SAINT THOMAS D'AQUIN
Sermons
traduits en français
Direction
Professeur Jacques
Ménard
2005
Édition numérique, https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique, 2004
Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin
AVERTISSEMENT
L’édition latine des sermons de Thomas d’Aquin, utilisée
pour la présente traduction, est l’édition numérisée réalisée par le père
Roberto Busa, s.j., et reprise par le professeur Enrique Alarcón Moreno. On la
trouvera à l’adresse : http://www.corpusthomisticum.org. Une traduction en
italien a été publiée par Carmelo Pandolfi, aux Éditions dominicaines de
Bologne.
La présente publication ne retient que
les sermons de Thomas d’Aquin généralement reconnus comme authentiques. Étant
donné l’absence d’une chronologie même relative des sermons, ceux-ci ont été regroupés
par thèmes. L’ordre, les titres principaux et les sous-titres entre crochets
sont donc des ajouts éditoriaux. Deux leçons introductives (principia) données par Thomas d’Aquin
lors de son accession à ses fonctions de bachelier et de maître ont été
ajoutées aux sermons.
La traduction est l’œuvre de
plusieurs collaborateurs : Raymond Berton, Alain Blachair, Jean-Yves
Brachet, o.p., Guy Delaporte (http://thomas-d-aquin.com),
Marie-Hélène Deloffre, o.s.b., Philippe Dupont, o.s.b., abbé de Solesmes, Charles Duyck (http://vsame.free.fr),
Jean-Baptiste Échivard, Marie-Louise Évrard,
Jacques Ménard, Stéphane Mercier, Thomas Pègues, o.p., Dominique Pillet, Denis
Sureau, Jean-Pierre Vaël.
La traduction des textes bibliques s’efforce
de rester aussi proche que possible de la version latine de la Bible utilisée
par Thomas d’Aquin. Il arrive aussi que le texte même des sermons donne des
citations approximatives : celles-ci ont été respectées lorsqu’elles
paraissaient importantes pour le déroulement de l’argumentation. De même, le
texte des sermons donne-t-il parfois des références inexactes aux chapitres de
la Bible. Celles-ci ont été corrigées dans la mesure du possible; elles ont
aussi été complétées par l’indication des versets (qui n’étaient pas en usage
au XIIIe siècle). On ne s’étonnera donc pas de certains écarts par
rapport aux traductions plus récentes, ou même par rapport à la version latine de
la Vulgate, et par rapport à la numérotation maintenant en vigueur.
La coordination du travail a été
assurée par Arnaud Dumouch (http://eschatologie.free.fr),
pour le projet Les œuvres complètes de
saint Thomas d’Aquin (https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
2005). Le professeur Jacques Ménard a assuré la révision générale de l’ouvrage.
TABLE DES MATIÈRES
1 – La vie de saint Thomas d'Aquin (1226-1274)
I – DIEU INVITE L’HOMME À LA BÉATITUDE
Beati qui habitant : Bienheureux ceux qui habitent...
Beatus vir : Bienheureux l’homme...
Séraphim stabant : Les séraphins se tenaient...
Beata gens : Bienheureux le
peuple...
1 – La grâce du Père nous a envoyé un Sauveur
Ecce ego : Voici que moi, j'envoie mon Ange!
Veniet desideratus cunctis : Il viendra, désiré par toutes les
nations
Lauda et laetare : Pousse des cris de joie!
Puer Jesus : L'enfant Jésus...
Osanna filio David : Hosanna au fils de David
Ecce Rex : Voici que ton roi vient à toi!
3 – L'Esprit Saint qui ouvre le cœur
Emitte Spiritum tuum : Envoie ton Esprit
III – LA MARCHE VERS LA BÉATITUDE
1 – Accueillir la parole de Dieu
Exiit qui seminat : Un homme sortit pour semer
Hic est liber : Voici le Livre!
Rigans montes de superioribus suis : Arrosant les montagnes depuis les
hauteurs
2 – Se méfier des faux prophètes
Attendite a falsis : Méfiez-vous des faux prophètes!
3 – Accepter l’invitation au repas du Seigneur
Homo quidem fecit cenam magnam : Un homme fit un grand repas...
4 – Marie, lumière et guide de ceux qui sont en route...
Lux orta est : La lumière s’est levée
Sermo Germinet terra : Que la terre se couvre de
verdure!
5 – Servir comme un bon intendant
Inveni David : J'ai trouvé David mon serviteur
Homo quidam erat dives : Il y avait un homme riche...
6 – Rejeter les œuvres des ténèbres
Abjiciamus opera : Rejetons les œuvres des ténèbres
7 – S’attacher à ce qui ne passe pas
Caelum et terra : Le ciel et la terre passeront...
L’enfance
Thomas
d’Aquin (Tommaso d'Aquino) est né en 1224 ou 1225, au château de Rocca-Secca,
près de la petite ville d'Aquino, dans le royaume de Naples[1].
Comme point de repère, on se rappellera que 1225 est l'année de la mort de
saint François d'Assise et de la montée sur le trône de France de saint Louis.
Thomas d’Aquin apparaît au sein d’une famille noble relativement modeste, qui
n’en cherche pas moins pour autant à élargir l’assiette de son pouvoir et de
son influence au sein du monde laïc comme du monde ecclésiastique.
Son
biographe tardif, Guillaume de Tocco, rapporte une anecdote de l’enfance de
Thomas d’Aquin, où l’on s’était plu à lire un signe de ses dispositions
ultérieures. Il était encore au berceau, quand, un jour, sa nourrice voulut lui
ôter un papier qu'il tenait à la main. Mais l'enfant se mit à protester en
criant. Sa mère survient, elle arrache de force le papier des mains de son
fils, malgré ses cris et ses larmes, et elle voit alors avec admiration qu'il
ne contient que ces deux mots : Ave
Maria...
Les études
Thomas
est élevé comme oblat au monastère du Mont-Cassin, non loin du château
familial, dans la célèbre école des Bénédictins. Sa famille souhaitait sans
doute l’y voir un jour comme prieur ou abbé afin d’asseoir son influence dans
la région. Forcé de quitter le monastère du Mont-Cassin par suite de
l’expulsion des moines en 1239, Thomas poursuit alors ses études à Naples, où
il prend un premier contact avec les nouveaux textes et les nouvelles méthodes
qui commencent à pénétrer le milieu des écoles. En 1244, à l'âge de dix-huit ou
dix-neuf ans, malgré le désaccord de ses parents, il entre à Naples dans
l'ordre des Frères prêcheurs, fondé par Dominique de Guzman (saint Dominique)
en 1216, pour lutter contre l'hérésie albigeoise par la pauvreté volontaire et
la prédication.
Alors
que les Dominicains cherchent à l’envoyer à Paris, sans doute pour le mettre à
l’abri d’interventions intempestives de sa famille, ses frères s’emparent de
lui alors qu’il est en route. Il est séquestré dans une tour du château
familial. Guillaume de Tocco raconte avec une certaine verve quelques-unes des péripéties
de la résistance de Thomas d’Aquin. Tous les moyens sont bons pour tenter de le
faire plier! Mais, imperturbable, Thomas consacre ses loisirs forcés à lecture
de l’Écriture... La force ayant échoué, on recourt aux séductions d’une
prostituée. Mais Thomas saisit dans la cheminée un tison enflammé et la met en
fuite. Il se jette ensuite à genoux, puis s'endort. Pendant son sommeil, il
voit des anges descendre du ciel pour le féliciter et lui ceindre les reins, en
lui disant : «Reçois de la part
de Dieu le don de la chasteté perpétuelle.» Son confesseur déclarera
après sa mort que Thomas était mort aussi pur qu'un enfant de cinq ans.
Grâce
à sa ténacité et à la complicité de ses frères dominicains, il peut enfin poursuivre
sa vocation. Envoyé à Paris en 1245, il y fait la rencontre d’Albert le Grand
(v. 1193-1280), qui se l’attachera et l’amènera avec lui à Cologne en 1248, où
il poursuivra ses études jusqu’en 1252. Guillaume de Tocco a attiré l’attention
sur un épisode de cette période qu’il juge significatif. Plongé dans une
réflexion intérieure qui le rend étranger à son entourage («ne conversant
qu'avec Dieu», dit son biographe), peu doué pour le bavardage, taciturne au
milieu d’étudiants assez turbulents, on l’appelait, avec une pointe de
dérision, le «bœuf muet». Mais son maître aurait dit un jour de lui, en
public : «Vous voyez ce boeuf que
vous appelez muet. Eh bien! Il fera retentir bientôt tout l'univers de ses mugissements[2].» L’avenir devait confirmer ce pressentiment.
Le maître
Entre
1252 et 1259, Thomas d’Aquin se trouve de nouveau à l’université de Paris. Il y
franchit les premières étapes de sa carrière d’enseignant universitaire,
d’abord comme «bachelier biblique» (le commentaire de l’Écriture étant la
première tâche du théologien), de 1252 à 1254, puis comme «bachelier
sententiaire» (autorisé à commenter les Sentences
de Pierre Lombard), de 1254 à 1256. En 1256, à un âge d’une précocité
exceptionnelle et à la suite d’une exemption particulière, il commence à
exercer la fonction de maître en théologie, qui le retiendra à Paris jusqu’en
1259.
Il
continuera d’exercer cette fonction jusqu’à la fin de sa vie dans divers
milieux. Sa réputation est maintenant établie. De 1259 à 1268, il retourne en
Italie, où il est œuvre principalement à la curie pontificale et au couvent
dominicain de Sainte-Sabine. Puis, il est de retour à Paris de 1269 à 1272, où
il est mêlé à deux conflits particulièrement virulents avec les tenants d’un
augustinisme radical et les partisans des clercs séculiers, qui s’élèvent
contre les privilèges des ordres mendiants.
En
1272, Thomas d’Aquin doit revenir à Naples afin d’y établir une maison d’études
pour les dominicains. Selon certains témoins, à partir du début de décembre
1273, Thomas d’Aquin aurait été plongé dans ce qui paraissait une abstraction
totale par rapport à son entourage et il cessa d’écrire. Même sa sœur la plus
proche ne réussissait plus à communiquer avec lui. Interrogé, son secrétaire et
ami, frère Réginald, aurait affirmé à celle-ci que Thomas était dans cet «état
d’abstraction» depuis la fête de saint Nicolas (6 décembre 1273). Pressé par
Réginald de s’expliquer, Thomas, en poussant un profond soupir comme un homme
arraché à un profond sommeil, lui aurait répondu : «Réginald, mon fils, je vais vous apprendre
un secret; mais je vous adjure, au nom du Dieu tout-puissant, par votre
attachement à notre ordre et l'affection que vous me portez, de ne le révéler à
personne, tant que je vivrai. Le terme de mes travaux est venu; tout ce que
j'ai écrit et enseigné me semble de la paille auprès de ce que j'ai vu et de ce
qui m'a été dévoilé. Désormais, j'espère de la bonté de mon Dieu que la fin de
ma vie suivra de près celle de mes travaux.» En janvier 1274, Thomas reçoit
pourtant une invitation personnelle du pape Grégoire X à participer au concile
général qui doit se tenir à Lyon (deuxième concile général de Lyon, 1274).
Mais, en cours de route, il doit s’arrêter, malade, à l’abbaye de Fossa Nova,
où il meurt le 7 mars 1274[3].
Sa
véritable carrière ne fait que commencer... Ce n’est qu’après bien des soubresauts,
à l’intérieur comme à l’extérieur de l’ordre des Frères prêcheurs, que son enseignement
et son œuvre sont réhabilités, après la condamnation, au lendemain de sa mort,
de plusieurs de ses positions par l’évêque de Paris, Étienne Tempier. Il faudra
attendre encore plusieurs décennies avant que l’enseignement de Thomas d’Aquin ne
devienne une référence obligée de l’enseignement de la théologie, justifiant
ainsi le titre de «docteur commun» qui finira par lui être attribué. Quant à sa
sainteté, elle fera l’objet d’un laborieux procès de canonisation amorcé en
1317, qui aboutira à sa canonisation effective le 18 juillet 1323[4].
À
moins de cinquante ans, Thomas d’Aquin laissait derrière lui une œuvre immense.
Il aura sans conteste été celui qui, grâce à un labeur colossal, à une audace
dont on mesure à peine la portée et à une lucidité exceptionnelle, aura réussi
à réaliser une synthèse acceptable entre les positions classiques de la pensée
chrétienne et les nouvelles orientations proposées par la pensée
aristotélicienne, telle qu’elle venait à la connaissance des maîtres du XIIIe
siècle au moment où Thomas d’Aquin emtrait en scène. Thomas d’Aquin releva un
défi que bien peu furent en mesure d’affronter.
Le 6
décembre 1273, fête de saint Nicolas, célébrant la messe dans la chapelle dédiée
à ce saint au couvent de Naples, il a une révélation qui le change tellement,
que dès lors il ne lui est plus possible ni d'écrire ni de dicter. "Ou
plutôt, dit un auteur ancien, le Docteur brisa sa plume;" il en
était à la troisième partie de sa Somme, dans le traité de la Pénitence.
Frère
Réginald, son secrétaire, voyant son maître cesser d'écrire, lui dit: "Père,
comment laissez-vous inachevée une oeuvre si grande entreprise, par vous pour
la gloire de Dieu et l'illumination du monde? — Je ne peux continuer,"
répondit le Saint. Réginald, qui craignait que l'excès du travail n'eût émoussé
l'intelligence du grand Docteur, insistait toujours, pour qu'il écrivît ou
dictât, et Thomas lui répondait: "En vérité, mon fils, je ne puis plus;
tout ce que j'ai écrit me paraît un brin de paille".
Sur
le conseil de ses supérieurs, qui pensèrent qu'une absence de Naples le reposerait,
Thomas se rendit chez la comtesse de San-Severino, sa soeur, pour laquelle il
avait une vive affection: Il n'y arriva qu'avec une extrême difficulté, et
lorsque la comtesse vint à sa rencontre, c'est à peine s'il lui parla. Elle en
fut effrayée, et dit au compagnon du Bienheureux: "Qu'est-il donc survenu
à mon frère, qu'il soit comme étranger à tout, et qu'il ne m'ait presque rien
dit? — Depuis la fête de saint Nicolas, répondit Réginald, il est fréquemment
dans des abstractions de ce genre, et il n'a plus écrit. Cependant je ne
l'avais pas vu encore si complètement absorbé." Et, après une ou deux
heures, s'approchant du Maître, il le tira vivement par sa chape, pour le faire
revenir à lui. Thomas poussa un soupir, comme un homme arraché aux douceurs
d'un profond sommeil, et dit: "Réginald, mon fils, je vais vous
apprendre un secret; mais je vous adjure, au nom du Dieu tout-puissant, par
votre attachement à notre Ordre et l'affection que vous me portez, de ne le
révéler à personne, tant que je vivrai. Le terme de mes travaux est venu; tout
ce que j'ai écrit et enseigné me semble un brin de paille auprès de ce que j'ai
vu et de ce qui m'a été dévoilé. Désormais j'espère de la bonté de mon Dieu que
la fin de ma vie suivra de près celle de mes travaux".
Et effectivement, saint Thomas mourut
quelques temps après, le 2 mars 1274. Sans doute a-t-il eu, ce jour-là, la
révélation brûlante et expérimentale, l'apparition du Messie dans sa gloire
venu lui prêcher l'évangile pour l'heure de sa mort
Mais
ce n’est pas tant de cet aspect de sa pensée dont le présent ouvrage témoigne.
Il se concentre plutôt sur un aspect trop souvent méconnu de l’action de Thomas
d’Aquin : son action de prédicateur, telle qu’elle apparaît dans les
sermons qui nous restent de lui[5].
C’est peut-être là qu’il eut le plus le sentiment d’être un frère prêcheur. Sa
clarté de pensée, sa maîtrise des questions et sa capacité de synthèse s’y
manifestent de manière incontestable. Il ne s’agit plus d’analyser pour ainsi
dire à loisir toutes les facettes des questions qui peuvent se poser ou être
posées à propos de n’importe quel aspect de la pensée chrétienne. Thomas
d’Aquin doit plutôt aller rapidement au cœur de chaque question, n’en retenir
que l’essentiel, pratiquer une économie de mots afin de mettre en pleine
lumière le cœur de questions importantes pour la vie chrétienne. C’est grâce à
ces qualités toutes particulières que les sermons de Thomas d’Aquin ont encore
beaucoup à nous dire et peuvent s’adresser à nous.
En
eux-mêmes, les sermons se présentent sous forme de documents dispersés. Un seul
peut être daté de manière précise, en raison d’une partie polémique, à savoir,
le sermon Osanna Filio David (Sermon
9), qui fut donné le 1er décembre 1269. Une vingtaine
de sermons ou homélies, généralement reconnus comme authentiques, ont été
conservés, vestiges sans doute d’un nombre plus considérable. D’autres ont été
attribués à Thomas d’Aquin dans le passé, mais leur authenticité est
aujourd’hui écartée ou fortement contestée. Nous n’avons retenu pour la
présente publication que les sermons généralement reconnus comme authentiques.
Ajoutons
qu'un certain nombre de courts exposés qui furent donnés par saint Thomas pendant
la messe sous forme d’homélies (commentaires du Pater, de l'Ave,
du Credo, des commandements) n’ont pas été retenus ici, puisqu’ils ont
déjà été traduits et publiés par des moines de l'abbaye de Fontgombault au
cours des années 1970. On peut se les procurer aux Nouvelles Éditions Latines.
La
traduction française de l’ensemble des sermons de Thomas d’Aquin est présentée
pour la première fois. Épars et sans lien à l’origine, ils se sont pourtant
révélés susceptibles de constituer un ensemble qui résume admirablement bien,
et d’une manière simple et vivante, ce que Thomas d’Aquin estimait sans doute être
la substance de la foi et de la vie chrétiennes.
Toute
la richesse des sermons tient dans une pensée profondément nourrie de
l’Écriture et des Pères. Les artifices oratoires en sont pratiquement absents; les
sermons ne font de même état d’aucune recherche de style, qui se révèle souvent
syncopé et elliptique, comme tout langage parlé, d’autant plus que, dans la
plupart des cas, nous avons affaire à des reportationes, c’est-à-dire à
des transcriptions de notes (sans doute revues par Thomas d’Aquin dans plusieurs
cas), prises par un auditeur, peut-être Réginald de Piperno, son secrétaire et
ami (dans un cas, on pense qu’il s’agit d’un franciscain). Si l’on est déjà
familier avec les commentaires scripturaires de Thomas d’Aquin, on retrouvera
facilement dans les sermons, mais en plus bref, les mêmes méthodes et les mêmes
techniques d’exposé : recours aux étymologies courantes (la plupart du
temps empruntées à Isidore de Séville]; divisions et subdivisions du texte pour
en mettre en évidence l’ordre interne et jusqu’à la moindre particule; appel à des
références bibliques qui sont en harmonie avec chaque élément du texte commenté;
rappel bref mais ferme de positions théologiques ou dogmatiques qui encadrent l’interprétation
de textes ambigus; enfin, allusions à des positions philosophiques qui ont eu
cours dans le passé ou qui ont cours au moment où Thomas d’Aquin prend la
parole. On remarquera au passage que, contrairement à une pratique
contemporaine courante, Thomas d’Aquin ne fait pour ainsi dire pas appel à des exempla (récits édifiants plus ou moins
développés dont les prédicateurs parsemaient leurs sermons), peut-être parce
qu’il s’adresse à un public universitaire, ce qui ne l’empêche pas de recourir sommairement
à des comparaisons tirées de la vie quotidienne.
La
foi robuste de Thomas d’Aquin (et des autres maîtres de l’époque) dans l’unité
et la continuité profondes de l’Écriture, dans son ensemble et dans chacune de
ses parties – «Tous ceux qui ont transmis la sainte doctrine ont enseigné la
même chose», dit-il dans un des sermons – faisait en sorte qu’aucune particule
de celle-ci ne lui paraissait dénuée de sens. Si le sens d’un passage
n’apparaissait pas à première vue, qui mieux que l’Écriture elle-même pouvait l’éclairer
par des passages connexes? Le mélange du littéralisme le plus pointu et de
recours à une diversité de sens connexes était une des caractéristiques de
l’exégèse médiévale, qui retrouvait dans chaque élément du texte les multiples harmoniques
susceptibles de lui apporter, par des voies qui paraissent étonnantes à un
lecteur moderne, un éclairage pertinent[6].
Bien qu’ils s’intéressent à des questions fondamentales, qui continuent d’avoir
un intérêt réel pour les chrétiens de tous les temps, on relèvera encore ici et
là certains traits ou allusions qui évoquent les préoccupations et le contexte
particuliers du milieu universitaire parisien de la seconde moitié du XIIIe
siècle où ces homélies furent prononcées.
Il
est relativement rare que Thomas d’Aquin laisse transparaître ses sentiments
personnels dans ses écrits habituellement marqués au signe d’une placidité
apparemment imperturbable. Avec quelques confidences faites à ses proches
(entre autres, à Réginald de Piperno), rappelées par son biographe, Guillaume
de Tocco, et quelques reparties de ses œuvres polémiques se rapportant à la
querelle des Mendiants et des Séculiers[7],
certains passages des sermons nous laissent entrevoir ce que devaient être la
passion et l’intensité qui animaient la démarche intérieure de Thomas d’Aquin.
Des remarques faites en passant, de même que des exemples tirés du contexte
contemporain, ne manquent pas de laisser transparaître un sens du sarcasme ou du
paradoxe, pour ne pas dire de la provocation : «Certaines choses m’étonnent : on disait jadis qu’il était mal que
des hérésies soient prêchées en Lombardie. Mais voilà qu’elles le sont à [Paris]!»
Aucun
ordre ne s’imposait de lui-même pour les sermons. Leur chronologie, même
relative, est incertaine. Ils se rattachent pour la plupart à des moments
liturgiques familiers. Peut-être aurait-il été intéressant d’ordonner les
sermons selon le calendrier liturgique dominicain de l’époque, mais il n’est
pas certain que cet ordre aurait été plus éclairant. En définitive, nous avons
choisi de classer les sermons selon un plan dont les éléments sont empruntés à
leur contenu même, et se révèlent d’ailleurs conformes à des orientations
majeures de la Somme de théologie.
Thomas d’Aquin n’aurait sans doute pas renié un tel plan, car l’un de ses
traits dominants est d’avoir su mettre de l’ordre dans les questions abordées,
afin de rendre aussi facile que possible la compréhension des sujets traités.
Voici
donc le plan que nous avons adopté :
1
– DIEU INVITE L’HOMME À LA BÉATITUDE
2
– LE CHEMIN DE LA BÉATITUDE
3
– LA MARCHE VERS LA BÉATITUDE
En
appendice, il nous a paru intéressant de publier un recueil d’extraits de Thomas
d’Aquin sur la vie spirituelle, que sœur Marie-Hélène Deloffre, o.s.b., a
préparé à l’occasion de la profession religieuse d’une de ses consoeurs. Il
permettra sans doute de poursuivre la méditation en compagnie de Thomas
d’Aquin...
Arnaud
Dumouch,
Webmestre
du site http ://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique,
Les œuvres complètes de saint Thomas
d'Aquin, 2005
«La vision de la Trinité dans
l'unité : voilà la fin et le fruit savoureux de toute la vie humaine.»
(Commentaire des Sentences de Pierre Lombard, I, d. 2, q. 1, expos.
text.)
Sermon à l’occasion de la Toussaint
(Traduction par le R.P. Philippe Dupont, abbé de Solesmes,
2005)
Prologue
[Sens de la fête de la Toussaint]
Bienheureux ceux qui habitent dans ta
maison, Seigneur! (Psaume 84[83], 5).
Aucun de ceux qui ont un jugement droit
n’ignore qu’unique est la société de Dieu, des anges et des hommes, dont il est
question en 1 Corinthiens 1, 9 : Il est fidèle, le Dieu par
qui vous avez été appelés à la communion de son Fils, notre Seigneur Jésus, le
Christ; et de même, en 1 Jean 1, 7 : Si nous marchons
dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en
communion les uns avec les autres. C’est une société en tant que tous
participent à la même fin, la béatitude, car Dieu est bienheureux, et les anges
et les hommes obtiennent la béatitude. Mais Dieu est bienheureux par nature,
les anges et les hommes le sont par participation. Ainsi, [il est dit] en
1 Timothée 6, 15 : Celui que le Dieu unique et bienheureux
montrera aux temps marqués.
Parmi
ceux qui sont associés dans une même fin, telle doit être la communion des
œuvres que ceux qui n’ont pas encore atteint la fin y soient conduits et,
ainsi, nous qui sommes en marche vers la béatitude, nous sommes conduits par
des paroles et des exemples; et ceux qui sont déjà parvenus au but aident les autres
à y arriver.
Il
s’ensuit que nous célébrons les fêtes des saints, qui jouissent déjà de la béatitude,
pour être soutenus par leurs suffrages, édifiés par leurs exemples, stimulés
par leurs récompenses. Mais puisque nous ne pouvons célébrer la fête de chacun
des saints dont le nombre nous est inconnu et que nous commettons bien des
négligences dans les solennités que nous célébrons, l’Église a sagement prévu
de célébrer tous les saints en une seule fête commune. Ainsi, ce qui n’est pas
manifesté spécialement ou qui est négligé dans les fêtes particulières est
complété de cette manière. Voilà pourquoi nous fêtons maintenant la cité des
bienheureux, la béatitude.
Première partie
[Qu’est-ce que la béatitude?]
Il
faut donc savoir ceci : bien que le désir de tout homme tende à la
béatitude, certains ont tenu diverses opinions à son sujet. Plusieurs se sont
trompés sur le lieu de la béatitude, d’autres sur sa durée, d’autres sur
l’occupation ou l’opération.
En
premier lieu, se sont trompés ceux qui ont placé la béatitude en ce monde,
comme dans les choses corporelles, les vertus ou les sciences. Isaïe 3, 12
les contredit : Mon peuple, ceux qui te disent bienheureux, ceux-là
t’égarent. Cela est juste, car cette opinion va d’abord contre la
perfection de la béatitude, puisque, selon le Philosophe, la béatitude est le
bien parfait parce qu’elle est la fin ultime. Il est donc nécessaire que le
désir s’[y] repose, ce qui ne serait pas le cas s’il restait encore quelque
chose à désirer après l’avoir obtenue. Or, en cette vie, la perfection du bien
ne peut exister dans les choses du monde, car, en les obtenant, on en désire
encore davantage; ni dans les vertus ni dans les sciences, car tout homme doit
toujours progresser dans les vertus et dans les sciences, comme le dit le
psaume 139[138], 16 : Tes yeux m’ont vu quand j’étais imparfait,
etc., et 1 Corinthiens 13, 9 : Nous connaissons seulement
en partie.
En
second lieu, [cette opinion] va contre la pureté de la béatitude : si, en
effet, elle est le bien suprême, elle ne doit être mélangée d’aucun mal, comme
le blanc parfait doit être sans mélange de noir. On ne peut donc appeler
bienheureux celui qui souffre quelque misère, car on ne peut à la fois être
malheureux et heureux. Et on ne trouve personne en cette vie qui ne souffre de
quelque misère ou d’incommodités au sujet de biens, d’amis ou de sa personne,
lesquelles empêchent leurs actes, leurs vertus, leurs connaissances. Job 14, 1
dit de l’homme qu’il est rempli d’une foule de misères.
En
troisième lieu, [cette opinion] va contre la stabilité de la béatitude, car la
béatitude n’apaiserait pas le désir si elle n’était pas stable. En effet, plus
on aime un bien possédé, plus on s’affligera si on craint de le perdre. Ainsi,
selon le Philosophe, on ne peut croire qu’est heureux le caméléon qui change de
couleur. Mais il faut que la béatitude soit immuable, ce qui ne peut exister en
cette vie, car les choses extérieures et le corps humain sont soumis à diverses
circonstances, en sorte que nous pouvons dire par expérience qu’en cette vie il
n’y a pas de stabilité. Job 14, 2 : On ne reste jamais dans le
même état, et Proverbes 14, 13 : Le deuil remplace la joie
extrême. Si tu demandes au psalmiste où se trouve le véritable lieu de la
béatitude, il répond : Bienheureux ceux qui habitent dans ta maison,
Seigneur!
À
propos de la durée de la béatitude, certains se sont trompés en disant que les
âmes séparées de leur corps obtiennent la béatitude; quand, après bien des
années, elles reviennent à leur corps et sont soumises aux misères de la vie
présente, elles cessent d’être bienheureuses. C’est l’erreur de Platon et de
ses sectateurs, dans laquelle est tombé Origène. À ceux-là peut être appliqué
ce que dit le livre de la Sagesse 2, 22 : Ils n’ont pas compris
l’honneur des âmes saintes, ou encore Matthieu 25, 46 : Ils
s’en iront à une peine éternelle, mais les justes à une vie éternelle.
Cette
opinion est mauvaise pour trois raisons. D’abord, parce qu’elle contredit le
désir naturel. Par nature, en effet, le désir de toute chose est de se
conserver dans l’être et dans sa perfection. Mais il faut noter que les choses
sans raison ne tendent pas à l’universel et que leur désir ne tend pas à ce que
soit conservée leur perfection; mais la nature raisonnable, connaissant
l’universel, tend naturellement à conserver sa perfection pour toujours. Ainsi,
son désir ne serait pas satisfait, si l’âme ne jouissait pas d’une béatitude
perpétuelle, et sa béatitude ne serait pas véritable, puisque les carences de
l’avenir ou la prescience du futur seraient ignorées. L’Apôtre parle de ce
désir naturel en 2 Corinthiens 5, 2 : En effet, nous
gémissons, désireux de revêtir par-dessus l’autre notre habitation céleste.
Ensuite,
[cette opinion] est contraire à la perfection de la grâce. En effet, toute
chose, naturellement comblée par sa perfection, y persévère de manière
immuable. C’est pourquoi la matière première ne reste jamais sous la forme de
l’air, car une telle forme ne peut remplir toute la capacité de la matière.
Mais l’intellect demeure de façon immuable dans l’assentiment des principes
premiers, car c’est par eux qu’il est entièrement comblé par ce qui peut être
démontré, et ainsi il y consent de façon immuable. Or, l’âme bienheureuse est
totalement comblée par la béatitude; autrement, il ne s’agirait pas d’un bien
parfait. Le psaume 16[15], 11 le dit : Ton visage me remplira de joie, etc. Et c’est pour cela qu’il
poursuit : Délices éternelles en ta droite jusqu’à la fin. Et parce que
la perpétuité découle d’une telle plénitude de grâce, l’Apocalypse3, 12
dit : Parce qu’il a vaincu, j’en
ferai une colonne dans le temple de
mon Dieu et il n’en sortira plus.
En
troisième lieu, [cette opinion] s’oppose à l’équité de la divine justice, car
l’homme adhère à Dieu par la charité avec le propos de ne jamais s’en écarter.
Romains 8, 35 : Qui nous séparera de la charité du Christ? [Dieu] ne rendrait pas pleinement justice
à la charité, si [l’homme] était à un moment écarté de [sa] jouissance (fruitio). Ainsi, Jean 6, 37 [dit] :
Celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors. Et si on interroge
le psalmiste, il répond : Ils te loueront pour les siècles des siècles (Psaume 84[83], 5).
Au
sujet de l’occupation des bienheureux et de leur opération, les juifs et les musulmans
se trompent, quand ils disent que les hommes sont bienheureux en s’adonnant aux
festins, aux beuveries, au commerce avec les femmes. Ce que réprouve Matthieu 22, 30 :
À
la résurrection, on ne prend ni femme ni mari, etc.Cette opinion est à juste titre repoussée. En
effet, elle va d’abord contre le privilège de l’homme, car, si la béatitude
consiste dans l’usage de la nourriture ou des facultés sexuelles qu’on trouve
aussi chez les autres animaux, il faudrait que la béatitude existe non seulement
pour l’homme, mais qu’il y ait des béatitudes pour les animaux, alors que c’est
un privilège de l’homme d’être seul capable de béatitude parmi toutes les
créatures inférieures, comme le dit le psaume 36[35], 7s : Tu
sauveras les hommes et les bêtes, Seigneur, à savoir, pour la santé du
corps, mais les fils des hommes espéreront sous l’ombre de tes ailes.
En
deuxième lieu, cela va contre la joie de la nature, car la nature supérieure ne
peut être rendue bienheureuse par une nature inférieure. Car, si la béatitude
de l’homme consistait dans le fait de manger et que l’homme était rendu
bienheureux par le fait de manger, alors l’homme deviendrait bienheureux grâce
aux aliments qu’il mangerait. Ceux-ci seraient donc plus dignes que l’homme,
alors qu’il est placé au-dessus de toutes les natures inférieures.
Psaume 8, 7 : Tu as tout mis sous ses pieds.
En
troisième lieu, cela s’oppose au zèle de la vertu. En effet, la vertu consiste
pour l’homme à s’écarter des plaisirs. Toutes les vertus qui portent sur des
plaisirs sont donc nommées à partir de l’opposition à ceux-ci, comme
l’abstinence, la tempérance et autres choses du même genre. Mais c’est le
contraire pour les vertus qui concernent les choses qui exigent beaucoup d’effort
et sont difficiles, comme la force, la magnanimité et les choses de ce genre.
Si la béatitude de l’homme consistait dans les plaisirs de la chair, la vertu,
qui est le chemin de la béatitude, n’écarterait pas des plaisirs, comme cela
arrive à ceux dont parle Philippiens 3, 19 : Leur Dieu, c’est leur ventre!
Si tu interroges le psalmiste sur l’occupation et l’opération des bienheureux,
il te répondra : Ils le loueront (Psaume 84[83], 5).
Deuxième partie
[Comment parvient-on à la béatitude?]
Il
reste encore à voir comment parvenir à cette béatitude.
Il
faut savoir qu’il existe trois béatitudes. La première est mondaine : elle
consiste dans l’abondance et la jouissance des biens de ce monde.
Psaume 144[143], 15 : Ils ont déclaré heureux le peuple où il
en est ainsi. Cette béatitude consiste d’abord dans les honneurs, les
richesses, les plaisirs, car, comme on le dit en 1 Jean 2, 16 : Tout
ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, etc. Sous le terme
d’honneur, on comprend la dignité et la renommée, en sorte que ces trois choses
incluent les cinq en lesquelles, selon Boèce, consiste le bonheur terrestre.
Les ambitieux s’efforcent d’arriver à la dignité par le l’orgueil et l’argent,
car il est écrit dans Siracide
10, 19 : Toutes choses obéissent à l’argent, et dans
Proverbes 19, 6 : Beaucoup honorent la personne du riche. Le
Seigneur, quant à lui, enseigne de parvenir à la dignité par le chemin
contraire, à savoir, par la pauvreté et l’humilité, car, ainsi qu’il est dit en
Luc 1, 52 : Il a renversé les puissants de leur trône, et en
Matthieu 5, 3 : Heureux les pauvres en esprit, etc. Il est question
de «royaume», car cela est précieux parmi les honneurs. Cette béatitude
convient principalement au Christ, car, alors que les anciens pères jouissaient
des richesses, il fut le premier à annoncer et à enseigner cette béatitude.
2 Corinthiens 8, 9 : Vous
connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus, le Christ. Matthieu 19, 21 :
Si
tu veux être parfait, va, vends [ce que tu possèdes], etc.
Les hommes de ce monde
obtiennent souvent les richesses au moyen de querelles, de combats ou, à tout
le moins, de luttes dans des procès. Jacques 4, 2 [dit] : Vous bataillez
et vous faites la guerre. Mais Dieu enseigne une voie contraire, celle de
la douceur qui n’irrite pas et n’est pas irritée. Et cela n’est pas étonnant,
car, comme il est dit dans Proverbes 3, 34 : Le royaume sera donné
aux doux. C’est pourquoi [le
Seigneur] dit dans Matthieu 5, 4 : Heureux les doux!
Cette béatitude convient aux martyrs, qui ne se sont pas irrités contre leurs
persécuteurs, mais ont plutôt prié pour eux. 1 Corinthiens 4, 12 :
Maudits, nous bénissons. Ainsi,
c’est d’eux qu’il est dit : On n’entend ni murmure ni plainte
dans leur bouche[8].
Les hommes s’efforcent
de parvenir aux plaisirs par divers moyens, comme le dit Job 21, 12 :
Ils jouent du tambourin. Mais le Seigneur enseigne, au contraire, une
voie opposée, à savoir, celle des pleurs : Heureux ceux qui pleurent,
etc. (Matthieu 5, 5).
Il est dit aussi dans le livre de Tobie 2, 6 : Tout s’est changé
en lamentation et en douleur, etc. Cette béatitude convient aux confesseurs
qui ont mené leur vie en ce monde parmi bien des gémissements et des larmes,
selon ce passage de Lamentations 1, 22 : Nombreux sont nos
gémissements.
La seconde
béatitude est politique : elle consiste en ce qu’on se gouverne bien dans
ses actions grâce à la vertu de prudence, et elle est au mieux lorsqu’elle
gouverne non seulement soi-même, mais aussi la cité et le royaume. Voilà
pourquoi cette béatitude convient surtout aux rois et aux princes. Il est dit
d’elle en Job 29, 11 : L’oreille qui m’entend me rend bienheureux.
Mais il faut savoir la différence entre un roi et un tyran, car le roi cherche,
par son gouvernement, le bien de son peuple, et son propos ne s’écarte pas de sa
sagesse. Proverbes 8, 15 [dit] : C’est par moi que gouvernent les
rois. Le tyran, au contraire, entend s’écarter de l’ordre de la sagesse
divine, car il cherche plutôt à combler ses désirs afin de faire ce qu’il veut,
et il entend y parvenir par sa rapacité, en dépouillant injustement les autres.
Ainsi, il est écrit dans Proverbes 28, 15 : Un lion rugissant, un
ours affamé : tel est le chef impie pour un peuple faible. Mais le
Seigneur enseigne, au contraire, la justice, quand il dit : Heureux ceux qui ont faim et soif de justice
(Matthieu 5, 6). C’est aussi ce qui est dit dans le livre des Proverbes 13, 25 :
Le juste mange et est rassasié. Cette béatitude convient aux anciens pères
qui avaient le plus grand désir de la parfaite justice du Christ. Isaïe 63, 19 :
Puisses-tu déchirer les cieux! Ensuite, le tyran recherche l’impunité
pour les maux qu’il accomplit, et il s’efforce de l’obtenir par la cruauté, de
sorte qu’il soit tellement craint que personne ne s’oppose à lui. Il est
question d’eux dans le psaume 79[78], 2 : Ils ont livré les
cadavres de tes serviteurs en pâture aux oiseaux du ciel. Mais le Seigneur
enseigne le chemin inverse pour gagner la voie de la miséricorde : Heureux
les miséricordieux, etc. (Matthieu
5, 7). Matthieu 6, 15 : Si vous ne remettez pas aux hommes leurs
péchés, etc. Cette béatitude convient aux anges qui sont miséricordieux
pour nous sans passion et nous secourent dans nos misères. Isaïe 33, 7 :
Les anges de paix pleurent amèrement.
La troisième
béatitude est contemplative : c’est surtout celle de ceux qui tendent à
acquérir la vérité, et par-dessus tout la vérité divine. Siracide 14, 20 :
Heureux l’homme qui demeurera dans la sagesse!
Cette
béatitude, les philosophes se sont efforcés de l’obtenir par deux moyens, eux
qui avaient deux buts, à savoir, connaître la vérité et acquérir l’autorité.
Ils se sont efforcés de connaître la vérité par la pratique de l’étude. Mais
Dieu enseigne une voie plus rapide, la pureté du cœur : Heureux les
cœurs purs, etc. (Matthieu 5, 8), et Sagesse 1, 4 : La
sagesse n’entrera pas dans une âme malveillante et n’y habitera pas, etc.
Cette béatitude convient surtout aux vierges qui ont gardé intacte la pureté de
leur esprit et de leur corps.
Mais les
philosophes ont voulu acquérir l’autorité en s’engageant dans les disputes
controversées. Mais, comme le dit 1 Corinthiens 11, 16 : Si
quelqu’un parmi vous cherche à ergoter… C’est pourquoi le Seigneur enseigne
qu’on arrive à l’autorité divine par la paix, de sorte qu’un homme soit
considéré en autorité par les autres, selon [ce qui est dit] dans Exode 7, 1 :
Je te fais chef pour Pharaon. C’est ainsi qu’il est dit : Heureux
les pacifiques! (Matthieu 5, 9). Cette béatitude convient surtout aux
apôtres dont il est dit en 2 Corinthiens 5, 19 : Il a mis en
nous une parole de réconciliation, etc. Quant à ce qui est dit : Heureux
ceux qui souffrent persécution, etc. (Matthieu 5, 10), il ne s’agit
pas d’une autre béatitude, mais elle renforce les précédentes, car on ne peut
être ferme dans la pauvreté, la douceur et dans le reste si, dans les
persécutions, on s’en écarte. C’est pourquoi toutes les récompenses qui
précèdent sont dues à cette béatitude, et on revient au commencement : Car le
royaume des cieux est à eux (Matthieu
5, 3; 5, 10). Et on doit comprendre de la même manière : Car ils
posséderont la terre (Matthieu
5, 4), et ainsi de suite pour le reste.
La béatitude
des saints a donc quelque chose de toutes les [béatitudes] précédentes selon
qu’elle possède tout ce qu’on y trouve de louable. De la béatitude mondaine,
elle possède la riche demeure : Heureux ceux qui habitent dans ta
maison (Psaume 84[83], 5). C’est la maison de gloire dont parle
le psaume 27[26], 4 : J’ai demandé une chose au Seigneur,
etc. Dans cette maison, on obtient tout ce qu’on désire. Psaume 65[64], 5 :
Nous serons rassasiés de biens dans ta maison. Apocalypse 5, 10 : Tu as fait de nous pour notre Dieu un royaume
et des prêtres. Là se trouveront des richesses qui apportent la
satiété. Psaume 26[25], 8 : La gloire et les richesses sont dans
ta maison. Là se trouveront les délices qui renouvellent l’homme en son
entier. Psaume 36[35], 9 : Ils s’enivreront de la graisse de
ta maison, etc. De la béatitude politique, les saints possèdent la perpétuité,
car le dirigeant de la cité doit s’efforcer de préserver pour toujours le bien
de la cité, comme il est dit : Dans les siècles des siècles (Psaume 83, 5).
Cette perpétuité provient de trois réalités : d’abord, du partage des
biens : Je me rassasierai à l’apparition de ta gloire (Psaume 17[16], 15);
ensuite, du rejet du dégoût, car, bien qu’on ait été rassasié, on aura toujours
faim. Siracide 24, 21 : Ceux qui me mangent auront encore faim.
Enfin, de l’immunité de toutes sortes de maux et de misères. Apocalypse 7, 16 :
Jamais plus ils ne souffriront de la faim et de la soif. De la béatitude
contemplative, les saints posséderont une certaine familiarité avec les choses
de Dieu, car la béatitude contemplative consiste surtout dans la contemplation.
C’est pourquoi on dit : Ils te loueront (Psaume 84[83], 5). En effet, ils verront Dieu sans
intermédiaire et clairement : Nous le voyons maintenant comme dans un
miroir, etc. (1 Corinthiens 13, 12), et ils l’aimeront sans cesse
comme des fils, car, selon les Grecs, «fils» dérive d’amour[9]. 1 Jean 3, 1 : Voyez quel amour le Père nous a donné pour que nous soyons
appelés fils de Dieu, et nous le sommes, et comme de bons fils, ils l’honoreront par la louange.
Isaïe 35, 10 : Ils obtiendront joie et allégresse, etc. Le
psaume ne parle que de cela, à partir de quoi le reste se comprend, car ce qui
est loué est connu et aimé. C’est pourquoi Augustin [dit], La cité de Dieu, XX : «Cette
fonction, cet amour, cet acte est pour tous comme la vie de l’éternité.»
Que le Fils
nous y conduise, etc.
(Traduction par
Marie-Louise Évrard, 2004)
Prologue
[Évocation
de la fête de saint Martin]
Bienheureux l’homme dont le secours vient de
toi : dans la vallée des larmes, il a disposé en son cœur ses montées,
vers l’endroit qu’il a établi (Psaume 83, 6).
Cette phrase démontre assez clairement que le
bienheureux Martin est parvenu à la gloire céleste grâce au secours divin. Ce
secours est à la disposition de tous. Et, de même que le bienheureux Martin a
eu besoin du secours divin pour parvenir à la gloire céleste, ainsi, nous
aussi, avons-nous besoin du secours de Dieu pour pouvoir atteindre la gloire.
C’est pourquoi, selon l’avertissement de l’apôtre en Hébreux 4, 16 : Avançons
donc avec assurance vers le trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de
trouver grâce au moment opportun. Afin
qu’il me donne de dire quelque chose, etc.
Première
partie
[La
montée de saint Martin vers la béatitude]
La coutume humaine a ceci de particulier que, lorsque
quelqu’un est élevé à un état important ou à une grande dignité, lui et les
siens rappellent le souvenir de cette élévation. Aujourd’hui, le bienheureux
Martin est élevé à la plus haute dignité et au principat, à savoir, le royaume
des cieux. C’est pourquoi, notre mère l’Église rappelle le souvenir de sa
béatitude.
À propos de sa béatitude, trois éléments provenant de
la citation se présentent à notre considération.
D’abord, nous pouvons prendre en considération le
point de départ de sa béatitude; en deuxième lieu, sa progression et, en
troisième lieu, le terme de sa béatitude.
Le point de départ ou la cause de cette béatitude a
été le secours divin, qui est indiqué par les mots : Bienheureux l’homme.
Il a progressé par des montées, c’est-à-dire qu’il a progressé de vertu en
vertu, ce qui est indiqué quand on lit : Il a disposé en son cœur ses montées. Le terme de sa béatitude est l’acquisition de la béatitude
éternelle, qui est indiquée par les mots : À l’endroit qu’il a établi.
Et pour quelle raison? Le Psalmiste 82[83], 3
ajoute : En effet, le législateur donnera sa bénédiction. Voici le
secours divin. Ils iront de vertu en vertu : voici l’ascension de
vertu en vertu. On verra le Dieu des dieux dans Sion : voici le
lieu qu’il a établi.
D’abord, je dis que le principe ou la cause qui permet
d’atteindre à une dignité quelconque est le secours divin. Nous découvrons
d’une manière rationnelle dans les créatures que, si une chose arrive à une
autre de manière naturelle, cela en est la cause dans celles où cela n’arrive
pas naturellement, comme le feu est chaud par nature, et c’est pour cela qu’il
est cause de chaleur pour les choses où celle-ci n’existe pas naturellement.
Ainsi, Dieu est bienheureux par nature; c’est la raison pour laquelle il est
cause de béatitude chez les autres. C’est pourquoi l’Apôtre [dit], en
1 Timothée 6, 15 : [Celui] qui fera paraître le bienheureux et
seul puissant Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs. Nul ne peut
donc parvenir à la béatitude si ce n’est grâce au secours de Dieu.
Voyons quelle aide le Seigneur accorde pour que l’homme
puisse parvenir à la béatitude. Je dis que cette aide est triple. Premièrement,
Dieu corrige l’homme; deuxièmement, il l’instruit; enfin, il le prend avec lui.
Le fait que Dieu corrige l’homme est un chemin vers la
béatitude. Job 5, 17 [dit] : Bienheureux l’homme que Dieu
corrige. Cette correction concerne l.appel. L’homme n’est corrigé qu’en
raison de son péché. Un appel se fait de loin, et l’homme, en raison de son
péché, se tient loin de Dieu. Isaïe 59, 2 [dit] : Vos péchés
mettront la séparation entre vous et votre Dieu. L’Apôtre montre le
bienfait de l’appel quand il dit : Ceux qu’il a prédestinés, il les a
aussi appelés (Romains
8, 30). Et le bienheureux Martin a été appelé par le Seigneur et corrigé,
c’est-à-dire, éloigné du péché originel et préservé du péché actuel. Isaïe
41, 2 : Qui a suscité un juste de l’Orient et l’a appelé pour
qu’il le suive? Ceux qui sont suscités du péché sont suscités par Dieu,
mais certains sont suscités en Orient, c’est-à-dire qu’ils sont convertis alors
qu’ils sont enfants, comme le bienheureux Martin, qui, âgé de dix ans, malgré
l’opposition de ses parents, se fit catéchumène; quand il eut atteint l’âge de
douze ans, il songea à la manière de se rendre au désert.
Vous voyez que l’aide par laquelle Dieu
corrige l’homme lui est nécessaire. Sachez qu’autant de fois quelqu’un soit
corrigé par un homme, si la grâce de Dieu qui appelle de l’intérieur n’est pas
présente, cette correction ne vaut rien. Ainsi en Siracide7, 14 : Considère les œuvres de Dieu,
parce que personne ne peut redresser celui dont il a détourné les yeux. Que
quelqu’un soit corrigé par ses supérieurs ou par d’autres ne sert à rien, à
moins que Dieu n’agisse en lui par sa grâce. Que Dieu corrige l’homme est un
signe d’amour. Ainsi, en Proverbes 3, 12, [on lit] : Le Seigneur
corrige celui qu’il aime.
Dieu corrige l’homme d’une triple manière. D’abord, en
[lui] inculquant la crainte. Ainsi [lit-on] en Siracide 1, 26-27 : Celui
qui est sans crainte ne peut être justifié; la crainte du Seigneur est le fait
de la sagesse. Nous devons donc nous appliquer pour avoir de la crainte.
C’est le premier échelon vers la béatitude. En deuxième lieu, Dieu corrige
l’homme en lui remettant ses péchés. C’est Dieu seul qui peut remettre les
péchés (Marc2, 7). Le psaume 32, 1 [dit] : Bienheureux
ceux dont les iniquités ont été remises, etc. En troisième lieu, Dieu
corrige l’homme en le soustrayant à ses péchés. N’est-ce pas un bienfait divin
qui fait que, de même que Dieu remet ses péchés à l’homme, ainsi il le préserve
lui-même du péché? Ainsi [lit-on] dans les Confessions,
II, 7 : «J’attribue à ta
grâce et à ta miséricorde que tu aies dissous mes péchés comme de la glace;
j’attribue à ta grâce également tout le mal que je n’ai pas fait. En effet,
cela, je n’ai pu le faire.».Cette béatitude, le
psaume 1, 1 l’aborde, en disant : Bienheureux l’homme qui ne
s’est pas fourvoyé au conseil des impies.
Le bienheureux Martin n’a pas manqué de cette grâce, à
savoir celle de la rémission des péchés, parce qu’on ne lit pas qu’il a commis
des péchés actuels. Mais [Dieu] l’a lui-même corrigé en ceci qu’il l’a préservé
du péché.
Deuxièmement, Dieu prête secours à l’homme en
l’instruisant. Le psaume 94[93], 12 [dit] : Heureux l’homme
que tu instruis, Seigneur; par ta loi, tu lui as enseigné. Cette
instruction n’en est pas une qui éclaire seulement l'intelligence, mais elle
meut aussi l'affection. Les orateurs ont l’art d’émouvoir les sentiments d’un
juge. Si l’habileté humaine en est capable, combien davantage celle de Dieu!
Ainsi en Jean 6, 45 : Quiconque a écouté mon Père et a été
enseigné par lui, vient à moi. Il écoute le Père quand il reçoit
l’inspiration du bien; celui qui refuse l’inspiration n’apprend pas. Aussi
Isaïe n’a-t-il pas agi ainsi, lui qui dit en 50, 4 : Dieu m’a
ouvert l’oreille, mais moi, je ne le contredis pas, je ne retourne pas en
arrière, je l’écouterai comme un maître. Celui qui apprend est celui qui
soumet son cœur à l’inspiration divine. Ceci a trait à la justification.
L’Apôtre [dit] en Romains 8, 30 : Ceux qu’il a appelés, il les a
aussi justifiés.
Il y a trois degrés dans l’enseignement divin.
D’abord, il éclaire l’intelligence par la foi. C’est là le plus grand
enseignement. Il vaut mieux que l’homme ait un peu de foi, que de connaître
tout ce que les philosophes ont connu du monde. Ainsi, en Deutéronome
4, 6 : Voilà votre intelligence et votre sagesse en présence des
peuples, et en Jean 20, 29 : Bienheureux ceux qui n’ont pas vu
et qui ont cru! En deuxième lieu, cet enseignement soulève l’âme par
l’espérance. Quand l’âme croit par la foi, elle s’élève par l’espérance. Tel
est le second degré de la béatitude. Le psaume 40[39], 5 [dit] :
Bienheureux l’homme dont le nom du Seigneur est l’espérance et qui ne se
tourne pas vers les vanités et les folies trompeuses! Certains ne mettent
pas leur confiance en Dieu, mais dans les vanités. Quelles sont ces vanités?
Les biens temporels, les richesses, les honneurs et autres choses de ce genre.
Psaume 39[38], 6 : Vraiment, l’homme vivant n’est que vanité!
On ne doit donc pas leur faire confiance. Certains, ce qui est pis, se
fient à des stupidités, font confiance aux augures, aux oracles et aux
superstitions de la nécromancie. Le troisième degré de cet enseignement est qu'il transforme l'affection par
l'amour, parce que, selon Tobie 13, 14 : Bienheureux sont
tous ceux qui t’aiment!
L’âme du bienheureux Martin, dont le père et la mère
étaient païens, ne ressentait cependant que des choses spirituelles, et il fut
à ce point instruit qu’il composa un livre sur la Trinité.
Le troisième secours divin réside dans le fait que
Dieu ait assumé l’homme. Le psaume 65[64], 5 [dit] : Bienheureux
celui que tu as choisi et accueilli; il habitera dans tes parvis! Cette
assomption concerne le troisième bienfait de Dieu, à savoir l’exaltation. L’Apôtre
[dit] en Romains 8, 30 : Ceux qu’il a justifiés, il les a
aussi glorifiés.
Et comment le Seigneur a-t-il glorifié le bienheureux
Martin? Certainement selon un triple degré. D’abord par la sainteté de ses
œuvres. Si on lit la vie du bienheureux Martin, à savoir, combien sa vertu, son
abstinence et sa chasteté furent grandes, on le trouvera grand. De cette grandeur,
on dit dans la Genèse26, 13 : Isaac allait se développant et
croissant jusqu’à devenir grand. Grand fut le bienheureux Martin dans
l’observance des commandements. Proverbes 16, 20 [dit] : Bienheureux
ceux qui écoutent ta loi et la gardent de tout leur cœur!
En second lieu, le bienheureux Martin fut grand par la
grandeur de ses miracles. Il a ressuscité trois morts. Ses vêtements et les
lettres [qu’il] envoyait guérissaient les malades. De cette grandeur, on dit en
Siracide 45, 2 : Il l’a glorifié pour que les ennemis le
craignent, c’est-à-dire ses ennemis, à savoir les païens, et par ses paroles, il apaisa des fléaux.
Ainsi, une fois, alors qu’un arbre avait été coupé, il se plaça contre l’arbre,
et l’arbre pencha de l’autre côté. De même, il a voulu pénétrer sans arme au
milieu de détachements ennemis, et il apaisa alors des fléaux, car les ennemis
lui envoyèrent des messagers de paix. En raison de ces miracles, le bienheureux
Martin doit être glorifié, de la même façon que la bienheureuse Vierge a
dit : Parce qu’il a fait pour moi des merveilles (Luc 1, 49), c’est-à-dire le
plus grand des miracles, à savoir que Dieu s’est fait homme en elle et que la
Vierge l’a mis au monde. Et pour le bienheureux Martin, il a fait beaucoup de
grandes choses; c’est pourquoi il doit être glorifié par tous.
Le troisième degré de la glorification bienheureuse du
bienheureux Martin réside dans la diffusion de sa renommée à travers la terre.
Quelle communauté religieuse, quelle cité où le nom et la réputation du
bienheureux Martin ne sont pas célébrés? Psaume 86[85], 9 : Tu
as glorifié ton saint au-dessus de tout nom. Bien que la Glose interprète
ce passage du Christ, on peut aussi le dire du bienheureux Martin. Considérez
les miracles qu’il a faits. Tant de rois, tant d’empereurs ont désiré se faire
un nom sur terre. Certains ont édifié des arcs de triomphe, certains des palais
et des châteaux, et cependant leur souvenir s’est éteint avec le son de leur
voix. Peu nombreux sont ceux qui savent qui fut Trajan, qui fut Octavien; mais
le bienheureux Martin, qui fut humble sur terre, est devenu grand. Siracide
37, 24 [dit] :
L’oreille qui m’entend m’a déclaré heureux. Tous ceux qui entendent
parler du bienheureux Martin le déclarent heureux.
Le premier point est ainsi clair : le principe
par lequel il est devenu bienheureux, qui est le secours divin, et la manière
qu’a Dieu de corriger, d’enseigner et d’assumer.
Deuxième
partie
[Les
étapes de la montée de saint Martin vers la béatitude]
Vient ensuite la manière dont le bienheureux Martin a
avancé vers la béatitude quand [le psaume] dit : Il a disposé en son
cœur ses montées.
Quiconque veut aller vers un état élevé doit monter
peu à peu. En considérant ceci, le bienheureux Martin, du fait qu’il devait
monter vers un état élevé à partir du plus bas état de misère, s’est préparé à
l’ascension vers la béatitude.
Or, dans le cas du bienheureux Martin, nous pouvons
considérer une triple ascension : la
première, par le sacrement de la régénération, la deuxième par (son) état, et
la troisième par (son) mérite.
D’abord, dis-je, le bienheureux Martin a préparé sa
montée par le sacrement de la régénération. Et tous ceux à qui ce bienfait est
conféré, à savoir, celui d’être régénérés dans le Christ, montent d’un échelon
qui n’est pas peu important. L’Apôtre [dit] en Galates 3, 27 : Vous
tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Ce
n’est pas peu de chose d’être revêtu du Christ et de lui être rendu conforme.
De cette montée, il est dit dans le Cantique 4, 2 : Tes
dents sont comme un troupeau de brebis tondues. Les péchés sont les
toisons; les brebis tondues montant du bain sont ceux qui ont été purifiés de
leurs péchés par le baptême, et ceux-là montent, ce qui a été indiqué par le
fait que le Christ baptisé est remonté des eaux, Matthieu 3, 16. Le
bienheureux Martin a beaucoup réfléchi à la manière dont il pourrait accéder à
ce bienfait et ensuite, il a pensé avec soin à se garder pur du péché.
La seconde montée a trait à l’état. Ainsi, en Exode
24, 1 : Le Seigneur dit à Moïse : «Monte à la montagne, toi
et les soixante-dix anciens de la maison d’Israël.» Le Seigneur dit que les
autres resteraient et que seul Moïse ferait l’ascension; le peuple n’est pas
monté, parce qu’il n’atteint pas à un état élevé. Quelques anciens montèrent,
mais seul Moïse escalada la montagne.
Divers sont les états. Je dis ainsi que, si nous
considérons la montée du bienheureux Martin selon l’état, il est monté d’une
triple façon. D’abord, de l’état militaire à l’état clérical; puis, de l’état
clérical à l’état régulier; et ensuite, de l’état régulier à l’état d’évêque.
Je dis donc en premier lieu que Martin est monté de l’état de soldat à l’état
de clerc, parce que la milice cléricale est plus élevée que la séculière, car
les soldats du siècle font la guerre contre des ennemis charnels, tandis que
nous, nous menons les guerres du Seigneur contre des ennemis spirituels. Ainsi,
l’Apôtre [dit] en 2 Corinthiens 10, 4 : Les armes de notre combat ne
sont pas charnelles, mais spirituelles, établies par Dieu pour détruire les erreurs, les vices et les péchés.
À propos de cette ascension, Isaïe 2, 3 [dit] : Venez,
montons à la montagne du Seigneur et à la maison du Dieu de Jacob, et il nous enseignera
ses chemins, et nous marcherons dans ses sentiers. L’état clérical est une
montagne. Nous devons monter vers la demeure du Seigneur pour y servir et être
instruits des enseignements de l’Église. Ainsi, il nous enseignera son
chemin (Isaïe 2, 3), et
nous ne devons pas emprunter un chemin opposé. L’Apôtre [dit] dans Éphésiens
5, 3 : Que leurs noms ne soient pas prononcés parmi vous! Et nous devons toujours marcher sur
le chemin du Seigneur. Celui qui gravit la montagne du Seigneur est choisi pour
être la part du Seigneur. Le bienheureux Martin entreprit donc l’ascension, car
il fut instruit par le bienheureux Hilarion et devint clerc de son fait.
En second lieu, le bienheureux Martin passa de l’état
clérical à l’état régulier, puisqu’il fut moine en Italie. Celui qui
s’engage dans le combat se tient éloigné de tout (1 Corinthiens 9, 25). Combien plus un homme se
tient-il éloigné de ce qui est un obstacle à ses occupations! Son combat en est
d’autant plus légitime. Les gens du monde ont des biens temporels, mais les
religieux n’en ont pas, de manière que ceux-ci ne leur créent pas d’obstacles.
De cette montée, on dit en Genèse 35, 3 : Montons à Béthel et habitons-y!
On ajoute : pour y demeurer, en
n’en sortant d’aucune façon. Les religieux doivent s’en tenir à la vie
religieuse et ne pas en sortir, si ce n’est pour ce qui concerne le salut des
âmes.
En troisième lieu, le bienheureux Martin est passé de
l’état régulier à l’état épiscopal. Cette montée est justifiée. Vers quoi
est-il monté? Assurément vers le ministère de l’autel et l’administration des
sacrements de l’Église. De cette montée, il est dit dans Siracide 50, 11 :
Pour la montée au saint autel, il (lui) a
donné comme vêtement la gloire de la sainteté. Le Seigneur n’a-t-il pas
magnifié Martin de la sorte? Ce fut certainement le cas lorsqu’un globe de feu
apparut au-dessus de lui alors qu’il offrait le sacrement de l’autel. De même
est-il monté pour le salut du peuple. Ainsi, dans Proverbes 28, 12,
[est-il dit] : Il y a beaucoup de
gloire dans l’exaltation des justes;
quand règnent les impies, c’est la ruine des hommes. Un seul évêque
mauvais est la ruine d’un grand nombre. Il est dit en Abdias 21 : Montant
en sauveurs sur la montagne, c’est-à-dire que les prélats doivent monter
pour le salut des âmes. Mais le Seigneur se plaint des mauvais [prélats] en
Ezéchiel13, 5 : Vous n’êtes pas montés aux brèches, vous ne
vous êtes pas opposés comme un mur pour protéger la maison du Seigneur, c’est-à-dire
contre les hérétiques et tous les autres méchants.
Le bienheureux Martin est donc monté de trois manières
selon son état. Mais il ne servirait à rien qu’un homme s’élève selon l’état
s’il ne s’élevait selon le mérite. Aussi, en troisième lieu, le bienheureux
Martin s'est-il élevé selon le mérite. Aussi le pape Symmaque [dit] : «Il doit être considéré comme le plus petit, à
moins qu’il ne l’emporte en science et en sainteté, celui qui est plus élevé en
dignité. Ce n’est rien d’être clerc si on ne l’emporte pas en vertu sur le
laïc. Pareillement, ce n’est rien d’être moine ou évêque, si on ne l’emporte
pas sur les autres par la sainteté de sa vie.» Aussi est-il requis de
celui qui s'élève selon l'état qu'il s'élève aussi selon le mérite. De cette
montée, il est dit dans le Cantique 3, 6 : Quelle est celle-ci qui
monte du désert comme un colonne de fumée, vapeur de myrrhe et d’encens et de
tous les parfums? Qui monte comme une colonne de fumée, non pas d’une fumée
qui est repoussante, mais d’une fumée odoriférante. Mais d’où vient cette
fumée? Certes des vapeurs de myrrhe, c’est-à-dire de la mortification de
la chair, et d’encens, c’est-à-dire de la dévotion, et de tous les
parfums, c’est-à-dire de toutes les vertus.
Dans n’importe quel état, un homme doit s’efforcer de
progresser. Examinons comment le bienheureux Martin s’est appliqué à progresser
dans chacun de ses états. Dans l’état militaire, il s’est efforcé de progresser
en miséricorde et en piété. Et à juste titre, parce que les soldats sont des
pillards. Ainsi voulut-il se montrer exempt de tout crime dans son état
militaire, et c’est pourquoi il s’est efforcé à la miséricorde et à la piété.
Ainsi est-il dit aux soldats en Luc 3, 14 : Ne frappez personne et ne
calomniez personne. De même, dans son état de clerc, il s’efforça à
l’obéissance. Il fut très obéissant : il disposa tout selon la volonté du
bienheureux Hilarion. C’est pourquoi ce qui est dit dans Siracide 23, 7
lui convient bien : Enfants de la sagesse, assemblée des justes. De
même, dans la vie religieuse, il l’emporta par la pauvreté et l’austérité. Dans
son état épiscopal aussi, il l’emporta par l’humilité. Il observa donc dans
l’état pontifical la même humilité qu’il avait observée antérieurement, selon
[ce que dit] Siracide3, 20 : Plus
tu es grand, plus tu dois t’humilier devant tous. Siracide32, 1 [dit] : Ils ont fait de toi un
chef : ne te laisse pas élever, mais sois parmi eux comme l’un d’entre
eux.
Voyez comme le bienheureux Martin s’est élevé.
J’affirme qu’il est monté prudemment, avec humilité et ferveur. Je dis qu’il
s’est élevé avec prudence de l’état militaire à l’état clérical, car il a mené
la guerre de la manière qui convient, et il a bien ordonné cette montée.
Cependant, il n’a pas voulu aller plus haut, car, alors que le bienheureux
Hilaire de Poitiers voulait le promouvoir au diaconat, il ne le voulut pas,
mais il resta acolyte. De même, de l’état clérical, il passa à l’état de
régulier, et il ordonna bien cette montée dans son cœur. Mais, il n’ordonna pas
bien dans son cœur sa montée du statut de régulier au statut épiscopal, parce
que, alors qu’il y répugnait, il fut promu évêque. Je dis cela d’un homme aussi
grand, car l’état pontifical, bien qu’il soit grand, ne doit cependant pas être
recherché. Si quelqu’un disait : «Je veux étudier pour pouvoir plus tard
bien diriger l’Église», il ne parlerait pas bien. Ainsi Augustin [dit], dans La Cité de Dieu, XIX, 19 : «C’est
de manière inconvenante qu’on désire une position supérieure, sans laquelle le peuple ne peut être dirigé,
même si elle est administrée comme il convient.» Vient ensuite :
«Il ne faut pas se charger d’un tel fardeau, si personne n’impose de saisir et
de rechercher la vérité.» Le bienheureux Martin a aussi réalisé cette
montée d’une manière humble. Ainsi dit-on : Dans une vallée de larmes.
Il est dit dans l’évangile de Luc 14, 11 : Celui qui s’abaisse
sera élevé. De même a-t-il fait
cette montée avec ferveur. C’est pourquoi on dit : De larmes. Par
l’intensité de son désir, il s’appliqua à verser des larmes. Il pouvait donc
dire le psaume 42[41], 2 : Comme
le cerf désire les sources d’eau, etc. Mes larmes ont été mon pain nuit et jour.
Ainsi, parce que le bienheureux Martin a bien disposé
sa montée en marchant vers la béatitude, il est parvenu au terme de la
béatitude qui est la gloire éternelle, vers laquelle nous conduise Celui qui,
avec le Père et le Saint Esprit, etc.
Sermon sur la Trinité
(Traduction par Charles Duyck, http ://vsame.free.fr, 2005)
Prologue
[Une béatitude surnaturelle]
Des
séraphins se tenaient au-dessus de lui; ils avaient chacun six ailes :
deux dont ils se couvraient la face, deux dont ils se couvraient les pieds, et
deux dont ils se servaient pour voler. Ils criaient l'un à l'autre, et
disaient : «Saint, saint, saint est l'Éternel des armées! Toute la terre
est pleine de sa gloire!» (Isaïe 6, 2‑3)
Parmi
toutes les religions et les sectes, la foi chrétienne se réjouit de ce privilège :
elle comporte, plus que certaines autres, des éléments surnaturels et suprarationnels,
c’est-à-dire au-delà de la raison. Le motif de ce privilège est que, dans la
foi chrétienne, nous sont promis certains biens qui dépassent non seulement
notre intelligence, mais même les désirs de la créature raisonnable. C’est
pourquoi l’Apôtre proclame : Ce sont des choses que l'oeil n'a point vues,
que l'oreille n'a point entendues (1 Corinthiens 2, 9).
Et
donc, en vertu du caractère harmonieux de ce qui a été promis, il y a dans la
foi chrétienne, une supériorité des vérités qu’il faut croire. Or, dans
l’ancienne Loi, nous sont promis des biens terrestres et charnels. Isaïe 1, 19 :
Si
vous avez de la bonne volonté et si vous êtes dociles, etc. Et pour
cette raison, il n’était pas nécessaire que soient révélés expressément, dans
cette Loi, les éléments qui dépassent la raison, bien qu’implicitement et,
d’une certaine manière, secrètement, beaucoup de choses qui dépassent la raison
nous y aient été transmises.
Et
c’est ce que dit le Seigneur dans l’évangile d’aujourd’hui, Jean 3, 12 :
Si vous ne croyez pas quand je vous ai parlé des choses terrestres, comment
croirez-vous quand je vous parlerai, etc.? Si donc on ne croit pas au Christ qui, par les prophètes, nous
dit des choses de la terre, alors qu’il est lui-même le Verbe par lequel toute
parole a été transmise aux prophètes, comment le croit-on s’il dit des choses
du ciel?
Or,
ces vérités qui sont au-delà de la raison, nous ne pouvons les connaître, mais
il faut les croire, car connaître, c’est affaire de raison, mais croire, c’est
affaire de volonté.
Il
est donc convenable [de dire] qu’est excellent l’autorité de ceux qui ont
révélé [ces vérités] et des vérités [elles-mêmes] qui ont été révélées, et
principalement en ce qui touche à la Sainte Trinité.
Première partie :
[L’autorité de ceux qui ont révélé ces
vérités]
Pour
ce qui est du présent, le prophète manifeste l’autorité de ceux qui révèlent le
mystère de la Sainte Trinité sur trois points : le ministère, la dignité,
l’accord [entre eux].
Le
ministère, certes, parce qu’il s’agit des Séraphins, c’est-à-dire des êtres
ardents et enflammés, par lesquels nous est annoncé le rang des Apôtres. En effet,
de même que les Séraphins prédominent parmi tous les rangs des esprits célestes,
ainsi les Apôtres aussi sont-ils élevés au-dessus de tous les autres saints, en
grâce et en gloire. 2 Thessaloniciens 2, 13 : Dieu vous a
choisis dès le commencement pour le salut, par la sanctification de l’Esprit et
par la foi en la vérité. Ce sont ceux qui ont reçu les prémices de l’Esprit, comme le dit l'Apôtre aux Romains (Romains
8, 23). Donc les Apôtres, enflammés par le feu de l’Esprit Saint, furent
préparés et aptes à enseigner le mystère de la Sainte Trinité. Mais, comme il
convient que ce qui existe par un autre manifeste ce par quoi il existe, c’est
donc le Fils, qui existe par le Père, qui manifeste le Père,
Jean 17, 6 : Père, j'ai fait connaître ton nom; l’Esprit
Saint, qui existe par le Père et le Fils, manifeste le Père et le Fils,
Jean 16, 14 : Il me glorifiera, etc. Il est donc normal
que le mystère de la Sainte Trinité nous soit révélé par les Séraphins,
c'est-à-dire par les Apôtres, enseignés par le Fils et enflammés par l’Esprit
Saint. L’Apôtre dit : Il nous a révélé… (1 Corinthiens 2, 10). Et c’est ainsi qu’après la fête
du Saint-Esprit est célébrée la fête de la Sainte Trinité.
La
dignité : parce que (les Séraphins) étaient «au-dessus de lui»,
c'est-à-dire au-dessus du temple; par là sont évoquées leur autorité et leur
prééminence. Le Psalmiste (Psaume 45[44], 17) : Tu les
établiras comme princes. Mais il faut faire attention, à ce propos, qu’on
dit des Séraphins qu’ils se couvraient la face de deux [ailes],
se couvraient les pieds de deux [autres] ailes, et deux ailes leur servaient à
voler (Isaïe 6, 2). En cela s’exprime leur autorité, accordée par
Dieu : c’est à eux en effet qu’a été accordé de révéler certaines choses
aux hommes, et de [leur] cacher certaines choses. De même en effet que l’Apôtre
dit qu’il a entendu des paroles ineffables qu’il n'est pas permis à un homme
d'exprimer (2 Corinthiens
12, 4), de même il dit aussi ailleurs (1 Corinthiens 3, 2) :
Je vous ai donné du lait, non de la nourriture solide, car je
me dois aux savants comme aux ignorants (Romains 1, 14). [Les Séraphins] volaient donc pour
instruire, mais ils se voilaient la tête pour cacher, parce que le premier
commencement de toutes choses est impénétrable; et, parce que le premier
commencement et la fin sont la même chose, comme il est dit dans l’Apocalypse (22, 13),
ils voilaient aussi leurs pieds. Les parties intermédiaires n’étaient pas voilées,
parce que ce qui se trouve entre le commencement et la fin, c’est-à-dire les
œuvres divines, nous apparaît clairement. Et donc, il est dit dans
l’évangile : Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit;
mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va (Jean 3, 8). Or, la voix est seulement entendue – c’est
l’effet du Saint-Esprit – et [les choses] sont connues selon ce qui est
possible, mais on ne sait pas d’où il
vient – c’est pourquoi [les Séraphins] se voilaient la tête –, ni où il va, puisqu’ils se voilaient les
pieds.
L’autorité
des Apôtres est révélée par l’accord [entre eux], parce que tous, et non pas un
ou deux ou trois, nous ont appris le mystère de la Sainte Trinité en bon
accord, d’une manière expresse et manifeste. L’Apôtre dit : Que
ce soit moi, que ce soient eux, etc.… (1 Corinthiens 15, 11). Donc, on dit des Séraphins qu’ils criaient l’un à l’autre. Ainsi apparaît
clairement l’autorité de ceux qui ont révélé le mystère de la Sainte Trinité.
Deuxième partie
[L’autorité des vérités révélées]
Il
reste maintenant à voir ce qu’ils révélaient en disant : «Saint,
saint, saint, etc.» Par ces mots, ils nous font comprendre trois
choses : le mystère de la Sainte Trinité; l’image de cette même Trinité
imprimée dans les créatures raisonnables; le vestige de cette même Trinité qui
brille dans toutes les autres créatures.
[Le
mystère le la Sainte Trinité]
Les
Séraphins nous manifestent donc le mystère de la Sainte Trinité quand ils
crient : «Saint, saint, saint.» À ce propos, il faut savoir que, comme le dit Denis, «aucune
voie n’est aussi efficace pour connaître Dieu que la voie qui procède par
éloignement [par négation], car Dieu est parfaitement connu quand on sait qu’il
est au-delà de tout ce qui peut être pensé». Ainsi, au sujet de Moïse, qui fut
aussi familier avec Dieu qu’il est permis à l’homme en cette vie, on dit qu’il
s’approcha de Dieu dans un nuage et des ténèbres, c'est-à-dire qu’on parvient à
la connaissance de Dieu en connaissant ce que Dieu n’est pas. Cette voie de
négation est comprise sous le nom de sainteté, car selon tous les docteurs, est
saint ce qui est pur, et est pur ce qui est séparé des autres.
Pour
la clarté de ce point, il faut savoir que, dans les choses créées, on trouve
trois éléments particulièrement éminents : l’essence; la connaissance, et
l'amour (affectio) de l’âme. Ces
trois éléments diffèrent de leur modèle divin et même sont incapables de
parvenir à l’état de pureté selon lequel ils existent en Dieu.
Dans
les essences des choses créées on trouve trois déficiences qui sont tout à fait
étrangères à Dieu. La première déficience est celle de la faiblesse due à la
corruption, et cette faiblesse se trouve dans toutes les créatures
corruptibles. Isaïe 24, 4 : Le pays est triste, épuisé. La
deuxième déficience est celle du caractère composé des choses créées, et cette
faiblesse se trouve dans les corps célestes qui, même s’ils sont exempts de corruption
et de changement, n’accèdent néanmoins pas à la pureté de la nature divine,
parce qu’ils sont composés. Job 15, 15 (26, 6) : Les
cieux ne sont pas purs devant lui. La troisième déficience est la
mutabilité, et on la trouve chez les anges qui, bien qu’ils soient exempts de
corruption et exempts de composition, connaissent cependant la mutabilité. Job
4, 18 : Voici que ceux qui le servent ne sont pas immuables. Et la raison en est qu’il a trouvé de la
méchanceté chez les anges. Et si, d’une certaine façon, ils sont
stables, ils ne le sont pas par nature, mais par la grâce de Dieu.
Au-dessus
de cela, donc, se trouve le premier principe, incorruptible, simple, immobile,
et cette perfection est la perfection de Dieu le Père qui est principe de la
Divinité tout entière. Le Psalmiste dit : Qu'on célèbre ton nom, etc. (Psaume 99[98], 3). Et
c’est ainsi qu’au Père sont attribuées trois qualités qui sont destinées à
écarter ces déficiences dont nous avons parlé : la puissance pour écarter
la faiblesse inhérente à la corruption : Tu es puissant, Seigneur (Psaume 89[88], 9); l’unité pour
écarter, selon Augustin, la composition; l’éternité, d’après Hilaire, pour
écarter la mutabilité : Mais toi, tu restes le même, etc. (Psaume 102[101], 28).
Dans
la connaissance aussi on trouve trois déficiences, en ceci que la connaissance
des créatures est déficiente sur trois points. La première déficience est celle
de la connaissance matérielle et particulière : il s’agit de la
connaissance sensible qui seule existe chez les bêtes. La deuxième déficience
est celle qui provient des représentations imaginaires. En effet, bien que notre
connaissance touche à l’universel, elle reste cependant dans l’obscurité parce
que aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, etc. (1 Corinthiens 13, 12), et
parce que notre connaissance est fonction des images des choses sensibles. La
troisième déficience de la connaissance tient au fait qu’elle est amoindrie.
Cela s’observe dans le cas des anges : bien qu’ils aient une connaissance
claire parce qu’ils ne la reçoivent pas des choses sensibles – signe de cela,
ils apparaissent aux prophètes avec des yeux étincelants –, cependant leur
connaissance est amoindrie du fait qu’ils ne peuvent voir Dieu dans son essence
par leurs propres forces naturelles, puisque nulle intelligence créée ne peut
voir l’essence de Dieu, si ce n’est par grâce. L’Apôtre dit : La grâce
de Dieu, c'est la vie éternelle (Romains
6, 23). Elle est également amoindrie parce que, même s’ils voient
l’essence divine par grâce, ils n'en ont pas une connaissance totale[10];
ainsi il est dit que, alors qu’on entendait un bruit venant du firmament, les
anges laissaient tomber leurs ailes (Ezéchiel 1, 25). Jean Chrysostome dit en cet
endroit que même les êtres célestes ne peuvent jamais voir l’essence de Dieu
telle qu’elle est.
Au-dessus
de toutes ces connaissances se trouve la connaissance du Verbe de Dieu, qui englobe
tout, qui sait tout. Stupides furent donc les ariens qui ont «enlevé» le Verbe
à Dieu. S'il en était ainsi, Dieu ne se connaîtrait pas lui-même. Et donc cette
sainteté est la sainteté du Verbe de Dieu. Le Psalmiste dit : Mais toi, tu demeures dans le sanctuaire,
louange d’Israël (Psaume 22, 4).
Telle
est donc la louange de ceux qui voient Dieu qu’ils habitent dans le temple, à savoir,
par la participation à la connaissance du Verbe de Dieu. Et parce que le Verbe
de Dieu est pur de ces déficiences, lui sont attribuées ces trois
qualités : la sagesse pour écarter la connaissance particulière; Hilaire
lui attribue la beauté, c’est-à-dire l’éclat de l’apparence (species),
pour écarter la connaissance entachée d’obscurité; Augustin lui attribue
l’égalité pour écarter une qualité moindre.
Dans
l’affectivité de l’âme aussi, on trouve une triple déficience de sainteté. La
première déficience tient au fait que l’affectivité de l’âme est particulière.
En effet, la nature déchoit quand elle se fait l’égale d’une nature inférieure.
Or, toutes les autres créatures non raisonnables possèdent une affectivité
tournée vers un bien singulier qui leur est propre, c’est-à-dire en vue de leur
propre conservation; et donc, quand quelqu’un recherche son propre bien, il
déchoit de son honneur. L’Apôtre dit : Tous, en effet, cherchent leurs propres
intérêts (Philippiens
2, 21). La deuxième déficience est due au fait que l’affectivité est
resserrée et fermée. Cela tient à la première déficience : en effet, les
hommes ne mettent pas leurs biens en commun parce qu’ils s’aiment eux-mêmes.
Ils se le voient reprocher par le bienheureux Jean : Si quelqu'un voit
son frère dans le besoin, etc. (1 Jean 3, 17). La troisième
déficience tient au fait que l’affectivité est toujours agitée : nos
dispositions d’âme ne se reposent pas dans leur fin ultime. Augustin dit :
«Notre cœur est inquiet tant qu’il ne repose pas en Toi.»
Au-dessus
donc de ces affections, il y a la disposition de l’âme qui est parfaite, à
savoir l’amour divin, lequel n’est pas tourné vers son propre bien puisqu’il aime tout ce qui existe et [n’a de dégoût]
pour rien (Sagesse 11, 25). Il n’est pas fermé parce que Tu ouvres
la main, etc. (Psaume 104[103], 28).
Il n’est pas agité parce qu’il est amour de la fin ultime, qui aime soi-même et
toutes choses à cause de lui-même. Il est perpétuel : D’un amour
perpétuel... (Jérémie
3, 3).
Et
ainsi lui sont attribuées trois qualités. Le pouvoir d’unir, pour que soit
montré qu’il n’est pas tourné vers lui-même, car l’amour de soi engendre la discorde,
mais le Saint-Esprit est [l’amour] du Bien le plus élevé, et donc il est le
lien. La bonté pour que soit montré qu’il n’est pas fermé : en effet, «le
bien se diffuse lui-même», comme dit la Sagesse : Comme l’Esprit est
bon! L’usage[11],
pour que soit montré qu’il est paisible et (est établi) dans la fin; ainsi
Augustin explique-t-il l’usage, c'est-à-dire la jouissance (fruitio), car Dieu, dans son amour
divin, jouit de lui-même et il aime son Fils d’un amour de jouissance (fruitio)[12].
Y
a t-il là trois saintetés? Non. En nous, en effet, exister, vouloir et intelliger
sont trois choses différentes; donc il y a une perfection de la nature, une autre
de la volonté et une autre de l’intelligence. Tandis qu’en Dieu, exister,
intelliger et vouloir, c’est la même chose. Il y a donc une seule perfection de
ces trois qualités. Mais l’auteur [le prophète] répète trois fois [Saint]), non pour montrer une triple
sainteté, mais la sainteté des trois [personnes].
[L’image
de la Trinité]
[L’Écriture]
nous montre l’image de la Sainte Trinité imprimée dans les créatures, quand
elle dit : Le Seigneur, Dieu des armées.
À
ce sujet, il faut savoir que l’image de la Trinité s’exprime d’autant plus
clairement dans les créatures qu’elles sont plus intimes avec Dieu et plus proches
de Lui. Or, tel est le cas des créatures raisonnables. C’est ainsi que brille
davantage en elles la ressemblance avec la Trinité, qui se révèle quant à trois
caractéristiques.
D’abord,
sur le plan de la providence spéciale que Dieu manifeste envers la créature
raisonnable, en punissant, en donnant des lois et en récompensant. Et ainsi il
est appelé Seigneur.
Deuxièmement,
parce que la fin et la récompense de la créature raisonnable sont particulières,
alors que la fin des créatures dans leur ensemble est commune. Et pour cela, [le
prophète] dit Dieu. Hébreux 11, 16 :
Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu. Genèse 15, 1 : C’est
moi qui suis ta récompense, etc.
Troisièmement,
pour ce qui est de la liberté. Les autres créatures sont conduites, elles ne se
conduisent pas elles-mêmes dans leurs actes; et ainsi, elles sont comme des
servantes, en particulier, du fait qu’elles existent en vue d’autres [créatures],
tandis que la créature raisonnable se conduit elle-même parce qu’elle est libre
et maîtresse de ses actes. Ainsi elle est «militante», et c’est pourquoi on dit
des armées, c'est-à-dire des anges,
dont il est dit dans Job 25, 3 : Ses armées ne sont-elles pas
innombrables?, et des hommes : Tous les jours où je me bats, etc. (Job 14, 14). Dans cette armée
brille l’image de la Trinité : dans le cas des anges par le sceau de la ressemblance (Ezéchiel
28, 12), et dans le cas des hommes, par la mémoire, l’intelligence et la volonté.
[Le
vestige de la Trinité]
Le
vestige de la Trinité qui brille dans les autres créatures apparaît quand on
dit : La bonté de l'Éternel remplit la terre… C’est ce qui apparaît
dans la première création des choses
En
effet, on trouve ici la puissance de Dieu créateur, telle qu’il est reconnu
comme Père. Genèse 1, 1‑3 : Au commencement, Dieu créa le
ciel et la terre. Et si on lit que la terre était informe et vide,
cela se comprend si on la considère en soi, car l’action de la remplir est due
à la gloire de Dieu.
On
trouve ici [aussi] l’art de Dieu créant toutes choses pour que le Fils soit
reconnu. De même en effet que l’artisan, par son art, donne forme à la matière,
de même Dieu, par son Verbe, qui est «un art plein de notions vivantes» [Augustin],
attribue-t-il à toutes choses leurs formes propres. Ainsi est-il dit : Dieu
dit : «Que la lumière soit!», c'est-à-dire qu’il a engendré le Verbe
en qui était ce qui devait exister.
On
trouve ici [aussi] le bon plaisir de Dieu dans son approbation, qui le fait reconnaître
comme Esprit Saint. Ainsi dit : Dieu vit tout ce qu’il avait fait et
voici, cela était très bon (Genèse
1, 31), c'est-à-dire qu’il [l’]approuva.
On
trouve également une trace de la Trinité dans les autres créatures quant à ce
qu’elles ont en propre. En effet, chaque créature subsiste par la puissance du
Père, possède une espèce (species)
parce que formée par le Verbe de Dieu, et une disposition dirigée vers sa fin
grâce à l’amour du Saint-Esprit.
Sermon pour la Toussaint
(Traduction par Jean-Yves Brachet, o.p.)
Bienheureux
le peuple dont le Seigneur est le Dieu, le peuple qu’il a choisi comme héritage
(Psaume 32[33], 12).
De
multiples manières, la sainte mère Église s’applique à ce que ses fils soient
incités à désirer les réalités célestes. Et si vous voulez examiner correctement,
il semble que tout son effort tende à ce que, les choses terrestres étant
méprisées, elle nous conduise à désirer les [réalités] célestes; ce qui ressort
de ce qu’a dit le premier fondateur de l’Église, notre Sauveur, dans le zèle de
sa prédication et de sa doctrine (Matthieu 3, 2) : Faites
pénitence, pour nous éloigner des choses du monde; le royaume des
cieux est proche. Il dit cela pour nous pousser à désirer les réalités célestes.
Entre autres incitations au désir du ciel, il rappelle et inspire à nos cœurs aujourd’hui
la gloire des saints vers laquelle nous tendons. Si vous voulez bien, nous
demanderons à Dieu dès le départ qu’il me donne, conformément à ce qui convient
à une telle solennité, de dire quelque chose de digne, qui soit à son honneur
et à celui de tous les saints, et au salut de nos âmes.
Bienheureux le peuple, etc.
Il
a été communément inspiré à l’âme des hommes qu’ils écoutent avec délectation
les louanges de leur patrie et de leurs parents. Les louanges de la patrie,
afin qu’ils se hâtent de retourner vers elle; les louanges de [leurs] parents,
afin qu’en les imitant, ils ne dégénèrent pas. Mais quelle est notre patrie? La
patrie vers laquelle nous tendons est la patrie céleste. De là vient que l’Apôtre
dit en Hébreux 13, 14 : Nous n’avons pas ici de demeure permanente,
mais nous cherchons la [demeure] future. Nos parents sont les hommes
spirituels qui nous enseignent, nous instruisent, nous offrent l’exemple d’une
vie droite et bonne. Ce sont les saints dans la patrie dont nous célébrons
aujourd’hui la solennité, et c’est pourquoi nous devons nous appliquer à les
louer avec joie. C’est pourquoi [il est dit] dans le Siracide 44, 1 :
Louons les hommes glorieux et nos pères dans leur descendance.
Voyez : l’Esprit Saint recommande ce
collège des saints de quatre manières par la bouche de David :
premièrement, par leur dignité; deuxièmement, par leur dirigeant;
troisièmement, par leur disposition; quatrièmement, par leur élection. Par leur
dignité, il recommande ce collège des saints, lorsqu’il dit : Bienheureux
le peuple. Par leur dirigeant, en cet endroit : dont
le Seigneur est le Dieu. Par leur disposition, il désigne le peuple
lorsqu’il dit : le peuple. Par leur élection, quand
il dit : que le Seigneur a choisi, etc.
Premièrement, je dis que David fait l’éloge de ce
collège des saints à cause de leur dignité, en cet endroit : Bienheureux
le peuple. La dignité de ce collège est soulignée parce qu’ils sont
parvenus à ce vers quoi nous tendons. De plus, ils possèdent tout ce que nous
désirons. De même, ils sont établis au-delà de ce que nous pouvons comprendre.
Premièrement, je dis que la
dignité des saints est indiquée par le fait qu’ils sont parvenus là où nous
tendons. La béatitude est la fin de toutes nos actions. D’où [ce que dit] l’Apôtre
aux Romains 6, 22 : Vous portez fruit par la sanctification, et la
fin est la vie éternelle. Et voyez! Augustin dit dans le livre sur La cité de Dieu : «Quelle est la fin de nos désirs, sinon de
parvenir au règne qui n’a pas de fin?» Et voyez : la fin de l’homme
est comparée à trois choses dans la Sainte Écriture. Premièrement, elle est
comparée à une couronne. D’où [ce que dit] l’Apôtre en 2 Timothée
4, 8 : Désormais est préparée pour moi une couronne de justice. Parfois,
[la fin de l’homme] est comparée à un prix. D’où l’Apôtre dit aux Philippiens
3, 14 : Je cours vers le but, pour le prix de la
vocation céleste. De même, [la fin de l’homme] est parfois comparée
à une récompense. D’où dans l’évangile selon Matthieu 5, 2 : Réjouissez-vous
et exultez, car votre récompense est grande dans les cieux. Et ce n’est pas
sans raison que le Fils de l’homme l’a comparée à ces trois choses, parce que
toute notre action se réduit à trois choses. L’action de certains, comme c’est
le cas des actifs, se fait par les combats. D’où Job 7, 1 : La vie
de l’homme est un combat; et ceux qui ont combattu selon les règles
méritent la couronne, parce que, 2 Timothée 2, 5, n’est couronné
que celui qui a combattu selon les règles. D’autres courent comme les
contemplatifs; et ceux-là n’ont rien qui les arrête : ils courent
rapidement. Il est dit d’eux, Psaume 119[118], 32 : J’ai
couru sur la voie de tes commandements. Mais à ceux qui ont lutté est dû le
prix. L’apôtre (1 Corinthiens 9, 24) : Tous ont couru, mais un seul a
remporté le prix. D’autres travaillent, comme les prélats, qui
mettent en œuvre ce qui est nécessaire au salut du peuple; et une récompense
leur est due. Ainsi, l’Apôtre [dit] : Chacun recevra son propre salaire selon son
propre labeur (1 Corinthiens 3, 8). Mais quelle est la
gloire des saints dans la patrie? Je dis qu’ils ont obtenu la couronne comme de
bons combattants. Ils ont reçu le prix comme les coureurs et ils ont obtenu la
récompense comme ceux qui ont fait le bien. Les hommes dans le monde travaillent
pour avoir des couronnes, mais cette couronne est corruptible; la couronne des
saints est incorruptible. D’où [ce que dit] l’Apôtre en 1 Corinthiens
9, 25 : Mais eux, c’est pour obtenir une couronne
périssable, nous une impérissable. C’est donc la dignité des saints
d’être parvenus là où nous tendons.
De
même, ils ont tout ce que nous désirons, et encore plus. D’où [ce qui est écrit]
dans les Proverbes 10, 24 : Ce que souhaite le juste lui est donné.
Considère que tout ce que tu peux désirer dans les voluptés et les
délectations, les saints l’ont. Je dis : dans les délectations
spirituelles, non dans les [délectations] mondaines et honteuses.
Psaume 16[15], 11 : En ta droite tes délices. Si tu
désires les richesses, les saints sont les plus riches. Rien ne manque à ceux
qui craignent le Seigneur (Proverbes 1, 33) : Il vivra dans la profusion.
De même, si tu désires les honneurs, les saints ont été établis dans l’honneur
le plus grand. Psaume 39[138], 17 : Mais moi, ô Dieu, j’ai beaucoup
honoré tes amis. Si tu désires la science, les saints l’ont
parfaitement parce qu’ils boivent la science à la source même de la sagesse.
Les saints ont en plénitude ce que l’homme peut désirer ici en péchant ou en ne
péchant pas. La dignité des saints apparaît donc parce qu’ils sont parvenus là
où nous tendons, et ils ont tout ce que nous pouvons désirer.
De
même, ils sont établis au-delà de ce que nous pouvons comprendre, parce la
béatitude des bienheureux est au-delà de ce que tu peux comprendre. D’où Isaïe
64, 3 : L’œil n’a pas vu, Dieu, sans toi ce que tu as
préparé à ceux qui t’aiment. Quelle est la raison pour laquelle les
saints sont établis au plus haut point au-delà de ce que tu peux comprendre?
Assurément parce que les saints dans la patrie ont leurs désirs comblés en
toutes choses. Et comment peuvent-ils être remplis de tout bien s’ils ne
viennent à la source de tout bien? Quand l’arbre est chargé de fruits, si tu
t’approches d’une branche, tu ne peux prendre tout son fruit; de même, si tu
t’approches d’une autre branche. Mais celui qui couperait la racine prendrait
tous les fruits de l’arbre. Ainsi, tu ne peux pas jouir de tout bien si tu ne
viens pas à la source de tout bien : il est dit (Psaume 103[102], 5) :
Celui
qui comble de biens ton désir. D’où le Seigneur dit à Moïse (Exode
33, 39) : Moi, je te montrerai tout bien,
c’est-à-dire moi-même, en qui se trouve tout bien; et parce que Dieu est plus
grand que toute intelligence, c’est pourquoi les saints qui jouissent de Dieu
sont élevés de telle sorte que nul ne peut les atteindre. D’où (Isaïe
58, 14) : Je t’ai élevé au-dessus de toute hauteur de
la terre, c’est-à-dire au-dessus de toute hauteur que l’homme
terrestre peut comprendre; je t’embellirai, dit-il, de la hauteur de
ton père. Le Psaume 149 est [chanté] pour tous ses saints. La dignité et la gloire des saints dans la
patrie est donc manifeste, parce qu’ils sont eux-mêmes parvenus là où nous nous
dirigeons, ils ont tout ce que nous pouvons désirer et ils sont établis au plus
haut point au-delà de ce que nous pouvons comprendre.
Considérons
leur chef. Toute la dignité des saints dépend de leur chef. C’est un grand malheur
et il est abject et terrible que l’homme soit soumis à ce qui lui est inférieur
ou vil. D’où cette menace que prononce le Seigneur par le prophète : Je livrerai l’Égypte aux mains de seigneurs cruels. Celui qui sert quelqu’un
qui en est digne est bienheureux. D’où [il est dit] dans le Siracide
25, 9 : Bienheureux celui qui n’a pas servi quelqu’un
d’indigne de lui! Les démons sont indignes; nous, nous sommes fils
de Dieu. Il est indigne que les fils servent les ennemis du père. Bienheureux
ceux qui servent Dieu! D’où, dans 1 Rois 10, 8 : Bienheureux
tes serviteurs. Il est juste d’être soumis à Dieu. La perfection
suprême d’une chose est d’être soumise à ce qui est meilleur qu’elle. La matière
n’est parfaite que si elle est soumise à la forme; l’air n’est beau que s’il
est soumis au soleil. De même, l’âme n’est parfaite que si elle est soumise à
Dieu. Notre béatitude consiste en ce que nous soyons soumis à Dieu. Tu pourrais
dire : «Est-ce que nous sommes soumis à Dieu? Cela est vrai, mais de
manière médiate, à savoir, par la médiation des anges, des prélats et des
pédagogues, qui nous indiquent comment nous devons parvenir à la béatitude.» Mais
les saints dans la patrie ne sont pas soumis à des pédagogues. D’où [ce que dit]
l’Apôtre en 1 Corinthiens 15, 4 : Puis ce sera la fin, lorsque
le Christ remettra la royauté à Dieu le Père, et qu’il aura détruit toute
principauté. Il dit donc : Bienheureux le peuple dans le Seigneur est le
Dieu!
Et
voyez que certains ont dit et disent que la félicité et la béatitude se trouvent
sur la terre; leur opinion est décrite dans le psaume 144[143], 13 : Leurs
greniers sont pleins, regorgeant de toute espèce de provisions; leurs brebis se
multiplient, et d’autres choses que présente [le psaume]. Vient ensuite :
Ils diront bienheureux le peuple pour qui il en est ainsi. Ainsi parlent
les gens ordinaires, et leur opinion est fausse, parce que tout passe comme une
ombre. De même, ils ne seront pas comblés, parce que l’avare ne sera pas
comblé par l’argent. Trouve dans les choses terrestres ce qui demeure, ce
qui comble le désir, alors j’avouerai que là est la béatitude; mais elle ne s’y
trouve pas! Ils estiment donc faussement que la béatitude se trouve dans les
choses terrestres. Où donc est la béatitude? Le psalmiste répond et dit
(Psaume 144[43], 15) : Son Dieu! De même, il y en a ou il
y en a eu d’autres, comme les stoïciens, pour dire que la béatitude et la
félicité se trouvent dans les biens intérieurs. Ils disent qu’avoir les vertus
et la science est le souverain bien. Leur opinion est repoussée en Jérémie 9,
23 : Que le sage ne se glorifie pas, dit-il, dans sa sagesse et
que le fort ne se glorifie pas dans sa force. Pourquoi? Parce que tout ce
qui est en toi-même est soumis à ta nature; mais ce qui te rend bienheureux
doit être au-dessus de toi, et non pas soumis à toi. C’est pourquoi la suite
dit : Mais qu’il se glorifie en cela : avoir l’intelligence et me
connaître. Il en est d’autres qui disent que la béatitude se trouve
en ce qui est à côté de nous. Ils mettent leur confiance en l’homme, et contre
eux le psaume 146[145], 3 [dit] : Ne mettez pas votre confiance
dans les princes. Il ne faut pas non plus mettre sa confiance dans
les anges, parce que d’autres disent que notre fin est de voir les anges, mais
notre intelligence est faite pour la vision de la cause suprême. Anselme [dit] :«Nous ne sommes pas bienheureux en voyant les
anges, mais en voyant la puissance par laquelle nous aimons les anges.»
Bienheureux
le peuple dont le Seigneur est le Dieu. Et
comment est-il leur [Dieu]? Je dis qu’il est Dieu pour qu’ils le connaissent,
pour qu’ils le possèdent et pour qu’ils en jouissent.
Premièrement,
dis-je, il est leur Dieu pour qu’ils le connaissent. En cela consiste la béatitude
parfaite des saints dans la patrie, qu’ils connaissent Dieu. Ainsi, Augustin [écrit],
dans le livre des Confessions, IV,
4 : «Malheureux, en effet,
l’homme qui connaît toute chose, mais qui ne te connaît pas! Bienheureux celui
qui te connaît, même s’il ne les connaît pas! Et celui qui te connaît et les
connaît n’est pas plus heureux par elles, mais c’est par toi seul qu’il est
bienheureux.» La béatitude consiste en ce que nous connaissions Dieu, ou
que nous le possédions pour le connaître. Mais est-ce que les saints dans la
patrie connaissent Dieu? Certes oui. D’où Jérémie 31, 34 : L’homme
n’enseignera plus son frère et l’homme son prochain disant : «Connais le
Seigneur!» Tous me connaîtront, du plus petit au plus grand. Mais
comment les saints posséderont-ils Dieu pour le connaître? Je dis que deux
choses concourent à cette connaissance : la vision claire et directe, et
l’assimilation parfaite à Dieu. Premièrement, je dis que la vision claire et directe
concourt à cette connaissance. En effet, à présent, nous voyons Dieu de loin,
par la similitude des créatures et en énigme. D’où Job 36, 25 : Tous
les hommes le verront, chacun le considère de loin. L’Apôtre [dit] en
Romains 1, 20 : Ce qui est
invisible de Dieu se laisse voir à
l’intelligence à travers les créatures; mais, dans la patrie, les
saints voient Dieu clairement, et non dans un miroir et en énigme. Or, pour que
nous voyions Dieu clairement, il faut avoir des yeux purs. Si les yeux sont
voilés ou sont troubles, ils ne parviennent pas à voir la clarté. Pour ton
esprit, c’est par le feu de la concupiscence, le feu de la colère ou le feu des
mauvais désirs que tu es empêché de voir Dieu. Psaume 58[57], 9 :
Le
feu est tombé sur eux, à savoir, celui de la concupiscence, et
ils ne voyaient pas le soleil, c’est-à-dire Dieu. La vision claire et
directe accompagne donc cette connaissance. De même, l’assimilation parfaite à
Dieu l’accompagne, car la connaissance ne se fait que par assimilation du
connaissant au connu, comme le veut le Philosophe. Or, les saints sont
parfaitement assimilés à Dieu. D’où [ce qui est dit] en Jean (1 Jean
3, 2) : Lorsqu’il apparaîtra, nous lui serons semblables
et nous le verrons tel qu’il est. Si tu veux parvenir à
l’assimilation à Dieu dans la patrie, tu dois t’efforcer de t’assimiler à lui
ici par les bonnes œuvres. Le Christ est venu apporter la paix sur la terre. Éphésiens
2, 14 : C’est lui notre paix qui des deux peuples
n’en a fait qu’un. Ne sème donc pas les disputes, mais ramène les discordes
à la paix, si tu veux être ici assimilé au Christ. D’où [il est écrit] dans
l’évangile (Matthieu 5, 9) : Bienheureux les pacifiques, car ils seront appelés
fils de Dieu! Le Fils a une parfaite similitude avec le Père. Nous
posséderons donc Dieu dans la patrie pour le connaître et le voir. Ainsi Augustin
[écrit-il], à propos du psaume 118 : «Cette contemplation est promise comme fin de toutes nos actions.»
Il
est écrit, dans Deutéronome 10, 9, que les fils de Lévi n’auront pas de
part parmi leurs frères, parce que le Seigneur sera leur possession. Les saints
ont Dieu en partage et Il leur suffit. Psaume 16[15], 6.5 : Des liens me sont échus en partage; en effet, mon héritage est magnifique. Le
Seigneur est ma part d’héritage et mon calice, etc. Mais comment les saints posséderont-ils Dieu? Je dis que les
saints sont bienheureux en possédant Dieu, car [il est dit] en Jean
4, 16 : Bienheureux celui qui l’a craint!
Et comment parviendront-ils à sa possession? Je dis : par l’amour. D’où [il
est écrit] en Jean (1 Jean 4, 16) : Celui qui demeure dans
l’amour, demeure en Dieu et Dieu en lui. Et en Tobie
13, 14 : Bienheureux tous ceux qui t’aiment!
Mais que possèderas-tu en possédant Dieu? Je dis qu’en possédant Dieu tu
possèdes ce qui est en Dieu. Et qu’y a-t-il en Dieu? La gloire et la richesse.
Psaume 112[111], 3 : La gloire et la richesse sont dans ta maison.
Les saints dans la patrie ont la gloire et l’honneur. Tous sont rois
(Apocalypse 5, 10) : Tu as fais de nous des rois, un
royaume pour notre Dieu. Cette gloire est promise aux humbles, car Job
22, 29 [dit] : Celui qui a été humilié sera dans la gloire.
Et dans l’évangile (Matthieu 5, 3) : Bienheureux les doux, car ils
posséderont la terre! Les saints possèdent donc des richesses
infinies, parce qu’ils ont tout ce que l’homme peut désirer. Mais à qui est
donnée cette possession? L’est-elle à ceux qui sont en procès? Certainement
pas. Dans le monde, l’homme acquiert parfois des choses terrestres par des
litiges et par fraude. Mais les réalités célestes sont acquises par la douceur.
D’où (ce qui est écrit) dans l’épître canonique de Jacques 1, 3 : Recevez dans la douceur la parole qui a
pénétré [en vous]. Et dans
l’évangile (Matthieu 5, 4) : Bienheureux les doux, car ils
possèderont la terre! Les saints ont donc Dieu à connaître et à
posséder. Troisièmement, les saints dans la patrie possèdent Dieu pour en jouir
et s’en délecter. Job 22, 26 : Tu trouveras tes délices dans le
Tout-Puissant. Les
saints dans la patrie ne se délectent pas d’une chose temporelle, mais en Dieu,
source de tout bien. D’où le Seigneur [dit en] Luc 22, 30 : Vous
mangerez et vous boirez à ma table dans mon royaume. Qu’est-ce que
manger à la table de Dieu? C’est se délecter et se reposer en ce de quoi Dieu
se nourrit. Et quelle est cette chose dont Dieu se nourrit? Sa bonté. Quand tu
te nourris de la bonté de Dieu, alors tu manges à la table de Dieu, et c’est
cela la béatitude des saints. D’où il est dit en Luc 14, 15 : Bienheureux
celui qui mangera le pain dans le royaume des saints!
Et
voyez : cette délectation a trois propriétés. Car cette joie est consolatrice.
Par cette joie, l’homme écarte toutes les tristesses. D’où Isaïe
65, 16 : Les difficultés seront livrées à l’oubli, les
premières [difficultés] ne seront pas dans la mémoire ni ne remonteront dans le
cœur, parce vous verrez et vous exulterez de ce que j’ai créé.
Augustin dit dans La cité de Dieu, XX, 30, que «celui qui a appris et à
qui on a enseigné la douleur l’oublie autrement que celui qui en a fait
l’expérience et l’a supportée. Celui qui l’a apprise et à qui on l’a enseignée
oublie la douleur en la négligeant; celui qui l’a éprouvée et l’a supportée,
quand il passe à la joie.» À cause de la joie, les saints oublient toutes leurs
douleurs. Cette joie est donc consolatrice. De même, est-elle entière. Pourquoi
est-elle entière? Parce qu’elle vient du Créateur, et que, de toutes les
créatures, rien ne vient à ton esprit qui ne te mette dans la joie. Elle
commencera par la contemplation de la divinité et elle se poursuivra par la
contemplation des créatures, et partout elle se restaurera de Dieu et des
créatures. La joie est donc entière. D’où en Jean 16, 24 : Demandez
que votre joie soit entière. Augustin [écrit] : «Personne ne peut parvenir à cette satiété
qu’en ayant faim de justice.» D’où dans l’évangile, Matthieu
5, 6 : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de justice car il seront
rassasiés! De même, cette joie est pure, sans mélange d’afflictions
ou d’anxiétés, comme la joie du monde, dont il est dit (Proverbes
14, 13) : Le rire se mélangera à la douleur. Isaïe
35, 10 : Ils obtiendront la joie et l’allégresse, et
la douleur et les pleurs s’éloigneront d’eux. Et en Proverbes
1, 33 : Il aura en abondance, sans craindre aucun mal.
Les miséricordieux posséderont cette joie, parce que (Matthieu
5, 7) : Bienheureux les miséricordieux, car ils
obtiendront miséricorde! Augustin [crit] : «Celui-ci est notre fin, que nous verrons
sans fin, que nous aimerons sans ennui, et que nous louerons sans fatigue. Mais
qu’y aura-t-il dans cette fin? Sans fin nous serons libres, libres nous
verrons, en voyant nous aimerons, en aimant nous louerons. Bienheureux celui atteindra
cette fin!» Car le psaume 65[66], 5) [dit] : Bienheureux
ceux qui habitent dans ta maison, Seigneur! Que nous conduise à
cette béatitude Celui qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint, etc.
Bienheureux
le peuple dont le Seigneur est Dieu, etc. À propos de ce glorieux collège des
saints, dont nous célébrons la fête aujourd’hui, on a parlé de la dignité des
saints et de leur chef. À cause de la brièveté du temps, il faut dire quelque
chose de sa disposition, que désigne le mot «peuple». Qu’est ce qu’un peuple? Augustin
donne la définition suivante du peuple, dans La cité de Dieu, XIX,
21 : «Le peuple est l’assemblée d’une
multitude, associée par l’acceptation du droit et l’utilité commune.» Et
voyez : d’après cela, on peut mettre trois choses sous le mot «peuple» :
une multitude nombreuse, un ordre diversifié et une union harmonieuse.
Premièrement,
je dis qu’une multitude nombreuse est requise pour le peuple, parce qu’un ou
deux ne font pas un peuple. Ce peuple n’a-t-il pas une multitude? C’est assurément
le cas. D’où dans l’épître d’aujourd’hui : J’ai vu une grande foule que
nul ne pouvait compter (Apocaplypse
7, 9). Cela appartient à la dignité du roi, et surtout à ce
roi, qu’il ait un grand peuple. Ainsi, en Proverbes 14, 28 : La
dignité du roi est dans la multitude du peuple. Et Boèce dit que le roi est
glorifié par la multitude des citoyens. La terre n’est rien en comparaison du
ciel. Denys dit, dans la Hiérarchie Céleste, c. 14, que «la
multitude des choses matérielles n’est rien au regard des spirituelles». Et du
Seigneur il dit : «Des milliers
de milliers le servent, et des dizaines de milliers de centaines l’assistent», et
ensuite, «la multitude de tous les saints». Dans le premier livre des
Rois : Israël [de] Juda, nombreux comme le sable, mangeant et buvant et
louant. Dieu seul connaît le nombre des saints, Psaume 147(146), 4 :
Celui
qui compte le nombre des étoiles. La multitude du peuple appartient
donc à la dignité du roi. De même, elle contribue à l’agrément. L’homme est par
nature corruptible. La multitude du peuple contribue à la grandeur de la joie.
D’où Isaïe 22, 2 : Ville fréquentée, cité joyeuse. De
même, une multitude nombreuse contribue à notre sécurité. Nombreux sont les
saints avec nous. D’où dans le livre des Juges 5, 20 : Les
étoiles demeurant dans leur course et leur ordre ont combattu contre Sisera,
c’est-à-dire contre le diable. Et Elysée dit à son serviteur, 2 Rois 6, 16 :
Ne
crains pas; il y en a plus avec nous qu’avec eux. La multitude des
saints dans la patrie est donc une joie pour les saints, un honneur pour Dieu
et une sécurité pour nous.
Il
faut parler de l’élection des saints. Dans l’épîtree, la diversité des saints
est indiquée d’après la connaissance; mais cette diversité existe dans le
monde, et non au ciel. Ainsi l’Apôtre [dit] aux Colossiens 3, 11 : Il
n’y a là ni barbare ni Scyte, ni Juif ni Gentil. Et le bienheureux
Pierre (Actes 10, 35) : En tout peuple, celui qui craint Dieu et accomplit
la justice lui est agréable. Dans l’évangile, nous est donnée la
diversité des saints qui existera au sein du peuple glorieux dans la patrie. Des
rois nous sont indiqués. Il est vrai que tous les saints règnent avec Dieu,
mais ce sont spécialement les apôtres qui règnent. D’où en Luc 22, 29 :
Moi,
je vous prépare un royaume comme le Père m’en a préparé un; et comme
ils furent les chefs de l’Église, ils ont ainsi dans la patrie la dignité
royale. Et comment ont-ils obtenu ce royaume? Certainement par la pauvreté.
D’autres obtiendront le royaume par les richesses. Nous entendons Pierre qui parle
de l’obtention du royaume, Matthieu 19, 27 : Voici, dit-il, nous avons tout quitté.
Et le Seigneur dit (Matthieu 5, 3) : Bienheureux les pauvres en
esprit, car le royaume des cieux est à eux! Il y a des raisonneurs
récents qui ne savent pas ce qu’ils disent. Ils disent que la vertu consiste
dans le milieu et qu’ainsi le renoncement à tout et la virginité ne sont pas du
genre de la vertu, parce qu’[ils] n’occupent pas le milieu. Le Philosophe
dit : «Les hommes inexpérimentés,
examinant peu de choses, parlent facilememnt.» Il ne faut pas que [la
vertu soit] dans le milieu selon la quantité, mais selon la droite raison. Dans
le quatrième livre de l’Éthique, le Philosophe dit que le magnanime se situe dans
les extrêmes par sa grandeur, mais il est au milieu par le fait qu’il agit
comme il le doit, parce qu’il est magnanime là où il le doit, selon qu’il le
doit et pour la raison qu’il le doit. Les philosophes ont tout laissé pour
pouvoir vaquer à la philosophie et ont vécu dans la continence. S’il en a été
ainsi chez les Gentils, il devait bien en être ainsi chez les chrétiens. Si un homme
voulait être continent lorsque [sa] femme réclame son dû, cela serait vicieux;
mais la vertu suprême est dans la virginité. Les apôtres ont donc obtenu le
royaume par la pauvreté. Nous estimons vainqueurs les martyrs qui (Hébreux 11, 33),
par la foi, ont vaincu des royaumes, et ceux-ci sont les doux bienheureux,
parce que ni murmure ni plainte ne résonnent. L’évangile dit d’eux (Matthieu 5, 4) :
Bienheureux
les doux, car ils posséderont la terre! De même, nous trouvons
certains qui vivent dans la solitude, comme c’est le cas des saints confesseurs
qui pleuraient sur le monde et avaient fait grande pénitence. Vous avez vu Antoine
et Benoît qui ont vécu dans les pleurs et une grande et austère pénitence, et
sont à présent dans la joie et la consolation. D’où, dans l’évangile (Matthieu
5, 5) : Ils seront consolés. De même, nous
trouvons dans le ciel des juges très justes, à savoir, les prophètes qui ont
prêché la justice; et ceux-ci étaient affamés de justice, et c’est pourquoi ils
sont à présent rassasiés. Ainsi, dans l’évangile (Matthieu 5, 6) : Bienheureux
ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés! De
même, dans la patrie nous trouvons l’assemblée des patriarches qui s’appliquaient
aux œuvres de miséricorde; et ils ont gardé jusqu’à présent dans le ciel la
dignité d’accueillir les autres. C’est ainsi que Abraham, qui recevait tout le
monde chez lui, même des anges, Genèse 18, 3, a cette dignité dans le ciel
que tous sont reçus dans le sein d’Abraham, et c’est pourquoi il est dit (Hébreux
13, 2) : N’oubliez pas l’hospitalité. Abraham
reçoit tous les élus en son sein. De là vient qu’il est dit (Matthieu 8, 11) :
Ils
viendront de l’Orient [et de l’Occident], et ils s’étendront dans le sein
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il est dit d’eux dans le Siracide 44, 10 :
Ce
sont des hommes de miséricorde, à qui n’a pas fait défaut la compassion.
De même, dans la patrie nous trouvons l’assemblée des vierges qui ont gardé la
pureté. C’est la génération chaste. Il est dit d’elles dans l’évangile (Matthieu
5, 8) : Bienheureux les cœurs purs, car ils verront
Dieu! De même, nous trouvons dans la patrie le chœur des anges qui cherchent
la paix; il est dit d’eux dans l’évangile (Matthieu 5, 9) : Bienheureux
les pacifiques, car ils seront appelés fils de Dieu!
Il
apparaît à présent clairement comment les pauvres obtiennent le royaume, les
doux la terre, ceux qui pleurent la consolation, comment les affamés de justice
sont rassasiés, comment les miséricordieux reçoivent la miséricorde, les purs
la vision de Dieu, et comment les pacifiques sont appelés fils de Dieu. Que
Celui qui [règne] avec le Père nous conduise à leur société, etc.
(Traduction par Alain Blachair, 2004)
Voici
que j’envoie mon ange devant ta face! (Matthieu
11, 10).
Ceci
est tiré du dernier [chapitre] de Malachie. Trois caractères de la venue pleine
de grâce du Sauveur sont décrits par ces mots, à savoir, la faveur merveilleuse
de Dieu le Père; le feu bienfaisant du Précurseur; la bonté merveilleuse du Sauveur.
Le premier point [est indiqué] en cet endroit : Voici que j’envoie.
Le deuxième, en cet endroit : mon ange; le troisième, en cet
endroit : Devant ta face.
Remarque
donc à propos de tout cela que le Sauveur et le Précurseur nous furent tous
deux envoyés par le Père [pour exercer] la fonction angélique, sans en posséder
la nature. En effet, nos anges nous furent envoyés d’abord pour préparer le
chemin des demeures célestes, comme le montre Genèse 28, 12 : Jacob
vit une échelle et des anges de Dieu qui y montaient et descendaient; [en
deuxième lieu], pour nous manifester les secrets des volontés divines : La
loi a été placée par les anges dans la main d'un médiateur (Galates
3, 19); [en troisième lieu], pour accomplir le service (exigé) par la
condescendance divine : Des anges s’approchèrent pour le servir
(Matthieu 4, 11). Et
enfin, pour fournir des enseignements et des exemples des perfections
spirituelles : Et des anges de Dieu rencontrèrent Jacob, et
en les voyant, il dit : «C'est le camp de Dieu!» (Genèse
32, 2).
Sermon pour le premier dimanche de l'Avent
(Traduction par Anne Michel, mars 2005)
Il viendra, désiré par toutes les
nations, et emplira de gloire cette demeure
(Aggée 2, 7)
Prologue
Comme
le dit le bienheureux Augustin à Optat : «À cause de la condamnation du
fait d’Adam, nul n’est racheté, si ce n’est par la foi en Jésus, le Christ.»
C’est ce que montre l’Apôtre en Hébreux 11, 6, où il écrit que personne n’a jamais pu plaire à Dieu sans la
foi. Et il en conclut que, dans tout le temps qui suit la chute [d'Adam],
il fut nécessaire d’avoir la foi dans la guérison, parce qu’il n’y a pas
d’autre remède, ni à l’infirmité du péché originel, ni à celle du péché actuel.
C’est pourquoi tous les saints, depuis l’origine du monde, souhaitaient et
désiraient toujours la venue du Sauveur.
C’est
ce que montre, de manière claire et parfaite, la phrase déjà citée, où le prophète
expose successivement trois points : tout d’abord, le Fils de Dieu
lui-même, venant du ciel : Il viendra; en second lieu,
réalisant le désir des pères avec miséricorde : désiré par toutes les nations;
enfin, donnant avec générosité et un bienfait gratuit : et
il emplira de gloire cette demeure.
Dans
une première partie, est montrée l’humilité de celui qui vient ou de la venue,
pour ce qui est du chemin [emprunté]; dans une deuxième partie, la nécessité de
la venue, pour ce qui est du genre humain; dans une troisième partie, l’utilité
de la venue, pour ce qui est du don offert. Le premier point est présenté pour
que nous lui préparions le gîte de notre cœur; le deuxième, pour que nous lui offrions
notre désir; le troisième, pour que nous recevions le bienfait offert.
Première
partie
[L’humilité
de la venue du Fils de Dieu]
En
premier lieu, donc, [Aggée] montre le Fils de Dieu qui descend du ciel avec
humilité, quand il dit : Il viendra. Il viendra, dis-je,
car il nous est tout à fait nécessaire. Or, la venue du Sauveur était nécessaire
pour trois raisons : premièrement, parce que le monde était imparfait sous
plusieurs angles; deuxièmememnt, parce que l’homme était déchu de son propre
honneur d’une manière vile; troisièmement, parce que Dieu était
extraordinairement irrité contre l’homme. C’est pourquoi il vient pour donner
au monde un très haut degré de dignité, pour reconduire l’homme à l’état propre
d’homme, pour faire disparaître la disgrâce entre l’homme et Dieu.
Or,
un triple degré de perfection faisait défaut dans le monde : un genre de
génération plus éminent que les autres; un degré d’union plus admirable que les
autres; un genre de perfection plus élevé que les autres. Or, le Christ qui
vient dans ce monde a accompli une nouvelle union, a assumé un nouveau mode de
génération, a apporté une nouvelle perfection.
Faisait
donc défaut dans l’univers un degré d’union plus admirable que les autres. En
effet, il existe une quadruple union dans l’univers. La première est celle du
corruptible avec le corruptible, comme dans la nature; la deuxième, du
corruptible avec l’incorruptible, comme dans l’homme; la troisième, de
l’incorruptible avec l’incorruptible, comme dans les choses spirituelles, comme
c’est le cas pour l’essence et la puissance. Or, il manquait la quatrième, à
savoir, celle du temporel et de l’éternel. Or, cette union a été réalisée quand
le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous (Jean 1, 14), quand
il s’est dépouillé (Philippiens 2, 7), quand le roi d’Israël
changea d’habit (1 Rois 22, 30). Voici que je fais toutes
choses nouvelles (Isaïe 43, 19).
Faisait
aussi défaut un genre de génération plus admirable que les autres. En effet,
pour parler en gros, il y a une quadruple génération : la première, qui
procède du Père sans mère, et qui se réalise éternellement; la deuxième, sans
père et sans mère, comme ce fut le cas à l’origine pour les premiers parents;
la troisième, qui procède du père et de la mère, et qui se rencontre habituellement.
La quatrième n’avait pas encore existé : celle qui procède de la mère sans
père dans le temps. Or, cette génération a été réalisée quand une vierge a conçu (Isaïe 7, 14), quand la pierre, détachée de
la montagne sans les mains de l’homme, est devenue une grande montagne et a
rempli la terre toute entière (Daniel 2, 35). La pierre détachée de la
montagne est le Christ, né de la Vierge sans l’intervention d’un homme. Alors,
en effet, Dieu a fait quelque chose de nouveau sur la terre, etc. (Jérémie 31, 22).
Faisait
aussi défaut un degré de perfection plus élevé que les autres, étant donné
qu’est parfaite toute chose qui est unie à sa fin. C’est pourquoi une créature
est absolument parfaite quand elle est unie à son créateur. Or, c’est par une
triple union que la créature est unie à son créateur. La première est celle qui
se réalise par la puissance [de Dieu], par la dépendance qui existe en toute
chose. Ainsi, selon Grégoire : «Tout
tombe dans le néant si ce n’est pas préservé par la main du Tout-Puissant.» La
deuxième est spéciale, par la grâce qui se trouve dans les hommes
justes, car, selon Denys, «l’amour est une force qui unit». La troisième est
réelle, par l’essence. Celle-ci n’avait pas encore existé ainsi, mais elle a
été réalisée au moment où la nature humaine a été assumée par le Fils de Dieu,
dans l’unité d’un suppôt ou d’une personne. Et dans cette assomption, tout
l’univers fut d’une certaine façon assumé, car, selon Grégoire, «d’une certaine
façon, l’homme est toute créature».
En
deuxième lieu, il est venu pour réunir ceux qui étaient dispersés et les ramener
à l’état propre d’homme ou au culte d’une seule religion. En effet, les hommes
étaient assujettis à divers rois, faisaient usage de lois diverses, étaient
corrompus par divers errements : En ce temps-là, il n’y avait pas de
roi en Israël (Juges 17, 6),
et, pendant longtemps, les fils d’Israël sont demeurés sans roi,
sans chef, etc. (Osée 3, 4).
C’est
pourquoi le Christ vient pour être lui-même le seul roi qui règne sur
l’univers, dont la domination est universelle, le pouvoir est universel, le
règne est éternel. Cela a été bien montré dans sa nativité, car il montre alors
qu’il est le roi des hommes lorsque les rois l’ont adoré, le roi des anges qui
célébrent Dieu par des chants de joie, le roi de ceux qui attendent, car les
bergers l’ont entendu, le roi des corps supracélestes, car les étoiles l’ont
reconnu. C’est pourquoi il est dit dans Zacharie 9, 9 : Voici ton
roi qui vient à toi, etc. Ce roi a réuni ceux qui étaient dispersés quand
il a appelé à la foi les Juifs et les païens : Il y aura un seul roi
qui régnera sur tous et il n’y aura plus deux peuples (Ezéchiel 37, 22);
et dans le même chapitre (37, 23) : Ils seront mon peuple, et moi,
je serai leur Dieu, et mon serviteur David sera leur roi et il sera le pasteur
de tous.
Il vient
aussi pour être la seule loi qui s’impose à tous. La loi de Moïse, en effet, a
été spécialement donnée à quelques-uns parce qu’elle n’obligeait pas tout le
monde : charnelle dans ses promesses, car elle promettait des choses
charnelles ; pénale dans ses punitions, car elle infligeait des
peines : Dent pour dent, œil pour œil, etc. (Exode 21, 24).
Ainsi, comme la loi était imparfaite, un autre législateur a dû venir, dont la
loi universelle serait donnée à tous : Annoncez l’évangile à toute
créature, etc. (Marc 13, 10). C’est aussi une loi spirituelle, écrite
dans les cœurs : Je mettrai ma loi dans leurs entrailles et je
l’écrirai dans leurs cœurs (Jérémie 31, 33). C’est aussi une loi
d’amour, qui parle des choses célestes : Faites pénitence, le royaume
des cieux est proche (Matthieu 3, 2). Le Seigneur est notre roi, le
Seigneur est notre législateur (Isaïe 33, 22). Établis, Seigneur,
un législateur sur eux pour qu’ils sachent, etc. (1 Samuel 8, 22).
Il vient
aussi pour être le seul juge qui juge l’univers, qui ait une autorité si grande
qu’il puisse porter tout jugement. Tel fut celui-ci, car le Père a donné
tout jugement à son Fils (Jean 5, 27). Et qui soit d’une si grande
profondeur qu’il puisse tout connaître. Tel fut celui-ci, comme le dit Jérémie 9, 23 :
Moi, je suis juge et témoin, etc. Et qui soit d’une puissance si grande
que nul ne puisse lui résister : Il y a un seul législateur et juge qui
peut épargner et libérer (Jacques 4, 12). Dans ce jugement, en effet,
tout ce qui est caché sera révélé : Ne jugez pas avant le temps
(1 Corinthiens 4, 5). Tout sera aussi examiné : Tout ce
qu’ils font, Dieu l’amènera en jugement (Qohélet 11, 9). Tout sera aussi récompensé : Ceux-ci
iront au châtiment, mais les justes, à la vie éternelle (Matthieu 25, 46).
Notre roi nous jugera, il sortira devant nous et combattra notre guerre pour
nous (1 Samuel 8, 20).
En troisième lieu, il vient pour faire
disparaître la disgrâce et installer la paix entre nous et Dieu. Parce que
l’homme avait transgressé, il était tombé dans la disgrâce de Dieu et devait mourir.
Dès lors, il se menait une sorte de procès, depuis le début du monde jusqu’à la
venue du Seigneur. La vérité, en effet, requérait que l’homme meure parce qu’il
est écrit dans Nombres 15, 30 :
L’âme qui a péché par orgueil disparaîtra de son peuple. Mais la
miséricorde cherchait à ce que l’homme soit libéré : Est-ce pour
l’éternité que Dieu rejettera et cessera d’être favorable maintenant et à la
fin, etc.? (Psaume 85[84], 6). Enfin, la justice cherchait à ce qu’il
soit condamné parce que le jour où tu en mangeras, alors tu mourras (Genèse 2, 17). Celui qui
s’enorgueillira et ne voudra pas se soumettre au pouvoir de la sagesse mourra
par une décision du juge (Deutéronome
18, 20). Mais la paix requérait que la réconciliation se fasse et
que la manière d’être change : Est-ce pour l’éternité que tu seras en
colère contre nous, etc.? (Psaume 85(84), 6).
C’est pourquoi Isaïe 16, 1 demandait : Envoie l’agneau, Seigneur,
qui sera maître de la terre; et Moïse : Je t’en supplie, Seigneur,
envoie celui que tu dois envoyer (Exode 4, 13). Mais parce que
Dieu est bon et miséricordieux, il n’a pas pu se renier, mais a répondu par
l’intermédiaire de Jérémie : Mes entrailles sont troublées à cause de
lui; par compassion, j’aurai pitié de lui (Jérémie 31, 20); et Osée
11, 8 : Mon cœur est bouleversé en moi, de même mon repentir
est-il changé. Ainsi donc, le Seigneur a envoyé un conciliateur, ni un
homme, ni un ange, mais le Fils de Dieu, pour qu’il fasse droit à la miséricorde
sans déroger en rien à la justice. Et ainsi arriva-t-il qu’il y eut en lui la
plus grande justice et une miséricorde infinie, et ainsi la miséricorde et
la vérité sont-elles allées au-devant de lui, etc. (Psaume 85[84], 11). En lui, en effet, il y
avait une si grande justice que [le Père] le punit le plus sévèrement, mais
aussi une miséricorde infinie, car il supporta la peine en lui-même : Vraiment
nos souffrances, il les a portées lui-même, et nos douleurs, il les a
supportées lui-même (Isaïe 53, 5). Ainsi
donc, il vient pour établir la paix entre l’homme et Dieu; c’est pourquoi il
est un conciliateur qualifié, parce que lui-même est notre paix, qui a réuni
les deux choses en une (Ephésiens 2, 14). Il vient pour combattre
le diable, comme un chevalier courageux : Le chef de l’armée du Christ
Seigneur (Josué 5, 14). Il vient pour enlever la contagion du péché,
comme un médecin : Je viendrai et le guérirai (Matthieu 8, 7).
Il vient pour partager avec nous, comme un ami : Une joie m’est venue
du Saint (Baruch 5, 9). Il a donc reçu notre condition, lui qui avait
d’abord abandonné la sienne; il s’est acquitté de notre dette, lui qui n’en
avait contracté aucune; il a racheté le malheureux qu’il avait créé
auparavant : Un désir satisfait est un arbre de vie (Proverbes 13, 12).
Deuxième partie
[Le désir des pères]
En deuxième
lieu, [Aggée] montre qu’il réalise le désir des pères avec miséricorde : Désiré
par toutes les nations. En effet, l’homme était malade à cause d’une
blessure incurable, écrasé par une tyrannie intolérable, assoiffé d’une soif
inextinguible. C’est pourquoi, comme un malade, il désirait un remède pour guérir;
opprimé, un maître doux; assoiffé, le creux d’une source. Ainsi le genre humain
souhaitait-il la venue du Sauveur.
L’homme, en
effet, était malade à cause d’une blessure incurable, parce qu’elle avait corrompu
toute la nature humaine : De la plante des pieds jusqu’à la tête il n’y
a rien de sain en lui (Isaïe 1, 6). Pourquoi ma douleur est-elle
devenue constante et ma blessure, désespérée, et a-t-elle refusé de guérir? (Jérémie
30, 15). C’est pourquoi [l’homme] désirait beaucoup un remède pour
guérir : Nous l’avons vu (Isaïe 52, 8), et il poursuit
(53, 3) : Nous le désirions, méprisé et le dernier des hommes,
homme de douleur, qui connaît la faiblesse.
[L’homme]
était aussi accablé par une tyrannie intolérable. En effet, considéré comme nuisible,
il fut livré aux ennemis : Israël a rejeté le bien, l’ennemi le
poursuit (Osée 8, 3). Quand tu auras été libéré de la dure
servitude à laquelle tu étais asservi auparavant (Isaïe 14, 3). C’est
pourquoi ils désiraient un maître doux : Son aspect est celui du Liban
et sa gorge est douce; il est tout entier désirable (Cantique 5, 15). Ils
désireront ton Seigneur et te craindront (Michée 7, 17).
[L’homme]
est aussi assoiffé d’une soif inextinguible, parce que le manque de grâce sacramentelle
l’avait desséché : Est-ce que le roseau peut vivre sans humidité ou le
jonc croît-il sans eau? (Job 8, 11). C’est l’image du peuple qui
manque d’eau dans le désert. C’est pourquoi ils désiraient le creux d’une source :
Comme
le cerf désire, etc. (Psaume 42[41], 2).
C’est donc
lui-même qu’ils désiraient, comme le montrent leurs grands soupirs : Seigneur,
incline les cieux et descends (Psaume 144[143], 5). Puisses-tu
déchirer tes cieux et descendre! (Isaïe 63, 19). Mon âme t’a désiré
dans la nuit (Isaïe 26, 9). Ils le réclamaient comme le montre la
fréquence de leurs prières : Éveille, Seigneur, ta puissance et viens (Psaume 79[78], 6).
Ils l'attendaient comme le montrent les signes de la révélation divine : Dans
le sentier de tes jugements nous t’attendions, ton souvenir dans le désir de
l’âme (Isaïe 26, 8); et au même endroit : J’attendrai, Dieu,
mon sauveur. Ils l'aimaient comme le montre l'excellence de leur
louange : Toi, Bethléem, terre de Juda, etc. (Michée 5, 1).
Troisième partie
[La demeure de Dieu]
En troisième
lieu, il montre qu’il donne des bienfaits, de façon généreuse et admirable :
Il emplira de gloire cette demeure (Aggée 2, 8).
La Vierge
Marie est une demeure singulière qu’a édifiée la providence du Père : La
sagesse a édifié sa demeure (Proverbes 9, 1). La sagesse du Fils y a habité :
Moi, j’habite dans une maison en bois de cèdre (2 Samuel 7, 2).
La grâce de l’Esprit Saint l’a préparée : Cela est grand, et la demeure
n’est pas préparée pour l’homme mais pour Dieu (1 Chroniques 29, 1).
L’Église
militante est une demeure particulière. Le Christ l’a édifiée à partir de
pierres vivantes : La demeure que je veux édifier est grande
(2 Chroniques 2, 4). Il l’a consacrée à la grâce par des dons : Ma
demeure sera appelée une maison de prière (Isaïe 56, 7). Je
répandrai sur la maison de David l’Esprit de grâce (Zacharie 12, 10).
Il l’a fondée à ses propres frais : Les mains de Zorobabel ont fondé
cette demeure (Zacharie 4, 9).
La demeure
universelle est la patrie céleste. Elle est la plus grande par la charité :
Ô
Israël, qu’elle est grande la demeure de Dieu! (Baruch 3, 24).
Elle est la plus noble par ce qui est précieux, parce que gloire et richesse
[sont] dans sa maison, dit un psaume (111[10], 3). Elle est la plus
forte par l’éternité : Nous savons que si notre demeure terrestre,
notre habitation, est détruite, nous avons une maison érigée par Dieu, une
demeure éternelle qui n’est pas faite par la main de l’homme, dans les cieux
(2 Corinthiens 5, 1).
La première
demeure, la gloire de la divinité l’a remplie dans l’Incarnation : Grande
est la gloire de cette demeure, la dernière plus que la première (Aggée 2, 9).
La demeure fut remplie de la nuée et l’entrée fut remplie de la gloire
éclatante de Dieu (Ezéchiel 10, 4).
La seconde
demeure a été remplie de joie par l’envoi de l’Esprit Saint, par la grâce des
langues, les dons de grâces et les œuvres des miracles : Il a rempli
Sion de justice et de droit (Isaïe 33, 5).
La troisième
demeure a été remplie de la grâce de la félicité dans l’Ascension. En effet,
est alors apparue la splendeur lumineuse qui émanait de l’éclat du corps du
Christ, louange de la bonté divine venant de la manifestation de sa puissance,
saveur d’un partage intérieur né d’une double joie : Il avait rempli,
etc. (2 Chroniques 7, 1), comme ici. La gloire du Seigneur
avait rempli la maison du Seigneur (1 Rois 8, 11). La demeure
était remplie de la gloire du Seigneur (Ezéchiel 43, 4). La gloire
est entrée dans le temple du Seigneur (Ezéchiel 43, 4).
Autre sermon pour l’Avent
(Traduction par Charles Duyck, mars 2005)
Pousse des cris de joie et sois dans
l’allégresse, fille de Sion, car voici que je viens et j’habiterai au milieu de
toi, dit le Seigneur (Zacharie 2, 14)
Prologue
Comme le dit le bienheureux
Bernard : «Réfléchissant très souvent à l’ardeur du désir de nos pères
attendant la venue de Jésus, le Christ, je suis troublé en moi-même.» En effet,
celui qui réfléchit aux soupirs de ceux qui réclament, aux désirs de ceux qui
attendent, aux joies de ceux qui annoncent la venue du Sauveur peut
suffisamment se rendre compte de sa propre tiédeur vis-à-vis des bienfaits déjà
reçus depuis sa venue. Cette venue, c’est avec de fréquents soupirs que la réclamait
Isaïe 16, 1 : Envoie, Seigneur, l’agneau, etc. Et ailleurs,
63, 19 : Ah! si tu déchirais les cieux, etc. Jérémie l’attendait
d’un grand désir : Le Seigneur a fait une chose nouvelle sur la terre,
etc. (Jérémie 31, 22). Et c’est avec une grande joie que Zacharie
l’annonçait, comme cela apparaît dans la citation ci-dessus.
Dans
ces paroles, le prophète fait trois choses : d’abord, il révèle les sentiments
des saints pères qui ont précédé la venue du Sauveur en insistant continuellement
sur ses louanges, en cet endroit : Pousse des cris de joie et sois dans
l’allégresse, fille de Sion. Il révèle ensuite que le Fils de Dieu lui-même
descendra du ciel : Voici que je viens. En troisième lieu, il
montre [le Sauveur] apparaissant humblement dans la chair humaine : Et
j’habiterai au milieu de toi.
Première
partie
[La
joie de la venue du Sauveur]
Est
donc révélée tout d’abord la joie de la venue [du Sauveur] qu’il fait ressentir
en répétant le mot «joie» : joie parfaite. À ce propos, il faut noter que
pour atteindre la joie parfaite, trois choses sont requises : d’abord, que
l’esprit s’élève jusqu’au bienfait divin, ce qui est indiqué en cet endroit :
Fille
de Sion; ensuite que l’amour se dilate par l’effet d’une joie
spirituelle, en cet endroit : Sois dans l’allégresse;
troisièmement, que la langue soit stimulée à l’accomplissement de la louange
divine, en cet endroit : Pousse des cris de joie! En effet, si tu
considères attentivement les faveurs divines, tu seras alors la «fille de
Sion»; si, dans l’exultation, tu chantes et combles de louanges et d’éloges la
gloire de Dieu, alors tu connaîtras la joie parfaite; si, de cette
considération, naît la joie spirituelle, alors, fille de Sion, tu seras dans
l’allégresse, ce qu’a ordonné le prophète en disant : Pousse des cris
de joie et sois dans l’allégresse, fille de Sion!
Il
faut donc d’abord pour atteindre la joie parfaite que l’esprit s’élève jusqu’au
bienfait divin, ce qui est indiqué par Fille de Sion. En effet, Sion
signifie «lieu élevé», et partout, selon l’interprétation spirituelle, le mot
symbolise l’âme contemplative. Un homme en effet est passé <…> pour
annoncer, par la prédication, la venue du Seigneur.
Isaïe 52, 7 : Qu’ils sont beaux les pieds des messagers qui
publient la bonne nouvelle de la paix! Et plus loin : ... de celui
qui dit à Sion : «Ton Dieu règnera!» Mérite en effet d’entendre la
prédication divine celui qui ne veut parler qu’«à propos du Christ et avec le
Christ». Ainsi le Seigneur, dans Matthieu 21, 5, et Zacharie 9, 9 :
Dites à la fille de Sion, c'est-à-dire à l’âme attachée, par la
méditation, à la contemplation des faveurs de Dieu : «Voici que ton roi
vient à toi!» Adressez-vous, dis-je, à celui qui désire entendre parler de
la joie de sa venue, en vue d’être consolé. Isaïe 12, 6 : Réjouis-toi,
sois dans la joie, Sion, parce que ton Sauveur viendra du milieu des nations! En
effet, selon ce que dit le bienheureux Bernard : «La consolation de Dieu
est largement donnée à ceux qui n’en admettent pas une autre.» Telles sont les
filles de Sion, et ainsi leur est annoncée et promise la vue, par la
contemplation, de sa venue. Zacharie 9, 9 : Tressaille d’une
grande joie, fille de Sion! Et Cantique 3, 11 : Sortez, filles
de Sion, et voyez, etc. Sortez des laideurs du vice, et soyez les
filles de Sion par la contemplation des choses d’en haut, et ainsi
vous pourrez voir le roi Salomon, c’est-à-dire le Seigneur des anges, avec
la couronne dont sa mère l’a couronné, c'est-à-dire, selon la Glose, «dans
l’humanité reçue de sa ascendance juive».
Il
faut ensuite, pour atteindre la joie parfaite, que l’affection se dilate par
l’effet d’une joie spirituelle, ce qui est indiqué à cet endroit : Sois
dans l’allégresse!
Or,
c’est à juste titre que l’âme fidèle doit exulter, bien plus, que toute la
nature humaine doit regorger de joies spirituelles abondantes, quand elle se
voit unie à la société divine. En effet, la nature humaine, qui avait été
autrefois comme un désert et une terre inhospitalière en raison de
l’absence de la grâce céleste, est maintenant en pleine végétation, couverte de
fruits et de fleurs, depuis qu’elle a été assumée par le Fils de Dieu dans
l’unité de sa personne. Isaïe 35, 1‑2 : Le désert et la
terre aride se réjouiront; la steppe sera dans l’allégresse et fleurira comme
le narcisse; il se couvrira de fleurs et tressaillira, il poussera des cris de
joie. Et ensuite : La gloire du Liban lui sera donnée.
Et ailleurs, dans Isaïe 62, 4, on dit : On ne te nommera plus
«délaissée».
[La
nature humaine doit aussi regorger de joies spirituelles] quand elle sent
qu’elle se sait destinée au collège des saints. Elle qui était autrefois
réputée <digne> de partager les enfers, la voici maintenant comptée parmi
l’assemblée des anges! Ainsi Habacuc 3, 18 : Moi, je veux me
réjouir dans le Seigneur et tressaillir de joie, etc. Maintenant viennent
en Sion des hommes pour louer, comme cela avait été prédit par Isaïe 35, 10 :
Une allégresse éternelle couronnera leur tête, et par le psaume 122[121], 1 :
J’ai été dans la joie quand on m’a dit, etc.
[La
nature humaine doit encore regorger de joies spirituelles] quand elle se sent
fortifiée par le secours du ciel. Autrefois, toute la nature humaine était marquée
par la tristesse à cause de l’absence de la grâce, à cause de la fermeture de
la porte [du ciel], à cause de l’oppression de l’antique captivité. Or,
maintenant, la grâce divine s’est répandue, parce que, comme il est dit dans
les Actes 2, 4 et 3 : Ils furent tous remplis du Saint-Esprit.
La porte du ciel s’est ouverte, Apocalypse 4, 1 : J’ai vu une porte
ouverte dans le ciel. La puissance du démon a été écrasée, Jean
12, 31 : Le Prince de ce monde va être jeté dehors.
Apocalypse 12, 10 : L’accusateur de nos frères a été
précipité, et plus loin : Réjouissez-vous, cieux, et vous qui y
demeurez! Cela a été prédit par Isaïe 9, 2 : Ils se réjouiront
devant vous comme ceux qui se réjouissent à la moisson, etc.
Troisièmement,
il faut, pour atteindre la joie parfaite, que la langue soit stimulée à
l’annonce de la divine louange, ce qui est indiqué en cet endroit : Pousse
des cris de joie. À partir de là, la connaissance de Dieu est agréable à
notre intelligence, ainsi que le transport de joie intérieure à notre amour. Il
ne reste alors rien d’autre que de chanter, par tous nos sens, la louange [de
Dieu]. C’est pourquoi l’auteur dit : Pousse des cris de joie! L’âme
fidèle a en effet largement de quoi rapporter ses louanges à son Rédempteur,
car il est dit dans Philippiens 4, 7 : La paix de Dieu, qui
surpasse toute intelligence, gardera nos cœurs et nos pensées. Ainsi, il
est dit dans Siracide 43, 30 : En louant le Seigneur, exaltez-le
tant que vous pourrez, car il sera plus grand que toute louange.
Nous
devons vraiment louer la puissance du Défenseur qui <nous a éloignés> des
dangers. Car c’est un terrible danger que d’être au service du démon et du
péché : c’est en effet [comme] le joug de Pharaon. Romains 6, 22 :
Mais maintenant, affranchis du péché et devenus esclaves de Dieu,
chantons au Seigneur. Exode 15, 2 : Le Seigneur a fait éclater sa
gloire. Il est ma force et l’objet de ma louange. Siracide 51, 8‑12 :
Mon âme louera le Seigneur jusqu’à la mort… parce que tu arraches [à la
ruine] ceux qui te font confiance et tu les libères des mains de ceux qui les
écrasent.
[Nous
devons aussi louer] la justice du Rédempteur parce que, «en mourant, il a
détruit la mort». En effet, que la mort soit expiée par la mort, c’était justice;
mais qu’elle soit expiée par le Christ, c’était miséricorde. Car il a payé ce
qu’il n’a pas pris, et cela avec une justice souverainement digne de
louange. Siracide 16, 22 :
C’est par la justice qu’est dictée la louange, et Isaïe 61, 11 :
Le Seigneur fera germer la justice et la louange devant toutes les nations.
[Nous
devons aussi louer] la clémence du Sauveur, qui nous a conduits à la vie
éternelle. Comme le dit en effet l’Apôtre aux Colossiens 1, 13 : Nous
devons rendre grâces à Dieu le Père dans la joie, lui qui nous a arrachés au
pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le Royaume de son Fils
bien-aimé. C’est pourquoi Isaïe 44, 23 dit : Louez le
Seigneur, cieux, parce qu’il a fait miséricorde.
Deuxième
partie
[La
venue du Fils de Dieu sous une forme visible]
Deuxièmement,
dans les paroles citées au début, le prophète décrit la proximité de la venue [du
Christ] qu’il présente sous la forme d’une distance raccourcie, en cet endroit :
Voici
que je viens. Je viens, dis-je, de manière visible, avec une forme
humaine, en quoi nous est révélée une nouveauté inouïe : Voici!
dit-il.
Par
cette manière de parler, [le prophète] excite notre tiédeur à aller au-devant
de lui. Isaïe 25, 9 : Voici notre Dieu, nous avons espéré en lui,
et il nous sauvera. Zacharie 9, 9 : Voici que ton roi vient.
Il montre aussi la nouveauté de cette venue pour que nous l’attendions et que
nous soyons pleins d’admiration. Ainsi parle l’épouse du Cantique 2, 8 :
Voici que mon bien-aimé vient, bondissant sur les montagnes. Et Isaïe 43, 19 :
Voici que je rends tout nouveau ; maintenant, il se lèvera. Il fait comprendre aussi la
proximité [de sa venue] pour que nous nous disposions à le recevoir. Malachie
3, 1 : Voici qu’il viendra dans son temple. Et Daniel 7, 13 :
Voici que sur les nuées vint comme un fils d’homme. Donc, par cette même
manière de parler, le Fils de Dieu se montrait comme visible sous la forme de
l’humanité par le fait de dire : Voici!
<Il
vient aussi> personnellement dans sa nature divine : en cela se révèle
une infinie grandeur. Et cela est indiqué par ce mot : Moi. Car
c’est là la personne qui s’est exprimée par la bouche de tous les prophètes,
Isaïe 52, 6 : C’est moi qui dis : «Me voici!» [La personne] qui annonce la rédemption
de tous les pécheurs, Isaïe 63, 1 : C’est moi qui parle avec
justice. [La personne] qui proclame le jugement à la fin des temps,
Psaume 75[74], 3 : Quand
j’aurai atteint le temps fixé, je jugerai avec justice. Et de même, Psaume 37[36], 30 : Sa
langue exprime la justice.
Et
c’est à juste titre. Car il possède l’éternité et il est avant toutes choses.
Exode 3, 14 : Je suis celui qui suis. Il procède en effet de
Dieu d’une manière consubstantielle et de toute éternité, Jean 8, 42 :
C’est de Dieu que je suis sorti et que je suis venu. De même il possède
une puissance infinie, et ainsi il a tout créé. Isaïe 45, 6‑7 :
Je suis Yahvé et n’y en a point d’autre, je forme la lumière et crée les
ténèbres. En effet, comme le Fils est Dieu, principe issu du principe, il
possède avec lui l’être et la puissance. De même, il possède une connaissance
parfaite et ainsi il gouverne toutes choses, Siracide 24, 3 : Je
suis sortie de la bouche du Très-Haut, engendrée la première avant toute créature.
Comme lui-même est lumière née de la
lumière, clarté née de la clarté,
comme le Père est infiniment puissant, le Fils l’est aussi. Jean 8, 12 :
Je suis la lumière du monde.
Cependant,
«alors que j’étais tellement sublime et d’une dignité si grande, voici que
je viens, comme un ami, revêtu de l’habit du service». Je viens,
c’est comme s’il disait : «Je n’envoie pas un ange, ni un esprit, ni un
lieutenant, mais je viens par moi-même, en quoi se révèle le plus grand amour.»
Je viens, dis-je, invité par les saints pères : en effet, tous les
saints depuis le commencement du monde l’avaient invité, représentés par la
fiancée, Cantique 6, 2 : Mon bien-aimé est venu dans son jardin.
Et au dernier chapitre de l’Apocalypse 22, 20 : Viens, Seigneur Jésus.
Et ainsi d’Isaïe, de Jérémie et des autres prophètes.
De
même. je viens, ému, poussé au fond de mon cœur, par la pitié. Luc 1, 78 :
Par
l’effet de la tendre miséricorde de notre Dieu, par laquelle, etc. «Là
il avait montré sa puissance et sa sagesse; ici, sa miséricorde», comme dit
Bernard. Il a aussi compassion de nos infirmités. Matthieu 8, 7 : Je
vais aller le guérir. Et Luc 19, 10 : Le Fils de l’homme est
venu chercher et sauver ce qui était perdu. Jean 3, 17 : Le Fils
de l’homme n’est pas venu dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui.
En
effet, parce que nous étions déchus de tout honneur, il est venu comme un chef
d’une dignité infinie. Josué 5, 14 : C’est comme un chef de
l’armée de Yahvé que je viens maintenant. De même, parce que nous étions
séparés de l’amour de Dieu, il est venu comme une paix d'une charité inouïe,
Éphésiens 2, 14 : C’est lui qui est notre paix, lui qui des deux
peuples n’en a fait qu’un. En venant, il a prêché la paix, à vous qui étiez
loin. Et ce ne fut pas seulement l’amour du Fils qui venait, mais aussi celui
du Père qui nous envoyait [son Fils]. Jean 5, 43 : Je suis venu au
nom de mon Père. De même, parce que nous étions privés de la lumière ou de
clarté, il est venu comme lumière d’un éclat infini, Jean 12, 46 : Je
suis venu dans le monde en tant que lumière.
Troisième
partie
[L’humilité
de la venue du Sauveur]
Troisièmement,
dans les paroles citées au début, nous est montrée l’humilité de la venue [du
Sauveur]. Ainsi, j’habiterai au milieu de toi, comme s’il disait : «Je
serai ton compagnon pendant ton voyage.» Il dit donc : J’habiterai.
Il
a habité avec nous de trois manières : d’une manière générale, [il a habité]
avec tous les hommes la substance de la chair, Jean 1, 14 : Le
Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous; Baruch 3, 38 : Après cela, il a paru sur la terre
et il a vécu parmi les hommes. D’une manière particulière, [il a habité]
avec les saints par la grâce répandue sur eux, 2 Corinthiens 6, 16 :
J’habiterai au milieu d’eux et je serai leur Dieu. D’une manière toute familière, [il a habité] avec les bons par
la présence de la vision, Psaume 24, 12 :
Pour l’éternité, ils exulteront et tu habiteras en eux. Bernard [écrit] :
«Il est venu pour habiter avec les hommes et en eux, pour illuminer les
ténèbres des hommes, pour abréger leurs souffrances et éloigner les dangers.»
Il
est aussi venu comme médiateur dans notre réconciliation : Au
milieu de toi. Luc 22, 27 : Moi, je suis au milieu de vous,
etc. Or, il a été médiateur pour réconcilier Dieu et l’homme. Jean 2, 26 :
Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne connaissez pas.
Deutéronome 5, 5 : Je me suis tenu comme médiateur entre vous et
Dieu.
Il
a aussi voulu nous apporter la plénitude de la joie, Jean 20, 19‑20 :
Jésus se tint au milieu de ses disciples et leur dit : «La paix soit
avec vous!», et plus loin : Les disciples furent remplis de joie.
Isaïe 12, 6 : Pousse des cris de joie et tressaille d’allégresse,
maison de Sion, parce que le Saint d’Israël est grand au milieu de toi.
De même, s’est-il montré grand dans la distribution
des récompenses : Le Seigneur dit, etc.[13]
Sermon pour le premier dimanche après l’Épiphanie
(Traductionpar Jean-Pierre Vaël, 2004)
Prologue
[Le progrès du Christ proposé en
exemple aux adolescents]
L'enfant
Jésus progressait en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les
hommes (Luc 2, 52).
Tout
ce que le Seigneur a fait ou a souffert dans sa chair constitue des
enseignements salutaires. C'est pourquoi on lit en Jean 13, 15 :
Je vous ai donné l'exemple afin que, ce que j'ai fait, vous le fassiez aussi. Et
parce que le chemin du salut ne fait défaut à aucun âge, principalement aux années
qui relèvent de l’âge de raison, l'adolescence du Christ est proposée en
exemple aux adolescents.
Or,
le propre des adolescents est la croissance et le progrès. Ainsi, c'est le
progrès du Christ qui leur est proposé en exemple. Et pour que nous puissions
dire quelque chose qui serve à l'honneur de Dieu et au salut de nos âmes à propos
des progrès du Christ, avant tout et pour commencer, prions le Seigneur.
Première partie
[Le progrès du Christ en âge et en
grâce]
L'enfant
Jésus progressait en âge, en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les
hommes (Luc 2, 52).
Si
nous voulons examiner soigneusement ces paroles, nous trouvons en elles quatre
progrès du Christ. D'abord, le progrès de l'âge concernant le corps;
deuxièmement, le progrès de la sagesse concernant l'intelligence;
troisièmement, le progrès de la grâce concernant Dieu; et, quatrièmement, le
progrès de la grâce en ce qui concerne la société des hommes.
À
vrai dire, tous ces progrès sont réellement admirables et source d'étonnement
et d'admiration. En effet, il est admirable que l'Éternité avance en âge parce
que le Fils de Dieu est éternité et il est depuis toujours. Psaume 119(118), 89 :
Pour toujours Seigneur, ton Verbe demeure jusqu'à la fin. Il est aussi
admirable que la Vérité avance en sagesse, parce que le progrès en sagesse est
la connaissance de la vérité et que le Christ est la Vérité même; d’où, chez
Jean 14, 6 : Moi, je suis le chemin, la vérité, la vie. De
même, il est admirable que l’auteur de la grâce progresse en grâce, puisque le
Christ est l'auteur de la grâce. D’où, en Jean 1, 17 : La
grâce et la vérité sont réalisées par le Christ. Il est admirable
enfin que celui qui surpasse tous les hommes progresse parmi les hommes; et
même davantage, les hommes doivent progresser avec lui. Psaume 113(112), 4 :
Il est élevé au-dessus de tous les peuples.
De
quelle manière, donc, le Christ peut-il progresser ?
Je
dis que, si nous voulons regarder attentivement, la raison en apparaît avec évidence
à partir de ce qu'est le progrès en
âge. Éternel, le Fils de Dieu a voulu apparaître dans le temps, afin
qu'il puisse progresser selon les âges et puisse grandir. Isaïe 9, 5 :
Un petit enfant nous est né. S’il est né tout petit, pourquoi
ne grandirait-il pas comme une tout petit?
Mais
certains regardent le progrès du Christ comme une grande difficulté. Le Christ
a pris la nature humaine tout entière : selon la chair, il est né tout petit,
mais non selon son âme, parce que dès le début de sa conception, son âme unie à
Dieu, jouissant de la béatitude parfaite, fut remplie de toute grâce et vérité.
D’où, en Jean 1, 14 : Nous avons vu sa gloire, cette gloire que,
comme Fils unique rempli de grâce et de vérité, il tient du Père. [Le
Christ] fut rempli de toute grâce et de toute vérité parce qu’il était le Fils
unique de Dieu. Mais, dès le début de sa conception, il était le Fils unique [de
Dieu]. Il fut donc alors rempli de grâce et de vérité, et parfait dans toutes
les vertus. Jérémie 31, 22 : La femme entoure son mari, non
par la chair mais par la perfection de l'esprit.
Mais
de quelle manière dit-on que le Christ progresse en sagesse et en grâce? On
doit dire de quelqu’un qu’il progresse en sagesse, non seulement lorsqu’il
acquiert une sagesse plus grande, mais aussi quand cette sagesse se manifeste
davantage en lui. Il est vrai que le Christ, dès le commencement de sa
conception, fut rempli de sagesse et de grâce; cependant, il ne l’a pas manifestée
dès le commencement, mais quand les autres s’y furent habitués. Alors, on dit
que le Christ a grandi en sagesse, non en lui-même, mais par l’effet qu’il
produisait chez les autres.
S'il
avait voulu montrer sa sagesse quand il avait sept ans, les hommes auraient pu
douter de la vérité de la nature humaine assumée et, à cause de cela, le Christ
a voulu être conforme aux autres. D'où ce que dit l'Apôtre aux Philippiens 2, 7 :
Il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur et devenant semblable aux
hommes. Le Christ s’est fait petit en prenant notre petitesse; pour se
montrer vraiment petit, il est devenu
semblable à la multitude des hommes. Baruch 3, 38 : Sur la
terre, il s'est manifesté et il s’est mêlé aux hommes. Et lorsque
d’habitude chez l’homme apparaît un indice de sagesse, alors le Christ
manifesta sa sagesse, à savoir, lorsqu'il eut douze ans. [Il le fit] donc petit
à petit. Et il ne voulut pas montrer sa sagesse [trop tôt] pour que la vérité
de la nature humaine soit confirmée en lui et pour qu'il nous donne l'exemple
de la croissance en sagesse.
C’est
donc de quatre manières que le Christ a avancé : par l'âge, la sagesse, la
grâce et la vie avec les hommes.
Premièrement,
examinons l’avancement en âge du Christ, qui se rapporte au corps, et qui nous
est proposé en exemple afin que nous avancions par l’âge du corps et de
l’esprit comme lui, car un perfectionnement en âge du corps est vain s’il n’est
pas accompagné de celui de l’âme. Ainsi, il faut traiter en même temps des
progrès du Christ en sagesse et en grâce, car si l'homme ne progresse pas par
l’esprit alors qu’il progresse par le corps, il en découle quatre inconvénients :
cela est monstrueux,
nuisible, pénible et dangereux.
D’abord,
je dis que progresser par l'âge du corps sans progresser par l’esprit est monstrueux.
L’homme est composé d’âme et de corps, comme le corps est composé d’autres
membres. Mais disons qu’un corps se développe dans un seul de ses membres, en
demeurant petit dans les autres : cela est monstrueux. C’est la même chose
lorsque quelqu’un est homme selon le corps et non selon l’esprit. C’est
pourquoi l’Apôtre dit, 1 Corinthiens 13, 11 : Lorsque j’étais
enfant, je parlais comme un enfant. Lorsque je suis devenu homme, j’ai mis fin
à ce qui était propre à l'enfant. Les enfants pensent à jouer et aux choses
de ce genre.
Il
est vrai que le Seigneur demande que nous soyons comme des enfants en Matthieu 18, 3 :
Si vous ne vous convertissez pas et ne devenez pas comme de petits enfants,
vous n'entrerez pas dans le Royaume des cieux. Ce que nous devons retenir
du comportement des enfants, c’est qu’ils n’ont pas de malice et qu’ils sont
humbles. Nous devons rejeter quelque chose des enfants, car ils manquent de
sagesse. Ainsi, l’Apôtre [dit] en 1 Corinthiens 14, 20 : Pour
le jugement, ne soyez pas des enfants; mais pour le mal, soyez comme des petits
enfants.
Les sens ayant atteint leur perfection, nous
devons penser à progresser par l’âge de l’esprit autant que nous progressons
par l’âge du corps. Celui qui grandit
d’une seule jambe, et non de l’autre, doit placer toute sa confiance dans le
médecin afin de grandir pareillement de l’autre jambe. Pareillement, toi
qui grandis par l’âge du corps, tu dois placer tout ton zèle à grandir aussi
par l’âge de l’esprit.
De
même, je dis que progresser par l’âge du corps, et non [par celui] de l’esprit,
est nuisible. Celui qui aurait le temps
d’acquérir une grande chose et qui gaspillerait son temps à ce qui est futile,
serait réputé [se causer] un grand tort. Ainsi le marchand qui néglige d’aller
aux foires où il croit qu’il gagnerait beaucoup, ou l'étudiant quand il omet
d’écouter une leçon utile, s’il gaspille ce temps, se cause un grand tort à
lui-même. Le temps t’a été donné pour que tu gagnes, non pas ces choses de peu
de valeur, mais pour que tu gagnes Dieu et les choses célestes, que personne ne
peut enlever. Ainsi, l’Apôtre [dit] en 1 Corinthiens 2, 9 : Ce
que nul homme n’a jamais vu ni entendu, ce à quoi nul homme n’a jamais pensé,
Dieu l’a préparé pour ceux qui l’aiment. À cause de cela, il est dit dans l’Ecclésiastique
14, 14 : Ne laisse pas échapper
une parcelle de ce qui t’a été donné! [à savoir], une parcelle de temps
bon. Et Salomon [dit] dans Proverbes 5, 9 : Ne cède pas à d’autres ton honneur, ni tes années à un homme impitoyable, de peur que des étrangers ne
soient remplis de tes forces et que les fruits de ton travail se retrouvent
dans une autre maison. Ne cède pas à d’autres ton honneur. L’honneur
est donné à l’homme en guerre quand il lui est donné de vaincre ses ennemis. Un
tel honneur t’est donné, à savoir, de vaincre le monde, la chair et le Diable.
Mais quand tu consacres tes forces naturelles à servir le Diable, alors
qu’elles t’ont été données pour vaincre le diable, tu donnes ton honneur à
autrui. Vient ensuite : De peur que
tu ne donnes les années de ta jeunesse à
un homme impitoyable, c’est-à-dire au Diable, car autant que tu le serves,
il ne te laissera pas en repos. D’où Jérémie 16, 13 : Vous serez
soumis aux dieux étrangers qui ne vous donneront pas le repos. Et [de peur] que
les fruits de ton travail ne se retrouvent dans une autre maison. Peut-être
fais-tu de bonnes actions auxquelles tu as travaillé. Si tu te tournes vers le
Seigneur, ces travaux seront dans ta maison. Si au contraire tu ne te tournes
pas vers le Seigneur, tes travaux, c’est-à-dire tes bonnes actions, seront dans
la maison d'autrui, parce que les saints, dans la patrie, se réjouiront de tes
bonnes œuvres, et non toi. Ainsi est-il dit dans l’Apocalypse 3, 11 :
Tiens ferme ce que tu as pour que nul ne te prenne ta couronne.
De
même, progresser par l’âge du corps sans progresser par l’esprit est pénible. Mais tu diras : «Je suis
jeune, je veux m’amuser dans ma jeunesse. Lorsque je serai vieux, je me
tournerai vers le Seigneur.» Assurément, tu t'exposes à un effort pénible. Ce à
quoi l’homme est accoutumé depuis sa jeunesse lui est facile. Ainsi, il est
clair que celui qui travaille dès sa jeunesse aux travaux des champs y est
habitué, alors que cela t’est difficile. De même, si tu as l’habitude de faire
ta volonté et de vivre dans le péché, ou bien tu n’espères pas la vie
éternelle, ou bien tu te préserves avec grand effort. C’est pourquoi Salomon [dit] :
L'adolescent qui marchera selon le chemin [de Dieu], lorsqu’il sera devenu
vieux, ne s’en écartera pas. Et Jérémie, Lamentations 3, 27 : Il
est bon pour l’homme de porter le joug du Seigneur dès son adolescence, car il peut ainsi facilement s’élever
au-dessus de lui-même. C’est pourquoi le Christ nous a donné l’exemple
de bien agir dès la jeunesse, parce que, aussitôt qu’il eut douze ans, il
grandit avec sagesse.
Enfin,
je dis que progresser par l’âge du corps sans progresser par l’âge de l'esprit
est dangereux. Dieu exige des comptes de
tous, d’où ce qu’on lit dans l’évangile de Matthieu 18, 23 : Il en
est du Royaume des cieux comme d'un roi qui voulut régler ses comptes avec ses
serviteurs. Dieu t'a donné du temps [sur terre] pour que tu le serves. Mais
il est dit en Job 4 : Il
lui a donné le temps, et il abuse de ce temps par son orgueil. Dieu te demandera
compte du temps. Isaïe dit, 47, 13 : J'ai dit : «Sans cause
et sans motif, j'ai consommé ma force.» Celui-là consomme sa force sans
cause et sans motif, qui dépense son temps dans des choses inutiles. Pour cette
raison, on lit dans Isaïe 49, 4 : Je
serai donc jugé par le Seigneur. Et Salomon, dans Siracide 11, 9 :
Réjouis-toi, jeune homme, aux jours de ton adolescence, mais n’oublie pas
que sur tout cela Dieu te fera passer en jugement. Ce jugement est-il
facile à subir? Non, car Isaïe 65, 20 dit : L'enfant sera maudit
pendant cent ans, à savoir, celui
qui pèche. D’où ce que dit Baruch 3, 10 : Tu as vieilli sur une terre
étrangère, tu es compté parmi ceux qui descendent en enfer. Mais ne
désespère pas de la miséricorde de Dieu, bien que, par tes actions, tu le
mériterais.
Notre
premier sujet de préoccupation est donc que nous croissions par l’esprit comme [nous
croissons] par l’âge. Mais de quelle manière l’homme grandit-il par l'esprit?
Certainement quand il grandit en sagesse et en grâce. Et bien que, dans la
citation, il soit fait mention de sagesse avant la grâce, nous parlerons
d’abord de la grâce, car le commencement
de la sagesse, c’est la crainte du Seigneur, Siracide 1, 14.
La
grâce est quelque chose de caché parce qu’elle est dans l’âme. Or, les causes
cachées ne sont connues que par leurs effets extérieurs visibles. Parmi tous
les fruits de la grâce, aucun n’est plus évident que la paix. C’est pourquoi
l’Apôtre associe toujours la paix à la grâce : Les fruits de l’Esprit, ce sont la joie, l’amour, la paix (Galates 5, 22). Et lorsque quelqu'un a la paix, c’est le signe
qu’il a la grâce, car il n’y a pas de paix pour les méchants, dit le
Seigneur (Isaïe 48, 22). Et Dieu a signalé cela dans la croissance en
grâce, car, lorsque [Jésus] eut douze ans, il alla dans un lieu de paix,
Jérusalem, dont le nom signifie «vision
de paix». Donc, lorsque nous avons l'âge de discrétion, nous
devons nous efforcer d'atteindre la paix.
Mais
beaucoup se trompent à propos de la paix : ils pensent l’avoir et ne l’ont
pas. D’où ce que disent les faux prophètes : Ils disent : «Paix!
Paix!» alors qu’il n’y a point de paix (Jérémie 6, 14). Pour
que nous sachions ce qu’est la vraie paix, il faut noter que la paix possède
quatre conditions : elle doit être élevée, habituelle, persévérante et appliquée, et prudente.
D’abord,
la paix qui vient de la grâce doit être élevée. Car l’homme est constitué de
deux éléments, et ainsi, il peut exister une double paix. D’une part, l’homme
est composé de chair et d’esprit, qui se font la guerre mutuellement, car la
chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair (Galates 5, 17).
L’esprit est élevé, la chair est dérisoire. En conséquence, l’homme peut faire
la paix de deux manières. S’il fait la paix en lui en ce sens que l’esprit
consente à la chair, ce n'est pas une paix élevée ni véritable, mais [une paix]
dérisoire et mensongère. Ainsi, la Sagesse 14, 22 [dit] : Tant de
personnes vivent dans un grand combat, et tous ces maux si grands qu’ils
endurent, ils les considèrent comme la paix. Ils sont tels dans ce grand
conflit parce qu’ils subissent le combat de l’ignorance et le remords de la conscience.
C’est
une autre paix lorsque la chair consent à l’esprit. Et de quelle manière se
fait cette paix? Certainement lorsque la chair est soumise à l'esprit par les
souffrances infligées à la chair. Quelqu’un dira : «Je veux faire la paix en moi, en faisant en
sorte que mon esprit consente un peu à la chair; ce sera alors la paix, car la
chair sera ensuite soumise à l’esprit.» Cela ne peut être le cas, car la
chair est de condition servile, et plus on accorde à un esclave, plus l’esclave
regimbe. D’où ce qu’on lit dans Proverbes 29, 21 : Si dès
l'enfance on gâte son esclave, il deviendra finalement ingrat. Et le
Philosophe dit : «L’appétit du
plaisir est insatiable. Chez l’insensé, l’action de la convoitise augmentera
l’effort.» Si tu donnes satisfaction au plaisir de la chair, loin d’être
apaisé, il augmente, car celui qui boit de cette eau-là aura encore soif (Jean 4, 13).
En
effet, comment peut-on obtenir cette paix? Sûrement en foulant aux pieds la
chair. D’où ce que dit Isaïe 27, 5 : Dans le combat, j’avance
contre elle, et elle me laissera la paix. C’est pourquoi nous lisons qu’à
l’âge de douze ans, [Jésus] monta à Jérusalem et n'en est pas descendu. Ainsi
est-il dit : Ses parents étant montés à Jérusalem, il alla avec eux
(Luc 2, 42).
[La
paix doit aussi être habituelle.] Lorsque certains veulent obtenir la paix de
l’esprit avec leur chair, ils font abstinence, mais ils ne respectent pas la
coutume. Ils veulent se distinguer des autres, à l’encontre du commandement du
Seigneur dans l’évangile, Matthieu 6, 16 : Lorsque vous jeûnez, ne
soyez pas tristes comme les hypocrites. L’homme doit faire ses bonnes
actions en cachette et, en public, il doit se comporter comme les autres. D’où
cette parole de le Siracide 32, 1 : Sois avec eux comme l’un
d'eux. Lorsque Augustin vint à Milan, les gens n’y jeûnaient pas,
mais, à Rome et à Carthage, on jeûnait. Sa mère s’inquiétait beaucoup de savoir
si elle devait jeûner ou non. Alors, Augustin, qui était encore catéchumène,
s’enquit auprès d’Ambroise s’il devait jeûner ou non. Et Ambroise dit : «Quelle
que soit l’Église où vous venez, respectez
sa coutume, si vous ne voulez pas subir de scandale ou en provoquer chez les
autres.» Ainsi, Jésus, en Luc 2, 42, monta comme c’était la coutume. Ne soyez pas des exceptions, car Dieu
semble beaucoup détester l’exception. Mais remarque ce qu’il a dit : Le jour de la fête. Si tes compagnons
veulent agir d’une manière contraire à la vertu, tu ne dois pas agir comme eux.
Ainsi, dans l’Exode 23, 2 : Tu ne prendras pas le parti du plus
grand nombre pour commettre le mal. Et Jérémie 6, 16 : Renseigne-toi sur ta route auprès des
anciens : voyez quelle est la voie du bien et suivez-la. Cela concerne
la paix. Psaume 122(121), 3 : Jérusalem est bâtie comme une
ville dont les murs tous ensemble ne font qu’un, à savoir, selon l’accord des jugements et du comportement des autres.
De
même, cette paix doit être continue, car il ne suffit pas de l’avoir de temps
en temps, mais il faut que l’homme y persévère. Job 27, 5 : Jusqu’à ce que je défaille, je maintiendrai mon innocence; la
justification que j’ai entreprise, je ne l’abandonnerai pas. Il dit
deux choses. Premièrement, il dit : Jusqu’à
ce que je défaille, c’est-à-dire jusqu’à la mort, je maintiendrai mon
innocence. L’homme s’éloigne de l’innocence en péchant. Ainsi, dans Siracide 26, 28 :
Celui qui abandonne la justice pour le péché, Dieu l’a préparé pour être
égorgé, c’est-à-dire pour le
glaive aiguisé. Il ne suffit pas que l’homme ne pèche pas. Mais si tu as
pris l’habitude de bien agir, il faut que tu n’abandonnes pas tes bonnes
actions. Ainsi, il est dit : La
justification que j’ai entreprise, je ne l’abandonnerai pas (Job 27, 6).
Et, dans l'Apocalyps 2, 4 : J'ai contre toi que ta ferveur
première, tu l'as abandonnée. Et ceci est indiqué dans l’évangile
d'aujourd'hui, Lu 2, 41 : Aux jours de fête, Jésus demeura dans le
Temple. D’autres s’abstiennent bien du péché les jours de fêtes mais, après
la fête, ils reviennent au péché. En effet, l’homme doit persévérer dans la
justice et dans son innocence, qui est indiquée dans le livre des Rois
(1 Rois 2, 37). Salomon dit
à Shiméï, qui veut dire «obéissant» : Construis-toi une maison à
Jérusalem et demeures-y; n’en sors pas pour aller ici ou là. Le jour où tu
sortiras, sache bien que tu mourras, c’est-à-dire que la paix doit être
continue.
Quatrièmement,
cette paix doit être prudente. Veux-tu faire la paix avec l’esprit contre la
chair? Si tu veux faire la paix avec quelqu’un et te le soumettre, tu dois
prendre garde à ses amis. Veux-tu faire la paix avec l’esprit contre la chair?
Tu dois prendre garde aux amis de la chair. D’où Jérémie 9, 3 : Que
chacun soit en garde contre son prochain, à savoir, [sa] chair, et n’aie confiance en tous ses frères, à
savoir, selon la chair, car il est dit en Michée 7, 5 : Les ennemis d’un homme sont ses proches. Et, dans l’évangile
d’aujourd'hui, cela est signifié lorsque le Seigneur voulut rester à
Jérusalem : Et ses parents n’en
eurent pas connaissance (Luc 2, 45). Ceux qui recherchent une parfaite
paix de l’esprit doivent prendre garde aux amis et aux proches selon la chair.
Psaume 45(44), 11 : Oublie ton peuple et la maison de ton
père; le roi désirera ardemment ta beauté, en s’entretenant avec toi dans le présent et en te conduisant à la
gloire dans l’avenir.
Que Celui qui vit et règne daigne nous l’accorder,
etc.
Deuxième partie
[Le progrès du Christ en sagesse et
dans ses rapports avec les hommes]
L'enfant
Jésus progressait, etc. (Luc 2, 52).
Nous
avons parlé aujourd’hui[14]
d’un double progrès du Christ : le progrès en âge et le progrès en grâce.
Il reste à parler des deux autres progrès, à savoir du progrès en sagesse et
dans les rapports avec les hommes. Et de même que le progrès en grâce se manifeste dans la
paix, de même le progrès en sagesse se manifeste dans la contemplation.
Ainsi, en Qohélet 1, 16, Salomon dit : J’ai dépassé en sagesse
tous ceux qui ont été à Jérusalem avant moi. C’est pourquoi il ajoute : Mon esprit a contemplé beaucoup de
choses avec sagesse.
Celui
qui contemple beaucoup de choses avec sagesse progresse en sagesse.
Voyez : le mot «temple» vient de contempler, ou le mot «contemplation» de
temple. Ainsi, le fait que le Seigneur est retrouvé dans le Temple nous montre
son application à la contemplation et que, par le Temple, la contemplation est
indiquée. Le psaume 27[26], 4 [dit] : J'ai demandé une chose
au Seigneur : ce que je cherche, c’est d’habiter la maison du Seigneur
tous les jours de ma vie et de visiter son temple saint. Celui-là visite
vraiment le Temple, qui va au Temple, non pour des sornettes et des frivolités,
mais pour contempler la volonté de Dieu.
Voyons
ce que le Christ a fait dans le Temple et, par cela, nous pouvons comprendre si
l’homme fait des progrès dans le Temple.
Or,
pour que l’homme progresse en sagesse, quatre conditions sont nécessaires :
qu’il écoute
volontiers, qu’il cherche à découvrir avec soin, qu’il réponde avec prudence, et qu’il médite
avec attention.
Premièrement,
je dis que, pour que l’homme progresse en sagesse, il faut qu’il écoute volontiers parce
que la sagesse est à ce point profonde qu’aucun homme ne suffit par lui-même à
la contempler. Pour ce qui est de lui-même, il est nécessaire qu’il écoute.
Ainsi, dans Siracide 6, 33 : Si tu aimes écouter, tu seras sage. Tu
diras : «Je suis assez sage et je ne veux pas écouter.» À cause de cela,
on ajoute : Le sage qui écoute la
sagesse deviendra encore plus sage (Proverbes 1, 5). Aucun homme n'est sage au point qu’il ne
puisse rien apprendre en écoutant. Ainsi, ils trouvèrent Jésus en train
d’écouter. Mais comment dois-tu écouter? Assurément avec
persévérance. Certains veulent écouter une seule leçon dans une seule science
en passant : ils n’y mettent pas leur cœur; mais [ses parents] trouvèrent Jésus qui écoutait assidûment après trois jours. Ainsi, toi
aussi tu dois écouter avec assiduité. Ainsi, [on lit] dans Proverbes 8, 34 :
Heureux l'homme qui m’écoute et qui veille jour après jour à mes portes. Pareillement,
nous devons nous mettre à l’écoute non seulement d’un seul homme mais de
plusieurs, car l’Apôtre dit en 1 Corinthiens 12, 4, qu’il existe une diversité de grâces. Un
seul n’est pas parfait en toutes. Le bienheureux Grégoire connaissait surtout
la morale, le bienheureux Augustin sut résoudre au mieux des questions et le
bienheureux Ambroise a manié au mieux les allégories. Ce que tu n’apprends pas
de l’un, tu l’apprends de l’autre. D’où ce qui est écrit dans le Siracide 6, 34 :
Tiens-toi dans l'assemblée des anciens avisés et adonne-toi à la sagesse de
leurs cœurs afin de pouvoir écouter la parole de Dieu. Ce que l’un ne
raconte pas, l’autre le raconte. Je ne dis pas que je crois utile pour les
débutants qui commencent à étudier une science qu’ils écoutent plusieurs [maîtres].
Mais ils doivent en écouter un jusqu'à ce qu’ils soient bien établis, et quand
ils sont bien établis, qu’ils en écoutent plusieurs afin de pouvoir cueillir
les fleurs de chacun, c’est-à-dire ce qui est utile. De même, Jésus a été
trouvé en train d’en écouter plusieurs, en se tenant au milieu d’eux. Ceci
convient à un juge juste. En effet, à l’auditeur est confiée la fonction de
juge parce qu’il doit à juste titre juger ce qu’il entend. Or, quelques-uns
suivent l’opinion des maîtres parce qu’ils les écoutent; mais personne ne doit
avoir d’ami dans la recherche de la vérité : il doit seulement adhérer à
la vérité, car le Philosophe dit que la divergence des opinions ne s’oppose pas
à l’amitié. Le Christ se tenait au milieu, car il est dit dans le Siracide 15, 5 :
Au milieu de l’assemblée, il ouvrit la bouche, et le Seigneur le remplit de
l’Esprit de sagesse et d’intelligence.
Deuxièmement,
pour le progrès en sagesse, il est requis que l’homme recherche avec soin, car
la sagesse est plus précieuse que tout ce qui peut être désiré. Ainsi, dans
Proverbes 3, 15 : La sagesse est plus précieuse que toutes les richesses
et rien de ce qui est désiré ne peut lui est comparé. Et dans le livre de
la Sagesse 7, 8 : Je l'ai préférée [la sagesse] aux sceptres et
aux trônes. Voyez : ceux qui ont besoin d’une chose temporelle ne sont
pas satisfaits qu’elle leur soit offerte, mais ils la cherchent avec diligence.
Ainsi devons-nous chercher la sagesse avec diligence. Salomon [dit] ainsi dans
Proverbes 2, 4 : Si tu la recherches comme l’argent, tu la
trouveras. Certains traversent montagnes et mers pour gagner de l’argent.
Aussi, dois-tu travailler pour la sagesse. Ainsi [ses parents] trouvèrent-ils Jésus dans le Temple en train de les interroger
et de chercher la sagesse pour nous donner l’exemple de la recherche de la
sagesse. Mais où dois-tu chercher la sagesse et de qui? De trois sources.
D’abord, d’un maître ou de sages. Ainsi [est-il] écrit dans le Deutéronome 32, 7 :
Interroge ton père, c’est-à-dire
un maître, car de même que ton père t’a engendré par le corps, de même
le maître t’a-t-il engendré spirituellement. Et il te fera savoir : interroge les anciens, c’est-à-dire les
sages, et ils te le diront (Deutéronome
32, 7). De même, tu ne dois pas te contenter seulement
d’interroger ceux qui sont présents, mais tu dois interroger ceux du passé qui
sont absents. Si tu n’es pas bien pourvu en personnes, tu l’es cependant en
écrits. Quand tu vois les écrits d’Augustin et d’Ambroise, interroge-les. Job 8, 8 :
Interroge la génération précédente, et examine avec soin les traces des
pères, c’est-à-dire le mémorial
qu’ils t’ont laissé. De même, il ne suffit pas que tu interroges
eux-mêmes ou encore leurs écrits, mais tu dois examiner attentivement
les créatures, car il est dit dans le Siracide 1, 9 : Le Seigneur
a répandu sa sagesse dans toutes ses œuvres. Les œuvres de Dieu sont les
jugements de sa Sagesse. Ainsi, dans l’œuvre artisanale, pouvons-nous
conjecturer beaucoup de choses de la sagesse de l’artisan. Aussi Job 12, 7
[dit-il] : Interroge les bêtes, et elles t’enseigneront, les oiseaux du
ciel, et ils te parleront.
De même, l’homme
doit-il acquérir la sagesse en communiquant avec les autres. Ainsi lit-on dans
Sagesse 7, 13 : Ce que j'ai appris sans fraude, je le communiquerai
sans envie. Tout le monde peut faire l’expérience que personne ne peut
aussi bien progresser dans une science qu’en communiquant aux autres ce qu’il
sait. Aussi lit-on dans Proverbes 22, 21 : Pour te montrer la solidité des paroles de vérité, pour répondre à ceux
qui t’ont envoyé. Le Christ
a répondu : Tous étaient dans l’admiration à cause de sa prudence et de
ses réponses (Luc 2, 47). Dans la réponse, la prudence est requise de
trois manières. D’abord, il faut que la réponse soit adaptée à la personne qui
répond. Si quelqu’un s’enquiert de quelque chose qui est au-dessus de tes forces,
ne te mets pas à lui répondre. D’où [ce qu’on lit] dans Siracide 5, 12 :
Si tu sais quelque chose, réponds à ton prochain; sinon, mets la main sur ta
bouche, de peur que tu ne sois confondu par une parole confuse. De même, la prudence est requise dans
la réponse pour que la réponse soit adaptée à l’auditeur. Il ne faut pas
toujours répondre à celui qui interroge, car parfois certains ne t’interrogent
que pour te mettre à l’épreuve ou te critiquer. Ainsi, dans Proverbes 26, 4 :
Ne réponds pas à l’insensé selon sa folie de peur de lui devenir semblable
toi aussi. Mais quel est le signe d’un insensé? Assurément, quand il
interroge avec des paroles outrageantes. Alors tu dois répondre à l’insensé selon
sa folie de peur que tu ne paraisses insensé toi aussi, selon la parole de
Salomon (Proverbes 26, 4). Ceci, le Christ l’a bien fait, lorsque certains
lui demandaient par quel pouvoir il faisait des miracles : il leur
répondit par une autre question. De même, la réponse doit être prudente, de
sorte que la réponse soit proportionnée à la question, qu’elle ne soit pas
accompagnée de vains ornements, mais vise directement la question, autrement,
ce serait une réponse pleine de vent. Ainsi, Job 15, 2 : Un sage
répond-il par du vent? Le Christ répondit avec prudence : Tous
étaient dans l’admiration à cause de sa prudence et de ses réponses.
(Luc 2, 47).
Quatrièmement,
il faut que l’homme médite d’une manière attentive.
Psaume 18, 23 : Mon cœur
médite toujours sous ton regard. Nous en avons un exemple dans la bienheureuse
Vierge, qui gardait toutes ces paroles dans son cœur (Luc 2, 51). Dans l’explication
de cette parole, un certain Grec dit une parole assez remarquable : «Observe
Marie, cette femme très
prudente ; alors qu’elle est la mère de la vraie sagesse, elle se met à
l’école d’un enfant. Et elle lui porte attention non plus comme à un enfant ni
même à un homme, mais comme à Dieu. Comme elle l’avait conçu dans son sein,
elle conçut tous ses gestes et toutes ses paroles dans son cœur.» Voyez :
il y a trois choses dans la méditation de la bienheureuse Vierge Marie. Premièrement,
elle est féconde.
Quel est le fruit de la méditation? Je dis que la méditation est la clef
d’une mémoire qui peut lire et écouter beaucoup de choses, mais ne peut les
retenir que si elle médite. Psaume 119(118), 99 : J’ai davantage compris que ceux qui
m’enseignaient, car tes témoignages étaient l’objet de ma méditation. En
effet, comme la nourriture ne nourrit pas si elle n’est pas d’abord mastiquée,
ainsi ne pourras-tu progresser en science qu’en mastiquant ce que tu écoutes
par une méditation fréquente. De même, la méditation de la bienheureuse Vierge
Marie fut-elle totale, car elle gardait
toutes les paroles. [À son exemple],
l’homme doit méditer sur tout ce qu’il a entendu. De même, la méditation de la
bienheureuse Vierge fut-elle profonde. Certains veulent méditer de façon superficielle seulement.
Si tu ne peux tout méditer en une seule fois, tu méditeras une autre fois. Marie
gardait fidèlement toutes ces paroles en les retournant dans son cœur (Luc 2, 51). Psaume 77(76), 7 :
J’ai médité la nuit en mon cœur, je n’avais pas de repos et j’examinais mon
esprit.
Il
n’y a pas de doute que celui qui écoute volontiers, qui répond prudemment, qui
cherche avec diligence et médite attentivement progressera beaucoup en sagesse.
Telle est la manière de progresser en sagesse.
Il
reste maintenant à parler du progrès dans les rapports avec les hommes. Il est
vrai que celui qui le voudrait pourrait tirer de cet évangile la manière de se
comporter avec les hommes, tant par rapport aux inférieurs qu’aux supérieurs.
Et parce qu’il y a ici peu de supérieurs mais que la plupart sont des
inférieurs, nous parlerons des inférieurs.
Il
faut d’abord remarquer que si tu veux progresser dans les rapports avec les hommes,
tu dois posséder quatre choses : l’indulgence, la pureté, l’humilité et la
discrétion.
En premier lieu, je dis
que si tu veux progresser dans les rapports avec les hommes, tu dois posséder
l’indulgence. Certains n’ont d’indulgence que pour
eux-mêmes, afin de vivre en paix et de progresser en sagesse; mais ils ne
veulent pas avoir de condescendance envers les autres. Ceux-là peuvent
progresser en grâce au regard de Dieu, mais non auprès des hommes. Mais [Jésus
progressait] devant Dieu et devant les hommes (Luc 2, 52).
Ceci est indiqué par le fait qu’il est descendu au milieu d'eux (Luc 2, 46).
Jésus, en son temps, demeura à Jérusalem; mais, quand il le voulut, il descendit.
Ainsi, dans Cantique 6, 2 : Mon bien-aimé est descendu dans son
jardin, c’est-à-dire dans un
jardin de délices. Et sur l’échelle que vit Jacob (Genèse 28, 12), il
vit des anges de Dieu qui montaient et qui descendaient. Ainsi nous devons
monter par le progrès spirituel et descendre par l’indulgence envers le
prochain.
D’autres
montrent de l’indulgence aux autres, mais plus qu’il ne faut, car ils le font
jusqu’au péché. C’est pourquoi le Christ descendit à Nazareth (Luc 2, 52),
mot qui signifie «fleur», par lequel la pureté est représentée. Ainsi, dans
Cantique 1, 16 : Notre lit n’est que fleurs. Heureux celui
qui, dans sa conscience, n’a rien de fétide ou qui mérite la honte, mais qui a
seulement l’odeur de la bonne renommée. Ainsi, dans Siracide 24, 17 :
Mes fleurs sont les fruits de l’honneur et de l’honnêteté. Les fruits, ceux du mérite. Ainsi, l'Apôtre
[dit], Romains 6, 22 : Vous portez fruit en vue de la sanctification.
Les fleurs sont dans la patrie à venir.
Troisièmement,
nous devons posséder l’humilité. Saint Augustin [écrit] : «L’homme
rougit de devenir orgueilleux; c’est pourquoi Dieu s’est fait humble.» Le Christ s’est soumis aux hommes pour que,
toi, tu sois soumis à tes supérieurs. Grégoire [écrit] : «Tout ce
qui progresse en avançant ne s’écarte
jamais de l’obéissance.» Avant que l’homme ne parvienne à progresser
dans les rapports avec les hommes, il est nécessaire qu’il possède l’obéissance
comme un chemin vers le bien. Le Christ a possédé l’obéissance la plus élevée.
Certains obéissent bien dans les petites choses et non dans les grandes. Mais
le Christ fut obéissant dans les grandes choses. Ainsi, à propos du
texte : Il leur était soumis (Luc
2, 51), la Glose dit : «[Ces
gens] étaient justes et honnêtes, et cependant ils étaient pauvres, ils
manquaient du nécessaire, à preuve la crèche qui servit à un enfantement digne
de vénération. Ils cherchaient ce qui était nécessaire à leurs corps par un
labeur continuel, et le Christ a travaillé avec eux.» Psaume 87 : Je suis
pauvre et j’ai travaillé depuis ma jeunesse. Beaucoup se mettent à étudier et veulent progresser en sagesse; ils
ont l’intention non pas de descendre mais de monter. Ils ne sont pas à Nazareth,
mais dans la laideur du péché. Ils ne veulent pas être des inférieurs, mais des
supérieurs. Mais le Christ descendit à Nazareth, et là, il leur était soumis (Luc 2, 51).
Quatrièmement,
la discrétion est nécessaire, discrétion qui se trouve dans l’obéissance. Assurément,
nous devons obéissance aux supérieurs pour les choses qui ne nous détournent
pas de Dieu. Ainsi, le bienheureux Pierre [dit], Actes 5, 29 : Il
faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Le Christ a eu cette discrétion.
Pour les choses qui ne le détournaient pas de Dieu, il leur était soumis :
Ne savez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père? (Luc 2, 51). Psaume 72, 28 : Il
m’est bon de m’attacher à Dieu, dans
la vie présente, par la grâce, et dans l’avenir, par la gloire, que [je
souhaite] à nous et à vous, etc.
(Autre sermon pour
l’Avent. Traductionpar Charles Duyck, http://vsame.free.fr,
2005)
Hosanna au fils de David! Béni soit celui qui vient au
nom du Seigneur! (Matthieu 21, 19)
Préambule
Ces mots sont ceux des foules qui
chantent les louanges du Christ, foules qui adhéraient au Christ. Ainsi, s’il
plaît à Dieu, demandons d’abord au Seigneur de faire en sorte que nous adhérions
à lui pour bien saisir son enseignement.
Première
partie
[Le
rôle de notre Sauveur]
Hosanna, etc.
Dans ces mots, nous pouvons considérer
trois choses à la louange de notre Sauveur : premièrement, le rôle joué
par notre Sauveur; deuxièmement, le privilège de son origine; troisièmement, la
grandeur de son pouvoir.
D’abord, dis-je, le rôle joué par
notre Sauveur est indiqué, en cet endroit : Hosanna… La
fonction propre de notre Sauveur est d’être sauveur. En effet, il est venu dans
le monde afin de chercher et sauver ce qui était perdu (Matthieu 18, 11). Isaïe 45, 15 : En vérité,
tu es un Dieu caché, Dieu d’Israël, ô Sauveur. Il en résulte que son nom
signifie «salut», d’où Matthieu 1, 21 : Tu lui donneras pour nom
Jésus, car il sauvera…
Et ce rôle de Sauveur est indiqué quand
[l’évangéliste] dit : Hosanna, parce que ce mot vient d’[un mot]
exact [dont l’orthographe] a été corrompue, car osanna est la même chose que osyanna,
c’est-à-dire : «Sauve, je t’en supplie.» En effet, c’est en vain qu’on lui
demanderait le salut si on ne croyait pas qu’il est le Sauveur.
[La
perversité du péché]
Or, il faut noter que le genre humain
avait besoin du salut pour trois raisons : d’abord, à cause de la
perversité du péché; deuxièmement, à cause de l’oppression de l’Ennemi;
troisièmement, pour rejeter la gloire du monde.
En premier lieu, je dis donc que le
genre humain était privé de salut à cause de la perversité du péché. En effet,
quand les malades sont guéris de leur maladie, on dit qu’ils sont sauvés. Le Seigneur
[dit] ainsi, Matthieu 9, 22 : Ta foi t’a sauvé. Le péché est
une maladie spirituelle; les pécheurs ont donc besoin de salut. Psaume 119(118), 155 :
Le salut est loin des méchants. Imaginons que quelqu’un soit malade au
point d’être en danger de mort : le médecin dira que ce malade est loin
d’être sauvé. Quiconque est en état de péché mortel est un malade en danger de
mort, et, par eux-mêmes, les pécheurs ne peuvent accéder au salut. C’est
pourquoi s’est approché d’eux le salut, c’est-à-dire le Christ Jésus, qui s’est
fait en tout semblable à nous : Il s’est anéanti lui-même, en prenant
la condition d’esclave, en se rendant semblable aux hommes, et reconnu pour
homme en tout ce qui a paru de lui (Philippiens 2, 7), il a pris la
nature humaine, il a subi sa passion. De cela, il faut se réjouir, enseigne
l’Apôtre lorsqu’il dit : Réjouissez-vous dans le Seigneur en tout
temps; je le répète, réjouissez-vous car le Seigneur est proche
(Philippiens 4, 4). Et c’est cela qui est dit dans l’évangile : Comme
Jésus s’était approché…
Et voyez de qui Jésus s’approche; de
trois genres d’hommes : de ceux qui sont en paix avec eux-mêmes, de ceux
qui sont pleins de zèle pour Dieu et de ceux qui sont bienveillants envers leur
prochain.
En premier lieu, il s’approche de ceux
qui sont en paix avec eux-mêmes. Dieu est en effet un artisan de paix. Où doit
habiter la paix si ce n’est dans la paix? L’Apôtre dit aux Corinthiens : Vivez
dans la paix, et le Dieu d’amour et de paix sera avec vous (2 Corinthiens
13, 11). Comment devons-nous vivre en paix avec Dieu? En n’agissant pas à
l’encontre de ses commandements. [Comment dois-tu vivre en paix] avec toi-même?
En n’agissant en rien à l’encontre de ta conscience. Et avec le prochain? En ne
lui faisant aucun tort et en respectant la justice. Isaïe 32, 17 : Le
fruit de la justice est la paix. Donc, reste attaché à la paix et tu
obtiendras le salut. Ainsi, Isaïe 60, 1 : Lève-toi et resplendis,
Jérusalem – qui veut dire «vision de paix» –; le salut prendra
possession de tes portes. Si tu es Jérusalem, tu obtiendras le salut, et
cela est indiqué par Jésus s’approcha de Jérusalem.
En deuxième lieu, Jésus, c’est-à-dire
le salut, s’est approché de ceux qui sont pleins de zèle pour Dieu. Il est
clair que le Seigneur est dans son temple saint (Psaume 11, 4). L’esprit voué au culte divin est le
temple de Dieu. Quand donc notre esprit est voué à Dieu, alors Dieu habite en
lui et lui donne le salut. Le Psalmiste, Psaume 145[144], 18, [dit] :
Le Seigneur est près de tous ceux qui l’invoquent, etc., jusqu’à : et
il les sauvera. Et cela est signifié lorsqu’il dit : Lorsqu’il vint
à Bethphagé (Matthieu 21, 1), ce qui veut dire «mâchoire» ou «maison
de la bouche», et signifie la louange divine qui provient de la piété du cœur.
En troisième lieu, Jésus, c’est-à-dire
le salut, s’approche des miséricordieux. En effet, les oiseaux se rassemblent
avec ceux qui leur ressemblent. Et Dieu
est miséricordieux, parce que sa compassion s’étend à toutes ses créatures (Psaume 145[144), 9); et quand
il en voit une qui lui est semblable, il va vers elle. Si donc tu vois
quelqu’un qui est dans le besoin, aie au moins envers lui un sentiment de compassion.
Ainsi dans l’évangile (Luc 6, 36) : Soyez miséricordieux, etc.,
et l’Apôtre [dit] : Il nous a sauvés selon sa miséricorde (Tite 3, 5). Et cela est
signifié par sa venue au mont des
Oliviers, car la miséricorde est signifiée par l’olive.
Le genre humain était donc privé de
salut à cause de la perversité du péché.
[L’oppression
de l’Ennemi]
Deuxièmement, [le genre humain] avait
besoin du salut à cause de l’oppression de l’Ennemi. Il existe une loi dans le
monde et auprès de Dieu selon laquelle on est esclave de celui par qui on a
été vaincu (2 Pierre 2, 19). Le monde a été vaincu par le Diable
en raison du péché, et le Diable tourmentait cruellement son esclave. [Le monde]
avait donc besoin de salut, dans la mesure où il semblait pouvoir difficilement
être sauvé. Isaïe 49, 24 : Arrachera-t-on au puissant sa proie, et
ce qui a été capturé par le fort sera-t-il sauvé? Certes, celui qui a été
fait prisonnier par le puissant lui sera arraché, à savoir, quand surviendra un
plus puissant que lui, qui lui arrachera ses armes, et que celui qui a été
fait prisonnier par le fort sera sauvé (Isaïe 49, 24). C’est ainsi que
le Christ a voulu être appelé roi pour que soit signifiée par là la puissance
avec laquelle il libérerait le monde. Ainsi est-il dit : Voici que ton
roi viendra à toi! Et le Psaume 24, 7 : Portes, élevez vos
linteaux, etc., et ensuite : Et le Roi de gloire fera son entrée.
Et parce que c’est la coutume que les rois aient leurs serviteurs, ainsi le
Christ a-t-il eu des ministres ou des messagers qu’il a envoyés pour sauver le
peuple. Ces ministres, ce sont les apôtres, qui ont reçu du Seigneur la
fonction de la prédication et du salut. Ainsi est-il dit dans Abdias 1, 21 :
Des libérateurs monteront de la montagne de Sion. Ces glorieux apôtres,
qui ont reçu du Christ la fonction de sauveurs ou du salut, ont été envoyés
deux par deux : il est signifié par là que tout le chœur des prédicateurs
doit exister en fonction de deux commandements : l’amour de Dieu et celui
du prochain; ou bien, en fonction de la vie active et de la vie contemplative
qu’ils doivent avoir, car «il faut qu’ils puisent dans la contemplation ce
qu’ils répandent par leur prédication», comme dit Grégoire.
Remarquez que, dans ces messagers, nous
pouvons considérer trois choses : leur audace, leur puissance et leur
esprit de justice.
Je dis d’abord que nous pouvons admirer
dans les apôtres leur audace, parce que, alors qu’ils étaient pauvres et
illettrés, ils ont eu une foi telle qu’ils ont affronté le monde entier et, par
la foi, ils ont conquis des royaumes (Hébreux
11, 33). Job 39, 21 : Il exulte d’audace, il s’élance au
devant des armées. Et cette audace est indiquée quand il est dit : Allez
au bourg qui est en face de vous (Matthieu
21, 2). Contre eux, il y eut le monde et la vie du monde. C’est pourquoi
le Seigneur dit : Je vous ai tirés du monde en vous choisissant; à
cause de cela, le monde vous hait. Si vous aviez été du monde, etc. Ne vous étonnez
pas si le monde vous hait (Jean
15, 19).
En deuxième lieu, nous pouvons admirer
leur puissance, parce que, alors qu’ils étaient des hommes terrestres, le
Seigneur leur a donné le pouvoir de chasser les démons, de guérir les maladies
et de ressusciter les morts; il leur a aussi donné le pouvoir de remettre les
péchés et d’absoudre des châtiments ou des péchés, ce qui appartient à Dieu.
Aussi le Seigneur a-t-il dit à Pierre : Ce que tu auras lié sur la
terre, etc. (Matthieu 16, 19). Ce pouvoir est signifié quand il est
dit : Vous trouverez une ânesse attachée, etc. ; vient ensuite : Détachez-les et
amenez-les-moi (Matthieu 21, 2). L’ânesse a été liée par la
synagogue qui a été soumise à la Loi; l’ânon indompté est le peuple des Gentils
qui n’avait pas encore reçu la Loi. L’Apôtre [dit] : Nous avons établi
que tous les Grecs et les Gentils sont sous l’emprise du péché (Romains 3, 9). De même : Vraiment, tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu (Romains 3, 23). Ou bien, il
faut comprendre que l’ânesse signifie les grands, et l’ânon les petits, qui
tous ont été sous l’emprise du péché. Isaïe 1, 6 : De la plante
des pieds au sommet de la tête, il n’y a en lui rien de sain.
En
troisième lieu, nous pouvons admirer chez les Apôtres leur justice qui consiste
à «rendre à chacun ce qui lui est dû», et les Apôtres ont été justes parce qu’ils
ont rendu <à Dieu> ce qui lui est dû, c'est-à-dire la gloire. Isaïe 42, 8 :
Ma gloire, dit Dieu, je ne la donnerai pas à un autre. Les Apôtres
ont converti le monde entier. Est-ce qu’ils ont soumis les gens à leurs
personnes? Est-ce qu’ils recherchaient une domination ou un bénéfice temporel?
Loin de là! Ils ne cherchaient rien d’autre que d’être soumis au Christ. Ainsi
pouvaient-ils dire cela : Ce n'est pas moi qui régnerai sur vous, ni
mon fils non plus, car c'est le Seigneur qui régnera sur vous (Juges 8, 23). L’Apôtre [dit] :
Ne recherchant pas la gloire qui vient
des hommes. Les disciples n’ont pas retenu l’ânesse, mais ils l’ont amenée
au Christ, et ils ont fait asseoir le Christ sur son dos pour faire comprendre
que le peuple converti est soumis au Christ. Celui qui convertit quelqu’un au
Christ et cherche à se le soumettre n’en est pas le gardien, mais le voleur.
Comment les gens sont-ils amenés au
Christ? Assurémemnt, par la foi, car il
faut que celui qui s’approche du Christ croie. Ils sont amenés (au Christ)
par la charité et par l’observance des commandements et des conseils.
Voyez! À propos de ce passage : Si
quelqu’un vous dit quelque chose, vous direz : «C’est parce que le
Seigneur [a besoin de cette ânesse]» (Matthieu 21, 9), Bède dit en cet
endroit que «ceux qui enseignent des erreurs empêchent les apôtres d’amener [les
gens] au Christ». Mais, à notre époque, qui fait obstacle? Certains disent
qu’on ne doit pas mener au Christ dans la vie religieuse ceux qui n’ont pas
d’abord été entraînés aux commandements. Sur ce passage du Psaume 131[130], 2 :
Comme un enfant sevré sur le sein de sa mère, la Glose dit : «Beaucoup renversent l’ordre qui consiste à aller des choses plus faciles
aux choses plus élevées, en voulant, comme les hérétiques et les schismatiques,
être sevrés de lait avant qu’il ne soit temps, si bien qu’ils en meurent.» Or,
celui qui affirme respecter cet ordre se condamne à un acte mauvais, comme s’il
disait : «Qu’il m’arrive comme à celui qui compte sur sa mère et qui,
alors qu’il n’est pas assez grand, est sevré.» Vient ensuite : «Non
seulement ai-je été humble parce que j’éprouvais de l’humilité, mais j’ai été
d’abord nourri de science comme d’un lait, ce que signifie : “Le Verbe
s’est fait chair”, et, par la suite, je suis passé au pain des anges : “Le
Verbe était au commencement auprès de Dieu.”»
Mais
est-ce que tout ce qui est plus facile passe avant ce qui est plus difficile? Je réponds que non. La continence
virginale est plus difficile que la continence conjugale. En conséquence,
est-ce que [la continence] conjugale doit précéder [la continence] virginale?
Assurément non. Mais je dis que, dans son état, il faut aller de ce qui est
plus facile à ce qui est plus difficile. Est-ce que celui qui veut passer à la
perfection d’un état doit d’abord accéder à un état plus facile? Il ne le doit
pas. Mais qui sont ceux qui renversent l’ordre? Ceux qui commencent par
l’esprit et aboutissent à la chair.
Certains disent qu’il faut critiquer
les prédicateurs qui veulent convertir plutôt les riches que les pauvres, et
font ainsi acception de personnes. Je dis que, s’ils font cela pour s’enrichir,
ils agissent mal. Mais est-ce que cela peut se faire dans un bon esprit? Oui.
Augustin dit dans les Confessions :
«Ceux qui sont connus de beaucoup sont utiles au salut de beaucoup, et ils en
précèdent un grand nombre qui les suivra. C’est pourquoi les saints se
réjouissent davantage à leur sujet.» Celui qui convertit un pauvre fait bien,
mais celui qui convertit un riche connu d’un grand nombre fait mieux, parce que
les autres [en] sont édifiés. Mais est-ce qu’il y a ici acception de personnes?
Non, C’est pourquoi Augustin dit : «Loin
de toi d’accueillir dans ta tente des gens riches de préférence à des pauvres!»
On peut donc faire cela dans un bon esprit. Et Augustin dit : «Pour ce qui est des actes qui peuvent être
accomplis dans un bon esprit et dans un mauvais esprit, il faut les interpréter
dans le meilleur sens.» Pourquoi donc [les] interprètes-tu au pire?
Ainsi, si ces gens avaient vécu à l’époque du Christ, ils auraient critiqué le
Christ qui s’invita dans la maison du riche Zachée et le convertit, lui qui
était le chef des publicains, alors qu’il y avait alentour beaucoup de pauvres.
Ils auraient dit : «Va t’empiffrer auprès de lui!»
D’autres disent : «Ceux qui vivent
bien dans le siècle sont plus dignes de louange que ceux qui vivent dans la vie
religieuse.» Et ils donnent un exemple en disant que le soldat qui garde pour
le roi une place faible est plus digne de louange que celui qui garde une place
bien fortifiée. Tu t’abuses : tu estimes que servir Dieu consiste
seulement dans des actes extérieurs, et non dans les actes intérieurs des
vertus. Or, les actes principaux sont les vertus intérieures, comme la sagesse
et la prudence. Quelqu’un observe la chasteté dans la vie religieuse, qui est
une place fortifiée. Diras-tu qu’il est moins chaste et moins prudent parce
qu’il évite les occasions de pécher? Assurément non, car l’Apôtre dit,
1 Corinthiens 9, 25 : Celui
participe au combat s’abstient de tout.
Celui qui placerait le trésor du roi dans une place faible, bien
qu’il ait été soucieux de le garder, ne serait cependant pas aussi louable que
celui qui le garde dans une place fortifiée, car il faudrait lui reprocher sa
négligence. Mais si un besoin impérieux se présentait, il faudrait louer
davantage celui qui le garderait dans une place faiblement défendue. Nous avons
l’exemple d’Agnès qui conserva sa chasteté dans un lieu de débauche. Faut-il
donc que les religieux sortent du cloître pour garder leur chasteté et
seront-ils ainsi plus dignes de louange? Certes non, mais si une nécessité
impérieuse survenait où il te faut être dans le siècle et y garder ta chasteté,
cela sera plus louable.
Certaines choses m’étonnent : on
disait autrefois qu’il était mal que des hérésies soient prêchées en Lombardie;
mais voilà qu’elles le sont dans cette ville [Paris]! Deux conseils ont été donnés
par le Christ : ceux de la chasteté et de la pauvreté. Au sujet de la
chasteté, le Seigneur dit : Que celui qui peut comprendre comprenne!
(Matthieu 19, 12), et l’Apôtre : Pour ce qui est des vierges, je
n’ai pas de commandement, mais je donne un conseil, comme quelqu’un qui a reçu
miséricorde (1 Corinthiens 7, 25). Au sujet de la pauvreté, le
Seigneur dit : Qui veut être parfait, qu’il aille vendre tout ce qu’il
possède et qu’il me suive. Dans l’Église primitive, il y eut Jovinien et
Vigilien. Jovinien disait que la continence conjugale doit être considérée
comme égale à la virginité : c’est ce qu’il prêchait. Vigilien prêchait
que l’état des riches pratiquant l’aumône devait être considéré comme égal à la
pauvreté. À l’encontre de cela, il y a ce que dit Jérôme <...> : «Il est bon de distribuer ses biens aux
pauvres; il est mieux de les donner d’un coup et d’être dans le besoin avec le
Christ avec l’intention de le suivre.» À l’encontre de tout cela, nous
avons cette parole du Seigneur : Si quelqu’un vous dit quelque chose,
vous direz que le Seigneur en a besoin.
[Le
rejet de la gloire du monde]
Le genre humain avait également besoin
du salut pour rejeter la gloire du monde. Or, vous devez maintenant savoir que
celui-là a beaucoup besoin <du salut> qui le recherche là où il n’y a pas de salut. Certains
cherchent le salut dans les biens de ce monde, et il n’y a pas de salut dans
ceux-ci. Le Psalmiste [dit] : Le roi n’est pas sauvé par sa grande
puissance ni le géant par la grandeur de sa force (Psaume 33[32], 16). Pour montrer que ce chemin vers
le salut n’est pas celui qui convient, le Seigneur nous montre donc un autre
chemin vers le salut, à savoir, le chemin de l’humilité. Psaume 34[33], 19 :
[Le Seigneur] sauvera les humbles en esprit.
Il nous donne l’exemple de cette humilité quand il monte sur l’âne; il nous
montre l’humilité la plus parfaite quand il voulut prendre sur lui le bois de
la croix. L’Apôtre [dit] : Il s’est humilié, etc. (Philippiens 2, 8). Il a donc voulu faire preuve d’humilité afin
de nous enseigner à nous humilier. Ainsi, en Matthieu 11, 29 :
Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, etc. Il a donc voulu
pratiquer l’humilité pour nous apprendre à nous humilier nous-mêmes.
Et remarque que l’homme doit s’humilier
de trois façons : il doit humilier son intelligence, son corps et ses
désirs.
Je dis qu’il doit d’abord humilier son
intelligence. Nous trouvons un exemple d’orgueilleux dans son intelligence chez
celui qui s’enfle dans sa pensée charnelle, comme dit l’Apôtre aux Colossiens
2, 18. Contre ces gens-là, l’Apôtre dit aux Romains 12, 16 : Ne
vous fiez pas à votre propre sentiment. Et dans Proverbes 3, 5 : Ne
t’appuie pas sur ta propre intelligence. Suivons l’exemple de la vie et des
actions des anciens. Les foules ont donné la preuve de cette humilité en suivant
le Christ. Le Christ a montré son humilité en montant sur un âne; les foules
ont prouvé leur humilité en coupant des branches d’arbre et en se prosternant
sur le chemin. Grégoire dit en effet que «couper des branches, c’est tirer des
autorités et des exemples des saints et les placer sur le chemin de son
comportement». Donc l’homme doit d’abord humilier son intelligence.
En deuxième lieu, il doit humilier son
corps par le jeûne et les veilles. Psaume 35[34], 13 : J’humiliais
mon âme par le jeûne. Si quelqu’un avait un serviteur et le nourrissait au
départ, et non à la fin, d’une manière délicate, il verrait qu’il est insolent.
Il en est ainsi de notre corps. Nous devons donc, pour cette raison, humilier
notre corps par le jeûne et les veilles. Les foules ont donné le modèle de
cette humilité en déployant leurs vêtements sur le chemin, c'est-à-dire en
affligeant leurs corps. Apocalypse 3, 4 : Je connais un petit nombre de personnes
à Sardes qui n’ont pas souillé leur vêtement.
Troisièmement, l’homme doit affliger
ses désirs pour les soumettre entièrement à Dieu. Quand tu aimes un bien propre
sans le rapporter à Dieu, tu n’es pas parfaitement humilié. Il est dit dans Judith 8, 16 : Humilions
nos âmes devant lui et servons-le avec un esprit contrit et humilié. Et Hosanna…!
Deuxième partie
[Le privilège de son origine]
En voilà assez sur le rôle du Sauveur.
Parlons de son origine.
[Les
foules se souviennent de son humanité]
Vous devez savoir que, dans l’Ancien
Testament, le salut était promis de deux manières : d’abord par quelqu’un
qui naîtrait de la race de David, lorsqu’il est dit : En ces jours,
Juda sera sauvé…, et je susciterai à David un descendant juste (Jérémie 23, 5‑6).
Et, ailleurs, le salut leur est promis par la venue du Seigneur. Ainsi, Isaïe 63, 9
dit : Le Seigneur lui-même viendra
et vous sauvera. Les foules ont donc agi avec sagesse en liant ces deux [promesses],
à savoir que celui qui naîtra de la semence de David nous sauvera, et que c’est
le Seigneur qui nous sauvera par sa venue. Quand ils l’appellent «Fils de
David», ils rappellent son humanité; et ils rappellent aussi sa divinité quand
ils disent : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!
Et vous voyez que David est la figure
du Christ sur trois points : son pouvoir royal, sa victoire dans les
guerres, sa grâce.
D'abord, David est la figure du Christ
quant à son pouvoir royal. Vous savez que David a été le premier <roi>
approuvé par Dieu en Israël, et du Christ il est dit dans Luc 1, 32 :
Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père.
Deuxièmement, David est la figure du
Christ quant à sa victoire dans les guerres, car il a été victorieux à la
guerre. Ainsi, Psaume 144[143], 1 : Béni soit le Seigneur mon
Dieu qui guide mes mains au combat, etc. Et le Christ fut surtout
victorieux parce qu’il vainquit des puissances d’airain, en soustrayant les captifs à
la fosse sans eau (Zacharie 9, 11).
Enfin, David est la figure du Christ
quant à la grâce. Ainsi, le Seigneur dit de David : J’ai trouvé un
homme selon mon cœur (1 Samuel
13, 14). Et du Christ, Dieu [dit] : Celui-ci est mon Fils
bien-aimé (Matthieu 3, 14). De même, nous découvrons que David avait
la charité; c’est pourquoi il dit : J’étais un homme de paix avec ceux
qui haïssent la paix, etc. (Psaume 120[119], 7). Et aussi : Si
j’ai rendu le mal à ceux qui étaient en paix avec moi, etc. (Psaume 7, 5). Aussi fut-il
doux, selon Psaume 132[131], 1 : Souviens-toi de David et de
toute sa douceur. Il eut également l’humilité, Psaume 131[130], 1 :
Seigneur, mon cœur n’est pas hautain. Le Christ aussi fut doux et
humble; il dit à ses disciples : Apprenez de moi que je suis doux et
humble de cœur (Matthieu 11, 29). En rappelant l’humilité du Christ,
les foules disent donc : [Hosanna]…
au fils de David!
[Les
foules se souviennent aussi de sa divinité]
Pour ce qui est de la reconnaissance de
sa divinité, [on lit] : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur!.
Et voyez que c’est de trois manières que le Christ vient au nom du Seigneur.
Premièrement, dans la vérité du nom
divin. En effet, quand la génération est parfaite, l’engendré reçoit la nature
et le nom de celui qui l’a engendré. Ainsi, parce que la génération du Christ
fut parfaite, le Christ a reçu de son Père sa nature divine et son nom. C’est
pourquoi l’Apôtre [dit] : Il lui a donné le nom qui est au-dessus de
tout nom (Philippiens 2, 9), c'est-à-dire le nom de Dieu. Il est donc
venu d’abord dans la vérité du nom divin.
En deuxième lieu, il est venu dans la
puissance du nom divin. Ainsi, dans Proverbes 18, 10 : Le nom de
Yahvé est une tour très forte. Dans les choses naturelles, la puissance
d’une cause n’a pas d’effet si ce n’est par application; ainsi tout ce qu’ont
réalisé les saints l’a été par la puissance du nom de Dieu.
Troisièmement, il vient manifester le
nom divin quand il dit : Père, tu as manifesté ton nom aux
hommes.
Troisième
partie
[La
grandeur de son pouvoir]
Voilà qui est clair en ce qui concerne
le rôle du Sauveur et son origine. Voyons la grandeur de son pouvoir lorsqu’on
dit : Hosanna, c'est-à-dire : «Sauve» au plus
haut des cieux. Certains sont sauvés pour les choses les plus petites :
Aux hommes et aux bêtes, tu portes secours, Seigneur (Psaume 36, 7), à savoir, afin
que les hommes soient en santé et en sécurité. Le salut, au sens le plus élevé,
est le salut en Dieu, comme dit Osée 1, 7 : Je les sauverai par
leur Dieu, c'est-à-dire par la participation à la gloire de Dieu. Ailleurs
il est dit : <…> Ceux-là disent : Hosanna dans les hauteurs!
c'est-à-dire : «Je t’en prie, Seigneur, que ton salut soit dans les
hauteurs!»
Mais voyez : alors que Dieu est
un, il est dit : Au plus haut des cieux [au pluriel]. La raison en est qu’il
a voulu effectuer une distinction des personnes pour que nous considérions ce
qui est attribué aux personnes. Hilaire dit que «l’éternité est dans le Père; le
reflet ou la beauté, dans [son] image; et l’usage ou la délectation, dans [son]
don». Au Père, qui est le principe, est attribuée l’éternité; au Fils, qui est
appelé [son] image, est attribuée la beauté; à l’Esprit Saint, qui est [son]
don, est attribué l’usage ou la fruition. Si bien que notre salut consiste dans
la stabilité de l’éternité, dans la beauté de la lumière, dans la jouissance de
la délectation.
Je dis en premier lieu que notre salut
consiste dans la stabilité de l’éternité. Un navire est en sécurité quand il a
atteint un port sûr; ainsi l’homme n’est-il pas en sécurité en cours de route,
mais dans la patrie. Isaïe 45, 17 [dit] ainsi : Israël est sauvé
par Yahvé d’un salut éternel. Les erreurs disparaissent et n’existent plus
quand les hommes connaissent la vérité.
En deuxième lieu, notre salut consiste
dans la beauté de la lumière divine. D’une certaine façon, les hommes sont
sauvés dans ce monde-ci. Psaume 85[84], 8 : Fais-nous voir
ton visage et nous serons sauvés. Mais alors, ils seront parfaitement
sauvés en voyant son visage, ce en quoi consiste tout ce qui est bon, selon ce
passage de l’Exode 25, 9 : Je te ferai voir tout ce qui est bon.
Troisièmement, [notre salut consiste]
dans la jouissance de la délectation. Le Psalmiste [dit] : Ils
s’enivreront de l’abondance de ta maison (Psaume 36[35], 9). L’homme ivre est comme hors de
lui-même; ainsi seront les saints dans la patrie, et tu les abreuves au
torrent de tes délices, c'est-à-dire quand ils diront : Mon cœur
tressaille de joie dans mon salut, etc.
Nous demanderons au Seigneur, etc.
(Sermon pour l’Avent. Traduction
par Charles Duyck, http://vsame.free.fr,
2004)
Prologue
Voici que ton Roi vient à toi, plein
de douceur (Zacharie 9, 9)
Nombreuses sont les merveilles des
œuvres divines. Comme dit le psaume 98[97], 1 : Merveilleuses
sont tes œuvres! Mais aucune
œuvre de Dieu n’est aussi merveilleuse que la venue du Christ dans la chair; la
raison en est que, dans ses autres œuvres, Dieu a imprimé dans sa créature une
ressemblance [similitudinem] avec
lui-même, tandis que dans l’œuvre de l’incarnation, Dieu s’est imprimé [impressit] lui-même, et il s’est uni à
la nature humaine dans l’unité de la personne, ou encore, il a uni notre nature
à lui-même. Et ainsi, alors que les autres œuvres de Dieu ne peuvent pas être
sondées parfaitement, cette œuvre-là, à savoir l’incarnation, est tout à fait
hors de portée de notre raison. D’où, chez Job 5, 9 : Toi
qui es l’auteur d’œuvres grandioses et insondables, de merveilles qu’on ne peut
compter. Il y a une seule
œuvre que je ne peux pas voir : s’il vient vers moi, je ne le vois pas.
Et chez Malachie 3, 1‑2 : Voici venir le Seigneur des
armées : qui pourrait concevoir le jour de sa venue? C’est comme s’il
disait que cela dépasse les limites de la connaissance humaine. Mais l’Apôtre enseigne
qui pourra concevoir le jour de sa venue, en disant : Ce n’est pas que
de nous-mêmes nous soyons capables de revendiquer quoi que ce soit comme venant
de nous; non, notre capacité vient de Dieu (2 Corinthiens 3, 5).
our commencer^, nous demanderons donc au Seigneur qu’il me donne lui-même
quelque chose à dire, etc.
Première partie
[Les quatre
venues du Christ]
Voici que ton Roi [vient à toi,
plein de douceur], etc.
Ces mots sont tirés de l’évangile que
nous lisons aujourd’hui et ils sont empruntés à Zacharie 9, 9, bien qu’ils
y soient prononcés un peu après d’autres paroles. Or, dans ces paroles, nous
est clairement annoncée la venue du Christ. Pour que nous n’avancions pas sur
de l’incertain, vous devez savoir que la venue du Christ s’entend de quatre
manières : la première manière est celle par laquelle il vient dans la
chair; sa deuxième venue est celle par laquelle il vient dans notre esprit; la
troisième, celle par laquelle il vient à la mort des justes; mais la quatrième
venue du Christ, celle par laquelle il vient pour juger.
Premièrement, je parle de la venue du
Christ dans la chair. Et il ne faut pas comprendre qu’il vient dans la chair en
changeant de lieu, puisqu’il proclame dans Jérémie 23, 24 : Est-ce que
le ciel et la terre, je ne les remplis pas? Comment donc est-il venu dans
la chair? J’affirme qu’il est venu dans la chair en descendant du ciel, non pas
en abandonnant le ciel, mais en prenant sur lui notre nature. D’où chez Jean 1, 11 :
Il est venu chez lui. Et comment puis-je dire qu’il était dans le monde?
Parce que le Verbe s’est fait chair (Jean 1, 14).
Et il n’aurait servi à rien que le
Christ fût venu dans la chair si en même temps il n’était venu dans notre
esprit, à savoir, en nous sanctifiant. D’où chez Jean 14, 23 : Si
quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons
vers lui, et nous ferons chez lui notre demeure. Dans sa première venue, le
Fils seulement est venu. Dans la deuxième, le Fils est venu avec le Père pour
habiter notre âme. Par cette venue, qui se fait par la grâce qui justifie,
l’âme est libérée du péché, mais non de toute peine, parce que la grâce est conférée,
mais pas encore la gloire.
Pour cette raison, la troisième venue
du Christ est nécessaire, quand il nous prend avec lui. D’où chez Jean 14, 2 :
Si
je m’en vais – dans sa passion – et si je vous prépare une place –
en enlevant tout obstacle –, je viendrai de nouveau vers vous –
c’est-à-dire à la mort – et je vous prendrai avec moi – c’est-à-dire
dans la gloire – pour que là où je suis, vous soyez vous aussi. De même,
[Jésus] dit dans Jean 10, 10 : Je suis venu pour qu’ils aient la
vie – c'est-à-dire sa présence dans les âmes – et qu’ils l’aient en
abondance, c’est-à-dire par la participation à sa gloire.
La quatrième venue du Christ sera cella
où il viendra pour juger, à savoir quand le Seigneur viendra pour le jugement,
et alors la gloire des saints rejaillira sur les corps, et les morts ressusciteront.
D’où chez Jean 5, 28 : L’heure vient, et c’est maintenant, où tous
ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui
l’auront entendue vivron".
Et c’est peut-être en raison de ces
quatre venues du Christ que l’Église célèbre quatre dimanches de l’avènement du
Christ. Or, c’est en ce dimanche-ci quelle commémore la première venue du
Christ, et nous pouvons, dans les mots proposés, voir quatre choses :
d’abord, la présentation de la venue du Christ : Voici; ensuite, la
qualité de celui qui vient : Ton roi; troisièmement, l’utilité
de celui qui vient : Il vient à toi; quatrièmement, la
manière de sa venue : Plein de douceur.
Premièrement, je dis que nous pouvons
voir dans Voici la présentation de la
venue du Christ. Et il faut noter que par Voici,
nous comprenons d’habitude quatre choses. D’abord, une confirmation de la
chose : de quelque chose qui nous apparaît clairement, nous disons :
«Voici!». En deuxième lieu, nous entendons
par «voici» la fixation d’une limite de temps; troisièmement, la manifestation
d’une chose; quatrièmement, la réconfort apporté aux hommes.
En premier lieu, je dis que par «voici»,
nous avons coutume d’entendre d’abord la confirmation d’une chose. Quand
quelqu’un veut confirmer, il dit : Voici!
C’est ainsi que le Seigneur dit dans la Genèse 9, 9 : Voici que
j’établis mon alliance avec vous et avec vos descendants après vous. Je mets
mon arc entre vous et moi, c'est-à-dire un signe de paix. Par cet arc est
signifié le Fils de Dieu, car, de même que l’arc naît de la réverbération du
soleil sur un nuage humide, de même le Christ est issu du Verbe de Dieu et de
la nature humaine, qui est comme un nuage. Et, de même que l’âme et la chair
constituent un seul homme, de même Dieu et l’homme sont un seul Christ; et du
Christ il est dit qu’il monte sur une nuée légère, c’est-à-dire sur la nature
humaine, en l’unissant à lui-même. Et le Christ est venu à nous en signe de
paix; et il était nécessaire que cela se passât ainsi parce qu’il y en a qui
doutent de la deuxième venue du Christ. Ainsi, un apôtre [dit] : Aux
derniers jours viendront des railleurs, s’écartant de la foi, marchant selon
leurs passions, et qui diront : «Où est maintenant la promesse? Où est son
avènement?» (2 Pierre 3, 3). Ces gens diront en
effet que l’âme ne subsistera pas après [la dissolution du] corps, et c’est pourquoi,
pour la confirmation de la venue du Christ, le prophète dit : Voici, etc. Et chez Habacuc 2, 3 :
Le
Seigneur apparaîtra à la fin et ne mentira pas. Et chez Isaïe :
Le
Seigneur des armées viendra.
En deuxième lieu, par «voici» nous
avons coutume de comprendre la fixation d’une limite de temps. Pour la venue du
Christ en vue d’un jugement, il n’y a pas pour nous de temps fixé. Ainsi Job :
Je ne sais combien de temps je subsisterai et quand mon Créateur m’emportera.
Et chez Luc 17, 20 : Le royaume de Dieu ne viendra pas de manière
qu’on puisse l’observer. Et pour quelle raison n’y a-t-il pas à cette venue
un temps qui soit fixé pour nous? Sans doute parce que le Seigneur a voulu que
nous soyons toujours vigilants. Mais pour la venue du Christ dans la chair, un
temps nous a été fixé. Ainsi Jérémie 23, 5 : Voici que des jours
viennent où je susciterai à David un descendant juste; il règnera en roi et il
sera sage.
En troisième lieu, par «voici», nous
avons l’habitude de comprendre la manifestation d’une chose. Il y a une venue
de Dieu qui est cachée pour nous, à savoir, celle par laquelle il vient dans
notre esprit, et cette venue-là ne peut pas être connue par une confirmation.
D’où chez Job 9, 11 : S’il passe près de moi, je ne le vois pas;
s’il s’éloigne, je ne m’en aperçois pas. Tandis que pour sa venue
dans la chair, le Christ est venu de manière manifeste et visible. Chez Isaïe
52, 6 : C’est pourquoi mon peuple connaîtra mon nom, il saura que
c’est moi qui dis : «Me voici!» Et Jean [le Baptiste] l’a montré du
doigt quand il fut devant lui, en disant : Voici l’agneau de Dieu!
Zacharie l’a bien montré par «voici» pour annoncer qu’il viendrait.
En quatrième lieu, par «voici», nous
entendons le réconfort apporté aux hommes, et cela de deux manières. Si un
homme subit des désagréments de la part de ses ennemis et que ses ennemis lui
sont soumis, il dit : «Voici!». D’où Lamentations 2, 16 : Mes
ennemis ouvrent la bouche contre moi, et voici venir le jour que j’ai attendu.
De même, quand un homme obtient quelque chose, il dit : «Voici!». Ainsi le
Psaume : Voici qu’il est bon, qu’il est agréable que des frères
habitent ensemble, etc. Nous avons obtenu ces deux choses par la venue
du Christ : l’homme a été libéré des insultes des démons, et il se réjouit
d’un espoir qui s’est réalisé. Ainsi Isaïe 35, 4 : Dites à ceux
qui ont le cœur troublé : «Prenez courage, ne craignez point, voici votre
Dieu; il amène la vengeance sur vos ennemis, il viendra lui-même, il vous sauvera.»
Voyons maintenant les circonstances de
sa venue. La venue d’une personne est recherchée, attendue ou annoncée avec
solennité en raison de la grandeur de la personne, [par exemple], si c’est un
roi ou un légat du seigneur pape, ou en raison de l’amitié et de la familiarité.
Or, celui qui vient est notre roi, notre proche et notre ami. Pour cette raison,
nous devons l’attendre avec solennité. Vous savez qu’un roi règne en vertu de son
pouvoir, mais on n’appelle pas roi quiconque possède l’autorité du pouvoir, car
quatre conditions sont requises pour que quelqu’un soit appelé roi, et si l’une
d’entre elles fait défaut, il n’est pas appelé roi. Un roi, en effet, doit
d’abord être unique; deuxièmement, il doit avoir un pouvoir plénier;
troisièmement, un droit de justice étendu; et quatrièmement, l’équité de la justice.
Premièrement, je dis qu’un roi doit
être unique. Si dans un royaume il y a plusieurs seigneurs et si le pouvoir n’appartient
pas à un seul, on ne parle pas de roi. Un royaume est donc comme une monarchie,
et le Christ possède cette unicité. Ainsi, chez Ézéchiel 37, 22 : Un
seul roi régnera sur eux tous. Il dit : Un seul roi, pour signifier que ce ne sera pas un étranger, un autre
maître, mais que le Seigneur unique, le Fils avec le Père, sera notre roi. Le
Christ dit : Le Père et moi nous sommes un, ce qui est contraire à
la pensée d’Arius qui prétend qu’autre est le Père, autre le Fils. L’Apôtre dit :
S’il
y a beaucoup de dieux et beaucoup de seigneurs, pour nous, il y a un seul Dieu,
un seul Seigneur (1 Corinthiens 8, 5).
En deuxième lieu, un roi porte en lui
la plénitude du pouvoir. Celui qui gouvernerait, non pas avec la plénitude du
pouvoir, mais selon des lois [qui lui seraient] imposées, ne serait pas appelé
roi mais consul ou podestat [potestas]. Or, il devait arriver qu’à la venue du Christ, la loi soit
changée par Dieu pour ce qui est des lois cérémonielles. Ainsi, c’est le Christ
lui-même qui peut établir la loi. Il dit donc : Il a été dit à vos
pères : «Tu ne tueras pas.» Eh bien! moi, je vous dis, comme s’il
disait : «Je possède le pouvoir, je peux établir des lois.» Ainsi, Isaïe
33, 22 : Le Seigneur est notre juge, notre législateur, lui-même
viendra pour nous sauver. On lit que le Père a donné à son Fils
tout pouvoir de juger. Le Seigneur est notre législateur et, par conséquent,
il est notre roi. En Esther : Dieu tout-puissant, notre Seigneur, notre
roi, en ton pouvoir sont placées toutes choses. Aussi le Fils dit-il :
Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
En troisième lieu, un roi porte en lui
la plénitude du droit de justice. Un père de famille possède la plénitude du
pouvoir dans sa maison, mais il n’est pas considéré comme roi. De la même
façon, celui qui possède un seul village n’est pas considéré comme roi, mais
celui qui a pouvoir sur de nombreuses terres et sur une grande cité, celui-là
est un roi. C’est ce que nous voyons dans celui qui vient à nous : toute
créature lui est soumise, car Dieu est le roi de toute la terre, et il
fallait que vînt quelqu’un qui eût un tel pouvoir, car, autrefois, c’est aux
Juifs seulement que fut donnée la loi, et les Juifs étaient considérés comme le
peuple qui appartenait à Dieu en propre. Or, il fallait que tous soient amenés au
salut; aussi fallait-il qu’il y eût un roi de tous les hommes, qui pût sauver
tous les hommes. Tel fut celui qui vint à nous. Le Psaume 2, 8 dit : Fais-m’en
la demande, et je te donnerai les nations pour héritage et pour domaine les
extrémités de la terre.
Quatrièmement, il faut qu’un roi
possède l’équité, car, autrement, il serait un tyran. En effet, un tyran tourne
à son propre profit tout ce qui se trouve dans son royaume, tandis que le roi ordonne
son royaume en vue du bien commun. Dans les Proverbes 29, 4 : Un
roi juste raffermit son territoire, celui qui est avide le ruine. Or, le
Christ vient, non pas en recherchant son propre profit, mais le tien, car le
Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. Et celui
qui vient pour servir vient certes donner sa vie pour la rédemption de la
multitude et pour mener les rachetés à la gloire éternelle, vers laquelle [nous
souhaitons] qu’il nous conduise, etc.
Deuxième partie
Voici que ton Roi vient à toi, plein
de douceur.
Nous avons dit[16] que, dans ces mots, nous pouvons voir
la confirmation de la venue du Christ, quand il dit : Voici; en deuxième lieu, l’utilité de sa venue : Il est venu; en troisième et quatrième
lieux, la manière dont il vient : Doux.
Nous avons dit que, par ce que [le prophète] dit : Voici, nous pouvons comprendre quatre choses :
d’abord, la confirmation de la chose; ensuite la fixation d’une limite de
temps; troisièmement, la manifestation d’une chose, et, quatrièmement, le
réconfort.
À partir de la qualité de celui qui
vient – qui est indiquée quand [le prophète] dit : Ton roi –, nous avons dit que la venue d’une personne est
recherchée, attendue ou annoncée avec solennité en raison de sa grandeur, si
c’est un roi ou un légat, ou en raison de l’amitié et de la familiarité, et que
ces éléments se trouvent présents dans : Celui qui vient.
Or, il faut considérer qu’il est
lui-même roi de toute créature. Ainsi chez Judith 9, 12 : Créateur
des eaux et roi de toute créature. Mais il est appelé «ton roi» – c'est-à-dire, le roi de l’homme
–pour quatre raisons : premièrement,
en raison de la ressemblance de son image; deuxièmement, en raison d’un
amour particulier; troisièmement, en raison d’une sollicitude et d’un soin
particuliers; et, quatrièmement, en raison de son association avec la nature
humaine.
En premier lieu, je dis donc que le Christ est appelé «ton roi», c’est-à-dire
[le roi] de l’homme, en raison de la ressemblance de son image. Vous savez qu’on
dit de ceux qui portent les insignes de roi, pour ainsi dire son image, qu’ils se
rattachent d’une manière spéciale au roi; et, alors que toute créature est de
Dieu, c’est cependant d’une manière plus spéciale qu’on considère comme
créature de Dieu celui qui porte en lui l’image de Dieu, et celui-ci est l’homme.
Ainsi, dans la Genèse 1, 26 : Faisons l’homme à notre image et à
notre ressemblance. En quoi consiste cette ressemblance? J’affirme qu’elle
ne s’applique pas en raison d’une ressemblance corporelle, mais en raison de la
lumière intelligible de l’esprit. Or, en Dieu est la source de la lumière
intelligible, et nous portons la marque de cette lumière. D’où, dans le psaume
4, 7 : La lumière de ton visage se lève sur nous, Seigneur. L’homme
possède l’empreinte de cette lumière. Ainsi cette image a-t-elle été produite
en l’homme, mais il arrive qu’elle a été retranchée et obscurcie par le péché.
Le psaume 73[72], 20 dit : Leurs images, tu les réduis à rien.
C’est pourquoi Dieu a envoyé son Fils pour restaurer cette image déformée par
le péché. Efforçons-nous donc à nous réformer, selon ce que dit l’Apôtre,
Éphésiens 4, 24 : … Vous dépouillant du vieil homme, revêtez
l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu et qui est rénové à l’image de celui
qui l’a créé. Et comment nous rénover? Assurément en imitant le Christ.
Cette image qui, en nous, est déformée, est parfaite dans le Christ. Nous
devons donc porter l’image du Christ. Ainsi, dit l’Apôtre, 1 Corinthiens 15, 49 :
De même que nous avons porté l’image de ce qui était terrestre, portons aussi
l’image de ce qui est céleste, et dans l’épître d’aujourd’hui : Revêtez
le Christ, c’est-à-dire imitez le Christ. C’est en cela que consiste la
perfection de la vie chrétienne.
En deuxième lieu, le Christ est appelé : Ton roi, c’est-à-dire le roi de l’homme,
en raison d’un amour particulier. C’est la coutume, dans une assemblée, que
lorsque l’évêque aime les uns d’une manière plus spéciale que d’autres, on l’appelle
leur évêque. Dieu aime tout ce qui existe, mais il aime les hommes d’une
manière particulière. Ainsi Isaïe 63, 15 : Où est ton zèle, où est
ta puissance, le frémissement de tes entrailles pour moi? Vous constatez
que Dieu aime spécialement la nature humaine. Nous découvrons en effet qu’il y
a plusieurs degrés dans la nature, mais nous ne voyons pas que Dieu transforme
un degré inférieur de la nature en un degré supérieur de la nature, comme le
degré d’une étoile en degré du soleil, ou comme le degré des anges inférieurs
en degré des anges supérieurs. Mais Dieu a amené l’homme à un degré égal à
celui des anges. D’où Luc 20, 36 : Les fils de la résurrection,
les saints, seront égaux aux anges. Dieu aime donc les hommes d’une
manière spéciale. Nous ne devons donc pas être ingrats envers un si grand
amour, mais nous devons transporter totalement sur lui-même notre amour. Si le
roi aimait un pauvre, le pauvre se considérerait comme misérable s’il ne
rendait pas son amour au roi, selon ses possibilités. Le Seigneur, dans un
amour infini, dit à l’homme : Mes délices sont avec les enfants des hommes (Proverbes
8, 31). Nous devons donc lui rendre cet amour en retour.
En troisième lieu, le Christ est appelé :
Ton roi, c’est-à-dire le roi de
l’homme, en raison d’une sollicitude et d’un soin particuliers. Il est bien
vrai que Dieu prend soin de toutes choses. Dans le douzième livre de la Sagesse
12, 13, [on lit] : Il prend soin de toutes choses. Il
n’existe pas de chose si petite qu’elle soit soustraite à la Providence divine,
car, de même qu’une chose vient de Dieu, ainsi l’ordre vient-il de Dieu, et la
Providence est la même chose que l’ordre. Les hommes sont particulièrement
soumis à la Providence divine. Ainsi dit le psaume 36[35], 7 :
Les
hommes et les bêtes, tu les sauves, Seigneur – il s’agit du salut
corporel –, les fils d’Adam espèrent en l’abri de tes ailes. Et comment
espèrent-ils? Je dis que non seulement les biens spirituels, mais aussi [les
biens] éternels sont préparés par Dieu pour ceux qu’il conduit à la vie
éternelle et, sur ce point, Dieu ne prend pas soin des autres [êtres]. L’Apôtre
[dit] : Dieu ne prend pas soin des
bœufs. Dieu ne permet pas qu’un acte humain n’ait pas été examiné à fond.
Ainsi dans le livre de la Sagesse 12, 18 : Toi, dominant ta force,
tu juges le péché avec modération.
En quatrième lieu, le Christ est appelé :
Ton roi, c’est-à-dire le roi de
l’homme, en raison de son association avec la nature humaine. Deutéronome 17, 15 :
Tu ne pourras pas faire roi quelqu’un d’une race étrangère, qui ne soit pas
ton frère. En effet, dans cette prophétie, le Seigneur déterminait, à
propos du Christ, qu’il en ferait un roi pour les hommes. Il n’a pas voulu qu’il
soit d’une autre race, c’est-à-dire d’une autre nature, qu’il ne soit pas notre
frère. Ainsi un apôtre dit du Christ : Il
ne prend pas des anges, mais la
semence d’Abraham (Hébreux 2, 16), en quoi l’on voit que
l’homme est privilégié par rapport aux anges. Le Christ est roi des anges et il
est homme, et non ange. Même les anges sont au service de l’homme. C’est ainsi
que l’Apôtre [dit] : Tous [les anges] sont des esprits chargés
d’un ministère (Hébreux 1, 14). Il a aussi fallu que le Christ
soit un homme pour qu’il soit sauveur, car – dit l’Apôtre aux Hébreux (Hébreux
2, 11) – la sanctification et les sanctifiés ont la même origine;
c’est parce qu’il est transpercé de compassion envers nos frères qu’il dit :
J’annoncerai mon nom à mes frères (Psaume 22[21], 23).
On voit maintenant clairement la
manifestation de la venue et la condition de celui qui venait.
Il reste à voir l’utilité de celui qui
vient, qui est indiquée lorsque [le prophète] dit : Il vient à toi, c'est-à-dire
qu’il n’est pas poussé par sa propre utilité, mais par la nôtre.
Or, il vient pour quatre raisons :
d’abord, il vient pour manifester la majesté divine; deuxièmement, pour nous
réconcilier avec Dieu; troisièmement, pour nous libérer du péché; enfin, pour
nous donner la vie éternelle.
Premièrement, je dis que le Christ
vient pour manifester la majesté divine. L’homme désire par-dessus tout connaître
la vérité et, au premier chef, c’est au sujet de Dieu que la vérité est envisagée.
Or, les hommes étaient dans une ignorance si grande qu’ils ignoraient ce
qu’était Dieu. Les uns disaient qu’il était corporel, les autres disaient qu’il
n’avait pas souci des êtres singuliers; c’est pourquoi le Fils de Dieu est venu
pour nous enseigner la vérité. Ainsi, il dit en Jean 18, 37 : Je
suis né et je suis venu en ce monde pour rendre témoignage à la vérité. Et en
Jean (1 Jean 4, 12) : Dieu, personne ne l’a jamais vu. C’est
pourquoi le Fils de Dieu est venu pour que tu connaisses la vérité. Nos pères
furent dans une si grande erreur qu’ils ont ignoré la vérité sur Dieu. Mais
nous, grâce à la venue du Fils de Dieu, nous sommes ramenés à la vérité de la
foi.
En deuxième lieu, le Christ est venu
pour nous réconcilier avec Dieu. Tu aurais pu dire : «À cause du péché,
Dieu m’était hostile; c’était donc mieux pour moi de l’ignorer que de le
connaître.» C’est pourquoi le Christ est venu, non seulement pour nous
manifester la majesté divine, mais aussi pour nous réconcilier avec Dieu. Et
l’Apôtre dit aux Éphésiens qu’en venant, il annoncera la paix à ceux qui sont
proches comme à ceux qui sont loin. Et ailleurs, l’Apôtre dit : Nous
avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son Fils (Romains
5, 10). C’est ainsi qu’à la naissance du Christ, les anges chantaient :
Gloire à Dieu au plus haut des cieux! Et, après la résurrection, le
Seigneur apporte la paix à ses disciples en disant : La paix soit avec
vous!
En troisième lieu, le Christ est venu
pour nous libérer de l’esclavage du péché. L’Apôtre dit : Le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs. Celui qui commet le
péché est esclave du péché (1 Timothée 1, 15). Et aussi :
Si le Fils vous libère, vous serez réellement libres (Jean 8, 36).
Et Luc 19, 10 : Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce
qui était perdu.
En quatrième lieu, le Christ est venu
pour nous donner, en ce monde, la vie de la grâce et, dans [le monde] à venir, la
vie en gloire. Ainsi, chez Jean 10, 10 : Moi, je suis venu pour
qu’ils aient la vie – c’est-à-dire la vie de la grâce en ce monde-ci – et
parce que le juste vit de la foi, qu’ils l’aient en abondance, c’est-à-dire la vie de la gloire
dans la vie future, grâce à la charité. Ainsi Jean dit-il : Nous savons
que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères
(1 Jean 3, 14). Vivons donc par les bonnes œuvres. De même, chez Jean
17, 3 : La vie éternelle, c’est qu’ils Te connaissent, toi, le
seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus, le Christ.
On
voit maintenant clairement l’utilité de celui qui vient.
Mais comment vient-il? Je dis qu’il
vient plein de douceur, c’est-à-dire avec
beaucoup [de douceur]. Dans les Proverbes 19, 12 : Tel le
rugissement du lion, telle aussi la fureur du roi; telle sa joie, telle la
rosée sur l’herbe. La mansuétude, c’est la colère apaisée. Maintenant, Dieu
vient avec douceur, mais, dans l’avenir, il viendra avec colère. Ainsi Isaïe
dit : Voici que le nom du Seigneur viendra de loin, comme brûlant de
colère (Isaïe 30, 27). Et Job 35, 15 : Car sa colère ne
sévit pas encore, ni son ardeur ne se venge. Maintenant, le Seigneur vient
avec douceur et nous, c’est avec douceur que nous devons le recevoir. C’est
pourquoi le bienheureux Jacques dit : Recevez avec douceur la parole
inscrite en vous, parce qu’elle peut sauver vos âmes (Jacques 1, 21).
Voyez : nous pouvons observer la
douceur du Christ sur quatre points : d’abord, dans son comportement; en deuxième
lieu, dans sa manière de corriger; troisièmement, dans son obligeant accueil de l’homme ;
et, quatrièmement, dans sa passion.
Premièrement, je dis que nous pouvons
voir la douceur du Christ dans son comportement, parce qu’il fut tout entier pacifique; il
ne rechercha pas de prétextes à disputes et évita tout ce qui pouvait provoquer
des querelles. Ainsi dit-il : Apprenez de moi que je suis doux et
humble de cœur (Matthieu 11, 29). Et en cela nous devons l’imiter. Montant
à Jérusalem, le Christ s’assit sur un âne, qui est un animal doux, et non sur
un cheval. Et il fut un fils soumis. Nous devons donc être doux. Ainsi, dans le
Siracide : Mon fils, accomplis tes œuvres avec douceur et tu seras aimé
au-delà de la gloire des hommes (Siracide 3, 17).
Deuxièmement, la douceur du Christ
apparaît aussi dans
sa manière de corriger. Il subit beaucoup d’outrages de la part de ses
persécuteurs, et cependant il ne leur répondait pas avec colère ou querelle. À
ce sujet, [on lit] : À cause de la vérité et de la douceur, etc. (Psaume
45[44], 5). Augustin dit dans un exposé que, «lorsque le Christ parlait,
la vérité était reconnue; quand il répondait à ses ennemis avec patience, on
louait sa douceur». Dans le psaume 90, 17 : Sa douceur vient sur nous
et nous serons corrigés. Et Isaïe 53, 7 : Il ne chicane pas et
ne pousse pas de cris.
Troisièmement, la douceur du Christ
apparaît dans
son obligeant accueil de l’homme. Certains hommes ne savent pas
accueillir avec douceur. Mais le Christ accueillait les pécheurs avec
bienveillance; il mangeait avec eux, les admettait à ses repas ou assistait à
leurs repas, ce qui étonnait les Pharisiens qui disaient : Pourquoi
votre maître mange-t-il avec les publicains? (Matthieu 9, 11). Il fut
donc plein de douceur. Ainsi l’Église peut-elle dire de lui ce qui est dit dans
le deuxième livre des Rois : Ta douceur m’a fait grandir (2 Samuel 22, 36). Ceux qui
doivent gouverner les autres doivent donc être pleins de douceur.
Enfin, la douceur du Christ apparaît dans sa passion,
car, comme un agneau, il souffrit sa passion et, alors qu’il était insulté,
il ne rendait pas l’insulte (Isaïe 53, 7). Cependant, il pouvait tous
les livrer à la mort. Aussi dit-il dans Jérémie 11, 19 : Moi,
comme un agneau qui est mené au sacrifice. Le bienheureux André a
bien imité le Christ lui-même par sa douceur, lui qui, alors qu’il était placé
sur la croix et que le peuple voulait l’en faire descendre, obtint par ses
prières et ses supplications qu’ils ne le fassent pas descendre de la croix et
qu’ils le suivent lui-même dans sa passion. Ainsi s’est accompli en lui [ce qui
est dit] : C’était un homme fort doux, plus qu’aucun homme parmi le peuple.
La douceur fait hériter de la terre. Ainsi, chez Matthieu 5, 4 : Heureux
les doux : ils possèderont la terre, car il est digne de l’emporter
sur nous lui qui, avec Dieu le Père et l’Esprit Saint, règne pour les siècles
des siècles, etc.
Sermon pour le jour de
la Pentecôte
(Traduction par Charles
Duyck, http://vsame.free.fr,
2005)
Envoie ton Esprit et ils
seront créés, et tu renouvelleras la face de la terre (Psaume 104[103], 30)
Préambule
Il nous faut parler de Celui dont nul
ne peut parler correctement et qui peut faire parler avec profusion, ou qui le
fait [effectivement]. En vérité, sans lui nous ne pouvons pas parler correctement.
Il ne faut pas s’étonner de ce qui est dit dans le livre de la Sagesse
(9, 17) : Qui pourra connaître
ta pensée – la vérité de Dieu – s’il
n’envoie pas d’en haut son Esprit Saint? Sans le sens de la vérité,
personne ne peut parler en vérité. C’est aussi l’Esprit Saint qui fait parler
avec profusion. Ainsi, Grégoire dit : «Il rend sages ceux qu’il a
remplis.» On voit cela clairement aujourd’hui, alors que les Apôtres furent remplis de l’Esprit Saint et
commencèrent à parler en diverses langues (Actes 2, 4). J’invoque donc cet Esprit qui fait parler
avec profusion, moi qui ai la bouche muette, pour qu’il m’accorde de parler,
etc.
[Division
du sermon]
Envoie ton souffle et ils seront créés, etc.
Aujourd’hui notre mère la sainte Église
célèbre solennellement la mission du Saint-Esprit faite aux Apôtres, que le
prophète demandait par l’esprit de prophétie en disant : Envoie ton souffle et ils seront créés, etc.
Dans ces mots, nous pouvons considérer quatre choses : les caractères propres
de l’Esprit Saint, sa mission, la qualité de celui qui est envoyé, et la
matière qui reçoit cette puissance. [Le prophète] dit donc : Envoie! :
voilà la mission; ton Esprit : voilà la personne qui est envoyée; ils
seront créés et tu renouvelleras : tel est l’effet de celui qui est
envoyé; la face de la terre : voilà la matière qui reçoit cet
effet.
Première
partie
[Les
caractères propres de l’Esprit Saint]
Je dis donc d’abord que les caractères
propres de l’Esprit Saint sont indiqués lorsque[le prophète] dit : ton
Esprit. Il faut noter ici que le mot «esprit» semble suggérer quatre traits : la finesse de sa
substance, la perfection de sa vie, l’impulsion de son mouvement et le
caractère secret de son origine.
Premièrement, je dis que le mot «esprit» semble suggérer la finesse d’une
substance. En effet, nous appelons d’habitude «esprits» les substances non corporelles;
de même nous appelons «esprits» les corps subtils comme l’air et le feu. Ainsi,
dans le dernier chapitre de Luc (24, 39) : Touchez-moi et constatez, car un esprit n’a ni chair ni os. Et
ainsi l’esprit se distingue des choses qui ont une matière grossière, qui sont
composées de chair et de corps.
Deuxièmement, le mot «esprit» semble suggérer la perfection
de la vie. En effet, aussi longtemps que les êtres vivants possèdent le souffle
(spiritum), ils sont en vie, et,
quand ce souffle disparaît, ils meurent. Le Psalmiste (104, 29) dit :
Tu leur retires le souffle, ils expirent,
et dans la Genèse 6, 17, on dit que [Dieu] appela vivante toute chair ayant un souffle de vie.
Troisièmemenet, le mot «esprit» semble suggérer l’impulsion
du mouvement. En effet, nous appelons ainsi les vents des «souffles» (spiritus). Et il
est question de cela dans le psaume 107, 25 : Il parla et il fit lever un fort vent [spiritus] <de tempête. Les vents de tempête> font partie de leur sort. On dit aussi des
hommes qu’ils agissent avec esprit quand ils font quelque chose avec élan. Isaïe 25, 4 : L’esprit des tyrans est comme l’ouragan qui
assaille une muraille.
Le mot «esprit» indique d’habitude une
origine secrète, comme lorsque quelqu’un est incommodé et, ne sachant ce qui
l’incommode, il l’attribue à un esprit. Dans Jean 3, 8 : L’Esprit souffle où il veut, et tu entends
sa voix, mais tu ne sais pas, etc.
Cherchons les caractères propres de l’Esprit
Saint en fonction de ces quatre traits, et, pour procéder selon l’ordre
inverse, disons que l’Esprit est saint en raison de son origine secrète, en
raison de l’impulsion de son mouvement, en raison de la sainteté de sa vie et
en raison de la finesse de sa substance.
Je dis que le premier caractère propre
de l’Esprit Saint est son origine secrète. La foi enseigne et la raison
persuade que toutes les choses visibles et changeantes ont une cause cachée.
Quelle est-elle? Cette cause est Dieu. Ainsi, l’Apôtre dit (Hébreux
3, 4) : Celui qui a créé toutes
choses, c’est Dieu. Il est bien établi que toute autre chose qui vient de
Dieu a été créée par Dieu. Mais comment Dieu a-t-il créé toutes choses? Je dis
que Dieu a tout créé, non par une nécessité naturelle, comme le feu brûle, mais
par sa propre volonté. Le Psalmiste (115[114], 3) dit : Tout ce qu’il a voulu, [Dieu] l’a fait.
L’ouvrier fabrique une maison par sa volonté et aussi par une nécessité ou un
intérêt pressant, par exemple, celui de faire un gain ou d’habiter la maison.
Mais Dieu a fait le monde sans intention intéressée, parce qu’il n’éprouve pas
le besoin de nos biens. Pourquoi donc a-t-il fait le monde? Assurément, avec
une intention d’amour, et non d’intérêt. Nous avons un exemple : l’ouvrier
qui serait capable de concevoir une maison, alors qu’il n’en a pas besoin, mais
parce qu’il aime la beauté de cette maison; cet amour de l’ouvrier ferait
exister la maison. Mais quelles sont la cause et la source de la production des
choses cachées? L’amour, assurément. Ainsi dans le livre de la Sagesse
11, 24 : Tu aimes toutes les
créatures et tu n’as haï rien de ce que tu as fait. Et le bienheureux Denis
dit que «l’amour divin ne s’est pas laissé lui-même sans descendance». L’Amour
est l'Esprit Saint. Ainsi est-il dit dans la Genèse 1, 2, au début de la
création, que l’Esprit de Dieu se mouvait
au-dessus des eaux, à savoir, pour produire la matière et amener les choses
à l’existence. Nous célébrons maintenant la fête de l’Esprit Saint, Esprit qui
est le principe de l’existence de toutes choses. L’Esprit Saint a donc une
origine secrète dont le caractère propre est l’amour.
En deuxième lieu, l’Esprit Saint
comporte l’impulsion du mouvement. En effet, dans le monde, nous constatons différents
mouvements, naturels et volontaires, chez les hommes et chez les anges. D’où
viennent ces différents mouvements? Il est nécessaire qu’ils viennent d’un
certain premier «moteur», à savoir Dieu. Psaume 102[101], 27 : Tu les changeras et ils seront changés.
Et Dieu meut par sa volonté. Mais quel est le premier «moteur» de la volonté? Assurément,
l’amour. Et en quoi consiste l’opération de l’amour? Je dis que celui qui est mû
par l’amour se réjouit de l’objet aimé et s’afflige de ce qui lui est contraire;
ainsi dans Ézéchiel 1, 12 : Là
où les portait l’élan de l’Esprit – c'est-à-dire l’inclination de l’amour
divin –, ils se déplaçaient. Et à
juste titre, tout ce qui existe dans le monde est-il mû par l’Esprit Saint, ce
qui est indiqué dans Esther 6, 13, lorsqu’on dit : Il n’est personne qui puisse résister à ta
volonté. Cet Esprit Saint, dont nous célébrons la fête, est le principe du
mouvement de toutes choses. Or, dans le monde, certaines choses se meuvent par
elles-mêmes, d’autres sont mues par d’autres. Celles qui possèdent la vie se
meuvent par elles-mêmes, celles qui sont privées de vie sont mues par d’autres.
Le principe du mouvement de toutes choses, c’est le vivant, ou plutôt la vie.
Ainsi, l’Esprit Saint, en tant qu’il est le principe du mouvement de toutes choses,
est la vie. Le Psalmiste 36[35], 10 dit : Auprès de toi est la source de la vie. Et parce qu’il est la vie,
il donne la vie. Grand est donc l’Esprit Saint parmi tout ce qui est, se meut et
vit. Ainsi dans les Actes 17, 28 : C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être. C’est pourquoi toutes choses
reçoivent de l’Esprit Saint le mouvement et l’être.
Troisièmement, si nous considérons dans
l’Esprit Saint la finesse de sa substance, nous verrons que l’Esprit Saint est
amour. De qui? [L’amour] de Dieu et de celui qui aime Dieu. C’est pour cette
raison que l’Esprit Saint possède une substance fine. Et du point de vue de
l’aimé, il y a l’amour dont Dieu aime Dieu, dont le Père aime le Fils. Ainsi dans
la Sagesse 7, 22 : En elle, en
effet – c’est-à-dire dans la sagesse de Dieu –, est l’esprit d’intelligence, qui fait que les hommes sont
intelligents. En grec, «saint»[18] désigne la pureté. Il est vrai que
l’amour dont l’homme aime les choses corporelles est impur : en effet, en
aimant, celui qui aime s’unit par amour à l’objet aimé, et plus celui qui aime
est mélangé à l’objet aimé, plus il contracte de l’impureté. De même que
l’argent, quand il est mélangé à quelque chose d’impur, contracte une impureté,
ainsi si ton esprit se mêle par amour aux choses inférieures, il contracte une
impureté. Et quand [ton esprit] se mêle à une chose très élevée, alors on dit
que l’amour est saint. Il y en a qui veulent se donner à Dieu et négligent le
salut de leur prochain. Mais ce n’est pas ainsi que l’Esprit est saint. L’apôtre
Paul s’est préoccupé du salut de ses proches, et il dit (1 Corinthiens 9, 19) :
Je me suis fait tout à tous, pour les
gagner tous. De même, certains ont de multiples facettes mais sont
trompeurs. L’Esprit Saint n’est pas ainsi, mais il est multiple, de telle
manière cependant qu’unique, il se donne à plusieurs. De même, [l’Esprit] est
fin, car il fait en sorte que l’homme s’écarte des choses grossières et s’attache
à Dieu. Le Psalmiste 27, 4 [dit] : Il est une seule chose que je demande au Seigneur, et ailleurs (73[72], 28) :
Pour moi, mon bonheur est de m’attacher à
Dieu.
Quatrièmement, cet Esprit Saint, non
seulement nous donne d’être, de vivre et de nous mouvoir, mais, bien plus, il
nous rend saints; ainsi l’Apôtre [dit-il] aux Romains 1, 4 : Dieu en sa puissance selon l’Esprit de
sanctification. Nul n’est saint si ce n’est parce que l’Esprit Saint le sanctifie.
Et comment sanctifie-t-il? Je dis qu’il fait apparaître en ceux qu’il sanctifie
chacune des choses qui ont été mentionnées, car ceux qu’il sanctifie, il les
rend légers et leur fait mépriser les choses temporelles; ainsi, chez Jean (1 Jean
2, 15) : N’aimez point le
monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père
n’est point en lui. De même, à ceux qu’il sanctifie, il fait don de la vie
éternelle; ainsi, dans Ézéchiel 37, 5 : Voici que je ferai entrer en vous l’Esprit, et vous vivrez. La vie spirituelle
se réalise par l’Esprit Saint. L’Apôtre dit : Si vous vivez par l’Esprit, marchez selon l’Esprit (Galates
5, 16). L’Esprit Saint pousse également par son élan à bien agir ceux qu’il
sanctifie. Isaïe 59, 19 : Il
viendra comme un fleuve resserré que précipite l’Esprit du Seigneur. Il y
en a qui sont paresseux, et ceux-là semblent ne pas être poussés par l’Esprit
Saint. Ainsi, à propos de : Il vint
du ciel un bruit, etc. (Actes 2, 2), la Glose dit : «La grâce du Saint-Esprit
ignore les grands efforts des paresseux.» L’Esprit Saint ramène aussi à
l’origine secrète par laquelle nous sommes unis à Dieu. Isaïe 63, 14 [dit] :
L’Esprit du Seigneur te conduira vers ce
que tu ignores, c’est-à-dire vers l’héritage céleste. Psaume 143[142], 10 :
Que ton bon Esprit me conduira, etc.
Le caractère propre de l’Esprit Saint
est maintenant clair, ainsi que le fait qu’il
est l’origine de la vie, de l’être et du mouvement.
Deuxième
partie
[La
mission de l’Esprit Saint]
En deuxième lieu, examinons le second
point, c’est-à-dire la mission de l’Esprit Saint, qui est admirable et inconnue
de nous, parce que l’Esprit Saint a été envoyé sans besoin de sa part, sans
changement de sa part, sans abaissement et sans séparation.
Premièrement, l’Esprit Saint a été
envoyé sans nécessité de sa part. Quand quelqu’un est envoyé en quelque endroit
pour que s’accomplissent certaines choses qui ne peuvent s’accomplir s’il n’y
est pas envoyé, il s’agit d’une mission qui a lieu par nécessité. Mais tel
n’est pas le cas dans la mission de l’Esprit Saint ; ainsi, en Siracide
15, 18, [il est écrit] : Il est
tout-puissant, il voit tout. Quelle est donc la raison d’être de la mission
de l’Esprit Saint? Je réponds : notre indigence; et le caractère
nécessaire de cette indigence tient en partie à la dignité de la nature
humaine, et en partie à sa déficience. En effet, la créature raisonnable
l’emporte sur les autres créatures parce qu’elle peut atteindre à la jouissance
(fruitio) de Dieu, ce que ne peut
aucune autre créature. Ainsi dans les Lamentations 3, 24 : Tel est mon sort, dit le Seigneur à mon âme.
Certains cherchent leur sort dans le monde, comme les honneurs, la dignité.
Mais le Psalmiste (73, 28) dit : Pour
moi, mon bonheur est de m’attacher à Dieu. Vous devez considérer que tout
ce qui est mû vers une fin doit être mû par quelque chose qui le meut vers
cette fin. Ce qui est mû vers une fin naturelle a quelque chose d’intérieur à [sa]
nature pour le mouvoir; mais ce qui est mû vers une fin surnaturelle, à savoir,
la jouissance de Dieu, doit avoir quelque chose de surnaturel pour le mouvoir.
Or, à cela, rien n’a pu nous conduire, si ce n’est deux choses, car l’on n’est
conduit à cette fin que par deux choses : la connaissance et l’amour. Une
connaissance de ce genre est surnaturelle; ainsi, dans 1 Corinthiens 2, 9 :
Ce que l’oeil n’a point vu, que l’oreille
n’a point entendu, et qui n’est pas monté au coeur de l’homme, etc., et
dans Isaïe 64, 3 : Jamais l’oreille
n’a entendu ni l’œil n’a vu ce que toi, Dieu, tu as préparé pour ceux qui
espèrent en toi. Tout ce que l’homme connaît, il le connaît pour l’avoir
découvert ou pour l’avoir appris. La vue et l’écoute de l’enseignement servent
à découvrir; et c’est pourquoi l’on dit : Ce que l’oeil n’a point vu ni l’oreille n’a entendu, pour montrer
ce qui dépasse la connaissance humaine. Cela surpasse même le désir de l’homme;
c’est pourquoi il est dit : Ce qui n’est
pas monté au cœur de l’homme. Comment donc l’homme est-il conduit à la
connaissance de cela? Il fallait que les mystères du ciel soient révélés à l’homme,
c’est-à-dire que l’Esprit Saint soit envoyé de manière invisible afin que le
désir de l’homme soit mû à tendre vers ces [mystères]; aussi dit-il : L’oeil n’a point vu. Comment donc [le)] connaissons-nous? Dieu nous [l’]a révélé par son Esprit, car
l’Esprit scrute tout, même les profondeurs de Dieu (1 Corinthiens 2, 10).
Ainsi, dans le livre de la Sagesse 9, 17 : Qui pourra connaître ce que tu penses, si tu ne lui as pas donné la
sagesse, et si tu n’as pas envoyé d’en haut ton Esprit Saint? L’Esprit Saint
a donc été envoyé, non pas pour son propre besoin, mais pour le nôtre.
[Deuxièmement], l’Esprit Saint [a aussi
été envoyé] sans changement de sa part. Quand un messager est envoyé d’un lieu
à un autre, c’est au prix d’un changement. Mais l’Esprit Saint a été envoyé
sans changement de lieu, car il est le vrai Dieu, immuable. Ainsi, dans le livre
de la Sagesse 7, 27, on dit : Restant
la même, elle renouvelle tout. Comment donc l’Esprit Saint est-il envoyé?
Il nous attire à lui et, en ce sens, on dit qu’il est envoyé, comme lorsque quelqu’un
participe à l’écat du soleil, on dit que le soleil lui est envoyé. Il en est
ainsi de l’Esprit Saint. Aussi, à propos de la Sagesse incréée, dit-on au livre
de la Sagesse 9, 10 : Envoie-la
du haut des cieux, du haut du trône de ta gloire, pour qu’elle m’accompagne.
De même, dans Galates 4, 6 : Dieu
a envoyé [en nos cœurs] l’Esprit [de son Fils] qui crie : «Abba, Père!»
Ces missions se répandent à travers
toutes les nations et vont vers les
âmes saintes. Quand fut venue la
plénitude des temps, le Fils de Dieu fut envoyé dans la chair; ainsi
convenait-il que l’Esprit Saint fût aussi envoyé de manière visible, mais non
qu’il fût assumé dans l’unité de la personne, comme ce fut le cas pour le Fils
dans la nature humaine.
[Troisièmement], l’Esprit Saint [a aussi
été envoyé] sans abaissement de sa part. Les serviteurs sont envoyés par leurs
maîtres parce qu’ils leur sont soumis. C’est ainsi que certains hérétiques
croyaient que le Fils et l’Esprit Saint sont inférieurs parce qu’ils ont été envoyés
par le Père. Mais cela n’est pas vrai. L’Esprit Saint nous rend libres; il
n’est donc pas un esclave. Il est envoyé de son propre gré parce que l’Esprit souffle où il veut, et on dit
qu’il est envoyé seulement parce que le Père est la source (auctoritas). Nous trouvons que l’Esprit
Saint est envoyé parfois par le Père, parfois par le Fils. Les Grecs
s’insurgent contre cela parce qu’ils disent que l’Esprit Saint procède
seulement du Père, non pas du Fils[19], et ils s’y prennent d’une manière
rudimentaire. En effet, quand le Fils parle de la mission de l’Esprit Saint, il
relie le Fils au Père ou le Père au Fils. Il dit en effet, dans un passage de
Jean 14, 26 : Le défenseur que
le Père enverra en mon nom, et, en un autre passage (15, 26) : Lorsque viendra le Défenseur que je vous
enverrai d’auprès du Père. La source (auctoritas)
de son origine est donc le Père.
[Quatrièmement], l’Esprit Saint [a aussi
été envoyé] sans séparation, car l’Esprit d’unité répugne à la séparation;
ainsi Ephésiens 4, 3 : Vous
efforçant de conserver l’unité de l’Esprit par le lien de la paix. L’Esprit
Saint rassemble. Ainsi, en Jean 17, 11 : Afin qu’ils soient un en nous, par l’unité de l’Esprit Saint, comme nous sommes un. Cette union
commence dans le présent par la grâce et sera achevée dans le futur par la
gloire, à laquelle, etc.
Conférence du soir
Envoie ton Esprit, etc.
Troisième
partie
[Les
effets de l’Esprit Saint]
Aujourd’hui, nous avons parlé selon
notre faiblesse des caractères de l’Esprit Saint et de sa mission. Il nous
reste maintenant à parler des effets de l’Esprit Saint et de celui à qui il
convient de recevoir ces effets.
Et, pour autant que cela fait partie
des paroles rappelées, il nous est donné de saisir deux effets de l’Esprit
Saint, à savoir, la création et le renouvellement, lorsqu’il est dit : Ils seront créés et tu renouvelleras.
Et si nous voulons entendre ces paroles
au sens où la création comporte que les choses soient amenées à exister selon
leur nature, alors l’Esprit Saint est le créateur de toutes choses, selon ce
qui est évoqué dans Judith 9, 5 : Tu
as envoyé ton Esprit et [tout] a été créé.
Parlons maintenant d’une autre
création. L’usage commun est bien établi de dire «créés» les êtres qui sont
élevés à un état supérieur, comme [à l’état] d’évêque ou à une autre dignité. Ainsi,
on dit de tous ceux qui sont élevés pour devenir fils de Dieu qu’ils sont
créés, au sens de promus. Aussi le bienheureux Jacques 1, 18 [dit-il]: Afin que nous soyons comme les prémices de
ses créatures. Le Seigneur a voulu instaurer une créature nouvelle; [on lit]
dans le livre de la Sagesse 1, 14 : Dieu a créé toutes choses pour qu’elles existent – à savoir, selon
leur existence naturelle –, et il a voulu les recréer, à savoir, pour qu’elles
aient une existence selon la grâce. De cette recréation, les apôtres furent les
prémices. De cette création, [il est dit] dans Galates 5, 6 : Dans le Christ Jésus, il n’y a ni
circoncision, ni incirconcision, mais une créature nouvelle. Que signifie
cette parole? Auparavant, il y avait les Gentils – et, pour cette raison, il
dit «incirconcision»; ensuite, il y eut les Juifs circoncis, mais cette
condition ne valait rien encore, s’ils n’étaient pas recréés par la grâce du
Christ. Cette création est un effet de l’Esprit Saint.
Vous devez savoir que cette recréation
se produit par degrés : d’abord, pour ce qui est de la grâce de la
charité; deuxièmement, elle se remarque par la sagesse de la connaissance;
troisièmement, pour ce qui est de la concorde dans la paix; et, quatrièmement,
pour ce qui est de la ferme constance.
[Premièrement], de même que vous voyez
que, lorsque les hommes sont amenés à l’existence, ils obtiennent d’abord de
vivre, ainsi doit-il en être de l’existence selon la grâce. Mais par quoi
l’homme vit-il dans une existence selon la grâce? Assurément, par la charité. Ainsi,
chez saint Jean (1 Jean 3, 14) : Nous, nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que
nous aimons nos frères. Quiconque n’aime pas son frère, quelles que soient
les œuvres de bien qu’il accomplisse, est mort. La charité fait la vie de
l’âme; en effet, de même que le corps vit par l’âme, ainsi l’âme vit-elle par
Dieu, et Dieu habite en nous par la charité, comme le dit Jean (1 Jean 4, 16) :
Celui qui demeure dans la charité, demeure
en Dieu, etc. Dans l’évangile d’aujourd’hui, [on lit] : Si quelqu’un m’aime, etc., jusqu’à :
nous ferons [en lui notre demeure]
(Jean 14, 23). Mais il n’aime pas Dieu parfaitement celui qui n’accomplit
pas la volonté de Dieu, parce que «les amis aiment ou n’aiment pas la même
chose». Grégoire [dit], dans l’homélie d’aujourd’hui : «La preuve de
l’amour, c’est de montrer que tu agis.» Mais tu diras : «Je ne peux pas
accomplir les commandements de Dieu.» Je réponds que, par tes propres forces,
tu ne peux pas les accomplir, mais, avec la grâce de Dieu, tu le peux. Ainsi, il
ajoute : Mon père l’aimera – il
ne lui fera donc pas défaut – et nous viendrons
à lui, c’est-à-dire que nous serons à ses côtés et nous lui donnerons les
forces pour accomplir les commandements de Dieu. De cette charité en vue
d’accomplir les commandements de Dieu, il est question dans Éphésiens 2, 10 :
Nous sommes son ouvrage, ayant été créés dans
le Christ Jésus pour des œuvres bonnes. D’où vient cette charité en nous?
De l’Esprit Saint. Ainsi [dit] l’Apôtre (Romains 5, 5) : La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs
par l’Esprit Saint qui nous a été donné. Qui participe à la lumière la
reçoit du soleil. Ainsi celui qui possède la charité la reçoit-il de l’Esprit
Saint. Envoie donc ton Esprit, ils seront créés, c’est-à-dire
qu’ils entreront dans l’existence selon la grâce par la charité.
[Deuxièmement], vous voyez que les
hommes, lorsqu’ils deviennent plus aimés, progressent vers la connaissance de
la volonté divine. Ainsi, selon un proverbe, «c’est le propre des amis que de n’avoir qu’un seul cœur», et Dieu
révèle ses secrets à ses amis. C’est là le second degré de la création qui est
le fait de l’Esprit Saint : par la sagesse, atteindre à la connaissance de
Dieu. Ainsi, chez Jean 15, 15 : Je
vous ai appelés mes amis parce que, tout ce que j’ai appris, etc.. La
connaissance de la vérité vient donc de l’Esprit Saint. Dans l’évangile (Jean
14, 26), [il est dit] : Le
défenseur, l’Esprit Saint, que mon Père enverra, etc. Autant que l’homme
enseigne de l’extérieur, si l’Esprit Saint n’assiste pas de l’intérieur, cela ne
lui sert à rien. Ainsi, dans l’évangile (Jean 14, 26) : L’onction vous enseignera tout. Et non
seulement cet Esprit enseigne, mais, davantage encore, il incite. Je peux vous
enseigner [quelque chose], mais vous ne [le] croyez pas ou ne voulez pas
l’accomplir. Mais celui qui fait en sorte que vous croyiez et que vous
accomplissiez ce que vous avez entendu, celui-là incite. C’est l’Esprit Saint
qui accomplit cela, car il incline le cœur à approuver et à accomplir ce qu’il
a entendu; ainsi le Seigneur [dit-il] : Tous ceux qui m’auront écouté et auront été enseignés par le Père,
viendront à moi (Jean 6, 45).
Le troisième degré de la création
s’applique à la concorde dans la paix. Dans son épître, Jacques distingue entre
la sagesse «terrestre» et la sagesse «d’en haut», et, traitant des caractères
de la sagesse d’en haut, il dit (Jacques 3, 17) : En premier lieu, la sagesse d’en haut est pure;
ensuite, [elle est] pacifique, humble, docile, etc. Tandis que la sagesse terrestre
n’est pas pure, car elle laisse le désir [affectum]
se corrompre par l’amour des biens terrestres; ainsi encore, dans l’épître canonique
de Jude 1, 10 : Ce qu’ils
connaissent, ils s’y corrompent. De même, [la sagesse terrestre] rend-elle
les hommes d’humeur chagrine et querelleurs, tandis que la sagesse qui vient
d’en haut consiste en ce qu’elle attire vers Dieu, parce qu’elle est pacifique, humble, etc. Les disputes
proviennent de trois sources. Premièrement, lorsque quelqu’un manque de modestie;
ainsi, dans les Proverbes 28, 25 : L’homme qui se vante et se gonfle excite les querelles. De même,
certains sont obstinés dans leur jugement et ne se laissent persuader de rien,
sinon de ce qu’ils ont dans la tête, tandis que la sagesse d’en haut est docile.
De même aussi, la sagesse du monde ne permet pas à ses sages de consentir à quelqu’un
d’autre, alors que la sagesse d’en haut consent
à ce qui est bien. Elle est donc pacifique.
Mais qui donne la paix? L’Esprit Saint,
parce que Dieu n’est pas un Dieu de discorde
mais de paix (1 Corinthiens 14, 33). Ainsi, Éphésiens 4, 3 :
Vous efforçant de conserver l’unité de
l’Esprit par le lien de la paix. Le Seigneur exhorte à garder cette paix en
disant dans l’évangile (Jean 14, 27) : Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix; ce n’est pas comme la
donne le monde que moi je vous la donne. Il y a une double paix. L’une,
dans le présent, par laquelle nous vivons de manière pacifique, de manière
cependant à combattre les vices; c’est cette paix que Dieu nous laisse. Une
autre paix existera dans l’avenir, sans combat, et c’est de cette paix-là que
le Seigneur dit : Ce n’est pas comme
le monde la donne que moi je vous la donne. Certains veulent la paix pour
jouir de leurs biens, comme dans le livre de la Sagesse 14, 22 : Vivant dans un [état] de guerre violente
sans le savoir, ils estimaient que de tels maux étaient la paix. Mais
qu’est-ce que la vraie paix? Augustin dit : «La paix est la sécurité de
l’esprit, la tranquillité de l’âme, la simplicité du cœur, le lien de l’amour,
la communion de la charité.» Le mot «paix» a trois sens : par rapport à
soi, par rapport au prochain et par rapport à Dieu. La paix est nécessaire pour
soi-même, à savoir, pour que la raison ne soit pas infectée par les erreurs ou
obscurcie par les passions; et c’est dans ce sens qu’Augustin dit : «La
paix est la sécurité de l’esprit.» [La paix] doit aussi être une tranquillité du
désir (affectus), et c’est en ce sens
qu’il dit : «une tranquillité de l’âme»; de même, elle doit être une
simplicité dans l’intention, et, sur ce point, il dit : «une simplicité du
cœur». La paix par rapport au prochain est «le lien de l’amour» et la paix par
rapport à Dieu est «une communion de charité». La paix nous est-elle très
nécessaire? Certes oui. Le Seigneur a fait de la paix son testament, et ceux
qui ne veulent pas être fidèles à ce testament ne peuvent percevoir entièrement
son héritage. Ainsi ceux qui ne veulent pas garder la paix ne peuvent parvenir
à l’héritage céleste. Mais quelqu’un pourrait dire : «Je veux bien la paix
avec Dieu, mais pas avec mon prochain.» Cela ne peut être, comme l’a dit un
saint : «Qui ne s’entend pas avec un chrétien ne peut pas être en paix
avec le Christ.» Le troisième degré de la création est donc la concorde dans la
paix, comme [le dit] Isaïe (57, 19) : J’ai créé sur tes lèvres la paix.
Le quatrième degré [de la création] est
une ferme constance. Et celle-ci vient bien de l’Esprit Saint, comme dit
l’Apôtre dans Éphésiens 3, 16 : Qu’il
vous donne par l’Esprit Saint la puissance qui vous confortera, etc. Et
chez Ézéchiel 2, 2 : L’Esprit est
entré en moi, et je me suis tenu debout. Et dans l’évangile (Jean 14, 27) :
Que votre coeur ne se trouble ni ne
craigne, etc. Et dans la Sagesse 2, 23 : Dieu a créé l’homme pour l’immortalité. Le premier effet de l’Esprit
Saint est donc de créer.
Le second effet de l’Esprit Saint est
de renouveler, ce qui consiste en quatre choses : en fonction de la grâce
qui purifie, en fonction de la justice qui se développe, en fonction de la sagesse
qui illumine et en fonction de la gloire qui perfectionne.
Le renouvellement par l’Esprit Saint se
fait d’abord par la grâce qui purifie. Le péché est une certaine vieillesse de
l’âme et l’homme n’est libéré de cette vieillesse que par la grâce qui
justifie, par laquelle l’homme est lavé de ce péché; ainsi, l’Apôtre [dit] (Romains
6, 4) : Comme le Christ est
ressuscité d’entre les morts, ainsi marchons nous aussi dans une vie nouvelle.
D’où vient cette nouveauté? De l’Esprit Saint, comme le dit l’Apôtre à Tite 3, 5 :
Il nous a sauvés, non en vertu d’œuvres de
justice que nous aurions faites, mais selon sa miséricorde, par un bain de régénération
et de rénovation, etc. Grâce à ce bain, tous les péchés sont remis, et
ainsi l’homme est renouvelé.
Deuxièmememnt, le renouvellement consiste
dans une justice qui se développe. Si quelqu’un marchait, s.il était fatigué et
devenait épuisé, <et si ensuite il se reposait>, ses forces sembleraient renouvelées.
Et quand l’homme peine à la tâche, il est renouvelé quand les forces lui reviennent
pour travailler de nouveau. De ce renouvellement, Job 29, 20 dit : Ma gloire reverdira sans cesse, et mon arc
reprendra sa vigueur dans ma main. La gloire des saints est le témoignage
de leur conscience. L’homme est renouvelé quand il est résolu au combat contre
les vices. Isaïe 40, 31 [dit] : Ils
recevront des ailes comme des aigles, ils voleront et ne se fatigueront pas,
à savoir, de courir dans la voie des commandements
de Dieu. Mais qui fait cette course? L’Esprit Saint. Ainsi Isaïe 63, 13 : Il nous fit marcher à travers les abîmes
sans trébucher, comme un cheval dans la steppe; l'Esprit du Seigneur fut leur
guide.
Troisièmement, le renouvellement se
réalise par la sagesse qui illumine. Quand l’homme se met à connaître davantage
les bienfaits de Dieu, il est renouvelé. De c renouvellement, il est dit dans
l’épître aux Colossiens 3, 10 : Revêtez
l’homme nouveau qui a été créé selon Dieu. Le Christ est appelé un homme nouveau
parce que nouvelle fut sa conception, non
de la semence d’un homme, etc. Nouvelle fut sa naissance parce que sa mère fut
vierge après l’enfantement. Nouvelle fut sa passion parce qu’il était sans
péché. Nouvelle fut sa résurrection parce qu’elle fut instantanée et rénovatrice :
en effet, dès qu’il ressuscita, il fut dans la gloire. Nouvelle fut son ascension,
parce qu’il monta [u ciel] par sa propre puissance, et non par celle d’un autre,
comme Énoch et Élie. C’est pourquoi [il est dit] dans le Siracide 36, 5 :
Renouvelez les prodiges et reproduisez
les merveilles. Et parce que tout est renouvelé par le Christ, nous
utilisons des vêtements nouveaux dans l’Église lors des fêtes pour chanter au Seigneur un cantique nouveau (Psaume
96[95], 1), comme si on disait de celui qui renouvelle la propreté
extérieure de son vêtement qu’il est renouvelé intérieurement en esprit par la
grâce. L’Apôtre [dit] aux Colossiens 3, 9 : Débarrassez-vous du vieil homme, c’est-à-dire du vêtement des
péchés, avec les actes qui lui sont propres, [revêtez] le vêtement des vertus qui ne manque pas d’actes, [et revêtez] l’homme nouveau, c’est-à-dire
un esprit raisonnable, un homme nouveau qui sera renouvelé dans la connaissance
de Dieu, etc. Vient ensuite : Revêtez
l’homme nouveau, comme ci-dessus. Et dans l’épître aux Romains 13, 14 :
Revêtez le Seigneur Jésus, le Christ.
D’où vient cette sagesse? De l’Esprit Saint. Job 32, 8 [dit] : Comme je le constate, l’Esprit est dans
l’homme et l’inspiration du Tout-puissant lui donne, etc.
Quatrièmement, le renouvellement s’effectue
par la gloire qui perfectionne, à savoir quand le corps sera renouvelé de la
vieillesse de la peine et de la vieillesse de la faute; de ce renouvellement il
est question dans Isaïe 65, 17 : Car
voici que je crée des cieux nouveaux et une terre nouvelle. Et d’où vient
ce renouvellement? De l’Esprit Saint; c’est lui qui est le gage de notre héritage
et nous conduit à l’héritage du ciel. Celui qui a besoin d’être créé et
renouvelé, il l’obtiendra de l’Esprit Saint.
Quatrième
partie
[Les
effets de l’Esprit Saint chez celui qui les reçoit]
Qui donc reçoit cette rénovation? La face de la terre, c’est-à-dire le
monde entier qui était autrefois rempli d’idolâtrie; aujourd’hui, le Seigneur a
donné aux apôtres les dons des charismes.
Isaïe 27, 6 : Ceux qui
s’avancent avec élan – c'est-à-dire avec celui de l’Esprit Saint – rempliront la face de la terre de la descendance
de Jacob. Et la face de la terre, c’est l’esprit humain, car, de même que nous
voyons corporellement par le visage, de même voyons-nous spirituellement par
l’esprit, comme dans Genèse 2, 7 : Dieu forma l’homme de la poussière du sol et il mit dans ses narines un
souffle de vie. Or, pour que l’esprit humain reçoive ce renouvellement, il
doit avoir quatre qualités : il doit être pur, ouvert, droit, stable et
ferme.
À propos du premier point, il est dit
dans Matthieu 6, 17 : Pour toi,
quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, à savoir, par des
larmes de componction; alors tu pourras recevoir le renouvellement de l’Esprit
Saint. Le Psalmiste [dit] (51[50], 12) : Ô Dieu, crée en moi un coeur pur!
En deuxième lieu, le visage de l’esprit
doit être découvert et ouvert. Le prophète [dit] : Il avait le visage couvert de graisse (Job 15, 27). Certains
ont le visage de l’esprit obscurci par les ténèbres de l’ignorance. Job 23, 17 :
La nuée n’a pas recouvert mon visage,
et l’Apôtre (2 Corinthiens 3, 18) : Mais nous, à visage découvert – à savoir, du désir des choses
terrestres –, réfléchissant comme dans un
miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image par la
clarté, etc.
En troisième lieu, le visage de l’esprit
doit être directement tourné vers Dieu, d’où dans Tobie 3, 12 : Vers toi, Seigneur, je tourne mon visage,
vers toi je lève les yeux. Comment tournons-nous le visage vers Dieu? Par
une intention droite, et nous atteignons ainsi au renouvellement de l’Esprit
Saint. Ainsi est-il dit dans l’évangile de Luc 11, 13 : [Le Père] donnera l’Esprit à ceux qui le lui
demandent. De même, si vous [avez le visage] tourné par l’obéissance, il
donnera l’Esprit Saint à ceux qui lui obéissent. De même, nous devons aussi
tourner notre visage vers notre prochain, d’où chez Tobie : Ne détourne pas ton visage de ton prochain.
C’est pourquoi les apôtres, parce qu’ils étaient [obéissants et tournés vers
leur prochain], reçurent l’Esprit Saint.
Quatrièmement, le visage de l’esprit
doit être ferme. Au sujet d’Anne, la mère de Samuel, on lit : L’aspect de son visage n’a pas changé de
toutes sortes de façons. Et ainsi elle reçut l’Esprit Saint. Job 11, 15 [dit] :
Alors tu pourras lever ton front, etc.
À ceux-là est donné l’Esprit Saint, comme dans l’évangile : Comme il mangeait [avec eux], il leur
commanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’attendre ce qui avait été promis,
etc. S’ils étaient partis, ils n’auraient pas reçu l’Esprit Saint. Ainsi
chez Matthieu 10, 22 : Celui
qui persévérera sera sauvé. Nous demandons au Seigneur, etc.
(Traduction par
Dominique Pillet, juin 2005)
Bref
préambule
Le semeur est sorti semer sa semence», Luc 8, 5.
Puisque notre sermon est sur les semailles
spirituelles, invoquons celui qui effectue les semailles, Notre Seigneur
Jésus-Christ, à qui il appartient de rendre capables les serviteurs de ces
semailles, pour qu’il me donne quoi dire, etc.
Introduction : Le semeur est sorti
«Le semeur est sorti etc.»
(Notre) sainte mère l’Eglise est une vigne et
un champ, car les fruits spirituels de l’Eglise, qui sont les œuvres de
justice, sont vin et pain; vin parce qu’ils réjouissent, «car le vin
réjouit», dans le Psaume 103, 15, et dans les Proverbes 13, 9 : «La
lumière des justes réjouit»; ils sont pain car ils fortifient, Psaume 103,
15 : «Et que le pain fortifie le cœur de l’homme», et dans les
Proverbes 12, 12 : «La racine des justes ne sera pas ébranlée».
De cette vigne et de ce champ il y a un seul
agriculteur, à savoir le Christ. «Moi», dit-il, «je suis la vraie
vigne», en tant qu’homme, «et mon Père est l’agriculteur», et moi en
tant que Dieu je suis l’agriculteur avec lui, c’est-à-dire que, comme dit
Augustin, cet agriculteur est la Trinité tout entière qui plante cette vigne et
ce champ, d’où Jérémie 2, 21 : «Moi je t’ai plantée (comme) vigne sélectionnée
et toute semence».
Bernard dit : «Semons l’exemple pour
les hommes par des œuvres bonnes et ouvertes», d’où : «Qu’ainsi
brille votre lumière devant les hommes, pour qu’ils voient vos bonnes œuvres,
etc.» (Matthieu 5), c’est, par soupirs cachés et choses de ce genre
qui sont connues d’eux seuls, grande joie pour les anges de Dieu à propos d’un
seul pécheur faisant pénitence etc., Luc 15, 17. De là disait l’Apôtre aux Romains
12, 17 : «Prévoyant le bien non seulement devant Dieu mais aussi devant
les hommes». Il a dit «devant Dieu», c’est-à-dire devant ceux qui se
tiennent près du visage de Dieu, car il leur plaît suprêmement de nous voir
priant en secret ou ruminant quelque psaume ou faisant cette sorte de chose.
Semez, vous aussi, car beaucoup avant vous ont
semé. O race d’Adam, combien ont semé en toi et quelle précieuse semence!
Combien périras-tu mal et à combien juste titre, si périt en toi tant de
semence en même temps que le travail des semeurs! A quelle perdition seras-tu
livrée par l’agriculteur, si en toi périssent toutes choses! La Trinité tout entière
a semé dans notre terre, les anges et les apôtres ont semé également, les
martyrs et les confesseurs ont semé, et les vierges. Du ciel le Père a semé la
paix, le Fils la vérité, le Saint-Esprit la charité. Les anges aussi ont semé,
car, quand d’autres tombaient, eux sont restés. Les martyrs ont ouvertement
semé le courage, les confesseurs la justice qu’ils ont suivie dans toute leur
vie, les vierges la tempérance car elles ont foulé aux pieds la concupiscence.
Et il y a ici trois choses à considérer :
I quelle est cette semence,
II qui est le semeur,
III la nature et la qualité de ces
semailles.
Première partie : (La semence)
Donc d’abord il faut noter quelle est cette
semence. Mais nous ne pouvons dire que cette semence soit autre chose que
ce que dit le Seigneur : «La semence, c’est la parole de Dieu»(Luc
8, 11). Notez qu’il dit clairement»sa semence», (celle) du Fils
de Dieu. Celle-ci est la bonne semence. Celle qui n’est pas sa semence, c’est
la mauvaise semence dont (parle) Isaïe 17,(10-11); l’ivraie, comme il est dit
dans l’Evangile.
Il faut considérer avec soin que c’est cette
semence qui préserve du péché. D’où dans l’(épître) canonique 1 Jean 3,
9 : «Celui qui est né de Dieu ne pèche pas, car la semence de Dieu est
en lui».
Mais comment pouvons-nous savoir si c’est la
semence de Dieu? Voici de quelle manière nous savons si une certaine semence
est la semence de cette plante; nous le savons de trois façons :
1° parce que cette semence provient de
cette plante;
2° parce qu’elle est contenue en elle;
3° parce qu’elle produit cette même
plante.
Donc la semence du Christ vient du Christ,
parce qu’elle est apparue aussi dans le Christ et qu’elle rend semblable au
Christ, ou parce qu’elle mène au Christ. C’est pourquoi la semence du Christ
est ce qui vient de lui, ce qui est en lui et ce qui va à lui.
Voyons à propos du 1°. Je dis que c’est
la semence de quelque plante parce qu’elle vient d’elle, d’où Genèse 1,
11 : «Que la terre produise l’herbe verte faisant semence selon son
espèce». Mais quelle semence vient du Seigneur Jésus? Je dis que c’est la
parole de sagesse qui vient de lui. D’où Siracide 1, 5 : «Une source de
sagesse, la parole de Dieu dans les hauteurs». Donc ce qui concerne la sagesse
céleste qui est dans les hauteurs, c’est la parole de sagesse ou semence de
Dieu.
Mais saint Jacques 3, 15 dit qu’»il est une
sagesse qui ne vient pas d’en haut et qui est terrestre, animale,
diabolique».
La sagesse terrestre est celle qui met tout
son zèle à rassembler des biens terrestres. Donc s’il t’est proposé une parole
incitant à rassembler des biens terrestres, ce n’est pas la semence de Dieu.
De plus, la sagesse animale est celle qui
applique tout son zèle à suivre la volupté du corps. Si donc un tel
enseignement t’est proposé, ce n’est pas la semence de Dieu et tu ne dois pas
le croire. Il est dit en Malachie 2, 15 : «Que cherche cet être unique?
Où est la semence de Dieu.[20]«
Mais quelle est la science diabolique? Job 41,
25 dit que «lui-même est roi au-dessus de tous les fils d’orgueil». Donc
la sagesse dont tout le zèle mène à s’enorgueillir est diabolique. Donc si
quelqu’un te propose un tel enseignement, ce n’est pas la semence du Christ.
L’apôtre dit : «Ma parole, ma prédication, ne vient ni de l’erreur ni
de l’immondice». (1 Thessaloniciens 2, 3).
De quelle qualité (est) donc la sagesse qui
est dans les hauteurs, sagesse dont la source est la parole de Dieu dans les
hauteurs? Saint Jacques dit 3, 17 : «La sagesse qui est d’en haut est
d’abord pudique, puis pacifique, elle ne provoque pas de dissensions». Donc
ce qui provoque des dissensions et qui est contre la paix et la sagesse d’en
haut, n’est pas semence de Dieu; et certes, chaque fois qu’un enseignement
induit à la droiture des vertus, c’est l’enseignement du Christ, mais quand (il
induit) à corrompre le bien, ce n’est pas l’enseignement du Christ. D’où dans
les Proverbes «quelque chose mais pas pervers» (Proverbes 22, 5).
Donc, d’abord, est semence de quelque chose ce
qui en vient.
2° Deuxièmement, est semence de quelque
chose ce qui est dedans, d’où Genèse 1, 11 : «Que la terre produise
l’herbe verte faisant son fruit dont la semence soit en lui-même». Donc
quel que soit l’enseignement qui est dans le Christ, il est semence de Dieu.
Psaume 109, 3 : «Dans la splendeur des saints, dès le sein, avant
l’étoile du matin, je t’ai engendré». Les splendeurs des saints sont les
clartés des vertus. Toutes les clartés des vertus dérivent du fils de Dieu
comme la copie de l’original, «en effet en lui sont cachés tous les trésors
de sagesse et de science etc.».
Mais tu pourrais dire : cela ne vaut pas
pour moi, car je ne peux voir le Verbe dans son éternité.
C’est pourquoi il est suffisant pour nous
qu’ait été prévu que ce Verbe s’est fait homme et nous montre cet exemple de
tout son enseignement, d’où Jean 1, 14 :»Le Verbe s’est fait chair
etc.».
Augustin : «La sagesse de Dieu
elle-même, dans l’homme qu’elle a emporté, s’est faite exemple pour les hommes
de revenir en haut et pour les anges d’y demeurer». Donc si quelqu’un vient
te proposer un enseignement dont l’original n’est pas dans le Christ, il n’est
pas semence de Dieu.
Jovinien est venu à Rome et a prêché que le
mariage était à égalité avec la virginité, mais le Christ a voulu avoir une
mère vierge, il l’a choisie, et le disciple qu’il a aimé le plus était vierge
aussi.
L’hérétique Vigilance a prêché en Gaule que
l’état des riches donnant des aumônes était à égalité avec la pauvreté. Cet
enseignement n’est pas dans le Christ qui pour nous s’est fait pauvre.
Augustin, dans le livre Du combat chrétien,
dit : «Il ne manque pas de cette perversité celui qui regarde, aime et
scrute les dits et faits de cet homme en qui le fils de Dieu s’est
offert en exemple de vie. C’est pourquoi tous, hommes et femmes de tout âge et
de toute condition, ont volé ensemble vers l’espérance de la vie éternelle. Les
uns, négligeant les choses temporelles, volent vers les divines, les autres le
cèdent aux vertus de ceux qui font cela et louent ce qu’ils ne peuvent
accomplir; mais quelques-uns murmurent et sont tourmentés par trop
d’envie : ceux qui, bien que paraissant catholiques, ne cherchent dans
l’Eglise que leur avantage, ou les hérétiques qui cherchent la gloire dans le
nom même du Christ».
Et st Grégoire dit : «Ils sont
quelques-uns dans l’Eglise qui non seulement ne font pas le bien, mais persécutent
le bien dans les autres et détestent chez les autres ce qu’eux-mêmes négligent
de faire. Leur péché contre l’Esprit Saint ne vient pas de la faiblesse ou de
l’ignorance, mais d’ un zèle sûr».
3° Troisièmement, nous savons si c’est la
semence de quelque (plante) si elle mène à cette même (plante). La semence d’un
arbre a la vertu de produire un arbre semblable, d’où Genèse 1, 11 : «Que
la terre produise l’herbe verte et faisant semence selon son espèce». La
vertu générative de l’espèce demeure dans la semence, Jean 10, 35 : «(La
loi) a appelé dieux ceux à qui le discours de Dieu fut adressé». Quand tu
entends la parole de Dieu avec l’oreille, que tu l’aimes avec le cœur, que tu
l’accomplis par les œuvres, alors le discours de Dieu t’a été adressé. Mais il
est vrai que la vie des saints est outragée, d’où dans le livre de la Sagesse
5, 4(-5) : «Nous, insensés, considérions leur vie comme une folie et leur
fin comme sans bien. Voici, comment ont-ils été comptés parmi les fils de
Dieu? [21]» Suite (Sagesse
5, 6) : «Donc nous avons erré hors du chemin de la vérité».
J’accepte la conclusion.
Donc tu dois imiter Jésus-Christ pour te
l’assimiler. D’où Augustin, Du combat chrétien : «Si tu as une
haute opinion de toi-même, ne dédaigne pas d’imiter celui qui est appelé Fils
du Très-Haut; si tu as peu d’estime pour toi-même, ose imiter les pêcheurs et
les publicains qui imitèrent le Christ».
Donc c’est clair pour le point I, à
savoir la semence.
Deuxième partie : (Le prédicateur
est le semeur qui sort)
Reste maintenant à parler du deuxième point, à
savoir le semeur, puisqu’il est dit : «Le semeur est sorti
semer».
Qui est celui qui est sorti? Certes par
l’autorité c’est le Christ, par le service ce sont tous les docteurs dont (parle)
Isaïe 32, 20 : «Heureux vous qui semez sur les eaux».
Ce semeur - le Christ - qui voulut semer, est
sorti. Il faut donc que certains prédicateurs s’en aillent. Mais il y a une
différence entre le Christ et eux. Car le Christ est sorti en une seule sortie
pour enseigner d’où, quand et vers où le prédicateur devait sortir. Le Christ
est sorti du sein secret du Père. «Moi», dit-il, «je suis sorti du
Père», non qu’il ait quitté le Père, mais parce qu’il est devenu visible, «et
je suis venu dans le monde», quand il fut là, c’est alors qu’il apparut
visible.
Mais quand? Le matin, car il est dit dans
l’Evangile que «le maître de maison sortit au petit matin conduire les
ouvriers à sa vigne».
(1° Le prédicateur sort de la faute)
Or il est nécessaire pour un prédicateur de
sortir en une double sortie.
- D’abord sortir de l’état de faute, car le
prédicateur ne doit pas prêcher aux autres ce qu’il ne fait pas lui-même.
Psaume 49, 16 : «Dieu a dit au pécheur : Pourquoi commentes-tu ma
justice etc. (toi qui détestes la règle et rejettes mes paroles derrière toi)?».
Que prêches-tu qu’il ne faut pas voler, si tu voles? Ni commettre l’adultère,
si tu le commets? Donc nous devons sortir de la faute. D’où l’Apôtre : «Sortez
du milieu d’eux et séparez-vous de leur condition et ne touchez à rien d’impur»
(2 Corinthiens 6, 17).
Mais où devons-nous aller en sortant du péché?
Assurément vers le Christ, c’est-à-dire vers la Passion du Christ. D’où
l’Apôtre (Hébreux 13, 13) : «Pour aller vers lui, sortons
en-dehors du camp en portant son opprobre», c’est-à-dire sa croix. L’Apôtre
dit que «le vieil homme a été crucifié avec (lui), pour que le corps de
péché soit détruit[22]«(Romains 6, 6).
Quand devons-nous sortir? Le matin, car il est
dit : «Dans l’épreuve lève-toi le matin» (Siracide 2, 1), et
ailleurs : «Ne tarde pas à te tourner vers le Seigneur et ne diffère
pas etc.» (Siracide 5, 7), et en Siracide 21, 1 : «Tu as péché? Ne
recommence pas».
(2° Le prédicateur sort du monde)
- Une autre sortie nécessaire au prédicateur
est la sortie du monde, qui est signifiée en Jean 4, 28 ss, où il est dit que «la
femme laissa sa cruche» et vint annoncer le Christ. Expliquant cela, Augustin
dit que qui veut prêcher doit laisser sa cruche, c’est-à-dire les désirs
mondains, du moins affectivement, de façon à ne les aimer ni affectivement ni effectivement.
De cette sortie le Seigneur dit en Genèse 12, 1 à Abraham :
«Quitte ta terre et ta parenté et la maison de ton père», c’est-à-dire
quitte tout ce qui est terrestre et qui peut être aimé, «et viens dans la
terre que je t’aurai montrée». Il dit cela clairement, car la loi ne
conduisait personne à la perfection et la voie des conseils n’avait pas encore
été montrée, c’est pourquoi le Seigneur dit à celui qui avait observé les
préceptes : «Une seule chose te manque, si tu veux être parfait, va
etc.». «Je suis venu sur la terre» : certes c’est une terre de
vision ou de contemplation qui est l’état religieux.
Mais quand devons-nous venir dans cette terre?
Le matin, c’est-à-dire dans la jeunesse. Psaume 5, 5 : «Le matin je me
préparerai pour toi et je verrai etc.». Le texte de Jérôme porte «je
contemplerai». Isaïe 50, 4 ss : «Le matin il éveille mon oreille,
je l’écouterai comme un maître. Le Seigneur m’a ouvert l’oreille, et moi je ne
contredis pas». Or le Seigneur ayant l’autorité, le maître ayant la sagesse
m’a ouvert l’oreille en venant à lui.
Tu diras : Je ne le ferai pas, car on me
dirait : «Malheureux, enfant insensé!»
Contre quoi dit Isaïe 51, 7 : «N’ayez
pas peur des injures des hommes et ne craignez pas les insultes».
Augustin : «Qu’ils se réjouissent, les enfants qui font vœu de
continence».
Tu diras : J’ai les paroles, mais pas le
modèle.
Qu’il vienne au milieu, le saint enfant Benoît
qui laissa ses parents et ses biens temporels, laissa sa nourrice, fit sagement
retraite et gagna les lieux secrets du désert.
Si cela ne te suffit pas, que vienne au milieu
le davantage bienheureux enfant Jean-Baptiste de qui (il est question) en Luc
1, 80 : «L’enfant Jean grandissait et se fortifiait et il demeurait
dans les déserts jusqu’au jour de sa manifestation».
Si cela ne te suffit pas, que vienne au milieu
le très bienheureux enfant Jésus qui, quand il avait douze ans, à l’insu de ses
parents resta et fut trouvé au milieu des docteurs.
Mais tu diras : Trois choses me montrent
pourquoi je ne dois pas sortir du monde dans l’enfance.
1° La première est qu’il faut parvenir peu à
peu à la perfection, car personne n’arrive au sommet instantanément.
Mais, mon très cher, au moins dans la
vieillesse il te faut arriver à la perfection. L’Apôtre : «Portons-nous
vers le parfait» (1 Corinthiens 12, 31). Certains veulent devenir
militaires, d’autres forgerons etc., mais il n’y a personne qui n’aspire à
quelque état, s’il veut être parfait dans cet état, sans y aspirer dès
l’enfance. Donc depuis le début de ton âge, commence à sortir du monde, car
dans la mesure où l’homme progresse, il grandit toujours, et ce à quoi nous
sommes habitués dès la jeunesse, nous le faisons facilement. C’est pourquoi il
est dit dans les Lamentations 3, 27 : «Il sera bon pour l’homme de
porter (le joug dès sa jeunesse)», et dans les Proverbes 22, 6 : «(Instruis)le
jeune homme selon ses dispositions etc.».
Mais tu diras : «La jeunesse et le
plaisir», comme il est dit dans l’Ecclésiaste 11, 10, «sont vanité».
Je dis que ce livre a été fait par mode de
conclusion et a deux conclusions, une de sages et une de sots. La conclusion
des sots est : «Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse etc.» (Qohélet
11, 9); elle est suivie d’une autre conclusion : «Ne suis pas tes désirs;
si tu donnes à ton âme ses désirs, ils te livreront à tes ennemis pour
leur joie». Autre est la conclusion des sages : «Souviens-toi de ton
créateur dans ta jeunesse» (Qohélet 12, 1).
2° Mais tu diras : Autre chose me montre
pourquoi je ne veux pas quitter le monde dès la jeunesse. Je ne sais si cela
vient de l’Esprit Saint, que le saint projet ne se trouve pas habituellement
chez les enfants.
Mais l’Esprit Saint tient du Père et du Fils
la liberté de souffler où il veut, et toi tu veux lui barrer la route?
Ambroise : «Cet Esprit n’est pas enfermé dans le temps qui passe, ni
délimité par la mort, ni éclos d’un ventre». Grégoire : «Je veux
considérer quel artiste est cet Esprit Saint et dans ma contemplation même je
suis défaillant, puisqu’il emplit (David) l’enfant cithariste et le rend
psalmiste, il emplit le bouvier pinceur de sycomores et le rend prophète (Amos
7, 14), il emplit l’enfant abstinent etc.», ce que tu as dans l’homélie de
Pentecôte et ailleurs dans le sermon sur le Saint-Esprit.
Tu diras : Cela ne vient pas du
Saint-Esprit, que des enfants quittent le monde, car beaucoup d’enfants se
convertissent, mais ne persévèrent pas en religion, donc si cela venait de
Dieu, ils resteraient dans l’Ordre.
Fais attention à toi, parce que si tu
comprends de travers, tu donnes voie aux manichéens.
Manès dit que ce n’est pas Dieu qui a fait les
choses corruptibles, et que ce qui vient de Dieu ne se dissout pas; et
l’hérétique dit que la grâce qu’on a eue une seule fois ne peut être perdue.
A cela il faut donner la solution
suivante : les ouvrages de Dieu sont bien corruptibles. Oui, quelqu’un
reçoit la grâce d’entrer en religion, mais le Seigneur ne lui donne pas le don
de persévérer, et ce qui est dit («ce qui vient de Dieu ne se corrompt pas»)
est vrai, parce que le conseil de Dieu ne se corrompt pas mais demeure pour
l’éternité.
3° Mais tu diras : Autre chose me montre
pourquoi dans l’enfance je ne veux pas quitter le monde. Je suis un enfant, je
ne peux porter les armes.
Les armes de la vie religieuse ne sont pas les
armes de Saül, mais (celles) de David, c’est-à-dire du Christ. Les armes de
Saül sont les observances de l’ancienne loi qui sont des armes lourdes, d’où
saint Pierre : «C’est un fardeau que ni nous ni nos pères n’avons pu
porter». Les observances de la nouvelle loi et de la religion sont des
armes légères, d’où le Seigneur : «Mon joug est doux et mon fardeau léger».
C’est donc le matin que nous devons quitter le
monde et venir au Christ.
Mais quel sera pour nous le fruit? Assurément,
l’obtention du royaume des cieux, d’où le Seigneur dans l’Evangile : «Laissez
les petits enfants venir à moi, car le royaume des cieux appartient à leurs
pareils».
(3° Le prédicateur sort de la
contemplation)
«Le semeur est sorti etc.»
Aujourd’hui nous avons parlé de la semence et
des deux sorties du semeur.
Il reste maintenant à parler de la troisième
sortie du semeur, c’est-à-dire du prédicateur, car le prédicateur doit sortir
du secret de la contemplation vers le lieu public de la prédication, car le
prédicateur doit puiser d’abord dans la contemplation ce qu’ensuite il répand
dans la prédication. D’où Isaïe 12, 3(-4) : «Vous puiserez les eaux
dans la joie», c’est-à-dire de la contemplation, «aux sources du
sauveur», c’est-à-dire à la sagesse divine, «et alors vous direz ce
jour-là :», c’est-à-dire quand vous puiserez, «Louez le Seigneur
etc.». Cette sortie est très semblable à la sortie du Sauveur, du secret du
Père à la visibilité du lieu public, d’où dans le Cantique 7, 11 : «Je
suis à mon bien-aimé et vers moi se tourne etc.», à savoir dans le secret
de la contemplation. Par deux choses l’âme se tourne vers Dieu : par
l’oraison dévote et par la contemplation, et Dieu se tourne vers l’âme par locution
interne. C’est pourquoi il dit (Cantique 6, 3) : «Mon bien-aimé est à
moi et moi à lui». Mais est-ce que nous serons toujours ici? Non, c’est
pourquoi il est dit (Cantique 7, 12) : «Viens, mon bien-aimé, sortons
dans les champs», c’est-à-dire à la prédication publique, «attardons-nous»,
c’est-à-dire par la véhémence de la prédication, «dans les villages»,
c’est-à-dire parmi les hommes disposés à la prédication. Notez (que)
l’expression «attardons-nous» signifie une certaine familiarité de Dieu
avec le prédicateur; «sortons», moi en inspirant et toi en prêchant.
Quand sortirons-nous? C’est le matin qu’il
nous faut partir aux vignes, et de la manière dont le Christ est sorti le
matin, d’où dans l’Evangile : «Il sortit au petit matin conduire les
ouvriers à sa vigne». Il est dit que le Christ est sorti à trois
moments : à 9 heures du matin, à midi, à 3 heures. Et Grégoire dit que le
fait qu’il conduit les ouvriers le matin signifie qu’il convertit les enfants
dans leur premier âge. Il est dit dans l’Ecclésiaste 11, 6 : «Le matin,
sème ta semence, et le soir, que ta main ne cesse pas». «Le matin» représente
l’enfance et «le soir» la vieillesse. Certains disent qu’il ne faut pas
prêcher aux enfants, mais «Le matin, sème ta semence» dit le contraire.
D’autres disent qu’il ne faut pas prêcher aux vieux, mais «Le soir, que ta
main ne cesse pas» dit le contraire. Il faut prêcher et aux enfants et aux
vieux, car «Vous ne savez pas si ceci ou cela naît, ni lequel des deux est
meilleur».
Tu diras : Il ne faut pas appeler ce
genre de personnes, ni les amener à la vie religieuse, selon la sentence du
Seigneur, qui dit : «Vous parcourez mer et continent pour faire un seul
prosélyte etc.» (Matthieu 23, 15).
Voyez quel est le sens du fait que certains
parcourent mer et continent pour convertir les autres. Cela est louable. D’où
le Seigneur : «Allez dans le monde entier, prêchez l’Evangile à toute
créature» (Marc 16, 15). Cela est aussi annoncé par Isaïe 27, 6, qui
dit :»Ils entreront avec élan en venant de Jacob et rempliront de
semence la face du monde [23]».
Qu’est-ce à dire : «Vous le faites
fils de la Géhenne deux fois plus que vous» (Matthieu 23, 15)? De qui
faut-il comprendre cela?
C’est expliqué de deux façons par les
saints : d’abord (il s’agit) des juifs et des scribes de l’ancienne loi
ayant une situation. Et pourquoi le font-ils fils de la Géhenne deux fois plus
qu’eux-mêmes? Ce n’est pas qu’ils aient péché en convertissant les autres,
c’est que par de mauvais exemples ils amenaient autrui à pécher. Mais pourquoi
dit-il : «Deux fois plus que vous»? Chrysostome dit que le disciple
pèche plus sûrement quand il voit le maître pécher, et que, de même que le
prédicateur est condamnable qui montre de mauvais exemples de vie, de même est
louable celui qui montre de bons exemples de vie. Autre est le sens de
l’autorité, selon ce qu’explique Jérôme à propos des pharisiens et des scribes
qui dans l’ancienne loi convertissent les autres à la circoncision :
ceux-ci pèchent doublement, parce qu’ils quittent la loi du Christ et parce
qu’ils veulent être circoncis.
Tu diras : Il est bon de prêcher aux
enfants pour qu’ils quittent le siècle et viennent au Christ dans la vie
religieuse, mais il n’est pas bon de les attirer ou allécher par des bénéfices
temporels, puisque le Canon dit qu’il ne faut pas attirer les juifs à la foi
par des menaces, des terreurs et des bénéfices.
Mais le Canon ne dit pas de ne pas les
allécher par des caresses. Il y a deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau. Dans
l’Ancien Testament, Dieu promettait des promesses temporelles, promises aux
tout-petits qui sont alléchés par les bienfaits. «Si vous voulez bien»,
dit-il, «et si vous m’écoutez, vous mangerez les biens de la terre».
Pourtant certains dans le peuple furent spirituels, comme David qui adhérait à
Dieu pour lui-même, c’est pourquoi il disait : «Il est bon pour moi
d’adhérer à Dieu etc.». Et aussi : «J’ai demandé une seule chose au
Seigneur, je la réclamerai etc.». De même dans le Nouveau Testament, certains
sont parfaits qui ne veulent pas être alléchés par les choses temporelles,
d’autres sont des hommes imparfaits qu’il faut allécher aussi par les choses
temporelles, c’est pourquoi on fait des distributions dans l’Eglise pour qu’ils
soient conduits par la main à venir aux offices. Même s’ils n’y vont pas à
cause de cela, ils sont rendus plus amicaux et viennent plus volontiers.
Tu diras : Il est permis d’attirer les
enfants à la religion, mais pas de les engager.
Pourquoi pas?
Tu diras : Parce que beaucoup d’engagés
font demi-tour.
Je dirai ce que dit l’Apôtre : «Est-ce
que leur incrédulité anéantira la foi?» (Romains 11, 20).
Sous-entendu : non! Si quelqu’un s’est détourné de la vie religieuse, les
autres n’en doivent pas moins s’engager à la vie religieuse. Le Christ a appelé
beaucoup de disciples, et beaucoup ont reculé. Philippe a appelé Simon, le
mage, mais celui-ci a reculé.
Il y a deux filets : un où certains sont
traînés à la vie éternelle, et dont il est parlé en Jean 21, 11 : «Le
filet était plein de gros poissons»; un autre où certains sont traînés à la
vie religieuse et en celui-ci sont traînés des bons et des méchants, des prévus
et des prédestinés. Sur celui-ci il y a un endroit qui dit dans
l’Evangile : «Le royaume des cieux est semblable à un filet qu’on jette
dans la mer et qui rassemble des poissons de toute espèce etc.». (Matthieu
13, 47)
Tu diras : Beaucoup sont entrés, sont
sortis, sont restés dans le monde et ont été de bons évêques et de bons
archidiacres.
Quelqu’un ne peut être un bon évêque s’il
n’accomplit pas un vœu qu’il a fait. Un évêque des Cévennes avait fait vœu
d’entrer en religion, et le pape dit : «Il ne peut avoir bonne conscience
s’il ne renonce à l’épiscopat et n’entre en religion».
Donc il est permis qu’un prédicateur appelle
des enfants, les attire et les engage dans la vie religieuse.
Pour la semence et la sortie du semeur, c’est
clair.
Troisième partie : (Les semailles)
Restent à voir les semailles
elles-mêmes, sur lesquelles il y a deux choses à dire :
1° les obstacles aux semailles,
2° le fruit des semailles.
1° Pour le premier point, il faut noter qu’il
y a trois obstacles aux semailles de la part de ceux à qui on sème :
1) la disposition vaniteuse,
2) la dureté du cœur,
3) la concupiscence ou l’avidité.
1) Le premier obstacle aux semailles,
disais-je, est la disposition vaniteuse. Certains ont le cœur si vain et si
prêt à pécher que dès qu’un péché leur est suggéré, ils y consentent; c’est
d’eux que (parle) le Psaume 4, 3 : «Fils d’hommes, jusqu’où
s’alourdiront vos cœurs, (pourquoi ce goût du rien, cette course au mensonge)?».
Et comme ils sont vains et mondains, parce qu’ils promettent ce qu’ils ne
peuvent résoudre, de tels hommes offrent à tout péché leur cœur facile à
séduire, et sont représentés par la route où la semence ne fructifie pas. Isaïe
51, 23 : «Tu as fait de ton corps une terre, comme une route pour ceux
qui passent». Sur cette route, la semence ne peut fructifier ni grandir,
d’où en Ezéchiel 33, 31(-32) : «Ils écoutent tes paroles et ne les
mettent pas en pratique, car ils les tournent en chansons de leur bouche», ils
disent : ‘Celui-ci parle bien, celui-là mal’, «et leur cœur suit
la cupidité, et tu es pour eux comme un poème en musique, chanté avec des sons
doux et agréables, et ils écoutent tes paroles et ne les mettent pas en
pratique.»
Il y a un double danger quand la semence est
semée au bord de la route : elle est piétinée, et elle est mangée par les
oiseaux. Ainsi la semence de la parole de Dieu est piétinée par les mauvais
exemples des compagnons, et mangée par les mauvaises suggestions des démons, et
ainsi le fruit est perdu. C’est pourquoi il est dit dans le Psaume 88,
42 : «Tous les passants du chemin l’ont pillé etc.».
2) Le deuxième obstacle est que la semence ne
fructifie pas quand elle est semée sur la pierre. Les pierres sont choses
dures, compactes, qui sont contenues dans leurs propres limites. Qui n’a
d’amour que pour soi-même a le cœur dur, et «son cœur demeurera dur jusqu’à
la fin». Si elle est semée dans un lieu dur, la graine ne fait pas de racines
profondes. Ainsi certains prennent une bonne résolution, mais ils ont le cœur
dur et donc elle ne dure pas longtemps. C’est pourquoi l’Apôtre [dit] :
«Mais toi, à cause de ta dureté et de ton cœur impénitent, tu thésaurises
pour toi la colère au jour de la révélation du juste juge».
3) Le troisième obstacle qui ne permet pas à
la semence de fructifier, est la concupiscence ou l’avidité. L’homme entend la
parole de Dieu, la met dans son cœur, envoie de profondes racines. Survient la
concupiscence, ou l’avidité de posséder une chose : elle met par terre
tout ce que l’homme avait pensé de bien. Ceux-là sèment dans les ronces. C’est
contre eux que parle le Seigneur en Jérémie 4, 3 : «Défrichez-vous une
jachère et ne semez pas dans les ronces». Ceux qui veulent semer enlèvent
les ronces, et toi, tu dois enlever toute concupiscence ou avidité, comme
l’Apôtre qui dit : «Je châtie mon corps et je le réduis en esclavage». Les
passions de l’âme sont appelées «ronces», parce que de même que les
ronces déchirent le corps, de même les passions de l’avidité déchirent l’âme.
Dans la Genèse 3, 17s il est dit : «Maudite soit la terre à cause de
toi! (…) elle produira pour toi épines et chardons». C’est à cause du péché
de notre premier père.
Voilà donc les obstacles à la fructification
de la semence.
2° Il arrive aussi que la terre où on sème
soit bonne, et alors elle rend un triple fruit : trente pour un, soixante
pour un, cent pour un.
Quand rend-elle cent pour un? Je dis que quand
les hommes entendent la parole de Dieu, elle produit un triple fruit.
En effet certains se convertissent, de sorte
qu’ils obtiennent le fruit qui est le strict nécessaire, c’est le fruit de
trente pour un. Le nombre trente vient de trois fois dix. Tu as la foi en la
Trinité, dans les dix commandements de la loi, Matthieu 19, 17 : «Si tu
veux entrer dans la vie, observe les commandements». Ainsi tu as obtenu
trente pour un. Et le Seigneur, pour montrer que le fruit de trente pour un
était nécessaire au salut, voulut être baptisé dans sa trentième année et là,
la Trinité tout entière apparut, le Père dans la voix, le Fils dans la chair,
l’Esprit Saint sous la forme de la colombe, comme il est dit en Luc 3, 21 s.
D’autres vont plus loin et se tournent vers
l’état suprême de perfection par la voie de la pénitence après avoir commis des
péchés, et ils produisent soixante pour un. Le nombre soixante vient de six
fois dix. Six est un nombre parfait. Au nombre dix des commandements, il faut
ajouter le nombre six des conseils, et alors tu as produit soixante pour un.
Il est vrai qu’il y a plus encore :
certains produisent un fruit plus grand. Ils se convertissent à l’état de
perfection non seulement par la voie de la pénitence mais par la voie de
l’innocence et produisent le centuple. Les calculateurs savent que jusqu’à cent
ils comptent avec la main gauche, mais ils comptent cent avec la main droite.
Par la gauche on entend les choses temporelles, par la droite les spirituelles.
C’est pourquoi on dit que ceux qui sont à droite connaissent seulement les choses
spirituelles et rien de ce qui est temporel, et ils produisent le centuple. On
lit qu’»Isaac sema cette année-là dans cette terre-là et récolta le
centuple», Genèse 26, 12. Matthieu 13, 8 dit : «Ainsi ils portent
du fruit à 30 pour un» (Glose interlinéaire : «La foi en la Trinité
dans le cœur des élus»), «et à 60 pour un» (Glose
interlinéaire : «La perfection d’ une bonne œuvre, car en six jours les
ornements du monde furent achevés»), «et à cent pour un», la
bénédiction perpétuelle, car à cent on passe de la main gauche à la main
droite quand on compte avec les doigts. Matthieu 13 est aussi commenté ainsi
dans la Glose : «trente se rapporte au mariage, soixante aux veuves,
cent qui est désormais à droite, et la droite (se rapporte) à la virginité». Et
plus loin : «Ou bien la bonne terre produit du fruit au centuple :
les martyrs, soit par le dégoût de la vie soit par le mépris de la mort; et à
soixante pour un : les vierges, à cause de la tranquillité du chemin»,
car elles ne combattent pas l’accoutumance de la chair, en effet le repos après
la bataille est habituellement accordé aux sexagénaires; trente pour un :
les gens mariés, car c’est l’âge des combattants et c’est là qu’ils ont à
soutenir la plus grande lutte pour ne pas être dominés par la concupiscence.
Les conseils ne sont pas donnés pour faire
obstacle aux commandements, or c’est un commandement que tu ne te parjures pas,
donc celui qui te conseille de ne pas jurer, fait que tu t’éloignes du parjure.
Et pareil pour les autres. Ainsi les conseils sont des ruses pour garder les
commandements. Donc celui qui en état d’innocence poursuit l’état de
perfection, porte du fruit au centuple. C’est pourquoi dans l’Evangile de
Matthieu 19, 29 : «Celui qui quittera père ou mère etc., recevra le centuple»,
c’est-à-dire possédera tout un tas de biens spirituels dans le présent, et dans
le futur la vie éternelle, à laquelle il veuille nous conduire. Etc.
(Traduite
par Marie-Louise Évrard, 2004)
Première partie
[La richesse de
l’Écriture Sainte]
Selon Augustin (La Doctrine Chrétienne, IV), l’homme instruit «doit s’exprimer de manière à enseigner, à
charmer, à émouvoir» : à enseigner les ignorants, à charmer
ceux qui s’ennuient, à convaincre les paresseux. Ces trois fonctions, le
langage de l’Écriture Sainte les remplit de la manière la plus complète.
En effet, elle enseigne de manière sûre
les réalités éternelles par sa vérité, Psaume 119[118], 89 : Ta
parole, Seigneur, demeure pour l’éternité. Elle charme avec douceur par son
utilité, Psaume 55[54], 22 : Combien douce ton éloquence en ma gorge! Elle
convainc de manière efficace par son autorité, Jérémie 23, 29 : Est-ce
que mes paroles ne sont pas comme le feu, dit le Seigneur? Et c’est
pourquoi l’Écriture Sainte, dans le passage mentionné, se recommande par trois
raisons : d’abord, par l’autorité avec laquelle elle touche, quand elle
dit : Voici le livre des commandements de Dieu; deuxièmement, par la vérité éternelle
avec laquelle elle instruit, quand elle dit : Et c’est une loi qui est faite
pour l’éternité; troisièmement,
par l’utilité avec laquelle elle attire, quand elle dit : Tous ceux qui
la possèdent parviennent à la vie.
Or, l’autorité de cette Écriture se
montre efficace pour trois raisons. D’abord, par son origine, parce que son
origine est Dieu. Il dit ainsi : [Voici
le livre] des commandements de Dieu. Baruch
3, 32 : Celui-ci a trouvé toute
voie de la connaissance; Hébreux
2, 3 : Ce qu’il avait entendu
raconter par le Seigneur a été confirmé pour nous par ceux qui l’ont entendu.
Il faut croire sans se tromper Celui qui en est l’auteur, d’une part, en raison
de la condition de sa nature, car il est la Vérité, Jean 14, 6 : Je
suis le chemin, la vérité et la vie; d’autre part, en raison de la
plénitude de [sa] connaissance, Romains 11, 33 : Ô abîme de la richesse, de la
sagesse et de la science de Dieu!; enfin, en raison de la puissance des paroles, Hébreux 4, 12 :
Vivante est la parole de Dieu et efficace et plus incisive qu’aucun glaive à
deux tranchants.
En deuxième
lieu, elle se montre efficace en raison de la nécessité qu’elle impose, Marc
16, 16 : Celui qui ne croira pas sera condamné, etc.
La vérité de l’Écriture Sainte est donc proposée par mode de commandement. [L’auteur]
dit ainsi : [Le livre] des commandements
de Dieu. Assurément, ces commandements
régissent l’intelligence par la foi, Jean 14, 1 : Croyez en Dieu,
croyez aussi en moi; ils façonnent
les sentiments par l’amour, Jean 15, 12 : Voici mon commandement,
que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés, ce qui
nous pousse à l’action et à l’exécution : Fais cela et tu vivras!
En troisième lieu, elle se montre
efficace en raison de l’unité des paroles, parce que tous ceux qui ont transmis
la doctrine sainte ont enseigné la même chose, 1 Corinthiens 15, 1 :
Soit
moi-même, soit ceux-là, nous avons prêché ainsi, et ainsi vous avez cru.
Et cela nécessairement, parce que tous ont eu un seul maître, Matthieu 23, 8 :
Unique est votre maître. Ils ont eu un seul Esprit, 2 Corinthiens 12, 18 :
Ne sommes-nous pas poussés par le même Esprit? De plus, [ils ont eu] un
seul cœur, Actes 4, 32 : La multitude des croyants n’avaient
qu’une seule âme et un seul cœur en Dieu. Et ainsi, en signe d’unité de l’enseignement,
il est dit au singulier : Voici le Livre! La vérité de cette doctrine
de l’Écriture est immuable et éternelle. D’où il découle : Et cette loi
est pour l’éternité. Luc 21, 33 : Le ciel et la terre
passeront, mais mes paroles ne passeront pas.
Cette loi demeure pour l’éternité pour
trois raisons : premièrement, en raison du pouvoir du législateur, Isaïe
14, 24 : Le Dieu des armées a décrété et qui pourra l’annuler? En
deuxième lieu, en raison de son caractère immuable, Malachie 3, 6 : Moi,
je suis Dieu et je ne change pas. Nombres 23, 19 : Le Seigneur
n’est pas comme l’homme pour qu’il mente, ni un fils d’homme pour qu’il se rétracte.
En troisième lieu, en raison de la vérité de la loi, Psaume 119[118], 86 :
Tous les commandements sont vérité. Proverbes 12, 19 : La
langue sincère est affermie pour toujours. 3 Esdras 4 : La
vérité demeure et s’affermit pour l’éternité.
Or, cette Écriture est de la plus grande utilité,
Isaïe 48, 17 : Moi, je suis le Seigneur qui t’enseigne ce qui
t’est salutaire. Conséquence : Tous ceux qui la détiennent parviendront
à la vie. Et ceci pour une triple raison. La première est la vie de la
grâce à laquelle dispose la Sainte Écriture, Jean 6, 63 : Les
paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. Par cette vie, en effet,
vit l’Esprit de Dieu, Galates 2, 20 : Ce n’est pas moi qui vis,
c’est le Christ qui vit en moi. La deuxième est la vie de justice qui
consiste dans les œuvres, vers laquelle mène l’Écriture Sainte, Psaume 119, 93 :
Je n’oublierai pas tes justifications dans l’éternité, parce que tu m’as
vivifié en elles. La troisième est la vie de la gloire que promet l’Écriture
Sainte et vers laquelle elle conduit, Jean 6, 68 : Seigneur, à qui
irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle. Du même, 20, 30 :
J’ai écrit ceci afin que vous croyiez et pour qu’en croyant, vous ayez la
vie en son nom.
Deuxième partie
[Les parties de
l’Écriture Sainte]
Par ailleurs, l’Écriture Sainte nous
emmène vers cette vie d’une double manière : en ordonnant et en aidant. En
ordonnant, à travers les commandements qu’elle propose, ce qui se rapporte à
l’Ancien Testament, Siracide 24, 23 : Moïse nous a confié la loi.
En aidant, par le don de la grâce que le législateur octroie avec largesse, ce
qui se rapporte au Nouveau Testament, Jean 1, 17 : La loi a été
donnée par l’intermédiaire de Moïse, la grâce et la vérité sont le fait de
Jésus, le Christ.
Ainsi, toute l’Écriture est
principalement divisée en deux parties, c’est-à-dire en Ancien et Nouveau
Testament. Ces deux divisions sont abordées en Matthieu 13, 52 : Tout
scribe devenu disciple du Royaume des Cieux est semblable à un propriétaire qui
tire de son trésor du neuf et du vieux. Et Cantique 7 : Tous les
fruits, les neufs et les vieux, mon bien-aimé, je les ai gardés pour toi.
Or, l’Ancien Testament se divise en
fonction de la doctrine des commandements. En effet, il existe un double
commandement : un qui oblige et un autre qui avertit. Le commandement qui
oblige est le commandement du roi qui peut punir les contrevenants, Proverbes
20, 2 : Comme le rugissement du lion, ainsi est la crainte du roi.
Mais le commandement qui avertit est celui du père qui doit instruire, Siracide
7, 23 : Qui sont tes fils? Instruis-les. Le commandement du roi est double :
l’un, par lequel il établit la loi ; l’autre, par lequel il pousse à
l’observance de la loi établie, qu’il avait coutume de promulguer par ses
hérauts et ses messagers. Et ainsi, on distingue trois commandements :
ceux du roi, du héraut et du père.
Et l’Ancien Testament se
divise en trois parties selon ces trois (commandements), selon ce que dit
Jérôme dans le prologue du livre des Rois. La première
partie est contenue dans la loi, qui est comme le commandement proposé par le
roi lui-même, Isaïe 33, 22 : Le Seigneur est notre roi, le
Seigneur est notre législateur. La deuxième est contenue dans les prophètes
qui furent comme les messagers et les hérauts de Dieu, parlant au peuple de
Dieu au nom de Dieu, et le poussant à l’observance de la loi, Aggée 1, 13 :
Aggée, prophète du Seigneur, parle! La troisième partie est contenue
dans les hagiographes, qui, inspirés par l’Esprit Saint, ne parlent cependant pas
au nom du Seigneur, mais comme d’eux-mêmes. C’est pourquoi ils sont appelés hagiographes
en tant qu’écrivains sacrés, ou en tant qu’ils écrivent des choses sacrées, selon
le sens d’agios, sacré, et graphia, écriture. Et ainsi, les
commandements qui y sont contenus ont un caractère pour ainsi dire paternel, comme
il apparaît dans Proverbes 6, 20 : Mon fils, observe les
commandements de ton père, etc.
Cependant, Jérôme établit une quatrième
sorte de livres, c’est-à-dire les apocryphes : le mot vient de apo, qui veut dire «très», et cryphon, qui veut dire «obscur», parce
qu’on doute du contenu ou des auteurs. Or, l’Église catholique a reçu certains
livres au nombre des Saintes Écritures, au sujet desquels on a des doutes sur
le contenu, mais non sur les auteurs. Non pas qu’on ignorerait qui furent les
auteurs de ces livres, mais parce que ces hommes ne furent pas d’une autorité reconnue.
C’est pourquoi ils ne tiennent pas leur force de l’autorité des auteurs, mais
plutôt de leur réception par l’Église. Cependant, puisque le même mode de
langage s’observe chez eux et chez les hagiographes, c’est la raison pour
laquelle ils sont pris en compte en même temps qu’eux pour le moment.
Par ailleurs, la première partie, qui
comprend la loi, se divise en deux parties, selon que la loi est double : publique
et privée. La loi privée est celle qu’on impose à l’observance d’une personne
ou d’une famille. Et pareille loi est contenue dans la Genèse, ainsi qu’il
apparaît par le premier commandement donné à l’homme, Genèse 2, 17 : Tu
ne mangeras pas du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal. Et à Noé,
Genèse 9, 4 : Vous ne mangerez pas la viande avec le sang, et
à Abraham, Genèse 17, 9 : Tu observeras mon alliance, toi et ta
race après toi, de génération en génération. Par contre, la loi publique
est celle qui est donnée au peuple. En effet, la loi divine a été confiée au
peuple des Juifs par un intermédiaire, parce que le peuple n’était pas capable
de la recevoir directement de Dieu, Deutéronome 5, 5 : Moi, je fus
votre médiateur entre vous et le Seigneur; Galates 3, 19 : La
loi est édictée par le ministère des anges et l’entremise d’un médiateur. Et
ainsi, on remarque un double degré dans la législation. Le premier par lequel
la loi parvient du Seigneur au médiateur, et cela concerne trois livres, à
savoir : l’Exode, le Lévitique et les Nombres. C’est pourquoi, on dit
fréquemment dans ces livres : Dieu
parla ainsi à Moïse, etc. Le second degré est celui par lequel la loi
est exposée au peuple par un médiateur, et cela se rapporte au Deutéronome,
comme cela est clair par le fait qu’au début de celui-ci, il est dit : Moïse
parla, etc. Mais les trois livres mentionnés se distinguent selon
trois éléments en fonction desquels le peuple devait être organisé : premièrement,
selon les commandements pour ce qui concernait l’équité du jugement, et cela est
fait dans l’Exode; en deuxième lieu, selon les sacrements pour ce qui
concernait l’administration de la chose publique, et cela est fait dans le
livre des Nombres.
Par ailleurs, la deuxième partie, qui
est celle des prophètes, se divise en deux parties, en fonction des deux choses
qu’un messager doit faire. En effet, il doit d’abord exposer le bienfait (accordé)
par le roi, afin que les hommes soient incités à obéir, et il doit proposer
l’énoncé de la loi. Les prophètes ont exposé au peuple un triple bienfait
divin : d’abord, l’acquisition de l’héritage, et cela se trouve dans Josué,
dont il est dit en Siracide 46, 1 : Josué était courageux à la
guerre; en deuxième lieu, la destruction des ennemis, et cela se trouve dans
le livre des Juges, destruction dont il est question dans le Psaume 83, 10 :
Qu’il leur arrive comme à Madiane et à Sisara; en troisième lieu,
l’élévation du peuple, laquelle est double : privée, celle d’une personne,
et il est question de cela dans Ruth ; et publique, celle de tout le
peuple, allant jusqu’à la dignité royale, et il est question de cela dans le
livre des Rois, (bienfait) à propos duquel des reproches leur sont faits dans Ezéchiel
16, 14 : Tu es devenue remarquablement belle. Ainsi, selon Jérôme, ces livres
prennent place au rang des prophètes. Dans les autres livres communémant
attribués à des prophètes, les prophètes ont établi les préceptes divins en vue
de l’observance de la loi. Et cela se fait d’abord d’une manière
générale : c’est le cas des prophètes majeurs, qui étaient envoyés à tout
le peuple et incitaient à l’observance de toute la loi; et d’une manière
particulière, et c’est le cas des prophètes mineurs, qui étaient envoyés pour
des raisons diverses auprès de groupes particuliers, comme Osée vers les dix
tribus, Joël vers les aînés d’Israël, Jonas aux Ninivites et ainsi des autres. Or,
les prophètes majeurs se divisent selon les éléments par lesquels ils ont
poussé le peuple à observer la loi, à savoir, par l’adulation en faisant
miroiter les bienfaits; par la crainte, sous la menace des châtiments; par
l’accusation, sous le reproche des péchés. Bien que ces trois éléments se
retrouvent chez chacun des prophètes, cependant, c’est Isaïe qui,
principalement fait jouer la flatterie, [qu’on retrouve l’adulation]; on dit de
celui-ci : Sir 48, 18 : Il a consolé ceux qui pleuraient dans
Sion. Jérémie, par contre, pratique la menace; c’est pourquoi il est
dit : Par son zèle, il a fait disparaître des troupes d’hommes
belliqueux, Jérémie 3§, 29. Mais Ézéchiel accuse et fait des reproches,
Ezéchiel 16, 3 : Ton père est amorite et ta mère, hittite.
Pourtant, on peut faire une autre
distinction en disant qu’Isaïe annonce principalement le mystère de
l’Incarnation : c’est pourquoi on le lit dans l’Église pendant le temps de
l’Avent. Jérémie, lui, (annonce) le mystère de la Passion : c’est pourquoi
on le lit pendant le temps de la Passion. Ezéchiel (annonce) le mystère de la
Résurrection : c’est pourquoi son livre se termine par la résurrection des
corps et le rétablissement du temple. Quant à Daniel, compté au nombre des prophètes
du fait qu’il a prédit des choses à venir par un esprit prophétique, bien qu’il
n’ait pas parlé au peuple au nom du Seigneur, il s’attache à la divinité du
Christ, de sorte que les quatre (grands) prophètes correspondent aux quatre évangélistes,
ou encore à la convocation au jugement.
La troisième partie, qui contient les hagiographes
et les livres apocryphes, se divise en deux parties, en fonction des deux
éléments par lesquels les pères éduquent leurs fils à la vertu : la parole
et l’action, car, dans le domaine moral, les exemples ne valent pas moins que
les paroles. Mais certains éduquent par l’action seulement; d’autres, par la
seule parole; d’autres, enfin, par la parole et par l’action.
(Ceux qui éduquent par) l’action le
font de deux façons. (Premièrement), en instruisant sur le futur par prudence,
et c’est le cas de Josué, que Jérôme place parmi les hagiographes. En effet,
bien qu’il ait été prophète en vertu du don de prophétie, il ne le fut
cependant pas par sa fonction, car il n’a pas été envoyé par le Seigneur afin
de prophétiser pour le peuple. On peut donc ainsi comprendre ce qui est écrit
en Sagesse 8, 8 : Il connaît les signes et les prodiges avant
qu’ils n’arrivent. D’une autre
façon, en racontant les actes de vertu passés pour l’exemple. Or, les
vertus principales sont au nombre de quatre. (La première est) la justice, qui
porte sur le bien commun, dont l’exemple est donné dans les Paralipomènes
(Chroniques), où est décrite la constitution de tout le peuple qui est dirigé
selon la justice. La deuxième est la tempérance, dont l’exemple est donné en Judith ;
ainsi, Jérôme (écrit) : «Prenez comme exemple de chasteté la veuve Judith.» Judith 15, 10 : Tu
as agi comme un homme par le fait que tu as aimé la chasteté. La troisième
est la force, à laquelle deux choses conviennent : attaquer, et on en trouve
l’exemple dans le livre des Macchabées; et supporter, et on trouve un exemple
dans Tobie : Le Seigneur a permis que cette épreuve lui arrive afin qu’un
exemple de sa patience soit donné à la postérité. La quatrième est la prudence,
à qui il appartient de faire face aux embûches, et on peut en trouver un
exemple chez Esdras. En effet, dans ce livre, il est montré comment Esdras,
Néhémie et d’autres chefs ont prudemment évité les embûches des ennemis qui
voulaient empêcher la construction du temple et de la cité. Il est aussi du
ressort de la prudence de repousser sagement les violences, et de cela on donne
un exemple dans le livre d’Esther, où on montre comment Mardochée et Esther ont
évité les ruses du très puissant Aman.
Par ailleurs, les hagiographes et les
apocryphes, qui instruisent seulement par la parole, se distinguent selon que la
parole opère doublement pour instruire. D’une manière, en demandant le don de
la sagesse, Sagesse 7, 7 : J’ai prié et la sagesse m’a été donnée,
j’ai supplié et l’esprit de sagesse est venu en moi. Et le Psautier apporte
son aide pour instruire en s’adressant à Dieu sous forme de prière. D’une seconde
façon, en enseignant la sagesse, et cela, doublement, suivant la double action
du sage. L’une est de pouvoir débusquer le menteur; et, sur ce point, il y a le
livre de Job, qui évite les erreurs par la dispute, Job 13, 3‑4 :
Je désire répliquer à Dieu avant de vous montrer que vous êtes des
fabricants de mensonges et défenseurs de propos perfides. L’autre action (du
sage) consiste à ne pas mentir sur ce qu’il connaît; et ainsi, nous sommes
doublement instruits : soit parce que la Sagesse nous est recommandée, et
ceci dans le Livre de la Sagesse; soit que les préceptes de la Sagesse (nous)
soient proposés, et ceci dans les trois livres de Salomon, qui se divisent
selon les trois degrés de vertus que distingue Plotin, puisque les conseils de
la sagesse ne doivent porter que sur les actes des vertus. Au premier degré,
selon lui, il y a les vertus politiques, par lesquelles l’homme utilise les
choses du monde et se comporte à l’égard des hommes avec modération, et on a
ainsi le livre des Proverbes. Au second degré, il y a les vertus qui purifient,
par lesquelles l’homme se dépouille des choses du monde par le mépris, et on a
ainsi l’Ecclésiaste, qui est ordonné au mépris du monde, comme cela est clair
dans le prologue de Jérôme. Au troisième degré, se trouvent les vertus de
l’esprit purifié, par lesquelles l’homme, après avoir complètement foulé aux
pieds les soucis du siècle, se délecte dans la seule contemplation de la sagesse,
et, sur ce point, il y a le Cantique. Au quatrième degré, se trouvent les
vertus exemplaires qui existent en Dieu, au sujet desquelles ne sont pas donnés
de préceptes de la sagesse, mais ceux-ci découlent plutôt de celles-là. Mais le
Siracide instruit en paroles et en actes. C’est pourquoi celui qui a proposé
des préceptes de la sagesse a conclu son livre en louange les pères, comme cela
est clair aux chapitres 44 et suivants.
Par ailleurs, le Nouveau Testament qui ordonne
à la vie éternelle, non seulement par ses préceptes, mais par les dons de la
grâce, se divise en trois parties. Dans la première, il s’agit de l’origine de
la grâce, et cela, dans les évangiles. Dans la deuxième, (il s’agit) de la puissance
de la grâce, et cela, dans les épîtres de Paul. Ainsi, il commence en parlant
de la puissance de l’évagile : Il est puissance de Dieu pour le salut
de tout croyant (Romains 1, 16). Dans la troisième partie, il s’agit
de la mise en œuvre de la puissance annoncée, et cela, dans les autres livres
du Nouveau Testament.
Or, le Christ est l’origine de la
grâce, Jean 1, 16 : Oui, de sa plénitude, nous avons tous reçu, et
grâce pour grâce. Car la loi fut donnée par l’intermédiaire de Moïse, la grâce
et la vérité sont venues par Jésus, le Christ. Mais, dans le Christ, il faut considérer considérer sa double nature :
divine, et ceci se trouve principalement dans l’évangile de Jean, où nous lisons
au début (1, 1) : Au commencement était le Verbe et le Verbe était
auprès de Dieu et le Verbe était Dieu ; et humaine, et de ceci
traitent principalement les autres évangélistes qui se distinguent selon trois
dignités qui conviennent au Christ en tant qu’homme. En effet, Matthieu le présente
selon sa dignité royale; c’est pourquoi, au début de son évangile, il le montre
issu de rois selon la chair et, de plus, adoré par des rois. Marc le présente
selon sa dignité de prophète; c’est ainsi qu’il commence l’évangile par sa
prédication. Luc le présente selon sa dignité sacerdotale; c’est pourquoi il
commence par le Temple et le sacerdoce, et il termine l’évangile au Temple et
parle souvent du Temple, comme le dit une glose sur Luc 2, 46 : Ils le trouvèrent au Temple, assis au milieu
des docteurs. Ou bien, d’une autre manière, on peut dire que Matthieu présente
le Christ principalement par rapport au mystère de l’incarnation ; c’est
pourquoi (Matthieu) est décrit sous la figure d’un homme. Luc (le présente) par
rapport au mystère de la passion; c’est pourquoi (Luc) est décrit sous la
figure d’un bœuf, qui est l’animal qu’on immole. Marc, quant à lui, le présente
par rapport à la victoire de la résurrection; et c’est pourquoi (Marc) est
décrit sous la figure d’un lion. Mais Jean, qui s’élève jusqu’aux hauteurs divines,
est décrit par un aigle.
La mise en œuvre de la puissance de la
grâce se manifeste dans l’avancée de l’Église, dans laquelle il faut considérer
trois aspects. Premièrement, le commencement de l’Église, et il est question de
cela dans les Actes des Apôtres; ainsi Jérôme (écrit-il) : «Les Actes des Apôtres semblent faire
résonner l’histoire dépouillée et retracer l’enfance de l’Eglise en train de
naître.» En deuxième lieu, le progrès de l’Église, et à cela est
consacrée l’instruction apostolique dans les lettres canoniques. En troisième
lieu, la fin de l’Église, par quoi l’Apocalypse conclut tout le contenu de
toute l’Écriture Sainte, jusqu’à ce que l’Épouse partage la couche du Christ
Jésus pour une vie de gloire, à laquelle veuille nous conduire le Christ Jésus
lui-même, béni dans les siècles des siècles. Amen.
Deuxième leçon inaugurale
à l’année universitaire[25]
(Traduction par les pères Thomas Pègues et Maquart, o.p.,
1924)
Arrosant les montagnes depuis ses
hauteurs : du fruit de tes oeuvres la terre sera rassasiée
(Psaume 103[102], 13).
Le roi
des cieux et Seigneur a institué de toute éternité cette loi selon laquelle les
dons de sa providence parviendraient jusqu’aux êtres inférieurs par des
intermédiaires. Voilà pourquoi Denys, au cinquième chapitre de son ouvrage traitant
de la Hiérarchie ecclésiastique, dit «que la très sainte loi de la Théarchie [gouvernement
divin] établit que les créatures inférieures soient amenées à sa propre lumière
divine par l’intermédiaire des créatures supérieures». Cette loi se
vérifie non seulement chez les êtres spirituels, mais aussi dans le monde
matériel. Aussi Augustin écrit-il dans son livre Sur la Trinité : «De
même que les corps les moins parfaits et les plus faibles sont régis d'après un
certain ordre par les corps les plus perfectionnés et les plus forts, ainsi
tous les corps demeurent-ils sous la domination des esprits.» Et c’est
pourquoi le Seigneur a exposé dans ce psaume le jeu de cette loi dans la
communication de la sagesse spirituelle, sous cette métaphore empruntée au
monde sensible (Psaume 103[102], 13) : Arrosant les montagnes depuis ses hauteurs : du fruit de tes œuvres
la terre sera rassasiée. Nous voyons en effet, de nos yeux corporels, les
pluies tomber du sein des nuées, arroser les montagnes et en faire jaillir les
fleuves qui fécondent la terre abreuvée. Pareillement, depuis les cimes de la
Sagesse divine, l'intelligence des docteurs est abreuvée; ces docteurs sont ici
signifiés par les montagnes : Arrosant les montagnes depuis ses hauteurs :
du fruit de tes oeuvres la terre sera rassasiée. C’est par leur ministère
que la lumière de la Sagesse divine descend jusqu'à l’intelligence de ses auditeurs.
Ainsi
donc, nous pouvons, dans le texte proposé, considérer quatre choses, à savoir :
d’abord, la hauteur de la doctrine spirituelle; deuxièmement, la dignité de ses
docteurs; troisièmement, la condition des auditeurs; et quatrièmement, l’économie
de sa communication.
[La hauteur de la doctrine spirituelle]
La
hauteur de cette doctrine est indiquée par ces mots (Psaume 103[102], 13) :
Depuis ses hauteurs, ou selon la Glose : «De ses secrets les plus
hauts.» Cette
hauteur, la doctrine sacrée la possède à trois titres différents.
D’abord
par son origine : elle est, en effet, cette Sagesse dont l’Écriture décrira
la provenance céleste : La Sagesse descend d'en haut, écrit l'apôtre
Jacques 3, 17; et selon Siracide 48, 5 : La source de la Sagesse
est le Verbe de Dieu, au plus haut des cieux.
Hauteur
ensuite, du fait de la subtilité de sa matière : Moi, j'ai habité sur
les plus hauts sommets. En effet, il y a de hautes vérités de la divine
Sagesse, auxquelles tous parviennent, quoique d’une manière imparfaite, parce
que «la connaissance de l'existence de
Dieu est naturellement inculquée à tous», comme le dit Jean Damascène;
et c’est d’elle que parle Job : Tous les hommes le voient, chacun n'a [de
lui] qu'une vision lointaine. D’autres [vérités], plus hautes, ne sont
accessibles qu’au génie des sages, guidés seulement par la raison. Ce sont
celles dont [l’Apôtre Paul] dit (Romains 1, 19) : Ce que l'on
connaît sur Dieu est manifeste pour eux. D’autres [vérités] enfin,
infiniment élevées, transcendent toute investigation de la raison humaine. Il
est écrit à ce propos dans Job 28, 21 : La sagesse est cachée aux
yeux de tous les vivants, et dans le Psaume 18[17], 12 : Il
a fait des ténèbres son lieu de retraite. Mais les saints docteurs, instruits
de ces hautes vérités par l’Esprit-Saint (1 Corinthiens 2, 10), qui scrute
même les profondeurs de Dieu, les ont livrées dans le texte de la Sainte
Écriture. Et telles sont ces vérités infiniment élevées dans lesquelles on dit
que la Sagesse a établi sa demeure.
Sublimité
enfin, à cause de sa fin, car cette doctrine possède la fin la plus haute, à
savoir la vie éternelle (Jean 20, 31) : Mais ceux-ci ont été
écrits, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et
qu'en croyant vous ayez la vie en son nom, écrit Jean l’évangéliste. Et l’Apôtre
Paul fait cette exhortation dans son épître aux Colossiens 3, 1 : Recherchez
les choses d'en haut, là où se trouve le Christ assis à la droite de Dieu;
goûtez les choses d'en haut, non celles de la terre.
[La dignité des docteurs]
En
raison de la hauteur de cette doctrine, la dignité est pareillement exigée chez
ses docteurs; voilà pourquoi ils sont signifiés par les montagnes dans ces mots
(Psaume 103[102], 13) :
Arrosant les montagnes. Et cette comparaison se justifie pour trois
raisons.
D’abord, à cause de la hauteur des
montagnes : car elles sont élevées au-dessus de la terre et voisinent avec
le ciel. Ainsi les saints docteurs, en méprisant les choses terrestres, n’aspirent
qu'aux seules réalités célestes (Philippiens 3, 20) : Pour nous,
notre cité est dans le ciel; aussi est-il écrit à propos du Docteur des
docteurs, c’est-à-dire au sujet du Christ (Isaïe 2, 2) : Il sera
élevé au-dessus de toutes les collines et toutes les nations accourront à lui.
En second, à cause de leur splendeur.
Car de même que les montagnes sont les premières à être éclairées par les
rayons du soleil, ainsi les saints docteurs sont-ils les premiers à recevoir la
lumière des esprits; comme les montagnes, ils sont les premiers illuminés par
les rayons de la divine Sagesse. Il est écrit dans un psaume : Toi, tu
lances des clartés merveilleuses des montagnes éternelles, tous les insensés de
coeur ont été jetés dans le trouble, c’est-à-dire par ces docteurs qui participent
à l'éclat de la lumière éternelle. Soyez sans tache au milieu d'une nation
dépravée et corrompue, parmi laquelle vous brillez comme des luminaires dans le
monde (Philippiens 2, 15).
Troisièmement enfin, à cause de la
défense que constituent les montagnes, parce que par les montagnes une terre est défendue
contre les ennemis. Ainsi en est-il des docteurs de l’Église qui doivent être
un rempart de la foi contre les erreurs. Les enfants d’Israël ne mettent pas
leur confiance dans les lances et les flèches, mais les montagnes les
défendent. Aussi Ézéchiel 13, 5 adresse-t-il ce reproche à certaines de ces
montagnes : Vous ne vous êtes pas élevées contre l'adversaire, et vous
ne vous êtes pas opposées comme un mur pour la maison d'Israël afin de tenir
ferme dans le combat au jour du Seigneur.
Tous les
docteurs de la Sainte Écriture doivent donc être élevés par l’éminence de leur
vie, afin d'être capables de prêcher avec efficacité, car au dire de Grégoire
le Grand dans le Pastoral : «Le mépris de la conduite d'un homme entraîne nécessairement celui de
sa prédication.» Les paroles des sages, dit l’Ecclésiaste, sont
comme des aiguillons et comme des clous enfoncés en profondeur. Or, le cœur
ne peut être stimulé ou transpercé par la crainte de Dieu que s’il s'attache à
une conduite élevée. Ils doivent être éclairés afin de remplir leur mission d’enseignement
avec compétence : C'est à moi, écrit l’Apôtre Paul aux Éphésiens 3, 8,
le moindre de tous les saints, qu’a été accordée cette grâce d'annoncer parmi
les nations les richesses insondables du Christ et de mettre en lumière aux
yeux de tous l’économie du mystère caché dès l'origine des siècles en Dieu.
Ils doivent être prémunis afin de réfuter les erreurs dans les controverses
(Luc 21, 15) : Moi, je vous donnerai une bouche et une sagesse à
laquelle tous vos adversaires ne pourront résister ni contredire. Et à
propos de ces trois fonctions, c’est-à-dire celles de prêcher, d’enseigner, et
de réfuter, il est écrit (2 Timothée 2, 24) : Qu'il soit
capable d'exhorter, pour ce qui concerne la prédication; selon la saine
doctrine, pour ce qui concerne l'enseignement; et de confondre ceux qui
la contredisent, pour ce qui concerne la controverse.
[La condition des auditeurs]
Puis la
condition des auditeurs est présentée sous l’image de la terre par ces mots
(Psaume 103[104], 13) : La
terre sera rassasiée. Et cela parce que la terre est dans une situation inférieure :
En haut le ciel, ici-bas la terre. Semblablement, parce qu'elle est
stable et ferme (Siracide 16, 27) : La terre est fondée pour
l'éternité. Pareillement, parce qu'elle est féconde (Genèse 1, 11) :
Que la terre fasse germer l'herbe verte qui porte la semence, et que les
arbres fruitiers portent du fruit chacun selon son espèce.
À la ressemblance
de la terre, les auditeurs doivent s’abaisser par l’humilité, car là
où est l'humilité, là est la sagesse (Sophonie 2, 3). Semblablement, ils doivent être fermes
par la rectitude du jugement (1 Corinthiens 14, 20) : Ne
soyez pas des petits enfants en fait de jugement. De même, ils doivent être
féconds afin de faire fructifier en eux les paroles de la Sagesse qu'ils ont reçues
(Luc 8, 15) : La semence qui tombe dans la bonne terre, ce sont
ceux qui, ayant écouté la parole dans un cœur bon et excellent, la retiennent
et portent du fruit par la patience. C’est pourquoi, en vue d'acquérir
cette sagesse par l'écoute de la parole, l'humilité est-elle requise en eux (Siracide
6, 33) : Si tu inclines ton oreille, dit l’Ecclésiastique,
tu recevras la doctrine, et si tu aimes à écouter, tu seras sage. Il faut
d'autre part la rectitude du jugement pour le discernement des choses
entendues. Il est écrit dans Job 12 11 : L'oreille ne
discerne-t-elle pas les paroles? Mais, dans la recherche de la vérité, il
faut la fécondité par laquelle le bon auditeur annonce une multiplicité de
choses à partir du peu de choses entendues (Proverbes 9, 9) : Donne
une occasion au sage, et il deviendra encore plus sage.
[L'économie de la communication de la
doctrine]
Enfin,
l'économie de la production de la doctrine est indiquée dans ce texte par trois
choses, à savoir, par l'économie de sa communication, par la quantité et la
qualité du don reçu.
Par
l'économie de sa communication : car l'intelligence des docteurs ne peut embrasser
tout ce que contient la Sagesse divine. C'est pourquoi le psalmiste ne dit pas
(Psaume 103[104], 13) : Déversant ses hauteurs sur les montagnes,
mais : Arrosant les montagnes depuis ses hauteurs. Et Job 26, 14
de dire à ce propos : Ce n'est là qu'une partie de ses œuvres; et si
nous n'avons entendu qu'un léger murmure de sa voix, qui pourra considérer le
tonnerre de sa grandeur? Pareillement, les docteurs ne répandent pas non
plus sur leurs auditeurs la totalité de ce qu'ils embrassent, comme il en fut
de l'Apôtre qui entendit des paroles mystérieuses dont il n'est pas permis à
un homme de parler (2 Corinthiens 12, 4). Aussi le psalmiste ne
dit-il pas : «Donnant le fruit des montagnes à la terre», mais : «rassasiant la terre de son fruit». Et
c'est ce que dit Grégoire dans ses Morales
sur Job, lorsqu'il commente ce verset 26, 8 : Il lie les eaux
dans ses nuées, afin qu'elles ne fondent pas sur la terre toutes ensemble.
Le docteur ne doit pas prêcher aux commençants tout ce qu'il sait, puisque
lui-même est incapable de connaître tout ce qui relève des mystères divins.
Notre
texte traite ensuite de l'économie de la doctrine quant à son mode
d'acquisition, car Dieu possède cette sagesse par nature. C'est pourquoi on dit
de ses
hauteurs qu'elles sont à lui, c'est-à-dire qu'elles lui sont
naturelles (Isaïe 11, 2) : En Dieu résident la science et la
force; c'est lui qui possède le conseil et l'intelligence. De cette
science, les docteurs reçoivent une participation abondante, voilà pourquoi le
texte dit qu'ils sont abreuvés depuis les hauteurs. Et il est écrit dans Siracide
24, 31 : J'arroserai les plantes de mon jardin, et je rassasierai
d'eau les fruits de mon parterre. Quant aux auditeurs, ils en reçoivent une
participation suffisante, et le rassasiement de la terre signifie cela (2 Maccabées
2, 8) : Je serai rassasié lorsque apparaîtra ta gloire.
Enfin,
une troisième considération a trait au pouvoir de communiquer la sagesse, parce
que Dieu la communique par sa vertu propre. Aussi le texte dit-il que c'est par
lui-même qu'il arrose les montagnes. Les docteurs, au contraire, ne
communiquent la sagesse que par leur ministère. C'est pourquoi le fruit des
montagnes n'est pas attribué à eux-mêmes mais aux œuvres divines. En effet, le
psalmiste dit 103[104], 13: Du fruit
de tes œuvres; l'Apôtre Paul écrit quant à lui (1 Corinthiens 3, 5) :
N'êtes-vous pas des hommes? Qu'est donc Apollos? Et qu'est donc Paul? Des
ministres de celui en qui vous avez cru. Mais qui est capable d'un tel
ministère? Dieu, en effet, exige de ses ministres qu'ils soient innocents
(Deutéronome 28, 9) : Celui qui marche dans une voie immaculée, celui-là
me servira; intelligents (Proverbes 14, 35) : Un ministre
intelligent est bien accueilli du roi; fervents (Hébreux 1 7) : Qui
fais de tes anges des esprits, et de tes ministres un feu brûlant; mais
aussi obéissants (Daniel 3 87) : Bénissez le Seigneur, vous, ses ministres,
qui faites sa volonté!
Mais
bien que personne n'ait l'aptitude suffisante pour remplir par lui-même et de lui-même
un tel ministère, cependant on peut l'espérer de Dieu (2 Corinthiens 3, 5) :
Non que nous soyons suffisants pour former aucune pensée par nous-mêmes,
comme venant de nous; mais notre suffisance vient de Dieu. On doit donc la
demander à Dieu selon cette parole de l'apôtre Jacques 1, 5 : Si
quelqu'un manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu, qui donne à tous en abondance
et ne reproche rien; et elle lui sera donnée. Prions le Christ de bien
vouloir nous l’accorder. Amen.
(Paris, 14 juillet 1269)
(Traduction
par Marie-Louise Évrard et Père Louis-Jacques Bataillon op, 2004)
Prologue
Méfiez-vous
des faux prophètes, qui viennent à vous, sous des vêtements de brebis; mais
au-dedans, ce sont des loups rapaces. C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez
(Matthieu 7, 15‑16).
L’Apôtre
atteste que deux éléments contraires se trouvent dans ces paroles : L’esprit
convoite contre la chair, dit-il, et la chair contre l’esprit (Galates 5, 17). Et pourtant il
arrive qu’il y ait péché du fait des deux : parfois le péché vient de la
faiblesse de la chair, parfois il vient de l’ignorance de l’esprit. Ainsi, l’Apôtre
[dit] aux Corinthiens (II, 7, 1) : Purifions-nous de toute
souillure de la chair et de l’esprit. Et comme le péché de la chair
provient de la faiblesse de la chair – ainsi (lisons-nous) en Matthieu
(26, 41) : L’esprit est prompt, mais la chair est faible
–, ainsi le péché de l’esprit provient-il de l’ignorance de
l’esprit, à savoir, lorsque l’esprit est abusé.
Et
ainsi, en ce dimanche, nous sommes mis en garde contre l’un et l’autre péché.
Contre le péché résultant de la faiblesse de la chair, nous sommes mis en garde
par ce que dit l’Apôtre dans l’épître : Nous sommes débiteurs envers la
chair, mais pas pour vivre selon la chair (Romains 8, 12). Contre le péché qui résulte d’une
tromperie de l’esprit, nous sommes mis en garde dans l’évangile, où il est
dit : Gardez-vous des faux prophètes, etc.
Prions
le Sauveur qui nous a voulus sur nos gardes par rapport à l’un et l’autre
péché ; que lui-même (me) donne de dire quelque chose à sa louange, etc.
Première partie
[Identifier l’ennemi]
Méfiez-vous
des faux prophètes, etc.
Il
relève de la fonction du bon chef de rendre ses soldats prudents contre des embûches.
Il est vrai que notre ennemi est perfide et rusé. Ainsi, dans le Siracide
11, 31 : Nombreuses sont les ruses de l’homme perfide.
Il siège au milieu des ruses avec les riches (Psaume 10, 8), c’est-à-dire avec les orgueilleux. Ces
ruses, l’Apôtre les explique (en 2 Corinthiens 11, 14), en disant que
Satan se déguise en ange de lumière et ses ministres, en ministres de justice.
À l’égard de ces ministres, Dieu nous rend prudents par les paroles proposées
dans lesquelles il nous enseigne quatre choses.
Premièrement, en effet, il nous apprend le
genre d’ennemis : Gardez-vous des faux prophètes. En
deuxième lieu, il nous renseigne sur la manière de tendre les embûches : Ceux
qui viennent à vous, déguisés en brebis. En troisième lieu, vient le
préjudice qui nous menace : Au-dedans, ce sont des loups rapaces. En
quatrième lieu, il nous apprend la manière de les reconnaître : Vous
les reconnaîtrez à leurs fruits.
Ces ennemis sont les faux prophètes,
et ils sont très dangereux, et ils doivent être évités pour cette raison, car
ils sont pour nous aussi dangereux que les bons anges nous sont nécessaires et
utiles. Ainsi, dans les Proverbes (11, 14) : Quand la prophétie fait
défaut, le peuple sera en déroute. Des faux prophètes, il est dit en
Jérémie (23, 15) : Venant des prophètes de Jérusalem, l’impiété
s’est répandue sur la terre.
Pour
savoir qui sont les faux prophètes, voyons d’abord ce qu'est la prophétie et comment il arrive d'êtrefaux
prophète.
Je
dis que quatre choses font partie de la prophétie.
La
première est la révélation divine; ainsi, en Amos (3, 7) : Le
Seigneur Dieu ne parle pas, si ce n’est pour révéler son secret à ses
prophètes.
Parfois, certaines choses sont
divinement révélées à une personne, mais celle-ci ne comprend pas, comme
lorsque Nabuchodonosor vit une statue (Daniel 2, 31) et lorsque quelque
chose fut révélé à Pharaon, quand il vit des épis et du bétail, mais il n’a pas
compris (Genèse 41, 5). Voilà pourquoi, en deuxième lieu, l’intelligence
est nécessaire. Ainsi, en Daniel (10, 1) : La parole fut révélée à Daniel
et il en comprit le sens. L’intelligence
est donc nécessaire au milieu des visions.
Si un homme avait une révélation
venant de Dieu et, alors qu’il la comprendrait, la gardait pour lui-même, elle
ne serait alors d’aucune utilité. Pour cette raison, en troisième lieu, il est
nécessaire que ce qui est ainsi révélé et qu’on comprend soit annoncé à un
autre. Isaïe (21, 10) : Ce que j’ai appris du Dieu des armées
d’Israël, je vous l’ai annoncé.
Certaines
choses qui dépassent l’entendement humain sont divinement révélées et annoncées,
mais les hommes ne (les) croiraient pas si elles n'étaient pas prouvées. La
preuve en est l’accomplissement miracles. C’est ce qui est signifié dans les Rois
(II [IV],5, 8), où il est raconté que, alors que Naaman le Syrien était
venu pour être guéri de sa lèpre chez le roi d’Israël, Élisée dit : Envoie-le
moi, afin qu’il sache qu’il y a un prophète en Israël.
Mais, selon ce qui a déjà été dit,
le nom de prophète s’entend de quatre façons.
Parfois,
on appelle prophète celui à qui la révélation divine est faite. Ainsi, dans les Nombres (12, 6) : S’il y a parmi vous un prophète
du Seigneur, je lui parlerai en songe pendant son sommeil.
Mais
parfois on appelle prophète celui à qui n’a pas été faite une révélation divine,
mais à qui il est donné de comprendre les choses révélées. Ainsi, dans la
Première aux Corinthiens (14, 29) : Qu’il y ait deux ou trois
prophètes qui parlent et que les autres discernent. Il appelle prophètes
les docteurs et les prédicateurs, selon ce passage du Siracide
(24, 33) : Les docteurs répandront mon enseignement comme une
prophétie.
D’autres
sont appelés prophètes parce qu’ils racontent les choses révélées ; ainsi
dans les Chroniques (I, 25, 1) : Les fils d’Asaph et Idithun prophétisaient.
D’autres
sont appelés prophètes parce qu’ils font des miracles. Ainsi, il est dit dans
le Siracide (48, 14) que le corps défunt d’Élisée prophétisa, c’est-à-dire qu’il accomplit un miracle prophétique.
Dans le livre des Rois (II [IV], 13, 21), il est dit que des bandits effrayés
jetèrent le cadavre de quelqu’un qui avait été tué, dans le tombeau où reposait
Élisée, et que [le corps] revint à la vie. Et, comme il est dit dans l’évangile, lorsque le Christ fit des
miracles, les Juifs dirent : Un grand prophète s’est levé parmi nous! (Luc 7, 16).
Il
est donc dit: Gardez-vous, etc. Mais quel est le sens du mot prophète
ici ? Chrysostome dit qu'ont appelle ici prophètes, non pas ceux qui
prophétisent au sujet du Christ, mais ceux qui interprètent une prophétie au
sujet du Christ. Car personne ne peut interpréter les sens prophétiques si ce
n’est par l’Esprit Saint.
Voyons
qui on appelle faux prophètes. Il arrive que la prophétie soit fausse de quatre
façons. Premièrement, par la fausseté de l’enseignement ; deuxièmement,
par la fausseté de l’inspiration ; troisièmement, par la fausseté de
l’intention ; et quatrièmement, par la fausseté de la vie.
En
premier lieu, certains sont appelés faux prophètes par à cause de la fausseté
de (leur] enseignement, comme lorsqu’ils annoncent et enseignent des choses
fausses. Il est de la fonction du prophète qu’il annonce et dise des choses
vraies. Ainsi, en Daniel (10, 1), une parole fut révélée à Daniel, et
c’était une parole vraie. Et le Seigneur dit : Si quelqu’un annonce
mes paroles, qu’il parle en vérité. Mais beaucoup annoncent des choses
fausses. Ainsi, dans la épître canonique (II Pierre 2, 1) : Il y a eu des faux prophètes dans le peuple, et parmi vous. il y aura des maîtres mensongers qui ne craignent pas de
susciter des sectes de perdition . Arius et ses semblables n'ont-ils pas été
des menteurs qui ont voulu corriger l’enseignement du Christ. Ainsi, en
Lamentations (2, 14) : Tes prophètes n'ont vu que des faussetés et à
des sottises. Mais quelles sottises? Celui qui parle volontiers de
choses fausses dira ce qui plaît. Isaïe (30, 10) : Dites-nous
des choses qui nous plaisent, ayez pour nous des visions illusoires. Jérémie, interrogé sur les choses
qu’ont vues les faux prophètes, dit (Lam. 2, 14) : Ils n'ont pas montré ton
iniquité pour te ramener à la pénitence. Si certains disent que le
bien est le mal et que le mal est le bien, ce sont des faux prophètes. Jérémie
[dit](Lam. 2, 14) : Ils ont vu de fausses affirmations et de faux
refus. Ce qui est affirmé est élevé et ce qui est refusé est
condamné. Quand donc ce qui doit être élevé est rabaissé et ce qui doit être
abaissé est élevé, alors, on voit de fausses affirmations.
Par l’enseignement du Seigneur apparaît
ce qui doit être élevé et ce qui doit être abaissé. Le comportement du siècle
et la vie du monde doivent être rabaissés. Si quelqu’un dit qu’il vaut mieux
jeûner sans vœu qu’avec vœu et en empêche d’autres d’entrer en religion, où
l’on jeûne avec vœu, et les convainc de jeûner sans vœu dans le siècle, il
donne un faux enseignement. Le prophète dit : Faites un vœu et accomplissez-le! (Psaume 76[75], 12). Il dit
cela parce qu’il vaut mieux jeûner en faisant un vœu que sans vœu. Anselme
prend un exemple dans son Livre sur les
similitudes, en disant que «celui qui donne un arbre avec ses fruits donne
plus que celui qui ne donne que les fruits». Ainsi, celui qui fait un vœu et
l’accomplit fait mieux que celui qui fait le bien sans vœu. Toutefois, il
vaut mieux ne pas faire de promesse que de ne pas exécuter les choses promises
(Qohélet 5, 4).
De
même, on parle de faux prophètes en raison de la fausseté de l’inspiration.
D’où vient l’inspiration des vrais prophètes? Certainement de Dieu et de
l’Esprit Saint. Ainsi, dans la deuxième lettre de Pierre (1, 21) : Aucune prophétie ne vient d'une volonté
personnelle, mais c’est inspirés par l’Esprit Saint que les saints hommes de
Dieu ont parlé. On peut être inspiré faussement par le diable, on peut
l'être aussi par son propre esprit. Nous trouvons les deux choses dans la
Sainte Écriture.
Premièrement, je dis que quelque
chose de faux peut être inspiré à quelqu’un par le Diable. Ainsi, dans Jérémie
(2, 8) : Ses prophètes ont prophétisé au nom de Baal. Prophétiser au nom de Baal, c’est-à-dire au nom du Diable, c'est révéler des
choses secrètes. Les nécromanciens qui recherchent la vérité à propos de vols,
prophétisent au nom de Baal sous l’inspiration du Diable, et c’est là le plus
grave des péchés, une espèce d’idolâtrie. Et ils ne sont pas excusés par le
fait qu’ils disent qu’ils font cela pour faire le bien, car le mal ne doit pas
être fait en vue du bien. Ainsi en Romains (3, 8) : Ferions-nous
le mal pour qu’en sorte le bien? Ceux-là méritent leur condamnation.
D’autres tirent une inspiration
fausse de leur propre esprit. Ainsi Ezéchiel (13, 3) : Le Seigneur dit : «Malheur aux prophètes insensés qui suivent
leur propre esprit sans rien voir!» Jérémie (23, 16) : Ils
débitent les visions de leur cœur, non de la bouche du Seigneur. Ceux qui suivent la raison
humaine parlent selon leur propre
esprit. Tels sont ceux qui parlent selon les raisonnement platoniciens, qui ne
peuvent atteindre la vérité : par exemple, ceux qui disent que le monde
est éternel. On trouve des gens qui s’appliquent à la philosophie et qui disent
certaines choses qui ne sont pas vraies selon la foi; et quand on leur dit que
cela est contraire à la foi, ils disent que le Philosophe dit cela, mais eux ne
l'affirment pas, mis ne font que répéter les mots du Philosophe. Un tel homme
est un faux prophète, un faux docteur, car c’est la même chose de susciter un
doute et de ne pas le supprimer, que d’y acquiescer; C'est ce qui est signifié
dans l'Exode (21, 33‑34), où il est dit que si quelqu'un creuse un
puits ou ouvre une citerne et ne la rebouche pas, si le bœuf du voisin vient et
tombe dans la citerne, celui qui a ouvert la citerne sera tenu à restitution.
Celui qui a ouvert la citerne, c’est celui qui suscite une difficulté dans ce
qui concerne la foi. Celui qui n’a pas couvert la citerne, c’est celui qui ne
résout pas la difficulté, même si lui-même a un esprit clair et sain et qu’il
n’est pas égaré. Cependant, un autre qui n’a pas l’esprit aussi clair est
réellement trompé, et celui qui suscite le doute est tenu à restitution, car
c’est à cause de lui que l’autre est tombé dans la fosse.
Voyez,
très chers [frères] : il y a eu beaucoup de philosophes et ils ont dit beaucoup
de choses à propos de choses qui concernent la foi, et vous en trouverez à
peine deux qui soient d'accord sur un seul point ; et tous ceux qui ont
dit quelque chose de vrai ne l’ont pas dit sans y mélanger quelque fausseté.
Une petite vieille en sait bien plus aujourd'hui sur ce qui se rapporte à la
foi que tous les philosophes de jadis! On raconte que Pythagore fut d’abord
boxeur. Il entendit un maître disserter sur l’immortalité de l’âme et affirmer
que l’âme était immortelle, et il fut si séduit que, abandonnant tout le reste,
il se consacra à l’étude de la philosophie. Mais quelle est la petite vieille
qui ne sait pas aujourd’hui que l’âme est immortelle? La foi est beaucoup plus
puissante que la philosophie; par conséquent, si la philosophie s’oppose à la
foi, il ne faut pas l’accepter. Aussi l'Apôtre dit aux Colossiens (2, 8 et
19) : Veillez à ce que personne ne vous trompe par l’emprise de la
fausse philosophie ou ne vous séduise par la vaine gloire qui est aveugle, en
marchant plus vite que ne le permet le souffle de sa chair, sans garder la
tête, c’est-à-dire le Christ.
D’autres sont faux prophètes par une
intention fausse. Mais quelle est l’intention vraie d'un prophète? Certainement
l’intérêt du peuple. Ainsi l'Apôtre aux Corinthiens (I 14, 13) :
Celui qui prophétise parle aux hommes pour les édifier, les exhorter et les consoler.
Pour les édifier, afin de rendre les hommes pieux; pour les exhorter, afin
de les rendre prompts aux bonnes œuvres; pour les consoler, afin de les rendre
patients dans les difficultés. Si quelqu’un recherche par son enseignement
autre chose que l’intérêt du peuple, c’est un faux prophète.
Celui qui est évêque reçoit la
fonction d’administrer et de prêcher, et il doit rechercher l’intérêt du
peuple; mais s’il ne recherche que le profit temporel ou une vaine gloire, il
est un faux prophète parce qu'il ne respecte pas une intention droite. C’est
ainsi que Jean Chrysostome dit que de nombreux prêtres ne se soucient pas de la
manière dont vit le peuple, mais de la manière dont il fait des offrandes.
Ainsi le Seigneur se plaint en Ezéchiel (13, 19) : Ils me
déshonorent pour quelques poignées d’orge et un morceau de pain, à l’opposé
de ceux dont parle l’Apôtre aux Corinthiens (II 2, 17) : Nous ne
sommes pas comme le plus grand nombre qui altèrent la parole de Dieu. Et
Grégoire dit qu’«celui-là est coupable de pensée adultère, s’il cherche à
plaire aux yeux de l’épouse, lui par qui l’époux transmet les cadeaux à
l’épouse». L’adultère ne cherche pas à donner une descendance à la femme, mais
recherche avant tout le plaisir corporel. De la même manière, celui-là trahit
la parole du Seigneur, qui ne recherche pas une descendance spirituelle, mais
seulement un profit temporel ou une vaine gloire.
De même, il y a des faux prophètes
en raison de leur mauvaise vie, comme lorsque quelqu’un enseigne une chose et
vit d’une autre manière ; alors, leur doctrine n'est pas reçue. Et c’est pour
cela que le Christ commence à agir et à
enseigner. Et on lit en Luc (1, 10) : Comme il a parlé par la
bouche des saints qui sont ses prophètes depuis des siècles, comme s’il
disait :«Les prophètes par lesquels s’exprime le Seigneur doivent être
saints»; mais il y a certains dont se plaint le Seigneur en Jérémie
(23, 11) : Prêtres et prophètes, dit-il, sont impies, dans ma maison; j’ai
vu leur malice. Prions le Seigneur, etc.
Deuxième partie, (Sermon du soir)
[La méthode des faux prophètes]
Évitez les faux prophètes, etc.
On a parlé aujourd’hui des ennemis du peuple chrétien, c’est-à-dire des
faux prophètes. Il faut maintenant voir comment ils nous tendent des embûches.
L’Apôtre dévoile aux Corinthiens leurs embûches, et de même , le Seigneur, dans
l’évangile, quand il dit : Défiez-vous des faux prophètes qui viennent
à vous sous l’apparence de brebis, etc. Par cela, on entend l’hypocrisie,
parce que le repaire des faux prophètes est l’hypocrisie. Ainsi (parle)
l’Apôtre à Timothée ( I. 4, 1) : L’Esprit dit clairement : «Dans les derniers
temps viendront des trompeurs qui s’écarteront de la foi, s’attacheront à des
esprits d'erreur et aux doctrines des démons qui propagent le mensonge par
hypocrisie.»
Si
l’on se réfère à leur vie et à leurs mœurs, ils paraîtront honnêtes, eux qui mènent
une vie austère et s’abstiennent de relations conjugales et de mets délicats,
mais qui prêtent attention aux esprits trompeurs et aux doctrines démoniaques.
Faites attention à ce qu’il dit : Ceux qui viennent à vous sous
l’apparence de brebis (Matthieu 7, 15); les brebis sont les fidèles du
Christ qui obéissent au Christ. Ainsi en Jean (10, 27) : Mes
brebis écoutent ma voix. Les vêtements des brebis sont les imitations du Christ. L’Apôtre
dit (Ephésiens 4, 23) : Renouvelez-vous
par une transformation spirituelle de votre intelligence et revêtez l’homme
nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité.
Deux choses sont abordées ici : à savoir que la justice semble concerner
le prochain extérieurement et la sainteté de la vérité la disposition intérieure de l’âme. Ainsi en
Proverbes (31, 21) : Toute sa maisonnée porte double vêtement, à savoir, les vertus intérieures de
l’âme et les bonnes actions extérieures.
Il est vrai que si les faux
prophètes portaient l’un et l’autre vêtement, ils seraient des brebis du
Christ. L’homme a accès aux hommes par l’apparence extérieure, et par le fait
qu’il dit : Ils viennent à vous sous l’apparence de brebis, on
comprend qu’ils entreprennent les œuvres extérieures par lesquelles ils
viennent à vous, car c'est par les œuvres intérieures que l'on a accès au
Seigneur.
Il
faut noter que le vêtement des brebis du Christ a quatre éléments :
l’adoration, la justice, la pénitence et l’innocence.
Par le vêtement de l’adoration, on
entend le vêtement du culte divin que portent les brebis du Christ quand elles
se consacrent au culte divin. Ce vêtement, les brebis du Christ le reçoivent au
baptême. Ainsi, l’Apôtre écrit aux Galates (3, 27) : Vous
tous qui êtes baptisés dans le Christ, vous revêtez le Christ Ce
vêtement, les brebis du Christ l’endossent quand elles se consacrent à la
prière. Ainsi, dans le Siracide (50, 12) : En montant à l’autel de
l'encens, il rendit gloire à Dieu. Ce
vêtement, les hypocrites se l’approprient pour deux motifs, à savoir, pour la
vaine gloire et pour s’enrichir. Pour la vaine gloire, ils se l’approprient en
priant publiquement et ostensiblement. Ainsi, en Matthieu (6, 5) : Ceux-là
aiment prier dans les synagogues et dans les coins des places publiques afin
d’être vus par les hommes ;
dans les synagogues, c’est-à-dire publiquement. Mais est-ce que cela
est mal alors qu’il est écrit : Bénissez le Seigneur, tous ses anges? Chrysostome
dit que cela ne parle pas tant d’un lieu que de l’esprit. Il prie dans le
secret celui qui tient son esprit tourné, non pas vers les hommes, mais vers
Dieu. S’il priait seul dans sa chambre et voulait être vu par les hommes, il
prierait publiquement. Qu’est-ce donc qui est défendu? Que les hommes ne mettent
pas leurs soins à ce que d’autres les voient prier : ceci doit être évité
par les chrétiens. Aussi Chrysostome écrit-il : «Que celui qui prie ne
fasse rien de particulier pour être vu par les hommes en criant, en se frappant
la poitrine, ou en élevant les mains". Si tu pries comme les autres dans
une assemblée, tu pries en secret; mais rechercher de nouveaux gestes et de
nouvelles manières (de prier) appartient à ce qu’il appelle prier dans les
synagogues. Dans la prière, l’homme
doit être pareil aux autres, ne pas rechercher d’autres manières, comme les
hypocrites qui prient en public par vaine gloire. De même, ils prient
publiquement pour en tirer bénéfice. Ainsi, dans l'Évangile (Matthieu
23, 14) : Malheur à vous, scribes et pharisiens, qui dévorez la
maison des veuves, en faisant de longues prières! C’est-à-dire, qui prient
pour en retirer un bénéfice. Certains cherchent à tirer un bénéfice honteux de
pauvres femmes, font de longues prières pour les rendre dévotes et reçoivent
d’elles des cadeaux. Mais est-ce que cela est mal de prier longuement? Augustin
répond en disant : «Que l’abondance de paroles soit absente de la prière,
mais que l’abondance de prière ne fasse pas défaut, pourvu que la ferveur de
son intensité perdure. Car on accomplit une telle action davantage par des
larmes que par des discours.»
Il
existe un autre vêtement pour les brebis du Christ : la justice et la miséricorde,
dont il est dit dans Job (29, 14‑16) : Revêtu de justice
comme d’un vêtement, j’ai été l’œil pour l’aveugle, le pied pour le boiteux, le
père des pauvres. Les hypocrites revêtent toujours ce vêtement. Ainsi dans
l'Évangile (Matthieu 6, 1‑2) : Gardez-vous d’afficher votre
justice devant les hommes pour vous faire remarquer par eux; et quand tu fais
l’aumône, ne va pas le claironner comme font les hypocrites. Chrysostome
dit que «claironner, c’est agir ou parler en le faisant avec ostentation; par
exemple, tu fais l’aumône, mais tu ne la ferais pas s’il ne s’agissait d’une
personne plus honorable qui peut te récompenser : voilà ce qu’est
claironner! De la même façon, tu veux faire l’aumône en secret pour être considéré
de manière élogieuse : c’est
claironner!»
Le troisième vêtement des brebis du
Christ, c’est la pénitence : J’ai fait du cilice mon vêtement (Psaume 69[68], 12). Les
hypocrites utilisent ce vêtement, en faisant semblant et de mener une vie
austère. Ainsi dans l'Évangile (Matthieu
6, 16) : Lorsque vous jeûnez, ne vous montrez pas tristes à la façon des hypocrites. Ils
prennent une mine défaite pour ressembler à des hommes qui jeûnent. Ils recherchent cela et le font pour paraître
jeûner devant les hommes. Augustin (écrit) : « En cette matière il faut
observer que l’ostentation peut parfois résider, non seulement dans l'éclat des
choses corporelles, mais peut aussi se retrouver dans les saletés de la boue,
et elle est d’autant plus insidieuse qu’elle trompe, sous le nom de service du
Seigneur.» Le Philosophe dit que «si l’homme utilise un vêtement plus vil que
ne l’exige sa condition, cela peut se rapporter à l’ostentation». Ces comportements
extérieurs sont comme des insignes. Dans une armée, chaque corps porte son
insigne : ce n’est pas présomptueux. Dans n’importe quelle condition, l’homme
doit se contenter du juste milieu et ne pas rechercher des choses trop basses.
Ainsi Augustin (écrit-il) : «Nous devons utiliser des choses qui ne sont
ni trop précieuses ni trop méprisables". Et pourquoi? Parce que, par ces
deux (comportements), nous pouvons rechercher la gloire. Ainsi est-il dit en
Zacharie (13, 4) à propos de ce vêtement méprisable : Ils ne se
couvriront plus du manteau de poil, à
savoir, pour faire semblant.
Le
quatrième vêtement des brebis du Christ est l’innocence, qui est un vêtement
pur et blanc, comme dans Proverbes (31, 25) : Force et beauté sont
son vêtement. Ce vêtement, les hypocrites le mettent, sous couvert de piété
et de pureté. Ainsi, dans l'Évangile (Matthieu 23, 27) : Malheur à
vous, hypocrites, qui êtes semblables à des sépulcres blanchis, c’est-à-dire qu’ils paraissent blancs aux
hommes, mais, à l’intérieur, ils sont pleins d’ossements et de morts et de
toute pourriture, c’est-à-dire de vol et d’impudicité. Et
Chrysostome dit : «Ce qui est honteux en apparence est plus honteux en réalité;
ce qui est beau en apparence est plus beau en réalité.» Tels sont ceux qui viennent
sous des vêtements de brebis.
Il faut noter que certains viennent
en vêtements de brebis sans être des brebis, comme ceux qui recherchent le
profit temporel et leurs propres honneurs. Ainsi Augustin fait une distinction
en disant qu’autre est la personne du voleur, autre celle du loup, autre celle
du berger et autre celle du mercenaire ; car le pasteur veille à l’intérêt
de ses brebis, le loup et le voleur détruisent les brebis, le mercenaire
cherche à tirer son propre profit des brebis. Augustin (écrit) : «Le mercenaire,
on doit le supporter; le berger, l’aimer; le loup, le fuir.» C’est ce que dit
l’évangile (Matthieu 7, 15) : Ils viennent à vous sous l’apparence
des brebis, mais à l’intérieur, ce sont des loups rapaces.
Et il faut remarquer que les hypocrites sont comparés aux loups pour
quatre motifs : parce que les loups enlèvent les brebis, qu’ils ne les
épargnent pas, qu'ils les dispersent, et
qu’ils persévèrent dans leur méchanceté.
Je
dis premièrement que les hypocrites sont comparés à des loups parce qu’ils
enlèvent les brebis et que les hypocrites enlèvent les biens de l’âme et du
corps, ils induisent les hommes en erreur, les persécutent corporellement et
les dépouillent de leurs biens. Ainsi, en Ezéchiel (22, 27) : Ses
chefs, au milieu de la ville, sont comme des loups qui déchirent leur proie
pour répandre le sang, perdre les âmes
et rechercher avarement leur profit.
En deuxième lieu, on compare les hypocrites
aux loups parce que les loups dispersent les brebis : dans l'Évangile (Jean 10,
12) : Le loup enlève et disperse. Le
Seigneur a dit (Matthieu 12, 30) ; Qui
n'est pas avec moi est contre moi, et donc : Qui n'amasse avec moi disperse. Mais en quoi consiste 'disperser'
? Sûrement quelqu'un disperse quand il s'éloigne de ce qu'enseigne l'Église.
En troisième lieu, les hypocrites
sont comparés à des loups, parce qu’ils n’épargnent en rien. Ainsi, dans les Actes
(20, 29), l’Apôtre dit : Je sais qu’après mon départ, entreront chez
vous des loups rapaces qui n’épargneront pas le troupeau. Celui qui
tuerait un homme et ne l’épargnerait pas, pourvu qu’il puisse s’enrichir d’un
seul denier, on le qualifierait de très cruel. Ainsi font les hypocrites. La
vie de l’âme est meilleure que celle du corps; et les hypocrites, pour acquérir
les honneurs et des disciples, séduisent les âmes.
En
quatrième lieu, les hypocrites sont comparés à des loups, parce que, comme des
loups, ils persévèrent dans leur méchanceté. Ainsi en Sophonie
(3, 3) : Ses juges sont des loups jusqu’au soir, c’est-à-dire
jusqu’à la fin.
C’est
donc pour ces quatre raisons que les faux prophètes ont été considérés comme
des loups. Mais comment reconnaît-t-on les loups? (Le Seigneur) le montre lorsqu’il
dit : Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Augustin dit que beaucoup
sont leurrés par le fait qu’ils pensent que les vêtements de brebis sont leurs
fruits. Ils en voient certains qui font des bonnes œuvres extérieures et qui
jeûnent, prient, et font des choses de ce genre, qui sont des vêtements de
brebis, et ne sont pas leurs propres vêtements. Mais les brebis du Christ ne
doivent pas prendre en haine leurs propres vêtements si des loups s’en vêtent.
Mais
quels sont les fruits des brebis? À proprement parler, nous pouvons dire qu’il
y a quatre fruits des brebis, par lesquels sont repérés les loups ou les
hypocrites. Le premier consiste dans l’affection, le deuxième dans l’intention,
le troisième dans l’action et le quatrième dans les tribulations. Le premier
appartient au cœur, le deuxième à la bouche, le troisième à l’action et le
quatrième à la patience et à la force.
En
premier lieu, je dis que les brebis du Christ, c’est-à-dire les saints,
possèdent en propre un fruit du cœur, qui est l’amour de Dieu et du prochain.
Ainsi, l’Apôtre (Galates 5, 22) : Le fruit de l’esprit est joie, amour et paix.
Mais les hypocrites possèdent un autre fruit, à savoir, celui de
l’ambition, parce qu’ils aiment les honneurs. Ainsi, en Isaïe
(10, 12) : Je ferai visite à propos du fruit du cœur orgueilleux
du roi d’Assur. Les hypocrites aiment les premières places dans les
banquets et les premiers sièges dans les synagogues. Si quelqu’un veut être
choisi pour un honneur et montre extérieurement de l’humilité : alors, le
vêtement ne correspond pas au fruit.
Un autre fruit des brebis du Christ
consiste dans la parole, parce que les bons parlent toujours de choses bonnes
et à propos du bien. Ainsi, l’Apôtre (dit-il) aux Hébreux (13, 15) : Par lui, nous offrirons le sacrifice, le
fruit de nos lèvres conforme à son nom. Si quelqu’un dit
quelque chose qui est en discordance avec ses actes, il ne porte pas de
vêtement semblable au fruit. Ainsi, en Proverbes (18, 20) : Du
fruit de la bouche de l’homme sera rempli son ventre. Il est difficile
qu’un cœur plein d’envie n’en proclame pas quelque chose à un certain moment,
car la bouche parle de l’abondance du cœur. Ainsi, Grégoire
(écrit) : «Tant que les méchants prêchent la droiture, il est bien difficile
qu’un jour ils ne proclament pas ce qu’ils désirent en secret.»
Le troisième fruit des brebis du
Christ, à quoi on reconnaît les hypocrites, est celui de l’action bonne, parce
que le bon fruit consiste dans le bien. L’Apôtre [dit] (Romains
1, 13) : Vous portez fruit dans la sanctification. Mais, chez les mauvais, le fruit est
mauvais. Ainsi, dans les Proverbes (10, 16) : Le fruit de l’impie conduit au
péché, c’est-à-dire à l’œuvre du péché. Augustin, dans l’un de ses
sermons, dit : «Celui qui, sous prétexte de perfection du christianisme,
se montre d’une âpreté inaccoutumée et vil aux yeux des hommes, puisqu’il fait
cela volontairement et sans y être forcé par une nécessité, on peut savoir par
ses autres actions s’il le fait par mépris d’un meilleur habillement ou par ambition".
Il peut parfois arriver que quelqu’un mette un vêtement éclatant par humilité,
et parfois par ambition. Observe ses autres comportements : s’il montre du
mépris pour l’ambition dans ceux-ci, alors il agit par humilité. Sinon, dit-il.
: «On peut le savoir par ses actions», car ceux qui portent un vêtement méprisable,
d’une part, et, d’autre part, montrent des signes de pénitence et de bonté,
sont des brebis du Christ. Sinon, ce sont des simulateurs. "Il est donc facile, dit <Chrysostome>, de reconnaître les hypocrites.
Le chemin que nous devons parcourir est pénible. Les hypocrites ne choisissent
pas de peiner.
De même, les hypocrites se montrent
pleins de douceur, mais quand ils ont l’occasion de persécuter, alors ils persécutent
le plus possible. Aussi Grégoire [écrit-il) : «Si une mise à l’épreuve de
la foi éclate, aussitôt l’esprit enragé du loup se dépouille de sa toison de
brebis et se met à persécuter les bons autant qu’il le peut.»
Le
quatrième signe qui permet de reconnaître les hypocrites est le temps des tribulations.
Ainsi dans les Proverbes (15, 6) : L’impie a comme fruits le trouble ; l’enseignement d’un homme est
reconnu par sa sagesse. Augustin, dans (son commentaire) du Sermon du
Seigneur sur la montagne, dit à propos des hypocrites : «Quand ils
commencent à se soustraire à certaines épreuves ou à renier ce qu’ils ont
poursuivi ou désiré poursuivre sous ce voile, il est inévitable que se révèle
s’il s'agit d’un loup sous une peau de brebis ou s’il s’agit d’une brebis dans
sa propre peau.» C’est pourquoi Jacques dit dans son Épître (en réalité
II Timothée 2, 21) : Si quelqu’un se préserve de ces choses, c'est à dire des pêchés, il sera un
vase d'honneur présenté au Seigneur, ce que daigne nous donner Celui
qui avec le Père, etc.
(Traduction
par Jacques Ménard, 2004)
Un homme fit un grand repas, auquel il invita
beaucoup de monde (Luc
14, 16)
Prologue
[L'analogie entre le repas
corporel et le repas spirituel]
Il semble y avoir une différence entre
les plaisirs corporels et (les plaisirs) spirituels, car les plaisirs corporels
sont manifestes pour les hommes qui s’adonnent aux sens et (les plaisirs) spirituels
leur sont cachés, mais ils sont manifestes pour les hommes spirituels. Ainsi, (il
est dit) dans l’Apocalypse : Je donnerai de la manne au vainqueur (Apocalypse
2, 17). Et parce que notre sermon porte sur la réfection [spirituelle],
demandons à Celui qui octroie cette douceur qu’il m’accorde de dire quelque
chose à sa gloire, etc.
Première partie
[La nature du repas
spirituel]
Un homme fit un grand repas, etc. De même que le corps ne peut reprendre
des forces sans une nourriture corporelle, de même l’âme a besoin d’une nourriture
spirituelle pour se refaire. Il est question de cette nourriture spirituelle
dans les Psaumes : Il m’a mené vers
les eaux du repos, etc. (22[23], 2). Il dit délibérément : Vers les eaux du repos, car, de même
qu’une nourriture corporelle est nécessaire contre la déperdition due à la
consommation de la chaleur naturelle, de même l’âme a-t-elle besoin d’une
nourriture spirituelle en raison de la chaleur nuisible de la concupiscence,
qui empêche le salut de nos âmes, et une eau spirituelle est nécessaire pour
éteindre ce feu. L’eau corporelle rafraîchit mais ne nourrit pas, mais l’eau
spirituelle rafraîchit et nourrit. Jean parle de cette eau : Celui qui boit de cette eau, elle deviendra
une source qui jaillira en vie éternelle (4, 14).
Le Seigneur propose une comparaison
pour cette réfection spirituelle dans l’évangile d’aujourd’hui, et nous pouvons
observer deux choses : d’abord, la préparation de cette réfection, en cet
endroit : Un homme fit un grand
repas…; ensuite, la participation au banquet préparé, en cet endroit :
…et il invita beaucoup de monde.
À propos du premier point, il faut
relever trois choses : premièrement, qui est l’homme qui a fait le repas;
deuxièmement, quel est ce repas et, troisièmement, en quoi il est grand.
Je dis tout d’abord qu’il faut relever
qui est cet homme. Je dis que cet homme est le Fils de Dieu qui est vraiment
homme par la vérité de la nature qu’il a assumée. C’est ainsi que l’Apôtre [dit]
dans [la lettre aux] Philippiens : Alors
qu’il était dans la forme de Dieu..., il s’est dépouillé en prenant la forme
d’esclave, devenant semblable à l’homme et reconnu à son aspect pour un homme (2, 6‑7);
et dans Jérémie : Il est un homme,
mais qui le reconnaîtra? (v.g. Isaïe 52, 14). [Le Seigneur] dit :
Un homme…, comme s’il disait :
certaines particularités se trouvent chez lui qui ne se trouvent pas chez
d’autres, en raison desquelles il est un homme particulier, car il possède la
plénitude de la divinité, la plénitude de la vérité et la plénitude de la
grâce.
Je dis tout d’abord qu’il possède la
plénitude de la divinité. On dit des autres hommes qu’ils sont des dieux, mais
par participation; mais celui-ci est le vrai Dieu. De même, les autres hommes
connaissent peu de chose de la vérité, mais cet homme [en] a eu la connaissance
la plus entière, non seulement selon sa divinité, mais selon son humanité :
En lui sont cachés tous les trésors de la
sagesse et de la science (Colossiens 2, 3). De même, les autres ont
possédé quelque chose de la grâce : certains la grâce de l’éloquence, d’autres
la grâce de la sagesse, car il y a
diversité des grâces (1 Corinthiens 12, 4), mais le Christ a
possédé la plénitude de la grâce. Ainsi, l’Apôtre [dit] dans [la lettre aux]
Colossiens : Il lui a plu de faire
habiter en lui toute plénitude (Colossiens 1, 19). À propos de la
plénitude de la divinité, de la vérité et de la grâce qui se trouvait dans le
Christ, Jean dit : Nous avons vu sa
gloire, gloire qu’il tient du Père comme Fils unique, pour ce qui est de la plénitude de la divinité, pleine de grâce, pour ce qui est de la
plénitude de la grâce, et de vérité, pour
ce qui est de la plénitude de la vérité qui se trouvait dans le Christ (Jean 1, 14).
Qui est cet homme, cela est maintenant clair.
En second lieu, il faut voir quel est
le repas que fit cet homme. Je dis qu’il a préparé une triple réfection
spirituelle : une qui se rapporte au sacrement, une autre qui se rapporte
à l’intelligence, et une troisième qui se rapporte à la disposition du cœur. Je
dis d’abord que cet homme fit un repas
qui se rapporte au sacrement. C’est de cette réfection sacramentelle qu’on entend
ce qui est dit dans le Siracide : Viens
ici, étranger, mets la table; ce que tu tiens à la main, donne-le aux autres (Siracide
29, 26[33]). Le Christ est un étranger dans le monde : bien que le
monde ait été fait par lui, il ne l’a pas reconnu. Il est venu dans le monde
comme un étranger. Il a mis la table sacramentelle et ce qu’il possédait, à
savoir, selon le pouvoir qui lui avait été donné par le Père, il l’a donné à
manger aux autres, c’est-à-dire aux fidèles. Cette réfection spirituelle, le
Christ l’a instituée pour autant qu’il avait la plénitude de la grâce.
Dans cette réfection, il y a le
déjeuner [prandium : repas du midi]
et le dîner [cena : repas du
soir[27]]. Le déjeuner est la réfection
sacramentelle sous l’Ancien Testament; le dîner, sous le Nouveau Testament.
C’est du déjeuner en vue de la réfection spirituelle dans l’Ancien Testament
qu’on entend ce qui est dit dans l’évangile : Voici que j’ai apprêté mon banquet; mes taureaux et mes bêtes grasses
ont été tués (Matthieu 22, 4). Dans l’Ancien Testament, des taureaux
égorgés étaient offerts à la lettre. Le déjeuner se prend dans la première
partie du jour. De même en était-il pour le repas en vue de la réfection
sacramentelle dans l’Ancien Testament, alors que des taureaux et des bêtes
grasses étaient tués et offerts. Du fait que ce déjeuner eut lieu, il était
approprié qu’un dîner eût aussi lieu, dont il est question en Matthieu : Alors que les disciples étaient à table, le
Seigneur prit du pain, le rompit et le donna à ses disciples en disant : «Prenez
et buvez : ceci est mon corps» (Matthieu 14, 19). Il est normal
que des étrangers soient invités à déjeuner, mais, au dîner, seuls viennent les
membres de la famille et les gens de la maison. Job [dit] : Et ne disaient-ils pas, les gens de ma
tente : «Trouve-t-on quelqu’un qu’il n’ait pas rassasié de viande?» (31, 31),
comme s’il disait : «Seuls les gens de la maison sont admis.»
Voyez comme ce dîner a été grand et à
quel point il l’a été. Je dis que ce dîner a été grand en raison d’une
magnifique préparation, de la grandeur du plaisir gustatif, en raison de la grandeur
de ses effets. Cela s’est retrouvé dans ce repas. Il fut donc grand.
Si tu cherches quelle a été sa
préparation, tu trouveras une magnifique préparation. Le Psaume [dit] : Il leur a donné un pain venu du ciel,
l’homme a mangé le pain des anges (Psaumes 77[78], 25). Celui qui
veut faire l’éloge d’une nourriture en fait l’éloge pour deux raisons : en
raison du lieu où elle a poussé et de la dignité de ceux qui en font usage. En
raison du lieu lorsqu’on dit : «Ce vin provient de tel endroit», à savoir,
de cet endroit où l’on a coutume de produire des vins de grande qualité. De
même, le vin est objet d’éloge en raison de la dignité de ceux qui en font
usage : «Ceci est le vin que le roi boit.» Pour cette raison, en voulant
décrire la grandeur de la préparation du dîner, le Psalmiste le décrit d’abord
par le lieu [où il se tint], en disant : Il leur donna un pain venu du ciel. Où ce pain a-t-il été produit?
Au ciel. Crois au pain qui dit : Je
suis un pain vivant descendu du ciel (Jean 6, 41), à savoir, en
assumant notre faiblesse selon [sa] divinité, tout en n’abandonnant pas
l’élévation [de celle-ci]. De même, cette nourriture est présentée comme
précieuse en raison de la dignité de ceux qui en font usage, car les plus
grands s’en nourrissent, à savoir, les anges qui se nourrissent de la parole de
Dieu. Cette nourriture t’est offerte dans le dîner. C’est donc un grand dîner
en raison de la préparation magnifique.
Mais si t’étaient présentés des mets
précieux mais qui n’étaient pas agréables à manger, ils ne seraient pas
considérés comme grands. Pour cette raison, ce dîner est décrit comme grand, en
deuxième lieu, en raison de la grandeur du plaisir gustatif. Ainsi, dans le
livre de Sagesse [est-il dit] : Tu
leur as donné un pain venu du ciel, capable de procurer toutes les délices et
de satisfaire tous les goûts (16, 20). Le plaisir vient de trois
choses : du souvenir de choses passées, de l’espoir de choses à venir et
de la perception de choses présentes. Toutes les délices se trouvent dans ce
dîner. Si tu considères le passé, ce qui est rappelé est agréable. Qu’y a-t-il
de plus agréable que de se souvenir que l’homme a été racheté par le sang du
Christ? Le Lévitique [dit] : Souviens-toi
de ma pauvreté, etc. (Lamentations 3, 19). Et dans l’évangile, [on lit] :
Faites ceci en mémoire de moi (Luc 22, 19).
Et l’Apôtre [écrit] : Chaque fois
que vous ferez ceci, vous annoncerez la mort du Seigneur (1 Corinthiens
11, 26). De même, dans ce dîner, on trouve une grande délectation dans
l’espérance de choses à venir, car cette nourriture sacramentelle est un signe
annonciateur et elle nous donne l’espérance de la béatitude future. Ainsi, [il
est dit] dans l’évangile : Si vous
ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, etc. (Jean 6, 54). De même,
(tu connaîtras) dans ce repas la plus grande délectation si tu te tournes vers
ce qui est présent, à savoir, la réalité signifiée qui y est contenue et la
réalité signifiée qui n’y est pas contenue. La réalité signifiée et contenue
est le corps du Christ, et l’homme doit vraiment se glorifier d’avoir en
lui-même le corps du Christ. [On lit] ainsi : Il n’y a aucune autre nation aussi grande qui ait des dieux aussi
proches que le Dieu qui s’approche de nous (Deutéronome 4, 7). La
réalité présente signifiée et non contenue est tellement délectable, à savoir,
l’unité de l’Église. Qu’y a-t-il de plus réjouissant que cette unité? Le psaume
[dit] : Voyez comme il est bon,
qu’il est doux [d’habiter ensemble comme des frères]! (Psaumes 132[133], 1).
Ce dîner est donc très délectable, que tu te tournes vers le passé, vers le
présent ou vers l’avenir.
En troisième lieu, il est grand en
raison de la puissance de son effet, car il nous unit à Dieu et nous fait
habiter en Dieu. C’est pourquoi Jean [dit] : Celui qui mange ma chair et boit mon sang, etc. demeure en moi, à
savoir, par la foi et la charité, et moi
en lui, à savoir, par la grâce et le sacrement (Jean 6, 55).Car Dieu est en nous et nous (sommes) en lui;
nous ne devons pas avoir de crainte. Job [dit] : Place-moi près de toi, et qui osera s’en prendre à moi? (Job 17, 3).
Et le psaume : Tu m’as préparé une
table devant moi (Psaumes 22[23], 5). De même, ce qui est uni provient
de deux choses : ce qui est moins digne suit le mouvement de ce qui
l’emporte. Il est donc nécessaire que l’âme qui est unie à Dieu suive Dieu. Il
ne faut donc pas craindre, étant donné que Dieu est en nous par le sacrement. Par la force de cette nourriture, Élie
marcha jusqu’à la montagne de l’Horeb (1 Rois 19, 8). Si nous
prenons dignement cette nourriture, elle nous mènera à la vie éternelle.
Bienheureux donc sont ceux qui prennent dignement cette nourriture, mais
malheur à ceux qui [la] prennent indignement, car ils mangent leur propre jugement (1 Corinthiens 1, 29).
Telle est donc la nourriture
sacramentelle.
Il y a un autre repas spirituel, qui se
rapporte à l’entendement que le Christ nous a préparé du fait qu’il est plein
de vérité. C’est ainsi que la Sagesse incréée dit dans les Proverbes : La sagesse a coupé le vin, elle a préparé la
table, puis elle a invité en disant : Venez manger mon pain et boire le vin que je vous ai préparé (Proverbes
9, 2). La sagesse de Dieu est le Christ. Il a coupé le vin, à savoir, l’enseignement de la sagesse spirituelle.
Ce vin était tellement fort que l’homme ne pouvait le porter s’il n’était pas
coupé; c’est pourquoi il le réduisit lorsqu’il proposa des enseignements spirituels.
Il a préparé la table, c’est-à-dire
toutes les créatures. L’enseignement de la sagesse est appelé pain et vin, un
pain qui sustente et un vin qui réjouit et réchauffe.
Dans cette réfection, il y a un
déjeuner et un dîner Le déjeuner consiste dans l’enseignement des philosophes,
dont parle Habacuc lorsqu’il dit qu’on apportait de la nourriture aux
moissonneurs dans le champ (Daniel 14, 32). Les moissonneurs sont les
philosophes qui cueillent les tiges dans le champ, c’est-à-dire les vérités
tirées des créatures. Ainsi, [il est dit] dans [la lettre aux] Romains : Ce qui est invisible en Dieu, etc. (Romains
1, 20). Le dîner est le repas de la Sainte Écriture. L’Apocalypse dit
ainsi : Si quelqu’un m’ouvre,
j’entrerai chez lui et je dînerai avec lui (Apocalypse 3, 20). La différence
entre l’enseignement de la Sainte Écriture et celui de la philosophie est que
l’enseignement des philosophes vient des créatures, alors que l’enseignement de
la Sainte Écriture vient de l’inspiration. À cause de cela, elle dit : Si quelqu’un m’ouvre, j’entrerai chez lui, à
savoir, par l’inspiration du Saint-Esprit. (On lit) ainsi dans [l’évangile
selon] Jean : Lorsque l’Esprit de
vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité (Jean 16, 13).
On dit de la Sainte Écriture qu’elle
est un dîner parce qu’elle est donnée aux gens de la maison et aux proches. Les
Proverbes disent ainsi de la femme : Elle
donna à manger aux gens de sa maison et de quoi se nourrir à ses servantes (Proverbes
31, 15). Il s’agit d’un grand dîner, car il possède les trois conditions
déjà mentionnées. Tout d’abord, il est grand par la magnifique grandeur de sa
préparation, puisqu’il [propose] les choses les plus grandes. La Sagesse dit
ainsi : Écoutez-moi, car je vais
parler de grandes choses. Elles sont grandes parce qu’elles dépassent tout
entendement. L’Ecclésiastique [dit] ainsi : Bien des choses qui dépassent l’entendement de l’homme t’ont été
montrées. Ces choses sont utiles. C’est pourquoi le Seigneur [dit] dans
l’Exode : Moi, le Seigneur, je
t’enseigne des choses utiles, en te dirigeant vers les chemins où tu dois
marcher (Isaïe 48, 17). Les autres sciences ne te dirigent pas en
cours de route. Ce dîner est encore grand en raison de la grandeur de la délectation
qu’il donne lorsqu’on y goûte. En effet, dans les paroles de la Sainte Écriture,
se trouve une douceur qui dépasse tout. Le psaume [dit] : Que tes paroles sont douces à mon palais,
etc. (Psaumes 118[119], 103). Sa douceur dépasse la douceur de
toute autre science. En effet, on dit qu’une exploration est agréable de deux
façons : en raison de la réalité explorée ou en raison de l’exploration
elle-même. Une démonstration portant sur le triangle n’est pas agréable en
elle-même, car on ne porte pas un grand intérêt au triangle, mais elle est
agréable en raison de l’exploration elle-même, qui est propre à l’intelligence.
Mais lorsque l’exploration porte sur une chose aimée et lorsque l’exploration
elle-même est délectable, alors elle est parfaitement délectable. Ainsi en
est-il de la Sainte Écriture : non seulement y trouve-t-on du plaisir à
connaître la vérité, mais surtout aux choses aimées. Augustin dit ainsi, dans
le livre des Confessions :
«Les autres textes n’apportent pas l’apparence d’une telle piété, les larmes de
la confession, les arrhes de l’Esprit Saint», et d’autres choses qu’il écrit en
cet endroit. La nourriture de la Sainte Écriture est donc grande en raison de
l’abondance dans sa préparation et de l’intensité de la délectation qu’on a à
la goûter. En troisième lieu, (ce repas est grand) en raison de son effet. Quel
est son effet? Je dis qu’il donne la vie. Ainsi, le bienheureux Pierre [dit] :
Seigneur, a qui irions-nous? Tu as les
paroles de la vie éternelle (Jean 6, 69). Les hommes sont conduits par
(ces) paroles à la foi par laquelle ils ont la vie et sont enflammés par la
charité. C’est pourquoi le Siracide [dit] : Il les a nourris du pain de la vie et de l’entendement, etc. (Siracide
15, 3).
Troisièmement, le Christ nous a préparé
une nourriture se rapportant aux dispositions du cœur. Aussi (lit-on) dans le
Cantique : Mangez, mes amis, à
savoir, maintenant par la grâce, et enivrez-vous,
mes bien-aimés, à savoir, dans l’avenir par la gloire. Le Christ nous donne
cette nourriture en tant qu’il a la plénitude de la divinité. Le psaume [dit] :
Le Seigneur donnera la grâce et la gloire
(Psaumes 83[84] 12).
Pour cette nourriture, il y a le
déjeuner de la grâce, à savoir, dans le présent. Le Seigneur invite à ce
déjeuner lorsqu’il dit en Jean : Venez
déjeuner (Matthieu 22, 4). Nous attendons le dîner de cette nourriture
dans l’avenir : il se réalisera dans la gloire. L’Apocalypse [dit]
ainsi : Bienheureux ceux qui ont été
invités aux noces de l’Agneau (Apocalypse 19, 9). C’est le dîner
auquel n’est invité que celui qui est un digne proche et membre la maison. Ainsi,
Isaïe [dit] : Mes serviteurs mangeront
et vous aurez faim (Isaïe 65, 13).
Ce dîner est plus grand que les autres
en raison des trois conditions déjà mentionnées. [D’abord] en raison de la
magnificence de la préparation. La grandeur de la préparation tient à ce que
l’homme s’asseoit à la table de Dieu. Celui qui s’assoit à la table du roi est
magnifiquement habillé, et il est dit en Luc : J’ai fait en sorte, etc., que vous mangiez et buviez à ma table, etc. (Luc
22, 29). [Ce dîner] comporte-t-il une table corporelle? Assurément non,
mais le repas de Dieu est joie. Mais de quoi se réjouit le Christ? À coup sûr,
de lui-même, et s’il ne se réjouissait pas de lui-même, il ne serait pas
heureux. Et alors, il se laissera voir dans son essence, et ainsi se réjouiront
[ceux qui mangeront à sa table]. Job [dit] : Alors, débordant des délices venues du Tout-puissant, etc. [Ensuite],
y a-t-il une nourriture plus précieuse que Dieu? Il n’en existe sûrement aucune.
Si tu cherches à connaître la grandeur de la délectation lorsque tu le goûtes,
il est superflu de chercher. En effet, tout ce qui est délectable est
délectable en tant que cela est bon ou en tant que cela a l’apparence du bien.
Mais si les petits biens ou ceux qui participent au bien sont délectables,
quelle délectation donnera ce qui est d’une bonté infinie! Le psaume [dit] :
Les délectations qui viennent de ta
droite sont éternelles (Psaumes 15[16], 11). Et encore le
psaume : Qu’elle est grande
l’abondance de tes délices, Seigneur! (Psaumes 30[31], 20). Troisièmement,
ce dîner est grand en raison de la grandeur de l’effet qu’il a sur les
dispositions du cœur, car il possède en lui la vie éternelle. Les saints qui se
réjouissent en lui ne manqueront jamais de rien. Le psaume [dit] : Les pauvres mangeront et seront rassasiés,
etc. (Psaumes 21[22], 27). Les
pauvres mangeront, mais quels pauvres? Assurément, les pauvres en esprit,
comme [le dit] Matthieu : Bienheureux
les pauvres en esprit, etc. (Matthieu 5, 3). Ou les pauvres,
c’est-à-dire les humbles, ou ceux qui sont volontairement pauvres, à savoir
qu’ils ont des richesses mais les méprisent. Ceux-ci ont accès au dîner, mais
ceux qui ont l’âme impliquée dans les choses temporelles n’y ont pas accès.
L’évangile [dit] ainsi : Bienheureux
ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés (Matthieu 5, 6).
Et ils loueront le Seigneur, ceux qui le
cherchent (Psaumes 21[22], 27). Augustin [écrit] : «Nous
verrons, nous aimerons et nous louerons.» Leurs cœurs vivront pour les siècles des
siècles (Sagesse 5, 16), non seulement d’une vie corporelle, mais de
la vie de l’âme unie à Dieu. Que celui qui (règne) avec le Père daigne nous
l’accorder, etc.
Conférence du soir
Deuxième partie
[Les invités du repas
spirituel]
Un homme fit un grand repas… (Luc 14, 16)
Nous avons parlé aujourd’hui de la
préparation de ce dîner. Il faut maintenant parler de son partage. En effet,
l’homme n’a pas préparé ce dîner pour qu’il n’y ait personne, mais pour le
faire partager à d’autres.
[Les
invités de ce repas]
Remarquez que ce dîner n’est partagé
avec personne qui n’y ait été invité. L’homme peut aller sans y être invité
vers ce qu’il connaît et désire, mais il ne peut aller vers ce qui dépasse
notre désir que s’il y est invité. Tel est ce dîner. C’est pourquoi l’Apôtre,
1 Corinthiens 2, 9, et Isaïe 64, 3 [disent] : L’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu,
n’est pas monté dans le cœur de l’homme [ce que Dieu a préparé pour ceux qui
l’aiment]. Ainsi, n’accède à ce dîner que celui qui y a été invité. C’est
pourquoi [on lit] en Romains 8, 30 : Ceux qu’il a appelés, il les a justifiés, etc.
Il faut remarquer qu’il existe un
double appel : l’un intérieur, l’autre extérieur. L’appel intérieur [est
celui] par lequel le Seigneur parle à l’homme de l’intérieur, et [cet appel] ne
reste jamais vain, car l’homme ne lui résiste pas. Job 14, 15 [dit] :
Tu m’appelleras et je te répondrai.
Augustin dit, dans le livre Sur la prédestination : «La grâce qui est versée dans les cœurs des hommes par la
générosité de la grâce divine n’est rejetée par aucun cœur endurci; en effet,
elle est donnée pour que la dureté même du cœur soit enlevée. Ainsi, elle n’est
pas donnée en vain.» Jean dit donc : Quiconque
entend et écoute mon Père vient à moi (Jean 6, 45).
Il existe un autre appel qui est fait
par un ange ou par un homme, et celui-ci n’est pas aussi efficace que celui qui
vient de Dieu; bien plus, il est fréquemment vain et beaucoup lui résistent.
C’est pourquoi [on lit] dans Proverbes 1, 24 : J’ai appelé, mais vous avez résisté, et dans Matthieu 20, 16 :
Beaucoup sont appelés, mais peu sont choisis.
C’est de cet appel que parle ici le Seigneur lorsqu’il dit : Il en invita beaucoup. Qu’il parle de
cet [appel], cela est clair, car il le lance par le truchement d’un
serviteur : À l’heure du dîner, il envoya
son serviteur dire aux invités : «Venez!» Mais qui est le serviteur?
L’Apôtre Paul et les autres prédicateurs, les prélats et les docteurs :
tous ceux qui travaillent ainsi au bien sont appelés les serviteurs de Dieu.
Il faut ici remarquer deux choses :
ceux qui sont appelés et comment ils sont appelés. Dans la multitude de ceux
qui sont appelés, il existe une triple distinction, comme le montre clairement
l’évangile : certains de ceux qui sont appelés ont été invités au dîner;
certains sont des concitoyens, mais ils sont écartés; et certains sont des
étrangers. Mais quels sont ceux qui ont été invités? Je dis qu’à proprement
parler ont été invités ceux qui ont bénéficié du privilège de la libéralité
divine. En effet, l’invitation est adressée aux membres de la famille. Si
quelqu’un est religieux, clerc et bénéficie du don de sagesse ou de quelque
chose du genre, cela est une invitation. Dans le livre d’Esther, il est dit que
ceux qui avaient été invités au banquet
buvaient dans des coupes d’or (Esther 1, 7). Les coupes d’or sont les
dons précieux de Dieu.
[Ceux
qui ne viennent pas au repas]
Il faut que les invités viennent aux
noces, mais ils ne viennent pas à cause d’un triple obstacle qui est mentionné
dans la lettre canonique de Jean : N’aimez
pas le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la
charité de Dieu n’est pas en lui (1 Jean 2, 15). Qu’est-ce qui empêche
les invités de venir aux noces? Certainement le fait que l’homme est attaché au
monde. Et comment est-il attaché au monde? À coup sûr, en suivant ce qui
appartient au monde. Et qu’est-ce qui appartient au monde? La concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux, l’orgueil de
la vie, comme il est dit dans la lettre canonique de Jean (1 Jean 2, 16).
Ainsi donc, les hommes sont empêchés de venir au dîner de trois façons, même
s’ils y ont été invités, à savoir, à cause de l’orgueil, de la concupiscence
des yeux ou [de celle] de la chair.
Je dis qu’en premier lieu quelqu’un est
empêché de venir au dîner à cause de l’orgueil. Il arrive que certains aient
reçu de Dieu de nombreux dons spirituels ou temporels et, alors que, à cause de
ceux-ci, ils devraient être soumis à Dieu, ils s’en enorgueillissent. Ainsi,
Ezéchiel [dit] : Ton cœur s’est
élevé à cause de sa beauté (Ézéchiel 28, 2); et Jérémie : Tu parleras à leurs grands; ils ont secoué
le joug des conseils, et rompu les
liens des commandements (Jérémie 2, 20). Et ceux-ci sont représentés
par celui qui dit : J’ai acheté un
domaine et je dois aller le voir. Augustin dit que, par ce domaine, le pouvoir
est signifié, et l’orgueil est exprimé par le pouvoir, alors que le dîner est
celui des humbles. Et remarquez ce qu’il dit : J’ai acheté un domaine et il est nécessaire que je le voie. Fréquemment,
ceux qui s’enorgueillissent des dons qui leur ont été donnés par Dieu
considèrent les dons, et non l’auteur des dons. Dans [une lettre] aux Corinthiens,
il est dit : Qu’as-tu que tu n’aies
reçu? (1 Corinthiens 4, 7). Pense que tu es un prélat ou un
savant. Tu dois penser d’où tu le tiens : tu ne le tiens pas de toi, mais
de Dieu afin que tu lui sois soumis. Et cette pensée non seulement écarte
l’orgueil, mais elle incite à l’humilité. En effet, lorsque les dons augmentent,
les causes de ces biens augmentent : plus tu as de biens, plus tu es
l’obligé de Dieu. Mais celui qui ignore qu’il tient ses biens de Dieu ne peut
rendre grâce. Pour cette raison, pense que tu tiens de Dieu tout ce que tu as
et que tu es tenu de le remercier ou de lui rendre grâce, et (ces biens) ne te
conduiront pas à l’orgueil.
D’autres négligent de venir au dîner,
bien qu’ils aient été invités, et cela, à cause de la concupiscence des yeux.
D’eux s’entend ce que [dit] Osée : Je
leur ai donné en abondance l’argent et l’or dont ils ont fait Baal (Osée 2, 8).
Par l’or, on entend la sagesse, par l’argent, l’éloquence : certains
possèdent la grâce de l’éloquence ou le don de la sagesse et, alors qu’ils
devraient servir Dieu, ils servent le Diable, eux qui font servir [ces dons] à
la cupidité et à l’acquisition des biens terrestres. Il dit qu’ils ont fait Baal, parce que l’avarice
est un esclavage envers des idoles. Ceux-ci sont représentés par l’invité qui
dit : J’ai acheté cinq attelages de
bœufs et je dois aller les essayer. Par les cinq attelages sont indiqués
les cinq sens qui sont entièrement au service des choses sensibles. [L’invité]
dit : J’ai acheté cinq attelages de
bœufs, etc. Ici, on blâme non seulement la cupidité, mais aussi la
curiosité. Certains sont très curieux des choses extérieures et de ce que font les
autres, car il s’enquièrent de ce que font les autres et négligent ce qu’ils
font eux-mêmes. Ceux-ci sont comme l’œil qui voit autre chose et ne se voit
pas. En effet, certains ne veulent rien croire qu’ils ne voient.
Troisièmement, les invités sont empêchés
de venir au dîner à cause de la concupiscence de la chair. En effet, certains,
lorsqu’ils sont élevés par des dons de Dieu, se tournent vers les plaisirs.
C’est pourquoi Ézéchiel [dit] : Tu
as confiance dans ta beauté, tu t’es dévoyée (Ézéchiel 16, 15), et
Isaïe : En ce jour-là, le Seigneur
invitera à pleurer et à se plaindre (Isaïe 22, 12), à savoir lorsqu’il
dit dans l’évangile : Bienheureux
ceux qui pleurent, etc. (Matthieu 5, 5). Et leur plaisir, c’est de tuer des veaux (v.g. Isaïe 1, 11); les
réprouvés disent : Mangeons et
buvons, car demain nous mourrons (Isaïe 22, 13). Ceux-ci sont indiqués
par l’homme qui prend femme, raison pour laquelle il ne pouvait venir au dîner.
Par la femme, est signifiée la concupiscence de la chair. Seul lui, et non pas
un autre, dit : Je ne peux venir.
À cause des attraits de la chair, il ne pouvait venir.
Il existe une différence entre les
péchés d’orgueil, de cupidité et de luxure, car les orgueilleux et les cupides
pèchent de propos délibéré et n’ont pas la volonté de venir au dîner, mais ceux
qui pèchent du péché de la chair pèchent par faiblesse et impuissance. Ceux-ci
ont l’intention d’aller au dîner, mais ils en sont empêchés par la
concupiscence de la chair. C’est pourquoi l’Apôtre [dit] : La chair va dans le sens contraire de
l’esprit et l’esprit dans le sens contraire de la chair, de sorte que vous ne
faites pas ce que vous voulez (Galates 5, 17).
Ceux-ci, bien qu’ils aient été invités,
ne sont pas venus au dîner à cause de l’orgueil, de la cupidité ou de la
concupiscence de la chair. Mais il est écrit que le serviteur qui connaît la volonté de son maître et ne la fait pas
recevra un grand nombre de coups (Luc 12, 47). Si tu agis contre la
volonté [du maître], tu mérites une peine d’autant plus grande que tu es plus
grand. Et le maître de la maison, lorsqu’il apprit que les invités ne voulaient
pas venir, se mit en colère. Par la colère est signifiée la vengeance de Dieu.
Ainsi donc, les premiers qui sont
convoqués à dîner sont des invités. Une autre catégorie parmi ceux qui sont
appelés à dîner est celle des concitoyens, mais ils sont écartés. C’est
pourquoi [le maître] dit dans l’évangile : Va dans les villages et sur les places publiques de la ville et invite
les malades, les aveugles et les boiteux, etc. Et voyez comment les
derniers deviennent les premiers. En effet, le grands n’ont pas eu accès à ce
dîner, ni les puissants, mais les malades et les pauvres : nous en avons
un exemple dans Lazare et dans le riche. Les malades se convertissent fréquemment.
Ainsi Ambroise [écrit] : «La faiblesse corporelle n’exclut personne du
royaume et celui à qui fait défaut l’attrait du péché pèche plus rarement.» Et
l’Apôtre [dit] : Dieu a choisi ce
qui est faible dans le monde pour confondre ce qui est fort (1 Corinthiens
1, 27). Vous devez entendre de manière spirituelle le fait qu’ont été
choisis ceux qui sont pauvres au temporel, mais qui sont cependant riches au
spirituel. Ce sont ceux qui se trouvent dans les villages et sur les places
publiques. C’est pourquoi le prophète [dit] : Les pierres du sanctuaire ont été dispersées sur les places publiques (Lamentations
4, 1), mais, dans l’Apocalypse, il est dit de celui qui est riche au
temporel mais pauvre au spirituel : Tu
dis que je suis riche et que je n’ai besoin de rien, mais tu ne sais pas à quel
point tu es misérable, etc. (Apocalypse 3, 17), car le péché rend les peuples misérable (Proverbes
14, 34).
Mais de quelles richesses manquent les
pécheurs? Je dis qu’ils manquent de connaissance, de force et de droiture. Je
dis d’abord que ceux qui sont aveuglés par le péché souffrent d’un manque de
connaissance, c’est-à-dire qu’ils repoussent le bien et choisissent le mal.
C’est pourquoi l’Apôtre [dit] dans [une lettre] aux Thessaloniciens : Enflés, aveugles, aimant la volupté plutôt
que Dieu (2 Timothée 3, 4). C’est par un tel aveuglement que les
hommes méprisent les réalités divines et leur préfèrent plutôt les réalités
temporelles. À d’autres manquent la force et la vigueur de l’âme à cause du péché.
Ainsi, [il est dit] en Néhémie : La
force du porteur s’est affaiblie (Néhémie 4, 10); leur force n’était rien pour moi (Psaumes 105[106], 24).
Et ceux-ci sont les faibles. D’autres, qui sont aveuglés par le péché, manquent
de droiture, à savoir, dans leur intention. Ainsi, [il est dit] dans
Michée : Le saint disparaît de la
terre et il n’y a plus personne de droit parmi les hommes (Ézéchiel 33, 20).
Ceux-ci sont des boiteux : de l’extérieur, ils semblent suivre le
Seigneur, mais si quelqu’un regarde leur intention, ils paraissent boiteux. De
cette claudication Élie dit : Comme
vous boitez des deux côtés! (1 Rois 18, 21). Parfois, les pauvres
sont comblés, les aveugles sont éclairés, les faibles reprennent des forces et
les boiteux sont guéris. Isaïe [dit] : Alors
le boiteux bondira comme un cerf (Isaïe 35, 6).
Voyez : lorsque le serviteur amena
ceux-ci, il dit au maître : Il y a
encore de la place, par quoi est indiquée la prédestination. En effet, ce
ne sont pas seulement les grands ou les fidèles qui sont appelés. Le Seigneur [dit]
ainsi : J’ai d’autres brebis qui ne
font pas partie de ce troupeau, etc. (Jean 10, 16). Pour cette raison,
le Seigneur appelle des étrangers. Ainsi, [il est écrit] dans l’évangile :
Va sur les chemins et les sentiers, et
contrains-les, etc. Par les étrangers sont signifiés les infidèles. Or, il
existe trois catégories d’infidèles. Les premiers sont les Gentils et les
païens qui n’ont aucune part à la foi : la lumière de la foi ne les
éclaire pas. Ceux-ci vont sur des chemins ténébreux. [Il est dit] ainsi : Les chemins des impies sont des chemins de
ténèbres (Proverbes 4, 19). D’autres infidèles sont les Juifs, qui ont
quelque chose en commun avec nous, à savoir, l’enseignement de l’Ancien
Testament, et dont il est dit : Il y
a encore un peu de lumière en vous (Jean 12, 35). Ceux-ci sont
indiqués par les routes fréquentées. Isaïe [dit] : Les routes fréquentées (Isaïe 33, 8). Les observances qui
avaient un sens figuré sont passantes parce que, lorsque la vérité est venue,
la figure passe. Celui qui respecterait les observances qui avaient un sens
figuré pécherait donc. C’est ainsi que l’Apôtre [dit] : Si vous avez été circoncis, le Christ ne
vous servira à rien (Galates 5, 2). En troisième lieu, les infidèles
sont les hérétiques, qui sont dans les fourrés. Les fourrés sont placés pour
faire des divisions : les hérétiques ne servent qu’à provoquer des
divisions. Les hérétiques sont les épines qui piquent et les fourrés qui
divisent.
Ces trois catégories d’hommes nous sont
indiquées par le fait que l’évangile a d’abord été prêché aux dirigeants et aux
prêtres qui refusèrent de venir; par la suite, Pierre a prêché à une foule de
Juifs et en a converti trois mille; puis [l’évangile] a été prêché à ceux qui
sont dans les fourrés et sur les places publiques, et tous furent entraînés
vers la foi. C’est pourquoi l’Église prie non seulement pour les dirigeants,
mais pour les affligés et les infidèles. Tels sont donc ceux qui ont été appelés.
Mais comment sont-ils appelés? Une
triple manière d’appeler est présentée. Les invités doivent être appelés par
une simple annonce. Ainsi, [il est dit] dans l’évangile : Il envoya son serviteur à l’heure du dîner
dire aux invités de venir. Les meilleurs ne doivent pas être invectivés ni
exaspérés. [Il est] ainsi [écrit] : N’invective
pas l’ancien, mais honore-le comme un père (1 Timothée 5, 1), et
ailleurs : Rends honneur au sage (v.g.
Siracide 10, 31). De même, on doit faire entrer les pauvres et les exclus.
Certains ont eu l’intention de venir vers Dieu par le baptême, ont renoncé au
Diable et à toutes ses pompes. Ils ont besoin de quelqu’un qui les instruise et
les fasse entrer, et en fasse des membres de la famille du roi. Ainsi, [il est
écrit] dans l’Exode : Voici que
j’enverrai mon ange qui te précédera, te gardera et t’introduira (Exode 23, 23).
Les infidèles de la troisième catégorie doivent être forcés à entrer dîner.
C’est pourquoi [il est dit] dans l’évangile : Va par les fourrés et sur les places et force-les à entrer. Ceux
qui sont dans les fourrés doivent être forcés de deux manières. Les signes sont été donnés non pas à ceux
qui croient, mais à ceux qui ne croient pas (Marc 16, 17). Ainsi, les
hérétiques sont forcés d’entrer par l’évidence des miracles. Ils doivent aussi
être forcés à la lettre par la crainte. [On lit] ainsi dans les Psaumes : Pour mettre un mors aux mâchoires, etc. (Isaïe
30, 28). Les hérétiques disent que personne ne doit être forcé par la
crainte à accéder à la foi. Il faut certainement dire le contraire, selon
Isaïe : Seule la terreur fera comprendre
ce qu’ils ont entendu (Isaïe 28, 19). On ne lit pas que ceux qui ont
été appelés dans les villages et dans les fourrés se sont excusés, mais
seulement ceux qui ont été invités, par quoi est indiqué que les pécheurs qui
ont froid se convertissent plus rapidement que ceux qui s’écartent alors qu’ils
sont en route. Ainsi, Osée [dit] : Que
n’as-tu pu être purifié, alors que tu viens d’Israël! (v.g. Jérémie 13, 27).
Nous demanderons donc, etc.
(Traduction par Charles
Duyck, http ://vsame.free.fr,
2004)
Prologue
[Les
vrais biens : grâce et gloire éternelle]
La lumière s’est levée pour le juste
et, pour les hommes au cœur droit, la joie (Psaume 97[96] 11). Tout don excellent, toute
grâce parfaite, descend d’en haut, du Père des lumières. Ces derniers mots
sont extraits du chapitre 1 de saint Jacques 1, 17. Un don bon, ce sont
les biens temporels; un don meilleur, les biens naturels comme le corps et
l’âme; un don excellent, ce sont les biens de la grâce et la gloire éternelle.
Tout
don excellent, par quoi il faut comprendre la grâce, provient du Père des lumières.
La grâce est dite don excellent pour
agir de manière méritoire; d’où chez Jean 15, 5 : Sans moi, vous
ne pouvez rien faire. De même, la grâce est dite don parfait pour obtenir le bienfait de la gloire. Et ces dons nous
sont faits par le Père des lumières. Psaume 84[83], 12 : Le
Seigneur donne la grâce dans le présent, et la gloire dans le
futur. Donc, puisque la grâce de Dieu est si efficace pour bien agir dans le
présent et pour obtenir la gloire éternelle dans l’avenir, demandons d’abord au
Seigneur de nous donner la grâce, etc…
Première partie
[Pourquoi
la Vierge est appelée «lumière»?]
La lumière s’est levée pour le juste. Cette expression est brève, et il y a
en elle des sens les plus divers; et elle se trouve dans le psaume 97[96], 11.
Nous lisons que la naissance de la Vierge a été annoncée à l’avance dans
l’Ancien Testament par de nombreuses figures; et parmi d’autres figures, elle a
été spécialement désignée par trois figures, à savoir, par le lever de
l’aurore, par l’apparition d’une étoile et par la sortie d’un rejeton d’une
racine. Par le lever de l’aurore est signifiée la naissance [de la Vierge] sous le rapport de
sa sanctification. Par l’apparition d’une étoile, elle est
préfigurée sous
le rapport de l’intégrité de sa virginité. Par la sortie d’un rejeton
hors d’une racine, sous le rapport de son élévation et de sa grande
contemplation.
À propos du lever de l’aurore, par
lequel est préfigurée la naissance de la Vierge sous le rapport de la sanctification, on
lit, dans Genèse 32, 27, ce que l’ange dit à Jacob : Laisse-moi
aller, car l’aurore se lève. Par le combat de Jacob est signifiée
l’assemblée des Pères d’autrefois qui luttaient avec l’ange des deux bras, c’est-à-dire
par les pleurs et la prière. Ainsi chez Osée 12, 4 : Il lutta avec
l’ange et il eut le dessus; il pleura et lui demanda grâce. Mais après que
l’ange eut reconnu le lever de l’aurore dans la naissance de la bienheureuse et
glorieuse Vierge, il dit : Laisse-moi aller, comme s’il
disait : «Ne me supplie pas davantage, mais aie recours à la Vierge
bienheureuse.» L’aurore, c’est la fin de la nuit qui précède et le début du
jour qui suit. De la même manière, dans la naissance de la bienheureuse Vierge
Marie, la nuit de la faute se termine, et le jour de la grâce est commencé.
Sedulius dit : «Elle a mis fin
aux vices et donné un règle aux mœurs.»
En deuxième lieu, la naissance de la
Vierge glorieuse est préfigurée par l’apparition d’une étoile, sous le rapport de
l’intégrité de sa virginité. Ainsi [parle l’oracle de] Balaam dans Nombres
24, 17 : Une étoile sort de Jacob, un sceptre s’élève d’Israël.
Or, sa naissance est comparée à une étoile du point de vue de l’intégrité de sa
virginité, parce que, de même que l’astre émet ses rayons sans se corrompre et
sans diminution ni perte de sa lumière, ainsi la bienheureuse Vierge a engendré
son fils sans écartememnt violent de sa chair et sans perte de sa virginité.
Saint Bernard dit : «C’est à
juste titre que la bienheureuse Vierge est comparée à un astre, car, de même
qu’un astre émet son rayonnement sans se corrompre lui-même, et de même que le
rayonnement émis ne diminue pas la clarté de l’astre, ainsi le fils [de la
Vierge] ne supprime-t-il en rien la virginité de sa mère.»
En troisième lieu, la naissance de la
glorieuse Vierge a été préfigurée par la sortie d’un rejeton hors d’une racine,
sous
l’aspect de sa contemplation. Isaïe 11, 1 : Un rameau
sortira du tronc de Jessé, et de ses racines se lèvera une fleur, etc. Le
rejeton se dresse vers le ciel, par quoi est signifiée la contemplation de la
bienheureuse Vierge qui a dépassé les choses terrestres et a eu le cœur élevé
vers les choses d’en haut. D’où saint Bernard : «Ô Vierge sublime! En quoi est-elle sublime? Tu élèves ton esprit vers
celui qui est assis sur le trône, jusqu’au Seigneur de gloire.»
Ainsi donc la naissance de la bienheureuse
Vierge Marie était annoncée pour nous par cette triple figure. Il y eut comme
une aurore dans [sa] naissance; comme une étoile qui se lève dans la formation du
Fils de Dieu ; comme un rejeton qui poussait dans son comportement honnête.
David résume ces trois figures en un seul verset en disant : La lumière
s’est levée pour le juste, etc. La lumière clôture la nuit et fait se lever
le jour, émet son rayonnement sans encourir de corruption et, laissant de côté
les choses inférieures, tend vers les choses d’en-haut. Dans l’évangile,
l’assemblée des apôtres est appelée «lumière». Ainsi Matthieu 5, 14 :
Vous êtes la lumière du monde. Les anges aussi sont appelés «lumière»,
Genèse 1, 3 : Dieu dit : «Que la lumière soit!», et la
lumière fut. Et la Glose dit que cela s’entend des esprits bienheureux,
c'est-à-dire des anges. Et comme la bienheureuse Vierge dépasse l’assemblée des
apôtres et des anges en raison de son excellence, elle est appelée «lumière»,
comme il convient.
Elle peut aussi être appelée «lumière»
pour une autre raison. Nous voyons Dieu qui dit en Jean 8, 12 : Je
suis la lumière du monde, et la bienheureuse Vierge a fait germer cette
lumière. [Or,] il est impossible que la lumière soit engendrée d’une génération
univoque par autre chose que la lumière. Voici pourquoi il convient que la
Vierge soit appelée «lumière».
Ces mots lui conviennent donc
bien : La lumière s’est levée pour le juste, etc. Il faut encore remarquer
ici deux choses d’une manière particulière : premièrement, la naissance de
la glorieuse Vierge lorsqu’on dit : La lumière s’est levée ; deuxièmement,
le fruit de sa naissance, en cet endroit : Joie pour le juste et pour les
hommes au cœur droit! La lumière s’est levée pour le juste,
c'est-à-dire pour son père Joachim, parce qu’elle était sa fille, et pour le
juste, à savoir, pour le
Christ, la lumière s’est levée, c’est-à-dire
que la bienheureuse Vierge devait devenir une mère d’un caractère particulier.
Ou encore : La lumière s’est levée
pour le juste, c'est-à-dire qu'elle sera l'avocate de celui qui se repent.
Ainsi l’on chante : «Ô Vierge,
notre avocate[28]!» De même : La lumière s’est levée pour le
juste, c'est-à-dire pour ceux qui pratiquent la justice,
c'est-à-dire les actifs; et la joie pour les hommes au cœur droit,
c'est-à-dire pour les contemplatifs. On appelle «actifs» ceux qui pratiquent la
justice, et «contemplatifs» ceux qui s’élèvent vers les choses d’en haut par la
contemplation, et ceux-ci ont besoin de la lumière qui les oriente vers un bon
comportement et vers la contemplation de Dieu.
Ainsi apparaît clairement pourquoi la
bienheureuse Vierge est appelée «lumière» et par quelles figures elle a
été annoncée.
Le sermon traitera de cette partie :
La lumière s’est levée pour le juste; la conférence [du soir] portera
sur le reste.
On a vu les raisons pour lesquelles la
bienheureuse Vierge a été appelée «lumière»; ajoutons-en encore quelques
autres. Nous voyons que la lumière corporelle est source de joies, qu’elle
guide les voyageurs et ceux qui sont en route, qu’elle dissipe les ténèbres,
qu’elle diffuse la ressemblance, qu’elle est mère des couleurs[29],
qu’elle est la plus belle des créatures, et qu’elle est plaisir et consolation
pour les yeux. Ces qualités se trouvent dans la bienheureuse Vierge, et c’est
pourquoi on dit qu’il est bon de la regarder.
Premièrement, je dis que la lumière est
source de joies, car celui qui se trouve sur la mer désire beaucoup la lumière
et s’en réjouit. Ainsi, cela convient bien à la Vierge qui est figurée dans
Esther 8, 16 : Ce fut, pour les Juifs, un jour de lumière, de
liesse, d'exultation et de triomphe. Ainsi est-il dit aux Juifs,
c'est-à-dire à ceux qui ont la foi, et aux chrétiens qui confessent le Christ,
Dieu et homme, qu’il y a une lumière nouvelle, c'est-à-dire la
bienheureuse Vierge, qui est appelée lumière nouvelle, car il apparaît qu’il
n’y en eut point d’autre avant elle et qu’il n’y en a pas après elle. Et
elle est appelée «lumière» parce qu’elle est étrangère aux ténèbres du péché et
de l’ignorance. Elle est apparue se lever aux yeux du cœur, comme c’est
maintenant le cas pour les yeux du corps : joie à l’intérieur, honneur
pour le proche, triomphe pour Dieu!. À propos de la joie de sa naissance, il
est dit dans les Proverbes de Salomon 13, 9 : La lumière des
justes, c'est-à-dire la bienheureuse Vierge, réjouit ; mais la lampe des
méchants s’éteint.
Deuxièmement, [cette] lumière est le sentier et le
guide des voyageurs. De la même manière, la bienheureuse Vierge est
celle qui indique la direction sur cette route-ci. On dit dans Jean 12, 35 :
Marchez tant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous
surprennent. Il dit : Marchez, en progressant dans le
bien; il ne dit pas : «Ne restez pas oisifs comme ceux dont il est dit dans
l’évangile, Matthieu 20, 6 : “Pourquoi vous tenez-vous ici toute la
journée sans rien faire?”»
Il ne dit pas : «Dormez!», mais : Marchez tant que vous avez la lumière,
c'est-à-dire la bienheureuse Vierge, de peur que les ténèbres ne vous surprennent,
c'est-à-dire les œuvres des ténèbres, ou les anges des ténèbres, c'est-à-dire
les démons, ou encore les ténèbres, c'est-à-dire les supplices des enfers.
Ainsi Proverbes 4, 18 : Le sentier des justes est comme une
brillante lumière dont l’éclat va croissant jusqu’à ce que paraisse le jour.
Le sentier des justes, c’est-à-dire la bienheureuse Vierge, qui est un sentier étroit
et propre, à savoir que la bienheureuse Vierge, pure de la pureté de la
virginité, et tendue par la rigueur de son attachement religieux, et droite par
la droiture de [son] chemin. Le sentier des justes, c'est-à-dire la
bienheureuse Vierge, comme une lumière qui luit pour elle-même et pour les
autres, progresse du bien vers le mieux, et croît jusqu’au plein jour, c’est-à-dire
jusqu’à la joie de l’éternité.
Troisièmement, la lumière disperse les
ténèbres. De la même façon, les vices sont extirpés par la puissance de
la glorieuse Vierge. Isaïe 9, 1 : Le peuple qui marche dans les
ténèbres a vu une grande lumière,
c'est-à-dire la bienheureuse Vierge, qui a été une grande lumière parce que,
comme son fils illumine le monde entier, ainsi la bienheureuse Vierge [illumine-t-elle]
tout le genre humain. De cette lumière, il est dit dans la Genèse 1, 3 :
Dieu dit : «Que la lumière soit!», et la lumière fut. «Que
la lumière soit!», par la
création de l’âme de la bienheureuse Vierge, et la lumière fut, par [sa] sanctification. Genèse 1, 4 :
Et
Dieu sépara la lumière des ténèbres, parce que, par la suite, [la
Vierge] n’a pas péché. De cette lumière, il est dit dans Genèse 32, 27 :
Laisse-moi partir, car l’aurore se lève. À l’aurore, les ténèbres s’enfuient
et apparaît la lumière. De la même manière, la bienheureuse Vierge fait fuir
les ténèbres du péché et fait paraître la lumière de la grâce. Elle est aussi
appelée «aurore», qui veut dire «heure de la rosée» [hora rorans], parce que, à sa naissance, les cieux sont devenus doux
comme le miel. Elle est aussi appelée «aurore», qui veut dire «douce brise»,
car, à ce moment-là, les oiseaux gazouillent et montrent en quelque sorte leur
joie et leur bonheur. De la même façon, les Pères ont vu dans la naissance de
la Vierge la joie du ciel. Elle est aussi appelée «aurore», c’est-à-dire,
«souffle d’or» [aurea aura], en
raison de son caractère précieux. Ainsi saint Bernard : «Enlève le soleil
qui illumine le monde entier : où est le jour? Enlève Marie, l’étoile de
la mer grande et étendue, c’est-à-dire du monde : que restera-t-il, sinon
l’obscurité et les ténèbres les plus épaisses? Quoi donc? Si elle est présente, les ténèbres sont
dissipées; si elle est présente, se lève la lumière.»
Quatrièmement, la lumière diffuse et
communique son rayonnement. De même, la bienheureuse Vierge
diffuse à tous et partage les rayons de sa grâce. Ainsi, dans Siracide 24, 19‑20 :
Venez vers moi, vous tous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes produits,
car mon souffle est plus doux que le miel, etc. Venez, c'est-à-dire : «Passez
de la vanité du monde vers moi, qui suis pleine des grâces»;
ou bien : «Venez de l’erreur du monde, à moi qui possède la vertu»; ou
bien : «Venez, depuis les voluptés, à moi qui aime la chasteté.» Et de
mes produits, c'est-à-dire des dons de la grâce, rassasiez-vous.
Vous ne recevrez pas peu, mais beaucoup, car mon souffle est plus doux que
le miel, puisque la bienheureuse Vierge est bienveillante et
miséricordieuse pour tous. Ainsi Bernard dit : «La bienheureuse Vierge ouvre à tous les bras de sa miséricorde, et tous
reçoivent quelque chose de sa plénitude : le malade la guérison, l’affligé
la consolation, le pécheur le pardon, le juste la grâce; bien plus, le Fils de
Dieu [reçoit d’elle] la substance de sa chair, de sorte que nul n’échappe à sa
chaleur.»
Cinquièmement, la lumière est la mère généreuse des
couleurs. Ainsi la bienheureuse Vierge est-elle la mère des vertus. De
même que les couleurs embellissent le corps, ainsi les vertus embellissent-t-elles
l’âme, parce que la bienheureuse Vierge est la mère des vertus. Il est dit dans
Siracide 24, 24 : Je suis la mère du pur amour [dilectio], c'est-à-dire de
l’amour qui mène à Dieu. «Dilection» veut dire «action de lier deux choses». La
Vierge nous lie à Dieu [Je suis la mère du
pur amour] et de la crainte, par laquelle nous fuyons le péché. Salomon
(Proverbes 14, 16) dit : Le sage craint le mal et s’en détourne.
Ailleurs, (Siracide 1, 27) : La crainte du Seigneur bannit le
péché. [Je suis la mère...] de la connaissance, c'est-à-dire d’une foi
sainte, et d’une sainte espérance, c'est-à-dire de l’espérance de la
béatitude future. Ainsi Bernard [écrit-il] : «S’il y a en nous quelque vertu, s’il y a quelque chose du salut et de
la grâce, nous savons que tout cela déborde de celle qui abondait de délices.
Ici [en Marie] se trouve en effet ce jardin clos sur lequel
se répand le souffle du vent divin venu du sud, et ses parfums débordent en
dons de grâces.»
Sixièmement, la lumière est la plus éclatante des
créatures. De même, la bienheureuse Vierge. Ainsi, dans [le livre de] la
Sagesse 7, 29 : Elle est plus belle que le soleil,
c'est-à-dire que le juste qui brille dans l’Église militante; [elle
est plus belle] que tout l’harmonieux arrangement des étoiles, c’est-à-dire
des saints dans l’Église triomphante. Comparée à la lumière,
c'est-à-dire à la créature angélique, elle sera trouvée plus grande en
dignité et en beauté.
En septième et dernier lieu, la lumière est le plaisir et la
consolation des yeux. De
la même manière, la bienheureuse Vierge est la consolation des hommes. Ainsi
est-il dit dans [le livre de] la Sagesse 7, 10 : Plus que la santé,
par laquelle la maladie est mise en fuite, plus que la beauté du corps,
par laquelle la laideur est enlevée, je l’ai aimée [la Sagesse] et j’ai
cherché à la posséder comme lumière d’une
vie bonne. Les méchants ainsi que les démons détestent cette lumière, et
elle plaît aux bons. Et saint Augustin dit qu’«au palais malade, le pain est
amer, alors qu’il est doux au palais en bonne santé, et qu’aux yeux malades la
lumière est insupportable, alors qu’elle est aimable aux yeux purs». Cette lumière
est aimable à l’intelligence qui est guérie par la foi et au désir du cœur qui
est guéri par la charité. Et il n’y a rien d’étonnant à ce que la bienheureuse
Vierge soit aimable, car le livre d’Esther 5, 1a dit d’elle : Car
elle était très bien faite et d’une incroyable beauté, et elle paraissait
aimable et gracieuse aux yeux de tous. D’elle aussi, Proverbes 11, 16
dit : La femme qui a de la grâce obtiendra la gloire, c'est-à-dire
la gloire éternelle, à laquelle nous conduise Celui qui, avec le Père et
l’Esprit Saint, vit, etc.
Deuxième
partie
[Marie
est la joie des cœurs droits]
La lumière s’est levée pour le
juste, et pour les hommes au cœur droit, la joie (Psaume 97[96], 11). Nous avons
dit aujourd’hui de quelle manière la bienheureuse Vierge, dans sa naissance,
est une lumière étincelante. Il reste à voir de quelle manière elle est une
joie pour les hommes droits, car il est écrit dans le psaume : ... une
joie pour les hommes au cœur droit.
Dans la Sainte Écriture, la joie est
promise, non à tous ceux qui font preuve de droiture, mais à ceux qui ont un
cœur droit, c'est-à-dire à ceux qui sont parfaitement
droits. Nous exposerons ainsi ce que veut dire dire Job 1, 1, dont il est
dit : Cet homme était intègre, droit, craignant Dieu, et éloigné du mal.
Intègre dans sa volonté, droit dans sa manière d’agir. Craignant Dieu et éloigné
du mal, c'est-à-dire du péché. Salomon [dit dans] Proverbes 14, 16 :
Par la crainte, le sage se détourne du mal. À un tel homme droit est promise
la joie.
Il faut voir qu’il y a deux hommes :
l’homme intérieur et l’homme extérieur. Et, en fonction de cela, il est
nécessaire que l’homme parfaitement droit possède la rectitude de l’homme intérieur
et [de l’homme extérieur]. L’homme intérieur tient dans l’âme. Or, l’âme a deux
parties, à savoir, l’intellect et la volonté. Il est donc ainsi nécessaire que
la rectitude existe dans l’homme intérieur : premièrement, pour ce qui est
de l’acte de l’intelligence [intellectus],
parce que la rectitude consiste dans la connaissance de la vérité ; en
second lieu, il est nécessaire que la rectitude existe du côté de l’acte de la
volonté [affectus], qui est la
délectation dans le vrai bien, car la connaissance de la charité redresse
l’intelligence, et l’amour du véritable bien redresse la volonté.
Premièrement, je dis que la connaissance de
la vérité la plus haute redresse l’intelligence. Ainsi Psaume 72[71], 1 :
Comme Dieu est bon – c'est-à-dire très bon – pour Israël, pour ceux
qui ont le cœur pur! Il est bon, c'est-à-dire qu’il répand ses bienfaits
sur ceux qui ont le cœur droit, c'est-à-dire, sur ceux qui ont une connaissance
de la vérité la plus haute par la foi. Car la foi est une lumière particulière
en vue de la connaissance du Seigneur et de ce qui concerne le Seigneur. Psaume
125[124], 4 : Seigneur, répands tes bienfaits sur les bons –
pour ce qui est de la puissance affective – et sur ceux qui ont le cœur
droit – pour ce qui est de l’intelligence. Il est maintenant clair que,
pour que l’homme soit parfaitement droit, est exigée la rectitude de la lumière
intérieure, c'est-à-dire de son âme, pour ce qui est de l’intellect.
Deuxièmement, est exigée la rectitude
de l’homme intérieur dans sa partie affective. Au sujet de cette rectitude,
Bernard dit que «la rectitude de la créature rationnelle est de se conformer à la volonté
divine». Or, cette conformité consiste dans la charité, qui transforme
celui qui aime en l’être aimé, non pas selon sa substance, mais par la
conformité de la volonté.
De même, il faut aussi que tout soit
droit dans l’homme extérieur, ce pour quoi trois choses sont requises :
premièrement, qu’il soit droit dans sa vue et dans son regard; deuxièmement,
qu’il soit droit dans son langage; et troisièmement, qu’il soit droit dans sa
démarche.
Premièrement, je dis qu’il est
nécessaire que l’homme extérieur soit droit dans sa vue et dans son regard.
Salomon (Proverbes 4, 25) dit : Que tes yeux regardent en face,
que tes paupières précèdent tes pas. Il dit : Que tes yeux regardent en
face, non seulement intérieurement mais extérieurement, ce qu’il est
permis de voir; car, dit Grégoire : «Il n’est pas permis de contempler ce qu’il est interdit de désirer.»
Il dit : regardent en face, à savoir, les exemples des saints et
les bonnes œuvres de ceux qui sont proches. Que tes paupières, etc. :
l’homme doit abaisser les yeux vers les choses inférieures et humbles. Mais il
en est qui ont les yeux levés à cause de l’orgueil et de l’arrogance de leur
cœur; il est dit d’eux dans Proverbes 6, 16‑17 : Il y a six
choses que hait le Seigneur; il y en a sept qu’il a en horreur : les yeux
altiers, la langue menteuse. Quand le paon, qui se glorifie de sa queue,
regarde ses pieds, aussitôt il rabat sa queue. De la même façon, si certains
hommes de bien sont emportés par l’orgueil, ce qu’à Dieu ne plaise, qu’ils
contemplent leurs pieds et ils seront humiliés. Il dit : tes yeux,
au pluriel, non au singulier; et il dit : regardent en face, et non
à gauche.
Deuxièmement, l’homme extérieur doit
être droit dans son langage, pour ce qui est de sa partie affective. En effet,
l’Apôtre dit : Efforce-toi de te présenter devant Dieu [comme un homme]
éprouvé, un ouvrier qui n’a pas à rougir, dispensant comme il faut le langage
de la vérité (2 Timothée 2, 15). Il parle surtout ici à un
prélat, et, ensuite, par mode d’adaptation, à tous. Il dit : Efforce-toi,
par la douleur de la contrition; présente-toi à Dieu en ouvrier droit qui
n’a pas à rougir, c'est-à-dire qui ne soit pas susceptible de rougir, mais
susceptible d’être loué et récompensé. Tel est celui qui a dit des paroles utiles.
Mais ce sont les méchants qui sont susceptibles de rougir. Dispensant comme
il faut le langage de la vérité. Certains ne dispensent pas comme il faut
le langage de la vérité, à savoir, ceux qui prêchent pour la gloire, ou à cause
de l’excellence des bons, ou encore pour leur propre vanité. Au contraire,
dispensent correctement le langage de la vérité ceux qui le dispensent en vue
de la gloire de Dieu et de l’édification de leur prochain.
J’ai entendu parler d’un maître en
théologie qui avait exercé pendant vingt-cinq ans, et pendant 20 ans, comme il
le confessa lors de sa mort, il exerça plus en vue d’une vaine gloire qu’en vue
d’être reconnu par Dieu et d’édifier le prochain. Un beau glaive, qui a été
conçu pour couper, si on l’emploie pour fouir le fumier, on s’en servira mal,
parce qu’il ne ne sera pas employé en considération de la fin pour laquelle il
a été conçu. De la même manière, la parole de la vérité a été conçue pour la
gloire de Dieu et l’édification du prochain. Celui qui s’en sert d’une autre
manière ou pour une autre fin, s’en sert mal. C’est pourquoi il est dit dans Siracide
28, 25 : Fais une balance pour tes discours, c'est-à-dire,
pèse tes paroles pour savoir si elles sont ou non à la gloire de Dieu, ou si
elles sont ou non nuisibles à ton prochain; et mets à ta bouche un juste
mors. Un mors est bien ajusté quand il n’y a pas plus d’un côté que de
l’autre, mais quand il est lâche d’un côté et très serré de l’autre, alors il
n’est pas bien ajusté. Mais il arrive même parfois que quelqu’un, dans la prospérité,
maintienne correctement le mors à sa bouche, mais que, dans l’adversité, il
blasphème et murmure. Il est dit d’eux dans l’épître de Jacques 1, 26 :
Si
quelqu’un s’imagine être religieux sans mettre un frein à sa langue,
pour (la garder) des paroles mauvaises et du blasphème, sa religion est
vaine.
Troisièmement, l’homme extérieur doit
être droit dans son intelligence. L’Apôtre dit, Hébreux 12, 13 : Dirigez
vos pas dans la voie droite, à savoir, à la fois de l’esprit et du corps, afin
que celui qui est boiteux ne dévie pas, à cause de l’infidélité de son
intelligence, mais plutôt se raffermisse, à savoir, par la grâce de
Dieu. Quelqu’un a boité des deux côtés par l’affectivité. Ainsi, 1 Rois
18, 21 : Jusques à quand clocherez-vous des deux côtés? Si Yahvé
est Dieu, suivez-le. Boitent sur un seul pied ceux qui possèdent la vraie
foi par l’intelligence, mais ils ont le bien en aversion par leur affectivité.
Ils boitent des deux pieds ceux qui commettent l’erreur d’infidélité par
l’intelligence et qui détestent le bien par leur affectivité; ou ceux qui sont exaltés
en temps de prospérité, mais murmurent au temps de l’adversité. C’est pourquoi
l’Apôtre dit (Hébreux 12, 13) : Dirigez vos pas dans la voie
droite, etc., c'est-à-dire là où se trouvent l’humble patience, la vraie
foi, l’amour véritable. Si donc nous avons un homme droit pour l’homme
intérieur comme pour l’homme extérieur, à ceux-là est promise la joie.
Mais, diras-tu, pourquoi celui qui a
décrit ceux qui ont un cœur droit n’a-t-il pas de la même façon [décrit] ceux
qui ont un corps droit, ou une démarche ou un regard droits? La raison en est
que, lorsqu’il y a rectitude de l’homme intérieur, il y a alors rectitude de
l’homme extérieur. Mathieu 6, 22 dit : Si ton œil est sain,
c'est-à-dire sans le pli de la duplicité, tout ton corps sera éclairé,
tout l’ensemble de tes œuvres sera bon et droit. En effet, parce que l’homme
extérieur dépend de l’homme intérieur, il n’a donc décrit que celui qui a un
cœur droit.
Quels sont ceux qui ont le cœur droit,
cela est maintenant clair. Savez-vous ce que font [ceux qui ont ainsi] un cœur
droit? Ils remboursent au Seigneur trois choses : premièrement, ils réforment leur
vie; deuxièmement, ils aiment le Seigneur; troisièmement, ils bénissent le Seigneur et ils lui
rendent grâce pour les bienfaits que Dieu leur a accordés.
Premièrement, je dis qu’ils réforment leur
vie. Ainsi, dans les Proverbes, l’impie, qui n’a pas de piété
envers le Seigneur ni de compassion envers le prochain, lâche la bride,
c'est-à-dire qu'il ne modère pas son visage, c'est-à-dire son cœur, avec
constance, c'est-à-dire qu’il se conduit imprudemment et
irrévérentieusement; celui qui est droit corrige sa route avec prévoyance.
Tel est celui qui est droit, d’une rectitude de justice par rapport au prochain
et d’une rectitude de contemplation par rapport à Dieu. Tandis que l’impie ne
modère pas son visage, de telle sorte qu’il ne reçoit pas le commandement de
Dieu ou, s’il le reçoit, il ne le met pas en œuvre.
Deuxièmement, ceux qui ont le cœur droit
s’attachent à Dieu par l’amour. Ainsi, dans le Cantique 1, 3 : Les justes t’aiment. Psaume 17, 5 :
Les innocents et les justes se sont
attachés à moi, à savoir, par la ferveur et par l’habitus de la charité.
Troisièmement, ceux qui ont le cœur
droit rendent grâce à Dieu pour
les bienfaits reçus, comme dans le dernier chapitre d’Esdras (Néhémie 8, 5) :
Quand Esdras eut terminé le livre de la loi,
tous les justes se levèrent. Quand Esdras eut terminé, c’est-à-dire lorsque
Esdras eut lu et expliqué [la loi] en entier (on parle de «loi» parce que
celle-ci nous lie). Et il bénit le
Seigneur, le Très-Haut, le Seigneur tout-puissant des armées, et tout le peuple répondit : «Amen!»
Et ensuite : Et ils se rassemblèrent
tous à Jérusalem pour célébrer leur joie, etc.[30]
(Traduction par Dominique-Raphaël
Kling, mars 2005)
Bref
préambule
Que la terre se couvre de verdure : des
herbes portant semence et des arbres fruitiers donnant des fruits contenant
leur semence selon leur espèce, sur la terre (Genèse 1, 11). Isaïe dit du
Christ : De sa génération, qui parlera? (Isaïe 53, 1). La
génération du Christ dépend d'une certaine façon de la génération de Marie (je
parle de la génération temporelle du Christ). Or, pour parler dans le détail de
la génération de Marie, l’intelligence humaine ne suffit pas. Invoquons donc la
grâce de l'Esprit Saint par laquelle Marie a été sanctifiée, et demandons à
l'Esprit divin qu'il me donne de dire quelque chose.
Première partie
[Marie, un
remède comme l'herbe verdoyante]
La règle de la providence divine est
qu'elle pourvoit pour chaque chose selon ce qui lui convient. C’est pourquoi, pour
l'homme, parce qu'il est humain, elle met à disposition un remède tiré la
terre. Ainsi [nous lisons] dans le Siracide : Le Seigneur fait sortir
de terre le remède. (Siracide 38, 4). Deux remèdes tirés de la terre
sont offerts : l'herbe verdoyante et les arbres fruitiers. L'herbe
verdoyante est la bienheureuse Vierge dont l'Église célèbre en ces jours la
nativité. En effet, elle est appelée herbe, du fait de son humilité, verdoyante,
à cause sa virginité, et portant du fruit, par [sa] fécondité. En
considérant les propriétes de l'herbe, nous pouvons considérer trois caractéristiques :
l'herbe est courte en taille, souple au toucher, bienfaisante par sa vertu.
Premièrement je dis que l’herbe est courte
en taille. Si nous comparons l'herbe à l'arbre, nous voyons qu'elle croît peu
en hauteur [contrairement] à l'arbre qui croît fortement. Or, par la hauteur
est signifié l'orgueil. Ainsi dans le Psaume : J'ai vu l'impie forcené
s'élever comme un cèdre du Liban (Psaume 37[36], 35). L'impie,
c'est-à-dire l'orgueilleux, parce que l'orgueil est principe d'impiété, s’élève
par la richesse du monde contre laquelle l'Apôtre écrit : Aux riches de
ce monde, recommande de ne pas juger de haut, de ne pas placer leur confiance
en des richesses précaires (1 Timothée 6, 17). Il s'élève par la
connaissance parce que l'orgueilleux par la connaissance s'exalte lui-même. Même
si sa taille s'élevait jusqu'aux cieux, si sa tête touchait la nue, comme un
fantôme il disparaît à jamais (Job 20, 7). Tu vois donc que l'impie
est ainsi exalté par la prospérité du monde et élevé dans sa propre pensée
comme les cèdres du Liban. D'où en Amos : Sa taille égalait celle des cèdres
(Amos 2, 9).
L'herbe ne croît donc pas beaucoup mais
elle reste courte, ce par quoi est signifiée l'humilité. [Dieu] fait germer
l'herbe (...) au service de l'homme (Psaume 147[148], 8). Par service est signifiée l'humilité. Il est
étonnant que l'arbre s'élève beaucoup de la terre, tout en restant fermement
fixé à elle, mais que l'herbe adhère peu à la terre et qu’elle soit rapidement
arrachée de la terre. Ainsi, l'orgueilleux, bien qu'il se magnifie grandement
et s'exalte, a cependant le cœur fixé à la terre et ne peut en être arraché.
Mais l'humble n’a rien en terre; ainsi son cœur est-il facilement arraché de la
terre. Ainsi donc, en raison de sa petitesse, [l’humble] est comparé à l’herbe.
La Vierge bienheureuse possédait de
nombreuses qualités pour lesquelles elle doit être louée. Elle fut pleine de grâce, selon le témoignage de
l'ange. Elle fut choisie comme mère de Dieu, et bien que devenue mère de Dieu,
elle se glorifie de sa seule humilité en disant (Luc 1, 48) : Parce
qu'il s'est penché sur son humble servante. Le Seigneur recherchait
une femme par laquelle le genre humain serait sauvé et par laquelle le contraire
serait guéri par le contraire. Le genre humain fut perdu par l'orgueil puisque
le commencement de tout péché est l'orgueil. Il n'aurait pas été convenable que
le Fils humble habitât dans une mère orgueilleuse, lui qui devait par son humilité
sauver le genre humain. Ainsi, Dieu ne considère que l'humilité. À propos de
l'humilité de la bienheureuse Marie, Augustin écrit dans un sermon sur son
Assomption[31] :
Ô
véritable humilité de Marie qui engendra Dieu pour l'humanité, fit connaître la
vie aux mortels, ouvrit les cieux, purifia le monde, dévoila le Paradis à
l'homme, libéra les âmes des hommes!. Par la petitesse de l'herbe
[est signifiée] l'humilité de Marie.
Deuxièmement, l'herbe n'est pas ferme
mais tendre. Tendre, c'est à dire qu'elle cède sous le toucher, comme un coeur
tendre qui cède facilement. Il faut noter qu'il y a une certaine tendresse du cœur
[qui est] vertueuse et naturelle; une autre est vicieuse et contre-nature. L’ordre
naturel exige que ce qui est inférieur cède devant ce qui est supéreur. [Or,]
la volonté ou le coeur de l'homme est placé entre deux réalités : l'une
lui est supérieure, l'autre inférieure. S'il cède facilement à ce qui lui est
inférieur, comme la concupiscence de la chair et l'avidité du monde, il s'agit
d’une tendresse contre-nature dont parle [le livre] des Proverbes : Pour
te garder aussi de la femme étrangère, de l'inconnue aux paroles enjôleuses
(Proverbes 2, 16) et dans Jérémie : Sors de son enceinte, mon
peuple! (...)Mais que votre coeur ne défaille point! (Jérémie 51, 46).
Telle ne fut pas la tendresse de cette herbe [la Vierge Marie]. De même, la volonté
de l'homme a Dieu au-dessus d'elle; elle doit donc céder à la motion divine,
car le coeur dur connaîtra le malheur au dernier jour (Siracide
3, 26). À propos de cette tendresse, Job écrit : Dieu a amolli mon
courage, le Puissant m'a bouleversé (Job 23, 16). La jeunesse est
comparée à l'herbe dans le Psaume 90[89], 6 : Le matin, c'est à
dire à la jeunesse, elle fleurit et pousse; le soir, elle se flétrit et
sèche. Dans la jeunesse, l'homme se laisse facilement conduire. La
bienheureuse Vierge a eu cette souplesse par son obéissance puisqu'elle obéit
aussitôt à la parole de l'ange et qu'elle a cru qu'elle allait concevoir de
l'Esprit Saint. Elle se soumet aussitôt : Je suis la servante du
Seigneur; qu'il m'advienne selon ta parole! (Luc 1, 38). Ainsi en est-il
des saints, qui ne peuvent enseigner rien d'autre qu'ils ne vivent déjà. Et
parce que la bienheureuse Vierge fut la plus obéissante, elle [nous] a enseigné
l'obéissance. Parmi les choses qui sont dites d'elle dans l'évangile, on lit
qu'elle enseigna principalement le commendement de l’obéissance : Tout
ce qu'il vous dira, faites-le (Jean 2, 5). Elle dit : Tout
ce qu'il vous dira. Elle ne
dit pas : Tout ce qu'il vous ordonnera, car telle
est la promptitude de l’obéissance qu’elle obéit à la seule parole du supérieur.
Ainsi l’Apôtre [écrit-il] à Tite : Obéis
sur parole (Tite 3, 1). L'obéissance est vertu à titre principal. C’est
ainsi que Grégoire dit d'elle dans les Morales
(XXXV, 14) : «L'obéissance est la
seule vertu qui introduise dans l'âme les autres vertus, et ensuite les y
garde.» Certains s'en vont en murmurant et en disant qu'il est meilleur
d'obéir d'une volonté spontanée que du fait d’un vœu, mais cela est faux. Parmi
toutes les bonnes actions extérieures, il n’y a aucune bonne action qui ne soit
aussi grande que d’offrir un sacrifice, et l'obéissance est meilleure que les victimes.
Ainsi Grégoire [écrit-il] : «Il
est juste de préférer l'obéissance aux sacrifices, parce que ceux-ci immolent
une chair étrangère, tandis que l'obéissance immole notre propre volonté» (ibid.)
La bienheureuse Vierge a proposé un enseignement sur l'obéissance en actes et
en paroles. Par la désobéissance d'un seul homme, nous sommes tous pécheurs; il
était donc convenable que nous soyons sauvés par l'obéissance, et comme
l'obéissance du fils commence par la mère, ainsi la bienheureuse Vierge fut-elle
obéissante.
Troisièmement, l'herbe possède une vertu
bienfaisante pour la santé : elle sert pour soigner les maladies, et si
l'herbe n'avait pas de vertu médicinale, il serait écrit en vain dans le livre
de la Sagesse : Ce n'est ni herbe ni émollient qui leur rendirent
la santé (Sagesse 16, 12). Le genre humain était malade : Pitié
pour moi, Seigneur, car je suis malade : guéris-moi (Psaume 6, 3).
Cette maladie est la conséquence du péché; Dieu a voulu appliquer un remède
médicinal et il a agi comme un bon médecin. Lorsque de bons médecins veulent montrer
leur science médicale, ils s'appliquent d'abord aux maladies graves, et ainsi
ils sont rendus célèbres. Tout le genre humain était accablé, et il paraissait
tout entier corrompu dans la femme. C’est ainsi que Salomon [dit] : J’ai constaté que la femme était plus amère
que la mort (Qohélet 7, 26). Le Seigneur, voulant manifester que sa
médecine était bonne, l'a d’abord mise en œuvre chez la femme, afin que par
elle [ce remède] s'étende aux autres, comme il est écrit : Le remède pour tous s’approche rapidement
dans une nuée (Siracide 43, 24). Et Salomon dit dans sa prière : Le Seigneur a décidé d'habiter la nuée (1 Rois 8, 12). Dans
cette nuée, c'est-à-dire en la bienheureuse Vierge, se trouve le salut du genre
humain parce que, par elle, il est guéri. Aussi dit-il dans le Siracide : En
moi toute grâce de chemin et de vérité, tout espoir de vie et de vertu (Siracide
24, 25). Comme le remède de tous se trouve dans cette nuée, à savoir, la bienheureuse
Vierge, l'Apôtre écrit : Avançons-nous donc avec assurance vers le
trône de la grâce afin d'obtenir miséricorde (Hébreux 4, 16). Il
dit : [Le remède] s’approche
rapidement dans une nuée, car la vertu de [cette médecine] s’est rapidement
manifestée. Cela est rapide pour quelqu’un de recevoir la grâce dans l’enfance,
car la Vierge la reçoit dans le sein maternel puisqu'elle est purifiée du péché
originel dès le sein maternel, bien qu'elle fut concue avec[32].
Dieu est en elle; elle ne peut chanceler (Psaume 46[45], 6), c'est
à dire ni par un péché mortel, ni par un péché véniel. Aussi Augustin [écrit-il] :
«Lorsqu'il s'agit du péché chez la
mère de Dieu, je veux qu’il n’en soit fait aucune mention.» C’et ainsi
que le texte de Jérôme, dans son psautier, porte : Dieu la secourra dès
le l’apparition du matin (Psaume 46[45], 6). C'est pourquoi nous
célébrons sa naissance plus que celle de tous les autres saints, sauf celles du
Christ et de Jean le Baptiste. La bienheureuse Vierge fut donc une herbe par
son humilité.
De même fut-elle une herbe verdoyante
par sa virginité. Dans Jérémie, il est dit : Toute l’herbe de la région se desséchera ; mais la
bienheureuse Vierge fut une herbe verdoyante par sa viriginité. Ainsi, en Luc :
L'ange
Gabriel fut envoyé à Marie, [qui était] vierge (Luc 1, 27).
Voyez comment, dans le verdoiement,
nous observons l’humidité, la beauté et l’utilité ou la nécessité. [Exprimée]
par cette verdeur, nous voyons [symbolisées] la fraicheur, la beauté, l'utilité
ou la nécessité.
Premièrement, je dis que nous en
constatons l’humidité comme la cause, car l’humidité est la cause du
verdoiement. Ainsi, dans le Siracide : Toute
eau donne le verdoiement (Siracide 40, 16). Et vous devez savoir que toute
herbe est desséchée par le feu ou par le soleil. De même, la concupiscence de
la chair dessèche la verdeur de la virginité. Selon Job : C'est
un feu qui dévore jusqu'à épuisement (Job 31, 12). Mais
qu'est-ce qui nourrit le verdoiement de la virginité? Sans nul doute l'amour
céleste, car la virginité est quelque chose de céleste. Ainsi Jérôme [écrit-il] :
«Vivre dans la chair mais au-delà de
la chair n'est pas un comportememnt terrestre ou humain mais céleste[33].»
Et l'Apôtre, lorsqu'il encourage à la virginité, écrit : Chacun
reçoit de Dieu son don particulier, celui-ci tel don, celui-là tel don (1 Corinthiens
7, 7). La virginité est un don de la grâce de Dieu avec le concours du
libre arbitre. Aussi l'adolescent dit-il : Je ne peux être chaste si
Dieu ne me donne de l'être (Sagesse 8, 21). Est-ce que l'eau de la
grâce ne fut pas dans la Vierge? Certes, oui, puisque l'ange lui dit : Sois
sans crainte, Marie; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu (Luc 1, 30).
Elle fut comblée de grâce. L'ange lui dit donc : Salut, pleine de grâce,
et puisqu'elle eut en plénitude l’eau de la grâce, elle ne s'est pas contentée
de préserver sa virginité de la façon habituelle, à savoir, par la continence
conjugale, mais elle s'est très fermement proposée de préserver sa virginité
perpétuellement au-delà de l'usage commun. Aussi a-t-elle répondu : Comment
cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d'homme? (Luc 1, 34),
c’est-à-dire : «Je ne me propose pas d’en connaître.»
Deuxièmement, nous voyons dans ce
verdoiement une beauté délectable. Il est dit dans le Siracide : L’œil désirera la beauté et la grâce, plus que la verdure des champs (Siracide
40, 22). La pureté de la chair et la virginité réjouit le regard de Dieu
et des saints. Pourquoi? À proprement parler, c’est l’ordre ou la beauté de
l’ordre qui réjouit. Augustin dit : «Si quelqu'un voyait des fenêtres mal placées dans une maison, il ne s’en
réjouirait pas.» L'ordre naturel chez l’homme est que la chair soit
soumise à l'esprit, et la beauté existe lorsque cet ordre est respecté; mais
lorsque cet ordre est troublé, alors l'homme est difforme. De là vient que les
péchés de la chair, bien que certains ne soient pas aussi graves que d'autres,
déshonorent l'homme, car ils sont honteux et rendent l'homme désordonné :
ce qui est inférieur dans l'homme devient supérieur et réciproquement. Dans la
bienheureuse Vierge, rien ne fut désordonné, ni en acte, ni en désir, et elle n’a
pas eu les premiers mouvements du péché. Ainsi [est-il dit] dans le
Cantique : Tu es toute belle, ma bien-aimée, et sans tache aucune!
(Cantique 4, 7). À cause de cela, il est écrit à son propos : Le
roi désirera ta beauté (Psaume 45, 12).
De même, nous trouvons que ce verdoiement
est utile. Aussi longtemps que l'herbe est verte, on espère qu'elle produira du
fruit. Mais quand elle commence à sécher, alors on n’espère plus davantage de
fruit. Isaïe [dit] : L'herbe est desséchée, la semence a péri, toute
verdure est morte (Isaïe 15, 6). À l'inverse, lorsque l'herbe
est verte, on espère qu'elle produise du fruit. Ainsi Isaïe [dit-il] : Son
feuillage sera vert et il ne cessera pas de porter du fruit (Jérémie
17, 8). Lorsque quelqu'un est florissant par la virginité, il produira un
fruit de charité. Mais lorsqu'il est desséché par la concupiscence, alors ses œuvres
sont stériles pour la vie éternelle : Qui sème dans la chair, récoltera la
corruption qui vient de la chair (Galates 6, 8). L'herbe sèche
n'est d'aucune utilité, si ce n'est celle d'être jetée au feu. Pareillement
ceux qui brûlent du feu de la concupiscence ne sont d'aucune utilité, si ce
n'est celle d'être jetés dans le feu de l’enfer. Mais la bienheureuse Vierge a
excellé en virginité, bien plus, elle est la reine des vierges. Et comme elle a
eu d'une façon excellente ce verdoiement de la virginité, elle a produit un
fruit admirable. Les autres, parce que vierges, ont produit un fruit spirituel,
dont l'Apôtre dit : Le fruit de l'Esprit est charité, joie, paix
(Galates 5, 22). La bienheureuse Vierge, parce qu’elle a eu en abondance
cette verdure, produit un fruit dans son sein. Il lui a été dit : Bénie
es-tu entre les femmes, et béni le fruit de ton sein! (Luc 1, 42). À
ce propos, Isaïe dit : Voici qu'une vierge concevra et enfantera un
fils (Isaïe 7, 16). Son cœur
brûlait d’une ardeur admirable; c’est pourquoi elle a fait des merveilles dans
sa chair. Les autres vierges ont produit un fruit spirituel, mais cette
vierge a produit un fruit dans son sein. Elle fut donc une herbe verdoyante. [Dieu] dit :
Que toute herbe portant semence verdisse! (Genèse 1, 11).
Et quel genre de semence? Une semence
sainte, une semence vertueuse, une semence nécessaire.
Premierement, la bienheureuse Vierge a produit
une semence sainte. Selon Isaïe (6, 13) : Ce sera une semence sainte qui
sera établie en elle. Pourquoi sainte? Parce qu'elle sera [semence] de
ce qui est saint. Premièrement, ce sera la sainteté de Dieu, car il est
lui-même le saint des saints. Il dit : Vous serez saints car moi je
suis saint (Lévitique 11, 45). C’est la semence d’un saint de ce genre :
c’est donc une semence sainte. La semence, c'est la parole de Dieu (Luc
8, 11), et le Christ est le Verbe de Dieu. La propriété de la semence est
qu'elle produit quelque chose de semblable à elle-même; ainsi la semence du
Verbe de Dieu produit-elle quelque chose de semblable à elle, car elle fait des
dieux. C’est pourquoi Jean [dit] : Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants
de Dieu (Jean 1, 12). Abraham est loué à cause de sa sainteté,
et de même que le Christ est semence de Dieu selon l’Esprit, de même est-il
descendant d'Abraham selon la chair, et c'est à Abraham que les promesses ont
été adressées, ainsi qu’à sa descendance (Galates 3, 6). En
ta postérité seront bénies toutes les nations (Genèse 22, 18). Cette
semence est donc bénie. De même que par la semence du Verbe de Dieu nous
devenons fils de Dieu, de même par la semence d'Abraham nous sommes fils d'Abraham.
Bénie soit la semence qui nous apporte la bénédiction!
De même, elle est semence vertueuse.
Dans l'évangile, elle est comparée à une graine de moutarde qui est la plus
petite graine et produit un grand arbre dans les branches duquel les oiseaux du
ciel se réfugient. Le Christ est une petite semence : il fut petit à la
croix ; il a crû jusqu’à remplir le ciel et la terre. Il est monté aux cieux
pour accomplir toute chose.
De même, est-elle une semence
nécessaire. Ainsi Isaïe [dit-il] : Si Yahvé Sabaoth ne nous avait
laissé quelque semence, nous aurions
été comme Sodome (Isaïe 1, 9) Et le bienheureux Pierre dit :
Il
n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous puissions être
sauvés (Actes 4, 12). Cette semence est admirable et admirable
est sa germination. Cette terre est la nature humaine privée de l’humidité de
la grâce. Jérémie [dit] : J'ai regardé la terre : voici qu'elle
était vide et il n’y avait rien (Jérémie 4, 23). Comment donc a-t-elle
pu produire une herbe? Assurément, d’aucune façon. Cette terre était aride du
fait de la concupiscence du péché. Ainsi, dans le Siracide : À
midi il dessèche la terre (Siracide 43, 3). Cette terre était en
effet au plus bas, car Dieu créa au-dessus le ciel, en-dessous la terre.
Comment donc a-t-elle germé? Il est dit dans la Genèse : Dieu
dit : «Que la terre verdisse de verdure» (Genèse 1, 11). Il dit
une parole, c'est-à-dire qu’il engendre un Verbe qui a produit un fruit. Ainsi,
dans les Proverbes : La Sagesse a bâti sa maison (Proverbes 9, 1),
à savoir, dans la bienheureuse Vierge, et lui fit produire une herbe. [On lit]
dans les Psaumes : Un homme est né en elle, etc.
(Psaume 87[86], 5). Cet homme a rempli cette terre car elle était vide. Tu
as visité la terre et tu l’as abreuvée, tu l’as comblée de richesses (Psaume
65[64], 10). De même, parce qu’elle était desséchée, il l'a abreuvée de
son Esprit Saint. [On lit] dans les Psaumes : Par la pluie elle se
réjouira en germant (Psaume 65[64], 13). De même, parce qu'elle est
toute petite, elle s’est glissée dans la terre afin de lui donner une semence
céleste. Isaïe [dit] : De même que la pluie descend des cieux et n'y
retourne pas sans avoir abreuvé la terre, sans l'avoir fait germer ainsi en sera-t-il
de ma parole (Isaïe 55, 11). Si donc quelqu'un est vide en raison du
péché, qu’il retourne à cette herbe, et il sera comblé de biens. [On lit] dans
les Psaumes : Nous serons comblés des biens de ta maison
(Psaume 65[64], 5). De même, si quelqu'un qui est desséché recourt à cette
parole, il sera abreuvé. [On lit] dans les Psaumes : En lui mon coeur
espère et j'ai reçu de l'aide (Psaume 28[27], 7). De même, si quelqu'un
est enfoncé au plus profond, qu’il recourre à cette parole, et il sera conduit vers
la lumière céleste. Psaume 43[42], 3 : Envoie ta lumière et ta
vérité : elles me guideront, me mèneront à ta montagne sainte, jusqu'en
tes demeures.
Qu’Il daigne nous l’accorder, etc.!
Deuxième
partie
[La croix,
un rémède semblable à l'arbre fruitier]
Que la terre porte toute herbe
verdoyante, etc. (Genèse
1, 11).
Le Très Haut a tiré pour nous de la
terre deux remèdes : l'herbe verdoyante et l'arbre fruitier. Nous avons
parlé de l’herbe, qui est la bienheureuse Vierge. Il reste à parler de l'arbre
fruitier, qui est l'arbre de la croix vénérable du Seigneur, dont nous avons
maintenant commencé la célébration. Et ces deux remèdes sont liés de façon
convenable, car l'herbe verdoyante a apporté notre salut, mais l’arbre fruitier
l’a soutenu et élevé, car le Fils de Dieu
s’est fait obéissant, etc., puis suit : Aussi Dieu l'a-t-il exalté,
etc. (Philippiens 2, 7). Ainsi est-il dit dans l'évangile que la
mère de Jésus se tenait debout auprès de la croix (Jean 19, 25).
Voyons ce qu’il en est de cet arbre.
Moïse semble décrire trois choses à propos de cet arbre : son espèce, sa
parure et son fruit. Si tu t'interroges sur son espèce, [il dit :] un
bois ; sur sa parure, [il dit :] fruitirer ; sur son fruit, [il
dit :] portant du fruit.
Premièrement, je dis que si tu t’interroges
sur l’espèce de cet arbre, il est en bois. Ce bois nous convient comme remède
pour trois raisons : il convient par rapport à notre blessure, par rapport
à la réparation, par rapport à celui qui répare.
En premier lieu, je dis que l’arbre de
la croix nous convient comme remède parce qu’il convient à notre blessure. Le
genre humain a été blessé par un arbre, car le premier homme a mangé de l'arbre
défendu. Aussi la sagesse divine a-t-elle trouvé le remède dans un arbre. Le
genre humain a été blessé par la désobéissance, car le premier homme a dérobé
le fruit de l'arbre défendu. L'homme nouveau l’a restitué à l’arbre comme un
fruit de salut. Psaume 69[68], 5 : Ce que je n'ai pas pris, je le
rendrai. Il s’est donné lui-même à l'arbre pour compenser le dommage et apporter
le remède. Il est béni, le bois par lequel advient la justice (Sagesse
14, 7).
Vous voyez : comparons le bois [de
la croix] à cet arbre. À propos de l'arbre défendu, l'Écriture dit trois choses :
La femme vit que l'arbre était bon à manger et séduisant à voir... Elle prit
de son fruit et mangea (Genèse 3, 6‑7). Premièrement, cet arbre
est bon à manger : à cause de cela, il est apte à nourrir. Au contraire,
l'arbre de la croix nous enseigne la mortification de la chair. D'où il est
dit : Celui que vos chefs supprimeront. Cet arbre-là
est un arbre de mort : Si vous vivez selon la chair, vous mourrez (Romains
8, 13). L'arbre de la croix au contraire vivifie la chair en la faisant
mourir : Le Christ lui-même est mort une fois pour les péchés, juste
pour des injustes, afin de nous mener à Dieu. Mis à mort selon la chair, il a
été vivifié selon l'Esprit (1 Pierre 3, 18); et encore : Si
par l'Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez (Romains
8, 13).
En deuxième lieu, une beauté terrestre
se trouvait dans l’arbre défendu : Elle vit l'arbre qui était beau au
regard (Genèse 3, 6). Isaïe [dit] : Toute sa grâce est comme la
fleur des champs (Isaïe 40, 6). La fleur a la beauté et la
gloire du monde, mais elle est maudite parce que par elle les hommes sont
attirés à la damnation. Job [dit] : J'ai vu ceci : le fou prenait
racine, et j'ai maudit sa beauté (Job 5, 3). Au contraire, l'arbre de
la croix est ignominieux. Ainsi a-t-il été écrit à propos de ce moment : Il
est maudit de Dieu celui qui pend au bois (Deutéronome 21, 23). Voyez comment
il dit que [l’arbre] était beau aux yeux d'Adam et d'Ève, et comment celle-ci
s’en glorifiait. En premier, le serpent leur parle de la science : Vous
serez comme des dieux connaissant le bien et le mal (Genèse 3, 5). Aussi
était-il appelé arbre de la connaissance
du bien et du mal. Il existe des biens dont l’homme ne fait pas un mauvais
usage, comme les vertus; mais avoir l'expérience de certaines choses, ce n’est
pas [avoir l’expérience] des vertus. Certains abondent en biens du monde et
parfois ils en usent mal. Cet arbre possédait la beauté au regard, mais l'arbre
de la croix possédait la honte de la folie. Aussi l’Apôtre [dit-il] : Nous
proclamons, nous, un Christ crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les
païens (1 Corinthiens 1, 23). Et Osée : Et je changerai la beauté
de cet arbre en ignominie (Osée 4, 7). Mais l'ignominie de la
croix a été changée en gloire. Ainsi, chez Ézéchiel : C'est moi, le Seigneur, qui
abaisse l'arbre élevé et qui élève l'arbre abaissé (Ezéchiel 17, 24).
Voyez comment est exalté le bois de la croix. Chosroès, le roi de Perse, avait
ramené de Jérusalem comme butin cet arbre [de la croix] et il fut rapporté à
Jérusalem par Héraclius ; et c'est en mémoire de cet évenement glorieux
qu’on parle de la fête de l'exaltation de la sainte croix jusqu'à nos jours. Et
la croix fut toujours exaltée, car le Seigneur confirme le juste (Psaume
37[36], 17). Augustin, dans un éloge de la sainte Croix, écrit : «La croix est terminée comme peine mais elle
demeure [comme gloire] : de supplice des condamnés, elle est passée au
front des empereurs[34].» (Enarrationes in Psalmos, 36, Sermo
2, 4). Et Jean Chrysostome dit : «Partout la croix resplendit sur la couronne des rois, les armes des
soldats, les autels sacrés, et les rois, après avoir déposé leur couronne, prennent
la croix.» L'arbre de la croix a donc été exalté. Le Seigneur l'exaltera
encore davantage.. Ainsi, dans Mathieu : Le soleil et la lune s'obscurciront,
et on verra le signe du Fils de l’homme dans le ciel (Matthieu
24, 29‑30), c’est-à-dire
l’arbre de la croix. Chrysostome dit que «jamais le Fils de l'homme n'apparaîtrait, après l’obscurcissement du soleil
et de la lune, si la croix n'était pas plus éclatante que les rayons du soleil».
De même, cet arbre est-il délectable. Ainsi, dans la
Genèse : Il était délectable au regard (Genèse 3, 6). La
délectation de la croix n’est pas une vraie délectation, car elle est plus
amère que délectable. Ainsi Salomon [dit] : Du rire j'ai dit : «Sottise»,
et de la joie : «À quoi sert-elle?» (Qohélet 2, 2). Au contraire,
l'arbre de la croix a la beauté de l'amertume, ce qui est signifié dans le
livre des Rois où il est dit : Il sera armé de fer et d'une lance de bois
(2 Samuel 23, 7). Et l'apôtre Pierre écrit : Le Christ ayant
donc souffert dans la chair, vous aussi armez-vous de cette même pensée (1 Pierre
4, 1). Cette élancement d'amertume est transformé en douceur, ce qui est
signifié dans l'Exode lorsqu'il est dit que les fils d'Israël trouvèrent des
eaux amères : le Seigneur commanda à Moïse de tendre le bâton sur elles,
et elles devinrent douces. Si les justes subissent des tribulations, le bois de
la croix les rend douces. La croix fait aussi s'enorgueillir dans la tribulation :
Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de notre Seigneur
(Galates 6, 14), et Jacques [dit] : Tenez pour une joie suprême,
mes frères, d'être en butte à toutes sortes d'épreuves (Jacques 1, 2).
Pourquoi? À cause de l’appréciation de la croix. L’Apôtre [dit] : Songez
à celui qui a enduré de la part des pécheurs une telle contradiction
(Hébreux 12, 3), puisqu'il fut mis au rang des brigands. Qui donc doit
tenir pour un mal d'être en butte à la contradiction? Le bois de la croix
convient à la blessure.
De même convient-il à la réparation.
Regardez dans l'Écriture : où était le danger? Un remède a été donné. Par
un arbre, le premier mal de l'homme advint lorsqu'il fut chassé du Paradis. Quel
fut le remède? L'arbre de vie. Mais parce que l'homme ne pouvait accéder à
l'arbre de vie, il ne pouvait avoir le remède. Le Seigneur a donc dit : «Prennez
garde de ne pas prendre de l'arbre de vie!» Et le Christ nous a apporté un
arbre. C'est un arbre de vie pour qui la saisit (Proverbes 3, 18).
Un autre péril fut le déluge. Le remède vint du bois de l'arche. Si tu es dans
le déluge, dans les eaux du siècke, accours vers l'arbre de la croix. Un psaume
[dit] : Si je marche au milieu de
l’ombre de la mort, etc. Ton bâton, ta
houlette, c'est-à-dire la croix, etc.
(Psaume 23[22], 4). Par le bois [de la croix] je suis conduit dans la
[bonne] direction. De même, le peuple d'Israël fut en péril lorsqu'il fut
opprimé par les Égyptiens, et le remède fut donné par le bois, car Moïse frappa
les Égyptiens de son bâton et par lui divisa la mer. Si tu subis les assauts d’ennemis
spirituels, accours vers le bois de la croix. Il est dit dans le livre des Rois
que les fils d'Israël combattaient contre les Philistins et que l'arche du
Seigneur fut portée dans le camp, et les Philistins eurent peur, et ils
dirent : «Malheur à nous!» (1 Samuel 4, 7), parce que l'arche
arrivait au camp. L'arche était faite d'un bois imputrescible. Un psaume] [dit] :
Ils
seront contristés, les habitants des confins [de la terre], par tes signes»
(Psaume 65[64], 9). Ceux qui sont vaincus craignent l'étendard de leur
adversaire, et comme les démons sont vaincus par le Christ, ils craignent son
étendard qui est le bois de la croix. C’est pourquoi l'Église chante : «Voici le bois de la croix, fuyez, ennemis!»
La croix convient donc à la blessure et à la réparation.
Troisièmement, elle convient à celui
qui répare : par elle le Christ a été exalté. C’est pourquoi il est
écrit : Il faut que soit élevé le Fils de l'homme (Jean 12, 34).
Comment a-t-il été exalté? Assurément comme combattant. À lui convient ce qui
est dit dans les Nombres : Un surgeon se lèvera, issu d'Israël, et il
brisera les chefs de Moab (Nombres 24, 17). L’Apôtre
[écrit] : Il a dépouillé les principautés et les puissances
(Colossiens 2, 15). Le bois de la croix est comme un char triomphal :
il exalte par le Christ. Il est comme le baldaquin de Salomon (Cantique 3, 9);
il est comme un sceptre dirigeant le peuple. Un sceptre de gouvernement, le
sceptre de ton règne (Psaume 45[44], 7). Le Christ a donc été exalté
comme combattant. De même a-t-il été exalté comme un maître [qui enseigne]
depuis la chaire. À propos de cette exaltation il est écrit : Lorsque
que je serai élevé de terre, j'attirerai tout à moi (Jean 12, 32).
Nous voyons maintenant l’espérance [apportée] par le remède.
Voyons la parure de l’arbre. La parure
de l’arbre, c’est d’être chargé de fruits; on dit d’un tel arbre qu’il est un
arbre fruitier. Et quels sont ses fruits? Il est dit dans le Cantique : Tous
les fruits, les nouveaux comme les anciens, je les ai réservés pour toi
(Cantique 7, 14). Les anciens fruits sont des figures qui renvoient à
l'arbre. À propos de ces fruits, il est dit dans Osée : Comme
un fruit sur un figuier en la prime saison, je vis tous vos pères
(Osée 9, 10). Quels sont les fruits nouveaux? Dans le Deutéronome[35], on fait mention, lors de la
bénédiction de Joseph, de trois fruits, à savoir, des fruits du ciel, des
fruits du soleil et de la lune, et des fruits des collines éternelles. Quels
sont les fruits du ciel? Les membres du Christ. La croix fut ornée des membres
du Christ comme un arbre est orné de fruits, non seulement des membres
corporels du Christ, mais des membres de [son] corps mystique, dont on doit
dire : Je suis crucifié avec le Christ (Galates 2, 19). De ces
fruits, on dit dans le Cantique : Que
mon bien-aimé entre dans son jardin
pour manger ses fruits (Cantique 5, 1). Les fruits du soleil et
de la lune sont les exemples des vertus que le Christ a manifestées sur la croix.
Tu as l'exemple de la charité du Christ en croix parce qu'il nous a aimés et
s'est livré pour nous : Nul n'a plus grand amour que celui-ci :
donner sa vie pour ses amis (Jean 15, 13). De même, il nous a donné un
exemple d'humilité parce qu'il s'humilia lui-même (Philippiens 2 8).
Il donna un exemple d'obéissance, parce qu'il s'est fait obéissant (ibid.)
au Père. Il enseigna aussi un exemple de patience, car lui qui était insulté
ne rendait pas l'insulte (1 Pierre 2, 23). Ceux-ci sont les
fruits de la vallée dont on parle dans le Cantique : Au jardin je suis
descendu, pour voir les fruits de la vallée (Cantique 6, 11). Quels
sont ces fruits des collines éternelles? Je dis que ce sont les enseignements
des docteurs qui sont imprégnés de la sagesse. Tu éclaires merveilleusement les
montagnes éternelles (Psaume 76[75], 5). Tu trouveras des docteurs qui
enseignent la foi; le Christ en croix enseigne la foi en disant : Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as tu abandonné? (Matthieu 27, 46). Il montre
que son humanité subit la passion, mais non en raison de l’impuissance de [sa]
divinité. De même, tu trouveras des docteurs qui orientent vers la richesse; le
Christ en croix a orienté vers la richesse lorsqu’il a dit au voleur : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis.
De même, tu trouveras des docteurs qui enseignent la patience. Le Christ en
croix a fait cela en disant : Père,
pardonne-leur, car ils ne savent pas
ce qu'ils font (Luc 23, 34). Tu trouves également des docteurs
qui incitent à la dévotion; le Christ en croix a fait cela en disant : Père,
entre tes mains je remets mon esprit (Luc 23, 46). Tu en trouveras certains
qui enseignent le comportement humain; le Christ en croix a fait cela, car il a
montré à sa mère ce qu’il lui devait, ainsi qu’au disciple, en disant : «Femme,
voici ton fils!». Puis il dit au disciple : «Voici ta mère!» (Jean
19, 27). Tels sont les fruits des collines éternelles dont parle le
Cantique : Ce qui sort de toi est
comme un verger de grenadiers chargé
de fruits (Cantique 4, 13). C'est donc un arbre fruitier.
Mais il y a des arbres qui portent
continuellement des fleurs et des fruits, et tel est l'arbre de la croix qui
porte continuellement des fleurs. Voyez que l'arbre de la croix porte un triple
fruit, à savoir, un fruit de purgation, de sanctification et de glorification.
En premier lieu, je dis que l’arbre de
la croix a produit un fruit de purgation, car, par la croix, nous sommes
libérés des péchés. Ainsi, le bienheureux Pierre [écrit] : Il
a porté nos fautes sur le bois (1 Pierre 2, 24). À propos
de ce fruit Isaïe écrit : Tel est le fruit pour que soit enlevé le
péché (Isaïe 27, 9) Deuxièmement, le bois de la croix produit
un fruit de sanctification dont il est dit : Vous fructifiez dans la sainteté
(Romains 6, 19). En quoi consiste la sanctification? En ce que l'homme s’attache
à la croix. Il est vrai que l'homme est éloigné de Dieu par le péché et qu’il
est réconcilié par le Christ. Ainsi, Romains 5, 10 : Nous
avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, et : Réconcilie-toi
avec lui et fais la paix : ainsi tu auras les meilleurs fruits (Job
22, 21), à savoir, les fruits de
l’Esprit : la charité, la paix, la joie. Et afin que le Christ nous sanctifie, il a souffert hors de la
ville (Hébreux 13, 12), et,
en toute sanctification, les ministres de l’Église utilisent le signe de la
croix. Troisièmement, le fruit de la croix est la glorification, dont Jean
dit : Le moissonneur reçoit son salaire et récolte du fruit pour la vie
éternelle (Jean 4, 36), et, dans le livre de la Sagesse : Le
fruit des labeurs des bons est plein de gloire (Sagesse 3, 15).
Ce fruit est acquis par la croix comme il a été dit. Par le péché l'homme a été
exclu du paradis, et donc le Christ a subi la passion pour que, par la croix,
nous soit ouverte la route de la terre au Ciel. Ainsi la croix du Christ
a-t-elle été signifiée par l'échelle que vit Jacob : Voilà qu'une
échelle était dressée sur la terre et que son sommet atteignait le ciel, et des
anges de Dieu y montaient et descendaient! Voilà que le Seigneur était attaché à
l'échelle (Genèse 28, 12). Tous les saints montent aux cieux par la
vertu de la croix. Aussi l’Apôtre [dit-il] : Nous avons l'assurance
voulue par le sang de la croix pour l'accès au sanctuaire, etc. (Hébreux
10, 19).
Nous demanderons au Seigneur, etc.
(Pour la fête de saint
Nicolas, traduction par Stéphane Mercier, février 2005)
J’ai trouvé David, mon serviteur, je l’ai oint de mon
huile sainte, ma main l’assistera et mon bras le fortifiera (Psaume 89[88], 21).
Prologue
Les œuvres admirables de Dieu sont
insondables pour l’homme, d’où cette parole de Job : Il accomplit de
grandes choses, admirables et insondables (Job 5, 9). Il y a entre
autres les œuvres admirables de Dieu dans ses saints; c’est l’enseignement
d’Augustin, lorsqu’il dit que «la justification de l’homme l’emporte sur la
création, car la création passe mais la justification demeure[37]». Dieu est donc admirable dans ses
saints (Psaume 68[67], 36). Ces œuvres admirables de Dieu dans ses saints,
nous ne pouvons les sonder à moins de recevoir l’enseignement de Celui qui
sonde les cœurs et les reins (Apocalypse 2, 23). Ayons donc recours à
lui par la prière et demandons-lui pour commencer qu’il nous donne de dire
quelque chose, etc.[38]
J’ai trouvé David, mon serviteur, etc.
Division
du sermon
Ces paroles nous permettent de
comprendre les quatre titres de recommandation de ce saint évêque[39] : premièrement, son admirable
élection; deuxièmement, la consécration spéciale qu’il a reçue; troisièmement,
l’efficacité avec laquelle il s’est acquitté de sa charge; et quatrièmement, sa
ferme et immobile stabilité. Son admirable élection est montrée par : J’ai
trouvé David, mon serviteur; sa consécration spéciale par : Je l’ai
oint de mon huile sainte; le fait qu’il a rempli efficacement sa charge
par : Ma main l’assistera; et sa ferme stabilité par : Et
mon bras le fortifiera[40].
Première
partie
Voyons donc ce qu’il dit : J’ai
trouvé David, mon serviteur, où l’idée de trouver nous permet de considérer quatre éléments : trouver
implique la rareté, la recherche, la découverte et la mise à l’épreuve par
l’expérience.
Je dis en premier lieu que le fait de
trouver implique la rareté, car nous disons que nous trouvons ce qui est rare –
il serait ridicule de dire : «J’ai
trouvé des hommes au Petit-Pont[41].» Mais on dit trouver ce qui est rare,
comme cette question qui est posée dans les Proverbes : Qui trouvera
une femme courageuse? (Proverbes 31, 10), ce qui revient à dire :
Il est difficile d’en trouver, parce que la nature de la femme est
timide et faible.
Deuxièmement, on dit trouver ce que
l’on cherche, de là cette parole des Proverbes : Si tu la recherches – il est question de la science divine –
comme une richesse, tu la trouveras (Proverbes 2, 4). Et
l’évangile dit que la femme recherche la drachme perdue jusqu’à ce qu’elle la
retrouve (Luc 15, 8).
Troisièmement, trouver implique une
découverte, d’où ce mot de l’évangile : Le Royaume des cieux est
semblable à un père de famille cherchant un trésor dans un champ; lorsqu’il le
trouve, il va et vend tout ce qu’il possède, etc. (Matthieu 13, 44).
Quand un trésor est sorti de terre et mis au jour, alors on dit qu’il a été trouvé.
Quatrièmement, trouver implique une
mise à l’épreuve par l’expérience. Lorsqu’une personne doute de quelque chose
et la connaît ensuite de façon certaine, elle dit : «J’ai trouvé qu’il en va bien ainsi.»
Salomon dit en ce sens : J’ai trouvé que la femme est plus amère que la
mort (Qohélet 7, 27).
Le Seigneur a trouvé le bienheureux
Nicolas dans les différents sens de ce mot.
Premièrement, il a trouvé en lui
quelque chose d’extrêmement rare, à savoir une vertu précoce – chose rare chez
les jeunes gens, de là ce qui est dit dans les Proverbes : Jeunesse et
volupté sont vaines (Qohélet 11, 10). Un jeune homme qui ne s’adonne
pas à la vanité est un oiseau rare, et le bienheureux Nicolas est dit avoir été
trouvé parce qu’il a conservé la sainteté dans son enfance. Étant encore enfant,
en effet, il épuisait son corps à force de jeûnes; et il est dit en Osée :
Comme des grappes prématurées dans le désert, j’ai trouvé les fils d’Israël
comme les premiers fruits du figuier (Osée 9, 10). Les figues
parviennent à maturité plus tard que les autres fruits, et si elles y parviennent
de manière précoce, on dit qu’on les trouve. On dit de même des enfants qui
conservent la sainteté dans leur enfance qu’ils sont les premiers fruits du
figuier et qu’on les trouve – et cela plaît à Dieu; aussi lit-on en
Michée : Mon âme a désiré des figues mûres avant le temps (Michée
7, 1). On désire vivement les poissons et les fruits précoces; de même
Dieu a un grand désir de voir l’homme porter dans sa jeunesse le joug du Seigneur,
de là cette parole des Lamentations : Ce sera pour l’homme une bonne
chose que d’avoir porté le joug du Seigneur depuis le temps de sa jeunesse (Lamentations
3, 27), parce que le jeune homme marchera selon sa voie et ne s’en
écartera pas même lorsque viendra la vieillesse (Proverbes 22, 6). Et
si de telles personnes s’écartent de la voie de la sainteté, elles y reviennent
aisément.
Deuxièmement, le Seigneur a trouvé dans
le bienheureux Nicolas ce qu’il cherchait. Mais que cherche le Seigneur? Un
esprit dévot, assurément; de là lisons-nous en Jean que Dieu est esprit et
cherche des adorateurs en esprit et en vérité (Jean 4, 23‑24).
Mais pourquoi Dieu cherche-t-il un homme à l’esprit dévot? Voici ma
réponse : tout comme on recherche celui dont la compagnie nous est
agréable, ainsi Dieu recherche-t-il l’esprit dévot parce qu’il se plaît en sa
compagnie, de là ce qu’il dit : Mes délices sont d’être avec les
enfants des hommes (Proverbes 8, 31). Or, Dieu a trouvé dans le bienheureux
Nicolas un esprit dévot, car il était assidu à fréquenter l’église et à prier
dévotement. Aussi cette parole d’Osée peut-elle s’appliquer à lui : Il
a pleuré et l’a sollicité à Béthel, et il l’a trouvé (Osée 12, 4).
Béthel signifie «maison de Dieu». Et notez qu’il est bien dit qu’il a trouvé David,
parce que, dans son enfance, David était très vertueux[42] : il a tué un ours et un lion, il
a été choisi de préférence à ses frères et était très dévot (1 Samuel 16, 17).
Le Psalmiste dit : Mon âme est remplie comme de moelle et de graisse
(Psaume 63[62], 6), celle de la dévotion; et dans le Siracide, on lit que comme
la graisse est séparée de la chair, ainsi David fut séparé des fils d’Israël
(Siracide 47, 2). Le bienheureux Nicolas, lui aussi, fut un homme d’une
sainteté éminente.
Troisièmement, le Seigneur a trouvé
dans le bienheureux Nicolas quelque chose de découvert, à savoir une pieuse
affection. Qu’est-ce qui met l’homme à découvert? Voici ma réponse : rien
ne fait briller l’homme comme la piété et la bienveillance à l’égard des autres
personnes. Dieu en soi est caché, et cependant il se manifeste à nous par les
œuvres de sa bienfaisance. De là ce qui est dit dans le Siracide des gens qui
témoignent de la bienveillance à l’égard des autres : Ceux-là sont des
hommes de miséricorde, dont les œuvres de piété n’ont pas fait défaut (Siracide
44, 10), et l’Église publie leurs louanges. Ailleurs, il est dit
aussi : Les lèvres de beaucoup loueront celui qui distribue généreusement
son pain (Siracide 31, 28). Le bienheureux Nicolas fut un homme suprêmement
compatissant et, dans sa bienveillance, il répandait ses ressources en faveur
des affligés : ayant donné son or, il sauva des vierges de l’indigence. De
là cette parole d’Osée qui peut s’entendre de lui : Par moi, leur fruit
a été trouvé (Osée 14, 9). C’est pour cela que le Seigneur a bien
dit : J’ai trouvé David, mon serviteur. Le serviteur est celui qui
accomplit le travail de son seigneur. Or, l’œuvre principale du Seigneur, c’est
la miséricorde : Et ses commisérations sont au-dessus de toutes ses œuvres
(Psaume 144, 9), dit le Psalmiste. Le serviteur du Seigneur est donc celui
qui accomplit la miséricorde en faveur des pauvres. L’Apôtre dit : Nous
sommes serviteurs à cause de Jésus (1 Corinthiens 4, 10)[43].
Quatrièmement, le Seigneur a trouvé
dans le bienheureux Nicolas quelque chose d’éprouvé par l’expérience, à savoir
la fidélité qu’il recherche grandement; de là ce que dit l’Apôtre : Que
cherche-t-on parmi les dispensateurs, si ce n’est d’en trouver un qui soit
fidèle? (1 Corinthiens 4, 2), et dans le livre de la
Sagesse : Il les a éprouvés et les a trouvés dignes de lui (Sagesse
3, 5). Le serviteur doit être fidèle, pour rapporter à Dieu tous ses
biens. Tes prières, tes œuvres de miséricorde, tout ce que tu fais de bon, tu
dois le rapporter à Dieu; de là il est dit : Celui qui a été éprouvé en
lui a aussi été trouvé parfait (Siracide 31, 10). Tel est le
bienheureux Nicolas, et voilà pourquoi il dit : Mon serviteur. Au
contraire, nombreux sont ceux qui se servent eux-mêmes, et non pas le Seigneur,
et de là ce mot de l’Apôtre : Ainsi, ce n’est pas le Christ qu’ils
servent, mais leur ventre (Romains 16, 18). Si tu fais le bien pour
obtenir une prébende[44], tu te sers toi-même et non Dieu. Tel
ne doit pas être le bon évêque, mais il doit être innocent envers lui-même, dévot
envers Dieu, miséricordieux envers le prochain, et fidèle en tout et à l’égard
de tous.
Deuxième
partie
Il est ensuite question de sa
consécration, indiquée par ces mots : Je l’ai oint de mon huile sainte.
Il faut remarquer que la consécration des évêques et de quelques autres se fait
avec de l’huile, et à peine y a-t-il quelque sanctification qui n’en fasse pas
usage. Pour comprendre la vertu de l’huile, on doit considérer que nous
l’utilisons à quatre fins : pour soigner les blessures, alimenter les lampes,
assaisonner les aliments et pour adoucir.
Voici mon premier point : nous
utilisons l’huile pour soigner. Isaïe dit : La blessure, la contusion
et la plaie enflée n’ont pas été bandées, on n’y a pas appliqué de remède,
elles n’ont pas été soignées avec de l’huile (Isaïe 1, 6).
Deuxièmement, nous utilisons de l’huile
pour alimenter les lampes, d’où le précepte imposé aux fils d’Israël d’offrir de
l’huile pour entretenir les lampes (Exode 25, 6; 35, 9 et 29).
Troisièmement, nous utilisons de
l’huile pour assaisonner la nourriture, d’où nous lisons que le roi Salomon
envoya une provision d’huile à Hiram (1 Rois 5, 11).
Quatrièmement, nous utilisons l’huile
pour adoucir, d’où il est dit : Ses paroles sont plus douces que
l’huile (Psaume 55[54], 22).
Je dis en premier lique que nous
utilisons l’huile pour soigner les blessures; par là nous entendons la grâce
qui guérit [gratia sanans]. De là, en
Luc, le Samaritain qui a voulu soigner le blessé a répandu du vin et de l’huile
sur ses plaies (Luc 10, 33‑34). Les malades reçoivent l’onction avec
de l’huile, de là ce que dit Jacques : Quelqu’un parmi vous est-il
malade? Qu’il appelle les prêtres de l’Église, et que ceux-ci prient sur lui et
l’oignent d’huile (Jacques 5, 14). Mais comme le bienheureux Nicolas
n’a pas reçu l’onction de la grâce qui guérit parce qu’il était en pleine santé
et capable d’oindre les autres, il dit qu’il répandait du vin et de l’huile, le
vin d’une correction sévère et l’huile de la miséricorde et du réconfort[45].
En deuxième lieu, nous utilisons
l’huile pour alimenter les lampes, par quoi l’on désigne l’étude de la sagesse.
Au sujet de cette huile, il est écrit : Que l’huile qui se répand
depuis votre tête ne fasse pas défaut (Qohélet 9, 8), et en Zacharie :
Ceux-là sont les deux fils d’une huile de splendeur (Zacharie 4, 14).
C’est parce que l’huile alimente les lampes que les prophètes recevaient
l’onction avec de l’huile.
Troisièmement, nous utilisons l’huile
pour assaisonner la nourriture, par quoi l’on désigne la joie spirituelle. En
effet, l’assaisonnement donne du goût aux mets; de la même façon, la joie spirituelle
rend les bonnes œuvres faciles. Avec la tristesse, un petit travail est
difficile; avec la joie, même ce qui est ardu est facile : Pour que
l’huile répande la joie sur son visage (Psaume 103, 15), dit le
Psalmiste, et : Dieu, votre Dieu vous a oints d’une huile d’allégresse
plus que tous ceux qui ont part avec vous (Psaume 44, 8); Isaïe
également : L’huile de la joie plutôt que les larmes (Isaïe 61, 3).
Aussi les prêtres reçoivent-ils l’onction avec de l’huile, c’est-à-dire que la
joie spirituelle semble se répandre sur ceux qui sont attachés au culte
divin : Vos prêtres sont revêtus d’allégresse, etc. (Psaume 132[131], 9)[46], dit le Psalmiste.
Quatrièmement, nous utilisons l’huile
pour adoucir, par quoi l’on désigne la miséricorde et la bonté du cœur qui se
trouvaient dans le bienheureux Nicolas, parce qu’il était tout rempli de miséricorde
et de bienveillance. Il est dit dans le Deutéronome : Qu’il soit
agréable à ses frères et trempe son pied dans l’huile! (Deutéronome 33, 24).
L’huile est de nature à se répandre, et de même la miséricorde. L’huile
surnage, et de même la miséricorde par-dessus toutes les bonnes œuvres. Si donc
tu n’as pas la miséricorde, tes œuvres ne sont rien; de là ce que dit
l’Apôtre : La piété est utile à tout (1 Timothée 4, 8).
Vous devez donc penser que les signes des faveurs rejailliront sur les corps
des saints selon les mérites des grâces dans la vie future, et que dans la vie
présente ils manifestent l’affection, comme on le voit clairement avec les
signes de la Passion du Christ dans le bienheureux François, parce qu’il avait
pour elle une vive affection.
De la même façon dans le bienheureux
Nicolas, le signe de sa miséricorde rejaillissent, parce que sa tombe laisse
échapper de l’huile, témoignant qu’il fut un homme de grande miséricorde. Il
est écrit dans le Deutéronome : Pour qu’il tire du miel de la pierre et
de l’huile d’une roche très dure (Deutéronome 32, 13). Cela appartient
au roi[47].
Troisième
partie
Il est ensuite question de
l’accomplissement de sa charge, lorsqu’il dit : Mes mains
l’assisteront, etc. Dieu n’a pas de main corporelle mais c’est ainsi que
l’on qualifie sa puissance. Or, voyez que la main de Dieu assiste [le
bienheureux Nicolas] de quatre manières : premièrement, en le tirant et en
l’arrachant aux maux; en le conduisant; en le fortifiant; et en accomplissant
des miracles.
Je dis en premier lieu que la main de
Dieu, c’est-à-dire sa puissance, a assisté le bienheureux Nicolas en l’attirant
et en l’arrachant aux maux. Le Psalmiste dit : Envoyez votre main
depuis le haut du ciel, arrachez-moi, délivrez-moi des eaux nombreuses et de la
main des fils des étrangers (Psaume 144[143], 7).
Deuxièmement, la main de Dieu a assisté
le bienheureux Nicolas en le conduisant : les hommes ont l’habitude de
conduire les autres par la main; de même le Seigneur conduit-il les justes par
sa puissance; le Psalmiste dit : La malice des pécheurs s’épuisera,
mais le Seigneur conduit les justes (Psaume 7, 10). Isaïe dit
aussi : Il m’a instruit dans sa main puissante pour que je n’aille pas
dans la voie de ce peuple (Isaïe 8, 11).
Troisièmement, la main du Seigneur,
c’est-à-dire sa puissance, a assisté le bienheureux Nicolas, en le fortifiant;
de là on lit en Ézéchiel : Mais la main du Seigneur était avec moi
(Ézéchiel 2, 22; 37, 1, etc.) pour me fortifier. Cet homme[48] a été bien fortifié.
Quatrièmement, la main du Seigneur,
c’est-à-dire sa puissance, a assisté le bienheureux Nicolas en accomplissant
des miracles, d’où ce qui est écrit dans les Actes des Apôtres : Tu étendras
la main pour que des signes et des prodiges s’accomplissent au Nom de ton Fils
(Actes 4, 30). Le bienheureux Nicolas fut rempli de miracles. Qui n'a
jamais recherché la gloire du monde et l’a obtenue comme le bienheureux Nicolas
qui fut un pauvre évêque en Grèce? Or, Dieu l’a paré de miracles, parce qu’il
était miséricordieux au plus haut point. Le Psalmiste dit : Sachez donc
que le Seigneur a rempli son Saint d’une gloire admirable (Psaume 4, 4).
<Brève
conclusion>
La
miséricorde a rendu admirable le bienheureux Nicolas et le Seigneur l’a
confirmé jusqu’à la fin de la vie éternelle. Que nous y conduise Celui qui vit
avec le Père et le Saint-Esprit, etc.
(Traduction par Charles
Duyck, http://vsame.free.fr,
2004)
Prologue
Il y avait un homme riche qui avait
un intendant; celui-ci lui fut dénoncé comme dissipant ses biens (Luc 16, 1)
Toute profusion de grâces provient de
la plénitude du trésor divin, qui se trouve dans le lieu secret des richesses
de Dieu, et personne ne peut le connaître, sauf si Dieu le lui montre. Ainsi,
c’est cette révélation que réclamait Moïse disant : Montre-moi, Seigneur, ton trésor,
la source d’eau vive. Puisque nous nous apprêtons à parler des richesses
divines, ayons recours à Celui en qui sont cachés tous les trésors de la
sagesse et de la science (Colossiens 2, 3) et supplions notre Seigneur,
etc.
Première
partie
[Dieu
est le maître qui donne tous les biens]
Il y avait un homme riche…
C’est un grand danger pour les hommes
d’ignorer leurs limites et leur mesure, et de là vient qu’ils s’élèvent
au-dessus d’eux-mêmes par leur orgueil, parce qu’ils s’estiment maîtres, et non
serviteurs des choses. Ainsi est-il dit dans Job 21, 15 : Qui est
le Tout-Puissant que nous le servions? Il est dit aussi dans Job
11, 12 : L’homme insensé se dresse dans son orgueil et, comme le
petit de l’onagre, pense qu’il est né libre. L’onagre est un âne sauvage,
qui n’a pas de maître. Certains s’imaginent qu’ils ne sont sous le joug de
personne, et il leur semble que tout ce qui leur plaît leur est permis. Et pour
que cette arrogance soit extirpée de notre cœur, nous est proposée la parabole
de l’intendant.
Deux personnages sont ici mis en scène.
Le personnage du maître, en cet endroit : Il y avait un homme riche. Deuxièmement, le personnage de l’intendant,
en cet endroit : ... qui avait un intendant.
En premier lieu, je dis donc que nous
est d’abord proposé le personnage du maître. À propos de la personne du maître,
trois choses sont évoquées : sa condition, en cet endroit : Il
y avait un homme; ses biens, en cet endroit : ... [qui était]
riche; et sa prévoyance, en cet endroit : ...qui avait
un intendant.
En premier lieu, je dis que la personne
du maître est abordée, en cet endroit : Il y avait un homme.
Cet homme, c’est Dieu; bien que Dieu, relativement à sa nature humaine, soit
vraiment homme, il n’est cependant pas circonscrit ou limité quant à sa nature
divine, mais on dit qu’il est un homme relativement à sa nature divine pour
trois raisons : à cause de la ressemblance, à cause de la familiarité et à
cause de ses caractères propres.
Je dis en premier lieu que Dieu est un
homme quant à sa nature divine à cause de la ressemblance. Selon la manière
habituelle de parler, les choses sont nommées par les noms de ce qui les
représente, et ce qui les représente, par les noms des choses. De cette
ressemblance de Dieu avec l’homme, il est dit dans la Genèse 1, 26 : Faisons
l’homme à notre image et à notre ressemblance. Par rapport aux autres
créatures inférieures, l’homme a ce privilège qu’il est créé à l’image de Dieu,
non selon le corps, mais selon l’esprit; et en cela, il est supérieur aux
autres créatures. L’image d’Hercule est appelée Hercule, Hercule porte le nom
de son image, et Dieu est appelé homme. Si l’homme est créé à l’image de Dieu,
il doit veiller à se garder pur et à l’abri de la corruption. Voici que nous
avons une image de Dieu peinte sur bois; si quelqu’un lançait sur elle de la
boue ou du crachat, ne dirait-on pas que c’est un blasphémateur? Il l’est bien
plus celui qui abîme l’image créée à la ressemblance de Dieu, parce que l’image
de Dieu dans une âme surpasse de loin l’image du Christ dans le bois. Saint
Augustin écrit (Sermon 9, De decem chordis) : «Tu es une image de Dieu que tu abîmes par
tes débauches et tes débordements, par tes passions, ne te rendant pas compte
de qui tu violes l’image.» Si cette image est corrompue par le péché,
l’homme doit se dépouiller de toute sa souillure et se renouveler. Ainsi dans
Colossiens 3, 9 : Puisque vous avez dépouillé le vieil homme avec
ses œuvres, revêtez l’homme nouveau qui se renouvelle dans la connaissance de
Dieu, selon celui qui l’a créé. Tout ce qu’il y a de péché ou de souillure
en nous, nous devons nous en dépouiller et revêtir l’homme nouveau, pour
connaître Dieu en esprit et en actes.
En deuxième lieu, Dieu est homme en
raison de sa familiarité. Si quelqu’un vivait au milieu des Français, on
dirait : «Cet homme est devenu français par son comportement.» On peut
dire que Dieu est homme en raison d’une certaine familiarité et d’un certain
comportement, car il lui est agréable d’être avec eux. Ainsi il est dit dans
les Proverbes 8, 31 : Je trouve mes délices à séjourner parmi les
enfants des hommes, et il lui fut agréable de vivre dans la compagnie des
hommes à un point tel qu’il ne lui suffit pas de vivre au milieu d’eux par
l’esprit, mais qu’il a voulu prendre sur lui notre chair afin de vivre
corporellement au milieu des hommes. Ainsi Baruch 3, 38 : Il est
apparu sur la terre et il a séjourné parmi les hommes. Il est apparu sur la terre : comment? Jean 1, 14
dit : Le Verbe s’est fait chair. Si Dieu s’est montré aussi
familier avec nous, nous aussi nous devons nous montrer familiers avec lui.
Ingrat est donc celui qui ne se soucie pas d’habiter avec Dieu. Si un roi
recherchait la familiarité d’un pauvre, il y aurait une grande présomption de
la part de celui-ci à refuser la familiarité du roi. Le Roi tout-puissant
recherche à être familier avec toi : comment? Il est dit dans Apocalypse
3, 20 : Voici que je me tiens à la porte, dit-il – et quelque chose pénètre dans le cœur en passant par la
volonté pour atteindre la disposition du cœur –, et je frappe – en suggérant
une bonne intention –; si quelqu’un m’ouvre la porte, j’entrerai et je
souperai avec lui. Quand quelqu’un ouvre au Christ le désir de son cœur,
alors Dieu entre et il le restaure, et il est restauré : il se réjouit en
toi et fait en sorte que tu te réjouisses. Si Dieu est ainsi familier avec
nous, nous devons nous efforcer d’être familiers avec lui. Psaume 27[26], 4 :
Il est une chose que je demande au Seigneur, je la désire ardemment, etc.
Sagesse 8, 16 : Les rapports
avec lui ne causent aucune amertume,
ni son commerce aucun ennui. Il y en a dont les rapports causent de
l’amertume, tourmentent et attristent les autres; il en est d’autres dont le
commerce provoque l’ennui, parce qu’ils disent des choses vaines, ou parce
qu’ils ne sont pas agréables. En Dieu, tu ne trouveras rien qui ne te soit
agréable. Toute délectation est sans valeur en considération de la délectation
de Dieu.
En troisième lieu, Dieu est appelé
homme en raison de caractéristiques humaines. Quel est le propre de l’homme?
Être doux par nature, car l’homme est naturellement un animal social. Certains
animaux vivent à part : les bêtes sauvages, les lions, les ours.Et [la
douceur] est tellement naturelle à l’homme que la bonté est appelée humanité.
S’il arrive que quelqu’un soit pestiféré ou nuisible; on dit qu’il est
inhumain, parce qu’il a pris la nature d’une bête sauvage, d’un lion et d’un
ours. Ainsi Proverbes 28, 15 : Un lion rugissant et un ours
affamé, tel est le méchant qui domine sur un peuple pauvre. Cette
caractéristique convient de manière éminente à Dieu, car sa compassion s’étend sur toutes
ses créatures (Psaume 145[144], 9), ou plutôt sa bonté et sa longanimité.
Ainsi, l’Apôtre [dit] en Tite 3, 4 : L’humanité et la bonté de
notre Sauveur se sont manifestées, etc.
Parce que, en raison de la
ressemblance, de la familiarité et de l’humanité de Dieu, chacun doit être pur,
attaché à Dieu, bienveillant envers son prochain, la condition de cet homme est
maintenant claire, lorsque [l’évangéliste] dit : Un homme.
Il faut ensuite voir ce que sont les biens [de cet
homme], ce qui est indiqué quand on dit : [un homme] riche.
Quels sont ces biens? Je dis qu’il était riche de trois manières :
premièrement, en raison de la perfection de sa nature; deuxièmement, en raison
de l’abondance de ses dons; troisièmement, en raison de la grandeur de ses
possessions.
Je dis donc d’abord que Dieu est riche
en raison de la perfection de sa nature. Il arrive que certains soient riches
des biens qu’ils possèdent, mais qu’ils soient plutôt légers en biens intérieurs,
comme les sots qui ne possèdent pas la sagesse. Un homme devait donner sa fille
en mariage : deux candidats se présentèrent à lui. L’un était riche en
biens, mais pauvre en sagesse; l’autre était sage, mais n’était pas riche. [Notre
homme] alla trouver un sage et lui demanda à qui il devait donner sa fille. Le
sage répondit : «Je préfère un homme sans richesses à des richesses sans
homme.» Mais Dieu est riche en lui-même; tout ce qui se trouve de bien dans la
créature vient de lui. Si tu cherches la science ou la bonté, cela se trouve,
originairement et d’une manière éminente, en Dieu. De ces richesses, l’Apôtre [Romains
11, 33] dit : Ô profondeur des richesses, de la science et
de la sagesse de Dieu! D’où il suit qu’en Dieu, les richesses sont infinies
et qu’avec le plus grand désir, nous devons tout faire pour posséder Dieu.
Celui qui sait qu’il y a un trésor plein de richesses là où il peut l’atteindre
est fou de ne pas placer tout son zèle à acquérir ce trésor. Il y a en Dieu un
trésor de richesses que tu peux acquérir. Ainsi, dans l’évangile de Matthieu
13, 44 : Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor caché dans
un champ; un homme, l’ayant trouvé, s’en alla vendre tout ce qu’il possédait et
acheta ce champ. Si tu possèdes ces richesses qui sont en Dieu, rien ne te
manquera. Ainsi, dans le livre de la Sagesse 7, 11 : Beaucoup de
biens me sont venus avec elle. Et le Seigneur dit dans Exode
33, 19 : Je te montrerai toute ma bonté. Seul Dieu peut
combler notre désir.
En second lieu, on dit que Dieu est
riche en raison de la profusion et de l’abondance de ses dons. On fait bien de
dire de quelqu’un, non pas qu’il est très riche, mais qu’il a beaucoup à donner.
Dieu donne abondamment et son trésor n’en est pas diminué. L’Apôtre [Éphésiens
2, 4] dit : Dieu qui est riche en miséricorde – c'est-à-dire
qui répand abondamment sa miséricorde. Il est riche en effet envers tous
ceux qui l’invoquent. Si quelqu’un donnait avec abondance, nombreux
seraient ceux qui se présenteraient pour recevoir [ses dons]. Mais si toi, tu
veux recevoir, Dieu est prêt à te donner. Tu dois te présenter pour recevoir [ses
dons]. Psaume 34[33], 6 : Venez à lui et vous serez illuminés. Et
dans l’Apocalypse 22, 11 : Que le saint se sanctifie encore!
L’homme doit toujours désirer posséder de plus en plus de biens spirituels. Son
désir n’a ni limite ni mesure, mais les désirs de ce qui se rapporte à la fin
sont réglés selon la mesure [de la fin]. Augustin [dit] : «Le but que cherche à atteindre le médecin,
c’est la santé; les choses qui existent en vue de ce but, ce sont les remèdes.
Le médecin ne dit pas : “Je ne veux pas soigner cet homme imparfaitement,
mais [je veux le soigner] du mieux que je peux.” En considération du but à
atteindre, il ne met pas de limite. Mais s’il disait : “Je lui donnerai le
remède le plus fort que je pourrai”, il s’exprimerait mal, car les remèdes
existent en vue de la fin. [Pour les remèdes], il doit se fixer une limite.»
Les biens de l’âme sont le but; les biens du corps sont en vue de ce but.
Ainsi, pour ce qui concerne les biens temporels, nous devons les rechercher de
manière mesurée, mais les biens de l’âme, nous devons les rechercher autant que
nous le pouvons. Certains cependant veulent une vertu qui reste dans la mesure.
Ils disent : «Il me suffit de faire cela»; mais, à leurs richesses, ils ne
veulent pas imposer de limite. Une seule prébende ne leur suffit pas, mais plus
ils possèdent, plus ils désirent posséder. Cependant Dieu est riche en
miséricorde et de la profusion de ses dons. C’est pourquoi nous devons toujours
nous rapprocher de lui pour les biens spirituels. En ce qui concerne les biens
temporels, nous devons lui faire confiance : il nous donne de ces biens
selon ce qui lui semble être utile à chacun. Ainsi, dans l’évangile de Matthieu
6, 33 : Cherchez d’abord le Royaume de Dieu, et tout cela vous
sera donné en plus.
De même, Dieu est-il riche par ses
biens, car tout lui appartient. Psaume 24[23], 1 : Au Seigneur
est la terre, etc. Gloire et richesses dans sa demeure (Psaume 112[111], 3).
Alors
qu’il était riche, pour nous il s’est fait pauvre
(2 Corinthiens 8, 9). Sur ce point, nous devons considérer que nous
ne devons pas mettre notre espérance dans les biens temporels, mais dans les
biens spirituels. Si un homme voyait le serviteur d’un autre et si ce serviteur
promettait de le servir, il ne devrait pas s’y fier, parce que le maître
pourrait l’en empêcher; mais si le maître du serviteur donnait à celui-ci la
permission de le servir, alors il pourrait lui faire confiance. Ainsi donc, en
Dieu, nous pouvons avoir confiance, parce que lui, il peut tout donner. Ainsi
l’Apôtre [dit-il]: Aux riches du siècle présent, prescris de ne pas être
orgueilleux – c’est-à-dire de ne pas s’enorgueillir de ces biens qui sont
d’ici-bas – et de ne pas mettre leur espoir en des richesses incertaines,
mais dans le Dieu vivant qui nous procure tout avec abondance (1 Timothée
6, 17). C’est en lui qu’est le commencement de l’espérance.
Dieu est donc riche de trois manières. Ce
qui concerne l’homme [de la parabole] et ses biens est donc clair. Voyons ce
qu’il en est de sa prévoyance, qui est indiquée lorsque Jésus dit : [Un homme], qui avait un intendant.
Mais qui est cet intendant? Je dis que
l’intendant est l’administrateur d’un domaine. Il s’ensuit que Dieu, qui peut
tout faire par lui-même en raison de sa puissance, mais ne l’a pas voulu, a
plutôt confié l’administration à d’autres et s’est réservé le gouvernement; il
a voulu que d’autres administrent pour que soient conservées la beauté de
l’ordre et la perfection de l’univers. À supposer que quelqu’un n’aurait pas
besoin d’un autre, la beauté de l’ordre n’existerait pas. Psaume 104[103], 24 :
Que tes œuvres sont belles, Seigneur! Tu les as toutes faites avec sagesse,
la terre est remplie de ce qui t’appartient. De même, il a voulu tout
gouverner selon sa volonté, parce qu’il n’a pas voulu qu’il y eût quoi que ce
fût d’inutile. Ainsi, dans le livre de la Sagesse 14, 4 : Puisque
tu as le pouvoir de tout sauver, et ensuite : Pour
que toutes vos œuvres ne restent pas inutiles, les hommes confient leur vie à
un bois fragile. Pourquoi Dieu a-t-il fait le soleil? Pour que nous
ne soyons privés ni de sa chaleur ni de sa lumière. Il serait superflu s’il
n’avait pas d’utilité. Et toi, tu es superflu dans le monde si tu n’as pas
d’utilité. As-tu donc établi en vain [tous] les fils des hommes? dit le
Psaume. C’est comme s’il disait : «Non!» Et le Seigneur a ordonné que le
serviteur inutile soit jeté dans les ténèbres extérieures (Matthieu
25, 30). Que faut-il donc dire du serviteur nuisible? De même, c’est par
libéralité que Dieu a voulu confier à d’autres l’administration. Dieu a voulu
que la bonté d’une chose soit transmise à d’autres. Denys, dans La
Hiérarchie céleste, ch. 3, dit que «rien n’est plus divin que de devenir le
collaborateur de Dieu». Et quand tu parles en public pour le salut de l’âme ou
quand tu fais autre chose de bien, tu collabores avec Dieu. Ainsi Dieu dit à
Moïse (Exode 9, 1) : J’ai fait de toi un dieu pour Pharaon.
[Jésus] dit : [Un homme,] qui
avait un intendant. Qui sont les intendants? [Denys] dit que Dieu a établi
ses intendants selon divers ordres. D’abord, il a établi les anges pour
administrer toute créature. Ainsi, Augustin [écrit] dans le Commentaire littéral de la Genèse :
«Tous les corps sont gouvernés par des
créatures spirituelles.» Hébreux 1, 14 : Ils sont tous des esprits en service. Ce sont de grands baillis.
Mais ils sont inférieurs à ceux qui sont préposés aux affaires terrestres.
Ainsi, dans Genèse 1, 26 : Faisons l’homme à notre ressemblance et
à notre image, et qu’il domine sur les poissons de la mer, sur les animaux et
les volatiles, bref sur tous les êtres. Psaume 8, 7 : Tu
as mis toutes choses sous ses pieds, mais sachez que le Seigneur
lui-même est Dieu (Psaume 100[99], 3). Ainsi Jean Chrysostome dit
à propos de la parabole de l’intendant, qui fait partie des textes rejetés[49] : «Tu es un étranger et les droits qui te sont attribués le sont de
manière transitoire et pour un court laps de temps.» Et il donne deux
exemples, en disant : «Maintenant, tu possèdes un champ ou un serviteur.
Mais considère combien il a existé de maîtres auparavant en nombre infini :
c’est à peine s’ils ont des parcelles de terre! De même, en est-il de toi comme
de celui-là qui se repose maintenant à l’ombre : tu t’en vas, et un autre
vient qui se repose à cet endroit comme tu le faisais. Ainsi, dans le monde, tu
cèdes (ta place) selon la volonté de la divine Providence, non selon la tienne.»
Tu es donc l’intendant, et non pas le maître. Il y a aussi des baillis
intermédiaires entre les hommes et les anges, qui sont supérieurs aux hommes et
sont placés au-dessus d’eux. Ainsi, l’Apôtre [dit] : Placés au-dessus comme dispensateurs (1 Corinthiens 4, 1). De
même, Dieu a suscité des serviteurs glorieux, à savoir les bienheureux Dominique
et François, qui se sont mis au service du salut des hommes, et ils se sont
appliqués à conduire les hommes au salut. Et tous les saints se sont mis au
service du salut des hommes, et les résultats de leurs bons efforts sont
glorieux. Aussi sont-ils maintenant glorieux dans la patrie céleste, à laquelle
nous conduise Celui qui, avec le Père et le Fils, etc.
Deuxième
partie
[L'intendant
indigne qui dissipe les biens de son maître]
Il y avait un homme riche…
Comme nous l’avons dit aujourd’hui,
deux personnages apparaissent dans cette parabole, à savoir le maître et
l’intendant. Certaines choses ont été dites à propos des deux; nous parlerons
maintenant de l’intendant.
Nous pouvons considérer trois points
concernant l’intendant, à savoir sa fonction, ses abus et le danger [qu’il
court] : son métier, car il était intendant; ses abus, car il dilapida les
biens de son maître; et le danger, car il perdit sa réputation.
J’ai dit que les intendants sont des
administrateurs, comme les anges et les hommes. Et parce que nous sommes
des hommes, disons que l’homme est celui à qui est confié le soin de distribuer
les biens. Il y a trois choses que le Seigneur a confiées à l’homme :
lui-même, les biens spirituels et les affaires extérieures.
Je dis d’abord que le Seigneur s’est
confié lui-même à l’homme. Telle est la différence entre l’homme et les autres
êtres vivants : c’est que le Seigneur a donné à l’homme pouvoir sur
lui-même. L’homme peut faire de lui-même ce qu’il veut, alors que les autres
êtres vivants sont mus par leur instinct naturel. Ainsi, Siracide 15, 14 [dit] :
Au commencement Dieu a créé l’homme et il l’a laissé dans la main de son
conseil. Si tu avais confié quelque chose à quelqu’un, tu exigerais des
comptes de sa part; mais remarque-le : si un lion tue un homme, Dieu ne le
punit pas, car le soin de lui-même ne lui a pas été confié. L’Apôtre dit dans
1 Corinthiens 9, 9 : Dieu se met-il en peine des bœufs?
Mais Dieu a confié l’homme à lui-même; il doit donc lui en rendre compte. Ainsi
Qohélet 11, 9 : Marche dans la voie de ton cœur, c’est-à-dire
selon les désirs de ta volonté, et selon le regard de tes yeux,
c’est-à-dire selon ton intelligence, mais sache que pour tout cela, Dieu te
fera venir en jugement.
En deuxième lieu, Dieu a confié à
l’homme les biens spirituels, car l’homme a le pouvoir d’user des biens
spirituels, et il peut en user bien ou mal. Ainsi dans l’évangile de Matthieu
25, 14 : Un homme, partant pour un pays étranger, convoqua
ses serviteurs et leur remit ses biens, à savoir, les biens
temporels, et Luc 19, 13 : Faites-les valoir jusqu’à ce je
revienne. Si tu possèdes la charité, tu peux t’en servir bien ou mal, et il
te faudra en rendre compte. Ainsi, l’Apôtre (dit-il) en 1 Corinthiens
14, 32 : Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes.
Et il faudra en rendre compte. Grégoire (écrit) dans son Homélie 9 sur l’évangile : «Quand croissent les dons, croissent les comptes (à rendre) de ces dons.»
Troisièmement, Dieu a confié à l’homme
les biens extérieurs, pour qu’il en use. Psaume 8, 8 : Tu as
mis toutes choses sous ses pieds, etc., et tu dois rendre compte à Dieu. Si
un maître t’avait confié ses biens, il faudrait que tu lui en rendes compte à
la fin de l’année. Ainsi Dieu, à la fin de ta vie, exigera-t-il (que tu rendes)
compte des biens qui t’ont été confiés. C’est ainsi qu’il est dit contre les
méchants dans la (lettre) canonique de Jacques 5, 1 : Vous,
maintenant, pleurez, éclatez en sanglots à la vue des misères qui vont fondre
sur vous. Et plus loin, Jacques 5, 9 : Voici que le
juge est à la porte. Voilà ce qu’il en est de la fonction de l’intendant!
Voyons les abus de l’intendant, ce qui est
indiqué lorsqu’il dit : Il dissipa les biens [de son maître].
Mais de quelle manière l’intendant dissipe-t-il les biens de son maître? De
trois manières : en premier lieu, je dis que l’intendant dissipe les biens
de son maître en les usurpant. Par exemple, supposons que l’intendant, à qui le
maître a confié son domaine ou d’autres biens, ne voudrait pas pas travailler
au profit de son maître, mais se les approprierait, il serait appelé voleur.
Dieu t’a confié à toi-même, non pour que tu sois à toi-même, mais pour que tu
sois à lui et pour que tu cherches la gloire de Dieu, non la tienne. L’Apôtre [dit]
dans 2 Timothée 2, 15 : Efforce-toi de te présenter devant
Dieu comme un homme éprouvé, un ouvrier qui n’a pas à rougir. Mais il y en
a qui ne se considèrent pas comme [des hommes] libres. Ainsi, Job 21, 15 [leur
fait-il dire] : Qu’est-ce que le Tout-Puissant pour que nous le
servions? De même, si Dieu t’a donné la sagesse et la vertu, dans quel but
te les a-t-il données si ce n’est pour que tu le serves et que tu lui rendes
gloire? Dans Daniel 2, 23 : À celui qui m’a donné la sagesse, je veux rendre
gloire. Et Hilaire dit : «Je sais que la principale fonction de ma vie que je te dois, Père Tout-Puissant, est
que toutes [mes] paroles et toutes [mes] pensées parlent de toi.» Mais
certains ne sont pas ainsi, comme le dit le Psaume 12[11], 5 : Nous lèvres nous appartiennent; qui serait notre maître? S’ils
sont capables de bien disputer et de bien commenter, ils ne devraient pas, pour
autant, attaquer Dieu et la foi. Ainsi Isaïe 3, 8 : Leurs
paroles et leurs œuvres sont contre le Seigneur. Dieu t’a donné la
richesse afin que tu la tournes à son honneur. Ainsi David, en
1 Chroniques 29, 14 [dit-il] : Toutes choses sont à toi, et
ce que nous avons reçu de ta main, nous te l’avons donné. À l’opposé,
certains pensent que tous leurs biens sont à eux, et non à Dieu. Job
22, 17‑18 : Ils se sont imaginé que le Tout-Puissant ne
pourrait rien leur faire! Alors que c’est lui qui a rempli de biens leur maison.
Et Isaïe 24, 5 : Ils ont rompu l’alliance éternelle.
Il faut comprendre que toutes les créatures doivent exister en vue de la gloire
de Dieu. L’intendant dissipe donc les biens de son maître en les usurpant.
Deuxièmement, il arrive que l’intendant
– ou le dispensateur – dissipe les biens de son maître en les retenant
injustement. Celui qui devrait vendre le vin [de son maître] et qui le retiendrait
jusqu’à ce qu’il se corrompe, celui-là dissipe les biens de son maître en les
retenant injustement. Tu prends soin de toi, non pas pour t’occuper de toi seul
et pour prendre soin de toi seul. Ainsi l’œil n’est pas fait pour lui-même
seulement, mais pour être au service du corps. Un vieillard dit, dans Térence, Heautontimoroumenos, I, 1 : «Parce que je suis un homme, j’estime que rien
d’humain ne m’est étranger.» De même, tu as reçu la grâce de Dieu :
crois-tu donc que tu la possèdes de sorte que toi seul la possèdes? Certes non.
C’est comme le soleil, qui ne possède pas la clarté seulement pour lui seul,
mais pour la répandre sur les autres. Ainsi Dieu t’a donné la grâce pour que tu
la partages avec les autres. Ainsi, le bienheureux Pierre [dit] : Que
chacun mette au service des autres le don qu’il a reçu, comme de bons
dispensateurs de la grâce de Dieu (1 Pierre 4, 10). Et le
sage dit, [Sagesse 7, 13] : Je l’ai apprise sans arrière-pensée,
je la communique sans envie. De même, tu dois administrer les biens
temporels pour les autres, et non pas seulement les posséder selon ta propre
volonté. L’Apôtre dit en 1 Timothée 6, 17 : Aux riches du
siècle présent, prescris de ne pas être orgueilleux, et de distribuer [leurs
biens] facilement. Dans Politique,
II, lect. 4, le Philosophe dit que les meilleures cités sont celles dans
lesquelles les biens sont distincts et leur usage commun. Il est dit dans Joël
1, 17 : Les magasins tombent en ruine [parce que] le blé est
disparu, littéralement, «il a été consommé». C’est pourquoi dans la [lettre]
canonique de Jacques 5, 2, [il est dit] : Vos richesses sont
pourries, et vos vêtements sont mangés des vers. Votre or et votre argent se
sont rouillés, et leur rouille rendra témoignage contre vous. Basile dit,
dans son homélie sur ce passage de Luc : Je détruirai : «Les hommes ont coutume de dire : “Dieu
n’est pas juste!” Est-ce que Dieu est injuste parce qu’il répand les biens de
manière inégale entre nous? Non, il n’est pas injuste. Pourquoi es-tu dans
l’abondance, alors que celui-là mendie, si ce n’est pour que, en lui dispensant
la nourriture nécessaire à sa vie, tu obtiennes la récompense de la vie et pour
que lui soit couronné des récompenses de la patience? Mais toi, n’es-tu pas un
pillard en t’appropriant les biens qui t’ont été confiés pour être distribués?
C’est le pain des pauvres que tu gardes, c’est la tunique de quelqu’un qui est
nu que tu conserves dans ta chambre, c’est la chaussure d’un va-nu-pieds qui
s’abîme chez toi, c’est l’argent d’un indigent que tu tiens caché dans ta
maison; c’est pourquoi il y a tant de torts que tu pourrais causer!»
D’autres intendants – ou dispensateurs
– sont des dispensateurs qui distribuent avec prodigalité. En premier lieu, ils
se donnent au Diable pour un petit plaisir; contre eux, il est dit dans Proverbes
5, 9 : De peur que tu ne livres à d’autres ton honneur, et tes années au tyran
cruel. D’autres, s’ils possèdent la grâce, la vendent pour obtenir
la faveur du vulgaire. Contre eux, il est dit en Matthieu 7, 6, dit :
Ne donnez pas aux chiens ce qui est saint! Ils donnent des biens
temporels à des bouffons; ils ne donneraient rien à un homme de bien. Contre
eux, le Siracide 12, 5 dit : Fais du bien à l’homme pieux et
n’assiste pas le pécheur, c’est-à-dire que, dans la mesure où il est pécheur,
il [ne] faut [pas] l’encourager dans son péché. On lit dans Luc 15, 3s que
le fils prodigue dilapida une partie de son patrimoine en vivant dans le luxe.
Plût au ciel qu’il n’y en eût pas tant qui gaspillent leur âme!
Ce qui concerne la fonction de
l’intendant et le mauvais usage qu’il fait [des biens de son maître] est
maintenant clair. Voyons maintenant le danger que court l’intendant.
Ce danger se présente à nous sous trois
formes : d’abord, la perte de sa réputation, puisqu’on dit qu’il perdit sa réputation; en deuxième
lieu, la perte de sa fonction, car il est dit : Tu ne pourras plus être intendant; en troisième lieu, le danger
couru par l’intendant [apparaît] dans le fait qu’il ne peut plus s’aider
lui-même. En effet, il dit : «Bêcher, je n’en ai pas la force; mendier,
j’en ai honte.» (Luc 16, 3)
Premièrement, je dis que le danger
couru par l’intendant – ou le dispensateur – vient de la perte de sa
réputation. Quelqu’un a possédé beaucoup de biens. Il vient à mourir; ses
péchés ne restent pas cachés. Qui lui a fait perdre sa réputation? Sa conscience,
celle des saints et Dieu lui-même, pour qui tout est à nu et dévoilé. (Psaume
69[68], 6)
De
même, le danger couru par
l’intendant apparaît dans la perte de sa fonction, puisqu’il est dit de
lui : Tu ne pourras plus être
intendant. Tu as eu de la science et de l’argent; tu viens à mourir :
tu ne pourras plus les avoir! Psaume 49[48], 18 : Le
riche, à sa mort, n’emportera pas tous ses biens, c’est-à-dire [qu’il n’emportera] rien.
Job 1, 21 : Nu, je suis sorti du sein de ma mère, et nu
j’y retournerai. Tu diras peut-être : «Je pourrai peut-être
acquérir quelque chose.» Non, certes, parce que tu ne peux pas t’aider
toi-même. C’est pourquoi il est dit : «Bêcher, je n’en ai pas la force; mendier
j’en ai honte.» Ainsi, il
est dit dans Qohélet 9, 10 : Tout ce que ta main peut faire,
fais-le avec ta force; car il n’y a plus ni œuvre, ni intelligence, ni science,
ni sagesse dans l’enfer où tu vas. Peut-être diras-tu : «Je demanderai
à la bienheureuse Vierge et aux saints de me venir en aide.» Ce ne sera certes
pas alors le moment opportun pour mendier. C’est pourquoi il est dit : «Mendier,
j’en ai honte.» Les
vierges folles ont voulu mendier, mais on ne leur a rien donné, mais celles
qui étaient prêtes entrèrent au festin de noces [Matthieu 25, 10].
L’intendant court donc un danger.
Cependant, quel est le remède? Pour celui
qui aurait une affaire devant un juge et serait accusé, et dont le crime serait
connu, quel serait le conseil le plus salutaire? Je dis que le conseil le plus
salutaire serait celui que lui donnerait le roi, à savoir, que le roi lui
dise : «Fais ceci et tu seras libéré.» Ce serait le conseil le plus
salutaire. Le Christ te donne un conseil. Quand certains perdent leur
réputation et ne peuvent plus être intendants, ni bêcher, ni mendier, ils
doivent suivre le conseil du Christ qui dit [Luc 16, 9] : Faites-vous
des amis avec la richesse malhonnête, afin que, lorsqu’elle viendra à manquer,
ils vous reçoivent dans les demeures éternelles. Mais qu’est-ce que ce
conseil et cette richesse? C’est le conseil que Daniel donna à Nabuchodonosor
en disant [Daniel 4, 24] : Que mon conseil soit agréé devant
toi : rachète tes péchés par des aumônes. [Le Christ] dit : La richesse malhonnête. Devons-nous
donner aux pauvres des richesses injustement acquises, comme celles provenant
d’un vol? Certainement pas, car, dit Augustin, dans le Livre sur les paroles du Seigneur, sermon 35 : «Ne va pas te représenter Dieu à l’image de
l’homme que tu méprises!» Et Dieu dit dans Isaïe 61, 8 : Je
déteste la rapine dans les sacrifices. On a coutume d’interpréter ou
d’entendre de quatre manières ce que [Jésus] dit : La richesse malhonnête. La première manière est celle de Basile qui
dit : «La richesse malhonnête, ce sont les péchés associés à la richesse.»
Il arrive rarement que quelqu’un possède des richesses sans que l’un de ceux
qui l’ont précédé ne les ait acquises malhonnêtement. Augustin dit, dans le Livre sur les paroles du Seigneur,
sermon 35, que les richesses sont appelées richesse
malhonnête parce que quelqu’un d’injuste les a estimées des richesses; ou
bien, elles sont appelées richesse
malhonnête parce qu’elles conduisent à l’injustice. Jean Chrysostome, dans Theophyl., en cet endroit, dit que les
richesses sont appelées richesse
malhonnête parce que «tu les as gardées injustement. Tu possèdes un revenu
de 20 ou 40 livres maintenant? Au moins, distribue-le à ta mort.» Il y en a à
qui elles doivent être distribuées. Certains s’inquiètent de leur propre réputation.
Le Christ dit : Afin que, quand elle viendra à manquer, ils
vous reçoivent dans les demeures éternelles. Augustin ajoute deux
commentaires aux paroles du Christ et de l’intendant. L’intendant dit [Luc
16, 4] : Afin que, quand je serai destitué [de
l’intendance], [il y ait des gens] pour m’accueillir chez eux, et le
Seigneur dit [Luc 16, 9] : Dans les demeures éternelles. Augustin
dit, dans le Livre sur les paroles du
Seigneur, sermon 35 : «Qui sont ceux qui ont des demeures éternelles,
sinon les saints de Dieu? Qui sont ceux qui sont reçus dans les demeures
éternelles, sinon ceux qui répondent aux besoins [des autres] et qui leur
fournissent ce qui leur est nécessaire avec le sourire? Ceux-là sont les petits
dont parle le Christ, qui, ayant tout abandonné, se sont mis à la suite du
Christ.» Est-ce qu’il faut faire l’aumône au pécheur? Je dis que, toutes choses
étant égales, il vaut mieux donner au juste qu’au pécheur, parce que, en
donnant au juste, l’œuvre que tu accomplis est méritoire, et, semblablement,
l’œuvre que lui accomplit; mais il n’en est pas de même avec le pécheur :
seule l’œuvre que tu accomplis est méritoire, non pas la sienne. Jean
Chrysostome dit dans on sermon 33 au peuple d’Antioche : «L’aumône est la plus grande des
vertus : elle ne construit pas des maisons d’argile, mais elle nous procure
la vie éternelle.» Que [le Seigneur] daigne nous la procurer, etc.
(Traduction par Denis Sureau, 2004)
Rejetons
donc les oeuvres des ténèbres et revêtons les armes de la lumière (Romains 13, 12).
L’Apôtre, docteur des chrétiens et chef
dans la foi et la vérité, en ce temps de grâce et d’avènement de notre
Seigneur, nous enseigne par ces paroles deux choses : à savoir l’horreur totale
des souillures etdes vices du monde, et l’amour honorable ou la recherche des
vertus célestes.
Il fait la première chose lorsqu’il
dit : Rejetons donc
les oeuvres des ténèbres. Il fait la seconde lorsqu’il ajoute :
Et revêtons les armes de
la lumière.
À propos du premier point, remarque que les oeuvres et les vices du monde
sont qualifiés de ténébreux, et doivent être rejetés en conséquence. Car ils
manquent manifestement de la sagesse nécessaire pour connaître la vérité. La lumière luit dans les ténèbres, et les
ténèbres ne l’ont pas saisie (Jean 1, 5). Et ils manquent
manifestement de la prévoyance qui permet d’éviter le mal. Ils furent dispersés sous le sombre voile de l’oubli. (Sagesse
17, 3).
À propos du second point, remarque les
oeuvres de l’évangile et les charismes de l’Esprit Saint sont pour nous des
armes contre le monde, la chair et le Diable, et sont établis dans la lumière,
car, par l’effet de la grâce qui nous illumine comme la lumière, ils nous font
connaître le secret divin. En effet le
Dieu qui a dit : «Que des ténèbres resplendisse la lumière…!», etc. [2 Corinthiens
4, 6]. Car, par l’effet de la grâce qui réconcilie, comme la lumière, ils
apaisent ce qui engendre la guerre entre nous. Car le commandement est une lampe, et la loi, une lumière, etc. [Proverbes
6, 23] Car, par l’effet de la grâce, ils nous parent d’honnêteté, comme la
lumière, et tout l’univers en nous. Celui-là
était la lampe qui brûle et qui luit [Jean 5, 35].
(Traduction
par Marie-Louise Évrard, 2005)
Brève
introduction
Le ciel et la terre passeront [Matthieu 24, 35].
Très chers frères, quel plaisir, quel
charme, quelle douceur dans les paroles de la sagesse céleste! Cela apparaît
aussi pour le Philosophe de la nature, qui écrit à propos de la science créée, Éthique [à Nicomaque] : «Tous les plaisirs suivent parfois les [opérations].
Or, le plus grand plaisir est celui qui vient de la mise en œuvre de la
sagesse; l’œuvre la plus délectable est celle qui est posée selon l’opération
de la sagesse.» De plus, le philosophe théologien écrit, Sagesse
7, 8 : Il l’a préférée à l’éclat de l’or, à savoir, la sagesse
céleste dont nous traitons.
Pour cette raison, nous demanderons en
commençant à notre Seigneur Jésus, le Christ, la source de toute sagesse, que
celui-là même qui, selon le bienheureux Denys, La hiérarchie des anges, VII, ch. 1, est le premier maître de tous
les esprits célestes et des âmes dévotes, d’éclairer nos intelligences,
d’enflammer nos cœurs, de rendre nos bouches fécondes pour l’honneur de son nom
ou bien pour l’enseignement de l’évangile et l’édification de nos âmes.
Division
du sermon
Le ciel et la terre passeront, etc. [Matthieu 24, 35].
Par ces paroles, que notre Sauveur très
vigilant et très bon, veillant avec compassion au salut de ses brebis en
prenant garde au jugement futur, a adressées à ses disciples qui représentaient
tous les fidèles, dans le texte cité qui est clair, la condition du juste et de
l’injuste est décrite quand l’admirable élévation de l’homme céleste est indiquée
sous le mot ciel, tandis que la bassesse
qui est digne de l’homme en [ce] monde est indiquée sous le mot terre,
et que, par le mot passeront, est indiquée avec soin la qualité distincte
de l’un et l’autre.
Première partie
[Le juste est
comme le ciel]
En décrivant donc l’admirable élévation
de l’homme céleste et son éminente dignité, il l’appelle ciel. Or, il faut considérer que l’homme céleste est signifié par
le mot ciel pour quatre raisons.
En effet, le ciel est fait d’une
matière lumineuse, comme le démontre le Philosophe dans Du ciel et du monde, II. Par quoi est montré que que l’homme juste
doit être lumineux de la sagesse céleste. Siracide 24, 5 : Moi,
j’ai créé en sorte qu’une lumière inépuisable se lève dans le ciel. [Le
ciel a aussi] la forme d’une sphère, comme le démontre le Philosophe, Du ciel et du monde, II. Par quoi est
montré que l’homme juste doit être circulaire grâce à une miséricorde englobante,
ou orbiculaire grâce à une piété étendue et à une charité parfaite. Siracide
24, 5 : J’ai fait seule le tour du ciel, dit la Sagesse
éternelle. [Le ciel est aussi] cause du mouvement, comme le montre le
Philosophe, Physique, VIII. Par quoi
est montré que l’homme juste est toujours mû par une attention particulière.
Job 38, 37 : Qui expliquera l’ordre des cieux et qui endormira le
concert du ciel? [Le ciel est
encore] élevé dans l’espace, comme le montrent la vue et les faits. Par quoi
est montré que l’homme juste doit être d’une sainteté élevée grâce à sa
supériorité, car on lit dans Siracide 43, 3 : Le firmament élevé,
c’est-à-dire la hauteur du firmament, sa beauté, etc.
Deuxième partie
[L’homme attaché au monde est comme la terre]
Néanmoins, l’homme [attaché] au monde
est comparé à la terre, à cause de l’obscurité de son intelligence. Genèse
1, 2 : Les ténèbres étaient à la surface de l’abîme. Mais la terre
était vide et déserte. [À cause
aussi] de la maladie de l’avarice. Colossiens 3, 1 : Songez
aux choses d’en haut, non à celles de la terre. [À cause] de l’aridité de la méchanceté. Genèse
1, 10 : Et Dieu dit : «Que la terre [soit] sèche !» [À cause] de l’immuabilité de l’âme,
qu’il s’agisse de [sa] vie ou de [sa] décision. Siracide 1, 4 : La
terre demeure vraiment pour l’éternité. Et il est dit auparavant : La génération des bons
passe, et la génération des justes arrive. Pourquoi? Parce
que le méchant n’est pas corrigé ni changé.
Troisième partie
[S'attacher
à l'éternel]
Une
fois décrites la bassesse de l’homme [attaché au] monde et la grandeur admirable
du juste, vient ensuite la qualité distinctive du comportement des deux, sous
le mot passeront.
Mais il faut remarquer
qu’on dit du juste et de l’injuste qu’ils passent
de manière différente.
En effet, le juste passe, en premier
lieu, du péché à la justice. Isaïe 45, 24 : Les hommes hautains et les pécheurs orgueilleux passeront vers toi et seront à toi. En
deuxième lieu, il passe en progressant de vertu en vertu. Siracide
29, 26 : Passe, étranger, mets la table, à savoir, [prépare] ta conscience pour
l’Époux céleste. En troisième lieu, il passe de la souffrance présente
au rafraîchissement éternel. Psaume 66[65], 12 : Nous sommes
passés par le feu et l’eau, et tu nous as conduits au rafraîchissement.
Mais
l’homme injuste passe, en premier lieu, de l’innocence à la faute. Siracide 26,
28 : Il passe de la justice au péché. En deuxième lieu, il passe de
la faute à la faute. Proverbes 20, 26 : Le sage craint et se détourne
du mal. En troisième lieu, il passe de la faute à la peine éternelle. Job
36, 12 : S’ils n’ont pas écouté, ils passeront par le glaive, c'est-à-dire,
à la peine éternelle.
Après avoir vu par une brève
description la grandeur admirable de l’homme céleste, sous le mot de ciel, après avoir vu aussi la bassesse
qui est celle de l’homme (attaché au) monde, sous le mot de terre, après avoir néanmoins apprécié la
distinction du comportement des deux sous le mot passage, efforçons-nous de mépriser les choses terrestres et
d’aimer (les réalités) célestes, de sorte que, en méprisant la vie du monde et
en embrassant celle du ciel, nous passions de l’effort au repos, du monde à la
gloire, qu’il (veuille) nous accorder, etc.
Ce florilège a été réalisé par Sœur
Marie-Hélène Deloffre, o.s.b., de l’abbaye de Kergonan. Sœur Marie-Hélène écrit
à ce sujet : «J'ai collectionné
ces perles pour une de mes sœurs et à l'occasion de sa profession perpétuelle.
Nombre de ces traductions ne sont pas de moi. Certaines sont tirées de la Somme
dite de la Revue des jeunes, d'autres du Père Philippe.»
Prière
avant l'étude
[Attribuée à Thomas
d’Aquin]
Créateur
ineffable qui, des trésors de ta sagesse, as choisi les trois hiérarchies des
anges et les as placées dans un ordre admirable au-dessus du ciel empyrée; toi
qui as disposé avec tant d'art les parties de l'univers, toi qu'on appelle à
bon droit source de lumière et Sagesse et Principe suprême, daigne répandre sur
les ténèbres de mon intelligence un rayon de ta clarté; chasse de moi la double
ténèbre dans laquelle je suis né, celle du péché et celle de l'ignorance. Toi
qui rends diserte la langue même des enfants, forme ma langue et verse sur mes
lèvres la grâce de ta bénédiction. Donne-moi la pénétration pour comprendre, la
capacité de retenir, la méthode et la facilité pour apprendre, la sagacité pour
interpréter et une élégance abondante pour m'exprimer. Dispose le commencement,
dirige le progrès, couronne la fin. Par le Christ notre Seigneur. Amen.
Divers
Commentaire
des Sentences de Pierre Lombard, I,
d. 2, q. 1, expos. text.
La
vision de la Trinité dans l'unité : voilà la fin et le fruit savoureux de
toute la vie humaine.
Commentaire
des Sentences de Pierre Lombard, I,
d. 14, q. 2, a. 2
Dans
leur émanation à partir du premier Principe, les créatures accomplissent une
sorte de circuit, de mouvement giratoire, toutes choses revenant comme à leur
fin vers le premier principe dont elles sont issues. Il faut ainsi s'attendre à
ce que leur retour vers la fin s'opère par les mêmes causes que leur sortie du principe.
Or on a dit (d. 13, q. 1, a. ) que la procession des personnes
est la raison suprême de la production des créatures par le premier principe.
Elle est donc aussi la raison du retour vers la fin. Nous avons été créés par
le Fils et par le Saint-Esprit, et c'est encore par eux que nous sommes unis à notre fin...
Dès
lors, il y a deux manières de considérer la procession des personnes dans les
créatures. En premier lieu, comme raison de la production des choses :
c'est cette procession qui est en cause, si l'on considère les dons naturels
qui nous font subsister; Denys dit ainsi que la sagesse ou la bonté divine «procèdent»
dans les créatures....
En
second lieu, comme raison du retour vers la fin : alors on considère
seulement les dons qui nous unissent de près à Dieu, Fin ultime, c'est-à-dire
la grâce sanctifiante et la gloire. Et voilà de quelle procession il s'agit [dans
la mission invisible].
Commentaire
des Sentences de Pierre Lombard, I, d. 15, q. 4, a. 1, ad 1
Pour
qu'il y ait une mission, il n'est pas nécessaire qu'on ait une connaissance
actuelle de la personne envoyée : une connaissance habituelle suffit,
c'est-à-dire qu'il suffit d'avoir, dans ce don reçu qui est un habitus, une représentation du caractère
propre de la personne... La personne se manifeste en ce sens qu'elle nous donne
une similitude d'elle-même qui la représente. Mais ai-je oui ou non
actuellement ce don dans lequel la personne m'est donnée? Impossible de le savoir
d'une connaissance puisée dans l'acte : à moins d'en être assuré par une révélation,
je puis seulement le conjecturer sur des indices... En effet la grâce sanctifiante,
en laquelle s'accomplit la venue d'une personne, ne peut être connue avec
certitude. Cela d'ailleurs n'empêche pas le don reçu d'être par soi suffisant à
nous faire connaître la personne envoyée.
Commentaire
des Sentences de Pierre Lombard, I, d. 15, q. 5, a. 1, qla 2
Une
connaissance de Dieu telle qu'il en procède de l'amour suffit à vérifier une
mission du Fils... Un amour quelconque de charité suffit à une mission du
Saint-Esprit.
Commentaire
des Sentences de Pierre Lombard, I, d. 16, q. 1, a. 2, ad 4
La
Très Sainte Vierge, qui eut la plus haute plénitude de grâce impartie à une
simple créature, n'aurait-elle pas dû bénéficier, elle aussi, d'une mission visible?
Elle a eu part à la mission de la Pentecôte, avec les prémices de l'Eglise.
Quant à une mission visible spéciale, sa grâce ne l'appelait pas, n'étant point
ordonnée comme celle des Apôtres à planter l'Eglise en prêchant la doctrine et
en administrant les sacrements.
Commentaire
des Sentences de Pierre Lombard, I, d. 37, expos. text.
Les
autres créatures obtiennent bien de ressembler à Dieu, par l'opération de Dieu
même [qui les crée, les conserve et les meut]. Mais elles n'atteignent point
Dieu même en personne. Aussi, bien que Dieu soit en elles, elles-mêmes ne sont
point avec Dieu. Mais la créature raisonnable atteint par la grâce Dieu
lui-même en le connaissant et en l'aimant. Aussi dit-on qu'elle est avec lui.
Pour cette même raison, l'on dit qu'elle est capable de Dieu, c'est-à-dire
capable de ce bien qui la perfectionnera par manière d'objet. De là encore
vient qu'on l'appelle le temple de Dieu, habité par Dieu.
Commentaire
des Sentences de Pierre Lombard, IV, d. 38, q.
1, a. 5 (c. et ad 1)
Est-ce
que les vierges qui vouent la continence doivent recevoir un voile spécial,
distinct du voile de celles qui ont voué la continence sans être vierges ?
Ce
qui s'accomplit corporellement dans l'Église est signe des réalités spirituelles.
Mais un signe corporel ne peut représenter suffisamment les réalités
spirituelles signifiées. Aussi faut-il parfois utiliser plusieurs signes
corporels, pour signifier la même réalité spirituelle.
Le
mariage spirituel du Christ et de l'Église comporte d'une part la fécondité,
par laquelle nous sommes régénérés comme fils de Dieu, et d'autre part l'incorruption,
parce que le Christ s'est choisi l'Église sans tache ni ride ni rien de tel,
comme il est dit dans l'épître aux Ephésiens (5, 27). Aussi saint Paul
dit-il (2 Corinthiens 11, 2) : Je vous ai fiancés à un homme
unique, comme une vierge chaste à présenter au Christ.
Mais
la fécondité corporelle est incompatible avec l'intégrité de la chair. Et c'est
pourquoi il a fallu représenter le mariage spirituel du Christ et de l'Église
par des signes différents, quant à la fécondité et quant à l'intégrité. Donc de
même que le mariage charnel représente le mariage spirituel quant à la
fécondité, de même il a fallu qu'il y eût quelque chose qui représentât le
susdit mariage spirituel quant à son intégrité. Et c'est ce qui se réalise dans
l'imposition du voile aux vierges, comme le montrent toutes les paroles et
toutes les cérémonies du rituel. Et c'est pourquoi seul l'évêque, à qui est
confié le soin de l'Église, marie les vierges en leur donnant le voile, non à
lui-même mais au Christ, comme paranymphe et ami de l'Époux.
Par
ailleurs, la signification de l'intégrité peut se trouver plus pleinement dans
la continence des vierges que dans celle des veuves, en qui elle est moins
pleine. Et c'est pour ce motif qu'on donne un voile aux veuves, mais non avec
la même solennité qu'aux vierges.
L'Église
dans le mariage spirituel représente l'épouse, et le Christ, l'époux. Or, par
le voeu de continence l'âme est mariée au Christ. Aussi ne convient-il pas que
ce mariage soit signifié par l'homme, mais seulement par la femme.
Commentaire
du livre de la Trinité de Boèce (1257-1259)
La
recherche de la sagesse a ce privilège qu'en poursuivant son but elle se suffit
à elle-même (...). En ceci la contemplation de la sagesse est comparable au jeu
pour deux raisons. D'abord, parce que le jeu est délectable et que la contemplation
de la sagesse entraîne la suprême délectation... Ensuite parce que le jeu n'est
pas ordonné à autre chose qu'à lui-même et qu'il trouve en lui sa propre fin;
ce que l'on retrouve aussi dans la délectation de la sagesse... Mais à
l'inverse de ce qui se passe dans nos délectations ordinaires au sujet de ce
que nous anticipons, où le moindre retard trouble notre joie parfois
grandement..., c'est en elle-même que la contemplation de la sagesse trouve la
cause de sa délectation. Elle ne souffre donc d'aucune angoisse comme lorsqu'on
doit attendre quelque chose... C'est pourquoi la sagesse divine compare sa
propre délectation à celle du jeu : Je me réjouissais jour après jour,
jouant en sa présence.
Somme
contre les gentils, IV, 22
Le
propre de l'Esprit Saint est d'être le don du Père et du Fils. La rémission des
péchés se fait par l'Esprit Saint en tant que don de Dieu.
Somme
contre les gentils, IV, 23
Que
le Fils apparaisse dans la chair, il le tient du Père... Que le Saint Esprit habite
en l'homme par un effet nouveau à lui approprié..., il le tient du Père et du
Fils.
Questions
quodlibétales, II, a.
7
La
doctrine elle-même des docteurs catholiques tient son autorité de l'Église. Aussi
faut-il s'en tenir plutôt à la coutume de l'Eglise, qu'à l'autorité d'Augustin,
de Jérôme ou de n'importe quel autre docteur.
Questions
quodlibétales, IV, a. 18
Les
thèses théologiques doivent-elles procéder par voie d'autorité ou de raison? Tout acte doit s'accomplir selon qu'il convient
au but qu'il poursuit. Or, quand il s'agit d'une enquête, elle peut être
ordonnée à une double fin. En premier lieu, écarter le doute sur la question du
fait. Pour ces sortes d'enquêtes, en théologie, il faut se servir des autorités
qu'acceptent ceux avec qui on discute... D'autre part, instruire ceux qui
écoutent, pour les amener à l'intelligence de la vérité... Et ici, il faut
s'appuyer sur des raisons qui aillent jusqu'aux racines de la vérité, et
fassent voir comment est vrai ce qu'on enseigne. C'est qu'en effet, si le
maître se contente de résoudre une question par de simples autorités, celui qui
écoute aura bien la certitude qu'il en est ainsi, mais en fait de science et
d'intelligence, il n'emportera rien et restera vide.
Commentaire
sur le livre de la Trinité de Boèce,
q. 2, a. 3 (c. et ad
5)
Si
quelque chose, dans les dires des philosophes, se trouve contraire à la foi, ce
n'est pas de la philosophie, mais plutôt un abus de la philosophie, provoqué
par le défaut de la raison. Il est donc possible de repousser cette erreur par
les principes mêmes de la philosophie, en montrant soit que ce qui était
objecté est tout à fait impossible, soit du moins que ce n'est pas nécessaire.
Cette distinction s'impose; car de même que les choses de la foi ne se
démontrent pas, ainsi il arrive que les choses opposées à la foi ne puissent
être démontrées fausses; mais on peut toujours montrer qu'elles ne sont pas
nécessaires...
Ceux
qui, utilisant des références philosophiques en théologie, les mettent au service
de la foi, ne mêlent pas l'eau au vin, mais changent l'eau en vin.
Commentaire
sur le livre des noms divins de Denis,
VII, leç. 4, n° 732
Il
y a encore une connaissance de Dieu souverainement parfaite, par rémotion, qui
consiste à connaître Dieu par inconnaissance [per ignorantiam], par une certaine «union» aux choses divines, union qui est au-dessus de la nature
de l'esprit : quand notre esprit, «se
détachant de toutes les autres choses et ensuite s'abandonnant encore lui-même»,
est uni «aux rayons surresplendissants» de la Déité, en ce sens qu'il connaît
que Dieu n'est pas seulement au-dessus de toutes les choses qui sont
inférieures à lui [notre esprit], mais encore au-dessus de lui et de tout ce
qu'il peut comprendre. En connaissant Dieu ainsi, notre esprit dans un tel état
de connaissance est illuminé par la profondeur même de la Sagesse divine, que
nous ne pouvons pas scruter. Et comprendre que Dieu est non seulement au-dessus
de tout ce qui est, mais encore de tout ce que nous pouvons appréhender, cela
vient de l'incompréhensible profondeur de la Sagesse divine.
Commentaire
sur le livre de l'interprétation d'Aristote,
I, leç. 14
L'être
de Dieu enveloppe de sa vertu tout ce qui est, sous quelque forme et en quelque
manière que ce soit, puisque tout n'est que par une participation de son être.
De même, son intelligence, quant à son acte et quant à son objet, comprend
toute connaissance et tout connaissable. De même son vouloir et l'objet de son
vouloir comprennent tout appétit et tout appétible, de sorte que tout
connaissable, pour autant qu'il est connaissable, tombe sous sa connaissance;
que tout appétible, pour autant qu'il est appétible, tombe sous sa volonté; que
tout ce qui est, pour autant qu'il est être, tombe sous sa vertu active.
Commentaire
sur la Métaphysique d'Aristote, II, leç. 1, vers la fin
Les
hommes s'aident mutuellement dans la considération de la vérité de deux
manières : directement et indirectement.
On
est aidé directement par ceux qui ont découvert la vérité, parce que chacun de ceux
qui ont précédé ayant découvert quelque parcelle de la vérité, la réunion de
ces éléments introduit leurs successeurs dans la connaissance parfaite de la
vérité.
Indirectement,
en ce que les premiers, quand ils se sont trompés sur la vérité, ont donné aux
seconds une occasion d'exercice, en sorte qu'après une discussion serrée la
vérité apparaît avec plus de clarté.
Mais
il est juste que nous soyons reconnaissants envers ceux qui nous ont aidés dans
l'acquisition d'un si grand bien : la connaissance de la vérité.
Commentaire
sur l'évangile de saint Matthieu,
11
C'est
l'Esprit Saint qui fait les tout-petits, parce qu'il est un Esprit d'humilité...
C'est aux tout-petits que le Père révèle ses secrets, c'est-à-dire aux humbles,
qui ne présument pas d'eux-mêmes; en effet là où est l'humilité, là est la
sagesse.
Commentaire sur le livre de Job, 2, 1
Visiter
un ami et se trouver avec lui est ce qu'il y a de plus délicieux...
Cette
compassion de ses amis est une consolation, soit parce que le fardeau de l'adversité
devient plus léger lorsque plusieurs le partagent, soit plutôt parce que toute
tristesse est allégée quand il s'y mêle un plaisir. Or, il est délicieux
d'expérimenter l'amitié de quelqu'un, surtout quand elle s'exerce par la
compassion dans le malheur, d'où la consolation qu'elle procure.
Commentaire
sur l'évangile de saint Jean, 6, 44, leç. 5
Nul
ne peut venir à moi, si mon Père ne l'attire. Un homme peut en attirer un autre
en le séduisant... De cette manière sont attirés vers le Père ceux qui se
dirigent vers Jésus à cause de l'autorité de la majesté paternelle. Quiconque
en effet croit dans le Christ, parce qu'il le croit Fils de Dieu, celui-là, le
Père, c'est-à-dire la majesté paternelle, l'attire vers le Fils... Ainsi donc,
ceux-là sont attirés par le Père, qui sont séduits par sa majesté, mais ils
sont attirés aussi par le Fils, en étant séduits par la délectation admirable
de l'amour de la Vérité, qui est le Fils de Dieu lui-même.
Commentaire
sur l'évangile de saint Jean, 14, leç. 6, n° 1958
Parce
qu'il demeure avec vous. Il faut remarquer en premier lieu la familiarité
de l'Esprit Saint avec les Apôtres, parce qu'il demeure auprès de vous,
c'est-à-dire pour votre utilité. En second lieu, il faut noter une certaine
inhabitation intime de l'Esprit Saint, parce qu'il est en nous, c'est-à-dire,
au plus intime de notre coeur....
Le Paraclet, l'Esprit Saint, vous enseignera
tout, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. Tout homme enseigne de
l'extérieur : si l'Esprit Saint ne donne pas intérieurement l'intelligence,
l'homme travaillera en vain, parce que si l'Esprit Saint n'est pas au cœur de
celui qui entend, l'enseignement du docteur sera inutile.
Commentaire
sur l'évangile de saint Jean, 15,
leç. 3
Le
vrai signe de l'amitié, c'est que l'ami révèle à son ami les secrets de son cœur.
Puisque les amis n'ont qu'un cœur et qu'une âme, l'ami ne semble pas mettre
hors de son cœur ce qu'il révèle à son ami... Or, Dieu, en nous faisant
participer à sa sagesse, nous révèle ses secrets... Quand donc le Fils nous
révélera le Père, il nous révélera tout ce qu'il sait.
Commentaire
sur l'évangile de saint Jean, 17, leç. 5, éd. Marietti, p. 452
La
fin des dons divins, c'est que nous soyons unis par cette unité qui est
conforme à l'unité du Père et du Fils.
Somme de
théologie, I, q. 1, a.
2, ad 2
Toute
connaissance de Dieu est une certaine impression de la science divine.
Somme de
théologie, I, q. 38, a.
1
La
créature raisonnable obtient parfois ce privilège, lorsqu'elle devient participante
du Verbe divin et de l'Amour qui procède, jusqu'à pouvoir librement connaître
Dieu en vérité et l'aimer parfaitement. Seule donc la créature raisonnable peut
posséder une divine personne. Quant à réaliser cette possession, elle n'y peut
parvenir par ses seules forces : il faut que cela lui soit donné d'en
haut.
Somme de
théologie, I, q. 38, a.
2
La
raison, la cause de la donation gratuite, c'est l'amour. Car pourquoi
donnons-nous sans rémunération, si ce n'est que nous voulons du bien? La première
chose que nous donnons, c'est l'amour par lequel nous voulons le bien de notre
ami. Puisque l'Esprit Saint procède comme amour, il procède en qualité de
premier don. C'est pourquoi saint Augustin dit que, par le don de l'Esprit
Saint, beaucoup de dons particuliers sont distribués aux membres du Christ.
Somme de
théologie, I, q. 43, a.
5, ad 2
L'âme
par la grâce est rendue conforme à Dieu. Aussi pour qu'une personne divine soit
envoyée à quelqu'un par la grâce, faut-il que celui-ci soit rendu semblable à
la divine personne qui est envoyée par quelque don de grâce. Et parce que
l'Esprit Saint est amour, par le don de la charité l'âme est rendue semblable à
l'Esprit Saint. Par ailleurs, le Fils de Dieu est le Verbe, non pas n'importe
quel verbe, mais spirant l'Amour. Aussi Augustin dit-il (Sur la Trinité, IX, 10) : «Le Verbe que nous essayons d'insinuer est une certaine connaissance
avec amour...» Ce n'est donc pas selon n'importe quelle perfection de
l'intellect que le Fils est envoyé, mais selon une instruction de l'intelligence
telle qu'elle déborde en effusion d'amour... Et ainsi c'est avec une grande
exactitude qu'Augustin dit (Sur la
Trinité, IV, 20) que «le Fils est
envoyé, quand il est connu et perçu». Or, la perception signifie une
certaine connaissance expérimentale. Et celle-ci est appelée sagesse,
c'est-à-dire, science savoureuse.
Somme de
théologie, I, q. 45, a.
6
Dieu
le Père a opéré la création par son Verbe, qui est le Fils, et par son Amour,
qui est l'Esprit Saint. Et, de ce point de vue, les processions des personnes
sont les raisons de la production des créatures.
Somme de
théologie, I-II, q. 63,
a. 4
Il
est clair que la mesure à imposer à nos passions diffère essentiellement
suivant qu'elle dérive de la règle humaine de la raison, ou de la règle divine;
par exemple, pour l'usage des aliments : la mesure présentée par la raison
a pour but d'éviter ce qui est nuisible à la santé et à l'exercice de la raison
elle-même; tandis que, selon la règle de la loi divine, il est requis, comme le
dit saint Paul, que l'homme châtie son corps et le réduise en servitude par
l'abstinence et autres austérités semblables.
Somme de
théologie, II-II, q. 45,
a. 2
C'est
de [la sagesse, comme don du Saint-Esprit]que parle Denys, lorsqu'il rappelle
que Hiérothée était instruit des choses divines, non seulement pour les avoir
apprises, mais encore pour les avoir éprouvées. Or, cette compassion ou
connaturalité aux choses divines se réalise par la charité qui nous unit à
Dieu, selon 1 Corinthiens 6, 17 : Celui qui adhère au Seigneur, est un seul esprit avec lui.
Somme de
théologie, II-II, q.
161, a. 5, ad 4
L'humilité
est la disposition qui facilite le libre accès de l'âme aux biens spirituels et
divins.
Somme de
théologie, II-II, q.
105, a. 5, ad 3
On
peut distinguer trois sortes d'obéissance. L'une, suffisante au salut, obéit en
tout ce qui est d'obligation. La seconde, parfaite, obéit en tout ce qui est
permis. La troisième, déraisonnable, obéit même en ce qui est défendu.
Commentaire
du Symbole des Apôtres, IX
Comme
nous voyons que dans un homme unique il y a un corps unique et une âme unique,
et cependant ses membres sont divers, de même l'Église catholique est-elle un
corps unique, et a divers membres. Quant à l'âme qui vivifie ce corps, c'est
l'Esprit Saint.
Commentaire
de l'Ave Maria, n° 6-9
La
grâce de Marie fut tellement abondante qu'elle a rejailli sur l'humanité tout
entière. Qu'un saint possède assez de grâce pour suffire au salut d'un grand
nombre, c'est déjà chose considérable. Mais si un saint était doté d'une grâce
capable de sauver toute l'humanité, il jouirait d'une abondance de grâce
insurpassable. Et c'est le cas du Christ et de la bienheureuse Vierge. Car en
tout péril tu peux obtenir le salut de cette Vierge glorieuse. Aussi est-il dit
[Cantique 4, 4] : Mille boucliers,
c'est-à-dire, remèdes contre les dangers, pendent
de toi. De même, en toute action vertueuse, tu peux l'avoir à ton aide; et
c'est pourquoi elle dit elle-même [Siracide 24, 25) : En moi toute espérance de vie et de vertu.
Commentaire
de l'épître aux Romains, 5, leç. 1, n° 392
Le
fait que l'Esprit Saint, qui est l'amour du Père et du Fils, nous soit donné,
nous conduit, nous amène à la participation de l'Amour, qui est l'Esprit Saint.
Par cette participation nous sommes établis amants de Dieu [Dei amatores]. Le fait même que nous l'aimions
est le signe que lui-même nous aime.
Commentaire
de l'épître aux Romains, 8, 14
Comme
l'abeille et l'oiseau voyageur, portés par l'instinct, agissent avec une sûreté
admirable qui révèle l'intelligence qui les dirige, ainsi l'homme spirituel est
incliné à agir, non principalement par le mouvement de sa propre volonté, mais
par l'instinct du Saint-Esprit, selon le mot d'Isaïe 59, 19 : Car
il viendra un fleuve resserré que précipite le souffle du Seigneur; aussi
est-il dit, Luc 4, 1 : Jésus fut poussé au désert par l'Esprit.
Il ne s'ensuit pas que l'homme spirituel n'opère pas par sa volonté et son
libre arbitre, mais c'est l'Esprit Saint qui cause en lui ce mouvement du libre
arbitre et de la volonté, selon cette parole de l'Apôtre, Philippiens 2, 13 :
C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire.
Commentaire
de la première épître aux Corinthiens, 2, n° 102
Par
l'Esprit Saint, Dieu nous a révélé sa sagesse; cela a pu se faire, car l'Esprit scrute toutes choses, parce
qu'il connaît parfaitement ce qu'il y a de plus intime en chaque chose, comme
l'homme lorsqu'il scrute avec attention... Il connaît aussi parfaitement les
profondeurs de Dieu. Or, les profondeurs divines sont les mystères qui
demeurent cachés en lui, et non ce qui est connu par les créatures, qui semble
n'être qu'à la surface.
Commentaire
de la première épître aux Corinthiens, 3, 16, leç. 3, n° 72
C'est
le propre du temple comme tel d'être la demeure de Dieu, selon l'affirmation du
psaume 10 : Dieu est dans son temple saint. C'est pourquoi tout ce
en quoi Dieu habite peut être dit temple. Or, Dieu habite principalement en
lui-même, parce que lui seul se comprend. Aussi Dieu lui-même est-il dit le
temple de Dieu [Apocalypse 21]. Dieu habite aussi dans la demeure consacrée par
le culte spirituel... Et Dieu habite dans les hommes par la foi qui opère par
l'amour [Éphésiens 3, 17]. Aussi, pour prouver que les fidèles sont le
temple de Dieu, l'Apôtre ajoute-t-il qu'ils sont habités par Dieu, lorsqu'il
dit : Et l'Esprit de Dieu habite en vous.
Saint Thomas
d'Aquin est le Docteur des docteurs de l'Église. Tous ceux qui l'ont lu savent
que cette phrase de sa bulle de canonisation, prononcée par le pape Jean XXII,
est vraie : «Un an passé à l'étude de saint Thomas peut apporter
plus que toute une vie dans n'importe quel autre auteur.»
Mais
ses multiples ouvrages, précis, scientifiques, ont souvent rebuté les
croyants non théologiens par la sécheresse de leur style.
Les sermons de
Thomas d’Aquin laissent transparaître quelque chose de sa démarche spirituelle
intime.
Il nous reste
une vingtaine de ses sermons. Elles résuments assez bien le cœur de son enseignement.
Ce recueil pourrait être intitulé :
«Le cœur de
saint Thomas d'Aquin, offert à tous».
Ceux qui
veulent connaître la foi de l'Église enseignée par son meilleur Docteur ne se
priveront pas de ces homélies.
Le projet Thomas d'Aquin http ://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
est né sur Internet en mars 2004 : En 10 ans,
et pour le renouveau de la théologie catholique et de la philosophie réaliste,
nous allons traduire et publier d'abord gratuitement sur le Web, mais aussi sur
papier, la totalité des œuvres de saint Thomas d'Aquin. La Congrégation pour le
clergé mettra ces textes à la disposition des clercs du monde entier sur son
Cdrom multilingue,
Biblia-Clerus. 80% des œuvres sont déjà disponibles. Dans la
traduction de ce petit traité, la plupart des collaborateurs en théologie de ce
site ont apporté leur contribution. Il vise à présenter et à faire appel au
secours de tous les latinistes qui l'achèteront : Venez collaborer à cette
œuvre car "
[1] Sur la personne et l’œuvre de Thomas
d’Aquin, on pourra voir J.-P. TORRELL, Initiation
à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Fribourg-Paris, 2002 (2e
éd.). Plus brièvement: Ruedi IMBACH, «Thomas d’Aquin», dans Cl. GAUVRARD, Alain
de LIBERA et Michel ZINK, dir., Dictionnaire
du Moyen Âge, Paris, PUF, 2002, p. 1387-1391.
[2] Thomas d’Aquin fait peut-être
allusion à ce sobriquet au début du Sermon 11, en rappelant qu’il a la bouche
muette...
[3] F.-X. PUTALLAZ, Le dernier voyage de Thomas d’Aquin, Paris,
1998.
[4] Claire LE BRUN-GOUANVIC, Ystoria
sancti Thomae de Aquino de Guillaume de
Tocco (1323). Édition
critique, introduction et notes, coll. «Studies and Texts», 127,
Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1996. Une
traduction française en sera publiée aux Éditions du Cerf, Paris.
[5] J.-P. TORRELL, «La pratique
pastorale d’un théologien du XIIIe siècle. Thomas d’Aquin
prédicateur», Revue Thomiste, 82
(1982), 213-245.
[6] On trouvera tous les
renseignements nécessaires sur ce sujet dans P. RICHÉ et G. LOBRICHON, dir., Le Moyen Âge et la Bible, coll. «La
Bible de tous les temps», 4, Paris, 1984, et, plus brièvement, dans A. VERNET,
«Bible au Moyen Âge», dans G. HASENOHR et M. ZINK, dir., Dictionnaire des Lettres françaises: Le Moyen Âge, Paris, 1992, p.
174-179.
[7] J.-P. TORRELL, «Séculiers et
Mendiants, ou Thomas d’Aquin au naturel», Revue
des Sciences Religieuses, 67 (1993), 19-40.
[8] Hymne du commun de plusieurs
martyrs.
[9] Sans doute y a-t-il
ici un jeu de mot entre filius (fils
en latin) et φιλία (amour en grec)
[10] Comprehendere veut dire ici «saisir dans
son ensemble, en totalité» (terme technique de la théologie). Ce terme revient
souvent sous la plume de Thomas d’Aquin.
[11] Ces termes
patristiques (species, nexus-connexio,
usus) sont très difficiles à traduire.
[12] Ce dernier passage joue sur
l’opposition uti-frui employée par
Augustin: uti se rapporte
généralement à l’amour de certains biens en vue d’autre chose; frui, à l’amour d’un bien pour lui-même,
ce qui, évidemment, se retrouve suprêmement en Dieu et, par voie de
conséquence, chez celui qui aime Dieu.
[13] Le texte
ajoute : «Cela est clair. Continue comme tu veux...» Ces
indications ne sont probablement pas de saint Thomas. Un reportateur ou un
copiste n’aura pas reproduit la fin du sermon et invite vraisemblablement celui
qui utilisera ce sermon pour la prédication à poursuivre comme il le veut.
[14] Il est probable que
cette partie ait été donnée à un autre moment de la journée, sous forme de
conférence du soir, par exemple, comme on en a un exemple explicite dans le
sermon Homo quidem fecit cenam magnam.
[15] Le texte de ce sermon a été
gracieusement fourni par le P. Louis-Jacques Bataillon, o.p., membre de la
Commission léonine. À cause d’une
controverse polémique bien connue par ailleurs, ce sermon est le seul qui
puisse être daté : il fut donné le 1er décembre 1269. À partir
de l’image de l’ânesse que les Apôtres allèrent chercher pour Jésus, ce sermon
incomplet répond à plusieurs questions pratiques que peuvent se poser des
religieux apostoliques. Son caractère parfois haché vient du frère qui le prit
en note.
[16] Il est possible que ce sermon ait
été donné à deux moments différents de la journée, comme ce fut le cas d’autres
sermons où la chose est explicitement indiquée.
[17] Le texte de sermon nous a été
gracieusement fourni par le P. Louis-Joseph Bataillon, o.p., membre de la
Commission léonine.
[18] Agios : «sans terre», selon l’étymologie qui avait alors
cours,
[19] Allusion à la querelle du Filioque, qui divise Grecs et Latins
depuis le IXe siècle.
[20] BJ : Et cet être unique, que
cherche-t-il? Une postérité donnée par Dieu!
[21] BJ :Nous
avons tenu sa vie pour folie et sa fin pour infâme
[22] BJ : Notre vieil homme a été
crucifié avec lui, pour que fût réduit à l’impuissance ce corps de péché
[23] BJ : A l’avenir
Jacob s’enracinera…la face du monde se couvrira de récolte
[24] Cette leçon inaugurale aura été
donnée par Thomas d’Aquin, au moment où il a accédé à la fonction de bachelier
biblique, devenant ainsi autorisé à commenter publiquement l’Écriture.
[25] Cette leçon inaugurale (principium) a été donnée
par Thomas d’Aquin lors de ses débuts comme magister actu regens à
Paris en 1256, assez précisément entre le 3 mars et le 17 juin 1256.
[26] Note du Père
L.-J. Bataillon, o.p., Commission léonine – Cette prédication tenue en 1269, à
Sainte-Sabine, à Rome, ou plus probablement à Paris, présente un intérêt
particulier. Elle offre une interprétation eucharistique, assez rare, de la
parabole de saint Luc : Homo quidem fecit cenam magnam (Un homme fit un grand repas), sur le
festin dont les invités se dérobent (14, 15‑24), et comporte des
relations nombreuses avec l’Office du Saint-Sacrement. Sur seize citations de
la partie de ce sermon relative à l’eucharistie, douze figurent dans l’Office.
Trois autres versets bibliques se retrouvent dans l’Office et dans le reste du
sermon. Ce sont là des indices sérieux en faveur de la contribution de saint
Thomas à la composition de l’Office du Saint-Sacrement.
[27] Nous avons
régulièrement traduit le terme cena par «dîner», parce que saint Thomas
distingue à plusieurs reprises le repas de midi (prandium) et le repas
du soir (cena), soit le déjeuner et le dîner, selon l’usage en France.
Nous aurions pu employer le terme de «cène», mais son sens est uniquement
eucharistique, en français.
[28] Passage du Salve Regina, chanté chaque soir à Complies dans la liturgie
dominicaine.
[29] Mater coelorum/ corr. mater
colorum, d’après le passage correspondant par la suite.
[30] Le sermon se termine ainsi
abruptement.
[31]Cette citation ne se
trouve pas les œuvres de saint Augustin ; en revanche, on la trouve,
légèrement différente, dans les Sermons sur l'assomption d'Ambroise Autpert
(VIIIe s.) : O vera beata humilitas, quae Deum hominibus
peperit, vitam mortalibus edidit, caelos innovavit, mundum purificavit, homini
Paradisum aperuit, hominum animas ab inferis liberavit (cap. 10), au
lieu de O vera, inquit, Mariae humilitas quae Deum hominibus
peperit, vitam mortalibus edidit, caelos innovavit, mundum purificavit, homini
Paradisum aperuit, animas hominum liberavit.
[32] Thomas d’Aquin ne soutenait pas l’absence
de péché originel chez la Vierge dès sa conception, mais la purification de
celle-ci du péché originel dès sa conception.
[33] Cette citation ne se
trouve pas chez Jérôme, mais chez Pierre Chrysologue (Ve s.), dans
son Sermon 143.
[34] La citation
est incomplète. Elle se comprend plus facilement dans sa version originale: Finita est in
poena et manet in gloria, a locis suppliciorum fecit transitum ad frontes
imperatores.
[35] En fait, dans la Genèse.
[36] C’est par erreur
qu’on avait écarté ce sermon de la liste des sermons authentiques de Thomas
d’Aquin. L’authenticité en est maintenant reconnue et confirmée par le Père
L.-J. Bataillon, de la Commission léonine. Signalons par ailleurs que d’autres
sermons de Thomas d’Aquin auraient pu être regroupés sous le titre :
«Marcher sur les traces des saints», par exemple, le sermon Beatus vir, pour la fête de saint
Martin, ou ses sermons pour la fête de la Toussaint.
[37] In Evangelium Johannis tractatus CXXIV, tr.
72, § 2-3. Voir également Thomas d’Aquin, Summa theologiæ, I-II, q. 113, a. 9.
[38] Voir, par exemple,
une formule complète dans le prologue du sermon Puer Jesus.
[39] Saint Nicolas (6
décembre), en l’honneur de qui Thomas prononce ce sermon, comme la suite le
montrera.
[40] Ces deux points
seront abordés ensemble dans la suite.
[41] Le Petit-Pont, à
Paris, était, comme on le conçoit aisément, un endroit extrêmement fréquenté.
De cette indication et de celle qui est donnée à la note 3, on peut conclure
que le sermon a été donné un 6 décembre, à Paris.
[42] Magnæ fuit virtutis, le terme virtus a le double sens de vertu morale et de puissance physique,
ce que confirme l’illustration proposée par Thomas.
[43] Avec peut-être une
interpolation de Romains 6, 18‑22, par exemple, pour avoir servi au lieu de stulti.
[44] C’est-à-dire un
bénéficie lié à une charge ecclésiastique.
[45] Il faut suppléer pour
une bonne intelligence du propos : «Dieu (ou l’Écriture sainte) dit, au
sujet du bon Samaritain qui figure ici Nicolas, qu’il répandit du vin, etc.»
[46] Le texte lit
normalement qu’ils sont revêtus de justice; la confusion peut tenir à la
proximité justitia – lætitia.
[47] Cette observation est
un peu elliptique : sans doute saint Thomas veut-il dire que la
miséricorde doit être un trait des rois et que l’onction royale avec de l’huile
en est le signe.
[48] Nicolas.
[49] Remarque obscure. Elle renvoie
probablement à des livres non «reçus» par l’Église, donc non canoniques, dont
certains étaient connus à l’époque.
[50] Ce sermon
nous est parvenu dans deux manuscrits : l’un de Milan, qui donne le
prothème et les deux premières parties; l’autre de Paris, qui omet le prothème
mais donne la troisième et dernière partie. De plus, l’un et l’autre sont des
abrégés différents d’un texte reporté probablement par un franciscain, qui a
adapté la rubrique à la liturgie franciscaine en l’attribuant au premier dimanche
de l’Avent, alors qu’il est en réalité du deuxième dimanche selon l’usage dominicain.