité et de la charité peut s’entendre de deux manières : soit quant au devenir même de la charité, soit quant à son existence. Si on l’entend quant à son devenir, alors il est vrai que plus la cupidité domine dans une âme par des actes déréglés, moins elle est disposée à la charité ou à sa croissance : car ce sont nos actes qui nous disposent à posséder la charité ou à progresser en elle. Si on l’entend quant à son existence, alors, puisque nos actes ne sont pas la cause de l’existence même de la charité, à partir du désordre de nos actes par la cupidité rien n’est retranché à la charité quant à son existence mais seulement quant à sa ferveur selon que les parties inférieures de l’âme perdent de leur habilité à se soumettre à la charité.

[1404] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod veniale non potest adimere aliquid de caritate, quia non attingit ad illam partem animae ubi est caritas. Sicut enim superior pars intellectus est in consideratione principiorum per se notorum, per quae alia cognoscuntur ; unde quantumcumque dubitatio oriatur circa conclusiones, de certitudine principiorum nihil minuitur ; ita etiam superior pars affectus est in adhaesione finis, propter quem omnia diliguntur. Unde quaecumque inordinatio contingat circa illa quae sunt ad finem, ipsa non minuitur inhaesio finis, quae est per caritatem, nisi ponatur finis contrarius. Unde veniale, quia non ponit finem indebitum, non attingit ad illud supremum affectus ubi est caritas. Sed sicut veniale non est peccatum simpliciter, sed solum inquantum est dispositio ad mortale ; ita etiam privat bonum, quod se habet ut dispositio ad caritatem, idest fervorem, qui contingit in habilitate actus ex diligenti obedientia vel subjectione inferiorum virium ad superiorem partem affectus, in qua est caritas.

3. Il faut dire en troisième lieu que la faute vénielle ne peut retirer quelque chose de la charité car elle ne parvient pas à cette partie de l’âme où réside la charité. En effet, tout comme la partie supérieure de l’intelligence est dans la considération des principes connus par soi au moyen desquels tout le reste devient connu ; c’est pourquoi, quelque soit le doute qu’on soulève par rapport aux conclusions, cela ne diminue en rien la certitude qu’on porte aux principes ; de même encore la partie supérieure de l’affectivité est dans l’adhésion à la fin par rapport à laquelle tout le reste est aimé. C’est pourquoi, quel que soit le désordre qui se produise sur les choses qui sont ordonnées à la fin, l’attachement à la fin, qui a lieu par la charité, ne s’en trouve aucunement diminué, à moins qu’on ne pose une fin contraire. C’est pourquoi le péché véniel, parce qu’il ne pose pas une fin injuste, ne parvient pas à cette affectivité suprême où se trouve la charité. Mais tout comme le péché véniel n’est pas un péché pris absolument mais seulement selon qu’il est une disposition au péché mortel, de même encore il prive du bien qui se présente comme une disposition à la charité, c’est-à-dire de la ferveur qui se produit dans l’aptitude de l’acte qui lui vient d’une soumission ou d’un assujettissement amoureux des puissances inférieures à la partie supérieure de l’affectivité dans laquelle se trouve la charité.

[1405] Super Sent., lib. 1 d. 17 q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dispositio ad caritatem est secundum actus inferiorum virium, prout operantur circa ea quae sunt ad finem, sicut per ea quae sunt ad finem, devenitur in finem. Habito autem fine, non indigetur his quae sunt ad finem. Unde quaecumque inordinatio fit circa ea, non redundat in deordinationem finis, nisi per modum dispositionis ; sicut etiam cognitio principiorum primorum determinatur in nobis per sensus, qui si etiam destruantur, non minuitur certitudo principiorum, quae non est acquisita, sed naturaliter insita ; et similiter est de caritate infusa.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la disposition à la charité a lieu d’après les actes des puissances inférieures, pour autant qu’ils opèrent sur les choses qui sont ordonnées à la fin, tout comme au moyen des choses qui sont ordonnées à la fin on en vient à la fin. Mais la fin une fois possédée, on n’a plus besoin des choses qui sont ordonnées à la fin. C’est pourquoi, quel que soit le désordre qui se produise par rapport à elles, il ne déborde pas en un désordre de la fin, sauf à la manière d’une disposition ; et il en est de même pour la charité infuse, tout comme aussi pour la connaissance des premiers principes qui est fixée en nous au moyen des sens, lesquels, même s’ils sont détruits, la certitude des principes, n’étant pas acquise mais naturellement donnée, ne s’en trouve pas diminuée.

 

 

Distinctio 18

Distinction 18 – [L’Esprit Saint comme don]

 

 

Quaestio 1

Question unique : [L’Esprit Saint comme don]

 

 

Prooemium

Prologue

Postquam determinavit de temporali processione Spiritus sancti, hic determinat nomen quod sibi competit secundum rationem qua temporaliter procedit, scilicet donum.

Après avoir traité de la procession temporelle de l’Esprit-Saint, il traite ici du nom qui lui revient selon la raison par laquelle il procède temporellement, à savoir le don.

 Circa hanc partem quinque quaeruntur:

1 utrum donum sit essentiale, vel personale ;

2 utrum sit proprium Spiritus sancti ;

3 utrum per hoc donum omnia dona dentur ;

4 utrum Spiritus sanctus processione qua donum dicitur, etiam Deus dicatur ;

5 utrum possit dici donum nostrum.

Et par rapport à cette partie on se pose cinq questions :

1. Est-ce que le don est essentiel ou personnel ?

2. Est-ce que le don est propre à l’Esprit-Saint ?

3. Est-ce par ce don que tous les dons sont donnés ?

4. Est-ce que l’Esprit-Saint est aussi appelé Dieu par la procession par laquelle il est appelé don ?

5. Est-ce qu’on peut l’appeler notre don ?

 

 

Articulus 1 [1408] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 tit. Utrum donum sit nomen essentiale

Article 1 – Est-ce que le nom don est un nom essentiel ?

[1409] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod donum sit nomen essentiale. Omne enim nomen connotans effectum in creatura, significat divinam essentiam, ut communiter dicitur. Sed hoc nomen donum connotat effectum in creatura: dicitur enim Spiritus sanctus donum, inquantum est donabilis creaturae in aliquo effectu. Ergo est essentiale.

Difficultés :

1. Il semble que ¨don¨ soit un nom essentiel. En effet, tout nom qui renvoie à un effet dans la créature signifie l’essence divine, ainsi qu’on le dit généralement. Mais ce nom, ¨don¨, renvoie à un effet dans la créature : on dit en effet de l’Esprit-Saint qu’il est un don dans la mesure où il peut être donné dans un effet à la créature. Ce nom est donc un nom essentiel.

[1410] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, nullum nomen personale convenit essentiae ; quia essentia nec genita est nec gignens. Sed essentia divina dicitur donata esse Filio a Patre, ut dicitur Philip., 2, 9: Donavit illi nomen quod est super omne nomen: quod etiam accipitur ex verbis Hilarii supra positis, (16 distinct., ult. Cap). Ergo donum est nomen essentiale.

2. Par ailleurs, aucun nom personnel ne convient à l’essence car l’essence n’est ni engendrée ni engendrante. Mais comme le dit l’Apôtre [Philippiens 2, 9], l’essence divine est donnée au Fils par le Père : Il lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom. : ce qu’on admet aussi à partir des paroles de Saint-Hilaire présentées plus haut [dist. 16, chapître dernier. ¨Don¨ est donc un nom essentiel.

[1411] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, Spiritui sancto convenit esse donum, inquantum procedit ut amor. Sed amor in divinis etiam essentialiter dicitur, ut habetur ex verbis Augustini supra, distin. 10 positis. Ergo videtur quod et donum.

3. En outre, il convient à l’Esprit-Saint d’être un don en tant qu’il procède comme amour. Mais l’amour chez les personnes divines se dit aussi essentiellement comme on l’a établi à partir des paroles de Saint-Augustin présentées plus haut dans la distinction dix. Il semble donc qu’il en soit aussi ainsi pour le don.

[1412] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quidquid habetur ab aliquo, hoc dicitur esse datum vel donatum. Sed, non intellecta distinctione personarum adhuc possemus habere Deum ad fructum, et non habemus hoc a nobis. Ergo esset datum nobis. Quidquid autem intelligitur in divinis, exclusa per intellectum distinctione personarum, est essentiale. Ergo donum est essentiale.

4. De plus, tout ce qui est possédé par quelqu’un, on dit que cela est donné ou procède d’une donation. Mais même si nous ne comprenons pas la distinction des personnes, nous pouvons encore posséder Dieu pour en jouir et ce n’est pas de nous que nous tenons cela. Il nous serait donc donné. Mais tout ce qui est compris dans les personnes divines, si on exclut la distinction des personnes par l’intelligence, est essentiel. Donc le don est essentiel.

[1413] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, quidquid convenit alicui personae secundum rationem originis, non est essentiale sed notionale. Donum autem dicitur Spiritus sanctus, inquantum ab aeterno procedit, ut dicitur in Littera. Ergo non est essentiale, sed personale.

Cependant :

1. Au contraire, tout ce qui convient à une personne en raison de l’origine n’est pas essentiel mais notionnel. Mais on dit de l’Esprit-Saint qu’il est un don en tant qu’il procède éternellement, comme on le dit dans le Document. Donc, le nom ¨don¨ n’est pas un nom essentiel mais personnel.

[1414] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. 15, quaest. 3, art. 1, dare vel donare dicitur dupliciter.

Uno modo illud quod habetur per modum dominii, ut possessio.

Alio modo illud quod habetur quasi intrinsecum sibi, sicut aliquis habet seipsum vel materiam suam vel qualitatem. Quamvis autem in divinis personis non sit dominium unius respectu alterius, tamen est ibi auctoritas principii. Dicendum igitur, quod datio potest importare auctoritatem respectu dati ; et sic donum vel datum est notionale. Potest etiam non importare auctoritatem, sed tantum hoc quod id quod datur, libere habeatur ; et hoc modo ipsa essentia dicitur dari vel donari. Et secundum hoc, donum vel datum non est personale, sed essentiale ; tamen semper importat distinctionem dantis ad eum cui datur, quamvis non ad id quod datur.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quet. 3, art. 1], donner ou faire une donation se dit de deux manières.

En un premier sens comme ce qui est possédé à la manière d’une domination, comme un bien.

En un deuxième sens comme ce qui est possédé intérieurement à soi-même, comme celui qui possède lui-même sa matière ou une qualité. Mais bien que dans les personnes divines il n’y ait pas supériorité de l’une par rapport à l’autre, il y a cependant là une autorité de principe. Il faut donc dire que la donation peut impliquer une autorité par rapport à ce qui est donné. Et de cette manière  le don ou ce qui est donné est notionnel. Mais elle peut aussi ne pas comporter une autorité mais seulement ceci que ce qui est donné est possédé librement ; et en ce sens on dit de l’essence elle-même qu’elle est donnée ou qu’elle fait l’objet d’une donation et suivant cela, le don ou ce qui est donné n’est pas personnel mais essentiel ; cependant la donation comporte toujours une distinction de celui qui donne par rapport à celui à qui il y a don, et non par rapport à ce qui est donné.

[1415] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod nomen potest connotare effectum in creatura dupliciter:

vel secundum rationem principii tantum ; et quia eadem est operatio totius Trinitatis, oportet quod tale nomen commune sit toti Trinitati et ad essentiam pertinens ;

vel ita quod cum ratione principii, respectu creaturae, etiam aliquid aliud importet: et tunc, quamvis secundum respectum ad creaturam det intelligere essentiam ex consequenti, sicut causa intelligitur in effectu ; tamen secundum aliud quod significat potest ad personam pertinere ; sicut assumere carnem importat et operationem, quae communis est tribus personis, et terminum operationis in quem terminata est assumptio, quod proprium est personae Filii ; et ideo sibi soli convenit. Similiter dico, quod donum, praeter respectum quem importat ad illud cui donabile est, importat respectum ad illum a quo est, sicut a principio respectu ejus auctoritatem habente ; et ex hac parte est notionale.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le nom peut renvoyer à un effet dans la créature de deux manières :

Soit selon la raison de principe seulement ; et parce que l’opération de toute la Trinité est la même, il faut que tel nom soit commun à toute la Trinité et appartienne à l’essence ;

Soit de telle manière qu’avec la raison de principe par rapport à la créature, il comporte quelque chose d’autre : et alors, bien que selon le rapport à la créature il donne à comprendre l’essence à partir de la conséquence, comme la cause qui est comprise dans son effet, cependant d’après ce qu’il signifie d’autre il peut appartenir à la personne ; par exemple assumer la chair comporte à la fois l’opération qui est commune aux trois personnes et le terme de l’opération dans lequel se termine cet emprunt et qui est propre à la personne du Fils ; et c’est pourquoi il convient à Lui seulement. De la même manière je dis que le don, en dehors du rapport qu’il implique à l’égard  de celui à qui il peut être donné, comporte un rapport à celui d’où il vient comme au principe qui possède l’autorité par rapport à lui ; et ce ce côté ce nom est notionnel.

[1416] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si dare importet auctoritatem respectu dati in dante, sic essentia non dicitur dari, sed alio modo, ut dictum est, in corp. art.

2. Il faut dire en deuxième lieu que si donner implique une autorité dans celui qui donne par  rapport à ce qui est donné, alors on ne dit pas de l’essence qu’elle est donnée, mais le don se dit en un autre sens, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

[1417] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 3 Et per hoc patet responsio ad tertium ; quia amor essentialis, quamvis sit habens rationem primi doni, in quo alia dona dantur, tamen respectu ejus non potest denotari auctoritas ; et ideo ratione praedicta, amor non potest dici donari secundum quod auctoritas importatur in donante respectu dati.

3. Et c’est grâce à cela qu’est manifeste la réponse à la troisième difficulté ; car l’amour essentiel, bien qu’il soit ce qui a raison de premier don dans lequel tous les autres dons sont donnés, cependant par rapport à lui on ne peut reconnaître une autorité ; et c’est pourquoi, pour la raison que nous avons dite, on ne peut dire de l’amour qu’il est un don selon que l’autorité est impliquée dans celui qui donne par rapport à ce qui est donné.

[1418] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 1 ad 4 Et similiter etiam dicendum ad quartum ; quia donum, in cujus ratione importatur auctoritas, non remanet, non intellecta distinctione personarum.

4. C’est de la même manière encore qu’il faut parler de la quatrième difficulté ; car le don, dans la définition duquel l’autorité est impliquée, ne demeure pas si la distinction des personnes n’est pas comprise.

 

 

Articulus 2 [1419] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 tit. Utrum donum sit proprium Spiritus sancti

Article 2 – Le don est-il le propre de l’Esprit Saint ?

[1420] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod donum non sit proprium Spiritus sancti. Temporalis enim processio vel missio Spiritus sancti dicitur ejus donatio. Sed Filius mittitur sicut Spiritus sanctus, et habet aptitudinem ad missionem a processione aeterna sicut Spiritus sanctus, ut patet ex dictis, dist. 15, quaest. 4, art. 2. Ergo Filius potest dici donum sicut Spiritus sanctus.

Difficultés :

1. Il semble que le don ne soit pas propre à l’Esprit-Saint. On dit en effet de la procession ou de la mission de l’Esprit-Saint qu’elle est la donation de ce dernier. Mais le Fils est envoyé comme l’Esprit-Saint et il possède, tout comme lui, d’une procession éternelle, une aptitude à la mission ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été dit [dist. 15, quest. 4, art. 2]. Donc le Fils, tout comme l’Esprit-saint, peut être appelé don.

[1421] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, cum personae distinguantur per processiones aeternas, nomen proprium personae potest designari in actu processionis ; sicut Filius designatur in generatione, inquantum est Filius. Sed nomen doni non designatur in processione aeterna: quia secundum eam Pater non dicitur donare donum, sicut dicitur generare Filium. Ergo videtur quod non sit proprium Spiritus sancti.

2. Par ailleurs, puisque les personnes se distinguent au moyen des processions éternelles, le nom propre de la personne peut être désigné dans l’acte même de la procession, tout comme le Fils est désigné dans la génération en tant que Fils. Mais le nom de don n’est pas désigné dans la procession éternelle : car on ne dit pas d’après elle que le Père donne un don comme on dit de lui qu’il engendre le Fils. Il semble donc que le don ne soit pas propre à l’Esprit-Saint.

[1422] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, propria personarum dicunt tantum relationem, quia in absolutis divinae personae non distinguuntur. Sed donum non dicit tantum relationem, immo aliquid aliud quod datur. Ergo videtur quod non sit nomen proprium Spiritus sancti.

3. En outre, le propre des personnes dit seulement la relation car les personnes divines ne se distinguent pas par les caractères absolus. Mais le don ne dit pas seulement la relation, mais bien plutôt quelque chose d’autre qui est donné. Il semble donc que le don ne soit pas un nom propre à l’Esprit-Saint.

[1423] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Spiritus sanctus non habet nisi unam notionem, quae est ejus processio. Sed alio modo innotescit Spiritus sanctus inquantum est donum, et inquantum est procedens. Ergo videtur quod notio qua donum dicitur, non sit propria Spiritus sancti, et ita nec nomen doni.

4. De plus, l’Esprit-Saint ne possède qu’une seule notion, laquelle est sa procession. Mais l’Esprit-Saint se fait connaître d’une autre manière en tant qu’il est don et en tant qu’il procède. Il semble donc que la notion par laquelle il est appelé don n’est pas propre à l’Esprit-Saint et qu’il en soit de même aussi pour le nom de don.

[1424] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 s. c. 1 In contrarium est quod dicit Augustinus, Lib. de Trinit., quia sicut in Trinitate solus Filius dicitur Verbum, ita solus Spiritus sanctus dicitur donum. Sed quod convenit soli alicui personae, est proprium sibi. Ergo nomen doni proprium est Spiritus sancti.

Cependant :

1. Saint-Augustin dit le contraire dans le Livre sur la Trinité, car tout comme dans la Trinité seul le Fils est appelé Verbe, de même seul l’Esprit-Saint est appelé don. Mais ce qui convient à une seule personne lui est propre. Donc le nom de don est propre à l’Esprit-Saint.

[1425] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod donum et datum differunt, ut in littera dicitur: et horum differentia potest attendi quantum ad tria ; scilicet quantum ad consignificationem. Datum enim consignificat tempus, cum sit participium ; donum autem non, cum sit nomen. Inde est quod donum competit magis divinis, quae sine tempore sunt, quam datum: unde donum potest esse aeternum, sed non datum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que don diffère du donné, ainsi qu’on le dit dans le document : et la différence qu’il y a entre eux peut se prendre de trois manières ; c’est-à-dire soit quant  à ce qu’elles consignifient.  Le donné en effet consignifie le temps puisqu’il est un participe, mais non le don qui est un nom. Et de là le don appartient davantage aux personnes divines, lesquelles existent en dehors du temps, que le donné : c’est pourquoi le don peut être éternel mais non le donné.

Item quantum ad significationem, quia donare addit supra dare. Donum enim, ut dicit philosophus IV Top., cap. 2, est datio irreddibilis, non quae recompensari non valeat, sed illa quae recompensationem non quaerit.

Soit deuxièmement quant à leur signification, car faire une donation ajoute à donner. Une donation, ainsi que le dit le Philosophe [IV Topiques, ch. 2], est un don qui ne peut être rendu, non pas celui qui ne vaut pas d’être récompensé, mais celui qui ne cherche pas à être récompensé. C’est pourquoi la donation implique une libéralité chez celui qui donne.

Unde donum importat liberalitatem in dante. Item quantum ad modum significandi: quia donum importat aptitudinem ad dandum ; datum autem importat dationem in actu. Aptitudo autem ad dandum potest attendi dupliciter ; vel ex parte ipsius dati, quasi passiva, sicut calefactibile ad calefactionem aptitudinem importat: vel ex parte dantis quasi activa ; et talis aptitudo est secundum rationem qua aliquid datur liberaliter.

Soit troisièmement quant au mode de signifier : car la donation implique une aptitude à l’acte de donner alors que le don implique l’action de donner en acte. Mais l’aptitude à donner peut se prendre de deux manières ; soit du côté de ce qui est donné, comme étant passive, comme ce qui peut être réchauffé implique une aptitude au réchauffement ; soit du côté de celui qui donne, comme étant active ; et une telle aptitude  existe d’après la raison par laquelle quelque chose est donné avec libéralité.

Ratio autem omnis liberalis collationis est amor: quod enim propter cupiditatem datur, vel propter timorem, non liberali datione datur ; sed talis datio magis dicitur quaestus vel redemptio.

Mais la raison ou la cause de toute contribution libérale est l’amour : en effet, ce qui est donné à cause de la cupidité ou de la crainte n’est pas donné par une donation libérale, mais une telle donation s’appelle plutôt une recherche de profit ou un trafic.

Quia igitur Spiritus sanctus est amor, ex ratione suae processionis habet in se et quod detur, et quod sit ratio dandi: unde est donum per se, et primo ; alia autem quae dantur non sunt dona nisi secundum quod participant aliquid amoris, ut ex amore data.

Donc, parce que l’Esprit-Saint est amour, c’est en raison de sa procession qu’il est en son pouvoir d’être donné et d’être la raison de donner : c’est pourquoi il est le premier don, et il l’est essentiellement ; mais les autres choses qui sont données ne sont données que selon qu’elles participent de l’amour, en tant qu’elles sont données par amour.

Si igitur colligantur tres dictae rationes doni, adjuncta auctoritate dantis ad donum, patet quod in Trinitate donum Spiritui sancto convenit secundum suam processionem aeternam, inquantum procedit ut amor, qui est ratio liberalis collationis. Unde sicut amor est sibi proprium, ita donum.

Si donc nous rassemblons les trois raisons du don que nous avons dites, si on y ajoute l’autorité de celui qui donne par rapport à ce qui est donné, il est clair que dans la Trinité le don convient à l’Esprit-Saint selon sa procession éternelle, en tant qu’Il procède comme amour, lequel est la raison d’une contribution libérale. C’est pourquoi le don, tout comme l’amour, lui est propre.

 [1426] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod donum non importat missionem in actu, sed rationem liberalis collationis vel dationis ; quae quamvis sit idem re quod missio in divinis personis, tamen differunt ratione. Unde quamvis Filius detur vel mittatur, tamen ratio liberalis dationis est amor, qui est Spiritus sanctus: et ista ratio non pertinet ad Filium: unde non proprie potest dici donum, etsi dicatur datus.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le don n’implique pas la mission en acte, mais la cause d’une contribution ou d’une donation libérale ; laquelle, bien qu’elle soit identique par la chose à la mission chez les personnes divines, en diffère cependant par la raison. C’est pourquoi, bien que le Fils soit envoyé ou donné, cependant la raison ou la cause de la donation libérale est l’amour qui est l’Esprit-Saint : et cette raison n’appartient pas au Fils : c’est pourquoi, bien qu’on dise de Lui qu’il est donné, on ne peut dire de Lui à proprement parler qu’il est don.

[1427] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dictum est, distin. 13, quaest. unica, art. 3, processio Filii nominatur etiam quantum ad proprium suum modum, scilicet nomine suae generationis ; et ideo ex propria sua processione potest trahi sua proprietas, scilicet Filius. Sed processio Spiritus sancti non habet nomen quantum ad modum suae processionis proprium. Unde ex actu personali quo significatur procedere, non potest trahi ad proprium pertinens ad modum processionis, secundum quod dicitur amor vel donum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que, ainsi que nous l’avons dit [dist. 13, quest. unique, art. 3] la procession du Fils est aussi dénommée quant au mode qui lui est propre, à savoir par le nom de sa génération ; et c’est pourquoi sa propriété, à savoir d’être Fils,  peut se tirer de sa procession propre. Mais la procession de l’Esprit-Saint ne possède pas un nom quant au mode qui est  propre à sa procession. C’est pourquoi, selon qu’il est appelé amour ou don, son nom ne peut se ramener à ce qui lui appartient en propre quant à son mode de procession à partir de l’acte personnel par lequel on signifie de Lui qu’il procède.

[1428] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc nomen donum vel datum, praeter relationem ex qua dicitur donum vel datum, dat intelligere rem quamdam quae datur ; quamvis forte non sicut partem significationis nominis, quia subjectum non includitur in significatione nominis significantis accidens concretive, ut dicit Commentator, quamvis Avicenna, V metaph., text. 14, contrarium senserit. Sed ad rationem dati vel doni, nihil refert utrum illa res data sit in hoc genere vel in illo: et secundum quod coarctatur donum conditionibus praedictis, oportet quod res illa data relationem significet: quia donum, ut ratio dandi, est amor ; nec amor potest dari ut respectu cujus habeatur auctoritas nisi personalis quae ad aliquid est.

3. Il faut dire en troisième lieu que les noms de don ou de donné, en dehors de la relation à partir de laquelle on dit don ou donné, donnent à entendre une chose qui est donnée, bien que ce ne soit peut-être pas comme une partie de la signification du nom, car le sujet n’est pas inclus dans la signification du nom qui signifie l’accident concrètement comme le dit le Commentateur, bien qu’Avicenne [V Métaphysique, texte 14] ait pensé le contraire. Mais il est indifférent à la définition du don ou du donné que la chose donnée soit dans tel ou tel autre genre : et selon que le don se limite aux conditions que nous avons dites, il faut que cette chose donnée signifie une relation : car le don, comme la raison de donner, est l’amour ; et l’amour ne peut être donné comme en rapport à ce qui possède l’autorité que si cette autorité qui est une relation est personnelle.

[1429] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut est in essentialibus, quod una essentia communis est bonitas et sapientia et omnia alia attributa, secundum diversas rationes ; ita etiam in personalibus: quia una proprietas vel notio secundum rem differt secundum diversas rationes significandi in nomine ; sicut proprietas Verbi alio modo significatur dum dicitur Filius, et dum dicitur Verbum. Ita etiam proprietas Spiritus sancti potest secundum diversas rationes diversis nominibus significari ; et potest esse quod secundum rationem intelligendi una illarum rationum consequatur ad aliam, sicut etiam est in essentialibus attributis, quod voluntas praesupponit intellectum. Unde ratio doni consequitur rationem amoris simili modo.

4. Il faut dire en quatrième lieu que tout comme dans les attributs essentiels il y a une seule essence commune qui est la bonté et la sagesse et tous les autres attributs d’après différentes définitions, il en est de même encore pour les attributs personnels : car une même propriété ou une même notion selon la chose diffère d’après différentes raisons de signifier dans le nom ; par exemple, la propriété du Verbe est signifiée différemment selon qu’il est appelé Fils et selon qu’il est appelé Verbe. De même encore la propriété de l’Esprit-Saint peut être signifiée par différents noms selon différentes raisons ; et il peut arriver que, suivant la raison de comprendre, une de ces raisons découle d’une autre, comme cela se produit aussi dans les attributs essentiels, à savoir que la volonté présuppose l’intelligence. C’est pourquoi, de la même manière, la notion de don découle de la notion d’amour.

 

 

[1430] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 tit. Utrum per donum, quod Spiritus sanctus est, dentur omnia dona

Article 3 – Est-ce que tous les dons sont donnés par le don qui est l’Esprit Saint ?

[1431] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod per donum, quod est Spiritus sanctus, non dentur omnia dona. Sicut enim dicit philosophus, V Physic., text. 10, alterationis non est alteratio: alias in infinitum abiretur. Si ergo donum datur per donum, ibitur in infinitum ; et hoc non est ponere. Ergo videtur quod dona non dentur per aliud donum.

Difficultés :

1. Il semble que tous les dons ne soient pas donnés par ce don qu’est l’Esprit-Saint. En effet, tout comme le dit le Philosophe [V Physique, texte 10], il n’y a pas d’altération de l’altération : autrement, il faudrait aller à l’infini. Si donc un don est donné par un don, on ira à l’infini ; et cela est impossible. Il semble donc que les dons ne soient pas donnés par un don.

[1432] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, ut supra habitum est ex verbis Hilarii, d. XVI ex IX de Trinit., ipsa essentia divina est data a Patre Filio. Si igitur omne datum datur per Spiritum sanctum, tunc essentia datur Filio per Spiritum sanctum ; et hoc est inconveniens, quia Spiritus sanctus esset principium Filii. Ergo videtur quod per hoc donum non dentur omnia dona.

2. Par ailleurs, comme nous l’avons établi à partir des paroles de Saint-Hilaire [1X De la Trinité] à la distinction XVI, l’essence divine est donnée par le Père au Fils. Si donc tout don est donné par l’Esprit-Saint, alors l’essence est donnée au Fils par l’Esprit-Saint; et cela est impossible car l’Esprit-Saint serait ainsi le principe du Fils. Il semble donc que tous les dons ne soient pas donnés par ce don.

[1433] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, Filius est etiam datus nobis, Isaiae 9. Sed Spiritus sanctus non habet aliquam rationem principii respectu Filii. Ergo videtur quod non omne datum detur per hoc donum.

3. En outre, le Fils aussi nous est donné (Isaïe, 9). Mais l’Esprit-Saint n’a pas raison de principe par rapport au Fils. Il semble donc que ce ne soit pas tout don qui soit donné par ce don qu’est l’Esprit-Saint.

[1434] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, nihil datur per donum aliquod, nisi illud donum detur. Sed multa dantur nobis a Deo, in quibus non datur Spiritus sanctus, sicut data naturalia, et gratiae gratis datae. Ergo videtur quod non omnia dona dentur per hoc donum.

4. De plus, rien n’est donné par un don, à moins que ce don ne soit donné. Mais plusieurs choses nous sont données par Dieu dans lesquelles l’Esprit-Saint n’est pas donné, par exemple les dons naturels, et les grâces données gratuitement. Il semble donc que ce ne soient pas tous les dons qui sont donnés par ce don.

[1435] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur. Praeterea, illud quod est primum in quolibet genere, est causa omnium quae sunt in genere illo ut habetur ex verbis philosophi,II Metaph., text. 4. Sed Spiritus sanctus habet rationem primi doni, inquantum ipse est amor Patris et Filii. Ergo videtur quod per hoc donum omnia dentur.

Cependant :

1. On dit le contraire dans le Document. Par ailleurs, ce qui est premier dans tout genre est la cause de tout ce qu’on retrouve dans ce genre, ainsi que l’établissent les paroles du Philosophe [11 Métaphysique, texte 4]. Mais l’Esprit-Saint a raison de premier don, en tant qu’il est l’amour qu’il y a entre le Père et le Fils. Il semble donc que ce soit par ce don que tout le reste nous est donné.

[1436] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod aliquid dicitur dari multipliciter:

quandoque ex ipsa proprietate naturae, secundum quod dicimus quod ignis dat calorem suum et sol splendorem, et hujus dationis non est principium voluntas:

quandoque ex voluntate, ut principio dationis ; et hoc contingit dupliciter ;

quandoque enim per dationem intenditur aliqua utilitas ipsius dantis, vel quantum ad remotionem mali, sicut quando aliquid datur ex timore, et talis datio dicitur redemptio ;

vel quantum ad acquisitionem alicujus boni, et talis datio est proprie quaestus, vel venditio ;

quandoque autem non intenditur utilitas aliqua in ipso dante, et haec datio dicitur liberalis, et proprie dicitur donatio.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que c’est de plusieurs manières qu’une chose est donnée :

Parfois à partir de la propriété même de la nature, selon que nous disons que le feu donne sa chaleur et que le soleil donne sa lumière, et la volonté n’est pas le principe d’un tel don.

Parfois à partir de la volonté comme principe de don, et cela est possible de deux manières ; parfois par le don c’est l’utilité de celui-là même qui donne qui est recherchée, soit pour éloigner un mal comme lorsque quelque chose est donné par crainte et un tel don s’appelle rançon ; soit pour acquérir un bien, et un tel don s’appelle proprement un profit ou une vente ;

Mais parfois celui qui donne ne recherche aucune utilité et on dit alors du don qu’il est libéral et s’appelle proprement donation.

Constat autem quod illa datio in qua intenditur utilitas dantis nunquam competit Deo ; unde ipse [ipsa Ed. de Parme] singulariter dicitur liberalis, quia in omnibus aliis dantibus intenditur aliqua utilitas in dante vel boni temporalis vel spiritualis. Unde nulla datio est pure liberalis, ut dicit Avicenna, nisi Dei et operatio ipsius. Ratio autem liberalis dationis est amor qui, secundum Dionysium, IV cap. de divin. Nomin. § 1, col 694 ; movet superiora ad provisionem minus habentium. Et quia Spiritus sanctus est amor, ideo ipse est ratio omnium eorum datorum quorum principium est divina voluntas, sicut sunt omnia data creaturis.

Il est clair cependant que ce don dans lequel est recherchée une utilité du côté de celui qui donne ne se retrouve jamais en Dieu ; c’est pourquoi on dit de lui [elle Éd. de Parme] qu’il est exceptionnellement libéral car une utilité, temporelle ou spirituelle, est recherchée dans celui qui donne chez tous les autres donneurs. C’est pourquoi aucun acte de donner n’est purement libéral, comme le dit Avicenne, si ce n’est celui de Dieu et son opération. Mais la raison du don libéral est l’amour qui, selon Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 1, col. 694] meut les êtres supérieurs à pourvoir à ceux qui possèdent moins. Et parce que l’Esprit-Saint est amour, c’est pourquoi il est Lui-même la raison de tous ces dons dont le principe est la divine volonté, comme tout ce qui est donné aux créatures.

[1437] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod philosophus intendit dicere, quod alteratio non terminatur ad alterationem, per se loquendo ; non tamen intendit dicere, quod una alteratio non possit esse causa alterius: et ita etiam unum donum potest esse causa alterius [ et ita… alterius om. Ed. de Parme] et non ibitur in infinitum, quia erit devenire ad primum donum quod datur per seipsum, et non per aliud donum Spiritus sancti.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le Philosophe cherche à dire que le terme de l’altération, à parler essentiellement, n’est pas l’altération ; cependant il ne cherche pas à dire qu’une altération ne peut être la cause d’une autre altération : et ainsi encore un don peut être la cause d’un autre don [et ainsi… d’un autre om. Éd. de Parme] et alors on ne procédera pas à l’infini car il faudra en venir à un premier don qui se donne par lui-même et non par un autre don de l’Esprit-Saint.

[1438] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod datio illa qua Pater dat essentiam Filio est datio ex proprietate naturae ; unde ad illam dationem comparatur natura ut principium et non voluntas, ut supra dictum est, dist. 15, quaest. 3, art. 1, et ideo talis datio non est per Spiritum sanctum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que ce don par lequel le Père donne l’essence au Fils est un don à partir d’une propriété de nature ; c’est pourquoi c’est la nature, et non la volonté, qui se compare à ce don comme principe, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 15, quest. 3, art. 1] ; et c’est pourquoi un tel don n’a pas lieu par l’Esprit-Saint.

[1439] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus non sit principium Filii, est tamen principium effectus secundum quem Filius dicitur dari vel mitti: et ideo etiam ipse Filius est datus per donum quod est Spiritus sanctus, scilicet per amorem: unde dicitur Joan. 3, 16: sic Deus dilexit mundum ut Filium suum unigenitum daret.

3. Il faut dire en troisième lieu que bien que l’Esprit-Saint ne soit pas le principe du Fils, il est cependant le principe de l’effet selon lequel on dit du Fils qu’il est donné ou envoyé : et c’est pourquoi encore le Fils lui-même est donné par le le don qu’est l’Esprit-Saint, à savoir par l’amour : c’est pourquoi on lit [Jean, 3, 16] : Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique.

[1440] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis omnia dona et naturalia et gratuita, dentur nobis a Deo per amorem, qui est primum donum, non tamen in omnibus donis datur ipse amor, sed tantum in dono quod est similitudo illius amoris, scilicet in dono caritatis. Cum enim dicitur, quod alia dona dantur per donum amoris, qui est Spiritus sanctus, praepositio per non notat causam ex parte recipientis, ut sit sensus: per hoc quod recipit donum amoris, recipit alia dona: sed notat habitudinem causae ex parte dantis, qui per hoc quod amat creaturam suam, omnia data dat.

4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que tous les dons, à la fois ceux qui sont naturels et ceux qui sont reçus par pure grâce, nous viennent de Dieu par l’amour qui est le premier don ; ce n’est cependant pas dans tous les dons que se donne l’amour lui-même, mais seulement dans ce don qui est une similitude de cet amour, à savoir dans le don de la charité. En effet, puisqu’il a été dit que que les autres dons sont donnés par le don de cet amour qui est l’Esprit-Saint, la préposition ¨par¨ ne désigne pas la cause du côté de celui qui reçoit, de telle manière qu’on voudrait dire : par cela même qu’il reçoit le don de l’amour, il reçoit les autres dons ; mais cette proposition indique un rapport de causalité du côté de celui qui donne, lequel, par cela même qu’il aime sa créature, lui donne tous les autres dons.

 

 

Articulus 4 [1441] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 tit. Utrum eadem processione Spiritus sanctus habeat quod sit donum et Deus

Article 4 – L’Esprit Saint tient-il de la même procession d’être don et Dieu ?

[1442] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod non eadem processione Spiritus sanctus habeat quod sit Deus et quod sit donum. Non enim est eadem ratio communis et proprii. Sed donum est proprium Spiritui sancto. Deus autem est commune. Ergo non est idem donum et Deus.

Difficultés :

1. Il semble que ce ne soit pas de la même procession que l’Esprit-Saint tienne d’être Dieu et d’être don. En effet, la raison commune n’est pas identique à la raison propre. Mais le don est propre à l’Esprit-Saint alors que la divinité est commune aux trois Personnes. Ce n’est donc pas pour la même raison que l’Esprit-Saint est don et qu’Il est Dieu.

[1443] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, quidquid habet Spiritus sanctus per processionem, secundum rationem intelligendi consequitur ipsam processionem. Sed deitas non est consequens processionem: quia non procedit neque per se neque per accidens, sicut etiam non generatur. Ergo videtur quod Spiritus sanctus non habet per processionem quod sit Deus.

2. Par ailleurs, tout ce que l’Esprit-Saint possède de par la procession découle de la procession elle-même, conformément à la manière de comprendre. Mais la divinité ne découle pas de la procession : car elle ne procède ni essentiellement, ni accidentellement, tout comme aussi elle n’est pas engendrée. Il semble donc que ce ne soit pas par sa procession que l’Esprit-Saint tienne d’être Dieu.

[1444] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, Spiritus sanctus non est Deus, nisi inquantum habet deitatem. Sed per processionem recipit totam deitatem a Patre. Ergo processione est Deus.

Cependant:

1. Au contraire, l’Esprit-Saint n’est Dieu qu’en tant qu’il possède la divinité. Mais c’est par procession qu’il reçoit toute sa divinité du Père. C’est donc par procession qu’il est Dieu.

[1445] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod sicut in Filio est significare proprietatem ejus per modum relationis, ut cum dicitur filiatio, et per modum exitus vel emanationis, ut cum dicitur generatio passive, vel nativitas ; ita esset etiam in Spiritu sancto, si nomina essent posita ; sed propter defectum nominum utimur eodem nomine ad significandum emanationem ipsius, et proprietatem vel relationem, scilicet nomine processionis. Dico igitur, quod processio potest dicere emanationem Spiritus sancti, vel relationem sive proprietatem ejus

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout comme pour le Fils sa propriété doit être signifiée par le mode de relation, comme lorsqu’on parle de filiation , ou par la modalité de sortie ou d’émanation, comme lorsqu’on parle de génération passive ou de naissance, il en serait de même pour l’Esprit-Saint si des noms avaient été posés ; mais en raison d’un défaut de nom nous nous servons du même nom pour signifier son émanation et sa propriété ou sa relation, à savoir du nom de procession. Je dis donc que la procession peut dire l’émanation de l’Esprit-Saint aussi bien que sa relation ou sa propriété.

Si relationem vel proprietatem, sic Spiritus sanctus proprietate sua, formaliter loquendo, est Spiritus sanctus et donum et amor, non autem Deus, sicut nec Filius filiatione est Deus formaliter loquendo, sed filiatione est Filius, et deitate Deus, et sapientia sapiens. Si dicat emanationem, tunc potest dici, quod Spiritus sanctus sua processione est Deus et donum, sicut etiam Filius sua nativitate est Filius et Deus ; sed diversimode: quia deitas se habet ad generationem solum ut accepta per generationem ; sed filiatio, secundum rationem intelligendi, est consequens generationem.

Si elle dit la relation ou la propriété, alors l’Esprit-Saint, de par sa propriété, à parler formellement, est à la fois don et amour, mais non pas Dieu ; tout comme le Fils, de par sa filiation n’est pas Dieu formellement parlant, mais par la filiation il est Fils, par sa divinité il est Dieu et par sa sagesse il est sage. Mais si la procession disait l’émanation, alors on pourrait dire que l’Esprit-Saint par sa procession est Dieu et don, tout comme aussi le Fils par sa naissance est Fils et Dieu, mais d’une manière différente : car la divinité se rapporte à la génération seulement comme reçue au moyen de la génération ; mais la filiation, d’après la manière de la comprendre, découle de la génération.

Et simili ratione consequitur quod Filius nascendo accipiat divinitatem ; et non solum ita quod gerundium importet concomitantiam, ut cum [cum om. Éd. de Parme] dicitur de aliquo: currendo est homo: sed importat ordinem ad acceptum, ut sit sensus: Filius nascendo accepit deitatem ; idest, per nativitatem accepit divinitatem. Et similiter est de processione Spiritus sancti. Haec autem plenius dicta sunt supra, dist. 10, quaest. unic. art. 1.

Et il s’ensuit pour la même raison que le Fils en naissant reçoit la divinité ; et non seulement de telle manière que le gérondif implique un accompagnement , comme lorsqu’on [lorsque om. Éd. de Parme] dit de quelqu’un : l’homme en courant ; mais se telle manière qu’il implique un ordre à l’égard de ce qui est reçu, de telle manière que le sens soit le suivant : le Fils en naissant reçoit la divinité, c’est-à-dire que c’est au moyen de la naissance qu’Il reçoit la divinité. Et il en est de même au sujet de la procession de l’Esprit-Saint. Mais nous avons parlé plus clairement de ces choses plus haut [dist. 10, quest. unique, art. 1].

[1446] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non eodem modo formaliter secundum rationem Spiritus sanctus est Deus et donum ; sed per eamdem emanationem habet utrumque: quia sicut Filius nihil habet nisi quod nascendo accepit, ita et Spiritus sanctus nihil habet nisi quod procedendo accepit.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que selon la raison ce n’est pas de la même manière formellement parlant que l’Esprit-Saint est à la fois Dieu et don ; mais c’est par la même émanation qu’il tient d’être les duex : car tout comme le Fils ne possède que ce qu’il a reçu en naissant, de même l’Esprit-Saint ne possède que ce qu’il a reçu en procédant.

[1447] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia divina non accepit novum esse in Spiritu sancto per processionem, cum unum et idem sit esse trium personarum ; et ideo non procedit neque per se neque per accidens ; neque etiam processionem consequitur ; sed hoc quod Spiritus sanctus habeat deitatem, convenit ei ex sua processione.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’essence divine n’a pas reçu une nouvelle existence dans l’Esprit-Saint par la procession, puisqu’il n’y a qu’une seule et même existence pour les trois personnes ; et c’est pourquoi elle ne procède si par essence ni par accident ; et elle ne découle pas non plus de la procession ; mais le fait que l’Esprit-Saint possède la divinité, cela lui appartient de par sa procession.

 

 

Articulus 5 [1448] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 tit. Utrum Spiritus sanctus possit dici donum nostrum

Article 5 – Peut-on appeler l’Esprit Saint notre don ?

[1449] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus possit dici donum nostrum. Donum enim dicitur secundum respectum ad creaturam. Sed eis quae important respectum ad creaturam, potest addi meum vel nostrum, ut creator noster. Ergo videtur quod Spiritus sanctus possit dici donum nostrum.

Difficultés :

1. ll semble que l’Esprit-Saint puisse être appelé notre don. Le don en effet se dit d’après un rapport à la créature. Mais à ce qui implique un rapport à la créature, on peut ajouter mon et  notre, comme dans ¨notre créateur¨. Il semble donc que l’Esprit-Saint puisse être appelé notre don.

[1450] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 2 Item, sanctus nihil adimit de ratione hujus quod dicitur spiritus. Sed dicitur spiritus noster, ut Spiritus Eliae. Ergo videtur quod potest dici Spiritus sanctus noster.

2. En outre, ¨saint¨ n’enlève rien de la signification de ce qu’on veut dire quand on dit ¨esprit¨. Mais on dit notre esprit, comme l’Esprit d’Élie. Il semble donc qu’Il puisse être appelé notre Esprit-Saint.

[1451] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 3 Item, sicut Filius importat relationem aeternam, a qua imponitur, ita et Pater. Sed dicitur Pater noster. Ergo etiam potest dici Filius noster.

3. De plus, tout comme le Fils apporte avec Lui une relation éternelle par laquelle il est porté, il en est de même pour le Père. Mais on dit ¨notre Père¨. On peut donc aussi dire ¨notre Fils¨.

[1452] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, quidquid datur nobis, est nostrum. Sed Filius datus est nobis. Ergo est Filius noster.

4. Par ailleurs, tout ce qui nous est donné est nôtre. Mais le Fils nous est donné. Donc le Fils est nôtre.

[1453] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, in Deo idem est deitas et Deus et sapientia et bonitas et omnia hujusmodi. Sed dicitur Deus noster ; ergo etiam potest dici Deus sapientia nostra vel essentia nostra.

5. En outre, la divinité, Dieu, la sagesse, la bonté et tous les caractères de cette sorte sont identiques en Dieu. Mais on dit ¨notre Dieu¨ ; donc, Dieu peut aussi être appelé notre sagesse ou notre essence.

[1454] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 arg. 6 Sed e converso videtur quod non potest dici Deus noster. In pronomine enim nostrum vel meum, importatur aliqua habitudo vel relatio creatoris ad creaturam. Sed Deus est nomen absolutum et nomen naturae, ut dicit Ambrosius, lib. I De fide, cap. 1, col. 552. Ergo videtur quod non potest dici Deus noster.

6. Mais au contraire il semble qu’on ne puisse dire ¨notre Dieu¨. En effet, dans les pronoms ¨le nôtre¨ et ¨le mien¨ est impliqué un rapport ou une relation du créateur à la créature. Mais Dieu est un nom absolu et un nom de nature, comme le dit Saint-Ambroise [De la Foi, livre 1, ch. 1, col. 552]. Il semble donc qu’on ne puisse dire ¨notre Dieu¨.

[1455] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod Deus non potest habere aliquam relationem ad nos, nisi per modum principii. Cum autem causae sint quatuor, ipse non est causa materialis nostra ; sed se habet ad nos in ratione efficientis et finis et formae exemplaris, non autem in ratione formae inhaerentis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que Dieu ne peut avoir une relation à nous qu’à la manière d’un principe. Mais comme il y a quatre causes, Il ne peut être notre cause matérielle ; mais il se présente à nous sous le rapport d’une cause efficiente, d’une fin et d’une forme exemplaire, mais non sous le rapport d’une forme inhérente.

Considerandum est igitur in nominibus divinis, quod omnia illa nomina quae important rationem principii per modum efficientis vel finis recipiunt additionem dictorum pronominum, sicut dicimus: creator noster et bonum nostrum. Ea autem quae dicuntur per modum formae inhaerentis, non recipiunt dictorum pronominum additionem ; et talia sunt nomina omnia divina, quae in abstracto significantur, quae omnia significantur per modum formae, ut essentia, bonitas et hujusmodi. Unde in talibus non potest fieri additio.

Il faut donc considérer dans les noms divins, que tous ces noms qui impliquent la relation de principe à la manière d’une cause efficiente et d’une fin reçoivent d’addition de ces pronoms dont on vient de parler, comme lorsque nous disons : notre créateur et notre bien. Mais ceux qui se disent à la manière d’une forme inhérente ne reçoivent pas l’addition de ces pronoms ; et tels sont tous les noms divins qui signifient dans l’abstrait, lesquels signifient tous à la manière d’une forme, comme l’essence, la bonté et les caractères de cette sorte. C’est pourquoi il ne peut y avoir dans ces cas l’addition de ces pronoms.

Non enim possum dicere, quod Deus sit essentia nostra vel substantia vel aliquid hujusmodi. Tamen in istis nominibus considerandus est quidam ordo. Quia quaedam horum abstractorum important rationem principii efficientis et exemplaris, ut sapientia et bonitas et hujusmodi, quando fit additio dictorum pronominum, ut cum dicimus, Deus est sapientia nostra causaliter, per modum quo dicitur spes nostra: quia per ejus sapientiam efficitur in nobis sapientia exemplata a sua sapientia, per quam sapientes sumus formaliter. Quaedam autem non important rationem principii, nisi forte exemplaris, et talibus non consuevit fieri dicta additio. Non enim consuetum est dici, quod Deus sit essentia nostra, vel substantia nostra. Tamen etiam quandoque istis nominibus fit talis additio propter habitudinem principii exemplaris: sicut Dionysius dicit, IV cap. cael. hier. § 1, quod esse omnium est superesse deitatis ; licet hujusmodi locutiones magis sint exponendae quam extendendae.

Je ne peux dire en effet que Dieu est notre essence, notre substance ou quelque chose de la sorte. Cependant dans ces noms il y a un ordre à considérer. Car certains de ces noms abstraits comportent le rapport de principe efficient et exemplaire, comme la sagesse, la bonté et les autres quand il y a addition de ces pronoms, comme lorsque nous disons que Dieu est notre sagesse à titre de cause, à la manière par laquelle nous disons de Lui qu’il est notre espoir : car c’est au moyen de sa sagesse qu’une imitation de la sagesse est produite en nous par sa sagesse et par laquelle nous sommes formellement sages. Mais d’autres ne comportent pas le rapport de principe, si ce n’est peut-être le rapport de principe exemplaire et pour eux il n’est pas coutume qu’il y ait une telle addition. Il n’est pas coutume en effet de dire que Dieu est notre essence ou notre substance. Cependant il arrive aussi parfois qu’il y ait une telle addition à cause du rapport de principe exemplaire : tout comme Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. IV, &1] dit que la supra-existence de Dieu est l’existence de tous les êtres, bien qu’on doive davantage expliquer de telles expressions que les répandre.

[1456] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod donum importat quamdam relationem in actu, scilicet ad dantem, et quamdam solum in aptitudine, quantum est in ratione sui nominis, scilicet ad eum cui datur ; et ideo potest semper dici donum dantis ; sed non est ejus cui datur, nisi quando sibi est datum in actu ; et propter hoc dicimus datum nostrum et non donum nostrum.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le don implique une relation en acte, à savoir par rapport à celui qui le donne, et une seulement dans l’aptitude quant à la signification de son nom, à savoir par rapport à celui à qui il est donné ; et c’est pourquoi on peut toujours dire qu’il est le don de celui qui donne et non pas qu’il est le don de celui à qui il est donné, si ce n’est quand il lui est donné en acte ; et c’est pour cette raison que nous disons notre donné et non pas notre don.

[1457] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Spiritus sanctus est quaedam circumlocutio inventa ad exprimendum personam Spiritus sancti: ipse autem, inquantum est persona subsistens, non importat relationem principii, sed magis ejus qui est a principio ; et ideo non potest dici Spiritus sanctus noster ; sed Spiritus importat rationem principii, inquantum a spiritu est inspiratio, propter quod potest dici Spiritus noster.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’Esprit-Saint est une expression inventée pour exprimer la personne de l’Esprit-Saint : mais Lui-même, en tant qu’Il est une personne subsistante, n’implique pas la relation de principe mais plutôt de ce qui vient du principe ; et c’est pourquoi il ne peut être appelé notre Esprit-Saint ; mais il comporte la notion de principe, pour autant que c’est pas l’Esprit qu’il y a inspiration, pour laquelle il peut être appelé notre Esprit.

[1458] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Pater importat rationem principii, Filius autem non, sed magis ejus quod est a principio ; et ideo non potest dici Filius noster, sicut dicitur Pater noster ; quamvis etiam non dicatur Pater noster, prout imponitur nomen a paternitate aeterna: sic enim est Pater solius Filii naturalis.

3. Il faut dire en troisième lieu que le Père implique le rapport de principe mais non le Fils qui implique plutôt le rapport de ce qui vient du principe ; et c’est pourquoi il ne peut être appelé notre Fils, comme on dit notre Père, bien qu’il ne puisse aussi être appelé notre Père pour autant que le nom est imposé en partant d’une paternité éternelle : en ce sens en effet il n’est le Père que du seul Fils naturel.

[1459] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Filius datus sit nobis, non tamen datus est nobis in Filium, sed in doctorem vel salvatorem ; et ideo potest dici salvator noster, sed non filius noster. Et si objiciatur: est Filius et est noster ; ergo est filius noster, patet quod est fallacia accidentis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que le Fils nous soit donné, il ne nous est cependant pas donné en tant que Fils, mais en tant que maître ou sauveur ; et c’est pourquoi il peut être appelé notre sauveur et non notre Fils. Et si on objecte qu’il est Fils, qu’il est nôtre, et qu’il est donc notre Fils, il est clair qu’il s’agit d’un sophisme de l’accident.

[1460] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sapientia in abstracto significata [significata om. Éd. de Parme] significat id quo aliquis est formaliter sapiens ; et propter hoc ratione praedicta non potest proprie dici quod sit sapientia, nisi per modum qui dictus est, in corp. art.

5. Il faut dire en cinquième lieu que la sagesse signifiée dans l’abstrait [signifiée om. Éd. de Parme] signifie ce par quoi quelqu’un est formellement sage ; et à cause de cela, pour la raison que nous avons dite, on ne peut proprement dire qu’il soit la sagesse, si ce n’est de la manière que nous avons dite dans le corps de l’article.

[1461] Super Sent., lib. 1 d. 18 q. 1 a. 5 ad 6 Ad ultimum dicendum, quod Deus, quamvis significet essentiam divinam quantum ad id cui imponitur, tamen quantum ad id a quo imponitur nomen, significat operationem, ut supra dictum est ex verbis Damasceni. Et ideo potest dici Deus noster. Tamen diversimode potest dici Deus omnium et justorum ; Deus enim dicitur omnium propter relationem principii, inquantum scilicet est creator omnium ; dicitur autem Deus justorum specialiter, secundum rationem finis quem contingunt ; et ideo dicitur etiam ab eis haberi. Alia enim licet ordinentur in ipsum sicut in finem, non tamen consequuntur ipsum, nisi justi qui conjunguntur sibi per gratiam et gloriam: et ideo etiam omnium communiter dicitur vel finis vel aliquid hujusmodi ; sed absolute dicitur de justis quia Deus est eorum, quia habent ipsum sicut suam hereditatem, et per quemdam modum possessionis.

6. Il faut dire finalement que le nom de Dieu, bien qu’il signifie l’essence divine quant à celui à qui il est imposé, cependant quant à celui par qui le nom a été imposé, ce nom signifie l’opération, ainsi que nous l’avons dit plus haut en nous appuyant sur les paroles de Damascène. Et c’est pourquoi Il peut être appelé notre Dieu. C’est cependant d’une manière différente qu’il peut être appelé le Dieu de tous et le Dieu des justes ; on dit en effet qu’Il est le Dieu de tous à cause de la relation de principe, à savoir pour autant qu’Il est le créateur de tous ; mais il est appelé le Dieu des justes d’une manière spéciale, selon la raison de fin qu’ils atteignent ; et c’est pourquoi on dit encore qu’Il est possédé par eux. Les autres en effet, bien qu’ils soient ordonnés à lui comme à leur fin cependant ils n’y parviennent pas, sauf les justes qui Lui sont unis par la grâce et la gloire : et c’est pourquoi on dit encore généralement de lui qu’il est la fin de tous ou quelque chose de cette sorte ; mais c’est d’une manière absolue qu’on L’attribue aux justes, car Dieu appartient à ceux qui le possèdent comme leur héritage et à la manière d’une certaine propriété.

 

 

Distinctio 19

Distinction 19 – [Les personnes divines, leurs relations, leur égalité]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quaeruntur duo.

Primo de aequalitate.

Secundo de illis in quibus attenditur aequalitas.

Circa primum quaeruntur duo:

1 an in divinis sit aequalitas ;

2 an ibi sit mutua aequalitas.

On s’interroge ici sur deux choses.

En premier lieu sur l’égalité.

En deuxième lieu sur les choses dans lesquelles on observe l’égalité.

Et au sujet du premier point on se demande deux choses :

1. Y a-t-il égalité chez les personnes divines ?

2. Est-ce qu’il y a là une égalité réciproque ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’égalité des personnes divines]

 

 

Articulus 1 [1464] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 tit. Utrum aequalitas sit in divinis

Article 1 – Y a-t-il de l’égalité en Dieu ?

[1465] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aequalitas non sit in divinis. Sicut enim dicit philosophus V Métaph., c XV, unum in quantitate facit aequale. Sed in Deo non est quantitas, ut supra dixit Augustinus V De Trin., cap. 1, quod est sine quantitate magnus. Ergo videtur quod non sit aequalitas ibi.

Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait pas égalité en Dieu. En effet, ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique, ch. XV], c’est l’unité dans la quantité qui fait l’égalité. Mais il n’y a pas de quantité en Dieu ainsi que l’a dit Saint-Augustin plus haut [V De la Trinité, ch. 1], en disant qu’Il est grand mais sans la quantité. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’égalité en Dieu.

[1466] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid est in divinis de absolutis, significat divinam substantiam. Sed secundum unitatem substantiae attenditur identitas, et non aequalitas. Ergo videtur quod per hoc quod probatur una essentia trium personarum, magis probetur identitas quam aequalitas.

2. Par ailleurs, tout ce qui se trouve dans les caractères absolus en Dieu signifie la substance divine. Mais selon l’unité de la substance c’est l’identité qui est attendue et non l’égalité. Il semble donc qu’on prouve une seule essence pour trois personnes, c’est davantage l’identité que l’égalité qui est prouvée.

[1467] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, qualitas magis se habet ad spiritualia quam quantitas: quia quaedam species qualitatis, ut scientia et virtus et hujusmodi, inveniuntur in substantiis spiritualibus ; non autem species quantitatis, nisi forte numerus, secundum quem non attenditur haec aequalitas personarum. Ergo cum secundum qualitatem potius sit similitudo quam aequalitas, videtur quod ista convenientia in essentialibus magis dicenda sit similitudo quam aequalitas.

3. En outre, c’est davantage la qualité que la quantité qui se rapporte aux réalités spirituelles : car certaines espèces de qualité, comme la science, la vertu, et d’autres de la sorte, se retrouvent dans les substances spirituelles, mais on n’y retrouve pas des espèces de la quantité, si ce n’est peut-être le nombre qui ne s’applique pas à l’égalité des personnes. Donc puisque   selon la qualité il y a davantage similitude qu’égalité, il semble que cette ressemblance dans les termes essentiels doive danvantage être appelée similitude qu’égalité.

[1468] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis aequalitas dicit proportionem et commensurationem quamdam. Sed infinitorum non est aliqua commensuratio nec proportio. Cum igitur divinae personae infinitae sint, non videtur in eis esse aequalitas.

4. De plus, toute égalité dit une proportion et une certaine égalité de mesure. Mais il n’y a ni égalité de mesure ni proportion à l’égard de ce qui est infini. Donc, puisque les personnes divines sont infinies, il ne semble pas qu’il y ait entre elles égalité.

[1469] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium, est quod in symbolo Athanasii dicitur: et totae tres personae coaeternae sibi sunt et coaequales.

Cependant :

1. On dit le contraire dans le symbole de Saint-Athanase : Les trois Personnes sont coéternelles et égales entre elles.

[1470] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dicit philosophus, loc. cit., unum in substantia facit idem, unum in quantitate aequale, unum in qualitate facit simile.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que, comme le dit le Philosophe dans la citation précédente, l’un dans la substance fait l’identité, l’un dans la quantité fait l’égalité et l’un dans la qualité fait le semblable.

Quamvis autem in divinis non sit qualitas vel quantitas secundum communem rationem generis, sunt tamen ibi aliquae species qualitatis secundum proprias rationes suas, quantum ad differentias constitutivas ; et similiter aliquae species quantitatis secundum id quod est proprium eis, ut magnitudo et duratio: et ideo ratione eorum dicitur in divinis aequalitas et similitudo.

Mais bien que dans les personnes divines il n’y ait pas de qualité ou de quantité selon la notion commune de genre, il y a cependant là certaines espèces de qualité selon les notions qui leur sont  propres, quant aux différences constitutives ; et de même il y a certaines espèces de quantité selon ce qui leur est propre, comme la grandeur et la durée : et c’est pourquoi c’est en raison d’elles qu’on dit qu’il y a en Dieu égalité et similitude.

Sicut autem ea quae significantur per modum qualitatis, ut sapientia et hujusmodi, non sunt aliud secundum rem ab essentia, sed solum secundum rationem ; ita etiam similitudo et identitas in divinis differunt secundum rationem et non secundum rem, et similiter est de aequalitate.

Mais tout comme les caractères qui sont signifiés à la manière d’une qualité, comme la sagesse et d’autres de cette sorte, ne diffèrent pas de l’essence selon la chose mais seulement selon la raison, de même encore la similitude et l’identité chez les personnes divines diffèrent selon la raison et non selon la chose, et il en est de même pour l’égalité.

Et inde est quod diversimode invenitur aequalitas et similitudo in divinis personis et in aliis rebus. In aliis enim aequalibus non est eadem quantitas secundum essentiam, sed solummodo secundum commensurationem ; et similiter una qualitas secundum speciem ; quia in eis est aliud qualitas et essentia, quae respicit esse sicut actum proprium.

Et c’est de là que l’égalité et la similitude se retrouvent différemment dans les personnes divines et dans les autres choses. En effet, dans les autres choses qui sont égales, la quantité n’est pas la même selon l’essence mais seulement selon l’égalité de mesure ; et de la même manière la qualité est une selon l’espèce ; car en elles la qualité est autre que l’essence, laquelle s’intéresse à l’existence comme à l’acte qui lui est propre.

Qualitas autem vel quantitas non dicitur per respectum ad esse, sed tantum dicunt quidditatem alicujus generis. Unde potest dici una quantitas ubi non est unum esse ; sed non potest dici una essentia absolute, nisi ubi est unum esse ; et hoc est ubi est eadem essentia secundum numerum.

Mais la qualité ou la quantité ne se disent pas par rapport à l’existence, mais elles disent seulement la quiddité d’un genre. C’est pourquoi on peut parler d’une seule et même quantité là où il n’y a pas une seule existence ; mais on ne peut parler d’une seule et même essence absolument que là où il n’y a qu’une seule et même existence ; et cela ne se rencontre que là où il y a une seule et même essence selon le nombre.

[1471] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aequalitas non causatur ex uno in quantitate solum secundum rationem quantitatis communem, sed etiam secundum rationem alicujus speciei quantitatis. Ad rationem enim aequalitatis sufficit quod sit unitas numeri, vel etiam temporis. Et ita cum in divinis sit ratio aliquarum specierum quantitatis, potest ibi esse aequalitas proprie. Sed quia quod invenitur in pluribus, convenit eis secundum id quod est eis commune, et non secundum quod est eis proprium: ideo potest melius dici, quod aequalitas consequitur rationem quantitatis in communi, quae consistit in quadam divisibilitate: unde ratio quantitatis invenitur proprie in illis quae secundum se dividuntur ; et sic Deo non convenit. Invenitur etiam quodammodo in illis quorum divisio attenditur secundum ea quae extrinsecus sunt, sicut virtus dicitur divisibilis et quantitatis rationem habens ex ratione et divisione actuum et objectorum. Et talis ratio quantitatis, scilicet virtualis, Deo convenit, et per consequens aequalitas.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que l’égalité n’est pas causée par l’un dans la quantité seulement selon la définition universelle de la quantité, mais aussi selon la définition d’une espèce particulière de quantité. Il suffit en effet à la définition de l’égalité qu’il y ait unité de nombre ou même de temps. Et ainsi puisqu’il y a raison de poser en Dieu certaines espèces de quantité, il peut y avoir là égalité à proprement parler. Mais parce que ce qu’on retrouve en plusieurs leur convient selon ce qui leur est commun et non selon ce qui leur est propre, c’est pourquoi, pour mieux s’exprimer, l’égalité découle de la définition commune de la quantité qui consiste en une certaine divisibilité : c’est pourquoi la notion de quantité se retrouve proprement dans les choses qui sont divisibles en elles-mêmes ; et en ce sens la quantité ne convient pas à Dieu. Mais la notion de quantité se retrouve aussi dans les choses dont la division se vérifie selon ce qui est extérieur, tout comme on dit de la puissance qu’elle est divisible et qu’elle a raison de quantité en raison de la division de ses actes et de ses objets. Et une telle notion de la quantité, à savoir de celle qui se rapport à la puissance, convient à Dieu, et par conséquent l’égalité aussi.

[1472] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ratione jam dicta, dist. 9, patet quod identitas ponit unitatem in essentia secundum numerum: et quia in rebus creatis, ex quarum consideratione nomina imponimus, etiam illa quae de Deo praedicantur, unitas essentiae non est nisi in eodem supposito ; ideo identitas nullam importat distinctionem in supposito ; sed magis unitatem. Unde Filius non potest dici, masculine loquendo, idem Patri, sed neutraliter tantum ; ut unitas ad essentiam referatur. Aequalitas vero et similitudo, quae important unitatem quantitatis vel qualitatis non secundum essentiam vel esse, quantum est de sui significatione, non important unitatem quantitatis vel qualitatis in numero ; sed sufficit quod sint idem specie. Haec autem unitas est in diversis suppositis: et ideo aequalitas et similitudo simul cum unitate important distinctionem: et propter hoc dicimus Filium similem Patri vel aequalem ; non tamen eumdem. Et inde est quod potius Magister de aequalitate quam de identitate determinavit, dist. 9, quia in identitate importatur tantum unitas essentiae. Nec etiam secundum quemlibet modum divinis personis competit, scilicet masculine ; sed in aequalitate importatur utrumque ; et unitas essentiae per modum quantitatis significatae, et personarum distinctio.

2. Il faut dire en deuxième lieu que pour la raison que nous avons déjà dite antérieurement (distinction neuf), il est clair que l’identité pose l’unité dans l’essence selon le nombre : et parce que dans les choses créées l’unité de l’essence n’existe que dans un même suppôt, puisque nous imposons les noms, même ceux que nous attribuons à Dieu, à partir de la considération de ces choses, c’est pourquoi l’identité n’implique en elle-même aucune distinction dans le suppôt, mais plutôt l’unité. De là on ne peut dire du Fils, en parlant au masculin, qu’il est identique au Père, mais seulement en parlant au neutre, de telle manière que l’unité se rapporte à l’essence. Mais l’égal et le semblable, qui n’impliquent pas l’unité de la quantité ou de la qualité selon l’essence ou l’existence quant à leur signification, n’impliquent pas l’unité de la quantité ou de la qualité selon le nombre, mais il suffit qu’ils soient identiques selon l’espèce. Mais cette unité a lieu dans des suppôts différents : et c’est pourquoi l’égal et le semblable impliquent une distinction simultanément avec l’unité : et c’est pour cette raison que nous disons du Fils qu’il est semblable ou égal au Père, mais non qu’il lui est identique. Et c’est de là que le Maître traita plutôt de l’égalité que de l’identité (distinction neuf) car l’identité implique seulement l’unité de l’essence. Et ce n’est pas de n’importe quelle manière qu’elle convient aux personnes divines, c’est-à-dire au masculin ; mais l’égalité implique les deux, à savoir à la fois l’unité de l’essence à la manière d’une quantité signifiée et la distinction des personnes.

[1473] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in similitudine similiter importetur utrumque, ut patet ex verbis Hilarii, in 2 distinct. positis quod similitudo sibi ipsi non est, tamen aequalitas addit aliquid supra similitudinem, et includit eam, quando dicitur de divinis personis. Cum enim in divinis non nisi quantitas sit virtutis, quae fundatur in qualitate, in unitate talis quantitatis ponitur unitas qualitatis, et privatur intensionis excessus, ut patet: quia quaecumque aequalia sunt in colore, sunt etiam similia, sed non convertitur.

3. Il faut dire en troisième lieu que bien que le semblable implique également les deux, comme on le voit à partir des paroles de Saint-Hilaire présentées (distinction deux) plus haut, à savoir que le semblable n’est pas semblable à lui-même, cependant l’égal ajoute quelque chose au semblable et le contient quand il se dit des Personnes divines. En effet, puisqu’en Dieu il n’y a comme quantité que celle qui appartient à la puissance qui se fonde sur la qualité, il faut poser l’unité de la qualité dans l’unité d’une telle quantité et cette dernière est exempte d’une différence de degrés, ainsi qu’on le voit : car tout ce qui est égal dans une même couleur est aussi semblable, mais tout ce qui a une couleur semblable n’est pas nécessairement égal dans l’intensité de cette couleur.

[1474] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aequalitas est species proportionis: est enim aequalitas proportio aliquorum habentium unam quantitatem. Dico igitur de aequalitate, sicut de quibusdam aliis, quod praedicatur de Deo quantum ad rationem differentiae, quod est habere unam quantitatem, et non quantum ad rationem generis, quae consistit in commensuratione quantitatis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’égalité est une espèce de proportion : l’égalité en effet est la proportion des choses qui possèdent une même quantité. Je dis donc de l’égalité, comme de certaines autres choses, qu’elle s’attribue à Dieu quant à la raison de différence qui est de posséder une même quantité, et non quant à la raison de genre qui consiste dans la proportion de la quantité.

Unde dico, quod divina magnitudo nullo modo est mensurabilis vel mensurata nec ab alio nec a se.

Primo, quia mensuratio ponit terminationem, et divina magnitudo non habet terminum intra nec extra ; et ideo infinita dicitur, non quidem per extensionem privative, sed per negationem termini.

Secundo, quia commensuratio non est unius quantitatis ad se, sed duarum ; et nulla alia magnitudo potest esse aequalis sibi. Pater autem et Filius non habent aliam et aliam magnitudinem, sed unam et eamdem, secundum quam aequales dicuntur ; et ita divinae magnitudini nihil diversum ab ipsa commensuratur.

Tertio, quia sicut omnis motus reducitur ad movens quod non est motum neque a se neque ab alio: ita omnis mensuratio reducitur ad unum primum quod nullo modo est mensuratum, sed est omnium mensura ; et hoc Deus est, ut etiam Commentator dicit (X Metaph., text. 17).

C’est pourquoi je dis que la grandeur divine n’est en aucune manière mesurable ou mesurée, ni par un autre ni par elle-même.

Premièrement parce que la mesure pose un terme et que la grandeur divine n’a de terme ni en elle-même ni à l’extérieur d’elle-même ; et c’est pourquoi on dit d’elle qu’elle est infinie, non pas certes à la manière d’une privation, par extension, mais par la négation d’une terme.

Deuxièmement parce que la proportion ne se rapporte pas à une seule quantité par rapport à elle-même, mais à deux ; et aucune autre grandeur ne peut être égale à elle-même. Mais le Père et le Fils ne possèdent pas une telle et une autre grandeur, mais une seule et même grandeur d’après laquelle ils sont dits égaux ; et ainsi il n’y a rien d’autre qu’elle qui soit proportionné à la grandeur divine.

Troisièmement parce que tout comme tout mouvement se ramène au moteur qui n’est mû ni par lui-même ni par un autre, de même toute mesure se ramène à un premier principe unique qui n’est mesuré en aucune manière mais qui est la mesure de tout le reste. Et ce premier principe est Dieu comme le dit aussi le Commentateur [X Métaphysique, texte 17].

 

 

Articulus 2 [1475] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 tit. Utrum aequalitas in divinis sit mutua

Article 2 – L’égalité en Dieu est-elle réciproque ?

[1476] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sit ibi mutua aequalitas. Ita enim dicit Dionysius cap. IX [cap. X, Éd. de Parme] De div. Nom. § 6, col. 914) quod in causa et in causatis non recipimus conversionem similitudinis et aequalitatis. Sed quamvis in divinis personis non sit causa et causatum, est tamen ibi principium et quod est de principio. Ergo videtur quod Filius, qui est a Patre sicut a principio, sit similis et aequalis Patri, sed non e converso.

 Difficultés :

1. Il semble que l’égalité ne soit pas mutuelle en Dieu. C’est ne ce sens en effet que parle Denys [1X (X Éd. de Parme) Les Noms Divins, &6, col. 914], lorsqu’il dit qu’il ne faut pas admettre la conversion du semblable et de l’égal dans la cause et les effets. Mais bien qu’en Dieu il n’y ait pas de cause et d’effets, il y a cependant là un principe et ce qui vient du principe. Il semble donc que le Fils, qui vient du Père comme de son principe, soit semblable et égal au Père, mais non inversement.

[1477] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, unumquodque est aequale illi quo non est minus ; et nihil est aequale illi quo est majus. Sed supra, distinct. 16, dicit Hilarius IX De Trin.,§ 54 : « Filius non est minor Patre, et tamen Pater est major Filio ». Ergo Filius est aequalis Patri, sed non e converso.

2. Par ailleurs, chacun est égal à celui dont il n’est pas plus petit ; et nul n’est égal à celui dont il est plus grand. Mais plus haut (distinction 16), Saint Hilaire [1X De la Trinité, & 54] dit : ¨Le Fils n’est pas plus petit que le Père, et cependant le Père est plus grand que le Fils¨. Donc le Fils est égal au Père mais non inversement.

[1478] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, cum nihil sibiipsi sit aequale, omne quod aequale dicitur praesupponit aliquid cui aequale dicatur. Sed Filius secundum ordinem naturae praesupponit Patrem, non autem Pater praesupponit aliquid. Ergo videtur quod Filius sit aequalis Patri, et non e converso.

3. En outre, puisque rien n’est égal à soi-même, tout ce qui se dit égal présuppose quelque chose par rapport à quoi il est dit égal. Mais le fils présuppose le Père selon l’ordre de nature, alors que le Père ne présuppose rien. Il semble donc que le fils soit égal au Père et non inversement.

[1479] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in symbolo Athanasii dicitur: « Tres personae coaeternae sibi sunt et coaequales ». Ergo est ibi mutua aequalitas.

Cependant :

1. On dit le contraire dans le symbole d’Athanase : ¨Les trois personnes sont coéternelles et égales entre elles¨. Il y a donc là une égalité réciproque.

[1480] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum aequalitas fundetur in unitate quantitatis, idem est aliquid esse aequale alicui, quod habere quantitatem illius ; et esse simile, quod habere qualitatem illius. Qualitas autem alicujus dicitur quam proprie et plene habet. Contingit autem quandoque quod qualitas illa perfecta est in utroque: unde utriusque dici potest: et secundum hoc in talibus potest dici quod utrumque alteri simile est.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que puisque l’égalité se fonde sur l’unité de la quantité, qu’une chose soit égale à une autre, c’est la même chose que de posséder sa quantité ; et lui être semblable, c’est la même chose que de posséder sa qualité. Mais on appelle qualité d’une chose ce qu’elle possède proprement et pleinement. Mais il arrive parfois que cette qualité soit parfaite dans les deux sujets : c’est pourquoi elle peut se dire des deux : et d’après cela dans ces cas on peut dire que chacun des deux est semblable à l’autre.

Quandoque autem qualitas aliqua est proprie et plene in uno, et in alio est tantum quaedam imitatio illius, secundum aliquam participationem: et tunc illa qualitas non dicitur utriusque, sed ejus tantum quod eam [non add. Ed. de Parme] plene possidet. Et tunc illud quod non plene habet, dicetur simile ei quod plene habet, et non e converso: ut si dicamus quod pictura est similis homini, et non e converso. Non enim dicitur quod homo sit similis suae imagini, proprie loquendo.

Mais parfois une qualité est proprement et pleinement dans l’un et dans l’autre il y a seulement une certaine imitation de cette qualité suivant une certaine participation : et alors on ne dit pas que cette qualité appartient aux deux, mais seulement à celui qui [ne add. Éd. de Parme] la possède pleinement. Et alors on dira de celui qui ne la possède pas pleinement qu’il est semblable à celui qui la possède pleinement, mais non inversement, comme lorsque nous disons que l’image de l’homme est semblable à l’homme et non inversement. On ne dit pas en effet, à proprement parler, que l’homme est semblable à son image.

Ulterius, assimilari, supra hoc quod est similem esse, ponit quemdam motum et accessum ad unitatem qualitatis, et similiter, adaequari, ad quantitatem. In divinis autem personis non est aliquis motus ; sed loco motus est ibi acceptio, prout dicitur una persona ab alia accipere: unde non potest esse assimilatio vel adaequatio, nisi secundum rationem acceptionis. Dico igitur, quod quia magnitudo vel bonitas est plene in qualibet divinarum personarum, quaelibet persona potest dici aequalis vel similis alii.

Par la suite, être assimilé ajoute à l’idée d’être semblable la notion d’un mouvement et d’un rapprochement de l’unité de la qualité et de la même manière, être égalé ajoute à l’idée d’être égal la notion d’un mouvement et d’un rapprochement de l’unité de la quantité. Mais il n’y a pas de mouvement dans les personnes divines et au lieu du mouvement il y a là réception, selon qu’on dit d’une personne qu’elle reçoit d’une autre : c’est pourquoi il ne peut y avoir là assimilation ou égalisation que d’après la notion de réception. Je dis donc que parce que la grandeur ou la bonté existe en plénitude dans chacune des personnes divines, chaque personne peut être dite égale ou semblable à l’autre.

Sed quia una persona accipit ab alia et non e converso, ideo persona accipiens potest dici adaequari vel assimilari illi personae a qua accipit, et non e converso. Concedimus igitur inter Patrem et Filium esse mutuam similitudinem vel aequalitatem: quia Pater est similis Filio, et e converso: non autem mutuam adaequationem vel assimilationem: quia Filius adaequatur Patri et assimilatur, et non e converso.

Mais parce qu’une personne reçoit d’une autre et non inversement, c’est pourquoi on peut dire de cette personne qui reçoit qu’elle est égalée ou assimilée à cette personne de qui elle reçoit et non inversement. Nous concédons donc qu’il y a entre le Père et le fils une similitude ou une égalité réciproque : parce que le Père est semblable au fils et inversement ; mais non pas qu’il y a assimilation ou adéquation réciproque : car le Fils est rendu égal au Père et lui est assimilé et non inversement.

[1481] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Dionysius loquitur in causatis illis quae non perfecte recipiunt similitudinem suae causae, quod non est in divinis personis, quia tota plenitudo Patris est in Filio: et ideo potest dici mutua similitudo vel aequalitas. Unde Dionysius dicit, quod in coordinatis, idest aequalibus, possibile est similia sibi invicem esse, et convertere ad alterutrum similitudinem.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que Denys parle ici de ces effets qui ne reçoivent pas parfaitement la similitude de leur cause, ce qui n’est pas le cas pour les personnes divines, car toute la plénitude du Père est dans le Fils : et c’est pourquoi dans ce cas on peut parler de similitude ou d’égalité réciproque. C’est pourquoi Denys que pour ce qui est des choses coordonnées, c’est-à-dire égales, il est possible qu’elles soient semblables entre elles et que la similitude se convertisse d’un côté ou de l’autre.

[1482] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod per hoc quod dicitur Pater major Filio, non ponitur aliquis gradus magnitudinis, sed tantum ordo auctoritatis. Unde per hoc non removetur mutua aequalitas, sed tantum mutua adaequatio.

2. Il faut dire en deuxième lieu que du fait qu’on dise que le Père est plus grand que le Fils, on ne pose pas un degré de grandeur mais seulement un ordre d’autorité. C’est pourquoi on n’exclut pas par là une égalité réciproque, mais seulement une réciproque action d’égaler.

[1483] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas non de necessitate praesupponit aliquid aliud, sed supponit. Unde non oportet quod illud quod dicitur aequale, habeat aliquem ordinem vel prioritatis vel principii ad illud cui aequale dicitur, vel e converso.

3. Il faut dire en troisième lieu que l’égalité ne présuppose pas nécessairement quelque chose d’autre, mais elle le suppose. C’est pourquoi il ne faut pas que ce qu’on dit être égal ait un ordre de priorité ou de principe par rapport à ce à quoi il est dit égal, ou inversement.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Ce en quoi l’égalité des personnes divines est atteinte]

 

 

Prooemium

Prologue

[1484] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 pr. Deinde quaeritur de illis in quibus attenditur illa aequalitas ; et circa hoc quaeruntur duo.

Primo de aeternitate.

Secundo de magnitudine: quia de potentia infra, distinct. 43, quaest. 1, art. 1, quaeretur.

De aeternitate, praeter ea quae supra, dist. 8, quaesita sunt, duo quaeruntur:

1 quid sit aeternitas secundum rem ;

2 quomodo se habeat nunc aeternitatis ad aeternitatem.

On s’interroge ensuite sur les choses sur lesquelles se vérifie cette égalité ; et à ce sujet on s’interroge sur deux choses.

En premier lieu sur l’éternité.

En deuxième lieu sur la grandeur : car on s’interrogera plus loin sur la puissance [dist. 43, quest. 1, art. 1].

Sur l’éternité, en plus des choses que nous avons examinées plus haut (dist. 8), on soulève deux questions :

1. Qu’est-ce que l’éternité en elle-même ?

2. Comment se rapporte l’instant de l’éternité à l’éternité ?

 

 

Articulus 1 [1485] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 tit. Utrum aeternitas sit substantia Dei

Article 1 – L’éternité est-elle la substance de Dieu ?

[1486] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod aeternitas non sit ipsa divina substantia. Nihil enim est causa sui ipsius. Sed Deus est auctor aeternitatis, ut dicit Augustinus lib. LXXX Quaest., qu. XXIII, col. 16 et est etiam ante aeternitatem, sicut causa ejus, ut dicitur lib. De causis, prop. 2. Ergo videtur quod aeternitas non sit ipse Deus.

Difficultés :

1. Il semble que l’éternité ne soit pas la substance même de Dieu. En effet, rien n’est cause de soi-même. Mais Dieu est l’auteur de l’éternité, ainsi que le dit Saint-Augustin [Livre Des Quatre-vingt-trois questions, quest. XXIII, col. 16], et il est même antérieur à l’éternité en tant que cause de cette dernière ainsi qu’on le dit dans le Livre Des Causes, à la proposition 2. Il semble donc que l’éternité ne soit pas Dieu lui-même.

[1487] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, unumquodque mensuratur primo sui generis. Sed primum esse est divinum esse. Ergo per ejus mensuram mensuratur omne esse. Sed esse temporalium mensuratur per tempus, et aeternorum [aeviternorum Éd. de Parme] per aevum. Ergo videtur, cum unius non sit nisi una mensura, quod aeternitas sit idem secundum rem quod aevum et tempus.

2. En outre, chaque chose est mesurée par ce qui est premier dans son genre. Mais l’existence première est l’existence divine. Donc, toute existence est mesurée par la mesure de l’existence divine. Mais l’existence des êtres temporels est mesurée par le temps, et celle des êtres éternels [éviternelles Éd. de Parme] est mesurée par l’aevum. Il semble donc, puisque que pour une seule et même chose il n’y a qu’une mesure, que l’éternité soit identique selon la chose au temps et à l’aevum.

[1488] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, in omnibus participationibus divinae bonitatis est communitas in nomine et in ratione cujusdam analogiae inter perfectionem participatam a creatura et principium communicationis in Deo, sicut se habet bonitas creaturae cum bonitate increata. Sed secundum Dionysium, de divin. Nomin., cap. VII, col. 866, et X, col. 935, sicut Deus dicitur sapiens inquantum implet alios sapientia, ita per hoc dicitur aeternus quod est causa aevi et temporis. Ergo videtur quod aevum et tempus debeant dici aeternitas.

3. Par ailleurs, dans toutes les participations de la bonté divine il y a quelque chose de commun dans le nom et la notion d’une certaine analogie entre la perfection participée par la créature et le principe de ce caractère commun en Dieu, de la même manière que la bonté de la créature se rapporte à la bonté incréée. Mais d’après Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, col. 866, et X, col. 935], tout comme Dieu est dit sage selon qu’Il comble tous les autres de sagesse, de la même manière il est appelé éternel du fait qu’il est la cause de l’aevum et du temps. Il semble donc que l’aevum et le temps doivent être appelés éternité.

 [1489] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, mensura est proportionata mensurato. Sed omne esse in se consideratum indivisibile est, quia nihil habet admixtum ut dicit Boetius, lib. De hebd., col. 1311 et quamdiu res manet, esse suum substantiale non variatur, quamvis accidentia varientur. Cum igitur esse temporalium mensuretur tempore, videtur quod tempus sit mensura indivisibilis et permanens, et sic non differat ab aeternitate.

4. De plus, la mesure est proportionnelle au mesuré. Mais toute existence considérée en elle-même est indivisible, car rien ne lui est mélangé comme le dit Boèce [Livre sur Les Semaines, col. 1311] et tant que la chose demeure, son existence substantielle ne change pas bien que ses accidents changent. Donc, puisque l’existence des choses temporelles est mesurée par le temps, il semble que le temps soit une mesure indivisible et permanente, et qu’elle ne diffère pas ainsi de l’éternité.

[1490] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, in quocumque est invenire successionem, illud mensuratur tempore. Sed esse aeviternorum, sicut Angeli et substantiae caeli, non mensuratur tempore. Ergo videtur quod eorum esse non habeat successionem, et ita videtur quod non differat ab aeternitate.

5. Enfin, partout où on retrouve succession dans le temps, la chose est mesurée par le temps. Mais l’existence des êtres éviternels, comme les Anges et les substances célestes, n’est pas mesurée par le temps. Il semble donc que leur existence ne comporte pas de succession dans le temps et ainsi il semble qu’elle ne diffère pas de l’éternité.

[1491] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod diversitatem aeternitatis, temporis et aevi, quidam voluerunt accipere, quod tempus habet principium et finem ; aevum principium habet et non finem ; aeternitas nec principium nec finem. Sed secundum hoc non attenditur essentialis eorum diversitas: quia posito quod tempus nunquam inceperit, nec nunquam finiatur, adhuc tempus non erit aeternitas, ut dicit Boetius, lib. V De Consol., prosa ultim, col. 858.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire  que certains ont voulu prendre la différence entre l’éternité, le temps et l’aevum en ceci que le temps a un principe et une fin, l’aevum a un principe et non une fin, et l’éternité n’a ni principe ni fin. Mais cela ne vérifie pas la différence essentielle qu’il y a entre eux : car une fois qu’on aura dit que le temps n’a jamais commencé et qu’il ne finira jamais, cela ne fera pas encore du temps l’éternité, comme le dit Boèce [Livre V De la Consolation, prose dernière, col. 858.

Supposito etiam quod Angeli semper fuerint, aevum adhuc differret ab aeternitate. Quid tamen veritatis habeat, ex his quae dicentur, patebit. Sciendum est igitur, quod tria praedicta nomina significant durationem quamdam. Duratio autem omnis attenditur secundum quod aliquid est in actu: tamdiu enim res durare dicitur quamdiu in actu est, et non dum est in potentia. Esse autem in actu contingit dupliciter.

En supposant même que les Anges aient toujours ex : isté, l’aevum différerait encore de l’éternité. Que cela soit vrai, on le verra par ce qui sera dit. Il faut donc savoir que les trois noms qui précèdent signifient une certaine durée. Mais toute durée se vérifie selon qu’un être est en acte. En effet, on dit d’une chose qu’elle est dans la durée, tant qu’elle est en acte, et non aussi longtemps qu’elle est en puissance. Mais exister en acte est possible de deux manières.

Aut secundum hoc quod actus ille est incompletus, et potentiae permixtus, ratione cujus ulterius in actum procedit ; et talis actus est motus: est enim motus actus [actus om. Ed. de Parme] existentis in potentia, secundum quod hujusmodi, ut dicit philosophus, III Phys., text. 6. Aut secundum quod actus non est permixtus potentiae, nec additionem recipiens perfectionis ; et talis actus est actus quietus et permanens.

Soit selon que cet acte est incomplet et mélangé à de la puissance, en raison de quoi il progresse par la suite vers son acte ; et un tel acte est le mouvement : le mouvement en effet est l’acte [acte om. Éd. de Parme] de ce qui existe en puissance en tant que tel, comme le dit le Philosophe [111 Physique, texte 6]. Soit selon que l’acte n’est pas mélangé à de la puissance et qu’il ne reçoit pas l’ajout d’une perfection ; et un tel acte est l’acte de ce qui est en repos et qui est permanent.

Esse autem in tali actu contingit dupliciter.

Vel ita quod ipsum esse actu, quod res habet, sit sibi acquisitum ab alio ; et tunc res habens tale esse est potentialis respectu hujus actus, quem tamen perfectum accepit.

Vel esse actu est rei ex seipsa, ita quod est de ratione quidditatis suae ; et tale esse est esse divinum, in quo non est aliqua potentialitas respectu hujus actus. Sic igitur patet quod est triplex actus.

Mais l’existence dans un tel acte est possible de deux manières. Soit de telle manière que l’existence même en acte que la chose possède lui est acquise d’un autre et alors la chose qui possède une telle existence est en puissance par rapport à cet acte qu’elle reçoit cependant parfaitement.

Soit c’est d’elle-même que la chose possède l’existence en acte de telle manière qu’elle fasse partie de sa quiddité ; et une telle existence est l’existence divine dans laquelle il n’y a aucune potentialité par rapport à cet acte. Il est donc clair qu’il y a trois sortes d’actes.

Quidam cui non substernitur aliqua potentia ; et tale est esse divinum et operatio ejus ; et huic respondet loco mensurae aeternitas.

Est alius actus cui substat potentia quaedam ; sed tamen est actus completus acquisitus in potentia illa ; et huic respondet aevum.

Est autem alius cui substernitur potentia, et admiscetur sibi potentia ad actum completum secundum successionem, additionem perfectionis recipiens ; et huic respondet tempus.

Il y a certes celui qui n’est assujetti à aucune puissance ; et c’est là l’existence de Dieu et son opération ; et c’est à ce cas que correspond l’éternité à titre de mesure.

Il y a l’autre acte qui est assujetti à une certaine puissance ; cependant l’acte complet est acquis dans cette puissance : et c’est à cet acte que correspond l’aevum.

Mais il y a l’autre acte qui est assujetti à la puissance, mais la puissance qui lui est mélangée est ordonnée à un acte complet suivant la succession et reçoit l’ajout d’une perfection ; et c’est à cet acte que correspond le temps.

Cum igitur unicuique rei respondeat propria mensura, oportet quod secundum conditionem actus mensurati accipiatur essentialis differentia ipsius mensurae. Invenitur autem in actu qui motus est, successio prioris et posterioris. Et haec duo, scilicet prius et posterius, secundum quod numerantur per animam, habent rationem mensurae per modum numeri, quae tempus est. Unde dicit philosophus, IV Physicorum, text. 101, quod tempus est numerus motus secundum prius et posterius. Et est numerus numeratus, et non numerus simpliciter.

Donc, puisqu’à chaque chose correspond la mesure qui lui est propre, il faut donc que ce soit selon la condition de l’acte mesuré que soit reçue la différence essentielle de la mesure elle-même. Mais on retrouve, dans l’acte qui est le mouvement, la succession de l’avant et de l’après. Et ces deux termes, à savoir l’avant et l’après, selon qu’ils sont nombrés par l’âme, ont raison de mesure à la manière d’un nombre, laquelle est le temps. C’est pourquoi le Philosophe dit [IV  Physique, texte 101] que le temps est le nombre du mouvement selon l’avant et l’après. Et il est un nombre nombré et non le nombre pris absolument.

Sicut enim dicimus quod duo canes est numerus numeratus, et duo est numerus simpliciter ; ita etiam numerus prioris et posterioris in motu est numerus numeratus, qui est tempus. Ex quo patet quod illud quod est de tempore quasi materiale, fundatur in motu, scilicet prius et posterius ; quod autem est formale, completur in operatione animae numerantis: propter quod dicit philosophus, IV Physic. , text. 13) quod si non esset anima, non esset tempus.

En effet, tout comme nous disons que deux chiens est un nombre nombré et que deux est nombre pris absolument, de même encore le nombre de l’avant et de l’après dans le mouvement est un nombre nombré qui est le temps. D’où il est clair que ce qui s’attribue au temps comme matériellement se fonde dans le mouvement, c’est-à-dire dans l’avant et l’après ; mais ce qui s’attribue à lui formellement est accompli dans l’opération de l’âme qui nombre : c’est pour cette raison que le Philosophe dit [IV Physique, texte 13] que si l’âme n’existait pas, le temps n’existerait pas.

Sic igitur de ratione hujus mensurae, quae est tempus, sunt duo: scilicet quod accipiantur ibi plura, ad minus duo ; vel duo nunc, inter quae est tempus ; vel duo tempora continuata per unum nunc: et quod illa sint succedentia. Continuitas etiam accedit tempori ex ratione motus quem mensurat.

Ainsi donc il y a deux choses dans la définition de cette mesure qui est le temps, il y a deux choses : à savoir qu’on entend là une pluralité, et au moins deux choses : soit deux instants entre lesquels est le temps, soit deux temps qui se continuent au moyen d’un seul instant ; et qu’ils se succèdent. La continuité survient encore au temps en raison du mouvement qu’il mesure.

Unde si aliquis motus esset non continuus, non habens ordinem ad motum continuum caeli, tempus mensurans illum motum non esset continuum. Ex quo patet quod tempore non mensuratur nisi id quod includitur in tempore, et secundum principium et finem.

C’est pourquoi, s’il existait un mouvement non-continu, n’étant pas ordonné par rapport au mouvement continu du ciel, le temps qui mesurerait ce mouvement ne serait pas continu. D’où il est clair que n’est mesuré par le temps que ce qui est compris dans le temps, à la fois selon le commencement et la fin.

Motus enim caeli etsi ponatur semper fuisse, secundum philosophum, VIII Phys., text. 17 tamen unaquaeque revolutio vel pars revolutionis, quae mensuratur tempore, secundum prius et posterius accepta in ipsa, principium habet et finem, et secundum hoc verum est quod tempus habet principium et finem: quia non est mensura nisi habentis principium et finem.

En effet, bien qu’on pose que le mouvement du ciel ait toujours existé, cependant d’après le Philosophe [ VIII Physique, texte 17] chacune des révolutions ou chaque partie d’une révolution, qui est mesurée par le temps selon l’avant et l’après qui est prise en elle, a un commencement et une fin, et suivant cela il est vrai que le temps a un commencement et une fin : car le temps n’est la mesure que de ce qui possède un commencement et une fin.

In actu autem illo qui est actus completus, non est intelligere prius et posterius, nec aliqua plura, et ita nec successionem: unde mensura quae respondet eis, non est per modum numeri, sed magis per modum unitatis. Sicut ergo prius et posterius temporis, prout intelliguntur numerata, complent rationem temporis ; ita permanentia actus, secundum quod intelligitur in ratione unius quod habet rationem mensurae, complet rationem aevi et aeternitatis.

Mais pour ce qui est de cet acte qui est complet, il n’y a pas lieu d’entendre,  un avant et un après, ni une pluralité, ni non plus une succession : c’est pourquoi la mesure qui leur correspond n’a pas lieu à la manière d’un nombre, mais plutôt à la manière de l’unité. Donc, tout comme l’avant et l’après du temps, pour autant qu’ils s’entendent comme étant nombrés, complètent la notion de temps, de même la permanence de l’acte, selon qu’elle s’entend dans la notion de l’un qui a raison de mesure, complète la notion de l’aevum et de l’éternité.

Sed quia esse aeviternorum est acquisitum ab alio, ideo aevum mensurat esse quod habet principium ; non autem aeternitas, quae mensurat esse quod non est acquisitum ab alio. Et secundum hoc potest sustineri dicta differentia, licet non uniformiter sumpto principio: quia aeternitas respicit illud esse quod non habet principium efficiens ; aevum autem quod habet tale principium ; tempus vero respicit actum qui habet principium et finem durationis, ut mensuratur tempore.

Mais parce que l’existence des êtres éviternels est acquise d’un autre, c’est pourquoi l’aevum mesure l’existence qui a un principe ; il n’en est cependant pas ainsi pour l’éternité qui mesure l’existence  qui n’est pas acquise d’un autre. Et c’est pour cette raison que peut être soutenue la différence qui a été présentée, bien que principe ne se soit pas pris dans le même sens : car l’éternité a rapport à cette existence qui n’a aucun principe efficient ; l’aevum cependant se rapporte à ce qui a un tel principe ; mais le temps se rapporte à l’acte qui a un commencement et une fin dans la durée de telle manière qu’il soit mesuré par le temps.

[1492] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut patet ex praedictis, in corp. art., aevum nihil aliud est quam aeternitas quaedam participata ; unde non inveniuntur auctores antiqui multum curasse de differentia aevi et aeternitatis: propter hoc Dionysius utitur uno pro alio. Unde si proprie accipiatur causa et auctor, Deus dicitur esse auctor aeternitatis, non qua ipse aeternus est, sed aeternitatis participatae, quae aevum est ; sicut dicimus, quod ipse est causa omnis bonitatis, non suae, sed ejus quae ab ipso in creaturas effluit sicut a principio. Posset etiam dici, quamvis non ita bene, quod causa communiter accipitur pro omni eo quod est etiam prius secundum rationem: cum enim essentia divina secundum intellectum sit prius quam esse suum, et esse prius quam aeternitas, sicut mobile est prius motu, et motus prior tempore ; dicetur ipse Deus esse causa suae aeternitatis secundum modum intelligendi, quamvis ipse sit sua aeternitas secundum rem.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que tout comme on voit à partir de ce qui précède dans le corps de l’article, l’aevum n’est rien d’autre qu’une participation de l’éternité ; c’est pourquoi on n’a pas trouvé chez les auteurs anciens un grand souci au sujet de la différence entre l’aevum et l’éternité ; et c’est pour cette raison que Denys a utilisé l’un à la place de l’autre. C’est pourquoi, si on entend proprement la cause et l’auteur, on dit de Dieu qu’il est l’auteur de l’éternité, non pas de celle par laquelle il est lui-même éternel, mais de l’éternité participée qui est l’aevum ; par exemple, nous disons que Lui-même est la cause de toute bonté, non pas de la sienne, mais de celle qui est répandue dans les créatures par Lui comme par son principe. On pourrait encore dire, bien que d’une manière moins excellente, que la cause est entendue universellement pour tout ce qui est aussi antérieur selon la raison : en effet, puisque l’essence divine  est antérieure à son existence selon l’intelligence, et que son existence est antérieure à l’éternité, tout comme le mobile est antérieur au mouvement et que le mouvement est antérieur au temps, on dira que Dieu lui-même est la cause de son éternité selon l’intelligence, bien qu’il soit son éternité selon la chose, en réalité.

[1493] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnibus illis in quibus invenitur diversa ratio mensurandi, oportet esse diversas mensuras proprias ; non enim eodem modo mensurantur panis et vinum. Unde cum diversa ratio mensurandi sit in diversis actibus, oportet quod respondeant eis diversae mensurae propriae: verumtamen una earum potest ordinari ad aliam, sicut ad primam mensuram et excedentem. Unde sicut divinum esse est mensura omnis actus, ita aeternitas est mensura omnis durationis, excedens et non coaequata. Sed praeter hoc oportet habere alias proprias mensuras propter diversos modos mensurandi.

2. Il faut dire en deuxième lieu que pour toutes ces choses dans lesquelles on retrouve une manière différente de mesurer, il faut que les différentes mesures soient appropriées ; ce n’est pas de la même manière en effet que se mesurent le pain et le vin. C’est pourquoi, puisque la manière de mesurer diffère dans les actes différents, il faut que les différentes mesures qui leur correspondent soient appropriées : il est vrai cependant que l’une d’elles peut être ordonnée à une autre, tout comme à une mesure première et supérieure. C’est pourquoi, tout comme l’existence divine est la mesure de tout acte, de même l’éternité est la mesure de toute durée, une mesure qui trascende et non pas une mesure qui est sur le même pied que le mesuré. Mais outre cela il faut posséder d’autres mesures qui sont propres en raison des différentes manières de mesurer.

[1494] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod divina bonitas participatur in diversis secundum diversos modos. Perfectioni autem participatae duplex nomen imponitur.

Vel secundum rationem communem perfectionis illius ; et tunc nomen est commune et ipsi principio communicanti et omnibus participantibus, secundum analogiam, sicut bonitas, entitas et hujusmodi.

3. Il faut dire en troisième lieu que la bonté divine est participée par différents êtres d’après différentes modalités. Mais deux sortes de noms sont imposés à une perfection qui est participée.

Soit d’après la définition commune de cette perfection : et alors le nom est commun, d’une manière analogue, à la fois au principe même qui communique la perfection et à tous ceux qui en participent, comme c’est le cas pour la bonté, l’être et les notions de cette sorte.

Vel secundum proprium modum quo recipitur vel est in aliqua creatura, ut patet quod cognitio participatur a Deo in omnibus cognoscentibus et hoc nomen sensus imponitur ad significandum cognitionem secundum aliquem modum determinatum habendi ipsam, et propter hoc non est commune omnibus. Similiter aeternitas nominat durationem secundum illum modum quo est in principio suo ; et ideo aliae durationes participatae non dicuntur nomine aeternitatis.

Soit d’après le mode propre par lequel la perfection est reçue ou existe dans une créature, comme on voit par exemple que la connaissance est participée de Dieu dans tous les êtres connaissants et que le nom de sens est imposé pour signifier la connaissance selon un mode déterminé de la posséder, et c’est pour cette raison que ce nom n’est pas commun à tous. De la même manière l’éternité signifie la durée selon cette modalité par laquelle elle existe dans son principe ; et c’est pourquoi les autres durées, qui participent de l’éternité, ne sont pas dénommées du nom d’éternité.

[1495] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus per se est mensura motus primi ; unde esse rerum temporalium non mensuratur tempore nisi prout subjacet variationi ex motu caeli. Unde dicit Commentator, quod sentimus tempus, secundum quod percipimus nos esse in esse variabili ex motu caeli. Et inde est quod omnia quae ordinantur ad motum caeli sicut ad causam, cujus primo mensura est tempus, mensurantur tempore ; et quicumque sentit quamcumque variabilitatem quae consequitur ex motu caeli, sentit tempus, quamvis non videat ipsum motum caeli.

4. Il faut dire en quatrième lieu que le temps est par soi la mesure du mouvement premier ; c’est pourquoi l’existence des choses temporelles n’est mesurée par le temps que pour autant qu’elle est soumise au changement à partir du mouvement du ciel. C’est pourquoi le Commentateur dit que nous sentons le temps selon que nous percevons que nous sommes dans une existence change à partir du mouvement du ciel. Et c’est de là que tous les êtres qui sont ordonnés au mouvement du ciel comme à leur cause, dont la mesure est d’abord le temps, sont eux-mêmes mesurés par le temps ; et quiconque sent un changement qui découle du mouvement du ciel sent le temps, bien qu’il ne voit pas le mouvement même du ciel.

[1496] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis actus qui mensuratur aevo, sit totus simul sine successione, hoc esse tamen est ab alio ; et in hoc ab aeternitate aevum discernitur, ut prius dictum est, dist. 8, quaest. 2, art. 2.

5. Il faut dire en cinquième lieu que bien que l’acte qui est mesuré par l’aevum soit entier et simultané sans aucune succession, cette existence cependant vient d’un autre ; et c’est en cela que l’aevum se distingue de l’éternité, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 8, quest. 2, art. 2].

 

 

Articulus 2 [1497] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 tit. Utrum nunc aeternitatis sit ipsa aeternitas

Article 2 : L’instant de l’éternité est-il l’éternité elle-même ?

[1498] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nunc aeternitatis non est ipsa aeternitas. Nunc enim aeternitatis, temporis et aevi, videtur unum esse, quod significatur, cum dicitur: quando motus est, et Angelus est, et Deus est. Sed aeternitas non est tempus, ut dictum est, art. antec. Ergo nunc aeternitatis, quod est idem quod nunc temporis, non est idem quod aeternitas.

Difficultés :

1. Il semble que l’instant de l’éternité ne soit pas l’éternité elle-même. En effet, l’instant de l’éternité, du temps et de l’aevum semble être le même, ce qu’on signifie lorsqu’on dit : quand il y a mouvement, c’est à la fois l’Ange et Dieu qui est. Mais l’éternité n’est pas le temps, comme nous l’avons dit dans l’article précédent. Donc l’instant de l’éternité, qui est identique à l’instant du temps, n’est pas identique à l’éternité.

[1499] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 2 Item, omne nunc est indivisibile. Sed aeternitas est divisibilis: quod videtur ex hoc quod in littera inducitur: in generationem et generationem anni tui, ps CI, 25 ; et loquitur de duratione aeternitatis. Ergo videtur quod nunc aeternitatis non sit aeternitas.

2. En outre, tout instant est indivisible. Mais l’éternité est divisible : ce qui apparaît à partir de ce qui est introduit dans le document : D’âge en âge vont tes années (Psaume C1, 25) ; et on parle de la durée de l’éternité. Il semble donc que l’instant de l’éternité ne soit pas l’éternité.

[1500] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, nunc stans facit aeternitatem, ut Boetius dicit ; et ita nunc est causa aeternitatis. Sed non potest idem esse causa sui ipsius. Ergo non est idem aeternitas et nunc aeternitatis.

3. De plus, l’instant qui demeure fait l’éternité, comme le dit Boèce ; et ainsi l’instant est la cause de l’éternité. Mais il n’est pas possible que le même soit la cause de lui-même. Donc, l’éternité n’est pas la même chose que l’instant de l’éternité.

[1501] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut se habet nunc temporis ad tempus, ita se habet nunc aeternitatis ad aeternitatem. Sed nunc temporis non est tempus sicut nec punctus est linea. Ergo nec nunc aeternitatis est aeternitas.

4. Par ailleurs, ce que l’instant du temps est au temps, de même l’instant de l’éternité l’est à l’éternité. Mais l’instant du temps n’est pas le temps, tout comme le point n’est pas la ligne. Donc, l’instant de l’éternité n’est pas l’éternité.

[1502] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, aeternitas est ipse Deus. Sed in divina essentia non est aliqua realis diversitas. Ergo non differt ibi nunc aeternitatis et aeternitas.

Cependant :

1. Au contraire, l’éternité est Dieu lui-même. Mais dans l’essence divine, il n’y a aucune diversité réelle. Il n’y a donc pas là de différence entre l’instant de l’éternité et l’éternité.

[1503] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum philosophum, IV Phys., text. 101, tempus est mensura ipsius motus, et nunc temporis est mensura ipsius mobilis. Unde sicut est idem mobile secundum substantiam in toto motu, variatur tamen secundum esse, sicut dicitur, quod Socrates in foro est alter a seipso in domo ; ita nunc est etiam idem secundum substantiam in tota successione temporis, variatum tantum secundum esse, scilicet secundum rationem quam accepit prioris et posterioris.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après le Philosophe [IV Physique, texte 101], le temps est la mesure du mouvement lui-même et l’instant du temps est la mesure du mobile lui-même. C’est pourquoi, tout comme le mobile reste identique à lui-même quant à la substance pendant tout le mouvement et qu’il change cependant quant à son existence, tout comme on dit de Socrate sur la place publique qu’il diffère de lui-même  dans la maison, de même l’instant reste identique à lui-même selon la substance pendant toute la succession du temps, n’étant changé que selon son existence, c’est-à-dire selon la raison qu’il reçoit de l’avant et de l’après.

Sicut autem motus est actus ipsius mobilis inquantum mobile est ; ita esse est actus existentis, inquantum ens est. Unde quacumque mensura mensuretur esse alicujus rei, ipsi rei existenti respondet nunc ipsius durationis, quasi mensura: unde per nunc aevi mensuratur ipsum existens cujus mensura est aevum, et per nunc aeternitatis mensuratur illud ens cujus esse mensurat aeternitas.

Mais tout comme le mouvement est l’acte du mobile en tant que mobile, de même l’être est l’acte de ce qui existe en tant qu’être. C’est pourquoi, quelle que soit la mesure par laquelle l’être d’une chose est mesurée, à la chose même qui existe correspond, comme une mesure, l’instant de cette durée : c’est pourquoi c’est par l’instant de l’aevum qu’est mesuré l’être même dont la mesure est l’aevum, et c’est par l’instant de l’éternité est mesuré cet être dont l’existence mesure l’éternité.

 Unde sicut se habet quilibet actus ad id cujus est actus, ita se habet quaelibet duratio ad  suum nunc. Actus autem ille qui mensuratur tempore, differt ab eo cujus est actus, et secundum rem, quia mobile non est motus ; et secundum rationem successionis, quia mobile non habet substantiam de numero successivorum sed permanentium.

C’est pourquoi, ce que tout acte est à ce dont il est l’acte, de même toute durée l’est à son instant. Mais cet acte qui est mesuré par le temps diffère de ce dont il est l’acte à la fois réellement, car le mobile n’est pas le mouvement, et selon la raison de succession car le mobile n’a pas une substance qui fait partie de ce qui passe mais de ce qui demeure.

Unde eodem modo tempus a nunc temporis differt dupliciter, scilicet secundum rem, quia nunc non est tempus, et secundum successionis rationem, quia tempus est successivum et non nunc temporis. Actus autem qui mensuratur aevo, scilicet ipsum esse aeviterni, differt ab eo cujus est actus re quidem, sed non secundum rationem successionis, quia utrumque sine successione est.

C’est pourquoi de la même manière le temps diffère de l’instant du temps de deux façons, à savoir réellement car l’instant n’est pas le temps, et selon la raison de succession, car le temps est successif alors que l’instant du temps ne l’est pas. Mais l’acte qui est mesuré par l’aevum, à savoir l’existence éviternelle elle-même, diffère certes réellement de ce dont elle est l’acte mais non selon la raison de succession car les deux existent sans la succession dans le temps.

Et sic etiam intelligenda est differentia aevi ad nunc ejus. Esse autem quod mensuratur aeternitate, est idem re cum eo cujus est actus, sed differt tantum ratione ; et ideo aeternitas et nunc aeternitatis non differunt re, sed ratione tantum, inquantum scilicet ipsa aeternitas respicit ipsum divinum esse, et nunc aeternitatis quidditatem ipsius rei, quae secundum rem non est aliud quam suum esse, sed ratione tantum.

Et c’est encore de cette manière que doit s’entendre la différence qu’il y a entre l’aevum et son instant. Mais l’existence qui est mesurée par l’éternité, est réellement identique à ce dont elle est l’acte mais en diffère seulement par la raison ; et c’est pourquoi l’éternité et l’instant de l’éternité ne diffèrent pas réellement, mais seulement par la raison, c’est-à-dire dans la mesure où l’éternité elle-même se rapporte à l’existence divine elle-même, et l’instant de l’éternité à la quiddité de la chose même qui n’est pas différente de son existence réellement mais par la raison seulement.

[1504] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non est idem nunc aeternitatis, temporis et aevi ; et quando dicitur: quando est motus, est Angelus et Deus, potest significari tripliciter nunc vel aeternitatis vel aevi vel temporis. Si significetur nunc temporis ; tunc dicetur motus esse in illo, sicut in propria mensura ; Angelus autem et Deus, non secundum rationem mensurationis, sed magis secundum concomitantiam quamdam, prout aeternitas et aevum cum tempore simul sunt, nec sibi deficiunt. Si autem significetur nunc aeternitatis ; tunc dicitur Deus esse in illo sicut in mensura propria et adaequata ; Angelus autem et mobile, sicut in mensura excedenti. Si autem significetur nunc aevi, respondebit Angelo sicut mensura adaequata, et Deo secundum concomitantiam, et mobili sicut mensura excedens.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’instant de l’éternité n’est pas le même que celui du temps et celui de l’aevum ; et quand on dit : quand il y a le mouvement ,il y a l’Ange et Dieu, cet énoncé peut signifier l’instant de trois manières :  soit celui de l’éternité, soit celui celui de l’aevum, soit celui du temps. S’il signifie l’instant du temps, alors on dira que le mouvement est en lui comme dans la mesure qui lui est propre ; mais l’Ange et Dieu sont en cet instant non pas selon la raison de mesure mais plutôt selon un certain accompagnement, pour autant que l’éternité et l’aevum sont simultanés au temps et ne lui font pas défaut. Mais si l’instant qui est signifié est celui de l’éternité, alors on dit de Dieu qu’il existe en lui comme dans la mesure qui lui est propre et adéquate, mais de l’Ange et du mobile qu’ils y sont comme d’une dans une mesure qui les dépasse. Mais si c’est l’instant de l’aevum qui est signifié, alors il correspondra à l’Ange comme une mesure qui lui est proportionnée, à Dieu selon l’accompagnement et au mobile comme une mesure qui le dépasse.

[1505] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aeternitas indivisibilis est, et quod pluraliter aliquando significetur, hoc potest esse dupliciter: vel secundum quod participatur in diversis, praecipue in beatis, ut dicitur Dan. XII, 3: Qui ad justitiam erudiunt multos, quasi stellae in perpetuas aeternitates ; vel ratione mensurae inferioris, cui per se accidit divisio, scilicet ratione temporis. Unde est sensus: anni aeternitatis, idest aeternitas, sub qua possibile esset contineri plurimos annos, sicut in mensura excedenti.

2. Il faut dire en deuxième lieu que l’éternité est indivisible et qu’elle est signifiée parfois de plusieurs manières, soit en particulier de deux manières : soit selon qu’elle est participée dans différents êtres, surtout chez les bienheureux, comme le dit l’Écriture [Daniel, XII, 3] : Ceux qui ont enseigné la justice à un grand nombre resplendiront comme les étoiles pour toute l’éternité ; ou bien elle est signifiée en raison d’une mesure inférieure à laquelle survient accidentellement une division, c’est-à-dire en raison du temps. C’est pourquoi le sens est le suivant : les années de l’éternité, c’est-à-dire l’éternité sous laquelle il serait possible que plusieurs années soient contenues comme dans une mesure qui les dépasse.

[1506] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut esse, secundum rationem intelligendi, consequitur principia ipsius entis quasi causas ; ita etiam mensura entis se habet ad mensuram essendi secundum rationem causae. Unde nunc aeternitatis secundum rationem videtur esse causa aeternitatis. Sed ex hoc non ostenditur diversitas in re, sed tantum in ratione ; sicut nec inter ipsum divinum esse et ipsum ens.

3. Il faut dire en troisième lieu que tout comme l’existence, selon la manière de la comprendre, découle des principes de l’être lui-même comme de ses causes, de même encore la mesure de l’être se rapporte à la mesure de l’existence selon la raison de cause. C’est pourquoi l’instant de l’éternité selon la raison semble être la cause de l’éternité. Mais à partir de là on ne montre pas une diversité dans la réalité, mais seulement dans la raison, tout comme on n’en montre pas non plus entre l’existence divine elle-même et l’être lui-même.

[1507] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est similis ratio de tempore et nunc temporis et de aeternitate et nunc aeternitatis, et ratio assignata est.

4. Il faut dire en quatrième lieu que le rapport entre le temps et l’instant du temps n’est pas semblable à celui qu’il y a entre l’éternité et l’instant de l’éternité, et le rapport a été identifié.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La grandeur des personnes divines]

 

 

Prooemium

Prologue

[1508] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 pr. Deinde quaeritur de magnitudine ; et circa hoc quaeruntur duo:

1 utrum magnitudo Deo conveniat, et quid sit ;

2 de signo aequalitatis in magnitudine divinarum personarum, secundum quod in se invicem [invicem om. Éd. de Parme] esse dicuntur.

On s’interroge ensuite sur la grandeur ; et à ce sujet, deux points font l’objet d’une recherche :

1. Est-ce que la grandeur convient à Dieu, et en quoi consiste-t-elle ?

2. Le signe de l’égalité dans la grandeur des personnes divines, selon qu’on dit à leur sujet qu’elles existent réciproquement [réciproquement om. Éd. de Parme] l’une dans l’autre.

 

 

Articulus 1 [1509] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 tit. Utrum magnitudo competat Deo

Article 1 – La grandeur convient-elle à Dieu ?

[1510] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod magnitudo Deo non competat. Magnitudo enim est quaedam conditio materiae. Sed nulla conditio materialis de Deo dicitur, nisi metaphorice. Ergo videtur quod magnitudo Deo non conveniat nisi metaphorice.

Difficultés :

1. Il semble que la grandeur ne convienne pas à Dieu. La grandeur en effet est une condition de la matière. Mais aucune condition de la matière ne se dit de Dieu, si ce n’est en un sens métaphorique. Il semble donc que la grandeur ne convienne à Dieu qu’en un sens métaphorique.

[1511] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, magnum et parvum ex opposito dividuntur. Sed, secundum philosophum, omne parvum est magnum sicut et omne paucum est multum, ut X Metaphys., cap. IX dicit. Ergo videtur etiam quod omne magnum sit parvum. Sed Deus non est parvus. Ergo non est magnus.

2. Par ailleurs, le grand et le petit se divisent pas l’opposé. Mais d’après le Philosophe, tout petit est grand comme tout peu nombreux est nombreux [X Métaphysique, ch. 1X]. Il semble donc aussi que tout grand soit petit. Mais Dieu n’est pas petit. Donc il n’est pas grand.

[1512] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 3 Item, magnitudo est quantitas continua. Sed in Deo non potest esse continuatio, cum sit simplex et indivisibilis. Ergo nec magnitudo.

3. En outre, la grandeur est une quantité continue. Mais il ne peut y avoir de continuité en Dieu, puisqu’il est simple et indivisible. Il n’y a donc pas en lui de grandeur.

[1513] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 arg. 4 Si dicas, quod in Deo est quantitas virtutis secundum quam dicitur magnus ; contra Deus secundum virtutem suam dicitur potens. Sed hic dividitur potentia contra magnitudinem. Ergo non intelligitur de magnitudine virtutis.

4. Si tu dis qu’en Dieu il y a la quantité de la puissance selon laquelle il est appelé grand, je dirai par contre que Dieu est appelé puissant selon sa puissance. Mais ici la puissance se divise par opposition à la grandeur. Elle ne s’entend donc pas de la grandeur de la puissance.

[1514] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur in Psalm. CXLVI, 5: Magnus Deus et magna virtus ejus.

Cependant :

C’est le contraire qui est dit dans l’Écriture [Psaume CXLVI, 5] : Dieu est grand et grande est sa puissance.

[1515] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in Deo non potest esse quantitas nisi virtutis ; et cum aequalitas attendatur secundum aliquam speciem quantitatis, aequalitas non erit nisi secundum virtutem. Virtus autem, secundum philosophum VI Ethic., c. II, est ultimum in re de potentia.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il ne peut y avoir en Dieu que la quantité de la vertu ; et puisque l’égalité se vérifie selon une espèce de la quantité, il n’y aura là d’égalité que selon la vertu. Mais la vertu, selon le Philosophe [ VI Éthique, ch. 11] est l’excellence dans la chose au sujet de la puissance.

Unde etiam dicitur in VII Physic., text. 18, quod virtus est perfectio quaedam, et tunc unumquodque perfectum est quando attingit propriam virtutem. Omnibus igitur illis modis quibus contingit pertingere ad ultimum est considerare virtutem rei.

C’est pourquoi il dit encore [ VII Physique, texte 18] que la vertu est une certaine perfection, et alors chacun est parfait quand il parvient à la vertu qui lui est propre. Il faut donc considérer la vertu d’une chose d’après toutes les modalités par lesquelles il est possible de parvenir à l’excellence.

Hoc autem contingit tripliciter:

primo in operationibus, in quibus contingit gradus perfectionis inveniri. Unde dicitur habere virtutem ad operandum quod attingit completam operationem, prout dicitur II Ethic., cap ; V, quod virtus est quae bonum facit habentem, et opus ejus bonum reddit.

Mais cela est possible de trois façons :

Premièrement dans les opérations dans lesquelles il est possible de retrouver des degrés de perfection. C’est pourquoi on dit que possède la vertu ordonnée à l’opération celui qui parvient à poser une opération complète, comme on dit [11 Éthique, ch. V] que la vertu rend bon celui qui la possède et rend bonne aussi son œuvre.

Secundo etiam respectu ipsius esse rei, secundum quod etiam philosophus dicit, I Caeli et mundi, text. 103, quod aliquid habet virtutem ut semper sit.

Item secundum plenitudinem perfectionis respectu ipsius entis, secundum quod attingit ultimum naturae suae. Unde etiam virtus circuli dicitur, secundum philosophum, V Phys., text. 5, quando attingit complete definitionem suam. Si igitur virtus divina consideretur secundum perfectionem ad opus, erit virtus potentiae operativae. Si autem consideretur perfectio quantum ad ipsum esse divinum, virtus ejus erit aeternitas. Si autem consideretur quantum ad complementum perfectionis ipsius naturae divinae, erit magnitudo.

Deuxièmement aussi par rapport à l’existence même de la chose, selon ce que dit encore le Philosophe [1, Du Ciel et du Monde, texte 103], à savoir qu’un être possède la vertu pour exister toujours.

En outre selon la plénitude de la perfection par rapport à l’être lui-même, selon qu’il parvient à l’excellence de sa nature. C’est pourquoi la vertu se dit aussi du cercle d’après le Philosophe [V Physique, texte 5] quant il attaint complètement sa circonscription. Si donc la vertu divine est considérée d’après la perfection à agir, la vertu sera celle d’une puissance opérationnelle. Mais si la perfection est considérée quant à l’existence même de Dieu, sa vertu sera l’éternité. Mais si elle est considérée quant au caractère accompli de la perfection de la nature divine elle-même, sa vertu sera la grandeur.

Quod patet ex hoc quod ipse probat aequalitatem in magnitudine ex hoc quod tota plenitudo naturae Patris est in Filio ; secundum quem etiam modum Augustinus dicit, VI De trinitate, cap. VIII, col. 929, quod in his quae non mole magna sunt, idem est majus esse quod melius ; secundum quod etiam dicimus aliquem hominem esse magnum, qui est perfectus in scientia et virtute. Et sicut omnipotentiae suae virtute omnes potentias operativas fundat et in eis operatur ; ita per virtutem aeternitatis suae instituit et firmat omnem durationem et per virtutem magnitudinis suae omnia implet et continet.

Ce qui est évident du fait que lui-même prouve l’égalité dans la grandeur du fait que toute la plénitude de la nature du Père est dans le Fils ; et c’est aussi de la même manière que Saint-Augustin dit [ VI De la Trinité, ch.  VIII, col. 929] que dans les choses qui sont grandes d’une grandeur qui n’est pas celle de la masse, être plus grand c’est être meilleur ; et c’est d’après cela encore que nous disons qu’une homme est grand quand il est parfait dans la science et la vertu. Et tout comme il établit toutes les puissances opérationnelles et opère en elles par la vertu de sa toute-puissance, de même par la vertu de son éternité il institue et affermit toute durée, et par la vertu de sa grandeur il comble et conserve tous les êtres.

[1516] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod magnitudo secundum rationem generis sui, quod est quantitas, est conditio materiae ; et secundum hoc non praedicatur de Deo, sed secundum rationem differentiae suae ; quae consistit in ratione completionis, prout dicimus aliquem ex parvo fieri magnum, quando attingit completam quantitatem.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la grandeur, sous le rapport de son genre qui est la quantité, est une condition de la matière ; et d’après cela elle ne s’attribue pas à Dieu, mais seulement sous le rapport de sa différence qui consiste dans la notion d’accomplissement, selon que nous disons d’une chose que de petite elle devient grande, quand elle atteint sa quantité complète.

[1517] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quantitas continua dividitur in infinitum, sed non in infinitum augetur ; et ideo ratione divisionis infinitae quodlibet parvum potest habere minus, in cujus respectu dicetur [ videtur Éd. de Parme] magnum ; sed tamen non quolibet magno est aliquod majus, respectu cujus possit dici minus, sicut patet in quantitate caeli. Nihilominus tamen si magnum et parvum non dicatur secundum relationem, sed absolute, prout consideratur, quantitas determinata ad aliquam speciem, sic quamvis quodlibet minus sit majus, non tamen quodlibet minus est parvum, nec quodlibet majus est magnum, ut dicit philosophus, III, Caeli et lundi, text. 9. Nihilominus tamen sciendum quod Deus sicut dicitur magnus, ita etiam dicitur parvus, ut dicit Dionysius, IX cap. De divin. Nom., § 3, col. 911, et accipit parvum pro subtili, secundum quod ipse penetrat omnia, etiam profundas cogitationes, et secundum quod dicitur quod principia sunt parva quantitate et magna virtute.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la quantité continue se divise à l’infini, mais elle ne croît pas à l’infini ; et c’est pourquoi tout ce qui est petit, en raison de la division infinie, pourra avoir une quantité moindre par rapport à laquelle il sera dit [paraîtra Éd. de Parme] grand ; cependant ce n’est pas par n’importe quoi de grand qu’une chose est plus grande et par rapport à quoi elle peut être dite moindre, comme on le voit dans la quantité du ciel. Néanmoins cependant si le grand et le petit ne se disent pas selon la relation mais absolument selon qu’on considère une quantité déterminée à une espèce, ainsi, bien que n’importe quel moindre soit plus grand, ce n’est cependant pas n’importe quel moindre qui est petit, ni n’importe quel plus grand qui est grand ainsi que le dit le Philosophe [111 Du Ciel et du Monde, texte 9]. Néanmoins cependant il faut savoir que tout comme Dieu est appelé grand, de même il est aussi appelé petit, comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. 1X, & 3, col. 911], et il prend ici petit au sens de fin, selon que Dieu pénètre toute chose, même les pensées les plus profondes, et selon qu’on dit que les principes sont petits quantitativement parlant mais grands en puissance.

[1518] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod continuitas sequitur magnitudinem dimensivam, non autem magnitudinem virtutis, quae sola debet in Deo intelligi.

3. Il faut dire en troisième lieu que la continuité découle de la grandeur de la dimension et non de la grandeur de la vertu qui est la seule à devoir être comprise comme étant présente en dieu.

[1519] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum patet jam solutio per ea quae dicta sunt, in corp. art. ; quia virtus non tantum dicitur respectu operis [operationis Éd. de Parme] secundum quod hic accipitur potentia, sed etiam aliis modis, ut dictum est, ubi supra.

4. En quatrième lieu la solution à cette difficulté est déjà claire au moyen de ce qui a été dit dans le corps de l’article ; car la vertu ne se dit pas seulement par rapport à l’œuvre [l’opération Éd. de Parme], d’après le sens dans lequel on prend ici puissance, mais aussi autrement comme nous l’avons dit plus haut.

 

 

Articulus 2 [1520] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 tit. Utrum Pater sit in Filio et e converso

Article 2 – Le Père est-il dans le Fils et inversement ?

[1521] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater non sit in Filio nec e converso. Philosophus enim, in IV Physic., text. 23, assignat octo modos essendi in, quorum nullus potest aptari ad hoc quod Pater in Filio esse dicatur vel e converso. Neque enim est sicut totum in partibus neque sicut e converso, neque sicut genus in speciebus neque sicut e converso, neque sicut in loco, neque sicut forma in materia, neque sicut in movente, sicut regnum est in rege ; neque sicut in fine optimo, ut de facili potest probari. Ergo Pater non est in Filio.

Difficultés :

1. Il semble que le Père ne soit pas dans le Fils ni réciproquement. Le Philosophe [IV Physique, texte 23] en effet désigne huit manières d’exister dans un autre, dont aucun ne peut s’appliquer à ce qu’on dit, à savoir que le Père est dans le Fils ou réciproquement. En effet, il n’est pas comme un tout dans ses parties, ni comme une partie dans son tout, ni comme un genre dans ses espèces ni comme inversement, ni comme dans un lieu, ni comme une forme dans la matière, ni comme dans un moteur, comme le royaume est dans le roi ; ni comme dans une fin suprême, comme on peut le prouver facilement. Donc le Père n’est pas dans le Fils.

[1522] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, eorum quorum unum est apud alterum, ut distinctum ab ipso, unum non est in altero. Sed Filius est apud Patrem, ut dicitur Joan. 1: Et Verbum erat apud Deum. Ergo videtur quod Pater non sit in Filio, nec e converso.

2. Par ailleurs, parmi les choses dont l’une est auprès de l’autre et comme distincte d’elle, l’une n’est pas dans l’autre. Mais le Fils est auprès du Père comme le dit Jean (1, 1) : Et le Verbe était auprès de Dieu. Il semble donc que le Père ne soit pas dans le Fils, ni inversement.

[1523] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 arg. 3 Item, in divinis non est nisi relatio originis. Sed haec praepositio in importat aliquam habitudinem. Ergo in divinis non potest importare nisi relationem originis. Sed non eamdem relationem habet Filius ad Patrem et Pater ad Filium. Ergo vel non uterque est in altero, vel non eodem modo.

3. En outre, il n’y a dans les personnes divines qu’une relation d’origine. Mais cette préposition ¨dans¨ implique une certaine manière d’être. Donc dans les personnes divines on ne peut introduite qu’une relation d’origine. Mais la relation du Fils au Père n’est pas la même que celle du Père au Fils. Donc, ou bien ce ne sont pas les deux qui sont dans l’autre, ou bien ils ne le sont pas de la même manière.

[1524] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra, ubicumque est essentia Patris, est Pater. Sed tota essentia Patris est in Filio et e converso. Ergo Pater est in Filio et e converso.

Cependant :

1. Au contraire, partout où est l’essence du Père, là est le Père. Mais toute l’essence du Père est dans le Fils et réciproquement. Donc le Père est dans le Fils et réciproquement.

[1525] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in uno relativorum intelligitur aliud. Sed Pater et Filius sunt relativa. Ergo videtur quod Pater sit in Filio et e converso.

2. Par ailleurs, dans l’un des relatifs, l’autre est compris. Mais le Père et le Fils sont des relatifs. Il semble donc que le Père soit dans le Fils et réciproquement.

[1526] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in divinis personis est duo considerare: scilicet essentiam quae est una et eadem, et relationes quibus distinguuntur ; et secundum utrumque Pater dicitur esse in Filio et e converso, secundum diversorum assignationes. Secundum enim tres doctores, qui in Littera inducuntur, scilicet Augustinum, Hilarium, Ambrosium, hoc dicitur propter essentiae unitatem, quia essentia Patris est in Filio et Pater non deserit naturam suam ; unde ubi est natura sua, ibi est ipse, sicut patuit etiam ex verbis Hilarii (supra) inductis, (dist. 5), inductis. Sed secundum Damascenum, lib. III Fid. orthod., cap. VI, col. 1002, hoc intelligitur secundum rationem relationis, prout in uno relativorum intelligitur aliud.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que dans les personnes divines il y a deux choses à considérer : c’est-à-dire l’essence qui est une et la même, et les relations par lesquelles elles se distinguent ; et sous ces deux rapports, on dit que le Père est dans le Fils et inversement, selon les  assignations de différents auteurs. En effet, d’après les trois docteurs qui sont introduits dans le Document, à savoir Saint-Augustin, Saint-Hilaire et Saint-Ambroise, cela se dit à cause de l’unité de l’essence, car l’essence du Père est dans le Fils et le Père n’abandonne jamais sa nature ; c’est pouqquoi, là où est sa nature, là il est Lui-même, ainsi qu’on l’a vu aussi à partir des paroles de Saint-Hilaire présentées plus haut (dist. 5). Mais d’après Damascène [111 De la Foi Orthodoxe, ch.  VI, col. 1002], cela s’entend sous le rapport de la relation, selon que chacun des relatifs entre dans la notion de l’autre.

[1527] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod stricte accipiendo, non omnes modi quibus aliquid est in aliquo, continentur in illis octo, nisi per quamdam similitudinis reductionem ; sicut esse in tempore reducitur ad illum modum quo aliquid dicitur esse in loco, quia utrumque est sicut mensuratum in mensura ; sic etiam per quamdam similitudinem ille modus potest reduci ad aliquem illorum. Si enim hoc accipiatur quantum ad unitatem essentiae, tunc Pater dicitur esse in Filio propter hoc quod essentia Patris in Filio est.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’à le prendre au sens strict, ce ne sont pas tous les modes par lesquels une chose est dans une autre qui se trouvent à être contenus dans ces huit modalités, sauf si on les ramène à une certaine ressemblance : tout comme exister dans le temps se ramène à ce mode par lequel on dit d’une chose qu’elle est dans un lieu, car chacun des deux se présente comme ce qui est mesuré dans une mesure ; de même encore c’est pas une certaine ressemblance que ce mode peut se ramener à l’un d’eux. Si en effet cet énoncé se prend quant à l’unité de l’essence, alors on dit du Père qu’il est dans le fils pour cette raison que l’essence du Père est dans le Fils.

Unde ad illum modum reducitur ad quem reduceretur si essentia in Filio esse diceretur. Hoc autem est per modum quo natura communis est in aliquo supposito, et reducitur ad illum modum quo genus est in specie ; quamvis in divinis non sit genus et species, ut infra, dist. 25, quaest. unic., art. 3, patebit. Si autem accipiatur quantum ad relationem, tunc reducetur ad illum modum quo aliquid est in aliquo sicut in principio movente et efficiente ; quamvis enim Pater non sit principium efficiens Filii, tamen est originans ipsum. Unde Filius est in Patre sicut originatum in originante, et e converso Pater in Filio sicut originans in originato. Sed adhuc magis proprie dicitur in divinis Filius in Patre, etiam ex parte relationis, quam in humanis ; quia Filius ex ipsa relatione est persona subsistens ; sua enim relatio est sua personalitas, quod in aliis rebus non contingit.

C’est pourquoi il se ramène à ce mode auquel il se ramènerait si on disait que l’essence est dans le Fils. Mais cela se dit au moyen de ce mode par lequel une nature commune est dans un suppôt,  cela se ramène à ce mode par lequel un genre est dans son espèce, bien qu’en Dieu il n’y ait ni genre ni espèce, comme on le verra plus loin [dist. 25, quest. unique, art. 3]. Mais si on prend cet énoncé quant à la relation, alors il se ramène à ce mode par lequel une chose est dans une autre comme dans son principe moteur et efficient, bien qu’en effet le Père ne soit pas le principe efficient du Fils, il est cependant son origine. C’est pourquoi le Fils est dans le Père comme celui qui procède est dans le principe d’origine, et inversement le Père est dans le Fils comme le principe d’origine est dans celui qui en procède. Mais en outre on dit plus proprement du Fils qu’il est dans le Père dans les personnes divines que dans les personnes humaines, même du côté de la relation, car c’est par la relation elle-même que le Fils est une personne subsistante ; en effet, sa relation est sa personne, ce qui n’est pas possible pour les autres réalités.

[1528] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod una persona dicitur esse apud aliam ratione distinctionis ; sed dicitur esse in alia vel quantum ad essentiam, vel quantum ad intellectum relationum, quia in una intelligitur alia, quamvis unum relativum ab altero sit distinctum.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’on dit d’une personne qu’elle est auprès d’une autre en raison de sa distinction ; mais on dit qu’elle est dans une autre soit quant à l’essence, soit sous le rapport des relations, car l’un des relatifs entre dans la notion de l’autre, bien que l’un des relatifs soit distinct de l’autre.

[1529] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si accipiatur Pater esse in Filio propter unitatem essentiae, eodem modo est Pater in Filio et Filius in Patre: et tunc haec praepositio in non importabit aliquam relationem realem, sed tantum relationem rationis, qualis est inter essentiam et personam, secundum quam essentia dicitur esse in persona. Si autem hoc accipiatur ex parte relationis, tunc est alius modus, ut dictum est, in Resp. ad primum, secundum diversam habitudinem Patris ad Filium et Filii ad Patrem.

3. Il faut dire en troisième lieu que si on prend le Père comme étant dans le Fils à cause de l’unité de l’essence, c’est de la même manière que le Père est dans le Fils et que le Fils est dans le Père : et alors cette préposition ¨dans¨ n’impliquera pas une relation réelle, mais seulement une relation de raison, laquelle se trouve entre l’essence et la personne, selon laquelle on dit de l’essence qu’elle est dans la personne. Mais si on prend le même énoncé du côté de la relation, alors le mode diffère, conformément à une différente manière d’être du Père à l’égard du Fils et du Fils à l’égard d u Père. ainsi que nous l’avons dit dans la réponse à la première difficulté.

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [Le tout attribué à Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quaeritur de duobus, secundum duas rationes quae in hac lectione habentur. Circa primam probationem quaeruntur duo:

1 utrum in divinis sit totum integrale ;

2 utrum sit ibi totum universale.

On s’interroge ici sur deux choses, d’après deux notions qui sont contenues dans cette leçon. Et au sujet de ce premier examen on pose deux questions :

1. Y a-t-il en Dieu un tout intégral ?

2. Y a-t-il en Dieu un tout universel ?

 

 

Articulus 1 [1532] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 tit. Utrum in divinis sit totum integrale

Article 1 – Y a-t-il en Dieu un tout intégral[15] ?

[1533] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in divinis sit totum integrale. Ubicumque enim est quantitas aliqua, ibi est ratio totius integralis, cum omnis quantitas in partes divisibilis sit. Sed in Deo est quantitas virtutis. Ergo est ibi totum integrale.

Difficultés :

1. Il semble qu’il y ait en Dieu un tout intégral. Partout en effet où il y a une quantité, il y a là raison de tout intégral, puisque toute quantité est divisible en parties. Mais en Dieu il y a la quantité de la vertu. Il y a donc là un tout intégral.

[1534] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut quantitas continua integratur ex suis partibus, ita et numerus. Sed in divinis est numerus personarum, scilicet ternarius, cujus pars quaedam est unum et duo. Ergo videtur quod sit ibi totum integrale.

2. Par ailleurs, tout comme la quantité continue est constituée comme tout à partir de ses parties, il en est de même du nombre. Mais en Dieu il y a une nombre de personnes, à savoir trois, dont les parties sont un et deux. Il semble donc qu’il y ait un tout intégral en Dieu.

[1535] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 3 Item, quidquid est aliquid alicujus et non est illud, est pars integralis illius. Sed Pater est aliquid Trinitatis et non est Trinitas. Ergo est pars integralis Trinitatis.

3. En outre, tout ce qui est une partie d’une chose sans être cette chose, est une partie intégrale de cette chose. Mais le Père fait partie de la Trinité et n’est pas la Trinité. Il est donc une partie intégrale de la Trinité.

 

[1536] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 arg. 4 Praeterea, ex sola natura nunquam constituuntur res naturae, et praecipue ubi sunt plures res naturae in una natura. Sed in una natura divina sunt plures res naturae, scilicet personae. Ergo oportet quod ad constitutionem personae aliquid aliud naturae divinae adveniat ; et sic erit ibi aliquid integratum ex pluribus.

4. De plus, les choses d’une même nature ne sont jamais constituées à partir de leur seule nature, et principalement là où il y a plusieurs choses de même nature dans une seule et même nature. Mais dans une seule et même nature divine il y a plusieurs choses de même nature, à savoir les personnes divines. Il faut donc que quelque chose d’autre survienne à la nature divine pour constituer la personne ; et ainssi il y aura là quelque chose qui sera constitué de plusieurs parties intégrales.

[1537] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 s. c. 1 Contra, omne totum integrale est compositum ex partibus. Sed in Deo nulla est compositio, sed summa simplicitas, ut supra, dist. 8, quaest. 4, art. 1, habitum est. Ergo in divinis non est totum integrale.

Cependant :

1. Au contraire, tout tout intégral est composé de parties. Mais en Dieu il n’y a nulle composition, mais la plus grande simplicité, ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 1]. Il n’y a donc en Dieu aucun tout intégral.

[1538] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ratio totius integralis consistit in compositione. Ratio autem partis integralis habet imperfectionem annexam, quibus divina simplicitas et perfectio repugnat ; unde non potest ibi esse totum integrale et pars.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que la notion de tout integral consiste en une composition. Mais la notion de partie intégrale comporte une imperfection qui lui est rattachée à laquelle répugne la simplicité et la perfection divines; c’est pourquoi il ne peut y avoir là ni tout integral, ni partie intégrale.

[1539] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quantitas virtutis non attenditur secundum divisionem virtutis intrinsecus ; sed magis attenditur ejus divisio respectu exteriorum, vel secundum numerum objectorum, vel secundum intensionem actus, vel secundum modos agendi. Unde patet quod in quantitate virtutis non est ratio totius et partis integralis, quia partes integrales sunt intra suum totum.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la quantité de la vertu ne se vérifie pas d’après une  division intérieure de la vertu, mais sa division se vérifie plutôt par rapport à quelque chose d’extérieur, soit d’après le nombre des objet, soit selon l’intention de l’acte, soit d’après les modes d’opération. D’où il est clair que dans la quantité de la vertu il n’y a pas raison de tout intégral ni de partie intégrale, car les parties intégrales sont à l’intérieur de leur tout.

[1540] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in divinis unitas vel dualitas non est pars ternarii nisi secundum rationis acceptionem. Cujus ratio est, quia alio modo est numerus in rebus divinis et in rebus creatis, et alio modo unitas. Cum enim unum sit quod est indivisum in se et divisum ab aliis, unumquodque autem creatum per essentiam suam distinguatur ab aliis ; ipsa essentia creati, secundum quod est indivisa in se et distinguens ab aliis, est unitas ejus, et plures unitates constituentes numerum personarum creatarum, sunt plures essentiae congregatae secundum numerationem, ita quod nihil est in una quod sit in alia secundum numerum idem.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les personnes divines l’unité ou la dualité n’est une partie de trois que selon la conception de la raison. La raison en est que c’est d’une manière différente que se présentent le nombre et l’unité dans les personnes divines et dans les choses créées. En effet, puisque l’un est ce qui est indivisé en soi et divisé par les autres, toute chose créée se distingue des autres par son essence ; l’essence même de la chose créée, selon qu’elle est indivisée en elle-même et se distingue des autres, est son unité ; et plusieurs unités constituant un nombre de personnes créées sont plusieurs essences rassemblées selon le nombre, de telle manière que rien de ce qui est dans l’une n’est numériquement identique à ce qui est dans l’autre.

Sic ergo numerus in rebus creatis habet rationem distinctionis et cujusdam coacervationis distinctorum per essentiam, et ex hoc habet rationem totius integralis. Unitas autem personalis est ipsa proprietas relativa, distinguens unam personam ab alia, et non essentiam ipsius personae ; unde tres personae non sunt differentes per essentiam, cum una numero essentia sit in tribus personis. Et ideo non potest ibi esse coacervatio, sed tantum distinctio. Et propter hoc numerus non habet rationem totius integralis, nisi forte secundum quod in intellectu coadunantur rationes proprietatum personalium. Sed per hoc non erit integratio alicujus rei, sed in ratione tantum.

Ainsi donc le nombre dans les choses créées a raison de distinction et d’une certaine accumulation de réalités distinctes par l’essence et de ce fait a raison de tout intégral. Mais l’unité de la personne divine est la propriété relative elle-même, laquelle distingue une personne d’une autre et non l’essence de la personne ; c’est pourquoi les trois personnes ne sont pas différentes par l’essence puisqu’il y a dans les trois personnes une seule essence numériquement parlant. Et c’est pourquoi il ne peut y avoir là accumulation mais seulement distinction. Et pour cette raison le nombre n’a pas raison de tout intégral, si ce n’est peut-être  selon que les notions des propriétés personnelles sont réunies dans l’intelligence. Mais par cela il n’y aura intégration dans une réalité, mais dans la raison seulement.

[1541] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec est falsa: Pater est aliquid Trinitatis, si intelligatur partitive ; significaretur enim quod haberet partem essentiae Trinitatis, ex hoc quod aliquid, cum sit neutrum, essentiam significat. Sed haec est vera: [est aliquis Trinitatis: ex quo non potest concludi quod sit pars Trinitatis, nisi secundum rationem ; quia scilicet non est tot personae quot est Trinitas: quia Trinitas est tres personae, et non Pater Éd. de Parme].

3. Il faut dire en troisième lieu que cette proposition est fausse : le Père est quelque chose de la Trinité, si on l’entend à la manière d’un partage ; elle signifierait en effet que le Père ne possède qu’une partie de l’essence de la Trinité, du fait que quelque chose signifie l’essence puisqu’il est neutre. Mais cette proposition est vraie : [le Père est quelqu’un de la Trinité car de là on ne peut conclure qu’il soit une partie de la Trinité que selon la raison : c’est-à-dire qu’il n’est pas à lui seul autant de personnes qu’il y en a dans la Trinité : car la Trinité, c’est les trois personnes et non pas le Père Éd. de Parme].

 Éd. Mandonnet : [quia scilicet non est tot personae quot est Trinitas ; quia Trinitas et tres personae, et non Pater. Sed ex hoc quod est aliquis Trinitas non sequitur quod sit pars Trinitatis, nisi secundum rationem, ut dictum est.]

Éd. Mandonnet : [c’est-à-dire qu’il n’est pas autant de personnes qu’il y en a dans la Trinité ; car la Trinité, c’est les trois personnes et non pas le Père. Mais du fait qu’il est quelqu’un de la Trinité, il ne s’ensuit pas qu’il soit une partie de la Trinité, si ce n’est selon la raison, comme nous l’avons dit.]

[1542] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod naturae divinae nihil additur ad constituendum rem naturae, cum in Deo idem sit quo est et quod est, sive qui est. Distinctio autem non est ex ratione naturae, sed ex ratione proprietatis relativae ; quae quidem, secundum quod comparatur ad essentiam, est ratione tantum et non re ab ipsa differens ; prout autem comparatur ad correlativum cui opponitur, facit realem distinctionem personae, ut supra dictum est, dist. 9, quaest. unic. art. 1.

4. Il faut dire en quatrième lieu que rien n’est ajouté à la nature divine pour constituer une réalité de cette nature, puisqu’en Dieu ce par quoi il est et ce qui est ou qui il est, sont identiques. Mais la distinction ne vient pas de la raison de nature, mais de la raison de la propriété relative laquelle certes, selon qu’elle se compare à l’essence, diffère d’elle par la raison et non dans la réalité ; mais pour autant qu’elle se compare au corrélatif auquel elle s’oppose, entraîne une distinction réelle de la personne ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 9, quest. unique, art. 1].

 

 

Articulus 2 [1543] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 tit. Utrum in divinis sit totum universale

Article 2 – Y a-t-il en Dieu un tout universel ?

[1544] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in divinis sit totum universale. Quidquid enim praedicatur de aliquo substantialiter et non conversim, praedicatur de ipso ut totum universale de parte subjectiva. Sed essentia divina, vel Deus, hoc modo praedicatur de Patre: Pater enim est essentia divina, sed non quicumque est essentia divina est Pater. Ergo ibi est totum universale.

Difficultés :

1. Il semble qu’il y ait un tout universel en Dieu. Tout ce qui s’attribue substantiellement à un être et non réciproquement s’attribue à une comme un tout universel s’attribue à la partie subjective. Mais l’essence divine, ou Dieu, s’attribue au Père de cette manière. Le Père en effet est l’essence divine mais ce n’est pas toute personne divine ayant l’essence divine qui est le Père. Il y a donc là un tout universel.

[1545] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, universale et particulare differunt, sicut commune et proprium. Sed in divinis invenitur commune et proprium ; quia essentia est communis, et relatio est propria personae. Ergo est ibi universale et particulare.

2. Par ailleurs, l’universel et le particulier diffèrent comme le commun et le propre. Mais on retrouve le commun et le propre dans les personnes divines ; car l’essence est commune tandis que la relation est propre à la personne. Il y a donc là de l’universel et du particulier.

[1546] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 3 Item, supra, dist. 5, ex verbis Hilarii habitum est, quod Filius Dei generis sui potestatem in habitu assumptae humilitatis [humanitatis Éd. de Parme] exercuit. Genus autem suum nominat naturam divinam [suam Éd. de Parme]. Ergo videtur quod essentia sit genus et universale respectu personarum.

3. En outre, nous avons établi plus haut dans la distinction cinq à partir des paroles de Saint-Hilaire que le Fils de Dieu a exercé la puissance de son genre dans la possession de l’humilité [de l’humanité Éd. de Parme] qu’il avait prise. Il semble donc que l’essence soit le genre et l’universel par rapport aux personnes.

[1547] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, scientia est species cognitionis. Sed de Deo utrumque dicitur, scilicet quod cognoscit et scit. Ergo videtur quod in divinis sit totum universale.

4. Par ailleurs, la science est une espèce de connaissance. Mais les deux se disent de Dieu, à savoir qu’il connait et qu’il sait. Il semble donc qu’il y ait un tout universel en Dieu.

[1548] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 s. c. 1 Contra, ubicumque est universale et particulare, particularia sunt potentia in suis universalibus sicut differentiae in genere. Sed in divinis non est aliquid in potentia. Ergo non est ibi universale et particulare.

Cependant :

1. Par contre, partout où il y a l’universel et le particulier, les particuliers existent en puissance dans leurs universels, comme les différences dans leur genre. Mais en Dieu il n’y a rien qui soit en puissance. Il n’y a donc pas là d’universel ni de particulier.

[1549] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omne superius est pars integralis constituens definitionem inferioris ; unde dicit Porphyrius, in Praed., cap. « De diffi., » quod genus se habet ad similitudinem materiae, et differentia ad similitudinem formae, et species ad similitudinem compositi. Sed in divinis non est totum integrale et pars. Ergo etiam nec totum universale et pars sibi respondens.

2. De plus, tout supérieur est une partie intégrale constituant la définition de l’inférieur ; c’est pourquoi Porphyre [Les Prédicables, ch. Sur la Différence] dit que le genre se présente comme une similitude de la matière, la différence comme une similitude de la forme et l’espèce comme une similitude du composé. Mais en Diue il n’y a ni tout, ni partie intégrale. Il n’y a donc pas non plus un tout universel ni une partie qui lui correspond.

[1550] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in divinis non potest esse universale et particulare. Et hujus ratio potest quadruplex assignari:

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’en Dieu il ne peut y avoir ni universel ni particulier. Et quatre raisons peuvent être assignées pour le prouver :

primo, quia, secundum Avicennam, (II parte Logicae, cap. II) ubicumque est genus et species, oportet esse quidditatem differentem a suo esse, ut prius, dist. 8, quaest. 1, art. 1, dictum est ; et hoc in divinis non competit ;

Premièrement, parce que, selon Avicenne [Logique, partie 11, ch. 11], partout où il y a genre et espèce, il faut que la quiddité soit différente de son existence, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 8, quest. 1, art. 1], ce qui répugne à Dieu.

secundo, quia essentia universalis non est eadem numero in suis inferioribus, sed secundum rationem tantum ; essentia autem divina est eadem numero in pluribus personis ;

Deuxièmement, parce que l’essence universelle n’est pas la même numériquement parlant dans ses inférieurs, mais elle est la même seulement selon la raison ; mais l’essence divine est la même numériquement parlant dans la pluralité des personnes.

tertio, quia universale exigit pluralitatem in his quae sub ipso continentur vel in actu vel in potentia: in actu sicut est in genere, quod semper habet plures species ; in potentia sicut in aliquibus speciebus, quarum forma, quantum est de se, possibilis est inveniri in multis, cum omnis forma sit de se communicabilis ; sed quod inveniatur tantum in uno, est ex parte materiae debitae illi speciei, quae tota adunatur in uno individuo, ut patet in sole, qui constat ex tota sua materia ; et ista pluralitas est secundum numerum, qui numerus simpliciter est fundatus in substantiali distinctione: tres autem personae non numerantur tali numero, ut dictum est, art. antec., et ideo essentia non habet rationem universalis ;

Troisièmement, parce que l’universel exige une pluralité, soit en acte, soit en puissance, dans les choses qui sont contenues en lui : en acte, comme c’est le cas pour le genre  qui possède toujours plusieurs espèces ; en puissance comme dans certaines espèces, dont la forme qui, quant à ce qu’elle est en elle-même, peut être retrouvée en plusieurs puisque toute forme, en elle-même, est communicable ; mais ce qu’on retrouve seulement dans une chose vient du côté de la matière qui est due à cette espèce et qui est totalement réunie en un seul individu, comme on le voit pour le soleil qui subsiste à partir de toute sa matière ; et cette pluralité est selon le nombre, lequel nombre s’enracine absolument dans la distinction substantielle : mais les trois personnes ne se nombrent pas par un tel nombre, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, et c’est pourquoi dans ce cas l’essence n’a pas raison d’universel.

quarto, quia particulare semper se habet ex additione ad universale. In divinis autem, propter summam simplicitatem, non est possibilis additio, et ideo nec universale nec particulare.

Quatrièmement, parce que le particulier se présente toujours à partir d’une addition à l’universel. Mais dans les personnes divines, à cause de leur parfaite simplicité, aucune addition n’est possible, et c’est pourquoi ni l’universel, ni le particulier ne peut leur être ajouté.

[1551] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod modus praedicandi proportionatur ipsis rebus de quibus fit praedicatio ; cum, secundum Hilarium, IV De Trinitate, § 14, col. 107, sermo sit rei subjectus. Unde sicut nulla res in creaturis invenitur similis ex toto unitati essentiae in tribus personis, sed secundum aliquid: ita etiam nullus modus praedicandi in creaturis est similis huic modo praedicandi quo essentia vel Deus de tribus personis praedicatur. Dico igitur, quod secundum id quod tactum est in objectione, habet similitudinem cum modo praedicandi totius universalis, sed differt secundum alia quae supra, in corp. art., dicta sunt.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le mode d’attribution est proportionné aux choses mêmes auxquelles il y a attribution, puisque, selon Saint-Hilaire [IV De la Trinité, & 14, col. 107], le discours est soumis à la chose. C’est pourquoi, tout comme aucune chose dans les créatures ne se trouve semblable en totalité à l’unité de l’essence dans les trois personnes, mais seulement d’une certaine manière, de même encore aucun mode d’attribution dans les créatures n’est semblable à ce mode d’attribution par lequel l’essence ou Dieu est attribué aux trois personnes. Je dis donc que ce dernier mode d’attribution, selon ce qui a été abordé dans l’objection, présente une similitude avec le mode d’attribution du tout universel, mais il en diffère sous d’autres rapport dont nous avons parlé plus haut dans le corps de l’article.

[1552] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod commune, quantum est de se, non determinat rei communitatem, vel rationis, sicut universale ; et ideo essentia potest dici communis, non autem universalis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que le commun, quant à ce qu’il est en lui-même, ne détermine pas le caractère commun de la chose en elle-même ou de la raison comme le fait l’universel ; et c’est pourquoi l’essence peut être dite commune mais non pas universelle.

[1553] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Hilarius loquitur ad similitudinem creaturarum, prout communiter loquendo dicimus, genus hominum unum genus esse, secundum quod est multitudo aliquorum se habentium ad unum principium ; ita etiam dicitur genus divinum ipsa pluralitas personarum, secundum ordinem emanationis ab uno principio, qui est Pater.

3. Il faut dire en troisième lieu que Saint-Hilaire parle de la similitude des créatures, en tant que nous disons en parlant universellement que le genre humain est un seul genre selon lequel il y a une multitude d’individus qui se rapportent à un seul principe ; de même encore on dit la même chose du genre divin à l’égard de la pluralité des personnes, selon un ordre d’origine à partir d’un seul et même principe qui est le Père.

[1554] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in creaturis quaedam inveniuntur quae tam secundum rationem generis, quam secundum rationem speciei dicunt aliquid perfectionis. Unde attribuitur Deo utrumque secundum propriam rationem, sicut patet in cognitione et scientia. Et haec quidem quamvis in creaturis se habeant sicut genus et species, tamen in divinis non sic se habent ; quia unum, secundum rem nihil addit super alterum, sed solum secundum rationem.

4. Il faut dire en quatrième lieu que dans les créatures on retrouve certaines caractéristiques qui disent quelque chose de la perfection, tant sous le rapport du genre que sous celui de l’espèce. C’est pourquoi on attribute les deux à Dieu sous le rapport qui lui est propre, ainsi qu’on le voit pour la connaissance et la science. Et bien que ces caractères se présentent certes chez les créatures comme un genre et une espèce, cependant ils ne se présentent pas ainsi dans les personnes divines; car l’un n’ajoute rien à l’autre dans la réalité, mais seulement selon la raison.

 

 

Quaestio 5

Question 5 – [La vérité]

 

 

Prooemium

Prologue

[1555] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 pr. Circa secundam probationem quaeritur de veritate, et quaeruntur tria:

1 quid sit veritas ;

2 utrum omnia sint vera una veritate, quae est veritas increata, [sive prima ; add. Ed. de Parme]

3 de conditionibus veritatis, scilicet aeternitate et incommutabilitate ejus.

Par rapport à l’autre examen on s’interroge sur la vérité, et on pose trois interrogations :

1. Qu’est-ce que la vérité ?

2. Est-ce que toutes les vérités sont vraies par une seule et même vérité qui est une vérité incréée [ou première ; add. Éd. de Parme]

3. Quelles sont les conditions de la vérité, à savoir son éternité et son immutabilité ?

 

 

Articulus 1 [1556] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 tit. Utrum veritas sit essentia rei

Article 1 – La vérité est-elle l’essence de la chose ?

[1557] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod veritas sit idem quod essentia rei [rei om.Ed. de Parmei]. Dicit enim Augustinus, lib. II Soliquiorum, c. V, col. 389, quod « verum est id quod est », et ab aliis dicitur quod verum est indivisio esse et ejus quod est. Ergo unumquodque dicitur verum, secundum quod habet esse. Esse autem est actus essentiae. Ergo cum unumquodque veritate formaliter sit verum, videtur quod omnino idem sit veritas et essentia.

1. Il semble que la vérité soit identique à l’essence de la chose [chose om. Éd. de Parme]. Saint-Augustin dit en effet [11 Soliloques, ch. V, col. 389] que ¨le vrai est ce qui est ¨ et d’autres disent que le vrai est l’indivision de l’être  et de ce qui est. Donc tout est dit vrai selon qu’il a de l’être. Mais l’être est l’acte de l’essence. Donc, puisque c’est par la vérité que tout est formellement vrai, il semble que la vérité et l’essence soient absolument identiques.

[1558] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque differunt re vel ratione unum potest intelligi sine altero, unde etiam secundum Boetium,lib. De hebdom., col. 1312, potest intelligi Deus, non intellecta ejus bonitate. Sed essentia rei non potest intelligi sine veritate. Ergo essentia rei et veritas non differunt neque re neque ratione.

2. Par ailleurs, pour tout ce qui diffère réellement ou par la raison, l’un peut être compris sans l’autre et c’est pourquoi aussi d’après Boèce [Les Semaines, col. 1312], Dieu peut être compris même si on ne comprend pas sa bonté. Mais l’essence d’une chose ne peut être comprise sans la vérité. Donc l’essence de la chose et la vérité ne diffèrent ni réellement ni par la raison.

[1559] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 3 Item, quidquid differt secundum rationem ab ente, se habet ex additione ad illud. Sed quod habet se ex additione ad aliquid, contrahit et determinat illud, sicut se habet homo ad animal. Cum igitur verum non contrahat ens (quia verum et ens convertuntur), videtur quod veritas neque re neque ratione ab essentia differat.

3. En outre, tout ce qui diffère de l’être par la raison se présente comme une addition à l’être. Mais ce qui se présente comme une addition à un être le restreint et le détermine, comme c’est le cas pour l’homme par rapport à l’animal. Donc, puisque le vrai ne restreint pas l’être (car l’être et le vrai se convertissent), il semble que la vérité ne diffère de l’essence ni réellement ni par la raison.

[1560] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea, Anselmus, lib. De veritate, cap. XI, col. 480, dicit, quod veritas est rectitudo sola mente perceptibilis. Constat autem quod loquitur metaphorice de rectitudine, quia rectitudo proprie dicta est passio continui. Sed bonitas et justitia secundum propriam rationem habent quod sint rectitudo sola mente perceptibilis. Ergo videtur quod veritas re et ratione sit idem quod bonitas et justitia.

4. Par ailleurs, Saint-Anselme [De la Vérité, ch. XI, col. 480] dit que la vérité est une droiture qui n’est perceptible que par l’intelligence. Mais il est clair qu’il parle ici de la droiture en un sens métaphorique, car la rectitude au sens  propre est une propriété du continu. Mais la bonté et la justice proprement dites sont une droiture perceptible par l’intelligence seule. Il semble donc que la vérité soit identique réellement et par la raison à la bonté et à la justice.

[1561] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 5 Contra, contingit aliquid verum dicere et de ente et de non ente. Sed non entia non habent essentiam. Cum ergo omne verum veritate sit verum, videtur quod veritas non sit idem quod essentia.

5. Au contraire, il est possible de dire quelque chose de vrai à la fois de l’être et du non-être. Mais ce qui n’existe pas n’a pas d’essence. Donc, puisque tout ce qui est vrai est vrai par la vérité, il semble que la vérité ne soit pas identique à l’essence.

[1563] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 7 Item, veritas et falsitas sunt tantum in complexis ; quia singulum incomplexorum neque verum neque falsum est. Sed essentia est rerum incomplexarum. Ergo non est idem quod veritas.

6. Par ailleurs, la vérité et la fausseté ne se retrouvent que dans ce qui est complexe ; car chacune des conceptions simples n’est ni vraie ni fausse. Mais l’essence fait partie des réalités intellectuelles simples. Elle n’est donc pas identique à la vérité.

[1564] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 arg. 8 Item, veritati opponitur falsitas. Sed falsitatem contingit invenire in entibus, sicut dicimus aurum falsum: sed de ente non dicitur non ens. Ergo falsum non est idem quod non ens ; ergo nec veritas est idem quod essentia ; quia si contrarium de contrario non praedicatur ut idem, nec oppositum de opposito.

7. En outre, la fausseté s’oppose à la vérité. Mais il est possible de retrouver la fausseté dans des êtres, par exemple lorsque nous disons que nous sommes en présence d’un faux or : mais nous ne disons pas de l’être qu’il est du non-être. Donc le faux n’est pas identique au non-être ; donc la vérité n’est pas identique à l’essence ; car si le contraire ne s’attribue pas comme identique au contraire, alors l’opposé ne s’attribuera pas comme identique à l’opposé.

[1565] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod eorum quae significantur nominibus, invenitur triplex diversitas.

Quaedam enim sunt quae secundum esse totum completum sunt extra animam ; et hujusmodi sunt entia completa, sicut homo et lapis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que parmi ce qui est signifié par les noms, on retrouve une triple diversité.

Il y en a en effet qui existent en dehors de l’âme selon la totalité complète de leur existence. Et les êtres complets, comme l’homme et la pierre, sont de cette sorte.

Quaedam autem sunt quae nihil habent extra animam, sicut somnia et imaginatio Chimerae.

Mais il y en a qui ne possèdent aucune existence en dehors de l’âme, comme les songes et les fables construites par l’imagination.

Quaedam autem sunt quae habent fundamentum in re extra animam, sed complementum rationis eorum quantum ad id quod est formale, est per operationem animae, ut patet in universali. Humanitas enim est aliquid in re, non tamen ibi habet rationem universalis, cum non sit extra animam aliqua humanitas multis communis ; sed secundum quod accipitur in intellectu, adjungitur ei per operationem intellectus intentio, secundum quam dicitur species: et similiter est de tempore, quod habet fundamentum in motu, scilicet prius et posterius ipsius motus ; sed quantum ad id quod est formale in tempore, scilicet numeratio, completur per operationem intellectus numerantis.

Mais il y en a d’autres qui possèdent un fondement dans la chose en dehors de l’âme mais ce qui complète leur définition du point de vue formel a lieu par l’opération de l’âme, comme on le voit pour l’universel. L’humanité en effet est quelque chose dans la réalité, mais ce n’est pas là qu’elle a raison d’universel, puisqu’il n’existe pas en dehors de l’âme une humanité commune à une pluralité d’individus; mais selon qu’elle est recue dans l’intelligence, une intention lui est ajoutée par l’opération de l’intelligence selon laquelle elle est appelée espèce: et il en est de même pour le temps qui a un fondement dans le movement, à savoir qu’il est l’avant et l’après du movement; mais quant à ce qu’il y a de formel dans le temps, à savoir le fait de la compter, cela est accompli par l’opération de l’intelligence qui compte.

Similiter dico de veritate, quod habet fundamentum in re, sed ratio ejus completur per actionem intellectus, quando scilicet apprehenditur eo modo quo est. Unde dicit philosophus, VI Métaph., text. 8, quod verum et falsum sunt in anima ; sed bonum et malum in rebus. Cum autem in re sit quidditas ejus et suum esse, veritas fundatur in esse rei magis quam in quidditate, sicut et nomen entis ab esse imponitur ; et in ipsa operatione intellectus accipientis esse rei sicut est per quamdam similationem ad ipsum, completur relatio adaequationis, in qua consistit ratio veritatis.

Je dis qu’il en est de même pour la vérité qui possède un fondement dans la réalité, mais sa definition est complétée par l’action de l’intelligence, à savoir quand elle est saisie de la manière par laquelle elle existe. C’est pourquoi le Philosophe [ VI Métaphysique, texte 8] dit que le vrai et le faux existent dans l’âme, mais le bien et le mal dans les choses. Mais puisque c’est dans la chose qu’existe sa quiddité et et son existence, la vérité se fonde davantage dans l’existence de la chose que dans sa quiddité, tout comme le nom d’étant est imposé à partir du terme ¨être¨; et c’est dans l’opération même de l’intellect qui reçoit l’existence de la chose en tant qu’elle y existe par une certaine resemblance à ce dernier, qu’est complétée la relation d’adéquation dans laquelle consiste la notion de vérité.

Unde dico, quod ipsum esse rei est causa veritatis, secundum quod est in cognitione intellectus. Sed tamen ratio veritatis per prius invenitur in intellectu quam in re: sicut etiam calidum et frigidum et aliae causae sanitatis sunt causa sanitatis quae est in animali, et tamen animal per prius dicitur sanum et signa sanitatis et causa sanitatis dicuntur sana secundum analogiam ad sanum quod de animali dicitur. Unde dico, quod verum per prius dicitur de veritate intellectus, et de enuntiatione dicitur inquantum est signum illius veritatis ; de re autem dicitur, inquantum est causa.

De là je dis que l’existence même de la chose est la cause de la vérité selon qu’elle existe dans la connaissance de l’intelligence. Mais cependant la notion de vérité se retrouve dans l’intelligence avant de se retrouver dans la chose : tout comme encore le chaud et le froid et les autres causes de la santé sont cause de la santé qui est dans l’animal, et cependant c’est l’animal d’abord qui est dit sain et par la suite les signes de la santé et les causes de la santé sont dits sains par analogie à la santé qui se dit de l’animal. C’est pourquoi je dis que le vrai se dit d’abord de la vérité de l’intelligence, et il se dit ensuite de l’énonciation en tant qu’elle est le signe de cette vérité, puis enfin de la chose, selon qu’elle en est la cause.

Unde res dicitur vera quae nata est de se facere veram apprehensionem quantum ad ea quae apparent exterius in ipsa ; et similiter dicitur falsa res quae nata est facere, quantum ad id quod apparet exterius de ipsa, falsam apprehensionem, sicut aurichalcum dicitur aurum falsum. Et inde est etiam quod homo dicitur falsus, qui dictis vel factis ostendit de se aliud quam sit ; et per oppositum intelligitur veritas quae est virtus in dictis et factis consistens, ut dicit philosophus, V Métaph., text. 34 (cf. IV Ethic. , c. XII)

De là une chose est dite vraie qui est apte d’elle-même à entraîner une appréhension vraie à partir de ce qu’elle manifeste à l’extérieur d’elle-même ; et de même une chose est dite fausse qui est apte d’elle-même, quant à ce qui apparaît à l’extérieur d’elle-même, à entraîner une appréhension fausse, tout comme on dit du laiton qu’il est un faux or. Et c’est de là qu’on dit encore qu’est faux l’homme qui, à partir de ce qu’il dit et ce qu’il fait, se montre autre qu’il est en réalité ; et c’est par opposition à cela que se comprend la vérité qui est la vertu qui se maintient  dans le dire et le faire, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 34 (cf. IV Éthique, ch. XII)].

Utraque autem veritas, scilicet intellectus et rei, reducitur sicut in primum principium, in ipsum Deum ; quia suum esse est causa omnis esse, et suum intelligere est causa omnis cognitionis. Et ideo ipse est prima veritas, sicut et primum ens: unumquodque enim ita se habet ad veritatem sicut ad esse, ut patet ex dictis.

Mais les deux vérités, à savoir celle de l’intelligence et de la chose se ramènent à Dieu comme à un premier principe ; car son existence est la cause de toute existence, et l’acte de son intellect est la cause de toute connaissance. Et c’est pourquoi il est lui-même la première vérité, tout comme il est le premier être : en effet, toute chose se rapport à la vérité comme elle se rapporte à l’être, ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été dit.

Et inde est quod prima causa essendi est prima causa veritatis et maxime vera, scilicet Deus, ut probat philosophus II Metaph., text. 4. Veritas autem enuntiationis reducitur in prima principia per se nota sicut in primas causas ; et praecipue in hoc principium, quod affirmatio et negatio non sunt simul vera, ut dicit Avicenna, II parte Logicae, cap. IV.

Et c’est de là qu’il faut poser que la cause première de l’être est aussi la cause première de la vérité et qu’elle est la vérité suprême, à savoir Dieu, comme le prouve le Philosophe [11 Métaphysique, texte 4]. Mais la vérité de l’énonciation se ramène aux tout premiers principes connus par eux-mêmes comme à ses causes premières, et surtout à ce premier principe que l’affirmation et la négation ne sont pas simultanément vraies, comme le dit Avicenne [Logique, partie 11, ch. IV].

Sic ergo patet quomodo diversae definitiones de veritate dantur. Quaedam enim veritatis definitio datur secundum hoc quod veritas completur in manifestatione intellectus ; sicut dicit Augustinus, lib. de vera religione, cap. XXXVI, col. 151 : Veritas est qua ostenditur id quod est ; et Hilarius V De Trinitate, § 14, col. 137 : verum est declarativum aut manifestativum esse.

Il apparaît donc clairement comment différentes définitions sont données au sujet de la vérité. En effet, une définition de la vérité est donnée d’après ceci que la vérité est complétée dans ce que l’intelligence en manifeste ; comme le dit Saint-Augustin [De la Vraie Religion, ch. XXXVI, col. 151] : La vérité est la manifestation de ce qui est ; et Saint-Hilaire dit de même [V De la Trinité, &14, col. 137] : le vrai est la déclaration ou la manifestation de l’être.

Quaedam autem datur de veritate secundum quod habet fundamentum in re, sicut illa Augustini, II Soliloq., cap.V, col. 889 : « Verum est id quod est ; et alia magistralis: Verum est indivisio esse et ejus quod est » ; et alia Avicennae, tract. VIII Metaph. : « Veritas cujusque rei, est proprietas sui esse quod stabilitum ei est ».

Mais une autre définition est donnée au sujet de la vérité d’après ce qu’elle a de fondement dans la réalité, comme celle-ci qu’en donne Saint-Augustin [11 Soliloques, ch. V, col. 889] : ¨Le vrai est ce qui est¨ ; et cette autre du maître : ¨Le vrai est l’indivision de l’être et de ce qui est¨ ; et cette autre enfin d’Avicenne [Métaphysique, traité  VIII] : ¨La vérité de chaque chose consiste dans la propriété de son être tel qu’il lui a été attribué¨.

Quaedam autem datur secundum commensurationem ejus quod est in intellectu ad id quod est in re, sicut dicitur: veritas est adaequatio rei ad intellectum ; et Augustinus: « Verum est quod ita se habet ut cognitori videtur si velit et possit cognoscere ».

Mais une autre définition de la vérité est donnée selon l’égalité de mesure de ce qui est dans l’intelligence par rapport à ce qui existe dans la chose, comme lorsqu’on dit que la vérité est l’adéquation de la chose à l’intelligence ; et c’est là ce que dit Saint-Augustin : ¨Le vrai est ce qui est tel qu’il apparaît à celui qui connaît si ce dernier veut et peut le connaître¨.

Quaedam autem datur de veritate secundum quod appropriatur Filio, cui etiam appropriatur cognitio, scilicet ab Augustino, lib. De vera relig., cap. XXXVI, col. 151 : « Veritas est summa similitudo principii quae sine ulla dissimilitudine est ».

Mais une autre définition est données de la vérité selon qu’elle est appropriée au Fils auquel est aussi appropriée la connaissance par Saint-Augustin [De la Vraie Religion, ch. XXXVI, col. 151] : ¨La vérité est la parfaite similitude de chaque chose avec son principe sans nulle dissemblance¨.

Quaedam autem datur de veritate, comprehendens omnes veritatis acceptiones, scilicet: veritas est rectitudo sola mente perceptibilis. In rectitudine tangitur commensuratio ; et in hoc quod dicitur sola mente perceptibilis, tangitur id quod complet rationem veritatis.

Mais il y a une définition de la vérité qui est donnée et qui comprend toutes les acceptions de la vérité, à savoir : la vérité est une rectitude qui est perçue par la seule intelligence. Par le terme de rectitude on touche à l’idée de proportion ou d’égalité de mesure ; et en ceci qu’on dit qu’elle n’est perçue que par l’intelligence, on touche ce qui complète la notion de vérité.

Patet etiam ex dictis, quod veritas addit supra essentiam secundum rationem, scilicet ordinem ad cognitionem vel demonstrationem alicujus.

Il est encore clair à partir de ce qui a été dit que la vérité ajoute à l’essence selon la raison, c’est-à-dire le rapport à la connaissance ou à la démonstration d’une vérité.

[1566] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod esse dicitur dupliciter:

uno modo secundum quod ens significat essentiam rerum prout dividitur per decem genera ;

alio modo secundum quod esse significat compositionem quam anima facit ; et istud ens philosophus, V Metaph., text. 14, appellat verum.

Et similiter Augustinus, cum dicit quod verum est id quod est ; quasi dicat: verum est quando dicitur de eo quod est ; et similiter intelligitur quod dicitur: verum est indivisio esse et ejus quod est. Et si in negativis sit veritas quae non consistit in compositione, sed in divisione, tamen veritas negative fundatur supra veritatem affirmative, cujus signum est quod nulla negativa probatur nisi per aliquam affirmationem. Vel potest dici, quod definitiones istae dantur de vero non secundum completam sui rationem, sed secundum illud quod fundatur in re.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que  l’être se dit de deux manières :

en un premier sens selon que l’être signifie l’essence des choses selon qu’elle se divise par les dix genres ;

en un deuxième sens selon que l’être signifie la composition que l’âme fait ; et cet être, le Philosophe [V Métaphysique, texte 14] l’appelle le vrai.

Et Saint-Augustin fait de même lorsqu’il dit que le vrai est ce qui est ; c’est comme s’il disait : il y a vérité quand on dit de la chose qu’elle est et que ce qu’on dit est entendu semblablement : le vrai est l’indivision de l’être et de ce qui est. Et si dans les négatives il y a une vériét qui ne consiste pas en une composition mais en une division, cepenant la vérité qui est sous une forme négative se fonde sur une vérité affirmative ; le signe en est qu’aucune négative n’est prouvée si ce n’est par une affirmative. Ou bien on peut encore dire que ces définitions au sujet de la vérité ne sont pas données d’après sa notion complète, mais selon qu’elle se fonde sur la réalité.

[1567] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut bonitas dicit rationem per quam essentia ordinatur ad appetitum, ita veritas dicit rationem per quam essentia ordinatur ad intellectum. Unde sicut nullum esse appetitur amota ratione boni, ita nullum esse intelligitur amota ratione veri. Nihilominus tamen alia est ratio veri et alia ratio entis. Dupliciter enim dicitur aliquid non posse intelligi sine altero.

2. Il faut dire en deuxième lieu que tout comme le bien dit le rapport par lequel l’essence est ordonnée à l’appétit, de même la vérité dit le rapport par lequel l’essence est ordonnée à l’intelligence. C’est pourquoi, tout comme aucun être n’est désiré si on enlève la notion de bien, de même aucun être n’est l’objet de l’acte de l’intelligence si on enlève la notion de vrai. Néanmoins cependant, autre est la notion du vrai, autre est la notion d’être. En effet, c’est de deux manières qu’on dit qu’une chose ne peut être comprise sans une autre.

Aut ita quod unum non possit intelligi si non ponatur alterum esse ; et sic dicitur quod esse non potest intelligi sine vero, sicut etiam non potest intelligi sine hoc quod est esse intelligibile.

Soit de telle manière que l’une ne peut être comprise si on ne pose pas que l’autre existe ; et c’est ainsi qu’on dit que l’être ne peut être compris sans le vrai, tout comme aussi il ne peut être compris sans que l’être soit intelligible.

Sive ita quod quandocumque intelligitur unum, intelligatur alterum ; sicut quicumque intelligit hominem intelligit animal. Et hoc modo esse potest intelligi sine vero, sed non e converso: quia verum non est in ratione entis, sed ens in ratione veri ; sicut potest aliquis intelligere ens, et tamen non intelligit aliquid de ratione intelligibilitatis ; sed nunquam potest intelligi intelligibile, secundum hanc rationem, nisi intelligatur ens. Unde etiam patet quod ens est prima conceptio intellectus.

Soit de telle manière qu’à chaque fois que l’un est compris, l’autre est compris ; tout comme quiconque comprend l’homme comprend l’animal. Et en ce sens l’être peut être compris sans le vrai, mais non inversement : car le vrai n’est pas compris dans la notion de l’être, mais l’être est compris dans la notion du vrai ; par exemple quelqu’un peut concevoir l’être sans cependant concevoir quelque chose de la notion d’intelligibilité ; mais on ne peut jamais concevoir l’intelligible, en tant qu’intelligible, sans concevoir l’être. C’est pourquoi encore il est clair que l’être est la première conception de l’intelligence.

[1568] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod verum addit supra ens, sicut et bonum et unum. Nullum tamen eorum addit aliquam differentiam contrahentem ens, sed rationem quae consequitur omne ens ; sicut unum addit rationem indivisionis, et bonum rationem finis, et verum rationem ordinis ad cognitionem ; et ideo haec quatuor convertuntur, ens, bonum, unum et verum.

3. Il faut dire en troisième lieu que le vrai ajoute à l’être comme c’est le cas pour le bien et pour l’un. Cependant, aucune de ces notions n’ajoute une différence qui limite l’être, mais seulement une notion qui découle de l’être ; par exemple l’un ajoute la notion d’indivision, et le bien la notion de fin, et le vrai la notion de rapport à la connaissance ; et c’est pourquoi ces quatre notions, à savoir l’être, le bien, l’uln et le vrai, se convertissent.

[1569] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rectitudo dicitur de bonitate, justitia et veritate, metaphorice, secundum diversas rationes. Invenitur enim in recto quaedam aequalis proportio principii, medii et finis ; unde secundum hoc quod aliquis in distribuendo vel communicando, mensuram aequalitatis justitiae servat, vel mensuram praecepti legis, dicitur rectitudo justitiae ; secundum autem quod aliquid non egreditur commensurationem finis, dicitur rectitudo bonitatis ; secundum autem quod non egreditur ordinem commensurationis rei et intellectus, dicitur rectitudo veritatis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la droiture se dit métaphoriquement de la bonté, de la justice et de la vérité, selon différentes définitions. On retrouve en effet dans le droit une proportion égale du commencement, du milieu et de la fin ; c’est pourquoi, suivant ceci qu’on observe la mesure de l’égalité de la justice dans la distribution et la communication, ou qu’on observe la mesure du précepte de la loi, on dit de la droiture qu’elle est celle de la justice ; mais selon que quelque chose n’outrepasse pas l’égalité de mesure de la fin, on dit de la droiture qu’elle est celle du bien ; mais selon qu’elle n’outrepasse pas l’ordre de l’égalité de mesure de la chose et de l’intelligence, on dit de la droiture qu’elle est celle de la vérité.

[1570] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod, secundum Avicennam tract. II Metaph., cap. 1, de eo quod nullo modo est, non potest aliquid enuntiari: ad minus enim oportet quod illud de quo aliquid enuntiatur, sit apprehensum ; et ita habet aliquod esse ad minus in intellectu apprehendente ; et ita constat quod semper veritati respondet aliquod esse ; nec oportet quod semper respondeat sibi esse in re extra animam, cum ratio veritatis compleatur in ratione animae.

5.  Il faut dire en cinquième lieu que d’après Avicenne [Métaphysique, traité 11, ch. 1], on ne peut rien énoncér au sujet de ce qui n’existe d’aucune manière ; il faut en effet que cela même, au sujet de quoi on énonce quelque chose, soit appréhendé ; et ainsi cela possède une certaine existence au moins dans l’intellect de celui qui appréhende ; et ainsi il est clair qu’à la vérité correspond toujours une certaine forme d’existence et il n’est pas nécessaire que lui corresponde toujours une existence dans la réalité qui est en dehors de l’âme, puisque la notion de vérité trouve son achèvement dans le rapport à l’âme.

[1571] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis esse sit in rebus sensibilibus, tamen rationem essendi, vel intentionem entis, sensus non apprehendit, sicut nec aliquam formam substantialem, nisi per accidens, sed tantum accidentia sensibilia. Ita etiam quamvis veritas sit in rebus sensibilibus, prout dicitur esse veritas in rebus, tamen intentio veritatis solo intellectu percipitur. Vel dicendum, quod quamvis res sensibiles sensu comprehendantur, tamen earum adaequatio ad intellectum sola mente capitur, et pro tanto dicitur, quod veritas est sola mente perceptibilis.

6. Il faut dire en sixième lieu que bien qu’il y ait de l’être dans les choses sensibles, cependant le sens n’appréhende pas la notion d’être ou l’intention de l’être, tout comme il n’appréhende pas la forme substantielle, si ce n’est pas accident, mais seulement les accidents sensibles. De même encore, bien que la vérité soit dans les choses sensibles, pour autant qu’on dise que la vérité est dans les choses, cependant l’intention de vérité n’est perçue que par l’intelligence. Ou bien il faut dire que bien que les choses sensibles soient saisies par le sens, cependant leur adéquation à l’intelligence n’est saisie que par l’esprit et c’est pour cela qu’on dit que la vérité n’est perceptible que par l’esprit.

[1572] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod cum sit duplex operatio intellectus: una quarum dicitur a quibusdam imaginatio intellectus, quam philosophus, III De anima, text. 21, nominat intelligentiam indivisibilium, quae consistit in apprehensione quidditatis simplicis, quae alio etiam nomine formatio dicitur ; alia est quam dicunt fidem, quae consistit in compositione vel divisione propositionis: prima operatio respicit quidditatem rei ; secunda respicit esse ipsius.

7. Il faut dire en septième lieu que puisqu’il y a deux opérations de l’intelligence : donc l’une est appelée par certains l’imagination de l’intelligence, et que le Philosophe [111 De l’Âme, texte 21] appelle l’intelligence des conceptions indivisibles qui consiste dans l’appréhension de la quiddité simple qui est aussi appelée du nom de formation ; et l’autre qu’ils appellent l’opinion, qui consiste en une composition ou une division de la proposition, il résulte de là que la première opération se rapporte à la quiddité de la chose alors que la deuxième se rapporte à son existence.

 Et quia ratio veritatis fundatur in esse, et non in quidditate, ut dictum est, in corp., ideo veritas et falsitas proprie invenitur in secunda operatione, et in signo ejus, quod est enuntiatio, et non in prima, vel signo ejus quod est definitio, nisi secundum quid ; sicut etiam quidditatis esse est quoddam esse rationis, et secundum istud esse dicitur veritas in prima operatione intellectus: per quem etiam modum dicitur definitio vera. Sed huic veritati non adjungitur falsitas per se, quia intellectus habet verum judicium de proprio objecto, in quod naturaliter tendit, quod est quidditas rei, sicut et visus de colore ; sed per accidens admiscetur falsitas, scilicet ratione affirmationis vel negationis annexae, quod contingit dupliciter:

a/ vel ex comparatione definitionis ad definitum, et tunc dicitur definitio falsa respectu alicujus et non simpliciter, sicut definitio circuli est falsa de triangulo ;

b/ vel in respectu partium definitionis ad invicem, in quibus implicatur impossibilis affirmatio ; sicut definitio vacui, quod est locus in quo nullum corpus est ; et haec definitio dicitur falsa simpliciter, ut in V Metaphys., Metaph., text. 34, dicitur.

Et parce que la notion de vérité se fonde dans l’existence et non dans la quiddité, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, c’est pourquoi la vérité et la fausseté se retrouve proprement dans la deuxième opération et dans son signe qui est l’énonciation, et non pas dans la première ou dans son signe qui est la définition, si ce n’est d’une certaine manière ; tout comme encore l’être de la quiddité est un certain être de raison, et c’est d’après cet être qu’on dit de la vérité qu’elle est dans la première opération de l’intelligence : et c’est aussi suivant cette modalité qu’on dit de la définition qu’elle est vraie. Mais la fausseté ne se s’applique pas essentiellement à cette vérité, car l’intelligence possède un jugement vrai sur son objet propre vers lequel il tend naturellement et qui est la quiddité de la chose, tout comme la vue porte un jugement vrai sur son objet propre qui est la couleur ; mais c’est par accident que la fausseté se mêle à cette vérité, c’est-à-dire en raison de l’affirmation ou de la négation qui s’y rattache, ce qui ce produit de deux manières :

a) soit par la comparaison de la définition au défini, et alors la définition est dite fausse par rapport à un défini et non fausse absolument, comme la définition du cercle est fausse si on l’attribue au triangle.

b) soit dans le rapport des parties de la définition entre elles, dans lesquelles est impliquée une affirmation impossible ; par exemple la définition du vide qui est le lieu dans lequel n’existe aucun corps ; et on dit de cette définition qu’elle est fausse absolument, comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 34].

Sed hoc non contingit nisi in quidditatibus compositorum: quia in quidditatibus rerum simplicium non deficit intellectus nisi ex hoc quod omnino nihil intelligit, ut in IX Metaph., text. 22, dicitur. Secundae autem operationi admiscetur falsitas etiam per se: non quidem quantum ad primas affirmationes quas naturaliter intellectus cognoscit, ut sunt dignitates, sed quantum ad consequentes: quia rationem inducendo contingit errare per applicationem unius ad aliud. Patet igitur ex dictis, in corp. art., quod verum proprie loquendo, quod invenitur tantum in complexis, non impedit conversionem veri et entis: quia quaelibet res incomplexa habet esse suum, quod non accipitur ab intellectu nisi per modum complexionis ; et ideo ipsa ratione quam addit verum supra ens, scilicet ordinem ad intellectum, sequitur ista differentia, quod verum sit complexorum, et ens dicatur de re extra animam incomplexa.

Mais cela n’est possible que pour les quiddités des êtres composés : car pour les quiddités des êtres simples, l’intelligence n’est fautive que du faut qu’elle n’y comprend absolument rien comme le dit le Philosophe [1X Métaphysique, texte 22]. Mais c’est aussi par soi que la fausseté se même à la deuxième opération : non pas certes quant aux premières affirmations que l’intelligence connaît naturellement, à savoir les dignités, mais quant à ce qui en découle : car il arrive à la raison de se tromper dans sa conduite en appliquant les unes aux autres. Il est donc clair à partir de ce qui a été dit dans le corps de l’article que le vrai à proprement parler qu’on retrouve seulement dans le complexe n’empêche pas la conversion du vrai et de l’être : car toute réalité incomplexe possède sa propre existence qu’elle ne reçoit pas de l’intelligence si ce n’est à la manière d’un ajout ; et c’est pourquoi, par la notion que le vrai ajoute à l’être, c’est-à-dire l’ordre à l’intelligence, il s’ensuit cette différence que le vrai appartient aux réalités complexes, et que l’être se dit de la réalité incomplexe en dehors de l’âme.

[1573] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 1 ad 8 Ad ultimum dicendum, quod, sicut dictum est, in corp. art., ens est prima conceptio intellectus ; unde enti non potest aliquid opponi per modum contrarietatis vel privationis, sed solum per modum negationis: quia sicut ipsum non fundatur in aliquo, ita nec oppositum suum: opposita enim sunt circa idem.

8. Il faut dire en dernier lieu que, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, l’être est la première conception de l’intelligence ; c’est pourquoi on ne peut rien opposer à l’être par mode de contrariété ou de privation, mais seulement par mode de négation : car tout comme lui-même ne se fonde par sur quelque chose, il en est de même pour son opposé : les opposés en effet se rapportent à un même sujet.

Sed unum, verum et bonum, secundum proprias intentiones, fundantur supra intentionem entis, et ideo possunt habere oppositionem contrarietatis vel privationis fundatae super ens, sicut et ipsa super ens fundantur. Unde patet quod non eodem modo se habet verum et falsum et malum et bonum sicut ens et non ens, nisi accipiatur non ens particulariter pro remotione alicujus cui substernitur aliquod ens. Unde sicut quaelibet privatio entis particularis fundatur in bono, sic et falsum fundatur in aliquo vero sicut in aliquo esse. Unde sicut illud in quo est falsitas vel malitia, est aliquod ens, sed non est ens completum ; ita etiam illud quod est malum vel falsum, est aliquod bonum vel verum incompletum.

Mais l’un, le vrai et le bien , d’après leurs intentions propres, se fondent sur l’intention de l’être et c’est pourquoi ces intentions peuvent avoir l’opposition de la contrariété ou de la privation qui se fonde sur l’être, tout comme eux-mêmes se fondent sur l’être. C’est pourquoi il est clair que le rapport du vrai au faux et du mal au bien n’est pas le même que le rapport de l’être au non-être, à moins qu’on ne prenne le non être non pas universellement mais particulièrement, pour l’enlèvement de quelque chose sous lequel se tenait un être. C’est pourquoi, tout comme toute privation d’un être particulier se fonde sur le bien, de même le faux se fonde sur une certaine vérité comme sur un certain être. C’est pourquoi tout comme ce en quoi se trouve la fausseté ou le mal est un certain être mais non pas un être complet, de même encore ce qui est mal ou faux est un certain bien ou une vérité incomplète.

 

 

Articulus 2 [1574] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 tit. Utrum omnia sint vera veritate increata.

Article 2 – Tout est-il vrai d’une vérité incréée ?

[1575] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnia sint vera una veritate quae est veritas increata. Sicut enim dictum est in solutione praecedentis articuli, verum dicitur analogice de illis in quibus est veritas, sicut sanitas de omnibus sanis. Sed una est sanitas numero a qua denominatur animal sanum, sicut subjectum ejus, et medicina sana sicut causa ejus, et urina sana sicut signum ejus. Ergo videtur quod una sit veritas qua omnia dicuntur vera.

Difficultés :

1. Il semble que tout soit vrai d’une vérité qui est une vérité incréée. En effet, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent, le vrai se dit d’une manière analogue des choses dans lesquelles se trouve la vérité, tout comme la santé de dit d’une manière analogue de tout ce qui est dit sain. Mais il n’y a qu’une seule santé numériquement parlant par laquelle l’animal est dit sain en tant que sujet de la santé, la médecine en tant que cause de la santé et l’urine en tant que signe de la santé. Il semble donc qu’il n’y  ait qu’une seule vérité par laquelle toutes les choses sont dites vraies.

[1576] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea, omnis rectitudo attenditur per aliquam mensuram. Sed veritas est rectitudo quaedam. Cum igitur videamus, omnibus temporalibus respondere unum tempus quasi mensuram, videtur etiam quod omnibus veris respondeat una veritas, secundum quam dicantur vera.

2. Par ailleurs, toute droiture se vérifie par une certaine mesure. Mais la vérité est une certaine droiture. Donc, puisque nous voyons qu’à toutes les choses temporelles correspond un seul temps comme mesure, il semble aussi qu’à toutes les choses vraies corresponde une seule vérité d’après laquelle elles sont dites vraie.

[1577] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut se habet bonitas ad bona, ita se habet veritas ad vera. Sed omnia sunt bona una bonitate. Unde Augustinus, lib. VIII de Trinit., c. III, col. 949 : Bonus est homo, bona est facies,… bonum est hoc et illud. Tolle hoc et illud, et videbis bonum omnis boni. Unde videtur quod sit una bonitas numero in omnibus participata, secundum quam dicuntur bona. Ergo videtur quod similiter omnia dicantur vera una veritate, quae est veritas increata.

3. En outre, ce que la bonté est aux choses bonnes, la vérité l’est aux choses vraies. Mais toutes les choses sont bonnes par une seule et même bonté. C’est pourquoi Saint-Augustin [ VIII De la Trinité, ch. 111, col. 949] dit : Bon est l’homme et bon est son sapect, …bon est ceci et bon est cela. Enlève donc ceci et cela, et tu verras le bien de tout bien. C’est pourquoi il semble que ce soit par une seule et même bonté numérique participée dans tous les êtres qu’on dise de ces derniers qu’ils sont bons. Il semble donc de la même manière que ce soit par une seule et même vérité, qui est une vérité incréée, que toutes les choses soient dites vaies.

[1578] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 4 Si dicas quod omnia dicuntur vera veritate increata exemplariter ; contra. Uniuscujusque formae exemplar est in Deo, quod est creatrix essentia. Si igitur hoc sufficeret ut omnia dicerentur vera veritate increata, quia exemplantur ab ipsa, videtur quod similiter omnia possent dici colorata, quia exemplantur colore, qui est in Deo exemplariter: quod est inconveniens.

4. Si tu dis que toutes les choses sont dites vraies d’une vérité incréée prise comme modèle, je dis par contre que le modèle de toute forme est en Dieu, lequel est l’essence créatrice. Si donc cela suffisait, pour dire que toutes les choses sont vraies d’une vérité incréée, qu’elles soient copiées à partir de la vérité incréée, il semblerait de la même manière quetoutes les choses pourraient être dites colorées parce qu’elles sont copiées à partir de cette couleur qui est en Dieu à titre de modèle : ce qui est faux.

[1579] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 arg. 5 Contra, mala fieri est verum. Sed nullum malum est a Deo. Ergo videtur quod non omnia vera sint vera veritate increata.

5. Cependant, il est vrai que des maux se produisent. Mais aucun mal ne vient de Dieu. Il semble donc que ce ne soient pas toutes les vérités qui soient vraies d’une vérité incréée.

[1580] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. antec., ratio veritatis in duobus consistit: in esse rei, et in apprehensione virtutis cognoscitivae proportionata ad esse rei. Utrumque autem horum quamvis, ut dictum est, distin. 8, quaest. 1, art. 1, reducatur in Deum sicut in causam efficientem et exemplarem ; nihilominus tamen quaelibet res participat suum esse creatum, quo formaliter est, et unusquisque intellectus participat lumen per quod recte de re judicat, quod quidem est exemplatum a lumine increato.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, tout comme nous l’avons dit dans l’article précédent, que la notion de vérité consiste en deux choses : dans l’existence de la chose, et dans l’appréhension de la puissance cognitive qui est proportionnée à l’existence de la chose. Mais bien que ces deux conditions, comme nous l’avons dit plus tôt [dist. 8, quest. 1, art. 1] se ramènent à Dieu comme à leur cause efficiente et exemplaire, néanmoins cependant toute chose participe de son existence créée par laquelle elle existe formellement, et chaque intelligence participe de la lumière par laquelle elle juge des choses avec rectitude, laquelle lumière est certes comme une copie qui vient de la lumière incréée.

Habet etiam intellectus suam operationem in se, ex qua completur ratio veritatis. Unde dico, quod sicut est unum esse divinum quo omnia sunt, sicut a principio effectivo exemplari, nihilominus tamen in rebus diversis est diversum esse, quo formaliter res est ; ita etiam est una veritas, scilicet divina, qua omnia vera sunt, sicut principio effectivo exemplari ; nihilominus sunt plures veritates in rebus creatis, quibus dicuntur verae formaliter.

L’intelligence possède aussi en elle-même son opération à partir de laquelle est achevée la notion de vérité. C’est pourquoi je dis que tout comme il n’y a qu’une seule existence divine par laquelle toutes les choses existent comme par leur principe efficient et exemplaire, néanmoins cependant dans les différentes choses il y a une existence différente par laquelle la chose existe formellement ; de même encore il existe une vérité unique, à savoir la vérité divine, par laquelle, comme par leur principe efficient et exemplaire, toutes les choses sont vraies ; néanmoins il y a plusieurs vérités dans les choses créées par lesquelles ces choses sont dites vraies formellement.

[1581] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aliquid dicitur secundum analogiam tripliciter:

a) vel secundum intentionem tantum, et non secundum esse ; et hoc est quando una intentio refertur ad plura per prius et posterius, quae tamen non habet esse nisi in uno ; sicut intentio sanitatis refertur ad animal, urinam et dietam diversimode, secundum prius et posterius ; non tamen secundum diversum esse, quia esse sanitatis non est nisi in animali.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on dit d’une attribution qu’elle est analogue de trois façons :

a) soit selon l’intention seulement et non selon l’existence ; et cela a lieu quand une intention se rapporte à plusieurs sujets selon l’avant et l’après, laquelle cependant ne possède d’existence que dans un seul d’entre eux ; par exemple l’intention de la santé se rapporte de manières différentes à l’animal, à l’urine et à la diète, selon l’avant et l’après, mais non pas selon une existence différente car l’existence de la santé ne se retrouve que dans l’animal.

b) Vel secundum esse et non secundum intentionem ; et hoc contingit quando plura parificantur in intentione alicujus communis, sed illud commune non habet esse unius rationis in omnibus, sicut omnia corpora parificantur in intentione corporeitatis. Unde logicus, qui considerat intentiones tantum, dicit, hoc nomen corpus de omnibus corporibus univoce praedicari: sed esse hujus naturae non est ejusdem rationis in corporibus corruptibilibus et incorruptibilibus. Unde quantum ad metaphysicum et naturalem, qui considerant res secundum suum esse, nec hoc nomen corpus, nec aliquid aliud dicitur univoce de corruptibilibus et incorruptibilibus, ut patet X Metaphys., text. 5, ex philosopho et Commentatore.

b) Soit selon l’existence mais non selon l’intention ; et cela se produit quand une multiplicité de choses est rendue égale dans une intention commune, mais cet universel ne possède pas l’existence d’une même définition dans tous les cas, comme tous les corps qui sont rendus égaux dans l’intention de la corporéité. C’est pourquoi le logicien, lequel considère seulement les intentions, dit que le nom de corps s’attribue de manière univoque à tous les corps : mais l’existence de cette nature n’appartient pas à une même notion dans les corps corruptibles et dans ceux qui sont incorruptibles. C’est pourquoi, du point de vue du métaphysicien et du naturaliste, qui considèrent les choses selon leur existence, ni ce nom ni aucun autre ne se dit univoquement des corps corruptibles et de ceux qui sont incorruptibles, ainsi qu’on le voit chez le Philosophe [X Métaphysique, texte 5] et le Commentateur.

c).Vel secundum intentionem et secundum esse ; et hoc est quando neque parificatur in intentione communi, neque in esse ; sicut ens dicitur de substantia et accidente ; et de talibus oportet quod natura communis habeat aliquod esse in unoquoque eorum de quibus dicitur, sed differens secundum rationem majoris vel minoris perfectionis.

c) soit selon l’intention et selon l’existence ; et cela a lieu quand il n’y a égalité ni dans une intention commune, ni dans l’existence ; par exemple l’être se dit de la substance et de l’accident ; et au sujet de tels sujets il faut que la nature commune possède une certaine existence dans chacune de ceux auxquels elle s’attribue, mais différente sous le rapport d’une plus grande ou d’une plus petite perfection.

Et similiter dico, quod veritas et bonitas et omnia hujusmodi dicuntur analogice de Deo et creaturis. Unde oportet quod secundum suum esse omnia haec in Deo sint, et in creaturis secundum rationem majoris perfectionis et minoris ; ex quo sequitur, cum non possint esse secundum unum esse utrobique, quod sint diversae veritates.

Et de la même manière je dis que la vérité et la bonté et tous les attributs de cette sorte s’attribuent à Dieu et aux créatures de manière analogue. C’est pourquoi il faut que tous ces attributs soient en Dieu selon leur existence, et dans les créatures sous le rapport d’une plus grande ou plus petite perfection ; d’où il suit, puisqu’ils ne peuvent exister d’après une seule et même existence dans les deux cas, qu’ils sont des vérités différentes.

[1582] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum veritas sit quaedam rectitudo et commensuratio, oportet quod in ratione veritatis intelligatur mensura, et sicut dictum est, in corp. art., oportet esse commensurationem rei ad intellectum, ut compleatur ratio veritatis. Res autem diversimode se habent ad diversos intellectus: quia intellectus divinus est causa rei ; unde oportet quod res mensuretur per intellectum divinum, cum unumquodque mensuretur per suum primum principium ; et ideo dicit Anselmus, De verit., cap. VII, col. 475) quod res dicitur esse vera quando implet hoc ad quod est ordinata in intellectu divino.

2. Il faut dire en deuxième lieu que puisque la vérité est une certaine droiture et une égalité de mesure, il faut que dans la notion de vérité on entende une mesure et, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, il faut qu’il y ait une égalité de mesure de la chose à l’intelligence, pour que la notion de vérité trouve son achèvement. Mais les choses se rapportent différemment à des intelligences différentes : ca l’intelligence divine est la cause des choses ; c’est pourquoi il faut que les choses soient mesurées par l’intelligence divine, puisque toute chose est mesurée par son premier principe ; et c’est pourquoi Saint-Anselme [De la Vérité, ch.  VII, col. 475] dit qu’on dit de la chose qu’elle est vraie quand elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans l’intelligence divine.

Sed res se habent ad intellectum nostrum sicut causa, inquantum scilicet intellectus accipit a rebus ; et inde est quod scientia nostra non mensurat res, sed mensuratur ab eis, ut dicitur X Metaphysic., text. 5. Non enim ita ideo est in re, quia sic videtur nobis: sed magis quia ita est in re, verum est quod videtur nobis. Sic ergo intellectus divinus est ut mensura prima, non mensurata ; res autem est mensura secunda, mensurata ; intellectus autem noster est mensuratus et non mensurans. Dico igitur, quod prima mensura veritatis est una tantum ; sed mensurae secundae, scilicet ipsae res, sunt plures ; unde sunt plures veritates. Et si non esset nisi una mensura veritatis, adhuc non sequeretur quod esset tantum una veritas: quia veritas non est mensura, sed commensuratio vel adaequatio ; et respectu unius mensurae possunt esse diversae commensurationes in diversis. Unde non est simile de tempore, quia tempus est ipsa mensura.

Mais les choses se présentent à notre intelligence comme une cause, c’est-à-dire pour autant que notre intelligence reçoit des choses ; et c’est de là que notre science ne mesure pas les choses, mais est plutôt mesurée par elles, comme le dit le Philosophe [X Métaphysique, texte 5]. C’est pourquoi en effet il n’en est pas ainsi dans les choses parce qu’il nous semble qu’il doive en être ainsi : mais plutôt, c’est parce qu’il en est ainsi dans la chose que ce qu’il nous semble est vrai. Ainsi donc l’intelligence divine est comme une mesure première qui n’est pas mesurée ; mais la chose est comme une mesure seconde qui est mesurée ; mais notre intelligence est mesurée et ne mesure pas. Je dis donc qu’il n’y a qu’une seule mesure première de la vérité ; mais les mesures secondes, c’est-à-dire les choses elles-mêmes, sont multiples ; et c’est pourquoi il y a plusieurs vérités. Et s’il n’y avait qu’une seule mesure de la vérité, il ne s’ensuivrait pas encore qu’il n’y aurait qu’une seule vérité : car la vérité n’est pas la mesure, mais l’égalité de mesure ou l’adéquation ; et par rapport à une seule et même mesure il peut y avoir différentes égalités de mesure dans différentes choses. Et c’est pourquoi il n’en est pas de même pour le temps car le temps est la mesure elle-même.

[1583] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similiter dico de bonitate, quod est una bonitas, qua sicut principio effectivo exemplari omnia sunt bona. Sed tamen bonitas qua unumquodque formaliter est bonum, diversa est in diversis. Sed quia bonitas universalis non invenitur in aliqua creatura, sed particulata, et secundum aliquid ; ideo dicit Augustinus, quod si removeamus omnes rationes particulationis ab ipsa bonitate, remanebit in intellectu bonitas integra et plena, quae est bonitas divina, quae videtur in bonitate creata sicut exemplar in exemplato.

3. Il faut dire en troisième lieu que je dis la même chose au sujet de la bonté, à savoir qu’il n’y a qu’une seule bonté par laquelle, comme par un principe efficient et exemplaire, toutes les choses sont bonnes. Cependant la bonté par laquelle chaque être est formellement bon, est différente dans différents sujets. Mais parce que la bonté universelle ne se retrouve pas en tant que telle dans une créature, mais seulement sous une forme particulière et partiellement, c’est pourquoi Saint-Augustin dit que si nous enlevions tous les rapports particuliers de la bonté elle-même, il demeurera dans l’intelligence une bonté intacte et pleine qui est la bonté divine qui apparaît dans la bonté créée comme le modèle apparaît dans son exemplaire.

[1584] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod exemplar rerum est in Deo dupliciter.

Vel quantum ad id quod est in intellectu suo, et sic secundum ideas est exemplar intellectus divinus omnium quae ab ipso sunt, sicut intellectus artificis per formam artis omnium artificiatorum.

Vel quantum ad id quod est in natura sua, sicut ratione suae bonitatis qua est bonus, est exemplar omnis bonitatis ; et similiter est de veritate. Unde patet quod non eodem modo Deus est exemplar coloris et veritatis, et ideo objectio non procedit.

4. Il faut dire en quatrième lieu que le modèle des choses est en Dieu de deux manières.

Soit quant à ce qui est dans son intelligence et ainsi Dieu est le modèle, au moyen des Idées, de toutes les choses qui viennent de Lui, comme l’intelligence de l’artiste est le modèle de toutes les choses artificielles au moyen de la forme de l’art.

Soit quant à ce qui est dans sa nature, comme c’est en raison de sa bonté par laquelle il est bon qu’il est le modèle de toute bonté ; et il en est de même pour la vérité. C’est pourquoi il est évident que ce n’est pas de la même manière que Dieu est le modèle de la couleur et de la vérité, et c’est pourquoi l’objection ne tient pas.

[1585] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 2 ad 5 Ad ultimum dicendum, quod quamvis malum non sit bonum, nec sit a Deo, nihilominus intelligere malum bonum est, et a Deo est ; et ideo veritas quae consistit in commensuratione intellectus ad privationem existentem extra animam, bona est, et a Deo ; et ideo dicit Ambrosius, sup. XII cap. I ad Cor., V, 3, col. 258) quod omne verum, a quocumque dicatur, a Spiritu sancto est.

5. Il faut dire finalement que bien que le mal ne soit pas le bien et qu’il ne vienne pas de Dieu, néanmoins, comprendre le mal est un bien et cela vient de Dieu ; et c’est pourquoi la vérité qui consiste en une égalité de mesure de l’intelligence à l’égard de la privation qui existe en dehors de l’âme est un bien et vient de Dieu ; et c’est pourquoi Saint-Ambroise [Sur la Première Épître aux Corinthiens, ch. XII, v. 3, col. 258] dit que toute vérité, peu importe qui la dise, vient de l’Esprit-Saint.

 

 

Articulus 3 [1586] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 tit. Utrum sint plures veritates aeternae

Article 3 – Y a-t-il plusieurs vérités éternelles ?

[1587] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod sint plures veritates aeternae. Sicut enim patet ex dictis, diversarum propositionum diversae sunt veritates. Sed: Pater est Deus, Filius est Deus, sunt duae propositiones. Ergo et sunt duae veritates. Sed utrumque istorum ab aeterno est verum. Ergo plures veritates sunt aeternae.

Difficultés :

1. Il semble qu’il y ait plusieurs vérités éternelles. Ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été dit, il y a différentes vérités pour différentes propositions. Mais ¨le Père est Dieu¨ et ¨le Fils est Dieu¨ sont deux propositions. Il s’agit donc là de deux vérités. Mais chacune d’elles est vraie de toute éternité. Il y a donc plusieurs vérités éternelles.

[1588] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnia quaecumque fuerunt, sunt et erunt, Deus ab aeterno praescivit, quae constat quod plura sunt. Sed Deus non praescivit nisi verum. Ergo plura vera sunt ab aeterno.

2. Par ailleurs, toutes les choses qui ont existé, existent et existeront, Dieu l’a connu à l’avance de toute éternité, dont il est clair qu’elles sont nombreuses. Mais Dieu ne prévoit que le vrai. Il y a donc plusieurs vérités qui sont vraies de toute éternité.

[1589] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 3 Item, Augustinus, De immort. Animae, cap. II, col. 1029, probat animam esse immortalem per hoc quod est subjectum veritatis, quae est aeterna. Sed constat quod veritas quae est in intellectu nostro sicut in subjecto, non est veritas divina per essentiam. Ergo videtur quod plures veritates sint aeternae. Quod autem veritas sit aeterna, sic probatur. Omne illud ad cujus remotionem sequitur positio ejus, est aeternum. Sed si negatur veritas esse, ponitur esse. Ergo veritas est aeterna. Probatio mediae. Si veritas non est, veritatem esse est falsum. Sed si affirmatio est falsa, negatio est vera. Ergo veritatem non esse erit verum. Sed non est verum nisi aliqua veritate. Ergo aliqua veritas est.

3. En outre, Saint-Augustin [De l’Immortalité de l’Âme, ch. 11, col. 1029] prouve que l’âme est immortelle par ceci qu’elle est le sujet de la vérité qui est éternelle. Mais il est clair que la vérité qui est dans notre intelligence comme dans un sujet n’est pas essentiellement la vérité divine. Il semble donc que plusieurs vérités soient éternelles. Mais que la vérité soit éternelle, il le prouve de la manière suivante. Tout ce dont la négation est suivie de sa position est éternel. Mais si on nie que la vérité existe, on se trouve à la poser qu’elle existe. Donc la vérité est éternelle. Preuve de la mineure. Si la vérité n’existe pas, il est faux que la vérité existe. Mais si l’affirmation est fausse, la négation est vraie. Donc, il sera vrai que la vérité n’existe pas. Mais cela n’et vrai que de certaines vérités. Donc il existe certaines vérités.

[1590] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod non potest intelligi non esse, est aeternum: quia quidquid potest non esse, potest intelligi non esse. Sed veritas non potest intelligi non esse, quia quidquid intelligitur, intelligitur per judicium veritatis. Ergo videtur quod veritas quae est in intellectu, sit aeterna et immutabilis.

4. De plus, ce dont on ne peut comprendre qu’il n’existe pas, cela est éternel : car tout ce qui peut ne pas exister, peut êre conçu comme n’existant pas. Mais la vérité ne peut être conçue comme n’existant pas car tout ce qui est conçu, est conçu par un jugement de la vérité. Il semble donc que la vérité qui est dans l’intelligence soit éternelle et immuable.

[1591] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea, idem videtur de veritate enunciationis. Si enim veritas enuntiationis mutetur vel destruatur, hoc erit vel per destructionem signi vel per destructionem rei. Sed neutro modo destruitur vel mutatur. Ergo veritas enuntiationis est immutabilis et aeterna. Probatio mediae. Non existente signo, rectum est rem signari. Sed veritas est rectitudo, et veritas signi est rectitudo significationis. Ergo si non sit enuntiatio, vel quodcumque signum veritatis, adhuc remanebit veritas signi. Similiter probatur, quod non mutetur ex mutatione rei ; quia ut dictum est, art. 1 istius quaest., ad secundum, unumquodque habet veritatem quando implet id ad quod est ordinatum in mente divina. Sed cessante cursu Socratis, adhuc ista enuntiatio, Socrates currit, facit id ad quod ordinata est in mente divina, quia significat Socratem currere. Ergo videtur quod destructa vel mutata re, non mutatur neque destruitur veritas signi.

5. Par ailleurs, il semble en être de même pour la vérité de l’énonciation. Si en effet la vérité de l’énonciation était changée ou détruite, cela aurait lieu soit par la destruction du signe, soit par la destruction de la chose. Mais elle n’est changée ou détruite d’aucune de ces deux manières. Donc la vérité de l’énonciation est éternelle et immuable. Preuve de la mineure. Le signe n’existant pas, la chose est encore signalée directement, en ligne droite. Mais la vérité est une droiture, et la vérité du signe est une droiture de la signification. Donc s’il n’y avait pas d’énonciation ou quelque signe de la vérité, la vérité du signe demeurerait encore. On prouve également que la vérité de l’énonciation n’est pas changée par un changement de la chose ; car, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 19, quest. 5, art. 1, solut. 2], chacun possède la vérité quand il accomplit ce à quoi il est ordonné dans l’intelligence divine. Mais une fois terminée la course de Socrate, cette énonciation, à savoir Socrate court, fait encore ce à quoi elle est ordonnée dans l’esprit divin, car elle signifie encore que Socrate court. Il semble donc qu’une fois la chose détruite ou changée, la vérité du signe n’est ni changée ni détruite.

[1592] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 6 Praeterea, idem videtur de veritate quae est in re: quia, ut dicit Augustinus, II Solil., c. XV, col. 898, pereunte vero, non perit veritas. Sed veritas rei non posset destrui vel mutari nisi per mutationem rei. Ergo videtur quod nullo modo pereat.

6. Par ailleurs, il semble en être de même au sujet de la vérité qui est dans la chose : car, comme le dit Saint-Augustin [11 Soliloques, ch. XV, col. 898], ce qui est vrai ayant péri, la vérité ne périt pas. Mais la vérité de la chose ne peut être détruite ou altérée que par un changement dans la chose. Il semble donc qu’elle ne puisse périr d’aucune manière.

[1593] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 arg. 7 Item, Omne totum est majus sua parte, est quaedam veritas, quae nullo modo videtur mutabilis, et similiter multa hujusmodi. Ergo videtur quod sint plures veritates aeternae immutabiles.

7. En outre, Tout tout est plus grand que sa partie est une certaine vérité qui ne semble pouvoir changer en aucune manière, et il y en a encore plusieurs de cette sorte. Il semble donc qu’il y ait plusieurs vérités éternelles immuables.

[1594] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 s. c. 1 Contra, Augustinus, De natura boni, cap. 1, col. 551s., dicit, quod vera aeternitas et sola immutabilitas in Deo est. Sed veritas Dei est una tantum, sicut et essentia. Ergo videtur quod sit una tantum veritas aeterna et immutabilis.

Cependant :

1. Par contre, Saint-Augustin [De la Nature du Bien, ch. 1, col. 551s.] dit que la véritable éternité et l’unique immutabilité n’existent qu’en Dieu. Mais il n’y a qu’une seule vérité de Dieu, tout comme il n’y a qu’une seule essence de Dieu. Il semble donc qu’il n’y ait qu’une seule vérité éternelle et immuable.

[1595] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod est una tantum veritas aeterna, scilicet veritas divina. Cum enim ratio veritatis in actione compleatur intellectus, et fundamentum habeat ipsum esse rei ; judicium de veritate sequitur judicium de esse rei et de intellectu. Unde sicut esse unum tantum est aeternum, scilicet divinum, ita una tantum veritas. Similiter de mutabilitate veritatis idem dicendum est quod de mutabilitate essendi ; ut enim supra dictum est, art. antec., simpliciter immutabile non est nisi esse divinum ; unde simpliciter immutabilis veritas non est nisi una, scilicet divina.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il n’y a qu’une seule vérité éternelle, à savoir la vérité divine. En effet, puisque la notion de vérité trouve son achèvement dans l’opération de l’intelligence et qu’elle trouve son fondement dans l’existence même de la chose, le jugement sur la vérité découle du jugement sur l’existence de la chose et sur l’intelligence. C’est pourquoi, tout comme une seule existence est éternelle, à savoir l’existence divine, de même il n’y a qu’une seule vérité. Et il faut parler également du changement dans la vérité de la même manière qu’on parle du changement dans l’existence ; en effet, comme nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent, il n’y a que l’existence divine qui soit absolument immuable et c’est pourquoi il n’y a qu’une seule vérité absolument immuable, à savoir la vérité divine.

 Esse autem aliarum rerum quarumdam dicitur mutabile mutatione variabilitatis, sicut est in contingentibus ; et horum etiam veritas mutabilis est et contingens. Quorumdam vero esse est mutabile solum secundum vertibilitatem in nihil, si sibi relinqueretur ; et horum veritas similiter mutabilis est per vertibilitatem in nihil, si sibi relinqueretur.

Mais on dit de l’existence de certaines autres choses qu’elle peut changer par un changement de variation, par exemple dans les choses contingentes ; et la vérité de ces choses est changeante et contingente. Mais l’existence de certains êtres est changeante seulement par un retour au néant, si elle était abandonnée à elle-même ; et de la même manière la vérité de ces êtres est changeante par un retour au néant si elle était abandonnée à elle-même.

Unde patet quod nulla veritas est necessaria in creaturis. Similiter etiam si loquaris de veritate secundum quod ratio ejus completur in ratione intellectus, patet quod nullus intellectus est aeternus et invariabilis ex natura sua, nisi intellectus divinus. Ex quo etiam patet quod sola veritas una quae in Deo est, et quae Deus est, est aeterna et immutabilis.

D’où il est clair que dans les créatures aucune vérité n’est nécessaire. De la même manière encore si tu parles de la vérité selon que sa notion est achevée dans son rapport à l’intelligence, il est clair qu’aucune intelligence, sauf l’intelligence divine, n’est éternelle et invariable de par sa nature même. D’où il est aussi évident que seule la vérité unique qui est en Dieu, et qui est Dieu, est éternelle et immuable.

[1596] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sicut trium personarum una est essentia, qua quaelibet habet esse, quamvis sint plures proprietates quibus distinguuntur (quae tamen omnes non differunt secundum rem ab essentia), ita etiam est una veritas trium personarum ex parte ipsius rei, de qua fit enuntiatio. Sed quod sint enuntiationes plures verae, est per intellectum nostrum. Unde veritas quae est in istis enuntiationibus, qua formaliter verae sunt, vel quae est in intellectu nostro, non est aeterna, sicut nec propositiones, nec intellectus noster aeternus.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que tout comme il n’y a qu’une seule essence pour les trois personnes et par laquelle chacune possède l’existence, bien qu’il y ait plusieurs propriétés (et cependant aucune ne diffère réellement de l’essence) par lesquelles elles se distinguent l’une de l’autre, de même encore il n’y a qu’une vérité pour les trois personnes, du côté de la réalité elle-même, au sujet de laquelle il y a énonciation. Mais qu’il y ait plusieurs énonciations qui soient vraies, cela est le fait de notre intelligence. C’est pourquoi la vérité qui est dans ces énonciations, par laquelle elles sont formellement vraies, ou qui est dans notre intelligence, n’est pas éternelle, comme ne le sont pas non plus nos propositions ni notre intelligence.

[1597] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod rationes ideales rerum, quae sunt in Deo ab aeterno, non sunt aliud secundum rem ab ipso intellectu et essentia divina. Unde sicut veritas essentiae est una secundum rem, ita etiam veritas omnium illarum rationum ; et non multiplicatur, nisi secundum respectum ad diversas res. Unde ex hoc non probatur quod sint plures veritates ab aeterno, sed solum hoc quod sit una veritas plurium secundum rationem.

2. Il faut dire en deuxième lieu que les notions idéales des choses, qui sont en Dieu de toute éternité, ne sont rien d’autre en réalité que l’intelligence même de Dieu et son essence divine. C’est pourquoi, tout comme il n’y a en réalité qu’une seule vérité de l’essence, de même encore il n’y a qu’une seule vérité pour toutes ces notions ; et elle ne se multiplie que par rapport aux choses différentes. C’est pourquoi à partir de là on ne prouve pas qu’il y ait plusieurs vérités éternelles, mais seulement qu’il n’y a, selon la raison, qu’une seule vérité pour plusieurs notions.

[1598] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si anima non esset, nec aliquis intellectus creatus, veritas, secundum quod consistit in operatione animae, non esset. Posset tamen remanere, secundum quod fundamentum habet in re. Remaneret etiam intentio veritatis intellecta in Deo. Unde cum anima non sit aeterna, nec aliquis intellectus creatus, antequam haec essent, nulla veritas creata erat.

3. Il faut dire en troisième lieu que si l’âme n’existait pas, ni aucune intelligence créée, la vérité, selon qu’elle consiste dans l’opération de l’âme, n’existerait pas. Elle pourrait cependant demeurer selon qu’elle trouve son fondement dans la réalité. Et l’intention de la vérité comprise en Dieu demeurerait aussi. C’est pourquoi, puisque l’âme, comme c’est le cas aussi pour toute intelligence créée, n’est pas éternelle, avant que ces intelligences existent, aucune vérité créée n’existait.

Et si objicitur: veritas non est ; ergo veritatem esse est falsum, quantum ad illud tempus in quo non erat veritas creata: dico quod non sequitur: quia quando non est veritas, nec etiam falsitas est. Hoc autem quod non sit veritas vel falsitas, non est ex defectu veritatis vel falsitatis quantum ad intentiones ipsarum, sed ex defectu eorum in quibus veritas habet esse. Sicut enim dicimus de universalibus, quod [quae Éd. de Parme] sunt incorruptibilia et aeterna, quia non corrumpuntur nisi per accidens, scilicet quantum ad esse quod habent in alio, quod potest non esse ; ita etiam est de veritate et falsitate, quod consideratae secundum intentiones suas, non accidit eis corruptio per se, sed solum secundum esse quod habent in alio: et ex hoc procedit probatio Augustini ; quia omnis virtus quae apprehendit rationem intentionis alicujus, oportet quod sit virtus non obligata ad corpus, nec dependens a corpore, eo quod virtutes apprehensivae quae sunt impressae in organis corporalibus, ut patet in sensibus, non apprehendunt intentionem rationis, ut rationem hominis vel coloris, sed tantum apprehendunt hujusmodi, secundum quod sunt particulata.

Et si on objecte que la vérité n’existe pas ; il est donc faux que la vérité existe quant à ce temps dans lequel la vérité créée n’existait pas ; je dis que cette conclusion ne suit pas : car quand la vérité n’existe pas, il n’y a pas non plus de fausseté. Mais qu’il n’y ait pas de vérité ni de fausseté, cela ne provient pas d’un défaut de vérité ou de fausseté quant à leurs intentions elles-mêmes, mais d’un défaut de ceux dans lesquels la vérité a l’existence. En effet, tout comme nous disons au sujet des universels qu’ils [qui Éd. de Parme] sont incorruptibles et éternels parce qu’ils ne se corrompent que par accident, c’est-à-dire par rapport à l’existence qu’ils ont dans un autre, lequel peut ne pas exister ; il en est encore de même pour la vérité et la fausseté qui, considérées d’après leurs intentions, ne sont pas atteintes essentiellement par la corruption, mais seulement quant à l’existence qu’elles ont dans un autre : et c’est de là que procède la preuve de Saint-Augustin : car toute puissance qui appréhende la notion d’une intention doit être une puissance qui n’est pas liée au corps et qui ne dépend pas du corps, du fait que les puissances d’appréhension qui sont imprimées dans des organes corporels, comme on le voit pour les sens, n’appréhendent pas l’intention de la notion, comme la notion de l’homme ou celle de la couleur, mais elles n’appréhendent ces sortes de choses que selon qu’elles sont particulières.

Virtus autem quae non dependet a corpore, est incorruptibilis ; et ita probatur quod anima intellectiva est immortalis ex eo quod apprehendit veritatem. Virtutes enim sensitivae quamvis sint verae in suis apprehensionibus, non tamen apprehendunt rationem suae veritatis, sicut facit intellectus.

Mais la puissance qui ne dépend pas du corps est incorruptible ; et c’est ainsi qu’il prouve que l’âme intellectuelle est immortelle du fait qu’elle appréhende la vérité. Les puissances sensitives en effet, bien qu’elles soient vraies dans leurs appréhensions, n’appréhendent cependant pas la notion de leur vérité comme le fait l’intelligence.

 [1600] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod utroque modo veritas enuntiationis potest mutari ; si enim nulla enuntiatio esset, veritas enuntiationis non esset. Et ad id quod objicitur, quod adhuc rectum esset rem significari, dicimus, quod verum est ; sed tamen illa rectitudo nihil est aliud quam signabilitas rei ; et hoc non ponit veritatem signi in actu, sed tantum in potentia. Similiter etiam quando mutatur res, mutatur veritas enuntiationis.

5. Il faut dire en cinquième lieu que la vérité de l’énonciation peut être changée des deux manières ; si en effet il n’y avait aucune énonciation, il n’y aurait pas de vérité de l’énonciation. Et par rapport à ce qui est objecté, à savoir que la chose serait encore signalée directement, en ligne droite, nous disons que cela est vrai ; cependant cette droiture n’est rien d’autre que l’aptitude de la chose à être signifiée ; et cela ne pose pas en acte la vérité du signe, mais seulement en puissance. De la même manière encore, quand la chose est changée, la vérité de l’énonciation est changée.

Unde, secundum philosophum, in Praed., cap. « De substantia in sexta proprietate », eadem propositio quandoque potest esse vera et quandoque falsa. Et ad id, quod ulterius objicitur quod implet illud ad quod ordinatum est in mente divina dicendum, quod enuntiatio potest dupliciter considerari:

vel ut res quaedam, et sic est in ipsa veritas rei, sicut in qualibet re, quando implet illud ad quod ordinata est in mente divina ; et talis veritas manet in ipsa etiam mutata re ;

vel ut signum talis rei, et sic veritas ejus est per adaequationem ad rem illam. Mutata autem re, tollitur adaequatio signi ad signatum, sine aliqua mutatione ipsius signi ; quod manifestum est in relationibus posse contingere ; unde veritas enuntiationis non manet.

C’est pourquoi d’après le Philosophe [Les Prédicaments, ch. : ¨De la substance dans la sixième propriété¨ la même proposition peut parfois être  vraie et parfois fausse. Et à l’égard de ce qui est objecté par la suite, à savoir que chaque chose possède la vérité quand elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans l’intelligence divine, il faut dire que l’énonciation peut être considérée de deux manières : soit comme une certaine chose, et ainsi il y a en elle la vérité de la chose, comme en toute chose, quand elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans l’esprit divin ; et une telle vérité demeure en elle-même une fois que la chose a changé ;

soit comme le signe de cette chose, et ainsi sa vérité existe par l’adéquation à cette chose. Mais la chose ayant changé, l’adéquation du signe au signifié disparaît sans aucun changement du signe lui-même ; et il est manifeste que cela peut se produire dans les relations ; c’est pourquoi la vérité de l’énonciation ne demeure pas.

[1601] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod pereunte re vera, perit veritas quantum ad illud esse quod habet in re illa. Sed tamen potest remanere intentio veritatis secundum esse quod habet in alia re, vel secundum esse quod habet in anima. Quae omnia si auferantur, non remanebit veritas nisi in Deo. Nec ille defectus accidit veritati per se, sed per accidens, ut dictum est, in Resp. ad 3 ; quia, secundum philosophum, in Praed., cap. « de substantia », destructis primis substantiis, impossibile est aliquod ceterorum remanere ; quamvis universalia sint per se incorruptibilia.

6. ll faut dire en sixième lieu que la chose vraie ayant péri, la vérité périt quant à cette existence qu’elle possède dans cette chose. Cependant l’intention de la vérité peut demeurer selon l’existence qu’elle possède dans une autre chose ou selon l’existence qu’elle possède dans l’âme. Mais si on enlève toutes ces existences, la vérité ne demeurera plus qu’en Dieu. Et ce défaut  ne survient pas à la vérité en elle-même, essentiellement, mais par accident, ainsi que nous l’avons dit dans la réponse à la troisième difficulté ; car, d’après le Philosophe [Les Prédicaments, ch. ¨Sur la Substance¨, une fois détruites les substances premières, il est impossible que demeure quelque chose d’autre, bien que les universels soient essentiellement incorruptibles.

[1602] Super Sent., lib. 1 d. 19 q. 5 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum similiter, quod veritas propositorum necessariorum potest deficere per accidens quantum ad esse quod habet in anima vel in rebus si res illae deficerent: tunc enim non remanerent istae veritates nisi in Deo, in quo sunt una et eadem veritas.

7. Il faut également dire en septième lieu que la vérité des propositions nécessaires peut s’éteindre accidentellement quant à l’existence qu’elle possède dans l’âme ou dans les choses si ces choses elles-mêmes s’éteignent: alors en effet ces vérités ne demeureraient plus qu’en Dieu, en qui elles ne sont plus qu’une seule et même vérité.

 

 

Distinctio 20

Distinction 20 – [La puissance du Fils]

 

 

Lib. 1 d. 20 q. 1 pr. Hic quaeruntur tria:

1 an Filius sit omnipotens ;

2 an sit aequalis patri in omnipotentia ;

3 utrum sit aliquis ordo inter patrem et Filium.

On se pose ici trois questions :

1. Est-ce que le Fils est tout-puissant ?

2. Est-ce que sa toute-puissance est égale à celle du Père ?

3. Est-ce qu’il y a un ordre entre le Père et le Fils ?

 

 

Quaestio 1

Question unique : [La puissance du Fils]

 

 

Articulus 1 Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 tit. Utrum Filius sit omnipotens.

Article 1 – Le Fils est-il tout puissant ?

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit omnipotens. Potentia enim, ut dictum est, dist. 7, qu. 1, art. 1, dicitur secundum virtutem ad opus. Sed aliqua operatio est quae pertinet ad omnipotentiam Patris, in quam non potest Filius, scilicet generatio activa ; non enim Filius potest generare, ut supra, dist. 7, qu. 2, art. 2, habitum est. Ergo videtur quod non sit omnipotens.

Difficultés :

1. Il semble que le Fils ne soit pas tout-puissant. La puissance en effet, ainsi que nous l’avons dit [dist. 7, quest. 1, art. 1], se dit d’après une capacité à une opération. Mais il y a une certaine opération qui appartient à la toute-puissance de Dieu, à savoir la génération active, et pour laquelle le Fils ne possède aucune capacité ; le Fils en effet ne peut engendrer, comme nous l’avons établi plus tôt [dist. 7, quest. 2, art. 2]. Il semble donc que le Fils ne soit pas tout-puissant.


Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg.2 Praeterea, Deus dicitur omnipotens, quia omnia potest, quod simpliciter possibile est. Sed maximum posse Patris ostenditur in generatione Filii ; majus enim est generare Filium in infinitum quam creare caelum et terram. Cum igitur istud posse Filio detrahatur, videtur quod non sit omnipotens.

2. Par ailleurs, Dieu est dit tout-puissant parce qu’il peut absolument tout ce qui est possible. Mais la puissance extrême du Père se manifeste dans la génération du fils ; il est en effet plus grand d’engendrer le Fils à l’infini que de créer le Ciel et la Terre. Donc, puisque ce pouvoir est absent du Fils, il semble qu’il ne soit pas tout-puissant.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod posse generare non est aliquid, sed ad aliquid, et ita quamvis Filius non possit generare, non tamen sequitur quod non possit omnia ; contra. Cum dico omnia, includo universaliter omnia entia. Sed relativa continentur in entibus. Ergo videtur quod distributio etiam fiat pro relativis.

3. Mais si tu dis que le pouvoir d’engendrer n’est pas un absolu mais un relatif et que bien que le Fils ne puisse engendrer, cependant il ne s’ensuit pas qu’il ne puisse pas tout, par contre, quand je dis tout, j’inclus universellement tous les êtres. Mais les relatifs sont contenus dans les êtres. Il semble que la distribution se produit aussi pour les relatifs.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 arg. 4 Si dicas, quod intelligitur respectu omnium creatorum, et non respectu eorum quae in Deo sunt ; contra. Secundum hoc ratio Augustini in Littera posita nihil valeret. Arguit enim, quod si Pater non potuit generare Filium aequalem sibi, non fuit omnipotens. Ergo videtur quod omnipotentia Patris etiam ad generationem Filii se extendat. Sed Filius non potest generare. Ergo non habet omnipotentiam.

4. Si tu dis que cela s’entend par rappor à toutes les créatures, et non par rapport à ce qui est en Dieu, je dis par contre ceci : suivant cela, l’argument de Saint-Augustin présenté dans le document ne vaudrait rien. Il argumente en effet ainsi : si le Père n’avait pu engendrer un Fils égal à Lui, il n’aurait pas étét tout-puissant. Il semble donc que la toute-puissance du Père s’applique aussi à la génération du Fils. Mais le Fils ne peut engendrer. Il ne possède donc pas la toute-puissance.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium est quod in symbolo dicitur: Omnipotens Pater, omnipotens Filius, omnipotens Spiritus sanctus.

Cependant :

1. On dit le contraire dans le Symbole : Père tout-puissant, Fils tout-puissant, Esprit-Saint tout-puissant.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sine omni dubio concedendum est, Filium Dei omnipotentem esse, sicut et Pater: et tamen dicimus quod Filius non potest generare. Unde ad intellectum hujus videndum est, quod Deus dicitur omnipotens, quia omnia potest, et quidquid est aliquid vel ens, potest Deus. Sed notandum, quod relatio alio modo dicitur esse aliquid quam alia entia. In aliis enim entibus unumquodque dicitur dupliciter esse: et quantum ad esse suum, et quantum ad rationem quidditatis suae ; sicut sapientia secundum esse suum aliquid ponit in subjecto, et similiter secundum rationem suam ponit naturam quamdam in genere qualitatis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il faut concéder sans aucun doute que le Fils de Dieu est tout-puissant comme le Père : et cependant nous disons qu’il ne peut engendrer. C’est pourquoi, pour comprendre cela, il faut voir qu’on dit de Dieu qu’il est tout-puissant parce qu’il peut tout, et tout ce qui est quelque chose ou de l’être, Dieu le peut. Mais il faut remarquer que c’est d’une autre manière que pour les autres êtres qu’on dit de la relation qu’elle est quelque chose. Pour les autres êtres en effet on dit de chaque chose qu’elle existe de deux manières : soit quant à son existence, soit quant à la définition de sa quiddité ; par exemple la sagesse quant à son existence pose quelque chose dans un sujet et de la même manière quant à sa définition elle pose une certaine nature dans le genre de la qualité.

Sed relatio est aliquid secundum esse suum quod habet in subjecto ; sed secundum rationem suam non habet quod sit aliquid, sed solum quod ad aliud referatur ; unde secundum rationem suam non ponit aliquid in subjecto: propter quod Boetius dicit quod relativa nihil praedicant de eo de quo dicuntur. Inde etiam est quod invenitur aliquid relatum in quo est tantum relatio rationis, et non ponitur ibi aliquid secundum rem, sicut cum scibile refertur ad scientiam.

Mais la relation est quelque chose selon l’existence qu’elle possède dans un sujet ; mais quant à sa définition elle ne tient pas d’être quelque chose mais seulement d’être rapportée à quelque chose d’autre ; de là, d’après sa définition, elle ne pose pas quelque chose dans un sujet : c’est pour cette raison que Boèce dit que les relatifs n’attribuent rien à ce à quoi ils s’attribuent. Il suit encore de là qu’il arrive que quelque chose soit rapporté dans lesquel il n’y a qu’une relation de raison et dans lequel rien n’est posé dans la réalité, comme lorsque l’objet de science est mis en rapport avec la science.

Et hoc est verum tam in relationibus quae de Deo dicuntur quam de illis quae in creaturis sunt ; sed diversimode ; quia relatio quae habet esse in creatura, habet aliud esse quam sit esse sui subjecti ; unde est aliquid aliud a suo subjecto: sed in Deo nihil est quod habeat esse aliud ab ipso: esse enim sapientiae est ipsum esse divinum et non superadditum, et similiter esse paternitatis. Unde relatio, quantum ad esse suum, secundum quem solum modum debetur ei quod ponat aliquid, est essentia divina ; sed secundum rationem suam, per quam habet distinguere unam personam ab alia, non debetur ei quod dicat aliquid, sed potius ad aliquid. Unde quamvis pater habeat paternitatem quam Filius non habet, et paternitas sit aliquid, non tamen Pater habet aliquid quod Filius non habeat.

Et cela est vrai tant pour les relations qui se disent de Dieu que pour celles qui existent dans les créatures, mais différemment ; car la relation qui a son existence dans la créature possède une existence autre que celle de son sujet ; c’est pourquoi elle est quelque chose d’autre que son sujet. Mais en Dieu il n’y a rien qui possède une existence qui se distingue de Lui : en effet, en Lui, l’existence de la sagesse est l’existence même de Dieu et non quelque chose d’ajouté, et il en est de même de la paternité. C’est pourquoi la relation, quant à son existence, seule modalité selon laquelle il lui revient de poser quelque chose, est l’essence divine elle-même ; mais selon sa définition, par laquelle elle doit distinguer une personne d’une autre, il ne lui revient pas de dire quelque chose, mais plutôt une relation. C’est pourquoi, bien que le Père possède la paternité que le Fils ne possède pas et que la paternité soit quelque chose, cependant le Père ne possède pas quelque chose que le Fils ne possède pas.

Sicut: paternitas est essentia ; Filius non habet paternitatem ; ideo tamen non sequitur quod Pater essentiam aliquam habeat qua careat Filius. Si autem Pater haberet sapientiam et non Filius, haberet aliquid Pater quod non haberet Filius ; quia sapientia dicit aliquid in sapiente etiam secundum rationem suam. Similiter dico, quod cum generare in divinis sit relatio quaedam, et sit aliquid, quamvis Pater possit generare, et non Filius, non sequitur quod possit aliquid pater quod non possit Filius ; sed bene sequeretur, si Pater posset intelligere, et non Filius, quod Pater posset aliquid quod non posset Filius: sicut Pater est Pater, et esse Patrem est aliquid esse, et tamen cum Filius non sit Pater, nullum esse est Patris, quod non sit Filii, quia omne esse in divinis est essentiae ; et similiter omne ad aliquid est ibi secundum rationem essentiae, vel secundum rationem attributorum.

Par exemple, la paternité est l’essence ; le Fils ne possède pas la paternité ; c’est pourquoi cependant il ne s’ensuit pas que le Père possède une essence dont le Fils soit privé. Mais si le Père possédait la sagesse et non le Fils, le Père posséderait quelque chose que le Fils ne posséderait pas ; car la sagesse, même selon sa définition, dit quelque chose qui est dans le sage. De la même manière je dis que puisqu’engendrer est en Dieu une certaine relation et que ce soit là quelque chose, bien que le Père puisse engendrer et non le Fils, il ne s’ensuit pas que le Père ait un pouvoir que le Fils ne possède pas ; mais il s’ensuivrait bien, si le Père pouvait comprendre et non le Fils, que le Père aurait un pouvoir que le Fils n’aurait pas. Ainsi le Père est le Père, et l’existence du Père est une certaine existence, et cependant bien que le Fils ne soit pas le Père, il n’y a aucune existence du Père qui ne soit pas celle du Fils, car toute existence dans les personnes divines est l’essence ; et de la même manière toute relation se retrouve là sous le rapport de l’essence ou sous le rapport des attributs.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod generatio significat relationem per modum operationis, et etiam est operatio aliqua divinae naturae, secundum Damascenum. Et quamvis generatio non conveniat Filio, non tamen sequitur quod aliqua operatio conveniat Patri quae non conveniat Filio: una enim et eadem operatione Pater generat et Filius nascitur ; sed haec operatio est in Patre et Filio secundum aliam et aliam relationem.

Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que la generation signifie une relation par mode d’opération et même elle est une operation de la nature divine, d’après Damascène. Et bien que la génération ne convienne pas au Fils, il ne s’ensuit pas cependant qu’il y a une opération qui convient au Père sans convenir au Fils: en effet, c’est par une seule et même operation que le Père engender et que le Fils est engendré; mais cette operation est dans le Père selon une relation et dans le Fils selon une autre.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nullum posse detrahitur Filio ; sed illo eodem posse quo Pater generat, Filius generatur, ut supra, in corp. art., dictum est.

2. Il faut dire en deuxième lieu qu’aucun pouvoir n’est absent du Fils; mais c’est un même pouvoir par lequel le Père engendre et le Fils est engendré, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sub omnibus comprehenditur ad aliquid, quantum ad hoc quod habet esse, sic enim ad aliquid est aliquid de omnibus, sed non quantum ad rationem ad aliquid, secundum quod ad aliud refertur: sic enim non habet quod sit aliquid simpliciter.

3. Il faut dire en troisième lieu que la relation est comprise dans toutes les categories de l’être quant à ceci qu’elle possède de l’existence, car c’est ainsi en effet que la relation est quelque chose qui se dit de tout, mais non par quant à la definition même de la relation selon laquelle elle se rapporte à un autre: en ce sens en effet elle ne tient pas d’être quelque chose absolument.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnipotentia Dei potest comparari ad aliquid vel sicut ad operatum vel sicut ad operationem. Sicut ad operatum, non comparatur ad aliquid quod in ipso sit: quia in Deo nihil est factum ; et sic omnipotentia est respectu creaturarum solum ; sed comparatur sicut ad operationem ad hoc quod in ipso est, praecipue cum nulla operatio sit ipsius quae sit extra essentiam ejus.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la toute-puissance de Dieu peut être comparée à quelque chose soit comme à une oeuvre, soit comme à une operation. Elle ne se compare pas à quelque chose comme à une oeuvre qui serait en elle car en Dieu rien n’est fait; et en ce sens la toute-puissance de Dieu se rapporte seulement aux creatures; mais elle se compare à quelque chose comme à une opération qui se rapporte à ce qui est en Lui, surtout puisqu’il n’y a aucune de ses opérations qui soit extérieure à son essence.

Unde omnipotentia Patris extenditur et ad generare et ad intelligere et creare, et breviter ad omnia quae perfectionis sunt ; et propter hoc patet quod ratio Augustini efficax est. Nec tamen sequitur quod Filius non sit omnipotens, si non potest generare filium aequalem sibi, ratione praedicta. Sequeretur tamen in Patre ; quia Patri non deest relatio, quae significatur in generatione activa. Unde si negaretur ab eo perfectio generationis, oporteret quod esset defectus in ipsa operatione inquantum operatio est ; et hoc redundaret in defectum potentiae. Sed a Filio removetur activa generatio non nisi ratione relationis importatae. Relatio autem, inquantum hujusmodi, nullum ordinem ad potentiam habet, ut ex dictis, distinct. 2, quaest. Unic., art. 5, patet.

C’est pourquoi la toute-puissance du Père s’étend à la fois à la génération, à l’intellection, à la création et en bref à tout ce qui relève d’une perfection ; et c’est pour cette raison qu’il est clair que l’argument de Saint-Augustin est efficace. Et cependant il ne s’ensuit pas que le Fils ne soit pas tout-puissant s’il ne peut engendrer un fils égal à lui, pour la raison que nous avons dite. C’est ce qui s’ensuivrait cependant pour le Père ; car la relation qui est signifiée dans la génération active est inséparable du Père. C’est pourquoi si on niait de lui la perfection de la génération, il faudrait qu’il y ait un défaut dans l’opération même en tant qu’opération et cela se réfléterait dans un défaut de puissance. Mais la génération active n’est refusée au Fils qu’en raison de la relation impliquée. Mais la relation, en tant que telle, n’a aucun rapport à la puissance ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a  été dit [dist. 2, quest. unique, art. 5].

 

 

Articulus 2 Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 tit. Utrum Filius sit aequalis patri

Article 2 – Le Fils est-il égal au Père ?

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit aequalis Patri in omnipotentia. Sicut enim infra dicitur, distinct. 31, quaest. unic., art. 2, potentia appropriatur Patri, non autem Filio. Ergo videtur quod magis Patri quam Filio conveniat ; et sic non sunt aequales in potentia.

Difficultés :

1. Il semble que le Fils ne soit pas égal au Père en toute-puissance. En effet, ainsi qu’on le dit plus loin [dist. 31, quest. unique, art. 2], la puissance est appropriée au Père et non au Fils. Il semble donc qu’elle convienne davantage au Père qu’au Fils et par conséquent ils ne sont pas égaux en puissance.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, inter habere aliquid ab alio personaliter et essentialiter, et non habere aliquid ab alio nec personaliter nec essentialiter, medium est habere aliquid ab alio personaliter et non essentialiter. Sed non habere aliquid ab alio nec personaliter nec essentialiter, quod convenit Patri, dignitatis et auctoritatis est ; habere autem aliquid ab aliquo personaliter et essentialiter, quod creaturae competit, minorationem ponit et defectum creaturae respectu creatoris. Ergo cum medium sapiat naturam extremorum, videtur quod habere ab alio personaliter et non essentialiter, quod Filio competit, secundum aliquid sit dignitatis, quod est scilicet non habere ab alio essentialiter, et secundum aliquid ponat defectum et minorationem, quod est ab alio habere personaliter ; et sic Filius est minus potens quam pater.

2. Par ailleurs, posséder quelque chose d’un autre personnellement et non essentiellement est un intermédiaire entre posséder quelque chose d’un autre personnellement et essentiellement et ne pas posséder quelque chose d’un autre, ni personnellement ni essentiellement. Mais ne pas posséder quelque chose d’un autre ni personnellement ni essentiellement, ce qui convient au Père, relève d’une dignité et d’une autorité ; mais tenir quelque chose d’un autre personnellement et essentiellement, ce qui appartient à la créature, pose une infériorité et un défaut de la créature par rapport au créateur. Donc, puisque l’intermédiaire connaît la nature des extrêmes, il semble que tenir d’un autre personnellement et non essentiellement, ce qui appartient au Fils, sous un rapport relève d’une dignité, à savoir ne pas posséder quelque chose d’un autre essentiellement, mais sous un autre rapport pose un défaut et une infériorité, c’est-à-dire tenir personnellement quelque chose d’un autre ; et en ce sens le Fils est moins puissant que le Père.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, ita videmus in creaturis quod nihil receptum ab aliquo est aeque potens illi a quo recipitur ; sicut lumen in aere non est aeque potens lumini in sole. Sed potentia est recepta in Filio a Patre. Ergo videtur quod Filius non sit aequalis Patri in potentia.

3. En outre, nous voyons dans les créatures que rien de ce qui est reçu dans un autre n’est égal en puissance à celui par lequel il est reçu ; par exemple, la lumière dans l’air n’est pas égale en puissance à la lumière dans le soleil. Mais la puissance est reçue du Père dans le Fils. Donc, il semble que le Fils ne soit pas égal au Père en puissance.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod agit per alium videtur esse potentius eo per quod agit. Sed Pater agit per Filium et non e converso. Ergo Pater est potentior Filio.

4. De plus, ce qui agit par un autre semble être plus puissant que celui par lequel il agit. Mais le Père agit par le Fils et non inversement. Donc le Père est plus puissant que le Fils.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, potentia radicatur in essentia. Sed est una essentia Patris et Filii numero. Ergo et una potentia: ergo non est aliqua inaequalitas in potentia, cum omnis inaequalitas diversitatem ponat ; sicut enim unum in quantitate facit aequale, ita diversum facit inaequale: quod concedimus.

Cependant :

La puissance s’enracine dans l’essence. Mais il n’y a qu’une seule essence, numériquement parlant, pour le Père et le Fils. Il n’y a donc qu’une seule puissance pour les deux : et il ne peut donc y avoir là une inégalité dans la puissance, puisque toute inégalité pose une diversité ; en effet, tout comme l’un est la cause de l’égal dans la quantité, de même le divers est cause d’inégalité : ce que nous concédons.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod potentia appropriatur Patri, non quia magis sibi conveniat quam Filio, sed quia majorem similitudinem habet cum proprietate Patris quam cum proprietate Filii: potentia enim habet rationem principii, et Pater est principium non de principio.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la puissance est appropriée au Père non pas parce qu’elle lui convient davantage qu’au Fils, mais parce qu’elle possède une plus grande ressemblance avec la propriété du Père qu’avec la propriété du Fils : la puissance a en effet raison de principe, et le Père est un principe sans principe.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod habere essentialiter et personaliter ab alio, importat defectum solum quantum ad hoc quod est habere ab alio essentialiter, idest in diversitate essentiae ; ex hoc enim causatur inaequalitas magnitudinis et potentialitatis: quia inaequalitatis causa est diversitas, sicut unitas aequalitatis, ut dictum est, in argum. sed contra istius artic., et quantum ad hoc Filius non est medium inter Patrem et creaturam, immo aequali et eadem dignitate convenit Filio sicut et Patri non habere ab alio essentialiter.

2. Il faut dire en deuxième lieu que tenir essentiellement et personnellement d’un autre implique un défaut seulement quant à ce qui est de tenir d’un autre essentiellement, c’est-à-dire quant à la diversité de l’essence ; c’est à partir de là en effet qu’est causée une inégalité de grandeur et de potentialité : car la diversité est la cause de l’inégalité, comme l’unité est celle de l’égalité, ainsi que nous l’avons dit dans l’argument ¨cependant¨ de cet article, et quant à cela que le Fils n’est pas un intermédiaire entre le Père et la créature, mais bien plutôt, c’est par une égale et même dignité qu’il convient au Fils comme au Père de ne rien tenir d’un autre essentiellement.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in inferioribus quandoque recipitur aliquid in eadem virtute quae est in eo a quo recipitur, quando scilicet recipiens est proportionatum ad recipiendum totam virtutem dantis, sicut patet in omni generatione univoca, ut quando homo generat hominem, et ignis ignem: quandoque autem non recipitur tota virtus, et hoc est ex defectu recipientis, quod non est proportionatum ad recipiendum totum quod agens influere potest, sicut corpora inferiora se habent ad actionem solis ; vel forte ex defectu agentis, cujus virtus est deficiens a communicatione suae similitudinis ; sicut parva [una Éd. de Parme] scintilla non potest calefacere aliquod lignum, etiam multum dispositum. Sed in divinis non est defectus ex parte dantis neque ex parte accipientis, cum una et eadem sit virtus utriusque ; et ideo quantam potentiam Pater habet, tantam accipit Filius ab eo.

3. Il faut dire en troisième lieu que parfois dans êtres inférieurs une chose est reçue avec la même puissance qui est dans celui duquel elle est reçue, c’est-à-dire quand celui qui reçoit est proportionnné à recevoir toute la puissance de celui qui donne, ainsi qu’on le voit dans toute génération univoque, comme lorsque l’homme engendre un homme et le feu engendre le feu : mais parfois toute la puissance n’est pas reçue, et cela vient d’un défaut du côté de celui qui reçoit, lequel n’est pas proportionné à recevoir tout ce que l’agent peut répandre en lui, ainsi qu’on le voit chez les corps inférieurs par rapport à l’action du soleil ; ou bien cela vient d’un défaut du côté de l’agent, dont la puissance fait défaut dans la communication de sa ressemblance ; par exemple, une [seule Éd. de Parme] petite étincelle ne peut réchauffer une pièce de bois, même si cette dernière est bien disposée. Mais dans les personnes divines il n’y a pas de défaut, ni du côté de celui qui donne, ni du côté de celui qui reçoit, puisqu’il n’y a qu’une seule et même puissance pour chacun des deux ; et c’est pourquoi le Fils reçoit autant de puissance que le Père en possède.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur Pater operari per Filium, non ponitur aliquis gradus potestatis, sed signatur auctoritas in Patre, ut dictum est, dist. 15, quaest. unic., art. 4.

4. Il faut dire en quatrième lieu que lorsqu’on dit que le Père agit par le Fils, on ne pose pas là un degré de puissance, mais on signifie une autorité qui est dans le Père, ainsi que nous l’avons déjà dit [dist. 15, quest. unique, art. 4].

 

 

Articulus 3. Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 tit. Utrum in divinis personis sit ordo

Article 3 – Y a-t-il un ordre dans les personnes divines ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1[16] :

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod in divinis personis non sit ordo. Ut enim dicit Augustinus, XIX de civ ; Dei, cap. XIII, col. 640 : « Ordo est parium dispariumque sua cuique tribuens loca dispositio ». Sed in divinis personis non competit aliqua localis dispositio. Ergo videtur quod nec ordo.

Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait pas d’ordre dans les personnes divines. En effet, comme le dit Saint-Augustin [XIX De la Cité de Dieu, ch. 13, col. 640],  ¨L’ordre est une disposition qui assigne son lieu à chacune des choses égales et inégales¨. Mais aucune disposition selon le lieu ne convient aux personnes divines. Il semble donc que l’ordre ne leur convienne pas non plus.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Boetius, lib. De Trinit., cap. 1, col. 124, dicit: Eos sequitur differentia deitatis qui in Trinitate gradus constituunt. Sed ubicumque est ordo, est aliquis gradus. Ergo si in divinis personis est ordo, videtur quod sequatur diversitas deitatis. Hoc autem est impossibile. Ergo personae divinae non habent ordinem.

2. Par ailleurs, Boèce [De la Trinité, ch. 1, col. 124] dit : La différence à l’intérieur de la divinité découle de ce qui constitue des degrés dans la Trinité. Mais partout où il y a ordre, il y a des degrés. Donc, s’il y a un ordre à l’intérieur des personnes divines, il semble qu’il s’ensuive une diversité dans la divinité. Mais cela est impossible. Il n’y a donc pas un ordre dans les personnes divines.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 3 Praeterea, ubi est eadem aeternitas, simplicitas et dignitas, non videtur esse aliquis ordo: aeternitas enim aequalis excludit ordinem temporis, simplicitas aequalis ordinem causae ad causatum et partis ad totum, et aequalis dignitas ordinem dignitatis. Sed in Patre et Filio est eadem numero aeternitas, simplicitas et dignitas. Ergo non est aliquis ordo.

3. En outre, là où l’éternité, la simplicité et la dignité sont identiques, il ne semble pas qu’il y ait un ordre : en effet, une éternité égale exclut l’ordre du temps, une simplicité égale l’ordre de la cause à l’effet et de la partie au tout, et une dignité égale l’ordre de la dignité. Mais dans le Père et le Fils, l’éternité, la simplicité et la dignité sont identiques numériquement parlant. Il n’y a donc pas là un ordre.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 4 Item, quidquid est in divinis, aut significat essentiam aut notionem Sed ordo non pertinet ad essentiam divinam, in qua nulla est distinctio, nec ad notionem, quia nulla notio communis est tribus personis, sicut ordo. Ergo videtur quod in divinis personis non sit ordo.

4. De plus, tout ce qui est en Dieu signifie ou bien l’essence, ou bien une notion. Mais l’ordre ne se rapporte pas à l’essence divine dans laquelle il n’y a aucune distinction, ni à la notion, car il n’y a aucune notion qui soit commune aux trois personnes, tout comme l’ordre. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’ordre dans les personnes divines.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 5 Contra, ubicumque est pluralitas sine ordine, ibi est confusio. Sed in divinis personis est pluralitas et non confusio. Ergo ibi est ordo.

Cependant :

5. Au contraire, partout où il y a pluralité sans ordre, il y a confusion. Mais dans les personnes divines il y a pluralité mais non pas confusion. Il y a donc là un ordre.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 arg. 6 Hic etiam videtur, quod Spiritus sanctus dicitur tertia in Trinitate persona ; et hoc dicit aliquem ordinem.

6. Il semble aussi ici que l’Esprit-Saint est appelé la troisième des personnes divines ; et cela signifie qu’il y a là un ordre.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 –

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, an sit ibi ordo naturae: et videtur quod non. Quia omnis ordo importat aliquam distinctionem. Sed in natura divina nulla est distinctio. Ergo nec naturae divinae est aliquis ordo ; et ita in divinis personis non est ordo naturae.

Difficultés :

1. On cherche par la suite s’il y a là un ordre de nature : et il semble que ce ne soit pas le cas. Car tout ordre implique une distinction. Mais il n’y a aucune distinction dans la nature divine. Il n’y a donc pas un ordre qui appartienne à la nature divine et ainsi il n’y a pas un ordre de nature dans les personnes divines.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 arg. 2 Praeterea, natura divina est idem quod essentia. Sed nihil est dictu quod in divinis personis sit ordo essentiae. Ergo nec naturae.

2. Par ailleurs, la nature divine est identique à l’essence divine. Mais il n’y a rien qui dise qu’il y a un ordre d’essence dans les personnes divines. Il n’y a donc pas un ordre de nature.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 s. c. 1 In contrarium est quod in littera dicitur.

Cependant :

Ce qu’on dit dans le document s’oppose à cela.

 

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod ordo in ratione sua includit tria, scilicet rationem prioris et posterioris ; unde secundum omnes illos modos potest dici esse ordo aliquorum, secundum quos aliquis altero prius dicitur et secundum locum et secundum tempus et secundum omnia hujusmodi. Includit etiam distinctionem, quia non est ordo aliquorum nisi distinctorum. Sed hoc magis praesupponit nomen ordinis quam significet. Includit etiam tertio rationem ordinis, ex qua etiam ordo in speciem trahitur.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’ordre, dans sa nature même, comprend  trois choses : à savoir un rapport de ce qui est premier à ce qui est second ; c’est pourquoi on peut dire qu’il y a un ordre entre des êtres de toutes ces manières selon lesquelles on dit d’un être qu’il est antérieur à un autre selon le lieu, selon le temps et selon d’autres catérories de cette sorte. L’ordre comprend aussi une distinction car il n’y a un ordre entre des êtres que s’ils sont distincts. Mais cela présuppose davantage le nom d’ordre qu’il ne le signifie. Et l’ordre comprend aussi en troisième lieu la cause de l’ordre à partir de laquelle l’ordre s’attribue aussi à l’espèce.

Unde unus est ordo secundum locum, alius secundum dignitatem, alius secundum originem, et sic de aliis: et ista species ordinis, scilicet ordo originis, competit divinis personis. Unde dico quod ordo originis signatur cum dicitur ordo naturae, secundum quod dicitur natura a philosopho, V Metaphys., text., 5, ex qua pullulat pullulans primo.

C’est pourquoi autre est l’ordre selon le lieu, autre l’ordre selon la dignité et autre celui selon l’origine et il en est de même du reste : et cette espèce d’ordre, à savoir l’ordre d’origine, appartient aux personnes divines. C’est pourquoi je dis que l’ordre d’origine est signifié lorsqu’on dit de l’ordre de nature, conformément à ce que dit le Philosophe de la nature [V Métaphysique, texte 5], qu’il est ce à partir de quoi le géniteur engendre.

Unde nomen naturae importat rationem originis: et sic ista duo nomina ordo naturae sumuntur in vi unius nominis, ad significandum speciem ordinis: quae quidem species salvatur in divinis personis quantum ad rationem differentiae, scilicet originem, et non quantum ad rationem generis, scilicet prioritatem et posterioritatem, ut in pluribus aliis dictum est. Et hoc patet ex definitione Augustini quam ponit, II Contra maximin., cap. XIV, § 8, col. 775, quod ordo naturae est quo aliquis est ex alio, in quo ponitur differentia originis, et non prior alio, in quo removetur ratio generis. Unde non est concedendum quod sit ibi ordo simpliciter, sed ordo naturae.

C’est pourquoi le nom de nature implique la notion d’origine : et ainsi ces deux noms, ordre de nature sont pris dans la force d’un seul nom pour signifier l’espèce de l’ordre : et l’espèce  est certes conservée dans les personnes divines quant à la notion de différence, à savoir quant à l’origine, et on quant à la notion de genre, c’est-à-dire quant à la notion de priorité et de postériorité, comme cela est dit par plusieurs autres auteurs. Et cela est clair à partir de la définition de Saint-Augustin [11 Contre Maximin, ch. XIV, & 8, col. 775] qu’il présente, à savoir que l’ordre de nature est celui par lequel un être vient d’un autre mais n’est pas antérieur à l’autre, dans lequel on pose une différence d’origine, et où on écarte la notion de genre. C’est pourquoi il ne faut pas concéder qu’il y ait là un ordre pris absolument, mais un ordre de nature.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod illa definitio Augustini datur de ordine secundum locum, qui divinis personis non competit.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que cette définition donnée par Saint-Augustin se rapporte à l’ordre selon le lieu, lequel ne convient pas aux personnes divines.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gradus dicit quamdam speciem ordinis, scilicet secundum dignitatem vel perfectionem, vel locum: et nullus horum competit divinis personis ; et ideo nec gradus.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la notion de degré dit une certaine espèce d’ordre, à savoir l’ordre selon la dignité, selon la perfection et selon le lieu : et aucune de ces sortes d’ordres ne convient aux personnes divines, ni par conséquent la notion de degré ou de rang.

 Super Sent., lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio procedit de ordine quantum ad rationem generis, prout ponit prius et posterius, quod nullo modo divinis competit.

3. Il faut dire en troisième lieu que cet argument procède de l’ordre quant sous le rapport de son genre, selon qu’il pose l’avant et l’après, ce qui ne convient en aucune manière aux personnes divines.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen ordo significat notionem, non tamen in speciali, sed in communi, quae determinatur secundum diversa adjuncta ; ut cum dicitur ordo Patris ad Filium, significatur notio quae est paternitas ; et cum dicitur ordo Filii ad Patrem, significatur notio quae est filiatio ; et similiter patet in aliis ; et similiter etiam est de hoc nomine principium, quod aliam notionem significat cum dicitur Pater principium Filii, et cum dicitur principium Spiritus sancti.

4. Il faut dire en quatrième lieu que le nom d’ordre signifie une notion, non en particulier mais dans l’universel, qui est spécifiée par différents ajouts ; par exemple, lorsqu’on parle de l’ordre du Père au Fils, on signifie une notion qui est la paternité et lorsqu’on parle de l’ordre du Fils au Père, on signifie la notion qui est la filiation ; et il en est de même pour les autres. Et il en est encore de même pour le nom de principe, qui signifie une notion lorsqu’on dit du Père qu’il est le principe du Fils, et une autre notion lorsqu’on dit qu’Il est le principe de l’Esprit-Saint.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ordo originis sufficit ut confusio non ponatur, et ad hoc quod Spiritus sanctus dicatur tertia persona.

5. Il faut dire en cinquième lieu que l’ordre d’origine suffit à ne pas poser une confusion et à dire que l’Esprit-Saint est la troisième personne.

 Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 1 ad 6. Unde patet solutio ad sextum.

6. Et de là la solution à la sixième difficulté est évidente.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 co. [solutio II Éd. Mandonnet] Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod est ibi ordo naturae, non tamen ita quod natura ordinetur, vel quod Pater naturaliter prior sit Filio ; sed ita quod dicat rationem ordinis, secundum quod in natura importatur origo. Et quamvis secundum rem sit idem divina natura quod essentia, tamen ratio originis non importatur in nomine essentiae sicut in nomine naturae, ratione enim differunt ; et ideo non potest dici ordo essentiae, sicut ordo naturae.

Corps de l’article [corps de l’article 11 Éd. Mandonnet]:

Par rapport à ce qu’on cherche à savoir par la suite il faut dire qu’il y a là un ordre de nature, non pas cependant de telle manière que la nature soit ordonnée ou que le Père soit par nature antérieur au Fils, mais de telle manière qu’il dise la raison de l’ordre selon laquelle l’origine est impliquée dans la nature. Et bien qu’en réalité la nature divine est identique à l’essence, cependant la notion d’origine n’est pas impliquée dans le nom d’essence comme dans le nom de nature et à cause de cela ils diffèrent en effet par la raison; et c’est pourquoi on ne peut parler d’un ordre d’essence comme d’un ordre de nature.

Lib. 1 d. 20 q. 1 a. 3 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet responsio ad ea quae objiciuntur.

Solution:

Et c’est par cela que la réponse aux difficultés est évidente.

 

 

Distinctio 21

Distinction 21 – [Les noms divins (1)]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du sujet ?]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quaeruntur duo.

Primo, utrum dictio exclusiva possit in divinis addi ex parte subjecti.

Secundo, utrum ex parte praedicati.

Circa primum quaeruntur duo:

1 utrum possit addi ex parte subjecti termino essentiali cum praedicato essentiali vel personali ;

2 utrum possit addi termino personali cum praedicato essentiali.

Deux interrogations se présentent ici.

En premier lieu, est-ce qu’un mot exclusif peut être ajouté du côté du sujet chez les personnes divines?

En deuxième lieu, peut-il en être de même du côté du prédicat?

Au sujet du premier point, on soulève deux questions:

1. Est-ce que le terme exclusif peut être ajouté du côté du sujet à un terme essentiel avec un prédicat essentiel ou personnel?

2. Peut-il être ajouté à un terme personnel avec un prédicat essentiel?

 

 

Articulus 1 [1647] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 tit. Utrum ista propositio, solus Deus est Deus, sit falsa

Article 1 – Cette proposition, ‘Seul Dieu est Dieu’, est-elle fausse ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 –

[1648] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod haec sit falsa: « Solus Deus est Deus ». Omne enim adjectivum ponit rem suam circa suum substantivum. Sed « solus » est quoddam adjectivum. Ergo cum dicitur: « Solus Deus », implicat solitudinem circa Deum. Sed sicut dicit Hilarius lib. IV de Trinit., § 18, col. 111, et habitum est supra distinctione II, « Nobis neque solitarius est Deus, neque diversus confitendus ». Ergo videtur quod haec sit falsa: « Solus Deus est Deus ».

Difficultés :

1. Il semble que cette proposition : ¨Seul Dieu est Dieu¨, est fausse. En effet, tout adjectif pose sa réalité sur son substantif. Mais ¨seul¨ est un certain adjectif. Donc, lorsqu’on dit ¨seul Dieu¨, cela implique une solitude en Dieu. Mais comme le dit Saint-Hilaire [IV De la Trinité, & 18, col. 111], et comme cela a été établi plus haut à la distinction 2, ¨Nous devons confesser qu’il n’y a en Dieu ni solitude ni diversité¨. Il semble donc que cette proposition : ¨Seul Dieu est Dieu¨, est fausse.

[1649] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 2 Praeterea, hoc nomen Deus intantum habet naturam termini communis, ut quod de Deo dicitur de omnibus personis dicatur, ut cum dicitur: « Deus creat » ; vel saltem de aliqua, ut cum dicitur: « Deus generat ». Unde potest fieri descensus sub hoc nomine Deus, in subjecto posito pro aliqua personarum. Si igitur haec est vera: « Solus Deus est Deus », aliqua istarum erit vera: « Solus Pater est Deus », vel « Solus Filius est Deus », vel « Solus Spiritus sanctus est Deus ». Sed quaelibet harum falsa est. Ergo et prima.

2. Par ailleurs le nom ¨Dieu¨ possède possède à ce point la nature d’un terme commun que ce qui se dit de Dieu se dise de toutes les personnes, comme lorsqu’on dit : ¨Dieu crée¨, ou même de l’une d’entre elles, comme lorsqu’on dit : ¨Dieu engendre¨. C’est pourquoi, sous le nom de Dieu, il peut se produire une descente dans un sujet posé pour une des personnes. Si donc cette proposition est vraie, à savoir ¨Seul Dieu est Dieu¨, une de celles-là sera vraie, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, ou ¨Seul le Fils est Dieu¨, ou encore ¨Seul l’Esprit-Saint est Dieu¨. Mais chacune de ces dernières propositions est fausse. Donc la première l’est aussi.

[1650] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 3 Item, secundum philosophum VII Metaphys., texte 20, « solum » idem est quod non cum alio. Sed Deo, praecipue post rerum creationem, nunquam convenit cum alio non esse, quia in participationem sui esse res creando adduxit. Ergo non potest dici aliquo modo solus Deus.

3. En outre, d’après le Philosophe [ VII Métaphysique, texte 20], le terme ¨seul¨ signifie la même chose que de ne pas être avec un autre. Mais il ne convient jamais à Dieu, surtout après la création, de ne pas être avec un autre, car en les créant, il amène les choses à participer de son existence. On ne peut donc dire en aucune façon ceci : ¨seul Dieu¨.

[1651] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 arg. 4 Contra, proprium est quod convenit uni soli. Sed esse divinum vel omnipotentem est proprium Deo. Ergo solus Deus est Deus vel omnipotens.

Cependant :

4. Ce qui est propre à un être est ce qui convient à lui seul. Mais l’existence divine ou toute-puissante est propre à Dieu. Donc, seul Dieu est Dieu ou tout-puissant.

Quaestiuncula 2

Sous-question 11-

[1652] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur de ista: « Solus Deus est Pater » ; videtur enim esse falsa. Quia id quod in alio invenitur, non potest alicui soli inesse. Sed paternitas non tantum est in Deo, sed etiam in hominibus, et quodammodo in Angelis, ut dicit Dionysius cap. III, de div. Nomin. § 2, col. 616. Ergo non potest dici, quod solus Deus est pater.

Difficulté :

1. Nous nous arrêtons ensuite à cet énoncé : ¨Seul Dieu est Père¨. Et il semble en effet qu’il soit faux. Car ce qui se retrouve dans un autre ne peut appartenir à un seul. Mais la paternité n’est pas seulement en Dieu, mais nous la retrouvons aussi chez les hommes et d’une certaine manière chez les Anges, ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. 111, & 2, col. 616]. On ne peut donc dire que seul Dieu est père.

[1653] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 s. c. 1 Contra, de quocumque praedicatur commune praecise, praedicatur cum praecisione et proprium, si de ipso praedicetur: si enim solum corpus est coloratum, sequitur solum corpus esse album, si supponatur album de corpore praedicari. Sed Deus est sicut commune respectu trium personarum, ut supra habitum est, dist. 19, quaest. III, art. 2, ex verbis Damasceni. Ergo sequitur, si solus Deus est Deus, cum Deus sit pater, quod solus Deus sit pater.

Cependant :

1. Tout ce à quoi s’attribue l’universel avec précision, le particulier aussi s’y attribue avec précision s’il devait s’y attribuer : si en effet seul un corps est coloré, il s’ensuit que seul un corps est blanc, si on supposait que le blanc s’attribue au corps. Mais Dieu est comme un universel par rapport aux trois personnes, ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 19, quest. 3, art. 2] à partir des dires de Saint-Damascène. Il s’ensuit donc, si seul Dieu est Dieu, puisque Dieu est père, que seul Dieu est père.

Quaestiuncula 1

Sous-question 1-

[1654] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod, secundum philosophum, VII Metaphysicor., texte 20, « solum » idem est quod non cum alio, in quo consortium removetur. Potest igitur haec dictio solus removere consortium simpliciter, vel respectu alicujus. Et dicitur simpliciter removere consortium, quando tollitur associatio alterius quod sit ejusdem naturae et conditionis cum ipso ; sicut dicimus aliquem hominem esse solum in domo, quamvis ibi sint multa alia animalia: et dicimus aliquem religiosum incedere solum, cum sine socio sui ordinis vadit, multis etiam ipsum comitantibus ; et tunc solus idem est quod solitarius ; et est etiam dictio categorematica implicans solitudinem circa subjectum, sicut et quodlibet aliud adjectivum ; et ita nullo modo potest accipi in divinis: quia una persona semper habet consortium societatis alterius personae connaturalis et similis sibi

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après le Philosophe [ VII Métaphysique, texte 20], ¨seul¨  s’identifie à ne pas être avec un autre, en quoi la communauté disparaît. Donc, ce terme ¨seul¨ peut faire disparaître la communauté soit  absolument, soit par rapport à un aspect. Et on dit qu’il fait disparaître la communauté absolument quand il retire l’association avec l’autre qui est de même nature et de même condition que lui ; par exemple, nous disons qu’un homme est seul dans la maison bien qu’il y ait là plusieurs animaux ; et nous disons qu’un religieux marche seul lorsqu’il va sans aucun membre de son ordre, même si plusieurs autres personnes l’accompagnent ; et alors ¨seul¨ signifie la même chose que solitaire, et il est aussi un terme catégorématique impliquant la solitude sur le sujet comme le ferait tout autre adjectif ; et en ce sens le terme ¨seul¨ ne peut être admis pour les personnes divines, car une des personnes possède toujours une communauté d’association avec les autres qui sont de même nature et semblables à elle.

Si autem excludat consortium respectu alicujus determinati, tunc dictio est syncategorematica, importans aliquem ordinem vel habitudinem unius ad alterum, ratione negationis implicitae, magis quam implicans formam aliquam ; et secundum hoc dico, quod haec est duplex: solus Deus creat ; quia removet consortium alterius a forma subjecti subintellecta implicatione, quod est, vel qui est ; et tunc est sensus: « Solus Deus », idest ille qui ita est Deus quod praeter ipsum nullus alius est Deus, « creat », et sic vera est. Vel removet consortium in participatione praedicati, et in hoc etiam sensu vera est: est enim sensus, quod nullus alius praeter Deum creet. Et idem est judicium de hac: « Solus Pater est Pater » ; vel: « Solus Pater generat ». Omnes enim hujusmodi in primo sensu sunt falsae et in duobus aliis verae.

Mais si le terme ¨seul¨ exclut la communauté par rapport à quelque chose de déterminé, alors il est syncatégorématique, impliquant un ordre ou un rapport à un autre, en raison d’une négation implicite plus qu’en impliquant une forme ; et suivant cela je dis que cet énoncé : ¨seul Dieu crée¨, est double, car ou bien il retire la communauté d’un autre de la forme du sujet par une implication sous-entendue, à savoir ¨ce qui est¨ ou ¨qui est¨ ; et alors la signification est la suivante : ¨Seul Dieu¨, c’est-à-dire celui qui est Dieu de telle manière qu’en dehors de Lui aucun autre n’est Dieu, ¨crée¨, et en ce sens l’énoncé est vrai. Ou bien il retire la communauté dans la participation du prédicat et en cela aussi la signification est vraie car alors en effet le sens est qu’aucun autre en dehors de Dieu ne crée. Et on doit porter le même jugement sur les énoncés suivants, soit : ¨Seul le Père est Père¨, et ¨Seul le Père engendre¨. En effet, tous ces énoncés sont faux s’ils sont pris dans la première signification, mais vrais s’ils sont pris dans les deux autres significations.

[1655] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 1 Ex quo patet responsio ad primum, quod procedit secundum primum sensum.

Solutions:

1. De là apparaît clairement la réponse à la première difficulté qui procède d’après la première signification.

[1656] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut dicunt sophistae, dictio exclusiva immobilitat terminum cui adjungitur ratione negationis implicitae. Unde non sequitur: solus homo est rationalis ; ergo solus Socrates. Non enim omne quod est aliud a Socrate, est aliud ab homine. Unde negatio implicita in dictione exclusiva ad plura se extendit quando adjungitur proprio quam quando adjungitur communi. Sed verum est quod ratione affirmationis posset fieri descensus. Unde cum ista: « Solus Deus est Deus », habeat duas expositivas, unam affirmativam: « Deus est Deus », et alteram negativam, scilicet hanc: « Alius a Deo non est Deus », sub affirmativa potest fieri descensus, ut dicatur: « Pater est Deus », et non sub negativa: « Alius a Patre non est Deus ».

2. Il faut dire en deuxième lieu que tout comme le disent les philosophes, le terme exclusif immobilise (isole) le terme auquel il est ajouté en raison de la négation implicite. C’est pourquoi il ne s’ensuit pas : seul l’homme est rationnel, donc seul Socrate est rationnel. En effet, ce n’est pas tout ce qui est autre que Socrate qui est autre que l’homme. C’est pourquoi la négation implicite dans le terme exclusif s’étend à plus de choses quand il s’ajoute au propre que quand il s’ajoute au commun. Mais il est vrai qu’en raison d’une affirmation il pourrait y avoir une descente. C’est pourquoi puisque cet énoncé, à savoir ¨Seul Dieu est Dieu¨, possède deux explications, dont l’une est affirmative, soit : ¨Dieu est Dieu¨, et l’autre négative, soit : ¨Un autre que Dieu n’est pas Dieu¨, il peut y avoir une descente sous l’affirmative de manière à dire : ¨Le Père est Dieu¨, mais non pas sous la négative de manière à dire : ¨Un autre que le Père n’est pas Dieu¨.

[1657] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut dictum est, in corp. art., haec dictio « solus » privat consortium ; et quamvis, creaturis existentibus, non possit ab eo removeri consortium respectu hujus quod est esse, tamen potest removeri consortium respectu propriae suae operationis, quae est creatio, et etiam respectu propriae suae naturae. Unde, secundum Hilarium IV De Trinitate, remota distinctione personarum, etiam creaturis existentibus, Deus dicitur solitarius. Quamvis enim haec non esset vera: « Solus Deus est », haec tamen vera esset: « Deus est solus », idest solitarius.

3. Il faut dire en troisième lieu, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, que ce terme, ¨seul¨, prive de la communauté ; et bien que, les créatures existant, la communauté ne puisse lui être retirée par rapport à tout ce qui existe, cependant la communauté peut lui être enlevée par rapport à son opération propre, qui est la création, et même par rapport à sa nature propre. C’est pourquoi, d’après Saint-Hilaire [IV De la Trinité], une fois enlevée la distinction des personnes, même si les créatures existent, Dieu est dit solitaire. En effet, bien que cet énoncé ne serait pas vrai, à savoir ¨Seul Dieu existe¨, celle-ci cependant serait vraie : ¨Dieu est seul¨, c’est-à-dire solitaire.

[1658] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 1 ad 4 Quartum concedimus, quod procedit secundum tertium sensum.

4. Nous concédons la quatrième difficulté qui procède d’après la troisième signification du terme ¨seul¨.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2-

[1659] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 1 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, an haec sit vera: « Solus Deus est Pater », dicendum ; quod secundum tres sensus tripliciter potest judicari. Si enim haec dictio « solus » implicet solitudinem circa Deum, locutio falsa est. Si autem importat exclusionem a forma subjecti, vera est, et est sensus ; Deus, praeter quem non est alius, est Pater. Si autem removeat consortium a participatione praedicati, dico quod est duplex. Quia in nomine Patris potest intelligi tantum proprietas paternitatis prout praedicatum formaliter tenetur, et sic falsa est, quia paternitas non tantum in Deo est sed etiam in hominibus. Vel ipsa persona subsistens distincta paternitate ; et sic est vera, et hoc modo probatur et improbatur.

Corps de l’article :

Par rapport à ce qu’on cherche à savoir par la suite, à savoir s’il est vrai de dire ¨Seul Dieu est le Père¨, il faut dire qu’on peut en juger de trois manières différentes d’après les trois significations présentées plus haut. Si en effet ce terme, à savoir ¨seul¨, implique une solitude au sujet de Dieu, l’expression est fausse. Mais s’il implique une exclusion de la forme du sujet, elle est vraie et alors la signification est : Dieu, en dehors de qui il n’y en a aucun autre, est Père. Mais s’il écarte une communauté de la participation du prédicat, je dis alors qu’elle est double. Car par le nom de père on peut seulement entendre la propriété de la paternité selon que le prédicat est pris formellement et ainsi l’expression est fausse car la paternité ne se retrouve pas seulement en Dieu mais aussi chez les hommes. Mais on peut aussi entendre par le nom de ¨père¨ la personne même qui subsiste par une paternité distincte et ainsi l’énoncé est vrai ; et c’est de cette manière que l’expression est à la fois approuvée et désapprouvée.

Tamen sciendum, quod paternitas non est ejusdem rationis secundum univocationem in Deo et in creaturis, quamvis sit eadem ratio secundum analogiam, quae quidem aliquid habet de identitate rationis, et aliquid de diversitate. Unde etiam si praedicatum sumatur formaliter. Tamen potest aliquo modo vera esse: « Solus Deus est Pater », et secundum eumdem modum loquendi quo dicitur Luc. XVIII, 19: « Nemo bonus nisi solus Deus ».

Il faut cependant savoir que la paternité n’a pas la même nature en Dieu et dans les créatures suivant une attribution univoque, bien que la notion soit la même selon l’analogie, analogie dont la notion est en partie identique, en partie différente. C’est pourquoi même si le prédicat se prend formellement, cet énoncé peut cependant être vrai en un sens : Seul Dieu est Père¨, et cela de la même manière dont on parle lorsqu’on dit [Luc, XVIII, 19] : ¨Personne n’est bon, que Dieu seul¨.

 

 

Articulus 2 [1660] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 tit. Utrum ista propositio, « Solus Pater est Deus », sit vera

Article 2 – Cette proposition : « Le Père seul est Dieu », est-elle vraie ?

[1661] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod haec sit vera: « Solus Pater est Deus », vel, « Solus Filius est Deus ». Sicut enim esse Deum convenit tribus personis, ita et esse altissimum. Sed de Filio legitur: « Tu solus altissimus ». Ergo potest dici: « Solus Filius est Deus ».

Difficultés :

1. Il semble que cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est vraie, ou même  encore cette autre : ¨Seul le Fils est Dieu¨. En effet, tout comme il appartient aux trois personnes d’être Dieu, de même il leur appartient de posséder l’existence la plus noble. Mais on lit au sujet du Fils : ¨Toi seul es le Très-Haut¨. On peut donc dire : ¨Seul le Fils est Dieu¨.

[1662] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, haec, « Solus Pater est Deus », habet duas expositivas: unam indefinitam, vel singularem, quae convertitur sicut particularis affirmativa, scilicet haec: « Pater est Deus » ; aliam negativam universalem, scilicet: « Nullus alius a Patre est Deus » ; et utraque harum convertitur simpliciter. Sed haec est vera in aliquo sensu: « Solus Deus est Pater ». Ergo a simplici conversa haec erit vera: « Solus Pater est Deus ».

2. Par ailleurs, cette proposition : ¨Seul le Père est Dieu¨, possède deux explications : la première, qui est indéfinie ou singulière, qui se convertit comme une particulière affirmative, à savoir celle-ci : ¨Le Père est Dieu¨ ; la deuxième, qui est une universelle négative, à savoir : ¨Nul autre que le Père n’est Dieu¨ ; et chacune de ces propositions se convertit simplement. Mais celle-là, à savoir ¨Seul Dieu est le Père¨, est vraie en un sens ; donc par une conversion simple celle-ci le sera aussi : ¨Seul le Père est Dieu¨.

[1663] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, si haec est falsa: « Solus Pater est Deus », hoc non erit nisi quia per dictionem exclusivam excluduntur aliae personae divinae a participatione praedicati. Sed per dictionem exclusivam adjunctam Patri non excluduntur Filius et Spiritus sanctus. Ergo haec est simpliciter vera: « Solus Pater est Deus ». Media probatur per auctoritatem Augustini in Littera qui dicit: « Si de solo Patre praedicta dicerentur, non tamen excluderetur Filius nec Spiritus sanctus, quia hi unum sunt ». Probatur etiam per rationem sic. Major est unio Filii ad Patrem, quam partis ad totum. Sed dictio exclusiva adjuncta toti, non excludit partem [ad partem Éd. De Parme]: non enim sequitur: solus Socrates est albus, ergo pes ejus non est albus. Ergo cum exclusio fiat ratione diversitatis, videtur quod non excludatur Filius per dictionem exclusivam adjunctam Patri.

3. En outre, si cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est fausse, cela ne sera possible que parce que les autres personnes divines sont exclues de la participation du prédicat par un terme exclusif. Mais le Fils et l’Esprit-Saint n’en sont pas exclues par le terme exclusif ajouté au Père. Donc cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, est vraie purement et simplement. La mineure est prouvée par l’autorité de Saint-Augustin dans le document lorsqu’il dit : ¨Si ce qui précède ne se disait que du seul Père, le Fils et l’Esprit-Saint n’en seraient cependant pas exclus, car ils ne font qu’un avec Lui¨. La mineure est aussi prouvée par le raisonnement suivant. L’union du Père au Fils est plus grande que celle d’une partie à son tout. Mais le terme exclusif ajouté au tout n’exclut pas la partie [à l’égard de la partie Éd. de Parme] : en effet, si seul Socrate est blanc, il ne s’ensuit pas que son pied n’est pas blanc. Donc, puisque l’exclusion a lieu en raison d’une diversité, il semble que le Fils ne soit pas exclu par un terme exclusif ajouté au Père.

[1664] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, dictio exclusiva non removet a consortio nisi hoc quod est separatum ab eo cui adjungitur. Sed Filius est in Patre, ut supra, distin. 9, quaest. 1, art. 1, probatum est. Ergo cum dicitur : « Solus Pater », non excluditur Filius.

4. De plus, le terme exclusif n’écarte de la communauté que ce qui est séparé de ce à quoi il est ajouté. Mais le Fils est dans le Père, ainsi que nous l’avons prouvé plus haut [dist. 9, quest. 1, art. 1]. Donc, lorsqu’on dit ¨Seul le Père¨, on n’exclut pas le Fils.

[1665] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, dictio exclusiva adjuncta antecedenti, non excludit consequens ; non enim sequitur: Solus homo currit, ergo animal non currit, vel: solum animal non currit, ergo homo non currit. Sed Filius sequitur ad Patrem, quia si Pater est, Filus est [quia…est om. éd. de Parme] et e converso, ut habitum est ex Ambrosio, dist. IX. Ergo videtur quod cum dicitur: « Solus Pater », non excludatur Filius nec e converso ; et ita haec erit vera: « Solus Pater est Deus ».

5. Par ailleurs, le terme exclusif ajouté à l’antécédent n’exclut pas le conséquent ; si en effet on dit que seul l’homme court, il ne s’ensuit pas que l’animal ne court pas ; ou bien si seul l’animal ne court pas, il ne s’ensuit pas que l’homme ne court pas. Mais le Fils suit le Père, car si le Père est, le Fils est [car…est om. Éd. de Parme] et inversement, comme nous l’avons établi en nous appuyant sur Saint-Ambroise à la distinction 1X. Il semble donc que lorsqu’on dit : ¨Seul le Père¨, le Fils n’est pas exclu, ni inversement ; et ainsi cette proposition sera vraie : ¨Seul le Père est Dieu¨.

[1666] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur.

Cependant :

1. Ce qu’on dit dans le document est contraire à ce qui précède.

[1667] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hujus propositionis: « Solus Pater est Deus », una expositiva est: Nullus alius a Patre est Deus. Sed haec est falsa, quia Filius, qui est alius a Patre, est Deus. Ergo haec est falsa: « Solus Pater est Deus ».

2. Par ailleurs, une des explications de cette proposition : ¨Seul le Père est Dieu¨, est la suivante : ¨Aucun autre que le Père n’est Dieu¨. Mais cette dernière est fausse, car le Fils, qui est autre que le Père, est Dieu. Donc la première proposition, ¨Seul le Père est Dieu¨, est fausse.

[1668] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum quosdam dictio exclusiva adjuncta uni relativorum in creaturis non excludit alterum: non enim sequitur: tantum Pater est, ergo Filius non est ; quia ad unum relativorum sequitur alterum. Sed hoc videtur esse falsum, quia dictio exclusiva adjuncta supposito excludit omne aliud suppositum. Unde cum Filius sit aliud suppositum a Patre, excluditur Filius, cum dicitur: « Solus Pater. » Nec hoc impeditur per hoc quod unum sine altero esse non potest: quia generatio etiam non potest esse sine alteratione et loci transmutatione ; et tamen cum dicitur: sola generatio est, excluditur omnis alia mutatio.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que  d’après certains le terme exclusif ajouté à un des relatifs dans les créatures n’exclut pas l’autre : si en effet on dit que Seul le Père existe, il ne s’ensuit pas que le Fils n’existe pas, car l’un des relatifs découle de l’autre. Mais cela semble être faux car le terme exclusif ajouté au suppôt exclut tout autre suppôt. C’est pourquoi, puisque le Fils est un autre suppôt que le Père, le Fils est exclu lorsqu’on dit : ¨Seul le Père¨. Et le fait que l’un ne peut exister sans l’autre n’empêche rien à cela car même la génération ne peut avoir lieu sans l’altération et le changement de lieu, et pourtant lorsqu’on dit ¨seule le génération est¨, on écarte tout autre changement.

Praeterea, quamvis relativa consequantur se in esse, non tamen consequuntur se in aliis praedicamentis: non enim sequitur, si pater est musicus, quod filius est musicus. Et praeterea, cum solus sit determinatio suppositi, excludit omne aliud suppositum. Diversitatem autem suppositorum non tollit relativorum consecutio. Unde non est aliqua ratio quare respectu horum praedicatorum, unum non excluderetur per exclusionem adjunctam alteri. Et ideo dicendum est, quod dictio exclusiva adjuncta Patri excludit Filium, quantum pertinet ad oppositionem relationis.

Par ailleurs, bien que les relatifs se suivent dans l’existence, ils ne se suivent cependant pas dans les autres prédicaments : en effet, si le père est musicien, il ne s’ensuit pas que le fils soit musicien. Et de plus, puisque le terme seul est une détermination du suppôt, il exclut tout autre suppôt. Mais la conséquence des relatifs ne fait pas disparaître la diversité des suppôts. C’est pourquoi il n’y a pas de raison pour laquelle l’un des relatifs ne serait pas exclu par l’exclusion ajoutée à l’autre par rapport à ces prédicats. Et c’est pourquoi il faut dire que le terme exclusif ajouté au Père exclut le Fils sous le rapport de l’opposition de relation.

Tamen intelligendum est quod diversimode se habet in creaturis et in divinis quantum ad duo:

primo, quia in creaturis pater et filius non sunt unum in essentia, unde filius est alius a patre, et aliud ; quod tamen non est verum in divinis.

Il faut cependant comprendre que cela se présente différemment dans les créatures et en Dieu sous deux aspects :

Premièrement parce que dans les créatures le père et le fils ne sont pas un, numériquement parlant, dans l’essence ; d’où le fils est autre que le père, et autre chose comme réalité ; ce qui n’est pas vrai pour les personnes divines.

Secundo, quia in creaturis per paternitatem additur novum esse quod est esse accidentale, et non idem, quod est esse subjecti. In divinis autem paternitas non addit secundum rem aliud esse quam esse essentiae, in quo Pater et Filius communicant

Deuxièmement parce que dans les créatures une nouvelle existence est ajoutée par la paternité, qui est une existence accidentelle et qui n’est pas identique à l’existence du sujet. Mais dans les personnes divines la paternité n’ajoute pas une autre existence en réalité à l’existence de l’essence dans laquelle le Père et le Fils communiquent.

Cum ergo loquimur in humanis, dicentes: « Solus pater », excluditur omnibus modis filius, quia filius est alius et aliud a patre. Et praeterea, si esset unum in essentia cum patre, adhuc excluderetur ab illo, inquantum est alius a patre secundum esse relationis superadditum essentiae ; unde secundum quid esset aliud a filio, quamvis in essentia convenirent.

Donc, lorsque nous parlons des humains en disant : ¨Seul le père¨, cela exclut le fils de toutes les manières, car le fils est quelqu’un d’autre et quelque chose d’autre que le père. Et par ailleurs, s’il était un avec son père dans l’essence, il en serait encore séparé selon qu’il est autre que le père selon l’existence de la relation ajoutée à l’essence ; c’est pourquoi il serait autre que le fils sous un rapport, bien qu’il serait un avec lui dans l’essence.

Sed in divinis Pater et Filius sunt unum in essentia, et tamen distinguuntur relationibus ; et tamen illae relationes non addunt aliquid secundum rem ad essentiam. Unde ratione illius distinctionis nullo modo potest dici Filius aliud a Patre, sed tantum alius.

Mais dans les personnes divines le Père et le Fils sont une seule et même essence, et ils se distinguent cependant par les relations ; et cependant ces relations n’ajoute rien en réalité à l’essence. C’est pourquoi on ne peut dire du fils en raison de cette distinction qu’il est  autre chose que le Père, mais seulement qu’il est un autre.

Unde cum dicitur: « Solus Pater », potest intelligi fieri exclusio « alius » masculine, et sic excluditur Filius: et hoc magis proprium est considerata consignificatione vocabulorum ; vel « aliud » neutraliter, et sic non excluditur Filius, quia Filius non est aliud a Patre, cum essentia divina quae est in Filio sit totum id quod est Pater, et non aliqua pars ejus.

C’est pourquoi, lorsqu’on dit : ¨Seul le Père¨, c’est pour ¨un autre¨ au masculin qu’on peut entendre qu’il y a exclusion, et ainsi c’est le Fils qui est exclu : et cela est davantage approprié si on considère la signification des termes ; ou bien on peut aussi entendre ¨quelque chose d’autre¨ au neutre, et en ce sens le Fils n’est pas exclu du Père, puisque l’essence divine qui est dans le Fils est la totalité de ce qu’est le Père et non une partie de ce qu’Il est.

Secundum hoc ergo haec est distinguenda: « Solus Pater est Deus », per tres sensus praedictos. Quia si « solus » implicet solitudinem circa Patrem, falsa est. Si autem excludit a forma subjecti, sic vera est ; et est sensus: ille qui est Pater, praeter quem nullus alius est Pater, est Deus. Si autem fiat exclusio a participatione praedicati, sic est duplex. Quia cum solus sit idem quod non cum alio, vel excludit alium masculine ; et sic est falsa, et sic primo negat eam Augustinus: vel excludit aliud ; et sic est vera, quia sic non excluditur Filius qui non est aliud a Patre ; et sic potest concedi, ut patet ex dictis Augustini supra positis.

Donc suivant cela cette proposition, à savoir ¨Seul le Père est Dieu¨, doit être distinguée d’après les trois significations précédentes. Car si ¨seul¨ implique une solitude du côté du Père, elle est fausse. Mais si elle exclut de la forme du sujet, alors elle est vraie et le sens sera : celui qui est Père, en dehors duquel nul autre n’est Père, est Dieu. Mais s’il y avait exclusion d’une participation du prédicat, alors elle serait double. Car puisque seul s’identifie à ne pas être avec un autre, ou bien il exclut un autre en tant que masculin et ainsi la proposition est fausse, et c’est ainsi que Saint-Augustin la nie en premier ; ou bien le terme ¨seul¨ exclut quelque chose d’autre et alors elle est vraie et ainsi le Fils, qui n’est pas quelque chose d’autre que le Père, n’est pas exclu. Et c’est en ce sens que la proposition peut être concédée comme on le voit à partir des paroles de Saint-Augustin présentées plus haut.

[1669] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum quod ista: « Solus Filius est altissimus », est distinguenda, sicut et prima ; et in aliquo sensu est vera, et in aliquo falsa. Et praeterea hoc quod dicitur: Tu solus altissimus Jesu Christe, intelligendum est cum toto hoc quod consequitur: « Cum sancto Spiritu in gloria Dei patris » ; et hoc est absolute verum, quod solus Filius cum Patre et sancto Spiritu est altissimus.

Solutions :

Il faut donc dire en premier lieu que cette proposition, à savoir : ¨Seul le Fils est le Très-Haut¨ doit être distinguée, comme c’était le cas pour la première ; et en un sens elle est vraie, et en un autre elle est fausse. Et par ailleurs, ce qui est dit, à savoir : Toi seul es le Très-Haut, Jésus-Christ, cela doit s’entendre avec tout ce qui suit, soit : ¨Avec l’Esprit-Saint dans la gloire de Dieu le Père¨ ; et cela est absolument vrai que seul le Fils, avec le Père et l’Esprit-Saint, est le Très-Haut.

[1670] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum quod haec: « Solus Deus est Pater », quantum ad hanc expositivam, « Deus est Pater », convertitur simpliciter ; sic: Pater est Deus. Similiter alia: « Nullus alius a Deo est Pater », convertitur simpliciter ; sed ejus conversa non est: « Nullus alius a Patre est Deus », cum non sit idem in subjecto et praedicato, sed magis ista: « Pater non est alius a Deo », quae quodammodo vera est, ut supra dictum est, in corp. art. ; et ex hoc non sequitur quod solus Pater sit Deus.

2. En deuxième lieu il faut dire que cette proposition : ¨Seul Dieu est le Père¨, quant à cette explication, ¨Dieu est le Père¨, se convertit simplement ainsi : le Père est Dieu. De la même manière, cette autre proposition : ¨Aucun autre que Dieu n’est Père¨, se convertit simplement, mais sa conversion n’est pas : ¨Nul autre que le Père n’est Dieu¨, car on n’a pas la même chose dans le sujet et le prédicat, mais plutôt elle se convertit ainsi : ¨Le Père n’est pas autre que Dieu¨, laquelle est vraie en un certain sens, comme nous l’avons dit plus haut dans le corps de l’article ; et de là il ne s’ensuit pas que seul le Père est Dieu.

[1671] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur « Solus Pater », excluditur Filius, si solus dicat idem quod non cum alio masculine ; si autem dicat idem quod non cum alio neutraliter, non excluditur ; et sic intelligitur dictum Augustini ; quod patet ex hoc quod dicit, quia hi tres unum sunt.

3. Il faut dire en troisième lieu que lorsqu’on dit ¨Seul le Père¨, cela exclut le Fils, si ¨seul¨ dit la même chose que ¨non avec un autre¨ au masculin ; mais s’il dit la même chose que ¨non avec un autre¨ au neutre, cela n’exclut pas le Fils ; et c’est ainsi que s’entendent les paroles de Saint-Augustin ; ce qui est clair à partir de ce qu’il dit car ces trois personnes ne sont qu’une seule et même chose.

[1672] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 1 a. 2 ad 4 Et ad id quod objicitur de parte et consequente, et de hoc quod unus est in alio, patet quod non sequitur ; quia pars non est aliud suppositum quam totum, immo includitur in supposito totius ; similiter hoc consequens quod est animal, non est aliud secundum suppositum ab homine. Et ideo quamvis Pater sit in Filio per unitatem essentiae, et quantum ad intellectum relationis ; tamen relatio, inquantum habet rationem oppositionis, distinguit Patrem a Filio secundum suppositum.

4. Et par rapport à ce qui est objecté au sujet de la partie et du conséquent, et au sujet de ce que l’un est dans l’autre, il est clair que la conclusion ne suit pas ; car la partir n’est pas un suppôt autre que le tout, au contraire elle est comprise dans le suppôt du tout ; et de la même manière ce conséquent qui est l’animal, en tant que suppôt, n’est pas autre que l’homme.  Et c’est pourquoi, bien que le Père soit dans le Fils par l’unité de l’essence et quant à l’intelligence de la relation, cependant la relation, en tant qu’elle a raison d’opposition, distingue le Père du Fils selon le suppôt.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Peut-on ajouter un mot exclusif en Dieu du côté du prédicat ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[1673] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 pr. Deinde quaeritur, quomodo possit addi ex parte praedicati dictio exclusiva in divinis ; et circa hoc duo quaeruntur: 1 utrum haec sit vera, « Trinitas est solus Deus » ; 2 utrum sit haec vera, « Pater est solus Deus ».

On se demande ensuite comment le terme exclusif peut être ajouté du côté du prédicat chez les personnes divines ; et à ce sujet on présente deux questions :

1. Est-ce que cette proposition, à savoir : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, est vraie ?

2. Est-ce que cette proposition, à savoir : ¨Le Père est le seul Dieu¨, est vraie ?

 

 

Articulus 1 [1674] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 tit. Utrum ista propositio, « Trinitas est solus Deus », sit vera

Article 1 – Cette proposition : « La Trinité est le seul Dieu », est-elle vraie ?

[1675] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod haec sit falsa, « Trinitas est solus Deus ». « Solus » enim est dispositio subjecti, sicut et « omnis ». Sed haec dictio « omnis » incongrue additur ad praedicatum. Ergo videtur quod etiam haec dictio « solus ».

Difficultés:

1. Il semble que cette proposition: ¨La Trinité est le seul Dieu¨, soit fausse. En effet, le terme ¨seul¨ est une disposition du sujet, comme c’est le cas pour le terme ¨tout¨. Mais il ne convient pas d’ajouter le terme ¨tout¨ au prédicat. Il semble donc qu’il en soit aussi de même pour le terme ¨seul¨.

[1676] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Philosophum, II Periher., lect. 4, nomina transposita et verba, idem significant. Si ergo haec est vera: Trinitas est solus Deus, haec etiam erit vera: Trinitas est Deus solus.

2. Par ailleurs, d’après le Philosophe [11 Perihermeneias, leçon 4], les noms et les verbes, une fois transposés, signifient la même chose. Si donc cette proposition est vraie, à savoir : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, cette autre proposition aussi sera vraie : ¨La Trinité est Dieu seul¨.

[1677] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, haec dictio solus est syncategorematica, et importat negationem. Sed negatio debet praecedere compositionem vel aliquid quod negetur. Cum autem dicitur sic : « Pater est solus Deus » nulla affirmatio [nihil éd. De Parme] sequitur. Ergo videtur quod locutio sit falsa vel incongrua, et sic idem quod prius.

3. En outre, ce terme ¨seul¨ est un terme syncatégorématique, et implique une négation. Mais la négation doit précéder la composition ou quelque chose qui est nié. Mais lorsqu’on parle ainsi : ¨Le Père est le seul Dieu¨, aucune affirmation [rien Éd. de Parme] ne suit. Il semble donc que l’expression soit fausse ou ne convienne pas, et ainsi la conclusion est identique à la précédente.

[1678] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, termini in praedicato tenentur formaliter. Sed solitudo non convenit formae, quia forma, quantum est de se, communicabilis est. Ergo videtur quod non debeat poni ex parte praedicati ; et sic idem quod prius.

4. De plus, les termes contenus dans le prédicat sont pris formellement. Mais la solitude ne convient pas à la forme car celle-ci, quant à ce qu’elle est en elle-même, est communicable. Il semble donc que le terme ¨seul¨ ne doive pas être placé du côté du prédicat. Et ainsi la conclusion est la même que la précédente.

[1679] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra est quod habetur in Littera.

Cependant :

1. Ce qui est établi dans le document est contraire aux conclusions qui précèdent.

[1680] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod istae dictiones exclusivae « solus », et « tantum » in hoc differunt, quod tantum, cum sit adverbium, et similiter solum determinat actum verbi, quia adverbium est adjectivum verbi ; unde cum verbum ratione compositionis conjungat praedicatum subjecto, et ad utrumque se habeat, congrue possunt ista adverbia tam ad subjectum quam ad praedicatum adjungi.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire  que ces termes exclusifs, à savoir ¨seul¨ et ¨uniquement¨ different en cela que ¨uniquement¨, puisqu’il est un adverbe, tout comme ¨seulement¨, determine l’acte du verbe, car un adverbe est un adjectif du verbe; c’est pourquoi, puisque le verbe en raison de la composition conjugue le prédicat au sujet et se rapporte aux deux, ces adverbes peuvent convenablement être ajoutés aussi bien au sujet qu’au prédicat.

Sed haec dictio « solus » cum sit nomen privans consortium, est determinatio ejus cum quo consortium potest haberi. Habetur autem consortium cum eo cui aliquid convenit, et hoc significatur ut subjectum ; unde proprie est dispositio subjecti.

Mais ce terme ¨seul¨, puisqu’il est un nom qui prive de la communauté, est une détermination de ce avec quoi il peut y avoir communauté. Mais la communauté est étblie avec ce à quoi quelque chose convient, et cela est signifié en tant que sujet ; c’est pourquoi ce terme est proprement une disposition du sujet.

Secundum haec igitur dicunt, quod est impropria: « Trinitas est solus Deus », quia si ly « solus » proprie tenetur, non additur ad praedicatum. Si autem teneatur pro ly « tantum » superflue additur praedicato essentiali vel substantiali, ut si diceretur: Socrates est tantum homo ; quia per dictionem exclusivam non potest excludi nisi natura extranea ab eo cui adjungitur.

D’après cela ils disent donc que l’énoncé suivant est impropre ; ¨La Trinité est le seul Dieu¨ ; car si le terme ¨seul¨ est pris proprement, il n’est pas ajouté au prédicat. Mais si à la place on prenait ¨uniquement¨, ce terme s’ajouterait inutilement au prédicat essentiel ou substantiel, comme si on disait : Socrate est uniquement un homme ; car au moyen d’un terme exclusif, il n’y a qu’une nature extérieure qui puisse être exclue de ce à quoi il s’ajoute.

Et hoc intelligitur etiam ex ipso praedicato substantiali ; ex hoc enim quod dicitur, Socrates est homo, intelligitur quod non est asinus vel equus. Et similiter dicunt, quod superflue additur, cum dicitur, Trinitas est tantum Deus: nisi addatur « unus », vel aliquis alius terminus accidentalis, qui possit inesse vel non inesse ; quia sic excluderetur oppositum unitatis quod est pluralitas.

Et cela s’entend aussi à partir du prédicat substantiel lui-même ; en effet, à partir de ce qui est dit, à savoir Socrate est un homme, on comprend qu’il n’est pas un âme ou un cheval. Et de la même manière ils disent que le terme exclusif s’ajoute inutilement lorsqu’on dit que la Trinité est uniquement Dieu, à moins qu’on ajoute ¨un¨, ou un autre terme accidentel qui pourrait appartenir ou ne pas appartenir ; car ainsi serait exclu l’opposé de l’unité qui est la pluralité.

Et dicunt, quod intentio Augustini non est dicere, quod hoc quod dico « Solus Deus » praedicetur de Trinitate, ut Magister innuit ; sed cum dicitur « Solus Deus », supponitur Trinitas, et non Pater vel Filius. Sed hoc non videtur multum necessarium.

Et ils disent que l’intention de Saint-Augustin n’est pas de dire que ce que je dis, à savoir ¨Seul Dieu¨, s’attribue à la Trinité, comme le Maître l’indiquait ; mais lorsqu’on dit ¨Seul Dieu¨, c’est la Trinité qui est supposée et non le Père ou la Fils. Mais cela ne semble pas être grandement nécessaire.

Quamvis enim ly « solus » sit dispositio subjecti, non tamen oportet quod addatur semper ad subjectum ; quia illud etiam quod in praedicato ponitur, potest significari ut suppositum alicui naturae vel proprietati, ratione cujus potest ab eo privari consortium, ut si diceretur: Socrates est solus homo sedens.

En effet, bien que ce ¨seul¨ soit une disposition du sujet, il n’est cependant pas nécessaire qu’il soit toujours ajouté au sujet ; car même ce qui est posé dans le prédicat, peut être signifié comme le suppôt d’une nature ou d’une propriété, en raison de quoi la communauté peut être retirée de lui, comme si on disait : Socrate est le seul homme assis.

Similiter dico in proposito, quod alio modo praedicatur hoc nomen « Deus » de tribus personis, et hoc nomen homo de Socrate et Platone. Cum enim non praedicetur de utroque nisi id quod utrique commune est ; utrique autem non est commune nisi natura humana, quae in se considerata non est quid subsistens ; constat quod iste terminus « homo » non praedicat aliquam rem subsistentem, sed solum naturam inhaerentem, et ut inhaerentem ; et ideo non potest sibi fieri additio hujus dictionis « solus », quae privat consortium.

De la même manière je dis dans notre propos que le nom ¨Dieu¨ s’attribue aux trois personnes d’une manière autre que le nom ¨homme¨ s’attribue à Socrate ou à Platon. En effet, puisque ne s’attribue aux deux que ce qui leur est commun et qu’il n’y a que la nature humaine qui soit commune aux deux, qui en elle-même n’est pas quelque chose de subsistant, il est clair que ce terme ¨homme¨ n’attribue pas une réalité subsistante, mais seulement une nature inhérente et en tant qu’elle est inhérente ; et c’est pourquoi il ne peut y avoir là addition de ce terme ¨seul¨ qui prive d’une communauté.

Naturae enim communis non est ut ipsa habeat consortium, sed in ipsa consortium habeatur. Sed iste terminus Deus praedicat naturam divinam de tribus personis, quae etiam in se est habens esse subsistens nulla personarum distinctione intellecta. Unde quamvis praedicet naturam divinam ut naturam divinam et non ut quid subsistens, nihilominus tamen hoc quod praedicat, quid subsistens est ; et ideo habet rationem ut in ipsa sit consortium, prout significatur in quo est, et ut ipsius sit consortium, secundum aliquid sibi conveniens, prout significatur ut quid est.

En effet, il n’appartient pas à une nature commune de posséder elle-même une communauté, mais qu’en elle une communauté soit possédée. Mais ce terme ¨Dieu¨ attribue la nature divine aux trois personnes, laquelle nature, ne comprenant aucune distinction des personnes divines, possède aussi en elle une existence subsistante. C’est pourquoi, bien que le terme Dieu attribue la nature divine en tant que nature divine et non en tant que quelque chose de subsistant, néanmoins cependant ce qu’il attribue est quelque chose de subsistant ; et c’est pourquoi elle a raison d’avoir en elle une communauté, selon qu’est signifié ce en quoi elle est, et que la communauté lui appartienne en tant que quelque chose qui lui appartient, selon qu’elle est signifiée en tant que nature.

[1681] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod diversimode haec dictio « omnis » est dispositio subjecti, et haec dictio solus: quia per hanc dictionem « omnis », ratione distributionis importatur quaedam divisio subjecti, et multiplicatio ratione contentorum. Unde incongrue additur his sub quibus non est accipere aliquam multitudinem suppositorum, ut terminis singularibus. Et propter hoc etiam ex parte praedicati poni non potest ; quia praedicatum sumitur formaliter, et in forma communi uniuntur supposita, non distinguuntur. « Solus » autem non dicit aliquam divisionem, sed tantum removet consortium respectu alicujus quod convenit rei subsistenti. Unde si praedicetur aliqua res subsistens, convenienter potest sibi addi « solus », sicut cum praedicatur hoc nomen « Deus ».

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu  que c’est d’une manière différente que les termes ¨tout¨ et ¨seul¨ sont des dispositions du sujet : car au moyen du terme ¨tout¨ une certaine division du sujet est impliquée en raison de la distribution, tout comme une certaine multiplication en raison de ce qui y est contenu. C’est pourquoi il ne convient pas de l’ajouter aux termes sous lesquels il n’y a pas à prendre une certaine multiplicité de suppôts, par exemple à des termes singuliers. Et c’est pour cette raison aussi qu’il ne peut être placé du côté du prédicat ; car le prédicat se prend formellement et les suppôts sont unis et non séparés dans une forme commune. Mais le terme ¨seul¨ ne renvoie pas à une division, mais il enlève seulement une communauté par rapport à quelque chose qui convient à une réalité subsistante. C’est pourquoi, si une réalité subsistante est attribuée, on peut convenablement lui attribuer le terme ¨seul¨, comme lorsqu’on attribue le terme ¨Dieu¨.

[1682] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum haec dictio « solus » ex parte praedicati sequitur suum substantivum, semper implicat solitudinem. Tunc enim excluditur consortium simpliciter, et non respectu alicujus determinati, cum nihil sequatur. Et ideo quamvis concedatur haec, « Trinitas est solus Deus », non tamen conceditur, proprie loquendo, « Trinitas est Deus solus » ; et hoc accidit ratione negationis importatae. Unde non est idem judicium de hoc homine « solus », et de hoc nomine « albus » ; differt enim negatio postposita et praeposita termino.

2. Il faut dire en deuxième lieu que lorsque ce terme ¨seul¨ suit son substantif du côté du prédicat, il implique toujours la solitude. Alors en effet la communauté est exclue absolument, et non par rapport à quelque chose de déterminé, puisque rien ne suit. Et c’est pourquoi, bien qu’il faille concéder cette proposition : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, on ne concède cependant pas, à proprement parler, celle-là : ¨La Trinité est Dieu seul¨ ; et cela se produit en raison de la négation impliquée. C’est pourquoi le jugement au sujet de cet homme ¨seul¨ n’est pas identique au jugement au sujet de cet homme ¨blanc¨ ; en effet, la négation qui suit le terme diffère de celle qui le précède.

[1683] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in hac propositione, « Trinitas est solus Deus vel solus verus Deus », intelligitur duplex compositio ; una principalis, quae est importata per verbum ; et alia intelligitur in hoc nomine « Deus », prout significatur habens deitatem. Unde ratione hujus compositionis potest fieri exclusio, secundum quod aliquid excluditur a participatione formae praedicati, quae convenit rei subsistenti praedicatae.

3. Il faut dire en troisième lieu que dans cette proposition, à savoir : ¨La Trinité est le seul Dieu ou le seul vrai Dieu¨, on entend deux compositions : la première et la principale, qui est impliquée par le verbe ; la deuxième qui est comprise dans le nom ¨Dieu¨, selon qu’il signifie celui qui possède la divinité. C’est pourquoi, en raison de cette composition il peut se produire une exclusion, selon que quelque chose est exclu de la participation à la forme du prédicat qui convient à la chose subsistante dont on parle.

[1684] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen « Deus » non praedicat naturam divinam solum per modum formae, sicut alia praedicata substantialia, prout significatur natura divina ut quo est, sed ut rem subsistentem, prout significatur ut quod est ; et secundum hoc potest ei addi « solus ». Dictum enim est supra, distin. 19, quaest. 4, art. 2, quod hoc nomen « Deus » partim habet rationem termini communis, et partim rationem termini singularis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que ce nom, ¨Dieu¨, n’attribue pas la nature divine seulement à la manière d’une forme, comme les autres prédicats substantiels, selon que la nature divine serait signifiée en tant que ¨ce par quoi¨, mais comme une réalité subsistante, selon qu’elle est signifiée en tant que ce qui est ; et en ce sens on peut lui ajouter le terme ¨seul¨. Nous avons dit en effet plus haut [dist. 19, quest. 4, art. 2] quece nom ¨Dieu¨ a en partie raison de terme commun et en partie raison de terme singulier.

 

 

Articulus 2 [1685] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 tit. Utrum pater sit solus Deus

Article 2 – Le Père est-il le seul Dieu ?

[1686] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater sit solus Deus. Omne enim quod praedicatur de tribus personis simul sumptis, est praedicatum essentiale. Sed hoc quod dico, « solus Deus » est hujusmodi, dicitur enim: « Trinitas est solus Deus ». Ergo videtur, cum omne praedicatum essentiale possit dici de patre, quod possit dici: « Pater est solus Deus ».

Difficultés :

1. Il semble que le Père soit le seul Dieu. En effet, tout ce qui s’attribue aux trois personnes prises simultanément est un prédicat essentiel. Mais ce que j’appelle ¨seul Dieu¨ est un attribut de cette sorte, car on dit en effet : ¨la Trinité est le seul Dieu¨. Il semble donc, puisque tout prédicat essentiel peut se dire du Père, qu’on puisse aussi dire : ¨Le Père est le seul Dieu¨.

[1687] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, Pater est Deus, et non est aliud quam Deus. Ergo est solus Deus.

2. Par ailleurs, le Père est Dieu et il n’est pas autre chose que Dieu. Donc, il est le seul Dieu.

[1688] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, constat quod non est nisi unus solus Deus. Sed ille Deus praeter quem non est alius [praeter… alius om. Ed. de Parme] Deus, est Pater. Ergo Pater est unus solus Deus.

3. En outre, il est clair qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Mais ce Dieu en dehors duquel il n’y  a pas un autre [en dehors…un autre om. Éd. de Parme] Dieu, est le Père. Donc le Père est l’unique et seul Dieu.

[1689] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur.

Cependant :

1. Ce qu’on dit dans le document est contraire à ces conclusions.

[1690] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum dicitur, « Pater est solus Deus », haec dictio « solus » quamvis ex parte praedicati ponatur, tamen potest intelligi ex parte subjecti ; ut cum dicitur: est homo albus, intelligitur homo est albus ; et tunc erit idem judicium de hac sicut et de illa quae supra, art. antec., dicta est: « Solus Pater est Deus ». Si autem intelligatur ex parte praedicati, tunc uno modo potest intelligi, quod ly « solus » ponatur pro « tantum », et sic erit vera.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que lorsqu’on dit : ¨Le Père est le seul Dieu¨, ce terme, ¨seul¨, bien qu’il soit posé du côté du prédicat, peut cependant s’entendre comme étant du côté du sujet ; comme lorsqu’on dit : il est un homme blanc, on entend : l’homme est blanc ; et alors le jugement sur cette proposition sera identique à celui qu’on portait sur la proposition dont on parlait dans l’article précédent : ¨Seul le Père est Dieu¨. Mais si on l’entend du côté du prédicat, alors on ne peut l’entendre que d’une seule manière, à savoir que ce ¨seul¨ est pris pour ¨seulement¨, et ainsi elle sera vraie.

Nec erit superflua additio ; quia Filius quamvis sit Deus, non tamen est tantum Deus, quia est etiam homo, quod de Patre dici non potest, cum tamen Pater humanam naturam assumere potuerit. Sed sic non accipitur hic. Si autem ly « solus » sumatur proprie, tunc habet proprietatem ista locutio, secundum quod hoc praedicatum « Deus » non tantum praedicat naturam deitatis ut formam, sed ut quid subsistens.

Et dans ce cas l’addition se sera pas inutile car le Fils, bien qu’il soit Dieu, n’est cependant pas seulement Dieu parce qu’il  est aussi homme, ce qui ne peut être dit du Père, bien que le Père aurait cependant pu prendre la nature humaine. Mais ce n’est pas ainsi qu’on le prend ici. Mais si le ¨seul¨ se prend proprement, alors cette expression possède la propriété selon laquelle ce prédicat ¨Dieu¨ n’attribue pas seulement la nature de la divinité en tant que forme, mais aussi en tant qu’être subsistant.

Dico igitur, quod cum dicitur, « Pater est solus Deus », locutio est duplex. Quia ly « solus » potest excludere omne aliud a Patre a participatione formae praedicati ; et sic vera est ; sic enim non excluditur Filius neque Spiritus sanctus ; qui non sunt aliud a supposito Patris. Si autem excludat alium masculine, tunc est falsa: in quo tamen sensu vera est ista, « Trinitas est solus Deus » ; quia cum ly « Deus » praedicet non tantum naturam, sed etiam suppositum, quando praedicatur de Trinitate praedicat suppositum totius Trinitatis ; et ideo etiam si fiat exclusio ratione alterius suppositi, vera est: quia nullum aliud suppositum extra Trinitatem, sicut nec alia natura, Deus est. Sed cum dicitur: « Pater est Deus », ly « Deus » praedicat suppositum Patris ; unde si fiat exclusio respectu ejus quod est aliud suppositum a Patre, est falsa ; et in hoc sensu negatur ; si autem ejus quod est aliud in natura a Patre, vera est.

Je dis donc que lorsqu’on dit : ¨Le Père est le seul Dieu¨, l’énoncé est double. Car ce ¨seul¨ peut exclure ce qui est d’une toute autre nature que le Père de la participation de la forme du prédicat ; et ainsi il est vrai ; ainsi en effet, ni le Fils ni l’Esprit-Saint n’est exclu, lesquels ne sont pas autre chose que le suppôt du Père. Mais s’il excluait un autre au masculin, alors il serait faux : c’est cependant en ce sens que cette proposition est vraie : ¨La Trinité est le seul Dieu¨ ; car lorsque ¨Dieu¨ attribuera non seulement la nature mais aussi le suppôt, quand il est attribué à la Trinité il attribue le suppôt de toute la Trinité ; et c’est pourquoi encore s’il se produit une exclusion en raison d’un autre suppôt, il est vrai : car il n’y a aucun autre suppôt en dehors de la Trinité, ni aucune autre nature, qui est Dieu. Mais lorsqu’on dit ¨Le Père est Dieu¨, ce ¨Dieu¨ attribue le suppôt du Père ; et s’il y avait exclusion par rapport à ce qui est un autre suppôt que le Père, il est faux ; et en ce sens il est nié ; mais si l’exclusion a lieu par rapport à ce qui est d’une autre nature que le Père, alors l’énoncé est vrai.

[1691] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod secundum quod ly « solus » excludit suppositum extraneum, et non solum extraneam naturam, ad plura extendit se negatio implicita, cum dicitur: « Pater est solus Deus », quam cum dicitur: « Trinitas est solus Deus ». Quia in hac cum dicitur: « Pater est solus Deus », excluditur etiam suppositum Filii et Spiritus sancti. Et ideo haec est falsa, secundum illum intellectum, « Pater est solus Deus » ; quamvis haec sit vera, « Trinitas est solus Deus ». Nec hoc est ratione praedicati essentialis, sed ratione negationis excludentis suppositum illud.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que selon que ce ¨seul¨ exclut un suppôt extérieur et non seulement une nature extérieure, la négation implicite s’étend à un plus grand nombre lorsqu’on dit : ¨Le Père est le seul Dieu¨ que lorsqu’on dit : ¨La Trinité est le seul Dieu¨. Car dans celle dans laquelle on dit :¨Le Père est le seul Dieu¨, on exclut aussi le suppôt du Fils et celui de l’Esprit-Saint. Et c’est pourquoi cet énoncé, à savoir : ¨Le Père est le seul Dieu¨, est faux suivant cette conception, bien que celle-ci : ¨La Trinité est le seul Dieu¨, soit vraie. Et cela n’est pas en raison du prédicat essentiel, mais en raison de la négation qui exclut ce suppôt.

[1692] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum, dicendum, quod si ly « solus » proprie sumatur, non est illa expositio ejus, sed magis esset expositio ejus si « solus » sumeretur pro « tantum », et in hoc sensu concessa est.

2. Il faut dire en deuxième lieu que si ce ¨seul¨ est pris proprement, cette explication ne convient pas à cet énoncé, mais elle lui conviendrait davantage si ¨seul¨ était pris pour ¨seulement¨, et en ce sens elle est concédée.

[1693] Super Sent., lib. 1 d. 21 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si ly « solus » proprie sumatur, per illud argumentum non probatur quod sit vera: « Pater est solus Deus », sed magis quod ista est vera: « Solus Deus est Pater », et haec secundum aliquem sensum supra concessa est. Si autem assumatur, Pater est ille Deus, praeter quem non est alius, haec propositio est multiplex: quia hoc relativum quem potest referre distinctum suppositum Patris ut sit sensus: praeter Patrem non est alius. Et si intelligatur: non est alius Deus, verum est, quia Filius non est alius Deus a Patre ; si autem intelligatur: praeter Patrem non est alius qui sit Deus, falsa est, quia Filius est alius a Patre, qui tamen est Deus. Si vero relativum referat suppositum indistincte, secundum quod supponit hoc nomen Deus cum dicitur: « Deus » est unus, tunc est vera in omni sensu. Et sic patet quod non concludetur propositum, nisi per modum quo propositio dicta concessa est in distinctione supra posita.

3. En troisième lieu il faut dire que si ce ¨seul¨ est pris proprement, on ne prouve pas par cet argument que cet énoncé, à savoir ¨Le Père est le seul Dieu¨, est vrai, mais plutôt que cet autre énoncé est vrai : ¨Le seul Dieu est le Père¨, et celle-ci en un certain sens a été concédée plus haut. Mais si on assume quele Père est ce Dieu  en dehors duquel il n’y en a pas un autre, cette proposition peut se prendre de plusieurs manières : car ce relatif,¨duquel¨, peut renvoyer au suppôt distinct du Père de  manière à ce que le sens soit : en dehors du Père il n’y a pas un autre . Et si on comprend : il n’y a pas un autre Dieu, elle est vraie, car le Fils n’est pas un autre Dieu que le Père ; mais si on comprend par là : en dehors du Père il n’y en a pas un autre qui soit Dieu, alors elle est fausse car le Fils est autre que le Père et cependant il est Dieu. Mais si le relatif représente le suppôt d’une manière indistincte, selon que le suppose ce nom ¨Dieu¨ lorsqu’on dit : ¨Dieu¨ est un, alors la proposition est vraie dans tous les sens. Et ainsi il est clair que le propos n’est conclu que de la manière par laquelle la proposition dont on parle a été concédée dans la distinction présentée plus haut.

 

 

Distinctio 22

Distinction 22 – [Les noms divins – suite]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le nom attribué à Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quaeruntur quatuor:

1 utrum Deus sit nominabilis ;

2 an aliquod nomen proprie ei conveniat, vel omnia nomina de eo transumptive dicantur ;

3 utrum sit nominandus uno tantum nomine, vel pluribus, vel etiam omnibus ;

4 quaeritur de multiplicatione divinorum nominum in littera posita.

La recherche porte ici sur quatre points :

1. Est-ce qu’un nom peut être attribué à Dieu ?

2. Est-ce qu’un nom lui convient proprement ou bien tout nom lui est attribué par métaphore ?

3. Doit-il être nommé d’un seul nom, de plusieurs ou même de tous ?

4. Pourquoi retrouve-t-on dans ce document une multitude de noms ?

 

 

Articulus 1 [1696] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus sit nominabilis

Article 1 – Est-ce que Dieu peut être désigné par un nom ?

[1697] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit nominabilis, per id quod dicit Dionysius I cap. De divinis nominibus, col. 586, de Deo loquens: « Omnibus autem universaliter incomprehensibilis est, et neque sensus ejus est, neque phantasma, neque opinio, neque nomen, neque sermo, neque tactus, neque scientia ». Hoc etiam videtur per hoc quod dicit philosophus Lib. De causis proposit. 6: « Causa prima superior est narratione, et deficiunt linguae a narratione ejus ».

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne puisse être nommé, d’après ce qu’en dit Denys [Les Noms Divins, ch. 1, col. 586] lorsqu’il parle de Dieu : ¨ Mais Dieu dépasse absolument toute compréhension et aucune sensation, aucune image, aucune opinion, aucun nom, aucun discours, aucun toucher, aucune science ne peuvent l’atteindre¨. La même conclusion semble découler de ce qu’en dit le Philosophe [Livre des Causes, proposit. 6] : ¨La cause première dépasse tout discours et les langues sont impuissantes à le faire connaître¨.

[1698] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 2 Item, omne nomen est signum alicujus formae existentis in anima, secundum philosophum in prol. I Periher. Sed, sicut dicit Augustinus, Deus, qui omnem formam subterfugit, intellectui pervius esse non potest. Ergo videtur quod nullo nomine possit nominari.

2. En outre, d’après le Philosophe [1 Perihermeneias, prologue], tout nom est le signe d’une forme qui existe dans l’âme. Mais, tout comme le dit Saint-Augustin, Dieu, qui échappe à toute forme, ne peut être accessible à l’intelligence. Il semble donc qu’il ne puisse être nommé par aucun nom.

[1699] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, si nominatur, aut nominatur per nomen, aut per pronomen, aut per verbum, aut per participium. Sed non potest nominari per nomen, cum omne nomen significet substantiam cum qualitate ; in Deo autem nulla est compositio substantiae et qualitatis ; nec per verbum, nec per participium, quae tempus consignificant, quod a Deo longe est ; nec per pronomen, cum pronominis significatio determinetur per demonstrationem vel relationem ; demonstratio autem fit mediantibus accidentibus, quae in Deo non sunt, et relatio est antedictae rei recordatio, et sic per relationem significari non potest, nisi aliquid aliud praesupponatur vel praenominetur. Ergo videtur quod nullo modo possit nominari.

3. Par ailleurs, s’il est nommé, ou bien il est nommé par un nom, ou bien par un pronom, ou bien par un verbe ou un participe. Mais il ne peut être nommé par un nom, puisque tout nom signifie une substance avec une qualité ; mais en Dieu il n’y a nulle composition d’une substance avec une qualité ; et il ne peut être nommé par un verbe ni par un participe car ces derniers consignifient le temps qui est étranger à Dieu ; et il ne peut non plus être nommé par un pronom, puisque la signification d’un pronom est déterminée par une démonstration ou une relation ; mais il n’y a démonstration au moyen d’accidents, lesquels n’existent pas en Dieu, alors que la relation est un rappel de la chose dont on vient de parler et ainsi ne peut être signifié par une relation que quelque chose d’autre qui est présuppposé ou prénommé. Il semble donc que Dieu ne puisse être nommé d’aucune manière.

[1700] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, in ps. LXVII, 5, dicitur: Dominus nomen illi ; et Exod. III, 13: « Si quaesierint nomen meum… » et cetera.

Cependant :

1. On dit au contraire [Psaume LXVII, 5] : Le Seigneur est son nom ; et ailleurs on dit encore [Exode 111, 13] : ¨S’ils te demandent mon nom…¨ etc.

[1701] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omne quod cognoscitur, potest etiam voce significari. Sed nos aliquo modo cognoscimus Deum vel per fidem vel per naturalem cognitionem. Ergo possumus eum nominare.

2. Par ailleurs, tout ce qui est connu peut aussi être signifié par un son de voix. Mais nous pouvons en quelque sorte connaître Dieu soit par la foi, soit par la connaissance naturelle. Nous pouvons donc le nommer.

[1702] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod cum voces sint signa intellectuum, secundum philosophum, idem judicium est de cognitione rei et nominatione ejus. Unde sicut Deum imperfecte cognoscimus, ita etiam imperfecte nominamus, quasi balbutiendo, ut dicit Gregorius. Ipse autem solus seipsum comprehendit ; et ideo ipse solus seipsum perfecte nominavit, ut ita dicam, verbum coaequale sibi generando.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que puisque les mots sont les signes des concepts d’après le Philosophe, le jugement sur le nom d’une réalité est le même que celui qu’on porte sur la connaissance de la chose. De là, tout comme nous connaissons Dieu d’une manière imparfaite, de même nous le nommons d’une manière imparfaite, comme en balbutiant, ainsi que le dit Saint-Grégoire. Mais Dieu seul se comprend lui-même, et c’est pourquoi il n’y a que Lui qui puisse se nommer parfaitement et, pour le dire ainsi, au moyen d’un verbe qui lui est égal quand il l’engendre

[1703] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod omnes auctoritates quae dicunt Deum esse innominabilem, intendunt dicere, quod nullum nomen exprimit perfecte ipsum Deum: quod significatur in verbis philosophi, qui dicit, lib. De causis, proposit. 6) quod « Linguae deficiunt a narratione ejus ; et quod alibi dicit, proposit. 22: causa prima superior est omni narratione, et supra omne id quod nominatur ».

Solutions ;

1. Il faut donc dire en premier lieu que tous les  témoignages d’autorité qui disent que Dieu ne peut être nommé cherchent à dire qu’aucun nom n’exprime parfaitement Dieu lui-même : et c’est là ce qui est signifié par les paroles du Philosophe qui dit [Des Causes, prop. 6] que ¨Les langues sont impuissates à le raconter¨ ; et il dit plus loin [De Causis, prop. 22] : ¨La cause première dépasse tout discours et tout ce qui peut être nommé¨.

[1704] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si Augustinus intelligat de forma corporali, sic planum est quod Deus non habet formam corporalem, nec oportet quod omne quod nominatur, formam corporalem habeat. Si autem intelligat de forma absolute, tunc dicitur omnem formam subterfugere, non quia ipse in se non sit vere forma, cum ipse sit purus actus et simplex et prima forma, secundum Boetium, lib. De Trinit., cap. II, col. 1250, sed quia quamcumque formam intellectus concipiat, Deus subterfugiat illam sui eminentia. Si enim intellectus noster apprehendit sapientiam, ipse Deus in sapientia sua excedit omnem sapientiam a nobis intellectam. Et ideo concludit quod non est pervius nostro intellectui, ita quod in ipsum ire perfecte comprehendendo possit. Propter quod etiam Dionysius dicit, cap. II, Caelest. Hierar., col. 135), quod quidquid de ipso affirmamus, potest etiam de ipso negari: quia sibi non competit secundum hoc quod nos intelligimus et nomine significamus, sed excellentius.

2. Il faut dire en deuxième lieu que si Saint-Augustin entendait parler de la forme corporelle, alors il est clair que Dieu ne possède pas de forme corporelle, et il n’est pas nécessaire que tout ce qui est nommé possède une forme corporelle. Mais s’il entend parler de la forme prise absolument, alors on dit de Dieu qu’il échappe à toute forme, non pas parce que Lui-même n’est pas une véritable forme, puisque Lui-même est un acte pur et simple et une forme première selon Boèce [De la Trinité, ch. 11, col. 1250], mais parce que Dieu, par son excellence, échappe à toute forme que l’intelligence conçoit. Si en effet notre intelligence appréhende quelque chose de la sagesse, Dieu lui-même dans sa sagesse dépasse toute sagesse que nous pouvons saisir. Et c’est pourquoi Saint-Augustin conclut que Dieu n’est pas accessible à notre intelligence, de telle manière qu’elle ne puisse aller parfaitement vers Lui d’une connaissance compréhensive. Et c’est pour cette raison que Denys dit aussi [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, col. 135] que tout ce que nous pouvons affirmer de Dieu, nous pouvons aussi le nier : car cela ne lui appartient pas suivant ce que nous pouvons en comprendre et signifier par un nom, mais d’une manière plus excellente encore.

[1705] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potest significari et nomine et pronomine et verbo et participio. Cum enim dicitur, quod nomen significat substantiam cum qualitate, non intelligitur qualitas et substantia proprie, secundum quod logicus accipit praedicamenta distinguens. Sed grammaticus accipit substantiam quantum ad modum significandi, et similiter qualitatem ; et ideo, quia illud quod significatur per nomen significatur ut aliquid subsistens, secundum quod de eo potest aliquid praedicari, quamvis secundum rem non sit subsistens, sicut albedo dicit, quod significat substantiam, ad differentiam verbi, quod non significat ut aliquid subsistens. Et quia in quolibet nomine est considerare id a quo imponitur nomen, quod est quasi principium innotescendi, ideo quantum ad hoc habet modum qualitatis, secundum quod qualitas vel forma est principium cognoscendi rem.

3. Il faut dire en troisième lieu que Dieu peut être signifié à la fois par un nom, un pronom, un verbe et un participe. En effet, lorsqu’on dit que le nom signifie une substance avec une qualité, on n’entend pas la substance et la qualité au sens propre, selon que le logicien les prend en distinguant les prédicaments. Mais le grammairien prend la substance, comme la qualité, quant au mode de signifier ; et c’est pourquoi , parce que ce qui est signifié par le nom est signifié comme quelque chose de subsistant selon qu’on peut lui attribuer quelque chose, bien qu’en réalité il ne soit pas subsistant comme c’est le cas pour la blancheur, il signifie à la manière d’une substance à la différence du verbe qui ne signifie pas comme quelque chose de subsistant. Et parce que pour tout nom il faut considérer ce à partir de quoi le nom est imposé et qui est comme le principe qui fait connaître, c’et pourquoi quant à cela le nom possède le mode de la qualité, selon que la qualité ou la forme est le principe qui fait connaître la chose.

Unde, secundum philosophum, V Metaph., text. 19, uno modo forma substantialis qualitas dicitur. Nec refert quantum ad significationem nominis, utrum principium innotescendi sit idem re cum eo quod nomine significatur, ut in abstractis, vel diversum, ut in hoc nomine homo. Et quia Deus seipso cognoscitur, ideo potest significari per nomen quod habeat qualitatem quantum ad rationem a qua nomen imponitur, et substantiam quantum ad id cui imponitur.

C’est pourquoi, d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 19] en un sens la forme substantielle est appelée qualité. Et que le príncipe qui fait connaître soit identique en réalité avec ce qui est signifié par le nom, comme dans les noms abstraits, ou différent comme dans ce nom ¨homme¨, cela ne se rapporte pas à la signification du nom. Et parce que Dieu est connu par Lui-même, c’est pourquoi il peut être signifié par un nom qui a raison de qualité quant à la raison par laquelle le nom est imposé, et qui a raison de substance quant à ce à quoi il est imposé.

Similiter dicendum est de pronomine, quod etiam per pronomen significari potest, ut habetur Exod. 3, 14: « Ego sum qui sum ». Et quamvis non possit demonstrari quantum ad sensum, tamen potest demonstrari quantum ad intellectum, secundum id quod intellectus de ipso apprehendere potest. Potest etiam significari per pronomen relativum, cum ponatur ipsum significari per nomen quod relativum referre potest. Similiter etiam per verbum vel participium potest significari, ut cum dicitur, quod ipse est intelligens vel potens vel hujusmodi. Et tamen verba et participia dicta de ipso non significant aliquid temporale in ipso. Sed verum est quod quantum ad modum significandi quo tempus significant, deficiunt a repraesentatione ipsius.

Il faut dire la meme chose du pronom, à savoir que Dieu peut être nommé aussi par un pronom comme on le dit dans l’Exode (3, 14) : ¨Je suis celui qui est¨. Et bien qu’il ne puisse être montré par le sens, cependant il peut être démontré quant à l’intelligence selon ce que cette dernière peut comprendre de Lui. Il peut aussi être signifié par un pronom relatif  puiqu’on pose qu’il est signifié par le nom auquel le relatif peut référer. De même encore il peut être signifié par le verbe ou le participe, comme lorsqu’on dit de Lui qu’il est intelligent, puissant et d’autres choses de cette sorte. Et cependant les verbes et les participes dits de Lui ne signifient pas quelque chose de temporel en Lui. Mais il est vrai que quant au mode de signifier par lequel ils signifient le temps, ils échouent à le représenter d’une manière adéquate.

 

 

Articulus 2 [1706] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 tit. Utrum aliquod nomen possit dici proprie de Deo

Article 2 – Peut-on employer un nom au sens propre pour Dieu ?

[1707] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nullum nomen de Deo proprie dici possit. Nihil enim proprie dicitur de aliquo quod verius negetur de ipso quam affirmetur. Sed, secundum Dionysium, II cap. Caelest. Hierarch., § 3, col. 139, verius omnia nomina quae de Deo dicuntur, de ipso negantur quam affirmantur ; unde dicit, quod negationes in divinis sunt vere affirmationes incompactae. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. Il semble qu’aucun nom ne puisse se dire proprement de Dieu. En effet, rien de ce qu’il est plus vrai de nier que d’affirmer d’un être ne se dit proprement de lui. Mais d’après Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, &3, col. 139], tous les noms qu’on attribue à Dieu sont niés de Lui avec plus de vérité qu’ils en sont affirmés ; c’est pourquoi il dit que par rapport à Dieu, les négations sont de vraies mais les affirmations sont inconsistantes. Donc, aucun nom ne se dit proprement de Dieu.

[1708] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Deum non possumus nominare, nisi secundum quod ipsum cognoscimus. Sed non cognoscimus ipsum nisi ex effectibus suis, vel per viam causalitatis, vel per viam negationis, vel per viam eminentiae. Ergo non potest nominari a nobis nisi ex creaturis. Sed quandocumque nomen creaturae praedicatur de Deo, non est vera praedicatio nisi intelligatur metaphorice vel transumptive, ut cum dicitur, Deus est leo, vel, Deus est lapis. Ergo videtur quod nullum nomen proprie dicatur de Deo, sed metaphorice.

2. Par ailleurs, nous ne pouvons nommer Dieu que dans la mesure où nous le connaissons. Mais nous ne pouvons le connaître que par ses effets ou par voie de causalité, ou par voie de négation, ou par voie d’excellence. Nous ne pouvons donc le nommer qu’à partir des créatures. Mais à chaque fois qu’on attribue à Dieu un nom de la créature, ce n’est là une vraie attribution que si on l’entend au sens métaphorique ou à la manière d’un transfert, comme lorsqu’on dit de Dieu qu’il est un lion ou une pierre. Il semble donc qu’aucun nom ne se dise proprement de Dieu, mais seulement en un sens métaphorique.

[1709] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, magis differt sapientia creata vel esse creatum, a Deo, quam differat floritio prati a risu hominis. Sed, ratione hujus diversitatis, pratum non dicitur ridere nisi metaphorice. Ergo videtur quod etiam Deus non possit dici sapiens, vel aliquid aliud, nisi metaphorice.

3. De plus, la sagesse créée ou l’existence créée diffère davantage de Dieu que la prairie en fleur ne diffère du rire de l’homme. Mais, en raison de cette différence, on ne dit de la prairie qu’elle rit qu’en un sens métaphorique. Il semble donc aussi qu’on ne puisse dire de Dieu qu’il est sage, ou qu’il possède tout autre attribut, qu’en un sens métaphorique.

[1710] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quandocumque aliquod nomen importans aliquam corporalem conditionem Dei dignitati repugnantem, dicitur de Deo, non potest dici nisi metaphorice ; et eadem ratione quandocumque conditionem Deo non convenientem importet, non poterit de Deo proprie dici. Sed omne nomen a nobis impositum importat aliquam conditionem divinae dignitati repugnantem, ut patet in verbis, quae consignificant tempus, et in nominibus, quae vel in abstracto dicuntur, ut scientia et humanitas, quae dicunt quid imperfectum et non in se subsistens, vel in concreto, quae important quamdam compositionem: quorum neutrum Deo competit. Ergo videtur quod nihil proprie de Deo dicatur.

4. En outre, à chaque fois qu’un nom impliquant une condition corporelle qui répugne à la dignité de Dieu est attribué à Dieu, il ne peut se dire de Lui qu’en un sens métaphorique ; et pour la même raison, à chaque fois qu’un nom implique une condition qui ne convient pas à Dieu, il ne pourra se dire proprement de Dieu. Mais tout nom imposé par nous implique une condition qui répugne à la dignité divine, comme on le voit pour les verbes qui consignifient le temps et pour les noms qui se disent soit abstraitement, comme la science et l’humanité qui disent quelque chose d’imparfait et de non-subsistant, soit concrètement, lesquels impliquent une certaine composition : et aucun d’eux ne convient à Dieu. Il semble donc qu’aucun nom ne se dise proprement de Dieu.

[1711] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid dicitur de aliquibus per prius et posterius, magis proprie convenit ei de quo per prius dicitur ; sicut ens per prius convenit substantiae quam accidenti. Sed quaedam sunt quae per prius dicuntur de Deo quam de creaturis, sicut paternitas, sicut habetur Ephes. 3, 15: ex quo omnis paternitas in caelis et in terra nominatur: et eadem ratione bonitas et cetera. Ergo videtur quod hujusmodi nomina etiam magis proprie dicantur de ipso quam de creaturis.

Cependant :

1. Au contraire, tout ce qu’on dit des choses selon l’avant et l’après appartient plus proprement à la chose à laquelle il s’attribue en priorité ; par exemple, l’être s’attribue en priorité à la substance, et comme secondairement à l’accident. Mais il y a certaines choses qui s’attribuent en priorité à Dieu plutôt qu’aux créatures, comme la paternité ainsi que l’établit l’Apôtre [Éphésiens, 3, 15] : Il est Celui de qui toute paternité est nommée dans les cieux et sur la terre. Et la même raison vaut pour la bonté et d’autres attributs de cette sorte. Il semble donc que de tels noms se disent plus proprement de Dieu que des créatures.

[1712] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, hoc videtur per Dionysium, cap. I, De div. Nom., § 8, col. 598, qui distinguit nomina symbolica, idest metaphorice dicta, ab aliis divinis nominibus: et ita videtur quod non omnia dicantur transumptive: quod etiam videtur ex divisione Augustini et Ambrosii in Littera.

2. En outre, c’est là ce que nous fait voir Denys [Les Noms Divins, ch. 1, & 8, col. 598] qui distingue les noms symbolique, c’est-à-dire métaphoriques, des autres noms divins : et ainsi il semble que ce ne soient pas tous les noms qui se disent par mode de transfert : c’est aussi ce qu’on voit à partir de la division qu’en font Saint-Augustin et Saint-Ambroise dans le document.

[1713] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quamvis omnis perfectio quae in creaturis est, exemplariter a Deo descendat, sicut a principio praehabente in se unice omnium perfectiones ; nulla tamen creatura potest recipere illam perfectionem secundum illum modum quo in Deo est. Unde secundum modum recipiendi deficit a perfecta repraesentatione exemplaris.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que bien que toute perfection qu’on retrouve dans les créatures est tirée de Dieu à la manière d’un modèle et comme du principe qui possède à l’avance en lui et d’une manière unique les perfections de tous les êtres, cependant aucune créature ne peut recevoir cette perfection de la manière selon laquelle elle existe en Dieu. C’est pourquoi, en raison de son mode de recevoir, elle échoue à représenter parfaitement le modèle.

Et ex hoc etiam in creaturis est quidam gradus, secundum quod quaedam quibusdam plures perfectiones et nobiliores a Deo consequuntur, et plenius participant ; et ex hoc in nominibus est duo considerare: rem significatam, et modum significandi.

Et c’est à cause de cela qu’on retrouve des degrés de perfection dans les créatures selon lesquels certaines parviennent à des perfections plus nombreuses et plus nobles venant de Dieu et en participent plus pleinement ; et c’est à partir de là qu’il y a deux choses à considérer dans les noms : la chose signifiée  et la manière de la signifier.

Considerandum est igitur, quod cum nomina sint imposita a nobis, qui Deum non nisi ex creaturis cognoscimus, semper deficiunt a divina repraesentatione quantum ad modum significandi: quia significant divinas perfectiones per modum quo participantur in creaturis.

Il faut donc considérer que puisque les noms sont imposés par nous qui ne connaissons Dieu qu’à partir des créatures, ils échouent toujours à représenter Dieu quant au mode de signifier car ils signifient les perfections divines à la manière selon laquelle elles sont participées dans les créatures.

Hoc igitur nomen « sensus » est impositum ad significandum cognitionem per modum illum quo recipitur materialiter secundum virtutem conjunctam organo. Sed hoc nomen « cognitio » non significat aliquem modum participandi in principali sua significatione.

Donc ce nom, à savoir ¨sens¨, est imposé par nous pour signifier la connaissance selon ce mode par lequel elle est reçue matériellement selon une puissance attachée à un organe. Mais ce nom, ¨connaissance¨, ne signifie pas un mode de participer dans sa signification principale.

Unde dicendum est, quod omnia illa nomina  quae imponuntur ad significandum perfectionem aliquam absolute, proprie dicuntur de Deo, et per prius sunt in ipso quantum ad rem significatam, licet non quantum ad modum significandi, ut sapientia, bonitas, essentia et omnia hujusmodi ; et haec sunt de quibus dicit Anselmus, in Monol., cap. XV, col. 161, quod simpliciter et omnino melius est esse quam non esse.

C’est pourquoi il faut dire que tous ces noms qui sont imposés pour signifier une perfection prise absolument, comme la bonté, la sagesse, l’essence et tous les autres de cette sorte, s’attribuent proprement à Dieu, et existent en Dieu en priorité quant à la chose signifiée, bien que non quant au mode de signifier ; et tels sont les noms au sujet desquels Saint-Anselme [Monol. Ch. XV, col. 161] qu’il est absolument et simplement meilleur qu’ils existent qu’ils n’existent pas.

Illa autem quae imponuntur ad significandum perfectionem aliquam exemplatam a Deo, ita quod includant in sua significatione imperfectum modum participandi, nullo modo dicuntur de Deo proprie ; sed tamen ratione illius perfectionis possunt dici de Deo metaphorice, sicut sentire, videre et hujusmodi. Et similiter est de omnibus aliis formis corporalibus, ut lapis, leo et hujusmodi: omnia enim imponuntur ad significandum formas corporales secundum modum determinatum participandi esse vel vivere vel aliquam divinarum perfectionum.

Mais ces noms qui sont imposés pour signifier une perfection qui est comme une imitation de Dieu de telle manière qu’elle  inclut dans sa signification un mode imparfait de participation, ils ne peuvent en aucune manière être attribués proprement à Dieu ; cependant, en raison de cette imperfection, ils peuvent se dire de Dieu en un sens métaphorique, comme lorsqu’on dit de Lui qu’Il sent, qu’Il voit, etc. Et il en est de même pour toutes les autres formes corporelles comme la pierre, le lion, etc. : tous ces noms en effet sont imposés pour signifier des formes corporelles d’après un mode déterminé de participer de l’existence, de la vie ou de toute autre perfection divine.

[1714] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod cum in nomine duo sint, modus significandi, et res ipsa significata, semper secundum alterum potest removeri a Deo vel secundum utrumque ; sed non potest dici de Deo nisi secundum alterum tantum. Et quia ad veritatem et proprietatem affirmationis requiritur quod totum affirmetur, ad proprietatem autem negationis sufficit si alterum tantum desit, ideo dicit Dionysius, quod negationes sunt absolute verae, sed affirmationes non nisi secundum quid: quia quantum ad significatum tantum, et non quantum ad modum significandi.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que puisque dans un nom il y a deux aspects à considérer, à savoir la manière de signifier et la chose même qui est signifiée, le nom peut toujours être nié de Dieu selon l’un des aspects ou selon les deux, mais il ne peut être affirmé de Dieu que selon un des aspects seulement. Et parce que, pour la vérité et la propriété de l’affirmation il est exigé que la totalité soit affirmée alors que pour la propriété de la négation il suffit qu’un seul des aspects manque, c’est pourquio Denys dit que les négations sur Dieu sont absolument vraies mais que les affirmations ne sont vraies que sous un rapport : c’est-à-dire que les affirmations ne sont vraies que quant à ce qui est signifié seulement et non quant au mode de signifier.

[1715] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis non nominemus Deum nisi ex creaturis, non tamen semper nominamus ipsum ex perfectione quae est propria creaturae, secundum proprium modum participandi illam ; sed etiam possumus nomen imponere ipsi perfectioni absolute, non concernendo aliquem modum significandi in ipso significato, quod est quasi objectum intellectus ; quamvis oporteat in consignificato semper modum creaturae accipere ex parte ipsius intellectus, qui natus est ex rebus sensibilibus accipere convenientem intelligendi modum ; et haec proprie dicuntur de Deo, ut dictum est, in corp. art.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que nous ne nommions Dieu qu’à partir des créatures, nous ne le nommons cependant pas toujours à partir d’une perfection qui est propre à la créature, d’après le mode de participation qui lui est propre ; nous pouvons encore imposer un nom à la perfection elle-même prise absolument, qui est l’objet propre de l’intelligence, sans égard pour un mode de signifier présent dans la chose signifiée, bien qu’il faille toujours prendre dans le consignifié le mode de la créature du côté de l’intelligence même, laquelle reçoit naturellement des choses sensibles le mode d’intelligibilité qui convient ; et ce sont de tels noms qui se disent proprement de Dieu, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

[1716] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sapientia creata magis differt a sapientia increata quantum ad esse, quod consistit in modo habendi ; quam floritio prati a risu hominis: sed quantum ad rationem a qua imponitur nomen, magis conveniunt ; quia illa ratio est una secundum analogiam, per prius in Deo, per posterius in creaturis existens ; et secundum talem rationem significatam in nomine, magis attenditur veritas et proprietas locutionis, quam quantum ad modum significandi, qui datur ex consequenti intelligi per nomen.

3. Il faut dire en troisième lieu que la sagesse créée diffère davantage de la sagesse incréée quant à l’existence, qui consiste dans le mode de possession, que la prairie en fleur diffère du rire de l’homme ; mais quant à la notion par laquelle le nom est imposé, elles se ressemblent davantage : car cette notion est une selon l’analogie, à savoir que la sagesse existe en priorité en Dieu et secondairement dans les créatures ; et la vérité et le sens propre de l’expression se vérifie davantage selon une telle notion signifiée dans le nom que selon le mode de signifier qu’il est donné de comprendre par le nom à partir du conséquent.

[1717] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quandocumque conditio corporalis importatur a principali significato, non potest nomen dici de Deo nisi metaphorice ; sed hoc quod in modo significandi importetur aliqua imperfectio, quae Deo non competit, non facit praedicationem esse falsam vel impropriam, sed imperfectam ; et propter hoc dictum est, quod nullum nomen perfecte Deum repraesentat.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’à chaque fois qu’une condition corporelle est impliquée dans le signifié principal, le nom ne peut se dire de Dieu que métaphoriquement ; mais du fait qu’une imperfection, qui ne convient pas à Dieu, est impliquée dans le mode signifier, cela ne rend pas l’attribution fausse ou impropre, mais seulement imparfaite ; et c’est pour cette raison qu’on dit qu’aucun nom ne représente Dieu parfaitement.

 

 

 Articulus 3 [1718] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus habeat tantum unum nomen

Article 3 – Dieu a-t-il un seul nom ?

[1719] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus non habeat nisi unum nomen. Nomen enim debet respondere rei significatae per nomen, cum, sicut dicit Hilarius, IV De Trinit., § 14, rei sit sermo subjectus. Sed in Deo est summa unitas sine aliqua diversitate. Ergo non nominatur nisi uno nomine.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne possède qu’un seul nom. Le nom en effet doit correspondre à la chose signifiée par le nom puisque, comme le dit Saint-Hilaire [IV De la Trinité, &14], le discours est subordonné à la chose. Mais en Dieu il y a une unité absolue sans la moindre diversité. Il n’est donc nommé que par un seul nom.

[1720] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, non est nisi duplex modus praedicandi in divinis, scilicet vel substantialiter vel relative. Sed nomina non possunt diversificari nisi vel quantum ad id quod significatur, vel quantum ad modum significandi. Ergo videtur quod vel tantum unum debeat esse propter unitatem rei, vel ad plus duo propter duos modos praedicandi.

2. Par ailleurs, il n’y a que deux modalités d’attribution pour Dieu, à savoir celle de la substance et celle de la relation. Mais les noms ne peuvent se différencier que sous deux rapports : soit quant à ce qui est signifié, soit quant au mode de signifier. Il semble donc qu’il ne doive y en avoir qu’un seul à cause de l’unité de la chose ou tout au plus deux à cause des deux modes d’attribution.

[1721] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, si dicas, quod pluralitas nominum divinorum est secundum quod ex diversis creaturis nominatur ; contra. Ipse Deus est principium a quo effective et exemplariter est omnis creatura. Si ergo secundum diversitatem creaturarum multiplicantur divina nomina, tunc omnium creaturarum nomina de ipso dici possent, quod falsum est. Ergo videtur quod ex creaturis non sit diversitas divinorum nominum.

3. Par ailleurs, si du dis que la pluralité des noms divins provient de ce qu’elle est nommée à partir de créatures différentes, je dis par contre ceci : Dieu lui-même est le principe efficient et le modèle par lequel toute créature exise. Si donc les noms divins se multipliaient d’après la diversité des créatures, alors les noms de toutes les créatures pourraient se dire de Lui, ce qui est faux. Il semble donc que la diversité des noms divins ne tire pas son origine des créatures.

[1722] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 arg. 4 Si dicas, quod multiplicantur secundum rationem tantum ; contra. Diversitas rationis est diversitas secundum intellectum. Sed diversitas intellectus imponentis nomina, nisi subsit aliquod diversum in re, non causat multitudinem nominum, nisi secundum quod nomina synonyma multiplicantur. Ergo secundum hoc omnia nomina divina essent synonyma, quod Commentator expresse negat in XI Metaphys., texte 39, dicens, quod haec nomina vivens et vita, non differunt in Deo sicut nomina synonyma, multo minus vivens et sapiens ; et ita videtur quod non differant divina nomina secundum acceptionem intellectus significantis tantum ; et sic idem quod prius.

4. Si tu dis que les noms divins se différencient selon la raison seulement, je dis par contre qu’une différence de raison est une différence selon l’intelligence. Mais la différence de l’intelligence qui impose les noms, à moins qu’il ne subsiste quelque chose de différent dans la chose, ne cause la multiplicité des noms que selon que des noms synonymes se multiplient. Donc d’après cela tous les noms divins seraient synonymes, ceqeu le Commentateur nie expressément [XI Métaphysique, texte 39] en disant que ces noms, vivant et vie, ne diffèrent pas en Dieu comme des noms synonymes, et encore moins vivant et sage ; et ainsi il semble que les noms divins ne diffèrent pas uniquement selon l’acception de l’intelligence qui signifie ; et ainsi la conclusion est la même que la précédente.

[1723] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra est quod in Scriptura inveniuntur de ipso multa nomina divina.

Cependant :

1. On voit au contraire dans les Écritures que plusieurs noms divins Lui sont attribués.

[1724] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nullum nomen sufficit ad exprimendam divinam perfectionem. Sed aliquid perfectionis datur nobis intelligi per unum nomen quod non datur per aliud. Ergo videtur quod ut magis nobis divina perfectio innotescat, quod pluribus nominibus a nobis nominandus sit.

2. Par ailleurs, aucun nom divin ne suffit à exprimer la perfection divine. Mais il nous est donné à comprendre quelque chose de la perfection divine qu’un autre nom ne nous permet pas de comprendre. Il semble donc, pour que la perfection divine se fasse advantage connaître à nous, que nous devions la nommer de plusieurs noms.

[1725] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod multiplicitas nominum potest dupliciter contingere. Vel ex parte intellectus, quia cum nomina exprimant intellectum, contingit unum et idem diversis nominibus significari, secundum quod diversimode in intellectu accipi potest. Et inde est quod Deum possumus nominare et secundum quod in se est, et secundum id quod est ad creaturas se habens.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la multiplicité des noms peut se produire de deux manières. Soit du côté de l’intelligence, car puisque les noms expriment les concepts, il arrive qu’un seul et même concept soit signifié par plusieurs noms, selon que le même concept soit pris différemment dans l’intelligence. Et c’est de là que nous pouvons nommer Dieu à la fois selon ce qu’Il est en lui-même et selon qu’il se rapporte aux créatures.

Et hoc dupliciter: vel secundum negationes quibus conditiones creaturarum a Deo removentur ; et inde veniunt nomina negativa, quae multiplicationem recipiunt ex creaturarum conditionibus quae de Deo negantur, et praecipue quae consequuntur universaliter omnem creaturam, ut immensus, increatus etc. ; vel secundum relationem Dei ad creaturam, quae tamen realiter in Deo non est, sed in creatura ; et inde veniunt illa nomina divina quae important habitudinem ad creaturam, ut dominus, rex et hujusmodi.

Et cela se présente de deux manières : soit selon les négations par lesquelles les conditions des créatures sont écartées de Dieu ; et c’est de là que viennent les noms négatifs, comme infini et incréé, qui reçoivent leur multiplication des conditions des créatures qui sont niées de Dieu, et surtout celles qui découlent universellement de toute créature ; soit selon la relation de Dieu aux créatures que cependant n’existe pas réellement en Dieu mais dans la créature ; et de là viennent ces noms divins, comme seigneur, roi, et d’autres termes de la sorte qui impliquent un rapport à la créature.

Item, multiplicitas nominum potest contingere ex parte rei secundum quod nomina rem significant ; et inde veniunt nomina exprimentia id quod in Deo est. In Deo autem non est invenire aliquam realem distinctionem nisi personarum, quae sunt tres res ; et inde venit multiplicitas nominum personalium significantium tres res. Sed praeter hoc est etiam in Deo invenire distinctionem rationum, quae realiter et vere in ipso sunt, sicut ratio sapientiae et bonitatis et hujusmodi, quae quidem omnia sunt unum re, et differunt ratione, quae salvatur in proprietate et veritate, prout dicimus Deum vere esse sapientem et bonum, et non tantum in intellectu ratiocinantis ; et inde veniunt diversa nomina attributorum ; quae omnia quamvis significent unam rem, non tamen significant unam secundum unam rationem ; et ideo non sunt synonyma.

En outre la multiplicité des noms peut se produire du côté de la chose selon que les noms signifient la réalité ; et de là viennent les noms qui expriment ce qui est en Dieu. Mais en Dieu il n’y a pas d’autre distinction à chercher que celle des personnes qui sont trois réalités ; et de là vient la multiplicité des noms personnels signifiant ces trois réalités. Mais en dehors de cela il y a encore à trouver en Dieu une distinction des notions qui existent véritablement et réellement en lui, comme la notion de sagesse, de bonté, et d’autres notions de la sorte qui ne sont certes toutes qu’une seule notion en réalité et diffèrent par la raison, distinction qui est préservée dans la propriété et la vérité, et non seulement dans l’intelligence de celui qui raisonne, selon que nous disons que Dieu est véritablement sage et bon ; et de là viennent les différents noms des attributs, lesquels, bien qu’ils ne signifient qu’une seule réalité, ne la signifient cependant pas d’après une seule et même définition ; et c’est pourquoi ces noms ne sont pas synonymes.

[1726] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum. Quia quamvis sit unitas in re essentiali, est tamen pluralitas in re personali, et in rationibus quibus diversimode una essentia significari potest, et in diversa acceptione intellectus ; secundum quae omnia divina nomina multiplicantur.

Solutions :

1. Et par là on voit clairement la réponse à la première difficulté. Car bien qu’il y ait unité dans la chose essentielle, il y a cependant pluralité dans la chose personnelle, dans les notions par lesquelles une seule et même essence peut être signifiée diversement, et dans les différentes manières pour l’intelligence d’entendre une même réalité ; et c’est selon ces rapports que les noms divins se multiplient.

[1727] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliter dividitur aequivocum, analogum et univocum. Aequivocum enim dividitur secundum res significatas ; univocum vero dividitur secundum differentias ; sed analogum dividitur secundum diversos modos. Unde cum ens praedicetur analogice de decem generibus, dividitur in ea secundum diversos modos.

2. En deuxième lieu il faut dire que c’est de manières différentes que se divisent l’équivoque, l’analogue et l’univoque. L’équivoque en effet se divise selon les choses signifiées ; d’un autre côté l’univoque se divise selon les différences ; mais l’analogue se divise d’après différentes manières d’être. C’est pourquoi, puisque l’être s’attribue aux dix genres d’une manière analogue, il se divise en eux d’après différentes manières d’être.

Unde unicuique generi debetur proprius modus praedicandi. Et quia in divinis non salvantur nisi duo genera quantum ad rationem communem generis, scilicet substantia et ad aliquid ; ideo dicuntur in divinis duo modi praedicandi. Unumquodque autem genus dividitur univoce in species contentas sub genere, et ideo speciebus non debetur proprius modus praedicandi.

C’est pourquoi un mode propre d’attribution est dû à chaque genre. Et parce qu’en Dieu il n’y a que deux genres qui sont conservés quant à la notion commune de genre, à savoir la substance et la relation, c’est pourquoi on dit qu’il n’y a pour Dieu que deux modes d’attribution. Mais tout genre se divise univoquement dans les espèces contenues dans ce genre, et c’est pourquoi un mode propre d’attribution n’est pas dû aux espèces.

Et propter hoc quamvis quaedam contenta in praedicamento qualitatis dicantur de Deo secundum rationem speciei, non tamen afferunt novum modum praedicandi, etsi afferant novam rationem significandi. Unde quamvis in Deo non sint nisi duo modi praedicandi, sunt tamen plures rationes significandi secundum quas divina nomina multiplicari possunt.

Et pour cette raison, bien que certains attributs contenus dans le prédicament de la qualité se disent de Dieu sous le rapport de l’espèce, elles n’apportent cependant pas un nouveau mode d’attribution, bien qu’elles apportent une nouvelle notion à signifier. C’est pourquoi, bien qu’en Dieu il n’y ait que deux modes d’attribution, il y a cependant plusieurs notions à signifier d’après lesquelles les noms divins peuvent se multiplier.

[1728] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, ut patet ex praedictis, in corp. art., quaedam nomina dicuntur proprie de Deo, quae quantum ad significata per prius sunt in Deo quam in creaturis, ut bonitas, sapientia et hujusmodi ; et horum diversitas non sumitur per respectum ad creaturas, immo potius e converso.

3. Il faut dire en troisième lieu que, comme on le voit à partir de ce qui précède, certains noms s’attribuent proprement à Dieu, lesquels, quant à ce qui est signifié, existent en Dieu en priorité et secondairement dans les créatures, comme la bonté, la sagesse et les perfections de cette sorte ; et la diversité de ces noms ne se prend pas par rapport aux créatures, mais c’est plutôt l’inverse qui est vrai.

Quia ex hoc quod ratio sapientiae et bonitatis differt in Deo, diversificatur in creaturis bonitas et sapientia non tantum ratione, sed etiam re. Sed verum est quod diversitas talium nominum prout praedicantur de Deo, innotescit nobis ex diversitate eorum in creaturis. Quaedam vero nomina praedicantur de ipso transumptive ; et haec multiplicantur secundum diversas creaturas, quarum nomina in Deum transumuntur.

Car du fait que les notions de sagesse et de bonté diffèrent en Dieu, elles diffèrent dans les créatures non seulement par la raison, mais aussi en réalité. Mais il est vrai que la diversité de tels noms, selon qu’ils s’attribuent à Dieu, se fait connaître à nous à partir de leur diversité dans les créatures. Mais certains noms s’attribuent à Lui par transfert ; et ceux-là se multiplient d’après les différentes créatures, dont les noms sont transférés à Dieu.

Nec tamen oportet quod ex omnibus nominibus creaturarum significetur. Quaedam enim sunt quae important deformitatem et defectum, cujus Deus non est auctor, et praecipue si sit defectus culpae. Unde non possumus dicere Deum peccatorem vel Diabolum, quod est nomen naturae depravatae, quamvis transumptive dicatur leo vel agnus vel etiam iratus.

Et cependant il ne faut pas qu’il soit signifié à partir de tous les noms des créatures. Il y a certains noms en effet qui impliquent une infirmité et un défaut dont Dieu n’est pas l’auteur, surtout s’il s’agit du défaut d’une faute. C’est pourquoi nous ne pouvons dire de Dieu qu’il est un pécheur ou qu’il est le Diable, qui est le nom d’une nature déchue, bien que nous pouvons dire de Lui qu’il est un lion, un agneau, ou même qu’il est en colère.

[1729] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod differunt nomina attributorum secundum rationem, non tamen quae sit solum in ratiocinante, sed quae salvatur in ipsa re secundum veritatem et proprietatem rei. Quod sic patet. Omnia enim hujusmodi dicuntur de Deo et creaturis non aequivoce, sed secundum unam rationem analogice. Unde cum in creatura ratio sapientiae non sit ratio bonitatis, oportet quod etiam hoc in Deo sit verum. Sed in hoc differt quod in Deo idem sunt re, in creaturis autem differunt re et non ratione ; et qualiter possit esse, supra, in responsione ad 3, praec. art., dictum est.

4. En quatrième lieu il faut dire que les noms des attributs diffèrent selon la raison ou la notion, non pas cependant d’une notion qui existerait seulement dans celui qui raisonne, mais d’une notion qui est sauvegardée dans la chose elle-même conformément à la vérité et à la propriété de la chose. Et on le voit de la manière suivante. En effet tous les noms de cette sorte se disent de Dieu et des créatures non pas par homonymie, mais par analogie d’après une seule et même notion. C’est pourquoi, puisque dans la créature la notion de sagesse n’est pas celle de bonté, il faut que cela soit vrai aussi en Dieu. Mais il y a une différence en ceci qu’en Dieu elles sont identiques par la chose, réellement, alors que dans les créatures elles diffèrent réellement et non seulement par la raison ; et de quelle manière il puisse en être ainsi, nous l’avons dit plus haut [dist. 22, quest. 1, art. 2, solut. 3].

 

 

Articulus 4 [1730] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 tit. Utrum divisio nominum Dei posita ab Ambrosio sit insufficiens

Article 4 – La division des noms de Dieu donné par Ambroise est-elle insuffisante[17] ?

[1731] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod divisio Ambrosii sit insufficiens. Trinitas enim et persona sunt quaedam divina nomina, quae nec pertinent ad unitatem majestatis, nec proprie alicui personae conveniunt, nec translative de Deo dicuntur. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. Il semble que la division des noms de Dieu présentée par Saint-Ambroise ne soit pas satisfaisante. En effet, ¨Trinité¨ et ¨personne¨ sont des noms divins qui ne se rapportent pas à l’unité de la majesté, ne conviennent proprement à aucune personne et ne se disent pas de Dieu par transfert ou métaphore. Donc, la division de Saint-Ambroise n’est pas satisfaisante.

[1732] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, quaedam nomina sunt quae dicuntur de Deo negative, ut increatus, immensus. Haec autem cum nihil de Deo praedicent, nec ad proprietatem personarum pertinere videntur, nec ad majestatem deitatis. Constat etiam quod nec translative dicuntur, quia non conveniunt creaturis ut ex eis in divinam praedicationem transumantur. Ergo videtur quod divisio sit insufficiens.

2. Par ailleurs, il y a des noms qui se disent de Dieu négativement, comme incréé ou immense. Mais ces noms n’attribuent rien à Dieu et ne semble appartenir ni à la propriété des personnes, ni à la majesté divine et il est clair aussi qu’ils ne disent rien de Lui par transfert ou métaphore car ils n’appartiennent pas aux créatures de manière à servir à l’attribution divine. Il semble donc que cette division soit insatisfaisante.

[1733] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, majestas deitatis et proprietas personalis constat quod aeterna sunt. Sed quaedam dicuntur de Deo ex tempore, ut dominus, et hujusmodi. Ergo videtur quod nec ad majestatem deitatis pertinent, nec ad proprietatem personalem. Constat etiam quod nec translative dicuntur. Videtur igitur, quod sub divisione Ambrosii non contineantur. Ergo insufficiens est.

3. En outre, il est clair que la majesté de Dieu et la propriété personnelle sont éternelles. Mais certains attributs se disent de Dieu dans le temps, comme Seigneur et d’autres du même genre. Ils semble donc qu’ils n’appartiennent ni à la majesté divine, ni à la propriété personnelle. Il est clair aussi qu’ils ne se disent pas par métaphore. Il semble donc qu’ils ne soient pas contenus dans la division de Saint-Ambroise et que cette dernière ne soit pas satisfaisante.

[1734] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Damascenus ponit aliam divisionem divinorum nominum, dicens, quod quaedam significant pelagus substantiae infinitum, et non quid est, ut hoc nomen « qui est » ; quoddam autem est nomen operationis, ut « Deus » ; quaedam autem significant id quod assequitur substantiam, ut « justus, bonus » et hujusmodi ; quaedam vero habitudinem ad ea a quibus distinguitur, scilicet ad creaturas ; quaedam significant id quod non est, ut « incorporeus, immensus » et hujusmodi.

4. De plus, Damascène pose une autre division des noms divins en disant que certains signifient l’immensité infinie de la substance et non ce qu’il est, comme ce nom, ¨celui qui est¨ ; qu’il y en a un qui est le nom de l’opération, comme ¨Dieu¨ ; mais certains signifient ce qui atteint la substance, comme ¨juste, bon¨ et d’autres de  la sorte ; d’autres signifient un rapport aux choses dont il se distingue, c’est-à-dire aux créatures ; d’autres enfin signifient ce qu’il n’est pas, comme ¨incorporel, immense¨ et d’autres de la sorte.

[1735] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 arg. 5 Item, Dionysius ponit multiplicem divisionem divinorum nominum. Magister autem in Littera super trimembrem divisionem Ambrosii inducit alias tres differentias divinorum nominum, et efficiuntur in universo sex. Quaeritur ergo de assignatione harum divisionum.

5. En outre, Denys pose une division des noms divins à multiples parties. Et le Maître, dans son Document ajoute, à la division de Saint-Ambroise à trois parties, trois autres différences des noms divins, ce qui en donne six en totalité. On s’interroge donc sur l’assignation de ces divisions.

[1736] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod prima divisio trimembris, quae in littera ponitur, sufficienter comprehendit omnia divina nomina, et est trium sanctorum Augustini, Ambrosii, Dionysii. Ipsemet enim dividit divina nomina in ea quae translative dicuntur, quae appellat symbolicam theologiam, et in ea quae proprie dicuntur, quae scilicet per prius in Deo sunt: et hoc dividit in unitam theologiam, quantum scilicet ad ea quae praedicantur de tribus personis communiter ; et in discretam theologiam, quantum ad ea quae ad singulas personas pertinent. Ex quo etiam patet in promptu sufficientia hujus divisionis. Quia Deus vel nominatur per id quod prius in ipso est et per posterius in creaturis, vel per similitudinem a creaturis sumptam. Si secundo modo, sic sunt ea quae translative dicuntur. Si primo modo, hoc erit dupliciter: illud enim quod per prius in Deo est, vel est commune, et sic pertinet ad majestatis unitatem ; vel est proprium personae, et sic pertinet ad distinctionem Trinitatis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la première division à trois parties qui est présentée dans le Document comprend tous les noms divins d’une manière satisfaisante et elle appartient aux trois saints dont nous avons parlé, à savoir Saint-Augustin, Saint-Ambroise et Denys. Ce dernier en effet divise les noms divins en ceux qui se disent par métaphore et qui sont examinés dans la théologie qu’il appelle symbolique et en ceux qui se disent proprement de Dieu, c’est-à-dire ceux qui existent en priorité en Dieu ; et ces derniers noms sont examinés séparément par deux théologies distinctes, à savoir la théologie commune quant aux noms qui s’attribuent en commun aux trois personnes, et la théologie distincte quant aux noms qui appartiennent en propre à chacune des personnes. Et à partir de là nous avons l’évidence de la suffisance de cette division. Car Dieu est nommé soit par ce qui existe en priorité en Lui et secondairement dans les créatures, soit par une ressemblance tirée des créatures. Si c’est de la deuxième manière, alors il est nommé par des termes métaphoriques. Si c’est de la première manière, cela sera possible de deux façons : en effet, ce qui existe en priorité en Dieu est soit commun aux trois personnes et cela appartient à l’unité de la majesté, soit propre à chacune des personnes et cela appartient alors à la distinction de la Trinité.

[1737] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc nomen Trinitas quamvis non explicite dicat proprium alicujus personae, tamen implicite includit omnia propria personarum, inquantum est quasi collectivum personarum. Similiter etiam hoc nomen persona quamvis non imponatur ab aliqua proprietate personali speciali, imponitur tamen a personalitate quae dicit proprietatem in communi, et quodammodo etiam dicit substantiam, ut infra patebit, dist. 26, qu. 1, art. 1.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ce nom, ¨Trinité¨, bien qu’il ne dise pas explicitement ce qui est propre à chacune des personnes, comprend cependant de manière implicite tout ce qui est propre aux personnes dans la mesure où c’est un terme qui est comme un collectif des personnes. De la même manière encore ce terme, ¨personne¨, bien qu’il ne soit pas imposé à partir d’une propriété personnelle particulière, il l’est cependant à partir de la notion de personne qui dit la propriété dans l’universel, et il dit même la substance d’une certaine manière, comme nous le verrons par la suite [dist. 26, quest. 1, art. 1].

[1738] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod negatio quaelibet causatur ex aliqua affirmatione. Et sic etiam in divinis ratio negativorum nominum fundatur supra rationem affirmativorum: sicut hoc quod dicitur incorporeus, fundatur super hoc quod est esse simplex. Unde patet quod nomina negativa reducuntur ad unitatem essentiae, sicut « increatus et immensus », vel ad distinctionem personarum, sicut « ingenitus ».

2. Il faut dire en deuxième lieu que toute négation est causée à partir d’une affirmation. Et ainsi même chez les personnes divines la notion des noms négatifs se fonde sur la notion des noms affirmatifs: par exemple, ce qu’on appellee incorporel se fonde sur ce qui possède une existence simple. C’est pourquoi il est clair que les noms négatifs se ramènent à l’unité de l’essence, comme ¨incréé et immense¨, ou à la distinction des personnes, comme ¨inengendré¨.

[1739] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis hujusmodi nomina non ponant aliquid temporaliter in Deo, quia relationes illae temporales realiter in creaturis sunt, et in Deo solum secundum rationem, tamen inquantum innascuntur ex operationibus Dei in creaturas, dant intelligere aliquid quod in Deo est absolute ; sicut relatio dominii dat intelligere in Deo potestatem qua universam creaturam gubernat. Unde patet etiam quod ista nomina reducuntur ad illa quae pertinent ad unitatem majestatis, sicut « creator, dominus » et hujusmodi, vel ad distinctionem personarum, sicut « missus, incarnatus » et hujusmodi.

3. Il faut dire en troisième lieu que bien que les noms de cette sorte ne posent pas quelque chose en Dieu dans le temps, car ces relations temporelles n’existent en réalité que dans les creatures et en Dieu seulement selon la raison, cependant, dans la mesure où elles naissent dans les creatures à partir des operations de Dieu, elles donnent à comprendre quelque chose qui est en Dieu absolument; par exemple, la relation de ¨seigneur¨ donne à comprendre qu’il existe en Dieu une puissance par laquelle il gouverne toute créature. D’où il est encore clair que ces noms se ramènent à ceux qui appartiennent à l’unité de la majesté, comme ¨créateur, seigneur¨, et les termes de cette sorte, ou à la distinction des personnes, comme ¨envoyé, incarné¨ et les termes de cette sorte.

[1740] Super Sent., lib. 1 d. 22 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod divisio Damasceni respicit tantum unum membrum praedictae divisionis: omnia enim quae ponit, pertinent ad unitatem majestatis. Unitas autem majestatis potest nominari dupliciter, ut patet ex dictis, art. ant.: vel secundum id quod in Deo est, vel secundum acceptionem intellectus, qui accipit ipsum secundum aliquam comparationem ad creaturam.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la division de Damascène se rapporte seulement à un member de la division précédente: en effet, toutes les parties qu’il présentent se rapportent à l’unité de la majesté. Mais l’unité de la majesté peut être nommée de deux manières, comme on le voit à partir de ce qui est dit dans l’article précédent: soit selon ce qui est en Dieu, soit selon l’acception de l’intelligence qui le reçoit selon son rapport à la créature.

Si nominetur Deus quantum ad id quod in ipso est, erit triplex diversitas nominum secundum tria quae in unaquaque re inveniuntur, scilicet essentia, virtus et operatio ; quae quidem in aliis realiter differunt, in ipso autem sunt unum re et distincta ratione.

Si Dieu est nommé quant à ce qui est en Lui, il y aura trois sortes de noms selon trois aspects qu’on retrouve en toute chose, à savoir l’essence, la puissance et l’opération: lesquels diffèrent certes en réalité chez les autres êtres, alors qu’en Lui ces aspects n’en sont qu’un en réalité et different par la raison.

Et secundum essentiam accipitur hoc nomen « qui est » ; et secundum virtutem accipiuntur ea quae se habent per modum assequentium substantiam, ut « justus, sapiens » et hujusmodi ; et secundum operationem nomina operationis, ut « Deus ». Si autem nominetur Deus per acceptionem intellectus in comparatione ad creaturam, et hoc erit dupliciter: vel inquantum ea quae sunt creaturae, removentur ab ipsa, et sic erunt nomina negativa ; vel secundum quod importatur in nominibus aliquis respectus causalitatis ad creaturam, cujus conditiones a Deo removentur ; et sic erunt illa nomina quae important habitudinem ad alia, a quibus Deus distinguitur per essentiam.

Et selon l’esssence qu’on reçoit ce nom, à savoir ¨celui qui est¨; et selon la puissance on reçoit ceux qui se présentent à la manière de ce qui attaint la substance, comme ¨juste, sage¨ et les termes de cette sorte; et selon l’opération on reçoit les noms d’opération, comme ¨Dieu¨. Mais si on nommait Dieu par l’acception de l’intelligence par rapport à la créature, cela se fera de deux manières: soit en tant que ce qui appartient à la créature est nié de Lui et alors les noms seront négatifs; soit selon que dans les noms est impliqué un rapport de causalité à la créature dont les conditions sont niées de Dieu; et ainsi ces noms seront ceux qui impliquent un rapport aux autres êtres dont Dieu se distingue par l’essence.

Divisio autem divinorum nominum quam Dionysius ponit, patet ex praedictis, in corp. art., quod est eadem cum divisione Ambrosii, nisi quod Dionysius ulterius nomina pertinentia ad unitate majestatis multiplicat secundum diversas processiones in creaturis repertas, quibus nominatur Deus illis perfectionibus per prius in Deo existentibus, ut « bonus, sapiens, existens » et hujusmodi. Magister autem in tribus differentiis quas addit, specificat divisionem Ambrosii quantum ad quosdam speciales modos ; qui tamen possunt reduci ad divisionem Ambrosii.

Mais la division des noms divins que Denys présente, il est clair à partir de ce qui précède dans le corps de l’article qu’elle est identique à la division que Saint-Ambroise fait de ces mêmes noms, sauf que Denys multiplie par la suite les noms qui se rapportent à l’unité de la majesté d’après différentes processions découvertes dans les créatutres, par lesquelles Dieu est nommé par ces perfections qui existent en priorité en Dieu, comme ¨ le bien, la sagesse et l’être¨ et d’autres de cette sorte. Mais dans les  trois differences qu’il ajoute, le Maître spécifie la division de Saint-Ambroise quant à certaines modalités particulières qui peuvent cependant se ramener à la division de Saint-Ambroise.

Quod enim pertinet ad proprietates deitatis, vel nominat determinate proprium alicujus personae, ut « Pater et Filius » ; vel colligit omnia [nomina Ed. de Parme] propria personarum, ut hoc nomen Trinitas, quod significat proprietatem personae secundum quemdam specialem modum. Similiter etiam quae pertinent ad unitatem majestatis et proprietatem divinitatis conveniunt Deo vel ab aeterno vel ex tempore. Si ex tempore, vel dicuntur relative secundum nomen, ut « dominus » et hujusmodi, vel non referuntur ad aliud secundum nomen, ut « incarnatus » et hujusmodi. Et sic patet quod ea quae Magister addit continentur in divisione Ambrosii per reductionem, non tamen simpliciter, sed secundum quid, ut patet ex dictis, in corp. art.

En effet, le terme qui s’applique aux propriétés de la divinité, ou bien il nomme précisément ce qui est propre à telle personne, comme ¨Père et Fils¨ ; ou bien il rassemble tous [les noms Éd. de Parme] ce qui est propre aux personnes, comme ce nom, à savoir Trinité, lequel signifie la propriété de la personne selon un mode spécial. De même encore les termes qui s’appliquent à l’unité de la majesté et à la propriété de la divinité appartiennent à Dieu soit de toute éternité, soit dans le temps. Si c’est dans le temps, ou bien ils se disent relativement selon le nom, comme ¨seigneur¨ et les autres termes de cette sorte, ou bien ils ne se rapportent pas à autre chose selon le nom, comme ¨incarné¨ et les termes de cette sorte. Et ainsi il est clair que les différences que le Maître ajoute sont contenues dans la division de Saint-Ambroise, non pas absolument, mais sous un certain rapport, comme on le voit à partir de ce qui a été dit dans le corps de l’article.

 

 

Distinctio 23

Distinction 23 – [Le nom « personne »]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quatuor quaeruntur:

1 de distinctione horum nominum: « essentia, subsistentia, substantia et persona » ; et de nominibus eis in Graeco respondentibus, quae sunt « ousia, usiosis, hypostasis, prosopon » ;

2 utrum nomen personae proprie in divinis dicatur ;

3 utrum significet substantiam, vel relationem ;

4 si aliquo modo substantiam significat, utrum pluraliter praedicetur.

La recherche porte ici sur quatre points :

1. Quelle distinction doit-on faire entre ces noms : ¨essence, subsistance, substance et personne¨ ? Et qu’en est-il aussi de ces noms qui leur correspondent en Grec et qui sont ¨ousia, usiosis, hypostasis, prosopon¨ ;

2. Est-ce que le nom de ¨personne¨ se dit proprement de Dieu ?

3. Signifie-t-il la substance ou la relation ?

4. S’il signifie de quelque manière la substance, s’attribue-t-il en plusieurs sens ?

 

 

Articulus 1 Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 tit. Utrum « substantia, subsistentia, essentia, persona » dicta de Deo sint synonima

Article 1 – « Substance, subsistance, essence, personne », employés pour Dieu sont-ils des synonymes ?

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod dicta nomina nullam distinctionem habeant, sed sint quasi synonima. Sicut enim Boetius dicit in Commentariis super praedicamenta, cap. « de substantia », col. 183, « ousia » significat substantiam compositam. Sed substantia composita est individuum subsistens in genere substantiae, quod significatur nomine substantiae, vel hypostasis, vel personae. Ergo videtur quod hoc nomen « essentia », vel « ousia », non differat secundum significationem ab aliis.

Difficultés :

1. Il semble que ces noms dont on parle ne présentent aucune différence mais qu’ils soient comme des synonymes. Comme le dit en effet Boèce [Commentaire sur les Prédicaments, ch. «De la Substance», col. 183], «ousia» signifie la substance composée. Mais la substance composée est un individu subsistant dans le genre de la substance qui est signifié par le nom de substance, d’hypostase ou de personne. Il semble donc que ce nom, «essentia», ou «ousia» ne diffère pas des autres par la signification.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, non subsistit nisi illud quod habet in se esse completum. Sed esse completum non invenitur nisi in particulari ; quia universalia non habent esse praeter particularia nisi in anima, quod est esse incompletum. Cum igitur particulare in genere substantiae dicatur hypostasis, vel substantia prima, videtur quod subsistentia sit idem quod substantia.

2. Par ailleurs, l’être qui subsiste est celui qui possède en lui une existence complète. Mais l’existence complète ne se retrouve que dans le particulier ; car les universels ne possède d’existence en dehors des particuliers que dans l’âme, laquelle exisence est incomplète. Donc, puisque le particulier dans le genre de la substance s’appelle «hypostasis», ou substance première, il semble que «subsistentia» soit identique «substantia».

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cum utrumque in suo nomine [in…nomine om. Éd. de Parme). importet positionem alicujus sub aliquo, ergo idem quod prius.

3. Par ailleurs, puisque les deux dans leur nom [dans…nom om. Éd. de Parme] implique la position de l’un sous un autre, il semble que ce soient là des termes synonymes.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, Boetius, lib. De duabus nat., cap. III, col. 1343, dicit, quod hoc nomine « hypostasis » non utuntur Graeci nisi pro individuo rationalis naturae. Sed individuum rationalis naturae dicitur persona. Ergo videtur quod « hypostasis » et « prosopon », vel « substantia » et « persona » sint omnino idem.

4. En outre, Boèce [Sur les Deux Natures, ch. 111, col. 1343] dit que les Grecs ne se servent de ce terme «hypostasis» que pour l’individu de nature rationnelle. Mais l’individu de nature rationnelle s’appelle personne. Il semble donc que «hypostase» et «prosopon», ou «substantia» et «persona» soient absolument identiques.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, sicut Graeci dicunt tres hypostases, ita nos dicimus tres substantias. Non autem tres substantias dicimus, sicut ipsi tres « ousioses ». Ergo videtur quod idem sit subsistentia apud nos, quod hypostasis apud Graecos ; cujus contrarium Boetius dicit Lib. De duabus naturis.

5. Par ailleurs, tout comme les Gresc disent trois «hypostases», de même nous disons trois «substantias». Cependant nous ne disons pas trois substances comme eux-mêmes  trois «ousioses». Il semble donc que «subsistentia» pour nous soit la même chose que «hypostasis» pour les Grecs ; et pourtant Boèce dit le contraire dans son livre, Les deux Natures.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium est auctoritas Boetii, lib. De duabus nat., in una persona Christi, ibidem, qui significationes horum nominum distinguit ; et etiam auctoritas Marci Tullii quam ibi Boetius inducit.

Cependant :

1. L’autorité de Boèce va en sens contraire dans son livre Sur les deux natures dans la seule et même personne du Christ, qui distingue au même endroit les significations de ces noms ; et l’autorité de Marcus Tullius est identique à celle que Boèce présente dans cet ouvrage.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quatuor dicta nomina secundum significationem differunt ; sed horum differentia differenter a diversis assignatur.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que ces quatre noms que nous avons mentionnés diffèrent par leur signification ; mais leur différence est signalée différemment selon les auteurs.

Quidam enim sumunt horum differentiam ex hoc quod in divinis est aliquid commune, et aliquid distinctum. Et commune potest significari ut quo est, et sic est « essentia », vel ut quod est, et sic est « subsistentia ». Vel aliter: quia Deus potest significari inquantum dat omnibus esse, et sic dicitur « essentia » ; vel inquantum habet esse sufficiens nullo indigens, et sic dicitur « subsistentia ».

En effet, certains tirent la différence entre ces noms de ce qu’en Dieu il y a quelque chose de commun, et quelque chose de distinct. Et le commun peut être signifié comme étant le ¨ce par quoi¨, et ainsi on parle de «essentia», ou comme étant le ¨ce qui est¨, et ainsi on parle de «subsistentia». Ou bien autrement : car Dieu peut être signifié en tant qu’il donne l’existence à tous, et ainsi on l’appelle «essentia» ; ou bien en tant qu’il possède une existence qui se suffit à elle-même et qui ne manque de rien et alors on l’appelle «subsistentia».

Distinctum similiter potest significari vel in concretione, et sic est nomen « persona » ; vel in abstractione, et sic est nomen « hypostasis ». Vel aliter: quia potest significari ut distinguibile, et sic significatur nomine « hypostasis » ; vel ut distinctum, et significatur nomine « personae ».

De la même manière le distinct peut être signifié soit dans le concret et ainsi le nom est «persona» ; soit dans l’abstrait et ainsi le nom est «hypostasis». Ou bien autrement : car il peut être signifié comme pouvant être distingué et ainsi il est signifié par ce nom, «hypostasis» ; ou bien comme étant distinct, et alors il est signifié par ce nom de «personae».

Vel aliter: quia vel significatur ut distinctum aliqua proprietate determinata ad nobilitatem pertinente, et sic est nomen « persona » ; vel distinctum absolute quacumque proprietate, et sic est nomen « hypostasis ». Sed iste modus non solvit quaestionem: quia etiamsi nulla esset distinctio in divinis, adhuc ista nomina dicerentur de Deo, et non idem significarent, sicut nomina synonyma..

Ou bien autrement encore : car soit il est signifié comme distinct par une propriété déterminée qui se rapporte à une excellence, et ainsi le nom est «persona» ; soit il est signifié comme distinct absolument par n’importe quelle propriété et ainsi le nom est «hypostasis». Mais cette manière de distinguer ne résout pas le problème : car même s’il n’y avait aucune distinction dans les personnes divines, ces noms se diraient encore de Dieu et ne signifieraient pas la même chose comme le font les noms synonymes.

Et praeterea etiam quantum ad quaedam, falsum est. Non enim dicitur Deus essentia ex eo quod det esse, sicut nec sapiens ex eo quod det sapientiam ; quinimmo e converso ex eo quod Deus essentiam habet, esse in creaturas infundit, et sic de aliis ; sicut etiam ignis ex hoc quod calorem habet calefacit, et non e converso ; quamvis divina sapientia et essentia per esse et cognoscere creaturae communicatum nobis innotescat

Et par ailleurs cette manière de distinguer est même fausse sous certains rapports. En effet, Dieu n’est pas appelé essence du fait qu’il donne l’existence, ni même sage du fait qu’il donne la sagesse ; c’est même plutôt le contraire qui est vrai : c’est du fait que Dieu possède l’essence qu’il répand l’existence dans les créatures et il en est de même du reste, tout comme aussi c’est du fait que le feu possède la chaleur qu’il réchauffe et non l’inverse, bien que la sagesse et l’essence divines nous soit connues par l’existence et la connaissance communiquées à la créature.

Similiter etiam in divinis cum Deus sit actus purus, non permixtus potentiae, non est aliquid in eo significabile per modum potentiae non conjunctae actui et per modum actus, ut distinguibile et distinctum. Nec iterum verum est quod hoc nomen « hypostasis » significet id quod proprium est in abstractione. Hoc enim modo significatur nomine proprietatis, sicut nomine paternitatis quae significatur non ut hypostasis, sed ut in hypostasi ens.

Il en est aussi de même pour les personnes divines : puisque Dieu est un acte pur, non mélangé à de la puissance, il n’y a pas en lui quelque chose qui puisse être signifié à la manière d’une puissance qui n’est pas unie à un acte, ni à la manière d’un acte, comme pouvant être distingué et comme distinct. Et en outre il n’est pas vrai que ce nom, «hypostasis», signifie ce qui est propre dans l’abstrait. Ce qui est signifié de cette manière est signifié par le nom de propriété, tout comme par le nom de paternité la paternité est signifiée non pas comme une «hypostasis», mais comme ce qui existe dans une «hypostasis»

Alii sumunt differentiam horum nominum secundum distinctionem rationis, quo est, et quod est. Quorum quidam dicunt, quod tria horum significant quo est, vel substantiam suppositi ; ita quod « essentia » significat substantiam, sive naturam generis ; « subsistentia » naturam speciei ; « hypostasis » naturam individualem ; et quartum, scilicet « persona », sumitur secundum id quod est, et significat substantiam quae est suppositum.

D’autres tirent la différence de ces noms d’après la distinction de raison : ¨ce par quoi¨ et ¨ce qui est¨. Et parmi eux certains disent que trois de ces noms signifient ¨ce par quoi¨ ou la substance du suppôt ; de telle manière que «essentia» signifie la substance ou la nature du genre ; «subsistentia» signifie quant à elle la nature de l’espèce  et «hypostasis» la nature individuelle ; et enfin le quatrième terme, à savoir «persona», se prend selon ¨ce qui est¨, et signifie la substance qui est le suppôt.

Alii dicunt e converso quod unum significat quo est, scilicet « essentia », et tria significant quod est, diversimode: quia hoc nomen « substantia » significat quod est per respectum ad naturam vel essentiam ; hoc nomen « subsistentia » significat quod est per respectum ad individuationem ; sed hoc nomen « persona » ponit specialem rationem vel proprietatem pertinentem ad dignitatem. Sed de primis duobus est e converso, secundum Boetium: haec enim doctrina sumpta est secundum Augustinum,lib. VII de Trinit.c. IV, col. 939, et Hieronymum in Exp. symb. Ad Dam..

D’autres au contraire disent que l’un signifie ¨ce par quoi¨, à savoir «essentia», et les trois autres signifient ¨ce qui est¨, mais différemment : car ce nom «substantia» signifie ¨ce qui est¨ par rapport à la nature ou l’essence ; ce nom «subsistentia» signifie ¨ce qui est¨ par rapport à l’individuation ; mais ce nom, «persona», pose une notion spéciale ou une propriété qui se rapporte à une dignité. Mais selon Boèce c’est l’inverse qui est vrai au sujet des deux premiers noms : cette doctrine en effet est tirée de ce qu’en dit Saint-Augustin [ VII De la Trinité, ch. IV, col. 939] et Saint-Jérôme dans sa Lettre à Damase.

Alii dicunt, quod duo significant quo est. « Essentia » quidem significat quo est, vel naturam communem, prout non est praedicabilis, ut consideratur cum dicitur, homo est species ; sed « subsistentia » significat naturam communem ut praedicabilis est, secundum Boetium ; alia duo significant quod est, et eo modo differunt, sicut in proximo dictum est. Sed quia quodlibet horum nominum, praeter hoc nomen persona, invenitur quandoque poni pro quo est, et quandoque poni pro quod est ; ideo non videtur esse essentialis distinctio eorum secundum aliquem dictorum modorum.

D’autres disent que deux termes signifient ¨ce par quoi¨. «Essentia» signifie certes ¨ce par quoi¨, ou la nature commune en tant qu’elle n’est pas un prédicable tel qu’on le considère lorsqu’on dit que l’homme est une espèce ; mais «subsistentia» signifie la nature commune en tant qu’elle est un prédicable, selon Boèce ; les deux autres signifient ¨ce qui est¨ et diffèrent de la manière que nous l’avons dite il y a un instant. Mais parce que n’importe quel de ces noms, sauf le nom «persona», se trouve parfois à être pris dans le sens de ¨ce par quoi¨, et parfois dans le sens de ¨ce qui est¨, c’est pourquoi la distinction de ces noms n’apparaît essentielle selon aucune des modalités que nous venons de présenter.

Ideo aliter dicendum est, secundum Boetium, ut sumatur differentia horum nominum, « essentia, subsistentia, substantia », secundum significationem actuum a quibus imponuntur, scilicet esse, subsistere, substare.

C’est pourquoi il faut dire autrement, conformément à Boèce, que la différence de ces noms, à savoir «essentia, subsistentia, substantia» se tire de la signification des actes à partir desquels ils ont été imposés, à savoir «esse, subsistere et substare».

Patet enim quod esse, commune quoddam est, et non determinat aliquem modum essendi ; subsistere autem dicit determinatum modum essendi, prout scilicet aliquid est ens per se, non in alio, sicut accidens ; substare autem idem est quod sub alio poni.

Il est clair en effet que «esse» est une notion commune qui ne détermine aucune modalité d’existence ; «subsistere» cependant dit une modalité d’existence déterminée, c’est-à-dire pour autant qu’une chose est un être par soi qui n’existe pas dans un autre comme c’est le cas pour l’accident ; «substare» enfin s’identifie à ce qui soutient un autre.

Inde patet quod esse dicit id quod est commune omnibus generibus ; sed subsistere et substare id quod est proprium primo praedicamento secundum duo quae sibi conveniunt ; quod scilicet sit ens in se completum, et iterum quod omnibus aliis substernatur accidentibus, scilicet quae in substantia esse habent.

De là il est clair que «esse» dit ce qui est commun à tous les genres ; mais «subsistere»  et «substare» disent ce qui est propre au premier prédicament, la substance, d’après deux aspects qui lui conviennent ; à savoir qu’elle est de l’être complet en soi, et en outre qu’elle soutient tous les autres accidents, lesquels possèdent leur existence dans la substance.

Unde dico, quod « essentia » dicitur cujus actus est esse, « subsistentia » cujus actus est subsistere, substantia cujus actus est substare. Hoc autem dicitur dupliciter, sicut in singulis patet. Esse enim est actus alicujus ut quod est, sicut calefacere est actus calefacientis ; et est alicujus ut quo est, scilicet quo denominatur esse, sicut calefacere est actus caloris.

C’est pourquoi je dis que «essentia» se dit de ce dont l’acte est d’exister, «subsistentia» de ce dont l’acte est de subsister et «substantia» de dit de ce dont l’acte consiste à soutenir un autre. Mais cela se dit de deux manière comme on le voit par l’examen des cas particuliers. Exister en effet est l’acte d’un être en tant que ¨ce qui existe¨, comme réchauffer est l’acte de celui qui réchauffe ; et il appartient à un être en tant que ¨ce par quoi¨ il existe, c’est-à-dire ce par quoi il est dénommée, comme réchauffer est l’acte de la chaleur.

Sciendum est autem, quod si aliquid consequitur aliqua plura convenientia ad invicem, non potest denominati illud, aliquid, per alterum [denominari aliquid secundum alterum éd. de Parme] illorum, quamvis etiam illud sit principium totius, sed per totum: verbi gratia, sapor consequitur calidum et humidum, prout aliquo modo conveniunt: et quamvis calor sit principium saporis sicut effectivum, non tamen aliquid denominatur sapidum a calore, sed a sapore qui complectitur simul calidum et humidum aliquo modo convenientia.

Il faut cependant savoir que si une chose découle de plusieurs principes qui viennent ensemble, cette chose ne peut être dénommée telle par l’un [être dénommée telle suivant l’un Éd. de Parme] d’eux, bien qu’encore ce dernier soit le principe du tout, mais bien par le tout : en d’autres mots, la saveur découle du chaud et de l’humide selon qu’ils viennent ensemble : et bien que la chaleur soit le principe de la saveur en tant que principe efficient, il n’y a rien cependant qui doit dénommé savoureux à partir de la chaleur, mais à partir de la saveur qui est obtenue simultanément par une certaine rencontre du chaud et de l’humide.

Similiter dico, quod cum esse consequitur compositionem materiae et formae, quamvis forma sit principium esse, non tamen denominatur aliquod ens a forma sed a toto ; et ideo essentia non dicit formam tantum ; sed in compositis ex materia et forma, dicit totum ; et hoc etiam dicitur quidditas et natura rei ; et ideo dicit Boetius in Praedicamentis quod « ousia » significat compositum ex materia est forma.

De la même manière je dis que, puisqu’exister découle de la composition de la matière et de la forme, bien que la forme soit le principe de l’existence, cependant aucun être n’est dénommé uniquement par la forme, mais plutôt par le tout ; et c’est pourquoi l’essence ne dit pas seulement la forme, mais dans les composés de matière et de forme, elle dit le tout ; et cela s’appelle aussi la quiddité ou la nature de la chose ; et c’est pourquoi Boèce dit dans Les Prédicaments que «ousia» signifie le composé de matière et de forme.

Sed ista natura sic considerata, quamvis dicat compositum ex materia et forma, non tamen ex hac materia demonstrata determinatis accidentibus substante, in qua individuatur forma ; quia hujusmodi compositum dicit hoc nomen « Socrates ». Haec autem materia demonstrata, est sicut recipiens illam naturam communem.

Mais cette nature, si on la considère ainsi, bien qu’elle dise le composé de matière et de forme, elle ne signifie pas le composé de cette matière qu’on peut montrer, qui soutient des accidents déterminés, et dans laquelle la forme est individuée ; car c’est un tel composé que le nom «Socrate» signifie. Mais cette matière qu’on peut montrer est comme ce qui reçoit cette nature commune.

Et utroque modo invenitur hoc nomen « essentia ». Unde quandoque dicimus Socratem esse essentiam quamdam ; quandoque dicimus, quod essentia Socratis non est « Socrates »: et sic patet quod essentia quandoque dicit « quo est », ut significatur nomine « humanitatis » ; et quandoque « quod est » ut significatur hoc nomine « homo ». Similiter etiam « subsistere » est actus alicujus ut quod subsistit, vel ut quo subsistit. Cum autem « subsistere » dicat esse determinatum, et tota determinatio essendi consequatur formam, quae terminus est, constat quod aliquid denominatur subsistens per primam formam, quae est in genere substantiae, sicut album per albedinem, et animatum per animam: et ideo in Praedicamentis dicit Boetius quod « ousiosis » vel « subsistentia » est forma accipiens subsistentiam, pro « quo subsistitur ».

Et c’est en ces deux sens que se rencontre ce mot «essentia». C’est pourquoi nous disons parfois que Socrate est une certaine essence ; mais parfois nous disons que l’essence de Socrate n’est pas «Socrate» : et ainsi il est clair que l’essence dit parfois «ce par quoi», comme lorsqu’elle elle est signifiée par le nom «humanité» ; et parfois elle dit «ce qui est» comme elle est signifiée par le nom «homme». De la même manière encore «subsistere» est l’acte d’un être en tant que ¨ce qui¨ subsiste ou en tant que ¨ce par quoi¨ il subsiste. Mais puisque «subsistere» dit un exister déterminé et que toute la détermination d’exister, qui est le terme, découle de la forme, il est clair qu’un être est dénommé subsistant par la forme première qui est dans le genre de la substance, comme le blanc est dénommé par la blancheur, et l’animé par l’âme : et c’est pourquoi, dans Les Prédicaments, Boèce dit que «ousiosis» ou «subsistentia» est la forme qui reçoit la  subsistance, en tant qu’elle est «ce par quoi on subsiste».

Si autem accipiatur « subsistentia » pro eo « quod subsistit », sic proprie dicitur illud in quo per prius invenitur talis natura hoc modo essendi. Et cum per prius inveniatur in substantia, secundum quod substantia est ; et deinceps in aliis, secundum quod propinquius se habent ad substantiam: constat quod nomen subsistentiae per prius convenit generibus et speciebus in genere substantiae, ut dicit Boetius, lib. De duabus nat., cap. III, col. 1344, et individuis non convenit habere tale esse, nisi inquantum sunt sub tali natura communi. Quamvis enim genera et species non subsistant nisi in individuis, quorum est esse, tamen determinatio essendi fit ex natura vel quidditate superiori.

 Mais si on prend «subsistentia» pour «ce qui subsiste», alors s’appelle proprement ainsi celui dans lequel une telle nature se retrouve en priorité de par cette manière d’exister. Et puisqu’elle se retrouve en priorité dans la substance en tant qu’elle est substance, et qu’elle se retrouve par la suite dans les autres prédicaments selon qu’ils sont plus rapprochés de la substance, il est clair que le nom de subsistance convient en priorité aux genres et aux espèces dans le genre de la substance, ainsi que le dit Boèce [Des Deux Natures, ch. 111, col. 1344] et qu’il ne convient aux individus d’avoir une telle existence que dans la mesure où ils sont dans une telle nature commune. En effet, bien que les genres et les espèces  ne subsistent que dans les individus auxquels il appartient d’exister, cependant la détermination d’exister vient d’une nature ou d’une quiddité supérieure.

Similiter « hypostasis », vel « substantia », dicitur dupliciter: vel id quo substatur ; et quia primum principium substandi est materia, ideo dicit Boetius in Praedicamentis, in princ. Praed. substantia, quod hypostasis est materia, vel quod substat, et hoc est individuum in genere substantiae per prius. Genera enim et species non substant accidentibus nisi ratione individuorum ; et ideo nomen « substantiae » primo et principaliter convenit particularibus substantiis, secundum philosophum « De substantia », et secundum Boetium, lib. De duabus naturis, cap. III.

De la même manière, «hypostasis», ou «substantia», se dit de deux manières : soit ce par quoi on est soutenu ;  et parce que le premier principe de soutien est la matière, c’est pourquoi Boèce dit dans Les Prédicaments, au début de Le Prédicament de la substance, que l’hypostase est la matière, ou qu’elle soutient, et tel est en priorité l’individu dans le genre de la substance. En effet, les genres et les espèces ne soutiennent les accidents qu’en raison des individus ;  et c’est pourquoi le nom de «substance» convient en premier lieu et principalement aux substances particulières d’après le Philosophe [De la Substance] et d’après Boèce [Des Deux Natures, ch. 111].

Sic ergo patet differentia istorum trium dupliciter. Quia si accipiatur unumquodque ut quo est, sic essentia significat quidditatem, ut est forma totius, « ousiosis » formam partis, « hypostasis » materiam. Si autem sumatur unumquodque ut quod est, sic unum et idem dicetur « essentia », inquantum habet esse, « subsistentia », inquantum habet tale esse, scilicet absolutum ; et hoc per prius convenit generibus et speciebus, quam individuis ; et substantia, secundum quod substat accidentibus ; et hoc per prius convenit individuis, quam generibus et speciebus.

Et c’est pourquoi la différence entre ces trois noms est évidente de trois manières. Car si on prend n’importe quel d’entre eux en tant que ¨ce par quoi¨, alors «essentia» signifie la quiddité en tant qu’elle est la forme du tout, «ousiosis» signifie la forme de la partie, «hypostasis» signifie la matière. Mais si on prend chacun d’eux en tant que ¨ce qui est¨, alors une seule et même chose sera appelée «essentia» en tant qu’elle possède l’existence ; «subsistentia» en tant qu’elle possède telle existence, à savoir une existence absolue, et cela convient en priorité aux genres et aux espèces plutôt qu’aux individus ; et enfin «substance» selon qu’elle  soutient les accidents, et cela convient en priorité aux individus plutôt qu’aux genres et aux espèces.

Ulterius, hoc nomen « persona » significat substantiam particularem, prout subjicitur proprietati quae sonat dignitatem, et similiter « prosopon » apud Graecos ; et ideo « persona » non est nisi in natura intellectuali

Par la suite, le nom «persona» signifie une substance particulière, selon qu’elle est le sujet d’une propriété qui signifie une dignité, et il en est de même du nom «prosopon» chez les Grecs ; et c’est pourquoi «persona» ne se retrouve que dans une nature intellectuelle.

Et secundum Boetium, de duabus naturis, cap. III, col. 1343,sumptum est nomen personae a personando, eo quod in tragoediis et comoediis recitatores sibi ponebant quamdam Larvam ad repraesentandum illum cujus gesta narrabant decantando. Et inde est quod tractum est in usu ut quodlibet individuum hominis de quo potest talis narratio fieri, persona dicatur ; et ex hoc etiam dicitur prosopon in Graeco a « pros » quod est in ope, et sopos quod est facies, quia hujusmodi Larvas ante facies ponebant.

Et selon Boèce [Des Deux Natures, ch. 111, col. 1343], le nom de «persona» est tiré de «personando», c’est-à-dire «résonner», du fait que dans les tragédies et les comédies les auteurs se mettaient un masque pour représenter celui dont ils racontaient les gestes en le chantant. Et de là on en est venu à la coutume d’appeler «persona» tout individu humain au sujet de qui un tel récit peut être rendu; et c’est de là encore qu’en Grec «prosopon» se dit à partir de «pros» qui signifie ce qui est sur le devant, et «sopos» qui est le visage, car ils mettaient de tels masques devant le visage.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quia particulare significat compositum ex materia et forma demonstrata, sed universale in substantiis compositis significat etiam compositum ex materia et forma, sed non demonstrata, sicut homo ex anima et carne et osse, non tamen ex his carnibus et ex his ossibus. Unde non oportet quod « ousia » significet idem quod particularis substantia, immo se habet ad utrumque. Et ideo omne quod est in genere substantiae potest dici « ousia », sive sit universalis substantia, sive particularis.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu, parce que le particulier signifie un composé de matière et de forme individuelles et que l’universel dans les substances composées est aussi un composé de matière et de forme mais non individuelles, comme l’homme qui est un composé d’âme, de chairs et d’os mais non de ces chairs et des ces os, c’est pourquoi il ne faut pas que «ousia» signifie la même chose que la substance particulière, mais plutôt qu’il soit apte à signifier les deux. Et c’est pourquoi tout ce qui est dans le genre de la substance peut être appelé «ousia», qu’il soit une substance universelle ou une substance particulière.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod subsistere duo dicit, scilicet esse, et determinatum modum essendi ; et esse simpliciter non est nisi individuorum ; sed determinatio essendi, est ex natura vel quidditate generis vel speciei ; et ideo quamvis genera et species non substent nisi in individuis, tamen eorum proprie subsistere est, et subsistentiae dicuntur ; quamvis et particulare dicatur, sed per [per om. Ed de Parme] posterius ; sicut et species substantiae dicuntur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que subsister dit deux choses, à savoir exister, et un mode déterminé d’existence ; et exister absolument n’appartient qu’aux individus ; mais la détermination de l’existence vient de la nature ou de la quiddité du genre ou de l’espèce ; et c’est pourquoi, bien que les genres et les espèces ne soutiennent que s’ils existent dans les individus, cependant il leur appartient en propre de subsister et d’être appelés subsistances, bien que les particuliers aussi soient appelés ainsi, mais par [par om. Éd. de Parme] après et secondairement, tout comme les espèces sont appelées substances dans le même sens.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dico, quod substantia dicitur, inquantum subest accidenti vel naturae communi ; subsistere vero dicitur aliquid inquantum est sub esse suo, non quod habeat esse in alio sicut in subjecto.

3. Je dis en troisième lieu qu’on appelle substance ce qui soutient un accident ou une nature commune ; mais on dit d’un être qu’il subsiste en tant qu’il est dans l’existence qui lui est propre et qu’il ne possède pas son existence dans un autre comme dans un sujet.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc nomen « hypostasis » apud Graecos aliud habet ex proprietate significationis, et aliud ex usu. Ex proprietate enim significationis habet quod significet quamlibet substantiam particularem, sed ex usu accommodatum est nobilioribus substantiis ; et ideo ipsi utuntur eodem modo hoc nomine « hypostasis » sicut nos utimur hoc nomine « persona » ; sed talis usus non est apud nos in hoc nomine « substantia ».

4. Il faut dire en quatrième lieu que ce nom, «hypostasis», tient chez les Grecs quelque chose d’autre de la propriété de sa signification et quelque chose d’autre de son usage. De la propriété de sa signification en effet il signifie toute substance particulière, mais de son usage il a été appliqué à des substances nobles ; et c’est pourquoi les Grescs se servent du nom «hypostasis» de la même manière que nous usons du nom «persona» ; mais chez nous un tel usage n’a pas lieu pour le nom «substantia».

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod apud nos nomen « substantia » aequivocatur. Quandoque enim ponitur pro essentia, secundum quod nos dicimus definitionem significare substantiam rei. Quandoque ponitur pro supposito substantiae, sicut dicimus Socratem esse substantiam quamdam. Et ideo ut tolleretur malus intellectus, sancti noluerunt uti hoc nomine substantia pro supposito, sicut Graeci utuntur ; sed transmutaverunt, et posuerunt « subsistentiam » respondentem « hypostasi » et « substantiam » respondentem « ousiosi » ; quamvis sit e converso, secundum veritatem significationis ; magis enim curaverunt vitationem errorum quam proprietatem nominum.

5. Il faut dire en cinquième lieu que chez nous le nom «substantia» prête à équivoque. Parfois en effet on s’en sert au lieu du terme «essentia», selon que nous disons que la définition signifie la substance de la chose. Parfois on l’utilise à la place du suppôt de la substance, comme lorsque nous disons que Socrate est une certaine substance. Et c’est pourquoi, pour éviter une mauvaise interprétation, les écrivains sacrés n’ont pas voulu se servir du nom substance à la place du suppôt, comme les Grecs le font ; mais au lieu de faire cela, ils ont effectué un transfert, en posant le terme «subsistantiam» comme correspondant à «hypostasi» et celui de «substantiam» comme correspondant à «ousiosi» ; ils ont fait ainsi, bien que ce soit l’inverse d’après la vérité de la signification ; en effet, ils ont davantage pris soin d’éviter les erreurs que d’être fidèles aux sens propres des noms.

 

 

Articulus 2 Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 tit. Utrum nomen « persona » dicatur proprie de Deo

Article 2 – Ce nom « personne » est-il employé au sens propre pour Dieu ?

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nomen personae non proprie dicatur in divinis. « Persona » enim significat hominem larvatum, ut dictum est, art. antec., cujus figura repraesentatur. Sed hoc non potest Deo convenire nisi metaphorice ; nec etiam habet figuram quae repraesentari possit, ut dicitur Isa. XL, 18: Cui similem fecistis Deum ? Ergo nomen « persona » proprie non convenit Deo.

Difficultés :

1. Il semble que le nom ¨personne¨ ne se dise pas proprement de Dieu. «Persona» en effet signifie un homme furieux, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, dont la figure est représentée. Mais cela ne peut convenir à Dieu que par métaphore ; et de plus il ne possède pas une figure qui pourrait être représentée, comme on le dit dans l’Écriture [Isaïe, XL, 18] : À qui comparer Dieu, et quelle image pourriez-vous en faire ? Donc, le nom «persona» ne convient pas à Dieu.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in tota natura « persona » videtur dicere maximam compositionem: quia in individuo hominis concurrunt quasi omnes naturae ad constitutionem ejus, vel ex parte animae, vel ex parte corporis ; unde etiam cum omnibus commune habere dicitur. Sed Deus est summe simplex. Ergo videtur quod nomen « personae » sibi non conveniat.

2. Par ailleurs, en toute nature, «persona» semble signifier la composition la plus considérable : car dans l’individu humain presque toutes les natures concourrent à sa constitution, que ce soit du côté de l’âme ou du côté du corps ; c’est pourquoi on dit aussi de lui qu’il a du commun avec tous les autres êtres. Mais Dieu est suprêmement simple. Il semble donc que le nom «persona» ne Lui convienne pas.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, « persona » dicitur quae substat alicui proprietati, vel subsistit. Sed, sicut supra dictum est, dist. 8, ex verbis Augustini, Deus non dicitur proprie substare alicui quod in ipso est. Ergo non proprie dicitur « persona ».

3. En outre, «persona» dit ce qui soutient la propriété d’un être, ou ce qui subsiste. Mais, comme nous l’avons dit dans la distinction 8 à partir des paroles de Saint-Augustin, on ne dit pas proprement de Dieu qu’il soutient quelque chose qui est en lui. Ce n’est donc pas proprement qu’il est appelé «persona».

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, « persona » dicit substantiam particularem vel singularem. Sed particulare vel singulare Deo non competit. Ergo videtur quod nec personae nomen.

4. De plus, «persona» dit une substance particulière ou individuelle. Mais le particulier et l’individuel n’appartiennent pas à Dieu. Il semble donc que le nom «persona» ne lui appartienne pas non plus.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quia « persona » dicitur quasi per se una. Sed hoc maxime Deo convenit. Ergo videtur quod et nomen personae.

Cependant :

1. Par contre, «persona» signifie pratiquement ce qui est un par soi. Mais c’est à Dieu que cela convient de la façon la plus parfaite. Il semble donc par conséquent que ce nom lui convienne aussi le plus parfaitement.

Item, persona dicit quid completum existens in natura intellectuali. Sed hoc Deo competit. Ergo videtur quod et nomen personae.

2. En outre, «persona» dit un être dont l’existence est complète dans la nature intellectuelle. Mais cela appartient à Dieu. Il semble donc qu’il en soit de même pour le nom «persona».

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod nomen « personae » proprie convenit Deo ; tamen non eodem modo sicut est in creaturis, sed quodam nobiliori modo ; sicut est in omnibus aliis quae de Deo et creaturis dicuntur. Salvatur enim ratio « personae » in divinis, secundum quod habet esse per se subsistens in natura intellectuali.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le nom «persona» convient proprement à Dieu ; cependant, il ne lui convient pas de la même manière qu’il convient aux créatures, mais d’une manière plus excellente, comme tous les autres noms qui s’attribuent à la fois à Dieu et aux créatures. En effet, la notion «persona» est conservée en Dieu selon qu’il possède une existence qui subsiste par elle-même dans une nature intellectuelle.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in significatione nominis duo sunt consideranda: scilicet id a quo imponitur nomen ad significandum, et id ad quod significandum imponitur. Contingit autem quandoque quod substantia alicujus rei nominatur ab aliquo accidente quod non consequitur totam naturam de qua nomen illud dicitur ; sicut lapis dicitur ex eo quod laedit pedem, nec tamen omne laedens pedem est lapis, vel e converso. Et ideo judicium de nomine non debet esse secundum hoc a quo imponitur, sed secundum id ad quod significandum instituitur. Unde quamvis nomen personae sit impositum a dicta repraesentatione, tamen est impositum ad significandum substantiam completam, in natura intellectuali subsistentem: et hoc Deo convenit, quamvis non conveniat sibi illud a quo nomen imponitur.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que dans la signification d’un nom il y a deux choses à considérer : à savoir ce à partir de quoi le nom est imposé pour signifier, et ce en vue de quoi il imposé pour le signifier. Mais il arrive parfois que la substance d’une chose soit nommée à partir d’un accident qui ne découle pas de toute la nature à laquelle ce nom est attribué ; par exemple, la pierre se dit à partir de ce qui blesse le pied et cependant ce n’est pas tout ce qui blesse le pied qui est une pierre et inversement. Et c’est pourquoi le jugement qu’on porte sur le nom ne doit pas se faire suivant ce à partir de quoi il est imposé, mais plutôt suivant ce en vue de quoi il est imposé pour le signifier. C’est pourquoi, bien que le non de personne soit imposé à partir de la représentation dont nous avons parlé, cependant il est imposé pour signifier une substance complète qui subsiste dans une nature intellectuelle : et cela Lui convient parfaitement, bien que ce à partir de quoi le nom est imposé ne Lui convienne pas.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa compositio accidit « personae » praeter rationem suam. Quia enim « persona » dicit quid completum in natura intellectuali, et in natura humana non invenitur complementum nisi per maximam compositionem ; ideo per accidens significat compositionem in natura. Si autem perfectionem intellectualem inveniret in corpore simplici, sicut est ignis, diceretur persona ; et ideo divina simplicitas non repugnat personalitati.

2. Il faut dire en deuxième lieu que cette compostion servient à la «personne» en dehors de sa definition. En effet, parce que «persona» signifie un être complet dans une nature intellectuelle, et que dans la nature humaine  la complétude ne se retrouve qu’au moyen d’une composition extrême, c’est pourquoi c’est de manière accidentelle que ce nom signifie une composition dans une nature. Mais si la perfection intellectuelle se retrouvait dans un corps simple comme le feu, elle serait appellee personne; et c’est pourquoi la divine simplicité ne répugne pas au nom de «personne».

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in Deo secundum rem nihil ponitur sub aliquo ; sed tantum secundum modum intelligendi, prout intelligitur substans proprietati sive personali, sive essentiali, secundum quod dicitur substantia ; et esse sub, secundum quod dicitur subsistentia: nihilominus tamen, quia secundum rem nihil ibi est sub alio, ideo Richardus de sancto Victore, lib. IV De trinitate, c. XX, col. 943, volens proprie loqui, dicit, quod personae divinae non subsistunt, sed existunt, inquantum scilicet distinguuntur proprietatibus originis, secundum quas una est ex alia, quibus non supponuntur per modum subjecti ; et ideo divinas personas non dicit esse subsistentias, sed existentias.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’en Dieu rien ne soutient autre chose selon la réalité mais seulement selon la manière de le comprendre, selon qu’on l’entend comme soutenant une propriété soit personnelle soit essentielle selon qu’on l’appelle substance, et comme existant sous, selon qu’on l’appelle substance : néanmoins cependant, parce qu’en réalité il n’y a rien là qui soit sous un autre, c’est pourquoi Richard de Saint-Victor [De la Trinité, IV, ch. XX, col. 943], voulant parler au sens propre, dit que les personnes divines ne subsistent pas, mais existent, c’est-à-dire selon qu’elles se distinguent par leurs propriétés d’origine selon lesquelles une personne procède d’une autre, et sous lesquelles elles ne sont pas placées à la manière d’un sujet ; et c’est pourquoi il ne dit pas des personnes divines qu’elles sont des subsistances, mais des existences.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, proprie loquendo, in divinis non est particulare, quia particulare dicitur eo quod particulatur in ipso natura communis, cujus partem accipit secundum virtutem qua potest esse in pluribus, quamvis accipiat totam rationem ejus. Sed in Patre est natura divina secundum totam virtutem suam: unde non potest dici particulare ; nisi forte solum secundum rationem numeralis multitudinis, ut supra dictum est, distin. 19, quaest. 4, art. 2, et patet ex verbis Damasceni III Fide orth. cap. IV, col. 1002. Similiter etiam, hoc nomen « Deus » non potest esse particularis vel singulare, cum de pluribus suppositis praedicetur, et materia careat, quae singularitatis principium est ; unde « persona » dicetur de Deo non secundum rationem particulationis vel singularitatis, sed secundum rationem completionis, secundum quod nominat quid completum subsistens vel existens in natura intellectuali.

4. En quatrième lieu il faut dire que, à parler au sens propre, il n’y a rien de particulier en Dieu, car le particulier se dit de ce qui participe de la nature commune elle-même, dont il reçoit une partie selon la puissance par laquelle cette nature peut exister en plusieurs bien, qu’il en reçoive toute la définition. Mais dans le Père la nature divine existe selon toute sa puissance : c’est pourquoi on ne peut dire de Lui qu’il est un particulier, si ce n’est peut-être selon la notion d’une multiplicité numérique seulement, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 19, quest. 4, art. 2] et cela est clair par l’examen des paroles de Damascène [De la Foi Orthodoxe, 111, ch. IV, col. 1002]. De la même manière encore, ce nom «Dieu» ne peut être particulier ou singulier puisqu’il s’attribue à plusieurs suppôts et est privé de matière qui est le principe de la singularité ; c’est pourquoi «persona» se dira de Dieu non pas d’après la notion de la particularité ou de la singularité, mais d’après la notion de la complétude selon laquelle il signifie un être complet qui subsiste ou existe dans une nature intellectuelle.

 

 

 Articulus 3 Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 tit. Utrum « persona » significet substantiam

Article 3 – « Personne » signifie-t-il la substance ?

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod « persona » significet substantiam. Primo per auctoritatem Augustini in Littera, qui hoc expresse videtur dicere.

Difficultés :

1. Il semble que «persona» signifie la substance. Et on peut le voir premièrement par l’autorité de Saint-Augustin dans le Document, qui semble parler expressément en ce sens.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, hoc videtur per definitionem Boetii, De duabus naturis, c. III, col. 1343 ; dicit enim, quod « Persona est rationalis naturae individua substantia ». Sed substantia significat quid absolutum et non relativum. Ergo videtur quod nomen « personae » non significet relationem.

2. Par ailleurs, il semble en être ainsi suivant la définition de Boèce [Des Deux Natures, ch. 111, col. 1343] ; il dit en effet que «La personne est la substance individuelle de nature rationnelle». Mais la substance signifie quelque chose d’absolu et non quelque chose de relatif. Il semble donc que le nom «persona» ne signifie pas la relation.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, omne relativum, secundum nomen suum ad aliud refertur. Sed hoc nomen « persona » non refertur ad aliud, secundum nomen. Ergo non significat relationem.

3. Par ailleurs, tout relatif, conformément à son nom, se rapporte à quelque chose d’autre. Mais ce nom, «persona», ne se rapporte pas à un autre, si on se fie à son nom. Il ne signifie donc pas la relation.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg. 4 Item, « quid » quaerit de substantia vel essentia. Sed, sicut in Littera dicitur, haereticis quaerentibus, quid tres sunt ? Respondet Ecclesia : Pater, et Filius et Spiritus sanctus [Respondetur: Pater et Filius et Spiritus sanctus ; quod est Ed. de Parme] nomen « personae ». Ergo « persona « significat essentiam.

4. En outre, la question «quid» s’enquiert de la substance ou de l’essence. Mais, comme on le dit dans le Document, aux hérétiques qui demandent : ils sont trois quoi ? L’Église répond : le Père, le Fils et l’Esprit-Saint [On répond : le Père, le Fils et l’Esprit-Saint ; l’essence Éd. de Parme] ont pour nom «Personne». Donc, «persona» signifie l’essence.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, « persona » dicitur quasi per se una. Sed unum significat essentiam. Ergo videtur quod « persona » essentiam significat.

5. De plus, «persona» signifie pratiquement ce qui est un par soi. Mais l’un signifie l’essence. Il semble donc que «persona» signifie l’essence.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, Boetius, lib II de Trin., col. 1299 : « Omne nomen quod ex personis originem capit, certum est ad substantiam non pertinere ». Sed nullum nomen ita capit originem ex personis sicut « persona ». Ergo, etc.

Cependant :

1. Au contraire, on lit dans Boèce [De la Trinité, 11, col. 1299] : «Tout nom qui prend son origine des personnes n’appartient certainement pas à la substance». Mais aucun nom ne prend davantage son origine des personnes que le nom «persona». Donc ce nom ne se rapporte pas à la substance.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, in nullo absoluto distinguitur Pater a Filio, sed solum relatione. Distinguitur autem in persona. Ergo persona non significat aliquid absolutum, sed relationem. Prima probatur ex simplicitate divina, et perfectione totius Trinitatis.

2. En outre, le Père ne se distingue pas du Fils dans l’absolu mais seulement dans la relation. Mais il se distingue de Lui dans la personne. Donc «persons» ne signifie pas quelque chose d’absolu mais la relation. La majeure se prouve par la simplicité divine et la perfection de toute la Trinité.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 s. c. 3 Item, ad quodcumque genus reducitur inferius, reducitur et suum superius. Sed sub hoc communi quod est persona, continetur Pater et Filius et Spiritus sanctus. Ergo cum Pater significet ad aliquid, et « persona » similiter.

3. De plus, quel que soit le genre auquel se ramène l’inférieur, son supérieur s’y ramène aussi. Mais sous ce supérieur qui est «persona», sont contenus le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc, puisque le Père signifie la relation, «persona» signifie aussi la relation.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod de significatione « personae » invenitur multiplex doctorum sententia. Quidam enim dicunt, quod est nomen aequivocum ; et quidam, quod est nomen univocum. Aequivocatio autem hujus nominis tripliciter a diversis assignatur.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’au sujet de la signification de «personne», les opinions des docteurs sont variées. Certains disent en effet que c’est là un nom équivoque et d’autres que c’est un nom univoque. Mais le caractère équivoque de ce nom est assigné de trois manières par différents auteurs.

Quidam enim assignant multiplicitatem nominis secundum diversitatem temporis: quia ante quaestionem haereticorum significabat essentiam divinam, prout erat distincta ab aliis essentiis ; sed post quaestionem haereticorum mutata fuit ejus significatio, ut in singulari significet essentiam, et in plurali relationem. Sed post tempus Boetii significat relationem, secundum usum modernorum, et in singulari et in plurali. Sed hoc non non videtur rationabile omnino [omnino om. Ed. de Parme] quia plurale non est nisi geminatum singulare: unde eadem est significatio in singulari et plurali sub diversa consignificatione. Item constat quod usus variatus istius nominis non est irrationabilis [rationabilis éd. de Parme) ; unde oportet quod in significatione ipsius nominis attendatur aliquid secundum quod eo sic vel sic uti possumus.

Certains en effet assignent la multiplicité du nom d’après la diversité du temps : car ce nom, avant les questions des hérétiques, signifiait l’essence divine en tant qu’elle était distincte des autres essences ; mais après les instances des hérétiques sa signification fut changée de manière à signifier la substance au singulier et la relation au pluriel. Mais après l’époque de Boèce ce terme signifie la relation suivant l’usage des modernes, à la fois au singulier et au pluriel. Mais cela ne semble absolument [absolument om. Éd. de Parme] pas rationnel car le pluriel n’est qu’un singulier multiplié : c’est pourquoi la signification est la même au singulier et au pluriel sous une consignification différente. En outre il est clair que l’usage varié de ce nom n’est pas irrationnel [rationnel Éd, de Parme] ; c’est pourquoi il faut que dans la signification du nom lui-même se vérifie quelque chose selon quoi nous pouvons nous en servir ainsi ou autrement.

Alii assignant multiplicitatem hujus nominis secundum diversa significata, non ex diversitate temporis, sed ex propria significatione nominis. Dicunt enim simpliciter, quod quandoque significat essentiam, quandoque hypostasim, quandoque proprietatem, sicut infra, distin. 26, Magister sentire videtur. Sed nullum istorum videtur complete dicere significationem personae ; immo persona videtur omnia includere ; dicit enim quid subsistens in natura aliqua, et distinctum aliqua proprietate.

D’autres assignent la multiplicité de ce nom d’après différentes choses signifiées, non pas à partir du temps mais à partir de la signification propre du nom. Ils disent en effet simplement que parfois il signifie l’essence, parfois l’hypostase, parfois la propriété, ainsi que semble en juger plus loin le Maître dans la distinction26. Mais aucun d’eux ne semble dire la signification de «persona» d’une manière parfaite ; bien plutôt, le terme «persona» semble tout contenir : il dit en effet quelque chose qui subsiste dans une nature, et qui est distinct par une propriété.

Alii assignant multiplicitatem ex adjuncto: dicunt enim, quod quando per se sumitur, significat substantiam ; sed ex adjuncto partitivo vel numerali termino trahitur ad significationem relationis, ut cum dicitur, duae personae, vel, alia persona. Sed hoc non videtur: quia nomina significantia substantiam absolute, non recipiunt talium additionem ; non enim dicimus plures deos, vel alium Deum.

D’autres assignent la multiplicité des significations de ce nom à partir de ce qui lui est rattaché : ils disent en effet que quand il se prend par lui-même, il signifie la substance ; mais si on y ajoute un terme de division ou un terme numérique, le nom est entraîné à signifier la relation, comme lorsqu’on dit deux personnes ou une autre personne. Mais cela est invraisemblable : car les noms signifiant la substance d’une manière absolue ne reçoivent pas des ajouts de cette sorte ; en effet, nous ne disons pas plusieurs dieux ou un autre Dieu.

Item qui dicunt quod est nomen univocum, similiter variantur. Quidam enim dicunt, quod in sua significatione claudit unum tantum, scilicet substantiam, et significat substantiam, non quae est essentia, sed quae dicitur hypostasis vel substantia prima, ut dictum est, art. 1 istius dist. Sed hoc non videtur sufficere: quia nihil absolutum in divinis numeratur. Unde si nullo modo relationem importaret, non posset in plurali praedicari.

En outre ceux qui disent que «persona» est un nom univoque ont également des opinions qui varient. Certains en effet disent que dans sa signification il ne renferme qu’une seule notion, à savoir la substance, et qu’il signifie la substance, non pas celle qui est l’essence, mais celle qu’on appelle hypostase ou substance première, comme nous l’avons dit dans l’article 1 de cette distinction. Mais il semble que cette opinion n’est pas satisfaisante : car rien de ce qui est absolu en Dieu n’est compté. C’est pourquoi, si ce terme n’impliquait la relation d’aucune manière, il ne pourrait être attribué au pluriel.

Alii dicunt, quod in sua significatione includit duo, sed unum principaliter et quasi in recto, et aliud secundario et quasi in obliquo ; et horum est duplex opinio: quidam enim dicunt, quod significat relationem in recto, et substantiam in obliquo ; et quidam dicunt e converso.

D’autres disent que dans sa signification. «persona» comprend deux choses, mais l’une est comprise principalement et comme directement, l’autre secondairement et comme indirectement ; et à ce sujet il y a deux opinions : certains en effet disent que c’est la relation que ce nom signifie directement et que la subtance est signifiée indirectement, alors que d’autres disent le contraire.

Alii dicunt, quod claudit in sua significatione duo principaliter, scilicet substantiam et proprietatem ; et isti iterum diversificantur. Quidam enim dicunt, quod proprietas illa ponitur circa substantiam ut distinguens ipsam ; unde dicunt, quod significat substantiam proprietate distinctam.

D’autres disent que ce nom renferme dans sa signification deux choses principalement, à savoir la substance  et la propriété ; et ceux-là en outre se différencient. Certains en effet disent que cette propriété se pose sur la substance pour la distinguer ; c’est pourquoi ils disent qu’elle signifie une substance distincte par la propriété.

Sed qualiter aliquod (aliquid om. Ed. de Parme] absolutum distinguatur in divinis, non facile est videre. Alii praeterea dicunt, quod significat duo principaliter, et unum illorum non ponitur circa alterum: quia proprietas quam significat, non distinguit substantiam. Sed qualiter unum nomen possit plura significare, nisi ex eis aliquid unum efficiatur aliquo modo, non plene videtur.

Mais de quelle manière quelque chose [quelque chose om. Éd. de Parme] d’absolu se distingue en Dieu, il n’est pas facile de le voir. D’autres par ailleurs disent que ce mot signifie deux choses principalement, et que l’une d’elles n’est pas posée sur l’autre : car la propriété qu’il signifie ne distingue pas la substance. Mais de  quelle manière un même nom peut signifier plusieurs choses à moins qu’à partir d’elles quelque chose d’un ne soit rendu de quelque manière, on ne le voit pas bien.

Et ideo ut videatur quid veritatis sit in singulis opinionibus, et in quo deficiant, videndum est, quod persona, ut dictum est, ubi supra, significat individuam substantiam. Sed « individuum » dupliciter potest significari: vel per nomen secundae intentionis, sicut hoc nomen « individuum » vel « singulare », quod non significat rem singularem, sed intentionem singularitatis ; vel per nomen primae intentionis, quod significat rem, cui convenit intentio particularitatis ; et ita significatur hoc nomine « persona » ; significat enim rem ipsam, cui accedit intentio individui.

Et c’est pourquoi, afin de voir ce qu’il y a de vrai dans ces opinions individuelles et en quoi elles sont défectueuses, il faut voir que «persona», comme nous l’avons dit plus haut, signifie une substance individuelle. Mais «individu» peut être signifié de deux manières : soit par le nom d’une intention seconde, comme ce nom «individu» ou «singulier», qui ne signifie pas une chose individuelle, mais l’intention d’individualité ; soit par le nom d’une intention première qui signifie une chose à laquelle convient l’intention d’individualité ; et c’est de cette manière qu’individu est signifié par ce nom, «persona» ; il signifie en effet la chose elle-même à laquelle survient l’intention d’individualité.

 Secundum hoc ergo dupliciter possumus loqui de significatione personae: vel per se, scilicet quid hoc nomen « persona » secundum se significet ; vel per accidens, secundum quod accipitur in tali vel in tali natura. Per se quidem significat substantiam intellectualem individuam, quaecumque sit illa, et qualitercumque individuetur. Si autem accipiatur persona humana, significat hoc quod est subsistens in tali natura, et distinctum tali distinctione qualis competit naturae humanae, scilicet per naturam determinatam. Et sic loquimur hic de significatione personae, prout dicitur persona divina ; et secundum hoc significabit hoc quod est distinctum existens in natura divina.

C’est donc d’après ces considérations que nous pouvons parler de deux manières de la signification de «personne» : ou bien par soi, c’est-à-dire ce que ce nom «persona» signifie en lui-même ; ou bien par accident, selon qu’il se prend dans telle ou telle autre nature. Par soi ou essentiellement il signifie certes une substance intellecgtuelle individuelle, quelle qu’elle soit, et quelle que soit la manière dont elle est individuée. Mais si on prend la personne humanie, elle signifie ce qui est subsistant dans telle nature et qui est distinct par une distinction telle qu’elle appartient à la nature humaine, c’est-à-dire par une nature déterminée. Et c’est ainsi que nous parlons ici de la signification de «personne», en tant qu’on parle de la personne divine ; et conformément à cela, ce nom signifiera ce qui existe de distinct dans la nature divine.

Ut ergo videamus quid sit ibi distinctum, et quomodo competat sibi ratio personae, notandum est, quod secundum necessitatem fidei, quae in Deo tres et unum confitetur, oportet ponere aliquid commune, secundum quod sunt unum, et aliquid proprium, quod est distinguens, ex qua distinctione sunt tres. Et illud commune est essentia vel natura divina, prout significatur nomine divinitatis ; et illud distinguens est relatio, ut paternitas.

Donc, afin de voir ce qu’il y a là de distinct et comment et comment lui revient la notion de personne, il faut noter, conformément à la nécessité de la foi qui confesse qu’il y a en Dieu à la fois trinité et unité, il faut poser quelque chose de commun conformément à son unité, et quelque chose de propre qui soit un principe de distinction à partir duquel se vérifie la trinité. Et ce caractère commun est l’essence ou la nature divine, en tant qu’elle est signifiée par le nom de Dieu ; et ce principe de distinction est la relation, par exemple la paternité.

Et quia in divinis non est aliqua compositio, ideo oportet quod deitas intelligatur secundum rem idem quod Deus, et paternitas idem quod Pater. Si ergo accipiamus ista quatuor, scilicet deitatem, Deum, Patrem, paternitatem, constat quod ipsi deitati, prout sic significatur ut natura quaedam, non convenit ratio personae, dupliciter: primo, quia non significatur ut per se subsistens ; secundo, quia est commune pluribus, et persona significat distinctum quid

Et parce qu’en Dieu il n’y a pas composition, c’est pourquoi il faut que, en réalité, la divinité s’entende comme étant identique à Dieu et la paternité comme étant identique au Père. Si donc nous prenons ces quatre notions, à savoir la divinité, Dieu, le Père et la paternité, il est clair que la notion de personne ne convient pas à la divinité signifiée comme une certaine nature, et cela pour deux raisons : premièrement parce que la divinité n’est pas signifiée comme subsistant par elle-même ; deuxièmement parce qu’elle est commune à plusieurs, alors que la personne signifie un être distinct.

Similiter hoc nomen « Deus » non habet rationem personae: quia quamvis significetur ut subsistens, non tamen habet rationem distinctionis: quia sicut Pater et Filius conveniunt in hoc quod est deitas, ita conveniunt in hoc quod est Deus. Sed verum est quod si tolleretur pluralitas personarum, et per consequens communitas hujus nominis « Deus », hoc nomen Deus significaret personam quamdam distinctam ab omnibus aliis naturis proprietatibus essentialibus. Unde hoc nomen « Deus » significaretur ut persona quaedam. Similiter etiam paternitas cum non significetur ut quid subsistens, nec ut distinctum, sed ut distinguens, non significatur per modum personae. Similiter Pater, quamvis significetur ut quid distinctum, non tamen significatur ut subsistens in natura aliqua, sed magis ut subjectum cuidam proprietati.

De la même manière ce nom «Dieu» n’a pas raison de personne : car bien qu’il soit signifié comme subsistant, cependant il n’a pas raison d’être pris comme être distinct : car tout comme le Père et le Fils ont en commun la divinité, de même ils ont en commun le fait de subsister comme Dieu. Mais il est vrai que si la pluralité des personnes disparaissait et par conséquent le caractère commun de ce nom «Dieu», ce nom «Dieu» signifierait une personne distincte de toutes les autres natures par ses propriétés essentielles. C’est pourquoi dans ce cas ce nom «Dieu» signifierait à la manière d’une personne. De la même manière encore la paternité, puisqu’elle ne signifie ni à la manière d’un être subsistant ni à la manière d’un être distinct mais comme un principe de distinction, c’est pourquoi ce nom n’est pas signifié à la manière d’une personne. De la même manière, le nom Père, bien qu’il soit signifié comme un être distinct, il n’est cependant pas signifié comme subsistant dans une certaine nature mais plutôt comme le sujet d’une certaine propriété.

Unde sicut album de ratione nominis sui non est nomen personae, ita nec pater: sed inquantum Pater et Deus sunt idem, non quidem sicut accidens et subjectum, sed per omnimodam rei indifferentiam ; sic Pater, inquantum est Pater Deus, habet ut sit persona. Et ideo dico, quod « persona » in divinis significat relationem per modum substantiae. Ipsa enim relatio, quae est distinguens, est distinctum, quia paternitas est Pater.

C’est pourquoi, tout comme le blanc en raison de son nom n’est pas un nom de personne, il en est de même du nom père : mais en tant que le Père et Dieu sont identiques, non pas certes comme l’accident et le sujet sont identiques, mais par l’absence de toute différence réelle, ainsi le Père, en tant qu’il est à la fois Père et Dieu, a raison d’être une personne. Et c’est pourquoi je dis que «persona» dans les personnes divines signifie la relation à la manière d’une substance. En effet, la relation elle-même, qui est principe qui distingue, est aussi un être distinct parce que la paternité est aussi le Père.

Et quia « persona » significat quid distinctum existens in natura aliqua, ideo constat quod significat relationem, inquantum ipsa relatio est ad ipsum relatum, et inquantum ipsum relatum est subsistens in tali natura. Et ideo patet quod « persona » significat relationem per modum substantiae, non quae est essentia, sed quae est suppositum habens essentiam.

Et parce que «persona» signifie un être distinct existant dans une certaine nature, c’est pourquoi il est clair qu’il signifie la relation pour autant que la relation elle-même se rapporte au relatif lui-même et pour autant que le relatif lui-même est un être subsistant dans telle nature. Et c’est pourquoi il est évident que «persona» signifie la relation à la manière d’une substance, non pas celle qui est l’essence, mais celle qui est le suppôt possédant l’essence.

. Et ex hoc patet quod omnes opiniones, secundum aliquid, verum dixerunt. Qui enim dixerunt, quod est aequivocum, et quandoque significat unum, quandoque aliud, pro tanto verum dixerunt, quod cum in persona includatur et proprietas et hypostasis et essentia, et haec non differant realiter in Deo, significat relationem ut hypostasim ; significat enim essentiam, quae est hypostasis, et significat etiam proprietatem, quae est ipsum suppositum distinctum ; unde quandoque potest poni pro uno, quandoque pro alio.

 Et de là on voit que toutes les opinions ont dit vrai sous un certain rapport. Ceux en effet qui ont dit que «persona» est un nom équivoque, et qu’il signifie parfois une chose et parfois une autre, ont d’autant plus dit vrai que puisque dans la personne sont comprises à la fois la propriété, l’hypostase et l’essence et que ces notions ne diffèrent pas en réalité en Dieu, ce nom signifie la relation comme hypostase ; il signifie en effet l’essence, qui est l’hypostase, et il signifie aussi la propriété qui est le suppôt distinct lui-même ; c’est pourquoi il peut être posé parfois pour l’un, parfois pour l’autre.

Sed hoc accidit personae ex hoc quod in divinis omnia praedicta unum sunt secundum rem. Similiter qui dixerunt, quod significat tantum hypostasim, attenderunt modum secundum quem significat nomen, quia significat per modum subsistens in natura aliqua ; quamvis significet ipsum distinctum, quod est ipsa relatio distinguens. Similiter qui dixerunt, quod significat substantiam in recto, attenderunt substantiam quae est hypostasis distincta proprietate.

Mais cela peut survenir à ce terme du fait que dans les personnes divines tout ce qui précède est un en réalité. De la même manière ceux qui ont dit qu’il signifie seulement l’hypostase ont considéré le mode suivant lequel le nom signifie, car il signifie à la manière de ce qui subsiste dans une certaine nature, bien qu’il signifie l’être distinct lui-même qui est la relation même qui distingue. De la même manière ceux qui ont dit que ce nom signifie la substance directement ont considéré la substance qui est l’hypostase distincte par la propriété.

Qui autem dixerunt e converso, attenderunt substantiam quae est essentia. Et qui dixerunt, quod significat hypostasim, et proprietatem ponit circa eam, non acceperunt hypostasim ex parte qua subsistit naturae divinae, ut significatur hoc nomine « Deus », quod indistincte tribus personis convenit ; sed ex parte illa qua hypostasis est ipsa relatio distinguens hypostasim: quia in Deo idem est distinguens et distinctum. Et e converso consideraverunt hypostasim vel substantiam, qui dixerunt, quod proprietas non ponitur circa substantiam ut distinguens ipsam.

Mais ceux qui ont dit l’inverse ont considéré la substance qui est l’essence. Et ceux qui ont dit qu’il signifie l’hypostase et qu’il pose la propriété sur elle, n’ont pas pris l’hypostase du côté par lequel elle subsiste à la nature divine, comme elle est signifiée par le nom «Dieu», qui convient indistinctement aux trois personnes, mais de ce côté par lequel l’hypostase set la relation même qui distingue l’hypostase : car en Dieu, il y a identité entre ce qui distingue et ce qui est distingué. Et au contraire, ceux qui ont dit que la propriété n’est pas posée sur la substance comme ce qui la distingue ont considéré l’hypostase ou la substance.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus attendit significationem personae quantum ad modum significandi, et non quantum ad id quod significatur ; et ideo quamvis significetur relatio, quia tamen significatur per modum substantiae, ideo dixit, quod significat substantiam: et quia ulterius substantia in Deo est idem quod essentia, ideo consequitur ut significet etiam essentiam, secundum quod Pater est Deus, et etiam ipsa deitas.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que Saint-Augustin considère la signification de la personne quant au mode de signifier et non quant à ce qui est signifié ; et c’est pourquoi, bien que la relation soit signifiée, cependant parce qu’elle est signifiée à la manière d’une substance, c’est pourquoi il a dit qu’il signifie la substance : et parce que par la suite la subsatnce en Dieu est identique à l’essence, c’est pourquoi il s’ensuit qu’il signifie aussi l’essence, selon que le Père est Dieu et aussi la divinité elle-même.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum de definitione Boetii.

2. Et de là on voit la réponse à la deuxième difficulté sur la definition de Boèce.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 3 Et similiter ad tertium: quia quamvis significet relationem, non tamen significat per modum relationis ; et ideo non refertur secundum nomen ad aliud.

3. Et il en est de même pour la troisième difficulté: car bien que ce nom signifie la relation, il ne la signifie cependant pas à la manière d’une relation; et c’est pourquoi ce nom ne se rapporte pas à un autre selon le nom.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod « quid » quandoque quaerit essentiam, ut cum quaeritur: quid est homo ? Animal rationale mortale. Quandoque quaerit ipsum suppositum, ut cum quaeritur, quid natat in mari ? Piscis, respondetur. Et ita etiam fuit responsum haereticis quaerentibus, quid tres ? Tres personae [ tres om. Ed. de Parme]

4. Il faut dire en quatrième lieu que «quid», c’est-à-dire ¨quoi ?¨, s’enquiert parfois de l’essence, comme lorsqu’on demande : qu’est-ce que l’homme ?, et qu’on répond : il est un animal rationnel et mortel. Mais parfois il s’enquiert du suppôt lui-même, comme lorsqu’on demande : qu’est-ce qui nage dans la mer ?, on répond : le poisson. Et c’est ainsi qu’on a aussi répondu aux hérétiques qui demandaient : trois quoi ? Trois personnes [trois om. Éd. de Parme].

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum dicitur persona, quasi per se una, non significatur unitas essentialis, sed magis unitas personae, quae est ex proprietate ; et ideo illa ratio non est ad propositum.

5. Il faut dire en cinquième lieu que lorsqu’on dit «persona» à la manière de ¨par soi une¨, ce n’est pas l’unité essentielle qui est signifiée, mais plutôt l’unité de la personne qui vient de la propriété ; et c’est pourquoi cet argument ne se rapporte pas au propos.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 3 ad s. c. Et per hoc etiam patet responsio ad ea quae in contrarium objecta sunt, quae procedunt quantum ad id quod significat hoc nomen « persona ». Invenimus enim in divinis quatuor modos significandi.

Aliquid enim significat absolutum per modum absoluti, ut Deus ;

aliquid relationem per modum relationis, ut pater ;

aliquid, absolutum per modum relationis, ut potentia generandi ;

et aliquid, relatum per modum absoluti, ut persona ; et hoc accidit inquantum relatio essentialiter est ipsa substantia divina, et cetera.

6. Et par là on voit aussi la réponse à ce qui a été objecté aux difficultés, lesquelles objections procèdent de ce que ce nom «persona» signifie et non de la manière de signifier.

Nous retrouvons en effet en Dieu quatre modes de signifier.

Le premier en effet signifie l’absolu par mode d’absolu, comme Dieu.

Un autre signifie la relation par mode de relation, comme père.

Un autre encore signifie l’absolu par mode de relation, comme la puissance d’engendrer.

Et enfin le relatif par mode d’absolu, comme «persona» ; et cela est possible selon que la relation est essentiellement la substance divine elle-même, etc.

 

 

Articulus 4 Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 tit. Utrum « persona » praedicetur pluraliter in divinis

Article 4 – « Personne » est-il prédiqué au pluriel en Dieu ?

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod « persona » non praedicetur pluraliter. Ut enim ex Littera habetur, esse tres personas, est esse tria quaedam. Sed non conceditur quod Pater et Filius et Spiritus sanctus sint tria, sed unum. Ergo videtur quod non possint dici tres personae.

Difficultés :

1. Il semble que «persona» ne s’attribue pas au pluriel. Comme on l’établit en effet dans le Document, être trois personnes, c’est être trois réalités. Mais on ne concède pas que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint soient trois réalités, mais plutôt une seule. Il ne semble donc pas qu’on puisse dire d’eux qu’ils sont trois personnes.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, « persona » significat existens substantialiter in natura aliqua. Sed distinctio proprietatum non diversificat id quod substantialiter est in natura aliqua. Ergo videtur, cum Pater et Filius et Spiritus sanctus non distinguantur nisi proprietatibus, quod non possint dici tres personae.

2. Par ailleurs, «persona» signifie ce qui existe substantiellement dans une nature. Mais la distinction des propriétés ne distingue pas ce qui existe substantiellement dans une nature. Il semble donc, puisque le Père, le Fils et l’Esprit-Saint ne se distinguent que par les propriétés, qu’ils ne puissent être appelés trois personnes.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, proprietates personales non magis substantialiter sunt in Deo quam proprietates essentiales, ut bonitas, sapientia et hujusmodi. Sed proprietates essentiales non faciunt personas plures. Ergo nec proprietates relativae.

3. En outre, les propriétés personnelles n’existent pas plus substantiellement en Dieu que les propriétés essentielles comme la bonté, la sagesse et les propriétés de cette sorte. Mais les propriétés essentielles ne font pas plusieurs personnes. Donc les propriétés relatives ne le font pas non plus.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, sicut hoc nomen « Deus » significat habens naturam divinam, sic hoc nomen « persona » significat subsistens in divina natura. Sed, propter unitatem divinae naturae, non potest dici quod sint plures dii. Ergo quod nec eadem ratione sint plures personae.

4. De plus, tout comme ce nom, «Dieu», signifie ce qui possède la nature divine, ainsi ce nom, «persona» signifie ce qui subsiste dans la nature divine. Mais en raison de l’unité de la nature divine, on ne peut dire qu’ils sont plusieurs dieux. Donc, pour la même raison, on ne peut dire qu’ils sont plusieurs personnes.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur, et quod communis usus Ecclesiae habet.

Cependant :

1. Ce qui est dit dans le Document et qui fait partie de l’usage commun de l’Église est contraire aux conclusions qui précèdent.

Praeterea, hoc videtur per Richardum, IV De Trinitate, cap.XIX, col. 912, qui dicit: « Timentes ubi non est timor, recte timerent personas secundum substantiam dici, si persona tantum esse substantiale significaret, nec aliquid consignificaret ; ratione cujus dicit, quod multiplicantur personae.

2. Par ailleurs, c’est là ce qui apparaît au moyen des paroles de Richard de Saint-Victor [IV De la Trinité, ch. XIX, col. 912] :« Si ¨persona¨ signifiait seulement l’existence substantielle et ne consignifiait rien d’autre, ceux qui craignent là où il n’y a pas lieu de craindre craindraient avec raison que les personnes divines soient appelées personnes selon la substance» ; en raison de quoi il dit qu’il y a une multiplicité de personnes.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, « persona » dicit aliquid distinctum subsistens in natura intellectuali. Unde ubicumque ponuntur aliqui distincti habentes naturam intellectualem, ponuntur plures personae. Nec interest ad pluralitatem personarum, utrum habeant eamdem naturam, nec ne. Divisio enim naturae in pluribus personis in hominibus accidit, tum ex imperfectione naturae humanae quae non est suum esse, sed accipit ipsum in supposito suo ; unde in diversis suppositis est secundum diversum esse: tum etiam ex modo distinctionis, quia personae humanae distinguuntur per materiam, quae est pars essentiae. Unde oportet personam distinctam unam essentiam non habere: quorum neutrum est in divinis personis: unde tres personae sunt subsistentes in una natura.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire, comme nous l’avons dit, que «persona» dit un être distinct qui existe dans une nature intellectuelle. C’est pourquoi, partout où on pose plusieurs êtres distincts possédant une nature intellectuelle, on pose plusieurs personnes. Et il ne change rien à la pluralité des personnes qu’elles possèdent ou non la même nature. En effet, la division de la nature en plusieurs personnes se produit chez les hommes tant à cause de l’imperfection de la nature humaine qui n’est pas sa propre existence mais la reçoit dans son suppôt, d’où cette nature se retrouve dans différents suppôts selon une existence différente, qu’à cause aussi du mode de distinction, car les personnes humaines se distinguent par la matière qui est une partie de l’essence. C’est pourquoi il faut qu’une personne distincte ne possède pas la même essence: mais aucune de ces limites ne se retrouve dans les personnes divines et c’est pourquoi il y a trois personnes qui subsistent dans une seule et même nature.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus, accipit largo modo tria pro tres: sicut etiam Hilarius, lib. De Synod., § 29, col. 503, dicens, quod « per substantiam sunt tria, per consonantiam unum », accipiens substantiam pro hypostasi. Vel dicendum, quod non sunt tria simpliciter, sed tria quaedam, scilicet tria supposita.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu  que Saint-Augustin prend au sens large trois réalités pour trois : tout comme Saint-Hilaire [Du Synode, & 29, col. 503] qui dit que «par la substance ils sont trois, par la ressemblance ou la nature ils sont un», prenant substance pour hypostase. Ou bien il faut dire qu’ils ne sont pas trois absolument, mais trois sous un certain rapport, à savoir à titre de suppôts.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in creaturis diversitas proprietatum non facit plures personas, quia proprietas non est persona subsistens ; sed in divinis proprietates sunt ipsae personae subsistentes: quia et paternitas est ipse Pater ;  et esse Patrem et esse Deum, non est aliud et aliud esse: non enim est aliud esse Patris, quod non sit esse Filii ; et ideo ad numerum proprietatum personalium sequitur numerus personarum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les créatures la diversité des propriétés n’entraîne pas une pluralité de personnes, parce que la propriété n’est pas une personne subsistante ; mais en Dieu les propriétés sont les personnes subsistantes elles-mêmes, parce que d’une part la paternité est le Père lui-même et que d’autre part l’existence du Père n’est pas autre que l’existence de Dieu : l’existence du Père en effet n’est pas autre à ce point qu’elle ne soit pas l’existence du Fils ; et c’est pourquoi le nombre des personnes découle du nombre des propriétés personnelles.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod proprietates essentiales etiam sunt subsistentes, sed tamen, una non habet rationem quod distinguatur ab alia secundum rem, sed solum secundum rationem ; sed proprietates relativae habent hoc ex virtute oppositionis. Unde sicut Pater est quid subsistens, ita et bonus ; sed Pater et Filius est alius et alius subsistens ; sed bonus et sapiens est unum et idem subsistens. Unde de singulis personis omnia ista dicuntur ; et ideo proprietates essentiales non faciunt numerum personarum ; quia numerus sequitur distinctionem.

3. Il faut dire en troisième lieu que les propriétés essentielles aussi sont subsistantes, mais l’une cependant n’a pas raison d’être distinguée de l’autre réellement mais seulement selon la raison ; mais les propriétés relatives ont raison d’être distinguées entre elles réellement en vertu de l’opposition. C’est pourquoi le bien, tout comme le Père est de l’être subsistant ; mais le Père, en tant qu’être subsistant, est autre que le Fils alors que le bien et la sagesse sont un seul et même être subsistant en réalité. Et c’est pourquoi tous ces propriétés essentiels s’attribuent à chacune des personnes, d’où il s’ensuit que les propriétés essentielles ne sont pas la cause du nombre des personnes, car le nombre découle de la distinction.

Lib 1 d. 23 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nomina substantiva non recipiunt pluralitatem nisi ex multiplicatione formae a qua imponuntur: et quia deitas a qua imponitur hoc nomen Deus, non multiplicatur ; ideo nec ipsum nomen, quod a tali forma imponitur: sed nomen personae imponitur a forma personalitatis, quae dicit rationem subsistendi naturae tali ; et ideo ubi sunt plures subsistentes, sunt plures personalitates et plures personae.

4. Il faut dire en quatrième lieu que les noms substantifs ne reçoivent la pluralité que de la multiplicité des formes à partir desquelles ils sont imposés : et parce que la divinité à partir de laquelle le nom «Dieu» est imposé ne se multiplie pas, c’est pourquoi le nom lui-même qui est imposé à partir de cette forme ne se multiplie pas non plus. Mais le nom de personne est imposé à partir de la forme de la personnalité qui renvoie à la notion de ce qui subsiste dans telle nature ; et c’est pourquoi, là où il y a plusieurs êtres subsistants, il y a plusieurs personnalités et plusieurs personnes.

 

 

Distinctio 24

Distinction 24 – [L’unité en Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’unité en Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quaeruntur duo:

primo de nominibus significantibus unitatem et pluralitatem in divinis ;

secundo de nominibus significantibus ea quae sunt pluralitati annexa.

Circa primum quaeruntur quatuor: 

1 utrum unitas sit in divinis, ut Deus vere unus dici possit ;

2 utrum sit ibi aliquis numerus ;

3 si utrumque est ibi, utrum nomina significantia unitatem et pluralitatem praedicent aliquid positive in Deo, vel tantum removendo, ut in Littera dicitur ;

 4 si ponunt aliquid aliquo modo, quid significent, utrum essentiam vel notionem.

On s’enquiert ici sur deux points :

Premièrement sur les noms qui signifient l’unité et la pluralité en Dieu ;

Deuxièmement sur les noms qui signifient ce qui s’ajoute à la pluralité.

Au sujet du premier point, on se pose quatre questions :

1. Est-ce que l’unité est en Dieu de manière à ce qu’on puisse dire de Dieu qu’il est véritablement un ?

2. Est-ce que le nombre est présent en Dieu ?

3. S’il y a là nombre et unité, est-ce que les noms signifiant l’unité et la pluralité attribuent positivement quelque chose à Dieu ou seulement par la négation ainsi qu’on le dit dans le Document ?

4. Et s’ils posent quelque chose en Dieu d’une certaine manière, que signifient-ils, l’essence ou la notion ?

 

 

Articulus 1 [1798] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus possit dici unus

Article 1 – Peut-on dire que Dieu est un ?

[1799] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit dici unus. Principium enim determinatum alicujus generis non invenitur nisi in habentibus naturam illius generis, sicut anima non invenitur nisi in rebus viventibus. Sed unitas est in genere quantitatis sicut principium, sicut et punctus. Ergo cum quantitas non sit in Deo, videtur quod nec unitas.

Difficultés :

1. Il semble qu’on ne puisse dire de Dieu qu’il est un. Le principe déterminé d’un genre en effet ne se retrouve que dans ceux qui possèdent la nature de ce genre, tout comme l’âme ne se retrouve que chez les êtres vivants. Mais l’unité est dans le genre de la quantité en tant que principe, tout comme le point. C’est pourquoi, puisque la quantité n’est pas en Dieu, il semble que l’unité n’y soit pas non plus.

[1800] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Boetium, in Arith., cap. VII, col. 1085, unitas est potentia omnis numerus, unde omnes passiones numerorum inveniuntur virtute [unitae Ed de Parme) in unitate. Sed in Deo non est aliqua potentia ad multitudinem numeri. Ergo videtur quod non sit ibi unitas.

2. Par ailleurs, selon Boèce [L’Arithmétique, ch.  VII, col. 1085], l’unité est en puissance tout nombre, et c’est pourquoi toutes les propriététs des nombres se retrouvent en puissance [de l’unité Éd. de Parme] dans l’unité. Mais en Dieu il n’y a aucune puissance à la multiplicité du nombre. Il semble donc qu’il n’y ait pas là unité.

[1801] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, nihil potest dici unum nisi quod est in se terminatum et distinctum ab aliis ; unde unitas consequitur actum formae terminantis. Sed Deus non potest dici in se terminatus ; nihil enim est terminatum, nisi cujus essentiam termini circumplectuntur ; quod Deo non competit. Ergo videtur quod non possit dici unus.

3. En outre, rien ne peut être appelé un si ce n’est ce qui est limité en soi et distinct des autres ; c’est pourquoi l’unité découle de l’acte d’une forme limitée. Mais Dieu ne peut être dit limité en soi ; rien en effet n’est limité, si ce n’est ce dont des termes entourent l’essence, ce qui est incompatible avec Dieu. Il semble donc qu’on ne puisse dire de Dieu qu’il est un.

[1802] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne quod est unum, est connumerabile alteri. Sed Deus non est connumerabilis alicui creaturae ; tum quia creatura et Deus in nullo conveniunt, quia hoc esset prius utroque ; nec inveniuntur aliqua connumerari, nisi quae in aliquo conveniunt ; sicut dicimus duos homines vel duos equos ; tum quia quod alteri connumeratur, est pars pluralitatis resultantis et exceditur ab ea ; quod Deo non competit. Ergo Deus non potest dici unus.

4. De plus, tout ce qui est un peut être compté avec un autre. Mais Dieu ne peut être compté avec aucune autre créature, tant parce Dieu et la créature ne se ramènent à rien de commun car cela serait antérieur aux deux et qu’on ne retrouve aucun être qui puisse être compté avec d’autres êtres sauf ceux qui ont quelque chose en commun, tout comme nous disons deux hommes ou deux chevaux, que parce que ce qui est compté parmi d’autres est une partie de la multiplicité résultante et est dépassé par elle, ce qui est incompatible avec Dieu. On ne peut donc dire de Dieu qu’il est un.

[1803] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur Deuter. 6, 4: Audi Israel: Dominus Deus tuus, Deus unus est.

Cependant :

1. Ce que nous dit l’Écriture [Deutéronome, 6, 4] : «Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu.», est tout à fait contraire à ce qui précède.

[1804] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum, in X Métaphys., text. 7, illud quo mensurantur omnia quae sunt alicujus generis, est unum illius generis. Sed Deus est primum quo mensurantur omnes substantiae, ut dicit Commentator. Ergo videtur quod sit unum in genere substantiae.

2. En outre, d’après le Philosophe [X Métaphysique, texte 7] ce par quoi sont mesurées toutes les choses qui appartiennent à un même genre est ce qui est un dans ce genre. Mais Dieu est le principe premier par lequel toutes les substances sont mesurées, comme le dit le Commentateur. Il semble donc que Dieu soit un dans le genre de la substance.

[1805] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Deus summe et verissime unus est. Secundum enim quod aliquid se habet ad indivisionem, ita se habet ad unitatem ; quia, secundum philosophum,V Metaphys., text. 8, 9, 10, 11, 12 ens dicitur unum in eo quod non dividitur. Et ideo illa quae sunt indivisa per se, verius sunt unum quam illa quae sunt indivisa per accidens, sicut albus et Socrates quae sunt unum per accidens ; et inter illa quae sunt unum per se, verius sunt unum quae sunt indivisa simpliciter quam quae sunt indivisa respectu alicujus vel generis vel specie [speciei Éd. de Parme] vel proportionis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que Dieu est suprêmement un et c’est Lui qui l’est le plus véritablement. En effet, un être se rapporte à l’unité dans la mesure où il est indivisible car d’après le Philosophe [Métaphysique, texte 8, 9, 10, 11, 12], on dit de l’être qu’il est un en ceci qu’il n’est pas divisé. Et c’est pourquoi les réalités qui sont indivisées par elles-mêmes sont plus véritablement unes que celles qui sont indivisées par accident comme c’est le cas pour le blanc et Socrate qui sont un par accident ; et parmi les êtres qui sont un par eux-mêmes, sont plus véritablement un ceux qui sont indivisés absolument que ceux qui sont indivisés par rapport soit au genre, soit par l’espèce [de l’espèce Éd. de Parme] ou sous un autre rapport.

Unde etiam non dicuntur simpliciter unum, sed unum vel in genere vel in specie vel in proportione ; et quod est simpliciter indivisum, dicitur simpliciter unum, quod est unum numero. Sed in istis etiam invenitur aliquis gradus. Aliquid enim est quod quamvis sit indivisum in actu, est tamen divisibile potentia, vel divisione quantitatis, vel divisione essentiali, vel secundum utrumque. Divisione quantitatis, sicut quod est unum continuitate ; divisione essentiali, sicut in compositis ex forma et materia, vel ex esse et quod est ; divisione secundum utrumque, sicut in naturalibus corporibus.

De là encore on ne dit pas de ces réalités qu’elles sont une absolument, mais qu’elles sont une soit dans le genre, soit dans l’espèce, soit dans un autre rapport ; mais ce qui est indivisé absolument, on dit de lui qu’il est un absolument, c’est-à-dire un par le nombre. Mais dans ces cas-là aussi on retrouve des degrés. Il y a des réalités en efet qui, bien qu’elles soient indivisées en acte, sont cependant divisibles en puissance, soit par une division de la quantité, soit par une division essentielle, soit selon les deux rapports. Parmi les réalités qui sont divisibles en puissance par une division de la quantité, il y a celles qui le sont comme ce qui est un par la continuité ; parmi celles qui le sont par une division essentielle, il y a les composés de matière et de forme et  les composés d’existence et d’essence ; parmi ceux qui sont divisibles par une division selon les deux rapports, il y a les corps naturels.

Et quod aliqua horum non dividantur in actu, est ex aliquo in eis praeter naturam compositionis vel divisionis, sicut patet in corpore caeli et hujusmodi ; quae quamvis non sint divisibilia actu, sunt tamen divisibilia intellectu. 

Aliquid vero est quod est indivisibile actu et potentia ; et hoc multiplex est. Quoddam enim habet in sui ratione aliquid praeter rationem indivisibilitatis, ut punctum, quod praeter indivisionem importat situm: aliquid vero est quod nihil aliud importat, sed est ipsa sua indivisibilitas, ut unitas quae est principium numeri ; et tamen inhaeret alicui quod non est ipsamet unitas, scilicet subjecto suo. Unde patet quod illud in quo nulla est compositio partium, nulla dimensionis continuitas, nulla accidentium varietas, nulli inhaerens, summe et vere unum est, ut concludit Boetius de unitate et uno., col. 1075).

Et que certains d’entre eux ne soient pas divisés en acte, cela leur vient de ce qu’il y a en eux quelque chose qui est en dehors de la nature de la composition ou de la division, comme on le voit pour le corps céleste et les autres réalités de cette sorte, lesquels, bien qu’ils ne soient pas divisibles en acte, sont cependant divisibles par l’intelligence.

Mais il y a ce qui est indivisible en acte et en puissance et cela s’observe de plusieurs manières. Il y a en effet ce qui a quelque chose dans sa définition qui est en dehors de la notion d’indivisibilité, comme le point qui implique la position en dehors de la notion d’indivisibilité, et il y a en outre ce qui n’implique rien d’autre, qui est sa propre indivisibilité, comme l’unité qui est le principe du nombre, mais qui est cependant rattaché à quelque chose qui n’est pas l’unité elle-même, à savoir à son sujet. D’où il est clair que ce en quoi il n’y a aucune composition de parties, aucune continuité de dimensions, aucun changement d’accidents, aucun rattachement à un sujet, cela est suprêmement est véritablement un comme le conclut Boèce [De l’Unité et de l’Un, col. 1075].

Et inde est quod sua unitas est principium omnis unitatis et mensura omnis rei. Quia illud quod est maximum, est principium in quolibet genere, sicut maxime calidum omnis calidi, ut dicitur II Metaphysic., text. 4. et illud quod est simplicissimum, est mensura in quolibet genere, ut 10 Metaphysic., text. 3 dicitur.

Et il suit de là que l’unité de cet être est le principe de toute unité et la mesure de toute chose. Car dans tout genre, ce qu’il y a de meilleur est aussi ce qui est principe, comme ce qui est le plus chaud est le principe de tout ce qui est chaud comme le dit le Philosophe [11 Métaphysique, texte 4], tout comme dans tout genre ce qui est le plus simple est la mesure de tout le reste [X Métaphysique, texte 3].

[1806] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod unum dupliciter dicitur. Est enim unum quod convertitur cum ente, et est unum quod est principium numeri. Loquendo de uno quod convertitur cum ente, non est determinatum ad genus quantitatis, immo invenitur in omnibus entibus: et ideo sicut Deus est ens non aliquo esse quod non sit ipse, ita etiam est unus non aliqua unitate quae non sit ipse, sed per essentiam suam ; et [ideo add. Ed. de parme) maxime unum est. Loquendo autem de uno quod est principium numeri, non potest transumi in divinam praedicationem quantum ad genus suum quod est quantitas, sed quantum ad differentiam suam quae ad perfectionem pertinet, sicut indivisibilitas et prima ratio mensurandi vel aliquid hujusmodi.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’un se dit de deux manières. En effet, il y a l’un qui se convertit avec l’être, et il y a l’un qui est le principe du nombre. Si on parle de l’un qui se convertit avec l’être, il n’est pas déterminé au genre de la quantité, mais bien plutôt il se retrouve dans tous les êtres : et c’est pourquoi tout comme Dieu est l’être dont l’existence ne procède d’aucun autre être, de même aussi il est l’un dont l’existence ne procède d’aucune autre unité, mais de son essence même ; et [c’est pourquoi add. Éd. de Parme] il est suprêmement un. Mais si on parle de l’un qui est principe du nombre, il ne peut se ramener à l’attribution divine quant à son genre qui est la quantité, mais seulement quant à sa différence qui se rapporte à une perfection comme l’indivisibilité et la première notion de mesure ou à quelque chose de la sorte.

[1807] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum Avicennam, III Metaph., cap ; 5, unitas et numerus quae considerat arithmeticus non sunt illa unitas et multitudo quae inveniuntur in omnibus entibus ; sed solum secundum quod inveniuntur in rebus materialibus, secundum quod pluralitas causatur ex divisione continui ; ex hoc enim possunt inveniri omnes illae passiones in numeris quas arithmetici demonstrant, sicut multiplicatio et aggregatio, et hujusmodi, quae fundantur supra divisionem infinitam continui. Unde est infinitas in numero, secundum philosophum, III Physic., text. 55, et ideo etiam talis unitas est potentia omnis numerus. Nihilominus tamen intelligendum est quod in Deo est omnis numerus secundum potentiam, non quidem passivam, sed activam, secundum quod ipse, velut omnium causa, praeaccepit in se omnium numerum, secundum Dionysium, VI De divin. Nomin., col 819 : prout omnia in ipso dicuntur esse sicut in principio efficiente et exemplari. Sed sic non procedit objectio.

2. Il faut dire en deuxième lieu que d’après Avicenne [111 Métaphysique, ch. 5], l’unité et le nombre que considère l’arithméticien ne sont pas cette unité et cette multiplicité qui se retrouvent dans tous les êtres, mais seulement celle qu’on retrouve dans les choses matérielles, selon que la pluralité est causée par la division du continu ; c’est à partir de là en effet  qu’on peut retrouver toutes ces propriétés que les mathématiciens démontrent dans les nombres, comme la multiplication, l’addition et les autres propriétés de cette sorte qui se fondent sur la division infinie du continu. C’est de là que vient l’infinité dans le nombre d’après le Philosophe [111 Physique, texte 55], et c’est pourquoi encore une telle unité est tout nombre en puissance. Néanmoins cependant il faut comprendre que tout nombre est en Dieu selon la puissance, non pas certes selon une puissance passive, mais plutôt selon une puissance active selon que lui-même, comme cause de tous les êtres, contient à l’avance en lui le nombre de toutes les choses d’après Denys [Les Noms Divins, ch. IV, col. 819] : c’est-à-dire dans la mesure où on dit que toutes les choses existent en Lui comme dans leur principe efficient et exemplaire. Mais ce n’est pas en ce sens que procède cette difficulté.

[1808] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus est aliquid determinatum in se, alias non possent de ipso negari conditiones aliorum entium. Nec dicitur determinatum ens quia aliquo termino finitus sit, sed quia per excellentiam sui esse, quod est simplicissimum, additionem non recipiens, ab omnibus aliis distinguitur.

3. Il faut dire en troisième lieu que Dieu est quelque chose de déterminé en lui-même, autrement les conditions des autres êtres ne pourraient être niées de Lui. Mais on ne dit pas qu’il est un être déterminé parce qu’il est délimité par des termes mais parce que, ne recevant aucune addition en raison de l’excellence de son existence qui est la plus simple, Il se distingue de tous les autres êtres.

[1809] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis Deus et creatura non conveniant in aliquo uno secundum aliquem modum convenientiae, tamen est considerare communitatem analogiae inter Deum et creaturam, secundum quod creaturae imitantur ipsum prout possunt. Unde aliquo modo potest connumerari aliis rebus, ut dicatur, quod Deus et Angelus sunt duae res, non tamen simpliciter et proprie, sicut creaturae ad invicem connumerantur, quae univoce in aliquo uno conveniunt. Et ex hoc non sequitur quod Deus sit pars alicujus, vel quod Deus et Angelus sint aliquid majus quam Deus ; sed quod sint plures res.

4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que Dieu et la créature ne se rencontrent en quelque chose de commun d’après aucun mode de ressemblance, il faut cependant considérer qu’il y a entre eux du commun par analogie selon que les créatures cherchent à imiter Dieu dans la mesure où elles le peuvent. C’est pourquoi en un certain sens Dieu peut être compté avec les autres choses de manière à dire que Dieu et l’Ange  sont deux réalités ; non pas cependant absolument et à proprement parler, comme on compte les créatures entre elles, lesquelles se rencontrent en quelque chose de commun de façon univoque. Et à partir de là il ne s’ensuit pas que Dieu fasse partie de quelque chose, ou que Dieu et l’Ange soient quelque chose de plus grand que Dieu, mais seulement qu’ils soient plusieurs réalités distinctes.

 

 

[1810] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 tit. Utrum in Deo sit aliquis numerus

Article 2 – Y a-t-il un nombre en Dieu ?

[1811] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod in Deo non sit aliquis numerus. Sicut enim dicit Boetius, lib. I de Trinit., cap.II, col. 250) hoc vere unum est, in quo est nullus numerus: et loquitur de Deo qui summe unum est. Ergo videtur quod non sit in eo aliquis numerus.

Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait pas de nombre en Dieu. En effet, comme le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 250] est véritablement un ce en quoi il n’y a nul nombre : et il parle là de Dieu qui est suprêmement un. Il semble donc qu’il n’y ait aucun nombre en Dieu.

[1812] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum Isidorum, numerus dicitur quasi unius meros, scilicet divisio. Sed in Deo non est divisio. Ergo nec numerus.

2. Par ailleurs, d’après Isidore, nombre signifie comme le partage de l’un, c’est-à-dire la division. Mais en Dieu il n’y a pas de division. Il n’y a donc pas non plus de nombre.

[1813] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, ubi invenitur numerus, et passiones numeri. Sed aggregatio et multitudo et hujusmodi, quae sunt passiones numeri, non inveniuntur in Deo. Ergo nec numerus.

3. En outre, là où on retrouve le nombre, on retrouve aussi les propriétés du nombre. Mais l’addition et la multiplication, qui sont des propriétés du nombre, ne se retrouvent pas en Dieu. On n’y retrouve donc pas le nombre.

[1814] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, numerus est multitudo mensurata per unum, ut dicitur X Metaphys., text. 20 et 25. Sed Deus est mensura non mensurata, sed omnia mensurans. Ergo videtur quod numerus in divinis non competat.

4. De plus, le nombre est une pluralité mesurée par l’un comme le dit le Philosophe [X Métaphysique, texte 20 et 25]. Mais Dieu est une mesure qui n’est pas mesurée mais qui mesure tous les êtres. Il semble donc que le nombre ne convienne pas à Dieu.

[1815] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod habetur 1 Joan. 5, 7: Tres sunt qui testimonium dant in caelo: Pater, Verbum et Spiritus sanctus, et hi tres unum sunt. Sed tres dicit aliquem numerum. Ergo videtur quod ibi sit numerus.

Cependant :

1. L’Écriture [1 Jean, 5, 7] nous parle en sens contraire : Il y en a trois à rendre témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et l’Esprit-Saint, et ces trois ne sont qu’un seul. Mais qui dit trois dit un nombre. Il semble donc qu’il y ait nombre en Dieu.

[1816] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, ubicumque est distinctio vel discretio, ibi est aliquis numerus. Sed dicimus divinas personas esse discretas vel distinctas. Ergo in divinis personis est numerus.

2. En outre, partout où il y a distinction ou différence, il y a là un nombre. Mais nous disons que les personnes divines sont distinctes ou différentes. Il y a donc nombre dans les personnes divines.

[1817] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut ratio unitatis consistit in indivisione, ita et ratio numeri vel multitudinis consistit in divisione vel distinctione aliqua. Unde ea quae invenimus divisa simpliciter, dicimus esse multa simpliciter ; et quae invenimus divisa secundum quid, dicimus esse multa secundum quid. Divisio autem simpliciter attenditur vel secundum essentiam, sive formam ; vel secundum quantitatem, seu materiam ; unde ea quae differunt secundum essentiam, dicimus esse multa, ut hominem et lapidem ; et similiter duas partes lineae jam divisae dicimus duas lineas.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire  que tout comme la définition de l’unité consiste dans l’indivision, de même la définition du nombre ou de la pluralité consiste dans une certaine division ou dans une certaine distinction. C’est pourquoi, les choses que nous retrouvons divisées absolument, nous disons qu’elles sont multiples absolument ; et celles que nous retrouvons divisées sous un rapport, nous disons qu’elles sont multiples sous un rapport. Mais la division absolue ou totale se vérifie soit selon l’essence, ou selon la forme ; soit selon la quantité, ou selon la matière ; c’est pourquoi, quant aux choses qui diffèrent selon l’essence, nous disons qu’elles sont multiples, comme l’homme et la pierre ; et de même nous disons de deux parties d’une ligne déjà divisée qu’elles sont deux lignes.

Divisio autem secundum quid est quae attenditur secundum proprietates rei ; sicut dicimus hominem album esse alium et distinctum a se nigro, et adhuc magis secundum quid in illis in quibus attenditur diversitas relationum secundum rationem tantum ; sicut punctus si diceretur multiplex, secundum quod est principium plurium linearum.

Mais la division sous un rapport est celle qui se vérifie d’après les propriétés de la chose, tout comme nous disons que l’homme blanc est autre et distincts de celui qui est séparé de lui par le noir, et il y a encore davantage division sous un rapport dans ces choses dans lesquelles se vérifie la diversité des relations selon la raison seulement, comme on dirait du point qu’il est multiple selon qu’il est le principe de plusieurs lignes.

Sciendum est igitur quod in divinis non est numerus simplex, qui est per divisionem essentiae vel quantitatis ; sed est numerus quidam, scilicet numerus relationum, non tamen relationum existentium in Deo secundum rationem tantum, sed realiter in ipso subsistentium. Unde numerus divinarum personarum est medius inter numerum qui est numerus simpliciter, et numerum qui est in ratione tantum, sicut punctus dicitur multiplex secundum rationem tantum. Est enim minus de ratione numeri in numero personarum quam in numero simpliciter, et plus quam in numero qui est secundum rationem tantum.

Il faut donc savoir qu’il n’y a pas en Dieu le nombre pris absolument qui est le résultat d’une division de l’essence ou de la quantité ; mais il y a un certain nombre, c’est-à-dire le nombre des relations, mais non cependant de relations qui existeraient en Dieu seulement selon la raison, mais qui subsistent réellement en Lui. C’est pourquoi le nombre des personnes divines est intermédiaire entre le nombre pris absolument et celui qui existe dans la raison seulement comme c’est le cas pour le point dont on dit qu’il est multiple selon la raison seulement. En effet, la définition du nombre se retrouve moins dans le nombre des personnes que dans le nombre pris absolument, mais davantage que dans le nombre qui n’existe que selon la raison.

Si autem comparemus numerum personarum ad numerum proprietatum absolutarum qui est in creaturis, habebunt se sicut excedentia et excessa. Si enim attendatur ratio distinctionis, invenitur major distinctio in proprietatibus absolutis creaturarum quam in divinis personis ; quia color et sapor distinguuntur secundum aliud et aliud esse accidentale, sed in divinis personis est unum et idem esse trium personarum. 

Mais si on comparait le nombre des personnes au nombre des propriétés absolues qu’on retrouve dans les créatures, ils se présenteront comme ce qui dépasse et ce qui est dépassé. Si en effet on considère la notion de distinction, on retrouve une plus grande distinction dans les propriétés absolues des créatures que dans les personnes divines : car la couleur et la saveur se distinguent d’après des existences accidentelles différentes alors que dans les personnes divines il n’y a qu’une seule et même existence pour les trois personnes.

Si autem consideretur perfectio distinctorum, sic numerus personarum excedit, quia relationes in divinis sunt subsistentes personae. Unde ad numerum relationum sequitur numerus personarum, non autem ad numerum proprietatum in creaturis, quia proprietates in creaturis non sunt subsistentes, sed tantum inhaerentes.

Mais si on considère la perfection de ce qui est distingué, alors le nombre des personnes dépasse parce que les relations elles-mêmes dans les personnes divines sont des personnes subsistantes. C’est pourquoi dans ce cas le nombre des personnes découle du nombre des relations alors que dans les creatures le nombre des personnes ne découle pas du nombre des propriétés parce que dans les creatures les propriétés ne sont pas subsistantes, mais seulement inhérentes.

[1818] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Boetius loquitur de unitate essentiali ; et in essentia nullus numerus cadit, sed tantum in personis, qui etiam non est numerus absolute sed numerus quidam.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que Boèce parle ici de l’unité essentielle ; et dans l’essence on ne rencontre aucun nombre, mais seulement dans les personnes et encore on n’y retrouve pas le nombre pris absolument, mais seulement le nombre pris en un certain sens.

[1819] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis divisio non sit proprie in Deo, tamen ibi est personarum distinctio, quae sufficit ad rationem talis numeri qualis in Deo ponitur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien qu’il n’y ait pas à proprement parler de division en Dieu, il y a cependant là une distinction des personnes qui suffit à la notion de ce nombre qu’on pose en Dieu.

[1820] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aggregatio et hujusmodi sunt passiones numeri qui consequitur divisionem continui, ut Avicenna dicit, tract. III Metaph. cap. V ; et hunc numerum constat in Deo non esse.

3. Il faut dire en troisième lieu que l’addition et d’autres caractères de cette sorte sont des propriétés du nombre qui découlent de la division du continu, ainsi que le dit Avicenne [111 Métaphysique, ch. V] ; et il est clair que cette sorte de nombre n’est pas présente en Dieu.

[1821] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in numero absoluto pluralitas habet quamdam compositionem et aggregationem, quae est minus certa quam unum, quod est principium ipsius ; et ideo non solum quantum ad intellectum, sed etiam quantum ad rem est mensurabilitas multitudinis talis per unitatem. Sed in numero relationum vel personarum non est aliquis ordo certitudinis vel compositionis in re ; et ideo numerus in Deo non est multitudo mensurata, nisi forte secundum acceptionem intellectus tantum, qui componit etiam quae composita non sunt secundum quod diversa ex eis intelligit, secundum quod etiam propositiones affirmativas in divinis format.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la pluralité dans le nombre pris absolument comporte une certaine composition et une addition qui est moins certaine que l’un qui est son principe ; et c’est pourquoi la mesurabilité d’une telle multiplicité se fait au moyen de l’unité non seulement quant à l’intelligence mais aussi réellement. Mais dans le nombre des relations ou des personnes il n’y a pas un ordre de certitude ou de composition dans la chose ; et c’est pourquoi le nombre en Dieu n’est pas une multiplicité mesurée, si ce n’est peut-être selon l’acception de l’intelligence seulement qui compose même ce qui n’est pas composé, selon qu’elle tire de ces réalités différentes aspects et selon qu’elle forme aussi au sujet de Dieu des propositions affirmatives.

 

 

[1822] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 tit. Utrum unitas et numerus ponant aliquid in divinis vel removeant

Article 3 – L’unité et le nombre placent-ils quelque chose en Dieu ou l’excluent-ils ?

[1823] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod unitas et numerus aliquid ponant in divinis, et non dicantur secundum remotionem tantum. Si enim per unum removetur aliquid, non removetur nisi pluralitas ; et similiter si per pluralitatem removetur aliquid, non removetur nisi unitas. Si ergo utrumque dicatur per remotionem, tunc utrumque non erit nisi remotio remotionis. Sed privatio privationis nihil est nisi secundum intellectum, qui potest sic multiplicari in infinitum, sicut dicit Avicenna III Tract. Metaph., cap. VI. Ergo secundum hoc numerus et unitas non essent realiter in Deo, sed in ratione intelligentis tantum, et sic non possent dici plures personae nisi plures notione [sed plures rationes Ed. de Parme], quod videtur haereticum.

Difficultés :

1. Il semble que l’unité et le nombre posent quelque chose en Dieu et ne se disent pas seulement selon la négation. Si en effet quelque chose est nié par l’un, ce ne peut être que la multiplicité ; et semblablement si quelque chose est nié par la multiplicité, ce ne peut être que l’unité. Si donc les deux se disent par la négation, alors chacun des deux ne sera que la négation d’une négation. Mais la privation d’une privation n’est rien si ce n’est selon l’intelligence, qui peut alors être multipliée à l’infini comme le dit Avicenne [111 Métaphysique, ch.  VI]. Donc, d’après cela, l’unité et le nombre n’existeraient pas réellement en Dieu mais seulement dans la raison de celui qui pose l’acte de l’intelligence et par conséquent on ne pourrait parler de plusieurs personnes que par la notion [mais de plusieurs notions Éd. de Parme], ce qui apparaît comme étant hérétique.

[1824] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omnis privatio vel negatio definitur per positionem. Si igitur unitas privat multitudinem vel numerum, in definitione unitatis cadit numerus vel multitudo.

2. Par ailleurs, toute privation ou toute négation se définit par l’affirmation. Si donc l’unité nie la multiplicité ou le nombre, le nombre ou la multiplicité tombe dans la définition de l’unité.

[1825] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, cum multitudo dicatur per remotionem unitatis, oportet quod in definitione ejus ponatur unitas, et ita erit circulus in definitione ; quod non potest esse ; quia sic idem erit prius et posterius, notius et minus notum.

3. En outre, puisque la multiplicité se dit par la négation de l’unité, il faut que l’unité soit posée dans sa définition et ainsi il y aura définition circulaire, ce qui est absurde car alors il y aura identité entre ce qui est antérieur et ce qui est postérieur, entre ce qui est plus connu et ce qui est moins connu.

[1826] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, si unum dicatur secundum negationem, dicetur per negationem divisionis, ut dicit philosophus, V Metaph.,text. 17, quod unum est quod non dividitur. Sed divisio videtur in intellectu suo habere multitudinem, quia omne divisum est multiplicatum. Ergo in definitione unitatis cadit multitudo, nec unquam potest definiri multitudo, nisi accipiatur in definitione ejus unitas. Ergo videtur quod erit circulus, ut prius.

4. De plus, si l’un se dit selon la négation, il se dira par la négation de la division comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 17] en affirmant que l’un est ce qui n’est pas divisé. Mais la division semble impliquer une multiplicité dans sa notion car tout ce qui est divisé se trouve à être multiplié. Donc, la multiplicité tombe dans la définition de l’unité et jamais la multiplicité ne peut être définie à moins que l’unité ne soit reçue dans sa définition. Il semble donc qu’on tourne à nouveau en rond.

[1827] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, privatio nunquam constituit habitum, nec e converso et similiter nec affirmatio negationem, nec unum contrariorum alterum. Sed multitudo constituitur ex unitatibus. Ergo videtur quod unitas non privet multitudinem, nec e converso.

5. Par ailleurs, la privation ne constitue jamais un habitus et inversement l’habitus ne constitue jamais une privation et il en est de même pour l’affirmation à l’égard de la négation et pour l’un des contraires par rapport à l’autre. Mais la multiplicité est constituée d’unités. Il semble donc que l’unité ne nie pas la multiplicité ni inversement.

[1828] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 arg. 6 Item, quidquid dicitur de Deo et creatura, nobiliori modo est in Deo quam sit in creatura. Sed numerus et unitas in creaturis non sunt per modum remotionis tantum, sed per modum positionis ; cum numerus sit quaedam species quantitatis, et unitas principium illius, et iterum cum se habeant sicut mensura et mensuratum. Ergo cum nobilius sit esse quam non esse, videtur etiam quod in Deo positive aliquid praedicent.

6. De plus, tout ce qui se dit à la fois de Dieu et des créatures existe en Dieu d’une manière plus excellente que dans les créatures. Mais le nombre et l’unité ne sont pas dans les créatures par mode de négation seulement, mais par mode d’affirmation ; puisque le nombre est une espèce de la quantité et que l’unité en est le principe et qu’en plus l’une se rapporte à l’autre comme la mesure à ce qui est mesuré, alors, comme l’être est plus glorieux que le non-être, il semble encore que ces termes attribuent positivement quelque chose à Dieu.

[1829] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, secundum philosophum,X Metaph., text. 8, unum opponitur multitudini, sicut privatio habitui. Sed privatio non praedicat aliquid positive. Ergo nec unum. Sed ex unitatibus constituitur numerus. Ergo nec numerus aliquid positive praedicat.

Cependant :

1. Au contraire, d’après le Philosophe [X Métaphysique, texte 8], l’un s’oppose au multiple comme la privation s’oppose à l’habitus. Mais la privation n’attribue pas positivement quelque chose. Il en est donc de même nour l’un. Mais le nombre est constitué d’unités. Donc le nombre n’attribue pas non plus quelque chose d’une manière affirmative.

[1830] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, philosophus V Metaph., text. 8, dicit, quod unum dicitur ex eo quod non dividitur. Sed hoc est negatio tantum. Ergo videtur quod unum nihil positive praedicet, et eadem ratione nec numerus ex unitatibus constitutus.

2. Par ailleurs, le Philosophe [V Métaphysique, texte 8] dit que l’un se dit de ce qui n’est pas divisé. Mais cela est une négation seulement. Il semble donc que l’un n’attribue rien positivement et qu’il en est de même pour la même raison au sujet du nombre qui est constitué d’unités.

[1831] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod de quidditate unitatis invenitur diversitas et inter philosophos et inter magistros. Avicenna enim III tract. Metaph., cap VI, dicit, quod unum quod convertitur cum ente, est idem quod unum quod est principium numeri ; et multitudo quae est numerus, est idem quod multitudo quae dividit ens ; et sic vult quod utrumque aliquid positive addat supra ea quibus adjungitur, eo quod in uno intelligitur esse non solum sicut in subjecto, sed sicut illud quod clauditur in intellectu suo.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’au sujet de la quiddité de l’unité, on retrouve une diversité de positions à la fois parmi les philosophes et parmi les maîtres. Avicenne [111 Métaphysique, ch.  VI] en effet dit que l’un qui se convertit avec l’être est identique à l’un qui est principe du nombre et que la multiplicité qui est le nombre est identique à la multiplicité qui divise l’être ; et il veut ainsi que chacun des deux ajoute quelque chose positivement à ce à quoi il se joint du fait qu’il est entendu comme existant dans l’un non seulement comme dans un sujet, mais aussi comme ce qui est renfermé dans sa définition.

Unde unum est quoddam esse quod non dividitur. Et istud esse non dicit quod sit esse substantiae: quia sic non inveniretur in accidentibus unitas et numerus. Nec etiam est esse commune ad substantiam et ad accidens, quia sic inveniretur aliquis numerus qui non esset accidens. Sed dicit, quod est esse accidentis, et per illud esse adveniens post esse completum substantiae dicitur substantia una ; sicut per esse albedinis dicitur esse substantia alba ; et inde probat quod numerus est accidens tantum.

C’est pourquoi l’un est un certain être qui n’est pas divisé. Et cet être ne dit pas qu’il soit l’être de la substance car de cette manière on ne retrouverait pas l’un et le nombre dans les accidents. Et aussi il n’est pas l’être qui est commun à la substance et à l’accident car ainsi il se trouverait un nombre qui ne serait pas un accident. Mais il dit qu’il est l’être de l’accident et que c’est au moyen de cet être qui survient suite à l’existence complète de la substance qu’on dit de la substance qu’elle est une, tout comme c’est au moyen de l’existence de la blancheur qu’on dit de la substance qu’elle est blanche ; et c’est de là qu’il prouve que le nombre est seulement un accident.

Et secundum hoc unitas dicit intentionem accidentalem, et ex aggregatione talium intentionum efficitur numerus, qui est species quantitatis. Et hanc positionem sequentes quidam theologi, dicunt, quod unitas et numerus transferuntur in divinam praedicationem, non quantum ad esse accidentis vel quantitatis, sed quantum ad rationem propriam unitatis vel numeri: et ita positive aliquid in Deo praedicant, sicut scientia et bonitas, et alia quae sic de Deo dicuntur.

Et d’après cette position l’unité dit une intention accidentelle, et c’est à partir de l’addition de telles intentions qu’est obtenu le nombre qui est une espèce de quantité. Et certains théologiens, suivant cette position, disent que l’unité et le nombre sont appliqués à l’attribution divine non pas quant à l’être de l’accident ou de la quantité, mais quant à la notion propre de l’unité ou du nombre : et ainsi ils attribuent positivement quelque chose à Dieu, comme le font la science et la bonté et les autres attributs qui se disent ainsi de Dieu.

Alii philosophi, scilicet Aristoteles, II Métaph., text. 7 et 8, et Averroes, dicunt, quod unum et multa quae dividunt ens, non sunt idem cum uno quod est species quantitatis. Et hoc rationabile est. Non enim convenit aliquid contentum sub inferiori esse differentiam superioris, sicut rationale non est differentia substantiae. Unde nec multitudo quae est sub quantitate, potest esse differentia entis simpliciter. Dicunt ergo, quod unum quod convertitur cum ente, nihil positive addit ad id cui adjungitur, eo quod res non dicitur esse una per aliquam dispositionem additam: quia sic esset abire in infinitum, si ista etiam dispositio, cum sit una, per aliquam aliam unitatem una esset.

D’autres philosophes, comme Aristote [11 Métaphysique, texte 7 et 8], et Averroès, disent que l’un et le multiple qui divisent l’être ne sont pas identiques à l’un qui est une espèce de la quantité. Et cela est raisonnable. En effet, il ne convient pas à ce qui est posé sous un inférieur d’être la différence d’un supérieur, comme il ne convient pas par exemple à «rationnel» d’être la différence de la substance. Par conséquent il ne convient pas non plus au multiple qui est contenu dans la quantité de pouvoir être la différence de l’être pris absolument. Ils disent donc que l’un qui se convertit avec l’être n’ajoute rien positivement à ce à quoi il se joint, du fait que ce n’est pas en raison d’une disposition qui lui est ajoutée qu’on dit de la chose qu’elle est une : car ce serait ainsi aller à l’infini si cette disposition aussi, puisqu’elle serait une, serait une elle aussi au moyen d’une autre unité.

Unde dicunt, quod unum claudit in intellectu suo ens commune, et addit rationem privationis vel negationis cujusdam super ens, idest indivisionis. Unde ens et unum convertuntur, sicut quae sunt idem re, et differunt per rationem tantum, secundum quod unum addit negationem super ens. Unde si consideretur ratio unius quantum ad id quod addit supra ens, non dicit nisi negationem tantum: et eadem ratione multitudo non addit supra res multas nisi rationem quamdam, scilicet divisionis.

De là ils disent que l’un renferme dans sa définition l’être commun et ajoute à l’être la notion de privation ou d’une certaine négation, c’est-à-dire la notion d’indivision. Et c’est de là que l’être et l’un se convertissent comme ce qui est identique en réalité et ne diffère que par la raison en tant que l’un ajoute à l’être la négation. C’est pourquoi, si on considère la notion de l’un quant à ce qu’il ajoute à l’être, il ne dit que la négation : et pour la même raison le multiple n’ajoute aux choses multiples qu’une seule notion, à savoir la division.

Sicut enim unum dicitur ex eo quod non dividitur, ita multa dicuntur ex eo quod dividuntur ; prima autem ratio divisionis, secundum quam aliquid ab aliquo distinguitur, est in affirmatione et negatione ; et ideo multitudo dicit in ratione sua negationem, secundum scilicet quod multa sunt quorum unum non est alterum: et hujusmodi divisionis hoc modo acceptae in ratione multitudinis, negatio importatur in ratione unius.

 En effet, tout comme l’un se dit de ce qui n’est pas divisé, de même le multiple se dit de ce qui est divisé ; mais la première définition de la division, selon laquelle une chose se distingue d’une autre, se retrouve dans l’affirmation et la négation ; et c’est pourquoi le multiple dit la négation dans sa définition, c’est-à-dire selon que sont multiples ceux dont l’un n’est pas l’autre : et c’est la négation d’une telle division, prise en ce sens dans la définition du multiple, qui est impliquée dans la définition de l’un.

Et sic accepta, unum, et multa sunt de primis differentiis entis, secundum quod ens dividitur in unum et multa et in actum et in potentiam. Unde sic accepta non determinantur ad aliquod genus ; et sic haec multitudo sic accepta non est numerus qui est species quantitatis: nec hoc unum sic acceptum, est unum quod est principium numeri. Sed secundum praedictos philosophos, Aristotelem, V Metaphys., text. 12, Averroem et Avicennam, tract. III Métaph., cap. V, unum, secundum quod est principium numeri, ponit aliquid additum ad esse, scilicet esse mensurae, cujus ratio primo invenitur in unitate, et deinde consequenter in aliis numeris et deinceps in quantitatibus continuis ; et deinde translatum est hoc nomen ad alia omnia genera, ut dicit philosophus.

Et pris en ce sens, l’un et le multiple font partie des premières différences de l’être, selon que l’un et le multiple sont les divisions de l’être à la fois en acte et en puissance. Et c’est pourquoi, pris en ce sens, l’un et le multiple ne sont pas limités à un genre déterminé et ainsi ce multiple pris en ce sens n’est pas le nombre qui est une espèce de la quantité et cet  un pris en ce sens n’est pas l’un qui est principe du nombre. Mais selon les philosophes dont on vient de parler, Aristote [V Métaphysique, texte 12], Averroès et Avicenne [111 Métaphysique, ch. V], l’un en tant que principe du nombre pose quelque chose qui est ajouté à l’être, à savoir l’être d’une mesure dont la définition se retrouve en priorité dans l’unité et ensuite par conséquent dans les autres nombres et par après dans les quantités continues ; et par la suite ce nom fut appliqué à tous les autres genres, comme le dit le Philosophe.

Quidam vero medium inter utrumque tenent, consentientes Aristoteli in hoc quod unum quod convertitur cum ente, non addit aliquid positive supra id cui adjungitur ; Avicennae vero in hoc quod dicit, unum, secundum quod est principium numeri, et secundum quod convertitur cum ente, esse idem, et non differre nisi ratione ; et sic, secundum eos, addit aliquid positive supra id cui adjungitur.

Mais certains soutiennent une thèse qui est intermédiaire entre les deux, s’accordant avec Aristote en ceci que l’un qui se convertit avec l’être n’ajoute rien positivement à ce à quoi il se joint, mais aussi avec Avicenne en cela qu’il dit que l’un, en tant que principe du nombre et l’un, en tant qu’il se convertit avec l’être, sont identiques en réalité et ne diffèrent que par la raison ; et ainsi, d’après eux, l’un ajoute quelque chose positivement à ce à quoi il se joint.

Ratio autem eorum quod unum utroque modo differat tantum ratione, est. Cum enim unum sequatur actum formae distinguentis, ex hoc quod forma dat esse, habet unum quod convertitur cum ente ; sed ex secundo actu formae, qui est distinguere ab aliis, habet quod sit principium numeri, et quod computetur in genere accidentis: quia ista distinctio secundum rationem sequitur esse completum.

Mais voici le raisonnement de ceux qui posent que l’un, pris dans un  sens, ne diffère de l’autre que par la raison. En effet, puisque l’un découle de l’acte d’une forme qui distingue, du fait que la forme donne l’existence, l’un tient sa conversion avec l’être ; mais c’est du deuxième acte de la forme, qui est de distinguer des autres, que l’un tient d’être le principe du nombre et d’être compté dans le genre de l’accident : car cette distinction selon la raison découle de l’être complet.

Sed hoc non potest stare: quia si unitas quae est principium numeri, dicatur secundum rationem privationis, tunc non erit aliquid nisi in anima ; ita etiam nec numerus cujus est principium, unde non posset esse species in aliquo genere. Est ergo differentia inter duas opiniones primas, quia prima non distinguit inter unum et multa, prout sunt in genere quantitatis, et prout sunt primae differentiae entis ; secunda autem opinio distinguit, ut dictum est, paulo sup., et hanc credo esse veriorem.

Mais cette position ne se tient pas : car si l’unité qui est le principe du nombre se dit selon la notion de privation, alors il ne sera quelque chose que dans l’âme et il en sera encore de même pour le nombre dont elle est le principe, d’où elle ne pourrait être une espèce dans un genre. Il y a donc une différence entre les deux premières opinions car la première ne distingue pas entre l’un et le multiple selon qu’ils sont dans le genre de la quantité et selon qu’ils sont les premières différences de l’être. Mais la deuxième opinion fait cette différence, ainsi que nous l’avons dit un peu plus haut, et c’est cette dernière que je crois être vraie.

Dico ergo secundum hanc, quod numerus et unitas, secundum quod sunt in genere quantitatis, non inveniuntur nisi in quibus invenitur commensuratio quantitatis: unde inveniuntur tantum in rebus habentibus quantitatem continuam ; unde philosophus dicit, quod numerum cognoscimus divisione continui: et hic tantum numerus est subjectum arithmetici, ut etiam Avicenna, tract. III, Metaphys., cap. V, dicit.

Je dis donc, conformément à cette position, que le nombre et l’unité, en tant qu’ils sont dans le genre de la quantité, ne se retrouvent que dans les choses dans lesquelles se rencontre une mesure de la quantité : c’est pourquoi ils ne se retrouvent que dans les choses qui possèdent une quantité continue ; c’est pourquoi le Philosophe dit que nous connaissons le nombre par la division du continu : et c’est ce seul nombre qui est le sujet de l’arithmétique comme le dit aussi Avicenne [111 Métaphysique, ch. V].

Unde iste numerus et unitas non venit in divinam praedicationem ; sed tantum unum et multitudo secundum quod sunt de aliis quae consequuntur universaliter ens: et ita hujusmodi termini nihil addunt in divinis secundum rationem supra id de quo dicuntur, nisi rationem negationis tantum, secundum quod Magister dicit in Littera.

Et c’est pourquoi ce nombre et cette unité ne conviennent pas à l’attribution divine, mais seulement l’un et le multiple qui s’attribuent aux autres choses qui découlent universellement de l’être : et ainsi, ces termes, attribués à Dieu, n’ajoutent rien selon la raison à ce à quoi ils s’attribuent, si ce n’est la notion de négation seulement, conformément à ce que dit le Maître dans le Document.

[1832] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in multitudine negatio est, secundum quod una res distinguitur ab alia per negationem ; unde in multitudine est negatio vel privatio realis, secundum quod una res non dicitur esse alia: et hujusmodi distinctionem per negationem negat negatio importata in ratione unitatis. Unde dico, quod negatio ista in qua perficitur ratio unitatis, non est nisi negatio rationis tantum.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il y a une négation dans le multiple, selon qu’une chose se distingue d’une autre par la négation ; c’est pourquoi dans le multiple il y a une négation ou une privation réelle selon qu’on dit d’une chose qu’elle n’est pas une autre : et la négation impliquée dans la notion d’unité nie une telle distinction faite par la négation. D’où je dis que cette négation dans laquelle la notion d’unité trouve son achèvement n’est qu’une négation de raison seulement.

Omnis enim respectus qui est entis ad negationem vel ad non ens, non est nisi rationis. Unde relatio qua refertur ens ad non ens, non est nisi tantum in ratione: et similiter privatio, qua de ente negatur non ens, est in ratione tantum, ut privatio privationis, vel negatio negationis. Et sic patet quod non ponimus distinctionem in divinis personis secundum rationem tantum, quia dicimus quod una persona realiter non est alia.

En effet, tout rapport qui est celui de l’être à la négation ou au non-être n’est qu’un rapport de raison. D’où la relation, par laquelle l’être est mis en rapport avec le non-être, n’existe que dans la raison : et de la même manière la privation par laquelle le non-être est nié de l’être existe dans la raison seulement comme privation de privation ou comme négation de négation. Et ainsi il est clair que nous ne posons pas dans les personnes divines une distinction qui ne serait que selon la raison, car nous disons qu’une personne diffère réellement d’une autre.

[1833] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, ut ex praedictis, in corp. art., patet, unum non importat negationem nisi in ratione. Unde secundum rem magis se habet ad positionem quam multitudo, in qua importatur realis negatio, secundum quam res a re distinguitur. Et ideo unum in intellectu est prius quam multitudo, quamvis secundum sensum vel imaginationem sit e converso, ut dicit philosophus, X Metaph., text. 9 ; quia sic composita priora sunt simplicibus et divisa indivisis: et ideo in definitione unius non cadit multitudo, sed illud quod est prius secundum intellectum unitate. Primum enim quod cadit in apprehensione intellectus, est ens et non ens: et ista sufficiunt ad definitionem unius, secundum quod intelligimus unum esse ens, in quo non est distinctio per ens et non ens: et haec, scilicet distincta per ens et non ens, non habent rationem multitudinis, nisi postquam intellectus utrique attribuit intentionem unitatis ; et tunc definit multitudinem id quod est ex unis, quorum unum non est alterum ; et sic in definitione multitudinis cadit unitas, [licet éd. de Parme] non e converso 

2. Il faut dire en deuxième lieu que, comme on le voit à partir de ce qui précède dans le corps de l’article, l’un n’implique une négation que dans la raison. C’est pourquoi il se présente davantage comme une affirmation que le multiple, dans lequel est impliquée une négation réelle selon laquelle une chose se distingue d’une autre. Et c’est pourquoi l’un est antérieur au multiple dans l’intelligence, bien que selon le sens ou l’imagination ce soit l’inverse comme le dit le Philosophe [X Métaphysique, texte 9], car alors ce qui est composé est antérieur à ce qui est simple et ce qui est divisé est antérieur à e qui est indivisé : et c’est pourquoi le multiple ne tombe pas dans la définition de l’un, mais plutôt ce qui est antérieur à l’unité selon l’intelligence. En effet, ce qui tombe en premier dans l’appréhension de l’intelligence, c’est l’être et le non-être : et ces notions suffisent à la définition de l’un, selon que nous comprenons que l’un est de l’être dans lequel il n’y a pas de distinction par l’être et le non-être : et celles-là, c’est-à-dire les choses qui sont distinctes par l’être et le non-être, n’ont raison de multiplicité qu’après que l’intelligence attribue à l’une et à l’autre l’intention de l’unité ; et alors elle définit la multiplicité comme étant ce qui vient des unités dont l’une n’est pas l’autre ; et c’est ainsi que l’unité tombe dans la définition de la multiplicité et [bien que Éd. deParme] non inversement.

[1834] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod haec est vera definitio unius: unum est ens quod non dividitur ; quamvis Avicenna, tract. II, tract. III, Metaphys., c. VI, nitatur eam improbare ratione inducta. Est enim duplex divisio: scilicet divisio secundum quantitatem ; et talis divisio consequitur rationem multitudinis, eo quod rationem multitudinis communiter acceptae sequitur ratio numeri, prout est species quantitatis, secundum quod addit rationem mensurae: unde dicit philosophus, X Metaphys., texte 21,quod numerus est multitudo mensurata per unum ; et rationem numeri sequitur intellectus divisionis continui: ratio enim divisionis et quantitatis et mensurae, secundum Commentatorem, Metaphys., text. 1, prius invenitur in quantitate discreta quam in quantitate continua: et talis divisio non ponitur in definitione unius quod convertitur cum ente. Est etiam quaedam divisio secundum formam vel essentiam, secundum quod una res per formam suam dividitur ab alia: et ista divisio primo invenitur in affirmatione et negatione, quae secundum intellectum praecedit rationem unius, ut dictum est in respons. ad primum. Et sic patet quod non erit circulus in definitione.

3. Il faut dire en troisième lieu que cette définition de l’un est vraie, à savoir que l’un est l’être qui n’est pas divisé, bien qu’Avicenne [11 et 111 Métaphysique, ch.  VI] se soit efforcé de la réfuter par le raisonnement introduit plus haut. Il y a en effet deux sortes de divisions, à savoir la division selon la quantité et une telle division découle de la notion de multiplicité du fait que la notion du nombre, en tant qu’il est une espèce de la quantité selon qu’il ajoute la notion de mesure, découle de la notion de multiplicité communément admise : c’est pourquoi le Philosophe [X Métaphysique, texte 21] dit que la multiplicité est mesurée par l’un ; et la définition de la division du continu découle de la notion de nombre : en effet, la notion de division, de quantité et de mesure , d’après le Commentateur [Métaphysique, texte 1] se retrouve en priorité dans la quantité discrète plutôt que dans la quantité continue : et une telle division n’est pas placée dans la définition de l’un qui se convertit avec l’être. Il y a aussi une certaine division selon la forme ou l’essence, selon qu’une chose se distingue d’une autre par sa forme : et cette division se retrouve d’abord dans l’affirmation et la négation, qui selon l’intelligence précède la notion de l’un, comme nous l’avons dit dans la réponse à la première difficulté. Et ainsi il est clair qu’il n’y aura pas définition circulaire. 

[1835] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod unum dupliciter dicitur, scilicet quod est principium numeri, et quod convertitur cum ente. Loquendo de uno quod est principium numeri, ut dictum est, in corp. art., ponit aliquid additum supra ens quod dicitur unum, scilicet rationem mensurae: unde hoc unum potest dupliciter considerari: aut secundum id quod est ; aut secundum id quod consequitur ad intellectum ejus, scilicet relationem quamdam. Si secundo modo, sic opponitur multitudini numerali relative, ut [sicut éd. de Parme] principium ad principiatum, sicut punctus ad lineam, et sicut pars ad totum et magis proprie sicut mensura ad mensuratum.

Si primo modo, tunc dupliciter: quia vel considerabitur ipsum unum cum praecisione, scilicet quod est tantum unitas ; et sic habebit disparatam oppositionem mensurae ad alios numeros (quilibet enim numerus, secundum quidditatem suae speciei, habet specialem rationem mensurae, sicut species oppositae sunt disparatae) et talis oppositio reducitur ad contrarietatem, sicut principium: quia species disparatae distinguuntur differentiis contrariis, quibus primo dividitur genus, ut probatur X Metaphys., text. 24. 

Vel sine praecisione, et sic unitas nullam oppositionem habet ad numerum, sed est constituens ipsum. Si autem loquimur de uno quod convertitur cum ente, sic unum habet rationem privationis, ut dictum est, in corp. art., respectu divisionis quae salvatur in multitudine ; et ita opponitur multitudini, sicut privatio habitui, ut dicit philosophus, X Metaphys., text. 9. Unde etiam aequale opponitur magno et parvo, sicut privatio. Nec unum est privatio illius multitudinis quam constituit ; sed multitudinis quae negatur esse in ipso quod dicitur unum. 

Non enim de ratione sua unum privat omnem divisionem ; sed sufficit ad rationem ejus, quaecumque divisio removeatur. Et inde potest esse quod unum est pars multitudinis, et quod ipsa multitudo dicitur quodammodo unum, prout scilicet aliquid non dividitur, ad minus secundum intellectum aggregantem ; sicut etiam ipsum malum non est omnino expers boni, quia non privatur quodlibet bonum per malum.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’un se dit de deux manières, à savoir celui qui est le principe du nombre, et celui qui se convertit avec l’être. Si on parle de l’un qui est le principe du nombre, commme nous l’avons dit dans le corps de l’article, il pose quelque chose qui s’ajoute à l’être qu’on appelle l’un, à savoir la notion de mesure : d’où cet un peut être considéré de deux manières : soit selon ce qu’il est, soit selon ce qui découle de sa signification, à savoir une certaine relation. Si on le considère de la deuxième manière, il s’oppose alors relativement à la multiplicité numérique, comme [tout comme Éd. de Parme] le principe s’oppose à ce qui en découle, comme la partie au tout et plus proprement comme la mesure au mesuré.

Si on le considère de la première manière, alors il y a deux possibilités : car ou bien l’un lui-même sera considéré comme séparément, c’est-à-dire en tant qu’unité seulement et ainsi il possédera une opposition séparée de mesure par rapport aux autres nombres (en effet, n’importe quel nombre, d’après la quiddité de son espèce, a raison de mesure spécifique, tout comme les espèces opposées sont séparées) et une telle opposition se ramène à la contrariété comme principe : car les espèces séparées se distinguent par des différences contraires par lesquelles le genre est divisé en premier lieu, ainsi que le Philosophe le prouve [X Métaphysique, texte 24].

Ou bien il sera considéré sans coupure et ainsi l’unité ne comporte aucune opposition par rapport au nombre mais bien plutôt il le constitue.

Mais si on parle de l’un qui se convertit avec l’être, alors l’un a raison de privation, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, par rapport à la division qui est conservée dans la multiplicité ; et en ce sens l’un s’oppose à la multiplicité comme la privation s’oppose à la possession, ainsi que le dit le Philosophe [X Métaphysique, texte 9]. C’est pourquoi l’égal s’oppose aussi au grand et au petit à la manière d’une privation. Et l’un n’est pas la privation de cette multiplicité qu’il constitue, mais de cette multiplicité dont on nie qu’elle existe dans cela même qu’on appelle l’un.

Il n’entre pas en effet dans la définition de l’un d’être exempt de toute division ; mais il suffit à sa définition qu’une divison quelconque soit niée. Et de là il est possible que l’un soit une partie d’une multiplicité et que la multiplicité elle-même soit appelée une en un sens, c’est-à-dire dans la mesure où quelque chose n’est pas divisé, au moins selon l’intelligence qui rassemble la multiplicité ; il en est de même aussi pour le mal lui-même qui n’est pas une privation totale du bien car ce n’est pas n’importe quel bien qui est détruit par le mal.

[1836] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod multitudo numeralis, quae est species quantitatis, ponit aliquid in creaturis. Haec autem non transfertur in divina, nisi forte secundum rationem distinctionis quam habet ex ratione multitudinis simpliciter. Multitudo vero quae dividit ens, non addit accidens positive supra ens, sed rationem distinctionis tantum, secundum quod una non est altera ; et sic est etiam in divinis.

5. Il faut dire en cinquième lieu que la multiplicité numérique, qui est une espèce de la quantité, pose quelque chose dans les créatures. Cette multiplicité ne s’applique cependant pas à Dieu, si ce n’est peut-être d’après la notion de distinction qu’elle tient de la notion de multiplicité prise absolument. En effet, cette multiplicité qui divise l’être n’ajoute pas positivement un accident à l’être, mais seulement la notion de distinction selon laquelle une chose au sein de cette multiplicité n’est pas une autre, et prise en ce sens la multiplicité se retrouve même en Dieu.

 

 

[1837] Articulus 4 : Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 tit. Utrum unum et numerus significent essentiam

Article 4 – L’un et le nombre signifient-ils l’essence ?

[1838] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod hujusmodi dictiones significent divinam essentiam. Quidquid enim ad se dicitur in divinis, substantialiter dicitur, et essentiam significat ; sed hujusmodi dictiones secundum suum nomen non referuntur ad aliud, sed ad se dicuntur. Ergo sunt essentialia.

Difficultés :

1. Il semble que ces termes signifient l’essence divine. En effet, tout ce qui s’attribue à soi en Dieu se dit substantiellement et signifie l’essence ; mais ces termes, pris en eux-mêmes, ne se rapportent pas à quelque chose d’autre mais s’attribuent à soi. Ils sont donc essentiels.

[1839] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, secundum Boetium, I de Trinitate, cap. IV, col. 1252, omnia praedicamenta mutantur in substantiam, cum in divinam praedicationem venerint, praeter ad aliquid. Sed numerus et unitas videntur ad quantitatem pertinere. Ergo sunt essentialia.

2. Par ailleurs, selon Boèce [1 De la Trinité, ch. IV, col. 1252], tous les prédicaments, exceptée la relation, se changent en la substance lorsqu’ils viennent à être attribués à Dieu. Mais le nombre et l’unité semblent appartenir au prédicament de la quantité. Ils sont donc essentiels.

[1840] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas, quod significant essentiam quando adjunguntur termino essentiali, ut cum dicitur unus Deus ; et notionem, quando adjunguntur personali, ut cum dicitur unus Pater. Contra. Quaecumque dicuntur non secundum unam rationem, aequivoce dicuntur. Sed non est eadem ratio unitatis personalis et essentialis ; sicut nec est eadem ratio distinctionis essentialis et personalis. Ergo videtur quod aequivoce de eis dicantur.

3. Si tu dis que ces termes signifient l’essence quand ils se joignent à un terme essentiel, comme lorsqu’on dit «un seul Dieu», et qu’ils signifient la notion quand ils se joignent à un terme personnel, comme lorsqu’on dit «un seul Père», voici ce que j’objecte. Tout ce qui ne s’attribue pas selon une même définition s’attribue par homonymie ou de manière équivoque. Mais la définition de l’unité personnelle n’est pas identique à celle de l’unité essentielle et la définition de la distinction essentielle n’est pas identique à celle de la distinction personnelle. Il semble donc que ces termes s’attribuent à Dieu de manière équivoque.

[1841] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 arg. 4 Item, unum pertinet ad essentiam ; unde dicimus, quod Pater et Filius sunt unum propter essentiae unitatem. Sed cum multitudo constituatur ex uno, ad quodcumque genus pertinet significatio unius, et significatio multitudinis. Ergo videtur quod etiam omnia nomina significantia distinctionem vel pluralitatem, significent essentiam.

4. En outre, l’un appartient à l’essence ; c’est pourquoi nous disons que le Père et le Fils sont un à cause de l’unité de l’essence. Mais puisque la multiplicité est constituée de l’un, quelque soit le genre auquel appartient la signification de l’un, la signification de la multiplicité lui appartient aussi. Il semble donc que ce soient aussi tous les noms qui signifient la distinction ou la pluralité qui signifient l’essence.

[1842] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, quidquid essentialiter dicitur, de singulis personis praedicatur. Sed termini numerales non praedicantur de Patre: non enim potest dici, quod Pater sit duo vel tres. Ergo videtur quod non significent essentiam, et ita nec unum, quod est pluralitatis principium.

Cependant :

1. Au contraire, tout ce qui s’attribue essentiellement s’attribue à chacune des personnes. Mais les termes numériques ne s’attribuent pas au Père : on ne peut dire en effet que le Père est deux ou trois. Il semble donc que ces termes ne signifient pas l’essence et qu’il en soit de même aussi pour l’un qui est le principe de la multiplicité.

[1843] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, ut patet ex dictis, art. antec., in divinis non est aliqua unitas et multitudo, nisi secundum quod unum et multa dividunt ens commune. Et hoc modo, ut dictum est, non addunt aliquid supra ens, de quo dicitur unitas vel multitudo, nisi secundum rationem. Unde sicut ens communiter se habet ad absoluta et relativa, et similiter distinctio et indistinctio, quae secundum rationem adduntur, ita et unum et multa [quae dividunt ens commune add. Ed. de Parme]. Et ideo secundum quod diversis adjunguntur significant essentiam vel notionem. Unitas enim essentialis est ipsa essentia divina secundum quod est indivisa, et unitas personalis Patris est unitas proprietatis secundum quod non est divisa: et similiter multitudo vel pluralitas personarum sunt ipsae personae secundum quod sunt distinctae: et quia non est ibi aliqua distinctio essentiarum, ideo nec aliqua pluralitas essentialis.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, comme on peut le voir à partir de ce qui a été dit dans l’article précédent, qu’il n’y a pas en Dieu unité et multiplicité, si ce n’est dans le sens où l’un et le multiple divisent l’être commun. Et pris en ce sens, ces termes n’ajoutent rien à l’être auquel s’attribue l’unité ou la multiplicité, si ce n’est selon la raison. De là, ce que l’être commun est à l’absolu et au relatif, semblablement la distinction et l’indistinction, qui s’ajoutent selon la raison, le sont ainsi que l’un et le multiple [qui divisent l’être commun add. Éd. de Parme]. Et c’est pourquoi, selon qu’ils se joignent à des termes différents ils signifient l’essence ou la notion. En effet, l’unité essentielle est l’essence divine elle-même selon qu’elle est indivisée, et l’unité personnelle du Père est l’unité de la propriété selon qu’elle n’est pas divisée : et de la même manière la multiplicité ou la pluralité des personnes sont les personnes elles-mêmes selon qu’elles sont distinctes : et parce qu’il n’y a là aucune distinction des essences, c’est pourquoi il n’y a pas pluralité essentielle.

[1844] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod hujusmodi dictiones, secundum rationem quam addunt eis de quibus dicuntur, non ponunt relationem, nec aliquid ; et ideo secundum nomina quae imponuntur ab hujusmodi rationibus, non referuntur ad aliud ; sed quantum ad illud circa quod ponitur ista ratio, possunt importare et absolutum et relatum.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que de tels termes, d’après la notion qu’ils ajoutent aux êtres auxquels ils s’attribuent, ne posent pas une relation ni rien positivement ; et c’est pourquoi d’après les noms qui sont imposés à partir de telles notions, ils ne se rapportent pas à quelque chose d’autre ; mais quant à ce sur quoi se pose cette notion, ils peuvent impliquer l’absolu et le relatif.

[1845] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, ut dictum est, art. 2 hujus quaest., pluralitas non venit in divinam praedicationem ex multitudine quae est species quantitatis ; et ideo ratio non procedit.

2. Il faut dire en deuxième lieu, comme nous l’avons dit dans l’article 2 de cette question, que la pluralité ne vient pas à être attribuée à Dieu à partir de la multiplicité qui est une espèce de la quantité ; et c’est pourquoi l’argument n’est pas pertinent.

[1846] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio unitatis ponit ens indivisum simpliciter: unde abstrahit a quolibet modo distinctionis: unde secundum unam rationem communem dicitur persona una et essentia una, quamvis sit non una ratio distinctionis in speciali. Unde ex hoc non habetur quod aequivoce praedicetur.

3. Il faut dire en troisième lieu que la définition de l’unité affirme l’être comme étant indivisé absolument : de là elle fait abstraction de tout mode de distinction : de là, c’est d’après une seule et même définition commune que la personne est dite une et que l’essence est dite une, bien qu’il n’y ait pas une seule et même définition de la distinction en particulier. C’est pourquoi à partir de là on n’établit pas qu’il y ait attribution équivoque.

[1847] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut ens absolute dictum intelligitur de substantia, ita unum absolute dictum, prout significatur in neutro genere, quod substantivatur, importat unitatem absolute et significat unitatem substantiae. Sed talis unitas non constituit numerum personarum, sed constitueret numerum essentiarum, si essent ibi. Sed in masculino genere non significat unitatem absolute, sed ponit unitatem circa terminum cui adjungitur, quia adjectivum est ; unde importat unitatem convenientem illi termino. Et ideo cum dicitur unus Deus, importat unitatem essentialem: et cum dicitur unus Pater, importat unitatem personalem: et haec unitas constituit numerum personarum, qui ad relationem pertinet.

4. Il faut dire en quatrième lieu que tout comme l’être dit absolument s’entend de la substance, de même l’un dit absolument, selon qu’il est signifié dans le genre neutre, élevé au rang de substance, implique une unité absolue et signifie l’unité de la substance. Mais une telle unité ne constitue pas le nombre des personnes, mais elle constituerait le nombre des essences s’il y en avait là. Mais dans le genre masculin l’un ne signifie pas l’unité absolue, mais il pose l’unité sur le terme auquel il s’ajoute parce qu’il est un adjectif ; de là il implique une unité qui convient à ce terme. Et c’est pourquoi, lorsqu’on dit «un Dieu» ¨un¨ implique l’unité essentielle ; et lorsqu’on dit «un Père», ¨un¨ implique l’unité personnelle : et c’est cette unité qui constitue le nombre des personnes, lequel appartient à la relation.

[1848] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 1 a. 4 ad s. c. 1 Et per hoc patet responsio ad illud quod in contrarium objiciebatur.

5. Et par là la réponse à ce qu’on objectait en sens contraire est évidente.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – La diversité en Dieu

 

 

Prooemium

Prologue

[1849] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 pr. Deinde quaeritur de nominibus quae sunt pluralitati adnexa ; et circa hoc quaeruntur duo:

1 de his quae se habent ad pluralitatem sicut principium ;

2 de nomine Trinitatis, quod consequitur pluralitatem, quasi collectivum.

On s’interroge ensuite sur les noms qui sont annexés à la multiplicité ; et à ce sujet on fait porter la recherche sur deux points :

1. Sur ceux qui se rapportent à la pluralité comme principe ;

2. Sur le nom de Trinité, qui découle de la pluralité comme un collectif.

 

 

[1850] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 tit. Utrum in Deo sit diversitas

Article 1 – Y a-t-il de la diversité en Dieu ?

[1851] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in Deo sit diversitas. Sicut enim unum in substantia facit idem, ita multitudo in substantia facit diversitatem. Sed dicit Hilarius, De Synodis, § 29, quod Pater et Filius et Spiritus sanctus « sunt quidem per substantiam tria, per consonantiam vero unum ». Ergo est ibi diversitas.

Difficultés :

1. Il semble qu’il y ait diversité en Dieu. En effet, tout comme l’un dans la substance fait le même, de même la multiplicité dans la substance fait la diversité. Mais Saint-Hilaire [Les Synodes, & 29] dit que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint «sont certes trois par la substance, mais un par la concordance». Il y a donc là diversité.

[1852] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut unum dicitur ex eo quod non dividitur, ita multa vel plura dicuntur ex eo quod dividuntur. Sed Pater et Filius sunt plures. Ergo videtur quod ibi sit divisio.

2. Par ailleurs, tout comme l’un se dit de ce qui n’est pas divisé, de même la multiplicité ou la pluralité se disent de ce qui est divisé ou distingué. Mais le Père et le Fils sont plusieurs. Il semble donc qu’il y ait là division.

[1853] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, alienum denominatur ab alio. Sed Filius est alius a Patre. Ergo potest etiam dici alienus.

3. En outre, ¸«¸alienum», c’est-à-dire ¨étranger¨ vient de «alius», c’est-à-dire ¨autre¨. Mais le Fils est autre que le Père. On peut dont aussi dire de lui qu’il est étranger au Père.

[1854] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod possit dici singularis: quia singulare significat aliquid demonstratum, subsistens in natura communi. Sed hoc modo est Pater. Unde supra, dist. 19, dixit Damascenus, de fid.orthod. III, 6, quod se habet sicut individuum. Ergo videtur quod possit dici singularis.

4. De plus, il semble qu’on puisse dire de Lui qu’il est un singulier : car un singulier signifie ce qu’on peut montrer et qui subsiste dans une nature commune. Mais cela s’applique au Père. D’où Damascène a dit plus haut à la distinction 19 [111, De la Foi Orthodoxe, ch. 6] que le Père se présente comme un individu. Il semble donc qu’on puisse dire de Lui qu’il est un singulier.

[1855] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, videtur quod possit dici unicus, per hoc quod cantat Ecclesia: trinum Deum, unicumque cum favore praedicat.

5. Par ailleurs, il semble qu’on puisse dire de Lui qu’il est unique si on regarde ce que célèbre l’Église : elle attribue le Dieu trine à chacun avec affection.

[1856] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 6 Item videtur quod non possit ibi esse discretio. Discretum est enim quaedam differentia quantitatis. Sed in divinis non est quantitas. Ergo nec discretio.

6. En outre, il semble qu’il ne puisse y avoir là discretion ou séparation. Le discret en effet est une difference de la quantité. Mais en Dieu il n’y a pas quantité. Il n’y a donc pas discretion.

[1857] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 arg. 7 Et quaeritur generaliter, quid de hujusmodi possit concedi in divinis.

7. Et on se demande plus généralement ce qui pourrait être concédé en Dieu à ce sujet.

[1858] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa fidem Trinitatis, fuerunt duae haereses: scilicet Arii, qui induxit pluralitatem essentiae ; et Sabellii, qui abstulit pluralitatem personarum ; quorum utrumque concedit fides Catholica ; et ideo ea oportet concedere quae utrique haeresi adversantur, et ea negare quae utrique sunt consona.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que touchant la foie en la Trinité, il y eut deux hérésies: à savoir celle d’Arius, qui introduisit la pluralité de l’essence, et celle de Sabellius qui fait disparaître la pluralité des personnes; et la foi catholique s’oppose à chacune de ces deux erreurs; et c’est pourquoi il faut conceder ce qui s’oppose à ces deux erreurs et nier ce qui s’accorde avec elles.

Unde contra Arium quatuor ponit Ecclesia: 

scilicet essentiae unitatem, et ex hoc confitetur Deum unum, et negat diversitatem 

Secundo essentiae divinae simplicitatem ; et ideo confitetur simplicitatem [simplicem Éd. de Parme] et negat multiplicitatem vel divisionem, quae ponit rationem totius et partis, quae simplicitati adversantur, et similiter separationem.

Tertio ponit similitudinem in natura deitatis,,  prout significatur ut forma quaedam ; et ideo praedicat Filium similem Patri et negat alienum: quia alienum dicitur quod est extraneum a natura alicujus.

Quarto ponit indivisam virtutem et magnitudinem trium personarum, et ideo ponit aequalem et negat disparem vel inaequalem.

C’est pourquoi l’Église affirme quatre points à l’encontre de la position d’Arius : à savoir premièrement l’unité de l’essence et à partir de là elle affirme que Dieu est un et nie la diversité ; deuxièmement elle affirme la simplicité de l’essence divine ; et c’est pourquoi elle confesse la simplicité [simple Éd. de Parme] et nie la multiplicité ou la division qui pose la notion de tout et de partie, laquelle est contraire à la simplicité, et il en est de même pour la notion de séparation.

Troisièmement elle pose la similitude dans la nature de la divinité selon qu’elle est signifiée par une certaine forme ; et c’est pourquoi elle proclame que le Fils est semblable au Père et nie qu’Il Lui soit étranger : car on appelle «alienum», c’est-à-dire ¨étanger¨, ce qui est extérieur à la nature d’un autre être.

En quatrième lieu elle pose une puissance et une grandeur indivisées des trois personnes et c’est pourquoi elle pose l’égalité et nie la disparité ou l’inégalité entre les personnes.

Similiter contra Sabellium quatuor ponit. 

Primo naturae communicationem pluribus suppositis, et ideo praedicat pluralitatem et excludit singularitatem.

Secundo ponit quod ista pluralitas non est tantum rationis, sed etiam rei, quia sunt tres res ; et ideo praedicat discretionem, et excludit unicum. 

Tertio ponit in istis rebus personalibus esse ordinem originis ; et ideo praedicat discretionem quae ordinem quemdam importat, et excludit confusionem. 

Quarto ponit tres personas unitas societate quadam amoris, qui est Spiritus sanctus, et ideo praedicat consonantiam, ut patet ex Hilario et excludit solitudinem.

De la même manière l’Église affirme quatre points à l’encontre de la position de Sabellius.

En premier lieu elle pose la communication de la nature à plusieurs suppôts, et c’est pourquoi elle proclame la pluralité et exclut l’unité des personnes.

En deuxième lieu elle pose que cette pluralité des suppôts n’est pas seulement une pluralité de raison mais une pluralité réelle, car ce sont là trois réalités ; et c’est pourquoi elle proclame la discrétion et exclut l’unicité.

En troisième lieu elle pose qu’il y a un ordre d’origine entre ces trois réalités personnelles ; et c’est pourquoi elle proclame la discrétion qui implique un certain ordre, et écarte ainsi la confusion.

En quatrième lieu elle pose qu’il y a trois personnes unies par une certaine communauté d’amour qui est l’Esprit-Saint, et c’est pourquoi elle  proclame l’accord et exclut la solitude.

[1859] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod unum in substantia prout significat essentiam, facit idem ; et similiter multitudo in substantia, quae est essentia, facit diversum. Sed cum dicit Hilarius quod sunt per substantiam tria, accipit substantiam pro hypostasi non pro essentia.

Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’un dans la substance, selon qu’elle signifie l’essence, produit le même; et semblablement la multiplicité dans la substance qui est l’essence produit le divers. Mais lorsque Saint-Hilaire dit qu’ils sont trois par la substance, il prend la substance pour l’hypostase, non pour l’essence.

[1860] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ubi est numerus simpliciter, ibi est divisio vel per essentiam vel per quantitatem. Sed talis numerus non est in divinis, sed numerus quidam, ut dictum est ; et ad istum numerum sufficit distinctio relationum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que là où il y a le nombre pris absolument, il y a division soit par l’essence, soit par la quantité. Mais ce n’est pas ce nombre qui est présent en Dieu, mais seulement le nombre pris sous un certain rapport, ainsi que nous l’avons dit ; et la distinction des relations correspond à ce nombre.

[1861] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Filius dicatur alius a Patre, non tamen dicitur alienus, quia hoc sonat extraneitatem [inextraneitatem Éd. de Parme] naturae ; denominatur enim alienum ab alietate naturae, et non ab alietate suppositi.

3. Il faut dire en troisième lieu que bien qu’on dise du Fils qu’il est autre que le Père, on ne dit cependant pas de lui qu’il lui est étranger car cela laisse entendre une extériorité [inextériorité Éd. de Parme] de nature ; «alienum», c’est-à-dire étranger tient son origine de «alietate», c’est-à-dire d’une altérité de nature, et non d’une altérité de suppôt.

[1862] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod persona divina non potest dici singularis proprie, quia singulare est cujus essentia est incommunicabilis ; essentia autem Patris non est incommunicabilis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la personne divine ne peut être appelée proprement singulière, car le singulier est ce dont l’essence est incommunicable ; mais l’essence du Père n’est pas incommunicable.

[1863] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratione dicta non potest Deus dici unicus ; et si inveniatur, improprie accipitur unicus pro uno ; et ita glossandae sunt omnes auctoritates tales, in quibus aliquod praedictorum ponitur.

5. Il faut dire en cinquième lieu que, pour la raison que nous avons dite, Dieu ne peut être appelé unique ; et si cela se rencontre, ¨unique¨ est pris improprement pour ¨un¨. Et ainsi, toutes ces autorités, dans lesquelles un de ces termes se retrouvent, doivent être interprétées avec soin.

[1864] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod discretio non salvatur in divinis quantum ad rationem quantitatis, sed solum quantum ad rationem ordinis.

6. Il faut dire en sixième lieu que la discretion dans les personnes divines n’est pas conserve quant à la notion de quantité, mais seulement quant à la notion d’ordre.

[1865] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 1 ad 7 Ad quaestionem patet responsio per jam dicta.

7. La réponse à cette question est évidente au moyen de ce qui a été dit.

 

 

 

 

[1866] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 tit. Utrum Trinitas sit nomen essentiale

Article 2 – Trinité est-il un nom essentiel ?

[1867] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Trinitas sit nomen essentiale. Quidquid enim ad aliud non refertur, est essentiale. Sed Trinitas, secundum nomen suum, est hujusmodi. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. Il semble que «Trinité» soit un nom essentiel. En effet, tout ce qui ne se rapporte à quelque chose d’autre est essentiel. Mais «Trinité», si on examine le nom en lui-même, est un nom de cette sorte. Donc, etc.

[1868] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid praedicatur de singulis personis et de omnibus simul singulariter et non pluraliter, est essentiale. Sed hoc nomen Trinitas videtur hujusmodi esse: quia Trinitas dicitur quasi trium unitas, et illa unitas significat divinam essentiam. Unde cum possit dici, Pater est essentia, et unitas essentiae, potest dici quod est unitas trium, et ita quod est Trinitas, et similiter Filius et Spiritus sanctus: et hi tres sunt una Trinitas et non plures Trinitates. Ergo videtur quod sit essentiale.

2. Par ailleurs, tout ce qui s’attribue à des personnes en particulier et à toutes simultanément au singulier et non au pluriel, est essentiel. Mais «Trinité» semble être un nom de cette sorte : car la Trinité se dit comme l’unité de trois personnes, et cette unité signifie l’essence divine. De là, puisqu’on peut dire que le Père est l’essence et l’unité de l’essence, on peut dire qu’il est l’unité des trois et ainsi qu’il est la Trinité ; et on peut dire la même chose du Fils et de l’Esprit-Saint : et ces trois personnes sont une seule Trinité et non plusieurs Trinités. Il semble donc que ce soit là un nom essentiel.

[1869] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 arg. 3 Si dicas quod non, quia est collectivum personarum. Contra, secundum Bernardum, lib. V de consider., cap. VIII, inter omnes unitates arcem tenet unitas Trinitatis. Sed inter omnes unitates est minor illa quam importat nomen collectivum. Ergo videtur quod non sit collectivum, et ita nullo modo significat relationem.

3. Si tu dis que non, parce que c’est un collectif de personnes, je dis au contraire, conformément à Saint-Bernard [De la Considération, V, ch.  VIII], que parmi toutes les unités, l’unité de la Trinité tient le sommet. Mais parmi toutes les unités la plus petite est celle qui est portée par le nom collectif. Il semble donc que ce nom ne soit pas un collectif et qu’ainsi il ne signifie nullement la relation.

[1870] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra est quod dicit Boetius, quod ipsum nomen Trinitatis ad relationem pertinet. Ergo non est essentiale.

Cependant :

1. Au contraire, Boèce dit que le nom même de Trinité se rapporte à la relation. Il n’est donc pas un nom essentiel.

[1871] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in nomine Trinitatis importatur unitas et numerus quidam ; sed unitas in divinis dicitur dupliciter: scilicet unitas essentialis, et unitas personalis.

Unde quidam dicunt quod nomen Trinitatis importat unitatem personalem ; et secundum eos sic exponitur Trinitas quasi ter unitas, quia sunt ibi tres unitates personales ; et secundum hoc absolute relationem significat. 

Alii dicunt, quod unitas importata, est unitas essentialis ; et sic isti exponunt, Trinitas, idest, trium unitas ; sicut etiam Isidorus in Littera exponit. Unde et hoc videtur convenientius esse cum nos a Trinitate nominemus Deum trinum ; et non potest dici ter unus: quia cum dicitur Deus unus significatur unitas essentialis ; et secundum hoc Trinitas significat utrumque, scilicet unitatem essentiae, et distinctionem personarum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que dans le nom de Trinité sont impliqués l’unité et un nombre ; mais l’unité en Dieu se dit en deux sens : soit comme l’unité essentielle, soit comme l’unité personnelle.

De là certains disent que le nom de Trinité porte sur l’unité personnelle ; et selon eux le nom «Trinité» s’explique ainsi comme signifiant trois fois l’unité, car il y a là trois unités personnelles ; et d’après cela le terme signifie en totalité la relation.

D’autres disent que l’unité signifiée par le nom est l’unité essentielle ; et c’est ainsi que ceux-ci expliquent la Trinité, c’est-à-dire comme étant l’unité des trois, comme Saint-Isidore l’explique aussi dans la Lettre. D’où il semble être plus convenable que nous nommions le Dieu trine par la Trinité et il ne peut être appelé trois fois un : car lorsque qu’on dit de Dieu qu’il est un, c’est l’unité essentielle qui est signifiée ; et d’après cela la Trinité signifie les deux, c’est-à-dire l’unité de l’essence et la distinction des personnes.

[1872] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Trinitas quantum ad id ad quod significandum imponitur, non significat relationem, sed numerum ; unde secundum nomen, ad aliud non refertur, sed quantum ad ea circa quae ponitur numerus iste in divinis significat ipsas relationes, quae solum in divinis numerantur ; et non addit aliquid secundum rem, sed tantum rationem negationis, ut dictum est, in hac dist., q. 1, art. 3 ; et hoc convenit Trinitati, scilicet quod sit ad aliquid, non inquantum est Trinitas, sed inquantum est Trinitas divina ; unde habet relationem implicitam.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la Trinité, quant à ce que l’imposition du nom doit signifier, ne signifie pas la relation, mais le nombre ; c’est pourquoi, selon le nom, ce mot ne se rapporte pas à autre chose mais quant aux réalités sur lesquelles ce nombre est posé dans les personnes divines il signifie les relations elles-mêmes qui sont nombrées seulement en Dieu; et il n’ajoute pas quelque chose dans la réalité, mais seulement quant à la notion de négation, ainsi que nous l’avons dit dans cette distinction (quest. 1, art. 3) ; et cela convient à la Trinité, à savoir d’être un terme relatif, non pas en tant que Trinité, mais en tant qu’elle est la Trinité divine ; c’est pourquoi il contient une relation implicite.

[1873] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod haec est falsa: Pater est Trinitas. Quamvis enim hoc nomen Trinitas propter modum significandi, quia significatur in abstracto, significet unitatem essentiae in recto, et numerum personarum in obliquo quantum ad etymologiam nominis, prout dicitur Trinitas, trium unitas ; tamen quantum ad impositionem nominis est e converso. Impositum est enim nomen ad significandum ab ipso numero qui in nomine importatur.

Unde quantum ad veram nominis significationem idem significatur cum dicitur Trinitas, ac si diceretur: tres personae unius essentiae ; sicut Magister exponit. Unde patet quod Pater non potest Trinitas dici. Similiter cum dicitur: Deus est trinus, significatur quod est habens tres personas in una essentia, unde ly Deus supponit tunc vel essentiam vel suppositum indistinctum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que cette proposition, à savoir : ¨Le Père est Trinité¨, est fausse. En effet, bien que ce nom de Trinité, en raison du mode de signifier, car il est signifié dans l’abstrait, signifie directement l’unité de l’essence, et indirectement le nombre des personnes quant à l’étymologie du nom, selon que Trinité signifie l’unité des trois personnes, cependant quant à l’imposition du nom c’est l’inverse. En effet, le nom a été imposé pour signifier à partir du nombre même qui est impliqué dans le nom.

De là, quant à la véritable signification du nom, on signifie la même chose lorsqu’on dit Trinité et si on dit : trois personnes d’une même essence, comme le Maître l’explique. C’est pourquoi il est clair qu’on ne peut dire du Père qu’il est Trinité. Semblablement lorsqu’on dit : Dieu est trine, on signifie qu’il y a là trois personnes dans une seule et même essence, d’où Dieu, dans ce cas, est alors mis à la place soit de l’essence, soit du suppôt indistinct.

[1874] Super Sent., lib. 1 d. 24 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc nomen Trinitas habet aliquid simile cum nomine collectivo, non tamen est vere collectivum. In collectivo enim est duo considerare, scilicet multitudinem eorum quae colliguntur, quae simpliciter sunt per essentiam divisa, et id in quo colliguntur, quae est minima unitas. Sed in nomine Trinitatis est e converso quia illud in quo colliguntur tres personae, est maxima unitas scilicet unitas essentiae ; personae autem quae colliguntur, habent minimum de ratione realis multitudinis tamen est aliqua similitudo inquantum est aliquis numerus et aliqua unitas utrobique, unde supra, dist. XIX, dixit Magister, quod est quasi collectivum.

3. Il faut dire en troisième lieu que ce nom de Trinité comporte une ressemblance avec le nom collectif, mais il n’est pas un véritable collectif. Dans le collectif en effet il y a deux choses à considérer, à savoir la multiplicité des choses qui sont rassemblées qui sont totalement divisées par l’essence, et ce dans quoi elles sont rassemblées, qui est l’unité minimale. Mais dans le nom de Trinité c’est l’inverse car ce dans quoi les trois personnes sont rassemblées est l’unité la plus grande, à savoir l’unité de l’essence ; mais les personnes qui sont rassemblées ont le moins raison d’être une multiplicité réelle ; il y a cependant une similitude dans la mesure où il y a un nombre et une certaine unité dans les deux cas et c’est pourquoi le Maître a dit plus haut à la distinction XIX que ce terme est presqu’un collectif.

 

 

Distinctio 25

Distinction 25 – [Parle-t-on de manière univoque de Dieu et des créatures ?]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quaeruntur quatuor:

1 de definitione personae ;

2 utrum univoce in Deo et in creaturis inveniatur ;

3 de communitate ipsius respectu personarum divinarum ;

4 utrum tres personae sint tres res vel tres entes. 

 La recherche porte ici sur quatre points :

1. Sur la définition de la personne.

2. Est-ce que ce nom se rencontre univoquement en Dieu et dans les créatures ?

3. Sur le caractère commun de ce terme par rapport aux personnes divines.

4. Est-ce que les trois personnes sont trois réalités ou trois êtres ?

Quaestio 1

 

Question unique : [La définition de la personne]

 

 

 [1877] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 tit. Utrum definitio personae posita a Boetio sit competens

Article 1 – La définition de la personne donnée par Boèce convient-elle ?

[1878] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur et ponitur definitio personae a Boetio, lib. De duabus nat., cap. III, col. 1343 : « Persona est rationalis naturae individua substantia ». Videtur quod haec definitio sit incompetens. Definitio enim debet esse convertibilis cum definito. Sed ratio personae invenitur in Deo et in Angelis et hominibus ; haec autem definitio personae non convenit divinis personis, ut dicit Magister in III, dist. X. Ergo videtur, esse definitio [quod sit, Ed. de Parme] incompetens.

Difficultés :

1. Voici la définition de la personne donnée par Boèce [Les Deux Natures, ch. 111, col. 1343] : «La personne est la substance individuelle de nature raisonnable». Il semble que cette définition ne convienne pas. En effet, la définition doit être convertible avec le défini. Mais la notion de personne se rencontre en Dieu, chez les Anges et chez les hommes ; mais cette définition de la personne ne convient pas aux personnes divines comme le dit le Maître (111, dist. X). Il semble donc que cette définition [qu’elle soit, Éd. de Parme] soit irrecevable.

[1879] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut definitio se habet ad rem, ita partes definitionis ad partes rei. Sed definitio significat rem definitam. Ergo et partes definitionis significant partes rei. Sed in divinis persona est simplex, non habens partes. Ergo talis definitio sibi non competit.

2. Par ailleurs, les parties de la définition se rapportent aux parties de la chose comme la définition se rapporte à la chose. Mais la définition signifie une chose définie. Donc, les parties de la définition doivent de même signifier les parties de la chose. Mais en Dieu la personne est simple et ne possède pas de parties. Donc une telle définition ne convient pas à Dieu.

 [1880] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, quod praedicatur de aliquo in recto, non debet poni in definitione ejus in obliquo. Sed intellectualis natura praedicatur de persona in recto: dicimus enim quod Socrates est quaedam natura intellectualis vel rationalis. Ergo videtur quod male dicitur, « rationalis naturae ».

3. En outre, ce qui s’attribue directement à un être ne doit pas être posé indirectement dans sa définition. Mais la nature intellectuelle s’attribue directement à la personne : nous disons en effet que Socrate est une certaine nature intellectuelle ou rationnelle. Il semble donc qu’on parle incorrectement lorsqu’on dit : «d’une nature rationnelle».

[1882] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, differentia propria alicujus generis non invenitur extra genus illud. Sed rationale est differentia animalis. Ergo non invenitur nisi in animalibus. Sed persona invenitur in Angelis et Deo qui non continentur in genere animalis. Ergo rationale non debet poni in definitione personae.

4. De plus, la différence qui est propre à un genre ne se retrouve pas en dehors de ce genre. Mais «rationnel» est la différence du genre «animal». Elle ne se retrouve donc que chez les animaux. Mais la personne se retrouve chez les Anges et en Dieu qui ne sont pas contenus dans le genre animal. ¨Rationnel¨ ne doit donc pas être posé dans la définition de la personne.

[1882] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, persona in assignatione Boetii et Tullii coordinatur essentiae, subsistentiae et substantiae. Sed in Deo idem est natura et essentia. Ergo magis debuit dicere rationalis essentiae, quam naturae.

5. En outre, dans la distribution de Boèce et de Tullius, la personne est rangée avec l’essence, la subsistance et la substance. Mais en Dieu la nature et l’essence sont identiques. Il fallait donc parler d’essence rationnelle plutôt que de nature rationnelle.

[1883] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, individuationis principium est materia. Sed in aliquibus invenitur persona in quibus nihil est de materia, ad minus in Deo. Ergo individuum non debet poni in definitione personae.

6. Par ailleurs, la matière est le principe de l’individuation. Mais dans certains cas, au moins pour ce qui est de Dieu, la personne se rencontre chez des êtres dans lesquels il n’y a aucune matière. Donc, le terme «individu» ne doit pas être placé dans la définition de la personne.

 [1884] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 7 Item, substantia in usu Latinorum aequivocatur ad essentiam et hypostasim. Cum ergo dicitur, persona est substantia individua, substantia aut ponitur pro essentia, aut pro hypostasi. Si pro hypostasi ; hypostasis autem est substantia particularis aut individua ; videtur quod superflue additur individua. Si pro essentia ; cum individuatio ponatur circa subjectum, quae individuatio in divinis est per distinctionem proprietatis ; sequeretur quod proprietas distingueret essentiam. Et praeterea, cum multiplicato definito multiplicetur definitio, sicut plures homines sunt plura animalia rationalia etc., sequitur quod plures personae sunt plures essentiae ; quod est [videtur Éd. de Parme] inconveniens. 

7. En outre, le terme «substance», dans l’usage qu’en font les Latins, se dit de l’essence et de l’hypostase de manière équivoque. Donc, lorsqu’on dit que la personne est une substance individuelle, substance se prend soit pour l’essence, soit pour l’hypostase. Si elle se prend pour l’hypostase, puisque l’hypostase est une substance particulière ou individuelle, il semble qu’il soit superflu d’ajouter «individuelle». Si on prend la substance pour l’essence, puisque l’individuation se pose sur le sujet, laquelle individuation chez les personnes divines est causée par la distinction de la propriété, il s’ensuivrait que c’est la propriété qui distinguerait l’essence. Et par ailleurs, puisque la définition est multipliée une fois que le défini est multiplié, tout comme plusieurs hommes sont plusieurs animaux raisonnables etc., il s’ensuit que plusieurs personnes sont plusieurs essences ; ce qui est [semble Éd. de Parme] absurde.

[1885] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, « persona » aut est nomen substantiae, vel accidentis. Sed non potest dici quod sit nomen accidentis: quia substantia ponitur in sua definitione in recto ; et hoc etiam patet per Boetium qui separat personam a genere accidentium. Ergo est nomen substantiae. Sed accidentia non ponuntur in definitione substantiae. Cum igitur individuum nominet accidens, quia nominat [dicit Éd. de Parme] intentionem quamdam, sicut et nomen generis et speciei, videtur quod inconvenienter ponitur in definitione personae, quasi differentia substantiae.

8. De plus, «persona» est le nom soit d’une substance, soit d’un accident. Mais on ne peut dire qu’il soit le nom d’un accident car substance est placé directement dans sa définition ; et cela est encore évident chez Boèce qui sépare la personne du genre des accidents. Personne est donc le nom d’une substance. Mais les accidents ne sont pas placés dans la définition de la substance. Donc, puisque le terme «individuelle» nomme un accident car il nomme [dit Éd. de Parme] une intention comme c’est le cas pour les noms de genre et d’espèce, il semble que ce soit à tort qu’il soit placé dans la définition de la personne comme une différence de la substance.

[1886] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, ut supra dictum est, dist. 24, qu. 2, art. 2, hoc nomen « persona » secundum suam communitatem acceptum, non est nomen intentionis, sicut hoc nomen « singulare », vel « generis » et « species » [« genus…species Éd. de Parme] ; sed est nomen rei, cui accidit aliqua intentio, scilicet intentio particularis ; et in natura determinata, scilicet intellectuali vel rationali. Et ideo in definitione personae ponuntur tria: scilicet genus illius rei, quod significatur nomine personae, dum dicitur « substantia » ; et differentia per quam contrahitur ad naturam determinatam, in qua ponitur res, quae est persona, in hoc quod dicitur, « rationalis naturae » ; et ponitur etiam aliquid pertinens ad intentionem illam, sub qua significat nomen personae rem suam ; non enim significat substantiam rationalem absolute, sed secundum quod subintelligitur intentio particularis: et ideo additur « individua ».

Corps de l’article :

Je réponsd qu’il faut dire, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 24, quest. 2, art. 2], que ce nom «persona», selon son acception commune, n’est pas un nom d’intention comme ce nom de «singulier», ou  de «genre», ou encore d’«espèce» [le genre…l’espèce Éd. de Parme] ; mais il est plutôt le nom d’une chose à laquelle survient une intention, à savoir une intention  particulière et dans une nature déterminé, à savoir la nature intellectuelle ou rationnelle. Et c’est pourquoi dans la définition de la personne on pose trois choses : à savoir le genre de cette chose qui est signifiée par le nom de personne lorsqu’on dit «substance» ; la différence par laquelle le genre se trouve à être restreint à une nature déterminée dans laquelle cette chose, la personne, est posée, alors même qu’on dit d’elle qu’elle est «de nature rationnelle» ; et on ajoute aussi à cette définition quelque chose qui se rapporte à cette intention sous laquelle le nom de personne signifie ¨sa¨ chose ; ce nom en effet ne signifie pas la substance rationnelle prise absolument, mais il la signifie selon qu’une intention particulière y est sous-entendue : et c’est pourquoi on ajoute «individuelle».

 

[1887] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ea quae ponuntur in ista definitione, possunt dupliciter considerari: vel stricte secundum proprietatem vocabulorum, et sic, ut patebit, non convenit divinis personis, ut dicit Magister: vel large, et sic convenit personae in quacumque natura intellectuali ponatur, et ita accipit Boetius: unde etiam ibi inquirit definitionem personae ad ostendendum quomodo in Christo sit una persona, in quo constat non esse nisi personam divinam increatam.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ce qui est posé dans cette définition peut être considéré de deux manières : soit au sens strict conformément à la propriété des termes et ainsi, comme on le verra, il ne convient pas aux personnes divines ainsi que le dit le Maître ; soit au sens large et ainsi il convient à la personne, quelle que soit la nature intellectuelle dans laquelle elle est posée et c’est en ce sens que l’entend Boèce : c’est pourquoi aussi il recherche là la définition de la personne pour montrer comment il n’y a qu’une seule personne dans le Christ, dans lequel il est clair qu’il n’y a qu’une personne divine incréée.

[1888] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, secundum Avicennam, dupliciter definitio potest considerari: vel secundum id quod significatur per definitionem, vel secundum intentionem definitionis. Si primo modo, tunc idem est significatum per definitum et definitionem: unde dicit philosophus, IV Metaph., text. 28, quod ratio quam significat nomen, est definitio: et sic definitio et definitum sunt idem, et hoc modo ea quae ponuntur in definitione in recto, non sunt partes definitionis, id est rei per definitionem significatae, sicut nec definiti. Si enim cum dicitur animal rationale mortale, animal esset pars hominis, non praedicaretur de toto, cum nulla pars integralis de toto praedicetur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que, conformément à Avicenne, la définition peut être considérée de deux manières : soit selon ce qui est signifié par la définition, soit selon l’intention de la définition. Si on la considère de la première manière, alors ce qui est signifié par le défini et la définition, c’est la même chose : de là, le Philosophe [IV Métaphysique, texte 28] dit que la notion que le nom signifie, c’est la définition ; et en ce sens, la définition et le défini sont identiques, et de cette manière tous les éléments qui sont placés directement dans la définition ne sont pas des parties de la définition, c’est-à-dire de la chose même qui est signifiée par la définition, ni du défini. Si en effet, lorsqu’on dit : ¨animal rationnel et mortel¨, animal était une partie de l’homme, il ne s’attribuerait pas au tout, puisqu’aucune partie intégrale ne s’attribue au tout.

Unde animal dicit totum et similiter rationale mortale. Et ideo homo non dicitur esse ex animali et rationali et mortali ; sed dicitur esse animal rationale mortale. Sed genus significat totum ut non designatum et differentia ut designans, et definitio ut designatum, sicut et species, quae differunt: verbi gratia, corpus, secundum quod est pars animalis et genus, differt, ut Avicenna dicit, Tract. V, Métaph., cap. V. Cum enim ratio corporis in hoc consistat quod sit talis naturae, ut in ea scilicet [scilicet om. Éd. de Parme] possint designari tres dimensiones ; si nomine corporis significetur res hujusmodi, ut in ea possint signari [designari Éd. de Parme] tres dimensiones sub hac conditione, ut superveniat alia perfectio quae compleat ipsam in ratione nobiliori, sicut est anima ; sic est corpus pars animalis, et sic non praedicatur de animali.

De là, animal signifie le tout et il en est de même pour rationnel et mortel. Et c’est pourquoi on ne dit pas de l’homme qu’il est un composé d’animal, de rationnel et de mortel. Mais le genre signifie le tout en tant qu’il n’est pas précisé, la différence en tant qu’elle le précise et la définition en tant qu’il est précisé, tout comme les espèces qui diffèrent : en d’autres mots, comme le dit Avicenne [V Métaphysique, ch. V], le corps en tant que partie de l’animal diffère du corps pris comme genre. En effet, puisque la définition du corps consiste en ceci qu’il soit d’une telle nature, c’est-à-dire [c’est-à-dire om. Éd. de Parme] qu’en elle trois dimensions puissent être montrées, si par le nom de corps on signifiait une chose de cette sorte, c’est-à-dire de telle manière qu’en elle on puisse identifier trois dimensions à cette condition que lui survienne une autre perfection, comme l’âme, qui la complète dans une notion plus noble, alors le corps est une partie de l’animal et il ne s’attribue pas à l’animal.

Si vero nomine corporis significetur res habens talem naturam ex quacumque forma ipsam perficiente, ut possint in ea designari tres dimensiones ; tunc corpus est genus, et significat totum: quia quaecumque forma sumatur specialis, non erit extra hoc per quod ratio corporis conditionabatur ; sed tamen indistincte, eo quod non determinetur, utrum ex tali vel tali forma dictam rationem habeat. Sed cum dicitur animatum, designatur forma per quam talem rationem recipit ; quamvis etiam aliquid plus recipiat ab anima quam rationem corporis: et ita differentia est designans, et tunc species erit designatum.

Mais si par le nom de corps on signifie une chose possédant telle nature à partir d’une forme qui lui donne sa perfection, de manière à ce que trois dimensions soient indiquées en elle, alors corps est un genre et il signifie le tout : car quelque particulière que se prenne la forme, elle ne sera pas en dehors de ce par quoi définition du corps était conditionnée ; mais indistinctement cependant du fait qu’il n’est pas déterminé s’il possède la définition que nous avons dite à partir de telle ou telle forme. Mais lorsqu’on dit ¨animé¨, on désigne la forme par laquelle il reçoit telle définition, bien qu’il reçoive aussi de l’âme quelque chose de plus que la définition du corps : c’est ainsi que la différence est ce qui détermine et l’espèce sera e qui est déterminé.

Sed verum est quod in compositis genus et differentia, quamvis non sint partes, tamen a partibus rei fluunt: quia genus fluit a materia, quamvis non sit materia: et differentia a forma, quamvis forma non sit differentia, sed forma sit principium illius ; et sic definitio composita ostendit realem compositionem. In simplicibus autem, et praecipue in Deo, complexio [compositio Éd. de Parme] quae est in definitione, non reducitur in aliquam compositionem rei: sed solum secundum rationem quae fundatur in veritate rei ; sicut si aliquis definiens Deum diceret, quod est substantia intellectualis divina, vel aliquid hujusmodi. Huiusmodi, unumquodque [Unde quodcumque Éd. de Parme] istorum nominum quod diceret in definitione, haberet veram significationem in Deo: et significatio unius non esset significatio alterius ; et tamen diversitas significationum non fundaretur super aliquam diversitatem rei.

Mais il est vrai que dans les composés le genre et la différence, bien qu’ils ne soient pas des parties dérivent cependant des parties de la chose : car le genre dérive de la matière bien qu’il ne soit pas matière ; et la différence dérive de la forme bien que la forme ne soit pas la différence mais qu’elle soit plutôt le principe de la forme ; et ainsi la composition de la définition manifeste une composition réelle. Mais dans les réalités qui sont simples et surtout en Dieu, la complexion [composition Éd. de Parme] ne se ramène pas à une composition de la chose, mais seulement selon la raison qui se fonde sur la vérité de la chose ; par exemple si quelqu’un, en définissant Dieu, disait qu’il est une substance intellectuelle divine, ou quelque chose de la sorte. De cette manière, n’importe quel [De là, n’importe quel Éd. de Parme] de ces noms qu’il dirait dans la définition aurait une véritable signification en Dieu : et la signification de l’un ne serait pas la signification de l’autre ; et cependant la diversité des significations ne serait pas fondée sur une diversité de la chose.

Et inde est quod sicut esse rei simplicis, intellectus enuntiat per compositionem affirmativam plurium nominum, cum tamen in re nulla sit compositio ; ita etiam quidditatem rei simplicis, in qua non est compositio, designat per plura nomina, quibus subest in re pluralitas rationum, et non diversitas rei. Et secundum hoc ea quae ponuntur in definitione personae divinae, non sunt majoris simplicitatis quantum ad rem quam ipsa persona, sed solum secundum rationem.

Et c’est de là que  tout comme l’intelligence énonce l’existence d’une réalité simple par la composition affirmative de plusieurs noms, bien qu’il n’y ait dans la réalité aucune composition, de même aussi elle désigne la quiddité de la réalité simple, dans laquelle il n’y a aucune composition, au moyen de plusieurs noms sous lesquels se tient la pluralité des notions et non la diversité qu’il y aurait dans la chose. Et suivant cela les éléments qui sont placés dans la définition de la personne divine ne sont pas d’une plus grande simplicité, quant à la réalité, que la personne divine elle-même, mais seulement selon la raison.

Si autem consideretur definitio secundum suam intentionem, sic definitio non est definitum, sed ductivum in cognitionem ejus ; et sic etiam definitio est composita ex pluribus intentionibus, quarum nulla praedicatur de ipsa, nec e converso, quia intentio generis non est intentio definitionis ; sed hoc non est nisi secundum intellectum qui adinvenit has intentiones ; et sic non est inconveniens in divinis ponere totum et partem secundum operationem intellectus, sicut etiam in propositione quae de Deo formatur, subjectum est pars totius propositionis.

Mais si on considérait la définition selon son intention logique, ainsi la définition ne serait pas le défini, mais conduirait à la connaissance du défini ; et ainsi encore la définition est composée de plusieurs intentions dont aucune ne s’attribue à elle ni inversement, car l’intention du genre n’est pas celle de la définition ; et il n’en est ainsi que suivant l’intelligence qui découvre ces intentions ; et ainsi il n’est pas inconvenant de placer en Dieu le tout et la partie selon l’opération de l’intelligence, tout comme dans la proposition qu’on forme aussi au sujet de Dieu, le sujet est une partie de ce tout qui est la proposition.

[1889] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, ut ex praedictis patet, essentia vel natura dupliciter potest significari. Vel ut pars, ut significatur nomine humanitatis, et sic natura vel essentia non potest praedicari de persona in recto, sicut nec humanitas de Socrate. Vel sicut totum, ut significatur nomine hominis, et sic praedicatur de persona. Dicimus enim, quod Socrates est homo. Hic autem accipitur rationalis natura secundum primum modum, prout est principium differentiae et non differentia, sicut rationalitas, quae non posset poni in definitione hominis in recto, sed in obliquo ; ut si diceretur, quod est animal rationalitatem habens vel aliquid hujusmodi ; natura autem signata in rebus compositis etiam realem differentiam habet ad personam, inquantum scilicet naturae fit additio alicujus ut materiae demonstratae, per quam natura communis generis vel differentiae individuatur. Sed in simplicibus, et praecipue in Deo, cum nulla sit additio secundum rem, non est realis differentia naturae, ut sic significatae, ad personam ; sed solum quantum ad modum significandi ; propter quod cadit in definitione divinae personae in obliquo.

3. Il faut dire en troisième lieu, comme on le voit à partir de ce qui a été dit, que l’essence ou la nature peut être signifiée de deux manières. Soit comme une partie, comme elle est signifiée par le nom d’humanité, et en ce sens la nature ou l’essence ne peut être attribuée à la personne directement, comme on ne peut attribuer directement l’humanité à Socrate. Soit comme un tout, comme elle est signifiée par le nom d’homme et ainsi elle s’attribue à la personne. Nous disons en effet que Socrate est un homme. Mais ici on prend la nature rationnelle de la première manière, selon qu’elle est principe de difference et non selon qu’elle est la difference, par exemple la rationalité, qui ne pourrait être placée directement dans la definition de l’homme, mias indirectement; par exemple si on disait qu’il est un animal possédant la rationnalité ou quelque chose de la sorte; mais la nature qui est designée dans les choses composes possède aussi une différence réelle envers la personne, c’est-à-dire pour autant qu’il se produit une addition de quelque chose à la nature à titre de matière qu’on peut montrer et par laquelle la nature commune du genre ou de la différence est individuée. Mais dans les réalités qui sont simples et surtout en Dieu, puisqu’il n’y a aucune addition possible dans la réalité, il n’y a aucune différence réelle de la nature ainsi signifiée à l’égard de la personne, mais seulement une différence quant au mode de signifier; et c’est pour cette raison que le mot nature tombe indirectement dans la definition de la personne divine.

[1890] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod rationale dupliciter dicitur. Quandoque enim sumitur stricte et proprie, secundum quod ratio dicit quamdam obumbrationem intellectualis naturae, ut dicit Isaac quod ratio oritur in umbra intelligentiae. Quod patet ex hoc quod statim non offertur sibi veritas, sed per inquisitionem discurrendo invenit ; et sic rationale est differentia animalis, et Deo non convenit nec Angelis.

4. Il faut dire en quatrième lieu que ¨rationnel¨ se dit de deux manières. Parfois en effet il se prend au sens strict et propre, selon que ¨raison¨ dit une certaine obscurité de la nature intellectuelle, comme Isaac qui dit que la raison naît à l’ombre de l’intelligence. Ce qu’on peut voir du fait que la vérité ne se montre pas instantanément à elle, mais elle doit la découvrir au moyen d’une recherche discursive ; et en ce sens la raison est une différence au sein du genre animal et ne convient ni à Dieu ni aux Anges.

Quandoque sumitur communiter pro qualibet conditione [cognitione Éd. de Parme] virtutis non impressae in materia ; et sic convenit communiter Deo, Angelis et hominibus: unde etiam Gregorius Hom. X in die Epiph., col. 1110, nominat Angelum animal rationale, et Dionysius, de cael. Hier., etiam dicit, quod sensibile et rationale sunt in Angelis supereminenter quam in nobis ; et rationem etiam inter divina nomina connumerat ; et sic accipit Boetius.

Mais parfois elle se prend au sens large pour une certaine condition [connaissance Éd. de Parme] d’une puissance qui n’est pas enracinée dans la matière ; et en ce sens la ¨raison¨ convient en commun à Dieu, aux Anges et aux hommes ; c’est pourquoi encore Saint-Grégoire [Homélie X pour le Jour de l’Épiphanie, col. 1110] appelle l’Ange un animal rationnel et que Denys [De la Hiérarchie Céleste] dit encore que le sensible et le rationnel existent dans les Anges d’une manière bien plus excellente qu’en nous ; et il compte aussi la raison parmi les noms divins ; et c’est ainsi que l’entend Boèce.

[1891] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod secundum Boetium natura uno modo dicitur unamquamque rem informans specifica differentia ; et ideo nomen naturae non nominat essentiam absolute, sed secundum quod determinatur ad aliquod genus vel ad aliquam speciem: et ideo quia persona non nominat substantiam subsistentem nisi in determinato genere, scilicet intellectualis naturae, ideo potius posuit naturam quam essentiam.

5. Il faut dire en cinquième lieu que d’après Boèce nature se dit en un sens de la différence spécifique qui informe une chose, quelle qu’elle soit ; et c’est pourquoi le nom de nature ne nomme pas l’essence prise absolument, mais selon qu’elle est déterminée à un certain genre ou à une certaine espèce ; et c’est pourquoi, parce que la personne ne nomme une substance subsistante que dans un genre déterminé, c’est-à-dire celui d’une nature intellectuelle, c’est pourquoi dans sa définition il a placé ¨nature¨ plutôt que ¨essence¨.

[1892] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in individuatione, secundum quod est in rebus compositis, est duo considerare ; primum scilicet [id est Éd. de Parme] individuationis causam quae est materia, et secundum hoc in divina non transfertur ; et secundum, scilicet rationem individuationis quae est ratio incommunicabilitatis, prout scilicet aliquid unum et idem in pluribus non dividitur, nec de pluribus praedicatur, nec divisibile est, et sic convenit Deo: unde etiam Richardus, II De Trinit., cap. XII, col. 907, loco individui posuit incommunicabile.

6. Il faut dire en sixième lieu que pour ce qui est de l’individuation, en tant qu’elle se retrouve dans les réalités composées, il y a deux choses à considérer : à savoir [c’est-à-dire Éd. de Parme] premièrement la cause de l’individuation qui est la matière et de ce point de vue elle ne s’applique pas à Dieu ; et deuxièmement la notion d’individuation qui est la notion d’incommunicabilité, c’est-à-dire selon qu’une seule et même chose ne se divise par en plusieurs, ne s’attribue pas à plusieur et n’est pas divisible : et en ce sens l’individuation convient à Dieu ; et c’est pourquoi aussi Richard [11 De la Trinité, ch. XII, col. 907], se sert du terme ¨incommunicable¨ au lieu du terme ¨individuel¨.

[1893] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod substantia dicitur quatuor modis.

Uno modo substantia idem est quod essentia ; et sic substantia invenitur in omnibus generibus, sicut et essentia ; et hoc significatur, cum quaeritur: quid est albedo ? Color. 

Alio modo significat individuum in genere substantiae, quod dicitur substantia prima, vel hypostasis.

Tertio modo dicitur substantia secunda.

7. En septième lieu il faut dire que ¨substance¨ se dit de quatre manières.

En un premier sens ¨substance¨ s’identifie à ¨essence¨; et ainsi substance se rencontre dans tous les genres, tout comme l’essence; et c’est en ce sens, lorsqu’on demande: «qu’est-ce que la blancheur?», qu’on répond: «une couleur».

En un autre sens ¨substance¨ signifie l’individu dans le genre de la substance, qu’on appelle aussi substance première ou hypostase.

Le troisième sens de substance est la substance seconde.

Quarto modo dicitur substantia communiter prout abstrahit a substantia prima et secunda, et sic sumitur hic, et per individuum, quasi per differentiam, trahitur ad standum pro substantia prima ; sicut cum dicitur animal rationale mortale, significat animal naturam animalis prout abstrahitur ab omnibus speciebus, et per differentiam additam trahitur in determinatam speciem.

En un quatrième sens ¨substance¨ se dit universellement selon qu’elle fait abstraction à la fois de la substance première et de la substance seconde, et c’est ainsi qu’elle se prend ici, et elle est entraînée à tenir lieu de substance première au moyen du terme ¨indivisible¨ comme au moyen d’une différence; tout comme lorsqu’on dit «animal rationnel et mortel», le terme ¨animal¨ signifie la nature de l’animal selon qu’elle fait abstraction de toutes les espèces et qu’elle est amenée à une espèce déterminée au moyen d’une différence ajoutée.

Quidam tamen dicunt quod sumitur pro hypostasi substantia, et cum de ratione personae sit triplex incommunicabilitas, scilicet qua privatur communitas universalis, et qua privatur communitas particularis quam habet in definitione [constitutione Éd. de Parme] totius, et qua privatur communitas assumptibilis conjuncti rei digniori, prout dicimus, quod natura humana non est persona in Christo ; per nomen hypostasis tollitur ratio universalis et particularis, et per additionem individui tollitur communicabilitas assumptibilis.

Mais certains disent cependant que ¨substance¨ se prend à la place de l’hypostase dans la définition,  et puisqu’il y a trois sortes d’incommunicabilité au sujet de la notion de personne, à savoir celle par laquelle est exclu le caractère commun de l’universel, celle par laquelle est exclu le caractère commun de la partie qu’elle a dans la définition [constitution Éd. de Parme] du tout, et celle par laquelle est exclue le caractère commun qui la rend apte à être assumée par une réalité plus digne qui lui serait unie, en autant que nous disons que dans le Christ la nature humaine n’est pas une personne ; autrement dit, par le nom d’hypostase, la notion d’universel, tout comme celle de partie, disparaît, et par l’addition du terme ¨individuel¨, disparaît aussi la notion d’aptitude à être assumé.

Sed primum melius est, quia hoc non potest trahi de significatione vocabulorum. Et praeterea adhuc remanet objectio, qualiter sumatur substantia in definitione hypostasis, cum dicimus, quod hypostasis est substantia individua.

Mais la première interprétation est préférable car celle-là n’est pas entraînée en dehors de la signification des termes. Et par ailleurs il reste encore à se demander comment se prend la substance dans la définition de l’hypostase lorsque nous disons que l’hypostase est une substance individuelle. (Cf. 1a, quest. 29, ad. 2).

[1894] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod, ut patet ex dictis, in corp. art., persona non nominat intentionem, sed rem cui accidit illa intentio: et ideo non nominat accidens, sed substantiam ; nec hoc quod est individuum, est differentia substantiae, quia particulare non addit aliquam differentiam supra speciem.

8. Il faut dire en huitième lieu, comme on l’a vu à partir de ce qui a été dit dans le corps de l’article, que «persona» ne désigne pas une intention logique, mais la chose à laquelle survient cette intention : et c’est pourquoi elle ne désigne pas un accident, mais une substance ; et ce qu’on appelle ici ¨individuel¨ n’est pas une différence de la substance car le particulier n’ajoute pas une différence à l’espèce.

Sed tamen particulare efficitur individuum per aliquod principium essentiale, quod quidem in rebus compositis est materia, et in rebus divinis est relatio distinguens ; et quia essentialia principia sunt nobis ignota, frequenter ponimus in definitionibus aliquid accidentale, ad significandum aliquid essentiale ; et sic etiam nomen individui, quod est nomen accidentis, ponitur ad designandum principium substantiale, per quod sit individuatio. Sciendum tamen est, quod de persona dantur aliae definitiones.

Cependant, le particulier est rendu individuel par une principe essentiel qui est certes la matière dans les réalités composées, et la relation qui distingue dans les réalités divines ; et parce que le principes essentiels nous sont inconnus, nous plaçons fréquemment dans les définitions quelque chose d’accidentel pour signifier quelque chose d’essentiel ; et ainsi même le nom d’individu, qui est le nom d’un accident, est posé pour désigner le principe substantiel par lequel il y a individuation. Il faut cependant savoir que d’autres définitions sont données au sujet de la personne.

Una est Richardi qui corrigens definitionem Boetii secundum illum modum quo persona dicitur in Deo, sic definit personam: Persona est divinae naturae incommunicabilis existentia ; quia rationale et individuum et substantia non proprie competunt in divinis quantum ad communem usum nominum. 

Alia datur a magistris sic: Persona est hypostasis distincta proprietate ad nobilitatem pertinente ; et quasi in idem redit: nisi quod haec sumitur per comparationem ad proprietatem distinguentem et cui substat persona, et illa Boetii per comparationem ad naturam, ad quorum utrumque persona comparationem habet.

L’une d’elles nous vient de Richard de Saint-Victor, qui, corrigeant la définition de Boèce d’après cette manière  par laquelle personne se dit de Dieu, définit ainsi la personne : La Personne est l’existence incommunicable de la nature divine ; car rationnel, individuel et substance n’appartiennent pas proprement à Dieu quant à l’usage commun de ces noms.

Une autre nous vient des maîtres de la manière qui suit : La Personne est une hypostase distincte par une propriété qui concerne une excellence ; et cette dernière définition revient pratiquement à la première si ce n’est que cette dernière se prend par rapport à une propriété qui distingue et sous laquelle la personne se tient, alors que celle de Boèce se prend par rapport à la nature, la prersonne présentant un rapport à l’égard de chacun de ces deux aspects.

 

 

Articulus 2 [1895] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 tit. Utrum persona dicatur univoce de Deo et creaturis

Article 2 – Parle-t-on de « personne » de manière univoque à propos de Dieu et des créatures ?

[1896] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod persona univoce dicatur de Deo et creaturis. Quantumcumque enim aliqua differant, univoce convenire possunt in negatione aliqua ; sicut hoc quod est non esse lapidem, univoce convenit Deo et homini. Sed ratio personae consistit in negatione ; est enim individua substantia. Ergo videtur quod univoce Deo, et creaturis conveniat.

Difficultés :

1. Il semble que «personne» se dise univoquement de Dieu et des créatures. En effet, quelque grande que soit la différence entre des êtres, elles peuvent convenir de manière univoque dans une certaine négation ; par exemple, cela même qui consiste à ne pas être une pierre convient univoquement à Dieu et à l’homme. Mais la notion de personne consiste dans une certaine négation ; la personne en effet est une substance non-divisée. Il semble donc qu’elle convienne univoquement à Dieu et aux créatures.

[1897] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid praedicatur de aliquibus secundum unum nomen et unam rationem, univoce eis convenit. Sed nomen personae et definitio assignata convenit Deo et creaturis, ut patet per Boetium, de duabus naturis, cap. IV, col. 1354. Ergo videtur quod univoce dicatur.

2. Par ailleurs, tout ce qui s’attribue à plusieurs selon un même nom et une même définition leur convient univoquement. Mais le nom de personne ainsi que la définition assignée à ce nom convient à Dieu et aux créatures, comme on le voit chez Boèce [Les Deux Natures, T. 11 ch. IV, col. 1345]. Il semble donc que ce nom se dise univoquement de Dieu et des créatures.

[1898] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, si non dicitur univoce, aut dicitur aequivoce aut analogice. Sed non aequivoce, quia omnia quae in definitione ponuntur, non aequivoce dicuntur de Deo et creaturis, ut ex dictis patet, art. praeced., nec etiam analogice, quia nihil analogice dictum de Deo et creaturis, per prius est in creatura quam in Deo ; sicut hoc nomen persona, quod a creaturis translatum est ad divina. Ergo persona univoce dicitur de Deo et creaturis.

3. En outre, si ce nom ne se dit pas univoquement, il se dit soit par homonymie, soit par analogie. Mais il ne se dit pas par homomymie, car tout ce qui est placé dans la définition ne se dit pas par homonymie de Dieu et des créatures, comme on le voit en s’appuyant sur ce qui a été dit dans l’article précédent, ni par analogie, car rien de ce qui se dit par analogie de Dieu et des créatures ne se retrouve en priorité dans la créature plutôt qu’en Dieu, comme c’est le cas pour le nom de «personne» qui a été transporté à Dieu à partir des créatures. Il semble donc que «personne» se dise univoquement de Dieu et des créatures.

[1899] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 4 Contra, quaecumque non conveniunt in uno genere generalissimo, non potest de eis aliquid univoce dici. Sed Deus, cum non sit in genere, non convenit cum creatura in genere, nec in specie, nec in accidente, cum subjectum esse non possit, ut Boetius probat, lib. I De Trinit., cap. II, col. 1250, et sic de aliis. Ergo nec persona nec aliquid de Deo univoce et creaturis dicitur.

Cependant :

4. Au contraire, pour les choses qui ne se rencontrent pas dans un genre plus universel, rien ne peut s’attribuer à elles de manière univoque. Mais Dieu, puisqu’il n’est dans aucun genre, ne peut se rencontrer avec la créature dans aucun genre, dans aucune espèce, dans aucun accident, puique Lui-même ne peut être un sujet, ainsi que Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250] le prouve, et il en est de même pour le reste. Donc le nom de «personne», comme rien d’autre, ne peut s’attribuer à Dieu et aux créatures de manière univoque.

 

[1900] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, persona significat distinctum in natura aliqua. Sed non est eadem ratio distinctionis in divinis, Angelis et hominibus ; quia in divinis est distinctio per solas relationes originis, in Angelis per proprietates absolutas, in hominibus utroque modo, ut dicit Richardus, IV de Trin., c. XIII et XIV, col. 938. Ergo persona aequivoce dicitur de his.

5. Par ailleurs, «personne» signifie un être distinct dans une certaine nature. Mais la définition de la distinction n’est pas la même en Dieu, chez les Anges et chez les hommes ; car en Dieu la distinction n’a lieu que par les seules relations d’origine, chez les Anges par les propriétés absolues, et chez les hommes des deux manières comme le dit Richard de Saint-Victor [IV De la Trinité, ch. XIII et XIV, col. 938]. Donc, «personne» s’attribue à eux de manière équivoque.

[1901] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod persona dicitur de Deo et creaturis, non univoce nec aequivoce, sed secundum analogiam ; et quantum ad rem significatam per prius est in Deo quam in creaturis, sed quantum ad modum significandi est e converso, sicut est etiam de omnibus aliis nominibus quae de Deo et creaturis analogice dicuntur.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que «personne» se dit de Dieu et des créatures non de manière univoque ni par homonymie, mais par analogie ; et quant à la chose signifiée, elle se retrouve en priorité en Dieu plutôt que dans les créatures, mais quant au mode de signifier c’est l’inverse, tout comme c’est aussi le cas pour tous les autres noms qui se disent aussi de Dieu et des créatures par analogie.

[1902] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod individuum, quamvis secundum rationem nominis importet negationem quamdam, tamen talis negatio fundatur super aliquam rem, scilicet super distinctionem alicujus principii distinguentis, in quo non univocatur Deus et creatura. Et praeterea in definitione personae non tantum ponitur hoc nomen, individuum, sed etiam substantia, et quaedam alia quae Deo et creaturis univoce convenire non possunt: nisi forte diceretur, quod persona est nomen accidentis, scilicet intentionis, et non nomen rei, et quod substantia ponitur in definitione personae sicut subjectum in definitione accidentis, ut cum dicitur: simum est nasus curvus. Sed hoc est contra intentionem Boetii, qui venatur differentiam personae per divisionem substantiae.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le terme «individu», bien qu’il implique d’après la définition du nom une certaine négation, cependant une telle négation se fonde sur une certaine réalité, c’est-à-dire sur la distinction d’un principe qui distingue et dans lequel Dieu et la créature ne se disent pas univoquement. Et par ailleurs dans la définition de la personne on ne pose pas seulement ce nom, «individu», mais aussi la substance et d’autres choses qui ne peuvent se rencontrer de manière univoque en Dieu et dans les créatures ; à moins peut-être qu’on dise que «personne» est le nom d’un accident, c’est-à-dire d’une intention, et non le nom d’une chose, et que substance est posé dans la définition de la personne comme un sujet est placé dans la définition d’un accident, comme lorsqu’on dit qu’un camus est un nez courbé. Mais cela va a l’encontre de l’intention de Boèce qui poursuit la différence de la personne par une division de la substance.

[1903] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, secundum philosophum, III Metaph., text. 4 quorumdam rationes nihil prohibet non univocas esse: unde sicut nomen personae non univoce dicitur de Deo et creaturis, sed analogice, ita etiam et definitio.

2. Il faut dire en deuxième lieu que d’après le Philosophe [111 Métaphysique, texte 4] rien n’empêche que les définitions de certaines choses ne soient pas univoques : c’est pourquoi, tout comme le nom de personne ne se dit pas univoquement de Dieu et des créatures mais par analogie, il en est de même aussi de la définition.

[1904] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc nomen persona quantum ad rem significatam, prius et verius est in Deo quam in creaturis, [unde est in illis analogice Éd. de Parme] ; sed quantum ad modum significandi et impositionem nominis familiarius convenit creaturis.

3. Il faut dire en troisième lieu que ce nom, «personne», quant à la chose signifiée, se retrouve en priorité et plus véritablement en Dieu que dans les créatures [de là il se retrouve en eux par analogie Éd. de Parme] ; mais quant au mode de signifier et à l’imposition du nom, il convient plus familièrement aux créatures.

[1905] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 4 Quartum concedimus.

4. La quatrième argumentation est concédée.

 

[1906] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ratio personae importat distinctionem in communi ; unde abstrahitur a quolibet modo distinctionis ; et ideo potest esse una ratio analogice in his quae diversimode distinguuntur.

5. Il faut dire en cinquième lieu que la definition de la personne implique une distinction universelle qui fait abstraction de toute modalité de distinction; et c’est pourquoi elle peut être une définition par analogie pour les choses qui se distinguent de plusieurs manières.

 

 

Articulus 3 [1907] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 tit. Utrum persona sit commune tribus personis

Article 3 – La personne est-elle commune aux trois personnes ?

[1908] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod persona non sit commune in Trinitate. Quidquid enim communiter convenit tribus personis, significat essentiam, et singulariter praedicatur, ut sapientia, bonitas et hujusmodi ; nec in ipso personae distinguuntur. Sed persona pluraliter praedicatur in Trinitate, et in persona Pater et Filius distinguuntur. Ergo persona non est commune in Trinitate.

 Difficultés:

1. Il semble que le nom de «personne» ne soit pas commun aux trois personnes. En effet, tout ce qui convient communément aux trois personnes signifie l’essence et s’attribue au singulier, comme la sagesse, la bonté et les attributs de cette sorte; et les personnes ne se distinguent pas en lui. Mais le terme de personne s’attribue au pluriel à la Trinité et dans ce terme le Père et le Fils sont distingués. Donc, le nom de personne n’est pas commun aux trois personnes.

[1909] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne commune quod est de ratione alicujus se habet sicut universale. Si igitur persona sit commune Patri et Filio, et non sit extra rationem utriusque, quia alias esset accidens ; videtur quod sit universale. Sed totum universale non est in divinis. Ergo persona non est commune.

 2. Par ailleurs, tout ce qui est commun et fait partie de la définition d’une chose se présente comme un universel. Si donc le nom de personne était commun au Père et au Fils il ne serait pas extérieur à la définition des deux, autrement il serait un accident ; il semble donc qu’il soit un universel. Mais en Dieu il n’y a pas de tout universel. Donc, «personne» n’est pas un nom commun aux trois personnes.

[1910] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 3 Si dicas, quod est commune secundum rationem, et non secundum rem ; contra. Quia etiam in universali non est eadem ratio numero, ut eadem humanitas in diversis particularibus ; sed solum eadem secundum rationem. Ergo videtur quod hoc non impediat rationem universalis.

 3. Si tu dis que ce nom est commun selon la raison et non en réalité, je dis par contre que même dans l’universel il n’y a pas une seule et même définition par le nombre comme une même humanité dans différents particuliers, mais seulement selon la raison. Il semble donc que cela n’empêche pas la définition de l’universel.

[1911] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod de se habet rationem incommunicabilis, non potest dici commune, quia haec sunt opposita. Sed persona habet rationem incommunicabilis. Ergo non potest dici communis [Ergo… communis Om. Éd. de Parme]. Ergo videtur quod non possit esse communis.

 4. Par ailleurs, on ne peut dire qu’est commun ce qui de soi par définition est incommunicable, car ces deux notions sont opposées. Mais la «personne» est par définition incommunicable. On ne peut donc dire d’elle qu’elle est commune [donc…commune om. Éd. de Parme]. Il semble donc que la personne ne puisse être commune.

[1912] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur ab Augustino.

Cependant :

1. Ce qui est dit par Saint-Augustin dans la Lettre est contraire à ce qu’on conclut dans ces arguments.

[1913] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, nihil potest connumerari alicui nisi in eo quod est commune utrique.

 2. Par ailleurs, une réalité ne peut être comptée avec une autre que par ce qui est commun aux deux.

[1914] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod est duplex communitas: scilicet rei et rationis. Et dico communitatem rei quando aliquid unum et idem numero convenit pluribus ; et talis communitas naturae non est nisi in divinis personis, nec aliqua talis communitas est in Trinitate, nisi essentiae, et eorum quae ad essentiam pertinent, ut attributorum et operationum et negationum et relationum essentialium. Communitas autem rationis est, secundum quam persona communis dicitur in Trinitate.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il existe deux sortes de communautés : à savoir celle de la chose et celle de la raison. Et je dis qu’il y a une communauté de chose quand une seule et même chose par le nombre convient à plusieurs ; et une telle communauté de nature n’existe que dans les personnes divines, et cette communauté n’appartient dans la Trinité qu’à l’essence et à ce qui se rapporte à l’essence, comme les attributs et les opérations, les négations et les relations essentielles. Mais la communauté de raison est celle selon laquelle on dit de la personne qu’elle est commune à la Trinité.

Hoc autem diversimode assignatur a diversis. Quidam enim dicunt, quod est commune secundum rationem negationis, eo quod in definitione personae cadit individuum, quod dicit negationem. Unde dicunt, quod talis communitas rationis, quae est per negationem tantum, non facit universale. Sed hoc non videtur sufficiens: quia persona de ratione sua non dicit negationem tantum, sed etiam positionem quamdam.

 Mais cela a été attribué différemment par différents auteurs. Certains disent en effet que la personne est commune selon la raison de négation, du fait que dans la définition de la personne on retrouve «individu» qui dit une négation. De là ils disent qu’une telle communauté de raison, qui se fait seulement par la négation, ne la rend pas universelle. Mais cela ne semble pas suffisant : car la personne, de par sa définition, ne dit pas seulement une négation, mais aussi une certaine affirmation.

Unde alii dicunt, quod est communitas secundum rationem proportionis, sicut dicimus, quod sicut se habet rector in civitate, ita nauta in navi ; et sic dicunt, quod persona est commune [communis Éd. de Parme] Patri et Filio: quia sicut Pater se habet ut subsistens ad naturam divinam, ita et Filius.

 De là d’autres disent que «personne» dit une communauté selon un rapport de proportion, comme nous disons que ce que le gouverneur est à la cité, le capitaine l’est au navire ; et ils disent ainsi que la personne est quelque chose de commun [commune Éd. de Parme] au Père et au Fils : car tout comme le Père se présente comme subsistant par rapport à la nature divine, il en est de même pour le Fils.

Alii dicunt, quod est communitas secundum rationem intentionis ; sicut dicitur quod color et animal conveniunt in intentione generis. Sed haec duo dicta in idem referuntur: quia communitas intentionum non est nisi secundum proportionem communis ad proprium, vel e contrario. Et hoc etiam non videtur sufficere: quia persona non tantum nominat intentionem vel habitudinem alicujus subsistentis ad naturam communem, sicut hoc nomen suppositum vel particulare vel aliquid hujusmodi ; sed magis nominat illam rem cui accidit talis intentio: unde communitas personae in divinis non potest esse secundum communitatem talis habitudinis vel intentionis ; sed ista communitas est, qua hoc nomen suppositum commune est tribus personis.

 D’autres disent que «personne» dit une communauté selon la raison d’intention, tout comme nous disons que la couleur et l’animal se rencontrent dans l’intention de genre. Mais ces deux dernières opinions reviennent au même : car la communauté des intentions n’existe que d’après le rapport du commun au propre ou du propre au commun. Et cela ne semble pas non plus suffire : car le nom de «personne» ne nomme pas seulement une intention ou le rapport de ce qui subsiste à l’égard d’une nature commune, comme le nom de suppôt, de particulier ou quelque chose de la sorte, mais il nomme plutôt cette chose à laquelle survient cette intention : c’est pourquoi la communauté de personne ne peut exister dans les personnes divines selon la communauté d’un tel rapport ou d’une telle intention ; mais cette communauté est celle ce nom est posé comme étant commun aux trois personnes.

Et ideo aliter dicendum, quod praeter has communitates [quae aliquo modo includuntur in communitate personae add. Éd. de Parme], est ibi communitas rationis fundata in re ; [sicut dicimus quod ratio animalis est communis homini et asino add. Éd. de Parme]. Sed ratio fundata in re est duplex: quia quaedam est communis, sicut ratio animalis, et quaedam est specialis, sicut ratio hominis. Sic etiam est in divinis, quod cum realiter sit ibi relatio, est ibi communis ratio relationis.

 Et c’est pourquoi il faut plutôt dire qu’en dehors de ces communautés [qui d’une certaine manière sont inclues dans la communauté de personne add. Éd. de Parme], il y a là une communauté de notion fondée dans la réalité ; [tout comme nous disons que la notion d’animal est commune à l’homme et à l’âne add. Éd. de Parme]. Mais la notion fondée dans la réalité est double : car l’une est commune, comme la notion d’animal, et l’autre est particulière, comme la notion d’homme. Et il en est aussi de même pour les personnes divines à savoir qu’alors que la relation existe réellement là, la notion de relation y est commune.

Item, cum realiter sit ibi paternitas, est ibi specialis ratio paternitatis realiter: unde relatio est communis paternitati et filiationi, sicut ratio communis in rationibus specialibus. Non tamen ex hoc sequitur quod relatio sit universale ad paternitatem et filiationem: quia omne universale est secundum aliud et aliud esse in suis inferioribus, sed in divinis non est nisi unum esse, unde idem esse relationis est in paternitate et filiatione: unde communis ratio in divinis non potest distingui per esse, sed solum per speciales rationes.

 En outre puisqu’il y a réellement là paternité, il y a là réellement une notion particulière de paternité : de là il y a une notion commune à la paternité et à la filiation, tout comme il y a une notion commune dans les notions particulières. Il ne suit cependant pas de là que la relation à l’égard de la paternité et de la filiation soit universelle : car tout universel existe selon des existences différentes dans ses inférieurs alors que dans les personnes divines il n’y a qu’une seule et même existence et c’est pourquoi l’existence de la relation est la même dans la paternité et dans la filiation : c’est pourquoi la notion commune ne peut être distinguée en Dieu par l’existence, mais uniquement par des notions particulières.

Et inde est quod nihil unum secundum specialem rationem potest numero multiplicari in divinis. Ita dico de persona quod persona in divinis significat communiter rationem distincti subsistentis in tali natura, et Pater significat relationem distincti speciali ratione subsistentis in natura communi, et similiter Filius: et inde patet quod persona secundum rem non est communis Patri et Filio: quia non est numero una persona utriusque, sicut una numero essentia: sed sicut habens rationem communem est commune habentibus rationes speciales et proprias in quibus distinguuntur, nec tamen est universale: quia non est secundum aliud et aliud esse in patre et filio.

 Et c’est de là que rien de ce qui est un par une notion particulière ne peut se multiplier par le nombre en Dieu. Je dis ainsi au sujet de la personne que la personne dans les personnes divines signifie communément la notion d’un être distinct subsistant dans telle nature, et que le Père signifie la relation par la notion distincte et particulière de ce qui subsiste dans une nature commune et qu’il en est de même du Fils : et il est clair à partir de là que la personne dans la réalité n’est pas commune au Père et au Fils : car il n’y a pas une seule et même personne numériquement parlant pour les deux, comme il n’y a qu’une seule essence numériquement parlant pour les deux : mais la notion de personne est commune au Père et au Fils comme ce qui a une notion commune est commun à ceux qui possèdent des notions particulières et propres dans lesquelles ils se distinguent, et cependant cette notion commune n’est pas universelle, car elle n’existe pas d’après des existences qui seraient différentes dans le Père et le Fils.

[1915] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod persona non est communis communitate rei, sicut essentia: et ideo quamvis secundum rem non differat ab essentia, non tamen significat per modum essentiae ; et similiter cum dicitur quod Pater distinguitur a Filio in persona, non intelligitur quod sit distinctio in ratione communi personae, sed solum in ratione speciali, quae est ratio Patris.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la personne n’est pas commune par une communauté réelle, comme l’essence ; et c’est pourquoi, bien que selon la réalité elle ne diffère pas de l’essence, elle ne signifie cependant pas à la manière de l’essence ; et il en est de même lorsqu’on dit que le Père se distingue du Fils comme personne, on n’entend pas par là qu’il y a distinction dans la notion commune de personne, mais seulement dans la notion particulière qui est la notion de Père.

[1916] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod persona non est de ratione Patris, si proprie accipiatur: quia in divinis non proprie est definitio, sicut nec genus et species. Si tamen in hoc non fiat vis, tunc dicendum, quod si sit de ratione Patris, non tamen est secundum aliud esse in Patre et Filio: [et ideo non est commune eis per modum universalis, sed secundum rationem tantum. add. Éd. de Parme]

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la personne ne fait pas partie de la définition du Père, si définition se prend au sens propre : car en Dieu il n’y a pas à proprement parler définition, tout comme il n’y a ni genre ni espèce. Si cependant il n’y avait aucune force dans cette raison, alors il faut dire que si personne faisait partie de la définition du Père, ce ne serait cependant pas d’après une existence différente dans le Père et le Fils : [et c’est pourquoi la personne ne leur est pas commune à la manière d’un universel, mais uniquement selon la raison add. Éd. de Parme].

[1917] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium.

 3. Et par là la solution à la troisième difficulté est évidente.

 [1918] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis id quod est persona, sit incommunicabile, nihil tamen prohibet intentionem personae esse communem, sicut Socrates est incommunicabilis, et tamen ratio individui vel intentio communis est, sicut e contrario intentio generis designatur ut particularis, quando contrahitur ad hoc genus: similiter etiam ratio personae, inquantum persona est, quamvis non nominet intentionem [particularem add. Éd. de Parme], tamen est communis, eo quod non dicit specialem rationem distinctionis, sed generalem ; sicut etiam individuum vagum, ut aliquis homo, est aliquo modo commune, prout non dicit hanc vel aliam rationem individuationis, sed individuationem tantum in communi.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que ce qui est une personne soit incommunicable, rien cependant n’empêche l’intention de personne d’être commune, tout comme par exemple Socrate est incommunicable, et cependant la notion d’individu ou l’intention est commune, tout comme au contraire l’intention de genre  est désignée comme particulière lorsqu’elle est déterminée à tel genre : de même encore la notion de personne en tant que personne, bien qu’elle ne nomme pas une intention [particulière add. Éd. de Parme], est cependant commune, du fait qu’elle ne dit pas une notion particulière de distinction, mais une notion générale ; tout comme l’individu indéterminé, par exemple un certain homme, est en un certain sens commun pour autant qu’il ne dit pas telle ou telle notion de l’individuation, mais seulement l’individuation en général.

 

 

Articulus 4 [1919] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 tit. Utrum tres personae possint dici tres res

Article 4 – Peut-on dire que les trois personnes sont trois choses ?

[1920] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod tres personae non possint dici tres entes, vel tres res. Quidquid enim absolute praedicatur in divinis, hoc singulariter de tribus praedicatur. Sed ens et res dicuntur absolute. Ergo et cetera.

 Difficultés :

1. Il semble qu’on ne puisse dire des trois personnes qu’elles sont trois étants ou trois réalités. En effet, tout ce qui s’attribue à Dieu à la manière d’un absolu s’attribue aux trois personnes au singulier. Mais l’étant et la réalité s’attribuent absolument. Donc, etc.

[1921] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, sicut est una deitas Patris et Filii, ita unum esse et una quidditas. Sed una quidditas et unum esse non dicitur nisi unus Deus. Ergo eadem ratione non debent tres personae dici tres entes vel tres res ; cum nomen entis imponatur ab esse, et nomen rei a quidditate, ut dicit Avicenna, tract. IV Métaph., cap. V.

 2. Par ailleurs, tout comme il n’y a qu’une seule divinité pour le Père et le Fils, de même il n’y a pour eux qu’une seule existence et une seule quiddité. Mais une seule quiddité et une seule existence ne se disent que pour un seul Dieu. Donc, pour la même raison on ne doit pas dire des trois personnes qu’elles sont trois étants ou trois réalités, puisque le nom d’étant est imposé à partir du terme ¨exister¨ et le nom de réalité à partir du terme ¨quiddité¨, comme le dit Avicenne [IV Métaphysique, ch. V]

[1922] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, Pater et Filius non distinguuntur nisi relationibus. Sed relatio, quantum ad respectum, quo distinguit, non habet quod ponat aliquid. Ergo videtur quod ex hoc quod relationibus distinguuntur, non possunt dici tres entes, vel tres res.

 3. En outre, le Père et le Fils ne se distinguent que par les relations. Mais la relation, quant au rapport par lequel elle distingue, n’a pas à poser quelque chose. Il semble donc que du fait qu’ils se distinguent par les relations, ils ne puissent être appelés trois étants ou trois réalités.

[1923] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Damascenus, lib. Fide orth., dicit quod tres personae re non differunt, sed ratione et cognitione distinguuntur. Sed quaecumque distinguuntur sola ratione, non sunt tres res. Ergo et cetera.

 4. Par ailleurs, Damascène, dans son livre intitulé De la Foi Orthodoxe, dit que les trois personnes ne diffèrent pas par la réalité, mais qu’elles se distinguent par la raison ou par la connaissance. Mais tout ce qui ne se distingue que par la raison ne peut être trois réalités. Donc, etc.

[1924] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, Augustinus, lib. I De doct. Christ., cap. V, col. 21) dicit: Res quibus fruendum est, sunt Pater et Filius et Spiritus sanctus. Ergo, et cetera.

 Cependant :

1. Au contraire, Saint-Augustin [1 De la doctrine Chrétienne, ch. V, col. 21] dit : Les réalités dont il faut jouir sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Donc, etc.

[1925] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quaecumque realiter distinguuntur sunt plures res. Sed Pater et Filius et Spiritus sanctus realiter distinguuntur. Ergo et cetera. Probatio mediae. Sicut ratio sapientiae est in Deo, ita ratio paternitatis realiter. Sed propter realem rationem sapientia dicitur Deus realiter sapiens. Ergo et eadem ratione dicetur realiter pater: ergo realiter relatus: ergo et realiter distinctus: quia haec invicem per se consequuntur.

 2. Par ailleurs, toutes les choses qui se distinguent réellement sont plusieurs réalités. Mais le Père, le Fils et l’Esprit-Saint se distinguent réellement. Donc, etc.

Preuve de la mineure. Tout comme la notion de sagesse est en Dieu, de même la notion de paternité y est réellement. Mais à cause de la notion réelle de sagesse on dit de Dieu qu’il est réellement sage. Donc, pour la même raison on dira qu’il est réellement père, et donc qu’il est réellement relatif et par conséquent réellement distinct ; car ces notions découlent essentiellement les unes des autres.

[1926] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod secundum Avicennam, ut supra dictum est, dist. 2, qu. 1, art. 3, hoc nomen « ens » et « res » differunt secundum quod est duo considerare in re, scilicet quidditatem et rationem ejus, et esse ipsius ; et a quidditate sumitur hoc nomen « res ».

 Corps de l’article :

1. Je réponds qu’il faut dire que d’après Avicenne, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 2, quest. 1, art. 3], ce nom, à savoir «ens», c’est-à-dire «étant», et «res», c’est-à-dire «chose», diffèrent selon qu’il y a deux choses à considérer dans la chose, c’est-à-dire sa quiddité ou sa définition, et son existence ; et c’est de «quiddité» que se tire ce nom «res».

Et quia quidditas potest habere esse, et in singulari quod est extra animam et in anima, secundum quod est apprehensa ab intellectu ; ideo nomen rei ad utrumque se habet: et ad id quod est in anima, prout res dicitur a « reor reris », et ad id quod est extra animam, prout res dicitur quasi aliquid ratum et firmum in natura.

Et parce que la quiddité peut posséder l’existence, à la fois dans le singulier qui est en dehors de l’âme et dans l’âme selon qu’elle est appréhendée par l’intelligence, c’est pourquoi le nom de «chose» peut se rapporter aux deux formes d’existence : à la fois à celle qui est dans l’âme, pour autant que que «res» se dit à partir de «reor reris», c’est-à-dire à partir de «je pense», et à celle qui est en dehors de l’âme, pour autant que «res» ou «chose» dit ce qui est pensé et possède une existence ferme dans une nature.

Sed nomen entis sumitur ab esse rei: et ideo cum unum et idem sit esse trium personarum, si ens sumatur substantive, non potest pluraliter praedicari de tribus personis: quia forma a qua imponitur, scilicet esse, non multiplicatur in eis. Si autem sumatur participialiter et adjective, sic pluraliter praedicari potest: quia hujusmodi recipiunt numerum a suppositis, et non a forma significata, ut dictum est, dist. XXII, qu. 1, art. 1.

 Mais le nom d’étant se tire de l’existence de la chose : et c’est pourquoi, puisqu’il n’y a qu’une seule et même existence pour les trois personnes, si étant se prend comme substantif, il ne peut s’attribuer au pluriel aux trois personnes parce que la forme à partir de laquelle le nom est imposé, à savoir l’existence, n’est pas multipliée en elles. Mais si étant se prend comme participe et adjectif, alors il peut s’attribuer au pluriel car le participe et l’adjectif reçoivent leur nombre des suppôts et non de la forme signifiée, ainsi que nous l’avons dit [dist. XXII, quest. 1, art. 1]

Sed quidditas sive forma, a qua sumitur nomen rei in divinis, consideratur dupliciter. Aut ut forma absoluta, ut essentia vel deitas et hujusmodi, quae non multiplicantur in divinis: unde et nomen rei, quod a tali forma sumitur, pluraliter non praedicatur, sed singulariter ; prout dicitur quod Pater et Filius sunt una res. Est etiam in divinis quaedam forma relativa, ut paternitas, quae secundum rationem non solum in intellectu existentem, sed etiam extra, est alia a filiatione.

 Mais la quiddité ou la forme de laquelle se tire le nom de réalité en Dieu se considère de deux manières. Soit comme forme absolue, comme l’essence ou la divinité qui ne sont pas multipliées en Dieu : de là le nom de réalité aussi, qui se tire d’une telle forme, ne s’attribue pas au pluriel mais au singulier selon qu’on dit du Père et du Fils qu’ils sont une seule et même réalité. Mais il y a aussi en Dieu une forme qui est relative, comme la paternité, qui est autre que la filiation non seulement selon la définition qui existe dans l’intelligence, mais aussi en dehors de l’intelligence.

Unde secundum quod ab hac relatione sumitur nomen rei, res pluraliter praedicatur, ut sint ibi plures tales formae relativae: et secundum hoc dicimus, quod Pater et Filius et Spiritus sanctus sunt tres res, non tantum in anima, sed etiam extra animam, habentes firmitatem in natura.

 C’est pourquoi, selon que le nom de réalité se tire de cette relation, réalité s’attribue au pluriel de telle manière qu’il y a là plusieurs formes relatives de cette sorte : et c’est d’après cela que nous disons que le Père, le Fils et l’Esprit-Saint sont trois réalités non seulement dans l’âme, mais aussi en dehors de l’âme, jouissant de la fermeté de leur nature.

[1927] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod nomen entis nullo modo sumitur ab aliqua relatione, sed ab esse quod absolutum est simpliciter in divinis: et ideo non praedicatur pluraliter ex forma sua, sed ex supposito, prout est adjectivum vel participium. Sed nomen rei imponitur a quidditate vel forma, quae potest esse et absoluta et relata: et ideo potest pluraliter praedicari, quamvis secundum nomen ad aliud non referatur: quia ad rationem rei accidit absolutum vel relatum, sicut animali accidit quod sit rationale et irrationale.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le nom «ens», c’est-à-dire «étant» ne se tire aucunement d’une relation mais de «esse», c’est-à-dire «exister» qui purement un absolu en Dieu : et c’est pourquoi il ne s’attribue pas au pluriel à partir de sa forme, mais à partir du suppôt, pour autant qu’il est un adjectif ou un participe. Mais le nom de «res», ou de réalité est imposé à partir de la quiddité ou de la forme qui peut être et absolue et relative : et c’est pourquoi il peut s’attribuer au pluriel, bien que selon le nom il ne se rapporte pas à quelque chose d’autre : car à la notion de réalité survient l’absolu ou le relatif, tout comme il arrive à l’animal d’être rationnel ou irrationnel.

[1928] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis sit unum esse sicut et deitas, tamen ens est adjectivum et Deus est substantivum: unde non est eadem ratio. Si autem per quidditatem intelligitur non solum ratio [natura Éd. de Parme] absoluta, sed ratio vel intentio cujuscumque vel substantiae vel accidentis vel relationis ; sic in divinis quamvis sit una quidditas absoluta, tamen sunt plures rationes relationum realium, et ita plures quidditates quodammodo ; quamvis hoc non possit proprie concedi: quia quidditas et essentia et definitio est simpliciter tantum substantiarum, ut probat philosophus, VII Metaph., et inde est quod nomen rei praedicari potest pluraliter et singulariter.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien qu’il n’y ait qu’une seule existence tout comme une seule divinité, cependant  «étant» est un adjectif et Dieu est un substantif : de là le raisonnement n’est pas le même. Mais si par quiddité on entend non seulement la notion [nature Éd. de Parme] absolue, mais la notion ou l’intention de quelque substance, accident ou relation, ainsi en Dieu bien qu’il n’y ait qu’une seule quiddité absolue, cependant il y a plusieurs notions de relations réelles et ainsi, en un sens, plusieurs quiddités, bien que cela ne puisse être concédé à proprement parler parce que la quiddité, l’essence et la définition n’appartiennent purement et simplement qu’aux seules substances, comme le prouve le Philosophe [ VII Métaphysique] et c’est de là que le nom de réalité peut être attribué au pluriel et au singulier.

[1929] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod relatio quamvis non ponat ex illo respectu aliquid absolutum, tamen ponit relationis rationem realiter in Deo existentem: et ideo ex hoc potest dici res, et ex pluribus relationibus oppositis plures res.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la relation, bien qu’elle ne pose pas sous ce rapport quelque chose d’absolu, pose cependant la notion de relation qui existe réellement en Dieu : et c’est pourquoi à partir de là il peut être appelé réalité et même, à partir de plusieurs relations opposées, plusieurs réalités.

[1930] Super Sent., lib. 1 d. 25 q. 1 a. 4 ad 4 Ad dictum Damasceni responsum est supra, distinct. II, art. 4,[ubi glossatur, ratione, idest relatione ; et dicitur relatio ratio per comparationem ad essentiam. add. Éd. de Parme]. 

 4. Par rapport à ce que dit Damascène on a répondu plus haut (dist. 11, art. 4) [où il est interprété par la notion, c’est-à-dire par la relation : et la relation est appelée notion par rapport à l’essence add. Éd. de Parme].

 

 

 

 

Distinctio 26

 

Distinction 26 – [Les hypostases[18] et les relations]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’hypostase]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quaeruntur duo.

Primo de hypostasi.

Secundo de proprietatibus.

Circa primum duo quaeruntur:

1 utrum hypostasis sit in divinis, et quid ibi significet ;

2 utrum abstractis per intellectum proprietatibus personalibus, remaneant hypostases distinctae.

 On s’interroge ici sur deux choses :

En premier lieu sur l’hypostase.

Deuxièmement sur les propriétés.

Au sujet du premier point on se demande deux choses :

1. Y a-t-il hypostase en Dieu ? Et si c’est le cas, que signifie-t-elle alors ?

2. Est-ce que les hypostases demeurent distinctes si on abstrait les propriétés personnelles par l’intelligence ?

 

 

Articulus 1 [1933] Super Sent. lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 tit. Utrum hypostases proprie dicatur in divinis

Article 1 – Est-ce que l’hypostase s’attribue proprement à Dieu ?

[1934] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod hypostasis non sit in divinis proprie dicenda. Primo per hoc quod Hieronymus dicit in Littera, quod hoc nomen non est bonae suspicionis, et quod venenum sub melle latet.

Difficultés :

1. Il semble que l’hypostase ne s’attribue pas proprement à Dieu. Et on peut d’abord le voir au moyen de ce que Saint-Jérôme dit dans la Lettre, à savoir que ce nom n’est pas de bonne conjecture et qu’il cache du venin sous le miel.

[1935] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut dicit Boetius, hypostasis nominat substantiam subjectam accidentibus. Sed Deus non substat alicui accidenti, ut supra, distinct. 8, quaest. 5, dixit Augustinus. Ergo non proprie potest dici hypostasis.

2. Par ailleurs, comme le dit Boèce, l’hypostase désigne une substance qui est le sujet d’accidents. Mais Dieu ne se tient sous aucun accident, comme l’a dit Saint-Augustin [dist. 8, quest. 5]. Il ne peut donc être appelé hypostase.

[1936] Super Sent. lib. d. 26 q. 1 a. arg.3 Item, hypostasis nominat rem naturae, quae alicui naturae supponitur. Sed in omni re naturae videtur quod natura sit majoris simplicitatis quam ipsa res naturae, et quod res naturae addit aliquid supra naturam ; alias sicut est una natura, ita esset una res naturae. Sed ubicumque est additio, ibi est compositio. Ergo videtur quod omnis hypostasis sit composita. Sed in Deo non est aliqua compositio. Ergo nec hypostasis.

 3. En outre, l’hypostase nomme une chose de nature qui est ajoutée à une nature. Mais dans toute chose de nature il semble que la nature soit d’une plus grande simplicité que la chose de nature elle-même, et que la chose de nature ajoute quelque chose à la nature ; autrement, comme il n’y a qu’une seule nature, de même il n’y aurait qu’une seule chose de nature. Mais partout où il y a addition, il y a là composition. Il semble donc que toute hypostase soit composée. Mais il n’y a pas de composition en Dieu. Il n’y a donc pas d’hypostase.

[1937] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis hypostasis est subsistentia et essentia: quia omne quod substat, subsistit et est. Si igitur in Deo est hypostasis, illa hypostasis erit subsistentia et essentia: quod non videtur, quia dicimus tres hypostases, non autem tres essentias vel subsistentias, secundum Boetium, ibidem. Ergo videtur quod hypostasis in divinis nihil sit.

 4. Par ailleurs, toute hypostase est une subsistance et une essence :  car tout ce qui  soutient subsiste et existe. Si donc il y a hypostase en Dieu, cette hypostase sera subsistance et essence : et il ne semble pas qu’il en soit ainsi, car d’après Boèce au même endroit, nous disons trois hypostases, mais non pas trois essences ou trois subsistances. Il semble donc que l’hypostase ne corresponde à rien en Dieu.

 [1938] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omne quod est in divinis, aut est absolutum aut ad aliquid. Sed hypostasis non videtur in divinis significare absolutum ; quia nihil absolutum in divinis distinguitur, secundum Augustinum, De fide ad Petrum, cap. I, et Boetium, II De Trinit., cap. I ; hypostasis autem distinguitur. Nec etiam est ad aliquid ; quia relatio in divinis est distinguens, et hypostasis est distinctum. Ergo videtur quod hypostasis non sit in divinis.

5. Par ailleurs, tout ce qu’il y a en Dieu est ou bien absolu, ou bien relatif. Mais l’hypostase ne semble pas signifier l’absolu en Dieu ; car rien de ce qui est absolu en Dieu ne distingue d’après Augustin [De la Foi à Pierre, ch. 1] et Boèce [11 De la Trinité, ch. 1] ; mais l’hypostase distingue. Et encore elle n’est pas une relation car la relation en Dieu est ce qui distingue et l’hypostase est ce qui est distinct. Il semble donc qu’il n’y ait pas d’hypostase en Dieu.

[1939] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, omne indeterminatum se habet ad determinatum sicut possibile et materiale. Sed persona se habet ad hypostasim sicut determinatum ad indeterminatum, vel sicut distinctum ad distinguibile, ut quidam dicunt: eo quod persona est hypostasis proprietate distincta ad dignitatem pertinente. Ergo cum in divinis nihil sit materiale et potentiale vel incompletum, videtur quod in divinis non sit hypostasis.

 6. Par ailleurs, tout ce qui est indéterminé se rapporte à ce qui est déterminé à la manière de ce qui est possible et matériel. Mais la personne se rapporte à l’hypostase comme le déterminé à l’indéterminé, ou comme le distinct à ce qui peut être distingué, comme certains le disent, du fait que la personne est une hypostase distincte par une propriété qui se rapporte à une dignité. Donc, puisqu’il n’y a rien en Dieu qui soit matériel, potentiel ou incomplet, il semble qu’il n’y ait pas d’hypostase en Dieu.

[1940] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, sicut supra dictum est, dist. 25, qu. 1, art. 1, idem dicunt Graeci hypostasim, quod nos personam. Sed persona proprie dicitur in Deo, et pluraliter de tribus, et singulariter de singulis. Ergo et similiter hypostasis.

 Cependant :

1. Au contraire, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 25, quest. 1, art. 1], ce que les Grecs appellent hypostase est identique à ce que nous voulons signifier par le nom «personne». Mais «personne» se dit proprement de Dieu, au pluriel des trois personnes et au singulier pour chacune d’elles. Il en est donc de même pour l’hypostase.

[1941] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, ut ex dictis patet, et ex verbis Boetii, hypostasis apud Graecos est principaliter individuum substantiae, quod nos substantiam primam dicimus. Hoc autem est aliquid completum et distinctum et incommunicabile in natura substantiae. Unde hypostasis divina erit illud quod est per se subsistens, distinctum et incommunicabile.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, comme on le voit à partir de ce qui a été dit, qu’en nous appuyant sur les paroles de Boèce, l’hypostase chez les Grecs est principalement l’individu d’une substance que nous appelons substance première. Mais cela est quelque chose de complet, de distinct et d’incommunicable dans la nature de la substance. C’est pourquoi l’hypostase divine sera ce qui est par soi subsistant, distinct et incommunicable.

Nihil autem absolutum est distinctum in divinis, sed solum id quod est ad aliquid: et sicut essentia est ipsum quod est secundum rem, ita realiter relatio distinguens est principium [principium om. Ed. de Parme] ipsum distinctum ; et cum relatio sit idem secundum rem quod essentia, ipsum distinctum relatione erit idem secundum rem quod subsistens in essentia vel natura divina ; et hoc significat nomen « hypostasis ».

 Mais rien d’absolu en Dieu n’est distinct, mais seulement ce qui est relatif : et tout comme l’essence est cela même qui existe en réalité, de même la relation qui distingue est réellement le principe [principe om. Éd. de Parme] distinct lui-même ; et puisque la relation est identique en réalité à l’essence, cela même qui est distinct par la relation sera identique en réalité à ce qui subsiste dans l’essence ou la nature divine ; et c’est cela que signifie le nom «hypostase».

Unde dico, quod nomen « hypostasis » in divinis significat relationem ut distinctam per modum subsistentis in natura divina, ut dictum est de nomine personae ; sed differt, quia hypostasis de ratione sua non includit determinatam rationem distinctionis, sed nomen personae specialem includit distinctionis rationem quae ad dignitatem pertinet, prout dicit quid subsistens in natura nobili, scilicet intellectuali: quamvis hoc idem dicat nomen hypostasis ex usu Graecorum, ut Boetius dicit, ubi supra. Sed hoc nomen « Pater » ulterius significat distinctum, exprimendo specialem et determinatam rationem distinctionis ad nobilitatem pertinentem, scilicet relationem paternitatis.

 De là je dis que le nom «hypostase» signifie en Dieu signifie la relation en tant que distincte à la manière de ce qui subsiste dans la nature divine, comme nous l’avons dit au sujet du nom «personne» ; mais il y a une différence car l’hypostase de par sa définition n’inclut pas une notion déterminée de distinction, mais c’est seulement le nom de personne qui inclut une notion spéciale de distinction qui se rapporte à une dignité, pour autant qu’elle signifie ce qui subsiste dans une nature supérieure, c’est-à-dire dans une nature intellectuelle, bien que le nom d’hypostase dise également cela dans l’usage des Grecs, comme Boèce le dit plus haut. Mais ce nom, à savoir «Père», signifie par le suite un être distinct en exprimant une notion particulière et déterminée de distinction se rapportant à une excellence, à savoir la relation de paternité.

Ex hoc patet quod ista quatuor se habent consequenter: « hypostasis » enim dicit subsistens distinctum quocumque modo. « Hypostasis » divina dicit subsistens distinctum relatione, quia alia distinctio non potest esse in divinis. « Persona » dicit distinctum distinctione relationis ad dignitatem pertinentis. « Pater » in divinis dicit subsistens distinctum relatione ad nobilitatem pertinente, quae est paternitas.

 Il est clair à partir de là que ces quatre noms se présentent comme dans une séquence : «hypostase» en effet signifie ce qui subsiste comme distinct de quelque manière que ce soit. «L’hypostase» divine signifie ce qui subsiste comme distinct par la relation, car il ne peut y avoir une autre sorte de distinction en Dieu. «Persona» signifie ce qui est distinct par la distinction d’une relation qui se rapporte à une dignité. «Père» signifie en Dieu ce qui subsiste comme distinct par une relation qui se rapporte à une excellence qui est la paternité.

[1942] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod nomen respondens hypostasi in lingua Latina, scilicet substantia, aequivocatur ad substantiam [substantiam om. Ed. de Parme] essentiam et ad substantiam primam, et ideo ne fieret occasio deceptionis, noluit Hieronymus uti nomine hypostasis ante notam et declarativam sive [declarativam sive om. Ed. de Parme) determinatam ejus significationem ; ne ex distinctione hypostasis, distinctionem essentiae haeretici, simplices [decipiendo add. Ed. de Parme], arguerent.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le nom qui correspond à hypostase dans la langue latine, à savoir le nom de substance, prête à équivoque, car il peut être interprété à la fois comme étant la substance [substance om. Éd. de Parme] en tant qu’essence et comme étant la substance première ; et c’est pourquoi, afin d’éviter toute occasion de confusion, Saint-Jérôme n’a pas voulu se servir du nom d’hypostase avant que soit connue, manifestée ou [manifestée ou om. Éd. de Parme] déterminée sa signification, afin que les hérétiques n’induisent pas les simples en erreur en les amenant à poser une distinction dans l’essence en partant d’une distinction dans l’hypostase.

 [1943] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis secundum rem in divinis non sit aliquid sub alio vel substans alii per modum accidentis ; tamen intelligitur aliquid substare quantum ad modum significandi, secundum quod etiam dicit Damascenus, lib. I De fide orth., cap. IX col. 838, quod in divinis quaedam significant id quod consequitur substantiam, ut bonitas, sapientia, paternitas et hujusmodi ; et secundum hoc potest dici ibi nomen hypostasis.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien qu’en réalité il n’y ait pas en Dieu quelque chose qui se tient sous un autre ou qui soutient un autre qui serait comme un accident, cependant on entend que quelque chose soutient quant au mode de signifier, conformément à ce que dit aussi Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. 1CX, col. 838], à savoir qu’en Dieu il y a des termes qui expriment la substance, comme la bonté, la sagesse, la paternité et d’autres termes de cette sorte. Et c’est d’après cela que le nom d’hypostase peut se dire de Dieu.

[1944] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hypostasis in Deo est res etiam [etiam om. Éd. de Parme] naturae. Sciendum est enim quod individuum substantiae dicitur dupliciter:

vel ex eo quod substat naturae communi [communi om. Éd. de Parme],

vel ex eo quod substat accidentibus et proprietatibus ; et quantum ad utrumque potest significari per nomen primae intentionis, vel per nomen secundae intentionis. Per nomen primae impositionis significatur ut substat naturae, hoc nomine res naturae ; et per nomen secundae impositionis, hoc nomine quod est suppositum.

3. Il faut dire en troisième lieu que l’hypostase en Dieu est aussi [aussi om. Éd. de Parme] une réalité de nature. Il faut en effet savoir que l’individu de la substance se dit de deux manières :

Soit du fait qu’il est le sujet d’une nature commune [commune om. Éd. de Parme],

Soit du fait qu’il est le sujet des accidents et des propriétés ; et quant aux deux manières, il peut être signifié par le nom de l’intention première ou par le nom de l’intention seconde. Par le nom de la première imposition il est signifié comme le sujet d’une nature par le nom de «res naturae», soit «chose de nature» ; et par le nom de la seconde imposition il est signifié par ce nom de «suppôt».

Similiter inquantum substat proprietati, significatur nomine primae impositionis, quod est nomen hypostasis vel personae, et nomine secundae impositionis, quod est singulare, ut individuum: quae proprie non sunt in divinis, quia exprimunt determinatum modum distinctionis, quod est per materiam ; sed loco horum dicitur ibi incommunicabile. Nec tamen oportet quod natura sit aliquid simplicius quam ipsa res naturae: quia in simplicibus, secundum Avicennam, quidditas simplicis est ipsum simplex ; sed differt tantum quantum ad modum significandi: quia quidditas significatur ut forma, et ipsa res simplex significatur ut subsistens ; et distinctio in re naturae non est ex parte naturae, sed ex parte relationum oppositarum subsistentium in natura illa.

 Et de la même manière, selon qu’il est le sujet d’une propriété, il est signifié par le nom de la première imposition qui est le nom d’hypostase ou de personne, et par le nom de la deuxième imposition qui est le singulier ou l’individu, lesquels ne conviennent pas à proprement parler à Dieu car ils expriment un mode déterminé de distinction qui se fait par la matière, et au lieu de ces termes on dit dans ce cas «incommunicable». Et il n’est pas nécessaire que la nature soit quelque chose de plus simple que la chose de nature elle-même car dans les réalités simples, selon Avicenne, la quiddité de la réalité simple est la réalité simple elle-même ; mais il y a là cependant une différence uniquement quant au mode de signifier car la quiddité est signifiée en tant que forme et la réalité simple elle-même est signifiée en tant que subsistante ; et la distinction dans la chose de nature ne vient pas du côté de la nature, mais du côté des relations opposées qui subsistent dans cette nature.

[1945] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod persona, ut dictum est, dist. 25, qu. 1, art. 4, non distinguitur in divinis ex parte naturae, vel ex parte ipsius esse ; sed solum ex parte proprietatum ; unde illa nomina quae dicuntur secundum respectum ad proprietatem, pluraliter praedicantur, sicut « hypostasis » et « persona » ; quae autem dicuntur per respectum ad esse, praedicantur singulariter, ut « subsistentia » et « essentia »: quamvis nomen subsistentiae apud usum sanctorum sumatur pro hypostasi, ut prius dictum est. Sed quaedam sunt nomina quae dicunt respectum ad naturam communem, quae etiam pluraliter praedicantur, « ut res naturae » et « suppositum » ; quia quamvis non dicant respectum ad proprietatem per modum formae, tamen, inquantum nominant aliquid distinctum sub natura communi, significant in divinis relationes ut subsistentes. « Subsistentia » autem et essentia non nominat distinctum: unde etiam per prius sunt in generibus et speciebus quam in individuis, secundum Boetium: et ideo si proprie accipiantur, pluraliter non praedicantur, sicut est apud Graecos.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la personne, comme nous l’avons dit [dist. 25, quest. 1, art. 4] ne se distingue pas en Dieu du côté de la nature, ou du côté de l’existence elle-même, mais seulement du côté des propriétés ; c’est pourquoi ces noms qui se disent d’après le rapport à la propriété s’attribuent au pluriel, comme «hypostase» et «personne» ; mais ceux qui se disent par rapport à l’existence s’attribuent au singulier, comme «subsistance» et «essence», bien que le nom de subsistance se prenne pour hypostase dans l’usage qu’en font les saints, ainsi que nous l’avons dit précédemment. Mais il y a certains noms qui disent une rapport à la nature commune et qui s’attribuent aussi au pluriel, comme «res naturae», soit «chose de nature», et «suppôt» ; car bien qu’ils ne disent pas un rapport à la propriété à la manière d’une forme, cependant, pour autant qu’ils nomment quelque chose de distinct sous une nature commune, ils signifient en Dieu les relations comme subsistantes. Mais «subsistantia» et essence ne nomment pas quelque chose de distinct : de là encore on les retrouve en priorité dans les genres et les espèces plutôt que dans les individus, selon Boèce : et c’est pourquoi, si on les prend au sens propre, ces termes ne s’attribuent pas au pluriel, comme c’est le cas chez les Grecs.

[1946] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod hypostasis, ut dictum est, in corp. art., significat in divinis relationem per modum substantiae: quia sicut propter simplicitatem, idem est in Deo essentia et ens [esse Éd. de Parme]: ita etiam idem est in eo relatio distinguens et distinctum relatione ; sed differunt secundum modum significandi, qui fundatur in re, quia utrumque nomen habet veram significationem suam in Deo ; et ideo differunt etiam quantum ad modum supponendi, quia supposito uno non supponitur aliud. Sicut enim dicimus quod Deus generat et deitas non generat: ita dicimus quod hypostasis distinguitur et relatio distinguit.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que l’hypostase, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, signifie en Dieu la relation à la manière d’une substance : car tout comme l’essence et l’étant [l’existence Éd,. de Parme] sont identiques en Dieu en raison de sa simplicité, de même aussi en Lui la relation qui distingue est identique à ce qui est distinct par la relation ; mais ils diffèrent par la manière de signifier qui se fonde dans la réalité, car chacun des deux noms possède sa véritable signification en Dieu ; et c’est pourquoi ils diffèrent aussi quant à la manière de poser, car si l’un est posé, l’autre ne l’est pas. Nous disons par exemple en effet que Dieu engendre et que la divinité n’engendre pas : de même nous disons que l’hypostase est quelque chose de distinct et que la relation distingue.

[1947] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut nomen personae significat quid distinctum in divinis, ita et nomen hypostasis ; sed nomen personae determinat specialem modum distinctionis, scilicet per proprietatem nobilem, quod nomen hypostasis non determinat ; unde se habent quasi sicut superius et inferius ; sicut aliqua substantia est quodammodo magis communis quam aliquis homo.

 6. Il faut dire en sixième lieu que le nom d’hypostase, tout comme le nom de personne, signifie en Dieu un être distinct ; mais le nom de personne détermine un mode spécial de distinction, c’est-à-dire par une propriété qui est noble, ce que le nom d’hypostase ne précise pas ; c’est pourquoi ils se présentent comme le supérieur à l’égard de l’inférieur, tout comme une certaine substance est en un sens plus commune qu’un certain homme.

Sed ista determinatio et indeterminatio communis et proprii, in rebus compositis reducitur ad materiale et formale secundum rem, eo quod ratio generis fluit a materia, et ratio differentiae a forma, ut dictum est: sed in rebus simplicibus non habet aliquid respondens in re quod sit indeterminatum, quasi materiale, et forma adveniente determinetur ; sed est solum quantum ad modum significandi, inquantum utrumque illorum est vere significare in divinis.

 Mais cette détermination et cette indétermination du commun et du propre se ramène dans les êtres composés au matériel et au formel selon la chose, du fait que la notion de genre découle de la matière et que la notion de différence découle de la forme, comme nous l’avons dit : mais dans les êtres simples, il n’y a rien qui corresponde dans la réalité à ce qui est indéterminé, qui est comme matériel et qui est déterminé par une forme qui survient, mais seulement quant au mode de signifier, pour autant qu’il faille véritablement signifier chacun de ces deux aspects en Dieu.

 

 

Articulus 2 [1948] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 tit. Utrum remotis relationibus per intellectum, hypostases remaneant distinctae.

Article 2 – Si on exclut en esprit les relations, les hypostases demeurent-elle distinctes ?

 

 [1949] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod remotis relationibus per intellectum, remaneant hypostases distinctae. Sicut enim dicit Augustinus, V De Trinitate, cap. V, col. 913, in omni quod ad alterum dicitur, est accipere aliquid quod per se dicitur ; quia relatum, non est relatum tantum, sed etiam est aliquid. Si igitur hypostasis secundum relationem ad aliquid dicitur, videtur quod praeter intellectum relationis, sit aliquid intelligere subsistens ; et ita remotis proprietatibus relativis per intellectum, videtur quod remaneant ipsae hypostases subsistentes.

 Difficultés :

1. Il semble que si on abstrait par l’intelligence les relations des Personnes, les hypostases demeurent distinctes. En effet, comme le dit Saint-Augustin [V De la Trinité, ch. V, col. 913], dans tout ce qui se dit en relation à un autre, il faut admettre quelque chose qui se dit par soi ; car le relatif n’est pas seulement du relatif, mais aussi il est quelque chose. Si donc l’hypostase selon la relation se dit par rapport à quelque chose, il semble qu’en dehors de la conception de la relation, il y ait quelque chose de subsistant à concevoir ; et ainsi, une fois abstraites les propriétés relatives par l’intelligence, il semble que les hypostases elles-mêmes demeurent subsistantes.

[1950] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, hypostasis in divinis est perfectior quam sit in creaturis. Sed in creaturis remoto per intellectum, vel secundum rem, hoc quod una hypostasis ad aliam dicitur, adhuc remanent ipsae hypostases, sicut Socrates et Plato. Ergo videtur quod etiam in divinis.

 2. Par ailleurs, l’hypostase en Dieu est plus parfaite que dans les créatures. Mais dans les créatures, une fois qu’est abstrait par l’intelligence ce qui est dit par une même hypostase à l’égard d’une autre, les hypostases elles-mêmes, comme Socrate et Platon, demeurent encore.

[1951] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, omne quod cadit in definitione alicujus, potest intelligi, non intellecto illo ; sicut remoto per intellectum rationali, per quod homo constituitur, intelligitur animal, quod in definitione hominis ponitur. Sed persona est hypostasis proprietate distincta, ad dignitatem pertinente. Ergo remota per intellectum proprietate relativa, adhuc remanet hypostasis distincta.

 3. En outre, tout ce qui tombe dans la définition d’une chose peut être compris sans comprendre cette chose ; par exemple, si on fait abstraction  par l’intelligence de rationnel qui entre dans la constitution de l’homme, on peut néanmoins comprendre «animal» qui est placé dans la définition de l’homme. Mais la personne est une hypostase distincte par une propriété qui se rapporte à une dignité. Donc, une fois qu’on fait abstraction par l’intelligence d’une propriété relative, l’hypostase demeure encore distincte.

[1952] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Pater habet quod est quis, et quod est Pater. Aut igitur ab eodem, aut ab alio. Si ab eodem, tunc cum paternitate sit Pater, paternitate erit quis. Sed in Filio non est paternitas. Ergo Filius non erit quis: quod est falsum. Ergo oportet dare alterum, quod non ab eodem habeat. Remoto igitur a Patre hoc quo Pater dicitur, adhuc remanet quod est quis. Sed « quis » nominat hypostasim. Ergo remota relatione remanet hypostasis distincta.

 4. Par ailleurs, c’est soit pour la même raison, soit pour une autre que le Père est quelqu’un et qu’il est le Père. Si c’est pour la même raison, alors, puisque c’est par la paternité qu’il est Père, ce sera par la paternité qu’il est quelqu’un. Mais il n’y a pas la paternité dans le Fils. Donc, le Fils ne sera pas quelqu’un : ce qui est faux. Il faut donc accorder l’autre possibilité, à savoir  que ce n’est pas pour la même raison qu’il est Père et qu’il est quelqu’un. Donc, si on abstrait du Père ce par quoi il est Père, il reste encore qu’il est quelqu’un. Mais «quis», c’est-à-dire «quelqu’un» désigne l’hypostase. Donc, si on enlève la relation, l’hypostase demeure distincte.

[1953] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut dicit Augustinus, VI de Trinit., cap. II et III, col. 925,in omnibus Pater et Filius unum sunt, praeter ea quae ad aliquid dicuntur. Remoto igitur per intellectum hoc quo Pater ad alterum dicitur, remanet solum id in quo Pater et Filius uniuntur. Sed hoc non potest esse distinctum in divinis. Ergo remota relatione per intellectum, non remanent hypostases distinctae. Hoc idem videtur per Boëtium, I de Trin. Cap. VI, col. 1254, qui dicit quod in divinis sola relatio multiplicat Trinitatem.

 Cependant :

1.  Au contraire, comme le dit Saint-Augustin [ VI De la Trinité, ch. 11 et 111, col. 925], le Père et le Fils sont un en tout sauf pour ce qui se dit par la relation. Ayant donc enlevé par l’intelligence ce par quoi le Père se dit par rapport à un autre, il ne demeure que ce en quoi le Père et le Fils sont unis. Mais cela ne peut constituer une personne distincte en Dieu. Donc, si on abstrait la relation par l’intelligence, les hypostase ne demeurent pas distinctes. Cela se voit aussi chez Boèce [1 De la Trinité, ch.  VI, col. 1254] qui dit qu’en Dieu, il n’y a que la relation qui cause la multiplicité des personnes dans la Trinité.

[1954] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod duplex est opinio. Quidam dicunt, quod sicut est in creaturis, quod remotis relationibus et proprietatibus, remanent ipsae hypostases seipsis distinctae, ita est etiam in divinis ; unde dicunt, quod abstracta personalitate, idest, relatione constituente personam, remanet hypostasis. Sed hoc non videtur posse stare secundum fidei suppositum [suppositionem Éd. de Parme], propter duo.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux opinions à ce sujet. Certains disent que tout comme dans les créatures, si on enlève les relations et les propriétés les hypostases elles-mêmes demeurent distinctes les unes des autres, il en est de même pour les personnes divines ; c’est pourquoi ils disent que si on fait abstraction de la personnalité, c’est-à-dire de la relation qui constitue la personne, l’hypostase demeure. Mais cela ne semble pas pouvoir tenir, pour deux raisons, d’après ce que l’on pose [la position Éd. de Parme] dans la foi.

Primo, quia cum pluralitas semper causetur ex aliqua distinctione, et distinctio omnis sit vel per essentiam vel per quantitatem vel per relationem, impossibile est in Deo esse aliquam distinctionem nisi quam causat relatio. Unde remotis relationibus per intellectum, simul tollitur ipse intellectus distinctionis.

 Premièrement, parce que puisque la multiplicité est toujours causée à partir d’une certaine distinction, et que toute distinction a lieu soit par l’essence, soit par la quantité, soit par la relation, il est impossible qu’il y ait en Dieu une distinction si ce n’est celle que cause la relation. C’est pourquoi, si on fait abstraction des relations par l’intelligence, on fait disparaître du même coup la conception même de la distinction.

Secundo, quia in divinis nihil praedicatur sicut accidens, vel sicut forma inhaerens alicui praeexistenti ; unde quidquid significatur per modum formae, totum est subsistens. Unde sicut remota essentia per intellectum, non remanet aliquid quasi recipiens illam essentiam, quia ipsamet essentia est subsistens ; ita etiam remota bonitate per intellectum, non remanet aliquid quasi recipiens bonitatem, quia ipsa bonitas est subsistens ; et similiter remota relatione per intellectum, non relinquitur aliquid quasi substratum illi relationi, sed ipsamet relatio est res subsistens.

 Deuxièmement, parce qu’en Dieu rien ne s’attribue à titre d’accident ou à titre de forme inhérente à un être préexistant ; c’est pourquoi tout ce qui est signifié à la manière d’une forme est totalement subsistant. De là, tout comme si on fait abstraction de l’essence par l’intelligence, il ne reste rien qui puisse recevoir cette essence car c’est l’essence elle-même qui est subsistante, de même encore si on fait abstraction de la bonté par l’intelligence, il ne reste rien qui puisse recevoir la bonté car la bonté elle-même est subsistante ; et il en est de même encore si on fait abstraction de la relation par l’intelligence, il ne reste rien à titre de substrat de cette relation, car c’est la relation elle-même qui est une réalité subsistante.

Unde abstracta relatione, proprie loquendo, nihil manet, neque absolutum, neque relatum, neque hypostasis, neque essentia. Sed verum est quod essentia potest intelligi, non intellecta bonitate, ut dicit Boetius, lib. De hebd., col. 1311, et similiter potest intelligi essentia, non intellecta paternitate vel relatione, sicut Judaei intelligunt, sed non per modum abstractionis. Sed non potest intelligi quod in divinis removeatur relatio et remaneat aliquid subsistens relationi, quia ipsamet ibi subsistit.

 De là, si on fait abstraction de la relation, à proprement parler, il ne reste rien, ni l’absolu, ni le relatif, ni l’hypostase, ni l’essence. Mais il est vrai que l’essence peut être conçue même si la bonté n’a pas été conçue, comme le dit Boèce [Les Semaines, col. 1311] et de même l’essence peut être conçue même si la paternité ou la relation ne l’a pas été, comme c’est le cas pour les Juifs mais non par mode d’abstraction. Mais on ne peut concevoir, en ce qui concerne Dieu, qu’on fasse abstraction de la relation et qu’il demeure quelque chose qui subsiste à la relation, car c’est cette dernière elle-même qui subsiste dans ce cas.

Et ideo concedimus cum aliis, quod remota relatione, non manet hypostasis distincta in divinis ; tum quia non manet distinctio, tum quia non manet subsistens relationi. Sed verum est quod si nunquam essent relationes quas fides distinguit, Deus esset et substantia et persona ex hoc quod subsisteret in esse suo, et substaret proprietatibus essentialibus, quibus ab essentiis aliis distingueretur.

 Et c’est pourquoi nous concédons avec d’autres que si on enlève la relation, il ne demeure plus en Dieu une hypostase distincte, tant parce qu’il ne demeure plus de distinction que parce qu’il ne reste rien qui subsiste à la relation. Mais il est vrai que si jamais n’avaient existé les relations que la foi distingue, Dieu existerait encore à la fois comme substance et comme personne du fait qu’il subsisterait dans sa propre existence et se tiendrait dans ses propriétés essentielles par lesquelles il se distinguerait des autres essences.

[1955] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod in divinis est accipere et absolutum et relatum ; sed relatio non advenit absoluto sicut distinguens ipsum, sed per omnimodam identitatem rei. Sed id quod distinguitur relatione, est ipsa relatio ; et hoc potest significari per modum subsistentis ; et [sic significatur nomine personae vel hypostasis Éd. de Parme], ut patet ex dictis.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’en Dieu il faut admettre à la fois l’absolu et le relatif ; mais la relation ne survient pas à l’absolu comme ce qui le distingue, mais par une identité réelle totale. Mais ce qui est distingué par la relation, c’est la relation elle-même et cela peut être signifié à la manière de ce qui subsiste ; et [cela est ainsi signifié par le nom de personne ou d’hypostase Éd. de Parme], c’est ce qu’on voit à partir de ce qui a été dit.

[1956] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 2

Ad secundum dicendum, quod in creaturis hypostases distinguuntur per materiam et proprietates diversae sunt ostendentes distinctionem ; sed in divinis hypostases non distinguuntur nisi per relationem: quia non est ibi invenire aliquam realem alietatem, nisi quae est secundum oppositionem relativam. Unde sicut in creaturis, subtracta per intellectum divisione materiae et quantitatis, non remanent hypostases distinctae ; ita etiam in divinis subtracta oppositione relativa.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les créatures les hypostases se distinguent par la matière et les différentes propriétés manifestent cette distinction; mais en Dieu les hypostases ne se distinguent que par la relation: car il n’y a à rechercher là une altérité réelle que selon l’opposition de la relation. De là, tout comme dans les créatures, si on fait abstraction par l’intelligence de la division de la matière et de la quantité, il ne reste plus d’hypostases distinctes, de même en Dieu il ne reste plus d’hypostases distinctes si on fait abstraction de l’opposition relative.

[1957] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 3

Ad tertium dicendum, quod hypostasis ponitur in definitione personae, quia persona addit aliquid supra hypostasim: non quidem relationem, quia relatio est de intellectu hypostasis divinae, sicut de intellectu personae: sed addit determinatam rationem relationis, scilicet pertinens ad dignitatem: et ideo remota relatione, neque hypostasis intellectus, neque personae manet in divinis: quia etiam ex hoc ipso quod ponitur hypostasis divina, ponitur subsistens in proprietate nobili. Unde ratio nobilitatis quam addit persona, includitur in hoc quod est divina hypostasis. Unde sicut hypostasis humana nihil minus dicit quam persona, ita nec hypostasis divina.

 3. Il faut dire en troisième lieu que l’hypostase est placée dans la définition de la personne parce que la personne ajoute quelque chose à la notion d’hypostase : non pas certes la relation, car la relation fait partie de l’intelligence de l’hypostase divine, tout comme elle fait partie de l’intelligence de la personne : mais elle ajoute un rapport déterminé de relation, à savoir un rapport à une dignité : et c’est pourquoi, si on enlève la relation, ni l’intelligence de l’hypostase ni celle de la personne ne demeure en Dieu : car c’est aussi du fait même qu’on pose l’hypostase divine qu’on pose ce qui subsiste dans une propriété qui est noble. C’est pourquoi le rapport à la noblesse que la personne ajoute est inclus dans ceci qu’elle est l’hypostase divine. C’est pourquoi l’hypostase divine, tout comme l’hypostase humaine, ne dit rien de moins que la personne.

[1958] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 1 a. 2 ad 4

Ad quartum dicendum, quod paternitate habet Pater quod est quis, et quod est Pater ; non tamen sequitur quod Filius non sit quis ; quia hoc quo Pater habet paternitatem, Filius habet filiationem, quae etiam est relatio. Unde abstracta relatione, neque Pater est quis, neque Filius est quis ; sed tamen uterque est quis sua relatione, sicut uterque est persona sua personalitate ; et tamen personalitas unius non est personalitas alterius: et hoc quomodo sit patet ex praedictis, dist. 25, quaest. 1, art. 3, de communitate personae.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que c’est par la paternité que le Père est quelqu’un et qu’il est Père ; il ne s’ensuit cependant pas que le Fils n’est pas quelqu’un ; car ce par quoi le Père possède la paternité est ce par quoi le Fils possède la filiation qui est aussi la même relation. C’est pourquoi, si on fait abstraction de la relation, ni le Père ni le Fils ne sera quelqu’un ; mais cependant chacun des deux est quelqu’un par sa relation, tout comme chacun des deux est une personne par sa «personnalité» ; et cependant la personnalité de l’un n’est pas la personnalité de l’autre : et c’est à partir de ce qui précède [dist. 25, quest. 1, art. 3] au sujet de la communauté de la personne qu’on voit comment il en est ainsi.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les propriétés]

Prooemium

Prologue

[1959] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 pr. Deinde quaeritur de proprietatibus ; et circa hoc quaeruntur tria:

1 an relationes sint in divinis ;

2 utrum solis relationibus originis personae distinguantur ;

3 de numero relationum, notionum, et proprietatum, et qualiter haec differant.

 On s’interroge ensuite sur les propriétés ; et à ce sujet on pose trois questions :

1. Y a-t-il des relations en Dieu ?

2. Est-ce que les personnes se distinguent uniquement par les relations d’origine ?

3. Quel est le nombre des relations, des notions et des propriétés et de quelle manière ces dernières diffèrent-elles ?

 

 

Articulus 1 [1960] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 tit. Utrum relationes divinae sint omnino nihil

Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles tout à fait inexistantes ?

 

[1961] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod in divinis relationes omnino nihil sint. Sicut enim dicit Boetius, lib. De Trinit., cap. IV, col. 1252, cuncta quae in divinam praedicationem veniunt, mutantur in substantiam ; « ad aliquid » vero omnino non praedicatur. Sed quidquid est in Deo, praedicatur de ipso. Ergo relationes non sunt in Deo.

Difficultés :

1. Il semble qu’en Dieu les relations ne soient absolument rien. En effet, comme le dit Boèce [De la Trinité, ch. IV, col. 1252], tout ce qui vient à être attribué à Dieu se change en la substance ; mais la relation n’est absolument pas attribuée. Mais tout ce qui se retrouve en Dieu s’attribue à lui. Il n’y a donc pas de relations en Dieu.

 [1962] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, ipse dicit, quod relationes quibus Pater refertur ad filium, et Filius ad Patrem, sunt similes relationibus quibus aliquid ad seipsum refertur, ut cum dicitur idem eidem idem. Sed tales relationes nihil secundum rem ponunt in eo de quo dicuntur, ut videtur dicere philosophus, in V Métaph., text. 20, sed sunt solum secundum intellectum. Ergo videtur quod relationes non sunt realiter in Deo.

 2. Par ailleurs, il dit lui-même que les relations par lesquelles le Père se rapporte au Fils et le Fils se rapporte au Père, sont semblables aux relations par lesquelles une chose se rapporte à elle-même, comme lorsqu’on dit que le même est identique à soi-même. Mais de telles relations ne posent rien, en réalité, dans l’être auquel elles s’attribuent, comme semble le dire le Philosophe [V Métaphysique, texte 20], mais seulement selon l’intelligence. Il semble donc que les relations n’existent pas en réalité en Dieu.

 [1963] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 3 Item omne quod advenit alicui et recedit ex sola habitudine alterius ad ipsum, sine omni sua mutatione, non ponit aliquid in ipso. Nihil enim potest advenire alicui de novo sine sui mutatione vel per se vel per accidens. Sed relationes hoc modo adveniunt et recedunt ; sicut per mutationem alterius efficitur columna immobilis dextra et sinistra: sicut mortuo Filio aliquis desinit esse Pater, nulla mutatione circa ipsum facta. Ergo videtur quod relationes hujusmodi omnino nihil sunt in divinis.

 3. En outre, tout ce qui survient à un être et s’en retire à partir du seul rapport d’un autre à lui, sans aucun changement de sa part ne pose rien en lui. En effet, rien de nouveau ne peut survenir à un être sans changement de sa part, qu’il soit essentiel ou accidentel. Mais c’est de cette manière que les relations surviennent surviennent à un être et s’en retirent ; c’est ainsi par exemple que c’est par le mouvement d’un autre que la colonne immobile devient tantôt à droite, tantôt à gauche, tout comme un homme cesse d’être père une fois son fils mort, sans qu’aucun changement n’ait été opéré en lui. Il semble donc que les relations de cette sorte ne sont absolument rien en Dieu.

 [1964] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 4. Praeterea, si relatio est in divinis, aut est idem quod essentia, aut aliud. Si idem quod essentia, tunc cum essentia sit una in omnibus, et relatio erit una in omnibus ; vel si personae distinguuntur relationibus, distinguuntur etiam in essentia: quod est haeresis Arii. Si aliud, ergo facit compositionem cum essentia ; quod non potest esse. Ergo relatio omnino non est in divinis.

 4.Par ailleurs, s’il y a une relation en Dieu, ou bien elle est identique à l’essence, ou bien elle est autre que l’essence. Si elle est identique à l’essence, alors puisqu’il n’y a qu’une seule et même essence en toutes les personnes, il n’y aura donc qu’une seule et même relation en elles ; ou encore, si les personnes se distinguent par les relations, elles se distinguent aussi par l’essence : ce qui constitue l’hérésie d’Arius. Mais si la relation est autre que l’essence, elle entre donc en composition avec l’essence, ce qui est impossible. Il n’y a donc aucune relation en Dieu.

[1965] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, simplicissima seipsis distinguuntur. Sed personae divinae sunt simplicissimae. Ergo seipsis distinguuntur: ergo videtur quod non distinguantur aliquibus relationibus.

 5. Les êtres les plus simples se distinguent par eux-mêmes. Mais les personnes divines sont les êtres les plus simples. Ils se distinguent donc par eux-mêmes : il semble donc qu’ils ne se distinguent pas par des relations.

[1966] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, omne quod est in Deo vel est absolutum vel est ad aliquid [aliquod aliud Éd. de Parme]. Sed personae divinae non distinguuntur in aliquo absoluto, quia in absolutis tres personae unum sunt. Ergo vel non distinguuntur, vel relationibus distinguuntur. Si igitur relationes non sunt realiter in divinis, sed secundum rationem tantum, tunc Pater et Filius non realiter distinguuntur, et ita sequetur haeresis Sabellii. Oportet ergo relationes in divinis ponere.

 Cependant :

1. Au contraire, tout ce qui est en Dieu est soit absolu, soit en relation [ avec quelque chose d’autre Éd. de Parme]. Mais les personnes divines ne se distinguent pas par quelque chose d’absolu, car par rapport à ce qui est absolu, les trois personnes n’en sont qu’une seule. Donc, ou bien elles ne se distinguent pas, ou bien elles se distinguent par les relations. Si donc les relations n’existent pas réellement en Dieu  mais seulement selon la raison, alors le Père et le Fils ne se distinguent pas réellement, et ainsi s’ensuit l’hérésie de Sabellius. Il faut donc poser des relations en Dieu.

 [1967] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Pater refertur ad Filium et ad Spiritum sanctum, sed non eodem modo ad utrumque: quia ad unum generando, ad alium spirando. Ergo videtur quod oporteat in persona significare plures relationes, quibus ad alteram referatur, sicut in una essentia plures personas. Ergo sicut in divinis non tantum ponimus essentiam, sed etiam personas, quia invenimus plures personas in una essentia ; ita oportet ponere etiam relationes.

 2. Par ailleurs, le Père se rapporte au Fils et à l’Esprit-Saint, mais ce n’est pas de la même manière qu’il se rapporte à chacun des deux: car c’est par la génération qu’il se rapporte au Fils et par la spiration qu’il se rapporte à l’Esprit-Saint. Il semble donc qu’il faille signifier plusieurs relations dans la personne par lesquelles elle se rapporte à une autre, tout comme dans une seule et même essence il y a plusieurs personnes. Donc, tout comme en Dieu nous ne posons pas seulement l’essence mais aussi les personnes, parce que nous retrouvons plusieurs personnes dans une même essence, de même encore il faut y poser plusieurs relations.

 [1968] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod apud omnes Catholicos certum est relationes esse in divinis. Sed in positione relationum inveniuntur diversae doctorum sententiae.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que pour tous les Catholiques il est certain qu’il existe des relations en Dieu. Mais il y a une diversité d’opinions chez les docteurs quant à la manière d’affirmer ces relations.

Quidam dixerunt, ut Porretani, quod relationes in divinis sunt tantum assistentes.

Quidam vero dixerunt, quod relationes in divinis sunt ipsae personae ; et quod aliquando in abstracto significantur, hoc est solum propter modum loquendi ; sicut dicimus, rogo benignitatem tuam, idest te benignum ; et similiter resolvendae sunt omnes illae locutiones in quibus relationes vel proprietates in abstracto dicuntur.

Alii dicunt, quod relationes sunt personae et sunt in personis etiam secundum veritatem rei et non solum quantum ad modum loquendi: et omnes isti secundum aliquid verum dixerunt. Sed tamen ultima opinio continet totam veritatem.

 Certains disent, comme les Porrétains, qu’il n’y a en Dieu des relations qu’à titre d’assistance. Mais d’autres disent que les relations en Dieu sont les personnes elles-mêmes et que lorsqu’elles sont signifiées dans l’abstrait, cela ne tient qu’à la manière de parler ; par exemple, lorsque nous disons : je fais appel à ta bonté, cela signifie : je te supplie d’être bon ; et c’est de cette manière que doivent être résolues toutes ces locutions dans lesquelles les relation ou les propriétés se disent dans l’abstrait.

D’autres disent que les relations sont les personnes et qu’elles existent dans les personnes réellement et en vérité et non seulement quant à la manière de parler : et tous ceux-là disent vrai sous un certain rapport. Mais c’est la dernière opinion qui contient toute la vérité.

Et ad hujus intellectum sciendum est, quod, ut supra dictum est, dist. 8, quaest. 4, art. 3, in relatione, sicut in omnibus accidentibus, est duo considerare: scilicet esse suum, secundum quod ponit aliquid in ipso, prout est accidens ; et rationem suam, secundum quam ad aliud refertur, ex qua in genere determinato collocatur ; et ex hac ratione non habet quod ponat aliquid in eo de quo dicitur ; sicut omnes aliae formae absolutae ex ipsa sua ratione habent quod aliquid in eo de quo [quod Éd. de Parme] dicuntur, ponant.

Et pour le comprendre il faut savoir, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 3], que dans la relation tout comme dans tous les accidents, il y a deux choses à considérer : à savoir son existence selon laquelle elle pose quelque chose dans le sujet en tant qu’elle est un accident, et sa définition selon laquelle elle se rapporte à quelque chose d’autre et à partir de laquelle elle se situe dans un genre déterminé ; et de par cette définition, la relation ne pose pas quelque chose dans l’être auquel elle s’attribue, contrairement à toutes les autres formes qui, parce qu’elles sont absolues, de par leur définition, posent quelque chose  dans l’être auquel [qu’elles disent Éd. de Parme] elles s’attribuent.

 Et ideo inveniuntur quaedam relationes nihil ponentes in eo de quo dicuntur ; et hoc attendentes quidam philosophi dixerunt, quod relatio non est aliquod unum genus entium, nec est aliquid in rerum natura ; sed est tantum quidam respectus respersus in omnibus entibus, et quod relationes sunt de intentionibus secundis quae non habent esse nisi in anima. Cui etiam Porretanorum opinio consentire videtur.

 Et c’est pourquoi il se trouve certaines relations qui ne posent rien dans l’être auquel elles s’attribuent ; et certains philosophes, ayant remarqué cela, ont dit que la relation n’est pas un genre d’être, ni rien de déterminé dans la nature des choses, mais qu’elle n’est qu’un certain rapport répandu dans tous les êtres et que les relations font partie des intentions secondes qui n’ont une existence que dans l’âme. Et l’opinion des Porrétains semble aussi s’être rangée à cette position.

Sed hoc falsum est: quia nihil quod est ens tantum in anima, in genere determinato collocatur. Unde distinguendum est inter relationes. Quaedam enim sunt quae habent aliquid in re, supra quod esse eorum fundatur, sicut aequalitas fundatur supra quantitatem ; et hujusmodi relationes aliquid realiter in re sunt.

 Mais cela est faux : car rien de ce qui n’existe que dans l’âme ne se situe dans un genre déterminé. D’où la nécessité de distinguer parmi les relations. Il y en a en effet qui sont quelque chose dans une réalité sur laquelle leur existence se fonde, comme l’égalité qui se fonde sur la quantité ; et de telles relations sont réellement quelque chose dans une réalité.

Quaedam vero sunt quae non habent fundamentum in re de qua dicuntur, sicut dextrum et sinistrum in illis in quibus non sunt determinatae istae positiones secundum naturam, sicut in partibus animalis. Ibi enim, scilicet in animali, istae relationes realiter sunt, quia fundantur in diversis virtutibus determinatarum partium ; sed in aliis non sunt nisi secundum rationem habitudinis unius ad alterum ; et ideo dicuntur relationes rationis.

 Mais il y en a d’autres qui n’ont pas de fondement dans la réalité à laquelle elles s’attribuent, comme la droite et la gauche  dans ces choses dans lesquelles ces positions ne sont pas déterminées selon la nature contrairement à ce qu’on observe pour les parties de l’animal. Là en effet, c’est-à-dire dans l’animal, ces relations existent réellement car elles se fondent sur différentes puissances appartenant à des parties déterminées ; mais chez d’autres les relations n’existent que selon la raison du rapport de l’un à l’autre et c’est pourquoi on les appelle des relations de raison.

Et hoc contingit quatuor modis, scilicet quod sint relationes rationis, et non rei.

Uno modo, ut dictum est, in hoc art., paulo sup., quando relatio non habet aliquid in rei natura supra quod fundetur: et inde est quod quandoque contingit quod relatio realiter est in uno et non in altero: quia in uno habet motum quemdam supra quem fundatur, quem non habet in alio ; sicut est in omnibus illis relationibus quibus Deus ad creaturam refertur, quae quidem realiter sunt in creatura, et non in Deo.

 Et cela, c’est-à-dire se trouver face à des relations de raison et non des relations réelles, est possible de quatre manières.

Premièrement, ainsi que nous l’avons dit un peu plus haut dans cet article, quand il n’y a pas quelque chose dans la nature de la chose sur quoi la relation se fonde : et c’est de là qu’il arrive parfois que la relation existe réellement dans l’un et non dans l’autre : car dans l’un il y a un mouvement sur lequel elle se fonde et qu’elle ne retrouve pas dans l’autre, comme c’est le cas pour toutes ces relations par lesquelles Dieu se rapporte à la créature et qui existent certes réellement dans la créature mais non en Dieu.

Secundo modo quando relatio non habet aliquam realem diversitatem inter extrema, sicut relatio identitatis ; et ideo hoc nihil ponit secundum rem, sed solum secundum rationem, ut cum dicitur idem eidem idem.

Tertio modo quando designatur relatio aliqua entis ad non ens, ut cum dicitur quod nos sumus priores illis qui futuri sunt: ista enim prioritas non est aliqua relatio secundum rem, sed solum secundum rationem: quia relatio realis exigit utrumque extremorum in actu.

 Deuxièmement quand la relation ne possède pas une diversité réelle entre les extrêmes, comme la relation d’identité ; et c’est pourquoi cela ne pose rien dans la réalité mais seulement selon la raison, comme lorsque nous disons que le même est identique au même.

Troisièmement quand est désignée une certaine relation de l’être au non-être, comme lorsque nous disons que nous sommes antérieurs à ceux qui sont à venir : cette antériorité en effet n’est pas une relation selon la réalité mais seulement selon la raison, car la relation réelle existe que chacun des deux extrêmes existe en acte.

Quarto modo quando ponitur relatio relationis: ipsa enim relatio per seipsam refertur, non per aliam relationem. Unde in creaturis paternitas non conjungitur subjecto per aliquam relationem mediam.

 Quatrièmement quand on pose une relation de relation: la relation elle-même en effet se rapporte par elle-même et non par une autre relation. C’est pourquoi dans les creatures la paternité ne s’unit pas à un sujet au moyen d’une relation intermédiaire.

Et hos ultimos duos modos ponit Avicenna, tract. II metaph., cap. X. Primi duo possunt etiam extrahi ex verbis philosophi, V Metaph., text. 10. Cum igitur istae relationes, paternitas et filiatio, habeant fundamentum aliquod in re, scilicet ipsam naturam, quae communicatur secundum communicationem naturae, constat quod sunt realiter in Deo ; et propter simplicitatem sunt idem quod personae in quibus sunt, et propter veritatem relationum oportet quod alio modo significentur.

 Et Avicenne pose ces deux dernières modalités [11 Métaphysique, ch. X]. Les deux premières peuvent aussi être tirées des paroles du Philosophe [V Métaphysique, texte 10]. Donc puisque ces relations, la paternité et la filiation, ont un fondement dans la réalité, à savoir la nature elle-même qui est communiquée d’après une communication de la nature, il est clair qu’elles existent réellement en Dieu ; et en raison de sa simplicité, elles sont identiques aux personnes dans lesquelles elles existent et à cause de la vérité des relations il faut qu’elles soient signifiées d’une autre manière.

Primi igitur attendentes in relationibus solum id quod ad alterum est, et non fundamentum quod habent in re, dixerunt, relationes assistentes esse, quasi ex habitudine alterius advenientes.

Secundi attendentes fundamentum rei et simplicitatem divinam, dixerunt, quod relationes non sunt in personis, sed sunt ipsae personae.

Tertii autem considerantes utrumque, dixerunt, quod sunt in personis propter veram rationem relationis, et quod tamen sunt personae propter simplicitatem ; sicut deitas est in Deo, et tamen est Deus.

 Donc les premiers philosophes, ne remarquant dans les relations que ce qui se rapporte à l’autre et non pas le fondement qu’elles ont dans la réalité, ont dit que les relations sont assistantes, ne survenant qu’à titre de rapport à quelque chose d’extérieur.

Les seconds, remarquant le fondement dans la réalité et la simplicité divine, ont dit que les relations ne sont pas dans les personnes, mais qu’elles sont les personnes elles-mêmes.

Les troisièmes cependant, considérant les deux aspects, ont dit que les relations sont dans les personnes en raison de la véritable notion de relation et qu’elles sont cependant les personnes à cause de la simplicité, tout comme la divinité qui, tout en étant en Dieu, est cependant Dieu.

[1969] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod dictum Boetii intelligitur de ad aliquid, prout ad alterum est: sic enim non praedicat aliquid in re de qua dicitur, sed ponit aliquid extra ; sed tamen aliquae relationes, quantum ad esse suum, aliquid in re de qua dicuntur ponunt.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que les paroles de Boèce s’entendent de la relation en tant qu’elle se rapporte à un autre, à quelque chose d’extérieur : en ce sens en effet elle n’attribue pas quelque chose à la chose à laquelle elle s’attribue mais elle pose quelque chose à l’extérieur ; mais certaines relations, quant à leur existence, posent quelque chose dans la chose à laquelle elles s’attribuent.

[1970] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in relatione identitatis duo est considerare: scilicet illud respectu cujus dicitur identitas, scilicet ipsa essentia, sicut aequalitas respectu quantitatis ; et id cujus est identitas, quod dicitur idem secundum unam essentiam, sicut aequale, quod habet unam quantitatem. Et quia etiam uno [unum Éd. de Parme] numero est essentia quam Pater Filio communicat, ideo similitudo est harum relationum cumrelatione identitatis, quantum ad id cujus respectu dicuntur ; sed non est quantum ad ea quae invicem referuntur secundum illud. Unde etiam Filius non dicitur idem Patri masculine, sed neutraliter.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il y a deux choses à considérer dans la relation d’identité : c’est-à-dire ce par rapport à quoi se dit l’identité, à savoir l’essence elle-même, tout comme l’égalité se dit par rapport à la quantité ; et ce à quoi appartient l’identité qui est dit identique d’après une seule et même essence, tout comme on dit égal ce qui possède une seule et même quantité. Et parce que l’essence que le Père communique au Fils est une [une Éd. de Parme] numériquement parlant, c’est pourquoi il y a ressemblance de ces relations avec la relation d’identité quant à ce par rapport à quoi elles se disent mais non quant aux choses qui sont rapportées mutuellement sous ce rapport. C’est pourquoi ce n’est pas au masculin mais au neutre qu’on dit du Fils qu’il est identique au Père.

[1971] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quandocumque aliquid quod est de ratione rei, tollitur, oportet quod ipsa res auferatur, sicut remoto rationali destruitur homo. Ad rationem autem relationis quae habet fundamentum in re duo concurrunt ; scilicet fundamentum rei, quod est quantitas, quae est causa hujus relationis: est etiam aliud de ratione ejus, scilicet respectus ad alterum: et utroque modo contingit in realibus relationibus destrui relationem: vel per destructionem quantitatis, unde ad hanc mutationem quantitatis sequitur per accidens mutatio relationis: vel etiam secundum quod cessat respectus ad alterum, remoto illo ad quod referebatur ; et tunc relatio cessat, nulla mutatione facta in ipsa. Unde in illis in quibus non est relatio nisi secundum hunc respectum, veniunt et recedunt relationes sine aliqua mutatione ejus quod refertur.

 3. Il faut dire en troisième lieu qu’il arrive parfois que ce qui fait partie de la définition d’une chose étant enlevé, il faut que la chose elle-même soit enlevée, tout comme si on enlève rationnel, l’homme disparaît. Mais deux aspects concourrent à la définition de la relation qui a un fondement dans la réalité : à savoir le fondement dans la réalité, qui est la quantité, qui est la cause de cette relation ; et il y a l’autre aspect qui fait partie de sa définition, à savoir le rapport à un autre, à quelque chose d’extérieur : et c’est des deux manières qu’il arrive à une relation d’être détruite dans les relations réelles : soit par la destruction de la quantité et de ce changement de quantité découle par accident le changement de relation ; soit encore selon que le rapport à l’autre cesse lorsque disparaît ce à quoi il se rapportait ; et c’est alors que la relation cesse, aucun changement ne s’étant produit dans la chose elle-même. C’est pourquoi, pour les choses dans lesquelles il n’y a de relation que selon ce rapport à l’autre, à quelque chose d’extérieur, les relations surviennent et se retirent sans qu’aucun changement ne se soit produit du côté de la chose à laquelle appartient la relation.

[1972] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod relatio realiter est idem quod essentia, sed differunt solum ratione, sicut etiam bonitas ab essentia ; et ex illa ratione relatio habet quod distinguat in divinis, quod non convenit essentiae.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la relation est réellement identique à l’essence, mais ils diffèrent seulement par la raison, comme c’est le cas aussi pour la bonté par rapport à l’essence ; et c’est à partir de cette raison que la relation distingue les personnes divines, ce qui ne convient pas à l’essence.

[1973] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod etiam personae divinae seipsis distinguuntur, inquantum personae secundum rem sunt ipsae relationes. Sed sicut persona, quantum ad modum significandi, non est idem quod relatio ; ita etiam seipsis non distinguuntur, sed relationibus ; sicut Deus per seipsum est Deus, quamvis deitate [deitas Éd. de Parme] sit Deus, quia ipse est sua deitas.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que même les personnes divines se distinguent par elles-mêmes, selon que les personnes sont en réalité les relations elles-mêmes. Mais tout comme la personne, n’est pas identique à la relation quant au mode de signifier, de même encore les personnes ne se distinguent pas par elles-mêmes, mais par les relations ; tout comme Dieu est Dieu par lui-même, bien qu’il soit Dieu par la divinité [la divinité Éd. de Parme], car il est lui-même sa propre divinité.

 

 

Articulus 2 [1974] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 tit. Utrum relationes originis distinguant hypostases

Article 2 – Les relations d'origine distinguent-elles les hypostases ?

 

[1975] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod relationes originis non distinguant hypostases. Quod enim secundum intellectum sequitur substantiam, non potest esse principium alicujus distinctionis in substantiis. Sed relatio est de assequentibus substantiam in Deo, saltem secundum intellectum, sicut bonitas et sapientia, ut dicit Damascenus. Cum igitur hypostasis sit substantia, videtur quod distinctionem hypostasum relatio non facit.

Difficultés:

1. Il semble que les hypostases ne se distinguent pas par les relations d’origine. En effet, ce qui découle de la substance selon l’intelligence ne peut être principe d’une distinction dans les substances. Mais la relation fait partie de ce qui découle de la substance en Dieu, au moins selon l’intelligence, comme la bonté et la sagesse, comme le dit Damascène. Donc, puisque l’hypostase est une substance, il semble que la relation ne puisse causer la distinction des hypostases.

 [1976] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, ordo distinguentium debet respondere ordini distinctionum. Sed inter omnes distinctiones rerum, prima est distinctio divinarum personarum, cum sit processio personarum causa processionis creaturarum, ut supra, dist. 14, quaest. 1, art. 1, habitum est. Ergo videtur quod cum primum in entibus sit substantia, quod principium illius distinctionis non sit relatio, sed substantia.

 2. Par ailleurs, l’ordre dans ce qui distingue doit correspondre à l’ordre des distinctions. Mais parmi toutes les distinctions des choses, la première est la distinction des personnes divines, puisque la procession des personnes est la cause de la procession des creatures, comme nous l’avons établi plus haut [dist. 14, quest. 1, art. 1]. Il semble donc, puisque la substance est ce qui est premier dans les êtres, que la relation ne soit pas le principe de cette distinction, mais plutôt que la substance le soit.

[1977] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, relatio non habet virtutem distinguendi, nisi secundum quod habet oppositionis rationem. Sed rationem oppositionis non habet nisi secundum quod ad alterum est. Ergo non distinguit nisi secundum quod ad alterum est. Sed secundum quod ad alterum est, non habet relatio quod sit res aliqua vel substantia vel hypostasis. Ergo relatio non poterit facere distinctionem realem hypostasum.

 3. En outre, la relation n’a la puissance de distinguer que selon qu’elle a raison d’opposition. Mais elle n’a raison d’opposition que selon qu’elle se rapporte à un autre. La relation ne distingue donc que selon qu’elle se rapporte à un autre, à quelque chose d’extérieur. Mais selon qu’elle se rapporte à un autre, la relation n’en devient pas pour autant une chose, une substance ou une hypostase. Donc la relation ne pourra causer une distinction réelle des hypostases.

[1978] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, cum multae sint aliae relationes, quam relationes originis, quare secundum eas tantum divinae personae distinguuntur ? Quia in divinis est invenire etiam aequalitatem et similitudinem, et hujusmodi, quae relationes quaedam sunt. Unde si istae non distinguunt, videtur eadem ratione quod nec illae.

 4. Par ailleurs, puisqu’il y a plusieurs autres relations que la relation d’origine, pourquoi faudrait-il que ce soit d’après cette dernière seulement que les personnes divines se distinguent ? Car dans les personnnes divines il faut retrouver une égalité, une ressemblance et d’autres caractères de cette sorte qui sont certaines relations. C’est pourquoi, si ces dernières relations ne distinguent pas, pour la même raison les autres, à savoir les relations d’origine, ne distinguent pas non plus.

[1979] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra, minimae distinctioni debet respondere pro principio illud quod minimum habet de ente, et quod minimam compositionem facit. Sed inter omnia alia relatio est debilioris esse, ut dicit Commentator, X Metaph., text. 19, adeo quod quidam reputaverunt eam esse de intentionibus secundis, ut dictum est, artic. antec. Ergo videtur quod maxime competat ad distinctionem personarum.

 Cependant :

1. Au contraire, à la plus petite distinction doit correspondre comme principe ce qui possède le moins d’être et qui produit la plus petite composition. Mais parmi toutes les formes d’être, la relation est celle qui est la plus faible, comme le dit le Commentateur [X Métaphysique, texte 19], à ce point que certains ont cru qu’elle faisait partie des intentions secondes, comme nous l’avons dit dans l’article précédent. Il semble donc qu’il lui revienne au plus haut point de distinguer les personnes.

[1980] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod quidam dicunt, quod principium distinctionis hypostasum divinarum non est relatio, immo hypostases seipsis distinguuntur per solam originem ; relationes autem manifestant distinctionem ; sicut in creaturis proprietates non faciunt differre secundum numerum ; immo talis differentia causatur ex divisione materiae, sed proprietates tantum manifestant eam.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que certains ont dit que le principe de distinction des hypostases divines n’est pas la relation, mais bien plutôt que les hypostases se distinguent par elles-mêmes par leur seule origine, et que les relations ne font que manifester cette distinction, comme dans les créatures les propriétés ne sont pas la cause d’une distinction selon le nombre, mais bien plutôt une telle différence, que les propriétés ne font que manifester,  est causée à partir d’une division de la matière.

Sed hoc non potest esse: quia quae seipsis distinguuntur, ex seipsis habent aliquam rationem distinctionis, sicut substantia distinguitur a quantitate per id quod est in intellectu utriusque, quod est esse subsistens, et esse mensuram et hujusmodi. Si autem considerentur duae hypostases, hypostasis inquantum hypostasis, non habet in intellectu suo unde ab alia distinguatur, cum utraque sit hypostasis.

 Mais cela est impossible : car les êtres qui se distinguent par eux-mêmes ont d’eux-mêmes raison de distinction, comme la substance se distingue de la quantité au moyen de ce qui fait partie de la compréhension des deux, à savoir l’être comme subsistant, l’être comme mesure et des notions de cette sorte. Mais si on considère deux hypostases en tant qu’hypostases, il n’y a rien dans la définition de l’une à partir de quoi on puisse la distinguer d’une autre puisque les deux sont des hypostases.

Ergo oportet quod hoc habeat inquantum est hypostasis per aliquam determinationem in ipsa, vel secundum determinatam materiam, sicut in creaturis, quod non potest esse in Deo, vel secundum aliquid aliud. Si autem dicatur, quod haec est sola origo per quam determinate efficitur haec hypostasis, aut per originem intelligitur ipsa relatio originis, et hoc est quod ponimus ; aut origo significatur per modum operationis, et sic nullo modo habet quod distinguat hypostases ; immo quod sit ab hypostasi distincta: quia omnis operatio est individuorum distinctorum, secundum philosophum, II Metaph., text. in prolog.. Et ideo dicimus, quod nihil aliud est principium distinctionis in divinis, nisi relatio.

 Il faut donc qu’une hypostase, en tant qu’hypostase, possède ce principe de distinction au moyen d’une détermination en elle, ou selon une matière déterminée comme c’est le cas pour les créatures mais non en Dieu, soit selon quelque chose d’autre. Si on dit cependant que cette détermination est la seule origine par laquelle est déterminément produite cette hypostase, ou que c’est par l’origine que se comprend la relation d’origine elle-même, et c’est là ce que nous posons, ou bien l’origine est signifiée à la manière d’une opération et ainsi en aucune manière elle ne distingue les hypostases mais bien plutôt elle vient d’une hypostase distincte car toute opération appartient à des individus distincts selon le Philosophe [11 Métaphysique, texte du prologue]. Et c’est pourquoi nous disons que le principe de distinction dans les personnes divines n’est rien d’autre que la relation.

Cujus ratio est, quia omnis distinctio vel divisio est vel per quantitatem vel per formam, secundum philosophum, V Métaph., text. 1. Secundum quantitatem vel materiam, divisio in divinis non est, cum non sit ibi quantitas et materia. Omnis autem distinctionis formalis principium est aliqua oppositio, ut largo modo sumatur oppositio, secundum quod etiam imperfectum et perfectum opponuntur, inquantum in uno est negatio vel privatio alterius. In omnibus autem oppositionibus alterum est ut perfectum, alterum ut imperfectum, praeter relationem ; quod patet per se in affirmatione et negatione et privatione et habitu. Patet etiam in contrarietate: quia secundum philosophum, I Physic., text. 49, semper alterum contrariorum est sicut nobilius, et alterum sicut vilius et sicut privatio, ut album et nigrum, frigidum et calidum et hujusmodi omnia ; et ideo nulla talis distinctio potest esse in divinis, ubi est omnimoda perfectio. In relativis autem neutrum est sicut privatio alterius, vel defectum aliquem importans. Cujus ratio est, quia in relativis non est oppositio secundum id quod relativum in aliquo est: sed secundum id quod ad aliud dicitur. Unde quamvis una relatio habeat annexam negationem alterius relationis in eodem supposito, non tamen ista negatio importat aliquem defectum, quia defectus non est nisi secundum aliquid quod in aliquo natum est esse: unde cum id quod habet oppositionem relativam ad ipsum, secundum rationem oppositionis non ponat aliquid, sed ad aliquid, non sequitur imperfectio vel defectus ; et ideo sola talis oppositio competit distinctioni personarum.

 La raison en est que toute distinction est une division soit par la quantité, soit par la forme d’après les Philosophe [V Métaphysique, texte 1]. Mais il n’y a pas de division en Dieu selon la quantité ou la matière puisqu’il n’y a pas là de quantité ou de matière. Mais le principe de toute distionction formelle est une opposition, prise au sens large du terme, selon que même l’imparfait et le parfait s’opposent, pour autant qu’on retrouve dans l’un la négation et la privation de l’autre. Mais dans toutes les oppositions, sauf celle de relation, l’un est pris comme parfait et l’autre comme imparfait ; ce que l’on voit essentiellement dans l’affirmation et la négation, dans la privation et la possession. Cela est évident aussi pour la contrariété car selon le Philosophe [1 Physique, texte 49], toujours l’un des contraires est comme ce qui est plus noble alors que l’autre est pris comme ce qui est plus vulgaire et comme une privation, comme c’est le cas pour le blanc et le noir, le froid et le chaud et tous les opposés de cette sorte ; et c’est pourquoi on ne peut retrouver aucune distinction de cette sorte en Dieu où la perfection est absolue. Mais dans les oppositions de relation, aucun des opposés n’est comme la privation de l’autre ou n’implique un défaut ou un manque. La raison en est que dans les relatifs il n’y a pas d’opposition selon que le relatif est pris comme existant dans un être, mais selon qu’il se dit par rapport à un autre. C’est pourquoi, bien qu’une seule et même relation dans un seul et même suppôt contienne, comme rattachée à elle la négation de l’autre relation, cependant cette négation n’implique pas un manque car le manque n’existe que d’après ce qui est naturellement apte à exister dans un être : c’est pourquoi, puisque ce qui a une opposition relative à un autre, ne pose pas quelque chose d’après cette notion d’opposition mais plutôt un rapport à un autre, il ne s’ensuit pas une imperfection ou un défaut ; et c’est pourquoi il n’y a que cette seule opposition qui convienne à la distinction des personnes.

[1981] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod relatio divina habet aliquid inquantum est relatio, et aliquid inquantum est divina ; inquantum enim divina, habet quod sit subsistens hypostasis, quia ibi nihil est accidens, nec aliqua forma inhaerens non subsistens ; unde quamvis ex hoc quod est relatio, non habeat quod distinguat hypostasim, quia sic omnis relatio hoc faceret ; tamen habet hoc inquantum est relatio divina: sic enim non sequitur substantiam, immo est ipsa substantia.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la relation est quelque chose en tant qu’elle est relation et elle est quelque chose en tant qu’elle est divine ; en tant qu’elle est divine, elle est une hypostase subsistante car il n’y a là aucun accident ni aucune forme inhérente qui ne subsiste pas ; de là, bien qu’en tant que relation elle ne distingue pas l’hypostase car alors toute relation ferait cela, cependant elle en est capable en tant que relation divine car ainsi en effet elle ne découle pas de la substance mais elle est bien plutôt la substance elle-même.

[1982] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ordo distinctionis potest dupliciter considerari: vel quantum ad quantitatem distinctionis, vel quantum ad dignitatem et causalitatem. Si quantum ad quantitatem distinctionis, sic distinctio divinarum hypostasum est minima distinctio realis quae possit esse, ut supra habitum est, in corp. art. Et ideo tali distinctioni competit ens minimum, scilicet relatio. Sed quantum ad ordinem dignitatis et causalitatis, illa distinctio excellit omnes distinctiones ; et similiter relatio quae est principium distinctionis, dignitate excellit omne distinguens quod est in creaturis: non quidem ex hoc quod est relatio, sed ex hoc quod est relatio divina. Excellit etiam causalitate, quia ex processione personarum divinarum distinctarum causatur omnis creaturarum processio et multiplicatio, ut supra habitum est, dist. 14, quaest. 1, art. 1.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’ordre de distinction peut être considéré de deux manières : soit quant à la quantité de la distinction, soit quant à la dignité et à la causalité. Si on le considère quant à la quantité de la distinction, alors la distinction des hypostases divines est la plus petite distinction réelle qui puisse exister, ainsi que nous l’avons établi plus haut dans le corps de l’article. Et c’est pourquoi c’est la forme d’être minimale, c’est-à-dire la relation, qui convient à une telle distinction. Mais si on considère l’ordre de distinction sous le rapport de l’ordre de dignité et de causalité, cette distinction par la relation dans les personnes divines dépasse toutes les autres sortes de distinctions ; et de même la relation qui est principe de distinction en elles dépasse par la dignité tout principe de distinction qu’on retrouve dans les créatures, non pas certes du seul fait qu’elle est une relation, mais du fait qu’elle est une relation divine. Elle dépasse aussi par la causalité toute autre sorte de distinction car c’est à partir de la procession des personnes divines distinctes qu’et causée toute procession et toute multiplication des créatures, ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 14, quest. 1, art. 1].

 [1983] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, quamvis relationi ex hoc quod ad alterum dicitur, non debeatur quod sit res quaedam, est tamen res aliqua secundum quod habet fundamentum in eo quod refertur ; et ex hoc ulterius habet, inquantum est divina, quod sit hypostasis vel substantia: et ideo facit realem hypostasum distinctionem ; sicut sapientia ex hoc quod est sapientia, non habet quod sit substantia ; et tamen quia sapientia divina est substantia, Deus substantialiter est sapiens. Et ideo considerandum est, quod ubi est relatio secundum habitudinem tantum et non secundum aliquod esse naturale, ibi non requiritur distinctio suppositorum secundum rem, sed solum secundum rationem, ut cum dicitur idem eidem idem. Quando autem est ibi relatio non solum secundum habitudinem, sed secundum esse naturale, requiritur distinctio suppositorum etiam realiter, ut aequalis aequali aequalis. Sed ubi ipsa relatio non tantum est realiter, sed etiam est ipsa substantia relati, ibi non tantum requirit, sed facit etiam suppositorum distinctionem.

 3.  Il faut dire en troisième lieu que bien qu’il n’appartienne pas à la relation d’être une réalité du fait qu’elle se dise par rapport à quelque chose d’autre, elle est cependant une certaine réalité du fait qu’elle a un fondement dans la chose à laquelle elle se rapporte ; et c’est de là qu’elle tient par la suite, en tant qu’elle est divine, d’être une hypostase ou une substance : et c’est pourquoi elle cause une véritable distinction des hypostases, tout comme la sagesse, du seul fait qu’elle est sagesse, n’est pas une substance et cependant parce que la sagesse divine est une substance, Dieu est substantiellement sage. Et c’est pourquoi il faut considérer que là où il y a relation selon le rapport seulement et non selon une existence naturelle, là n’est pas requise une distinction réelle des suppôts, mais une distinction selon la raison seulement, comme lorsqu’on dit que le même est identique au même. Mais quand il y a là une relation qui n’est pas seulement selon le rapport mais selon une existence naturelle, alors est aussi requise une distinction réelle des suppôts, comme dans le cas où l’égal est égal à l’égal. Mais là où la relation elle-même non seulement existe réellement, mais est aussi la substance même du relatif, alors elle n’exisge pas seulement la distinction des suppôts, mais encore elle la cause.

[1984] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quia relatio non habet esse naturale nisi ex hoc quod habet fundamentum in re, et ex hoc collocatur in genere ; inde est quod differentiae relationum essentiales sumuntur secundum differentias aliorum entium ; ut patet ex philosopho, V metaph., text. 20, ubi dicit, quod quaedam fundantur supra quantitatem, et quaedam supra actionem, et sic de aliis. Inde est quod secundum ordinem eorum in quibus fundantur relationes, est etiam ordo relationum. Sicut ergo videmus in his quae distinguuntur per essentiam, quod principia substantiae sunt distinguentia, ut materia et forma, et aliae res accidentales sunt signa manifestantia distinctionem, ita est in his quae distinguuntur per relationem, quod relationes quae fundantur supra naturam rei, sunt distinguentia, et aliae relationes sunt signa distinctionis. Relationes autem habentes fundamentum in natura rei, sunt relationes originis: paternitas enim fundatur in communicatione naturae ; et ideo sancti ponunt, quod paternitate et filiatione Pater et Filius distinguuntur: sed aequalitas et similitudo demonstrant distinctionem. Unde Hilarius supra, dist. 25, per similitudinem divinarum personarum distinctionem probavit.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que parce que la relation ne possède une existence naturelle que du fait qu’elle possède un fondement dans la chose  et du fait qu’elle est placée dans un genre, c’est de là que les differences essentielles des relations se tirent d’après les differences des autres êtres comme on peut le voir chez le Philosophe [V Métaphysique, texte 20], où il dit que certaines se fondent sur la quantité, d’autres sur l’action, et de même aussi pour les autres. Et c’est de là encore que l’ordre des relations existe d’après l’ordre des choses dans lesquelles se fondent les relations. Donc, tout comme nous voyons dans les choses qui se distinguent par l’essence que les principes de la substance sont ce qui distingue, comme la matière et la forme, et que les autres choses accidentelles sont les signes qui manifestent la distinction, il en est de même pour les choses qui se distinguent par la relation, à savoir que les relations qui se fondent sur la nature de la chose sont ce qui distingue et que les autres relations sont les signes de la distinction. Mais les relations qui possèdent un fondement dans la nature de la chose sont les relations d’origine: la paternité en effet se fonde sur une communication de nature; et c’est pourquoi les saints affirment que c’est par la paternité et la filiation que le Père et le Fils se distinguent; mais l’égalité et la similitude manifestent la distinction. C’est pourquoi Saint-Hilaire a prouvé plus haut (dist. 25) la distinction des personnes divines par la similitude.

 

 

Articulus 3 1985] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 tit. Utrum notiones sint tantum quinque

Article 3 – Les notions sont-elles seulement cinq ?

 

[1986] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non sint tantum quinque notiones. Quod enim innascitur alicui ex sola habitudine alterius ad ipsum, multiplicatur secundum multitudinem eorum quae ad ipsum comparantur: quia ad multiplicitatem causae sequitur pluralitas in effectu. Sed relationes innascuntur ex sola habitudine alterius ad aliquem. Ergo tot erunt relationes in Deo, quot sunt creaturae quae comparationem ad ipsum habent.

Difficultés:

1. Il semble qu’il n’y ait pas que cinq notions en Dieu. En effet, ce qui naît dans un être à partir du seul rapport d’un autre à lui se multiplie d’après la multiplicité des choses qui se rapportent à lui: car la multiplicité de l’effet suit la multiplicité de la cause. Mais les relations naissent dans un être à partir du seul rapport d’un autre à lui. Donc il y aura autant de relations en Dieu qu’il y a de créatures qui ont un rapport à lui.

[1987] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, in Deo fuerunt ab aeterno, secundum Augustinum, rationes rerum creandarum, quae non differunt ab invicem nisi relationibus secundum respectum ad creaturam. Ergo videtur quod quot sunt creaturae, quarum rationes sunt in Deo, tot sunt ibi etiam relationes.

2. Par ailleurs, d’après Saint-Augustin, les notions des choses à créer, qui ne different entre elles que par les relations selon le rapport à la créature, existent de toute éternité en Dieu. Il semble donc qu’il y a aussi en Dieu  autant de relations qu’il y a de créatures dont les notions existent en Dieu.

[1988] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, divinae personae non tantum comparantur ad invicem secundum naturam quam una ab alia accipit, sed etiam secundum alia attributa. Sed in omnibus illis comparationibus intelliguntur aliquae relationes vel aequalitatis vel similitudinis. Ergo videtur quod tot sint relationes quot sunt ibi attributa.

 3. En outre, les personnes divines ne se comparent pas entre elles uniquement selon la nature que l’une reçoit de l’autre, mais aussi selon les autres attributs. Mais dans toutes les autres comparaisons on entend certaines relations soit d’égalité, soit de similitude. Il semble donc qu’il y ait là autant de relations qu’il y a des attributs.

[1989] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ex omni operatione innascitur aliqua operantis relatio ad id circa quod est operatio. Sed in Deo secundum rationem distinguuntur plures operationes, ut est velle, intelligere et hujusmodi. Ergo sicut operationem generationis consequuntur secundum intellectum relationes originis, ita et ad alias operationes consequentur aliae relationes, sicut intelligentis ad intellectum, et volentis ad volitum: et ita multiplicabuntur relationes secundum numerum operationum.

 4. Par ailleurs, de toute opération naît une certaine relation de celui qui opère à l’égard de ce sur quoi porte l’opération. Mais en Dieu c’est selon la raison que se distinguent les nombreuses opérations comme vouloir, comprendre, etc. Donc, tout comme les relations d’origine découlent selon l’intelligence de l’opération de génération, de même les autres relations, comme celle de celui qui comprend à ce qui est compris et de celui qui veut à ce qui est voulu, découlent des autres opérations : et c’est ainsi que les relations se multiplieront d’après le nombre des opérations.

[1990] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 5 Item, sicut Pater et Filius conveniunt in hoc quod comparantur ad Spiritum sanctum ut principium ; ita Filius et Spiritus sanctus conveniunt in hoc quod comparantur ad Patrem sicut ad principium. Sed communis spiratio est quaedam relatio conveniens Patri et Filio. Ergo esse a Patre erit alia relatio communis Filio et Spiritui sancto ; et ita sunt plures quam quinque.

 5. De plus, tout comme le Père et le Fils ont en commun de se rapporter à l’Esprit-Saint en tant que principes, de même le Fils et l’Esprit-Saint ont en commun de se rapporter au Père qui est leur principe. Mais la spiration commune est une certaine relation qui convient au Père et au Fils. Donc, procéder du Père sera une autre relation commune au Fils et à l’Esprit-Saint ; et ainsi il y aura plus que cinq notions.

[1991] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 arg. 6 E contra videtur quod sint pauciores: quia, ut dictum est, artic. praec., proprietates sunt subsistentes personae. Ergo sunt ibi proprietates tot, quot sunt personae subsistentes. Sed personae subsistentes non sunt nisi tres. Ergo proprietates non sunt nisi tres.

 6. Au contraire il semble qu’il y ait moins que cinq notions car, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, les propriétés sont les personnes subsistantes. Il y a donc là autant de propriétés qu’il y a de personnes subsistantes. Mais il n’y a que trois personnes subsistantes. Il n’y a donc que trois propriétés.

[1992] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod notionis, proprietatis et relationis differentia potest tripliciter assignari.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la différence entre la notion, la propriété et la relation peut être établie de trois manières.

Primo quantum ad rationem significationis ; et sic sciendum est, quod paternitas dicitur relatio, secundum quod ad Filium refertur ; dicitur autem proprietas, inquantum soli Patri convenit: dicitur notio, inquantum est principium formale innotescendi Patrem.

 Premièrement quant à la définition de la signification des termes et en ce sens il faut savoir qu’on attribue la relation à la paternité selon qu’elle se rapporte au Fils ; on lui attribue la propriété en autant qu’elle convient seulement au Père ; mais on dit de la paternité qu’elle est une notion pour autant qu’elle est le principe formel qui fait connaître le Père.

Secundo quantum ad ordinem intelligendi ; quia cum nihil possit esse principium innotescendi aliquid, nisi sit sibi proprium, intellectum notionis praecedit intellectus proprietatis. Et quia proprietas non convenit nisi rei distinctae ab aliis, et distinctio in divinis non est nisi per oppositionem relationis ; intellectum proprietatis in divinis praecedit intellectus relationis.

 Deuxièmement quant à l’ordre d’intelligibilité ; car puisque rien ne peut être le principe permettant de notifier quelque chose, à moins d’être propre à cette chose, la compréhension ou l’intelligence de la propriété précède l’intelligence de la notion. Et parce qu’une propriété ne convient qu’à une chose qui est distincte des autres et qu’il n’y a de distinction en Dieu que par l’opposition de relation, l’intelligence de la relation précède en Dieu l’intelligence de la propriété.

Tertio quantum ad numerum ; quia notiones sunt quinque, scilicet paternitas, filiatio, processio, innascibilitas, communis spiratio. Harum autem quatuor tantum sunt proprietates, quae uni personae tantum conveniunt, scilicet paternitas, innascibilitas, quae conveniunt tantum Patri ; filiatio, quae convenit tantum Filio ; processio, quae convenit tantum Spiritui sancto.

 Troisièmement quant au nombre ; car les notions sont au nombre de cinq, à savoir la paternité, la filiation, la procession, l’innascibilité, la spiration commune. Mais par rapport à ces cinq notions il n’y a que quatre propriétés qui ne conviennent qu’à une seule personne, à savoir la paternité, l’innascibilité qui conviennent seulement au Père ; la filiation qui convient seulement au Fils et la procession qui convient seulement à l’Esprit-Saint.

Communis autem spiratio non potest dici proprietas simpliciter, quia convenit duabus personis ; sed secundum quid, secundum quod aliquid dicitur esse proprium ad aliquid ; est enim proprium Patris et Filii respectu Spiritus sancti. Harum etiam notionum quatuor sunt tantum relationes, scilicet paternitas, filiatio, processio, communis spiratio ; innascibilitas enim non proprie dicitur relatio, nisi per reductionem, secundum quod negatio reducitur ad genus affirmationis, ut non homo ad genus hominis.

 Mais la spiration commune ne peut être appelée propriété à parler absolument car elle convient à deux personnes ; mais sous un certain rapport seulement, selon qu’on dit d’une chose qu’elle est propre par rapport à quelque chose ; la spiration commune effet est quelque chose qui est propre au Père et au Fils par rapport à l’Esprit-Saint. Mais parmi ces notions il n’y a aussi que quatre relations, à savoir la paternité, la filiation, la procession et la spiration commune ; l’innascibilité en effet ne peut à proprement parler être appelée une relation que par réduction, selon que la négation se ramène au genre de l’affirmation comme le non-homme se ramène au genre de l’homme.

Harum autem proprietatum vel notionum vel relationum, tres tantum sunt personales, scilicet constituentes personas: unde habent quasi actum differentiae constitutivae, scilicet paternitas, filiatio, processio. Aliae duae sunt proprietates personae, sed non personales. Harum autem notionum quinque sufficientia sic patet.

 Mais parmi ces propriétés, ces notions et ces relations, il y a seulement trois notions qui sont personnelles, qui constituent les personnes, d’où elles sont comme l’acte de la différence constitutive, à savoir la paternité, la filiation et la procession. Les deux autres sont des propriétés de la personne mais non des propriétés personnelles. Par conséquent, la suffisance de ces cinq notions est ainsi évidente.

Ad hoc enim quod aliquid dicatur notio personae, tria requiruntur ; primo quod ad originem pertineat, quia relationibus originis personae distinguuntur ; secundo quod pertineat ad dignitatem, quia persona est hypostasis distincta proprietate ad dignitatem pertinente ; tertio quod dicat aliquid speciale, quia commune non est sufficiens principium innotescendi.

 En effet, pour qu’on puisse parler de notion de personne, trois choses sont requises : premièrement qu’elle renvoie à l’origine car c’est par les relations d’origine que les personnes se distinguent ; deuxièmement qu’elle renvoie à une dignité, car la personne est une hypostase distincte par une propriété qui appartient à une dignité ; troisièmement il faut que la notion dise quelque chose de particulier car l’universel n’est pas un principe qui suffit à faire connaître.

Dico igitur, quod pertinens ad originem potest significari vel affirmative vel negative. Si affirmative, vel dicetur secundum rationem principii, ut a quo alius, vel secundum rationem ejus quod est a principio, ut qui ab alio. Utrumque istorum dicit originem in communi: unde neutrum potest esse notio. Oportet ergo quod determinetur secundum specialem modum originis, qui non est nisi dupliciter, ut supra probatum est, dist. 13, qu. 1, art. 2, scilicet per modum naturae, et per modum amoris ; et secundum utrumque habemus duas relationes: unam quae designat rationem principii, et alteram quae designat rationem ejus quod est a principio ; et sic sunt quatuor rationes, scilicet paternitas et filiatio quantum ad modum originis naturae ; processio et communis spiratio quantum ad modum originis amoris.

 Je dis donc que ce qui appartient à l’origine peut être signifié soit affirmativement, soit négativement. Si c’est de façon affirmative, il se dira soit selon la notion de principe, comme ce d’où vient un autre, soit selon la notion de terme, comme ce qui vient d’un autre. Chacun de ces deux cas dit l’origine en général : d’où aucun des deux ne peut être une notion. Il faut donc que ce qui appartient à l’origine soit déterminé d’après un mode spécial d’origine, ce qui ne peut se faire que de deux manières ainsi que nous l’avons prouvé plus haut [dist. 13, quest. 1, art. 2], c’est-à-dire par mode de nature et par mode d’amour : et d’après chacune de ces deux modalités nous avons deux relations : une qui désigne la notion de principe, et l’autre qui désigne la notion de ce qui vient du principe ; et ainsi nous avons quatre notions, à savoir la paternité et la filiation quant au mode d’origine qui est celui de la nature ; la procession et la spiration commune quant au mode d’origine qui est celui de l’amour.

Si significatur negative, vel negatur ratio principii, vel ratio ejus quod est a principio. Si negatur ratio principii, non est ad dignitatem pertinens, et ideo non potest esse notio Spiritus sancti, nec esse principium alicujus personae divinae. Si negatur ratio ejus quod est a principio ; aut in speciali, aut in generali. Si in speciali, non potest esse notio ; quia quanto affirmatio est magis specialis, tanto negatio [notio Éd. de Parme] opposita est magis communis, sicut non homo est magis commune quam non animal ; quia omne non animal est non homo ; sed non convertitur.

 Si ce qui appartient à l’origine est signifié négativement, ou bien c’est la notion de principe qui est niée, ou bien la notion de ce qui vient du principe. Si c’est la notion de principe qui est niée, elle ne se rapporte pas à une dignité et c’est pourquoi il ne peut y avoir la notion de l’Esprit-Saint ni principe d’aucune personne divine. Si c’est la notion de terme qui est niée, ce sera soit en particulier, soit en général. Si c’est en particulier, il ne peut y avoir de notion car la négation [notion Éd. de Parme] opposée est d’autant plus commune que l’affirmation est plus particulière, tout comme non-homme est plus commun que non-animal, car tout non-animal est non-homme, mais non inversement.

Si in generali, sic erit negatio specialis, et ad dignitatem pertinens ; unde faciet notionem Patris, quae est innascibilitas quae significat non esse ab alio, secundum quod est proprietas Patris. Quare autem dicatur innascibilitas per privationem nativitatis, specialiter infra dicetur, dist. 28, qu. 1, art. 1.

 Si c’est en général, il y aura ainsi une négation particulière se rapportant à une dignité, d’où elle fera la notion de Père qui est l’innascibilité qui signifie ¨ne pas procéder d’un autre¨, selon qu’il s’agit là de la propriété du Père. Mais pourquoi on parle ici d’innascibilité par privation de la naissance, on le dira plus loin [dist. 28, quest. 1, art. 1] avec plus de précision.

[1993] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod relationes illae quae significantur in Deo ex habitudine creaturarum ad ipsum, nihil realiter ponunt in Deo, ut ex praedictis, hac quaest. art. 1, patet ; et ideo non sequitur quod secundum hoc in infinitum multiplicentur relationes realiter in Deo existentes.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ces relations qui sont signifiées en Dieu à partir du rapport que les créatures entretiennent à son égard ne posent rien en Lui en réalité comme nous le voyons à partir de ce qui précède [dist. 26, quest. 2, art. 1]. Et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas d’après cela que les relations qui existent réellement en Dieu se multiplient à l’infini.

[1994] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relationes illae secundum quas attenditur distinctio idearum, non sunt fundatae in esse divino, sed in intellectu ejus ; unde realiter non habent esse in Deo, sed solum sunt intellectae ab ipso, sicut forma asini, et forma equi et hujusmodi ; et non sicut bonitas et sapientia in ipso habent esse.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que ces relations d’après lesquelles on considère la distinction des idées ne se fondent pas dans l’existence divine, mais dans son intelligence ; d’où elles ne possèdent pas réellement une existence en Dieu, mais elles sont seulement conçues par Lui, comme la forme de l’âne, du cheval, etc. Ce qui n’est pas le cas pour la bonté et la sagesse qui possèdent une existence en Lui.

[1995] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas et similitudo non addunt aliquam relationem realem super paternitatem et filiationem ; et ratio hujus infra dicetur, 31 dist., quaest. 1, art. 1.

 3. Il faut dire en troisième lieu que l’égalité et la similitude n’ajoutent aucune relation réelle à la paternité et à la filiation ; et nous dirons plus loin [dist. 31, quest. 1, art. 1] la raison de cela.

[1996] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod relationes quibus non subest aliqua realis distinctio in re quae refertur, non est relatio realis. Unde quandocumque aliqua operatio reflectitur in suppositum operans, ex reali operatione non innascitur aliqua realis relatio, sed rationis tantum ; et ideo cum dicitur, quod Deus vel anima intelligit se, non importatur ibi aliqua realis relatio, sed rationis tantum.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que les relations sous lesquelles ne se cache pas une distinction réelle dans la chose à laquelle elles se rapportent, ne sont pas des relations réelles. C’est pourquoi une opération revient parfois sur le suppôt qui pose l’opération et que d’une opération réelle ne naît pas du coup une relation réelle, mais seulement une relation de raison ; et c’est pourquoi, lorsque nous disons que Dieu et l’âme se comprennent eux-mêmes, cela n’implique pas une relation réelle, mais seulement une relation de raison.

[1997] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod esse ab aliquo non dicit determinatum modum originis ; et ideo non dicit specialem notionem, sed salvatur in duabus notionibus, scilicet filiatione et processione, cum quibus non ponit in numerum, sicut nec aliquod commune cum propriis quae sub eo continentur, sed communis spiratio dicit determinatum modum originis, secundum quam Pater et Filius sunt principium Spiritus sancti ; et ideo dicit specialem notionem.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que ¨procéder d’un autre¨ ne dit pas un mode d’origine déterminé ; et c’est pourquoi cela ne dit pas une notion particulière, mais ce concept est conservé dans deux notions, à savoir la filiation et la procession avec lesquelles il ne fait pas nombre, tout comme aucun caractère commun ne fait nombre avec ce qui est contenu en propre sous lui ; mais la spiration commune dit un mode d’origine déterminé selon lequel le Père et le Fils sont le principe de l’Esprit-Saint ; et c’est pourquoi la spiration commune signifie une notion particulière.

[1998] Super Sent., lib. 1 d. 26 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quaelibet proprietas in divinis, et quidquid est ibi, est subsistens ; non tamen oportet quod sint tot res subsistentes quot sunt proprietates ; sed quot oppositio exigit realiter distinguens.

 6. Il faut dire en sixième lieu que toute propriété en Dieu, comme tout ce qui s’y trouve, est subsistant ; il n’est cependant pas nécessaire qu’il y ait autant de choses subsistantes qu’il y a de propriétés ; mais autant que l’exite l’opposition qui distingue réellement.

Unde sicut in Deo bonitas et sapientia est subsistens, non tamen alia et alia res est subsistens, quia non habent oppositionem ; ita etiam communis spiratio est subsistens, non tamen est alia res subsistens quam paternitas et filiatio, quia non habent oppositionem ad eam: unde in una re subsistente cum utroque esse potest. Nec tamen constituit personam in qua est, quia praesupponit secundum ordinem naturae paternitatem et filiationem, sicut et processio praesupponit generationem ; et ideo non est personalis notio ; et similiter innascibilitas, cum non habeat oppositionem ad paternitatem, in eadem re subsistente esse potest ; et quia negatio importata consequitur secundum intellectum in ea positionem principii, ideo non constituit personam, sed est in persona constituta per paternitatem.

 D’où, tout comme en Dieu la bonté et la sagesse sont subsistantes, elles ne sont cependant pas subsistantes en tant que choses différentes car elles n’ont pas d’opposition entre elles ; de même encore la spiration commune est subsistante, mais elle n’est pas subsistante à la manière d’une réalité différente de la paternité et de la filiation qui ne présentent aucune opposition à son égard : et c’est pourquoi la spiration commune peut exister avec les deux autres dans une seule et même réalité subsistante. Et cependant elle ne constitue pas la personne dans laquelle elle existe car elle présuppose la paternité et la filiation conformément à un ordre de nature, tout comme la procession présuppose la génération ; et c’est pourquoi elle n’est pas une notion personnelle ; et de la même manière l’innascibilité, puisqu’elle ne présente aucune opposition à l’égard de la paternité, peut exister dans la même réalité subsistante ; et parce que la négation impliquée en elle selon l’intelligence découle de l’affirmation d’un principe, c’est pourquoi elle ne constitue pas une personne mais plutôt elle existe dans une personne constituée par la paternité.

 

 

Distinctio 27

Distinction 27 – [Les propriétés et le Verbe]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Les propriétés]

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quaeruntur duo.

Primo de ipsis notionibus vel proprietatibus.

Secundo de nominibus personalibus, et praecipue de verbo.

Circa primum duo quaeruntur:

1 qualiter proprietates ad invicem differant ;

2 utrum proprietates vel relationes, operationes personales secundum intellectum praecedant, vel e converso.

 La recherche porte ici sur deux points.

Premièrement sur les notions elles-mêmes ou les propriétés.

Deuxièmement sur les noms personnels et surtout sur le Verbe.

Au sujet du premier point on cherche à répondre à deux questions :

1. De quelle manière les propriétés diffèrent-elles entre elles ?

2. Est-ce que les propriétés ou les relations précèdent selon l’intelligence les opérations personnelles, ou inversement ?

 

 

Articulus 1 lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 tit. Utrum proprietates ad invicem distinguantur

Article 1 – Les propriétés se distinguent-elles entre elles ?

 

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod proprietates ad invicem non distinguantur. Nulla enim est distinctio in divinis, nisi secundum originem. Sed una proprietas non oritur ab alia: quia sicut essentia non generat, ita nec proprietas. Ergo proprietates ad invicem non distinguuntur.

 Difficultés :

1. Il semble que les propriétés ne se distinguent pas entre elles. En effet, il n’y a de distinction dans les personnes divines que selon l’origine. Mais une propriété ne naît pas d’une autre : car tout comme l’essence, la propriété n’engendre pas. Donc les propriétés ne se distinguent pas entre elles.

 lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 1 Praeterea, relatio est medium inter duo extrema. Sed inter duos terminos est una via media secundum rem, quamvis differat secundum rationem, sicut est eadem via a Thebis ad Athenas et e converso, ut dicit philosophus, III Phys., text. 21. Ergo videtur quod una relatione referatur Pater ad Filium et Filius ad patrem ; et ita ad minus paternitas et filiatio sunt una relatio.

 2. Par ailleurs, la relation est un intermédiaire entre deux extrêmes. Mais entre deux termes il n’y a qu’un seul chemin intermédiaire en réalité, bien qu’il y ait différence selon la raison, tout comme le chemin de Thèbes à Athènes et inversement soit le même, comme le dit le Philosophe [111 Physique, texte 21]. Il semble donc que ce soit par une seule et même relation que le Père se rapporte au Fils et que le Fils se rapporte au Père. Et ainsi, il y a au moins la paternité et la filiation qui soient une seule et même relation.

 lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, in divinis nihil invenimus distinctum secundum rem, nisi per oppositionem relativam. Sed sicut inter attributa essentiae, ut bonitatem et sapientiam, non invenitur aliqua oppositio, ratione cujus de se invicem praedicantur, quia bonitas est sapientia, et e converso ; ita etiam proprietates unius personae non habent aliquam oppositionem ad invicem ; alias non possent in eodem supposito esse. Ergo videtur quod non sint plures secundum rem, et quod una praedicetur de alia, ut dicatur: paternitas est innascibilitas, et e converso.

 3. En outre, nous ne trouvons rien de distinct en Dieu réellement, si ce n’est par l’opposition de relation. Mais tout comme entre deux attributs de l’essence, comme la bonté et la sagesse, on ne retrouve aucune opposition en raison de ce qu’ils s’attribuent mutuellement l’un à l’autre, car la bonté est la sagesse et inversement ; de même aussi les propriétés d’une même personne ne présentent aucune opposition entre elles autrement elles ne pourraient exister dans un même suppôt. Il semble donc que ces propriétés ne soient pas multiples en réalité et que l’une s’attribue à l’autre de manière à dire que la paternité est l’innascibilité et inversement.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, non magis distat ratio verbi a ratione Filii, quam ratio ingeniti a ratione Patris. Sed eadem notio designatur nomine verbi et Filii, ut in Littera dicitur. Ergo videtur quod similiter eadem notio designetur nomine ingeniti et nomine Patris ; et sic innascibilitas et paternitas est erit una [una et eadem éd de Parme] notio.

4. Par ailleurs, la notion de Verbe n’est pas plus éloignée de la notion de Fils que la notion d’inengendré n’est éloignée de la notion de Père. Mais la même notion est désignée par le nom de Verbe et celui de Fils, comme on le dit dans la Lettre. Il semble donc, de la même manière, que la même notion soit signifiée par le nom d’inengendré et par le nom de Père ; et ainsi l’innascibilité et la paternité seront une seule [une seule et même Éd. de Parme] notion.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, unius personae ad aliam personam in divinis non est nisi una relatio. Sed nomine Patris, generationis et paternitatis importatur relatio Patris ad Filium. Ergo videtur quod omnia ista in divinis idem sunt: quod est contra Magistrum in Littera.

5. En outre, en Dieu, d’une seule et même personne à une autre il n’y a qu’une seule relation. Mais par les noms de Père, de generation et de paternité est impliquée la relation du Père au Fils. Il semble donc que tous ces noms en Dieu sont identiques: ce qui est contraire à la position du Maître dans la Lettre.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in divinis, ut supra dictum est, dist. 26, qu. 1, art. 3, sunt quinque notiones ; non tamen sunt quinque res, sed solum tres res, scilicet Pater et Filius et Spiritus sanctus. Ad cujus intellectum sciendum est, quod in illo proprie aliqua multiplicantur et non unum sunt, cujus differentiis propriis distinguuntur, ut dicit philosophus, V Metaph., text. 134 et IV Phys., text. 20) verbi gratia, isosceles, idest triangulus duorum aequalium laterum, et isopleuros, idest triangulus aequilaterus, distinguuntur differentiis trianguli ; et ideo non dicimus quod sunt unus triangulus, sed plures. Non autem distinguuntur propriis differentiis figurae, immo sub una figurae differentia incidunt, quod est habere tria latera ; et ideo dicuntur una figura, quae est triangulus ; et ideo non potest dici quod sunt plures res, nisi de illis quae per differentiam rei distinguuntur.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’en Dieu, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 1, art. 3], il y a cinq notions ; il n’y a cependant pas trois réalités, mais seulement trois, à savoir le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Et pour le comprendre, il faut savoir que certaines choses à proprement parler se multiplient et ne sont pas une en ceci qu’elles se distinguent par des différences propres comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 134, et IV Physique, texte 20] ; en d’autres mots, le triangle isocèle, c’est-à-dire le triangle dont deux côtés sont égaux, et le triangle équilatéral diffèrent par les différences du triangle ; et c’est pourquoi nous disons qu’ils ne sont pas un seul et même triangle, mais plusieurs triangles. Ils ne se distinguent cependant pas par les différences propres de la figure, mais bien plutôt ils tombent sous une seule et même différence de la figure, à savoir posséder trois côtés ; et c’est pourquoi on dit qu’ils sont une même figure qui est le triangle ; et c’est pourquoi on ne peut dire qu’il y a plusieurs réalités que pour ces choses qui se distinguent par la différence de la chose en question.

Differentia autem rei in divinis non est nisi per oppositionem relationis ; et ideo non poterit dici quod sunt plures res, nisi secundum quod exigit ista oppositio. Unde paternitas et filiatio sunt duae res, et similiter Pater et Filius. Sed paternitas et communis spiratio non sunt duae res, quia non opponuntur relative ; sed tantum duae relationes, quia distinguuntur differentiis relationis inquantum est relatio.

 Mais ce qui distingue les réalités dans le cas des personnes divines n’est que l’opposition de relation ; et c’est pourquoi on ne pourra dire qu’il y a plusieurs réalités dans ce cas que d’après ce qu’exige cette opposition. C’est pourquoi la paternité et la filiation sont deux réalités, tout comme le Père et le Fils. Mais la paternité et la spiration commune ne sont pas deux réalités, car elles ne s’opposent pas par la relation ; mais elle sont seulement deux relations, car elles se distinguent par les différences de la relation en tant que relation.

Cum enim relatio dicatur secundum respectum ad alterum, differentiae relationis erunt secundum quod est ad diversa ; et ideo, quia paternitate Pater refertur ad Filium, et communi spiratione ad Spiritum sanctum, communis spiratio et paternitas sunt duae relationes, et similiter duae notiones, inquantum est alia et alia ratio innotescendi patrem in una et alia.

 En effet, puisque la relation se dit d’après un rapport à quelque chose d’autre, les différences de la relation se prendront d’après ses rapports à différentes autres choses extérieures ; et c’est pourquoi, puisque c’est par la paternité que le Père se rapporte au Fils et que c’est par la spiration commune qu’il se rapporte à l’Esprit-Saint, il s’ensuit que la paternité et la spiration commune sont deux relations distinctes, et de même elles sont deux notions distinctes selon que dans l’une et dans l’autre il y a différentes raisons formelles de faire connaître le Père.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod oppositio secundum originem per prius secundum intellectum est in relationibus originis quam in ipsis personis quae ab invicem oriuntur: quia personae non opponuntur nisi secundum quod hujusmodi relationes habent ; et ideo relationes oppositae seipsis distinguuntur, sicut differentiae constitutivae ; sed personae relationibus, sicut species differentiis.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’opposition selon l’origine en priorité selon l’intelligence dans les relations d’origine que dans les personnes mêmes qui naissent les unes des autres : car les personnes ne s’opposent que selon qu’elles possèdent de telles relations ; et c’est pourquoi les relations opposées se distinguent par elles-mêmes, tout comme les différences constitutives ; mais les personnes s’opposent par leurs relations tout comme les espèces par leurs différences.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidam dixerunt, ut Avicenna, Tract. III Metaph., c. X, dicit, quod eadem numero relatio est in utroque extremorum ; quod non potest esse, quia unum accidens non est in duobus subjectis ; et ideo dicendum, quod in utroque extremorum est una relatio differens ab alia in quibusdam secundum speciem, sicut in illis quae diversis nominibus utrinque nominantur, ut paternitas et filiatio ; sed in quibusdam non differunt specie, sed numero tantum, sicut quando utrumque est unum nomen, ut in similitudine et aequalitate ; et tunc relatio quae est in uno sicut in subjecto, est in altero sicut in termino, et e converso ; et ideo relatio secundum esse suum, prout in re fundamentum habet, non est medium, sed extremum ; sed secundum respectum est medium ; unde patet quod realiter distinguuntur.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que certains ont dit, comme Avicenne [111 Métaphysique, ch. X] que la même relation, numériquement parlant, est dans chacun des deux extrêmes ; ce qui est impossible car un même accident n’est pas dans deux sujets ; et c’est pourquoi il faut dire  que dans chacun des deux extrêmes il y a une seule relation qui diffère de l’autre chez certains selon l’espèce comme chez ceux qui sont nommés de part et d’autre par des noms différents, comme la paternité et la filiation ; mais chez d’autres ils ne diffèrent pas par l’espèce mais par le nombre seulement, comme lorsqu’il n’y a qu’un seul nom pour les deux, comme la similitude et l’égalité ; et alors la relation qui est dans l’un comme dans un sujet est dans l’autre comme dans un terme et inversement ; et c’est pourquoi la relation selon son existence, pour autant qu’elle a un fondement dans la réalité, n’est pas un intermédiaire mais un extrême ; mais selon le rapport elle est un intermédiaire ; c’est pourquoi il est clair que les relations se distinguent réellement.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut attributa essentialia non sunt plures res, ita nec proprietates uni personae convenientes ; sed sunt una res, quae est illa persona ; sed tamen quia relatio manet in divinis etiam secundum communem rationem generis, manet etiam relationis distinctio, inquantum est relatio ; et ideo potest dici quod sunt plures relationes, et una relatio de alia non praedicatur. Non sic autem est in essentialibus, quae non manent ibi secundum communem rationem generis ; unde non distinguuntur secundum rationem alicujus communis, cujus ratio in Deo sit, si tamen accipiatur commune reale, ut significatur nomine primae impositionis ; si Il vero accipiatur commune rationis, quod significatur nomine secundae impositionis, sic commune est omnibus quod sint attributa ; et ideo quia dividunt unum commune rationis, secundum hoc non praedicantur de invicem. Non enim dicimus quod hoc attributum sit illud attributum ; sed quod est aliud attributum ab illo. Sed quia non dividunt unum commune reale, ideo ratione divinae simplicitatis secundum quodcumque nomen primae impositionis de se invicem praedicantur, ut dicatur: haec res est illa res ; vel etiam propriis nominibus, ut: sapientia est bonitas.

3.  Il faut dire en troisième lieu que les propriétés qui appartiennent à une seule personne, tout comme les attributs essentiels, ne sont pas plusieurs réalités, mais une seule réalité qui est telle personne ; cependant, parce que la relation demeure aussi dans les personnes divine selon la notion commune d’un même genre, il y demeure aussi, en tant qu’elle est une relation, la distinction de la relation ; et c’est pourquoi on peut dire qu’il y a plusieurs relations et qu’une même relation ne s’attribue pas à une autre. Mais il n’en est pas ainsi pour les attributs essentiels qui ne demeurent pas dans les personnes divines selon la notion commune d’un même genre ; de là ils ne se distinguent pas sous le rapport de quelque chose de commun dont la notion serait en Dieu, si cependant le commun se prenait comme réel, tel qu’il est signifié par la première imposition ; mais si celui-ci était pris comme un commun de raison qui est signifié par le nom de la deuxième imposition, ainsi il est commun à tous ceux qui sont attribués ; et c’est pourquoi, parce qu’ils divisent un même commun de raison, suivant cela ils ne s’attribuent pas l’un à l’autre. Nous ne disons pas en effet que cet attribut soit cet autre attribut, mais qu’il est un attribut autre que celui-là. Mais parce qu’ils ne divisent pas un commun réel, c’est pourquoi, en raison de la simplicité divine d’après n’importe quel nom de la première imposition, ils s’attribuent mutuellement l’un à l’autre, de telle manière qu’on dise : cette chose-ci est cette chose-là, ou qu’on le dise même par les noms propres, comme : la sagesse est la bonté.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum et Filius non distinguuntur differentia relationis ; quia utrumque dicit relationem ejusdem ad idem ; et propter hoc non importantur nomine verbi et filii duae relationes, sed una ; similiter nomine doni et amoris ; sed distinguuntur tantum secundum quod habent fundamentum in re, prout unum fundatur in emanatione naturae, scilicet Filius, et aliud in emanatione intellectus, scilicet verbum ; quae in Deo non nisi ratione differunt ; et ideo verbum et Filius differunt solum ratione et non relatione ; sed ingenitus et Pater non respectu ejusdem dicuntur ; et ideo constat quod non est una relatio, vel notio.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que le Verbe et le Fils ne se distinguent pas par une différence de relation ; car chacun des deux dit une relation du même au même ; et pour cette raison, il n’y a a pas deux relations qui sont impliquées par les noms de Verbe et de Fils, mais une seule ; et il en est de même pour les noms de don et d’amour, mais ils se distinguent seulement selon qu’ils ont un fondement dans la réalité, pour autant que l’un se fonde sur une provenance de la nature, à savoir le Fils, et l’autre sur une provenance de l’intelligence, à savoir le Verbe : lesquels ne diffèrent en Dieu que selon la raison ; et c’est pourquoi le Verbe et le Fils ne diffèrent que par la raison et non par la relation ; mais inengendré et Père ne se disent pas par rapport à la même chose ; et c’est pourquoi il est clair qu’il n’y a pas là qu’une seule relation ou une seule notion.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut est in essentialibus quod idem est secundum rem divina operatio et Deus et deitas, sed distinguuntur secundum rationem tantum fundatam in re ; ita etiam est in personalibus, quod idem est secundum rem operatio personalis et persona et proprietas constituens personam ; sed differunt tantum secundum rationem et modum significandi. Unde dico, quod eadem ratio significatur per haec tria, pater, paternitas, generatio ; sed Pater significat illam per modum hypostasis vel personae, paternitas per modum proprietatis, generatio per modum operationis.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que tout comme dans les attributs essentiels l’opération divine, Dieu et la divinité sont une seule et même chose en réalité et qu’ils se distinguent seulement selon la raison qui se fonde sur la réalité, il en est de même encore pour les attributs personnels, à savoir que l’opération personnelle, la personne et la propriété qui constitue la personne sont une seule et même chose en réalité et ne different que selon la raison et le mode de signifier. De là je dis que c’est une même notion qui est signifiée par ces trois termes, à savoir père, paternité et generation; mais père signifie cette notion à la manière d’une hypostase ou d’une personne, paternité à la manière d’une propriété et génération à la manière d’une opération.

 

 

 Articulus 2 :

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 tit. Utrum operatio personalis praecedat secundum rationem relationem personae

Article 2 – L'opération personnelle précède-t-elle en raison la relation de la personne ?

 

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod operatio personalis praecedat secundum intellectum relationem personae. Generatio enim, ut dictum est, dist. 5, qu. 1, art. 1, significat operationem personalem. Sed Magister in Littera dicit, quod ideo est pater quia genuit. Ergo videtur quod generatio secundum intellectum praecedat relationem Patris.

Difficultés :

1. Il semble que l’opération personnelle précède selon l’intelligence la relation de la personne.  La génération en effet, comme nous l’avons dit [dist. 5, qeust. 1, art. 1], signifie une opération personnelle. Mais le Maître dit dans la Lettre que la raison pour laquelle il est Père est qu’il engendre. Il semble donc que la génération précède la relation de Père selon l’intelligence.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, relatio paternitatis et operatio generationis se consequuntur. Aut ergo paternitas est principium hujus operationis quae est generatio, ut scilicet quia Pater est, ideo generat ; aut consequitur ipsam per modum effectus relicti ab ipsa, ut scilicet quia generat, est Pater. Sed paternitas non est principium ipsius operationis ; quia, ut dicit Anselmus, lib. I Monol., cap. XLI, eo quod est Deus generat, et non eo quod est Pater. Ergo videtur quod paternitas consequatur generationem secundum intellectum.

 2. Par ailleurs, la relation de paternité et l’opération de génération se suivent. Donc, ou bien la paternité est le principe de cette opération qui est la génération, c’est-à-dire de telle manière que c’est parce qu’il est Père qu’il engendre ; ou bien la paternité découle de cette opération à la manière d’un effet laissé par elle, de telle manière que ce serait parce qu’il engendre qu’Il est Père. Mais la paternité n’est pas le principe de l’opération elle-même car, comme le dit Saint-Anselme [1 Monol., ch. XL1], c’est du fait qu’Il est Dieu qu’il engendre et non du fait qu’il est Père. Il semble donc que la paternité découle de la génération selon l’intelligence.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, omnis relatio secundum intellectum consequitur illud in quo fundatur ; sicut aequalitas consequitur quantitatem. Sed, secundum philosophum, V Metaph., text. 20, paternitas et filiatio fundantur in operatione. Ergo paternitas sequitur operationem generationis secundum intellectum.

 3. En outre, toute relation découle selon l’intelligence de ce dans quoi elle se fonde, comme l’égalité qui découle de la quantité. Mais, d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 20], la paternité et la filiation se fondent sur l’opération. Donc la paternité découle de l’opération de génération selon l’intelligence.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut se habet generatio activa ad Patrem, ita se habet generatio passiva vel nativitas ad Filium. Sed filiatio nullo modo praecedit nativitatem secundum intellectum, sed semper consequitur. [Ergo nec paternitas generationem activam, sed consequitur eam add. Éd. de Parme]. Ergo videtur quod etiam paternitas secundum intellectum generationem activam sequatur.

 4. Par ailleurs, ce que la génération active est au Père, la génération passive ou la naissance l’est au Fils. Mais la filiation ne précède en aucune manière la naissance selon l’intelligence, mais elle la suit toujours. [Donc, la paternité ne précède pas la génération active, mais en découle add. Éd. de Parme]. Il semble donc que la paternité aussi découle de la génération active selon l’intelligence.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, operatio, secundum philosophum, I Metaph., in prol., est individuorum distinctorum, vel singularium. Sed non est distinctum quid in divinis nisi per relationem. Ergo intellectum operationis personalis praecedit intellectus relationis.

 Cependant :

1. Au contraire l’opération d’après le Philosophe [1 Métaphysique, prologue]  appartient à des individus distincts ou à des singuliers. Mais il n’y a aucune réalité distincte en Dieu si ce n’est par la relation. Donc, l’intelligence de la relation précède celle de l’opération personnelle.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, principium operationis propriae alicujus oportet quod sit forma propria ejus. Sed generatio est propria operatio Patris. Cum igitur nulla forma Patris potentiae sit propria nisi paternitas, videtur quod paternitas sit principium generationis in Patre, et ita praecedit secundum intellectum.

 2. Par ailleurs, le principe de toute opération propre doit être la forme propre à cette opération. Mais la génération est l’opération propre du Père. Donc, puisqu’il n’y a aucune forme qui soit propre à la puissance du Père sauf la paternité, il semble que la paternité soit le principe de la génération qui est dans le Père, et par conséquent elle la précède selon l’intelligence.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod secundum illos qui dicunt, quod relationes non distinguunt nec constituunt personas, sed tantum manifestant constitutas et distinctas, relatio consequitur operationem personalem absolute secundum intellectum. Sed quia non invenitur aliquid distinguens personas et constituens eas nisi relatio secundum rationem suae oppositionis ; ideo dico, quod relatio, inquantum est constituens personam, praecedit secundum intellectum operationem. Secundum hoc ergo dico, quod ipsa relatio potest tripliciter considerari.

Vel inquantum est relatio absolute, et ex hoc non habet quod praecedat operationem, immo magis quod sequatur, sicut patet in creaturis [sicut… creaturis om. Éd de Parme].

Vel inquantum est relatio divina quae est constituens personam et ipsa persona subsistens ; et sic praecedit secundum intellectum operationem.

Vel inquantum est ipsa operatio personalis ; et sic sunt simul secundum intellectum, et idem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après ceux qui disent que les relations ne distinguent pas et ne constituent pas les personnes mais ne font que manifester les personnes constituées et distinctes, la relation découle absolument de l’opération personnelle selon l’intelligence. Mais parce qu’il ne se trouve rien qui distingue les personnes et les constitue si ce n’est la relation en raison de son opposition, c’est pourquoi je dis que la relation, en tant qu’elle constitue la personne, précède l’opération selon l’intelligence. Et suite à cela je dis donc que la relation elle-même peut être considérée de trois manières.

Soit en tant que relation prise absolument et partant de là elle n’a pas à précéder l’opération mais bien plutôt à en découler, tout comme on le voit dans les créatures [tout comme … créatures om. Éd. de Parme].

Soit en tant qu’elle est une relation divine qui constitue la personne et qu’elle est la personne subsistante elle-même ; et en ce sens elle précède l’opération selon l’intelligence.

Soit en tant qu’elle est l’opération personnelle elle-même et en ce sens elles sont simultanées selon l’intelligence et identiques.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 1Ad primum igitur dicendum, quod cum dicit Magister, quod quia genuit est Pater, accipit generationem non prout significatur per modum operationis, sed prout significatur per modum proprietatis constituentis personam ; et sic secundum intellectum praecedit personam constitutam et distinctam. Sic enim generationem pro paternitate ponunt, sicut etiam supra praecedenti distinct. Vel dicendum quod attendit ad relationem secundum quod relatio est, et non secundum quod est relatio divina constituens personam et distinguens. Vel potest melius dici, quod in hoc quod dicit, quod est pater quia genuit, non importatur aliquis ordo per modum causae, sed potius identitas relationis ; unde etiam ipse dicit, quod ideo est Filius quia genitus, et quia Filius ideo genitus, ex verbis Augustini, De Trinit., V, c. VII, col. 915.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsque le Maître dit que c’est parce qu’il engendre qu’il est Père, il prend la génération non pas selon qu’elle est signifiée par mode d’opération, mais selon qu’elle est signifiée par de mode propriété qui constitue la personne : et en ce sens elle précède selon l’intelligence la personne constituée et distincte. C’est en ce sens en effet qu’ils posent la génération à la place de la paternité comme ils l’ont fait aussi plus haut dans la distinction précédente. Ou bien il faut dire qu’il considère la relation en tant qu’elle est relation et non pas en tant qu’elle est une relation divine qui constitue la personne et la distingue. Ou pour mieux dire encore, on peut affirmer que dans ce qu’il dit, à savoir qu’il est père parce qu’il engendre, n’est pas impliqué un ordre par mode de causalité, mais plutôt une identité de relation ; c’est pour cela que lui-même dit encore, s’appuyant sur les paroles de Saint-Augustin [V De la Trinité, ch.  VII, col. 915] que la raison pour laquelle il est Fils c’est qu’il est engendré et que la raison pour laquelle il est engendré, c’est qu’il est Fils.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, ut supra dictum est, dist. 7, qu. 1, art. 1, principium generationis in divinis non potest esse tantum natura, nec iterum tantum proprietas ; sed natura divina prout est in Patre, talis [vel éd de Parme], proprietas quae est paternitas. Unde Anselmus non dicit totum quod exigitur ad principium generationis. Ut enim totum complectamur, oportet dici quod non tantum quia Deus est, generat, vel quia Pater, sed quia Deus Pater.

 2. Il faut dire en deuxième lieu, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 7, quest. 1, art. 1], que le principe de la génération en Dieu ne peut être seulement la nature ni en outre seulement la propriété, mais la nature divine selon qu’elle est dans le Père, cette [ou Éd. de Parme] propriété qui est la paternité. C’est pourquoi Saint-Anselme ne dit pas tout ce qui est exigé à l’égard du principe de génération. Pour une compréhension totale de l’énoncé, il faut dire non seulement que c’est parce qu’il est Dieu ou que c’est parce qu’il est Père qu’il engendre, mais parce qu’il est Dieu Père.

lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procedit de relatione secundum rationem relationis absolute ; sed haec relatio quae est paternitas, habet aliquid ultra: quia cum sit divina, constituit personam, et est ipsa persona constituta, ratione cujus praecedit secundum intellectum operationem.

 3. En troisième lieu il faut dire que ce raisonnement procède de la relation selon la notion de relation prise absolument ; mais cette relation qui est la paternité possède quelque chose de plus : car puisqu’elle est divine, elle constitue la personne et elle est la personne constituée elle-même, en raison de quoi elle précède l’opération selon l’intelligence.

 lib. 1 d. 27 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est similis ratio in Patre et Filio: quia forma propria generati nullo modo est principium generationis activae vel passivae, sed consequens, et quasi terminus ; et ideo filiatio nullo modo praecedit intellectum nativitatis ; sed forma generantis propria est principium generationis activae: et ideo oportet quod praecedat intellectum generationis.

 

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la raison n’et pas semblable pour le Père et pour le Fils : car la forme propre de l’engendré n’est aucunement principe de génération active ou passive, mais en découle plutôt et en est comme le terme ; et c’est pourquoi la filiation ne précède en aucune manière l’intelligence de la naissance ; mais la forme propre de celui qui engendre est principe de génération active : et c’est pourquoi il faut qu’elle précède l’intelligence de la génération.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Le Verbe]

 

Prooemium

Prologue

 

lib. 1 d. 27 q. 2 pr. Deinde quaeritur de verbo ; et circa hoc tria quaeruntur:

1 utrum verbum proprie sit in divinis ;

2 utrum dicatur essentialiter, vel personaliter tantum ;

3 utrum in verbo importetur respectus ad creaturam.

 La recherche porte ensuite sur le Verbe ; et à ce sujet on pose trois questions :

1. Y a-t-il à proprement parler un Verbe en Dieu ?

2. Est-ce là un nom essentiel ou personnel seulement ?

3. Ce nom implique-t-il un rapport à la créature ?

 

 

Articulus 1 : lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 tit. Utrum verbum dicatur proprie in divinis

Article 1 – Parle-t-on du Verbe au sens propre en Dieu ?

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod verbum non proprie in divinis dicatur. Omne enim nomen quod significat corporalem operationem, non potest Deo convenire nisi metaphorice. Sed verbum est hujusmodi: dicitur enim a verberatione aeris ut dicit Priscianus, lib. I, cap. « de verbo »,. Ergo verbum proprie de Deo non dicitur.

 Difficultés:

1. Il semble que ce ne soit pas au sens propre qu’on parle de Verbe en Dieu. En effet, tout nom qui signifie une opération corporelle ne peut convenir à Dieu qu’en un sens métaphorique. Mais ¨verbe¨ est un nom de cette sorte;  comme le dit Priscien en effet [ Livre 1, ch. ¨Au sujet du verbe¨], ce nom a été impose en partant de l’action de frapper l’air. Donc ¨verbe¨ en peut se dire proprement de Dieu.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, inter omnia quae apud nos sunt, verbum videtur magis esse transiens, vel de magis transeuntibus, nec est quid subsistens. Sed quidquid dicitur in divinis, est permanens et subsistens. Ergo videtur quod verbum de Deo non proprie dicatur.

 2. Par ailleurs, parmi tout ce qui existe autour de nous, le verbe semble être ce qu’il y a de plus passager ou se dire de ce qui est le plus éphémère et qui n’est pas susbistant. Mais tout ce qui se dit de Dieu est permanent et subsistant. Il semble donc que ¨verbe¨ en puisse se dire proprement de Dieu.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod de Deo dicitur non verbum vocis, sed verbum cordis. Contra. Hoc verbum definiens Anselmus, in Monolog., cap. LXIII, col. 208, dicit, quod dicere summo spiritui nihil est aliud, quam cogitando intueri. Sed cogitare Deo non convenit, quia cogitatio dicit quemdam discursum rationis inquirentis et procedentis ex uno in aliud. Ergo videtur quod nec verbum aut dicere Deo conveniat.

 3. Si tu dis que ce n’est pas le verbe du son de voix qui s’attribue à Dieu mais le verbe du cœur, je dis au contraire qu’Anselme [Monologue, ch. LXIII, col. 208], définissant ce verbe, dit : ¨Dire, pour l’Esprit suprême, n’est rien d’autre que considérer en réfléchissant¨. Mais réfléchir ne convient pas à Dieu, car la réflexion dit une certain discours de la raison qui est en recherche et qui procède d’une chose à une autre. Il semble donc que le verbe ou la parole ne convienne pas à Dieu.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, verbum cordis videtur esse quaedam conceptio intellectus. Sed nihil concipitur ab intellectu nisi species rei intelligibilis, quam apud se format. Cum igitur Deus non cognoscat per speciem aliquam, sed se per essentiam suam videat, et sic cognoscat omnia ; videtur quod non sit ibi proprie verbum intellectus.

 4. En outre, le verbe du cœur semble être une conception de l’intelligence. Mais l’intelligence ne conçoit que l’espèce de la chose intelligible qu’elle forme en elle. Donc, puisque Dieu ne connaît au moyen d’aucune espèce, mais se voit lui-même par sa propre essence et connaît ainsi tout chose, il semble qu’on ne puisse retrouver proprement en Dieu un verbe de l’intelligence.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra, Joan. 1, 1: « In principio erat verbum, et verbum erat apud Deum, et Deus erat verbum ».

 Cependant :

1. L’Écriture [Jean, 1, 1] nous dit au contraire : ¨Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu¨.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, nihil aliud est verbum, ut infra Augustinus dicit, dist. 18, quam genita sapientia. Sed genita sapientia est in Deo. Ergo videtur quod et verbum.

 2. Par ailleurs, le verbe n’est rien d’autre, comme le dit Saint-Augustin à la distinction 18, qu’une sagesse engendrée. Mais la sagesse engendrée est en Dieu. Il semble donc le verbe aussi soit en Dieu.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 co. Respondeo, absque omni dubio confitendum est, Deum esse verbum, et proprie verbum dici. Ad cujus intellectum sciendum est, quod in nobis, ut quaedam Glossa ordinaria super Joan. dicit, invenitur triplex verbum ; scilicet cordis, et vocis, et quod habet imaginem vocis ; cujus necessitas est, quod cum locutio nostra sit quaedam corporalis operatio, oportet quod ad ipsam concurrant ea quae ad omnem motum corporalem exiguntur

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut confesser sans aucun doute que Dieu est verbe et qu’on doive proprement l’appeler verbe. Et pour comprendre cela il faut savoir qu’en nous, comme le dit une certaine interprétation ordinaire de Jean, le terme ¨verbum¨, c’est-à-dire verbe, peut signifier trois choses : à savoir le verbe de l’intelligence, celui du son de voix et l’image du son de voix ; et il est nécessaire qu’il en soit ainsi car puisque l’action de parler est une opération corporelle, il faut qu’à cette opération concourrent les facteurs qui sont exigés pour tout mouvement corporel.

Oportet autem ad hoc quod sit motus corporalis hominis, ut hominis [ut hominis Ed. De Parme] qui scilicet est per deliberationem, quod praecedat deliberatio et judicium in parte intellectiva. Sed quia intellectus est universalium, et operationes singularium, ideo, ut dicitur III De anima, text. 46, oportet esse quamdam virtutem particularem quae apprehendit intentionem particularem rei, circa quam est operatio ; et tertio oportet quod sequatur motus in corpore per virtutes motivas affixas musculis et nervis ; ut quasi videatur esse quidam syllogismus, cujus in parte intellectiva habeatur major universalis, et in parte sensitiva habeatur minor particularis, et demum sequatur conclusio operationis particularis, per virtutem motivam imperatam ; ipsa enim operatio se habet in operabilibus sicut conclusio in speculativis, ut dicitur VII Metaphysic., text. 33.

Si ergo accipiatur locutio secundum quod est in parte intellectiva tantum, sic est verbum cordis, quod etiam ab aliis dicitur verbum rei, quia est immediata similitudo ipsius rei ; et a Damasceno, lib. I Fid. Orth., c. XIII, dicitur, quod est naturalis intellectus motus, velut lux ejus et splendor ; et ab Augustino, lib. IX de Trinitate, cap. X, col. 969, dicitur verbum animae impressum. Secundum autem quod est in imaginatione, quando scilicet quis imaginatur voces quibus intellectus conceptum proferre valeat, sic est verbum quod habet imaginem vocis, et quod ab aliis dicitur verbum speciei vocis, et a Damasceno, col. 858, dicitur verbum in corde enuntiatum, et ab Augustino, dicitur verbum cum syllabis [animi sinu éd. De Parme] cogitatum. Secundum autem quod jam est in corporali actione per motum linguae et aliorum instrumentorum corporalium, dicitur verbum vocis ; et a Damasceno verbum quod est Angelus, scilicet nuntius, intelligentiae, et ab Augustino verbum cum syllogismis pronuntiatum.

Mais pour qu’il y ait mouvement corporel de l’homme, comme il appartient à l’homme de se mouvoir au moyen d’une délibération, il faut que dans la partie intellectuelle de l’homme une délibération et un jugement précèdent l’action. Mais parce que l’intelligence a pour objet les universels et que les opérations portent sur ce qui est singulier, c’est pourquoi, comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 46], il faut qu’il y ait une puissance particulière qui appréhende l’intention particulière de la chose sur laquelle porte l’opération ; et troisièmement il faut que s’ensuive un mouvement dans le corps au moyen des puissances motrices fixées aux muscles et aux nerfs ; de telle manière que la parole ou le langage soit comme un syllogisme dont il y a une majeure universelle dans la partie intellectuelle, une mineure particulière dans la partie sensible, et qu’il s’envuive assurément la conclusion d’une opération particulière par la puissance motrice qui a été commandée ; en effet, l’opération elle-même se rapporte à la vie active comme la conclusion à la vie spéculative, ainsi que le dit le Philosophe [ VII Métaphysique, texte 33].

Si donc on prend la parole selon qu’elle est dans la partie intellectuelle seulement, ainsi nous sommes en présence du verbe ou du concept intellectuel, que d’autres appellent aussi le verbe de la chose car il est une similitude immédiate de la chose elle-même ; et la parole prise en ce sens, Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. XIII] dit à son sujet qu’elle est un mouvement naturel de l’intelligence et comme sa lumière et sa splendeur ; et Augustin dit [1X De la Trinité, ch. X, col. 969] que le verbe est l’empreinte de l’âme. Mais selon que le verbe est dans l’imagination, c’est-à-dire quand on imagine les mots par lesquels l’intelligence est capable d’exposer le concept, il s’agit alors du verbe qui possède l’image du mot, que d’autres appellent le verbe de l’espèce vocale, que Damascène appelle le verbe prononcé dans l’intelligence et que Saint-Augustin appelle le verbe pensé avec des syllabes [dans le sein de l’âme Éd. de Parme]. Mais selon que le verbe est déjà dans l’opération corporelle au moyen du mouvement de la langue et des autres instruments corporels, on l’appelle le verbe du mot ; et le verbe pris en ce sens, Damascène dit à son sujet qu’il est comme un Ange, c’est-à-dire un messager de l’intelligence et Saint-Augustin qu’il est le verbe prononcé avec les syllogismes.

Dico igitur, quod verbum vocis, et quod habet imaginem vocis, non potest dici in divinis, nisi metaphorice ; sed verbum cordis quod consistit in intellectu tantum, dicitur etiam per prius de Deo quam de aliis. Sed tamen sciendum est, quod in operationibus intellectus est quidam gradus.

Primo enim est simplex intuitus intellectus in cognitione intelligibilis, et hoc nondum habet rationem verbi

 Je dis donc que le verbe, pris en tant que mot ou son de voix et pris en tant que possédant l’image du mot, ne peut s’attribuer à Dieu que par métaphore ; mais le verbe intérieur qu’on ne retrouve que dans l’intelligence se dit aussi de Dieu et s’attribue même à Lui en priorité par rapport aux autres êtres. Mais il faut cependant savoir qu’il y a des degrés dans les opérations de l’intelligence.

En premier lieu en effet il y a  la simple considération de l’intelligence dans la connaissance de l’intelligible et cela n’a pas encore raison de verbe.

Secundo est ibi ordinatio illius intelligibilis ad manifestationem vel alterius, secundum quod aliquis alteri loquitur, vel sui ipsius, secundum quod contingit aliquem etiam sibi ipsi loqui, et haec primo accipit rationem verbi ; unde verbum nihil aliud dicit quam quamdam emanationem ab intellectu per modum manifestantis.

 En deuxième lieu il y a là une ordonnance de cet intelligible pour le manifester soit à un autre, selon que l’on parle à un autre, soit à soi-même, selon qu’il nous arrive de parler même à nous-mêmes, et c’est cette dernière ordonnance qui reçoit en premier lieu la notion de verbe ; d’où le verbe ne dit rien d’autre qu’une certaine émanation de l’intellect par mode de manifestation.

Et quia potest esse duplex intuitus, vel veri simpliciter, vel ulterius secundum quod verum extenditur in bonum et conveniens, et haec est perfecta apprehensio ; ideo est duplex verbum: scilicet rei prolatae quae placet, quod spirat amorem, et hoc est verbum perfectum ; et verbum rei quae etiam displicet ; unde dicit Augustinus quod verbum dicitur animo impressum, quamvis res ipsa displiceat aut complaceat [non placeat éd. De Parme].

 Et parce qu’il peut y avoir deux sortes de considérations, à savoir soit celle du vrai pris absolument, soit selon que par la suite le vrai est appliqué au bien et à ce qui convient ; et cette dernière considération est la plus parfaite ; c’est pourquoi il y a deux sortes de verbes : à savoir celui de la chose présentée qui plaît et qui inspire l’amour et c’est là le verbe parfait, et le verbe de la chose qui déplaît ; c’est pourquoi Saint-Augustin affirme qu’on dit du verbe qu’il est imprimé dans l’âme, que la chose elle-même déplaise [ne plaise pas Éd. de Parme] ou plaise.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis nomen verbi impositum sit a motu corporali, quod est ultimum in nostra locutione ; tamen impositum est ad significandum omne quod dicitur vel exterius vel interius. Unde quamvis interpretatio nominis non conveniat Deo, convenit tamen res significata per nomen, sicut frequenter contingit, ut dictum est, dist. 26, qu. 1, art. 1, de hoc nomine « persona ».

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que le nom de verbe a d’abord été imposé à partir d’un mouvement corporel qui est dernier dans notre langage, il a cependant été imposé pour signifier tout ce qui est dit soit extérieurement soit intérieurement. De là, bien que l’étymologie du nom ne convienne pas à Dieu, cependant la chose signifiée par le nom Lui convient, tout comme cela arrive fréquemment ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 26, quest. 1, art. 1] au sujet du nom ¨personne¨.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum vocis neque permanet neque subsistit in nobis, sed verbum cordis nostri permanet, quamvis non subsistat: et ideo patet quod quamvis verbum non habeat ex ratione verbi quod permaneat vel subsistat, tamen habet diversas rationes perfectionis, secundum quod in diversis invenitur ; et ideo verbum divinum, inquantum divinum [inquantum divinum om. éd. De Parme] habet quod sit permanens et subsistens ; sicut et de amore supra, dist. 10, qu. 1, art. 1, dictum est.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que le verbe pris en tant que mot ne demeure ni ne subsiste en nous, mais le verbe pris en tant que verbe intérieur demeure en nous bien qu’il ne subsiste pas : et c’est pourquoi il est clair que bien que le verbe, de par sa définition même, n’a pas raison de permanence et de subsistance, possède cependant différentes notions de perfection selon qu’il se retrouve dans différents êtres ; et c’est pourquoi le verbe divin, en tant qu’il est divin [en tant que divin om. Éd. de Parme], est permanent et subsistant, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. 10, quest. 1, art. 1] au sujet de l’amour.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sine dubio cogitatio in Deo proprie non est ; sed Anselmus per similitudinem nomen cogitationis posuit. Sicut enim in cogitatione est exitus rationis ab uno in aliud per collectionem, ita etiam ratio verbi, ut dictum est, in corp. art., completur in quadam emanatione et exitu ab intellectu ; unde addit supra simplicem intuitum intellectus aliquid cogitationi simile.

 3. Il faut dire en troisième lieu que sans aucun doute il n’y a pas à proprement parler de pensée en Dieu ; mais c’est comme par analogie qu’Anselme a présenté le nom de «pensée». En effet, tout comme dans la pensée il y a un passage d’une chose à une autre au moyen d’un rapprochement, de même encore la notion de «verbe», ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, trouve son achèvement dans une certaine émanation et une sortie de l’intelligence ; c’est pourquoi il ajoute à la simple considération de l’intelligence quelque chose qui est semblable à la pensée.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus divinus non intelligit essentiam suam per aliquam speciem differentem essentialiter aut realiter ab ipsa essentia ; nihilominus tamen ipse intelligit essentiam suam per essentiam suam ; unde essentia se habet ut intelligens et ut intellecta et ut quo intelligitur ; et inquantum se habet ut intelligens, sic vere et proprie est ibi ratio intellectus ; et inquantum se habet ut id quod intelligitur, est ibi vere ratio intellecti ; sed inquantum se habet ut quo intelligitur, sic est ibi ratio verbi.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que l’intelligence divine ne saisit pas sont essence au moyen d’une espèce qui serait essentiellement et réellement distincte de son essence ; néanmoins cependant il comprend son essence au moyen de son essence ; de là, dans ce cas, l’essence se présente à la fois comme ce qui pose l’opération d’intellection, comme ce qui est saisi par cette opération et comme ce par quoi cette opération est posée ; et en tant que l’essence se présente comme ce qui pose l’opération, alors l’essence a vraiment et à proprement parler raison d’intelligence ; en tant qu’elle se présente comme ce qui est saisi par cette opération, elle a raison de ce qui est vu ou saisi ; mais en tant qu’elle se présente comme ce par quoi il y a intellection, alors l’essence a raison de verbe.

 

 

Articulus 2 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 tit. Utrum verbum dicatur personaliter

Article 2 – Le verbe est-il dit selon la personne ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 –

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod verbum non dicatur personaliter ; sicut enim dicit Augustinus, lib. IX de Trinit., c. X, col. 938, verbum quod insinuare intendimus, cum amore notitia est. Sed notitia dicitur essentialiter. Ergo et verbum.

 Difficultés :

1. Il semble que «Le Verbe» ne soit pas un nom personnel ; en effet, tout comme le dit Saint-Augustin [1X De la Trinité, ch. X, col. 938], le verbe que nous cherchons à faire connaître est une connaissance remplie d’amour. Mais c’est essentiellement que la connaissance se dit de Dieu. Il en est donc de même du verbe.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, omne illud quod potest intelligi non intellecta distinctione personarum, est essentiale in divinis. Sed non intellecta distinctione personarum, adhuc potest intelligi quod intellectus divinus manifestat se sibi, et manifestat se creaturae. Cum ergo verbum non addat aliquid supra rationem intellectus nisi ordinem manifestationis, videtur quod verbum sit essentiale, sicut et intelligere.

 2. Par ailleurs, tout ce qui peut être compris sans que soit comprise la distinction des personnes est essentiel en Dieu. Mais si on ne comprend pas la distinction des personnes, on peut encore comprendre que l’intelligence divine se manifeste à elle-même et qu’elle se manifeste aussi à la créature. Donc, puisque le verbe n’ajoute à la notion de l’intelligence que le rapport à sa manifestation, il semble que le verbe soit essentiel, tout comme l’acte d’intellection.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Item, verbum est terminus hujus actus qui est dicere ; nihil enim dicitur nisi verbum. Sed quaelibet persona potest dicere se, et potest dicere essentiam suam. Ergo essentia est verbum, et quaelibet persona est verbum ; et ita verbum essentialiter dicetur. Nec potest dici, quod quilibet eorum dicat se verbo Patris ; quia perfectius est dicere verbo proprio, quam alterius ; et ita, cum unaquaeque persona perfectissime se dicat, videtur quod quaelibet dicat se verbo proprio ; sed non verbo proprio quod sit ab ipsa ; quia sic essent plures personae quam tres. Ergo verbo proprio quod est ipsa.

 3. En outre, le verbe est le terme de cet acte qui consiste à dire ; il n’y a en effet que le terme qui est dit. Mais toute personne peut se dire et dire son essence. Donc l’essence est verbe et toute personne est verbe ; et ainsi, le verbe se dira essentiellement. Et on ne peut dire que chacune des personnes se dise par le verbe du Père, car il est plus parfait de se dire par son propre verbe que par le verbe d’un autre ; et ainsi, puisque chacune des personnes se dit elle-même de la manière la plus parfaite qui soit, il semble que chacune des personnes se dise par son propre verbe, mais non par un propre verbe qui viendrait d’elle-même car ainsi il y aurait plus que trois personnes. Mais plutôt par un verbe propre qui est elle-même.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Praeterea, ut dictum est, artic. antec., verbum dicit conceptionem intellectus. Sed conceptus intellectus nullus est nisi species intelligibilis formata in intellectu. Ergo in Deo non potest esse verbum nisi illud quod se habet per modum speciei, et quo intelligitur. Sed hoc est principium intelligendi, in quo aliquid intelligitur, et quo intelligitur. Ergo videtur quod si Filius diceretur tantum verbum personaliter, Filius esset principium actus intelligendi in Patre, quod supra improbatum est, in 5 distinct., ab Augustino.

 4. Par ailleurs, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, le verbe dit une conception de l’intelligence. Mais tout concept de l’intelligence n’est que l’espèce intelligible formée dans l’intelligence. Donc, en Dieu il ne peut y avoir «verbe» que ce qui se présente à la manière d’une espèce et par quoi il est compris. Mais cela est le principe d’intellection dans lequel quelque chose est compris et par quoi il est compris. Il semble donc que si le Fils était appelé verbe seulement à titre personnel, le Fils serait le principe de l’acte d’intellection chez le Père, ce qui a été rejeté par Saint-Augustin dans la distinction 5.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 5 Contra est quod Augustinus, lib. VII De Trinit., cap. II, dicit, quod eo dicitur verbum in divinis quo Filius et quo sapientia genita. Sed ista omnia dicuntur personaliter. Ergo videtur quod et verbum.

 5. Cependant, Augustin [ VII De la Trinité, ch. 11] dit le contraire en affirmant que cette personne divine est appelé «Le Verbe» pour la même raison qu’elle est appelée «Le Fils» et sagesse engendrée. Mais tous ces noms sont des noms personnels. Il semble donc que «Le Verbe» soit aussi un nom personnel.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 6 Praeterea, Augustinus, ibid., c. 1, dicit, quod quamvis sint tres qui dicant, tamen non est ibi nisi unum verbum. Ergo videtur quod verbum tantum dicatur personaliter.

 6. De plus, au même endroit (ch. 1), Saint-Augustin dit que bien qu’il y ait trois personnes qui disent, il n’y a cependant là qu’un seul «verbe». Il semble donc que «verbe» ne se dise que personnellement.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 7 Item, verbum, ut dictum est, art. antec., dicit ordinem cujusdam exitus, et conceptionem intellectus, et dicitur ad aliquid, sicut in Littera dicitur. Omnia autem haec videntur ad personas pertinere. Ergo videtur quod verbum sit personale.

 7. En outre, «verbe», ainsi que nous l’avons dit, dit dans l’article précédent, dit à la fois un rapport à une sortie ou une emanation, une conception de l’intelligence et une relation, comme on le dit dans la Lettre. Mais tous ces rapports semblent appartenir aux personnes. Il semble donc que «verbe» soit un nom personnel.

Quaestiuncula 2

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur circa hoc: si verbum dicatur personaliter, utrum solus Filius dicendus sit verbum.

Sous-question 2 – [Si on parle personnellement du verbe, est-ce que seul le Fils doit être appelé verbe ?]

 

1. Videtur quod non. Quia sicut Filius exit a Patre ut manifestans ipsum, ita et Spiritus sanctus. Ergo ratio verbi utrique aequaliter convenit.

 1. Il semble que non. Car l’Esprit-Saint, tout comme le Fils, sort du Père pour le manifester. Les deux ont donc également raison de «Verbe».

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 2 Praeterea, intellectus est quasi medium inter naturam quam sequitur, et voluntatem quam praecedit. Sed medium pertinet ad utrumque extremorum. Cum ergo verbum dicat processionem intellectus, videtur quod non magis dicatur Filius verbum, qui procedit per modum naturae, quam Spiritus sanctus, qui procedit per modum voluntatis.

 2. Par ailleurs, l’Intelligence est comme un intermédiaire entre la nature qu’elle suit et la volonté qu’elle précède. Mais l’intermédiaire appartient à chacun des deux extrêmes. Donc, puisque «le verbe» dit une procession de l’intelligence, il semble qu’il n’y ait pas de raison pour laquelle le Fils, qui procède par mode de nature, devrait davantage être appelé «verbe» que le Saint-Esprit qui procède par mode d’amour.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 3 Item, causa manifestatur per effectum. Sed intellectus divinus est causa omnium creaturarum, sicut intellectus artificis causa artificiatorum. Ergo omnes creaturae possunt dici verbum Dei.

 3. En outre, une cause est manifestée par son effet. Mais l’intelligence divine est la cause de toutes les créatures, tout comme l’intelligence de l’artisan est la cause des œuvres d’art. Donc, toutes les créatures peuvent être appelées «verbes de Dieu».

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Contra est quod dicit Augustinus, lib. XV De Trinit., cap. XVII, quod sicut in Trinitate solus Filius dicitur verbum, ita solus Spiritus sanctus dicitur donum. Ergo sicut donum non convenit Filio, ita nec verbum Spiritui sancto.

 Cependant :

1. Au contraire, Saint-Augustin [XV De la Trinité, ch. XVII] dit que tout comme dans la Trinité seul le Fils a pour nom «Le Verbe», de même seul l’Esprit-Saint a pour nom «Le Don». Donc, tout comme le nom de don ne convient pas au Fils, de même le nom de verbe ne convient pas à l’Esprit-Saint.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt diversae opiniones. Quidam enim dicunt, quod dicere de Deo dicitur tripliciter: quandoque enim dicere est idem quod intelligere, et sic est essentiale ; quandoque autem dicere idem est quod generare, et sic est notionale ; quandoque autem dicere est idem quod creare, et sic dicere connotat respectum ad creaturam, et est essentiale.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il existe différentes opinions à ce sujet. Certains en effet disent que par rapport à Dieu le terme ¨dire¨ se dit de trois manières : parfois en effet ¨dire¨ signifie la même chose que comprendre et en ce sens il est un terme essentiel ; mais parfois il signifie la même chose qu’engendrer et en ce sens il est un terme notionnel ; parfois encore ¨dire¨ est synonyme de créer et en ce sens il implique un rapport à la créature et il est un terme essentiel.

Dicunt igitur quod huic actui non respondet verbum nisi quantum ad secundum modum dicendi ; et ideo quamvis dicere dicatur essentialiter et personaliter, tamen verbum non dicitur nisi personaliter. Sed hoc non videtur verum: quia non est intelligibile quod aliquid dicatur et non sit verbum ; unde oportet quod quoties intelligere [dicitur éd. De Parme] dicere toties dicatur verbum. Alii dicunt, quod dicere nihil aliud est in universali quam manifestare intellectum suum.

 Ils disent donc que le verbe ne correspond à cet acte que selon le deuxième sens de ¨dire¨ ; et c’est pourquoi, bien que ¨dire¨ se dise essentiellement et personnellement, cependant ¨verbe¨ ne se dit que personnellement. Mais cela ne semble pas vrai car on ne voit pas pourquoi on pourrait attribuer à un être le ¨dire ¨ mais non le ¨verbe¨ ; d’où il faut que ¨verbe¨ se dise autant de fois qu’on entend [qu’on dit Éd. de Parme] dire. D’autres disent que ¨dire¨ n’est rien d’autre universellement que de manifester son intelligence.

Potest autem homo manifestare intellectum suum vel alteri, sicut verbo vocali, vel sibi ipsi, sicut verbo cordis. Ita dicunt, quod utroque modo Deus manifestat intellectum suum, scilicet condendo creaturam, quae est verbum ipsius, quasi verbum vocale [vocabile éd de Parme], et generando filium, secundum quod manifestat se apud seipsum, et hoc est idem quod verbum cordis. Unde dicunt, quod verbum dictum de Deo semper est personale. Sed hoc non videtur verum: quia si inquiratur quid sit istud verbum quo aliquis sibi loquitur, non invenitur esse nisi conceptio intellectus.

 Mais l’homme peut manifester son intelligence soit à un autre, comme par un verbe vocal, soit à soi-même comme par un verbe intérieur. Ils disent ainsi que c’est suivant ces deux manières que Dieu manifeste son Intelligence, c’est-à-dire d’une part en établissant la créature, qui est son verbe, comme par un verbe vocal [vocable Éd. de Parme] et d’autre part en engendrant son Fils, selon qu’il se manifeste à Lui-même, et cela est identique au verbe intérieur. D’où ils disent que le nom de verbe, dit de Dieu, est toujours un nom personnel. Mais cela n’est pas vrai : car si on cherche à savoir quel est ce verbe par lequel un être se parle à lui-même, on ne trouve qu’une conception de l’intelligence.

Conceptio autem intellectus est vel operatio ipsa quae est intelligere, vel species intellecta. Unde oportet quod verbum vel dicatur ipsa operatio intelligendi, vel ipsa species quae est similitudo rei intellectae ; et sine utroque istorum non potest quis intelligere: utrumque enim istorum est id quo quis intelligit formaliter.

 Mais une conception de l’intelligence est ou bien cette opération elle-même qui est l’intellection, ou bien l’espèce saisie par cette opération. C’est pourquoi ne peut être appelée ¨verbe¨ que l’opération même d’intellection ou l’espèce elle-même qui est la similitude de la chose saisie par cette intellection. Et chacune de ces conditions est nécessaire à la connaissance intellectuelle : en effet, ces deux conditions sont ce par quoi un être saisit formellement par son intelligence.

Et ideo impossibile est quod accipiendo hoc modo verbum, aliquis intelligat nisi verbo intellectus sui, quod sit vel operatio ejus, vel ratio operationis ad eam, sicut medium cognoscendi se habens, quae est species rei intellectae. Unde cum Pater intelligat se, si non esset ibi nisi verbum personale, quod est Filius, oporteret quod Pater intelligeret Filio, quasi formaliter: et hoc supra improbatum est, dist. 5, quaest. 3, art. 1.

 Et c’est pourquoi il est impossible, en prenant ¨verbe¨ en ce sens, être comprenne ou conçoive autrement que par le verbe de son intelligence qui soit ou bien son opération, ou bien la cause de l’opération qui y est ordonnée et qui est l’espèce de la chose conçue. De là, puisque le Père se saisit lui-même, s’il n’y avait pas là uniquement un verbe personnel qui est le Fils, il faudrait que le Père se saisisse comme formellement par le Fils : et cela a été rejeté plus haut [dist. 5, quest. 3, art. 1]

Et ideo dicendum est cum aliis, quod hoc nomen « verbum » ex virtute vocabuli potest personaliter et essentialiter accipi. Non enim significat tantum relationem, sicut hoc nomen « Pater », vel « Filius » sed imponitur ad significandum rem aliquam absolutam simul cum respectu, sicut hoc nomen « scientia » ; sed in hoc differt, quia relatio quae importatur hoc nomine « scientia », non est relatio originis, secundum quam referatur scientia ad illud a quo est ; sed est relatio secundum quam refertur ad illud ad quod est, scilicet ad scibile ; sed hoc nomen « verbum » importat relationem secundum quam refertur ad illud a quo est, scilicet ad dicentem.

 Et c’est pourquoi il faut dire avec d’autres que ce nom «verbe», de par la seule puissance du terme, peut être pris personnellement et essentiellement. En effet, il ne signifie pas seulement la relation comme le terme «Père» ou le terme «Fils» mais il est imposé pour signifier quelque chose d’absolu avec une relation, tout comme ce nom «science» ; mais il y a différence en ceci que la relation qui est impliquée par ce nom «science» n’est pas une relation d’origine selon laquelle la science se rapporterait à ce par quoi elle existe ; mais elle est une relation selon laquelle elle se rapporte à ce à quoi elle est ordonnée, à savoir à l’objet connaissable ; mais ce nom ¨verbe¨ implique une relation selon laquelle il se rapporte à celui d’où il vient, à savoir à celui qui dit.

Hujusmodi autem relationes in divinis contingit esse dupliciter: quaedam enim sunt reales, quae requirunt distinctionem realem, sicut paternitas et filiatio, quia nulla res potest esse pater et filius sibi ipsi [sibi ipsi om. Éd ; de Parme] respectu ejusdem ; quaedam autem sunt relationes rationis tantum, quae non requirunt distinctionem realem, sed rationis, sicut relatio quae importatur in hoc nomine « operatio ».

 Mais les relations de cette sorte en Dieu peuvent exister de deux manières : certaines en effet sont réelles et exigent une distinction réelle, comme la paternité et la filiation, car aucune réalité ne peut être père ou fils de soi-même [de soi-même om. Éd. de Parme] sous le même rapport ; mais d’autres sont des relations de raison seulement qui n’exigent pas une distinction réelle, mais seulement une distinction de raison, tout comme la relation qui est impliquée dans le nom «opération».

Habet enim operatio respectum implicitum ad operatorem a quo est: nec in divinis differunt operans et operatio, nisi ratione tantum. Si igitur relatio importata hoc nomine verbum, sit relatio rationis tantum, sic nihil prohibet quin essentialiter dicatur, et videtur sufficere ad rationem verbi, secundum quod a nobis in Deum transumitur ; quia in nobis, ut dictum est, art. praec., nihil aliud est verbum nisi species intellecta, vel forte ipsa operatio intelligentis: et neutrum eorum realiter distinguitur ab essentia divina.

 L’opération en effet implique un rapport implicite à l’opérateur d’où elle vient: et en Dieu il n’y a qu’une difference de raison seulement entre celui qui opère et son operation. Si donc la relation impliquée par le nom de verbe est seulement une relation de raison, alors rien n’empêche qu’il se dise essentiellement, et cela semble suffire à la définition du verbe  selon qu’elle passe de nous à Dieu; car en nous, ainsi que nous l’avons dit dans l’article precedent, le verbe n’est rien d’autre que l’espèce conçue ou peut-être l’opération même de celui qui conçoit.: et aucun d’elles ne se distingue réellement de l’essence divine.

Si autem importet relationem realem distinctionem exigentem, oportet quod personaliter dicatur, quia non est distinctio realis in divinis nisi personarum. Et est simile de amore, qui secundum eamdem distinctionem essentialiter et personaliter dicitur, ut supra dictum est, dist. 18, quaest. 1, art. 1.

 Mais si le nom ¨verbe¨ implique une relation exigeant une distinction réelle, il faut qu’il se dise personnellement car en Dieu il n’y a de distinction réelle que celle qui se rapporte aux personnes. Et il en est de même pour le nom ¨amour¨ qui d’après la même distinction se dit essentiellement et personnellement, comme nous l’avons dit plus haut [ dist. 18, quest. 1, art. 1]

Cum enim verbum sit similitudo ipsius rei intellectae, prout est concepta in intellectu, et ordinata ad manifestationem, vel ad se, vel ad alterum ; ista species in divinis potest accipi dupliciter: vel secundum quod dicit id quo aliquid formaliter in divinis intelligitur ; et sic, cum ipsa essentia per se intelligatur et manifestetur, ipsa essentia erit verbum ; et sic verbum et intellectus et res cujus est verbum, non differunt nisi secundum rationem, sicut in divinis differunt quo intelligitur et quod intelligitur et quod intelligit ; vel secundum quod species intellecta nominat aliquid distinctum realiter ab eo cujus similitudinem gerit ; et sic verbum dicitur personaliter, et convenit Filio, in quo manifestatur Pater, sicut principium manifestatur in eo quod est a principio per modum intellectus procedens.

En effet, puisque le verbe est une similitude de la chose saisie elle-même selon qu’elle est conçue dans l’intelligence et que cette similitude est ordonnée à une manifestation soit à soi-même soit à un autre, cette espèce peut se prendre de deux manières par rapport à Dieu : soit premièrement selon qu’elle signifie ce par quoi quelque chose est formellement conçu en Dieu ; et ainsi, puisque l’essence se conçoit et se manifeste par elle-même, l’essence elle-même sera verbe ; et ainsi le verbe, l’intelligence et la chose dont il est le verbe ne diffèrent que selon la raison tout comme en Dieu ne diffèrent que par la raison ce par quoi il y a conception, ce qui est conçu et ce qui conçoit ; soit deuxièmement selon que l’espèce conçue signifie quelque chose de réellement distint de celui dont elle produit une similitude, et ainsi le verbe se dit personnellement et convient au Fils dans lequel le Père est manifesté, tout comme le principe est manifesté dans celui qui vient du principe à la manière de ce qui procède d’une intelligence.

Sed tamen in usu sanctorum et communiter loquentium est quod hoc nomen verbum relationem realiter distinguentem importat, ut dicit Augustinus, VII De Trinit.,cap. II, col. 936, quod verbum idem est quod sapientia genita ; et ideo ista quaestio parum valet, quia non est de re, sed de vocis significatione, quae est ad placitum ; unde in ea plurimum valet usus, quia nominibus utendum est ut plures, secundum philosophum, lib. II, Top., cap. II ; de rebus autem judicandum secundum sapientes. Cum enim de rebus constat, frustra in verbis habetur controversia, ut dicit Magister, Lib. 3 [Lib. 2 éd de Parme], dist. 14. Sed tamen ea quae in divinis dicuntur, non sunt extendenda nisi quantum sacra Scriptura eis utitur.

 Il est cependant dans l’usage commun des saints et des prophètes que le nom ¨verbe¨ implique une relation qui distingue réellement, comme Saint-Augustin [ VII De la Trinité, ch. 11, col. 936] qui dit que le verbe est identique à la sagesse engendrée ; et c’est pourquoi cette question est de peu d’importance parce qu’elle ne porte pas sur la chose, mais sur la signification des mots qui relève du bon vouloir ; et c’est pourquoi dans ce domaine l’usage du grand nombre est important car d’après le Philosophe [ 11 Topiques, ch. 11] il faut user des noms à la manière du grand nombre, mais il faut juger des choses d’après ce qu’en disent les sages. En effet, puisqu’on s’arrête aux choses, c’est en vain que la discussion s’établira sur les mots, ainsi que le dit le Maître à la distinction 14 du libre 3 [livre 2 Éd. de Parme]. Cependant, en ce qui concerne la signification des mots qu’on pourra dire au sujet de Dieu, il ne faut pas s’aventurer au-delà de l’usage qu’en font les Saintes Écritures.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod notitia non dicit totam rationem verbi: quia notitia et sapientia dicuntur per modum quiescentis et manentis in eo cujus sunt ; et ideo nunquam dicuntur nisi essentialiter, quamvis possint esse appropriata:

sed verbum dicit quamdam emanationem intellectus, et exitum in manifestationem sui ; et ideo, quia exitus iste potest intelligi vel secundum rem distinctam, prout Filius exit a Patre, vel secundum rationem tantum, prout intelligere est ab intellectu divino ; ideo verbum quandoque essentialiter et quandoque personaliter dicitur, sicut et amor.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la connaissance ne dit pas toute la définition du verve : car la connaissance et la sagesse signifie à la manière de ce qui repose et demeure dans celui à qui elles appartiennent ; et c’est pourquoi elles ne signifient que l’essence bien qu’elles puissent être appropriées.

Mais le verbe dit une émanation et une sortie de l’intelligence pour la manifester ; et c’est pourquoi, parce que cette sortie peut s’entendre soit comme une réalité distincte, comme le Fils sort du Père, soit selon la raison seulement, comme l’intellection qui vient de l’intelligence divine, c’est pourquoi le verbe, tout comme l’amour, se dit parfois essentiellement, parfois personnellement.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non intellecta distinctione personarum, adhuc intellectus divinus potest manifestare seipsum et ad se et ad alterum. Ad alterum, sicut creando creaturam, vel inspirando cognitionem sui creaturae. Ad seipsum, per modum quo aliquis convertitur supra id quod intellexit, ut manifestum fiat utrum verum sit vel non quod intellectu percipit ; hoc enim proprie est loqui in corde. Propter quod habet aliquid simile cogitationis [cognitioni éd. De Parme] ; non tamen esset ibi manifestatio principii in aliquo realiter distincto et existente per modum intellectus in eadem natura, non intellecta distinctione personarum.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que même si la distinction des personnes n’est pas comprise, l’intellect divin peut encore se manifester à lui-même et à un autre. À un autre, comme lorsqu’elle crée la créature ou qu’elle inspire une connaissance  à sa créature ; à lui-même, à la manière par laquelle quelqu’un se retourne sur ce qu’il a compris pour que devienne manifeste la vérité ou la fausseté de ce qu’il a perçu par son intelligence : et c’est en cela que consiste à proprement parler le langage intérieur. Pour cette raison le langage intérieur a quelque chose de semblable à la pensée [à la connaissance Éd. de Parme] ; cependant, si la distinction des personnes n’était pas comprise, il n’y aurait pas là manifestation du principe dans un être réellement distinct et existant à la manière d’une intelligence dans une même nature.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Tertium conceditur.

 3. Nous concédons la troisième difficulté.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod nullo modo est concedendum quod Pater intelligat a Filio, vel quod intelligat in Filio, sicut in objecto vel specie qua cognoscitur: quia hoc poneret Filium habere aliquam rationem principii ad Patrem. Sed tamen concedendum est quod Pater intelligit in Filio et seipsum et alia, inquantum videt Filium esse similitudinem suam et omnium aliorum, sicut principium videtur in eo cujus est principium, quamvis et in seipso videatur. Possum enim videre hominem in imagine sua, quamvis ipsum etiam per se videam. Ita quamvis Pater seipsum videat in se et omnia alia, tamen omnia potest videre in Filio, et seipsum, sicut et seipsum in creatura videre potest, inquantum ipsum creatura repraesentat, quamvis imperfecte.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il ne faut concéder en aucune manière que le Père conçoit par le Fils ou qu’il conçoit dans le Fils comme dans l’objet ou dans l’espèce par laquelle il est connu: cela reviendrait à poser que le Fils, d’une certaine manière, a raison de principe à l’égard du Père. Il faut cependant concéder que le Père, dans le Fils, se conçoit Lui-même et conçoit tous les autres êtres, selon qu’il voit dans le Fils une resemblance de Lui-même et de tous les autres êtres, tout comme un principe est vu dans ce dont il est le principe, bien qu’il se voit aussi en Lui-même. Je peux en effet voir un homme par son image, bien que je le voie aussi par lui-même. De même, bien que le Père voit en Lui à la fois Lui-même et tout le reste, cependant il peut voir dans le Fils à la fois Lui-même et tout le reste, tout comme il peut aussi se voir dans la créature, pour autant que cette dernière le représente, bien qu’imparfaitement.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 5 Ad quintum quod in contrarium objicitur, dicendum, quod Augustinus accipit verbum prout dicit realem exitum et distinctionem a dicente, et non secundum quod ad rationem verbi sufficit distinctio rationis ; et ideo accipit verbum tantum personaliter.

 5. Il faut dire en cinquième lieu, par rapport à ce qui a été présenté comme difficulté contraire, que Saint-Augustin prend ici le verbe en tant qu’il signifie une sortie et une distinction réelle par rapport à celui qui dit et non en tant qu’une distinction de raison suffit à la definition du verbe; et c’est pourquoi il prend le verbe uniquement en tant que nom personnel.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod in divinis non est nisi tantum unum verbum ; et tamen est ibi verbum personale et essentiale, quia persona non distinguitur ab essentia ; unde nec excluditur per dictionem exclusivam.

 6. Il faut dire en sixième lieu qu’en Dieu il n’y a qu’un seul verbe ; et cependant il y a là un verbe personnel et essentiel car la personne ne se distingue pas de l’essence ; c’est pourquoi elle n’en est pas exclue par un terme exclusif.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod omnia illa quae dicuntur, possunt accipi realiter vel secundum rationem ; et utrumque sufficit ad rationem verbi ; et ideo potest dici essentialiter et personaliter.

 7. Il faut dire en septième lieu que tous ces termes peuvent être pris soit réellement, soit selon la raison ; et chacun des deux suffit à la définition du verbe ; et c’est pourquoi le verbe peut se dire soit essentiellement, soit personnellement.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod si verbum personaliter sumatur, soli Filio convenit, et non Spiritui sancto ; quia Spiritus sanctus procedit per modum voluntatis ; et ideo proprie dicitur amor et donum ; sed procedere per modum naturae vel intellectus convenit filio ; et ideo ipse proprie et genitus et verbum dicitur.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que si le verbe se prend comme un nom personnel, il convient seulement au Fils et non à l’Esprit-Saint ; car l’Esprit-Saint procède par mode de volonté et c’est pourquoi on dit proprement de Lui qu’Il est amour et don ; mais procéder par mode de nature ou d’intelligence ne convient qu’au Fils et c’est pourquoi on dit proprement de Lui qu’il est engendré et qu’il est verbe.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 1 Ad primum ergo quod objicitur, dicendum, quod ad rationem verbi non solum exigitur esse manifestativum: quia sic cujuslibet causae esset verbum suus effectus, quod non potest dici nisi metaphorice ; sed oportet quod in illo verbo intelligatur processio intellectus, et hoc non convenit Spiritui sancto.

 Solutions :

1. Par rapport à ce qui a été objecté en premier lieu il faut dire que pour la définition du verbe il ne suffit pas de dire qu’il manifeste car alors tout effet précédant d’une cause serait son verbe, ce qui ne peut être dit que par métaphore ; mais il faut en plus que dans ce verbe on entende une procession de l’intelligence et cela ne convient pas à l’Esprit-Saint.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Spiritus sanctus procedit a duobus ; et ideo sua processio est per modum conformitatis amoris, quae est ex unione voluntatis in volentibus ; et propter hoc procedit tantum per modum voluntatis. Sed tam processio intellectus quam processio naturae, est ab uno tantum ; non autem ab uno secundum quod unitur alteri, si sit perfectum agens sicut est agens divinum ; et ideo uterque modus processionis convenit illi personae quae solum ab uno est.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’Esprit-Saint procède de deux principes ; et c’est pourquoi sa procession a lieu par mode de la conformité de l’amour qui vient de l’union  des volontés de ceux qui veulent ; et c’est pour cette raison que l’Esprit-Saint procède seulement par mode de volonté. Mais aussi bien la procession de l’intelligence que la procession de la nature viennent d’un seul principe et non pas d’un seul principe  selon qu’il est uni à un autre s’il existe un agent parfait comme c’est le cas pour l’agent divin ; et c’est pourquoi ces deux modes de procession conviennent à cette personne qui vient d’un seul principe.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod creatura non potest dici proprie verbum, sed magis vox verbi ; sicut enim vox manifestat verbum, ita et creatura manifestat divinam artem ; et ideo dicunt sancti, quod uno verbo Deus dixit omnem creaturam ; unde creaturae sunt quasi voces exprimentes unum verbum divinum ; unde dicit Augustinus, lib. III De lib. Arbitrio c. XXVIII: « Omnia clamant: Deus fecit » Sed hoc non dicitur nisi metaphorice.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la créature ne peut être appelée au sens propre ¨verbe¨ mais plutôt ¨mot du verbe¨ ; en effet, tout comme le mot manifeste le verbe, de même la créature manifeste l’art divin ; et c’est pourquoi les saints disent que c’est par un seul verbe que Dieu a dit toutes les créatures ; de là les créatures sont comme des mots différents qui expriment un seul et même verbe divin ; c’est pourquoi Saint-Augustin [111 Du Libre Arbitre, ch. XXVIII] dit : «Toutes les créatures crient : Dieu nous a faites». Mais cela ne se dit que par métaphore.

 

 

Articulus 3 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 tit. Utrum verbum dicat semper respectum ad creaturam

Article 3 – Le verbe dit-il toujours le rapport à la créature ?

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod verbum semper respectum dicat ad creaturam. Sicut enim dicit Augustinus, I Super Genes. Ad litt., c. II: Dixit et facta sunt, idest: verbum genuit, in quo erat ut fieret creatura. Sed per hoc ponitur respectus ad creaturam. Ergo videtur quod verbum dicat respectum ad creaturam.

Difficultés:                   

1. Il semble que le verbe dise toujours un rapport à la créature. En effet, comme le dit Saint-Augustin [1 Lettre sur la Genèse, ch. 11]: Il a dit, et toute chose a été faite; c’est-à-dire: Il a engendré le Verbe, dans lequel étaient les créatures à venir. Mais en disant cela, il pose un rapport à la créature. Il semble donc que le verbe dise un rapport à la créature.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, Augustinus in principio Joan. dicit, quod verbum est operativa potentia Patris. Sed operativa potentia dicitur per respectum ad creaturam. Ergo et verbum.

 2. Par ailleurs, au début de l’Évangile de Jean, Saint-Augustin dit que le verbe est la puissance d’opération du Père. Mais la puissance d’opération se dit par rapport à la créature. Il en est donc de même pour le verbe.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 3 Item, Anselmus, Monol., cap. XXXIII et XXXIV, col. 187, dicit, quod Deus dicendo se, dixit omnem creaturam. Sed dicendo genuit verbum sibi aequale. Ergo videtur quod verbum quod genitum est a Patre, ponat respectum ad creaturam, secundum quod per verbum creaturae dicuntur a Deo.

 3. En outre, Saint-Anselme [Monologues, ch. XXXIII et XXXIV, col. 187] dit que Dieu, en se disant, dit toute créature. Mais en se disant il engendre un verbe égal à Lui-même. Il semble donc que le verbe qui est engendré par le Père pose un rapport à la créature selon que c’est au moyen du verbe que Dieu dit les créatures.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, artificiata non cognoscuntur ab artifice nisi secundum quod convertitur ad formam artis quam apud se habet. Ergo idem est artifici converti ad artem suam et ad artificiata, et intelligere utrumque. Sed verbum est ars omnium eorum quae a summo artifice condita sunt. Ergo videtur quod nunquam fiat conversio intellectus paterni ad artificiata, nisi per hoc quod ad verbum convertitur ; et e converso quandocumque convertitur ad verbum, ad artificiata convertitur. Ergo videtur quod verbum semper accipiendum sit cum respectu ad creaturam.

 4. Par ailleurs, les oeuvres d’art ne sont connues de l’artisan que selon qu’il se tourney vers la forme de l’art qu’il possède en lui. C’est donc la même chose pour l’artisan de se tourner vers son art et vers les oeuvres d’art et de comprendre les deux. Mais le verbe est l’art de toutes les choses qui ont été créées par l’artisans supreme. Il semble donc que l’intelligence du Père ne se tourne vers ses oeuvres que du fait qu’il se tourne vers son verbe et inversement à chaque fois qu’il se tourne vers son verbe il se tourne vers ses oeuvres. Il semble donc que le verbe doive toujours se prendre par rapport à la créature.

Super Sent., lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 5 Contra, nihil quod dicit respectum ad creaturam, convenit Deo ab aeterno, ut dominus et hujusmodi. Sed verbum convenit Deo ab aeterno, quia in principio erat verbum, Joan. 1, 1. Ergo verbum non dicit respectum ad creaturam.

 5. Au contraire, rien de ce qui se dit par rapport à la créature, comme ¨seigneur¨ et les termes de cette sorte, ne convient à Dieu de toute éternité. Mais le Verbe convient à Dieu de toute éternité, car l’Évangile [Jean, 1, 1] nous dit: ¨Au commencement était le Verbe¨. Le Verbe ne dit donc pas un rapport à la créature.

 lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 arg. 6 Praeterea, omne nomen connotans effectum in creatura, significat divinam essentiam. Sed verbum est personale, ad minus quandoque. Ergo videtur quod verbum non dicat respectum ad creaturam.

 6. De plus, tout nom qui renvoie un effet dans la créature signifie l’essence divine. Mais le Verbe, au moins dans certains cas, est un nom personnel. Il semble donc que le Verbe ne dise pas un rapport à la créature.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod verbum non semper dicitur secundum respectum ad creaturam ; sed quandoque cum respectu, et quandoque sine respectu ; et hoc sic patet. Verbum enim sive dicatur personaliter, sive essentialiter, est species concepta, in qua est similitudo ejus quod dicitur, et dicentis, quando aliquis seipsum dicit. Constat autem quod divina essentia, sive Pater, praehabet in se similitudinem omnis creaturae, sicut exemplar. Unde illud quod significatur ut species vel similitudo Patris aut essentiae divinae, si perfecta similitudo sit, continebit in se similitudinem omnium rerum.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le verve ne se dit pas toujours dans un rapport à la créature ; mais il se dit parfois avec et parfois sans ce rapport ; et voici comment on peut le voir. Le verbe en effet, qu’il se dise personnellement ou essentiellement, est une espèce conçue dans laquelle il y a une similitude entre ce qui est dit et celui qui dit, quand quelqu’un se dit lui-même. Mais il est clair que l’essence divine, soit le Père, possède à l’avance en elle, à titre de modèle, la similitude de toute créature. De là, ce qui est signifié comme espèce ou similitude du Père ou de l’essence divine, si elle est une similitude parfaite, contiendra en elle la similitude de toutes les choses.

Sed quamvis aliquid sit species vel similitudo alterius, non tamen oportet quod semper quandocumque convertitur in speciem, convertatur in illud cujus est species vel similitudo ; quia in speciem vel in imaginem contingit fieri conversionem dupliciter:

vel secundum quod est species talis rei, et tunc est eadem conversio in rem et speciem rei ; vel in speciem secundum quod est res quaedam ; et sic non oportet quod eadem conversione convertatur quis per intellectum in speciem rei et in rem ; sicut quando aliquis considerat imaginem inquantum est corpus lapideum, et inquantum est similitudo Socratis vel Platonis.

Mais bien qu’une chose soit l’espèce ou la similitude d’une autre, il n’est cependant pas nécessaire qu’à toutes les fois qu’elle est convertie en une espèce, qu’elle soit  toujours convertie en ce dont elle est l’espèce ou la similitude, car il est possible de tourner son regard sur l’espèce ou l’image de deux manières :

Soit selon qu’elle est l’espèce de telle chose et alors se tourner vers la chose est identique à se tourner vers l’espèce de la chose.

Soit on se tourne vers l’espèce selon qu’elle est une certaine chose et ainsi il n’est pas nécessaire que ce soit par le même regard que quelqu’un se tourne par l’intelligence vers l’espèce de la chose et vers la chose, comme c’est le cas lorsque quelqu’un considère une image en tant qu’elle est un corps de pierre et en tant qu’elle est la similitude de Socrate ou de Platon.

Dico igitur, quod cum ipse Deus sit similitudo et species omnium rerum, duplex conversio intellectus potest fieri in ipsum ; vel absolute secundum quod est res quaedam ; vel inquantum est similitudo omnium rerum ; et utroque modo seipsum Deus cognoscit, et supra se convertitur ; quamvis non diversa, sed una operatione. Unde si verbum accipiatur prout consequitur intuitum intellectus divini, secundum quod absolute seipsum intuetur, sic verbum absolute dicitur in divinis sine respectu ad creaturam, sive essentialiter sive personaliter dicatur.

 Je dis donc que puisque Dieu est la similitude et l’espèce de toutes les choses, il est possible que l’intelligence se tourne vers lui de deux manières : soit absolument, en tant qu’il est une certaine réalité ; soit en tant qu’il est la similitude de toutes les choses ; et des deux manières Dieu se connaît lui-même et se tourne sur lui-même, bien qu’il ne le fasse par par différentes opérations, mais par une seule et même opération. De là, si le verbe se prend suivant le regard de l’intelligence divine, selon qu’il se considère absolument lui-même, alors le verbe se dit absolument en Dieu sans rapport à la créature, qu’il se dise essentiellement ou personnellement.

Si autem verbum consequatur intuitum intellectus divini prout convertitur supra se, inquantum est similitudo omnium rerum et exemplar ; tunc etiam in verbo accipitur respectus ad creaturam ut est respectus artis ad artificiata ; et sic proprie verbo competit nomen artis. Si tamen verbum accipiatur secundum ordinem manifestationis ad alterum, sic semper dicit respectum ad creaturam ; quia talis manifestatio divini intellectus est per eductionem creaturarum.

 Mais si le verbe suit le regard de l’intelligence divine  selon qu’elle se tourne sur elle-même en tant qu’elle est la similitude de toutes les choses et leur modèle, alors on entend aussi dans le verbe un rapport à la créature comparable au rapport de l’art à l’oeuvre d’art; et c’est ainsi qu’au verbe convient proprement le nom d’art. Si cependant le verbe s’entend d’après un rapport de manifestation à un autre, alors le verbe dit toujours un rapport à la créature, car une telle manifestation de l’intelligence divine se réalise au moyen de la procession des créatures.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis in verbo sit unde fiat omnis creatura, nihilominus tamen consideratio verbi et ejus cujus est verbum non dependet a consideratione creaturae ; et ideo verbum non de necessitate dicit respectum ad creaturam.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que le verbe soit le principe d’où procède toute créature, néanmoins cependant la consideration du verve et de ce dont il est le verbe ne depend pas de la considération de la créature; et c’est pourquoi le verbe ne dit pas nécessairement un rapport à la créature.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum dicitur potentia operativa Patris per modum artis ; unde inquantum significatur ut ars, significatur per respectum ad creaturam. Sed non de necessitate sic intelligitur quando significatur ut verbum, sicut patet de Spiritu sancto, qui ipse est amor quo Pater diligit Filium ; et iste amor est ratio amoris quem in creaturam habet, quae in sui similitudinem dilectionis adducit ; et inquantum est amor absolute significatur nomine amoris, non connotando aliquem respectum ad creaturam ; sed inquantum est ratio eorum quae liberaliter creaturae conferuntur, significatur nomine doni, quod respectum ad creaturam importat. Sic est de nomine verbi et nomine artis ; quia verbum potest absolute dici ; sed ars dicit respectum ad artificiata.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que le verbe dit la puissance d’opération du Père par mode d’art ; de là, en tant qu’il et signifié comme art, il est signifié par rapport à la créature. Mais ce n’est pas nécessairement de cette manière qu’il est entendu quant il est signifié comme verbe, tout comme on le voit au sujet de l’Esprit-Saint qui est lui-même l’amour par lequel le Père aime le Fils ; et cet amour est la cause de l’amour qu’il porte à la créature qui conduit à la ressemblance de son amour ; et en tant qu’il est l’amour signifié absolument par le nom d’amour, il ne signifie pas à un rapport à la créature ; mais en tant qu’il est la cause des perfections qui sont libéralement données à la créature, il est signifié par le nom de don qui implique un rapport à la créature. Et il en est de même pour le nom de verbe et le nom d’art : car le verbe peut se dire absolument mais le nom d’art dit un rapport à l’œuvre d’art.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod uno et eodem verbo Pater dixit se et omnem creaturam ; tamen diversa est consideratio verbi secundum quod per illud dicitur Pater et creaturae. Deo [ om. Éd. De Parme] non enim deest cognitio absoluta sui ipsius, nec etiam cognitio absoluta creaturarum, nec etiam cognitio comparata, secundum quod cognoscit se esse causam illorum ; quamvis istae tres cognitiones non differant realiter in ipso, sed ratione tantum ; et ideo non exigitur ad intellectum verbi, secundum quod eo intelligitur Pater dixisse seipsum, respectus ad creaturam ; sed secundum quod eo intelligitur creaturas dixisse ; et ideo verbum absolute et cum respectu ad creaturam intelligitur.

 3. Il faut dire en troisième lieu que c’est par un seul et même verbe que le Père se dit lui-même et dit toute créature ; mais la considération du verbe diffère selon qu’il dit le Père ou qu’il dit la créature. À Dieu [om. Éd. de Parme] en effet ne manque pas la connaissance absolue de lui-même ni non plus la connaissance absolue des créatures, ni même la connaissance du rapport entre les deux, selon qu’il sait qu’il est la cause de ces dernières, bien que ces trois connaissances ne diffèrent pas réellement en Lui mais seulement selon la raison. Et c’est pourquoi le rapport à la créature n’est pas nécessaire à l’intelligence du verbe, selon qu’on entend par là que Dieu se dit lui-même ; mais seulement si on entend par là que Dieu dit les créatures. Et c’est pourquoi le verbe peut s’entendre absolument et avec un rapport à la créature.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod artifex potest converti ad speciem artis quae apud ipsum est, tripliciter. Vel secundum quod est similitudo rei per ipsum fiendae ; et sic absolute convertitur in rem artificiatam, nullam considerationem habens de arte sua.

Vel in ipsam speciem artis, secundum esse quod habet in anima ejus ; et sic est consideratio absoluta ipsius speciei, inquantum est res quaedam ; nec aliquid tunc de re artificiata considerat.

Vel comparando unum ad alterum, dum considerat illam speciem quae apud se est, esse causam eorum quae ab ipso fiunt. Et ita etiam est de intellectu divino, secundum quod convertitur supra seipsum, vel inquantum est res quaedam, vel prout est similitudo rerum tantum, vel prout illa res quae est similitudo est causa eorum quae sibi assimilat ; quamvis istae cognitiones in Deo simul sint, et realiter non differant.

 4. En quatrième lieu il faut dire que l’artisan peut se tourner de trois manières vers l’espèce de l’art qui est en lui.

Soit selon qu’elle est une similitude de la chose à devenir par elle ; et ainsi elle se convertit absolument en la chose artificielle, sans aucune considération pour son art.

Soit il considère l’espèce de l’art selon l’existence qu’elle possède dans son âme ; et de cette manière il considère l’espèce elle-même prise absolument en tant qu’elle est une certaine réalité et alors il ne considère rien au sujet de la chose artificielle.

Ou bien encore il la considère dans le rapport de l’une à l’autre, alors qu’il considère que l’espèce qui est en lui est la cause des choses produites par elle. Et il en est encore de même pour l’intelligence divine selon qu’elle se tourne sur elle-même, soit en tant qu’elle est une certaine réalité, soit en tant qu’elle est une similitude des choses seulement, soit en tant que cette réalité qui est une similitude est la cause des créatures qu’elle s’assimile, bien que ces connaissances en Dieu soient simultanées et qu’elle ne diffèrent pas réellement.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod verbum non dicit respectum ad creaturam in actu, sed quasi in habitu, sicut donum ; et ideo utrumque aeternum est.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que le verbe ne dit pas un rapport actuel à la créature, mais plutôt comme un rapport habituel, comme le don. Et c’est pourquoi l’un et l’autre sont éternels.

lib. 1 d. 27 q. 2 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod omnis effectus creaturae est communis totius Trinitatis. Unde quidquid dicit respectum ad creaturam, ducit in cognitionem essentiae, sicut in effectu suo causa cognoscitur. Sed quia non tantum essentia habet ordinem ad creaturam, sed etiam processio personalis, quae est ratio processionis creaturarum ; ideo potest etiam aliquid personale cum respectu ad creaturam significari ; et tunc tale nomen principii significabit personam principaliter, sed ex consequenti ducet in intellectum essentiae ; et sic est in nomine verbi et in nomine doni.

 6. Il faut dire en sixième lieu que tout effet en rapport avec la créature est commun à toute la Trinité. C’est pourquoi tout ce qui dit un rapport à la créature conduit à la connaissance de l’essence, tout comme c’est dans son effet que la cause est connue. Mais parce que ce n’est pas seulement l’essence qui implique un rapport à la créature, mais aussi la procession personnelle qui est la cause de la procession des créatures, c’est pourquoi quelque chose de personnel peut aussi être signifié avec un rapport à la créature; et alors ce nom de principe signifiera principalement la personne mais conduira par la suite à l’intelligence de l’essence; et il en est ainsi pour le nom de verbe et le nom de don.

 

 

Distinctio 28

Distinction 28 – [L’innascibilité et l’image]

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’innascibilité]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

 

   

Hic est duplex quaestio.

Primo de innascibilitate.

Secundo de imagine.

Circa primum duo quaeruntur:

1 utrum innascibilitas sit notio vel proprietas Patris ;

2 utrum sit personalis proprietas ejus. Utrum autem innascibilitas vel ingenitus conveniat Spiritui sancto, habitum est supra, 13 dist., quaest. 1, art. 1.

 Cet examen porte sur deux points.

Premièrement sur l’innascibilité.

Deuxièmement sur l’image.

Par rapport au premier point on pose deux interrogations :

1. Est-ce que l’innascibilité est une notion ou une propriété du Père ?

2. Est-ce qu’elle est sa propriété personnelle ? Mais nous avons établi plus haut [dist. 13, quest. 1, art. 1] s’il convient à l’Esprit-Saint d’être innascible ou inengendré.

 

 

 

 

 

Articulus 1 : Utrum innascibilitas sit proprietas Patris

Article 1 – L’innascibilité est-elle la propriété du Père ?

[2079] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod innascibilitas non sit notio vel proprietas Patris. Ut enim in Littera habetur, cum Pater ingenitus dicitur, non quid sit, sed quid non sit, ostenditur. Sed negatio non potest esse sufficiens principium notificandi aliquid. Ergo cum notio dicatur illud quod est principium cognoscendi personam, videtur quod ingenitum non dicat aliquam notionem Patris.

Difficultés :

1. Il semble que l’innascibilité ne soit pas une notion ou une proprité du Père. En effet, comme nous l’avons établi dans la Lettre, lorsqu’on dit du Père qu’il est inengendré, on ne montre pas ce qu’il est mais plutôt ce qu’il n’est pas. Mais une négation ne peut être un principe qui suffit à faire connaître quelque chose. Donc, puisque la notion signifie ce qui est le principe qui fait connaître la personne, il semble que le terme ¨inengendré¨ ne signifie pas une notion du Père.

[2080] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, si ingenitum sit proprietas Patris ; aut hoc erit secundum quod intelligitur negative, aut secundum quod intelligitur privative. Sed non secundum quod intelligitur negative ; quia sic convenit ei quod non generatur ; et sic convenit essentiae et Spiritui sancto. Similiter nec secundum quod privative ; quia privatio semper ponit imperfectionem in eo cujus est, cum privatio sit ejus quod natum est haberi et non habetur. Ergo videtur quod ingenitus nullo modo sit notio vel proprietas Patris.

 2. Par ailleurs, si inengendré était une propriété du Père, cela sera selon qu’on l’entend ou bien comme une négation ou bien comme une privation. Mais cela ne peut s’entendre comme une négation car alors cela conviendrait à tout ce qui n’est pas engendré, par exemple à l’essence et à l’Esprit-Saint. De même cela ne peut s’entendre non plus comme une privation car la privation pose toujours une imperfection dans le sujet dans lequel elle se trouve puisque la privation se rapporte à ce qu’il est naturel de posséder et qui n’est pas possédé. Il semble donc que ¨inengendré¨ n’est en aucune manière une notion ou une propriété du Père.

[2081] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, cum personae divinae non distinguantur nisi per relationes, nihil potest esse proprietas vel notio divinae personae, quod non est in genere relationis. Sed ingenitus non est in genere relationis. Ergo non est notio personae divinae. Probatio mediae. Sicut se habet inferius ad superius, ita se habet negatio superioris ad negationem inferioris, et e contra. Quanto enim homo est in paucioribus quam animal, tanto magis negatio animalis de paucioribus praedicatur quam negatio hominis. Sed generatio prout significat relationem, est minus commune quam relatio. Ergo negatio generationis est plus commune quam non relatio, et ita praedicatur de illa ; et salvatur cum ea, sicut commune cum proprio. Sed quidquid salvatur cum opposito generis, non est contentum sub genere. Ergo ingenitus cum salvetur cum eo quod est non relatio, non est in genere relationis.

 3. Par ailleurs, puisque les personnes divines ne se distinguent que par les relations, rien ne peut être une notion ou une propriété d’une personne divine sans être dans le genre de la relation. Mais ¨inengendré¨ n’est pas dans le genre de la relation. Ce terme ne signifie donc pas une notion d’une personne divine.

Preuve de la mineure. En effet, ce que la négation du supérieur est à la négation de l’inférieur, l’inférieur l’est au supérieur, et inversement. En effet, la négation de l’animal s’attribue d’autant plus à plus petit nombre, comparativement à la négation de l’homme que l’homme, comparativement à l’animal, se retrouve dans un plus petit nombre. Mais la génération, selon qu’elle signifie la relation, est moins commune que la relation. Donc la négation de la génération est plus commune que la non-relation et ainsi elle s’attribue à elle et elle est convervée avec elle, tout comme le commun est conservé avec le propre. Mais tout ce qui est conservé avec ce qui est opposé au genre n’est pas contenu dans ce genre. Donc, puisque ¨inengendré est conservé avec ce qui est du non-relatif n’est pas dans le genre de la relation.

[2082] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, ingenitum convenit Patri, secundum quod est principium. Sed ipse non est principium solum per generationem, sed etiam per spirationem. Ergo videtur quod non debeat notificari per negationem generationis, sed per negationem processionis, quae est commune ad utrumque, ut dicatur improcessibilis ; vel secundum specialem rationem utriusque processionis, ut sicut dicitur ingenitus, ita dicatur inspirabilis.

 4. En outre, ¨inengendré¨ convient au Père selon qu’il est principe. Mais Lui-même n’est pas principe uniquement par generation mais aussi par spiration. Il semble donc qu’il ne doive pas être notifié par la négation de la génération, mais plutôt par la négation de la procession qui est commune à la génération et à la spiration, de manière à ce qu’on puisse dire de Lui qu’il ne puisse procéder; ou bien on le qualifiera d’après les notions propres à chacune des sortes de procession, de telle manière que tout comme on dit de Lui qu’il est inengendré, de même il est inspirable au sens où il ne peut être spiré comme c’est le cas pour l’Esprit-Saint.

[2083] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod in Littera per Hilarium dicitur.

 Cependant :

1. Ce que dit Saint-Hilaire dans la Lettre est contraire aux positions qui précèdent.

[2084] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, illud quo persona divina distinguitur ab aliis personis, est notio vel proprietas ejus. Sed ingenitum soli Patri convenit, ut supra, 13 dist. qu. 1, art. 4, habitum est. Ergo est notio vel proprietas Patris.

 2. Par ailleurs, ce par quoi la personne divine se distingue des autres personnes, c’est sa notion ou sa propriété. Mais ¨inengendré¨ convient seulement au Père ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 13, quest. 1, art. 4]. ¨Inengendré¨ est donc la notion ou la propriété du Père.

[2085] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum Augustinum lib. IV De Trinit., cap. XX, § 29, col. 908, Pater est principium totius divinitatis ; unde etiam Dionysius II de div. Nom. col. 635, dicit, quod in Patre est fontana deitas [divinitatis éd. de Parme). Unde si in divinis personis esset ordo qui poneret prius et posterius, Pater esset primum principium. Sed quia ibi non est talis ordo, loco ejus quod est primum, dicimus principium non de principio. Unde Pater potest dupliciter innotescere: vel inquantum est de non principio, et sic innotescit per notionem innascibilitatis: vel inquantum est principium ; et sic, quia principium dicitur secundum emanationem quae ab ipso est, secundum duplicem modum emanationis in divinis, duabus notionibus innotescit ; scilicet paternitate, inquantum est principium per generationem ; et communi spiratione, inquantum est principium Spiritus sancti per spirationem amoris ; et sic patet quod in universo sunt tres notiones Patris.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après Saint-Augustin [IV De la Trinité, ch. XX, & 29, col. 908], le Père est le principe de toute la divinité ; c’est pourquoi Denys [11 Les Noms Divins, col. 635] dit aussi que le Père est la divinité [la source de la divinité Éd. de Parme] prise comme source. C’est pourquoi, s’il y avait entre les personnes divines un ordre qui poserait de l’avant de de l’après, le Père serait le premier principe. Mais parce qu’il n’y a pas là un tel ordre, au lieu de premier nous parlons d’un principe qui est sans principe. C’est pourquoi le Père peut être connu de deux manières : soit en tant qu’il ne vient pas d’un principe et ainsi il est connu par la notion d’innascibilité, soit en tant qu’il est principe et ainsi, parce le principe se dit d’après l’émanation qui en procède, c’est d’après les deux sortes d’émanations qui existent en Dieu, c’est par deux notions que Dieu sera connu comme principe : à savoir par la paternité, en tant qu’il est principe par mode de génération, et par la spiration commune, en tant qu’il est principe de l’Esprit-Saint par la spiration de l’amoiur ; et ainsi il est clair que ce sont là toutes les notions du Père.

[2086] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod aliqua dictio dicitur ponere aliquid dupliciter:

vel ita quod illud quod ponit sit de intellectu ejus sicut aliquid essentiae ipsius, ut homo ponit animal ;

vel quia praesupponit illud quasi in quo fundatur, quamvis non sit de essentia ejus ; sicut omne accidens ponit substantiam. Dico ergo, quod hoc nomen ingenitus non ponit aliquid quod constituat intellectum ipsius: quia hoc non posset esse nisi poneret aliquam rationem principii, vel in communi vel in speciali ; quia nihil aliud notionale potest Patri convenire, et quocumque modo dicatur non ponet in numerum innascibilitas cum paternitate, quia commune non ponit in numero cum proprio ; sed tamen ponit aliquid quod praesupponit ut id in quo fundatur ; et ex hoc est quod quidam dixerunt, quod « ingenitus » aliquid ponit, et quidam quod nihil. Sed quamvis nihil ponat quod sit de intellectu ejus constitutive, non tamen sequitur quod non possit esse notio ; quia illud cujus ratio consistit in remotione, optime per negationem certificatur, sicut caecitas et hujusmodi: et hujusmodi est ratio primi, vel ejus quod est non de principio esse, quia primum est ante quod nihil.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que c’est de deux manières qu’un terme pose quelque chose :  soit de telle manière que ce qu’il pose fasse partie de sa définition comme un élément de son essence, comme homme qui pose animal ;

Soit parce qu’il suppose cela comme ce dans quoi il se fonde, bien qu’il ne fasse pas partie de son essence, comme tout accident suppose une substance. Je dis donc que ce nom, à savoir ¨inengendré¨, ne pose pas quelque chose qui constitue sa compréhension car il ne pourrait en être ainsi que si le terme posait une notion de principe que ce soit dans l’universel ou le particulier ; car aucune autre notion ne peut convenir au Père et quelle que soit la manière dont on la dise, l’innascibilité ne pose pas en nombre avec la paternité parce que le commun ne pose pas en nombre avec le propre ; il pose cependant quelque chose qu’il présuppose comme ce dans quoi il se fonde : et c’est à cause de cela que certains ont dit que ¨inengendré¨ pose quelque chose et d’autres que ce terme ne pose rien. Mais bien qu’il ne pose rien qui soit un élément constitutif de sa définition, il ne s’ensuit pas cependant que ce terme ne puisse être une notion ; car ce dont la notion consiste en une exclusion est rendu pleinement connu par la négation, comme la cécité et les notions de cette sorte : et telle est la notion de premier ou de ce qui est tel qu’il ne vienne pas d’un principe, car est premier ce qui n’est précédé par rien.

[2087] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ingenitus non importat negationem absolutam, sed aliquo modo privationem. Omnis enim negatio quae est in aliquo subjecto determinato, potest dici privatio. Unde in VIII Metaph., text. 4, dicitur, quod privatio est negatio in subjecto vel in substantia. Unde dico, quod haec negatio quam importat « ingenitus », intelligitur ut fundata in ratione principii, secundum quod est notio Patris ; et hoc modo non convenit nec essentiae nec Spiritui sancto, quibus non competit esse principium per originem alicujus divinae personae: nec iterum Filio, cui convenit affirmatio opposita. Sed ex hoc non sequitur quod in Patre sit aliqua imperfectio.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que ¨inengendré¨ n’implique pas une négation absolue, mais en un sens une privation. En effet on peut appeler privation toute négation qui se trouve dans un sujet déterminé. C’est pourquoi on dit [ VIII Métaphysique, texte 4] que la privation est une négation dans un sujet ou une substance. D’où je dis que cette négation qui est impliquée dans ¨inengendr騠 s’entend comme étant fondée sur la notion de principe en tant qu’elle est la notion du Père ; et prise en ce sens elle ne convient ni à l’essence ni à l’Esprit-Saint auxquels il n’appartient pas d’être principes par l’origine d’une personne divine, ni en outre au Fils auquel l’affirmation opposée convient. Mais à partir de là il ne s’ensuit pas qu’il y ait la moindre imperfection dans le Père.

Quamvis enim privatio semper sit ejus quod natum est haberi ; tamen hoc contingit tripliciter, ut dicit philosophus V Metaph., text. 27.

 En effet, bien que la privation renvoie toujours à ce qu’il est naturel de posséder, cependant cela peut se présenter de trois manières d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 27]

Vel quando aliquid non habet quod natum est haberi a quocumque, quamvis ipsum non sit natum habere, sicut pes non dicitur habere visum:

vel quando non habet illud quod natum est haberi a suo genere, quamvis non ab ipso nec ab aliquo suae speciei, sicut talpa non habet visum:

vel quando non habet illud quod natum est habere, et quando et ubi et secundum alias conditiones ; et sic proprie dicitur privatio, et imperfectionem importat: et hoc modo nihil privative in Deo dicitur ; sed aliis primis modis potest dici.

 Soit quand un être ne possède pas ce qu’il est naturel à un tel de posséder, bien que lui-même ne le possède pas, comme c’est le cas pour le pied auquel on n’attribue pas la vue.

Soit quand un être ne possède pas ce qu’il est naturel de posséder dans son genre, bien que lui-même ni personne de son espèce ne le possède, comme la taupe qui ne possède pas la vue.

Soit quand un être ne possède pas ce qu’il est apte par nature à posséder, que ce soit selon le temps, le lieu et les autres conditions requises ; et c’est en ce sens que se  dit proprement la privation et qu’elle implique une imperfection : et en ce sens aucune privation ne s’attribue à Dieu ; mais on peut parler de privation en Dieu d’après les deux autres modalités.

 

Sed quantum ad primum modum potest ingenitum dici de essentia et de Spiritu sancto, ut supra, dist. 13, accepit Hieronymus (dist. XIII) ; sed quantum ad secundum modum dicitur tantum de Patre: quia ipse est principium notionaliter, et non habet generationem passivam quam habet Filius, qui etiam notionaliter principium est.

 Mais quant à la première modalité, ¨inengendré¨ peut se dire de l’essence et de l’Esprit-Saint ainsi que l’entendait Saint-Jérôme précédemment à la distinction 13 ; mais quant à la deuxième modalité, ¨inengendré¨ se dit seulement du Père : car il est Lui-même principe quant à la notion et ne possède pas la génération passive que le Fils possède et qui est lui aussi principe quant à la notion.

[2088] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in genere continetur aliquid dupliciter: vel per se et proprie, sicut species, et ea quae recipiunt praedicationem generis ; vel per reductionem, sicut principia generis, ut materia et forma ad substantiam ; et unitas et punctus ad quantitatem ; quamvis neutrum sit quantitas. Ita etiam nulla negatio vel privatio est in genere per se: quia non habet aliquam quidditatem nec esse ; sed reducitur ad genus affirmationis, secundum quod in non esse intelligitur esse, et in negatione affirmatio, ut dicit philosophus, in II Elenchus, cap.IV, quia omnis privatio per habitum cognoscitur, et remotio per positionem ; et sic etiam non relatio est in genere relationis, quamvis ea de quibus dicitur ista negatio, non sint in illo genere.

 3. Il faut dire en troisième lieu qu’un être est contenu dans un genre de deux façons : soit essentiellement et proprement, comme les espèces et tout ce qui reçoit l’attribution du genre ; soit par réduction, comme les principes du genre, comme la matière et la forme par rapport à la substance, l’unité et le point par rapport à la quantité, bien qu’aucun d’eux ne soit une quantité. De même, aucune négation ou privation n’est dans un genre essentiellement car elle ne possède ni quiddité ni existence ; mais elle se ramène au genre de l’affirmation, selon que l’être est compris dans le non-être et que l’affirmation est comprise dans la négation, comme le dit le Philosophe [11 Réfutations Sophistiques, ch. IV] car toute privation est connue par la possession et toute négation par l’affirmation ; et en ce sens même la non-relation est dans le genre de la relation, bien que les choses auxquelles s’attribue cette négation ne soient pas dans ce genre.

[2089] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in hoc quod dicitur « ingenitus », removetur a Patre esse ab alio simpliciter, et non solum secundum aliquem determinatum modum. Quare autem nominetur per negationem specialis processionis, scilicet generationis, potest assignari triplex causa:

una est, quia processio Spiritus sancti secundum ordinem naturae praesupponit generationem Filii: et ideo, quia negato priori removetur posterius, ad remotionem generationis a principio fontali, sequitur processionis remotio per modum amoris:

secunda est, quia per hoc quod dicitur ingenitus, secundum quod est notio Patris, tollitur omnis modus consequendi generationem: hoc enim convenit Patri inquantum est principium generationis, ut nullo modo generationem consequatur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’en disant de Lui qu’il est ¨inengendré¨, c’est absolument et non pas selon un mode déterminé qu’on nie du Père qu’il vienne d’un autre. Mais pourquoi il est nommé par la négation d’une procession spéciale, à savoir la génération, on peut en donner trois causes:

La première en est que la procession de l’Esprit-Saint, d’après l’ordre de nature, presuppose la generation du Fils: et c’est pourquoi, parce que le premier étant nié le second se trouve à disparaître, la disparition de la procession par mode d’amour se trouve à découler de la disparition de la génération par le principe originel.

La deuxième est que, parce que du fait qu’on dit qu’il est inengendré, selon que c’est là la notion du Père, on fait disparaître toute manière d’être  attaint par la génération: il convient en effet au Père, en tant qu’il est le principe de la génération, de n’être en aucune manière le résultat d’une génération.

Generationem autem consequitur aliquid secundum intellectum tripliciter:

vel sicut genitum, ut Filius ;

vel sicut per generationem acceptum, ut essentia divina ;

vel sicut a generato procedens, ut Spiritus sanctus.

Unde nulli horum convenit ingenitus secundum praedictum modum. Tertia potest esse ratio, quia negatio ingeniti fundatur super rationem principii, ut dictum est, in corp. art. Quamvis autem Pater sit principium utriusque processionis divinae, sola tamen ratio per quam est principium generationis, est proprietas personalis, constituens personam Patris, scilicet paternitas ; et ideo etiam per generationis negationem eadem persona convenientius et magis proprie notificatur.

 Mais c’est de trois manières, selon l’intelligence, qu’un être est le résultat d’une génération:

Soit comme étant engender, comme c’est le cas pour le Fils.

Soit comme ce qui est reçu au moyen de la génération, comme l’essence divine.

Soit comme ce qui procède de ce qui est engender, comme c’est le cas pour l’Esprit-Saint.

Il suit de là que ¨inengendré¨, pris selon la modalité qui précède, ne convient à aucune de ces manières.

La troisième cause peut être que la négation présente dans ¨inengendré¨ se fonde sur la notion de principe ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article. Mais bien que le Père soit le principe des deux processions divines, cependant seule la notion par laquelle il est le principe de la génération, à savoir la paternité, est une propriété personnelle constituant la personne du Père; et c’est pourquoi la même personne se trouve à se faire connaître plus convenablement et plus proprement par la négation de la génération.

 

 

 

Articulus II

Utrum innascibilitas sit proprietas personalis patris

Article 2 – L’innascibilité est-elle la propriété personnelle du Père ?

[2091] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod innascibilitas sit proprietas personalis Patris. Sicut enim paternitas convenit tantum patri, ita et innascibilitas. Sed paternitas est proprietas personalis ejus. Ergo et innascibilitas.

 Difficultés :

1. Il semble que l’innascibilité soit une propriété personnelle du Père. En effet, tout comme la paternité, l’innascibilité convient seulement au Père. Mais la paternité est une propriété personnelle. Il en est donc de même pour l’innascibilité.

[2092] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, persona dicit aliquid distinctum proprietate ad dignitatem pertinente. Sed innascibilitas magis videtur pertinere ad dignitatem quam paternitas ; quia paternitas communicatur etiam creaturis, non autem innascibilitas. Ergo innascibilitas magis est proprietas personalis quam paternitas.

 2. Par ailleurs, la personne dit un être distinct par une propriété qui appartient à une dignité. Mais l’innascibilité semble advantage appartenir à une dignité que la paternité; car la paternité se communique même aux creatures mais non l’innascibilité. L’innascibilité est donc advantage une propriété personnelle que la paternité.

[2093] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, persona non potest intelligi nisi intelligatur aliquid constituens ipsam in personalitate sua. Sed, ut in Littera dicitur, potest intelligi ingenitus, etiam si non intelligatur Pater. Ergo oportet quod  innascibilitas constituat personam Patris ; et ita videtur quod sit proprietas personalis.

 3. En outre, la personne ne peut être saisie que si on saisit quelque chose qui la constitue dans sa personnalité. Mais, comme on le dit dans la Lettre, on peut saisir ¨inengendré¨, même si on ne saisit pas la notion de Père. Il faut donc que l’innascibilité constitue la personne du Père ; et il semble ainsi qu’elle soit une propriété personnelle.

[2094] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, illud quod est principium personalis operationis, videtur esse proprietas personalis, quia propria operatio est a propria forma operantis. Sed innascibilitas est principium generationis in Patre. Dicitur enim, quod Pater generat, quia est ingenitus ; unde quaerit delicias in consortio Filii. Ergo videtur quod innascibilitas sit proprietas personalis.

 4. De plus, ce qui est principe de l’opération personnelle semble être la propriété personnelle car l’opération propre vient de la forme propre de celui qui pose l’opération. Mais l’innascibilité est le principe de la génération dans le Père. On dit en effet que le Père engendre parce qu’il est inengendré ; de là il cherche ses délices dans la compagnie du Fils. Il semble donc que l’innascibilité soit une propriété personnelle.

[2095] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, quidquid dicitur per positionem, non constituitur negatione vel privatione [negative vel privative éd. de Parme] tantum. Sed Pater nominat aliquid positive. Ergo persona Patris non constituitur per innascibilitatem, quia nihil ponit in intellectu suo.

 Cependant :

1. Au contraire, tout ce qui se dit par affirmation n’est pas constitué par la négation ou la privation [négativement ou privativement Éd. de Parme]. Mais le Père dit quelque chose de manière positive. Donc la personne du Père n’est pas constituée par l’innascibilité car cette dernière ne pose rien dans sa compréhension.

[2096] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut est in inferioribus, quod quidquid consequitur ad esse perfectum, non est constitutivum illius rei, ita etiam in divinis quidquid secundum intellectum praesupponit aliquid quo persona constituitur, non potest esse constitutivum personae ; et inde est quod communis spiratio non potest esse proprietas personalis, quia praesupponit in Patre et Filio generationem activam et passivam, quibus illae personae constituuntur. Similiter innascibilitas, cum ponat negationem, quae fundatur super rationem principii, ut dictum est, art. praeced., praesupponit secundum intellectum rationem principii supra quam fundatur, scilicet paternitatem ; et ideo non potest constituere personam Patris, nec potest esse personalis proprietas.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que, tout comme il en est dans les réalités inférieures, tout ce qui découle d’un être parfait n’entre pas dans la constitution de cette chose, de même aussi dans les personnes divines tout ce qui présuppose selon l’intelligence quelque chose dont la personne est constituée, cela ne peut entrer dans la constitution de la personne ; d’où il résulte que la spiration commune ne peut être une propriété personnelle car elle présuppose dans le Père et le Fils la génération active et passive par lesquelles ces personnes sont constituées. De la même manière l’innascibilité, puisqu’elle présente une négation qui se fonde sur la notion de principe, ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent, présuppose selon l’intelligence la notion de principe sur laquelle elle se fonde, c’est-à-dire la paternité ; et c’est là la raison pour laquelle elle ne peut constituer la personne du Père et ne peut être une propriété personnelle.

[2097] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ex hoc quod convenit soli Patri, potest probari quod sit proprietas Patris, non autem quod sit proprietas personalis, nisi constitueret personam Patris ad similitudinem differentiae constitutivae.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que du fait qu’elle convient seulement au Père, on peut prouver que l’innascibilité est une propriété du Père mais non pas qu’elle soit une propriété personnelle, sauf si elle constituait la personne du Père à la ressemblance de la différence constitutive.

[2098] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quidquid habet negatio de dignitate, habet ab affirmatione supra quam fundatur ; et ideo innascibilitas quae fundatur supra talem paternitatem, pertinet ad dignitatem sicut talis paternitas ; et sicut innascibilitas non communicatur creaturae, ita nec talis paternitas, scilicet quae non est ab alio principio, quamvis communicetur paternitas absolute.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que tout ce que la négation tient sur la dignité, elle le tient de l’affirmation sur laquelle elle se fonde ; et c’est pourquoi l’innascibilité qui est fondée sur une telle paternité appartient à la dignité tout comme cette paternité ; et tout comme l’innascibilité n’est pas communiquée à la créature, de même cette paternité, à savoir celle qui ne procède pas d’un autre comme principe, ne lui est pas communiquée non plus, bien que la paternité prise absolument lui soit communiquée.

[2099] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod remota paternitate per intellectum, non remanet hypostasis Patris ; et quod dicitur in Littera, quod remanet ingenitum, est intelligendum quantum ad communem rationem ingeniti et Patris, quia separatim inveniuntur in diversis ; non autem secundum quod utrumque ponitur proprietas Patris. Nihilominus tamen, etiam remota paternitate, remaneret ingenitum in Deo, non quasi proprietas vel notio alicujus personae ; sed quasi attributum essentiae, ut immensus et increatus.

3. Il faut dire en troisième lieu que si on retire par l’intelligence la paternité, l’hypostase du Père ne demeure pas ; et ce qu’on dit dans la Lettre, à savoir que ¨inengendré¨ demeure, cela doit s’entendre quant à la notion commune de ¨inengendré¨ et de ¨Père¨, car on les retrouve séparément dans différents êtres, mais non pas selon que l’une et l’autre sont posées comme propriété du Père. Néanmoins cependant, même si on retirait la paternité, ¨inengendré¨ demeurerait en Dieu, non pas comme la propriété ou la notion d’une personne, mais comme un attribut de l’essence, comme immense et incréé.

[2100] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod innascibilitas non est principium generationis in Patre quasi forma eliciens hanc operationem, sed solum quasi ponens aliquam conditionem circa generationem. Sicut enim videmus in alterationibus, quod prima alteratio est quam operatur alterans non alteratum ; et ex hoc quod non est alteratum, alteratio quam facit, est prima: ita etiam prima generatio est quae est generantis non generati ;unde conditionem istam, quod sit prima generatio, habet ex hoc quod generans est ingenitus. Sed principium formale quasi eliciens generationem, est forma Patris, quae est paternitas, sicut calor est principium calefactionis in calido.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que l’innascibilité n’est pas dans le Père un principe de génération à titre de forme qui provoquerait cette opération, mais seulement comme posant une condition sur la génération. En effet, tout comme nous voyons dans les altérations que la première altération est celle qu’opère celui qui altère sans être altéré et que c’est du fait qu’il n’est pas altéré que l’altération qu’il fait est la première, de même encore la première génération est celle qui appartient à celui qui engendre sans avoir été engendré ; d’où la première génération tient cette condition du fait que celui qui engendre n’est pas engendré. Mais le véritable principe formel qui tend à la génération est la forme du Père, à savoir la paternité, tout comme la chaleur est le principe du réchauffement dans ce qui est chaud.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – L’image

Prooemium

Prologue

[2101] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 pr. Deinde quaeritur de imagine ; et circa hoc tria quaeruntur:

1 quid sit imago ;

2 utrum imago in divinis dicatur essentialiter vel personaliter ;

3 si dicatur personaliter, utrum conveniat filio tantum.

 On s’interroge ensuite sur l’image ; et à ce sujet on pose trois questions :

1. Qu’est-ce que l’image ?

2. Est-ce que l’image en Dieu se dit essentiellement ou personnellement ?

3. Si elle se dit personnellement, est-ce qu’elle convient seulement au Fils ?

 

 

Articulus 1Utrum definitio imaginis: imago est species indifferens ejus rei ad quam imaginatur, sit competens

Article 1 – Est-ce que la définition de l’image : « L’image est l’espèce précise de cette chose qu’elle représente » convient ?

[2103] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur, et ponitur definitio Hilarii talis. De synodis, § 13, col. 940: imago est ejus rei ad quam imaginatur, species indifferens. Videtur autem quod sit incompetens. Imago enim est secundum imitationem in exterioribus. Sed species non est de extrinsecis rei ; immo dicit quidditatem intrinsecam. Ergo male ponitur in definitione imaginis.

 Difficultés :

1. Voici cette définition de l’image telle que présentée par Saint-Hilaire [Les Synodes, &13, col. 940] : L’image est l’espèce précise de cette chose qu’elle représente. Mais il semble que cette définition ne soit pas juste. L’image en effet se dit d’après une imitation dans les choses extérieures. Mais l’espèce ne se rapporte pas à ce qui est extérieur dans la chose ; bien plutôt, elle dit la quiddité intrinsèque. C’est donc à tort qu’elle est posée dans la définition de l’image.

[2104] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, imago proprie dicitur quod est ad imitationem alterius. Sed species indifferens duorum non est ad imitationem alterius, immo est id in quo imitatio attenditur. Ergo imago non debet dici species, sed habens speciem.

 2. Par ailleurs, l’image se dit proprement de ce qui se rapporte à l’imitation d’un autre. Mais l’espèce précise de deux réalités ne se rapporte pas à l’imitation d’un autre, mais elle est bien plutôt ce en quoi l’imitation se vérifie. L’image ne doit donc pas être appelée espèce mais ce qui a une espèce.

[2105] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, eorum quae in infinitum distant, non potest esse indifferentia. Sed creatura est imago Dei, a quo tamen in infinitum distat. Ergo indifferens male ponitur in definitione imaginis.

 3. En outre, pour les choses qui diffèrent à l’infini les unes des autres, il ne peut y avoir identité d’espèce . Mais la créature est une image de Dieu dont elle diffère cependant à l’infini. Donc, ¨précise¨ est posé à tort dans la définition de l’image.

[2106] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, in definitionibus non debet esse circulus. Sed ex hac definitione sequitur circulus ; definit enim imaginem per rem imaginatam, et imaginatum non potest definiri nisi per imaginem. Ergo videtur quod male definiat.

 4. Par ailleurs, la définition ne doit pas être circulaire. Mais cette définition est circulaire : elle définit en effet l’image par la chose imaginée et la chose imaginée ne peut être définie que par l’image. Il semble donc que cette définition soit incorrecte.

[2107] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, de ratione imaginis est aequalitas et similitudo, ut patet ex alia ejus definitione, quod imago est rei, ad rem coaequandam, indiscreta et unita similitudo. Cum igitur in praedicta definitione nihil ponatur ad aequalitatem et similitudinem pertinens, videtur quod sit diminuta.

 5. En outre, l’égalité et la ressemblance font partie de la définition de l’image, comme on le voit à partir d’une autre définition de l’image, à savoir que l’image est la similitude indifférenciée et unie à la chose qu’elle doit égaler. Donc, puisque dans la définition qui précède on ne pose rien qui concerne l’égalité et la similitude, il semble que ce soit là une définition tronquée.

[2108] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ratio imaginis consistit in imitatione ; unde et nomen sumitur. Dicitur enim imago quasi imitago. De ratione autem imitationis duo consideranda sunt ; scilicet illud in quo est imitatio, et illa quae se imitantur. Illud autem respectu cujus est imitatio, est aliqua qualitas, vel forma per modum qualitatis significata. Unde de ratione imaginis est similitudo. Nec hoc sufficit, sed oportet quod sit aliqua adaequatio in illa qualitate vel secundum qualitatem vel secundum proportionem ; ut patet quod in imagine parva, aequalis est proportio partium ad invicem sicut in re magna cujus est imago ; et ideo ponitur adaequatio in definitione ejus.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la notion d’image se ramène à celle d’imitation ; c’est de ce nom en effet que se tire le nom d’image. En effet, qui dit image dit copier. Mais il y a deux choses à considérer dans la notion de l’imitation, à savoir ce en quoi il y a imitation et les choses qui s’imitent. Mais ce par rapport à quoi il y a imitation est une certaine qualité ou une forme signifiée à la manière d’une qualité. C’est pourquoi la similitude fait partie de la définition de l’image. Et cela ne suffit pas, mais il faut qu’il y ait une certaine égalité dans cette qualité, soit selon la qualité soit selon la proportion, comme on le voit dans une petite image où la proportion des parties entre elles est égale à celle qu’on retrouve dans la grande chose dont elle est l’image ; et c’est pourquoi l’égalité est placée dans sa définition.

Exigitur etiam quod illa qualitas sit expressum et proximum signum naturae et speciei ipsius ; unde non dicimus quod qui imitatur aliquem in albedine, sit imago illius ; sed qui imitatur in figura, quae est proximum signum et expressum speciei et naturae. Videmus enim diversarum specierum in animalibus diversas esse figuras.

 

 Il est aussi nécessaire que cette qualité soit le signe clair et prochain de sa nature et de son espèce ; c’est pourquoi nous ne disons pas de celui qui imite quelqu’un par la blancheur qu’il soit son image, mais nous le disons seulement de celui qui l’imite par la figure, laquelle est le signe clair et prochain de l’espèce et de la nature. Nous voyons en effet chez les animaux qu’à des espèces différentes correspondent des figures différentes.

Ex parte autem imitantium duo sunt consideranda ; scilicet relatio aequalitatis et similitudinis, quae fundatur in illo uno in quo se imitantur ; et adhuc ulterius ordo: quia illud quod est posterius ad similitudinem alterius factum, dicitur imago ; sed illud quod est prius, ad cujus similitudinem fit alterum, vocatur exemplar, quamvis abusive unum pro alio ponatur.

Et ideo Hilarius ad significandum ordinem et relationem se imitantium, dixit: « Imago est ejus rei ad quam imaginatur ; ad designandum vero id in quo est imitatio, dixit: Species indifferens.

 Mais du côté de ceux qui imitent il y a deux choses à considérer, à savoir la relation d’égalité et de similitude qui se fonde sur ce seul rapport dans lequel ils s’imitent ; et par la suite en plus  il y a l’ordre : car ce qui est second et qui est fait à la ressemblance de l’autre s’appelle image ; mais ce qui est premier et à la ressemblance duquel l’autre est produit s’appelle modèle, bien que l’un est abusivement pris pour l’autre.

Et c’est pourquoi Saint-Hilaire, pour signifier l’ordre et la relation des termes entre lesquels il y a imitation, a dit : «L’image se rapporte à la chose qu’elle représente» ; et pour signifier ce en quoi il y a imitation, il a dit : «L’image est l’espèce précise».

[2109] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod non in imitatione quorumcumque exteriorum est ratio imaginis ; sed eorum quae sunt signa quodammodo speciei et naturae ; et ideo posuit speciem potius quam qualitatem.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la notion d’image ne se retrouve pas dans l’imitation de tout ce qui est extérieur mais seulement dans ce qui est le signe d’une certaine manière de l’espèce et de la nature ; et c’est pourquoi Saint-Hilaire parle d’espèce plutôt que de qualité dans la définition.

[2110] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ista definitio data est per causam: non enim illud quod est imago, est ipsa species in qua fit imitatio, proprie loquendo ; sed indifferentia speciei est causa quare dicatur imago. Vel dicatur, quod utrumque potest dici imago ; et illud quod imitatur, et id in quo est imitatio, quamvis non ita proprie ; et sic definit Hilarius.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que cette définition est donnée par la cause : en effet, ce n’est pas cela même qui est l’image, à proprement parler, qui est l’espèce même dans laquelle il y a imitation ; mais la similitude de l’espèce est la cause pour laquelle on parle d’image. Ou bien on peut encore dire que les deux peuvent être appelées images, à savoir à la fois ce qui imite et ce en quoi il y a imitation, bien que dans ce cas il n’y ait pas image à proprement parler ; et c’est ainsi que Saint-Hilaire définit l’image.

[2111] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod unumquodque quantum attingit ad rationem imaginis, tantum attingit ad rationem indifferentiae: secundum enim quod differt, non est imago.

Invenitur tamen quidam gradus perfectionis imaginis. Dicitur enim quandoque imago alterius, in quo invenitur aliquid simile qualitati alterius, quae designat et exprimit naturam ipsius ; quamvis illa natura in ea non inveniatur ; sicut lapis dicitur esse imago hominis inquantum habet similem figuram, cui non subsistit natura illa cujus est signum ; et sic imago Dei est in creatura, sicut imago regis in denario, ut dicit Augustinus, lib. (sermo IX) de decem chordis,cap. VIII, col. 82 ; et sic est imperfectus modus imaginis. Sed perfectior ratio invenitur quando illi qualitati quae designat naturam similem subest, eadem natura [natura substantiae, subest natura in specie, éd. de Parme], sicut est imago hominis patris in filio suo: quia habet similitudinem in figura, et in natura quam figura significat. Sed perfectissima ratio imaginis est quando eamdem numero formam et naturam invenimus in imitante cum eo quem imitatur ; et sic est Filius perfectissima imago Patris: quia omnia attributa divina, quae sunt per modum qualitatis significata, simul cum ipsa natura sunt in Filio, non solum secundum speciem, sed secundum unitatem in numero.

3. Il faut dire en troisième lieu que toute chose parvient d’autant plus à la notion d’image qu’elle parvient à la notion de similitude car en effet, là où il y a différence, il n’y a pas d’image. On rencontre cependant certains degrés de perfection de l’image. Parfois en effet l’image se dit de ce dans quoi se retrouve  quelque chose de semblable à la qualité d’un autre qui désigne et exprime la nature de cet autre, bien que cette nature ne se retrouve pas en lui ; par exemple on dit de la pierre qu’elle est l’image de l’homme en tant qu’elle possède une figure semblable, bien qu’on ne retrouve pas en elle cette nature dont elle est le signe ; et c’est ainsi que l’image de Dieu est dans la créature, tout comme l’image du roi est sur le denier, comme le dit Saint-Augustin [Sermon 1X, Sur les dix cordes, ch.  VIII, col. 82] ; et cette sorte d’image est imparfaite. Mais on retrouve une notion plus parfaite de l’image quand une même nature [la nature de la substance, se tient la nature dans l’espèce Éd. de Parme] se tient sous cette qualité qui désigne une nature semblable, tout comme l’image de l’homme qui est père se retrouve dans son fils : car ce dernier possède une ressemblance et quant à la figure et quant à la nature que la figure signifie. Mais la notion la plus parfaite de l’image est celle où nous retrouvons la même forme et la même nature, numériquement parlant, dans celui qui imite et dans celui qu’il imite ; et c’est ainsi que le Fils est l’image la plus parfaite du Père : car tous les attributs divins, qui sont signifiés par mode de qualités, sont simultanément présents dans le Fils avec la nature elle-même, non seulement selon l’espèce, mais selon une unité numérique.

[2112] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc quod dicit: « Ejus rei ad quam imaginatur », est circumlocutio exemplaris. Unde ponitur in virtute unius dictionis, et ponitur convenienter in definitione imaginis, sicut prius in definitione posterioris, et non e converso. Exemplar enim prius est imagine ; unde non est ibi circulus.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que ce que dit Saint-Hilaire, à savoir : «De la chose qu’elle représente», est une circonlocution exemplaire. De là elle est posée à la place d’un seul terme, et est posée correctement dans la définition de l’image, tout comme ce qui est premier est posé dans la définition de ce qui est second, et non inversement. En effet, le modèle est antérieur à l’image ; c’est pourquoi il n’y a pas là définition circulaire.

[2113] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod indifferentia speciei intelligitur et similitudo et aequalitas, qualis ad imaginem requiritur ; unde illae duae definitiones [quasi add. éd. de Parme] in idem redeunt.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que la ressemblance de l’espèce s’entend à la fois comme similitude et égalité, laquelle est requise à l’image ; c’est pourquoi ces deux définitions reviennent [presque add. Éd. de Parme] au même.

 

 

Articulus 2 Utrum imago dicatur essentialiter

Article 2 – Parle-t-on de l’image selon l’essence ?

 

[2115] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod imago non dicatur essentialiter. Ut enim supra, dist. 27, dictum est ab Augustino, lib. VII De Trinit., c. 1, col. 903, nihil est absurdius quam imaginem ad se dici. Sed illud quod essentialiter dicitur in divinis, ad se dicitur. Ergo absurdum est ut essentialiter dicatur.

Difficultés :

1. Il semble que l’image ne se dise pas essentiellement. En effet, comme l’a dit plus haut Saint-Augustin à la distinction 27 [ VII De la Trinité ch. 1, col. 903], rien n’est plus absurde que de dire que l’image est un terme absolu. Mais ce qui se dit essentiellement en Dieu se dit absolument. Il est donc absurde de dire que l’image se dit essentiellement.

[2116] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, imago de ratione sua, ut dictum est, art. praeced., importat ordinem. Sed in divinis non est nisi ordo originis. Cum igitur nihil importans originem, in divinis essentialiter dicatur, videtur quod nec imago.

 2. Par ailleurs, l’image, de par sa définition, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, implique un ordre. Mais en Dieu il n’y a qu’un ordre d’origine. Donc, puisque rien de ce qui implique l’origine ne se dit essentiellement en Dieu, il semble qu’il en soit aussi de même pour l’image.

[2117] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 arg. 3 Item, ex absolutis vel essentialibus non potest probari personarum distinctio: quia in essentialia Trinitatis potest deducere naturalis ratio ; non autem in personarum distinctionem. Sed supra, 2 distinct., qu. 1, art. 4, probata est distinctio personarum ex ratione imaginis. Ergo imago non dicitur essentialiter.

 3. En outre, à partir des termes absolus ou essentiels, on ne peut prouver la distinction des personnes : car la raison naturelle peut conduire aux termes essentiels de la Trinité mais non à la distionction des personnes. Mais plus haut [dist. 2, quest. 1, art. 4] la distinction des personnes a été prouvée à partir de la notion d’image. L’image ne se dit donc pas essentiellement.

[2118] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in littera dicitur per Augustinum et Hilarium.

Cependant :

1. Saint-Augustin et Saint-Hilaire disent le contraire dans la lettre.

[2119] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. praeced., imago potest dici dupliciter: vel id quod imitatur aliquem, vel id in quo est imitatio. Si dicatur imago prout proprie accipitur id quod imitatur alterum ; sic essentia divina non potest dici imago, sed exemplar ; cujus imago est creatura: quia imago praesupponit ordinem ad aliquod principium: essentia autem divina non habet aliquod principium ; sed tamen sic aliqua persona potest dici imago alterius, inquantum persona praesupponit sibi secundum ordinem naturae aliam personam.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire, tout comme nous l’avons dit dans l’article precedent, que l’image peut se dire de deux manières: soit ce qui imite un être, soit ce en quoi il y a imitation. Si l’image se dit selon qu’on la prend proprement dans ce qui imite un autre, alors on ne peut dire de l’essence divine qu’elle est une image, mais un modèle dont l’image est la créature: car l’image presuppose un rapport à un principe: mais l’essence divine n’a pas de principe; mais de cette manière cependant on peut dire d’une personne qu’elle est l’image d’une autre pour autant qu’une personne présuppose à elle-même une autre personne selon un ordre de nature.

Unde sic imago, secundum quod proprie de Deo dicitur, semper est personale. Si autem dicatur imago id in quo est imitatio, sic natura divina est imago ; quia in ipsa est duplex imitatio. Una personae ad personam, secundum quod Filius in natura divina quam habet a Patre, imitatur Patrem. Alia creaturae ad creatorem, inquantum creatura imitatur creatorem, sed imperfecte, secundum aliquam similitudinem bonitatis ipsius. Et quantum ad primam imitationem, quae scilicet est personae ad personam, imago in recto significabit essentiam, sed in obliquo faciet intellectum personarum ; sic enim idem erit imago quod natura divina personarum in ea se imitantium ; et sic accepit supra Hilarius. Unde probavit ex ratione imaginis et unitatem essentiae et distinctionem personarum. Sed quantum ad secundam imitationem, quae est creaturae ad creatorem, imago significabit divinam essentiam, et connotabit respectum ad creaturam quae imitatur ipsam ; et sic accepit ibidem Augustinus ; unde ex ratione imaginis non probavit nisi unitatem essentiae.

 De là, selon qu’elle se dit proprement de Dieu, de cette manière l’image est toujours personnelle. Mais si par image on entend ce en quoi il y a imitation, alors la nature divine est une image car il y a en elle deux imitations. Celle d’une personne à une personne selon laquelle le Fils imite le Père dans la nature divine qu’il tient du Père. L’autre est celle de la créature à l’égard du créateur, en autant que la créature imite le créateur mais imparfaitement, d’après une certaine ressemblance de sa bonté. Et quant à la première imitation, c’est-à-dire celle d’une personne à une autre personne, l’image signifiera directement l’essence mais indirectement elle produira l’intelligence des personnes ; en effet, l’image sera identique à la nature divine des personnes qui s’imitent en elle ; et c’est ainsi que l’entendait Saint-Hilaire plus haut. De là il prouvait à partir de la définition de l’image à la fois l’unité de l’essence et la distinction des personnes. Mais quant à la deuxième imitation qui est celle de la créature à l’égard du créateur, l’image signifiera l’essence divine et indiquera le rapport à la créature qui imite cette essence ; et c’est ainsi que l’entendait au même endroit Saint-Augustin et c’est pourquoi à partir de la définition de l’image il ne prouvait que l’unité de la substance.

[2120] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 2 ad arg. Et per hoc patet solutio ad objecta.

 Solutions :

Et par ce développement les solutions aux difficultés qui précèdent sont évidentes.

 

 

Articulus 3Utrum spiritus sanctus possit dici imago

Article 3 – Peut-on dire que l’Esprit Saint est une image ?

 

[2122] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Spiritus sanctus possit dici imago. Primo per Damascenum qui dicit (I Fidei Ortho., cap. XIII) quod Spiritus sanctus est imago Filii.

 Difficultés:

1. Il semble qu’on puisse dire de l’Esprit-Saint qu’il est une image, premièrement par l’autorité de Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. XIII] qui dit que l’Esprit-Saint est l’image du Fils.

[2123] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut Filius imitatur Patrem, per omnia consimilis sibi, ita etiam Spiritus sanctus. Sed hoc est quod requiritur ad perfectam rationem imaginis, ut dictum est, art. 1 hujus quaest. Ergo Spiritus sanctus est imago Patris.

 2. Par ailleurs, l’Esprit-Saint, tout comme le Fils, imite le Père par tout ce qui leur est entièrement semblable. Mais c’est cela qui est requis à une parfaite définition de l’image, ainsi que nous l’avons dit dans l’article 1 de cette question. Donc l’Esprit-Saint est l’image du Père.

[2124] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 3 Si dicis, quod Spiritus sanctus non habet hoc quod sit similis Patri per omnia, ex ratione processionis, sicut Filius hoc habet inquantum procedit ut genitus ; contra: quia processio Spiritus sancti non tantum est processio amoris, sed processio amoris divini. Sed processio amoris divini, inquantum hujusmodi, habet quod sit in plenitudine ejusdem naturae. Ergo videtur quod Spiritus sanctus ex processione sua habeat quod sit imago.

 3. Si tu dis que l’Esprit-Saint ne possède pas cette ressemblance totale au Père, en raison de sa procession, que le Fils possède selon qu’il procède en tant qu’il est engendré, j’objecte que la procession de l’Esprit-Saint n’est pas seulement une procession de l’amour mais une procession de l’amour divin. Mais la procession de l’amour divin, en tant que tel, est en possession de la plénitude d’une même nature. Il semble donc que l’Esprit-Saint soit une image en raison même de sa procession.

[2125] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, dicitur absolute, quod Spiritus sanctus est aequalis Patri, et similis, et connaturalis ; quamvis hoc non habeat ex ratione suae processionis absolute. Cum igitur similitudo et aequalitas et connaturalitas constituant perfectam rationem imaginis ; videtur quod Spiritus sanctus absolute dicendus [ dicendus om. Ed. de Parme] sit imago.

 4. Par ailleurs, c’est absolument qu’on dit de l’Esprit-Saint qu’il est égal au Père, qu’il lui est semblable et de même nature, bien qu’il ne possède pas cela totalement en raison de sa procession. Donc, puisque la similitude, l’égalité et l’identité de nature constituent la définition parfaite de l’image, il semble qu’on doive dire d’une manière absolue de l’Esprit-Saint qu’il est une image.

[2126] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 s. c. 1 Contra est quod Hilarius dicit, quod aeternitas est in Patre, et species in imagine, et usus in munere. Sicut ergo munus vel donum est proprium Spiritus sancti, ita imago Filii. Hoc idem habetur [videtur éd. de Parme]per Augustinum, supra, distinct. 27.

 Cependant :

1. Saint-Hilaire dit le contraire, à savoir que l’éternité est dans le Père, l’espèce est dans l’image et l’usage est dans le présent. Donc, tout comme le présent ou le don est propre à l’Esprit-Saint, de même l’image est propre au Fils. C’est également ce qui est établi par [ce qu’on voit chez Éd. de Parme] Saint-Augustin plus haut à la distinction 27.

[2127] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod imago, secundum quod personalis dicitur, convenit tantum Filio, et non Spiritui sancto. Cujus ratio diversimode assignatur. Quidam enim dicunt, quod cum imago ponat imitationem in exterioribus, et notionalia in divinis sint quasi exteriora, Filius convenienter dicitur imago Patris, quia imitatur Patrem etiam in aliqua notione, scilicet in communi spiratione ; non autem Spiritus sanctus, qui nullam notionem communem cum Patre habet.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’image, selon qu’elle se dit personnellement, convient seulement au Fils  et non à l’Esprit-Saint. Et on peut en donner différentes raisons. Certains en effet disent que puisque l’image pose une imitation dans ce qui est extérieur et que les notions en Dieu sont comme extérieures, c’est avec raison qu’on dit du Fils qu’il est l’image du Père car il imite le Père même dans une notion, à savoir dans la spiration commune, ce qui n’est pas le cas pour l’Esprit-Saint qui ne partage aucune notion commune avec le Père.

Sed hoc non videtur conveniens propter duo :

primo, quia notionalia in divinis non se magis habent per modum exteriorum quam essentialia, praeter illa quae sunt assequentia substantiam, secundum Damascenum, I Fid. Orthod., cap. IX, col. 838 ; et ideo imitatio in illis adhuc faceret rationem imaginis.

Secundo, quia secundum relationem originis non attenditur in divinis similitudo aut aequalitas, vel dissimilitudo vel inaequalitas, ut ex verbis Augustini habitum est supra, 20 distinct. Ad rationem autem imaginis requiritur similitudo et aequalitas, ut dictum est, art. 1 hujus quaest.

Mais cette position semble insuffisante pour deux raisons : premièrement parce que les termes notionnels en Dieu, d’après Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. 1X, col. 838] ne se présentent pas davantage à la manière de ce qui est extérieur que les termes essentiels, à l’exception de ceux qui découlent de la substance ; et c’est pourquoi l’imitation en eux entraînerait encore la définition de l’image.

Deuxièmement parce que, à considérer la relation d’origine, on ne retrouve en Dieu ni similitude ni égalité, ni dissimilitude ni inégalité, ainsi que nous l’avons établi plus haut dans la distinction 20 à partir des paroles de Saint-Augustin. Mais comme nous l’avons dit dans l’article 1 de cette question, la similitude et l’égalité sont nécessaires à la définition de l’image.

Et ideo alii dicunt, quod impossibile est unius rei esse plures imagines immediate ducentes in illam, nisi per materiam divisas ; nec etiam e contrario est possibile quod idem sit imago plurium ; et ideo, cum Patris imago sit Filius, non potest etiam esse imago Spiritus sanctus: quia sic plures essent imagines unius. Nec iterum [item éd. de Parme] potest esse quod Spiritus sanctus sit imago Patris et Filii: quia sic idem esset imago immediata plurium

 Et c’est pourquoi d’autres disent qu’il est impossible qu’il y ait plusieurs images d’une seule et même chose qui conduisent  immédiatement à elle, à l’exception de celles qui sont divisées par la matière ; et ils disent aussi qu’il n’est pas possible au contraire que la même chose soit l’image de plusieurs êtres ; et c’est pourquoi, puisque le Fils est l’image du Père, l’Esprit-Saint ne peut lui aussi en être l’image car ainsi il y aurait plusieurs images d’un seul et même être. Et en second lieu [pareillement Éd. de Parme] il n’est pas possible que l’Esprit-Saint soit l’image du Père et du Fils car ainsi  le même être serait l’image immédiate de plusieurs autres.

 Istud etiam non videtur conveniens propter duo:

primo, quia Spiritus sanctus refertur ad Patrem et Filium ut ad unum principium ; unde posset esse imago eorum ut sunt unum principium ejus, sicut homo est imago totius Trinitatis.

Secundo, quia non est major ratio quare non possunt esse unius plures imagines quam unius plures similes vel aequales ; hoc enim convenit in divinis, scilicet quod plures sint similes vel aequales unius, non per divisionem materiae, sed per distinctionem relationum.

 Cette position aussi semble insuffisante pour deux raisons : premièrement parce que l’Esprit-Saint se rapporte au Père et au Fils comme à un seul et même principe ; d’où  il pourrait être leur image en tant qu’ils sont pour Lui un seul principe, tout comme l’homme est l’image de toute la Trinité.

Deuxièmement parce qu’on ne voit pas pourquoi il serait plus raisonnable de dire qu’il ne peut y avoir plusieurs images d’un seul et même être que de dire qu’il peut y avoir plusieurs êtres semblables et égaux à un seul et même être ; cela en effet convient aux personnes divines, à savoir que plusieurs soient semblables et égales à une seule et même autre, non pas par une division de la matière, mais par une distinction des relations.

Et ideo dicendum cum aliis, quod quamvis diversitas rationis attributorum non sufficiat ad distinctionem realem processionum, tamen sufficit ad diversas notiones eorum, ut supra, 13 dist., quaest. 1, art. 3, dictum est: et ideo quamvis Spiritus sanctus sua processione accipiat naturam ; quia tamen sua processio non est per modum naturae, non dicitur nec est generatio quia generatio est processio per modum naturae ; et per consequens non dicitur Filius. Ita etiam dico quod Filius ex ratione processionis suae habet quod sit imago, et inquantum procedit ut Filius, quia Filius dicitur ex hoc quod habet naturam Patris ; et inquantum procedit ut verbum, quia verbum, ut dictum est, dist. 27, quaest. 2, art. 1, est quaedam similitudo in intellectu ipsius rei intellectae. Sed Spiritus sanctus non habet hoc ex ratione suae processionis, quia procedit ut amor ; et ideo sicut non dicitur Filius, quamvis accipiat sua processione naturam Patris ; ita nec imago, quamvis habeat similitudinem ad Patrem.

 Et c’est pourquoi il faut dire avec d’autres que bien que la différence de raison des attributs ne suffise pas à une distinction réelle des processions, cependant elle suffit à établir leurs différentes notions, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 13, quest. 1, art. 3] : et c’est pourquoi, bien que ce soit par la procession que l’Esprit-Saint reçoit la nature, cependant parce que sa procession n’est pas par mode de nature, on ne l’appelle pas génération et elle n’en est pas une  parce que la génération est une procession par mode de nature ; et c’est pourquoi par conséquent on ne dit pas de l’Esprit-Saint qu’il est Fils. De même encore je dis que le Fils, en raison de sa procession, se trouve à être une image, à la fois en tant qu’il procède comme Fils, car on l’appelle Fils du fait qu’il possède la nature du Père, et en tant qu’il procède comme Verbe car le verbe, ainsi que nous l’avons dit [dist. 27, quest. 2, art. 1] est une certaine similitude de la chose elle-même en tant qu’elle est conçue dans l’intelligence. Mais l’Esprit-Saint ne possède pas cela en raison de sa procession car il procède en tant qu’amour ; et c’est pourquoi, tout comme on ne l’appelle pas Fils, bien qu’il reçoive la nature du Père par sa procession, de même on ne l’appelle pas image, bien qu’il possède une ressemblance à l’égard du Père.

[2128] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod Damascenus large accipit imaginem pro quacumque similitudine.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que Damascène prend ici l’image au sens large pour toute similitude.

[2129] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Spiritus sanctus imitetur Patrem, non tamen habet ex ratione suae processionis ut imago dicatur ; et ideo non dicitur imago sicut non dicitur Filius.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que l’Esprit-Saint imite le Père, il ne le fait cependant pas en raison de sa procession de manière à être appelé image ; et c’est pourquoi on ne dit pas de Lui qu’il est image tout comme on ne l’appelle pas Fils.

[2130] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod identitas rei in divinis non praejudicat distinctioni secundum rationem in veritate attributorum ; et ideo quamvis sapientia, inquantum est divina, sit essentia, nihilominus manet ibi propria ratio sapientiae praeter rationem essentiae, et similiter ratio voluntatis praeter rationem naturae et intellectus ; et propter hoc etiam remanet distinctio in processionibus quae sunt per modum voluntatis et intellectus et naturae, ad minus secundum rationem ; et diversitas rationum causat diversitatem nominum ; unde illa nomina nunquam concurrerent in idem, nisi rationes in eadem re fundarentur ; et quia processio per modum voluntatis et naturae non eidem competit in divinis, ideo nec nomina se consequuntur quae proprias rationes processionum demonstrant.

 3. Il faut dire en troisième lieu que l’identité de la chose en Dieu ne nuit pas à la distinction selon la raison pour la vérité des attributs ; et c’est pourquoi, bien que le sagesse, en tant qu’elle est divine, s’identifie à l’essence, néanmoins dans ce cas la notion propre de sagesse demeure distincte de celle de l’essence, et de la même manière la notion de volonté demeure distincte de celle de nature et de celle d’intelligence ; et c’est pour cette raison que demeure aussi la distinction dans les processions par mode de volonté, d’intelligence et de nature, au moins selon la raison ; et cette diversité des notions est la cause de la diversité des noms ; de là ces noms ne coïncident jamais dans la même chose, à moins que les notions se fondent sur la même chose ; et parce que la procession qui se réalise par mode de volonté n’appartient pas en Dieu à la même personne que celle qui se réalise par mode de nature, c’est pourquoi les noms qui signifient les notions propres des processions ne s’égalent pas.

[2131] Super Sent., lib. 1 d. 28 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis nomen imaginis sit impositum ab aequalitate et similitudine, tamen est impositum ad significandum rem cui ex modo suae productionis competit similitudo et aequalitas ; et ideo non oportet quod dicatur absolute similis et aequalis nisi ex modo suae processionis hoc habeat quod etiam imago proprie et absolute dicatur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que le nom d’image soit imposé en partant de l’égalité et de la similitude, cependant il est imposé pour signifier la chose à la quelle appartient la similitude et l’égalité à partir du mode de sa production ; et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’elle soit dite semblable et égale d’une manière absolue, à moins qu’elle ne tienne cela du mode même de sa procession d’être aussi appelée image au sens propre et absolument.

 

 

Distinctio 29

Distinction 29 – [Le principe]

 

 

 

 

Quaestio 1

Question unique – [Le principe]

Hic quaeruntur quatuor:

1 utrum una persona sit principium respectu alterius: et supposito quod sit ;

2 utrum principium dicatur univoce de Deo respectu divinae personae, et respectu creaturae ;

3 utrum eadem notione Pater et Filius sint principium Spiritus sancti ;

4 si possint dici unum principium ipsius.

 On cherche ici à répondre à quatre questions :

1. Est-ce qu’une personne est un principe par rapport à une autre : et en supposant qu’elle le soit ;

2. Est-ce que principe s’attribue à Dieu de façon univoque par rapport à une personne et par rapport à la créature ?

3. Est-ce par la même notion que le Père et le Fils sont principes de l’Esprit-Saint ?

4. Peut-on dire des deux qu’ils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint ?

 

 

Articulus 1. lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 tit. Utrum una persona sit principium alterius.

Article 1 – Une personne est-elle le principe d’une autre ?

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod una persona non sit principium alterius. Nomen enim principii imponitur a prioritate sicut et nomen sonat. Sed in divinis personis non est prius et posterius, ut supra habitum est, dist. 9, quaest. 2, art. 1. Ergo una persona non est principium alterius.

Difficultés :

1. Il semble qu’une personne ne soit pas le principe d’une autre. En effet, le nom de principe est imposé en partant de l’idée de ce qui est premier, tout comme le nom le laisse entendre. Mais dans les personnes divines il n’y a rien qui soit premier et second, ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. 9, quest. 2, art. 1]. Donc une personne ne peut être le principe d’une autre.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 2. Praeterea, quod est principium alicujus, videtur esse causa ejus: quia, sicut dicit philosophus in V Metaph., text. 1, quot modis dicitur causa, tot modis dicitur principium vel initium. Sed una persona non est causa alterius, quia in divinis personis nihil est causatum. Ergo una persona non est principium alterius.

 2. Par ailleurs, ce qui est le principe d’une chose semble en être la cause : car, ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 1], principe ou commencement se dit d’autant de manières que se dit la cause. Mais une personne n’est pas la cause d’une autre car dans les personnes divines, rien n’est causé. Donc une personne n’est pas la cause d’une autre.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, una persona non est principium alterius nisi inquantum dat esse. Sed tale principium est operativum vel effectivum. Cum igitur una persona non dicatur factrix vel operatrix alterius, videtur quod una non sit principium alterius.

 3. En outre, une personne n’est le principe d’une autre que dans la mesure où elle donne l’existence. Mais un tel principe est opérationnel ou efficient. Donc, puisqu’on ne peut dire qu’une personne est productrice ou créatrice d’une autre, il semble qu’une personne ne soit pas le principe d’une autre.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur, quod Pater est principium totius deitatis.

Cependant :

1. Il est dit au contraire dans la Lettre que le Père est le principe de toute la divinité.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, a quocumque oritur aliquid, est principium illius. Sed ab una persona oritur alia. Ergo una est principium alterius.

 2. Par ailleurs, ce d’où procède un être est toujours le principe de cet être. Mais une personne procède d’une autre. Donc une personne est le principe d’une autre.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ad significandum originem divinarum personarum, utendum est talibus nominibus qualia modo originis competant ; quia secundum Hilarium, IV de Trinit., § 14, col. 107, sermo debet esse rei subjectus. Hoc autem invenimus in origine divinarum personarum quod tota essentia unius accipitur in alia, ita quod una numero est essentia trium, et idem esse.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que pour signifier l’origine des personnes divines, il faut se servir de noms tells qu’ils conviennent au mode d’origine, car d’après Saint-Hilaire [IV De la Trinité, & 14, col. 107], le discours doit être subordonné à la chose. Mais nous voyons dans l’origine des personnes divines que toute l’essence de l’une est reçue dans l’autre, ainsi qu’il n’y a qu’une seule essence pour les trois et que leur existence est la même.

Et ideo ad significandum ordinem talis originis, non competit nomen causae propter duo:

 Et c’est pourquoi, pour signifier l’ordre d’une telle origine, le nom de cause ne convient pas pour deux raisons :

primo, quia omnis causa vel est extra essentiam rei, sicut efficiens et finis ; vel pars essentiae, sicut materia et forma.

 Premièrement parce que toute cause est ou bien extérieure à l’essence de la chose, comme la cause efficiente et la cause finale ; ou bien elle est une partie de l’essence, comme la cause matérielle et la cause formelle.

Secundo, quia omnis causa habet ordinem principii ad esse sui causati quod per ipsam constituitur.

 Deuxièmement, parce que toute cause  a un ordre de principe par rapport à l’existence de son effet qui est constitué par elle.

Pater autem non habet aliquem ordinem principii ad esse Filii, sicut nec ad esse suum, cum unum et idem sit esse utriusque: unde Pater non est causa Filii, sed principium ; quia principium dicit ordinem originis absolute, non determinando aliquem modum qui ab origine personarum alienus sit.

Invenitur enim aliquod principium quod non est extra essentiam principiati, sicut punctus a quo fluit linea ; et quod non habet aliquam influentiam ad esse principiati, sicut terminus a quo dicitur principium motus, et sicut mane dicitur principium diei.

 Mais le Père n’a pas un ordre de principe par rapport à l’existence du Fils ni par rapport à sa propre existence puisque l’existence des deux est une seule et même existence : c’est pourquoi le Père n’est pas la cause du Fils, mais son principe ; car ¨principe¨ dit un ordre d’origine entendu absolument, sans déterminer un mode précis qui serait étranger à l’origine des personnes. On retrouve en effet un principe qui n’est pas extérieur à l’essence de ce qui en procède, tout comme le terme à partir duquel on parle de principe du mouvement, et tout comme on dit du matin qu’il est le principe du jour.

Sed nomen auctoris addit super rationem principii hoc quod est non esse ab aliquo ; et ideo solus Pater auctor dicitur, quamvis etiam Filius principium dicatur notionaliter.

 Mais le nom d’auteur ajoute ceci à la notion de principe qu’il ne procède pas d’un autre ; et c’est pourquoi, bien que le Fils aussi soit appelé principe notionnellement, seul le Père est appelé auteur.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quia nomen principii impositum est secundum quod invenitur in creaturis, ubi principium est prius aliquo modo principiato, ideo a prioritate imponitur ; sed tamen imponitur ad significandum illud a quo est aliquid. Unde quamvis quantum ad modum significandi divinis non competat, sicut et alia omnia [omnia om. nomina, essentialia add. Éd. de Parme] quae a nobis imposita sunt: tamen quantum ad rem significatam, propriissime ratio principii ibi [sibi éd. de Parme] competit.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que parce que le nom de principe est imposé selon qu’il se retrouve dans les créatures, là où le principe est premier en quelque sorte par rapport à ce qui en procède, c’est pourquoi ce nom est imposé en partant de la priorité ; mais il est cependant imposé en vue de signifier ce d’où procède un être. Il résulte de là que bien que sous le rapport de son mode de signifier il ne convienne pas à Dieu, comme tous [tous om. Éd. de Parme] les autres noms imposés par nous, cependant quant à la chose signifiée , la notion de principe convient là [à Lui Éd. de Parme] le plus proprement.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Pater dicatur principium Filii, non tamen dicendus est causa, nisi improprie, sicut Chrysostomus, Hom. II super Joan., col. 244, utitur nomine causae, dicens Patrem causam Filii: principium enim in plus est quam causa, et causa in plus est quam elementum, sicut dicit Commentator V Metaph. . Unde omnis causa est principium, sed non convertitur.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien qu’on dise du Père qu’il est le principe du Fils, on ne doit cependant pas dire qu’il en est la cause, sauf improprement, comme le fait Saint-Jean Chrysostome [11 Homélie sur l’Évangile de Jean, col. 244] en disant que le Père est la cause du Fils : en effet, principe est plus commun que cause et cause est plus commun qu’élément, ainsi que le dit le Commentateur [V Métaphysique]. Il résulte de là que toute cause est un principe, mais non inversement.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quia factio et operatio semper terminantur ad esse rei, ideo Filius non potest dici factus nec operatus a Patre, cum quo unum esse habet ; sed tantum generatus, propter originem personae.

 3. Il faut dire en troisième lieu que parce que toute fabrication et toute production aboutit à l’existence d’une chose, c’est pourquoi on ne peut dire du Fils qu’il est ¨fait¨ ou produit par le Père avec lequel il possède une seule et même existence ; mais on peut seulement dire qu’Il est engendré par Lui, à cause de l’origine de la personne.

 

 

Articulus 2 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 tit.

Utrum principium dicatur univoce de Deo secundum quod dicitur principium divinae personae et creaturae

Article 2 – Parle-t-on de manière univoque du principe pour Dieu selon qu’il est dit principe de la personne divine ou de la créature ?

 

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 –

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod principium univoce dicatur secundum quod Deus dicitur principium personae divinae et creaturae. Sicut enim dicit Basilius, lib. II Contra Eunomium, post mod., accipere a Patre Filius habet commune cum omni creatura ; sed habere per naturam est Filii proprium. Sed ratio principii fundatur supra originem unius ab alio, ut dictum est, art. praeced. Ergo principium univoce dicitur respectu personae divinae et respectu creaturae.

 Difficultés :

1. Il semble que principe s’attribue univoquement quand on dit de Dieu qu’il est principe de la personne divine et quand on dit de Lui qu’il est principe de la créature. En effet, comme le dit Saint-Basile [11 Contre Eunomius, peu après le milieu], le Fils a en commun avec toute créature de recevoir du Père ; mais il est propre au Fils de le tenir par nature. Mais la notion de principe se fonde sur l’origine de l’un par rapport à l’autre, comme nous l’avons dit dans l’article précédent. Donc, la notion de principe se dit univoquement par rapport à la personne divine et à la créature.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, Magister utitur tali divisione principii, quod principium est de non principio, et principium de principio, et principium de utroque principio. In hac autem divisione oportet quod principium accipiatur et secundum quod dicit respectum ad creaturam, et secundum quod dicit respectum ad personam. Cum igitur haec divisio omnino esset inartificialis si principium aequivoce diceretur, videtur quod principium univoce dicatur secundum utrumque modum.

 2. Par ailleurs, le Maître se sert de cette division du principe, à savoir qu’il y a un principe qui est sans principe, principe qui procède lui-même d’un principe, et principe qui procède des deux principes précédents. Mais dans cette division il faut que le principe se prenne à la fois selon qu’il se dit par rapport à la créature et selon qu’il se dit par rapport à la personne. Donc, puisque cette division serait absolument sans art si principe était attribué de manière équivoque, il semble que principe se dise univoquement selon les deux modalités.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 1 Contra, aeterno et temporali nihil potest esse univocum. Sed principium respectu creaturae est ex tempore, principium autem respectu divinae personae est ab aeterno. Ergo principium aequivoce dicitur.

 Cependant :

1. Au contraire, rien ne peut être univoque par rapport à l’éternel et au temporel. Mais principe, dit par rapport à la créature, se dit dans le temps ; mais par rapport à la personne divine, il se dit de toute éternité. Principe s’attribue donc de manière équivoque dans les deux cas.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 s. c. 2 Praeterea, Pater est principium Filii per generationem, et Spiritus sancti per spirationem, et creaturae per creationem. Hae autem sunt diversae rationes originis. Ergo videtur quod principium in istis acceptionibus aequivoce sumatur.

 2. Par ailleurs, le Père est principe du Fils par la génération, de l’Esprit-Saint par la spiration et de la créature par la création. Mais ce sont là des notions d’origine différentes. Il semble donc que principe, pris selon ces différentes acceptions, s’attribue à Dieu de manière équivoque.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 –

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, quomodo per prius dicatur. Videtur enim quod secundum quod dicit respectum ad creaturam. Essentiale enim est prius secundum intellectum notionali, et commune proprio. Sed esse principium creaturae, est essentiale et toti Trinitati commune ; esse autem principium divinae personae, est notionale et proprium. Ergo et cetera.

 Difficultés :

1. On se demande par la suite de quelle manière principe s’attribue en priorité. Il semble en effet que ce soit selon qu’il s’attribue dans son rapport à la créature. En effet, l’essentiel est antérieur au notionnel selon l’intelligence, tout comme le commun l’est par rapport au propre. Mais être principe de la créature est essentiel et commun à toute la Trinité, alors qu’être principe de la personne divine est notionnel et propre à certaines personnes. Donc, principe s’attribue à Dieu en priorité dans son rapport à la créature.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Contra, aeternum est prius temporali. Sed principium personae dicitur ab aeterno ; principium autem creaturae a tempore. Ergo et cetera.

 Cependant :

1. Au contraire, l’éternel est antérieur au temporel. Mais être principe par rapport à la personne s’attribue à Dieu de toute éternité, alors que principe par rapport à la créature s’attribue à Dieu dans le temps. Donc, principe s’attribue à Dieu en priorité dans son rapport à la personne divine.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod idem judicium est de principio et de origine super quam fundatur ratio principii. Potest autem origo considerari dupliciter:

aut secundum communem rationem originis, quae est aliquid ab aliquo esse ; et sic una ratio est communis ad originem personarum et originem creaturarum, non quidem communitate univocationis, sed analogiae: et similiter etiam nomen principii.

Potest etiam considerari secundum determinatum modum originis ; et sic sunt diversae speciales rationes originis et principii ; sed hoc non facit aequivocationem: quia sic etiam, secundum philosophum, I De anima, text. 8, animalis ratio secundum unumquodque est alia.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le jugement qu’on porte sur le principe est le même que celui qu’on porte sur l’origine sur laquelle se fonde la notion de principe. Mais l’origine peut être considérée de deux manières.

Soit d’après la notion commune d’origine qui consiste pour un être à procéder d’un autre ; et ainsi il y a une seule notion qui est commune à la fois à l’origine des personnes et à l’origine des créatures, non pas certes par une communauté d’univocité, mais par une communauté d’analogie : et il en est de même aussi pour le nom de principe.

Mais l’origine peut aussi être considérée d’après une sorte déterminée d’origine ; et ainsi il y a différentes notions particulières de ¨origine¨ et différentes notions particulières de ¨principe¨ ; mais cela n’entraîne pas l’équivoque parce que, ainsi encore, selon le Philosophe [1 De l’Âme, texte 8], la notion de l’animal, dans chacun des cas, est différente.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 1 Ad primum dicendum, quod principium est commune communitate analogiae, et non univocationis.

 Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que ¨principe¨ est commun par une communauté d’analogie et non par une communauté d’univocité.

 

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Magister accipit principium in divisione secundum communem rationem, quae una est, ut dictum est, in corp. art., et non secundum speciales, quae differunt.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que le Maître entend principe dans sa division selon la notion commune, qui est une seule et même notion, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, et non d’après des notions particulières, lesquelles diffèrent.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aeterno et temporali nihil sit univocum ; est tamen aliquid commune secundum analogiam, ut saepe dictum est.

 3. Il faut dire en troisième lieu que bien qu’il n’y ait rien d’univoque entre le temporel et l’éternel, cependant il y a du commun selon l’analogie, comme nous l’avons souvent dit.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit quantum ad speciales rationes originis quae non faciunt aequivocationem, ut dictum est.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que cet argument procède de la notion de principe quant à des notions particulières de l’origine qui n’entraînent pas l’équivoque, ainsi que nous l’avons dit.

Quaestiuncula 2

Réponse à la sous-question 2

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod processio creaturarum exemplatur a processione divinarum personarum ; unde, absolute loquendo, per prius dicitur principium respectu personae quam respectu creaturae.

Sed tamen sciendum, quod in principio, secundum quod dicitur respectu creaturae, est considerare ipsam habitudinem quae temporalis est, et illud in quo fundatur ista habitudo, scilicet virtus et operatio divina ; in quibus tamen non est ratio principii nisi quasi habitualiter ; et sic secundo modo considerando principium secundum quod dicitur principium creaturae, est prius quam principium divinae personae quod fundatur in proprietate, per modum quo essentiale dicitur prius notionali secundum intellectum. Sed hoc non est nisi secundum quid.

 Corps de l’article :

Par rapport à ce qu’on cherche à savoir par la suite, il faut dire que la procession des créatures se modèle sur la procession des personnes divines ; d’où il résulte, à parler absolument, que principe se dit en priorité par rapport à la personne et secondairement par rapport à la créature.

Mais il faut savoir cependant que dans le principe, selon qu’il se dit par rapport à la créature, il faut considérer la disposition elle-même qui est temporelle et ce sur quoi se fonde cette disposition, à savoir la puissance et l’opération divines, dans lesquelles cependant la notion de principe n’est présente qu’à la manière d’une disposition ; et en considérant ainsi le principe de la deuxième manière selon qu’il est dit principe de la créature, il est premier par rapport au principe de la persone divine, lequel se fonde sur la propriété, à la manière par laquelle on dit de l’essentiel qu’il est premier par rapport au notionnel selon l’intelligence. Mais il n’en est ainsi que sous un certain rapport.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 2 qc. 2 ad arg. Et per hoc patet responsio ad utrumque objectum.

 Et au moyen de ce que nous venons de dire, la réponse la réponse est claire pour chacune des deux difficultés.

 

 

Articulus 3 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 tit. Utrum proprietas Patris et Filii, qua dicuntur principium Spiritus sancti, sit tantum una

Article 3 – N’y a-t-il qu’une seule propriété du Père et du Fils par laquelle ils sont dits le principe de l’Esprit Saint?

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non sit [nisi add. Éd. de Parme] una proprietas Patris et Filii, secundum quam dicuntur principium Spiritus sancti. Proprietas enim unitatem et multitudinem trahit a suppositis. Sed Pater et Filius non sunt unum suppositum. Ergo nec ipsorum est una proprietas.

 Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait pas une [qu’une seule add. Éd. de Parme] seule propriété du Père et du Fils selon laquelle ils sont dits le principe de l’Esprit-Saint. La propriété en effet tient des suppôts son unité et sa multiplicité. Mais le Père et le Fils ne sont pas un seul et même suppôt. Il n’y a donc pas pour eux une seule et même propriété.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nihil idem est uniens principium, et distinguens. Sed notiones in divinis sunt distinguentes. Ergo videtur quod nulla notio Patrem et Filium uniat.

 2. Par ailleurs, aucun principe d’union n’est principe de distinction. Mais notions sont en Dieu ce qui distingue. Il semble donc qu’aucune notion n’unisse le Père et le Fils.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, magis sunt unum quae uniuntur in natura et proprietate, quam quae uniuntur in natura tantum. Sed Pater et Filius non sunt magis unum quam Pater et Spiritus sanctus. Cum igitur Pater et Spiritus sanctus non conveniant nisi in natura, videtur quod Pater et Filius non uniantur in aliqua proprietate una.

 3. En outre, ceux qui sont unis en nature et en propriété sont davantage un que ceux qui sont unis en nature seulement. Mais le Père et le Fils ne sont pas davantage un que le Père et l’Esprit-Saint. Donc, puisque le Père et le Saint-Esprit n’ont en commun que la nature, il semble que le Père et le Fils ne sont pas unis par une seule et même propriété.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, propinquius est proprietati illud in quo est, quam illud ad quod dicitur. Sed proprietates quae sunt in una persona, sunt plures ex hoc quod ad diversa referuntur ; sicut generatio in Patre ad Filium, et communis spiratio ad Spiritum sanctum. Ergo multo magis efficientur duae proprietates ex hoc quod sunt in duabus personis.

 4. De plus, est plus près de la propriété ce dans quoi est la chose que ce par rapport à quoi elle se dit. Mais les propriétés qui sont dans une même personne sont plus nombreuses du fait qu’elles se rapportent à différentes personnes ; par exemple la génération dans le Père par rapport au Fils et la spiration commune par rapport à l’Esprit-Saint. Donc, ce seront bien davantage deux propriétés qui seront produites du fait qu’elles seront dans deux personnes.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, secundum Anselmum, de process. Spir. Sancti, II, col. 288, in omnibus Pater et Filius unum sunt, in quibus non distinguit inter eos relationis oppositio. Sed in communi spiratione Pater et Filius non opponuntur. Ergo est una et eadem numero in utroque.

 Cependant :

1. Au contraire, selon Saint-Anselme [De la Procession de l’Esprit-Saint, 11, col. 288], le Père et le Fils sont un en tout, en quoi l’opposition de relation ne distingue pas entre eux. Mais le Père et le Fils ne s’opposent pas par la spiration commune. Donc, cette propriété dont on parle est une seule et même propriété, numériquement parlant, dans les deux.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod una numero notio est Patris et Filii, secundum quod principium spiritus sancti dicuntur, ut dicitur in Littera. Cujus ratio est, quia distinctionem rerum secundum formam aliquam non invenimus nisi dupliciter: uno modo secundum quod aliquid commune distinguitur per plures rationes speciales, sicut ratio generis distinguitur in plures species ; alio modo secundum quod natura specialis distinguitur in plura secundum numerum.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il n’y a qu’une seule notion, numériquement parlant, pour le Père et le Fils, selon qu’ils sont dits le principe de l’Esprit-Saint, ainsi qu’on le dit dans la Lettre. Et la raison en est qu’il n’est possible de trouver une distinction dans les choses selon la forme que de deux manières : premièrement selon que quelque chose de commun se distingue au moyen de plusieurs notions particulières, comme la notion de genre se distingue en plusieurs espèces ; deuxièmement selon qu’une nature particulière se distingue en plusieurs individus.

Hic autem secundus modus non potest esse in divinis, duplici ratione:

primo, quia multiplicatio secundum numerum unius speciei non est ex aliquo formali adjuncto, sed ex materiali principio diviso: quia ratio speciei specialissimae constituitur per adventum ultimae formae constitutivae: materia autem non est in divinis.

Secundo, quia natura specialis non multiplicatur nisi secundum esse quod in diversis habet: quia tota quidditas completa est in specie.

 Mais cette deuxième modalité ne peut se retrouver en Dieu pour deux raisons : premièrement parce que la multiplication d’une même espèce selon le nombre de provient pas de quelqu’ajout formel, mais de la division du principe matériel car la notion de l’espèce la plus particulière est constituée par l’arrivée de la forme constitutive ultime et il n’y a pas de matière en Dieu. Deuxièmement parce que la nature particulière ne se multiplie que selon l’existence qu’elle revêt dans différents êtres car la quiddité complète se retrouve en totalité dans l’espèce.

In divinis autem non est nisi unum esse ; unde non potest esse quod aliquid dictum secundum specialem rationem, in divinis numero multiplicetur.

Relinquitur igitur quod quidquid est in divinis, vel remaneat indistinctum et unum numero, sicut natura communis tribus personis: vel habeat rationem communem distinguibilem secundum plures rationes speciales: sicut relatio communis est tribus, non tamen una numero relatio, sed alia et alia, etiam secundum rationem specialem distincta.

Cum igitur communis spiratio nominet specialem rationem principii secundum specialem modum originis, impossibile est quod sit nisi una numero in Patre et Filio.

 Mais dans les personnes divines il n’y a qu’une seule existence ; il résulte de là qu’il n’est pas possible que ce qui se dit selon une notion particulière se multiplie par le nombre en Dieu.

Il reste donc que tout ce qu’on retrouve en elles ou bien demeure indistinct et un par le nombre, comme la nature commune aux trois personnes, ou bien possède une notion commune pouvant être distinguée d’après plusieurs notions particulières, tout comme la relation qui est commune aux trois personnes sans être une numériquement parlant mais plutôt différente dans chacun des cas d’après une notion particulière.

Donc, puisque la spiration commune nomme une notion particulière de principe d’après un mode particulier d’origine, il est impossible qu’elle existe dans le Père et le Fils à moins d’y être une numériquement parlant.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod in creaturis supposita distincta sunt per esse ; et ideo proprietates ipsorum etiam secundum esse distinguuntur. Sed in divinis suppositis est unum esse ; unde et proprietas non potest multiplicari secundum esse, sed solum secundum rationem proprietatis specialem.

Solutions :

 1. Il faut donc dire en premier lieu que dans les créatures les suppôts se distinguent par l’existence ; et c’est pourquoi leurs propriétés aussi se distinguent par l’existence. Mais en Dieu il n’y a qu’une seule existence pour les suppôts, d’où il résulte que la propriété ne peut être multipliée selon l’existence, mais seulement selon une notion particulière de propriété.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum idem non potest esse aliquid uniens et distinguens, et respectu ejusdem ; unde communis spiratio distinguit Patrem a Spiritu sancto, sed unit Filio.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il est impossible qu’un même principe, sous le même rapport, unisse et distingue ; il résulte de là que la spiration commune distingue le Père de l’Esprit-Saint, mais l’unit au Fils.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum Augustinum, supra dist. XX, secundum relationes originis attenditur aequalitas vel inaequalitas ; et ideo ex hoc quod Pater convenit cum Filio in aliqua notione, non dicitur magis unum esse cum eo quam cum Spiritu sancto, sed solum in pluribus.

 3. Il faut dire en troisième lieu que d’après Saint-Augustin cité plus haut à la distinction XX, c’est d’après les relations d’origine que se vérifient l’égalité et l’inégalité; et c’est pourquoi, du fait que le Père partage une notion avec le Fils, on ne dit pas de Lui qu’il fait plus un avec le Fils qu’avec le Saint-Esprit, mais seulement qu’il fait un avec le Fils sous de plus nombreux rapports.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proprietas relativa, quantum ad esse quod habet, proximius se habet ad suum suppositum quam ad id ad quod dicitur ; unde si esset ibi variatio secundum esse, hoc haberet a suppositis. Sed secundum rationem relationis dicitur ad aliud ; et ideo distinguitur specialis ratio relationis, secundum quod ad aliud et aliud refertur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la propriété relative, quant à l’existence qu’elle possède, est plus proche de son suppôt que de l’autre chose à laquelle elle se rapporte; il résulte de là que s’il y avait là un changement selon l’existence, elle le tiendrait des suppôts. Mais selon la notion de relation cette propriété se dit par rapport à quelque chose d’autre; et c’est pourquoi la notion particulière de relation se distingue selon qu’elle se rapporte à tel ou tel autre.

 

 

Articulus 4 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 tit. Utrum Pater et Filius sint unum principium Spiritus sancti

Article 4 – Le Père et le Fils sont-ils le principe unique de l’Esprit Saint ?

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Pater et Filius non sint unum principium Spiritus sancti. Si enim unum sunt principium, aut unum quod est Pater, aut unum quod non est Pater. Si unum quod est Pater, ergo Filius est Pater, quod falsum est. Si unum quod non est Pater, ergo Pater non est Pater, quod iterum falsum est. Ergo nullo modo sunt unum principium.

Difficultés :

Il semble que le Père et le Fils ne soient pas un seul principe de l’Esprit-Saint. Si en effet ils  sont un seul principe, ou bien cet unique principe est le Père ou bien il n’est pas le Père. Si cet unique principe est le Père, donc le Fils est le Père, ce qui est faux. Si cet unique principe n’est pas le Père, donc le Père n’est pas le Père, ce qui est encore faux. Donc le Père et le Fils ne sont aucunement un seul et même principe de l’Esprit-Saint.

 

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, de Patre et Filio et Spiritu sancto, ex eo quod sunt unum principium creaturae, dicimus, quod sunt unus creator. Sed non dicimus quod Pater et Filius sunt unus spirator. Ergo non sunt unum principium Spiritus sancti.

 2. Par ailleurs, au sujet du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint, du faut qu’ils sont un seul principe de la créature, nous disons qu’ils sont un seul créateur. Mais nous ne disons pas du Père et du Fils qu’ils sont un seul spirateur. Don, ils ne sont pas un seul principe de l’Esprit-Saint.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, unitas causa est identitatis. Sed Pater et Filius non dicuntur idem principium Spiritus sancti. Ergo nec unum.

 3. En outre, l’unité est cause d’identité. Mais nous ne disons pas que le Père et le Fils sont un principe identique de l’Esprit-Saint. Ils n’en sont donc pas un principe unique.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, sicut supra habitum est, in omnibus Pater et Filius unum sunt, in quibus [non distinguit relationis oppositio add. Éd de Parme], et in quibus hoc de illo dicitur. Sed Filius est principium de principio. Ergo Pater et Filius sunt unum principium.

Cependant :

1. Au contraire, tout comme nous l’avons établi plus haut, le Père et le Fils sont un en tout, dans les choses [que la relation d’opposition ne distingue pas add. Éd. de Parme], et dans lesquelles cela se dit de celui-ci. Mais le Fils est un principe qui procède d’un principe. Donc le Père et le Fils sont un seul et même principe.

 

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, unius rei unum est principium. Sed Spiritus sanctus est unus. Ergo unum ejus est principium.

 2. Par ailleurs, il n’y a qu’un seul principe pour une seule et même chose. Mais l’Esprit-Saint est une seule et même réalité. Il n’y a donc qu’un seul principe de l’Esprit-Saint.

 lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod secundum omnes, Pater et Filius sunt unum principium Spiritus sancti, qui Spiritum sanctum ab utroque confitentur procedere. Sed circa hoc qualiter dicatur, sunt diversae opiniones.

Quidam enim dicunt, quod unum non designat nisi unitatem proportionis ; quia sicut se habet Pater ad Spiritum sanctum ut spirans, ita et Filius. Sed istud non sufficit ; quia secundum unitatem proportionis etiam conveniunt Pater et Filius in ratione suppositi ; et tamen non dicimus eos esse unum suppositum.

Et ideo alii dicunt, quod unum dicit unitatem naturae: qui videntur inniti auctoritate Anselmi, qui dicit, quod Pater et Filius spirant Spiritum sanctum De processione Spiritus sancti, cap. XVIII, inquantum uterque eorum est Deus. Sed nisi aliquid plus dicant, ab unitate principii notionaliter dicti non excluderetur Spiritus sanctus, qui non excluditur ab unitate naturae.

Et ideo alii dicunt, quod unum dicit unitatem notionis ; et istud videtur esse conveniens ; quia in substantivis nominibus unitas et pluralitas attenditur secundum unitatem et pluralitatem formae significatae ; unde dicimus, unus Deus, propter unitatem divinae naturae. Forma autem quam significat hoc nomen principium, secundum quod personaliter sumitur, est ipsa notio vel proprietas, sicut hoc nomen Pater significat paternitatem.

Unde ad unitatem notionis sequitur unitas principii. Potest nihilominus dici, ut salvetur dictum Anselmi, quod significat unitatem in potentia spirativa, quae dicit naturam divinam sub ratione talis proprietatis, quae est principium operationis personalis, ut supra dictum est, dist. 11, qu. 1, art. 2 et 3.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après tous ceux qui confessent que l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils, Le Père et le Fils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint. Mais à ce sujet il y a différentes positions sur la manière de le dire.

En effet, certains disent que ¨un¨ ne désigne que l’unité de proportion ; car le Fils se rapporte à l’Esprit-Saint en tant qu’agent de spiration de la même manière que le Père. Mais cela est insuffisant : car d’après l’unité de proportion le Père et le Fils se rencontrent aussi dans la notion de suppôt et cependant nous ne disons pas qu’ils sont un seul et même suppôt.

Et c’est pourquoi d’autres disent que ¨un¨ dit l’unité de nature, lesquels semblent s’être appuyés sur l’autorité de Saint-Anselme [De la Procession de l’Esprit-Saint, ch. XVIII] qui dit que le Père et le Fils spirent l’Esprit-Saint en tant que les deux sont un seul Dieu. Mais l’Esprit-Saint ne serait pas exclu de l’unité du principe dit notionnellement, Lui qui n’est pas exclu de l’unité de nature, à moins qu’ils ne disent quelque chose de plus.

Et c’est pourquoi d’autres disent que ¨un¨ dit une unité de notion ; et cette position semble juste car dans les noms substantifs l’unité et la pluralité se vérifie d’après l’unité et la pluralité de la forme signifiée ; il résulte de là que nous disons un seul Dieu en raison de l’unité de la nature divine. Mais la forme que signifie ce nom ¨principe¨, selon qu’il se prend personnellement, est la notion elle-même ou la propriété, tout comme ce nom ¨Père¨ signifie la paternité.

D’où il résulte que l’unité du principe découle de l’unité de la notion. On peut néanmoins dire, pour conserver les paroles de Saint-Anselme, que le non de principe signifie l’unité dans la puissance de spiration, unité qui dit la nature divine sous le rapport de telle propriété qui est le principe de l’opération personnelle, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 11, quest. 1, art. 2 et 3]

 

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ista divisio: aut sunt unum quod est Pater, aut sunt unum quod non est Pater, non est per contradictoria ; unde utraque falsa est. Sed haec est vera: non sunt unum quod est Pater tantum ; sed sunt unum quod est Pater et Filius ; sicut sunt etiam unus Deus, qui est Pater et Filius.

Solutions :

 1. Il faut dire en premier lieu que cette division : ¨ou bien ils sont le principe unique qui est le Père, ou bien ils sont le principe unique qui n’est pas le Père¨, ne se fait pas par la contradiction. Il résulte de là que les deux sont fausses. Mais celle-ci est vraie : ils ne sont pas ce principe unique qui est le Père seulement, mais ils sont ce principe unique qui est le Père et le Fils, tout comme ils sont aussi un seul Dieu qui est le Père et le Fils.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis dicantur unum principium Spiritus sancti, non tamen dicuntur unus spirans vel unus spirator: quia hujusmodi distinctiones imponuntur ab actibus, qui semper significant ut adjacenter, et in talibus non attenditur in consignando pluraliter pluralitas formae significatae, sed suppositorum, ut supra dictum est, 16 dist., qu. 1, art. 4. Sed de creatione non est similis ratio ac de spiratione:

quia spiratio praeexigit distinctionem in suppositis ; unde est aliquo modo a pluribus suppositis inquantum distincta sunt, cum sit operatio personalis ; sed creatio est opus essentiae divinae ;

unde est opus suppositi indistincti, prout essentia significatur id quod est, ut hoc nomine Deus ; et ideo sicut Pater et Filius dicuntur unum, quod est unus Deus, ita et unus creator ; non tamen creans unus, quia participium est adjectivum.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien qu’on dise d’eux qu’ils sont un seul et même principe de l’Esprit-Saint, on ne dit cependant pas d’eux qu’ils sont un seul à poser l’opération de spiration, ou qu’ils sont un seul spirateur :  parce que des distinctions de cette sorte sont imposées à partir des actes qui signifient toujours à la manière de ce qui entoure et dans ces cas ce n’est pas la pluralité de la forme signifiée qui se vérifie en la notant au pluriel, mais la pluralité des suppôts, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 16, quest. 1, art. 4]. Mais le raisonnement n’est pas le même pour la création et la spiration : car la spiration présuppose nécessairement une distinction dans les suppôts ; d’où elle est opérée en un sens par plusieurs suppôts en tant qu’ils sont distincts, puisqu’elle est une opération personnelle ; mais la création est une œuvre de l’essence divine, d’où il résulte qu’elle est l’œuvre d’un suppôt indistinct, selon que l’essence est signifiée comme ce qui est , comme par le nom Dieu ; et c’est pourquoi, tout comme on dit que le Père et le Fils sont un, à savoir un seul Dieu, de même on dit qu’ils sont un seul créateur ; on ne dit cependant pas qu’ils sont un seul ¨créant¨ car un participe est un adjectif.

lib. 1 d. 29 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non conceditur communiter, quod sint idem principium ; quia ratione articulationis includitur unitas suppositi: sicut etiam supra, Magister dicit, quod Deus non genuit se Deum, nec alium Deum. Quidam tamen dicunt, quod Filius et Pater sunt idem Deus, et sunt idem principium, eo quod ly idem est adjectivum, et non ponit identitatem absolutam, sed respectu ejus cui adjungitur ; et secundum hoc potest concedi, quod sunt idem principium.

 3. Il faut dire en troisième lieu qu’on ne concède pas universellement qu’ils sont un même principe ; car en raison de l’articulation l’unité du suppôt est incluse : tout comme aussi le Maître dit aussi que Dieu n’a engendré ni lui-même comme Dieu ni un autre Dieu. Certains disent cependant que le Fils et le Père sont le même Dieu et qu’ils sont le même principe du fait que ce ¨même¨ est un adjectif et qu’il ne pose pas une identité absolue, mais seulement par rapport à ce à quoi il s’ajoute ; et d’après cela on peut concéder qu’ils sont un même principe.

 

 

Distinctio 30

Distinction 30 – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [Ce qu’on dit de Dieu selon le temps]

 

 

Prooemium     

Prologue

Hic tria quaeruntur:

1 utrum aliquid de Deo ex tempore dicatur ;

2 utrum ista significent essentiam divinam ;

3 utrum illa nomina relativa ponant aliquam relationem realiter in Deo existentem.

 On cherche ici à répondre à trois questions :

1. Est-ce qu’on dit quelque chose de Dieu en la dépendance du temps ?

2. Est-ce que ces noms signifient l’essence divine ?

3. Est-ce que ces noms relatifs pose une relation réelle qui existe en Dieu ?

 

 

Articulus 1 [2181] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 tit.

Utrum aliquid dicatur de Deo ex tempore.

Article 1 – Dit-on quelque chose de Dieu en rapport avec le temps ?

 [2182] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod de Deo nihil ex tempore dicatur. De quo enim dicitur aliquid ex tempore, quod ante non dicebatur, potest dici esse factum illud ; sicut homo dicitur esse factus albus, si prius non dicebatur vere de eo quod esset albus. Sed fieri nullo modo competit Deo, sicut nec mutari, cum sit primum movens. Ergo videtur quod nihil in Deo ex tempore dicatur.

 Difficultés:

1. Il semble que rien ne se dise de Dieu en la dépendance du temps. En effet, l’être auquel on attribue quelque chose en la dépendance du temps, on peut dire à son sujet qu’il est devenu ce qu’avant on ne lui attribuait pas: par exemple l’homme dont on dit qu’il est devenu blanc si avant on ne disait pas en vérité qu’il était blanc. Mais le devenir, tout comme le changement, ne convient nullement à Dieu, puisqu’il est le premier moteur. Il semble donc que rien ne se dit de Dieu en la dépendance du temps.

[2183] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quod praedicatur de aliquo, aut dicitur de eo per se, aut per accidens. Sed ista non praedicantur per se ; quia quod per se inest, semper inest ; haec autem non ab aeterno de Deo dicuntur ; nec etiam per accidens, quia nullum accidens in Deo est ; et praeterea, cum omne per accidens reducatur ad aliquod per se, haec dicerentur de aliquo alio per se ; quod non invenitur: quia nihil aliud quam Deus dicitur creator, vel universitatis dominus. Ergo videtur quod ista nullo modo de Deo dicantur.

 2. Par ailleurs, ce qui se dit d’un être lui est attribué soit essentiellement, soit accidentellement. Mais ces noms ne s’attribuent pas essentiellement car ce qui s’attribue essentiellement s’attribue toujours ; mais ces noms ne s’attribue pas à Dieu de toute éternité. Et ces noms ne s’attribuent pas non plus accidentellement, car en Dieu il n’y a nul accident ; et par ailleurs, puisque tout ce qui est accidentel se ramène à ce qui est essentiel, ces noms s’attribueraient essentiellement à un autre, ce qu’on n’observe pas : car rien d’autre que Dieu n’est dit créateur ou seigneur de l’univers. Il semble donc que ces noms ne s’attribuent à Dieu en aucune manière.

[2184] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicatur quod est praedicatio per causam ; contra. Ubicumque est praedicatio per causam, potest resolvi praedicatio talis, et exponi per propositionem denotantem habitudinem causae ; ut si dicatur, quod Deus est spes nostra potest exponi quod spes nostra est a Deo. Sed non potest dici quod creator sit a Deo. Ergo cum dicitur, Deus est creator, non est praedicatio per causam.

 3. Si on disait qu’il y a attribution par la cause, il y a un problème. Partout où il y a attribution par la cause, une telle attribution peut être résolue et expliquée par une proposition indiquant un rapport de causalité ; par exemple, si on dit que ¨Dieu est notre espérance¨, cela peut être expliqué par la proposition suivante : ¨Notre espérance vient de Dieu¨. Mais si on dit que ¨Dieu est créateur¨, cela ne peut s’expliquer en disant que ¨le créateur vient de Dieu¨. Donc lorsqu’on dit que ¨Dieu est créateur¨, il n’y a pas attribution par la cause.

[2185] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 arg. 4

Praeterea, omne verum aut est necessarium aut contingens. Si igitur haec praedicantur de Deo vere ; aut praedicantur necessario, aut contingenter. Sed non praedicantur necessario, quia non semper ; nec etiam contingenter, quia in Deo nihil est contingens. Ergo videtur quod non possint de Deo praedicari.

 4. Par ailleurs, tout ce qui est vrai est soit nécessaire, soit contingent. Si donc ces noms sont attribués à Dieu en vérité, ils sont attribués soit nécessairement, soit de manière contingente. Mais ils ne sont attribués à Dieu ni nécessairement parce qu’ils ne sont pas toujours attribués, ni de manière contingente car il n’y a rien de contingent en Dieu. Il semble donc que ces noms ne puissent être attribués à Dieu en aucune manière.

[2186] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est totum quod in Littera dicitur et ab Augustino et a Magistro, et usus [usu éd de Parme] loquentium, et secundum fidem, et secundum philosophiam.

Cependant :

1. Tout ce qui est dit dans la Lettre, à la fois par Saint-Augustin et par le Maître, la tradition [par la tradition Éd. de Parme] des Écrivains sacrés, le contenu de la foi et de la philosophie, tout s’oppose aux conclusions qui précèdent.

[2187] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod necesse est quod aliquid de Deo ex tempore dicatur. Cum enim omne esse cujuslibet rei effluat ab ipso Deo, non solum universi, sed cujuslibet partis ejus, oportet quod ipse designetur in habitudine principii ad quodlibet eorum quae sunt ; et cum multa eorum quae sunt non semper fuerint, etiamsi ponatur universum semper fuisse, quod quidam philosophi errantes senserunt, ut intelligatur, VIII Physic., text. 41, oportet quod nomina designantia illam habitudinem non ab aeterno de Deo dicantur, sed ex tempore ; quia relatio secundum actum, exigit duo extrema in actu existere ; unde non potest referri ad creaturam ut actuale principium creaturae, nisi creatura existente in actu ; quod non semper fuit, sed ex tempore.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il est nécessaire que quelque chose s’attribue à Dieu en la dépendance du temps. En effet, puisque l’existence de toutes les choses, non seulement dans leur totalité mais pour chacune de leurs parties, dérive de Dieu lui-même, il faut que Lui-même soit désigné dans son rapport de principe à chacune des choses qui existent ; et puisque plusieurs des choses qui existent n’ont pas toujours existé, même si on posait que l’univers a toujours existé, comme certains philosophes l’ont cru en s’égarant ainsi que le Philosophe l’a compris [ VIII Physique, texte 41], il faut que les noms désignant ce rapport ne se disent pas de Dieu de toute éternité, mais en la dépendance du temps ; car la relation selon l’acte exige que deux extrêmes existent en acte ; d’où il résulte de là qu’on ne peut se rapporter à une créature comme principe actuel de la créature que par une créature qui existe en acte : ce qui n’a pas toujours existé mais seulement en la dépendance du temps.

 

Hoc autem non contingit de aliis quae absolute de Deo dicuntur, quod ex tempore dicantur de ipso ; quia ea quae absolute dicuntur, secundum proprias rationes ponunt in eo aliquid in quo dicuntur, ut quantitas et qualitas et hujusmodi. Unde nihil horum invenitur quod non realiter sit in Deo, de quo vere et proprie dicitur ; et propter hoc non possunt de aliquo ex tempore dici, nisi illud mutetur per susceptionem ejus quod prius non habuit.

 Mais il n’est pas possible aux termes qui se disent de Dieu absolument de se dire de Lui dans la dépendance du temps ;  car ces termes qui se disent de Dieu absolument, d’après leurs notions propres, posent quelque chose dans celui dans lequel ils se disent, comme la quantité, la qualité, etc. D’où il résulte que dans ce qu’on attribue à Dieu en vérité et proprement, on ne retrouve rien de ce qui n’existe pas réellement en Dieu ; et c’est pour cette raison que ces termes ne peuvent s’attribuer en la dépendance du temps qu’à ce qui est changé par la réception de de qu’il ne possédait pas avant.

Sed relatio secundum rationem suam non habet quod ponat aliquid in eo de quo dicitur ; sed ponit tantum habitudinem ad aliud ; unde invenitur aliqua relatio, ut supra, dist. 26, quaest. 2, art. 1, dictum est, non realiter existens in eo de quo dicitur ; et ideo in talibus habitudines illae de novo dicuntur de aliquo, non per mutationem ejus, sed illius ad quod dicitur ; et ita est in omnibus quae de Deo ex tempore dicuntur.

 Mais la relation, de par sa définition même, ne pose pas nécessairement quelque chose dans celui auquel elle s’attribue, mais elle pose seulement un rapport à un autre ; d’où il résulte  qu’il se rencontre certaines relations , comme nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 2, art. 1] qui n’existe pas réellement dans celui auquel elles s’attribuent ; et c’est pourquoi, dans ces cas, ces relations se disent d’une nouvelle manière de celui auquel elle s’attribuent pas, non pas par un changement en lui, mais dans cet autre par rapport auquel elles se disent ; et il en est ainsi pour tous les noms qui se disent de Dieu en la dépendance du temps.

[2188] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut hujusmodi habitudines non ponuntur realiter esse in Deo, sed secundum rationem tantum ; ita etiam ex hoc quod de novo de Deo dicuntur, non sequitur quod in eo sit aliquid fieri secundum rem, sed secundum rationem tantum, sicut dicitur in Ps. LXXXIX, 1: « Domine refugium factus es nobis ».Tamen etsi concedatur secundum rationem aliquid, ut refugium vel hujusmodi, factus ; nullo tamen modo dicendus est mutatus: quia mutatio imponitur pro remotione ejus a quo est motus, sed fieri pro adeptione ejus ad quod motus terminatur: a Deo autem nullo modo aliquid removetur, etsi adveniat habitudo aliqua secundum rationem ; unde etsi dicatur fieri aliquid, non debet dici mutari in illud.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu  que tout comme les relations de cette sorte ne posent pas quelque chose qui existe réellement en Dieu, mais posent seulement selon la raison, il en est de même encore du fait que ces noms s’attribuent à nouveau à Dieu, il ne s’ensuit pas qu’il y ait réellement en Lui un devenir, mais seulement selon la raison comme le dit le Psalmiste [Psaume LXXXIX, 1] : «Seigneur, tu as été pour nous un refuge». Cependant, bien qu’on concède qu’il y ait eu un devenir selon la raison, comme le refuge ou d’autre chose de la sorte, cependant il ne faut dire en aucune manière qu’il y a eu changement chez Dieu car le terme changement est imposé pour l’éloignement du terme à partir duquel il y a mouvement, mais le devenir est imposé pour l’atteinte du terme du terme auquel se termine le mouvement. Mais rien n’est éloigné de Dieu de quelque manière que ce soit, bien que lui advienne un rapport selon la raison ; d’où il résulte que bien qu’il y ait un devenir, on ne doit pas dire qu’il y a un changement en Lui.

 

[2189] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, secundum Magistrum, ista praedicantur per accidens, non quod in Deo sint, sed quod in creaturis. Tamen intelligendum est, quod in istis nominibus est duo considerare ; scilicet habitudines ipsas, et illud supra quod fundatur ratio habitudinis in Deo ; sicut habitudo creationis habet pro fundamento in Deo virtutem divinam, cujus est ducere res in esse de nihilo.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que d’après le Maître, ces termes s’attribuent par accident, non pas qu’il y ait des accidents en Dieu, mais dans les creatures. Il faut cependant comprendre qu’il y a deux choses à considerer dans ces noms, à savoir les relations elles-mêmes et ce sur quoi se fonde la notion de relation en Dieu. Par exemple la relation de creation a pour fondement en Dieu la puissance divine à laquelle il appartient de faire passer la créature du néant à l’existence.

Si igitur consideratur hoc quod habent pro fundamento in re divina, constat quod per se dicuntur, et ab aeterno conveniunt quantum ad illud: quia essentia, virtus, operatio divina ab aeterno est. Si autem consideratur ipsa habitudo, tunc per accidens de Deo dicuntur quantum ad hoc. Accidens autem dupliciter dicitur: aut secundum quod nominat naturam accidentis condivisam substantiae ; et sic in Deo nihil est accidens ; aut secundum quod nominat aliquid per aliud conveniens ; sicut dicimus, quod album aedificat per accidens, quia adjungitur ei quod per se est causa aedificationis, scilicet aedificatori ; et sic per accidens convenit Deo referri ad aliud extra se.

 Si donc on considère ce que ces relations ont pour fondement dans la réalité divine, il est clair qu’elle s’attribue essentiellement et qu’elles conviennent à Dieu de toute éternité sous ce rapport : car l’essence, la puissance et l’opération divines existent de toute éternité. Mais si on considère la relation elle-même alors c’est accidentellement que ces noms s’attribuent à Dieu sous ce rapport. Mais un accident se dit de deux manières : soit selon qu’il signifie la nature de l’accident condivisée à la substance et ainsi il n’y a en Dieu aucun accident ; soit selon qu’il signifie quelque chose qui convient au moyen d’un autre, comme lorsque nous disons que le blanc construit par accident, parce qu’il s’unit à ce qui est par soi la cause de la construction, à savoir au constructeur ; et c’est ainsi qu’il convient accidentellement à Dieu de se rapporter à un autre en dehors de Lui.

Non enim dicitur relative, nisi quia aliud refertur ad ipsum ; sicut dicit philosophus, V metaph., text. 20, quia scibile est relativum, non quia ipsum referatur, sed quia aliud refertur ad ipsum. Nec tamen sequitur quod illa habitudo quae in Deo designatur, alteri conveniat per se, sed magis respectus oppositus, quod est esse creaturam, vel esse servum, vel aliquid hujusmodi.

 Le relatif en effet ne se dit que parce qu’un autre se rapporte à lui ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 20], parce que l’objet du savoir est relatif non pas parce que lui-même se rapporte ou est relatif, mais parce qu’un autre se rapporte à lui. Et cependant il ne s’ensuit pas que cette relation qui est désignée en Dieu convienne essentiellement à un autre, mais plutôt le rapport opposé, à savoir celui d’être une créature, d’être un esclave ou quelque rapport de la sorte.

[2190] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest proprie dici praedicatio per causam ; nisi forte intelligatur quod hujusmodi nomina praedicant habitudinem alicujus causae.

 3. Il faut dire en troisième lieu qu’on ne peut à proprement parler d’attribution par la cause, à moins peut-être qu’on entende par là que les noms de cette sorte attribuent la relation d’une cause.

[2191] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum patet responsio per id quod ad secundum dictum est ; quia eodem modo praedicantur necessario quo per se, et eodem modo contingenter quo per accidens ; non tamen sequitur aliquid contingens in Deo esse.

 4. La réponse à la quatrième difficulté est évidente au moyen de ce qui a été dit dans la solution à la deuxième difficulté; car la raison pour laquelle l’essentiel s’attribue nécessairement est la même que celle pour laquelle l’accidentel s’attribue de façon contingente; il ne s’ensuit cependant pas qu’il existe quelque chose de contingent en Dieu.

 

 

Articulus 2 [2192] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 tit. Utrum quae dicuntur de Deo ex tempore, significent divinam essentiam

Article 2 – Ce qui est dit de Dieu en rapport avec le temps signifie-t-il son essence ?

 

[2193] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 1

Ad secundum sic proceditur. Videtur quod hujusmodi nomina quae de Deo dicuntur ex tempore, non significent divinam essentiam. Essentia enim divina est aeterna. Sed haec non dicuntur de Deo ab aeterno. Ergo non significant divinam essentiam.

 Difficultés :

1. Il semble que de tels noms, ceux qui s’attribuent à Dieu en la dépendance du temps, ne signifient pas l’essence divine. L’essence divine en effet est éternelle. Mais ces noms ne se disent pas de Dieu de toute éternité. Ils ne signifient donc pas l’essence divine.

[2194] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Deus dicitur ex tempore patientia nostra et spes nostra, et hujusmodi. Sed hujusmodi, quia habent imperfectionem annexam, non possunt convenire divinae essentiae ; sicut dicitur quod divina essentia est caritas, de cujus intellectu non est aliqua imperfectio. Ergo videtur quod non omnia quae de Deo dicuntur ex tempore, significent divinam essentiam.

 2. Par ailleurs, on dit de Dieu en la dépendance du temps qu’il est notre patience et notre espérance. Mais de tels termes, parce qu’ils contiennent une imperfection qui leur est annexée, ne peuvent convenir à l’essence divine ; par exemple lorsqu’on dit que l’essence divine est l’amour, dans la définition de laquelle on ne retrouve pas une imperfection. Il semble donc que ce ne sont pas tous les noms qui se disent de Dieu dans la dépendance du temps qui signifient l’essence divine.

[2195] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, divina essentia est communis tribus personis. Sed quaedam dicuntur de Deo ex tempore quae non conveniunt tribus personis, ut missus, donatus, et hujusmodi. Ergo non omnia significant divinam essentiam.

 3. Par ailleurs, l’essence divine est commune aux trois personnes. Mais certains noms se disent de Dieu dans la dépendance du temps sans nécessairement convenir aux trois personnes, comme ¨l’envoyé¨, ¨le don¨, et les termes de cette sorte. Donc, ce ne sont pas tous ces noms qui signifient l’essence divine.

[2196] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 arg. 4 Item, Deus ex tempore dicitur homo. Sed homo significat humanam naturam ; quae in incarnatione non est admixta divinae naturae, sed remansit ab ea distans. Ergo videtur quod ea quae dicuntur ex tempore, non significent divinam essentiam.

 4. En outre, Dieu est appelé homme en la dépendance du temps. Mais ¨homme¨ signifie la nature humaine, laquelle dans l’incarnation n’est pas mélangée à la nature divine mais demeure distincte d’elle. Il semble donc que les termes qui se disent en la dépendance du temps ne signifient pas l’essence divine.

[2197] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est quod magistri dicunt, quod omne nomen connotans effectum in creatura, significat divinam essentiam. Sed ea quae ex tempore de Deo dicuntur, dicuntur in respectu ad creaturam, ut dictum est. Ergo significant divinam essentiam.

 Cependant :

1. Ce que les maîtres disent, à savoir que tout nom qui dénote un effet dans la créature signifie l’essence divine, est contraire à ces objections. Mais ces  noms qui se disent en la dépendance du temps, ainsi que nous l’avons déjà dit, se disent par rapport à la créature. Ils signifient donc l’essence divine.

 

[2198] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit, II cap. de div nom., col. 635, quod omnem beneficam Dei nominationem, de quacumque divinarum personarum dicatur, in tota deitate oportet in observantiam accipi. Sed omnia quae dicunt habitudinem ad creaturam, nominant aliquod beneficium in creaturis. Ergo ad totam Trinitatem pertinent sine distinctione ; et sic idem quod prius.[19]

 2. Par ailleurs, Denys [Les Noms Divins, ch. 11, col. 635] dit que toute dénomination de la bienveillance de Dieu, de quelque personne divine qu’elle se dise, doit être recue à l’égard de toute la divinité. Mais tous les noms qui se disent en rapport à la créature nomment un bienfait de Dieu dans la créature. Ils se rapportent donc à toute la Trinité sans distinction. Et ainsi la conclusion est la même que précédemment en 1.

[2199] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. 1 istius quaest., nihil ex tempore de Deo dicitur nisi quod importat habitudinem ad creaturam. Habitudo autem Dei ad creaturam potest designari dupliciter:

vel secundum quod creatura refertur in ipsum sicut in principium ;

vel secundum quod creatura refertur in ipsum ut in terminum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, comme nous l’avons déjà dit dans l’article 1 de cette question, que rien ne se dit de Dieu en la dépendance du temps, sauf ce qui implique un rapport à la créature. Mais le rapport de Dieu à la créature peut être désigné de deux manières :

Soit selon que la créature se rapporte à lui comme à son principe.

Soit selon que le créature se rapporte à lui comme à son terme.

 

 

Si primo modo, hoc contingit dupliciter:

aut enim propria praedicatione praedicatur aliquid de Deo ex tempore, quod designat habitudinem principii ad principiatum ;

aut aliquid quod designat ipsum principiatum a Deo, sicut quando est praedicatio per causam, ut cum dicitur, Deus est spes nostra.

 Si c’est de la première manière, cela est possible de deux manières :

Ou bien en effet quelque chose s’attribue à Dieu en la dépendance du temps par une attribution propre qui désigne le rapport du principe à ce qui procède du principe, ou bien quelque chose qui désigne cela même qui procède de Dieu comme principe, comme lorsqu’il y a attribution par la cause, comme lorsqu’on dit que Dieu est notre espérance.

Si primo modo, hoc contingit dupliciter:

aliquando enim nomen imponitur ad significandum ipsam habitudinem ; sicut hoc nomen dominus, et hujusmodi, quae sunt relativa secundum esse, et alia dicta de Deo, sunt quidem relativa, quia etiam significant ex primo suo intellectu habitudinem quae secundum rationem est in Deo ; sed ex consequenti faciunt intellectum essentiae, secundum quod talis habitudo fundatur in aliquo essentiali.

 Si c’est de la première manière, cela est possible de deux manières :

Parfois en effet le nom est imposé pour signifier le rapport lui-même, comme le nom de ¨seigneur¨ et les noms de cette sorte, qui sont relatifs selon l’existence et les autres qui sont certes relatifs car ils renvoient eux aussi, de par leur première signification, à la relation qui est en Dieu selon la raison ; mais par conséquent ils font connaître l’essence, selon qu’un telle relation se fonde sur quelque chose d’essentiel.

Aliquando autem nomen imponitur ad significandum illud supra quod fundatur habitudo, sicut hoc nomen scientia, qualitatem, quam consequitur respectus quidam ad scibile. Unde ista talia non sunt relativa secundum esse ; sed solum secundum dici. Unde ista principaliter dant intelligere rem alterius praedicamenti, et ex consequenti important relationem.

 Mais parfois le nom est imposé pour signifier ce sur quoi se fonde la relation, comme le nom de science signifie la qualité d’où découle un certain rapport à l’objet connaissable. C’est pourquoi les noms de cette sorte ne sont pas relatifs quant à l’existence , mais seulement quant à l’appellation. D’où il résulte que ceux-là donnent surtout à compredre une réalité appartenant à un autre prédicament.

Ita etiam in divinis ; ut patet in hoc nomine creator, quod imponitur ad significandum divinam actionem, quae est ipsius essentiae, quam consequitur habitudo quaedam ad creaturam: et ista principaliter essentiam significant, et ex consequenti important respectum ad creaturam. Et similis ratio est in illis in quibus est praedicatio per causam ; quia tales locutiones resolvuntur in habitudines causae, ut cum dicitur: Deus est patientia nostra, idest causa patientiae nostrae ; et in omnibus istis quae dicuntur de Deo ex tempore, et important habitudinem principii ad principiatum, verum est quod conveniunt toti Trinitati. Si autem consideretur relatio creaturae ad creatorem ut ad terminum, possibile est quod talis relatio creaturae sit ad aliquid essentiale, vel ad aliquid personale.

 Il en est ainsi encore pour les personnes divines comme on le voit pour le nom de ¨créateur¨, qui est impose pour signifier l’action divine qui appartient à son essence d’où découle un rapport à la créature: et ces noms signifient principalement l’essence et impliquent principalement un rapport à la créature. Et le raisonnement est le même pour ces noms dans lesquels il y a attribution par la cause car de tells locutions s’expliquent dans des relations de causes, comme lorsqu’on dit que Dieu est notre patience, c’est-à-dire la cause de notre patience; et pour tous ces noms qui s’attribuent à Dieu en la dépendance du temps et impliquent un rapport du principe à ce qui en procède, il est vrai qu’ils conviennent à toute la Trinité. Mais si on considère la relation de la créature au créateur comme à son terme, il est possible qu’une telle relation de la créature se rapporte à quelque chose d’essentiel ou à quelque chose de personnel.

Contingit autem hoc tripliciter.

Aut secundum operationem, sicut aliquis potest intelligere vel nominare Deum vel paternitatem.

Vel secundum exemplaritatem, sicut in creatione rerum est terminatio in similitudinem essentialium attributorum, et in infusione caritatis est terminatio in similitudinem processionis personalis Spiritus sancti.

Vel est terminatio secundum esse ; et iste modus est singularis in incarnatione, per quam humana natura assumpta est ad esse et unitatem divinae personae, non autem ad unitatem divinae naturae. Sed ista relatio qua creatura refertur in Deum ut ad terminum, includit ex consequenti in se relationem quae est ad Deum ut ad principium.

 Mais cela est possible de trois manières.

Soit selon l’opération, tout comme quelqu’un peut concevoir ou nommer Dieu ou la paternité.

Soit selon l’exemplarité, tout comme la création des choses se termine à une ressemblance des attributs essentiels et que l’infusion de la charité se termine à une resemblance de la procession personnelle de l’Esprit-Saint.

Soit encore la relation de la créature au créateur comme à son terme se termine à l’existence; et cette manière est unique dans le cas de l’incarnation par laquelle la nature humaine est prise en vue de l’existence et de l’unité de la personne divine, mais non en vue de l’unité de la nature divine. Mais cette relation par laquelle la créature se rapporte à Dieu comme à son terme comprend par conséquent en elle-même la relation qui se rapporte à Dieu comme à son principe.

Unde in omnibus quae dicuntur de Deo secundum habitudinem ad creaturam, ex eo quod creatura refertur in ipsum ut terminum, considerandum est quod quantum ad habitudinem termini, possunt tantum convenire personae: sed ratio principii, quae ibi includitur, ex consequenti convenit toti Trinitati. Unde secundum habitudinem unam possunt facere intellectum personae, et secundum aliam faciunt intellectum essentiae ; sicut patet, cum dicitur incarnatus, hoc tantum Filio competit, quia ad solam personam Filii incarnatio terminata est, quam tamen tota Trinitas fecit.

 Mais pour ce qui est de tous les noms qui se disent de Dieu selon la relation à la créature, du fait que la créature se rapporte à lui comme à son terme, il faut considerer que quant à la relation de terme, ils ne peuvent convenir qu’à la personne: mais la notion de principe qui y est incluse convient par conséquent à toute la Trinité. D’où il résulte que selon une relation ils peuvent faire connaître la personne et que selon une autre ils peuvent faire connaître l’essence. Nous voyons par exemple, lorsque nous disons que Dieu s’est incarné, que cela n’appartient qu’au Fils car l’incarnation a pour terme le seul Fils, même si elle est l’oeuvre de toute la Trinité comme principe.

[2200] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod hujusmodi nomina conveniunt Deo ex tempore, ratione habitudinis importatae vel principaliter, ut cum dicitur Dominus ; vel ex consequenti, [vel principaliter, vel ex consequenti. principaliter, éd. de Parme] ut cum dicitur creator: et illa habitudo non est in divina essentia, nec aliqua res in Deo ; sed secundum essentiam, in qua fundatur talis habitudo, hujusmodi conveniunt Deo ab aeterno, quasi habitualiter.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que de tels noms conviennent à Dieu en la dépendance du temps en raison de la relation impliquée soit à titre de principe, comme lorsqu’on dit dit Seigneur, soit à titre de conséquent [soit à titre de principe soit à titre de conséquent. À titre de principe Éd. de Parme], comme lorsqu’on dit créateur : et cette relation n’est pas dans l’essence divine, comme aucune chose n’est en Dieu ; mais c’est selon l’essence sur laquelle se fonde une telle relation que de tels termes conviennent à Dieu de toute éternité à la manière d’un habitus.

 

[2201] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia Dei non est patientia vel spes ; nec hoc significatur, cum dicitur, Deus est spes nostra: sed significatur circa divinam essentiam habitudo causae respectu talis effectus in nobis. Unde simile est de his, et de aliis.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’essence de Dieu n’est pas la patience ou l’espérance ; et ce n’est pas cela qui est signifiéé lorsqu’on dit que Dieu est notre espérance : mais ce qui est signifié, c’est la relation de cause dans l’essence divine par rapport à un tel effet qui existe en nous. D’où il résulte qu’il en est de même pour ces noms et pour les autres.

[2202] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod missus, incarnatus et hujusmodi important duas habitudines, scilicet termini et principii: quarum una, scilicet habitudo principii, convenit toti Trinitati ; unde dicimus, quod tota Trinitas mittit vel facit incarnationem ; sed altera convenit alicui personae determinatae, propter quod hujusmodi nomina non de tota Trinitate dicuntur.

 3. Il faut dire en troisième lieu que ces noms, à savoir ¨l’envoyé¨, ¨l’incarné¨ et les autres de cette sorte impliquent deux relations, à savoir celle de terme et celle de principe : dont la première, à savoir la relation de principe, convient à toute la Trinité ; c’est pourquoi nous disons que c’est toute la Trinité qui envoie ou qui produit l’incarnation ; mais la deuxième relation ne convient qu’à une seule personne déterminée et c’est pour cette raison que de tels noms ne s’attribuent pas à toute la Trinité.

[2203] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus dicitur esse homo, inquantum suppositum divinae naturae, scilicet Filius, subsistit in humana natura per unionem. Haec autem unio, relatio quaedam est, realiter in creatura assumpta existens ; quae quidem considerata secundum habitudinem ad terminum, sic terminatur ad personam Filii, in qua est facta unio ; sed secundum habitudinem ad principium, sic refertur ad totam Trinitatem, quae unionem fecit.

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’on dit de Dieu qu’il est homme en tant qu’il est le suppôt de la nature divine, à savoir lorsqu’on parle du Fils qui subsiste dans la nature humaine à laquelle il est uni. Mais cette union est une certaine relation qui existe réellement dans la créature qui a été prise; mais cette union certes, considérée selon la relation au terme se termine ainsi à la personne du Fils dans laquelle l’union a été faite; mais selon sa relation au principe, alors elle se rapporte à toute la Trinité qui a fait cette union.

 

 

Articulus 3.

Utrum habitudines designatae in nominibus dictis de Deo ex tempore, sint realiter in Deo

Article 3 – Est-ce que les relations désignées dans les noms attribués à Dieu en la dépendance du temps existent réellement en Dieu ?

[2205] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 1. Ad tertium sic proceditur. Videtur quod habitudines designatae in istis nominibus, realiter in Deo sint. Nomen enim et ratio cui non subest aliquid in re, est vana vel falsa. Sed non vane et falso dicimus et cogitamus Deum dominum et creatorem. Ergo hujusmodi nomina habent relationes quas significant, respondentes sibi realiter in Deo.

 Difficultés :

1. Il semble que les relations désignées dans ces noms existent réellement en Dieu. En effet, le nom et la notion à laquelle rien ne correspond dans la chose sont vains et faux. C’est ce n’est ni en vain ni faussement que nous disons et pensons que Dieu est seigneur et créateur. Donc, à ces relations que ces noms signifient correspondent des relations qui existent réellement en Dieu.

[2206] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 2. Praeterea, illud quod est secundum rationem tantum, cessante intellectu ratiocinante non remanebit. Sed si nullus esset ratiocinans, adhuc Deus esset dominus et creator. Ergo hujusmodi nomina significant aliquid realiter in Deo existens, et non secundum rationem tantum.

 2. Par ailleurs, ce qui n’existe que selon la raison ne demeurera pas lorsque l’intelligence aura cessé de raisonner. Mais s’il n’y avait personne pour raisonner, Dieu serait encore seigneur et créateur. Donc de tels noms signifient quelque chose qui existe réellement en Dieu et non seulement selon la raison.

[2207] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 3. Item, omni relationi respondet suum correlativum, quod sibi opponitur. Sed cum dicimus creaturam servire, importatur aliqua relatio in creatura realiter existens. Ergo oportet oppositam relationem alicubi ponere. Sed non est in creatura, quia tunc creatura esset domina sui ipsius, et creator sui ipsius ; et oppositi respectus essent in eodem. Ergo oportet quod in Deo realiter ponantur oppositi respectus relationibus creaturae ad Deum.

 3. En outre, à toute relation correspond son corrélatif qui lui est opposé. Mais lorsque nous disons que la créature est soumise, une relation est impliquée qui existe réellement dans la créature. Il faut donc poser quelque part une relation oppose. Mais ce ne peut être dans la créature car alors la créature serait le maître par rapport à elle-même et créatrice d’elle-même et les rapports opposés existeraient dans un même sujet. Il faut donc poser réellement en Dieu les rapports opposés aux relations de la créature à l’égard de Dieu.

[2208] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, illa relativa in quibus non est relatio secundum rem, invenimus esse ad aliquid secundum dici tantum, sicut scibile, de quo dicit philosophus, V Metaph., text. 20, quod est relatum quia aliud refertur ad ipsum. Sed de Deo dicuntur quaedam relativa quae sunt ad aliquid et secundum suum esse, ut dominus, rex, et hujusmodi. Ergo saltem illa aliquam relationem realem in Deo significant.

 4. Par ailleurs, ces termes relatifs dans lesquels il n’y a pas une relation réelle, nous trouvons qu’ils sont relatifs à quelque chose d’après l’appellation seulement, comme l’objet du savoir au sujet duquel le Philosophe [V Métaphysique, texte 20] dit qu’il est relatif parce qu’un autre se rapporte à lui. Mais certains termes relatifs s’attribuent à Dieu qui sont relatifs aussi quant à son existence, comme les termes ¨seigneur¨, ¨roi¨, et d’autres de la sorte. Donc ces termes signifient du moins une relation réelle en Dieu.

[2209] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 s. c. 1. Contra, in Deo nihil est nisi aeternum ; quia quidquid est in Deo, Deus est. Sed hujusmodi habitudines non sunt aeternae ; propter quod nec nomina earum ab aeterno de Deo dicuntur. Ergo non sunt realiter in Deo.

Cependant :

1. Au contraire, il n’y a rien en Dieu qui ne soit pas éternel car tout ce qui est en Dieu est Dieu. Mais de telles relations ne sont pas éternelles et c’est à cause de cela que leurs noms ne s’attribuent pas à Dieu de toute éternité. Elles n’existent donc pas réellement en Dieu.

 

[2210] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 co.

Respondeo dicendum, quod secundum theologos et philosophos verum est communiter, quod relationes quibus Deus ad creaturam refertur, non sunt in Deo secundum rem, sed secundum rationem tantum ; quia intellectus noster non potest accipere aliquid relative ad alterum dici, nisi ipsum sub opposita habitudine intelligat.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’auprès des théologiens et des philosophes, il est communément admis comme vrai que les relations par lesquelles Dieu se rapporte aux créatures n’existent pas en Dieu en réalité mais seulement selon la raison ; car notre intelligence ne peut admettre que quelque chose se dise relativement à l’égard d’un autre que s’il le comprend lui-même sous une relation opposée.

 

Sciendum tamen est, quod ratio in intellectu rerum tripliciter se habet.

Quandoque enim apprehendit aliquid quod est in re secundum quod apprehenditur, ut quando apprehenditur forma lapidis.

Quandoque vero apprehendit aliquid quod nullo modo in re est, ut quando quis imaginatur Chimaeram, vel aliquid hujusmodi.

 Il faut cependant savoir que la raison se présente de trois manières dans la compréhension des choses.Parfois en effet elle appréhende quelque chose qui est dans la réalité selon qu’elle est appréhendée, comme lorsqu’on appréhende la forme de la pierre.

Mais parfois elle appréhende quelque chose qui n’existe nullement dans la réalité, comme lorsque quelqu’un imagine une Chimère ou quelque chose de la sorte.

 

Aliquando autem apprehendit aliquid cui subest in re natura quaedam, non tamen secundum rationem qua apprehenditur ; sicut patet quando apprehendit intentionem generis substantiae, quae in re est natura quaedam non determinata secundum se ad hanc vel ad illam speciem ; et huic naturae apprehensae, secundum modum quo est in intellectu apprehendente, qui ex omnibus accipit unum quid commune in quibus invenitur natura illa, attribuit rationem generis, quae quidem ratio non est in re. Ita etiam est in hujusmodi relationibus, quas intellectus noster attribuit Deo. Invenit enim in ipso virtutem et essentiam et operationem, qua creatura producitur in ipsum relationem habens ; et ideo essentiae illi vel operationi habitudinem attribuit, et secundum quod intelligit, nomina relativa imponit.

 Mais parfois la raison appréhende quelque chose au fond de quoi se cache dans la chose une certaine nature, mais non pas cependant selon le rapport par lequel elle est appréhendée ; on le voit par exemple quand la raison appréhende l’intention du genre de la substance qui dans la chose est une certaine nature mais qui n’est pas déterminée par elle-même à telle ou telle autre espèce ; et à cette nature appréhendée selon le mode par lequel elle existe dans l’intelligence de celui qui appréhende et qui reçoit une même notion commune à partir de tous ceux dans lesquels se trouve cette nature, la raison attribue la notion de genre, laquelle notion n’existe certes pas dans la chose. Il en est encore ainsi dans les relations de cette sorte que notre intelligence attribue à Dieu. Notre intelligence trouve en effet en Dieu la puissance, l’essence et l’opération par lesquelles la créature est produite en ayant une relation à son égard ; et c’est pourquoi il attribue la relation à cette essence ou à cette opération et leur impose des noms relatif conformément à ce qu’il y comprend.

[2211] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 ad 1 Unde patet responsio ad primum: quia intellectus noster neque cassus neque vanus est, quia habet aliquid respondens in re, quamvis non secundum modum quo est in ratione ; sicut etiam intellectus mathematicorum non est falsus neque vanus est, quamvis nulla linea sit abstracta a materia in re, sicut ipsi considerant. Unde dicit philosophus, II Physic., text. 18 : abstrahentium non est mendacium.

Solutions :

Et de là la réponse à la première difficulté est évidente : car notre intelligence n’est ni creuse ni vaine, car elle possède quelque chose qui lui correspond dans la chose, bien que ce ne soit pas selon le mode par lequel cette nature existe dans la raison, tout comme aussi l’intelligence des mathématiciens n’est pas fausse ni vaine, bien que dans la réalité il n’existe aucune ligne qui soit abstraite de la matière, telle qu’eux-mêmes la considèrent néanmoins. C’est pourquoi le Philosophe dit [11 Physique, texte 18] : Il n’y a pas de mensonge chez ceux qui font abstraction.

 

[2212] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiamsi nullus intellectus esset, adhuc in Deo esset ; unde vere dominus et dici et intelligi posset, scilicet potentia coercendi subditos ; sed non diceretur vel intelligeretur dominus secundum actum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que même si aucune intelligence n’existait, il y en aurait encore une en Dieu ; d’où il résulte que Dieu pourrait encore véritablement être compris comme tel et dénommé seigneur, c’est-à-dire par la puissance de contenir les sujets ; mais il ne pourrait être compris comme tel et dénommé seigneur en acte.

 [2213] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod relativorum invenitur triplex diversitas. Quaedam sunt quorum utrumque importat relationem non in re existentem sed in ratione tantum ; sicut quando ens refertur ad non ens, vel relatio ad relationem, vel aliquid hujusmodi, ut supra, dist. 26, qu. 2, art. 1, dictum est.

 3. Il faut dire en troisième lieu qu’on retrouve trois sortes de relatifs. Il y en a certains dont les deux impliquent une relation qui n’existe pas dans la chose mais dans la raison seulement : par exemple quand l’être se rapporte au non-être, ou la relation à la relation, ou quelque chose d’autre de la sorte comme nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 2, art. 1].

Quaedam vero quorum alterum importat relationem realem, et alterum relationem rationis tantum, sicut Pater et Filius [quaedam… Filius om. Ed de Parme], sicut scientia et scibile. Et hujusmodi diversitatis ratio est, quia illud supra quod fundatur relatio, quandoque invenitur in altero tantum, et quandoque in utroque ; ut patet quod relatio scientiae ad scibile fundatur supra apprehensionem secundum esse spirituale.

 Mais il y en a certains dont les deux impliquent une relation réelle, comme le Père et le Fils. Il y en a d’autres enfin dont l’un implique une relation réelle et l’autre une relation de raison seulement, comme c’est le cas pour la science et l’objet connaissable. Et la raison d’une telle diversité est que ce sur quoi se fonde la relation se retrouve parfois dans l’un seulement et parfois dans les deux, comme on voit que la relation de la science à l’objet connaissable se fonde sur une appréhension selon l’existence spirituelle.

Hoc autem esse spirituale in quo fundatur relatio scientiae, est tantum in sciente et non in scibili, quia ibi est forma rei secundum esse naturale ; et ideo relatio realis est in scientia, non est in scibili. E contrario est de amante et amato ; quia relatio amoris fundatur super appetitum boni ; bonum autem non est aliquid existens tantum in anima, sed etiam in rebus.

 Mais cette existence spirituelle sur laquelle se fonde la relation de science n’existe que dans le sujet de la science et on dans l’objet connaissable dans lequel la forme de la chose n’existe que selon une existence naturelle ; et c’est pourquoi la relation réelle est dans la science et non dans l’objet connaissable. Il en est autrement pour l’amant et l’objet aimé car la relation de l’amour se fonde sur l’appétit du bien et le bien n’existe pas seulement dans l’âme mais aussi dans les choses.

Unde dicit philosophus, VI Metaph., text. 2, quod bonum et malum sunt in rebus ; verum et falsum in anima ; et ideo dicit Avicenna, tract. III, Metaph., cap. X, quod in amante et amato, in utroque relativorum est invenire dispositionem per quam referatur ad alterum ; non in sciente et scibili ; et ideo utrobique relatio realis est ; sic etiam aequalitas, quae immediate fundatur supra quantitatem, quae in utroque est.

 Partant de là, le Philosophe [ VI Métaphysique, texte 2] dit que le bien et le mal sont dans les choses mais que le vrai et le faux sont dans l’âme ; et c’est pourquoi Avicenne [111 Métaphysique, ch. X] dit que pour l’amant et l’objet aimé, il faut retrouver dans chacun des relatifs une disposition par laquelle il se rapporte à l’autre, mais qu’il n’en est pas ainsi pour celui qui sait et l’objet du savoir ; et c’est pourquoi la relation est réelle de part et d’autre ; et il en est de même encore pour l’égalité, laquelle se fonde immédiatement sur la quantité, qu’on retrouve réellement dans chacune des quantités égales.

Et quia omnes relationes creaturae ad Deum fundantur supra modum quo accipiunt a Deo, qui in Deo non est, quia non consequuntur perfectum modum secundum quem Deus in eis operatur ; ideo relationibus quae sunt in creatura, non respondet aliqua relatio in Deo realiter ; sed relationi quam Filius accipit a Patre, respondet aliqua relatio in Patre ; quia secundum unum et eumdem modum et eamdem rationem Pater dat, et Filius accipit naturam divinam.

 Et parce que toutes les relations de la créature à Dieu se fondent sur un mode par lequel elles reçoivent de Dieu, mode qui n’est pas en Dieu, parce qu’elles n’égalent pas le mode parfait selon lequel Dieu opère en elles, c’est pourquoi aux relations qui sont dans la créature ne correspond pas une relation réelle en Dieu, mais c’est seulement à la relation que le Fils reçoit du Père que correspond une relation dans le Père car c’est d’après un seul et même mode et d’après une même raison que le Père donne et que le Fils reçoit la nature divine.

[2214] Super Sent., lib. 1 d. 30 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud non facit ad propositum ; quia de utrisque relativis inveniuntur aliqua quae important relationem realem, et quae important relationem rationis ; sicut idem importat relationem rationis, quamvis sit relativum secundum esse ; et scientia importat relationem realem, quamvis sit relativum secundum dici.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que cela ne répond pas au propos ; car c’est pour les deux sortes de relatifs qu’on en retrouve certains qui impliquent une relation réelle et d’autres qui impliquent une relation de raison, tout comme ¨le même¨ implique une relation de raison bien qu’il soit un relatif selon l’existence et ¨la science¨ implique une relation réelle, bien qu’elle soit un relatif selon l’appellation.

 

 

Distinctio 31

Distinction 31 – [Egalité et appropriation]

 

 

Prooemium     

Prologue

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [L’égalité des Personnes]

Prooemium

Prologue

 

Hic quatuor quaeruntur:

1 de aequalitate ;

2 de appropriatione in communi ;

3 de ratione appropriationis Hilarii ;

4 de appropriatione Augustini.

 La recherche porte ici sur quatre points :

1. Sur l’égalité.

2. Sur l’appropriation en général.

3. Sur la notion d’appropriation de Saint-Hilaire.

4. Sur l’appropriation de Saint-Augustin.

 

 

Articulus 1 lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 tit. Utrum aequalitas ponat aliquid in divinis

Article 1 – L’égalité place-t-elle quelque chose en Dieu ?

 

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum, suppositis his quae supra de aequalitate dicta sunt, 19 dist., quaest. 1, art. 1, quaeritur, utrum aequalitas in divinis aliquid ponat: et videtur quod sic. Quidquid enim est in Deo et in creaturis, nobilius est in Deo quam in creaturis. Sed aequalitas et similitudo in creatura aliquid ponunt. Ergo et in Deo.

 Difficultés :

1. Au sujet du premier point, en supposant ce qui a été dit plus haut [dist. 19, quest. 1, art. 1] sur l’égalité, on cherche à savoir si l’égalité pose quelque chose en Dieu : et il semble qu’il en soit ainsi. En effet, tout ce qui existe à la fois en Dieu et dans la créature, existe en Dieu d’une manière plus excellente que dans les créatures. Mais l’égalité et la similitude posent quelque chose dans la créature. Ils posent donc aussi quelque chose en Dieu.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, Arius damnatus est, quia aequalitatem personarum negavit. Non autem fuisset haereticus, nisi aliquid negasset quod in Deo est. Ergo aequalitas in divinis aliquid positive praedicat.

 2. Par ailleurs, Arius fut damné parce qu’il niait l’égalité des personnes. Mais il n’aurait été un hérétique que s’il avait nié quelque chose qui est en Dieu. Donc l’égalité attribue positivement quelque chose à Dieu.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, aequalitas videtur esse una essentia in tribus personis indifferens, ut in Littera dicitur. Sed essentia indifferens, aliquid positive est in Deo. Ergo videtur quod et aequalitas.

 3. En outre l’égalité semble être une seule et même essence commune aux trois personnes, comme le dit la Lettre. Mais l’essence commune est quelque chose qui existe positivement en Dieu. Il semble donc qu’il en soit de même pour l’égalité.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, aequalitas est relatio quaedam. Sed relatio aliquid positive praedicat, et non privative. Ergo videtur quod aequalitas aliquid positive praedicet.

 4. Par ailleurs, l’égalité est une certaine relation. Mais la relation attribue positivement quelque chose et non par la privation. Il semble donc que l’égalité attribue positivement quelque chose.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod a Magistro in Littera dicitur.

Cependant :

1. Le Maître affirme le contraire dans la Lettre.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, philosophus dicit in V Metaph., text. 26, quod aequale opponitur magno et parvo sicut duae privationes ; unde etiam per privationem aequale definitur. Sed privatio nihil positive praedicat. Ergo nec aequalitas.

 2. Par ailleurs, le Philosophe [V Métaphysique, texte 26] dit que l’égal s’oppose au grand et au petit comme deux privations ; d’où l’égal se difinit aussi par la privation. Mais la privation n’attribue rien positivement. Donc l’égal n’attribue rien positivement.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod aequalitas est relatio quaedam fundata supra unitatem quantitatis ; et in divinis fundata supra unitatem essentiae, prout significatur nomine quantitatis virtualis, ut cum dicitur magnitudo, vel aeternitas vel potentia. Unde de aequalitate dupliciter convenit loqui: aut quantum ad unitatem quantitatis, quae est causa ipsius ; aut quantum ad relationem consequentem. Si quantum ad unitatem quantitatis, supra quam fundatur talis relatio, sic ratio ejus consistit in privatione, sicut et ratio unitatis, ut supra dictum est, dist. 24, quaest. 1, art. 3: et ideo dicit Philosophus, V Metaph., text. 6) quod aequale opponitur privative magno et parvo, sicut unum multo ; et idem in Littera innuitur.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’égalité est une relation qui se fonde sur l’unité de la quantité ; et dans les personnes divines elle se fonde sur l’unité de l’essence pour autant qu’elle est signifiée par le nom d’une quantité virtuelle, comme lorsqu’elle est appelée grandeur, éternité ou puissance. D’où il résulte qu’il convient de parler de l’égalité de deux manières : soit quant à l’unité de la quantité qui est la cause de l’égalité ; soit quant à la relation qui en découle. Si on en parle quant à l’unité de la quantité sur laquelle se fonde une telle relation, ainsi sa définition consiste dans la privation, tout comme la définition de l’unité comme nous l’avons dit plus haut [dist. 24, quest. 1, art. 3] : et c’est pourquoi le Philosophe [V Métaphysique, texte 6] dit que l’égal s’oppose par la privation au grand et au petit tout comme l’un s’oppose au multiple ; et c’est la même chose qui est indiquée dans la Lettre.

Si autem consideretur aequalitas quantum ad relationem, sic aequalitas in creaturis aliquid realiter ponit in utroque extremorum ; sed in divinis personis nihil, nisi secundum rationem. Cujus ratio est, quia si poneret aliquam relationem realem in personis, aut hoc esset ex parte essentiae quae communis est, aut ex parte relationum, quibus distinguuntur. Non autem habet ex parte essentiae quod sit relatio realis: quia essentia est una et eadem numero, et idem ad seipsum non refertur aliqua relatione reali, ut supra dictum est, dist. 26, quaest. 2, art. 1. Nec etiam ex parte personarum relationibus constitutarum, quia relatio non refertur per aliquam relationem realem mediam ; quia sic esset abire in infinitum.

 

 Mais si on considère l’égalité quant à la relation, ainsi l’égalité dans les créatures pose réellement quelque chose dans chacun des deux extrêmes ; mais dans les personnes divines, elle ne pose rien si ce n’est selon la raison. La raison en est que si l’égalité posait une relation réelle dans les personnes, cela proviendrait soit du côté de l’essence qui est commune, soit du côté des relations par lesquelles elles se distinguent. Mais l’égalité ne peut tenir du côté de l’essence d’être une relation réelle car l’essence est une et la même par le nombre et le même ne se rapporte pas à soi-même par une relation réelle, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 26, quest. 2, art. 1]. Et l’égalité ne peut non plus tenir cela du côté des personnes constituées par les relations car la relation ne se rapporte pas à  quelque chose au moyen d’une relation réelle intermédiaire car il faudrait ainsi procéder à l’infini.

Et ideo dico cum Magistro, quod aequalitas non ponit nisi relationem secundum nomen vel secundum rationem, cum de Deo dicitur ; sed verum est quod aliquid ponit, scilicet unitatem essentiae, non quod sit de intellectu ejus, sed quod praesupponitur ad intellectum ipsius, sicut est in privativis, et in illis quae dicuntur de Deo ex tempore.

 Et c’est pourquoi je dis avec le Maître que l’égalité, lorsqu’on parle de Dieu, ne pose une relation que selon le nom ou selon la raison ; mais il est vrai qu’elle pose quelque chose, à savoir l’unité de l’essence, non pas que cette dernière fasse partie de sa définition, mais elle est présupposée à sa définition comme c’est le cas aussi dans les privatifs et dans les choses qui se disent de Dieu dans la dépendance du temps.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ex parte unitatis universaliter sumptae, secundum quod unum convertitur cum ente, nec in Deo nec in creatura aequalitas aliquid positive praedicat ; sicut nec unitas, ut supra dictum est, dist. 24, quaest. 1, art. 3. Sed quia in creaturis supposita aequalitatis sunt absoluta, ideo referuntur ad invicem per relationem realem mediam: quod in divinis non competit.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que du côté de l’unité prise universellement, selon que l’un se convertit avec l’être, l’égalité n’attribue rien positivement, ni en Dieu ni dans la créature, tout comme l’unité, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 24, quest. 1, art. 3]. Mais parce que dans les creatures les suppôts de l’égalité sont absolus, c’est pourquoi ils se rapportent l’un à l’autre par une relation réelle intermédiaire, ce qui n’a pas lieu dans les personnes divines.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis aequalitas sit secundum rationem, relatio tamen habet aliquid in re respondens, ratione cujus dicitur haereticus qui aequalitatem negat ; sicut et qui negaret Deum esse dominum, quamvis illa relatio nihil secundum rem ponat in Deo.

2. Il faut dire en deuxième lieu que bien qu’il y ait égalité selon la raison, la relation a cependant quelque chose qui lui correspond dans la réalité, en raison de quoi est appelé hérétique celui qui nie l’égalité, tout comme serait appelé hérétique celui qui nierait que Dieu est seigneur, bien que cette relation ne pose rien en Dieu en réalité.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in creaturis aequalitas non est una quantitas plurium, sed relatio includens talem unitatem ; ita in divinis aequalitas non est una essentia, sed relatio secundum intellectum, consequens essentiae unitatem.

3. Il faut dire en troisième lieu que tout comme dans les creatures l’égalité n’est pas une seule et même quantité pour plusieurs, mais plutôt la relation qui inclut une telle unite, de même dans les personnes divines l’égalité n’est pas une seule et même essence, mais une relation selon l’intelligence qui découle de l’unité de l’essence.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa relatio non potest esse realiter in Deo ; et ideo non sequitur quod aliquid ponat ex hoc quod relative dicitur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que cette relation ne peut exister réellement en Dieu ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’elle pose quelque chose du fait qu’elle se dise relativement.

 

 

Articulus 2 lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 tit. Utrum attributa essentialia hujusmodi debeant appropriari divinis personis

Article 2 – Les attributs essentiels de ce genre doivent-ils être appropriés aux personnes divines ?

 

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod hujusmodi essentialia attributa personis divinis appropriari non debeant. Quod enim pluribus commune est, nulli eorum debet appropriari. Sed omnia attributa sunt communia tribus personis. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. ll semble que de tels attributs essentiels ne doivent pas être appropriés aux personnes divines. En effet, ce qui est commun à plusieurs ne doit être approprié à aucun d’entre eux. Mais tous ces attributs sont communs aux trois personnes. Ils ne doivent donc pas être appropriés.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, de similibus idem est judicium. Sed omnia haec attributa significant essentiam communem. Ergo videtur quod omnia debeant appropriari, vel nullum ; et quod omnia uni personae approprientur.

 2. Par ailleurs, on doit porter un même jugement sur des cas semblables. Mais tous ces attributs signifient l’essence commune. Il semble donc que tous doivent être attribués ou qu’aucun ne doive l’être, et que tous soient appropriés à une seule et même personne.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, appropriatum secundum rationem sequitur proprium, quia proprium cadit in ratione appropriati. Sed attributa essentialia non sequuntur propria secundum intellectum ; quia possunt intelligi propriis non intellectis, sicut est apud infideles. Ergo non debent dici appropriata.

 3. En outre, ce qui est approprié selon la raison découle de ce qui est propre car le propre tombe dans la définition de l’approprié. Mais les attributs essentiels ne découlent pas du propre selon l’intelligence car ils peuvent être saisis par l’intelligence même si les propres ne sont pas saisis par l’intelligence, comme on le voit chez les infidèles. On ne doit donc pas dire des attributs essentiels qu’ils sont appropriés.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, nihil est faciendum a nobis quod possit in errorem fidei vergere. Sed si aliquid commune approprietur uni, potest vergere in errorem fidei, ut credatur aut tantum illi aut magis illi personae convenire. Ergo non debemus attributa essentialia personis appropriare.

 4. Par ailleurs, nous ne devons rien faire qui puisse tendre à nous écarter de la vérité de la foi. Mais si un attribut commun est approprié à une seule personne, cela pourrait nous incliner à une erreur touchant la foi, comme de croire que cet attribut appartiendrait seulement ou danvantage à telle personne. Nous ne devons donc pas approprier les attributs essentiels aux personnes.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra est auctoritas Hilarii et Augustini in Littera.

Cependant :

1. Les témoignages de Saint-Hilaire et de Saint-Augustin dans la Lettre disent le contraire.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, processiones personarum distinguuntur et nominantur secundum diversas rationes attributorum, inquantum dicimus quod Spiritus sanctus procedit per modum voluntatis, et Filius per modum naturae. Ergo unum attributum, cui competit ratio processionis personae, potest illi personae appropriari.

 2. Par ailleurs, les processions des personnes se distinguent et sont dénommées d’après les différentes notions des attributs, selon que nous disons que l’Esprit-Saint procède par mode de volonté et que le Fils procède par mode de nature. Donc un même attribut, auquel convient la notion de la procession d’une personne, peut être approprié à cette personne.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod de appropriatione dupliciter convenit loqui: aut ex parte nostra, aut ex parte ipsius rei ; et utrobique invenitur convenientia. Quamvis enim attributa essentialia communia sint tribus, tamen unum secundum rationem suam magis habet similitudinem ad proprium unius personae quam alterius, unde illi personae appropriari potest convenienter.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il convient de parler de l’appropriation de deux manières : soit de notre côté, soit du côté de la réalité elle-même ; et de part et d’autre il est possible d’en parler convenablement. En effet, bien que les attributs essentiels soient communs aux trois personnes, il est cependant possible que l’un d’eux ait une plus grande ressemblance selon la raison avec ce qui est propre à une personne qu’avec ce qui est propre à une autre, d’où il peut convenablement être approprié à cette personne.

Verbi gratia. Potentia habet in ratione sua principium ; et ideo appropriatur Patri, qui est principium non de principio ; et sapientia Filio, qui procedit ut verbum ; et bonitas Spiritui sancto, qui procedit ut amor, cujus objectum est bonum ; et ita similitudo appropriati ad proprium personae, facit convenientiam appropriationis ex parte rei, quae esset etiam si nos non essemus ; sed ex parte nostra facit convenientiam utilitas consequens. Invenitur enim distinctio et ordo in attributis divinis et in personis ; sed differenter ; quia in personis est distinctio et ordo realis, sed in attributis secundum rationem.

 

 En d’autres mots, la puissance a raison de principe et c’est pourquoi elle est appropriée au Père qui est le principe sans principe ; et la sagesse est appropriée au Fils qui procède en tant que verbe ; et la bonté est appropriée à l’Esprit-Saint qui procède en tant qu’amour dont l’objet est le bien ; et ainsi la ressemblance de l’approprié à l’égard de ce qui est propre à la personne produit la convenance de l’appropriation du côté de la chose, laquelle existerait même si nous n’existions pas. Mais de notre côté c’est l’utilité qui en découle qui rend l’appropriation convenable. Nous rencontrons en effet une distinction et un ordre dans les attributs divins et dans les personnes, mais différemment car dans les personnes il y a distinction et ordre réel tandis que dans les attributs il y a distinction et ordre selon la raison.

Unde quamvis per attributa non possimus sufficienter devenire in propria personarum, tamen inspicimus in appropriatis aliquam similitudinem personarum, et ita valet talis appropriatio ad aliquam fidei manifestationem, quamvis imperfectam ; sicut etiam ex vestigio et imagine sumitur aliqua via persuasiva ad manifestationem personarum.

 D’où il résulte que bien qu’au moyen des attributs nous ne puissions suffisamment parvenir à ce qui est propre aux personnes, cependant nous découvrons dans les appropriations une ressemblance ou une similitude des personnes et ainsi une telle appropriation contribue à une certaine manifestion de la foi, bien qu’elle soit imparfaite, tout comme du vestige et de l’image se tire un moyen persuasif pour manifester la personne.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod ex hoc quod convenit omnibus aliquod attributum, probatur sufficienter quod non sit proprium unius personae, non tamen quod non sit personae appropriatum ; quia haec praepositio ad, quae venit ad compositionem vocabuli, notat accessum cum quadam distantia ; unde, secundum Augustinum, lib. I Retract. C XXVI, col. 626, homo qui ita imitatur Deum quod semper invenitur distantia similitudinis, dicitur imago et ad imaginem ; Filius autem qui imitatur Patrem sine aliqua dissimilitudine, dicitur imago et non ad imaginem. Et propter hoc, quia hujusmodi attributa essentialia [om. essentiala Ed. de Parme] accedunt per similitudinem ad rationem propriorum, et distant per communitatem, recte appropriata dicuntur.

 Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que du fait qu’un attribut convient à toutes les personnes, cela prouve suffisamment qu’il n’est pas propre à une personne mais non pas cependant qu’il ne soit pas approprié à une personne ; car la préposition ¨à¨, qui vient dans la composition du terme ¨approprié¨, dénote un accès qui comporte une certaine distance ; de là, d’après Saint-Augustin [1 Rétractations, ch. XXVI, col. 626] on dit de l’homme, qui imite Dieu de telle manière qu’il y a toujours une distance dans la ressemblance, qu’il est l’image et qu’il est ¨à l’image¨ de Dieu ; mais on dit du Fils qui imite le Père sans aucune dissemblance qu’Il est l’image et non pas ¨à l’image¨ du Père. Et à cause de cela, parce que de tels attributs essentiels [essentiels om. Éd. de Parme] accèdent par ressemblance à la notion des propriétés et en diffèrent par leur caractère commun, sont à juste titre appelés appropriés.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis omnia attributa essentialia sint unum re, tamen differunt ratione, et secundum rationem suam habent similitudinem vel ad originem personarum, ut potentia, quae est principium productionis, vel ad determinatum modum originis, ut bonitas ad processionem amoris, et ad processionem verbi sapientia ; et ita diversis personis possunt ista appropriari. Sed essentia de ratione sua neque originem neque aliquid ad modum originis pertinens dicit ; et ideo non appropriatur.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que tous les attributs essentiels soient un en réalité, cependant ils diffèrent par la raison et d’après leur notion ils ont une ressemblance soit par rapport à l’origine des personnes, comme la puissance qui est le principe de production, soit par rapport à un mode déterminé d’origine, comme la bonté par rapport à la procession de l’amour et comme la sagesse par rapport à la procession du verbe ;  et c’est ainsi que ces noms peuvent être appropriés à différentes personnes. Mais l’essence par définition ne signifie pas l’origine et ne dit rien par rapport à ce qui appartient à un mode d’origine et c’est la raison pour laquelle elle n’est pas appropriée.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod appropriatum potest sumi dupliciter: aut materialiter, idest id quod appropriatum est ; et sic illud attributum non sequitur rationem proprii ; aut formaliter, idest inquantum appropriatum est ; et sic in ratione sua propria, proprii rationem includit.

 3. Il faut dire en troisième lieu que l’approprié peut se tirer de deux manières : soit matériellement, c’est-à-dire la chose même qui est appropriée ; et pris ainsi, cet attribut ne découle pas de la notion du propre ; soit formellement, c’est-à-dire en tant qu’approprié et ainsi dans sa définition propre il inclut la notion de propre.

lib. 1 d. 31 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod appropriando attributa essentialia determinatis personis, non excludimus alias personas, nec gradum participationis constituimus ; sed tantum ostendimus similitudinem in ratione appropriati ad proprium personae, et ex hoc non sequitur error.

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’en appropriant des attributs essentiels à des personnes déterminées, nous n’excluons pas les autres personnes et nous ne constituons pas un degré de participation ; mais nous ne faisons que montrer une similitude dans la notion de l’approprié par rapport à ce qui est propre à une personne et à partir de cela il ne s’ensuit pas une erreur.

 

 

Quaestio II

Question 2 – [L’appropriation]

 

 

 

 

Circa tertium duo quaeruntur :

1. de ratione approrpiationis Hilarii ;

2. de expositione Augustini quantum ad hoc quod dicit, quod imago coaequatur ei cuius est imago, et non e converso : utrum in divinis sit mutua aequalitas ; sed hoc, sup. XIX dist., habitum est

 

Sur le troisième point nous cherchons à savoir deux choses :

1. La notion d’appropriation de Saint-Hilaire.

2. L’explication de Saint-Augustin quant à ce qu’il dit, à savoir que l’image doit se comparer à la chose dont elle est l’image et non inversement  et est-ce qu’il y a en Dieu une égalité mutuelle ; mais cela a été établi plus haut à la distinction XIX.

 

 

 

 

Articulus primus.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 tit. Utrum Hilarius convenienter appropriet aeternitatem Patri, speciem Filio, usum Spiritui sancto

Article 1 – Hilaire approprie-t-il convenablement l’éternité au Père, la forme au Fils et l’usage à l’Esprit Saint ?

 

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod appropriatio Hilarii sit incompetens. Quia, secundum Augustinum, IV De Trin., cap. X, col. 932, hujusmodi appropriationes fiunt ad excludendum errorem ; et ideo Patri attribuitur potentia ne infirmus credatur, sicut patres apud nos propter senectutem. Sed circa aeternitatem Patris nullus erravit, sicut circa aeternitatem Filii, ut Arius. Ergo aeternitas magis esset approprianda Filio, quam Patri.

 Difficultés :

1. Il semble que l’appropriation de Saint-Hilaire ne convienne pas. Car, selon Saint-Augustin [IV De la Trinité, ch. X, col. 932], de telles appropriations sont faites en vue d’éviter des erreurs ; et c’est pourquoi il attribua la puissance au Père afin qu’on ne le croit pas faible tout comme nos pères le deviennent en raison de la vieillesse. Mais sur l’éternité du Père nul ne se trompa comme le fit Arius au sujet de l’éternité du Fils. Donc, l’éternité devrait davantage être appropriée au Fils qu’au Père.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum aequivoca non attenditur aliqua similitudo. Sed aeternitas privat principium durationis, innascibilitas autem privat principium originis. Cum igitur appropriationes fiant secundum similitudinem ad propria, videtur quod Patri non sit attribuenda aeternitas, quia est innascibilis.

 2. Par ailleurs, aucune similitude ne se vérifie d’après des termes équivoques. Mais l’éternité est affranchie du principe de la durée, l’innascibilité est affranchie du principe d’origine. Donc, puisque les appropriations sont faites d’après une ressemblance à la propriété, il semble que l’éternité ne doive pas être attribuée au Père auquel on attribue l’innascibilité.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod aeternitas appropriatur Patri, quia importat ex consequenti proprietatem Patris, scilicet innascibilitatem, quamvis principaliter significet divinam essentiam ; contra. Quandocumque notionale additur essentiali, non potest totum praedicari de persona cui non convenit illa notio ; sicut Deus genitus non praedicatur de Patre. Si igitur aeternitas aliquo modo in intellectu suo includeret innascibilitatem, nullo modo Filio conveniret, quod est Arianae impietatis.

 3. Si tu dis que l’éternité est appropriée au Père parce qu’elle implique par conséquent une propriété du Père, à savoir l’innascibilité, bien qu’elle signifie principalement l’essence divine, je réponds au contraire qu’à chaque fois que le notionnel s’ajoute à l’essentiel, cette notion ne peut dans sa totalité être attribuée à la personne à laquelle elle ne convient  pas, tout comme le ¨Dieu engendré¨ ne peut être attribué au Père. Si donc l’éternité incluait d’une certaine manière l’innascibilité dans sa conception même, elle ne conviendrait au Fils en aucune manière, ce qui constitue l’impiété d’Arius.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, secundum Dionysium, IV cap. de divinis nominibus, § 7, col. 702 pulchrum et bonum se consequuntur. Unde videtur quod omnia pulchrum et bonum appetunt ; unde secundum nomen in Graeco etiam propinqua sunt, quia bonum dicitur « calos », pulchrum « callos ». Sed bonitas non appropriatur Filio, sed Spiritui sancto. Ergo nec species vel pulchritudo.

 4. En outre, d’après Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 7, col. 702], le beau et le bien se rejoignent. D’où il semble que tous désirent le beau et le bon ; d’où il résulte qu’en Grec leurs noms aussi sont voisins car le bien est signifié par «calos» et le beau par «callos». Mais la bonté n’est pas appropriée au Fils mais à l’Esprit-Saint. Donc la forme ou la beauté ne lui est pas appropriée non plus.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, uti est referre aliquid ad obtinendum hoc quo fruendum est. Sed Spiritus sanctus est ipsum fruibile, et non refertur ad aliud sicut ad finem. Ergo usus non debet sibi appropriari.

 5. De plus, ¨user¨ c’est rapporter un être à l’obtention de ce dont il doit jouir. Mais l’Esprit-Saint est lui-même l’objet de la jouissance et il ne se rapporte pas à un autre comme à sa fin. On ne doit donc pas lui approprier l’usage.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in appropriatione Hilarii, ponuntur tria propria nomina personarum, scilicet Pater, imago, munus, vel donum, et hoc patet ex praedictis, dist. 8 qu. 1 art. 1 ; et ponuntur tria appropriata, scilicet aeternitas, quam dicit esse in Patre sicut appropriatam sibi ; et species, idest pulchritudo, quam dicit esse in imagine, idest in Filio, qui proprie imago est, ut supra habitum est, dist. 28, quaest. 2, art. 3 ; et usum, quem dicit esse in munere, scilicet in spiritu sancto, qui donum est.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que dans l’appropriation de Saint-Hilaire, trois noms de personnes sont posés, à savoir le Père, l’image et le présent ou le don ; et cela est clair à partir de ce qui a été dit [dist. 8, quest. 1, art. 1] ; et trois termes sont appropriés à ces trois noms de personnes, à savoir l’éternité que dit l’existence du Père comme lui étant appropriée ; et la forme, c’est-à-dire la beauté que signifie l’existence dans l’image, c’est-à-dire dans le Fils qui est proprement l’image du Père comme nous l’avons établi plus haut [dist. 28, quest. 2, art. 3] ; et enfin l’usage que signifie l’existence dans le présent, c’est-à-dire dans l’Esprit-Saint qui est le don.

Ratio autem hujusmodi appropriationis haec est. Aeternitas enim in ratione sua habet duo, scilicet quod sit principium omnis durationis, inquantum est prima mensura: unde ab ipsa fluit et aevum et tempus ; et sic habet similitudinem ad propria Patris, quae conveniunt sibi inquantum ipse est principium vel per generationem vel per spirationem, scilicet ad paternitatem et communem spirationem.

 Mais voici la raison d’une telle appropriation. En effet, l’éternité, par définition, contient deux éléments, à savoir celui d’être le principe de toute durée en tant qu’elle est la première mesure : d’où il résulte que c’est d’elle que s’écoule l’aevum et le temps ; et c’est de là qu’elle tient sa ressemblance aux propriétés du Père, à savoir la paternité et la spiration commune, qui lui conviennent en tant qu’Il est lui-même principe soit par génération soit par spiration

Habet etiam in ratione sua privationem principii, et in hoc convenit cum proprietate Patris, quae competit sibi secundum quod est auctor, vel non de principio, scilicet innascibilitate.

Ad rationem autem pulchritudinis duo concurrunt, secundum Dionysium, scilicet consonantia et claritas. Dicit enim, quod Deus est causa omnis pulchritudinis inquantum est causa consonantiae et claritatis, sicut dicimus homines pulchros qui habent membra proportionata et splendentem colorem.

His duobus addit tertium philosophus, IV Ethic., c. VI, ubi dicit, quod pulchritudo non est nisi in magno corpore ; unde parvi homines possunt dici commensurati et formosi, sed non pulchri.

Et secundum haec tria, pulchritudo convenit cum propriis Filii: inquantum enim Filius est imago perfecta Patris, sic est ibi consonantia perfecta ; est enim aequalis et similis sine inaequalitate et dissimilitudine ; et hoc tangit Augustinus, liberté. VI De Trinit., cap. X, col. 971, ubi dicit: ubi est tanta convenientia, id est maxima et prima aequalitas, et prima similitudo.

Inquantum vero est Filius verus, habet perfectam naturam Patris: et ita etiam habet magnitudinem quae consistit in perfectione divinae naturae, ut supra dictum est, dist. 19, quaest. 1 art. 2: unde dicit Augustinus quod ibi est perfecta et summa vita. Sed inquantum est verbum perfectum Patris, habet claritatem quae irradiat super omnia et in quo omnia resplendent.

Unde dicit Augustinus, quod est tamquam verbum perfectum. Potest etiam totum accipi ex verbis Augustini secundum rationem consonantiae, quae triplex in eo considerari potest:

id est consonantia ipsius ad Patrem [cui potentia add. Ed. de Parme] est aequalis et similis, et hoc tangit Augustinus ubi dicit: « Prima aequalitas ».

Item consonantia sui ad seipsum, inquantum omnia attributa in eo non differunt, sed unum sunt ; et hoc tangit ubi dicit: « Cui non est aliud vivere et aliud esse, sed idem est esse et vivere ».

Item consonantia ad res creatas, quarum rationes in eo sunt, et unum sunt in eo sicut ipse est unum cum Patre: et hoc tangit ibi: et omnes unum in ea, sicut ipsa unum de uno cum quo unum.

Usus etiam de ratione sua duo habet.

 Primo quod est assumptum in facultatem voluntatis ; et sic convenit Spiritui sancto inquantum est amor: et hoc tangit Augustinus cum dicit: « Illa ergo dilectio, delectatio, felicitas vel beatitudo (...) est in Trinitate spiritus sanctus ».

Habet etiam aliud quod est ordinatum ad alterum: et iste etiam ordo competit Spiritui sancto, inquantum ipse amor, qui est Spiritus sanctus, non tantum est in Filio, sed redundat in omnes creaturas, secundum quod competit sibi nomen doni: et hoc tangit Augustinus cum dicit: « Ingenti largitate atque ubertate perfundens omnes creaturas pro captu earum ».

L’éternité tient aussi, par définition, d’être affranchie de tout principe et elle s’accorde en cela avec la propriété du Père qui lui appartient selon qu’il est l’auteur, le fondateur, ou qu’il n’a pas de principe, à savoir l’innascibilité.

Mais deux éléments contribuent à la notion de beauté selon Denys, à savoir l’harmonie et l’éclat. Il dit en effet que Dieu est cause de toute beaukté en autant qu’il est la cause de l’harmonie et de l’éclat, tout comme nous disons  que sont beaux les hommes qui possèdent des membres harmonieux et une couleur éclatante.

Mais à ces deux éléments le Philosophe [IV Éthique, ch.  VI] en ajoute un troisième, où il dit qu’il n’y a beauté que là où il y a une certaine grandeur du corps ; d’où il résulte qu’on peut dire des hommes petits qu’ils sont proportionnés et charmants, mais non pas beaux.

Et d’après ces trois éléments, la beauté s’accorde avec les propriétés du Fils : en effet, en autant que le Fils est l’image parfaite du Père, il y a là une harmonie parfaite ; il est en effet égal et semblable au Père sans aucune inégalité et aucune dissimilitude ; et c’est ce que touche du doigt Saint-Augustin [ VI De la Trinité, ch. X, col. 971] où il dit : c’est là que se trouve l’accord le plus important, c’est-à-dire la plus grande et la première égalité et la première ressemblance.

Mais en tant que le Fils est vrai, il possède la nature parfaite du Père : et c’est ainsi qu’il possède aussi la grandeur qui consiste dans la perfection de la nature divine, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dis.t 19, quest. 1, art. 2] : d’où Saint-Augustin dit que c’est là que se trouve la vie parfaite et suprême. Mais en tant qu’il est le verbe parfait du Père, il possède l’éclat qui rayonne sur tout, le Fils est celui en qui tous les êtres resplendissent.

C’est pourquoi Saint-Augustin dit que le Fils est comme un verbe parfait. La beauté peut aussi être reçue en totalité à partir des paroles de Saint-Augustin d’après la notion d’harmonie qui peut être considérée en lui de trois manières : c’est-à-dire l’harmonie du Fils à l’égard du Père [dont la puissance add. Éd. de Parme] est égale et semblable et c’est ce que considère Saint-Augustin lorsqu’il dit : «La première égalité».

Il y a en outre son harmonie par rapport à lui-même, en autant que tous les attributs ne diffèrent pas en Lui mais sont un ; et c’est ce que touche Saint-Augustin en disant : «Celui chez qui vivre et exister ne diffèrent pas mais sont une seule et même réalité».

Il y en outre l’harmonie du Fils à l’égard des choses créées dont les notions sont en Lui et elles ne font qu’une en Lui tout comme Lui-même fait un avec le Père et c’est ce que Saint-Augustin touche là où il dit : «et toutes les choses sont une en elle, tout comme elle-même se dit de l’un avec lequel elle fait un».

Mais l’usage aussi par définition contient deux éléments.

Et premièrement il se prend du côté de la faculté de la volonté ; et ainsi il convient à l’Esprit-Saint en tant qu’il est amour : et c’est cela que touche Saint-Augustin lorsqu’il dit : «Donc cet amour, cette joie, cette félicité ou cette béatitude (…) dans la Trinité, c’est l’Esprit-Saint».

L’usage contient aussi cet autre élément qui est d’être ordonné à quelque chose d’autre : et cet ordre aussi convient à l’Esprit-Saint en autant que l’amour même, qui est l’Esprit-Saint, n’est pas seulement dans le Fils, mais rejaillit sur toutes les créatures selon que lui appartient le nom de ¨don¨ : et c’est là ce que touche Saint-Augustin lorsqu’il dit : « Comblant par sa libéralité et son abondance considérables toutes les créatures selon leurs portées».

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod una et principalis ratio est appropriationis, scilicet similitudo ad proprium, ut dictum est in corp. art. ; sed possunt esse multae consequentes utilitates ; quarum unam Augustinus tangit ; unde ex hoc non potest concludi quod aliquid debeat appropriari Patri vel Filio, nisi adsit ratio principalis.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il n’y a qu’une seule et première raison de l’appropriation, à savoir la similitude à l’égard de la propriété, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article ; mais plusieurs utilités peuvent en découler et Saint-Augustin touche l’une d’elles ; d’où on ne peut conclure à partir de là que quelque chose soit approprié au Père ou au Fils, à moins que ne soit présente la raison première.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in aequivocis quae per fortunam sunt et casum, ut canis, non attenditur similitudo aliqua ; sed in aequivocis quae dicuntur per respectum ad unum principium attenditur aliqua similitudo analogiae vel proportionis ; et talis est multiplicitas hujus nominis principium: unde etiam philosophus, V metaph., text. 1, docet reducere omnia hujusmodi ad unum primum principium.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les équivoques qui proviennent de la fortune et du hasard, par exemple ¨le chien¨, aucune similitude ne se vérifie ; mais dans les équivoques qui se disent par rapport à un même principe se vérifie la similitude d’analogie ou de proportion ; et telle est la multiplicité de ce nom, à savoir ¨principe¨ : d’où le Philosophe [V Métaphysique, texte 1] enseigne aussi qu’il faut ramener tous les noms de cette sorte à un même premier principe.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa nihil [non éd. de Parme] valet.

 3. Il faut dire en troisième lieu que cet argument vaut [ne Éd. de Parme] rien.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod pulchritudo non habet rationem appetibilis nisi inquantum induit rationem boni: sic enim et verum appetibile est: sed secundum rationem propriam habet claritatem et ea quae dicta sunt, quae cum propriis filii similitudinem habent.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la beauté n’a raison d’objet désirable que selon qu’elle revêt la raison de bien : c’est sous ce rapport en effet que le vrai aussi est désirable ; mais prise selon sa définition propre, la beauté dénote l’éclat et les caractères que nous avons dit et qui présentent une similitude avec ce qui est propre au Fils.

lib. 1 d. 31 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod usus, ut supra dictum est, dist. 1, quaest. 1, art. 2, sumitur dupliciter. Communiter, prout uti dicitur assumere aliquid in facultatem voluntatis, et stricte, prout dicit relationem in finem.

Et primo modo sumitur hic, quo continet in se etiam fruitionem, ut hic dicitur quod felicitas vel beatitudo ad usum pertinet. Nihilominus tamen competit proprio [proposito Ed. de Parme], et secundum quod habet rationem ordinis non quidem in finem, sed in effectum, in quo bonitas divina per Spiritum sanctum uberrime effunditur.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que l’usage, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 1, quest. 1, art. 2] se prend de deux manières.

Au sens large, selon que ¨user¨ signifie prendre quelque chose dans la faculté de la volonté ; et au sens strict, selon qu’il signifie une relation à la fin.

Et c’est ici dans le premier sens que se prend ¨user¨ et en ce sens ¨user¨ contient aussi en lui la jouissance, de telle manière qu’on puisse ici dire que la félicité ou la béatitude appartient à l’usage.

Néanmoins cependant l’Esprit-Saint se rapporte au sens propre [au propos Éd. de Parme] du terme, et selon qu’il a raison d’ordre ou de relation non pas certes à la fin, mais à l’effet dans lequel la bonté divine se répand avec abondance par l’Esprit-Saint.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [L’appropriation, suite]

Prooemium

lib. 1 d. 31 q. 3 pr. Circa quartum duo quaeruntur:

1 de ratione appropriationis Augustini ;

2 de hoc quod dicit quod omnia sunt unum propter Patrem.

Prologue

 Au sujet du quatrième point, on cherche à savoir deux choses :

1. La notion d’appropriation de Saint-Augustin.

2. Ce qu’il veut dire lorsqu’il dit que toutes les personnes sont une à cause du Père.

 

 

Articulus 1 lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 tit. Utrum Augustinus convenienter appropriet unitatem Patri, aequalitatem Filio, nexum Spiritui sancto

Article 1 – Augustin approprie-t-il convenablement l’unité au Père, l’égalité au Fils, le lien à l’Esprit Saint ?

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod appropriatio Augustini, lib. I De doct. christ., cap.V, col. 21 sit incompetens. Supra enim, 10 dist., quaest. 1, art. 3, dictum est, quod spiritus sanctus est unitas duorum. Ergo videtur quod unitas non Patri, sed Spiritui sancto approprietur.

Difficultés :

1. Il semble que l’appropriation de Saint-Augustin [1 De la Doctrine Chrétienne, ch. V, col. 21] ne soit pas juste. Nous avons dit en effet plus haut [dist. 10, quest. 1, art. 3] que l’Esprit-Saint est l’unité qu’il y a entre le Père et le Fils. Il semble donc que l’unité doive être attribuée à l’Esprit-Saint et non au Père.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, appropriatio est secundum similitudinem ad proprium. Illi ergo personae debet appropriari unitas, in qua minus de pluralitate invenitur. Sed maxima pluralitas notionum invenitur in Patre, qui habet tres notiones, minima in Spiritu sancto, qui habet unam tantum. Ergo unitas Spiritui sancto et non Patri appropriari debet.

 2. Par ailleurs, l’appropriation est faite d’après la ressemblance au propre. Donc, l’unité doit être appropriée à cette personne dans laquelle se retrouve moins de pluralité. Mais la plus grande pluralité de notions se retrouve dans le Père, lequel possède trois notions, et c’est dans l’Esprit-Saint qu’on en retrouve le moins, à savoir une seule. Donc l’unité doit être appropriée à l’Esprit-Saint et non au Père.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, unitas causa est aequalitatis. Si igitur unitas Patri appropriatur, et aequalitas sibi appropriari debet, et non Filio.

 3. En outre, l’unité est cause d’égalité. Si donc l’unité était appropriée au Père, l’égalité aussi devrait lui être appropriée et non au Fils.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 4 Item, secundum convenientiam in natura vel in forma magis attenditur similitudo quam aequalitas. Sed Filius inquantum est genitus a Patre, habet naturam et formam patris: et similiter imago et Verbum habet similitudinem ejus ad quod dicitur. Ergo magis debet appropriari Filio similitudo quam aequalitas.

 4. De plus, c’est davantage la similitude que l’égalité qui se vérifie d’après la ressemblance dans la nature ou dans la forme. Mais le Fils, selon qu’il est engendré par le Père, possède la nature et la forme du Père : et de la même manière l’image ou le Verbe possède la ressemblance de ce à l’égard de quoi il se dit. Donc, c’est davantage la similitude ou la ressemblance, plutôt que l’égalité, qui doit être appropriée au Fils.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, nexus proprie dicitur de Spiritu sancto. Sed aeternitas et aequalitas non proprie dicuntur de Patre et Filio. Ergo videtur quod appropriatio non sit uniformis.

5. Par ailleurs, le lien se dit proprement de l’Esprit-Saint. Mais l’éternité et l’égalité ne se disent pas proprement du Père et du Fils. Il semble donc que l’appropriation ne soit pas uniforme.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod appropriatio Augustini bona est, et ratio appropriationis haec est. Unitas enim, quantum ad id quod positive dicit, habet rationem principii secundum quod est principium numeri: et ita habet similitudinem cum duabus proprietatibus Patris, scilicet cum paternitate et communi spiratione quibus dicitur principium Filii et Spiritus sancti.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’appropriation de Saint-Augustin est bonne et voici la raison de cette appropriation. En effet, l’unité, quant à ce qu’elle dit positivement, a raison de principe selon qu’elle est le principe du nombre et ainsi elle a une similitude avec deux propriétés du Père, c’est-à-dire avec la paternité et la spiration commune, propriétés par lesquelles on dit de Lui qu’il est le principe du Fils et de l’Esprit-Saint.

Secundum autem quod ratio ejus consistit in negatione, sic negat divisionem, et per consequens compositionem praeexistentem ; et ita negat rationem principii: quia ea in quae aliquid dividitur, sunt principia integrantia ipsum ; et ita unitas habet similitudinem cum innascibilitate, sicut et aeternitas, ut dicit Magister. Similiter etiam aequalitas secundum proprium modum suae processionis convenit Filio, ut patet in omnibus nominibus personalibus ipsius Filii. Ex eo enim dicitur Filius quod recipit aequalem et eamdem naturam quam habet generans: similiter etiam imago includit in se rationem aequalitatis ; et similiter verbum perfectum. Ita etiam nexus convenit Spiritui sancto ex modo suae processionis inquantum est amor Patris et Filii, quo uniuntur, et etiam est connectens nos Deo, inquantum est donum.

 Mais selon que sa définition consiste dans la négation, l’unité ainsi nie la division et par conséquent toute composition préexistante ; et en ce sens elle nie la notion de principe : car les éléments dans lesquels une chose se divise sont les principes qui la constituent ; et ainsi l’unité possède une similitude avec l’innascibilité, tout comme l’éternité comme le dit le Maître. De la même manière aussi l’égalité convient au Fils selon le mode propre de sa procession comme on peut le voir dans tous les noms personnels du Fils lui-même. C’est à partir de là en effet qu’on dit du Fils qu’il reçoit une nature égale et identique à celle que possède celui qui l’engendre : de la même manière encore l’image comprend en elle la notion d’égalité, et il en est de même pour le verve parfait. De même aussi le lieu convient à l’Esprit-Saint de par le mode même de sa procession en tant qu’il est l’amour qui a lieu entre le Père et le Fils par lequel Ils sont unis, et aussi du fait qu’Il est Celui qui nous unit à Dieu en tant qu’Il est don.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod differt unitum et unum ; quia unitum est quod ex pluribus unum effectum est ; unde unio importat relationem quamdam plurium secundum quod in uno conveniunt ; sed unum absolute dicitur. Unde dicendum, quod unitas, secundum quod ponitur pro unione plurium in uno amore, attribuitur Spiritui sancto: secundum autem quod absolute sumitur inquantum est principium, habet similitudinem ad proprium Patris: unde appropriatur patri.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’uni et l’un diffèrent ; car l’uni est ce qui a été rendu un à partir de plusieurs ; d’où l’union implique une certaine relation entre plusieurs selon qu’ils s’accordent en quelque chose d’un. L’un de son côté se dit absolument. D’où il faut dire que l’unité, selon qu’elle est posée pour signifier l’union entre plusieurs dans un seul amour, est attribuée à l’Esprit-Saint ; mais selon qu’elle se prend absolument en tant que principe, elle a une similitude avec la propriété du Père, d’où il résulte qu’elle est appropriée au Père.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tres notiones in Patre non sunt tres res, sed tres rationes innotescendi: unde pluralitas notionum non impedit quin sibi unitas approprietur ; et praecipue cum ratio unitatis cum omnibus notionibus ejus similitudinem habeat.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que les trois notions qui sont dans le Père ne sont pas trois réalités, mais trois raisons qui le font connaître : d’où il résulte que la pluralité des notions n’empêche pas que l’unité Lui soit appropriée,  surtout lorsqu’on considère que la notion d’unité a une similitude avec toutes ses notions.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod aequalitas non est unitas, sed relatio unitatem consequens ; et ideo appropriatur Filio, qui adaequat Patrem procedens ab eo: quamvis non approprietur sibi unitas.

 3. Il faut dire en troisième lieu que l’égalité n’est pas l’unité, mais plutôt la relation qui découle de l’unité ; et c’est pourquoi, bien que l’unité ne soit pas appropriée au Fils,  cependant l’égalité  Lui est appropriée, Lui qui est élgal au Père alors même qu’il en procède.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut aequalitas appropriatur Filio, ita et similitudo: sed Augustinus posuit aequalitatem, quia in divinis aequalitas includit similitudinem, et non e converso. Cum enim in divinis non sit quantitas nisi virtutis, quae fundatur in aliqua forma ; sequitur ut quaecumque conveniunt in quantitate virtuali, conveniant in forma ; et ita, si sunt aequalia, quod sint similia. Sed non convertitur: quia aequalitas privat excessum, quem non privat similitudo ; unde duo quorum alter altero albior est, sunt similes in albedine, sed non aequales.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la similitude, tout comme l’égalité, est appropriée au Fils : mais Augustin a posé l’égalité car en Dieu l’égalité comprend la similitude et non inversement. En effet, puisqu’en Dieu il n’y a que la quantité virtuelle qui se fonde sur une forme, il s’ensuit que tout ce qui se rencontre dans une quantité virtuelle se rencontre dans une forme et par conséquent que s’ils sont égaux, ils sont aussi semblables. Mais il n’y a pas conversion : car l’égalité affranchit de l’excès, ce que ne fait pas la similitude ; d’où il résulte que de deux choses dont l’une est plus blanche que l’autre, les deux sont semblables mais non égales sous le rapport de la blancheur.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nexus vel connexio amoris proprium est spiritus sancti. Sed quia quaecumque conveniunt in aliquo uno, possunt dici connexa in illo ; ideo connexio absolute dicta non importat nisi convenientiam quamdam ; et sic non est proprium Spiritus sancti, sed appropriatum. Si tamen sumeretur ut est proprium, non esset magnum inconveniens, quod assignatio non est uniformis simpliciter: quia hujusmodi attribuuntur personis inquantum sunt appropriata, et sic accedunt ad rationem propriorum ; unde proprium et appropriatum inquantum appropriatum, non habent rationem difformitatis

 5. Il faut dire en cinquième lieu que le lien ou l’union d’amour est propre à l’Esprit-Saint. Mais parce qu’on peut dire de tous les êtres qui s’accordent en une même chose qu’ils sont unis en cette chose, c’est pourquoi l’union dite absolument n’implique qu’un certain accord ; et en ce sens une telle union n’est pas propre à l’Esprit-Saint, mais elle lui est appropriée. Si cependant on prenait l’union en tant qu’elle lui est propre, cela ne poserait pas une grande difficulté que l’assignation ne soit pas absolument uniforme car de telles assignations sont attribuées aux personnes en autant qu’elles sont des appropriations et ainsi elles s’approchent de la notion des propriétés ; d’où il résulte que la propriété et l’appropriation en tant qu’appropriation, n’ont pas raison d’équivocité.

 

 

Articulus 2 lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 tit. Utrum omnia sint unum propter patrem

Article 2 – Tout est-il un à cause du Père ?

 

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur falsum quod dicit Augustinus. Cum enim haec praepositio propter importet habitudinem alicujus causae ; cum dicitur quod omnia sunt unum propter patrem, aut importat habitudinem quasi efficientis, aut quasi formae. Si quasi formae, tunc falsum est ; quia Filius, formaliter loquendo, non est unus cum Patre, sed essentia divina, vel proprietate sua, vel seipso. Si quasi efficientis, sic idem erit dictum propter Patrem, ac si diceretur quod habet unitatem a Patre. Sed sicut habet unitatem a Patre Filius, ita et aequalitatem. Ergo sicut dicuntur omnia unum propter Patrem, ita dicuntur omnia aequalia propter Patrem ; et sic distinctio nulla esset.

 Difficultés :

1. Il semble que ce que dit Saint-Augustin soit faux. En effet, puisque cette préposition ¨à cause de¨ implique un certain rapport de causalité, lorsqu’on dit que toutes les personnes sont une à cause du Père, cela implique une relation ou bien à titre de cause efficiente ou bien à titre de cause formelle. Si c’est à titre de cause formelle, alors l’énoncé est faux ; car le Fils, à parler formellement, n’est pas un avec le Père, mais il l’est plutôt par l’essence divine ou par sa propriété ou par lui-même. Si c’est à titre de cause efficiente, on dira alors qu’il est identique à cause du Père, comme si on disait qu’il tient l’unité du Père. Mais tout comme le Fils tient l’unité du Père, il en tient aussi l’égalité. Donc, tout comme on dit que les personnes sont une à cause du Père, on dit de même qu’elles sont toutes égales à cause du Père ; et ainsi il n’y a aucune distinction entre elles.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid sit de Patre, constat quod Filius nullam rationem principii habeat respectu Patris. Si ergo haec praepositio propter importat habitudinem alicujus principii, videtur omnino falsum quod dicit, quod omnia sunt aequalia propter Filium.

 2. Par ailleurs, pour tout ce qui est attribué au Père, il est clair que le Fils n’a aucunement raison de principe par rapport au Père. Si donc cette préposition ¨à cause de¨ implique un rapport à un principe, il semble que ce qu’il dit soit absolument faux, à savoir que toutes sont égales à cause du Fils.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 arg. 3 Item, sicut idem est Deo sapere quod esse ; ita idem est esse aequalem Deo quod esse. Sed non potest dici quod omnia sint in divinis propter Filium. Ergo nec quod omnia sint aequalia.

 3. En outre, tout comme en Dieu la sagesse est identique à l’existence, de même en Dieu être égal est identique à exister. Mais on ne peut dire que tout existe en Dieu à cause  du Fils. On ne peut donc dire non plus que tout est égal en Dieu.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur.

 Cependant :

1. Ce qui est dit dans la Lettre est contraire à ces opinions.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod dictum Augustini potest verificari dupliciter: scilicet quantum ad numerum [proprietatem éd.de Parme] personarum et quantum ad numerum [propietatem éd. de Parme] ipsarum. Si enim consideremus numerum, sic unitas statim in Patre invenitur ; et ideo propter eum, in quo primo unitas invenitur, secundum ordinem naturae, omnia dicuntur unum.

Sed binarius personarum primo invenitur in Filio, qui procedit alius a Patre, et similiter aequalitas, quae primo in duobus invenitur: et propter hoc omnia per Filium aequalia dicuntur, sicut propter eum in quo primo aequalitas invenitur. Sed in Spiritu sancto primo invenitur ternarius, et similiter connexio, quae tria requirit, duo connexa et unum connectens ; et propter hoc omnia dicuntur connexa propter Spiritum sanctum.

Si autem consideremus proprietates personarum, in Patre invenitur ratio principii quasi primi: et quia in qualibet natura invenitur unum principium non de principio, a cujus unitate est quod una in omnibus natura propagetur, omnia dicuntur unum propter patrem: et hoc videtur tangere Hilarius in quadam notula.

Si consideremus proprium Filii, secundum omnia propria sua convenit sibi quod adaequet vel coaequet Patrem, et inquantum Filius et inquantum verbum et inquantum imago. Sicut autem dicimus quod relationes quae sunt ad creaturam, resultant ex creaturis inquantum referuntur in Deum ; ita etiam relationes quibus Pater refertur ad filium, suppositis relationibus distinguentibus, resultant ex hoc quod Filius refertur ad Patrem ; et propter hoc Pater dicitur aequalis Filio, inquantum Filius coaequat Patrem: et ex hoc etiam sequitur quod Spiritus sanctus sit aequalis utrique.

Nisi enim Filius qui est principium Spiritus sancti, esset aequalis Patri, nullo modo aequalem amorem spiraret ; et ita quodammodo ex aequalitate Filii resultat aequalitas in tota Trinitate.

Similiter etiam proprium est Spiritus sancti quod procedat ut amor, et amor habet rationem nexus ; et ideo omnia dicuntur propter Spiritum sanctum connexa. Posset tamen brevius exponi, ut diceretur, quod sunt omnia unum propter Patrem, id est propter unitatem essentialem quae appropriatur Patri, et sic de aliis.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que les paroles de Saint-Augustin peuvent se vérifier de deux manières : c’est-à-dire soit quant au nombre [propriété Éd. de Parme] des personnes, soit quant au nombre de leurs propriétés. Si en effet nous considérions le nombre, alors l’unité se retrouve aussitôt dans le Père ; et c’est pourquoi c’est à cause de lui, dans lequel se retrouve en premier l’unité selon l’ordre de nature, que toutes les personnes sont dites une.

Mais le nombre deux dans les personnes se retrouve en premier lieu dans le Fils, lequel procède du Père tout en étant autre que Lui, et il en est de même pour l’égalité qui se retrouve d’abord entre deux réalités : et c’est à cause de cela qu’on dit que c’est par le Fils que toutes les personnes sont égales, tout comme c’est à cause de Lui que l’égalité se retrouve d’abord en lui. Mais c’est dans l’Esprit-Saint que se retrouve en premier lieu le nombre trois, tout comme le lien qui exige trois constituantes, à savoir deux choses qui sont unies et une autre qui les unit ; et c’est à cause de cela qu’on dit que toutes les personnes sont unies à cause de l’Esprit-Saint.

Mais si nous considérions les propriétés des personnes, on retrouve dans le Père la notion de principe à titre de ce qui est premier : et parce que dans toute la nature on retrouve un seul principe sans principe, par l’unité duquel il se fait qu’une seule nature se multiplie en tous, on dit de toutes les personnes qu’elles sont une à cause du Père : et c’est là ce que semble avoir considéré Saint-Hilaire dans une petite remarque.

Si nous considérions les propriétés du Fils, il lui convient selon toutes ses propriétés d’égaler le Père, à la fois en tant que Fils, en tant qu’image et en tant que Verbe. Mais tout comme nous disons que les relations qui se rapportent à la créature résultent des créatures en tant qu’elles se rapportent à Dieu, de même encore les relations par lesquelles le Père se rapporte au Fils, étant supposées les relations qui distinguent, résultent du fait que le Fils se rapporte au Père ; et c’est à cause de cela qu’on dit du Père qu’il est égal au Fils dans la mesure où le Fils est égal au Père : et il suit aussi de là que l’Esprit-Saint soit égal aux deux autres personnes.

En effet, si le Fils qui est le principe de l’Esprit-Saint n’était pas égal au Père, en aucune manière il ne spirerait un amour égal ; et ainsi, en un sens, c’est de l’égalité du Fils que résulte l’égalité présente dans toute la Trinité.

Semblablement encore il est propre à l’Esprit-Saint de procéder en tant qu’amour e l’amour a raison de lieu ; et c’est pourquoi on dit de toutes les personnes qu’elles sont unies à cause de l’Esprit-Saint. On pourrait cependant l’expliquer plus brièvement pour dire que toutes les personnes sont une à cause du Père, c’est-à-dire à cause de l’unité essentielle qui est appropriée au Père, et il en est de même pour les autres propriétés.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod cum dicitur quod omnia sunt unum propter Patrem, ly « propter » non tantum dicit habitudinem principii per modum efficientis, sed etiam per modum formae, inquantum unitatem principii sequitur unitas formae, scilicet divina essentia, qua in divinis omnia unum sunt.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit que toutes les personnes sont une à cause du Père, ce ¨à cause¨ ne dit pas seulement une relation de principe par mode de cause efficiente, mais aussi par mode de forme, en autant que l’unité de la forme, c’est-à-dire l’essence divine par laquelle toutes les personnes en Dieu sont une, découle de l’unité du principe.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut creaturae non sunt principium Dei, quamvis dicatur Deus relative, propter hoc quod ad ipsum creaturae referuntur, quia hujusmodi relationes non sunt realiter in Deo, ita etiam non sequitur quod Filius sit principium Patris, quia aequalitas non ponit in Deo relationem realem.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que tout comme les créatures ne sont pas le principe de Dieu bien que Dieu se dise relativement pour cette raison que les créatures se rapportent à lui, parce que de telles relations n’existent pas réellement en Dieu, de même encore il ne s’ensuit pas que le Fils soit le principe du Père parce que l’égalité ne pose pas en Dieu une relation réelle.

lib. 1 d. 31 q. 3 a. 2 ad 3 Et per hoc etiam patet responsio ad tertium. Non enim dicuntur omnia esse aequalia propter Filium quasi [quia éd. de Parme] Filius sit principium aequalitatis in Patre, sicut [sed ut éd. de Parme] dictum est in corp. art.

 3. Et par là la réponse à la troisième difficulté est évidente. En effet, on ne dit pas que toutes les personnes sont égales à cause du Fils comme si [parce que Éd. de Parme] le Fils était le principe de l’égalité dans le Père, tout comme [mais comme Éd. de Parme] nous l’avons dit dans le corps de l’article.

 

 

Distinctio 32

 

Distinction 32 – [La médiation dans les processions]

 

 

Prooemium     

Prologue

La question porte ici sur deux points : premièrement sur ce qui appartient à l’Esprit-Saint ; deuxièmement sur ce qui appartient au Fils.

Au sujet du premier point nous cherchons à répondre à trois questions :

1. Est-ce que le Père aime le Fils par l’Esprit-Saint ?

2. Est-ce que le Père s’aime lui-même par l’Esprit-Saint ?

3. Est-ce que le Père et le Fils nous aiment par l’Esprit-Saint ?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [Le filioque]

 

 

Articulus 1 [2278] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 tit. Utrum Pater diligat Filium Spiritu sancto.

Article 1 – Le Père aime-t-il le Fils en l’Esprit Saint ?

[2279] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Pater non diligat Filium Spiritu sancto. Sicut enim idem est Deo esse quod sapere, ita idem est Deo esse quod diligere. Sed Deus Pater non dicitur esse aliquo modo Spiritu sancto. Ergo videtur quod nec diligere.

Difficultés :

1. Il semble que le Père n’aime pas le Fils en l’Esprit-Saint. Tout comme pour Dieu la sagesse s’identifie à l’existence, de même l’existence s’identifie à l’Amour. Mais on ne dit pas que Dieu le Père existe d’une certaine manière par l’Esprit-Saint. Il semble donc qu’il n’aime pas par l’Esprit-Saint.

[2280] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, cum dicitur: « Pater diligit Filium Spiritu sancto », oportet quod ablativus constituatur in habitudine alicujus causae, vel quasi efficientis, vel quasi formalis. Sed omnis talis constructio potest resolvi et exponi per aliquam praepositionem designantem habitudinem causae. Ergo videtur quod Pater diligat Filium vel a Spiritu sancto, vel per Spiritum sanctum. Harum autem utraque videtur esse falsa ; quia Spiritus sanctus non habet aliquam habitudinem principii respectu Patris ; sicut praepositio designat. Ergo videtur quod etiam haec sit falsa: Pater diligit Filium Spiritu sancto.

 2. Par ailleurs, lorsqu’on dit : «Le Père aime le Fils en l’Esprit-Saint», il faut que l’ablatif soit constitué dans la relation d’une cause, qu’il s’agisse comme d’une cause efficient ou comme d’une cause formelle. Mais toute construction de cette sorte peut être résolue et expliquée par une préposition désignant une relation de cause. Il semble donc que le Père aime le Fils soit par l’Esprit-Saint, soit au moyen de l’Esprit-Saint. Mais il semble que chacune des ces propositions soit fausse car l’Esprit-Saint ne possède aucune relation de principe par rapport au Père, tout comme la préposition l’indique. Il semble donc que cette autre proposition aussi soit fausse, à savoir : le Père aime le Fils en l’Esprit-Saint.

[2281] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, hoc verbum diligit aut significat actum essentialem aut notionalem. Si essentialem, cum idem judicium sit de omnibus essentialibus, poterit loco ejus poni alius actus essentialis ; ut dicatur Pater vivere Spiritu sancto, vel intelligere aut velle ; quod falsum est. Si autem dicat actum notionalem, non dicit aliam notionem quam communem spirationem. Ergo loco ejus poterit poni hoc verbum « spirat », ut dicatur: Pater spirat Spiritum sanctum Spiritu sancto ; quod falsum est. Ergo et prima omnibus modis falsa est.

 3. En outre, ce verbe ¨Il aime¨, signifie ou bien acte essentiel, ou bien un acte notionnel. Si c’est un acte essentiel, comme le jugement reste le même pour tous les actes essentiels, on pourra à sa place mettre un autre acte essentiel, comme lorsqu’on dirait que le Père vit, conçoit ou veut par l’Esprit-Saint, ce qui est faux. Mais s’il signifie un acte notionnel, il ne dit pas une autre notion que celle de la spiration commune. Donc à sa place on pourra mettre ce verbe : ¨Il spire¨, de manière à dire : le Père spire l’Esprit-Saint en l’Esprit-Saint, ce qui est faux. Donc la première proposition est fausse de toutes les manières.

[2282] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis amor quo aliqui se diligunt, est vinculum vel nexus uniens eos. Sed Spiritus sanctus non potest unire patrem et Filium ; quia omne uniens habet aliquem influxum super unita, sicut unionem faciens. Ergo videtur quod Pater et Filius non diligant se Spiritu sancto.

 4. Par ailleurs, tout amour en lequel certains s’aiment est une attache ou un lieu qui les unit. Mais l’Esprit-Saint ne peut unir le Père et le Fils car tout ce qui unit possède une influence sur ce qui est uni en tant qu’il produit cette union. Il semble donc que le Père et le Fils ne s’aiment pas en l’Esprit-Saint.

[2283] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, sicut amor alicujus hominis procedit ab eo, ita et Spiritus sanctus procedit a Patre et Filio ut amor. Sed unus homo diligit alium amore qui ab ipso procedit. Ergo et Pater diligit Filium Spiritu sancto, qui est amor ab ipso procedens ; et est ratio Hugonis de sancto Victore, lib. De Trinitate, Erudit didascal., cap. XXIII, col. 837et in Epist ad Bernard.

 Cependant:

1. Au contraire, tout comme l’amour d’un homme procède de lui, de même l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils en tant qu’amour. Mais un même homme en aime un autre par l’amour qui procède de lui. Donc de même le Père aime le Fils par l’Esprit-Saint, lequel est l’amour qui procède du Père; et c’est là le raisonnement de Hugues de Saint-Victor [De la Trinité, Instruction didactique, ch. XXIII, col. 837 et dans la Lettre à Bernard]

[2284] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omni amore perfecto aliquid diligitur. Si ergo Spiritus sanctus est amor perfectus, quod utique verum est, videtur quod eo aliquis diligat, et aliquis diligatur. Sed non nisi Pater et Filius. Ergo Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto.

 2. Par ailleurs, un être est aimé par tout amour parfait. Si donc l’Esprit-Saint est une amour parfait, ce qui est absolument vrai, il semble que ce soit par lui que quelqu’un aime et que quelqu’un est aimé. Mais ce ne peut être que le Père et le Fils. Donc le Père et le Fils s’aiment dans l’Esprit-Saint.

[2285] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt plurimae opiniones. Quidam enim dicunt omnes hujusmodi locutiones esse falsas, et in suo simili ab Augustino retractatas, ubi retractavit quod prius dixerat, Patrem sapientia ab eo genita sapientem esse, ut in notula in Littera posita patet.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet les opinions sont nombreuses. En effet, certains disent que de telles expressions sont fausses et qu’elles ont été rétractées par Saint-Augustin dans une proposition semblable venant de lui dans laquelle il a rétracté ce qu’il avait antérieurement affirmé, à savoir: «le Père est sage par la Sagesse engendrée», ainsi qu’on le voit dans une remarque placée dans la Lettre.

Sed hoc non videtur conveniens ; quia Augustinus ea quae retractare voluit, specialiter expressit ; et praeterea ipse non retractavit dicta aliorum, sed tantum sua. Unde cum ipse et omnes alii communiter talibus locutionibus utantur, praesumptuosum videtur eas negare.

Ideo alii dicunt, eas quidem veras esse, sed improprias, et sic exponendas: Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto, idest amore essentiali, qui Spiritui sancto appropriatur.

 

 Mais cela ne semble pas juste ; car ce que Saint-Augustin a voulu rétracter, il l’a spécifiquement exprimé ; et par ailleurs, il n’a pas rétracté les paroles des autres mais seulement les siennes. D’où il résulte que puisque lui-même et tous les autres se sont habituellement servi de telles expressions, il semble présomptueux de les nier.

C’est pourquoi d’autres disent que ces expressions sont certes vraies mais qu’elles sont impropres et qu’elles doivent être expliquées comme suit : le Père et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint, c’est-à-dire par l’amour essentiel qui est approprié à l’Esprit-Saint.

Hoc etiam non videtur conveniens ; quia sic etiam Pater diceretur sapiens Filio, idest sapientia essentiali, quae Filio appropriatur, et diceretur bonus Spiritu sancto propter eamdem rationem. Ideo alii dixerunt, quod est vera et propria ; et horum multiplex est opinio.

 Cela non plus ne semble pas juste car de cette manière on pourrait aussi dire que le Père est sage par le Fils, c’est-à-dire par la sagesse essentielle qui est appropriée au fils, tout comme on pourrait aussi dire de Lui qu’il est bon par l’Esprit-Saint pour la même raison. C’est pourquoi d’autres disent que cette expression est vraie et qu’elle se dit proprement ; et l’opinion de ces derniers est multiple.

Quidam enim dicunt, quod ablativus ille resolvendus est in praepositionem, ut sit sensus: « Pater diligit Filium Spiritu sancto », idest per Spiritum sanctum ; et tunc quod ly « per » denotat subauctoritatem in Spiritu sancto, et auctoritatem in Patre et Filio, sicut cum dicitur quod Pater operatur per Filium. Sed hoc non videtur conveniens ; quia per praepositionem per designatur habitudo causae in causali cui adjungitur, quamvis non respectu operantis, sed respectu operati

 En effet, certains disent que cet ablatif ¨a¨ qui signifie ¨par¨ doit être résolu dans la préposition de manière à signifier : «Le Père aime le Fils par l’Esprit-Saint», c’est-à-dire au moyen de l’Esprit-Saint ; et alors ce «au moyen de» indique comme une subordination chez l’Esprit-Saint et une autorité dans le Père et le Fils, tout comme lorsqu’on dit que le Père opère au moyen du Fils. Mais cela ne semble pas plus juste car par la préposition «per» ou «au moyen de» est désignée une relation de cause dans la causalité à laquelle il s’ajoute, bien que ce ne soit pas par rapport à celui qui opère mais par rapport à ce qui est opéré.

Filius enim habet causalitatem in creatura, quamvis non sit principium operationis in Patre. Sed cum dicitur: » Pater diligit Filium per Spiritum sanctum », non denotatur aliquis effectus in creatura, nec aliquid cujus principium Spiritus sanctus sit ; et ideo non est similis ratio dicendi.

 En effet, le Fils a une causalité dans la créature, bien qu’il ne soit pas principe d’opération dans le Père. Mais lorsqu’on dit:«Le Père aime le Fils au moyen de l’Esprit-Saint», on n’indique pas un effet dans la créature ni quelque chose dont le principe serait l’Esprit-Saint; et c’est pourquoi la raison de s’exprimer n’est pas semblable.

Et ideo quidam dicunt quod ablativus construitur in habitudine signi, et quasi effectus ; quia sicut generatio quodammodo terminatur ad Filium, ita spiratio quae designatur in dilectione, terminatur ad Spiritum sanctum. Unde exponunt sic: « Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto » ; idest, Spiritus sanctus est signum quod Pater et Filius diligunt se. Sed hoc non videtur conveniens ; quia etiam amor creatus est signum dilectionis, qua Pater et Filius diligunt se ; et ita per viam istam diceretur, quod Pater et Filius diligunt se amore creato, quod falsum est. Praeterea Spiritus sanctus est amor Patris, et amore formaliter aliquid diligitur ; et ita Spiritu sancto, etiam formaliter loquendo, Pater diligit.

 Et c’est pourquoi certains disent que l’ablatif est construit dans une relation de signe et comme un effet ; car tout comme la génération se termine d’une certaine manière au Fils, de même la spiration qui est désignée dans l’amour se termine à l’Esprit-Saint. Partant de là, il expliquent cet énoncé : «Le Père et le Fils s’aiment par l’Esprit-Saint» de la manière suivante : l’Esprit-Saint est le signe que le Père et le Fils s’aiment. Mais cette explication ne semble pas juste car même l’amour créé est le signe de l’amour par lequel le Père et le Fils s’aiment ; et ainsi par cette approche on pourrait dire que le Père et le Fils s’aiment par l’amour créé, ce qui est faux. Par ailleurs, l’Esprit-Saint est l’amour du Père, et c’est formellement par l’amour qu’un être est aimé ; et ainsi, même à parler formellement, c’est par l’Esprit-Saint que le Père aime.

Et ideo alii dixerunt, quod ablativus ille construitur in habitudine formae ; quia Pater et Filius formaliter amore diligunt qui est Spiritus sanctus. Sed hoc etiam ex toto non videtur sufficiens ; quia forma non denominat aliquid nisi inhaereat ; et ita cum Spiritus sanctus non se habeat ad patrem ut inhaerens, sed ut per se subsistens, non potest esse quod sit sicut forma eliciens actum dilectionis. Et praeterea forma habet rationem principii respectu ejus cujus est forma, quaecumque forma sit, vel quantum ad esse substantiale, vel accidentale, et operationem consequentem ; et ita Spiritus sanctus esset principium alicujus in Patre ; quod falsum est.

 

 Et c’est pourquoi d’autres disent que cet ablatif est construit dans une relation de forme ; car le Père et le Fils aiment formellement par l’amour qui est l’Esprit-Saint. Mais cela non plus ne semble pas totalement suffisant ; car la forme n’indique de l’être qu’à la manière de ce qui existe dans un autre ; et ainsi, puisque l’Esprit-Saint ne se rapporte pas au Père à la manière d’un être qui existerait en Lui, mais à la manière d’un être qui subsiste par lui-même, il n’est pas possible qu’il soit comme une forme qui suscite un acte d’amour. Et par ailleurs la forme a raison de principe par rapport à ce dont elle est la forme, quelle que soit la forme dont il s’agisse, soit quant à l’existence substantielle ou quant à l’existence accidentelle et découlant de l’opération ; et en ce sens l’Esprit-Saint serait le principe de quelque chose dans le Père, ce qui est faux.

Et ideo alii dixerunt, quorum videtur esse auctor Hugo de s. Victore ubi supra, quod construitur in habitudine quasi effectus formalis, ut dicatur effectus largo modo omne id quod a principio est, quia proprie in divinis non est efficiens et effectum ; et formale dicatur, quod habet actum formae in denominando. Et est sensus: a Patre et Filio procedit amor, qui est Spiritus sanctus, quo diligit se. Unde haec opinio simul concludit duas ultimas praedictarum ; unde perfectius continet veritatem, et sibi consentiendum videtur.

 

 Et c’est pourquoi d’autres disent, dont semble faire partie l’auteur Hugues de Saint-Victor nont nous avons parlé plus haut, que l’ablatif est construit dans une relation d’effet formel, comme on appelle effet au sens large tout ce qui vient d’un principe car à proprement parler en Dieu il n’y a ni cause efficiente ni effet ; et on appelle formel ce qui dans la dénomination possède l’acte de la forme. Et le sens est alors : l’amour par lequel ils s’aiment, qui est l’Esprit-Saint, procède du Père et du Fils. D’où cette opinion conclut simultanément les deux dernières opinions et par conséquent contient plus parfaitement la vérité et il semble qu’on doive y donner notre assentiment.

Tamen ad explanationem ejus sciendum est, quod secundum diversam naturam generis diversus est modus denominationis. Quaedam enim genera secundum rationem suam significant ut inhaerens, sicut qualitas et quantitas, et hujusmodi ; et in talibus non fit denominatio nisi per formam inhaerentem, quae est secundum aliquod esse vel substantiale vel accidentale. Quaedam autem significant secundum rationem suam, ut ab alio ens, et non ut inhaerens, sicut praecipue patet in actione.

 Il faut cependant savoir pour l’expliquer qu’il y a différentes manières de dénommer d’après des natures de genres différents. En effet, certains genres de par leur définition signifient à la manière de ce qui est inhérent, comme la qualité, la quantité et les attributs de cette sorte ; et dans ces cas il n’y a dénomination que par une forme inhérente qui se présente sous le rapport d’une existence soit substantielle, soit accidentelle. Mais d’autres genres signifient d’après leur définition comme un ce qui existe par un autre et non comme ce qui est inhérent, tout comme on le voit surtout dans l’action.

Actio enim, secundum quod est actio, significatur ut ab agente ; et quod sit in agente, hoc accidit sibi inquantum est accidens. Unde in genere actionis denominatur accidens per id quod ab eo est, et non per id quod principium ejus est ; sicut dicitur actione agens ; nec tamen actio est principium agentis, sed e converso.

 L’action en effet, prise en tant qu’action, est signifiée comme procédant d’un agent ; et que l’action soit dans l’agent, cela lui arrive en tant qu’elle est un accident. D’où il résulte que dans le genre de l’action l’accident est dénommé par ce qui procède de lui et non par ce qui en est le principe, tout comme l’agent est dénommé par l’action ; et cependant l’action n’est pas le principe de l’agent, mais c’est l’inverse qui est vrai.

Et si per impossibile poneretur esse aliquam actionem quae non esset accidens, non esset inhaerens, et tamen denominaret agentem, et tunc agens denominaretur per id quod ab eo est, et in eo non est ut inhaerens. Sed quia cujuslibet actionis principium est aliqua forma inhaerens, ideo aliquid potest dici agens duobus modis ;

vel ipsa actione, quae denominat agentem et non est principium ejus ; vel forma, quae est principium actionis in agente, et secundum quid principium agentis ; sicut dicimus ignem moveri sursum motu proprio, et levitate.

 Et si par impossible on posait qu’il existe une action qui n’est pas un accident, ce ne serait pas un accident inhérent et cependant il dénommerait l’agent et alors l’agent serait dénommé par ce qui procède de lui et qui n’existe pas en lui comme quelque chose d’inhérent. Mais parce que le principe de toute action est une forme inhérente, c’est pourquoi un être peut être appelé agent de deux manières : soit par l’action elle-même qui dénomme l’agent sans en être le principe ; soit par la forme qui est le principe de l’action dans l’agent et sous un rapport le principe de l’agent, tout comme nous disons que le feu se meut vers le haut par son mouvement propre et sa légèreté.

His visis, patet de facili qualiter concedendum sit quod dictum est, et quid est quod dubitationem induxerit. Diligere enim in divinis potest dici vel essentialiter, secundum quod non importat nisi processionem secundum rationem ; vel notionaliter, secundum quod importat processionem realem amoris ab amante: et ab utroque modo invenitur amor dupliciter dici: scilicet ut qualitas, prout amor significat habitum amantis in amante ; et ut operatio, prout amor significat actum vel passionem amantis in amante. Si igitur diligere sumatur essentialiter, cum dicitur, Pater diligit Filium, dicetur diligere denominative amore qui est actus essentialis, et sicut principio illius actus, ipsa caritate, quae est substantia divina.

 Ceci étant vu, on voit facilement de quelle manière il faut condéder ce qui a été dit et en quoi consiste ce qui a conduit à la difficulté. En effet, aimer en Dieu peut se dire soit essentiellement, selon qu’il n’implique qu’une procession selon la raison, soit notionnellement, selon qu’il implique une procession réelle de l’amour par l’amant ; et l’amour se dit de deux manières par chacune des deux modalités : c’est-à-dire en tant que qualité selon que l’amour signifie l’habitus de l’amant dans l’amant, et en tant qu’opération, selon que l’amour signifie l’acte ou la passion de l’amant dans l’amant. Si donc ¨aimer¨ se prend essentiellement lorsqu’on dit ¨Le Père aime le Fils¨, aimer se dira dénominativement par l’amour qui est l’acte essentiel et comme par le principe de cet acte, par la charité elle-même, qui est la substance divine.

Si autem sumatur notionaliter, tunc, si amor significat formam quae est principium hujus actus, dicetur Pater diligere Filium ipsa proprietate quae est principium processionis Spiritus sancti, sicut paternitas est principium generationis Filii. Si autem amor nominet ipsam actionem procedentem, sic Pater dicitur diligere Filium amore qui est Spiritus sanctus, vel Spiritu sancto ; licet hoc non adeo expressam contineret veritatem. Et similiter est in aliis nominibus personalibus quae significant personam per modum operationis, ut « verbum » ; et ideo dicitur, quod Pater dicit Verbo suo

Mais si l’amour se prend notionnellement, alors, si l’amour signifie la forme qui est le principe de cet acte, on dira que le Père aime le Fils par la propriété même qui est le principe de la procession de l’Esprit-Saint, tout comme la paternité est le principe de la génération du Fils. Mais si l’amour nomme l’action même qui procède, ainsi on dit du Père qu’il aime le Fils par l’amour qui est l’Esprit-Saint ou qu’il l’aime par l’Esprit-Saint, bien que cela ne se trouverait pas à exprimer la vérité dans sa totalité. Et il en est de même pour tous les autres noms personnels qui signifient la personne par mode d’opération, comme c’est le cas pour le terme «verbe» ; et c’est pourquoi on dit que le Père parle par son verbe.

[2286] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod diligere, prout essentialiter sumitur, est omnibus modis idem quod esse, et quantum ad rem, et quantum ad modum significandi, qui est significare absolute in divinis. Unde accipiendo hoc modo diligere, nullo modo Pater diligit Spiritu sancto. Sed diligere notionaliter sumptum, non idem est Patri quod esse, secundum modum significandi ; quia diligere dicitur relative, et esse absolute ; et ideo non sequitur quod Spiritu sancto sit, quamvis Spiritu sancto diligat: sicut paternitate est Pater, nec tamen paternitate est. Sed sapere in divinis nunquam dicitur nisi essentialiter ; et ideo nullo modo potest dici quod Pater sit sapiens sapientia genita.

 Solutions :

1.Il faut donc dire en premier lieu qu’aimer, selon qu’il se prend essentiellement, est identique à l’existence de toutes les manières, à la fois quant à la chose signifiée et quant au mode de signifier qui consiste en Dieu à signifier absolument. D’où il résulte qu’à prendre aimer en ce sens, c’est-à-dire essentiellement, en aucune manière le Père n’aime par l’Esprit-Saint. Mais aimer pris notionnellement n’est pas identique à l’existence chez le Père selon le mode de signifier car alors aimer se dit relativement tandis qu’exister se dit absolument ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’il existe par l’Esprit-Saint bien qu’il aime par l’Esprit-Saint, tout comme c’est par la paternité qu’il est Père mais ce n’est pas par la paternité qu’il existe. Mais la sagesse en Dieu ne se dit jamais qu’essentiellement et c’est pourquoi on ne peut en aucune manière dire que le Père est sage par une sagesse engendrée.

[2287] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut dictum est, in corp. art., amor personalis non se habet ad Patrem diligentem ut principium dilectionis, sed magis ut actus denominans: et ideo non construitur in habitudine alicujus principii, nec in habitudine formae inquantum forma est principium, sed solum inquantum forma est denominans ; ut cum dicitur: iste est agens actione. Et ideo, quia propositiones important expresse habitudinem causae, non ita est propria ista: Pater diligit Filium per Spiritum sanctum, sicut haec: Pater diligit Spiritu sancto. Quamvis etiam concedi possit, inquantum est principium denominationis, non simpliciter. Haec autem: Pater diligit a Spiritu sancto, nullo modo concedenda est: quia dicit principium per modum efficientis.

 

 2. Il faut dire en deuxième lieu tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, que l’amour personnel ne se rapporte pas au Père aimant comme un principe d’amour, mais plutôt comme l’acte qui dénomme ; et c’est pourquoi il n’est pas construit dans une relation de principe ni dans une relation de forme pour autant que la forme est principe, mais seulement pour autant que la forme est ce qui dénomme, comme lorsqu’on dit : «celui-ci agit dans l’action». Et c’est pourquoi, parce que les propositions impliquent distinctement une relation de causalité, cette proposition-ci : «le Père aime le Fils au moyen de l’Esprit-Saint», n’est pas aussi propre que celle-là : «Le Père aime en l’Esprit-Saint». Cette dernière en effet, bien qu’elle puisse être concédée en tant qu’elle est principe de dénomination, elle ne doit cependant pas l’être absolument. Mais cette proposition : «Le Père aime par l’Esprit-Saint», ne doit être concédée en aucune manière car elle dit un principe par mode de cause efficiente.

[2288] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non dicit actum essentialem, sed notionalem. Sciendum tamen est, quod in actu notionali, qui est diligere, duo intelliguntur ; scilicet actus ipse, et exitus actus ab agente: et ipse actus est persona Spiritus sancti ; sed emanatio actus ab agente est proprie notio, sive notionalis actus, qui est processio: et ideo etiam persona Spiritus sancti non significatur per actum designatum verbo, quia verbum significat actum ut egredientem ab agente, sed significatur per actum designatum nomine quod significat actum absolute, ut amor et dilectio.

 3. Il faut dire en troisième lieu que ¨aimer¨ ne dit pas un acte essentiel, mais un acte notionnel. Il faut cependant savoir que dans cet acte notionnel, à savoir aimer, on entend deux choses : c’est-à-dire l’acte lui-même et la sortie de l’acte de l’agent : et l’acte lui-même est la personne de l’Esprit-Saint ; mais la sortie de l’acte de l’agent est proprement la notion ou l’acte notionnel qui est la procession : et c’est pourquoi aussi la personne de l’Esprit-Saint n’est pas signifiée au moyen d’un acte désigné par un verbe, car le verbe signifie l’acte comme sortant de l’agent, mais il est signifié par un acte désigné par un nom qui signifie l’acte absolument, comme l’amour.

Diligere autem proprie dicit notionem, quia diligere idem est quod amorem emittere. Unde in verbo diligendi importatur et ipse actus, qui est persona, ratione cujus secundum illum actum denominatur Pater diligens amore, qui est persona Spiritus sancti ; et importat emissionem actus, ratione cujus est notionale. Sed hoc verbum « spirat » significat ipsam emissionem actus, et non actum emissum: et ideo Pater non dicitur spirans Spiritu sancto, sed actu, vel proprietate spirationis. Et simile est de generatione: quia generatio dicit emissionem geniti ; unde non dicitur quod Pater generat verbo ; sed « dicere » dicit emissionem verbi, et verbum emissum: et ideo dicitur, quod dicit verbo. Verbum autem nominat id quod emissum est, et non emissionem ; et ideo verbum est personale, sicut et amor: et diligere est notionale, sicut dicere.

 Mais aimer dit proprement une notion car aimer signifie la même chose qu’émettre l’amour. D’où il résulte que dans le verve ¨aimer¨ est impliqué à la fois l’acte lui-même, qui est la personne, en raison duquel le Père est dénommé, conformément à cet acte, comme aimant par l’amour qui est la personne de l’Esprit-Saint ; et il implique aussi l’émission de l’acte en raison de quoi il est notionnel. Mais ce verbe, à savoir «il spire», signifie l’émission ou la sortie même de l’acte et non l’acte émis : et c’est pourquoi on ne dit pas du Père qu’il spire par l’Esprit-Saint, mais plutôt par l’acte ou par la propriété de la spiration. Et il en est de même pour la génération : car la génération dit l’émission de ce qui est engendré ; et de là on ne dit pas du Père qu’il engendre par le Verbe ; mais dire dit l’émission du verbe et le verbe émis : et c’est pourquoi on dit du Père qu’il dit par le verbe. Mais le verbe nomme ce qui est émis et non l’émission ; et c’est pourquoi le Verbe est personnel, tout comme l’amour, et qu’aimer est notionnel, tout comme dire.

[2289] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod haec est vera: Pater et Filius uniuntur Spiritu sancto, secundum quod Spiritus sanctus est ipsa unio, sicut et amor quo formaliter uniuntur, ut dictum est, dist. 10, quaest. 1, art. 4, sicut eo quod ab eis procedit, sicut aliqui uniuntur uno actu. Nec tamen ista simpliciter concedenda est, quod Spiritus uniat Patrem et Filium ; quia unire significat per modum unientis effective, quod non convenit Spiritui sancto. Potest tamen concedi, si intelligatur uniens formaliter, sicut albedo dicitur facere album.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que cette proposition est vraie : le Père et le Fils sont unis par l’Esprit-Saint, selon que l’Esprit-Saint est l’union elle-même, tout comme il est aussi l’amour par lequel ils sont formellement unis, ainsi que nous l’avons plus haut [dist. 10, quest. 1, art. 4], tout comme ce par quoi il procède d’eux, tout comme certains sont uni dans un même acte. Et cependant il ne faut pas concéder absolument cette proposition, à savoir : «L’Esprit-Saint unit le Père et le Fils». Car unir signifie par mode de ce qui unit à la manière d’un agent, ce qui ne convient pas à l’Esprit-Saint. On peut cependant la concéder, si on entend ¨unit¨ formellement, tout comme on dit de la blancheur qu’elle rend blanc.

 

 

Articulus 2 [2290] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 tit. Utrum Pater diligat se Spiritu sancto

Article 2 – Le Père s’aime-il par l’Esprit Saint ?

[2291] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Pater non diligat se Spiritu sancto. Aut enim diligere importat actum essentialem, aut notionalem. Si essentialem, communis est toti Trinitati, et significat divinam essentiam. Ergo non diligit se essentialiter Spiritu sancto. Si autem significat actum notionalem ; contra: nullus actus notionalis reflectitur super eum a quo est: non enim Pater generat se. Si igitur diligere sit actus notionalis, videtur quod haec sit falsa: Pater diligit se Spiritu sancto

 Difficultés :

1. Il semble que le Père ne s’aime pas par l’Esprit-Saint. Ou bien en effet ¨aimer¨ implique un acte essentiel, ou bien il implique un acte notionnel. S’il implique un acte essentiel, il est commun à toute la Trinité et signifie l’essence divine. Dans ce cas, il ne s’aime pas essentiellement par l’Esprit-Saint. Mais s’il signifie un acte notionnel, au contraire, aucun acte notionnel ne revient sur celui d’où il procède : en effet, le Père ne s’engendre pas lui-même. Si donc ¨aimer¨ est un acte notionnel, il semble que la proposition suivante, à savoir «Le Père s’aime lui-même par l’Esprit-Saint» soit fausse.

2292] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, processio Spiritus sancti secundum ordinem naturae praesupponit generationem Filii: quia Spiritus sanctus procedit a Patre et Filio. Sed quidquid convenit Patri secundum seipsum, potest etiam sibi convenire, generatione Filii non intellecta. Ergo cum diligere se dicatur de Patre respectu sui ipsius, videtur quod non diligat se Spiritu sancto: quia sic Spiritus sanctus intelligeretur procedere a Patre per modum amoris, etiam Filio non existente.

 2. Par ailleurs, la procession de l’Esprit-Saint selon l’ordre de nature présuppose la génértion du Fils : car l’Esprit-Saint procède du Père et du Fils. Mais tout ce qui convient au Père en Lui-même peut aussi lui convenir même si on fait abstraction de la génération du Fils. Donc, lorsque ¨aimer¨ se dit du Père par rapport à lui-même, il semble qu’il ne s’aime pas par l’Esprit-Saint car ainsi l’Esprit-Saint serait entendu comme procédant du Père par mode d’amour même si le Fils n’existait pas.

[2293] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, amor gratuitus semper in alterum tendit, ut dicit Gregorius, Homil., XVII, in Evang., col. 113 quod caritas minus quam inter duos haberi non potest. Sed caritas creata est exemplata a caritate increata, quae est Spiritus sanctus. Ergo videtur quod amor iste quo diligit Pater seipsum, non sit amor personalis, qui est Spiritus sanctus.

 3. En outre, l’amour gratuit tend toujours vers un autre, comme le dit Saint-Grégoire [Homélie XVII, dans l’Évangile, col. 113, t. 11] en affirmant que la charité ne peut se retrouver entre moins de deux personnes. Mais la charité créée  est comme une copie de la charité incréée qui est l’Esprit-Saint. Il semble donc que cet amour par lequel le Père s’aime lui-même ne soit pas l’amour personnel qui est l’Esprit-Saint.

[2294] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quocumque amore amat se Pater, amat se Filius et Spiritus sanctus. Si igitur Pater amat se Spiritu sancto, ergo et Spiritus sanctus amabit se Spiritu sancto. Sed omnis amor procedit ab amante. Ergo Spiritus sanctus procedit a seipso, quod est inconveniens. Ergo nec Pater Spiritu sancto amat se.

 4. Par ailleurs, quel que soit l’amour par lequel le Père s’aime lui-même, c’est celui par lequel le Fils et l’Esprit-Saint s’aiment eux-mêmes. Si donc le Père s’aime par l’Esprit-Saint, l’Esprit-Saint s’aimera par l’Esprit-Saint. Mais tout amour procède d’un amant. Donc, l’Esprit-Saint procédera de lui-même, ce qui est absurde. Donc, le Père ne s’aime pas lui-même par l’Esprit-Saint.

[2295] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, Pater eodem amore amat Filium et seipsum. Sed Filium diligit Spiritu sancto. Ergo et seipsum Spiritu sancto amat.

 Cependant :

1. Au contraire, c’est par le même amour que le Père aime le Fils et s’aime lui-même. Mais il aime le Fils par l’Esprit-Saint. Il s’aime donc lui-même par l’Esprit-Saint.

[2296] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut amor est proprium Spiritus sancti ; ita et verbum proprium Filii. Sed, secundum Anselmum, Monol., c. XXXII, et XXXIII, col. 185, Pater dicit se verbo, scilicet quod est Filius. Ergo et amat se amore ab ipso procedente, qui est Spiritus sanctus.

 2. Par ailleurs, tout comme l’amour est le propre de l’Esprit-Saint, de même le verbe est le propre du Fils. Mais d’après Saint-Anselme [Monologues, ch. XXXII et XXXIII, col. 185] le Père se dit par le verbe, c’est-à-dire par celui qui est le Fils. Donc, il s’aime lui-même par l’amour qui procède de Lui et qui est l’Esprit-Saint.

[2297] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum dicitur Pater diligit se Spiritu sancto, potest intelligi de dilectione essentiali vel notionali. Si de dilectione essentiali, sic, sicut nec Filium, ita nec seipsum Spiritu sancto diligit ; sed caritate essentiali et operatione essentiali. Si autem intelligatur de dilectione notionali, sic, sicut Filium, ita et se Spiritu sancto amat: quia diligere notionaliter sumptum nihil aliud dicit quam esse principium amoris personalis, qui est Spiritus sanctus ; quia amor qui significatur per modum operationis, denominat Patrem a quo est, ut Pater dicatur Spiritu sancto diligere.

 

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que lorsqu’on dit que le père s’aime par l’Esprit-Saint, cela peut s’entendre de l’amour essentiel ou de l’amour notionnel. Si cela s’entend de l’amour essentiel, alors il n’aime ni lui-même ni le Fils par l’Esprit-Saint mais par la charité essentielle et par l’opération essentielle. Mais si cela s’entend de l’amour notionnel, alors il tout comme aime le Fils par l’Esprit-Saint, de même il s’aime lui-même par l’Esprit-Saint : car ¨aimer¨ pris notionnnellement ne dit rien d’autre que d’être principe de l’amour personnel qui est l’Esprit-Saint ; car l’amour qui est signifié par mode d’opération dénomme le Père duquel il procède, de manière à dire du Père qu’il aime par l’Esprit-Saint.

Et cum tota ratio dilectionis quae est in Filio, sit in Patre, et e converso ; ex neutra parte potest impediri quin Pater Spiritu sancto seipsum diligat, scilicet nec ex parte spirantis amorem, nec ex parte diligibilis: quia ipse Pater ex una parte sufficiens principium est Spiritus sancti, et ex alia parte sufficiens ratio diligibilitatis in ipso est, et etiam in Spiritu sancto. Unde sicut Pater Filium Spiritu sancto diligit ; ita et seipsum et Spiritum sanctum Spiritu sancto diligit.

 Et puisque toute disposition à l’amour qui est dans le Fils est aussi dans le Père et inversement, d’aucun côté il ne peut être empêché que le Père s’aime lui-même par l’Esprit-Saint, à savoir ni du côté de celui qui spire l’amour, ni du côté de celui qui est aimable : car le Père lui-même d’un côté est un principe suffisant de l’Esprit-Saint et d’un autre côté il y a en lui et même dans l’Esprit-Saint une disposition suffisante à l’amabilité. D’où il résulte que tout comme le Père aime le Fils par l’Esprit-Saint, de même il s’aime lui-même et l’Esprit-Saint par l’Esprit-Saint.

 

[2298] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 ad 1

Ad primum igitur dicendum, quod intelligitur de actu notionali.

Sed sciendum est, quod cum actus omnis notionalis importet rationem principii quantum ad originem divinae personae, hoc contingit dupliciter: quandoque enim designatur ratio principii respectu ejus in quod terminatur actus notionalis, ut cum dicitur: Pater generat Filium: generare enim importat habitudinem principii quae est in generante respectu generati: et in talibus non potest fieri reciprocatio, ut dicatur quod Pater generat se ; quia nulla persona est principium sui ipsius: quandoque autem habitudo principii non importatur respectu ejus in quod transit actus, ut patet cum dicitur:

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’aimer s’entend ici de l’acte notionnel.

Mais il faut savoir que puisque tout acte notionnel a raison de principe quant à l’origine de la personne divine, cela se produit de deux manières : parfois en effet la raison de principe est désignée par rapport à ce en quoi se termine acte notionnel, comme lorsqu’on dit : le Père engendre le Fils ; engendrer en effet implique une relation de principe qui est dans celui qui engendre par rapport à celui qui est engendré, et dans ces cas il ne peut y avoir réciprocité de manière à dire que le Père s’engendre lui-même, car nulle personne n’est le principe de soi-même ; mais parfois la relation de principe n’est pas impliquée par rapport à ce en quoi l’acte passe, comme on le voit lorsqu’on dit :

Pater dat essentiam Filio: non enim significatur Pater esse principium dati quod est essentia, sed ejus cui datur ; et similiter est in hoc verbo diligere, quod importat habitudinem principii, non diligentis ad dilectum, sed diligentis ad amorem, qui importatur in verbo diligit ; et ideo in talibus potest esse reciprocatio: et hoc contingit, quia verbum diligere non tantum importat emissionem, sed ipsum amorem emissum ; unde si accipiatur separatim id quod ad originem pertinet tantum, non erit conversio ; non enim potest dici, quod Pater spiret se.

 Le Père donne l’essence au Fils : cet énoncé en effet ne signifie pas que le Père est le principe de ce qui est donné et qui est l’essence, mais plutôt de celui à qui elle est donnée ; et il en est pareillement pour ce verbe ¨aimer¨, à savoir qu’il implique une relation de principe non pas de celui qui aime à ce qui est aimé, mais de celui qui aime à l’amour, laquelle est impliquée dans le verbe ¨il aime¨ ;  et c’est pourquoi dans ces cas il peut y avoir réciprocité : et il en est ainsi parce que le verbe ¨aimer¨ n’implique pas seulement une émission, mais l’amour même qui est émis ; d’où il résulte que si on prenait séparément ce qui appartient à l’origine seulement, il n’y aurait pas conversion : en effet, on ne peut pas dire que le Père se spire lui-même.

[2299] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si generatio Filii non esset, Pater non diligeret se Spiritu sancto ; quia nec Pater esset, cum persona Patris paternitate constituatur. Si tamen detur per impossibile quod persona Patris remaneat, poterit per se amorem spirare personalem. Nec tamen ab hoc excluditur Filius : quia omnis Patris perfectio est etiam Filii, in qua secundum relationem originis non opponuntur.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que s’il n’y avait pas la génération du Fils, le Père ne s’aimerait pas par l’Esprit-Saint ; car le Père n’existerait pas non plus puisque la personne du Père est constituée par la paternité. Si cependant on accordait par impossible que la personne du Père demeure, il pourrait par lui-même spirer l’amour personnel. Et cependant le Fils n’est pas écarté pour autant par cela : car toute perfection du Père appartient aussi au Fils dans laquelle ils ne s’opposent pas selon la relation d’origine.

[2300] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod amor gratuitus non est amor privatus, qui in alterum tendat ; nihilominus tamen et in ipsum amantem reflectitur ; non enim tantum proximus ex caritate diligendus est ; sed etiam seipsum et quantum ad animam et quantum ad corpus ex caritate debet homo diligere ; et ita etiam Pater Spiritu sancto diligit.

 3. Il faut dire en troisième lieu que l’amour gratuit qui tend vers un autre n’est pas l’amour propre ; néanmoins cependant il revient sur l’amant lui-même ; en effet, ce n’est pas seulement le prochain qu’il faut aimer par charité, mais aussi lui-même que l’homme doit aimer de charité à la fois quant à l’âme et quant au corps ; et c’est de même encore que le Père aime par l’Esprit-Saint.

[2301] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cum dicitur, Spiritus sanctus diligit se Spiritu sancto, si intelligatur de dilectione essentiali, expresse verum est ; quia sicut seipso Deus est, ita seipso essentialiter diligens est. Si autem intelligatur de dilectione notionali, tunc in hoc verbo diligere importatur quasi duplex actus ; scilicet ipse actus amoris qui significat personam Spiritus sancti, et emissionem [emissio éd. de Parme] amoris.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que lorsqu’on dit que l’Esprit-Saint s’aime lui-même par l’Esprit-Saint, si on l’entend de l’amour essentiel, cela est manifestement vrai ; car tout comme Dieu existe par lui-même, de même c’est par lui-même qu’il est essentiellement aimant. Mais si on l’entend de l’amour notionnel, alors dans ce verbe ¨aimer¨ sont impliqués comme deux actes, à savoir l’acte même de l’amour [et l’émission Éd. de Parme] qui signifie la personne de l’Esprit-Saint et l’émission de l’amour.

Unde diligere notionaliter sumptum, nihil aliud est quam spirare amorem. Per spirare enim significatur ipsa emissio ; sed per amorem persona Spiritus sancti ; ac si diceretur generare Filium. Unde sicut Filio non competit generare Filium, ita nec Spiritui sancto spirare amorem. Nec ex hoc aliquid imperfectionis in Spiritu sancto vel in Filio relinquitur, ut ex praedictis patet, dist. 7: et ideo secundum hunc sensum non conceditur quod Spiritus sanctus notionaliter diligat. Si autem ab intellectu hujus verbi diligit separetur actus originis per quem efficitur notionale ; et remaneret tantum id quod personale est, scilicet ipse amor: sic Spiritui sancto conveniret: quia ipse procedit ut operatio subsistens.

 Il résulte de là que ¨aimer¨ pris notionnellement n’est rien d’autre que spirer l’amour. Par ¨spirer¨ en effet on signifie l’émission elle-même ; mais par ¨amour¨ on signifie la personne de l’Esprit-Saint ; c’est comme si on disait ¨engendrer le Fils¨. De là, tout comme il ne revient pas au Fils d’engendrer le Fils, de même il ne revient pas à l’Esprit-Saint de spirer l’amour. Et il ne s’ensuit pas de là une imperfection dans l’Esprit-Saint ou dans le Fils comme on peut le voir à partir de ce qui a été dit plus tôt dans la distinction 7 : et c’est pourquoi on ne concède pas en ce sens que l’Esprit-Saint aime notionnellement. Mais si on séparait de l’intelligence de ce verbe ¨il aime¨ l’acte d’origine par lequel il est rendu notionnel et qu’il restait seulement ce qui est personnel, à savoir l’amour lui-même, alors il conviendrait à l’Esprit-Saint d’aimer notionnellement, à savoir de spirer l’amour car Il procède Lui-même en tant qu’opération subsistante.

Unde ipsa operatio est operans ; et secundum hoc Spiritus sanctus etiam seipso diligeret seipsum vel Patrem ; et tunc diligere non importaret aliquid notionale, sed tantum personam alio modo significatam.

 Il résulte de là que l’opération elle-même est opérante ; et suite à cela l’Esprit-Saint aussi, par lui-même, aimerait Lui-même ou  le Père ; et alors ¨aimer¨ n’impliquerait pas quelque chose de notionnel, mais seulement la personne signifiée d’une autre manière.

Unde hoc verbum diligere potest tripliciter sumi.

Aut secundum quod dicit essentiam tantum ; et tunc dicit exitum secundum rationem operationis essentialis, quae est ipsa essentia, ab essentia divina ; et sic Pater non diligit Spiritu sancto, et similiter Filius et Spiritus sanctus.

Aut secundum quod nominat tantum personam Spiritus sancti ; et sic etiam non dicit exitum, nisi secundum rationem ; unde secundum hoc convenit tantum Spiritui sancto diligere. Sed iste modus inconsuetus est.

Aut dicit exitum realem ; et tunc simul importat notionem activam, et personam Spiritus sancti ; et tunc non convenit nisi Patri et Filio.

 D’où il résulte que ce verbe ¨aimer¨ peut se prendre de trois manières.

Soit selon qu’il dit l’essence seulement ; et alors il dit selon la raison une sortie de l’opération essentielle, qui est l’essence elle-même, de l’essence divine ; et en ce sens ni le Père, ni le Fils ni l’Esprit-Saint n’aime par l’Esprit-Saint.

Soit selon qu’il nomme seulement la personne de l’Esprit-Saint ; et de la sorte encore il ne dit une sortie que selon la raison ; d’où il résulte que pris en ce sens, il ne convient qu’à l’Esprit-Saint d’aimer. Mais ce mode est inhabituel.

Ou bien encore ce verbe dit une sortie réelle ; et alors il implique simultanément la notion active et la personne de l’Esprit-Saint ; et alors il ne convient qu’au Père et au Fils.

 

 

Articulus 3 [2302] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 tit. Utrum Pater et Filius diligant nos Spiritu sancto 

Article 3 – Le Père et le Fils nous aiment-ils par l’Esprit Saint ?

 

[2303] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Pater et Filius non diligant nos Spiritu sancto. Omne enim dictum de Deo connotans effectum in creatura, est essentiale. Sed cum Deus dicitur creaturam diligere, in dilectione connotatur effectus in creatura, quem diligendo confert. Ergo oportet quod essentialiter sumatur. Sed dictum est, art. antec., quod Pater et Filius nullo modo diligunt Spiritu sancto, si diligere essentialiter sumatur ; quia Spiritus sanctus nullam rationem habet principii respectu alicujus essentialis, neque per modum denominantis, neque alio modo. Ergo videtur quod Pater et Filius non diligunt nos Spiritu sancto.

 Difficultés :

1. Il semble que le Père et le Fils ne nous aiment pas par l’Esprit-Saint. En effet, tout ce qu’on dit de Dieu et qui renvoie à un effet dans la créature est essentiel. Mais lorsqu’on dit de Dieu qu’il aime la créature, cet amour fait connaître un effet dans la créature qu’il se trouve à donner en aimant. Il faut donc qu’il se prenne essentiellement. Mais nous avons dit dans l’article précédent que le Père et le Fils n’aiment aucunement par l’Esprit-Saint si ¨aimer¨ se prend essentiellement car l’Esprit-Saint n’a aucunement raison de principe par rapport à quelque chose d’essentiel, ni à la manière de ce qui dénomme, ni d’aucune autre manière. Il semble donc que le Père et le Fils ne nous aiment pas par l’Esprit-Saint.

[2304] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, cum dicitur, Pater diligit Filium Spiritu sancto, ut supra dictum est, secundum opinionem Hugonis de s. Victore, ubi supra, ablativus construitur in habitudine effectus quasi formalis. Sed in illa comparatione qua Deus ad creaturam comparatur, nullo modo se habet Spiritus sanctus ut effectus, immo magis id quod in creatura efficitur. Ergo videtur quod non possit salvari haec eadem ratio veritatis.

 2. Par ailleurs, lorsqu’on dit que le Père aime le Fils par l’Esprit-Saint, comme nous l’avons dit plus haut d’après l’opinion de Hugues de Saint-Victor, où plus haut l’ablatif est construit dans une relation d’effet formel. Mais dans cette comparaison par laquelle Dieu se compare à la créature, l’Esprit-Saint ne se présente aucunement comme un effet mais bien plutôt comme ce qui est produit dans la créature. Il semble donc que cette même raison de vérité ne pourrait être sauvée.

[2305] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, sicut dilectio se habet ad Spiritum sanctum, ita et generatio ad Filium. Sed Pater non generat nos Filio ; immo potius dicitur nos regenerare Spiritu sancto. Ergo videtur quod nec nos Spiritu sancto diligat.

3. En outre, tout comme l’amour se rapporte à l’Esprit-Saint, de même la génération se rapporte au Fils. Mais le Père ne nous engendre pas par le Fils ; on dit bien plutôt qu’il nous regénère par l’Esprit-Saint. Il semble donc qu’il ne nous aime pas par l’Esprit-Saint.

[2306] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra est quod dicitur Joann. 17, 22: « Ut sint unum in nobis, sicut et nos unum sumus ». Non enim loquitur ibi de unitate essentiali tantum ; quia illo modo Deo non unimur ; sed de unitate consonantiae, vel amoris, quod est Spiritus sanctus. Ergo videtur quod sicut Pater et Filius diligunt se Spiritu sancto, ita et nos.

 Cependant :

1. On lit au contraire dans l’Écriture [Jean, 17, 22] : « Pour qu’ils soient un en nous tout comme nous sommes un ». En effet, on ne parle pas là de l’unité essentielle seulement car ce n’est pas de cette manière que nous sommes unis à Dieu, mais par l’unité d’accord ou d’amour qui est l’Esprit-Saint. Il semble donc que tout comme le Père et le Fils s’aiment eux-mêmes par l’Esprit-Saint, de même ils nous aiment par l’Esprit-Saint.

[2307] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, sicut verbum est proprium Filii, ita et amor proprium Spiritus sancti. Sed Pater dicit omnem creaturam verbo suo ; unde Augustinus, lib. I Super Gen. Ad litt., cap. II, col. 248 et lib. II, cap. VIII, col. 269, Dixit, et facta sunt ; idest, verbum genuit in quo erat ut fierent. Ergo diligit creaturam amore suo, qui est Spiritus sanctus.

 2. Par ailleurs, tout comme le verbe est propre au Fils, de même l’amour est propre à l’Esprit-Saint. Mais c’est par son verbe que le Père dit toute créature ; d’où Saint-Augustin [Sur la Genèse, t. 1, ch. 11, col. 248 et t. 11, ch.  VIII, col. 269], en partant de cette parole : «Il dit et ils furent», dit : «Il engendra son verbe, dans lequel il était, pour qu’ils viennent à l’existence».

[2308] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum simpliciter quod Pater et Filius nos diligunt Spiritu sancto, sicut supra, 10 dist., expresse habetur. Sciendum tamen est ad ejus intellectum, quod processio divinarum personarum est quaedam origo processionis creaturarum ; cum omne quod est primum in aliquo genere, sit causa eorum quae sunt post ; sed tamen efficientia creaturarum essentiae communi attribuitur. Unde dicendum est, quod cum dicitur, Pater et Filius diligunt nos Spiritu sancto, hoc verbum diligere potest sumi essentialiter et notionaliter ; et utroque modo vera est locutio.

 

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut absolument dire que le Père et le Fils nous aiment par l’Esprit-Saint, tout comme nous l’avons distinctement établi plus haut à la distinction 10. Il faut cependant savoir pour comprendre cela que la procession des personnes divines est en quelque sorte l’origine de la procession des créatures, puisque tout ce qui est premier dans un genre est cause des choses qui sont secondes ; mais cependant le pouvoir de produire les créatures est attribué à l’essence commune. D’où il faut dire que lorsqu’on dit que le Père et le Fils nous aiment par l’Esprit-Saint, ce verbe ¨aimer¨ peut se prendre soit essentiellement, soit notionnellement ; et dans les deux sens l’expression est vraie.

Si enim sumatur essentialiter, tunc in verbo dilectionis designabitur efficientia totius Trinitatis, et in ablativo designante personam Spiritus sancti, designabitur ratio efficientiae, non ex parte efficientis, sed ex parte effectorum, quorum ratio et origo est processio Spiritus sancti, sicut et verbum ; quamvis proprie verbum sit ratio creaturarum, secundum quod exeunt a Deo per modum intellectus. Unde dicitur, quod Pater dicit omnia verbo, vel arte sua. Sed Spiritus sanctus est ratio earum, prout exeunt a Deo per libertatem voluntatis ; et ideo dicitur proprie diligere creaturam Spiritu sancto, et non verbo.

 

 Si en effet il se prend essentiellement, alors dans le verbe ¨aimer¨ sera désigné le pouvoir de produire de toute la Trinité, et dans l’ablatif qui désigne la personne de l’Esprit-Saint sera désignée la cause du pouvoir de produire, non pas du côté de la cause efficiente, mais du côté des effets dont la cause et l’origine est la procession de l’Esprit-Saint, tout comme le verbe, bien qu’à proprement parler le verbe soit la cause des créatures selon qu’elles sortent de Dieu par mode d’intelligence, d’où l’on dit que le Père dit toutes les choses par son verbe ou par son art. Mais l’Esprit-Saint est la cause des créatures selon qu’elles sortent de Dieu par la liberté de la volonté ; et c’est pourquoi on dit proprement du Père qu’il aime la créature par l’Esprit-Saint et non par le verbe.

Si autem sumatur notionaliter ; tunc est vera etiam locutio, sed habet aliam rationem veritatis ; quia verbum dilectionis non importabit ex principali intentione habitudinem efficientiae respectu creaturae ; sed principaliter denotabit rationem hujus efficientiae ex parte effectorum, et ex consequenti dabit intelligere habitudinem efficientiae, ut supra dictum est, 30 dist., quaest. 1, art. 3, et tunc est sensus: Pater diligit creaturam Spiritu sancto ; idest, spirat amorem personalem, qui est ratio omnis liberalis collationis factae a Deo creaturae.

 

 Mais si on prend ce verbe notionnellement, alors l’expression reste vraie, mais pour une autre raison ; car le verbe de l’amour n’impliquera pas de par son intention principale une relation du pouvoir de production par rapport à la créature, mais elle fera surtout connaître la cause de ce pouvoir du côté des effets, et par conséquent donnera à connaître le relation du pouvoir de production, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 30, quest. 1, art. 3] ; et alors le sens sera le suivant : le Père aime la créature par l’Esprit-Saint, c’est-à-dire qu’il spire l’amour personnel qui est la cause de toute contribution libérale faite par Dieu à la créature.

[2309] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sicut dictum est, in corp. art., utroque modo potest sumi. Si enim sumatur essentialiter, nihil sequitur inconveniens ; quia Spiritus sanctus non designabit principium diligentium, sed dilectorum. Unde tunc designabitur habitudo ablativi substantive in ipso ablativo, ut dicit Praepositivus. Si autem sumatur notionaliter, nominativus poterit connotare effectum in creatura per modum habitudinis ad terminum, sicut supra dictum est, 30 dist., art. 2.1.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu, tout comme nous l’avons dit dans le corps de l’article, que le terme ¨aimer¨ peut se prendre dans les deux sens. Si en effet on le prend essentiellement, aucune difficulté n’en résulte car l’Esprit-Saint ne désignera pas le principe de ceux qui aiment, mais celui de ce qui est aimé. D’où il résulte alors que la relation de l’ablatif sera désignée comme un substantif dans l’ablatif lui-même, comme le dit le prépositif. Mais si on le prend notionnellement, le nominatif pourra faire connaître un effet dans la créature par mode de relation au terme, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 30, quest. 1, art. 2]

[2310] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut in egressu artificiatorum ab arte est considerare duplicem processum ; scilicet ipsius artis ab artifice, quam de corde suo adinvenit ; et secundo processum artificiatorum ab ipsa arte inventa ; ita etiam in processu voluntatis est duo considerare ; scilicet exitum amoris ab amante, et secundo exitum ipsius rei datae per amorem ab amore. Unde quantum ad primum exitum se habet Spiritus sanctus in comparatione Dei ad creaturam ut effectus, sive quod est de principio, sicut et verbum ; sed quantum ad secundum exitum utrumque se habet ut principium, scilicet et verbum et amor ; sed creatura ut effectus.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que tout comme il y a deux processus à considérer dans la sortie des choses artificielles de l’art, à savoir celui de l’art lui-même qui sort ou provient de l’artiste et qu’il découvre de par sa propre intellgence, et deuxièmement celui des choses artificielles qui procède de l’art qui a été découvert, de même encore il y a deux choses à considérer dans le processus de la volonté : à savoir le processus par lequel l’amour sort de l’amant, et deuxièmement la sortie de la chose donnée elle-même par amour par l’amant. D’où il résulte, quant à la première sortie, que l’Esprit-Saint se présente, dans la comparaison de Dieu à la créature, comme un effet ou comme ce qui provient d’un principe, tout comme le verbe ; mais quant à la deuxième sortie les deux, à savoir le verbe et l’amour, se présentent comme un principe mais la créature se présente comme un effet.

[2311] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc verbum generat importat tantum originem personae, et non importat personam per modum actus, sicut diligere et dicere important utrumque ; et ideo Pater non denominatur generans Filio, sed generatione ; denominatur autem diligens amore qui est Spiritus sanctus. Generatio autem qua nos regenerat, non est per naturam, sed per voluntatem ; et ideo ex parte nostra accipiendo, Spiritus sanctus est ratio talis generationis magis quam Filius, qui procedit per modum naturae.

 3. Il faut dire en troisième lieu que ce verbe, à savoir ¨il engendre¨, implique seulement l’origine de la personne et il n’implique pas la personne par mode d’acte, tout comme ¨aimer¨ et ¨dire¨ impliquent les deux ; et c’est pourquoi le Père n’est pas dénommé comme engendrant par le Fils mais par la génération ; il est cependant dénommé comme aimant par l’amour qui est l’Esprit-Saint. Mais la génération par laquelle il nous regénère n’a cependant pas lieu par la nature mais par la volonté ; et c’est pourquoi, en le prenant de notre côté, l’Esprit-Saint est la cause d’une telle génération plutôt que le Fils qui procède par mode de nature.

 

 

 

Question 2 – [Ce qui convient au Fils]

 

 

Prooemium

Prologue

[2312] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 pr. Deinde quaeritur de his quae pertinent ad Filium ; et circa hoc quaeruntur duo:

1 utrum Pater sit sapiens Filio, vel sapientia genita ;

2 utrum ipse Filius sapientia genita vel ingenita sapiens sit.

 On s’interroge ensuite sur ce qui se rapporte au Fils et à ce sujet on cherche à répondre à deux questions:

1. Est-ce que le Père est sage par le Fils ou par une sagesse engendrée?

2. Est-ce que le Fils lui-même est sage par une sagesse engendrée ou par une sagesse inengendrée?

 

 

Articulus 1 [2313] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 tit. Utrum Pater sit sapiens sapientia genita 

Article 1 – Le Père est-il sage par une sagesse engendrée ?

 

[2314] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Pater sit sapiens sapientia genita. Omnis enim sapiens sua sapientia sapiens dicitur. Sed Filius est sapientia Patris, qui est sapientia ingenita. Ergo et cetera.        

Difficultés :

1. Il semble que le Père soit sage par une sagesse engendrée. On appelle sage en effet celui qui est sage par sa propre sagesse. Mais le Fils est la sagesse du Père qui est une sagesse inengendrée. Donc, etc.

[2315] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis sapiens est sapiens illa sapientia sine qua sapiens non esset. Sed sine Filio Pater sapiens non esset, ut supra dixit Augustinus, 9 dist. Ergo videtur quod Pater sit sapiens Filio, vel sapientia genita.

2. Par ailleurs, tout sage est sage par cette sagesse sans laquelle il ne serait pas sage. Mais le Père ne serait pas sage sans le Fils, comme l’a dit plus haut Saint-Augustin à la distinction 9.  Il semble donc que le Père soit sage par le Fills ou par une sagesse engendrée.

[2316] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, illa sapientia quis sapiens dicitur in qua videt ea quae ipse cognoscit. Sed supra dixit Augustinus, 31 distinct.: « Ibi, scilicet in verbo, videt omnia Deus ». Ergo et cetera.

 3. En outre, on dit d’un tel qu’il est sage par cette sagesse dans laquelle il voit les choses que lui-même connaît. Mais Saint-Augustin a dit plus haut à la distinction 31 : «Là, c’est-à-dire dans le verbe, Dieu voit tout». Donc, le Père est sage par une sagesse engendrée.

[2317] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, Deus sapiens non diceretur nisi seipsum videret. Sed seipsum videt in Filio, sicut res videtur in sua imagine. Ergo videtur quod sit sapiens Filio, vel sapientia genita.

 4. De plus, on ne dirait pas de Dieu qu’il est sage s’il ne se voyait pas lui-même. Mais il se voit lui-même dans le Fils, tout comme une chose est vue dans son image. Il semble donc qu’il soit sage par le Fils ou par une sagesse engendrée.

[2318] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra est quod in Littera ab Augustino dicitur.

Cependant :

1. Ce que dit Saint-Augustin dans la Lettre est contraire à ce qu’on conclut dans ces difficultés.

[2319] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quamvis Pater dicat se verbo suo, nullo modo concedendum est quod sapientia genita sapiens sit ; et hoc propter diversum modum significandi in utroque. Verbum enim significat per modum operationis, quae denominat illud a quo progreditur, scilicet operantem ; unde Pater denominatur dicens verbo genito, sicut et diligens amore procedente. Sed sapientia significatur per modum formae manentis in eo cujus est ; unde non potest denominari aliquis sapiens nisi per id quod in ipso est, et non per id quod ab ipso est.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que bien que le Père se dise par son verbe, il ne faut absolument pas concéder qu’il soit sage par une sagesse engendrée, et cela à cause de la manière de signifier qui diffère dans les deux cas. Le verbe en effet signifie par mode d’opération, laquelle dénomme celui duquel elle sort, à savoir celui qui pose l’opération ; d’où le Père est dénommé comme celui qui dit par le verbe engendré, tout  comme il est dénommé comme celui qui aime par l’amour qui procède de lui. Mais la sagesse est signifiée à la manière d’une forme qui demeure dans celui auquel elle appartient ; il résulte de là qu’un être ne peut être dénommé sage que par ce qui est en lui et non par ce qui procède de lui.

Quidquid autem significatur esse in aliquo per modum formae vel substantialis vel accidentalis, significatur ut principium alicujus in ipso ; quia forma substantialis est principium substantialis esse ; et accidentalis dat aliquod esse, scilicet accidentale ; et utraque principium est operationis in eo in quo est. Cum autem Filius nullam rationem principii habeat respectu Patris, non potest dici, quod Pater Filio, vel sapientia genita, sapiens sit.

 Mais tout ce qui est signifié comme existant dans un être à la manière d’une forme, qu’elle soit substantielle ou accidentelle, est signifié comme principe de quelque chose en lui ; car la forme substantielle est principe de l’existence substantielle tandis que la forme accidentelle donne une certaine existence, à savoir l’existence accidentelle ; et l’une et l’autre est principe d’opération dans celui dans lequel elle est. Mais puisque le Fils n’a aucunement raison de principe par rapport au Père, on ne peut pas dire que le Père soit sage par le Fils ou par une sagesse engendrée.

[2320] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sapientia Patris dicitur dupliciter: scilicet sapientia quae in ipso est, quae est essentialis sapientia ; et hac formaliter sapiens est, sicut quilibet sapiens denominatur sapiens sapientia quae in eo est. Dicitur etiam sapientia Patris quae est a Patre procedens ; et hac non denominatur sapiens, sicut nec homo sapiens denominatur a sapientia quam in alterum docendo producit.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la sagesse du Père se dit de deux manières : à savoir la sagesse qui est en lui et qui est la sagesse essentielle ; et par cette sagesse il est formellement sage, tout comme toute personne sage est appelée sage par la sagesse qui est en elle. Mais la sagesse du Père se dit aussi de celle qui procède du Père et ce n’est pas par cette sagesse qu’il est appelé sage, tout comme ce n’est pas par la sagesse qu’il produit dans un autre par l’enseignement qu’un homme est appelé sage.

[2321] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus in illa ratione contra haereticum accipit sapientiam essentialem, sine qua Pater sapiens non esset, secundum quod ab apostolo est appropriata Filio, 1 Corinth. 1, 24: « Christum Dei virtutem, et Dei sapientiam » ; et sapientia in ratione appropriata non esset, si Filius non esset: unde oportet Filium patri coaeternum esse, sicut et sapientiam Filio appropriatam.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans ce raisonnement contre l’hérétique Saint-Augustin prend la sagesse essentiellement sans laquelle le Père ne serait pas sage, selon qu’elle est appropriée au Fils par l’Apôtre [1 Corinthiens, ch. 1, v. 24] : «Le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu» ; et la sagesse n’aurait pas raison d’être appropriée si le Fils n’existait pas ; d’où il faut que le Fils soit coéternel au Père tout comme il faut que la sagesse soit appropriée au Fils.

[2322] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod videre in aliquo dicitur dupliciter. Aut cujus cognitionem in eo accipit, sicut intellectus scientiam in sensibilibus accipit, vel intellectus possibilis in lumine intellectus agentis, vel discipulus in verbo magistri dicto vel scripto. Aut rem cognitam in alio repraesentatam intueri ; sicut aedificator videt artem suam in domo quam facit, vel sicut aliquis videt illud quod scit, in libro ubi scriptum est. Primo ergo modo Pater nihil videt in Filio, quia non accipit cognitionem a Filio ; sed secundo modo ; quia rationes ipsas omnium creaturarum in verbo suo posuit, ipsum generando.

 3. Il faut dire en troisième lieu que voir dans un autre se dit en deux sens. Soit de celui d’où il reçoit la connaissance, tout comme l’intelligence reçoit la science des choses sensibles, comme l’intellect possible reçoit de la lumière de l’intellect agent, ou comme le disciple qui reçoit du verbe dit ou écrit par le maître. Ou bien cela se dit aussi de la considération d’une chose connue représentée dans une autre, tout comme le constructeur voit son art dans la maison qu’il fait, ou comme quelqu’un voit ce qu’il sait dans le livre où cela est écrit. Donc dans le premier sens le Père ne voit rien dans le Fils car il ne reçoit pas sa connaissance du Fils; mais dans le deuxième sens il voit quelque chose dans le Fils car c’est dans son verbe qu’il a placé les raisons mêmes de toutes les créatures en l’engendrant.

[2323] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidam dicunt, quod quamvis Pater videat in verbo creaturam, non tamen ibi videt se. Non tamen video causam quare sicut per modum praedictum creaturam in verbo videt, quae ibi relucet, non multo magis seipsum videat, qui perfectissime in verbo repraesentatur ; et sic etiam non est inconveniens quod per modum istum in creatura se videat, quae ipsius divinae bonitatis repraesentativa est per imaginem vel vestigium ; non tamen sequitur quod Pater sapiens sit sapientia genita.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que certains disent que bien que le Père voit la créature dans le verbe, ce n’est cependant pas dans le verbe qu’il se voit lui-même. Mais je ne vois cependant pas la raison pour laquelle, tout comme de la manière qui précède il voit la créature dans le verbe où elle brille de sa lumière, le Père ne se verrait pas encore bien davantage lui-même, lui qui est représenté de la manière la plus parfaite dans le verbe; et de cette manière il n’y a pas de difficulté à ce que le Père se voit dans la créature, laquelle représente, à la manière d’une image ou d’un vestige, la bonté divine elle-même. Il ne s’ensuit cependant pas que le Père soit sage d’une sagesse engendrée.

 

 

Articulus 2     

[2324] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 tit. Utrum Filius sit sapiens sapientia genita      

Article 2 – Le Fils est-il sage d’une sagesse engendrée ?

Quaestiuncula 1

Sous-question 1 –

[2325] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Filius non sit sapiens sapientia genita. Filius enim non alio est sapiens quam Pater, sicut nec alio est Deus. Sed Pater est sapiens sapientia essentiali. Ergo et Filius sapientia essentiali sapiens est. Sed sapientia essentialis non est genita, sicut nec essentia. Ergo et cetera.

 Difficultés :

1. Il semble que le Fils ne soit pas sage d’une sagesse engendrée. Le Fils en effet n’est pas sage par un autre que le Père, tout comme il n’est pas Dieu par un autre que le Père. Mais le Père est sage par une sagesse essentielle. Donc le Fils est sage d’une sagesse essentielle. Maisla sagesse essentielle, tout comme l’essence, n’est pas engendrée. Donc, le Fils n’est pas sage d’une sagesse engendrée.

[2326] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 2 Praeterea, sapientia qua denominatur aliquis sapiens, habet aliquam rationem principii respectu ipsius sapientis. Sed Filius nullo modo sui ipsius principium est. Ergo videtur quod non sit sapiens sapientia genita.

 2. Par ailleurs, la sagesse par laquelle quelqu’un est appelé sage a raison de principe par rapport à celui qui est sage. Mais le Fils n’est en aucune manière principe de lui-même. Il semble donc qu’il ne soit pas sage d’une sagesse engendrée.

[2327] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 3 Item, sicut supra hac dist. dixit Magister, sapientia genita est ipsa hypostasis filii ; hypostasis autem non significatur per modum formae. Cum igitur denominatio fiat a forma, videtur quod non possit dici sapiens sapientia genita.

3. De plus, tout comme le Maître l’a dit plus haut, la sagesse engendrée est l’hypostase même du Fils ; mais l’hypostase n’est pas signifiée par mode de forme. Donc puisque la dénomination se tire de la forme, il semble qu’on ne puisse dire que le Fils soit sage d’une sagesse engendrée.

[2328] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 arg. 4 Contra, omne quod per se non est sapiens, non est sapiens nisi per accidens. Sed Filius non est sapiens per accidens. Ergo est sapiens per se. Sed ipse est sapientia genita. Ergo est sapiens sapientia genita.

 4. Au contraire, tout ce qui n’est pas sage par soi n’est sage que par accident. Mais le Fils n’est pas sage par accident. Donc il est sage par soi ou essentiellement. Mais lui-même est la sagesse engendrée. Il est donc sage d’une sagesse engendrée.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2 –

[2329] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 2 arg. 1 Ulterius quaeritur, utrum sit sapiens sapientia ingenita ; et videtur quod non. Quia sapientia qua aliquis denominatur sapiens, significatur esse in sapiente per modum formae inhaerentis. Non autem sic Pater est in Filio, sicut nec e contra. Ergo sicut Pater non dicitur sapiens sapientia genita, ita nec Filius sapientia ingenita.

 Difficultés :

1. On se demande par la suite s’il est sage d’une sagesse inengendrée ; et il semble que non. Car la sagesse par laquelle quelqu’un est appelé sage est signifiée comme existant par mode de forme inhérente dans celui qui est sage. Mais ce n’est pas ainsi que le Père existe dans le Fils ni inversement. Donc, tout comme on ne dit pas du Père qu’il est sage d’une sagesse engendrée, de même on ne dit pas du Fils qu’il est sage d’une sagesse inengendrée.

[2330] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 2 s. c. 1 Contra, omnis sapiens, illa sapientia sapiens dicitur a qua habet quod sit sapiens. Sed Filius a Patre, qui est sapientia ingenita, habet quod sit sapiens. Ergo Filius est sapiens sapientia ingenita.

 Cependant :

Tout sage est appelé sage par cette sagesse de laquelle il tient d’être sage. Mais c’est du Père, qui est la sagesse inengendrée, que le Fils tient d’être sage. Donc le Fils est sage d’une sagesse inengendrée.

Quaestiuncula 1

Réponse à la sous-question 1

[2331] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 co. Respondeo dicendum, quod istae praepositiones, « a » et « per », in hoc differunt ; quia « a » designat tantum habitudinem principii per modum efficientis ; sed « per » designat habitudinem principii secundum quodlibet genus causae ; unde omne illud quod est ab aliquo, est per illud ; sed non convertitur. In divinis autem non potest esse nisi habitudo secundum duplex genus causae ; quarum una tantum est habitudo realis, scilicet per modum causae efficientis vel originantis, sicut Pater dicitur principium Filii ; alia vero habitudo principii potest designari in divinis secundum rationem tantum et non realiter, scilicet habitudo formae, ut cum dicimus quod Pater est Deus per deitatem suam.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que ces prépositions ¨a¨, à savoir ¨par¨ et ¨per¨, à savoir ¨au moyen de¨, diffèrent en ceci que ¨a¨, à savoir ¨par¨ désigne seulement la relation de principe à la manière d’une cause efficiente ; mais ¨per¨, à savoir ¨au moyen de¨, désigne la relation de principe selon tout genre de cause ; d’où il résulte que tout ce qui existe par un autre existe au moyen de cet autre, mais non inversement. Mais en Dieu il ne peut y avoir relation que selon deux genres de causes, dont une seulement est une relation réelle, à savoir à la manière d’une cause efficiente ou originelle, tout comme on dit du Père qu’il est le principe du Fils ; mais l’autre relation de principe peut être désignée en Dieu selon la raison seulement et non réellement, à savoir la relation de forme, comme lorsque nous disons que le Père est Dieu par sa divinité.

Cum ergo dicitur quod Filius est sapiens sapientia, ablativus iste non potest construi nisi vel in aliqua habitudine quasi efficientis ; et sic falsa est ; est enim sensus, quod Filius sit sapiens a sapientia genita, et sit sapiens a seipso, quod falsum est ; quia sicut esse, ita et sapere habet a Patre, qui sapientia ingenita est. Unde dicitur per modum istum sapiens a sapientia ingenita, vel per sapientiam ingenitam, si ly per designat habitudinem principii efficientis ; et similiter a sapientia ingenita ; non autem a se vel per se vel seipso hoc modo sapiens est.

 Donc, lorsqu’on dit que le Fils est sage par la sagesse, cet ablatif ne peut être construit que de deux manières : soit dans une relation de cause efficiente et alors la proposition est fausse ; le sens en effet est que le Fils est sage par une sagesse engendrée et ainsi qu’il est sage par lui-même, ce qui est faux ; car tout comme son existence, il tient sa sagesse du Père, lequel est une sagesse inengendrée. D’où l’on dit, suivant cette manière, que le Fils est sage par une sagesse inengendrée ou au moyen d’une sagesse inengendrée, si ce ¨per¨, c’est-à-dire ¨au moyen de¨, tout comme ce ¨a¨, à savoir ¨par¨, désigne la relation d’une cause efficiente ; mais ce n’est pas par lui-même, ni au moyen de lui-même ni de lui-même que le Fils est sage d’une sagesse inengendrée.

Aut construitur in habitudine quasi principii formalis. Hoc autem contingit dupliciter: quia quod sequitur formam alicujus rei, potest dici esse per formam illam, sicut homo dicitur intelligere per animam ; vel per habentem formam ; sicut dicimus quod homo per se est rationalis, quia per id quod est de essentia sua, scilicet per animam rationalem ; per se enim, secundum philosophum, significat quod est per essentiam rei.

 Ou bien encore cet ablatif est construit dans une relation de principe formel. Mais cela se produit de deux manières : car ce qui découle de la forme d’une chose, on peut dire à son sujet ou bien qu’il existe au moyen de cette forme, tout comme on dit de l’homme qu’il conçoit au moyen de son âme, ou bien qu’il existe au moyen de ce qui possède la forme, tout comme nous disons que l’homme est essentiellement rationnel parce que c’est au moyen de ce qui fait partie de son essence, c’est-à-dire au moyen de son âme rationnelle, qu’il est rationnel ; en effet, ¨par soi¨, d’après le Philosophe, signifie ce qui existe au moyen de l’essence de la chose.

Si igitur consideretur illud quo Filius formaliter sapiens est, hoc est sapientia essentialis, quae neque genita neque ingenita est ; et sic per eam et ea sapiens dicitur ; sed nullo modo ab ea, quia essentia non generat. Si autem consideretur habens illam formam quae est ipsa hypostasis Filii, quae etiam sapientia genita dicitur ; sic per sapientiam genitam vel per se sapiens dicitur, sive sapientia genita vel seipso.

 Si donc on considère ce par quoi le Fils est formellement sage, c’est-à-dire la sagesse essentielle, laquelle n’est ni engendrée ni inengendrée, alors on dit du Fils qu’il est sage de cette sagesse et au moyen de cette sagesse, mais en aucune manière qu’il est sage ¨par¨ cette sagesse car l’essence, d’elle-même, n’engendre pas. Mais si on considérait celui-là même qui possède cette forme et qui est l’hypostase même du Fils et dont on dit aussi qu’elle est la sagesse engendrée, alors on dit de Lui soit qu’il est sage au moyen de la sagesse engendrée ou qu’il est essentiellement sage, ou bien qu’il est sage d’une sagesse engendrée ou de lui-même.

[2332] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod sapientia, secundum quod supponit essentiam, non potest dici ingenita vel genita ; sed secundum quod supponit hypostasim ; semper tamen essentiam significat, sicut etiam hoc nomen « Deus ». Et quare hoc nomen sapientia potius talem suppositionem habere possit quam hoc nomen essentia, supra, 5 distinct., quaest. 1, art. 2, dictum est. Et tunc, quamvis sit eadem essentia quae est Pater et Filius, non tamen eadem hypostasis ; et ita non sequitur quod sapientia genita Pater sapiens sit, sed tantum Filius.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la sagesse, selon qu’elle suppose l’essence, ne peut être appelée engendrée ou inengendrée ; mais selon qu’elle suppose l’hypostase, elle signifie cependant toujours l’essence, tout comme aussi ce nom «Dieu». Et pourquoi ce nom de sagesse peut, de préférence au nom ¨essence¨, avoir une telle supposition, nous l’avons dit plus haut [dist. 5, quest. 1, art. 2]. Et alors, bien que le Père et le Fils possèdent la même essence, ils n’ont pas la même hypostase ; et ainsi il ne s’ensuit pas que le Père soit sage d’une sagesse engendrée, mais seulement le Fils.

[2333] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in illis quae dicuntur per se, est aliquid de essentia rei accipere quod est principium illius quod per se praedicatur, sicut rationale de homine ; nec oportet quod ipsum suppositum de quo per se aliquid dicitur, sit principium illius, nisi sicut habens vel sicut operans, ut quando aliqua operatio dicitur esse per se alicujus ; ita etiam non oportet quod ipsa hypostasis Filii sit principium sui ipsius ; sed ut id quod est essentia ejus, vel de essentia, sit principium formale hujus quod est sapientem esse ; et hoc competit Filio, quia per essentiam suam, quam communem cum Patre habet, sapiens est ; et ideo per se sapiens dicitur.

2. Il faut dire en deuxième lieu que pour les prédicats qui sont attribués essentiellement, il faut prendre dans l’essence de la chose quelque chose qui soit principe de ce qui est attribué essentiellement, comme rationnel qui est attribué à l’homme ; et il n’est nécessaire que le suppôt auquel on attribue essentiellement ce prédicat soit lui-même le principe de ce prédicat qu’en tant qu’il le possède ou l’opère, comme lorsqu’on dit qu’une opération appartient essentiellement à un être ; de même encore il n’est pas nécessaire que l’hypostase elle-même du Fils soit le principe d’elle-même ; mais comme ce qui est son essence ou ce qui fait partie de son essence, est le principe formel du fait qu’il soit sage, et que cela appartient au Fils car c’est au moyen de son essence qu’il a en commun avec son Père qu’il est sage, c’est pourquoi on dit du Fils qu’il est essentiellement sage.

[2334] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium.

3. Et par là la réponse à la troisième difficulté est évidente.

[2335] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 1 ad 4 Et quartum concedimus.

4. Nous concédons la quatrième difficulté.

Quaestiuncula 2

Sous-question 2

[2336] Super Sent., lib. 1 d. 32 q. 2 a. 2 qc. 2 co. Ad id quod ulterius quaeritur, dicendum, quod Filius est sapiens sapientia ingenita, si ablativus construatur in habitudine principii quasi efficientis ; non autem si construatur in habitudine principii quasi formalis ; immo sic sapientia essentiali sapiens est, vel seipso.

Corps de l’article :

Par rapport à ce qui est recherché par la suite il faut dire que le Fils est sage d’une sagesse inengendrée, si l’ablatif est construit dans une relation de principe à la manière d’une cause efficiente, mais non pas s’il est construit dans une relation de principe à la manière d’une forme ; bien au contraire alors il est sage d’une sagesse essentielle ou de lui-même.

 

 

 

Distinctio 33

Distinction 33 – [Les propriétés et l’essence]

Quaestio 1

Question unique – [Les propriétés et l’essence]

 

 

Prooemium

Prologue

[2338] d. 33 q. 1 pr. Hic quaeruntur quinque:

1 utrum proprietates sint divina essentia ;

2 utrum sint ipsae personae ;

3 utrum sint in personis et in essentia ;

4 utrum de proprietatibus possint praedicari adjectiva essentialia et personalia ;

5 utrum de notionibus sine peccato contrariae opiniones esse possint.

 On cherche ici à répondre à cinq questions :

1. Est-ce que les propriétés divines sont l’essence divine ?

2. Est-ce qu’elles sont les personnes elles-mêmes ?

3. Est-ce qu’elles sont dans les personnes et dans l’essence ?

4. Est-ce que les adjectifs essentiels et personnels peuvent être attribués aux propriétés ?

5. Est-ce que les opinions contraires au sujet des notions peuvent être sans péché ?

 

 

Articulus 1 [2339] d. 33 q. 1 a. 1 tit. Utrum relationes divinae sint essentia divina

Article 1 – Les relations en Dieu sont-elles son essence ?

 [2340] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum igitur sic proceditur. Videtur quod relationes ipsae non sint essentia divina. Aut enim quae relative in Deo dicuntur, sunt relativa secundum esse aut tantum secundum dici. Sed non tantum secundum dici ; quia sic incideret haeresis Sabellii, ut supra, dist. 31, in Expos. text., in notula Hilarii habitum est. Ergo sunt relativa secundum esse. Sed talium relationum, secundum Philosophum, in Praed., cap. « ad aliquid », esse, est ad aliud se habere. Ergo cum essentiae divinae esse non sit ad aliud se habere, sed sit esse absolutum, videtur quod non sit idem cum relatione quae secundum esse ad aliud est.

Difficultés :

1. Il semble que les relations elles-mêmes ne soient pas l’essence divine. En effet, les prédicats qu’on attribue relativement à Dieu sont ou bien des relatifs selon l’existence ou bien des relatifs selon l’appellation. Mais ils ne sont pas seulement des relatifs selon l’appellation car on tomberait ainsi dans l’erreur de Sabellius, comme nous l’avons établi plus haut à la distinction 31. Ils sont donc des relatifs selon l’existence. Mais pour de tels relatifs, d’après le Philosophe [Les Prédicaments, ch. Sur la Relation], exister comme relatif, c’est se rapporter à un autre. Donc, puisque l’existence de l’essence divine ne consiste pas à se rapporter à un autre mais plutôt à exister absolument, il semble que l’existence divine ne soit pas la même chose que la relation dont l’existence consiste à se rapporter à un autre.

[2341] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, quaecumque sunt idem secundum rem, in quocumque est unum, et alterum, nec potest instantia fieri. Sed non in quocumque est essentia divina, est paternitas ; quia essentia divina est in Filio, in quo paternitas non est. Ergo essentia divina non est idem quod paternitas ; et eadem ratione nec idem quod alia proprietas.

 2. Par ailleurs, pour toutes les choses qui sont identiques réellement, partout où l’on rencontre l’une chose on rencontre aussi l’autre il n’y a pas à insister. Mais ce n’est pas partout où on retrouve l’essence divine qu’il y a la paternité ; car l’essence divine est dans le Fils où on ne retrouve pas la paternité. L’essence divine n’est donc pas identique à la paternité et pour la même raison elle n’est pas identique à une autre propriété.

[2342] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod est idem re, sed differt ratione ; contra. Aut ista ratio est aliquid in re, aut nihil. Si nihil, cum non sit distinctio nisi secundum relationes, tunc distinctio personarum non erit secundum rem, sed secundum rationem tantum, vel intellectum. Si autem sit aliquid in re, constat quod quidquid est realiter in Deo, Deus vel essentia divina habet illud. Sed in Deo, est idem habens et quod habetur, ut in Littera dicitur. Ergo essentia divina est ratio paternitatis, sicut et ipsa res quae est paternitas. Ergo non solum sunt idem re, sed etiam ratione, si re idem ponantur.

 

 3. Si tu dis que les deux sont identiques réellement mais diffèrent selon la raison, je réponds par contre que cette raison ou cette notion est ou bien quelque chose dans la réalité ou bien elle n’est rien. Si elle n’est rien, puisqu’il n’y a de distinction entre les personnes que par les relations, alors la distinction des personnes ne sera plus selon la réalité mais seulement selon la raison ou selon l’intelligence. Mais si cette raison est quelque chose dans la réalité, il est clair que tout ce qui existe réellement en Dieu, Dieu ou l’essence divine le possède. Mais en Dieu, ce qui possède et ce qui est possédé est identique, ainsi qu’on le dit dans la Lettre. Donc l’essence divine est la notion de paternité, tout comme elle est aussi la chose même qui est la paternité. Les relations sont donc identiques à l’essence non seulement  réellement mais aussi par la raison ou la notion, si on pose qu’elles sont identiques réellement.

[2343] Super Sent., lib. 1 d. 33 q. 1 a. 1 arg. 4 Item, si sunt idem re, sed differunt ratione solum ; ergo proprietas vel relatio non addit supra essentiam nisi rationem quamdam. Sed similiter relationes quae dicuntur ex tempore, ponunt circa essentiam divinam aliquas habitudines secundum rationem. Ergo videtur quod non magis sunt in Deo istae relationes quibus distinguuntur personae, quam istae quae dicuntur de Deo ex tempore. Sed istae sunt tantum assistentes, et non inhaerentes ; alias non possent advenire sine aliqua mutatione ipsius Dei. Ergo videtur quod istae relationes quae distinguunt personas, sint etiam assistentes, et non essentia divin

 4. En outre, si elles sont identiques réellement mais diffèrent par la raison seulement, il s’ensuit que la propriété ou la relation n’ajoute à l’essence qu’une certaine raison. Mais de la même manière les relations qui se disent en dépendance du temps posent sur l’essence divine certaines relations selon la raison. Il semble donc que ces relations par lesquelles les personnes se distinguent ne sont pas davantage en Dieu que celles qui se disent de Dieu en la dépendance du temps. Mais ces dernières sont seulement des relations assistantes et non des relations inhérentes autrement elles ne pourraient survenir sans quelque changement en Dieu lui-même. Il semble donc que ces relations qui distinguent les personnes soient elles aussi assistantes et ne soient pas l’essence divine.

[2344] d. 33 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, sicut est alia ratio paternitatis et essentiae ; ita est alia ratio essentiae et bonitatis divinae. Si ergo propter hoc dicit Augustinus, ubi supra, In ps LXVIII quod Deus alio est Pater, alio Deus ; eadem ratione deberet dicere, quod alio est Deus, alio bonus. Hoc autem non dicit, immo contrarium asserit. Ergo videtur quod cum dicit, quod alio est Pater, alio est Deus, non intendat distinguere secundum rationem tantum, sed etiam secundum rem ; et ita videtur quod paternitas qua Pater est non sit essentia divina qua Deus est.

5. En outre, tout comme la notion de paternité est autre que celle de l’essence, de même la notion de l’essence est autre que celle de la bonté divine. Si donc pour cette raison Saint-Augustin dit plus haut [Dans le Psaume LXVIII] que c’est par autre chose que Dieu est Père et qu’il est Dieu, pour la même raison il devrait dire que c’est par autre chose qu’il est Dieu et qu’il est bon. Mais il ne dit pas cela mais bien plutôt il affirme le contraire. Il semble donc que lorsqu’on dit que c’est par autre chose que Dieu est Père et que Dieu est Dieu, on ne cherche pas à distinguer selon la raison seulement, mais aussi selon la réalité ; et il semble ainsi que la paternité par laquelle Dieu est Père ne soit pas identique à l’essence divine par laquelle il est Dieu.

[2345] d. 33 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, nihil est adorandum adoratione latriae nisi Deus. Sed proprietates personarum sunt adorandae, ut cantatur in praefatione missae ss. Trinitatis: « Ut in personis proprietas, et in essentia unitas, et in majestate adoretur aequalitas ». Ergo videtur quod etiam ipsae proprietates sunt aliquid in re, aut nihil. Si nihil, cum personae non distinguantur nisi proprietatibus, tunc personae non distinguuntur ad invicem secundum rem, quod est haeresis Sabellii.

Si autem sunt aliquid in re, illud aliquid quod sunt, aut est divina essentia, aut aliquid aliud. Si divina essentia habetur propositum [Si…propositum om. éd. de Parme]. Si aliquid aliud, illud est in persona in qua est proprietas. Sed in persona etiam est essentia. Ergo in persona est aliud et aliud. Ergo est composita. Sed nullum compositum est Deus, ut supra probatum est, dist. 8, quaest. 4, art. 1. Ergo persona divina non est Deus, et ita Pater non est Deus, nec Filius est Deus: quod excedit etiam errorem Arii. Ergo oportet quod proprietates sint essentia divina.

 Cependant :

1. Au contraire, il n’y a que Dieu qui doive être adoré par un culte de latrie. Mais les propriétés des personnes doivent être adorées, comme on le chante dans la préface de la messe de la Sainte Trinité : «Afin que soit adorée la propriété dans les personnes et l’égalité dans la majesté». Il semble donc que les propriétés elles-mêmes aussi soient quelque chose dans la réalité ou qu’elles ne soient rien. Si elles ne sont rien, puisque les personnes ne se distinguent que par les propriétés, alors les personnes ne se distinguent pas les unes des autres réellement, ce qui constitue l’hérésie de Sabellius.

Mais si les propriétés sont quelque chose dans la réalité, ce quelque chose qu’elles sont sera ou bien l’essence divine, ou bien quelque chose d’autre. Si l’essence divine est établie comme propos [Si … propositum om. Éd. De Parme]. Si les propriétés sont quelque chose d’autre, cet autre est aussi dans la personne dans laquelle est la propriété. Mais dans la personne il y a aussi l’essence. Donc dans la personne il y a ceci mais aussi autre chose. Donc la personne est composée. Mais nul composé n’est Dieu, comme nous l’avons prouvé plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 1]. Donc la personne divine n’est pas Dieu et ainsi ni le Père ni le Fils n’est Dieu : ce qui surpasse même l’erreur d’Arius. Il faut donc que les propriétés soient l’essence divine.

[2346] d. 33 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod simpliciter confitendum est proprietates esse divinam essentiam. Error enim iste qui in Littera tangitur, dicitur Porretani fuisse, quem postmodum in Rhemensi Concilio retractavit. Cum enim, ut supra dictum est, distinct. 8, qu. 4, art. 3, in relatione sint duo, scilicet relationis respectus, quo ad alterum refertur, in quo consistit relationis ratio ; et iterum ipsum esse relationis, quod habet secundum quod in aliqua re fundatur, vel quantitate, vel essentia, vel aliquo hujusmodi ; consideraverat relationes divinas secundum respectum in quo relationis ratio consistit, ex quo non habet quod aliquam rem inhaerentem imponat [importet éd de Parme].

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il faut absolument confesser que les propriétés sont l’essence divine. Cette erreur qui a été effleurée dans la Lettre, on dit qu’elle a été celle de Gilbert de la Porrée qu’il rétracta par la suite au Concile de Reims. Puisqu’en effet, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 3], il y a deux choses à considérer dans la relation, à savoir premièrement l’aspect de la relation elle-même par lequel elle se rapporte à un autre et en quoi consiste la raison formelle de la relation ; puis, deuxièmement, l’existence même de la relation qu’elle possède selon qu’elle se fonde sur une réalité, soit la quantité, la qualité ou quelque chose de la sorte, il semble qu’il avait considéré les relations divines selon l’aspect dans lequel consiste la raison formelle de la relation à partir de quoi elle n’a pas à prescrire [impliquer Éd. de Parme] une réalité inhérente.

Unde etiam inveniuntur aliquae relationes nihil realiter in re ponentes, ut supra dictum est ; propter hoc dixit eas assistentes, vel exterius affixas. Illae enim proprie relationes dicuntur exterius affixae et assistentes, quae cum proprie non habeant fundamentum in re, tantummodo ex habitudine alterius ad rem de qua dicuntur, adveniunt ; sicut dextrum in columna, quod dicitur de ipsa per hoc quod homo eam ad sinistram habet ; et hujusmodi etiam sunt relationes quibus Deus ad creaturas refertur.

 

 De là il se trouve encore certaines relations qui ne posent rien réellement dans la chose, comme nous l’avons dit plus haut ; et c’est à cause de cela qu’il appela ces relations ¨assistantes¨ ou comme fixées de l’extérieur. En effet, on appelle proprement fixées de l’extérieur ou assistantes ces relations qui, puisqu’elles n’ont pas à proprement parler un fondement dans la réalité, surviennent seulement à partir de la relation d’un autre à la chose à laquelle elles s’attribuent ; par exemple on dit de la colonne qu’elle est à la droite de l’homme du fait que l’homme est à sa gauche ; et de telles relations sont aussi celles par lesquelles Dieu se rapporte aux créatures.

Sed relationes distinguentes personas non possunt esse hujusmodi, cum fundentur super aliquid quod vere in re est, scilicet in communicatione naturae ; et ideo sunt reales relationes habentes esse fundatum in natura rei. Sed haec est natura divinae simplicitatis, ut in ipsa non nisi unum esse possit esse, nec in ea differat esse et quod est et quo est.

 Mais les relations qui distinguent les personnes ne peuvent être de cette sorte, puisqu’elles se fondent sur quelque chose qui existe véritablement dans la chose dont il est question, à savoir dans la communication de la nature ; et c’est pourquoi elles sont des relations réelles ayant une existence fondée dans la nature de la chose. Mais cette nature est la nature de la simplicité divine qui est telle qu’il ne puisse y avoir en elle qu’une seule existence et dans laquelle il n’y a aucune différence entre l’existence, ce qui existe et ce par quoi il y a existence.

Istud ergo esse paternitatis non potest esse aliud esse quam esse essentiae ; et cum esse essentiae sit ipsa essentia, et esse paternitatis sit ipsa paternitas ; relinquitur de necessitate quod ipsa paternitas secundum rem est ipsa essentia ; unde non facit compositionem cum ea.

Sed quia manet ibi verus respectus pertinens ad naturam relationis quae non pertinet ad rationem essentiae, ex illo respectu relatio [naturam relationes quae non pertinent…ex illo respectu ratio.Éd. de Parme] potest distinguere, quamvis essentia non distinguatur, de cujus intellectu non est iste respectus oppositionem habens et per consequens distinctionem causans. Et ita dicendum, quod proprietates et essentia sunt idem re, sed differunt ratione. In aliis autem realibus relationibus in creaturis existentibus est aliud esse relationis, et substantiae quae refertur ; et ideo dicuntur inesse ; et secundum quod insunt, compositionem faciunt accidentis ad subjectum ; quod non convenit in divinis relationibus, ut dictum est, dist. 26, quaest. 2, art. 1.

 Donc, cette existence de la paternité ne peut être une autre existence que l’existence de l’essence ; et puisque l’existence de l’essence est l’essence elle-même, et que l’existence de la paternité est la paernité elle-même, il s’ensuit nécessairement que la paternité elle-même en réalité est l’essence elle-même ; il résulte de là que la paternité ne fait aucune composition avec l’essence.

Mais parce qu’il demeure là un véritable aspect appartenant à la nature de la relation qui n’appartient pas à la raison formelle de l’essence, à partir de cet aspect de la relation [à la nature les relations qui n’appartiennent pas…à partir de cet aspect la raison Éd. de Parme] la raison peut distinguer, bien que l’essence elle-même ne soit pas distinguée, dans l’intelligence de laquelle on ne retrouve pas ce rapport qui comporte une opposition et qui cause par conséquent une distinction. Et de cette manière il faut dire que les propriétés et l’essence sont identiques dans la réalité, mais diffèrent par la raison. Mais dans les autres relations réelles qui existent dans les créatures l’existence de la relation diffère de l’existence de la substance à laquelle elle se rapporte ; et c’est pourquoi on dit alors de ces relations qu’elles sont inhérentes ; et selon qu’elles sont inhérentes, elles font une composition de l’accident avec le sujet ; ce qui est impossible pour les relations divines, ainsi que nous l’avons dit [dist. 26, quest. 2, art. 1].

[2347] d. 33 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod relationes istae non sunt tantum secundum dici ad aliquid, sed etiam secundum esse. Sed sciendum, quod esse dicitur tripliciter [dupliciter éd. de Parme].

Uno modo dicitur esse ipsa quidditas vel natura rei, sicut dicitur quod definitio est oratio significans quid est esse ; definitio enim quidditatem rei significat.

Alio modo dicitur esse ipse actus essentiae ; sicut vivere, quod est esse viventibus, est animae actus ; non actus secundus, qui est operatio, sed actus primus.

Tertio modo dicitur esse quod significat veritatem compositionis in propositionibus, secundum quod est dicitur copula: et secundum hoc est in intellectu componente et dividente quantum ad sui complementum ; sed fundatur in esse rei, quod est actus essentiae, sicut supra de veritate dictum est, dist. 19, quaest. 5, art. 1. Dico igitur, quod cum dicitur: « Ad aliquid sunt, quorum esse est ad aliud se habere », intelligitur de esse quod est quidditas rei, quae definitione significatur ; quia ipsa natura relationis per quam constituitur in tali genere, est ad aliud referri: et non intelligitur de esse quod est actus essentiae ; hoc enim esse habet relatio [ ?] ex his quae causant ipsam in subjecto secundum quod esse non refertur ad aliud sed ad subjectum, sicut et quodlibet accidens.

Et sic dico, quod non oportet quod esse essentiae divinae sit ad aliud se habere ; quia illud esse in quo paternitas et essentia uniuntur, significatur ut esse quod est actus essentiae ; non autem uniuntur in esse quod significat definitio rei ; quia alia est ratio paternitatis, qua ad aliud refertur, et alia ratio essentiae.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ces relations ne sont pas seulement relatives par l’appellation mais aussi par l’être. Mais il faut savoir que ¨être¨ se dit de trois manières [de deux manières Éd. de Parme].

En un premier sens on appelle ¨être¨ la quiddité elle-même ou la nature de la chose, tout comme on dit que la définition est le discours signifiant ce qui est ; la définition en effet signifie la quiddité de la chose.

En un autre sens on appelle ¨être¨ l’acte même de l’essence, comme vivre, qui est l’être des vivants, est l’acte de l’âme ; mais on ne parle pas ici de l’acte second qui est l’opération, mais de l’acte premier.

En un troisième sens on appelle ¨être¨ ce qui signifie la vérité de la composition dans les propositions, selon que ¨est¨ est appelé copule : et en ce sens l’être est dans l’intelligence qui compose et divise quant à son complément, mais il se fonde dans l’être de la chose qui est l’acte de l’essence, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 19, quest. 5, art. 1] au sujet de la vérité. Je dis donc que lorsqu’on dit : «Sont relatifs ceux dont l’être est de se rapporter à un autre», cela s’entend de l’être qui est la quiddité de la chose et qui est signifiée par la définition ; car la nature même de la relation par laquelle elle est constituée dans tel genre, est de se rapporter à un autre : et cela ne s’entend pas de l’être qui est l’acte de l’essence ; en effet, la relation possède cet être à partir de ce qui la cause dans le sujet selon que l’être ne se rapporte pas à un autre mais à un sujet, comme tout autre accident.

Et je dis ainsi qu’il ne faut pas que l’être de l’essence divine se rapporte à quelque chose d’autre ; car cet être dans lequel la paternité et l’essence sont unies est signifié comme l’être qui est l’acte de l’essence ; elles ne sont cependant pas unies dans l’être que signifie la définition de la chose ; car autre est la définition de la paternité par laquelle il y a rapport à un autre et autre est la définition de l’essence.

[2348] d. 33 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si aliqua duo sint idem, secundum id quod idem sunt, in quocumque est unum, et alterum. Paternitas autem et essentia divina sunt idem secundum esse ; et ideo sicut in Filio est esse essentiae, ita et in Filio est esse paternitatis, quia in divinis non est nisi unum esse.

Sed paternitas habet aliquid in quo non unitur cum essentia, scilicet rationem paternitatis, quae est alia a ratione essentiae ; unde secundum illam rationem respectus potest esse in Patre et non in Filio, sed [scilicet éd. de Parme] distinguere Patrem a Filio ; unde in processu incidit fallacia accidentis. Neque oportet in his aliquid simile inquiri ; quia in nulla re creata invenitur aliquid simile divinae simplicitati, ut habens sit id quo habetur ; omnia enim similia quae possent induci vel de punctis vel de differentiis existentibus in genere, plus habent de dissimilitudine quam de similitudine ; et ideo magis abducunt a veritate quam in verum intellectum inducant. Sicut enim dicit Boetius, lib. De Trin., c. II, col. 1250] in his quae sine materia sunt, oportet non ad imaginationem deduci: quia hoc plurimum officit in divinis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que si deux réalités sont identiques, partout où il y a l’une il y a l’autre sous ce rapport selon lequel elles sont identiques. Mais la paternité et l’essence divine sont identiques selon l’êre; et c’est pourquoi tout comme dans le Fils il y a l’être de l’essence, de même dans le Fils il y a l’être de la paternité car en Dieu il n’y a qu’un seul être.

Mais la paternité contient en elle quelque chose en quoi elle n’est pas unie à l’essence, à savoir la raison formelle de paternité qui diffère de la raison formelle de l’essence; d’où il résulte selon ce raisonnement que le rapport peut se rencontrer dans le Père et non dans le Fils, mais [c’est-à-dire Éd. de Parme] distinguer le Père du Fils; d’où l’on tombe dans ce processus dans le sophisme de l’accident. Et il ne faut pas dans ces cas rechercher quelque chose de semblable car dans aucune créature on ne rencontre quelque chose de semblable à la simplicité de Dieu de telle manière que celui qui possède soit ce par quoi il est possédé; en effet, tous les cas semblables qui pourraient être amenés soit au sujet des points soit au sujet des differences existant dans le genre contiennent plus de dissemblances que de ressemblances; et c’est pourquoi ils éloignent advantage de la vérité qu’ils ne conduisent l’intelligence au vrai. En effet, comme le dit Boèce [De la Trinité, ch. 11, col. 1250, t. 11], pour les choses qui existent sans matière, il ne faut pas chercher à les ramener à l’imagination, car cela fait grandement obstacle dans les sujets qui se rapportent à Dieu.

[2349] d. 33 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa responsio bona est. Sciendum est autem, quod ratio sumitur dupliciter: quandoque enim ratio dicitur id quod est in ratiocinante, scilicet ipse actus rationis, vel potentia quae est ratio ; quandoque autem ratio est nomen intentionis, sive secundum quod significat definitionem rei, prout ratio est definitio, sive prout ratio dicitur argumentatio.

 3. Il faut dire en troisième lieu que cette réponse est bonne. Il faut cependant savoir que le terme ¨raison¨ se prend de deux manières : parfois en effet ¨raison¨ signifie ce qui est dans celui qui raisonne, à savoir l’acte même de la raison, ou la puissance qui est la raison ; mais parfois ¨raison¨ est le nom d’une intention, soit selon qu’elle signifie la définition de la chose, selon que ¨raison¨ s’identifie à définition, soit selon que ¨raison¨ signifie l’argumentation.

Dico igitur, quod cum dicitur quod est alia ratio paternitatis et essentiae in divinis, non accipitur ratio secundum quod est in ratiocinante tantum, sed secundum quod est nomen intentionis, et significat definitionem rei: quamvis enim in divinis non possit esse definitio, nec genus nec differentia nec compositio ; tamen si intelligatur ibi aliquid definiri, alia erit definitio paternitatis, et alia definitio essentiae.

 Je dis donc que lorsqu’on dit qu’en Dieu la ¨raison¨ de la paternité est autre que la ¨raison¨ de l’essence, ¨raison¨ ne se prend pas ici selon qu’elle est seulement dans celui qui raisonne mais selon qu’elle est le nom d’une intention et qu’elle signifie la définition de la chose : en effet, bien qu’en Dieu il ne puisse y avoir ni définition, ni genre, ni différence, ni composition, cependant si on entendait qu’il y a là quelque chose à définir, autre serait la définition de la paternité, autre celle de l’essence.

In omnibus autem intentionibus hoc communiter verum est, quod intentiones ipsae non sunt in rebus sed in anima tantum, sed habent aliquid in re respondens, scilicet naturam, cui intellectus hujusmodi intentiones attribuit ; sicut intentio generis non est in asino, sed natura animalis, cui per intellectum haec intentio attribuitur: et ita etiam ipsa ratio quam dicimus aliam et aliam in divinis, non est in re ; sed in ratione est aliquid respondens ei, et est in re [sed est in re aliquid respondens ei in éd. de Parme] quo fundatur, scilicet veritas illius rei cui talis intentio attribuitur: est enim in Deo ; unde possunt rationes diversae ibi convenire: et ideo non sequitur quod Deus sit rationes illae, sed quod sit tantum habens eas: hoc enim quod dicitur, quod in Deo est idem habens et quod habetur, intelligitur de illis quae habentur per modum rerum, non autem de illis quae habentur per modum intentionum ; sicut non possumus dicere quod Deus sit nomen, quamvis nomen habeat ; sed quod Deus est bonitas, quia bonitatem habet ; similiter etiam paternitas, quia paternitatem habet ; sed non sequitur quod sit ratio quamvis rationem [relatio…relationem Ed de Parme], habeat.

 Il est cependant universellement vrai dans toutes les intentions que les intentions elles-mêmes ne sont pas dans les choses mais dans l’âme seulement, mais qu’il y a quelque chose qui leur correspond dans les choses, à savoir la nature à laquelle l’intelligence attribue de telles intentions ; par exemple l’intention de genre n’est pas dans l’âne mais ce qu’il y a dans l’âne c’est la nature animale à laquelle cette intention est attribuée par l’intelligence : et de même, la raison formelle elle-même, dont nous disons qu’elle diffère d’une autre en Dieu n’existe pas réellement en Dieu ; mais dans la raison il y a quelque chose qui lui correspond, et il y a dans la chose [mais il y a dans la chose quelque chose qui lui correspond en Éd. de Parme] ce par quoi elle est fondée, à savoir la vérité de cette chose à laquelle une telle intention est attribuée : elle est en effet en Dieu ; d’où il résulte que différentes ¨raisons¨ peuvent se rencontrer là : et c’et pourquoi il ne s’ensuit pas que Dieu soit ces ¨raisons¨ mais qu’il soit seulement celui qui les possède. Ce qu’on dit en effet, à savoir qu’en Dieu celui qui possède est identique à ce qui est possédé, cela s’entend de ces ¨raisons¨ qui sont possédées par mode de choses et non de celles qui sont possédées par mode d’intentions ; par exemple, nous ne pouvons dire que Dieu soit un nom bien qu’il possède un nom ; mais nous pouvons dire que Dieu est la bonté parce qu’il possède la bonté ; semblablement encore nous pouvons dire qu’il est la paternité parce qu’il possède la paternité ; mais il ne s’ensuit pas qu’il soit la raison bien qu’il possède une raison [qu’il soit la relation bien qu’il possède la relation Éd. de Parme].

[2350] d. 33 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illae rationes relationum quae dicuntur de Deo ex tempore, non habent aliquod esse in re divina in qua fundentur, sicut habent istae relationes personarum, et ideo non est simile de utrisque.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que ces ¨raisons¨ des relations qui se disent de Dieu en la dépendance du temps n’ont pas une existence dans la réalité divine sur laquelle elles se fondent contrairement à ces relations des personnes et c’est pourquoi il ne s’agit pas là de cas semblables.

[2351] d. 33 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod scientia non dividitur contra substantiam nisi ex genere suo, prout est qualitas ; unde dicitur, quod haec est immediata: nulla qualitas est substantia ; sed haec est mediata: nulla scientia est substantia ; et sic est in omnibus aliis generibus. Sed, sicut supra, dist. 8, quaest. 4, art. 3, dictum est, nulla ratio communis alicujus praedicamenti manet in divinis nisi relationis ; et ideo id quod dicitur ad aliquid in divinis, habet aliam rationem a ratione substantiae, et alium modum praedicandi condivisum contra substantiam ; sed scientia et bonitas et hujusmodi, quae sunt in aliis generibus et dicuntur de Deo, non habent rationem communis generis per quam dividuntur contra substantiam ; immo loco illius rationis communis qualitatis vel quantitatis, venit ibi ratio substantiae ; unde dicitur alia ratio esse scientiae, et alia substantiae in divinis, non quasi [non quia quasi sit éd. de Parme] condivisa contra rationem substantiae ; sed sicut ratio speciei est alia a ratione generis, inquantum addit rationem differentiae supra rationem generis ; unde ita in divinis est alia ratio scientiae et substantiae, sicut in creaturis est alia ratio scientiae et qualitatis, quod non est simpliciter aliud ; et ideo sicut in creaturis dicitur, quod eodem est qualis et sciens ; ita in divinis dicitur quod eodem est substantia et sciens ; non tamen quod eodem sit substantia et Pater ; cum relatio quae per se substantiae condividitur, secundum rationem generis et modum significandi in divinis salvetur.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que la science ne se divise contre la substance que par son genre, selon qu’elle est une qualité ; d’où l’on dit que la proposition suivante est immédiate : nulle qualité n’est une substance ; mais cette autre proposition est médiate : nulle science n’est une substance ; et il en est de même pour tous les autres genres. Mais comme nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 4, art. 3], aucune notion commune appartenant à un prédicament ne demeure en Dieu si ce n’est celle de la relation ; et c’est pourquoi ce qui est dit relativement en Dieu possède une autre notion que la notion de substance et un autre mode d’attribution qui se divise contre celui de la substance ; mais la science, la bonté et les notions de cette sorte qui sont dans d’autres genres et qui s’attribuent à Dieu n’ont pas une notion commune de genre par laquelle elles se diviseraient contre la substance ; bien au contraire au lieu de cette notion commune de qualité ou de quantité, c’est la notion de substance qui s’amène là ; d’où l’on dit que la notion de science est autre que la notion de substance en Dieu, non pas comme [non pas parce qu’elle serait comme Éd. de Parme] si elle se divisait contre la notion de substance, mais comme la notion d’espèce est autre que la notion de genre, en autant qu’elle ajoute à la notion de genre la notion d’une différence ; d’où il résulte qu’en Dieu la notion de science est autre que la notion de substance tout comme dans les créatures la notion de science est autre que la notion de qualité, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas absolument autres. Et c’est pourquoi, tout comme on dit pour les créatures que c’est par le même genre qu’on a la qualité et la science, de même on dit qu’en Dieu c’est par la même forme qu’on retrouve la substance et la science ; ce n’est cependant pas pour la même raison formelle qu’on retrouve en Dieu substance et Père ; puisque la relation se distingue essentiellement de la substance, en Dieu elle se conserve selon la raison formelle de genre et selon le mode de signifier.

 .

 

Articulus 2 [2352] d. 33 q. 1 a. 2 tit. Utrum proprietates sint personae

Article 2 – Les propriétés sont-elles les personnes ?

[2353] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod proprietates non sint personae. Quaecumque enim sunt idem re, multiplicato uno, multiplicatur reliquum. Si igitur proprietates sunt personae, ergo quot sunt proprietates, tot sunt personae. Sed proprietates sunt quinque, ut supra dist. 23, quaest. 1, art. 3, dictum est. Ergo et personae ; quod falsum est.

 Difficultés :

1. Il semble que les propriétés ne soient pas les personnes. En effet, tout ce qui est identique en réalité, si l’un est multiplié le reste l’est aussi. Si donc les propriétés sont les personnes, il y aura donc autant de personnes qu’il y aura de propriétés. Mais il y a cinq propriétés ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 23, quest. 1, art. 3]. Il y aura donc cinq personnes, ce qui est faux.

[2354] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, Deus dicitur trinus propter Trinitatem personarum. Si igitur proprietates vel notiones sunt personae, videtur etiam quod quinus dici debeat propter quinarium notionum ; et eadem ratione Pater trinus, et Filius binus.

 2. Par ailleurs, on dit de Dieu qu’il est trine en raison de la Trinité des personnes. Si donc les propriétés ou les notions sont les personnes, il semble aussi qu’on doive dire d’elles qu’elles sont au nombre de cinq à cause des cinq notions ; et pour la même raison le Père sera trois et le Fils deux.

[2355] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, secundum Augustinum, lib. V De Trinit., col. 911, omne quod ad aliquid refertur, est aliquid, excepto hoc quod ad alterum dicitur ; sicut denarius est aliquid, excepto hoc quod pretium dicitur. Sed Pater refertur ad alium, quia ad Filium. Ergo praeter relationem est ibi aliquid invenire quod relationi substat. Hoc autem est hypostasis, vel persona. Ergo videtur quod proprietates non sunt personae.

3. En outre, selon Saint-Augustin [V De la Trinité, col. 911, t.  VIII], tout ce qui a rapport à la relation est quelque chose en dehors du fait de se rapporter à un autre ; par exemple le denier est quelque chose en dehors du fait qu’on dise de lui qu’il est de l’argent. Mais le Père se rapporte à un autre puisqu’il se rapporte au Fils. Donc en dehors de la relation il y a là quelque chose à trouver qui se tient sous la relation. Mais cela est l’hypostase ou la personne. Il semble donc que les propriétés ne soient pas les personnes.

[2356] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, nihil videtur esse distinctum [distinctivum éd. de Parme] sui ipsius. Sed proprietates distinguunt personas, ut dicit Damascenus, lib. I Fid. Orth., cap. VIII, Ergo proprietates non sunt personae.

 4. Par ailleurs, rien n’est distinct [distinctif Éd. de Parme] de soi-même. Mais les propriétés distinguent les personnes, ainsi que le dit Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch.  VIII]. Donc les propriétés ne sont pas les personnes.

 [2357] d. 33 q. 1 a. 2 arg. 5 Item, omne concretum addit aliquid super abstractum, sicut album super albedinem. Sed personae divinae significant concretive, ut Pater et Filius ; proprietates autem significant in abstracto. Ergo proprietates non sunt personae.

 5. De plus, tout ce qui est concret ajoute à l’abstrait, comme le blanc ajoute à la blancheur. Mais les personnes divines signifie à la manière de ce qui est concret, comme le Père et le Fils, alors que les propriétés signifient dans l’abstrait. Donc les propriétés ne sont pas les personnes.

[2358] d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, sicut dicit Hilarius,VII De Trinit., nec quidquam est Filius nisi Filius. Sed Filius significat relationem. Ergo videtur quod totum hoc quod est Filius, sit relatio filiationis ; et sic essentia ejus et hypostasis erit relatio.

 Cependant :

1. Au contraire, comme le dit Saint-Hilaire [ VII De la Trinité, t. 11], il n’y a que le Fils qui soit le Fils. Mais le Fils signifie une relation. Il semble donc que le Fils, dans sa totalité de Fils, soit la relation de filiation ; et ainsi son essence et son hypostase sera la relation.

[2359] d. 33 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, omnis forma est principium ejus cujus est forma quantum ad aliquod sui esse. Si igitur paternitas qua formaliter Pater est Pater, sit aliud ab ipso Patre, erit aliquid principium Patris et prius eo, quod est inconveniens. Ergo paternitas non est aliud a Patre, et eadem ratione nec aliqua proprietas aliud a persona.

 2. Par ailleurs, toute forme est le principe de ce dont elle est la forme quant à quelque chose de son existence. Si donc la paternité par laquelle le Père est formellement Père est quelque chose d’autre que le Père lui-même, elle sera un principe du Père et donc antérieure à Lui, ce qui pose un problème. Donc la paternité n’est pas autre que le Père et pour la même raison aucune propriété n’est autre que la personne.

[2360] d. 33 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt tres opiniones.

Porretani enim dixerunt, quod proprietates sunt in personis ut assistentes, et non sunt ipsae personae. Sed hoc non potest esse ; quia aut proprietas aliquid est in re ; et sic si non est persona in qua est, oportet ibi esse compositionem ;

aut nihil est in re ; et sic non erit distinctio personarum secundum rem.

Et ideo alii dicunt, sicut dixit Praepositivus, quod proprietates sunt ipsae personae secundum rem, nec distinguuntur a personis etiam secundum rationem, nec aliquo modo. Unde dixit, in divinis tantum esse essentiam et personas ; et proprietates negavit.

Sed cum dicitur paternitas, sumitur abstractum pro concreto ; sicut dicimus: rogo benignitatem tuam, idest te benignum ; et sic etiam proprietates adorari dicuntur.

 

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet on rencontre trois opinions.

Les disciples de Gilbert de la Porrée ont dit en effet que les propriétés sont dans les personnes comme des assistants et ne sont pas les personnes elles-mêmes. Mais il ne peut en être ainsi car ou bien la propriété est quelque chose dans la réalité et ainsi si elle n’est pas la personne dans laquelle elle est, il faudra qu’il y ait là composition ;

Ou bien elle n’est rien dans la réalité et ainsi il n’y aura pas distinction réelle entre les personnes.

Et c’est pourquoi d’autres disent, tout comme l’a dit Prépositif, que les propriétés sont les personnes elles-mêmes en réalité et qu’elles ne se distinguent pas des personnes selon la raison non plus, ni d’aucune manière.

D’où il a dit qu’en Dieu il n’y a que l’essence et les personnes et nia les propriétés.

Mais lorsqu’on dit ¨paternité¨, on prend l’abstrait pour le concret, comme lorsque nous disons : ¨je fais appel à ta bonté¨, nous voulons dire : ¨je te demande d’être bon¨. Et c’est ainsi qu’on dit aussi des propriétés qu’elles doivent être priées ou adorées.

Et dicebat quod personae cum sint simplicissimae, se ipsis distinguuntur. Sed hoc etiam non potest stare, propter duo:

 

primo, quia invenimus in una persona plures proprietates et relationes, secundum quod ad aliam et ad aliam personam refertur ;

secundo, quia aliquid attribuitur proprietati quod non attribuitur personae, sicut distinguere, personae autem distingui ; et ideo oportet quod differant secundum modum significandi proprietates a persona.

 Et il disait que les personnes, puisqu’elles sont ce qu’il y a de plus simple, se distinguent par elles-mêmes. Mais cela aussi ne peut tenir, pour deux raisons :

Premièrement parce que nous retrouvons dans une même personne plusieurs propriétés ou relations selon qu’elle se rapporte à telle ou telle autre personne ;

Deuxièmement parce que quelque chose est attribué à la propriété qui n’est pas attribué à la personne, comme à la propriété de distinguer et à la personne d’être distinguée ; et c’est pourquoi il faut que les propriétés diffèrent de la personne selon le mode de signifier.

Nec modus significandi diversus veritatem haberet, sed vanitatem, nisi esset alia ratio proprietatis et personae, cui respondet aliquid in re, ut dictum est hac dist., quaest. 1, art. 1.

Et ideo dicimus, quod proprietates et personae sunt idem re, sed differunt ratione, sicut et de proprietatibus et de essentia dictum est. Sed in hoc differt, quod ratio proprietatis et essentiae differt sicut ratio diversorum generum, ut dictum est ; sed ratio proprietatis et personae differt sicut ratio abstracti et concreti in eodem genere acceptorum.

 Et un mode de signifier différent n’aurait pas la vérité pour lui mais serait vain, à moins qu’il y ait une autre raison formelle de la propriété et de la personne à laquelle correspondrait quelque chose dans la réalité, ainsi que nous l’avons dit [dist. 33, quest. 1, art. 1]. Et c’est pourquoi nous disons que les propriétés sont identiques à la personne en réalité mais elles diffèrent par la raison tout comme nous l’avons dit aussi des propriétés et de l’essence. Mais il y a différence en ceci que les raisons formelles de propriété et d’essence diffèrent comme les raisons formelles de genres différents comme nous l’avons dit, alors que les raisons formelles de propriété et de personne diffèrent comme les raisons formelles de l’abstrait et du concret pris dans un même genre.

In concreto autem est duo considerare in rebus creatis ; scilicet compositionem, et perfectionem ; quia quod significatur concretive, significatur ut per se existens, ut homo vel album. Similiter de ratione abstracti duo sunt, scilicet simplicitas, et imperfectio ; quia quod significatur in abstracto, significatur per modum formae, cujus non est operari vel subsistere in se, sed in alio. Unde patet quod sicut etiam est in aliis quae de Deo dicuntur, neutra ratio secundum totum divinis competit ; ex quo probatur, Lib. De causis, propos. 6, quod nihil proprie de Deo dicitur ; quia nec abstractum propter imperfectionem, nec concretum propter compositionem. Sed quantum ad aliquid utrumque vere dicitur ; quia et concretum propter perfectionem, et abstractum propter simplicitatem.

 Mais il y a deux choses à considérer dans le concret pour les choses créées ; à savoir la composition et la perfection ; car ce qui est signifié concrètement est signifié comme existant pas soi, comme homme et blanc. De même il y a deux choses à considérer au sujet de la raison formelle de l’abstrait, à savoir la simplicité et l’imperfection ; car ce qui est signifié dans l’abstrait est signifié à la manière d’une forme à laquelle il n’appartient pas de poser des opérations et de subsister en soi, mais plutôt d’exister dans un autre. D’où il est clair que tout comme on le voit aussi pour les autres noms qu’on attribue à Dieu, aucune raison formelle ne convient totalement à Dieu, à partir de quoi on prouve [Des Causes, proposition 6] qu’aucune des deux sortes de termes ne s’attribue proprement à Dieu : ni ceux qui sont abstraits à cause de leur imperfection, ni ceux qui sont concrets à cause de leur composition. Mais sous un certain rapport chacun des deux s’attribue en vérité : les concrets à cause de leur perfection, les abstraits à cause de leur simplicité.

[2361] d. 33 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod proprietates sunt idem re cum personis quantum ad esse ; sed secundum esse personae non distinguuntur ; unde non sequitur quod secundum multitudinem proprietatum sit multitudo personarum ; quia distinctio personarum non est nisi secundum oppositionem relativam ; unde secundum quod potest variari oppositio relativa in proprietatibus, sequitur distinctio in personis ; et hoc, si diligenter consideretur, non potest venire ad majorem numerum quam ternarium ; et ideo relationes oppositae sunt personae, et sunt duae personae, sicut duae relationes ; sed relationes quae sunt in eadem persona non oppositae, sunt quidem duae relationes vel proprietates, sed non duae personae, immo una persona.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que les propriétés sont identiques aux personnes dans la réalité quant à l’existence ; mais ce n’est pas selon l’existence que les personnes se distinguent ; d’où il ne s’ensuit pas  que la multiplicité des personnes suive la multiplicité des propriétés ; car la distinction des personnes ne découle que de l’opposition relative ; d’où il résulte que c’est selon qu’il puisse y avoir variation de l’opposition relative  dans les propriétés qu’il s’ensuit une distinction dans les personnes ; et si on examine cette question avec attention, on voit qu’il ne peut résulter un plus grand nombre de personnes que trois ; et c’est pourquoi les relations opposées sont les personnes, et qu’il y a deux personnes tout comme il y a deux relations ; mais les relations qui sont dans la même personne ne sont pas opposées : car il y a certes là deux relations ou deux propriétés et non pas deux personnes mais bien plutôt une seule personne.

[2362] d. 33 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod relationes signantur per modum formarum vel qualitatum in divinis. Numerus autem proprietatum vel formarum non ponit simpliciter numerum in rebus ipsis ; sed numerus suppositorum ; sicut Socrates non dicitur trinus propter hoc quod tres proprietates habeat ; et ita etiam Pater non dicitur trinus propter tres notiones ; sed Deus dicitur trinus propter tres personas vel tria supposita.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que les relations sont signifiées par mode de formes ou de qualités en Dieu. Mais le nombre des propriétés ou des formes ne pose pas absolument le nombre dans les choses elles-mêmes, mais c’est le nombre des suppôts qui le fait ; par exemple on ne dit pas de Socrate qu’il est trois pour cette raison qu’il possède trois propriétés ; et de même encore on ne dit pas du Père qu’il est trois à cause des trois notions ; mais on dit plutôt de Dieu qu’il est trine ou trois à cause des trois personnes ou des trois suppôts.

[2363] d. 33 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod dictum Augustini, ubi sup., veritatem habet in divinis et in creaturis, sed diversimode ; quia illud quod in creaturis ad aliquid dicitur, substat huic [huic om. éd. de Parme] relationi, sicut subjectum accidenti ; et ideo est aliud et aliud: sed illud quod in divinis ad aliquid dicitur, est ipsa relatio ; quia in Deo non est aliud secundum rem, sed [secundum add. éd. de Parme] rationem essentiae, et habens essentiam quod est persona, et ipsa proprietas distinguens personam.

 3. Il faut dire en troisième lieu que les paroles de Saint-Augustin présentées plus haut sont dans la vérité au sujet de Dieu et des créatures, mais de manière différente ; car ce qui est dit relativement dans les créatures ; car ce qui dans les créatures reçoit l’attribution du relatif se tient sous cette [cette om. Éd. de Parme] relation, tout comme le sujet sous l’accident ; et c’est pourquoi l’un n’est pas l’autre ; mais ce qui en Dieu se dit relativement est la relation elle-même : car en Dieu, ce qui possède l’essence et qui est la personne ne diffère pas en réalité mais [selon add. Éd. de Parme] la raison de la propriété même qui distingue la personne.

[2364] d. 33 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod proprietas significatur per modum formae, et formae est distinguere ; ideo proprietates personas distinguunt ; et hoc est quantum ad modum significandi, qui fundatur in vera ratione proprietatis. Ideo ex hoc non potest concludi aliqua diversitas secundum rem.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la propriété est signifiée à la manière d’une forme et il appartient à la forme de distinguer ; et c’est pourquoi les propriétés distinguent les personnes ; et cela est quant au mode de signifier qui se fonde sur la véritable raison formelle de propriété. Et c’est pourquoi à partir de là aucune diversité réelle ne peut être conclue.

[2365] d. 33 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in divinis abstractum et concretum non differunt secundum rem, sed secundum rationem, ut dictum est, in corp. art. Unde ita differt proprietas a persona sicut deitas a Deo, quod est secundum rationem tantum.

 5. Il faut dire en cinquième lieu qu’en Dieu l’abstrait et le concret ne diffèrent pas réellement mais selon la raison, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article. D’où il résulte que la propriété diffère de la personne tout comme la divinité diffère de Dieu, à savoir selon la raison seulement.

 

 

Articulus 3 [2366] d. 33 q. 1 a. 3 tit. Utrum proprietates sint in personis et in essentia

Article 3 – Les propriétés sont-elles dans les personnes et dans l’essence ?

[2367] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod proprietates non sint in essentia, nec in personis. Quaecumque enim sunt idem secundum rem, unum eorum non potest esse in altero ; quia propositiones sunt transitivae ; unde secundum Philosophum, IV Phys., text. 26, nihil est in seipso, nisi per accidens. Sed proprietates sunt idem re cum essentia et personis. Ergo non sunt in essentia vel in personis.

 Difficultés :

1. Il semble que les propriétés ne soient ni dans l’essence ni dans les personnes. Pour toutes les choses qui sont identiques dans la réalité, l’une d’elles ne peut exister dans l’autre car les propositions sont transitives ; d’où, d’après le Philosophe [IV Physique, ch. 3, texte 26], rien n’existe en soi-même si ce n’est par accident. Mais les propriétés sont réellement identiques à l’essence et aux personnes. Elles ne sont donc ni dans l’essence ni dans les personnes.

[2368] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne illud in quo est relatio, refertur ; et omne quod refertur, in divinis relatione distinguitur. Cum igitur essentia non distinguatur, videtur quod in essentia non sit relatio.

 2. Par ailleurs, tout ce en quoi il y a relation, cela se rapporte à un autre ; et en Dieu, tout ce qui se rapporte à un autre se distingue par la relation. Donc, puisque l’essence elle-même ne se distingue pas, il semble que dans l’essence il n’y ait pas relation.

[2369] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, cum relationes sint consequentes motum vel mutationem aliquam, in quo non potest esse motus vel mutatio, nec relatio esse poterit. Sed in divinis nullus potest esse motus vel mutatio. Ergo nec relationes, sive in essentia, seu in divinis personis.

 3. En outre, puisque les relations suivent un mouvement ou un certain changement, là où il ne peut y avoir de mouvement ou de changement, il ne pourra y avoir de relation. Mais en Dieu il ne peut y avoir de mouvement ou de changement. Il ne peut donc y avoir de relations ni dans l’essence ni dans les personnes divines.

[2370] d. 33 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne quod est in aliquo, secundum aliquem modum in illo est. Sed nullus modorum quo aliquid in aliquo a Philosopho, IV Phys., text. 23, inesse dicitur potest convenire ad hoc quod proprietates in personis sint. Ergo videtur quod nec proprietates sint in essentia, nec in personis.

 4. De plus, tout ce qui existe dans un autre y existe selon une certaine modalité. Mais aucune des modalités énumérées par le Philosophe [IV Physique, texte 23], par lesquelles un être existe dans un autre, ne peut correspondre à la modalité par laquelle les propriétés existeraient dans les personnes. Il semble donc que les propriétés n’existent ni dans l’essence ni dans les personnes.

[2371] d. 33 q. 1 a. 3 s. c. 1 Contra, in praefatione, ut supra, In personis adoretur proprietas.

Cependant:

1. On dit au contraire dans la préface citée plus haut: «Que la propriété soit adorée dans les Personnes».

[2372] d. 33 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, quod denominatur ab aliqua forma, oportet quod habeat illam in se. Sed personae denominantur a proprietatibus ; dicitur enim a paternitate Pater. Ergo videtur quod proprietates sint in personis.

 2. Par ailleurs, ce qui est dénommé à partir d’une forme doit avoir cette forme en soi. Mais les Personnes sont dénommées à partir des propriétés ; en effet, c’est à partir de la paternité qu’on dit : le Père. Il semble donc que les propriétés soient dans les personnes.

[2373] d. 33 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod proprietates sunt in essentia et in personis ; sed diversimode: quia in essentia sunt per identitatem rei, et non sicut in supposito ; sed in personis sunt sicut in supposito ; sed diversimode, secundum quod aliquid dicitur suppositum alicujus dupliciter: vel naturae per quam constituitur, sicut humanitas est in Socrate, et hoc modo proprietates personales sunt in personis ; vel sicut illud quod advenit post esse constitutum, sicut albedo est in Socrate ; et ita secundum intellectum proprietates non personales, ut innascibilitas et communis spiratio, sunt in personis ; non tamen ita quod suppositum sit aliquid aliud ab eo quod inest secundum rem, sed secundum rationem tantum concreti et abstracti, ut dictum est, art. praeced.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que les propriétés sont dans l’essence et dans les personnes, mais différemment : car elles sont dans l’essence par une identité réelle et non comme dans un suppôt ; mais elles sont dans les personnes comme dans un suppôt ; mais différemment selon qu’on dit d’une chose qu’elle est le suppôt d’une autre de deux manières : soit d’une nature par laquelle elle est constituée, tout comme l’humanité est dans Socrate et en ce sens les propriétés personnelles sont dans les personnes ; soit comme ce qui advient après que l’être soit constitué, comme la blancheur est dans Socrate : et ainsi, selon l’intelligence, les propriétés non personnelles, comme l’innascibilité et la spiration commune, sont dans les personnes ; mais non pas cependant de telle manière que le suppôt soit quelque chose d’autre que ce qui est en lui en réalité, mais seulement selon la raison formelle du concret et de l’abstrait, comme nous l’avons dit dans l’article précédent.

[2374] d. 33 q. 1 a. 3 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum ; quia ex hoc quod ratione distinguuntur, et re idem sunt proprietates cum essentia et personis, unum in altero dicitur esse.

 Solutions :

1. Suite à ce qui précède dans le corps de l’article, la réponse à la première difficulté est évidente ; car c’est du fait que les propriétés se distinguent par la raison et qu’elles soient identiques en réalité à l’essence et aux personnes qu’on dit à leur sujet qu’elles existent dans l’essence et dans les personnes.

[2375] d. 33 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in quocumque est relatio sicut in supposito, illud refertur ; sicut in quocumque est albedo sicut in supposito, illud est album. In natura autem divina, vel essentia divina, non est proprietas relativa sicut in supposito, immo per omnimodam rei identitatem ; unde relatio non potest praedicari concretive de essentia, ut dicatur, essentia refertur: sed praedicatione designante identitatem, ut dicatur, essentia est relatio ; et ideo non oportet quod essentia distinguatur: sicut etiam in creaturis paternitas est in Socrate sicut in supposito ; unde Socrates pater dicitur ; non autem humanitas ejus pater dicitur, etiam qua posset dici paternitas esse, non quidem secundum identitatem rei, sicut est in divinis, sed secundum convenientiam in uno supposito, quod est Socrates, in quo est humanitas et paternitas.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que partout où il y a relation comme dans un suppôt, il y a là un rapport à un autre, tout comme partout où se trouve la blancheur comme dans un suppôt, cela est blanc. Mais dans la nature ou l’essence divine, il n’y a pas de propriété relative comme dans un suppôt mais bien plutôt par une identité totalement réelle ; d’où la relation ne peut être attribuée concrètement à l’essence de manière à dire que l’essence s’y rapporte, mais plutôt par une attribution désignant l’identité, de manière à dire que l’essence est la relation ; et c’est pourquoi il ne faut pas que l’essence soit distinguée : tout comme encore dans les créatures la paternité est dans Socrate comme dans un suppôt, d’où Socrate est appelé père, cependant son humanité n’est pas appelée père, humanité dont on pourrait aussi dire que c’est par elle que la paternité existe, non pas certes d’après une identité réelle, comme c’est le cas en Dieu, mais d’après une conformité dans un même suppôt qui est Socrate dans lequel se trouve l’humanité et la paternité.

[2376] d. 33 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hoc quod relatio consequitur motum, accidit relationi inquantum non est aeterna ; unde si aliquae relationes aeternae sunt, non consequuntur motum aliquem ; sicut si ponatur mundus aeternus, erit designare in caelo aliquod corpus aequale alteri, vel duplum vel secundum aliam proportionem ; et tamen istae relationes non consequuntur motum aliquem vel mutationem, quia in caelo non est motus ad quantitatem: et similiter, cum relationes quibus personae distinguuntur, sint ab aeterno, non oportet quod motum aliquem consequantur ; sed loco motus aliquo modo consequuntur communicationem et acceptionem naturae divinae.

 3. Il faut dire en troisième lieu que le fait que la relation suive le mouvement, cela arrive à la relation en autant qu’elle n’est pas éternelle ; d’où il résulte que s’il existe certaines relation qui sont éternelles, elles ne découlent pas d’un mouvement ; par exemple, si on posait que le monde est éternel, il faudra encore désigner dans le ciel un corps qui sera soit égal, soit le double ou qui aura une autre proportion par rapport à un autre corps ; et cependant ces relations ne découlent pas d’un mouvement ou d’un changement car dans le ciel il n’y a pas de mouvement qui tende vers une quantité : et de la même manière, puisque les relations par lesquelles les personnes se distinguent existent de toute éternité, il est nécessaire qu’elles ne découlent pas d’un mouvement ; mais au lieu de découler d’un mouvement, elles découlent d’une certaine manière de la communication et de la réception de la nature divine.

[2377] d. 33 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum Hilarium, De Trinitate, § 19, col. 38) comparatio terrenorum ad divina nulla est ; unde nullus illorum modorum quem Philosophus enumerat, sufficit ad explicandum quomodo in divinis aliquid in aliquo esse dicatur ; et praecipue modus ille quo proprietates in essentia esse dicuntur ; quia non invenitur in creaturis aliqua diversorum generum in identitatem rei convenire, sicut relatio et substantia in divinis conveniunt, ratione cujus unum in altero esse dicitur, scilicet paternitas in essentia, sicut in praeexistente secundum intellectum. Sed modus ille quo proprietates non personales sunt in personis, habet aliquid simile illi modo quo forma est in materia, scilicet forma accidentalis in subjecto ; et modus ille quo proprietates personales sunt in personis, habet aliquid simile cum illo modo quo differentiae sunt in specie, vel natura communis in inferiori ; quamvis in his omnibus major dissimilitudo quam similitudo inveniatur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que selon Saint-Hilaire [De la Trinité, & 19, col. 38], les choses terrestres ne se comparent en rien à la réalité divine ; d’où il résulte qu’aucune des modalités que le Philosophe énumère ne suffit à expliquer comment on peut dire qu’en Dieu que quelque chose existe dans un autre, et principalement cette modalité par laquelle on dit que les propriétés existent dans l’essence ; car il n’arrive pas dans les créatures que certains des différents genres se rencontrent dans une identité réelle comme c’est le cas pour la relation et la substance en Dieu et en raison de quoi on peut dire que l’un est dans l’autre, à savoir que la paternité est dans l’essence comme dans ce qui préexiste selon l’intelligence. Mais ce mode par lequel les propriétés non personnelles sont dans les personnes a une certaine ressemblance avec ce mode par lequel la forme est dans la matière, c’est-à-dire dans le cas où la forme accidentelle est dans le sujet ; et ce mode par lequel les propriétés personnelles sont dans les personnes a quelque similitude avec ce mode par lequel les différences sont dans l’espèce ou la nature commune est dans l’inférieur, bien que dans tous les cas la dissimilitude est plus grande que la similitude.

 

 

Articulus 4 [2378] d. 33 q. 1 a. 4 tit. Utrum essentialia adjectiva praedicentur de proprietatibus

Article 4 – Les adjectifs essentiels s’attribuent-ils aux propriétés ?

 

[2379] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod essentialia adjectiva de proprietatibus praedicentur. Quaecumque enim sunt idem secundum rem, quidquid de uno dicitur, et de altero videtur dici ; alias affirmatio et negatio de eodem verificaretur ; quia de quo non dicitur affirmatio, dicitur negatio. Sed proprietates sunt ipse Deus, ut probatum est, art. 2. Ergo essentialia adjectiva, quae de divina essentia praedicantur, etiam de proprietatibus praedicari debent.

 Difficultés :

1. Il semble que les adjectifs essentiels s’attribuent aux propriétés. En effet, pour tout ce qui est identique en réalité, tout ce qui se dit de l’un se dit aussi de l’autre car autrement l’affirmation et la négation se vérifieraient par rapport à un même sujet et à un même prédicat car la négation se dit de ce dont l’affirmation ne se dit pas. Mais les propriétés sont Dieu lui-même comme nous l’avons prouvé dans l’article 2. Donc les adjectifs essentiels, qui s’attribuent à l’essence divine, doivent aussi s’attribuer aux propriétés.

[2380] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, de similibus idem est judicium. Sed quaedam adjectiva essentialia de proprietatibus praedicantur, ut immensus, increatus et caetera. Ergo videtur quod etiam omnia alia.

 2. Par ailleurs, le jugement qu’on porte sur les cas semblables doit être le même. Mais certains adjectifs essentiels s’attribuent aux propriétés, comme immense, incréé et d’autres. Il semble donc qu’il doive en être de même pour les autres.

[2381] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 3 Item, videtur quod etiam adjectiva notionalia seu personalia, de proprietatibus praedicentur ; quia major est convenientia personalium adjectivorum cum proprietatibus quam essentialium. Sed quaedam essentialia praedicantur de proprietatibus, ut dictum est, dist. 22, quaest. 2, art. 1. Ergo multo magis omnia personalia, ut dicatur: paternitas est generans vel innascibilis: et sic de aliis.

 3. En outre, il semble que même les adjectifs notionnels ou personnels s’attribuent aux propriétés ; car la convenance des adjectifs personnels avec les propriétés est plus grande que celle des adjectifs essentiels. Mais certains adjectifs essentiels s’attribuent aux propriétés, comme nous l’avons dit [dist. 22, quest. 2, art. 1]. Donc tous les adjectifs personnels s’attribuent bien davantage aux propriétés, de manière à dire que la paternité est ce qui engendre ou est innascible : et il en est de même pour le reste.

[2382] d. 33 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, secundum Boetium, nulla propositio verior illa est in qua idem de se praedicatur. Sed omnes dicunt quod in Patre idem est paternitas et generare. Ergo potest vere dici, quod paternitas generet.

 4. Par ailleurs, d’après Boèce, nulle proposition n’est plus vraie que celle dans laquelle le même s’attribue au même. Mais tous disent que dans le Père la paternité est identique à engendrer. On peut donc dire en vérité que la paternité engendre.

[2383] Super Sent., lib. 1 d. 33 q. 1 a. 4 s. c. 1 Contra, sicut proprietas est idem re cum personis, ita etiam et essentia ; quamvis utrumque ratione differat. Sed ratione hujus identitatis non sequitur quod notionalia adjectiva praedicentur de essentia, propter diversum modum significandi, qui causat diversitatem suppositionis: non enim dicitur quod essentia sit genita. Ergo videtur quod eadem ratione non debeat dici quod filiatio sit genita.

 

 Cependant :

1. Au contraire, tout comme la propriété est identique en réalité aux personnes, il en est de même aussi pour l’essence, bien que les deux diffèrent par la raison. Mais en raison de cette identité il ne s’ensuit pas que les adjectifs notionnels s’attribuent à l’essence, à cause d’un mode différent de signifier qui cause une diversité de supposition : on ne dit pas en effet que l’essence soit engendrée. Il semble donc pour la même raison qu’on ne doive pas dire que la filiation soit engendrée.

[2384] d. 33 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod, sicut dictum est, art. 2, proprietas, persona, et essentia secundum rem non differunt, sed secundum rationem tantum, et diversum modum significandi: unde distinguendum est in adjectivis. Quia omnia illa quae praedicant conditionem rei absolute, praedicantur communiter de proprietate, persona, et essentia, et hujusmodi ; praecipue si sunt adjectiva negativa, ut increatus et hujusmodi. Quaecumque vero exprimunt modum significandi in quo ista tria distinguuntur, non praedicantur de eis communiter. Tamen in his etiam est diversitas.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire , tout comme nous l’avons dit dans l’article 2, que la propriété, la personne et l’essence ne diffèrent pas réellement mais seulement selon la raison et d’après un mode différent de signifier : d’où la nécessité de distinguer parmi les adjectifs. Car tous ceux qui attribuent une condition de la chose prise absolument s’attribuent communément à la propriété, à la personne et à l’essence, surtout s’il s’agit d’adjectifs négatifs comme ¨incréé¨ et d’autres de même sorte. Mais tous ceux qui expriment un mode de signifier dans lequel ces trois dernières se distinguent ne s’attribuent pas en commun à elles. Et cependant même dans ces derniers il y a diversité.

Quaedam enim sunt quae important illum modum significandi in principali significato ; sicut hoc nomen commune importat significando modum essentiae, et similiter hoc nomen distinctum modum personae, et hoc nomen distinguens modum proprietatis ; et ideo si istorum praedicatio permutetur, ut dicatur essentia distincta, vel proprietas communis, vel aliquid hujusmodi ; erit falsa propositio, et non solum impropria.

 

 Il y en a certains en effet qui impliquent ce mode de signifier dans le signifié principal, tout comme ce nom ¨commun¨ implique en signifiant le mode de l’essence, et semblablement ce nom ¨distinct¨ implique le mode de la personne et ce nom ¨qui distingue¨ le mode de la propriété ; et c’est pourquoi, s’il y a permutation dans l’attribution de ces termes, de telle sorte qu’on dirait que l’essence est distincte ou que la propriété est commune, la proposition ne serait pas seulement impropre mais fausse.

Quaedam autem important illum modum non significando ipsum, sed dant eum intelligere ex suo modo significandi ; sicut illa quae significant per modum actus, quia actus sunt suppositorum. Unde talia non proprie possunt attribui nisi personis, quae sunt supposita divinae naturae, non autem proprietati vel essentiae, quae significantur per modum formae. Unde non proprie dicitur quod paternitas generat, neque quod paternitas creat ; et similiter etiam illa quae significant concretive, dant intelligere modum personarum. Unde et haec non est propria: « Paternitas est sapiens », vel hujusmodi ; et similiter nec haec: « paternitas est Pater », si ly « Pater » adjective sumatur ; vel: « paternitas est innascibilis. »

 Il y en a cependant qui impliquent ce mode no pas en le signifiant, mais donnent à le comprendre à partir de leur manière de signifier, tout comme ceux qui signifient à la manière d’un acte car les actes appartiennent aux suppôts. D’où il résulte que de tels adjectifs ne peuvent être proprement attribués qu’aux personnes qui sont les suppôts de la nature divine et non pas cependant à la propriété ou à l’essence qui sont signifiées à la manière d’une forme. D’où il résulte que ce n’est pas proprement qu’on dit que la paternité engendre ou que la paternité crée ; et de même aussi ceux qui signifient concrètement donnent à entendre le mode des personnes. D’où la proposition suivante n’est pas proprement formulée : «La paternité est sage», tout comme d’autres de même sorte ; et il en est de même pour la proposition suivante : «la paternité est le Père», si ce «Père» est pris comme un adjectif ; et il en est encore de même pour la proposition suivante : «la paternité est innascible».

[2385] Super Sent., lib. 1 d. 33 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis sint idem secundum rem, tamen secundum rationem differunt ; et ideo potest aliquid de uno dici quod de altero proprie non dicitur.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que les propriétés et l’essence soient identiques en réalité, ils diffèrent cependant par la raison ; et c’est pourquoi quelque chose peut être attribué à l’une et ne pas être attribué proprement à l’autre.

[2386] d. 33 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa adjectiva negativa non dant intelligere aliquem modum determinatum, qui pertineat proprie ad essentiam vel personam ; sed dicunt conditiones, quae possunt consequi quidem utrumque quantum ad modum significandi.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que ces adjectifs négatifs ne donnent pas à entendre un mode déterminé qui appartiendrait proprement à l’essence ou à la personne ; mais ils signifient des conditions qui peuvent certes découler des deux quant au mode de signifier.

[2387] d. 33 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod adjectiva personalia non magis conveniunt cum proprietatibus quam essentialia, quantum ad modum significandi per nomen, quamvis magis conveniant quantum ad rationem generis ; quia adjectiva personalia et proprietates significant ad aliquid, et ideo eadem ratione non possunt de proprietatibus praedicari qua nec essentialia. Tamen de ipsa essentia divina magis proprie praedicantur essentialia adjectiva, quam personalia de proprietatibus ; quia proprietas significatur ut ratio quaedam personae ; unde quantum ad modum significandi magis elongatur a perfectione suppositi quam essentia, quae dicit totum esse suppositi, licet alio modo significatum. Sed tamen personalia adjectiva de essentia omnino praedicari non possunt, propter distinctionem quam significant, quae est opposita modo essentiae.

 3. Il faut dire en troisième lieu que les adjectifs personnels ne conviennent pas davantage aux propriétés que les adjectifs essentiels quant au mode de signifier par le nom, bien qu’ils conviennent davantage quant à la raison formelle du genre ; car les adjectifs personnels et les propriétés signifient relativement, et c’est pourquoi les adjectifs personnels, pour la même raison qui fait que les adjectifs essentiels ne le peuvent, ne peuvent s’attribuer aux propriétés. Cependant les adjectifs essentiels s’attribuent plus proprement à l’essence divine que les adjectifs personnels ne s’attribuent aux propriétés ; car la propriété est signifiée comme une forme de la personne ; d’où il suit quant au mode de signifier qu’elle s’éloigne davantage de la perfection du suppôt que l’essence qui signifie tout l’être du suppôt bien qu’il soit signifié d’une autre manière. Cependant les adjectifs personnels ne peuvent absolument pas être attribués à l’essence à cause de la distinction qu’ils signifient, laquelle est opposée au mode de l’essence.

[2388] d. 33 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod « generare » significat idem cum paternitate in re, sed differt in modo significandi ; quia « generare » significat ut egrediens a supposito ; et quia paternitas non significatur ut suppositum, non potest generare de ea praedicari.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que ¨engendrer¨ signifie en réalité la même chose que la paternité, mais elle en diffère par le mode de signifier ; car ¨engendrer¨ signifie à la manière de ce qui sort d’un suppôt et parce que la paternité n’est pas signifiée comme un suppôt, ¨engendrer¨ ne peut lui être attribué.

 

 

Articulus 5 [2389] d. 33 q. 1 a. 5 tit. Utrum contrariae opiniones de notionibus possint esse sine peccato

Article 5 – Les opinions contraires concernant les notions peuvent-elles être sans péché ?

[2390] d. 33 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod contrariae opiniones de notionibus non possint esse sine peccato. Sicut enim dicit Augustinus, lib. I De Trin., cap. III, col. 822, nec periculosius alicubi erratur quam in materia Trinitatis. Sed contrariae opiniones de notionibus non possunt esse sine errore alicujus. Ergo cum iste error sit circa materiam Trinitatis, videtur quod sit periculosissimus.

Difficultés:

1. Il semble que les opinions contraires au sujet des notions ne peuvent être sans péché. En effet, comme le dit Saint-Augustin [1 De la Trinité, ch. 111, col. 822]: «Nulle part l’erreur n’est plus dangereuse qu’en matière trinitaire». Mais les opinions contraires sur les notions ne peuvent être sans erreur à ce sujet. Donc puisque cette erreur porte sur la matière de la Trinité, il semble qu’elle soit la plus dangereuse.

[2391] d. 33 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, duorum contradictoriorum oportet alterum esse falsum. Sed quidam dicunt non esse proprietates, et quidam esse infinitas, et quidam quinque, et quidam essentiam, et quidam non ; quae contradictorie opponuntur. Ergo videtur quod ex altera parte interveniat mendacium. Sed secundum Augustinum, lib. De mendacio, cap. XXI, omnium mendaciorum gravissimum est quod est circa divina. Ergo videtur quod ista contrarietas sine peccato non possit esse.

2. Par ailleurs, de deux contradictoires, il faut que l’une soit fausse. Mais certains disent qu’elles ne sont pas les propriétés, d’autres qu’elles sont infinies, d’autres qu’elles sont au nombre de cinq, d’autres qu’elles sont l’essence et d’autres encore qu’elles ne sont pas l’essence ; mais ces opinions s’opposent par la contradiction. Il semble donc qu’il y ait mensonge d’un côté ou de l’autre. Mais d’après Saint-Augustin [Sur le Mensonge, ch. XXI], le plus grave de tous les mensonges est celui qui porte sur Dieu. Il semble donc que cette contrariété ne puisse être sans mensonge.

[2392] d. 33 q. 1 a. 5 arg. 3 Si dicas, quod excusantur propter hoc quod de notionibus nihil in sacra Scriptura habetur, et ita licuit unicuique opinari quod voluit ; contra. Aut enim sacra Scriptura dicitur canon Bibliae, aut dicta sanctorum patrum. Si canon Bibliae, sicut nec de notionibus, ita etiam nec de personis ibi fit mentio. Ergo per eamdem rationem liceret negare personas, vel diversificari circa numerum personarum: quod tamen haereticum judicaretur. Si dicta sanctorum patrum, contra expresse inveniuntur facere mentionem de proprietatibus, sicut patet in multis auctoritatibus inductis [dictis éd. de Parme]. Ergo videtur quod omnino excusari non possint.

 3. Mais si tu dis que ces erreurs peuvent s’excuser du fait que rien n’est établi dans les Saintes Écritures au sujet des notions et qu’il est ainsi permis à chacun d’en penser ce qu’il veut, j’objecte ceci : ou bien en effet par les Saintes Écritures on veut dire le canon de la Bible ou bien on dit les paroles des saints pères. Si on veut dire le canon de la Bible, on ne fait là mention ni des personnes ni des notions. Donc pour la même raison il serait permis de nier les personnes ou de varier d’opinion sur le nombre des personnes : ce qui serait considéré comme hérétique. Mais si par là on parle des paroles des saints pères, on fait là par contre clairement mention des propriétés, comme on le voit dans de nombreux témoignages qui y sont introduits [dits Éd. de Parme]. Il semble donc que ces erreurs ne puissent absolument pas être excusées.

[2393] d. 33 q. 1 a. 5 s. c. 1 Contra, omne peccatum vel est fidei, vel morum. Sed circa istam contrarietatem non incidit peccatum morum, quia hoc peccatum est circa actiones ; nec etiam peccatum fidei, quia nullus articulus fidei negatur. Ergo videtur quod sit sine peccato.

 Cependant :

1. Au contraire, tout péché porte soit sur un article de foi, soit sur le comportement. Mais par rapport à cette contrariété le péché ne porte pas sur le comportement car ce dernier péché se rapporte aux actions ; et il ne s’agit pas non plus d’un péché sur la foi car aucun article de foi n’y est nié. Il semble donc que les opinions contraires sur les notions soient sans péché.

[2394] d. 33 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod contrarie opinari de aliquo, potest esse dupliciter: vel quod pertineat ad religionem fidei, vel quod non pertineat. Et si quidem sit de non pertinentibus ad fidem, quibus positis vel remotis nihil inconveniens fidei sequatur, nullum peccatum est, nisi forte per accidens, scilicet praesumptionis in eo qui nimis asserit quod dubium est, vel mendacii, vel inanis gloriae, vel multorum aliorum: quia causae per accidens sunt infinitae, secundum Philosophum, II Physic., text. 23 et II Metaph., text. 6.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’avoir une opinion contraire sur un sujet peut se présenter de deux manières : soit l’opinion se rapporte à un article de la foi, soit elle ne s’y rapporte pas. Et si elle concerne des énoncés qui ne se rapportent pas à la foi et qu’il ne s’ensuive aucune difficulté pour la foi de les affirmer ou de les nier, il n’y a aucun péché, sauf accidentellement celui de présomption chez celui qui affirme avec trop d’insistance ce qui est douteux, ou encore celui de mensonge, de vaine gloire ou de nombreux autres défauts : car les causes par accident sont infinies selon le Philosophe [11 Physique, texte 23 et 11 Métaphysique, texte 6]

Si autem est contradictio de his quae ad fidem pertinent, hoc potest esse dupliciter.

Vel quia est de illis quae expresse in articulis fidei continentur, quos scire omnes tenentur ; et circa talia contradictio non est sine peccato in altero, vel erroris simplicis, vel haeresis si pertinacia adjungatur.

 Mais s’il se présente une contradiction dans cette opinion par rapport au contenu de la foi, cela est possible de deux manières.

Soit parce qu’elle porte sur ce qui est clairement contenu dans les articles de la foi que tous sont tenus de savoir ; et pour les contradictoires de cette sorte l’une d’elles n’est pas sans péché, qu’il s’agisse d’un péché d’erreur simple ou d’hérésie s’il s’y ajoute de l’entêtement.

Vel est de illis ad quae consequitur aliquid inconveniens et contrarium fidei, licet in fide expressum non sit nec determinatum ; et tunc ante pertractationem per quam scitur quod aliquid inconveniens fidei sequitur, potest utrumque sine peccato opinari, et maxime si pertinacia non adjungatur.

 Soit parce qu’elle porte sur des énoncés d’où découlent des difficultés et des contrariétés relativement au contenu de la foi, bien que ces énoncés eux-mêmes ne soient pas clairement exprimés et fixés dans la foi ; et alors, avant l’approfondissement qui permet de savoir qu’un inconvénient s’ensuit pour la foi, les deux contradictoires peuvent être pensées sans qu’il y ait péché, surtout s’il ne s’y ajoute pas de l’entêtement.

Sed pertractata veritate et viso quid sequitur, idem judicium est de his et de illis quae determinata sunt in fide, quia ad unum sequitur alterum: sicut si aliquis simplex et Scripturas ignorans, crederet Jacob patrem Isaac fuisse (ad quod sequitur Scripturam esse falsam, quod est expresse contra fidem) antequam sequi ostenderetur sibi, posset ejus opinio sine peccato esse ; sed ostenso quod sequitur Scripturam esse falsam, si adhuc in opinione pertinaciter persisteret, haereticus judicandus esset. Ita est etiam de notionibus de quibus nihil est expresse in fide determinatum.

 Mais une fois qu’on a touché la vérité et vu ce qui s’ensuit, le jugement qu’on doit porter sur ces énoncés doit aller dans le même sens que celui qu’on porte sur ceux qui ont été fixés clairement dans le contenu de la foi car ces derniers sont le fondement du jugement qu’on doit porter sur les premiers : par exemple, si quelqu’un de simple et ignorant les Écritures croyait que Jacob a été le père d’Isaac (d’où il s’ensuit que les Écritures sont fausses, ce qui s’oppose expressément à la foi), avant qu’on lui montre ce qui s’ensuit, son opinion pourrait être sans péché ; mais lui ayant montré qu’il s’ensuit que les Écritures sont fausses, s’il persistait encore avec entêtement dans son opinion, il devrait être jugé comme un hérétique. Et il en est encore de même pour les notions au sujet desquelles rien n’a été clairement défini dans la foi.

Tamen ex errore circa notiones sequitur error circa personas et circa fidem ; sicut si ponantur relationes esse assistentes tantum, sequitur vel compositio in Deo, vel distinctio non secundum rem, sed secundum rationem: quod est Sabellianae impietatis ; et ideo Porretanus, qui primo hoc posuerat, post, viso hoc [viso quod hinc éd. de Parme] sequitur, retractavit.

Cependant, à partir d’une erreur sur les notions il s’ensuit une erreur sur les personnes et sur la foi ; par exemple, si on affirmait que les relations sont seulement ¨assistantes¨, il s’ensuit soit qu’il y a composition en Dieu, soit qu’il y a en Dieu distinction selon la raison seulement et non une distinction réelle, ce qui constitue l’impiété de Sabellius ; et c’est pourquoi Gilbert de la Porrée, qui avait d’abord affirmé cela, ayant vu par la suite ce [ayant vu que de là Ed. de Parme] qui s’ensuit, se rétracta.

Similiter etiam qui proprietates negant, non omnino ponunt eas non esse ; immo implicite ponunt eas in personis et eas esse personas. Sed si omnino negarentur esse, haereticum esset ; et similiter pertinaciter defendere quod relationes sunt tantum assistentes, haereticum esset: et ideo haeretici in Littera appellantur.

 Et de la même manière encore ceux qui nient les propriétés n’affirment pas de manière absolue qu’elles n’existent pas ; bien plutôt ils les posent implicitement dans les personnes et affirment qu’elles sont les personnes. Mais s’ils niaient absolument qu’elles existent, ils seraient hérétiques ; et de la même manière, il serait hérétique de soutenir avec entêtement que les relations sont seulement ¨assistantes¨. Et c’est pourquoi on les appelle hérétiques dans la Lettre.

[2395] d. 33 q. 1 a. 5 ad arg. Et per hoc patet responsio ad ea quae objecta sunt.

 Solutions:

Et par là on voit les réponses à ces difficultés.

 

 

Distinctio 34

Distinction 34 – [L’essence et la Personne]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

Distinctio 34

Hic est triplex quaestio.

Prima de comparatione essentiae ad personam.

Secunda de appropriatione quae in littera ponitur.

Tertia de his quae translative de Deo dicuntur.

Circa primum quaeruntur duo:

1 utrum essentia sit persona ;

2 utrum possit dici, quod tres personae sint unius essentiae.

 Distinction 34.

L’examen porte ici sur trois points.

En premier lieu sur la comparaison de l’essence à la personne.

Deuxièmement sur l’appropriation qu’on pose dans la Lettre.

Troisièmement sur les choses qui se disent de Dieu par translation.

Au sujet du premier point on cherche à répondre à deux questions :

1. Est-ce que l’essence est la personne ?

2. Est-ce qu’on peut dire que les trois personnes appartiennent à une seule et même essence?

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La comparaison de l’essence avec la personne].

 

 

Articulus 1 [2398] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 tit. Utrum persona et essentia in divinis sint idem

Article 1 – La personne et l’essence sont-elles une même chose en Dieu ?

[2399] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod persona et essentia in divinis non sunt idem. Omnis enim persona vel hypostasis in divinis aut est generans, vel genita, vel procedens. Sed essentia non est hujusmodi, ut supra, dist. 5, quaest. 1, art. 1, dictum est. Ergo et cetera.

Difficultés :

1. Il semble que la personne et l’essence ne soient pas identiques en Dieu. En effet, toute personne ou toute hypostase en Dieu est ou bien celui qui engendre, celui est qui est engendré ou celui qui procède. Mais l’essence n’est rien de tel, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 5, quest. 1, art. 1]. Elles ne sont donc pas identiques.

[2400] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, affirmatio et negatio nunquam verificantur de eodem. Verificantur autem de essentia et persona ; quia essentia non est distincta, persona est distincta. Ergo persona et essentia non sunt idem.

 2. Par ailleurs, l’affirmation et la négation ne se vérifient jamais simultanément du même. Mais elles se vérifient de l’essence et de la personne ; car l’essence n’est pas distincte alors que la personne est distincte. Donc la personne et l’essence ne sont pas identiques.

[2401] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 3 Item, omnis persona vel hypostasis est suppositum alicujus naturae. Sed idem non potest sibi ipsi supponi. Ergo persona et essentia non sunt idem.

 3. En outre, toute personne ou toute hypostase est le suppôt de quelque nature. Mais le même ne peut être un suppôt pour soi-même. Donc la personne et l’essence ne sont pas identiques.

[2402] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne proprium se habet ex additione ad commune. Sed essentia est communis, persona autem est proprium. Ergo persona se habet ex additione ad essentiam. Non igitur sunt omnino idem.

 4. Par ailleurs, tout ce qui est propre se présente comme une addition à ce qui est commun. Mais l’essence est commune et la personne est propre. Donc la personne se présente comme une addition à l’essence. Elles ne sont donc pas absolument identiques.

[2403] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 arg. 5 Item, nulla duo uniuntur in eo quod omnino idem est utrique ; quia jam in nullo distingui possent. Sed duae personae, ut Pater et Filius, uniuntur in essentia. Ergo essentia non omnino idem est utrique personae.

 5. De plus, en aucun cas deux réalités ne peuvent être unies dans ce qui est absolument identique aux deux car déjà elles ne pourraient être distinguées en rien. Mais deux personnes, comme le Père et le Fils, sont unies dans l’essence. Donc l’essence n’est pas absolument identique aux deux personnes.

[2404] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, per Boetium, De Trinit., cap. II, col. 1250, in divinis idem est quo est et quod est. Sed essentia significatur ut quo est, persona ut quod est. Ergo idem est essentia et persona.

 Cependant :

1. Au contraire, selon Boèce [De la Trinité, ch. 11, col. 1250], ce qui est et ce par quoi il est sont identiques en Dieu. Mais l’essence est signifiée comme ce par quoi il est et la personne comme ce qui est. Donc l’essence et la personne sont identiques.

[2405] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, si persona Patris non est ipsa deitas qua Deus dicitur, Pater dicetur Deus participatione alicujus naturae. Sed illud cujus participatione aliquid denominat [denominatur Éd. de Parme), est majus et perfectius, quantum ad illud genus secundum quod denominatur, quam ipsum participans, ut supra habitum est, 22 dist., et Dionysius etiam dicit, cap. XII De div. Nom., quod participationes excedunt ipsa participantia. Ergo sequeretur quod aliquid quod non est Pater, scilicet ipsa divinitas, esset majus et perfectius Patre ; quod est inconveniens. Ergo oportet quod essentia et persona sint omnino idem.

 2. Par ailleurs, si la personne du Père n’est pas la divinité même par laquelle il est appelé Dieu, le Père sera appelé Dieu par la participation d’une nature. Mais ce par la participation de quoi quelque chose dénomme [est dénommé Éd. de Parme] est plus grand et plus parfait quant à ce genre selon lequel il est dénommé que celui-là même qui en participe, ainsi que nous l’avons établi plus haut à la distinction 22 et ainsi que le dit aussi Denys [Les Noms Divins, ch. XII] lorsqu’il affirme que les participations transcendent ceux-là même qui en participent. Il s’ensuivrait donc que quelque chose qui n’est pas le Père, à savoir la divinité elle-même, serait plus grande et plus parfaite que le Père, ce qui est absurde. Il faut donc que l’essence et la personne soient absolument identiques.

[2406] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, sequeretur, si essentia esset alia res a tribus personis, quod essent quatuor res in divinis: quod est haereticum.

 3. Par ailleurs, il s’ensuivrait, si l’essence était autre en réalité que les trois personnes, qu’il y aurait quatre réalités en Dieu : ce qui est hérétique.

[2407] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod persona et essentia omnino re in divinis non distinguuntur. In illis enim in quibus aliud est essentia quam hypostasis vel suppositum, oportet quod sit aliquid materiale, per quod natura communis individuetur et determinetur ad hoc singulare. Unde illam determinationem materiae vel alicujus quod loco materiae se habet, addit in creaturis hypostasis supra essentiam et naturam ; unde non omnino ista in creaturis idem sunt.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire qu’en Dieu la personne et l’essence ne diffèrent absolument pas quant à la réalité. En effet, dans les choses dans lesquelles l’essence est autre que l’hypostase ou le suppôt, il faut qu’il y ait quelque chose de materiel par quoi la nature commune puisse être individuée et déterminée à cet individu. D’où il résulte que dans les créatures l’hypostase ajoute à l’essence ou à la nature cette determination de la matière ou de quelque chose qui tient lieu de matière; c’est pourquoi dans les creatures l’essence et la personne ne sont pas absolument identiques.

In Deo autem non est natura ipsius subsistens per aliquod ad quod determinatur sicut per materiam ; sed per seipsam est subsistens, et ipsum suum esse subsistens est ; unde natura est ipsum quod subsistit, et esse in quo subsistit: et propter hoc in Deo omnino idem est quo est et quod est. Unde oportet quod omnino idem sint re essentia et persona, etiam si poneretur quod proprietates non essent essentia: quia personae non habent quod sint personae ex hoc quod subsunt proprietatibus, sed ex hoc quod subsunt essentiae ; quia persona dicit individuum subsistens in genere substantiae.

 Mais en Dieu sa nature ne subsiste pas au moyen de quelque chose qui la déterminerait, comme par une matière, à être quelque chose ; mais bien plutôt c’est par elle-même qu’elle subsiste et c’est son être même qui est subsistant ; d’où il résulte que sa nature est cela même qui subsiste et qu’elle est l’être dans laquelle elle subsiste : et c’est pour cette raison qu’en Dieu ce qui est et ce par quoi il est sont absolument identiques. D’où il faut que l’essence et la personne soient absolument identiques dans la réalité, même si on affirmait que les propriétés ne sont pas l’essence : car les personnes ne tiennent pas d’être des personnes du fait de se tenir sous les propriétés mais du fait qu’elles se tiennent sous l’essence ; car la personne dit un individu qui subsiste dans le genre de la substance.

Unde magis est inconveniens ponere differentiam secundum rem inter essentiam et personam, quam inter essentiam et proprietatem. Nihilominus tamen essentia et persona distinguuntur secundum rationem, cui tamen ratio veritatis rei pro fundamento substat. Cum enim in Deo sit summa simplicitas et summa perfectio, utroque modo possumus Deum significare ; scilicet quantum ad simplicitatem per nomina abstracta, et quantum ad perfectionem per nomina concreta, quae significant aliquid subsistens.

 D’où il est plus problématique de poser une différence réelle entre l’essence et la personne qu’entre l’essence et la propriété. Néanmoins cependant l’essence et la personne se distinguent selon la raison, distinction sous laquelle cependant se tient la vérité de la chose comme fondement. En effet, puisqu’il y a en Dieu la plus grande simplicité et la plus grande perfection, nous pouvons signifier Dieu de deux manières, à savoir quant à la simplicité au moyen des noms abstraits, et quant à la perfection au moyen des noms concrets qui signifient quelque chose de subsistant.

Item, in divinis invenimus aliquid commune secundum rem, et aliquid proprium. Sic ergo ratio personae duo includit in divinis: nomine enim personae significatur Deus ut subsistens, et ut proprium ; sed nomine essentiae significatur ut simplex [simpliciter Éd. de Parme], non autem ut subsistens, et significatur ut commune ; sed nomine paternitatis non significatur ut subsistens, sed ut proprium, non quidem ut distinctum, sed ut distinguens.

 En outre nous retrouvons en Dieu quelque chose de commun selon la réalité et quelque chose de propre. Ainsi donc la noton de personne inclut deux aspects en Dieu : en effet par le nom de personne Dieu est signifié comme subsistant et comme propre ; mais par le nom d’essence il est signifié comme simple [simplement Éd. de Parme], mais non comme subsistant, et il est signifié comme commun ; mais par le nom de paternité il n’est pas signifié comme subsistant mais comme propre, et non pas comme étant distinct, mais comme ce qui distingue.

Et sic patet quod persona re ab essentia et proprietate non differt, sed secundum rationem tantum, per quam utrumque significatur ut formale respectu personae, quantum ad duo quae sunt de intellectu personae: quia essentia significatur ut forma ejus, inquantum est subsistens ; et proprietas ut forma ejus, inquantum est proprium vel incommunicabile.

 Et ainsi il est clair que la personne ne diffère pas en réalité de l’essence et de la propriété, mais seulement par la raison par laquelle l’une et l’autre est signifiée comme formellement par rapport à la personne quant à deux aspects qui font partie de l’intelligibilité de la personne : car l’essence est signifiée comme sa forme en tant qu’elle est subsistante et la propriété comme sa forme en tant qu’elle est propre et incommunicable.

[2408] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod generare et similes actus attribuuntur personae divinae secundum duplicem modum significandi quo ab essentia distinguitur: tum quia significant relationes distinguentes personas ; tum quia significant per modum actus. Actus autem omnis est rei subsistentis et perfectae ; et ideo non possunt essentiae attribui ex hoc quod attribuuntur hypostasi ; quia hypostasi attribuuntur secundum id in quo non est idem cum essentia ; et ideo incidit fallacia accidentis in processu.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ¨engendrer¨ et les actes semblables sont attribués à la personne divine d’après deux manières de signifier par lesquelles elle se distingue de l’essence : tant parce qu’ils signifient les relations qui distinguent les personnes que parce qu’ils signifient à la manière d’un acte. Mais tout acte appartient à une chose subsistante et parfaite ; et c’est pourquoi les actes ne peuvent être attribués à l’essence du fait qu’ils sont attribués à l’hypostase pour cette raison qu’ils s’attribuent à l’hypostase d’après ce qui la distingue de l’essence ; et c’est pourquoi on retrouve dans cet argument un sophisme de l’accident.

[2409] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod de eodem, secundum quod idem est, impossibile est aliquid idem affirmare et negare ; sed si in aliquo distinguantur affirmationes et negationes pertinentes ad illam distinctionem, de ipso verificari poterunt: quia omnis distinctio, sive rei sive rationis, fundatur in affirmatione et negatione, sicut patet etiam in synonimis ; tunica enim et vestis eamdem rem significant, tamen nomina sunt diversa ; et similiter indumentum.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que pour un même être, en tant qu’il est le même, il est impossible d’affirmer et de nier la même chose ; mais si les affirmations et les négations qui se rapportent à cette distinction diffèrent en quelque chose, elles pourront se vérifier de lui : car toute distinction, qu’il s’agisse d’une distinction réelle ou d’une distinction de raison, se fonde sur l’affirmation et la négation tout comme on le voit aussi dans les synonymes ; en effet, tunique et vêtement signifient la même chose et cependant les noms sont différents et il en est de même pour manteau.

Unde affirmationes et negationes quae pertinent ad rem, non possunt verificari, ut dicatur: tunica est alba, indumentum non est album ; sed affirmationes et negationes quae pertinent ad ipsa nomina, possunt verificari, ut dicatur: indumentum est neutri generis, vestis non est neutri generis. Ita etiam cum persona et essentia sint idem secundum rem, nihil quod ad naturam rei pertinet, quod praedicatur de essentia, potest negari de persona, ut dicatur, quod essentia est increata, et persona non est increata ; essentia est Deus, et persona non est Deus ; vel aliquid hujusmodi.

 D’où les affirmations et les négations qui se rapportent à la réalité ne peuvent se vérifier, comme si on disait : la tunique est blanche et le manteau n’est pas blanc ; mais les affirmations et les négations qui se rapportent aux noms eux-mêmes peuvent se vérifier comme lorsqu’on dit : ¨indumentum¨, en latin, est un terme qui a pour genre le neutre mais ¨vestis¨, en latin est un terme qui n’a pas pour genre le neutre. Il en est de même encore lorsque la personne et l’essence sont identiques en réalité, car rien de ce qui appartient à la nature de la réalité et qui est attribué à l’essence ne peut être nié de la personne, par exemple si on disait que l’essence est incréée et que la personne n’est pas incréée, que l’essence est Dieu et que la personne n’est pas Dieu, ou quelque chose de la sorte.

Sed quia ratione distinguuntur, quidquid pertinet ad rationem illam in qua distinguuntur, quod praedicatur de uno, potest negari de altero, ut dicatur, quod essentia est communis, persona non est communis ; persona generat, essentia non generat: et sic de aliis. Unde in omnibus talibus non idem attribuitur essentiae et personae.

 Mais parce que la personne et l’essence se distinguent par la raison, tout ce qui se rapporte à cet aspect sous lequel elles se distinguent et qui s’attribue à l’une peut être nié de l’autre, comme lorsqu’on dit que l’essence est commune et que la personne n’est pas commune, que la personne engendre et que l’essence n’engendre pas : et il en est de même pour d’autres prédicats. D’où il résulte que dans tous les cas de cette sorte ce n’est pas la même chose qui est attribué à l’essence et à la personne.

[2410] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod proprie loquendo, non est in divinis aliquid sub alio ; unde supra, 8 dist., Augustinus non recipit nomen substantiae in divinis ; et etiam Richardus de s. Victore nomen subsistentiae in nomen existentiae mutavit. Unde etiam nec proprie ibi suppositum dicitur, ut suppositio ad rem referatur. Sed utimur talibus nominibus secundum intellectum nostrum, qui accipit in divinis aliquid respondens illis duobus in creaturis, quorum unum alteri supponitur, sicut res per se existens supponitur formae communi simplici ; et intellectus accipit aliquid simpliciter in Deo, quod respondet formae, et aliquid subsistens, quod idem est re cum simplici ; et ideo rem subsistentem in divinis nominat suppositum naturae simplicis.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’à proprement parler, en Dieu rien ne se tient sous quelque chose d’autre ; d’où, comme nous l’avons vu plus haut à la distinction 8, Augustin n’admet pas le nom de substance pour Dieu ; et même Richard de Saint-Victor a changé le nom de subsistance en le nom d’existence pour Dieu. D’où encore suppôt ne se dit pas là proprement de manière à rapporter la supposition à une réalité. Mais nous nous servons de tels noms conformément à notre intelligence qui admet en Dieu quelque chose qui correspond à ces deux aspects dans les créatures, dont l’une est supposée à l’autre, comme la réalité qui existe par elle-même est supposée à la forme commune simple ; et l’intelligence admet en Dieu quelque chose de simple qui correspond à la forme, et quelque chose de subsistant qui est identique en réalité avec ce qui est simple ; et c’est pourquoi le suppôt d’une nature simple nomme une réalité subsistante en Dieu.

[2411] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod commune est duplex.

Quoddam enim commune est secundum rationem ; et istud per additionem alicujus proprii contrahitur et determinatur ; sicut genus per additionem differentiae, et species per materiam individuatur.

Aliud est commune re, quod quidem manet indivisum ; unde non oportet quod aliquo addito determinetur ; sicut est essentia in tribus personis.

 

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il y a deux sortes de commun.

Il y a en effet un commun selon la raison et ce dernier est limité et déterminé par l’addition d’une propriété, tout comme le genre l’est par l’addition d’une différence et que l’espèce est individuée par la matière.

L’autre est un commun réel qui demeure certes indivisé ; d’où il ne faut pas qu’il soit déterminé ou limité par une addition, tout comme c’est le cas pour l’essence dans les trois personnes.

Sed verum est quod oportet de intellectu personae esse aliquam rationem, scilicet relationis, quae non est de intellectu essentiae ; quae tamen relatio re ab ipsa essentia non differt ; unde nec compositionem facit, nec in aliquo realiter personam ab essentia distinguit, sed personam a persona.

 Mais il est vrai qu’il faut qu’il y ait une notion au sujet de l’intelligibilité de la personne, à savoir celle de la relation, qui ne fasse pas partie de l’intelligibilité de l’essence. Et cependant cette relation ne diffère pas en réalité de l’essence elle-même ; d’où elle ne fait pas composition avec elle et ne distingue en rien dans la réalité la personne de l’essence, mais seulement une personne d’une autre.

[2412] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod tres personae uniuntur in essentia, quae omnino secundum rem idem est unicuique illarum ; tamen differt secundum rationem ab unaquaque, prout persona includit in se intellectum relationis ; quae relatio, quamvis, comparata ad essentiam, ratione tantum differat ab ea, tamen comparata ad suum relatum cui opponitur, realem distinctionem facit.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que les trois personnes sont unies dans l’essence, laquelle en réalité est absolument identique à chacune d’elles ; cependant elle diffère par la raison de chacune d’elles, dans la mesure où la personne inclut en elle l’intelligence de la relation ; mais cette relation, bien que comparée à l’essence elle en diffère seulement par la raison, cependant, comparée à ce relatif auquel elle s’oppose elle fait une distinction réelle.

Non enim relatio distinguit realiter, nisi secundum oppositionem respectus quam habet. Illa autem oppositio non est ad hoc in quo relatio habet esse, sed ad hoc ad quod dicitur ; et ideo relatio non distinguitur realiter ab essentia et persona in qua est, sed a persona alia ad quam dicitur.

 En effet, la relation ne distingue réellement que selon l’opposition de la considération qu’elle fait. Mais cette opposition n’est pas par rapport à ce dans quoi la relation a l’existence, mais par rapport à ce à l’égard de quoi elle se dit ; et c’est pourquoi la relation ne se distingue pas réellement de l’essence et de la personne dans laquelle elle existe, mais de l’autre personne par rapport à laquelle elle se dit.

 

 

Articulus 2 [2413] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 tit. Utrum tres personas esse unius essentiae convenienter dicatur

Article 2 – Dit-on convenablement que les trois personnes sont d’une seule essence ?

[2414] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur inconvenienter dici, quod tres personae sint unius essentiae. Quia secundum grammaticum, obliqui transitivi sunt. Sed constructio transitiva exigit diversitatem eorum quae construuntur. Cum igitur essentia non sit diversa a persona, videtur inconvenienter dici, tres personas esse unius essentiae.

Difficultés :

1. Il semble que ce ne soit pas avec raison qu’on dise des trois personnes qu’elles sont d’une seule et même essence. Car selon le grammairien, les obliques sont transitifs. Mais la construction transitive exige la diversité de ce qui est construit. Donc, puisque l’essence n’est pas différente de la personne, il semble qu’on ait tort de dire que les trois personnes sont d’une seule et même essence.

[2415] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 2 Si dicas, quod genitivi illi construuntur intransitive, sicut cum dicitur donum Spiritus sancti, idest quod est Spiritus sanctus ; contra. Sicut tres personae sunt una essentia, ita etiam sunt unus Deus. Ergo si illa ratio sufficit, adhuc videtur quod similiter possit dici, esse tres personas unius Dei, quod in Littera negatur.

 2. Si tu dis que ces cas génitifs sont construits d’une manière intransitive, comme lorsqu’on parle du don de l’Esprit-Saint, c’est-à-dire de ce don qui est l’Esprit-Saint ; je réponds par contre que tout comme les trois personnes sont une seule essence, de même encore elles sont un seul Dieu. Donc, si cette raison suffit, il semble encore qu’on puisse semblablement dire que les trois personnes sont d’un seul Dieu, ce qui est nié dans la Lettre.

[2416] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, omnis constructio obliqui potest exponi per aliquam praepositionem cum causali. Sed haec est falsa, quod tres personae sunt ex eadem essentia, vel de eadem essentia [de eadem essentia om. Éd. de Parme], vel per eadem. Ergo videtur quod haec etiam sit falsa, quod tres personae sunt unius essentiae.

 3. En outre, toute construction oblique peut être présentée au moyen d’une préposition avec une causale. Mais cette proposition est fausse, à savoir que les trois personnes procèdent d’une même essence, qu’elles soient d’une même essence [d’une même essence om. Éd. de Parme], ou par une même essence. Il semble donc que celle-ci aussi soit fausse, à savoir que les trois personnes sont d’une même essence.

[2417] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, eadem est ratio rei et unius rei, ut dicit Philosophus, IV Metaph., text. 3. Si igitur tres personae sunt unius essentiae, convenienter poterit dici, quod tres personae sunt essentiae, quod nihil dictum videtur [nihil est dictum Éd. de Parme]. Ergo nec primum.

 4. Par ailleurs la définition d’une chose et celle d’une même chose sont identiques, comme le dit le Philosophe [IV Métaphysique, texte 3]. Si donc les trois personnes sont d’une même essence, on pourra dire avec raison que les trois personnes sont de l’essence, ce qui ne semble rien [rien n’est dit Éd. de Parme] dire. On ne peut donc dire la première proposition.

[2418] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contra, ut in Littera habetur, ab omnibus Catholicis consensum et defensum est nomen omoousion. Sed hoc nihil aliud est quam esse unius essentiae, ut in Littera dicitur. Ergo tres personae sunt unius essentiae.

 Cependant :

1. Au contraire, comme on l’établit dans la Lettre, le terme «omoousion» est admis et défendu par tous les Catholiques. Mais ce terme ne signifie rien d’autre que d’être d’une même essence, comme on le dit dans la Lettre. Donc, les trois personnes sont d’une même essence.

[2419] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ista simpliciter concedenda est: « Tres personae sunt unius essentiae ». Quamvis enim quatuor sint causae in rebus creatis, non tamen habitudines omnium causarum in Deo inveniuntur. Habitudo autem causae materialis non competit Deo nec respectu alicujus quod in ipso est, nec respectu ejus quod in creaturis est: quia materia imperfecta est et in potentia.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que cette proposition doit être concédée absolument : «Les trois personnes sont d’une même essence». En effet, bien qu’il y ait quatre sortes de causes dans les choses créées, cependant en Dieu on ne retrouve pas les rapports de toutes les causes. Mais le rapport de la cause matérielle ne convient à Dieu ni par rapport à ce qui est en lui ni par rapport à ce qu’il est dans les créatures car la matière est imparfaite et en puissance.

Sed habitudo causae finalis est quidem in Deo respectu creaturarum, cujus bonitatem finem omnis creaturae dicimus, non autem respectu alicujus quod in ipso est: non enim una persona est finis alterius, quia ex hoc sequeretur gradus in bonitate. Habitudo autem causae formalis competit Deo et respectu creaturae cujus exemplar est, et respectu ejus quod in ipso est ; tamen ista habitudo non fundatur super aliquam relationem realem, sed secundum modum significandi ; quia aliquid significatur ut forma, sicut essentia, et aliquid ut subsistens in forma, sicut persona.

 Mais le rapport de la cause finale est certes en Dieu par rapport aux créatures dont nous disons que sa bonté est la fin de toute créature mais non pas cependant par rapport à ce qui est en lui : une personne en effet n’est pas la fin d’une autre car il s’ensuivrait de là qu’il y aurait un degré dans la bonté divine. Cependant le rapport de la cause formelle convient à Dieu à la fois par rapport à la créature dont il est le modèle et par rapport à ce qui est en lui : néanmoins ce rapport ne se fonde pas sur une relation réelle mais sur le mode de signifier car quelque chose est signifié en tant que forme, comme l’essence, et quelque chose est signifié comme subsistant dans la forme, à savoir la personne.

Habitudo autem causae efficientis competit Deo et respectu creaturae et respectu ejus quod in ipso est, non quidem essentiae [esse Éd. de Parme], ad personam, sed personae ad personam, quae ab ipsa [ipso Éd. de Parme] est ; nec tamen ista habitudo fundatur supra acceptionem intellectus, sed supra relationem, quae in re est ; ut tamen efficiens large sumatur, quia in divinis non est aliquid faciens et factum: sed est ibi origo unius personae ab alia. Et ideo [ita Éd. de Parme] patet quod omnis constructio in divinis respectu divinorum, vel est secundum habitudinem causae efficientis, ut cum dicitur Filius Patris ; vel secundum habitudinem causae formalis, ut cum dicitur: tres personae sunt unius essentiae. Unde dicendum, quod isti genitivi construuntur in habitudine causae formalis.

 Mais le rapport de la cause efficiente convient à Dieu à la fois par rapport à la créature et par rapport à ce qui est en lui, non pas certes de l’essence [l’être Éd. de Parme] à la personne, mais de la personne à la personne qui procède d’elle [de lui Éd. de Parme] ; et cependans ce rapport ne se fonde pas sur une acception de l’intelligence mais sur une relation qui est dans la réalité, si on prend cependant la cause efficiente au sens large car en Dieu il n’y a pas au sens strict de cause productrice et de produit : mais il y a plutôt là une origine d’une personne par rapport à une autre. Et c’est pourquoi [ainsi Éd. de Parme] il est clair que toute construction en Dieu par rapport aux personnes divines se faut soit selon le rapport de la cause efficiente, comme lorsqu’on dit que le Fils procède du Père, soit selon le rapport de la cause formelle, comme lorsqu’on dit que les trois personnes sont d’une même essence. D’où il faut dire que ces génitifs sont construits dans le rapport de la cause formelle.

[2420] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod quamvis essentia et persona sint idem re, tamen differunt ratione, quia unum ut forma alterius significatur ; et talis diversitas sufficit ad grammaticum, qui modos significandi per nomen considerat.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que l’essence et la personne soient identiques en réalité, cependant elles diffèrent par la raison car l’une est signifiée comme la forme de l’autre ; et une telle diversité suffit au grammairien qui considère les modes de signifier au moyen du nom.

[2421] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est ibi omnino constructio secundum identitatem, sed secundum habitudinem formae, ut dictum est, in corp. art. ; et quia Deus non significatur ut forma trium personarum, ideo non potest dici quod tres personae sint unius Dei: non enim posset intelligi ista constructio, nisi possessive: et similiter propter eamdem rationem dicitur, quod est una essentia trium personarum: non autem quod sit unus Deus trium personarum quia [non… quia om. Éd. de Parme] et in nomine Dei importatur habitudo principii creantis et gubernantis.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il n’y a pas là construction selon l’identité mais selon le rapport de forme, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article ; et parce que Dieu n’est pas signifié comme la forme des trois personnes, c’est pourquoi on ne peut dire que les trois personnes sont d’un seul Dieu : cette construction en effet ne peut s’entendre qu’à la manière d’une possession ; et de la même manière c’est pour la même raison qu’on dit qu’il y a une seule essence qui appartient aux trois personnes mais non pas qu’i y a un seul Dieu qui appartient aux trois personnes car [non…car om. Éd. de Parme] dans le nom de Dieu est impliqué le rapport du principe qui crée et qui gouverne.

[2422] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod hae praepositiones ex et de designant habitudinem alicujus quod se habet ad motum vel operationem sicut initium et non sicut terminus: et ideo designant habitudinem causae efficientis vel materialis, non autem formae vel finis, quae sunt potius ut terminus motus ; et ideo nullo modo potest dici quod tres personae sint ex eadem essentia vel de eadem essentia ; sed potest dici quod sint in eadem essentia ; quia haec praepositio in potest denotare habitudinem causae formalis continentis.

3. Il faut dire en troisième lieu que ces prépositions ¨ex¨, c’est-à-dire ¨à partir de¨ et ¨de¨, à savoir ¨de¨, désignent le rapport de ce qui se présente à l’égard du mouvement ou de l’opération comme le commencement et non comme le terme : et c’est pourquoi elles désignent le rapport de la cause efficiente ou de la cause matérielle, mais non celui de la forme ou de la fin qui sont plutôt comme le terme du mouvement ; et c’est pourquoi on ne peut dire en aucune manière que les trois personnes existent à partir d’une même essence ou qu’elles sont d’une même essence ; mais on peut dire qu’elles sont dans une même essence car cette préposition ¨in¨, à savoir ¨dans¨ peut dénoter le rapport de la cause formelle qui contient.

[2423] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod istae constructiones quae sunt in designatione formae, requirunt duos genitivos, quorum unus significet ipsam formam, et alius determinationem formae ; ut cum dicitur columna mirae altitudinis ; vel unum genitivum habentem vim genitivorum duorum, ut cum dicitur vir sanguinum, idest vir multi sanguinis effusor: et ideo oportet etiam in proposito esse duos genitivos, quorum unus significet ipsam divinam essentiam, et alius designet simplicitatem aut unitatem ejus, vel aliquam aliam essentiae conditionem. Unde potest dici convenienter: tres personae sunt unius essentiae, vel ejusdem essentiae, vel increatae essentiae ; non autem quod sint essentiae simpliciter.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que ces construction qui servent à désigner la forme exigent deux génitifs dont l’un signifie la forme elle-même et l’autre la détermination de la forme, comme lorsqu’on dit que la colonne est d’une hauteur admirable ; ou bien un même génitif qui possède la force de deux génitifs, comme lorsqu’on parle d’un homme de sangs, c’est-à-dire d’un homme qui répand une grande quantité de sang : et c’est pourquoi il faut aussi pour le propos qu’il y ait deux génitifs dont l’un signifie l’essence divine même, et l’autre sa simplicité ou son unité, ou une autre condition de l’essence. D’où on peut dire avec raison que les trois personnes sont d’une même essence, ou de la même essence ou d’essence incréée, et non pas qu’elles sont de l’essence purement simplement.

 

 

 

Question 2 – [L’appropriation qui est placée dans la Lettre].

 

 

Articulus 1 [2424] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 tit. Utrum potentia convenienter attribuatur Patri, sapientia Filio, bonitas Spiritui sancto

Article 1 – La puissance est-elle convenablement attribuée au Père, la sagesse au Fils et la bonté à l’Esprit Saint ?

[2425] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur de appropriatione quae in Littera ponitur. Videtur enim quod sit incompetens. Virtus enim ad potentiam pertinet. Sed virtus appropriatur Filio, 1 Corinth. 1, 24: Christum Dei virtutem. Ergo potentia non debet appropriari Patri, sed Filio.

Difficultés :

1. On s’interroge ensuite sur les appropriations présentées dans la Lettre. Il semble que ces attributions ne soient pas justes. En effet, la force se rapporte à la puissance. Mais la force est appropriée au Fils [1 Corinthiens : 1, 24] : Le Christ, force de Dieu. Donc, la puissance ne doit pas être attribuée au Père mais au Fils.

[2426] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, principium enuntiationis vel pronuntiationis verbi, est ipsa sapientia. Sed dicere verbum, quod est Filius, pertinet ad Patrem, qui est principium ejus. Ergo sapientia debet appropriari Patri potius quam Filio.

 2. Par ailleurs, le principe de l’énonciation ou de la prononciation du verbe est la sagesse elle-même. Mais dire le verbe, lequel est le Fils, appartient au Père qui en est le principe. Donc la sagesse doit être appropriée au Père davantage qu’au fils.

[2427] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, sicut Filius procedit per modum intellectus ut verbum, ita etiam per modum naturae ut Filius. Si ergo sapientia appropriatur Filio, quia procedit per modum intellectus, eadem ratione debet sibi appropriari natura, quia procedit per modum naturae.

 3. En outre, tout comme le Fils procède par mode d’intellect comme verbe, de même encore il procède par mode de nature comme Fils. Si donc la sagesse est appropriée au Fils car il procède par mode d’intellect, pour la même raison la nature doit lui être appropriée car il procède par mode de nature.

[2428] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Dionysium, ap. IV de div. Nom., col. 694, bonum est diffusivum sui ipsius, et est quasi principium fontale omnis emanationis divinae bonitatis. Sed esse fontale principium convenit Patri. Ergo bonitas debet Patri appropriari.

 4. Par ailleurs, d’après Denys [Les Noms Divins, ch. IV, col. 694], il est dans la nature du bien de se répandre, et il est le principe d’où, comme d’une source, procède toute émanation de la bonté divine. Mais il appartient au Père d’être le principe originel. Donc la bonté doit être appropriée au Père.

[2429] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra est quod in Littera dicitur.

 Cependant :

Ce qu’on dit dans la Lettre est contraire à ce qu’on conclut dans ces objections.

[2430] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod nomina personarum dicuntur et de divinis et de rebus creatis, non quidem univoce, sed per prius et posterius ; unde secundum alium modum est paternitas et filiatio in creaturis et in divinis, et ideo appropriatio potest fieri dupliciter:

uno modo, considerando rationes nominum secundum quod de creaturis dicuntur ; et ita appropriatio semper debet fieri per contrarium, ut modus creaturae a creatore excludatur ;

alio modo, considerando rationes nominum secundum quod in divinis inveniuntur ; et ita debet appropriatio fieri per similitudinem ad proprium, ut supra, 31 distinct., qu. 2, art. 1, dictum est.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que les noms des personnes se disent à la fois de Dieu et des choses créées, non pas certes de manière univoque mais par priorité et postériorité ; il résulte de là que c’est selon des modes différents que la paternité et la filiation se retrouvent en Dieu et dans les créatures et c’est pourquoi l’appropriation peut se produire de deux manières : premièrement en considérant les raisons formelles des noms selon qu’ils se disent des créatures et de cette manière l’appropriation se produit toujours par le contraire de telle manière que le mode de la créature soit exclu du créateur ; deuxièmement en considérant les raisons formelles des noms selon qu’ils se rencontent dans les personnes divines et de cette manière l’appropriation se produit toujours par ressemblance à la propriété comme nous l’avons dit plus haut [dist. 31, quest. 2, art. 1].

Utroque autem modo conveniens est ista appropriatio. Si enim considerentur rationes horum nominum secundum modum quo inveniuntur in creaturis, inveniuntur per contrarium facta: quia apud nos invenitur infirmitas in patribus propter senectutem ; unde Patri caelesti potentia attribuitur: invenitur imperitia in filiis propter juventutis motus, et propter inexperientiam ; et ideo Filio Dei sapientia attribuitur.

 Mais cette appropriation est justifiée pour chacune de ces deux manières. Si en effet les raisons formelles de ces noms sont considérées selon le mode par lequel ils se retrouvent dans les créatures, ils se trouvent à avoir été produits par le contraire : car de notre côté il y a une faiblesse qui se rencontre chez les pères en raison de la vieillesse, d’où la puissance est attribuée au Père céleste ; et une ignorance se rencontre chez les fils en raison de l’agitation et de l’inexpérience de la jeunesse et c’est pourquoi la sagesse est attribuée au Fils de Dieu.

Sed nomen spiritus apud nos pertinere solet ad quamdam rigiditatem et inflationem, vel impetuositatem ; unde dicitur Isai. 2, 22: « Quiescite ab homine cujus spiritus in naribus ejus » ; et ideo spiritui sancto bonitas attribuitur ; et hic modus tangitur in littera. Si autem accipiantur rationes nominum prout in divinis sunt, sic etiam poterit fieri per assimilationem ad propria ; ut Patri qui est fontale principium totius divinitatis, potentia ascribatur, quae in ratione sua principium includit: est enim potentia principium transmutationis, ut in V Metaph., text. 17, dicitur: et quia Filius procedit per modum intellectus, qui sapientia perficitur, attribuitur sibi sapientia ; et quia Spiritus sanctus procedit per modum voluntatis, cujus objectum est bonitas, ideo sibi appropriatur bonitas.

Mais de notre côté le nom d’esprit ou de souffle a coutune de se rapporter à une certaine inflexibilité et à un orgueil ou à une violence, d’où l’Écriture [Isaïe, 2, 22] nous dit : «Tenez-vous à l’écart de l’homme dont le souffle ne tient qu’à ses narines» ; et c’est pourquoi la bonté est attribuée à l’Esprit-Saint ; et tel est le mode qui est considéré dans la Lettre.

Mais si on prend les raisons formelles des noms selon qu’ils se retrouvent en Dieu, ainsi encore l’appropriation pourra se présenter par une assimilation aux propriétés, de telle manière qu’au Père, qui est le principe originel de toute divinité, la puissance soit attribuée, laquelle contient la notion de principe dans sa définition. La puissance en effet est un principe de changement ainsi qu’on le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 17] : et parce que le Fils procède par mode d’intelligence qui trouve sa perfection dans la sagesse, c’est pourquoi la sagesse lui est attribuée ; et parce que l’Esprit-Saint procède par mode de volonté dont l’objet est le bien ou la bonté, c’est pourquoi la bonté lui est attribuée.

[2431] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod virtus non nominat potentiam absolute, sed perfectionem potentiae ; unde dicit Philosophus, I caeli et mundi, text. 32, quod virtus est ultimum in re de potentia. Sic ergo potest tripliciter virtus considerari:

vel secundum quod in potentia radicatur, et sic Patri potest appropriari, sicut et potentia:

vel inquantum est id per quod potentia in actum exit, et ita Filio appropriatur, per quem Pater operari dicitur ; unde et Filius brachium Patris dicitur, Job XL, 4: si habes brachium sicut Deus, ut Gregorius exposuit lib. XXXII, Moral., c. V, § 7.

Vel inquantum circa opus bonitatem imponit, unde dicitur 2 Ethic., cap. V, quod virtus est quae bonum facit habentem, et opus ejus bonum reddit, et ita appropriatur Spiritui sancto, sicut et bonitas.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la vertu ne signifie pas la puissance absolument mais la perfection de la puissance, d’où le Philosophe dit [1 Du Ciel et du Monde, texte 32] que la vertu est ce qu’on rencontre en dernier dans la puissance de la chose. Ainsi donc la vertu peut être considérée de trois manières : soit selon qu’elle s’enracine dans la puissance et ainsi elle peut être appropriée au Père tout comme la puissance ; soit selon qu’elle est ce par quoi la puissance passe à l’acte et ainsi elle est appropriée au Fils dont on dit qu’il est celui par lequel le Père opère, d’où le Fils est appelé la main du Père dans les Écritures [Job XL, 4] : si tu as une main, comme Dieu, comme Saint-Grégoire l’expliqua [XXXII La Morale, ch. V, & 7] ; soit selon que la vertu applique la bonté à l’œuvre, d’où l’on dit [11 Éthique, ch. V] que la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et qui rend bonne aussi son œuvre et en ce sens la vertu, tout comme la bonté, est appropriée à l’Esprit-Saint.

[2432] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sapientia ad verbum potest comparari tripliciter: vel sicut idem, vel sicut prius, vel sicut posterius, ita in divinis sicut in humanis. Cum enim verbum dicat quamdam conceptionem intellectus, ista conceptio apud nos oportet quod consequatur aliquod lumen intellectuale, et saltem lumen intellectus agentis, et primorum principiorum ex quibus accipitur conclusio.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que c’est de trois manières que la sagesse peut se comparer au verbe : soit en tant qu’elle lui est identique, soit en tant qu’elle lui est antérieure, soit en tant qu’elle lui est postérieure et ainsi elle est dans les personnes divines comme dans les personnes humaines. En effet, puisque le verbe signifie une certaine conception de l’intelligence, il faut que cette conception en nous découle d’une certaine lumière de l’intellect, et du moins la lumière de l’intellect agent et des premiers principes desquels se tire la conclusion.

Unde si consideretur sapientia apud nos secundum quod consistit in cognitione conclusionis quae mente accipitur, sic est idem quod verbum mentis ; si autem consideretur sapientia secundum quod consistit in lumine intellectus agentis et cognitione primorum principiorum, sic praecedit verbum, quod est conceptio conclusionis ; si autem accipiatur sapientia quae est adgenerata in mente discipuli per verbum magistri, sic sequitur verbum. Ita etiam est in divinis: quia ipsa sapientia genita est idem quod verbum, ut ex praedictis patet, dist. 32, qu. 2, art. 2.

 Il résulte de là que si la sagesse est considérée, de notre côté, selon qu’elle consiste dans la connaissance de la conclusion qui est reçue dans l’intelligence, ainsi elle s’identifie au verbe de l’intelligence ; mais si la sagesse est considérée selon qu’elle consiste dans la lumière de l’intellect agent et dans la connaissance des premiers principes, ainsi elle précède le verbe qui est la conception de la conclusion ; mais si on considère la sagesse qui est engendrée dans l’esprit du disciple par le verbe du maître, alors elle suit le verbe. Et il en est aussi de même chez les personnes divines : car la sagesse même qui est engendrée s’identifie au verbe, ainsi qu’on peut le voir à partir de ce qui précède [dist. 32, quest. 2, art. 2].

Ipse autem intellectus paternus se habet in productione verbi sicut lumen intellectus agentis, cum principiis in productione conclusionis ; et sic secundum ordinem naturae, sapientia est principium verbi, sicut dicimus sapientiam ingenitam esse principium sapientiae genitae. Ipsa autem sapientia creata sequitur verbum, quasi effecta per ipsum ; unde Eccli. 1, 5: « Fons sapientiae verbum Dei in excelsis » ; et ideo sapientia essentialis, quae ingenita est neque generans, Filio appropriari potest, propter similitudinem ipsius ad proprium Filii, inquantum est verbum ; quam similitudinem non habet ad aliquod proprium Patris.

 Mais l’intellect même du Père est dans la production du verbe, ce que l’intellect agent est avec les principes dans la production de la conclusion ; et ainsi la sagesse est le principe du verbe selon un ordre de nature, tout comme nous disons que la sagesse inengendrée est le principe de la sagesse engendrée. Mais la sagesse créée, de son côté, découle du Verbe et elle est comme produite par Lui ; d’où l’Écriture nous dit [Ecclésiaste 1, 5] : «La source de la sagesse est le Verbe de Dieu qui est dans les cieux» ; et c’est pourquoi la sagesse essentielle qui est inengendrée et n’engendre pas, peut être appropriée au Fils en raison de sa ressemblance à la propriété du Fils en tant qu’il est Verbe, ressemblance que la sagesse ne possède pas par rapport à une propriété du Père.

[2433] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod natura semper habet rationem principii: est enim principium motus et quietis in eo in quo est, per se, et non secundum accidens, ut in II Physic., text. 3, dicitur ; et ideo non potest appropriari Filio, qui est a principio secundum originem naturae, et non principium in illa origine. Sed sapientia non habet tantum rationem principii, sed etiam ejus quod est a principio ; et etiam magis, inquantum proprie sapientia et scientia de conclusionibus est, quamvis etiam sapientia principiorum sit, ut in VII Ethic., cap. c

3. Il faut dire en troisième lieu que la nature a toujours raison de principe : elle est en effet le principe, par soi et non par accident, du mouvement et du repos  dans celui dans lequel elle se trouve, comme le dit le Philosophe [11 Physique, texte 3] ; et c’est pourquoi elle ne peut être appropriée au Fils qui procède d’un principe selon une origine de nature et qui n’est pas principe dans cette origine. Mais la sagesse n’a pas seulement raison de principe mais aussi de ce qui procède d’un principe et même davantage, pour autant que la sagesse tout comme la science se rapporte proprement aux conclusions, bien que la sagesse a aussi pour objet les principes ainsi que le dit le Philosophe [ VII Éthique, ch.  VII] et c’est pourquoi elle peut être appropriée au Fils.

[2434] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonum dicitur diffusivum per modum finis, secundum quod dicitur quod finis movet efficientem. Non autem sic Pater est principium divinitatis, sed magis per modum efficientis, ut dictum est, in corp. art.

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’on dit qu’il est dans la nature du bien de se répandre à la manière d’une fin selon qu’on dit que la fin meut l’agent. Mais ce n’est pas de cette manière que le Père est principe de la divinité, mais plutôt à la manière d’un agent, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article.

 

 

 

Question 3 – [Ce qui est dit métaphoriquement de Dieu].

 

 

Quaestio 3 Prooemium

Prologue

[2435] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 pr. Deinde quaeritur de his quae translative de Deo dicuntur ; et circa hoc quaeruntur duo:

1 utrum aliquid de Deo translative dicendum sit ;

2 a quibus rebus Deus translative nominandus sit.

 On s’interroge ensuite sur les noms qui s’attribuent à Dieu par métaphore et à ce sujet on pose deux questions :

1. Faut-il attribuer à Dieu des termes qui se disent de Lui par métaphore ?

2. À partir de quelles sortes de choses doit-on attribuer à Dieu des termes par métaphore.

 

 

Articulus 1 [2436] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 tit. Utrum aliquid debeat dici translative de Deo

Article 1 – Doit-on dire quelque chose de Dieu par métaphore ?

[2437] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod de Deo nihil translative dici debeat. Sicut enim dicit Boetius, lib. 1 de Trin., c. II col. 1250 in divinis intellectualiter versari oportet, neque ad imaginationes deduci. Sed hujusmodi transumptivae locutiones sunt sumptae ex imaginationibus sensibilium. Ergo non est eis utendum in divinis.

Difficultés :

1. Il semble que rien ne doive être attribué à Dieu par métaphore. En effet, comme le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250], c’est par l’intelligence qu’il faut se tourner vers Dieu et ne pas chercher à le ramener à des images. Mais les expression métaphoriques de cette sorte sont tirées des images sensibles. Il ne faut donc pas s’en servir pour chercher à connaître Dieu.

[2438] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Philosophum, VI Top., cap. VII, omnes transferentes, secundum aliquam similitudinem transferunt. Sed, secundum Boetium, lib. III, in Porph., col. 99, cap. « De specie », similitudo est rerum differentium eadem qualitas. Cum igitur qualitates rerum corporalium non inveniantur in divinis, videtur quod nulla similitudo vel metaphora possit sumi ex rebus sensibilibus, ut aliquid de Deo translative dicatur.

2. Par ailleurs, d’après le Philosophe [ VI Topiques, ch.  VII], tous ceux qui font ce genre de transports les font d’après une ressemblance. Mais d’après Boèce [111 Sur Porphyre, col. 99, ch. «Sur l’espèce»] la ressemblance est une même qualité pour les choses qui diffèrent. Donc, puisque les qualités des choses corporelles ne se retrouvent pas en Dieu, il semble qu’aucune ressemblance ou aucune métaphore ne puisse être tirée des choses sensibles, de manière à ce que quelque chose  puisse être attribué à Dieu par métaphore

[2439] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 3 Item, omnis doctrina est ad manifestationem veritatis ; et praecipue sacra Scriptura. Sed hujusmodi metaphorae, vel symbolicae locutiones, sunt quasi quaedam velamina veritatis, ut dicit Dionysius, cap. I, Cael. Hier., § 3. Ergo eis non videtur utendum in theologia.

 3. En outre, toute doctrine, et surtout les Saintes Écritures, est en vue de manifester la vérité. Mais de telles métaphores ou expressions symboliques sont comme des voiles de la vérité comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 1, & 3]. Il semble donc qu’il ne faille pas s’en servir en théologie.

[2440] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum philosophos, Ex I De anima, text. 26, scientia fit per assimilationem intellectus ad rem scitam. Intellectus autem noster, cum sit incorporeus et immaterialis, majorem similitudinem habet cum rebus divinis quam cum rebus corporalibus, quae materiales sunt. Ergo magis se habet ad cognoscendum divina quam hujusmodi corporalia ; et ita videtur quod per similitudinem corporalium nobis divina manifestari non debeant.

 4. Par ailleurs, d’après les philosophes [1 De l’Âme, texte 26], la science s’acquiert par l’assimilation de l’intelligence à la chose connue. Mais notre intelligence, puisqu’elle est incorporelle et immatérielle, a une plus grande ressemblance avec les choses divines qu’avec les choses corporelles qui sont matérielles. Il lui est donc plus naturel de connaître les choses divines que les choses corporelles ; et ainsi il semble que nous ne devons pas manifester les choses divines au moyen de la ressemblance des choses corporelles.

[2441] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicit Dionysius, I Caelest. Hier., § 2,: « Neque possibile est nobis aliter superlucere divinum radium, nisi varietate similitudinum circumvelatum. Divinus radius autem est veritas divinorum. Ergo oportet quod sub similitudinibus corporalibus, nobis divinorum veritas proponatur.

 Cependant :

1. Denys [1 De la Hiérarchie Céleste & 2] dit le contraire : «Le divin rayon ne peut luire pour nous que tamisé et diversifié par tous nos saints voiles». Mais le rayon divin est la vérité des personnes divines. Il faut donc que la vérité des réalités divines nous soit proposée sous des ressemblances corporelles.

[2442] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod convenientissimum est divina nobis similitudinibus corporalibus designari, cujus ratio potest assignari quadruplex:

prima et principalis propter materiae altitudinem, quae nostri intellectus capacitatem excedit ; unde non possumus veritatem divinorum secundum modum suum capere ; et ideo oportet quod nobis secundum modum nostrum proponatur. Est autem nobis connaturale a sensibilibus in intelligibilia venire, et a posterioribus in priora ; et ideo sub figura sensibilium intelligibilia nobis proponuntur, ut ex his quae novimus ad incognita animus surgat.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que la manière de designer les réalités divines par des similitudes corporelles nous est la plus convenable, et cela pour quatre raisons: la première et la principale est le caractère élevé de la matière examinée qui dépasse les capacités de notre intelligence; d’où il résulte que nous ne pouvons saisir la vérité des réalités divines de la manière qui leur est propre et c’est pourquoi la vérité de ces réalités nous est proposée d’après le mode qui nous est propre. Mais il nous est naturel de parvenir aux vérités intelligibles au moyen des choses sensibles et de procéder de ce qui est second pour en arriver à ce qui est premier; et c’est pourquoi les vérités intelligibles nous sont proposées sous la figure des réalités sensibles afin que l’âme s’élève jusqu’à l’inconnu à partir de ce que nous avons connu.

Secunda ratio est, quia cum in nobis sit duplex pars cognoscitiva, scilicet intellectiva et sensitiva: providit divina sapientia ut utraque pars, secundum quod possibile esset, in divina reduceretur ; et ideo figuras corporalium adhibuit, quae sensitiva parte capi possunt, quia ipsa intellectualia divinorum non poterat attingere.

 

 La deuxième raison est que puisqu’en nous il y a deux parties cognitives, à savoir la partie intellectuelle et celle qui est sensible, la sagesse divine a prévu que chacune des parties se rapproche, dans la mesure du possible, des réalités divines; et c’est pourquoi elle offrit les figures des choses corporelles qui peuvent être saisies par la partie sensible parce que la partie intellectuelles ne pouvait parvenir aux vérités intellectuelles des réalités divines.

Tertia ratio est, quia de Deo verius cognoscimus quid non est, quam quid est ; unde Dionysius, cap. II, Cael. Hier.,§ 3, col. 142, dicit, quod in divinis affirmationes sunt incompactae, negationes verae ; et ideo cum de omnibus quae de Deo dicimus, intelligendum sit quod non eodem modo sibi conveniunt sicut in creaturis inveniuntur, sed per aliquem modum imitationis et similitudinis ; expressius ostendebatur hujusmodi eminentia Dei, per ea quae sunt magis manifesta ab ipso removeri. Haec autem sunt corporalia ; et ideo convenientius fuit speciebus corporalibus divina significari, ut his assuefactus humanus animus disceret, nihil eorum quae de Deo praedicat, sibi attribuere nisi per quamdam similitudinem, secundum quod creatura imitatur creatorem.

 La troisième raison est qu’au sujet de Dieu nous connaissons plus véritablement ce qu’il n’est pas que ce qu’il est ; d’où Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 3, col. 142] dit qu’au sujet de Dieu les affirmations sont incompactae et les négations sont vraies ; et c’est pourquoi, puisqu’il faut comprendre que tout ce que nous attribuons à Dieu ne se retrouve pas là de la même manière que dans les créatures mais que tout cela se retrouve dans ces dernières à la manière d’une imitation et d’une ressemblance, l’excellence de Dieu était manifestée plus clairement de cette manière, c’est-à-dire par les choses dont il est plus évident qu’elles se nient de lui. Mais ces choses sont les réalités corporelles ; et c’est pourquoi il était plus convenable de signifier les réalités divines par des espèces corporelles pour que par elles l’âme humaine s’accoutume à discerner que rien de ce qu’il attribue à Dieu ne lui appartient, si ce n’est par une certaine ressemblance, selon que la créature imite le créateur.

Quarta ratio est propter occultationem divinae veritatis: quia profunda fidei occultanda sunt et infidelibus, ne irrideant, et simplicibus, ne errandi occasionem sumant: et hae omnes causae assignantur a Dionysio in principio Caelest. Hierar., ubi supra, et in Epistola IX ad Titum, col. 1103

 La quatrième raison est de cacher la vérité divine : car les vérités profondes de la foi doivent être cachées à la fois aux infidèles pour qu’elles échappent à leurs moqueries et aux simples afin qu’ils ne tirent pas de là une occasion de se tromper : et toutes ces causes sont assignées par Denys au début de son livre, La Hiérarchie Céleste, dont nous avons parlé plus haut, et par l’Apôtre dans l’Épître 1X à Tite, col. 1103.

[2443] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum igitur dicendum, quod in cognitione intellectualium est duo considerare ; scilicet principium speculationis, et terminum. Principium quidem est ex sensibilibus ; sed terminus est in intelligibilibus, secundum quod in cognitione naturali ex speciebus a sensu acceptis intentiones universales accipimus per lumen intellectus agentis ; et ideo dicendum est, quod quantum ad terminum oportet in diem intellectualem versari, sed quantum ad speculationis principium oportet ex aliquibus sensibilibus speciebus in divina consurgere.

 Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que pour la connaissance des réalités intellectuelles il y a deux choses à considérer, à savoir le principe de l’examen spéculatif, puis son terme. Le principe ou le point de départ en est certes les choses sensibles, mais le terme en est l’intelligible selon que dans notre connaissance naturelle nous recevons, au moyen de la lumière de l’intellect agent, les intentions universelles à partir des espèces reçues par les sens ; et c’est pourquoi il faut dire que quant au terme il faut se tourner vers la lumière intellectuelle, mais quant au principe de l’examen spéculatif il faut s’élever vers les réalités divines à partir des espèces sensibles.

[2444] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod similitudo est duplex: quaedam enim est per participationem ejusdem formae ; et talis similitudo non est corporalium ad divina, ut objectio probat. Est etiam quaedam similitudo proportionalitatis, quae consistit in eadem habitudine proportionum, ut cum dicitur: sicut se habet octo ad quatuor, ita sex ad tria ; et sicut se habet consul ad civitatem, ita se habet gubernator ad navem ; et secundum talem similitudinem fit transumptio ex corporalibus in divina: ut si Deus dicatur ignis ex hoc quod sicut se habet ignis ad hoc quod liquefacta effluere facit per suum calorem, ita Deus per suam bonitatem perfectiones in omnes creaturas diffundit, vel aliquid hujusmodi.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il y a deux sortes de similitudes : certaines en effet se réalisent par une participation à une même forme ; et il n’existe pas de similitude de cette sorte chez les réalités corporelles à l’égard des réalités divines, ainsi que le montre l’objection. Mais il existe aussi une similitude de proportionnalité qui consiste dans un même rapport de proportion, comme lorsqu’on dit que six est à trois ce que huit est à quatre ou que le pilote est au navire ce que le magistrat est à la cité ; et c’est d’après une telle similitude qu’il y a transport des choses corporelles aux réalités divines, comme lorsqu’on dit que Dieu est un feu du fait que tout comme le feu fait couler ce qu’il a liquéfié par sa chaleur, de même Dieu par sa bonté répand les perfections dans toutes les créatures, ou qu’on dit d’autres choses de la sorte.

[2445] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod manifestatio veritatis est facienda secundum proportionem recipientium ; et quia quibusdam potius manifestatio veritatis noceret [officeret Éd. de Parme] quam prodesset, dum vel ex impietate impugnarent, vel ex simplicitate deficerent ; ideo est divinorum veritas occultanda, ut dicitur Matth. VII, 6: « Nolite sanctum dare canibus ».

 3. Il faut dire en troisième lieu que la manifestation de la vérité doit se faire proportionnellement aux capacités de ceux qui reçoivent ; et parce que chez certains la manifestation de la vérité nuirait [ferait obstacle Éd. de Parme] plutôt que de profiter car alors ils la combattraient par impiété ou la manqueraient à cause de leur simplicité, c’est pourquoi la vérité des réalités divines doit être cachée comme le dit l’Écriture [Matthieu  VII, 6] : «Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens».

[2446] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod est quaedam assimilatio secundum convenientiam in natura ; et sic est major assimilatio intellectus nostri ad divina quam ad sensibilia ; sed haec non est illa quae requiritur ad scientiam. Est etiam quaedam assimilatio per informationem, quae requiritur ad cognitionem ; sicut visus assimilatur colori, cujus specie informatur pupilla. Haec autem informatio non potest fieri in intellectu nostro [om. Éd. de Parme], secundum viam naturae, nisi per species abstractas a sensu: quia, sicut dicit Philosophus, III De anima, text. 18, sicut se habet color ad visum, ita phantasmata ad intellectum ; et ideo constat quod hoc modo intellectus magis potest assimilari sensibilibus quam divinis.

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il y a une assimilation qui a lieu d’après une convenance dans la nature ; et en ce sens notre intelligence ressemble davantage aux réalités divines qu’aux choses sensibles; mais cette ressemblance n’est pas celle qui est requise à la science. Il y a aussi une ressemblance ou similitude par mode d’information qui est requise à la connaissance ; par exemple la vue est rendue semblable à la couleur dont l’espèce informe la pupille. Mais cette information ne peut se produire dans notre intelligence suivant un chemin naturel qu’au moyen des espèces sensibles que le sens tire des choses sensibles : car, comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 18], les images sont à l’intelligence ce que la couleur est à la vue ; et c’est pourquoi il est clair que c’est de cette manière que notre intelligence peut ressembler davantage aux choses sensibles qu’aux réalités divines.

 

 

Articulus 2 [2447] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 tit. Utrum transumptio in divinis debeat fieri ex rebus vilibus

Article 2 – La métaphore en Dieu doit-elle être faite à partir des choses viles ?

[2448] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ex rebus vilibus non debeat fieri transumptio in divina. Sicut enim dictum est, art. praeced., omnis transumptio fit per aliquem modum similitudinis. Sed in rebus vilibus non inveniuntur conditiones nobiles, ex quibus ad divina possit aliqua similitudo attendi. Ergo videtur quod ex talibus rebus non debeant transumptiones in divina fieri.

 Difficultés:

1. Il semble que le transport des réalités corporelles aux réalités divines ne doit pas se faire à partir de choses vulgaires. En effet, comme nous l’avons dit dans l’article precedent, tout transport doit se faire au moyen d’une sorte de ressemblance. Mais dans les choses vulgaires on ne rencontre pas de conditions nobles à partir desquelles pourrait se vérifier une certaine resemblance à l’égard des réalités divines. Il semble donc qu’on ne doive pas faire d’emprunts à de telles choses pour les transporter par métaphore aux réalités divines.

[2449] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 arg. 2 Si dicas, quod in rebus quantumcumque vilibus invenitur aliqua similitudo divinae bonitatis, inquantum sunt vestigium creatoris ; contra. In omni creatura invenitur similitudo vestigii vel imaginis. Si igitur hoc sufficit ad transumptionem faciendam, videtur quod ex omnibus creaturis possit fieri transumptio in divina: quod non invenitur.

 2. Si tu dis que même dans les choses les plus viles on retrouve une certaine similitude de la bonté divine pour autant qu’elles sont un vestige du créateur, je dis cependant que dans toute créature on retrouve la similitude du vestige ou de l’image. Si donc cela suffisait à faire un transport métaphorique, il semble qu’il pourrait y avoir transport aux réalités divines à partir de toutes les créatures, ce qu’on n’observe pas.

[2450] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, expressior similitudo divinae bonitatis est in rebus incorporeis quam in rebus sensibilibus. Ergo videtur quod nomina Angelorum magis deberent in divinam praedicationem transumi.

 3. Par ailleurs, la similitude de la bonté divine est plus élevée dans les réalités incorporelles que dans les choses sensibles. Il semble donc que ce sont les noms des Anges qui devraient davantage être l’objet d’un emprunt pour être attribués à Dieu.

[2451] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 arg. 4 Item, quae sunt omnino diversa, non debent eisdem figuris exprimi. Sed quaedam figurae sunt quae inducuntur ad designandum contrarias potestates, et daemones [et daemones om. Éd. de Parme] sicut nomen serpentis et leonis. Ergo videtur quod ad minus hujusmodi nomina in divinis transumi non deberent.

 4. En outre, les choses qui sont absolument différentes ne doivent pas être exprimées par les même figures. Mais il y a certaines figures qui sont introduites pour désigner des pouvoirs contraires et des démons [et des démons om. Éd. de Parme], comme le nom de serpent et celui de lion. Il semble donc qu’il y a au moins ces noms qui ne doivent pas être empruntés pour être appliqués aux réalités divines.

[2452] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 s. c. 1 Contra est quod in divinis Scripturis frequenter inveniuntur nomina etiam brutorum animalium in divinam praedicationem transumi, ut dicitur Oseae III, 7: « Ero eis quasi leaena, sicut pardus in via Assyriorum ; et similiter in pluribus aliis locis. Ergo videtur quod etiam ex vilibus rebus transumptio ad divina fieri possit.

 Cependant :

1. Au contraire, on observe fréquemment dans les Saintes Écritures [Osée, 111, 7]qu’on emprunte même les noms des brutes animales pour les attribuer à Dieu : «Je serai pour vous comme une lionne, comme un léopard sur le chemin des Assyriens» ; et des emprunts de cette sorte ont lieu en plusieurs autres endroits dans les Saintes Écritures. Il semble donc qu’il puisse y avoir des emprunts à des choses de peu d’importance pour les attribuer à Dieu.

[2453] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod hanc quaestionem Dionysius, II cap. Caelest. Hierarch., § 2, col. 138, pertractat, et ostendit quod etiam convenientius significantur nobis divina per creaturas viliores, quam per nobiliores.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 11, & 2, col. 138] traire de cette question et montre qu’il nous est même plus convenable de signifier les réalités divines au moyen des créatures plus familières que par celles qui sont les plus nobles.

Et primam rationem assignat, quia his magis occultantur divina, cujus occultationis necessitas dicta est, art. praec.

Secundam assignat, quia ista magis a Deo removentur et distant: et ideo cum convenientissimus modus significandi divina sit per negationem, convenientius istis similitudinibus utimur.

Tertiam assignat ex utilitate nostra ; quia minus datur nobis occasio errandi in figuris rerum vilium quam in figuris rerum nobilium. Nullus enim dubitat, Deum secundum proprietatem dici non posse aliquod vile animal ; et ideo constat quod Scriptura hujusmodi Deo secundum proprietatem non attribuit.

Et la première raison qu’il assigne est que par elles les réalités divines se trouvent à être davantage cachées à ceux pour lesquels il y a nécessité qu’elles le soient, nécessité dont nous avons parlé dans l’article précédent.

La deuxième raison qu’il assigne est que ces créatures sont davantage éloignées étrangères à Dieu : et c’est pourquoi, puisque la manière la plus convenable de signifier les réalités divines se fait par la négation, il est plus convenable d’user de telles similitudes.

La troisième raison qu’il assigne se tire de notre utilité ; car il y a pour nous moins d’occasions de se tromper dans les figures des choses ordinaires que dans celles des choses nobles. En effet, nul ne doute qu’on ne puisse dire proprement de Dieu qu’il est tel animal familier ; et c’est pourquoi il est clair que les Écritures n’attribue pas proprement à Dieu de tels noms.

Sed apud aliquos simplices, qui vix aliquid praeter sensibilia suspicari possunt, de facili videretur ea quae sunt nobilissima in corporibus, proprie Deo convenire, si de ipso dicerentur ; et ideo similitudines a rebus vilioribus sumptae, ipsa qualitate rerum retrahunt animum ab errore. Invenitur tamen etiam in nobilioribus [nobilibus Éd. de Parme], creaturis Deus significari in Scriptura, sicut sole, et stella, et hujusmodi ; non tamen ita frequenter.

 Mais chez les esprits qui sont simples et qui peuvent à peine concevoir quelque chose au-delà des choses sensibles, il leur semblerait aisément que ceux qui sont les plus nobles parmi les corps conviendraient proprement à Dieu si on les lui attribuait ; et c’est pourquoi les similitudes tirées des choses les plus ordinaires, par leur qualité même de choses ordinaires, préviennent l’âme de l’erreur. Il arrive cependant aussi aux Écritures de signifier Dieu par de plus nobles [par de nobles Éd. de Parme] créatures, comme par le soleil et les étoiles et des choses de cette sorte, mais non pas aussi fréquemment.

[2454] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum igitur dicendum, secundum Dionysium, de div. Nom., cap. IV, §§ 1, 2, et 3, col. 694, quod nihil divinae bonitatis omnino participatione caret ; et ideo ex rebus quantumcumque vilibus possunt sumi aliquae convenientes similitudines ad divina.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu, conformément à ce que dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 1, 2 et 3, col. 694], que rien n’est totalement privé d’une participation de la bonté divine ; et c’est pourquoi on peut tirer, même des choses les plus ordinaires, certaines similitudes qui conviennent à Dieu.

[2455] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quaedam nomina creaturarum sunt quae non nominant tantum id quod creatum est, sed etiam defectum culpae annexum ; sicut nomen Diaboli nominat naturam deformatam peccato: et ideo talibus nominibus non possumus transumptive uti ad significandum [significandum om. Éd. de Parme] divina.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il y a certains noms des créatures qui ne nomment pas seulement ce qui appartient à la créature en tant que créature, mais aussi un manque rattaché à une faute ; par exemple le nom de Diable nomme une nature déformée par le péché ; et c’est pourquoi nous ne pouvons nous servir de tels noms par métaphore pour signifier [signifier om. Éd. de Parme] les réalités divines.

[2456] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in creaturis spiritualibus possumus duo considerare: scilicet ipsas perfectiones divinae bonitatis secundum se acceptas ; et his nominatur Deus, non quidem symbolice, sed proprie ; sicut dicitur sapiens et intelligens, et hujusmodi ; unde etiam dicitur in Lib. De causis, propos. 6, quod Deus nominatur nomine primi causati sui, quod est intelligentia.

 3. Il faut dire en troisième lieu que nous pouvons considérer deux aspects dans les créatures spirituelles : à savoir les perfections mêmes de la bonté divine prises en elles-mêmes ; et Dieu se trouve à être nommé par elles non pas de manière symbolique, mais proprement, par exemple lorsqu’on dit de Lui qu’il est sage, intelligent etc ; c’est de là qu’on dit encore dans le livre intitulé Des Causes, à la proposition 6, que Dieu est nommé par le nom de son premier effet, qui est l’intelligence.

Vel possumus considerare ipsum modum determinatum participandi hujusmodi perfectiones, qui modus pertinet ad determinatam naturam vel ordinem Angelorum. Unde nomina exprimentia istum modum non possunt proprie de Deo dici, nec etiam metaphorice, quia metaphora sumenda est ex his quae sunt manifesta secundum sensum: et ideo nunquam invenimus Deum in Scriptura nominatum Cherubim vel Seraphim vel aliquid hujusmodi, sicut leonem vel ursum vel aliquid hujusmodi.

 Ou bien nous pouvons considérer le mode déterminé même de participation de telles perfections, lequel mode appartient à une nature déterminée ou à un ordre des Anges. D’où les noms qui expriment ce mode ne peuvent s’attribuer à Dieu proprement ni même de manière métaphorique car les métaphores doivent se tirer de ce qui est manifeste aux sens : et c’est pourquoi il n’arrive jamais dans les Écritures que Dieu soit appelé Chérubin ou Séraphin ou d’un autre nom de cette sorte, comme on l’appelle lion, ours ou qu’on lui attribue un autre nom de la sorte.

[2457] Super Sent., lib. 1 d. 34 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod in una re possunt considerari diversae proprietates ; et ideo non est inconveniens quod ex eadem re, secundum diversas sui proprietates, fiat transumptio ad aliqua contraria ; sicut quod Deus dicitur leo propter liberalitatem, vel fortitudinem, vel aliquid hujusmodi, et Diabolus dicitur leo propter crudelitatem. Contingit etiam quandoque, ut dicit Dionysius in Epistolis § 2 [in Epistola ad Titum Éd. de Parme], quod idem nomen transfertur ad significandum participantem et participationem et participationis principium ; sicut si ignis dicatur homo habens caritatem, et ipsa caritas, et Deus caritatem infundens: et secundum omnia diversimode exponendum est.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que plusieurs propriétés peuvent être considérées dans une seule et même chose ; et c’est pourquoi il n’y a pas de problème à ce qu’à partir d’une même chose, d’après des propriétés différentes lui appartenant, il y ait transport métaphorique à des réalités contraires ; c’est ainsi par exemple que Dieu est appelé lion à cause de sa générosité ou de sa force, et que le Diable soit appelé lion à cause de sa cruauté. Il arrive aussi parfois, comme le dit Denys dans les Épîtres & 2 [dans l’Épître à Tite Éd. de Parme] que le même nom est transporté par métaphore pour signifier à la fois le participant, la participation et le principe de participation ; par exemple lorsqu’on appelle feu à la fois l’homme qui possède la charité, la charité elle-même et Dieu qui répand la charité : et à chaque fois la signification doit en être expliquée différemment.

 

 

Distinctio 35

Distinction 35 – [La science de Dieu]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [La science convient-elle à Dieu ?]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quinque quaeruntur:

1 utrum in Deo sit scientia ;

2 utrum habeat tantum sui scientiam, vel etiam aliorum ;

et si aliorum, quaeritur

3 utrum de eis certam et propriam cognitionem habeat ;

4 utrum scientia sua sit univoca nostrae scientiae ;

5 utrum scientia sua possit dici universalis vel particularis, vel in potentia vel in habitu, sicut scientia nostra.

 On cherche ici à répondre à cinq questions :

1. Est-ce qu’il y a science en Dieu ?

2. Possède-t-il seulement la science qui lui est propre ou aussi celle des autres ?

3. Possède-t-il une connaissance certaine et propre à leur sujet ?

4. Est-ce que la science s’attribue univoquement à Lui et à nous ?

5. Peut-on dire de sa science qu’elle est universelle ou particulière, qu’elle est en puissance ou en habitus, tout comme la nôtre ?

 

 

Articulus 1 [2460] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 tit. Utrum scientia conveniat Deo

Article 1 – La science convient-elle à Dieu ?

 

[2461] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod scientia Deo non conveniat. Ubi enim non est intellectus, ibi non potest esse scientia. Sed nomen intellectus proprie Deo non competit ; immo dicitur in Lib. de causis, prop. 6: « Cum Deus dicitur intelligens, nominatur nomine creati sui primi », quod est intelligentia. Ergo videtur quod scientia proprie Deo non conveniat.

Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait pas de science en Dieu. En effet, où il n’y a pas d’intelligence, il ne peut y avoir de science. Mais le nom d’intelligence ne convient pas proprement à Dieu ; bien plutôt, on dit de Lui [Livre des Causes, prop. 6] :«Lorsqu’on dit de Dieu qu’il est intelligent, on le nomme par le nom de son premier effet», lequel est l’intelligence. Il semble donc que la science ne convienne pas proprement à Dieu.

[2462] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, simplicissimo et primo nihil convenit quod sibi aliquid praesupponat, ad quod ex additione se habet. Sed scientia praesupponit vitam et essentiam, et habet se ex additione ad illa, ut ex principio libri De causis patet. Ergo cum Deus sit simplicissimus et primus, sibi scientia non competit.

 2. Par ailleurs, à ce qui est suprêmement simple et premier rien ne convient qui lui présupposerait quelque chose et par rapport à quoi il se présenterait comme une addition. Mais la science présuppose la vie et l’essence et elle se présente comme une addition à ces dimensions, ainsi qu’on le voit à partir du début du livre intitulé Des Causes. Donc, puisque Dieu est ce qui est suprêmement simple et premier, il ne peut y avoir science en Lui.

[2463] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, nihil quod pluralitatem requirit invenitur in eo quod summe est unum. Sed scientia requirit pluralitatem quamdam, scilicet scientis, scientiae et scibilis. Ergo Deo qui summe unus est, non convenit.

 3. Par ailleurs, rien de ce qui exige une pluralité ne se retrouve dans ce qui est suprêmement un. Mais la science exige une certaine pluralité, à savoir celle du savant, de la science et de l’objet de science. La science ne convient donc pas à Dieu qui est suprêmement un.

[2464] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 4 Si dicas, quod in Deo idem est scibile et sciens: contra. Nihil sibi ipsi simile dici potest, ut dicit Hilarius, De Syn., post. med., nec aliquid seipsum recipit aut capit. Sed secundum philosophos scientia est assimilatio scientis ad rem scitam: item scientia fit secundum receptionem scibilis in sciente. Ergo videtur quod non possit idem esse in Deo sciens et scitum.

 4. Si tu dis qu’en Dieu l’objet du savoir et celui qui sait sont identiques, je réponds au contraire qu’aucune chose ne peut être dite semblable à elle-même, comme le dit Saint-Hilaire [Les Synodes, peu après le milieu] et rien ne se reçoit et ne se prend soi-même. Mais d’après les philosophes la science est l’assimilation de celui qui sait à la chose connue : en outre la science a lieu par la réception de l’objet de science dans celui qui sait. Il semble donc qu’en Dieu celui qui sait et l’objet connu ne puissent être identiques.

[2465] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, secundum Philosophum, in VI Ethic, cap. VI, scientia conclusionum est, et intellectus principiorum. Sed cognitio conclusionum sequitur inquisitionem rationis. Cum igitur in Deo non sit cognitio per inquisitionem, videtur quod proprie in Deo scientia esse non possit.

 5. Par ailleurs, d’après le Philosophe [ VI Éthique, ch.  VI], la science porte sur les conclusions et l’intelligence sur les principes. Mais la connaissance des conclusions suit une recherche de la raison. Donc, puisqu’en Dieu la connaissance n’est pas le fruit d’une recherche, il semble qu’il ne puisse y avoir proprement de science en Dieu.

[2466] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicitur ad Col. II, 3: in ipso sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae absconditi, et Commentator XI Metaph. dicit, quod vita et scientia proprie esse in Deo dicuntur.

 Cependant:

1. L’Écriture [Colossiens, 11, 3] affirme le contraire : En Lui se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance divines; et le Commentateur [XI Métaphysique] dit qu’on dit de la vie et de la science qu’elles existent proprement en Dieu.

[2467] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, nulla perfectio deest ei qui perfectissimus est. Sed scientia est nobilissima perfectio. Ergo Deo, in quo omnium generum perfectiones adunantur, ut in V Metaph., text. 21 dicitur, scientia deesse non potest.

 2. Par ailleurs, nulle perfection ne manque à celui qui est le plus parfait. Mais la science est la perfection la plus noble. Donc la science, ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 21], ne peut être absente de Dieu en qui sont réunies les perfections de tous les genres.

[2468] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod secundum Dionysium, in De div nom., cap. VII, § 3, col. 870, tribus viis ex creaturis in Deum devenimus: scilicet per remotionem, per causalitatem, per eminentiam, quarum quaelibet nos in Dei scientiam inducit.

Prima igitur via, quae est per remotionem, est haec: cum a Deo omnis potentia et materialitas removeatur, eo quod ipse est actus primus et purus, oportet essentiam ejus esse denudatam a materia, et esse formam tantum. Sicut autem particulationis principium est materia, ita formae debetur intelligibilitas: unde forma principium cognitionis est ; unde oportet quod omnis forma per se existens separata a materia, sit intellectualis naturae: et si quidem sit per se subsistens, erit et intelligens: si autem non sit per se subsistens, sed quasi perfectio alicujus subsistentis, non erit intelligens [intellectus éd. de Parme], sed principium intelligendi: quemadmodum omnis forma non in se subsistens non operatur sed est operationis principium, ut caliditas in igne. Cum igitur ipse Deus sit immunis ab omni materia, et sit per se subsistens, quia esse suum ab alio non dependet, oportet quod ipse sit intelligens et sciens.

Secunda via, quae est per causalitatem, est haec. Omne enim agens habet aliquam intentionem et desiderium finis. Omne autem desiderium finis praecedit aliqua cognitio praestituens finem, et dirigens in finem ea quae sunt ad finem. Sed in quibusdam ista cognitio non est conjuncta tendenti in finem ; unde oportet quod dirigatur per aliquod prius agens, sicut sagitta tendit in determinatum locum per determinationem sagittantis ; et ita est in omnibus quae agunt per necessitatem naturae ;

quia horum operatio est determinata per intellectum aliquem instituentem naturam ; unde, Philosophus, II Physic., text. 75, dicit, quod opus naturae est opus intelligentiae. In aliquibus autem ista cognitio est conjuncta ipsi agenti, ut patet in animalibus ; unde oportet quod primum non agat per necessitatem naturae, quia sic non esset primum, sed dirigeretur ab aliquo priori intelligente. Oportet igitur quod agat per intellectum et voluntatem ; et ita, quod sit intelligens et sciens.

Tertia via, quae est per eminentiam, est haec. Quod enim invenitur in pluribus magis ac magis secundum quod plures alicui appropinquant, oportet ut in illo maxime inveniatur ; sicut calor in igne, ad quem quanto corpora mixta magis accedunt, calidiora sunt. Invenitur autem quod quanto aliqua magis accedunt ad primum, nobilius cognitionem participant ; sicut homines plus quam bruta et Angeli magis hominibus ; unde oportet quod in Deo nobilissima cognitio inveniatur.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, & 3, col. 870], c’est par trois chemins que nous parvenons à Dieu à partir des créatures : à savoir par la négation, par la causalité et par la voie d’excellence, dont chacune nous introduit à la science de Dieu.

Donc la première voie, qui est celle de la négation, est la suivante : puisque toute puissance et toute matérialité est étrangère à Dieu du fait que Lui-même est un acte pur et premier, il faut que son essence soit dénudée de matière et qu’elle soit forme seulement. Mais tout comme le principe de l’individualité est la matière, de même la forme doit être le principe de l’intelligibilité : il résulte de là que la forme est le principe de la connaissance ; d’où il faut que toute forme existant par elle-même et séparée de la matière soit de nature intellectuelle : et s’il y en a une qui subsiste par elle-ême, elle sera aussi intelligente : mais si elle n’était pas subsistante par elle-même mais qu’elle était comme une perfection de ce qui subsiste par soi-même, elle ne sera pas intelligente [une intelligence Éd. de Parme], mais un principe d’intellection : c’est ainsi que toute forme qui se subsiste pas en elle-même ne pose pas d’opérations mais est plutôt principe d’opération, comme la chaleur dans le feu. Donc puisque Dieu lui-même est exempt de toute matière et qu’il est subsistant par lui-même, car son existence ne dépend pas d’un autre, il faut que lui-même soit intelligent et connaissant.

La deuxième voie est celle de la causalité, que voici. Tout agent en effet possède en lui une intention et un désir de la fin. Mais tout désir de la fin est précédé d’une certaine connaissance déterminant la fin et dirigeant vers la fin ce qui est ordonné à la fin. Mais dans certains êtres cette connaissance n’est pas rattachée ou unie à celui qui tend à la fin ; d’où il faut qu’ils soient dirigés par un agent qui leur est antérieur, tout comme la flèche tend à un lieu déterminé fixé à l’avance par l’archer ; et il en est de même pour tous ceux qui agissent par une nécessité de nature ; car leur opération est déterminée par une intelligence qui a institué la nature ; d’où le Philosophe [11 Physique, texte 75] dit que l’œuvre de la nature est l’œuvre d’une intelligence. Mais dans certains êtres cette connaissance est unie à l’agent lui-même, comme on le voit chez les animaux ; d’où il faut que le premier agent n’agisse pas par une nécessité de nature car ainsi il ne serait pas premier mais il serait dirigé par une intelligence antérieure. Il faut donc qu’il agisse par intelligence et par volonté et ainsi qu’il soit intelligent et connaissant.

La troisième voie, qui est celle de l’excellence, est la suivante. En effet, tout ce qui se retrouve dans plusieurs de plus en plus selon qu’ils se rapprochent d’un être, il faut que ce soit dans ce dernier qu’on le rencontre au plus haut point, comme c’est le cas pour la chaleur dans le feu par rapport auquel les corps mixtes sont d’autant plus chauds qu’ils s’en rapprochent davantage. Mais il se trouve que des êtres participent de la connaissance à un degré d’autant plus élevé qu’ils se rapprochent davantage de l’intelligence première, tout comme les hommes en participent davantage que les brutes et les Anges plus que les hommes ; d’où il faut qu’en Dieu se trouve la connaissance la plus élevée.

[2469] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quandocumque scientia vel intellectus vel aliquid quod ad perfectionem pertinet a Deo negatur, intelligendum est secundum excessum, et non secundum defectum ; unde dicit Dionysius, in VII cap. de div. Nom., col. 865: « Sine mente et insensibile esse, secundum excessum, et non secundum defectum in Deo est ordinandum ». Pro tanto ergo negatur nomen intellectus Deo proprie convenire, quia non secundum modum creaturae intelligit, sed eminentius.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’à chaque fois que la science ou l’intelligence ou quelque chose qui se rapporte à une perfection est nié de Dieu, il faut l’entendre selon l’excès et non selon le défaut ; d’où Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, col. 865] dit :«Il faut établir qu’en Dieu être sans esprit et être insensible se dit selon l’excès et non selon le défaut». Donc on peut d’autant nier que le nom d’intelligence convienne à Dieu que ce n’est pas selon le mode de la créature qu’il pose son intellection, mais d’une manière de loin plus excellente.

[2470] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod circa hujusmodi nomina quae de Deo dicuntur, invenitur triplex opinio.

Quidam enim dicunt, quod scientia, vita et hujusmodi significant in Deo aliquas dispositiones additas essentiae. Sed hoc non potest esse ; quia hoc poneret compositionem in Deo, et possibilitatem in essentia ipsius respectu hujusmodi dispositionum: quod omnino absurdum est.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que pour les noms de cette sorte qui se disent de Dieu, on rencontre trois opinions.

Certains en effet disent, que la science, la vie et les attributs de cette sorte signifient en Dieu certaines dispositions ajoutées à l’essence. Mais cela est impossible car cela poserait une composition en Dieu et dans son essence une puissance par rapport à de telles dispositions : ce qui est tout à fait absurde

Ideo alii dixerunt, quod omnia hujusmodi nomina nihil praedicant in Deo, nisi forte esse ipsius ; unde improprie de Deo dicuntur ; sed duabus rationibus inveniuntur dicta de Deo.

Vel ratione negationis, ut quando dicitur Deus sciens, intelligitur non esse ignorans, sicut lapis:

 C’est pourquoi d’autres ont dit que tous les noms de cette sorte n’attribuent rien en Dieu si ce n’est peut-être son existence ; de là ils se disent improprement de Dieu ; mais ils se trouvent à être dits de Dieu pour deux raisons.

Soit en raison de la négation, comme lorsqu’on dit que Dieu sait, on entend qu’il n’est pas ignorant comme c’est le cas pour la pierre.

vel propter similitudinem operis, ut dicatur Deus sciens, quia operatur effectum sicut aliquis sciens ; sicut dicitur iratus, inquantum punit ad similitudinem irati, non quod ira sit in eo ; ita nec scientia, nec vita, nec aliquid hujusmodi, sed tantum esse. Sed hoc non videtur sufficiens.

 

 Soit en raison de la similitude de l’œuvre, comme lorsqu’on dit que Dieu sait car il opère un effet tout comme celui qui sait, tout comme on dit de lui qu’il est en colère selon qu’il punit à la ressemblance de l’homme qui est en colère et non pas parce que la colère est en lui ; et il en est de même pour la science, la vie et tout autre attribut de la sorte qui ne sont pas en lui, sauf l’existence. Mais cette opinion ne semble pas satisfaisante.

Primo, quia omnis negatio de re aliqua fundatur super aliquid in re existens, ut cum dicitur, homo non est asinus, veritas negationis fundatur supra hominis naturam, quae naturam negatam non compatitur. Unde si de Deo negatur ignorantia, oportet quod hoc sit ratione alicujus quod in ipso est: et ita oppositum ignorantiae oportet in ipso ponere.

 Premièrement parce que toute négation au sujet d’une être se fonde sur quelque chose qui existe dans l’être en question, comme lorsqu’on dit que l’homme n’est pas un âne, la vérité de cette négation se fonde sur la nature de l’homme qui n’est pas compatible avec la nature niée. D’où il résulte que si l’ignorance est niée de Dieu, il faut que cela soit en raison de quelque chose qui est en lui : et ainsi il faut poser en lui le contraire de l’ignorance.

Secundo, quia omnis actus procedit ab agente ratione alicujus quod in ipso est, sicut calidum calefacit et leve ascendit sursum. Unde oportet quod in eo qui operatur actum scientiae, sit aliquid ad rationem scientiae pertinens ; quamvis illud forte non competenter tali nomine significetur ; sicut punire Dei actus est justitiae ipsius ; nec oportet iram in eo ponere, quia punire [punire om. Éd. de Parme] non est per se actus irae.

 En deuxième lieu parce que l’acte procède de l’agent en raison de quelque chose qui est en lui, tout comme le chaud réchauffe et le léger s’élève vers le haut. D’où il faut que dans celui qui opère l’acte de science il y ait quelque chose qui appartienne à la raison de science, bien que cela ne soit peut-être pas signifié convenablement par un tel nom, tout comme punir pour Dieu est l’acte de sa justice et il ne faut pas poser la colère en lui car punir [punir om. Éd. de Parme] n’est pas essentiellement l’acte de la colère.

Et ideo dicendum est, quod omnia hujusmodi proprie dicuntur de Deo quantum ad rem significatam, licet non quantum ad modum significandi ; et quantum ad id quod est proprium de ratione cujuslibet horum, licet non quantum ad rationem generis ; ut supra habitum est, (dist. VIII, qu. 1, art. 1).

 Et c’est pourquoi il faut dire que tous les attributs de cette sorte se disent proprement de Dieu quant à la chose signifiée, bien que non quant au mode de signifier, et quant ce qui est propre à la notion de n’importe quel d’entre eux, bien que non quant à la notion de genre ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist.  VIII, quest. 1, art. 1].

Et ideo dicendum, quod omnia ista quae non dicunt aliquam materialem vel corporalem dispositionem, in Deo vere sunt et verius quam in aliis, nec aliquam compositionem in ipso inducunt ; immo, sicut ista nomina proprie conveniunt creaturae propter diversa in ipsa existentia, ita etiam proprie conveniunt Deo propter unicum et simplex suum esse, quod omnium in se virtutes uniformiter praeaccipit, ut Dionysius dicit, cap. V de divin. Nomin. § 8, col. 823, quod patet in simili.

 Et c’est pourquoi il faut dire que tous ces attributs qui ne signifient pas une disposition matérielle ou corporelle existent vraiment en Dieu et plus véritablement en Lui que dans les autres êtres et n’introduisent en Lui aucune composition ; bien au contraire, tout comme ces noms conviennent à la créature en raison d’une diversité qui existe en elle, de même encore ils conviennent proprement à Dieu à cause de son existence unique et simple qui contient à l’avance en elle les puissances de tous les êtres à la manière d’une forme unique et simple ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. V, & 8, col. 823], ce que l’on voit dans le semblable.

Si ponantur tres homines, quorum unusquisque secundum suum habitum sciat ea quae pertinent ad unam scientiam, unus scilicet naturalia, alius geometricalia et alius [unus, alius, alius om. Éd. de Parme], grammaticalia ; et quartus, qui horum omnium per unum habitum scientiam habeat, de quo constat quod vere poterit dici, quod est grammaticus vel grammatica est in eo, et similiter geometria, et physica [philosophia, Éd. de Parme]: et quamvis in eo non sit nisi una res, secundum quam omnia haec sibi conveniunt, tamen aliud et aliud secundum rationem nominis unumquodque horum in ipso nominat, eo quod unumquodque eorum imperfecte exprimit illam rem. Ita etiam est et in Deo.

 Supposons trois hommes, dont chacun conformément à son habitus connaît les choses qui ont rapport à une seule science, à savoir que l’un connaît les choses naturelles, l’autre les matières de la géométrie, l’autre [l’un, l’autre, l’autre om. Éd. de Parme] la science grammaticale ; et supposons un quatrième homme qui par un seul habitus posséderait la science de tous ceux-là et au sujet duquel il serait clair qu’on pourrait vraiment dire qu’il est grammairien ou que la grammaire est en lui et qu’il en est de même pour la géométrie et la physique [philosophie, Éd. de Parme] ; et bien qu’en lui il n’y ait qu’une seule forme d’après laquelle toutes ces sciences lui conviennent, cependant ce serait cependant d’après une définition différente que chacun de ces attributs signifierait en lui du fait que chacun d’eux exprime imparfaitement cette forme. Et il en est de même aussi pour Dieu.

Cum enim in aliis creaturis inveniatur esse, vivere, et intelligere, et omnia hujusmodi secundum diversa in eis existentia ; in Deo tamen unum suum simplex esse habet omnium horum virtutem et perfectionem. Unde cum Deus nominatur ens, non exprimitur aliquid nisi quod pertinet ad perfectionem ejus et non tota perfectio ipsius ; et similiter cum dicitur sciens, et volens, et hujusmodi ; et ita patet quod omnia haec unum sunt in Deo secundum rem, sed ratione differunt, quae non tantum est in intellectu, sed fundatur in veritate et perfectione rei: et sicut proprie Deus dicitur ens, ita proprie dicitur sciens et volens, et hujusmodi: nec est ibi aliqua pluralitas vel additio vel ordo in re, sed in ratione tantum.

 En effet comme on rencontre dans les créatures l’existence, la vie, l’intelligence et tous les attributs de cette sorte selon différentes puissances qui existent en elles et qu’en Dieu cependant c’est son existence unique et simple qui possède la puissance et la perfection de tous ces êtres, il résulte de là, puisque Dieu est appelé l’Être, on n’exprime par là que quelque chose qui appartient à sa perfection et non pas toute sa perfection ; et il en est de même lorsqu’on dit de Lui qu’il sait, qu’il veut etc. ; et ainsi il est clair que tous ces attributs n’en sont qu’un seul en Dieu en réalité et qu’ils diffèrent par la raison, raison qui n’est pas seulement dans l’intelligence mais qui se fonde sur la vérité et la perfection de la réalité : et tout comme on dit de Dieu qu’il est proprement un être, ainsi on dit proprement de lui qu’il sait, qu’il veut, etc. : et il n’y a là aucune pluralité, aucune addition, ou aucun ordre dans la réalité, mais seulement dans la raison.

[2471] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis ad rationem scientiae exigantur scientia, sciens et scitum ; non tamen exigitur quod haec tria differant secundum rem: sicut etiam de ratione motus est quod sit movens et motum: sed quod motum sit aliud a movente, non potest sciri nisi demonstratione, ante cujus inventionem multi sunt opinati aliquid seipsum movere.

 3. Il faut dire en troisième lieu que bien que la notion de science présuppose la science elle-même, celui qui sait et l’objet connu, cependant il n’est pas nécessaire que ces trois conditions diffèrent dans la réalité : tout comme aussi la notion de mouvement exige qu’il y ait un moteur et ce qui est mû : mais que l’objet mû soit autre que le moteur, cela ne peut être su que par démonstration et avant qu’on l’ait découvert plusieurs ont cru que quelque chose se meut soi-même.

Sciendum est ergo, quod in omni intellectu aliqualiter est idem intelligens et intellectum, et in quibusdam etiam aliqualiter differt ; in aliquibus vero sunt omnino idem. Intellectus enim humanus, qui aliquando est in potentia, et aliquando in actu, quando est in potentia intelligens, non est idem cum intelligibili in potentia, quod est aliqua res existens extra animam ; sed ad hoc quod sit intelligens in actu, oportet quod intelligibile in potentia fiat intelligibile in actu per hoc quod species ejus denudatur ab omnibus appenditiis materiae per virtutem intellectus agentis ; et oportet quod haec species, quae est intellecta in actu, perficiat intellectum in potentia: ex quorum conjunctione efficitur unum perfectum, quod est intellectus in actu, sicut ex anima et corpore efficitur unum, quod est homo habens operationes humanas.

 Il faut donc savoir que dans toute intelligence celui qui conçoit et ce qui est conçu sont identiques en quelque sorte et chez certains aussi ils diffèrent en quelque sorte mais dans d’autres ils sont absolument identiques. L’intelligence humaine en effet qui est parfois en puissance et parfois en acte, lorsqu’elle conçoit en puissance elle n’est pas identique à l’intelligible en puissance qui est une chose existant en dehors de l’âme ; mais pour qu’elle conçoive en acte, il faut que l’intelligible en puissance devienne intelligible en acte par le fait que son espèce soit dépouillée de tout le poids de la matière par la puissance de l’intellect agent ; et il faut que cette espèce, qui est conçue en acte, donne sa perfection à l’intellect en puissance : de leur union résulte une seule perfection qui est l’intellect en acte tout comme de l’union de l’âme et du corps résulte une seule réalité qui est l’homme possédant les opérations humaines.

Unde sicut anima non est aliud ab homine, ita intellectum in actu non est aliud ab intellectu intelligente actu, sed idem: non tamen ita quod species illa fiat substantia intellectus, vel pars ejus, nisi formalis, sicut nec anima fit corpus.

 Il résulte de là que tout comme l’âme n’est pas autre que l’homme, de même l’intellect en acte n’est pas autre que l’intelligence qui conçoit en acte, mais il lui est identique : non pas cependant de telle manière que cette espèce devienne la substance de l’intelligence ou une partie d’elle, sauf une partie formelle, tout comme l’âme ne devient pas le corps.

Si ergo est aliquis intellectus, sicut divinus, qui ad nihil est in potentia, sed est totum actus, et semper in actu, tunc intellectum ab intellectu nullo modo differt re in eo, sed consideratione tantum: quia prout consideratur essentia ejus ut immunis a materia, sic est intelligens, ut probatum est, in corp. art.: sed prout consideratur essentia sua secundum quod intellectus accipit eam sine materia, sic est intellectum ; sed prout consideratur ipsum intellectum, prout non deest sibi intelligenti, sed est in seipso, quodammodo sic est intelligentia vel scientia: quia scientia nihil aliud est quam impressio vel conjunctio sciti ad scientem.

 Si donc il existe une intelligence, comme l’intelligence divine, qui n’est en puissance par rapport à rien et qui est acte dans sa totalité et qui est toujours en acte, alors en lui l’objet conçu ne diffère en rien de l’intelligence en réalité mais seulement par la considération : car selon que son essence est considérée comme dépouillée de matière, alors elle conçoit ainsi que nous l’avons prouvé dans le corps de l’article ; mais selon que son essence est considérée en tant que l’intelligence la reçoit sans matière, alors elle est conçue ; mais selon que l’objet conçu lui-même est considéré en tant qu’il n’est pas absent de celui qui conçoit mais qu’il est en lui, c’est ainsi en quelque sorte qu’il y a intelligence ou science : car la science n’est rien d’autre que l’application ou l’union de l’objet connu à celui qui connaît.

[2472] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia ista vocabula, quibus dicimus scientiam esse assimilationem vel apprehensionem, vel impressionem, vel aliquid hujusmodi, veniunt ex consideratione intellectus possibilis: qui non cognoscit nisi per receptionem alicujus speciei, respectu cujus est in potentia, per quam assimilatur rei extra animam. Unde ubi est intellectus in actu tantum, nihil horum proprie dicitur, sed secundum modum intelligendi tantum.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que tous ces termes, par lesquels nous disons que la science est une assimilation ou une appréhension ou une application ou quelque chose du genre, nous viennent de la considération de l’intellect possible, lequel ne connaît que par la réception d’une espèce par rapport à laquelle il est en puissance et par laquelle il est assimilé à la chose qui existe en dehors de l’âme. D’où il résulte que là où il y a une intelligence qui est en acte seulement, aucun de ces termes ne se dit proprement mais seulement selon le mode de concevoir.

[2473] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ea quae dicuntur de Deo, semper intelligenda sunt per eminentiam ablato omni eo quod imperfectionis esse potest. Unde a scientia, secundum quod in Deo est, oportet auferre discursum rationis inquirentis, et retinere rectitudinem circa rem scitam.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que ce qu’on dit de Dieu doit toujours s’entendre par mode d’excellence en faisant abstraction de tout ce qui pourrait impliquer une imperfection. D’où il faut retirer de la science, selon qu’elle est en Dieu, le discours de la raison qui cherche à savoir et ne conserver que la justesse par rapport à la chose connue.

Sed quia scientia proprie complexorum est, et intelligere proprie est quidditatis rei ; ideo Deus dicitur sciens, inquantum cognoscit esse suum ; et dicitur intelligens, inquantum cognoscit naturam suam, quae tamen non est aliud quam suum esse, nec magis simplex. Et ideo in Deo non est aliud intelligere quam scire, nisi secundum rationem. Sapientia vero non ponit in numerum cum scientia et intellectu: quia omnis sapientia scientia est, sed non convertitur: quia illa scientia solum [sola Éd. de Parme] sapientia est quae causas altissimas considerat, per quas ordinantur et cognoscuntur omnia sequentia. Unde proprie Deus sapiens dicitur inquantum seipsum cognoscit, et intelligens et sciens secundum quod se et alia cognoscit.

 Mais parce que la science a proprement pour objet ce qui est complexe et que l’intelligence a proprement pour objet la quiddité de la chose, c’est pourquoi on dit de Dieu qu’il a la science pour autant qu’il connaît son existence et qu’il a l’intelligence pour autant qu’il connaît sa nature qui n’est cependant pas autre chose ni plus simple que son existence. Et c’est pourquoi en Dieu l’intelligence n’est pas autre que la science, sauf selon la raison. Mais la sagesse n’ajoute pas en nombre à la science et à l’intelligence : car toute sagesse est une science mais non inversement car la seule science à être une sagesse est celle qui considère les causes les plus élevées par lesquelles sont ordonnées et connues toutes les autres sciences qui s’ensuivent. D’où on dit que Dieu est sage à proprement parler selon qu’il se connaît lui-même et qu’il a l’intelligence et la science selon qu’il se connaît lui-même et les autres êtres.

 

 

Articulus 2 [2474] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus intelligat alia a se

Article 2 – Dieu connaît-il ce qui est autre que lui ?

 

[2475] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non intelligat alia a se. Intellectum enim perfectio est intelligentis, quia facit ipsum esse in actu. Sed omnis perfectio excedit id quod perficitur. Si ergo aliquid aliud a se intelligeret, haberet illud majus se: quod est inconveniens.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne connaît pas ce qui est autre que lui. L’objet connu en effet est la perfection de celui qui connaît, car il le fait être en acte. Mais toute perfection dépasse ce qui est rendu parfait par elle. Si donc il connaissait quelque chose qui est autre que lui, cet autre serait plus grand que lui, ce qui est impossible.

[2476] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum ordinem nobilitatis objectorum est ordo nobilitatis in operationibus ; unde dicit Philosophus, X Ethic., cap ; IV, quod perfecta operatio felicitatis est respectu nobilissimi objecti. Sed quidquid est aliud a Deo est vilius et imperfectius eo. Si igitur intelligeret aliud a se, hoc vergeret in imperfectionem et vilitatem operationis ipsius.

 2. Par ailleurs, l’ordre d’excellence dans les opérations découle de l’ordre d’excellence des objets ; d’où le Philosophe [X Éthique, ch. IV] dit que l’opération parfaite de la félicité se rapporte à l’objet le plus excellent. Mais tout ce qui est autre que Dieu est vulgaire et imparfait comparativement à Lui. Si donc il connaissait quelque chose d’autre que Lui, cela tendrait vers une imperfection et avilissement de son opération.

[2477] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, intellecta se habent ad intellectum sicut picturae ad tabulam ; unde Philosophus, III De anima, text. 14, comparat intellectum possibilem, antequam intelligat, tabulae in qua nihil scriptum est. Sed impossibile est idem corpus figurari diversis figuris simul, et secundum eamdem partem. Ergo impossibile est eumdem intellectum simul plura intelligere. Si igitur intellectus divinus intelligit se et multa alia, oportet quod sit successio in intellectu ipsius, quae lassitudinem sibi inducat ex hoc quod non habet in actu illud quod quaerit: et hoc est inconveniens.

 3. Par ailleurs, ce qui est connu se rapporte à l’intelligence comme les images à la table ; d’où le Philosophe [111 De l’Âme, texte 14] compare l’intelligence possible, avant qu’il connaisse, à la table sur laquelle rien n’est écrit. Mais il est impossible que le même corps, selon la même partie, soit représenté simultanément par différentes figures. Il est donc impossible que la même intelligence connaisse simultanément plusieurs choses. Si donc l’intelligence divine se connaît elle-même ainsi qu’une multitude d’autres choses, il faut qu’il y ait dans son intelligence une succession qui introduit en lui une lassitude du fait qu’il ne possède pas en acte ce qu’il cherche à savoir : et cela est une impossibilité.

[2478] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Philosophus,In III De anima, text. 38, scientiae dividuntur quemadmodum et res. Si ergo Deus intelligat plura, oportet quod in eo sint scientiae plures: et hoc vergit in pluralitatem divinae essentiae, si sua scientia est ejus essentia, ut dictum est.

 4. Par ailleurs, tout comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 38] les sciences se divisent en quelque sorte suivant la manière dont les choses se divisent. Si donc Dieu connaît une multitude de chose, il faut qu’il y ait en Lui plusieurs sciences et cela tend à poser une multiplicité à l’intérieur même de l’essence divine si sa science est aussi son essence, ainsi que nous l’avons dit.

[2479] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 s. c. 1 Contrarium est quod habetur ad Heb. 4, 13: omnia nuda et aperta sunt oculis ejus.

 Cependant :

1. L’Apôtre [Épître aux Hébreux, 4, 13] dit le contraire : À ses yeux, tout est nu et à découvert.

[2480] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut dictum est, Deus cognoscit essentiam suam. Sed per essentiam suam est principium rerum. Ergo ipse cognoscit se esse principium rerum. Sed impossibile est quod cognoscatur aliquid esse principium, nisi cognoscatur aliqualiter id cujus est principium ; quia qui novit unum relativorum, cognoscit et reliquum, ut in Praedicamentis dicitur. Ergo cognoscit alia a se.

 2. Par ailleurs, ainsi que nous l’avons dit, Dieu connaît son essence. Mais c’est par son essence qu’Il est le principe des choses. Lui-même connaît donc qu’il est le principe des choses. Mais il est impossible de savoir qu’un être est un principe que si est connu en quelque sorte ce dont il est le principe ;  car qui connaît un des relatifs connaît aussi les autres ainsi qu’on le dit dans Les Prédicaments. Dieu connaît donc ce qui est autre que Lui.

[ ] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod ex secunda via quae supra, art. praeced., facta est, potest ostendi quod Deus non solum se, sed etiam alia cognoscit. Cum enim ea quae agunt ex necessitate naturae, naturaliter tendant in finem aliquem, oportet quod ab aliquo cognoscente ordinentur in finem illum.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire qu’à partir de la deuxième voie présentée plus haut dans l’article precedent, on peut montrer que Dieu ne connaît pas seulement lui-même mais qu’il connaît aussi ce qui est autre que lui. En effet, puisque les êtres qui agissent par une nécessité de nature tendent naturellement vers une fin, il faut qu’ils soient ordonnés à cette fin par un être connaissant.

Hoc autem est impossibile, nisi ille cognoscens cognoscat rem illam et operationem ejus, et id [id om. Éd. de Parme] quod ordinatur ; sicut faber non posset facere securim nisi cognosceret actum incisionis et ea quae incidenda sunt, ut materiam convenientem inveniat, et formam imprimat ; et ita oportet quod Deus cognoscat ea quae ad ipsum ordinantur: quia sicut esse ab ipso habent, ita et ordinem naturalem in finem.

 Mais cela n’est possible que si cet être connaissant connaît cette chose, son opération et ce [ce om. Éd. de Parme] à quoi elle est ordonnée;  par exemple, l’artisan ne peut faire une hache que s’il connaît l’acte de l’incision et les choses qui doivent être coupées afin de trouver une matière qui convient et lui appliquer la forme ; et c’est de même que Dieu doit connaître les êtres qui sont ordonnés à Lui car tout comme c’est de Lui qu’ils tiennent leur existence, de même c’est de Lui qu’ils tiennent leur ordre naturel vers la fin.

Unde Rabbi Moyses hanc rationem dicit intendisse David cum dixit Psal. XCIII, 9: Qui finxit oculum non considerat ? Quasi diceret: cum Deus oculum faceret, numquid ipse non consideravit actum oculi, qui est videre, et objectum ejus, quod est visibile particulare ?

Sciendum tamen est, quod intellectum dupliciter dicitur, sicut visum etiam. Est enim primum visum quod est ipsa species rei visibilis in pupilla [potentia Éd. de Parme] existens, quae est etiam perfectio videntis, et principium visionis, et medium lumen respectu visibilis: et est visum secundum, quod est ipsa res extra oculum.

 D’où le Maître Moïse dit que c’est cette raison que David avait en vue lorsqu’il a dit [Psaume XC111, 9] : Lui qui a façonné l’œil ne serait pas capable de voir ? C’est comme s’il avait dit : lorsque Dieu a fait l’œil, lui-même n’a jamais considéré l’acte de l’œil, qui consiste à voir, ainsi que son objet qui est une chose visible particulière ?

Il faut cependant savoir que l’objet de l’intellection, tout comme l’objet de la vue, se dit de deux manières. Il y a en effet l’objet premier de la vue qui est l’espèce même de la chose visible, laquelle espèce existe dans la pupille [puissance Éd. de Parme], qui est aussi la perfection de celui qui voit, et le principe de la vision, et la lumière qui est un intermédiaire par rapport au visible : et c’est là l’objet second de la vue qui est la chose même en dehors de l’œil.

Similiter intellectum primum est ipsa rei similitudo, quae est in intellectu ; et est intellectum secundum [quod est add. Éd. de Parme] ipsa res, quae per similitudinem illam intelligitur. Si ergo consideretur intellectum primum, nihil aliud intelligit Deus nisi se ; quia non recipit species rerum, per quas cognoscat ; sed per essentiam suam cognoscit, quae est similitudo omnium rerum. Sed si accipiatur intellectum secundum, sic non tantum se intelligit, sed etiam alia. Et secundum primum modum dicit Philosophus, II Metaph., text. 51, quod Deus intelligit tantum se. Et per hoc patet de facili responsio ad objecta.

 Semblablement l’objet premier de l’intelligence est la similitude même de la chose qui est dans l’intelligence ; et l’objet second de l’intelligence [qui est add. Éd. de Parme] est la chose elle-même qui est saisie par l’intelligence au moyen de cette similitude. Si donc par objet de l’intelligence on entend l’objet premier, Dieu ne connaît rien d’autre que Lui ; car il ne reçoit pas les espèces des choses au moyen desquelles il les connaîtrait ; mais il les connaît au moyen de son essence, laquelle est la similitude de tous les choses. Mais si on entend par là l’objet second de l’intelligence, alors Dieu ne connaît pas seulement lui-même mais aussi ce qui est autre que lui. C’est c’est d’après le premier sens du terme ¨objet¨ que le Philosophe [11 Métaphysique, texte 51] dit que Dieu ne connaît que lui seul. Et c’est suite à cet exposé qu’on voit facilement les réponses aux difficultés qui viennent d’être soulevées.

[2482] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 ad 1 Quod enim objicitur primo, quod intellectum est perfectio intelligentis, verum est de intellecto primo, et non de intellecto secundo. Non enim lapis, qui est extra animam, est perfectio intellectus ; sed similitudo lapidis, quae est in anima.

 Solutions :

1. L’objection qui est présentée en premier, à savoir que l’objet de l’intelligence est la perfection de l’être intelligent, est vraie si on entend par là l’objet premier de l’intelligence, mais non de l’objet second. En effet, ce n’est pas la pierre qui est en dehors de l’âme qui est la perfection de l’intelligence, mais la similitude de la pierre, similitude qui est dans l’âme.

[2483] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tripliciter intellectus divinus posset vilificari, si intelligeret vilia:

uno modo si informaretur similitudine illius vilis ;

secundo si simul cum illo vili non posset intelligere nobile ;

tertio si alia operatione intelligeret et vilius et nobilius.

Sed haec omnia remota sunt ab ipso ; unde sua operatio est perfectissima, quae una et eadem existens, talis est quod per eam ipse seipsum cognoscit et omnia alia.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que c’est de trois manières que l’intelligence divine pourrait être avilie si elle connaissait les choses viles : premièrement si elle était informée par la similitude de ce qui est vil ; deuxièmement si elle ne pouvait connaître ce qui est noble en même temps que ce qui est vil ; troisièmement si elle connaissait ce qui est vil par une autre opération que celle par laquelle elle connaît ce qui est noble.

Mais toutes ces modalités sont étrangères à Dieu ; d’où il résulte que son opération est la plus parfaite, laquelle existe en tant qu’une et identique à elle-même, et elle est telle que par elle Dieu se connaît lui-même et tous les autres êtres.

/[2484] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio tenet in omni intellectu qui cognoscit diversa per diversas species ; quod remotum est a Deo, qui cognoscendo essentiam suam, alia cognoscit.

 3. Il faut dire en troisième lieu que cet argument vaut pour toute intelligence qui connaît différentes choses au moyen de différentes espèces, ce qui est étranger à Dieu, lequel connaît toute chose en connaissant son essence.

[2485] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quando sunt multa scita quae cognoscuntur secundum unam rationem medii, genere vel specie, tunc reducuntur in unam scientiam generalem vel specialem, sicut metaphysica et geometria ; unde si plura scita reducuntur in unum medium, secundum numerum illorum omnium non erit nisi scientia una in numero ; et ideo scientia Dei est una numero omnium rerum, quia per unum medium simplicissimum, quod est sua essentia, omnia cognoscit.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que lorsque plusieurs objets de science sont connus d’après une seule raison formelle de moyen terme, de genre ou d’espèce, alors ils se ramènent tous à une seule science universelle ou particulière, comme la métaphysique et la géométrie ; de là, si plusieurs objets de science se ramènent à un seul moyen terme, il n’y aura qu’un seule science numériquement parlant pour le nombre de tous ces objets ; et c’est pourquoi il n’y a qu’une seule science de Dieu, numériquement parlant, pour toutes les choses, car c’est par le seul et même moyen terme le plus simple, son essence, qu’il connaît toutes les choses.

 

 

Articulus 3 [2486] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 tit. Utrum habeat cognitionem certam et propriam de aliis a se

Article 3 – A-t-il une connaissance certaine et particulière des autres choses que lui ?

 

[2487] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non habeat certam et propriam cognitionem de aliis a se. Certa enim cognitio non potest de re haberi nisi per rationem ejus existentem in cognoscente. Sed nihil ejusdem rationis est in Deo et creaturis. Ergo cum non cognoscat creaturas nisi cognoscendo id quod in ipso est, videtur quod non habeat propriam et certam cognitionem de eis.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne possède pas une connaissance certaine et propre au sujet des choses qui sont autres que lui. En effet la connaissance certaine d’une chose ne peut être acquise qu’au moyen de son essence qui existe dans celui qui connaît. Mais rien de ce qui est en Dieu et dans les créatures n’est d’une même essence. Donc, puisque Dieu ne connaît les créatures qu’en connaissant ce qui est en lui, il semble qu’il ne possède pas à leur sujet une connaissance propre et certaine.

[2488] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, per causam primam et remotam non potest haberi certa cognitio de re. Sed essentia divina est causa prima et remotissima. Ergo cum Deus non cognoscat res nisi per essentiam suam, videtur quod certam cognitionem de rebus habere non possit.

 2. Par ailleurs, on ne peut acquérir une connaissance certaine d’une chose au moyen de sa cause première et éloignée. Mais l’essence divine est la cause première et la plus éloignée. Donc, puisque Dieu ne connaît les choses que par son essence, il semble qu’il ne puisse avoir une connaissance certaine au sujet des choses.

[2489] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, propria cognitio de re non est nisi per id quod est proprium sibi. Sed impossibile est idem esse proprium pluribus inquantum plura sunt, etsi aliquid sit proprium pluribus inquantum unum sunt, sicut risibile omnibus hominibus. Ergo cum Deus cognoscat omnia per unum et idem, quod est sua essentia, videtur quod non habeat propriam et certam cognitionem de rebus singulis.

 3. Par ailleurs, une connaissance propre d’une chose n’a lieu qu’au moyen de ce qui est propre à cette chose. Mais il est impossible que le même soit propre à une multitude d’êtres en tant qu’ils sont multiples bien qu’il soit propre à une multitude d’êtres en tant qu’ils sont un comme risible est propre à tous les hommes. Donc, puisque Dieu connaît tous les êtres au moyen de quelque chose qui est un et le même, à savoir son essence, il semble qu’il ne possède pas une connaissance certaine  et propre des choses singulières.

[2490] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud per quod habetur certa cognitio de re, potest esse medium ad concludendum [considerandum Éd. de Parme] rem illam. Sed ex essentia divina non potest concludi esse alicujus rei, cum Deus ab aeterno fuerit, quando res non erat. Ergo videtur quod Deus per essentiam suam certam cognitionem de rebus habere non possit.

 4. Par ailleurs, ce au moyen de quoi est acquise une connaissance certaine au sujet d’une chose peut être le moyen terme ordonné à la conclusion [la considération Éd. de Parme] au sujet de cette chose. Mais à partir de l’essence divine on ne peut conclure l’existence d’une chose car Dieu a existé de toute éternité alors que la chose n’existait pas encore. Il semble donc que Dieu ne puisse posséder une connaissance certaine des choses au moyen de son essence.

[2491] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra illud est quod dicitur in principio Metaphys.: « Scientia quam Deus habet, dea scientiarum est, et honorabilissima ». Sed Deus habet scientiam de rebus. Ergo nobilissime cognoscit res, et ita certissima et propria cognitione.

 Cependant :

1. Mais ce qu’on dit au début de la Métaphysique contredit ces difficultés : «La science que Dieu possède est la déesse des sciences et la plus honorable». Mais possède la science des choses. Donc, il connaît les choses de la manière la plus noble et par conséquent par la connaissance la plus certaine et la plus propre.

[2492] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, quod est primum in quolibet genere est maximum in genere illo, ut in II Metaph. dicitur ; sicut ignis est calidissimus, in quo primo invenitur calor. Sed in Deo, primo est scientia. Ergo ipse nobilissime cognoscit quidquid cognoscit, et ita videtur quod de omnibus rebus cognitis propriam et certam cognitionem habeat.

 2. Par ailleurs, ce qui est premier dans tout genre est ce qu’il y a de plus excellent dans ce genre, ainsi qu’on le dit au livre 11 de la Métaphysique, tout comme le feu est ce qu’il y a de plus chaud car c’est en lui que se retrouve en premier la chaleur. Mais c’est en Dieu que se retrouve en premier la science. C’est donc de la manière la plus noble qu’il connaît tout ce qu’il connaît, et ainsi il semble qu’il possède une connaissance propre et certaine de toutes les choses connues.

[2493] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod Deus certissime proprias naturas rerum cognoscit. Sciendum tamen, quod Commentator in II Metaph., text. 51 dicit, quod Deus non habet cognitionem de rebus aliis a se, nisi inquantum sunt entia: quia enim esse suum est causa essendi omnibus rebus, inquantum cognoscit esse suum, non ignorat naturam essentiae inventam in rebus omnibus ; sicut qui cognosceret calorem ignis, non ignoraret naturam caloris existentis in omnibus calidis: non tamen sciret naturam hujus calidi et illius, inquantum est hoc et illud.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que Dieu connaît les natures propres des choses de la manière la plus certaine. Il faut cependant savoir que le Commentateur [11 Métaphysique, texte 5] dit que Dieu ne possède une connaissance des choses autres que Lui qu’en tant qu’elles sont des êtres : parce que son être en effet est la cause de l’existence de toutes les choses, selon qu’il connaît son être, il n’ignore pas la nature de l’essence rencontrée dans toutes les choses, tout comme celui qui connaîtrait la chaleur du feu n’ignorerait pas la nature de la chaleur existant dans tous les corps chauds : il ne connaîtrait cependant pas la nature de tel ou tel corps chaud en tant qu’il est celui-ci ou celui-là.

Ita Deus per hoc quod cognoscit essentiam suam, quamvis cognoscat esse omnium rerum inquantum sunt entia, non tamen cognoscit res inquantum est haec et illa. Nec ex hoc sequitur, ut ipse dicit, quod sit ignorans: quia scientia sua non est de genere scientiae nostrae: inde nec ignorantia opposita sibi potest convenire ; sicut nec de lapide dicitur quod sit videns vel caecus.

 Ainsi Dieu, du fait qu’il connaît son essence, bien qu’il connaisse l’être de toutes les choses en tant qu’elles sont des êtres, ne les connaît pas en tant qu’elles sont telle ou telle chose. Et il ne suit pas de là, comme il le dit lui-même, que Dieu soit ignorant : car sa science n’est pas du même genre que la nôtre : d’où une ignorance opposée ne peut lui convenir, tout comme on ne peut dire au sujet de la pierre qu’elle ait la vue ou qu’elle soit aveugle.

Sed haec positio dupliciter apparet falsa:

 primo, quia ipse non est causa rerum quantum ad esse ipsorum solum commune, sed quantum ad omne illud quod in re est. Cum enim per causas secundas determinetur unaquaeque res ad proprium esse ; omnes autem causae secundae sunt a prima, oportet quod quidquid est in re, vel proprium vel commune, reducatur in Deum sicut in causam, cum res a seipsa non habeat nisi non esse: et ita cognoscet Deus [Deus om. Éd. de Parme] propriam naturam uniuscujusque rei.

 Mais la fausseté de cette position apparaît de deux manières : premièrement parce que Dieu n’est pas la cause des choses quant à leur seul être commun, mais quant à tout ce qui est dans la chose. En effet, puisque c’est au moyen des causes secondes que chaque chose est déterminée à son être propre et que toutes les causes secondes procèdent de la cause première, il faut que tout ce qui est dans la chose, le propre comme le commun, se ramène à Dieu comme à sa cause, puisque la chose ne tient d’elle-même que le non-être : et c’est ainsi que Dieu [Dieu om. Éd. de Parme] connaît la nature propre de chaque chose.

Secundo improbatur per illud quod supra, in corp. art. praeced., tactum est, quod impossibile est quod aliquod agens ordinet effectum suum in finem, nisi cognoscat proprium opus rei per quod ordinatur in finem. Unde si a Deo ordinatio est omnium rerum in finem suum, oportet quod cognoscat proprium opus cujuslibet rei, et propriam naturam quae tali operationi convenit.

 Deuxièmement cette position se trouve à être réfutée par ce qui a été touché plus haut dans  l’article precedent, à savoir qu’il est impossible à un agent d’ordonner son effet à une fin sans connaître la function propre de la chose par laquelle elle est ordonnée à la fin. D’où il résulte que si l’ordonnance de toutes les choses à leur fin vient de Dieu, il faut qu’il connaisse la fonction propre de chaque chose ainsi que la nature propre qui convient à une telle fonction.

Nec obstat, si etiam ponatur non immediate causare ordinem in unaquaque re, sicut quidam philosophi posuerunt, dicentes, a Deo immediate procedere unum primum, quod est intelligentia prima, a quo procedat secunda intelligentia, et orbis, et anima ejus. Oportet enim secundum hoc, quod cognoscat ad minus opus sui primi creati, quod est intelligentia ; et ita cognoscet quae per illud opus produci possunt, et sic deinceps usque ad ultima rerum ; et sic oportet quod cognoscat omnes proprias naturas et proprias operationes rerum.

 Et même si on affirmait que Dieu ne cause pas immédiatement l’ordre dans chaque chose, tout comme certains philosophes l’ont affirmé en disant que de Dieu procède immédiatement un premier effet qui est une intelligence première de laquelle procéderait une intelligence seconde, puis une sphère et son âme, cela ne pose pas de problème. Il faut en effet, suivant cette position que Dieu connaisse au moins la fonction de son premier effet créé qui est l’intelligence première : et ainsi il connaîtra les choses qui peuvent être produites par cette fonction et ainsi de suite jusqu’à la dernière des choses ; et ainsi il faut qu’il connaisse toutes les natures propres et toutes les opérations propres des choses.

[2494] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod esse divinum non negatur ejusdem rationis esse cum esse nostro quia deficiat a ratione nostri esse, sed quia excedit. Quanto autem medium perfectius est, tanto in eo res perfectius cognoscitur: et ideo quanto esse suum excedit nostrum, tanto scientia sua de esse rei, quod cognoscit per esse suum, excedit scientiam nostram, quae est de esse rei accepta ab ipsa re.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on ne nie pas que l’être divin soit d’une même essence que la nôtre seulement parce qu’il est dépourvu de notre essence, mais parce qu’il la dépasse. Mais une chose est connue d’autant plus parfaitement dans un être que cet être est plus parfait : et c’est pourquoi sa science au sujet de l’être d’une chose qu’il connaît par son être à Lui dépasse d’autant plus notre science qui porte sur l’être de la chose qu’elle reçoit de la chose elle-même, que l’être de Dieu dépasse notre être.

[2495] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod nullius scientiae certitudo potest esse nisi per reductionem in prima sui principia. Sed quod primum principium in geometricis non sufficit ad certam cognitionem eorum quae consequuntur, hoc est, quia ipsum non est tota causa eorum ; unde oportet quod adjunctis omnibus aliis, in eorum notitiam veniatur. Sed ipse Deus est perfecta causa omnium quae ab ipso sunt ; cum nihil possit accipi quod ab ipso non sit: et ideo ipse per essentiam suam omnia perfecte cognoscit.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il ne peut y avoir certitude pour aucune science que s’il y a réduction à ses premiers principes. Mais que le premier principe en géométrie ne suffit pas à une connaissance certaine des conclusions qui s’ensuivent, c’est parce qu’il n’en est pas la seule cause ; d’où il faut qu’ayant ajouté tous les autres principes, on en vienne à leur connaissance. Mais Dieu lui-même est la cause parfaite de tout ce qui vient de Lui puisqu’on ne peut rien admettre qui ne vienne pas de Lui : et c’est pourquoi lui-même connaît parfaitement toute chose par son essence.

[2496] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod impossibile est idem esse proprium plurium quae eodem modo ipsum participent, et secundum totum, et perfecte ; sed bonitatem divinam quamvis omnes res participent, tamen nulla res creata ipsam perfecte imitatur, sed in aliquo assimilatur sibi una res in quo non assimilatur sibi alia ; et ideo ipse est propria similitudo uniuscujusque rei, sicut patet in exemplo prius inducto, art. 1 hujus quaest. in corp., de illo qui habet habitum sufficientem ad plura scibilia: est enim habitus ille [illius Éd. de Parme] unus similitudo uniuscujusque trium habituum, qui in diversis inveniuntur, etiam secundum id quod unus ab alio distinguitur: convenit enim cum grammatica in eo quod per ipsum cognoscuntur grammaticalia, et sic de aliis. Et ita patet quod una res potest esse propria similitudo plurium non perfecte ipsam imitantium, sicut creaturae non perfecte imitantur divinam bonitatem.

 3. Il faut dire en troisième lieu qu’il est impossible que le même soit le propre d’une multiplicité d’êtres qui participeraient de lui de la même manière, en totalité et parfaitement ; mais bien que toutes les choses participent de la bonté divine, cependant aucune chose créée ne l’imite parfaitement mais plutôt une chose lui est assimilée en un aspect sous lequel une autre ne lui est pas assimilée ; et c’est pourquoi il est lui-même la similitude de chaque chose, comme on le voit dans l’exemple introduit plus tôt suite au corps de l’article 1 de cette question, dans la solution à la deuxième difficulté, au sujet de celui qui possède un habitus qui suffit à connaître plusieurs genres d’objets de science : en effet, cet [de cet Éd. de Parme] habitus est une similitude unique de chacun des trois habitus qui se retrouvent dans différents êtres, même d’après ce qui distingue l’un de l’autre : il s’accorde en effet avec le grammairien en ceci que par cet habitus sont connues les choses grammaticales et les choses qui relèvent des autres sciences. Et ainsi il est clair qu’une seule et même réalité peut être la similitude propre de plusieurs êtres qui ne l’imitent pas parfaitement, tout comme les créatures n’imitent pas parfaitement la bonté divine.

[2497] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non solum esse divinum est causa essendi res, sed etiam scientia et voluntas sua: ex quibus optime concluditur esse rei ; quia illud quod Deus vult esse, cum possit et sciat, virtute essentiae suae in esse procedit. Haec autem Deo cognita sunt ; et ita certam de rebus cognitionem habet.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que non seulement l’être divin est la cause qui fait exister les choses, mais il est aussi la science et la volonté de ces choses à partir desquelles est conclu l’être de la chose ; car ce que Dieu veut faire exister, puisqu’il le peut et le sait de science, cela vient à exister par la seule puissance de son essence. Mais ces choses sont connues de Dieu et ainsi il possède au sujet des choses une connaissance certaine.

 

 

Articulus 4 [2498] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 tit. Utrum scientia Dei sit univoca scientiae nostrae

Article 4 – La science de Dieu est-elle univoque à la nôtre ?

 

[2499] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei sit univoca scientiae nostrae. Agens enim secundum formam producit effectum sibi univocum, sicut ignis per calorem inducit calorem univocum suo calori. Sed sicut dicit Origenes, in XVI Ad Rom., V, 27, col. 1292 et Dionysius, cap. VII de div. Nom., col. 866, Deus dicitur sapiens, inquantum nos sapientia implet per suam sapientiam. Ergo videtur quod sapientia sua sit nostrae univoca.

 Difficultés :

1. Il semble que la science de Dieu soit univoque à la nôtre. En effet, un agent produit un effet qui lui est univoque conformément à la forme, tout comme le feu par la chaleur introduit une chaleur univoque à sa chaleur. Mais tout comme le dit Origène [XVI Aux Romains, V, 27, col. 1292] et Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, col. 866] on dit de Dieu qu’il est sage selon que c’est par sa sagesse qu’il nous comble de sagesse. Il semble donc que sa sagesse soit univoque à la nôtre.

[2500] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, mensura et mensuratum sunt unius rationis ; unde unicuique propria mensura respondet: non enim eodem mensurantur liquida et arida, ut in III Metaph. dicitur. Sed scientia Dei mensura est scientiae nostrae ; quae tanto verior est quanto ad eam magis accedit. Ergo videtur quod sit univoca scientiae nostrae.

 2. Par ailleurs, la mesure et le mesuré sont d’un même genre ; d’où à chaque chose correspond une mesure qui lui est propre : en effet ce n’est pas par la même mesure que les liquides et les solides sont mesurés comme on le dit au troisième livre de la Métaphysique. Mais la science de Dieu est la mesure de la nôtre, laquelle est d’autant plus vraie qu’elle s’approche davantage de la sienne. Il semble donc que sa science est univoque à la nôtre.

[2501] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas, quod non est univoca ex eo quod scientia Dei nostram excedit scientiam ; contra. Magis et minus non diversificant speciem. Sed excessus scientiae attenditur secundum hoc quod est esse magis et minus scientem. Ergo videtur quod ex hoc univocatio scientiae non tollatur.

 3. Mais si tu dis qu’elle n’est pas univoque du fait que la science de Dieu dépasse la nôtre, je réponds à cela que le plus et le moins n’entraînent pas une différence d’espèce. Mais le dépassement dans la science se vérifie en ceci qu’on est plus ou moins savant. Il semble donc que l’univocité de la science ne soit pas réfutée à partir de là.

[2502] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 4 Si dicas, ut dicit Commentator in X Metaph., text. comm. 51, quod pro tanto non est univoca, quia scientia Dei est causa rerum, et nostra scientia est causata a rebus ; contra. Scientia speculativa in nobis causata est a rebus ; sed scientia practica est causa rerum ; nec tamen de utroque nomen scientiae aequivoce praedicatur. Ergo et ratio praedicta univocationem non tollit.

 4. Mais si tu dis, comme le dit le Commentateur [X Métaphysique, texte comm. 51], qu’elle n’est pourtant pas univoque à la nôtre parce que la science de Dieu est la cause des choses alors que la nôtre est causée par les choses, je réponds par contre que même si la science spéculative en nous est causée par les choses mais que la science pratique est la cause des choses, cependant le nom de science n’est pas attribué par équivoque à ces deux sciences. Donc la raison qui précède ne fait pas disparaître l’univocité.

[2503] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 5 Contra, aeterno et corruptibili nihil est commune, nisi secundum nomen, ut in X Metaphysic., text. comm. 26, a Commentatore dicitur, et etiam a Philosopho. Sed scientia Dei est aeterna, nostra autem est corruptibilis, quam contingit per oblivionem amitti, et per doctrinam vel inventionem acquiri. Ergo scientia aequivoce et nobis et Deo convenit.

 5. Cependant :

Rien n’est commun à l’éternel et au corruptible, si ce n’est selon le nom, ainsi que le dit le Commentateur [X Métaphysique, texte comm. 26] et même le Philosophe. Mais la science de Dieu est éternelle et la nôtre, qu’il nous arrive de perdre par l’oubli et d’acquérir par l’enseignement ou la découverte, est corruptible. Donc la science s’attribue à Dieu et à nous de manière équivoque.

[2504] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea, quaecumque univocantur in aliquo, horum est similitudo aliqua. Sed omnium similium est aliqua comparatio ; comparatio autem non est nisi convenientium in natura aliqua. Cum igitur nulla creatura cum Deo conveniat in aliqua natura communi, quia illa esset utroque prius, videtur quod nihil univoce de Deo et creatura dicatur.

 6. Par ailleurs il y a similitude entre tous les êtres qui reçoivent une attribution de manière univoque. Mais il y a un rapport entre toutes les choses semblables ; mais il n’y a rapport qu’entre les choses qui s’accordent dans une certaine nature. Donc, puisque nulle créature ne s’accorde avec Dieu dans une nature commune car cette dernière serait antérieure à la fois aux créatures et à Dieu, il semble que rien ne se dise univoquement de Dieu et de la créature.

[2505] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, nihil univoce dictum potest esse in uno substantia et in alio accidens. Sed scientia in nobis est accidens, in Deo autem substantia. Ergo aequivoce praedicatur.

 7. Par ailleurs, rien de ce qui est attribué univoquement ne peut être substance dans l’un et accident dans l’autre. Mais la science en nous est un accident et en Dieu sa substance. La science s’attribue donc équivoquement de Dieu et de la créature.

[2506] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod tribus modis contingit aliquid aliquibus commune esse ; vel univoce, vel aequivoce, vel analogice.

Univoce quidem non potest aliquid de Deo et creatura dici. Hujus ratio est, quia cum in re duo sit considerare: scilicet naturam vel quidditatem rei, et esse suum, oportet quod in omnibus univocis sit communitas secundum rationem naturae, et non secundum esse ; quia unum esse non est nisi in una re ; unde habitus humanitatis non est secundum idem esse in duobus hominibus: et ideo quandocumque forma significata per nomen est ipsum esse, non potest univoce convenire, propter quod etiam ens non univoce praedicatur. Et ideo cum omnium quae dicuntur de Deo natura vel forma sit ipsum esse, quia suum esse est sua natura, propter quod dicitur a quibusdam philosophis, quod est ens non in essentia, et sciens non per scientiam, et sic de aliis, ut intelligatur essentia non esse aliud ab esse, et sic de aliis: ideo nihil de Deo et creaturis univoce dici potest.

 

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que c’est de trois manières qu’il arrive à un terme d’être commun à plusieurs réalités : à savoir soit par univocité, soit par équivocité, soit par analogie.

Rien certes ne peut être attribué à Dieu et à la créature par univocité. La raison en est que puisque dans une chose il y a deux aspects à considérer, à savoir la nature ou la quiddité de la chose d’une part et sont existence d’autre part, il faut que pour tous les termes univoques il y ait communauté selon la notion de nature et non selon l’existence ; car une seule et même existence ne se retrouve que dans une seule et même chose ; d’où la possession de l’humanité ne se retrouve pas selon la même existence dans deux hommes : et c’est pourquoi à chaque fois que la forme signifiée par le nom est l’existence même, elle ne peut s’attribuer univoquement à une multiplicité et c’est aussi la raison pour laquelle l’étant ne s’attribue pas de manière univoque. Et c’est pourquoi, puisque la nature ou la forme de tout ce qu’on attribue à Dieu est son existence même, ce qui fait dire à certains philosophes qu’Il existe mais non dans une essence, qu’il sait mais non par la science et qu’il en est de même pour le reste, c’est pourquoi rien ne peut être attribué univoquement à Dieu et aux créatures.

Et ideo quidam dicunt, quod quidquid de Deo et creatura dicitur, per puram aequivocationem dicitur. Sed hoc etiam non potest esse ; quia in his quae sunt pure aequivoca per casum et fortunam, ex uno non cognoscitur alterum, ut quando idem nomen duobus hominibus convenit. Cum igitur per scientiam nostram deveniatur in cognitionem divinae scientiae, non potest esse quod sit omnino aequivocum.

 Et c’est pourquoi certains disent que tout ce qu’on peut dire à la fois de Dieu et des créatures se dit par pure équivocité. Mais cela non plus n’est pas possible ; car pour les termes qui sont purement équivoques par le hasard ou la fortune, on ne peut connaître l’autre à partir de l’un, par exemple lorsque le même nom appartient à deux hommes. Donc, puisqu’au moyen de notre science nous parvenons à connaître la science divine, il est impossible qu’il y ait ici une équivocité absolue.

Et ideo dicendum, quod scientia analogice dicitur de Deo et creatura, et similiter omnia hujusmodi. Sed duplex est analogia.

Quaedam secundum convenientiam in aliquo uno, quod eis per prius et posterius convenit ; et haec analogia non potest esse inter Deum et creaturam, sicut nec univocatio.

 Alia analogia est, secundum quod unum imitatur aliud quantum potest, nec perfecte ipsum assequitur ; et haec analogia est creaturae ad Deum.

 Et c’est pourquoi il faut dire que la science se dit de Dieu et de l’homme par analogie, et il en est de même pour tous les autres termes de la sorte. Mais il y a deux sortes d’attribution par analogie.

La première a lieu d’après une ressemblance par rapport à une même chose qui convient à l’un en priorité et à l’autre secondairement ; et il ne peut y avoir cette sorte d’analogie entre Dieu et la créature, tout comme il ne peut y avoir univocité.

L’autre analogie est celle selon laquelle l’une imite l’autre autant qu’elle le peut sans toutefois l’atteindre parfaitement ; et c’est cette sorte d’analogie qui se rapporte à Dieu et à la créature.

[2507] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod ab agente secundum formam non producitur effectus univocus nisi quando recipiens est proportionatus ad recipiendum totam virtutem agentis, vel secundum eamdem rationem ; et sic nulla creatura est proportionata ad recipiendum scientiam a Deo per modum quo in ipso est ; sicut nec corpora inferiora possunt recipere calorem univoce a sole, quamvis per formam suam agat.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’un effet univoque n’est produit par une agent selon la forme que lorsque celui qui reçoit est proportionné à recevoir la totalité de la puissance de l’agent ou sous la même nature ; et en ce sens aucune créature n’est proportionnée à recevoir de Dieu la science telle qu’elle existe en Lui ; tout comme aucun corps inférieur ne peut recevoir du Soleil la chaleur de manière univoque, bien qu’il agisse au moyen de sa forme.

[2508] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia Dei non est mensura coaequata scientiae nostrae, sed excedens ; et ideo non sequitur quod sit ejusdem rationis secundum univocationem cum scientia nostra, sed secundum analogiam.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la science de Dieu n’est pas une mesure qui est égale à notre science, mais une mesure qui la dépasse ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas qu’elle soit de même nature que notre science selon l’univocité, mais selon l’analogie.

[2509] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod magis et minus nunquam univocationem vel speciei unitatem [vel…unitatem om. Éd. de Parme] auferunt ; sed ea ex quibus magis et minus causatur, possunt differentiam speciei facere, et univocationem auferre: et hoc contingit quando magis et minus causantur [causatur Éd. de Parme] non ex diversa participatione unius naturae, sed ex gradu diversarum naturarum ; sicut Angelus [est Éd. de Parme] homine intellectualior dicitur [dicitur om. Éd. de Parme].

 3. Il faut dire en troisième lieu que le plus et le moins ne font jamais disparaître l’univocité ou l’unité de l’espèce [ou…l’unité om. Éd. de Parme] ; mais ce qui cause le plus et le moins peut faire une différence d’espèce et faire disparaître l’univocité : et cela est possible quand le plus et le moins sont causés [est causé Éd. de Parme] non pas à partir d’une participation d’une seule et même nature, mais à partir de degrés de natures différentes ; par exemple, on dit [on dit om. Éd. de Parme] l’Ange [est Éd. de Parme] plus intellectuel que l’homme.

[2510] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio Commentatoris, per se non est sufficiens nisi secundum quod accipitur in tali materia ; scientia enim quae sic est causa rerum ut scientia divina, non potest scientiae causatae a rebus univoca esse: cujus ratio dicta est.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que le raisonnement du Commentateur ne vaut essentiellement que s’il se prend dans un même genre par rapport à telle ou telle matière déterminée ; en effet, la science qui est ainsi cause des choses comme l’est la science divine ne peut être univoque par rapport à la science causée par les choses pour la raison que nous avons déjà dite.

[2511] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 5 Et quia aliae rationes videntur concludere quod omnino aequivoce dicatur, ideo ad eas respondendum est. Ad quintum ergo dicendum, quod dictum illud est intelligendum quantum ad esse, et non quantum ad intentionem rei quae communiter praedicatur ; quia corpus, etiam secundum hoc quod dicitur ibi, aequivoce de corruptibilibus et incorruptibilibus praedicatur, cujus tamen ratio eadem est in utroque si secundum intentionem communem consideretur.

 5. Et parce que les autres arguments semblent conclure que la science se dit de manière purement équivoque, c’est pourquoi il faut leur répondre. Et il faut dire par rapport au cinquième que ce qui est dit doit s’entendre  quant à l’existence et non quant à l’intention de la chose qui s’attribue communément ; car le corps, même selon ce qui est dit là, s’attribue de manière équivoque à ce qui est corruptible et à ce qui est incorruptible, dont la nature est cependant la même dans les deux si on la considère selon l’intention commune.

[2512] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod inter Deum et creaturam non est similitudo per convenientiam in aliquo uno communi, sed per imitationem ; unde creatura similis Deo dicitur, sed non convertitur, ut dicit Dionysius, in lib. De div. Nom., cap. IX, § 6 col. 914.

 6. Il faut dire en sixième lieu qu’entre Dieu et la créature il n’y a pas similitude par une convenance en un même point de référence commun, mais par imitation ; d’où on dit de la créature qu’elle est semblable à Dieu, mais non l’inverse comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. 1X, & 6, col. 914].

[2513] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 4 ad 7 Ad septimum dicendum, quod scientia non praedicatur de Deo secundum rationem generis sui, qualitatis vel [scilicet Éd. de Parme] accidentalis, sed solum secundum rationem differentiae, quae ad perfectionem pertinet, secundum quam a natura attenditur per imitationem, ut dictum est.

 7. Il faut dire en septième lieu que la science ne s’attribue par à Dieu en raison de son genre qui est la qualité ou [c’est-à-dire Éd. de Parme] à titre d’accident mais seulement en raison d’une différence qui appartient à une perfection à laquelle la nature tend par l’imitation, ainsi que nous l’avons dit.

 

 

Articulus 5 [2514] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 tit. Utrum scientia Dei sit universalis

Article 5 – La science de Dieu est-elle universelle ?

[2515] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei sit universalis. Scientia enim universalis est quae est per causas universales. Sed Deus scit omnia per causam universalissimam, scilicet per essentiam suam. Ergo sua scientia est maxime universalis.

 Difficultés :

1. Il semble que la science de Dieu soit universelle. En effet, la science universelle est celle qui procède par les causes universelles. Mais Dieu connaît toute chose par sa cause la plus universelle, à savoir par son essence. Donc sa science est la plus universelle.

[2516] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 2 Item, videtur quod sit particularis. Cognitio enim particularis est per quam cognoscitur propria natura rei. Sed proprias naturas omnium rerum Deus perfecte cognoscit. Ergo sua scientia particularis est.

 2. En outre, il semble qu’elle soit particulière. La connaissance particulière en effet est celle par laquelle est connue la nature propre de la chose. Mais Dieu connaît parfaitement les natures propres de toutes les choses. Sa science est donc particulière.

[2517] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 3 Item, videtur quod etiam sit in potentia. Sicut enim operatio sua extenditur ad ea quae sunt extra ipsum, quae ipsius operatione causantur, ita et scientia ; cum ea quae extra ipsum sunt, ab eo cognoscantur. Sed Deus non semper operatus est res in actu, quia ab aeterno non fuerunt. Ergo videtur quod nec debeat dici semper sciens in actu, sed quandoque in potentia.

 3. En outre, il semble même que sa science soit en puissance. En effet, comme son opération s’applique même à ce qui est en dehors de Lui et qui est causé par son opération, il en est de même pour sa science, puisque les choses qui sont en dehors de Lui sont connues par Lui. Mais Dieu n’a pas toujours fait les choses en acte, car elles n’ont pas existé de toute éternité. Il semble donc qu’on ne puisse dire non plus qu’il les a toujours connu en acte, mais parfois en puissance.

[2518] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 4 Item, videtur quod etiam sit in habitu. Sicut enim potentia est medium inter essentiam et operationem, ita habitus est medium inter potentiam et actum. Sed quamvis in Deo omnia unum sint, tamen designamus essentiam, operationem, et virtutem. Ergo et similiter habitum in ipso designare poterimus, ut dicamus Deum esse scientem in habitu.

 4. En outre, il semble que Dieu possède aussi la science comme un habitus. En effet, tout comme la puissance est un intermédiaire entre l’essence et l’opération, de même l’habitus est un intermédiaire entre la puissance et l’acte. Mais bien qu’en Dieu tout soit un, cependant nous désignons l’essence, l’opération et la vertu. Nous pourrions donc de la même manière désigner en Lui un habitus de manière à dire qu’il y a en Dieu l’habitus de la science.

[2519] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 arg. 5 Item, videtur quod scientia sit in actu. Nihil enim est agens nisi secundum quod est in actu. Sed Deus agit omnia per sapientiam suam ; unde in Psalm. 103, 24, dicitur: Omnia in sapientia fecisti. Ergo sua scientia maxime est in actu.

 5. En outre, il semble que Dieu soit la science en acte. En effet, un agent n’est rien d’autre que ce qui est en acte. Mais Dieu fait toutes les choses par sa sagesse ; d’où l’Écriture [Psaume 103, 24] dit : Tu as tout fait avec sagesse. Donc sa science est suprêmement en acte.

[2520] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, ea quae non sunt ejusdem rationis non dividuntur eisdem differentiis: quia, secundum Philosophum, in Antepraedicam. diversorum generum diversae sunt species et differentiae. Sed scientia Dei et scientia nostra non sunt ejusdem rationis. Ergo cum omnia praedicta sint differentiae nostrae scientiae, videtur quod ad divinam scientiam non sint referenda.

 Cependant :

1. Les choses qui ne sont pas de même nature ne sont pas divisées par les mêmes différences car, selon le Philosophe dans les Anteprédicaments, les espèces et les différences de genres différents sont elles-mêmes différentes. Mais la science de Dieu et la nôtre ne sont pas de même nature. Donc, puisque toutes les choses qui ont déjà été dites sont les différences de notre science, il semble qu’elles ne doivent pas être rapportées à la science divine.

[2521] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, hoc etiam Commentator dicit, in II Metaph., text. com. 51, quod scientia Dei nec est universalis, nec particularis, nec in potentia.

 2. Par ailleurs, le Commentateur [11 Métaphysique, texte com. 51] dit encore ceci, à savoir que la science de Dieu n’est ni universelle, ni particulière, ni en puissance.

[2522] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod nihil dictorum divinae scientiae convenit, nisi hoc solum quod est semper in actu esse: cujus ratio est quia conditiones scientiae praecipue attenduntur secundum rationem medii, et similiter cujuslibet cognitionis.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que rien de ce qui a été dit de la science divine n’est juste, sauf cela seul qu’elle est toujours en acte: la raison e nest que les conditions de la science se vérifient surtout selon la raison de moyen, et qu’il en est de même pour toute connaissance.

Id autem quo Deus cognoscit quasi medio, est essentia sua, quae non potest dici universale, quia omne universale additionem recipit alicujus per quod determinatur ; et ita est in potentia, et imperfectum in esse ; similiter non potest dici particularis, quia particularis principium materia est, vel aliquid loco materiae se habens, quod Deo non convenit. Similiter etiam ab essentia ipsius omnis potentia passiva vel materialis remota est, cum sit actus purus ; unde nec etiam ratio habitus sibi competit, quia habitus non est ultima perfectio, sed magis operatio quae perficit habitum. Et ideo scientia sua neque universalis neque particularis neque in potentia neque in habitu dici potest, sed tantum in actu.

Mais ce par quoi Dieu connaît comme par un moyen, c’est son essence dont on ne peut dire qu’elle est universelle car tout universel reçoit l’addition de quelque chose par quoi il se trouve à être déterminé ; et ainsi il est en puissance quant à cela et imparfait dans l’existence ; de même on ne peut dire de son essence qu’elle est particulière car le principe du particulier est la matière ou quelque chose qui tient lieu de matière et qui ne convient pas à Dieu. De même encore toute puissance passive ou matérielle est exclue de son essence puisqu’Il est un acte pur ; d’où il résulte encore que la notion d’habitus ne lui convient pas car l’habitus n’est pas la perfection ultime mais c’est plutôt l’opération qui donne sa perfection à l’habitus. Et c’est pourquoi il est impossible de dire de la science de Dieu qu’elle est universelle, particulière, en puissance ou en habitus. On doit seulement dire qu’elle est en acte.

[2523] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis divina essentia sit causa universalis rerum, non tamen ita quod aliquid sibi sit addibile, per quod propria et perfecta causa efficiatur ; immo per seipsum est sufficiens et perfecta causa cujuslibet rei ; et ideo cognitio quae est per talem causam non est scientia in universali, sed in propria natura cujuslibet rei.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que la science divine soit la cause universelle des choses, ce n’est cependant pas de telle manière que quelque chose lui soit ajoutable et grâce à quoi elle deviendrait une cause propre et parfaite ; mais bien plutôt elle est par elle-même une cause suffisante et parfaite de toutes les choses ; et c’est pourquoi la connaissance qui a lieu par une telle cause  n’est pas une science dans l’universel mais dans la nature propre de toute chose.

[2524] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis Deus cognoscat propriam naturam cujuslibet rei, non tamen cognoscit per aliquod acceptum a re: quia, ut dicit Dionysius, VII cap. De div. Nom., col. 866, divina scientia non immittit se singulis rebus quae cognoscuntur ; nec est alia scientia qua seipsum cognoscit et alias res ; et ideo non potest dici particularis: quia proprie illa scientia est particularis quae est per medium particulare a re acceptum.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que Dieu connaisse la nature propre de toute chose, il ne la connaît cependant pas au moyen de ce qu’il tirerait de la chose : car comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, col. 866] la science divine ne se lance pas dans les choses singulières qui sont connues ; et la science par laquelle il se connaît lui-même n’est pas autre que celle par laquelle il connaît les autres choses ; et c’est pouruquoi on ne peut dire de sa science qu’elle est particulière car à proprement parler, la science particulière est celle qui a lieu par un moyen terme particulier tiré de la chose.

[2525] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus non agit per operationem mediam: sed sua operatio est sua essentia: unde sicut scientia semper est in actu et non in potentia, ita et operatio, quamvis operatum non sit semper: quod contingit propter ordinem sapientiae disponentis. Et tamen Deus non dicitur fecisse res ab aeterno, sicut scivit ab aeterno ; quia operatio significatur ut exiens ab operante in operatum vel factum ; et ideo non potest dici Deus esse faciens nisi quando aliquid fit. Sed scire, quamvis etiam exteriorum sit, non est tamen eorum nisi secundum quod sunt in sciente per sui similitudinem ; et ideo secundum conditionem scientis, et non sciti, dicitur Deus ab aeterno scivisse etiam quae non ab aeterno fuerunt.

 3. Il faut dire en troisième lieu que Dieu n’agit pas par une opération intermédiaire : mais son opération est son essence ; d’où il suit que tout comme la science est toujours en acte et non en puissance, il en est de même pour l’opération, bien que l’œuvre réalisée n’ait pas toujours existé : ce qui est possible à cause de l’ordre de la sagesse qui ordonne. Et cependant on ne dit pas de Dieu qu’il a fait les choses de toute éternité tout comme il les connaît de toute éternité car l’opération est signifiée comme sortant de l’agent vers l’œuvre ou le produit ; et c’est pourquoi on ne peut dire de Dieu qu’il est en train d’agir que lorsque quelque chose est en train d’être produit. Mais bien que son savoir porte aussi sur les choses extérieures, il ne porte cependant sur elles que selon qu’elles existent dans celui qui sait par sa similitude, à savoir conformément à sa manière de connaître ; et c’est pourquoi c’est d’après la condition de celui qui connaît et non de ce qui est connu qu’on dit de Dieu qu’il connaît de toute éternité même les choses qui n’ont pas toujours existé

 

 

[2526] Super Sent., lib. 1 d. 35 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus nominat principium operationis perfectum ; et ideo virtutem operativam in Deo significare possumus: sed habitus non est nisi perfectio alicujus potentiae incompletae ad actum: non tamen ultima perfectio ; unde ponit duplicem imperfectionem, scilicet et in potentia perfecta per habitum et in habitu qui per operationem perficitur: et ideo nomen habitus, proprie loquendo, Deo non competit: et si aliquando dicatur dominus ab aeterno non in actu sed in habitu, magis est per similitudinem quam secundum proprietatem dictum.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la vertu signifie un principe parfait d’opération ; et c’est pourquoi nous pouvons signifier en Dieu une vertu d’opération : mais l’habitus n’est qu’une perfection d’une puissance incomplète à l’égard de l’acte et elle n’est cependant pas une perfection ultime ; d’où elle pose une double imperfection, à savoir à la fois dans la puissance qui est complétée par l’habitus et dans l’habitus qui est complété par l’opération : et c’est pourquoi, à proprement parler, le nom d’habitus ne convient pas à Dieu et si on dit parfois que le Seigneur est de toute éternité non pas en acte mais en habitus, cela se dit davantage par ressemblance que par une propriété réelle.

 

 

Distinctio 36

 

Distinction 36 – [La connaissance de Dieu et les idées]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La connaissance de Dieu]

 

 

Prooemium

 

[2528] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 pr. Hic est duplex quaestio.

Prima de his quae a Deo cognoscuntur. Secunda de ideis, per quas res cognoscit.

 Circa primum quaeruntur tria:

1 utrum Deus cognoscat singularia ;

2 utrum cognoscat mala ;

3 qualiter ea quae cognoscit, in ipso esse dicuntur.

 La recherche porte ici sur deux objets.

Le premier se rapporte à ce qui est connu de Dieu. Le deuxième se rapporte aux idées par lesquelles il connaît les choses.

On cherche à répondre à trois questions relativement au premier objet :

1. Est-ce que Dieu connaît les singuliers ?

2. Est-ce qu’il connaît le mal ?

3. En quel sens peut-on dire que ce qu’il connaît est en Lui ?

 

 

 

Articulus 1 [2529] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus cognoscat singularia

Article 1 – Dieu connaît-il les singuliers ?

[2530] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non cognoscat singularia. Dicit enim Boetius, quod universale est dum intelligitur, particulare dum sentitur. Sed in Deo non est potentia sensitiva, cum sit virtus impressa organo corporali, nisi forte metaphorice sumendo. Ergo videtur quod cognitio singularium Deo non conveniat.

 Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne connaisse pas les singuliers. En effet, Boèce dit que l’universel est l’objet de l’intelligence et le singulier celui du sens. Mais il n’y a pas de puissance sensitive en Dieu, puisque le sens est une puissance enfoncée dans un organe corporel, à moins qu’on ne le prenne peut-être par métaphore. Il semble donc que la connaissance des singuliers ne convienne pas à Dieu.

[2531] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, nihil cognoscitur ab aliquo nisi secundum quod est in cognoscente. Sed particulares effectus non sunt in causis universalibus nisi in potentia. Ergo videtur, cum essentia divina sit universalis causa omnium, in qua omnia cognoscit, quod singularium propriam cognitionem non habeat.

 2. Par ailleurs, aucune chose n’est connue par un être que selon qu’elle est dans cet être qui connaît. Mais les effets particuliers n’existent qu’en puissance dans les causes universelles. Il semble donc, puisque l’essence divine est la cause universelle de tout dans laquelle il connaît toute chose, qu’il ne possède pas une connaissance propre des singuliers.

[2532] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis cognitio est per assimilationem cognoscentis ad cognitum. Sed singulare non est singulare nisi per materiam. Ergo nulla virtus quae abstrahit a materia et ab omnibus appenditiis ejus, potest cognoscere singulare inquantum est singulare. Sed intellectus divinus est maxime a materia et a conditionibus materialibus separatus. Ergo Deus singularia non cognoscit.

 3. Par ailleurs, toute connaissance a lieu par une assimilation de celui qui connaît à l’objet connu. Mais le singulier n’est singulier que par la matière. Donc, aucune puissance qui fait abstraction de la matière et de tout ce qui s’y rattache ne peut connaître le singulier en tant que singulier. Mais l’intelligence divine est suprêmement séparée de la matière et des conditions matérielles. Dieu ne connaît donc pas les singuliers.

[2533] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Dionysius, in II cap. De div. Nom. § 5, col. 643, eodem modo creaturae participant, quamvis sint diversae, unam Dei bonitatem, sicut plures lineae egrediuntur ab uno centro, et sicut plures figurationes fiunt ab uno sigillo. Sed qui cognoscit centrum non ex hoc cognoscit lineas productas a centro inquantum est haec et illa, sed in communi tantum ; et similiter est in alio exemplo inducto. Ergo videtur quod Deus cognoscendo seipsum, non cognoscat singularia inquantum hujusmodi.

4. Par ailleurs, ainsi que le dit Denys [Les Noms Divins, ch. 11, & 5, col. 643], les créatures participent de la même manière, bien que diversement, de la seule et même bonté divine, tout comme plusieurs lignes procèdent d’un même centre et tout comme plusieurs figures viennent d’un même sceau. Mais celui qui connaît le centre ne connaît pas pour autant les lignes produites à partir du centre en tant qu’elles sont telles et telles ligne singulières, mais seulement dans l’universel ; et il en est de même pour l’autre exemple présenté. Il semble donc qu’en se connaissant Dieu ne connaisse pas les singuliers en tant que tels.

[2534] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 1 Contra, ad Heb. 11, 6, « Credere oportet accedentem ad Deum quia est, et quod diligentibus se remunerator sit ». Sed non potest remunerare opera hominum singularium, nisi cognoscat operantes et ipsorum opera. Ergo oportet credere quod singularia Deus cognoscat.

 Cependant :

1. L’Apôtre [Épître aux Hébreux, 11, 6] dit le contraire : «Celui qui s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent». Mais Dieu ne peut récompenser les œuvres des hommes singuliers que s’il connaît ceux qui les font ainsi que leurs œuvres individuelles. Il faut donc croire que Dieu connaît les singuliers.

[2535] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Deus habet de rebus scientiam practicam, quae est operationis principium. Sed operatio est circa singularia. Ergo videtur quod sua scientia sit etiam singularium.

 2. Par ailleurs, Dieu possède une science pratique au sujet des choses, laquelle est principe d’opération. Mais l’opération a pour objet les singuliers. Il semble donc que sa  science se rapporte aussi aux singuliers.

[2536] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Deus absque dubio omnium, et universalium et singularium, cognitionem habet. Sciendum tamen, quod circa hanc quaestionem diversi diversimode processerunt [senserunt Éd de Parme].

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que Dieu possède sans aucun doute une connaissance à la fois des universels et des singuliers. Il faut cependant savoir qu’à ce sujet les différents philosophes ont pensé [jugé Éd. de Parme] différemment.

Commentator enim in XI Metaph., text. com. 51, videtur expresse negare Deo particularium cognitionem, nisi inquantum cognoscit essentiam suam, quae est principium omnis esse. Sed cum Deus non tantum sit causa esse rerum, sed omnium quae in rebus sunt, oportet ut cognitionem rerum non tantum in eo quod sunt habeat, sed etiam in eo quod sunt talia vel talia.

Et ideo alii dixerunt, scilicet Avicenna tract. VIII Metaph., cap. VII, et Algazel, (apud Aver., lib. Destructionem, disp. VI, et sequaces eorum, quod Deus cognoscit singularia universaliter ; quod sic exponunt per exemplum.

En effet, le Commentateur [XI Métaphysique, texte com. 51] semble avoir clairement nié la connaissance des particuliers en Dieu, sauf en tant qu’il connaît son essence qui est le principe de tout être. Mais puisque Dieu n’est pas seulement le principe de l’existence des choses mais aussi de tout ce qu’il y a dans les choses, il faut qu’il possède une connaissance des choses non seulement en ceci qu’elles existent, mais aussi en cela qu’elles sont telles et telles choses individuelles.

Et c’est pourquoi d’autres ont dit, comme Avicenne [ VIII Métaphysique, ch.  VII], Algazel [Sur le livre de la Destruction d’Averroès, disp.  VI] et ceux qui les ont suivis, que Dieu connaît les singuliers dans l’universel, ce qu’ils expliquent de la manière suivante par un exemple.

Ita etiam dicunt, quod cum omnes causae reducantur in ipsum Deum sicut in causam, ipse cognoscendo se, cognoscit omnes causas secundas ; et cognoscendo causas illas, cognoscit omne quod est effectum ex illis causis, non tamen nisi universaliter.

 Ils disent ainsi encore que puisque toutes les causes se ramènent à Dieu comme à leur cause, en se connaissant Lui-même, Dieu connaît du coup toutes les causes secondes ; et en connaissant ces causes, il ne connaît cependant tout ce qui est produit à partir des ces causes que dans l’universel.

Et ideo dicunt, quod Deus non cognoscit particularia nisi universaliter, ita ut, secundum eos, determinatio accipiatur ex parte cogniti, et non solum ex parte cognoscentis ; quia si solum ex parte cognoscentis illa determinatio acciperetur, verum indubitanter esset quod Deus particularia non particulari scientia cognoscit, ut supra probatum est, dist. 25, quaest. 1, art. 5.

 Et c’est pourquoi ils disent que Dieu ne connaît les singuliers que dans l’universel de telle manière que selon eux la détermination se reçoive du côté de ce qui est connu et non seulement du côté de celui qui connaît ; car si cette détermination était reçue seulement du côté de celui qui connaît, il serait vrai sans aucun doute que Dieu ne connaît pas les particuliers par une science particulière comme nous l’avons prouvé plus haut [dist. 25, quest. 1, art. 5].

Cognoscit tamen particularia secundum particularitatem ipsorum. Unde dictum illud etiam est insufficiens. Cognoscere enim hoc modo singulare in universali, non est cognoscere propriam naturam hujus singularis vel illius ; eo quod quocumque modo universalia aggregentur, nunquam ex eis fiet singulare, nisi per hoc quod individuantur per materiam.

 Il connaît cependant les particuliers d’après leurs caractères particuliers. D’où il résulte que cette opinion aussi est insuffisante. En effet, connaître le singulier de cette manière, à savoir dans l’universel, ce n’est pas connaître la nature propre de tel ou de tel autre singulier du fait que quelle que soit la manière dont les universels s’associent, ils n’engendreront jamais un singulier, sauf à la condition d’être individués par une matière.

Et ideo ex hac etiam via sequeretur quod Deus non perfectam cognitionem de singularibus haberet. Universales enim causae non ducunt in cognitionem particularium, nisi secundum quod particularia participant naturam communem ; et sic ex causis universalibus non sciretur de particulari nisi quod habet talem vel talem naturam communem vel accidentaliter vel substantialiter.

 Et c’est pourquoi, même à partir de cette démarche, il s’ensuivrait que Dieu ne possède pas une connaissance parfaite des singuliers. En effet, les causes universelles ne conduisent à la connaissance des particuliers que selon que les particuliers participent d’une nature commune ; et ainsi à partir des causes universelles on ne connaîtrait le particulier que selon qu’il possède telle ou telle nature commune, soit accidentellement, soit substantiellement.

Ideo alii dixerunt, sicut Rabbi Moyses, quod Deus scit perfectissime singularia ; et omnes rationes, quae in contrarium inducuntur, solvit per hoc quod dicit, scientiam Dei esse aequivocam scientiae nostrae ; unde per conditiones scientiae nostrae non possumus aliquid de scientia Dei arguere: sicut enim esse Dei non comprehenditur a nobis, ita nec sua scientia. Hoc confirmat per id quod habetur per Isa. 55: Sicut exaltati sunt caeli a terra, sic exaltatae sunt viae meae a viis vestris.

 

 C’est pourquoi d’autres disent, comme le Maître Moïse, que Dieu connaît parfaitement les singuliers ; et il résout tous les arguments qui tendent à penser le contraire par ceci qu’il dit que la science de Dieu est équivoque par rapport à la nôtre. D’où il résulte qu’au moyen des conditions de notre science nous ne pouvons rien déduire au sujet de la science de Dieu : en effet, tout comme nous ne pouvons concevoir l’existence de Dieu, de même nous ne pouvons concevoir sa science. Et il confirme cela au moyen de ce que L’Écriture [Isaïe 55] : Il y a autant de distance entre mes chemins et les vôtres qu’il y en a entre les cieux et la terre.

Sed istud, quamvis sit verum, tamen oportet aliquid plus dicere: videlicet, quod quamvis scientia Dei sit alterius modi a scientia nostra, tamen per scientiam nostram aliqualiter devenimus in scientiam Dei ; et sic scientia nostra non est penitus aequivoca [univoca Éd de Parme] scientiae Dei, sed potius analogica, ut in praecedenti distinctione,XXXV, qu. 1, art. 4, dictum est. Et ideo oportet dicere secundum quid scientia nostra imitatur scientiam Dei, et in quo deficit et quare ; et ita rationes dissolvere.

 Mais bien que cela soit vrai, il faut cependant y ajouter ceci, à savoir que bien que la science de Dieu soit d’un mode plus élevé que la nôtre, cependant nous parvenons en quelque sorte à la science de Dieu au moyen de notre science ; et ainsi notre science n’est pas tout à fait équivoque [univoque Éd. de Parme] par rapport à la science de Dieu, mais plutôt analogique, ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. XXXV, quest. 1, art. 4]. Et c’est pourquoi il faut dire d’après quoi notre science imite la science de Dieu et en quoi elle s’en écarte et pourquoi, et de cette manière résoudre les arguments.

Unde procedendum est per viam quam docet Dionysius, VII cap. De div. Nomin., § 2, col. 867. Dicit enim, quod cum Deus cognoscit res per essentiam suam quae est causa rerum, eodem modo cognoscit res quo modo esse rebus tradidit ; unde si aliquid est in rebus non cognitum ab ipso, oportet quod circa illud vacet divina operatio, idest quod non sit operatum ab ipso ; et ex hoc accidit difficultas philosophis propter duo:

primo, quia quidam ipsorum non ponebant Deum operari immediate in rebus omnibus, sed ab ipso esse primas res, quibus mediantibus ab eo aliae producuntur ; et ideo non poterant invenire qualiter cognosceret res quae sunt hic, nisi in primis causis universalibus:

secundo, quia quidam eorum non ponebant materiam esse factam, sed Deum agere tantum inducendo formam.

 

 D’où il faut procéder par le chemin qu’enseigne Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, & 2, col. 867]. Ce dernier dit en effet que puisque Dieu connaît les choses par son essence qui est la cause des choses, il connaît les choses de la même manière qu’il transmet l’existence aux choses ; d’où il faut, si quelque chose dans les choses n’est pas connu de Lui, qu’à ce sujet l’opération divine ne s’exerce pas, c’est-à-dire qu’il faut que cela ne soit pas opéré par Lui ; et à partir de là il s’ensuit pour les philosophes des difficultés pour deux raisons : premièrement parce que certains parmi eux n’affirmaient pas que Dieu agit immédiatement dans toutes les choses mais que de Lui procèdent des réalités premières par l’intermédiaire desquelles les autres choses sont produites par Lui ; et c’est pourquoi ils ne pouvaient découvrir de quelle manière Dieu connaît les choses particulières, sauf dans les causes premières universelles.

Deuxièmement, parce que certains parmi eux n’affirmaient pas que Dieu a fait la matière, mais que Dieu agit seulement en introduisant des formes.

Et ideo cum materia sit principium individuationis, non poterat inveniri apud eos, quomodo Deus singularia, inquantum hujusmodi, cognoscat. Sed quia nos ponimus Deum immediate operantem in rebus omnibus, et ab ipso esse non solum principia formalia, sed etiam materiam rei ; ideo per essentiam suam, sicut per causam, totum quod est in re cognoscit, et formalia et materialia ; unde non tantum cognoscit res secundum naturas universales, sed secundum quod sunt individuatae per materiam ; sicut aedificator si per formam artis conceptam posset producere totam domum, quantum ad materiam et formam, per formam artis quam habet apud se, cognosceret domum hanc et illam ; sed quia per artem suam non inducit nisi formam, ideo ars sua est solum similitudo formae domus ; unde non potest per eam cognoscere hanc domum vel illam, nisi per aliquid acceptum a sensu.

 

 Et c’est pourquoi, puisque la matière est le principe de l’individuation, ils ne pouvaient découvrir comment Dieu connaît les singuliers en tant qu’ils sont des singuliers. Mais parce que nous posons que Dieu opère immédiatement dans toutes les choses et que de Lui procèdent non seulement les principes formels mais aussi la matière de la chose, c’est pourquoi il connaît par son essence comme par leur cause tout ce qui existe dans les choses, à la fois ce qui est formel et ce qui est matériel ; d’où il résulte qu’il ne connaît pas les choses seulement leurs natures universelles, mais aussi selon qu’elles sont individuées par la matière ; ainsi le constructeur, s’il pouvait produire par la forme qu’il a conçue par son art la totalité de la maison quant à la matière et à la forme, il connaîtrait telle et telle maison par la forme de l’art qu’il possède en lui ; mais parce que par son art il n’introduit que la forme, c’est pourquoi son art est seulement une similitude de la forme de la maison ; d’où il résulte qu’il ne peut connaître par son art telle ou telle maison, mais seulement par ce qu’il reçoit du sens.

[2537] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut ex praedictis patet, forma per quam intellectus divinus intelligit neque est universalis, quia additiones non recipit, neque singularis, quia a materia et a dispositionibus ejus immunis est ; sed tamen est principium et similitudo perfecta totius quod in re est, et materiae et formae, ut dictum est. Et ideo hoc quod dicitur, quod universale est dum intelligitur, particulare dum sentitur, referendum est ad cognitionem nostram, quae in sensu est per formam materialem, et in intellectu per formam universalem ; et ideo particularia non cognoscimus nisi per virtutem in qua est aliquid particulariter ; sed Deus particularia cognoscit neque universaliter neque particulariter ex parte cognoscentis, sed universaliter et particulariter ex parte rei cognitae.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que, tout comme on peut le voir à partir de ce qui précède, la forme par laquelle l’intelligence divine connaît n’est ni universelle parce qu’elle ne reçoit pas d’additions, ni singulière parce qu’elle est étrangère à la matière et aux dispositions de la matière ; elle est cependant le principe et la similitude parfaite de tout ce qui existe dans la chose, à la fois de la matière et de la forme, ainsi que nous l’avons dit. Et c’est pourquoi ce qui est dit dans la difficulté, à savoir que l’universel est l’objet de l’intelligence et le particulier celui du sens, doit être rapporté à notre connaissance qui a lieu dans le sens par une forme matérielle et dans l’intelligence par une forme universelle ; et c’est pourquoi nous ne connaissons les particuliers que par une puissance dans laquelle quelque chose existe sous une forme particulière ; mais Dieu connaît les particuliers ni d’une manière universelle ni d’une manière particulière du côté de celui qui connaît, mais universellement et particulièrement du côté de la chose connue.

[2538] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in causis universalibus quae non sunt tota causa rei non potest particulare perfecte sciri. Sed Deus est causa omnium universalis, ita quod est perfecta causa uniuscujusque ; et ideo se cognoscens, omnia perfecte cognoscit.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que dans les causes universelles qui ne sont pas toute la cause de la chose le particulier ne peut être connu parfaitement. Mais Dieu est la cause universelle de tout de telle manière qu’il est la cause parfaite de chaque chose ; et c’est pourquoi, en se connaissant, il connaît parfaitement toute chose.

[2539] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis in Deo non sit aliquid materiale, sed essentia ejus sit actus tantum, tamen ille actus est causa omnium quae sunt in re et materialium et formalium ; quem actum imitatur quantum potest omnis res et quidquid in re est ; et ideo essentia divina est similitudo non tantum formalium, sed etiam materialium rei ; et ideo per ipsam possunt cognosci singularia etiam inquantum hujusmodi.

 3. Il faut dire en troisième lieu que bien qu’en Dieu il n’y ait rien de matériel et que son essence ne soit qu’acte, cependant cet acte est la cause de tout ce qui se trouve dans la chose, à la fois de ce qui est matériel et de ce qui est formel, acte que toute chose et que tout ce qui s’y trouve cherche à imiter dans la mesure du possible ; et c’est pourquoi l’essence divine est la similitude non seulement de ce qui est formel dans la chose, mais aussi de ce qui y est matériel ; et c’est pourquoi les singuliers peuvent être connus par elle, même en tant qu’ils sont singuliers.

[2540] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia exempla quae adducuntur a creaturis in Deum, deficientia sunt, ut idem Dionysius dicit De div. Nom., cap. II, col. 635: non enim invenitur in creaturis aliqua causa communis quae sit causa totius quod in re est ; sicut sigillum est causa figurae in cera et non ipsius cerae ; et ideo per cognitionem sigilli non potest cognosci figura impressa inquantum est haec vel illa, quia hoc habet ex materia.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que tous les exemples qui sont tirés des créatures à Dieu sont défectueux comme le dit aussi Denys [Les Noms Divins, ch. 11, dol. 635] : en effet, on ne retrouve pas dans les créatures une cause commune qui serait la cause de tout ce qui se trouve dans la chose ; par exemple le sceau est la cause de la figure qui est dans la cire et non de la cire elle-même, et c’est pourquoi, par la connaissance du sceau, on ne peut connaîrte la figure imprimée en tant qu’elle est telle ou telle autre figure car elle tient cela de la matière.

 

 

Articulus 2 [2541] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus cognoscat mala

Article 2 – Dieu connaît-il les maux ?

 

[2542] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non cognoscat mala. Sicut enim dicit Commentator, in III De anima, text. com. 25, si aliquis intellectus sit semper in actu, non cognoscit privationem omnino. Sed intellectus divinus semper est in actu. Cum igitur malum sit privatio, ut Augustinus dicit, in Enchir., cap. XI, col. 236, videtur quod Deus non cognoscat malum.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne connaisse pas le mal. En effet, tout comme le dit le Commentateur [111 De l’Âme, texte com. 25] si une intelligence est toujours en acte ne connaît absolument pas la privation. Mais l’intelligence divine est toujours en acte. Donc, puisque le mal est une privation, comme le dit Saint-Augustin [Enchiridium, ch. XI, col. 236], il semble que Dieu ne connaisse pas le mal.

[2543] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, omnis scientia vel est causa scitorum, vel causata ab eis. Sed Dei scientia causata non est. Cum ergo malorum causa non sit, videtur quod Deus mala nesciat.

 2. Par ailleurs, toute science est ou bien la cause de ce qui est connu, ou bien elle en est causée. Mais la science de Dieu n’est pas causée. Donc, puisqu’elle n’est pas la cause du mal, il semble que Dieu ignore le mal.

[2544] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, scientia est assimilatio scientis ad rem scitam. Cum igitur malum inquantum hujusmodi non assimiletur Deo, immo ipse recessus a similitudine est malum ; videtur quod Deus malum non cognoscat.

 3. Par ailleurs, la science est l’assimilation de celui qui sait à la chose connue. Donc puisque le mal en tant que tel n’est pas assimilé à Dieu mais qu’au contraire tout éloignement d’une similitude de Dieu est le mal, il semble que Dieu ne connaisse pas le mal.

[2545] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 arg. 4 Si dicas, quod cognoscit malum per bonum ; contra. Cognoscere aliquid non per se sed per aliud est imperfectae cognitionis. Nihil autem imperfectum Deo est attribuendum. Ergo Deus non cognoscit mala per bona.

 4. Si tu dis que Dieu connaît le mal par le bien, je réponds au contraire que connaître une chose non pas par elle-même mais par quelque chose d’autre c’est la connaître imparfaitement. Mais rien d’imparfait ne doit être attribué à Dieu. Donc Dieu ne connaît pas le mal par le bien.

[2546] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in Psal. LXVIII, 6, dicitur: Deus, tu scis insipientiam meam, et delicta mea a te non sunt abscondita.

 Cependant :

1. Mais l’Écriture [Psaume LXVIII, 6] dit : Mais Toi, Dieu, tu connais ma sottise et mes fautes ne te sont pas cachées.

[2547] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, Philosophus dicit, in I De anima, text. 105, quod rectum est judex sui ipsius et obliqui. Cum igitur malum sit obliquatio a rectitudine boni, videtur quod Deo, qui omnia bona perfecte cognoscit, notitia mali [boni Éd de Parme] non desit.

2. Par ailleurs, le Philosophe [1 De l’Âme, texte 105] dit que le droit ou le juste est juge de soi-même et de ce qui est tordu. Donc, puisque le mal est une déviation de la rectitude du bien, il semble donc que Dieu, qui connaît parfaitement tous les biens, ne soit pas privé de la connaissance du mal [du bien Éd. de Parme].

[2548] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod nescire dicitur dupliciter:

uno modo metaphorice ad similitudinem nescientis se habere ; et sic ipsum reprobare Dei nescire dicitur, quia malos a gloria sua excludit ; sicut aliquis ignotos a secretis suis excludit: et per oppositum Deus dicitur scire quae approbat: et sic verum est quod Deus dicitur nescire mala.

Alio modo dicitur nescire proprie notitia rei carere, et per oppositum scire notitiam rei habere ; et ita Deus novit et bona et mala cognoscendo essentiam suam, sicut tenebrae cognoscuntur per cognitionem lucis, ut dicit Dionysius, VII cap. de div. nom.,§ 2, col. 870

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le terme ¨ignorer¨ se dit de deux manières : premièrement en un sens métaphorique à la ressemblance de celui qui ne sait pas qu’il est ; et en ce sens la condamnation même de Dieu est appelée ignorance car les méchants sont exclus de sa gloire ; tout comme quelqu’un écarte les inconnus de ses entretiens secrets et que par opposé on dit de Dieu qu’il connaît ceux qu’il approuve : et en ce sens il est vrai de dire de Dieu qu’il ignore le mal.

Deuxièmement on dit qu’ignorer consiste à être privé de la connaissance propre d’une chose et par opposition on dit que savoir c’est posséder cette connaissance propre de la chose ; et ainsi Dieu connaît à la fois les biens et les maux en connaissant son essence, tout comme les ténèbres sont connues par la connaissance de la lumière ainsi que le dit Denys [Les Noms divins, ch.  VII, & 2m cik, 870].

Sed sciendum est, quod privatio non cognoscitur nisi per habitum oppositum: nec habitui opponitur privatio nisi circa idem subjectum considerata. Cum autem lucem divinae essentiae impossibile sit deficere, non opponitur sibi privatio aliqua. Unde malum non opponitur bono, prout in Deo est determinate ; sed forte opponitur sibi secundum communem intentionem boni.

 Mais il faut savoir que le privation n’est connue que par l’habitus qui lui est oppposé : et la privation n’est opposée à l’habitus que si on la considère par rapport au même sujet. Mais puisqu’il est impossible que la lumière de l’essence divine soit en défaut, on ne peut lui opposer aucune privation. D’où il résulte que le mal, en tant qu’il se trouve déterminément en Dieu, ne s’oppose pas au bien, à moins qu’il lui est opposé d’après l’intention commune de bien.

 Opponitur autem determinate bono quod est participatum in creaturis cui potest admisceri defectus. Unde per hoc quod Deus cognoscit essentiam suam cognoscit ea quae ab ipso sunt, et per ea cognoscit defectus ipsorum. Si autem essentiam suam cognosceret tantum, nullum malum vel privationem cognosceret nisi in communi.

 Le mal est cependant déterminément opposé au bien qui est participé dans les créatures auxquelles peut se mélanger le manque. D’où il résulte que du fait que Dieu connaît son essence il connaît les êtres qui procèdent de Lui et par eux il connaît leurs défauts. Mais s’il connaissait  seulement son essence, il ne connaîtrait aucun mal et aucune privation, si ce n’est dans l’universel.

[2549] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 1 Et ideo patet responsio ad primum: quia ex hoc quod Commentator ponit, XII Metaph., text. com. 51, quod nihil nisi essentiam suam cognoscit, sequitur quod mala nescit ; unde ibidem subdit, quod nescit mala esse ; unde eodem modo quo alia a se cognoscit, et privationes ipsorum novit: non sicut primum cognitum, quia in intellectu suo non potest esse aliqua privatio ; sed ab eo sunt secunda intellecta, ut ex praedictis, dist. 25, qu. 1, art. 2, patet.

 Solutions :

1. Et c’est pourquoi la solution à la première difficulté est évidente : car à partir de ce que pose le Commentateur [XII Métaphysique, texte com. 51], à savoir que Dieu ne connaît que son essence, il s’ensuit qu’Il ignore les maux ; d’où il ajoute au même endroit qu’Il ignore que les maux existent ; d’où il résulte qu’Il connaît leurs privations de la même manière qu’il connaît les choses qui sont autres que lui, non pas en tant qu’objet connu premier car dans son intelligence il ne peut y avoir aucune privation, mais en tant qu’objets connus seconds par son intelligence, ainsi qu’on peut le voir à partir de ce qui précède [dist. 25, qu. 1, art. 2].

[2550] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia Dei nullo modo a re causata est ; nec tamen est causa omnium quae cognoscit, sed horum tantum quorum est per se cognitio, scilicet bonorum. Mala autem cognoscit per bona, ut dictum est, in corp. art.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la science de Dieu n’est en aucune manière causée par les choses; et elle n’est cependant pas la cause de tout ce qu’il connaît, mais seulement de celles dont il y a connaissance par soi, à savoir des biens. Mais il connaît les maux par les biens ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

[2551] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod malum non cognoscitur a Deo per similitudinem suam, sed per similitudinem boni: secundum enim quod Deus cognoscit essentiam suam cognoscit unamquamque rem quantum de sua bonitate participat, et in quo deficiat ; et ita cognoscit malum, cum in defectu ratio mali consistat.

 3. Il faut dire en troisième lieu que le mal n’est pas connu de Dieu par sa similitude, mais par la similitude du bien: en effet, selon que Dieu connaît son essence, il connaît chaque chose en tant qu’elle participe de sa bonté et en tant qu’elle s’en écarte; et c’est ainsi qu’il connaît le mal, puisque la notion de mal consiste dans le manque ou le défaut.

[2552] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cognoscere per aliud id quod per se natum est cognosci est imperfectae cognitionis ; sed malum per se nec causam nec voluntatem nec cognitionem habet, sed per bonum, ut dicit Dionysius, IV cap. De div. nom., §§ 19, 20, 32, col. 715, etc.: et ideo haec est perfecta cognitio mali, ut per bonum cognoscatur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que connaître par un autre ce qui est naturellement apte à être connu par soi relève d’une connaissance imparfaite ; mais c’est par le bien et non par lui-même que le mal possède une cause, une volonté et une connaissance comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 19, 20, 32, col. 715, etc.]. et c’est pourquoi cette connaissance du mal par le bien est une connaissance parfaite du mal.

 

 

Articulus 3 [2553] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 tit. Utrum res quae cognoscuntur a Deo sint in Deo

Article 3 – Ce qui est connu par Dieu est-il en lui ?

 

[2554] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod res quae a Deo cognoscuntur, in Deo non sint. Omne illud in quo est aliquid diversum ab eo, compositum est. Cum igitur Deus sit simplicissimus, videtur quod res quae sunt diversae ab eo, in ipso non sint.

 Difficultés :

1. Il semble que les choses connues de Dieu ne soient pas en Lui. Toute réalité dans laquelle il y a une chose différente d’elle est composée. Donc, puisque Dieu est suprêmement simple, il semble que les choses qui sont différentes de Lui ne soient pas en Lui.

[2555] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 2 Si dicas, quod non sunt in eo per essentiam, sed per sui similitudinem: contra. Unaquaeque res verius est ubi est per suam essentiam, quam ubi est per suam similitudinem: quia ibi non videtur esse nisi secundum quid. Si igitur res in Deo non sunt nisi secundum sui similitudinem, videtur quod verius et melius sint in seipsis quam in Deo: quod est contra Augustinum, lib. V Sup. Gen. Ad litt., cap. XV, col. 332, et Anselmum , in Monol., cap. XXXIV, col. 189.

2. Si tu dis qu’elles ne sont pas en Lui de par leur essence mais par leur ressemblance, je réponds que chaque chose existe plus véritablement où elle se trouve de par son essence qu'où elle se trouve par sa ressemblance car elle ne semble exister là que sous un rapport partiel. Si donc les choses n’existent en Dieu que par leur ressemblance, il semble qu’elles existent plus véritablement et mieus en elles-mêmes qu’en Dieu, ce qui est contraire à ce que dit Saint-Augustin [V Sup. Gen. Ad litt., ch. XV, col. 332] et Saint-Anselme [Monol. Ch. XXXIV, col. 189].

[2556] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, similitudo respondet ei cujus est similitudo. Sed res omnes non habent in se lucem et vitam. Cum igitur in Deo sint vita et lux, videtur quod non sint in Deo per similitudinem.

 3. Par ailleurs, la similitude correspond à ce dont elle est la similitude. Mais toutes les choses n’ont pas en elles la lumière et la vie. Donc, puisqu’il y a en Dieu la lumière et la vie, il semble que certaines choses ne soient pas en Dieu par leur ressemblance ou similitude.

[2557] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, ubi est res secundum sui similitudinem, ibi non attribuitur sibi operatio propria sua: lapis enim in oculo non movetur deorsum. Sed Act. XVII, 28 dicitur, quod in ipso Deo vivimus, movemur et sumus. Ergo videtur quod non sumus in Deo per similitudinem tantum.

4. Par ailleurs, là où la chose se trouve d’après sa similitude, on ne lui attribue pas là son opération propre: en effet, ce n’est pas en tant qu’elle existe dans l’oeil que la pierre se meut vers le bas. Mais l’Écriture [Actes, XVII, 28] dit: C’est en Dieu lui-même que nous vivons, que nous nous mouvons et que nous sommes. Il semble donc que nous ne sommes pas en Dieu seulement par mode de similitude.

[2558] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, similitudines rerum in Dei scientia existentes, cum ad scientiam pertineant, Filio appropriantur. Sed in ipso appropriatur in Littera Spiritui sancto: per ipsum Filio, et ex ipso Patri. Ergo videtur quod non dicantur res esse in Deo secundum similitudinem.

 5. Par ailleurs, les similitudes des choses qui existent dans la science de Dieu, puisqu’elles se rapportent à la science, sont appropriées au Fils. Mais dans la Lettre elles lui sont appropriées dans l’Esprit-Saint, par le Fils et à partir du Père. Il semble donc qu’on ne dise pas des choses qu’elles existent en Dieu d’après la similitude.

[2559] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Joan. 1, 3: Quod factum est in ipso vita erat.

 Cependant:

1. Ce n’est pas là ce que nous dit l’Écriture [Jean, 1, 3]: Ce qui a été fait avait la vie en Lui.

[2560] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod haec praepositio « in » secundum quod diversis adjungitur, diversas habitudines notat ; ut cum dicitur esse in toto, vel esse in loco, et hujusmodi. Et ideo sciendum, quod aliud est esse in scientia Dei, et aliud in Deo esse et aliud esse in essentia divina

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que cette préposition ¨in¨, à savoir ¨en¨ ou ¨dans¨, selon qu’on la lie à différentes choses, signifie différents rapports, comme lorsqu’on dit ¨être dans un tout¨ ou ¨être dans un lieu¨, ou des expressions de la sorte. Et c’est pourquoi il faut savoir que les expressions suivantes, à savoir ¨être dans la science de Dieu¨, ¨être en Dieu¨ et ¨être dans l’essence divine¨ signifient différemment.

Scientia enim nominat cognitionem quamdam. Unde esse in scientia nihil aliud est quam per scientiam cognosci ; et ideo omnia quae Deus scit, et bona et mala, in scientia ejus esse dicuntur. Sed essentia significatur per modum formae vel naturae ; unde esse in essentia divina nihil aliud est quam subsistere in natura divina, vel esse idem naturae divinae ; et ideo creaturae non possunt dici in essentia divina esse, sed tantum personae divinae et proprietates et attributa.

 

 En effet, la science signifie une certaine connaissance. C’est pourquoi exister dans la science n’est rien d’autre que d’être connu par mode de science ; et c’est pourquoi toutes les choses que Dieu connaît, à la fois les bonnes et les mauvaises, on dit à leur sujet qu’elles existent dans sa science. Mais l’essence est signifiée par mode de forme ou de nature ; d’où exister dans l’essence divine n’est rien d’autre que de subsister dans la nature divine ou d’avoir la même existence que la nature divine ; et c’est pourquoi on ne peut dire des créatures qu’elles existent dans la nature divine, mais seulement des personnes divines, de leurs propriétés et de leurs attributs.

Sed hoc nomen Deus significat rem subsistentem, cujus est esse et operari ; unde esse in Deo potest intelligi dupliciter:

vel quod est in esse ipsius, et sic creaturae non sunt in Deo ;

vel quod subjacet operi ejus, sicut dicimus opera, quorum domini sumus in nobis esse ; et per modum illum omnia quae a Deo sunt, in eo esse dicuntur, non autem mala, quae ab ipso non sunt.

 Mais le nom ¨Dieu¨ signifie la réalité subsistante, à laquelle il appartient d’exister et d’agir ; d’où exister en Dieu peut s’entendre de deux manières : soit ce qui est dans son existence et en ce sens les créatures n’existent pas en Dieu ; soit ce qui est soumis à son opération, tout comme nous disons que les œuvres dont nous sommes les maîtres sont en nous ; et de cette manière on dit de toutes les choses qui viennent de Dieu qu’elles existent en Lui, mais non pas les maux qui ne viennent pas de Lui.

Et ita patet quod tria praedicta se habent secundum quemdam ordinem. Quidquid enim est in essentia divina, est in Deo, quasi pertinens ad esse ipsius ; sed non convertitur ; sicut ea quae subjacent operi ejus, in ipso sunt, sed non in essentia ejus ; et similiter quidquid est in Deo, est in scientia ejus ; sed non convertitur, ut patet de malis.

 Et ainsi il est clair que les trois expressions qui précèdent se présentent selon un ordre. En effet, tout ce qui est dans l’essence divine est en Dieu comme appartenant à son existence, mais non inversement ; par exemple les choses qui sont soumises à son opération sont en lui mais non dans son essence ; et semblablement tout ce qui est en Dieu est dans sa science mais non inversement comme on le voit pour les maux.

[2561] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in Deo nihil est diversum ab ipso ; unde et creaturae, secundum hoc quod in Deo sunt, non sunt aliud a Deo: quia creaturae in Deo sunt causatrix essentia, ut dicit Anselmus ; sunt enim in Deo per suam similitudinem: ipsa autem essentia divina similitudo est omnium eorum quae a Deo sunt.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’en Dieu rien n’est autre que Lui ; d’où il suit que les créatures, selon qu’elles existent en Dieu, ne sont pas autres que Lui : car les créatures, selon qu’elles existent en Dieu, sont l’essence causatrice, comme le dit Saint-Anselme : elles sont en effet en Dieu par mode de similitude : en effet l’essence divine elle-même est la similitude de tous les êtres qui viennent de Dieu.

[2562] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse creaturae potest quadrupliciter considerari:

primo modo, secundum quod est in propria natura ;

 secundo modo, prout est in cognitione nostra ;

tertio modo, prout est in Deo ;

quarto modo communiter, prout abstrahit ab omnibus his.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’existence de la créature peut se considérer de quatre manières : premièrement selon qu’elle existe dans sa nature propre ; deuxièmement selon qu’elle existe dans notre connaissance ; troisièmement selon qu’elle existe en Dieu ; quatrièmement  dans l’universel, selon qu’elle fait abstraction de tous ces cas.

Cum ergo dicitur quod creatura verius esse habet in Deo quam in seipsa, comparatur primum et tertium esse respectu quarti: quia omnis comparatio est respectu alicuius [alicuius Éd. de Parme] communis ; et pro tanto dicitur quod in Deo habet verius esse, quia omne quod est in aliquo, est in eo per modum ejus in quo est, et non per modum sui ; unde in Deo est per esse increatum, in se autem est per esse creatum, in quo minus est de veritate essendi quam in esse increato.

 

 Donc lorsqu’on dit que la créature existe plus véritablement en Dieu qu’en elle-même, on compare la première et la troisième existence par rapport à la quatrième : car toute comparaison se fait par rapport à quelque [quelque Éd. de Parme] chose de commun ; et on dit qu’elle possède une existence plus véritable en Dieu pour autant que tout être qui existe dans un autre existe en lui selon le mode de celui dans lequel il existe et non a sa manière propre d’exister ; d’où il existe en Dieu par une existence incréée et en lui par une existence créée dans laquelle il y a moins de vérité d’existence que dans l’existence incréée.

Si autem comparetur esse primum ad secundum respectu quarti, inveniuntur se habere secundum excedentia et excessa ; esse enim quod est in propria natura rei, in eo quod est substantiale, excedit esse rei in anima quod est accidentale ; sed exceditur ab eo, secundum quod hoc est esse materiale, et illud intellectuale ; et ita patet quod aliquando res verius esse habet ubi est per suam similitudinem quam in seipsa.

 Mais si on compare la première existence à la deuxième par rapport à la quatrième, elles se présentent selon l’excès et le défaut ; en effet, l’existence qui est dans la nature propre de la chose, en ceci qu’elle est substantielle, dépasse l’existence de la chose qui est dans l’âme, laquelle est accidentelle ; mais elle est dépassée par elle selon ceci que la première est matérielle alors que la deuxième est intellectuelle ; et ainsi il est clair que parfois la chose possède une existence plus véritable où elle existe par sa ressemblance que là où elle existe en elle-même.

[2563] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod similitudo rei quae est in anima, dupliciter consideratur:

vel secundum quod est similitudo rei, et sic nihil attribuitur sibi nisi quod in re invenitur:

aut secundum esse quod habet in anima, et sic attribuitur sibi intelligibilitas vel universalitas ; sicut etiam patet in imagine corporali, cui convenit esse lapideum ex parte ejus in quo est, et non ex parte ejus cujus est similitudo.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la similitude de la chose qui est dans l’âme s’entend de deux manières : soit selon qu’elle est une similitude de la chose et ainsi on ne lui attribue rien, sauf ce qui se retrouve dans la chose ; soit selon l’existence qu’elle a dans l’âme et ainsi on lui attribue l’intelligibilité et l’universalité, tout comme on le voit aussi dans l’image corporelle à laquelle il convient d’être une pierre du côté de ce en quoi elle existe et non du côté de ce dont elle est une similitude

Similiter dico, quod similitudini rerum quae est in Deo, convenit esse vitam et lucem, non secundum hoc quod similitudo rei est, sed secundum quod est in Deo ; et dicitur vita inquantum est principium operationis ad esse rerum ; sicut etiam dicitur a Philosopho, in VIII Physic., text. 1, quod motus caeli est ut vita quaedam natura existentibus omnibus ; sed inquantum est principium cognitionis rerum, dicitur lux. Vel aliter potest dici, quod similitudo rei quae in anima est, dicitur vita inquantum est ut forma quaedam et perfectio intellectus ; et lux, inquantum est principium intellectualis operationis: et per talem similitudinem dicuntur etiam in Deo res esse vita et lux: sunt enim in eo sicut artificiata in artifice per suas similitudines.

 Je dis semblablement qu’à la similitude des choses qui est en Dieu, il convient d’être vie et lumière, non pas en tant qu’elle est une similitude de la chose, mais en tant qu’elle existe en Dieu ; et on dit de cette similitude qu’elle est vie en tant qu’elle est principe d’opération en vue de l’existence des choses ; tout comme le Philosophe [ VIII Physique, texte 1] dit encore que la nature du mouvement du ciel est comme une certaine vie pour tout ce qui existe, mais en tant qu’il est principe de connaissance, on dit de lui qu’il est une lumière. Ou bien on pourrait dire autrement que la similitude de la chose qui est dans l’âme est appelée vie en tant qu’elle est comme une certaine forme et la perfection de l’intelligence ; et on pourrait aussi dire d’elle qu’elle est lumière en tant qu’elle est principe de l’opération intellectuelle : et c’est par une telle similitude qu’on dit aussi des choses qu’elles existent en Dieu comme vie et lumière : elles existent en effet en lui comme les œuvres d’art existent dans l’artiste par leurs similitudes.

[2564] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod esse et vivere et moveri, non attribuuntur rebus in Deo existentibus secundum esse quod in ipso habent, sed secundum esse quod in seipsis habent a Deo, ut esse pertineat ad essentiam, vivere ad virtutem, et moveri ad operationem ; vel vivere ad animam, moveri ad corpus, et esse ad utrumque: et sic res in propria natura existentes dicuntur esse in Deo, secundum quod esse earum a Deo continetur ; et sic de aliis, scilicet de motu et vita.

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’exister, vivre et se mouvoir ne s’attribuent pas aux choses qui existent en Dieu d’après l’existence qu’elles ont en Lui, mais d’après l’existence qu’elles tiennent de Dieu et qu’elles ont en elles-mêmes, de sorte qu’exister se rapporte à l’essence, vivre à la puissance et se mouvoir à l’opération ; ou bien encore de telle sorte que vivre se rapporte à l’âme, se mouvoir au corps et exister aux deux : et ainsi on peut dire que les choses existent en Dieu dans leur nature propre selon que leur existence est contenue en Dieu ; et il en est de même du reste, à savoir du mouvement et de la vie.

[2565] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod similitudo rei quae est in Deo non est accepta a re, sed est causa rei ; unde quidquid est in eo per sui similitudinem, est in eo sicut in principio operante et conservante. Operatio autem et conservatio rerum a Deo completur per voluntatem et bonitatem ejus: quia voluntas inter tria, scilicet scientiam, potentiam, et voluntatem, proximius est ad opus: et ideo « in ipso » appropriatur Spiritui sancto, qui procedit per modum voluntatis, et cui bonitas appropriatur ; cum haec praepositio « in » dicat habitudinem ad continens et conservans. Sed per ipsum appropriatur Filio ; quia « per » denotat causam formalem ; et ars, per quam sicut per formam operatur artifex, Filio appropriatur. « Ex ipso » autem propter habitudinem principii, quam importat haec praepositio « ex », appropriatur Patri, qui est principium non de principio.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que la similitude de la chose qui est en Dieu n’est pas tirée de la chose elle-même, mais elle en est plutôt la cause ; d’où tout ce qui existe en Dieu par sa similitude est en Lui comme dans le principe qui opère et conserve. Mais l’opération et la conservation des choses par Dieu sont accomplies par sa volonté et sa bonté : car la volonté, parmi ces trois dimensions, à savoir la science, la puissance et la volonté, est la plus proche de l’œuvre : et c’est pourquoi ¨en lui¨ elle est appropriée à l’Esprit-Saint qui procède par mode de volonté et auquel la bonté est appropriée, puisque cette préposition ¨in¨, à savoir ¨dans¨ signifie un rapport à ce qui contient et qui conserve. Mais ¨per ipsum¨, à savoir ¨par lui¨ est approprié au Fils parce que ¨per¨, à savoir ¨par¨ indique une cause formelle ; et l’art, par lequel opère l’artiste comme par une forme, est approprié au Fils. Mais ¨ex ipso¨, à savoir ¨À partir de lui¨ , à cause du rapport de principe qu’implique cette préposition ¨ex¨, à savoir ¨à partir de¨, est attribué au Père qui est un principe sans principe.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [Les idées de Dieu]

[2566] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 pr. Deinde quaeritur de ideis ; et circa hoc tria quaeruntur. Et 1 an ideae sint ;

 2 de pluralitate idearum ;

3 utrum ideae omnium in Deo sint.

 On porte ensuite la recherche sur les idées; et à ce sujet on pose trois questions:

1. Les idées existent-elles?

2. Y a-t-il plusieurs idées?

3. Y a-t-il en Dieu les idées de tout ce qui existe?

 

 

Articulus 1 [2567] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 tit. Quid nomine ideae importetur

Article 1 – Qu’est-ce qui est impliqué par le nom d’idée ?

 

[2568] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur ideas non esse. Sicut enim dicit Philosophus, in I Metaph., text. 32, « dicere ideas exemplaria esse vaniloquium est, et poeticas metaphoras dicere ». Sed ideas exemplaria rerum dicimus. Ergo vanum est ideas dicere.

Difficultés :

1. Il semble que les Idées n’existent pas. Comme le dit en effet le Philosophe [1 Métaphysique, texte 32] : «Dire que les Idées sont des modèles, c’est du bavardage et faire des métaphores à la manière des poètes». Mais nous parlons des Idées à titre de modèles des choses. Il est donc vain de parler d’Idées.

[2569] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, perfectius est agens quod non eget in sua actione ad exemplar respicere, quam quod exemplari indiget. Sed Deus est perfectissimum [perfectum Éd. de Parme] agens. Ergo non est sibi opus ideis, ad quarum exemplar faciat res ; unde ibidem Philosophus subdit: « Nam quid est opus ad ideas respicere ? »

 2. Par ailleurs, l’agent qui dans son action n’a pas besoin de se tourner vers un modèle est plus parfait que celui qui a besoin d’un modèle. Mais Dieu est l’agent le plus parfait [parfait Éd. de Parme]. Il n’a donc pas besoin des Idées d’après le modèle desquelles il ferait les choses ; d’où le Philosophe ajoute au même endroit : «Car quelle est la nécessité de se tourner vers les Idées ?».

[2570] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum, melius scitur res per essentiam suam quam per similitudinem suam. Sed Deus nobilissime cognoscit res. Ergo scit eas per essentias earum, et non per aliquas similitudines ideales rerum.

 3. Par ailleurs, d’après Saint-Augustin, la chose est mieux connue par son essence que par sa similitude. Mais Dieu connaît les choses de la manière la plus élevée. Il les connaît donc par leurs essences et non par des similitudes idéales des choses.

[2571] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis cognitio quae est per medium, videtur esse collativa, et discursum habere de uno in aliud. Sed Deus cognoscit simplici intuitu sine discursu et collatione. Ergo videtur quod non cognoscat res mediantibus ideis.

 4. Par ailleurs, toute connaissance qui passe par un intermédiaire semble être comparative et tenir un discours d’un point à un autre. Mais Dieu connaît par une considération simple et sans discours et comparaison. Il semble donc qu’il ne connaisse pas les choses par des idées intermédiaires.

[2572] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 s. c. 1 Contra est quod dicit Augustinus, lib. LXXXIII quaest. q. XLVI : « Qui negat ideas esse, negat Filium esse ». Sed hoc est haereticum. Ergo et primum.

 Cependant :

1. Saint-Augustin [Livre des Quatre-vingt-trois Questions, quest. XLVI] : «Qui nie l’existence des Idées nie que le Fils existe». Mais cela est hérétique. Donc les Idées existent.

[2573] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Commentator dicit in XI Metaph. quod sicut omnes formae sunt in potentia in prima materia, ita sunt in actu in primo motore. Sed nihil aliud dicimus ideas, nisi formas rerum in Deo existentes. Ergo verum est ideas esse.

 2. Par ailleurs, le Commentateur [XI Métaphysique] dit que comme toutes les formes sont en puissance dans la matière première, de même elles sont en acte dans le premier moteur. Mais nous disons que les Idées ne sont rien d’autre que les formes des choses qui existent en Dieu. Il est donc vrai que les Idées existent.

[2574] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod, sicut formae artificiales habent duplex esse, unum in actu secundum quod sunt in materia, aliud in potentia secundum quod sunt in mente artificis, non quidem in potentia passiva, sed activa ; ita etiam formae materiales habent duplex esse, ut dicit Commentator in XI Metaph., text. com. 18 : unum in actu secundum quod in rebus sunt ; et aliud in potentia activa secundum quod sunt in motoribus orbium, ut ipse ponit, et praecipue in primo motore, loco cujus nos in Deo dicimus.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que tout comme les formes articifielles ont deux existences, la première en acte selon qu’elles existent dans une matière et la deuxième en puissance selon qu’elles existent dans l’esprit de l’artiste, non pas d’une puissance passive mais d’une puissance active, de même encore les formes matérielles ont deux existences comme le dit le Commentateur [XI Métaphysique, texte com. 18]: une en acte selon qu’elles existent dans les choses et l’autre en puissance active selon qu’elles existent dans les moteurs de l’univers, comme lui-même l’affirme, et surtout dans le premier moteur; mais au lieu de cela nous disons qu’elles sont en Dieu.

Unde apud omnes philosophos communiter dicitur quod omnia sunt in mente Dei, sicut artificiata in mente artificis ; et ideo formas rerum in Deo existentes ideas dicimus, quae sunt sicut formae operativae.

 Il suit de là qu’on dit communément chez tous les philosophes que tous les êtres existent dans l’Esprit de Dieu comme les choses artificielles existent dans l’intelligence de l’artiste; et c’est pourquoi nous appelons ¨Idées¨ les formes des choses qui existent en Dieu, lesquelles sont comme les formes qui servent de modèles à l’opération.

Unde dicit Dionysius loquens de ideis, in V cap. De div.nom., § 8, col. 823, « Exemplaria dicimus substantificas rationes existentium in Deo uniformiter praeexistentes, quas theologia praedefinitiones vocat, et divinas et bonas voluntates existentium praedeterminativas et productivas ». Per ideas tamen Deus non tantum practicam sed speculativam cognitionem de rebus habet, cum non solum cognoscat res secundum hoc quod ab ipso exeunt, sed etiam secundum quod in propria natura subsistunt.

 D’où Denys, en parlant des Idées [Les Noms Divins, ch. V, & 8, col. 823], dit ceci : «Nous appelons ¨modèles¨ les notions formatrices des substances qui préexistent dans la simplicité de Dieu et que la théologie appelle les prédéterminations et les bonnes et divines volontés qui produisent et déterminent à l’avance les êtres». Cependant par les Idées Dieu ne possède pas seulement une connaissance pratique des choses mais aussi une connaissance spéculative car il en connaît pas seulement les choses selon qu’elles procèdent de lui mais aussi selon qu’elles subsistent dans leur nature propre.

Idea enim dicitur ab eidos, quod est forma ; unde nomen ideae, quantum ad proprietatem nominis, aequaliter se habet ad practicam et speculativam cognitionem ; forma enim rei in intellectu existens, utriusque cognitionis principium est. Quamvis enim secundum usum loquentium idea sumatur pro forma quae est principium practicae cognitionis, secundum quod ideas exemplares rerum formas nominamus ; tamen etiam principium speculativae cognitionis est, secundum quod ideas contemplantes formas rerum nominamus.

 Le terme ¨idée¨ vient en effet du terme grec ¨eidos¨ qui signifie la forme ; d’où le nom d’idée, quant à la propriété du nom, se rapporte également à la connaissance pratique et à la connaissance spéculative ; en effet, la forme de la chose qui existe dans l’intelligence est le principe des deux sortes de connaissances. En effet, bien que selon l’usage du langage le terme ¨idée¨ se prend pour la forme qui est le principe de la connaissance pratique selon que nous appelons ¨idées¨ les formes qui sont les modèles des choses, cependant l’idée est aussi le principe de la connaissance spéculative selon que nous disons des formes contemplatives des choses qu’elles sont des idées.

[2575] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut dicit Commentator in XI Metaph., text. com. 4, Plato et alii antiqui philosophi, quasi ab ipsa veritate coacti, tendebant in illud quod postmodum Aristoteles expressit, quamvis non pervenerint in ipsum: et ideo Plato ponens ideas, ad hoc tendebat, secundum quod et Aristoteles posuit, scilicet eas esse in intellectu divino ; unde hoc improbare Philosophus non intendit ; sed secundum modum quo Plato posuit formas naturales per se existentes sine materia esse.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que tout comme le dit le Commentateur [XI Métaphysique, texte com. 4], Platon et les autres anciens philosophes, comme poussés par la vérité elle-même, tendaient vers ce qu’Aristote a exprimé clairement par la suite, bien qu’ils n’y parvinrent pas : et c’est pourquoi Platon, en affirmant l’existence des Idées, tendait vers ce qu’Aristote a établi, à savoir que les Idées existent dans l’Intellect divin ; d’où le Philosophe ne chercha pas à réfuter cela, mais seulement la manière par laquelle Platon soutint que les formes naturelles existent par elles-mêmes et sans matière.

[2576] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod si Deus indigeret respicere in aliquod exemplar extra se, esset imperfectum agens ; sed hoc non contingit, si essentia sua exemplar omnium rerum ponatur: quia sic intuendo essentiam suam, omnia producit.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qui si Dieu avait besoin de se rapporter à un modèle en dehors de Lui, il serait un agent imparfait ; mais cela n’est pas possible si on affirme que son essence est le modèle de toutes les choses : car de cette manière, en considérant son essence il produit tous les êtres.

[2577] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod oportet illud per quod est cognitio rei, esse unitum cognoscenti ; unde essentia rerum creatarum, cum sit separata a Deo, non potest esse medium cognoscendi ipsas res a Deo ; sed cognoscit eas nobiliori medio, scilicet per essentiam suam ; et ideo perfectius cognoscit et nobiliori modo ; quia sic nihil nisi essentia ejus est principium suae cognitionis. Oporteret enim quod esset aliud, si per essentiam rerum quasi per medium cognosceret res, cum medium cognoscendi sit cognitionis principium.

 3. Il faut dire en troisième lieu que ce par quoi la chose soit uni à celui qui connaît ; d’où il résulte que l’essence des choses créées, puisqu’elle est séparée de Dieu, ne peut être le moyen par lequel Dieu connaît les choses elles-mêmes ; mais il les connaît par un moyen plus élevé, à savoir par son essence ; et c’est pourquoi il les connaît d’une manière plus parfaite et plus élevée car ainsi il n’y a que son essence qui soit le principe de sa connaissance. Il faudrait en effet qu’il y ait autre chose comme principe de sa connaissance s’il connaissait les choses comme au moyen de l’essence des choses créées car le moyen de connaître est un principe de connaissance.

[2578] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod cognitio discursiva est quando ex prius notis in ignotum devenitur, et non quando per similitudinem rei apprehenditur res ipsa: quia sic etiam oculus videns lapidem, haberet cognitionem collativam de ipso: et ideo quamvis Deus sciat res per similitudinem quae in ipso est, sicut per medium, et quamvis cognoscat etiam ordinem rerum, non tamen habet discursivam scientiam, quia omnia simul intuetur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il y a connaissance discursive quand on en vient à ce qu’on ignorait à partir de ce qu’on connaît avant et non pas quand la chose elle-même est appréhendée au moyen de la similitude de la chose : car ainsi, en voyant la pierre, l’œil aurait aussi une connaissance comparative de la pierre : et c’est pourquoi, bien que Dieu connaisse les choses par la similitude qui est en Lui comme par un moyen et bien qu’il connaisse aussi l’ordre des choses, cependant il n’en a pas une connaissance discursive car il considère toutes les choses simultanément.

 

 

Articulus 2 [2579] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 tit. Utrum ideae sint plures

Article 2 – Y a-t-il plusieurs idées ?

 

[2580] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sint plures ideae. Idea enim dicitur similitudo, per quam cognoscitur res. Sed sicut supra habitum est, Deus cognoscit omnia per essentiam suam. Cum igitur essentia sua sit una, videtur quod idea sit tantum una.

Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait pas plusieurs Idées. On appelle en effet ¨idée¨ la similitude par laquelle la chose est connue. Mais comme nous l’avons établi plus haut, Dieu connaît toutes les choses par son essence. Donc, puisque son essence est une, il semble qu’il ne doive y avoir qu’une seule idée.

[2581] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 2 Si dicas, quod sunt plures propter respectus diversos ad res ; contra. Relationes quae sunt Dei ad creaturam, sunt realiter in creaturis, et non in Deo. Creaturae autem non fuerunt ab aeterno: ergo nec relationes Dei ad creaturam. Ergo ideae non fuerunt plures ab aeterno. Sed Deus non alio modo cognoscit res factas quam antequam faceret, ut habitum est ex verbis Augustini, lib. V Super Gen. Ad litt., cap. XV ; col. 332. Ergo modo non cognoscit res per plures ideas, sed per unam tantum.

2. Si tu dis qu’il y a plusieurs Idées à cause des différents rapports de l’essence divine à différentes choses, je réponds au contraire que les relations de Dieu à la créature existent réellement dans les creatures et non en Dieu. Mais les creatures n’ont pas existé de toute éternité: il en est donc de même pour les relations de Dieu à la créature. Donc les Idées n’ont pas multiples de toute éternité. Mais Dieu ne connaît pas les choses faites d’une manière qui est autre qu’avant qu’il les fit ainsi que nous l’avons établi à partir des paroles de Saint-Augustin [V Super Gen. Ad litt., ch. XV, col. 332]. Donc il ne connaît pas les choses par plusieurs Idées mais par une seule.

[2582] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, ut dictum est, idea se habet ad rem cujus est, sicut forma artis, quae est in mente artificis, ad artificiatum. Sed diversitas artificiatorum provenit ex pluralitate formarum quae sunt in mente artificis, et non e contrario. Ergo videtur quod nec diversitas rerum possit inducere pluralitatem idearum.

 3. Par ailleurs, ainsi que nous l’avons dit, l’Idée se rapporte à la chose dont elle est l’Idée comme la forme de l’art qui est dans l’esprit de l’artiste se rapporte à l’oeuvre d’art. Mais la diversité des oeuvres d’art provident de la multiplicité des formes qui existent dans l’esprit de l’artiste et non inversement. Il semble donc qu’on ne puisse déduire la multiplicité des Idées de la diversité des choses.

[2583] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut idea dicitur relative ad ideatum, ita et scientia dicitur per respectum ad scibile. Sed quamvis sint plura scita a Deo, tamen est una ejus scientia. Ergo rerum omnium quae ab ipso producuntur, est una tantum idea.

 4. Par ailleurs, tout comme l’Idée se dit relativement à ce dont elle est l’Idée, de même la science se dit relativement à l’objet de science. Mais bien qu’il y ait plusieurs objets connus par Dieu, cependant Il ne possède qu’une seule science. Il ne possède donc qu’une seule Idée de toutes les choses produites par Lui.

[2584] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, illud in quo non est pluralitas aliqua, non potest pluraliter consignificari. Sed Augustinus,lib. LXXXXIII Quaestion., quaest. XLVI, col. 30, pluraliter ideas nominat, dicens, quod ideae sunt rationes rerum stabiles, in mente divina existentes ; et cum ipsae nec oriantur nec intereant, secundum eas tamen fit omne quod interit et oritur. Ergo ideae sunt plures.

 Cependant :

Ce en quoi il n’y a aucune pluralité ne peut être signifié par la pluralité. Mais Saint-Augustin [Livre des Quatre-vingt-trois Questions, quest. XLVI, col. 30] nomme plusieurs Idées lorsqu’il dit : «Les Idées sont comme les formes premières et immuables des choses qui existent dans l’Esprit divin ; et bien qu’elles-mêmes ne commencent ni ne finissent, c’est d’après elles cependant qu’est formé tout ce qui commence et finit. Il y a donc une multiplicité d’Idées.

[2585] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum Damascenum, lib. III Fid. Orth., cap. VIII, col. 1014, differentia est causa numeri. Sed, secundum Augustinum, lib. LXXXXIII Quaestion.,loc. cit., Deus alia ratione creavit hominem et equum. Ergo videtur quod sint plures rationes ideales rerum in Deo.

 2. Par ailleurs, d’après Damascène [111 De la Foi Orthodoxe, ch.  VIII, col. 1014], la différence est la cause du nombre. Mais d’après Saint-Augustin [Livre des Quatre-vingt-trois Questions, ibid.], c’est par des formes autres que Dieu créa l’homme et le cheval. Il semble donc qu’il y ait en Dieu plusieurs formes idéales des choses.

[2586] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod cum Deus de singulis rebus propriam cognitionem habeat, oportet quod essentia sua sit similitudo singularium rerum, secundum quod diversae res diversimode et particulariter ipsam imitantur secundum suam capacitatem, quamvis ipsa se totam imitabilem praebeat ; sed quod perfecte non imitantur eam creaturae, sed difformiter, hoc est ex earum diversitate et defectu, ut dicit Dionysius, in II cap. De div. nom., § 6, col. 643.

Unde cum hoc nomen idea nominet essentiam divinam secundum quod est exemplar imitatum a creatura, divina essentia erit propria idea istius rei secundum determinatum imitationis modum. Et quia alio modo imitantur eam diversae creaturae, ideo dicitur quod est alia idea vel ratio qua creatur homo et equus ; et exinde sequitur quod secundum respectum ad plures res quae divinam essentiam diversimode imitantur, sit pluralitas in ideis, quamvis essentia imitata sit una: verbi gratia, sicut ex praedictis, dist. 2, quaest. 1, art. 3, patet, quidquid perfectionis in rebus est, hoc totum Deo secundum unum et idem indivisibile convenit, scilicet esse, vivere et intelligere et omnia hujusmodi.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que puisque Dieu possède une connaissance propre des choses, il faut que son essence soit une similitude des choses singulières selon que les différentes choses l’imitent différemment et partiellement dans la mesure où elles le peuvent bien qu’elle-même s’offre comme imitable dans sa totalité ; mais si les créatures n’imitent pas l’essence de Dieu parfaitement mais partiellement, cela vient de leur diversité et de leur manque comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. 11, & 6, col. 643].

Il résulte de là que puisque le nom d’Idée signifie l’essence divine selon qu’elle est le modèle imité par la créature, l’essence divine sera l’Idée propre de cette chose selon un mode déterminé d’imitation. Et parce que différentes créatures l’imitent d’une manière différente, c’est pourquoi on dit que l’Idée ou la forme par laquelle l’homme est créé est autre que celle par laquelle le cheval est créé ; et il suit de là que d’après le rapport à plusieurs choses qui imitent différemment l’essence divine, il y ait pluralité d’Idées bien qu’il n’y ait qu’une seule essence imitée : en d’autres mots, tout comme on le voit par ce qui précède [dist. 2, quest. 1, art. 3], toutes les perfections qu’on trouve dans les choses, à savoir l’existence, la vie et l’intelligence, tout cela se retrouve en totalité en Dieu sous une seule et même forme indivisible.

Cum autem omnes creaturae imitentur ipsam essentiam quantum ad esse, non tamen omnes quantum ad vivere: nec iterum illa quae imitantur ipsam quantum ad esse, eodem modo esse participant, cum quaedam aliis nobilius esse possideant: et ex hoc efficitur alius respectus essentiae divinae ad ea quae habent tantum esse et ad ea quae habent esse et vivere, et similiter ad ea quae diversimode esse habent ; et ex hoc sunt plures rationes ideales, secundum quod Deus intelligit essentiam suam ut imitabilem per hunc vel per illum modum. Ipsae enim rationes imitationis intellectae, seu modi, sunt ideae ; idea enim, ut ex dictis patet, art. praeced., nominat formam ut intellectam, et non prout est in natura intelligentis.

 Mais puisque toutes les créatures imitent l’essence divine quant à l’existence, mais non pas toutes quant à la vie : et qu’en outre celles qui l’imitent quant à l’existence ne participent pas de l’existence de la même manière puisque certaines possèdent une existence plus noble et qu’on obtient de là un rapport de l’essence divine aux créatures qui possèdent seulement l’existence qui est différent de celui qu’elle a à l’égard de celles qui possèdent l’existence et la vie, et qu’il en est de même pour celles qui possèdent différemment l’existence, il suit de là qu’il existe plusieurs formes idéales selon lesquelles Dieu saisit son essence comme imitable par telle ou telle autre modalité. En effet, les formes mêmes d’imitation en tant que conçues, ou leurs modalités, sont les Idées ; l’Idée en effet, comme on le voit en partant de ce qui a été dit, nomme une forme en tant que connue par l’intelligence et non en tant qu’elle existe dans la nature de celui qui pose l’acte d’intellection.

[2587] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idea non nominat tantum essentiam, sed essentiam imitabilem ; unde secundum quod est multiplex imitabilitas in essentia divina, propter plenitudinem suae perfectionis, est pluralitas idearum.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ¨Idée¨ ne signifie pas seulement l’essence, mais l’essence qui est imitable ; d’où, selon que l’imitabilité est multiple dans l’essence divine en raison de la plénitude de sa perfection, il y a là une multiplicité d’Idées.

[2588] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis relationes quae sunt Dei ad creaturam, realiter in creatura fundentur, tamen secundum rationem et intellectum in Deo etiam sunt ; intellectum autem dico non tantum humanum sed etiam angelicum et divinum ; et ideo quamvis creaturae ab aeterno non fuerint, tamen intellectus divinus ab aeterno fuit intelligens essentiam suam diversimode a creaturis imitabilem ; et propter hoc fuit ab aeterno pluralitas idearum in intellectu divino, non in natura ipsius. Non enim eodem modo est in Deo forma equi et vita ; quia forma equi non est in Deo nisi sicut ratio intellecta ; sed ratio vitae in Deo est non tantum sicut intellecta, sed etiam sicut in natura rei firmata.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que les relations qui vont de Dieu à la créature se fondent réellement dans la créature, cependant elles sont aussi en Dieu selon la raison et l’intelligence ; par intelligence je n’entends pas seulement l’intelligence humaine mais aussi celle des Anges et celle de Dieu ; et c’est pourquoi, bien que les créatures n’ont pas existé de toute éternité, cependant l’intelligence divine de toute éternité saisit son essence diversement imitable par les créatures ; et pour cette raison il y a eu de toute éternité une pluralité d’Idées dans l’intelligence de Dieu, non dans sa nature. En effet, la forme du cheval et la vie n’existent pas de la même manière en Dieu ; car la forme du cheval n’est en Dieu que comme une notion saisie par l’intelligence ; mais la notion de la vie est en Dieu non seulement en tant qu’objet saisi par l’intelligence, mais elle y est aussi comme dans la nature ferme de la chose.

[2589] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis pluralitas idearum attendatur secundum respectus ad res ; non tamen pluralitas rerum est causa pluralitatis idearum, sed e contrario ; non enim quia res diversimode imitatur divinam essentiam, ideo intellectus ejus intuetur eam diversimode imitabilem, sed potius e contrario. Intellectus enim divinus est causa rerum ; distinctio autem idealium rationum est secundum operationem intellectus divini, prout intelligit essentiam suam diversimode imitabilem a creaturis.

 3. Il faut dire en troisième lieu que bien que la pluralité des Idées se vérifie selon le rapport aux choses, ce n’est cependant pas la pluralité des choses qui est la cause de la pluralité des Idées, mais c’est l’inverse qui est vrai ; en effet, ce n’est pas parce que la chose imite différemment l’essence divine que pour cette raison son intelligence la considère comme différemment imitable, mais c’est plutôt le contraire qui est vrai. En effet, l’intelligence divine est la cause des choses ; mais la distinction des formes idéales a pour cause l’opération de l’intelligence divine en tant qu’il saisit son essence comme étant différemment imitable par les créatures.

[2590] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod essentia divina una est, et respectus plures ; et ideo illud quod nominat tantum essentiam, non potest pluraliter significari ; sicut est scientia, quae tenet se magis ex parte scientis, ut forma ipsius. Ratio autem se tenet magis ex parte rei, ut consignificari et significari pluraliter possit ; dicimus enim rationes plures. Idea autem quasi medio modo se habet ; quia essentiam et rationem imitationis, quae est secundum respectum, importat ; et ideo etsi inveniatur in nomine ideae consignificata pluralitas, ut cum pluraliter profertur, raro tamen aut nunquam invenitur significata per additionem termini numeralis, ut sic dicantur plures ideae ; pluralitas enim exprimitur magis significando quam consignificando.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’essence divine est une et considère une pluralité de rapports ; et c’est pourquoi ce qui signifie seulement l’essence ne peut être signifié par la pluralité ; il en est ainsi pour la science, laquelle se tient davantage du côté de celui qui sait en tant que forme de ce dernier. Mais la raison se tient davantage du côté de la chose de manière à pouvoir signifier et être signifié au pluriel ; nous disons en effet qu’il y a plusieurs raisons. Mais l’Idée se présente comme d’une manière intermédiaire car elle implique l’essence et la raison de l’imitation qui a lieu selon le rapport considéré ; et c’est pourquoi, bien qu’on retrouve dans le nom d’Idée une pluralité qui y est signifiée, comme lorsqu’on parle au pluriel comme lorsqu’on dit qu’il y a plusieurs Idées, rarement ou jamais cependant elle se trouve à être signifiée par l’ajout d’un terme numérique ; en effet, la pluralité est davantage exprimée en signifiant qu’en cosignifiant.

 

 

Articulus 3 [2591] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 tit. Utrum in Deo sint ideae omnium quae cognoscit

Article 3 – Y a-t-il en Dieu les idées de tout ce qu’il connaît ?

 

[2592] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnium quae cognoscit Deus, ideae in ipso sint. Mala enim cognoscit Deus. Sed mali idea in ipso esse non potest, cum idea imitationem importet. Unumquodque autem per hoc malum est quod ab imitatione Dei recedit. Ergo non omnium rerum ideae sunt in Deo, cum plures malae sint.

Difficultés:

1. Il semble qu’il n’y ait pas en Dieu des Idées de tout ce qu’il connaît. En effet, Dieu connaît le mal. Mais l’Idée du mal ne peut être en Lui puisque l’idée implique une imitation. En effet, une chose est mauvaise du fait qu’elle s’écarte de l’imitation de Dieu. Il n’y a donc pas en Dieu des Idées de toutes les choses puisqu’il existe plusieurs maux.

[2593] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, idea nominat formam ; dicitur enim ab eidos, quod est forma. Sed materiae primae non est aliqua forma, sicut nec primus actus, qui est Deus, habet aliquam materiam ; alias neutrum esset primum. Ergo non omnium est idea in Deo.

 2. Par ailleurs, l’Idée signifie une forme ; ce terme en effet vient du terme grec ¨eidos¨ qui veut dire forme. Mais il n’existe aucune forme de la matière première tout comme l’acte premier qui est Dieu ne possède aucune matière, autrement aucun des deux ne serait premier. Il n’y a donc pas en Dieu une Idée de tout.

[2594] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, Deus non tantum cognoscit universalia, sed etiam particularia. Sed particularium inquantum hujusmodi, non videtur esse idea, cum omnia singularia unius speciei in forma conveniant. Ergo non omnium cognitorum a Deo est idea.

 3. Par ailleurs, Dieu connaît non seulement les universels, mais aussi les particuliers. Mais il ne semble y avoir aucune Idée des particuliers en tant que tels puisque tous les singuliers d’une même espèce s’accordent dans une même forme. Il n’y a donc pas en Dieu une Idée correspondant à chaque chose qu’il connaît.

[2595] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, idea non est nisi alicujus quod eam per imitationem participat. Sed accidentia cum non sint per se subsistentia, nihil participant ; sed ipsa sunt participationes quaedam. Ergo cum accidentia sint cognita a Deo sicut substantiae, videtur quod non omnium cognitorum a Deo sit idea.

 4. Par ailleurs, il n’y a d’Idée que pour celui qui en participe par imitation. Mais les accidents, puisqu’ils ne subsistent pas par eux-mêmes, ne participent de rien mais ils sont eux-mêmes des participations. Donc, puisque les accidents sont connus de Dieu tout comme les substances, il semble qu’il n’y ait pas des Idées pour tout ce qui est connu de Dieu.

[2596] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omnis cognitio est per speciem aliquam cogniti in cognoscente. Sed species rerum in Deo existentes, ideae dicuntur. Ergo omnium cognitorum a Deo idea in ipso est.

 Cependant:

Toute connaissance est réalisée par l’espèce de ce qui est connu qui est présente dans celui qui connaît. Mais les espèces des choses qui existent en Dieu s’appellent Idées. Il y a donc en Dieu une Idée pour chacune des choses qu’il connaît.

[2597] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod, sicut ex auctoritate Dionysii, cap. V De div. nom., § 8, col. 823, inducta patet, idea dicitur similitudo vel ratio rei in Deo existens, secundum quod est productiva ipsius rei et praedeterminativa [determinativa Éd. de Parme] ; et ideo unumquodque, secundum quod se habet ad hoc quod a Deo producatur, ita se habet ad hoc quod ipsius idea sit in eo. Omne autem quod ab aliquo per se agente producitur, oportet quod secundum hoc quod ab ipso effectu est, ipsum imitetur ; quia, ut probat Philosophus, II De anima, text. 34, simile agit sibi simile, tam in his quae agunt per voluntatem quam in his quae agunt per necessitatem. Unde secundum id quod aliquid a Deo producitur, secundum hoc similitudinem in ipso habet, et secundum hoc est idea ipsius in Deo, et secundum hoc a Deo cognoscitur ; et ideo cum omnis res a Deo producatur, oportet omnium rerum ideas in ipso esse.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que tout comme on le voit par le témoignage de Denys [Les Noms Divins ch. V, & 8, col. 823] que nous avons présenté, l’Idée signifie une similitude ou une notion de la chose qui existe en Dieu selon qu’elle est productrice de la chose et qu’elle la prédétermine [détermine Éd. de Parme]; et c’est pourquoi chaque chose, selon qu’elle se présente comme une production de Dieu, est telle qu’il y ait en Lui une Idée de cette chose. Mais tout être qui est produit par un agent par soi doit imiter cet agent dans la mesure où il est un effet qui en procède; car, ainsi que le prouve le Philosophe [11 De l’Âme, texte 34], le semblable entraîne le semblable, tant dans les êtres qui agissent par volonté que dans ceux qui agissent par nécessité. D’où il résulte que, en tant qu’une chose est produite par Dieu, de ce fait elle a en Lui une similitude et du coup il y a en Dieu une Idée de cette chose et c’est suivant cela qu’elle est connue de Dieu; et c’est pourquoi, puisque toute chose est produite par Dieu, il doit y avoir en Lui les Idées de toutes les choses.

[2598] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod malum, inquantum malum, nihil est, cum sit privatio quaedam, sicut caecitas ; et ideo rei malae idea quidem in Deo est, non inquantum mala est, sed inquantum res est ; et ipsum malum per oppositum bonum cognoscitur a Deo, a quo res privationi subjecta deficit.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que le mal en tant que mal n’est rien d’autre qu’une privation, par exemple la cécité; et c’est pourquoi il y a certes en Dieu une Idée du mal de la chose, non pas en tant qu’elle est mauvaise, mais en tant qu’elle est une chose; et le mal lui-même est connu de Dieu par le bien oppose duquel s’écarte la chose sujette à la privation.

[2599] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum materia prima a Deo sit, oportet ideam ejus aliqualiter in Deo esse ; et sicut attribuitur sibi esse, ita attribuitur sibi idea in Deo: quia omne esse, inquantum perfectum est, exemplariter ductum est ab esse divino. Esse autem perfectum, materiae non convenit in se, sed solum secundum quod est in composito ; in se vero habet esse imperfectum secundum ultimum gradum essendi, qui est esse in potentia ; et ideo perfectam rationem ideae non habet nisi secundum quod est in composito, quia sic sibi a Deo esse perfectum confertur ; in se vero considerata, habet in Deo imperfectam rationem ideae ; hoc est dictu, quia essentia divina est imitabilis a composito secundum esse perfectum, a materia secundum esse imperfectum, sed a privatione nullo modo. Et ideo compositum, secundum rationem suae formae, habet perfecte ideam in Deo, materia vero imperfecte, sed privatio nullo modo.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que puisque la matière première vient de Dieu, il faut qu’il y en ait en quelque sorte une Idée en Dieu; et tout comme l’existence lui est attribuée, il lui est ainsi attribuée une Idée en Dieu: car tout être, en tant qu’il est parfait, est tire de l’existence divine comme d’un modèle. Mais l’existence parfaite ne convient pas à la matière en elle-même mais seulement selon qu’elle est dans le composé; en elle-même en effet elle possède une existence imparfaite selon le dernier degré d’existence qui est l’être en puissance; et c’est pourquoi la matière première ne possède la notion parfaite d’Idée que selon qu’elle est dans le compose car c’est ainsi que lui est conférée par Dieu une existence parfaite; mais considérée en elle-même, elle a en Dieu la notion imparfaite d’Idée; et on dit cela parce que l’essence divine est imitable par le compose selon une existence parfait, par la matière selon une existence imparfaite mais par la privation en aucune manière. Et c’est pourquoi le composé, sous le rapport de sa forme, possède parfaitement une Idée en Dieu, la matière la possède imparfaitement et la privation aucunement.

[2600] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod particularia habent proprias ideas in Deo ; unde alia est ratio Petri et Martini in Deo, sicut alia ratio hominis et equi. Sed tamen diversimode [quia diversitas Éd. de Parme] hominis et equi est secundum formam, cui perfecte respondet idea: sed distinctio singularium unius speciei essentialis, est secundum materiam, quae non perfecte habet ideam ; et ideo perfectior est distinctio rationum respondentium diversis speciebus quam diversis individuis ; ita tamen quod imperfectio referatur ad res imitantes, et non ad essentiam divinam quam imitantur.

 3. Il faut dire en troisième lieu que les particuliers ont en Dieu leurs Idées propres. D’où il suit qu’en Dieu la notion de Pierre est autre que celle de Martin, tout comme celle de l’homme y est autre que celle du cheval. Mais cela se présente cependant différemment [parce que la différence Éd. de Parme] de l’homme et du cheval en est une de forme, à laquelle correspond parfaitement l’Idée: mais la distinction des singuliers d’une même espèce essentielle se présente selon la matière à laquelle ne correspond pas parfaitement l’Idée; et c’est pourquoi la distinction des notions qui correspondent à des espèces différentes est plus parfaite que celle des notions qui correspondent à différents individus; de telle manière cependant que l’imperfection se rapporte aux choses qui imitent et non à l’essence divine qu’elles imitent.

[2601] Super Sent., lib. 1 d. 36 q. 2 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod accidentia etiam perfectum esse non habent ; unde deficiunt a perfectione ideae: propter quod etiam Plato non posuit ideas accidentium, sed substantiarum tantum, ut 1 Metaph. Text. 45, dicitur. Tamen secundum quod esse habent per imitationem divinae essentiae, sic essentia divina est eorum idea. Et sic patent omnia objecta, et etiam dicta in Littera.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que les accidents aussi ne possèdent pas une existence parfaite ; d’où ils s’écartent de la perfection de l’Idée : et c’est pour cette raison aussi que Platon ne soutint pas l’existence d’Idées pour les accidents, mais seulement pour les substances comme le dit le Philosophe [1 Métaphysique, texte 45]. Cependant, selon qu’ils possèdent une existence  par imitation de l’essence divine, en ce sens l’essence divine est leur Idée. Et c’est ainsi qu’on voit les réponses à toutes les difficultés et même à celles formulées dans la Lettre.

 

 

Distinctio 37

 

Distinction 37 – [L’ubiquité de Dieu. La localisation et les mouvements des anges]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La présence de Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic est duplex quaestio.

Primo quomodo Deus in omnibus rebus sit.

Secundo quomodo ubique sit.

Circa primum quaeruntur duo:

1 utrum Deus sit in omnibus rebus ;

2 de diversitate modorum quibus in rebus esse dicitur.

 On examine ici deux questions.

Et en premier lieu, comment Dieu est présent dans toutes les choses.

Deuxièmement, comment peut-on dire de Dieu qu’il est partout.

Au sujet du premier point on cherche à répondre à deux questions :

1. Est-ce que Dieu est dans toutes les choses ?

2. De quelles manières différentes dit-on de Lui qu’Il est dans les choses ?

 

 

Articulus 1 [2603] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus sit in rebus

Article 1 – Dieu est-il dans les choses ?

 

[2604] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum igitur sic proceditur. Videtur quod Deus in rebus non sit. Inter causas enim illae solae rei intrinsecae sunt quae partes ejus sunt, ut materia et forma ; non autem agens et finis. Sed Deus non est causa rerum ut veniens in constitutionem ipsarum ; quia regit omnes res, praeterquam commisceatur cum eis, ut dicitur Lib. de Causis, propos. 20. Ergo Deus in rebus creatis non est.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne soit pas dans les choses. En effet, parmi les causes d’une chose, seules sont intrinsèques à la chose celles qui en sont les parties, comme la matière et la forme, ce qui n’est pas le cas pour l’agent et la fin. Mais Dieu n’est pas la cause des choses à titre de ce qui entre dans leur constitution ; car il gouverne toutes les choses sans se mélanger à elles, comme on le dit dans le livre des Causes, à la proposition 20. Dieu n’est donc pas dans les choses créées.

[2605] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, nobilius agens est hoc quod potest producere effectum in absentia sua, quam quod non potest hoc facere nisi per suam praesentiam. Deus autem est nobilissimum agens. Cum igitur inveniantur quaedam agentia et secundum voluntatem et secundum naturam, quae in absentia sui producunt effectus ; sicut sol in caelo existens, efficit calorem in terra per emissionem virtutis suae, et rex aliquis per imperium suum multa efficit ubi ipse non est praesens ; videtur quod multo fortius Deus in absentia sui possit effectum producere ; et ita non oportet quod sit in rebus quas condidit.

 2. Par ailleurs, l’agent qui peut produire un effet en son absence est plus noble que celui qui ne peut le produire qu’en sa présence. Mais Dieu est l’agent le plus noble. Donc, puisqu’on retrouve certains agents qui produisent leurs effets en leur absence, soit par la volonté soit par la nature, comme le Soleil qui est dans le ciel produit la chaleur sur la Terre par l’émission de sa puissance et comme le roi qui par ses ordres produit beaucoup de choses là où il n’est pas lui-même présent, il semble qu’à plus forte raison Dieu en son absence puisse produire ses effets ; et ainsi il n’est pas nécessaire qu’il soit dans les choses qu’il a créées.

[2606] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquod agens nobilius est, tanto nobiliorem effectum producere potest. Sed perfectius est quod potest per se conservari in esse absente sua causa quam quod non potest, sicut figura perfectius est in cera in qua manet etiam sigillo amoto, quam in aqua ubi non manet in absentia imprimentis. Cum igitur Deus sit perfectissimus agens, videtur quod rebus quas condidit, contulerit hoc ut etiam in absentia suae causae conservari possint in esse ; et ita ad conservationem rerum non exigitur quod Deus in rebus sit.

3. Par ailleurs, un agent peut produire un effet d’autant plus noble qu’il est lui-même plus noble. Mais ce qui peut par soi-même se conserver dans l’existence en l’absence de sa cause est plus parfait que ce qui ne le peut pas, tout comme la figure qui est dans la cire dans laquelle elle demeure même une fois qu’on a enlevé le sceau est plus parfaite que la figure qui est dans l’eau dans laquelle elle ne demeure pas en l’absence de celui qui la dessinait. Donc, puisque Dieu est l’agent le plus parfait, il semble qu’il aura donné aux choses qu’il a créées cela pour qu’elles puissent aussi se conserver dans l’existence en l’absence de leur cause ; et ainsi il n’est pas nécessaire que Dieu soit dans les choses pour que celles-ci se conservent.

[2607] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, impossibile est quod duo agentia immediate operentur eamdem rem, ita quod utrumque illorum perfecte operetur ; quia ad unum operatum terminatur una operatio, quae exit ab uno operante. Sed singulae res habent operationes proprias, ut dicit Damascenus, II de fide orth., cap. X, col. 907, quibus suos effectus peragunt. Ergo videtur quod Deus non immediate sit operans quidquid in rebus efficitur ; et ita videtur quod non in omnibus rebus sit.

 4. Par ailleurs, il est impossible que deux agents opèrent immédiatement la même chose de telle manière que chacune d’elles opère parfaitement ; car une même opération se termine à une seule œuvre qui procède d’un seul et même agent. Mais les choses singulières possèdent leurs opérations propres comme le dit Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. X, col. 907] par lesquelles elles achèvent leurs effets. Il semble donc que Dieu n’opère pas immédiatement tout ce qu’il produit dans les choses et ainsi il semble qu’il ne soit pas dans toutes les choses.

[2608] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, daemones res quaedam sunt. Sed absurdissime dicitur Deus in daemonibus esse. Ergo Deus non est in omnibus rebus.

 5. Par ailleurs, les démons sont des réalités. Mais il est suprêmement ridicule de dire que Dieu est dans les démons. Donc Dieu n’est pas dans toutes les choses.

[2609] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Hierem. XXIII, 24: « Numquid non caelum et terram ego impleo ? » Sed per caelum et terram intelligitur omnis creatura, ut patet ex principio Genesis. Ergo Deus in omnibus creaturis est.

 Cependant :

1. L’Écriture [Jérémie, XXIII, 24] dit au contraire : «Ne savez-vous pas que ma présence remplit le Ciel et la Terre ?». Mais par ¨Ciel¨ et ¨Terre¨ on entend toute créature comme on le voit au début de la Genèse. Donc, Dieu est dans toutes les créatures.

[2610] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 s. c. 2 Hoc etiam videtur per hoc quod habetur ad Hebr. 1, 3: « Portans omnia verbo virtutis suae ». Non autem potest conservare res, nisi sit praesens eis. Ergo videtur quod in omnibus rebus sit.

 2. C’est aussi ce qui semble se dégager de ce qu’établit l’Apôtre [Épître aux Hébreux, 1, 3] : «Il soutient toutes les choses par la parole de sa puissance». Mais Dieu ne peut conserver les choses que s’il leur est présent. Il semble donc que Dieu soit dans toutes les choses.

[2611] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod Deus essentialiter in omnibus rebus est, non tamen ita quod rebus commisceatur, quasi pars alicujus rei. Ad cujus evidentiam oportet tria praenotare.

Primo, quod movens et motum, [agens et patiens add. Éd. de Parme], et operans et operatum, oportet simul esse, ut in VII Physic., text. 20, probatur. Sed hoc diversimode contingit in corporalibus et spiritualibus.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que Dieu est essentiellement dans toutes les choses, mais non pas de telle manière qu’Il leur serait mélangé comme la partie d’une chose. Et pour le montrer il faut noter à l’avance trois choses.

En premier lieu que le moteur et le mobile [l’agent et le patient add. Éd. de Parme], et que ce qui pose l’opération et l’œuvre qui en procède existent simultanément, ainsi que le prouve le Philosophe [ VII Physique, texte 20]. Mais cela se produit différemment dans les réalités corporelles et dans celles qui sont spirituelles.

Quia enim corpus per essentiam suam, quae circumlimitata est terminis quantitatis, determinatum est ad situm aliquem, non potest esse quod corpus movens et motum sint in eodem situ ; unde oportet quod simul sint per contactum ; et sic virtute sua immutat corpus quia [quod Éd. de Parme] immediate sibi conjungitur, quod etiam immutatum aliud immutare potest, usque ad aliquem terminum. `

 En effet, parce que le corps, de par son essence même est délimité par les termes de la quantité et qu’il est borné à occuper un lieu déterminé, il n’est pas possible que le moteur et le mobile soient dans le même lieu ; d’où il faut qu’ils soient simultanés par le contact ; et ainsi c’est par sa puissance que le corps change car [ce qui Éd. de Parme] lui est immédiatement attaché, lequel encore, une fois changé, peut en changer un autre, jusqu’à un certain terme.

Spiritualis vero substantia, cujus essentia omnino absoluta est a quantitate et situ, ac per hoc loco, non est distincta ab eo quod movet per locum vel situm ; sed ubi est quod movetur, ibi est ipsum movens ; sicut anima est in corpore, et sicut virtus movens caelum dicitur esse in dextra parte orbis quem movet ; unde incipit motus, ut habetur in VIII Physic.

 Mais la substance spirituelle, dont l’essence est absolument libre de la quantité et d’une situation et par là du lieu, n’est pas différente de ce qui meut par le lieu ou par la situation ; mais là où est le mobile, là est le moteur lui-même, tout comme l’âme est dans le corps et tout comme on dit que la puissance qui meut le Ciel est à la droite de l’univers qu’elle meut, comme on l’établit au huitième livre de la Physique.

Secundum est, quod esse cujuslibet rei et cujuslibet partis ejus est immediate a Deo, eo quod non ponimus, secundum fidem, aliquem creare nisi Deum. Creare autem est dare esse.

 Le deuxième point est que l’existence de toute chose et de chacune de ses parties vient immédiatement de Dieu du fait que suivant notre foi, nous ne posons que Dieu comme créateur. Mais créer, c’est donner l’existence.

Tertium est, quod illud quod est causa esse, non potest cessare ab operatione qua esse datur, quin ipsa res etiam esse cesset. Sicut enim dicit Avicenna, lib. I Sufficientiae, cap. XI, haec est differentia inter agens divinum et agens naturale, quod agens naturale est tantum causa motus, et agens divinum est causa esse.

 Le troisième point est que ce qui est cause de l’existence ne peut cesser l’opération par laquelle il donne l’existence que si la chose elle-même cesse aussi d’exister. En effet, tout comme le dit Avicenne [1 De la Suffisance, ch. XI], telle est la différence entre l’agent divin et l’agent naturel que l’agent naturel est seulement cause du mouvement alors que l’agent divin est cause de l’existence.

Unde, justa ipsum, qualibet causa efficiente remota, removetur effectus suus, sed non esse rei ; et ideo remoto aedificatore, non tollitur esse domus, cujus causa est gravitas lapidum quae manet ; sed fieri domus cujus causa erat ; et similiter remota causa essendi, tollitur esse. Unde dicit Gregorius, lib. XVI, Moral., c. XXXVII, col. 1143, quod omnia in nihilum deciderent, nisi ea manus omnipotentis contineret.

 D’où il résulte que suivant l’agent naturel, une fois enlevée la cause efficiente, son effet disparaît mais non l’existence de la chose ; et c’est pourquoi, une fois parti le constructeur, la maison ne perd pas son existence dont la cause est la lourdeur des pierres qui demeure, mais c’est seulement le devenir de la maison dont il était la cause qui cesse ; et de la même manière une fois que la cause de l’existence se retire, l’existence cesse. D’où Saint-Grégoire [XVI Les Choses Morales, ch. XXXVII, col. 1143] dit que toutes les choses retrouneraient au néant si elles n’étaient pas conservées dans la main du Tout-Puissant.

Unde oportet quod operatio ipsius, qua dat esse, non sit intercisa, sed continua ; unde dicitur Joan. 5, 17: Pater meus usque modo operatur, et ego operor. Ex quibus omnibus aperte colligitur quod Deus est unicuique intimus, sicut esse proprium rei est intimum ipsi rei, quae nec incipere nec durare posset, nisi per operationem Dei, per quam suo operi conjungitur ut in eo sit.

 D’où il faut que son opération, par laquelle il donne l’existence, ne soit pas entrecoupée mais continue ; c’est pourquoi l’Écriture [Jean, 5, 17] dit : Mon Père est continuellement à l’œuvre et moi aussi je suis à l’œuvre. À partir de tout cela on comprend clairement que Dieu est intime à chacun, tout comme l’existence qui est propre à chaque chose est intime à cette chose elle-même, laquelle ne peut commencer et durer que par l’opération de Dieu, opération par laquelle il est uni à son œuvre de manière à y être présent.

[2612] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis essentia divina non sit intrinseca rei quasi pars veniens in constitutionem ejus ; tamen est intra rem quasi operans et agens esse uniuscujusque rei ; et hoc oportet in omni agente incorporeo, ut ex praedictis patet, dist. 8, quaest. 1, art. 2.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que l’essence divine ne soit pas intrinsèque à la chose comme une partie qui entrerait dans sa constitution, cependant elle est à l’intérieur de la chose comme ce qui opère et produit l’existence de chaque chose ; et il faut qu’il en soit ainsi pour tout agent incorporel ainsi qu’on le voit dans ce qui précède [dist. 8, quest. 1, art. 2].

[2613] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod agit per suam absentiam, non est causa proxima ejus quod fit, sed remota ; virtus enim solis primo principaliter est [imprimitur Éd. de Parme] in corpore sibi conjuncto, et sic deinceps usque ad ultimum ; et haec virtus est lumen ejus per quod agit in his inferioribus, ut Avicenna, lib. cit., cap. 2, dicit. Similiter patet quod rex praecipiens est causa prima: sed exequens praeceptum est causa proxima et conjuncta. Deus autem immediate in omnibus operatur ; unde oportet quod in omnibus sit.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que ce qui agit par son absence n’est pas la cause prochaine de ce qui devient mais la cause éloignée ; en effet, la puissance du Soleil est [est appliquée Éd. de Parme] premièrement et principalement dans le corps qui lui est rattaché et ainsi de suite jusqu’au dernier ; et cette puissance est sa lumière par laquelle il agit sur ces corps inférieurs, comme le dit Avicenne [œuvre citée, ch. 2]. De la même manière il est clair que le roi qui commande est la cause première mais que le commandement qui en sort est la cause prochaine et conjointe. Mais Dieu opère immédiatement dans tous les êtres ; il s’ensuit donc qu’il doit être présent dans tous les êtres.

[2614] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod, sicut ex praedictis, in corp. art., patet, esse rei non potest conservari sine causa essendi, sicut nec motus sine causa movente. Unde si sine aliquo agente esse rei conservetur, illud agens non erit causa essendi, sed fiendi [fieri Éd. de Parme] tantum, sicut sigillum est causa figurae in cera ; unde remoto sigillo remanet figura, sicut etiam de aedificatore dictum est ; et hoc est agens imperfectum ; unde ratio procedit ex falsis.

 3. Il faut dire en troisième lieu que tout comme on le voit par ce qui précède dans le corps de l’article, l’existence de la chose ne peut être conservée sans la cause de l’existence, tout comme le mouvement ne peut être conservé sans la cause du mouvement. D’où il suit que si l’existence de la chose est conservée sans aucun agent, cet agent n’est pas la cause de l’existence mais de ce qui devient [du devenir Éd. de Parme] seulement, tout comme le sceau est la cause de la figure dans la cire ; et c’est pourquoi la figure demeure une fois le sceau enlevé, tout comme nous l’avons dit aussi au sujet du constructeur ; et ce sont là des agents imparfaits, d’où il suit que l’argument procède de principes  faux.

[2615] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod respectu ejusdem operationis non potest esse duplex causa proxima eodem modo ; sed diversimode potest ; quod sic patet. Operatio reducitur sicut in principium in duo ; in ipsum agentem, et in virtutem agentis, qua mediante exit operatio ab agente. Quanto autem agens est magis proximum et immediatum, tanto virtus ejus est mediata, et primi agentis virtus est immediatissima ; quod sic patet in terminis.

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il ne peut y avoir, selon la même modalité, deux causes prochaines par rapport à la même operation, mais cela est possible par des modalités différentes; ce qui devient clair de la manière suivante. L’opération se ramène à deux choses comme à son principe, à savoir à l’agent lui-même et à la puissance de l’agent par l’intermédiaire de laquelle l’opération procède de l’agent. Mais la puissance de l’agent est d’autant plus médiate que l’agent est plus prochain et immédiat et que la puissance du premier agent est la plus immédiate; ce qui devient evident dans les termes qui suivent.

Sint A, B, C, tres causae ordinatae, ita quod C sit ultima, quae exercet operationem ; constat tunc quod C exercet operationem per virtutem suam ; et quod per virtutem suam hoc possit, hoc est per virtutem B, et ulterius per virtutem A. Unde si quaeratur quare C operatur, respondetur per virtutem suam ; et quare per virtutem suam ; propter virtutem B ; et sic quousque reducatur in virtutem causae primae in quam docet philosophus quaestiones resolvere in Posterioribus analyt., lib. II, text. 22 et in II Physic., text. 38

 Soit les termes A, B et C qui sont trois causes qui se suivent de telle manière que C soit la dernière qui exerce l’opération ; il est clair alors que C exerce l’opération par sa puissance ; et qu’il le puisse par sa puissance, cela est possible grâce à la puissance de B et ultimement par la puissance de A. D’où il suit que si on demande pourquoi C pose son opération, on répond par sa puissance ; et pourquoi il le peut par sa puissance, on répond à cause de la puissance de B et ainsi de suite jusqu’à ce qu’on en vienne à la puissance de la cause première dans laquelle les questions doivent être résolues comme l’enseigne le Philosophe [11 Seconds Analytiques, texte 22 et 11 Physique, texte 38].

Et ita patet quod cum Deus sit prima causa omnium, sua virtus est immediatissima omnibus. Sed quia ipsemet est sua virtus, ideo non tantum est immediatum principium operationis in omnibus, sed immediate in omnibus operans ; quod in aliis causis non contingit, quamvis singulae res proprias operationes habeant quibus producunt suos effectus

 Et ainsi il est clair que puisque Dieu est la cause première de tout ce qui existe, sa puissance est pour toutes les choses la plus immédiate. Mais parce qu’il est lui-même sa propre vertu, c’est pourquoi il n’est pas seulement le principe immédiat d’opération dans toutes les choses, mais il l’est aussi de façon immédiate dans tous les agents ; ce qui n’est pas possible dans les autres causes, bien que les choses individuelles possèdent leurs opérations propres par lesquelles elles produisent leurs effets.

[2616] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod non est concedendum simpliciter quod Deus sit in daemone, duabus de causis.

Primo, quia daemon non nominat naturam tantum, sed naturam deformatam ; cujus deformitatis Deus non est operator.

Secundo, quia daemon nominat naturam intellectualem ; unde cum dicitur, Deus est in daemone, intelligitur per modum quo natura intellectualis ejus est capax, scilicet per gratiam. Unde nec de homine peccatore simpliciter dicimus, Deus est in isto homine ; nisi addatur, inquantum est creatura, vel per essentiam et praesentiam et potentiam ; quo addito, dicitur etiam Deus in daemone esse.

 5. Il faut dire en cinquième lieu qu’il ne faut pas concéder absolument que Dieu est dans le démon pour deux raisons.

Premièrement parce que le terme ¨démon¨ ne signifie pas seulement une nature, mais une nature déchue et que Dieu n’est pas la cause de cette chute.

En deuxième lieu parce que ce même terme signifie une nature intellectuelle ; d’où il suit que lorsqu’on dit que Dieu est dans le démon, cela s’entend de la manière par laquelle sa nature intellectuelle est capable, c’est-à-dire par la grâce. D’où on ne peut dire non plus absolument de l’homme pécheur que Dieu est en lui, à moins d’ajouter qu’il y est, par son essence, sa présence et sa puissance, en tant qu’il est une créature. Et ayant fait cet ajout, on peut aussi dire de Dieu qu’il est dans le démon.

 

 

Articulus 2 [2617] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus sit in omnibus per potentiam, praesentiam et essentiam ; in sanctis per gratiam, in Christo per esse

Article 2 – Dieu est-il en tout par puissance, présence et essence, dans les saints par grâce, dans le Christ par l’être ?

 

[2618] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter assignentur modi isti, quibus Deus in rebus esse dicitur. Cum enim dicimus Deum esse in rebus, significamus qualiter Deus ad res se habeat. Sed Deus uno modo se habet ad omnia, quamvis non omnia uno modo ad ipsum se habeant, ut dicit Dionysius, III cap. de div. nom., § 1, col. 679. Ergo videtur quod non debeat esse nisi unus modus existendi Deum in rebus.

Difficultés :

1. Il semble que ces modalités par lesquelles on dit que Dieu est dans les choses ne soit pas justes. En effet, lorsqu’on dit que Dieu est dans les choses, nous signifions de quelle manière Dieu se rapporte aux choses. Mais Dieu se rapporte à tout d’une seule manière, bien que les choses ne se rapportent pas à Lui d’une seule manière comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. 111, & 1, col. 679]. Il semble donc que Dieu ne doive exister dans les choses que d’après une seule modalité.

[2619] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 2 Si dicas, quod isti modi diversificantur secundum diversas habitudines creaturae ad Deum. Contra, quilibet effectus in creatura causat aliquam habitudinem creaturae ad Deum. Sed quasi infiniti sunt effectus Dei in creaturis. Ergo infinitis modis dicetur Deus esse in creaturis, et non quinque tantum.

2. Si tu dis que ces modalités se distinguent d’après les différents rapports des créatures à Dieu, je dis par contre que tout effet dans la créature cause un rapport de la créature à Dieu. Mais les effets de Dieu dans les créatures sont quasiment infinis. On dira donc que Dieu est dans les créatures par des modalités infinies et non pas seulement d’après cinq modalités.

[2620] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ea secundum quae diversimode creaturae ad Deum referuntur, non inveniuntur in omnibus creaturis. Sed quidam istorum modorum conveniunt omni creaturae, scilicet per essentiam, praesentiam et potentiam. Ergo videtur quod modi isti non differant secundum diversam habitudinem creaturae ad Deum.

 3. Par ailleurs, ces modalités selon lesquels les créatures se rapportent à Dieu ne se retrouvent pas dans toutes les creatures. Mais certaines de ces modalités appartiennent à toute créature, à savoir l’essence, la presence et la puissance. Il semble donc que ces modalités ne different pas selon les différents rapports de la créature à Dieu.

[2621] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 arg. 4 Si dicas, quod distinguuntur secundum diversas rationes attributorum. Contra, non plus differt potentia ab essentia, quam scientia et voluntas. Sed esse in rebus per essentiam et potentiam constituit duos modos. Ergo et similiter diversificabuntur secundum omnia attributa.

 4. Si tu dis qu’elles se distinguent selon les différentes notions des attributs, je réponds par contre que la puissance ne diffère pas davantage de l’essence que la science diffère de la volonté. Mais l’existence dans les choses par l’essence et la puissance constitue deux modalités. Donc de la même manière les modalités seront diversifiées selon tous les attributs.

[2622] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 s. c. 1 In contrarium est quod in Littera dicitur, et auctoritatibus confirmatur.

 Cependant :

1. Ce qu’on dit dans la Lettre, et qui est confirmé par ceux qui font autorité, est contraire à ces positions.

[2623] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod distinctio istorum modorum partim sumitur ex parte creaturae, partim ex parte Dei. Ex parte creaturae, inquantum diverso modo ordinatur in Deum et conjungitur ei, non diversitate rationis tantum, sed realiter.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la distinction de ces modalités se tire en partie du côté de la créature et en partie du côté de Dieu : du côté de la créature selon qu’elle est ordonnée à Dieu et qu’elle Lui est unie d’une manière qui diffère, non pas par une différence de raison seulement, mais par une différence réelle.

Cum enim Deus in rebus esse dicatur secundum quod eis aliquo modo applicatur, oportet ut ubi est diversus conjunctionis vel applicationis modus, ibi sit diversus modus essendi. Conjungitur autem creatura Deo tripliciter.

 En effet, puisqu’on dit que Dieu est dans les choses selon qu’il s’attache à elles d’une certaine manière, il faut que là où il y a une différente modalité d’union ou d’application, il doit y avoir là une différente modalité d’existence. Mais la créature est unie à Dieu de trois manières.

Primo modo secundum similitudinem tantum, inquantum invenitur in creatura aliqua similitudo divinae bonitatis, non quod attingat ipsum Deum secundum substantiam: et ista conjunctio invenitur in omnibus creaturis [divinam bonitatem assimilantibus: et sic erit modus communis quo Deus est in omnibus creaturis add. Éd. de Parme] per essentiam, praesentiam et potentiam.

 Premièrement par la similitude seulement, selon que l’on retrouve dans la créature une similitude de la bonté divine, non pas cependant au point de parvenir à Dieu quant à la substance : et cette sorte d’union se retrouve dans toutes les créatures [qui ressemblent à la bonté divine : et ainsi il y aura une modalité commune par laquelle Dieu est dans toutes les créatures add. Éd. de Parme] par l’essence, la présence et la puissance.

Secundo creatura attingit ad ipsum Deum secundum substantiam suam consideratum, et non secundum similitudinem tantum ; et hoc est per operationem ; scilicet quando aliquis fide adhaeret ipsi primae veritati, et caritate ipsi summae bonitati: et sic est alius modus quo Deus specialiter est in sanctis per gratiam.

 En deuxième lieu la créature parvient à Dieu lui-même considéré selon sa substance et non seulement selon sa similitude ou sa ressemblance ; et cela a lieu au moyen d’une opération, à savoir quand quelqu’un adhère par la foi à la vérité première, et par l’amour à la bonté suprême elle-même ; et cela donne lieu à une autre modalité par laquelle Dieu est dans les saints d’une manière spéciale par la grâce.

Tertio creatura attingit ad ipsum Deum non solum secundum operationem, sed etiam secundum esse: non quidem prout esse est actus essentiae, quia creatura non potest transire in naturam divinam: sed secundum quod est actus hypostasis vel personae, in cujus unionem creatura assumpta est: et sic est ultimus modus quo Deus est in Christo per unionem. Ex parte autem Dei non invenitur diversitas in re, sed ratione tantum, secundum quod distinguitur in ipso essentia, virtus et operatio. Essentia autem ejus cum sit absoluta ab omni creatura, non est in creatura nisi inquantum applicatur sibi per operationem: et secundum hoc quod operatur in re, dicitur esse in re per praesentiam, secundum quod oportet operans operato aliquo modo praesens esse ; et quia operatio non deserit virtutem divinam a qua exit, ideo dicitur esse in re per potentiam ; et quia virtus est ipsa essentia, ideo consequitur ut in re etiam per essentiam sit.

 Troisièmement la créature parvient à Dieu lui-même non seulement au moyen d’une opération mais aussi selon l’existence, non pas certes en tant que l’existence est l’acte de l’essence car la créature ne peut passer à la nature divine, mais selon que l’existence est l’acte de l’hypostase ou de la personne dans l’union de laquelle la créature est prise : et cela donne lieu à la dernière modalité par laquelle Dieu est dans le Christ par l’union.

Mais du côté de Dieu on ne retrouve aucune différence réelle mais seulement des différences de raison selon que se distinguent en Lui l’essence, la puissance et l’opération. Mais puisque son essence est libre de toute créature, elle n’est dans la créature que selon qu’elle s’y applique par l’opération : et selon qu’elle opère dans la chose, on dit de l’essence qu’elle est dans la chose par la présence selon qu’il faut que ce qui opère soit en quelque sorte présent à ce qui est opéré dans la chose ; et parce que l’opération ne fait jamais défaut à la puissance divine d’où elle procède, c’est pourquoi on dit de Dieu qu’il est dans la chose ou la créature par la puissance ; et parce que sa puissance est son essence même, c’est pourquoi il s’ensuit qu’il est aussi dans la chose par son essence.

[2624] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si loquamur de unitate et diversitate secundum rem, sic Deus uno modo se habet ad res: sed quia res diversimode se habent ad ipsum, contingit Deum significari in diversa habitudine ad res, inquantum relationes fundatae in creaturis reliquerunt diversas habitudines secundum rationem in Deo. Si autem consideretur unitas et distinctio secundum rationem tantum, sic Deus pluribus modis se habet ad res, ut sciens, ut potens, et sic de aliis.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que si on parle d’unité ou de diversité d’après la chose, ainsi Dieu se rapporte aux choses d’une seule manière ; mais parce que les choses se rapportent à Lui différemment, il est possible que Dieu soit signifié dans une relation différente aux choses, selon que les relations fondées dans les créatures laisseront en Dieu différentes relations selon la raison. Mais si l’unité et la distinction sont considérées selon la raison seulement, ainsi Dieu se rapporte aux choses d’après plusieurs modalités, à savoir comme celui qui sait, celui qui peut, et il en est de même pour les autres rapports.

 

[2625] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod divisio essentialis semper est per differentias quae per se dividunt aliquod commune ; sicut habens pedes, per se dividitur per bipes et quadrupes ; non autem per album et nigrum. Similiter dico, quod Deum esse in creaturis per se dividitur secundum diversos modos quibus creaturae attingunt Deum: et haec est divisio essentialis et formalis. Sed si accipiantur diversi effectus in creaturis per se, in quibus est Deus per naturales effectus tantum, non invenietur nisi unus modus attingendi in [in om. Éd. de Parme] Deum quo est communiter in omnibus creaturis [quo est…creaturis om. Éd. de Parme] ; et ideo non est divisio nisi per accidens et materialis, quae ab omni arte praetermittitur.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la division essentielle a toujours lieu par des différences qui divisent essentiellement un universel ; par exemple, avoir des pieds se divise essentiellement en bipède et quadrupède et non en blance et noir. De même je dis que l’existence de Dieu dans les créatures se divise essentiellement selon les différentes modalités par lesquelles les créatures parviennent à Dieu : et c’est là une division essentielle et formelle. Mais si les différents effets dans les créatures sont pris en eux-mêmes, selon que Dieu est présent en elles par les effets naturels seulement, on ne retrouvera qu’une seule modalité d’atteindre à [à om. Éd. de Parme] Dieu par laquelle Dieu est communément dans toutes les créatures [par laquelle…créatures om. Éd. de Parme] ; et c’est pourquoi il n’y a là qu’une division accidentelle et matérielle qui est écartée dans tout art ou toute science.

[2626] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illi tres modi non sumuntur ex diversitate creaturae, sed ex parte ipsius Dei operantis in rebus: et ideo omnem creaturam consequuntur, et praesupponuntur etiam in aliis modis. In quo enim est Deus per unionem, etiam est per gratiam ; et in quo est per gratiam, est per essentiam, praesentiam et potentiam.

 3. Il faut dire en troisième lieu que ces trois modalités ne se tirent pas de la diversité des créatures, mais elles se tirent du côté de Dieu qui opère dans les choses : et c’est pourquoi elles s’appliquent à toute créature et elles sont présupposées même dans les autres modalités. En effet, celui en qui Dieu se trouve par l’union, il s’y trouve aussi par la grâce ; et celui dans lequel il se trouve par la grâce, il s’y trouve aussi par l’essence, par la présence et par la puissance.

[2627] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod divina attributa non considerantur nisi secundum triplicem ordinem ad res: vel secundum operationem, vel secundum virtutem, vel secundum essentiam ; et ideo non sunt nisi tres modi essendi Deum [ Deum om. Éd. de Parme] in rebus, qui sumuntur secundum diversum ordinem comparationis Dei ad res.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que les attributs divins ne sont considérés que sous trois rapports à l’égard des choses : soit selon l’opération, soit selon la puissance, soit selon l’essence ; et c’est pourquoi il n’y a que trois modalités d’existence de Dieu [Dieu om. Éd. de Parme] dans les choses qui se tirent d’après un rapport différent de comparaison de Dieu aux choses.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’ubiquité de Dieu]

Prooemium

[2628] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 pr. Deinde quaeritur, quomodo Deus ubique esse dicatur: et circa hoc tria quaeruntur:

1 utrum Deus sit ubique ;

2 utrum hoc sibi soli conveniat ;

3 utrum conveniat sibi ab aeterno.

Prologue

 On cherche ensuite à savoir comment on peut dire de Dieu qu’il est partout : et à ce sujet on pose trois questions :

1. Est-ce que Dieu est partout ?

2. Est-ce que l’ubiquité ne convient qu’à Dieu seul ?

3. Est-ce que l’ubiquité lui appartient de toute éternité ?

 

 

Articulus 1 [2629] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 tit. Utrum Deus sit ubique

Article 1 – Dieu est-il partout ?

 

[2630] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus non sit ubique. Esse enim ubique significat in omni loco esse. Sed, sicut dicit Anselmus, Monolog., cap. XXII, col. 176, si usus admitteret, magis dicendus esset Deus cum omni loco quam in omni loco. Ergo videtur quod Deus non proprie dicatur ubique esse.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne soit pas partout. En effet, être partout signifie être en tout lieu. Mais comme le dit Saint-Anselme [Monologues, ch. XXII, col. 176], si l’usage l’admettait, on devrait davantage dire que Dieu est avec tout lieu que Dieu est dans tout lieu. Il semble donc qu’on ne dise pas proprement de Dieu qu’il est en tout lieu.

[2631] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, sicut tempus nominat mensuram quamdam, sic et locus. Sed secundum Philosophum,in IV Physic., text. 161, esse in tempore est quadam parte temporis mensurari. Ergo esse in loco significat loco mensurari. Sed Deus est immensus. Ergo non est in loco.

2. Par ailleurs, tout comme le temps signifie une mesure, il en est de même pour le lieu. Mais d’après le Philosophe [IV Physique, texte 161], exister dans le temps, c’est être mesuré par une partie du temps. Donc, exister dans le lieu signifie être mesuré par le lieu. Mais Dieu est immense, il ne peut être mesuré. Il n’est donc pas dans le lieu.

[2632] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, potest objici ex auctoritate Anselmi qui dicit, quod omne quod est in loco et tempore, sequitur leges loci et temporis.

 3. En outre, on peut s’objecter à cela par l’autorité de Saint-Anselme qui dit que tout ce qui existe dans le lieu et le temps obéit aux lois du lieu et du temps.

[2633] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut se habent successiva ad tempus, ita se habent permanentia ad locum. Sed in successivis unum indivisibile et una indivisibilis operatio non potest esse diversis temporibus. Ergo nec unum indivisibile permanens potest esse in diversis locis. Sed Deus est indivisibilis: ergo non est ubique.

 4. Par ailleurs, ce que le successif est au temps, le permanent l’est au lieu. Mais dans le successif un même moment indivisible et une même opération indivisible ne peut être en divers temps. Donc un même indivisible dans le genre du permanent ne peut être dans divers lieux. Mais Dieu est indivisible : il ne peut donc pas être partout.

[2634] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 arg. 5 Praeterea, nulla conditio corporalis Deo potest convenire nisi metaphorice. Sed esse in loco est conditio corporis naturalis, adeo quod etiam corporibus mathematicis [metaphoricis Éd. de Parme] non datur locus nisi similitudinarie, ut dicit Philosophus ut I de generatione, text. 44. Ergo multo fortius Deo non convenit nisi metaphorice in loco esse vel ubique.

 5. Par ailleurs, nulle condition corporelle ne peut convenir à Dieu, sauf par métaphore. Mais exister dans un lieu est une condition de la nature corporelle à tel point que même aux corps mathématiques [métaphoriques Éd. de Parme] on ne donne le lieu que par manière de similitude, comme le dit le Philosophe [1 De la Génération, texte 44]. Donc, à plus forte raison, exister dans le lieu ou partout ne convient à Dieu que par métaphore.

[2635] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, Deus est in omnibus rebus, ut supra, art. praeced., dictum est. Sed locus quilibet res aliqua est. Ergo Deus in omni loco est: ergo ubique.

 Cependant :

1. Au contraire, Dieu est dans toutes les choses ainsi que nous l’avons dit dans l’article précédent. Mais toute chose occupe un lieu. Donc Dieu est dans tout lieu, c’est-à-dire partout.

[2636] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod esse in aliquo diversimode convenit spiritualibus et corporalibus: quia corpus est in aliquo ut contentum, sicut vinum est in vase ; sed spiritualis substantia est in aliquo ut continens et conservans.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’exister en quelque chose convient différemment aux êtres spirituels et aux êtres corporels : car un corps est dans un autre comme dans son contenu, comme le vin est dans l’outre ; mais la substance spirituelle est dans un autre comme ce qui le contient et le conserve.

Cujus ratio est, quia corporale per essentiam suam, quae circumlimitata est quantitatis terminis, determinatum est ad locum, et per consequens virtus et operatio ejus in loco est ; sed spiritualis substantia quae omnino absoluta a situ et quantitate est, habet essentiam non omnino circumlimitatam loco.

 La raison en est que la nature corporelle par son essence, laquelle est délimitée par les termes de la quantité, est déterminée à un lieu, et par conséquent sa puissance et son opération se déroulent dans un lieu ; mais la substance spirituelle, qui est totalement dégagée  de l’espace et de la quantité, possède une essence qui n’est pas absolument délimitée par le lieu.

Unde non est in loco nisi per operationem ; et per consequens virtus et essentia ejus in loco est. Dicendum est ergo, quod si esse in hoc loco sumatur secundum quod corpus in loco esse dicitur ; sic non convenit Deo esse ubique nisi metaphorice ; quia implet locum sicut corpus locatum, non quidem distantia dimensionum, sed causalitate effectuum.

 Il résulte de là qu’elle n’est dans le lieu que par l’opération et c’est par voie de conséquence que sa puissance et son essence dont dans le lieu. Il faut donc dire que si ¨exister en ce lieu¨ se prend selon qu’on dit que le corps est dans le lieu, alors en ce sens il ne convient que métaphoriquement à Dieu d’être partout ; car il remplit le lieu tout comme le corps placé dans un lieu, non pas certes par la distance des dimensions, mais par la causalité de ses effets.

Si autem accipiatur esse in loco per modum quo substantia spiritualis in aliquo esse dicitur ; sic propriissime Deo in loco esse convenit, et ubique: et non quidem ut mensuratum loco, sed ut dans loco naturam locandi et continendi ; sicut dicitur esse in homine inquantum dat homini naturam humanitatis: et in qualibet re esse dicitur inquantum dat rebus proprium esse et naturam.

 Mais si on prend l’expression ¨exister dans un lieu¨ de la manière par laquelle on dit de la substance spirituelle qu’elle est en quelque chose, alors il convient le plus proprement à Dieu d’être dans le lieu et d’être partout : non pas certes de telle manière qu’il serait mesuré par le lieu, mais de telle manière qu’Il donne au lieu son aptitude naturelle à recevoir et à contenir ce qui s’y loge, tout comme on dit qu’Il existe dans l’homme selon qu’il donne à l’homme la nature de l’humanité et qu’il est dans toute chose selon qu’il donne aux choses leur existence propre et leur nature.

[2637] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 ad 1 Et per hoc patet responsio ad duo prima et ad auctoritatem Anselmi, et etiam ad quintum, quae procedunt secundum modum quo corpus in loco esse dicitur.

 Solutions :

1. Et de ce que nous venons de dire découle la réponse aux deux premières difficultés et à la position de Saint-Anselme, et même à la cinquième, lesquelles procèdent d’arguments qui se tirent de la modalité par laquelle le corps est dans le lieu.

[2638] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod indivisibile secundum successionem dicitur dupliciter.

Vel illud quod omnino absolutum est a successione, ut indivisibile negative sumatur, sicut aeternitas: et tale indivisibile potest esse in diversis temporibus, immo in omni tempore ; quia nunc aeternitatis invariatum adest omnibus partibus temporis.

Vel illud quod est successionis terminus, ut instans temporis, et quidquid per illud instans mensuratur ; et hoc non potest esse in pluribus temporibus. Similiter indivisibile secundum dimensionem dicitur dupliciter.

Vel illud quod omnino absolutum est a dimensione, sicut substantia spiritualis ; et hoc non est inconveniens in omnibus vel pluribus locis esse.

Vel quod est terminus dimensionis, ut punctus: et hoc, quia determinatum est ad situm, non potest in pluribus locis esse ; et ideo, relicta imaginatione, indivisibilitas substantiae incorporeae, ut Dei vel Angeli vel animae, vel etiam materiae, sicut indivisibilitas puncti non cogitetur: quia, ut dicit Boetius, lib. I De Trin., c. II, col. 1250, oportet in intellectualibus non deduci ad imaginationem.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l’indivisible selon la succession se dit de deux manières.

Soit comme ce qui est absolument dégagé de la succession, de telle manière que l’indivisible se prenne négativement, tout comme l’éternité : et un tel indivisible peut être dans divers temps et encore bien davantage dans tout temps car le maintenant de l’éternité est présent inchangé à toutes les parties du temps.

Soit comme ce qui est le terme de la succession, comme l’instant du temps et tout ce qui est mesuré par cet instant ; et cet indivisible ne peut être dans plusieurs temps. Et de la même manière l’invidisible selon la dimension se dit de deux manières.

Soit comme ce qui est totalement dégagé de la dimension, comme la substance spirituelle et il n’y a pas de difficulté à ce que cet indivisible existe en plusieurs lieu ou même en tous les lieux.

Soit comme ce qui est le terme de la dimension, comme le point : et cet indivisible, parce qu’il est déterminé à une position, ne peut être en plusieurs lieux ; et c’est pourquoi, mettant de côté l’imagination, l’indivisibilité de la substance incorporelle, comme celle de Dieu, de l’Ange ou de l’âme, ou même de la matière, ne doit pas être pensée comme l’indivisibilité du point : car comme le dit Boèce [1 De la Trinité, ch. 11, col. 1250], dans les questions intellectuelles il ne faut pas se laisser conduire par l’imagination.

 

 

Articulus 2 : Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 tit. Utrum esse ubique soli Deo conveniat

Article 2 – Être partout convient-il à Dieu seul ?

 

[2640] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod esse ubique non soli Deo conveniat. Ponere enim materiam primam esse Deum, vel etiam ens universale, ut quidam posuerunt, est haereticum. Sed universale est ubique et semper, secundum Philosophum, et similiter materia prima, quae est in omni corpore, quo omnis locus impletur, cum nihil sit vacuum, ut philosophi probant, IV Physic., text. 65. Ergo esse ubique non tantum Deo convenit.

Difficultés :

1. Il semble qu’il ne convienne pas qu’à Dieu seul d’être partout. En effet, soutenir que la matière première est Dieu ou même qu’Il est l’être universel, comme certains l’ont fait, est hérétique. Mais l’universel est partout et toujours, d’après le Philosophe, et de la même manière la matière première, qui est dans tout corps par lequel tout lieu est rempli puisqu’il n’y a aucun vide, ainsi que les philosophes le prouvent [IV Physique, texte 65]. Donc, être partout ne convient pas uniquement à Dieu.

[2641] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, in omnibus numeratis est aliquis numerus. Sed omnes partes universi sunt numeratae. Ergo numerus collectus est in toto universo, et ita est ubique.

 2. Par ailleurs, il y a un nombre dans toutes les choses nombrées. Mais toutes les parties de l’univers sont nombrées. Il y a donc un certain nombre qui est étendu à tout l’univers et qui est ainsi partout.

[2642] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Augustinum, De immort. Animae, cap. XIV, col. 1034) anima tota est in singulis partibus. Sed potuisset Deus tantum creare unum corpus animatum. Ergo anima ejus ubique esset. Sed quod soli Deo convenit, nulli creaturae communicatur. Ergo esse ubique non convenit soli Deo.

 3. Par ailleurs, d’après Saint-Augustin [De l’Immortalité de l’Âme, ch. XIV, col. 1034] dit que l’âme est en totalité dans chacune des parties du corps. Mais Dieu aurait pu créer un seul corps animé. Donc son âme serait partout. Mais ce qui ne convient qu’à Dieu seul n’est communiqué à aucune créature. Donc, être partout ne convient pas à Dieu seul.

[2643] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Ambrosius in Littera probat Spiritum sanctum esse Deum quia ubique est. Sed probatio nihil valeret, nisi esse ubique soli Deo conveniret. Ergo esse ubique soli Deo convenit.

Cependant :

1. Au contraire, Saint-Ambroise dans la Lettre prouve que l’Esprit-Saint est Dieu parce qu’il est partout. Mais la preuve ne vaudrait rien s’il ne convenait pas à Dieu seul d’être partout. Donc il convient à Dieu seul d’être partout.

[2644] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod esse ubique si per se sumatur, soli Deo convenit nec alicui creaturae communicabile est ; sed per accidens potest alicui convenire. Hoc autem accidens potest dupliciter considerari: vel ex parte ejus quod in loco est ; vel ex parte loci. Si ex parte ejus quod in loco est, sic cum per accidens vel per posterius conveniat toti quod attribuitur sibi ratione suae partis, constat quod illud quod secundum diversas suas partes est in diversis locis, non primo et per se est in illis ; immo est in uno loco tantum. Unde si esset unum corpus infinitum, illud esset ubique per accidens, secundum quod diceretur esse ubi sunt suae partes ; et non per se, quia ipsum non esset per se ubi est sua pars. Si ex parte loci, tunc accidit alicui ubique esse, eo quod non est alius locus quam ille in quo est ; sed si fuerint multa alia loca, non esset ubique ; sicut si ponatur unus tantum locus in quo unus homo est. Deo autem per se convenit ubique esse: quia ipse totus est in quolibet loco ; et infinitis aliis locis existentibus, in omnibus esset ; et hoc non est communicabile alicui creaturae nisi communicaretur sibi esse virtutis infinitae.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que si l’expression ¨être partout¨ se prend essentiellement, elle ne convient qu’à Dieu seul et n’est communicable à aucune créature ; mais elle peut convenir accidentellement à un autre être. Et cet accident peut être considéré de deux manières : soit du côté de ce qui est dans le lieu, soit du côté du lieu lui-même.

Si on le considère du côté de ce qui est dans le lieu alors puisque c’est par accident ou comme secondairement que convient au tout ce qui lui est attribué en raison de sa partie, il est clair que ce qui est dans divers lieux selon ses différentes parties n’est pas dans ses lieux à titre premier et essentiellement mais bien plutôt il est dans un seul lieu seulement. D’où il résulte que s’il existait un seul corps infini, ce corps serait partout par accident selon qu’on dirait de lui qu’il est où sont ses parties ; mais il ne serait pas partout essentiellement car lui-même ne serait pas essentiellement là où est sa partie.

Si on considère cet accident du côté du lieu lui-même, alors il arrive à un être d’être partout du fait qu’il n’existe pas un lieu autre que celui dans lequel il existe ; mais s’il y avait plusieurs autres lieux, il ne serait pas partout : par exemple si on posait un seul lieu dans lequel il n’y aurait qu’un seul homme. Mais pour ce qui est de Dieu, il lui appartient essentiellement d’être partout : car il est lui-même en tout lieu en totalité ; et s’il existait une infinité d’autres lieux, il serait présent en tous ces lieux ; et cela n’est communicable à aucune créature, sauf si une puissance infinie lui était communiquée.

[2645] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 2 ad 1 Et per hoc patet responsio ad ea quae objecta sunt ; quia omnibus illis convenit esse ubique per accidens, vel quia secundum diversas partes sunt, vel quia plura loca non sunt, vel quia secundum unum esse non sunt in pluribus, sicut universale et praeterea illa quae secundum aliud et aliud esse sunt in diversis. Numerus vero per se non est in loco ; et tamen secundum quod in loco est, non est totus in uno loco, sed in diversis secundum diversas partes.

 Solutions :

1. C’est ainsi que les réponses aux difficultés sont évidentes car dans tous les cas ¨être partout¨ est pris accidentellement, soit parce que les réalités sont partout d’après différentes parties, soit parce qu’il n’y a pas plusieurs lieux, soit parce qu’elles ne sont pas en plusieurs lieu d’après une seule existence, tout comme l’universel et en outre les choses qui sont en divers lieux selon des existences différentes. Mais le nombre n’est pas essentiellement dans le lieu ; et cependant, selon qu’il est dans le lieu, il n’est pas en totalité en un seul lieu, mais en différents lieux d’après ses différentes parties.

 

 

Articulus 3 [2646] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 tit. Utrum esse ubique conveniat Deo ab aeterno

Article 3 – Être partout convient-il à Dieu éternellement ?

 

[2647] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod esse ubique ab aeterno Deo conveniat. Primo per hoc quod in littera dicitur ab Ambrosio, quia in omnibus et ubique semper est, quod est divinitatis proprium. Sed quod est semper, est aeternum. Ergo esse ubique Deo ab aeterno convenit.

 Difficultés :

1. Il semble qu’il convienne à Dieu de toute éternité d’être partout. On le voit premièrement par ce qu’en dit Saint-Ambroise dans la Lettre, car c’est le propre de la divinité d’être en tous à la fois partout et toujours. Mais ce qui est toujours est éternel. Il convient donc à Dieu de toute éternité d’être partout.

[2648] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 arg. 2 Praeterea, sicut ubique est distributivum loci, ita semper est distributivum temporis. Sed Deus ab aeterno est semper, etiam temporibus non existentibus. Ergo et ab aeterno est ubique, etiam locis non existentibus.

 2. Par ailleurs, tout comme ¨partout¨ est un distributif du lieu, de même ¨toujours¨ est un distributif du temps. Mais Dieu existe toujours de toute éternité, alors même que les temps n’existaient pas. Il est donc partout de toute éternité, alors même que les lieux n’existaient pas.

[2649] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, esse Deum in rebus coordinatur hic a Magistro ei quod est esse res in Deo. Sed res ab aeterno fuerunt in Deo, qui aeternam scientiam de rebus habet. Ergo et Deus ab aeterno est in rebus, et ubique.

3. Par ailleurs, le Maître coordonne ici l’existence de Dieu dans les choses à l’existence des choses en Dieu. Mais les choses furent en Dieu de toute éternité, Lui qui possède une science éternelle des choses. Donc, Dieu est aussi dans les choses de toute éternité et il est partout.

[2650] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, in quocumque est aliquid, illud oportet esse ; quia in nihilo nihil omnino est. Sed neque locus neque aliqua res ab aeterno fuerunt. Ergo neque Deo ab aeterno convenit ubique, vel in rebus, esse.

 Cependant :

1. Au contraire, en tout lieu où il y a un être, ce lieu doit exister car dans le néant il n’y a absolument rien. Mais aucun lieu ni aucune chose n’a existé de toute éternité. Il ne convient donc pas à Dieu de toute éternité d’être partout ou d’exister dans les choses.

[2651] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum dicitur, Deus est ubique, importatur quaedam relatio Dei ad creaturam, fundata super aliquam operationem, per quam Deus in rebus dicitur esse. Omnis autem relatio quae fundatur super aliquam operationem in creaturas procedentem, non dicitur de Deo nisi ex tempore, sicut dominus et creator et hujusmodi ; quia hujusmodi relationes actuales sunt, et exigunt actu esse utrumque extremorum. Sicut ergo non dicitur operari in rebus ab aeterno, ita nec esse in rebus, quia hoc operationem ipsius designat.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que lorsqu’on dit que Dieu est partout, cela implique une relation de Dieu à la créature fondée sur une opération par laquelle on dit de Dieu qu’il est dans les choses. Mais toute relation qui se fonde sur une opération qui procède dans les creatures ne se dit de Dieu qu’à partir du temps, tout comme ¨seigneur¨, ¨créateur¨ et les relations de cette sorte; car les relations de cette sorte sont actuelles et exigent que chacun des extrêmes soit en acte. Donc, tout comme on ne dit pas que Dieu a agi de toute éternité dans les choses, de même on ne dit pas qu’il est dans les choses de toute éternité car cela désigne son operation.

[2652] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Ambrosius accipit semper Deum esse ubique, creaturis existentibus ; illud enim quod ex parte Dei est, semper est, in quo nihil est novum ; sed defectus est ex parte creaturae, quae non semper fuit ; unde non potest significari in habitudine ad creaturam ab aeterno, ut operans circa eam.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que Saint-Ambroise admet que Dieu a toujours été partout une fois que les creatures ont existé; en effet, ce qui se tient du côté de Dieu existe toujours, en qui il n’y a rien de nouveau; mais le défaut vient du côté de la créature qui n’a pas toujours existé; d’où il résulte que Dieu ne peut être signifié de toute éternité dans une relation à la créature, en tant qu’il pose sur elle son opération.

[2653] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod « semper » de virtute vocabuli importat indeficientiam quamdam, quam aeternitas totam simul habet, sed tempus per successionem diversorum eam sortitur ; et ideo « semper » potest importare indeficientiam quae est per successionem continuam ; et sic est distributivum temporum, nec ab aeterno convenit: quia successio et tempus ab aeterno non fuit. Vel potest dicere indeficientiam aeternitatis ; et sic ab aeterno convenit. Sed « ubique » in ratione sua includit locum ; et ideo similis ratio non est utrobique: ubi enim est in loco esse, et ubique in omni loco.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que ¨toujours¨, de par la puissance du terme, implique une certaine perpétuité que l’éternité possède simultanément en totalité mais que le temps partage par la succession d’une diversité ; et c’est pourquoi ¨toujours¨ peut impliquer une perpétuité qui a lieu par succession continue ; et en ce sens ce terme est un distributif du temps et ne convient pas de toute éternité car la succession et le temps n’ont pas existé de toute éternité. Ou bien encore on peut parler de la perptuité de l’éternité et ainsi cette perpétuité convient à Dieu de toute éternité. Mais ¨partout¨ inclut le lieu dans sa définition ; et c’est pourquoi la raison n’est pas semblable dans les deux cas : en effet, ¨où¨ désigne ce qui est dans le lieu, et ¨partout¨ signifie ce qui est dans tout lieu. 

[2654] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut motus rationem ex termino accipit, ita et relatio. Cum autem dicitur Deus esse in rebus, importatur relatio Dei ad creaturas secundum egressum divinae operationis in eas, quia aeternae non sunt, nec esse in eis aeternum esse potest. Sed cum dicitur res esse in Deo, importatur relatio creaturae ad Deum, non secundum exitum ab ipso, sed magis secundum adunationem creaturarum ad principium ; et quia principium est aeternum, ideo etiam et scire aeternum, et res ab aeterno in Deo. Deus enim est in rebus temporaliter per modum rerum, sed res ab aeterno in Deo per modum Dei ; quia omne quod in altero est, est in eo per modum ejus in quo est, et non per modum sui.

 3. Il faut dire en troisième lieu que tout comme le mouvement reçoit sa raison d’être de son terme, il en est de même pour la relation. Mais lorsqu’on dit que Dieu est dans les choses, cela implique la relation de Dieu aux créatures selon que l’opération divine procède en elles car elles ne sont pas éternelles et l’existence en elles ne peut être éternelle. Mais lorsqu’on dit que les choses sont en Dieu, cela implique la relation de la créature à Dieu non pas en tant qu’elle procède de Lui, mais plutôt d’après une union des créatures à leur principe ; et parce que le principe est éternel, c’est pourquoi aussi son savoir est éternel et que les choses sont en Dieu de toute éternité. Dieu en effet est dans les choses d’une manière temporelle à la manière des choses, mais les choses sont en Dieu de toute éternité à la manière de Dieu ; car tout ce qui est dans un autre est en lui à la manière de celui dans lequel il est et non pas à la manière qui lui est propre.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [Le lieu des anges]

Prooemium

Prologue

Hic etiam duplex est quaestio.

Prima de loco Angeli.

 Secunda de motu ipsius ; quia de immutabilitate Dei, et qualiter ipse ubique est, supra, quaest. 2, art. 1, hujus dist., expeditum est ; de motu autem et loco corporum non pertinet ad theologum tractare sed ad naturalem.

Circa primum tria quaeruntur:

1 utrum Angelus sit in loco ;

2 utrum unus Angelus possit esse in pluribus locis simul ;

3 utrum plures Angeli possint esse in uno loco.

 On considère ici deux questions.

La première porte sur le lieu de l’Ange. ;

La deuxième porte sur son mouvement ; car nous avons traité plus haut [dist. 37, quest. 2, art. 1] de l’immutabilité de Dieu et de la manière dont Lui-même est partout ; mais il n’appartient pas au théologien mais au naturaliste de traiter du mouvement et du lieu des corps.

Et au sujet du premier point on pose trois questions :

1. Est-ce que l’Ange est dans un lieu ?

2. Est-ce que l’Ange peut simultanément être en plusieurs lieux ?

3. Est-ce que plusieurs Anges peuvent être en un seul et même lieu?

 

 

Articulus 1q [2657] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 tit. Utrum Angelus sit in loco

Article 1 – L’ange est-il dans un lieu ?

 

[2658] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angelus non sit in loco. Dicit enim Boetius, in lib. De hebdom., col. 1311: communis est animi conceptio apud omnes sapientes incorporalia in loco non esse. Sed Angeli sunt incorporei et immateriales, ut Dionysius dicit, cap. VII Caeles. Hier. , col. 206. Ergo Angeli non sunt in loco.

Difficultés:

1. Il semble que l’Ange ne soit pas dans un lieu. Boèce [Sur les Semaines, col. 1311]: Tous les sages pensent communément que les réalités incorporelles ne sont pas dans un lieu. Mais les Anges sont incorporels et immatériels, comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch.  VII, col. 206]. Donc les Anges ne sont pas dans le lieu.

[2659] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, ei quod omnino absolutum est a situ et dimensione, non debetur locus nisi per accidens, sicut patet de materia prima. Sed essentia Angeli omnino est absoluta a situ et dimensione, sicut omnes ponunt, qui eos incorporeos dicunt. Ergo non debetur sibi locus nisi per accidens. Sed per accidens non est in loco, nisi assumpto corpore. Ergo videtur quod quando non assumit corpus, non sit in loco.

 2. Par ailleurs, le lieu ne doit être attribué que par accident à ce qui est absolument dégagé d’une position et d’une dimension, comme c’est le cas pour la matière première. Mais l’essence de l’Ange est absolument dégagée de la position et de la dimension, comme le soutiennent ceux qui disent qu’ils sont incorporels. On ne doit donc leur attribuer le lieu que par accident. Mais il ne peut être dans le lieu par accident que s’il prend un corps. Il semble donc que lorsqu’il ne prend pas un corps, l’Ange n’est pas dans un lieu.

[2660] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod est in loco per operationem suam. Contra, quidquid convenit alicui per aliquid oportet illi convenire per quod convenit ; ut si animal est in loco per corpus, oportet corpus in loco esse. Sed operationi nunquam per se attribuitur esse in loco. Ergo Angelus per operationem in loco esse non potest.

3. Si tu dis qu’il est dans un lieu par son operation, je réponds que tout ce qui convient à un être au moyen d’une chose doit aussi convenir à cette chose par laquelle cela lui convient; par exemple, si l’animal est dans un lieu par son corps, il faut que le corps soit dans le lieu. Mais ce n’est jamais essentiellement qu’on attribue à l’opération d’être dans un lieu. Donc l’Ange ne peut être dans un lieu par son opération.

[2661] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, si per operationem conveniat sibi esse in loco, non nisi inquantum operatur circa locum aliquem. Sed Angeli non operantur semper circa corporalia. Ergo aliquando non alicubi essent. Nec ubique sunt, quia hoc Dei proprium est. Ergo nusquam sunt: quod videtur absurdum.

 4. Par ailleurs, si c’est par son opération qu’il lui convient d’être dans un lieu, cela ne peut être que dans la mesure où il opère dans un lieu. Mais les Anges ne posent pas toujours leurs opération sur les choses corporelles. Donc parfois ils ne seraient pas quelque part. Et ils ne sont pas partout puisque cela est le propre de Dieu. Ils sont donc nulle part, ce qui est ridicule.

[2662] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, si Angelus est in loco per operationem suam, ergo et definitive est in loco ; quia operatio sua ad locum definitur ; et determinatur. Sed similiter aliqua operatio Dei definitur ad locum aliquem, extra quem illam operationem non exercet, ut patet in suscitatione alicujus mortui. Ergo videtur quod etiam Deus definitive esset in loco.

 5. Par ailleurs, si l’Ange est dans un lieu par son opération, il sera donc clairement aussi dans un lieu car son opération se termine à un lieu et se définit par lui. Mais semblablement une opértion de Dieu se termine à un lieu déterminé en dehors duquel il n’exerce pas cette opération, comme on le voit pour la résurrection d’un mort. Il semble donc que même Dieu serait clairement dans un lieu.

[2663] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, philosophi etiam posuerunt operationes intelligentiarum esse circa ea quae sunt hic ; nec tamen dixerunt intelligentiam in aliquo loco esse ; immo Plato posuit ideas nec infra caelum nec extra caelum esse, quia in loco non sunt, ut in III Physic., texte 19, dicitur. Ergo nec per operationem Angeli in loco esse dicuntur.

 6. Par ailleurs, les philosophes aussi ont soutenu que les opérations des intelligences portent sur ce qui est présent ici, et cependant ils n’ont pas dit que l’intelligence est dans un lieu ; bien au contraire, Platon a soutenu que les Idées ne sont ni au-dessous ni en dehors du Ciel, car elles ne sont pas dans le lieu comme le dit le Philosophe [111 Physique, texte 19]. Donc les Anges ne sont pas dans le lieu par l’opération.

[2664] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod in Collecta dicitur: Angeli sancti tui habitent in ea, qui nos in pace custodiant. Damascenus etiam dicit lib. I, Orthod fid.,cap. XIII, col. 851, quod ubi operantur ibi sunt ; et multis aliis auctoritatibus facile est probare.

 Cependant :

1. L’Église dit au contraire dans une Collecte : «Que vos saints Anges qui habitent dans cette maison nous conservent dans la paix». Damascène [1 De la Foi Orthodoxe, ch. XIII, col. 851] dit aussi que les Anges sont là où ils opèrent ; et il est facile de le manifester par plusieurs autres autorités.

[2665] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc triplex est opinio.

Una opinio est philosophorum, quod intelligentiae vel Angeli nullo modo sunt in loco ; ponunt enim quod intelligentia est quaedam essentia denudata a materia et ab omnibus conditionibus materialibus, et quod intelligentia movet orbem per animam conjunctam ipsi orbi, sicut desideratum ab ipsa ; et ideo nullam applicationem ad corpus vel ad locum habet, quia non immediate operatur circa aliquod corpus. Haec autem opinio haeretica est ; quia secundum fidem nostram, ponimus Angelos immediate circa nos operari.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet il y a trois opinions.

La première opinion est celle des philosophes  qui disent que les intelligences ou les Anges ne sont aucunement dans le lieu ; ils soutiennent en effet que l’intelligence est une certaine essence privée de la matière et de toutes les conditions liées à la matière, et que l’intelligence meut l’univers au moyen de l’âme unie à l’univers lui-même en tant que désiré par elle ; et c’est pourquoi elle n’a aucune application ou aucun attachement au corps ou au lieu car elle n’opère pas immédiatement sur un corps. Mais cette opinion est hérétique car conformément à notre foi, nous affirmons que les Anges agissent immédiatement sur nous.

Et ideo alii dicunt, quod ipsi Angelo, etiam quantum ad essentiam suam, debetur locus a Deo ; et quod non est intelligibile Angelum esse, nisi locus esset: dicunt tamen, quod Angelus non est in loco circumscriptive, sed definitive, quia determinatur ad locum aliquem sic quod est in hoc loco ita quod non in alio ; cum enim essentia ejus finita sit eo quod creatura est, oportet intelligere quod sit determinata ad locum aliquem.

 Et c’est pourquoi d’autres disent qu’à l’Ange lui-même, même quant à son essence, un lieu était réservé par Dieu, et qu’il n’est intelligible que l’Ange existe que si le lieu existe : ils disent cependant que l’Ange n’est pas dans un lieu entendu à la manière d’un espace mesuré, mais dans un lieu précis car il est déterminé à un certain lieu de telle sorte qu’il est dans ce lieu de telle manière qu’il n’est pas dans un autre ; en effet, puisque son essence est finie du fait qu’il est une créature, il faut entendre qu’elle soit déterminée à un certain lieu.

Sed ista est valde rudis probatio, quia procedit ex aequivocatione finis. Cum enim dicitur essentia Angeli finita, accipitur finis pro fine essentiae et virtutis, secundum quod etiam definitio terminus dicitur ; et non pro fine dimensionis. Locus autem dicitur finiens vel finitus secundum terminos quantitatis dimensivae.

 Mais cette argumentation manifeste une grande ignorance car elle procède d’une équivoque sur la fin. En effet, lorsqu’on dit que l’essence de l’Ange est finie, fin est pris pour la fin de l’essence et de la puissance, selon que même la définition est appelée fin, et non pour la fin de la dimension. Mais on dit du lieu qu’il finit ou qu’il est fini d’après les termes de la quantité dimensive.

Finis autem secundum utramque acceptionem, nullam commensurationem et proportionem habet ; unde non oportet ut quod est finitum in essentia, ad terminos loci finiatur. Et praeterea quod aliquid determinetur ad locum aliquem, hoc non est nisi inquantum per aliquem modum applicatur ad locum illum, et non ad alium. Haec autem applicatio vel intelligitur secundum situm aut contactum, vel secundum formam, vel secundum operationem aliquam.

 Mais la fin, d’après chacune des acceptions, n’a aucune commune mesure et aucune proportion ; d’où il n’est pas nécessaire que ce qui est fini par l’essence soit fini par les termes du lieu. Et par ailleurs, qu’un être soit déterminé à un certain lieu, cela n’a lieu que selon qu’il est appliqué d’une certaine manière à ce lieu et non à un autre. Mais cette application s’entend soit selon la position ou le contact, soit selon la forme, soit selon une certaine opération.

Secundum formam, sicut anima est in corpore ; quo modo Angelus in re locali esse non potest, cum non sit actus corporis. Secundum determinatum situm, sicut punctus in linea quam determinat ; quo modo Angelus in loco non est, quia essentia ejus omnino a situ absoluta est. Secundum contactum, sicut in loco est corpus. Contactus autem dicitur dupliciter: proprie et metaphorice. Proprie tangere est, habere ultima simul ; et patet quod hoc Angelo convenire non potest. Tactus autem metaphoricus est per actionem, sicut dicitur contristans tangere ; et iste tactus Angelo potest convenire.

 Selon la forme, comme l’âme est dans le corps ; et l’Ange ne peut être dans une chose corporelle de cette manière puisqu’il n’est pas l’acte d’un corps. Selon une position déterminée, comme le point sur la ligne qu’il détermine : et l’Ange n’est pas dans le lieu de cette manière car son essence est totalement dégagée de la position. Selon le contact comme un corps est dans le lieu. Mais le contact  se dit de deux manières : proprement et par métaphore. Toucher, à proprement parler, c’est posséder simultanément  les extrémités ; et il est clair que cela ne peut convenir à l’Ange. Mais le toucher pris par métaphore a lieu par l’action, tout comme on dit de celui qui est attristé qu’il touche ; et ce toucher peut convenir à l’Ange.

Relinquitur ergo quod Angelus definiri vel determinari non potest ad locum aliquem, nisi per actionem et operationem. Dico autem operationem communiter secundum quod angelus se habet ad corpus contentum in loco per modum praesidentis vel ministrantis, aut aliquo modo agentis, vel patientis [Dico autem… vel patientis om. Éd. de Parme].

 Il reste donc que l’Ange ne peut être limité ou déterminé à un certain lieu que par l’action ou l’opération. Mais je parle de l’opération entendue communément selon que l’Ange se rapporte au corps contenu dans le lieu à la manière de celui qui préside ou qui sert, ou à la manière d’un agent ou d’un patient [Mais je dis…ou d’un patient om. Éd. de Parme].

Et ista est tertia opinio, quae ponit Angelum esse in loco inquantum alicui loco per operationem applicatur. Et hoc confirmatur auctoritate Gregorii Nysseni [Nazianzeni Éd. de Parme], qui hoc expresse dicit ; unde etiam subjungit, quod cum deberemus dicere, hic operatur, abusive dicimus, hic est.

 Et c’est là la troisième opinion, laquelle affirme que l’Ange est dans le lieu selon qu’il est appliqué à un lieu par une opération. Et cela est confirmé par l'autorité de Saint-Grégoire de Nysse [de Naziance Éd. de Parme] qui le dit clairement ; d’où il ajoute encore qu’alors que nous devrions dire qu’il opère ici, nous disons abusivement qu’il est ici.

Et ideo hanc opinionem sequendo, quae rationabilior videtur, dico, quod Angelus et quaelibet substantia incorporea non potest esse in corpore vel in loco nisi per operationem, quae effectum aliquem in eo causat. Hoc autem contingit multipliciter.

 Et c’est pourquoi, en suivant cette opinion qui semble plus raisonnable, je dis que l’Ange, ainsi que toute substance incorporelle, ne peut êre dans un corps ou dans un lieu que par l’opération qui cause un certain effet en lui. Mais cela est possible de plusieurs manières.

Substantia enim spiritualis potest alicui conferre non quidem esse, sed aliquid ad esse superadditum ; et sic Angelus est in loco, inquantum operatur circa aliquod corpus locatum, vel motum vel lumen corporale [corporale om. Éd. de Parme], vel aliud hujusmodi ; cui tamen esse non confert. Aliquando vero substantia spiritualis dat per operationem corpori esse ; non tamen suum esse, sed aliud ; et hoc modo Deus est in omnibus creaturis quibus dat esse, sed non suum.

 La substance spirituelle peut conférer à un être non pas certes l’existence mais quelque chose qui s’ajoute à l’existence ; et ainsi l’Ange est dans le lieu selon qu’il opère sur un corps situé dans un lieu ou en mouvement, ou sur la lumière corporelle [corporelle om. Éd. de Parme] ou sur quelque chose d’autre de la sorte ; mais il ne lui confère cependant pas l’existence. Mais parfois la substance spirituelle donne l’existence au corps par l’opération, non pas la sienne mais une autre ; et c’est de cette manière que Dieu est dans toutes les créatures auxquelles il donne l’existence mais non la sienne.

Aliquando autem dat corpori ipsum suum esse ; sed hoc contingit dupliciter: quia esse et est actus formae, et est actus hypostasis. Unde substantia spiritualis potest conferre rei corporali esse suum inquantum est actus formae, ut sic forma ipsius efficiatur ; et hoc modo anima est in corpore: aut secundum quod est actus hypostasis et non formae ; et hoc modo humana natura in Christo assumpta est ad esse divinae personae, quia facta est unio in hypostasi et non confusio in natura.

 Mais parfois il donne au corps son existence même ; mais cela se produit de deux manières : car l’existence est l’acte de la forme et l’acte de l’hypostase. D’où la substance spirituelle peut conférer à la chose corporelle son existence soit selon qu’elle est l’acte d’une forme de telle manière que sa forme soit produite ; et c’est de cette manière que l’âme est dans le corps ; soit selon qu’elle est l’acte de l’hypostase et non de la forme ; et c’est de cette manière que la nature humaine est prise dans le Christ pour l’existence de la personne divine car une union a été produite en hypostase sans confusion de nature.

[2666] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod locus est nomen mensurae ; unde esse in loco proprie significatur ut esse in mensura ; et sic nulli rei incorporeae convenit in loco esse, scilicet ut in loco: sed tamen alicui rei incorporeae convenit esse in loco, non ut in loco, sed sicut operans in operato, vel sicut forma in materia. Unde etiam Angelus non localis dicitur [Angelus localis dicitur Éd. de Parme] non nisi secundum quid, inquantum scilicet habet aliquid simile rei locali, ut scilicet determinetur ad hunc locum potius quam ad illum.

 Solutions :

1. Il faut donc dire premièrement que le lieu est le nom d’une mesure ; d’où il résulte qu’être en un lieu est proprement signifié comme étant dans une mesure ; et en ce sens il ne convient à aucune réalité incorporelle d’être dans un lieu, c’est-à-dire comme étant dans un lieu : il convient cependant à une réalité incorporelle d’être dans un lieu, non pas comme étant elle-même dans un lieu, mais comme posant une opération sur un ouvrage ou comme une forme dans la matière. D’où il résulte qu’on dit même de l’Ange qu’il n’est pas dans le lieu [on dit même de l’Ange qu’il n’est dans le lieu Éd. de Parme] que sous un rapport, c’est-à-dire pour autant qu’il possède quelque chose de semblable à la chose qui est dans le lieu, à savoir de manière à être déterminé à tel lieu plutôt qu’à tel autre.

[2667] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod esse in loco ut in loco, non convenit Angelo nisi per accidens, inquantum scilicet corpus assumptum, vel corpus cui per operationem applicatur, in loco est ; sed esse in loco ut operans in operato, convenit Angelo etiam per se, secundum quod per se in loco operatur ; sicut etiam materia prima per se est in loco aut in locato ut pars ; et sicut punctus per se est in loco ut terminus, non ut locatum.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’exister dans le lieu en tant que tel ne convient à l’Ange que par accident, c’est-à-dire pour autant que le corps qui est pris ou le corps auquel il est appliqué par l’opération est lui-même dans le lieu ; mais être dans le lieu en tant que posant une opération sur un ouvrage, cela convient à l’Ange même essentiellement selon que son opération porte essentiellement sur un lieu, tout comme la matière première est essentiellement dans le lieu ou dans ce qui est placé dans le lieu en tant que partie, et tout comme le point est essentiellement dans le lieu en tant que terme et non en tant qu’il est lui-même placé dans le lieu.

[2668] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio etiam Angeli non est in loco ut locatum, sed ut perfectio locati: quia operatio agentis semper est perfectio patientis, inquantum hujusmodi.

 3. Il faut dire en troisième lieu que même l’opération de l’Ange n’est pas dans le lieu en tant qu’étant elle-même placée dans un lieu, mais en tant que perfection de ce qui est placé dans le lieu : car l’opération de l’agent est toujours une perfection du patient en tant que tel.

[2669] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod hoc non reputo inconveniens quod Angelus sine loco possit esse et non in loco, quando nullam operationem circa locum habet: nec est inconveniens ut tunc nusquam vel in nullo loco esse dicatur ; sicut etiam non est inconveniens quod nullo colore coloratus dicatur. Sed hoc tamen non est imaginabile, quia imaginatio continuum non transcendit.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que je ne crois pas qu’il y ait un inconvénient à ce que l’Ange puisse exister sans le lieu et comme n’étant pas dans le lieu quand il ne pose aucune opération sur le lieu : et il n’y a pas de problème à ce qu’on dise alors qu’il n’est nulle part ou dans aucun lieu, tout comme aussi il n’y a pas de problème à ce qu’on dise qu’il n’est coloré par aucune couleur. Mais cela cependant n’est pas imaginable parce que l’imagination ne peut transcender le continu.

[2670] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus definitive in loco est per operationem suam, Deus autem non ; quia operatio ipsius Dei, etsi determinata sit ad locum inquantum transit super operatum, non tamen inquantum exit ab operante, quia ita operatur hic quod etiam alibi ; sed Angeli operatio definita est ad locum utroque modo, quia ipse non operatur alibi quam hic, ut infra, art. seq., dicetur.

5. Il faut dire en cinquième lieu que l’Ange est précisément dans un lieu par son opération, mais non pas Dieu ; car l’opération de Dieu, bien qu’elle soit déterminée à un lieu en tant qu’elle passe sur son ouvrage, n’est pas déterminée à un lieu en tant qu’elle sort de l’agent, car Dieu opère ici de la même manière qu’il opère ailleurs ; mais l’opération de l’Ange est limitée au lieu des deux manières, car lui-même n’opère pas de la même manière ailleurs qu’il opère ici, comme on le dira dans l’article qui suit.

[2671] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod operans non oportet esse in operato, vel applicari sibi, nisi circa quod immediate operatur. Philosophi autem ponebant, quod operatio intelligentiae non pervenit ad ea quae sunt hic nisi mediante motu orbium, et ad orbem non nisi mediante anima ejus, quam in orbe esse dicebant. Et ideo sequitur intelligentiam omnino absolutam a corpore et a loco esse.

 6. Il faut dire en sixième lieu qu’il n’est pas nécessaire que celui qui opère soit dans l’ouvrage ou qu’il lui soit appliqué, sauf sur ce qu’il opère immédiatement. Mais les philosophes soutenaient que l’opération de l’intelligence ne parvient aux choses qui sont ici que par l’intermédiaire du mouvement de l’univers, et qu’elle ne parvient à l’univers que par l’intermédiaire de son âme dont ils disaient qu’elle est dans l’univers. D’où il s’ensuit que l’intelligence est totalement dégagée du corps et du lieu.

 

 

Articulus 2 [2672] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 tit. Utrum Angelus possit esse in pluribus locis

Article 2 – L’ange peut-il être en plusieurs lieux ?

 

[2673] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Angelus possit simul in pluribus locis esse. Quodlibet enim corpus est magis determinatum ad locum quam Angelus. Sed aliquod corpus est simul in pluribus locis, sicut corpus Christi in pluribus altaribus. Ergo multo fortius Angelus simul in pluribus locis esse potest.

Difficultés :

1. Il semble que l’Ange puisse être simultanément en plusieurs lieux. Tout corps en effet est davantage déterminé à un lieu que l’Ange. Mais certain corps est simultanément en plusieurs lieux, comme le corps du Christ est simultanément sur plusieurs autels. Donc l’Ange peut bien davantage être simultanément en plusieurs lieux.

[2674] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 2 Praeterea, quando Angelus assumit corpus, constat quod immediate movet quamlibet partem ejus: alias motus inordinatus fieret, et dissimilis motui animalis. Sed Angelus est ubicumque immediate operatur. Ergo Angelus est in singulis partibus illius corporis: et ita videtur quod sit simul in pluribus locis.

 2. Par ailleurs, quand l’Ange prend un corps, il est clair qu’il en meut immédiatement toutes les parties, autrement le mouvement deviendrait désordonné et ne ressemblerait pas au mouvement de l’animal. Mais l’Ange est partout où il opère immédiatement. Donc l’Ange est dans chacune des parties de ce corps et ainsi il semble qu’il soit simultanément en plusieurs lieux.

[2675] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, caelum Empyreum debetur Angelis secundum opus contemplationis. Sed quando operantur hic circa nos, non desinunt contemplari. Ergo simul sunt hic et in caelo Empyreo ; et ita in pluribus locis.

 3. Par ailleurs, le ciel de l’Empyrée est dû aux Anges pour l’œuvre de la contemplation. Mais quand ils opèrent sur nous, ils ne cessent pas de contempler. Ils sont donc simultanément ici et dans le ciel de l’Empyrée, et par conséquent ils sont simultanément en plusieurs lieux.

[2676] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne agens cujus virtus excedit illud in quod operatur, potest etiam circa aliud operari. Sed virtus Angeli excedit hoc corpus circa quod operatur. Ergo potest etiam in alio operari: et ita potest in pluribus locis esse ; sed ubi operatur, ibi est.

 4. Par ailleurs, tout agent dont la puissance dépasse ce sur quoi il opère peut aussi faire porter son opération sur autre chose. Mais la puissance de l’Ange dépasse ce corps sur lequel il pose son operation. Il peut donc aussi poser son opération sur autre chose, et par consequent il peut être en plusieurs lieux; mais là où il pose son opération, c’est là qu’il est.

[2677] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Damascenus dicit,II Fidei orth., cap. III, col. 870, quod dum sunt in caelo, non sunt in terra ; et ita videtur quod non sint simul in pluribus locis.

Cependant:

1. Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. 111, col. 870] dit que tant qu’ils sont dans le Ciel, ils ne sont pas sur la Terre; et ainsi il semble qu’ils ne soient pas simultanément en plusieurs lieux.

[2678] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea, in Littera ponitur et probatur Angelus definitive in loco esse. Sed quod est in pluribus locis, ad nullum locum est definitum vel determinatum. Ergo Angelus non est in pluribus locis.

2. Par Ailleurs, on affirme et on prouve dans la Lettre que l’Ange est précisément dans un lieu. Mais on n’établit et on ne détermine à aucun endroit qu’il soit en plusieurs lieux. Donc l’Ange n’est pas en plusieurs lieux.

[2679] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt diversae opiniones.

Quidam enim dixerunt, quod Angelus potest esse in pluribus locis simul, sed non ubique, sicut Deus ; corpus autem in uno loco tantum est. Sed hoc reputatum est pro errore a magistris: quia sequeretur quod Angelus nec definitive nec circumscriptive in loco esset.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire qu’il existe différentes opinions à ce sujet.

En effet, certains ont dit que l’Ange peut être simultanément en plusieurs lieux mais non partout comme c’est le cas pour Dieu; mais un corps ne se trouve qu’en un seul lieu. Mais cela a été considéré comme une erreur par les maîtres, car il découlerait de cette position que l’Ange ne serait dans le lieu ni précisément ni circonscriptivement.

Unde alii dicunt, quod Angelus est in loco indivisibili: quia ponunt quod essentiae Angeli secundum se debetur locus ; unde, quia essentia ejus indivisibilis est, oportet quod locus ejus sit indivisibilis. Sed iste error contingit eis, quia non possunt imaginationem transcendere, ut intelligant aliquid indivisibile, nisi sicut habens situm in continuo.

 

C’est pourquoi d’autres disent que l’Ange est dans un lieu indivisible car ils soutiennent qu’un lieu doit être attribué à l’essence de l’Ange en elle-même ; d’où il résulte que parce que son essence est indivisible, il faut que son lieu soit indivisible. Mais ils tombent dans cette erreur parce qu’ils ne peuvent dépasser l’imagination de telle manière qu’ils n’entendent l’indivisible que comme ce qui possède une position dans le continu.

Et ideo dicendum est, quod Angelus est in uno loco tantum ; sed ille locus potest esse divisibilis vel indivisibilis, aut magnus vel parvus, secundum quod operatio ejus immediate ad magnum vel parvum terminatur. Unde si immediate operetur circa totam domum, tota domus respondet sibi sicut unus locus, ita quod in qualibet parte erit ; sicut etiam dicimus quod anima est in qualibet parte corporis.

 Et c’est pourquoi il faut dire que l’Ange est dans un seul lieu, mais ce lieu peut être divisible ou indivisible, grand ou petit, selon que son opération se termine immédiatement à quelque chose de grand ou de petit. D’où il résulte que si son opération porte immédiatement sur toute la maison, toute la maison lui correspondra comme un seul lieu de telle manière qu’il sera dans chacune de ses parties, tout comme nous disons aussi que l’âme est dans chacune des parties du corps.

Et dico immediate, quia si Angelus moveret lapidem ex cujus motu multa alia moverentur, non oporteret quod esset nisi ubi est primum motum ; sicut patet etiam in motore corporali, quem necesse est tangere solum id quod movetur ab eo. Ideo autem dico quod non potest esse in pluribus locis simul, quia est naturae finitae, et per consequens virtutis finitae. Impossibile est autem quod ab una virtute finita procedat nisi una operatio.

 Et je dis ¨immédiatement¨, parce que si l’Ange mouvait la pierre de telle manière qu’à partir de son mouvement d’autres choses seraient mises en mouvement, il ne lui serait nécessaire d’être que là où est le premier mouvement, tout comme on voit encore qu’il est nécessaire au moteur corporel de toucher seulement ce qui est mû par lui. Et c’est pourquoi je dis au sujet de l’Ange qu’il ne peut être simultanément en plusieurs lieux parce que sa nature est finie et que par conséquent sa puissance aussi est finie. Mais d’une puissance finie ne peut procéder qu’une seule opération.

Operatio autem una est quae terminatur ad unum operatum: et ideo oportet quod operatum Angeli sit unum, circa quod immediate operatur. Unde sicut anima non est simul in pluribus corporibus, ita nec Angelus in pluribus locis. Deo autem soli convenit in pluribus et in omnibus locis esse, quia ipse virtutis infinitae est ; et quamvis operatio ejus sit una secundum quod est in ipso, quae est ipsemet ; tamen effectus operationis sunt infiniti, inquantum ipse est principium dans esse, et per consequens creans omnia alia quae ad esse sunt superaddita. Unde est in omnibus non solum sicut in uno operato, sed sicut in pluribus, quia etiam ea per quae distinguuntur res in quibus operatur, ab ipso sunt.

 Mais une seule et même opération est celle qui se termine à un seul ouvrage: et c’est pourquoi l’ouvrage de l’Ange sur lequel il opère immédiatement soit unique. D’où il résulte que tout comme l’âme n’est pas simultanément en plusieurs corps, de même l’Ange ne peut être en plusieurs lieux. C’est à Dieu seul cependant qu’il convient d’être en plusieurs lieux et d’être dans tous les lieux parce que Lui-même est d’une puissance infinite; et bien qu’il ne pose qu’une seule opération selon qu’elle est en Lui, cette opération étant Lui-même, cependant les effets de cette opération sont infinis selon qu’Il est Lui-même le principe qui donne l’existence et qui crée par consequent tout ce qui s’ajoute à l’existence. D’où il résulte qu’il est dans tous les êtres non seulement comme dans un seul ouvrage mais comme dans plusieurs car vient de Lui même ce par quoi se distinguent les choses dans lesquelles il opère.

[2680] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod corpus Christi non habet, inquantum est corpus, nec inquantum divinitati unitum, quod sit in pluribus locis: sed habet hoc ratione consecrationis et transubstantiationis, inquantum diversi panes qui in ipsum transubstantiantur sunt in diversi locis: et quia substantia panis transit in corpus Christi manentibus accidentibus, ideo manet quantitas utriusque panis, et per consequens locus utriusque: et idem contingeret in quidquid aliud panis divina virtute transubstantiaretur.

 Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que ce n’est pas en tant qu’il est un corps ni même en tant qu’il est uni à la divinité que le corps du Christ tient sa capacité à être en plusieurs lieux, mais il le tient en raison de la consécration et de la transubstantiation, en tant que divers pains qui sont transubstantiés en Lui sont en divers lieux : et parce que la substance du pain passe au corps du Christ alors que les accidents demeurent, c’est pourquoi la quantité de l’un et l’autre pain demeure, et par conséquent le lieu de chacun d’eux : et la même chose se produirait en toute autre chose que le pain qui serait transubstantié par la puissance divine.

[2681] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod totum illud corpus assumptum comparatur ad Angelum sicut unum indivisibile ubi, prout circa ipsum est una operatio. Unde quamvis sit in qualibet parte ipsius assumpti corporis, non oportet quod sit in pluribus locis.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la totalité du corps qui est pris par l’Ange se compare à l’Ange comme un seul lieu indivisible, selon qu’il n’y a qu’une seule opération qui porte sur lui. D’où il résulte que bien qu’il soit dans chacune des parties de ce corps qui est pris par lui, il ne s’ensuit pas qu’il soit en plusieurs lieux.

[2682] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operatio est quasi medium inter operans et operatum: unde potest considerari vel secundum quod exit ab operante, vel secundum quod terminatur ad operatum. Operationi autem Angeli non debetur locus secundum quod exit ab essentia ejus quae secundum se absoluta est, sed secundum objectum ad quod terminatur: et ideo operationi contemplativae Angeli non debetur aliquis locus corporeus, cum objectum contemplationis spirituale sit: et ideo caelum Empyreum non est de necessitate contemplationis ; sed assignatur contemplationi per congruentiam, inquantum locus ille sanctificatus est ad gloriam beatorum, sicut contemplantis [etiam contemplationis Éd. de Parme] dicitur magis esse locus Ecclesia, quam forum. Unde non oportet quod quandocumque contemplatur, sit in caelo Empyreo.

 3. Il faut dire en troisième lieu que l’opération est comme un intermédiaire en celui qui opère et son ouvrage ; d’où il suit qu’elle peut être considérée soit comme ce qui sort de ceui qui opère, soit comme ce qui se termine à l’ouvrage.  Mais le lieu ne doit pas être attribué à l’opération de l’Ange selon qu’elle sort de son essence qui en elle-même est parfaitement libre de toute matière, mais selon l’objet auquel elle se termine ; et c’est pourquoi il ne faut pas attribuer un lieu corporel à l’opération de contemplation de l’Ange puisque l’objet de la contemplation est spirituel ; et c’est pourquoi le ciel de l’Empyrée n’est pas nécessaire à la contemplation, mais il est assigné à la contemplation par convenance ou proportion, selon que ce lieu a été sanctifié pour la gloire des bienheureux, tout comme on dit de l’Église qu’elle est davantage que le forum le lieu de celui qui contemple [aussi le lieu de la contemplation Éd. de Parme]. D’où il n’est pas nécessaire qu’à chaque fois qu’il contemple, il soit dans le ciel de l’Empyrée.

[2683] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus Angeli quamvis excedat hoc operatum excessu quasi quantitatis continuae, eo quod posset circa aliquod majus operari ; non tamen excedit excessu quantitatis discretae, quia non potest nisi circa unum operari, sive illud sit magnum sive parvum.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la puissance de l’Ange, bien qu’elle dépasse cet ouvrage comme par un excès de la quantité continue du fait qu’elle pourrait opérer sur quelque chose de plus grand, elle ne le dépasse cependant pas par un excès de la quantité discrète car elle ne peut opérer que sur un seul objet, que cet objet soit grand ou petit.

 

 

Articulus 3 [2684] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 tit. Utrum plures Angeli possint esse in uno loco

Article 3 – Plusieurs anges peuvent-ils être dans un seul et même lieu ?

[2685] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod plures Angeli possint simul esse in uno loco. Magis enim est repletivum loci corpus quam spiritus. Sed ubi est corpus, potest esse Angelus. Ergo multo magis non impeditur quin possit esse ubi est alius Angelus.

Difficultés :

1. Il semble que plusieurs Anges peuvent être simultanément dans un seul et même lieu. En effet, un corps, plus qu’un esprit, est apte à remplir un lieu. Mais où est un corps, un Ange peut y être. Donc, à plus forte raison rien n’empêche qu’un Ange puisse être là où il y a un autre Ange.

[2686] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, Contra epistolam fudamenti, cap. XVI, col. 184 et De imm. Animae, cap. XVI, col. 1034, anima est in qualibet parte corporis. Sed daemones et Angeli, quamvis non illabantur mentibus, illabuntur tamen corporibus, ut sancti dicunt. Ergo videtur quod Angelus et anima possint esse in eodem loco, et eadem ratione videtur quod Angelus et Angelus.

 2. Par ailleurs, selon Saint-Augustin [Contre la Lettre du Fondement, ch. XVI, col. 184 et De l’Immortalité de l’Âme, ch. XVI, col. 1034], l’âme est dans chacune des parties du corps. Mais les Démons et les Anges, bien qu’ils ne pénètrent pas les esprits, pénètrent cependant les corps, ainsi que le disent les saints. Il semble donc que l’Ange et l’âme peuvent être dans un même lieu, et pour le même raison il semble qu’il en soit de même pour plusieurs Anges.

[2687] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 3 Si dicas, quod hoc non potest esse ne sequatur confusio. Contra, majori distinctioni magis repugnat confusio. Sed magis distinguitur spiritus creatus a spiritu increato, quam spiritus creatus a spiritu creato. Cum igitur sine aliqua confusione sint ubi ipse Deus est, intra quem currunt ubicumque mittantur, ut in Littera dicitur, videtur etiam quod duo Angeli simul esse possint.

3. Si tu dis que cela n’est pas possible afin qu’il ne s’ensuive pas une confusion, je réponds par contre que la confusion répugne à une plus grande distinction. Mais un esprit créé diffère davantage d’un esprit incréé qu’un esprit créé diffère d’un autre esprit créé. Donc, puisque deux esprits créés sont sans confusion là où Dieu lui-même est et à l’intérieur duquel ils courent partout où ils sont envoyés, comme on le dit dans la Lettre, il semble aussi que deux Anges puissent y être simultanément.

[2688] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 arg. 4 Praeterea, sicut Angelus operatur circa corpus, ita etiam operatur circa Angelum ; quia superiores inferiores illuminant, ut dicit Dionysius, c. VIII cael. Hier., col. 238. Sed per hoc quod operatur circa locum, dicitur esse in loco: ergo per hoc quod operatur circa Angelum, dicitur esse in Angelo ; et ita videtur quod duo Angeli in uno loco esse possint.

 4. Par ailleurs, tout comme l’Ange opère sur un corps, de même encore il opère sur un autre Ange ; car les Anges supérieurs éclairent ceux qui sont inférieurs, comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch.  VIII, col. 238]. Mais du fait qu’il opère sur un lieu, on dit qu’il est dans le lieu : donc du fait qu’il opère sur un Ange, on dit qu’il est dans un Ange ; et ainsi il semble que deux Anges peuvent être dans un même lieu.

[2689] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 s. c. 1 Sed contra, sicut se habet corpus ad esse circumscriptive in loco, ita et Angeli ad esse definitive. Sed duo corpora non circumscribuntur eodem loco. Ergo nec duo Angeli definiuntur ad unum locum.

 Cependant:

1. Au contraire, ce que le corps est à une existence circonscrite dans le lieu, l’Ange l’est à une existence délimitée dans le lieu. Mais deux corps ne sont pas circonscrits par le même lieu. Donc de même deux Anges ne sont pas délimités par un seul lieu.

[2690] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 s. c. 2 Praeterea, unius corporis non sunt duae animae ; et tamen anima substantia spiritualis est, sicut et Angelus. Ergo videtur quod nec duo Angeli in uno et eodem loco esse possint.

 2. Par ailleurs, il n’y a pas deux âme pour un même corps et cependant l’âme est une substance spirituelle, tout comme l’Ange. Il semble donc que deux Anges ne peuvent être dans un seul et même lieu.

[2691] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod locus potest sumi proprie et metaphorice. Locus metaphorice dicitur locus spiritualis Angeli, scilicet ipse Deus qui ad similitudinem loci continet ; et sic omnes Angeli, immo omnia entia, sunt in uno loco, scilicet in Deo, quia [Éd. de Parme] qui omnia continet. Sed sic non loquimur de loco, sed de loco proprie dicto, qui est locus corporalis.

 Corps de l’article :

Je réponds que le lieu peut être entendu soit proprement soit par métaphore. On appelle lieu métaphorique le lieu spirituel de l’Ange, à savoir Dieu lui-même qui contient à la ressemblance d’un lieu ; et en ce sens tous les Anges, bien plus tous les êtres, sont en un seul lieu, à savoir en Dieu parce qu’Il [qui Éd. de Parme] les contient tous. Mais ce n’est pas de ce  lieu dont nous parlons, mais du lieu proprement dit qui est le lieu local.

Et sic dico, secundum communem opinionem, quod plures Angeli non possunt simul in uno loco esse. Cujus ratio accipienda est ex parte operationis secundum quam Angelus in loco esse dicitur: quia, secundum Philosophum,in IV Physic., text. 31, tunc pulcherrime unumquodque definitur, quando per definitionem manifestatur natura rei, et demonstrantur omnes proprietates consequentes, et solvuntur omnes dubitationes incidentes.

 Et en ce sens je dis, conformément à l’opinion générale, que plusieurs Anges ne peuvent simultanément être en un seul et même lieu. Et la raison de cela doit se prendre du côté de l’opération selon laquelle on dit de l’Ange qu’il est dans un lieu : car d’après le Philosophe [IV Physique, texte 31], chaque chose est définie de la plus belle manière quand la nature de la chose est manifestée par la définition, que par elle sont démontrées toutes les propriétés qui découlent de sa nature et que sont résolues toutes les difficultés qui pouvaient se présenter à son sujet.

Secundum hoc ergo dicendum est quod impossibile est idem secundum idem pati et moveri a diversis agentibus vel moventibus, si utrumque sit perfectae virtutis ad inducendum effectum illum. Sed hoc contingit quando plures movent in virtute unius moventis, quorum quilibet est imperfectum movens, sicut patet in trahentibus navim ; et hoc ideo quia ab agente perfecto patiens ducitur in actum perfectum, quo habito, non remanet in potentia ad suscipiendum aliquid plus.

 

 D’après cela il faut donc dire qu’il est impossible au même être et sous le même rapport de subir une action et d’être mû par des agents ou des moteurs différents si les deux sont d’une puissance parfaite à introduire cet effet. Mais cela est possible quand plusieurs agents meuvent sous la puissance d’un même moteur, dont chacun est un moteur imparfait, tout comme on le voit chez ceux qui tirent un navire ; et il en est ainsi parce que par un agent parfait un patient est conduit à un acte parfait et une fois qu’il le possède, il ne demeure plus en puissance à recevoir quelque chose de plus.

Cum igitur unus Angelus agens in virtute imperii divini sit sufficientis virtutis ad educendum in actum totum illud quod virtute divina operandum est circa aliquod corpus supra actus corporales [naturales Éd. de Parme], ad quorum operationes non mittuntur Angeli, non potest esse quod circa idem operatum conveniant immediate operationes duorum Angelorum ; et ideo non possunt esse in eodem loco: quia alter eorum superflueret. Unde etiam philosophi ex Aristoteles, XII Metaph, text. 48, uni orbi non attribuerunt nisi unum motorem.

 Donc puisqu’un même Ange, agissant sous la puissance du commandement divin, est d’une puissance suffisante pour conduire à l’acte tout ce qui, par la puissance divine, doit être opéré sur un corps au-delà des actes corporels [naturels Éd. de Parme] pour lesquels les Anges ne sont pas envoyés, il n’est pas possible que sur un même ouvrage les opérations de deux Anges se rencontrent immédiatement ; et c’est pourquoi ils ne peuvent être dans un même lieu car l’un des deux serait inutile. D’où même les philosophes à partir d’Aristote [XII Métaphysique, texte 48] n’ont attribué qu’un seul moteur à un seul et même univers.

[2692] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non impedit repletio loci quin plures Angeli simul in uno loco esse possint ; sed confusio operationum, quae quodammodo redundaret in confusionem virtutis et essentiae.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’occupation du lieu n’empêche pas que plusieurs Anges puissent simultanément être dans un même lieu ; mais ce qui l’empêcherait, c’est la confusion des opérations qui d’une certaine manière retomberait sur la confusion de la puissance et de l’essence.

[2693] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod anima est in corpore ut forma dans esse, et operans operationes naturales ; sed Angelus est in corpore ut operans operationes supernaturales ; et ideo nulla confusio operationum fit ; quia non est unius rationis operatio.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’âme est dans le corps comme une forme qui donne l’existence et qui exécute les opérations naturelles ; mais l’Ange est dans le corps pour exécuter des opérations surnaturelles et c’est pourquoi il ne se présente aucune confusion car il n’y a pas qu’un seul genre d’opération.

[2694] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 ad 3 Et per hoc etiam patet responsio ad tertium ; quia Deus est in rebus ut dans omnibus esse, et operans in qualibet virtute operante ; et ideo alterius rationis est operatio ipsius et Angeli operatio [et… operatio om. Éd. de Parme] ; unde non sequitur confusio.

 3. Et par là on voit aussi la réponse à la troisième difficulté car Dieu est dans les choses en tant qu’il donne l’existence à tous les êtres et en tant qu’il opère dans toute puissance d’opération ; et c’est pourquoi son opération et celle de l’Ange ne sont pas du même genre [et…opération om. Éd. de Parme] ; d’où il ne s’ensuit aucune confusion.

[2695] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 3 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod, sicut communiter dicitur, Angelus illuminans non operatur intra essentiam Angeli, quia non est causa esse ejus ; et lumen receptum in esse ejus non recipitur ; et ideo dicitur quasi exterius operari per modum suggerentis. Et similiter, quamvis effectus Angeli non recipiatur intra esse corporis cujus non est causa, recipitur tamen intra dimensiones ejus, ratione cujus Angelus intrinsecus corpori dici potest ; non autem animae nec Angelo ; unde non sequitur quod sit in Angelo vel cum Angelo in uno loco.

 4. Il  faut dire en quatrième lieu que, comme on le dit généralement, l’Ange qui illumine ou éclaire n’opère pas à l’intérieur même de l’Ange car il n’est pas la cause de son existence ; et la lumière reçue n’est pas reçue dans son existence ; et c’est pourquoi on dit de lui qu’il opère de l’extérieur à la manière de celui qui suggère. Et de la même manière, bien que l’effet de l’Ange ne soit pas reçu dans l’existence du corps dont il n’est pas la cause, il est reçu cependant dans ses dimensions, en raison de quoi on peut dire de l’Ange qu’il est intérieur au corps mais non pas à l’âme ni à l’Ange ; il résulte de là qu’il ne s’ensuit pas qu’il soit dans l’Ange ou avec l’Ange dans un seul et même lieu.

 

 

Quaestio 4

Question 4 – [Le mouvement des anges]

Prooemium

Prologue

[2696] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 pr. Deinde quaeritur de motu Angeli ; et circa hoc tria quaeruntur:

1 utrum Angelus moveatur ;

2 utrum pertranseat medium motu suo ;

3 utrum motus ejus sit in tempore, vel in nunc.

 On s’interroge ensuite sur le mouvement des Anges et à ce sujet on pose trois questions :

1. Est-ce que l’Ange est capable de mouvement local?

2. Est-ce qu’il traverse un milieu intermédiaire en passant d’un lieu à un autre ?

3. Est-ce que son mouvement est dans le temps ?

 

 

Articulus 1 [2697] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 tit. Utrum Angelus moveatur

Article 1 – L’ange se meut-il localement ?

 

[2698] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Angelus non moveatur. Quia, secundum Philosophum, III Physic., text. 9, motus est actus imperfecti ; quia est actus existentis in potentia, inquantum hujusmodi. Sed Angelus est perfectus, et praecipue beatus. Ergo non movetur.

Difficultés :

1. Il semble que l’Ange ne soit pas capable de mouvement local. Car, d’après le Philosophe [111 Physique, texte 9] le mouvement est l’acte de ce qui est imparfait car il l’acte de ce qui est en puissance en tant que tel. Mais l’Ange est parfait et surtout bienheureux. Il ne se meut donc pas.

[2699] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, quidquid movetur, aliqua specie motus movetur. Sed enumeratis omnibus speciebus motus et mutationis, patet quod nulla convenit Angelo, nisi forte alteratio et loci mutatio [loci et mutatio Éd. de Parme] ; non enim augetur vel diminuitur, cum non sit quantus ; nec iterum generatur et corrumpitur, cum in ipso non sit contrarietas ut per se corrumpatur (quia nihil per se corrumpitur nisi ratione contrarietatis) et sit per se subsistens, ut non corrumpatur per accidens ; quia aliquid corrumpitur per accidens [id quod corrumpitur…corrumpitur Éd. de Parme] ad corruptionem id quod ad corruptionem ejus in quo est sicut in subjecto.

 2. Par ailleurs, tout ce qui se meut se meut d’une certaine espèce de mouvement. Mais si on énumère toutes les espèces de mouvement et de changement, il est clair qu’aucune ne convient à l’Ange, si ce n’est peut-être l’altération et le changement de lieu [de lieu et le changement Éd. de Parme] ; en effet, il n’est pas le sujet de la croissance et de la décroissance puisqu’il ne possède pas de quantité ; et en outre il n’est ni engendré ni corrompu puisqu’il n’y a pas en lui de contrariété de manière à être corrompu par soi (car rien ne se corrompt par soi si ce n’est en raison de la contrariété) et il est par soi subsistant de manière à ne pas être corrompu par accident car quelque chose est corrompu par accident [ce qui est corrompu… est corrompu Éd. de Parme] ce qui est corrompu par rapport à la corruption de ce dans quoi il se trouve comme dans un sujet.

Sed non movetur alteratione, vel loci mutatione. Ergo nullo modo movetur. Quod autem non [nullo modo Éd. de Parme] alteretur, sic probatur. Sicut enim probat Philosophus, in VII Physic., text. 20, alteratio non est nisi circa qualitates sensibiles, et circa sensibilem partem animae. Sed haec ab Angelo remota sunt. Ergo Angelus non alteratur. Similiter videtur quod non movetur secundum locum. Quia omnis motus localis videtur esse propter aliquam indigentiam. Sed Angelus, praecipue beatus, nullius est indigens. Ergo localiter non movetur.

 Mais il ne se meut pas par altération ou par un changement de lieu. Donc il ne se meut d’aucune manière. Mais qu’il ne [d’aucune manière Éd. de Parme] se meuve pas par altération, il le prouve de la manière suivante. En effet, tout comme le Philosophe [ VII Physique, texte 20] prouve qu’il n’y a altération que sur les qualités sensibles et dans la partie sensible de l’âme. Mais tout cela est étranger à l’Ange. Il n’y a donc pas altération dans l’Ange. De la même manière il semble qu’il ne se meuve pas selon le lieu car il semble que tout mouvement local ait pour cause un besoin. Mais l’Ange, surtout le bienheureux, n’a besoin de rien. Il ne se meut donc pas localement.

[2700] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, si movetur secundum locum, moveatur ergo de A in B ; et sit B illud in quod primo mutatur. Ergo cum movetur, aut est in A, aut in B, aut est in utroque. Sed in A non movetur, quia ibi incipit moveri, et principium motus non est motus ; nec iterum in B movetur, quia ibi mutatum est. Nihil autem simul movetur et mutatum est. Ergo oportet quod dum movetur, sit simul in utroque. Sed non potest esse simul in duobus locis totus, ut probatum est, art. 2, quaest. praeced. Ergo oportet quod sit partim in A et partim in B. Ergo est divisibilis ; quod est inconveniens.

 3. Par ailleurs, s’il se meut selon le lieu, il se meut donc de A à B ; et soit B ce en quoi il y a changement en premier. Donc, lorsqu’il se meut, ou bien il est en A, ou bien il est en B, ou bien il est dans les deux. Mais il ne se meut pas en A, car c’est là le point de départ du mouvement et le principe du mouvement n’est pas le mouvement ; et il ne se meut pas davantage en B car c’est là le terme du mouvement. Il faut donc qu’aussi longtemps qu’il se meut, il soit simultanément dans les deux. Mais il ne peut être simultanément dans les deux en son entier, ainsi que nous l’avons prouvé à l’article 2 de la question précédente. Il faut donc qu’il soit en partie en A et en partie en B. Il est donc divisible, ce qui n’est pas juste.

[2701] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 4 Si dicas, quod non movetur per se in loco, sed secundum accidens. Contra, quidquid movetur per accidens in loco, movetur ad ejus motum in quo est. Sed Angelus est in eo in quo operatur. Ergo movetur per accidens ad motum ejus. Sed sicut illud in quo est Angelus, movetur, ita illud in quo est Deus. Ergo et Deus movebitur secundum locum ; quod est inconveniens: quia Deus nec per se nec per accidens movetur, ut in VIII Physic. probatur. Ergo et eadem ratione Angelus nec per se nec per accidens movebitur.

 4. Si tu dis que ce n’est pas par lui-même qu’il se meut dans le lieu mais par accident, je réponds par contre que tout ce qui se meut par accident dans le lieu se meut par rapport au mouvement de celui dans lequel il se trouve. Mais l’Ange est dans celui dans lequel il pose son opération. Il se meut donc par accident par rapport à son mouvement. Mais tout comme celui dans lequel l’Ange se trouve se meut, il en est de même pour celui dans lequel Dieu se trouve. Donc, d’après cette position, Dieu aussi sera mû selon le lieu, ce qui est absurde car Dieu ne se meut ni par soi ni par accident comme on le prouve [ VIII Physique]. Donc, pour la même raison, l’Ange non plus ne se meut ni par soi ni par accident.

[2702] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 arg. 5 Praeterea, ea quae de Deo vel de Angelis metaphorice a sanctis exponuntur, non sunt eis simpliciter attribuenda. Sed Dionysius, XV cap. Cael. Hier., col. 327, exponit ascensum et descensum Angelorum inter metaphorica. Ergo videtur quod motus localis non sit simpliciter Angelo attribuendus.

 5. Par ailleurs, les choses qui sont exposées par les saints de manière métaphorique sur Dieu et sur les Anges ne doivent par leur être attribuées purement et simplement. Mais Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. XV col. 327] présente la montée et la descente des Anges parmi les expressions métaphoriques. Il semble donc que le mouvement local ne doive pas être attribué  aux Anges d’une manière absolue.

[2703] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quod est proprium alicui, sibi soli convenit. Sed immutabilitas, ut supra, distinct. 8, quaest. 3, art. 1, dictum est, Dei proprium est. Ergo Angelo non convenit. Potest ergo moveri.

 Cependant :

1. Au contraire, ce qui est propre à un être n’appartient qu’à lui seul. Mais l’immutabilité, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 8, quest. 3, art. 1], est propre à Dieu. Elle ne convient donc pas à l’Ange. Il peut donc se mouvoir.

[2704] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omne quod est hic et ibi, et non simul, movetur secundum locum. Sed Angelus simul non est in duobus locis, ut habitum est. Cum igitur unus et idem Angelus inveniatur in Scripturis operari in diversis locis, et ita esse in eisdem [in eisdem om. Éd. de Parme] (quia ubi operatur ibi est), sicut de Gabriele legitur Luc. 1, qui annuntiavit Zachariae in templo, et Mariae in Nazareth, videtur quod Angelus secundum locum moveatur.

 2. Par ailleurs, tout ce qui est ici et là non simultanément se meut selon le lieu. Mais l’Ange n’est pas simultanément en deux lieux, comme nous l’avons établi. Donc puisqu’on trouve dans les Écritures un seul et même Ange qui pose une opération en divers lieux et qu’il se trouve ainsi à être en ces mêmes lieux [en ces mêmes om. Éd. de Parme] (car il est là où il opère), tout comme on lit au sujet de Gabriel (Luc, 1) qu’il annonça à Zacharie dans le temple et à Marie à Nazareth, il semble que l’Ange se meuve localement.

[2705] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod triplex motus Angeli invenitur a sanctis traditus. Primus motus est secundum illuminationes a Deo in mentem Angeli descendentes, qui quidem metaphorice motus dicitur ; et hunc tradit Dionysius in 4 cap. de Div. Nomin. § 8, col. 703, et distinguit eum per tres species, scilicet in motum circularem, rectum et obliquum.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il y a trois sortes de mouvement de l’Ange qui nous sont transmis par les saints. La première sorte est selon les illuminations qui viennent de Dieu et qui descendent dans l’esprit de l’Ange, et qu’on appelle certes un mouvement au sens métaphorique ; et Denys [Les Noms Divins, ch. 4, & 8, col. 703] nous enseigne cette sorte de mouvement qu’il distingue en trois espèces, à savoir le mouvement circulaire, le mouvement rectiligne et le mouvement oblique.

Motus autem circularis Angeli dicitur secundum quod lumen intellectuale descendit originaliter a Deo in intellectum Angeli ; et per illud lumen intellectus Angeli ascendit in contemplationem Dei: et sic est motus ab eodem in idem, et est uniformis, inquantum lumen illud non egreditur intellectus simplicitatem.

Motus autem rectus dicitur quando Angelus lumen a Deo receptum inferioribus tradit quasi secundum rectam lineam.

 Mais on dit du mouvement de l’Ange qu’il est circulaire selon que la lumière intellectuelle descend dans l’intelligence de l’Ange en partant de Dieu comme de son origine ; et par cette lumière l’intelligence de l’Ange s’élève à la contemplation de Dieu : et ainsi le mouvement a lieu du même vers le même et il est uniforme en tant que cette lumière ne quitte pas la simplicité de l’intelligence.

Mais on dit que son mouvement est rectiligne quand l’Ange transmet aux anges inférieurs, comme en suivant une ligne droite, la lumière qu’il a reçue de Dieu

Sed motus obliquus dicitur prout consideratur exitus luminis a Deo in mentem Angeli, et deinde reflectitur lumen illud ad inferiora, quibus lumen suum tradit, per quod lumen inferiora [lumen inferiora Éd. de Parme] non reducuntur in Angelum sicut in finem, sed in Deum: et talis motus est quasi compositus ex recto et circulari, sicut motus qui esset per chordam et arcum ab eodem in idem.

 

Mais on dit que son mouvement est oblique  pour autant qu’on considère la sortie de la lumière qui va de Dieu vers l’esprit de l’Ange et que cette lumière se réfléchit ensuite sur les anges inférieurs auxquels il transmet sa lumière, et par cette lumière les anges inférieurs ne sont pas ramenés à l’Ange, mais à Dieu comme à leur fin : et un tel mouvement est comme composé du mouvement rectiligne et du mouvement circulaire, tout comme le mouvement qui a lieu par la corde et l’arc procède du même et retourne au même.

Obliquatur enim motus iste prout recedit ab uniformitate recepti luminis, quod non similter [similiter non Éd. de Parme] est in secundis Angelis sicut in primis. Secundus motus est per tempus ; quem assignat ei Augustinus, ut habetur in Littera ; et quia tempus, est mensura successivorum, ideo omnem successionem nominat motum per tempus. Invenitur autem successio in intellectu Angeli: quod sic patet.

 

Ce mouvement est oblique en effet selon qu’il s’écarte de l’uniformité de la lumière de celui qui reçoit, laquelle ne se retrouve pas semblablement [qui semblablement n’est pas Éd. de Parme] dans les seconds Anges comme dans les premiers. Le deuxième mouvement a lieu dans le temps, lequel lui est assigné par Saint-Augustin comme on l’établit dans la Lettre ; et parce que le temps est la mesure de ce qui est successif, c’est pourquoi il appelle toute succession un mouvement dans le temps. Mais on retrouve une succession dans l’intelligence de l’Ange et c’est ce qu’on peut voir de la manière qui suit.

Omnis intellectus qui cognoscit diversa per diversas species, non potest simul actu illa cognoscere, ut ex praedeterminatis patet, dist. 25, quaest. 1, art. 2. Intellectus autem Angeli potest cognoscere res dupliciter,

sive duplici specie: scilicet vel in consideratione verbi, quod est una similitudo omnium rerum ; et sic simul potest multa videre:

vel per species innatas vel concreatas rerum, quae sibi inditae sunt, quae plures plurium sunt ; unde oportet quod secundum illas species non cognoscat plura simul.

 Toute intelligence qui connaît différentes choses au moyen de différentes espèces ne peut simultanément connaître ces choses en acte, ainsi qu’on le voit à partir de ce qui a été établi précédemment [dist. 25, quest. 1, art. 2]. Mais l’intelligence de l’Ange peut connaître les choses de deux manières, c’est-à-dire par deux sortes d’espèce.

Soit par la considération du Verbe, qui est une similitude unique de toutes les choses et en ce sens il peut voir simultanément plusieurs choses.

Soit au moyen des espèces qui sont dans les choses et qui ont été créées avec les choses dans leur intimité et qui sont différentes pour différentes choses ; d’où il faut que l’Ange, d’après ces espèces, ne connaisse pas simultanément plusieurs choses.

Unde secundum hoc est successio in intellectu Angeli ; et ista successio largo modo dicitur motus. Differt tamen a motu proprie dicto in duobus ad minus

 D’où il résulte que sous ce rapport il y a succession dans l’intelligence de l’Ange ; et cette succession s’appelle mouvement au sens large. Et ce mouvement diffère cependant du mouvement proprement dit au moins sur deux points.

Primo, quia non est de potentia in actum, sed de actu in actum.

Secundo quia non est continuus: continuus enim motus est ex continuitate ejus super quod est motus, ut in lib. V Physic., texte 34, probatur. Sed inter duas species intellectas non est aliqua [aliqua om. Éd. de Parme] continuatio, sed successio tantum ; et haec eadem successio motus dicitur ; et similis ratio est de successione affectionum.

 

 Premièrement parce qu’il ne procède pas d’une puissance à un acte, mais d’un acte à un autre.

Deuxièmement parce qu’il n’est pas continu : le mouvement en effet tient sa continuité de la continuité de ce sur quoi s’exerce le mouvement comme le prouve le Philosophe [V Physique, texte 34]. Mais entre deux espèces saisies par l’intelligence il n’y a pas une [une om. Éd. de Parme] continuité mais seulement succession ; et cette même succession est appelée mouvement ; et la même raison vaut pour la succession des affections.

Tertius motus est secundum locum, qui etiam in Littera attribuitur eis auctoritate Ambrosii et Bedae.

Et quia moveri in loco sequitur ad esse in loco, ideo eodem modo convenit Angelo moveri in loco sicut esse in loco: et utrumque est aequivoce respectu corporalium. Dicitur enim Angelus esse in loco inquantum applicatur loco per operationem ; et quia non simul est in diversis locis, ideo successio talium operationum per quas in diversis locis esse dicitur, motus ejus vocatur. Unde sicut conceptiones intellectus consequenter se habent sine continuatione, ita et operationes ejus ; unde motus localis Angeli non est continuus ; sed ipsae operationes ejus consequenter se habentes circa diversa loca, secundum quas in illis esse dicitur, localis motus ejus vocantur [successivae dicuntur Éd. de Parme].

Le troisième mouvement est le mouvement local qui leur est aussi attribué dans la Lettre par le témoignage de Saint-Ambroise et de Bède.

Et parce que se mouvoir dans le lieu résulte de l’existence dans le lieu, c’est pourquoi il convient à l’Ange de se mouvoir dans le lieu de la même manière qu’il existe dans le lieu : et les deux modalités sont équivoques par rapport aux réalités corporelles. On dit en effet de l’Ange qu’il est dans le lieu en tant qu’il est appliqué à un lieu par son opération ; et parce qu’il n’est pas simultanément en plusieurs lieux, c’est pourquoi la succession de telles opérations par lesquelles on dit qu’il est en divers lieux s’appelle pour lui mouvement. D’où il résulte que tout comme les conceptions de l’intelligence se présentent consécutivement sans continuité, il en est de même pour ses opérations ; d’où il suit que le mouvement local de l’Ange n’est pas continu ; mais on dit des opérations elles-mêmes de l’Ange qui se présentent consécutivement sur divers lieux, et selon lesquelles on dit de l’Ange qu’il est dans ces lieux, qu’elles sont néanmoins son mouvement local [sont appelées successives Éd. de Parme].

[2706] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod motus, proprie sumendo, semper est existentis in potentia ; sed aliquando improprie ipsa operatio rei dicitur motus ejus, ut intelligere et sentire ; et tunc motus est actus perfecti, ut in III De anima cap. XXVIII dicitur. Quod autem operatio a motu differat, patet ex X Ethic., cap.IV: et sic sumitur motus a Dionysio, cap. IV de div. nom., scilicet pro operatione quantum ad primum modum, qui tripartitus est, secundum eum.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le mouvement, pris au sens propre, appartient toujours à ce qui existe en puissance ; mais parfois on dit improprement de l’opération même de la chose qu’elle est son mouvement, comme c’est le cas pour sentir et connaître ; et alors le mouvement est l’acte de ce qui est parfait comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, ch. XXVIII]. Mais que l’opération diffère du mouvement, on le voit aussi à partir de ce qu’il dit ailleurs [X Éthique, ch. IV]. et c’est ainsi que Denys [Les Noms Divins, ch. IV] prend le mouvement, à savoir pour l’opération quant à la première modalité qui d’après lui se divise en trois parties.

Sed duo alii modi motus ponunt aliquam imperfectionem in Angelo, quae tamen non repugnat beatitudini. Imperfectio autem potest attendi si comparetur ad Deum, qui uno et eodem, scilicet essentia sua, simul omnia videt et simul ubique est ; in quo Angelus deficit a perfectione ejus ; et ideo de loco in locum transit quantum ad tertium modum motus ejus, et de intellectu ad intellectum quantum ad secundum.

 Mais les deux autres modalités du mouvement posent une imperfection dans l’Ange, laquelle cependant ne répugne pas à la béatitude. Mais l’imperfection peut ici se vérifier si l’Ange est comparé à Dieu qui d’une seule et même manière, à savoir par son essence, voit tout et est simultanément partout, en quoi l’Ange est loin de sa perfection ; et c’est pourq[uoi il passe d’un lieu à un autre quant à la troisième modalité de son mouvement et d’une conception à une autre quant à la deuxième.

[2707] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod primus modus motus Angeli non reducitur in aliquam speciem motus ; est enim metaphorice dictus, quia non est transitus de uno in aliud, cum Angelus semper in receptione divini luminis permaneat ; sed secundus modus habet aliquam similitudinem cum motu alterationis.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la première sorte de mouvement chez l’Ange ne se ramène pas à une espèce de mouvement ; elle se dit en effet par métaphore car elle n’est pas un passage d’un point à un autre puisque l’Ange demeure toujours dans la réception de la lumière divine ; mais la deuxième sorte a une certaine ressemblance avec le mouvement d’altération.

Et quia [quod Éd. de Parme] objicitur, quod alteratio est secundum sensibiles qualitates ; dicendum, quod verum est quando passio, quae in intellectu alterationis includitur, proprie sumitur prout dicit transmutationem materiae [materialem Éd. de Parme] abjicientem a substantia ; sed secundum quod passio large sumitur pro qualibet receptione, prout etiam intelligere pati quoddam est, ut in III De anima dicitur, sic etiam alteratio est in intellectualibus operationibus, secundum quod dicitur in III De anima quod exire de otio in actum est novum genus alterationis. Sed tertius modus habet similitudinem cum motu locali.

 Et parce que [ce qui Éd. de Parme] ce qui est objecté, à savoir que l’altération a lieu d’après des qualités sensibles, il faut dire que cela est vrai quand la passion, qui est comprise dans la définition de l’altération, est prise proprement en tant qu’elle signifie une transmutation de la matière [matérielle Éd. de Parme] rejetée de la substance ; mais selon que la passion se prend au sens large pour toute réception, au sens où même l’intellection est une certaine passion, comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme], en ce sens aussi l’altération est dans les opérations intellectuelles selon qu’on dit au troisième livre du traité De l’Âme que passer de l’oisiveté à l’acte est un nouveau genre d’altération. Mais la troisième sorte a une ressemblance avec le mouvement local.

Nec oportet quod sit propter indigentiam suam, sed propter indigentiam nostram ; non dico sicut propter finem ultimum, sicut etiam est de motu caeli, cujus finis ultimus non est generatio inferiorum corporum secundum philosophos [philosophum Éd. de Parme], cum nihil sit propter vilius se ; sed ultimum intentum est assimilatio ad Deum, cujus similitudinem consequitur in hoc quod suo modo causa inferiorum efficitur ; sicut etiam ultimus Angeli finis circa nos operantis est ut divinam similitudinem consequatur, Deo cooperando in reductione inferiorum in Deum, ut Dionysius dicit, cap. III Cael. Hier., col. 163.

 Et il n’est pas nécessaire que ce mouvement soit dû à son indigence mais à la nôtre ; et je ne dis pas cela comme à cause de la fin ultime comme il en est pour le mouvement du Ciel dont la fin ultime n’est pas la génération des corps inférieurs selon les philosophes [le philosophe Éd. de Parme], car rien n’existe en vue de ce qui est inférieur à soi ; mais l’intention dernière est l’assimilation à Dieu dont il poursuit la similitude en cela qu’à sa manière la cause des êtres inférieurs est produite, tout comme aussi la fin ultime de l’Ange qui opère sur nous est que, en coopérant avec Dieu pour ramener les êtres inférieurs à Dieu comme le dit Denys [De la Hiérarchie Céleste, ch. 111, col. 163], la similitude ou la ressemblance à Dieu soit atteinte.

[2708] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa ratio concluderet, si motus Angeli poneretur continuus sicut motus corporis ; quia oporteret quamlibet partem motus esse motum, et ita oporteret quod hoc quod est in aliquo ubi signato [aliquo signo Éd. de Parme], non esset pars motus, sed pars motus esset in dimittendo unum locum et intercipiendo alium conjunctum continue ; unde oporteret quod partim esset in uno et partim in alio, et sic moveretur. Sed quia motus Angeli localis non est positus esse continuus, ideo non oportet quod pars illius motus sit motus ; et ideo nec in A movetur, nec in B movetur, licet A et B sint partes ejus ; sed successio horum quod est esse in A et esse in B, motus ejus vocatur ; sicut plane patet, si attendatur motus ejus vel secundum intellectum vel secundum affectum ; quia ipsa successio affectionum motus ejus dicitur.

 3. Il faut dire en troisième lieu que cet argument serait concluant si on posait que le mouvement de l’Ange est continu comme l’est le mouvement corporel, car il faudrait alors que toute partie du mouvement soit un mouvement, et ainsi il faudrait que ce qui est dans quelque lieu désigné [dans quelque lieu bien marqué Éd. de Parme], ne serait pas une partie du mouvement, mais la partie du mouvement consisterait à délaisser un lieu et à en prendre un autre qui lui serait uni de façon continue ; d’où il faudrait qu’il soit en partie dans un lieu et en partie dans un autre et c’est ainsi qu’il serait en mouvement. Mais parce que le mouvement local de l’Ange n’est pas posé comme étant continu, c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’une partie de ce mouvement soit un mouvement ; et c’est pourquoi il ne se meut ni en A ni en B, bien que A et B soient des parties de son mouvement ; mais la succesion qui consiste à être en A puis en B, c’est cela qui s’appelle pour lui mouvement tout comme on le voit clairement si son mouvement se vérifie soit selon l’intelligence soit selon l’affectivité car la succession même de ses affections, c’est cela qu’on appelle son mouvement.

[2709] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedicto modo movetur Angelus per se secundum locum, secundum quod etiam per se in loco [per se est in loco Éd. de Parme] operando. Sed si accipiatur motus in loco per modum corporalis motus, sic non movetur in loco nisi per accidens ad motum corporis assumpti. Nec tamen oportet quod Deus per accidens in loco moveatur ; quia nihil movetur per accidens moto eo in quo est, nisi definitive sit in eo, ita quod non in alio ; sicut anima movetur per accidens moto toto corpore, et non mota manu tantum.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que c’est de la manière dont nous venons de parler que l’Ange se meut par soi selon le lieu selon qu’il opère aussi par soi dans le lieu [qu’il est par soi dans le lieu Éd. De Parme]. Mais si on prend le mouvement dans le lieu à la manière du mouvement local, alors l’Ange ne se meut dans le lieu que par accident par rapport au movement du corps qu’il prend. Et cependant il n’est pas necessaire que Dieu se meuve dans le lieu par accident, car rien ne se meut par accident dans le corps en mouvement dans lequel il est, à moins qu’il y soit d’une manière délimitée de telle manière qu’il ne soit pas dans un autre, tout comme l’âme se meut par accident lorsque tout le corps se meut et non seulement la main.

[2710] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 1 ad 5 Et per hoc etiam patet solutio ad quintum ; quia motus localis, secundum quod est corporum, non convenit Angelo nisi metaphorice ; sed aequivoce loquendo de motu, convenit ei proprie, ut dictum est.

 5. Et par là on voit aussi la solution à la cinquième difficulté car le mouvement local, selon qu’il appartient aux corps, ne convient à l’Ange que par métaphore ; mais si on parle du mouvement de manière équivoque dans le sens où nous l’avons fait, alors le mouvement local lui convient proprement.

 

 

Articulus 2 [2711] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 tit. Utrum Angelus in suo motu de necessitate transeat medium

Article 2 – L’ange dans son déplacement traverse-t-il nécessairement un espace intermédiaire ?

[2712] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Angelus de necessitate transeat medium in suo motu. Quia, sicut dicitur in V Physic., text. 22, medium est in quod prius venit quod mutatur quam in quod mutatur ultimum. Si ergo Angelus movetur de A in C, et B sit medium, oportet quod prius veniat in B quam in C, et ita oportet quod medium transeat.

Difficultés:

1. Il semble que l’Ange traverse nécessaiement un espace intermédiaire dans son movement. Car, comme le dit le Philosophe [V Physique, texte 22]: L’espace intermédiaire est l’espace que traverse ce qui se meut, avant d’arriver au terme. Si donc l’Ange se meut de A à C, et que B est l’espace intermédiaire, il faut d’abord qu’il passe par B avant d’en arriver à C et en ce sens il faut qu’il passe par une espace intermédiaire.

[2713] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, moveatur Angelus de A in C, et B sit medium ; cum est in C, mutatum est. Sed ante omne mutatum praecedit moveri, ut in VI Physic., text. 61, probatur. Ergo prius movebatur quam veniret in C. Sed in A non movebatur, quia erat locus indivisibilis Angeli ; et in indivisibili non est motus. Ergo oportet quod moveatur in B, et ita oportet quod transeat medium.

 2. Par ailleurs, supposons que l’Ange se meuve de A à C et que B soit l’espace intermédiaire ; lorsqu’il est rendu à C, son mouvement est terminé. Mais le mouvement précède tout mouvement terminé, ainsi qu’il est prouvé [ VI Physique, texte 61]. Il était donc en mouvement avant d’arriver à C. Mais il n’était pas en mouvement en A car c’était là le lieu indivisible de l’Ange et le mouvement n’a pas lieu dans l’indivisible. Il faut donc qu’il se meuve en B et il faut donc qu’il traverse un espace intermédiaire.

[2714] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, Angelus cum est in A, non est in C. Oportet ergo, si postmodum sit in C, quod vel essentia sua de novo creetur ibi et hic corrumpatur, vel quod per medium transeat. Sed primum est impossibile. Ergo oportet quod per medium transeat.

 3. Par ailleurs, lorsque l’Ange est en A il n’est pas en C. Il faut donc, pour qu’il soit par la suite en C, soit que son essence y soit créée à nouveau et qu’elle soit corrompue en A, soit qu’il traverse un espace intermédiaire. Mais la première hypothèse est une impossibilité. Il faut donc qu’il traverse un espace intermédiaire.

[2715] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 4 Si dicas, quod cum Angelus sit naturae intellectivae, potest transire de uno in aliud sine hoc quod pertranseat medium, sicut et cogitatio ; contra. Successio cogitationum est per species, quae aequaliter sunt ipsi intellectui praesentes et propinquae, et non magis species loci medii quam extremi. Sed Angelus in uno loco existens non habet omnia loca praesentia ; sed propinquior est sibi unus locus quam alius. Ergo videtur quod oporteat quod prius veniat ad medium quam ad extremum.

 4. Si tu dis que puisque l’Ange est une nature intellectuelle, il peut passer d’un lieu à un autre sans traverser un espace intermédiaire, tout comme le fait la pensée, je réponds par contre que la succession des pensées se fait au moyen d’espèces qui sont également présentes et prochaines à l’intelligence elle-même, et celles d’un lieu intermédiaire ne sont pas plus présentes que celles d’un lieu éloigné. Mais tous les lieux ne sont pas également présents à l’Ange qui existe dans un lieu, mais il est plus proche d’un lieu que d’un autre. Il semble donc qu’il faille qu’il en vienne d’abord à un lieu intermédiaire avant de parvenir à un lieu extrême.

[2716] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 5 Sed contra, ut VI Physic., text. 13 dicitur, et per se patet, omne quod movetur, prius pertransit locum aequalem quam majorem. Sed Angelo indivisibili non est locus aequalis nisi indivisibilis et punctalis. Ergo si movetur, oportet quod transeat punctum antequam lineam. Sed inter quaelibet duo puncta sunt infinita puncta ; infinita autem non contingit transire. Ergo si oportet Angelum motum media pertransire, nunquam veniet de principio unius lineae, quantumcumque parvae, in finem ejus.

Cependant :

 5. Mais le Philosophe [ VI Physique, texte 13] dit au contraire, et cela est évident de soi, que tout ce qui se meut traverse d’abord un lieu qui est égal à soi-même avant d’en traverser un plus grand. Mais il n’y a pas de lieu égal à l’Ange qui est indivisible, si ce n’est un lieu indivisible qui serait de la nature du point. Si donc l’Ange se meut, il faut qu’il traverse le point avant de traverser la ligne. Mais entre deux points, quels qu’ils soient, il y a une infinité de points. Mais il n’est pas possible de traverser l’infini. Si donc il faut que le mouvement de l’Ange traverse des espaces intermédiaires, jamais il ne parviendra, en partant du début d’une seule et même ligne, au terme de cette ligne, si petite qu’elle soit.

[2717] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 arg. 6 Praeterea, eadem ratio est de uno medio et de omnibus. Sed omnia non potest pertransire, quia sunt infinita, ut probatum est, art. 1, quaest. 2 hujus dist. Ergo nec aliqua ; et ita videtur quod semper veniat de loco in locum, non pertranseundo medium.

 6. Par ailleurs, la même raison vaut pour un seul espace intermédiaire et pour tous. Mais l’Ange ne peut traverser tous les espaces intermédiaires parce qu’ils sont infinis, ainsi que nous l’avons prouvé [dist. 37, quest. 2, art. 1]. Il ne peut donc en traverser aucun ; et il semble ainsi il passe toujours d’un lieu à un autre sans traverser un espace intermédiaire.

[2718] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc sunt duae opiniones. Quidam enim dicunt, quod Angelus transit de loco in locum non pertranseundo medium ; alii dicunt, quod pertransit medium in suo motu ; et utrique, ut credo, verum dicunt secundum aliquid.

 Dico enim, quod Angelus potest transire de loco in locum ita quod transeat omnia media ; et potest esse quod transeat de loco ad locum sine hoc quod sit in aliquo mediorum ; et potest esse quod sit in aliquibus, et aliquibus non ; cujus ratio ex praedictis, hac dist., quaest. 3, art. 2, sumitur.

Dico enim, quod essentia Angeli secundum se absoluta est ab omni loco, et non definitur ad locum nisi per operationem ; non autem per operationem secundum quod exit ab essentia, sed secundum quod terminatur ad operatum in loco. Unde quando operatur circa hunc locum, ab essentia sua (cum non sit ex se determinata vel obligata ad locum illum, sed indifferenter se habens ad omnia, inquantum in se est), potest egredi operatio statim ad locum proximum vel remotum ; nec operatio ad distans dependet ab operatione ad propinquum. Unde secundum quod habet aliquid operari vel in omnibus mediis locis vel in aliquibus vel in nullo, secundum hoc potest pertransire omnia media vel quaedam vel nullum.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet deux opinions se présentent. En effet, certains disent que l’Ange passe d’un lieu à un autre sans traverser un espace intermédiaire; d’autres disent qu’il traverse un espace intermédiaire dans son mouvement et les deux, comme je le crois, disent vrai sous un certain rapport.

Je dis en effet que l’Ange peut passer d’un lieu à un autre de manière à traverser tous les espaces intermédiaires; et il lui est possible de passer d’un lieu à un autre sans traverser aucun intermédiaire et il lui est même possible d’en traverser certains mais pas d’autres; et la raison de cela se tire de ce que nous venons tout juste de dire [dist. 37, quest. 3, art. 2].

Je dis en effet que l’essence de l’Ange est en elle-même libre de tout lieu et ne se définit par rapport au lieu que par son operation; non pas cependant de l’opération selon qu’elle sort de son essence, mais selon qu’elle se termine son effet qui est dans le lieu. D’où il suit que lorsqu’il opère sur ce lieu, l’opération peut immédiatement sortir de son essence (puisqu’il n’est pas de lui-même déterminé ou forcé à ce lieu, mais il se présente de lui-même indifféremment à tous les lieux) à un lieu prochain ou éloigné; et son opération à l’égard de ce qui est éloigné ne dépend pas de l’opération qu’il pose sur ce qui est rapproché. D’où il résulte que c’est d’après les opérations qu’il a à poser soit dans tous les intermédiaires, soit dans certains, soit dans aucun, c’est d’après cela qu’il pourra traverser tous les intermédiaires, seulement certains ou aucun.

[2719] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod objectio nulla est, si addatur quod philosophusmet addit. Dicit enim, quod medium est in quod primo venit continue mutatum. Angeli autem motus non est continuus, ut dictum est, art. 1, hujus quaest.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’objection est nulle si on ajoute ce que le Philosophe lui-même ajoute. Il dit en effet que l’espace intermédiaire est ce que traverse en premier ce qui se meut de façon continue. Mais le mouvement de l’Ange n’est pas continu, ainsi que nous l’avons dit dans l’article 1 de cette question.

[2720] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ante quodlibet mutatum, est moveri ; sed tamen diversimode est in motu Angeli et in motu corporis. Quia in motu corporis mutatum esse non est pars moveri, sed terminus ejus ; unde totum moveri praecedit mutatum esse ; et ideo oportet praesupponere ante id in quod dicitur mutatum esse, aliquid in quo moveatur. Sed in motu Angeli qui non est continuus, mutatum esse est una pars motus, ultima scilicet ; et prima pars est unde incipit moveri ; et neutra pars est motus, sed successio utriusque. Unde moveri praecedit mutatum esse, sicut totum in discretis partem.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’antérieurement à tout mouvement achevé, il y a movement; mais il en va différemment pour le mouvement de l’Ange et pour celui d’un corps. Car pour ce qui est du movement d’un corps, le mouvement achevé ne fait pas partie du mouvement comme tel mais il en est le terme; d’où il suit que la totalité du mouvement est antérieure au mouvement achevé; et c’est pourquoi il est necessaire de présupposer, avant ce qu’on appelle le movement achevé, un espace dans lequel il y a movement. Mais dans le mouvement de l’Ange qui n’est pas continu, le mouvement achevé est une partie du mouvement, à savoir la dernière; et dans ce cas la première partie du mouvement est le point de départ du mouvement; et aucune de ces parties n’est un mouvement, mais c’est la succession des deux qui en est un. D’où il suit que le mouvement précède le mouvement achevé comme le tout précède la partie dans les quantités discrètes.

[2721] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ratio illa procederet in illis quae per essentiam suam sunt determinata ad ubi: quod non contingit in Angelo: unde motus ejus est secundum operationes tantum, quae sunt hic et ibi successive.

 3. Il faut dire en troisième lieu que cet argument vaudrait pour les êtres qui sont déterminés par le lieu: ce qui n’est pas possible pour les Anges dont le mouvement découle seulement de ses opérations qui ont lieu ici et là d’une manière successive.

[2722] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod dictum illud non est usquequaque sufficiens ; quia per hoc quod Angelus intelligit hoc et illud, non dicitur esse hic et ibi ; quia existens in uno loco, potest intelligere id quod est in alio loco. Sed accedit ad veritatem, inquantum successio operationum sequitur successionem quae est in intellectu.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que ce qu’on dit dans cet argument n’est pas à ce point suffisant; car du fait que l’Ange conçoit ceci et cela, il ne s’ensuit pas qu’on doive dire qu’il est ici et là car étant dans un lieu, il peut concevoir ce qui est dans un autre lieu. Mais il parvient à la vérité pour autant que la succession des opérations suit la succession qui est dans l’intelligence.

[2723] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod Angelus potest pertransire per omnia media ; non tamen oportet quod numeret infinita puncta existentia in linea: quia locus in quo est Angelus, non semper est indivisibilis, sed quandoque divisibilis, ut dictum est, in corp. art.: et cum nullum spatium finitum dividatur in infinita divisibilia actu accepta, constat quod omnia media pertransire potest.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que l’Ange peut traverser plusieurs espaces intermédiaires sans qu’il faille cependant compter une infinité de points existant sur la ligne car le lieu dans lequel se trouve l’Ange n’est pas toujours indivisible, mais il est parfois divisible comme nous l’avons dit dans le corps de l’article : et comme aucun espace fini ne se divise en une infinité d’espaces divisibles pris en acte, il est clair que l’Ange peut traverser tous les espaces intermédiaires.

[2724] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod non est eadem ratio de omnibus mediis ; quia media possunt accipi divisibilia, et haec finita sunt ; vel indivisibilia quae infinita sunt, et pertransiri, si actu numerentur, non possunt. Et praeterea in uno mediorum locorum habet aliquid operari, et non in alio. Unde sequitur quod per aliquod medium transeat, et non per aliud.

 6. Il faut dire en sixième lieu que le même raisonnement ne vaut pas pour tous les espaces intermédiaires ; car ces derniers peuvent être pris comme étant divisibles et alors ils sont finis ; ou bien ils sont pris comme étant indivisibles et alors ils sont infinis et ne peuvent être traversés si on les compte en acte. Et par ailleurs, c’est dans un seul des lieux intermédiaires que l’Ange doit poser une opération et non dans un autre. D’où il suit qu’il peut traverser un espace intermédiaire et non un autre.

 

 

Articulus 3 [2725] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 tit. Utrum Angelus moveatur in instanti

Article 3 – L’ange se meut-il dans l’instant ?

 

[2726] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Angelus moveatur in instanti. Mutatio enim Angeli secundum locum, est simplicior qualibet mutatione corporali. Sed aliquae mutationes corporales sunt in instanti, ut in VI Physic., text. com. 68, Commentator dicit, sicut illuminatio, generatio, corruptio, et hujusmodi. Multo ergo fortius mutatio Angeli.

Difficultés :

1. Il semble que l’Ange se meuve dans l’instant. En effet, le changement de lieu chez l’Ange est plus simple que tout changement corporel. Mais certains changements corporels ont lieu dans l’instant, ainsi que le Commentateur [ VI Physique, texte com. 68] le dit, à savoir par exemple l’illumination, la génération, la corruption et les changements de cette sorte. Donc, à plus forte raison, le changement chez l’Ange a lieu dans l’instant.

[2727] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea, mutetur Angelus de A in B, sicut in quod primo mutatum est (dicitur autem in [in om. Éd. de Parme] illud primum mutatum esse quod est locus contiguus [continuus Éd. de Parme] loco in quo prius erat) ; et si mutatur in tempore, sit tempus in quo mutatur C. Si ergo istud tempus mensurat illum motum, oportet quod in ultimo nunc temporis sit in termino motus secundum quod est in B.

 2. Par ailleurs, l’Ange se meut de A à B comme à ce dans quoi il est mû en premier (mais on dit que ce en [en om. Éd. de Parme] quoi il est mû en premier est ce lieu qui est contigu [continu Éd. de Parme] au lieu dans lequel il était antérieurement ; et s’il se meut dans le temps, C est le temps dans lequel il se meut. Si donc ce temps mesure ce mouvement, il faut que dans le dernier instant du temps il soit dans le terme du mouvement en tant qu’il est en B.

Relinquitur ergo quod in toto tempore praecedente ultimum nunc aut est tantum in A, aut est partim in A et partim in B. Sed non partim in utroque, quia indivisibilis est. Ergo in tempore illo erit totus in A. Sed cum omne tempus sit divisibile, in quolibet tempore est accipere prius et posterius.

 Il reste donc que dans la totalité du temps qui précède le dernier instant, ou bien il est seulement en A, ou bien il est en partie en A et en partie en B. Mais il n’est pas en partie dans les deux car il est indivisible. Donc dans ce temps il sera tout entier en A. Mais comme tout temps est divisible, il faut admettre un avant et un après dans tout temps.

Ergo in priori et posteriori parte illius temporis Angelus erit in A: ergo quiescit in A: quia potest de eo dici, quod in A est nunc et prius ; quod est quiescere. Motus ergo Angeli pars erit quies ejus ; quod est inconveniens. Et, quod plus est, sequitur quod tempus illud in quo positus est in moveri non mensurat motum ejus, sed quietem. Ergo videtur quod nullo modo in tempore moveatur.

 Donc dans la partie antérieure et postérieure de ce temps l’Ange sera en A : donc il se repose en A car on peut dire de lui qu’il est en A maintenant et avant, et c’est là se reposer. Donc, une partie du mouvement de l’Ange sera son repos, ce qui est absurde. Et, qui plus est, il s’ensuit que ce temps dans lequel il est placé dans le mouvement ne mesure pas son mouvement mais son repos. Il semble donc que l’Ange ne se meut aucunement dans le temps.

2728] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea, si movetur in tempore, moveatur, ut dictum est, art. praec., de A in B, in tempore C. Ponatur ergo quod per idem spatium moveatur quoddam corpus, scilicet F, quod movebitur in majori tempore, scilicet D: quia Angelus est majoris virtutis quam corpus, et secundum quod additur ad virtutem moventis sic oportet quod diminuatur de tempore motus: quia major virtus in minori tempore movet, ut in VI Physic., text. 13, dicitur. Sed cum omne tempus finitum proportionem habeat ad quodlibet tempus finitum, accipiatur proportio duorum temporum, scilicet temporis C, in quo movetur Angelus, et temporis D, in quo movetur corpus, sicut proportio tripli ad subtriplum ; quia non differt, quaecumque sit. Accipiatur etiam aliud corpus quod excedat ipsum, scilicet secundum virtutem in tripla proportione, et sit G. Inde sic. Secundum excessum virtutis moventis est diminutio in tempore motus. Sed G excedit D in tripla proportione.

 3. Par ailleurs, s’il se meut dans le temps, supposons, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, qu’il se meuve de A à B dans le temps C. On pose donc qu’à travers le même espace, à savoir F, un corps se meut qui sera mû dans un temps plus grand, à savoir D : car la puissance de l’Ange est plus grande que celle du corps, et suivant ce qu’on ajoute à la puissance du moteur, le temps du mouvement diminue proportionnellement parce qu’une puissance plus grande se meut dans un temps plus petit comme le dit le Philosophe [ VI Physique, texte 13]. Mais parce que tout temps fini est proportionné à n’importe quel temps fini, on admet une proportion entre deux temps, à savoir entre le temps c, dans lequel se meut l’Ange, et le temps D, dans lequel se meut le corps, tout comme la proportion du triple au sous-triple, car cela ne change rien, quelle qu’elle soit. On pose aussi un autre corps qui le dépasse dans la puissance dans la proportion du triple, soit G. D’où il s’ensuit ceci. C’est d’après l’excès ou le dépassement de la puissance motrice qu’il y a diminution dans le temps du mouvement. Mais G dépasse D dans la proportion du triple.

Ergo et tempus in quo movetur G per idem spatium, erit minus quam D in tripla proportione. Sed hoc est tempus C, in quo movebatur Angelus. Ergo in eodem tempore et aequali movebitur virtus corporalis et virtus Angeli, etiam si ponatur Angelus moveri velociter quantumcumque potest. Et similis ratio potest accipi ex parte mobilium, secundum quorum etiam proportionem diminuitur et augetur tempus motus, ut habetur ex IV Physic., text. 11. Ergo cum hoc sit impossibile, videtur quod Angelus in tempore non moveatur.

 Donc le temps dans lequel se meut G à travers le même espace sera plus petit dans la proportion du triple que le temps du mouvement de D dans le même espace. Mais cela est le temps C dans lequel l’Ange était en mouvement. Donc, la puissance corporelle et la puissance de l’Ange seront en mouvement dans un temps identique et égal, même si on pose que l’Ange se meut le plus rapidement qu’il le peut. Et le même raisonnement peut être admis du côté des mobiles dont le temps du mouvement diminue ou augmente aussi d’après leur proportion ainsi que l’établit le Philosophe [IV Physique, texte 11]. Donc, puisque cela est une impossibilité, il semble que l’Ange ne se meut pas dans le temps.

[2729] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 4 Praeterea, omne tempus est divisibile. Si igitur moveatur Angelus de A in B in aliquo tempore, in medio illius temporis alicubi erit. Sed non est in A, quia ibi erat in principio temporis ; nec in B, quia ibi erat in fine temporis ; et dum movetur ; in duobus instantibus non est in eodem ubi, ut probatur in VI Physic, text. 32. Unde cum in uno instanti sit in A vel in B, in alio instanti non potest esse in eodem. Ergo in instanti quod est medium temporis, erit in medio spatii. Sed non necessario transit medium, ut supra dictum est, art. praeced. Ergo motus ejus non est semper [semper om. Éd. de Parme] in tempore.

 4. Par ailleurs, tout temps est divisible. Si donc l’Ange se meut dans le temps de A à B, il sera quelque part au milieu de ce temps. Mais il n’est pas en A car il était là au début du temps ; et il n’est pas non plus en B car c’était là le terme du temps ; et tant et aussi longtemps qu’il se meut, il n’est pas dans le même lieu lors de deux instants différents, comme le prouve le Philosophe [ VI Physique, texte 32]. Donc, puisque dans un même instant il soit en A soit en B, dans un autre instant il ne peut être dans le même lieu. Donc dans l’instant qui est dans le milieu du temps, il sera dans le milieu de l’espace. Mais il ne traverse pas nécessairement l’espace intermédiaire, comme nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent. Donc son mouvement n’est pas toujours [toujours om. Éd. de Parme] dans le temps.

[2730] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 5 Sed contra, omnis motus et mutatio habet prius et posterius: quia habet duos terminos, quorum unus consequitur aliud. Sed numerus prioris et posterioris in motu est tempus, ut habetur in IV Physic., text. 11. Ergo omnis motus mensuratur tempore: ergo et motus Angeli.

 Cependant :

5. Tout mouvement et tout changement implique un avant et un après car il possède deux termes dont l’un suit l’autre. Mais le temps est le nombre de l’avant et de l’après dans le mouvement ainsi que le dit le Philosophe [IV Physique, texte 11]. Donc tout mouvement se mesure par le temps : il en est donc de même pour le mouvement de l’Ange.

[2731] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 6 Praeterea, moveatur Angelus de A in B. Aut in eodem instanti est in A et in B, aut in diversis. Si in eodem, tunc erit simul in duobus locis, quod est improbatum ; et praeterea tunc non moveretur ad B, quia nihil movetur ad id in quo est. Si autem in diversis, ergo est designare duo instantia, in quorum uno est in A, et sit C: et in altero in B, et sit illud D. Inde sic. Motus Angeli est inter D et C. Sed inter quaelibet duo instantia est tempus medium, ut probatur in IV Physic. Text. 26, 53 et 55, Ergo motus Angeli erit in tempore.

 6. Par ailleurs, supposons que l’Ange se meut de A à B. Ou bien il est en A et B dans le même instant, ou bien il y est dans des instants différents. S’il y est dans le même instant, il sera simultanément dans deux lieux différents, ce qui est incorrect ; et par ailleurs alors il ne serait pas en mouvement vers B car nul ne se meut là où il est déjà. Mais s’il est dans les deux lieux dans des instants différents, alors il faut désigner deux instants, par l’un desquels il est en A, soit C ; et par l’autre il est en B, soit D. D’où il suit ceci : le mouvement de l’Ange est entre les instants D et C. Mais toujours entre deux instants il y a un temps intermédiaire comme le prouve le Philosophe [IV Physique, texte 26, 53 et 55]. Donc le mouvement de l’Ange sera dans le temps.

[2732] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 7 Si dicas, quod illa duo nunc succedunt numero [numero om. Éd. de Parme] sibi sine aliquo medio, sicut dictum est de operationibus. Contra, moveatur Angelus de A in B, ita quod in hoc instanti quod est C, sit in A, et in hoc instanti quod est D, sit in B. Item ponatur quod aliquod corpus sit G, et moveatur similiter de A in B, et incipiat simul moveri cum Angelo, scilicet in C. Inde sic. Angelus citius pervenit ad B, quam corpus G. Ergo in instanti D corpus nondum pervenit ad G ; sed erit citra B. Et sit ille locus R. Inde sic. G movetur de A in R, et in tempore CD. Sed spatium AR est divisibile. Dividatur ergo in puncto H. Inde sic. Corpus illud, scilicet G, in instanti C est in A et in instanti D est in R. Ergo H erit in aliquo alio instanti medio inter illa duo, et sit illud N. In N ergo Angelus vel erit in A vel in B, vel in medio. Sed non in A, quia sic in duobus instantibus esset in eodem ubi ; et eadem ratione non est in B. Ergo oportet quod in instanti N sit in medio: et sic semper procedendo, invenitur inter quaelibet duo instantia instans et tempus. Ergo oportet quod motus Angeli sit in tempore continuo.

 7. Si tu dis que ces deux instants se succèdent numériquement [numériquement om. Éd. de Parme] l’un à l’autre sans aucun instant intermédiaire ainsi que nous l’avons dit au sujet des opérations, je réponds par contre que l’Ange se meut de A à B de telle manière que dans cet instant qui est C il est en A et que dans cet instant qui est D il est en B. En outre on pose qu’il y a un corps, à savoir G, et qu’il se meut semblablement de A à B, et qu’il commence à se mouvoir simultanément avec l’Ange, c’est-à-dire en C. D’où il suit ceci. L’Ange parvient à B plus rapidement que le corps G. Donc en cet instant D le corps G n’est pas encore parvenu à B mais il sera en avant de B, soit dans ce lieu R. D’où ce qui suit. G se meut de A à R et dans le temps CD. Mais l’espace AR est divisible. On le divise donc au point H. D’où il suit ceci. Ce corps, à savoir G, dans l’instant C est en A et dans l’instant D il est en R. Donc, le point H sera dans un autre instant, soit N, intermédiaire celui-là entre les instants CD. Donc dans l’instant N l’Ange sera soit en A, soit en B, soit en un lieu intermédiaire. Mais il n’est pas en A car alors en deux instants dans le même lieu ; et pour la même raison il n’est pas en B. Il faut donc qu’à l’instant N il soit dans un lieu intermédiaire : et en procédant toujours de cette manière, on retrouve entre deux instants, quels qu’ils soient, l’instant et le temps. Il faut donc que le mouvement de l’Ange se réalise dans un temps continu.

[2733] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 8 Si dicatur, quod in motu Angeli non est assignare ultimum instans in quo sit in A, quia in A est in toto tempore, et in B est in termino temporis. Inter tempus autem et terminum temporis non est assignare medium, sicut etiam dicit Philosophus, in VIII Physic., text. 11, in mutationibus naturalibus, ut quando aliquis movetur de albedine in nigredinem, est designare duo tempora, in quorum primo est album, et in secundo est nigrum, et instans quod contingit duo tempora, tenet se cum sequenti tempore ; unde in eo est nigrum ; unde non fuit invenire ultimum nunc, in quo esset album, sed ultimum tempus in cujus termino erit non album.

 8. Supposons qu’on dise que dans le mouvement de l’Ange il n’y a pas à désigner un instant ultime dans lequel il est en A, car en A il est dans tout un temps et en B il est au terme du temps. Mais entre le temps et le terme du temps il n’y a pas à désigner un temps intermédiaire, puisque le Philosophe [ VIII Physique, texte 11] dit encore que dans les changements naturels, comme lorsqu’un corps se meut de la blancheur à la noirceur, il faut désigner deux temps, dont le premier est le blanc et le second est le noir, et l’instant qui rencontre deux temps se tient avec le temps suivant ; d’où il y a en lui le noir ; d’où il n’y avait pas à trouver un dernier instant dans lequel il serait blanc mais un dernier temps dans le terme duquel il sera non-blanc.

Si inquam sic dicatur, contra, omnis motus qui non est semper, medius est inter duas quietes, quarum una est in termino a quo est motus, altera in termino ad quem est motus. Sed sicut instans ad quod terminatur motus tenet se cum quiete sequente ; ita instans A quo incipit motus, tenet se cum quiete praecedente, ut patet quando aliquid movetur de albedine in nigredinem ; quia sicut in fine temporis quod mensurat motum est nigrum, ita in principio temporis est album. Ergo ex hoc patet quod omnis quies trahit ad se et nunc praecedens, et nunc sequens. Inde sic arguo. Angelus qui movetur de A in B, ut tu [tu om. Éd. de Parme] dicis, in tempore CD, est in A. Ergo quiescit ibi: quia, ut probatur in VI Physic., quidquid est in tempore in aliquo uno ubi, quiescit ibi. Sed ubi est aliquid quiescens in tempore, est et in termino temporis. Ergo in D, quod est nunc ultimum temporis, erit Angelus adhuc in A, et non in B, ut ponebatur.

 Si, dira-t-on, qu’on dise par contre que tout mouvement qui ne dure pas toujours est intermédiaire entre deux repos, dont l’un est dans le terme d’où part le mouvement et l’autre  dans le terme d’arrivée du mouvement. Mais tout comme l’instant auquel se termine le mouvement se tient avec le repos suivant, de même l’instant A par lequel commence le mouvement se tient avec le repos qui précède, ainsi qu’on le voit quand quelque chose se meut de la blancheur à la noirceur ; car tout commeà la fin du temps qui mesure le mouvement il y a le noir, de même au début du temps il y a le blanc. Il est donc clair à partir de cela que tout repos tire à lui à la fois l’instant qui précède et l’instant qui suit. Il suit de là que je forme l’argumentation suivante. L’Ange qui se meut de A à B, comme tu [tu om. Éd. de Parme] dis, dans le temps CD, est en A. Il s’y repose donc, car comme le Philosophe le prouve au sixième livre de la Physique, tout ce qui est dans le temps est dans un seul lieu et s’y repose. Mais là où il y a quelque chose qui se repose dans le temps, il se trouve aussi à être dans le terme du temps. Donc à l’instant D, qui est le dernier instant du temps, l’Ange sera encore en A et non en B, ainsi qu’on le soutenait.

[2734] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 arg. 9 Praeterea, omne tempus causatur a motu, ut patet ex IV Physic., text. 128 et sq., Sed Angelus in A non movetur, nec iterum habet ordinem ad aliquem motum priorem, per cujus tempus sua quies mensuretur. Ergo nihil est dictu, quod Angelus sit in A in tempore.

 9. Par ailleurs, tout temps est causé par un mouvement, ainsi que le manifeste le Philosophe [IV Physique, texte 128 et suivants]. Mais l’Ange, en A, ne se meut pas ; et en outre il ne se rapporte pas à un mouvement antérieur dont le temps mesurerait son repos. Il n’y a donc rien dans cette afffirmation qui soutient qu’en A l’Ange est dans le temps.

[2735] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod cum omnis mutatio habeat duos terminos qui non possunt esse simul quia omnis mutatio est in incontingens, ut dicitur in 1 Physic., text. 44, oportet cuilibet motui vel mutationi adesse successionem ex hoc quod non possunt duo termini esse simul ; et ita tempus, quod est numerus prioris et posterioris, in quibus consistit tota successionis ratio. Sed hoc diversimode in diversis contingit. Quandoque enim terminus motus est mediatus principio motus, vel secundum medium quantitatis dimensivae, sicut est in motu locali corporum et in motu augmenti et diminutionis, vel secundum medium quantitatis virtualis cujus divisio attenditur secundum intensionem et remissionem alicujus formae, sicut in alteratione qualitatum sensibilium: et tunc tempus per se ipsum motum mensurat: quia ad terminum successive pervenitur, eo quod divisibilis est.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que puisque tout changement a deux termes qui ne peuvent être simultanés car tout changement a lieu entre deux points qui ne se touchent pas ainsi que le dit le Philosophe [1 Physique, texte 44], il faut que tout mouvement comporte une succession du fait que les deux termes ne peuvent être simultanés ; et il en est de même pour le temps, qui est le nombre de l’avant et de l’après en quoi consiste toute la définition de la succession. Mais cela se produit différemment dans différents êtres.  Parfois en effet le terme du mouvement est médiat au principe du mouvement, ou bien selon le milieu de la quantité de la dimension, tout comme dans le mouvement local des corps et dans le mouvement de croissance et de décroissance, soit d’après le milieu de la quantité virtuelle dont la division se vérifie d’après l’application ou le relâchement d’une forme, comme dans l’altération des qualités sensibles : et alors le temps mesure par soi le mouvement lui-même car c’est dans la succession qu’il parvient au terme du fait qu’il est divisible.

Quandoque vero terminus ad quem, non est mediatus termino a quo, sicut est in illis mutationibus in quibus est mutatio de privatione in formam, vel e converso, ut in generatione et corruptione, et illuminatione, et in omnibus hujusmodi: et in istis etiam mutationibus oportet annexum esse tempus, cum constet materiam non simul esse sub forma et privatione, nec aerem esse simul sub luce et tenebris.

 Mais parfois le terme auquel se termine le mouvement n’est pas médiat au terme d’où le mouvement procède comme c’est le cas pour ces changements dans lesquels il y a un changement d’une privation à une forme ou inversement comme dans la génération et la corruption, dans l’illumination et dans tous les changements de cette sorte : et il faut qu’un temps soit rattaché même à ces changements, puisqu’il est clair que la matière n’est simultanément la même sous la forme et la privation et que l’air n’est pas simultanément le même dans la lumière et dans l’obscurité.

Non autem ita quod exitus vel transitus de uno extremo in aliud fiat in tempore ; sed alterum extremorum, scilicet primum quod in mutatione abjicitur, est conjunctum cuidam motui vel alterationi (sicut in generatione et corruptione), vel motui locali solis (sicut in illuminatione), et in termino illius motus est etiam terminus mutationis.

 Non pas cependant de telle manière que la sortie ou le passage d’un extrême à l’autre se fasse dans le temps, mais l’un des extrêmes, à savoir le premier qui est rejeté dans le changement, est rattaché à un mouvement ou à une altération (comme dans la génération et la corruption), ou au mouvement local du soleil (comme dans l’illumination), et c’est dans le terme de ce mouvement que se trouve aussi le terme du changement.

Et pro tanto mutatio illa dicitur esse subito, vel in instanti, quia in ultimo instanti temporis, quod mensurabat motum praecedentem, acquiritur illa forma vel privatio, cujus nihil prius inerat. Et in illo instanti dicitur generatum esse, non autem proprie generari: quia omne quod generatur, generabatur, ut in VI Physic. probatur. Unde omnes tales mutationes instantaneae sunt termini cujusdam motus ; ut in VI Physic., Commentator dicit. Motus autem Angeli non potest esse terminus alterius motus.

Et pourtant on dit de ce changement qu’il est subit ou qu’il est dans l’instant car dans le dernier instant du temps qui mesurait le mouvement précédent est acquise cette forme ou cette privation qui n’y était en rien antérieurement. Et c’est dans cet instant qu’on dit qu’il y a eu génération mais non cependant qu’il y a génération à proprement parler car tout ce qui est engendré était engendré comme on le prouve au sixième livre de la Physique. D’où il résulte que tous ces changements instantanés sont les termes d’un mouvement comme le dit le Commentateur [ VI Physique]. Mais le mouvement de l’Ange ne peut être le terme d’un autre mouvement.

Unde oportet quod sit in tempore, et non in instanti. Sed dico, quod tempus istud est aliud a tempore quo mensuratur motus caeli et aliorum corporalium: quod sic probatur. Nullus motus mensuratur per motum caeli, nisi qui est ordinatus ad ipsum. Unde etiam probant philosophi, quod si essent plures mundi, oporteret esse plures primos motus, et plura tempora.

 

 D’où il faut qu’il soit dans le temps et non dans l’instant. Mais je dis que ce temps est autre que le temps par lequel se mesure le mouvement du ciel et celui des autres corps, ce qui se prouve de la manière qui suit. Tout mouvement qui est mesuré par le mouvement du ciel est un mouvement qui y est ordonné. D’où les philosophes prouvent aussi que s’il y avait plusieurs mondes, il faudrait qu’il y ait plusieurs mouvements premiers, et par conséquent plusieurs temps.

Unde cum motus Angeli nullum ordinem habeat ad motum caeli, et praecipue si motus ejus dicatur processio operationum, ut dictum est, art. 1 istius quaest., oportet quod non mensuretur tempore quod est mensura primi mobilis, sed alio tempore, cujus temporis naturam ex natura motus accipere oportet. In tempore enim est aliquid quasi formale, quod tenet se ex parte quantitatis discretae, scilicet numerus prioris et posterioris ; et aliquid materiale, per quod est continuum, quia continuitatem habet ex motu in quo est sicut in subjecto et primo mensurato, scilicet motu caeli, ut dicitur 4 Phys. Motus autem ille habet continuitatem ex magnitudine.

 D’où il suit que puisque le mouvement de l’Ange ne se rapporte aucunement au mouvement du Ciel, et surtout si on dit que son mouvement est une procession des opérations comme nous l’avons déjà dit dans l’article 1 de cette question, il faut qu’il ne soit pas mesuré par le temps qui est la mesure du premier mobile mais par un autre temps dont il faut prendre la nature à partir de la nature du mouvement. Dans le temps en effet il y a quelque chose qui est comme formel et qui se tient du côté de la quantité discrète, à savoir le nombre de l’avant et de l’après ; et il y a aussi quelque chose de matériel et par quoi il est continu, car le temps tient sa continuité du mouvement dans lequel il est comme dans un sujet et dans ce qui est mesuré en premier, à savoir le mouvement du Ciel, comme on le dit au quatrième livre de la Physique. Mais ce mouvement tient sa continuité de l’étendue.

Unde cum motus Angeli non sit continuus (quia non est secundum necessitatem conditiones habens magnitudinis per quam transit, sicut est in illis quae sunt sic nata in loco esse ut eorum substantia sit commensurata terminis loci, scilicet corporibus), sed per successionem operationum, in quibus nulla est ratio continuitatis ; ideo tempus illud non est continuum, sed est compositum ex nunc succedentibus sibi ut numerus ipsarum operationum succedentium sibi tempus vocetur, sicut ipsa successio operationum dicitur motus: et quot sunt operationes ex quibus componitur motus secundum diversa loca, tot erunt nunc, ex quibus componitur tempus.

 D’où il résulte que puisque le mouvement de l’Ange n’est pas continu (parce qu’il n’est pas soumis à la nécessité de ce qui a en soi les conditions de l’étendue par laquelle il passe, comme c’est le cas pour les êtres pour lesquels il est naturel d’être dans le lieu de telle manière que leur substance soit mesurée par les termes du lieu, à savoir les corps), mais que son mouvement se limite à la succession de ses opérations qui n’ont aucunement raison de continuité, c’est pourquoi ce temps de l’Ange n’est pas continu, mais il est composé d’instants qui se succèdent comme le nombre de ses opérations elles-mêmes qui se succèdent s’appelle le temps, tout comme la succession même des opérations l’appelle le mouvement. Et il y aura autant d’instants à partir desquels le temps est composé qu’il  y aura d’opérations à partir desquelles est composé le mouvement selon les divers lieux.

Et hoc etiam consonat ei quod philosophus dicit in VI Physic., quod ejusdem rationis est indivisibile moveri, et tempus componi ex nunc, et motum ex momentis, et lineam ex punctis: quia quamvis linea sit continua, per quam Angelus transit, non tamen est continuitas secundum quod refertur ad motum Angeli, qui diversa ubi non continuatim pertransit.

 

 Et cela s’accorde avec ce que le Philosophe dit au sixième livre de la Physique, à savoir que c’est pour la même raison que l’indivisible se meut, que le temps est composé d’instants, le mouvement de moments et la ligne de points : car bien que la ligne par laquelle l’Ange passe soit continue, cependant elle n’est pas continue selon qu’elle se rapporte au mouvement de l’Ange, lequel ne traverse pas les différents lieux de façon continue.

[2736] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnes illae mutationes quae instantaneae dicuntur, sunt termini motus ; quod non contingit in motu Angeli, ut dictum est, in corp. art.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que tous ces changements dont on dit qu’ils sont instantanés sont les termes d’un mouvement ; ce qui n’est pas possible pour le mouvement de l’Ange, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article.

[2737] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod tempus illud in quo movetur de A in B, compositum est ex duobus instantibus ; et in uno instanti est in A, et in alio in B. Unde non oportet quod in altero eorum quiescat ; quod oporteret de necessitate, si tempus esset continuum.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que ce temps dans lequel l’Ange se meut de A à B est composé de deux instants ; et dans un instant il est en A et dans l’autre il est en B. D’où il n’est pas nécessaire qu’il se repose en l’un d’eux ; mais il faudrait nécessairement qu’il en soit ainsi si son temps était continu.

[2738] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod non potest accipi aliqua proportio temporis in quo movetur corpus, ad tempus in quo movetur Angelus ; quia tempus quo movetur Angelus, non est divisibile divisione continui, sed discreti in plura instantia finita ; in tempore autem quo movetur corpus, sunt infinita instantia in potentia ; et ita nulla est proportio, sicut nec infiniti ad finitum.

 3. Il faut dire en troisième lieu que le temps dans lequel se meut un corps n’est en rien proportionné au temps dans lequel l’Ange se meut. La raison en est que le temps par lequel l’Ange se meut n’est pas divisible par une division continu, mais par une division discrète en plusieurs instants finis ; mais dans le temps par lequel le corps se meut, il y a une infinité d’instants en puissance ; et c’est pourquoi il n’y a aucune proportion entre ces temps, tout comme il n’y en a pas entre l’infini et le fini.

[2739] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus istud quo Angelus movetur, divisibile est in duo, quae non copulantur ad unum communem terminum, cum hoc tempus non sit continuum. Unde non sequitur quod in medio instanti sit in medio spatii: quia non est necessarium accipere medium instans.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que ce temps par lequel l’Ange se meut est divisible en deux termes qui ne se réunissent pas en un terme commun puisque ce temps n’est pas continu. D’où il ne s’ensuit pas que dans un espace intermédiaire il soit dans un instant intermédiaire car il n’est pas nécessaire d’admettre un instant intermédiaire.

[2740] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 5 Sed quia ex aliis rationibus videtur concludi, quod motus ejus sit in tempore continuo, ideo ad eas respondendum est. Dicendum ergo ad quintum, quod omnis motus habet prius et posterius ; sed diversimode: quia in motu continuo accipitur prius et posterius vel respectu duorum temporum copulatorum ad unum nunc, vel respectu duorum nunc includentium unum tempus ; in mutationibus autem instantaneis est prius ipsum tempus mensurans motum praecedentem, cui adjungitur alterum extremorum, et posterius ipsum nunc, quod mensurat terminum motus ; et ideo inter duo extrema non cadit medium, sicut nec inter tempus et nunc. In motu autem Angeli prius et posterius sunt duo nunc succedentia, inter quae nullum est medium tempus continuans.

 5. Mais parce qu’à partir des autres raisonnements on semble conclure que le mouvement de l’Ange est dans un temps continu, c’est pourquoi il faut leur répondre. Il faut donc dire en réponse à la cinquième difficulté que tout mouvement comporte un avant et un après, mais différemment selon les différentes sortes de mouvement : car dans le mouvement continu on prend l’avant et l’après soit par rapport à deux temps réunis en un seul instant, soit par rapport à deux instants incluant un seul temps ; mais dans les changements instantanés, le temps même qui mesure le mouvement qui précède est premier, auquel s’ajoute l’autre extrême, et l’instant même qui mesure le terme du mouvement est second ; et c’est pourquoi entre les deux extrêmes il ne tombe aucun intermédiaire, tout comme il n’en tombe aucun entre le temps et l’instant. Mais dans le mouvement de l’Ange l’avant et l’après sont deux instants qui se succèdent et entre lesquels il n’y a aucun intermédiaire pour continuer le temps.

[2741] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod hoc quod inter duo nunc sit tempus medium, consequitur tempus ratione continuitatis ; quia haec est passio communis omni continuo. Continuitatem autem habet ex motu. Unde cum motus Angeli non sit continuus, ratio non sequitur.

 6. Il faut dire en sixième lieu que cet énoncé, à savoir qu’entre deux instants il y a un temps intermédiaire, cela découle du temps en raison de la continuité ; car c’est là la propriété commune à tout ce qui est continu. Mais sa continuité, le temps la tient du mouvement. D’où il résulte que puisque le mouvement de l’Ange n’est pas continu, le raisonnement n’est pas concluant.

[2742] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod si ponatur motus Angeli et corporis simul incipere, quando Angelus erit in alio termino secundum aliud instans sui temporis, corpus etiam erit in alio termino secundum aliud instans sui temporis. Inter duo autem instantia temporis istius corporis est tempus medium in eo quod motus ejus est continuus ; unde est ibi signare medium instans.

Sed inter duo instantia Angeli non est tempus medium. Unde nec medium instans oportet ibi signari ; sed contingit signari, si in tribus locis successive sit ; quia ita etiam tempus ex tribus nunc componetur ; unde unum erit medium ; et illa duo instantia possunt includere omnia instantia temporis, cum etiam unum nunc et instans [aevi instans Éd. de Parme] includat omne tempus: et ita non est inconveniens quod dum motus Angeli est in duobus tantum instantibus, motus corporis sit in infinitis ; quamvis quantumcumque duret motus corporis, tantumdem etiam duret motus Angeli, et quamvis utrumque non sit indivisibile. Et praeterea contingit quod quando corpus est in medio instanti, Angelus in nullo loco sit, cum non sit necessarium eum semper esse in loco, ut dictum est, quaest. 3, art. 1 ; et ita secundum coordinationem illius temporis nullum nunc Angelo respondeat, sed tantum aevum.

 7. Il faut dire en septième lieu que si on pose que le mouvement de l’Ange et celui du corps commencent simultanément, lorsque l’Ange sera dans un autre terme selon un autre instant de son temps, le corps aussi sera sera dans un autre terme selon un autre instant de son temps. Mais entre les deux instants du temps de ce corps il y a un temps intermédiaire en ceci que son mouvement est continu ; d’où il faut désigner là un instant intermédiaire.

Mais entre les deux instants de l’Ange il n’y a pas un temps intermédiaire. D’où il n’y a pas à signaler là un instant intermédiaire, mais il y a lieu d’en signaler un si l’Ange est successivement en trois lieux car même ainsi le temps sera composé de trois instants d’où il suit que l’un d’eux sera intermédiaire ; et ces deux instants peuvent inclure tous les instants du temps puisque même un seul instant et l’instant [l’instant de l’aevum Éd. de Parme] inclut en lui tout temps : et de cette manière il n’y a pas de difficulté à ce que, tandis que le mouvement de l’Ange est seulement dans deux instants, le mouvement du corps soit dans une infinité d’instants, bien que le mouvement de l’Ange dure aussi longtemps que dure le mouvement du corps et bien que les deux ne soient pas indivisibles. Et par ailleurs il est possible que lorsque le corps est dans un instant intermédiaire, l’Ange ne soit en aucun lieu, puisqu’il ne lui est pas nécessaire d’être toujours en un lieu, ainsi que nous l’avons déjà dit [quest. 3, art. 1] ; et ainsi on ne retrouve chez l’Ange aucun instant qui corresponde à la disposition de ce temps, mais seulement l’éternité.

[2743] Super Sent., lib. 1 d. 37 q. 4 a. 3 ad 8 Alia concedimus.

 

 

 

Distinctio 38

Distinction 38 – [La science de Dieu]

Quaestio 1

 

Question unique – [L’universalité de la science de Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quinque quaeruntur:

1 utrum scientia Dei sit causa rerum ;

2 utrum omnia uniformiter cognoscat ;

3 utrum sit enuntiabilium ;

4 utrum eorum quae non sunt ;

5 utrum sit contingentium.

 On cherche ici à répondre à cinq questions:

1. Est-ce que la science de Dieu est la cause des choses?

2. Est-ce que Dieu connaît tous les êtres suivant une seule et même forme?

3. Est-ce que sa science porte sur ce qui peut être énoncé?

4. Est-ce que sa science porte sur ce qui n’existe pas?

5. Est-ce que sa science porte sur le contingent?

 

 

 

Articulus 1 [2746] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 tit. Utrum scientia Dei sit causa rerum

Article 1 – La science de Dieu est-elle la cause des choses ?

[2747] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei sit causa rerum. Scientia enim Dei tam a sanctis quam a prophetis scientiae artificis comparatur. Sed scientia artificis causa est scitorum per artem producendorum. Ergo videtur quod scientia Dei sit causa rerum.

Difficultés :

1. Il semble que la science de Dieu soit la cause des choses. En effet, aussi bien les saints que les prophètes comparent la science de Dieu à la science de l’artiste. Mais la science de l’artiste est la cause des choses qu’il sait devoir être produites par son art. Il semble donc que la science de Dieu soit la cause des choses.

[2748] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, cum similitudo sit quaedam unitas in forma, oportet quod in omni assimilatione vel unum similium sit causa alterius, vel utrumque ab una causa deducatur ; quia unitas in effectu designat unitatem causae. Sed scientia est assimilatio quaedam. Ergo oportet semper quod scientia sit causa sciti, sicut est in scientia practica ; vel scitum causa scientiae, sicut est in nostra scientia speculativa ; vel utriusque sit causa una, sicut est in cognitione quam Angeli de rebus habent ; quia ab eodem, scilicet Deo, imprimuntur species rerum in mente Angeli ad cognoscendum, et in materia ad essendum. Sed scientiae Dei, quae est ipse Deus, nihil est causa, neque scitum, neque aliquid. Relinquitur ergo quod ipsa scientia Dei sit causa sciti.

 2. Par ailleurs, comme la similitude ou la ressemblance est une certaine unité dans la forme, il faut que dans toute assimilation ou bien qu’un des semblables soit la cause de l’autre, ou bien que les deux se tirent d’une même cause ; car l’unité dans les effets est le signe de l’unité de la cause. Mais la science est une certaine assimilation. Il faut donc toujours que la science soit la cause de ce qui est su, tout comme dans la science pratique, ou bien que ce qui est su soit la cause de la science, comme c’est le cas dans notre science spéculative, ou bien que pour les deux il n’y ait qu’une seule cause, comme c’est le cas pour la connaissance que les Anges ont des choses ; car c’est du même principe, à savoir Dieu, que les espèces des choses sont imprimées dans l’esprit de l’Ange pour qu’elles soient connues et dans la matière pour qu’elles existent. Mais de la science de Dieu, qui est Dieu lui-même, rien n’est la cause, ni ce qui est su, ni quelque chose d’autre. Il reste donc que la science même de Dieu soit la cause de ce qui est su.

[2749] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, mensura semper habet rationem principii respectu mensurati, ut patet ex X Metaph., text. 3 Quantitas enim mensuratur per principium quantitatis, ut substantiae omnes per principium substantiae. Sed scientia Dei mensura est rerum ; unde dicit Anselmus, lib. De ver., c. VII, col. 475, quod unaquaeque res veritatem habet quando implet illud ad quod in mente divina ordinata est. Ergo scientia Dei est causa scitorum.

3. Par ailleurs, la mesure a toujours raison de principe par rapport à ce qui est mesuré, comme on le voit chez le Philosophe [X Métaphysique, texte 3]. En effet la quantité est mesurée par le principe de la quantité, comme toutes les substances sont mesurées par le principe de la substance. Mais la science de Dieu est la mesure des choses ; d’où Saint-Anselme [De la Vérité, ch.  VII, col. 475] dit que chaque chose est dans la vérité quand elle accomplit ce à quoi elle est ordonnée dans l’esprit divin. Donc la science de Dieu est la cause de ce qu’il sait.

[2750] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, sicut voluntas Dei est ipse Deus, ita et scientia ejus. Sed voluntas Dei absolute dicitur causa omnium volitorum, et bonitas omnium bonorum. Ergo scientia ejus debet dici causa omnium scitorum.

 4. Par ailleurs, la science de Dieu, tout comme sa volonté, est Dieu lui-même. Mais on dit de la volonté de Dieu qu’elle est la cause de tout ce qu’il veut, et sa bonté la cause de tous les biens. On doit donc dire que sa science est la cause de tout ce qu’il sait

[2751] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 5 Sed contra, cujuscumque causa est Dei scientia, causa est Deus. Sed non omnium scitorum a Deo, causa est Deus ; quia mala, quae sunt a Deo scita, non sunt ab ipso. Ergo nec scientia Dei causa est omnium scitorum.

 Cependant :

5. De toute chose dont la cause est la science de Dieu, la cause est Dieu. Mais ce n’est pas de tout ce qui est su de Dieu que Dieu est la cause ; car les maux, que Dieu sait exister, ne viennent pas de Lui. Donc la science de Dieu n’est pas la cause de tout ce qu’il sait.

[2752] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, posita causa ponitur effectus. Sed scientia Dei fuit ab aeterno ; res autem ab aeterno non fuerunt. Ergo scientia Dei non est causa rerum.

6. Par ailleurs, du fait que la cause est posée, l’effet aussi est posé. Mais la science de Dieu a toujours existé alors que les choses n’ont pas toujours existé. Donc la science de Dieu n’est pas la cause des choses.

[2753] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum quod loquendo de attributis divinis, attendenda est attributorum ratio quae, quia diversa est diversorum, ideo aliquid attribuitur uni quod non attribuitur alteri, quamvis omnia sint una res ; et inde est quod bonitas divina dicitur causa bonorum, et vita causa viventium ; et sic de aliis. Si ergo accipiamus diversas attributorum rationes, inveniuntur aliqua habere comparationem non tantum ad habentem, sed etiam ad aliquid sicut ad objectum, ut potentia, et voluntas, et scientia.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’en parlant des attributs divins, il faut considérer la raison des attributs qui, parce qu’elle est différente pour chacun, c’est pourquoi quelque chose est attribué à l’un qui n’est pas attribué à l’autre, bien que tous ne soient qu’une seule et même chose ; et c’est de là que vient que l’on dit que la bonté divine est la cause des biens et que sa vie est la cause des vivants, et qu’il en est de même du reste. Si donc nous considérons les raisons diverses des attributs, on en trouve certains qui se comparent non seulement à celui qui les possède, mais qui se comparent aussi à quelque chose comme à un objet, comme c’est le cas pour la puissance, la volonté et la science.

Quaedam autem ad habentem tantum, ut vita, bonitas, et hujusmodi. Et haec omnia habent unum modum causalitatis, scilicet per modum communem efficientis exemplaris, ut dicimus, quod a primo bono sunt omnia bona, et a primo vivente omnia viventia. Sed illa quae dicuntur per comparationem ad objectum, habent etiam alium modum causalitatis, respectu scilicet objectorum, ut voluntas respectu volitorum ; et sic quaeritur hic de causalitate scientiae.

 Mais d’autres attributs se comparent seulement à celui qui les possède, comme la vie, la bonté, etc. Et tous ceux-là possèdent un seul mode de causalité, à savoir celui qui se présente par le mode commun de l’agent exemplaire, comme lorsque nous disons que c’est du premier bien que viennent tous les biens, et du premier vivant que viennent tous les vivants. Mais ceux qui se disent par comparaison à un objet ont aussi un autre mode de causalité, c’est-à-dire par rapport aux objets, comme la volonté par rapport à ce qui est voulu ; et c’est en ce sens qu’on s’interroge ici sur la causalité de la science.

Constat enim quod scientia sua est causa per modum efficientis et exemplaris omnium scientiarum ; sed dubium est, utrum sit causa scitorum. Quae sunt objecta scientiae [quae sunt …scientiae om. Éd. de Parme]. Sciendum est ergo, quod scientia secundum rationem scientiae non dicit aliquam causalitatem, alias omnis scientia causa esset: sed inquantum est scientia artificis operantis res, sic habet rationem causae respectu rei operatae per artem. Unde sicut est causalitas artificis per artem suam, ita consideranda est causalitas divinae scientiae.

 Il est clair en effet que sa science est cause par mode de cause efficiente et exemplaire de toutes les sciences mais le problème est de savoir si elle est la cause des choses qui sont connues. Lesquelles sont les objets de la science [lesquelles sont …de la science om. Éd. de Parme].  Il faut donc savoir que la science, entendue en tant que science, ne signifie pas une causalité, autrement toute science serait cause ; mais pour autant qu’elle est la science de l’artiste qui produit les choses, alors elle a raison de cause par rapport à la chose produite par l’art. D’où il résulte que tout comme il y a causalité de l’artiste par son art, c’est ainsi qu’il faut considérer la causalité de la science divine.

Est ergo iste processus in productione artificiati.

Primo scientia artificis [artificialis Éd. de Parme] ostendit finem ;

secundo voluntas ejus intendit finem illum ; tertio voluntas imperat actum per quem educatur opus, circa quod opus scientia artificis ponit formam conceptam.

Unde scientia se habet ut ostendens finem, et voluntas ut dirigens actum et informans opus operatum ; et ideo constat quod quidquid accidit in effectu per defectum a forma artis, vel a fine, non reducitur in scientiam artificis sicut in causam.

 Voici donc quel est le processus dans la production de l’œuvre d’art.

En premier lieu la science de l’artiste [artificielle Éd. de Parme] montre la fin ;

En deuxième lieu sa volonté tend vers cette fin ;

Troisièmement la volonté commande l’acte par lequel l’œuvre est produite et sur laquelle la science de l’artiste pose la forme qui a été conçue.

D’où la science se présente comme montrant la fin et la volonté comme dirigeant l’acte et informant l’œuvre produite ; et c’est pourquoi il est clair que tout ce qui apparaît dans l’effet par un défaut de la forme de l’art ou de la fin ne se ramène par à la science de l’artiste comme à sa cause.

Patet etiam quod principalitas causalitatis consistit penes voluntatem quae imperat actum.

Unde patet quod malum, quod est deviatio a forma et a fine, non causatur per scientiam [a scientia Éd. de Parme] Dei ; sed tantum causalitatem habet respectu bonorum, secundum quod consequuntur formam divinae artis et finem ; non tamen ita [ita om. Éd. de Parme] quod respectu horum dicat perfectam rationem causalitatis, nisi secundum quod adjungitur voluntati ; et ideo in Littera dicitur, quod scientia beneplaciti est causa rerum.

Il est clair aussi que la primauté de la causalité se tient surtout dans la volonté qui commande l’acte.

D’où il est clair que le mal, qui est une déviation de la forme et de la fin, n’est pas causé au moyen de la science [par la science Éd. de Parme] de Dieu ; mais la science de Dieu a seulement une causalité par rapport aux biens, selon que ceux-ci découlent de la forme et de la fin de l’art divin : non pas cependant de telle manière [de telle manière om. Éd. de Parme] que par rapport à eux elle signifie la notion parfaite de causalité, sauf selon qu’elle s’ajoute à la volonté ; et c’est pourquoi on dit dans la Lettre que la science du bien-aimé est la cause des choses.

Et propter hoc etiam Avicenna, X lib. De intellig., cap.I, dicit, quod inquantum Deus cognoscit essentiam suam, et amat vel vult eam, secundum quod est principium rerum, quarum vult se esse principium, fluunt res ab eo.

 Et c’est à cause de cela aussi qu’Avicenne [X De l’Intelligence, ch. 1] dit qu’en tant que Dieu connaît son essence, qu’Il l’aime et la désire, selon qu’il est le principe des choses dont il veut être le principe, les choses coulent de Lui.

[2754] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod scientia artificis non est causa defectus qui contingit in artificiato, quamvis etiam esset praescitus ab eo ; nec etiam est completa causa artificiati, nisi addatur voluntas, ut dicit philosophus in IX Metaphysic., text. 3, et similiter est etiam de scientia Dei.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la science de l’artiste n’est pas la cause du défaut qui peut se produire dans l’œuvre d’art, quand bien même il serait connu à l’avance de l’artiste ; et cette science n’est pas la cause complète de l’œuvre, à moins qu’on y ajoute la volonté comme le dit le Philosophe [1X Métaphysique, texte 3] et il en est de même aussi au sujet de la science de Dieu.

[2755] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mala non cognoscuntur a Deo per similitudinem suam, sed per similitudinem bonorum ; ut prius dictum est, dist. 36, quaest. 1, art. 2 ; et ideo non sequitur quod sit causa nisi bonorum.

2. Il faut dire en deuxième lieu que les maux ne sont pas connus de Dieu par sa similitude mais par la similitude des biens ainsi que nous l’avons dit précédemment [dist. 36, quest. 1, art. 2] ; et c’est pourquoi il s’ensuit qu’il n’est cause que des biens.

[2756] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod inquantum scientia Dei est sicut exemplar per modum artis rerum, sic dicitur mensura earum ; unde mala sicut deficiunt a participatione formae artis, ita deficiunt a rectitudine mensurae ; et propter hoc etiam malum definitur ab Augustino, lib. De natura boni, cap. IV, et sq., col.553, quod est « privatio modi », inquantum deficit a mensura ; speciei, inquantum deficit ab imitatione exemplaris ; ordinis, inquantum deficit a fine.

3. Il faut dire en troisième lieu que pour autant que le science de Dieu est comme un modèle des choses à la manière d’un art, en ce sens on peut dire d’elle qu’elle en est la mesure ; d’où il suit que les maux, tout comme ils s’écartent de la participation de la forme de l’art, de même ils s’écartent de la rectitude de la mesure ; et c’est pour cette raison encore que le mal est défini par Saint-Augustin [De la Nature du Bien, ch. IV et suivants, col. 553] comme étant la ¨privation du mode¨ en tant qu’il s’écarte de la mesure, la ¨privation de l’espèce¨ en tant qu’il s’écarte de l’imitation du modèle et la ¨privation de l’ordre¨ en tant qu’il s’écarte de la fin.

[2757] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod voluntas habet completam rationem causae, inquantum objectum ejus est finis secundum rationem boni, qui est causa causarum ; unde et imperium super alias vires habet ; et ideo absolute voluntas Dei causa rerum dicitur. De scientia autem non similiter se habet sicut de voluntate, ut dictum est, in corp. art. ; nec etiam ita comparatur scientia ad scitum sicut vita ad viventem. Non enim scitum dicitur quod habet scientiam sicut dicitur vivum quod habet vitam [non enim scitum…vitam om. Éd. de Parme]. Unde patet quod ratio non concludit.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la volonté a complètement raison de cause, pour autant que son objet est la fin selon la raison de bien, laquelle est la cause des causes ; et c’est de là qu’elle tire sa primauté sur les autres puissances ; et c’est pourquoi on dit de la volonté de Dieu qu’elle est la cause absolue des choses. Mais il n’en est pas semblablement de la science comme il en est de la volonté comme nous l’avons dit dans le corps de l’article ; et de plus la science ne se compare pas à l’objet de science comme la vie se compare au vivant. Nous ne disons pas en effet que l’objet de science possède la science comme nous disons que le vivant possède la vie [nous ne disons pas en effet de l’objet de science…la vie om. Éd. de Parme]. D’où il est clair que le raisonnement n’est pas concluant.

[2758] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 5 Quintum concedimus.

 5. Nous concédons le cinquième argument.

[2759] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod sicut creaturae non exeunt a Deo per necessitatem naturae, vel potentiae naturalis, ita nec per necessitatem scientiae ; sed per libertatem voluntatis in qua completur ratio causalitatis ; et ideo non quandocumque scivit creavit, sed quandocumque voluit.

 6. Il faut dire en sixième lieu que tout comme les créatures ne procèdent pas de Dieu par une nécessité de nature ou par la nécessité d’une puissance naturelle, elles n’en procèdent pas non plus par une nécessité de science mais par la liberté de la volonté dans laquelle s’accomplit la notion de causalité; et c’est pourquoi ce n’est pas toutes les fois qu’il sait qu’il crée, mais toutes les fois qu’il veut.

 

 

Articulus 2 [2760] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 tit. Utrum scientia Dei sit uniformiter de rebus scitis

Article 2 – La science de Dieu concerne-t-elle de manière uniforme les choses connues ?

 

[2761] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei non uniformiter sit de rebus scitis. Omnis enim scientia quae est de rebus aliter quam sint, est falsa. Sed scientia Dei verissima est. Cum igitur omnes res non habeant unum modum, videtur quod non uniformiter sit de omnibus.

Difficultés :

1. Il semble que la science de Dieu ne se rapporte pas de manière uniforme aux choses connues. En effet, toute science est fausse qui se rapporte aux choses autrement qu’elles ne sont. Mais la science de Dieu est la plus vraie. Donc, puisque toutes les choses ne possèdent pas la même sorte d’existence, il semble que la science de Dieu ne se rapporte pas aux choses de manière uniforme.

[2762] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, secundum Augustinum, Epist. CXLII, cap. XVI, etc., col. 613, alius modus cognitionis est cognoscere rem per sui essentiam, et alius [alius om. Éd. de Parme] per sui similitudinem. Sed Deus seipsum per essentiam suam cognoscit, creaturas vero per similitudines earum in ipso existentes. Ergo non uniformiter seipsum et creaturas cognoscit.

 2. Par ailleurs, d’après Saint-Augustin, [Lettre CXL11, ch. XVI, etc., col. 613] autre est la manière de connaître la chose par son essence, autre [autre om. Éd. de Parme] est celle de la connaître par sa similitude. Mais Dieu se connaît lui-même par son essence et il connaît les créatures par leurs similitudes qui existent en Lui. Donc il ne se connaît pas lui-même et les créatures d’une manière uniforme.

[2763] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, ut supra habitum est, dist. 16, quaest. 1, art. 2, Deus bona cognoscit per se, mala autem per aliud. Sed hoc facit diversum modum cognitionis. Ergo non uniformiter omnia cognoscit.

 3. D’ailleurs, comme nous l’avons établi plus haut [dist. 16, quest. 1, art. 2], Dieu connaît le bien par lui-même et le mal par quelque chose d’autre. Mais cela entraîne une diversité dans la manière de connaître. Dieu ne connaît donc pas toutes les choses d’une manière uniforme.

[2764] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum Dionysium, in VII De divinis nominibus, § 2, col. 867, Deus eodem modo cognoscit res quo rebus esse tradidit. Sed secundum Augustinum, lib. LXXXIII quaest., qu. XLVI, col. 30, alia ratione creavit hominem et equum. Ergo alia ratione cognoscit ; et ita non uniformiter de omnibus est.

 4. En outre, selon Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, & 2, col. 867], Dieu connaît les choses de la même manière qu’il leur transmet l’existence. Mais d’après Saint-Augustin [Les Quatre-vingt-trois questions, quest. XLVI, col. 30], ce n’est pas pour la même raison que Dieu créa l’homme et le cheval. Il connaît donc pour des raisons différentes et ainsi il ne connaît donc pas tous  les êtres d’une manière uniforme.

[2765] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Dionysius in eodem capitulo dicit, quod materialia immaterialiter cognoscit, et multa unite, et sic de aliis. Ergo videtur quod sit uniformiter scientia Dei [scientia Dei om. Éd. de Parme] de omnibus.

 Cependant :

1. Denys dit par contre dans le même chapitre que Dieu connaît d’une manière immatérielle ce qui est matériel, dans l’unité ce qui est multiple, et qu’il en est de même pour le reste. Il semble donc que la science de Dieu [science de Dieu om. Éd. de Parme] soit uniforme pour tous les êtres.

[2766] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, modus cognitionis praecipue attenditur penes rationem medii, ex cujus diversitate de eodem potest haberi opinio et scientia. Sed Deus eodem medio omnia cognoscit, scilicet per essentiam suam, ut in eodem capitulo Dionysius dicit. Ergo de omnibus est uniformiter.

 2. Par ailleurs, le mode de connaître se vérifie surtout dans la notion de moyen terme par la diversité duquel sur la même chose on peut posséder une opinion ou la science. Mais Dieu connaît tous les êtres par le même moyen terme, à savoir par son essence, comme le dit Denys dans le même chapitre. La science de Dieu est donc uniforme pour tous les êtres.

[2767] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in qualibet cognitione potest considerari duplex modus: scilicet modus rei cognitae et modus cognoscentis. Modus quidem rei cognitae non est modus cognitionis, sed modus cognoscentis, ut dicit Boetius V De consol. Philos., prop. IV, col. 848. Quod patet ex hoc quod ejusdem rei cognitio est in sensu cum conditionibus materialibus, quia sensus est potentia in materia ; in intellectu autem, quia immaterialis est, ejusdem cognitio est sine appenditiis materiae. Cujus ratio est, quia cognitio non fit nisi secundum quod cognitum est in cognoscente.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que dans toute connaissance on peut considérer deux modes : à savoir le mode de la chose connue et le mode de celui qui connaît. Certes ce n’est pas le mode de la chose connue mais le mode de celui qui connaît qui est le mode de la connaissance comme le dit Boèce [V De la Consolation de la Philosophie, prop. IV, col. 848]. Ce qui devient évident à partir de ceci que pour la même chose il y a la connaissance qui est dans le sens avec les conditions matérielles car le sens est une puissance établie dans la matière ; mais il y a aussi pour la même chose une autre connaissance dans l’intelligence car elle est immatérielle et dégagée des conditions matérielles. Et la raison en est que la connaissance n’a lieu qu’en tant que le connu est dans celui qui connaît.

Unumquodque autem est in aliquo per modum ipsius, et non per modum sui, ut patet ex libro De causis, propos.10 : et ideo oportet quod cognitio fiat secundum modum cognoscentis. Quia ergo in intellectu divino est summa unitas, ideo ejus cognitio est uniformis de omnibus ; omnia enim in eo unum sunt. Cum ergo quaeritur, utrum Deus omnia uniformiter cognoscat, distinguendum est ; quia adverbium potest dicere modum actus cognitionis, et sic verum est ; vel modum objecti, et sic falsum est ; quia Deus non tantum scit rem, sed proprium modum rei ; unde scit diversis diversos modos inesse ; et similiter dicendum est ad omnes similes quaestiones.

Mais toute chose est dans une autre par le mode de cet autre et non par le mode qui lui est propre comme on le voit dans le livre Des Causes, à la proposition 10 : et c’est pourquoi il faut que la connaissance s’effectue d’après le mode de celui qui connaît. Donc parce que dans l’intelligence divine il y a une unité parfaite, c’est pourquoi sa connaissance est uniforme à l’égard de tous les êtres ; en Lui en effet tous les êtres sont un. Donc, lorsqu’on demande si Dieu connaît tous les êtres uniformément, il faut distinguer ; car cet adverbe peut signifier le mode de l’acte de connaissance, et ainsi l’énoncé est vrai ; ou bien il signifie le mode de l’objet et alors il est faux ; car non seulement Dieu connaît la chose mais il en connaît aussi le mode propre ; d’où il sait que différents modes appartiennent à différents êtres ; et il faut parler semblablement à l’égard de toutes les questions semblables.

[2768] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod cum dicitur, scientia quae est de re aliter quam sit, est falsa, et hoc dupliciter [falsa, est duplex Éd. de Parme]. Quia adverbium ‘aliter’ potest designare modum ipsius scientiae, et sic falsum est ; quia scientia vera [vera om. Éd. de Parme] est immaterialis de rebus materialibus. Vel potest designare modum scitorum, et sic verum est ; unde ad propositum non [non om. Éd. de Parme] concludit.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que lorsqu’on dit que la science est fausse lorsqu’elle se rapporte à la chose autrement qu’elle n’est, cet énoncé peut s’entendre de deux manières [la fausseté peut être de deux sortes Éd. de Parme]. Car l’adverbe ¨autrement¨ peut désigner le mode de la science elle-même et ainsi l’énoncé est faux car la vraie science sur les choses matérielles est elle-même immatérielle. Mais il peut désigner aussi le mode des objets à connaître et alors l’énoncé est vrai ; il résulte de là que l’argument n’est pas [n’est pas om. Éd. de Parme] concluant par rapport au propos.

[2769] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod essentia Dei per quam seipsum cognoscit Deus, est etiam similitudo per quam cognoscit omnia creata ; et ita per idem medium se et alia cognoscit. Unde ex parte cognoscentis invenitur unitas, sed ex parte cognitorum diversitas, quia aliquod eorum, scilicet ipse Deus, se habet per identitatem ad medium illud ; alia per imitationem, scilicet ipsae creaturae.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’essence de Dieu par laquelle Dieu se connaît lui-même est aussi la similitude par laquelle il connaît toutes les créatures ; et ainsi c’est par le même moyen terme qu’il se connaît et qu’il connaît tout le reste. D’où il résulte que du côté de celui qui connaît on retrouve une unité, mais une diversité du côté des objets à connaître car l’un d’eux, à savoir Dieu lui-même, se présente comme étant identique à ce moyen terme alors que les autres, à savoir les créatures, se présentent comme des imitations.

[2770] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum similiter, quod Deus eodem medio, scilicet essentia sua, cognoscit et bona et mala ; sed ad hoc medium diversimode comparantur bona quae ipsum imitantur, et mala quae ab ipso discedunt.

 3. Il faut dire semblablement en troisième lieu que Dieu, par le même moyen terme, à savoir son essence, connaît à la fois le bien et le mal ; mais c’est d’une manière différente que se comparent à ce moyen terme les biens qui l’imitent et les maux qui s’en écartent.

[2771] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod una essentia divina est per quam esse omnibus tradidit, et per quam omnia cognoscit, ut idem Dionysius dicit. Alietas autem rationum est ex diversitate respectuum, qui attenduntur secundum diversitatem rerum.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que c’est par une seule et même essence divine que Dieu donne l’existence à tous les êtres et qu’il les connaît tous comme le dit aussi Denys. Mais la différence des raisons tient à la diversité des rapports qui se considèrent selon la diversité des choses.

 

 

Articulus 3 [2772] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 tit. Utrum scientia Dei sit enuntiabilium

Article 3 – La science de Dieu concerne-t-elle ce qui peut être énoncé ?

 

[2773] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod scientia Dei non sit enuntiabilium. Scientia enim Dei est de rebus per ideas earum. Sed idea est similitudo rei incomplexae. Ergo videtur quod complexorum vel enuntiabilium Deus scientiam non habeat.

 Difficultés :

1. Il semble que la science de Dieu ne porte pas sur ce qui peut être énoncé. En effet, la science de Dieu porte sur les choses au moyen de leurs idées. Mais l’idée est une similitude d’une chose incomplexe. Il semble donc que Dieu ne possède pas la science de ce qui est complexe ou de ce que l’on peut énoncer.

[2774] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, ut dicitur in III De anima, text. 24, quando intellectus intelligit affirmationem et negationem, fit quaedam compositio intellectuum [intellectuum om. Éd. de Parme]. Sed in divino intellectu nulla est compositio. Ergo enuntiabilia non cognoscit.

 2. Par ailleurs, comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 24] quand l’intelligence saisit l’affirmation et la négation, il y a une certaine composition des concepts [concepts om. Éd. de Parme]. Mais il n’y a nulle composition dans l’intelligence divine. Il ne connaît donc pas ce qui peut être énoncé.

[2775] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, sicut ibidem dicitur, operationi qua intellectus affirmat aliquid aut negat, admiscetur tempus ; unde omnis enuntiatio cum tempore significat. Sed intellectus divinus omnino absolutus est a tempore. Ergo non est enuntiabilium.

 3. En outre, tout comme on le dit au même endroit, le temps se mêle à l’opération par laquelle l’intelligence affirme ou nie quelque chose ; d’où il suit que toute énonciation signifie avec le temps. Mais l’intelligence divine est absolument dégagée du temps. Sa science ne porte donc pas sur les énonciations.

[2776] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, intellectus divinus est verissimus, cui nulla falsitas admisceri potest. Sed duarum operationum intellectus uni admiscetur falsitas, scilicet ei qua affirmat aliquid aut negat ; alteri vero non, qua scilicet intuetur quidditatem rei, ut in III De anima, text. 21, dicitur. Ergo videtur quod ista tantum operatio sit Deo attribuenda, et non prima, qua enuntiabilia cognoscuntur.

 4. De plus, l’intelligence divine est suprêmement vraie puisqu’aucune fausseté ne peut l’atteindre. Mais la fausseté se mêle à l’une des deux opérations de l’intelligence, à savoir à celle par laquelle on affirme ou nie quelque chose, mais non à l’autre, c’est-à-dire à celle par laquelle on considère la quiddité de la chose comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 21]. Il semble donc que cette dernière opération soit la seule qu’on doive attribuer à Dieu et non la première par laquelle les énonciations sont connues.

[2777] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, nostra scientia non tantum est de rebus, sed etiam de enuntiationibus. Si ergo scientia [essentia Éd. de Parme] Dei non esset de enuntiationibus, esset imperfectior quam nostra.

 Cependant :

1. Notre science ne porte pas seulement sur les choses mais aussi sur les énonciations. Si donc la science [l’essence Éd. de Parme] de Dieu ne portait pas sur les énonciations, elle serait plus imparfaite que la nôtre.

[2778] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, quidquid praedicit Deus, scit. Sed multa enuntiabilia per prophetas praedixit, sicut virginem parituram, Isa. 7. Ergo enuntiabilia scit.

 2. Par ailleurs, tout ce que Dieu prédit, il le fait. Mais Dieu a prédit de nombreuses énonciations par les prophètes, comme la conception virginale dans Isaïe 7. Il a donc la science des énonciations.

[2779] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod secundum opinionem Avicennae et ex dictis Algazelis videtur sequi quod Deus enuntiabilia nesciat, et praecipue in rebus singularibus ; quia ponunt quod scit singularia tantum universaliter, idest secundum quod sunt in causis universalibus, et non particulariter, idest in natura particularitatis suae. Unde concedunt quod scit hoc individuum et illud ; sed non scit hoc individuum nunc esse et postmodum non esse ; sicut si aliquis sciret eclypsim quae futura est cras in suis causis universalibus ; non tamen sciret an modo esset vel non esset, nisi sensibiliter videret.

 

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que d’après l’opinion d’Avicenne et les paroles d’Algazel, il semble s’ensuivre que Dieu ne connaît pas les énonciations, et surtout en ce qui concerne les singuliers ; car ils posent que Dieu connaît les singuliers seulement dans l’universel, c’est-à-dire selon qu’ils existent dans les causes universelles et non selon ce qui leur est propre, c’est-à-dire dans leur nature particulière. D’où ils concèdent que Dieu connaît tel et tel individu, mais il ne sait pas que tel individu existe maintenant et qu’il n’existe pas par la suite, comme si quelqu’un savait par les causes de l’éclypse qu’elle doit apparaître demain sans cependant savoir de quelle manière elle sera ou ne sera pas, à moins de la voir de manière sensible.

Sed quia supra ostensum est quod Deus non solum habet hujusmodi cognitionem de particularibus, sed perfectam, inquantum cognoscit ea in sua particularitate secundum omnes conditiones individuales quae in eis sunt ; ideo dicendum est, quod Deus non solum cognoscit ipsas res, sed etiam enuntiabilia et complexa ; tamen simplici cognitione per modum suum ; quod sic patet. Cum in re duo sint, quidditas rei, et esse ejus, his duobus respondet duplex operatio intellectus.

 

 Mais parce que nous avons montré plus haut que Dieu ne possède pas seulement une connaissance de cette sorte mais une connaissance parfaite en tant qu’il connaît les singuliers dans leurs caractères particuliers selon toutes les conditions individuelles qui sont en eux, c’est pourquoi il faut dire que Dieu ne connaît pas seulement les choses elles-mêmes, mais il connaît aussi ce qui peut s’énoncer et ce qui est complexe, mais à sa manière cependant et par une connaissance qui est simple ; ce qui apparaît clairement de la manière qui suit. Puisque dans la chose il y a deux aspects à considérer, à savoir la quiddité de la chose et son existence, il y a une opération de l’intelligence qui correspond à chacun de ces aspects.

Una quae dicitur a philosophis formatio, qua apprehendit quidditates rerum, quae etiam a Philosopho, in III De anima [a philosopho … anima, om. Éd. de Parme] dicitur indivisibilium intelligentia.

Alia autem comprehendit esse rei, componendo affirmationem, quia etiam esse rei ex materia et forma compositae, a qua cognitionem accipit, consistit in quadam compositione formae ad materiam, vel accidentis ad subjectum. Similiter etiam in ipso Deo est considerare naturam ipsius, et esse ejus ; et sicut natura sua est causa et exemplar omnis naturae, ita etiam esse suum est causa et exemplar omnis esse. Unde sicut cognoscendo essentiam suam, cognoscit omnem rem ; ita cognoscendo esse suum, cognoscit esse cujuslibet rei ; et sic cognoscit omnia enuntiabilia, quibus esse significatur ; non tamen diversa operatione nec compositione, sed simpliciter ; quia esse suum non est aliud ab essentia, nec est compositum consequens ; et sicut per idem cognoscit bonum et malum, ita per idem cognoscit affirmationes et negationes.

 La première est celle que les philosophes appellent ¨formation¨ et par laquelle il appréhende les quiddités des choses et que le Philosophe [le Philosophe …l’âme om. Éd. de Parme] dans le troisième livre du traité De l’Âme appelle aussi l’intelligence des indivisibles.

Mais la deuxième embrasse l’existence de la chose en composant une affirmation car même l’existence de la chose composée de matière et de forme de laquelle il reçoit la connaissance, consiste dans une certaine composition d’une forme à une matière ou d’accidents à un sujet. De la même manière il faut aussi considérer en Dieu lui-même sa nature et son existence : et tout comme sa nature est la cause et le modèle de toute nature, de même encore son existence est la cause et le modèle de toute existence. D’où il résulte que tout comme en connaissant son essence il connaît toute chose, de même en connaissant son existence il connaît l’existence de toute chose ; et ainsi il connaît toutes les énonciations par lesquelles l’existence est signifiée, non pas cependant par une opération différente ni par une composition, mais simplement car son existence n’est pas autre que son essence et il ne s’ensuit en Lui aucune composition ; et tout comme c’est par la même chose qu’il connaît le bien et le mal, de même c’est par la même chose qu’il connaît les affirmations et les négations.

[2780] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod aliud est de forma existente in mente artificis et de idea rei quae est in mente divina: quia forma quae est in mente artificis, non est causa totius quod est in artificiato, sed tantum formae ; et ideo esse hanc domum, et cetera quae consequuntur naturam per formam artis, nescit artifex [artifex om. Éd. de Parme] nisi sensibiliter accipiat: sed idea quae est in mente divina, est causa omnis ejus quod in re est ; unde per ideam non tantum cognoscit naturam rei, sed etiam hanc rem esse in tali tempore, et omnes conditiones quae consequuntur rem vel ex parte materiae vel ex parte formae.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il en va autrement de la forme qui existe dans l’esprit de l’artiste et de l’idée de la chose qui est dans l’esprit divin ; car la forme qui est dans l’intelligence de l’artiste n’est pas la cause de tout dans l’œuvre d’art, mais seulement de la forme ; et c’est pourquoi l’artiste [l’artiste om. Éd. de Parme] ignore que telle maison existe, tout comme il ignore l’existence de toutes les autres choses qui parviennent à une nature par la forme de l’art, à moins de la reconnaître par les sens ; mais l’idée qui est dans l’esprit divin est la cause de toute ce qu’il y a dans la chose ; d’où il suit que par l’idée Dieu ne connaît pas seulement la nature de la chose, mais aussi que telle chose existe en ce temps particulier, ainsi que toutes les conditions qui atteignent la chose soit du côté de sa matière, soit du côté de sa forme.

[2781] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipsum esse divinum quod est simplex, est exemplar omnis esse compositi quod in creatura est ; et ideo per esse suum simplex cognoscit sine compositione intellectuum vel divisione omne esse vel non esse quod rei convenit. Sed intellectus noster, cujus cognitio a rebus oritur, quae esse compositum habent, non apprehendit illud esse nisi componendo et dividendo ; et de tali intellectu philosophus loquitur.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’existence divine elle-même qui est simple est le modèle de toute existence composée présente dans la créature ; et c’est pourquoi il connaît par son existence simple, sans compostion ou division des concepts, toute existence ou non-existence qui appartient à la chose. Mais notre intelligence, dont la connaissance se forme à partir des choses qui ont une existence composée, n’appréhende cette existence qu’en composant et divisant ; et c’est de cette intelligence dont le Philosophe parle.

[2782] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod operationi intellectus nostri componentis et dividentis admiscetur tempus duplici de causa ; tum ex parte sua, quia accipit scientiam a continuo et tempore, scilicet a sensu et imaginatione ; tum ex parte intellectorum, quae in tempore sunt. In operatione autem divini intellectus advenit tempus tantum ex parte intellectorum, quia sicut alias res determinate cognoscit, ita et tempus ; unde cognoscit hanc rem esse in tali vel in tali tempore: sed ex parte ipsius intellectus nullum tempus vel aliqua successio advenit ; quia temporalia intemporaliter cognoscit.

 3. Il faut dire en troisième lieu que le temps se même à cette opération de notre intelligence qui compose et divise pour deux raisons ; tant du côté de l’opération elle-même qui reçoit la science de ce qui est continu et temporel, à savoir du sens et de l’imagination, que du côté des objets connus par l’intelligence qui existent dans le temps. Mais dans l’opération de l’intelligence divine le temps ne survient que du côté des objets connus par l’intelligence, car tout comme il connaît précisément les autres choses, il connaît aussi le temps ; d’où il sait que telle chose est dans tel ou tel autre temps : mais du côté de son intelligence il ne survient aucun temps ni aucune succession car il connaît les réalités temporelles d’une manière qui est intemporelle.

[2783] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut operationi intellectus nostri qua inspicit quidditates rerum, non admiscetur falsitas nisi per accidens, inquantum cognitio quidditatis dependet a cognitione affirmationis, quod contingit in quidditatibus compositis, et non in simplicibus, ut dicitur in IX Metaph., text. 22: ita operationi intellectus divini non potest advenire falsitas nec in comprehendendo naturas rerum nec in comprehendendo enuntiabilia ; quia utrumque eadem operatione cognoscit, et per unum idem simplex, ut ex dictis, in corp. art., patet.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la fausseté ne se mêle que par accident à l’opération de notre intelligence par laquelle elle considère les quiddités des choses, à savoir pour autant que la connaissance de la quiddité dépend de la connaissance de l’affirmation, ce qui se produit pour les quiddités composées et non pour celles qui sont simples comme le Philosophe [1X Métaphysique, texte 22] le dit, de même la fausseté ne peut survenir dans l’opération de l’intelligence divine ni dans la saisie de la nature des choses ni dans la saisie des énonciations car il connaît les deux par la même opération qui est la seule et même opération simple comme on le voit à partir de ce qui a été dit dans le corps de l’article.

 

 

Articulus 4

[2784] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 tit. Utrum scientia Dei sit non entium

Article 4 – Dieu a-t-il la science du non-être ?

 

[2785] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei non possit esse non entium. Scientia enim importat respectum ad scibile. Sed ea quae dicunt respectum ad creaturam, non dicuntur de Deo nisi creaturis existentibus, ut Dominus, et Creator, et hujusmodi. Ergo videtur quod non possit Deus dici scire res aliquas, nisi quando sunt.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne puisse avoir la science du non-être. La science en effet implique un rapport à l’objet de science. Mais les attributs qui signifient un rapport à la créature ne se disent de Dieu que par rapport aux créatures qui existent, comme Seigneur, Créateur et les termes de cette sorte. Il semble donc qu’on ne puisse dire de Dieu qu’il connaît des choses que dans la mesure où elles existent.

[2786] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, scientia non est nisi verorum, ut in Posterioribus, lib. 1, text. 5, dicitur. Sed verum et ens convertuntur. Ergo non est nisi entium.

2. Par ailleurs, il n’y a science que de ce qui est vrai, comme le dit le Philosophe [Seconds Analytiques, L. 1, texte 5]. Mais le vrai et l’être se convertissent. Donc la science de Dieu ne porte que sur l’être.

[2787] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, scientia Dei est mensura scitorum. Sed ea quae non sunt non commensurantur alicui. Ergo eorum non est scientia Dei.

 3. En outre, la science de Dieu est la mesure de ce qui est connu. Mais ce qui n’existe pas ne peut avoir de mesure. La science de Dieu ne porte donc pas sur ce qui n’existe pas.

[2788] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, primum cadens in apprehensione intellectus est ens, ut Avicenna, tract. I Metaph., cap. VI, dicit. Sed nulla virtus cognocitiva [potest cognoscere Éd. de Parme] aliquid nisi praesupposita ratione primi objecti, sicut visus nihil videt sine lumine. Ergo nec aliquis intellectus potest cognoscere nisi entia.

 4. De plus, ce qui entre en premier dans l’appréhension de l’intelligence est l’être comme le dit Avicenne [1 Métaphysique, ch.  VI]. Mais aucune puissance cognitive [ne peut connaître Éd. de Parme] quelque chose à moins que ne soit présupposé son rapport au premier objet, tout comme la vue ne voit rien sans la lumière. Donc une intelligence ne peut connaître que des êtres.

[2789] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, quidquid eligitur sine errore, hoc scitur. Sed secundum Augustinum, Sermo XXVI, § 4, col 173, eliguntur quae non sunt ; nec tamen errat qui eligit, scilicet Deus. Ergo videtur quod eorum quae non sunt, notitiam habeat.

 Cependant :

1. Il y a connaissance de science pour tout ce qui est choisi sans erreur. Mais selon Saint-Augustin [Sermon XXVI, & 4, col. 173], sont choisies des choses qui n’existent pas celui qui choisit, à savoir Dieu, ne se trompe pas. Il semble donc que Dieu ait une connaissance de ce qui n’existe pas.

[2790] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet scibile ad scientiam nostram ut prius, ita se habet scientia Dei ad scibilia ut prior eis. Sed quaedam scibilia sunt quorum non habemus scientiam, ut Philosophus I Poster., text. 24 tradidit. Ergo et scientia Dei potest esse eorum quae non sunt.

 2. Par ailleurs, tout comme l’objet de science se rapporte à notre science en tant que premier, de même la science de Dieu se rapporte aux objets de science comme leur étant première. Mais il y a des objets de science dont nous n’avons pas la science comme l’enseigne le Philosophe [Premiers Analytiques, texte 24]. Donc la science de Dieu peut porter même sur ce qui n’existe pas.

[2791] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod quidquid cognoscitur, aliquo modo oportet esse, ad minus in ipso cognoscente ; unde et Avicenna, tract. VII Metaph., cap. 1, dicit, quod de eo quod omnino est non ens, nihil potest enuntiari.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que tout ce qui est connu doit exister en quelque sorte, au moins dans celui-là même qui connaît; d’où Avicenne [ VII Métaphysique, ch. 1] dit que rien ne peut être énoncé au sujet de ce qui n’existe absolument pas.

Unde secundum quod aliqua se habent ad esse, ita se habent ad divinam cognitionem. Esse autem rei potest tripliciter considerari: vel prout est in propria sua natura ex suis principiis educta, vel prout est in potentia alicujus causae, vel prout est in apprehensione alicujus cognoscentis.

 D’où les choses se rapportent à la connaissance divine selon qu’elles se rapportent à l’être. Mais l’être ou l’existence d’une chose peut se considérer de trois manières : soit selon qu’elle est conduite de ses principes à la nature qui lui est propre, soit selon qu’elle existe dans la puissance d’une cause, soit selon qu’elle est dans l’appréhension d’un sujet connaissant.

Omnia ergo illa quae habent esse in sua natura secundum quodcumque tempus, Deus ab aeterno scivit, et apprehendendo naturam ipsorum, et videndo ea esse, non tantum in cognitione sua, vel potentia alicujus causae, sed etiam in esse naturae ; quod patet, quia constat quod re existente cognoscit Deus ipsum esse quod habet in propria natura.

 

 Donc toutes les choses qui possèdent l’existence dans leur nature selon le temps, Dieu les connaît de toute éternité, à la fois en saisissant leur nature et en voyant leur existence non seulement dans sa connaissance ou dans la puissance d’une cause mais aussi dans leur existence de nature ; ce qui est évident car il est clair qu’une fois que la chose existe, Dieu connaît l’existence même qu’elle possède dans sa nature propre.

Si autem ab aeterno non cognovisset nisi esse ejus quod est in cognitione, vel in potentia causae, cognitio sua proficeret per temporum successiones ; et talia dicitur Deus scire scientia visionis. Res autem illas quarum esse in nullo tempore est in propria natura, cognoscit esse in potentia causae vel creaturae deficientis, sicut mala, vel in potentia operativa sua, sicut bona.

 Mais si Dieu n’avait connu de toute éternité que son existence qui est dans la connaissance ou dans la puissance d’une cause, sa connaissance progresserait par les successions des temps ; et on dit de Dieu qu’il connaît cela par une science de vision. Mais ces choses dont l’existence n’est en aucun temps dans leur nature propre, il sait qu’elles existent dans la puissance d’une cause ou d’une créature déchue, comme les maux, ou dans sa puissance d’opération, comme les biens.

[2792] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod omnes relationes quae fundantur super aliquam operationem actualem procedentem in creaturas, non possunt convenire Deo, nisi ex tempore creaturis existentibus ; sed relatio importata in scientia, potentia et voluntate non fundatur super aliquam operationem actualiter in creaturam procedentem ; et ideo non est simile.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que toutes les relations qui se fondent sur une opération actuelle qui procède dans les créatures ne peuvent convenir à Dieu qu’à partir du temps une fois que les créatures existent; mais la relation impliquée dans la science, la puissance et la volonté ne se fonde pas sur une opération qui procède actuellement dans la créature; et c’est pourquoi le rapport n’est pas semblable.

[2793] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum quod non entia habent veritatem, sic ea Deus scit: quae enim erunt post mille annos non scit ea Deus esse nunc ; quoniam non est verum ea esse nunc ; sed scit ea futura esse tunc quando verum erit ea esse: similiter illa quae nec sunt nec erunt nec fuerunt, scit ea esse in cognitione sua, et in potentia causarum suarum, prout est verum ea sic esse.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que selon que les choses qui n’existent pas détiennent de la vérité, Dieu les connaît: en effet, celles qui ne doivent exister que dans mille ans, Dieu ne peut savoir à leur sujet qu’elles existent maintement puisqu’il n’est pas vrai qu’elles existent maintenant; mais Il sait qu’elles existeront alors qu’il sera vrai qu’elles existent: semblablement, celles qui n’existent pas, qui n’existeront pas et qui n’ont pas existé, il sait qu’elles existent dans sa connaissance et dans la puissance de leurs causes en tant qu’il est vrai qu’elles existent de cette manière.

[2794] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod non est non scitur a Deo ut commensuratum actu scientiae suae, sed ut commensurabile: et hoc sufficit ad scientiae veritatem.

 3. Il faut dire en troisième lieu que ce qui n’existe pas n’est pas connu de Dieu en tant que proportionné en acte à sa science mais comme pouvant l’être et cela suffit à la vérité de la science.

[2795] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quidquid cognoscitur, cognoscitur ut ens, vel in propria natura, vel in causa sua, vel in cognitione aliqua: et sic etiam sunt entia omnia quae Deus cognoscit.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que tout ce qui est connu est connu en tant qu’être, soit dans sa nature propre, soit dans sa cause, soit dans une connaissance: et c’est ainsi qu’existent aussi tous les êtres que Dieu connaît.

 

 

Articulus 5

[2796] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 tit. Utrum scientia Dei sit contingentium

Article 5 – La science de Dieu concerne-t-elle les futurs contingents ?

 

[2797] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod scientia Dei non sit contingentium. Scientia enim Dei est causa omnium scitorum bonorum. Sed omnis causa necessaria inducit necessaris effectum [necessarios effectus Éd. de Parme]: posita enim causa, necessario ponitur effectus, nisi causa sit deficiens in minori parte, sicut causa naturalis. Cum ergo scientia Dei non sit deficiens, videtur quod id cujus est, sit necessarium, et ita non sit contingentium.

Difficultés :

1. Il semble que la science de Dieu ne porte pas sur ce qui est contingent. La science de Dieu en effet est la cause de tous les biens qu’il connaît. Mais toute cause nécessaire conduit nécessairement [à des effets nécessaires Éd. de Parme] : en effet, une fois la cause posée, nécessairement l’effet est posé, à moins que la cause ne soit déficiente dans une petite partie, comme la cause naturelle. Donc puisque la science n’est pas nullement en défaut, il semble que ce dont il a la science soit nécessaire et qu’ainsi sa science ne porte pas sur le contingent.

[2798] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, scientia non est nisi verorum. Sed in futuris contingentibus non est alterum determinate verum, ut philosophus probat I Periher., cap. ult.. Ergo videtur quod non possit esse eorum scientia divina.

 2. Par ailleurs, il n’y a de science que sur ce qui est vrai. Mais parmi les futurs contingents, il n’y en a pas un qui soit déterminément vrai comme le Philosophe [1 Peri Hermeneias, ch. dernier] le prouve. Il semble donc qu’ils ne soient pas l’objet de la science de Dieu.

[2799] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, si sit contingentium, ponatur quod Deus sciat Socratem currere ; inde sic. Aut est possibile Socratem non currere, aut impossibile. Si enim est impossibile ipsum non currere, ergo ab aequipollenti necesse est ipsum currere, et sic haberetur propositum, quod illud cujus est scientia Dei, sit necessarium. Si autem possibile est ipsum non currere, ponatur ergo. Possibile enim est, secundum Philosophum, I Priorum., cap. XII, quo posito, non sequitur inconveniens. Sed positum erat quod Deus sciret Socratem currere. Ergo scit esse quod non est. Omnis autem talis scientia falsa est. Ergo scientia Dei erit falsa, quod est impossibile. Relinquitur ergo quod Socratem non currere, non fuit possibile sed necessarium.

 3. En outre, si sa science avait pour objet ce qui est contingent, supposons que Dieu sache que Socrate court ; d’où il suit ceci. Ou bien il est possible que Socrate ne courre pas, ou bien cela est impossible. Si en effet il est impossible qu’il ne courre pas, il est donc nécessaire par équivalence qu’il courre et ainsi on obtiendra le propos que ce dont il y a science en Dieu est nécessaire. On pose donc s’il est possible qu’il ne courre pas. En effet, selon le Philosophe [1 Premiers Analytiques, ch. XII], le possible est ce qui, étant posé, aucune difficulté ne suit. Mais on posait que Dieu sait que Socrate court. Il sait donc que ce qui n’existe pas existe. Mais une science de cette sorte est fausse. Donc la science de Dieu sera fausse, ce qui est impossible. Il reste donc qu’il n’était pas possible mais nécessaire que Socrate ne courre pas.

[2800] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 4 Si dicatur, quod est necessarium necessitate consequentiae et non necessitate consequentis ; sive necessitate conditionata, hac scilicet conditione si est praescitum, et non necessitate absoluta: contra, in omni vera conditionali si antecedens est necessarium absolute, et consequens est necessarium absolute: quia ad antecedens semper sequitur consequens, et ad necessarium nunquam sequitur nisi necessarium sicut ad verum nunquam sequitur [nisi necessarium…nunquam sequitur om. Éd. de Parme] falsum, quamvis e converso, ut probatur in 1 Posterior., text. 13. Sed hujus conditionalis, Socrates currit si est praescitum a Deo, antecedens est necessarium absolute: tum quia omne praeteritum est necessarium, tum quia omne aeternum est necessarium. Ergo et Socratem currere est necessarium absolute: ergo videtur quod scientia non est nisi de necessariis.

 4. Mais si on dit que cela est nécessaire par une nécessité de conséquence et non par une nécessité du conséquent, ou par une nécessité conditionnelle, c’est-à-dire à cette condition que cela soit déjà connu, et non par une nécessité absolue, je réponds par contre que dans toute vraie conditionnelle si l’antécédent est un nécessaire absolu, le conséquent aussi sera un nécessaire absolu : car le conséquent suit toujours l’antécédent, et d’un antécédent nécessaire ne découle jamais qu’un conséquent nécessaire, tout comme du vrai ne découle jamais [que le nécessaire…ne suit jamais om. Éd. de Parme] le faux, bien que l’inverse soit possible comme le prouve le Philosophe [1 Seconds Analytiques, texte 13]. Mais l’antécédent de cette conditionnelle, à savoir ¨Socrate court si cela est déjà connu de Dieu¨, est absolument nécessaire : tant parce que tout ce qui est passé est nécessaire que parce que tout ce qui est éternel est nécessaire. Donc le conséquent, à savoir que Socrate court, cela est absolument nécessaire. Il semble donc que la science de Dieu ne porte que sur le nécessaire.

[2801] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, secundum philosophum in Lib. Priorum, cap. IX, ex majori de necessitate, et minori de inesse, sequitur conclusio de necessitate. Inde sic. Omne scitum a Deo necesse est esse verum. Sed hoc est scitum a Deo. Ergo necesse est esse verum ; et sic idem quod prius.

 5. Par ailleurs, d’après le Philosophe [Premiers Analytiques, ch. 1X], d’une majeure nécessaire et d’une mineure affirmative, la conclusion suit nécessairement. D’où ce qui suit. Tout ce qui est connu de Dieu est nécessairement vrai. Mais telle chose est connue de Dieu. Elle est donc nécessairement vraie ; et par conséquent la conclusion doit être la même que précédemment.

[2802] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 6 Si dicas, quod ista est duplex: scitum a Deo necesse est esse verum: quia potest esse de dicto ; et sic est composita et vera: vel potest esse de re ; et sic est divisa et falsa: hoc enim dictum est necessarium, scilicet scitum a Deo est verum ; sed hanc rem quae ponitur sciri a Deo non necesse est fieri, quia contingenter fit: contra, ista distinctio tenet tantum sine [in Éd. de Parme] formis separabilibus, in quibus subjectum esse potest, non autem in formis inseparabilibus a subjecto. Unde istam nullus distinguit: cygnum album possibile est esse nigrum: quia albedo a cygno non separatur nisi secundum rationem et intellectum ; unde quod non potest simul esse cum albo, non potest simul esse cum cygno. Sed in hoc quod dicitur scitum, importatur quiddam semper concomitans subjectum: quia quod semel est scitum a Deo, non potest non esse scitum ab eo. Ergo videtur quod distinctio illa nihil ad propositum valeat.

 6. Si tu dis que cette proposition, à savoir : ¨il est nécessaire que ce qui est connu de Dieu soit vrai¨, est double : car elle peut être au sujet de l’énoncé lui-même et ainsi elle est composée et  vraie ; ou bien elle peut être au sujet de la chose et ainsi elle est prise séparément et fausse : en effet, cette énoncé est nécessaire, à savoir que ce qui est connu de Dieu est vrai ; mais cette chose dont on affirme qu’elle est connue de Dieu, il n’est pas nécessaire qu’elle vienne à exister, car elle est produite de manière contingente ; à cela je réponds au contraire que cette distinction tient seulement sans [dans Éd. de Parme] les formes séparables dans lesquelles le sujet peut exister, mais non dans les formes qui sont inséparables du sujet. D’où personne ne distingue la forme dans cet exemple : ¨il est possible que le cygne blanc soit noir¨, car la blancheur ne se sépare du cygne que selon la raison et l’intelligence ; d’où il suit que ce qui ne peut exister simultanément avec le blanc ne peut exister simultanément avec le cygne. Mais dans la chose dont on dit qu’elle est connue est toujours impliqué un sujet qui accompagne : car ce qui est une fois connu de Dieu ne peut pas ne pas être connu de Lui. Il semble donc que cette distinction ne vaut rien par rapport au propos.

[2803] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 arg. 7 Si dicas quod contingens quando futurum est, potest non esse ; sed non ex quo ponitur praesens vel praeteritum ; et sic Deus, cognitionem ejus habet: contra, omnis scientia quae est de aliquo praesente, de quo non erat quando futurum erat, recipit additionem secundum temporum successionem. Sed scientia Dei nihil accipit additionis a rebus, nec est in ea aliqua successio secundum tempora. Ergo si futura contingentia non cognoscit, ut futura sunt, nullo modo est contingentium, ut sunt praesentia vel praeterita.

 7. Si tu dis que le contingent, quand il est futur, peut ne pas exister, mais non pas celui à partir duquel on pose le présent ou le passé, et que c’est ainsi que Dieu en a la connaissance, je réponds par contre que toute science qui porte sur un présent, sur lequel elle ne portait pas quand il était futur, reçoit une addition d’après la succession des temps. Mais la science de Dieu ne reçoit rien des choses par addition et elle ne suit pas la succession selon le temps. Donc, s’il ne connaît pas les futurs contingents en tant qu’ils sont futurs, sa science ne porte en aucune manière sur les contingents en tant qu’ils sont présents ou passés.

[2804] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, ea quae subsunt libero arbitrio sunt maxime contingentia. Sed horum cognitionem Deus habet: alias non redderet unicuique secundum opera sua. Ergo sua scientia est contingentium.

 Cependant :

1. Par contre, les choses qui sont soumises au libre arbitre sont contingentes au plus haut point. Mais Dieu a la connaissance de ces choses, autrement il ne rendrait pas à chacun selon ses œuvres. Donc sa science porte sur le contingent.

[2805] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea, supra habitum est quod scientia Dei est omnium. Sed non omnia ex necessitate contingunt, ut ad ipsum sensum patet, et a philosophis probatum est, VI Metaph., text. 6, et in fide suppositum est. Ergo scientia Dei non tantum est necessariorum, sed etiam contingentium.

 2. Par ailleurs, nous avons établi plus haut que Dieu a la science de tout ce qui existe. Mais ce n’est pas tout ce qui existe qui se produit nécessairement ainsi que cela est évident aux sens, prouvé par les philosophes [ VI Métaphysique, texte 6], et supposé par notre foi. Donc la science de Dieu ne porte pas seulement sur le necessaire mais aussi sur le contingent.

[2806] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod propter hujusmodi difficultates, quidam philosophi, ut Averroes, XII Metaph., text. 10 et 51, negaverunt, Deum de particularibus contingentibus cognitionem habere, cogitantes intellectum divinum ad modum intellectus nostri ; et ideo erraverunt.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’en raison de ces difficultés, certains philosophes, comme Averroès [XII Métaphysique, texte 10 et 51], concevant l’intelligence divine à la manière de notre intelligence, ont nié que Dieu a la connaissance des particuliers contingents ; et c’est pourquoi ils se sont trompés.

Quod autem intellectus divinus non impediatur a cognitione particularium ratione particulationis quae est ex materia, sicut intellectus noster impeditur, in 36 distin., quaest. 1, art. 1, ostensum est ; et ideo nunc restat inquirere utrum impediatur ratione contingentiae: contingentia enim videtur duplici ratione effugere divinam cognitionem.

 Mais que l’intelligence divine ne soit pas privée de la connaissance des particuliers en raison de l’individuation qui vient de la matière comme c’est le cas pour notre intelligence ainsi que nous l’avons montré plus haut [dist. 36, quest. 1, art. 1], c’est pourquoi il nous reste maintenant à savoir s’il en est empêché en raison de la contingence : la contingence en effet semble échapper à la connaissance divine pour deux raisons.

Primo propter ordinem causae ad causatum. Quia causae necessariae et immutabilis videtur esse effectus necessarius ; unde cum scientia Dei sit causa rerum, et sit immutabilis, videtur quod [non add. Éd. de Parme] possit esse contingentium.

 Premièrement à cause du rapport de la cause au causé. Car il semble que l’effet d’une cause nécessaire et immuable soit nécessaire ; d’où il suit que puisque la science de Dieu est la cause des choses et qu’elle est immuable, il semble qu’elle [ne add. Éd. de Parme] puisse porter sur le contingent.

Secundo propter ordinem scientiae ad scitum ; quia cum scientia sit certa cognitio, ex ipsa ratione certitudinis etiam exclusa causalitate, requirit certitudinem et determinationem in scito, quam contingentia excludit, et quod scientia ex ratione certitudinis suae requirat determinationem in scito [et quod scientia… in scito om. Éd. de Parme] ut patet in scientia nostra, quae non est causa rerum, et in scientia Dei respectu malorum.

 Deuxièmement à cause du rapport de la science à l’objet de science ; car puisque la science est une connaissance certaine, la causalité aussi étant écartée de la notion même de certitude, elle exige une certitude et une détermination dans l’objet de science que la contingence n’admet pas, et que la science en raison de sa certitude exige une détermination dans l’objet de science [et que la science … dans l’objet de science om. Éd. de Parme], comme on le voit pour notre science qui n’est pas la cause des choses et pour la science de Dieu par rapport aux maux.

Sed neutrum horum removet scientiam contingentium a Deo. Et de primo quidem satis manifeste potest accipi. Quandoque enim sunt causae multae ordinatae, effectus ultimus non sequitur causam primam in necessitate et contingentia, sed causam proximam ; quia virtus causae primae recipitur in causa secunda secundum modum causae secundae.

 Mais aucune de ces raisons n’empêche Dieu d’avoir la science des contingents. Et on peut l’admettre assez manifestement au sujet de la première raison. En effet, lorsqu’il y a plusieurs causes ordonnées les unes aux autres, l’effet dernier ne suit pas la cause première dans la nécessité et la contingence, mais il suit la cause prochaine ; car la puissance de la cause première est reçue dans la cause seconde à la manière de la cause seconde.

Effectus enim ille non procedit a causa prima nisi secundum quod virtus causae primae recipitur in secunda causa: ut patet in floritione arboris cujus causa remota est motus solis, proxima autem virtus generativa plantae. Floritio autem potest impediri per impedimentum virtutis generativae, quamvis motus solis invariabilis sit. Similiter etiam scientia Dei est invariabilis causa omnium ; sed effectus producuntur ab ipso per operationes secundarum causarum ; et ideo mediantibus causis secundis necessariis, producit effectus necessarios, ut motum solis et hujusmodi ; sed mediantibus causis secundis contingentibus producit effectus contingentes.

En effet, cet effet ne procède de la cause première que selon que la puissance de la cause première est reçue dans la cause seconde comme on le voit dans la floraison de l’arbre dont la cause éloignée est le mouvement du soleil et la cause prochaine est la puissance générative de la plante. Mais la floraison peut être empêchée par une obstacle de la puissance générative bien que le mouvement du soleil soit invariable. Semblablement aussi la science de Dieu est la cause invariable de tous les êtres mais les effets sont produits par lui à travers les opérations des causes secondes ; et c’est pourquoi il produit des effets nécessaires, comme le mouvement du soleil et des choses de la sorte, au moyen de causes secondes nécessaires ; mais au moyen de causes secondes contingentes il produit des effets contingents.

Sed adhuc manet dubitatio major de secundo [secunda Éd. de Parme]: quia causa prima necessaria potest simul esse cum defectu causae secundae, sicut motus solis cum sterilitate arboris ; sed scientia Dei non potest simul stare cum defectu causae secundae.

 Mais il reste une difficulté majeure au sujet de la deuxième [seconde Éd. de Parme] raison : car la cause première nécessaire peut simultanément s’exercer avec un défaut de la cause seconde, tout comme le mouvement du soleil avec la stérilité de l’arbre ; mais la science de Dieu ne peut se trouver simultanément avec un défaut de la cause seconde.

Non enim potest esse quod Deus sciat simul hunc cursurum, et iste deficiat a cursu ; et hoc est propter certitudinem scientiae et non propter causalitatem ejus. Oportet enim invenire ad hoc quod sit certa scientia, aliqua [aliquam Éd. de Parme] certitudinem in scito.

Sciendum est igitur, quod antequam res sit non habet esse nisi in causis suis. Sed causae quaedam sunt ex quibus necessario sequitur effectus, quae impediri non possunt, et in istis causis habet causatum esse certum et determinatum, adeo quod potest ibi demonstrative sciri, sicut est ortus solis, et eclypsis, et hujusmodi. Quaedam autem sunt causae ex quibus consequuntur effectus ut in majori parte, sed tamen deficiunt in minori parte ; unde in istis causis effectus futuri non habent certitudinem absolutam, sed quamdam, inquantum sunt magis determinatae causae ad unum quam ad aliud ; et ideo per istas causas potest accipi scientia conjecturalis de futuris, quae tanto magis erit certa, quanto causae sunt magis determinatae ad unum ; sicut est cognitio medici de sanitate et morte futura, et judicium astrologi de ventis et pluviis futuris.

 Il n’est pas possible en effet simultanément que Dieu sache que celui-ci court et que ce dernier soit en défaut par rapport à la course ; et il en est ainsi à cause de la certitude de la science et non en raison de sa causalité. En effet, pour qu’il y ait la certitude la science, il faut qu’il y ait une [certaine Éd. de Parme] certitude dans l’objet connu de science.

Il faut donc savoir qu’avant que la chose existe, elle n’a d’existence que dans ses causes. Mais il y a des causes à partir desquelles l’effet suit nécessairement, lesquelles ne peuvent être empêchées, et dans ces causes le causé possède une existence certaine et déterminée à ce point qu’on puisse en avoir là une connaissance démonstrative comme c’est le cas pour le lever du soleil, l’apparition de l’éclypse, etc. Mais il y a des causes à partir desquelles les effets découlent dans la plupart des cas mais font défaut à l’occasion ; d’où il résulte que pour ces sortes de causes les effets futurs ne possèdent pas une certitude absolue mais relative, pour autant que ces causes sont davantage déterminées à un effet qu’à un autre ; et c’est pourquoi, au moyen de ces causes, on peut admettre une science conjecturale des événements futurs, laquelle sera d’autant plus certaine que les causes seront davantage déterminées à un seul effet, comme c’est le cas pour la connaissance du médecin au sujet de la santé et de la mort à venir et pour le jugement de l’astronome sur les vents et les pluies à venir.

Sed quaedam causae sunt quae se habent ad utrumque: et in istis causis effectus de futuro nullam habent certitudinem vel determinationem ; et ideo contingentia ad utrumlibet in causis suis nullo modo cognosci possunt. Sed quando jam efficiuntur in rerum natura, tunc habent in seipsis esse determinatum ; et ideo quando sunt in actu, certitudinaliter cognoscuntur, ut patet in eo qui videt Socratem currere, dum currit, quia Socratem currere dum currit, necessarium est ; et certam cognitionem habere potest.

Dico igitur, quod intellectus divinus intuetur ab aeterno unumquodque contingentium non solum prout est in causis suis, sed prout est in esse suo determinato.

 Mais il y a des causes qui ne sont pas davantage déterminées à un effet qu’à un autre : et dans ces causes les effets à venir ne possèdent aucune certitude ou aucune détermination ; et c’est pourquoi les effets contingents dans un sens ou dans l’autre ne peuvent aucunement être connus dans leurs causes. Mais lorsqu’ils sont déjà produits dans la nature des choses, alors ils possèdent en eux-mêmes une existence déterminée ; et c’est pourquoi, lorsqu’ils existent en acte, ils sont connus avec certitude comme on le voit chez celui qui voit Socrate courir alors même qu’il court car il est nécessaire que Socrate, aussi longtemps qu’il court, courre ; et c’est ainsi que celui qui voit cela peut en avoir une connaissance certaine.

Je dis donc que l’intelligence divine saisit de toute éternité chacun des contingents non seulement en tant qu’il existe dans ses causes, mais en tant qu’il est dans son existence déterminée.

Nisi enim hoc esset [nisi… esset om. Éd. de Parme], cum re existente ipsam rem videat prout in esse suo determinato est, aliter cognosceret rem postquam est quam antequam fiat ; et sic ex eventibus rerum aliquid ejus accresceret cognitioni. Patet etiam quod Deus ab aeterno non solum vidit ordinem sui ad rem, ex cujus potestate res erat futura, sed ipsum esse rei intuebatur.

 Si cela n’était pas [si … n’était pas om. Éd. de Parme], alors qu’il verrait la chose elle-même selon qu’elle est dans son existence déterminée une fois que la chose aurait existé, il connaîtrait la chose après son existence autrement qu’avant qu’elle soit produite et ainsi quelque chose s’ajouterait à sa connaissance à partir de ce qui se déroule dans les choses. Il est donc clair que Dieu de toute éternité voit non seulement son rapport à la chose par la puissance duquel la chose était appelée à exister, mais il saisit aussi l’existence même de la chose.

Quod qualiter sit, evidenter docet Boetius in fine De consol.,lib. V, prosa ult., col. 808. Omnis enim cognitio est secundum modum cognoscentis, ut dictum est. Cum igitur Deus sit aeternus, oportet quod cognitio ejus modum aeternitatis habeat, qui est esse totum simul sine successione.

 Et de quelle manière il en est ainsi, Boèce l’enseigne avec évidence [V De la Consolation de la Philosophie, prose dernière, col. 808]. En effet, toute connaissance a lieu d’après le mode de celui qui connaît, ainsi que nous l’avons dit. Donc puisque Dieu est éternel, il faut que sa connaissance corresponde au mode de l’éternité dans lequel tout est présent simultanément sans la moindre succession.

Unde sicut quamvis tempus sit successivum, tamen aeternitas ejus est praesens omnibus temporibus una et eadem et indivisibilis ut nunc instans [stans Éd. de Parme] ; ita et cognitio sua intuetur omnia temporalia, quamvis sibi succedentia, ut praesentia sibi, nec aliquid eorum est futurum respectu ipsius, sed unum respectu alterius. Unde secundum Boetium, col. 860, melius dicitur providentia quam praevidentia: quia non quasi futurum, sed omnia ut praesentia uno intuitu procul videt, quasi ab aeternitatis specula.

 D’où il résulte que bien que le temps soit successif, cependant l’éternité de Dieu, laquelle est une, identique à elle-même et indivisible, est présente à tous les temps comme l’instant [qui se tient Éd. de Parme] présent ; et c’est ainsi que sa connaissance considère tous les événements temporels, bien qu’ils soient successifs, comme lui étant présents et il n’y a aucun d’eux qui soit futur par rapport à lui, mais ils sont tous, l’un par rapport à l’autre, comme un seul événement. D’où, selon Boèce (col. 860), il est préférable de parler de providence plutôt que de prévoyance : car il voit toutes les choses non pas comme étant futures, mais par une seule considération il les voit toutes comme présentes simultanément à ses côtés, comme sur la montagne de l’éternité.

Sed tamen potest dici praescientia, inquantum cognoscit id quod futurum est nobis, non sibi. Quod ut melius pateat, exemplis ostendatur. Sint quinque homines qui successive in quinque horis quinque contingentia facta videant. Possum ergo dicere, quod isti quinque vident haec contingentia succedentia praesentialiter. Si autem poneretur quod isti quinque actus cognoscentium essent actus unus, posset dici quod una cognitio esset praesentialiter de omnibus illis cognitis successivis.

Mais on peut cependant parler de préscience, pour autant qu’il connaît ce qui est futur pour nous mais pas pour lui. Ce qui serait davantage évident si on le montrait par des exemples. Supposons cinq hommes qui voient successivement cinq énénements contingents à cinq moments différents. Je peux donc dire que ces cinq hommes voient présentement ces événements contingents qui se succèdent. Mais si on posait que ces cinq actes de connaissance n’étaient qu’un seul acte, on pourrait dire qu’il n’y a présentement qu’une seule connaissance actuelle pour tous ces événements successifs connus.

Cum ergo Deus uno aeterno intuitu, non successivo, omnia tempora videat, omnia contingentia in temporibus diversis ab aeterno praesentialiter videt non tantum ut habentia esse in cognitione sua. Non enim Deus ab aeterno cognovit in rebus tantum se cognoscere ea, quod est esse in cognitione sua ; sed etiam ab aeterno vidit uno intuitu et videbit singula tempora, et rem talem esse in hoc tempore, et in hoc deficere.

 Donc puisque Dieu voit tous les temps par une seule saisie éternelle et non successivement, il voit de toute éternité comme présents tous les contingents dans leurs temps différents et non seulement comme possédant l’existence dans sa connaissance. En effet, Dieu connaît de toute éternité dans les choses non seulement qu’il les connaît, ce qui constitue leur existence dans sa connaissance ; mais aussi il les voit par un seul regard dans l’éternité et il voit aussi les temps singuliers et telle chose exister dans tel temps et faillir en telle ou telle chose.

Nec tantum videt hanc rem respectu praecedentis temporis esse futuram, et respectu futuri praeteritam: sed videt istud tempus in quo est praesens, et rem esse praesentem in hoc tempore, quod tamen in intellectu nostro non potest accidere, cujus actus est successivus secundum diversa tempora: et ita patet quod nihil prohibet contingentium ad utrumlibet certam scientiam Deum habere, cum intuitus ejus ad rem contingentem referatur secundum hoc quod praesentialiter in actu est quando jam ejus esse determinatum est, et certitudinaliter cognosci potest.

 Et il ne voit pas seulement que telle chose est future par rapport à un temps précédent et qu’elle est passée par rapport à un temps futur : mais il voit ce temps dans lequel elle est présente et que la chose est présente en ce temps, ce qui n’est cependat pas possible à notre intelligence dont l’acte est successif suivant différents temps : et ainsi il est clair que rien n’empêche Dieu d’avoir une science certaine des contingents qui vont dans un sens ou dans l’autre, puisque son regard se rapporte à la chose contingente selon ceci qu’elle existe présentement en acte quand son existence est déjà déterminée et peut être connue avec certitude.

[2807] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod a causa prima non trahit effectus necessitatem, sed solum a causa proxima, ut dictum est, in corp. art. ; et ideo ratio non procedit.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’effet ne tire pas sa nécessité de la cause première, mais seulement de la cause prochaine, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article; et c’est pourquoi le raisonnement n’est pas valide.

[2808] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod futurum contingens non est determinate verum antequam fiat, quia non habet causam determinatam ; et ideo ejus certa cognitio haberi non potest ab intellectu nostro, cujus cognitio est in tempore determinato et successive. Sed dum est in actu, determinate verum est ; et ideo a cognitione quae est praesens illi actui, potest certitudinaliter cognosci ; sicut patet etiam de visu corporali: et quia cognitio divina aeternitate mensuratur, quae eadem manens omni tempori praesens est, ideo [ideo om. Éd. de Parme] unumquodque contingentium videt prout est in suo actu.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que le futur contingent n’est pas déterminément vrai avant qu’il se réalise car il n’a pas encore une cause déterminée ; et c’est pourquoi on ne peut en avoir une connaissance certaine par notre intelligence dont la connaissance est successive et dans un temps déterminé. Mais alors qu’il vient à exister en acte, il est déterminément vrai ; et c’est pourquoi il peut alors être connu avec certitude par une connaissance qui est présente à cet acte, tout comme on le voit aussi pour la vision corporelle ; et parce que la connaissance divine est mesurée par l’éternité qui est présente à tout temps en demeurant la même, c’est pourquoi [c’est pourquoi om. Éd. de Parme] elle voit chacun des contingents en tant qu’il est dans son acte.

[2809] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actus divinae cognitionis transit supra contingens, etiam si futurum sit nobis [nunc Éd. de Parme], sicut transit visus noster supra ipsum dum est ; et quia esse quod est, quando est, necesse est ; quod tamen absolute non est necessarium ; ideo dicitur, quod in se consideratum est contingens, sed relatum ad Dei cognitionem est necessarium ; quia ad ipsam non refertur nisi secundum quod est in esse actuali ; et ideo simile est sicut si ego videam Socratem praesentialiter currere ; quod quidem in se est contingens, sed relatum ad visum meum, est necessarium. Unde bona est distinctio, quod est necessarium necessitate consequentiae et non consequentis, vel necessitate conditionata, non absoluta.

 3. Il faut dire en troisième lieu que l’acte de la connaissance divine passe sur le contingent, même s’il est futur pour nous [maintenant Éd. de Parme] tout comme notre vue passe sur lui alors qu’il existe ; et parce que l’être qui existe, quand il existe, est nécessaire, lequel cependant n’est pas nécessaire absolument, c’est pourquoi on dit que c’est considéré en lui-même ou absolument qu’il est contingent mais par rapport à la connaissance de Dieu il est nécessaire car il ne se rapporte à elle que selon qu’il est dans son existence actuelle ; et c’est pourquoi cela est semblable au cas où je vois Socrate courir présentement car ce fait pris en lui-même ou absolument est contingent mais par rapport à ma vue il est nécessaire. Et c’est pourquoi cette distinction est bonne, à savoir qu’il est nécessaire par une nécessité de conséquence et non par une nécessité du conséquent, ou par une nécessité conditionnelle et non par une nécessité absolue.

[2810] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum quod ad hoc argumentum multipliciter respondetur.

Quidam enim dicunt, quod hoc antecedens, scilicet hoc esse praescitum a Deo, non est necessarium. Et si objiciatur, quod est dictum de praeterito, ergo est necessarium ; respondent, quod hoc habet instantiam in praeteritis quae dicunt respectum ad futurum ; unde cum dicitur hoc fuisse futurum, quamvis sit dictum de praeterito ; tamen quia dependet a futuro, non est necessarium ; quia quod fuit quandoque futurum, potest non esse futurum ; quia futurus quis incedere non incedet, ut dicitur in 2 de Generat., text. 64.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’on répond de plusieurs manières à l’argumentation sous ce rapport.

En effet, certains disent que cet antécédent, à savoir que cela est déjà connu de Dieu, n’est pas nécessaire. Et si on objecte que c’est un énoncé qui porte sur le passé, et qu’il est donc nécessaire, alors ils répondent que cela présente une difficulté pour les événements qui disent un rapport au futur ; d’où il suit que lorsqu’on dit que cela a été dans le futur, bien que l’énoncé soit attribué au passé, cependant parce qu’il dépend du futur, il n’est pas nécessaire ; car ce qui a été une fois dans le futur peut ne pas être dans le futur ; car il arrive à tel futur ne ne pas survenir ainsi que le dit le Philosophe [2 De la Génération, texte 64].

 Sed ista instantia nulla est ; quia quamvis quod fuit futurum, possit non esse futurum impeditis causis quae erant determinatae ad effectum ut in majori parte, non tamen potest non fuisse futurum ; semper enim verum erit dicere: hoc quandoque fuit futurum. Similiter non est ad propositum ; quia cum dicitur praescitum, non importatur tantum ordo ad futurum, sed etiam actus quidam, qui significatur ut praeteritus.

Et ideo alii dicunt, sicut videtur Magister dicere in Littera, quod hoc antecedens non est necessarium ; quia praescitum, quamvis secundum vocem consignificet tempus praeteritum, tamen significat actum divinum, cui non accidit praeteritum: et ideo sicut Deus potest non praescire, ita potest non praescisse. Sed istud etiam non solvit ; quia quamvis actus divinus non habeat necessitatem coactionis, habet tamen necessitatem immobilitatis, loquendo de actibus intrinsecis, ut velle, intelligere, et hujusmodi ; unde non est contingens non esse, si ponatur esse.

Mais cette objection ne vaut rien car bien qu’il était dans le futur il pouvait ne pas être dans le futur, les causes qui étaient déterminées à cet effet dans la plupart des cas ayant été empêchées, cependant il ne peut pas ne pas avoir été dans le futur ; en effet, il sera toujours vrai de dire : cela fut une fois dans le futur. De la même manière cette difficulté ne se rapporte pas au propos ; car lorsqu’on dit que cela est déjà connu, ce n’est pas seulement un rapport au futur qui est impliqué mais aussi un acte qui est signifié comme étant passé.

Et c’est pourquoi d’autres disent, comme semble le faire le Maître dans la Lettre, que cet antécédent n’est pas nécessaire ; car l’expression ¨connu d’avance¨ ou ¨prévu¨, bien que selon le mot  elle signifie aussi le temps passé, elle signifie cependant l’acte divin qui n’est pas atteint par le passé : et c’est pourquoi, tout comme Dieu peut ne pas prévoir, de même il peut ne pas avoir prévu. Mais cela non plus ne résout pas le problème, car bien que l’acte divin n’ait pas une nécessité d’obligation, cependant il a une nécessité d’immobilité si on parle des actes intrinsèques comme celui de vouloir, de concevoir et les autres de même sorte, d’où il ne peut lui arriver de ne pas être si on pose qu’il est.

Et quia consequens non potest poni non esse, quin etiam antecedens ponatur non esse, consequens non poterit poni non esse. Sed hoc certum est quod antecedens potest poni esse ; verum enim est determinate Deum aliquid futurum nunc scire ; et ita sequitur quod consequens non possit poni non esse, etiam absolute sumptum ; et multo minus quod possit contingere non esse.

 

Et ideo alii dicunt, quod istud antecedens est contingens, quia designantur ibi duo, scilicet actus divinus qui immutabilis est, et ordo ad futurum, qui mutabilis est mutabilitate rei ; et ideo totum judicandum est contingens propter alterum tantum. Istum enim esse hominem album, contingens est, quamvis esse hominem sit necessarium.

 Et parce que le conséquent ne peut être posé comme n’étant pas que si l’antécédent aussi est posé comme n’étant pas, le conséquent ne pourra être posé comme n’étant pas. Mais cela est certain que l’antécédent peut être posé comme étant ; en effet, il est déterminément vrai que Dieu sait maintenant ce qui doit arriver dans le futur ; et ainsi il s’ensuit que le conséquent, même s’il est pris absolument, ne peut être posé comme n’étant pas, et encore moins qu’il pourrait lui arriver de ne pas exister.

Et c’est pourquoi d’autres disent que cet antécédent est contingent, car il y a là deux choses qui sont signifiées, à savoir l’acte divin qui est immuable, et le rapport au futur qui est changeant par un changement dans la chose ; et c’est pourquoi l’ensemble de l’énoncé, antécédent et conséquent, doit être jugé comme contingent à cause d’une seule des parties. En effet, il est contingent que celui-ci soit un homme blanc, bien qu’il soit nécessaire qu’il soit un homme.

Sed istud etiam non videtur dubitationem solvere. Cum enim dicitur Deus praescivisse aliquid, ordo ille ad futurum designatur ibi ut objectum super quod transit actus. Est enim sensus: praescivit, idest scivit hoc esse futurum.

 Mais même ce raisonnement ne semble pas résoudre la difficulté. En effet, lorsqu’on dit que Dieu a déjà prévu quelque chose, ce rapport au futur est désigné là comme un objet sur lequel passe l’acte. En effet, la signification est celle-ci : Dieu a su à l’avance, c’est-à-dire qu’il savait que cela allait arriver dans le futur.

Quando autem aliquod dictum ponitur ut materia alicujus actus, ut dictum, oportet quod materialiter sumatur, et non secundum quod ad significationem rei refertur ; ut cum dicitur: scio istum currere: ea autem quae sic sumuntur, nullam differentiam contingentiae vel necessitatis in propositione faciunt ; tum quia veritas et necessitas propositionis ex principali verbo pendet, in quo intelligitur compositio: tum etiam quia dictum hoc modo positum non sumitur ut verum et falsum, vel ut necessarium vel contingens, sed ut dictum quoddam tantum.

 

 Mais lorsqu’un énoncé est posé comme la matière d’un acte, en tant qu’énoncé, il faut qu’il soit pris matériellement et non selon qu’il se rapporte à la signification de la chose, comme lorsqu’on dit : je sais que celui-ci court ; mais les choses qui sont prises de cette manière ne font aucune différence quant à contingence ou à la nécessité dans la proposition, tant parce que la vérité et la nécessité de la proposition dépend de l’expression principale dans laquelle se comprend la composition, tant parce que l’énoncé posé de cette manière n’est pas pris comme vrai ou faux, comme nécessaire ou contingent, mais seulement comme un énoncé.

Unde aequalis necessitas vel contingentia est harum duarum propositionum: dico Socratem currere, et dico solem moveri ; etiam posito quod ipsum dicere sit necessarium ; et ita posito etiam quod ordo ille importatus ad futurum sit mutabilis, nihil impeditur de necessitate antecedentis.

 

 D’où il suit que la nécessité ou la contingence de ces deux propositions est égale : ¨je dis que Socrate court¨ et ¨je dis que le soleil est en mouvement¨, même en posant que l’énoncé lui-même est nécessaire ; et ainsi, même en posant que cet ordre qui se rapporte au futur est changeant, rien ne fait obstacle à la nécessité de l’antécédent.

Unde alii dicunt, hoc antecedens esse necessarium ; nec tamen consequens est necessarium ; quia illa maxima intelligitur tantum in illis conditionalibus [conditionibus Éd. de Parme] in quibus antecedens est causa proxima consequentis. Sed hoc etiam non plene solvit, quia regula illa non probatur a Philosopho, I Posterior., text. 17, ratione causalitatis, sed ratione consequentiae, secundum quam ex necessario sequitur necessarium, sive sit causa, sive sit effectus.

 C’est pourquoi d’autres disent que cet antécédent est nécessaire et cependant que le conséquent n’est pas nécessaire, car cette maxime s’entend seulement pour ces conditionnelles [conditions Éd. de Parme] dans lesquelles l’antécédent est la cause prochaine du consequent. Mais cela non plus ne résout pas pleinement la difficulté car cette règle n’est pas prouvée par le Philosophe [1 Seconds Analytiques,texte 17] en raison de la causalité mais en raison de la consequence d’après laquelle le necessaire découle du necessaire, qu’il s’agisse de la cause ou de l’effet.

Et ideo aliter dicendum est, quod antecedens est necessarium absolute, tum ex immobilitate actus tum etiam ex ordine ad scitum ; quia ista res non ponitur subjacere scientiae divinae nisi dum est in actu, secundum quod determinationem et certitudinem habet. Ipsum enim necesse est esse dum est ; et ideo similis necessitas est inserenda in consequente, ut scilicet accipiatur ipsum quod est Socratem currere, secundum quod est in actu ; et sic terminationem et necessitatem habet.

 Et c’est pourquoi il faut s’exprimer autrement en disant que l’antécédent est nécessaire absolument, tant à cause de l’immobilité de l’acte qu’à cause aussi du rapport à l’objet connu ; car on ne pose que cette chose est soumise à la science de Dieu qu’en tant qu’il est en acte, selon qu’il possède une détermination et une certitude. En effet, il est nécessaire que Lui-même soit pendant qu’Il existe ; et c’est pourquoi il faut insérer une nécessité semblable dans le conséquent de manière à admettre cela même que Socrate court selon qu’il est en acte et c’est ainsi qu’il possède une définition et une nécessité.

Unde patet quod si sumatur Socratem currere secundum hoc quod ex antecedente sequitur, necessitatem habet: non enim sequitur ex antecedente nisi secundum quod substat divinae scientiae, cui subjicitur prout consideratur praesentialiter in suo esse actuali ; unde etiam sic sumendum est consequens, quomodo patet quod consequens necessarium est: necesse enim est Socratem currere dum currit.

 D’où il est clair que si on prend la course de Socrate selon qu’elle découle de l’antécédent, elle est nécessaire : en effet, elle ne découle de l’antécédent que selon qu’elle est assujettie à la science de Dieu à laquelle elle est soumise selon qu’elle est considérée présentement dans son existence actuelle ; d’où il suit que c’est aussi de cette manière que doit se prendre le conséquent, manière par laquelle il est clair que le conséquent est nécessaire : il est nécessaire en effet que Socrate courre alors même qu’il court.

[2811] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod ista ; omne scitum a Deo necesse est esse, est duplex, eo quod potest esse de dicto, vel de re : et si sit de dicto vera est, et si sit de re, falsa est : et similiter conclusio duplex est. Et hujus distinctionis ratio est, quia potest istud sumi secundum conditionem qua subjacet divinae scientiae ; et hoc est secundum quod habet esse determinatum in actu, et sic necessitatem habet, vel potest ista res sumi sine aliqua conditione ; et sic non est necessaria: quia potest sic considerari ut est in causis suis antequam sit in actu, et ibi non habet necessitatem, nec ibi est scita a Deo futura esse ; non enim scit Deus effectum contingentem esse determinatum in causa sua: quia esset falsa scientia, cum in causa sua determinatum non sit.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que cette proposition, à savoir:  ¨tout ce que Dieu sait existe nécessairement¨, peut s’entendre de deux manières du fait qu’elle peut se dire soit de l’énoncé, soit de la chose ; si elle se dit de l’énoncé, elle est vraie mais si elle se dit de la chose, elle est fausse ; et semblablement il y a deux conclusions. Et la raison de cette distinction est que cette proposition peut se prendre d’après la condition par laquelle la chose est soumise à la science de Dieu, selon qu’elle possède une existence déterminée en acte et par conséquent une nécessité, ou bien cette même chose peut être prise sans aucune condition et ainsi elle n’est pas nécessaire : car elle peut être considérée de telle manière qu’elle existe dans ses causes avant d’exister en acte et dans ce cas elle ne possède aucune nécessité et n’est pas connue de Dieu comme devant exister dans le futur ; Dieu en effet ne peut connaître qu’un effet contingent soit déterminé dans sa cause car ce serait là une science fausse puisque qu’un effet, alors même qu’il existe dans sa cause, n’est pas déterminé.

[2812] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis iste respectus ad rem sit inseparabilis secundum quod attingit eam ; non tamen attingit eam nisi prout est in esse actuali praesentialiter considerata ; et ideo potest fieri distinctio secundum quod res illa consideratur ut cadens sub respectu illo vel ut non cadens. Verbi gratia, cursus Socratis subjacet certitudini divinae scientiae, prout est in actu ; et hoc non habuit semper, quia quandoque erat in potentia tantum, et secundum quod sic tantum erat, non erat subjicibilis certitudini divinae scientiae: si enim Deus vidisset ipsam causam, ut Socratem, et non vidisset immediate effectum in esse suo sicut nos futura cognoscimus, nunquam potuisset istud scire ; et ideo patet quod distinctio illa, scilicet quod possit esse de re, vel de dicto, bona est.

 6. Il faut dire en sixième lieu que bien que ce rapport à la chose soit inséparable selon qu’il l’atteint, cependant il ne l’atteint que selon qu’elle est considérée présentement dans son existence actuelle ; et c’est pourquoi il peut se produire une distinction selon que cette chose est considérée comme tombant ou non sous ce rapport. En d’autres mots, la course de Socrate est soumise à la certitude de la science de Dieu en tant qu’elle existe en acte ; et il n’a pas toujours eu cette certitude parce qu’une fois elle existait en puissance seulement et selon qu’elle existait seulement de cette manière, elle ne pouvait pas être assujettie à la certitude de la science divine : si en effet Dieu avait vu la cause elle-même, par exemple Socrate, et n’avait pas vu immédiatement l’effet dans son existence tout comme nous connaissons les événements futurs, jamais il n’aurait pu savoir cela ; et c’est pourquoi il est clair que cette distinction, à savoir que la proposition peut porter sur la chose ou sur l’énoncé, est bonne.

[2813] Super Sent., lib. 1 d. 38 q. 1 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus non tantum cognoscit ea quae sunt nobis praesentia, sed quae sunt nobis praeterita et futura, supra quae tamen omnia intuitus divinus cadit, secundum quod suis temporibus praesentia sunt. Unde non sequitur quod aliquam rem Deus quandoque sciat quam aliquando nescivit.

 7. Il faut dire en septième lieu que Dieu ne connaît pas seulement les choses qui nous sont présentes, mais aussi celles qui sont passées et futures pour nous ; et cependant le regard divin tombe sur toutes ces choses selon qu’elles sont présentes en leurs temps. D’où il résulte qu’il ne s’ensuit pas que Dieu connaît parfois une chose qu’il ignorait autrefois.

 

 

Distinctio 39

Distinction 39 – [Science de Dieu et providence]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

Hic est duplex quaestio : prima de invariabilite scientiae divinae ;

Secunda de universlitate providentiae eijusdem.

 La recherche porte ici sur deux points: premièrement sur l’invariabilité de la science divine.

Deuxièmement sur l’universalité de sa providence.

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [l’invariabilité de la science divine]

Prooemium

Prologue

 

 

Circa primum tria quaeruntur:

1 utrum Deus possit non scire illud quod scit ;

2 utrum possit aliquid scire quod non scit, vel plura quam scit ;

3 utrum Deus sciat infinita.

 On cherche à répondre à trois interrogations par rapport au premier point.

1. Est-ce que Dieu peut ne pas savoir ce qu’il sait ?

2. Est-ce que Dieu peut en arriver à savoir ce qu’il ne sait pas ou plus de chose que ce qu’il sait ?

3. Est-ce que Dieu connaît un nombre infini d’objets ?

 

 

Articulus 1 [2816] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus possit non scire illud quod est scitum ab eo

Article 1 – Dieu peut-il ne pas connaître ce qui est connu par lui ?

 

[2817] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 1 Circa primum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit non scire illud quod scitum est ab eo ; quia, secundum Augustinum, lib. XXVI Contra Faustum, cap. IV, col. 481, Hieronymum, Ad Eustoch., epist., XXII, de custo. Virginitatis, § 5, col. 397, et Philosophum, in VI Ethic, cap. II, Deus non potest facere ut id quod est praeteritum, non fuerit. Sed cum dicitur: hoc est scitum a Deo, significatur ut praeteritum. Ergo non potest non esse scitum ab eo.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne puisse pas ne pas connaître ce qu’il connaît ; car, selon Saint-Augustin [XXVI, Contre Faustus, ch. IV, col. 481], Saint-Jérôme [Lettre à Eustochium, XXII, Sur la Conservation de la Virginité, & 5, col. 397] et le Philosophe [ VI Éthique, ch. 11], Dieu ne peut faire en sorte que ce qui est passé n’a pas été. Mais lorsqu’on dit : ¨cela est connu de Dieu¨, cela est signifié comme étant passé. Donc cela ne peut pas ne pas être connu de Dieu.

[2818] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 2 Si dicas, quod est praeteritum dependens a futuro, hoc nihil est, ut prius dictum est, dist. XXXVII, quaest. 1, art. 3, quia non importatur in participio tantum ordo ad futurum, ut in hoc participio futurum ; sed etiam actus quidam.

 2. Si tu dis que c’est là un passé qui depend du futur, cela ne vaut rien comme nous l’avons dit plus haut [dist. 37, quest. 1, art. 3] car le participe n’implique pas seulement un rapport au futur comme le futur est impliqué dans ce participe, mais aussi un certain acte.

[2819] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omne quod est, necesse est esse dum est, ut dicit Philosophus, I Perih., cap. ult.. Sed scire Dei non est nisi ut ens actu, cum mensuretur aeternitate, in qua nihil praeterit vel succedit. Ergo videtur quod non possit non esse ; et ita Deus non possit non scire illud quod scit.

 3. Par ailleurs, tout ce qui est, il est nécessaire qu’il soit tant qu’il est, comme le dit le Philosophe [1 Peri Hermeneias, ch. dernier]. Mais le savoir de Dieu n’existe que comme un être en acte puisqu’il est mesuré par l’éternité dans laquelle rien ne passe et rien ne fait suite. Il semble donc qu’il ne puisse pas ne pas être. Par conséquent Dieu ne peut pas ne pas savoir ce qu’il sait.

[2820] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Philosophum, in II de generat., text. 68, omne aeternum est necessarium. Sed quodlibet scire Dei est aeternum. Ergo est necessarium ; ergo ab aequipollenti non potest non esse.

 4. En outre, d’après le Philosophe [11 De la Génération, texte 68], tout ce qui est éternel est nécessaire. Mais tout savoir de Dieu est éternel. Tout savoir de Dieu est donc nécessaire et donc par équivalence il ne peut pas ne pas être.

[2821] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 arg. 5 Scire ipsius est ipsum esse ejus. Sed ipse non potest non esse. Ergo non potest non scire quod scit.

 5. Le savoir de Dieu est son être même. Mais Lui-même ne peut pas ne pas être. Donc, il ne peut pas ne pas savoir ce qu’il sait.

[2822] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, quidquid Deus scit, operando operatur. Sed potest non operari quod operatur. Ergo potest non scire illud quod scit.

 Cependant :

Tout ce que Dieu sait, il le sait par son opération. Mais il peut ne pas poser l’opération qu’il pose. Il peut donc ne pas savoir ce qu’il sait.

[2823] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod sicut attributa divina differunt secundum proprias rationes, et sunt tamen una res ; ita etiam actus attributorum sequuntur rationes eorum ; et ideo alicui actui attribuitur quod alteri non convenit. Dicimus enim Deum scire quod non vult, vel quod non facit. Est ergo haec ratio voluntatis ut libere actum suum producat ; quod enim fit voluntate, non fit necessitate, ut dicit Augustinus ; unde potest velle et non velle.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout comme les attributs divins diffèrent d’après les définitions qui leur sont propres et qu’ils ne sont cependant qu’une seule réalité, de même aussi les actes des attributs découlent de leurs définitions ; et c’est pourquoi on attribue à un acte ce qui ne convient pas à un autre. Nous disons en effet que Dieu sait ce qu’il ne veut pas ou ce qu’il ne fait pas. Telle est donc la définition de la volonté qu’elle produit librement son acte ; en effet, ce qui est fait pas la volonté n’est pas fait par nécessité, comme le dit Saint-Augustin ; d’où il suit qu’elle peut vouloir et ne pas vouloir.

Sed hoc intelligendum est, dum actus est in egrediendo a voluntate ; quia postquam transit, non subjacet facultati ejus ; non enim potest non voluisse quod voluit. Similiter non subjacet facultati ejus ut utrumque simul producat ; non enim potest simul velle et non velle. Et hoc non tantum intelligendum est de actu ipsius voluntatis immediato ; sed de omnibus actibus imperatis a voluntate, sicut cogitare, loqui, et hujusmodi.

 Mais cela soit s’entendre en tant que l’acte est sur le point de sortir de la volonté car après que l’acte est passé, il n’est plus soumis à sa faculté ; en effet, la volonté ne peut pas ne pas avoir voulu ce qu’elle a voulu. Semblablement il n’est plus en son pouvoir de produire simultanément les deux actes : en effet, elle ne peut simultanément vouloir et ne pas vouloir. Et cela ne doit pas s’entendre seulement de l’acte immédiat de la volonté, mais de tous les actes commandés par la volonté, comme penser, parler et les actes de cette sorte.

Cum igitur actus divinae voluntatis semper sit in actu, et non pertransiens in futurum, semper est quasi in egrediendo a voluntate ; et ideo manet libertas divinae voluntatis respectu ipsius. Unde potest dici, quod Deus potest non velle hoc ; non tamen potest ut simul velit et non velit, vel ut nunc velit et postmodum non velit, accipiendo « post » et « nunc » ex parte voluntatis, quia [quae Éd. de Parme] mutabilis esse non potest.

 Donc, puisque l’acte de la volonté divine est toujours en acte sans passer vers un futur, il est comme toujours en train de sortir de la volonté ; et c’est pourquoi la liberté de la volonté divine demeure par rapport à lui. D’où l’on peut dire que Dieu peut ne pas vouloir cela mais il ne le peut cependant pas de manière à vouloir et ne pas vouloir simultanément, ou de manière à le vouloir maintenant et à ne pas le vouloir après, en prenant ¨après¨ et ¨maintenant¨ du côté de la volonté, parce [laquelle Éd. de Parme] qu’elle ne peut changer.

 Et quia dictum est supra, dist. VIII, quaest. 3, art. 1, de actu divinae scientiae, secundum quod est causa operis ejus ut informans ipsum, quod est imperatus a voluntate ; ideo potest concedi quod Deus hoc modo potest non praescire. Non tamen potest esse ut simul praesciat et non praesciat, vel quod nunc praesciat et postmodum non praesciat, loquendo de praescientia ex parte scientiae tantum ; ita quod non fiat vis de ratione futuri ; quia quod modo est futurum, postea erit praesens ; et tunc non erit [est Éd. de Parme] praescitum, sed scitum est.

 Et parce que nous avons dit plus haut [dist.  VIII, quest. 3, art. 1] au sujet de l’acte de la science divine, selon qu’il est la cause de son œuvre en tant qu’il l’informe, qu’il est commandé par la volonté, c’est pourquoi on peut concéder que Dieu peut, de cette manière, ne pas savoir à l’avance. Cependant il n’est pas possible qu’il sache et qu’il ne sache pas à l’avance simultanément, ou qu’il sache à l’avance maintenant et qu’il ne sache pas à l’avance par la suite, en parlant de la préscience du côté de la science seulement de telle manière que la notion du futur n’en reçoive aucune force car ce qui par sa manière d’être est futur sera présent par la suite et alors il ne sera [est Éd. de Parme] plus connu à l’avance mais connu.

Et ideo dicendum est secundum distinctionem Magistri, quod si accipiatur conjunctim, Deus non potest non scire quod scitum est ab eo: si autem accipiatur divisim, sic est in potestate sua scire et non scire ; et haec libertas demonstratur cum dicitur quod Deus potest hoc non scire.

 Et c’est pourquoi il faut dire conformément à la distinction du Maître que si on prend l’énoncé en ensemble tout à la fois, Dieu ne peut pas ne pas savoir ce qui est su de Lui ; mais si on le prend séparément, alors il est en son pouvoir de savoir et de ne pas savoir ; et cette liberté est manifestée lorsqu’on dit que Dieu peut ne pas savoir cela.

[2824] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod actus scientiae divinae nunquam transit in praeteritum, sed semper est in actu: et ideo semper manet in libertate voluntatis.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’acte de la science divine ne passe jamais dans le passé, mais il est toujours en acte: et c’est pourquoi il demeure toujours dans la liberté de la volonté.

[2825] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa solutio nihil valet.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que cette solution ne vaut rien.

[2826] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illud quod est, necesse est esse dum est ; absolute tamen loquendo, non necesse est esse. Ita et Deo scire necesse est dum scit ; non tamen necesse est eum scire nisi necessitate immobilitatis, quae voluntatis libertatem non excludit ; et haec libertas significatur cum dicitur, quod Deus potest hoc non scire vel non velle.

 3. Il faut dire en troisième lieu que ce qui est, il est nécessaire qu’il soit tant qu’il est ; à parler absolument cependant, il n’est pas nécessaire qu’il soit. De même il est nécessaire à Dieu de savoir dès lors qu’il sait ; cependant il ne lui est nécessaire de savoir que par une nécessité d’immobilité, laquelle n’exclut pas la liberté de la volonté ; et cette liberté est signifiée lorsqu’on dit que Dieu peut ne pas savoir ou ne pas vouloir cela.

[2827] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omne aeternum est necessarium necessitate immobilitatis, quae libertatem voluntatis non excludit, ut dictum est, dist. VIII, quaest. 3, art. 1.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que tout ce qui est éternel est nécessaire par une nécessité d’immobilité qui n’exclut pas la liberté de la volonté, comme nous l’avons déjà dit [dist.  VIII, quest. 3, art. 1].

[2828] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet esse et scire sint idem secundum rem, tamen scire sequitur voluntatem ut imperatum ab ipsa, esse autem non ; et ideo esse suum non subjacet libertati voluntatis, sicut scire operativum creaturae.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que bien que l’être et le savoir sont identiques selon la chose ou en réalité, cependant le savoir suit la volonté en tant qu’il est commandé par elle  contrairement à l’être ; et c’est pourquoi son être n’est pas soumis à la liberté de la volonté tout comme le savoir qui produit les créatures.

 

 

Articulus 2 [2829] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus possit scire aliquid quod nescit

Article 2 – Dieu peut-il savoir ce qu’il ne sait pas ?

 

[2830] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit scire aliquid quod nescit. Nihil enim existentium cognoscit Deus nisi per ideam. Sed non potest aliqua idea in ipso esse quae non sit: quia cum idea sit forma rei in Deo existens, non potest intelligi quod aliqua forma adveniat Deo sine mutatione ejus. Ergo non potest scire ea quae non scit.

Il semble que Dieu ne puisse pas savoir quelque chose qu’il ne sait pas. En effet, tout ce que Dieu connaît des choses, c’est par l’idée. Mais il ne peut y avoir en Lui une idée qui n’existe pas, car puisque l’idée est une forme de la chose qui existe en Dieu, on ne peut comprendre qu’une idée lui advienne sans qu’il y ait un changement en Lui. Il ne peut donc savoir ce qu’il ne sait pas.

[2831] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, scientia realiter refertur ad scibile, et dependet ad ipsum. Sed mutato eo quod ad aliquid dependet, etiam ipsum mutatur. Ergo videtur quod si aliquid posset esse scitum a Deo quod non est modo scitum ab eo, scientia ejus possit mutari.

 2. Par ailleurs, la science se rapporte réellement à l’objet de science et en dépend. Mais une fois changé ce dont il dépend, lui-même aussi est changé. Il semble donc que si quelque chose peut être connu de  Dieu qui n’est pas connu de Lui maintenant, sa science pourra changer.

[2832] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, quantitas scientiae attenditur secundum quantitatem scibilium, sicut quantitas virtutis secundum quantitatem objectorum. Ergo ad pluralitatem scibilium sequitur augmentum scientiae. Sed si posset scire aliquid quod non scit, posset plura scire quam sciat. Ergo posset augeri ejus scientia ; quod est impossibile. Ergo et primum.

 3. En outre, la quantité de la science se vérifie d’après la quantité des objets de science, tout comme la quantité de la vertu se vérifie d’après la quantité des ses objets. La croissance de la science découle donc de la multiplicité des objets de science. Mais s’il pouvait arriver à connaître quelque chose qu’il ne sait pas, il pourrait connaître plus de choses qu’il n’en connaît et donc sa science pourrait augmenter, ce qui est impossible. Il ne peut donc savoir ce qu’il ne sait pas.

[2833] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, supra dictum est, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 4, quod Deus non tantum scit ea quae sunt, sed et ea quae non sunt. Ab his autem nihil potest aliud esse, cum nihil sit medium inter ens et non ens. Ergo non potest aliquid aliud scire ab illis quae scit.

 4. De plus, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 4], Dieu sait non seulement les choses qui sont mais aussi celles qui ne sont pas. Et en dehors de ces choses, il n’y en a pas d’autres, puisqu’il n’y a aucun intermédiaire entre l’être et le non-être. Il ne peut donc savoir autre chose que les choses qu’il sait.

[2834] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, Deus potest operari quod non operatur. Sed quidquid operatur, operatur per suam scientiam. Ergo potest scire aliquid aliud ab his quae scit.

 Cependant :

1. Dieu peut opérer ce qu’Il n’opère pas. Mais tout ce qu’il opère, Il l’opère par sa science. Il peut donc savoir quelque chose d’autre que ce qu’Il sait.

[2835] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Deus dicitur scire aliquid dupliciter ;

a/ vel scientia visionis, secundum quod videt res quae sunt vel erunt vel fuerunt non solum in potentia causarum suarum, sed etiam in esse proprio ;

vel scientia simplicis intelligentiae, secundum quod scit ea quae nullo tempore sunt, esse in potentia causarum suarum.

De hac igitur loquendo, Deus non potest scire aliquid aliud ab his quae scit ; quia nihil potest esse aliud ab his quae sunt et quae possunt esse.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’on peut dire qu’il y a deux manières pour Dieu de savoir quelque chose.

Soit par la science de vision selon laquelle il voit les choses qui sont, qui seront et qui ont été non seulement dans la puissance de leurs causes mais aussi dans leur existence propre.

Soit pas la science de simple intelligence selon laquelle il sait que les choses qui n’existent en aucun temps existent dans la puissance de leurs causes.

Donc, si on parle de cette dernière connaissance, Dieu ne peut savoir quelque chose d’autre que ce qu’il sait, car il ne peut y avoir rien d’autre que ce qui existe et ce qui peut exister.

Loquendo autem de scientia visionis de qua hic Magister loquitur, sic potest aliquid aliud videre ab his quae videt, secundum quod potest ei quod habet esse in potentia sua tantum, dare esse in propria natura. Si tamen hoc in esse produceret, ab aeterno ab eo esset praescitum ; et ideo distinguendum est hoc etiam sicut et supra, art. praeced. Si enim intelligatur conjunctim, sic Deus non potest scire quod non scit: quia ista duo sunt incompossibilia, quod Deus sciat aliquid quod ab aeterno nescivit. Si autem intelligatur divisim, sic est verum, et designatur potestas libertatis, ut supra dictum est, art. antec., et non mutabilitas scientiae vel voluntatis.

 Mais si on parle de la science de vision dont le Maître parle ici, alors Dieu peut voir autre chose que ce qu’il voit selon qu’il peut donner, à ce qui ne possède l’existence qu’en puissance, une existence dans sa nature propre. Si cependant il amenait cette chose à exister, elle serait connue à l’avance de lui de toute éternité ; et c’est pourquoi cela aussi doit être distingué comme nous l’avons fait plus haut dans l’article précédent : si en effet l’énoncé s’entend tout à la fois, alors Dieu ne peut savoir ce qu’il ne sait pas car ces deux énoncés sont inconciliables, à savoir que Dieu sache ce qu’il a ignoré de toute éternité. Mais si on l’entend séparément, alors il est vrai et c’est la puissance de la liberté qui est ainsi désignée, comme nous l’avons dit plus haut dans l’article précédent, et non un changement dans la science ou la volonté.

[2836] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod idea secundum essentiam est una, et non distinguitur nisi per respectum ad diversa. Unde si poneretur aliqua alia res, non fieret additio alicujus formae, sed respectus tantum. Vel dicendum melius, quod sicut ipsum scire est subjectum libertati voluntatis, ita et idea, secundum quod ad ipsam terminatur actus divinae scientiae, sicut scientia artificis ad formam artificiati quam excogitat: et ideo similis est ratio de idea et de actu sciendi. Sicut enim non potest poni quod actus sciendi sit in eo, et quod non fuerit ; ita non potest designari quod idea sit in eo et non fuerit ; tamen respectu utriusque potest designari libertas voluntatis.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’idée, dans son essence, est une et ne se distingue que dans son rapport à différents objets. D’où il suit qui si on pose une autre chose, cela n’entraîne pas l’addition d’une forme, mais seulement un rapport. Ou, pour mieux dire, que tout comme le savoir est assujetti à la liberté de la volonté, il en est de même pour l’idée selon qu’elle est le terme de l’acte de la science divine, tout comme la science de l’artiste se termine à la forme de l’œuvre qu’il a conçue : et c’est pourquoi il ne est de même pour l’idée et pour l’acte de savoir. En effet, tout comme on ne peut soutenir que l’acte de savoir est en lui et qu’il n’y était pas, de même on ne peut pas signifier que l’idée est en lui et qu’elle n’y était pas ; cependant, la liberté de la volonté peut être signifiée par rapport aux deux.

[2837] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod scientia nostra dependet a scibili ; sed scibile dependet a scientia Dei ; unde sicut scientia nostra variatur, scibili immobili permanente ; ita scibile mutatur, scientia Dei non mutata.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que notre science dépend de l’objet de science, mais que l’objet de science dépend de Dieu ; d’où il résulte que tout comme notre science change alors que l’objet de science demeure immobile, de même l’objet de science change alors que la science de Dieu ne change pas.

[2838] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis aliquo modo concedatur quod Deus potest scire aliquid aliud ab his quae scit ; non tamen videtur posse concedi quod possit scire plura quam scit ; quia cum dicitur, plura, designatur comparatio ad aliquid praeexistens, cum quo hoc non erat ; et hoc non potest esse, ut ista duo sint simul vera: prius nescivit, et modo scit : nec hoc ipse potest : et ita patet quod cum dicitur, potest plura scire, aliquo modo pertinet ad sensum compositum. Unde Magister non simpliciter concedit, sed opinionem narrat ; et similiter non debet concedi quod scientiae ejus aliquid addatur, nec aliquid hujusmodi, quod facit intellectum sensus compositi. Si tamen concederetur, non ideo sequeretur scientiam posse augeri ; quia ipse per unum et idem scit multa et pauca, quod est primum et per se objectum scientiae ejus, scilicet essentiam suam quae est similitudo rerum [ejus Éd. de Parme].

 3. Il faut dire en troisième lieu que bien qu’on concède d’une certaine manière que Dieu peut savoir quelque chose d’autre que ce qu’il sait, cependant il ne semble pas qu’on puisse concéder qu’il puisse connaître plus de choses que ce qu’il sait car lorsqu’on dit ¨plus de choses¨, cela implique une comparaison à une situation préexistante par rapport à laquelle cela cela n’existait pas ; et il est impossible que ces deux énoncés soient simultanément vrais, à savoir qu’avant il ne savait pas et maintenant il sait ; et lui-même ne peut faire cela : et ainsi il est clair que lorsqu’on dit que Dieu peut savoir plus de choses, cela se rapporte en un sens au sens composé. D’où il suit que le Maître ne concède pas absolument cet énoncé, mais il rapporte une opinion ; et semblablement on ne doit pas concéder que quelque chose s’ajoute à sa science ni rien d’autre de la sorte qui ferait entendre l’énoncé en son sens composé. Si cependant on le concédait, il ne s’ensuivrait pas que sa science puisse augmenter car c’est toujours par une seule et même chose que Lui-même connaît plusieurs ou peu de choses, à savoir par son essence qui est la [sa Éd. de Parme] similitude des choses.

[2839] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ea quae non sunt, Deus non scit scientia visionis ; et de hac tantum hic loquimur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que les choses qui n’existent pas, Dieu ne les connaît pas par une science de vision et c’est seulement de cette dernière dont nous parlons ici.

 

 

[2840] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 tit. Utrum Deus sciat infinita

Article 3 – Dieu connaît-il l’infini ?

[2841] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod Deus sciat infinita. Scientia enim numeratur secundum scita. Sed in Psal. CXLVI, 5, dicitur, quod Sapientiae ejus non est numerus. Ergo scita ejus sunt infinita.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu connaisse un nombre infini d’objets. En effet, la science se nombre d’après les objets connus. Mais on lit dans les Écritures [Psaume CXLVI, 5] : Sa sagesse est sans limite. Donc Dieu connaît un nombre infini d’objets.

[2842] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Deus non alio modo scit quasdam species numerorum quam alias. Sed quasdam scit actu et determinata scientia quascumque aliquis homo scit. Cum igitur species numerorum sint infinitae, videtur quod ipse sciat infinita determinate.

 2. Par ailleurs, Dieu ne connaît pas certaines espèces de nombres autrement que d’autres. Mais toutes les espèces de nombre qu’un homme connaît, Dieu en connaît certaines en acte et par une science déterminée. Donc, puisque les espèces de nombre sont infinies, il semble que Dieu connaisse déterminément une infinité d’objets.

[2843] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, particularia sunt infinita. Sed Deus scit particularia, ut supra, dist. XXXVI, quaest. 1, art. 1, dictum est. Ergo scit infinita.

 3. En outre, les particuliers sont infinis. Mais Dieu connaît les particuliers, ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. XXXVI, quest. 1, art. 1]. Donc, il connaît une infinité d’objets.

[2844] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, potentia sua est [dicitur Éd. de Parme] infinita, et dicitur infinitorum simpliciter. Sed nihil potest facere nisi per scientiam. Ergo videtur quod scientia ejus sit infinitorum simpliciter.

4. De plus, sa puissance est [dite Éd. de Parme] infinie et on dit qu’elle est capable d’une infinité de choses. Mais tout ce qu’il fait, Il ne le fait que par sa science. Il semble donc que sa science ait une infinité d’objets purement et simplement.

[2845] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 5 Sed contra, quidquid scitur, perfecte scientia comprehenditur. Sed quidquid comprehenditur, intellectus comprehensione finitur, ut dicit Augustinus in Lib. De videndo Deum, Epist., CXLVI, cap. IX, col. 606, et Philosophus in II Metaph., text. 19. Cum igitur infinitum non possit finiri, videtur quod a nullo intellectu possit perfecte sciri.

 Cependant :

5. Tout objet de connaissance est parfaitement saisi par la science. Mais tout ce qui est saisi ou compris se termine à la compréhension de l’intelligence, comme le disent Saint-Augustin [Pour Voir Dieu, Lettre CXLVI, ch. 1X, col. 606] et le Philosophe [11 Métaphysique, texte 19]. Donc, puisque l’infini ne peut avoir de terme, il semble qu’il ne puisse être parfaitement connu d’aucune intelligence.

[2846] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 6 Si dicamus, quod quamvis sit infinitum in se, tamen comparatum [comparatur Éd. de Parme] ad intellectum divinum, finitum [infinitum om. Éd. de Parme] est, contra ; quod dicitur de aliquo diversimode respectu diversorum, est in genere relationis ; ex hoc enim probat Philosophus, in Praed., cap. « De quantit. », magnum et parvum relativa esse. Ergo quidquid praedicatur de aliquo absolute, cuicumque comparetur, conveniet sibi. Sed esse infinitum est praedicatum absolutum. Ergo quod in se est infinitum, respectu nullius potest dici finitum.

6. Si nous disons que bien qu’il soit infini en lui-même, cependant comparé [il est comparé Éd. de Parme] à l’intelligence divine, l’infini [l’infini om. Éd. de Parme] est fini, je réponds par contre que ce qui s’attribue différemment par rapport à plusieurs est dans le genre de la relation ; c’est à partir de là en effet que le Philosophe [Les Prédicaments, ch. «De la Quantité»] prouve que le grand et le petit sont des relatifs. Donc, tout ce qui s’attribue à un être absolument conviendra aussi à tous ceux auxquels il se comparera. Mais être infini est un prédicat absolu. Donc ce qui est infini en soi ne peut être attribué à rien en tant que fini.

[2847] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, infinitum finito infinitum est ; quia non potest pertransiri ab eo. Sed sicut infinitum non pertransitur a finito, ita non transitur ab infinito, ut probatur in IV Physic., text. 19. Ergo infinitum neque respectu finiti neque respectu infiniti finitum est.

 7. De plus, l’infini est infini par rapport au fini parce qu’il ne peut être traversé par lui. Mais tout comme l’infini n’est pas traversé par le fini, de même il n’est pas traversé par l’infini comme le prouve le Philosophe [IV Physique, texte 19]. Donc l’infini n’est fini ni par rapport au fini, ni par rapport à l’infini.

[2848] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 arg. 8 Praeterea, quidquid scitur in actu, actu est in sciente. Sed infinita non possunt esse in actu. Ergo infinita sciri non possunt.

 8. Par ailleurs, tout ce qui est connu en acte est présent en acte dans celui qui sait. Mais l’infini ne peut être en acte. Donc Dieu ne peut connaître une infinité d’objets.

[2849] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod infinitum potest accipi dupliciter. Vel intensive ad modum quantitatis continuae ; et sic Deus non scit infinitum in actu: quia quantitas infinita continua neque est neque esse potest ; nisi dicatur scire infinitum, inquantum seipsum scit, qui infinitus est.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’infini peut s’entendre de deux manières. Soit quant à l’étendue, à la manière d’une quantité continue ; et en ce sens Dieu ne connaît pas l’infini en acte car la quantité continue infinie n’existe pas et ne peut exister, à moins qu’on veuille dire qu’il connaît l’infini en tant qu’Il se connaît lui-même, Lui qui est infini.

Alio modo potest sumi infinitum secundum quantitatem discretam ; et sic dicendum est, quod scientia simplicis intelligentiae Deus scit infinita quae sunt in potentia ipsius, non tantum secundum individua, sed etiam secundum species. Posset enim infinitas alias species procreare, et scit se posse illas.

 En un autre sens l’infini peut se prendre d’après la quantité discrète et en ce sens il faut dire que Dieu, par la science de l’intelligence simple connaît les infinis qui sont dans sa puissance, non seulement quant aux individus, mais aussi quant aux espèces. En effet, il peut créer une infinité d’autres espèces et il sait qu’il peut les créer.

 Unde si poneretur mundus semper fuisse et nunquam deficere, sicut philosophi posuerunt, ex VIII Physic., text. 13, scientia sua esset infinitorum, etiam videndo singula in proprio esse: quod scientiae nostrae non potest convenire, quia non potest singula proprie cognoscere nisi per diversas formas ab eis acceptas ; unde oportet quod unum post aliud intelligat, ut ex praedictis, dist. XXXV, quaest. 1, art. 1, patet ; et ita si intelligeret infinita, sequeretur quod infinita numeraret ; quod est impossibile. Sed tamen intellectus noster potest quodammodo intelligere infinita, inquantum intelligit formam universalem, quae est in potentia ad infinita singularia.

 D’où il suit que si on pose que le monde a toujours existé et qu’il ne cessera jamais d’exister tout comme certains philosophes [ VIII Physique, texte 13] l’ont pensé, sa science aurait des objets infinis, même en voyant les individus dans leur existence propre, ce qui ne peut se produire dans notre science car elle ne peut proprement connaître les singuliers que par les différentes formes qu’ils reçoivent ; d’où il faut qu’elle saisisse l’une par l’autre, comme on le voit en partant de ce qui précède [dist. XXXV, quest. 1, art. 1]. Et par conséquent, si notre intelligence saisissait une infinité d’objets, il s’ensuivrait qu’elle pourrait nombrer l’infini, ce qui est impossible. Mais cependant notre intelligence peut en un sens saisir l’infini en tant qu’elle saisit la forme universelle qui est en puissance à une infinité de singuliers.

Unde etiam a philosophis probatur intellectus immaterialis esse, quia quodammodo est virtutis infinitae ; quod nullo modo virtuti in materia existenti convenire potest. Intellectus autem divinus, uno, quod est essentia sua, omnia quae sunt vel possunt esse intelligit, non tantum universali cognitione, sed etiam propria et determinata, ut ex praedictis, dist. 35, quaest. 1, art. 3, patet ; unde non oportet quod cognoscat res diversas aliquo transitu, sed uno intuitu omnia videt ; et propter hoc non prohibetur esse infinitorum.

 C’est pourquoi aussi des philosophes prouvent que l’intelligence est immatérielle car elle est d’une certaine manière d’une puissance infinie, ce qui en aucune manière ne peut convenir à une puissance qui existe dans la matière. Mais l’intelligence divine, de par son unité qui est son essence, embrasse tout ce qui existe et tout ce qui peut exister, non seulement par une connaissance universelle, mais aussi par une connaissance propre et déterminée comme nous l’avons vu [dist. 35, quest. 1, art. 3] ; d’où il ne lui est pas nécessaire de connaître les différentes choses comme par un passage, mais plutôt il voit tous les êtres comme par un seul regard ; et à cause de cela il n’est pas empêché de connaître une infinité d’objets.

[2850] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod scientiae Dei dicitur non esse numerus propter infinitam virtutem ejus in comprehendendo, et non propter infinitatem scitorum scientia visionis determinata, per quam res in propria natura cognoscuntur.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on dit de Dieu qu’il n’y a pas de mesure à son savoir à cause de sa puissance infinie à saisir et non à cause d’une infinité d’objets connus par une science déterminée de vision par laquelle les choses sont connues dans leur nature propre.

[2851] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod aliquas species numerorum scit Deus etiam scientia visionis, sed non omnes ; quia posito initio et fine mundi, est aliqua species numeri quam res in successione temporum existentes non praetergrediuntur ; omnes tamen scit scientia simplicis intelligentiae.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que Dieu connaît certaines espèces de nombres même par sa science de vision, mais pas toutes ; car si on pose le commencement et la fin du monde, il y a une espèce de nombre que les choses qui existent dans la succession des temps ne dépassent pas ; Dieu cependant connaît toutes les espèces de nombre par sa science de simple intelligence.

[2852] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod numerus particularium non est infinitus simpliciter nisi supposita aeternitate mundi, quod est contra fidem.

 3. Il faut dire en troisième lieu que le nombre des particuliers n’est infini absolument que si on pose l’éternité du monde, ce qui est contraire à la foi.

[2853] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod potentia respicit sicut objectum ens possibile, cujus ratio non dependet ab esse in actu ; unde si nunquam ponantur infinita reduci in actum successione temporis, dicitur tamen potentia simpliciter infinitorum. Scientiae autem objectum est verum, quod cum ente convertitur ; unde non potest dici scientia simpliciter eorum quae non habent esse in actu secundum aliquod tempus, sed secundum quid tantum, sicut etiam secundum quid esse dicuntur in potentia causae.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la puissance se tourne vers l’être possible comme objet et c’est pour cette raison qu’elle ne dépend pas de l’être en acte ; il résulte de là que si on posait que l’infini ne sera jamais conduit à l’acte dans la succession du temps, on peut cependant dire que la puissance se rapporte absolument à l’infini. Mais l’objet de la science est le vrai qui se convertit avec l’être ; il suit de là qu’on ne peut dire absolument, mais seulement sous un certain rapport, que la science a pour objet les choses qui n’ont pas d’existence en acte selon la succesion des temps, tout comme on dit aussi de ces mêmes choses qu’elles existent sous un certain rapport dans la puissance de la cause.

[2854] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod intellectus discurrens per rem, non potest comprehendere rem infinitam, quia finiret eam numerando partes ejus ; sed scientia Dei sine discursu uniformiter est unius et multorum, finitorum et infinitorum.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que l’intelligence qui discourt en passant d’une chose à une autre ne peut saisir une chose infinie car elle finirait par nombrer ses parties ; mais la science de Dieu saisit tout avec la même simplicité et sans aucun discours l’un comme le multiple, le fini comme l’infini.

[2855] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 6 Sextum concedimus.

 6. Nous concédons la sixième difficulté.

[2856] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum dicendum, quod intellectus divinus non intelligit res pertranseundo ; unde objectio non procedit.

7. Il faut dire en septième lieu que Dieu ne connaît pas les choses en les traversant et c’est pourquoi l’objection ne tient pas.

[2857] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 1 a. 3 ad 8 Ad octavum dicendum, quod omnia quae Deus scit, sunt in ipso unum, et non distinguuntur nisi per diversos respectus. Non est autem inconveniens relationes quae sequuntur operationem intellectus, esse infinitas, ut dicit Avicenna, tract. III Metaph., cap. X.

 8. Il faut dire en huitième lieu que toutes les choses que Dieu connaît ne sont qu’une seule chose en Lui et ne se distinguent que par des rapports différents. Il n’y a cependant pas de difficulté à ce que les relations qui découlent de l’opération de l’intelligence soient infinies, comme le dit Avicenne [111 Métaphysique, ch. X.]

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [l’universalité de la providence divine]

Prooemium

Prologue

 

 

[2858] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 pr. Deinde quaeritur de divina providentia ; et circa hoc duo quaeruntur:

 1 quid sit ;

2 utrum sit omnium.

 On s’interroge ici sur la divine providence et à ce sujet on pose deux questions :

1. Quelle est-elle ?

2. Est-ce qu’elle porte sur tout ?

 

 

Articulus 1 [2859] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 tit. Utrum providentia pertineat ad scientiam

Article 1 – La providence appartient-t-elle à la science ?

[2860] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod providentia pertineat ad scientiam. Sicut enim dicit Boetius, in V De consolatione, pros. VI, col. 858, providentia Dei dicitur, quia porro videt quasi a specula aeternitatis. Sed videre pertinet ad scientiam. Ergo videtur quod et providentia.

Difficultés:

1. Il semble que la providence appartienne à la science. En effet, comme le dit Boèce [V De la Consolation, pros.  VI, col. 858], on l’appelle providence parce qu’elle voit loin comme de la montagne de l’éternité. Mais voir appartient à la science. Il semble donc qu’il en soit aussi de même pour la providence.

[2861] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 2 Item, videtur quod ad omnipotentiam. Dicitur enim Sapient. 14, 3: Tu autem pater gubernas omnia providentia. Sed gubernatio pertinet ad potentiam, ut habetur ad Hebr. 1, 3: Portansque omnia verbo virtutis suae. Videtur ergo quod et providentia.

 2. En outre, il semble qu’elle relève de la toute-puissance. L’Écriture [Sagesse, 14, 3]dit en effet : Mais toi, Père, c’est par ta providence que tu gouvernes toute chose. Mais gouverner est un acte qui se rapporte à la puissance, comme l’Écriture [Épître aux Hébreux, 1, 3] : Il soutient l’univers  par la parole de sa puissance. Il semble donc qu’il ne soit de même pour la providence.

[2862] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, videtur quod ad voluntatem. Sicut enim dicit Damascenus, II Fid. Orthod., cap. XXIX, col. 963, providentia est divina voluntas secundum quam omnia in finem convenientem deductionem accipiunt ; et ita videtur expresse quod ad voluntatem pertineat.

 3. En outre, il semble qu’elle se rapporte à la volonté. En effet, tout comme le dit Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. XXIX, col. 963], la providence est la volonté divine d’après laquelle tous les êtres sont reçoivent leur direction vers la fin qui leur convient; et ainsi il semble qu’elle se rapporte clairement à la volonté.

[2863] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod sit idem quod dispositio. Sicut enim dicit Boetius, in IV De consol., pros. VI, col. 814,providentia est ratio in summo omnium principe constituta, per quam cuncta disponit. Sed disponere est dispositionis. Ergo videtur quod dispositio divina et providentia idem sint.

 4. En outre, il semble que la providence soit la même chose que la disposition. En effet, tout comme le dit Boèce [IV De la Consolation, pros.  VI, col. 814], la providence est la raison qui est constituée dans le chef le plus élevé et par laquelle il dispose tout le people. Mais l’acte de disposer se rapporte à la disposition. Il semble donc que la disposition divine et la providence ne soient qu’une seule et même chose.

[2864] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, videtur quod sit idem quod fatum. Comparatio enim alicujus ad diversa non diversificat ejus essentiam. Sed fatum et providentia non differunt nisi secundum comparationem ad diversa: sicut enim dicit Boetius, modus quo res geruntur, cum ad divinam cognitionem refertur, providentia dicitur: cum vero ad res ipsas quae geruntur, fatum vocatur. Ergo videtur quod providentia et fatum non differant per essentiam.

5. De plus, il semble qu’elle s’identifie à la prédiction. En effet, le rapport d’un être à différentes choses n’en change pas l’essence. Mais la prédiction et la providence ne diffèrent que selon le rapport à différentes choses. : en effet, tout comme le dit Boèce, la manière par laquelle les choses sont dirigées, puisqu’elle se rapporte à la connaissance divine, s’appelle providence : mais lorsqu’elle s’applique aux choses même qui sont dirigées, elle s’appelle prédiction. Il semble donc que la providence et la prédiction ne diffèrent pas par l’essence.

[2865] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ista tria, dispositio, scientia et providentia, se habent per additionem unius ad alterum. Cum enim Deus de rebus creatis scientiam quasi practicam habeat, ad modum scientiae artificis ejus scientia consideranda est.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que ces trois notions, à savoir la disposition, la science et la providence, se présentent par addition l’une par rapport à l’autre. En effet, puisque Dieu possède une science des choses créées qui est comme pratique, il faut la considérer sa science selon le mode de la science de l’artiste.

Sciendum est ergo, quod artifex praeconcipiendo artificiatum suum considerat finem primo ;

et deinde considerat ordinem rei quam facere intendit, ad finem illum, et ordinem etiam partium ad invicem, sicut quod fundamentum sit sub pariete, et paries sub tecto ; et iste ordo partium ad invicem ordinatur ulterius ad finem domus.

 Il faut donc savoir que l’artiste ou l’artisan, en concevant à l’avance son oeuvre, considère premièrement la fin; et ensuite il considère l’ordre de la chose qu’il cherche à faire par rapport à cette fin, et aussi l’ordre des parties entre elles, par exemple que les fondations sont sous les murs et les murs sous le toit; et cet ordre des parties entre elles est finalement ordonné à la fin de la maison.

 

Tertio oportet quod consideret ea quibus promoveatur ad consecutionem finis, et ut tollantur ea quae possunt impedire finem ; unde excogitat sustentamenta domus per aliquas appendicias et fenestras et hujusmodi, quibus domus sit apta ad habitationem. Ista ergo excogitatio nominatur nomine scientiae, ratione solius cognitionis et non ratione alicujus operationis.

Unde est et finis, et eorum quae sunt ad finem. Sed ratione ordinis excogitati in re operanda, vocatur nomine dispositionis: quia dispositio ordinem quemdam significat ; unde dispositio dicitur generationis ordinatio. Sed ratione eorum quae promovent in finem, dicitur providentia: providus enim dicitur qui bene conjectat de conferentibus in finem, et de his quae impedire possunt. Unde etiam in Deo scientia dicitur, secundum quod habet cognitionem et sui ipsius, et eorum quae facit.

 Troisièmement il faut qu’il considère les choses par lesquelles il progresse dans la poursuite de la fin et qu’il fasse disparaître celles qui empêchent de la réaliser ; d’où il imagine des compléments de la maison  par certains appendices et fenêtres par lesquels la maison est apte à être habitée. Nous appelons donc cette réflexion du nom de science en raison de la seule connaissance et non en raison d’une opération.

Et cette réflexion se rapporte à la fin et aux choses qui sont ordonnées à la fin. Mais en raison de l’ordre de ce qui est imaginé par rapport à la chose qui doit être faite, elle est appelée du nom de disposition : car la disposition signifie un certain ordre ; d’où l’on dit que la disposition est une mise en ordre de la génération. Mais en raison des choses qui favorisent la fin, elle est appelée providence : on appelle prévoyant en effet celui qui conjecture avec justesse les choses qui contribuent à la fin et celles qui peuvent l’empêcher. D’où elle est aussi appelée science du côté de Dieu selon qu’il possède la connaissance à la fois de Lui-même et des choses qu’il fait.

Sed dispositio dicitur ratione duplicis ordinis quem ponit in rebus ; scilicet rei ad rem, secundum quod juvant se invicem ad consequendum finem ultimum ; et iterum totius universi ad ipsum Deum: sicut etiam Philosophus ponit, in XI Metaph., text. 52, ubi etiam ponit exemplum de ordine partium exercitus ad invicem, et ad bonum ducis. Providentia autem dicitur secundum quod rebus ita ordinatis attribuit ea quae ordinem conservant et propellit omnium inordinationem.

 Mais la providence est appelée disposition en raison de deux ordres qu’elle place dans les choses, à savoir celui qu’il y a d’une chose à une autre, selon qu’elles s’aident mutuellement dans la poursuite de la fin ultime ; et il y a en outre celui de tout l’univers par rapport à Dieu, comme l’affirme aussi le Philosophe [XI Métaphysique, texte 52] où il présente aussi l’exemple de l’ordre des parties de l’armée entre elles et l’ordre de l’armée par rapport au bien du chef qui est la victoire. Mais on l’appelle providence selon qu’elle attribue aux êtres ainsi ordonnés les choses qui conservent l’ordre et qu’elle repousse le désordre de tous les êtres.

[2866] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod providentia et dispositio diversimode consideratae pertinent ad scientiam voluntatem et potentiam: quod sic patet ex simili inducto. Potest enim aliquis artifex cognitionem habere de artificiatis speculative tantum, sine hoc quod operari intendat: et sic providentia et dispositio ejus pertinet tantum ad scientiam. Secundum autem quod ulterius ordinat in opus cum proposito exequendi, pertinet ad scientiam et voluntatem. Secundum autem quod exequitur in opere, sic pertinet ad scientiam, voluntatem et potentiam per quam operatur. Ita etiam in Deo est. Patet etiam quod primis duobus modis accepta sunt aeterna, sed tertio modo sunt ex tempore. Et ipsa executio providentiae, gubernatio dicitur.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que c’est sous une considération différente que la providence et la disposition appartiennent à la science, à la volonté et à la puissance : ce qui devient évident à partir de la similitude présentée. En effet, un artiste peut n’avoir qu’une connaissance spéculative des œuvres d’art sans chercher à les réaliser et ainsi sa providence et sa disposition se rapportent seulement à la science. Mais selon que par la suite il ordonne une œuvre avec le propos de la réaliser, alors sa providence et sa disposition se rapportent à la science et à la volonté. Mais selon qu’il exécute ou achève l’œuvre, alors sa providence et sa disposition se rapportent à la science, à la volonté et à la puissance par laquelle il opère. Il en est aussi de même pour Dieu. Et il est clair aussi que prises d’après les deux premières modalités elles sont éternelles mais que d’après la troisième, elles sont dans le temps. Et l’exécution même de la providence s’appelle proprement gouvernement.

[2867] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 ad 2 Unde patet solutio ad secundum et tertium et similiter ad quartum: quia providentia includit dispositionem et addit: et propter hoc etiam per providentiam disponere dicitur.

 2. Nous voyons à partir de là la solution à la deuxième et à la troisième et aussi à la quatrième   difficulté : car la providence inclut la disposition et y ajoute et c’est pour cette raison qu’on dit aussi de la providence qu’elle dispose.

[2868] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod providentia et fatum differunt per essentiam: sicut enim forma domus est aliud per essentiam, secundum quod est in mente artificis ubi nomen artis habet, et secundum quod est in lapidibus et lignis ubi artificium dicitur ; ita etiam ratio gubernationis rerum aliud esse habet in mente divina, ubi providentia dicitur, et aliud in causis secundis, quarum officio gubernatio divina expletur: ex quibus fatum dicitur a for faris ; vel quia est quoddam effatum divinae ordinationis, sicut verbum vocale est quoddam effatum interioris conceptus: vel ex eo quod ex harum consideratione causarum fari solebant antiquitus de rebus futuris, sicut ex consideratione motus caeli praecipue.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que la providence et la prédiction diffèrent essentiellement : en effet, tout comme la forme de la maison est autre par l’essence selon qu’elle est dans l’intelligence de l’artiste où elle a pour nom ¨l’art¨, et selon qu’elle existe dans les pierres et les pièces de bois où elle a pour nom ¨œuvre d’art¨, de même aussi la notion de gouvernement des choses possède une autre existence dans l’esprit divin où on l’appelle providence que celle qu’elle possède dans les causes secondes par la fonction desquelles le gouvernement divin est complété : et c’est à partir d’elles qu’on parle de ¨fatum¨, à savoir de prédiction, qui vient de ¨for faris¨ qui veut dire prendre la parole dans le sens de prophétiser ; soit parce qu’elle est une certaine expression de l’arrangement divin, tout comme le verbe vocal est une certaine expression d’un concept intérieur, soit parce que c’est à partir de la considération de ces causes que les anciens avaient coutume de faire des prédictions au sujet des événements futurs, par exemple surtout à partir de la considération du mouvement du ciel.

 

 

Articulus 2 [2869] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 tit. Utrum providentia sit omnium

Article 2 – La providence s’applique-t-elle à tout ce qui existe ?

 

[2870] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non omnium sit providentia. Ad providentiam enim pertinet remotio eorum quae impediunt a fine. Sed malum dicitur per deordinationem a fine. Cum igitur multa mala sint in universo, videtur quod non omnia providentiae divinae subjaceant.

Difficultés:

1. Il semble que toutes les choses ne soient pas soumises à la providence divine. Il appartient en effet à la providence d’écarter les choses qui éloignent de la fin. Mais le mal dit un désordre par rapport à la fin. Donc, puisqu’il existe de nombreux maux dans l’univers, il semble que ce ne soient pas toutes les choses qui sont soumises à la providence divine.

[2871] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, nihil quod casu fit, est provisum: quia casus dicitur inopinatus rei eventus, et secundum Philosophum, in III Metaph., text. 62, est in his quae aguntur propter aliquid, cum aliud contingat praeter id quod intendebatur. Sed multa fiunt casu in mundo, ut probat philosophus in VI Metaph., text. 6 ; alias omnia ex necessitate contingerent, nisi causae aliquae deficerent ut in minori parte, quod casum inducit. Ergo non omnia sunt provisa a Deo.

 2. Par ailleurs, rien de ce qui arrive par hazard n’est prévu, car qui dit ¨hasard¨ dit un événement inattendu d’une chose, et selon le Philosophe [111 Métaphysique, texte 62], le hasard se présente dans les choses qui sont faites en vue d’une fin, lorsque quelque chose d’autre se produit que ce à quoi on s’attendait. Mais dans l’univers de nombreuses choses se produisent par hasard, comme le prouve le Philosophe [ VI Métaphysique, texte 6]; autrement, tout se produirait par nécessité si certaines causes ne se trouvaient pas rarement en défaut, ce qui ouvre la porte au hasard. Donc, tout n’est pas prévu par Dieu.

[2872] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, omne quod est provisum, est ordinatum in unum. Sed liberum arbitrium non est ordinatum in unum, sed se habet ad utrumlibet. Ergo ea quae sunt a libero arbitrio, providentiae divinae non subjacent.

 3. Par ailleurs, tout ce qui est prévu est ordonné à un seul et unique effet. Mais le libre arbitre n’est pas ordonné à un seul effet mais à de nombreux possibles. Donc, les actes qui proviennent du libre arbitre ne sont pas soumis à la providence divine.

[2873] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne quod est provisum, consequitur finem ut in pluribus, nisi sit providentia errans. Sed malum invenitur ut in pluribus, quod est secundum exitum a fine. Ergo universum providentia non regitur.

 4. En outre, tout ce qui est prévu parvient à sa fin dans la plupart des cas, à moins que la providence ne s’égare. Mais le mal se rencontre le plus souvent selon qu’on s’écarte de la fin. Donc, l’univers n’est pas gouverné par la providence.

[2874] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, providentiae proprium est ordinare. Sed multa inordinate contingunt in universo tam in rebus naturalibus, sicut quod aestates sunt pluviosae et hiemes siccae, quam etiam in hominibus, ut quod justi ab impiis puniuntur, qui prosperitatibus affluunt et multa hujusmodi. Ergo videtur quod universum providentia non regatur.

 5. De plus, c’est le propre de la providence d’ordonner. Mais de nombreux événement se produisent de manière désordonnée dans l’univers, tant dans les choses naturelles, comme par exemple des étés pluvieux et des hivers secs, que chez les hommes, comme les justes qui sont punis par des criminels, lesquels possèdent des biens en abondance, et beaucoup d’autres choses de cette sorte. Il semble donc que l’univers n’est pas conduit par une providence.

[2875] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, Habac. 1, 14, dicitur: Numquid facies homines ut pisces maris ? Et hoc dicit admirando ea quae videntur inordinate in hominibus contingere. Ergo videtur quod ad bruta non se extendat Dei providentia.

 6. Par ailleurs, l’Écriture [Habac. 1, 14] nous dit : Pourquoi as-tu fait les humains comme les poissons de la mer ? Et le prophète dit cela à cause de l’étonnement qu’il ressent à voir le désordre répandu chez les humains. Il semble donc que la providence divine ne s’étende pas aux brutes animales.

[2876] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod habetur Sap. XII, 13 quod cura ei est de omnibus. Sed nomine curae vel solicitudinis, providentia signatur. Ergo providentia ejus ad omnia se extendit.

 Cependant :

1. L’Écriture [Sagesse, XII, 13] nous dit le contraire : Il n’y a personne qui prenne soin de tout comme toi. Mais par le nom de soin ou de sollicitude, c’est la providence qui est signifiée. Donc, la providence divine s’applique ou s’étend à tous les êtres.

[2877] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod haec quaestio fere ab omnibus sapientibus ventilata est, et ideo oportet diversorum positiones videre, ut erroribus evitatis, viam veritatis teneamus.

Sciendum est ergo primo, quod quidam posuerunt, nullius rei esse providentiam, sed omnia casu contingere: et ista fuit positio Democriti, et quasi omnium antiquorum naturalium [om. Éd. de Parme], qui negaverunt causam agentem et posuerunt tantum causam materialem. Sed haec positio satis efficaciter in philosophia improbata est.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que cette question a été agitée par presque tous les sages, et c’est pourquoi il faut examiner ces différentes positions afin d’en éviter les erreurs et de demeurer sur le chemin de la vérité.

Il faut donc savoir en premier lieu que certains ont soutenu qu’aucune chose n’est soumise à une providence et que tout est le résultat du hasard. Et telle fut la position de Démocrite et de presque tous les anciens naturalistes [naturalistes om. Éd. de Parme], qui ont nié la cause efficiente et n’ont posé que la cause matérielle. Mais cette position a été réfutée avec suffisamment de force en philosophie.

Alii posuerunt providentiam esse quarumdam rerum et non omnium, et hi dividuntur in duas vias.

 D’autres ont soutenu qu’il y a providence pour certaines choses mais non pour toutes, et ceux-là se divisent en deux branches distinctes.

Quaedam enim positio est, quod providentia Dei non se extendit nisi ad species, et non ad individua, nisi quae necessaria sunt ; eo quod ponebant, illud quod exit cursum suum, providentiae legibus non subjacere ; et ideo ea quae frequenter deficiunt a cursu ordinato, non sunt provisa, sicut particularia corruptibilia et generabilia ; et ista opinio imponitur Aristoteli: quamvis ex verbis suis expresse haberi non possit, sed Commentator suus expresse ponit eam in XI Metaph., text. 52. Dicit enim, quod non est fas divinae bonitati habere sollicitudinem de singularibus nisi secundum quod habent communicationem in natura communi, sicut quod aranea sciat facere telam, et hujusmodi. Sed haec opinio expresse tollit judicium Dei de operibus hominum.

 L’une d’elles en effet soutient que la providence divine ne s’applique qu’aux espèces et non aux individus, à moins qu’ils ne soient nécessaires, du fait qu’ils affirmaient que ce qui sort de son cours n’est pas soumis aux lois de la providence ; et c’est pourquoi les choses qui s’écarte souvent d’une marche réglée ne sont pas prévues, comme c’est le cas pour les particuliers corruptibles et ceux qui peuvent être engendrés ; et cette position est attribuée à Aristote, bien qu’elle ne puisse être établie clairement à partir de ses paroles, mais son Commentateur [XI Métaphysique, texte 52] l’affirme explicitement. Il dit en effet qu’il n’est permis à la bonté divine d’avoir de la sollicitude pour les singuliers que selon qu’ils communiquent dans une nature commune, tout comme l’araignée qui sait faire une toile et des choses de la sorte. Mais cette opinion supprime totalement le jugement de Dieu sur les œuvres des hommes.

Et ideo alia positio fuit, quod Deus providentiam habet de omnibus quae dicta sunt, et ulterius de individuis hominum, non tantum secundum quod communicant in specie, sed etiam secundum particulares actus eorum ; et hanc ponit Rabbi Moyses, lib. III, cap. XVIII, et rationem assignat ex eo quod in homine etiam particulari invenitur natura intellectualis, per quam comprehendit intellectu suo formam speciei, inquantum est species: quia intellectus attribuit intentionem universalitatis naturae apprehensae, quam non habet in rebus extra animam ; et ideo individuum hominis etiam non deseritur a providentia quae est specierum, et praecipue quia communicat cum substantiis perpetuis, quarum etiam est per se providentia et secundum individua, et hoc quantum ad nobiliorem partem ejus, quae est intellectus.

Et c’est pourquoi il y eut aussi l’autre position qui soutient que Dieu exerce sa providence sur tous les êtres dont nous avons parlé et en plus sur les êtres humains, et non seulement en tant qu’ils communiquent dans une même espèce, mais même en tant qu’ils posent des actes particuliers ; et c’est cette position que présente Rabbi Moïse [Doct. Perplex. 111, ch. XVII], et il en donne la raison du fait que dans l’homme particulier aussi se rencontre la nature intellectuelle par laquelle il comprend par son intelligence la forme de l’espèce en tant qu’elle est une espèce : car c’est à l’intelligence qu’il attribuait l’intention d’universalité de la nature appréhendée qu’elle ne possède pas dans les choses en dehors de l’âme ; et c’est pourquoi l’individu humain aussi n’est pas abandonné par la providence qui porte sur les espèces, et surtout parce qu’il communique avec les substances éternelles sur lesquelles porte aussi la providence en tant qu’individus et cela quant à leur partie la plus noble qui est l’intelligence.

Sed quia divina cognitio aequaliter est singularium et universalium, ut supra habitum est ; et ejus qui summe bonus est, est ordinare omnia ad finem, secundum quod nata sunt: non videtur conveniens non omnium etiam singularium providentiam esse. Et praeterea hoc est expresse contra sententiam domini, Matth. X, dicentis, quod unus ex passeribus non cadit in terram sine patre caelesti, idest sine providentia ejus.

 Mais parce que la connaissance divine porte également sur les singuliers et les universels, ainsi que nous l’avons établi plus haut, il qu’il appartient à celui qui est suprêmement bon d’ordonner tous les êtres à leur fin selon leurs capacités, il ne semble pas convenable que la providence ne porte pas sur tout, même sur les singuliers. Et par ailleurs cette position est clairement opposée à la pensée du Seigneur [Matthieu X, 29] qui dit qu’aucun moineau ne tombe à terre sans que le Père céleste, à savoir la providence, le sache.

Aliorum positio est, quod Deus omnium providentiam habeat. Sed horum quidam dicunt omnium providentiam aequaliter esse ; et hos necesse est incidere in tres errores.

 Mais il y a aussi l’autre position de ceux qu soutiennent que Dieu fait porter sa providence sur tous les êtres. Mais parmi eux certains disent que la providence se porte également sur tous les êtres ; et cela conduit nécessairement à trois erreurs.

Quidam enim aestimantes simul esse providentiam bonorum et malorum, cum haec duo non possint esse intenta ab uno agente, coacti sunt ponere duos deos, quorum unus providet bona, alius mala, secundum haeresim Manichaeorum. Et haec positio sufficienter a sanctis et philosophis improbata est: quia malum non habet causam efficientem, nec potest esse intentum.

 Certains en effet, croyant qu’il y a simultanément providence pour pour ce qu’il y a de bien et de mal, comme ces deux sortes de choses ne peuvent pas être voulues par le même agent, ont été forcés à poser deux dieux dont l’un fournit les biens et l’autre les maux, d’après l’hérésie des Manichéens. Et cette position a été amplement réfutée par les saints et les philosophes : car le mal n’a pas de cause efficiente et ne peut faire l’objet d’une intention.

Alii aestimantes, quod similiter sit providentia contingentium et necessariorum, coacti sunt liberum arbitrium et contingentiam negare, asserentes cuncta quae providentiae subjacent, ex necessitate evenire, quod ad sensum patet esse falsum.

Alii aestimantes similiter esse providentiam rationabilium et irrationabilium, coacti sunt ponere quod nihil mali etiam brutis contingit quod non sit in poenam eis provisum, vel in occasionem majoris praemii ; unde ponunt quod peccatum est occidere brutum, sicut et hominem: quod quidam haeretici nostri temporis sentire videntur.

D’autres, croyant qu’il y a semblablement providence pour le contingent et le nécessaire, ont été poussés à nier le libre arbitre et la contingence, affirmant que toutes les choses qui sont soumises à la providence se produisent nécessairement, ce qui est manifestement faux et contraire aux sens.

D’autres, croyant que la providence s’applique semblablement aux êtres rationnels et à ceux qui sont irrationnels, ont été poussés à soutenir qu’aucun mal ne se produit aussi chez les brutes animales sans que ne leur soit prévue une peine ou au moment favorable une plus grande récompense ; d’où ils affirment que le péché tombe sur la brute animale comme sur l’homme, ce que certains hérétiques de notre époque semblent penser.

Sed quia haec omnia a fide aliena sunt, ideo simpliciter dicendum est, quod omnia providentiae subjacent, sed non eodem modo: et qualiter hoc sit, videndum est. Dictum est enim, quod providentia dispositionem supponit, quae ordinem in rebus determinat in diversarum naturarum gradu salvatum.

 Mais parce que toutes ces opinions sont étrangères à la foi, c’est pourquoi il faut absolument dire que tous les êtres sont soumis à la providence mais non de la même manière : et il faut voir de quelle manière il en est ainsi. Nous avons dit en effet que la providence suppose la disposition qui détermine un ordre dans les choses, ordre qui est conservé dans les degrés des différentes natures.

Cum igitur providentiae non sit destruere ordinem rerum, expletur effectus providentiae in rebus secundum convenientiam rei prout nata est consequi finem. Sicut enim dicit Dionysius, IV cap. de div. nom., § 33, col. 732, non est providentia naturas rei destruere, sed salvare ; et ideo quasdam res sic instituit ut secundum suam conditionem consequantur finem per principium quod est natura tantum, sicut in omnibus irrationabilibus [tantum …irrationabilibus om. Éd. de Parme] ; in aliquibus super hoc principium addit aliud, quod est voluntas.

 Donc puisque la providence ne doit pas détruire l’ordre des choses, l’effet de la providence est accompli dans les choses proportionnellement aux capacités naturelles de la chose à atteindre la fin. En effet, comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 33, col. 732], il appartient à la providence non pas de détruire la nature de la chose mais de la conserver ; et c’est pourquoi elle a établi certaines choses de telle manière qu’elles parviennent à la fin selon leur condition au moyen d’un principe qui est la nature seulement, comme c’est le cas pour tous les êtres irrationnels [seulement … irrationnels om. Éd. de Parme] ; et à certains elle a ajouté à ce principe un autre principe qui est la volonté.

In his autem quae consequuntur finem per principium quod est natura, invenitur quidam gradus ; eo quod quarumdam rerum natura impediri non potest a consecutione effectus sui ; et iste est gradus altior, sicut est in corporibus caelestibus: unde in his nihil contingit non intentum a Deo ex defectu ipsorum ; et propter hoc Avicenna dicit, tract. VIII Metaph., cap. VI, quod supra orbem lunae non est malum, loquens de malo naturae [loquens … om. Éd. de Parme].

 Mais pour ces êtres qui poursuivent leur fin au moyen du principe qui est la nature, on retrouve une gradation, du fait que la nature de certaines choses ne peut être empêchée de parvenir à son effet et ce degré est le plus élevé comme c’est le cas pour les corps célestes : d’où il suit que dans ces choses il ne se produit rien qui ne soit pas recherché par Dieu en raison d’un défaut qui se tiendrait de leur côté ; et c’est pour cette raison qu’Avicenne [ VIII Métaphysique, ch.  VI] dit qu’au-dessus du monde de la Lune on ne retrouve pas le mal, parlant alors du mal de la nature [parlant…om. Éd. de Parme].

Alius autem gradus naturae est quae impediri potest et deficere, sicut natura generabilium et corruptibilium: et quamvis ista natura sit inferior in bonitate, tamen etiam bona est ; et melius est quod utraque sit simul, quam quod altera tantum. Si autem Deus contulisset huic naturae quod nunquam deficeret, jam non esset haec natura, sed alia ; et sic non esset utraque natura, in quo universi perfectioni derogaretur.

 Mais il y a un autre degré de nature qui peut être empêché de parvenir à la fin et faire défaut, comme c’est le cas pour la nature des êtres peuvent être engendrés et corrompus : et bien que cette nature soit inférieure en bonté, cependant elle aussi est bonne ; et il est préférable que les deux existent ensemble plutôt qu’une seule existe. Mais si Dieu avait donné à cette nature de ne jamais faire défaut, elle ne serait plus telle nature mais une autre et ainsi les deux natures ne se trouveraient pas à être retranchées de la perfection universelle.

Unde hanc naturam condidit praesciens defectum contingentem, qui est malum naturae ; sed non intendens. Sed ita providit ut si malum contingeret ex defectu alicujus naturae, ordinaretur in bonum ; sicut videmus quod corruptio unius est generatio alterius ; et iste modus providentiae extendit se etiam usque ad bruta animalia, quae potius aguntur instinctu naturae quam electione voluntatis. Et ideo malum quod accidit in eis, recompensatur per bonum naturae, non per bonum praemii, sicut quod mors muscae est victus araneae.

 D’où il suit que Dieu créa cette nature en sachant à l’avance mais sans le rechercher, qu’elle pourrait faire défaut, ce qui est un mal de nature. Mais il veilla à ce que, si le mal devait se produire en raison d’un défaut d’une nature, il soit ordonné au bien ; c’est ainsi que nous voyons que la corruption de l’un est ordonnée à la génération de l’autre ; et cette forme de providence s’applique aussi jusqu’aux brutes animales qui agissent par un instinct de nature plutôt que par un choix de la volonté. Et c’est pourquoi le mal qui se produit en elles est compensé par un bien de nature et non par un bien de récompense, tout comme la mort de la mouche est la nourriture de l’araignée.

Sed in nobilioribus creaturis invenitur aliud principium praeter naturam, quod est voluntas ; quod quanto vicinius est Deo, tanto a necessitate naturalium causarum magis est liberum, ut dicit Boetius, V De consol., prosa II, col. 834 ; et ideo ex conditione sua sequitur quod rectum ordinem tenere possit tendendo in finem, et etiam deficere.

 Mais chez les créatures plus nobles on retrouve, à côté de la nature, un autre principe, à savoir la volonté, lequel est d’autant plus libéré de la nécessité des causes naturelles, comme le dit Boèce [V De la Consolation, prose 11, col. 834], qu’il est plus proche de Dieu ; et c’est pourquoi il découle de sa condition qu’il puisse garder un ordre sans détour en tendant vers la fin et qu’il puisse aussi faire défaut.

Si autem inevitabiliter in finem tenderet, per divinam providentiam tolleretur sibi conditio suae naturae, ut dicit Dionysius, ubi supra ; et ideo taliter a Deo instituta est ut etiam deficere posset ; ita tamen quod in potestate ejus esset deficere vel non deficere ; hoc autem non contingebat quod non erat in defectu naturalis principii.

 Mais si la volonté tendait inévitablement vers la fin, la condition de sa nature lui serait retirée par la divine providence comme le dit Denys plus haut ; et c’est pourquoi elle fut établie par Dieu de telle manière qu’elle puisse aussi faire défaut, de telle manière cependant qu’il soit en son pouvoir de faire défaut ou de ne pas faire défaut ; mais il n’était pas possible qu’elle ne soit pas en défaut d’un principe naturel.

Et istos defectus voluntatum contingentes praeter intentionem providentiae praescivit Deus et ordinavit eos in bonum non tantum naturae, sed etiam similis generis [singularis gratiae Éd. de Parme], sicut in bonum justitiae (quod ostenditur cum culpa per poenam ordinatur), et in bonum voluntatis aliorum, qui per eorum nequitiam vel corriguntur de peccatis, vel in meritis et gloria crescunt ; et in multa alia: quae humana ratio non sufficit explicare.

 Et Dieu a connu à l’avance ces défauts des volontés se produisant en dehors de l’intention de la providence et il les a ordonnés non seulement au bien de la nature, mais aussi à celui d’un genre semblable [singulier de la grâce Éd. de Parme], comme au bien de la justice (lequel est manifesté lorsque la faute est réglée par la peine), et au bien de la volonté des autres, lesquels à travers leurs injustices ou bien se corrigent de leurs fautes ou bien croissent en mérites et en gloire ; et il les a ordonnés aussi à de nombreux autres biens que la raison humaine est impuissante à expliquer de manière satisfaisante.

Unde patet quod bonum et malum subjacent divinae providentiae, sed malum tamquam praescitum et ordinatum, sed non ut intentum a Deo ; bonum vero quasi intentum ; sed necessarium ita quod deficere non possit, et contingens ita quod deficere possit ; et voluntarium ita quod poenam vel praemium habeat, aut in praemium vel in poenam alicujus ordinetur ; naturale autem ita quod consequatur finem naturalem, si bonum est, et cedat in bonum alterius naturae, si malum est.

 D’où il est clair que le bien et le mal sont soumis à la providence divine, mais le mal en tant que connu à l’avance et ordonné au bien et non en tant que voulu par Dieu, alors que le bien lui est soumis en tant qu’il est voulu par Dieu ; et le nécessaire est soumis à la providence de telle manière qu’il ne puisse faire défaut et le contingent en tant qu’il puisse faire défaut ; mais le volontaire lui est soumis de telle manière qu’il reçoive une peine ou une récompense ou qu’il soit ordonné par la récompense ou la peine de quelque chose, mais le naturel de telle manière qu’il parvienne à sa fin naturelle si elle est bonne, et qu’il passe au bien d’une autre nature s’il est mauvais.

[2878] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum est, quod providentiae est dirigere unumquodque in finem, et subtrahere impedimenta, salvata tamen natura in finem directa, ex cujus conditione defectibili mala contingunt, et non ex divina intentione, quae ipsa mala in bonum ordinat.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu qu’il appartient à la providence de conduire chaque chose à sa fin et de retirer les obstacles, tout en conservant cependant la nature qui est dirigée vers sa fin de telle manière que des maux peuvent se produire en raison de la condition possiblement défaillante de cette nature et non en raison de la volonté divine qui ordonne au bien les maux eux-mêmes.

[2879] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod effectus consequitur conditionem causae suae proximae ; et ideo quamvis sit aliquid a Deo provisum, dicitur casu fieri, si accidat praeter intentionem naturae operantis ; vel fortuna, si accidit praeter intentionem agentis a proposito.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’effet découle de la condition de sa cause prochaine ; et c’est pourquoi, bien qu’il soit quelque chose de prévu par Dieu, on dit qu’il est produit par hasard s’il se produit en dehors de l’intention de la nature qui opère ; ou par la fortune s’il se produit en dehors  de l’intention que l’agent se proposait.

[2880] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod liberum arbitrium per se ordinatum est ad unum, scilicet ad bonum, ita quod ab eo deficere possit, et quod in ipso sit. Si enim inevitabiliter in unum tenderet, tolleretur ratio voluntatis in tali natura.

 3. Il faut dire en troisième lieu que le libre arbitre est essentiellement ordonné à un seul effet, c’est-à-dire au bien, mais de telle manière cependant qu’il puisse s’en écarter et qu’il puisse se tenir en lui. Si en effet le libre arbitre tendait inévitablement vers un seul effet, la notion de volonté serait supprimée dans une telle nature.

[2881] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod malum potest accipi vel in rebus naturalibus, vel in voluntariis. Et si accipiatur in naturalibus, constat quod malum est ut in paucioribus,

tum secundum supposita, quia malum naturae non contingit nisi in sphaera generabilium et corruptibilium, quae est parvae quantitatis respectu corporum caelestium in quibus malum esse non potest, quia incorruptibilia sunt, et motus eorum inordinationem habere non possunt, cum semper eodem modo sint ;

tum etiam considerando in eodem, quia causae naturales consequuntur effectus suos in majori parte, et deficiunt in minori, et ex hoc malum incidit.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que le mal peut s’entendre soit dans les choses natuelles, soit dans les actes volontaires. Et si on l’entend dans les choses naturelles, il est clair que le mal se produit dans peu de cas, tant selon les suppôts, car le mal de nature ne se produit que dans la sphère des êtres qui peuvent être engendrés et corrompus, laquelle est de faible quantité par rapport aux corps célestes dans lesquels le mal ne peut exister puisqu’ils sont incorruptibles et que leurs mouvements ne sont pas susceptibles de désordres puisqu’ils s’effectuent toujours de la même manière, qu’en les considérant aussi dans un même sujet car les causes naturelles atteignent leurs effets dans la plupart des cas et s’en écartent rarement : et c’est de là que s’ensuit le mal.

Sicut enim in naturalibus invenitur triplex gradus ;

aliquid enim est quod habet esse tantum in actu ; et huic nullus defectus essendi advenire potest: sicut corpora caelestia [sicut… caelestia iom. Éd. de Parme].

aliquid autem est quod est tantum in potentia, sicut materia prima ; et hoc semper habet defectum, nisi removeatur per aliquod agens reducens eam in actum:

est etiam aliquid quod habet actum admixtum privationi ; et hoc propter actum dirigentem in opere recte operatur ut in majori parte, deficit autem in minori, sicut patet in natura generabilium et corruptibilium ; ita etiam est in intellectualibus. Est enim aliqua intellectualis natura quae est actus completus sine admixtione alicujus privationis vel potentiae ; et ex hac non potest aliquid non rectum procedere, sicut patet de Deo.

 En effet, on retrouve dans les choses naturelles trois degrés ; il y a en effet des êtres qui ne possèdent l’existence qu’en acte ; et à ce degré d’être il ne peut survenir aucun défaut d’existence, comme c’est le cas pour les corps célestes [tout comme … célestes om. Éd. de Parme].

Mais il y a de l’être qui est seulement en puissance, comme la matière première ; et cette forme d’être est toujours en défaut, à moins qu’elle ne s’écarte de ce défaut au moyen d’un agent qui la conduise à l’acte.

Mais il y a aussi de l’être qui consiste en la composition d’un acte et d’une privation ; et il en est ainsi parce que l’acte qui dirige dans la réalisation de l’œuvre opère correctement dans la plupart des cas et fait défaut dans peu de cas ainsi qu’on le voit dans la nature des êtres pouvant être engendrés et corrompus ; il en est de même aussi pour les êtres intellectuels. Il existe en effet une nature intellectuelle qui est un acte complet sans aucun mélange de privation ou de puissance ; et de cet acte rien ne peut procéder incorrectement, comme on le voit pour Dieu.

Est etiam quaedam natura cui admiscetur potentia, sed tamen in ipsa sua natura habet aliquem actum dirigentem in operatione, sicut est in Angelis ; et ideo talis natura deficit a rectitudine ut in minori parte.

Mais il y a aussi une nature intellectuelle à laquelle se mélange de la puissance, mais elle possède cependant dans sa nature un acte qui dirige dans l’opération, comme c’est le cas pour les Anges ; et c’est pourquoi une telle nature s’écarte de la rectitude dans peu de cas.

Sed in natura humana perfectiones secundae, quibus diriguntur opera, non sunt innatae, sed vel acquisitae vel infusae. Unde Commentator in III de anima, text. 14, comparat intellectum potentialem humanum materiae primae, et philosophus tabulae in qua nihil scriptum est ; et ideo ipsa natura humana in se considerata aequaliter se habet indifferenter ad omnia vel intelligenda vel facienda ; et quia malum contingit multifariam secundum Dionysium, IV cap. De div. nom., § 30, col. 730, et bonum uno modo ; ideo ut in pluribus flectitur in malum.

 Mais dans la nature humaine les perfections secondes par lesquelles les œuvres sont conduites ne sont pas innées mais acquises ou infuses. D’où le Commentateur [111 De l’Âme, texte 14] compare l’intellect possible des humains à la matière première et le Philosophe le compare à la tablette sur laquelle rien n’est écrit ; et c’est pourquoi la nature humaine, considérée en elle-même se présente également et indifféremment à l’égard de tout ce qui doit être connu ou fait ; et parce que le mal se présente sous des formes diverses d’après Denys [IV Les Noms Divins, & 30, col. 730] et le bien sous une seule forme, c’est pourquoi elle se tourne vers le mal dans la plupart des cas.

Sic enim considerata natura humana, nondum est ut agens perfectum, nisi respectu naturalium operationum ; sed tunc est agens perfectum quantum ad omnes suas operationes, quando jam perfecta est perfectionibus secundis, quae sunt virtutes ; et ideo quando determinatur per perfectionem secundam vel infusam vel acquisitam, tunc determinatur ad unum, vel ad quod tendat ut in majori parte, sicut in statu viae, vel ut semper, sicut in statu patriae.

 En effet, la nature humaine considérée de cette manière n’existe pas encore en tant qu’agent parfait, si ce n’est par rapport aux opérations naturelles ; mais elle est un agent parfait quant à toutes ses opérations quant elle a déjà été achevée par les perfections secondes qui sont les vertus ; et c’est pourquoi, quand la nature humaine se trouve à être réglée par la perfection seconde, qu’elle soit infuse ou acquise, alors elle est ordonnée à un seul effet, soit à celui vers lequel elle tend  le plus souvent comme c’est le cas pour la vie ici-bas, soit à celui vers lequel elle tend toujours, comme c’est le cas dans la patrie céleste.

Et ideo Tullius, Lib. II de inventione, § 159,comparat virtutem naturae, dicens quod est habitus voluntarius in modum naturae rationi consentaneus ; et ideo voluntas perfecta virtute justitiae se habet ad opera justa, sicut ignis ad motum sursum. Et per hoc etiam patet quod magis servatur ordo providentiae in bonis quam in malis.

 Et c’est pourquoi Tullius [11 De l’Invention, & 159] compare la vertu à la nature en disant qu’elle est l’habitus volontaire qui consent à la raison à la manière de la nature; et c’est pourquoi la volonté, par la vertu parfaite de la justice se rapporte aux oeuvres justes de la même manière que le feu se rapporte au mouvement vers le haut. Et c’est par là aussi qu’on voit que l’ordre de la providence est davantage observé dans les biens que dans les maux.

[2882] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quidquid est in mundo, totum ordinatum est ; quamvis ratio ordinis nobis non appareat in quibusdam, et praecipue in voluntariis, cum malis quandoque bona quandoque mala eveniant, et similiter bonis. Sed ratio ordinis hujus scitur a Deo ; sicut medicus scit quare quibusdam aegris quandoque det calida et quandoque frigida, et similiter sanis ; quod tamen ignorans artem admiratur, ut dicit Boetius, IV de consol., prosa VI, col. 818.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que tout ce qui est dans l’univers est ordonné dans sa totalité, bien que le rapport de l’ordre ne nous apparaisse pas dans certaines choses, et surtout dans les actes volontaires, puisqu’à des maux ce sont parfois des biens et parfois des maux qui surviennent, et qu’il en est de même pour les biens. Mais le rapport de cet ordre est connu de Dieu, tout comme le médecin sait pourquoi il donne parfois de la chaleur et parfois du froid à certains malades, et qu’il fait semblablement pour ceux qui sont sains, alors que celui qui ignore cet art s’en étonne comme le dit Boèce [IV De la Consolation, prose  VI, col. 818].

Ista tamen inordinatio si diligenter advertitur, invenitur non in his ad quae per se ordinatur humana opera, et quae per se sunt tantum bona vel mala. Habet enim bonum opus semper sibi adjunctum bonitatis praemium in perfectione virtutis, quae est bonum humanum, et in consecutione beatitudinis, ad quam opera humana ordinantur ; et e contrario est de malis.

Sed ista permixtio videtur accidere in his bonis quae extra hominem sunt, vel quae non sunt bona ejus inquantum est homo, sicut in bonis corporalibus et in bonis naturae [fortunae Éd. de Parme] ; cum tamen ista permixtio semper ordinetur ad id quod est per se hominis bonum, scilicta gratiae [vel gratiae Éd. de Parme], vel gloriae, secundum apostolum Rom. 8, 28: Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, vel in justitiae divinae manifestationem ; frequenter enim impii prosperantur in hac vita, ut manifestior appareat in judicio eorum animadversio.

Mais si on examine avec attention ce désordre ou ce mélange, il se trouve non pas dans les choses vers lesquelles les opérations humaines sont essentiellement ordonnées et qui sont essentiellement seulement bonnes ou mauvaises. L’œuvre bonne en effet se trouve toujours à être unie à la récompense de la bonté dans la perfection de la vertu qui est le bien humain et dans la poursuite du bonheur auquel les opérations humaines sont ordonnées ; et c’est le contraire pour les maux.

Mais ce mélange semble se produire dans ces biens qui sont à l’extérieur de l’homme ou qui ne sont pas ses biens en tant qu’il est homme, comme c’est le cas pour les biens corporels ou pour les biens de la nature [de la fortune Éd. de Parme] ; puisque cependant ce mélange est toujours ordonné à ce qui est le bien essentiel de l’home, à savoir celui de la grâce [ou de la grâce Éd. de Parme] ou de la gloire selon l’Apôtre [Romains 8, 28] : Toutes choses contribuent au bien de ceux qui aiment Dieu, ou dans la manifestation de la justice divine ; souvent en effet les criminels trouvent la prospérité en cette vie afin que leur châtiment apparaisse plus manifestement dans le jugement.

 

[2883] Super Sent., lib. 1 d. 39 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod ex illa auctoritate innuitur quod non est similiter providentia de brutis et de hominibus ; et hoc verum est, ut ex praedictis, in corp. art., patet.

 6. Il faut dire en sixième lieu qu’à partir de cette autorité il est indiqué que la providence ne se présente pas semblablement à l’égard des brutes animales et des hommes ; et cela est vrai, ainsi qu’on le voit dans le corps de l’article.

 

 

Distinctio 40

Distinction 40 – [La prédestination]

Prooemium

Prologue

 

 

 

 

 

 

Quaestio 1

Question 1 – [La nature de la prédestination]

Prooemium

Prologue

[2884] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 pr. Hic est duplex quaestio.

Prima est de praedestinatione.

Secunda de reprobatione.

Circa primum quaeruntur tria.

Primo quid sit praedestinatio.

Secundo, quorum sit.

Tertio, de certitudine ejus.

Circa primum quaeruntur duo:

1 utrum praedestinatio sit in creatura, vel tantum in Deo ;

 2 quid in Deo nominet.

 On cherche à répondre ici à deux questions.

La première porte sur la prédestination.

La deuxième porte sur la réprobation.

Au sujet du premier point on cherche à répondre à trois interrogations :

1. Qu’est-ce que la prédestination ?

2. À quelle sorte d’êtres se rapporte-t-elle ?

3. La prédestination est-elle certaine ?

Concernant la première interrogation, on cherche à résoudre deux difficultés :

1. Est-ce que la prédestination est dans la créature ou seulement en Dieu ?

2. Qu’est-ce que la prédestination signifie en Dieu ?

 

 

Articulus 1 [2885] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 tit. Utrum praedestinatio sit aliquid in praedestinato

Article 1 – La prédestination est-elle quelque chose dans le prédestiné ?

 

[2886] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod praedestinatio sit aliquid in re praedestinata. Omnis enim actio infert ex se passionem. Sed cum dicitur, Deus praedestinat, significatur in verbo actus divinus. Ergo videtur quod respondeat sibi aliqua passio in creatura, quae sit praedestinatio passive dicta, sicut etiam de creatione est ; invenitur enim creatio actio, et creatio passio.

Difficultés :

1. Il semble que la prédestination soit quelque chose dans l’être qui est prédestiné. En effet, toute action cause d’elle-même une passion. Mais lorsqu’on dit que Dieu prédestine, l’acte divin est signifié dans un verbe. Il semble donc que lui corresponde une passion dans la créature qui soit la prédestination prise passivement, tout comme il en est aussi de même pour la création ; il y a en effet la création comme action et la création comme passion.

[2887] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis denominatio fit secundum aliquam formam inhaerentem, sicut secundum qualitatem dicimur quales. Sed praedestinatione aliquid denominatur, cum praedestinatus dicitur. Ergo videtur quod praedestinatio sit aliquid in ipso.

 2. Par ailleurs, toute dénomination est faite d’après une forme inhérente, tout comme nous disons ¨quel¨ d’après la forme de la qualité. Mais c’est d’après la prédestination qu’un être est dénommé lorsqu’on dit de lui qu’il est prédestiné. Il semble donc que la prédestination soit quelque chose dans le prédestiné.

[2888] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, comparatio est eorum quae sunt unius generis. Sed in Glossa Joan. 1, dicitur, quod « melius erat Nathanaeli duas naturas in Christo cognoscere quam praedestinatum esse ». Cum igitur cognitio naturarum, cui comparatur praedestinatio, in ipso aliquid ponat, videtur quod praedestinatio sit aliquid in praedestinato.

 3. En outre, il y a comparaison pour les choses qui sont du même genre. Mais il est dit dans la Glose de Jean 1 : «Il était préférable à Nathanaël de connaître les deux natures dans le Christ que d’être prédestiné». Donc, puisque la connaissance des natures, à laquelle se compare la prédestination, pose quelque chose en lui, il semble que la prédestination soit quelque chose dans le prédestiné.

[2889] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nullum aeternum definitur per temporale. Sed praedestinatio definitur per temporale: quia dicitur, quod est praeparatio gratiae in praesenti et gloriae in futuro. Ergo non est aeterna. Sed omnis actio quae temporaliter de Deo dicitur, ponit actu [actu om. Éd. de Parme] aliquem effectum in creatura, sicut regere, gubernare, et hujusmodi. Ergo videtur quod praedestinatio sit aliquid etiam in praedestinato.

 4. De plus, rien d’éternel ne se définit par le temporel. Mais la prédestination se définit par le temporel car on dit qu’elle est une préparation de la grâce dans le présent et de la gloire dans le futur. Elle n’est donc pas éternelle. Mais toute action qui se dit temporellement de Dieu pose en acte [acte om. Éd. de Parme] un effet dans la créature, comme par exemple diriger, gouverner, etc. Il semble donc que la prédestination soit aussi quelque chose dans le prédestiné.

[2890] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, non eliguntur nisi praedestinati. Sed eliguntur qui non sunt, ut dicit Augustinus, De verbo Apost., sermo XXVI, § 4, col. 170, olim Lib. de Praedest. Sanct., cap. 17. Ergo videtur quod praedestinatio sit non entium. Sed in non ente non potest aliquid esse. Ergo praedestinatio non est aliquid in praedestinato.

 Cependant :

1. Il n’y a que les prédestinés qui sont élus. Mais il y a des élus qui n’existent pas, comme le dit Saint-Augustin [Du Verbe Apost., sermon XXVI, & 4, col. 170, autrefois le Livre de la Prédestination des Saints, ch. 17]. Il semble donc que la prédestination se rapporte à ce qui n’existe pas. Mais il ne peut y avoir de l’être dans le non-être. Donc la prédestination ne peut être quelque chose dans le prédestiné.

[2891] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ut supra, dist. 38, dixit Magister, praedestinatio est quaedam species scientiae divinae. Sed scientia nihil est in scito, sed tantum in sciente. Ergo videtur quod praedestinatio non ponat aliquid in praedestinato.

 2. En outre, comme l’a dit le Maître dans la distinction 38, la prédestination est une sorte de science divine. Mais la science n’est en rien dans l’objet de science mais plutôt dans celui qui sait. Il semble donc que la prédestination ne pose rien dans le prédestiné.

[2892] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod ponere aliquid in alio potest intelligi dupliciter.

Aut quod ipsum significatum per nomen in aliquo esse dicatur, sicut albedo ponit aliquid in albo: et sic dico, quod praedestinatio non ponit aliquid in praedestinato, sed in praedestinante tantum.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que poser quelque chose dans un autre peut s’entendre de deux manières.

Soit qu’on dise que ce qui est signifié par le nom existe dans un être, tout comme la blancheur pose quelque chose dans ce qui est blanc: et en ce sens je dis que la prédestination ne pose pas quelque chose dans le prédestiné, mais seulement dans celui qui predestine.

Aut ita quod ad significatum quod est in uno, sequitur aliquid esse in alio ; sicut paternitas ponit aliquid in filio, cum tamen ipsa secundum suum esse in patre tantum sit, sed dicitur ponere aliquid in filio, inquantum ad paternitatem sequitur aliquid esse in filio. Sed hoc contingit dupliciter.

Vel quia relinquatur illud esse in alio simul, sicut paternitas relinquit filiationem:

aut non necessario simul, sed vel prius vel posterius, sicut auditus ponit percussionem sonantem simul aut prius ; et hoc modo dico, quod praedestinatio ponit aliquid in praedestinato: quia ad operationem hanc Dei sequitur effectus praedestinationis in esse [inesse Éd. de Parme] praedestinato non semper quandocumque est praedestinatio, sed quandoque ; et hic effectus est gratia et gloria.

 Soit de telle manière que du signifié qui est dans l’un il s’ensuive que quelque chose existe dans un autre, tout comme la paternité qui pose quelque chose dans le fils, bien que cependant la paternité elle-même selon son existence ne soit que dans le père ; mais on dit qu’elle pose quelque chose dans le fils pour autant que de cette paternité il s’ensuit quelque chose qui existe dans le fils. Mais cela est possible de deux manières.

Ou bien parce que cette existence est laissée dans l’autre simultanément, comme la paternité laisse la filiation ; ou bien elle n’est pas nécessairement laissée simultanément, mais avant ou après, tout comme l’audition pose un choc qui résonne simultanément ou avant ; et c’est en ce sens que je dis que la prédestination pose quelque chose dans le prédestiné : car un effet de la prédestination suit cette opération de Dieu dans l’être [est dans l’être Éd. de Parme] prédestiné non pas toujours tant qu’il y a prédestination mais parfois ; et cet effet est la grâce et la gloire.

[2893] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, ut Philosophus, IX Metaph., text. 16 tradit actionum quaedam transeunt in exteriorem materiam circa quam aliquem effectum operantur, ut patet in actionibus naturalibus sicut ignis calefacit lignum, et in artificialibus, sicut aedificator facit domum ex materia ; et in talibus actio est recepta in eo quod fit, per modum passionis, secundum quod motus est in moto ut in subjecto: et ideo in talibus est invenire actionem in re agente, et passionem in re patiente.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que, comme le Philosophe [1X Métaphysique, texte 16] l’enseigne, certaines actions passent dans une matière extérieure sur laquelle elles opèrent un effet, comme on le voit dans les actions naturelles comme le feu qui réchauffe le bois, et dans les opérations artificielles, comme le constructeur qui fait la maison à partir d’une matière; et dans ces cas l’action est reçue par mode de passion dans ce qui est produit selon que le mouvement est dans le mobile comme dans un sujet: et c’est pourquoi dans ces cas on retrouve une action dans la chose qui agit et une passion dans la chose qui subit.

Quaedam vero sunt quae in exteriorem materiam non transeunt ut effectum aliquem circa ipsam producant, ut patet in visione, quae cum sit actio videntis, nullum effectum in re visa efficit ; et tales actiones, quae proprie operationes dicuntur, in ipsis operantibus tantum sunt. Unde non potest fieri conversio passionis ad actionem acceptam a re exteriori, secundum quod in se est, sed solum secundum quod in operante est: etsi enim oculus videt lapidem, lapis tamen non videtur nisi secundum quod est in oculo per sui similitudinem.

 Mais il y a des actions qui ne passent pas dans une matière extérieure de manière à produire sur elle un effet, comme cela est manifeste pour la vision, qui bien qu’elle soit l’action de celui qui voit, ne produit aucun effet sur la chose vue; et de telles actions, qu’on appelle proprement opérations, n’existent que dans ceux-là même qui opèrent. D’où il résulte qu’il ne peut y avoir conversion de la passion à l’action prise d’une chose extérieure selon qu’elle existe en elle-même, mais seulement selon qu’elle existe dans celui qui opère: en effet, bien que l’oeil voit la pierre, cependant la pierre n’est vue que selon qu’elle existe dans l’oeil par sa similitude.

Secundum hoc ergo dico, quod creatio est talis actio quae effectum exteriorem relinquit ; unde oportet passive sumptam creationem aliquid in re creata esse, sicut calefactionem in calefacto. Praedestinatio vero cum nominet operationem voluntatis et intellectus existentem solum in ipso operante, sicut visio in vidente et speculatio in speculante, si passive accipiatur, non erit aliquid in praedestinato, secundum quod in se consideratur, sed solum secundum quod in praedestinante est secundum suam similitudinem per quam ibi cognoscitur, sicut et scitum in sciente: ex quo etiam patet quod praedestinatio non nominatur per aliquam passionem in ipso existentem, sed per operationem ipsius praedestinantis, sicut et res denominatur visa per operationem videntis ; et per hoc patet solutio ad secundum [et per hoc …secundum om. Éd. de Parme].

 Conformément à cela je dis donc que la création est une action telle qu’elle laisse un effet extérieur ; d’où il faut que la création prise passivement soit quelque chose dans la chose créée, tout comme le réchauffement soit quelque chose dans ce qui est réchauffé. Mais la prédestination, puisqu’elle signifie une opération de la volonté et de l’intelligence qui existe seulement dans celui-là même qui opère comme c’est le cas pour la vision dans celui qui voit et l’intellection dans celui qui possède l’intelligence, si on l’entend passivement, elle ne sera pas quelque chose dans le prédestiné selon qu’il est considéré en lui-même, mais seulement selon qu’il existe dans celui qui prédestine selon sa similitude par laquelle il y est connu, tout comme l’objet de science est dans celui qui sait ; d’où il est clair aussi que la prédestination n’est pas nommée par une passion existant dans le prédestiné, mais par une opération existant dans celui qui prédestine, tout comme on dit de la chose qu’elle est vue par l’opération de celui qui voit ; et c’est au moyen de cela que la solution à la deuxième difficulté est évidente [et c’est au moyen de cela … est évidente om. Éd. de Parme].

Vel aliter dicitur, quod praedestinatio, proprie loquendo de actione, secundum quod in naturalibus sumitur, non est actio, sed operatio. Operatio enim agentis quaedam est ut transiens in effectum, et haec proprie actio vel passio dicitur : et tali actioni semper respondet e converso passio ; unde invenitur calefactio actio et calefactio passio, et similiter creatio actio et creatio passio. Quaedam vero operatio est quae non significatur ut procedens in aliquem effectum, sed magis secundum quod est aliquid in ipso ; et si quidem haec recipiatur in ipso, illa receptio dicetur passio ; et actio consequens conjunctum ex recepto et recipiente dicetur operatio: quia operatio semper est perfecti, ut patet in sensu: sentire enim est quaedam operatio sentientis, nec procedens in effectum aliquem circa sensibile, sed magis secundum quod species sensibilis in ipso est ; unde sentire quantum ad ipsam receptionem speciei sensibilis nominat passionem, similiter et intelligere quod etiam pati quoddam est, ut in III De anim., text. 2, dicitur: sed quantum ad actum consequentem ipsum sensum perfectum per speciem nominat operationem, quae dicitur motus sensus, de quo dicit Philosophus, in III De anim., text. 11, quod est actus perfecti.

 

Ou bien on peut encore dire que la prédestination, en parlant proprement de l’action selon qu’elle se prend dans les choses naturelles, n’est pas une action mais une opération. Il y a en effet une opération de l’agent qui passe dans un effet, et c’est elle qui s’appelle proprement action ou passion : et à une telle action correspond toujours à l’inverse une passion ; d’où on rencontre alors un réchauffement comme action et un réchauffement comme passion, et de même une création comme action et une création comme passion.

Mais il y a une opération qui n’est pas signifiée comme procédant dans un effet mais plutôt comme étant quelque chose qui est dans l’agent ; et si certes cette opération est reçue en lui, cette réception s’appelle passion ; et l’action qui suit la réunion de ce qui est reçu et de celui qui reçoit sera appelée opération : car l’opération appartient toujours à celui qui est parfait comme on le voit pour le sens : sentir en effet est une opération de celui qui sent et elle ne procède à aucun effet sur le sensible, mais plutôt en tant que l’espèce sensible est en lui ; d’où il résulte que ¨sentir¨, quant à la réception de l’espèce sensible, nomme une passion, tout comme l’acte d’intellection qui est aussi une certaine passion comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 2] ; mais quant à l’acte qui découle du sens rendu parfait par l’espèce, il nomme une opération qu’on appelle le mouvement du sens au sujet duquel le Philosophe [111 De l’Âme, texte 11] dit qu’il est l’acte de ce qui est parfait.

Sed in Deo est similitudo rei cognitae, non per receptionem sed per essentiam suam ; unde suum intelligere nullo modo dicit passionem, sed operationem tantum. Omnes igitur tales operationes non habent passiones respondentes nisi per modum significandi tantum ; sicut cum dicitur aliquid sciri, non ponitur aliqua passio secundum rem in scito, sed solum quidam respectus ad scientem secundum rationem, qui per modum passionis significatur a grammatico, sicut et operatio per modum actionis ; unde dicit quod scire est activum, et sciri passivum.

 Mais en Dieu il y a une similitude de la chose connue, non pas par une reception mais par son essence; d’où son acte d’intellection ne dit en aucune manière une passion, mais une opération seulement. Donc toutes les operations de cette sorte ne possèdent pas de passions correspondantes, si ce n’est quant au mode de signifier seulement; par exemple lorsqu’on dit qu’une chose est connue, on ne pose aucune passion en réalité dans ce qui est connu, mais seulement un rapport selon la raison à celui qui connaît, rapport qui est signifié par le grammairien à la manière d’une passion, tout comme l’opération est signifiée à la manière d’une action; et c’est pourquoi il dit que connaître est actif et être connu est passif.

Unde dico quod praedestinatio est quaedam operatio divina, et praedestinari non ponit aliquam passionem in praedestinato, sed solum respectum quemdam secundum modum intelligendi, qui respectus relinquitur ex assimilatione sciti quae est in sciente.

Il résulte de là que je dis que la prédestination est une certaine opération divine et qu’être prédestiné ne pose pas une passion dans le prédestiné, mais seulement un certain rapport qui suit le mode de concevoir, lequel rapport est laissé à cause de la similitude de l’objet connu qui est dans celui qui connaît.

[2894] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in omnibus absolutis denominatur aliquid per id quod sibi inest: sed in relativis quandoque denominatur aliquid per id quod in ipso est, sicut pater paternitate, quae realiter in ipso est: quandoque autem denominatur eo quod solum in altero est ; sicut in illis in quorum alio est relatio secundum rem, et in alio secundum rationem tantum. Unde dicit Philosophus, Metaph., text. 20, quod scibile dicitur relativum, non quia ipsum referatur, sed quia aliud refertur ad ipsum: et ita patet quod praedestinatio secundum rem nihil est nisi in intellectu divino.

2. Il faut dire en deuxième lieu que dans tous les absolus on dénomme quelque chose par ce qui lui appartient : mais dans les relatifs quelque chose est parfois dénommé par ce qui est en lui, comme le père par la paternité, laquelle est réellement en lui ; mais parfois il est dénommé par ce qui est seulement dans l’autre, comme dans ces cas pour lesquels il y a relation réelle dans l’un mais dans l’autre seulement relation selon la raison. D’où le Philosophe [V Métaphysique, texte 20] dit que l’objet de science est dit relatif non pas parce que lui-même se rapporte ou est relatif à celui qui sait, mais parce que l’autre, celui qui sait, se rapporte ou est relatif à lui ; et c’est ainsi qu’il est clair que la prédestination n’est rien en réalité si ce n’est dans l’intelligence divine.

[2895] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod comparatio illa non attenditur absolute cognitionis duarum naturarum in Christo ad praedestinationem, sed cognitionis talis [talis om. Éd. de Parme] simul cum praedestinatione ad praedestinationem simul cum statu veteris legis: praedestinatio enim stat cum utroque. Unde dicit, quod « Melius est Nathanaeli cognoscere duas naturas in Christo quam esse praedestinatum, et manere sub umbra legis et mortis » ; ac si diceret : melius est esse praedestinatum et habere gratiam Novi Testamenti, quam esse praedestinatum et non habere gratiam Novi Testamenti: quia praedestinatio currit cum utroque testamento.

 3. Il faut dire en troisième lieu que cette comparaison ne se vérifie pas absolument de la connaissance des deux natures dans le Christ par rapport à la prédestination, mais de cette [cette om. Éd. de Parme] connaissance prise simultanément avec la predestination par rapport à la predestination prise simultanément avec la position de la loi ancienne: la predestination en effet se conserve dans les deux cas. D’où il dit que «Il est préférable à Nathanaël de connaître les deux natures dans le Christ que d’être prédestiné, et de demeurer sous l’ombre de la loi et de la mort»; c’est comme s’il disait: il est préférable d’être prédestiné et de posséder la grâce du Nouveau Testament que d’être prédestiné et ne pas posséder la grâce du Nouveau Testament: car la prédestination poursuit son cours dans les deux testaments.

[2896] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod temporale non ponitur in definitione aeterni in recto, quasi denotans substantiam aeterni ; sed in obliquo nihil prohibet poni, ut significetur respectus aeterni ad temporale: et sic gratia et gloria in definitione praedestinationis ponitur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que le temporel n’est pas posé directement dans la définition de l’éternel, comme s’il indiquait la substance de l’éternel; mais rien n’empêche qu’il y soit pose indirectement de manière à signifier le rapport de l’éternel au temporel; et c’est ainsi que la grâce et la gloire sont posées dans la définition de la prédestination.

 

 

Articulus 2 [2897] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 tit. Utrum praedestinatio pertineat ad scientiam

Article 2 – La prédestination appartient-elle à la science ?

 

[2898] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod praedestinatio ad scientiam pertineat. Quia, ut dicitur in Littera, praedestinatio sine praescientia non potest esse. Praescientia autem scientiam nominat cum ordine ad futura. Ergo praedestinatio ad scientiam pertinet.

Difficultés :

1. Il semble que la prédestination appartienne à la science. Car, ainsi qu’on le dit dans la Lettre, la prédestination ne peut exister sans la préscience. Mais la préscience nomme la science avec un rapport au futur. Donc la prédestination appartient à la science.

[2899] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 2 Item, videtur quod ad voluntatem. Dicit enim Augustinus, De predestinatione sanctorum, quod praedestinatio est propositum miserendi. Proponere autem est actus voluntatis, quia videtur idem esse quod finem determinare. Ergo videtur quod praedestinatio ad voluntatem pertineat.

 2. En outre, il semble que la predestination se rapporte à la volonté. Saint-Augustin [De la Prédestination des Saints] dit en effet que la predestination est le propos de secourir. Mais le propos est un acte de la volonté car il semble s’identifier à la determination de la fin. Il semble donc que la predestination appartienne à la volonté.

[2900] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 3 Item, videtur quod ad potentiam. Quia praeparare est actus potentiae. Sed praedestinatio est praeparatio beneficiorum Dei, ut in Littera dicitur. Ergo et cetera.

 3. De plus, il semble que la prédestination appartienne à la puissance. Car la préparation est un acte de la puissance. Mais la prédestination la préparation des bienfaits de Dieu comme on le dit dans la Lettre. Donc, etc.

[2901] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 4 Item, videtur quod sit idem quod providentia vel dispositio. Quia praedestinatio dicitur alicujus in finem directio. Sed ordo in finem pertinet ad providentiam vel dispositionem. Ergo videtur quod et praedestinatio.

 4. En outre, il semble qu’elle s’identifie à la providence ou à la disposition. Car la predestination dit la direction de quelqu’un vers sa fin. Mais l’ordre vers la fin appartient à la providence ou à la disposition. Il semble qu’il en soit aussi de même pour la predestination.

[2902] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 arg. 5 Item, videtur quod sit idem quod liber vitae. Vita enim animae est per gratiam et gloriam. Sed praedestinatio est praeparatio gratiae in praesenti et gloriae in futuro, secundum magistralem definitionem. Ergo ad librum vitae pertinet.

 5. Par ailleurs, il semble que la prédestination soit la même chose que l’arbre de vie. En effet, la vie de l’âme s’accomplit par la grâce et la gloire. Mais la prédestination est la préparation de la grâce pour le présent et de la gloire pour le futur, selon la définition du maître. La prédestination appartient donc au livre de vie.

[2903] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod praedestinatio includit in intellectu suo providentiam, et aliquid addit. Addit autem ad minus tria:

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que la predestination inclut dans sa definition la providence et y ajoute quelque chose. Mais elle ajoute au moins trois choses:

unum ex parte ipsorum praedestinatorum: quia cum providentia Dei sit respectu omnium, et specialiter quodammodo sit respectu habentium voluntatem, praedestinatio includit in se providentiam secundum illum specialem modum quo est hominum, et habentium voluntatem.

 Elle en ajoute une du côté des prédestinés eux-mêmes car puisque la providence de Dieu se rapporte à tous les êtres, et qu’elle se rapporte spécialement d’une certaine manière à ceux qui possèdent la volonté, la prédestination inclut en elle la providence d’après ce mode spécial par lequel elle se rapporte aux hommes et à ceux qui possèdent la volonté.

Secundum addit ex parte ipsius finis et eorum quae habentur ut promoventia ad finem ; cum enim providentia respiciat ordinem uniuscujusque boni ad quemlibet finem, praedestinatio est tantum respectu eorum quae sunt elevata supra facultatem naturae, ut gloriae, quae est in perfecta Dei fruitione, et gratiae promoventis in ipsam ; unde dicit Damascenus, quod praedestinatio est eorum quae non sunt in nobis.

 Elle en ajoute une deuxième du côté de la fin elle-même et de ce qui est possédé pour progresser vers la fin; en effet, puisque la providence se rapporte à l’ordre de chaque bien vers la fin, la prédestination se rapporte seulement à ce qui est élevé au-dessus des capacités naturelles, comme c’est le cas pour la gloire qui consiste dans la parfaite jouissance de Dieu, et pour la grâce qui contribue à progresser vers elle; c’est pourquoi Damascène dit que la prédestination se rapporte à ce qui n’est pas en nous.

Tertium addit ex parte ipsius praedestinantis, ex cujus parte videtur duo addere:

primo, quia providentia est quaedam [idem quod Éd. de Parme] ars gubernationis rerum, quae secundum rationem sui nominis potest salvari in speculatione tantum ; sed praedestinatio importat providentiam, secundum quod est ordinata ad executionem operis per voluntatem ; et ideo definitur per propositum et per praeparationem:

secundo addit praescientiam exitus ex parte ejus quod providetur ; unde potest aliquid ab ordine providentiae quantum ad id quod intentum est, exire ; sicut Deus vult omnes homines salvos fieri, licet non omnes salventur: non autem ab ordine praedestinationis. Dicit enim praedestinatio intentionem divinam de salute istius cum praescientia ejus quod salvabitur ; et ideo dicitur, quod est praescientia et praeparatio.

 Elle ajoute une troisième chose du côté de celui-là même qui prédestine et cela de deux manières : premièrement, parce que la providence est [identique à Éd. de Parme] un certain art de gouverner les choses, qui d’après la signification de son nom peut être conservé dans une considération purement spéculative, mais que la prédestination implique la providence en tant qu’elle est ordonnée à l’exécution de l’œuvre par la volonté, c’est pourquoi elle se définit par le propos et par la préparation ; deuxièmement, elle ajoute la préscience du résultat du côté de celui qui est pourvu ; d’où quelque chose peut résulter de l’ordre de la providence quant à ce qui est recherché : par exemple, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, bien que tous ne le soient pas mais non en raison de l’ordre de la prédestination. En effet, la prédestination dit l’intention de Dieu au sujet du salut de celui-ci avec la préscience de celui qui sera sauvé ; et c’est pourquoi d’elle qu’elle est une préscience et une préparation.

[2904] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 1 Unde patet solutio ad primum ; quia non tantum ponitur praescientia in ejus definitione.

 Solutions:

1. Et de là résulte la solution à la première difficulté car ce n’est pas seulement la prescience qui est posée dans sa definition.

[2905] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod propositum non simpliciter nominat actum voluntatis, sed praesupponit actum cognitionis ostendentis finem in quem voluntas tendit.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que le propos ne nomme pas purement et simplement un acte de la volonté, mais il presuppose l’acte de la connaissance qui manifeste la fin vers laquelle la volonté tend.

[2906] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praeparatio quae ponitur in definitione praedestinationis, non est secundum executionem in opus, sed intelligitur secundum propositum divinae voluntatis.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la preparation qui est placée dans la definition de la predestination n’est pas prise en tant qu’elle entre dans l’exécution de l’oeuvre mais elle s’entend selon le propos de la volonté divine.

[2907] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedestinatio est quidam modus providentiae ; sed addit aliqua specialia super eam, ut dictum est, in corp. art.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la prédestination est une certaine sorte de providence, mais elle y ajoute certaines notions particulières, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article.

[2908] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod liber vitae metaphorice dicitur. Sicut enim in libro aliquid scribitur, ex quo in eo veritas rei intelligitur ; ita etiam in intellectu describuntur similitudines rerum, per quas res cognoscuntur ; unde intellectus possibilis ante intelligere comparatur tabulae in qua nihil est scriptum, in III de anima, text. 14.

5. Il faut dire en cinquième lieu que c’est par métaphore qu’on parle du livre de vie. En effet, tout comme dans un livre quelque chose est écrit à partir de quoi on conçoit la vérité de la chose, de même aussi dans l’intelligence sont représentées les similitudes des choses par lesquelles les choses sont connues ; c’est pourquoi l’intellect possible, avant l’acte d’intellection, est comparé à la tablette sur laquelle rien n’est écrit comme le dit le Philosophe [111 De l’Âme, texte 14].

Cum ergo dicitur liber vitae in Deo, potest sumi vita vel ex parte Dei intelligentis ; et sic praescientia creaturarum dicitur liber vitae, quia Quod factum est in ipso vita erat ; Joan. 1, 3: vel ex parte rei scitae ; et sic dicitur liber vitae praescientia vitae quae est in conformitate ad Deum.

 Donc, lorsqu’on parle du livre de vie en Dieu, on peut le prendre soit du côté de Dieu qui conçoit ; et en ce sens la préscience des créatures est appelée le livre de vie car l’Écriture [Jean, 1, 3] dit : Ce qui a été fait avait la vie ne Lui ; soit du côté de la chose connue et en ce sens on appelle livre de vie la préscience de la vie qui est conforme à Dieu.

Haec autem est duplex ; scilicet vita gratiae, et vita gloriae, quae ad perfectam conformitatem accedit. Unde cujus talis vita repraesentatur in libro divinae praescientiae, dicitur simpliciter scribi in libro vitae ; secundum quid autem, scilicet quantum ad praesentem justitiam, dicitur ibi scribi, cujus vita gratiae tantum ibi cognoscitur. Et etiam quodammodo dicuntur ibi scribi opposita horum, scilicet gloriae et gratiae inquantum per hoc cognoscuntur.

 Mais cette dernière est de deux sortes : à savoir la vie de la grâce, et la vie de la gloire qui parvient à une parfaite conformité à Dieu. D’où il suit qu’on dit de celui dont une telle vie est représentée dans le livre de la préscience divine qu’il est purement et simplement écrit dans le livre de vie ; mais on dit qu’y est écrit seulement sous un certain rapport, c’est-à-dire quant à la justice présente, celui dont la vie de la grâce seulement y est connue. Et on dit même en un certain sens qu’y sont écrits leurs opposés, c’est-à-dire ceux de la gloire et de la grâce dans la mesure où ces dernières sont connues par eux.

Sic ergo patet quod liber vitae est medium inter praescientiam communiter sumptam et praedestinationem: quia praescientia est communiter omnium, sed liber vitae est tantum cognitio gratiae vel gloriae ; sed praedestinatio est non tantum gratiae, sed gratiae simul et gloriae. Unde nullus dicitur esse praedestinatus quantum ad praesentem justitiam, sicut dicitur scriptus in libro vitae ; et super hoc addit praedestinatio propositum voluntatis.

 Ainsi donc il est clair que le livre de vie est un intermédiaire entre la préscience prise universellement et la prédestination : car la préscience se rapporte communément à tous mais le livre de vie est seulement la connaissance de la grâce ou de la gloire ; mais la prédestination est non seulement la connaissance de la grâce, mais simultanément celle de la grâce et de la gloire. D’où il résulte qu’on ne dira de personne qu’il est prédestiné quant à la justice présente comme le dit ce qui est écrit dans le livre de vie car la prédestination ajoute à cela le propos de la volonté.

 

 

Quaestio 2

Question 2 – [L’objet de la prédestination]

 

 

[2909] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 tit. Quorum sit praedestinatio

Article 1 – Qui est concerné par la prédestination ?

 

[2910] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur, quorum sit praedestinatio. Et videtur quod sit tantum eorum qui sunt. Praedestinatio enim significat missionem quamdam. Sed nihil mittitur nisi quod est. Ergo praedestinatio est tantum entis.

 Difficultés :

1. Il semble que la prédestination ne concerne que ceux qui existent. La prédestination en effet signifie une certaine mission. Mais toute mission s’addresse à ceux qui existent. La prédestination ne s’addresse donc qu’à ceux qui existent.

[2911] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, quod non est, non potest ad aliquid praeparari. Sed praedestinatio est praeparatio quaedam. Ergo videtur quod non sit non entium.

 2. Par ailleur, ce qui n’existe pas ne peut être préparé pour quelque chose. Mais la prédestination est une certaine préparation. Il semble donc qu’elle ne concerne pas ceux qui n’existent pas.

[2912] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 3 Item, videtur quod non sit Angelorum. Quia, secundum Augustinum, praedestinatio est propositum miserendi. Sed Angeli nunquam fuerunt miseri. Cum igitur misericordia, ut dicit Bernardus, [ut …Bernardus om. Éd. de Parme] miseriam respiciat, videtur quod eis praedestinari non competit.

3. En outre, il semble qu’elle ne concerne pas les Anges. Car selon Saint-Augustin, la prédestination est le propos de secourir. Mais les Anges ne furent jamais dans la misère. Donc, puisque la miséricorde, comme le dit Saint-Bernard [comme … Bernard om. Éd. de Parme] se rapporte à la misère, il semble qu’il ne convienne pas aux Anges d’être prédestinés.

[2913] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 4 Item, videtur quod nec beatis, qui sunt in gloria. Quia quod est in fine ultimo, non potest dirigi in aliud [illud Éd. de Parme]. Sed beati sunt in suo fine ultimo. Ergo eis non competit praedestinari.

 4. De plus, il semble que la predestination ne s’applique pas non plus aux bienheureux qui sont dans la gloire. Car ce qui est parvenu à la fin ultime n’a plus besoin d’être dirigé vers autre chose [vers elle Éd. de Parme]. Mais les bienheureux sont parvenus à leur fin ultime. Il ne leur appartient donc plus d’être prédestinés.

[2914] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 5 Item, videtur quod nec Filio Dei. Quia praedestinatio importat antecessionem quamdam, sicut et praescientia. Sed respectu Filii Dei, cum sit aeternus, non potest designari aliqua antecessio. Ergo filio Dei praedestinari non competit.

 5. En outre, il semble qu’elle ne s’applique pas au Fils de Dieu. Car la prédestination implique un certain antécédent, tout comme la préscience. Mais aucun antécédent ne peut être identifié par rapport au Fils de Dieu puisqu’il est éternel. Il ne convient donc pas au fils de Dieu d’être prédestiné.

[2915] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 6 Sed e contrario videtur quod praedestinatio sit omnium hominum. Quia Deus, secundum Dionysium, cap. IV, De div. nom., col. 694, aequaliter se habet ad omnia. Ergo si aliquibus ipse praeparat gratiam, et omnibus. Sed praedestinatio est gratiae praeparatio. Ergo si aliquos praedestinat, et omnes praedestinat.

 6. Mais au contraire il semble que la prédestination s’applique à tous les hommes. Car Dieu, d’après Denys [Les Noms Divins, ch. IV, col. 694], se présente de la même manière à l’égard de tous. Si donc Dieu prépare la grâce pour certains, il la prépare aussi pour tous. Mais la prédestination est la préparation de la grâce. Donc, si Dieu prédestine certains, il les prédestine tous.

[2916] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 arg. 7 Praeterea, sicut dirigimur in bona gratiae a Deo, ita et in bona naturae ; quia omne bonum nostrum ab ipso est. Sed bona naturae omnibus largitur, bonis et malis, ut habetur Matth. 5. Cum ergo praedestinatio sit directio in finem (finis autem est bonum) videtur quod praedestinatio sit omnium.

 7. Par ailleurs, tout comme nous sommes conduits par Dieu vers les biens de la grâce, de même nous sommes conduits par Lui vers les biens de la nature car tous nos biens nous viennent de Lui. Mais il distribue à tous les biens de la nature, aux bons comme aux méchants, comme le dit l’Écriture [Matthieu, 5]. Donc, puisque la prédestination est une direction vers la fin (et que la fin est le bien), il semble que la prédestination s’adresse à tous.

[2917] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod praedestinatio dicitur esse aliquorum dupliciter: vel sicut finis et conferentium ad finem ; et sic dicitur esse gratiae et gloriae ; vel eorum qui finem consequuntur ; et sic est omnium qui gloriam per Dei gratiam adipiscuntur. Utrumque autem ex nomine praedestinationis accipi potest, in quo conjungitur actus destinationis cum hac praepositione prae per compositionem advenientem

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la prédestination concerne certaines choses de deux manières : soit en tant que fin et en tant que ce qui contribue à progresser vers la fin et en ce sens on dit de la prédestination qu’elle concerne la grâce et la gloire ; soit en tant qu’elles découlent de la fin et en ce sens elle concerne tous ceux qui ont atteint la gloire par la grâce de Dieu. Mais on peut entendre l’une et l’autre à partir du nom de prédestination, dans lequel est uni l’acte de destination à la préposition ¨pré¨ par la composition qui lui advient.

Destinare autem significat directionem alicujus in aliquid, sicut nuntii. Dicitur etiam alio modo destinare, ut habetur II Machab., VI, 20: Eleazarus destinavit non admittere illicita propter vitae amorem. Sed haec significatio videtur deducta ex prima ; quod enim proponitur, dirigitur in executionem operis. Illud autem proprie dicitur dirigi in aliquid quod non habet in se unde in illud vadat: et ideo proprie in illa dicitur praedestinatio quae homo ex naturalibus suis consequi non potest, scilicet gratiam et gloriam.

 

 Mais destiner signifie la direction d’un être vers quelque chose, comme celle du messager. Mais ¨destiner¨ se dit aussi en un autre sens, comme le dit l’Écriture [11 Maccabés,  VI, 20] : Éléazar se proposa de n’admettre aucune chose illicite par amour de la vie. Mais cette signification semble découler de la première ; en effet, ce qu’on se propose, on le conduit à l’exécution d’une œuvre. Mais on dit à proprement parler qu’est dirigé vers quelque chose ce qui ne possède pas en soi ce qui lui faut pour marcher vers ce quelque chose : et c’est pourquoi on dit que la prédestination concerne proprement les réalités auxquelles l’homme ne peut parvenir à partir de ses capacités naturelles, à savoir la grâce et la gloire.

Et ideo dicit Damascenus, ubi supra, quod praedestinatio est eorum quae non sunt in nobis. Et ideo quidquid non potest consequi gratiam et gloriam, illud non praedestinatur ; sed illi tantum praedestinari dicuntur qui consecuturi sunt gloriam per gratiam. Sed haec praepositio prae importat antecessionem, quae diversimode diversis convenit. Invenitur enim in praedestinatione hominis antecessio aeternitatis ad naturam, et naturae ad gratiam, et gratiae ad gloriam.

 Et c’est pourquoi Damascène dit, où nous l’avons cité plus haut, que la prédestination se rapporte à ce qui n’est pas en notre pouvoir. Et c’est pourquoi ce qui ne peut rechercher la grâce et la gloire n’est pas prédestiné, mais seuls peuvent être appelés prédestinés ceux qui peuvent poursuivre la gloire par la grâce. Mais cette préposition ¨pré¨ implique une antécédence qui convient différemment à différents êtres. On retrouve en effet dans la prédestination de l’homme une antécédence de l’éternité à la nature, de la nature à la grâce et de la grâce à la gloire.

In Angelo autem invenitur antecessio aeternitatis ad naturam, et naturae ad gratiam, secundum eos qui ponunt Angelos tantum in naturalibus creatos, sed secundum eos, [secundum eos, om. Éd. de Parme] non gratiae ad gloriam duratione. Secundum autem alios, qui ponunt Angelos in gratia creatos, non invenitur antecessio naturae ad gratiam secundum durationem, sed gratiae ad gloriam. In Christo autem non invenitur antecessio aeternitatis ad personam, sed tantum ad alteram naturarum [naturam Éd. de Parme] ; nec naturae ad gratiam, nec gratiae ad gloriam, quantum ad fruitionem, sed solum quantum ad impassibilitatem animae et dotes corporis ; et sic diversimode praedestinatio diversis convenit.

 Mais chez l’Ange on retrouve une antériorité de l’éternité à la nature et de la nature à la grâce chez ceux qui posent l’Ange seulement dans les créatures naturelles, mais non de la grâce à la gloire par la durée d’après eux [d’après eux om. Éd. de Parme]. Mais selon d’autres qui posent que les Anges sont créés dans la grâce, on ne retrouve pas chez eux une antériorité de la nature à la grâce selon la durée, mais de la grâce à la gloire. Mais chez le Christ on ne retrouve pas une antériorité de l’éternité a la personne, mais seulement à l’autre des natures [à l’autre nature Éd. de Parme], ni de la nature à la grâce, ni de la grâce à la gloire, quant à la jouissance, mais seulement quant à l’impassibilité de l’âme et aux qualités corporelles; et c’est ainsi que la prédestination convient différemment à différents êtres.

[2918] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illi qui non sunt nec erunt, non praedestinantur ; sed illi qui erunt, quamvis non sint, quos Deus scientia visionis cognoscit ; et quamvis ipsi non dirigantur actu in aliquid, ut in propria natura existentes, tamen praediriguntur in finem, prout sunt in Dei praescientia.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que ceux qui n’existent pas et n’existeront pas ne sont pas prédestinés ; mais ceux qui existeront, bien qu’ils n’existent pas encore, Dieu les connaît par sa science de vision ; et bien qu’eux-mêmes ne soient pas dirigés en acte vers leur fin en tant qu’existant dans leur nature propre, cependant ils sont comme prédirigés vers leur fin selon qu’ils existent dans la préscience de Dieu.

[2919] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod est duplex praeparatio. Quaedam materiae, secundum quod disponitur ad recipiendum formam ; et sic non praeparatur nisi quod est. Quaedam autem est praeparatio agentis, ut sit agens ; et ista sicut est in naturalibus, inquantum agens acquirit dispositionem per quam agat, ita est in artifice, secundum quod concipit formam artificiati, et proponit eam exequi in opere ; et talis praeparatio est in Deo etiam respectu futurorum.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’il y a deux sortes de préparation. Il y en a une qui est matérielle, selon laquelle la matière est disposée à recevoir la forme ; et en ce sens il n’y a que ce qui existe qui puisse être préparé. Mais il y a aussi une préparation de l’agent en tant qu’agent ; et cette préparation, tout comme on la trouve dans les êtres naturels dans la mesure où l’agent acquiert la disposition par laquelle il agit, de même on la trouve aussi chez l’artisan, selon qu’il conçoit la forme de l’œuvre et qu’il se propose de l’exécuter dans une œuvre extérieure ; et une telle préparation existe aussi en Dieu par rapport aux êtres futurs.

[2920] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illa definitio data est de praedestinatione inquantum respicit statum praesentis miseriae, et non de ipsa absolute. Vel potest dici, quod misereri sumitur hic non pro amotione miseriae prius habitae, sed pro collatione eorum sine quibus miseria esset, et praecipue quae sola gratuita voluntate conferuntur.

 3. Il faut dire en troisième lieu que cette définition a été donnée au sujet de la prédestination selon qu’elle se rapporte à la condition de la misère présente et non au sujet de la prédestination prise absolument. Ou bien on pourrait encore dire qu’être l’objet de la miséricorde ne se prend pas ici dans le sens d’être retiré d’une misère dont on a été atteint antérieurement, mais pour la réunion de tous les dons sans lesquels il y aurait misère, et surtout de ceux qui sont attribués par la seule volonté gratuite.

[2921] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praedestinatus potest accipi dupliciter. Vel participialiter secundum quod consignificat tempus praeteritum ; et sic existentes in patria sunt praedestinati ; quia quod semel est praeteritum, semper erit praeteritum. Vel alio modo potest sumi naturaliter [neutraliter Éd. de Parme] ; et sic non proprie possunt dici praedestinati nisi secundum quod diriguntur in continuitatem beatitudinis ; quod tamen non proprie dicitur ; quia beatitudo [beatitudo om. Éd. de Parme] extensionem successionis non habet.

4. Il faut dire en quatrième lieu que ¨prédestiné¨ peut se prendre en deux sens. Soit en tant que participe selon qu’il consignifie le temps passé ; et en ce sens ceux qui existent dans la patrie sont prédestinés car ce qui une fois a été passé sera toujours passé. Ou bien en un autre sens il peut se prendre en tant que nom [au neutre Éd. de Parme], et en ce sens ne peuvent être appelés proprement prédestinés que ceux qui sont dirigés dans la continuité de la béatitude ; cependant cela ne se dit pas proprement parce que la béatitude [béatitude om. Éd. de Parme] ne comporte pas une extension de la succession.

[2922] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quamvis non possit designari aliqua antecessio ad personam Filii Dei absolute, potest tamen designari ad naturam humanam, vel ad personam, secundum quod in tali natura subsistit. Sed hoc habet quaeri magis in III dist. II, art. 3.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que bien qu’on ne puisse désigner une antériorité absolue à l’égard de la personne du Fils de Dieu, cependant on peut en désigner une à l’égard de la nature humaine ou à l’égard de la personne selon qu’il subsiste dans une telle nature. Mais cela doit davantage faire l’objet d’une recherche [L. 111, dist. 11, art. 3].

[2923] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis Deus, quantum in se est, aequaliter se habeat ad omnes, non tamen aequaliter se habent omnes ad ipsum ; et ideo non aequaliter omnibus gratia praeparatur.

6. Il faut dire en sixième lieu que bien que Dieu, quant à lui, se présente d’une manière égale à l’égard de tous les êtres, mais eux ne se présentent pas également à son égard ; et c’est pourquoi la grâce n’est pas préparée de manière égale pour tous.

[2924] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 2 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod praedestinatio est proprie eorum quae sunt elevata super facultatem naturae, ut dictum est, in corp. art.: et ideo non oportet quod omnium sit praedestinatio qui a Deo bona naturalia percipiunt, sed eorum quibus gratia et gloria praeparatur.

 7. Il faut dire en septième lieu se rapporte proprement à ce qui est élevé au-dessus des facultés naturelles, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article : et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas que la prédestination s’adresse à tous ceux qui reçoivent de Dieu les biens naturels, mais seulement à ceux pour qui la grâce et la gloire sont préparés.

 

 

Quaestio 3

Question 3 – [La certitude de la prédestination]

 

 

 [2925] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 tit. Utrum praedestinatio sit certa

Article 1 – La prédestination est-elle certaine ?

 

[2926] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 1 Deinde quaeritur de certitudine praedestinationis. Et videtur quod non sit certa. Dicitur enim Apoc. III, 2: Tene quod habes, ne alius accipiat coronam tuam. Aut hoc intelligitur de corona praesentis justitiae, aut de corona gloriae. Sed non de corona praesentis justitiae ; quia gratia quam quis habet, eo peccante destruitur, nec de subjecto in subjectum mutatur. Ergo intelligitur de corona gloriae. Sed gloria non est alicujus in statu viae nisi quia est sibi praedestinata. Ergo videtur quod unus possit accipere hoc quod alii praedestinatum est ; et ita praedestinatio certitudinem non habet.

 Difficultés :

1. Il semble que la prédestination ne soit pas certaine. L’Écriture [Apocalypse, 111, 2] : Tiens fermement ce que tu possèdes afin qu’un autre ne prenne pas ta couronne. Ou bien cela s’entend de la couronne de la justice présente ou bien de la couronne de gloire. Mais cela ne s’entend pas de la couronne de la justice présente ; car la grâce que quelqu’un possède est détruite s’il vient à pécher et ne passe pas d’un sujet à un autre. Cela s’entend donc de la couronne de gloire. Mais la gloire n’appartient à quelqu’un dans la condition de cette vie que parce qu’elle lui est prédestinée. Il semble donc que l’un puisse recevoir cela même qui est prédestiné à un autre ; et ainsi la prédestination n’a pas de certitude.

[2927] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 2 Praeterea, Gregorius in Moralibus, lib. XXV, c. VIII, dicit, quod aliis cadentibus, in eorum locum alii succedunt. Sed locus gloriae non potest dici eorum, nisi quia est eis praedestinatus. Ergo idem quod prius.

 2. Par ailleurs, Saint-Grégoire [Des Questions Morales, livre XXV, ch.  VIII] dit que les uns ayant tombé, d’autres leur succèdent en leurs lieux. Mais on ne peut dire que le lieu de gloire est à eux que parce qu’il leur est prédestiné. Il faut donc conclure comme nous l’avons fait précédemment.

[2928] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, in Psal. LXVIII, 12, dicitur: Deleantur de libro viventium. Sed non potest deleri de libro quod ibi scriptum non est. Cum ergo praedestinatio sit liber vitae, ut dictum est, videtur quod aliquid a praedestinatione possit deficere: et ita non erit certa.

 3. En outre, l’Écriture [Psaume LXVIII, 12] dit : Qu’ils soient effacés du livre des vivants. Mais ce qui n’est pas écrit dans un livre ne peut en être effacé. Donc, puisque la prédestination est le livre de vie, comme nous l’avons dit, il semble que quelque chose puisse échapper à la prédestination et ainsi elle n’est pas certaine.

[2929] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, eorum quae non sunt determinata nec in se nec in causis suis, non potest esse certitudo. Sed motus liberi arbitrii, quod est causa ad utrumlibet, non sunt determinati nec in se nec in suis causis, antequam sint. Ergo cum effectus praedestinationis expleatur motibus liberi arbitrii, quae sunt opera meritoria, videtur quod praedestinatio nullam certitudinem habeat.

 4. De plus, il ne peut y avoir certitude pour ce qui n’est déterminé ni en soi-même ni dans ses causes. Mais les mouvements du libre arbitre, lequel est une cause dans un sens ou dans un autre, ne sont déterminés ni en eux-mêmes ni en leurs causes avant d’exister. Donc, puisque les effets de la prédestination s’accomplissent par les mouvements du libre arbitre que sont les œuvres méritoires, il semble que la prédestination ne possède aucune certitude.

[2930] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis certa cognitio posita de necessitate concludit cognitum. Sed illud quod est aeternum, cum sit in omni tempore, potest in quocumque tempore poni. Cum igitur praedestinatio sit aeterna, potest poni aliquis praedestinatus antequam salvetur. Ergo potest concludi, iste salvabitur, sicut verum. Sed si futurum contingens esset verum, tunc accideret de necessitate, ut probat Philosophus, I Periher, cap. ult.. Ergo sequeretur quod iste ex necessitate salvaretur, et quod non posset non salvari ; et sic liberum arbitrium periret, quod est impossibile: et impossibile non sequitur nisi ex impossibili. Ergo videtur quod impossibile sit praedestinationem certitudinem habere ; quia alia probata sunt possibilia esse.

 5. Par ailleurs, de toute connaissance certaine est nécessairement conclu un connu. Mais ce qui est éternel, puisqu’il contient tout temps, peut être posé en tout temps. Donc, puisque la prédestination est éternelle, on peut poser que quelqu’un est prédestiné avant d’être sauvé. On peut donc conclure comme vrai que celui-ci sera sauvé. Mais si un futur contingent était vrai, alors il se produirait nécessairement comme le prouve le Philosophe [1 Peri Hermeneias, ch. dernier]. Il s’enssuivrait donc que celui-ci serait nécessairement sauvé et qu’il ne pourrait pas ne pas être sauvé ; en conséquence, le libre arbitre serait détruit, ce qui est impossible, et l’impossible ne peut découler que de l’impossible. Il semble donc impossible que la prédestination possède une certitude parce qu’on a prouvé que d’autres choses sont possibles.

[2931] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra, praedestinatio in sui ratione includit praescientiam. Sed ipse Deus habet certam cognitionem de omnibus quae cognoscit, ut supra, dist. XXXVI, quaest. 1, art. 3, habitum est. Ergo videtur quod praedestinatio sit certa.

 Cependant :

1. La prédestination inclut la préscience dans sa définition. Mais Dieu lui-même possède une connaissance certaine de tout ce qu’il connaît comme nous l’avons établi plus haut [dist. XXXVI, quest. 1, art. 3]. Il semble donc que la prédestination soit certaine.

[2932] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidam dixerunt quod Deus non cognoscit futura contingentia nisi secundum quod sunt, scilicet sciens ea esse contingentia, sicut necessaria esse necessaria. Sed hoc improbat Boetius, De consol., lib. V, prosa ult., col. 858 : quia secundum hoc sequeretur quod Deus non plus cognosceret de salute hominum futura quam homo, qui scit etiam eam contingentem. Unde alii dixerunt, quod praedestinatio habet certitudinem, ita quod numerus salvandorum apud Deum est certus, accipiendo numerum quo numeramus, scilicet quod salvabuntur centum vel mille, et sic de aliis.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que certains ont dit que Dieu ne connaît les futurs contingents que selon ce qu’ils sont, c’est-à-dire en sachant qu’ils sont contingents, tout comme il sait que ce qui est nécessaire est nécessaire. Mais Boèce [De la Consolation, livre V, prose dernière, col. 858] a réfuté cela parce que suivant cela il s’ensuivrait que Dieu n’en connaîtrait pas plus que l’homme au sujet du salut futur des hommes, l’homme sachant lui aussi que ce salut est contingent. C’est pourquoi d’autres ont dit que la prédestination possède une certitude de telle manière que le nombre des sauvés auprès de Dieu est certain, en entendant par ¨nombre¨ celui par lequel nous comptons, à savoir qu’il y en aura cent ou mille à être sauvés.

Non autem certus est numerus materialiter sumptus, scilicet quo ad supposita ; quia isti homines possunt et salvari et non salvari. Sed hoc est attribuere Deo imperfectam cognitionem. Si enim cognoscit quod tot salvabuntur, et non quod isti ; imperfecta est ejus cognitio, et in universali tantum. Si autem cognoscit quod etiam isti, oportet hoc certum esse ; quia cognitio ejus incerta esse non potest, sicut nec falli [falsa Éd. de Parme].

 Mais le nombre pris matériellement, c’est-à-dire celui par lequel il n’est appliqué qu’au nombre de suppôts, n’est pas certain ; car ces hommes-ci peuvent à la fois être sauvés et ne pas être sauvés. Mais dire cela, c’est attribuer à Dieu une connaissance imparfaite. Si en effet il connaît que tant d’hommes seront sauvés mais non pas si tel ou tel autre le sera, il ne connaît que dans l’universel. Mais s’il connaît aussi que tels serons sauvés, il faut que cela soit certain ; car sa connaissance ne peut être incertaine, tout comme elle ne peut faillir [être fausse, Éd. de Parme].

Et ideo dicendum est, quod numerus praedestinatorum utroque modo acceptus, scilicet et formaliter et materialiter, certus est Deo, sed incertus est nobis. Nec tamen ista certitudo necessitatem salvandis imponit ; quod patet ex his quae dicta sunt. Praedestinatio enim includit in suo intellectu praescientiam, et providentiam salutis omnium. Providentia autem, ut dictum est, quamvis sit omnium, non tamen omnia necessario contingunt, sed secundum conditionem causarum proximarum, quarum naturas et ordinem providentia et praedestinatio salvat.

 Et c’est pourquoi il faut dire que le nombre des prédestinés, pris dans les deux sens, à savoir formellement et matériellement, est connu de Dieu avec certitude, mais d’une manière incertaine de nous. Et cependant cette certitude de Dieu n’impose aucune nécessité à ceux qui doivent être sauvés, ce qui est évident en partant de ce que nous avons dit. La prédestination en effet inclut dans sa définition la préscience et la providence du salut de tous. Mais la providence, comme nous l’avons dit, bien qu’elle s’adresse à toutes les choses, ce ne sont cependant pas toutes les choses qui se produisent nécessairement, mais elles se produisent suivant les conditions des causes prochaines dont la providence et la prédestination conservent les natures et l’ordre.

Praescientia etiam non imponit necessitatem rebus nec inquantum est causa, cum sit causa prima, cujus conditionem effectus non habet, sed causae proximae ; nec ratione adaequationis ad rem scitam quae ad rationem veritatis et certitudinis scientiae exigitur, quia adaequatio ista attenditur scientiae Dei ad rem non secundum quod est in causis suis, in quibus est ut possibile futurum tantum, sed ad ipsam rem, secundum quod habet esse determinatum, prout est praesens, et non futurum: et hoc supra, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 5, expositum est ; et ita patet quod certitudo praedestinationis nullam necessitatem salvandis imponit.

 La préscience non plus n’impose une nécessité aux choses, ni en tant que cause car elle est la cause première dont l’effet ne prend pas la condition mais il prend plutôt celle de la cause seconde ; ni en raison de l’adéquation à la chose connue qui est exigée à cause de la vérité et de la certitude de la science, parce que cette adéquation se vérifie de la science de Dieu à la chose non pas selon qu’elle existe dans ses causes dans lesquelles elle existe comme un futur possible seulement, mais à la chose elle-même selon qu’elle possède une existence déterminée en tant que présente et non en tant que future : et cela a été expliqué plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 5] ; et ainsi il est clair que la prédestination n’impose aucune nécessité à ceux qui doivent être sauvés.

[2933] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod utroque modo potest exponi. Si enim intelligatur de corona praesentis justitiae, dicitur coronam ejus alius accipere, dum opera ipsius in caritate facta, quae sibi et aliis proderant, secundum quod Spiritus caritatis facit communia merita sanctorum, ipso peccante sibi prodesse desinunt ad meritum vitae aeternae ; eorum tamen fructus in illis manet qui in gratia perseverant ; non autem ita quod eadem numero gratia quae est in uno, ipso peccante, in altero fiat. Et similiter exponitur, si intelligitur de corona futurae gloriae ; quia sancti in patria existentes gaudent de omnibus meritis sanctorum qui in mundo sunt. Unde aliquo peccante, cujus multa merita praecesserunt, gaudium illorum meritorum in aeternum manebit in beatis, quod ipse peccando amisit ; non ita quod gloria quae praedestinata est uni, alteri detur. Dicitur tamen: Ne alius accipiat coronam tuam, non ad excludendum praedestinationis certitudinem, sed ad ostendendam arbitrii libertatem.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que le terme ¨couronne¨ peut être expliqué dans les deux sens. S’il s’entend en effet de la couronne de la justice présente, on dit qu’un autre en reçoit la couronne, aussi longtemps que ses oeuvres sont faites dans la charité, lesquelles étaient utiles à lui et aux autres selon que l’Esprit d’amour rend communs les mérites des saints; mais à celui-là même qui a péché elles cessent d’être utiles au mérite de la vie éternelle; cependant leurs fruits demeurent chez ceux qui persévèrent dans la grâce, non pas cependant de telle manière que ce soit la même grâce numériquement parlant qui est dans l’un, lorsqu’il commet le péché, qui passe dans un autre. Et il s’explique semblablement si on entend ce terme de la couronne de gloire; car les saints qui existent dans la patrie se réjouissent de tous les mérites des saints qui sont dans le monde. D’où il suit qu’un tel ayant péché dont les mérites passés sont nombreux, la joie de ces mérites, que ce dernier a perdus en péchant, demeurera éternellement chez les bienheureux; non pas cependant de telle manière que la gloire qui était destinée à l’un soit donnée à l’autre. Cependant lorsqu’on dit: Afin qu’un autre ne prenne pas ta couronne, ce n’est pas pour exclure la certitude de la prédestination, mais pour manifester la liberté de jugement ou de décision.

[2934] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dictum Gregorii non intelligitur de loco qui sanctis praedestinatus est, sed de loco quem tenent in Ecclesia per statum praesentis justitiae ; quia Ecclesia nunquam destituitur existentibus in gratia ; unde peccantibus quibusdam, alii in gratiam a Domino advocantur.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que les paroles de Saint-Grégoire ne s’entendent pas du lieu qui est prédestiné aux saints, mais du lieu qu’ils tiennent dans l’Église par la condition de la justice présente, car l’Église n’est jamais abandonnée par ceux qui existent dans la grâce; d’où il suit que, certains ayant péché, d’autres sont appelés à la grâce par le Seigneur.

[2935] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praedestinatio est liber vitae secundum quod dicitur in eo aliquid scribi non solum quantum ad praesentem justitiam, sed etiam quantum ad futuram gloriam ; et sic nullo modo potest dici aliquis deleri de libro vitae ; sed illud quod est ibi scriptum quantum ad praesentem justitiam tantum, dicitur deleri, non mutatione facta ex parte libri, ut aliquid in eo fuerit, quod postmodum non sit ; sed ex parte illius qui in libro scriptus dicitur, inquantum scilicet ipse mutatur a statu praesentis justitiae ; et sic vita ejus non repraesentatur ut praesens, sed ut praeterita.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la prédestination est le livre de vie selon qu’on dit qu’en lui quelque chose est écrit non seulement quant à la justice présente, mais aussi quant à la gloire future; et en ce sens en aucune manière on ne peut dire que quelqu’un soit effacé du livre de vie; mais on dit qu’est effacé ce qui y est écrit quant à la justice présente seulement, non pas en raison d’un changement fait du côté du livre de telle manière qu’il y avait quelque chose avant qui ne s’y trouve plus par la suite, mais en raison d’un changement du côté de celui dont on dit qu’il est écrit dans le livre, c’est-à-dire pour autant que lui-même s’est écarté de la condition de la justice présente; et ainsi sa vie ne s’y trouve plus représentée en tant que présente mais en tant que passé.

[2936] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod contingens futurum, ut motus liberi arbitrii, quamvis non sit determinatum in causa sua, est tamen determinatum in esse suo secundum quod est actu ; et sic subjacet certitudini praescientiae, sicut supra dictum est de futuris contingentibus, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 5.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que le futur contingent, comme le mouvement du libre arbitre, bien qu’il ne soit pas déterminé dans sa cause, est cependant déterminé dans son existence selon qu’il est en acte ; et en ce sens il est soumis à la certitude de la préscience comme nous l’avons dit plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 5] au sujet des futurs contingents.

[2937] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod illud quod mensuratur aeternitate, est simul cum omni tempore, ita tamen quod nullo eorum mensuratur ; et ideo actus divinae praescientiae non potest poni ita esse nunc, quasi mensuretur per praesens tempus, ut ordinem praesentis ad futurum ad suum scitum habeat ; sed ad omne tempus et ad omne scitum habet ordinem praesentis ad praesens. Unde cum dicitur, Deus praescit hoc, non intelligitur quod hoc sit futurum respectu divinae scientiae, sed respectu hujus temporis in quo profertur: et ideo oportet hujusmodi verba et participia dicta de Deo a determinatione temporis absolvere, ut consignificent nunc aeternitatis, et non temporis ; alias inevitabiliter sequitur error.

 5. En cinquième lieu il faut dire que tous ceux qui sont mesurés par l’éternité sont simultanés à tout temps de telle manière cependant qu’aucun d’eux ne soit mesuré par lui ; et c’est pourquoi on ne peut affirmer que l’acte de la préscience divine soit dans le moment présent de telle manière que, comme mesuré par le temps présent, il présente un ordre du présent au futur à l’égard de l’objet connu ; mais par rapport à tout temps et à tout objet connu il présente l’ordre du présent au présent. D’où il suit que lorsqu’on dit que Dieu a la préscience de telle chose, on n’entend pas que cela soit futur par rapport à la science divine, mais seulement futur par rapport à ce temps dans lequel cet énoncé est exprimé : et c’est pourquoi il faut se défier de tels verbes et de tels participes lorsqu’ils sont dits de Dieu dans la détermination du temps, puisqu’ils consignifient l’instant de l’éternité et non celui du temps ; autrement, il s’ensuit nécessairement une erreur.

 

 

Quaestio 4

 

Question 4 – [La réprobation]

Prooemium

Prologue

[2938] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 pr. Deinde quaeritur de reprobatione ; et circa hoc duo quaeruntur:

1 quid sit ;

2 utrum Deus sit causa obdurationis et excaecationis, quae reprobationi quodammodo respondet.

 On s’interroge ensuite sur la réprobation ; et à ce sujet on pose deux questions :

1. Qu’est-ce que la réprobation ?

2. Est-ce que Dieu est la cause de l’endurcissement et de l’aveuglement qui correspond d’une certaine manière à la réprobation ?

Articulus 1 [2939] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 tit. Utrum reprobatio addat aliquid supra praescientiam

Article 1 – La réprobation ajoute-t-elle quelque chose à la prescience ?

 

[2940] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod reprobatio nihil addat supra praescientiam. Reprobatio enim malorum est. Sed horum non habet Deus nisi scientiam simplicis notitiae, ut supra, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 1, habitum est. Ergo reprobatio supra praescientiam nihil addit.

 Difficultés :

1. Il semble que la réprobation n’ajoute rien à la préscience. La réprobation en effet se rapporte aux méchants. Mais Dieu n’a à leur sujet qu’une science de simple connaissance, comme nous l’avons établi plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 1]. Donc la réprobation n’ajoute rien à la préscience.

[2941] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 arg. 2 Praeterea, illud quod addit aliquid supra commune, non appropriat sibi nomen communis, sicut convertibile quod non indicat substantiam rei appropriat sibi nomen proprii: quia non addit aliquid, sicut definitio addit. Sed reprobatio appropriat sibi nomen praescientiae: dicimus enim communiter malos praescitos, et bonos praedestinatos. Ergo videtur quod reprobatio nihil supra praescientiam addat.

 2. Par ailleurs, ce qui ajoute quelque chose à du commun ne s’approprie pas le nom du commun, tout comme le convertible qui n’indique pas la substance de la chose s’approprie le nom du propre : car il n’ajoute pas quelque chose comme la définition ajoute. Mais la réprobation s’approprie le nom de la préscience : nous disons en effet en commun que Dieu a la préscience des méchants et que les bons sont prédestinés de Dieu. Il semble donc que la réprobation n’ajoute rien à la préscience.

[2942] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 arg. 3 Praeterea, Magister supra, XXVIII dist., posuit rationes eorum quae aliquid supra praescientiam et scientiam addunt, ut dispositionis, providentiae et cetera. Ergo cum non fecerit ibi de reprobatione mentionem, videtur quod nihil supra praescientiam addat.

 3. En outre, le Maître [dist. XXXVIII] a présenté plus haut les définitions des notions qui ajoutent quelque chose à la préscience et à la science, comme celle de la disposition, de la providence, etc. Donc, puisqu’il n’a pas fait là mention de la réprobation, il semble que la réprobation n’ajoute rien à la préscience.

[2943] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra, praescientia est omnium tam bonorum quam malorum. Sed reprobatio non est nisi damnandorum. Ergo aliquid supra rationem praescientiae addit.

 Cependant :

1. La préscience s’adresse à tous, aussi bien aux bons qu’aux méchants. Mais la réprobation ne s’adresse qu’aux méchants. Elle ajoute donc quelque chose à la notion de préscience.

[2944] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 s. c. 2 Praeterea, reprobatio opponitur approbationi. Sed approbatio dicit aliquid in voluntate. Cum ergo opposita sint ejusdem, videtur quod reprobatio ponat aliquid in voluntate et non in praescientia tantum.

 2. En outre, la réprobation s’oppose à l’approbation. Mais l’approbation dit quelque chose dans la volonté. Donc, puisque les opposés se rapportent au même genre, il semble que la réprobation aussi pose quelque chose dans la volonté et non seulement dans la préscience.

[2945] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod reprobatio addit supra praescientiam rationem providentiae. Cum enim providentia divina sit communiter omnium, tamen quodam speciali modo et privilegiato est eorum in quibus invenitur voluntas, per quam aeternae gloriae capaces sunt ; unde specialis quidam modus providentiae divinae attenditur, secundum ordinem talis naturae in finem gloriae, et secundum collationem eorum quae in finem illum [illum om. Éd. de Parme] promovent.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la réprobation ajoute à la préscience la notion de providence. Puisqu’en effet la providence divine est commune à tous, cependant d’une manière spéciale et privilégiée elle s’adresse à ceux dans lesquels se retrouve la volonté par laquelle ils sont capables de la gloire éternelle ; d’où un certain mode spécial de la providence divine se vérifie d’après l’ordre d’une nature de cette sorte par rapport à la finalité de la gloire et selon la réunion des choses qui contribuent à cette [cette om. Éd. de Parme] fin.

Et quia ex conditione talis naturae est ut a consecutione finis deficere possit, ideo per providentiam divinam ordinatum est ut talis defectus in bonum justitiae cedat, dum culpae poena adhibetur: et ideo sicut providentia divina respectu ipsius boni, quod est per consecutionem gratiae et gloriae, cum praescientia eventus, dicitur praedestinatio ; ita providentia divina respectu mali oppositi cum praescientia defectus, dicitur reprobatio. Et quia bonum subjacet providentiae ut causatum et ordinatum, ideo dicitur, quod praedestinatio est causa gratiae et gloriae ad quam ordinatur.

 Et parce qu’il est de la condition d’une telle nature de pouvoir faire défaut quant à l’obtention de la fin, c’est pourquoi il a été ordonné par la providence divine qu’un tel défaut se rende au bien de la justice aussi longtemps que la peine de la faute est appliquée : et c’est pourquoi, tout comme la providence divine par rapport au bien qui est atteint par l’obtention de la grâce et de la gloire avec la préscience du résultat s’appelle prédestination, de même la providence divine par rapport au mal opposé avec la préscience du manque ou du défaut s’appelle réprobation. Et parce que le bien est soumis à la providence comme un effet ordonné par elle, c’est pourquoi on dit que la prédestination est la cause de la grâce et de la gloire à laquelle cette nature est ordonnée.

Sed quia malum non subjacet providentiae ut intentum vel causatum, sed solum ut praescitum et ordinatum, ideo reprobatio est tantum praescientia culpae, et non causa ; sed poenae, per quam culpa ordinatur est praescientia et causa.

 Mais parce que le mal n’est pas soumis à la providence en tant que recherché par elle ou en tant qu’effet mais seulement en tant que prévu et réglé, c’est pourquoi la réprobation est seulement la préscience de la faute et non pas sa cause, mais elle est la préscience et la cause de la peine par laquelle la faute est réglée.

[2946] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod malorum ut fiant, Deus habet scientiam simplicis notitiae ; sed ut ordinentur, habet etiam horum scientiam approbationis ; et hoc importat reprobationis nomen.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que Dieu a la science de la simple connaissance par rapport aux maux à venir mais pour qu’ils soient réglés il en a aussi une science d’approbation qui porte avec elle le nom de réprobation.

[2947] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod reprobatio non addit aliquid [aliquid om. Éd. de Parme] ex parte reprobati supra praescientiam, quia nihil causatur in ipso per quod malus fiat ; et ideo appropriat sibi nomen commune: addit tamen aliquid ex parte Dei reprobantis ; scilicet voluntatem ordinis poenae ad culpam. Unde etiam in abstracto non ita appropriat sibi nomen commune sicut in concreto ; unde magis dicitur reprobatus praescitus quam praescientia reprobatio.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la réprobation n’ajoute pas quelque chose [quelque chose om. Éd. de Parme] à la préscience du côté du réprouvé, car rien n’est causé en lui par quoi le mal serait produit ; et c’est pourquoi la réprobation s’approprie le nom commun ; elle ajoute cependant quelque chose du côté de Dieu qui réprouve, à savoir la volonté d’ordonner la faute à la peine. D’où il suit encore qu’il n’y a pas appropriation dans l’abstrait aussi bien que dans le concret et c’est pourquoi il est préférable de dire que le réprouvé est connu d’avance plutôt que la réprobation est une préscience.

[2948] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod reprobatio opponitur praedestinationi ; et ideo per oppositum datur intelligi posita praedestinatione.

3. Il faut dire en troisième lieu que la réprobation s’oppose à la prédestination, et c’est pourquoi elle donne à entendre la prédestination qu’on a posée.

 

 

Articulus 2 [2949] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 tit. Utrum Deus sit causa obdurationis

Article 2 – Dieu est-il la cause de l’endurcissement ?

 

[2950] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod obdurationis et excaecationis causa sit Deus per id quod habetur II Corinth. 4, 4: Deus hujus saeculi excaecavit mentes infidelium, et una Glossa (ordinaria) exponit de Deo vero. Ergo videtur quod ipse sit causa obdurationis et excaecationis.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu soit cause d’endurcissement et l’aveuglement si on en croit ce que dit l’Écriture [11 Corinthiens, 4, 4] : Le dieu de ce monde a aveuglé les esprits des infidèles, et une glose (ordinaire) l’explique au sujet du vrai Dieu. Il semble donc que Dieu lui-même soit la cause de l’endurcissement et de l’aveuglement.

[2951] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea, excaecatio et obduratio sunt quaedam poenae. Sed omnis poena justa est et a Deo est. Ergo excaecatio et obduratio a Deo sunt.

2. Par ailleurs, l’endurcissement et l’aveuglement sont des peines. Mais toute peine juste vient de Dieu. Donc, l’endurcissement et l’aveuglement viennent de Dieu.

[2952] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Philosophum in Posterioribus, lib. 1, text. 30, si affirmatio est causa affirmationis, et negatio est causa negationis. Sed velle divinum est causa quod iste habeat gratiam, quia scilicet ipse vult. Ergo videtur quod non velle Dei sit causa quare iste gratiam non habeat. Sed hoc est obduratio. Ergo ex parte Dei accipienda est causa obdurationis.

 3. Par ailleurs, d’après le Philosophe [Seconds Analytiques, 1, texte 30] si l’affirmation est la cause de l’affirmation, la négation est la cause de la négation. Mais le vouloir divin est la cause que celui-ci possède la grâce, à savoir parce que lui-même le veut. Il semble donc que le non-vouloir de Dieu soit la cause pour laquelle celui-là ne possède pas la grâce. Mais cela même est l’endurcissement. Il faut donc prendre la cause de l’endurcissement du côté de Dieu.

[2953] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut dicit Philosophus in II Physic., text. 30, id quod per sui praesentiam est causa salutis navis, scilicet gubernator, per sui absentiam est causa periculi. Sed Deus per sui praesentiam in anima est causa gratiae. Ergo per sui absentiam est causa obdurationis.

 4. Comme le dit le Philosophe [11 Physique, texte 30], celui qui par sa présence est la cause du salut du navire, à savoir le pilote, est cause de sa perte par son absence. Mais Dieu, par sa présence dans l’âme, est cause de la grâce. Donc, par son absence, il est cause d’endurcissement.

[2954] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod dicunt sancti communiter, Dionysius, cap. IV de divin. Nomin., col. 694, Augustinus,In Personne. XXXV, V, 4, col. 343, Anselmus lib. De concord. Gratiae et lib. Arb. Ante med., scilicet quod causa quare iste non habet gratiam, est quia ipse noluit accipere, et non quia Deus noluit dare: quia lumen suum omnibus offert quod tamen ab omnibus non percipitur, sicut nec lumen solis a caeco. Sed obduratio est ipsa carentia gratiae. Ergo obdurationis causa non est ex parte Dei.

 Cependant :

1. Les saints, comme Denys [Les Noms Divins, ch. IV, col. 694], Saint-Augustin [En la Personne, XXXV, V, 4, col. 343] et Saint-Anselme [De l’Accord qu’il y a entre la Grâce et le Libre Arbitre] disent universellement le contraire, à savoir que la cause pour laquelle celui-ci ne possède pas la grâce est que lui-même ne veut pas la recevoir et non pas que Dieu refuse de la lui donner : car sa lumière s’offre à tous, laquelle n’est cependant pas perçue par tous comme la lumière du soleil n’est pas parçue par l’aveugle. Mais l’endurcissement est la privation même de la grâce. Donc la cause de l’endurcissement ne se tient pas du côté de Dieu.

[2955] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 s. c. 2 Praeterea, nullus culpatur vel punitur de eo cujus causa in ipso non est. Sed homo punitur et culpatur pro obduratione, vel pro carentia gratiae. Ergo hujusmodi causa est ipse.

 2. En outre, nul n’est coupable ou n’est puni de ce dont la cause ne se trouve pas en lui. Mais l’homme est puni et il est coupable pour son endurcissement ou pour l’absence de la grâce. Il en est donc lui-même la cause.

[2956] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod obduratio dicitur quandoque actus voluntatis obstinatae in malum, cui pertinaciter adhaeret ; et sic constat quod obdurationis causa non est Deus, sed homo ; sicut nec alicujus actus peccati, inquantum deformis est.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que l’endurcissement se dit parfois de l’acte de la volonté qui persévère dans le mal auquel elle adhère avec opiniâtreté ; et en ce sens il est clair que la cause de l’endurcissement, comme de tout acte mauvais en tant que laid ou difforme, n’est pas Dieu mais l’homme.

Quandoque vero obduratio dicitur ipsa privatio gratiae, quae etiam excaecatio dicitur: quia gratia est quoddam lumen animae, et perfectio quaedam habilitans ipsam ad bonum.

Istum autem carere gratia, ex duobus contingit:

tum quia ipse non vult recipere:

tum quia Deus non sibi infundit, vel non vult sibi infundere. Horum autem duorum talis est ordo, ut secundum non sit nisi ex suppositione primi.

 Mais parfois l’endurcissement signifie seulement la privation même de la grâce : car la grâce est pour l’âme comme une lumière et une perfection qui la rend apte au bien.

Mais cette privation de la grâce est possible pour deux raisons :

Tant parce que l’homme lui-même ne veut pas la recevoir que parce que Dieu ne la répand pas ou ne veut pas la répandre en lui. Mais parmi ces deux causes il y a cet ordre que la deuxième raison n’existe que si on suppose la première.

Cum enim Deus non velit nisi bonum, non vult istum carere gratia nisi secundum quod bonum est. Sed quod iste careat gratia, non est bonum simpliciter ; unde hoc absolute consideratum, non est volitum a Deo. Est tamen bonum ut careat gratia si eam habere non vult, vel si ad eam habendam negligenter se praeparat, quia justum est, et hoc modo est volitum a Deo.

 En effet, puisque Dieu ne veut que le bien, il ne veut pas, en tant qu’il est bon, que celui-ci soit privé de la grâce. Mais que celui-ci soit privé de la grâce, cela n’est pas bon absolument ; d’où il suit que cela, considéré absolument, n’est pas voulu par Dieu. Il est cependant bon qu’il soit privé de la grâce s’il refuse de la recevoir ou s’il se prépare négligemment à la recevoir car cela est juste et en ce sens cela est voulu par Dieu.

Patet ergo quod hujus defectus absolute causa prima est ex parte hominis qui gratia caret ; sed ex parte Dei non est causa hujus defectus, nisi ex suppositione illius quod est causa ex parte hominis. Et per hunc modum invenitur dici Deus quandoque causa excaecationis vel obdurationis, non quidem immittendo malitiam sed non impartiendo gratiam, quod in ipso est. Si enim non necessario impartitur gratiam, in ipso est et non impartiri ; unde ejus quod est non impartiri, aliquo modo causa est.

Iste autem defectus potest dupliciter considerari, sicut etiam quilibet alius.

Il est donc clair que la cause première de ce défaut se tient absolument du côté de l’homme qui est privé de la grâce ; mais la cause de ce défaut ne se tient du côté de Dieu qu’en supposant que la cause première de ce défaut se tient du côté de l’homme. Et c’est de cette manière qu’on se trouve à dire parfois que Dieu est la cause de l’aveuglement et de l’endurcissement, non pas certes en introduisant en l’homme la méchanceté mais en ne communiquant pas la grâce, ce qui est en son pouvoir. Si en effet ce n’est pas nécessairement qu’il communique la grâce, il est en son pouvoir de ne pas la communiquer ; d’où il suit que celui à qui il appartient de ne pas communiquer est en quelque sorte la cause.

Mais ce défaut, comme tout autre aussi, peut être considéré de deux manières.

Cum enim defectus incidat ex defectu causae secundae et non ex defectu causae primae ; quem tamen defectum Deus non impedit, tamen impedire posset, ne impedimentum naturae cedat ; si iste defectus gratiae comparetur ad voluntatem, quae est sicut causa proxima, invenitur voluntas habere causalitatem ad ipsum, quae bonum propositum non accipit, cum accipere possit ; et ex hoc est culpabilis et vituperabilis: quia malum, cujus principium est voluntas, est hujusmodi.

 Comme en effet le défaut survient non pas en raison du défaut de la cause première mais en raison du défaut de la cause seconde, défaut que Dieu cependant pourrait empêcher mais n’empêche pas afin que l’obstacle de la nature ne disparaisse pas, si ce défaut de la grâce se compare à la volonté qui en est comme la cause prochaine, la volonté se trouve à avoir une causalité à son égard, laquelle n’accueille pas la bonne résolution alors qu’elle pourrait l’accueillir et c’est de là qu’elle tient d’être coupable et digne de blâme : car le mal, dont le principe est la volonté, est de ce genre.

Si autem comparetur ad ipsum Deum, non invenitur causatus ab ipso, sed tantum permissus et ordinatus, ut scilicet sit in poenam ipsius voluntatis deficere ; unde dicit Augustinus in I Confessionum., cap. XII, col. 670 : Jussisti domine, et sic est, ut omnis inordinatus animus sibi ipsi sit poena ; et talis ordinatio a Deo est. Unde respectu ipsius defectus nullam causalitatem habet, sed respectu ordinationis tantum: et hoc significatur cum obdurare dicitur.

Mais si on compare ce défaut de la grâce à Dieu lui-même, il ne se trouve pas à être causé par Lui, mais seulement permis et réglé, c’est-à-dire de telle manière qu’il appartienne à la volonté de se terminer dans la peine ; et c’est pourquoi Saint-Augustin [Confessions, ch. XII, col. 670] dit : Tu l’as ordonné, Seigneur, et il en est ainsi, afin que toute âme déréglée soit à elle-même une châtiment ; et une telle disposition vient de Dieu. D’où il suit que Dieu ne détient aucune causalité à l’égard du défaut lui-même, mais seulement par rapport à la disposition : et c’est cela qui est signifié lorsqu’on parle d’endurcissement.

[2957] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum.

Quidam tamen dicunt, quod Deus est causa obdurationis sicut natura causa quietis: quod expresse falsum est ; quia quies naturalis est finis motus naturalis, et per se intenta a natura, quod hic dici non potest ; et ideo dicendum, quod Deus dicitur excaecare permittendo defectum et ordinando.

Solutions :

1. Et suite à cela la réponse à la première difficulté est évidente.

Certains disent cependant que Dieu est la cause de l’endurcissement comme la nature est cause de repos : ce qui est manifestement faux ; car le repos naturel est la fin du mouvement naturel et il est recherché par soi par la nature, ce qu’on ne peut dire dans le cas qui nous occupe ; et c’est pourquoi il faut dire qu’on dit de Dieu qu’Il aveugle en permettant le défaut et en le réglant.

[2958] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod obdurari dicitur poena prout dicit defectum jam ordinatum ; et sic reducitur in divinam causalitatem non ratione defectus sed ratione ordinis qui est [a Deo add. Éd. de Parme]

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’on dit de l’endurcissement qu’il est une peine selon qu’il signifie un défaut déjà réglé ; et en ce sens il se ramène à la causalité divine non pas en raison du défaut mais en raison de l’ordre qui y est [de Dieu, add. Éd. de Parme].

[2959] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod effectus non consequitur nisi concurrentibus omnibus causis ; sed ex defectu unius consequitur negatio effectus. Dico ergo, quod causa gratiae sicut agens est ipse Deus, et sicut recipiens est ipsa anima per modum subjecti et materiae ; et ideo, quia formae inductae non est causa materia neque subjectum, nisi tale subjectum [subjectum om. Éd. de Parme] ex cujus principiis fluit accidens, quale accidens non est gratia ; ideo non dicitur simpliciter anima causa gratiae, sed recipiens tantum ; Deus autem causa. Nec oportet quod omnis defectus incidat ex parte agentis ; sed potest incidere ex parte recipientis: et ita est in proposito.

 3. Il faut dire en troisième lieu que l’effet ne suit que si toutes les causes y contribuent ; mais si une seule fait défaut, il s’ensuit la négation de l’effet. Je dis donc que la cause de la grâce en tant qu’agent est Dieu lui-même et que la cause de la grâce en tant que récepteur est l’âme elle-même à la manière d’un sujet et d’une matière ; et c’est pourquoi ; et c’est pourquoi, parce que ni la matière ni le sujet n’est la cause de la forme introduite, si ce n’est ce sujet [sujet om. Éd. de Parme] par les principes duquel découle cet accident qui n’est pas la grâce, c’est pourquoi on ne dit pas absolument que l’âme est la cause de la grâce mais plutôt qu’elle en est le récepteur seulement, et que Dieu en est la cause. Et il n’est pas nécessaire que tout défaut survienne du côté de l’agent mais il peut survenir du côté du récepteur et c’est le cas pour le propos qui nous intéresse.

[2960] Super Sent., lib. 1 d. 40 q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus quantum est in se, nulli est absens ; sed homo a Deo praesente se absentat, sicut a praesente lumine qui claudit oculos ; et ideo non est simile quod pro simili inducitur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu, quant à ce qu’il est en lui-même, n’est loin de personne ; mais l’homme s’éloigne ou s’absente de la présence de Dieu, tout comme celui qui ferme les yeux à la lumière présente ; et c’est pourquoi la similitude qui est présentée n’en est pas une.

 

 

Distinctio 41

Distinction 41 – [L’élection en Dieu]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [Y a-t-il en Dieu une élection ?]

 

 

Prooemium

Prologue

[2962] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 pr. Hic quaeruntur quinque:

1 utrum electio Deo ab aeterno conveniat ;

2 de ordine praedestinationis ad electionem ;

3 utrum praescientia meritorum sit causa praedestinationis et reprobationis ;

4 utrum praedestinatio juvetur meritis et orationibus sanctorum ;

5 utrum Deus sciat nunc omne quod olim scivit.

 On cherche ici à répondre à cinq questions :

1. Est-ce que l’élection convient à Dieu de toute éternité ?

2. Y a-t-il un ordre de la prédestination à l’élection ?

3. Est-ce que la préscience des mérites est la cause de la prédestination et de la réprobation ?

4. Est-ce que la prédestination peut être aidée par les mérites et les prières des saints ?

5. Est-ce que Dieu sait maintenant tout ce qu’il a su autrefois ?

 

 

Articulus 1 [2963] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Deo sit electio

Article 1 – Y a-t-il en Dieu une élection ?

 

[2964] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod electio nullo modo in Deo sit ab aeterno [ab aeterno om. Éd. de Parme]. Electio enim, secundum Philosophum, in III Ethic., cap. VII, sequitur consilium sicut conclusio ejus. Consilium autem, ut ibidem dicit, est quaestio quaedam. Cum igitur Deo non competat inquisitiva cognitio, videtur quod Deo non competat electio.

 Difficultés :

1. Il semble que l’élection ne soit aucunement en Dieu de toute éternité [de toute éternité om. Éd. de Parme]. En effet, d’après le Philosophe [111 Éthique, ch.  VII], l’élection suit le conseil comme s’il en était la conclusion. Mais le conseil, comme il le dit au même endroit, est une certaine enquête. Donc, puisque la connaissance par mode recherche ou d’enquête n’appartient pas à Dieu, il semble que l’élection ne lui convienne pas.

[2965] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, electio ponit discretionem quamdam. Sed Deus aequaliter se habet ad omnes, quia Dionysius in IV cap., De divinis nominibus, col. 694 sicut [sicut om. Éd. de Parme] dicit: « Sicut enim sol non ratiocinans neque praeeligens radios suos diffundit in omnia corpora, ita et divina bonitas in omnes creaturas ». Ergo videtur quod Deo eligere non competat.

 2. Par ailleurs, l’élection pose une certaine distinction ou séparation. Mais Dieu se présente à tous d’une manière égale car tout comme [tout comme om. Éd. de Parme] Denys [Les Noms Divins, ch. IV, col. 694] le dit : «Tout comme le Soleil répand ses rayons sur tous les corps sans discourir ni choisir entre eux, la bonté divine fait de même pour toutes les créatures». Il semble donc qu’il ne convienne pas à Dieu de choisir.

[2966] Super Sent., Lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, electio requirit multitudinem in eis quorum est electio. Sed ab aeterno omnia non fuerunt nisi unum in Deo. Ergo videtur quod electio non sit aeterna. Sed quidquid est in Deo, est aeternum. Ergo electio nihil ponit in Deo.

 2. Par ailleurs, l’élection exige une multiplicité dans ceux-là même parmi lesquels il y a élection. Mais tous les êtres n’ont pas existé de toute éternité, sauf dans l’unité en Dieu. Il semble donc que l’élection ne soit pas éternelle. Mais tout ce qui est en Dieu est éternel. L’élection ne pose donc rien en Dieu.

[2967] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, operationi eligentis aliquid intelligitur praeexistere in re quae eligitur. Sed operationi divinae nihil praeexistit in creatura. Ergo videtur quod electio Deo non competat.

 4. En outre, on comprend que dans la chose qui est choisie il y a quelque chose qui préexiste à l’opération de celui qui choisit. Mais dans la créature, rien ne préexiste à l’opération divine. Il semble donc que l’élection ne convienne pas à Dieu.

[2968] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, ad Ephes. 1, 4, dicitur: Elegit nos in ipso ante mundi constitutionem, ut essemus sancti. Ergo videtur quod Deo conveniat electio.

 Cependant :

1. L’Apôtre [Lettre aux Éphésiens, 1, 4] dit au contraire : Dieu nous avait déjà choisis en Lui avant même la création du monde pour que nous soyons saints. Il semble donc que l’élection convienne à Dieu.

[2969] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod electio importat segregationem quamdam. Haec autem segregatio non potest esse nisi aliquorum quae habent aliquam permixtionem vel convenientiam ; ideo illius quod in se determinatum est et discretum, non potest esse electio. Et ideo electio, ut dicitur in III Ethic., cap. VI, non est finis ultimi, qui unicuique naturaliter est determinatus, sed tantum eorum quae sunt ad finem, ad quem per plura media diversimode [diversimode om. Éd. de Parme] deveniri potest ; licet quaedam sint convenetia [convenientiora Éd. de Parme] quae eliguntur. Haec autem segregatio potest esse tantum in conceptione alicujus operantis, vel etiam in executione operis.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que l’élection implique une certaine séparation. Mais cette séparation ne peut exister que pour ceux qui se mélangent et ont une certaine convenance; c’est pourquoi il ne peut y avoir élection pour ce qui est déterminé et séparé. Et c’est pourquoi l’élection, comme le dit le Philosophe [111 Éthique, ch.  VI] l’élection ou le choix ne porte pas sur la fin ultime, laquelle est déjà naturellement déterminée pour chacun, mais seulement sur les choses qui sont ordonnées à la fin à laquelle on peut parvenir diversement [diversement om. Éd. de Parme] par de nombreux moyens, bien que certains de ceux qui sont choisis soient advantage convenables [plus convenables Éd. de Parme]. Mais cette separation peut exister seulement dans la conception de celui qui opère ou aussi dans l’exécution de l’oeuvre.

Ex his tria possumus accipere circa electionem de Deo dictam:

primo, quod electio non convenit Deo respectu sui ipsius ; non enim est electio finis, sed eorum quae sunt ad finem:

secundo potest accipi ex quibus eliguntur, electi a Deo [electi… Deo Éd. de Parme] quia scilicet ab his qui nati sunt participare eumdem finem ; unde non dicitur quod homines qui eliguntur ad gloriam, eligantur ab irrationabilibus, sed ab hominibus, qui nati sunt gloriam assequi:

tertio potest accipi quod electio uno modo est aeterna, alio modo temporalis. Si enim accipiatur secundum quod est in proposito ipsius Dei, sic aeterna est ; quia ab aeterno voluit bonos a malis segregare in gloriam. Si autem sumatur secundum quod est in executione operis, sic est temporalis ; sicut quando aliquis segregatur a culpa originali vel actuali in gratiam, vel a communi statu in praelationis officium, et sic de aliis quae divino munere aliquibus specialiter conferuntur.

 À partir de là nous pouvons admettre trois choses au sujet de l’élection qu’on attribue à Dieu.

Premièrement que l’élection ne convient pas à Dieu par rapport à lui-même; en effet, l’élection ne porte pas sur la fin mais sur les moyens ordonnés à la fin.

Deuxièmement, l’élection peut être admise à partir de ceux-là même parmi lesquels les élus de Dieu sont choisis, à savoir de ceux qui sont aptes à participer de la même fin; d’où l’on ne dit pas que les hommes qui sont choisis pour la gloire sont choisis ou séparés des êtres irrationnels, mais des hommes qui ont une aptitude à parvenir à la gloire.

Troisièmement on peut admettre que l’élection est en un sens éternelle, en un autre sens temporelle. Si en effet elle est entendue comme existant dans l’intention de Dieu, alors elle est éternelle car c’est de toute éternité que Dieu a voulu séparer les bons des méchants pour les accueillir dans la gloire. Mais si l’élection s’entend selon qu’elle est dans l’exécution de l’oeuvre, en ce sens elle est temporelle, tout comme lorsque quelqu’un se sépare de la faute originelle ou actuelle pour en venir à la grâce, ou de la condition commune pour en venir à la fonction de prélat, et il en est de même pour les autres choses qui sont spécialement conférées à certains par la faveur divine.

[2970] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod accidit electioni quod sequatur inquisitionem, ex eo scilicet quod est in tali natura quae eorum quae sunt ad finem, sine inquisitione cognitionem non habet, sicut est in nobis ; quod omnino Deo non competit, qui omnium certam cognitionem habet.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il arrive à l’élection de suivre une enquête, c’est-à-dire du fait qu’elle se trouve dans une nature qui ne peut posséder sans recherche la connaissance des choses qui sont en vue de la fin, comme c’est le cas pour nous; mais cela ne convient aucunement à Dieu qui possède une connaissance certaine de tout.

[2971] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis ipse, quantum in se est, aequaliter se habeat ad omnia, non tamen omnia eamdem idoneitatem habent ad recipiendum largitionem bonitatis ejus: et hujus diversitatis cognitionem et ordinationem habet, et ideo convenit sibi electio. Quod autem dicit Dionysius de comparatione divinae bonitatis ad solem, intelligendum est esse simile quantum ad universalitatem communicationis, et non quantum ad privationem electionis. Sicut enim sol nulli radios suos subtrahit, ita nec Deus munera bonitatis suae ; quae tamen non eodem modo in omnibus reperiuntur [recipiuntur Éd. de Parme] ; et hujus diversitatis Deus est cognitor et ordinator, quod soli corporali non competit.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que Dieu, quant à ce qu’il est en lui-même, se présente de la même manière par rapport à tous les êtres, cependant tous les êtres ne présentent pas une capacité égale à recevoir les largesses de sa bonté : et Dieu possède la connaissance et l’ordonnance de cette diversité, et c’est pourquoi il lui convient de choisir. Mais ce que dit Denys au sujet de la comparaison de la bonté divine au soleil, il faut l’entendre comme similitude par rapport à l’universalité de la communication et non quant à la privation de l’élection. En effet, tout comme le Soleil ne retire aucun de ses rayons, de même Dieu ne retire par les bienfaits de sa bonté, lesquels cependant ne sont pas obtenus [reçus Éd. de Parme] par tous de la même manière ; et Dieu est celui qui connaît et ordonne cette diversité, ce qui n’appartient pas au Soleil corporel que nous voyons.

[2972] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deus ab aeterno non tantum cognovit de rebus illud esse quod tunc in ipso habebant, sed esse quod in propria natura habiturae erant, secundum quod esse unitatem non habent, sed magnam distantiam ad participandam divinam bonitatem: et ita convenit sibi ab aeterno electio.

 3. Il faut dire en troisième lieu que Dieu de toute éternité connaît non seulement au sujet des choses cette existence qu’elles possèdent maintenant en Lui, mais aussi l’existence qu’elle sont appelées à posséder dans leur nature propre, existence selon laquelle elles ne possèdent pas l’unité mais sont fort éloignées de participer de la bonté divine : et c’est ainsi que l’élection appartient à Dieu de toute éternité.

[2973] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod operationi creationis non praeexistit aliquid in re ; et ideo non proprie dicuntur eligi ea quae terminantur ad esse ; sed operationi divinae qua justificat et glorificat, praeexistit natura vel in proprio esse vel in divina cognitione.

 4. Il faut dire en quatrième lieu qu’à l’opération de la création, rien ne préexiste dans la chose ; et c’est pourquoi on ne dit pas proprement des choses qui en viennent à se fixer dans l’existence qu’elles sont choisies ; mais à l’opération divine par laquelle Dieu justifie et glorifie préexiste une nature soit dans l’existence propre, soit dans la connaissance divine.

 

 

Articulus 2 [2974] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 tit. Utrum electio praecedat secundum rationem praedestinationem

Article 2 – L’élection précède-t-elle la prédestination en raison ?

 

[2975] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod electio praedestinationem non praecedat secundum rationem. Electio enim addit aliquid supra praescientiam, alias etiam esset malorum. Addit autem actum voluntatis, ut patet ex Philosopho, III Ethic., cap. V et Lib. VI, c. II. Cum ergo praedestinatio nihil addat supra praescientiam nisi voluntatem salutis quorumdam, videtur quod electio praedestinationem non praecedat secundum rationem, sed sit idem sibi.

 Difficultés:

1. Il semble que l’élection ne précède pas la prédestination selon la raison. L’élection en effet ajoute quelque chose à la prescience autrement elle se rapporterait elle aussi aux maux. Mais elle ajoute l’acte de la volonté comme on le voit chez le Philosophe [111 Éthique, ch. V et livre  VI, ch. 11]. Donc, puisque la prédestination n’ajoute à la prescience que la volonté du salut de certains, il semble que l’élection ne précède pas la prédestination selon la raison mais qu’elle lui soit identique.

[2976] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, electio praesupponit diversitatem in eis inter quae est electio. Sed diversitas quae est in hominibus ad consecutionem finis, est per effectum praedestinationis, idest per gratiam. Ergo videtur quod electio etiam praedestinationem sequatur secundum rationem.

2. En outre, l’élection présuppose la diversité chez ceux parmi lesquels il y a élection. Mais la diversité qu’il y a chez les hommes par rapport à l’atteinte de la fin a lieu par un effet de la prédestination, à savoir par la grâce. Il semble donc que l’élection aussi suive la prédestination selon la raison.

[2977] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, vocatio sequitur praedestinationem, ut habetur Rom. VIII, 30: Quos praedestinavit, hos et vocavit. Sed vocatio videtur idem esse electioni ; quia quod eligitur ad aliquid, videtur quodammodo vocari in illud. Ergo videtur quod electio praedestinationem sequatur.

3. Par ailleurs, la vocation suit la prédestination comme le dit l’Écriture [Épître aux Romains,  VIII, 30] : Ceux que Dieu a prédestinés, il les a aussi appelés. Mais la vocation ou l’appel semble être identique à l’élection ; car ce qui est choisi en vue d’une fin semble en un sens être appelé à cette fin. Il semble donc que l’élection suive la prédestination.

[2978] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, dilectio praesupponit electionem, sicut ipsum nomen ostendit. Sed praedestinatio sequitur dilectionem ; quia non praeparantur bona nisi eis qui diliguntur. Ergo videtur quod praedestinatio electionem sequatur.

 Cependant :

1. Au contraire, l’amour présuppose l’élection ainsi que le nom lui-même (dilectio) le montre en latin. Mais la prédestination suit l’amour car les biens ne sont préparés que pour ceux qui sont aimés. Il semble donc que la prédestination suive l’élection.

[2979] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod praedestinatio et electio addunt aliquid supra praescientiam, sicut dispositio et providentia, ut intelligatur quod sicut dispositio et providentia se habent respectu omnium communiter, ita electio et praedestinatio respectu hominum ; unde sicut providentia addit supra dispositionem, ita praedestinatio supra electionem. Quod satis patet ex his quae supra dicta sunt, dist. XL, quaest. 1, art. 2. Dictum est enim, quod dispositio divina attenditur in ordinatione partium universi ad invicem et ad finem, secundum quod una natura alii praefertur ex ordine divinae sapientiae. Similiter est in electione. Ipsa enim divina ordinatio qua quidam aliis praeferuntur ad consequendam beatitudinem, electio dicitur.

Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que la prédestination et l’élection ajoutent quelque chose à la prescience, tout comme la disposition et la providence de telle sorte qu’on entende que tout comme la disposition et la providence se rapportent à tous universellement, ainsi l’élection et la predestination se rapportent aux hommes; il résulte de là que tout comme la providence ajoute à la disposition, de même la prédestination ajoute à l’élection. Ce qui apparaît d’une manière suffisamment claire suite à ce qui a été dit plus haut [dist. XL, quest. 1, art. 2]. Nous avons dit en effet que la disposition divine se vérifie dans l’organisation des parties de l’univers entre elles et dans leur ordonnance par rapport à la fin selon qu’une nature est préférée à une autre en raison de l’ordonnance de la sagesse divine. Il en est de même pour l’élection. En effet, l’ordonnance divine elle-même par laquelle certains sont préférés à d’autres pour l’atteinte de la beatitude, cela s’appelle élection.

Providentia autem attenditur in collatione eorum per quae res attingunt finem ; et in applicatione ad finem. Similiter praedestinatio attenditur in hoc quod electis praeparantur bona gratiae et bona gloriae, quibus applicantur ad finem ; et hoc patet etiam ex modo loquendi consueto. Sicut enim dicimus disponi res, provideri autem tam res ipsas quam etiam ea quae rebus conferuntur in finem ordinantia, ita etiam electio proprie est hominum, sed praedestinatio tam hominum quam etiam eorum quae eis conferuntur: non enim dicitur, quod gratia eligatur homini ; dicitur tamen, quod gratia praedestinatur homini.

 Mais la providence se vérifie dans la réunion des moyens par lesquels les choses atteignent leur fin et dans l’application à la fin. Semblablement la prédestination se vérifie en ceci que les biens de la grâce et les biens de la gloire, par lesquels les élus s’appliquent à la fin, sont préparés pour les élus; et cela est clair si on est attentif à la manière habituelle de parler. En effet, tout comme nous disons que les choses sont disposées et que sont objets de providence aussi bien les choses elles-mêmes que les moyens qui sont fournis aux choses pour les ordonner à la fin, de même encore l’élection se dit proprement des hommes mais la predestination se dit aussi bien des hommes que des moyens qui leur sont conférés: on ne dit pas en effet que la grâce est choisie pour l’homme mais on dit cependant que la grâce est prédestinée à l’homme.

[2980] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod electio non est actus voluntatis absolute, sed in ordine ad intellectum ordinantem, sicut Philosophus ibidem innuit. Praedestinatio autem dicit actum voluntatis absolute, qui consequitur ordinem istum. Electio enim divina est qua aliqui ex ordine suae sapientiae ordinantur ad finem beatitudinis ; sed praedestinatio est secundum quod praeparantur eis ea quae perducunt in finem: et ideo sicut voluntas ordinans in finem praecedit actum voluntatis praeparantis ea quae ducunt in finem ; ita electio praedestinationem praecedit.

 Solutions :

1. Il faut dire que l’élection ou le choix n’est pas l’acte de la volonté d’une manière absolue, mais en rapport avec l’intelligence qui ordonne comme l’indique le Philosophe au même endroit. Mais la prédestination signifie l’acte de la volonté d’une manière absolue, lequel découle de cet ordre. En effet, l’élection divine est celle par laquelle certains sont ordonnés à la fin de la béatitude à partir de l’ordre de sa sagesse ; mais la prédestination est l’acte de la volonté selon lequel lui sont préparées les choses qui conduisent à la fin : et c’est pourquoi, tout comme la volonté qui ordonne à la fin précède l’acte de volonté qui prépare les choses qui conduisent à la fin, de même l’élection précède la prédestination.

[2981] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod electio divina non praeexigit diversitatem gratiae, quia hoc electionem consequitur ; sed praeexigit diversitatem naturae in divina cognitione, et facit diversitatem gratiae, sicut dispositio diversitatem naturae facit.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’élection divine n’a pas pour prérequis la diversité de la grâce car cela suit l’élection ; mais elle a pour prérequis la diversité de nature dans la connaissance divine et elle fait la diversité de la grâce, tout comme la disposition fait la diversité de nature.

[2982] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vocatio semper est temporalis, quia ponit adductionem quamdam ad aliquid. Et ideo est quaedam vocatio ad esse per creationem, cui, ut dictum est, dist. XXXIX, quaest. II, art. 1, non respondet aeterna electio ; unde dicitur Rom. 4, 17: Qui vocat ea quae non sunt tamquam ea quae sunt. Et est quaedam vocatio temporalis ad gratiam, cui respondet et electio temporalis et aeterna.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la vocation est toujours temporelle car elle pose comme un certain accompagnement vers un but. Et c’est pourquoi il y a une certaine vocation à exister par la création à laquelle ne correspond pas une élection éternelle ainsi que nous l’avons dit [dist. XXXIX, quest. 11, art. 1] ; d’où l’Écriture [Épître aux Romains, 4, 17] nous dit : Le Dieu qui appelle à l’existence ceux qui n’existent pas. Et il y a une certaine vocation temporelle à la grâce à laquelle correspond à la fois une élection temporelle et une élection éternelle.

Haec autem vocatio est vel interior per infusionem gratiae, vel exterior per vocem praedicatoris. Interior autem vocatio et temporalis electio ad gratiam, semper sunt simul ; sed differunt secundum rationem ; quia electio inquantum dicit segregationem, respicit terminum a quo, vocatio autem terminum ad quem magis ; sed differt a justificatione secundum rationem ; quia vocatio pertinet ad motum naturae proficiscentis in gratiam ; sed justificatio respicit esse consequens terminum motus, secundum quod gratia facit justum esse. De dilectione autem quomodo se habeat ad electionem et praedestinationem, pertinet ad 3 librum, ubi agitur de dilectione qua Deus diligit creaturam, XXXII dist., quaest. 1, art. 2.

 Mais cette vocation ou cet appel est ou bien intérieur par l’infusion de la grâce, ou bien extérieur par la voix du prédicateur. Mais l’appel intérieur et l’élection temporelle à la grâce sont toujours simultanés mais diffèrent selon la raison ; car l’élection, en tant qu’elle signifie une séparation, se rapporte au terme de départ alors que l’appel se rapporte plutôt au terme de la destination ; mais l’appel ou la vocation diffère de la justification selon la raison car la vocation appartient au mouvement de la nature qui progresse vers la grâce alors que la justification se rapporte à l’existence qui suit le terme du mouvement selon que la grâce rend juste. Mais au sujet de l’amour et de la manière dont il se rapporte à l’élection et à la prédestination, cela relève du livre 3 [dist. XXXII, quest. 1, art. 2] où on traite de l’amour par lequel Dieu aime la créature

 

 

Articulus 3 [2983] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 tit. Utrum praescientia meritorum sit causa praedestinationis

 

Article 3 – La préscience des mérites est-elle la cause de la prédestination ?

 

[2984] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 arg. 1 Deinde quaeritur, utrum praescientia meritorum sit causa praedestinationis. Et videtur quod sic. Primo per Glossam Ambrosii quae habetur super epistolam ad Rom., cap. 9, ubi haec verba ex persona Dei proponit: dabo illi gratiam quem scio ad me toto corde post errorem reversurum. Sed propositum dandi gratiam dicitur praedestinatio. Ergo videtur quod praescientiam meritorum praesupponat.

Difficultés :

1. Il semble qu’il en soit ainsi. On le voit d’abord dans la glose de Saint-Ambroise qui porte sur la Lettre aux Romains au chapitre 9 où il présente ces paroles venant de la personne de Dieu : Je donnerai la grâce de la miséricorde à celui que je sais d’avance devoir revenir à moi de tout son cœur après s’être détourné de son erreur. Mais l’intention de donner la grâce s’appelle prédestination. Il semble donc que la prédestination présuppose la préscience des mérites.

[2985] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, voluntas Dei praedestinantis, injusta esse non potest. Sed ad justitiam distributivam pertinet ut inaequalia non nisi inaequalibus tribuantur. Cum ergo homines non sint inaequales ad perceptionem gratiae nisi per aliqua opera ipsorum vel aliorum, cum ex natura omnes habeant capacitatem gratiae, videtur quod praescientia operum sit causa praedestinationis.

 2. En outre la volonté de Dieu qui prédestine ne peut être injuste. Mais il appartient à la justice distributive de n’attribuer des choses inégales qu’à des êtres inégaux. Donc, puisque les hommes ne sont inégaux à recevoir la grâce que par certaines de leurs œuvres propres ou par celles des autres puisque tous possèdent de par leur nature une aptitude à la grâce, il semble que la préscience des œuvres soit la cause de la prédestination.

[2986] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, in praescientia operum duo sunt ; unum aeternum, scilicet Dei scientia ; et unum temporale, scilicet opera praescita. Similiter in praedestinatione duo sunt: unum aeternum, scilicet voluntas divina ; et alterum temporale, scilicet collatio gratiae.

Sed aeternum quod est in praescientia, est prius ratione, et quodammodo causa ejus aeterni [aeterni om. Éd. de Parme] quod est in praedestinatione ; quia voluntas scientiam [praescientiam Éd. de Parme] praesupponit. Similiter temporale est aliquo modo causa temporalis, quia opus quo iste se praeparavit ad gratiam, est aliqua causa, ad minus sicut dispositio materialis, ad acceptionem gratiae ; et opus informatum gratia, est causa meritoria gloriae. Ergo videtur quod praescientia operum sit causa praedestinationis.

 Par ailleurs, il y a deux choses dans la préscience des œuvres : l’une est éternelle, à savoir la science de Dieu, et l’autre est temporelle, à savoir les œuvres connues d’avance.

De la même manière il y a deux choses dans la prédestination : l’une qui est éternelle, à savoir la volonté divine, et l’autre qui est temporelle, à savoir la communication de la grâce.

Mais la part éternelle qui est dans la préscience est première par la raison et elle est en quelque sorte cause de l’éternel [éternel om. Éd. de Parme] qui est dans la prédestination car la volonté présuppose la science [la préscience Éd. de Parme]. Semblablement le temporel est en quelque sorte la cause du temporel car l’œuvre par laquelle celui-ci se prépare à la grâce est une certaine cause, au moins en tant que disposition matérielle, de la réception de la grâce ; et l’œuvre informée par la grâce est une cause méritoire de la gloire. Il semble donc que la préscience des œuvres soit la cause de la prédestination.

[2987] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, praedestinatio praesupponit electionem. Sed electio alicujus ab aliquo non est nisi propter aliquam idoneitatem majorem ad consecutionem finis. Hoc autem non potest esse nisi per majorem praeparationem ad gratiam, quae per opera fit. Ergo videtur quod praedestinatio praesupponat praescientiam operum.

 4. Par ailleurs, la prédestination présuppose l’élection.  Mais l’élection d’un tel par un autre n’a lieu qu’à cause d’une certaine aptitude plus grande à atteindre la fin. Mais cela ne peut avoir lieu qu’au moyen d’une plus grande préparation à la grâce laquelle préparation n’est possible que par les œuvres. Il semble donc que la prédestination présuppose la préscience des œuvres.

[2988] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, praedestinatio est voluntas salutis hominis, non tantum ut intelligatur de voluntate antecedente (quia hac voluntate vult omnes homines salvos facere, ut dicit Damascenus, II Fid. Orthod., cap. ult., col. 970), sed de voluntate consequente. Cum igitur voluntas consequens respiciat merita, videtur quod praescientia meritorum sit causa praedestinationis.

 5. De plus, la prédestination est la volonté du salut de l’homme, entendue non seulement en tant que volonté première (car par cette volonté il veut rendre tous les hommes sauvés comme le dit Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. dernier, col. 970] mais aussi entendue comme volonté seconde. Donc puisque la volonté seconde se rapporte aux mérites, il semble que la préscience des mérites soit la cause de la prédestination.

[2989] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omne illud quod respicit meritum est aliquo modo debitum, et non omnino gratuitum. Sed praedestinatio est ex gratuita voluntate, quam nulla merita advocant, ut dicit Augustinus, in Epistola CXCIV, ad Sixtum, col. 874. Ergo videtur quod praescientia meritorum non sit causa praedestinationis.

 Cependant :

1. Tout ce qui se rapporte aux mérites est en quelque sorte dû ou obligé et non totalement gratuit. Mais la prédestination vient d’une volonté gratuite qu’aucun mérite ne peut appeler comme le dit Saint-Augustin dans la Lettre CXCIV à Sixte, col. 874]. Il semble donc que la préscience des mérites ne soit pas la cause de la prédestination.

[2990] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, ad idem est totum quod in Littera adducitur.

 2. En outre, tout ce qui est amené dans la Lettre conduit à la même conclusion.

[2991] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod praescientia meritorum vel aliquorum operum, nullo modo est causa praedestinationis divinae ; quod patet, si consideretur totum id quod in praedestinatione est de essentia ipsius. Sed nihil prohibet, illud quod est effectus praedestinationis, scilicet gratia et gloria, quae oblique ponuntur in ejus definitione, habere aliquam causam ex parte nostrarum operum [operationum Éd. de Parme].

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la préscience des mérites ou de certaines œuvres n’est en aucune manière la cause de la prédestination divine ; et cela est clair si on considère tout ce qui dans la prédestination se rapporte à son essence. Mais rien n’empêche que ce qui est les effets de la prédestination, à savoir la grâce et la gloire, qui sont placées indirectement dans sa définition, soient causés en quelque sorte par nos œuvres [opérations Éd. de Parme].

De essentia autem [enim Éd. de Parme] praedestinationis est praescientia et voluntas salutis aliquorum. Scientia autem de salute eorum non causatur a scientia operum aliquorum ; quia ipse non venit in cognitionem effectus per causam, sed per seipsum. Unde non potest dici in eo, quod ipse scit hoc, quia scit causam hujus ; sed inquantum intuetur essentiam suam, quae est omnium similitudo, videt unumquodque in se, tam causam quam causatum.

 Mais [en effet Éd. de Parme] la préscience et la volonté du salut de certains hommes font partie de l’essence de la prédestination. Mais la science de leur salut n’est pas causée par la science de certaines œuvres ; car Lui-même n’en vient pas à la connaissance de l’effet par la cause mais par Lui-même. D’où l’on ne peut dire que Lui-même sait cela parce qu’il en sait la cause ; mais plutôt, en tant qu’il saisit son essence qui est une similitude de tout ce qui existe, il voit chaque chose en elle-même, aussi bien la cause que l’effet.

Similiter etiam voluntas sua cum sit libera, magis etiam quam aliqua voluntas ; non habet causam nisi finem voluntatis suae. Finis autem voluntatis suae est sua bonitas, quae est ipsemet: unde dicitur communiter quod Deus vult hoc propter bonitatem suam, non quia scivit [scit Éd. de Parme] hoc, vel quia hoc factum est. Sed tamen effectus voluntatis ejus, scilicet ipsum volitum ordinatum ad bonitatem suam, potest procedere ex aliqua causa quam Deus praescivit ab aeterno ; et istum ordinem causae ad causatum Deus vult, et vult quod effectus sit quia causa est ; non autem ita quod causalitas referatur ad voluntatem, sed ad volitum: et ista causa voliti, non volendi, dicitur ratio quaedam voluntatis ex parte effectus.

Sed haec causa in quibusdam habet completam rationem causae, [et sufficienter inducit effectum add. Éd. de Parme], quandoque vero est tantum dispositio. Ita etiam ad duplicem effectum praedestinationis diversimode se habet nostra opera [operatio Éd. de Parme] ; quia opus meritorium informatum gratia, est causa meritoria gloriae ; sed opus bonum praecedens gratiam, non est causa meritoria ejus, sed solum dispositio quaedam. Unde patet quod praedestinatio causam non habet, sed habet rationem ex parte effectus, secundum quam rationabilis [rationalis Éd. de Parme] et justa dicitur.

 De la même manière aussi puisque sa volonté est libre et bien davantage que toute autre volonté, elle n’a pas de cause si ce n’est la fin de sa volonté. Mais la fin de sa volonté est sa bonté, à savoir Lui-même : d’où l’on dit généralement que Dieu veut ceci à cause de sa bonté et non parce qu’il a connu [connaît Éd. de Parme] ceci ou parce que cela a été fait. Mais cependant l’effet de sa volonté, à savoir cela même qui voulu et qui est ordonné à sa bonté, peut procéder d’une cause que Dieu a connu d’avance de toute éternité ; et Dieu veut cet ordre ou ce rapport de la cause à l’effet et il veut que l’effet existe parce que la cause existe mais non pas cependant de telle manière que la causalité s’adresse à la volonté mais à l’objet voulu : et cette cause de l’objet voulu qui n’est pas la cause du vouloir, on l’appelle une certaine cause de la volonté du côté de l’effet.

Mais cette cause chez certains a complètement raison de cause [et conduit suffisamment à l’effet add. Éd. de Parme], mais parfois elle est seulement une disposition. De même encore nos euvres [nos opérations Éd. de Parme] se présentent différemment par rapport à deux effets de la prédestination ; car l’œuvre méritoire informée par la grâce est une cause qui est méritoire de la gloire ; mais l’œuvre bonne qui précède la grâce n’est pas une cause qui mérite la grâce, mais seulement une certaine disposition à son égard. D’où il est clair que la prédestination n’a pas de cause mais elle a une raison du côté de l’effet, raison selon laquelle on dit de la prédestination qu’elle est raisonnable [rationnelle Éd. de Parme] et juste.

[2992] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in illis verbis Ambrosii non designatur quod opus nostrum sit causa voluntatis divinae, neque etiam quod sit causa ipsius dationis gratiae, sed solum dispositio quaedam ; ut hoc intelligatur non de opere sequente gratiam, quod virtutem merendi habet a gratia, et neque causa ejus est, neque dispositio ad ipsam ; sed de opere praecedente, quod est dispositio ad gratiam.

Illi enim Deus proponit gratiam infundere quem praescit se ad gratiam praeparaturum ; non tamen propter praeparationem, quae non est sufficiens causa gratiae, nec finis voluntatis ejus, sed propter bonitatem suam. Vult tamen quod iste habeat gratiam, quia praeparavit se, secundum modum loquendi quo dicitur, quod dat sibi gratiam quia praeparavit se ; ut conjunctio denotet dispositionem et non causam. Sed respectu actus volendi non potest designare neque dispositionem neque causam ; non enim ideo voluit quia iste praeparavit se, sed solum quia bonus [bonum Éd. de Parme] est.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que par ces paroles Saint-Ambroise ne veut pas signifier que notre œuvre soit la cause de la volonté divine, ni même qu’elle soit la cause du don même de la grâce, mais seulement une certaine disposition, de telle manière que cela s’entende non pas de l’œuvre qui suit la grâce qui tient son pouvoir de mérite de la grâce et qui n’en est ni une cause ni même une disposition, mais de l’œuvre qui précède la grâce et qui dispose à la recevoir.

En effet, Dieu se propose de répandre la grâce en celui dont il sait à l’avance qu’il est préparé à la recevoir mais il ne le fait cependant pas à cause de la préparation, laquelle n’est pas une cause suffisante de la grâce ni même la fin de sa volonté, mais à cause de sa seule bonté. Il veut cependant que celui-ci possède la grâce car il s’est préparé, suivant en cela la manière de parler par laquelle on dit qu’il donne à un tel la grâce parce qu’il s’est préparé, de telle manière que la conjonction indique une disposition et non une cause. Mais par rapport à l’acte de vouloir elle ne peut désigner ni une cause ni même une disposition ; en effet, ce n’est pas parce que celui-ci s’est préparé que Dieu a voulu lui donner la grâce, mais seulement parce qu’il est bon [la bonté Éd. de Parme].

[2993] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod etiam in justo homine causa eliciens actum volendi est finis voluntatis ; sed ex parte effectus accipit causam ex opere hominum, quod discretionem in eis facit ; ut si quaereretur a justo judice: quare vis huic plus dare quam illi ? Si vellet reddere causam voluntatis, diceret: propter bonum justitiae, quod in hoc opere relucet. Si autem vellet assignare causam operis, diceret: eo quod iste magis dignus est. Sed tamen sciendum, quod praedestinatio, respectu ultimi effectus, habet rationem justitiae distributivae, scilicet respectu gloriae: et ideo possumus dicere quod Deus dat isti gloriam et non illi, quia iste meretur, et non ille ; et similiter vult quod iste habeat et non ille, quia iste dignus est et non ille. Sed respectu primi effectus, scilicet gratiae, habet rationem magis liberalitatis quam justitiae ; quia gratia datur gratis, et non redditur meritis. Unde ex parte recipientis non est assignare causam quare dignus sit gratia, sed solum dispositionem quamdam.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que même chez l’homme juste la cause qui provoque l’acte de vouloir est la fin de la volonté ; mais du côté de l’effet l’acte de vouloir reçoit sa cause de l’œuvre des hommes qui produit chez eux une séparation ; c’est comme si un juge juste demandait : pourquoi veux-tu donner plus à tel homme qu’à tel autre ? S’il voulait donner la cause  de la volonté, il dirait : à cause du bien de la justice qui transparaît dans cette œuvre. Mais s’il voulait désigner la cause de l’œuvre, il dirait : du fait que celui-ci est plus digne. Il faut cependant savoir que la prédestination, par rapport à l’effet ultime, à savoir la gloire, a raison de justice distributive : et c’est pourquoi nous pouvons dire que Dieu donne à un tel la gloire et non à tel autre parce que celui-ci la mérite et non tel autre ; et semblablement il veut que celui-ci la possède et non tel autre parce que celui-ci est digne et non tel autre. Mais par rapport au premier effet, à savoir la grâce, il a davantage raison de libéralité que de justice car la grâce est donnée gratuitement et n’est pas rendue en fonction des mérites. D’où il suit que du côté de celui qui reçoit il n’y a pas à identifier la cause pour laquelle il serait digne de la grâce, mais on ne peut trouver là qu’une certaine disposition.

[2994] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praescientia non est causa voluntatis, quia voluntas libera est. Possum enim illud quod scio, non velle: et ideo ratio non procedit ; quia causa eliciens actum voluntatis non est nisi finis ejus.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la préscience n’est pas la cause de la volonté puisque la volonté est libre. Ce que je sais en effet, je peux ne pas le vouloir et c’est là la raison pour laquelle l’argument ne tient pas car la cause qui provoque l’acte de la volonté n’est rien d’autre que sa fin.

[2995] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod electio divina requirit diversitatem in electis, non tamen quae sit causa voluntatis eligentis, immo potius e converso: sic enim dispositio ejus causat rerum diversitatem in naturis.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que l’élection divine exige une différence chez les élus, non pas une différence qui serait cause de la volonté qui choisit mais bien plutôt celle qui serait dans un rapport inverse: c’est ainsi en effet que sa disposition cause la diversité ou la différence des choses dans leurs natures.

[2996] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in intellectu praedestinationis includitur voluntas consequens quae respicit opera non quasi causam voluntatis, sed sicut causam meritoriam gloriae, et sicut praeparationem ad gratiam.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que dans la définition de la prédestination est comprise la volonté qui suit, laquelle se rapporte aux oeuvres non pas en tant qu’elles sont comme la cause de la volonté mais en tant qu’elles sont comme la cause méritoire de la gloire et comme une préparation à la grâce.

 

 

Articulus 4 [2997] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 tit. Utrum praedestinatio juvetur aliquo opere humano

 

Article 4 – La prédestination est-elle aidée par l’œuvre de l’homme ?

 

[2998] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 arg. 1 Quarto quaeritur, utrum praedestinatio juvetur aliquo opere humano. Et videtur quod non. Causa enim quae per se inducit effectum sine adjutorio alterius perfectior est quam quae adjuvatur ad effectum inducendum. Sed praedestinatio est causa perfectissima. Ergo non juvatur aliquo ad effectum suum.

Difficultés :

1. Il semble que non. En effet, la cause qui conduit par elle-même à un effet sans l’aide d’un autre est plus parfaite que celle qui est aidée pour produire son effet. Mais la prédestination est la cause la plus parfaite. Elle n’est donc pas aidée dans la production de son effet.

[2999] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, illud quo posito vel remoto, nihilominus manet effectus, non videtur juvare ad consecutionem effectus. Sed ex quo praedestinatio ponitur esse alicujus, sive aliquis oret pro eo sive non oret, salvabitur: quia praedestinatio irrita esse non potest. Ergo videtur quod omnino nihil juvet ad salutem ejus.

 2. Par ailleurs, ce qui, étant enlevé ou posé, l’effet demeure néanmoins, cela ne semble pas aider à atteindre l’effet. Mais du fait que la prédestination est posée, l’existence d’un être, que quelqu’un prie pour lui ou non, sera sauvée : car la prédestination ne peut être contrariée. Il semble donc qu’absolument rien n’aide à son salut.

[3000] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, effectus praedestinationis est gratia et gloria, quorum utrumque a solo Deo est. Ergo nihil aliud juvat ad praedestinationis effectum.

 3. En outre, l’effet de la prédestination est la grâce et la gloire, et les deux ne viennent que de Dieu. Donc, rien d’autre ne peut contribuer à produire l’effet de la prédestination.

[3001] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra est quod Gregorius dicit in Dial., liv. 1, cap. VIII, quod praedestinatio orationibus sanctorum juvatur ; quod probat per id quod habetur Genes. 25, quod Isaac oravit pro uxore sua Rebecca, eo quod sterilis esset ; et dominus dedit ei conceptum ; et tamen Jacob qui de illo conceptu natus est, praedestinatus erat ad vitam.

 Cependant :

1. Saint-Grégoire [Dial. 1, ch.  VIII] dit le contraire, à savoir que la prédestinatio est aidée par les prières des saints ; et il le manifeste au moyen de l’Écriture [Genèse 25], là où Isaac a prié pour son épouse Rébecca du fait qu’elle était stérile et le Seigneur lui a donné de concevoir et cependant Jacob, qui est né de cette conception, était prédestiné à la vie.

[3002] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, si praedestinatio non juvatur ex operibus nostris, ergo non oportet orare pro aliquo ut salvetur, et eadem ratione neque pro seipso ; neque aliquod opus bonum operari: et ita lex divina vana est, quae ad bonum operandum nos inducit.

 2. De plus, si la prédestination n’est pas aidée par nos œuvres, il n’est donc pas nécessaire de prier pour le salut d’un tel ni pour soi-même pour la même raison, et il n’est pas même nécessaire de faire des bonnes œuvres et ainsi la loi divine est inutile, laquelle nous amène à poser de bonnes opérations.

[3003] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 s. c. 3 Potentiae etiam [Praeterea, potentiae Éd. de Parme] naturales et habitus gratuiti in vanum erunt, ex quo non oportet nos operari ad consecutionem finis ; quae omnia inconvenientia sunt. Ergo praedestinatio orationibus sanctorum juvatur.

3. Les puissances [Par ailleurs, les puissances Éd. de Parme] naturelles et les habitus gratuits seront vains, du fait qu’il ne nous est pas nécessaire de travailler à la poursuite de la fin ; et toutes ces conséquences sont absurdes. La prédestination est donc aidée par les prières des saints.

[3004] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod ista quaestio dependet a praedicta, artic. antec.: eo enim modo praedestinatio juvatur quo causam habet. Unde sicut dictum est quod praedestinatio, inquantum est actus divinus, qui est velle vel scire, non habet aliquam causam ex parte nostra ; ita etiam nec ex parte ista adjutorium habet ; quia hunc actum qui est velle, Deus nulla creatura cooperante operatur. Sed effectus praedestinationis hoc modo habet adjutorium quo [quod Éd. de Parme] et causam habet.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que cette question dépend de celle qui précède dans l’article précédent : en effet, la prédestination est aidée de la manière par laquelle elle a une cause. Partant de là, tout comme nous avons dit que la prédestination, en tant qu’elle est un acte divin qui est le vouloir et le savoir, n’a aucune cause qui viendrait de nous, de même encore de ce côté elle n’a besoin d’aucune aide ; car cet acte qui est le vouloir, Dieu le pose sans aucune contribution de la part de la créature. Mais l’effet de la prédestination implique une aide de la manière par laquelle [qu’il Éd. de Parme] il a une cause.

Unde secundum hoc omnis causa cujus operatione interveniente completur effectus praedestinationis, dicitur praedestinationem juvare, vel per modum causae meritoriae, vel ex condigno, sicut aliquis habens gratiam meretur suo actu vitam aeternam ; vel ex congruo, sicut aliquis orando pro aliquo alio meretur ei primam gratiam, vel etiam persuadendo ad bonum ; unde 1 Corinth., 3, 9, dicitur: Dei enim adjutores sumus ; vel per modum dispositionis, sicut quando quis praeparat se ad habendam gratiam ; vel etiam naturali operatione, sicut motus caeli et omnes causae naturales juvant praedestinationem, inquantum eorum officio perficitur generatio et sustentatio electorum.

 D’où il s’ensuit conformément à cela qu’on dit de toute cause, par l’opération de laquelle est complété l’effet de la prédestination, qu’elle aide la prédestination, soit à la manière d’une cause méritoire, soit d’une manière tout à fait digne, tout comme celui qui possède la grâce mérite par son acte la vie éternelle ; soit à partir de ce qui convient, comme celui qui en priant pour quelqu’un d’autre lui mérite la première grâce, soit encore en le persuadant de faire le bien ; d’où l’Écriture [1 Corinthiens, 3, 9] dit : Nous sommes en effet des collaborateurs de Dieu ; soit à la manière d’une disposition, comme lorsque quelqu’un se prépare à recevoir la grâce ; ou encore par une opération naturelle, comme le mouvement du ciel et toutes les causes naturelles aident la prédestination dans la mesure où par leurs fonctions la génération et la conservation des élus est accomplie.

[3005] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod adjutorium istud non est propter indigentiam praedestinationis, sed ut salvetur ordo quem in rebus divina sapientia constituit, ut scilicet effectus procedat a causa prima mediantibus causis secundis.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que cette aide a lieu non pas à cause d’un manque ou d’un défaut du côté de la prédestination mais pour que soit conservé l’ordre que la sagesse divine a établi dans les choses, c’est-à-dire de telle manière que l’effet procède de la cause première par l’intermédiaire des causes secondes.

[3006] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in argumento supponitur falsum. Si enim Stephanus pro persecutoribus non orasset, forte Paulus salvus non fuisset: sicut si aliquis non faceret opera meritoria, non acciperet coronam quae praedestinata est sibi. Nec tamen praedestinatio frustrari potest: quia praescitum est a Deo quod iste tali causa et tali ordine salvabitur. Unde sicut est incompossibile praedestinationi quod iste non salvetur, ita est etiam sibi incompossibile quod non fuerit oratum pro eo, quamvis utrumque in se sit possibile non esse.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que cet argument suppose un principe qui est faux. Si en effet Stéphane n’avait pas prié pour ses bourreaux, peut-être que Paul n’aurait pas été sauvé, tout comme si quelqu’un ne faisait pas les œuvres méritoires, il ne recevrait pas la couronne qui lui est destinée. Et cependant la prédestination ne peut être contrariée car il est connu d’avance de Dieu que celui-ci sera sauvé par telle cause et par tel ordre. D’où il suit que tout comme il est impossible à la prédestination que celui-ci ne soit pas sauvé, de même il lui est aussi impossible qu’on ne priera pas pour lui, bien qu’il soit possible à chacun des deux pris en eux-mêmes de ne pas exister.

[3007] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod causa infundens gratiam est solus Deus ; sed dispositio ad gratiam potest esse ex ipso eodem qui gratiam recipit ; sed meritum gratiae ex congruo potest esse etiam alterius justi ; sed ex condigno est etiam ipsius hominis Christi, cujus merita efficaciam habuerunt in totam humanam naturam, quia ipse caput Ecclesiae est.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la cause qui répand la grâce est Dieu seul ; mais la disposition à la grâce peut venir de celui-là même qui reçoit la grâce ; mais le mérite de la grâce à partir du convenable peut aussi appartenir à un autre juste ; mais à partir d’une manière tout à fait digne elle appartient aussi à l’homme même du Christ, dont les mérites ont obtenu une efficacité dans toute la nature humaine car il est lui-même la tête de l’Église.

 

 

Articulus 5 [3008] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 tit. Utrum quidquid olim Deus scivit, modo sciat

 

Article 5 – Tout ce que Dieu a connu autrefois, le connaît-il maintenant ?

 

[3009] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 arg. 1 Quinto quaeritur, utrum quidquid Deus sciverit olim, modo sciat. Et videtur quod sic. Scientia enim Dei, ut supra habitum est, est invariabilis. Sed omnis scientia quae desinit esse alicujus cujus prius fuerat, variatur. Ergo videtur quod quidquid Deus olim scivit, modo sciat.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu sache maintenant ce qu’il a connu autrefois. La science de Dieu en effet, comme nous l’avons établi plus haut, est invariable. Mais toute science qui cesse d’exister sur un objet sur lequel elle portait avant est une science variable. Il semble donc que ce que Dieu a connu autrefois, il le connaît maintenant.

.[3010] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 arg. 2 Praeterea, omne scitum a Deo, aut accipitur ut res quaedam, aut ut enuntiabile significans esse rem. Sed quamcumque rem Deus scivit modo scit ; quia una et eadem res est quae modo est praesens et prius fuit futura et cras erit praeterita ; et similiter videtur esse una veritas enuntiabilis [enunciabilis Éd. de Parme], quia veritas enuntiabilis reducitur ad veritatem rei sicut ad causam. Ergo videtur quod quidquid Deus olim scivit, modo sciat, sive sit res, sive enuntiabile.

 2. Par ailleurs, tout ce qui est connu de Dieu est reçu soit comme une chose soit comme une énonciation signifiant que la chose existe. Mais toute chose que Dieu a connue il la connaît maintenant car c’est une seule et même chose qui est présente maintenant, qui avant était à venir et qui demain sera passée ; et semblablement il semble qu’il n’y ait qu’une seule et même vérité exprimée dans l’énonciation [qui puisse être énoncée Éd. de Parme] car la vérité de l’énonciation se ramène à la vérité de la chose comme à sa cause. Il semble donc que tout ce que Dieu a connu, il le sait maintenant, soit en tant que chose soit en tant qu’énonciation.

[3011] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, consignificatio se habet propinquius [propinquis Éd. de Parme] ad dictionem quam ad orationem. Sed diversus modus significandi non impedit unitatem nominis ; unde dicitur a grammaticis: albus, alba, album esse unum nomen, et sic de aliis. Cum ergo haec enuntiabilia, Socratem currere et cucurrisse, ad unum instans relata, in diversis temporibus prolata, non differant nisi per diversam consignificationem temporis, videtur quod sit unum enuntiabile ; et sic idem quod prius.

 3. En outre la cosignification est plus proche [est proche Éd. de Parme] du mot que du discours. Mais une manière différente de signifier n’empêche pas l’unité du nom ; d’où les grammairiens disent que blanc et blanche, c’est un seul et même nom et qu’il en est de même pour d’autres cas semblables. Donc, puisque ces énonciations, à savoir Socrate court et Socrate a couru, relatifs à un seul et même instant, mais prononcés à des moments différents, ne diffèrent que par une cosignification différente du temps, il semble qu’en réalité ces deux énoncés n’en soient qu’un seul et alors il faut conclure de la même manière que précédemment.

[3012] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea, aut unitas temporis pertinet ad unitatem enuntiabilis, aut non. Si pertinet ad unitatem enuntiabilis, ergo cum dicta enuntiabilia referantur ad unum tempus, videtur quod sit unum enuntiabile. Si autem non pertinet, ergo cum dicta enuntiabilia non distinguantur nisi per diversam consignificationem temporis, videtur quod sint unum enuntiabile.

 4. De plus, ou bien l’unité du temps appartient à l’unité de l’énonciation, ou bien ce n’est pas le cas. Si elle appartient à l’unité de l’énonciation, donc puisque les énonciations qui sont dites se rapportent à un seul temps, il semble qu’il y ait une seule énonciation. Mais si elle ne lui appartient pas, alors, puisque les énonciations qui sont dites ne se distinguent que par une cosignification différente du temps, il semble qu’il n’y ait qu’une seule énonciation.

[3013] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, enuntiabile etiam res quaedam est rationis. Sed quamcumque rem Deus scivit, scit. Ergo ex hoc etiam videtur sequi quod quodcumque enuntiabile Deus scivit, scit.

 5. Par ailleurs, l’énonciation est elle aussi une certaine chose, à savoir un être de raison. Mais toute chose que Dieu a connue, il la connaît. Il semble donc aussi découler de là que toute énonciation que Dieu a connue, il la connaît.

[3014] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra, omne verum est scitum a Deo [omne scitum a Deo est verum Éd. de Parme]. Sed quondam verum erat Christum esse moriturum. Ergo fuit scitum a Deo.

 Cependant :

1. Au contraire, tout ce qui est vrai est connu de Dieu [tout ce qui est connu de Dieu est vrai Éd. de Parme]. Mais il était vrai autrefois que le Christ allait mourir. Donc cela était connu de Dieu.

[3015] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 s. c. 2 Item, quidquid est scitum a Deo est verum. Ergo cum modo non sit verum Christum esse moriturum, non est scitum a Deo. Non ergo quidquid Deus scivit, scit.

 2. En outre, tout ce qui est connu de Dieu est vrai. Donc, puisque maintenant il n’est pas vrai que le Christ va mourir, cela n’est pas connu de Dieu. Donc, tout ce que Dieu a connu, il ne le connaît pas.

[3016] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 s. c. 3 Si dicas, quod in processu est figura dictionis, quia mutatur « quid » in « quando », contra: ista solutione posita, remanet eadem difficultas: quia mutabitur propositio et dicetur: non quodcumque enuntiabile Deus scivit, scit, ut conclusum est. Sed enuntiabile est aliquod scitum. Ergo non quidquid Deus scivit, scit.

3. Si tu dis qu’il y a un changement dans la configuration du mot parce que «quid», à savoir «quoi» est changé en «quando», à savoir en «quand», je réponds par contre qu’une fois posée cette solution, la difficulté demeure la même car la proposition sera changée et on dira : ce n’est pas tout énoncé que Dieu a connu, il connaît, qui est conclu. Mais une énonciation est queque chose de connu. Donc ce n’est pas tout ce que Dieu a connu qu’il connaît.

[3017] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 3, scientia Dei non tantum est rerum, sed etiam enuntiabilium. Si ergo scientia Dei referatur ad res, sic nulli dubium est quin omnem rem quam Deus scivit, sciat ; et sic optime procedit solutio Magistri in Littera.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, comme nous l’avons souligné plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 3] que la science de Dieu ne se rapporte pas seulement aux choses, mais aussi aux énonciations. Si donc la science de Dieu se rapporte aux choses, ainsi il n’est douteux à personne que toute chose que Dieu a connue, il la connaît ; et en ce sens la solution du Maître procède d’une manière excellente dans la Lettre.

Una enim et eadem res est quae significatur cum diversis temporibus profertur: Socrates currit et cucurrit ; scilicet cursus Socratis. Si autem referatur ad enuntiabilia, tunc super hoc fuit duplex opinio.

 En effet, c’est une seule et même chose qui est signifiée lorsqu’elle est prononcée en différents temps : en effet, qu’on dise Socrate court ou Socrate a couru, il s’agit toujours de la même course de Socrate. Mais si on se rapporte aux énonciations, alors à ce sujet il y a deux opinions.

Quidam enim dixerunt, quod ad unitatem rei significatae sequitur unitas enuntiabilis, quamvis etiam cum diversa consignificatione temporis proferatur ; et secundum hoc sequitur quod enuntiabile quod semel est verum, semper fuit et est verum ; et ita quod semel est scitum a Deo, semper erit scitum ab eo.

 Certains en effet ont dit que l’unité de l’énonciation suit l’unité de la chose signifiée, bien qu’encore elle soit prononcée avec une cosignification du temps qui est différente ; et d’après cette opinion il s’ensuit que l’énonciation qui a une fois été vraie le fut toujours et l’est encore ; et c’est ainsi que ce qui a été une fois connu de Dieu sera toujours connu de Lui.

Sed ista positio expresse contrariatur dictis Philosophi in Praedicamentis cap. « De substantiis » qui dicit, quod eadem propositio, scilicet Socrates sedet, quae prius erat vera, Socrate sedente, eodem surgente efficitur falsa. Et praeterea si ab unitate rei enuntiabile haberet unitatem, eadem ratione ex diversitate haberet diversitatem ; et ita hoc enuntiabile, Socratem currere, diversis temporibus prolatum, non esset unum, nec aliquod nomen significans diversas res unum esset ; et sic periret tam aequivocatio quam univocatio, quarum utraque requirit unitatem nominis quod pluribus convenit. Unde ab omnibus modernis conceditur, quod sunt duo diversa enuntiabilia, Socratem currere et cucurrisse, etiam si ad eumdem cursum referantur. Et secundum hoc distinguendum est de enuntiabili.

 Mais cette position est clairement contredite par les paroles du Philosophe [Les Prédicaments, ch. «Des substances»] qui dit que la même proposition, à savoir Socrate est assis, laquelle était vraie lorsque Socrate était assis, est fausse lorsqu’il se lève. Et par ailleurs, si l’énonciation tenait son unité de l’unité de la chose, pour la même raison elle tiendrait sa diversité de la diversité de la chose ; et ainsi cette énonciation, à savoir Socrate court ne serait plus une si elle était prononcée en des temps différents et aucun nom signifiant différentes choses ne serait un seul et même nom ; et c’est ainsi que disparaîtrait aussi bien l’équivoque que l’univoque, puisque les deux exigent qu’un même nom s’applique à plusieurs choses différentes. C’est pourquoi tous les modernes concèdent que les énoncés suivants, à savoir Socrate court et Socrate a couru, sont deux énoncés différents même s’ils se rapportent à la même course. Et c’est conformément à cela qu’il faut faire une distinction au sujet de l’énonciation.

Quia vel potest sumi inquantum est res quaedam rationis quasi materialiter ; et sic quodcumque enuntiabile scivit, scit: semper enim scit hoc enuntiabile, Socratem currere, habere talem naturam et tales partes. Vel potest sumi significative, prout per ipsum designatur esse rei cum suis conditionibus quae dantur intelligi ex consignificatione verbi ; et sic non quodcumque enuntiabile Deus scivit, scit. Scivit enim hoc enuntiabile esse verum, Christum crucifigi, cum crucifigebatur ; sed non scit modo esse verum, sed fuisse verum.

 En effet, elle peut s’entendre comme matériellement comme un certain être de raison ; et en ce sens, tout énoncé que Dieu a connu, il le connaît : en effet, il sait toujours que cet énoncé, à savoir Socrate court, possède telle nature et telles parties. Mais elle peut aussi s’entendre dans sa signification selon que par elle est désigné l’être de la chose avec ses conditions qui sont données à être comprises à partir de la cosignification du verbe ; et en ce sens ce n’est pas toute énonciation que Dieu a connue qu’il connaît. Il a su en effet que cet énoncé était vrai, à savoir que le Christ a été crucifié, lorsqu’il était crucifié ; mais il ne sait pas maintenant que cela est vrai, mais plutôt que cela a été vrai.

[3018] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod hoc non contingit ex aliqua mutatione facta circa scientiam Dei, sed circa rem ipsam. Sicut enim cum dicimus, Deus praescivit Christum moriturum, designatur respectus ad futurum, unde quando desinit esse futurum, Deus jam non praescit illud, nulla tamen mutatione in ejus praescientia facta ; ita etiam cum dicitur, Deus scivit Christum moriturum, designatur respectus futuri in participio. Unde re in praeteritum transeunte, non manet idem respectus, quo remoto, Deus nescit rem sub tali respectu esse. Unde non variatur ejus scientia qui uno intuitu omnia conspicit, sed variatur respectus et [in Éd. de Parme] natura rei. Contingit enim, ut supra dictum est, dist. XXXXVI qu. 1, art. 3, quod in relativis praedicationibus fiat mutatio reliquo [altero Éd. de Parme] extremorum mutato, altero invariabili manente.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que cela ne se produit pas à partir d’un changement qui a lieu sur la science de Dieu mais sur la chose elle-même. En effet, tout comme nous disons que Dieu a connu d’avance que le Christ allait mourir, cet énoncé désigne un rapport au futur, d’où il suit que lorsque cet événement cesse d’être futur, Dieu déjà ne connaît plus cela à l’avance, non pas cependant à cause d’un changement survenu dans sa préscience ; de même encore lorsque nous disons que Dieu a su que le Christ allait mourir, un rapport au futur est désigné dans le participe. C’est pourquoi, l’événement s’étant écoulé dans le passé, le rapport ne demeure plus le même et ce rapport ayant disparu, Dieu ne sait pas que la chose existe sous ce rapport. D’où il suit que sa science ne varie pas, laquelle saisit toutes les choses par une seule considération, mais c’est le rapport qui varie et [dans Éd. de Parme] la nature de la chose. Il est possible en effet, comme nous l’avons dit plus loin [dist. XXXXVI, quest. 1, art. 3] que dans les attributions relatives il y ait un changement alors que l’un [l’autre Éd. de Parme] des extrêmes est changé et que l’autre demeure inchangé.

[3019] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis veritas enuntiabilis causetur ab esse rei, non tamen oportet quod propter unitatem rei enuntiabile unitatem habeat, sed veritatem. Unitatem autem habet et diversitatem ex his ex quibus essentialiter constituitur, scilicet ex partibus suis ; unde cum diversae sint partes horum enuntiabilium, Socratem currere et cucurrisse, diversa sunt enuntiabilia.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que la vérité de l’énonciation soit causée par l’existence de la chose, il n’est cependant pas nécessaire que l’énonciation tienne son unité de l’unité de la chose, mais seulement la vérité. Mais l’énonciation tient plutôt son unité et sa diversité des éléments à partir desquels elle est constituée, à savoir de ses parties ; et c’est pourquoi, puisque les parties de ces énonciations sont différentes, à savoir Socrate court et Socrate a couru, nous avons là des énonciations différentes.

[3020] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod diversus modus significandi facit etiam diversum nomen ; sed quod dicatur idem nomen a grammatico, hoc non est quia simpliciter sit unum, cum sint plures voces, albus, alba, album, et multiplicato genere, quod est vox, necesse sit multiplicari speciem, quod est nomen ; unde ubi multae voces et multa nomina ; sed dicuntur unum nomen quia pertinent ad idem condeclinium.

 3. Il faut dire en troisième lieu qu’un mode différent de signifier entraîne aussi un nom différent ; mais ce qui est appelé un même nom par le grammairien, ce n’est pas pour cette raison que ce nom est absolument un puisqu’il y a plusieurs mots, à savoir albus, alba, album qui en latin veulent dire blanc, blanche, etc., et si on multiplie le genre qui est le mot, il est nécessaire qu’on multiplie l’espèce qui est le nom ; d’où il suit que là où il y a plusieurs mots, il y a plusieurs noms ; mais ces termes sont appelés un seul nom parce qu’ils appartiennent à la même codéclinaison.

[3021] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod tempus significatum est extra essentiam enuntiabilis ; et ideo ab eo enuntiabile non concipit unitatem vel diversitatem sed a tempore consignificato: quia propter diversam consignificationem temporis sunt diversae terminationes verborum et diversae voces ; unde et diversa enuntiabilia.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que le temps qui est signifié est extérieur à l’essence de l’énonciation ; et c’est pourquoi ce n’est pas de lui que l’énonciation contient l’unité ou la diversité mais du temps cosignifié : car c’est à cause d’une cosignification différente du temps qu’il y a différentes terminaisons des verbes et différents mots ; et c’est pourquoi il y a différentes énonciations.

[3022] Super Sent., lib. 1 d. 41 q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod accipiendo enuntiabile ut est res quaedam, sic procedit argumentatio ; sed sic non est ad propositum.

 5.Il faut dire en cinquième lieu que l’argument procède en prenant l’énonciation en tant que chose ; mais en procédant de la sorte, il ne se rapporte pas au propos.

 

 

Distinctio 42

Distinction 42[20] -- [La condition de la toute puissance de Dieu[21]]

 

 

Prooemium

Prologue[22]

 

 

lib. 1 d. 42 q. 1 pr. Determinato de scientia Dei, hic Magister secundo determinat de potentia ejus ; et dividitur in partes duas : in prima Magister ostendit universalitatem potentiae ipsius, secundum quam omnipotens dicitur ; in secunda excludit quorumdam errorem, potentiam Dei limitantium, 43 dist. : quidam tamen de suo sensu gloriantes, Dei potentiam sub mensura coarctare conati sunt.

Ayant traité de la science de Dieu, le Maître traite ici en deuxième lieu de sa puissance et cette section se divise en deux parties : dans la première le Maître manifeste l’universalité de sa puissance selon laquelle on dit de Dieu qu’il est tout-puissant ; dans la deuxième il écarte une erreur de certains qui limitent, à la distinction 43, la puissance de Dieu : certains cependant, se glorifiant de leur jugement, se sont efforcés de réduire la puissance de Dieu à une mesure.

Prima in duas : in prima inquirit, quare Deus omnipotens dicatur ; in secunda quaestionem determinat, ibi : quod enim Deus omnia possit, pluribus auctoritatibus comprobatur [1] Et dividitur in duas : in prima determinat quaestionem tenendo alteram partem ; in secunda solvit ea quae pro parte reliqua inducuntur, ibi : ex quibusdam autem auctoritatibus traditur, ideo vere dici omnipotentem, quia quidquid vult potest. [4]

La première partie se divise elle-même en deux : dans la première il se demande pourquoi on dit de Dieu qu’il est tout-puissant ; dans la deuxième il répond à la question, là où il dit : que Dieu soit tout-puissant, cela est confirmé par de nombreuses autorités [1]. Et cette dernière se divise en deux parties : dans la première il répond à la question en prenant une des parties ; dans la deuxième il résout les difficultés qui sont introduites en faveur de la partie qui reste, là où il dit : cependant certaines autorités enseignent qu’il est véritablement tout-puissant pour cette raison qu’il peut tout ce qu’il veut. [4]

Circa primum tria facit : primo ostendit veritatem, scilicet quod Deus omnia possit ; secundo excludit quasdam instantias, tres scilicet, quarum prima est de actibus corporalibus, secunda de peccatis, tertia de passionibus, ibi : sed quaeritur quomodo omnia posse dicatur, cum nos quaedam possimus quae ipse non potest [2] ; tertio ex dictis concludit perfectam omnipotentiae rationem, ibi : hic ergo diligenter considerantibus omnipotentia ejus secundum duo apparet…[3] Ex quibusdam tamen auctoritatibus traditur, ideo vere dici omnipotentem, quia quidquid vult potest [4].

Au sujet du premier point il fait trois choses : en premier lieu il manifeste la vérité, à savoir que Dieu peut tout ; en deuxième lieu il écarte certaines objections qui sont au nombre de trois, dont la première porte sur les actes corporels, la deuxième sur les péchés et la troisième sur les passions, là où il dit : mais on se demande comment on peut dire de lui qu’il peut tout puisque nous sommes capables de certaines choses dont Lui-même n’est pas capable [2] ; en troisième lieu, en partant de ce qui a été dit, il termine avec une définition parfaite de la toute-puissance, là où il dit : ici donc, pour ceux qui examinent la question avec soin, la toute-puissance de Dieu apparaît d’après deux… [3] Cependant certaines autorités enseignent que la raison pour laquelle on dit de Dieu qu’il est tout-puissant, c’est qu’il peut tout ce qu’il veut [4].

Hic inducit ea quae ad alteram partem quaestionis facere videntur, quod scilicet dicatur omnipotens, quia omnia potest facere quae vult ; et dividitur in partes tres : in prima inducit auctoritates ad partem illam ; in secunda solvit eas, ibi : sed ad hoc potest dici [5] ; in tertia assignat relationis multiplicitatem, ut videatur qualiter hoc etiam Deo sit proprium, ibi : sed cave quomodo intelligas, potest quidquid vult [6].

Il introduit ici les difficultés qui semblent jouer en faveur de l’autre partie de la question, à savoir qu’on dit de Lui qu’il est tout-puissant parce qu’il peut faire tout ce qu’il veut ; et cette section se divise en trois parties : dans la première partie il introduit les autorités en faveur de cette partie ; dans la deuxième il les résout, là où il dit : mais on peut répondre à cela [5] ; dans la troisième il assigne la multiplicité de la relation afin de voir de quelle manière cela aussi est propre à Dieu, là où il dit : mais prends garde à la manière dont tu entends qu’il peut tout ce qu’il veut [6].

Hic est duplex quaestio. Prima est de potentia Dei secundum se. Secunda de his quae suae potentiae subjacent. Circa primum quaeruntur duo : 1 utrum potentia Deo conveniat ; 2 utrum in eo sit una potentia, vel plures.

On examine donc ici deux questions. La première porte sur la puissance de Dieu en elle-même. La deuxième porte sur les choses qui sont soumises à sa puissance. Au sujet de la première on pose deux questions :

1. Est-ce que la puissance convient à Dieu ?

2. Y a-t-il en Lui une seule puissance ou plusieurs ?

 

 

 

Question 1 – [La puissance de Dieu en soi]

 

 

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Deo sit potentia.

Article 1 – Y a-t-il de la puissance en Dieu ?

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod potentia Deo non conveniat. Sicut enim potentia se habet ad actum, ita habet se primus actus ad potentiam. Sed primae potentiae, quae est materia, non est aliquis actus qui sit de essentia ejus. Ergo nec primi actus, qui est Deus, est aliqua potentia.

Difficultés :

1. Il semble que la puissance ne convienne pas à Dieu. En effet, la puissance est à l’acte ce que l’acte premier est à la puissance. Mais pour la puissance première qui est la matière, il n’y a pas d’acte qui fasse partie de son essence. Donc, il n’y a pas non plus de puissance qui appartienne à l’acte premier qui est Dieu.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod agit per essentiam suam, [non[23]]agit mediante aliqua potentia ; quia potentia est medium inter essentiam et operationem. Sed Deus cum sit primum agens, non participatione alicujus, sed per essentiam suam agit, ut Dionysius dicit, et Avicenna probat. Ergo non convenit sibi aliqua potentia per quam agat.

2. Par ailleurs, tout ce qui agit par son essence n’agit pas par l’intermédiaire d’une puissance car la puissance est un intermédiaire entre l’essence et l’opération. Mais Dieu, puisqu’il est l’agent premier et qu’il agit par son essence et non en participant d’un autre être comme le dit Denys et le prouve Avicenne, c’est pourquoi il ne convient pas à Dieu qu’il agisse au moyen d’une puissance.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis potentia vel est activa vel passiva, secundum philosophum. Sed Deo non convenit potentia passiva, quia nihil potest pati, ut in littera dicitur : nec iterum activa, quia, sicut ibidem dicitur a philosopho, potentia activa est principium transmutationis in aliud, secundum quod est aliud ; Deus autem in agendo non requirit materiam in quam agat. Ergo videtur quod nullo modo sibi potentia conveniat

3. Par ailleurs, toute puissance est ou bien active, ou bien passive, d’après le Philosophe [V Métaphysique, texte 17]. Mais la puissance passive ne convient pas à Dieu puisqu’Il ne peut rien pâtir, comme on le dit dans la Lettre ; et la puissance active non plus ne peut lui convenir car, comme le dit au même endroit le Philosophe, la puissance active est un principe de changement dans un autre en tant qu’autre ; mais Dieu, lorsqu’il agit, n’exige pas une matière sur laquelle il agit. Il semble donc que la puissance ne lui convienne d’aucune manière.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omnis potentia est principium alicujus operationis. Sed Deo non convenit operatio, nisi quae sit sua essentia. Cum ergo suae essentiae nihil sit principium, quia essentia neque est genita neque procedens, videtur quod potentia sibi non conveniat.

4. En outre, toute puissance est le principe d’une opération. Mais en Dieu il n’y a d’opération que celle qui est son essence. Donc, puisque rien n’est le principe de son essence car son essence n’est pas engendrée et ne procède de rien, il semble que la puissance ne lui convienne pas.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, Dei potentia aut est semper conjuncta actui, aut non. Si primo modo, omnis autem potentia conjuncta actui inducit effectum quandocumque ipsa est ; potentia autem Dei ab aeterno fuit ; ergo et effectus ejus, scilicet creaturae, ab aeterno sunt : quod haereticum est. Si secundo modo, omnis autem potentia non conjuncta actui, et conjungibilis, est imperfecta, et perficitur per actum ; ergo aliquid imperfectum erit in Deo : quod cum sit inconveniens, videtur potentia omnino in Deo non esse.

5. De plus, la puissance de Dieu dans tous les cas est unie ou non à un acte. Si elle l’est, toute puissance unie à un acte est conduit cependant à son effet tant qu’elle-même existe ; cependant la puissance de Dieu a existé de toute éternité ; donc son effet aussi, à savoir les créatures, ont existé de toute éternité, ce qui est hérétique. Si elle ne l’est pas, toute puissance qui n’est pas unie à un acte et peut lui être unie est cependant imparfaite et trouve son achèvement par l’acte : il y aura donc quelque chose d’imparfait en Dieu ; et puisque cela est contradictoire, il semble que la puissance n’existe absolument pas en Dieu.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra est quod habetur Luc. 1, 49 : fecit mihi magna qui potens est. Et in Psalm. 88, 10 : potens es, domine, et veritas tua in circuitu tuo.

Cependant :

1. Au contraire l’Écriture [Luc, 1, 49] nous dit : Dieu, le Tout-Puissant, a fait pour moi de grandes choses. Et on y [Psaume 88, 10] lit aussi : Tu es puissant, Seigneur, et ta vérité t’environne.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis effectus producitur per potentiam causae efficientis. Sed Deus est causa efficiens rerum. Ergo in ipso oportet potentiam ponere.

2. En outre, tout effet est produit par la puissance d’une cause efficiente. Mais Dieu est la cause efficiente des choses. Il faut donc soutenir qu’il y a de la puissance en Lui.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod nomen potentiae primo impositum fuit ad significandum potestatem hominis, prout dicimus aliquos homines esse potentes, ut Avicenna dicit, et deinde etiam translatum fuit ad res naturales. Videtur autem in hominibus esse potens qui potest facere quod vult de aliis sine impedimento ; et secundum quod impediri potest, sic minuitur potentia ejus. Impeditur autem potentia alicujus vel naturalis agentis vel etiam voluntarii, inquantum potest pati ab aliquo.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le nom de puissance fut imposé en premier lieu pour signifier la puissance de l’homme, selon que nous disons que certains hommes sont puissants, comme Avicenne le dit, et ce mot fut ensuite transféré aux choses naturelles. Il semble cependant que celui qui est puissant chez les hommes est celui qui peut faire ce qu’il veut des autres sans en être empêché ; et c’est selon qu’il peut en être empêché que sa puissance se trouve à être diminuée. Mais la puissance d’une être, qu’il s’agisse d’un agent naturel ou d’un agent volontaire, est empêchée selon qu’il peut subir ou pâtir quelque chose de la part d’un autre.

 

Unde de ratione potentiae, quantum ad primam impositionem sui, est non posse pati. Unde etiam illud quod non potest pati, etsi nihil possit agere, dicimus potens ; sicut dicitur durum quod habet potentiam ut non secetur. Et ex hoc concluditur perfecta ratio potentiae in Deo : tum quia omnia agit, quod convenit sibi inquantum est actus primus et perfectus (nihil enim agit nisi secundum quod est actu ens) tum quia nihil patitur, quod convenit sibi inquantum est actus purus sine permixtione alicujus materiae : unumquodque enim patitur ratione alicujus materialis in ipso.

D’où il suit que, quant à sa première imposition, ne pouvoir pâtir fait partie de la définition de la puissance. D’où il suit aussi que nous appelons puissant l’être qui ne peut pâtir, mais s’il ne peut rien faire ou agir ; par exemple nous appelons dur ce qui n’a aucune puissance à être coupé. Et c’est à partir de là qu’est conclue la définition parfaite de la puissance en Dieu : tant parce qu’il fait tout, ce qui lui convient en tant qu’il est l’acte premier et parfait (en effet, tout agent agit selon qu’il est un être en acte) que parce qu’il ne pâtit ou ne subit rien, ce qui lui convient en tant qu’il est un acte pur qui n’est mélangé à aucune matière : en effet, tout être pâtit en raison de ce qu’il y a de matériel en lui.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod esse primam potentiam non convenit materiae secundum principalem significationem potentiae : quia, ut dictum est, in corp. art., potentia primo imposita est ad significandum principium actionis ; sed secundo translatum est ad hoc ut illud etiam quod recipit actionem agentis, potentiam habere dicatur ; et haec est potentia passiva ; ut sicut potentiae activae respondet operatio vel actio, in qua completur potentia activa ; ita etiam illud quod respondet potentiae passivae, quasi perfectio et complementum, actus dicatur. Et propter hoc omnis forma actus dicitur, etiam ipsae formae separatae ; et illud quod est principium perfectionis totius, quod est Deus, vocatur actus primus et purus, cui maxime illa potentia convenit.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’être la première puissance ne covient pas à la matière selon la signification première de la puissance car, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, le nom de puissance a été imposé en premier lieu pour signifier le principe de l’action ; mais il a été en deuxième lieu transféré à autre chose de telle manière qu’on dise aussi de ce qui reçoit l’action de l’agent qu’il possède de la puissance, laquelle puissance dans ce cas est la puissance passive ; de la sorte, tout comme à la puissance active correspond l’opération ou l’action dans laquelle la puissance active trouve son achèvement, de même aussi ce qui correspond à la puissance passive en tant que perfection et achèvement s’appelle acte. Et c’est pour cette raison que toute forme s’appelle acte, même les formes séparées ; et ce qui est le principe de toute perfection, à savoir Dieu, est appelé acte premier et pur, et la puissance lui convient au plus haut point.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod potentia importat, [ut dictum est, in Resp. ad primum, Éd. Parme] rationem principii actionis ; unde quidquid sit illud quod est principium agendi, potentia dicitur, sicut calor et frigus, et hujusmodi ; et sic etiam ipsa essentia divina, secundum hoc quod est principium operationis, potentia vocatur, non quod potentia sit aliud ab essentia in Deo.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la puissance implique [comme nous l’avons dit dans la réponse à la première difficulté Éd. De Parme] la notion de principe d’action; il suit de là que tout ce qui est principe d’action est appelé puissance, comme la chaleur, le froid et les choses de la sorte; et en ce sens, l’essence divine elle-même, en tant qu’elle est principe d’opération, est appelée puissance, mais non pas dans le sens où la puissance serait autre chose que l’essence en Dieu.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Deo nullo modo potentia passiva convenit, sed activa tantum. Potentiae autem activae accidit quod requirat subjectam materiam in quam agat, inquantum est imperfecta, non potens in totam rei substantiam : quae imperfectio a divina potentia removetur. Vel dicendum, quod secundum Avicennam, agens aliter dicitur in naturalibus et in divinis : agens enim naturale agit per motum : et quia omnis motus est actus existentis in potentia, ideo requiritur materia, quae motui substernatur : divinum autem agens agit in eo quod dat esse non per motum ; unde potentia activa est principium operationis in aliud sicut in effectum productum, non sicut in materiam transmutatam.

3. Il faut dire en troisième lieu que la puissance passive ne convient aucunement à Dieu, mais seulement la puissance active. Mais il arrive à la puissance active, en tant qu’elle est imparfaite et impuissante à agir sur toute la substance de la chose, d’exiger comme sujet une matière sur laquelle elle agit; mais cette imperfection doit être exclue de la puissance divine. Ou bien il faut dire que selon Avicenne, l’agent se dit autrement pour les choses naturelles et pour Dieu: l’agent naturel en effet agit au moyen du mouvement et parce que tout mouvement est l’acte de ce qui est en puissance, c’est pourquoi un tel agent exige la matière qui est comme le fondement du mouvement; mais l’agent divin agit en ceci qu’il donne l’existence sans recourir au mouvement; d’où il suit que la puissance active est le príncipe d’opération dans un autre comme dans un effet produit et non comme dans une matière transformée.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus non agit operatione media, quae sit aliud ab essentia sua ; sed suum esse est suum operari, et suum operari est sua essentia : nihilominus tamen essentia significatur ut principium essendi ; et eadem ratione potest significari potentia ut principium operandi, et praeter hoc ut principium operati.

4. Il faut dire en quatrième lieu que Dieu n’agit pas par une opération intermédiaire qui serait autre que son essence; mais son existence même est son opération et son opération est son essence: néanmoins cependant l’essence est signifiée comme príncipe d’existence; et pour la même raison la puissance peut être signifiée comme príncipe d’opération et en outre comme príncipe de l’oeuvre en tant qu’effet de l’opération.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod operatio sua est idem quod potentia sua secundum rem ; et ideo non potest operationi suae potentia non esse conjuncta. Nec tamen semper consequitur effectus quandocumque operatio est, quia operatio quodammodo regulatur voluntate et sapientia ordinante ; unde effectus non sequitur nisi ad nutum voluntatis divinae, secundum cujus dispositionem ex operatione aeterna sequitur effectus temporalis.

5. Il faut dire en cinquième lieu que son opération, en réalité, est identique à sa puissance; et c’est pourquoi il n’est pas possible à son opération de ne pas être unie à sa puissance. Et cependant l’effet ne suit pas toujours à chaque fois qu’il y a opération parce que l’opération est en quelque sorte réglée par la volonté et par la sagesse qui ordonne; d’où il suit que l’effet ne s’ensuit qu’au gré de la volonté divine et c’est suivant la disposition de cette dernière qu’à partir d’une opération éternelle s’ensuit un effet temporel.

 

 

Articulus 2 : Utrum in Deo sit tantum una potentia. lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 tit.

Y a-t-il en Dieu une seule puissance ?

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod non sit tantum una potentia in Deo. Non enim potest esse unum et idem proprium uni, et pluribus commune. Sed potentia creandi communis est tribus personis ; posse autem generare proprium est patri. Ergo est alia et alia potentia.

Difficultés :

1. Il semble qu’il n’y ait pas qu’une seule puissance en Dieu. Il est impossible en effet qu’une seule et même chose soit propre à l’un et commune à plusieurs. Mais la puissance de créer est commune aux trois personnes ; cependant la puissance d’engendrer est propre au Père. Ce sont donc là deux puissances différentes.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, in nobis inveniuntur quidam actus naturales, ut generare, et hujusmodi ; et quidam voluntarii, ut aedificare domos, et hujusmodi ; et quidam animales, ut intelligere, scire, et hujusmodi. Sed hujusmodi actus reducuntur in nobis in diversas potentias. Cum igitur singulis praedictorum actuum respondeat similis actus in Deo, quia dicimus ipsum scientem, creantem, et generantem : videtur quod sit plures potentias in eo ponere, ad quas isti actus reducuntur.

2. Par ailleurs, on retrouve en nous certains actes qui sont naturels, comme engendrer et les actes de cette sorte, et d’autres qui sont volontaires, comme construire des maisons et des actes de cette sorte, et enfin d’autres qui sont des actes de l’âme, comme comprendre, savoir, etc. Mais de tels actes se ramènent en nous à des puissances différentes. Donc, puisqu’à chacun de ces actes correspond un acte semblable en Dieu, car nous disons de lui qu’il sait, qu’il crée et qu’il engendre, il semble qu’il faille poser plusieurs puissances en Lui auxquelles se ramènent ces actes.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum philosophos[24], substantiae separatae dividuntur in intellectum et voluntatem. Non autem sicut in diversas naturas. Ergo sicut in diversas potentias. Ergo in Deo ad minus sunt duae potentiae.

3. En outre, d’après les philosophes, les substances séparées se distinguent en intelligence et en volonté, mais non pas en tant que natures différentes. Il faut donc que ce soit en tant que puissances différentes. Donc, il y a au moins deux puissances en Dieu.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ratio potentiae consistit in hoc quod est esse principium operationis. Sed quodlibet attributum divinum, [secundum propriam rationem [add. Éd. Parme] est principium operationis : quia ex bonitate ejus fluit omnis bonitas, et ex vita ejus fluit omnis vita, et sic de aliis, ut Dionysius tradit. Ergo sicut dicimus plura attributa, sic debemus dicere plures potentias.

4. De plus, la notion de puissance consiste en ceci qu’elle est un principe d’opération. Mais tout attribut divin [d’après la notion qui lui est propre add. Éd. de Parme] est principe d’opération : car c’est de sa bonté que découle toute bonté, et c’est de sa vie que découle toute vie et il en est de même pour le reste ainsi que l’enseigne Denys. Donc, tout comme nous disons plusieurs attributs, de même nous devons dire plusieurs puissances.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, secundum Augustinum, quidquid in divinis absolute dicitur, singulariter et non pluraliter praedicatur. Sed potentia inter absoluta continetur. Ergo non sunt plures potentiae in Deo, sed una tantum.

Cependant :

1. Selon Saint-Augustin au contraire, tout ce qui est attribué en Dieu d’une manière absolue, s’attribue au singulier et non au pluriel. Mais la puissance fait partie des attributs absolus. Il n’y a donc pas plusieurs puissances en Dieu mais une seule.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in Lib. de causis, omnis virtus unita plus est infinita quam multiplicata. Sed virtus divina est maxime infinita. Ergo videtur quod sit maxime una, nullam multitudinem [multiplicationem Éd. Parme] habens.

2. Par ailleurs, selon le Philosophe dans son Livre sur les Causes, toute puissance qui est une est plus infinie que si elle est multipliée. Mais la puissance divine est suprêmement infinie. Il semble donc qu’elle soit suprêmement une et qu’elle ne possède aucune multiplicité [multiplication Éd. de Parme].

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod in Deo simpliciter et absolute dicendum est unam tantum potentiam esse.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il n’y a en Dieu, simplement et absolument, qu'une seule puissance.

Cum[25] enim potentia secundum modum intelligendi sit medium inter essentiam et operationem, ex utraque parte potest ejus unitas et diversitas pensari. Sed tamen simpliciter unitatem et multiplicationem habet ex parte essentiae : non quae est subjectum ejus, quia contingit in una essentia plures esse virtutes vel potentias ; sed ex parte essentiae quae est immediatum principium actus : sicut in igne alia est potentia qua fertur sursum, scilicet levitas, alia qua dissolvit vel urit, scilicet caliditas ; et ex parte autem operationis non dicitur una vel plures simpliciter, sed secundum quid : quia tunc magis dicitur esse una potentia plurium, quam plures potentiae. Et ita cum immediatum principium cujuslibet suae operationis sit sua essentia, quae simpliciter una est ; ideo et potentia una est. Sed inquantum est principium operationum distinctarum secundum rationem, accipit aliam et aliam rationem potentiae, sicut et essentia habet plures rationes attributorum. Nec tamen ex hoc est quod sint plures, sed tantum una potentia.

En effet, comme la puissance selon la manière de la comprendre est intermédiaire entre l'essence et l'opération, son unité et sa diversité peuvent être considérées des deux côtés. Mais cependant c’est d’une manière absolue qu’elle possède l'unité et la multiplicité du côté de l'essence, non pas de celle qui est son substrat, parce qu'il arrive que dans une seule essence il y ait plusieurs pouvoirs ou puissances, mais du côté de l'essence qui est le principe immédiat de l'acte, comme dans le feu il y a une puissance par lequel il est porté vers le haut, c'est-à-dire la légéreté, et une autre qui dissout ou brûle, c'est-à-dire la chaleur. Mais du côté de l'opération  la puissance ne possède pas l’unité ou la multiplicité absolument, mais sous un certain rapport, parce qu'alors on dit davantage qu'il y a une seule puissance pour plusieurs [opérations] que plusieurs puissances. Et ainsi comme le principe immédiat de chacune de ses opérations est son essence, qui est absolument une, c’est pourquoi il n’y a aussi qu’une seule puissance. Mais en tant qu'elle est principe d'opérations distinctes selon la raison, elle reçoit à chaque fois une définition différente de la puissance, tout comme l'essence qui a plusieurs natures d'attributs. Et cependant de ce fait, il n’y en a pas plusieurs, mais seulement une.

Potentia enim activa, quae sola in Deo invenitur, potest dupliciter considerari : vel quantum ad essentiam potentiae, vel quantum ad actiones quae a potentia procedunt.

En effet, la puissance active, qui seule se trouve en Dieu, peut être considérée de deux manières : soit quant à l’essence de la puissance, soit quant aux actions qui procèdent de la puissance.

Dico autem essentiam potentiae illud quod est immediate principium actus, in quocumque genere sit, sicut calor principium calefactionis. Principium autem omnium divinarum operationum est sua essentia, quia per essentiam suam agit. Unde sicut essentia sua est una re, pluralitatem quamdam rationum habens secundum diversa attributa, ut supra dictum est, dist. 2, qu. Unic. art. 2, ita etiam potentia Dei re est una, sed secundum diversas rationes attributorum pluralitatem rationum accipit : cuilibet enim attributo convenit ratio potentiae, secundum quod competit esse principium operationis. Et quia operatio Dei est ejus essentia, ideo etiam ipsa est una secundum rem, diversimode significata secundum diversas rationes diversorum attributorum, et secundum diversitatem effectuum, qui simpliciter plures sunt.

J'appelle cependant essence de la puissance ce qui est immédiatement principe de l’acte, en quelque genre que ce soit, comme la chaleur est le principe de l’échauffement. Mais le principe de toutes les opérations divines est son essence, parce que c’est par elle que Dieu agit. C’est pourquoi, de même que son essence est une en réalité, avec une certaine pluralité de raisons selon les différents attributs, comme on l’a dit plus haut (dist.2, quest. unique, art.2), de même la puissance de Dieu est une en réalité, mais selon les diverses raisons des attributs[26], elle reçoit une pluralité de raisons ; car à chaque attribut convient la raison de puissance selon qu’il lui convient d’être un principe d’opération. Et parce que l’opération de Dieu est son essence, c’est pourquoi elle-même est une en réalité, mais signifiée de différentes manières, selon les différentes raisons des différents attributs, et selon la diversité des effets qui sont absolument multiples.

Patet ergo quod potentia, sive secundum essentiam suam consideretur, sive etiam per comparationem ad divinam operationem, secundum quod in operante est, unitatem habet ; sed multitudo realis est tantum in effectibus qui ex operatione divina causantur. Et ideo patet quod absolute dicendum est, potentiam divinam esse unam ; sed tamen quod est plurium ; quia judicium de unitate rei absolute sumendum est secundum essentiam ejus, et non secundum id quod extra est.

Il est donc clair que la puissance, qu’elle soit considérée selon son essence ou même par rapport à l’opération divine, selon qu’elle est dans celui qui opère, possède l’unité : mais la multiplicité réelle n’existe que dans les effets qui sont causés par l’opération divine. Et c’est pourquoi il est clair qu’il faut absolument dire que la puissance divine est une, mais cependant qu'elle se rapporte à plusieurs opérations, parce que le jugement sur l’unité de la chose doit absolument être tiré de son essence et non de ce qui lui est extérieur.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod potentia generativa nominat essentiale conjunctum notionali, sicut cum dicitur, Deus generat. Unde illud quod est essentiale pertinens ad rationem potentiae commune est tribus, sicut est potentia essendi : eadem enim potentia pater generat, et filius nascitur, sed notio remanet propria patri et hoc plenius patet ex dictis supra, distinct. 26, quaest. 2, art. 3.

Solutions :

1. La puissance générative désigne ce qui concerne l'essentiel[27] joint à la notion[28], comme quand on dit que Dieu engendre. D’où il suit que ce qui est l’essentiel et appartient à la notion de puissance est commun aux trois personnes, comme la puissance d’exister : en effet, c’est par la même puissance que le Père engendre et que le Fils naît, mais la notion demeure propre au Père, et cela apparaît plus pleinement à partir de ce qui a été dit plus haut (dist.26, qu.2, art.3[29]).

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deo idem est principium essendi et operandi ; unde sicut Deus eodem est unus, ens, justus, et sic de aliis ; ita ipse eodem operatur actus diversarum rationum, nos autem diversis.

2. Il faut donc dire en deuxième lieu qu’en Dieu le principe d’être et celui d’opérer est le même[30] ; c’est pourquoi, tout comme c’est par le même principe que Dieu est un, qu’il existe, qu’il est juste etc., de même c’est par le même principe que lui-même opère des actes de natures différentes que nous opérons par des principes différents.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in omnibus aliis substantiis separatis non videtur omnino idem esse re voluntas et intellectus ; sed quod in aliis est secundum diversitatem realem, est in Deo secundum unitatem rei et distinctionem rationis.

3. Il faut dire en troisième lieu que dans toutes les autres substances séparées, la volonté et l’intelligence ne semblent pas être absolument identiques en réalité, mais ce qui dans les autres existe selon une diversité réelle existe en Dieu selon l'unité réelle et la distinction de raison.

lib. 1 d. 42 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod attributa in Deo sunt unum re, et distinguuntur tantum ratione et ideo nomen potentiae, et quidquid alius est nomen rei, si sit nomen primae impositionis non potest pluraliter praedicari, ut dicantur plura attributa esse plures potentiae, vel plures bonitates, vel aliquid hujusmodi ; sed nomina secundae impositionis, ut attributum et hujusmodi, pluraliter praedicantur.

4. Il faut dire en quatrième lieu que les attributs en Dieu sont un en réalité et ne se distinguent que par la raison, et c’est pourquoi le nom de puissance et tout autre qui est un nom de chose, s'il est le nom de la première imposition, il ne peut pas être attribué au pluriel, pour dire que plusieurs attributs sont plusieurs puissances, ou plusieurs bontés, ou quelque chose de la sort ; mais les noms de la seconde imposition, comme l’attribut, et les noms de cette sorte sont attribués au pluriel.

 

 

 

Question 2 – [Ce qui est soumis à la puissance de Dieu]

 

 

Quaestio 2. Prooemium.

lib. 1 d. 42 q. 2 pr. Deinde quaeritur de his quae subjecta sunt divinae potentiae ; et circa hoc quaeruntur tria : 1 utrum Deus possit quidquid est alteri possibile ; 2 utrum possit facere impossibilia ; 3 utrum sit aliquid judicandum simpliciter possibile vel impossibile, secundum causas superiores vel inferiores.

Prologue

Ensuite on cherche ce que sont les sujets de la puissance divine, et à ce propos on cherche trois choses. 1. Dieu peut-il tout ce qui est possible à un autre ? 2. Peut-il faire l'impossible ? 3. Faut-il juger quelque chose comme absolument possible ou impossible selon les causes supérieures ou les causes inférieures ?

 

 

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 tit. Articulus 1 : Utrum Deus possit quidquid est alteri possibile.

 

Article 1 – Dieu peut-il tout ce qui est possible à un autre ?

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus possit quidquid alteri possibile est. Omnis enim potentia creata est exemplata a potentia ipsius, sicut omne bonum a bonitate ejus. Sed quidquid est in exemplato, verius et perfectius invenitur in primo exemplari. Ergo potentia Dei se extendit ad omnia in quacumque creata potentia potest.

Difficultés :[31].

1. Il semble que Dieu puisse tout ce qui est possible à un autre. Car toute puissance créée est l'image de sa puissance, comme tout bien est l'image de sa bonté. Mais tout ce qui est dans l'image se retrouve avec plus de vérité et de perfection dans le premier exemplaire ou dans son modèle. Donc la puissance de Dieu s'étend à tout ce à quoi la puissance créée peut s’appliquer.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, philosophus dicit, quod Deus, et etiam studiosus potest prava agere. Sed nihil ita elongatur a potentia ejus sicut malum. Ergo videtur quod ipse omnia possit quae creatura potest.

2. Par ailleurs, le philosophe dit (IV Topiques, ch. 111, 5, 126 a 37-39[32]) que Dieu, même appliqué, peut aussi faire de mauvaises choses. Mais rien n'est si éloigné de sa puissance que le mal. Donc il semble qu'il peut tout ce que peut la créature.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, de ratione voluntatis est, ut libertatem ad utrumlibet habeat. Sed in Deo verissime invenitur voluntas. Ergo potest utrumlibet, et bonum et malum.

3. En outre, il est dans la nature de la volonté d’avoir la liberté de choisir l’une ou l’autre des possibilités qui s’offrent à elle. Mais la volonté se trouve très véritablement en Dieu. Donc il peut l'un et l'autre, le bien et le mal.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, nihil quod est laudabilitatis, ei subtrahendum est qui magnus est et laudabilis nimis. Sed posse facere malum et non facere est laudabilitatis : sicut dicitur Eccli. 31, 10, in laudem unius viri justi : qui potuit transgredi, et non est transgressus ; facere mala, et non fecit. Ergo Deo convenit. Et sic idem quod prius.

4. De plus, rien de ce qui est digne de louange ne doit lui être retiré à lui qui est grand et tout à fait digne de louange. Mais pouvoir faire le mal ou ne pas le faire est digne de louange, comme le dit l'Écriture [Ecclésiate, 31, 10], en louange à un homme juste : «Il a pu pécher et ne l'a pas fait, faire le mal et il ne l'a pas fait. » Donc cela convient à Dieu. Et ainsi il faut conclure comme nous l’avons fait plus haut.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, sicut Deus non potest non esse Deus, ita non potest esse imperfectus. Sed quaedam dicitur creatura posse sua infirmitate vel imperfectione sicut pati, mori, et hujusmodi. Ergo videtur quod Deus non omnia possit quae creatura potest.

Cependant :

1. Au contraire, tout comme Dieu ne peut pas ne pas être Dieu, de même il ne peut pas être imparfait. Mais on dit qu’une créature peut certaines choses par sa faiblesse ou son imperfection, comme pâtir, mourir, etc. Donc il semble que Dieu ne peut pas faire tout ce que la créature peut faire.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, summum bonum non potest esse causa alicujus mali, sicut nec summe calidum causa alicujus frigoris. Sed Deus est summe bonus. Ergo nullum malum facere potest. Creatura autem hoc potest. Non ergo quidquid creatura potest, et ipse Deus potest.

 2. Le bien suprême ne peut pas être la cause d'aucun mal, tout comme ce qui est suprêmement chaud ne peut pas être cause du froid. Mais Dieu est suprêmement bon. Donc il ne peut faire aucun mal. Mais la créature le peut. Donc Dieu n’est pas capable de tout ce dont la créature est capable.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidquid perfectionis in creatura est, totum est exemplariter eductum ex perfectione creatoris ; ita tamen quod illam perfectionem imperfectius creatura habet quam in Deo sit[33]. Et ideo potentia creaturae inquantum deficit a repraesentatione divinae potentiae, deficit a perfecto posse. Unde quod attribuitur sibi secundum quod est in tali gradu participata, non oportet quod divinae potentiae attribuatur. Sicut etiam dicimus essentiam lapidis exemplatam a divina essentia, nec tamen dicimus Deum esse lapidem ; ita etiam non dicimus Dei potentiam esse potentiam ambulandi vel patiendi, quasi proximum principium ambulationis et passionis, ita quod ipse ambulet vel patiatur.

Corps de l’article :

Je réponds que tout ce qu’il y a de perfection dans la créature, procède entièrement de la perfection du créateur comme d’un modèle, de telle manière cependant que la créature possède cette perfection de façon moins parfaite qu'elle n'est en Dieu. Et ainsi la puissance de la créature, en tant qu'elle est une faible représentation de la puissance divine, est loin d’être une puissance parfaite. C'est pourquoi ce qui lui est attribué selon qu’elle est participée en un tel degré, ne doit pas être attribué à la puissance divine. Tout comme nous disons que l'essence de la pierre est image de l'essence divine et que nous ne disons pas pour autant que Dieu est une pierre, de même aussi nous ne disons pas que la puissance de Dieu est la puissance de marcher ou de pâtir comme principe prochain de la marche ou de la passion, de telle manière que lui-même marcheait ou pâtirait.

Sciendum tamen, quod gradus potentiarum, sicut et naturarum, divina dispositione ordinati sunt secundum quod una plus vel minus deficit a perfectione divinae potentiae. Et ideo videndum est quod quamvis nullus actus proprius harum potentiarum secundum gradus determinatos conveniat potentiae divinae sicut principio proximo, tamen omnes actus proprii harum potentiarum egredientes ab eis secundum rationem ordinis in quo constitutae sunt reducuntur in Deum sicut in causam primam. Unde quamvis non dicamus quod Deus possit ambulare vel pati, dicimus tamen quod creat ambulationem et passionem in aliis. Sed actus qui egrediuntur a determinatis potentiis praeter dictam rationem ordinis nullo modo in causalitatem divinae potentiae reducuntur ; non enim dicimus quod possit peccare, nec in aliis peccatum facere.

Il faut savoir cependant que les degrés dans les puissances, comme ceux des natures, ont été ordonnés par la disposition divine, selon que l’une est plus ou moins déficiente par rapport à la perfection de la puissance divine. Et c’est pourquoi il faut voir que bien qu’aucun acte plus propre de ces puissances, selon les degrés déterminés, ne convienne à la puissance divine comme à son principe le plus proche, cependant tous les actes propres de ces puissances, qui sortent d’elles selon la raison de l’ordre dans lequel elles ont été constituées, se ramènent à Dieu comme à leur cause première. D’où il suit que bien que nous ne disions pas que Dieu peut marcher ou pâtir, nous disons cependant qu'il crée la marche ou la passion dans les autres. Mais les actes qui sortent de puissances déterminées en dehors de la raison de l'ordre dont nous venons de parler ne se ramènent en aucune manière à la causalité de la puissance divine ; nous ne disons pas en effet qu'il puisse pécher, ni qu’il puisse provoquer un péché dans les autres.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 1 Et per hoc patet responsio ad primum.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, secundum quosdam, quod ly prava accipiendum est materialiter, ut sit sensus : Deus potest facere prava, idest quae modo prava sunt, quae tamen si ipse faceret, prava non essent. Vel dicendum quod loquitur conditionaliter, ut intelligatur, si vellet ; cujus conditionalis et antecedens est impossibile, et consequens ; et hoc non est inconveniens, sicut haec : si centum sunt minus quam quinque, sunt minus quam decem.

Solutions :

1. Et par là apparaît la réponse à la première difficulté.

2. Il faut dire en deuxième lieu que selon certains, l’expression ¨mauvaises choses¨ doit s’entendre matériellement de manière à signifier : Dieu peut faire de mauvaises choses, c'est-à-dire des choses qui sont maintenant mauvaises, de telle manière cependant que s'il les faisait lui-même, elles ne seraient plus mauvaises. Ou bien encore il faut dire que le Philosophe parle ici d’une manière conditionnelle de manière à ce qu’on entende : ¨s'il le voulait¨. Et à la fois l’antécédent et le conséquent de cette conditionnelle sont impossibles et cela ne pose pas de difficulté, comme dans le cas suivant : si cent était un nombre plus petit que cinq, il serait aussi plus petit que dix.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod posse peccare, secundum Anselmum et Boetium, non pertinet ad libertatem voluntatis ; sed magis est conditio voluntatis deficientis inquantum est ex nihilo. Sed in hoc attenditur ratio libertatis, quod possit hoc facere vel non facere, aut hoc vel aliud facere.

3. Pouvoir pécher, selon Saint-Anselme [Du Libre Arbitre, ch. 1, col. 489] et Boèce [V De la Consolation, prose II, col. 836, t. 1], ne convient pas à la liberté de la volonté, mais est plutôt la condition d’une volonté déficiente en tant qu'elle vient du néant. Mais la notion de liberté se vérifie en ceci qu'il est possible de faire ceci ou ne pas le faire, ou faire ceci ou autre chose.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod aliquid est laudabile inferiori naturae, quod in superiori vituperabile esset ; sicut esse ferox in cane et leone est laudabile, sed in homine vituperabile : ita et non peccare cum possit, est laus hominis, sed blasphemia Dei, si de ipso dicatur.

4. Il faut dire en quatrième lieu  que quelque chose est louable dans une nature inférieure qui est condamnable dans une nature supérieure ; en effet, tout comme il est louable pour le chien ou le lion mais condamnable pour l’homme d’être cruel, de même il est louable pour l’homme de ne pas pécher alors qu’il le peut, mais dire cela de Dieu est blasphématoire.

 

 

Articulus 2 : Utrum Deus possit quae sunt impossibilia naturae. lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 tit.

Article 2 – Dieu peut-il ce qui est impossible à la nature ?

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod ea quae naturae sunt impossibilia, Deus non possit. Sicut enim dicit Commentator, in 8 Metaph., omnis alteratio est ab aliquo agente corporali. Sed Deus est agens incorporale. Ergo videtur quod nulla alteratio a Deo possit fieri in creatura inferiori, nisi mediante motu superioris corporis, quod est primum alterans non alteratum. Sed mediante illo motu nihil impossibile naturae fieri potest. Ergo Deus nihil naturae impossibile facere potest.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible à la nature. Car, comme le dit le Commentateur[34], [VIII Métaphysique, texte com. 4] tout changement vient d'un agent corporel. Mais Dieu est un agent incorporel. Donc il semble qu'aucun changement ne peut venir de Dieu dans une créature inférieure, si ce n’est par l'intermédiaire du mouvement du corps supérieur qui est le premier moteur non mû.  Mais par l'intermédiaire de ce mouvement il ne peut rien faire qui soit impossible à la nature. Donc Dieu ne peut rien faire d'impossible à la nature.

 

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, omnis impossibilitas vel necessitas quae est in propositionibus, reducitur ad hoc primum principium, quod est impossibile simul affirmare et negare, secundum philosophum. Sed hoc dicitur Deus non posse quod affirmatio et negatio sint simul vera. Ergo nullum impossibile naturae facere potest.

2. Par ailleurs, toute impossibilité ou nécessité qui est dans les propositions se ramène à ce premier principe, à savoir qu'il est impossible d'affirmer et de nier en même temps, selon le Philosophe [V Métaphysique, texte 9]. Mais cela veut dire que Dieu ne peut pas faire que l'affirmation et la négation soient simultanément vraies. Donc il ne peut faire aucune chose qui est impossible à la nature.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, magis est impossibile quod est impossibile per se, quam quod est impossibile per accidens. Sed impossibile per accidens Deus facere non potest. Ergo nihil eorum quae per se sunt impossibilia. Probatio mediae. Deus non potest facere quod illud quod est praeteritum non fuerit, ut probatur auctoritate Hieronymi qui dicit, quod cum cetera Deus possit non potest de corrupta facere virginem ; et per Augustinum, et per philosophum ubi Agathonem commendat dicentem : hoc solo privatur Deus ingenita facere quae facta sunt.

3. En outre, ce qui est impossible par soi est plus impossible que ce qui est impossible par accident. Mais Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par accident. Il ne peut donc rien faire de ce qui est impossible par soi. Preuve de la mineure : Dieu ne peut pas faire que ce qui est passé n'ait pas existé, comme le prouve l'autorité de Saint-Jérôme [Lettre XXII, Sur la Conservation de la Virginité à Eustache,  & 5, col. 397, t. 1] qui dit que « Dieu, qui peut tout, ne peut pas faire d’une femme séduite une femme qui ne l’a pas été.» et par celle de Saint-Augustin [XXVI, Contre Faust, ch. V, col. 481, t.  VIII et par le Philosophe [ VI Éthique, ch. 11] où Agathon confie que : « Il y a une seule chose qui soit impossible à Dieu : faire que ce qui a été fait n’ait pas été fait. ».

Sed praeteritum non fuisse, non est impossibile nisi per accidens, quia hoc ipsum quod praeteritum est, prius quam fieret, contingens erat non esse, ut Socratem currere. Ergo non potest facere illud quod est impossibile per accidens.

Mais que le passé n'ait pas existé, cela n'est impossible que par accident, parce que cela même qui est passé, avant de se produire, pouvait ne pas exister, comme le fait pour Socrate de courir. Donc Dieu ne peut pas faire ce qui est impossible par accident.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 4 Praeterea, secundum Augustinum, Deus non potest facere aliquid contra rationes quas primitus indidit ; et in quadam Glossa ad Rom. 11 dicitur, quod Deus cum sit auctor naturae, nihil contra naturam facit. Sed ea quae sunt naturae impossibilia, videntur contra naturam esse. Ergo nihil horum Deus facere potest.

4. Selon Augustin (La Genèse au sens littéral, VI, 14) Dieu ne peut pas faire quelque chose contre les raisons qu'il a d'abord induites, et dans une certaine glose à Rm. 11[35] il est dit : que, comme Dieu est l'auteur de la nature, il ne fait rien contre elle. Mais ce qui est impossible à la nature, semble être contre elle. Donc Dieu ne peut rien faire de cela.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 5 Sed contra, qui omnia dicit, nihil excludit. Sed in littera dicitur et probatur, quod Deus omnia potest. Ergo ab ejus omnipotentia impossibilia non excluduntur.

 Cependant :

5. Qui dit tout n'exclut rien. Mais dans La Lettre il est dit et prouvé que Dieu peut tout. Donc l’impossible n'est pas exclu de sa toute-puissance.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, Hilarius dicit, quod plus potest Deus facere quam nos possumus dicere, ut habitum est supra, 19 dist. : quod probatur etiam ex hoc quod habetur Luc. 1, 37 : non erit impossibile apud Deum omne verbum. Sed nihil ita est impossibile quin nos dicere possimus, etiam contingere simul affirmare et negare ; quod quidam philosophi dixerunt. Ergo videtur quod omnia hujusmodi Deus possit facere.

6. En outre, Saint-Hilaire dit que Dieu peut faire davantage que ce nous pouvons dire, comme nous l’avons établi plus haut à la distinction 19. ; ce qui est prouvé aussi à partir de ce que nous en dit l’Écriture [Luc 1, 37] : «Aucune parole ne sera impossible à Dieu». Mais rien n'est impossible à ce point que nous ne puissions pas le dire, et même qu’il est possible d’affirmer et de nier simultanément, ce que certains philosophes ont soutenu. Il semble donc que Dieu puisse faire toutes les choses de cette sorte.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 7 Praeterea, magis distat Deus et homo, quam duo contraria. Sed Deus univit humanam naturam divinae. Ergo multo magis potest facere quod duo contraria sint simul in eodem ; ex quo sequitur quod affirmatio et negatio sint simul vera ; et si hoc potest, omnia potest.

7. De plus, il y a plus de distance entre Dieu et l'homme qu’entre deux contraires. Mais Dieu a uni la nature humaine à la nature divine. Il peut donc bien davantage faire que deux contraires existent simultanément dans un même être; d’où il s’ensuit que l'affirmation et la négation sont simultanément vraies. Et s'il peut cela, il peut tout.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 arg. 8 Praeterea, sicut caecitas est contraria dispositio visioni, ita virginitas conceptui. Sed Deus fecit ut virgo manens virgo conciperet, et mater esset. Ergo potest facere ut caecus manens caecus visum habeat : et sic idem quod prius.

8. Par ailleurs, tout comme la cécité est une disposition contraire à la vision, de même la virginité est contraire à la conception. Mais Dieu a fait qu'une vierge demeure vierge après avoir conçu et être devenue mère. Il peut donc faire que l'aveugle demeure aveugle après avoir retrouvé la vue : la conclusion sera donc la même que la précédente.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod posse importat respectum medium inter potentem et possibile, sicut scire inter scientem et scibile : et ideo aliquid posse potest negari ex parte potentis, et aliquid ex parte possibilis. Nullum autem posse quod sine imperfectione est, negatur de Deo ex parte ipsius Dei potentis, sed negatur ab eo ex parte ejus posse defectivum, quod non est pure posse, sed admixtum cum non posse ; quia potentia ejus defectum habere non potest.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le pouvoir établit un rapport intermédiaire entre celui qui peut et le possible, tout comme le fait le savoir entre celui qui sait et l’objet de science; et c'est pourquoi un pouvoir peut être nié du côté de celui qui peut tout comme il peut être nié aussi  du côté du possible. Mais aucun pouvoir qui est sans imperfection n’est nié de Dieu du côté de sa puissance même, mais il est nié de Lui que de son côté son pouvoir serait défaillant, lequel ne serait pas un pur pouvoir, mais un pouvoir mélangé à du non-pouvoir ; car la puissance de Dieu ne peut être défaillante.

Unde non conceditur quod ipse possit peccare, vel aliquid hujusmodi. Negatur etiam quandoque Deus aliquid posse ex parte ipsius possibilis, quod nullo modo rationem possibilis habere potest : et hoc dicimus impossibile esse per se. Et cujusmodi sit hoc, investigandum est.

C'est pourquoi on ne concède pas qu'il puisse pécher, ou autres choses de ce genre. On nie aussi parfois que Dieu puisse quelque chose du côté du possible qui ne peut en aucune manière avoir raison de possible, et nous disons de cela que c’est de l’impossible par soi. Et il faut chercher à savoir de quelle sorte est cet impossible.

Sciendum igitur, quod omnis potentia vel est ad esse vel ad non esse, sicut potentia quae est ad corrumpendum. Unde quidquid non potest habere rationem entis vel non entis, illud non potest esse possibile : et ideo hoc quod est idem simul esse et non esse, est in se impossibile : quia quod est ens et non ens, neque est ens neque non ens. Et ideo dicitur Deus hoc facere non posse, non propter defectum potentiae ejus, sed quia hoc deficit a ratione possibilis ; sicut dicitur non scire falsum quia [Éd. Parme quod] a ratione scibilis deficit, et per consequens dicitur non posse facere omne illud in quo contradictio implicatur : et propter hoc non potest facere quod illud quod praeteritum est non fuerit ; quia quod est, necesse est esse dum est, et impossibile est non esse tunc dum est, et cum ista necessitate et impossibilitate in praeteritum transit ; et hoc est quod Augustinus dicit : « si quis dicit : Deus, quia omnipotens est, faciat ut quae facta sunt, non fuerint ; non videt se hoc dicere : faciat ut quod verum est, eo ipso quod verum est, non sit ».

Il faut donc savoir que toute puissance est ordonnée soit à de l'être soit à du non-être, comme c’est le cas pour la puissance qui est ordonnée à corrompre. D’où il suit que tout ce qui ne peut avoir raison d'étant ou de non-étant ne peut pas être possible : et c’est pourquoi la même chose qui serait simultanément de l’être et du non être serait en elle-même impossible, parce que ce qui est étant et non-étant, n'est ni étant ni non-étant. Et c’est pourquoi on dit que Dieu ne peut pas faire cela, non pas à cause d’un défaut de sa puissance, mais parce que cela est contraire à la nature du possible ; de même on dit qu’il ne connaît pas le faux, parce qu’il [lequel Éd. de Parme] est dépourvu de la nature de l’objet connaissable[36], et par conséquent on dit de Lui qu'il ne peut pas faire tout ce en quoi est impliquée une contradiction : et c’est pour cette raison qu’il ne peut pas faire que ce qui est passé n'ait pas existé, parce qu’il est nécessaire que ce qui existe existe, tant qu'il existe et il lui est impossible de ne pas exister tant qu'il existe, et c’est avec cette nécessité et cette impossibilité qu’il passe dans le passé. Et c'est ce que dit Augustin (Contre Fauste, XXVI, ch. 5, col. 481, t.  VIII) : « Si quelqu'un dit : parce que Dieu est tout puissant, qu'il fasse que ce qui a été fait n'ait pas été, il ne voit pas qu’il dit ceci: qu'il fasse que ce qui est vrai, du fait même que cela est vrai, ne le soit pas ».

Et ex hoc sequitur ulterius quod nullum eorum possit in quibus contrarium praedicati est in definitione subjecti, ut quod faciat hoc, scilicet hominem non esse rationalem, vel triangulum non habere tres lineas. In hoc ipso enim quod ponitur triangulus, ponitur tres lineas habere : unde hoc est simul habere tres et non habere.

Et il suit de là par conséquent qu’il ne peut aucune des choses dans lesquelles le contraire du prédicat propre à un sujet se retrouverait dans la définition du sujet, de telle manière qu’il ferait par exemple que l'homme ne serait pas raisonnable, ou que le triangle n'aurait pas trois côtés. Car du fait même qu’on pose l’existence d’un triangle, on pose qu'il a trois côtés. Et c'est pourquoi faire cela reviendrait à dire que le triangle, simultanément, possède trois côtés et ne possède pas trois côtés.

Et ex hoc ulterius sequitur quod non possit facere esse aliqua opposita simul in eodem ; quia in definitione unius contrarii est privatio alterius, et in definitione privationis est negatio, sicut prius est in posteriori. Sed quidquid in se non repugnat rationi entis vel rationi non entis, hoc Deus potest facere ; sicut caelum non esse, vel esse alium mundum, vel inducere visum prius caeco, et hujusmodi. Haec enim non sunt in se impossibilia, sed alicui.

Il en découle ensuite que Dieu ne peut pas faire que des opposés existent simultanément dans un même sujet, parce que dans la définition d'un contraire il y a la privation de l'autre et dans la définition de la privation il y a la négation, tout comme l’antérieur est dans le postérieur. Mais Dieu peut faire tout ce qui ne s'oppose pas en soi à la nature de l'être ou à celle du non-être ; par exemple il peut faire que le ciel n'existe pas, ou qu’il existe un autre monde ou il peut donner la vue à celui qui était aveugle, etc. Ces choses en effet ne sont pas impossibles en soi, mais à certains seulement.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod posset exponi, quod hoc non potest fieri secundum ordinem naturalis operationis, quamvis possit esse per actionem agentis supra naturam, nisi esset contra intentionem ejus qui haec expresse de Deo inducit : et ideo in hoc erravit, nec ejus auctoritas recipienda est : quia hujus contrarium etiam philosophi tradunt. Dicit enim Avicenna, quod materia magis obedit principiis separatis et conceptionibus eorum, quam contrariis agentibus in natura. Sed quidquid sit de aliis, hoc de Deo firmissime tenendum est, qui virtutem suam caelo non alligavit.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’on pourrait expliquer que cela ne peut pas se produire selon l'ordre de l'opération naturelle, quoique cela soit possible par l'action d’un agent surnaturel, à moins que ce soit contre l'intention de celui qui l'a introduite expressément de Dieu ; et c'est pourquoi le Commentateur s'est trompé à ce sujet et on ne doit pas accepter son autorité, car même les philosophes ont enseigné le contraire de ce qu’il dit. Avicenne [Métaphysique II, 3] dit en effet que la matière obéit plus aux principes séparés et à leurs conceptions, qu'aux agents contraires présents dans la nature. Mais pour tout ce qui est du reste, il faut s’en tenir très fermement à cela au sujet de Dieu qui n’a pas lié sa puissance au ciel.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod secundum hoc quod aliquid est impossibile, reducitur in illud principium : unde quod est impossibile per se, includit illud [om. Illud Éd. Parme] principium in se : et tale impossibile non potest ipse Deus facere, ut ex dictis, in corp. art., patet ; et quod est impossibile alicui, includit dictum principium in ordine sui ad illud, sicut patet cum dicitur, quod impossibile est mortuum reviviscere ; vivere enim per se possibile est, sed in corpore mortuo non est potentia ad hunc effectum inducendum, et ex hoc est impossibile. Unde si poneretur posse vivere ex sua virtute, simul poneretur ejusdem rei habere potentiam et impotentiam ; nec hoc facit Deus quando mortuum resuscitat, ut corpus per propriam potentiam vivendi vivat, sed per potentiam quam sibi confert.

2. Il faut dire en deuxième lieu que d’après cela, l’impossibilité d’une chose se ramène à ce principe[37] : c'est pourquoi ce qui est impossible par soi inclut en soi ce [ce om. Éd. de Parme] principe, et Dieu lui-même ne peut pas faire un tel impossible, comme on le voit à partir ce qui a été dit dans le corps de l'article ; et ce qui est impossible à quelqu'un inclut ce principe dont on a parlé dans son rapport à lui, comme on le voit quand on dit qu'il est impossible à un mort de revivre ; car vivre en effet est possible par soi, mais dans le corps qui est mort il n'y a pas la puissance de le conduire à cet effet, et de ce fait il lui est impossible de vivre. Et il suit de là que si on pensait qu'il puisse vivre par sa propre puissance, on soutiendrait simultanément qu'il appartient à la même chose d’avoir la puissance et l'impuissance à l’égard d’un même effet ; et cela Dieu ne le fait pas quand il ressuscite un mort, c’est-à-dire de telle manière qu’il fait que le corps vive par sa propre puissance de vivre, mais par la puissance qu'il lui confère.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod praeterita non fuisse, potest accipi ut impossibile per accidens, et ut impossibile per se. Si enim accipiatur ipsa res quae dicitur praeterita, ut cursus Socratis, non habet impossibilitatem nisi per accidens suum, quod est extra rationem ejus, scilicet praeteritionem : et ipsa res in se considerata non dicitur Deo impossibilis. Potest enim hanc rem facere, scilicet quod Socrates non currat. Si autem accipiatur secundum quod stat sub hoc accidente quod est praeteritio, sic est impossibile per se : et hoc dicitur Deus facere non posse ; et simile est de hoc quod dicitur : Socratem non currere dum currit est impossibile : quia ratione adjuncti habet impossibilitatem per se.

3. Il faut dire en troisième lieu que lorsqu’on dit que le passé n'a pas existé, cela peut être pris soit comme impossible par accident, soit comme impossible par soi. Car si on prend la chose même dont on dit qu’elle est passée, par exemple la course de Socrate, elle n'a d'impossibilité que par son accident qui est en dehors de sa nature, à savoir le fait d’être passée; et on ne dit pas que la chose même, considérée en elle-même, est impossible à Dieu. Car Dieu peut faire cette chose, à savoir que Socrate ne coure pas. Mais si on considère cette chose selon qu’elle se tient sous cet accident qui est le passé, elle est alors impossible par soi ; et on dit alors que Dieu ne peut pas faire cela ; et il en est de même pour ce qu’on dit ici : il est impossible à Socrate de ne pas courir alors même qu’il court, parce qu'en raison de ce qui est ajouté il a une impossibilité par soi.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus materiae primae indidit duplices rationes, scilicet causales, vel obedientiales, per quas omnes natae sunt obedire Deo, ut fiat ex eis quidquid ei placuerit. Indidit etiam rationes seminales, scilicet principia activa, per quae effectus naturales exercentur ; et contra has aliquando dicitur facere in miraculis quae facit.

4. Il faut dire en quatrième lieu que Dieu a introduit deux raisons dans la matière première ; à savoir les raisons causales ou obédientielles, par lesquelles toutes sont destinées à obéir à Dieu, pour qu'il en fasse ce qui lui aura plu. Il a induit aussi des raisons séminales, à savoir des principes actifs, par lequels les effets naturels sont exercés, et contre lesquels on dit parfois qu'il agit dans les miracles qu'il fait.

Sed proprie loquendo tunc etiam contra eas non facit, sed praeter eas, vel super eas. Super eas, quando inducit effectum in quem natura nullo modo attingere potest, sicut forma gloriae corporibus gloriosis. Praeter eas facit, quando effectum quem natura inducere potest, sine officio causarum naturalium producit, ut quando aquam in vinum convertit, Joan. 2.

Mais à proprement parler, même alors il ne le fait pas contre elles, mais à côté d'elles, ou au-dessus d'elles. Au-dessus, quand il produit un effet que la nature ne peut atteindre en aucune manière, comme la forme de la gloire pour les corps glorieux. Il les fait à côté d'elles, quand il produit un effet que la nature peut produire, et qu’il le produit sans l'aide des causes naturelles, comme quant il a changé l'eau en vin (Jn 2).

Sed contra eas non facit ; quia non facit[38] ut causa naturalis activa manens eadem secundum speciem, effectum essentialem alium habeat, ut quod ignis manens ignis infrigidet[39] ; sicut non potest esse quod simul sit eadem et alia. Sed bene potest destruere unam naturam, et facere aliam ; abjicere unam formam a materia, et inducere aliam : sic enim et contra naturam aeris facit ignis, quando ipsum corrumpit.

Mais il ne le fait pas contre elles, parce qu'il ne fait pas [ni ne peut faire add. Éd. de Parme] que la cause naturelle active demeurant la même selon l’espèce, produise un effet essentiellement différent, par exemple que le feu, tout en demeurant feu, refroidisse, tout comme il est impossible que cette cause soit simultanément la même et une autre. Mais il peut bien détruire une nature et en faire une autre, rejeter une forme de la matière et y en introduire une autre : en ce sens en effet il fait le feu contre la nature de l’air lorsqu’il le corrompt.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sub distributione omnium non potest accipi nisi ens vel non ens. Sed ea quae diximus Deum non posse, neque sunt entia simpliciter, neque non entia.

5. Il faut dire en cinquième lieu qu’il n’y a que l’étant et le non-étant qui puisse diviser tout ce qui existe. Mais ce que nous avons dit que Dieu ne peut pas, ce ne sont pas des étants purement et simplement, ni des non-étants.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod dicta impossibilia quamvis ore proferri possint, tamen corde concipi non possunt, ut probat philosophus in 5 Metaph. ; unde non proprie et perfecte sunt verba.

6. Il faut dire en sixième lieu que bien que ce que nous avons dit être impossible puissent être prononcé extérieurement par la bouche, cela ne peut cependant être conçu intérieurement par l’esprit, comme le Philosophe [Métaphysique, V, texte 16] le prouve; et c'est pourquoi, à parler proprement et parfaitement, ce ne sont pas là des paroles.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deus non conjunxit humanam naturam divinae, ita quod esset eadem natura, vel quod una persona secundum idem esset Deus et homo, sed secundum aliud et aliud ; et sic non est dubium quod contraria in eodem conjungere potest ; quia et natura hoc facit.

7. Il faut dire en septième lieu que Dieu n'a pas joint la nature humaine à la nature divine, de telle manière qu'elle serait une même nature, ou qu'une seule et même personne serait Dieu et homme sous le même rapport, mais selon des rapports différents ; et en ce sens il n'y a pas de doute qu’il peut unir les contraires dans un même être, parce que la nature elle-même le fait.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod non est simile. Quia caecitas est privatio ipsius visus, unde includit in se negationem ejus : unde non potest facere Deus quod simul sit caecus et videns. Sed in ratione virginitatis non includitur negatio maternitatis, sed negatio conjunctionis ad virum ; et ideo ratio non procedit.

8. Il faut dire en huitième lieu que l’analogie soulevée ici ne s’applique pas . Parce que la cécité est la privation de la vue elle-même, elle inclut en elle sa négation : c'est pourquoi Dieu ne peut pas faire qu'il soit simultanément aveugle et voyant. Mais la négation de la maternité n'est pas incluse dans la notion de virginité, mais cette dernière est la négation de l’union à un homme ; et c’est pourquoi l’argument ne tient pas.

 

 

Articulus 3 : Utrum aliquid sit judicandum impossibile, secundum causas inferiores lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 tit.

Article 3 – Faut-il juger l'impossible selon les causes inférieures ?

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod aliquid non sit judicandum impossibile simpliciter secundum causas inferiores. Super illud 1 ad Corinth. 1, 20 : stultam fecit Deus sapientiam hujus mundi, ita dicit Glossa : sapientiam hujus mundi, Deus stultitiam fecit, ostendens possibile quod ipsa impossibile judicabat. Sed sapientia hujus mundi judicat aliquid impossibile esse secundum causas inferiores. Ergo videtur quod hoc stultum sit dicere.

Difficultés :

1. Il semble que quelque chose ne doive pas être jugé impossible simplement selon les causes inférieures ; A ce sujet, l’Écriture [I Corinthiens, 1, 20 : « Dieu a rendu folle la sagesse de ce monde ». La glose dit : «La sagesse de ce monde, Dieu l’a rendue folle, en manifestant comme possible ce qu’elle jugeait impossible. ». Mais c’est d’après les causes inférieures que la sagesse de ce monde juge que quelque chose est impossible. Donc il semble qu’il soit fou de le dire.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 2. Praeterea, constat quod causa inferior impium justificare non potest. Sed tamen non dicimus hoc esse impossibile, et similiter nec mundum fore antequam esset, quem natura facere non potest. Ergo videtur quod non sit aliquid dicendum impossibile ex eo quod causae inferiori est impossibile.

2. Par ailleurs, il est clair qu'une cause inférieure ne peut pas justifier l'impie. Mais cependant nous ne disons pas que cela est impossible, et de la même manière le monde ne sera pas avant d'être, lui que la nature ne peut pas faire[40]. Il semble donc qu’il ne faut pas dire d’une chose qu’elle est impossible du fait qu’elle est impossible pour la cause inférieure.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 arg. 3 Praeterea, constat quod illuminare caecum et dare virgini conceptum, naturae est impossibile ; et tamen ista fieri potuerunt, et facta sunt. Ergo videtur quod secundum causas inferiores aliquid impossibile judicandum non sit.

3. En outre, il est clair que rendre la vue à un aveugle et donner à une vierge de concevoir est impossible à la nature, et cependant cela a pu être fait et a été fait. Il semble donc que ce n’est aps d’après les causes inférieures que quelque chose doit être jugé impossible.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 s. c. 1 Sed contra, nihil Deo est impossibile, ut dicitur Luc. 1. Si ergo secundum causam superiorem tantum aliquid impossibile diceretur et possibile, nihil impossibile foret. Ergo videtur quod sit judicandum de impossibilitate secundum causas inferiores.

Cependant :

1. Rien n'est impossible à Dieu, comme le dit l’Écriture [Luc 1]. Si donc on disait que quelque chose est impossible et possible uniquement selon la cause supériere, il n'y aurait rien d'impossible. Donc il semble qu'il faut juger de l'impossibilité d'après les causes inférieures.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 s. c. 2 Praeterea, necessarium et impossibile sunt contraria. Sed aliquid non dicitur necessarium propter necessitatem causae primae, ut supra dictum est, dist. 38, quaest. Unic., art. 5, quia sic omnia essent necessaria. Ergo nec possibile et impossibile judicandum est secundum superiores causas.

2. De plus nécessaire et impossible sont des contraires. Mais on ne dit pas que quelque chose est nécessaire en raison de la nécessité de la cause première, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 38, quest. unique, art. 5], parce qu'ainsi tout serait nécessaire. Donc il ne faut pas juger du possible et de l'impossible selon les causes supérieures.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod impossibile est dupliciter. Aliquid enim est ex se impossibile, sicut dictum est, art. antec., de his quae contradictionem includunt ; et haec judicantur impossibilia absolute, non per respectum ad causas superiores vel inferiores.

Corps de l’article :

Il y a deux sortes d'impossibilité. Certaines choses en effet sont impossibles de soi, comme nous l’avons dit dans l'article précédent pour celles qui contiennent une contradiction et ce sont celles quon juge être impossibles absolument, et non par rapport avec les causes supérieures ou inférieures.

Aliquid autem est impossibile, quod quantum in se est non habet rationem impossibilis, sed in ordine ad aliquid ; et in istis distinguendum est ; quia possibile potest dici secundum potentiam activam et passivam ; et utroque modo dicitur aliquid possibile et impossibile simpliciter per comparationem ad suam causam proximam activam vel materialem, cujus conditiones effectus sequitur, ut prius dictum est.

Mais d’autres choses sont impossibles qui n’ont pas de soi raison d’impossibilité, mais qui sont impossibles seulement par rapport à quelque chose, et parmi elles il faut distinguer : car le possible peut se dire selon la puissance active et la puissance passive ; et c’est des deux manières qu’une chose est dite possible ou impossible simplement par rapport à sa cause prochaine active ou matérielle, dont l'effet suit les conditions, comme nous l’avons dit précédemment.

Verbi gratia : materia statuae remota, est terra et aqua : materia proxima cuprum et lignum. Dicimus autem ex cupro posse fieri statuam, non autem ex terra : hoc enim solum dicimus esse in potentia in aliquo absolute, quod potest educi de materia uno motore, ut in 9 Metaph. dicitur.

En d’autres mots, la matière éloignée de la statue est la terre et l'eau, alors que la matière prochaine en est le cuivre et le bois. Mais nous disons que c’est à partir du cuivre que la statue peut être produite et non à partir de la terre ; en effet,  nous disons qu’est en puissance absolument à l’égard de quelque chose cela seul qui peut être tiré de la matière par un seul moteur, comme le dit le Philosophe [Métaphysique, IX, texte 16].

Dicendum est ergo, quod omnes effectus qui sunt immediate ipsius Dei, non per causam secundam mediam, ut creatio mundi, creatio animae, et glorificatio animae, et hujusmodi, judicandi sunt possibiles vel impossibiles secundum causam superiorem divinam.

Il faut donc dire que tous les effets qui procèdent immédiatement de Dieu lui-même,  et non par l’intermédiaire d’une cause seconde, comme la création du monde, celle de l'âme, sa glorification, etc.,  doivent être jugées possibles ou impossibles d’après la cause divine supérieure.

Possunt nihilominus aliqui eorum judicari possibiles secundum causas passivas inferiores ; quia causae receptivae se habent in inferioribus sicut anima se habet ad corpus praeparatum per operationem naturae, et ad gratiam per liberum arbitrium. Sed illi effectus qui nati sunt ex causis esse inferioribus proximis activis et passivis, judicandi sunt possibiles vel impossibiles secundum causas inferiores : sicut in visione caeci et in resurrectione mortui, et hujusmodi : vita enim et visio sunt effectus immediati causarum inferiorum, scilicet formarum unitarum corpori.

Certains d’entre eux peuvent néanmoins être jugés possibles d’après les causes passives inférieures ; car les causes réceptives se présentent dans les êtres inférieurs de la même manière que l'âme par rapport au corps préparé par l'opération de la nature et par raport à la grâce par le libre arbitre. Mais ces effets qui sont destinés à exister à partir des causes inférieures prochaines actives ou passives, doivent être jugées possibles ou impossibles d’après les causes inférieures, comme dans la vision de l'aveugle, la résurrection des morts et les cas de cette sorte : en effet, la vie et la vision sont des effets immédiats des causes inférieures, à savoir des formes unies à un corps.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod sapientia mundi in hoc stulta reputata est, quia judicavit haec impossibilia naturae, ita esse impossibilia, quod etiam Deus ea facere non posset. Aliquid tamen potest dici simpliciter impossibile quod alicui est possibile ; sicut aliquid dicitur simpliciter album, quod secundum aliquid sui non est album.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la sagesse du monde est réputée folle en ceci qu'elle a jugé que ces choses impossibles à la nature étaient impossibles à ce point que même Dieu ne pouvait pas les faire. Cependant on peut dire d’une chose qu’elle est purement et simplement impossible même si elle est possible à quelqu'un, tout comme on dit que quelque chose est purement et simplement blanc même si elle n’est pas blanche quant à une de ses parties.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 ad 2 Et per hoc patet responsio ad alia.

Expositio textus.

lib. 1 d. 42 q. 2 a. 3 expos. Potuit Deus simul cuncta facere. [2] Non solum ita quod conderet omnes species, sed etiam omnia individua specierum, quae in toto tempore fiunt ; sed ratio prohibuit, non quidem per contrarietatem, sed per incompossibilitatem ; non enim potest esse quod Deus aliquid faciat, et illud rationale non sit ; unde ratio se habet sicut determinans opus, et potentia sicut exequens.

2. Et cela éclaire les réponses aux autres difficultés.

Exposition du texte de Pierre Lombard.

«Dieu a pu faire tout en même temps. » Non seulement de manière à établir toutes les espèces, mais aussi tous les individus des espèces qui apparaissent dans la totalité du temps ; mais la raison l’a empêché, non pas par contrariété, mais par « incompossibilité » ; en effet, il n'est pas possible que Dieu fasse quelque chose et que cela ne soit pas rationnel ; c'est pourquoi la raison se présente comme  déterminant l’oeuvre et la puissance comme l’exécutant.

 

Quia non esset hoc potentiae, sed infirmitatis [4]. Et hoc etiam dicit Dionysius, et ponit exemplum, sicut cum aliquid dicitur esse non ens : hoc enim ipsum esse est non esse ; ita et posse deficere ab eo quod est perfecte possibile, non est posse simpliciter.

«Parce que cela ne relèverait pas d’une puissance, mais d’une infirmité. » Et cela, Denys le dit aussi, et il en donne un exemple, comme lorsqu’on dit qu’une chose est du non-être : en effet, cet être même est du non-être, de telle sorte que le pouvoir de s’écarter de ce qui est possible parfaitement, cela n'est pas un pouvoir pris absolument.

Homo autem vel Angelus, quantumcumque beatus est, non est potens ex se vel per se [7]. Sciendum quod homo ex se vel a se, nihil boni potest facere : quia istae praepositiones de, et ab denotant causam efficientem : unde dicitur homo posse facere aliquid ab eo a quo potentiam habet ; constat enim quod quidquid boni habet, ab alio habet. Sed per denotat causam formalem ; unde quaedam potest facere per se, scilicet quae complentur principiis naturalibus, quaedam autem non per se, sicut ea quae fiunt per virtutem divinam, ut miracula, et hujusmodi : et inde etiam est quod filius dicitur omnia agere per se, sed non a se.

«Mais l'homme ou l'ange, quelque bienheureux qu’il soit, n'est pas puissant de lui-même ou par lui-même. » Il faut savoir que l'homme de lui-même ou par lui-même ne peut rien faire de bien, parce que ces prépositions de et ab [de et par] désignent une cause efficiente : c'est pourquoi c’est de celui-là même duquel il tient une puissance qu’on dit de l'homme qu’il peut faire quelque chose ; car il est clair en effet que tout ce qu'il a de bon, c’est d’un autre qu’il le tient. Mais per [par, au moyen de] signale la cause formelle, c'est pourquoi il peut faire certaines choses par lui-même, à savoir celles qui sont achevées par les principes naturels, mais il y a certaines choses qu’il ne peut pas faire par lui-même, comme celles qui sont produites par la puissance divine, comme les miracles, etc. : et c'est de là qu'on dit que le Fils fait tout par lui-même mais non de lui-même.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 42

Cap. 184 (1). De omnipotentia Dei : quare dicatur omnipotens, cum nos multa possimus quae ipse non possit. Nunc de omnipotentia Dei agendum est : ubi prima consideratio occurrit : quo modo vere Deus dicatur omnipotens : an quia omnia possit, an tantum quia ea possit quae vult.

 

1. De la toute-puissance de Dieu : pour quelle raison dit-on dit-on de Lui qu’il est tout-puissant, alors que nous pouvons beaucoup de choses qu’il ne peut pas faire ? Maintenant il nous faut traiter de la toute-puissance de Dieu alors que notre première considération va porter sur  la vraie manière dont on dit que Dieu est tout-puissant : est-ce parce qu’il peut tout, ou seulement parce qu’il peut ce qu’il veut ?

Quod enim Deus omnia possit, pluribus auctoritatibus comprobatur [1] ; Ait enim Augustinus in libro Quaestionum veteris ac novae legis : « Omnia quidem potest Deus : sed non facit nisi quod convenit veritati eius, et justitiae. » Idem in eodem : « Potuit Deus cuncta facere simul : sed ratio prohibuit, id est, voluntas. » Rationem nempe ibi voluntatem Dei appellavit, quia Dei voluntas rationabilis est et aequissima. Fatendum est ergo Deum omnia posse.

En effet, que Dieu puisse tout est corroboré par de nombreuses autorités ; en effet Augustin [ Des questions de l’ancienne et de la nouvelle Loi, quest. 97, col. 2291, t. 111] « Dieu peut tout, mais il ne fait que ce qui convient à sa vérité et à sa justice. » Et dans le même livre (quest. 106) : « Dieu a pu tout faire en même temps, mais la raison, c'est-à-dire sa volonté, l’a interdit. » La volonté de Dieu, il l’a sans doute appelée raison  parce que la volonté de Dieu est rationnelle et elle est la plus juste. Il faut donc reconnaître que Dieu peut tout.

Cap. 185 (2). Quomodo dicatur Deus omnia posse. Sed quaeritur quo modo omnia posse dicatur, cum nos quaedam possimus, quae ipse non potest [2]. Non potest enim ambulare, loqui, et huiusmodi, quae a natura divinitatis sunt penitus aliena, cum horum instrumenta nullatenus habere queat incorporea et simplex substantia.

2. Mais en quel sens dit-on que Dieu peut tout ? Mais on cherche de quelle manière on dit qu’il peut tout, alors que nous pouvons certaines choses qu'il ne peut pas lui-même faire. En effet il ne peut pas marcher, parler, etc., choses qui sont tout à faire étrangères à la nature de la divinité, puisque la substance simple et incorporelle ne possède en aucune manière les outils nécessaires à poser de telles opérations.

Quibus id respondendum arbitror, quod huiusmodi actiones, ambulatio scilicet et locutio, et huiusmodi, a Dei potentia alienae non sunt, sed ad ipsam pertinentes. Licet enim huiusmodo actiones in se Deus habere non possit, non enim potest ambulare, vel loqui, et huiusmodi, eas tamen in creaturis potest operari : facit enim ut homo ambulet, et loquatur et huiusmodi. Non ergo per istas actiones divinae potentiae detrahitur aliquis, quia et hoc potest facere omnipotens.

A cela je crois qu’il faut répondre que les actions de ce genre, à savoir marcher, parler etc., ne sont pas étrangères à la puissance de Dieu mais lui appartiennent. En effet, bien que Dieu ne puisse pas avoir en lui des actions de cette sorte, car il ne peut ni marcher, ni parler etc., il peut cependant opérer ces opérations dans les créatures : c’est lui en effet qui fait que l’homme marche, parle, etc. Donc par ces actions, personne n’enlève quelque chose à la puissance divine, parce que le tout puissant peut lui aussi les poser.

Sed sunt alia quaedam quae Deus nullatenus facere potest, ut peccata : non enim potest mentiri, non potest peccare. Sed non ideo omnipentiae Dei in aliquo detrahitur vel derogatur, si peccare non posse dicitur, quia non est hoc potentiae, sed infirmitatis. Si enim hoc posset, omnipotens non esset. Non ergo impotentiae sed potentiae imputandum est, quod ista non potest. Unde Augustinus, in XV lib. De Trinit., cap. XV : « Magna, inquit, Dei potentia est, non posse mentiri. Sunt enim quaedam quae in aliis rebus potentiae deputanda sunt, in aliis vero minime, et quae in aliis laudabilia sunt, in aliis vero reprehensibilia sunt. Non ergo ideo Deus minus potens est qui peccare non potest, cum omnipotens nullatenus possit esse qui hoc potest. »

Mais il y a d’autres choses que Dieu ne peut faire en aucune manière, comme les péchés : en effet, il ne peut pas mentir, il ne peut pas pécher. Mais si on dit que Dieu ne peut pas pécher, on n’enlève ou on ne retire rien pour cette raison à sa toute puissance, parce que cela ne relève pas d’une puissance mais plutôt d’une infirmité. Car, s’il était capable de pécher, il ne serait pas tout-puissant. Ce n’est donc pas à une impuissance mais à une puissance qu’il faut imputer qu’il ne puisse faire de telles choses. C’est pourquoi Augustin [De la Trinité, XV, ch. XV, col. 1078, t.  VIII] dit : « Grande, dit-il, est la puissance de Dieu, de ne pas pouvoir mentir. Il y a en effet certaines activités chez certains qui doivent être attribuées à la puissance, mais pas du tout chez d’autres ; et les choses qui sont louables chez les uns sont repréhensibles chez les autres. Donc ce n’est pas parce qu’il ne peut pas pécher que pour cette raison Dieu serait moins puissant puisque celui qui le peut ne pourrait en aucune manière être tout-puissant. »

Sunt etiam et alia quaedam quae Deus non potest ; unde videtur non omnia posse. Non enim potest mori vel falli. Unde Augustinus in I lib. De symbolo ad catech., cap. 1, (col. 627) : « Deus omnipotens non potest falli, non potest miser fieri, nec potest vinci. Haec utique et hujusmodo absit ut possit omnipotens. Si enim passionibus atque defectibus subjici posset, omnipotens minime foret. Et inde monstratur omnipotens, quia ei haec propinquari non valent. Potest tamen haec in aliis operari. »

 

Il y a encore d’autres choses que Dieu ne peut pas faire : c'est pourquoi il semble qu’il ne puisse pas tout faire. En effet, il ne peut ni mourir ni se tromper. C'est pourquoi Augustin [ I Du Symbole pour les Catéchètes, ch. 1, col. 627, t.  VI] dit : « Dieu le tout-puissant ne peut pas se tromper, il ne peut pas devenir malheureux, il ne peut pas être vaincu. Puisse le tout puissant ne pas pouvoir cela et d’autres choses. Car s’il pouvait être soumis aux passions et aux défaillances de ce genre, il ne serait pas tout-puissant. Et ainsi il se montre tout-puissant, parce que ces passions ne peuvent pas l’atteindre. Cela peut cependant être opéré chez d’autres. »

Cap. 186 (3). Quod omnipotentia Dei secundum duo consideretur. Hic ergo diligenter considerantibus omnipotentia eius secundum duo apparet [3] : scilicet qui omnia facit quae vult et nihil omnino patitur. Secundum utrumque Deus omnipotens verissime praedicatur : quia nec aliquid est quod ei ad patiendum corruptionem inferre valeat, nec aliquid ad faciendum impedimentum afferre. Manifestum est itaque Deum omnino nihil posse pati, et omnia facere posse praeter ea sola quibus eius dignitas laederetur eiusque excellentiae derogaretur, in quo tamen non est minus omnipotens : hoc enim posse, non esset posse, sed non posse. Nemo ergo Deum impotentem in aliquo dicere praesumat, qui omnia potest quae posse potentiae est, et inde vere dicitur omnipotens.

3. La toute-puissance de Dieu est considérée sous deux aspects. Ici donc, à ceux qui la considèrent avec attention, sa toute-puissance apparaît sous deux aspects : à savoir qu’il fait tout ce qu'il veut et qu’il ne subit absolument rien. Selon l’un et l’autre aspect, Dieu est considéré très véritablement comme tout-puissant : parce qu’il n’y a rien qui puisse lui faire subir la corruption et il n’y a rien qui puisse apporter un empêchement  à son action. C'est pourquoi il est clair que Dieu ne peut absolument rien subir, et qu’il peut tout faire à l’exception de ce qui blesserait sa dignité et qui amoindrirait son excellence, ce en quoi il n’est cependant pas moins tout-puissant. Car pouvoir cela ne serait pas une puissance mais une impuissance. Donc que personne n’ose dire que Dieu est impuissant en quelque chose, parce qu’il peut tout ce qui est un pouvoir de puissance, et c’est de là qu’on dit de Lui qu’il est vraiment tout-puissant.

Ex quibusdam tamen auctoritatibus traditur ideo vere dici omnipotens, quia quidquid vult potest [4] Unde Augustinus in Enchir., cap. XCVI : « Non ob aliud veraciter vocatur omnipotens nisi quoniam quidquid vult potest, nec voluntate cuiuspiam creaturae voluntatis impeditur effectus. » Idem in lib. De spir. et lit. : « Non potest Deus facere injusta, quia ipse est summa justitia et bonitas. Omnipotens vero est, non quod possit omnia facere, sed quia potest efficere quidquid vult, ita ut nihil valeat eius voluntati resistere quin compleatur, aut aliquo modo impedire eamdem. »

Cependant certaines autorités enseignent qu'on le dit vraiment tout-puissant, parce qu'il peut tout ce qu'il veut. C'est pourquoi Augustin  [Enchir., ch. 96, col. 276, t.  VI] dit : « Il n'est appelé vraiment tout-puissant que parce qu'il peut tout ce qu'il veut et que l'effet de sa volonté n’est empêché par la volonté d’aucune créature.». De même, il dit encore [LEsprit et la Lettre, ch. XXXI, col. 234, t. X] : « Dieu ne peut pas commettre d’injustice, parce qu’il est la justice et la bonté suprêmes. Mais il est tout-puissant, non pas parce qu’il pourrait tout faire, mais parce qu’il peut réaliser tout ce qu’il veut, de sorte que rien n’a le pouvoir de résister à sa volonté de telle manière qu’elle ne serait pas acccomplie ou qu’elle serait empêchée de quelque manière. »

Joannes Chrysostomus, in homil. quadam de expositione symboli, homil. II, ait : « Omnipotens dicitur Deus, quia posse illius non potest invenire non posse, dicente Propheta, Ps CXIII, 2 : « Omnia quaecumque voluit fecit. » Ipse est ergo omnipotens, ut totum quod vult possit. Unde Apostolus, Rom. IX, 19 : Ejus, inquit, voluntati quis resistit ? » His auctoritatibus videtur ostendi quod Deus ex eo tantum dicatur omnipotens, quid omnia potest quae vult, non quia omnia possit.

Saint-Jean Chrysostome, dans une homélie, [Homélie sur l’explication du Symbole, homélie 11] dit : « On dit de Dieu qu’il est tout-puissant, parce qu’il est impossible que son pouvoir devienne un non-pouvoir, car le prophète dit [Psaume. CXIII, 2] « Tout ce qu'il a voulu, il l’a fait. » Donc il est tout-puissant de telle manière qu’il peut tout ce qu’il veut. C’est pourquoi l’Apôtre [Romains, 1X, 19) dit : « Qui, dit-il, résiste à sa volonté ? ». Ces autorités semblent donc montrer qu’on dit que Dieu est tout-puissant, seulement parce qu’il peut tout ce qu’il veut, non pas parce qu’il peut absolument tout.

Sed ad hoc potest dici, [5] quod Augustinus ubi dicit, lib. I De symb., cap. 1 : « Omnipotens non dicitur quod omnia possit, » etc., tam ample et generaliter accipit « omnia », ut etiam mala includeret quae Deus non potest nec vult. Non ergo negavit eum posse omnia quae convenit ei posse.

Mais on peut répondre à cela qu’Augustin, là [1 Sur le Symbole, ch. 1] où il dit « On ne le dit pas tout puissant parce qu’il peut tout », etc.,  entend « tout » si totalement et généralement qu’il incluerait aussi les maux que Dieu ne peut pas et ne veut pas. Donc il n’a pas nié qu’il peut tout ce qui convient à son pouvoir.

Similiter cum dicit, in Enchirid, : Non ob aliud veraciter dicitur omonipotens nisi quoniam quidquid vult potest », non negat eum posse etiam ea quae non vult ; sed adversus illos qui dicebant Deum multa velle quae non poterat, affirmat eum posse quidquid vult, et ex eo vere dici omnipotentem, non ob aliud, quam quia potest quidquid vult. Sed cave quodmodo intelligas, potest quidquid vult – [6] an quidquid vult se posse, an quidquid vult facere, an quidquid vult fieri. Si enim dicas, ideo omnipotentem vocari quid potest quidquid vult se posse ; ergo et Petrus similiter omnipotens dici potest, vel quilibet sanctorum beatorum quia potest quidquid vult se posse et potest facere quidquid vult facere.

De la même façon, lorsqu’il dit [Enchir., XXIV, 96) : « Ce n’est pas pour autre chose qu’on le dit tout puissant, sinon qu’il peut vraiment tout ce qu’il veut ». Il ne nie pas non plus qu’il peut aussi ce qu’il ne veut pas ; mais contre ceux qui disaient que Dieu veut beaucoup de choses qu’il ne pouvait pas, il affirme qu’il peut tout ce qu’il veut, et c’est à cause de cela qu’on le dit vraiment tout-puissant, et non pas pour une raison autre que parce qu’il peut tout ce qu’il veut. Mais prends garde à la manière dont tu entends cette expression : 'Il peut tout ce qu’il veut' : Veut-il tout ce qu’il peut, veut-il tout faire ou veut-il que tout soit fait ? Car si tu dis qu’il est appelé tout puissant parce qu’il veut tout ce qu’il peut, on peut donc dire de la même manière que Pierre, ou n’importe lequel des saints bienheureux, est tout-puissant parce qu’il peut tout ce qu'il veut pouvoir et peut faire tout ce qu’il veut faire.

Non enim vult facere nisi quod facit, nec posse nisi quod potest. Sed non potest facere quidquid vult fieri : vult enim salvos fieri qui salvandi sunt ; verumtamen eos salvare non valet. Deus autem quidquid vult fieri potest facere. Si enim vult aliquid fieri per se, potest illud facere per se, et per se fecit, sicut cælum et terram per se fecit, quid voluit ; si autem fieri per creaturam, et per eam operatur, sicut per homines facit domos, et huiusmodi artificialia. Et Deus quidem ex se et per se potest : homo autem vel angelus, quantumcumque beatus est, non est potens ex se, vel per se.

En effet, il ne veut faire que ce qu’il fait et ne pouvoir que ce qu’il peut. Mais il ne peut pas faire tout ce qu’il veut qu’il soit fait ; car il veut que soient sauvés ceux qui doivent l’être ; mais pourtant il ne peut pas les sauver. Mais Dieu peut faire tout ce qu’il veut qu’il soit fait. Car s’il veut que quelque chose soit fait par lui, il peut le faire par lui-même, et il l’a fait par lui-même comme il a fait par lui-même le ciel et la terre, ce qu’il a voulu ; mais s’il a voulu que ce soit fait par une créature, il opère par son intermédiaire, comme il fait faire par les hommes des maisons et d’autres œuvres artificielles de cette sorte. Et Dieu le peut de lui-même et par lui-même : mais l’homme ou l’ange, tout autant qu’il soit bienheureux, quelque heureux qu’il soit, n’est pas puissant de lui-même ou par lui-même.

Sed forte dicent : « Nec Dei Filius potest a se, nec Spiritus sanctus, sed solus Pater. Ille enim potest a se qui est a se ; Filius autem, quia non est a se, sed a Patre, non potest a se, sed a Patre et Spiritus sanctus ab utroque. »

Mais ils diront peut-être : « Et le Fils de Dieu ne peut pas de lui-même, ni l’Esprit Saint, mais le Père seulement. En effet, celui qui peut de lui-même est  celui qui existe de lui-même ; mais le Fils, parce qu’il n’existe pas de lui-même mais du Père, ne peut pas de lui-même, mais du Père alors que l’Esprit-Saint peut de l’un et de l’autre ».

Ad quod dicimus, quia licet Filius non possit a se nec operatur a se, potest tamen et operatur per se ; sic et Spiritus sanctus. Unde Hilarius in XI lib. de Trinit., post med., : « Naturae, inquit, cui contradicis, haeretice, haec unitas est, ut ita per se agat Filius nec a se agat ; et ita non a se agit ut per se agat. » Per se autem dicitur agere et potens esse, quia naturalem habet potentiam eamdem quam et Pater, qui potens est et operatur : sed quia illam habet a Patre, non a se ; ideo a Patre non a se dicitur posse et agere. Homo autem vel angelus gratuitam habet potentiam qua potens est.

A cela nous disons que, bien que le Fils ne puisse pas de lui-même et n’opère pas de lui-même, il peut cependant et il opère par lui-même, tout comme l’Esprit Saint. C’est pourquoi Saint-Hilaire (XI De la Trinité, 48, PL 319 C après le milieu) : « Cette unité de nature, dit-il, que tu contredis, ô hérétique, c’est pour que le Fils agisse par lui-même et non de lui-meme ; et ainsi il n’agit pas de lui-même, pour agir par lui-même.» Mais on dit qu’il peut agir et exister par lui-même parce qu’il possède la même puissance naturelle que le Père, lequel est puissant et agit ; mais parce qu’il l’a du Père, non de lui-même, c’est pourquoi on dit que sa puissance et son action procède non pas de lui mais du Père. Mais l’homme ou l’Ange a une puissance gratuite par laquelle il est puissant.

Ideo ergo vere ac proprie Deus Trinitas omnipotens dicitur quia per se, id est naturali potentia, potest quidquid vult fieri quod non possit facere per se vel per creaturas ; et nihil vult se posse quod non possit, et omne quod vult fieri vult se posse, sed non omne quod vult se posse, vult fieri. Si enim vellet fieret, quia voluntati eius nihil resistere potest.

 

Donc c'est pourquoi on dit que vraiment et à proprement parler le Dieu Trinité est tout puissant, parce que par lui-même, c'est-à-dire par une puissance naturelle, il peut tout ce qu’il veut être fait, qu’il ne pourrait faire par lui-même ou par les créatures : et il ne veut pas pouvoir ce qu’il ne pourrait pas et tout ce qu’il veut qui soit fait il veut le pouvoir, mais ce n’est pas tout ce qu’il veut pouvoir qu’il veut être fait. Si en effet il le voulait, cela serait fait parce que rien ne peut résister à sa volonté.

Tunc non latebit quod nunc latet. Nec utique injuste Deus noluit salvos fieri, cum possint salvi esse, si vellent. Tunc in clarissima sapientiae luce videbitur quod nunc piorum fides habet, antequam manifesta cognitione videatur, quam certa et immutabilis et efficacissima sit voluntas Dei, quae multa possit et non velit ; nihil autem quod non possit velit. Idem in lib. De natura et gratia, cap. VII : « Dominus Lazarum suscitavit in corpore. Numquid dicendum est : Non potuit Judam suscitare in mente ? Potuit quidem, sed noluit. » His auctoritatibus aliisque multis aperte docetur quod Deus multa possit facere quae non vult :

Alors ce qui est maintenant caché ne le sera pas. Et de toute façon, ce n’est pas injustement que Dieu n'a pas voulu qu'ils soient sauvés, puisqu'ils pouvaient l'être, s'ils le voulaient. Alors, dans la lumière la plus brillante de la sagesse, on verra ce que possède maintenant la foi des hommes pieux, avant qu'elle paraisse dans une connaissance manifeste, combien la volonté de Dieu est certaine, immuable et très efficace, elle qui pourrait beaucoup et ne veut pas ; mais il ne voudrait rien de qu'il ne pourrait pas. De même on lit [La nature et la grâce, ch.  VII] : « Le Seigneur a ressuscité Lazare dans son corps» . Ne faut-il pas dire : « Il n'a pas pu ressusciter Juda en esprit » Il a pu le faire certes, mais il n'a pas voulu. ». Par ces autorités et de nombreuses autres, il est montré ouvertement que Dieu pourrait faire beaucoup de choses qu'il ne veut pas :

10. Quod sine mutabilitate potentiae vel voluntatis potest Deus et alia velle et alia facere quam vult vel facit *. quod etiam ratione probari potest. Non enim vult Deus omnes homines justificare, et tamen quis dubitat eum posse ? Potest ergo Deus aliud facere quam facit, et tamen si aliud faceret, alius ipse non esset. Et potest aliud velle quam vult, et tamen eius voluntas nec alia, nec nova, nec mutabilis aliquo modo potest esse. Quod etsi possit velle quod numquam voluit, nec tamen noviter nec nova voluntate, sed sempiterna tantum voluntate velle potest ; potest enim velle quod ab aeterno potest voluisse ; habet enim potentiam volendi et nunc et ab aeterno, quod tamen nec modo vult, nec ab aeterno.

10. Que Dieu peut, sans changement de la puissance et de la volonté, vouloir d’autres choses et en faire d’autres que celles qu’il veut ou qu’il fait, cela aussi peut être manifesté par la raison. Car Dieu ne veut pas justifier tous les hommes, et cependant qui doute qu'il le peut ? Donc il peut faire autre chose que ce qu'il fait, et cependant s'il faisait autre chose, il ne serait pas lui-même un autre. Et il peut vouloir autre chose que ce qu'il veut, et cependant sa volonté ne peut et cependant sa volonté ne serait pas autre ni nouvelle et elle ne peut être changeante de quelque manière. Et quoiqu’il puisse vouloir ce qu'il n'a jamais voulu, ce ne sera cependant ni à nouveau ni par une nouvelle volonté, mais il peut seulement le vouloir par une volonté éternelle ; il peut en effet vouloir ce qu’il peut avoir voulu de toute éternité ; il possède en effet la puissance de vouloir à la fois maintenant et de toute éternité ce que cependant il ne veut ni maintenant ni de toute éternité.

 

 

Distinctio 43

Distinction 43 – [La puissance de Dieu, suite]

 

 

Prooemium

Prologue 43

Circa primum quaeruntur duo :

1. Utrum potentia Dei sit infinita ?

2. Utrum omnipotentia sua, quae convenit sibi secundum infinitatem potentiae, sit creaturae communicabilis ?

Deinde quaeritur de necessitate divinae operationis ; et circa hoc quaeruntur duo :

1. Utrum operetur ex necessitate naturae ?

2. Utrum operetur ex necessitate suae justitiae ?

Au sujet du premier point on cherche à répondre à deux questions :

 1. La puissance de Dieu est-elle infinie ?

 2. Est-ce que la toute puissance de Dieu, en tant qu’elle est infinie, peut être communiquée aux créatures ?

On s’interroge ensuite sur la nécessité de l’opération divine et à ce sujet on pose deux questions :

1. Dieu opère-t-il par une nécessité de nature ?

2. Est-ce qu’il opère par la nécessité de sa justice ?

 

 

La puissance de Dieu est-elle infinie ?

43 q. 1 pr. Hic Magister excludit errorem quorumdam contra praedeterminata, qui Dei potentiam limitabant, dicentes, non simpliciter omnium esse Dei potentiam : et dividitur in partes duas : in prima improbat errorem eorum, inquantum limitabant Dei potentiam, ad res quae fiunt ; in secunda inquantum limitabant ad qualitatem earum ; dicebant enim, nec alia nec meliora posse Deum facere quam quae facit, 44 dist., ibi : nunc illud restat discutiendum, utrum melius aliquid possit facere quam facit. [d. 44, 1]

 

Le Maître écarte ici l’erreur de certains contre ce qui a été établi précédemment, lesquels limitaient la puissance de Dieu, en disant qu'elle ne s’applique pas absolument à toutes [les personnes[41]] et cette section se divise en deux parties : dans la première il réfute leur ereur en tant qu’ils limitaient la puissance de Dieu, au devenir des choses ; deuxièmement en tant qu’ils limitaient sa puissance quant à la qualité des choses car ils disaient que Dieu ne peut faire des choses autres et meilleures que celles qu’il fait (d. 44, quest. 1), là où il dit : maintenant il reste à discuter ceci, à savoir s’il pourrait faire quelque chose de meilleur que ce qu’il fait .

Prima in tres : in prima narrat eorum positionem ; in secunda ponit probationes eorum, et solvit eas, ibi : istamque primam suam opinionem verisimilibus argumentis, causisque commentitiis, nec non et sacrarum auctoritatum testimoniis munire conantur ; in tertia inducit auctoritates ad veritatem probandam, ibi : fateamur ergo Deum plura posse facere quae non vult, et posse dimittere quae facit. Istamque suam primam opinionem verisimilibus argumentis (...) munire conantur.

La première partie se divise en trois : dans la première il rapporte leur position ; dans la seconde il donne leurs preuves et les résoud : « Ils s’efforcent de construire leur première opinion par des arguments vraisemblables et des causes inventées et aussi par les témoignages des saintes autorités » ; dans la troisième il présente des autorités pour prouver la vérité, là où il dit : «Avouons donc que Dieu peut faire plus de choses qu’il ne veut cependant pas faire, et qu’il peut renoncer à plusieurs choses qu'il fait. » Cette première opinion qui est la leur, par des arguments vraisemblables (…) ils s’efforcent de l’assurer.

Hic ponit probationes eorum ; et dividitur in partes tres : in prima ponit quaedam probabilia argumenta quae habebant ; in secunda ponit quasdam causas quas adinveniebant, ibi : addunt quoque et alia ; in tertia ponit quasdam auctoritates quas inducebant ad suae opinionis confirmationem, ibi : his autem illi scrutatores qui defecerunt scrutantes scrutinia, sanctorum annectunt testimonia. Probationes autem et responsiones patent in littera.

Il présente ici leurs preuves ; et il divise cela en trois parties : dans la première il présente certains arguments probables auxquels ils tenaient ; dans la deuxième il présente quelques causes qu’ils inventaient, là où il dit : ils en ajoutent aussi d’autres ; dans la troisième il présente certaines autorités qu’ils avançaient pour confirmer leur opinion, là où il dit : mais ces fouineurs qui se sont trompés en dans leurs recherches ajoutent les témoignages des saints. Mais les preuves et les réponses sont claires dans La Lettre.

Circa hanc opinionem oportet duo quaerere, secundum quod duo ponebant. Primo ponebant, quod non potest facere aliquid eorum quae non facit : et in hoc negabant infinitatem divinae potentiae. Unde prima quaestio sit de infinitate divinae potentiae. Secundo ponebant Deum non posse non facere ea quae facit ; et in hoc inducebant Deum agere ex necessitate ; et ideo secunda quaestio erit, utrum Deus agat ex necessitate. Circa primum quaeruntur duo : 1 utrum potentia Dei sit infinita ; 2 utrum omnipotentia sua, quae convenit sibi secundum infinitatem potentiae, sit creaturae communicabilis.

Et au sujet de cette opinion il faut soulever deux questions par rapport à deux de leurs affirmations. Premièrement, ils soutenaient que ce que Dieu ne fait pas, il ne peut pas le faire. selon qu’ils en présentaient deux: et en cela ils niaient l’infinité de la puissance divine. D’où la première question porte sur l’infinité de la puissance divine. Deuxièmement ils soutenaient que Dieu ne peut pas ne pas faire ce qu’il fait ; et en cela ils étaient amenés à penser que Dieu agit par nécessité ; et c'est pourquoi la seconde question sera : Dieu agit-il par nécessité ? Et au sujet du premier point on cherche à répondre à deux questions :

1. Est-ce que la puissance de Dieu est infinie ? 2. Est-ce que sa toute-puissance, qui lui convient selon l’infinité de la puissance, est communicable à la créature ?

 

 

 

Question 1 – [Les limites de la puissance de Dieu]

 

 

Quaestio 1, articulus 1 : Utrum potentia Dei sit infinita. d. 43 q. 1 a. 1 tit.

Article 1 – La puissance de Dieu est-elle infinie ?

d. 43 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod potentia Dei non sit infinita. Sicut enim dicit philosophus, infinitum habet rationem partis et materiae, et ita imperfecti. Sed potentia Dei est perfectissima. Ergo non debet dici infinita.

Difficultés :[42].

Il semble que la puissance Dieu ne soit pas infinie. En effet, comme le Philosophe le dit [111 Physique, texte 37], l'infini a raison de partie et de matière et ainsi d'imparfait. Mais la puissance de Dieu est absolument parfaite. Donc on ne doit pas dire qu'elle est infinie.

d. 43 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum philosophum, finitum et infinitum congruunt quantitati. Sed omne quantum est divisibile. Cum igitur potentia divina sit simplex, videtur quod neque finita neque infinita dicenda sit.

2. Par ailleurs, selon le Philosophe, [1 Physique texte 15] le fini et l'infini se rencontrent dans la quantité ; mais toute quantité est divisible. Donc comme la puissance de Dieu est simple, il semble qu’on ne doive pas dire qu’elle est finie ou infinie.

d. 43 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum philosophos, si esset aliqua potentia activa cui non responderet aliqua potentia passiva in natura, illa esset frustra. Sed nulla potentia passiva est ad recipiendum effectum infinitum. Cum ergo potentia activa Dei non sit frustra, videtur quod non sit infinita.

3. En outre, selon les philosophes, si on on se fie à Aristote [V Métaphysique, texte 17] s'il y avait une puissance active à laquelle ne corresponde pas une puissance passive dans la nature, elle serait vaine. Mais il n’existe aucune puissance passive pour recevoir un effet infini. Donc comme la puissance active de Dieu ne peut être vaine, il semble qu'elle ne soit pas infinie.

d. 43 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nullum infinitum comprehendi potest : quia, secundum Augustinum in Lib. de videndo Deum, illud comprehenditur cujus fines circumspiciuntur. Sed intellectus divinus comprehendit potentiam suam, cum totam potentiam suam Deus cognoscat. Ergo sua potentia non est infinita.

4. Par ailleurs, rien d’infini n’est intelligible, parce que, selon Saint-Augustin [De la vision de Dieu, Epître CXLVII, à Pauline, ch. IX, col. 606] on n’appréhende que ce dont les limites sont définies. Mais l'esprit divin appréhende sa puissance, puisque Dieu connaît toute sa puissance. Donc sa puissance n'est pas infinie.

d. 43 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, omnis potentia potest reduci in actum. Si ergo potentia Dei sit infinita, poterit actu infinita facere. Sed si actu infinita fecisset, aut aliquid posset facere amplius, et sic infinito esset aliquid majus. Vel nihil amplius facere posset, et sic impotens ex his quae faceret redderetur, et sua potentia ad opera ejus finiretur, et infinita non esset : quae omnia impossibilia sunt. Ergo Dei potentia non est infinita.

5. De plus, toute puissance peut être conduite à son acte. Si donc la puissance de Dieu était infinie, il aurait pu la rendre infinie en acte. Mais s'il l’avait rendue infinie en acte, ou bien il pourrait faire quelque chose de plus grand, et ainsi il y aurait quelque chose de plus grand que l'infini ; ou bien il ne pourrait rien faire de plus grand et ainsi il serait rendu impuissant par ce qu'il ferait, et sa puissance se limiterait à ses œuvres, et ne serait pas infinie : choses qui sont toutes impossibles. Donc la puissance de Dieu n'est pas infinie.

d. 43 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, in magnitudine infinita semper est virtus infinita, sicut philosophi probant, sive ponatur magnitudo molis, quam tamen impossibile est esse infinitam, sive magnitudo virtutis. Sed in Psalm. 144, 3, dicitur, quod magnitudinis ejus non est finis. Ergo virtus vel potentia ejus est infinita.

Cependant :

Dans une grandeur infinie, il y a toujours une puissance infinie, ainsi que le prouvent les philosophes [ VIII Physique, texte 58], qu’il s’agisse de la grandeur d'une masse, laquelle ne peut cependant pas être infinie, ou de la grandeur d’une puissance. Mais l’Écriture [Psaume 144, 3] dit qu’Il n'y a pas de fin à sa grandeur. Donc son pouvoir et sa puissance sont infinis[43].

d. 43 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod infinitum potest dupliciter sumi : privative, et sic Deo non convenit : nihil enim, proprie loquendo, privative de ipso dici potest, ut supra dictum est, dist. 7, qu. 2, art. 2 : vel negative, et sic Deus dicitur infinitus, secundum Damascenum, quia nullo modo finitur. Quod qualiter sit, investigandum est.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux manières de considérer l’infini. Soit par la privation, et en ce sens il ne convient pas à Dieu car rien, à proprement parler, ne peut être attribué à Dieu de manière privative comme nous l'avons dit plus haut [dist.7, quest.2, art.2] ; soit par la négation et en ce sens l’infini s’attribue à Dieu, selon Jean Damascène [1 De La foi orthodoxe, ch. 2, col. 791 et ch. 4, col. 798], parce qu'il n'est fini en aucune manière. Il faut donc chercher à savoir comment il l’est.

Quidam enim accipientes finitum et infinitum solum secundum quod sunt passiones quantitatis, non poterant in Deo invenire infinitatem, nisi secundum quod inveniebant in eo rationem quantitatis virtualis ; unde dicebant Deum esse infinitum, quia virtus ejus est infinita. Ideo accidit quod quidam negaverunt essentiam Dei esse infinitam in ratione essentiae consideratam ; et sic a sanctis eam videri asserebant. Sed istud erroneum est. Et ideo aliter dicendum, quod secundum philosophum, finis vel terminus multipliciter dicitur. Uno modo terminus quantitatis, sicut punctus lineae ; et hoc modo dicitur a positione et a privatione talis finis, finitum et infinitum, secundum quod est passio quantitatis ; et sic non sunt in incorporeis.

Car certains qui n’entendent le fini et l'infini qu’en tant qu’ils sont des propriétés de la quantité ne pouvaient trouver l'infini en Dieu, que selon qu'ils trouvaient en lui la nature de la quantité de la puissance ; c'est pourquoi ils disaient que Dieu est infini, parce que sa puissance est infinie. C’est pourquoi il est arrivé que certains ont nié que l'essence de Dieu, considérée en tant qu’essence, est infinie ; et ils se réclamaient des saints pour la voir ainsi. Mais cela est faux. Et c'est pourquoi il faut plutôt dire que d’après le Philosophe, le mot ¨fin¨ ou ¨terme¨ se dit en plusieurs sens. On le dit en un sens du terme de la quantité, comme le point de la ligne, et en ce sens on parle du fini et de l’infini par la position et la privation de telle fin, selon qu’elle est une propriété de la quantité. Et en ce sens le fini et l’infini ne sont pas dans les êtres incorporels.

Dicitur alio modo finis quantum ad essentiam rei, sicut ultima differentia constitutiva est ad quam finitur essentia speciei. Unde illud quod significat essentiam rei, vocatur definitio vel terminus ; et sic dicitur unumquodque finiri per illud quod determinat vel contrahit essentiam suam ; sicut natura generis, quae de se est indifferens ad multa, finitur per unam differentiam ; et materia prima, quae de se est indifferens ad omnes formas (unde et infinita dicitur) finitur per formam ; et similiter forma, quae, quantum in se est, potest perficere diversas partes materiae, finitur per materiam in qua recipitur. Et a negatione talis finis essentia divina infinita dicitur. Omnis enim forma in propria ratione si abstracte consideretur, infinitatem habet ; sicut in albedine abstracte intellecta, ratio albedinis non est finita ad aliquid ; sed tamen ratio coloris et ratio essendi determinatur in ea, et contrahitur ad determinatam speciem.

En un autre sens la fin se dit de l'essence de la chose, comme la différence constitutive ultime est pour celle à laquelle se termine l'essence de l'espèce. C'est pourquoi ce qui signifie l'essence de la chose s’appelle sa définition ou son terme. Et c’est en ce sens qu’on dit que chaque chose se termine à ce qui détermine ou limite son essence ; tout comme la nature du genre, qui est d’elle-même indifférenciée à l’égard d’une multiplicité, est limitée par une seule différence et que la matière première, qui d’elle-même est indifférenciée par rapport à toutes les formes, (et c'est pourquoi on dit d’elle qu’elle est infinie) est limitée par la forme, et que de la même manière la forme, en ce qui la concerne, peut achever les diverses parties de la matière, et elle est limitée par la matière en laquelle elle est reçue. Et nier une telle fin revient à dire que l’essence divine est infinie. Toute forme en effet, si on la considère séparément dans sa notion propre, a raison d’infini, tout comme dans la blancheur entendue séparément, la notion de blancheur n’est pas limitée à une chose déterminée; mais cependant la nature de la couleur et celle de l’être s’y trouve déterminée et limitée à une espèce déterminée.

 

Et ideo illud quod habet esse absolutum et nullo modo receptum in aliquo, immo ipsemet est suum esse, illud est infinitum simpliciter ; et ideo essentia ejus infinita est, et bonitas ejus, et quidquid aliud de eo dicitur ; quia nihil eorum limitatur ad aliquid, sicut quod recipitur in aliquo, limitatur ad capacitatem ejus. Et ex hoc quod essentia est infinita, sequitur quod potentia ejus infinita sit ; et hoc expresse dicitur in Lib. de causis, quod ens primum habet virtutem simpliciter infinitam, quia ipsummet est sua virtus.

Et c'est pourquoi celui qui possède une existence absolue qui n’est reçue en rien en aucune manière, et qui à cause de cela est bien lui-même sa propre existence, cet être est absolument infini ; et c’est pourquoi son essence est infinie, tout comme sa bonté et toute autre chose qu'on lui attribue, parce qu’aucun de ces attributs n'est limité, contrairement à ce qui est reçu dans quelque chose et qui se trouve ainsi à être limité par la capacité de ce qui le reçoit. Et du fait que l'essence est infinie, il en découle que sa puissance est infinie, et cela est dit clairement dans le Livre des Causes, (prop. 16), à savoir que l'étant premier a une puissance absolument infinie, parce qu'il est lui-même sa propre puissance.

d. 43 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illa objectio procedit de infinito quod privative dicitur, quod scilicet natum est habere finem, et non habet ; et sic ratio ejus consistit in materia cum privatione ; et hoc Deo non competit.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que cette objection procède de cet infini qui se dit par la privation, à savoir de ce qui est destiné à avoir une fin et n'en a pas, et ainsi sa raison consiste dans une matière qui s’accompagne d’une privation, et cela ne convient pas à Dieu.

d. 43 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod objectio illa procedit de infinito secundum quod dicitur a privatione finis, qui est terminus quantitatis.

2. Il faut dire en deuxième lieu que cette difficulté procède de l'infini selon qu'il se dit par privation de la fin qui est le terme de la quantité.

d. 43 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia Dei activa non est propter finem, sed est finis omnium : et ideo quamvis nulla potentia passiva adaequet eam, non est frustra ; quia frustra est, quod est ad finem quem non inducit ; aliae tamen potentiae activae et passivae accedunt ad eam quantum possunt.

3. Il faut dire en troisième lieu que la puissance active de Dieu n'est pas en vue d’une fin, mais elle est elle-même la fin de tout : et c'est pourquoi, quoique nulle puissance passive ne l'égale, elle n'est pas vaine pour autant, parce qu’est vain ce qui est en vue d’une fin qu'il ne peut atteindre ; cependant les autres puissances actives et passives y parviennent autant qu'elles le peuvent.

d. 43 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod de ratione comprehensionis sunt duo. Unum est quod fines ejus rei apprehendantur vel contineantur ; et sic infinitum nullo modo comprehenditur neque a finito neque ab infinito : nec sic Deus seipsum comprehendit, quia fines non habet. Aliud est ratione ejus, scilicet nihil comprehensi esse extra comprehensorem ; et [sic infinitum seipsum conprehendit (om. É. Parme)] et sic etiam intellectus divinus essentiam suam et potentiam comprehendit, cum nihil extra ipsum sit.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il y a deux choses qui font partie de la nature de l'appréhension : la première est que les termes de cette chose soient appréhendée ou saisis ; et en ce sens l'infini n'est nullement appréhendé, ni par le fini ni par l'infini : et en ce sens Dieu ne s'appréhende pas parce qu'il n'a pas de terme ou de limite. La deuxième chose qui fait partie de la nature de l’appréhension est que rien de ce qui est appréhendé n'est en dehors de celui qui l'appréhende ; et [en ce sens l’infini se comprend lui-même om. Éd. de Parme] en ce sens aussi l'esprit divin appréhende son essence et il appréhende sa puissance, puisqu'il n'y a rien en dehors de lui.

d. 43 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod nullus effectus producitur per aliquam potentiam per modum qui est contra rationem ipsius, sicut potentia motiva non facit omnes partes motus esse simul : jam enim non esset motus, cum de ratione motus sit successis : et talis actus est in infinitum, secundum philosophum in 3 Physic., qui scilicet semper est permixtus potentiae ; et ideo non reducitur in actum nisi successive ; et ideo non sequitur quod Deus possit facere esse in actu omnia infinita quae potest, quia jam infinita essent finita.

5. Il faut dire en cinquième lieu qu’aucun effet n'est produit par une puissance d’une manière qui serait contraire à sa nature ; par exemple la puissance de mouvoir ne fait pas toutes les parties du mouvement en même temps, car alors il n'y aurait pas de mouvement, puisque la succession est de la nature du mouvement. Et selon le Philosophe [111 Physique, texte 60] c’est l’acte qui est toujours mêlé à de la puissance qui est dans l’infini et c'est pourquoi il ne se ramène à l'acte que successivement ; et c'est pourquoi aussi il ne s’ensuit pas que Dieu puisse faire exister en acte l’infinité des choses qu’il peut faire, parce qu’alors l'infini serait fini.

 

 

d. 43 q. 1 a. 2 tit. Utrum omnipotentia Dei possit communicari creaturae

 

Article 2 – La toute puissance de Dieu peut-elle être communiquée aux créatures ?

d. 43 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod omnipotentia Dei creaturae communicari possit. Omnipotentia enim Dei non est dignior quam sua bonitas. Sed bonitas ejus communicatur creaturis. Ergo et omnipotentia.

Difficultés :[44]

Il semble que la toute-puissance de Dieu puisse être communiquée aux créatures. La toute-puissance de Dieu en effet n'est pas plus digne que sa bonté. Mais celle dernière est communiquée aux créatures. Il en est donc de même pour sa toute puissance.

d. 43 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, sicut habere omnem potentiam est de perfectione divina, ita et habere omnium scientiam ; et etiam scientia ad plura se extendit, quia ad bona et mala. Sed habere omnium scientiam communicatum est animae Christi. Ergo et habere omnipotentiam : et sic omnipotentia videtur creaturae communicabilis.

2. Par ailleurs, tout comme la possession de toute puissance fait partie de la perfection de Dieu, il en est de même pour la possession de la science de tout ; et même la science s'étend à plus de choses parce qu'elle s'applique au bien et au mal. Mais avoir la science de tout a été communiqué à l'âme du Christ. Donc la possession de la toute-puissance aussi lui a été communiquée et par conséquent la toute-puissance semble être communicable à la créature.

d. 43 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, fides facit omnia possibilia : quia nihil impossibile est credenti, sicut habetur Matth. 17. Sed fides creaturae infunditur. Ergo et omnipotentia communicatur.

3. En outre, la foi rend tout possible ; parce que rien n'est impossible à celui qui croit comme l’établit l’Écriture [Matthieu, 17, 19]. Mais la foi est répandue dans la créature. Donc la toute-puissance aussi lui est communiquée.

d. 43 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, sicut probatum est a philosophis, omnis virtus separata a materia est infinita, quia non est accipere proportionem virtutis materialis ad virtutem substantiae separatae. Sed Angeli, qui sunt creaturae, sunt substantiae a materia separatae, secundum Dionysium. Cum ergo Deus dicatur omnipotens propter infinitatem suae potentiae, videtur quod omnipotentia aliquibus creaturis communicari possit.

4. De plus, comme cela a été prouvé par les philosophes [Le Livre des Causes, prop. 6], toute puissance séparée de la matière est infinie, parce qu’il n’a pas à admettre un rapport à une puissance matérielle à l’égard de la puissance d’une substance séparée. Mais les Anges, qui sont des créatures, sont des substances séparées de la matière selon Denys [1 De la Hiérarchie Céleste, ch. VII, col. 206]. Donc, puisqu’on dit de Dieu qu’il est tout-puissant à cause de l'infini de sa puissance, il semble que la toute puissance puisse être communiquée à certaines créatures.

d. 43 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, creatio uniuscuiusque pertinet ad Dei potentiam. Sed nulli rei conferri potest ut sibimet creando esse conferat. Ergo nulli rei creatae omnipotentia conferri potest.

Cependant :

1. La création de tout être relève de la puissance de Dieu. Mais en créant elle ne peut communiquer l’être à aucune chose de manière à se communiquer lui-même. Donc la toute-puissance ne peut être conférée à aucun être créé.

q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, quidquid alicui creaturae communicabile est de perfectionibus divinis, totum animae Christi communicatum est. Sed sibi non est communicata omnipotentia, ut in 3 hujus dicitur. Ergo nulli creaturae communicabilis est.

2. Par ailleurs, tout ce qui est communicable à une créature et qui fait partie des perfections de Dieu, a été entièrement communiqué à l'âme du Christ. Mais la toute puissance ne lui a pas été communiquée, comme il est dit dans les troisième livre des Sentences [dist. 14, quest. 1, art. 4]. Donc, la toute-puissance n'est communicable à aucune créature.

d. 43 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod virtus vel potentia semper consequitur essentiam ; unde impossibile est, ut essentiae finitae sit virtus infinita. Impossibile est autem aliquam essentiam creatam esse infinitam, eo quod esse suum non est absolutum et subsistens, sed receptum in aliquo. Si enim esset esse absolutum, non differret ab esse divino. Non enim potest esse pluralitas alicujus naturae, sicut albedinis vel vitae, nisi hoc modo quod unum sit absolutum, et aliud alteri conjunctum, vel utrumque in diversis receptum ; eo quod substantia uniuscujusque rei est simul, ut ex 5 Metaph., patet. Unde sicut nulli creaturae potest communicari quod sit Deus, ita non potest sibi communicari quod sit infinitae essentiae et infinitae potentiae, et quod omnipotentiam habeat.

Réponse :

Je réponds qu’il faut dire que le pouvoir ou la puissance découle toujours de l'essence ; d’où   il est impossible qu’une puissance infinie vienne d'une essence finie. Mais il est aussi impossible qu'une essence créée soit infinie, du fait que son être n'est ni absolu, ni subsistant, mais reçu en quelque chose. Car s'il était absolu, il ne différerait pas de l'être divin. En effet, il ne peut pas y avoir pluralité d'une nature, comme celle de la blancheur ou de la vie, que de cette manière selon laquelle l'un soit absolu, et l'autre joint à un autre, ou que les deux soient reçus dans quelque chose de différent, du fait que la substance de toute chose existe simultanément comme nous le montre le Philosophe [V Métaphysique texte 15]. douteux. D’où il suit que tout comme il est impossible que soit communiqué à la créature qu’elle soit Dieu, de même il ne peut lui être communiqué qu’elle soit d’une essence infinie, d’une puissance infinie et qu’elle possède la toute-puissance.

d. 43 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quidquid perfectionis est in creatura, totum est exemplatum a perfectione divina, tamen perfectius est in Deo quam in creatura, nec secundum illum modum in creatura esse potest quo in Deo est : ideo omne nomen quod designat perfectionem divinam absolute, non concernendo aliquem modum, communicabile est creaturae, ut potentia, sapientia, bonitas, et hujusmodi. Omne autem nomen concernens modum quo illa perfectio est in Deo, creaturae incommunicabile est, ut est summum bonum esse, omnipotentem et hujusmodi.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que tout ce qu'il y a de perfection dans la créature est en totalité l'image de la perfection divine, perfection qui existe cependant plus parfaitement en Dieu que dans la créature, et qui ne peut exister dans la créature de la manière qu’elle existe en Dieu : c'est pourquoi tout nom qui désigne la perfection divine de façon absolue, indépendamment d’une modalité, est communicable à la créature, comme la puissance, la sagesse, la bonté, etc. Mais tout nom qui concerne la modalité ou la manière par laquelle cette perfection est en Dieu est incommunicable à la créature, en tant qu’il est l'être suprêmement bon, tout puissant, etc.

2 Ad secundum dicendum, quod potentia significatur per egressum ab essentia ; unde ei quod habet essentiam finitam, potentia infinita communicari non potest. Sed scientia animae est in recipiendo ; unde potest secundum quod unitur alicui infinito ut objecto, omnem scientiam habere ; et sic anima Christi in verbo omnia videt.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la puissance est signifiée par une sortie de l'essence ; c'est pourquoi une puissance infinie ne peut pas être communiquée à ce qui a une essence finie. Mais la science de l'âme consiste à recevoir ; c'est pourquoi elle peut, selon qu'elle est unie à quelque chose d'infini en tant qu’objet, posséder toute science ; et ainsi l'âme du Christ voit tout dans le Verbe.

d. 43 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ibi est accommoda distributio. Non enim virtus fidei absolute ad omnia se extendit, sicut ad creationem caeli, et hujusmodi ; sed tantum ad ea quae faciunt ad confirmationem fidei, ut suscitare mortuos, sanare infirmos, et hujusmodi. Nec ista etiam efficiuntur aliqua virtute creata quae sit in credente, sed virtute increata ad preces fidelis : et ideo dictum est supra, in corp. art., quod homo nec per se nec a se ista facit. Hoc autem attribuitur potius fidei quam alii virtuti, inquantum ea quae creduntur, quodammodo miraculis probantur, ut habetur Marc. ult., 20 : domino cooperante, et sermonem confirmante, sequentibus signis.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’il y a là une distribution convenable. En effet, la puissance  de la foi ne s'applique pas absolument à tout, comme à la création du ciel, etc. ; mais seulement aux choses qui contribuent à la confirmation de la foi, comme la résurrection des morts, la guérison des malades, etc. Et ces choses aussi ne sont pas produites par une puissance créée qui est dans le croyant, mais par une puissance incréée à la prière du fidèle : et c'est pourquoi nous avons dit plus haut dans le corps de l'article que l'homme ne fait ces choses ni par lui-même ni de lui-même, mais cela est plutôt attribué à la foi qu'à une autre puissance, dans la mesure où ce qui l’on croit est en quelque sorte prouvé par les miracles comme le dit l’Écriture [Marc, 16, 20]: « Le Seigneur agissait avec eux, confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient. »

d. 43 q. 1 a. 2 ad 4. Ad quartum dicendum, quod ibi et in Lib. de causis, dicitur, quod virtus intelligentiae creatae non est infinita simpliciter : et probatur per hoc quod ipsa virtus intelligentiae non est per se subsistens, sed est recepta in aliquo subsistente. Nulla enim intelligentia est sua virtus, sicut nec aliqua creatura. Dicitur tamen ibi, quod est infinita inferius, et non superius ; quod sic exponitur ibidem : quia si comparetur virtus intelligentiae ad superius suum, scilicet Deum, manifestatur finita, inquantum non recipit divinam virtutem in se, secundum suam totam infinitatem, sed per modum possibilem sibi ; sed in comparatione ad ea quae sub ipsa sunt, dicitur infinita, inquantum in infinitum potest movere, et infinitos effectus producere per motum, secundum positionem philosophorum qui ponunt intelligentias movere orbes ; sicut etiam virtus solis potest dici infinita inferius, inquantum scilicet per eam possent infinita generari, si mundus semper maneret.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’ici et dans Le livre des causes (prop. 16), il est dit que la puissance de l'intelligence créée n'est absolument pas infinie : et cela est prouvé du fait que la puissance même de l'intelligence n'est pas subsistante par elle-même, mais est reçue dans quelque chose de subsistant[45]. En effet, aucune intelligence n'est sa propre puissance, tout comme aucune créature non plus. On y dit cependant qu’elle est infinie par le bas et non par le haut, ce qu’on explique au même endroit : parce que si on compare le pouvoir de l'intelligence à ce qui lui est supérieur, à savoir Dieu, elle se montre comme étant finie en tant qu'elle ne reçoit pas la puissance divine en elle selon son infinité totale, mais d’une manière qui lui est possible ; mais par rapport aux choses qui lui sont inférieures, on la dit infinie en tant qu'elle peut mouvoir à l'infini et produire par le mouvement des effets infinis, si on se rapporte à l’opinion des philosophes [XII Métaphysique, texte 47] qui soutiennent que ce sont des intelligences qui meuvent les orbes du ciel, tout comme on peut dire que la puissance du soleil est infinie par le bas en tant que par elle une infinité de choses pourrait être engendrée si le monde demeurait toujours.

 

 

 

Question 2 – [La nécessité de l'opération divine]

 

 

Quaestio 2, Prooemium.

d. 43 q 2 pr. Deinde quaeritur de necessitate divinae operationis ; et circa hoc quaeruntur duo : 1 utrum operetur ex necessitate naturae ; 2 utrum operetur ex necessitate suae justitiae.

Prologue

On s’interroge ensuite sur la nécessité de l'opération divine, et à ce sujet on soulève deux questions :

1. Dieu opère-t-il par une nécessité de nature ? 2. Opère-t-il par la nécessité de sa justice ?

 

 

Articulus 1d. 43 q. 2 a. 1 tit. Utrum Deus operetur de necessitate naturae.

Article 1 – Dieu opère-t-il par nécessité de nature ?

d. 43 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus operetur per necessitatem naturae. Dicit enim Dionysius : sicut noster sol non ratiocinans, non eligens, radios suos diffundit in omnia corpora ; ita et divina bonitas in omnia entia. Sed operari sine ratiocinatione et electione, est operari per necessitatem naturae. Ergo Deus per necessitatem naturae operatur.

Difficultés :[46] 

1. Il semble que Dieu opère par une nécessité de nature. Denys [Les Noms divins, ch. IV, col. 694] dit en effet : «De même que notre soleil répand ses rayons sur tous les corps sans réfléchir et sans choisir, de même la divine bonté répand sa bonté sur tous les êtres.» Mais opérer sans réfléchir et sans choisir, c'est opérer par une nécessité de nature. Donc Dieu opère par une nécessité de nature.

d. 43 q. 2 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne agens per essentiam suam agit per necessitatem naturae : quia quod consequitur ad essentiam alicujus rei inquantum est essentia, necessario ab ipso consequitur, si esse ponatur. Sed Deus agit per essentiam suam, cum sit primum agens, ut ibidem etiam Dionysius dicit. Ergo videtur agere ex necessitate naturae.

2. En outre, tout agent qui agit par son essence agit par une nécessité de nature, car ce qui découle de l'essence d’un être en tant qu’essence, découle nécessairement de lui si on pose qu’il existe. Mais Dieu agit par son essence, puisqu'il est le premier agent, comme Denys le dit aussi au même endroit. Donc Dieu semble agir par une nécessité de nature.

d. 43 q. 2 a. 1 arg. 3 Praeterea, sicut Deus per se est bonus, ita etiam est ens per se necessarium, cum omnia ab ipso necessitatem habeant ; et omne quod est per aliud, reducitur ad id quod est per se. Sed in per se bono nihil est nisi bonum. Ergo etiam in Deo per se necessario, nihil est nisi necessarium ; et ita operatio ejus necessaria est, et ex necessitate operatur.

3. Par ailleurs, de même que Dieu est bon par soi, de même encore il est l’être qui est nécessaire par soi, puisque tous les êtres tirent leur nécessité de lui et que tout ce qui existe par un autre se ramène à ce qui existe par soi. Mais dans le bien par soi il n’y a que le bien. Donc de même en Dieu qui est nécessaire par soi, il n'y a que le nécessaire, et par conséquent son opération est nécessaire et il opère par nécessité.

d. 43 q. 2 a. 1 arg. 4 Praeterea, impossibile est causam necessarii non esse necessariam. Sed omnia entia creantur per operationem divinam. Si igitur non esset necessaria, nihil in mundo esset necessarium, sed totum contingens. Hoc autem est falsum, et contra sensum et omnem scientiam. Ergo videtur quod Deus ex necessitate operetur.

4. De plus, il est impossible que la cause de ce qui est nécessaire ne soit pas nécessaire. Mais tous les êtres sont créés par l'opération divine. Si donc son opération n'était pas nécessaire il n'y aurait rien de nécessaire dans l’univers, mais tout serait contingent. Mais cela est faux, et à la fois contraire au bon sens et à toute science. Il semble donc que Dieu opère par nécessité.

d. 43 q. 2 a. 1 s. c. 1 Sed contra, ab uno secundum necessitatem naturae operante, non est nisi unum : quia, secundum philosophum, De gener. II, text. 56 idem semper facit idem. Ergo si Deus esset agens per necessitatem naturae, ab ipso non esset nisi unum immediate, et ab ipso uno esset aliud vel alia, et sic deinceps. Hoc autem est falsum et contra fidem, quae Deum omnium entium creatorem confitetur, et nullum alium creatorem esse. Ergo non agit ex necessitate naturae.

 Cependant :

1. Au contraire, d’un même agent qui opère par une nécessité de nature ne procède qu’un seul effet : car, selon le Philosophe [11 De la génération, texte 56] la même cause produit toujours le même effet. Si donc Dieu agissait par une nécessité de nature, de lui ne procéderait qu’un seul effet immédiat et de ce même effet   il en procéderait un autre ou des autres et ainsi de suite ; mais cela est faux et contraire à la foi, qui confesse que le Dieu est le créateur de tous les êtres et qu'il n'y a aucun autre créateur. Dieu n'agit donc pas par une nécessité de nature.

d. 43 q. 2 a. 1 s. c. 2 Praeterea, omnis agens per necessitatem naturae producit effectum coaevum sibi nisi impediatur. Sed virtus Dei, quae infinita est, impediri non potest. Si ergo res ex necessitate naturae ageret, mundum sibi coaeternum creasset : quod etiam contra fidem est. Non ergo agit per necessitatem naturae.

2. Par ailleurs, tout ce qui agit par une nécessité de nature produit un effet qui lui est contemporain, à moins qu'il soit empêché. Mais la puissance de Dieu, qui est infinie, ne peut pas être empêchée. Si donc il faisait les choses par une nécessité de nature, il aurait créé un monde qui lui serait coéternel, ce qui est aussi contraire à la foi. Dieu n'agit donc pas par une nécessité de nature.

d. 43 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod omne quod est ex necessitate naturae, vel est intentum vel ordinatum ad finem, vel non. Et si quidem non est intentum vel ordinatum ad finem, erit casu ; quia casus nihil aliud est quam natura agens praeter intentionem, ut in 2 Physic. dicitur ; et sic monstra in natura fiunt ex necessitate naturae et sic etiam corruptio animalis ex necessitate naturae particularis hujus individui, quamvis sit [sint Éd. Parme] ordinata in finem a natura universali, ut corruptio unius sit generatio alterius. Sic autem non potest esse quod Deus agat ex necessitate naturae ; quia sequeretur quod omnia casu contingerent, quasi ea quae accidunt ex necessitate materiae, et quod nulla natura intenderet finem ; quod est contra philosophum. Non enim intendit natura creata finem, nisi inquantum a sua causa est ordinata.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que toute chose qui existe à partir d’une nécessité de nature, ou bien est dirigée ou ordonnée à sa fin, ou bien elle ne l’est pas. Et si elle ne l'est pas, elle existera par hasard, parce que le hasard n'est rien d'autre que la nature qui agit en dehors de l'intention, comme le Philosophe le dit [11 Physique texte 61] ; et c’est ainsi que des monstres sont produits dans la nature par une nécessité de nature et c’est ainsi aussi que la corruption animale est produite par une nécessité de la nature particulière de cet individu, bien qu’elle soit [qu’elles soient Éd. de Parme] ordonnée à une fin par la nature universelle, de manière à ce que la corruption de l'un soit la génération de l'autre. Mais il n'est pas possible que Dieu agisse ainsi par une nécessité de nature car il s’ensuivrait que tout arriverait par hasard, comme les choses qui arrivent par la nécessité de la matière, et que qu’aucune nature ne tendrait vers une fin, ce qui est contraire à la pensée du Philosophe [11 Physique, texte 49]. En effet, la nature créée ne tend à une fin que dans la mesure où elle y est ordonnée par sa cause.

Si autem est ordinatum ad finem ; oportet quod hoc sit vel ab alio ordinante separato, vel ab ordinante conjuncto. Ab ordinante separato, operationes naturae quae sunt ad finem, certitudinaliter tendunt in finem illum ex provisione et ordinatione alicujus causae sic ordinantis. Unde Themistius dicit, quod natura agit quasi esset mota ex causis superioribus, idest inquantum est in ea quidam instinctus ab ordinatione substantiarum separatarum. Sic etiam non potest esse quod illud quod est a Deo, sit hoc modo ordinatum in finem : quia sic oporteret aliquid prius Deo esse, ex cujus directione et ordinatione suum opus intenderet et consequeretur finem.

Mais si elle est ordonnée à une fin, il faut qu’elle y soit ordonnée ou bien quelque chose d’autre et de séparé de ce qui l’y ordonne, ou bien par quelque chose qui lui est uni. Si ce qui l’y ordonne est un agent séparé, les opérations de la nature qui sont en vue d’une fin y tendent avec certitude par la prévoyance et l’ordonnance de la cause qui ordonne de cette manière. C'est pourquoi Thémestius [11 Physique, ch. IV] dit que la nature agit comme si elle était mue à partir de causes supérieures, c'est-à-dire en tant qu'il y a en elle un certain instinct dû à l’ordonnance des substances séparées. Et en ce sens aussi il n'est pas possible que ce qui vient de Dieu soit ordonné à une fin de cette manière car il faudrait alors que quelque chose soit antérieur à Dieu, par la direction et l’ordonnance duquel son œuvre tendrait et parviendrait à sa fin.

Relinquitur ergo quod ea quae aguntur virtute naturae suae, sint ordinata in finem ab ordinante conjuncto ipsi agenti, quod est sapientia ejus ; et ita ea quae aguntur ab ipso procedunt ex ordine sapientiae ejus et per consequens ex voluntate ipsius, qui amat hunc ordinem, et non ex necessitate naturae ; et hoc praecipue apparet in dispositione caelorum, in quibus multa sunt, ut numerus stellarum, et distantia earum, et quantitas orbium, et hujusmodi, de quibus nulla potest ratio assignari nisi ex ordine sapientiae conditoris ; quamvis forte alicujus diversitatis quae est in generabilibus et corruptibilibus possit ratio assignari ex diversitate materiae ; et propter hoc dominus frequenter in Scripturis in ostensionem divinitatis suae remittit ad considerationem caelorum, ut Isai. 40, 26 : levate in caelum oculos vestros, et videte quis creavit eos.

Il reste donc que ce qui est fait par la puissance de sa nature est ordonné à la fin par ce qui ordonne en tant qu’il est uni à l'agent, et qui est sa sagesse ; et ainsi les choses qui sont faites par lui procèdent de l'ordre de sa sagesse et par conséquent de sa volonté qui aime cet ordre, et non pas d’une nécessité de nature ; et cela apparaît surtout dans la disposition des cieux, où il y a beaucoup de choses, comme le nombre des étoiles, leur distance, la quantité des orbes, et les choses de cette sorte, auxquelles on ne peut assigner de raison si ce n’est celle de l'ordre de la sagesse du créateur, bien que peut-être la raison d’une certaine diversité qu’on retrouve dans les êtres qui sont sujets à la génération et à la corruption puisse être attribuée à une diversité de la matière ; et c'est pour cette raison que le Seigneur dans les Écritures [Isaïe, 40, 26] nous renvoie fréquemment à la considération des cieux pour manifester sa divinité: « Levez vos yeux vers le ciel, et voyez qui les a créés. »

d. 43 q. 2 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius non intendit assignare convenientiam bonitatis divinae ad solem visibilem quantum ad necessitatem agendi, sed quantum ad universalitatem causandi : quod patet ex hoc quod continuo ostendit radios divinae bonitatis usque ad ultima entium diffundi.

Solutions :

1. Il faut dire en premier lieu que Denys ne cherche pas à indiquer la ressemblance de la bonté divine au soleil visible sous le rapport de la nécessité de l’action, mais sous le rapport de l’universalité de la causalité ; ce qui apparaît du fait qu’il montre immédiatement après que les rayons de la bonté divine se répandent jusqu'au dernier des êtres.

d. 43 q. 2 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut voluntas et essentia et sapientia in Deo idem sunt re, sed ratione distinguuntur ; ita etiam distinguuntur et operationes secundum rationes diversorum attributorum, quamvis sit una tantum ipsius operatio, quae est sua essentia. Et ideo, quia creatio rerum quamvis sit operatio essentiae ejus, non tamen inquantum solum est essentia, sed etiam inquantum est sapientia et voluntas ; ideo sequitur conditionem scientiae et voluntatis ; et quia voluntas libera est, ideo dicitur Deus ex libertate voluntatis res facere, et non ex naturae necessitate.

2. Il faut dire en deuxième lieu que tout comme la volonté, l'essence et la sagesse en Dieu sont identiques en réalité mais diffèrent par la raison, de même encore les opérations diffèrent selon les raisons des différents attributs, bien qu’il n’y ait qu’une seule opération qui lui appartienne, laquelle est son essence. Et c’est pourquoi, parce que la création des choses, bien qu’elle soit l'opération de son essence, ne l’est cependant pas seulement en tant qu’elle est l’essence, mais aussi en tant qu'elle est sagesse et volonté, c'est pourquoi il s’en suit une création de la science et de la volonté ; et parce que la volonté est libre, on dit que Dieu fait les choses par la liberté de la volonté et non par une nécessité de nature.

d. 43 q. 2 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quidquid in Deo est, est sua essentia : et ideo totum est aeternum et increatum, et necessarium ; sed tamen effectus qui ex ejus operatione procedit, non necessario procedit : quia procedit ab operatione secundum quod est a voluntate ; et ideo producit effectum secundum libertatem voluntatis.

3. Il faut dire en troisième lieu que tout ce qui est en Dieu est son essence ; et c’est pourquoi il est en totalité éternel, incréé et nécessaire ; mais cependant les effets qui procèdent de son opération, n’en procèdent pas nécessairement, parce qu'ils procèdent d’une opération qui naît elle-même de sa volonté ; et c’est pourquoi il produit un effet selon la liberté de la volonté.

d. 43 q. 2 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est dicendum voluntatem Dei esse contingentem, aut operationem ipsius, quia contingentia mutabilitatem importat, quae in Deo proprie nulla est ; sed tamen est libertas voluntatis et operationis, prout exit a voluntate.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’il ne faut pas dire que la volonté de Dieu, ou son opération, est contingente parce que la contingence implique la mutabilité, laquelle à proprement parler n’a aucune place en Dieu ; mais il y a en Dieu la liberté de la volonté et de l’opération en tant que cette dernière procède de la volonté.

 

 

Articulus 2 d. 43 q. 2 a. 2 tit. Utrum Deus agat de necessitate justitiae

Article 2 – Dieu agit-il par une nécessité de justice ?

d. 43 q. 2 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod Deus agat de necessitate justitiae. Sicut enim dicit Glossa super illud 2 ad Timoth. 2, 13 : seipsum negare non potest, seipsum negaret, si justitiam suam dimitteret, quae est ipse. Cum igitur necessarium sit Deum seipsum non negare, videtur quod ex necessitate justitiae agat.

Difficultés:[47] :

1. Il semble que Dieu agit par une nécessité de justice. En effet, comme le dit la Glose sur ce verset [2 Épître à Timothée, 2, 13] : «Il ne peut pas se nier lui-même.», il se nierait lui-même s'il abandonnait sa justice, qui est lui-même. Donc puisqu’il est nécessaire que Dieu ne se nie pas lui-même, il semble qu'il agit par une nécessité de justice.

d. 43 q. 2 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid non est justum, si fiat, injuste et contra justitiam fit. Sed Deus nihil potest facere injuste et contra justitiam, quia sic posset peccare. Ergo videtur quod de necessitate justitiae agat.

2. En outre, tout ce qui se produit et qui n'est pas juste, si cela vient à exister, cela  est produit injustement et contre la justice. Mais Dieu ne peut rien d’injuste et de contraire à la justice, parce qu'alors il pourrait pécher. Il semble donc qu'il agisse par une nécessité de justice.

d. 43 q. 2 a. 2 arg. 3 Praeterea, causae naturales dicuntur agere per necessitatem naturae, eo quod determinatae sunt ad unum. Sed voluntas Dei immutabiliter determinata est ad justitiam. Ergo videtur quod agat de necessitate justitiae.

3. Par ailleurs, on dit des causes naturelles qu’elles agissent par une nécessité de nature, du fait qu’elles sont ordonnées à un seul effet determiné. Mais la volonté de Dieu est immuablement déterminée à la justice. Il semble donc qu'il agisse par une nécessité de justice.

d. 43 q. 2 a. 2 arg. 4 Sed contra, Jonae 2, dicitur in Glossa : Deus misericors paratus salvare per misericordiam quos non potest per justitiam ; et ita videtur quod non de necessitate justitiae agat.

Cependant :

4. Au contraire, on dit dans la Glose au sujet de Jonas 2: «Le Dieu miséricordieux est prêt à sauver par miséricorde, ceux qu'il ne peut sauver par la justice[48] » et ainsi il semble qu'il n'agisse pas par une nécessité de justice.

 

d. 43 q. 2 a. 2 arg. 5 Praeterea, constat quod salvare illos qui sunt in Inferno, non est justitiae, sed magis contra justitiam videtur. Sed, sicut legitur, ad preces beati Gregorii dominus Trajanum imperatorem idolatram et ob hoc in Inferno damnatum, ab Inferis revocavit, et vitae restituit. Ergo videtur quod non agat de necessitate justitiae.

5. Par ailleurs, il est clair que sauver ceux qui sont en Enfer ne relève pas de la justice, mais semble plutôt contraire à la justice. Mais, comme on le lit, aux prières du bienheureux Grégoire[49], le Seigneur rappela des enfers l'empereur Trajan l’idolâtre, qui pour cette raison d’idolâtrie avait été condamné à l’Enfer, et il lui rendit la vie. Il semble donc que Dieu n'agisse pas par une nécessité de justice.

d. 43 q. 2 a. 2 arg. 6 Praeterea, si non potest agere nisi secundum justitiam, aut hoc intelligitur de justitia creata, aut de justitia increata. Sed non de justitia creata, quia ea operatio Dei [qua res illa quae est Éd. Parme], non regulatur ; nec etiam de justitia increata, quia illa potentiae non contrariatur nec voluntati. Ergo videtur quod non agat de necessitate justitiae.

6. De plus, s'il ne peut agir que selon la justice, ou bien cela s’entend de la justice créée, ou bien de la justice incréée. Mais cela ne s’entend pas de la justice créée, parce que l’opération de Dieu [par laquelle cette chose qui existe Éd. de Parme] n'est pas réglée par elle,  ni non plus de la justice incréée parce qu'elle n'est pas contraire à la puissance ni à la volonté. Il semble donc qu'il n'agisse pas par une nécessité de justice.

d. 43 q. 2 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod Deum agere de necessitate justitiae, potest intelligi dupliciter. Aut ita quod nihil possit agi ab eo quod si fieret, justum non esset ; et sic verum est ; sicut enim non potest facere aliquid quod si fieret, non esset volitum ab eo, et quod non esset scitum ab eo : ita est de justo. Nihil enim potest facere quod si fieret, non esset justum. Aut potest intelligi quod ex justitia sua determinetur ad aliquod unum faciendum, ita quod aliud facere non possit : et sic falsum est. Et hujus ratio est, quia quandocumque tota determinatio operis est ex parte operantis, in operante est determinare ad hunc modum hoc vel illud.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’on peut entendre de deux manières que Dieu agit par une nécessité de justice. Soit de telle manière que rien ne peut être fait par lui de telle manière que s'il le faisait, cela ne serait pas juste ; et en ce sens cela est vrai ; en effet, tout comme il ne peut rien faire de tel que s’il le faisait, cela ne serait pas voulu par lui et ne serait pas connu de lui, il en est de même pour ce qui est du juste. En effet, il ne peut rien faire de tel que cela ne serait pas juste. Car il ne peut pas faire que ce qu'il ferait ne soit pas juste. Soit on l’entend de telle manière que Dieu se détermine de par sa justice à faire une seule chose de telle manière qu’il ne puisse pas en faire une autre : et en ce sens l’énoncé est faux. La raison en est qu’à chaque fois que la détermination totale de l'œuvre se tient du côté de celui qui opère, c'est à lui qu’il revient de la déterminer de telle ou telle autre manière.

Quando autem ipsum opus ex se determinatum est, non est ulterius in operante. Verbi gratia, in operibus humanis aliquid, quantum est de sui natura, est indifferens, ut sedere vel non sedere ; et utrumque determinatur ad hoc quod est esse virtuosum, ex parte hominis, qui adhibet debitas circumstantias. Unde ex necessitate justitiae ad neutrum cogitur ; sed quodcumque faciat, justum erit debitis circumstantiis adhibitis ex ordine rationis. Aliquid autem est ex sua forma determinatum ad unum, sicut mentiri, quod in se malum est, vel servare aequalitatem justitiae, quod in se bonum est ; quorum nec unum praeterire, nec alterum facere sine injustitia possumus.

Quand l'œuvre elle-même est déterminée d’elle-même, sa détermination n’est plus dans celui qui opère. En d’autres mots, il y a dans les opérations humaines des choses  qui, quant à leur nature, sont indifférentes, comme s'asseoir ou ne pas s'asseoir, et c’est du côté de l’homme qui applique les circonstances appropriées que chacune des deux est déterminée à être vertueuse. C'est pourquoi il n'est forcé à aucune des deux possibilités par une nécessité de justicel'un ni à l'autre, mais quoiqu'il fasse, l’œuvre sera juste par les circonstances appropriées appliquées par l'ordre de la raison. Mais il y a des choses qui de par leur forme sont déjà tournées dans un sens déterminé, comme mentir qui est un mal en soi, ou servir l’égalité de justice qui est un bien en soi ; et parmi ces choses, nous ne pouvons omettre l’une et faire l’autre sans qu’il y ait injustice.

Dico ergo, quod quidquid est ordinatum, justum vel bonum in rebus creatis, totum est ex ipsa voluntate Dei ordinante ; et ideo ex necessitate justitiae non facit hoc, quin aliud etiam facere posset : quia modum ordinis quem circa hoc ponit, etiam circa aliud ponere posset : sicut enim scientia sua est causa verorum creatorum, e contrario scientiae nostrae ; ita et justa voluntas sua est causa justorum. Unde si aliud faceret, illud justum faceret et injustus ipse non esset.

Je dis donc que tout ce qui est ordonné comme étant juste et bon dans les créatures, vient entièrement de la volonté même de Dieu qui l'ordonne, et c'est pourquoi il ne fait pas cela par une nécessité de justice de telle manière qu’il ne pourrait pas aussi faire autre chose ; parce que la sorte d'ordre qu'il pose sur ceci, il pourrait le poser aussi sur autre chose : en effet, tout comme sa science est la cause des vérités créées, contrairement à notre science, de même sa volonté juste est cause de ce qui est juste. D’où il suit que s'il faisait une autre chose, il la ferait juste et lui-même ne serait pas injuste.

d. 43 q. 2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod justitia potest accipi dupliciter. Vel ipsa ordinatio divinae voluntatis quae in Deo est ; et sic non potest facere praeter justitiam, sicut non potest facere praeter scientiam. Aut potest accipi secundum quod ex ordine voluntatis suae determinatur justitia in aliquo opere causato ; et praeter illam justitiam facere potest, nec seipsum negaret : quia in hoc etiam quod faceret, ordo suae justitiae appareret ; et ideo nec contra justitiam faceret, nec injuste.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la justice peut être prise en deux sens. Ou bien l'ordonnance même de la volonté divine qui est en Dieu, et en ce sens il ne peut pas agir contre la justice, tout comme il ne peut pas agir contre la science. Ou bien elle aussi se prendre selon que la justice est déterminée dans toute œuvre causée à partir de l’ordre de sa volonté ; et il peut agir au-delà ou en dehors de cette justice, et il ne se nierait pas lui-même en le faisant, parce que l’ordre de sa justice apparaîtrait en cela aussi qu’il ferait ; et c’est pourquoi il n’agirait pas contre la justice et ne serait pas injuste.

d. 43 q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet responsio ad secundum.

2. Et par cela apparaît la réponse à la deuxième difficulté.

d. 43 q. 2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis voluntas Dei sit immutabiliter determinata ad justitiam, tamen ordo justitiae non est determinatus ad hanc rem vel ad illam. Unde non sequitur quod ex necessitate justitiae hoc vel illud faciat.

3. Il faut dire en troisième lieu que bien que la volonté de Dieu soit immuablement déterminée à la justice, cependant l'ordre de la justice n'est pas déterminé à cette chose ou à une autre. D’où il ne s’ensuit pas qu'il fasse ceci ou cela par une nécessité de justice.

d. 43 q. 2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod justitia dicitur dupliciter de Deo. Uno modo retributio pro meritis : et hoc respondet justitiae cuilibet [de alio judice Éd. Parme] specialiter dictae ; et quia hoc attendit aequalitatem et ordinem ex parte ipsarum rerum, ideo Deus hanc justitiam quandoque praetermittit ; et secundum misericordiam procedit opus ejus. Alio modo dicitur justitia decentia divinae bonitatis, cui respondet in politicis justitia communiter dicta quae est communis virtus, secundum philosophum : et quia hoc respicit ordinem ex parte ipsius Dei, ideo praeter hanc Deus nunquam facit nec facere potest ; nihil enim potest facere quod ipsum non deceat : et huic justitiae non repugnat liberalitas qua alicui confertur id quod sibi debitum non est, et hoc est Dei misericordia, qua etiam peccatoribus dignis morte gratiam infundit, ut digni sint vita ; et sic ponit alium ordinem in re ipsa, ut scilicet quod ex culpa ordinabatur ad poenam, ex gratia ordinetur ad gloriam.

4. Il faut dire en quatrième lieu que la justice  s’attribue à Dieu en deux sens. En un premier sens à titre de rétribution pour les mérites et cela correspond à toute justice [de l’autre juge add. Éd. de Parme] dite particulièrement ; et parce que cela concerne l'égalité et l'ordre du côté des choses elles-mêmes, c’est pourquoi Dieu omet quelquefois cette justice et son œuvre procède selon la miséricorde. En un autre sens on appelle justice la convenance de la bonté divine, à laquelle correspond en politique la justice dite communément, laquelle est une puissance commune selon le Philosophe [V Éthique, ch. 111] : et parce que cela concerne l'ordre du côté de Dieu lui-même, c’est pourquoi Dieu n'agit jamais et ne peut jamais agir contre cette justice ; en effet il ne peut rien faire qui ne lui convienne pas. Et la libéralité, par laquelle ce qui ne lui est pas dû est conféré à quelqu'un, ne répugne pas à cette justice et c'est là la miséricorde de Dieu, par laquelle il répand la grâce même aux pécheurs dignes de mort, pour qu'ils soient dignes de la vie ; et ainsi il pose un autre ordre dans la chose elle-même, à savoir de telle manière que ce qui était ordonné au châtiment par la faute est ordonné à la gloire par la grâce.

d. 43 q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod idem est de Trajano qui forte post quingentos annos suscitatus est, et de aliis qui post unum diem suscitati sunt ; de omnibus enim dicendum est, quod non finaliter damnati erant : praesciebat enim Deus eos sanctorum precibus a poenis liberandos, et vitae restituendos ; et sic ex liberalitate bonitatis suae eis veniam contulit, quamvis aeternam poenam meruissent. Non enim est simile de ipso in quem solum peccatur, et de alio judice. Unde et Deus libere remittere potest sine ullius offensa ; de alio judice [non alius judex Éd. de Parme] qui punire habet culpam in alium, vel in rempublicam, vel in Deum commissam ; unde et poenam licite remittere non potest.

5. Il faut dire en cinquième lieu qu’il en est de même pour Trajan qui fut ressuscité après peut-être cinq cents ans, et pour d’autres qui l'ont été après un seul jour ; car il faut dire de tous que finalement ils n'avaient pas été condamnés ; car Dieu prévoyait qu'ils seraient libérés du châtiment par les prières des saints, et ramenés à la vie ; et ainsi par la libéralité de sa bonté il leur a confèré la grâce, bien qu’ils avaient mérité une peine éternelle. Il n’en est pas de même en effet  pour lui contre qui seul il a péché, et pour un autre juge. C'est pourquoi Dieu peut remettre librement les fautes sans offenser personne, mais pour un autre juge [mais non un autre juge Éd. de Parme] qui a à punir une faute contre un autre, contre l'état, ou commise contre Dieu, il ne peut légalement remettre la peine pour cette raison.

d. 43 q. 2 a. 2 ad 6 Ad sextu m dicendum, quod dicitur Deus non posse injuste facere, non propter justitiae suae contrarietatem ad suam potentiam, sed propter justitiae incompossibilitatem. Haec enim duo sunt incompossibilia, quod Deus aliquid faciat, et illud justum non sit.

6. Il faut dire en sixième lieu qu’on dit que Dieu ne peut pas agir injustement, non à cause de l'opposition de sa justice à l’égard de sa puissance, mais à cause de l'imcompossibilité de sa justice. Ces deux choses en effet sont incompossibles, à savoir que Dieu fasse quelque chose et que cela ne soit pas juste.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 43

D 43 q. 2, a. 2 expos. His autem respondemus duplicem verborum intelligentiam aperientes. Solutio magistri in hoc consistit, quod cum dicitur, Deus non potest facere nisi quod justum est, hoc quod dico justum potest intelligi prius conjungi cum hoc verbo est a quo restringitur ad standum pro praesentibus, quam cum hoc verbo potest ; et sic falsa est. Est enim sensus : Deus non potest facere nisi id quod modo justum est : quod falsum est. Potest enim facere quaedam quae modo nihil sunt. Vel potest prius intelligi conjungi cum hoc verbo, potest, habente vim ampliandi, quam cum hoc verbo est ; et in hoc sensu est vera : quia sic hoc nomen justum, supponit pro praesenti confuso non secundum aliquod determinatum tempus. Et est sensus : Deus non potest facere aliquid quod non est justum, in quocumque tempore ponatur ab eo factum ; et per modum istum procederunt [solvuntur Éd. Parme] omnes objectiones.

« Nous répondons à cela en ouvrant la double intelligibilité des paroles. » La solution du Maître consiste en ceci que, quand on dit que Dieu ne peut faire que ce qui est juste, ce que j’appelle juste peut d’abord s’entendre comme étant uni  à ce verbe ¨est¨ par lequel il est limité  à devoir tenir lieu des choses présentes, avant d’être uni à ce verbe : ¨il peut¨ ; et en ce sens l’énoncé est faux. En effet, le sens est alors celui-ci : Dieu ne peut faire que ce qui est juste maintenant ; ce qui est faux. Il peut en effet faire des choses qui ne sont rien maintenant. Ou bien on peut d’abord entendre ¨juste¨ comme étant uni à ce verbe : ¨il peut¨, possédant ainsi une plus grande puissance de multiplication qu’avec ce verbe ¨est¨ ; et en ce sens l’énoncé est vrai car alors ce nom ¨juste¨ suppose en guise de temps présent un temps confus qui n’est pas un temps déterminé. Et le sens devient alors : Dieu ne peut rien faire qui ne soit pas juste, quelque soit le temps dans lequel il le fasse et de cette manière toutes les difficultés sont franchies [résolues Éd. de Parme].

Cap. 188 (1) An Deus possit facere aliquid melius quam facit vel alio vel meliori modo. Nunc illud resta discutiendum utrum melius aliquid possit facere quam facit.

1. Dieu peut-il faire quelque chose de meilleur que ce qu’il fait ou d’une autre manière qui serait meilleure ? Maintenant il reste à discuter si Dieu pourrait faire mieux que ce qu'il fait.

2. Illi dicunt non posse. Solent enim illi scrutatores dicere, quod ea quae facit Deus, non potest meliora facere ; quia si posset facere et non faceret, invidus esset, et non summe bonus. Et hoc ex simili astruere conantur. Ait enim Augustinus in lib. LXXXIII Quaest.qu. L, col. 31 : « Deus quem genuit, quoniam meliorem se generare non potuit, nihil enim Deo melius, generare debuit aequalem. Si enim voluit et non potuit, infirmus est. Si potuit et noluit, invidus.» Ex quo confirmatur aequalem genuisse Filium. A simili volunt dicere quod si potest Deus rem meliorem facere quam facit, invidus est. Sed non valet hujus similitudinis inductio, quia Filium genuit de substantia sua : ideoque si posset gignere aequalem et non gigneret, invidus esset ; alia vero quae non de substantia sua facit, meliora facere potest.

1. Ceux-ci disent qu’il ne le peut pas. Car ces chercheurs ont l’habitude de dire que les choses que Dieu fait, il ne peut pas les faire meilleures ; car s'il le pouvait et ne les faisait pas, il serait jaloux, et non suprêmement bon. Et ils essayent de le démontrer à partir d’une similitude. En effet, Saint-Augustin [Les Quatre-vingt-trois questions, quest. L, col. 31] dit : « Celui que Dieu a engendré, puisqu’il n'a pas pu l’engendrer meilleur que lui, car rien en effet n'est meilleur que Dieu, il a dû l’engendrer égal à Lui. Si en effet il a voulu le faire et n’a pas pu le faire, il est faible. S'il a pu le faire et ne l'a pas voulu, il est jaloux ». Et à partir de là il est confirmé que le fils a été engendré égal à Dieu. C’est par une similitude qu’ils veulent dire que  si Dieu peut faire une chose meilleure que celle qu’il fait, il est jaloux. Mais la présentation de cette similitude ne tient pas car c’est de sa substance même que Dieu a engendré le Fils :  D'une manière semblable, ils veulent dire que si Dieu peut faire une chose meilleure qu'il ne fait, il est jaloux. Mais la présentation de cette similitude ne tient pas parce que Dieu a engendré le Fils à partir de sa propre substance : c'est pourquoi il faut plutôt dire que s’il avait pu engendrer son égal et ne l’avait pas fait, il aurait été jaloux ; mais c’est les autres choses, à savoir celles qu’il ne fait pas à partir de sa substance même, qu’il peut faire meilleures.

3. Quaestio qua illi arctantur. Verum hic ab eis responderi deposco. Cur dicunt rem aliquam, sive etiam rerum universitatem, in qua major consummatio expressa est, non posse esse meliorem quam est ? Sive ideo quia summe bona est, ita ut nulla omnino boni perfectio ei desit ; sive ideo quia majus bonum quod ei deest capere ipsa non valeat. Sed si illa summe bona dicitur ut nulla ei perfectio boni desit, jam creatura Creatori aequatur. Si vero jam non potest melior esse, quia bonum amplius quod ei deest, capere ipsa non valet, iam hoc ipsum non posse, defectionis est, non consummationis : et potest esse melior, si fiat capax melioris boni : quod ipse potest qui eam fecit. Potest ergo Deus meliorem rem facere quam facit. Unde Augustinus, Super Genes. Ad litteram, lib. XI, cap. VII, col 433) : Talem potuit Deus hominem fecisse qui nec peccare posset nec vellet : et si talem fecisset, quis dubitat eum meliorem fuisse ? Ex praedictis constat quod potest Deus et alia facere quam facit, et quae facit, meliora ea facere quam facit.

3. La question qui les presse. Mais je réclame ici qu’ils me disent la vérité. Pourquoi disent-ils qu’une chose ou bien même la totalité des choses, dans laquelle s'exprime un plus grand accomplissement, ne peut pas être meilleure qu'elle n’est ? Ou bien, parce qu’elle est suprêmement bonne, de telle manière qu'absolument aucune perfection du bien ne lui manque, ou bien parce qu'elle-même ne peut pas saisir un bien plus grand qui lui manque. Mais si on dit d’elle qu’elle est suprêment bonne, de sorte qu'aucune perfection dans le bien ne lui manque, alors la créature est égale au Créateur. Mais si elle ne peut pas être meilleure, parce qu'elle est incapable de saisir un bien plus grand qui lui manque, déjà cette impuissance relève d’un manque et non d’un accomplissement et elle ne peut être meilleure que si elle devient capable d'un bien meilleur : ce que peut faire celui-là même qui l’a faite. Donc Dieu peut faire une chose meilleure qu'il ne la fait. C'est pourquoi Saint-Augustin [ Sur La Genèse au sens littéral, liv. XI, ch. 7, col. 433[50]] dit : « Dieu aurait pu aussi faire l'homme tel qu'il ne puisse ni ne veuille pécher, et s'il l'avait fait tel, qui doute qu'il aurait été meilleur ? De ce qui précède, il est clair que Dieu peut faire d'autres choses que ce qu'il fait, et ce qu'il fait, il peut le faire meilleur qu'il ne le fait.

4. Utrum alio vel maiori modo possit facere quam facit. Post haec considerandum est utrum alio modo, vel meliori quam facit, possit ea facere quae facit. Si modus operationis ad sapientiam opificis referatur, nec alius nec melior modus esse potest. Non enim potest facere aliquid aliter vel melius quam facit, id est alia sapientia, vel majori sapientia : nihil enim sapientius potest facere quam facit. Si vero referatur modus ad rem ipsam quam facit Deus, dicimus, quia et alius et melior potest esse modus. Et secundum hoc concedi potest, quia ea quae facit potest facere melius, et aliter quam facit ; quia potest quibusdam meliorem modum existendi praestare, et quibus alium. Unde Augustinus, in XIII lib. de Trinit., c. X, col. 1024, dicit, quod fuit et alius modus nostrae liberationis possibilis Deo, qui omnia potest ; sed nullus alius nostrae miseriae sanandae fuit convenientior. Potest ergo Deus eorum quae fecit quaedam etiam minus bono facere quam facit : ut tamen modus referatur ad qualitatem operis, id est creaturae, non ad sapientiam Creatoris.

4. Peut-il faire les choses d’une manière autre ou meilleure que celle par laquelle il les fait ? Suite à cela il faut considérer s’il peut faire les choses qu’il fait  d’une manière autre ou meilleure que celle par laquelle il les fait. Si le mode d'opération se rapporte à la sagesse de celui qui fait l’oeuvre, il ne peut y avoir une modalité autre ou meilleure. Il ne peut pas en effet faire une chose autre ou meilleure que celle qu’il fait, c'est-à-dire par une sagesse autre ou meilleure : en effet, il ne peut rien faire d’autre avec plus de sagesse que ce qu'il fait. Mais si la manière d’opérer se rapporte à la chose même que Dieu fait, nous disons alors que la manière peut être autre et meilleure. Et suite à cela, on peut concéder que ce qu'il fait, il peut le faire mieux et autrement qu'il ne le fait parce qu'il peut offrir à certains un mode d'existence meilleur et à d’autres une autre manière d’exister. C'est pourquoi Saint-Augustin [XIII De La Trinité, ch. X, col. 1024], dit qu'il était possible à Dieu, Lui qui peut tout, de nous libérer d’une autre manière ; mais aucune autre manière ne convenait davantage à la guérison de notre misère. Dieu peut donc, parmi les choses qu’il a faites, en faire aussi certaines d’une moins bonne manière qu’il les a faites, à condition cependant que la manière d’opérer se rapporte à la qualité de l'œuvre, c'est-à-dire à la créature, et non à la sagesse du Créateur.

Cap. 189 (2). 1. Utrum Deus semper possit omne quod potuit ?

1. Dieu peut-il toujours faire tout ce qu'il a pu faire autrefois ?

Praeterea quaeri solet utrum Deus semper possit omne quod olim potuit. Quod quibusdam non videtur, dicentibus : Potuit Deus incarnari, et potuit mori et resurgere, et alia huiusmodi quae modo non potest. Potuit ergo quae modo non potest, et ita habuit potentiam quam modo non habet ; unde videtur potentia eius imminuta.

Ensuite on a l’habitude de se demander si Dieu peut toujours tout ce qu'il a pu autrefois. Certains ne semblent pas le penser, qui disent : Dieu a pu s'incarner, il a pu mourir et resssusciter et il a pu faire d’autres choses de ce genre, qu'il ne peut plus maintenant. Donc il a pu ce qu'il ne peut pas maintenant ; et ainsi il a eu une puissance qu'il n'a plus maintenant ; c'est pourquoi sa puissance semble diminuée.

2. Ad quod dicimus, quia sicut omnia semper scit quae aliquando scivit, et semper vult quae aliquando voluit, nec unquam aliquam scientiam amittit, nec voluntatem mutat quam habuit, ita omnia semper potest quae aliquando potuit, nec unquam aliqua potentia sua privatur. Non est ergo privatus potentia incarnandi vel resurgendi, licet non possit modo incarnari vel resurgere. Sicut enim potuit olim incarnari, ita et potest modo incarnatus esse : in quo eiusdem rei potentia monstratur.

2. À cela nous disons, que de même qu'il sait toujours tout ce qu'il a su une fois, et qu'il veut toujours ce qu'il a voulu une fois, et qu’il n’a jamais perdu la moindre science, et que la volonté qu’il avait ne change pas, de même il peut toujours ce qu’il a pu autrefois et jamais il n’est privé de sa puissance. Il n'est donc pas privé de la puissance de s'incarner ou de ressusciter, bien qu'il ne puisse maintenant s'incarner et ressusciter. Tout comme il a pu autrefois s'incarner, de même il peut maintenant avoir été incarné, ce en quoi se manifeste sa puissance pour une même chose.

3. Ut enim olim scivit se resurrecturum et modo scit se resurrexisse, nec est alia scientia, illud olim scivisse, et hoc modo scire, sed eadem omnino ; et sicut voluit olim resurgere et modo resurrexisse, in quo unius rei voluntas exprimitur : ita potuit olim nasci et resurgere, et modo ipse potest natus fuisse et resurrexisse et est ejusdem rei potentia.

3. En effet, de même qu'autrefois il a su qu'il ressusciterait et que maintenant il sait qu'il est ressuscité, ce n’est pas par une autre science qu’il l'a su autrefois et qu’il le sait maintenant, mais c'est tout à fait par la même science ; et tout comme il a voulu autrefois ressusciter et qu’il veut maintenant avoir ressuscité, en quoi s'exprime la volonté à l’égard d’une même chose, de même il a pu autrefois naître et ressusciter, et maintenant il peut être né et avoir ressuscité, et c'est là la puissance à l’égard d’une seule et même chose.

Si enim posset modo nasci et resurgere, non esset idem posse. Verba enim diversorum temporum diversis prolata temporibus et diversis adjuncta adverbiis, eumdem faciunt sensum : ut modo loquentes dicimus : « Iste potest legere hodie » ; cras autem dicemus : « Iste potest legisse, vel potuit legere heri » ubique unius rei monstratur potentia. Si autem diversis temporibus loquentes ejusdem temporibus verbis et adverbis utamur, dicentes hodie : iste potest legere hodie, et dicentes cras : iste potest hodie legere, non idem sed diversa dicimus eum posse.

S'il pouvait en effet naître et ressusciter maintenant, ce ne serait pas la même puissance. En effet les paroles prononcées en des temps différents transportés à des temps différents et ajoutées à des adverbes[51] différents, rendent la même signification, de telle manière que nous disons maintenant : « Celui-ci peut lire aujourd'hui » ; demain nous dirons aussi : « Celui-ci peut avoir lu ou il a pu lire hier » ; et dans les deux cas se manifeste une puissance à l’égard d’une même chose. Mais si parlant en des temps différents nous nous servons des temps, des mots et des adverbes du même temps en disant aujourd’hui : celui-là peut lire aujourd'hui, et en disant demain : il peut lire aujourd'hui, nous ne disons pas qu’il peut la même chose, mais des choses différentes.

4. Fateamur ergo Deum semper posse quidquid semel potuit. Id est, habere omnem illam potentiam quam semel habuit, et illius omnis rei potentiam cujus semel habuit : sed non semper facere omne illud quod aliquando potuit facere. Potest quidem facere aut fecisse aliquando quod potuit : similiter quidquid voluit, et vult, id est omnem quam habuit voluntatem, et modo habet ; et cujuscumque rei voluntatem habuit, et modo habet : non tamen vult esse vel fieri omne quod aliquando voluit esse, vel fieri, sed vult fuisse vel factum esse. Ita et de scientia Dei dicendum est.

4. Avouons donc que Dieu peut toujours tout ce qu'il a pu une fois. C'est-à-dire, avoir toute cette puissance qu'il a eue une fois et la puissance de tout ce qu'il a eu une fois, mais il ne peut pas toujours faire ce qu'il a pu faire à certains moments. Il peut certes faire ou avoir fait à un certain moment ce qu'il a pu faire ; de même tout ce qu'il a voulu, et veut, c'est-à-dire toute volonté qu'il a eue, il l'a maintenant ; et la volonté qu’il a eu pour chaque chose, il l'a maintenant ; cependant il ne veut pas qu'existe et soit fait tout ce qu'il a voulu quelquefois, ou que ce soit fait, mais il veut que cela ait existé ou ait été fait. Et c'est ainsi qu'il faut parler de la science de Dieu[52].

 

 

Distinctio 40

Distinction 44 – [La puissance de Dieu dans sa création]

 

 

Quaestio 1

Question unique – [La puissance de Dieu relativement à la création]

1. Utrum Deus unamquamque rem potuerit meliorem facere quam fecit ?

2. Utrum potuerit melius facere ipsum universum ?

3. De quibusdam excellentissimis creaturis utrum Deus eas facere potuerit meliores ?

4. Utrum quidquid olim Deus potuit facere, et modo possit. ?

 

Article 1 – Dieu aurait-il pu faire une créature meilleure que celle qu'il a faite ?

Article 2 – Dieu aurait-il pu faire un univers meilleur ?

Article 3 – Dieu aurait-il pu rendre l'humanité du Christ meilleure qu'elle ne l'est ?

Article 4 – Dieu peut-il faire tout ce qu'il a pu faire autrefois ?

 

 

Prooemium

Prologue

d. 44 q. 1 pr. Hic excludit praedictorum errorem quantum ad hoc quod ponebant potentiam Dei limitari ad qualitatem rerum ; et dividitur in partes duas : in prima excludit errorem ; in secunda determinat quamdam quaestionem per quam videbatur in divina potentia diminutio poni, ibi : praeterea quaeri solet, utrum Deus semper possit omne quod olim potuit

Il écarte ici l'erreur de certains quant à ceci qu’ils soutenaient que la puissance de Dieu était limitée par rapport à la qualité des choses, et cette section se divise en deux parties : dans la première, il écarte l'erreur ; dans la seconde il répond à une question par laquelle on semblait poser une diminution dans la puissance divine : «Par ailleurs on a coutume de se demander si Dieu peut toujours tout ce qu'il a pu autrefois.»

Prima in duas : in prima inquirit, utrum Dei potentia limitetur ad rerum bonitatem ; in secunda inquirit, utrum limitetur ad rerum modum, ibi : post haec considerandum est utrum alio modo vel meliori quam facit, possit ea facere quae facit.

La première partie se divise en deux : Dans la première on cherche à savoir si la puissance de Dieu est limitée quant à la bonté des choses ; dans la deuxième, si elle est limitée quant à la manière de les faire, là où il dit : suite à cela il faut considérer s’il peut faire les choses qu'il fait d'une autre manière ou d'une meilleure manière.

Circa primum duo facit. Primo excludit rationem eorum qui ponebant Deum non posse res meliores facere quam faciat ; secundo per rationem destruit eorum positionem, ibi : verum hic ab eis responderi deposco [1]. Sententia in littera plana est.

Au sujet du premier point il fait deux choses. Dans la première il rejette le raisonnement de ceux qui soutenaient que Dieu ne peut pas faire des choses meilleures que celles qu’il fait ; dans la deuxième, il réfute leur position par un raisonnement, là où il dit : Mais je réclame qu'ils me répondent la vérité. La phrase est claire dans La Lettre.

Hic quatuor quaeruntur : 1 utrum Deus unamquamque rem potuerit meliorem facere quam fecit ; 2 utrum potuerit melius facere ipsum universum ; 3 de quibusdam excellentissimis creaturis utrum Deus eas facere potuerit meliores ; 4 utrum quidquid olim Deus potuit facere, et modo possit.

Ici on pose quatre questions : 1. Dieu aurait-il pu faire chaque chose meilleure qu'il ne l’a faite? 2. Aurait-il pu faire l'univers meilleur ?

3. Au sujet des créatures les plus élevées, Dieu aurait-il pu les faire meilleures ?

4. Est-ce que tout ce que Dieu a pu faire autrefois, il peut le faire maintenant ?

 

 

Articulus 1 d. 44 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus potuerit facere aliquam creaturam meliorem quam fecerit

Article 1 – Dieu aurait-il pu faire une créature meilleure qu'il ne l’a faite ?

d. 44 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus nullam creaturam meliorem facere potuerit quam sit : quia secundum Dionysium, et Platonem, optimi est optima adducere. Sed optimo nihil melius potest esse. Ergo his quae Deus fecit qui optimus est, nihil melius esse potest.

 

Difficultés :[53]

1. Il semble que Dieu n'a pu faire aucune créature meilleure qu'elle n'est, car selon Denys [Les noms divins, ch. IV, col. 694 et Platon (Le banquet, ch. IV], il appartient au meilleur de produire ce qu’il y a de meilleur. Mais rien ne peut être meilleur que celui qui est suprêmement excellent. Donc, rien ne peut être meilleur que ce que Dieu fait, lui est suprêmement excellent.

44 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, secundum Basilium, accipere a patre, filio cum omni creatura commune est. Sed in his quae sunt unius rationis, tenet idem modus arguendi. Ergo cum Augustinus, arguat ex hoc quod in Deo invidia esse non potest, quod filium meliorem quam genuit, generare nequiverit, videtur etiam quod res creatas meliores quam sint, facere non potuerit.

2. Par ailleurs, selon Saint-Basile [11 Contre Eunomius], il est  commun au Fils et à toute créature de recevoir du Père. Mais la même manière de raisonner vaut pour les choses qui sont de même nature. Donc puisqu’Augustin [Les Quatre-vingt-trois Questions, qu. 50, col. 31[54] et 11 Contre Maximin, ch. 18, col. 785] conclut, à partir de ceci qu'il ne peut pas y avoir de jalousie en Dieu, qu’il n'a pas pu engendrer un Fils meilleur que Celui qu’il a engendré, il semble aussi qu'il n'a pas pu faire les choses créées meilleures qu'elles ne sont.

d. 44 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, effectus qui producitur a causa secundum totam suam potentiam, non potest ab ipsa melior fieri. Sed quamlibet creaturam Deus operatur tota sua potentia, quia per essentiam suam, quae indivisibilis est. Ergo nullam rem meliorem potest facere quam sit [fit Éd. Parme].

3. En outre, l’effet qui est produit par une cause selon toute sa puissance de cette cause ne peut pas être produit par elle meilleur qu’il n’est. Mais Dieu produit toute créature par toute sa puissance, parce qu'il la produit par son essence qui est indivisible. Donc Dieu ne peut faire aucun être meilleur qu’il n’est [n’a été produit Éd. de Parme].

d. 44 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, una res non deficit a bonitate alterius, nisi per hoc quod deficit a participatione divinae bonitatis. Iste autem defectus non ex parte Dei est, qui aequaliter se habet ad omnes creaturas, secundum Dionysium, sed ex parte ipsius rei, quae magis vel minus bonitatis divinae capax est. Ergo videtur quod Deus unamquamque rem meliorem non possit facere quam sit [fit Éd. Parme].

4. De plus, une même chose ne s’écarte de la bonté d’une autre que parce qu’elle s’écarte de la participation de la bonté divine. Mais ce défaut ne vient pas de Dieu, lequel se présente à toutes les créatures d’une manière égale selon Denys [Les noms divins, ch. II, § 5 et 6 col. 643], mais de la chose elle-même, qui est plus ou moins susceptible de recevoir la bonté de Dieu. Il semble donc que Dieu ne puisse faire aucune chose meilleure qu’elle n’est.

d. 44 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, cuilibet finito possibilis est additio. Sed cujuslibet creaturae bonitas finita est. Ergo potest sibi fieri additio. Sed quidquid potest fieri, Deus, qui omnipotens est, facere potest. Ergo videtur quod quamlibet rem meliorem facere possit.

Cependant :

1. Il est possible d’ajouter à tout ce qui est fini. Mais la bonté de toute créature est finie. Il est donc possible de l’augmenter. Mais tout ce qui peut être fait, Dieu, qui est tout-puissant peut le faire. Il semble donc qu’il puisse faire tout chose meilleure qu’elle n’est.

d. 44 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, quidquid natura facit, et Deus facere potest. Sed operatione naturae mutantur res in melius, ut homo de pueritia in juventutem. Ergo et Deus res meliores potest facere quam sunt.

2. Par ailleurs, tout ce que la nature fait, Dieu peut aussi le faire. Mais par l’opération de la nature les choses sont changées pour le mieux, comme l’homme qui passe de l’enfance à l’adolescence. Donc Dieu aussi peut faire les choses meilleures qu’elles ne sont.

d. 44 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod uniuscujusque rei in se consideratae est duplex bonitas, sicut et duplex esse, cum ens et bonum convertantur ; scilicet bonitas essentialis, ut homini esse vivum et rationale ; et bonitas accidentalis, ut sanitas, scientia et hujusmodi. Loquendo de bonitate accidentali, unicuique rei majorem bonitatem Deus conferre potuisset. Loquendo autem de bonitate essentiali, qualibet re creata meliorem aliam rem facere potuisset, non tamen potuit hanc rem facere esse majoris bonitatis : quia si adderetur ad bonitatem essentialem aliquid, non esset eadem res, sed alia : quia, secundum philosophum in [om. Éd. Parme] 8 Metaph., sicut numeris [numeris om. Éd. Parme] unitas addita vel subtracta semper variat speciem ; ita in definitionibus differentia addita vel subtracta ; verbi gratia, si definitioni bovis addatur rationale, jam non erit bos, sed alia species, scilicet homo ; si subtrahatur sensibile, remanebit vivens vita arborum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux sortes de bonté pour chaque chose considérée en elle-même, tout comme il y a aussi deux sortes d’existence, puisque l’être et le bien se convertissent : à savoir la bonté essentielle, comme pour l’homme d’être vivant et doué de raison, et la bonté accidentelle, comme la santé, la science, etc. Si on parle de la bonté accidentelle, Dieu aurait pu conférer à chaque chose une plus grande bonté. Mais si on parle de la bonté essentielle, il aurait pu faire une autre chose meilleure que de n’importe quelle chose créée, mais il n’aurait cependant pas pu faire que cette chose soit d’une plus grande bonté, parce que s’il avait ajouté quelque chose à la bonté essentielle d’une chose, ce ne serait plus la même chose, mais une autre ; car, selon le Philosophe [ VIII Métaphysique, texte 10], de même que l’unité ajoutée ou soustraite à un nombre fait varier l’espèce, de même la différence ajoutée ou soustraite de la définition fait aussi changer l’espèce ; par exemple, si à la définition du bœuf on ajoutait “rationnel”, ce ne sera plus un bœuf, mais une autre espèce, à savoir l’homme ; mais si on enlevait ¨sensible¨ l’être à définir demeurerait vivant mais de la vie des arbres.

Unde sicut Deus non potest facere quod ternarius manens ternarius habeat quatuor unitates, quamvis quolibet numero majorem numerum facere possit ; ita non potest facere quod haec res maneat eadem, et majorem bonitatem essentialem habeat vel minorem. Ex omnibus enim his sequeretur quod affirmatio et negatio essent simul vera : quod Deus non potest facere, ut dictum est, dist. 42, quaest. 2, art. 2.

D’où il suit que tout comme Dieu ne peut pas faire que trois demeure trois tout en ayant quatre unités, bien qu’il puisse faire de tout nombre un nombre plus grand, de même il ne peut pas faire que cette chose demeure la même tout en ayant une plus grande ou une plus petite bonté essentielle. Autrement en effet il s’ensuivrait de tout cela que l'affirmation et la négation seraient simultanément vraies, ce que Dieu ne peut pas faire ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. 42, qu. 2, a. 2].

d. 44 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quaelibet res in se considerata, non est optima, nisi forte inquantum attingit omnem bonitatem suam essentialem ; sicut si diceretur ternarius esse maximus, quia attingit quantitatem suae speciei ; sed in ordine ad universum est optima, sicut Augustinus dicit.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que toute chose considérée en elle-même n’est parfaite qu’en tant qu’elle atteint toute sa bonté essentielle, tout comme on dirait que trois est parfait parce qu’il atteint la quantité qui est propre à son espèce ; mais dans son rapport à l’univers, la bonté est parfaite comme le dit Saint-Augustin [Enchir. ch. 10, col. 236[55]].

d. 44 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis accipere a patre sit commune filio cum omni creatura communitate analogiae ; tamen habere per naturam est sibi proprium, sicut ipsemet Basilius [Basilius om. Éd. Parme) dicit ; et ideo aequalitas paterna debetur sibi per naturam. Unde si non aequalem genuisset, cum potuisset, Deus pater invidus esset : quia subtraxisset dignitatem filio, quam deberet et posset habere. Sed creatura nunquam potest pertingere ad aequalitatem Dei, nec alia mensura bonitatis sibi debetur, quam secundum determinationem divinae voluntatis : et ideo nulla invidia in Deo resultat si rem meliorem facere potuit quam fecerit. Et hoc est quod Hilarius dicit, quod omnibus creaturis substantiam Dei voluntas attulit, sed filio natura dedit.

2. Il faut dire en deuxième lieu que quoique recevoir du Père soit commun au Fils et à toute créature par une communauté d’analogie, cependant il est propre au Fils de le posséder par nature comme Saint-Basile [Saint-Basile om. Éd. de Parme] le dit lui-même ; et c’est pourquoi l’égalité au Père lui est due par nature. D’où il suit que si Dieu le Père, ainsi qu’il le pouvait, n’avait pas engendré un Fils égal à lui,   le Père aurait été jaloux, parce il aurait retiré à son Fils la dignité qu'il devait et pouvait avoir. Mais jamais la créature ne peut atteindre l'égalité avec Dieu, et aucune autre mesure de bonté ne lui est due que celle qu’il possède conformément à la détermination de la volonté divine ; et c'est pourquoi, si Dieu a pu faire une chose meilleure qu'il ne l'a faite, il n’en résulte aucune jalousie en Lui. Et c’est ce que Saint-Hilaire [Les Synodes,§ 58, col. 520] dit, à savoir que la volonté de Dieu a apporté la substance à toutes les créatures, il a donné la nature au Fils.

d. 44 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod quamvis Deus producat unumquodque creatum tota sua potentia infinita, non tamen sequitur quantitas bonitatis in effectu, nisi secundum voluntatem opificis, quae se habet ut imperans [ad add. Éd. Parme] opus, quod potentia exequendo educit.

3. Il faut dire en troisième lieu que bien que  Dieu produise toute créature par toute sa puissance infinie, cependant la grandeur de sa bonté ne découle dans l’effet que selon la volonté de l’artiste qui est comme le maître de son œuvre, ce que la puissance amène à l’existence en l’exécutant.

d. 44 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod diversus gradus in entibus non tantum est ex parte rerum, quarum capacitates ab invicem distant, sed etiam ex ordine sapientiae disponentis, quae diversas capacitates rebus tribuit, quibus postmodum secundum providentiam suam dona sua largitur, quae pro diversitate capacitatum a Deo ordinatarum, diversimode a diversis participantur.

4. Il faut dire en quatrième lieu que les degrés différent qu’on retrouve parmi les êtres ne viennent pas seulement des choses, elles dont les capacités diffèrent entre elles, mais aussi de l’ordre de la sagesse de celui qui les dispose, sagesse qui a attribué des capacités différentes aux choses auxquelles par la suite selon sa providence il a distribué ses dons, lesquels sont participés différemment par les différents êtres en raison de la diversité des capacités ordonnées par Dieu.       

d. 44 q. 1 a. 1 ad s. c. Ad alia patet responsio per ea quae dicta sunt, in corp. Art.

Solution aux ¨cependant¨ : La réponse à ces difficultés est claire au moyen ce qui a été dit dans le corps de l’article.

 

 

Articulus 2d. 44 q. 1 a. 2 tit. Utrum Deus potuerit facere universum melius.

Article 2 – Dieu aurait-il pu faire un univers meilleur ?

d. 44 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod universum Deus melius facere non potuerit : quia, secundum Augustinum, sunt bona quae condidit Deus etiam singula ; simul autem omnia valde bona. Sed eo quod est superlative bonum, nihil melius esse potest. Ergo universo nihil melius esse potest.

Difficultés :

Il semble que Dieu aurait pu faire un univers meilleur, parce que, selon Saint-Augustin (Enchir. ch. 10, col. 236[56]], les choses que Dieu a créées, même prises séparément, sont bonnes,   mais prises ensemble elles sont suprêmement bonnes. Mais rien ne peut être meilleur que ce qui est suprêmement bon. Donc rien ne peut être meilleur que l’univers.

d. 44 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, universum includit omne bonum. Sed nihil potest esse omni bono melius. Ergo Deus non potuit universum melius facere.

2. Par ailleurs, l’univers inclut tout bien. Mais rien ne peut être meilleur que tout bien. Donc Dieu n’a pas pu faire un univers meilleur.

d. 44 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, secundum Dionysium, bonum et melius inveniuntur in rebus, secundum quod quaedam participant plures de bonitatibus divinis quam aliae, sicut ea quae vivunt praeferuntur existentibus tantum, et sic deinceps. Sed omnes perfectiones divinae creaturae communicabiles, creaturis aliquibus communicatae sunt. Ergo videtur quod universum melius esse non possit.

3. Selon Denys [les noms divins, ch. 4, col. 694], le bien et le meilleur se retrouvent dans les choses, selon que certaines participent de bontés divines plus nombreuses que d’autres, tout comme celles qui possèdent la vie sont meilleurs que celles qui ne possèdent que l’existence et il en est ainsi pour le reste. Mais toutes les perfections divines communicables à la créature ont été communiquées à certaines créatures, Donc il semble que l’univers ne puisse pas être meilleur.

d. 44 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, quanto aliquid magis est ordinatum, melius est : unde et malum definitur ab Augustino per privationem ordinis. Sed in universo nihil est inordinatum, cum et ipsum malum ordinatum sit a Deo, ut supra dictum est, dist. 36, quaest. 1, art. 2. Ergo videtur quod universum melius esse non possit.

4. En outre, une chose est d’autant meilleure qu’elle est davantage ordonnée : c'est pourquoi le mal est défini par Saint-Augustin [De la Nature du Bien, ch. IV, col. 553] comme étant la privation de l’ordre. Mais dans l’univers rien n’est sans ordre, puisque le mal lui-même est ordonné au bien par Dieu, comme nous l’avons dit plus haut [dist. 36, quest. 1, art. 2.]. Donc il semble que l’univers ne puisse pas être meilleur.

d. 44 q. 1 a. 2 arg. 5 Sed contra, secundum philosophum, albius est quod est nigro impermixtius. Ergo etiam melius est quod est impermixtius malo. Sed Deus potuit facere universum in quo nihil mali esset. Ergo cum in hoc universo multa sint mala, videtur quod Deus universum melius facere potuerit.

Cependant :

5. Au contraire, selon le Philosophe [111 Topiques], est plus blanc ce qui n’est pas mélangé au noir. Donc est aussi meilleur ce qui n’est pas mélangé au mal. Mais Dieu a pu faire un univers dans lequel il n’y aurait rien de mauvais. Donc comme dans cet univers-ci il y a beaucoup de maux, il semble que Dieu aurait pu faire un univers meilleur.

d. 44 q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, si majori aequale addatur, totum fiet majus. Ergo et si meliori melius addatur, totum fiet melius. Sed Angelus est melior quam lapis. Ergo duo Angeli sunt aliquid melius quam Angelus et lapis. Ergo et si quaelibet pars universi esset Angelus, universum multo melius esset. Hoc autem Deus potuit facere. Ergo et cetera.

6. En outre, si on ajoute de l’égal à du plus grand, le tout devient plus grand. Donc si on ajoute du meilleur à du mieux, le tout devient meilleur. Mais l’ange est meilleur que la pierre. Donc deux anges sont quelque chose de meilleur que l’ange et la pierre. Donc si toute partie de l’univers était de nature angélique, l’univers serait bien meilleur. Cela Dieu a pu faire cela. Donc, etc.

d. 44 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod, secundum philosophum in XI Metaph., bonum universi consistit in duplici ordine ; scilicet in ordine partium universi ad invicem, et in ordine totius universi ad finem, qui est ipse Deus ; sicut etiam est in exercitu ordo partium exercitus ad invicem, secundum diversa officia, et est ordo ad bonum ducis, quod est victoria ; et hic ordo est praecipuus, propter quem est primus ordo.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que selon le Philosophe [XI Métaphysique , texte 52], le bien de l'univers consiste en deux sortes d’ordre : à savoir l’ordre de ses parties entre elles, et l’ordre de l’univers entier à l’égard de sa fin, qui est Dieu lui-même, tout comme il y a dans l’armée l’ordre de ses parties entre elles, selon les différentes charges, et il y a aussi l’ordre ou le rapport de l’armée à l’égard du bien du chef, lequel bien est la victoire ; et ce dernier ordre est principal puisqu’il est celui en vue duquel existe le premier ordre.

Accipiendo ergo bonum ordinis qui est in partibus universi ad invicem, potest considerari vel quantum ad partes ipsas ordinatas, vel quantum ad ordinem partium. Si quantum ad partes ipsas, tunc potest intelligi universum fieri melius, vel per additionem plurium partium, ut scilicet crearentur multae aliae species, et implerentur multi gradus bonitatis qui possunt esse, cum etiam inter summam creaturam et Deum infinita distantia sit ; et sic Deus melius universum facere potuisset et posset : sed illud universum se haberet ad hoc sicut totum ad partem ; et sic nec penitus esset idem, nec penitus diversum ; et haec additio bonitatis esset per modum quantitatis discretae. Vel potest intelligi fieri melius quasi intensive, quasi mutatis omnibus partibus ejus in melius, quia si aliquae partes meliorarentur aliis non melioratis, non esset tanta bonitas ordinis ; sicut patet in cithara, cujus si omnes chordae meliorantur, fit dulcior harmonia ; sed quibusdam tantum melioratis, fit dissonantia.

Donc si on prend le bien de l’ordre qui se tient du côté des parties de l’univers entre elles, il peut être considéré soit quant aux parties elles-mêmes qui sont ordonnées, soit quant à l’ordre des parties. Si on le considère quant aux parties elles-mêmes, alors l’univers peut être pensé comme pouvant devenir meilleur, ou bien par l’addition de plusieurs parties, c’est-à-dire selon que  plusieurs autres espèces seraient créées, et que soient ainsi comblés de nombreux degrés de bonté qui peuvent exister, puisqu’il y a une distance infinie entre la créature la plus élevée et Dieu, et c’est ainsi que Dieu aurait pu faire un univers meilleur et il le pourrait : mais cet univers serait à cet univers qui est le nôtre comme le tout à la partie et ainsi il ne serait plus tout à fait le même, ni tout à fait différent ; et cette addition de bonté se ferait à la manière d’une quantité discrète. Ou bien on peut entendre qu’il deviendrait meilleur en intensité pour ainsi dire, comme si toutes ses parties étaient changées pour le mieux, parce que si certaines parties étaient meilleures alors que d’autres ne l’étaient pas, il n’y aurait pas une aussi grande bonté de l’ordre, comme on le voit pour la cithare : en effet, si toutes ses cordes sont accordées, l’harmonie devient plus douce, mais si certaines seulement le sont, il se produit une dissonance.

Haec autem melioratio omnium partium vel potest intelligi secundum bonitatem accidentalem, et sic posset esse talis melioratio a Deo manentibus eisdem partibus et eodem universo ; vel secundum bonitatem essentialem, et sic etiam esset Deo possibilis, qui infinitas alias species condere potest. Sed sic non essent eaedem partes, et per consequens nec idem universum, ut ex praedictis patet. Si autem accipiatur ipse ordo partium, sic non potest esse melior per modum quantitatis discretae, nisi fieret additio in partibus universi ; quia in universo nihil est inordinatum : sed intensive posset esse melior manentibus eisdem partibus quantum ad ordinem qui sequitur bonitatem accidentalem : quanto enim aliquid in majus bonum redundat, tanto ordo melior est. Sed ordo qui sequitur bonitatem essentialem, non posset esse melior, nisi fierent aliae partes et aliud universum.

Mais cette amélioration de toutes les parties peut s’entendre soit selon une bonté accidentelle et ainsi, l’univers lui-même et ses parties demeurant les mêmes, il pourrait y avoir une telle amélioration venant de Dieu; soit selon une bonté essentielle, et cela serait encore possible à Dieu qui peut créer une infinité d’autres espèces. Mais alors les parties ne seraient plus les mêmes et par conséquent l’univers lui-même ne serait plus le même comme on le voit en partant de ce qui a été dit. Mais si on considère  l’ordre même des parties, alors l’univers ne peut être meilleur à la manière d’une quantité discrète que si une addition est faite dans les parties de l’univers, parce qu’en lui rien n’est sans ordre, mais il peut être meilleur en intensité si les parties demeurent les mêmes quant à l’ordre qui découle de la bonté accidentelle : l’ordre est d’autant meilleur en effet que quelque chose rejaillit en un bien plus grand. Mais l’ordre qui découle de la bonté essentielle, ne pourrait être meilleur que si d’autres parties étaient produites ainsi qu’un autre univers.

Similiter ordo qui est ad finem, potest considerari vel ex parte ipsius finis ; et sic non posset esse melior, ut scilicet in meliorem finem universum ordinaretur, sicut Deo nihil melius esse potest : vel quantum ad ipsum ordinem ; et sic secundum quod cresceret bonitas partium universi et ordo earum ad invicem, posset meliorari ordo in finem, ex eo quod propinquius ad finem se haberent, quanto similitudinem divinae bonitati magis consequerentur, quae est omnium finis.

De la même manière l’ordre qui est en vue de la fin peut être considéré soit du côté de la fin même et ainsi il ne pourrait pas être meilleur, c’est-à-dire de telle manière que l’univers serait ordonné à une fin meilleure puisque rien ne peut être meilleur que Dieu ; soit quant à l’ordre lui-même ; et ainsi selon que la bonté des parties de l’univers croîtrait ainsi que leur ordre entre elles, l’ordre en vue de la fin pourrait être amélioré du fait qu’elles se trouveraient plus proches de la fin, d’autant plus qu’elles parviendraient davantage à ressembler à la bonté divine qui est la fin de tout.

Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de ordine universi, supposita natura eadem talium partium ; quia sic melior ordo esse non potuit, ut dictum est, in corp. art.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que Saint-Augustin parle de l’ordre de l’univers, en supposant que la nature de telles parties reste la même, parce qu’ainsi l’ordre n’a pas pu être meilleur, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article.

Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non loquimur de universo quantum ad hoc nomen, sed quantum ad hanc rem, quae modo universum dicitur : in quo quamvis omne quod actu bonum est, contineatur, non tamen omne bonum quod Deus potest facere.

2. Il faut dire en deuxième lieu que nous ne parlons pas de l’univers quant à ce nom, mais quant à cette réalité qu’on appelle aujourd’hui l’univers : dans lequel, bien que tout ce qui est bon en acte y soit contenu, on ne retrouve pas tout bien que Dieu peut faire.

Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod participandi eamdem perfectionem divinam sunt multi modi ; sicut sapientiae divinae participatio est in intellectualibus substantiis aliter, et aliter in rationalibus, scilicet hominibus, et etiam usque ad bruta se extendit, quae sensitivam cognitionem habent. Quamvis ergo omnes perfectiones forte creaturae communicabiles, sint creaturae communicatae, non tamen secundum omnem modum quo possunt a creatura participari.

3. Il faut dire en troisième lieu qu’il y a plusieurs manières de participer de la même perfection divine, tout comme la participation de la sagesse divine est autre dans les substances intellectuelles, autre dans les substances rationnelles, à savoir les hommes, et elle va même jusqu’à s’appliquer aux brutes animales qui ont une connaissance sensible. Donc, quoique toutes les perfections communicables aux créatures leur soient de fait communiquées, les créatures n’en participent cependant pas selon toutes les manières.

Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis ordo universi non possit esse melior ex hoc quod plures partes hujus universi sint ordinatae, posset tamen esse melior, si ad melius bonum, sicut ad finem proximum, ordinaretur : quod contingeret, si meliores partes universi fierent, ut dictum est.

4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que  l’ordre de l’univers ne puisse être meilleur du fait que plusieurs de ses parties sont ordonnées, il pourrait cependant être meilleur, s’il était ordonné à un bien meilleur, comme s’il était ordonné à sa fin prochaine, ce qui serait possible si les meilleures parties de l’univers étaient produites, ainsi que nous l’avons dit.

Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod universum in quo nihil mali esset, non esset tantae bonitatis quantae hoc universum : quia non essent tot bonae naturae in illo sicut in isto, in quo sunt quaedam naturae bonae quibus non adjungitur malum, et quaedam quibus adjungitur : et est melius utrasque naturas esse, quam alteras tantum.

5. Il faut dire en cinquième lieu qu’un univers dans lequel il n’y aurait aucun mal ne serait pas d’une si grande bonté que cet univers-ci, parce qu’il n’y aurait pas en lui autant de bonnes natures qu’en celui-ci, dans lequel il y a certaines natures bonnes auxquelles le mal n’est pas rattaché, et certaines auxquelles il l’est : et il est meilleur que les deux natures existent plutôt qu’une seule.

Lib. 1 d. 44 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod quamvis Angelus absolute sit melior quam lapis, tamen utraque natura est melior quam altera tantum : et ideo melius est universum in quo sunt Angeli et aliae res, quam ubi essent Angeli tantum : quia perfectio universi attenditur essentialiter secundum diversitatem naturarum, quibus implentur diversi gradus bonitatis, et non secundum multiplicationem individuorum in una natura.

6. Il faut dire en sixième lieu que quoique l’Ange soit absolument meilleur que la pierre, cependant les deux natures sont meilleures qu’une seule : et c'est pourquoi l’univers dans lequel il y a les anges et les autres choses est  meilleur que celui où il n’y aurait que les Anges seulement, parce que la perfection de l’univers se vérifie essentiellement d’après la diversité des natures par lesquelles les différents degrés de bonté sont comblés, et non d’après la multiplication des individus dans une seule et même nature.

 

 

d. 44 q. 1 a. 3 tit. Articulus 3. Utrum Deus potuerit facere humanitatem Christi meliorem quam sit.

Article 3 – Dieu aurait-il pu rendre l’humanité du Christ meilleure qu’elle ne l’est ?

d. 44 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod humanitatem Christi Deus meliorem facere non potuerit quam sit. Tanto enim unumquodque melius est, quanto Deo propinquius. Sed nullum creatum potest esse Deo propinquius quam quod unitur sibi in unitate personae, sicut humana natura in Christo. Ergo videtur quod nihil ea melius facere potuerit Deus.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu n’aurait pas pu faire l’humanité du Christ meilleure qu’elle ne l’est. En effet, un être est d’autant meilleur qu’il est plus proche de Dieu. Mais rien de créé ne peut être plus proche de Dieu que ce qui lui est uni dans l’unité de la personne, comme la nature humaine dans le Christ. Il semble donc que Dieu n’aurait rien pu faire de meilleur qu’elle.

d. 44 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, infinito non potest esse aliquid majus. Sed bonitas animae Christi est infinita : quia datus est ei spiritus non ad mensuram, Joan. 3. Ergo nihil ea melius fieri potest.

2. Par ailleurs, rien ne peut être plus grand que l’infini. Mais la bonté de l’âme du Christ est infinie, parce que l’Esprit lui a été donné sans mesure [Jean, 3.]. Donc rien de meilleur n’aurait pu être fait.

44 q. 1 a. 3 arg. 3 Item, videtur quod nec beata virgine : quia secundum Anselmum, decuit ut virgo quam Deus unigenito filio suo praeparavit in matrem, ea puritate niteret, qua major sub Deo nequit intelligi. Sed nihil potest Deus facere quod sibi in bonitate vel puritate aequetur. Ergo videtur quod nihil melius beata virgine facere possit.

3. En outre, il semble que la bienheureuse Vierge n’aurait pa pu être meilleure parce que d’après Saint-Anselme [De la conception de la Vierge ch. 18, col. 451] il convenait que la Vierge que Dieu avait préparée comme mère pour son Fils unique, brille de cette pureté qui est telle qu’on ne puisse en concevoir une plus grande à l’exception de Dieu. Mais Dieu ne peut rien faire qui lui soit égal en bonté ou en pureté. Donc il semble qu'il n'a pu rien faire de meilleur que la bienheureuse Vierge.

d. 44 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, secundum Augustinum in Lib. Conf., Angelus factus est prope Deum. Sed beata virgo exaltata est etiam super choros Angelorum, sicut Augustinus [Hieronymus Éd. De Parme], tradit, et Ecclesia de ipsa cantat. Ergo nihil ea Deo proximius esse potest, et ita nec melius.

4. De plus, selon Saint-Augustin [XII Les Confession, ch. 7, col. 828], l’Ange a été fait proche de Dieu. Mais la bienheureuse Vierge a été élevée même au-dessus du chœur des Anges, tout comme Saint-Augustin [Saint-Jérôme Éd. de Parme] [Sermon sur l’Assomption] l’enseigne, et comme l’Église elle-même le célèbre. Donc rien ne peut être plus proche de Dieu qu’elle, ni ainsi être meilleur.

d. 44 q. 1 a. 3 arg. 5 Item, videtur quod nec beatitudine creata. Quia secundum Boetium, beatitudo est status omnium bonorum congregatione [aggregatione Éd. De Parme] perfectus. Sed omni bono nihil potest esse melius. Ergo nec beatitudine creata.

5. Par ailleurs, il semble que la béatitude créée ne peuvait pas non plus être meilleure qu’elle n’est, parce que selon Boèce [111 De la Consolation, prose II, col. 724], la béatitude est l'état qui est parfait par la réunion [l’accumulation Éd. de Parme]de tous les biens. Mais rien ne peut être meilleur que la totalité des biens. Donc rien ne peut être meilleur que la béatitude créée.

d. 44 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, bonum increatum, omne creatum bonum in infinitum excellit. Sed inter infinite distantia possunt esse multa media. Ergo quolibet bono creato potest Deus multa meliora facere.

Cependant :

Au contraire, le bien incréé dépasse à l'infini tout bien créé. Mais il peut y avoir de nombreux intermédiaires entre ce qui est infiniment différent. Donc Dieu peut faire une multitude de choses meilleures que tout bien créé.

d. 44 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod sicut quolibet bono creato, eo quod finitum est, potest aliquid melius esse ; ita bono increato, eo quod infinitum est, nihil melius esse potest. Et ideo bonitas creaturae dupliciter considerari potest. Aut quae est ipsius in se absolute, et sic qualibet creatura potest esse aliquid melius : aut per comparationem ad bonum increatum ; et sic dignitas creaturae recipit quamdam infinitatem ex infinito cui comparatur, sicut humana natura inquantum est unita Deo, et beata virgo inquantum est mater Dei, et gratia inquantum conjungit Deo ; et universum inquantum est ordinatum in Deum.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que de même qu’il peut y avoir quelque chose de meilleur que n'importe quel bien créé, parce qu'il est fini, de même il ne peut y avoir rien de meilleur qu’un bien incréé, parce qu'il est infini,. Et c’est pourquoi la bonté de la créature peut être considérée de deux manières. Soit en tant qu’elle est celle qui lui appartient en elle-même absolument et en ce sens toute créature peut être quelque chose de meilleur ; soit en tant qu’on la compare au bien incréé ; et en ce sens la dignité de la créature reçoit une certaine infinité de l'infini auquel elle se compare, tout comme la nature humaine en tant qu'elle est unie à Dieu et la Bienheureuse Vierge en tant qu’elle est mère de Dieu, et la grâce en tant qu’elle unit à Dieu, et même l'univers en tant qu’il est ordonné à Dieu.

Sed tamen in istis comparationibus est etiam ordo duplex : primo, quia quanto nobiliori comparatione in Deum refertur, nobilius est ; et sic humana natura in Christo nobilissima est ; quia per unionem comparatur ad Deum, et post beata virgo, de cujus utero caro divinitati unita, assumpta est, et sic deinceps : secundo, quia quaedam istarum comparationum est secundum respectum tantum, sicut universi ad finem, et matris ad filium : et ideo ex dignitate comparationis non potest sumi judicium de re absolute, ut dicatur, quod beata virgine non potest aliquid melius esse ; sed secundum quid, ut dicatur, quod non potest esse melioris mater, nec ad majus bonum ordinatum universum.

Mais cependant il y a aussi deux sortes d’ordre dans ces comparaisons : premièrement parce qu'il est d’autant plus noble qu’il se rapporte à Dieu par une comparaison plus noble; et en ce sens la nature humaine dans le Christ est la plus noble parce qu'elle se compare à Dieu par mode d’union et par la suite vient la Bienheureuse Vierge, dont la chair par son sein est unie à la divinité, a été élevée à Dieu, et ainsi de suite. Deuxièmement parce qu’il y a une de ces comparaisons qui a lieu selon le rapport seulement, comme celui de l'univers à sa fin, et de la mère à son fils. Et c'est pourquoi on ne peut tirer un jugement absolu sur la chose à partir de la dignité de la comparaison de manière à dire que rien ne puisse être meilleur que la bienheureuse Vierge, mais seulement sous un certain rapport, de manière à dire qu’il ne peut y avoir une meilleure mère, et non pas que l’univers est ordonné à un plus grand bien.  

Sed quaedam [alia, Éd. Parme] comparatio, scilicet per unionem, est etiam secundum esse : et ideo judicium simpliciter de natura unita, est secundum comparationis bonitatem, ut dicatur, quod Christo homine nihil melius esse potest : sed judicium quod est praeter hanc comparationem, est secundum quid tantum, ut cum dicitur, quod humana natura in Christo, inquantum est creata, potest aliquid esse melius ; et hoc ideo, quia natura considerata praeter esse suum, est secundum rationis acceptionem tantum.

Mais il y a une [autre Éd. de Parme] comparaison, à savoir celle qui a lieu par mode d’union, qui se présente aussi sous le rapport de l’existence ; c'est pourquoi le jugement absolu sur la nature unie se fait d’après la bonté de la comparaison de sorte qu’on dise qu’il ne peut y avoir rien de mieux que le Christ-Homme : mais le jugement qui est en dehors de cette sorte de comparaison est relatif seulement, comme lorsqu’on dit qu’il peut y avoir quelque chose de meilleur que la nature humaine dans le Christ, en tant qu'elle est créée. Et il en est ainsi parce que la nature considérée en dehors de son existence se présente seulement comme une conception de la raison.

d. 44 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis humana natura sit divinitati unita in persona, tamen naturae remanent distantes in infinitum ; et ex hac parte potest esse aliquid melius humana natura in Christo, non ex parte qua unita est.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que la nature humaine soit unie à la divinité dans la personne[57], cependant les natures demeurent infiniment éloignées, et de ce côté, et non pas du côté par lequel elle est unie, il peut y avoir quelque chose de meilleur que la nature humaine dans le Christ.

d. 44 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod gratia habitualis animae Christi infusa, non est simpliciter et per se infinita, sed secundum quid, sicut dictum est supra, dist. 43, quaest. Unic., art. 2, quod virtus intelligentiae est infinita inferioris [in fieri Éd. Parme], inquantum potest in infinitos effectus ; ita et gratia Christi dicitur infinita secundum quid, inquantum potest in omnes effectus gratiae, et per accidens, inquantum concurrit ad ipsam unionem infiniti boni, ut medium congruitatis, et ad operationem Christi, quae est infiniti valoris, inquantum est operatio divinae personae.

2. Il faut dire en deuxième lieu que la grâce habituelle infusée dans l’âme du Christ n’est pas absolument infinie par elle-même, mais selon un rapport seulement, tout comme nous avons dit plus haut [dist. 43, quest. unique, art. 2], que la puissance d’une intelligence inférieure est infinie [dans le devenir Éd. de Parme], en tant qu’elle peut agir dans des effets infinis ; de même on dit de la grâce du Christ qu’elle est infinie relativement, en tant qu'elle peut opérer dans tous les effets de la grâce, et par accident, en tant qu’elle contribue à l’union même au bien infini, en tant qu’intermédiaire de la conformité, et à l’opération du Christ qui est d’une valeur infinie, en tant qu’elle est l’opération d’une personne divine.

d. 44 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod puritas intenditur per recessum a contrario : et ideo potest aliquid creatum inveniri quo nihil purius esse potest in rebus creatis, si nulla contagione peccati inquinatum sit ; et talis fuit puritas beatae virginis, quae a peccato originali et actuali immunis fuit. Fuit tamen sub Deo, inquantum erat in ea potentia ad peccandum. Sed bonitas intenditur per accessum ad terminum quod in infinitum distat, scilicet summum bonum. Unde quolibet finito bono potest aliquid melius fieri.

3. Il faut dire en troisième lieu que la pureté se vérifie par le retrait du contraire et c'est pourquoi on peut trouver quelque chose de créé dont rien ne soit plus pur parmi les choses créées, s'il n'est souillé par aucune participation au péché ; et telle fut la pureté de la Bienheureuse Vierge qui fut exempte du péché originel et actuel. Cependant elle fut inférieure à Dieu en tant qu'il y avait en elle une puissance à pécher[58]. Mais la bonté se vérifie par la proximité du terme qui est infiniment éloigné, à savoir le bien suprême. C'est pourquoi il peut y avoir quelque chose de meilleur que n'importe quel bien fini.

d. 44 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod inter Angelos et Deum est infinita distantia ; unde posset Deus facere multos intermedios gradus bonitatis : et ideo quamvis beata virgo sit exaltata super Angelos, quia tamen non usque ad aequalitatem Dei, manet adhuc infinita distantia ; et potest adhuc aliquid melius esse.

4. Il faut dire en quatrième lieu qu’entre les Anges et Dieu, la distance est infinie ; c'est pourquoi Dieu pourrait faire de nombreux degrés intermédiaires de bonté ; et c'est pourquoi, bien que la bienheureuse Vierge soit élevée au-dessus des Anges, mais non pas cependant au point d’être l’égale de Dieu qui en demeure encore infiniment éloigné, il peut encore y avoir quelque chose de meilleur.

d. 44 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod beatitudo creata habet quamdam infinitatem ex eo quod conjungit infinito bono : in se enim considerata comprehendit omnia bona participabilia homini. Unde si naturae capacitas major esset, major esset participatio, et perfectior beatitudo ; sicut beatitudo unius sancti praeponitur beatitudini alterius. Tamen sciendum, quod Boetius vult, quod haec definitio essentialiter beatitudini increatae conveniat ; aliis autem per participationem.

5. Il faut dire en cinquième lieu que la béatitude créée comporte une certaine infinité du fait qu'elle est unie à un bien infini : considérée en  elle-même en effet, elle comprend tous les biens auxquels l'homme peut participer. C'est pourquoi, si la capacité de la nature était plus grande, la participation serait plus grande et la béatitude plus parfaite, tout comme la béatitude d'un saint est plus parfaite que celle d'un autre. Il faut cependant savoir que Boèce veut que cette définition convienne essentiellement à la béatitude incrée et aux autres par participation.

 

 

Articulus 4. d. 44 q. 1 a. 4 tit. Utrum Deus possit facere omne quod olim potuit

Article 4 – Dieu peut-il faire tout ce qu'il a pu autrefois ?

d. 44 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Deus non possit facere omne quod olim potuit. Potentia enim Dei non se extendit tantum ad species, sed etiam ad individua : quia ipse facit et formam et materiam. Sed antequam Socrates esset, potuit Socratem facere. Ergo et Socrate existente potest Socratem facere. Hoc autem falsum est, quia sic substantia rei esset bis, quod est impossibile. Ergo non quidquid potuit, potest.

Difficultés :

1. Il semble que Dieu ne peut pas faire tout qu'il a pu faire autrefois. Sa puissance en effet ne s'applique pas seulement aux espèces, mais aussi aux individus, parce que c’est lui qui fait la forme et la matière. Mais avant que Socrate existe, Dieu pouvait faire Socrate. Donc même si Socrate existe, il peut faire Socrate. Mais cela est faux, parce qu'alors la substance de la chose existerait deux fois, ce qui est impossible. Donc ce n’est pas tout ce qu’il a pu faire qu’il peut encore faire.

d. 44 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, olim potuit Deus non incarnari. Sed modo non posset non incarnatus esse, sicut nec aliquod praeteritum non fuisse. Ergo non quidquid olim potuit, modo potest.

2. Par ailleurs, Dieu pouvait autrefois ne pas s'incarner. Mais maintenant il ne pourrait pas ne pas avoir été incarné, tout comme rien de passé ne peut ne pas avoir existé. Ce n’est donc pas tout ce qu’il a pu faire autrefois qu’il peut faire maintenant.

d. 44 q. 1 a. 4 arg. 3 Si dicas, quod sicut potuit olim facere aliquid, ita potest modo fecisse illud, et hoc est unum et idem posse, contra : quia similiter ille qui excaecatus est, potest modo vidisse, cum prius videre potuerit ; et tamen non dicimus, quod quidquid potuerit, possit. Ergo videtur quod nec de Deo dicendum sit.

3. Mais si tu dis que tout comme il a pu autrefois faire quelque chose, de même il peut maintenant l’avoir fait et que les deux sont une seule et même puissance, je réponds au contraire de la même manière que celui qui a été aveugle peut maintenant avoir vu un jour alors qu’il pouvait voir, nous ne disons pas pour autant qu’il peut faire tout ce qu’il a pu faire. Donc il semble qu'il ne faille pas le dire de Dieu non plus.

d. 44 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, Deus ab aeterno potuit non praedestinare Petrum, quem voluntarie praedestinavit. Sed modo non potest eum non praedestinare : quia non potest esse quod aliquis sit prius praedestinatus et postea non praedestinatus. Ergo non quidquid potuit, potest.

4. En outre, Dieu pouvait de toute éternité ne pas prédestiner Pierre qu'il a volontairement prédestiné. Mais maintenant il ne peut pas ne pas le prédestiner, parce qu'il n'est pas possible que quelqu'un soit d'abord prédestiné et non par la suite. Donc il ne peut pas tout ce qu'il a pu.

d. 44 q. 1 a. 4 arg. 5 Sed contra, quantitas potentiae attenditur secundum multitudinem objectorum : quia virtualis quantitas dividitur secundum objecta. Sed potentia Dei diminui non potest. Ergo videtur quod quidquid Deus olim potuit, et modo possit.

Cependant :

5. Au contraire, la quantité de la puissance se vérifie d'après la multiplicité des objets, parce que la quantité virtuelle se divise selon les objets. Mais la puissance de Dieu ne peut être diminuée. Donc il semble que tout ce que Dieu a pu faire autrefois, il le pourrait maintenant.

d. 44 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod hoc quod negetur aliquem posse aliquid, potest contingere ex duobus : vel ex defectu potentiae, sicut qui non habet potentiam visivam, dicitur non posse videre ; aut ex parte objecti quod non habet rationem possibilis, sicut habens visum dicitur non posse videre sonum, qui non est visibilis. Et primo modo nihil dicitur Deus non posse, cum sua potentia sit perfectissima ; sed secundo modo dicitur non posse quaedam, sicut quod idem simul sit et non sit. Unde magis proprie diceretur ista non posse fieri quam Deum ista facere non posse. Similiter dicendum est, quod hoc quod aliquis non possit quidquid potuit, potest contingere ex duobus : vel quia amittit aliquam potentiam quam habebat ; et sic Deo non competit, immo hoc modo procedit solutio Magistri in littera ; vel ex mutatione objecti, quod amittit rationem possibilis, quam prius habebat ; potentia enim activa est respectu alicujus operandi [operabilis alicujus, Éd. de Parme] Unde quando aliquid est jam determinatum ut sit praesens in actu, vel in praeteritum transiit, possibilis rationem amittit ; et ideo dicitur, quod Deus illud facere non potest : quod quidem est eadem res, sed diversis enuntiabilibus [enuntiationibus Éd. de Parme] significata propter temporum diversitatem.

Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que nier que quelqu'un puisse faire quelque chose, cela est possible de deux manières : soit à partir d’un défaut de la puissance, tout comme on dit de celui qui n'a pas la puissance de la vue qu’il ne peut voir ; soit du côté de l'objet qui n'a pas la nature d’un possible, tout comme on dit de celui qui a la vue qu’il ne peut voir un son, lequel n'est pas visible. Et suivant la première manière, rien n’est impossible à Dieu puisque sa puissance est la plus parfaite ; mais de la deuxième manière, certaines choses lui sont impossibles, comme de faire que la même chose soit et ne soit pas simultanément. C'est pourquoi il faut plus proprement dire que ce sont ces choses qui ne sont pas possibles, plutôt que de dire que Dieu ne peut pas les faire. De la même manière il faut dire que cet énoncé, à savoir que quelqu'un ne pourrait pas faire tout ce qu'il a pu faire, cela peut arriver de deux manières : soit parce qu'il a perdu la puissance qu'il avait et cette manière ne convient pas à Dieu mais bien plutôt c’est d’après cette modalité que procède la solution du Maître dans La Lettre ; soit par un changement dans l’objet qui a perdu la nature du possible qu'il avait avant ; la puissance active en effet se rapporte à ce qui doit être opéré [à quelque chose d’opérable Éd. de Parme]. D’où il suit que quand quelque chose est déjà déterminé en tant que présent en acte ou s’écoule dans le passé, il perd la nature du possible, et c'est pourquoi on dit que Dieu ne peut pas le faire : ce qui est certes la même chose mais signifiée par des énoncés [énonciations Éd. de Parme] différents, à cause de la différence des temps.

d. 44 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quando jam est existens actu, amittit rationem possibilis fieri.

Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que quand quelque chose qui existe déjà en acte, il perd la nature d’un possible à devenir.

d. 44 q. 1 a. 4 ad 2 Et similiter dicendum est ad secundum, quod procedebat de praeterito.

2. Et de la même manière il faut dire en deuxième lieu que l’argumentation de la deuxième difficulté procédait du passé.  

d. 44 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, aliquis potest fecisse hoc vel illud, potest dupliciter intelligi : vel ita quod praeteritum se teneat ex parte possibilis, et sic nihil est dictu ; quia quod praeteritum est, possibilis rationem amittit : vel quod intelligatur circa exitum possibilis a potentia ; et sic dicitur, Deus potest fecisse hoc vel illud, quia habet potentiam qua hoc fecit. Sed hoc caeco non convenit : non enim habet potentiam qua quandoque vidit ; unde nullo modo verum est quod caecus possit vidisse.

3. Il faut dire en troisième lieu que lorsqu’on dit que quelqu'un peut avoir fait ceci ou cela, on peut l’entendre de deux manières : soit de telle manière que le passé se tienne du côté du possible, et ainsi il ne dit rien parce que ce qui est passé a perdu sa nature de possible ; soit ce qui est entendu comme possible sorti d’une puissance et en ce sens on dit que Dieu peut avoir fait ceci ou cela parce qu'il possède la puissance par laquelle il a fait cela. Mais cela ne convient pas à un aveugle : en effet il ne possède plus la puissance par laquelle il voyait autrefois ; c'est pourquoi il n'est vrai en aucune manière que l'aveugle puisse avoir vu.

44 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod actus praedestinationis aeternitate mensuratur, et non in praeteritum transit : et ideo semper eodem modo possibilis rationem habet, inquantum est ex liberalitate voluntatis divinae ; sed ex parte effectus in praeteritum transit, et secundum hoc possibilis rationem amittit.

4. Il faut dire en quatrième lieu que l'acte de prédestination est mesuré par l'éternité et ne s’écoule pas dans le passé ; et c'est pourquoi il possède toujours de la même manière la nature du possible, en tant qu'il procède de la liberalité de la volonté divine ; mais du côté de l'effet il s’écoule dans le passé, et suivant cela il perd sa nature de possible.

d. 44 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum etiam patet responsio ex dictis, in corp. art.

5. La réponse à la cinquième difficulté est aussi évidente à partir de ce qui a été dit dans le corps de l’article.

 

 

Expositio textus

Explication du texte de Pierre Lombard, Dist. 44

Expositio textus

d. 44 q. 1 a. 4 expos. Licet non possit modo incarnari. Videtur hoc esse falsum : quia sicut filius carnem assumpsit, ita et pater potuit et potest carnem assumere, ut in 3, dist. 1, quaest. 2, art. 3, dicitur. Ergo videtur quod etiam possit nunc incarnari. Ad quod dicendum, quod Magister intelligit de eadem numero incarnatione quae olim facta est. Si enim modo incarnaretur, non esset idem incarnari numero, sed alia incarnatio.

« Bien qu'il ne puisse maintenant être incarné ». Cela paraît faux parce que de même que le Fils a pris chair, de même le Père a pu et il peut prendre chair, comme on le dit au livre 3 [dist. 1, quest. 2, art. 3][59]. Il semble donc qu'il puisse encore être incarné maintenant. Il faut répondre à cela que le Maître l’entend de la même incarnation, numériquement parlant, qui a été faite autrefois. S'il s'incarnait maintenant en effet, ce ne serait plus la même incarnation, numériquement parlant, mais une autre incarnation.

 

 

Distinctio 45

Distinctio 45 – [La volonté en Dieu]

 

 

Prooemium

Prologue

 

 

Hic quatuor quaeruntur:

1 utrum in Deo sit voluntas ;

2 utrum voluntas sit suiipsius ipsius sicut [sui… sicut om. Éd. de Parme] tantum objecti vel etiam aliorum ;

3 utrum voluntas sua sit causa eorum quae fiunt ;

4 de divisione voluntatis ejus in voluntatem signi et beneplaciti.

 On cherche ici à répondre à quatre questions :

1. Y a-t-il en Dieu une volonté ?

2. Est-ce que sa volonté ne se rapporte qu’à lui comme [à lui…comme om. Éd. de Parme] à son seul objet ou aussi aux autres êtres ?

3. Est-ce que sa volonté est la cause des choses qui sont produites ?

4. Est-ce que sa volonté se distingue en volonté de signe et en volonté de bon plaisir ?

 

 

Articulus 1 [3201] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 tit. Utrum in Deo sit voluntas

Article 1 – La volonté existe-t-elle en Dieu ?

[3202] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas Deo non conveniat. Voluntas enim appetitus quidam est. Sed omnis appetitus est imperfecti ; unde etiam 1 Physic., text. 8 dicitur, quod materia appetit formam. Ergo cum in Deo nulla sit imperfectio, videtur quod nec voluntas.

 [60] Difficultés :

1. Il semble que la volonté ne convienne pas à Dieu. En effet, la volonté est un appétit. Mais tout appétit appartient à ce qui est imparfait ; c’est pourquoi aussi le Philosophe [1 Physique, texte 8] dit que la matière désire la forme. Donc, puisqu’en Dieu il n’y a aucune imperfection, il semble qu’il n’y ait aussi aucune volonté.

[3203] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, actus voluntatis est tendere in finem, qui est ejus objectum. Sed ei quod est finis ultimus, non competit tendere in finem. Ergo cum Deus sit finis omnium, videtur quod sibi voluntas non competat.

 2. Par ailleurs, l’acte de la volonté consiste à tendre vers la fin qui est son objet. Mais il n’appartient pas à la fin ultime de tendre vers une fin. Donc puisque Dieu qui est la fin de tout, il ne lui convient pas d’avoir une volonté.

[3204] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, secundum Philosophum in III De anima, text. 50, voluntas est movens motum, quia movetur a volito. Sed secundum Boetium, III lib. De consolat. Metr. IX, col. 758, Deus immobilis manens dat cuncta moveri ; unde etiam in IX Metaph., text. 37, dicitur quod movet sicut desideratum. Desideratum autem non motum movet desiderium. Ergo videtur quod voluntas sibi non competat.

 3. En outre, d’après le Philosophe [111 De l’Âme, texte 50], la volonté est un moteur qui est mû car elle est mue par ce qui est voulu comme bien. Mais d’après Boèce [111 De la Consolation, metr. 1X, col. 758], Dieu qui demeure immobile donne à tous les êtres d’être mus ; d’où le Philosophe [1X Métaphysique, texte 37] dit aussi de Dieu qu’il meut à titre de bien désiré. Mais le bien désiré meut le désir sans être mû. Il semble donc que la volonté ne convienne pas à Dieu.

[3205] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, secundum Philosophum, in III De anima, text. 50, et etiam secundum Damascenum, II Fid. Orth., cap. XXII, col. 943, voluntas est in ratione. Sed ratio nominat obumbratam cognitionem, quia oritur in umbra intelligentiae, ut dicit Isaac in libro Definitionum, qualis cognitio Deo non competit. Ergo videtur quod nec voluntas.

 4. Par ailleurs, selon le Philosophe [111 De l’Âme, texte 50] et aussi selon Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. XXII, col. 943], la volonté est dans la raison. Mais la raison nomme une connaissance obscure car elle naît dans l’ombre de l’intelligence comme le dit Isaac dans le livre des Définitions, connaissance qui est étrangère à Dieu. Il semble donc que la volonté non plus ne lui convienne pas.

[3206] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 s. c. 1 In contrarium sunt plurimae auctoritates canonis et sanctorum, quae etiam in Littera inducuntur.

 Cependant :

1. Il y a plusieurs autorités du canon et des saints, qui sont aussi présentées dans la Lettre, qui soutiennent le contraire.

[3207] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, secundum illud supremum quod est in nobis maxime Deo conformamur. Sed supremum in nobis videtur voluntas esse quae est motor aliarum virtutum, secundum Anselmum, lib. De peccato orig., c.ap. IV, col. 436et etiam est liberrimum in natura nostra. Ergo videtur quod voluntas maxime Deo sit attribuenda.

 2. Par ailleurs, c’est d’après ce qu’il y a de plus élevé en nous que nous nous conformons à Dieu. Mais il semble que ce qu’il y a de plus élevé en nous soit la volonté, laquelle est le moteur de toutes les autres puissances d’après Saint-Anselme [De la Faute Originelle, ch. IV, col. 436], tout en étant ce qu’il y a de plus libre dans notre nature. Il semble qu’on doive suprêmement attribuer la volonté à Dieu.

[3208] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea, omnes qui Deum confitentur, eum felicissimum ponunt. Sed felicitas sine delectatione esse non potest, ut in 1 Ethic. dicitur. Ergo in Deo est summa delectatio. Sed delectatio non potest esse sine concupiscentia vel voluntate: quia delectatio consistit in quadam voluntatis complacentia. Ergo videtur quod voluntas in Deo sit.

3. De plus, tous ceux qui confessent l’existence de Dieu soutiennent qu’il est suprêmement heureux. Mais la félicité ne peut exiter sans la délectation ainsi que le dit le Philosophe [1 Éthique]. Il  y a donc en Dieu la délectation la plus élevée. Mais la délectation ne peut exister sans la concupiscence ou la volonté, car la délectation consiste dans une certaine complaisance de la volonté. Il semble donc qu’il y ait volonté en Dieu.

3209] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod in omni natura ubi invenitur cognitio, invenitur etiam voluntas et delectatio. Cujus ratio est, quia omne quod habet virtutem cognoscitivam, potest dijudicare conveniens et repugnans ; et quod apprehenditur ut conveniens oportet esse volitum vel appetitum. Et ideo in nobis secundum duplicem cognitionem sensus et intellectus est duplex appetitiva ; una quae sequitur apprehensionem intellectus, quae voluntas dicitur ; alia quae sequitur apprehensionem sensus ; quae dividitur in irascibilem et concupiscibilem.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que dans toute nature où on retrouve une connaissance on retrouve aussi une volonté et une délectation. Et la raison en est que tout ce qui possède une puissance cognitive peut discerner ce qui convient de ce qui est contraire, et que tout ce qui appréhendé comme étant convenant doit être voulu ou désiré. Et c’est pourquoi il y a en nous deux appétits qui correspondent à deux sortes de connaissance, à savoir celle du sens et celle de l’intelligence ; et la puissance appétitive qui découle de l’appréhension de l’intelligence s’appelle volonté alors que la puissance appétitive qui découle de l’appréhension du sens se divise en irascible et en concupiscible.

Unde cum in Deo, ut supra ostensum est, dist. XXXV, quaest. unica, art. 1, sit intellectualis cognitio, oportet quod in eo etiam sit voluntas et delectatio, secundum quod una et simplici operatione Deus gaudet, ut in VII Ethic., cap. XIV, dicit philosophus. In omni enim natura cognoscente operatio perfecta et naturalis delectabilis est.

 D’où il suit que puisqu’en Dieu, ainsi que nous l’avons dit [dist. XXXV, quest. unique, art. 1], il y a la connaissance intellectuelle, il faut qu’il y ait aussi en Lui la volonté et la délectation, selon que Dieu se réjouit par une seule et simple opération comme le dit le Philosophe [ VII Éthique, ch. XIV]. En effet, dans toute nature qui connaît, l’opération parfaite et naturelle est délectable.

[3210] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis in Deo dicatur esse voluntas, non tamen conceditur ibi esse appetitus: quia secundum Augustinum,in psalm. CXVIII, conc. VIII, § 4, col. 1521, appetitus proprie est rei non habitae. Deus autem totum suum bonum in se habet. Unde nec etiam in nobis proprie voluntas appetitus est quando volito conjuncta est. Sed amor est rei jam habitae, secundum Augustinum ibid.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien qu’on dise qu’il y a volonté en Dieu, on ne doit cependant pas concéder qu’il y a là appétit : car d’après Saint-Augustin [Psaume CXVIII, conc.  VIII, & 4, col. 1521] l’appétit se rapporte proprement à une chose qui n’est pas possédé. Mais Dieu possède ne Lui tout son bien. C’est pourquoi même en nous la volonté n’est pas proprement un appétit quand elle est unie au bien qu’elle voulait. Mais selon Saint-Augustin au même endroit, il y a amour pour la chose déjà possédée.

[3211] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 2 Et per hoc patet etiam responsio ad secundum. Quia tendere in finem accidit voluntati secundum quod est distans a fine ; sed operationem habere circa finem, hoc est voluntati essentiale ; et haec praecipue Deo convenit, qui se amat, et in se delectatur.

 2. Et par là on voit aussi la réponse à la deuxième difficulté. Car tendre vers une fin est possible pour la volonté selon qu’elle est encore éloignée de la fin mais il est essentiel à la volonté que son opération porte sur la fin ; et cela convient surtout à Dieu qui s’aime et trouve sa délectation en Lui-même.

[3212] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas non movetur nisi a fine: finis autem voluntatis divinae est ipsa sua bonitas quae est idem quod voluntas secundum rem ; et ideo non sequitur quod Deus sit movens motum, proprie loquendo, quia omne movens est aliud a moto. Sed forte propter hoc Plato posuit quod primum movens seipsum movet, inquantum cognoscit se et amat se, ut in VIII Physic., text., com. 51, dicit Commentator ; et hoc non nisi metaphorice dicitur, sicut etiam dicitur, quod finis movet.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la volonté n’est mue que par la fin : mais la fin de la volonté divine est sa propre bonté qui est identique en réalité à sa volonté ; et c’est pourquoi il ne s’ensuit pas à proprement parler que Dieu soit un moteur qui est mû car tout moteur est autre que ce qui est mû. Et c’est peut-être pour cette raison que Platon a soutenu que le premier moteur se meut lui-même en tant qu’il se connaît et s’aime lui-même ainsi que le dit le Commentateur [ VIII Physique, texte com. 51]` ; et cela ne se dit que par métaphore, tout comme on dit aussi que la fin meut.

[3213] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum gradum cognitionis etiam est gradus virtutis appetitivae ; quantum enim ratio superat sensum, tantum voluntas rationis superat appetitum sensus ; et quanto intellectus divinus superat rationem nostram, tanto voluntas ejus superat voluntatem nostram ; et hoc per rationem concludebatur, scilicet quod Deo non conveniat voluntas ad modum voluntatis nostrae ; et tamen sicut ratio nostra vocatur intellectus, et intellectus divinus vocatur ratio, ut patet in VII cap. De divin. Nomin., § 4, col. 871, propter convenientiam in immaterialitate ; ita et voluntas communi nomine utrobique dicitur.

 4.[61] Il faut dire en quatrième lieu que les degrés de la puissance appétitive découlent des degrés de la connaissance ; en effet, la volonté de la raison commande d’autant plus à l’appétit du sens que la raison commande au sens ; et la volonté de Dieu commande d’autant plus à notre volonté que son Intelligence commande à notre raison ; et par ce raisonnement on concluait ceci, à savoir que la volonté ne convient pas à Dieu de la même manière que la volonté nous convient ; et cependant tout comme notre raison est appelée intelligence et que l’intelligence divine est appelée aussi raison comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch.  VII, & 4, col. 871] à cause de leur ressemblance dans l’immatérialité, de même on se sert aussi du nom commun de volonté dans les deux cas.

 

 

Articulus 2 [3214] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 tit. Utrum voluntas Dei sit tantum sui ipsius

Article 2 – La volonté de Dieu ne se rapporte-t-elle qu’à lui seul ?

[3215] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod voluntas Dei non sit nisi sui ipsius. Quia, secundum Philosophum, voluntas est finis ; electio autem eorum quae sunt ad finem, ut dicitur in III Ethic., cap. V, Sed nihil aliud est finis suae operationis nisi ipse. Ergo voluntas sua est tantum sui ipsius.

 [62] Difficultés :

1. Il semble que la volonté de Dieu ne veuille pas autre chose que lui-même. En effet, selon le Philosophe, la volonté se rapporte à la fin alors que la délibération et le choix se rapportent aux moyens ordonnés à la fin comme le dit le Philosophe [111 Éthique, ch. V]. Mais la fin de l’opération de Dieu n’est rien d’autre que Lui-même. Sa volonté ne se rapporte donc qu’à lui-même.

[3216] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, voluntas movetur a volito. Sed nihil potest esse movens voluntatem divinam nisi ipse. Ergo voluntas sua est tantum sui ipsius.

 2. Par ailleurs, la volonté est mue par le bien voulu. Mais rien d’autre que Lui-même ne peut mouvoir la volonté divine. Donc sa volonté ne se rapporte qu’à Lui-même.

[3217] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, cujuslibet voluntas est ejus quod est bonum sibi. Sed omne quod est bonum alicui differt ad eum, utrum illud sit, vel non sit. Cum igitur de nullo creato differat ad ipsum, utrum sit, vel non sit ; eo quod bonorum nostrorum non eget, sed totum bonum in se habet ; videtur quod voluntas sua ad ea quae sunt extra eum, non se extendat.

 3. En outre, la volonté de tout être se rapporte à ce qui est son bien. Mais cela fait une différence pour un être que tout ce qui est un bien pour lui existe ou n’existe pas. Donc, puisque cela ne fait aucune différence pour Dieu que les êtres créés existent ou n’existent pas du fait qu’il n’a pas besoin de nos biens mais qu’il possède tout bien en Lui, il semble que sa volonté ne s’étende pas aux choses qui sont en dehors de lui.

[3218] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, ea quae sunt ad finem, non quaeruntur nisi propter finem. Ergo habito fine non est ulterius voluntas eorum quae sunt ad finem. Sed omnium creaturarum finis est divina bonitas, quae in ipso Deo ab aeterno est. Ergo videtur quod ad ea quae sunt extra ipsum voluntas ejus non se extendat.

 4. De plus, les choses qui sont ordonnées à la fin ne sont recherchées qu’à cause de la fin. Donc, une fois la fin possédée, il n’y a plus lieu pour la volonté de se rapporter aux choses qui sont ordonnées à la fin. Mais la fin de toutes les creatures est la bonté divine qui est en Dieu lui-même de toute éternité. Il semble donc que la volonté de Dieu ne s’applique pas aux choses qui sont en dehors de Lui.

 [3219] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, amor consistit in actu voluntatis. Sed de Deo dicitur, Sap. XI, 35 quod diligit omnia quae sunt, et nihil odit eorum quae fecit. Ergo voluntas ejus est etiam creatorum ab eo.

 Cependant :

1. Au contraire, l’amour consiste dans un acte de la volonté. Mais l’Écriture [Sagesse, XI, 24] dit au sujet de Dieu qu’il aime tout ce qui existe et qu’il n’a de dégoût pour rien de ce qu’il a fait. Sa volonté se rapporte donc aussi aux créatures qui viennent de Lui.

[3220] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, sicut se habet scientia Dei ad verum, ita se habet voluntas ejus ad bonum. Sed scientia ejus est omnium verorum. Ergo et voluntas ejus est omnium bonorum.

 2. En outre, tout comme la science de Dieu se rapporte au vrai, de même sa volonté se rapporte au bien. Mais sa science porte sur toutes les vérités. Donc sa volonté porte sur tous les biens.

[3221] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut Deus cognoscendo essentiam suam cognoscit omnia quae sunt ab eo, inquantum sunt similitudo quaedam veritatis ejus ; ita etiam volendo vel amando essentiam suam, vult omnia quae sunt ab eo, inquantum habent similitudinem bonitatis ejus. Unde id quod est volitum primo ab eo, est bonitas sua tantum.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout comme c’est en connaissant son essence que Dieu connaît tout les êtres qui viennent de Lui en tant qu’il sont une certaine similitude de sa vérité, de même encore c’est en voulant ou en aimant son essence qu’il veut tous les êtres qui viennent de Lui en tant qu’ils possèdent une ressemblance de sa bonté. D’où il suit que ce qui est premièrement voulu par Lui, c’est sa bonté seulement.

Alia vero vult in ordine ad bonitatem suam: non autem hoc modo ut per ea aliquid bonitatis acquirat, sicut nos facimus circa alios bene operando, sed ita quod eis de bonitate sua aliquid largiatur: et ideo liberalitas est quasi proprium ipsius, secundum Avicennam, trac. XI, Metaph. : quia ex operatione sua non intendit aliquod sibi commodum provenire: sed vult bonitatem suam in alios diffundere ; et ideo Augustinus, I De doctr. Christ., cap. XXXII, col. 32, dicit, quod ipse utitur nobis ad bonitatem suam et utilitatem nostram.

 Mais il veut les autres êtres par rapport à sa bonté mais non pas cependant de telle manière que par eux il acquière quelque chose de la bonté comme nous le faisons par rapport aux autres en agissant bien, mais de telle manière qu’Il leur accorde quelque chose de sa bonté: et c’est pourquoi sa libéralité est comme ce qui lui est proper d’après Avicenne [XI Métaphysique]: car il ne cherche pas à tirer pour lui-même un avantage de son operation mais il veut plutôt répandre sa bonté dans les autres; et c’est pourquoi Saint-Augustin [1 De la Doctrine Chrétienne, ch. XXXII, col. 32, t. 111] dit que Lui-même se sert de nous pour nous attirer à sa bonté et pour notre avantage.

[3222] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in objecto alicujus potentiae est duo considerare: scilicet illud quod est materiale, et illud quod formaliter complet rationem objecti ; sicut patet in visu: quia color est visibile in potentia, et non efficitur visibile in actu nisi per actum lucis. Similiter dico, quod illud quod formaliter complet rationem voliti, est finis, ex quo est ratio boni ; et hoc intelligit Philosophus cum dicit, III Ethic., cap. V, quod voluntas est finis ; sed ea quae sunt ad finem, se habent materialiter ad objectum voluntatis, ut scilicet sint volita per ordinem finis, sicut color videtur per actum lucis.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il y a deux choses à considerer dans l’objet de cette puissance: à savoir ce qui est materiel  et ce qui achève formellement la notion d’objet, comme on le voit pour la vue: car la couleur est visible en puissance et elle ne devient visible en acte que par l’acte de la lumière. De la même manière je dis que ce qui achève formellement la notion d’objet voulu, c’est la fin d’où vient la notion de bien; et c’est là ce qu’entend le Philosophe [111 Éthique, ch. V] lorsqu’il dit que l’objet de la volonté, c’est la fin; mais les choses qui sont ordonnées à la fin se présentent comme matériellement par rapport à l’objet de la volonté, c’est-à-dire de telle manière qu’elles sont voulues par rapport à la fin, tout comme la couleur est vue par l’acte de la lumière.

[3223] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud quod est volitum sicut finis, est movens voluntatem, et perficiens eam: et sic nihil movet voluntatem divinam nisi Deus: sed illud quod est ordinatum ad finem est volitum ab eo sicut effectum a voluntate, et motum ab ea ; sicut patet in voluntate artificis quae est principium operationum ordinatarum in finem.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que ce qui est voulu comme une fin, c’est cela qui meut la volonté et qui lui donne sa perfection: et en ce sens il n’y a rien qui meut la volonté divine si ce n’est Dieu lui-même; mais ce qui est ordonné à la fin est voulu par Lui comme un effet produit par la volonté et mû par elle, tout comme on le voit pour la volonté de l’artiste qui est le principe des opérations ordonnées à la fin.

[3224] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas Dei non est nisi ejus quod est suum bonum ; sed tamen non eodem modo sicut in voluntate nostra, quae vult bonum suum, quo scilicet perficitur sicut fine, vel per quod finem consequitur ; sed voluntas divina vult bonum suum quod est ipsa et quod ab ea est, et non per quod juvatur ; et ideo non refertur [refert ad ipsius Éd. de Parme] perfectionem, utrum volitum ab eo sit vel non sit.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la volonté de Dieu ne se rapporte qu’à ce qui est son bien, mais d’une manière qui n’est pas la même que celle qu’on retrouve dans notre volonté qui veut son bien, c’est-à-dire celui par lequel en tant que fin elle trouve son achèvement ou celui par lequel elle parvient à la fin; mais la volonté divine veut son bien qui n’est rien d’autre qu’elle-même et qui vient d’elle et non pas celui par lequel elle est aidée; et c’est pourquoi il est sans conséquence pour sa perfection que ce qu’il veut existe ou n’existe pas.

[3225] Super Sent., lib. 1, d. 45, q. 1, a. 2, ad 4.

Ad quartum dicendum, quod Deus non ordinat creaturas in finem bonitatis suae, quasi per eas bonitatem suam assequatur, sed ut ipsae creaturae divina operatione similitudinem aliquam divinae bonitatis acquirant, quod esse non posset, nisi eo volente et faciente.

4. Il faut dire en quatrième lieu que Dieu n’ordonne pas les creatures à la fin de sa bonté comme si par elles il poursuivait sa bonté mais pour que les créatures elles-mêmes par son opération acquièrent une certaine ressemblance de la bonté divine, ce qui ne serait pas possible s’il ne le voulait et ne le faisait pas.

Articulus 3 [3226] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 tit. Utrum voluntas Dei sit causa rerum

Article 3 – La volonté de Dieu est-elle la cause des choses ?

[3227] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod voluntati divinae non sit adscribenda rerum causalitas. Voluntas enim Dei est tantum bonorum. Sed omnium bonorum sufficiens causa est scientia ipsius. Ergo non oportet voluntatem Dei causam rerum ponere.

 [63] Difficultés :

1. Il semble que ce ne soit pas à la volonté divine qu’il faille imputer la causalité des choses. La volonté de Dieu en effet ne se rapporte qu’aux biens. Mais la cause suffisante de tous les biens est sa science. Il ne faut donc pas soutenir que la volonté de Dieu est la cause des choses.

[3228] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, Deus non est causa rerum nisi per suam operationem. Sed esse principium operationis pertinet ad causam ratione potentiae. Ergo potentia potius dicenda est causa rerum quam voluntas.

 2. Par ailleurs, Dieu n’est la cause des choses que par son opération. Mais être principe d’opération relève de la cause en raison de la puissance. Donc, c’est plutôt à la puissance qu’à la volonté qu’on doit attribuer la causalité des choses.

[3229] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, a causa contingente nunquam potest esse effectus necessarius. Sed voluntas est causa contingens: quia ad utrumlibet se habet. Ergo non potest esse causa necessariorum. Cum igitur in mundo sint multa necessaria, ut omnia incorruptibilia, videtur quod non omnium causa sit voluntas.

 3. En outre, jamais un effet nécessaire ne peut procéder d’une cause contingente. Mais la volonté est une cause contingente car elle peut se déterminer d’un côté ou de l’autre. Elle ne peut donc être la cause des effets nécessaires. Donc, puisque dans l’univers il y a de nombreux effets nécessaires, comme tous les êtres incorruptibles, il semble que la volonté ne soit pas la cause de tous ces effets.

[3230] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, posita causa sufficiente alicujus rei, superflue adduntur ad eamdem rem aliae causae. Si ergo voluntas Dei sufficiens causa rerum est (insufficiens enim non potest esse), videtur quod omnes causae naturales superfluant, et omnes potentiae animae et omnes habitus infusi: quod frivolum est.

 4. De plus, une fois posée la cause suffisante d’une chose, il est inutile d’ajouter d’autres causes à cette même chose. Si donc la volonté de Dieu est la cause suffisante des choses, car elle ne peut en effet être une cause insuffisante, il semble alors que toutes les causes naturelles sont inutiles, tout comme toutes les puissances de l’âme et tous les habitus infus ; mais il est futile de dire cela. Donc, la volonté divine n’est pas la cause des choses.

[3231] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, ex causa sufficienti potest aliquid demonstrari. Si ergo voluntas Dei sufficiens est causa omnium, videtur quod haec sit sufficiens demonstratio ad omnia: quare hoc est? Quia Deus voluit ; et sic facile esset omnia scire, et supervacua essent sanctorum et philosophorum studia qui ad assignandas divinarum operationum rationes multipliciter laboraverunt: quod stultum est dicere.

 5. Par ailleurs, à partir d’une cause suffisante il est possible de démontrer quelque chose. Si donc la volonté de Dieu est la cause suffisante de tous les êtres, il semble que celle-ci soit une démonstration suffisante par rapport à eux tous : pourquoi cela existe-t-il ? Parce que Dieu l’a voulu ; et ainsi il serait facile de tout savoir et par conséquent les études et les doctrines des saints et des philosophes qui ont travaillé de plusieurs manières à assigner les raisons des opérations divines seraient superflues : or, soutenir cela est une sottise. Donc, etc.

[3232] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, secundum Philosophum, VI Metaph., text. 1, omnium artificiatorum principium est voluntas artificis. Sed ea quae sunt procedunt a Deo sicut artificiata ab artifice, ut a sanctis et philosophis traditur. Ergo omnium quae sunt, causa est Dei voluntas.

 Cependant :

1. Au contraire, d’après le Philosophe [ VI Métaphysique, texte 1], le principe de toutes les œuvres d’art est la volonté de l’artiste. Mais tous les êtres qui existent procèdent de Dieu comme les œuvres d’art procèdent de l’artiste ainsi que l’enseignent les saints et les philosophes. Donc, la volonté de Dieu est la cause de tout ce qui existe.

[3233] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, Dionysius dicit in IV cap. De div.nomin., § 13 : « Amor trahit superiora in provisionem minus habentium ». Sed omnia quae sunt, provisione divina in esse prodierunt. Cum igitur amor in actu voluntatis consistat, videtur quod principium omnium rerum sit divina voluntas.

 2. Par ailleurs, Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 13] dit: «L’amour meut les êtres supérieurs à pourvoir aux besoins de ceux qui possèdent moins». Mais tout ce qui existe est venu à l’existence par les soins de Dieu. Donc, puisque l’amour consiste en un acte de la volonté, il semble que le principe de toutes les choses soit la volonté divine.

[3234] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod opus determinatum non progreditur nisi a determinato agente ; et inde est quod illud quod est tantum in potentia, non agit, quia se habet indeterminatae ad multa ; sed forma quae est terminans potentiam materiae, principium actionis dicitur ; et ideo in omnibus quorum potentia activa determinata est ad unum effectum, nihil requiritur ex parte agentis ad agendum supra potentiam completam, dummodo non sit impedimentum ex defectu recipientis ad hoc quod sequatur effectus: sicut patet in omnibus agentibus ex necessitate naturae.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire qu’une oeuvre déterminée ne vient que d’un agent determine; et c’est à cause de cela que ce qui n’existe qu’en puissance n’agit pas car il se présente comme indéterminément par rapport à une multiplicité de possibles; mais c’est la forme, qui determine la puissance de la matière, qui est appelée principe d’action; et c’est pourquoi, chez tous les êtres dont la puissance active est déterminée à produire un seul effet, rien d’autre en dehors de la puissance complète n’est requis du côté de l’agent pour agir afin que l’effet s’ensuive, aussi longtemps qu’il n’y a pas un empêchement en raison d’un défaut du côté de celui qui reçoit.

Potentia autem Dei cum sit infinita, non magis determinatur ad hoc quam ad illud: nec ex parte operis [materiae opus Éd. de Parme] ejus determinationem recipere potest, quia ipse etiam materiam et formam producit. Unde oportet quod supra rationem potentiae sit aliquid aliud per quod opus determinetur. Hoc autem fit per scientiam, quae propriam rationem rei cognoscit. Sed quia scientia se habet ad opposita, est enim et bonorum et malorum, ideo oportet aliquid adhuc addere in quo perficiatur ratio causae ; et hoc est voluntas quae determinate accipit unum ex duobus quae scit vel quae potest. Unde perfecta ratio causalitatis in his quae non agunt ex necessitate naturae, invenitur primo in voluntate, ut dicit Philosophus, in IX Metaph., text. 1 : et hoc convenit voluntati, inquantum objectum ejus est finis, qui est causa causarum, et a quo sumitur determinatio operis, ut patet ex II Physic.: et ideo voluntati divinae ascribitur causalitas rerum.

 Mais la puissance de Dieu, puisqu’elle est infinie, n’est pas davantage déterminée à cet effet plutôt qu’à tel autre : et cette puissance ne peut recevoir sa détermination du côté de l’œuvre [de la matière de l’œuvre Éd. de Parme] parce que Lui-même produit à la fois la matière et la forme. C’est pourquoi il faut qu’outre la notion de puissance il y ait quelque chose d’autre au moyen de quoi l’œuvre soit déterminée. Mais cela a lieu au moyen de la science qui connaît la nature propre de la chose. Mais parce que la science est tournée vers les opposés car elle s’intéresse à la fois aux biens et aux maux, c’est pourquoi il faut encore ajouter quelque chose en quoi la notion de cause trouve son achèvement ; et cela est la volonté qui, à partir de deux choses qu’elle sait ou qu’elle peut, en reçoit déterminément une seule. Et c’est de là que la notion parfaite de causalité, chez les êtres qui n’agissent pas par une nécessité de nature, se retrouve premièrement dans la volonté ainsi que le dit le Philosophe [1X Métaphysique, texte 1] : et cela convient à la volonté, selon que son objet est la fin, laquelle est la cause des causes d’où se tire la détermination de l’œuvre comme on le voit chez le Philosophe [11 Physique, texte 31] ; et c’est pourquoi la causalité des choses est attribuée à la volonté divine.

[3235] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in scientia non perficitur ratio causalitatis, ut dictum est, in corp. art., nisi adjuncta voluntate: ideo voluntas potius dicitur causa quam scientia.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la notion de causalité ne trouve pas son achèvement dans la science, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article, à moins qu’on y ajoute la volonté : et c’est pourquoi c’est davantage la volonté que la science qui est appelée cause des choses.

[3236] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas est principium operationis, ut primum imperans opus ; sed potentia in his quae agunt per voluntatem, est principium operis ut exequens: et in hoc consistit ratio potentiae ut sit proximum principium operis, et non primum: et sic voluntas Dei potius dicitur causa rerum quam potentia.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la volonté est principe d’opération pour autant que c’est elle en premier qui commande l’œuvre ; mais la puissance, chez ceux qui agissent par volonté, est principe de l’œuvre en tant qu’exécutrice de l’oeuvre : et c’est en cela que consiste la notion de puissance en tant qu’elle est le principe prochain de l’œuvre et non en tant que premier principe : et c’est en ce sens qu’on dit que la volonté de Dieu, plutôt que sa puissance, est la cause des choses.

[3237] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntas divina libertatem habet, et ex hoc convenit sibi quod sit ad utrumlibet ; sed super hoc habet immutabilitatem, ut ei quod vult, immobiliter adhaereat, ex quo illud velle ponitur: et hanc immobilitatem imitantur ea quae sunt necessaria in entibus, quamvis non ipsam adaequent: et propter hoc non est dicendum, quod sit causa contingens: quia contingentia mutabilitatem important.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la volonté divine possède la liberté et c’est de là qu’il lui appartient de se tourner d’un côté comme de l’autre ; mais en plus de cela elle possède l’immutabilité de telle manière qu’elle adhère immuablement à ce qu’elle veut, d’où on pose qu’elle veut cela : et ceux qui sont nécessaires parmi les êtres imitent cette immobilité bien qu’ils ne l’égalent pas. Et c’est pour cette raison qu’il ne faut pas dire que la volonté divine est une cause contingente car la contingence implique mutabilité.

[3238] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod causalitas divinae voluntatis non excludit omnes causas proximas rerum ; nec hoc est ex insufficientia voluntatis, sed ex ordine sapientiae ejus quae effectus mediantibus aliis causis provenire disposuit, ut sic etiam causandi dignitas creaturis communicaretur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la causalité de la volonté divine n’exclut pas toutes les causes prochaines des choses ; et cela ne vient pas d’une insuffisance de la part de cette volonté, mais de l’ordre de sa sagesse qui a décidé que les effets allaient provenir d’autres causes intermédiaires, de manière à communiquer ainsi aux créatures aussi le mérite d’être causes.

[3239] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod demonstratio quae facit scientiam de re, sumitur ex causis proximis rei ; et ideo oportet ad scientiam de rebus habendam nobis alias rationes quaerere post voluntatem ejus, quae est causa prima rerum et communis ; et praecipue cum voluntatem ejus non plene cognoscamus, ut in ea propriam rei rationem videamus, sicut ipse videt qui in se omnia cognoscit.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que la démonstration, qui produit la science au sujet d’une chose, se tire des causes prochaines de la chose ; et c’est pourquoi il nous faut, pour en arriver à la possession de la science des choses, rechercher d’autres causes que la volonté divine, laquelle est la cause première et commune des choses, et surtout puisque nous ne connaissons pas pleinement sa volonté de manière à voir en elle la raison propre de la chose, contrairement à Dieu qui, se voyant lui-même, connaît tout en Lui.

 

 

Articulus 4 [3240] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 tit. Utrum voluntas Dei distinguatur in voluntatem beneplaciti et voluntatem signi

Article 4 – La volonté de Dieu se distingue-t-elle en volonté de bon plaisir et volonté de signe[64] ?

[3241] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod distinctio voluntatis in Littera posita, sit incompetens. Sicut enim voluntas Dei se habet ad plura, ita et scientia ejus. Sed scientiae non assignantur diversa signa. Ergo videtur quod nec voluntati assignari debeant ; cum etiam utrumque occultum sit aequaliter.

 Difficultés :[65]

1. Il semble que la distinction de la volonté présentée dans la Lettre ne convienne pas. En effet la science de Dieu, tout comme sa volonté, se rapporte à une multiplicité. Mais on n’assigne pas à la science une diversité de signes. Il semble donc qu’on ne doive pas non plus assigner à la volonté une diversité de signes puisque l’un et l’autre aussi sont également cachés.

[3242] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, omne signum cui non respondet signatum, est signum falsum. Sed istis signis voluntatis quae in Littera ponuntur, quandoque non respondet signatum: quia permittit mala quae non vult, et praecipit etiam bona quae non vult fieri, ut in Littera dicitur. Ergo videtur quod sint falsa signa, et ita pro signis assignari non debeant.

 [66] Par ailleurs, tout signe auquel ne correspond pas à une chose signifiée est un signe qui est faux. Mais à ces signes de la volonté qui sont présentés dans la Lettre il ne correspond parfois aucun signifié :  car il permet des maux qu’il ne veut pas et commande même des biens qu’il ne veut pas, comme on le dit dans la Lettre. Il semble donc que ce soient là des signes qui sont faux et ils ne doivent donc pas être donnés comme signes.

[3243] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, sicut invenitur bonum et melius, ita invenitur malum et pejus, ut veniale et mortale. Sed respectu horum duorum fiendorum est tantum unum signum, scilicet prohibitio. Ergo videtur quod etiam bonorum esse debeat unum tantum signum et non duo, scilicet praeceptum et consilium.

 3. Par ailleurs, tout comme on retrouve du bien et du mieux, de même on retrouve du mal et du pire, comme le véniel et le mortel. Mais par rapport à ces deux choses à devenir il n’y a qu’un seul signe, à savoir l’interdiction. Il semble donc que même pour les biens il ne doit y avoir qu’un seul signe et non deux, c’est-à-dire le commandement et le conseil.

[3244] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, objectum voluntatis est bonum. Sed malum fieri non est bonum, ut infra dicetur, dist. seq., quaest. unica, art. 4. Ergo respectu hujus mali respectu [respectu huius Éd. de Parme] nullum signum voluntatis divinae debet esse: et ita permissio superfluit.

 4. En outre, l’objet de la volonté est le bien. Mais l’apparition du mal n’est pas un bien comme nous le dirons plus loin [dist. suivante, quest. unique, art. 4]. Donc par rapport au mal [à cela Éd. de Parme] il ne doit y avoir aucun signe de la volonté divine : et ainsi la permission est inutile.

[3245] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, sicut signa voluntatis respiciunt diversa, ita et voluntas beneplaciti est diversorum. Si ergo assignantur diversa signa voluntatis propter diversitatem eorum, videtur quod etiam voluntas beneplaciti multiplicari debeat ; aut si non hoc, nec illud.

 5. De plus, tout comme les signes de la volonté se rapportent à différentes choses, de même la volonté de bon plaisir se rapporte à différentes choses. Si donc différents signes de la volonté sont assignés à cause de leur diversité, il semble que même la volonté de bon plaisir doive être multipliée, ou bien si cette dernière ne l’est pas, l’autre ne doit pas l’être non plus.

[3246] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod de Deo quaedam dicuntur proprie, quaedam metaphorice. Ea quae proprie de ipso dicuntur, vere in eo sunt ; sed ea quae metaphorice, dicuntur de eo per similitudinem proportionabilitatis ad effectum aliquem, sicut dicitur ignis Deuter. 4, eo quod sicut ignis se habet ad consumptionem contrarii, ita Deus ad consumendum nequitiam.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que certaines choses se disent de Dieu proprement et d’autres  par métaphore. Les choses qui se disent de Lui proprement existent véritablement en Lui; mais les choses qui se disent de Lui par métaphore se disent de Lui par une similitude de proportionnalité par rapport à un effet, tout comme l’Écriture le dit au sujet du feu [Deutér. 4] du fait que le feu est à la destruction du contraire ce que Dieu est à la destruction de la méchanceté.

Unde ipsum esse destruentem nequitiam, est ipsum esse ignem, et ipsa consumptio activa est igneitas ejus ; et per modum istum ipsa punitio dicitur ira ejus: et quia effectus est signum causae, ideo ea secundum quae attenditur similitudo vel irae vel alicujus alterius dicuntur esse signa: unde punitio dicitur signum irae ejus.

D’où l’être même qui détruit la méchanceté est l’être même du feu et la destruction active elle-même est son embrasement; et de cette manière la punition elle-même est appellee sa colère: et parce que l’effet est le signe de la cause, c’est pourquoi on dit de ces choses, d’après lesquelles se vérifie la similitude soit de la colère soit de quelque chose d’autre, qu’elles sont des signes: c’est pourquoi on dit de la punition qu’elle est le signe de sa colère.

Sed dico, quod Deus potest dici velle aliquid dupliciter. Vel proprie, et sic dicitur velle illud cujus voluntas vere in eo est, et quod sibi complacet ; et haec est voluntas beneplaciti. Dicitur etiam aliquid velle metaphorice, eo quod ad modum volentis se habet, inquantum praecipit vel consulit vel aliquid hujusmodi facit. Unde ea in quibus attenditur similitudo istius rei ad voluntatem Dei, voluntates ejus metaphorice dicuntur: et quia talia sunt effectus, dicuntur signa.

 Mais je dis qu’on peut dire de Dieu qu’il veut quelque chose de deux manières. Soit proprement et en ce sens on dit qu’il veut ce dont la volonté est véritablement en Lui et qui Lui plait: et telle est la volonté de bon Plaisir. Mais on dit aussi de Lui qu’il veut quelque chose par métaphore du fait qu’il se présente à la manière de celui qui veut selon qu’il commande, qu’il conseille ou qu’il fait quelque chose de la sorte. D’où il suit que les choses dans lesquelles se vérifie la ressemblance de cette chose à l’égard de la volonté de Dieu s’appellent métaphoriquement ses volontés: et parce que les effets sont tells, ils sont appelés des signes.

Horum autem signorum diversitatis ratio haec est. Assignantur enim haec signa voluntati divinae secundum quod est rerum humanarum, quibus speciali modo providet. Potest ergo signum voluntatis accipi aut secundum ordinationem hominum in finem aeternae salutis, aut secundum executionem ordinis.

 Mais voici quelle est la raison de la diversité de ces signes. Ces signes en effet sont assignés à la volonté divine selon qu’elle porte sur les choses humaines auxquelles elle pourvoit d’une manière spéciale. Le signe de la volonté peut donc se prendre soit selon l’ordonnance de l’homme par rapport à la fin du salut éternel, soit selon l’exécution de l’ordre.

Ad finem autem consequendum providentiae est duo largiri ; ea scilicet quibus res promoveatur in finem, et ea quibus ab impedientibus liberetur. Sicut autem res naturales tendunt in fines suos naturales per virtutes activas ex providentia divina eis collatas, ita et humana voluntas per consilia et praecepta ordinatur in finem, et a peccatis quae impediunt consecutionem finis, retrahitur prohibitionibus ; sicut etiam animalibus divina providentia contulit cornua et ungues, et hujusmodi, quibus se juvent contra impugnantia.

Si autem pertinet ad executionem ordinis, hoc potest esse dupliciter.

Aut secundum quod tendit in id ad quod ordinatum est, bonum faciendo: et respectu hujus est hoc signum quod est operatio: quia Deus in nobis omnia bona operatur. Aut etiam exeundo ab illo ordine, mala faciendo, qui etiam exitus providentiae subjacet non ut provisus sed ut ordinatus: et respectu hujus est permissio.

Vel potest sumi melius sic: quia vel signum voluntatis est respectu praesentium ; et sic respectu bonorum est operatio, respectu malorum permissio: vel est futurorum: et sic respectu malorum est prohibitio ; respectu boni ad quod omnes tenentur, praeceptum ; sed respectu perfectioris boni quod non omnes attingunt, est consilium: et continentur hoc versu:

« Praecipit, ac prohibet, permittit, consulit, implet ».

 Mais il y a deux choses à prodiguer par la providence pour la poursuite de la fin ; à savoir les choses par lesquelles l’être progresse vers la fin et celles par lesquelles il est libéré de ce qui l’empêche d’y parvenir. Mais tout comme les choses naturelles tendent vers leurs fins naturelles au moyen des vertus actives qui leur sont accordées par la providence divine, de même la volonté humaine est ordonnée à la fin par les conseils et les préceptes, et par les interdictions elle est retirée des péchés qui sont des obstacles à l’atteinte de la fin ; tout comme aussi la providence divine accorde aux animaux des cornes, des griffes et des outils de la sorte par lesquels ils se défendent contre leurs agresseurs.

Mais si le signe de la volonté se prend selon l’exécution de l’ordre, cela est possible de deux manières.

Soit selon qu’il tend vers ce à quoi il est ordonné en faisant le bien : et par rapport à cela il y a ce signe qui est l’opération : car Dieu opère en nous tous les biens. Soit aussi en sortant de cet ordre en faisant le mal, laquelle sortie est aussi soumise à la providence non pas ne tant que voulue ou cautionnée mais en tant qu’ordonné : et par rapport à cela il y a la permission.

Soit on peut le prendre encore mieux de la manière suivante : car soit le signe de la volonté se rapporte à ce qui est présent et alors par rapport aux biens il y a l’opération et par rapport aux maux la permission ; soit à ce qui est à venir et ainsi par rapport aux maux il y a l’interdiction et par rapport au bien auquel tous sont tenus, il y a le précepte ; mais par rapport à un bien plus parfait que tous n’atteignent pas, il y a le conseil : et tout cela est contenu dans ce verset : «Il commande et interdit, il permet, il conseille et il accomplit son opération».

[3247] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod scientia Dei vere et perfecte est omnium, sed non voluntas: et ideo quaedam metaphorice dicitur velle quae simpliciter non vult, propter quod voluntas signi assignatur.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la science de Dieu porte vraiment et parfaitement sur tout, mais non la volonté : et c’est pourquoi on dit de Dieu par métaphore qu’il veut certaines choses qu’il ne veut pas absolument, à cause de quoi on lui attribue la volonté de signe.

[3248] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod effectus qui est signum alicujus secundum proprietatem in uno, est signum ejusdem secundum similitudinem in altero, in omnibus quae metaphorice dicuntur ; sicut punitio est signum irae in homine, et in Deo est signum voluntatis puniendi, quae per similitudinem ira dicitur. Et similiter dico, quod istis signis respondet aliquid in Deo, quod per similitudinem dicitur voluntas hujus rei, ut praecepto voluntas praecipiendi, et ordinandi naturam rationalem in finem, et sic de aliis. Unde patet quod haec signa non sunt falsa.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que l’effet qui est le signe de quelque chose selon une propriété dans l’un est le signe de la même chose selon une similitude dans un autre pour tout ce qui se dit par métaphore ; tout comme la punition est le signe de la colère dans l’homme, de même en Dieu elle est le signe de la volonté de punir, laquelle est appelée colère par similitude. Et je dis de même qu’à ces signes correspond quelque chose en Dieu qu’on appelle par similitude volonté de telle chose, comme au précepte correspond la volonté de commander et d’ordonner la nature rationnelle à la fin, et il en est de même pour les autres signes. C’est pourquoi il est clair que ces signes ne sont pas faux.

[3249] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod sicut in dispositione naturarum dantur a Deo diversae virtutes, quarum una est nobilior altera, ut sic una res perfectius consequatur finem quam alia ; ita etiam in dispositione hominum sunt diversa ordinantia in finem ; unum communiter omnium, scilicet praeceptum ; et alterum perfectorum, scilicet consilium. Sed omne peccatum est in exeundo ab ordine finis ; et ideo cuilibet peccatum quodlibet vitandum est. Nec in hoc diversus gradus hominum attenditur ; et propter hoc unum signum tantum datur de hoc, scilicet prohibitio.

 3. Il faut dire en troisième lieu que tout comme dans la disposition des natures différentes puissances sont données par Dieu dont l’une est plus noble que l’autre de telle manière qu’une chose atteigne plus parfaitement la fin qu’une autre, de même encore dans la disposition des hommes il y a différentes ordonnances vers la fin : il y en a une qui est commune à tous, à savoir le précepte ; et il y en a une autre qui se rapporte aux parfaits, à savoir le conseil. Mais tout péché consiste à sortir de l’ordre de la fin et c’est pourquoi tout homme est tenu d’éviter le péché. Et en cela ne se vérifient pas différents degrés chez les hommes ; et c’est pour cette raison qu’un seul signe est donné par rapport à cela, lequel est l’interdiction.

[3250] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus non vult mala proprie fieri ; sed vult aliquid eis conjunctum, ut infra dicetur, dist. seq., quaest. Unic., art. 4 ; ex quo sequitur quod permittat: et ideo permissio ipsa effectus est alicujus voluntatis, et metaphorice voluntas dicitur.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que Dieu ne veut pas à proprement parler que les maux arrivent mais il veut que quelque chose leur soit uni comme on le dira plus loin [dist. Suivante, quest. unique, art. 4] ; d’où il s’ensuit qu’il permet les maux : et c’est pourquoi la permission elle-même est un effet d’une volonté et s’appelle volonté par métaphore.

[3251] Super Sent., lib. 1 d. 45 q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod voluntas divina, quamvis sit plurium volitorum, non tamen est nisi una: quia omnia illa vult in uno per se volito, scilicet sua bonitate ; sicut omnia etiam cognoscit cognoscendo essentiam suam.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que la volonté divine, ;bien qu’elle porte sur de nombreux objets voulus, n’en est pas moins une seule volonté : car toutes les choses qu’elle veut, elle les veut toutes dans une seule réalité voulue par elle-même, à savoir sa bonté, tout comme aussi en connaissant son essence elle connaît toute chose.

 

 

 

Distinction 46  (2) La volonté de Dieu

 

 

 

 

 

 

Prooemium

Prologue

Hic quaeruntur quatuor:

1 utrum Deus omnes homines salvos fieri velit;

 

2 utrum mala fieri sit bonum;

 

3 utrum malum sit de perfectione universi;

`

4 utrum Deus mala fieri velit.

 On cherche ici à répondre à quatre questions :

1. Est-ce que Dieu a voulu que tous les hommes soient sauvés ?

2. Est-il bon que du mal arrive?

3. Est-ce que le mal fait partie de la perfection de l’univers ?

4. Est-ce que Dieu veut que le mal arrive ?

 

 

Articulus 1 [3254] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 tit. Utrum Deus velit omnes homines salvos fieri

Article 1 : Dieu veut-il que tous les hommes soient sauvés ?

[3255] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deus omnes homines salvos fieri velit. Primo per auctoritatem apostoli, quae etiam in Littera inducitur, quae est 1 Tim. 2, 4: Omnes homines vult salvos fieri.

 Difficultés :

1. Il semble que Dieu a voulu que tous les hommes soient sauvés. On le voit d’abord par l’autorité de l’Apôtre [1 Timothée, 2, 4] qui est présentée dans la Lettre et que voici : Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés.

[3256] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 2 Si dicas quod vult voluntate conditionata, et non absoluta. Contra, voluntas conditionata est voluntas imperfecta. Sed nihil imperfectum Deo est attribuendum. Ergo etc.

 2. Si tu dis qu’Il le veut d’une volonté conditionnée et non d’une volonté absolue, je réponds à cela que la volonté conditionnée est une volonté imparfaite. Mais rien d’imparfait ne doit être attribué à Dieu. Donc, etc.

[3257] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, voluntas habentis caritatem imitatur voluntatem divinam. Sed habens caritatem, cujuslibet salutem optat. Ergo videtur quod et Deus omnium salutem velit.

 3. Par ailleurs, la volonté de celui qui possède la charité imite la volonté divine. Mais en possédant la charité, il choisit le salut de tous. Il semble donc que Dieu aussi veut le salut de tous.

[3258] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, omne agens per intentionem, vult quod opus suum finem consequatur. Sed finis hominis est salus aeterna, ad quam Deus eum creavit. Ergo vult omnes homines salvos fieri.

 4. En outre, tout ce qui agit par intention veut que son œuvre parvienne à sa fin. Mais la fin de l’homme est le salut éternel pour lequel Dieu l’a créé. Il veut donc que tous les hommes soient sauvés.

[3259] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, nullus potest salvari nisi Deus eum velit salvare. Si ergo Deus omnem hominem salvare vult, non est in potestate cujuslibet hominis ut salvetur. Sed pro eo quod non est in potestate nostra, non meremur poenam vel vituperium. Ergo non est imputandum eis qui non salvantur: quod falsum est. Ergo videtur quod Deus omnes homines salvare velit.

 5. De plus, nul ne peut être sauvé que si Dieu veut qu’il soit sauvé. Si donc Dieu veut sauver tout homme, il n’est pas dans le pouvoir de tout homme d’être sauvé. Mais pour ce qui n’est pas en notre pouvoir, nous ne méritons pas le châtiment ou le blâme. Il ne faut donc pas les attribuer à ceux qui ne sont pas sauvés : ce qui est faux. Il semble donc que Dieu a voulu sauver tous les hommes.

[3260] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, praedestinatio est propositum miserendi, secundum Augustinum. Si igitur Deus vellet omnes salvari, omnes essent praedestinati. Sed hoc falsum est: quia cum non omnes salventur, aliquis esset praedestinatus qui non salvaretur. Ergo non vult Deus omnes homines salvos fieri.

 Cependant :

1. Au contraire, la prédestination est la volonté de la miséricorde selon Saint-Augustin. Si donc Dieu voulait sauver tous les hommes, tous seraient prédestinés au salut. Mais cela est faux, car puisque ce ne sont pas tous les hommes qui sont sauvés, il y aurait des prédestinés qui ne seraient pas sauvés. Dieu ne veut donc pas que tous les hommes soient sauvés.

[3261] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, voluntas Dei est prima et summa causa rerum, ut supra dictum est, dist. 45, quaest. 1, art. 3. Sed posita causa, ponitur effectus. Sed non omnes salvantur. Ergo videtur quod nec voluntas Dei sit de omnium salute.

 2. Par ailleurs, la volonté de Dieu est la cause première et souveraine des choses comme nous l’avons dit plus haut [dist. 45, quest. 1, art. 3]. Mais une fois la cause posée, l’effet l’est aussi. Mais ce ne sont pas tous les hommes qui sont sauvés. Il semble donc que la volonté de Dieu ne vise pas le salut de tous.

3262] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, secundum Damascenum, II Fid. Orth., cap. XXIX, col. 970, quod voluntas est duplex; scilicet antecedens, et consequens: et hoc contingit non ex aliqua diversitate voluntatis divinae, sed propter diversas conditiones ipsius voliti. Potest enim in unoquoque homine considerari natura ejus et aliae circumstantiae ipsius, ut quod est volens et praeparans se ad salutem suam, vel etiam repugnans et contrarie agens. Si ergo in homine tantum natura ipsius consideretur, aequaliter bonum est omnem hominem salvari: quia omnes conveniunt in natura humana. Et cum omne bonum sit volitum a Deo, hoc etiam Deus vult, et hoc vocatur voluntas antecedens, qua omnes homines salvos fieri vult, secundum Damascenum.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que selon Saint-Jean Damascène [11 De la Foi Orthodoxe, ch. XXIX, col. 970], il y a deux sortes de volonté : à savoir celle qui précède et celle qui suit, et cela n’est pas dû à une diversité du côté de la volonté divine mais à des conditions diverses du côté de ce qui est voulu. Il est possible en effet de considérer en tout homme sa nature d’une part et les autres circonstances d’autre part, à savoir s’il veut son salut et s’y prépare, ou s’il y répugne et agit en s’y opposant. Si donc dans l’homme on considère seulement sa nature, il est également bon que tout homme soit sauvé : car tous partagent la même nature humaine. Et puisque tout bien est voulu de Dieu, Dieu veut aussi cela et cela s’appelle la volonté qui précède ou antécédente par laquelle Dieu veut que tous les hommes soient sauvés selon Damascène.

Et hujus voluntatis effectus est ipse ordo naturae in finem salutis, et promoventia in finem omnibus communiter proposita, tam naturalia quam gratuita, sicut potentiae naturales, et praecepta legis, et hujusmodi. Consideratis autem omnibus circumstantiis personae, sic non invenitur de omnibus bonum esse quod salventur; bonum enim est eum qui se praeparat et consentit salvari per largitatem gratiae divinae; nolentem vero et resistentem non est bonum salvari, quia injustum est. Et quia hoc modo se habet aliquid ad hoc quod sit volitum a Deo, sicut se habet ad hoc quod sit bonum; ideo istum hominem sub illis conditionibus consideratum, non vult Deus salvari, sed tantum istum qui est volens et consentiens; et hoc dicitur voluntas consequens, eo quod praesupponit praescientiam operum non tamquam causam voluntatis, sed quasi rationem voliti, ut supra dictum est, dist. 45, quaest. unica, art. 3.

 Et l’effet de cette volonté est l’ordre même de la nature en vue de la fin du salut et les dispositions en vue de la fin qui sont universellement proposées à tous, aussi bien celles qui sont naturelles que celles qui sont gratuites comme les puissances naturelles et les préceptes de la loi, etc. Mais si on considère toutes les circonstances de la personne, alors on ne trouve pas qu’il soit bon pour tous qu’ils soient sauvés ; il est bon en effet que soit sauvé celui qui se prépare au salut et y consent par le don de la grâce divine ; mais il n’est pas bon que soit sauvé celui qui refuse le salut et y résiste car cela est injuste. Et parce que les choses se présentent par rapport à ce qui est voulu de Dieu de la même manière qu’elles se présentent par rapport à leur bonté, c’est pourquoi Dieu ne veut pas que cet homme, considéré sous ces conditions, soit sauvé ; mais il veut que soit sauvé seulement celui qui le veut et y consent et cela s’appelle la volonté qui suit ou conséquente du fait qu’elle présuppose la préscience des œuvres non pas en tant que cause de la volonté mais comme raison de ce qui est voulu comme nous l’avons dit plus haut [dist. 45, quest. unique, art. 3].

[3263] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, secundum Damascenum, verbum apostoli intelligitur de voluntate antecedente, et non de consequente. Sed secundum Augustinum, in Enchir., cap. CIII, col. 280, intelligitur de consequente. Unde exponit eam dupliciter. Uno modo ut sit distributio accommoda pro omnibus qui salvantur, ut in Littera dicitur. Alio modo ut sit distributio pro generibus singulorum, quia de qualibet conditione hominum aliquos praedestinavit ad vitam; et non pro singulis generum.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que d’après Damascène, la parole de l’Apôtre s’entend de la volonté qui précède et non de celle qui suit. Mais d’après Saint-Augustin [Enchir. ch. C111, col. 280], elle s’entend de la volonté qui suit. Et c’est pourquoi il l’explique de deux manières. Premièrement de manière à être une distribution appliquée à tous ceux qui sont sauvés, comme on le dit dans la Lettre. Deuxièmement de manière à être une distribution pour des genres d’individus, et non pour des individus de certains genres, parce qu’il a prédestiné à la vie certains des hommes de toute condition.

[3264] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod voluntas antecedens potest dici conditionata, nec tamen est imperfectio ex parte voluntatis divinae, sed ex parte voliti, quod non accipitur cum omnibus circumstantiis quae exiguntur ad rectum ordinem in salutem.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la volonté qui précède peut être appelée conditionnée sans être cependant une imperfection du côté de la volonté divine mais plutôt du côté de ce qui est voulu, lequel n’est pas compris avec toutes les circonstances qui sont exigées pour un ordre qui convient au salut.

[3265] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod habens caritatem, optat omnibus salutem aeternam absolute, eo quod cognitioni suae non subjacent conditiones quibus a salute aliquis deordinatur, quae divinae cognitioni subjacent; et ideo non est idem judicium de voluntate habentis caritatem, et de voluntate consequente ipsius Dei.

 3. Il faut dire en troisième lieu que celui qui possède la charité choisit absolument pour tous le salut éternel du fait que les conditions par lesquelles quelqu’un s’écarte du salut ne sont pas exposées à sa connaissance tandis qu’elles le sont à la connaissance divine ; et c’est pourquoi il ne faut pas juger de la volonté de celui qui possède la charité de la même manière qu’on juge de la volonté conséquente de Dieu.

[3266] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sapiens artifex non vult quod opus suum finem attingat nisi secundum rationem finis: si enim aliquam habeat contrariam dispositionem ad formam quam inducere intendit, non inducit in eo formam, nisi forte illa indispositione remota; sicut aedificator non vult quod lapides conveniant ad constitutionem domus ruditate in eis manente; et ita etiam est de Deo.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que l’artiste qui est sage ne veut que son œuvre atteigne sa fin que selon la raison de fin : si en effet elle contient une disposition contraire à la forme qu’il cherche à amener, il n’amène en elle la forme que si cette indisposition est enlevée, tout comme le constructeur ne veut pas que les pierres entrent dans la constitution de la maison à cause de la grossièreté qui demeure en elles ; et il en est encore de même pour Dieu à notre égard.

[3267] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod istae conditiones quibus homo efficitur deordinatus a consecutione finis, sub quibus existentem Deus eum salvum esse non vult, sunt ex ipso homine: et ideo totum quod sequitur, sibi imputatur ad culpam.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que ces conditions par lesquelles l’homme est rendu déréglé par rapport à l’atteinte de la fin, et au sujet duquel Dieu ne veut pas qu’il soit sauvé tant qu’il existe dans ces conditions, ces conditions viennent de l’homme lui-même : et c’est pourquoi tout ce qui s’ensuit lui est imputé pour le châtiment.

 

 

Articulus 2

[3268] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 tit. Utrum sit bonum fieri mala

Article 2 : Est-il bon que des choses mauvaises soient faites?

[3269] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod mala fieri sit bonum. Verum enim et bonum convertuntur. Sed mala fieri est verum. Ergo est bonum.

 Difficultés :

1. Il semble qu’il soit bon qu’il y ait des maux. Le vrai et le bien se convertissent en effet. Mais il est vrai que des maux se produisent. Cela est donc bon.

[3270] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, quidquid est volitum, est bonum: quia malum est praeter voluntatem, ut dicit Dionysius, IV cap. De div. Nom.,§ 32. Sed mala fieri est volitum a faciente malum voluntarie. Ergo mala fieri est bonum.

 2. Par ailleurs, tout ce qui est voulu est bon : car le mal est contraire à la volonté comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 32]. Mais celui qui fait le mal volontairement veut que le mal se produise. Il est donc bon que des maux se produisent.

[3271] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, illud quod est causa boni, videtur esse bonum, et non malum; sicut frigidum non est causa calidi. Sed hoc quod est mala fieri, est causa boni; sicut ex actione mala causatur bona passio, et multa hujusmodi, quae ex hoc quod mala fiunt, eliciuntur. Ergo mala fieri est bonum.

 3. En outre, ce qui est cause du bien semble être un bien et non un mal, tout comme le froid n’est pas la cause du chaud. Mais la production même des maux est la cause du bien, tout comme à partir d’une action mauvaise se trouve à être causée une bonne passion et de nombreuses choses de ce genre qui découlent de l’apparition de maux. Il est donc bon que des maux se produisent.

[3272] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, omne justum est bonum. Sed mala fieri est justum. Ergo, et cetera. Probatio mediae. Omnis poena a Deo est et justa est. Sed unum peccatum est poena alterius, ut Gregorius dicit, lib. XXV Moral., cap. IX, col. 23, et probatur ex hoc quod habetur ad Rom. 1, 24: Propter quod tradidit illos Deus in desideria cordis eorum, in immunditiam; et in Apoc. ult. 2: Qui in sordibus est sordescat adhuc. Ergo mala fieri est justum: ergo est bonum.

 4. De plus, tout ce qui est juste est bon. Mais il est juste que des maux arrivent. Donc, etc. Preuve de la mineure. Tout châtiment vient de Dieu et est juste. Mais un seul péché est la punition d’un autre comme le dit Saint-Grégoire [XXV Moral. ch. 1X, col. 23] et comme cela est prouvé à partir des paroles de l’Apôtre [1 Romains 1, 24] : C’est pourquoi Dieu les a livrés, selon les convoitises de leur cœur, à l’impureté , et de celles de Saint-Jean [Apoc. 22, 11] : Celui qui est dans les souillures, il se souille encore. Il est donc juste que le mal arrive et cela est donc bon.

[3273] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, quaedam mala sunt, sicut actus peccati, quorum esse est in fieri. Si igitur eorum fieri est bonum, et ipsa sunt bona [esse est bonum Éd. de Parme]; quod a nulla opinione conceditur.

 Cependant :

1. Au contraire, il y a des maux, comme les actes de péché, dont l’existence est en devenir. Si donc leur devenir est bon, eux-mêmes aussi sont bons [l’être est un bien Éd. de Parme] ; mais aucune opinion ne concède cela.

[3274] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, motus, secundum Philosophum, in V Physic., text. 5, recipit speciem a termino. Sed quodlibet fieri terminatur ad esse hoc ejus quod fit. Ergo cum malum non sit bonum, videtur quod nec malum fieri, bonum sit.

 

 2. Par ailleurs le mouvement d’après le Philosophe [V Physique, texte 5] reçoit son espèce de son terme. Mais tout devenir se termine à l’existence de cela même qui devient. Donc, puisque le mal n’est pas un bien, il semble que le devenir du mal ne soit pas non plus un bien.

[3275] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod super hoc sumuntur duae opiniones in Littera, quae in quodam concordant, in hoc scilicet quod est, mala non esse bona; in quodam vero discordant, eo quod una ponit mala fieri vel esse, bonum esse; alia vero hoc negat: et haec videtur verior, sicut et Magister dicit.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire qu’à ce sujet on tire deux opinions de la Lettre, lesquelles s’accordent sur un point, à savoir en ceci que les maux ne sont pas des biens, mais diffèrent en cela que l’une affirme qu’il est bon que des maux arrivent ou existent alors que l’autre le nie: et cette dernière opinion semble plus juste, tout comme le Maître le dit aussi.

Omnibus enim constat quod malum, per se loquendo, bonum non est; sed per accidens potest esse bonum, inquantum scilicet conjungitur in universo alicui bono, ad quod per accidens ordinem habet; sicut aedificator dicitur albus per accidens, inquantum scilicet ars aedificativa et albedo in eodem subjecto conveniunt: et quia esse vel fieri ponit quemdam ordinem, secundum quod includit compositionem quamdam; ideo prima opinio dicebat, quod esse mala vel fieri bonum est.

 Il est clair en effet pour tous que le mal, à parler essentiellement, n’est pas un bien ; mais il peut être un bien par accident, c’est-à-dire en tant qu’il est uni à quelque chose dans un tout qui est bon auquel il est ordonné par accident, tout comme on dit du constructeur qu’il est blanc par accident, c’est-à-dire selon que l’art de la construction et la blancheur se rencontrent dans un même sujet : et parce que l’être ou le devenir pose un certain ordre, selon qu’il contient une certaine composition, c’est pourquoi la première opinion disait que l’existence ou le devenir du mal est un bien.

Sed hoc non sufficit:

[quia sicut malum per se non est bonum, ita etiam ordo mali non est bonum secundum se, cum magis malum, inquantum hujusmodi, sit inordinatum; et ipsa inordinatio est ordo ejus, sicut ipsum privari est esse ejus, et ipsa negatio est ejus positio, sicut est in ceteris privationibus. Et ideo mala fieri vel esse, malum est, et non bonum:]

 

 

quia cum dicitur mala esse absolute, nullo addito, ly esse designat compositionem hujus privationis ad subjectum, in qua compositione non consistit ratio bonitatis; sicut etiam cum dicimus albedinem esse abstractum, significamus ordinem ejus ad subjectum, quia accidentis esse est inesse. Sed comparatio mali ad bonum quod ex Deo elicitur, significat ly esse positum in hoc dicto, mala esse occasiones bonorum. Et ideo hoc bonum est, mala esse occasiones bonorum; sed mala esse simpliciter, non est bonum.

 

 Mais cela ne suffit pas :

[car tout comme le mal pris en lui-même non pas un bien, de même aussi l’ordre du mal, pris en lui-même, n’est pas un bien puisque le mal, en tant que tel, est plutôt un désordre ; et c’est ce désordre même qui est son ordre, tout comme c’est la privation même qui est son être et que son affirmation est la négation même, comme c’est le cas aussi pour les autres privations. Et c’est pourquoi c’est un mal et non un bien que les maux se produisent ou existent :]

Car lorsqu’on dit purement et simplement que les maux existent, sans ajouter aucune explication, ce ¨existent¨ désigne la composition de cette privation avec le sujet dans laquelle composition ne consiste pas la notion de bonté, tout comme aussi lorsque nous disons abstraitement que la blancheur existe, nous signifions son rapport à un sujet, car l’être même d’un accident consiste à exister dans un sujet. Mais pour ce qui est du rapport du mal au bien qui est choisi de Dieu, ce ¨exister¨ qui est placé dans cet énoncé signifie que les maux sont des occasions des biens. Et c’est pourquoi cela est bien, à savoir que les maux soient des occasions du bien ; mais il n’est pas bien que les maux existent absolument ou purement et simplement.

[3276] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod, sicut supra dictum est, dist. XIX, quaest., V, art. 2, veritas est de his quorum ratio completur per operationem animae et fundamentum habent in re. Non est autem inconveniens quod de re mala sit operatio animae bona, et quod rei malae ratio sit in anima bona; sicut etiam non ens in re dicitur ens in anima ratiocinante, ut negationes et privationes, sicut patet ex 4 Metaphys., secundum Commentatorem. Unde si procedatur a bonitate veritatis secundum quod completur in operatione animae, ad bonitatem ejus quod est in re, erit fallacia accidentis: hoc enim quod est mala esse, accidit huic quod est in re, in quo consistit ratio veri, ut scilicet significetur vel intelligatur aliquid sicut est in re. Unde nihil prohibet dicere, quod mala esse est verum; sed haec veritas, qua vere dicitur vel significatur mala esse, est bonum, quamvis mala esse sit malum.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. XIX, quest. V, art. 2], la vérité porte sur ce dont la notion est achevée par l’opération de l’âme et qui a un fondement dans la réalité. Mais il n’y a pas de difficulté à l’opération de l’âme soit bonne par rapport à une chose mauvaise et que d’une chose mauvaise la notion soit bonne dans l’âme, tout comme aussi un non-être dans la chose est appelé être dans l’âme qui raisonne, comme les négations et les privations, tout comme on l’observe chez les Commentateur [IV Métaphysique]. C’est pourquoi, si on procède de la bonté de la vérité selon qu’elle est achevée dans l’opération de l’âme à la bonté de ce qui est dans la réalité, il y aura sophisme de l’accident : cela même en effet que des maux existent arrive à ce qui existe dans la réalité en quoi consiste la notion du vrai, c’est-à-dire de telle manière qu’on signifie ou qu’on entend quelque chose comme existant dans la réalité. D’où il suit que rien n’empêche de dire qu’il est vrai que des maux existent ; mais cette vérité, à savoir celle par laquelle il est vrai de dire ou de signifier que des maux existent, est bonne, bien qu’il soit mal que des maux existent.

[3277] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod mala fieri non est volitum per se, sed per accidens tantum, inquantum est bonum aestimatum ratione alicujus boni annexi: quia nihil est pure malum, secundum Dionysium, cap. IV De div. nom., § 32, etc., col. 734. Ideo omnis malus quodammodo est ignorans, secundum Philosophum, III Ethic., cap. III, inquantum decipitur in eligendo.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que le devenir du mal n’est pas voulu par soi mais seulement par accident, dans la mesure où quelque chose est jugé bon en raison d’un bien qui y est rattaché : car rien n’est absolument mal selon Denys [Les Noms Divins, ch. IV, &32, etc., col. 734]. C’est pourquoi tout méchant en un sens est un ignorant d’après le Philosophe [111 Éthique, ch. 111], en tant qu’il se trompe en choisissant.

[3278] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod mala fieri non est causa boni, nisi occasionaliter et per accidens. Est enim quaedam causa per accidens quae nihil operatur ad effectum, sicut musica aedificatoris ad domum. Est etiam quaedam causa per accidens, cujus operatio attingit usque ad effectum, quem tamen praeter intentionem inducit : et talis causa per accidens est casus vel fortuna; sicut fodiens sepulcrum ad sepeliendum, invenit thesaurum praeter intentionem. Quaedam vero causa per accidens est quae aliquid operatur, non tamen pertingit ejus operatio usque ad effectum, sed ad aliquid effectui [sed …effectui om. Éd. de Parme] conjunctum; et sic mala fieri est per accidens causa boni; sicut patet quod persecutio tyranni non attingit [tangit Éd. de Parme] patientiam martyris, sed cruciatum corporis qui est materia patientiae; et talis causa dicitur proprie occasio. Unde non sequitur quod mala fieri sit bonum; quia unum contrariorum potest esse per accidens causa alterius, sicut frigidum per accidens calefacit, ut in VIII, Physic., text. 32, dicitur.

 3. Il faut dire en troisième lieu que le devenir du mal n’est la cause du bien que d’une manière occasionnelle et accidentelle. Il y a en effet une cause par accident qui n’a aucune efficacité à l’égard de l’effet, comme la musique du constructeur à l’égard de la maison. Mais il y a aussi une cause par accident dont l’opération parvient jusqu’à l’effet qu’il produit cependant hors de l’intention : et une telle cause par accident est le hasard ou la fortune, tout comme celui qui creuse une fosse pour inhumer trouve un trésor inattendu. Mais il y a une cause par accident qui opère quelque chose sans que son opération cependant parvienne jusqu’à l’effet mais à quelque chose qui est rattaché à l’effet [mais…à l’effet om. Éd. de Parme] ; et c’est ainsi que le devenir du mal est la cause du bien par accident, tout comme on voit que la persécution du tyran n’atteint [ne touche Éd. de Parme] par la résistance du martyr mais le supplice du corps qui est la matière de la résistance ; et c’est une telle cause qu’on appelle proprement occasion. D’où il ne s’ensuit pas que le devenir du mal soit un bien car un des contraires peut accidentellement être la cause d’un autre, tout comme le froid qui réchauffe par accident, comme le dit le Philosophe [ VIII Physique, texte 32].

[3279] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum per se non est poena, sed per accidens tantum, scilicet ratione antecedentis et consequentis eam. Si enim consideretur actio peccati secundum quod egreditur ab agente voluntario, sic habet rationem culpae et injustitiae; sed antecedens hanc actionem, scilicet desertio a Deo propter meritum praecedentis culpae, inquantum est ex ordinatione divina, rationem poenae habet, et justa est. Unde non sequitur quod mala fieri sit bonum. Similiter etiam defectus qui consequitur ipsum actum peccati in eo quod dum inordinate persequitur parvum bonum, deficit a magno bono, poena est ex justa Dei ordinatione proveniens; ut cum aliquis quaerit delectationem corporis, et amittit delectationem Dei; et propter hoc dicit Augustinus, I Conf., cap. XII, col. 670, quod omnis inordinatus animus sibi ipsi est poena.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que le péché n’est pas essentiellement le châtiment, mais seulement accidentellement, c’est-à-dire en raison de ce qui le précède ou de ce qui le suit. Si en effet on considère l’action du péché selon qu’elle sort d’un agent volontaire, en ce sens elle a raison de châtiment et d’injustice ; mais ce qui précède cette action, à savoir l’abandon de Dieu à cause de la peine du châtiment qui précède, selon qu’il vient de l’ordonnance divine, a raison de châtiment et est juste. D’où il ne s’ensuit pas qu’il soit bon que des maux se produisent. De même encore le défaut qui suit l’acte même du péché en ceci qu’alors même qu’on poursuit dans le dérèglement un petit bien, on s’éloigne d’un grand bien, c’est là un châtiment qui provient d’une juste ordonnance de Dieu, comme lorsque quelqu’un recherche les plaisirs sensibles et se prive de la joie de la présence de Dieu ; et c’est pour cette raison que Saint-Augustin [1 Les Confessions, ch. XII, col. 670] dit que toute âme déréglée est à elle-même un châtiment.

 

 

Articulus 3

[3280] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 tit. Utrum malum sit de perfectione universi

Article 3 : Le mal contribue-t-il à la perfection de l’univers ?

 

[3281] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod malum sit de perfectione universi. Dicit enim Dionysius, in IV cap. De divin. Nom., § 19, col. 718 : « Erit malum ad omnis, idest universi, perfectionem conferens, et toti secundum seipsum non imperfectum esse largiens ».

 Difficultés :

1. Il semble que le mal fasse partie de la perfection de l’univers. Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 19, col. 718] dit en effet : «Le mal concourt à la perfection de tout, c’est-à-dire de l’univers et selon qu’il donne à chacun il n’est pas imparfait».

[3282] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, bonum universi est bonum ordinis. Sed in universo malum est ordinatum: unde dicitur in Littera, quod malum bene ordinatum et suo loco positum, eminentius commendat bona. Ergo malum est de perfectione universi.

 2. Par ailleurs, le bien de l’univers est le bien de l’ordre. Mais dans l’univers le mal est ordonné : d’où on dit dans la Lettre que le mal, ramené à l’ordre et mis à sa juste place, fait ressortir supérieurement les biens. Le mal fait donc partie de la perfection de l’univers.

[3283] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, illud sine quo multae perfectiones universo deessent, ad perfectionem universi confert. Sed malum est hujusmodi: si enim corruptio elementorum non esset, non esset forma mixti, neque anima in corpore mixto sicut forma [sicut forma om. Éd. de Parme] ; et si non esset persecutio, non esset patientia martyrum; et si non esset miseria, non esset misericordia. Ergo et cetera.

 3. En outre, ce sans quoi de nombreuses perfections sont absentes de l’univers, cela même contribue à la perfection de l’univers. Mais le mal est quelque chose de la sorte : si en effet il n’y avait pas la corruption des éléments, il n’y aurait pas la forme du composé, ni l’âme dans le corps composé en tant que forme [en tant que forme om. Éd. de Parme] ; et s’il n’y avait pas de persécutions, il n’y aurait pas la patience des martyrs ; et s’il n’y avait pas la misère ou le malheur, il n’y aurait pas la miséricorde. Donc, etc.

[3284] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, omnis ratio bonitatis confert ad universi perfectionem. Sed si malum non esset, aliqua ratio bonitatis universo deesset, scilicet bonitas comparationis, qua bonum commendatur per comparationem ad malum. Ergo malum est de perfectione universi.

 4. De plus, toute cause de bonté contribue à la perfection de l’univers. Mais si le mal n’existait pas, une cause de bonté serait absente de l’univers, à savoir la bonté de comparaison par laquelle le bien resssort par comparaison au mal. Donc le mal fait partie de la perfection de l’univers.

[3285] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 5 Sed contra, quidquid est de perfectione universi, est vel existens, sicut substantia, vel in existentibus, sicut accidentia. Sed malum non est hujusmodi, ut Dionysius, ubi supra, probat. Ergo non est de perfectione universi.

 Cependant :

5. Tout ce qui fait partie de la perfection de l’univers est soit un être, comme la substance, soit ce qui existe dans un être, comme les accidents. Mais le mal n’est rien de ce genre, comme Denys le prouve plus haut. Le mal ne fait donc pas partie de la perfection de l’univers.

[3286] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, illud sine quo universum melius esset, non confert ad perfectionem universi. Sed si malum non esset, universum melius esset: quia malum plus tollit uni quam addat alteri, quia ei cujus est, tollit bonitatem absolutam, alteri autem addit bonitatem comparationis. Ergo etc.

 6. Par ailleurs, ce sans quoi l’univers serait meilleur ne contribue pas à la perfection de l’univers. Mais si le mal n’existait pas, l’univers serait meilleur : car le mal enlève plus d’un côté  que ce qu’il ajoute de l’autre car à celui auquel il s’attache, il enlève d’un côté une bonté absolue alors qu’il ajoute de l’autre une bonté de comparaison. Donc, le mal ne contribue pas à la perfection de l’univers.

[3287] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod malum per se ad universi perfectionem non confert: illud enim per se confert ad perfectionem alicujus totius quod est pars constituens ipsum, vel causa per se alicujus perfectionis in ipso. Sed malum non est pars universi, quia neque habet naturam substantiae neque accidentis, sed privationis tantum, ut Dionysius dicit; nec iterum per se aliquod bonum causat. Sed per accidens confert ad universi perfectionem, inquantum conjungitur alicui quod est de perfectione universi.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le mal ne contribue pas essentiellement à la perfection de l’univers : en effet, ce qui contribue essentiellement à la perfection d’un tout est une partie qui le constitue ou une cause essentielle d’une perfection en lui. Mais le mal n’est pas une partie de l’univers car il ne possède pas la nature d’une substance ou d’un accident, mais seulement celle d’une privation comme le dit Denys ; et en outre il n’est pas la cause essentielle d’un bien. Mais c’est par accident qu’il contribue à la perfection de l’univers selon qu’il est rattaché à quelque chose qui fait partie de la perfection de l’univers.

Hoc autem potest esse vel per antecedens malum, vel consequens. Antecedens, sicut natura quae quandoque deficit, et quandoque non, ut liberum arbitrium hominis; et sine tali natura, ex cujus defectu incidit malum, non esset universum perfectum in omnibus gradibus bonitatis. Consequens autem est illud bonum quod occasionatur ex malo, quod est decor resultans in bonum ex comparatione mali, vel aliqua perfectio, ad quam materialiter malum se habet, sicut persecutio ad patientiam, vel aliis infinitis modis: quia causae per accidens infinitae sunt, secundum Philosophum, in II Physic., text. 1.

 Mais cela est possible soit par ce qui précède le mal, soit par ce qui le suit. Par ce qui précède, comme une nature qui parfois fait défaut et parfois non, comme le libre arbitre de l’homme ; et sans une telle nature, par le défaut de laquelle le mal arrive, l’univers ne serait pas parfait dans tous les degrés de bonté. Mais ce qui suit le mal est ce bien qui est occasionné à partir du mal, qui est une convenance qui rejaillit sur le bien à partir de sa comparaison au mal, ou une certaine perfection à l’égard de laquelle le mal se présente matériellement, comme la persécution par rapport à la patience du martyr, ou d’une infinité d’autre manières, car les causes par accident sont infinies selon le Philosophe [11 Physique, texte 1].

[3288] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Dionysius concludit hoc ducendo ad impossibile: et ideo relinquit hoc quasi pro inconvenienti, quod malum per se sit de perfectione universi.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que Denys présente cela comme une conclusion qui résulte d’un argument qui conduit à l’impossible : et c’est pourquoi il abandonne cet énoncé comme une difficulté qui découle du principe que le mal ferait essentiellement partie de la perfection de l’univers.

[3289] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illud bonum ordinis, quo malum ordinatum est, non est in eo in quo est malum, sed in altero; sicut saevitia tyranni ordinatur per patientiam, quae est in martyre; vel in eodem jam altero, sicut humilitas [habitualis Éd. de Parme], quae resultat ex praecedente peccato in eo qui per poenitentiam jam alter effectus est: quia justus ordinat peccatum praecedens in eodem. Unde malum non confert ad perfectionem universi, nisi per accidens.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que ce bien de l’ordre par lequel le mal est ordonné ne se trouve pas dans celui dans lequel est le mal, mais dans un autre, tout comme la méchanceté qui est dans le tyran est ordonnée par la patience  qui est dans le martyr, ou dans le même qui est déjà devenu autre, tout comme l’humilité [habituelle Éd. de Parme] qui résulte du péché qui précède chez celui qui par la pénitence ou la réparation est déjà rendu autre: car le juste ordonne, dans la même personne, le péché qui précède à ce qui est juste.

[3290] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod illas perfectiones non per se adducit malum, sed consequuntur illud per accidens; et ideo ratio non procedit.

 3. Il faut dire en troisième lieu que le mal n’apporte pas de lui-même ces perfections, mais elles le suivent par accident; et c’est pourquoi l’argument ne tient pas.

[3291] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 4 Et similiter dicendum ad quartum. Sciendum tamen, quod etsi nullum malum esset, adhuc posset esse bonitas comparationis magis boni ad minus bonum: quamvis enim minus bonum careat aliqua perfectione quae est in magis bono, non tamen oportet quod sit malum: quia malum consistit in privatione ejus quod est debitum et natum haberi, sicut est caecitas.

 4. Et il faut dire de même en quatrième lieu. Il faut cependant savoir que même s’il n’y avait aucun mal, il pourrait encore y avoir une bonté de comparaison d’un plus grand bien à un moins grand bien : en effet, bien que le moins grand bien manque d’une perfection qui est dans le plus grand bien, il ne s’ensuit pas cependant qu’il soit un mal : car le mal consiste dans la privation de ce qui est attendu et qui est naturellement apte à être possédé, comme c’est le cas pour la cécité par rapport à la vue.

[3292] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod intentio Dionysii, est dicere, quod malum non sit aliquid positive, neque ut per se subsistens, neque ut in alio ens; et ex hoc potest ostendi quod non pertineat per se ad perfectionem universi; sed per accidens pertinere, nihil prohibet.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que l’intention de Denys est de dire que le mal n’est pas quelque chose qui existe positivement, ni en tant que subsistant par lui-même, ni en tant qu’existant dans un autre ; et c’est à partir de là qu’on peut montrer que le mal n’appartient pas essentiellement à la perfection de l’univers, mais rien n’empêche qu’il lui appartienne accidentellement.

[3293] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod de omnibus malis universaliter verum est quod si non permitterentur esse, universum imperfectius esset; quia non essent naturae illae ex quorum conditione est ut deficere possint; quibus subtractis universum imperfectius esset, non impletis omnibus gradibus bonitatis.

Sed aliqua mala sunt quae si non essent, universum esset imperfectius; illa scilicet ad quae consequitur major perfectio quam illud quod privatur; sicut est corruptio elementorum, ad quam sequitur mixtio, et formae mixtorum nobiliores formis elementorum.

 

Quaedam vero mala sunt quae si non essent, universum perfectius esset; illa scilicet quibus majores perfectiones privantur quam in alio acquirantur, sicut praecipue est in malis culpae, quae ab uno privant gratiam et gloriam, et alteri conferunt bonum comparationis, vel aliquam rationem perfectionis, qua etiam non habita, posset perfectio ultima haberi; sicut sine patientiae actu in persecutionibus illatis potest aliquis ad vitam aeternam pervenire.

 

 

 

Unde si nullus homo peccasset, universum genus humanum melius foret; quia etiam etsi directe salus unius occasionetur ex culpa alterius, tamen sine illa culpa salutem consequi posset; nec tamen haec mala neque illa per se ad perfectionem faciunt universi: quia perfectionum non sunt causae, sed occasiones.

 6. Il faut dire en sixième lieu qu’il est universellement vrai pour tous les maux que s’il n’était pas permis qu’ils existent, l’univers serait plus imparfait car n’existeraient pas ces natures dont la condition est qu’elles puissent faire défaut ; une fois enlevées, l’univers serait plus imparfait puisque tous les degrés de bonté ne seraient pas comblés.

Mais il y a des maux qui, s’ils n’existaient pas, l’univers serait plus imparfait, à savoir ceux-là même d’où découle une plus grande perfection que ce qui en était privé, comme c’est le cas pour la corruption des éléments d’où découle la composition et les formes des corps mixtes, lesquelles sont plus nobles que les formes des éléments.

 

Mais il existe des maux qui, s’ils n’existaient pas, l’univers serait plus parfait, à savoir ceux qui privent de plus grandes perfections que celles qui sont acquises d’un autre côté, comme c’est le cas surtout dans les maux du châtiment qui d’un côté privent de la grâce et de la gloire et de l’autre confèrent le bien de comparaison ou quelque cause de perfection qui, même si elle n’était pas possédée, la perfection ultime pourrait l’être, tout comme quelqu’un pourrait parvenir à la vie éternelle sans l’acte de la patience dans les persécutions endurées.

 

 

D’où il suit que si aucun homme n’avait péché la totalité du genre humain s’en porterait mieux ; car même si le salut de l’un était directement occasionné à partir de la faute d’un autre, il pourrait cependant parvenir au salut sans cette faute ; et cependant ni ces maux-ci ni ces maux-là ne contribuent essentiellement à la perfection de l’univers car ils ne sont pas des causes des perfections mais seulement des occasions.

 

 

Articulus 4

[3294] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 tit. Utrum Deus velit mala fieri

Article 4 : Dieu veut-il que de mauvaises choses soient faites ?

 

[3295] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod Deus velit mala fieri. Quia, secundum Senecam, Ad Lucillum, epist. LXXI, sapientis non est turbari, sed magis gaudere in infortuniis, in quibus bonum virtutis suae praecipue apparet; quod etiam Philosophus, in Ethic., cap. XCVI, de felice innuit. Sed Deus est sapientissimus et felicissimus. Cum ergo decor justitiae et sapientiae suae appareat in malis quae fiunt, videtur quod Deus velit mala fieri.

 Difficultés :

1. Il semble que Dieu veuille que les maux se produisent. Car d’après Sénèque [À Lucillus, Lettre LXXI] il n’appartient pas au sage de s’attrister, mais de se réjouir dans l’infortune dans laquelle surtout apparaît le bien de sa vertu ; et c’est ce qu’indique aussi le Philosophe [1 Éthique, ch. XC VI] au sujet de l’homme heureux. Mais Dieu est l’être le plus sage et le plus heureux. Donc, puisque la beauté de sa justice et de sa sagesse apparaît dans les maux qui se produisent, il semble que Dieu veuille que les maux arrivent.

[3296] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, mala fieri et non fieri sunt opposita secundum affirmationem et negationem. Sed inter talia opposita non cadit medium. Cum igitur haec sit falsa, Deus vult mala non fieri, ut communiter conceditur, videtur quod haec sit vera, Deus vult mala fieri.

 2. Par ailleurs, que des maux se produisent et que des maux ne se produisent pas, ce sont là deux énoncés selon l’affirmation et la négation. Mais entre de tels opposés il ne peut tomber aucun intermédiaire. Donc puisque cet énoncé est faux, à savoir que Dieu veut que des maux ne se produisent pas, ainsi qu’on le concède en général, il semble que cet énoncé soit vrai, à savoir que Dieu veut que des maux se produisent.

[3297] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, nullius sapientis voluntas est impossibilium. Sed impossibile est quin remoto hoc quod est mala non fieri, sequatur mala fieri. Cum igitur a voluntate Dei removeatur hoc quod est mala non fieri, quia Deus non vult mala non fieri, videtur quod necessario velit mala fieri.

 3. En outre, la volonté d’aucun sage ne se porte vers ce qui est impossible. Mais il est impossible, si on exclut que des maux ne se produisent pas, qu’il ne s’ensuive pas que des maux se produisent. Donc, puisqu’on exclut de la volonté de Dieu que des maux ne se produisent pas, car Dieu ne veut pas que des maux ne se produisent pas, il semble qu’Il veuille nécessairement que des maux se produisent.

[3298] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, sicut Deus est auctor gratiae, ita est et auctor naturae; et sicut culpa est privatio boni gratiae, ita et poena est privatio boni naturae, secundum Augustinum. Cum igitur Deus velit poenas Inferni, videtur quod eadem ratione velit mala culpae fieri.

 4. De plus, tout comme Dieu est l’auteur de la grâce, de même il est aussi l’auteur de la nature ; et tout comme la faute est la privation du bien de la grâce, de même aussi la peine est la privation du bien de la nature selon Saint-Augustin. Donc, puisque Dieu a voulu les peines de l’Enfer, il semble pour la même raison qu’il a voulu que les maux de la faute se produisent.

[3299] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, voluntas non nisi finis est, et eorum quae ordinantur in finem. Sed mala non fiunt nisi per deordinationem a fine. Ergo Deus non vult mala fieri.

 Cependant :

 1. La volonté ne se rapporte qu’à la fin et à ce qui est ordonné à la fin. Mais les maux ne se produisent que par un désordre à l’égard de la fin. Donc Dieu ne veut pas que les maux se produisent.

[3300] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, quicumque conformat voluntatem suam voluntati Dei, non peccat. Sed quilibet peccator eo ipso peccat quod vult a se mala fieri. Ergo in hoc voluntatem suam divinae non conformat: ergo Deus non vult mala fieri.

 2. Par ailleurs, aucun de ceux qui conforment leur volonté à la volonté de Dieu ne commet le péché. Mais tout pécheur commet le péché par cela même qu’il veut faire le mal. C’est donc en cela qu’il ne conforme pas sa volonté à la volonté divine : donc, Dieu ne veut pas que le mal se produise.

[3301] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod cum voluntas Dei sit causa bonorum omnium, et omnium suorum volitorum; hoc modo se habet aliquid ad hoc quod sit volitum a Deo, sicut se habet ad hoc quod sit bonum. Unde cum malum fieri secundum se non sit bonum, ut dictum est, art. antec., non erit per se volitum a Deo. Sed utrumque bonum sibi conjunctum est bonum et a Deo volitum, scilicet et antecedens, quod est conditio naturae potentis deficere, quam Deus in tali conditione instituit et conservat; unde dicitur, quod non vult mala fieri, sed vult permittere mala fieri. Vult etiam bonum consequens, ex quo malum ordinatur: ex quo sequitur quod velit mala facta ordinare, non autem quod velit ea fieri.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que puisque la volonté de Dieu est la cause de tous les biens et de tout ce qu’il veut, toute chose se rapporte à ce qui est voulu de Dieu de la même manière qu’elle se rapporte à ce qui est bien. D’où il suit que puisque la production du mal en lui-même n’est pas un bien comme nous l’avons dit dans l’article précédent, elle ne sera pas voulue par Dieu. Mais chacun des biens qui lui est uni est un bien et est voulu de Dieu, à savoir celui qui précède, qui est la condition de la nature pouvant défaillir que Dieu a établie et qu’il conserve dans cette condition : et c’est à partir de là qu’on dit que Dieu ne veut pas que le mal arrive mais veut permettre qu’il arrive. Il veut aussi le bien qui suit et à partir duquel le mal est ordonné : d’où il suit qu’il veut ordonner le mal qui a été fait mais qu’Il ne veut pas qu’il arrive.

[3302] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod decor divinae sapientiae apparet in permissione malorum, et ordinatione, quorum utrumque vult Deus, sed non malum fieri, quod secundum se dicit recessum a decore speciei exemplaris primi.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la beauté de la sagesse divine apparaît en ceci que Dieu permet les maux et qu’Il les ordonne et Dieu veut ces deux derniers actes mais non que le mal, qui implique en lui-même un éloignement  de la beauté de l’espèce exemplaire première, arrive.

[3303] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis fieri et non fieri mala, sint opposita per affirmationem et per negationem; non tamen haec duo, velle fieri et velle non fieri, contradictorie opponuntur: quia utrumque est affirmativum, actu voluntatis in utroque affirmato. Unde neutra concedenda est, neque ipsum velle mala fieri, neque velle non fieri; sed non velle fieri, quod est negativum; non autem velle fieri; quia hic remanet actus voluntatis affirmatus; et negatio fertur ad volitum, sicut et in toto condeclinio ejus. Unde idem est nolle fieri, et velle non fieri.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que les maux arrivent et que les maux n’arrivent pas sont des opposés par l’affirmation et la négation, cependant les deux énonciations suivantes, à savoir vouloir que les maux arrivent et vouloir que les maux n’arrivent pas, ce sont pas des énonciations qui s’opposent par la contradiction car chacune d’elles est affirmative par un acte de la volonté qui est affirmatif dans les deux cas. D’où il suit qu’aucune des deux ne doit être concédée, à savoir ni qu’Il veuille que le mal arrive, ni qu’Il veuille qu’il n’arrive pas, mais plutôt qu’il ne veuille pas qu’il arrive, lequel énoncé est négatif ; non pas cependant qu’Il veuille qu’il arrive car ici l’acte de la volonté demeure affirmatif ; et la négation se porte sur ce qui est voulu, comme dans toute sa déclinaison. D’où il suit que ne pas vouloir qu’il arrive et vouloir qu’il n’arrive pas, c’est la même chose.

[3304] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod mala culpae non fieri vult Deus voluntate antecedente, non autem voluntate consequente, nisi de illis quos scit mala non velle facere: quia voluntas consequens recipit conditionem creaturae. Nec tamen sequitur quod voluntate consequente velit mala fieri, sed vult permittere mala fieri. Nec tamen impossibile vult: quia non vult ut simul mala fiant et non fiant, vel quod neutrum eorum sit unum, sicut objectio procedebat. Fieri enim mala, et mala non fieri, sunt contradictorie opposita; et ideo inter ea non potest esse medium; sed velle mala fieri, et velle non fieri, non sunt contradictoria; et ideo non est necesse alterum esse verum.

 3. Il faut dire en troisième lieu que c’est par une volonté antécédente ou qui précède que Dieu veut que les maux de la faute ne se produisent pas, et non par une volonté qui suit ou conséquente, sauf pour ceux dont il sait qu’ils ne veulent pas faire le mal : car la volonté conséquente admet la condition de la créature. Il ne s’ensuit cependant pas que par la volonté conséquente il veut que le mal arrive, mais il veut permettre que le mal arrive. Et cependant il ne veut pas l’impossible car il ne veut pas que le mal arrive et qu’il n’arrive pas simultanément ni que les deux soient une seule et même chose comme l’objection le supposait. En effet, le mal arrive et le mal n’arrive pas sont des énoncés qui s’opposent par la contradiction et c’est pourquoi entre eux il ne peut y avoir un intermédiaire ; mais vouloir que le mal arrive et vouloir qu’il n’arrive pas  ne sont pas des contradictoires ; et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que l’une soit vraie.

[3305] Super Sent., lib. 1 d. 46 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut malum oppositum gratiae non est volitum a Deo; ita nec malum oppositum naturae; sed tamen ordinem unius ad alterum vult. Hic autem ordo importatur in ratione poenae: et ideo poenam vult inferri, sed culpam non vult fieri: quia in culpa significatur malum, secundum quod exit a causa deficiente, et non secundum quod ordinatur a Deo ordinante.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que tout comme le mal opposé à la grâce n’est pas voulu de Dieu, de même le mal opposé à la nature n’est pas voulu de Dieu; mais Il veut cependant l’ordre de l’un à l’autre. Mais cet ordre est impliqué dans la notion de peine: et c’est pourquoi il veut que la peine soit portée, mais il ne veut pas que la faute arrive car dans la faute ou le péché le mal est signifié selon qu’il sort d’une cause déficiente et non selon qu’il procède de l’ordre de Dieu.

 

 

Distinctio 47

Distinction 47 – (3) La volonté de Dieu - Son efficacité

 

 

Prooemium

Prologue

[3307] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 pr.

 

Hic quaeruntur quatuor:

1 utrum voluntas beneplaciti semper efficaciter impleatur;

2 utrum praeter voluntatem ejus aliquid fiat;

 

3 utrum illud quod fit praeter ejus voluntatem, voluntati ipsius obsequatur;

4 utrum illud quod est praeter ejus voluntatem, possit praecepto ejus subjacere.

 On cherche ici à répondre à quatre questions :

1. Est-ce que la volonté de bon plaisir est toujours accomplie efficacement ?

2. Y a-t-il des choses qui se produisent en dehors de sa volonté ?

3. Est-ce que ce qui se produit en dehors de sa volonté s’accorde avec sa volonté ?

4. Est-ce que ce qui se produit en dehors de sa volonté peut être soumis à son commandement ?

 

 

Articulus 1

[3308] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 tit. Utrum voluntas divina semper efficaciter impleatur

Article 1 : La volonté divine s’accomplit-elle toujours efficacement ?

 

[3309] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas divina non semper efficaciter impleatur. Causa enim quae ad utrumlibet se habet, non est efficax in productione effectus. Sed divina voluntas est ad utrumlibet: quia quod potest velle, potest non velle. Ergo, etc.

 Difficultés :

1. Il semble que la volonté divine se soit pas toujours accomplie efficacement. En effet, une cause qui peut aller dans un sens comme dans l’autre n’est pas efficace dans la production d’un effet. Mais la volonté divine peut aller dans un sens comme dans l’autre car ce qu’elle peut vouloir, elle peut ne pas le vouloir. Donc, etc.

[3310] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omnis causae cujus effectus impediri non potest, effectus est necessarius. Si ergo voluntas divina adeo est efficax quod impediri non possit, effectus ejus erit necessarius. Sed omnium causa est voluntas divina, ut supra habitum est, dist. 45, quaest. unica, art. 3. Ergo omnia ex necessitate contingunt: quod est impossibile: ergo et primum.

 2. Par ailleurs, pour toute cause dont l’effet ne peut être empêché, l’effet est nécessaire. Si donc la volonté divine est à ce point efficace qu’elle  ne peut être empêchée, son effet sera nécessaire. Mais la volonté divine est la cause de tout ce qui existe, comme nous l’avons établi plus haut [dist. 45, quest. unique, art. 3]. Donc, tous ses effets se produisent nécessairement, ce qui est impossible. Donc, la volonté divine ne s’accomplit pas toujours efficacement.

[3311] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, omnis causa prima quae producit effectum mediante causa secunda quae impediri potest, non producit efficaciter effectum suum; sicut motus solis est causa pullulationis arborum, mediante virtute generativa arboris quae deficere potest: unde effectus efficaciter non producitur, nec demonstrari potest ex causa prima. Sed voluntas Dei est causa prima, non excludens causas secundas, quae deficere possunt. Ergo videtur quod non efficaciter producat effectum.

 3. Par ailleurs, toute cause première qui produit un effet par l’intermédiaire d’une cause seconde qui peut être empêchée ne produit pas efficacement son effet, tout comme le mouvement du soleil est la cause de la multiplication des arbres par l’intermédiaire de la puissance générative de l’arbre qui peut être empêchée : d’où il suit que l’effet n’est pas produit efficacement et ne peut être démontré à partir de la cause première. Mais la volonté de Dieu est la cause première, laquelle n’exclut pas les causes secondes qui peuvent défaillir. Il semble donc que la volonté divine ne produise pas efficacement son effet.

[3312] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quidquid modo vult Deus, ab aeterno voluit. Sed ab aeterno non voluit facere nisi quod facit. Ergo cum non possit facere nisi quod vult (alias voluntas sua non esset efficax), videtur sequi quod non possit facere nisi quod facit: quod falsum est: ergo et primum, ex quo sequitur.

 4. En outre, tout ce que Dieu veut maintenant, il l’a voulu de toute éternité. Mais de toute éternité il n’a voulu faire que ce qu’il fait. Donc, puisqu’il ne peut faire que ce qu’il veut (autrement sa volonté ne serait pas efficace), il semble s’ensuivre qu’il ne puisse faire que ce qu’il fait: ce qui est faux. Il s’ensuit donc de là que la volonté divine ne s’accomplit pas toujours efficacement.

[3313] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nulla causa impeditur nisi ab aliquo fortiori agente. Sed nihil est fortius divina voluntate. Ergo impediri non potest.

 Cependant :

1. Aucune cause n’est empêchée, si ce n’est par un agent plus puissant. Mais rien n’est plus puissant que la volonté divine. Elle ne peut donc être empêchée.

[3314] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, ex hoc quod voluntas non consequitur volitum, sequitur diminutio gaudii. Sed Deus est felicissimus, cujus gaudium est perfectissimum. Ergo nunquam volitum ejus deficit quin sit.

 2. Par ailleurs, du fait que la volonté ne parvient pas à ce qu’elle veut, il s’ensuit une diminution de la joie. Mais Dieu est suprêmement heureux, dont la Joie est la plus parfaite. Il n’arrive donc jamais que ce qu’il veut lui fasse défaut.

[3315] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod quidquid vult Deus voluntate consequente, totum fit; non autem quidquid vult voluntate antecedente; quia hoc non simpliciter vult et perfecte, sed secundum quid tantum; nec ista imperfectio est ex parte voluntatis, sed ex conditione voliti.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que tout ce que Dieu par la volonté conséquente s’accomplit totalement, mais non tout ce qu’il veut par la volonté antécédente car il ne veut pas cela absolument et parfaitement, mais seulement relativement et cette imperfection ne se tient pas du côté de sa volonté mais est due à la condition de ce qui est voulu.

Est enim e contrario de voluntate et cognitione speculativa: cognitio enim speculativa perficitur in abstractione a singularibus; sed voluntas, et quidquid aliud est ordinatum ad opus, perficitur in particulari, circa quod est operatio. Illud ergo est simpliciter et perfecte volitum quod subjacet voluntati secundum omnes particulares conditiones circumstantes ipsum particulare: et hoc pertinet ad voluntatem consequentem, quae respicit opera et dispositiones, quibus aliquis sufficienter ordinatur ad hoc quod est sibi conveniens et debitum: et hoc est quod dicitur Deus velle simpliciter, ut salutem, vel aliquid hujusmodi: et ideo talis voluntas non potest impediri, sicut nec praescientia, cui subjicitur res secundum illas conditiones quibus in actu consistit.

 En effet, la volonté et la connaissance spéculative procèdent d’une manière qui est opposée : la connaissance spéculative trouve en effet son achèvement du fait qu’elle fait abstraction des singuliers ; mais la volonté et toute autre faculté qui est ordonnée à une œuvre trouve son achèvement dans le particulier sur lequel porte l’opération. Donc, ce qui est absolument et parfaitement voulu, c’est ce qui est soumis à la volonté selon toutes les conditions particulières qui entourent le particulier lui-même : et cela appartient à la volonté conséquente qui se rapporte aux œuvres et aux dispositions par lesquelles quelqu’un est suffisamment ordonné à ce qui lui convient et qui lui est destiné : et c’est là ce que Dieu veut absolument, comme le salut ou ce qui est de cette nature : et c’est pourquoi une telle volonté ne peut être empêchée, tout comme sa préscience à laquelle est soumise la chose selon ces conditions par lesquelles elle se maintient en acte.

Illud autem quod est rectum et bonum secundum aliquam conditionem rei universalem consideratam, non habet rationem voliti simpliciter, sed secundum quid tantum; sicut istum hominem, inquantum est homo, non est nisi bonum salvari, eo quod natura sua ad hoc est ordinata, et hoc Deus vult voluntate antecedente, secundum quam non dicitur aliquid velle simpliciter: et ideo talis voluntas potest non impleri.

 Mais ce qui est droit et bien selon une condition considérée universellement dans la chose ne possède pas absolument mais seulement relativement la notion d’objet voulu, tout comme cet homme, en tant qu’il est homme, ne peut être que bon à être sauvé du fait que sa nature est ordonnée à cela et que Dieu veut cela par une volonté antécédente selon laquelle on ne dit pas de Lui qu’il veut quelque chose absolument : et c’est pourquoi une telle volonté peut ne pas être accomplie.

[3316] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod voluntas Dei se habet ad utrumlibet, non per modum mutabilitatis, ut possit aliquid prius velle et postmodum nolle; sed potius per modum liberalitatis: quia actus voluntatis suae semper est in potestate ejus: et ideo ista duo sunt incompossibilia, ut prius velit aliquid et postmodum nolit.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la volonté de Dieu peut se porter dans un sens comme dans l’autre non pas par mode de changement, de telle manière qu’il pourrait d’abord vouloir quelque chose et par la suite ne plus le vouloir, mais plutôt par mode de libéralité : car l’acte de sa volonté est toujours en son pouvoir : et c’est pourquoi ces deux possibilités, à savoir vouloir d’abord une chose  et ensuite ne plus la vouloir, Lui sont incompatibles.

[3317] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod quamvis voluntas Dei sit immutabilis et invincibilis, non tamen sequitur quod omnis effectus ejus sit necessarius necessitate absoluta quam habet res a causa sua proxima, sed solum necessitate conditionata, sicut et de praescientia dictum est, dist. XXXVIII, quaest. 1, art. 2.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que bien que la volonté de Dieu soit immuable et invincible, il ne s’ensuit pas cependant que tout effet venant de lui soit nécessaire d’une nécessité absolue que la chose tient de sa cause prochaine, mais seulement d’une nécessité conditionnée, tout comme nous l’avons dit plus haut [dist. XXXVIII, quest. 1, art. 2] au sujet de la préscience.

[3318] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod voluntati divinae non solum subjacet expletio effectus, sed etiam omnium causarum praecedentium ordo, secundum illas conditiones quibus determinantur ad effectum sine defectu, ut quod talis volens et merens salutem salvetur: voluntati enim consequenti subjicitur effectus cum omnibus causis suis, secundum quod sunt non impeditae.

 3. Il faut dire en troisième lieu non seulement l’accomplissement de l’effet est soumis à la volonté divine, mais aussi l’ordre de toutes les causes qui précèdent selon ces conditions par lesquelles elles sont déterminées à produire l’effet sans défaut, de telle manière que celui qui veut et mérite le salut soit sauvé : c’est à la volonté conséquente en effet qu’est soumis l’effet avec toutes ses causes, d’où il suit qu’ils ne sont pas empêchés.

[3319] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod Deus nihil potest facere quod non esset volitum ab eo, si fieret; tamen in potestate sua multa sunt quae modo nec volita sunt, nec bona sunt; quia non sunt, nec unquam erunt.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que Dieu ne peut rien faire qui ne soit pas voulu de Lui, si cela venait à arriver ; cependant il y a beaucoup de choses en son pouvoir qui ne sont pas voulues maintenant et qui ne sont pas bonnes parce qu’elles ne sont pas et qu’elles ne seront jamais.

 

 

Articulus 2

[3320] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 tit. Utrum nihil fiat praeter Dei voluntatem

Article 2 : Est-ce que rien ne se fait en dehors de la volonté de Dieu ?

 

[3321] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod nihil fiat praeter Dei voluntatem. Dicit enim dominus Matth. XII, 30: Qui non est mecum, contra me est. Ergo quod est praeter voluntatem Dei, est contra ipsam. Sed nihil fit contra Dei voluntatem; alias voluntas Dei vinceretur. Ergo et praeter eam nihil fit.

 Difficultés :

1. Il semble que rien ne se produise en dehors de la volonté de Dieu. Le Seigneur [Matthieu XII, 30] dit en effet : Qui n’est pas avec moi est contre moi. Donc, ce qui est en dehors de la volonté de Dieu s’oppose à elle. Mais rien n’arrive qui s’oppose à la volonté de Dieu, car alors la volonté divine serait vaincue. Par conséquent, rien ne se produit en dehors de la volonté divine.

[3322] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, potentius est illud contra quod et praeter quod nihil potest fieri, quam illud praeter quod aliquid fieri potest. Sed voluntas Dei est potentissima. Ergo praeter eam nihil fit.

 2. Par ailleurs, celui contre lequel et en dehors duquel rien ne peut se produire est plus puissant que celui en dehors duquel quelque chose peut se produire. Mais la volonté de Dieu est la plus puissante. Donc, rien ne peut se produire en dehors d’elle.

[3323] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, permissio minimum habet de ratione voluntatis. Sed praeter ejus permissionem nihil fit, ut in Littera dicitur. Ergo multo minus praeter voluntatem beneplaciti, vel praeter alia signa voluntatis.

 3. En outre, la permission a très peu raison de volonté. Mais rien ne se produit en dehors de sa permission, comme la Lettre le dit. Il est donc encore beaucoup moins possible qu’il se produise quelque chose en dehors de la volonté de bon plaisir ou en dehors des autres signes de la volonté.

[3324] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, Augustinus dicit, in lib. XIX De civit. Dei, cap. XVI, col. 644, quod ad innocentis officium pertinet non solum nemini mala facere, sed et peccata prohibere. Sed praeter ejus voluntatem qui omnia bona vult, nihil potest fieri nisi peccatum. Cum ergo Deus sit innocentissimus, videtur quod ad ipsum pertineat non permittere, sed impedire omne quod est praeter ejus voluntatem.

 4. De plus, Saint-Augustin [XIX De la Cité de Dieu, ch. XVI, col. 644] dit qu’il est du devoir de l’innocent non seulement de ne faire du mal à personne, mais aussi d’interdire les fautes. Mais en dehors de sa volonté qui veut tous les biens, il n’y a que le péché qui peut se produire. Donc, puisque Dieu est suprêmement innocent, il semble qu’il lui appartienne de ne pas permettre, mais d’empêcher tout ce qui est contraire à sa volonté.

[3325] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra est quod in Littera dicitur.

 Cependant :

1. Ce qui est dit dans la Lettre est contraire à ce qu’on pose dans ces difficultés.

[3326] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 s. c. 2 Praeterea, videmus multa fieri quae non vult fieri, ut supra habitum est, dist. XLVI, quaest. unic., art. 4. Ergo fiunt multa praeter ejus voluntatem.

 2. Par ailleurs, nous voyons de nombreuses choses se produire qu’Il ne veut pas, ainsi que nous l’avons établi plus haut [dist. XLVI, quest. unique, art. 4]. Donc, de nombreuses choses se produisent en dehors de sa volonté.

[3327] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod fieri aliquid praeter voluntatem est dupliciter.

Aut quod voluntas sit de opposito; et hoc est non tantum praeter voluntatem, sed etiam contra voluntatem:

 aut ita quod voluntas nec sit de hoc, nec de opposito; et hoc est praeter voluntatem, sed non contra.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’il y a deux manières pour une chose de se produire en dehors de la volonté.

Soit de telle manière qu’une volonté porte sur l’opposé et cela est non seulement en dehors de la volonté mais aussi contraire à la volonté.

Soit de telle manière que la volonté ne porte ni sur cela ni sur le contraire et cela est en dehors de la volonté mais non pas contraire à la volonté.

Possumus ergo loqui de voluntate vel beneplaciti, vel signi; et de voluntate beneplaciti vel consequente, vel antecedente. Loquendo ergo de voluntate beneplaciti consequente, aliquid fit praeter eam, sed non contra eam: quia totum impletur quod voluntate consequente vult, ut dictum est; sed oppositum ejus quod vult voluntate antecedente, fieri potest, cum non semper impleatur: et ideo et praeter eam et contra eam fieri potest. Signa autem voluntatis quaedam respondent voluntati antecedenti, ut praeceptum, consilium et prohibitio, quibus omnibus ordinatur rationalis natura in salutem, quod est voluntatis antecedentis.

 

 Nous pouvons donc parler de la volonté soit en tant que volonté de bon plaisir, soit en tant que volonté de signe ; et si on parle de la volonté de bon plaisir, on peut en parler soit en tant que conséquente, soit en tant qu’antécédente. Si on parle donc de la volonté de bon plaisir qui est conséquente, quelque chose se produit en dehors d’elle mais non contre elle : car ce qu’il veut par la volonté conséquente est accompli en totalité, comme nous l’avons dit ; mais l’opposé de ce qu’il veut par une volonté antécédente peut se produire parce qu’elle n’est pas toujours accomplie ou réalisée : et c’est pourquoi il peut se produire quelque chose en dehors et contre elle. Mais certains signes de la volonté correspondent à la volonté antécédente, comme le précepte, le conseil et l’interdiction, et c’est par eux tous que la nature rationnelle est ordonnée au salut qui relève de la volonté antécédente.

Unde et praeter eam et contra eam fieri potest. Sed alia duo signa, scilicet permissio et operatio, respondent voluntati consequenti, sed diversimode: quia operatio pertinet ad ipsum effectum, de quo est voluntas consequens; et ideo sicut non potest aliquid fieri contra voluntatem consequentem, sed praeter eam, ita nec contra operationem, sed praeter eam. Non enim potest esse oppositum ejus quod Deus operatur: quia sic opposita simul essent; sed multa fiunt quae Deus non operatur. Sed permissio pertinet ad causam, quae voluntati consequenti subjicitur, ut sit potens deficere et non deficere; cujus tamen effectus, scilicet deficere, non pertinet ad voluntatem consequentem neque antecedentem; sed tamen pertinet ad causam illam cujus est permissio facultatem respiciens.

 D’où il suit que quelque chose peut se produire en dehors et contre elle. Mais les deux autres signes, à savoir la permission et l’opération, correspondent à la volonté conséquente, mais différemment: car l’opération concerne l’effet lui-même sur lequel porte la volonté conséquente; et c’est pourquoi, tout comme quelque chose ne peut se produire contre la volonté conséquente mais seulement en dehors d’elle, de même rien ne peut se produire contre l’opération mais seulement en dehors d’elle. Rien en effet ne peut être l’opposé de ce que Dieu opère car alors les opposés existeraient simultanément; mais de nombreuses choses se produisent que Dieu n’opère pas. Mais la permission concerne la cause,  laquelle est soumise à la volonté conséquente, de telle manière qu’elle ait le pouvoir défaillir ou ne pas défaillir, dont l’effet cependant, à savoir faillir, n’appartient ni à la volonté conséquente ni à la volonté antécédente, mais il appartient cependant à cette cause de laquelle la permission s’intéresse à la faculté.

Unde praeter permissionem non fit quod fit praeter voluntatem consequentem: unde praeter permissionem nihil potest fieri, nec contra eam; tamen potest fieri oppositum ejus quod permissum est: quod tamen fit secundum permissionem; quia permissio respicit potentiam causae ad utrumque oppositorum se habentem: unde neutrum oppositorum contra permissionem est, sed utrumque est secundum eam.

 D’où il suit qu’il ne se produit pas en dehors de la permission ce qui se produit en dehors de la volonté conséquente: c’est pourquoi rien ne peut se produire en dehors de la permission, ni contre elle; il peut cependant se  produire l’opposé de ce qui est permis, ce qui se produit cependant conformément à la permission car la permission s’intéresse à la puissance de la cause qui se rapporte à chacun des opposés: d’où il suit qu’aucun des opposés n’est contre la permission mais chacun d’eux y est conforme.

[3328] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod illi qui non sunt cum Deo, quantum in eis est, contra Deum sunt inquantum contrariantur voluntati antecedenti divinae; nihil tamen contra voluntatem consequentem faciunt, sed praeter eam; non tamen praeter permissionem.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que ceux qui ne sont pas avec Dieu, selon que cela leur est possible, sont contre Dieu dans la mesure où ils s’opposent à la volonté divine antécédente; ils ne font cependant rien contre la volonté conséquente, mais seulement en dehors d’elle, et non pas cependant en dehors de la permission.

[3329] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod non est ex impotentia divinae voluntatis, quod aliquid praeter eam fiat; sed ex ordine sapientiae ejus, quae rebus potentiam ad utrumlibet contulit: et hoc est bonum, et Deus vult voluntate consequente.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que ce n’est pas à cause de l’impuissance de la volonté divine que quelque chose se produit en dehors d’elle, mais c’est à cause de l’ordre de sa sagesse qui accorde aux choses la puissance de se porter dans les deux sens: et cela est bien et Dieu le veut par sa volonté conséquente

[3330] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod permissio respicit potentiam causae, quae se habet ad utrumque; et ideo quidquid fiat, non fit praeter eam. Unde hoc non contingit ex proximitate ad voluntatem beneplaciti, ut objectio innuebat.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la permission s’intéresse à la puissance de la cause qui peut se porter dans les deux sens; et c’est pourquoi, quoiqu’il se produise, cela ne se produit pas en dehors d’elle. D’où il suit que cela ne se produit pas en raison d’une proximité par rapport à la volonté de bon plaisir comme l’objection l’indiquait.

[3331] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod officium innocentis non est prohibere peccata, nisi secundum conditionem aliorum : non enim debet ligare homines ne peccent, sed per admonitionem prohibere: ita et Deus, salvata conditione humanae libertatis, peccata prohibet suis legibus.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que le devoir de l’innocent n’est pas d’interdire les péchés, si ce n’est suivant la condition des autres: en effet, il ne doit pas attacher les hommes afin qu’ils ne commettent pas le péché mais plutôt les en empêcher par des avertissements: de même Dieu, conservant la condition de la liberté humaine, interdit les péchés par ses lois.

 

 

Articulus 3

[3332] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 tit. Utrum id quod est contra voluntatem Dei, non obsequatur voluntati ejus

Article 3 : Est-ce que ce qui est contre la volonté de Dieu n’obéit pas à sa volonté ?

 

[3333] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod illud quod est contra Dei voluntatem non obsequatur voluntati ejus. Voluntas enim consequens non contrariatur voluntati antecedenti. Sed malum quod est praeter voluntatem divinam, est contra voluntatem antecedentem. Ergo voluntati consequenti non obsequitur.

 Difficultés :

1. Il semble que ce qui est contre la volonté de Dieu n’obéisse pas à sa volonté. En effet, la volonté conséquente n’est pas contraire à la volonté antécédente. Mais le mal qui est en dehors de la volonté divine est contre la volonté antécédente : il n’obéit donc pas à la volonté conséquente.

[3334] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, omne quod obsequitur divinae voluntati, quae semper vult bonum, consistit in ordine ad bonum. Sed malum quod fit praeter Dei voluntatem, secundum se est inordinatum. Ergo voluntati divinae non obsequitur.

 2. Par ailleurs, tout ce qui obéit à la volonté divine, laquelle veut toujours le bien, consiste à être ordonné au bien. Mais le mal qui se produit en dehors de la volonté de Dieu est désordonné en lui-même. Il n’obéit donc pas à la volonté divine.

[3335] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, boni merentur in hoc quod divinae voluntati obsequuntur, et ex hoc eis praemium debetur. Si ergo mali in hoc quod peccando praeter Dei voluntatem faciunt, ejus voluntati obsequuntur, ex peccato eis debetur praemium: et hoc est contra apostolum, Rom. 3, 8: « Faciamus mala, ut veniant bona ». Ergo et primum falsum esse videtur.

 3. En outre, les bons sont méritoires en ceci qu’ils obéissent à la volonté divine, et c’est de là qu’une récompense leur est due. Si donc les méchants, en cela qu’ils commettent le péché et agissent en dehors de la volonté divine se trouvent à obéir à sa volonté, c’est en raison du péché qu’une récompense leur est due : et cela est contraire à ce que dit l’Apôtre [Romains 3, 8] : «Devrions-nous faire le mal pour qu’en sorte le bien ?». Donc, le principe qui prétend que ceux qui agissent en dehors de la volonté divine obéissent à sa volonté est faux.

[3336] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, malum est praeter intentionem omnis agentis: nihil enim ad malum respiciens operatur, ut dicit Dionysius, in IV cap. De div. nom., § 19, col. 715. Sed illud quod est praeter intentionem voluntatis, non obsequitur voluntati ejus quae est de fine intento. Ergo mala quae fiunt praeter voluntatem ejus, non obsequuntur voluntati ipsius.

 4. De plus, le mal est en dehors de l’intention de tout agent: en effet, personne n’agit en ayant le regard tourné vers le mal comme le dit Denys [Les Noms Divins, ch. IV, & 19, col. 715]. Mais ce qui est en dehors de l’intention de la volonté n’obéit pas à sa volonté qui porte sur la fin recherché. Donc les maux qui se produisent en dehors de sa volonté n’obéissent pas à sa volonté.

[3337] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra est quod in Littera a Gregorio dicitur.

 Cependant :

1. Mais ce que dit Saint-Grégoire dans la Lettre est contraire à ce que concluent ces objections.

[3338] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea, voluntas divina est causa potentissima. Sed ad potentiam alicujus pertinet ut etiam quod contra ipsum quis facere nititur, in ipsius obsequium cedat. Ergo ita est de voluntate divina.

 2. Par ailleurs, la volonté divine est la cause la plus puissante. Mais il appartient aussi à la puissance d’un être que celui qui s’efforce d’agir contre lui en vienne à lui obéir. Il en est donc ainsi pour la volonté divine.

[3339] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod omnia quae fiunt praeter voluntatem divinam, etiam contra voluntatem antecedentem, obsequuntur quodammodo voluntati consequenti. Voluntas autem consequens dupliciter potest accipi.

 Aut secundum quod sequitur conceptionem finis tantum; et sic voluntas est de fine in communi sine aliqua determinatione ejus quod est ad finem.

 Corps de l’article:

Je réponds qu’il faut dire que tout ce qui se produit en dehors de la volonté divine, même contre la volonté antécédente, obéit en quelque sorte à la volonté conséquente. Mais la volonté conséquente peut se prendre de deux manières.

Soit selon qu’elle suit la conception de la fin seulement et de cette manière la volonté porte sur la fin en general sans aucune determination de ce qui est en vue de la fin.

 

 

Aut secundum quod sequitur conceptionem ejus quod est ad finem, et conditionem ejus; et sic voluntas consequens est de consecutione finis secundum aliquem determinatum modum. Verbi gratia, aedificator in constitutione domus habet duos motus voluntatis. Unum quo vult formam domus inducere in materiam sine hoc quod aliquid consideret determinate de partibus domus. Alium motum habet quo, considerato quod lapis iste est aptus ad fundamentum, vult ipsum in fundamento collocare.

 

 Soit selon qu’elle suit la conception de ce qui est en vue de la fin ainsi que sa condition et de cette manière la volonté conséquente porte sur la poursuite de la fin selon une modalité déterminée. En d’autres mots, le constructeur possède deux mouvements de volonté par rapport à la constitution de la maison. Un premier movement par lequel il veut introduire la forme de la maison dans la matière sans une consideration déterminée sur les parties de la maison. Mais il possède un deuxième movement par lequel, ayant considéré que cette pierre est propre aux fondations, il veut l’intégrer dans les fondations.

Utroque autem modo accipiendo voluntatem consequentem in Deo, mala quae fiunt obsequuntur sibi. Si enim accipiatur voluntas prout est de ordine universi in communi, constat quod malum quod exit ab ordine praecepti, in contrarium ordinem relabitur, ut dicit Boetius, De consol., prose VI, col. 820, scilicet in ordinem poenae ad culpam: velut lapis mollis et levis, qui non est aptus ad fundamentum, in supremo parietis ponitur.

 

 

Similiter etiam patet quod obsequitur voluntati consequenti secundo modo acceptae, quae est quod iste praevisus peccator puniatur: nisi enim ista conditio in eo per actum peccati fieret, voluntas divina de poena ejus non impleretur; sicut ipsa gravitas lapidis obsequitur voluntati artificis, qua vult eum sic ordinari ut in fundamento ponatur.

 Mais c’est en prenant la volonté conséquente en Dieu d’après ces deux manières que les maux qui se produisent lui obéissent. Si en effet on prend la volonté selon qu’elle porte sur l’ordre de l’univers en général, il est clair que le mal qui sort de l’ordre du commandement entre dans un ordre contraire comme le dit Boèce [De la Consolation, prose  VI, col. 820], c’est-à-dire dans l’ordre du châtiment à l’égard de la faute, de la même manière que la pierre souple et légère, qui n’est pas apte à entrer dans les fondations, est placée dans la partie supérieure du mur.

De la même manière encore il est clair que le mal qui se produit obéit à la volonté conséquente prise de la deuxième manière et qui est que ce pécheur que Dieu a prévu soit puni : en effet, la volonté divine sur son châtiment n’est accomplie que si cette condition en lui se produit par l’acte du péché, tout comme la lourdeur de la pierre obéit à la volonté de l’artiste, puisque c’est à cause de cette lourdeur qu’il veut que cette pierre soit posée dans les fondations.

[3340] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod voluntas antecedens et consequens non contrariantur, quia utraque est de bono: sed hoc quod aliquid est contra unam quod non est contra aliam, sed obsequitur sibi, est ex parte voliti, cujus conditiones diversimode considerantur, ut dictum est, in corp. articuli.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que la volonté antécédente et la volonté conséquente ne s’opposent pas, car les deux ont pour objet le bien : mais le fait que quelque chose soit contraire à l’une et non contraire à l’autre mais lui obéit, cela vient du côté de ce qui est voulu, dont les conditions sont considérées différemment, comme nous l’avons dit dans le corps de l’article.

[3341] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod sicut malum non est per se ordinatum, ita non obsequitur per se divinae voluntati, sed per accidens, quia praeter intentionem facientis malum. Non enim peccator intendit peccando puniri a Deo, in quo voluntas Dei completur.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que tout comme le mal n’est pas ordonné par lui-même, de même il n’obéit pas par lui-même à la volonté divine, mais par accident parce qu’il est en dehors de l’intention de celui qui fait le mal. En effet, le pécheur, en commettant le péché, ne cherche pas à être puni par Dieu, ce en quoi la volonté de Dieu est accomplie.

[3342] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in actu malo et bono duo est considerare; scilicet unum, secundum quod egreditur ab agente; et alium, secundum quod ab eo in finem ordinatur. Actus ergo bonus quantum ad utrumque obsequitur divinae voluntati: quia et ipse agens in bonum eum ordinat secundum beneplacitum divinae voluntatis, et Deus ordinat ipsum per bonum consequens, scilicet praemium, quod meritis reddit: et ideo, quia ipse homo est causa hujus obsequii, in hoc meretur. Sed actus malus secundum id quod est ab agente, inordinatus est; sed tamen ordinatur a Deo per poenam advenientem, vel per aliquod bonum quod ex eo elicitur: et ideo malus se habet tantum passive ad hoc obsequium, et non active; sicut in Littera dicitur, quod impletur de eo voluntas Dei, quam ipse non implet: et ideo non meretur sic obsequendo: meretur enim quis secundum actum cujus causa est.

 3. Il faut dire en troisième lieu qu’il y a deux choses à considérer dans l’acte mauvais et dans l’acte bon ; à savoir premièrement selon qu’il sort de l’agent et l’autre selon que par lui il est ordonné à la fin. Donc l’acte bon obéit à la volonté divine sous les deux rapports car l’agent lui-même ordonne l’acte à la fin selon le bon plaisir de la volonté divine et Dieu l’ordonne par le bien qui suit, à savoir la récompense qu’Il rend aux mérites : et c’est pourquoi, parce que l’homme lui-même est la cause de cette obéissance, c’est en cela qu’il est méritoire. Mais l’acte mauvais, selon qu’il vient de l’agent, est désordonné ; cependant, il est ordonné par Dieu au moyen du châtiment qui survient ou par quelque bien qu’il fait sortir de lui : et c’est pourquoi le mal se présente seulement d’une manière passive à l’égard de cette obéissance et non pas activement, tout comme on dit dans la Lettre que la volonté de Dieu est accomplie au sujet du mal sans que le mal ne l’accomplisse : et c’est pourquoi il n’acquiert aucun mérite en obéissant de cette manière : l’homme en effet n’est digne de mérite que selon l’acte dont il est la cause.

[3343] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis malum sit praeter intentionem Dei, tamen ordinatio mali est intenta a Deo; et huic intentioni operans malum praeter intentionem obsequitur, faciens id quod est praeter Dei intentionem, scilicet peccatum.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que bien que le mal soit en dehors de l’intention de Dieu, cependant l’ordonnance du mal est intentionnelle de la part de Dieu ; et celui qui fait le mal, en faisant ce qui est en dehors de l’intention de Dieu, à savoir le péché, obéit à cette intention sans en avoir l’intention,.

 

 

Articulus 4

[3344] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 tit. Utrum id quod est praeter voluntatem Dei praecepto non subjaceat ?

Article 4 : Ce qui est en dehors de la volonté de Dieu n’est-il pas soumis au précepte ?

 

[3345] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod id quod est praeter Dei voluntatem, praecepto non subjaceat, et praecipue peccatum. Praeceptum enim est indicativum divinae voluntatis. Sed quicumque ostendit se velle quod non vult, fictor est: quod longe est a Deo. Ergo videtur quod nihil quod fit contra voluntatem ejus, vel praeter eam, praecipiat.

 Difficultés:

1. Il semble que ce qui est en dehors de la volonté de Dieu, et surtout le péché, n’est pas soumis au précepte. Le précepte en effet indique quelle est la volonté divine. Mais quiconque manifeste qu’il veut ce qu’il ne veut pas est un artisan de mensonges, ce qui est fort éloigné de Dieu. Il semble donc que Dieu ne commande rien de ce qui se produit contre ou en dehors de sa volonté.

[3346] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, cum praeceptum respondeat voluntati antecedenti, ad quam pertinet ordinatio naturae in bonum, nihil potest praecipi quod est contra hunc ordinem. Sed omne peccatum est hujusmodi: quia est contra legem naturae. Ergo videtur quod praecepto non subjaceat.

 2. Par ailleurs, comme le précepte correspond à la volonté antécédente, à laquelle appartient l’ordonnance de la nature au bien, rien ne peut être commandé qui serait contre cet ordre. Mais tout péché est contre cet ordre car il est contre la loi de la nature. Il semble donc qu’il ne soit pas soumis au précepte.

[3347] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, nullus obediens divinis praeceptis male facit. Sed quaedam sunt quae nunquam possunt nisi male fieri, cum sint conjuncta malo fini, ut invidia, et hujusmodi, secundum philosophum in II Ethic., cap. IV. Ergo videtur quod ista a Deo praecipi non possint.

 3. En outre, rien de ce qui obéit aux préceptes divins ne fait le mal. Mais il y a des choses qui ne peuvent se produire que dans le mal puisqu’elles sont unies à une fin mauvaise, comme l’envie et les choses de cette sorte, ainsi que le dit le Philosophe [11 Éthique, ch. IV]. Il semble donc que ces choses ne puissent être commandées par Dieu.

[3348] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, de similibus idem est judicium. Sed omnia peccata similia sunt in hoc quod lege divina prohibentur. Cum igitur quaedam nullo modo sub praecepto cadant, ut desperare de Deo, et habere odio ipsum, et hujusmodi, videtur quod nullum peccatum sub praecepto divino cadere possit.

 4. En outre, le jugement doit rester le même au sujet de ce qui est semblable. Mais tous les péchés sont semblables en ceci qu’ils sont interdits par la loi divine. Donc, puisque certaines choses ne tombent aucunement sous le précepte, comme désespérer de Dieu, le haïr et des choses de la sorte, il semble qu’aucun péché ne puisse tomber ou être soumis au précepte divin.

[3349] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, occidere filium innocentem est peccatum, et contra legem naturae. Hoc autem Abrahae praeceptum legimus, Genes. XXII et eumdem de obedientia commendatum. Ergo videtur quod peccatum sub praecepto divino cadere possit. Et similiter etiam est hoc quod legitur Oseae 1, quod Dominus praecepit sibi accipere mulierem fornicariam, et facere ex ea filios fornicationum.

 Cependant:

1. Au contraire, tuer son fils innocent est un péché et est contraire à la loi naturelle. Mais nous lisons que cela est commandé à Abraham [Genèse XXII, 2] et qu’il lui est recommandé d’obéir à ce même précepte. Il semble donc que le péché puisse tomber ou se ranger sous le précepte divin. Et semblablement encore il y a ce qu’on lit  chez le prophète [Osée, 1], à savoir que le Seigneur lui commanda d’accueillir la femme de la prostitution et de faire avec elle les fils de la fornication.

[3350] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod praeceptum est signum voluntatis divinae, respondens voluntati antecedenti, et non consequenti. Unde quod est praeter voluntatem consequentem, cadit sub praecepto, non autem quod est praeter voluntatem antecedentem.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que le précepte est un signe de la volonté divine qui correspond à la volonté antécédente et non à la volonté conséquente. D’où il suit que ce qui est en dehors de la volonté conséquente tombe sous le précepte ou lui est soumis mais non pas ce qui est en dehors de la volonté antécédente.

Sed in hoc tamen considerandum est, quod aliquid secundum se acceptum est praeter voluntatem antecedentem, quod, aliqua conditione adveniente vel substracta, est de voluntate antecedente; sicut illa quae secundum se considerata, mala sunt; sed inquantum stant sub praecepto divino, recipiunt quamdam rationem bonitatis, ut sic in ipsa voluntas tendere debeat: quod quidem in quibusdam per se malis contingit, et in quibusdam non.

 Mais en cela il faut cependant considérer que ce qui, pris en soi, est en dehors de la volonté antécédente, si on ajoute ou enlève une condition, cela fait cependant partie de la volonté antécédente, comme les choses qui considérées en elles-mêmes sont mauvaises mais qui, dans la mesure où elles se tiennent sous le précepte divin, ont raison de bien de telle manière que la volonté doive tendre vers elles : ce qui certes est possible pour certaines choses qui sont mauvaises par elles-mêmes mais non pour d’autres.

Bonum enim in rebus surgit ex duplici ordine: quorum primus ordo et principalis est rerum omnium ad finem ultimum, qui Deus est; secundus ordo est unius rei ad aliam rem: et primus ordo est causa secundi, quia secundus ordo est propter primum. Ex hoc enim quod res sunt ordinatae ad invicem, juvant se mutuo, ut ad finem ultimum debite ordinentur.

 

 En effet, le bien dans les choses jaillit de deux ordres : dont le premier et le principal est l’ordre de toutes les choses par rapport à la fin ultime qui est Dieu ; le deuxième ordre est celui d’une seule et même chose par rapport à une autre chose : et le premier ordre est la cause du deuxième car le deuxième ordre est en vue du premier. En effet, à partir de cela même que les choses sont ordonnées entre elles, elles s’entraident mutuellement de manière à être ordonnées comme il convient à la fin ultime.

Unde oportet quod subtracta bonitate quae est ex ordine unius rei ad finem ultimum nihil bonitatis remanere possit sed substrata bonitate quae est ex ordine unius rei ad rem aliam, nihilominus potest remanere illa bonitas quae est ex ordine rei ad finem ultimum: quia primum non dependet ex secundo, sicut secundum ex primo.

 

Dico ergo, quod quaedam peccata nominant deordinationem unius rei ad rem aliam, sicut homicidium, odium fraternum, inobedientiam ad praelatum, et hujusmodi. Unde si talia bonitatem illam retinere possent quae est ex ordine ad finem ultimum, proculdubio bona essent, et in ea voluntas ferri posset.

 D’où il faut, si disparaît le bien qui vient de l’ordre d’une même chose par rapport à la fin ultime, qu’il ne puisse rien rester de bien ; mais si disparaît le bien qui vient de l’ordre d’une chose à une autre chose, il peut néanmoins demeurer ce bien qui vient de l’ordre d’une chose à la fin ultime : car ce qui est premier ne dépend pas de ce qui est second, alors que ce qui est second dépend de ce qui est premier.

Je dis donc que certains péchés signifient le désordre d’une même chose par rapport à une autre chose, par exemple l’homicide, la haine fraternelle, la désobéissance au prélat et les péchés de cette sorte. D’où il suit que si de tels péchés pouvaient retenir cette bonté qui vient de l’ordre à l’égard de la fin ultime, ils seraient sans doute des biens et la volonté pourrait se porter vers eux.

Sed hoc non posset esse nisi virtute divina, per quam ordo in rebus institutus est. Sicut enim non potest fieri, nisi per miraculosam operationem virtutis divinae, ut quod recipit esse a primo agente, mediante aliqua causa secunda, habeat esse destructa vel subtracta causa secunda, ut hoc quod accidens sit sine subjecto, sicut in sacramento altaris: ita etiam non potest fieri, nisi per miraculum virtutis divinae, ut id quod natum est recipere bonitatem ex ordine ad finem ultimum mediante ordine ad rem illam, habeat bonitatem, subtracto ordine qui erat ad rem illam; unde ille actus qui est occidere innocentem, vel resistere praelato, non potest esse bonus nec bene fieri nisi auctoritate vel praecepto divino.

 Mais cela ne peut se produire que par la puissance divine par laquelle l’ordre a été établi dans les choses. Tout comme en effet il ne peut arriver que par une opération miraculeuse de la puissance divine que ce qui reçoit l’existence du premier agent par l’intermédiaire d’une cause seconde ait l’existence une fois détruite ou enlevée la cause seconde de manière que l’accident soit sans le sujet, comme dans le sacrement de l’autel, de même encore il ne peut arriver que par un miracle de la puissance divine que ce qui est apte à recevoir le bien à partir de l’ordre à l’égard de la fin ultime par l’intermédiaire de l’ordre à telle chose, possède encore le bien une fois retiré l’ordre qui était ordonné à cette chose ; d’où il suit que cet acte qui consiste à tuer un innocent ou à résister à un prélat ne peut être bon ni même devenir bon que par l’autorité et le commandement divins.

Unde in talibus nullus dispensare potest, nisi Deus quasi miraculose. Quaedam vero peccata sunt quae dicunt deordinationem a fine ultimo immediate. Contingit enim aliquem actum peccati esse immediate circa id quod est ad finem: et quia forma bonitatis est a fine in his quae sunt ad finem, oportet quod etiam forma malitiae sit ex hoc quod recedit a fine; et id quod est quasi materiale est actus exercitus circa id quod est inordinabile in finem, sicut in fornicatione et homicidio, et in hujusmodi.

 D’où il suit que dans ces cas nul ne peut partager si ce n’est Dieu comme miraculeusement. Mais il y a certains péchés qui disent un désordre immédiat par rapport à la fin ultime. Il est possible en effet qu’un acte de péché porte immédiatement sur ce qui est en vue de la fin: et parce que la forme de la bonté se tient de la fin dans les choses qui sont en vue de la fin, il faut aussi que la forme de la malice se tienne de ce qui s’écarte de la fin; et ce qui est comme materiel est l’acte qui est exercé sur ce qui ne peut être ordonné à la fin, comme dans le cas de la fornication, de l’homicide et dans les actes de la sorte.

Unde si ei quod est ad finem, conferatur alius ordo in finem, tolletur inordinatio, et remanebit actus ordinatus subjacens voluntati antecedenti. Hoc autem non potest fieri nisi ab eo qui ordinem illum posuit: et ideo ea quae sunt ordinata per legem divinam, non sunt mutabilia vel dispensabilia nisi praecepto divino; et similiter quod statutum est a quocumque superiori inviolabiliter observandum, non potest ab inferiori mutari: et sic Deus occisionem Isaac, quae de se inordinationem habebat ex eo quod filius innocens non erat ordinatus in finem per viam occisionis a patre, ordinatam fecit, ponendo hunc ordinem, ut esset ad manifestationem fidei et amoris Abrahae, ut esset posteris in exemplum, et in significationem mortis Christi: et in occisionem sic ordinatam divina auctoritate licite consensit voluntas Abrahae.

 D’où il suit que si on confère à ce qui est en vue de la fin un autre ordre vers la fin, on enlève le désordre, et il restera un acte ordonné obéissant à la volonté antécédente. Mais cela ne peut se produire que par celui qui a posé cet ordre : et c’est pourquoi les choses qui sont ordonnées par la loi divine ne sont changeables ou ne peuvent être dispensées que par le précepte divin ; et de la même manière, ce qui a été statué par un supérieur comme devant être observé inviolablement ne peut être changé par un inférieur : et c’est ainsi que Dieu rendit le meurtre d’Isaac ordonné, qui de soi contenait un désordre du fait que le fils innocent n’était pas ordonné à la fin par la voie du meurtre par le père, en posant cet ordre, pour qu’il serve à manifester la foi et l’amour d’Abraham de manière à être un exemple pour ceux qui suivraient et comme une image signifiant la mort du Christ : et c’est à cette mort ainsi ordonnée par l’autorité divine que la volonté d’Abraham consentit avec raison.

Quaedam autem peccata sunt quorum actus inordinatus est immediate circa finem, ut peccata quae sunt in Deum, ut odire ipsum, et desperare de eo, et hujusmodi: et cum actus ex objecto speciem trahat, constat hujusmodi actus etiam secundum speciem in genere naturae malos esse; unde ab eis talis inordinatio auferri non potest.

 Mais il y a certains péchés dont l’acte est désordonné de manière immédiate par rapport à la fin, comme les péchés qui se rapportent directement à Dieu, comme le haïr et désespérer de lui, et les péchés de cette sorte ; et comme l’acte tire son espèce de l’objet, il est clair que de tels actes sont mauvais même selon l’espèce dans le genre de la nature ; c’est pourquoi un tel désordre ne peut être retiré d’eux.

Non enim posset auferri ex hoc quod ordinarentur in finem, cum secundum esse suum sint deordinati a fine; contingeret enim quod aliquid esset simul ordinatum et inordinatum; unde hujusmodi nunquam subjacent divino praecepto. Et propter hoc dicitur, quod contra praecepta primae tabulae, quae ordinant immediate in Deum, Deus dispensare non potest; sed contra praecepta secundae tabulae, quae ordinant immediate ad proximum, Deus potest dispensare; non autem homines in his dispensare possunt.

 En effet, un tel désordre ne peut être retiré d’eux du fait qu’ils seraient ordonnés à la fin puisque selon leur existence même ils sont déréglés par rapport à la fin elle-même ; il serait possible en effet que quelque chose soit simultanément réglé et déréglé : d’où il suit que de tels actes ne sont jamais soumis au précepte divin. Et on dit pour cette raison que Dieu ne peut dispenser contre les préceptes de la première table qui ordonnent immédiatement à Dieu ; mais contre les préceptes de la deuxième table, qui ordonnent immédiatement au prochain, Dieu peut dispenser mais non les hommes cependant qui même dans ces cas ne peuvent dispenser.

[3351] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod quamvis Deus non vellet voluntate consequente, quod Abraham filium occideret, voluit tamen voluntate antecedente, quod voluntas Abrahae in hoc ferretur, secundum quod erat jam ordinatum; et talem voluntatem praeceptum expressit; et ideo non fuit fictio.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que bien que Dieu ne veuille pas, par la volonté conséquente, qu’Abraham tue son fils, il a voulu cependant par la volonté antécédente que la volonté d’Abraham se porte vers cela en tant que cet acte était déjà ordonné ; et cependant le précepte exprima la volonté et c’est pourquoi il ne fut pas une fiction ou un mensonge.

[3352] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod ipsa occisio innocentis prout substat deordinationi a fine, quae advenit sibi post speciem completam ab objecto proximo, est contra legem naturae, et non potest bene fieri; sed remota tali inordinatione, est conveniens legi naturae, quae dictat omne illud esse faciendum quod est ordinatum et praeceptum a Deo.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que la mort même d’un innocent, selon qu’elle se tient sous un dérèglement par rapport à la fin qui lui advient après que son espèce a été complétée par son objet prochain, est contre la loi de la nature, et ne peut devenir un bien ; mais une fois enlevé un tel dérèglement, elle s’accorde à la loi de la nature qui dicte que tout ce qui est ordonné et commandé par Dieu doit être fait.

[3353] Super Sent., lib. 1 d. q. 1 a. 4 ad 3 Et per hoc patet solutio ad tertium.

 3. Et suite à cela la réponse à la troisième difficulté est évidente.

[3354] Super Sent., lib. 1 d. 47 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod non est similis ratio in omnibus, ut ex praedictis patet, in corp. art.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la raison n’est pas semblable dans tous les cas comme nous l’avons vu à partir de ce qui precede dans le corps de l’article.

 

 

Distinctio 48

 

Distinction 48  La volonté de Dieu (4). La conformité de la volonté de l’homme à celle de Dieu

 

 

 

Prooemium

 

Prologue

 

Hic quatuor quaeruntur:

1 utrum voluntas hominis divinae voluntati conformari possit;

2 in quo attenditur principaliter conformitas;

 

3 utrum ad illam conformitatem omnes teneantur;

4 utrum teneantur etiam ad conformitatem quae est in volito.

 On cherche à répondre ici à quatre questions:

1. Est-ce que la volonté de l’homme peut se conformer à la volonté divine?

2. En quoi surtout se vérifie cette conformité?

3. Est-ce que tous sont tenus à cette conformité?

4. Est-ce qu’ils sont tenus aussi à la conformité qui est dans l’objet voulu?

 

 

Articulus 1

[3357] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 tit. Utrum voluntas humana divinae voluntati non possit conformari

Article 1 : Est-ce que la volonté humaine ne peut pas se conformer à la volonté divine ?

[3358] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod voluntas humana divinae conformari non possit. Sic enim dicitur Isai. 55, 9: Sicut exaltantur caeli a terra, ita exaltatae sunt viae meae a viis vestris. Sed terra nunquam potest conformari caelo. Ergo nec cogitationes vel voluntates hominum divinae voluntati.

 Difficultés :

1. Il semble que la volonté humaine ne puisse pas se conformer à la volonté divine. C’est ainsi en effet que parle l’Écriture [Isaïe 55, 9] : Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terrre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies. Mais la terre ne peut jamais se conformer aux cieux. Donc les pensées et les volontés des hommes ne peuvent se conformer à la volonté divine.

[3359] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, eorum quae in infinitum distant, nulla est conformitas: quia conformitas est secundum approximationem aliquam. Sed voluntas Dei in infinitum distat a voluntate hominum: « Quantum enim distat Deus ab homine, tantum voluntas Dei a voluntate hominis », ut dicit Glossa super illud Psalm. 32, 1: Exultate justi in domino etc. Ergo voluntas hominis divinae voluntati non conformatur.

 2. Par ailleurs, entre les êtres qui sont infiniment éloignés les uns des autres, il n’y a aucune conformité car il ne peut y avoir conformité que selon une certaine proximité. Mais la volonté de Dieu diffère à l’infini de la volonté des hommes, comme le dit la Glose : «Autant la volonté de Dieu diffère de la volonté de l’homme que Dieu diffère de l’homme», dans son commentaire sur ce passage du psalmiste [Psaume 32, 1 : Réjouissez-vous, les justes, dans le Seigneur etc. Donc la volonté de l’homme ne peut se conformer à la volonté divine.

[3360] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, conformitas ponit convenientiam duorum in forma una; sicut ipsum nomen ostendit. Sed quaecumque conveniunt in aliquo uno habent aliquid prius et simplicius se, scilicet illud in quo conveniunt. Cum igitur divina voluntate nihil sit simplicius et prius, videtur quod sibi nulla voluntas creata conformari possit.

3. Par ailleurs, qui dit conformité  dit une convenance entre deux êtres dans une même forme, ainsi que le nom lui-même l’indique. Mais tous les êtres qui se rencontrent dans quelque chose d’un présupposent quelque chose d’autre qui leur est antérieur et plus simple, à savoir ce dans quoi ils se rencontrent. Donc, puisque rien n’est plus simple et antérieur à la volonté divine, il semble qu’aucune volonté créée ne puisse se conformer à elle.

[3361] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, nihil est conforme nisi conformi; quia conformitas est relatio aequiparantiae, ponens similem habitudinem in utroque extremorum. Sed non dicimus voluntatem divinam conformem esse voluntati humanae. Ergo nec e converso.

 4. Par ailleurs, rien n’est conforme si ce n’est à ce qui est conforme car la conformité est une relation de comparaison entre égaux qui pose un rapport semblable dans les deux extrêmes. Mais nous ne disons pas que la volonté divine est conforme à la volonté humaine. Donc, inversement, la volonté humaine ne peut être conforme à la volonté divine.

[3362] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, nullum regulatum fit rectum nisi per conformitatem ad regulam. Sed voluntas divina regula est voluntatis humanae, et intellectus suus, intellectus humani. Ergo omnis voluntas recta conformis est voluntati divinae.

 Cependant :

1. Au contraire, rien de ce qui est réglé ne devient droit si ce n’est par une conformité à une règle. Mais la volonté divine est la règle de la volonté humaine et son intelligence est la règle de l’intelligence humaine. Donc, toute volonté droite est conforme à la volonté divine.

[3363] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea, cujuslibet obedientis voluntarie voluntas conformatur voluntati praecipientis. Sed multi voluntarie divinis praeceptis obediunt. Ergo multorum voluntas conformatur voluntati divinae.

 2. Par ailleurs, la volonté de tous ceux qui obéissent volontairement se conforme à la volonté de celui qui commande. Mais nombreux sont ceux qui obéissent volontairement aux préceptes divins. Donc, de nombreuses volontés se conforment à la volonté divine.

[3364] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod conformitas est convenientia in forma una, et sic idem est quod similitudo quam causat unitas qualitatis, ut in V Metaph., text. 20, dicitur. Unde hoc modo aliquid Deo conformatur quod sibi assimilatur. Contingit autem aliqua dici similia dupliciter.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire que la conformité est une convenance dans une seule et même forme et ainsi elle est la même chose que la similitude que cause l’unité de la qualité comme le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 20]. D’où il suit qu’un être se conforme à Dieu de la manière qu’il lui est assimilé. Mais c’est de deux manières qu’il est possible de dire de certains êtres qu’ils sont semblables.

Vel ex eo quod participant unam formam, sicut duo albi albedinem; et sic omne simile oportet esse compositum ex eo in quo convenit cum alio simili, et ex eo in quo differt ab ipso, cum similitudo non sit nisi differentium, secundum Boetium.Unde sic Deo nihil potest esse simile nec conveniens nec conforme, ut frequenter a philosophis dictum invenitur.

 Soit du fait qu’ils participent d’une même forme, comme deux choses blanches participent de la blancheur ; et en ce sens tout ce qui est semblable doit être composé de ce qu’il a en commun avec l’autre semblable et de ce en quoi il diffère de lui, puisqu’il ne peut y avoir similitude, selon Boèce, que pour des êtres qui sont différents. D’où il suit qu’en ce sens rien ne peut être semblable, en accord ou conforme à Dieu, ainsi que le disent fréquemment les philosophes.

Vel ex eo quod unum quod participative habet formam, imitatur illud quod essentialiter habet. Sicut si corpus album diceretur simile albedini separatae, vel corpus mixtum igneitate ipsi igni. Et talis similitudo quae ponit compositionem in uno et simplicitatem in alio, potest esse creaturae ad Deum participantis bonitatem vel sapientiam vel aliquid hujusmodi, quorum unumquodque in Deo est essentia ejus; et sic voluntas nostra divinae conformatur.

 Soit du fait que celui qui possède la forme par participation imite celui qui la possède par essence, comme on dirait du corps blanc qu’il est semblable à la blancheur séparée ou que le corps mixte est semblable à l’embrasement du feu lui-même. Et une telle similitude qui pose la composition en l’un et la simplicité dans l’autre peut être celle de la créature à l’égard de Dieu lorsqu’elle participe de la bonté, de la sagesse ou des autres perfections de la sorte dont chacune est en Dieu son essence ; et c’est en ce sens que notre volonté peut se conformer à la volonté divine.

Sed haec conformitas voluntatis potest intelligi

 

vel de ipsa potentia voluntatis quae homini est data ad exemplar voluntatis divinae, quae pertinet ad similitudinem, in qua consistit ratio imaginis, et est communis bonis et malis; et de hac conformitate non quaerimus hic.

 

 

Vel potest intelligi de actu voluntatis, qui etiam voluntas dicitur, et de hac conformitate hic quaerimus: quia in ista conformitate consistit meritum vel etiam demeritum, eo quod homo est causa actus voluntatis sed non potentiae; unde ista conformitas est tantum bonorum.

 Mais cette conformité de la volonté peut s’entendre de deux manières.

Soit de la puissance même de la volonté qui est donnée à l’homme en rapport avec le modèle de la volonté divine, ce qui s’applique à la similitude dans laquelle consiste la notion d’image et qui est commune aux bons et aux méchants ; et ce n’est pas sur cette conformité que nous nous interrogeons ici.

Soit de l’acte de la volonté qu’on appelle aussi volonté, et c’est cette conformité que nous examinons ici : car c’est dans cette conformité que consiste le mérite ou même le démérite, du fait que l’homme est la cause de l’acte de la volonté mais non pas de la puissance elle-même ; d’où il suit que cette conformité ne s’applique qu’à ceux qui sont bons.

[3365] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod dominus loquitur ibi de malis, qui per terram significantur, qui in actu suae voluntatis recedunt a similitudine divina.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que le Seigneur parle là des maux qui sont signifiés par le nom ¨terre¨, lesquels s’éloignent de la similitude divine dans l’acte de sa volonté.

[3366] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod in infinitum distantium non potest esse conformitas per modum aequalitatis vel etiam secundum aliquam convenientiam in aliquo in participando ab utroque, sed per modum illum qui supra dictus est in corp. art.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que pour les êtres qui diffèrent à l’infini il ne peut y avoir conformité par mode d’égalité ou encore selon une ressemblance en quelque chose d’autre dont les deux participeraient, mais de cette manière dont nous avons parlé plus haut dans le corps de l’article.

[3367] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 3 Et per hoc patet etiam responsio ad tertium, quod procedit secundum primum modum distinctionis assignatae.

 3. Et suite à cela devient manifeste aussi la réponse à la troisième difficulté qui procède d’après la première modalité de distinction assignée.

[3368] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod secundum Dionysium, in IX cap. De div. nomin., § 6, col. 914, conversio similitudinis non recipitur in causis et causatis in quibus dicitur similitudo per imitationem, sed solum in aequipotentibus in quibus est similitudo per similem participationem ejusdem: non enim dicimus quod homo sit similis suae imagini, sed e converso. Unde non est dicendum quod Deus sit similis vel conformis creaturae, sed quod creatura Deo conformetur imitando ipsum quantum potest.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que d’après Denys [Les Noms Divins, ch. 1X, & 6, col. 914], la conversion de la similitude ne s’admet pas dans les causes et les effets dans lesquels la similitude se dit par imitation, mais seulement chez les êtres qui sont d’égale puissance dans lesquels il y a similitude par une participation semblable à une même forme : nous ne disons pas en effet que l’homme est semblable à son image, mais plutôt l’inverse. D’où il suit qu’il ne faut pas dire que Dieu est semblable ou conforme à la créature, mais plutôt que la créature se conforme à Dieu en l’imitant dans la mesure du possible.

 

 

Articulus 2

[3369] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 tit. Utrum conformitas voluntatum attendatur praecipue secundum volitum

Article 2 : La conformité des volontés se vérifie-t-elle surtout selon ce qui est voulu ?

 

[3370] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 1 Ad secundum sic proceditur. Videtur quod conformitas voluntatum praecipue secundum volitum attendatur. Conformitas enim attenditur secundum convenientiam in forma. Sed forma et perfectio voluntatis est ipsum volitum, sicut et scitum est perfectio scientis. Ergo secundum convenientiam in volito est conformitas voluntatum.

 Difficultés :

1. Il semble que la conformité des volontés se vérifie surtout selon ce qui est voulu.  La conformité en effet se vérifie selon la rencontre dans une forme. Mais la forme et la perfection de la volonté est l’objet voulu lui-même, tout comme l’objet connu est la perfection de celui qui sait. Donc, il y a conformité des volontés selon la ressemblance dans l’objet voulu.

[3371] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, actus cognoscuntur et judicantur per objecta, secundum Philosophum, II De anima, text. 33. Sed objectum voluntatis est volitum. Ergo videtur quod secundum unitatem voliti sit conformitas voluntatum.

 2. Par ailleurs, les actes sont connus et jugés par leurs objets selon le Philosophe [11 De l’Âme, texte 33]. Mais l’objet de la volonté est l’objet voulu. Il semble donc qu’il y ait conformité des volontés selon l’unité de l’objet voulu.

[3372] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 3 Si dicas quod objectum voluntatis est bonum et secundum hoc attenditur conformitas: Contra, voluntas non est nisi boni. Si igitur ex convenientia in bono est conformitas voluntatis, videtur quod omnis voluntas, etiam peccati, divinae voluntati conformetur.

 3. Si tu dis que l’objet de la volonté est le bien et que c’est d’après cela que se vérifie la conformité, je réponds par contre que la volonté ne se rapporte qu’au bien. Si donc la conformité de la volonté se tire du rapport au bien, il semble que toute volonté, y compris celle du pécheur, sera conforme à la volonté divine.

[3373] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, voluntas occidentium Christum non solum concurrit cum voluntate divina in quoddam volitum idem, sed etiam in quoddam bonum, scilicet in passionem Christi, quae magnum bonum fuit. Ergo si ex hoc attenditur ratio conformitatis, videtur quod voluntas Judaeorum divinae conformis fuit.

 4. Par ailleurs, la volonté de ceux qui ont tué le Christ s’accorde non seulement avec la volonté divine dans un même objet voulu, mais même dans un certain bien, à savoir dans la passion du Christ qui fut un très grand bien. Si donc c’est à partir de là que se vérifie la notion de conformité, il semble que la volonté des Juifs soit conforme à la volonté divine.

[3374] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea, ratio bonitatis est ex fine. Sed contingit aliquem propter bonum finem agentem divinae voluntati non conformari, sicut qui furatur diviti, ut det eleemosynas pauperi. Ergo videtur quod etiam nec ex fine conformitas voluntatis attendatur.

 5. En outre, la notion de bien se tire de la fin. Mais il est possible qu’en agissant en vue d’une bonne fin on ne se conforme pas à la volonté divine, comme celui qui vole les riches pour donner des aumônes aux riches. Il semble donc que la conformité de la volonté ne se tire pas non plus de la fin.

[3375] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 arg. 6 Si dicas, quod attenditur principaliter in hoc quod homo vult quod Deus vult eum velle: contra, volitum et velle non sunt idem nisi per accidens, ut quando velle unius est volitum ab alio. Sed ista conformitas est ad voluntatem divinam inquantum ipsum nostrum velle est volitum a Deo, qui vult hoc nos velle quod volumus. Ergo per hunc modum non conformatur velle nostrum ad velle divinum, nisi per accidens; et ita ex his omnibus videtur quod conformitas attendenda sit secundum volitum.

 6. Si tu dis que la conformité de la volonté se vérifie surtout en ceci que l’homme veut ce que Dieu veut qu’il veuille, je réponds par contre que l’objet voulu et le vouloir ne sont identiques que par accident, comme lorsque le vouloir de l’un est voulu de l’autre. Mais cette conformité est à l’égard de la volonté divine en tant que notre vouloir lui-même est voulu de Dieu qui veut que nous voulions ce que nous voulons. Donc de cette manière notre vouloir ne se conforme que par accident au vouloir divin ; et ainsi à partir de tous ces cas il semble que la conformité doive se vérifier selon l’objet voulu.

[3376] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 s. c. 1 Sed contra, duo contraria, inquantum hujusmodi, non conformantur eidem. Sed duae sanctorum voluntates de oppositis volitis conformantur divinae voluntati, cum utraque sit recta, sicut patet in Littera de hoc quod quidam mortem Pauli nolebant, quam ipse volebat. Ergo non est conformitas secundum volitum.

 Cependant :

1. Deux contraires, en tant que tels, ne se conforment pas à une même forme. Mais deux volontés de saints portant sur des objets voulus contraires se conforment à la volonté divine, puisque les deux sont droites, tout comme on le voit dans la Lettre par rapport à ceci que certains ne voulaient pas la mort de Paul, mort que lui-même pourtant voulait. Donc la conformité ne se mesure pas d’après l’objet voulu.

[3377] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 co. Respondeo dicendum, quod sicut dictum est, art. praeced., hic quaeritur de conformitate quantum ad voluntatis actum. Actus autem voluntatis humanae potest imitari actum voluntatis divinae dupliciter.

Vel quantum ad esse naturae; et sic non loquimur hic: quia hoc convenit actui voluntatis secundum quod exit a potentia, cujus conformitatem dimisimus.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire, comme nous l’avons dit dans l’article précédent, qu’on s’interroge ici sur la conformité quant à l’acte de la volonté. Mais l’acte de la volonté humaine peut imiter l’acte de la volonté divine de deux manières.

Soit quant à l’être de nature ; et ce n’est pas en ce sens que nous parlons ici : car cela convient à l’acte de la volonté selon qu’il sort de la puissance, et nous avons mis de côté la conformité de l’acte de la volonté pris en ce sens, ainsi que nous l’avons dit dans le corps de l’article précédent.

Vel quantum ad perfectionem superadditam, secundum quam dicitur actus talis vel talis; et hanc conformitatem hic quaerimus, quae est quasi secundum speciem moris. Haec autem conformitas quadrupliciter potest considerari secundum habitudinem quatuor causarum:

scilicet secundum causam materialem, sicut quando est idem volitum quod se habet ut materia circa quam est actus voluntatis; et ideo ista conformitas est secundum quid tantum, et non simpliciter: quia esse simpliciter non est a materia, sed a forma.

 

Vel secundum causam efficientem; sicut quando aliquis vult quod Deus vult eum velle; hunc enim ordinem voluntatis Deus in eo fecit.

 Soit quant à une perfection surajoutée selon laquelle on dit de l’acte qu’il est tel ou tel ; et c’est cette conformité que nous cherchons à connaître, laquelle est comme selon l’espèce ou la sorte de comportement. Mais cette conformité peut être considérée de quatre manières sous le rapport des quatre causes :

À savoir soit selon la cause matérielle, comme lorsque c’est le même objet voulu qui se présente comme une matière sur laquelle porte l’acte de la volonté ; et c’est pourquoi cette conformité est relative seulement et non absolue : car l’être pris absolument ne vient pas de la matière mais de la forme.

Soit selon la cause efficiente tout comme lorsque quelqu’un veut ce que Dieu veut qu’il veuille ; c’est Dieu en effet qui a fait cet ordre de la volonté en lui.

Vel secundum causam finalem; sicut quando aliquis in gloriam Dei facta sua ordinat, propter quam Deus omnia facit; et in his duobus essentialiter conformitas consistit.

Vel secundum causam formalem, ut aliquis ex caritate velit, sicut Deus omnia ex caritate vult; ex habitu enim est forma actus, et in hoc consistit perfectio conformitatis. Hujus autem dicti ratio haec est, quia essentialis assimilatio aliquorum attenditur secundum illud unde species trahitur: species autem cujuslibet actus voluntarii trahitur ex objecto, quod est forma voluntatis producentis actum.

 Soit selon la cause finale, tout comme lorsque quelqu’un ordonne ses actions à la gloire de Dieu, gloire en vue de laquelle Dieu a fait toutes choses ; et c’est dans ces deux derniers rapports que la conformité consiste essentiellement.

Soit selon la cause formelle, comme lorsque quelqu’un veut par charité, tout comme Dieu veut toute chose par amour ou par charité ; c’est de l’habitus en effet que vient la forme de l’acte et c’est en cela que consiste la perfection de la conformité. Mais la raison de ce qui est dit ici est que l’assimilation essentielle de certains se vérifie selon ce d’où l’espèce se tire : mais l’espèce de tout acte volontaire se tire de son objet, ce qui est la forme de la volonté qui produit l’acte.

Ad objectum autem alicujus actus duo concurrunt: unum quod se habet quasi materialiter, et alterum quod est sicut formale, complens rationem objecti; sicut ad visibile concurrit lux et color. Illud autem quod se habet materialiter ad objectum voluntatis, est quaecumque res volita: sed ratio objecti completur ex ratione boni. Unde ex hoc actus voluntatis humanae conformatur voluntati divinae quod tendit in bonum sicut voluntas divina. Et ex hoc etiam actus bonus est repraesentans bonitatem divinam. Et haec est conformitas secundum causam efficientem, quia Deus unamquamque voluntatem in bonum ordinavit. Et hoc vult Deus nos velle, inquantum voluntas nostra ordinata est.

 Mais deux choses se rapportent à l’objet de tout acte : une qui se présente comme matériellement et l’autre comme formellement qui accomplit la notion d’objet, tout comme deux choses concourrent à l’objet visible, à savoir la lumière et la couleur. Mais ce qui se présente comme matériellement à l'égard de l’objet de la volonté est toute chose voulue : mais la raison ou la notion d’objet est achevée par la notion de bien. D’où il suit que l’acte de la volonté humaine se conforme à la volonté divine du fait qu’il tend au bien comme la volonté divine. Et c’est de là aussi que l’acte bon est une image de la bonté divine. Et telle est la conformité selon la cause efficiente car Dieu a ordonné toute volonté au bien. Et c’est cela que Dieu veut que nous voulions dans la mesure où notre volonté est ordonnée.

Sed haec conformitas includit conformitatem finis, inquantum hoc volitum habet rationem bonitatis ex fine, etsi quandoque etiam in se bonum sit; unde ex hoc attenditur essentialiter conformitas, non autem ex ipsa re volita ex qua actus speciem non trahit. Sed habitus caritatis addit perfectionem in bonitate actus. Et ideo secundum causam formalem attenditur perfectio conformitatis, ut tanto actus voluntatis nostrae divinae voluntati sit conformior, quanto est melior et perfectior.

 Mais cette conformité inclut la conformité de la fin, en tant que cet objet voulu tient de la fin la raison de bien, bien que parfois aussi il soit un bien en soi ; d’où il suit que c’est à partir de cela que se vérifie essentiellement la conformité, mais non à partir de la chose voulue elle-même de laquelle l’acte ne tire pas son espèce. Mais l’habitus de la charité ajoute une perfection à la bonté de l’acte. Et c’est pourquoi c’est d’après la cause formelle que se vérifie la perfection de la conformité de telle manière que plus l’acte de notre volonté est conforme à la volonté divine, meilleur et plus parfait il est.

[3378] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod volitum non est perfectio voluntatis, vel objectum, nisi inquantum stat sub ratione boni, sicut nec color objectum visus et perfectio, nisi secundum quod stat sub actu lucis.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu que l’objet voulu n’est la perfection de la volonté ou son objet que dans la mesure où il se tient sous la notion de bien, tout comme la couleur n’est l’objet de la vue et sa perfection que si elle se tient sous l’acte de la lumière.

[3379] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 2 Unde patet ad secundum responsio.

 2. D’où il suit que la réponse à la deuxième difficulté est évidente.

[3380] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod in eo qui peccat, voluntas rationis non tendit in id quod est sibi bonum, sed in id quod est alteri bonum, scilicet concupiscibili et irascibili: non enim homo dicitur homo propter concupiscibilem vel irascibilem, sed propter rationem; et ideo non est bona voluntas. Si tamen irascibilis per se tenderet in suum objectum, quod est suum bonum, non est culpabilis, sicut est in brutis, et haberet quamdam conformitatem ad voluntatem divinam inquantum tendit in id in quod ordinavit eam Deus.

 3. Il faut dire en troisième lieu que dans celui qui commet le péché la volonté de la raison ne tend pas vers ce qui lui est un bien, mais vers ce qui est le bien d’un autre, à savoir vers le bien du concupiscible et de l’irascible: en effet, on ne dit pas de l’homme qu’il est homme en raison de l’irascible ou du concupiscible, mais à cause de la raison; et c’est pourquoi sa volonté n’est pas bonne. Si cependant l’irascible tend de lui-même vers son objet, qui est son bien, il n’est pas coupable, comme c’est le cas pour les brutes animales, et il a une certaine conformité à l’égard de la volonté divine selon qu’il tend vers ce à quoi Dieu l’a ordonné.

[3381] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod passio Christi habebat duo:

scilicet quod erat salvativa humani generis; et sic haec res volita stabat sub ratione boni et erat volita a Deo et a sanctis:

 

vel secundum quod erat afflictiva innocentis, et sic non habebat rationem boni, et sic erat volita a Judaeis, unde non volebant bonum simpliciter nisi per accidens, sed per se loquendo volebant simpliciter malum aestimatum bonum, inquantum satisfaciebant irae suae, vel invidiae.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la passion du Christ comportait deux éléments essenties : à savoir qu’elle était salvatrice du genre humain et ainsi cet objet voulu se tenait sous la raison de bien et était voulu de Dieu et des saints ; d’autre part elle était cause de la souffrance d’un innocent et ainsi elle n’avait pas raison de bien et c’est en ce sens qu’elle était voulue par les Juifs, d’où il suit qu’ils ne voulaient que par accident le bien pris  absolument, mais à parler proprement ils voulaient le mal absolument qu’ils jugeaient comme un bien selon qu’ils donnaient satisfaction à leur colère et à leur envie.

[3382] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod sicut forma naturalis est in materia ab agente, ita forma bonitatis est in volito a fine; et sicut materia improportionata ad formam adveniente debito agente nunquam consequitur formam, sicut lapis non fit caro a virtute digestiva; ita etiam volitum improportionatum ad bonitatem, quantumcumque sit bonus finis, nunquam bonitatem recipit; et talia sunt quae per se sunt mala, ut furari et hujusmodi; nisi deformitas tollatur auctoritate divina, ut supra, distinc. XLVII, quaest. unica, art. 3, dictum est.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que tout comme la forme naturelle est dans la matière par l’intervention de l’agent, de même la forme du bien est dans l’objet voulu à cause de la fin ; et tout comme une matière qui advient à la forme par un agent qui convient, si elle n’est pas proportionnée, n’est jamais suivie de la forme, tout comme la pierre ne devient pas de la chair par la puissance de digestion, de même encore un objet voulu qui n’est pas proportionné au bien, si bonne que soit la fin, ne reçoit jamais la forme du bien ; et tels sont les actes qui sont mauvais par eux-mêmes comme voler, et les actes de la sorte, à moins que leur dérèglement ne soit retiré par l’autorité divine ainsi que nous l’avons dit plus haut [dist. XLVII, quest. unique, art. 3].

[3383] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum quod omne volitum divinum imitatur voluntatem ipsius inquantum est sicut Deus vult, non tamen imitatur in ratione volendi, et bonitate actus voluntatis; sed solum actus voluntatis humanae tendens in bonum ad quod ordinatum est secundum Dei voluntatem; unde non tantum est ibi conformitas voluntatis nostrae inquantum est volita, sed inquantum est volens, et bonum actum voluntatis eliciens.

 6. Il faut dire en sixième lieu que tout objet voulu qui est divin imite la volonté divine dans la mesure où il est semblable à ce que Dieu veut, et il ne l’imite pas en raison du vouloir et de la bonté de l’acte de la volonté ; mais l’acte de la volonté humaine imite la volonté divine seulement en tendant au bien auquel il est ordonné conformément à la volonté de Dieu ; d’où il suit qu’il y a là conformité de notre volonté non seulement dans la mesure où elle est voulue mais dans la mesure où elle veut en choisissant un bon acte de la volonté.

 

 

Articulus 3

[3384] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 tit. Utrum ad conformitatem divinae voluntatis non teneamur

Article 3 : Ne sommes-nous pas tenus à la conformité de la volonté divine ?

 

[3385] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod ad conformitatem divinae voluntatis non teneamur. Sicut enim rectitudo voluntatis humanae est per conformitatem ad voluntatem divinam, ita rectitudo intellectus nostri per conformitatem ad intellectum divinum. Sed non omnes tenentur ad conformandum intellectum suum intellectui divino; alias nullus habens falsam opinionem, salvaretur. Ergo et pari ratione non tenemur ad conformitatem voluntatis.

 Difficultés:

1. Il semble que nous ne soyons pas tenus d’être conformes à la volonté divine. En effet, tout comme la rectitude de la volonté humaine a lieu par la conformité à la volonté divine, de même la rectitude de notre intelligence a lieu par la conformité à l’intelligence divine. Mais tous ne sont pas tenus à conformer leur intelligence à l’intelligence divine, autrement  aucun de ceux qui ont une opinion fausse ne serait sauvé. Donc, pour la même raison, nous ne sommes pas tenus à la conformité de notre volonté.

[3386] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, nullus obligatur ad impossibile sibi; alias peccatum non esset voluntarium, sed necessarium. Sed voluntas obstinata in malo non potest divinae voluntati conformis esse, quae semper bona est. Ergo videtur quod tales ad conformitatem non tenentur.

 2. Par ailleurs, personne n’est obligé à ce qui lui est impossible, autrement le péché ne serait pas volontaire mais nécessaire. Mais la volonté qui s’obstine dans le mal ne peut être conforme à la volonté divine, laquelle est toujours bonne. Il semble donc que ceux-là ne sont pas tenus d’être conformes.

[3387] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, quicumque peccat, in ipso actu peccati voluntatem suam voluntati divinae non conformat. Si ergo ad conformitatem omnes tenemur, videtur quod quicumque peccat, duplici peccato peccet; scilicet peccato transgressionis quod committit, et peccato omissionis quo conformitatem non implet ad quam tenetur: et hoc est falsum.

 3. En outre, quiconque commet le péché, c’est dans l’acte même du péché qu’il ne conforme pas sa volonté à la volonté divine. Si donc tous étaient tenus à la conformité, il semble que quiconque commettrait le péché serait doublement fautif: à savoir par le péché de transgression qu’il commet et par le péché d’omission par lequel il n’accomplit pas ce à quoi il est tenu: et cela est faux; donc, etc.

[3388] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, quicumque non facit id ad quod faciendum obligatur, peccat mortaliter omittendo. Sed quicumque peccat venialiter, ipso actu non conformat voluntatem suam voluntati divinae. Ergo si ad hoc tenetur, peccat mortaliter: quod falsum est: ergo et primum.

 4. De plus, quiconque ne fait pas ce à qu’il est tenu de faire commet un péché mortel par omission. Mais quiconque commet un péché véniel, c’est par l’acte même qu’il ne conforme pas sa volonté à la volonté divine. Si donc il était tenu à cela, il commettrait un péché mortel, ce qui est faux ; donc, tous ne sont pas tenus de conformer leur volonté à la volonté divine.

[3389] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea, quidquid vult Deus fieri, fit. Ergo quidquid vult nos velle, nos volumus. [Sed mali non volunt bona facere. Ergo Deus non vult eos velle bona. Si ergo conformitas humanae voluntatis ad divinam est in hoc quod homo vult quod Deus vult eum velle, videtur quod homo peccando non recedat a conformitate voluntatis : quod falsum est.

 5. Par ailleurs, tout ce que Dieu veut, cela arrive. Donc, tout ce qu’Il veut que nous voulions, nous [nous om. Éd. de Parme] le voulons. Mais les méchants ne veulent pas faire le bien. Si donc la conformité de la volonté humaine à la volonté divine consiste en ceci que l’homme veut ce que Dieu veut qu’il veuille, il semble que l’homme pécheur ne s’écarte pas de la conformité de la volonté, ce qui est faux.

[3390] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea, sicut volitum divinum est nobis ignotum, ita et finis ad quem opus suum ab ipso ordinatur; cum etiam in rebus naturalibus plerumque difficile sit assignare finem. Sed nullus tenetur ad id quod ignorat. Ergo ad illam conformitatem quae est ex parte finis non tenemur.

 6. Aussi, tout comme ce qui est voulu de Dieu nous est inconnu, de même aussi nous est inconnue la fin à laquelle il ordonne son œuvre, tout comme dans les choses naturelles aussi il nous est difficile d’assigner la fin. Mais nul n’est tenu à l’égard de ce qu’il ignore. Donc, nous ne sommes pas tenus à l’égard de cette conformité qui se tient du côté de la fin.

[3391] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, nullus tenetur ad id quod non est in potestate sua. Sed habere caritatem non est nobis ex nobis. Ergo videtur quod ad illam conformitatem quae est in forma caritatis, non teneamur.

 7. De plus, nul n’est tenu à l’égard de ce qui n’est pas en son pouvoir. Mais posséder la charité ne nous vient pas de nous. Il semble donc que nous ne soyons pas tenus à cette conformité qui consiste dans la forme de la charité.

[3392] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra, omnes tenemur ad obediendum Deo, et ad habendum rectam voluntatem. Sed hoc non potest esse nisi conformemur divinae voluntati. Ergo ad conformitatem ejus omnes tenemur.

 Cependant :

1. Nous sommes tous tenus d’obéir à Dieu et d’avoir une volonté droite. Mais cela ne nous est possible qu’en nous conformant à la volonté divine. Nous sommes donc tous tenus d’être conformes à sa volonté.

[3393] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod ad illud proprie dicitur aliquis teneri, quod si non facit, peccatum incurrit. In omnibus autem et naturalibus et voluntariis peccatum contingit ex hoc quod aliquid non pervenit ad illud ad quod ordinatum est, ut in II Phys., text. 82, dicitur, ut patet in monstris et erroribus qui contingunt in operatione artis. Sed tamen differenter est in naturalibus et voluntariis: quia in naturalibus defectus ab ordine incidit ex necessitate ; sed in voluntariis ipsa voluntas est causa sui defectus: quia in nobis est posse deficere et non deficere.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’on dit proprement de quelqu’un qu’il est tenu à ces choses qui, s’il ne les fait pas, il encourt un péché. Mais dans toutes les choses, à la fois naturelles et volontaires, la faute est possible du fait qu’un être ne parvient pas à ce à quoi il est ordonné, ainsi que le dit le Philosophe [11 Physique, texte 82], comme on le voit dans les monstres et les erreurs qui se produisent dans les opérations de l’art. Mais il en va différemment dans les opérations de la nature et dans celles de la volonté : car dans les choses naturelles le dérèglement par rapport à l’ordre se produit nécessairement ; mais dans les actes volontaires c’est la volonté elle-même qui est la cause de son dérèglement : car il y a en nous le pouvoir de défaillir et de ne pas défaillir.

Unde defectus voluntatis ab eo ad quod ordinata est, non solum habet rationem peccati, sed etiam culpae. Cum igitur dictum sit, quod conformitas voluntatis attendatur secundum hoc quod tendit per actum suum in id ad quod ordinatum est, oportet quod defectus conformitatis inducat peccatum et culpam; et ideo tenemur ad conformitatem voluntatis.

 D’où il suit que le défaut ou le dérèglement de la volonté par rapport à ce à quoi elle est ordonnée n’a pas seulement raison de faute mais aussi de blâme. Donc, puisque nous avons dit que la conformité de la volonté se vérifie selon ceci que par son acte elle tend vers ce à quoi elle est ordonnée, il faut que le défaut de conformité amène la faute et le blâme ; et c’est pourquoi nous sommes tenus à la conformité de notre volonté.

Sed sciendum, quod ad aliquid tenemur directe, quod scilicet per se est in potestate nostra; et sic tenemur ad conformitatem, qua volumus id quod congruit nos velle, et secundum rectum finem; quia in utrumque istorum per naturalia nostra possumus. Ad aliquid vero tenemur indirecte, sicut ad habendam gratiam, quod secundum se non est in potestate nostra; sed in potestate nostra est facere aliquid, quo facto habebimus gratiam; et sic tenemur etiam ad illam conformitatem quae est secundum formam caritatis.

 Mais il faut savoir que nous sommes tenus directement à quelque chose, à savoir à ce qui est par soi en notre pouvoir ; et ainsi nous sommes tenus à cette conformité par laquelle nous voulons ce qu’il convient que nous voulions et conformément à une fin qui est juste car pour ces deux cas nous avons le pouvoir d’agir par nos capacités naturelles.  Mais nous sommes tenus à certaines choses indirectement, par exemple à la possession de la grâce qui en elle-même n’est pas en notre pouvoir ; mais il est en notre pouvoir de faire quelque chose qui, étant fait, nous posséderons la grâce ; et ainsi nous sommes tenus même à cette conformité qui a lieu selon la forme de la charité.

[3394] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod non est simile de voluntate et intellectu: quia defectus intellectus non est in potestate nostra, sicut defectus voluntatis: quia intellectus violenter cogitur quandoque rationibus, ut in V Metaph., text. 6, dicitur, non autem voluntas. Et tamen in his quae necessaria sunt ad salutem, tenemur intellectum nostrum divino conformare, ut in his quae fidei sunt: quia in his, si quod in nobis est facimus, divinum nobis non deerit auxilium. In aliis etiam peccaret quis, si voluntarie secundum intellectum verum impugnaret, et falso adhaereret.

 Solutions :

1. Il faut donc dire en premier lieu qu’il n’en va pas de même pour la volonté et pour l’intelligence car le défaut de l’intelligence n’est pas en notre pouvoir comme le défaut de la volonté. La raison en est que l’intelligence, mais non la volonté, est parfois contrainte avec force par des raisons ainsi que le dit le Philosophe [V Métaphysique, texte 6]. Et cependant, pour les choses qui sont nécessaires au salut, comme c’est le cas pour les vérités de la foi, nous sommes tenus de conformer notre intelligence à l’intelligence divine car dans ce cas, si nous faisons ce qui est en notre pouvoir, l’assistance divine ne nous manquera pas. Mais dans les autres cas aussi il y aurait péché si, en combattant volontairement ce qui est vrai selon l’intelligence, on adhérait à ce qui est faux.

[3395] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod dum voluntas est obstinata, simul divinae voluntati conformis esse non potest; sed in statu viae nullus est qui mentis obstinationem non possit deponere, et sic divinae voluntati conformari: sed damnatis est in poenam inflictum ut ab obstinatione sua nunquam curentur, et tamen manet in eis culpa perpetua cum poena numquam : non tamen demerentur, quia non sunt in via, sed ad terminum viae, ubi est poena, devenerunt.

 2. Il faut dire en deuxième lieu qu’aussi longtemps que la volonté s’entête dans le mal, elle ne peut être simultanément conforme à la volonté divine ; mais dans la condition de cette vie, il n’y a personne qui ne puisse abandonner l’entêtement de l’esprit et ainsi se conformer à la volonté divine : mais à ceux qui ont été condamnés au chatiment, il a été imposé de ne jamais être guéris de leur entêtement, et cependant il demeure toujours en eux la faute éternelle avec le châtiment : et ils n’arrivent cependant pas à gagner des mérites car ils ne sont plus sur le chemin, mais ils en sont venus au terme du chemin où se trouve le châtiment.

[3396] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod conformitas voluntatis est communis ad omnia praecepta legis naturalis et scriptae quibus in bonum ordinamur: unde quicumque peccat contra quodcumque praeceptum, contra conformitatem peccat; non tamen facit duo peccata, quia commune non ponit in numerum contra proprium.

 3. Il faut dire en troisième lieu que la conformité de la volonté est commune par rapport à tous les préceptes de la loi naturelle et de la loi écrite par lesquels nous sommes ordonnés au bien : d’où il suit que quiconque est fautif à l’encontre de n’importe quel précepte est fautif à l’égard de la conformité ; il ne fait cependant pas deux fautes, car le commun ne pose rien par le nombre en dehors de ce qui est propre.

[3397] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod praecepta affirmativa non obligant ad semper; eo quod impossibile est nobis semper agere, ut in Lib. De somno et vigilia dicitur: et ideo non oportet quod semper actu voluntatem nostram divinae conformemus; sed sufficit quod semper in habitu, et quandoque in actu. Unde qui peccat venialiter, non committit contra conformitatem, sed solum praeter conformitatem facit, sicut praeter legem.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que les préceptes affirmatifs n’obligent pas à la continuité du fait qu’il nous est impossible d’agir toujours comme le dit le Philosophe [Du Sommeil et de la Veille] : et c’est pourquoi il n’est pas nécessaire que nous conformions toujours en acte notre volonté à la volonté divine ; mais il suffit que nous la conformions toujours par l’habitus et parfois en acte. D’où il suit que celui qui commet un péché véniel n’est pas fautif à l’encontre de la conformité, mais il agit seulement à côté de la conformité tout comme il agit à côté de la loi.

[3398] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 5 Ad quintum dicendum, quod cum dicitur conformitatem attendi secundum hoc quod volumus id quod vult nos Deus velle, intelligitur de voluntate antecedente, cujus effectus est ordo naturae nostrae in bonum. Objectio autem procedit de voluntate consequente, et ideo non procedit.

 5. Il faut dire en cinquième lieu que lorsqu’on dit que la conformité se vérifie selon ceci que nous voulons ce que Dieu veut que nous voulions, cela s’entend de la volonté antécédente, dont l’effet est l’ordre de notre nature par rapport au bien. Mais la difficulté procède de la volonté conséquente et c’est pourquoi l’argument ne tient pas.

[3399] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum dicendum, quod licet finem proprium scire non possimus, finem tamen ultimum a quo est omnis bonitas in finibus proximis, scire possumus, ut scilicet omnia in Deum ordinemus, qui propter seipsum universa fecit, ut dicitur Proverb. 16.

 6. Il faut dire en sixième lieu que bien que nous ne pouvons connaître la fin propre, nous pouvons cependant connaître la fin ultime, de laquelle vient tout bien dans les fins prochaines, de telle manière que nous pouvons ordonner tous nos actes à Dieu qui a fait toute chose pour Lui-même comme le dit l’Écriture [Proverbes 16, 4].

[3400] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 3 ad 7 Ad septimum patet responsio per id quod dictum est.

 7. La réponse à cette difficulté est évidente au moyen de ce qui a été dit.

 

 

Articulus 4

[3401] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 tit. Utrum ad conformitatem in volito teneamur

Article 4 : Sommes-nous tenus à la conformité dans ce qui est voulu ?

[3402] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 1 Ad quartum sic proceditur. Videtur quod ad conformitatem in volito non teneamur. Nullus enim ad ignotum tenetur. Sed volitum divinum est nobis ignotum, sicut et ejus praescitum. Ergo videtur quod ad hoc non teneamur.

 Difficultés :

1. Il semble que nous ne soyons pas tenus à la conformité à l’objet voulu. Nul en effet n’est tenu à l’égard de l’inconnu. Mais ce qui est voulu de Dieu nous est inconnu, tout comme ce qui est connu de Lui à l’avance. Il semble donc que nous ne soyons pas tenus à la conformité à cet égard.

[3403] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 2 Si dicatur, quod potest alicui revelari; contra. Posito quod alicui sua damnatio reveletur, iste non tenetur suam damnationem velle; quinimmo tenetur suam salutem velle, quia tenetur se ex caritate diligere, et sibi summum bonum optare. Ergo non tenetur velle quod scit Deum velle.

 2. Si on dit que cela peut être révélé à certains, je réponds à l’encontre de cela que si sa damnation est révélée à quelqu’un, ce dernier n’est pas tenu de vouloir sa damnation ; bien au contraire, il est tenu de vouloir son salut car il est tenu de s’aimer par charité et de choisir pour lui-même son plus grand bien. Il n’est donc pas tenu de vouloir ce qu’il sait que Dieu veut.

[3404] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea, Christus sciebat passionem suam a Deo esse volitam, et tamen aliqua voluntate passionem noluit, ut infra dicit Magister, in III, dist. XVII. Cum igitur Christus nihil omiserit eorum quae sunt de rectitudine vitae, ad quae omnes tenemur, videtur quod ad conformitatem in volito non teneamur.

 3. Par ailleurs, le Christ savait que sa passion était voulue de Dieu et cependant par une certaine volonté il ne la voulait pas comme le dit plus loin le Maître [111 Sent., dist. XVII]. Donc, puisque le Christ n’a rien négligé des choses qui font partie de la rectitude de la vie auxquelles nous sommes tous tenus, il semble que nous ne soyons pas tenus à la conformité à l’objet voulu.

[3405] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 4 Item objicitur de beata Virgine, quae passionem Filii non voluit; alias de morte tristata non fuisset, quod est contrarium ejus quod habetur Luc. 2, 35: « Tuam ipsius animam pertransibit gladius ».

 4. En outre, on présente une objection au sujet de la Vierge Marie qui ne voulut pas la passion de son Fils autrement elle ne se serait pas attristée de sa mort, ce qui est contraire à ce qui est établi dans l’Écriture [Luc 2, 35] : «Et toi-même, une épée te transpercera l’âme».

[3406] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 arg. 5 Praeterea, voluntas divina innotescit nobis per signa voluntatis. Sed permissio, quae est unum signorum, est etiam de malis culpae, quae nullo modo velle debemus. Ergo non tenemur conformare voluntatem nostram divinae in volito.

 5. De plus, la volonté divine se fait connaître à nous par les signes de la volonté. Mais la permission, qui est un des signes, se rapporte aussi aux maux de la faute que nous ne devons vouloir en aucune manière. Nous ne sommes donc pas tenus de conformer notre volonté à la volonté divine par rapport à l’objet voulu.

[3407] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra, super illud Psal. C : « Non adhaesit mihi cor pravum », dicit Glossa: cor pravum habet qui non vult quod Deus vult. Sed omnes tenemur non habere cor pravum. Ergo tenemur ad conformandum voluntatem nostram voluntati divinae in volito.

 Cependant:                 

1. Au contraire, sur ce passage de l’Écriture [Psaume C]: «Le coeur insensé ne s’est pas attaché à moi», la Glose dit: celui qui ne veut pas ce que Dieu veut a un coeur insensé. Mais nous sommes tous tenus de ne pas avoir un Coeur insensé. Nous sommes donc tenus de conformer notre volonté à la volonté divine quant à l’objet voulu.

[3408] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, secundum Tullium, lib. De amic, amicorum est idem velle et nolle. Sed tenemur Deo esse amici. Ergo tenemur idem velle quod ipse vult.

 2. Par ailleurs, d’après Cicéron [De l’amitié], il appartient aux amis de vouloir et de rejeter les mêmes choses. Mais nous sommes tenus d’être les amis de Dieu. Nous sommes donc tenus de vouloir les mêmes choses que Lui-même veut.

[3409] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod Deus dicitur aliquid velle voluntate antecedente; et de hoc non est dubium quin voluntatem nostram in tali volito divinae conformare debeamus, quia hoc est in quod voluntas nostra ordinata est.

 Corps de l’article :

Je réponds qu’il faut dire qu’on dit de Dieu qu’il veut quelque chose par la volonté antécédente ; et à ce sujet il n’y a pas de doute que nous devions conformer notre volonté à la volonté divine quant à ce qui est voulu, car c’est là ce à quoi notre volonté est ordonnée.

Dicitur etiam aliquid velle voluntate consequente; et hoc volitum non semper notum est nobis, nisi quatenus operatione ejus manifestatur; et hoc addit aliquam rationem bonitatis ad rem, ut possit esse volita, quia Deus eam vult; sicut enim aliquid habet in se bonitatem, ut facere eleemosynam, et tamen advenit sibi aliqua ratio bonitatis ex fine; ita etiam advenit sibi aliqua ratio bonitatis ex hoc quod est volitum et ordinatum a Deo. Eo enim ipso quod aliquid apprehenditur ut volitum a Deo, apprehenditur ut bonum. Unde voluntas consequens hanc apprehensionem, tenetur tendere in illud: alioquin non esset motus voluntatis bonus, nec Deo conformis, si bonum refugeret.

 Mais on dit aussi de Lui qu’il veut quelque chose par la volonté conséquente; et cet objet voulu n’est pas toujours connu de nous, à moins qu’il ne nous soit manifesté par son opération; et cela ajoute un rapport de bonté à la chose, de sorte qu’elle puisse être voulue parce que Dieu la veut, tout comme en effet quelque chose possède en soi de la bonté, comme faire l’aumône, et cependant il lui survient un rapport de bonté du côté de la fin; c’est ainsi qu’il lui servient un rapport de bonté du fait que cela est voulu et ordonné par Dieu. En effet, du fait même qu’une chose est appréhendée comme voulue de Dieu, elle est appréhendée comme un bien. D’où il suit que la volonté qui suit cette apprehension est tenue de tendre vers cette chose: autrement le mouvement de la volonté ne serait pas bon ni conforme à Dieu s’il se retirait du bien.

Sciendum tamen, quod cum sint diversi gradus appetitus consequentes diversas apprehensiones, nullus appetitus tenetur tendere in illud bonum cujus rationem non apprehendit.Verbi gratia, in nobis est quidam appetitus sensitivus consequens apprehensionem sensus, qui non est nisi de bono convenienti secundum corpus: unde hoc appetitu appetitur delectabile secundum sensum; nullo autem modo aliquod bonum spirituale, ut scientia. Est et quaedam voluntas in nobis naturalis, qua appetimus id quod secundum se bonum est homini, inquantum est homo; et hoc sequitur apprehensionem rationis, prout est aliquid absolute considerans: sicut vult homo scientiam, virtutem, sanitatem et hujusmodi. Est etiam in nobis quaedam voluntas deliberata consequens actum rationis deliberantis de fine et diversis circumstantiis; et secundum hanc tendimus in illud quod habet rationem bonitatis ex fine, vel ex aliqua circumstantia.

 Il faut cependant savoir que puisqu’il y a différents degrés d’appétits qui découlent de différentes appréhensions, nul appétit n’est tenu de tendre vers ce bien dont il n’appréhende pas la raison. En d’autres mots, il y a en nous un appétit sensitif qui suit l’appréhension du sens et qui ne se rapporte qu’au bien qui convient au corps : c’est pourquoi c’est par cet appétit qu’est désiré ce qui est délectable selon le sens, mais en aucune manière n’est recherché par lui un bien spirituel comme la science. Mais il y a aussi en nous une volonté naturelle par laquelle nous désirons ce qui est un bien en soi pour l’homme en tant qu’homme ; et cela découle de l’appréhension de la raison selon qu’elle considère les choses dans l’absolu : par exemple l’homme veut la science, la vertu, la santé et les choses de cette sorte. Mais il y a aussi en nous une certaine volonté délibérée qui suit l’acte de la raison qui délibère sur la fin et les différentes circonstances ; et c’est d’après cette volonté que nous tendons vers ce qui a raison de bien à partir de la fin ou de quelque circonstance.

Si ergo sit aliquid quod habeat has omnes rationes bonitatis, quilibet appetitus si sit rectus, tendit in hoc; si autem desit aliqua ratio dictarum, oportet illum appetitum cui respondet talis ratio, non tendere in hoc; sed forte in contrarium, si forte habeat contrariam rationem; sicut secari propter sanitatem est contristabile secundum sensum, nec secundum se bonum est, sed tantum ex fine; et ideo sectionem solum voluntas deliberata eligit, sed voluntas naturalis et appetitus sensitivus abhorret.

 Si donc il existe quelque chose qui possède toutes ces raisons ou ces rapports au bien, s’il existe un appétit qui est droit, il tend vers cela ; mais s’il manque un des rapports dont on a parlé, il faut que cet appétit, auquel correspond telle raison, ne tende pas vers cela mais peut-être vers le contraire si par hasard il possède une raison contraire ; par exemple, être amputé en vue de la santé est affligeant selon le sens et n’est pas un bien en soi, mais seulement par rapport à la fin ; et c’est pourquoi seule la volonté délibérée choisit l’amputation, mais la volonté naturelle et l’appétit sensible la fuit.

Similiter etiam dicendum est in proposito. Si enim apprehendatur aliquid esse volitum a Deo, quod praecipue per signum operationis manifestatur; voluntas deliberata, quae sequitur rationem, prout est comprehendens et conferens de ista ratione bonitatis, tenetur illud velle, quamvis voluntas naturalis et appetitus sensitivus refugiant; et in refugiendo voluntati divinae conformantur, inquantum tendunt in bonum secundum rationem apprehensam; sicut est in illo qui pie dolet de morte patris, vel alicujus utilis in Ecclesia.

 Il faut dire de même quant à notre propos. Si en effet quelque chose était appréhendé comme voulu par Dieu, ce qui est manifesté surtout par le signe de l’opération, la volonté délibérée, qui suit la raison qui saisit et rassemble des éléments sur ce rapport au bien, est tenue de vouloir cela bien que la volonté naturelle et l’appétit sensible s’en éloignent ; et en s’éloignant ils se conforment à la volonté divine selon qu’ils tendent vers le bien selon la raison appréhendée, comme pour celui qui s’attriste naturellement de la mort du père ou de quelque chose d’utile dans l’Église.

Sciendum tamen, quod in talibus motus voluntatis deliberatae in peccatoribus est corruptus, qui ex toto relinquunt deliberationem rationis, et sequuntur impetum voluntatis naturalis et sensitivae, murmurantes de Dei ordinatione; in justis vero viatoribus manet quidem integer, sed imperfectus dupliciter.

 Il faut cependant savoir que dans ces cas le mouvement de la volonté délibérée chez les pécheurs est corrompu, lesquels abandonnent totalement la délibération de la raison et suivent l’élan de la volonté naturel et de l’appétit sensible, se plaignant de l’ordonnance de Dieu ; mais chez ceux qui cheminent dans la justice le mouvement de la volonté délibérée demeure certes entier mais imparfait de deux manières.

 Tum ex parte cognitionis, quia non plene voluntatem divinam cognoscit: tum ex parte affectionis, quia retardatur ex motibus inferioribus: unde in talibus sufficit non recalcitrare divinae ordinationi, nec oportet gaudium experiri de hoc quod secundum voluntatem fit, sicut etiam dicit Philosophus, in IV Ethic., cap. X, quod sufficit fortem non tristari in periculis mortis, quamvis non gaudeat, sicut est in actibus aliarum virtutum; et haec est conformitas viae.

Tant du côté de la connaissance, car ils ne connaissent pas pleinement la volonté divine, que du côté de l’affectivité car ils sont retardés par les mouvements inférieurs : d’où il suffit dans ces cas de ne pas regimber contre l’ordonnance divine, et il ne faut pas éprouver de la joie au sujet de ce qui se produit selon la volonté, tout comme le Philosophe [IV Éthique, ch. X] dit aussi qu’il suffit à celui qui est fort de ne pas s’attrister dans les dangers de mort bien qu’il ne s’en réjouisse pas, comme c’est le cas pour les actes des autres vertus ; et telle est la conformité du chemin.

Sed in beatis est motus voluntatis delibératione integer et perfectus, tum ex parte cognitionis, quia voluntatem divinam plene cognoscunt ; tum ex parte affectionis, quae dominatur omni inferiori appetitui, nec in aliquo retardatur vel impeditur : unde in videndo illud quod Deus vult, quod et ipsi volunt, gaudium experiuntur : de quo in Psalm. LVII, 2, dicitur : « Laetabitur ustus cum viderit vindictam ».

 Mais chez les bienheureux le mouvement de la volonté par la délibération est entier et parfait, tant du côté de la connaissance, car ils connaissent pleinement la volonté divine, que du côté de l’affectivité qui commande à tout appétit inférieur et n’est retardé ou empêché en rien : d’où il suit que, en voyant ce que Dieu veut, eux-mêmes le veulent et en éprouvent de la joie ; et l’Écriture [Psaume LVII, 2] dit à ce sujet : « Joie pour le juste de voir la vengeance ».

[3410] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod volitum divinum, quantum ad voluntatem antecedentem, est nobis notum ex ipsa naturali inclinatione ; sed volitum voluntatis consequentis innotescit nobis vel per revelationem vel per operationem.

 Solutions:

1. Il faut donc dire en premier lieu que ce qui est voulu de Dieu, quant à la volonté antécédente, nous est connu de par l’inclination naturelle elle-même; mais ce qui est voulu quant à la volonté conséquente nous est connu soit par la revelation, soit par l’opération.

[3411] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod illa positio est quasi impossibilis : quia nulli sua damnatio revelatur, sicut etiam nec Angelis, ut dicit Augustinus lib. XI Supra Genes. Ad litt., cap. XVII et XVIII, col. 438 : si tamen revelaretur, posset credere secundum comminationem et non secundum praescientiam dictum : tenetur tamen velle istum ordinem justitiae, quo si in peccatis moritur, damnatur ; quia hoc est quod Deus vult, et non damnationem per se, neque culpam.

 2. Il faut dire en deuxième lieu que cette position est comme impossible : car à personne n’est révélée sa damnation, tout elle ne l’est pas même révélée aux Anges, comme le dit Saint-Augustin [XI Sur la Genèse prise à la Lettre, ch. XVII et XVIII, col. 438] : si cependant elle était révélée, il pourrait croire selon la menace et non selon ce qu’en dit la préscience : il est cependant tenu de vouloir cet ordre de la justice par lequel s’il meurt dans les péchés, il sera damné car c’est là ce que Dieu veut et non pas la damnation en elle-même ni le péché.

[3412] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Christus voluntate rationis deliberata volebat passionem suam, et similiter beata Virgo, et quilibet sanctus ; quamvis voluntas naturalis dissentiret.

 3. Il faut dire en troisième lieu que le Christ, tout comme la bienheureuse Vierge et chacun des saints, voulait sa passion par la volonté délibérée de la raison, bien qu’elle lui répugnait par la volonté naturelle.

[3413] Super Sent., lib. 1 d. 48 q. 1 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod permissio nunquam significat quod voluntas sit de culpa, sed de bono quod adjungitur culpae.

 4. Il faut dire en quatrième lieu que la permission ne signifie jamais que la volonté porte sur la faute elle-même, mais plutôt sur le bien qui est rattaché à la faute.

 



[1] Il semble qu’on pourrait, en tenant compte d’Aristote traduire « selon l’art » par scientifique. C’est un des sens du mot. — Quand Thomas reprendra le sujet dans la Somme théologique, il posera la question : Cette doctrine argumente-t-elle ? Ici il traite le même sujet mais en considérant surtout la méthode.

[2] Note du traducteur : Saint Augustin a écrit le De doctrina christiana pour formuler des règles d’interprétation de l’Écriture. Il commence par faire une distinction tout à fait générale entre les choses et les signes. Le livre I est consacré aux choses. D’où une deuxième distinction : les choses dont on jouit, celles dont on use, celles dont on jouit et dont on use. Le livre II est consacré aux signes. Pierre Lombard, en ces trois permiers livres[2], ne retient essentiellement que la distinction entre usage et fruition, que Thomas reprendra par la suite dans son étude sur la volonté. (Ia// IIæ, qu. 11 et 16). La perspective est alors très différente. Il ne s’agit plus de méthode pour la sacra pagina, mais de l’étude des actes humains.

[3] Thomas opère en trois étapes : Dieu peut-il être connu, ensuite peut-il être connnu par l’intermédiaire des créatures et entre les deux articles, il pose le problème de l’évidence de Dieu.

[4] Thomas réfute ici l’argument de saint Anselme qui pense que Dieu est évident (Prologion, Livre apologétique contre Gaunilion). L’argument sera repris avec des variantes par Descartes et Leibnitz. Thomas rejette cette thèse par deux séries d’arguments : Il en trouve la source dans l’habitude. Les hommes sont tellement habitués à entendre le nom de Dieu qu’ils finissent par le considérer comme évident. La seconde démonstration fait la différence entre ce qui est évident en soi et évident pour nous. (Cf. C.G. I, 11 –Q. sur la vérité, q. 10, a. 12).

[5] Parall. : Ia, q. 45, a. 7 (vestige de la Trinité) – Ia, q. 93, a. 6, c.

[6] «. Sur la mer fut ton chemin, ton sentier sur les eaux innombrables. Et tes traces, nul ne les connut. » (BJ. )

[7] Les noms essentiels (qui concernent l'essence) semblent être les suivants : essence, personne, hypostase, nature, bonté.

[8] Il en reviendra à dire plus simplement en Pot. 2, les deux puissances sont-elles identiques ?

[9] Les catégories comprennent la substance et les 9 accidents. La substance n’est pas dans les accidents. « La catégorie de la substance est plus noble que les autres catégories, mais on ne l’attribue pas à Dieu, comme le dit Augustin (Trin. VII,V, 10) (Q. de pot. q. 1, a. 1 arg. 11). Il préfère l’emploi du mot essence. BA 15, p. 536-537). Ce qui est dans la catégorie ou dans le genre de la substance est dans un genre. Or Dieu n’est pas dans un genre. Démontration CG. I, 25, - Q. de verit., q. 1, a. 1, c. – Q. de pot., q. 7, a. 3, ad 4.

[10] Les catégories ou accidents sont au nombre de 9 : quantité, qualité, relation, action, passion, temps, lieu, habitus. Il n’y a pas d’accidents en Dieu. Cf Aristote Catégories, 4, 1 b 25.

[11] Il faut remarquer la différence avec l’article précédant. Il s’agit ici de l’unité de nature du Père et du Fils, alors que dans l’article précédant, il s’agissait d’une unité numérique. Dans l’introduction on lit « en tant qu’ils sont un en essence ou en notion ».

[12] Il s’agit de l’esprit de l’homme (mens).

[13] Pour ces petites questions, on trouve d’abord à la suite les objections des quatre articles, et ensuite les quatre réponses.

[14] La distinction 17 est consacrée à la charité. Parmi les parallèles deux grandes études : celle de la Somme (IIa IIæ, q. 23 ss), et question 2 du De virtutibus, (De caritate), qui ont été écrites vers la même époque. En arrière plan, il faut remarquer l’étude des habitus, liès à la charité. (« La foi est un habitus » Ia, IIæ, q.52, a. 1, sc. ).

[15] Ou complet

[16] Parall. : Ia, qu. 26, a. 3.

[17] Dans l’introduction l’article est signalé comme : « Recherche sur la pluralité des noms divins donnés dans La Lettre ». Pour Ambroise, la répartition est triple (De fide, prol. 2) : Il y a certains noms qui montrent la propriété de la divinité ; il y en a certains qui expriment la remarquable unité de la majesté divine ; d’autres qui parlent au figuré et par image. Les identifications de la propriété sont la génération, le Fils, le verbe, etc., celles de l’unité, la sagesse étenelle, la vertu, la vérité,etc. la splendeur de la ressemblance : le caractère, le miroir, etc. Lombard, dist. 22,ch. 1. On remarquera qu’à ces trois divisions s’opposent les trois premières objections.

[18] Les hypostases sont les substances spéciales à chacune des trois personnes de la Trinité, en tant que substantiellement distinctes des deux autres. Elles sont subsistantes, sans division. Le point de vue de Boèce : « Les Grecs, de façon plus pertinente que nous, ont donné à la subsistence (sic) individuelle de la nature rationnelle le nom d’hypostase, tandis que nous, par manque de termes exprimant bien le sens de cette notion, nous avons repris le nom déjà utilisé de persona pour désigner ce que les Grecs appellent hypostase ». (Boèce, La personne du Christ, III, trad. H. Merle).

[19] Voir Emery Trin. P. 304 note 6

[20] Note du traducteur : Les trois distinctions 42, 43, 44, sont consacrées par Pierre Lombard à la puissance de Dieu. Elles se situent, après les traités de la science de Dieu (d 35 à 41) et avant la volonté de Dieu (d 45 à 48) qui terminent le livre I consacré à Dieu. Une première remarque importante : Thomas au contraire des autres parle de puissance et non de toute puissance. Il y a un rapport évident avec la question I du De Potentia, cependant l’ordre est différent du fait que, dans les Sentences, il est obligé de suivre un ordre imposé. Ces distinctions, aussi bien celle de Pierre Lombard et de Thomas, que d’autres, sont étudiées dans un livre précieux : La puissance et son ombre de Pierre Lombard à Luther, sous la direction d’Olivier Boulnois (Aubier 1994).

Nous avons conservé notre traduction qui se veut aussi proche que possible du texte latin, pour que ceux qui ont « un peu de latin », puisse suivre quasiment mot à mot la traduction.

[21] Si l'on s'en tient à l'analyse de Saint Bonaventure (d. 42 expositio textus), on peut dire que la d. 42 étudie la puissance et le possible, d. 43 la grandeur de la puissance, d 44 la puissance quant à son mode, sive qualitatem rerum.

[22] Plan du texte de P. Lombard, donné par Thomas : 1. Pourquoi dit-on que Dieu est tout puissant, a) Vérité, b) exclusion des trois objections : les actes corporels, les péchés, les passions. –2. Démonstration – 3. Il conclut à la nature parfaite de la toute puissance ; a) Autorités, b) résolution, c) multiplicité des relations.

Bonaventure divise le texte en quatre parties : 1. La puissance est toute puissance, 2. Comment dit-on qu’il peut tout, 3. Les signes qui révèle la puissance. 4. Les autres raisons de sa toute puissance.

[23] Cf. E. -H. Weber, Dialogue et dissensions entre st Bonaventure et st Thomas d’Aquin à Paris 1252-1273. Il considère, à juste titre, que le texte de Mandonnet est fautif et qu’il faut suppleer non.

[24] Éd. Mandonnet ajoute : ex Avicenna, lib. De intellig, cap. IV.

[25] Éd. De Parme. Ce paragraphe en entier [cum enim…una potentia] n’est pas dans les manuscrits, précise Mandonnet.

[26] En Ia, qu. 32, a. 1, Thomas donne une liste d'attributs, ceux que les philosophes ont reconnu : la puissance pour le Père, la sagesse pour le Fils, la bonté pour l'Esprit Saint. Et ceux reconnus dans le mystère de la Trinité : génération, filiation et procession. La réponse de I Sent. d2a2 éclaire ce paragraphe. Il y a en Dieu des attributs (sagesse et bonté citées) distincts l'un de l'autre et par analogie ils se retrouvent dans les créatures. Doctrine attribuée à Denys par Thomas.

[27] C'est-à-dire l'essence.

[28] Les notions sont les propriétés qui notifient distinctement chaque Personne de la Trinité. Pour permettre de distinguer les trois Personnes, il faut qu'il y ait des propriétés caractéristiques : paternité, filiation, procession, qui sont les notions communes, et l'innascibilité (on peut considérer qu'elle est passive et qu'elle ne constitue pas la personne). « …nous signifions en Dieu, non pas des choses, mais comme des raisons formelles par lesquelles les Personnes sont connues. (Ia, qu. 32, a. 2, ad 2). Ajoutons que «le pouvoir créateur est commun à toute la Trinité. », ainsi que toutes les œuvres ad extra (La Trinité, I, éd des Jeunes, pp. 196).

[29] « …la paternité est appelée relation selon qu'elle se rapporte au Fils, elle est appelée propriété en tant qu'elle convient seulement à Dieu, elle est appelée notion en tant qu'elle est le principe formel pour connaître le Père »

[30] Le principium essendi est le principe d'être, mais dans le De Potentia, Thomas parle généralement d'identité pour l'essence et l'opération.

[31] Parall : I Sent. d43q1a1 – Ia, qu. 25, a. 2 — CG. 1, 43 – Compendium 19 – Pot. qu. 1, a. 6 — qu. 7. a. 1 – Phys. VIII lect. 23 – Méta. XII lect. 8.

[32] « Dieu peut et avec zèle, faire de mauvaises actions. »

[33] Éd. Mandonnet : perfectius creatura habet quam in Deo sit Deus perfectum.

[34] Averroès.

[35] Rm. 11, 24 à propos de Greffé contre nature. Cf. Pot. qu. 1, a. 3, obj. 1.

[36] Le mal, étant négatif, n’a pas d’intelligibilté.

[37] Le principe de contradiction.

[38] Éd. Parme add. Nec facere potest.

[39] Éd. Parme omet : ut quod ignis manens ignis infrigidet.

[40] Cf. Pot. qu. 1, a. 4, obj. 5 : «Que le monde a dû être possible avant d’exister. Mais il ne fut pas possible par les causes inférieures. » Les causes inférieures ne jouent pas dans la création puisqu’elle est ex nihilo.

[41] Abélard fut condamné au Concile de Sens, particulièrement pour cette assertion : « Quod pater sit plena potentia, Filus quaedam potentia, Spiritus sanctus nulla potentia. »

[42] Parall. : Pot. qu. 1, a. 2 – Ia, qu. 25, a. 2 — CG. I, 43 — Compendium 18 – Phys., VII, lect. 23 – Méta. XII, lect. 8.

[43] Objection en Pot. Question 1, a. 2.

[44] Parall. : Pot. qu. 1, a. ?

[45] Il s’agit de l’Intelligence issue de l’être premier, selon les théories du De causis et d’Avicenne. Voir plus loin, qu. 2, a. 1, sc 1.

[46] Parall. : CG. I, 80 ss., III, 97 — Verit qu. 23, a. 1 – Pot. qu. 1, a. 5 – qu. 10, a. 2, ad 6.

[47] Parall. : CG. II, 23, Pot. qu. 3, a. 15.

[48] Glose de Jérôme (In Jonas, verset 9, PL. 1137) : « Deus natura misericors est et paratus ut salvet clementia quos non potest salvare justitia. »

[49] Saint Grégoire, Vita, livre II, § 44.

[50] …Ils disent : « Dieu n'avait-il pas d'autres moyens pour délivrer l'homme des misères de sa condition mortelles ? » (à propos du Christ).

[51] Les adverbes qui indiquent le temps.

[52] Il relie donc, comme attributs de Dieu la science (Dist. 39) et la puissance (Dist. 42 à 44).

[53] Parall. : Ia, qu. 25, a. 6.

[54] « Dieu a dû engendrer égal à lui, celui qu'il a engendré ; car il n'a pu engendrer meilleur que lui, puisqu'il n'y a rien de meilleur que Dieu. En effet, s'il l'eût voulu sans le pouvoir, c'eût été impuissance s'il l'eût pu sans le vouloir, t'eût été jalousie. Donc il a dû engendrer son Fils égal à lui-même. »

[55] « Toutes les choses… qui sans être souverainement, ni également, ni immuablement bonnes ne laissent pas de l’être même isolément et qui, prise dans leur ensemble, sont tout à fait bonnes.(Gn.1, 3) » BA 9, p. 119.

[56] Sed tamen bona etiam singula : bonnes…même isolément. (cf. note précédante).

[57] Il s’agit du Christ.

[58] Mandonnet signale, à juste titre, le texte en faveur de l’Immaculée Conception, mais il y a une petite restriction.

[59] Titre de l’article : « A-t-il été plus convenable que ce soit le Fils qui s’incarne ou le Père ou l’Esprit Saint ?

[60] Parall. : Ia, qu. 19, a. 1 – qu. 5, a. 2 – CG I, 72, 73 – IV, 19 – QD Verit., qu. 23, a. 1 – Comp. Theo., c. 32.

[61] « Les saintes Ecritures appellent Dieu Raison (ou verbe, logos) ». Trad. M. De Gandillac.

[62] Parall. : Ia, qu. 19, a. 2 – CG. I, 75, 76, 77 – QD Verit., qu. 23, a. 4.

[63] Parall. : Ia, qu. 19, a. 4 – 1 Sent. d. 43, qu. 2, a. 1 – CG. II, 23 – QD Pot. Qu. 1, a. 5 – qu. 3, a. 15

[64] « La volonté proprement dite est appelée volonté de bon plaisir et la volonté métaphorique est appelée volonté de signe, parce que le signe d’une volonté est pris en ce cas pour la volonté même » (Ia, qu. 19, a. 11, c).

[65] Parall. : Ia, qu. 19, a. 2.

[66] « Parce que que Dieu commande à beaucoup ce qu’ils ne font pas, et empêcher ce dont ils ont soin et conseille ce qu’il n’acccomplissent pas ».