Saint
Thomas d’Aquin
Les
cinq questions disputées sur les vertus
De
virtutibus
Traduction professeur
Jacques Ménard, père Dominique Dupont osb, Anne Michel, Marie-Louis Evrard,
Raymond Berton,
sous la direction de
Dominique Pillet
Préface du professeur
Maxime Allard op
Edition numérique https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
2003-2007
Les œuvres complètes
de saint Thomas d'Aquin
Question 1 : [Les vertus en général]
Article 1 – Les vertus sont-elles des habitus ?
Article 2 – La définition de la vertu donnée par Augustin
est-elle appropriée ?
Article 3 – Une puissance de l’âme peut-elle être le
sujet d’une vertu ?
Article 4 – L’irascible et le concupiscible peuvent-ils
être sujets de la vertu ?
Article 5 ‑ La volonté est-elle le sujet d’une
vertu ?
Article 6 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect
pratique comme dans son sujet ?
Article 7 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect
spéculatif ?
Article 8 – Les habitus existent-ils en nous par
nature ?
Article 9 – Les vertus sont-elles acquises par des
actes ?
Article 10 – Existe-t-il dans l’homme des vertus
infuses ?
Article 11 – La vertu infuse est-elle augmentée ?
Article 13 – La vertu se situe-t-elle au milieu?
Article 2 – La charité est-elle une vertu ?
Article 3 – La charité est-elle la forme des
vertus ?
Article 4 – La charité est-elle une vertu unique ?
Article 5 – La charité est-elle une vertu spéciale,
différente des autres vertus ou pas ?
Article 6 – La charité peut-elle exister avec le péché
originel ?
Article 7 – La nature raisonnable est-elle un objet digne
d’être aimé par charité ?
Article 8 – Aimer ses ennemis concerne-t-il la perfection
du conseil ?
Article 9 – Y a-t-il un ordre dans la charité ?
Article 10 – Est-il possible que la charité soit parfaite
en cette vie ?
Article 11 – Tous les hommes sont-ils tenus de posséder
une charité parfaite ?
Article 12 – La charité, une fois acquise, peut-elle se
perdre ?
Article 13 – La charité est-elle perdue par un seul péché
mortel ?
Question 3 : la correction fraternelle
Article 1 – La correction fraternelle est-elle dans le
précepte ?
Article 2 – La règle de la correction fraternelle
est-elle dans le précepte qui se trouve en Mt 18 ?
Article 1 – Est-ce que l’espérance est une vertu ?
Article 2 – Est-ce que l’espérance se trouve dans la
volonté comme dans son sujet?
Article 3 – Est-ce que l’espérance précède la
charité ?
Article 4 – Est-ce que l’espérance n’existe que chez ceux
qui sont en route ?
Question 5 : [Les vertus cardinales]
Article 1 – La justice, la prudence, la force et la
tempérance sont-elles des vertus cardinales ?
Article 3 – Toutes les vertus sont-elles égales en
l’homme ?
Article 4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la
patrie ?
Une préface possède une fonction d’exposition. Encadrant
un texte, du coup, elle l’expose. Elle offre une perspective pour le regarder,
assigne un point de vue au lecteur. À tout le moins, elle en désigne un parmi
d’autres possibles. Pour ce faire, elle doit jouer de contrastes et de
lumières. Pour un texte ancien, il importe qu’elle fasse surgir quelque chose
du contexte de rédaction et de réflexion. Mais cela ne suffit pas. Elle signale
aussi l’actualité de ce qui se joue dans le texte.
Vertus à la mode
Les « vertus »
reviennent à la mode. Dans le monde philosophique anglophone, certainement,
depuis les travaux de Philippa Foot il y a près de quarante ans et ceux plus
récents d'Alasdair MacIntyre, les « éthiques de la vertu » (virtue
ethics) se sont multipliées[2].
Et, grâce à des traductions, ces discussions récentes nourrissent désormais des
discussions dans le monde francophone. Pour différentes raisons, dans divers
milieux catholiques, le mot « vertu » et ce à quoi il ferait
référence reviennent aussi en force sur le devant de la scène. Dans plusieurs
de ces cas, le nom de Thomas d’Aquin est utilisé comme garant, comme autorité.
Il aurait structuré une de ces éthiques de la vertu ou des vertus.
J’écris ceci au conditionnel car l’écart me semble parfois tel entre la
négociation théologique thomasienne et les entreprises actuelles que son
patronage risque fort de porter à faux ou d’entraîner dans des quiproquos
malheureux.
Retour donc à une
doctrine thomiste, à l’autorité du docteur commun. Mais attention, les pensées
du « retour » sont souvent dangereuses et les retours plus
imaginaires et fantasmés qu’autre chose. Il serait peut-être mieux et à long
terme plus fructueux encore, de parler d’un tour par les textes signés
« Thomas d’Aquin » pour les découvrir : d’un tour de leur
diversité, de leurs parallèles, d’une découverte de leurs écarts, voire de leurs
tensions, selon la diversité possible des herméneutiques inventées pour ces
lectures.
La présente traduction
des questions disputées De virtutibus in communi participe de ce
mouvement car elle offre la première traduction complète de ces questions peu
fréquentées. Elle facilitera la tâche de qui voudra plonger dans les dynamiques
des négociations et traitements, philosophiques et théologiques, du thème
thomasien de la vertu et de sa place importante dans l’économie de l’agir
humain tendu par Dieu vers Dieu pour que l’être humain, contemplant Dieu,
jouisse de Dieu.
Il faut l’avouer, ces
questions disputées avaient été peu présentes explicitement dans la discussion,
même entre thomistes, jusqu’à présent dans les lieux classiques francophones,
pourtant elles les hantaient. Ainsi, par exemple, le P. Bernard leur faisait
une belle place dans ses notes explicatives et dans ses notes
« doctrinales » à la fin des deux volumes sur la vertu dans l’Édition
dite de la « Revue des jeunes » de 1933-1934. Mais alors, s’agissant
d’éclaircir ou de prolonger des aperçus de la Summa theologiae,
ces questions disputées n’étaient pas travaillées en et pour elles-mêmes; leurs
économies propres n’étaient pas nécessairement respectées et la mise en
discours particulière de leurs déterminations aisément escamotée. On les
pillait pour construire une « doctrine », pour produire un système,
jamais énoncé et impensable à l’époque de la rédaction des questions disputées
et de la Summa theologiae. Heureusement, on remarque un lent changement
dans cette pratique grâce à quelques publications récentes sur un point ou
l’autre de ces questions elles-mêmes[3].
Une collection de questions
De virtutibus in
communi est un assemblage relativement bref de questions théologiques
parmi les « questions disputées » signées Thomas d’Aquin. Seulement
cinq questions pour un total de trente-six articles. Par contraste, le De
malo, par exemple, en compte 15 avec un total de 96 articles ou le De
veritate avec ses 27 questions et 253 articles, dans un contexte historique
particulier, ou le De potentia, avec dix questions. Mais plus long que
le De Anima avec son unique question de 21 articles ou le De unione
verbi incarnati avec seulement cinq articles en une question. Pour
expliquer ces différences, il faut recourir, entre autre, à la distinction
entre les disputes « privées » et les « publiques » et à la
distinction entre la dispute ayant eu lieu effectivement et la
« rédaction » à laquelle elle donna lieu par la suite. De plus, à
propos de certaines pièces du texte de la première question disputée portant
sur les vertus en général, les éditions existantes signalent un
« ajout » signé de « Vincent de Castel novo », dominicain,
qui s’étend de l’ad 9 jusqu’à la fin du deuxième article[4].
Tous les catalogues
anciens les situent explicitement à l’époque du second enseignement parisien de
Thomas d’Aquin, dont on pourra lire les enjeux philosophiques et théologiques
ainsi que leur complexité dans les ouvrages du P. Wéber sur
l’« homme » et la « personne » et dans les mises en
contexte par Alain de Libera de la querelle anti-averroïste sur l’unité de
l’intellect à cette période[5].
Les recherches les plus récentes, en attendant la publication de l’édition
critique par la Commission léonine, les datent de la fin de ce second séjour,
soit entre 1271 et 1272[6].
Ces recherches tablent sur des critères externes car rien, dans le texte comme
tel des questions disputées en cause, n’offre de prise pour une datation
précise. Ces questions auraient donc eu lieu et auraient été rédigées de
manière parallèle à la négociation de la Prima Secundae de la Summa
theologiae.
Une organisation différente
Et, pourtant, les
questions sont regroupées et posées autrement. De plus, l’équilibre des
autorités patristiques, philosophiques, bibliques et ecclésiastiques n’est pas
le même.[7]
Une préface n’est pas là pour analyser tous les enjeux de ces déplacements et
différences. Un bref tableau, pour la première question sur la vertu en
général, indique clairement l’ampleur des transformations et
transmutations:
De virtutibus in communi |
Summa Theologiae, Prima Secundae |
Article 1 |
q. 55, a. 1 |
Article 2 |
q. 55, a. 4 |
Article 3 |
q. 56, a. 1 |
Article 4 |
q. 56, a. 3 |
Article 5 |
q. 56. a. 6 |
Article 6 |
q. 57, a. 5
(plus ou moins parallèle) |
Article 7 |
q. 56, a. 3 et
q. 57, a. 1 |
Article 8 |
q. 63, a. 1 |
Article 9 |
q. 63, a. 2 |
Article 10 |
q. 63, a. 3 |
Article 11 |
q. 63, a. 3 et
4 (plus ou moins parallèle) mais aussi q. 52, a. 1 et 66, a. 1 |
Article 12 |
q. 57, a. 2, 4
et 6 et q. 58, a. 2 (plus ou moins parallèle) |
Article 13 |
q. 64, a. 1 quant
à la question énoncée; incluant des parties des articles 2, 3 et 4 quant au
contenu |
Un réaménagement de l’ordre aussi radical a
lieu à propos des vertus cardinales :
De virtutibus in communi q. 5 |
Summa Theologiae, Prima Secundae |
Article 1 |
q. 61, a. 4 |
Article 2 |
q. 65 |
Article 3 |
q. 66, a. 2 |
Article 4 |
q. 67, a. 1 |
De plus, comme presque
toujours, là où la Summa theologiae se contente de trois ou quatre
« objections », les questions disputées en regorgent : jusqu’à
vingt-sept pour l’article 12 de la question sur les vertus en général avec un sed
contra de quatre objections pour l’article septième ! De plus, les
objections elles-mêmes peuvent être complexifiées par des sed contra internes
aux objections elles-mêmes comme on le voit pour la question 3, a. 1, obj. 2, à
propos de la correction fraternelle[8].
La multiplication et la complication de ces perspectives irréductibles
construisent un espace plus en tension pour le respondeo et la determinatio
magistrale qui s’y négocie et s’y configure. Du point de vue de la
reconstitution historique du contexte des « disputes », cela
requerrait une enquête fine sur les manuscrits de l’époque et des maîtres
parisiens et autres pour identifier les tenants possibles de ces positions,
mais aussi pour la reconstruction des enjeux philosophiques et théologiques
soulevés. Cette multiplication a trait à la nature même de la question disputée
et à son mode de réalisation concrète dans le cadre universitaire de l’époque[9].
Logique de la suite des
questions
Difficile
de déterminer, enfin, une logique faisant tenir ensemble un traitement des
vertus en général, de la charité de la correction fraternelle, de l’espérance
et des vertus cardinales. Les rédacteurs des introductions aux diverses
éditions Marietti déclarent : « Manifesto, hoc non est
commentarium de virtutibus ad modum integrum, perfectum et natura sua cohaerens.[10] »
Aucune logique n’est énoncée dans le texte. L’ordre d’ailleurs ne reproduit pas
celui de la Prima Secundae ou de la Secunda Secundae. Si on
voulait y voir la séquence suivante : vertus en général, vertus
théologales, vertus cardinales, d’une part, l’absence de la « foi »
dans le groupe surprendrait; d’autre part, la présence de la brève question sur
la « correction fraternelle » pourrait étonner. Mais, sur ce point,
il est possible d’offrir une explication. D’une part, la vertu théologale de
« foi » avait fait l’objet déjà d’une question (la douzième) dans les
questions disputées De veritate lors du premier enseignement parisien;
d’autre part, une négociation sur la charité appelle le traitement de la
« correctio fraterna » comme il s’agit, selon la
structure de la Secunda secundae et ce qui est indiqué dans le corps de
cette question, d’un acte de la charité (S.T., IIaIIae, q. 33)[11].
Pour sa part, la priorité de la charité sur l’espérance étant l’objet d’un
traitement propre à propos de l’espérance (DVC, q. 4, a. 3 : « Utrum
spes sit prior caritate »), l’ordre suivi est cohérent avec le contenu
de la discussion bien que cela entraîne un renversement de l’ordre habituel.
Mais alors rebondit la
question : pourquoi privilégier la « correction fraternelle »
sur l’ensemble des autres actes de la charité? Quelque chose dans la question
antécédente sur la charité ou dans les deux articles qui en traitent offre-t-il
quelques éléments de réponse? Pas vraiment car les brèves apparitions de la correctio
dans le traitement des questions antérieures, soit en q. 1, a. 9, ad 9
et en q. 2, a. 8, ad 10, ne constituent guère des appels ou des
impératifs à un traitement ultérieur. Cependant, ici, le parallèle avec la Summa
theologiae peut encore s’avérer précieux. Sur les sept aumônes spirituelles
énumérées en IIaIIae, q. 32, a. 2 à la suite des sept aumônes corporelles,
seule la correction fraternelle reçoit comme telle un traitement explicite et
développé dans le cadre du traité de la charité. Ce traitement est déployé sur
huit articles divisés en deux groupes (qui corrige qui [articles 1 à 5] et
comment corriger [article 6 à 8]); la question disputée ne retient que la
première question et en négocie une autre qui n’a pas d’équivalent en tant que
question dans la Summa theologiae, ce qui n’empêche pas les respondeo
et les réponses aux diverses objections de couvrir une part du matériel mis en
discours dans les articles de la question de la Summa theologiae.
Des traitements originaux
Mais plus encore, sans
parler de transformation profonde de la pensée dans le cas des questions qui
nous occupent – comme, à la même époque, cela arrive avec la question 6 du De
Malo – il faut cependant reconnaître que le traitement varie ici. Je n’en
veux donner que deux exemples mais la comparaison vaudrait pour bien d’autres
questions ou articles du recueil De virtutibus in communi. Comparons
l’article premier du De virtutibus in communi à l’article premier de son
équivalent dans la Summa theologiae, soit la question 55 de la Prima
Secundae. Au lieu des 15 objections du De virtutibus in communi nous
n’en retrouvons que cinq dans la Prima Secundae; et de ces cinq,
seulement trois se retrouvent dans la question disputée correspondante et,
encore, pas tout à fait. De plus, le respondeo de la question 55 ne
représente que 14.2% du total du respondeo correspondant. Une partie du respondeo
de la question disputée prend du matériel déjà négocié dans les questions
49, article 2 et surtout 51, article 2 de la Prima Secundae. Pourtant,
ce n’est que dans le respondeo de la question disputée que l’on trouve
explicités et argumentés les trois éléments sur lesquels une certaine
définition traditionnelle de la vertu thomasienne s’enracinera :
Premièrement, afin qu’il y ait
uniformité dans son opération : en effet, ce qui dépend de la seule opération
est facilement changé, à moins d’être affermi par une inclination habituelle.
Deuxièmement, afin qu’une opération parfaite soit toujours prête. En effet, à
moins que la puissance raisonnable ne soit d’une certaine façon inclinée à une
seule chose, il faudra toujours que précède une recherche sur une opération,
alors qu’il est nécessaire d’agir, comme c’est le cas de celui qui veut
examiner, alors qu’il n’a pas encore l’habitus de la science, et de celui qui
veut agir selon la vertu, alors qu’il est privé de l’habitus de la vertu. (…)
Troisièmement, afin que l’opération parfaite soit accomplie avec plaisir. En
effet, ce qui est accompli par habitus, étant pour ainsi dire accompli selon
une certaine nature, rend comme naturelle l’opération qui lui est propre, et
par conséquent délectable.[12]
Le second exemple est
tiré de la dernière question, celle portant sur les vertus cardinales.
L’économie de la négociation est très différente entre les deux
questions : les questions ne sont pas les mêmes (ce qui est uni dans
la question disputée est disséminé sur plusieurs questions dans la Summa
theologiae); le déséquilibre dans la longueur du respondeo de la
question disputée et celle de la Summa theologiae est encore plus
accentué que dans l’exemple précédent; le vocabulaire ne se recoupe guère; la
problématique de la vertu « générale » ainsi que la tension entre la
perspective des vertus « principales » et celle des vertus
« cardinales » qui sous-tend la définition de la vertu cardinale dans
la Summa theologiae n’apparaît pas structurante dans la question
disputée; enfin, la métaphore à laquelle on recourt très souvent, celle du
gond, n’est pas mise en scène dans les questions générales sur les vertus
cardinales dans la Summa theologiae, alors qu’elle ouvre la discussion
de la question disputée et avait été utilisée dès la question sur la vertu en
général (q. 1, a. 12, ad 24).
Un enjeu
Au point névralgique de l’éthique se love l’acte de
choisir, d’élire[13],
de choisir d’être heureux, avec Dieu. Les négociations de questions disputées
sur les vertus en général, sur la charité, la correction fraternelle,
l’espérance et les vertus cardinales, selon diverses perspectives, constituent
l’éclaircissement des conditions pour rendre possible l’acte de choisir de
manière rapide, ferme et plaisante. Elles signalent le travail d’habituation
nécessaire de l’acteur humain dans toutes ses dimensions. Elles témoignent de
ce que le travail passe par l’engagement, tant par soi-même que par
l’intervention de Dieu qui vient se rendre présent et désirable, déjà aimant
cet acteur pour qu’il choisisse de l’aimer et d'espérer en lui, et qu'il puisse
parvenir à choisir de vivre et de jouir d’être à l’image de Dieu et d’être en
route vers une contemplation déjà amorcée mais encore en attente de complétion
qui dépasse les limites des capacités humaines. Mieux que le registre théologal
est comme une « porte » pour la moralité[14].
Sur ce chemin, la communauté des « prochains » joue un rôle et
l’acteur a une responsabilité envers autrui : celle de l’aider à
s’habituer à choisir Dieu comme fin et ce qui mène à Dieu et, du coup, à la
paix[15].
Mais cet enjeu et l’élaboration des réponses se heurtent
à plusieurs objections liées soit à des compréhensions différentes de la nature
humaine et des aspects constitutifs de l’agir et de la psychologie humains,
soit de lectures et d’interprétations divergentes de l’Écriture ou de la
Tradition, soit encore d’options théologiques autorisées à l’écart des options
négociées par Thomas d’Aquin. Parfois, aussi, des éléments d’un respondeo
servent d’objections lors d’une mise à la question subséquente. En ce sens,
plus encore que pour la Summa theologiae, les objections et les réponses
aux objections s’avèrent ici structurantes de la « doctrine » mise en
discours patiemment par Thomas d’Aquin. Ainsi, il est possible de montrer que
les objections sont massivement en provenance de l’orbite augustinienne :
sur 168 occurrences du nom de saint Augustin et de ses oeuvres, 118 se
retrouvent dans les objections; dans les respondeo, on trouve seulement
23 recours à l’autorité d’Augustin et 27 dans les réponses aux objections
mêmes. Divers arguments sont aussi objectés en provenance du corpus
aristotélicien; mais là le rapport est plus équilibré : pour 97
occurrences en positions d’objections, on trouve un total de 75 références à ce
corpus dans les respondeo et les solutions aux objections. Un patient
travail pourrait être fait pour voir d’une part comment se nouent dans ces
questions disputées ces deux grand fils conducteurs de la pensée et comment,
d’autre part, les références bibliques très nombreuses (67 pour l’Ancien
Testament et 147 pour le Nouveau) sont tressées avec ceux-ci.
Cette
situation invite à être attentif à la polysémie des termes utilisés au Moyen
Âge et aussi à la plasticité des concepts. Cela signale aussi qu’il n’existe
pas une économie discursive unique, unifiée ou unifiante qui pourrait accorder
toutes les options ouvertes, surtout lorsque sont injectés dans la discussion
des éléments en provenance de la Parole de Dieu. Certaines des positions avec
et contre lesquelles la négociation thomasienne compose sont encore en circulation
de nos jours.
Conclusion
Désormais,
le lecteur est prêt à plonger dans le texte, à se laisser surprendre par
l’univers de sens dont il est porteur, à s’y laisser questionner, à le
soumettre charitablement à la question. Surtout à lire lentement, à prendre son
temps et à fonctionner comme un patient orfèvre des mots et des arguments, pour
faire écho au Nietzsche d’Aurore[16].
Reste à y découvrir la finesse philosophique et théologique des analyses,
certes, mais aussi ce qu’elles offrent pour penser et mettre en discours, non
loin de la phénoménologie ou d’une psychologie, une anthropologie fondamentale.
Reste à repérer les compléments, les écarts par rapport aux textes plus connus
de Thomas d’Aquin et aux attentes qu’ils ont déjà suscitées, et à construire
pour lui-même et en lui-même la cohérence du discours thomasien où il en va
pour le lecteur de s’ajuster là où il n’attendait peut-être pas de se
retrouver. Reste enfin et surtout peut-être à trouver les gués et à inventer
des protocoles pour faire entrer ces riches analyses dans la discussion
contemporaine.
1. En l’absence d’une édition
critique des questions disputées sur les vertus par saint Thomas d’Aquin, la
présente traduction française se fonde sur l’édition électronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, réalisée
par Enrique Alarcón, dans le cadre du Corpus
thomisticum (Université de Navarre, 2006) : http://www.corpusthomisticum.org/.
2. Dans le texte latin du commentaire,
seules les références aux chapitres de la Bible sont indiquées, puisque tel
était l’usage au XIIIe
siècle. Toutefois, pour la commodité du lecteur, les références aux versets ont
été ajoutées dans la présente traduction, chaque fois que ceux-ci ont pu être
identifiés. De même, les références exactes ont été rétablies en cas d’erreur.
Les abréviations des livres bibliques sont celles de La Bible de Jérusalem, Paris, 1998. En cas de différence de
numérotation des versets entre la version latine de la Bible et La Bible de Jérusalem, la numérotation de La Bible de Jérusalem a été retenue. La traduction
française des textes bibliques suit d’aussi près que possible la version latine
de la Bible utilisée par Thomas d’Aquin. On ne s’étonnera donc pas de certains
écarts par rapport à la version latine de la Bible reçue depuis le XVIe siècle ou par rapport à
une traduction moderne de la Bible.
3. Les passages bibliques commentés
par Thomas d’Aquin sont cités en majuscules dans le corps du texte. Nous
indiquons aussi en majuscules et entre crochets le contexte des mots commentés
par Thomas d’Aquin, lorsque cela semble nécessaire pour la compréhension du
commentaire. Les autres citations bibliques sont données en italiques. Afin de
faciliter le repérage des passages commentés, la référence au chapitre et au
verset est donnée en caractères gras entre crochets à l’endroit où débute le
commentaire de Thomas d’Aquin sur chaque verset. Les citations autres que les
citations bibliques sont placées entre guillemets.
4. La traduction a été réalisée en
2003 et en 2007 par Jacques Ménard (questions 1 et 4), Anne Michel (question
5), Raymond Berton (questions 2 et 3), avec la collaboration du R.P. Dominique
Dupont, abbé de Solesmes, de Marie-Louise Evrard et de Dominique Pillet (article
8, question 2). Dominique Pillet a unifié la traduction et a assuré la
relecture de l’ensemble. Le professeur Maxime Allard op a rédigé la
présentation de l’oeuvre. La coordination des travaux et la mise en forme de
l’édition électronique ont été assurées par Arnaud Dumouch, pour le projet https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
Quaestio 1
: De virtutibus in communi Prooemium |
Question 1 : [Les vertus en général]© Traduction Professeur Jacques Ménard, avril 2007[17] |
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Prologue |
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[65463] De virtutibus, q. 1 pr. 1 Et
primo enim quaeritur, utrum virtutes sint habitus. [65464]
De virtutibus, q. 1 pr. 2 Secundo utrum definitio
virtutis quam Augustinus ponit, sit conveniens. [65465] De
virtutibus, q. 1 pr. 3 Tertio utrum potentia animae possit esse virtutis
subiectum. [65466] De
virtutibus, q. 1 pr. 4 Quarto utrum irascibilis et concupiscibilis possint
esse subiectum virtutis. [65467] De
virtutibus, q. 1 pr. 5 Quinto utrum voluntas sit subiectum virtutis. [65468] De
virtutibus, q. 1 pr. 6 Sexto utrum in intellectu practico sit virtus sicut
in subiecto. [65469] De
virtutibus, q. 1 pr. 7 Septimo utrum in intellectu speculativo sit virtus. [65470] De
virtutibus, q. 1 pr. 8 Octavo utrum virtutes insint nobis a natura. [65471] De
virtutibus, q. 1 pr. 9 Nono utrum virtutes acquirantur ex actibus. [65472] De
virtutibus, q. 1 pr. 10 Decimo utrum sint aliquae virtutes homini ex
infusione. [65473] De
virtutibus, q. 1 pr. 11 Undecimo utrum virtus infusa augeatur. [65474] De
virtutibus, q. 1 pr. 12 Duodecimo de distinctione virtutum. [65475] De
virtutibus, q. 1 pr. 13 Decimotertio utrum virtus sit in medio. |
Article 1 – Les
vertus sont-elles des habitus ? Article 2 – La définition de la vertu donnée
par Augustin est-elle appropriée ? Article 3 – Une puissance de l’âme peut-elle
être le sujet d’une vertu ? Article 4 – L’irascible et le concupiscible
peuvent-ils être sujets de la vertu ? Article 5 – La volonté est-elle le sujet d’une
vertu ? Article 6 – Existe-t-il une vertu dans
l’intellect pratique comme dans son sujet ? Article 7 – Existe-t-il une vertu dans
l’intellect spéculatif ? Article 8 – Les vertus existent-elles en nous
par nature ? Article 9 – Les vertus sont-elles acquises par
des actes ? Article 10 – Existe-t-il dans l’homme des
vertus infuses ? Article 11 – La vertu infuse est-elle
augmentée ? Article 12 – La distinction entre les vertus. Article 13 – La vertu se situe-t-elle au
milieu ? |
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Articulus
1 : [65476] De virtutibus, q. 1 a. 1 tit. 1 Et primo
quaeritur utrum virtutes sint habitus |
Article 1 – Les vertus sont-elles des habitus ? |
|
[65477] De virtutibus, q. 1 a. 1 tit. 2 Et
videtur quod non, sed magis actus. |
Il semble que non,
mais qu’elles sont plutôt des actes. |
|
[65478]
De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 1 Augustinus enim dicit in Lib. Retract., quod bonus
usus liberi arbitrii est virtus. Sed usus liberi arbitrii est actus. Ergo
virtus est actus. |
1. En effet,
Augustin dit, dans le livre des Rétractations,
que le bon usage du libre arbitre est la vertu. Or, l’usage du libre arbitre
est un acte. La vertu est donc un acte. |
|
[65479] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, praemium non debetur alicui nisi ratione
actus. Debetur autem omni habenti virtutem; quia quicumque in caritate decedit,
ad beatitudinem perveniet. Ergo virtus est meritum. Meritum autem est actus.
Ergo virtus est actus. |
2. Une récompense
n’est due à quelqu’un qu’en raison d’un acte. Or, elle est due à tous ceux
qui possèdent la vertu, car tous ceux qui meurent avec la charité parviennent
à la béatitude. La vertu est donc un mérite. Or, le mérite est un acte. La
vertu est donc un acte. |
|
[65480] De
virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 3 Praeterea, quanto aliquid est in nobis Deo
similius, tanto est melius. Sed maxime Deo similamur secundum quod sumus in
actu, quia est actus purus. Ergo actus est optimum eorum quae sunt in
nobis. Sed virtutes sunt maxima bona quae sunt in nobis, ut Augustinus dicit
in libro de libero arbitrio. Ergo virtutes sunt actus. |
3. Plus ce qui est
en nous est semblable à Dieu, meilleur cela est. Or, nous sommes semblables à
Dieu selon que nous sommes en acte, car il est acte pur. L’acte est donc ce
qu’il y a de meilleur en nous. Or, les vertus sont les plus grands biens qui
sont en nous, comme le dit Augustin dans le livre Sur le libre arbitre. Les vertus sont donc des actes. |
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[65481] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, perfectio viae respondet perfectioni patriae. Sed perfectio
patriae est actus, scilicet felicitas, quae in actu consistit, secundum philosophum.
Ergo et
perfectio viae, scilicet virtus, actus est. |
4. La perfection
de la route correspond à la perfection de la patrie. Or, la perfection de la
patrie est un acte, à savoir, la félicité, qui consiste dans un acte, selon
le Philosophe. La perfection de la route, à savoir, la vertu, est donc aussi
un acte. |
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[65482] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, contraria sunt quae in eodem genere ponuntur, et mutuo se
expellunt. Sed actus peccati expellit virtutem ratione oppositionis quam
habet ad ipsam. Ergo virtus est in genere actus. |
5. Les contraires
se situent dans un même genre et se repoussent mutuellement. Or, l’acte du
péché repousse la vertu en raison de son opposition qu’il a par rapport à
elle. La vertu se situe donc dans le genre de l’acte. |
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[65483] De
virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 6 Praeterea, philosophus dicit in I caeli et
mundi, quod virtus est ultimum de potentia : ultimum potentiae est actus.
Ergo virtus est actus. |
6. Le Philosophe
dit, dans Sur le ciel et le monde, I,
que la vertu est le point ultime d’une puissance. Or, le point ultime d’une
puissance est l’acte. La vertu est donc un acte. |
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[65484] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 7 Praeterea,
pars rationalis est nobilior et perfectior quam pars sensitiva. Sed vis sensitiva habet suam operationem nullo habitu vel qualitate
mediante. Ergo nec in parte intellectiva oportet ponere habitus, quibus
mediantibus pars intellectiva perfectam operationem habeat. |
7. La partie
raisonnable est plus noble et plus parfaite que la partie sensible. Or, la
puissance sensible exerce son opération sans l’intermédiaire d’un habitus ou
d’une qualité. Il n’est donc pas nécessaire de situer dans la partie
intellective les habitus, par l’intermédiaire desquels celle-ci exerce une
opération parfaite. |
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[65485] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 8 Praeterea, philosophus dicit in VII Physic., quod
virtus est dispositio perfecti ad optimum. Optimum autem
est actus; dispositio autem est eiusdem generis cum eo ad quod disponit. Ergo virtus est actus. |
8. Le Philosophe
dit, dans Physique, VII, que la
vertu est une disposition de ce qui est parfait à ce qui est le meilleur. Or,
ce qui est le meilleur est un acte ; mais la disposition fait partie du
même genre que ce à quoi elle dispose. La vertu est donc un acte. |
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[65486] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 9 Praeterea,
Augustinus dicit in Lib. de moribus Ecclesiae, quod virtus est ordo amoris :
ordo autem, ut ipse dicit in XIX de Civit. Dei, est parium dispariumque sua
cuique tribuens loca dispositio. Virtus ergo est dispositio : non ergo
habitus. |
9. Augustin dit,
dans le livre Sur le comportement de
l’Église, que la vertu est l’ordre de l’amour. Or, l’ordre, comme il le
dit lui-même dans La cité de Dieu, XIX,
est une disposition qui donne leur place à des choses égales et inégales. La
vertu est donc une disposition. Elle n’est donc pas un habitus. |
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[65487] De
virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 10 Praeterea, habitus est qualitas de difficili
mobilis. Sed virtus est facile mobilis, quia per unum actum peccati mortalis
amittitur. Ergo virtus non est habitus. |
10. L’habitus est
une qualité difficilement changeable. Or, la vertu peut changer facilement,
car elle est enlevée par un seul acte de péché mortel. La vertu n’est donc
pas un habitus. |
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[65488] De
virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 11 Praeterea, si habitibus aliquibus indigemus,
qui sint virtutes, aut indigemus ad operationes naturales, aut meritorias,
quae sunt quasi supernaturales. Non autem ad naturales : quia si quaelibet
natura, etiam sensibilis et insensibilis, potest suam operationem perficere
absque habitu, multo fortius hoc poterit rationalis natura. Similiter nec ad operationes meritorias, quia has
Deus in nobis operatur : Philipp. II, 13. Qui
operatur in nobis velle et perficere, pro bona voluntate. Ergo nullo modo
virtutes sunt habitus. |
11. Si nous avons
besoin d’habitus, qui seraient les vertus, ou bien nous en avons besoin pour
des opérations naturelles, ou bien pour [des opérations] méritoires, qui sont
pour ainsi dire surnaturelles. Or, [nous n’en avons pas besoin] pour des
[opérations] naturelles, car si toute nature, même la sensible et
l’insensible, peut accomplir son opération sans habitus, à bien plus forte
raison la nature raisonnable le pourra-t-elle. De même, [nous n’en avons pas
besoin] pour les opérations méritoires, car Dieu les accomplit en nous,
Ph 2, 13 : Lui qui accomplit
en nous le vouloir et l’opération, pour une bonne volonté. Les vertus ne
sont donc d’aucune manière des habitus. |
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[65489] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 12 Praeterea,
omne agens secundum formam, semper agit secundum exigentiam illius formae,
sicut calidum agit semper calefaciendo. Si ergo in mente sit aliqua
habitualis forma quae virtus dicatur, oportebit quod habens virtutem,
secundum virtutem operetur; quod est falsum : quia sic quilibet habens
virtutem esset confirmatus. Ergo virtutes non sunt habitus. |
12. Tout ce qui
agit selon une forme agit toujours selon que l’exige cette forme, comme le
chaud agit toujours en réchauffant. Si donc il existe dans l’esprit une forme
habituelle appelée vertu, il sera nécessaire que celui qui possède la vertu
agisse selon la vertu, ce qui est faux, car ainsi quiconque possède la vertu
serait confirmé [dans la vertu]. Les vertus ne sont donc pas des habitus. |
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[65490] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 13 Praeterea, habitus ad hoc insunt potentiis, ut
tribuant eis facilitatem operandi. Sed ad actus virtutum non indigemus aliquo
facilitatem faciente, ut videtur. Consistunt enim principaliter in electione
et voluntate : nihil autem est facilius eo quod est in voluntate constitutum.
Ergo virtutes non sunt habitus. |
13. Les habitus
sont inhérents aux puissances afin de leur donner une facilité d’agir. Or,
pour les actes des vertus, nous n’avons pas besoin de quelque chose qui
assure la facilité, semble-t-il. En effet, ils consistent principalement dans
le choix et la volonté. Or, rien n’est plus facile que ce qui est déterminé
par la volonté. Les vertus ne sont donc pas des habitus. |
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[65491] De
virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 14 Praeterea, effectus non potest esse nobilior
quam sua causa. Sed si virtus est habitus, erit causa actus, qui est habitu
nobilior. Ergo non videtur conveniens quod virtus sit habitus. |
14. L’effet ne
peut pas être plus noble que la cause. Or, si la vertu est un habitus, la
cause de l’acte, qui est plus noble que l’habitus, en sera aussi un. Il ne
semble donc pas approprié que la vertu soit un habitus. |
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[65492] De virtutibus, q. 1 a. 1 arg. 15 Praeterea,
medium et extrema sunt unius generis. Sed virtus moralis est medium inter
passiones; passiones autem sunt de genere actuum. Ergo, et cetera. |
15. Le milieu et
les extrêmes appartiennent au même genre. Or, la vertu morale est un milieu
entre des passions. Or, les passions font partie du genre des actes. Donc,
etc. |
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[65493] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Virtus, secundum Augustinum, est bona qualitas
mentis. Non autem potest esse in aliqua specie nisi in prima, quae est
habitus. Ergo virtus est habitus. |
Cependant : 1. La vertu, selon
Augutin, est une bonne qualité de l’esprit. Or, elle ne peut être dans une
autre espèce que la première, qui est l’habitus. La vertu est donc un
habitus. |
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[65494] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 2 Praeterea,
philosophus dicit in II Ethic., quod virtus est habitus electivus in mente
consistens. |
2. Le Philosophe
dit, dans Éthique, II, que la vertu
un habitus électif établi dans l’esprit. |
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[65495] De virtutibus, q. 1 a. 1 s. c. 3 Praeterea,
virtutes sunt in dormientibus; quia non amittuntur nisi per peccatum mortale.
Non sunt autem in eis actus virtutum, quia non habent usum liberi
arbitrii. Ergo virtutes non sunt actus. |
3. Les vertus
existent chez ceux qui dorment, car elles ne sont enlevées que par le péché
mortel. Or, il n’existe pas chez eux d’actes des vertus, car ils n’ont pas
l’usage du libre arbitre. Les vertus ne sont donc pas des actes. |
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[65496] De virtutibus, q. 1 a. 1 co. Respondeo.
Dicendum, quod virtus, secundum sui nominis rationem, potentiae complementum
designat; unde et vis dicitur, secundum quod res aliqua per potestatem
completam quam habet, potest sequi suum impetum vel motum. Virtus enim,
secundum suum nomen, potestatis perfectionem demonstrat; unde philosophus
dicit in I caeli et mundi, quod virtus est ultimum in re de potentia. Quia vero potentia ad actum dicitur, complementum
potentiae attenditur penes hoc quod completam operationem suscipit. Quia vero
operatio est finis operantis, cum omnis res, secundum philosophum in I caeli
et mundi, sit propter suam operationem, sicut propter finem proximum;
unumquodque est bonum, secundum quod habet completum ordinem ad suum finem.
Inde est quod virtus bonum facit habentem, et opus eius reddit bonum, ut
dicitur in II Ethic.; et per hunc etiam modum patet quod est dispositio
perfecti ad optimum, ut dicitur in VII Metaph. Et haec omnia
conveniunt virtuti cuiuscumque rei. Nam virtus equi est quae facit ipsum
bonum, et opus ipsius; similiter virtus lapidis, vel hominis, vel cuiuscumque
alterius. Secundum autem diversam conditionem potentiarum, diversus est modus
complexionis ipsius. Est enim aliqua potentia tantum agens; aliqua tantum acta
vel mota; alia vero agens et acta. Potentia igitur quae est tantum agens, non
indiget, ad hoc quod sit principium actus, aliquo inducto; unde virtus talis
potentiae nihil est aliud quam ipsa potentia. Talis autem potentia est
divina, intellectus agens, et potentiae naturales; unde harum potentiarum
virtutes non sunt aliqui habitus, sed ipsae potentiae in seipsis completae.
Illae vero potentiae sunt tantum actae quae non agunt nisi ab aliis motae;
nec est in eis agere vel non agere, sed secundum impetum virtutis moventis
agunt; et tales sunt vires sensitivae secundum se consideratae; unde in III
Ethic. dicitur, quod sensus nullius actus est principium : et hae potentiae
perficiuntur ad suos actus per aliquid superinductum; quod tamen non inest
eis sicut aliqua forma manens in subiecto, sed solum per modum passionis,
sicut species in pupilla. Unde nec harum potentiarum virtutes sunt habitus,
sed magis ipsae potentiae, secundum quod sunt actu passae a suis activis.
Potentiae vero illae sunt agentes et actae quae ita moventur a suis activis,
quod tamen per eas non determinantur ad unum; sed in eis est agere, sicut
vires aliquo modo rationales; et hae potentiae complentur ad agendum per
aliquid superinductum, quod non est in eis per modum passionis tantum, sed
per modum formae quiescentis, et manentis in subiecto; ita tamen quod per eas
non de necessitate potentia ad unum cogatur; quia sic potentia non esset
domina sui actus. Harum potentiarum virtutes non sunt ipsae potentiae; neque
passiones, sicut est in sensitivis potentiis; neque qualitates de necessitate
agentes, sicut sunt qualitates rerum naturalium; sed sunt habitus, secundum
quos potest quis agere cum voluerit ut dicit Commentator in III de anima. Et
Augustinus in Lib. de bono coniugali dicit, quod habitus est quo quis agit,
cum tempus affuerit. Sic ergo patet quod virtutes sunt habitus. Et qualiter
habitus distent a secunda et tertia specie qualitatis, qualiter autem a
quarta differant, in promptu est : nam figura non dicit ordinem ad actum
quantum in se est. Ex his etiam potest patere quod habitus virtutum ad tria
indigemus. Primo ut sit uniformitas in sua operatione; ea enim quae ex sola
operatione dependent, facile immutantur, nisi secundum aliquam inclinationem
habitualem fuerint stabilita. Secundo ut operatio perfecta in promptu
habeatur. Nisi enim potentia rationalis per habitum aliquo modo inclinetur ad
unum, oportebit semper, cum necesse fuerit operari, praecedere inquisitionem
de operatione; sicut patet de eo qui vult considerare nondum habens scientiae
habitum, et qui vult secundum virtutem agere habitu virtutis carens. Unde
philosophus dicit in V Ethic., quod repentina sunt ab habitu. Tertio ut
delectabiliter perfecta operatio compleatur. Quod quidem fit per habitum; qui
cum sit per modum cuiusdam naturae, operationem sibi propriam quasi naturalem
reddit, et per consequens delectabilem. Nam convenientia est delectationis
causa; unde philosophus, in II Ethic., ponit signum habitus, delectationem in
opere existentem. |
Réponse : Il faut dire que
la vertu, selon le sens du mot, désigne l’achèvement d’une puissance. Aussi
est-elle appelée une force, selon laquelle une chose, en vertu de la
puissance achevée qu’elle possède, peut suivre son élan ou son mouvement. En
effet, la vertu, selon le sens du mot, exprime la perfection d’une puissance.
Aussi le Philosophe dit-il, dans Le
ciel et le monde, I, que la vertu est le point ultime de la puissance
dans une chose. Or, comme la puissance se dit par rapport à l’acte,
l’achèvement d’une puissance se prend du fait qu’elle reçoit une opération
achevée. Mais comme l’opération est la fin de celui qui agit, et comme toute
chose, selon le Philosophe, dans Le
ciel et le monde, I, existe pour son opération comme pour sa fin
prochaine, toute chose est bonne selon qu’elle possède un ordre achevé à sa
fin. De là vient que la vertu rend bon celui qui la possède et rend bonne son
action, comme il est dit dans Éthique, II.
De cette manière aussi, il ressort clairement qu’elle est une disposition de
ce qui est parfait à ce qui est le meilleur, comme il est dit dans Métaphysique, VII. Et tout cela
convient à la vertu de n’importe quelle chose. Car la vertu du cheval est ce
qui le rend bon, ainsi que son opération ; de la même manière, la vertu
de la pierre, de l’homme ou de n’importe quelle autre chose. Or, selon la
condition diverse des puissances, divers est le mode de sa complexion. En
effet, il existe une puissance qui est seulement active ; une autre est
seulement passive ou mue ; mais une autre est active et passive. La puissance
qui est seulement active n’a donc pas besoin, pour être le principe d’un
acte, de quelque chose d’ajouté ; aussi la vertu d’une telle puissance
n’est-elle rien d’autre que la puissance elle-même. Or, une telle puissance
est [la puissance] divine, l’intellect agent et les puissances naturelles.
Aussi, les vertus de ces puissances ne sont-elles pas des habitus, mais les
puissances elles-mêmes en tant qu’elles sont achevées en elles-mêmes. Mais
les puissances seulement passives sont celles qui n’agissent que si elles
sont mues par quelque chose d’autre ; elles n’ont pas non plus en
elles-mêmes le pouvoir d’agir ou de ne pas agir, mais elles agissent sous
l’impulsion de la puissance qui meut. Telles sont les puissances sensibles
considérées en elles-mêmes. Aussi est-il dit dans Éthique, III, que le sens n’est le principe d’aucun acte. Et ces
puissances sont perfectionnées en vue de leurs actes par quelque chose
d’ajouté, qui n’existe cependant pas en elles comme une forme demeure dans un
sujet, mais seulement par mode de passion, comme l’espèce dans la pupille. Il
découle de cela que les vertus de ces puissances ne sont pas non plus des
habitus, mais plutôt les puissances elles-mêmes, selon qu’elles subissent
l’action de ce qui les active. Mais les puissances qui sont à la fois actives
et passives sont mues par ce qui les active de telle manière qu’elles ne sont
cependant pas déterminées à une seule chose, mais qu’il leur est possible
d’agir, comme des puissances en quelque sorte raisonnables. Et ces puissances
sont achevées en vue d’agir par quelque chose d’ajouté, qui n’existe pas en
elles seulement par mode de passion, mais par mode d’une forme qui repose et
demeure dans un sujet, de telle manière, cependant, que, par elles, une
puissance n’est pas nécessairement forcée à une seule chose, car ainsi cette
puissance ne serait pas maîtresse de son acte. Les vertus de ces puissances
ne sont pas les puissances elles-mêmes ; elles ne sont pas non plus des
passions, comme c’est le cas pour les puissances sensibles ; elles ne
sont pas non plus des qualités qui agissent par nécessité, comme les qualités
des choses naturelles. Mais elles sont des habitus par lesquels quelqu’un
peut agir lorsqu’il le veut, comme le dit le Commentateur, dans Sur l’âme, III. Et Augustin dit, dans
le livre Le bien conjugal, que
l’habitus est ce par quoi quelqu’un agit, lorsque le moment est venu. Il est
donc clair que les vertus sont des habitus. Comment les habitus s’éloignent
de la deuxième et de la troisième espèce de qualité et comment ils diffèrent
de la quatrième, cela est évident, car la figure ne comporte pas en elle-même
d’ordre à l’acte. À partir de cela, on peut voir clairement que nous avons
besoin des habitus des vertus pour trois choses. Premièrement, afin qu’il y
ait uniformité dans son opération : en effet, ce qui dépend de la seule
opération est facilement changé, à moins d’être affermi par une inclinaton
habituelle. Deuxièmement, afin qu’une opération parfaite soit toujours prête.
En effet, à moins que la puissance raisonnable ne soit d’une certaine façon
inclinée à une seule chose, il faudra toujours que précède une recherche sur
une opération, alors qu’il est nécessaire d’agir, comme c’est le cas de celui
qui veut examiner, alors qu’il n’a pas encore l’habitus de la science, et de
celui qui veut agir selon la vertu, alors qu’il est privé de l’habitus de la
vertu. C’est pourquoi le Philosophe dit, dans Éthique, V, que ce qui vient de la vertu est subit.
Troisièmement, afin que l’opération parfaite soit accomplie avec plaisir. En
effet, ce qui est accompli par habitus, étant pour ainsi dire accompli selon
une certaine nature, rend comme naturelle l’opération qui lui est propre, et
par conséquent délectable. Car l’adéquation est la cause du plaisir. Aussi,
dans Éthique, II, le Philosophe
donne-t-il comme signe d’un habitus le fait qu’il y a plaisir dans
l’opération. |
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[65497] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod sicut potestas, ita et virtus accipitur
dupliciter. Uno modo materialiter, prout dicimus, id quod possumus, esse
nostram potentiam; et sic Augustinus bonum usum liberi arbitrii dicit esse
virtutem. Alio modo essentialiter; et sic neque potentia neque virtus est
actus. |
Solutions
: 1. Comme la puissance, la vertu s’entend de deux manières. D’une manière,
matériellement, comme lorsque nous disons que ce que nous pouvons est notre
puissance; et ainsi, Augustin dit que l’usage du libre arbitre est la vertu.
D’une autre manière, essentiellement; et ainsi, ni la puissance ni la vertu
ne sont des actes. |
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[65498] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod mereri dupliciter accipitur. Uno modo proprie; et sic
nihil aliud est quam facere aliquam actionem unde aliquis sibi iuste acquirat
mercedem. Alio modo improprie; et sic quaelibet conditio quae facit hominem
aliquo modo dignum, meritum dicitur; ut si dicamus, quod species Priami
meruit imperium, quia digna imperio fuit. Praemium ergo cum merito debeatur,
debetur quodammodo et qualitati habituali, per quam aliquis redditur idoneus
ad praemium : et sic debetur parvulis baptizatis. Et iterum debetur merito
actuali; et sic non debetur virtuti, sed actui virtutis. Et tamen etiam
parvulis quodammodo redditur ratione meriti actualis, in quantum ex merito
Christi sacramentum efficaciam habet, quo regenerantur ad vitam. |
2. Mériter s’entend de deux manières. D’une manière, au sens propre;
et ainsi, ce n’est rien d’autre que de faire une action par laquelle on
acquiert une récompense pour soi-même. D’une autre manière, en un sens
impropre; et ainsi, toute condition qui rend l’homme digne d’une certaine
façon est appelée mérite, comme si nous disions que l’espèce de Priam
méritait le pouvoir parce qu’elle était digne du pouvoir. Puisque la
récompense est due au mérite, elle est donc aussi due d’une certaine façon à
la qualité habituelle par laquelle quelqu’un est rendu apte à la récompense.
Et ainsi est-elle due aux petits enfants baptisés. Elle est aussi due au
mérite actuel; et ainsi, elle n’est pas due à la vertu, mais à l’acte de la
vertu. Cependant, la récompense est d’une
certaine façon donnée aux petits enfants en raison d’un mérite actuel, pour
autant que le sacrement par lequel ils sont régénérés pour la vie tire son
efficacité du mérite du Christ. |
|
[65499] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Augustinus dicit, virtutes
esse maxima bona, non simpliciter, sed in genere; sicut et ignis dicitur
subtilissimum corporum. Unde non sequitur quod nihil sit in nobis ipsis
virtutibus melius; sed quod sint de numero eorum quae sunt maxima bona secundum
genus suum. |
3. Augustin dit que les vertus sont les plus grands biens, non pas
tout simplement, mais d’une manière générale, comme le feu est le plus subtil
parmi les corps. Il n’en découle donc pas que rien ne soit meilleur en nous
que les vertus, mais qu’elles font partie des biens qui sont les plus grands
selon leur genre. |
|
[65500] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut in vita est
perfectio habitualis quae est virtus, et perfectio actualis quae est virtutis
actus; ita etiam in ipsa patria felicitas est perfectio actualis, procedens
ex aliquo habitu consummato. Unde etiam philosophus in I Ethic. dicit, quod
felicitas est operatio secundum virtutem perfectam. |
4. De même que, durant la vie, il existe une perfection habituelle qui
est la vertu, et une perfection actuelle, qui est l’acte de la vertu, de même
aussi, dans la patrie, il existe une perfection actuelle, provenant d’un
habitus consommé. Aussi, même le Philosophe dit-il, dans Éthique, I, que la félicité est une opération conforme à la vertu
parfaite. |
|
[65501] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod actus vitiosus directe
tollit actum virtutis per modum contrarietatis; ipsum vero virtutis habitum
tollit per accidens, in quantum separatur a causa virtutis infusae, scilicet
a Deo. Unde Is., LIX, 2 : peccata vestra diviserunt
inter vos et Deum vestrum. Et propter hoc virtutes acquisitae, per unum
actum vitiosum non tolluntur. |
5. L’acte vicieux enlève directement l’acte de la vertu parce qu’il
lui est contraire, mais il enlève l’habitus lui-même par accident, pour
autant qu’il est séparé de la cause de la vertu infuse, à savoir, de Dieu.
Aussi Isaïe dit-il, 49, 2 : Vos
péchés ont mis une séparation entre vous et votre Dieu. Pour cette
raison, les vertus acquises ne sont pas enlevées par un seul acte vicieux. |
|
[65502] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod illa definitio philosophi potest dupliciter intelligi.
Uno modo materialiter, ut per virtutem intelligamus id in quod virtus potest,
quod est ultimum inter ea in quae potentia potest; sicut virtus eius qui
potest ferre centum libras, est in eo in quantum potest ferre centum libras
non in quantum ferre potest sexaginta. Alio modo potest intelligi
essentialiter; et sic virtus dicitur ultimum potentiae, quia designat
potentiae complementum; sive id per quod potentia completur, sit aliud a
potentia, sive non. |
6. Cette définition du Philosophe peut s’entendre de deux façons.
D’une façon, matériellement, de sorte que nous entendions par vertu ce sur
quoi porte la vertu, qui est le point ultime de ce dont une puissance est
capable, comme la vertu de celui qui peut porter cent livres est en lui pour
autant qu’il peut porter cent livres, et non pour autant qu’il peut en porter
soixante. D’une autre façon, on peut l’entendre essentiellement; et ainsi, on
appelle vertu le point ultime d’une puissance, parce qu’elle désigne
l’achèvement de la puissance, que cela soit différent de la puissance ou non. |
|
[65503] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod non est similis ratio de potentiis sensitivis et
rationabilibus, ut dictum est. |
7. Il n’en va pas
de même des puissances sensibles et raisonnables, comme on l’a dit. |
|
[65504] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod dispositio ad aliquid
dicitur id per quod aliquid movetur in illud consequendum. Motus autem habet
quandoque terminum in eodem genere, sicut motus alterationis est qualitas;
unde dispositio ad hunc terminum semper est eiusdem generis cum termino.
Quandoque vero habet terminum alterius generis, sicut alterationis terminus
est forma substantialis; et sic dispositio non est semper eiusdem generis cum
eo ad quod disponit; sicut calor est dispositio ad formam substantialem
ignis. |
8. On dit que la disposition à quelque chose est ce par quoi quelque
chose est mû pour l’atteindre. Or, le mouvement a parfois un terme du même
genre, comme lorsque [le terme] d’une altération est une qualité; aussi la
disposition à ce terme est-elle toujours du même genre que le terme. Mais
parfois, [le mouvement] a un terme d’un autre genre, comme lorsque le terme
de l’altération est une forme substantielle. Ainsi, la disposition n’est pas
toujours du même genre que ce à quoi elle dispose, comme lorsque la chaleur
est une disposition à la forme substantielle du feu. |
|
[65505] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod dispositio dicitur tribus
modis. Uno modo per quam materia disponitur ad formae receptionem, sicut
calor est dispositio ad formam ignis. Alio modo per quam aliquod agens
disponitur ad agendum, sicut velocitas est dispositio ad cursum. Tertio modo
dispositio dicitur ipsa ordinatio aliquorum ad invicem; et hoc modo
dispositio ab Augustino sumitur. Dispositio vero contra
habitum dividitur primo modo; ipsa vero virtus, dispositio est secundo modo. |
9. On parle de disposition de trois manières. D’une manière, selon
laquelle la matière est disposée à la réception de la forme, comme la chaleur
est une disposition à la forme du feu. D’une autre manière, selon laquelle un
agent est disposé à agir, comme la rapidité est une disposition à la course.
D’une troisième manière, on appelle disposition l’ordre même de certanes
choses les unes par rapport aux autres. Et Augustin entend la disposition de
cette manière. Mais, la disposition s’oppose à l’habitus de la première
manière; mais la vertu elle-même est une disposition selon la deuxième
manière. |
|
[65506] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod nulla res est adeo
stabilis, quae non statim ex se deficiat, sua causa deficiente. Unde non est
mirum, si deficiente coniunctione ad Deum per peccatum mortale, deficiat
virtus infusa. Nec hoc repugnat suae immobilitati, quae intelligi non potest
nisi sua causa manente. |
10. Aucune chose n’est à ce point stable qu’elle ne disparaisse
d’elle-même, si sa cause disparaît. Aussi n’est-il pas étonnant que, l’union
à Dieu faisant défaut par le péché mortel, la vertu infuse disparaisse. Cela
ne s’oppose pas non plus à son immobilité, qu’on ne peut entendre que si sa
cause demeure. |
|
[65507] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ad utrasque operationes
habitu indigemus; ad naturales quidem tribus rationibus superius positis; ad
meritorias autem insuper, ut naturalis potentia elevetur ad id quod est supra
naturam ex habitu infuso. Nec hoc removetur ex hoc quod Deus in nobis
operatur; quia ita agit in nobis, quod et nos agimus; unde habitu indigemus,
quo sufficienter agere possimus. |
11. Nous avons besoin d’un habitus pour les deux opérations. Pour les
[opérations] naturelles, pour les trois raisons indiquées plus haut; et en
plus, pour les [opérations] méritoires, afin que la puissance naturelle soit
élevée à ce qui est supérieur à la nature par un habitus infus. Et cela n’est
pas enlevé par le fait que Dieu agit en nous, car il agit en nous de la
manière dont nous agissons. Aussi avons-nous besoin d’un habitus par lequel
nous puissions agir d’une manière suffisante. |
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[65508] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod omnis forma recipitur
in suo supposito secundum modum recipientis. Proprietas autem rationalis potentiae est ut in opposita possit, et ut
sit domina sui actus. Unde nunquam per formam habitualem receptam
cogitur potentia rationalis ad similiter agendum; sed potest agere vel non
agere. |
12. Toute forme est reçue dans son suppôt selon le mode de celui qui
reçoit. Or, le propre d’une puissance raisonnable est qu’elle peut se porter
vers des choses opposées, et qu’elle soit maîtresse de son acte. Aussi la
puissance raisonnable n’est-elle jamais contrainte par une forme habituelle à
agir de manière semblable, mais elle peut agir ou ne pas agir. |
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[65509] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod illa quae in sola
electione consistunt facile est quod qualitercumque fiant; sed quod debito
modo fiant, scilicet expedite, firmiter, et delectabiliter, hoc non est
facile; unde ad hoc habitibus virtutum indigemus. |
13. Il est facile de faire n’importe comment ce qui relève du simple
choix; mais le faire de la manière appropriée, à savoir, rapidement, fermement
et avec plaisir, cela n’est pas facile. Aussi avons-nous besoin des habitus
des vertus pour cela. |
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[65510] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnes motus
animalium vel hominum, qui de novo incipiunt, sunt ab aliquo movente moto, et
dependent ab aliquo priori actu existente; et sic habitus de se actum non
elicit, nisi ab aliquo agente excitatus. |
14. Tous les mouvements des animaux ou des hommes, à leur début,
viennent d’un agent qui est mû, et ils dépendent de quelque chose d’antérieur
qui existe en acte. Et ainsi, l’habitus n’amène pas de lui-même à l’acte, à
moins qu’il ne soit réveillé par un agent. |
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[65511] De virtutibus, q. 1 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus est medium
inter passiones, non quasi aliqua passio media; sed actio, quae in
passionibus medium constituit. |
15. La vertu est un milieu entre les passions, non comme une passion
moyenne, mais comme une action qui instaure un milieu entre les passions. |
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Articulus 2 : [65512] De virtutibus, q. 1 a.
2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum definitio virtutis quam Augustinus ponit
sit conveniens |
Article 2 – La définition de la vertu donnée par
Augustin est-elle appropriée ?[18]
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[65514] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 1 Virtus
enim est bonitas quaedam. Si ergo ipsa est bona : aut ergo sua bonitate,
aut alia. Si alia, procedetur in infinitum : si seipsa, ergo virtus est
bonitas prima quia sola bonitas prima est bona per seipsam. |
Objections : 1. En effet, la vertu est une certaine bonté. Si donc elle est bonne,
elle l’est soit par sa propre bonté, soit par une autre. Si elle l’est par
une autre, il faudrait remonter à l’infini; si elle l’est par elle-même, la
vertu est donc la bonté première, car seule la bonté première est bonne par
elle-même. |
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[65515]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 2 Praeterea, illud quod est commune omni enti,
non debet poni in definitione alicuius. Sed bonum, quod convertitur cum ente,
est commune omni enti. Ergo non debet poni in definitione virtutis. |
2. Ce qui est commun à tout être ne doit pas être placé dans la
définition de l’un d’entre eux. Or, le bien, qui est convertible avec l’être,
est commun à tout être. Il ne doit donc pas être placé dans la définition de
la vertu. |
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[65516] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea,
sicut bonum est in moralibus, ita et in naturalibus. Sed bonum et malum in
naturalibus non diversificant speciem. Ergo nec in
definitione virtutis debet poni bona, quasi differentia specifica ipsius
virtutis. |
3. De même que le bien existe dans le domaine moral, de même il existe
dans le domaine naturel. Or, le bien et le mal dans le domaine naturel ne
donnent pas des espèces différentes. Il ne faut donc pas indiquer dans la
définition de la vertu le fait qu’elle est bonne, comme s’il s’agissait d’une
différence spécifique de la vertu. |
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[65517] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 4 Praeterea, differentia non includitur in ratione
generis. Sed bonum includitur in ratione qualitatis, sicut et
ens. Ergo non debet addi in definitione virtutis, ut dicatur : virtus est
bona qualitas mentis et cetera. |
4. La différence ne fait pas partie de la raison du genre. Or, le bien
fait partie de la raison de la qualité, de même que l’être. Il ne doit donc
pas être ajouté dans la définition de la vertu, de sorte qu’on dise : «La
vertu est une bonne qualité de l’esprit, etc.» |
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[65518] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 5 Praeterea,
malum et bonum sunt opposita. Sed malum non constituit aliquam speciem, cum
sit privatio. Ergo nec bonum; ergo non debet poni in definitione virtutis
tamquam differentia constitutiva. |
5. Le mal et le bien sont des contraires. Or, le mal ne constitue pas
une espèce, puisqu’il est une privation. Il en est donc de même pour le bien.
Il ne doit donc pas être mis dans la définition de la vertu comme différence
constitutive. |
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[65519]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 6 Praeterea, bonum est in plus quam qualitas.
Ergo per bonum non differt una qualitas ab alia; ergo non debet poni in
definitione virtutis bonum, sicut differentia qualitatis vel virtutis. |
6. Le bien s’ajoute à la qualité. Une qualité ne diffère donc pas
d’une autre par le bien. Le bien ne doit donc pas être mis dans la définition
de la vertu en tant que différence de la qualité ou de la vertu. |
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[65520] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 7 Praeterea,
ex duobus actibus nihil fit. Sed bonum importat actum quemdam, et qualitas
similiter. Ergo male dicitur, quod virtus sit bona qualitas. |
7. Rien n’est fait à partir de deux actes. Or, le bien comporte un
certain acte; de même en est-il de la qualité. C’est donc à tort qu’on dit de
la vertu qu’elle est une bonne qualité. |
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[65521] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 8 Praeterea, quod praedicatur in abstracto, non
praedicatur in concreto; sicut albedo est color, non tamen colorata. Sed bonitas praedicatur de virtute in abstracto. Ergo non praedicatur
in concreto; ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas. |
8. Ce qui est prédiqué dans l’abstrait n’est pas prédiqué dans le
concret : ainsi la blancheur est une couleur, mais non ce qui est coloré. Or,
la bonté est prédiquée de la vertu dans l’abstrait. Elle n’en est donc pas
prédiquée dans le concret. On ne dit donc pas correctement : «La vertu est
une bonne qualité.» |
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[65522] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 9 Praeterea, nulla differentia praedicatur in
abstracto de specie unde dicit Avicenna, quod homo non est rationalitas, sed
rationale. Sed virtus est bonitas. Ergo bonitas non est
differentia virtutis; ergo non bene dicitur : virtus est bona qualitas. |
9. Aucune différence n’est prédiquée de l’espèce dans l’abstrait;
aussi Avicenne dit-il que l’homme n’est pas la rationalité, mais raisonnable.
Or, la vertu est bonté. La bonté n’est donc pas une différence de la vertu.
On ne dit donc pas correctement : «La vertu est une bonne qualité.» |
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[65523] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 10 Praeterea,
malum moris idem est quod vitium. Ergo bonum moris idem est quod virtus; ergo
bonum non debet poni in definitione virtutis, quia sic idem definiret
seipsum. |
10. Le mal du comportement est la même chose que le vice. Le bien du
comportement est donc la même chose que la vertu. Le bien ne doit pas être
mis dans la définition de la vertu, car ainsi le même définirait le même. |
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[65524] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 11 Praeterea,
mens ad intellectum pertinet. Sed virtus magis respicit affectum. Ergo male
dicitur, quod virtus sit bona qualitas mentis. |
11. L’esprit se rapporte à l’intellect. Or, la vertu concerne plutôt
l’affectivité. On dit donc incorrectement que la vertu est une bonne qualité
de l’esprit. |
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[65525] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 12 Praeterea, secundum Augustinum, mens nominat
superiorem partem animae. Sed aliquae virtutes sunt in inferioribus
potentiis. Ergo male ponitur in definitione virtutis bona
qualitas mentis. |
12. Selon Augustin, l’esprit désigne la partie supérieure de l’âme.
Or, certaines vertus se situent dans les puissances inférieures. On met donc
incorrectement dans la définition de la vertu : «Une bonne qualité de
l’esprit.» |
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[65526]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 13 Praeterea, subiectum virtutis nominat
potentiam, non essentiam. Sed mens videtur nominare essentiam animae; quia
dicit Augustinus, quod in mente est intelligentia, memoria et voluntas. Ergo
non debet poni mens in definitione virtutis. |
13. Le sujet de la vertu désigne une puissance, non une essence. Or,
l’esprit semble désigner l’essence de l’âme, car Augustin dit que, dans
l’esprit, se trouvent l’intelligence, la mémoire et la volonté. L’esprit ne
doit donc pas être mis dans la définition de la vertu. |
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[65527] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 14 Praeterea, illud quod est proprium speciei, non
debet poni in definitione generis. Sed rectitudo est proprium iustitiae. Ergo
non debet poni rectitudo in definitione virtutis, ut dicatur bona qualitas
mentis, qua recte vivitur. |
14. Ce qui est le propre d’une espèce ne doit pas être mis dans la
définition du genre. Or, la rectitude est le propre de la justice. La
rectitude ne doit donc pas être mise dans la définition de la vertu, de sorte
qu’on dise : «Une bonne qualité de l’esprit par laquelle on vit
correctement.» |
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[65528]
De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 15 Praeterea, vivere viventibus est esse. Sed virtus non perficit ad esse, sed ad opera. Ergo male dicitur, qua recte vivitur. |
15. Vivre, pour les vivants, c’est être. Or, la vertu ne rend pas
parfait pour l’être, mais pour les actions. On dit donc incorrectement : «Par
laquelle on vit correctement.» |
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[65529] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 16 Praeterea,
quicumque superbit de aliqua re, male utitur ea. Sed de virtutibus aliquis
superbit. Ergo virtutibus aliquis male utitur. |
16. Quiconque s’enorgueillit d’une chose en fait un mauvais usage. Or,
on s’enorgueillit des vertus. On fait donc un mauvais usage des vertus. |
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[65530] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 17 Praeterea, Augustinus in libro de Lib. Arbit. dicit, quod solum
maximis bonis nullus male utitur. Sed virtus non est de maximis bonis; quia
maxima bona sunt quae propter se appetuntur; quod non convenit virtutibus,
cum propter aliud appetantur, quia propter felicitatem. Ergo male ponitur qua
nullus male utitur. |
17. Augustin, dans le livre sur Le libre arbitre, dit que
personne n’utilise mal que les plus grands biens. Or, la vertu ne porte pas
sur les plus grands biens, car les plus grands biens sont ceux qui sont
désirés pour eux-mêmes, ce qui ne convient pas aux vertus, puisqu’elles sont
désirées pour autre chose, à savoir, pour la félicité. On ne dit donc pas
correctement que «personne n’en fait un mauvais usage». |
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[65531] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 18 Praeterea, ab eodem aliquid generatur et nutritur et
augetur. Sed virtus per actus nostros nutritur et augetur; quia
diminutio cupiditatis est augmentum caritatis. Ergo per actus nostros virtus generatur; ergo male ponitur in
definitione, quam Deus in nobis sine nobis operatur. |
18. Quelque chose est engendré, entretenu et accru par la même chose.
Or, la vertu est entretenue et accrue par nos actes, car la diminution de la
convoitise est l’accroissement de la charité. La vertu est donc engendrée par
nos actes. On met donc incorrectement dans sa définition : «Que Dieu réalise
en nous sans nous.» |
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[65532] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 19 Praeterea,
removens prohibens ponitur movens et causa. Sed liberum arbitrium est
quodammodo removens prohibens virtutis. Ergo est quodammodo causa; ergo non
bene ponitur, quod sine nobis Deus virtutem operetur. |
19. Celui qui écarte un obstacle est un agent et une cause. Or, le
libre arbitre enlève d’une certaine manière l’obstacle à la vertu. Il en est
donc cause d’une certaine manière. On ne dit donc pas correctement que «Dieu
réalise en nous la vertu sans nous». |
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[65533] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 20 Praeterea,
Augustinus dicit : qui creavit te sine te, non iustificabit te sine te.
Ergo et cetera. |
20. Augustin dit : «Celui t’a créé sans toi ne te justifiera pas sans
toi.» Donc, etc. |
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[65534] De virtutibus, q. 1 a. 2 arg. 21 Praeterea, ista definitio convenit gratiae, ut videtur. Sed virtus et
gratia non sunt unum et idem. Ergo non bene definitur per hanc definitionem
virtus. |
21. Cette définition convient à la grâce, semble-t-il. Or, la vertu et
la grâce ne sont pas une seule et même chose. La vertu n’est donc pas bien
définie par cette définition. |
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[65535] De virtutibus, q. 1 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod ista definitio complectitur definitionem
virtutis, etiam si ultima particula omittatur; et convenit omni virtuti
humanae. Sicut enim dictum est, virtus perficit potentiam in comparatione ad
actum perfectum; actus autem perfectus est finis potentiae vel operantis;
unde virtus facit et potentiam bonam et operantem, ut prius dictum est. Et
ideo in definitione virtutis aliquid ponitur quod pertinet ad perfectionem
actus, et aliquid quod pertinet ad perfectionem potentiae vel operantis. Ad
perfectionem autem actus duo requiruntur. Requiritur autem quod actus sit
rectus, et quod habitus non possit esse principium contrarii actus. Illud
enim quod est principium boni et mali actus, non potest esse, quantum est de
se, principium perfectum boni actus; quia habitus est perfectio potentiae.
Oportet ergo quod ita sit principium actus boni, quod nullo modo mali;
propter quod philosophus dicit in VI Ethic., quod opinio, quae potest esse
vera et falsa, non est virtus; sed scientia, quae non est nisi de vero. Primum designatur in hoc quod dicitur, qua recte
vivitur : secundum, in hoc quod dicitur, qua nemo male utitur. Ad
hoc vero quod virtus facit subiectum bonum, tria sunt ibi consideranda. Subiectum
ipsum : et hoc determinatur cum dicitur mentis; quia virtus humana non
potest esse nisi in eo quod est hominis in quantum est homo. Perfectio vero intellectus designatur in hoc quod
dicitur bona; quia bonum dicitur secundum ordinem ad finem. Modus
autem inhaerendi designatur in hoc quod dicitur qualitas; quia virtus
non inest per modum passionis, sed per modum habitus; ut supra dictum est.
Haec autem omnia conveniunt tam virtuti morali quam intellectuali, quam
theologicae, quam acquisitae, quam infusae. Hoc vero quod Augustinus addit quam
in nobis sine nobis Deus operatur, convenit solum virtuti infusae. |
Réponse : Cette définition exprime la définition de la vertu, même si l’on omet
la dernière partie, et elle convient à toute vertu humaine. En effet, comme
on l’a dit, la vertu perfectionne une puissance par rapport à son acte
parfait. Or, l’acte parfait est la fin d’une puissance ou d’un agent. Aussi
la vertu rend-elle bons à la fois la puissance et l’agent, comme on l’a déjà
dit. C’est pourquoi, dans la définition de la vertu, quelque chose est mis
qui se rapporte à la perfection de l’acte, et quelque chose qui se rapporte à
la perfection de la puissance ou de l’agent. Or, deux choses sont nécessaires
pour la perfection de l’acte : il est nécessaire que l’acte soit droit, et
que l’habitus ne puisse être le principe d’un acte contraire. En effet, ce
qui est le principe d’un acte bon et mauvais ne peut être de soi le principe
parfait d’un acte bon, car l’habitus est la perfection de la puissance. Il
faut donc que ce soit le principe d’un acte bon, qui ne soit d’aucune manière
[principe d’un acte] mauvais. C’est la raison pour laquelle le Philosophe
dit, dans Éthique, VI, que l’opinion, qui peut être vraie ou fausse,
n’est pas une vertu, mais la science, qui ne porte que sur ce qui est vrai.
Le premier point est indiqué lorsqu’on dit : «par laquelle on vit
correctement»; le second, lorsqu’on dit : «dont personne ne fait un mauvais
usage». Or, pour que la vertu rende un sujet bon, il faut y relever trois
choses. Le sujet lui-même : et cela est précisé lorsqu’on dit : «de
l’esprit», car la vertu humaine ne peut résider que dans ce qui appartient à
l’homme en tant qu’il est homme. Mais la perfection de l’intelligence est
désignée par le fait qu’on dit : «bonne», car on parle de bien selon l’ordre
à la fin. La manière d’adhérer est désignée lorsqu’on dit : «une qualité»,
car la vertu n’est pas présente par mode de passion, mais par mode d’habitus,
comme on l’a dit plus haut. Or, tout cela convient autant à la vertu morale,
à la vertu théologale, à la vertu acquise ou à la vertu infuse. Mais ce que
Augustin ajoute : «Que Dieu réalise en nous sans nous», convient seulement à
la vertu infuse. |
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[65536] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod accidentia sicut non
dicuntur entia quia subsistant, sed quia aliquid eis est; ita virtus non
dicitur bona quod ipsa sit bona, sed qua aliquid est bonum. Unde non oportet quod virtus sit bona alia bonitate,
quasi informetur alia bonitate. |
Solutions : 1. De même que les accidents ne sont pas appelés des êtres parce
qu’ils subsisteraient, mais parce que quelque chose existe en eux, de même la
vertu n’est pas appelée bonne parce qu’elle est elle-même bonne, mais parce
que quelque chose est bon. Il n’est donc pas nécessaire que la vertu soit
bonne par une autre bonté, comme si elle recevait la forme d’une autre bonté. |
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[65537] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum, quod bonum quod convertitur
cum ente, non ponitur hic in definitione virtutis; sed bonum quod
determinatur ad actum moralem. |
2. Le bien qui est convertible avec l’être n’est pas mis ici dans la
définition de la vertu, mais le bien qui concerne un acte moral. |
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[65538] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod actiones diversificantur
secundum formam agentis, ut calefacere et infrigidare. Bonum autem et malum
sunt quasi forma et obiectum voluntatis; quia semper agens imprimit formam
suam in patientem, et movens in motum. Et ideo actus morales, quorum
principium est voluntas, diversificantur specie secundum bonum et malum.
Principium autem naturalium operationum non est finis, sed forma; et ideo non
diversificantur in naturalibus species secundum bonum et malum; sed in
moralibus sic. |
3. Les actions se diversifient selon la forme de l’agent, comme
chauffer et refroidir. Or, le bien et le mal sont comme la forme et l’objet
de la volonté, car l’agent imprime toujours sa forme dans le patient, et ce
qui meut dans ce qui est mû. C’est pourquoi les actes moraux, dont le
principe est la volonté, se diversifient selon l’espèce par le bien et le
mal. Or, le principe des opérations naturelles n’est pas la fin, mais la
forme. C’est pourquoi, dans les choses naturelles, les espèces ne se
diversifient pas selon le bien et le mal, mais il en est ainsi dans les
choses morales. |
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[65539] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonitas moralis non
includitur in intellectu qualitatis; et ideo ratio non est ad propositum. |
4. La bonté morale ne fait pas partie de la notion de qualité. C’est
pourquoi l’argument est hors de propos. |
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[65540]
De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod malum non constituit speciem ratione privationis, sed ratione
eius quod privationi substernitur, quia non compatitur secum rationem boni;
et ex hoc habet quod constituit speciem. |
5. Le mal ne constitue pas une espèce en raison de la privation, mais
en raison de ce qui est sous-jacent à la privation, parce que cela ne
supporte pas la raison de bien. Et c’est ainsi qu’il a ce par quoi il
constitue une espèce. |
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[65541] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod obiectio illa procedit de
bono naturae, non de bono moris, quod ponitur in definitione virtutis. |
6. Cette objection vient du bien naturel, et non du bien moral, qui
est mis dans la définition de la vertu. |
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[65542]
De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod bonitas non importat aliam bonitatem quam ipsam virtutem, ut
ex dictis patet. Ipsa enim virtus per essentiam suam est qualitas; unde
manifestum est quod bona et qualitas non dicunt diversos actus, sed unum. |
7. La bonté ne comporte pas d’autre bonté que la vertu elle-même,
comme cela ressort clairement de ce qui a été dit. En effet, la vertu
elle-même est par son essence une qualité. Il est donc clair que «bonne» et
«qualité» n’expriment pas des actes différents, mais un seul acte. |
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[65543] De virtutibus, q. 1 a. 2 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod istud fallit in transcendentibus, quae circumeunt omne
ens. Nam essentia est ens, et bonitas bona, et unitas una, non autem sic
potest dici albedo alba. Cuius ratio est, quia quidquid cadit in intellectu,
oportet quod cadat sub ratione entis, et per consequens sub ratione boni et
unius; unde essentia et bonitas et unitas non possunt intelligi, nisi
intelligantur sub ratione boni et unius et entis. Propter hoc potest dici
bonitas bona, et unitas una. |
8. Ceci est le cas pour les transcendantaux, qui englobent tout être.
Car l’essence est être, la bonté est bonne et l’unité est une; mais on ne peut
dire de cette façon que la blancheur est blanche. La raison en est qu’il est
nécessaire que tout ce qui tombe sous l’intelligence tombe sous la raison
d’être, et par conséquent, sous la raison de bon et d’un. Aussi l’essence, la
bonté et l’unité ne peuvent-elles être comprises que si elles sont comprises
sous la raison de bien, d’un et d’être. Pour cette raison, la bonté peut être
dite bonne, et l’unité une. |
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Articulus 3 : [65544] De virtutibus,
q. 1 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum potentia animae possit esse
virtutis subiectum |
Article 3 – Une
puissance de l’âme peut-elle être le sujet d’une vertu ?
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[65545] De virtutibus, q. 1 a. 3 tit. 2 Et
videtur quod non. |
Objections : Il semble que non. |
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1. Selon Augustin,
la vertu est ce par quoi l’on vit bien. Or, on ne vit pas par une puissance,
mais par son essence. Une puissance de l’âme n’est donc pas le sujet de la
vertu. |
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[65547] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea,
nobilius est esse gratiae quam naturae. Esse autem naturae est per essentiam
animae, quae est nobilior suis potentiis, utpote earum principium. Ergo esse
gratiae, quod est per virtutes, non est per potentias : et sic potentia non
est virtutis subiectum. |
2. L’être de la grâce est plus noble que l’être de la nature. Or,
l’être de la nature vient de l’essence de l’âme, qui est plus noble que ses
puissances en tant qu’elle est leur principe. L’être de la grâce, qui vient
des vertus, ne vient donc pas des puissances. Et ainsi, une puissance n’est
pas le sujet de la vertu. |
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[65548]
De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 3 Praeterea, accidens subiectum esse non
potest. Sed potentia animae est de genere accidentium; potentia enim et
impotentia naturalis pertinent ad secundam speciem qualitatis. Ergo potentia
animae non potest esse virtutis subiectum. |
3. Un accident ne peut être un sujet. Or, la puissance de l’âme fait
partie du genre des accidents : en effet, la puissance et l’impuissance
naturelles relèvent de la deuxième espèce de la qualité. La puissance de
l’âme ne peut donc être le sujet de la vertu. |
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[65549] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 4 Praeterea, si aliqua potentia animae est virtutis
subiectum, et quaelibet; cum quaelibet potentia animae vitiis impugnetur,
contra quae virtutes ordinantur, sed non quaelibet potentia animae potest
esse virtutis subiectum, ut post patebit. Ergo virtutis
subiectum potentia esse non potest. |
4. Si une puissance de l’âme est le sujet d’une vertu, toutes [le
seront], puisque toutes les puissances de l’âme sont combattues par les
vices, contre lesquels les vertus sont ordonnées, mais toutes les puissances
de l’âme ne peuvent être le sujet de la vertu, comme ce sera clair par la
suite. La puissance de l’âme ne peut donc pas être le sujet de la vertu. |
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[65550] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 5 Praeterea,
principia activa in naturis aliorum agentium subiecta non sunt, ut calor et
frigus. Sed potentiae animae sunt quaedam activa principia; sunt enim
principia operationum animae. Ergo aliorum accidentium subiecta esse non
possunt. |
5. Les principes actifs dans les natures des autres agents ne sont pas
des sujets, tels la chaleur et le froid. Or, les puissances de l’âme sont des
principes actifs : en effet, elles sont les principes des opérations de
l’âme. Elles ne peuvent donc pas être les sujets d’autres accidents. |
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[65551] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 6 Praeterea,
anima subiectum est potentiae. Si ergo potentia subiectum est alterius
accidentis, pari ratione illud accidens erit subiectum alterius accidentis;
et ita ibitur in infinitum; quod est inconveniens. Non ergo potentia animae
est subiectum virtutis. |
6. L’âme est le sujet de la puissance. Si donc la puissance est le
sujet d’un autre accident, pour la même raison cet accident sera le sujet
d’un autre accident; et ainsi, on remontera à l’infini, ce qui ne convient
pas. La puissance de l’âme n’est donc pas le sujet de la vertu. |
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[65552] De virtutibus, q. 1 a. 3 arg. 7 Praeterea, in Lib. I Poster.
dicitur quod qualitatis non est qualitas. Sed potentia animae quaedam
qualitas est in secunda specie qualitatis; virtus autem in prima specie
qualitatis est. Ergo potentia animae non potest esse subiectum virtutis. |
7. Dans les Seconds analytiques, I, il est dit qu’il n’y a pas
de qualité de la qualité. Or, la puissance de l’âme est une certaine qualité
de la deuxième espèce de qualité; mais la vertu fait partie de la première
espèce de qualité. La puissance de l’âme ne peut donc pas être le sujet de la
vertu. |
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[65553] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Cuius est actio, eius est principium actionis. Sed actiones virtutum sunt potentiarum animae. Ergo et ipsae virtutes. |
Cependant : 1. Le principe de l’action appartient à ce dont elle est l’action. Or,
les actions des vertus appartiennent aux puissances de l’âme. Il en va donc
de même pour les vertus. |
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[65554] De virtutibus, q. 1 a. 3 s. c. 2 Praeterea,
philosophus dicit in I Ethic., quod virtutes intelligibiles sunt rationales
per essentiam, virtutes autem morales sunt rationales per participationem.
Sed rationale per essentiam et per participationem nominat quasdam animae
potentias. Ergo potentiae animae sunt subiecta virtutum. |
2. Le Philosophe dit, dans Éthiques, I, que les vertus
intellectuelles sont raisonnables par essence, mais que les vertus morales
sont raisonnables par participation. Or, être raisonnable par essence et
[être raisonnable] par participation désignent des puissances de l’âme. Les
puissances de l’âme sont donc les sujets des vertus. |
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[65555] De virtutibus, q. 1 a. 3 co. Respondeo.
Dicendum, quod subiectum tripliciter comparatur ad accidens. Uno modo sicut
praebens ei sustentamentum; nam accidens per se non subsistit, fulcitur vero
per subiectum. Alio modo sicut potentia ad actum; nam subiectum accidenti
subiicitur, sicut quaedam potentia activi; unde et accidens forma dicitur.
Tertio modo sicut causa ad effectum; nam principia subiecta sunt principia
per se accidentis. Quantum igitur ad primum, unum accidens alterius subiectum
esse non potest. Nam, cum nullum accidens per se subsistat, non potest alteri
sustentamentum praebere : nisi fortasse dicatur, quod in quantum est a
subiecto sustentatum, aliud accidens sustentat. Sed quantum ad alia duo, unum accidens se habet ad aliud per modum
subiecti : nam unum accidens est in potentia ad alterum, sicut diaphanum ad
lucem, et superficies ad colorem. Unum etiam accidens potest esse causa
alterius, ut humor saporis; et per hunc modum dicitur unum accidens alterius
accidentis esse subiectum. Non quod unum accidens possit alteri accidenti
sustentamentum praebere; sed quia subiectum est receptivum unius accidentis
altero mediante. Et per hunc modum dicitur potentia animae esse habitus
subiectum. Nam habitus ad potentiam animae comparatur ut actus ad potentiam;
cum potentia sit indeterminata quantum est de se, et per habitum determinetur
ad hoc vel illud. Ex principiis etiam potentiarum habitus acquisiti
causantur. Sic ergo dicendum est, potentias esse virtutum subiecta; quia
virtus animae inest, potentia mediante. |
Réponse : Le sujet se compare à l’accident d’une triple manière. D’une première
manière, comme ce qui lui prête un support, car l’accident ne subsiste pas
par lui-même, mais il est soutenu par le sujet. D’une autre manière, comme la
puissance à l’acte, car le sujet est sujet de l’accident comme une puissance
à un principe actif; aussi l’accident est-il appelé une forme. D’une
troisième manière, comme la cause à l’effet, car les principes sous-jacents
sont par eux-mêmes [les principes] de l’accident. Pour ce qui est du premier
point, un accident ne peut pas être le sujet d’un autre [accident], car,
puisque aucun accident ne subsiste par lui-même, il ne peut fournir d’appui à
un autre, à moins qu’on ne dise que, pour autant qu’il est soutenu par un
sujet, il soutient un autre accident. Mais, pour ce qui est des autres
points, un accident joue le rôle de sujet pour quelque chose d’autre, car un
accident est en puissance à un autre, comme ce qui est diaphane par rapport à
la lumière, et la surface par rapport à la couleur. Un accident peut aussi
être la cause d’un autre, comme l’humidité l’est pour le goût. Et, de cette
manière, on dit qu’un accident est le sujet d’un autre accident. Non pas
qu’un accident puisse fournir appui à un autre accident, mais parce que le
sujet reçoit un accident par l’intermédiaire d’un autre [accident]. C’est
ainsi qu’on dit que la puissance de l’âme est le sujet d’un habitus. Car
l’habitus entretient avec l’âme le rapport de l’acte avec la puissance,
puisque la puissance est indéterminée pour ce qui relève d’elle-même, et
qu’elle est déterminée à ceci ou à cela par l’habitus. C’est aussi à partir
des principes des puissances que les habitus acquis sont causés. Il faut donc
dire que des puissances sont sujets de vertus, parce que la vertu est
présente dans l’âme par l’intermédiaire de la puissance. |
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[65556] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod vivere in definitione
virtutis positum ad actionem pertinet, ut supra dictum est. |
Solutions : 1. Le mot «vivre», mis dans la définition de la vertu, se rapporte à
l’action, comme on l’a dit plus haut. |
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[65557] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod esse spirituale non per virtutes est, sed per gratiam. Nam
gratia est principium spiritualiter essendi, virtus vero spiritualiter
operandi. |
2. L’être spirituel n’existe pas par les vertus, mais par la grâce,
car la grâce est le principe de l’existence spirituelle, mais la vertu [est
le principe] de l’opération spirituelle. |
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[65558] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 3 Ad tertium dicendum, quod potentia non est per se
subiectum, sed in quantum est per animam sustentata. |
3. La puissance n’est pas sujet par elle-même, mais pour autant
qu’elle est soutenue par l’âme. |
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[65559] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod nunc loquimur de virtutibus humanis; et ideo illae potentiae
quae nullo modo possunt esse humanae, ad quas nullo modo se extendit imperium
rationis, sicut sunt vires animae vegetabilis, non possunt esse subiecta
virtutum. Omnis autem impugnatio quae ex his viribus provenit,
fit mediante appetitu sensitivo, ad quem pertingit imperium rationis, ut
possit dici humanus, et virtutis humanae subiectum. |
4. Nous parlons maintenant des vertus humaines. C’est pourquoi les
puissances qui ne peuvent être humaines d’aucune manière, sur lesquelles le
commandement de la raison ne s’étend aucunement, comme c’est le cas des
puissances de l’âme végétative, ne peuvent pas être les sujets de vertus.
Mais tout combat qui vient de ces puissances se fait par l’intermédiaire de
l’appétit sensible, sur lequel la raison exerce son commandement, de sorte
qu’il puisse être appelé humain et sujet de la vertu humaine. |
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[65560] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod inter potentias animae non sunt activae nisi
intellectus agens, et vires animae vegetabilis, quae non sunt aliquorum
habituum subiecta. Aliae autem potentiae animae sunt passivae : principia
tamen actionum animae existentes secundum quod sunt motae a suis activis. |
5. Parmi les puissances de l’âme, ne sont actives que l’intellect
agent et les puissances de l’âme végétative, qui ne sont pas les sujets
d’habitus. Les autres puissances de l’âme sont passives, mais elles sont
cependant les principes des actions de l’âme qui sont mues par ce qui les
active. |
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[65561] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod non oportet in infinitum abire, quia pervenietur ad aliquod
accidens quod non est in potentia respectu alterius accidentis. |
6. Il n’est pas nécessaire de remonter à l’infini, car on parviendra à
un accident qui n’est pas en puissance par rapport à un autre accident. |
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[65562] De virtutibus, q. 1 a. 3 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod qualitatis non dicitur esse qualitas, ita quod per se
sit qualitas qualitatis subiectum; quod in proposito non accidit, ut supra
dictum est. |
7. On ne dit pas
de la qualité qu’elle est une qualité, de telle manière que la qualité soit
le sujet d’une qualité, ce qui n’est pas en cause, comme on l’a dit plus
haut. |
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Articulus 4 : [65563] De virtutibus, q. 1 a.
4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum irascibilis et concupiscibilis possint
esse subiectum virtutis |
Article 4 – L’irascible et le concupiscible peuvent-ils être sujets de la vertu ? |
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[65564] De virtutibus, q. 1 a. 4 tit. 2 Et
videtur quod non. |
Objections : Il semble que non. |
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[65565] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 1 Quia contraria nata sunt fieri
circa idem. Virtuti autem contrarium est peccatum mortale, quod
non potest esse in sensualitate, cuius partes sunt irascibilis et
concupiscibilis. Ergo irascibilis et concupiscibilis subiectum virtutis esse
non possunt. |
1. Les contraires portent de soi sur la même chose. Or, le contraire
de la vertu est le péché mortel, qui ne peut exister dans l’appétit sensible,
dont les parties sont l’irascible et le concupiscible. L’irascible et le
concupiscible ne peuvent donc pas être sujets de la vertu. |
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[65566]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 2 Praeterea, eiusdem potentiae sunt habitus et
actus. Sed principalis actus virtutis est electio, secundum philosophum in
Lib. Ethic., quae non potest esse actus irascibilis et concupiscibilis. Ergo
nec habitus virtutum possunt esse in irascibili et concupiscibili. |
2. Les habitus et les actes relèvent de la même puissance. Or, l’acte
principal de la vertu est le choix, selon le Philosophe, dans l’Éthique,
lequel ne peut être un acte de l’irascible et du concupiscible. Les habitus
des vertus ne peuvent donc pas se trouver dans l’irascible et le
concupiscible. |
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[65567] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 3 Praeterea,
nullum corruptibile est subiectum perpetui; unde Augustinus probat animam
esse perpetuam, quia est subiectum veritatis, quae est perpetua. Sed
irascibilis et concupiscibilis, sicut et ceterae potentiae sensitivae, non
remanent post corpus, ut quibusdam videtur; virtutes autem manent. Nam
iustitia est perpetua et immortalis, ut dicitur Sapient. I, v. 15; quod pari
ratione de omnibus dici potest. Ergo irascibilis et concupiscibilis virtutum
subiectum esse non possunt. |
3. Aucune chose corruptible ne peut être le sujet de ce qui est
perpétuel. Ainsi Augustin prouve-t-il que l’âme est perpétuelle, parce
qu’elle est le sujet de la vérité, qui est perpétuelle. Or, l’irascible et le
concupiscible, comme les autres puissances sensibles, ne demeurent pas après
que le corps [a disparu], comme il semble à certains, mais les vertus
demeurent, car la justice est perpétuelle et immortelle, comme il est dit
dans Sg 1, 15, ce qui peut être dit de toutes les [vertus] pour la
même raison. L’irascible et le concupiscible ne peuvent donc pas être le
sujet des vertus. |
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[65568] De
virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 4 Praeterea, irascibilis et concupiscibilis
habent organum corporale. Si ergo virtutes sunt in irascibili et
concupiscibili, sunt in organo corporali. Ergo possunt apprehendi per
imaginationem vel phantasiam; et sic non sunt sola mente perceptibiles; ut
Augustinus dicit de iustitia, quod est rectitudo sola mente perceptibilis. |
4. L’irascible et le concupiscible ont un organe corporel. Si donc les
vertus sont dans l’irascible et le concupiscible, elles existent dans un
organe corporel. Elles peuvent donc être saisies par l’imagination ou la
«fantaisie». Et ainsi, elles ne sont pas perceptibles par la seule raison,
comme Augustin dit de la justice qu’«elle est une rectitude perceptible par
l’esprit seul». |
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[65569] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 5 Sed
dicendum, quod irascibilis et concupiscibilis possunt esse subiectum
virtutis, in quantum participant aliqualiter, ratione.- Sed contra,
irascibilis et concupiscibilis dicuntur ratione participare, in quantum a
ratione ordinantur. Sed ordo rationis non potest virtuti sustentamentum
praebere, cum non sit quid subsistens. Ergo nec in quantum ratione participant,
possunt irascibilis et concupiscibilis esse virtutis subiectum. |
5. L’irascible et le concupiscible peuvent être sujets de la vertu
pour autant qu’ils participent d’une certaine manière à la raison. – Mais, en
sens contraire, on dit que l’irascible et le concupiscible participent à la
raison pour autant qu’ils sont commandés par la raison. Or, l’ordre de la
raison ne peut fournir de support à la vertu, puisqu’il n’est pas quelque
chose de subsistant. Ni l’irascible ni le concupiscible ne peuvent donc non plus
être sujets de la vertu, pour autant qu’ils participent à la raison. |
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[65570] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 6 Praeterea,
sicuti irascibilis et concupiscibilis, quae pertinent ad sensibilem
appetitum, subserviunt rationi; ita et potentiae apprehensivae et sensitivae.
Sed in nulla apprehensiva potentiarum sensitivarum potest esse virtus. Ergo
nec in irascibili et concupiscibili. |
6. De même que l’irascible et le concupiscible, qui relèvent de
l’appétit sensible, obéissent à la raison, de même les puissances cognitives
et sensibles. Or, il n’y a de vertu dans aucune puissance cognitive parmi les
puissances sensibles. Il n’y en a donc pas non plus dans l’irascible et le
concupiscible. |
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[65571] De
virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 7 Praeterea, si ordo rationis participari potest
in irascibili et concupiscibili, poterit minui rebellio sensualitatis, quae
has duas vires continet ad rationem. Sed rebellio praedicta non est infinita,
cum sensualitas sit virtus finita, et virtutis finitae non possit esse actio
infinita. Ergo poterit totaliter tolli praedicta
rebellio; omne enim finitum consumitur multoties ablato quodam, ut patet per
philosophum in I Physic.; et sic sensualitas in hac vita possit totaliter
curari. Quod est impossibile. |
7. Si l’irascible et le concupiscible peuvent participer à l’ordre de
la raison, la rébellion de la sensualité sera diminuée, qui comprend ces deux
puissances en rapport avec la raison. Or, la rébellion dont il a été question
n’est pas infinie, puisque la sensualité est une puissance finie, et qu’il ne
peut exister d’action infinie d’une puissance finie. Ladite rébellion pourra
donc être entièrement abolie : en effet, tout ce qui est fini disparaît, si
on en enlève souvent quelque chose, comme cela ressort clairement de ce que
dit le Philosophe dans Physique, I. Et ainsi, en cette vie, la
sensualité pourrait être totalement guérie. Ce qui est impossible. |
|
[65572]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 8 Sed dicendum, quod Deus, qui virtutem
infundit, posset totaliter praedictam rebellionem auferre; sed ex parte
nostra est quod non totaliter auferatur.- Sed contra, homo est id quod est in
quantum est rationalis; cum ex hoc speciem sortiatur. Quanto igitur id quod
est in homine, magis rationi subiicitur; tanto magis competit humanae
naturae. Maxime autem subiicerentur inferiores vires animae rationi si
praedicta rebellio totaliter tolleretur. Ergo hoc esset competens maxime
humanae naturae; et ita ex parte nostra non est impedimentum quin praedicta
rebellio totaliter tollatur. |
8. Mais Dieu, qui infuse la vertu, pourrait écarter complètement cette
rébellion; cependant, cela vient de nous qu’elle ne soit pas totalement
écartée. – Mais, en sens contraire, l’homme est ce qu’il est pour autant
qu’il est raisonnable, puisqu’il tire de cela son espèce. Plus ce qui est
dans l’homme est soumis à la raison, plus cela relève donc de la nature
humaine. Or, les puissances inférieures seraient soumises à la raison au plus
haut point si ladite rébellion était totalement écartée. Cela conviendrait
donc au plus haut point à la nature humaine. Et ainsi, il n’y a pas
d’empêchement de notre part à ce que ladite rébellion soit totalement
écartée. |
|
[65573] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 9 Praeterea, ad rationem virtutis non sufficit quod
peccatum vitetur. Perfectio enim iustitiae in hoc consistit quod in Psal. XXXIII,
v. 15, dicitur : declina a malo, et fac bonum. Sed ad irascibilem
pertinet detestari malum, ut dicitur in Lib. de spiritu et anima. Ergo in
irascibili ad minus non potest esse virtus. |
9. Il ne suffit pas à la raison de vertu que le péché soit évité. En
effet, la perfection de la justice consiste en ce que dit le
Ps 38, 15 : Détourne-toi du mal et fais le bien. Or, il
appartient à l’irascible de détester le mal, comme il est dit dans le livre Sur
l’esprit et sur l’âme. Dans l’irascible au moins, il ne peut donc y avoir
de vertu. |
|
[65574] De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 10 Praeterea, in eodem libro dicitur, quod in ratione
est desiderium virtutum, in irascibili odium vitiorum. Sed in eodem est
desiderium virtutis et virtus, cum quaelibet res suam perfectionem desideret.
Ergo
omnis virtus est in ratione, et non in irascibili et concupiscibili. |
10. Dans le même livre, on dit qu’il existe un désir des vertus dans
la raison, et une haine des vices dans l’irascible. Or, le désir de la vertu
et la vertu se trouvent dans le même [sujet], puisque toute chose désire sa
perfection. Toute vertu se trouve donc dans la raison, et non dans
l’irascible et le concupiscible. |
|
[65575] De
virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 11 Praeterea, in nulla potentia potest esse
habitus quae agitur tantum et non agit; eo quod habitus est id quo quis agit
cum voluerit, ut dicit Commentator in III de anima. Sed irascibilis et
concupiscibilis non agunt, sed aguntur : quia ut dicitur in III Ethic.,
sensus nullius actus dominus est. Ergo non potest esse habitus virtutis in
irascibili et concupiscibili. |
11. Dans aucune puissance ne peut exister un habitus qui est seulement
mû et qui n’agit pas, étant donné que l’habitus est ce par quoi quelqu’un
agit lorsqu’il le veut, comme le dit le Commentateur dans Sur l’âme, III.
Or, l’irascible et le concupiscible n’agissent pas mais sont mus, car, comme
on le dit dans Éthique, III, le sens n’est maître d’aucun acte. Il ne
peut donc y avoir de vertu dans l’irascible et le concupiscible. |
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[65576]
De virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 12 Praeterea, proprium subiectum parificatur
propriae passioni. Virtus autem parificatur rationi, non autem irascibili et
concupiscibili, quae sunt nobis et brutis communes. Virtus ergo est in
hominibus tantum, sicut et ratio; ergo omnis virtus est in ratione, non autem
in irascibili et concupiscibili. |
12. Le sujet propre est assimilé à la passion propre. Or, la vertu est
assimilée à la raison, et non à l’irascible et au concupiscible, qui sont
communs à nous et aux animaux sans raison. La vertu se trouve donc dans
l’homme seulement, comme la raison. Toute vertu est donc dans la raison, et
non dans l’irascible et le concupiscible. |
|
[65577] De
virtutibus, q. 1 a. 4 arg. 13 Praeterea, Rom. VII, dicit Glossa : bona est
lex, quae dum concupiscentiam prohibet, omne malum prohibet. Omnia ergo vitia ad concupiscibilem pertinent, cuius
est concupiscentia. Sed in eodem, sunt virtutes et vitia. Ergo virtutes non
sunt in irascibili, sed in concupiscibili ad minus. |
13. À propos de Rm 7, la Glose dit : «La loi est bonne,
puisqu’elle interdit la convoitise et empêche tout mal.» Tous les vices se
rapportent donc au concupiscible, dont relève la convoitise. Or, les vertus
et les vices se trouvent dans le même [sujet]. Les vertus ne sont donc pas
dans l’irascible, mais au moins dans le concupiscible. |
|
[65578] De virtutibus, q. 1 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod philosophus, dicit de temperantia et
fortitudine, quod sunt irrationabilium partium. Partes autem irrationabiles,
id est sensibilis appetitus, sunt irascibilis et concupiscibilis, ut habetur
in III de anima. Ergo in irascibili et concupiscibili possunt esse virtutes. |
Cependant : 1. Il y a ce que le Philosophe dit de la tempérance et de la force,
qui appartiennent aux parties non raisonnables. Or, les parties non
raisonnables, à savoir, l’appétit sensible, sont l’irascible et le
concupiscible, comme on le trouve dans Sur l’âme, III. Les vertus
peuvent donc exister dans l’irascible et le concupiscible. |
|
[65579]
De virtutibus, q. 1 a. 4 s. c. 2 Praeterea, peccatum veniale est dispositio
ad mortale. Perfectio autem et dispositio sunt in eodem. Cum igitur veniale
peccatum sit in irascibili et concupiscibili (prius enim motus est actus
sensualitatis, ut ponitur in Glossa ad Rom. VIII); ergo et mortale peccatum
ibi esse poterit; et sic etiam virtus, quae est peccato mortali contraria. |
2. Le péché véniel est une disposition au péché mortel. Or, la
perfection et la disposition existent dans le même [sujet]. Comme le péché
véniel existe dans l’irascible et le concupiscible (en effet, il y a d’abord
un mouvement de la sensualité, comme on le trouve dans la Glose à propos de
Rm 8), le péché mortel peut donc aussi y exister, et donc aussi la
vertu, qui est contraire au péché mortel. |
|
[65580] De virtuoses, q. 1 a. 4 s. c. 3 Praeterea,
medium et extrema sunt in eodem. Sed virtus aliqua est medium inter
contrarias passiones; sicut fortitudo inter timorem et audaciam, et
temperantia inter superfluum et diminutum in concupiscentiis. Cum igitur
huiusmodi passiones sint in irascibili et concupiscibili, videtur etiam quod
in eisdem sit virtus. |
3. Le milieu et les extrêmes existent dans le même [sujet]. Or, une
vertu est le milieu entre des passions contraires, comme la force entre la
crainte et l’audace, et la tempérance entre l’excès et la carence dans les
désirs. Puisque ces passions sont dans l’irascible et le concupiscible, il
semble donc aussi que la vertu existe en eux. |
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[65581]
De virtutibus, q. 1 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod circa quaestionem
istam partim ab omnibus convenitur, et partim opiniones sibi invicem
repugnant. Ab omnibus enim conceditur aliquas virtutes in irascibili et
concupiscibili esse, sicut temperantiam in concupiscibili et fortitudinem in
irascibili; sed in hoc est differentia. Quidam enim distinguunt duplicem
irascibilem et concupiscibilem esse; in superiori parte animae, et iterum in
inferiori. Dicunt enim, quod irascibilis et concupiscibilis quae sunt in
superiori parte animae, cum ad naturam rationalem pertineant, possunt esse
subiectum virtutis; non tamen illae quae sunt in inferiori parte ad naturam
sensualem et brutalem pertinentes. Sed hoc quidem in alia quaestione
discussum est; utrum scilicet in superiori parte animae possint distingui
duae vires, quarum una sit irascibilis et alia concupiscibilis, proprie
loquendo. Sed, quidquid de hoc dicatur, nihilominus in irascibili et
concupiscibili quae sunt in inferiori appetitu, secundum philosophum in III
Ethic., oportet ponere esse aliquas virtutes, ut etiam alii dicunt : quod
quidem sic patet. Cum enim virtus, ut supra dictum est, nominet quoddam
potentiae complementum, potentia autem ad actum respiciat; oportet humanam
virtutem in illa potentia ponere quae est principium actus humani. Actus
autem humanus dicitur qui non quocumque modo in homine vel per hominem
exercetur; cum in quibusdam etiam plantae, bruta et homines conveniant; sed
qui hominis proprius est. Inter cetera vero hoc habet homo proprium in suo
actu, quod sui actus est dominus. Quilibet igitur actus cuius homo dominus
est, est proprie actus humanus; non autem illi quorum homo non est dominus,
licet in homine fiant, ut digerere, et augeri, et alia huiusmodi. In eo
igitur quod est principium talis actus cuius homo dominus est, potest poni
virtus humana. Sciendum tamen est, quod huiusmodi actus contingit esse
triplex principium. Unum sicut primum movens et imperans, per hoc quod homo
sui actus sit dominus; et hoc est ratio vel voluntas. Aliud est movens motum,
sicut appetitus sensibilis, qui etiam movetur ab appetitu superiori in
quantum ei obedit, et tunc iterum movet membra exteriora per sui imperium.
Tertium autem est quod est motum tantum, scilicet membrum exterius. Cum autem
utrumque, scilicet membrum exterius et appetitus inferior a superiori parte
animae moveantur; tamen aliter, et aliter. Nam membrum exterius ad nutum
obedit superiori imperanti absque ulla repugnantia secundum naturae ordinem,
nisi sit impedimentum aliquod; ut patet in manu et pede. Appetitus autem
inferior habet propriam inclinationem ex natura sua, unde non obedit
superiori appetitui ad nutum, sed interdum repugnat; unde Aristoteles dicit
in politica sua, quod anima dominatur corpori dispotico principatu, sicut
dominus servo, qui non habet facultatem resistendi in aliquo imperio domini;
ratio vero dominatur inferioribus animae partibus regali et politico
principatu, id est sicut reges et principes civitatum dominantur liberis, qui
habent ius et facultatem repugnandi quantum ad aliqua praecepta regis vel
principis. In membro igitur exteriori non est necessarium aliquid perfectivum
actus humani, nisi naturalis eius dispositio, per quam natum est moveri a
ratione; sed in appetitu inferiori, qui rationi repugnare potest, est
necessarium aliquid quo operationem quam ratio imperat, absque repugnantia
prosequatur. Si enim immediatum operationis principium sit
imperfectum, oportet operationem esse imperfectam, quantacumque perfectio
adsit superiori principio. Et ideo, si appetitus inferior non esset in
perfecta dispositione ad sequendum imperium rationis, operatio, quae est
appetitus inferioris, sicut proximi principii, non esset in bonitate
perfecta; esset enim cum quadam repugnantia sensibilis appetitus; ex quo
quaedam tristitia consequeretur appetitui inferiori per quamdam violentiam a
superiori moto; sicut accidit in eo qui habet fortes concupiscentias, quas
tamen non sequitur, ratione prohibente. Quando igitur oportet operationem
hominis esse circa ea quae sunt obiecta sensibilis appetitus, requiritur ad
bonitatem operationis quod sit in appetitu sensibili aliqua dispositio, vel
perfectio, per quam appetitus praedictus de facili obediat rationi; et hanc
virtutem vocamus. Quando igitur aliqua virtus est circa illa quae proprie ad
vim irascibilem pertinent, sicut fortitudo circa timores et audacias, magnanimitas
circa ardua sperata, mansuetudo circa iras : talis virtus dicitur esse etiam
in irascibili sicut in subiecto. Quando autem est circa ea quae sunt proprie
concupiscibilis, dicitur esse in concupiscibili sicut in subiecto; sicut
castitas, quae est circa delectationes venereas, et sobrietas et abstinentia,
quae sunt circa delectationes in cibis et potibus. |
Réponse : À propos de cette question, tous sont d’accord en partie, et les
opinions s’opposent les unes aux autres en partie. Tous concèdent en effet
qu’il existe certaines vertus dans l’irascible et le concupiscible, comme la
tempérance dans le concupiscible et la force dans l’irascible. Mais il y a
sur ce point une divergence. En effet, certains font une distinction selon
laquelle il existe un double irascible et concupiscible : dans la partie
supérieure de l’âme, et aussi dans [la partie] inférieure. En effet, ils
disent que l’irascible et le concupiscible qui existent dans la partie
supérieure de l’âme, puisqu’ils relèvent de la nature raisonnable, peuvent
être le sujet de la vertu, mais que ce n’est cependant pas le cas de ceux qui
existent dans la partie inférieure, qui se rapporte à la nature sensible et
sans raison. Mais cela a été discuté dans une autre question, à savoir, si
l’on peut distinguer deux puissances dans la partie supérieure de l’âme, dont
l’une est l’irascible et l’autre le concupiscible au sens propre. Mais quoi
qu’on dise à ce sujet, il est néanmoins nécessaire de situer certaines vertus
dans l’irascible et le concupiscible qui se trouvent dans l’appétit
inférieur, selon le Philosophe, dans Éthique, II, et comme d’autres
aussi le disent. Et cela peut s’expliquer ainsi. En effet, puisque la vertu,
comme on l’a dit, désigne un achèvement de la puissance et que la puissance
concerne l’acte, il est nécessaire de situer la vertu humaine dans la
puissance qui est le principe de l’acte humain. Or, on appelle acte humain
non pas celui qui existe dans l’homme ou est exercé par l’homme de n’importe
quelle manière, puisque les plantes, les animaux sans raison et les hommes
ont certaines choses en commun, mais [l’acte] qui est propre à l’homme. Or,
parmi les autres choses, l’homme a en propre dans son acte d’être maître de
son acte. Tout acte dont l’homme est maître est donc humain au sens propre,
mais non ceux dont l’homme n’est pas maître, bien qu’ils s’accomplissent chez
l’homme, comme digérer, grandir et les autres choses de ce genre. C’est donc
dans ce qui est le principe de l’acte dont l’homme est maître qu’on peut
situer la vertu humaine. Il faut cependant savoir qu’il se fait que le
principe d’un tel acte est triple. L’un, comme premier agent et commandant,
par lequel l’homme est maître de son acte : et cela est la raison ou la
volonté. Un autre est l’agent qui est mû, comme l’appétit sensible, qui est
aussi mû par un appétit supérieur dans la mesure où il lui obéit, et par le
commandement duquel aussi [l’homme] meut ses membres extérieurs. Le troisième
est celui qui est mû seulement, à savoir, le membre extérieur, bien que les
deux, à savoir, le membre inférieur et l’appétit inférieur, soient mus par la
partie supérieure de l’âme, mais cependant d’une manière différente. Car le
membre extérieur obéit au moindre commandement de la [partie] supérieure qui
le commande, sans aucune résistance, selon l’ordre de la nature, à moins
qu’il y ait un empêchement, comme cela est manifeste pour la main et le pied.
Mais l’appétit inférieur a sa propre inclination par sa nature; aussi
n’obéit-il pas au moindre commandement de l’appétit supérieur, mais parfois
lui résiste. C’est ainsi qu’Aristote dit, dans sa Politique, que l’âme
commande au corps par un pouvoir despotique, comme le maître à l’esclave, qui
n’a la capacité de résister à aucun commandement du maître; mais la raison
s’impose aux parties inférieures de l’âme par un pouvoir royal et politique,
c’est-à-dire comme les rois et les dirigeants des villes s’imposent aux
hommes libres, qui ont le droit et la capacité de résister à certains ordres
du roi ou du dirigeant. Il n’est donc pas nécessaire qu’existe dans le membre
extérieur quelque chose qui perfectionne l’acte humain, sinon sa disposition
naturelle, par laquelle il est disposé à être mû par la raison. Mais, dans
l’appétit inférieur, qui peut résister à la raison, quelque chose est
nécessaire pour que suive sans résistance l’opération que commande la raison.
En effet, si le principe immédiat de l’opération est imparfait, l’opération
sera nécessairement imparfaite, quelle que soit la perfection du principe
supérieur. C’est pourquoi, si l’appétit inférieur n’est pas parfaitement
disposé à suivre le commandement de la raison, l’opération, qui relève de
l’appétit inférieur comme de son principe rapproché, ne sera pas d’une bonté
parfaite. En effet, elle se ferait avec une certaine résistance de l’appétit
sensible, d’où viendrait une tristesse de l’appétit inférieur mû selon une
certaine violence par l’appétit supérieur, comme il arrive chez celui qui a
de fortes convoitises, qu’il ne suit cependant pas parce que la raison l’en
empêche. Ainsi donc, lorsque l’opération de l’homme doit porter sur les
choses qui sont les objets de l’appétit sensible, il est nécessaire pour la
bonté de l’opération qu’il y ait dans l’appétit sensible une certaine
disposition ou perfection, par laquelle ledit appétit puisse obéir facilement
à la raison. Et c’est cette disposition que nous appelons vertu. Lors donc
qu’une vertu porte sur ce qui relève en propre de la puissance irascible,
comme la force pour les craintes et les audaces, la magnanimité pour les
choses difficiles qu’on espère, la douceur pour les colères, on dit qu’une
telle vertu réside dans l’irascible comme dans son sujet. Mais lorsqu’elle
porte sur ce qui relève en propre du concupiscible, on dit qu’elle réside
dans le concupiscible comme dans son sujet, comme la chasteté, qui porte sur
les plaisirs sexuels, la sobriété et l’abstinence, qui portent sur les
plaisirs associés à la nourriture et aux boissons. |
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[65582] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod virtus et peccatum mortale dupliciter considerari
possunt; scilicet secundum actum et secundum habitum. Sicut autem actio
concupiscibilis et irascibilis si secundum se consideratur, non est peccatum
mortale, concurrit tamen in actu peccati mortalis, quando ratione movente vel
consentiente tendit in contrarium legis divinae; ita actus eorumdem, si per
se accipiantur, non possunt esse actus virtutis, sed solum quando concurrunt
ad consequendum imperium rationis. Et sic actus peccati mortalis et virtutis
pertinet aliquo modo ad irascibilem et concupiscibilem; unde et habitus
utriusque in irascibili et concupiscibili esse possunt. Hoc tamen in re est,
quod sicut actus virtutis consistit in hoc quod irascibilis et
concupiscibilis sequuntur rationem, ita actus peccati consistit in hoc quod
ratio trahitur ad sequendum inclinationem irascibilis et concupiscibilis.
Unde et peccatum consuevit frequentius rationi attribui tamquam proximae
causae; et eadem ratione virtus irascibilis et concupiscibilis. |
Solutions : 1. La vertu et le péché mortel peuvent être abordés de deux façons :
selon l’acte et selon l’habitus. De même que l’action du concupiscible et de
l’irascible, considérée en elle-même, n’est pas un péché mortel, mais
concourt cependant à l’acte du péché mortel lorsque, malgré le mouvement ou
le consentement de la raison, elle tend à ce qui est contraire à la loi
divine, de même leurs actes, considérés en eux-mêmes, ne peuvent être
considérés comme des actes de vertu, mais seulement lorsqu’ils parviennent à
se conformer au commandement de la raison. Et ainsi, l’acte du péché mortel
et de la vertu se rapportent-ils d’une certaine manière à l’irascible et au
concupiscible; l’habitus de chacun peut donc résider dans l’irascible et le
concupiscible. En réalité, de même que l’acte de la vertu consiste en ce que
l’irascible et le concupiscible suivent la raison, de même l’acte du péché
consiste en ce que la raison soit entraînée à suivre l’inclination de
l’irascible et du concupiscible. Aussi a-t-on l’habitude d’attribuer plus
fréquemment le péché à la raison comme à sa cause prochaine et, pour la même
raison, la vertu de l’irascible et du concupiscible. |
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[65583] De
virtutibus, q. 1 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod, sicut iam dictum est,
actus virtutis non potest esse irascibilis vel concupiscibilis tantum, sine
ratione. Id tamen quod est in actu virtutis, principalius est rationis,
scilicet electio; sicut et in qualibet operatione principalior est agentis
actio quam passio patientis. Ratio enim imperat irascibili et concupiscibili.
Non ergo pro tanto dicitur esse virtus in irascibili vel concupiscibili,
quasi per eas totus actus virtutis vel principalior pars expleatur; sed in
quantum, per virtutis habitum, ultimum complementum bonitatis actui virtutis
confertur : in hoc scilicet quod irascibilis et concupiscibilis absque
difficultate sequantur ordinem rationis. |
2. Comme on l’a déjà dit, l’acte de la vertu ne peut relever de
l’irascible et du concupiscible seulement, sans la raison. Cependant, ce qui constitue l’acte de la vertu
relève principalement de la raison, à savoir, le choix ; comme dans toute
action, l’action de l’agent est plus importante que la passion de ce qui
reçoit l’action. En effet, la raison commande à l’irascible et au
concupiscible. Pour autant, on ne dit donc pas qu’existe une vertu dans
l’irascible ou dans le concupiscible, comme si s’accomplissait par eux tout
l’acte ou la partie principale de la vertu, mais pour autant que, par
l’habitus de la vertu, l’ultime achèvement de la bonté est apporté à l’acte
de la vertu, à savoir, par le fait que l’irascible et le concupiscible
suivent l’ordre de la raison. |
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[65584]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod supposito quod
irascibilis et concupiscibilis non remaneant actu in anima separata, manent
tamen in ea sicut in radice : nam essentia animae est radix potentiarum. Et
similiter virtutes quae ascribuntur irascibili et concupiscibili, manent in
ratione sicut in radice. Nam ratio est radix omnium virtutum, ut postea
ostendetur. |
3. À supposer que l’irascible et le concupiscible ne demeurent pas en
acte dans l’âme séparée, ils demeurent cependant en elle comme en leur
racine, car l’essence de l’âme est la racine des puissances. De même, les
vertus qui sont attribuées à l’irascible et au concupiscible demeurent dans
la raison comme en leur racine. Car la raison est la racine de toutes les
vertus, comme on le montrera plus loin. |
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[65585] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod in formis invenitur quidam gradus. Sunt enim quaedam
formae et virtutes totaliter ad materiam depressae, quarum omnis actio
materialis est; ut patet in formis elementaribus. Intellectus vero est
totaliter a materia liber; unde et eius operatio est absque corporis
communione. Irascibilis autem et concupiscibilis medio modo se habent. Quod
enim organo corporali utantur, ostendit corporalis transmutatio, quae earum
actibus adiungitur; quod iterum sint aliquo modo a materia elevatae,
ostenditur per hoc quod per imperium moventur et quod obediunt rationi. Et
sic in eis est virtus, id est in quantum elevatae sunt a materia, et rationi
obediunt. |
4. Il existe une certaine gradation dans les formes. En effet,
certaines formes et puissances sont entièrement immergées dans la matière :
toute leur action est matérielle, comme cela ressort clairement dans les formes
élémentaires. Mais l’intellect est entièrement libre par rapport à la
matière; aussi son opération se réalise-t-elle sans communion avec le corps. Cependant, l’irascible et le concupiscible
occupent une position intermédiaire. En effet, qu’ils utilisent un organe
corporel, la transformation corporelle qui est associée à leurs actes le
montre; mais qu’ils soient d’une certaine manière élevés au-dessus de la
matière, cela est montré par le fait qu’ils sont mus par un commandement et
qu’ils obéissent à la raison. Et ainsi réside en eux la vertu, à savoir, pour
autant qu’ils sont élevés au-dessus de la matière et obéissent à la raison. |
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[65586] De
virtutibus, q. 1 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod licet ordo rationis quo
irascibilis et concupiscibilis participant, non sit aliquid subsistens, nec
per se possit esse subiectum; potest tamen esse ratio quare aliquid sit
subiectum. |
5. Bien que
l’ordre de la raison auquel l’irascible et le concupiscible participent ne
soit pas quelque chose de subsistant et ne puisse par lui-même être un sujet,
il peut cependant être la raison pour laquelle quelque chose est un sujet. |
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[65587] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod virtutes sensitivae cognitivae sunt naturaliter
praeviae rationi, cum ab eis ratio accipiat; appetitivae autem sequuntur
naturaliter ordinem rationis cum naturaliter appetitus inferior superiori
obediat; et ideo non est simile. |
6. Les puissances
sensibles cognitives précèdent naturellement la raison, puisque la raison
reçoit d’elles ; mais les puissances appétitives suivent naturellement
l’ordre de la raison, puisque l’appétit inférieur obéit naturellement à
[l’appétit] supérieur. Ce n’est donc pas la même chose. |
|
[65588] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod tota rebellio irascibilis et concupiscibilis ad
rationem tolli non potest per virtutem; cum ex ipsa sui natura irascibilis et
concupiscibilis in id quod est bonum secundum sensum, quandoque rationi
repugnet; licet hoc possit fieri divina virtute, quae potens est etiam
naturas immutare. Nihilominus tamen per virtutem minuitur illa rebellio, in
quantum praedictae vires assuefiunt ut rationi subdantur; ut sic ex
extrinseco habeant id quod ad virtutem pertinet, scilicet ex dominio rationis
super eas; ex seipsis autem retineant aliquid de motibus propriis, qui
quandoque sunt contrarii rationi. |
7. Toute la
rébellion de l’irascible et du concupiscible contre la raison ne peut pas
être enlevée par la vertu, puisque, par sa nature même, [le mouvement de]
l’irascible et du concupiscible vers ce qui est bon selon le sens est parfois
contraire à la raison ; cela peut cependant être accompli par la
puissance divine, qui a le pouvoir de changer même les natures. Toutefois,
cette rébellion est diminuée par la vertu, pour autant que lesdites
puissances sont habituées à se soumettre à la raison, de sorte qu’elles
reçoivent de l’extérieur ce qui relève de la vertu, à savoir, du pouvoir de
la raison sur elles, et qu’elles gardent par elles-mêmes quelque chose de
leurs propres mouvements, qui sont parfois contraires à la raison. |
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[65589] De
virtutibus, q. 1 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod licet quandoque in homine
principium sit quod est rationis; tamen ad integritatem humanae naturae
requiritur non solum ratio, sed inferiores animae vires, et ipsum corpus. Et
ideo ex conditione humanae naturae sibi relictae provenit ut in inferioribus
animae viribus aliquid sit rationi rebellans, dum inferiores vires animae
proprios motus habent. Secus autem est in statu innocentiae et gloriae, cum ex
coniunctione ad Deum ratio sortitur vim totaliter sub se inferiores vires
continendi. |
8. Bien que
parfois, chez l’homme, ce qui relève de la raison soit principe, toutefois,
non seulement la raison est nécessaire pour l’intégrité de la nature humaine,
mais aussi les puissances inférieures de l’âme, et le corps lui-même. C’est
pourquoi vient de la condition de la nature humaine laissée à elle-même que
quelque chose se rebelle contre la raison, lorsque les puissances inférieures
de l’âme exercent leurs propres mouvements. Il en est autrement dans l’état
d’innocence et de gloire, puisque, par suite de l’union à Dieu, la raison
possède la force de maintenir sous son contrôle les puissances inférieures. |
|
[65590] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod detestari malum, secundum quod ad irascibilem pertinere
dicitur, non solum importat declinationem a malo, sed quemdam motum
irascibilis ad mali destructionem; sicut accidit illi qui non solum malum
refugit, sed ad mala extirpanda per vindictam movetur. Hoc autem est aliquod
bonum facere. Licet autem sic malum detestari, ad irascibilem et
concupiscibilem pertineat, non tamen solum habet actum hunc; nam et insurgere
ad arduum bonum consequendum ad irascibilem pertinet; in qua non solum est
passio irae et audaciae, sed etiam spei. |
9. Détester le
mal, pour autant qu’on le dit relever de l’irascible, ne comporte pas
seulement un éloignement du mal, mais un certain mouvement de l’irascible
pour détruire le mal, comme cela arrive chez celui qui, non seulement fuit le
mal, mais est mû par la vengeance à extirper le mal. Or, c’est là accomplir
un certain bien. Bien que détester ainsi le mal relève de l’irascible et du
concupiscible, cela ne comporte donc pas seulement cet acte, car entreprendre
d’atteindre un bien difficile relève aussi de l’irascible, dans lequel
n’existent pas seulement les passions de colère et d’audace, mais aussi
d’espoir. |
|
[65591]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod illa verba sunt
accipienda per quamdam adaptationem, et non per proprietatem. Nam in qualibet
potentia animae est desiderium boni proprii; unde et irascibilis appetit
victoriam, sicut et concupiscibilis delectationem. Sed quia concupiscibilis
fertur in id quod est bonum toti animali simpliciter sive absolute; ideo omne
desiderium boni appropriatur sibi. |
10. Ces paroles
doivent être interprétées selon une certaine adaptation, et non au sens
propre. Car, en toute puissance de l’âme, existe le désir de son bien propre.
Ainsi, l’irascible désire la victoire, comme le concupiscible désire le
plaisir. Mais parce que le concupiscible se porte vers ce qui est bon pour
tout animal purement et absolument, c’est la raison pour laquelle tout désir
du bien lui est approprié. |
|
[65592] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod licet irascibilis et concupiscibilis secundum se
consideratae agantur, et non agant : tamen in homine secundum quod
participant aliqualiter rationem, etiam quodam modo agunt; non tamen
totaliter aguntur. Unde etiam in politicis dicit philosophus, quod dominium
rationis super has vires est politicum; quia huiusmodi vires aliquid habent
de proprio motu, ubi non totaliter obediunt rationi. Dominium autem animae ad corpus non est regale, sed dispoticum; quia
membra corporis ad nutum obediunt animae quantum ad motum. |
11. Bien que
l’irascible et le concupiscible, considérés en eux-mêmes, soient mus et ne
meuvent pas, cependant, chez l’homme, pour autant qu’ils participent d’une
certaine manière à la raison, ils meuvent aussi d’une certaine façon, et ne
sont pas totalement mus. Aussi le Philosophe dit-il, dans la Politique,
que le pouvoir de la raison sur ces autres puissances est politique, car ces
puissances ont quelque chose de leur propre mouvement, en quoi elles
n’obéissent pas totalement à la raison. Mais le pouvoir de l’âme sur le corps
n’est pas royal, mais despotique, car les membres du corps obéissent au
moindre commandement de l’âme pour ce qui est de se mouvoir. |
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[65593]
De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet istae vires
sint in brutis, non tamen in eis participant aliquid rationis; et ideo
virtutes morales habere non possunt. |
12. Bien que ces
puissances existent chez les animaux sans raison, elles ne participent
cependant pas chez eux à quelque chose de la raison. C’est pourquoi ils ne
peuvent avoir de vertus morales. |
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[65594] De virtutibus, q. 1 a. 4 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod omnia mala ad
concupiscentiam pertinent, sicut ad primam radicem, et non sicut ad proximum
principium. Nam omnes passiones ex irascibili et concupiscibili
oriuntur, ut ostensum est, cum de passionibus animae ageretur. Perversitas
vero rationis et voluntatis ut plurimum ex passionibus accidit. Vel potest
dici quod per concupiscentiam intelligit non solum id quod est proprium vis
concupiscibilis, sed quod est commune toti appetitivae potentiae; in cuius
unaquaque particula invenitur alicuius concupiscentia, circa quam contingit
esse peccatum. Nec aliter peccari potest nisi aliquid concupiscendo vel
appetendo. |
13. Tous les maux
relèvent de la concupiscence comme de leur racine première, et non selon leur
principe propre. Car toutes les passions sont issues de l’irascible et du
concupiscible, comme on l’a montré, lorsqu’il a été question des passions de
l’âme. Mais la perversité de la raison et de la volonté vient la plupart du
temps des passions. Ou l’on peut dire que, par concupiscence, on entend non
seulement ce qui est propre à la puissance concupiscible, mais ce qui est
commun à toute puissance appétitive : en chaque petite parcelle de celle-ci,
se rencontre la concupiscence de quelque chose, dans laquelle il arrive que
se trouve le péché. Et l’on ne peut pécher autrement qu’en convoitant ou en
désirant quelque chose. |
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Articulus 5 : [65595] De virtutibus,
q. 1 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum voluntas sit subiectum virtutis |
Article 5 ‑ La volonté est-elle le sujet d’une vertu ? |
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[65596] De virtutibus, q. 1 a. 5 tit. 2 Et
videtur quod sic. |
Objections : Il semble que oui. |
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[65597] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 1 Maior enim
perfectio requiritur in imperante ad hoc quod recte imperet, quam in
exequente ad hoc quod recte exequatur; quia ex imperante procedit ordinatio
exequentis. Sed ad actum virtutis se habet voluntas sicut
imperans, irascibilis autem et concupiscibilis sicut obedientes et
exequentes. Cum igitur in irascibili et concupiscibili sit virtus sicut in
subiecto, videtur quod multo fortius debeat esse in voluntate. |
1. En effet, une
plus grande perfection est requise chez celui qui commande pour qu’il
commande correctement, que chez celui qui exécute pour qu’il exécute
correctememnt, car la mise en ordre de celui qui exécute vient de celui qui
commande. Or, la volonté joue le rôle de commandant par rapport à l’acte de
la vertu, mais l’irascible et le concupiscible obéissent et exécutent.
Puisque la vertu réside dans l’irascible et le concupiscible comme dans un
sujet, il semble qu’elle doive à bien plus forte raison résider dans la
volonté. |
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[65598] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 2 Sed diceretur, quod naturalis inclinatio voluntatis
ad bonum sufficit ad eius rectitudinem. Nam finem naturaliter desideramus;
unde non requiritur quod rectificetur per habitum virtutis superadditum.- Sed
contra, voluntas non solum est finis ultimi, sed etiam finium aliorum. Sed
circa appetitum aliorum finium contingit voluntatem et recte et non recte se
habere. Nam boni praestituunt sibi bonos fines, mali vero malos, ut dicitur
in III Ethic. : qualis unusquisque est, talis finis videtur ei. Ergo requiritur ad rectitudinem voluntatis, quod sit
in ea aliquis habitus virtutis ipsam perficiens. |
2. Mais on
pourrait dire que l’inclination naturelle de la volonté au bien suffit à sa
rectitude. Car nous désirons naturellement la fin. Aussi n’a-t-elle pas
besoin d’être rectifiée par un habitus de vertu surajouté. – Par contre, la
volonté n’a pas seulement pour objet la fin ultime, mais aussi les autres
fins. Or, il arrive qu’à propos des autres fins, la volonté soit et ne soit
pas droite, car les bons se donnent des fins bonnes, et les méchants des
mauvaises, comme il est dit dans Éthique, III : «Tel est chacun, telle
lui paraît la fin.» Il est donc nécessaire pour la rectitude de la volonté
qu’il existe en elle un habitus de vertu qui la perfectionne. |
|
[65599] De
virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 3 Praeterea, etiam inest animae cognoscitivae
aliqua cognitio naturalis, quae est primorum principiorum; et tamen respectu
huius cognitionis est aliqua virtus intellectualis in nobis, scilicet
intellectus, qui est habitus principiorum. Ergo et in voluntate debet esse
aliqua virtus respectu eius ad quod naturaliter inclinatur. |
3. Il existe aussi
dans l’âme cognitive une connaissance naturelle, qui porte sur les premiers
principes. Et cependant, par rapport à cette connaissance, il existe en nous
une vertu intellectuelle, à savoir, l’intellect, qui est l’habitus des
principes. Il doit donc aussi exister dans la volonté une vertu pour ce à
quoi elle est naturellement inclinée. |
|
[65600] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 4 Praeterea,
sicut circa passiones est aliqua virtus moralis, ut temperantia et fortitudo;
ita etiam est aliqua virtus circa operationes, ut iustitia. Operari autem
sine passione est voluntatis, sicut operari ex passione est irascibilis et
concupiscibilis. Ergo sicut aliqua virtus moralis est in irascibili et concupiscibili,
ita aliqua est in voluntate. |
4. De même qu’il
existe une vertu morale par rapport aux passions, comme la tempérance et la
force, de même il existe aussi une vertu par rapport aux actions, comme la
justice. Or, agir sans passion relève de la volonté, comme agir par passion
relève de l’irascible et du concupiscible. De même qu’il existe une vertu
morale dans l’irascible et dans le concupiscible, de même il en existe donc
une dans la volonté. |
|
[65601] De
virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 5 Praeterea, philosophus in IV Ethic. dicit,
quod amor sive amicitia est ex passione. Amicitia autem est ex electione.
Dilectio autem quae est sine passione, est actus voluntatis. Cum igitur
amicitia sit vel virtus, vel non sine virtute, ut dicitur in VIII Ethic.;
videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto. |
5. L’amour ou
l’amitié vient d’une passion. Or, l’amitié vient d’un choix. Mais l’amour qui
existe sans passion est un acte de la volonté. Puisque l’amitié est une vertu
ou n’existe pas sans vertu, comme il est dit dans Éthique, VIII, il
semble donc que la vertu réside dans la volonté comme dans son sujet. |
|
[65602] De
virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 6 Praeterea, caritas est potissima inter
virtutes, ut probat apostolus, I ad Cor. XIII. Sed caritatis subiectum esse non
potest nisi voluntas; non enim est eius subiectum concupiscibilis inferior,
quae solum ad bona sensibilia se extendit. Ergo voluntas est subiectum
virtutis. |
6. La charité est
la plus importante des vertus, comme le montre l’Apôtre en 1 Co 13.
Or, le sujet de la charité ne peut être que la volonté : en effet, le
concupiscible inférieur, qui ne porte que sur les biens sensibles, n’est pas
son sujet. La volonté est donc le sujet de la vertu. |
|
[65603] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 7 Praeterea,
secundum Augustinum, per voluntatem immediatius Deo coniungimur. Sed id quod
coniungit nos Deo, est virtus. Ergo videtur quod virtus sit in voluntate
sicut in subiecto. |
7. Selon Augustin,
c’est par la volonté que nous sommes unis à Dieu de manière plus immédiate.
Or, ce qui nous unit à Dieu, c’est la vertu. Il semble donc que la vertu
réside dans la volonté comme dans son sujet. |
|
[65604] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 8 Praeterea, felicitas, secundum Hugonem de s. Victore, in voluntate
est. Virtutes autem sunt dispositiones quaedam ad
felicitatem. Cum igitur dispositio et perfectio sint in
eodem, videtur quod virtus sit in voluntate sicut in subiecto. |
8. La félicité,
selon Hugues de Saint-Victor, se trouve dans la volonté. Or, les vertus sont
des dispositions à la félicité. Puisque la disposition et l’accomplissement
se trouvent dans la même chose, il semble que la vertu réside dans la volonté
comme dans son sujet. |
|
[65605] De
virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 9 Praeterea, secundum Augustinum, voluntas est
qua peccatur et recte vivitur. Rectitudo autem vitae pertinet ad virtutem;
unde Augustinus dicit, quod virtus est bona qualitas mentis, qua recte
vivitur. Ergo virtus est in voluntate. |
9. Selon Augustin,
c’est par la volonté que l’on pèche ou que l’on vit correctement. Or, la rectitude
de la vie relève de la vertu. Aussi Augustin dit-il que «la vertu est une
bonne qualité de l’esprit, par laquelle on vit correctement». La vertu est
donc dans la volonté. |
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[65606] De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 10 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Virtuti autem
peccatum contrariatur. Cum igitur omne peccatum sit in voluntate, ut
Augustinus dicit, videtur quod virtus sit in eadem. |
10. Par nature,
les contraires portent sur la même chose. Or, le péché est le contraire de la
vertu. Puisque tout péché est dans la volonté, comme le dit Augustin, il
semble donc que la vertu y soit aussi. |
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[65607]
De virtutibus, q. 1 a. 5 arg. 11 Praeterea, virtus humana in illa parte
animae debet esse quae est propria hominis. Sed voluntas est propria hominis,
sicut et ratio; utpote magis propinqua rationi quam irascibilis et
concupiscibilis. Cum igitur irascibilis et concupiscibilis sint subiecta
virtutum, videtur quod multo fortius voluntas. |
11. La vertu humaine doit exister dans cette partie de l’âme qui est
propre à l’homme. Or, la volonté est propre à l’homme, comme la raison, car
elle est plus rapprochée de la raison que l’irascible et le concupiscible.
Puisque l’irascible et le concupiscible sont des sujets de vertus, il semble
donc qu’à bien plus forte raison la volonté le soit. |
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[65608]
De virtutibus, q. 1 a. 5 s. c. 1 Sed contra. Omnis
virtus aut est intellectualis, aut moralis, ut patet per philosophum in fine
I Ethic. Virtus autem moralis est sicut in subiecto in eo quod est rationale
non per essentiam, sed per participationem; virtus vero intellectualis habet
pro subiecto id quod est rationale per essentiam. Cum igitur voluntas in
neutra parte possit computari; quia nec est cognoscitiva potentia, quod
pertinet ad rationalem per essentiam; neque pertinet ad irrationalem animae
partem quae pertinet ad rationalem per participationem; videtur quod voluntas
nullo modo subiectum virtutis esse possit. |
Cependant : 1. Toute vertu est ou bien intellectuelle, ou morale, comme le dit
clairement le Philosophe à la fin du premier livre de l’Éthique. Or,
la vertu morale a comme sujet ce qui est raisonnable, non pas par essence,
mais par participation; mais la vertu intellectuelle a comme sujet ce qui est
raisonnable par essence. Puisque la volonté ne peut être située dans aucune
des deux parties, car elle n’est pas une puissance cognitive, ce qui relève
de la raison par essence, et qu'elle ne relève pas de la partie non
raisonnable de l’âme, laquelle relève de la partie raisonnable par
participation, il semble donc que la volonté ne puisse être d’aucune manière
le sujet d’une vertu. |
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[65609] De virtutibus, q. 1 a. 5 s. c. 2 Praeterea,
ad eumdem actum non debent ordinari plures virtutes. Hoc autem sequeretur, si
voluntas virtutis esset subiectum; quia ostensum est, quod in irascibili et
concupiscibili sunt aliquae virtutes; et cum ad actus illarum virtutum se
habeat quodammodo voluntas, oporteret quod ad eosdem actus essent aliquae
virtutes in voluntate. Ergo non est dicendum, quod voluntas sit subiectum
virtutis. |
2. Plusieurs vertus ne doivent pas être ordonnées à un même acte. Or,
telle serait la conséquence, si la volonté était le sujet d’une vertu, car on
a montré qu’il existe des vertus dans l’irascible et dans le concupiscible
et, comme la volonté a un rapport avec les actes de ces vertus, il serait
nécessaire qu’il existe des vertus de la volonté pour les mêmes actes. Il ne
faut donc pas dire que la volonté est le sujet de la vertu. |
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[65610]
De virtutibus, q. 1 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod per habitum virtutis
potentia quae ei subiicitur, respectu sui actus complementum acquirit. Unde
ad id ad quod potentia aliqua se extendit ex ipsa ratione potentiae, non est
necessarius habitus virtutis. Virtus autem ordinat potentias ad bonum; ipsa
enim est quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Voluntas autem
hoc quod virtus facit circa alias potentias, habet ex ipsa ratione suae
potentiae : nam eius obiectum est bonum. Unde tendere in bonum hoc modo se habet ad voluntatem sicut tendere in
delectabile ad concupiscibilem, et sicut ordinari ad sonum se habet ad
auditum. Unde voluntas non indiget aliquo habitu virtutis inclinante ipsam ad
bonum quod est sibi proportionatum, quia in hoc ex ipsa ratione potentiae
tendit; sed ad bonum quod transcendit proportionem potentiae, indiget habitu
virtutis. Cum autem uniuscuiusque appetitus tendat in proprium bonum
appetentis; dupliciter aliquod bonum potest excedere voluntatis proportionem.
Uno modo ratione speciei; alio modo ratione individui. Ratione quidem
speciei, ut voluntas elevetur ad aliquod bonum quod excedit limites humani
boni : et dico humanum id quod ex viribus naturae homo potest. Sed supra
humanum bonum est bonum divinum, id quod voluntatem hominis caritas elevat,
et similiter spes. Ratione autem individui, hoc modo quod aliquis quaerat id
quod est alterius bonum, licet voluntas extra limites boni humani non
feratur; et sic voluntatem perficit iustitia, et omnes virtutes in aliud
tendentes, ut liberalitas, et alia huiusmodi. Nam iustitia est alterius
bonum, ut philosophus dicit in V Ethic. Sic ergo duae virtutes sunt in
voluntate sicut in subiecto; scilicet caritas et iustitia. Cuius signum est,
quod istae virtutes quamvis ad appetitivam pertineant, tamen non circa
passiones consistunt, sicut temperantia et fortitudo : unde patet quod non
sunt in sensibili appetitu, in quo sunt passiones, sed in appetitu rationali,
qui est voluntas, in quo passiones non sunt. Nam omnis passio est in parte
animae sensitiva, ut probatur in VII Physic. Illae autem virtutes quae circa
passiones consistunt, sicut fortitudo circa timores et audacias, et
temperantia circa concupiscentias, oportet eadem ratione esse in appetitu
sensitivo. Nec oportet quod ratione istarum passionum sit aliqua virtus in
voluntate quia bonum in istis passionibus est quod est secundum rationem. Et ad
hoc naturaliter se habet voluntas ex ratione ipsius potentiae, cum sit
proprium obiectum voluntatis. |
Réponse : Par l’habitus de la vertu, la puissance qui en est le sujet acquiert
un complément par rapport à son acte. Aussi un habitus de vertu n’est-il pas
nécessaire pour ce sur quoi porte une puissance en raison même de sa
puissance. Cependant, la vertu ordonne les
puissances au bien. En effet, c’est elle qui rend bon celui qui la possède et
rend son acte bon. Or, la volonté possède par sa propre puissance ce qui fait
une vertu dans les autres puissances, car son objet est le bien. Aussi tendre
vers le bien de cette manière est-il à la volonté ce que tendre vers ce qui
est délectable est au concupiscible, et comme être ordonné au son l’est pour
l’ouïe. De sorte que la volonté n’a pas besoin d’un habitus de vertu qui
l’incline vers le bien qui lui est proportionné, car elle tend vers lui en
raison même de sa puissance; mais, pour le bien qui dépasse la proportion de
sa puissance, elle a besoin d’un habitus de vertu. Or, puisque l’appétit de
toute chose tend vers le bien propre de ce qui désire, un bien peut dépasser
la proportion de la volonté de deux manières : d’une manière, en raison de
l’espèce; d’une autre manière, en raison de l’individu. En raison de
l’espèce, afin que la volonté soit élevée à un bien qui dépasse les limites
du bien humain, et j’entends par humain ce que l’homme peut par les
puissances de sa nature. Or, au-dessus du bien humain, existe le bien divin,
auquel la charité élève la volonté de l’homme, de même que l’espérance. En
raison de l’individu, de telle sorte que quelqu’un recherche ce qui est le
bien d’un autre, bien que la volonté ne soit pas portée hors des limites du
bien humain; et ainsi, la justice perfectionne la volonté, et toutes les
vertus qui tendent vers quelque chose d’autre, comme la libéralité et les
choses de ce genre. Car la justice porte sur le bien d’un autre, comme le dit
le Philosophe dans Éthique, V. Il y a ainsi deux vertus qui existent
dans la volonté comme dans leur sujet : la charité et la justice. Le signe en
est que ces vertus, bien qu’elles se rapportent à l’appétit, ne portent
cependant pas sur les passions, comme la tempérance et la force. Il est donc
clair qu’elles ne résident pas dans l’appétit sensible, dans lequel sont les
passions, mais dans l’appétit raisonnable, qui est la volonté, dans lequel il
n’y a pas de passions. Car toute passion se trouve dans la partie sensible de
l’âme, comme cela est démontré dans Physique, VII. Il faut donc que
les vertus qui portent sur les passions, comme la force par rapport aux
craintes et aux audaces, et la tempérance par rapport aux concupiscences, se
trouvent pour la même raison dans l’appétit sensible. Et il n’est pas nécessaire
qu’en raison de ces passions, existe dans la volonté une vertu, car le bien
dans ces passions est ce qui est conforme à la raison. Et la volonté a un
rapport naturel avec cela en raison même de sa puissance, puisque c’est
l’objet propre de la volonté. |
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[65611] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ad imperandum sufficit voluntati iudicium
rationis; nam voluntas appetit naturaliter quod est bonum secundum rationem,
sicut concupiscibilis quod est delectabile secundum sensum. |
Solutions : 1. Le jugement de
la raison suffit à la volonté pour commander, car la volonté désire
naturellement ce qui est bien selon la raison, comme le concupiscible ce qui
est délectable selon le sens. |
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[65612] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum, quod inclinatio naturalis
voluntatis non solum est in ultimum finem, sed in id bonum quod sibi a
ratione demonstratur. Nam bonum intellectum est obiectum voluntatis, ad quod
naturaliter ordinatur voluntas, sicut et quaelibet potentia in suum obiectum,
dummodo hoc sit proprium bonum, ut supra dictum est. Tamen circa
hoc aliquis peccat, in quantum iudicium rationis intercipitur passione. |
2. L’inclination naturelle de la volonté ne porte pas seulement sur la
fin ultime, mais sur ce qui lui est montré comme bien par la raison. Car le
bien intelligé est l’objet de la volonté, auquel est naturellement ordonnée
la volonté, comme toute puissance à son objet, pourvu que ce soit son bien
propre, comme on l’a dit plus haut. Toutefois, quelqu’un pèche à ce sujet pour
autant que le jugement de la raison est surpris par la passion. |
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[65613] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum, quod cognitio fit per aliquam
speciem; nec ad cognoscendum potentia intellectus sufficit per seipsam, nisi
species a sensibilibus accipiat. Et ideo oportet in his etiam quae
naturaliter cognoscimus, esse quemdam habitum, qui etiam quodammodo
principium a sensibus sumit, ut dicitur in fine Poster. Sed voluntas
ad volendum non indiget aliqua specie; unde non est simile. |
3. La connaissance se réalise par une certaine espèce, et la puissance
de l’intelligence ne suffit pas par elle-même, à moins qu’elle ne reçoive une
espèce à partir des choses sensibles. C’est pourquoi il est nécessaire pour
cela même que nous connaissons naturellement qu’il existe un habitus, qui,
lui aussi, tire son principe des sens, comme il est dit à la fin des Postérieurs
[analytiques]. Mais la volonté n’a pas besoin d’une espèce pour vouloir.
Ce n’est donc pas la même chose. |
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[65614] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod circa passiones virtutes sunt in appetitu inferiori; nec ad
huiusmodi requiritur alia virtus in appetitu superiori, ratione iam dicta. |
4. Pour ce qui est des passions, les vertus se trouvent dans l’appétit
inférieur, et une autre vertu n’est pas nécessaire pour ces choses dans
l’appétit supérieur, pour la raison déjà donnée. |
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[65615] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod amicitia proprie non est
virtus, sed consequens virtutem. Nam ex hoc ipso quod aliquis est virtuosus,
sequitur quod diligat sibi similes. Secus autem est de caritate, quae est
quaedam amicitia ad Deum, elevans hominem in id quod metam naturae excedit;
unde caritas in voluntate est, ut diximus. |
5. À proprement parler, l’amitié n’est pas une vertu, mais la
conséquence de la vertu, car du fait même que quelqu’un est vertueux, découle
qu’il aime ses semblables. Mais il en est autrement de la charité, qui est
une certaine amitié envers Dieu, qui élève l’homme à ce qui dépasse la mesure
de la nature. C’est pourquoi la charité existe dans la volonté, comme nous
l’avons dit. |
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[65616] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 6 Et per
hoc patet responsio ad sextum et septimum; nam virtus coniungens voluntatem
Deo est caritas. |
6. La réponse à la
sixième et à la septième objection est ainsi claire, car la vertu qui unit la
volonté à Dieu est la charité. |
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Ad 7 : absent. |
7. [Absente] |
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[65617] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum, quod ad felicitatem quaedam
praeexiguntur sicut dispositiones, sicuti actus virtutum moralium, per quos
removentur impedimenta felicitatis; scilicet inquietudo mentis a passionibus,
et ab exterioribus perturbationibus. Aliquis autem actus est virtutis qui est
essentialiter ipsa felicitas quando est completus; scilicet actus rationis
vel intellectus. Nam felicitas contemplativa nihil aliud est quam perfecta
contemplatio summae veritatis; felicitas autem activa est actus prudentiae,
quo homo et se et alios gubernat. Aliquid autem est in felicitate sicut
perfectivum felicitatis; scilicet delectatio, quae perficit felicitatem,
sicut decor iuventutem, ut dicitur in X Ethic. : et hoc pertinet ad
voluntatem; et in ordine ad hoc perficit voluntatem caritas, si loquamur de
felicitate caelesti, quae sanctis repromittitur. Si autem loquamur de
felicitate contemplativa, de qua philosophi tractaverunt, ad huiusmodi
delectationem voluntas naturali desiderio ordinatur. Et sic patet quod non
oportet omnes virtutes esse in voluntate. |
8. Certaines choses sont prérequises à la félicité comme des
dispositions, tels les actes des vertus morales, par lesquels sont enlevés
les empêchements à la félicité, à savoir, l’agitation de l’esprit par les
passions et par les troubles extérieurs. Mais il existe un acte de vertu qui
est par essence la félicité elle-même, lorsqu’il se réalise : l’acte de la
raison ou de l’intellect. Car la félicité contemplative n’est rien d’autre
que la contemplation parfaite de la vérité suprême; mais la félicité active
est l’acte de la prudence, par lequel l’homme se gouverne ainsi que les autres.
Or, il existe quelque chose dans la félicité qui parfait la félicité : la
délectation, qui parfait la félicité, comme la beauté le fait pour la
jeunesse, comme il est dit dans Éthique, X. Et cela relève de la
volonté, et, par rapport à cela, la charité perfectionne la volonté, si nous
parlons de la félicité céleste, qui est promise aux saints. Mais si nous
parlons de la félicité contemplative, dont ont traité les philosophes, la
volonté est ordonnée à une telle délectation par un désir naturel. Il ressort
ainsi clairement qu’il n’est pas nécessaire que toutes les vertus se trouvent
dans la volonté. |
|
[65618] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod voluntate recte vivitur et peccatur sicut imperante
omnes actus virtutum et vitiorum; non autem sicut eliciente; unde non oportet
quod voluntas sit proximum subiectum cuiuslibet virtutis. |
9. On vit correctemement ou l’on pèche par la volonté pour autant
qu’elle commande tous les actes des vertus et des vices, et non parce qu’elle
les accomplit. Aussi n’est-il pas nécessaire que la volonté soit le sujet
prochain de toutes les vertus. |
|
[65619] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod peccatum omne est in voluntate sicut in causa, in
quantum omne peccatum fit ex consensu voluntatis; non tamen oportet quod omne
peccatum sit in voluntate sicut in subiecto; sed sicut gula et luxuria sunt
in concupiscibili, ita et superbia in irascibili. |
10. Tout péché se
trouve dans la volonté comme dans sa cause, pour autant que tout péché est
fait par consentement de la volonté. Il n’est cependant pas nécessaire que
tout péché soit dans la volonté comme dans son sujet ; mais de même que
la gourmandise et la luxure se trouvent dans le concupiscible, de même
l’orgueil se trouve dans l’irascible. |
|
[65620]
De virtutibus, q. 1 a. 5 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ex propinquitate
voluntatis ad rationem contingit quod voluntas secundum ipsam rationem
potentiae consonet rationi; et ideo non indiget ad hoc habitu virtutis super
inducto, sicut inferiores potentiae, scilicet irascibilis et concupiscibilis. |
11. À cause de la
proximité de la volonté par rapport à la raison, il se fait que la volonté
soit d’accord avec la raison selon la raison même de sa puissance. C’est
pourquoi elle n’a pas besoin que lui soit ajouté un habitus de vertu, comme
c’est le cas des puissances inférieures, l’irascible et le concupiscible. |
|
[65621] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 1 Ad
primum vero eorum quae in contrarium obiiciuntur, dicendum, quod caritas et
spes, quae sunt in voluntate, non continentur sub ista philosophi divisione;
sunt enim aliud genus virtutum, et dicuntur virtutes theologicae. Iustitia
vero inter morales continetur; voluntas enim sicut et alii appetitus, ratione
participat, in quantum dirigitur a ratione. Licet enim voluntas ad eamdem naturam intellectivae partis pertineat,
non tamen ad ipsam potentiam rationis. |
Réponse au premier argument en sens contraire. La
charité et l’espérance, qui existent dans la volonté, ne sont pas contenues
dans cette division du Philosophe : en effet, elles sont un autre genre de
vertus, qu’on appelle vertus théologales. Mais la justice est comprise parmi
les vertus morales : en effet, la volonté, comme les autres appétits,
participe à la raison, pour autant qu’elle est dirigée par la raison. Bien
que la volonté relève de la même nature que la partie intellectuelle, elle ne
relève cependant pas de la puissance même de la raison. |
|
[65622] De virtutibus, q. 1 a. 5 ad s. c. 2 Ad
secundum dicendum, quod respectu illorum ad quae habetur virtus in irascibili
et concupiscibili, non oportet esse virtutem in voluntate, ratione prius
dicta. |
Réponse
au deuxième argument en sens contraire. Par rapport à ce qui est l’objet de
la vertu dans l’irascible et dans le concupiscible, il n’est pas nécessaire
qu’il y ait une vertu dans la volonté, pour la raison donnée auparavant. |
|
|
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Articulus 6 : [65623] De virtutibus,
q. 1 a. 6 tit. 1 Sexto quaeritur utrum in intellectu practico sit virtus
sicut in subiecto |
Article 6 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect pratique comme dans son sujet ? |
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[65624] De virtutibus, q. 1 a. 6 tit. 2 Et
videtur quod non. |
Objections : Il semble que non. |
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[65625] De
virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 1 Quia secundum philosophum in II Ethic., scire,
parum vel nihil prodest ad virtutem. Loquitur autem ibi de scientia practica;
quod patet ex hoc quod subiungit, quod multi non operantur ea quorum habent
scientiam; scientia enim ordinata ad opus est practici intellectus. Ergo
practicus intellectus non poterit esse subiectum virtutis. |
1. Selon le Philosophe,
dans Éthique, II, connaître est peu utile ou pas du tout à la vertu.
Or, il est question là de science pratique, ce qui ressort clairement de ce
qu’il ajoute, que beaucoup ne pratiquent pas ce dont ils ont la science. Or,
la science ordonnée à l’action relève de l’intellect pratique. L’intellect
pratique ne pourra donc pas être le sujet d’une vertu. |
|
[65626] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 2 Praeterea,
sine virtute non potest aliquis recte agere. Sed sine perfectione practici
intellectus potest aliquis recte agere, eo quod potest instrui ab alio de
agendis. Ergo perfectio practici intellectus non est virtus. |
2. Quelqu’un ne
peut agir correctement sans la vertu. Or, quelqu’un peut agir correctement
sans une perfection de l’intellect pratique, du fait qu’il peut être instruit
par un autre de ce qu’il faut faire. Une perfection de l’intellect pratique
n’est donc pas une vertu. |
|
[65627] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 3 Praeterea, tanto aliquid magis
peccat, quanto magis recedit a virtute. Sed recessus a perfectione practici
intellectus diminuit peccatum; ignorantia enim excusat vel a tanto, vel a
toto. Ergo perfectio practici intellectus non potest esse virtus. |
3. Plus quelqu’un pèche, plus il s’éloigne de la vertu. Or,
l’éloignement de la perfection de l’intellect pratique diminue le péché : en
effet, l’ignorance excuse en partie ou en totalité. La perfection de
l’intellect pratique ne peut donc pas être une vertu. |
|
[65628] De
virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 4 Praeterea, virtus secundum Tullium, agit in
modum naturae. Sed modus agendi naturae opponitur contra modum agendi
rationis, sive practici intellectus; quod patet in II Physic., ubi dividitur
agens a natura contra agens a proposito. Ergo videtur quod in practico
intellectu non sit virtus. |
4. Selon Tullius [Cicéron], la vertu agit à la manière de la nature.
Or, le mode d’agir de la nature s’oppose au mode d’agir de la raison ou de
l’intellect pratique, comme cela ressort clairement de Physique, II,
où l’agent naturel est opposé à l’agent qui décide. Il semble donc qu’il n’y
ait pas de vertu dans l’intellect pratique. |
|
[65629] De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 5 Praeterea,
bonum et verum formaliter differunt secundum proprias rationes. Sed
differentia formalis obiectorum diversificat habitus. Cum igitur virtutis
obiectum sit bonum, practici autem intellectus perfectio sit verum, tamen
ordinatum ad opus; videtur quod perfectio practici intellectus non sit
virtus. |
5. Le bien et le vrai diffèrent formellement selon leurs raisons
propres. Or, la différence formelle des objets différencie les habitus.
Puisque l’objet de la vertu est le bien et que la perfection de l’intellect
pratique est le vrai, mais ordonné à l’action, il semble donc que la
perfection de l’intellect pratique ne soit pas une vertu. |
|
[65630]
De virtutibus, q. 1 a. 6 arg. 6 Praeterea, virtus, secundum philosophum in II
Ethic., est habitus voluntarius. Sed habitus intellectus practici differunt
ab habitibus voluntatis vel appetitivae partis. Ergo habitus qui sunt in
intellectu practico, non sunt virtutes; et sic intellectus practicus non
potest esse subiectum virtutis. |
6. Selon le Philosophe, dans Éthique, II, la vertu est un
habitus volontaire. Or, les habitus de l’intellect pratique diffèrent des
habitus de la volonté ou partie appétitive. Les habitus qui se trouvent dans
l’intellect pratique ne sont donc pas des vertus. Et ainsi, l’intellect
pratique ne peut pas être le sujet de la vertu. |
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[65631] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est quod prudentia ponitur una quatuor virtutum
principalium; et tamen eius subiectum est practicus intellectus. Ergo
intellectus practicus potest esse subiectum virtutis. |
Cependant : 1. La prudence est présentée comme une des quatre vertus principales,
et cependant, son sujet est l’intellect pratique. L’intellect pratique peut
donc être le sujet d’une vertu. |
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[65632] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 2 Praeterea,
virtus humana est cuius subiectum est potentia humana. Sed potentia humana
magis est intellectus practicus quam irascibilis et concupiscibilis; sicut
quod est per essentiam tale, magis est eo quod est per participationem. Ergo
intellectus practicus potest esse subiectum virtutis humanae. |
2. La vertu humaine est celle dont le sujet est une puissance humaine.
Or, l’intellect pratique est davantage une puissance humaine que l’irascible
et le concupiscible, de la même façon que ce qui est une chose par essence
l’est davantage que ce qui l’est par participation. L’intellect pratique peut
donc être le sujet d’une vertu humaine. |
|
[65633] De virtutibus, q. 1 a. 6 s. c. 3 Praeterea,
propter quod unumquodque, et illud magis. Sed in parte affectiva est virtus
propter rationem; quia ad hoc quod obediat rationi vis affectiva, in ea
ponitur virtus. Ergo multo fortius in ratione practica debet
esse virtus. |
3. Ce pour quoi une chose existe en est davantage la raison d’être.
Or, la vertu dans la partie affective existe en vue de la raison, car une
vertu existe en elle afin qu’elle obéisse à la raison. À bien plus forte
raison doit-il donc y avoir une vertu dans la raison pratique. |
|
[65634]
De virtutibus, q. 1 a. 6 co. Respondeo. Dicendum, quod inter virtutes
naturales et rationales haec differentia assignatur; quod naturalis virtus
est determinata ad unum, virtus autem rationalis ad multa se habet. Oportet
autem ut appetitus animalis vel rationalis inclinetur in suum appetibile ex
aliqua apprehensione praeexistente; inclinatio enim in finem absque
praeexistente cognitione ad appetitum pertinet naturalem, sicut grave
inclinatur ad medium. Sed quia aliquod bonum apprehensum oportet esse obiectum
appetitus animalis et rationalis; ubi ergo istud bonum uniformiter se habet,
potest esse inclinatio naturalis in appetitu, et iudicium naturale in vi
cognitiva, sicut accidit in brutis. Cum enim sint paucarum operationum
propter debilitatem principii activi quod ad pauca se extendit; est in
omnibus unius speciei bonum uniformiter se habens. Unde per appetitum
naturalem inclinationem habent in id, et per vim cognitivam naturale iudicium
habent de illo proprio bono uniformiter se habente. Et ex hoc naturali
iudicio et naturali appetitu provenit quod omnis hirundo uniformiter facit
nidum, et quod omnis aranea uniformiter facit telam; et sic est in omnibus
aliis brutis considerare. Homo autem est multarum operationum et diversarum;
et hoc propter nobilitatem sui principii activi, scilicet animae, cuius
virtus ad infinita quodammodo se extendit. Et ideo non sufficeret homini
naturalis appetitus boni, nec naturale iudicium ad recte agendum, nisi
amplius determinetur et perficiatur. Per naturalem siquidem appetitum homo
inclinatur ad appetendum proprium bonum; sed cum hoc multipliciter varietur,
et in multis bonum hominis consistat; non potuit homini inesse naturalis
appetitus huius boni determinati, secundum conditiones omnes quae requiruntur
ad hoc quod sit ei bonum; cum hoc multipliciter varietur secundum diversas
conditiones personarum et temporum et locorum, et huiusmodi. Et eadem ratione
naturale iudicium; quod est uniforme, et ad huiusmodi bonum quaerendum non
sufficit; unde oportuit in homine per rationem, cuius est inter diversa
conferre, invenire et diiudicare proprium bonum, secundum omnes conditiones
determinatum, prout est nunc et hic quaerendum. Et ad hoc faciendum ratio
absque habitu perficiente hoc modo se habet sicut et in speculativo se habet ratio
absque habitu scientiae ad diiudicandum de aliqua conclusione alicuius
scientiae; quod quidem non potest nisi imperfecte et cum difficultate agere.
Sicut igitur oportet rationem speculativam habitu scientiae perfici ad hoc
quod recte diiudicet de scibilibus ad scientiam aliquam pertinentibus; ita
oportet quod ratio practica perficiatur aliquo habitu ad hoc quod recte
diiudicet de bono humano secundum singula agenda. Et haec virtus dicitur
prudentia, cuius subiectum est ratio practica; et est perfectiva omnium
virtutum moralium quae sunt in parte appetitiva, quarum unaquaeque facit
inclinationem appetitus in aliquod genus humani boni : sicut iustitia facit
inclinationem in bonum quod est aequalitas pertinentium ad communicationem
vitae; temperantia in bonum quod est refrenari a concupiscentiis; et sic de
singulis virtutibus. Unumquodque autem horum contingit multipliciter fieri,
et non eodem modo in omnibus; unde ad hoc quod rectus modus statuatur,
requiritur iudicii prudentia. Et ita ab ipsa est rectitudo et complementum
bonitatis in omnibus aliis virtutibus; unde philosophus dicit quod medium in
virtute morali determinatur secundum rationem rectam. Et quia ex hac
rectitudine et bonitatis complemento omnes habitus appetitivi virtutis
rationem sortiuntur, inde est quod prudentia est causa omnium virtutum
appetitivae partis, quae dicuntur morales in quantum sunt virtutes; et
propterea dicit Gregorius in XXII Moral., quod ceterae virtutes, nisi ea quae
appetunt, prudenter agant, virtutes esse nequaquam possunt. |
Réponse : Entre les puissances naturelles et raisonnables, il existe cette
différence que la puissance naturelle est déterminée à une seule chose, alors
que la puissance raisonnable se rapporte à plusieurs choses. Or, il est
nécessaire que l’appétit animal ou raisonnable soit incliné vers ce qui est
l’objet de son désir en vertu d’une saisie antérieure : en effet,
l’inclination vers la fin sans connaissance antérieure relève de l’appétit
naturel, comme ce qui est lourd est incliné vers le milieu. Mais parce qu’il
est nécessaire qu’un bien connu soit l’objet de l’appétit animal et
raisonnable, là où ce bien se trouve de manière uniforme, il peut exister une
inclination naturelle dans l’appétit et un jugement naturel dans la puissance
cognitive, comme cela se produit chez les animaux sans raison. En effet,
comme ils ont peu d’opérations en raison de la faiblesse du principe actif
qui s’étend à peu de choses, il existe chez tous un bien d’une seule espèce
qui se trouve de manière uniforme. Aussi, par l’appétit naturel, tendent-ils
vers celui-ci, et, par la connaissance naturelle, jugent-ils de ce bien
propre qui existe de manière uniforme. Et de ce jugement naturel vient le
fait que toutes les hirondelles font leur nid de manière uniforme, et que
toutes les araignées tissent leur toile de manière uniforme. Et il faut
penser la même chose pour tous les animaux sans raison. Mais l’homme possède
des opérations multiples et diverses, et cela, en raison de son principe
actif, à savoir, l’âme, dont la puissance s’étend pour ainsi dire à l’infini.
C’est pourquoi ne suffirait pas à l’homme un appétit naturel du bien, ni un
jugement naturel pour agir correctement, à moins qu’il ne soit davantage
déterminé et perfectionné. Car, par l’appétit naturel, l’homme est incliné à désirer
son propre bien; mais puisque celui-ci se diversifie de multiples manières et
que le bien de l’homme consiste dans plusieurs choses, il ne pouvait pas
exister chez l’homme un appétit naturel de tel bien déterminé, selon toutes
les conditions qui sont requises pour que cela soit bon, puisque cela se
diversifie de multiples façons selon les diverses conditions de personnes, de
temps, de lieux et de choses de ce genre. Et il en est de même pour le
jugement naturel, qui est uniforme, et qui ne suffit pas pour rechercher un
bien de ce genre. Aussi fallait-il que, par la raison, à qui il appartient de
rapprocher les choses diverses, l’homme trouve son propre bien et en juge,
tel qu’il est déterminé selon toutes les conditions, en tant qu’il doit être
recherché ici et maintenant. Et pour faire cela, la raison sans un habitus
qui la perfectionne se trouve dans la même condition que la raison en matière
spéculative, sans l’habitus de la science, pour juger de la conclusion d’une
science, ce qu’elle ne peut faire qu’imparfaitement et avec difficulté.
Puisqu’il faut que la raison spéculative soit perfectionnée par l’habitus de
la science pour juger correctement des objets connaissables qui relèvent de
cette science, de même il est donc nécessaire que la raison pratique soit
perfectionnée par un habitus afin de juger correctement du bien humain pour
chaque action à poser. Et cette vertu s’appelle la prudence, dont le sujet
est la raison pratique, et elle perfectionne toutes les vertus morales qui
existent dans la partie appétitive, dont chacune incline l’appétit vers un
certain genre de bien humain, comme la justice incline vers le bien qui est
l’égalité dans ce qui se rapporte à la vie sociale, la tempérance, vers le
bien qui consiste à se retenir des désirs désordonnés, et ainsi pour toutes
les vertus. Or, chacune de ces choses peut être accomplie de multiples
façons, et non de la même façon chez tous. Aussi, pour que la bonne mesure
soit déterminée, la prudence du jugement est-elle nécessaire. Et ainsi, une
rectitude et un complément de bonté viennent-ils de [la prudence] pour toutes
les autres vertus. C’est pourquoi le Philosophe dit que le milieu de la vertu
morale est déterminé selon la raison droite. Et parce que toutes les vertus
de la puissance appétitive tirent leur raison de vertu de cette rectitude et
de ce complément de bonté, de là vient que la prudence est la cause de toutes
les vertus de la partie appétitive, qui sont appelées morales pour autant
qu’elles sont des vertus. Et c’est pourquoi Grégoire dit, dans les Morales,
XXII, que les autres vertus, si elles ne font pas prudemment ce qu’elles
désirent, ne peuvent jamais être des vertus. |
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[65635] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod philosophus ibi loquitur de scientia practica; sed
prudentia plus importat quam scientia practica : nam ad scientiam practicam
pertinet universale iudicium de agendis; sicut fornicationem esse malam,
furtum non esse faciendum, et huiusmodi. Qua quidem scientia existente, in
particulari actu contingit iudicium rationis intercipi, ut non recte
diiudicet; et propter hoc dicitur parum valere ad virtutem, quia ea existente
contingit hominem contra virtutem peccare. Sed ad prudentiam pertinet recte
iudicare de singulis agibilibus, prout sint nunc agenda : quod quidem
iudicium corrumpitur per quodlibet peccatum. Et ideo prudentia manente, homo non peccat; unde ipsa non parum sed
multum confert ad virtutem; immo ipsam virtutem causat, ut dictum est. |
Solutions : 1. Le Philosophe parle là de la science pratique. Mais la prudence
comporte plus que la science pratique, car il relève de la science pratique
de porter un jugement universel sur ce qu’il faut faire, comme le fait que la
fornication est mauvaise, qu’il ne faut pas voler, et les choses de ce genre.
Alors que cette science existe, il arrive cependant que, dans les actes
particuliers, le jugement de la raison soit pris par surprise, de sorte qu’il
ne juge par correctement. C’est pour cette raison que l’on dit que [la
science pratique] contribue peu à la vertu, parce que, alors qu’elle existe,
il arrive que l’homme pèche contre la vertu. Mais il relève de la prudence de
juger correctement de chaque action à poser, pour autant qu’elle doit être
accomplie maintenant ; c’est ce jugement qui est corrompu par n’importe quel
péché. C’est pourquoi, lorsque la prudence demeure, l’homme ne pèche pas.
Aussi celle-ci n’apporte-t-elle pas peu, mais beaucoup à la vertu, bien plus,
elle cause la vertu elle-même, comme on l’a dit. |
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[65636] De
virtutibus, q. 1 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo ab alio potest
accipere consilium in universali de agendis; sed quod iudicium recte servet
in ipso actu contra omnes passiones, hoc solum ex rectitudine prudentiae
provenit; et sine hoc virtus esse non potest. |
2. Un homme peut
recevoir un conseil dans l’universel sur les actes à poser. Mais qu’il
maintienne dans l’acte même un jugement droit contre toutes les passions,
cela provient seulement de la rectitude de la prudence. Et sans cela, il ne
peut y avoir de vertu. |
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[65637]
De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod ignorantia quae
opponitur prudentiae, est ignorantia electionis, secundum quam omnis malus
est ignorans; quae provenit ex eo quod iudicium rationis intercipitur per
appetitus inclinationem : et hoc non excusat peccatum, sed constituit. Sed
ignorantia quae opponitur scientiae practicae, excusat vel diminuit peccatum. |
3. L’ignorance qui
s’oppose à la prudence est l’ignorance dans le choix, selon laquelle tout
méchant est ignorant. Celle-ci vient du fait que le jugement de la raison est
surpris par l’inclination de l’appétit. Et cela n’excuse pas le péché, mais
le constitue. Mais l’ignorance qui s’oppose à la science pratique excuse ou
diminue le péché. |
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[65638] De
virtutibus, q. 1 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod verbum Tullii intelligitur
quantum ad inclinationem appetitus tendentis in aliquod bonum commune, sicut
in fortiter agere, vel aliquid huiusmodi. Sed nisi rationis iudicio
dirigeretur, talis inclinatio frequenter duceretur in praecipitium; et tanto
magis, quanto esset vehementior; sicut ponit philosophus exemplum de caeco,
in VI Ethic., qui tanto magis laeditur ad parietem impingens, quanto fortius
currit. |
4. La parole de
Tullius [Cicéron] s’entend de l’inclination de l’appétit qui tend vers un
bien général, comme agir avec force, ou quelque chose du genre. Mais si elle
n’était pas dirigée par le jugement de la raison, une telle inclination
mènerait souvent au précipice, et d’autant plus qu’elle serait plus
impétueuse, comme le Philosophe le dit en présentant, dans Éthique,
VI, l’exemple de l’aveugle qui se blesse d’autant plus, en heurtant un mur,
qu’il court plus vite. |
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[65639] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod bonum et verum sunt obiecta duarum partium animae,
scilicet intellectivae et appetitivae : quae quidem duo hoc modo se habent,
quod utraque ad actum alterius operatur; sicut voluntas vult intellectum
intelligere, et intellectus intelligit voluntatem velle. Et ideo haec duo,
bonum et verum, se invicem includunt : nam bonum est quoddam verum, in
quantum est ab intellectu apprehensum; prout scilicet intellectus intelligit
voluntatem velle bonum, vel etiam in quantum intelligit aliquid esse bonum;
similiter etiam et ipsum verum est quoddam bonum intellectus, quod etiam sub
voluntate cadit, in quantum homo vult intelligere verum. Nihilominus tamen
verum intellectus practici est bonum, quod et finis operationis : bonum enim
non movet appetitum, nisi in quantum est apprehensum. Ideo nihil prohibet in
intellectu practico esse virtutem. |
5. Le bien et le
vrai sont les objets de deux parties de l’âme, à savoir, de l’intellective et
de l’appétitive. Ces deux [parties] se comportent de manière telle que
chacune opère en vue de l’acte de l’autre, comme la volonté veut que
l’intellect comprenne, et l’intellect comprend que la volonté veut. C’est
pourquoi ces deux choses, le bien et le vrai, s’incluent l’une l’autre. Car
le bien est quelque chose de vrai en tant qu’il est saisi par l’intellect,
pour autant que l’intellect comprend que la volonté veut le bien, ou encore
qu’il comprend que quelque chose est bon. Semblablement, le vrai lui-même est
un certain bien de l’intellect, qui relève aussi de la volonté, pour autant
que l’homme veut comprendre ce qui est vrai. Toutefois, le vrai qui est l’objet
de l’intellect pratique est le bien qui est la fin de l’opération : en effet,
le bien ne meut l’appétit que dans la mesure où il est compris. C’est
pourquoi rien n’empêche qu’il y ait une vertu dans l’intellect pratique. |
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[65640] De virtutibus, q. 1 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod philosophus in II Ethic.,
definit virtutem moralem : de virtute enim intellectuali determinat in VI
Ethic. Virtus autem quae est in intellectu practico, non est moralis, sed
intellectualis : nam etiam prudentiam inter virtutes intellectuales
philosophus ponit, ut patet in II Ethic. |
6. Dans Éthique,
II, le Philosophe définit la vertu morale : en effet, il précise ce
qu’est la vertu intellectuelle dans Éthique, VI. Or, la vertu qui est
dans l’intellect pratique n’est pas une vertu morale, mais intellectuelle,
car le Philosophe range aussi la prudence parmi les vertus intellectuelles,
comme cela ressort clairement d’Éthique, II. |
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Articulus
7 : [65641] De virtutibus, q. 1 a. 7 tit. 1 Septimo
quaeritur utrum in intellectu speculativo sit virtus |
Article 7 – Existe-t-il une vertu dans l’intellect spéculatif ? |
|
[65642] De virtutibus, q. 1 a. 7 tit. 2 Et
videtur quod non. |
Objections : Il semble que non. |
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[65643]
De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 1 Virtus enim omnis ordinatur ad actum : virtus
enim est quae opus bonum reddit. Intellectus autem speculativus non ordinatur
ad actum : nihil enim dicit de imitando vel fugiendo, ut patet in III de
anima. Ergo in intellectu speculativo non potest esse virtus. |
1. En effet, toute
vertu est ordonnée à l’acte, car la vertu est ce qui rend un acte bon. Or,
l’intellect spéculatif n’est pas ordonné à l’acte, car il ne dit rien de
l’imitation ou de la fuite, comme cela ressort clairement de Sur l’âme, III.
Il ne peut donc pas y avoir de vertu dans l’intellect spéculatif. |
|
[65644] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 2 Praeterea,
virtus est quae bonum facit habentem, ut dicitur in II Ethic. Sed habitus
intellectus speculativi non faciunt bonum habentem; non enim dicitur propter
hoc bonus homo, quia habet scientiam. Ergo habitus qui sunt in intellectu
speculativo, non sunt virtutes. |
2. La vertu est ce
qui rend bon celui qui la possède, comme il est dit dans Éthique, II.
Or, les habitus de l’intellect spéculatif ne rendent pas bon celui qui les
possède, car on ne dit pas qu’un homme est bon parce qu’il possède la
science. Les habitus qui se trouvent dans l’intellect spéculatif ne sont donc
pas des vertus. |
|
[65645] De
virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 3 Praeterea, intellectus speculativus praecipue
perficitur habitu scientiae. Scientia autem non est virtus; quod ex hoc
patet, quia contra virtutes dividitur : dicitur enim in prima specie
qualitatis esse habitus et dispositio; et habitus dicitur scientiae et
virtutis. Ergo in intellectu speculativo non est virtus. |
3. L’intellect
spéculatif est principalement perfectionné par l’habitus de science. Or, la
science n’est pas une vertu, ce qui ressort clairement du fait qu’elle est
distinguée des vertus : en effet, on dit que l’habitus et la disposition se
trouvent dans la première espèce de qualité, et on parle d’habitus de la
science et de la vertu. Il n’y a donc pas de vertu dans l’intellect
spéculatif. |
|
[65646]
De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 4 Praeterea, omnis virtus ordinatur ad aliquid,
quia ad felicitatem quae est finis virtutis. Sed intellectus speculativus non
ordinatur ad aliquid : non enim scientiae speculativae propter utilitatem
quaeruntur, sed propter seipsas, ut dicitur in I Metaph. Ergo in intellectu
speculativo non potest esse virtus. |
4. Toute vertu est
ordonnée à quelque chose, parce qu’elle est ordonnée à la félicité qui est la
fin de la vertu. Or, l’intellect spéculatif n’est pas ordonné à quelque chose
: en effet, les sciences spéculatives ne sont pas recherchées pour leur
utilité, mais pour elles-mêmes, comme il est dit dans Métaphysique, I.
Il ne peut donc pas y avoir de vertu dans l’intellect spéculatif. |
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[65647] De virtutibus, q. 1 a. 7 arg. 5 Praeterea,
actus virtutis est meritorius. Sed intelligere non sufficit ad meritum; immo scienti
bonum, et non facienti peccatum est illi, ut dicit Iacobus, IV, 17. Ergo
in intellectu speculativo non est virtus. |
5. L’acte de la
vertu est méritoire. Or, comprendre ne suffit pas pour le mérite ; bien
plus, c’est péché de connaître le bien, et de ne pas l’accomplir, comme
il est dit en Jc 4, 17. Il n’y a donc pas de vertu dans l’intellect
spéculatif. |
|
[65648] De virtutibus, q. 1 a. 7 s. c. 1 Sed contra. Fides est in intellectu speculativo, cum sit eius obiectum
veritas prima. Sed fides est virtus. Ergo intellectus speculativus potest esse
subiectum virtutis. |
Cependant : 1. La foi se
trouve dans l’intellect spéculatif, puisque son objet est la Vérité première.
Or, la foi est une vertu. L’intellect spéculatif peut donc être le sujet
d’une vertu. |
|
[65649]
De virtutibus, q. 1 a. 7 s. c. 2 Praeterea, verum et bonum sunt aeque
nobilia. Nam se invicem circumeunt; nam verum est quoddam bonum, et bonum est
quoddam verum : et utrumque commune omni enti. Si igitur in voluntate, cuius
obiectum est bonum, potest esse virtus; ergo et in intellectu speculativo,
cuius obiectum est verum, poterit esse virtus. |
2. Le vrai et le
bien sont également nobles. En effet, ils s’englobent réciproquement, car le
vrai est un certain bien, et le bien est quelque chose de vrai, et les deux
sont communs à tout être. Si donc il peut exister une vertu dans la volonté,
dont l’objet est le bien, il pourra aussi exister une vertu dans l’intellect
spéculatif, dont l’objet est le vrai. |
|
[65650] De virtutibus, q. 1 a. 7 co. Respondeo.
Dicendum quod virtus in unaquaque re dicitur per respectum ad bonum; eo quod
uniuscuiusque virtus est, ut philosophus dicit, quae bonum facit habentem, et
opus eius bonum reddit; sicut virtus equi quae facit equum esse bonum, et
bene ire, et bene ferre sessorem, quod est opus equi. Ex hoc quidem igitur
aliquis habitus habebit rationem virtutis, quia ordinatur ad bonum. Hoc autem contingit dupliciter : uno modo formaliter, alio modo
materialiter. Formaliter quidem, quando aliquis habitus ordinatur
ad bonum sub ratione boni; materialiter vero, quando ordinatur ad id quod est
bonum, non tamen sub ratione boni. Bonum autem sub ratione boni est obiectum
solius appetitivae partis; nam bonum est quod omnia appetunt. Illi igitur
habitus qui vel sunt in parte appetitiva, vel a parte appetitiva dependent, ordinantur
formaliter ad bonum; unde potissime habent rationem virtutis. Illi vero
habitus qui nec sunt in appetitiva parte, nec ab eadem dependent, possunt
quidem ordinari materialiter in id quod est bonum, non tamen formaliter sub
ratione boni; unde et possunt aliquo modo dici virtutes, non tamen ita
proprie sicut primi habitus. Sciendum est autem, quod intellectus tam
speculativus quam practicus potest perfici dupliciter aliquo habitu. Uno modo
absolute et secundum se, prout praecedit voluntatem, quasi eam movens; alio
modo prout sequitur voluntatem, quasi ad imperium actum suum eliciens : quia,
ut dictum est, istae duae potentiae, scilicet intellectus et voluntas, se
invicem circumeunt. Illi igitur habitus qui sunt in intellectu practico vel
speculativo, primo modo, possunt dici aliquo modo virtutes, licet non ita
secundum perfectam rationem; et hoc modo intellectus scientia et sapientia,
sunt in intellectu speculativo, ars vero in intellectu practico. Dicitur enim
aliquis intelligens vel sciens secundum quod eius intellectus perfectus est
ad cognoscendum verum; quod quidem est bonum intellectus. Et licet istud
verum possit esse volitum, prout homo vult intelligere verum; non tamen
quantum ad hoc perficiuntur habitus praedicti. Non enim ex hoc quod homo habet
scientiam, efficitur volens considerare verum, sed solummodo potens; unde et
ipsa veri consideratio non est scientia in quantum est volita, sed secundum
quod directe tendit in obiectum. Et similiter est de arte respectu
intellectus practici; unde ars non perficit hominem ex hoc quod bene velit
operari secundum artem, sed solummodo ad hoc quod sciat et possit. Habitus
vero qui sunt in intellectu speculativo vel practico secundum quod
intellectus sequitur voluntatem, habent verius rationem virtutis; in quantum
per eos homo efficitur non solum potens vel sciens recte agere, sed volens.
Quod quidem ostenditur in fide et prudentia, sed diversimode. Fides enim
perficit intellectum speculativum, secundum quod imperatur ei a voluntate;
quod ex actu patet : homo enim ad ea quae sunt supra rationem humanam, non
assentit per intellectum nisi quia vult; sicut Augustinus dicit, quod credere
non potest homo nisi volens. Ita et similiter erit fides in intellectu
speculativo, secundum quod subiacet imperio voluntatis; sicut temperantia est
in concupiscibili secundum quod subiacet imperio rationis. Unde voluntas imperat intellectui, credendo, non
solum quantum ad actum exequendum, sed quantum ad determinationem obiecti :
quia ex imperio voluntatis in determinatum creditum intellectus assentit;
sicut et in determinatum medium a ratione, concupiscibilis, per temperantiam
tendit. Prudentia vero est in intellectu sive ratione practica, ut dictum est
: non quidem ita quod ex voluntate determinetur obiectum prudentiae, sed solum
finis; obiectum autem ipsa perquirit : praesupposito enim a voluntate fine
boni, prudentia perquirit vias per quas hoc bonum et perficiatur et
conservetur. Sic igitur patet quod habitus in intellectu existentes
diversimode se habent ad voluntatem. Nam quidam in nullo a voluntate
dependent, nisi quantum ad eorum usum; et hoc quidem per accidens, cum
huiusmodi usus habituum aliter a voluntate dependeat, et aliter ab habitibus
praedictis, sicut sunt scientia et sapientia et ars. Non enim per hos habitus homo ad hoc perficitur, ut homo eis bene
velit uti; sed solum ut ad hoc sit potens. Aliquis vero habitus intellectus dependet a voluntate sicut a qua
accipit principium suum : nam finis in operativis principium est; et sic se
habet prudentia. Aliquis vero habitus etiam determinationem obiecti a
voluntate accipit, sicut est in fide. Et licet omnes quoquo modo possint dici
virtutes; tamen perfectius et magis proprie hi duo ultimi habent rationem
virtutis; licet ex hoc non sequatur quod sint nobiliores habitus aut perfectiores. |
Réponse : En toute chose, on
parle de vertu par rapport au bien, du fait que la vertu, comme le dit le
Philosophe, est, chez chacun, ce qui le rend bon et rend son acte bon, comme
la vertu du cheval est ce qui rend le cheval bon, et le fait bien aller et
porter celui qui le monte, ce qui est l’action du cheval. Et donc, un habitus
aura la raison de vertu parce qu’il est ordonné au bien. Or, cela se produit
de deux manières : d’une manière, formellement ; d’une autre manière,
matériellement. Formellement, lorsqu’un habitus est ordonné au bien sous la
raison de bien ; mais matériellement lorsqu’il est ordonné à ce qui est
bon, mais non sous la raison de bien. Or, le bien sous la raison de bien est
l’objet de la seule partie appétitive, car le bien est ce que toutes choses
désirent. Les habitus qui se trouvent dans la partie appétitive ou dépendent
de la partie appétitive sont donc formellement ordonnés au bien. C’est
pourquoi ils ont principalement raison de vertu. Mais les habitus qui ne se
trouvent pas dans la partie appétitive ni n’en dépendent peuvent toutefois
être ordonnés matériellement à ce qui est bon, mais non pas formellement sous
la raison de bien. C’est pourquoi ils peuvent être appelés d’une certaine
façon des vertus, mais non pas aussi proprement que les premiers habitus. Or,
il faut savoir que l’intellect aussi bien spéculatif que pratique peut être
perfectionné par un habitus de deux façons. D’une façon, tout simplement et
par soi, en tant qu’il précède la volonté en la mouvant ; d’une autre
façon, en tant qu’il suit la volonté, comme s’il exécutait son acte au commandement
[de la volonté], car, ainsi qu’on l’a dit, ces deux puissances, l’intellect
et la volonté, s’englobent l’une l’autre. Les habitus qui se trouvent dans
l’intellect pratique ou spéculatif de la première façon peuvent être appelés
vertus d’une certaine manière, bien que ce ne soit pas selon une parfaite
raison. Et de cette manière, la science et la sagesse de l’intellect se
trouvent dans l’intellect spéculatif, et l’art, dans l’intellect pratique. En
effet, on dit de quelqu’un qu’il comprend ou sait selon que son intellect a
été perfectionné pour connaître le vrai, qui est le bien de l’intellect. Et
bien que ce vrai puisse être voulu, pour autant que l’homme veut comprendre
le bien, toutefois les habitus mentionnés ne sont pas mis en œuvre pour cette
raison. En effet, ce n’est pas parce que l’homme a la science qu’il veut en
acte considérer ce qui est vrai, mais il en est rendu seulement capable.
Aussi la considération du vrai elle-même n’est-elle pas la science en tant
que celle-ci est voulue, mais selon qu’elle tend directement à son sujet. Et
de même en est-il pour l’art par rapport à l’intellect pratique. Aussi l’art
ne perfectionne-t-il pas l’homme du fait qu’il veut bien agir selon l’art,
mais seulement afin qu’il le sache et le puisse. Mais les habitus qui se
trouvent dans l’intellect spéculatif ou pratique selon que l’intellect suit
la volonté possèdent la raison de vertu avec plus de vérité, dans la mesure
où, par eux, l’homme est rendu non seulement capable ou sait agir
correctement, mais le veut. Ce qui apparaît dans la foi et la prudence, mais
de manière différente. En effet, la foi parfait l’intellect spéculatif en
tant qu’il est commandé par la volonté, ce qui ressort clairement de son
acte : en effet, l’homme ne donne son assentiment à ce qui dépasse la raison
humaine par l’intellect que parce qu’il le veut. Ainsi Augustin dit-il que
l’homme ne peut croire que s’il le veut. Semblablement, la foi se trouvera
dans l’intellect spéculatif selon qu’il est soumis à la volonté, comme la
tempérance se trouve dans le concupiscible selon qu’il est soumis au
commandement de la raison. Aussi la volonté commande-t-elle à l’intellect en
croyant, non seulement pour l’accomplissement de l’acte, mais pour la
détermination de l’objet, car l’intellect consent à ce qui est cru de manière
déterminée sous le commandement de la volonté, de la même manière qu’il tend
par la tempérance vers un milieu déterminé du concupiscible par la raison.
Or, la prudence se trouve dans l’intellect ou la raison pratique, comme on
l’a dit : non pas que l’objet de la prudence soit déterminé par la volonté,
mais seulement la fin. Elle recherche elle-même l’objet : en effet, étant
présupposée la fin du bien par la volonté, la prudence recherche les moyens
par lesquels ce bien est accompli et conservé. Il ressort donc clairement que
les habitus qui existent dans l’intellect ont divers rapports avec la
volonté. Certains ne dépendent aucunement de la volonté, si ce n’est pour
leur usage, et cela, par accident, puisque cet usage des habitus dépend de la
volonté d’une autre manière que les habitus mentionnés, tels que la science,
la sagesse et l’art. En effet, par ces habitus, l’homme n’est pas perfectionné
de telle manière que l’homme veuille les bien utiliser, mais seulement qu’il
en soit capable. Mais un certain habitus de l’intellect dépend de la volonté
en tant que celui-ci reçoit d’elle son principe, car la fin est le principe
pour les actions : il en va ainsi pour la prudence. Un autre habitus reçoit
aussi de la volonté la détermination de son objet, comme c’est le cas de la
foi. Et bien que tous puissent être appelés des vertus d’une certaine
manière, ces deux dernières possèdent cependant plus parfaitement et à parler
plus proprement la raison de vertu, bien qu’il n’en découle pas qu’elles
soient des habitus plus nobles ou plus parfaits. |
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[65651] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod habitus intellectus speculativi ordinatur ad actum
proprium, quem perfectum reddit, qui est veri consideratio : non autem
ordinatur sicut in finem in aliquem exteriorem actum, sed finem habet in suo
actu proprio. Intellectus autem practicus ordinatur sicut in
finem in alium exteriorem actum : non enim consideratio de agendis vel
faciendis pertinet ad intellectum practicum nisi propter agere vel facere. Et
sic habitus intellectus speculativi reddit actum suum nobiliori modo bonum
quam habitus intellectus practici : quia ille ut finem, hic ut ad finem;
licet habitus intellectus practici, ex eo quod ordinat ad bonum sub ratione
boni, prout praesupponitur voluntati, magis proprie habeat rationem virtutis. |
Solutions : 1. L’habitus de
l’intellect spéculatif est ordonné à son acte propre qu’il rend parfait :
c’est la considération de la vérité. Mais il n’est pas ordonné comme à sa fin
à un acte extérieur, car il a sa fin dans son acte propre. Mais l’intellect
pratique est ordonné comme à sa fin à un acte extérieur : en effet, la
considération des actes à poser ou des choses à faire ne relève de
l’intellect pratique qu’en raison de l’action ou de la réalisation. Et ainsi,
l’habitus de l’intellect spéculatif rend son acte bon d’une manière plus
noble que l’habitus de l’intellect pratique, car celui-là en tant que fin,
celui-ci en tant qu’ordonné à une fin, bien que l’habitus de l’intellect
pratique, du fait qu’il ordonne au bien sous la raison de bien, en tant qu’il
est présupposé à la volonté, ait davantage la raison de vertu. |
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[65652]
De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod homo non dicitur
bonus simpliciter ex eo quod est in parte bonus, sed ex eo quod secundum
totum est bonus : quod quidem contingit per bonitatem voluntatis. Nam
voluntas imperat actibus omnium potentiarum humanarum. Quod provenit ex hoc
quod quilibet actus est bonum suae potentiae; unde solus ille dicitur esse
bonus homo simpliciter qui habet bonam voluntatem. Ille autem qui habet
bonitatem secundum aliquam potentiam, non praesupposita bona voluntate,
dicitur bonus secundum quod habet bonum visum et auditum, aut est bene videns
et audiens. Et sic patet, quod ex eo quod homo habet scientiam, non dicitur
bonus simpliciter, sed bonus secundum intellectum, vel bene intelligens; et
similiter est de arte, et de aliis huiusmodi habitibus. |
2. On ne dit pas
que l’homme est tout simplement bon du fait qu’il est bon en partie, mais
parce qu’il est entièrement bon, ce qui se produit par la bonté de la
volonté, car la volonté commande aux actes de toutes les puissances humaines.
Cela vient de ce que tout acte est le bien de sa puissance ; aussi
dit-on qu’un homme est tout simplement bon lorsqu’il a une volonté bonne.
Mais celui qui possède la bonté selon quelque puissance, sans que préexiste
une volonté bonne, est appelé bon selon qu’il a une bonne vue ou une bonne
ouïe, ou qu’il voit et entend bien. Ainsi ressort-il clairement que, du fait
qu’un homme possède la science, il n’est pas appelé bon tout simplement, mais
bon selon l’intellect, et comme ayant une bonne intelligence. Et il en va de
même pour l’art, et pour les autres habitus de ce genre. |
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[65653] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod scientia dividitur contra moralem virtutem, et tamen
ipsa est virtus intellectualis; vel etiam dividitur contra virtutem propriissime
dictam : sic enim ipsa non est virtus, ut supra dictum est. |
3. La science se
distingue de la vertu morale, et cependant elle est elle-même une vertu
intellectuelle. Ou bien, elle se distingue de la vertu entendue au sens le
plus propre : ainsi n’est-elle pas elle-même une vertu, comme on l’a dit plus
haut. |
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[65654] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod intellectus speculativus
non ordinatur ad aliquid extra se; ordinatur autem ad proprium actum sicut ad
finem. Felicitas autem ultima, scilicet contemplativa, in
eius actu consistit. Unde actus speculativi intellectus sunt propinquiores
felicitati ultimae per modum similitudinis, quam habitus practici
intellectus; licet habitus intellectus practici fortasse sint propinquiores
per modum praeparationis, vel per modum meriti. |
4. L’intellect spéculatif n’est pas ordonné à quelque chose qui lui
est extérieur, mais il est ordonné à son acte propre comme à sa fin. Or, la
félicité ultime, à savoir, la [félicité] contemplative, consiste dans son acte.
Aussi les actes de l’intellect spéculatif sont-ils plus proches de la
félicité ultime par mode de ressemblance, que les habitus de l’intellect
pratique, bien que les habitus de l’intellect pratique puissent peut-être en
être plus proches par mode de préparation ou par mode de mérite. |
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[65655] De virtutibus, q. 1 a. 7 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod per actum scientiae, aut alicuius talis habitus,
potest homo mereri, secundum quod imperatur a voluntate, sine qua nullum est
meritum. Tamen scientia non ad hoc perficit intellectum ut dictum est. Non
enim ex eo quod homo habet scientiam, efficitur bene volens considerare, sed
solummodo bene potens; et ideo mala voluntas non opponitur scientiae vel
arti, sicut prudentiae, vel fidei, aut temperantiae. Et inde est quod
philosophus dicit, quod ille qui peccat voluntarius in agibilibus, est minus
prudens; licet e contrario sit in scientia et arte. Nam grammaticus qui
involuntarie soloecizat, apparet esse minus sciens grammaticam. |
5. Par l’acte de la science ou d’un habitus semblable, l’homme peut
mériter selon que [l’acte] est commandé par la volonté, sans laquelle il
n’existe aucun mérite. Toutefois, la science ne perfectionne pas l’intellect
pour cela, comme on l’a dit. En effet, du fait que l’homme a la science, il
n’est pas rendu bien disposé à examiner, mais seulement capable de le faire.
C’est pourquoi la volonté mauvaise ne s’oppose pas à la science ou à l’art,
comme à la prudence, à la foi ou à la tempérance. De là vient que le
Philosophe dit que celui qui pèche volontairement pour les actes à poser est
moins prudent, bien que ce soit le contraire dans le cas de la science et de
l’art. Car le grammairien qui commet involontairement un solécisme montre
qu’il connaît moins la grammaire. |
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Articulus 8 : [65656] De virtutibus, q. 1 a.
8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum virtutes insint nobis a natura |
Article 8 – Les habitus existent-ils en nous par nature ? |
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[65657] De virtutibus, q. 1 a. 8 tit. 2 Et
videtur quod sic. |
Objections : Il semble que oui. |
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[65658]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 1 Dicit enim Damascenus, III Lib. : naturales
sunt virtutes, et naturaliter et aequaliter insunt nobis. |
1. En effet,
[Jean] Damascène dit, au livre III : «Les vertus sont naturelles, et existent
en nous naturellement et également.» |
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[65659] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 2 Praeterea,
Matth., IV, 23, dicit Glossa : docet naturales iustitias : scilicet
castitatem, iustitiam, humilitatem, quales naturaliter habet homo. |
2. De plus, à
propos de Mt 4, 23, la Glose dit : «Il enseigne les justices
naturelles, à savoir, la chasteté, la justice, l’humilité, que l’homme
possède naturellement.» |
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[65660] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 3 Praeterea,
Rom. II, 14, dicitur quod homines non habentes legem, naturaliter ea quae
legis sunt, faciunt. Sed lex praecipit actum virtutis. Ergo actum virtutis
naturaliter homo facit; et ita videtur quod virtus sit a natura. |
3. De plus, en Rm 2, 14, il est dit que les hommes qui n’ont
pas de loi font naturellement ce qui se trouve dans la loi. Or, la loi
prescrit l’acte de la vertu. L’homme accomplit donc naturellement l’acte de
la vertu, et ainsi il semble que la vertu vienne de la nature. |
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[65661] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 4 Praeterea, Antonius dicit in sermone ad monachos : si naturam
voluntas mutaverit, perversitas est. Conditio servetur, et virtus est. Et in
eodem sermone dicitur, quod sufficit homini naturalis ornatus. Hoc autem non
esset, si virtutes non essent naturales. Ergo virtutes sunt naturales. |
4. Antoine dit, dans un sermon adressé aux moines : «Si la volonté a
changé la nature, cela est mauvais. Si la condition [naturelle] est
maintenue, cela est vertu.» Et il est dit dans le même sermon que la beauté
naturelle suffit à l’homme. Or, cela ne serait pas le cas si les vertus
n’étaient pas naturelles. Les vertus sont donc naturelles. |
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[65662] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 5 Praeterea,
Tullius dicit, quod celsitudo animi est nobis a natura. Sed hoc videtur ad magnanimitatem pertinere. Ergo magnanimitas inest nobis a natura; et eadem
ratione aliae virtutes. |
5. Tullius [Cicéron] dit que la grandeur d’âme existe en nous par
nature. Or, cela semble relever de la magnanimité. La magnanimité existe donc
en nous par nature et, pour la même raison, les autres vertus. |
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[65663]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 6 Praeterea, ad faciendum opus virtutis non
requiritur nisi posse bonum, et velle, et nosse. Sed notio boni inest nobis a
natura, ut dicit Augustinus in II de libero arbitrio. Velle etiam bonum inest
homini a natura, ut idem dicit super Genes. ad litteram. Posse etiam bonum
inest homini naturaliter, cum voluntas sit domina sui actus. Ergo ad opus
virtutis sufficit natura. Virtus igitur est homini naturalis, quantum ad sui
inchoationem. |
6. Pour accomplir un acte de vertu, il n’est nécessaire que de pouvoir
faire le bien, de le vouloir et de le connaître. Or, la connaissance du bien
existe en nous par nature, comme le dit Augustin dans le livre II de Sur
le libre arbitre. Vouloir le bien existe aussi en l’homme par nature,
comme le dit le même dans le Commentaire littéral de la Genèse. Pouvoir
le bien existe aussi dans l’homme par nature, puisque la volonté est
maîtresse de son acte. La nature suffit donc à l’acte de vertu. La vertu est
donc naturelle à l’homme, quant à son amorce. |
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[65664] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 7 Sed
diceretur, quod virtus est homini naturalis quantum ad sui inchoationem, sed
perfectio virtutis non est a natura.- Sed contra est quod Damascenus dicit in
III Lib. : manentes in eo quod secundum naturam, in virtute sumus;
declinantes autem ab eo quod est secundum naturam, ex virtute, ad id quod est
praeter naturam devenimus et in malitia sumus. Ex quo patet, quod
secundum naturam inest a malitia declinare. Sed hoc est perfectae virtutis.
Ergo et perfectio virtutis est a natura. |
7. Mais on pourrait dire que la vertu est naturelle à l’homme pour ce
qui est de son amorce, mais que la perfection de la vertu ne vient pas de la
nature. – Toutefois, ce que dit Damascène, dans le livre III, va en sens
contraire : «En demeurant dans ce qui est conforme à la nature, nous sommes
dans la vertu; mais en nous écartant de ce qui est conforme à la nature, nous
sortons de la vertu, nous parvenons à ce qui est au-delà de la nature et nous
sommes dans le mal.» Il ressort clairement de cela qu’il est conforme à la
nature de s’écarter du mal. Or, ceci est le fait d’une vertu parfaite. La
perfection de la vertu vient donc de la nature. |
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[65665] De
virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 8 Praeterea, virtus, cum sit forma, est quoddam
simplex, et partibus carens. Si igitur secundum aliquid sui est a natura
videtur quod totaliter sit a natura. |
8. La vertu, puisqu’elle est une forme, est quelque chose de simple,
qui n’a pas de parties. Si donc quelque chose d’elle vient de la nature, il
semble qu’elle vienne entièrement de la nature. |
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[65666] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 9 Praeterea,
homo dignior est et perfectior aliis creaturis irrationalibus. Sed aliae
creaturae sufficienter habent a natura ea quae pertinent ad suam
perfectionem. Cum igitur virtutes sint quaedam perfectiones hominis, videtur quod
insint homini a natura. |
9. L’homme est plus digne et plus parfait que les créatures non
raisonnables. Or, les autres créatures possèdent suffisamment par nature ce
qui se rapporte à leur perfection. Puisque les vertus sont des perfections de
l’homme, il semble donc qu’elles soient dans l’homme par nature. |
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[65667] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 10 Sed
diceretur, quod hoc non potest esse, quia perfectio hominis consistit in
multis et diversis; natura autem ordinatur ad unum. Sed contra est, quod
virtutis inclinatio est etiam ad unum, sicut et naturae : dicit enim Tullius,
quod virtus est habitus in modum naturae, rationi consentaneus. Ergo nihil prohibet virtutes inesse homini a natura. |
10. Mais on pourrait dire que cela est impossible, car la perfection de
l’homme consiste dans des choses nombreuses et diverses. Or, la nature est
ordonnée à une seule chose. En sens contraire,
l’inclination de la vertu va aussi vers une seule chose, comme celle de la
nature. En effet, Tullius [Cicéron] dit que la vertu est un habitus par mode
de nature, conforme à la raison. Rien n’empêche donc que les vertus soient
dans l’homme par nature. |
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[65668] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 11 Praeterea, virtus in medio
consistit. Medium autem est unum determinatum. Ergo nihil prohibet
inclinationem naturae esse ad id quod est virtutis. |
11. La vertu se situe dans un milieu. Or, le milieu est quelque chose
de déterminé. Rien n’empêche donc que l’inclination de la nature aille dans
le sens de la vertu. |
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[65669]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 12 Praeterea, peccatum est privatio modi,
speciei et ordinis. Sed peccatum est privatio virtutis. Ergo virtus consistit
in modo, specie et ordine. Sed modus, species et ordo sunt homini naturalia.
Ergo virtus est homini naturalis. |
12. Le péché est une privation de mesure, de beauté et d’ordre. Or, le
péché est la privation de la vertu. La vertu consiste donc dans la mesure, la
beauté et l’ordre. Mais la mesure, la beauté et l’ordre sont naturels à
l’homme. La vertu est donc naturelle à l’homme. |
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[65670] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 13 Praeterea, pars appetitiva in anima sequitur partem
cognitivam. Sed in parte cognitiva est aliquis habitus
naturalis, scilicet intellectus principiorum. Ergo et in parte appetitiva et
affectiva, quae est subiectum virtutis, est aliquis habitus naturalis; et ita
videtur quod aliqua virtus sit naturalis. |
13. La partie appétitive de l’âme suit la partie cognitive. Or, dans
la partie cognitive, il existe un habitus naturel, à savoir, l’intelligence
des principes. Dans la partie appétitive et affective, qui est le sujet de la
vertu, il existe donc aussi un habitus naturel. Et ainsi, il semble qu’une
vertu soit naturelle. |
|
[65671] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 14 Praeterea,
naturale est cuius principium est intra; sicut ferri sursum est naturale
igni, quia principium huius motus est in eo quod movetur. Sed principium
virtutis est in homine. Ergo virtus est homini naturalis. |
14. Est naturel ce dont le principe est interne, comme d’être porté
vers le haut est naturel au feu, parce que le principe de ce mouvement se
trouve à l’intérieur de ce qui est mû. Or, le principe de la vertu existe à
l’intérieur de l’homme. La vertu est donc naturelle à l’homme. |
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[65672]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 15 Praeterea, cuius est semen naturale, ipsum quoque
est naturale. Sed semen virtutis est naturale; dicit enim quaedam Glossa,
Hebr., I, quod voluit Deus inseminare omni animae initia sapientiae et
intellectus. Ergo videtur quod virtutes sint naturales. |
15. Ce dont la semence est naturelle est naturel. Or, la semence de la
vertu est naturelle. En effet, une glose dit, à propos de He 1, que Dieu
a voulu semer en toute âme des amorces de sagesse et d’intelligence. Il
semble donc que les vertus soient naturelles. |
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[65673] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 16 Praeterea, contraria sunt eiusdem generis. Sed virtuti contrariatur
malitia. Malitia autem est naturalis; dicitur enim Sap., XII, v. 10 : erat
enim naturalis malitia eius; et Ephes., II, 3, dicitur : eramus natura
filii irae. Ergo videtur quod virtus sit naturalis. |
16. Les contraires appartiennent au même genre. Or, la malice est
contraire à la vertu. En effet, il est dit en Sg 12, 10 : Car sa
malice lui était naturelle; et en Ep 2, 3 : Nous étions par
nature fils de la colère. Il semble donc que la vertu soit naturelle. |
|
[65674]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 17 Praeterea, naturale est quod vires
inferiores rationi subdantur; dicit enim philosophus in III de anima, quod
appetitus superioris, qui est rationis, movet inferiorem, qui est partis
sensitivae; sicut sphaera superior movet inferiorem sphaeram. Virtus autem moralis in hoc consistit quod inferiores vires rationi
subdantur. Ergo huiusmodi virtutes sunt naturales. |
17. Il est naturel que les puissances inférieures soient soumises à la
raison. En effet, le Philosophe dit, dans Sur l’âme, III, que
l’appétit supérieur, qui est celui de la raison, meut l’inférieur, qui est la
partie sensible, comme la sphère supérieure meut la sphère inférieure. Or, la
vertu morale consiste en ce que les puissances inférieures soient soumises à
la raison. Les vertus de ce genre sont donc naturelles. |
|
[65675]
De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 18 Praeterea, ad hoc quod aliquis motus sit
naturalis, sufficit naturalis aptitudo interioris principii passivi. Sic enim
generatio simplicium corporum dicitur naturalis, et etiam motus caelestium
corporum; nam principium activum caelestium corporum non est natura, sed
intellectus; principium etiam generationis simplicium corporum est
extrinsecus. Sed ad virtutem inest homini aptitudo naturalis; dicit enim
philosophus in II Ethicor. : innatis quidem nobis a natura suscipere,
perfectis autem ab assuetudine. Ergo videtur quod virtus est naturalis. |
18. Pour qu’un mouvement soit naturel, une aptitude naturelle du
principe passif intérieur suffit. En effet, la génération des corps simples
est ainsi appelée naturelle, et même le mouvement des corps célestes, car le
principe actif des corps célestes n’est pas la nature, mais l’intelligence,
et le principe de la génération des corps simples est aussi extérieur. Or,
une aptitude naturelle à la vertu existe dans l’homme. En effet, le
Philosophe dit, dans Éthique, II : «Les choses innées, nous les
recevons de la nature; les choses parfaites, de l’habitus.» Il semble donc
que la vertu soit naturelle. |
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[65676] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 19 Praeterea,
illud quod inest homini a nativitate, est naturale. Sed secundum philosophum
in VI Ethic., quidam confestim a nativitate videntur esse fortes et
temperati, et secundum alias virtutes dispositi; et Iob, XXXI, 18 : ab
infantia crevit mecum miseratio, et de utero egressa est mecum. Ergo
virtutes sunt homini naturales. |
19. Ce que l’homme possède par naissance est naturel. Or, selon le
Philosophe, dans Éthique, VI, certains semblent être immédiatement à
la naissance forts et modérés, et disposés à d’autres vertus. Et [il est dit]
en Jb 31, 18 : La compassion s’est développée en moi depuis la
naissance, et elle est sortie du sein en même temps que moi. Des vertus
sont donc naturelles à l’homme. |
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[65677] De virtutibus, q. 1 a. 8 arg. 20 Praeterea, natura non deficit in necessariis. Sed
virtutes sunt homini necessariae ad finem ad quem naturaliter ordinatur,
scilicet ad felicitatem, quae est actus virtutis perfectae. Ergo virtutes habet homo a natura. |
20. La nature ne fait pas défaut pour les choses nécessaires. Or, les
vertus sont nécessaires à l’homme pour la fin à laquelle il est naturellement
ordonné, à savoir, la félicité, qui est un acte de la vertu parfaite. L’homme
possède donc les vertus par nature. |
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[65678] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 1 Sed contra. Naturalia per peccatum non amittuntur; unde Dionysius
dicit, quod data naturalia in Daemonibus permanent. Sed virtutes per peccatum
amittuntur. Ergo non sunt naturales. |
Cependant : 1. Les choses naturelles ne sont pas enlevées par le péché. Aussi
Denys dit-il que les dons naturels demeurent chez les démons. Or, les vertus
sont enlevées par le péché. Elles ne sont donc pas naturelles. |
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[65679]
De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 2 Praeterea, ea quae insunt naturaliter, et ea
quae sunt a natura, neque assuescimus neque dissuescimus. Sed ea quae sunt
virtutis, possumus assuescere et dissuescere. Ergo virtutes non sunt
naturales. |
2. Ce qui existe en nous naturellement et ce qui vient de la nature,
nous ne nous y habituons pas et nous n’en perdons pas l’habitude. Or, nous
pouvons nous habituer et nous déshabituer de ce qui relève de la vertu. Les
vertus ne sont donc pas naturelles. |
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[65680] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 3 Praeterea,
ea quae insunt naturaliter, communiter insunt omnibus. Sed virtutes non
insunt communiter omnibus, cum quibusdam insint vitia contraria virtutibus. |
3. Ce qui existe naturellement existe chez tous d’une manière commune.
Or, les vertus n’existent pas chez tous d’une manière commune, puisqu’il
existe chez certains des vices contraires aux vertus. |
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[65681] De virtutibus, q. 1 a. 8 s. c. 4 Praeterea, naturalibus neque meremur neque demeremur, quia sunt in
nobis. Sed virtutibus meremur, sicut et vitiis demeremur.
Ergo virtutes et vitia non sunt naturalia. |
4. Nous ne méritons ni ne déméritons en raison des choses naturelles,
car elles existent en nous. Or, nous méritons par les vertus, comme nous
déméritons par les vices. Les vertus et les vices ne sont donc pas naturels. |
|
[65682]
De virtutibus, q. 1 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod secundum quod
diversificati sunt aliqui circa productionem formarum naturalium, ita
diversificati sunt circa adeptionem scientiarum et virtutum. Fuerunt enim
aliqui qui posuerunt formas praeexistere in materia secundum actum, latenter
autem; et quod per agens naturale reducuntur de occulto in manifestum. Et
haec fuit opinio Anaxagorae qui posuit omnia esse in omnibus, ut ex omnibus
omnia generari possent. Alii autem dixerunt, formas esse totaliter ab
extrinseco, vel participatione idearum, ut posuit Plato, vel intelligentia
agente, ut posuit Avicenna; et quod agentia naturalia disponunt solummodo
materiam ad formam. Tertia est via Aristotelis media, quae ponit,
quod formae praeexistunt in potentia materiae, sed reducuntur in actum per
agens exterius naturale. Similiter etiam et circa scientias et virtutes
aliqui dixerunt, quod scientiae et virtutes insunt nobis a natura, et quod
per studium solummodo tolluntur impedimenta scientiae et virtutis : et hoc
videtur Plato posuisse; qui posuit scientias et virtutes causari in nobis per
participationem formarum separatarum; sed anima impediebatur ab earum usu per
unionem ad corpus; quod impedimentum tolli oportebat per studium scientiarum,
et exercitium virtutum. Alii vero dixerunt, quod scientiae et virtutes sunt
in nobis ex influxu intelligentiae agentis, ad cuius influentiam recipiendam
homo disponitur per studium et exercitium. Tertia est opinio media, quod
scientiae et virtutes secundum aptitudinem insunt nobis a natura; sed earum
perfectio non est nobis a natura. Et haec opinio melior est, quia sicut circa
formas naturales nihil derogat virtus naturalium agentium; ita circa
adeptionem scientiae et virtutis studio et exercitio suam efficaciam
conservat. Sciendum tamen est, quod aptitudo perfectionis et formae in aliquo
subiecto potest esse dupliciter. Uno modo secundum
potentiam passivam tantum; sicut in materia aeris est aptitudo ad formam
ignis. Alio modo secundum potentiam passivam et activam simul : sicut in
corpore sanabili est aptitudo ad sanitatem, quia corpus est susceptivum
sanitatis. Et hoc modo in homine est aptitudo naturalis ad virtutem; partim
quidem secundum naturam speciei, prout aptitudo ad virtutem est communis
omnibus hominibus, et partim secundum naturam individui, secundum quod quidam
prae aliis sunt apti ad virtutem. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod in
homine triplex potest esse subiectum virtutis, sicut ex superioribus patet;
scilicet intellectus, voluntas et appetitus inferior, qui in concupiscibilem
et irascibilem dividitur. In unoquoque autem est considerare aliquo modo et
susceptibilitatem virtutis et principium activum virtutis. Manifestum est
enim quod in parte intellectiva est intellectus possibilis, qui est in
potentia ad omnia intelligibilia, in quorum cognitione consistit
intellectualis virtus; et intellectus agens, cuius lumine intelligibilia
fiunt actu; quorum quaedam statim a principio naturaliter homini innotescunt
absque studio et inquisitione : et huiusmodi sunt principia prima, non solum
in speculativis, ut : omne totum est maius sua parte, et similia; sed etiam
in operativis, ut : malum esse fugiendum, et huiusmodi. Haec autem naturaliter nota, sunt principia totius
cognitionis sequentis, quae per studium acquiritur; sive sit practica, sive
sit speculativa. Similiter autem circa voluntatem manifestum est quod est
aliquod principium activum naturale. Nam voluntas naturaliter inclinatur in
ultimum finem. Finis autem in operativis habet rationem principii naturalis.
Ergo inclinatio voluntatis est quoddam principium activum respectu omnis
dispositionis, quae per exercitium in parte affectiva acquiritur. Manifestum
autem est quod ipsa voluntas, in quantum est potentia ad utrumlibet se
habens, in his quae sunt ad finem, est susceptiva habitualis inclinationis in
haec vel in illa. Irascibilis autem et concupiscibilis naturaliter
sunt obaudibiles rationi : unde naturaliter sunt susceptivae virtutis, quae
in eis perficitur, secundum quod disponuntur ad bonum rationis sequendum. Et
omnes praedictae inchoationes virtutum consequuntur naturam speciei humanae
unde et omnibus sunt communes. Est autem aliqua inchoatio virtutis, quae
consequitur naturam individui, secundum quod aliquis homo ex naturali
complexione vel caelesti impressione inclinatur ad actum alicuius virtutis.
Et haec quidem inclinatio est quaedam virtutis inchoatio; non tamen est
virtus perfecta; quia ad virtutem perfectam requiritur moderatio rationis :
unde et in definitione virtutis ponitur, quod est electiva medii secundum
rationem rectam. Si enim aliquis absque rationis discretione inclinationem
huiusmodi sequeretur, frequenter peccaret. Et sicut haec virtutis inchoatio
absque rationis opere, perfectae virtutis rationem non habet, ita nec aliqua
praemissarum. Nam ex universalibus principiis in specialia pervenitur per
inquisitionem rationis. Rationis etiam officio ex appetitu ultimi finis homo
deducitur in ea quae sunt convenientia illi fini. Ipsa etiam ratio imperando
irascibilem et concupiscibilem facit sibi esse subiectas. Unde manifestum est
quod ad consummationem virtutis requiritur opus rationis; sive virtus sit in
intellectu, sive sit in voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Haec tamen est consummatio : quod ad virtutem
inferioris partis ordinatur inchoatio virtutis quae est in superiori; sicut
ad virtutem quae est in voluntate, aptus redditur homo et per inchoationem
virtutis quae est in voluntate, et per eam quae est in intellectu. Ad
virtutem vero quae est in irascibili et concupiscibili, per inchoationem
virtutis quae est in eis, et per eam quae est in superioribus; sed non e
converso. Unde etiam manifestum est, quod ratio, quae est superior, operatur
ad completionem omnis virtutis. Dividitur autem principium operativum quod
est ratio, contra principium operativum quod est natura, ut patet in II
Phys.; eo quod rationalis potestas est ad opposita, natura autem ordinatur ad
unum. Unde manifestum est quod perfectio virtutis non est
a natura, sed a ratione. |
Réponse : De même que certains ont des positions différentes à propos de la production
des formes naturelles, de même ils diffèrent à propos de l’acquisition des
sciences et des vertus. En effet, certains ont soutenu que les formes
préexistent dans la matière selon l’acte, mais de manière cachée, et qu’elles
sont ramenées de l’état occulte à l’état manifeste par un agent naturel.
Telle fut l’opinion d’Anaxagore, qui affirmait que tout était en tout, de
sorte que tout pouvait être engendré à partir de tout. Mais d’autres ont dit
que les formes viennent entièrement de l’extérieur, soit par la participation
aux idées, comme l’affirmait Platon, soit par l’intellect agent, comme
l’affirmait Avicenne, et que les agents naturels ne font que disposer la
matière en vue de la forme. La troisième voie, celle d’Aristote, se situe au
milieu : elle affirme que les formes préexistent dans la puissance de la
matière, mais qu’elles sont amenés à l’acte par un agent extérieur naturel.
De même, à propos des sciences et des vertus, certains ont dit qu’elles
existent en nous par nature et que, par l’effort, sont seulement enlevés les
obstacles à la science et à la vertu. Platon semble avoir affirmé cela, en
affirmant que les sciences et les vertus sont causées en nous par la
participation aux formes séparées, mais que l’âme était empêchée d’en faire
usage par l’union au corps, empêchement qu’il fallait écarter par l’étude
des sciences et par l’application aux vertus. Mais d’autres ont dit que les
sciences et les vertus existent en nous sous l’influence de l’intellect
agent, que l’homme se dispose à recevoir par l’étude et l’application. La
troisième opinion se situe au centre : les sciences et les vertus existent
en nous par nature selon l’aptitude, mais leur perfection ne nous vient pas
de la nature. Et cette opinion est meilleure, car, de même que la puissance
des agents naturels ne fait en rien défaut pour ce qui est des formes
naturelles, de même, pour l’acquisition de la science et l’application à la
vertu et pour sa pratique, elle conserve son efficacité. Toutefois, il faut
savoir que l’aptitude à la perfection et à la forme chez un sujet peut
exister de deux manières. D’une manière, selon une puissance passive seulement,
comme il existe une aptitude à la forme du feu dans la matière de l’air.
D’une autre manière, selon une puissance passive et active en même temps,
comme dans un corps susceptible d’être guéri, il existe une aptitude à la
santé, parce que le corps est réceptif par rapport à la santé. Et c’est de
cette manière qu’il existe dans l’homme une aptitude naturelle à la vertu, en
partie selon la nature de l’espèce, pour autant que l’aptitude à la vertu est
commune à tous les hommes, et en partie selon la nature de l’individu, pour
autant que certains sont plus aptes que d’autres à la vertu. Pour éclairer
cela, il faut savoir que, dans l’homme, peut exister un triple sujet de la
vertu, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit plus haut :
l’intellect, la volonté et l’appétit inférieur, qui se divise en concupiscible
et en irascible. Or, dans chacun, il faut d’une certaine façon prendre en
compte à la fois la réceptivité à la vertu et le principe actif de la vertu.
En effet, il est clair que, dans la partie intellective, existe l’intellect
possible, qui est en puissance à tous les intelligibles, dans la
connaissance desquels consiste la vertu intellectuelle; et l’intellect agent,
par la lumière duquel les intelligibles le deviennent en acte. Certains [de
ces intelligibles] sont connus naturellement par l’homme immédiatement et
dès le début, sans étude ni recherche. Ce sont les principes premiers, non
seulement en matière spéculative, comme : le tout est plus grand que la
partie, et les choses semblables, mais aussi en matière d’action, comme : il
faut fuir le mal, et les choses de ce genre. Or, ces connaissances naturelles
sont les principes de toute la connaissance ultérieure, qui est acquise par
l’étude, qu’elle soit pratique ou spéculative. De même, à propos de la volonté,
il est clair qu’il existe un principe actif naturel, car la volonté est
naturellement inclinée à la fin ultime. Or, dans le domaine des actions, la
fin a raison de principe naturel. L’inclination de la volonté est donc un
principe actif par rapport à toute disposition, qui est acquise dans la
partie affective par la pratique. Or, il est clair que la volonté elle-même,
pour autant qu’elle se trouve en puissance à n’importe quelle chose parmi
celles qui concernent la fin, est réceptive à une inclination habituelle à
telle ou telle chose. Mais l’irascible et le concupiscible, pour leur part,
sont naturellement réceptifs à la raison; aussi sont-ils naturellement
réceptifs à la vertu qui s’accomplit en eux, selon qu’ils sont disposés à
suivre le bien de la raison. Et toutes ces amorces de vertus découlent de la
nature de l’espèce humaine : elles sont donc communes à tous. Mais il y a une
amorce de vertu qui découle de la nature d’un individu, selon qu’un homme, en
raison de sa complexion ou d’une influence céleste, est incliné à l’acte
d’une vertu. Et cette inclination est une amorce de vertu; elle n’est
cependant pas une vertu parfaite, car la modération de la raison est
nécessaire pour la vertu parfaite. Aussi met-on dans la définition de la
vertu qu’elle choisit le milieu selon la raison droite. En effet, si
quelqu’un suivait cette inclination sans le jugement de la raison, il
pécherait souvent. Et de même que cette amorce de vertu sans intervention de
la raison ne possède pas la raison de vertu parfaite, de même aucune de
celles mentionnées plus haut. Car l’on parvient aux choses particulières à
partir de principes universels par la recherche de la raison. C’est aussi par
la fonction de la raison que l’homme est conduit de l’appétit de la fin
ultime à ce qui convient à cette fin. C’est encore par le commandement de la
raison que celle-ci se soumet l’irascible et le concupiscible. Ainsi ressort-il
clairement que, pour l’achèvement de la vertu, l’action de la raison est
nécessaire, que la vertu soit dans l’intellect, qu’elle soit dans la volonté
ou qu’elle soit dans l’irascible et le concupiscible. Cependant tel est l’achèvement : que l’amorce de vertu qui est
dans la partie supérieure soit ordonnée à la vertu de la partie inférieure,
comme l’homme est rendu apte à la vertu qui est dans la volonté à la fois par
l’amorce de vertu qui se trouve dans la volonté et par celle qui se trouve
dans l’intellect; mais à la vertu qui se trouve dans l’irascible et le
concupiscible, par l’amorce de vertu qui est en eux, et par celle qui se
trouve dans les [puissances] supérieures. Mais il n’en va pas de même en sens
inverse. Aussi est-il clair que la raison, qui est supérieure, agit en vue de
l’achèvement de toute vertu. Or, le principe opératif qu’est la raison se
distingue du principe opératif qu’est la nature, comme cela ressort
clairement de Physique, II, du fait que la puissance rationnelle porte
sur des choses opposées, alors que la nature est ordonnée à une seule chose.
Il est donc clair que la perfection de la vertu ne vient pas de la nature,
mais de la raison. |
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[65683] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod virtutes dicuntur naturales quantum ad naturales
inchoationes virtutum quae insunt homini, non quantum ad earum perfectionem. |
Solutions : 1. Les vertus sont
appelées naturelles quant aux amorces de vertus qui sont innées chez l’homme,
et non quant à leur perfection. |
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[65684] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 2 Et
similiter dicendum ad secundum, tertium, quartum et quintum. |
2-5. Il faut dire
la même chose pour les deuxième, troisième, quatrième et cinquième arguments. |
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[65685] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod posse bonum simpliciter inest nobis a natura, eo quod
potentiae sunt naturales; velle autem et scire est nobis aliquo modo a
natura, scilicet secundum quamdam inchoationem in universali. Sed hoc non
sufficit ad virtutem. Requiritur autem ad bonam operationem, quae est
effectus virtutis, quod homo prompte et infallibiliter ut in pluribus bonum
attingat; quod non potest aliquis facere sine habitu virtutis : sicut etiam
manifestum est quod aliquis in universali scit opus artis facere, ut puta
argumentari, vel secare, aut aliquid huiusmodi facere; sed ad hoc quod
prompte et sine errore faciat, requiritur quod habeat artem; et similiter est
in virtute. |
6. Pouvoir faire
le bien est tout simplement inné chez nous par nature, du fait que les
puissances sont naturelles ; mais vouloir et savoir nous viennent d’une
certaine manière de la nature, à savoir, dans leur amorce d’une manière
générale. Mais cela n’est pas suffisant pour la vertu. Il est nécessaire pour
une opération bonne, qui est l’effet de la vertu, que l’homme atteigne le
bien rapidement et sans se tromper dans la plupart des cas, ce que quelqu’un
ne peut faire sans l’habitus de la vertu, de même qu’il est clair que
quelqu’un sait accomplir de manière universelle l’acte d’un art, par exemple,
argumenter ou couper, ou faire quelque chose de ce genre ; mais pour
qu’il fasse cela rapidement et sans erreur, il est nécessaire qu’il en
possède l’art. Et il en est de même pour la vertu. |
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[65686] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod ex natura habet homo aliqualiter quod declinet
malitiam; sed ad hoc quod hoc prompte faciat et infallibiliter, requiritur
habitus virtutis. |
7. L’homme a d’une
certaine manière par nature ce qu’il faut pour s’écarter de la méchanceté;
mais pour qu’il le fasse promptement et infailliblement, un habitus de vertu
est nécessaire. |
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[65687]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtus non dicitur
partim a natura esse, eo quod aliqua pars eius sit a natura et aliqua non,
sed quia secundum aliquem modum essendi imperfectum est a natura; scilicet
secundum potentiam et aptitudinem. |
8. On ne dit pas
que la vertu vient en partie de la nature parce qu’une partie d’elle vient de
la nature et une autre n’[en vient] pas, mais parce qu’elle vient de la
nature selon un mode d’exister imparfait, à savoir, selon la puissance et
l’aptitude. |
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[65688] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 9 Ad nonum dicendum, quod Deus est per se perfectus in
bonitate; unde nullo indiget ad bonitatem consequendam. Substantiae autem
superiores et ei propinquae, paucis indigent ad consequendam perfectionem
bonitatis ab ipso. Homo autem, qui est magis remotus, pluribus indiget ad
assecutionem perfectae bonitatis, quia est capax beatitudinis. Quae autem creaturae non sunt capaces beatitudinis,
paucioribus indigent quam homo. Unde homo est dignior eis licet pluribus
indigeat; sicut ille qui potest consequi perfectam sanitatem multis
exercitiis, est melius dispositus quam ille qui non potest consequi nisi
parvam, sed per modica exercitia. |
9. Dieu est par lui-même parfait en bonté : aussi n’a-t-il besoin de
rien pour atteindre la bonté. Les substances supérieures et qui lui sont
proches ont besoin de peu de choses pour obtenir de lui la bonté. Mais
l’homme, qui en est plus éloigné, a besoin de plus de choses pour atteindre
la bonté parfaite, car il est capable de la béatitude. Les créatures qui ne
sont pas capables de la béatitude ont besoin de moins de choses que l’homme.
Aussi l’homme est-il plus digne qu’elles, bien qu’il ait besoin de plus de
choses, comme celui qui peut obtenir une santé parfaite par de nombreux
exercices est mieux disposé que celui qui ne peut en obtenir qu’une petite,
mais par peu d’exercices. |
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[65689] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod ad ea quae sunt unius virtutis, posset esse inclinatio
naturalis. Sed ad ea quae sunt omnium virtutum, non posset esse inclinatio a
natura; quia dispositio naturalis quae inclinat ad unam virtutem, inclinat ad
contrarium alterius virtutis : puta, qui est dispositus secundum naturam ad
fortitudinem, quae est in prosequendo ardua, est minus dispositus ad
mansuetudinem, quae consistit in refrenando passiones irascibilis. Unde
videmus quod animalia quae naturaliter inclinantur ad actum alicuius
virtutis, inclinantur ad vitium contrarium alteri virtuti; sicut leo, qui
naturaliter est audax est etiam naturaliter crudelis. Et haec quidem
naturalis inclinatio ad hanc vel illam virtutem sufficit aliis animalibus,
quae non possunt consequi perfectum bonum secundum virtutem, sed consequuntur
qualecumque determinatum bonum. Homines autem nati sunt pervenire ad
perfectum bonum secundum virtutem; et ideo oportet quod habeant inclinationem
ad omnes actus virtutum : quod cum non possit esse a natura, oportet quod sit
secundum rationem, in qua existunt semina omnium virtutum. |
10. Il pourrait exister une inclination naturelle à ce qui ne relève
que d’une seule vertu. Mais il ne peut exister d’inclination venant de la
nature à ce qui relève de toutes les vertus, car la disposition naturelle qui
incline à une seule vertu incline à ce qui est contraire à une autre vertu,
par exemple, celui qui est disposé par nature à la force, qui consiste à
poursuivre les choses difficiles, est moins disposé à la douceur, qui
consiste à réfréner les passions de l’irascible. Ainsi voyons-nous que les
animaux qui sont naturellement inclinés à l’acte d’une vertu sont inclinés au
vice contraire à une autre vertu, comme le lion, qui est naturellement
audacieux, est aussi naturellement cruel. Et cette inclination naturelle à
telle ou telle vertu suffit aux autres animaux, qui ne peuvent obtenir le
bien parfait selon la vertu, mais poursuivent tel bien déterminé. Mais les
hommes sont destinés à parvenir au bien parfait selon la vertu. C’est
pourquoi il est nécessaire qu’ils aient une inclination à tous les actes des
vertus. Comme cela ne peut venir de la nature, il est nécessaire que cela
soit selon la raison, dans laquelle existent les semences de toutes les
vertus. |
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[65690] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod medium virtutis non est
determinatum secundum naturam, sicut est determinatum medium mundi in quod
tendunt gravia; sed oportet quod medium virtutis determinetur secundum
rationem rectam, ut dicitur in II Ethic. Quia quod est
mediocre uni, est parum vel multum alteri. |
11. Le milieu de la vertu n’est pas déterminé selon la nature, comme
est déterminé le milieu du monde vers lequel tendent tous les objets lourds,
mais il est nécessaire que le milieu de la vertu soit déterminé selon la
raison droite, comme il est dit dans Éthique, II. Car ce qui est
milieu pour l’un est peu ou beaucoup pour un autre. |
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[65692] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod voluntas non exit in actum suum per aliquas
species ipsam informantes, sicut intellectus possibilis; et ideo non
requiritur aliquis naturalis habitus in voluntate ad naturale desiderium; et
praecipue cum ex habitu naturali intellectus moveatur voluntas, in quantum
bonum intellectum est obiectum voluntatis. |
13. La volonté ne
va pas vers son action par des espèces qui lui donnent forme, comme
l’intellect possible. C’est pourquoi un habitus naturel n’est pas nécessaire
dans la volonté pour son désir naturel, et surtout lorsque la volonté est mue
par un habitus naturel de l’intellect, dans la mesure où le bien intelligé
est l’objet de la volonté. |
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[65693]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod licet
principium virtutis sit intra hominem, scilicet ratio; tamen hoc principium
non agit per modum naturae; et ideo quod ab ea est, non dicitur naturale. |
14. Bien que le
principe de la vertu soit intérieur à l’homme, à savoir, la raison, ce
principe n’agit cependant pas par mode de nature. C’est pourquoi ce qui vient
d’elle n’est pas appelé naturel. |
|
[65694] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 15 Et
similiter dicendum est ad decimumquintum. |
15. Il faut dire
la même chose en réponse à la quinzième objection. |
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[65695] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod malitia eorum erat naturalis, in quantum erat in
consuetudinem reducta, prout consuetudo est altera natura. Nos autem eramus
natura filii irae propter peccatum originale, quod est peccatum naturae. |
16. Leur malice était naturelle dans la mesure où elle était devenue
coutumière, pour autant que la coutume est une seconde nature. Mais nous
étions fils de la colère en raison du péché originel, qui est un péché de
nature. |
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[65696]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod naturale est
quod vires inferiores sint subiicibiles rationi, non tamen quod sint secundum
habitum subiectae. |
17. Il est naturel
que les puissances inférieures soient susceptibles de se soumettre à la
raison, mais non qu’elles lui soient soumises selon un habitus. |
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[65697] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod motus dicitur esse
naturalis propter aptitudinem naturalem mobilis, quando movens movet ad unum
determinate per modum naturae; sicut generans in elementis, et motor corporum
caelestium. Sic autem non est in proposito; unde ratio non
sequitur. |
18. Un mouvement
est appelé naturel en raison de l’aptitude naturelle de ce qui est mû,
lorsque l’agent meut précisément à une seule chose par mode de nature, comme
c’est le cas pour ce qui engendre dans les éléments et pour ce qui meut les
corps célestes. Mais ce n’est pas ce qui est en cause ici. L’argument ne vaut
donc pas. |
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[65698]
De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod illa inclinatio
naturalis ad virtutem, secundum quam quidam mox a nativitate sunt fortes et
temperati, non sufficit ad perfectam virtutem, ut dictum est. |
19. L’inclination naturelle à la vertu, selon laquelle certains sont
forts et tempérés peu après leur naissance, ne suffit pas pour la vertu
parfaite, comme on l’a dit. |
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[65699] De virtutibus, q. 1 a. 8 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod natura non deficit
homini in necessariis; licet enim non det omnia quae sunt ei necessaria,
tamen dat ei unde possit omnia necessaria acquirere secundum rationem, et
quae ei deserviunt. |
20. La nature ne fait pas défaut à l’homme pour les choses nécessaires
: en effet, bien qu’elle ne lui donne pas tout ce qui lui est nécessaire,
elle lui donne cependant les moyens de pouvoir acquérir tout ce qui est
nécessaire selon la raison, et qui est à son service. |
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Articulus
9 : [65700] De virtutibus, q. 1 a. 9 tit. 1 Nono quaeritur
utrum virtutes acquirantur ex actibus |
Article 9 – Les vertus sont-elles acquises par des actes ? |
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[65701] De virtutibus, q. 1 a. 9 tit. 2 Et
videtur quod non. |
Objections : Il semble que non. |
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[65702]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 1 Dicit enim Augustinus, quod virtus est bona
qualitas mentis, qua recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus in
nobis sine nobis operatur. Sed illud quod fit ex actibus nostris, non
operatur Deus in nobis. Ergo virtus non causatur ex actibus nostris. |
1. En effet,
Augustin dit que «la vertu est une bonne qualité de
l’esprit, par laquelle on vit correctement, dont personne ne fait un mauvais
usage, que Dieu réalise en nous sans nous.» Or, ce qui est fait par nos
actes, Dieu ne le réalise pas en nous. La vertu n’est donc pas causée par nos
actes. |
|
[65703] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 2 Praeterea,
Augustinus dicit : omnium infidelium vita peccatum est, et nihil est bonum
sine summo bono, ubi deest cognitio veritatis, falsa est virtus etiam in
optimis moribus. Ex quo habetur quod virtus non potest esse sine fide.
Fides autem non est ex operibus nostris, sed ex gratia, ut patet Ephes. cap.
II, 8 : gratia estis salvati per fidem, et non ex vobis : nec quis
glorietur; Dei enim donum est. Ergo virtus non potest causari ex actibus
nostris. |
2. Augustin dit
aussi : «La vie de tous les infidèles est péché, et rien n’est bon sans le
bien suprême ; là où fait défaut la connaissance de la vérité, la vertu
est fausse, même lorsque le comportement est le meilleur.» On conclut de cela
que la vertu ne peut exister sans la foi. Or, la foi ne compte pas parmi nos
œuvres, mais elle vient de la grâce, comme cela ressort clairement de
Ep 2, 8 : C’est par grâce que vous avez été sauvés par la foi,
et non par vous-mêmes. Que personne donc ne se glorifie, car elle est un don
de Dieu. La vertu ne peut donc être causée par nos actes. |
|
[65704] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 3 Praeterea,
Bernardus dicit, quod incassum quis ad virtutem laborat, nisi a domino eam
sperandam putet. Quod autem speratur obtinendum a Deo, non causatur
ex actibus nostris. Virtus ergo non causatur ex actibus nostris. |
3. Bernard dit que
c’est en vain que quelqu’un travaille pour la vertu, à moins qu’il ne pense
pouvoir l’espérer du Seigneur. Or, ce que nous espérons obtenir de Dieu n’est
pas causé par nos actes. La vertu n’est donc pas causée par nos actes. |
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[65705] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 4 Praeterea,
continentia est minus virtute, ut patet per philosophum in VII Ethic. Sed
continentia non est in nobis nisi ex divino munere; dicitur enim Sapient.
cap. VIII, 21 : scio quod non possum esse continens, nisi Deus det.
Ergo nec virtutes possumus acquirere ex nostris actibus, sed solum ex dono
Dei. |
4. La continence
est moins que la vertu, comme cela ressort clairement de ce que dit le
Philosophe dans Éthique, VII. Or, la continence n’existe en nous que
par un don divin. En effet, il est dit dans Sg 8, 21 : Je sais
que je ne puis être continent, à moins que Dieu ne m’en fasse le don. Nous
ne pouvons donc pas non plus acquérir les vertus par nos actes, mais
seulement par un don de Dieu. |
|
[65706]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 5 Praeterea, Augustinus dicit, quod homo non
potest vitare peccatum sine gratia. Sed per virtutem vitatur peccatum; non
enim potest esse homo simul vitiosus et virtuosus. Ergo virtus non potest
esse sine gratia; non ergo potest acquiri ex actibus. |
5. Augustin dit
que l’homme ne peut éviter le péché sans la grâce. Or, le péché est évité par
la vertu : en effet, un homme ne peut être en même temps vicieux et vertueux.
La vertu ne peut donc exister sans la grâce. Elle ne peut donc être acquise
par nos actes. |
|
[65707] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 6 Praeterea, per virtutem pervenitur ad felicitatem.
Nam felicitas virtutis est praemium, ut philosophus dicit in I Ethic. Si ergo ex actibus nostris acquiratur virtus, ex actibus nostris
possumus pervenire ad vitam aeternam, quae est hominis ultima felicitas, sine
gratia; quod est contra apostolum, Rom. VI, 23 : gratia Dei vita aeterna. |
6. C’est par la
vertu que l’on parvient à la félicité, car la félicité est la récompense de
la vertu, comme le Philosophe le dit dans Éthique, I. Si donc la vertu
est acquise par nos actes, nous pouvons parvenir par nos actes et sans la
grâce à la vie éternelle, qui est l’ultime félicité de l’homme. Ce qui est
contraire à ce que dit l’Apôtre, Rm 6, 23 : La vie éternelle est
une grâce de Dieu. |
|
[65708] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 7 Praeterea, virtus computatur inter maxima bona, secundum Augustinum,
Lib. de libero arbitrio, quia virtute nullus male utitur. Sed maxima bona
sunt a Deo, secundum illud Iacob. I, 17 : omne datum optimum et omne donum
perfectum de sursum est, descendens a patre luminum. Ergo videtur quod
virtus non sit in nobis nisi ex dono Dei. |
7. La vertu compte parmi les plus grands biens, selon Augustin, Sur
le libre arbitre, car personne n’utilise mal la vertu. Or, les plus
grands biens viennent de Dieu, selon ce passage de Jc 1, 17 : Tout
don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des
lumières. Il semble donc que la vertu n’existe en nous que par un don de
Dieu. |
|
[65709]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 8 Praeterea, sicut Augustinus dicit in Lib. de
libero arbitrio, nihil potest formare seipsum. Sed virtus est quaedam forma
animae. Ergo homo non potest in se per suos actus
causare virtutem. |
8. Comme Augustin le dit, dans Sur le libre arbitre, rien ne
peut se former soi-même. Or, la vertu est une certaine forme de l’âme.
L’homme ne peut donc pas causer en lui-même la vertu par ses actes. |
|
[65710] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 9 Praeterea, sicut intellectus a principio est in
potentia essentiali ad scientiam, ita vis affectiva ad virtutem. Sed
intellectus in potentia essentiali existens, ad hoc ut reducatur in actum
scientiae, indiget motore extrinseco, scilicet doctore ad hoc quod scientiam
acquirat in actu. Ergo similiter ad hoc quod homo virtutem
acquirat, indiget aliquo agente exteriori, et non sufficiunt ad hoc actus
proprii. |
9. De même que l’intellect est au départ en puissance essentielle par
rapport à la science, de même la puissance affective par rapport à la vertu.
Or, l’intellect qui est en puissance essentielle, pour être amené à l’acte de
la science, a besoin d’un moteur extérieur, à savoir, un enseignant, pour acquérir
la science en acte. De la même manière, pour que l’homme acquière la vertu,
il a donc besoin d’un agent extérieur, et ses propres actes ne suffisent pas. |
|
[65711] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 10 Praeterea,
acquisitio fit per receptionem. Actio autem non fit per receptionem, sed
magis per emissionem vel exitum actionis ab agente. Ergo per hoc quod aliquid agimus, non acquiritur virtus in nobis. |
10. L’acquisition se fait par réception. Or, l’action ne se fait pas
par réception, mais plutôt par émission ou par sortie de l’action de l’agent.
Par le fait que nous faisons quelque chose, la vertu n’est donc pas acquise
par nous. |
|
[65712] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 11 Praeterea,
si per actum nostrum virtus in nobis acquiritur; aut acquiritur per unum, aut
per plures. Non per unum; quia ex uno non efficitur aliquis studiosus, ut
dicitur II Ethic.; similiter etiam nec ex multis; quia multi actus, cum non
sint simul, non possunt simul aliquem effectum inducere. Ergo videtur quod nullo modo virtus in nobis causetur ex actibus
nostris. |
11. Si la vertu est acquise en nous par notre acte, elle est acquise
ou bien par un seul, ou bien par plusieurs. [Elle n’est pas acquise] par un
seul, car quelqu’un ne devient pas studieux par un seul acte, comme il est
dit dans Éthique, II. De même, [elle n’est pas acquise] par plusieurs,
car plusieurs actes, lorsqu’ils ne sont pas simultanés, ne peuvent produire
un effet simultanément. Il semble donc que la vertu ne soit d’aucune manière
causée en nous par nos actes. |
|
[65713]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 12 Praeterea, Avicenna dicit, quod virtus est
potentia essentialiter rebus attributa ad suas peragendas operationes. Sed id
quod essentialiter attribuitur rei, non causatur ex actu eius. Ergo virtus non causatur ex actu habentis virtutem. |
12. Avicenne dit que la vertu est une puissance attribuée
essentiellement aux choses en vue d’accomplir leurs actions. Or, ce qui est
attribué essentiellement à une chose n’est pas causé par son acte. La vertu
n’est donc pas causée par l’acte de celui qui possède la vertu. |
|
[65714] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 13 Praeterea,
si virtus causatur ex actibus nostris : aut ex actibus virtuosis, aut ex
actibus vitiosis. Non ex vitiosis quia illi magis destruunt virtutem;
similiter nec ex virtuosis, quia illi praesupponunt virtutem. Ergo nullo modo causatur ex actibus nostris virtus in nobis. |
13. Si la vertu est causée par nos actes, ou bien c’est par les actes
vertueux, ou bien par les actes vicieux. [Ce n’est pas par les actes]
vicieux, car ceux-ci détruisent plutôt la vertu; de même, [ce n’est pas par
les actes] vertueux, car ceux-ci présupposent la vertu. La vertu n’est donc
d’aucune manière causée en nous par nos actes. |
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[65715] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 14 Sed dicendum, quod virtus causatur ex actibus virtuosis imperfectis.-
Sed contra nihil agit ultra suam speciem. Si ergo actus praecedentes virtutem
sunt imperfecti, videtur quod non possunt causare virtutem perfectam. |
14. Mais on dira que la vertu est causée par des actes vertueux
imparfaits. – En sens contraire, rien n’agit
au-delà de son espèce. Si donc les actes précédant la vertu sont imparfaits,
il semble qu’ils ne peuvent pas causer une vertu parfaite. |
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[65716]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 15 Praeterea, virtus est ultimum potentiae, ut
dicitur in I caeli et mundi. Sed potentia est naturalis. Ergo virtus est
naturalis, et non ex operibus acquisita. |
15. La vertu est le point ultime d’une puissance, comme il est dit
dans Du ciel et du monde, I. Or, la puissance est naturelle. La vertu
est donc naturelle, et elle n’est pas acquise par des actes. |
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[65717] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 16 Praeterea,
ut dicitur in II Ethic., virtus est quae bonum reddit habentem. Sed homo est
bonus secundum suam naturam. Ergo virtus hominis est ei a natura, et non ex
actibus acquisita. |
16. Comme il est dit dans Éthique, II, la vertu est ce qui rend
bon celui qui la possède. Or, l’homme est bon par sa nature. La vertu de
l’homme lui vient donc de sa nature, et elle n’est pas acquise par ses actes. |
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[65718]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 17 Praeterea, ex frequentia actus naturalis non
acquiritur novus habitus. |
17. Par la répétition d’un acte naturel un nouvel habitus n’est pas
acquis. |
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[65719] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 18 Praeterea, omnia habent esse a sua forma. Sed gratia est forma
virtutum : nam sine gratia virtutes dicuntur esse informes. Ergo virtutes
sunt a gratia, et non ab actibus. |
18. Toutes choses reçoivent leur être de leur forme. Or, la grâce est
la forme des vertus, car, sans la grâce, les vertus sont appelées informes.
Les vertus viennent donc de la grâce, et non des actes. |
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[65720] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 19 Praeterea, secundum
apostolum, 2 Cor. XII, 9, virtus in infirmitate perficitur. Sed
infirmitas magis est passio quam actio. Ergo virtus magis causatur ex
passione quam ex actibus. |
19. Selon l’Apôtre, 2 Co 12, 9, la vertu se réalise
dans la faiblesse. Or, la faiblesse est plutôt une passion qu’une action.
La vertu est donc plutôt causée par une passion que par des actes. |
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[65721] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 20 Praeterea,
cum virtus sit qualitas, mutatio quae est secundum virtutem, videtur esse
alteratio : nam alteratio est motus in qualitate. Sed alteratio passio tantum est in parte animae sensitivae, ut patet
per philosophum in VII Physic. Si ergo virtus acquiritur ex actibus nostris per
quamdam passionem et alterationem; sequetur quod virtus sit in parte
sensitiva : quod est contra Augustinum, qui dicit, quod est bona qualitas
mentis. |
20. Puisque la vertu est une qualité, le changement qui se réalise
selon la vertu semble être une altération, car l’altération est un mouvement
dans la qualité. Or, l’altération est une passion seulement dans la partie
sensible de l’âme, comme cela ressort clairement du Philosophe, Physique, VII.
Si donc la vertu est acquise par nos actes en vertu d’une certaine passion et
altération, il en découlera que la vertu se situe dans la partie sensible, ce
qui est contraire à Augustin, qui dit qu’elle est une bonne qualité de
l’esprit. |
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[65722] De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 21 Praeterea,
per virtutem habet aliquis rectam electionem de fine, ut dicitur X Ethicorum.
Sed habere rectam electionem de fine, non videtur esse in potestate nostra :
quia qualis unusquisque est, talis finis ei videtur, ut dicitur III Ethic.
Hoc autem contingit nobis ex naturali complexione, vel ex impressione
corporis caelestis. Ergo non est in potestate nostra acquirere virtutes : non
ergo causantur ex actibus nostris. |
21. Par la vertu, quelqu’un fait un choix droit à propos de la fin,
comme il est dit dans Éthique, X. Or, faire un choix droit à propos de
la fin ne semble pas être en notre pouvoir, car tel est chacun, telle la fin
lui apparaît, comme il est dit dans Éthique, III. Or, cela nous arrive
en raison d’une complexion naturelle, ou par l’influence d’un corps céleste.
Il n’est donc pas en notre pouvoir d’acquérir les vertus. Elles ne sont donc
pas causées par nos actes. |
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[65723]
De virtutibus, q. 1 a. 9 arg. 22 Praeterea, ea quae sunt naturalia, neque
assuescimus neque dissuescimus. Sed quibusdam hominibus insunt naturales
inclinationes ad aliqua vitia, sicut et ad virtutes. Ergo huiusmodi
inclinationes non possunt tolli per assuetudinem actuum. Eis autem manentibus
non possunt in nobis esse virtutes. Ergo virtutes non possunt in nobis acquiri
per actus. |
22. Nous ne nous accoutumons pas à ce qui est naturel, ni ne nous en
déshabituons. Or, certains hommes possèdent des inclinations naturelles
innées envers certains vices, de même qu’à des vertus. Les inclinations de ce
genre ne peuvent donc pas être enlevées par l’accoutumance aux actes. Aussi
longtemps que [ces inclinations] demeurent, il ne peut donc y avoir de vertus
en nous. Les vertus ne peuvent donc pas être causées en nous par des actes. |
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[65724] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 1 Sed contra. Dionysius dicit, quod bonum est virtuosius quam malum. Sed
ex malis actibus causantur in nobis habitus vitiorum. Ergo ex bonis actibus
causantur in nobis habitus virtutum. |
Cependant : 1. Denys dit que le bien est plus vertueux que le mal. Or, les habitus
des vices sont causés en nous par des mauvaises actions. Les habitus des
vertus sont donc causés en nous par des actes bons. |
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[65725]
De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 2 Praeterea, secundum philosophum in II
Ethic., operationes sunt causae eius quod est nos studiosos esse. Hoc autem est per virtutem. Ergo virtus causatur in
nobis ex actibus. |
2. Selon le Philosophe, Éthique, II, des actions sont les
causes du fait que nous sommes studieux. Or, cela est le fait de la vertu. La
vertu est donc causée en nous par des actes. |
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[65726] De virtutibus, q. 1 a. 9 s. c. 3 Praeterea, ex contrariis sunt generationes et
corruptiones. Sed virtus corrumpitur ex malis actibus. Ergo ex bonis actibus
generatur. |
3. Les générations et les corruptions viennent des contraires. Or, la
vertu est corrompue par les actes mauvais. Elle est donc engendrée par les
actes bons. |
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[65727] De virtutibus, q. 1 a. 9 co. Respondeo.
Dicendum quod cum virtus sit ultimum potentiae, ad quod
quaelibet potentia se extendit ut faciat operationem, quod est operationem
esse bonam; manifestum est quod virtus uniuscuiusque rei est per quam
operationem bonam producit. Quia vero omnis res est propter suam
operationem; unumquodque autem bonum est secundum quod bene se habet ad suum
finem; oportet quod per virtutem propriam unaquaeque res sit bona, et bene
operetur. Bonum autem proprium uniuscuiusque rei est aliud ab eo quod est
proprium alterius : diversorum enim perfectibilium sunt diversae
perfectiones; unde et bonum hominis est aliud a bono equi et a bono lapidis. Ipsius
etiam hominis secundum diversas sui considerationes accipitur diversimode
bonum. Non enim idem est bonum hominis in quantum est homo, et in quantum est
civis. Nam bonum hominis in quantum est homo, est ut
ratio sit perfecta in cognitione veritatis, et inferiores appetitus
regulentur secundum regulam rationis : nam homo habet quod sit homo per hoc
quod sit rationalis. Bonum autem hominis in quantum est civis, est ut
ordinetur secundum civitatem quantum ad omnes : et propter hoc philosophus
dicit, III Politic., quod non est eadem virtus hominis in quantum est bonus
et hominis in quantum est bonus civis. Homo autem non solum est civis
terrenae civitatis, sed est particeps civitatis caelestis Ierusalem, cuius
rector est dominus, et cives Angeli et sancti omnes, sive regnent in gloria
et quiescant in patria, sive adhuc peregrinentur in terris, secundum illud
apostoli, Ephes. II, 19 : estis cives sanctorum, et domestici Dei, et
cetera. Ad hoc autem quod homo huius civitatis sit particeps, non sufficit sua
natura, sed ad hoc elevatur per gratiam Dei. Nam manifestum est quod virtutes
illae quae sunt hominis in quantum est huius civitatis particeps, non possunt
ab eo acquiri per sua naturalia; unde non causantur ab actibus nostris, sed
ex divino munere nobis infunduntur. Virtutes autem quae sunt hominis in eo
quod est homo, vel in eo quod est terrenae civitatis particeps, non excedunt
facultatem humanae naturae; unde eas per sua naturalia homo potest acquirere,
ex actibus propriis : quod sic patet. Dum enim aliquis habet naturalem
aptitudinem ad perfectionem aliquam; si haec aptitudo sit secundum principium
passivum tantum, potest eam acquirere; sed non ex actu proprio, sed ex
actione alicuius exterioris naturalis agentis; sicut aer recipit lumen a
sole. Si vero habeat aptitudinem naturalem ad perfectionem aliquam secundum
activum principium et passivum simul; tunc per actum proprium potest ad illam
pervenire; sicut corpus hominis infirmi habet naturalem aptitudinem ad
sanitatem. Et quia subiectum est naturaliter receptivum sanitatis, propter
virtutem naturalem activam quae inest ad sanandum, ideo absque actione
exterioris agentis infirmus interdum sanatur. Ostensum est autem in
praecedenti quaestione, quod aptitudo naturalis ad virtutem quam habet homo,
est secundum principia activa et passiva; quod quidem ex ipso ordine
potentiarum apparet. Nam in parte intellectiva est principium quasi passivum
intellectus possibilis, qui reducitur in suam perfectionem per intellectum
agentem. Intellectus autem in actu movet voluntatem : nam bonum intellectus
est finis qui movet appetitum; voluntas autem mota a ratione, nata est movere
appetitum sensitivum, scilicet irascibilem et concupiscibilem, quae natae
sunt obedire rationi. Unde etiam manifestum est, quod quaelibet virtus
faciens operationem hominis bonam, habet proprium actum in homine, qui sui
actione potest ipsam reducere in actum; sive sit in intellectu, sive in
voluntate, sive in irascibili et concupiscibili. Diversimode tamen reducitur
in actum virtus quae est in parte intellectiva, et quae est in parte
appetitiva. Nam actio intellectus, et cuiuslibet cognoscitivae virtutis, est
secundum quod aliqualiter assimilatur cognoscibili; unde virtus
intellectualis fit in parte intellectiva, secundum quod per intellectum agentem
fiunt species intellectae in ipsa vel actu vel habitu. Actio autem virtutis appetitivae consistit in quadam
inclinatione ad appetibile; unde ad hoc quod fiat virtus in parte appetitiva,
oportet quod detur ei inclinatio ad aliquid determinatum. Sciendum est autem,
quod inclinatio rerum naturalium consequitur formam; et ideo est ad unum,
secundum exigentiam formae : qua remanente, talis inclinatio tolli non
potest, nec contraria induci. Et propter hoc, res naturales neque assuescunt
aliquid neque dissuescunt; quantumcumque enim lapis sursum feratur nunquam
hoc assuescet, sed semper inclinatur ad motum deorsum. Sed ea quae sunt ad
utrumlibet, non habent aliquam formam ex qua declinent ad unum determinate;
sed a proprio movente determinantur ad aliquid unum; et hoc ipso quod
determinantur ad ipsum, quodammodo disponuntur in idem; et cum multoties
inclinantur, determinantur ad idem a proprio movente, et firmatur in eis
inclinatio determinata in illud, ita quod ista dispositio superinducta, est
quasi quaedam forma per modum naturae tendens in unum. Et propter hoc
dicitur, quod consuetudo est altera natura. Quia igitur vis appetitiva se
habet ad utrumlibet; non tendit in unum nisi secundum quod a ratione
determinatur in illud. Cum igitur ratio multoties inclinet virtutem
appetitivam in aliquid unum, fit quaedam dispositio firmata in vi appetitiva,
per quam inclinatur in unum quod consuevit; et ista dispositio sic firmata
est habitus virtutis. Unde, si recte consideretur, virtus appetitivae partis
nihil est aliud quam quaedam dispositio, sive forma, sigillata et impressa in
vi appetitiva a ratione. Et propter hoc, quantumcumque sit fortis dispositio
in vi appetitiva ad aliquid, non potest habere rationem virtutis, nisi sit
ibi id quod est rationis. Unde et in definitione virtutis ponitur ratio :
dicit enim philosophus, II Ethicorum, quod virtus est habitus electivus in
mente consistens determinata specie, prout sapiens determinabit. |
Réponse : Puisque la vertu est le point ultime d’une puissance, vers lequel tend
toute puissance pour accomplir son opération, ce qui rend une action bonne,
il est clair que la vertu de toute chose est celle par laquelle elle produit
une bonne opération. Comme toute chose existe en vue de son opération, et que
toute chose est bonne selon qu’elle a un bon rapport à sa fin, il est donc
nécessaire que toute chose soit bonne et agisse bien par sa propre vertu. Or,
le bien propre de toute chose est différent de celui qui est propre à une
autre chose : en effet, les perfections des diverses choses perfectibles sont
diverses. Le bien de l’homme est donc différent du bien du cheval et du bien
de la pierre. Et le bien de l’homme est aussi conçu diversement selon les
manières différentes de l’envisager. En effet, le bien de l’homme en tant
qu’homme n’est pas le même que [celui de l’homme] en tant que citoyen. Car le
bien de l’homme en tant qu’homme est que sa raison soit parfaite dans la
connaissance de la vérité et que ses appétits inférieurs soient dirigés selon
la règle de la raison, car l’homme est homme par le fait qu’il est
raisonnable. Or, le bien de l’homme en tant que citoyen consiste en ce qu’il
soit ordonné par rapport à ce qui concerne tous selon la cité. C’est la
raison pour laquelle le Philosophe dit, Politique, III, que la vertu
de l’homme en tant qu’il est bon n’est pas la même que celle de l’homme en
tant qu’il est un bon citoyen. Or, l’homme n’est pas seulement citoyen de la
cité terrestre, mais il est membre de la cité céleste de Jérusalem, dont le
dirigeant est le Seigneur, et les citoyens, les anges et tous les saints,
soit qu’ils règnent dans la gloire et se reposent dans la patrie, soit qu’ils
cheminent encore sur terre, selon ce que dit l’Apôtre, Ep 2, 19 : Vous
êtes les concitoyens des saints et les serviteurs de Dieu, etc. Or, pour
que l’homme soit membre de cette cité, sa nature ne suffit pas, mais il y est
élevé par la grâce de Dieu. Car il est clair que les vertus qui appartiennent
à l’homme en tant qu’il est membre de cette cité ne peuvent pas être acquises
par lui par ce qui relève de sa nature. Elles ne sont donc pas causées par
nos actes, mais elles sont infusées en nous par un don divin. Mais les vertus
qui sont le fait de l’homme en tant qu’il est homme ou en tant qu’il est
membre de la cité terrestre, ne dépassent pas la capacité de la nature
humaine. L’homme peut donc les acquérir par ce qui relève de sa nature, par
ses propres actes. Voici comment on le montre. En effet, lorsque quelqu’un
possède une aptitude naturelle à une certaine perfection, si cette aptitude
n’existe que selon un principe passif seulement, il peut l’acquérir, non par
son acte, mais par l’action d’un agent extérieur, comme l’air reçoit du
soleil la lumière. Mais s’il a une aptitude naturelle à une perfection selon
un principe à la fois actif et passif, il peut alors l’atteindre, comme le
corps d’un homme malade possède une aptitude naturelle à la santé. Et parce
que le sujet est naturellement réceptif par rapport à la santé, en raison de
la puissance active qu’il possède pour la guérison, le malade est parfois
guéri sans action d’un agent extérieur. Or, on a montré, dans la question
précédente, que l’aptitude naturelle à la vertu que possède l’homme existe
selon des principes actifs et passifs, ce qui se révèle par l’ordre même des
puissances. Car, dans la partie intellective, existe le principe pour ainsi
dire passif de l’intellect possible, qui est amené à sa perfection par
l’intellect agent. Or, l’intellect en acte meut la volonté, car le bien de
l’intellect est la fin qui meut l’appétit, et la volonté mue par la raison
est naturellement disposée à mouvoir l’appétit sensible, à savoir,
l’irascible et le concupiscible, qui sont naturellement disposés à obéir à la
raison. Il est donc aussi clair que toute vertu qui rend bonne l’opération de
l’homme a son acte propre à l’intérieur de l’homme, qui peut l’amener à
l’acte par sa propre action, qu’elle soit dans l’intellect, dans la volonté
ou dans l’irascible et le concupiscible. Toutefois, la vertu qui se trouve
dans la partie intellective est amenée différemment à l’acte que celle qui se
trouve dans la partie appétitive. Car l’action de l’intellect et de toute
puissance cognitive se réalise par une certaine assimilation à ce qui est
connaissable; aussi la vertu intellectuelle se réalise-t-elle dans la partie
intellective selon que, par l’intellect agent, les espèces deviennent
intelligées en elle, soit en acte, soit par habitus. Mais l’action de la
puissance appétitive consiste dans une certaine inclination à ce qui est
appétible; aussi, pour que se produise une vertu dans la partie appétitive,
est-il nécessaire que lui soit donnée une inclination à quelque chose de
déterminé. Or, il faut savoir que l’inclination des choses naturelles suit sa
forme : c’est pourquoi elle n’est orientée qu’à une seule chose, selon ce
qu’exige la forme; aussi longtemps que celle-ci demeure, une telle
inclination ne peut être écartée, ni une forme contraire être amenée. C’est
pourquoi les choses naturelles ne s’accoutument pas à une chose ni ne s’en
désaccoutument : en effet, aussi souvent qu’une pierre sera lancée en l’air,
elle ne s’y accoutumera pas, mais elle sera toujours inclinée à se mouvoir
vers le bas. Mais les choses qui peuvent aller dans un sens ou l’autre ne
possèdent pas de forme qui les incline à une seule chose de manière
déterminée, mais elles sont mues par leur propre agent vers une seule chose,
et par le fait qu’elles sont déterminées par rapport à celle-ci, elles y sont
en quelque sorte disposées. Et lorsqu’elles y sont inclinées à plusieurs
reprises, elles sont déterminées à la même chose par leur propre agent et
l’inclination vers cette chose est affermie en elles, de telle sorte que
cette disposition ajoutée est comme une forme qui ressemble à une nature, qui
tend à une seule chose. Pour cette raison, on dit que l’habitude est une
seconde nature. Puisque la puissance appétitive peut aller dans un sens ou
l’autre, elle ne tend donc à une seule chose que selon qu’elle y est
déterminée par la raison. Lorsque la raison incline à plusieurs reprises la
puissance appétitive à une seule chose, il se produit donc une certaine
disposition affermie dans la puissance appétitive, par laquelle elle est
inclinée à la seule chose à laquelle elle s’est habituée, et cette
disposition affermie est l’habitus de la vertu. Aussi, si on examine [la
chose] correctement, la vertu de la partie appétitive n’est rien d’autre
qu’une certaine disposition ou forme, scellée et imprimée par la raison dans
la puissance appétitive. C’est pourquoi, aussi forte que soit une disposition
à quelque chose dans la puissance appétitive, cela ne peut avoir raison de
vertu, à moins que ne s’y trouve ce qui relève de la raison. Aussi la raison
est-elle mise dans la définition de la vertu. En effet, le Philosophe dit,
dans Éthique, II, que la vertu est un habitus électif résidant dans
l’esprit selon une espèce déterminée, selon que le sage en aura déterminé. |
|
[65728] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Augustinus loquitur de
virtutibus secundum quod ordinantur ad aeternam beatitudinem. |
Solutions : 1. Augustin parle
des vertus selon qu’elles sont ordonnées à la béatitude éternelle. |
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[65729] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 2 Et sic
dicendum ad secundum, tertium et quartum. |
2-4. Il faut dire
la même chose pour la deuxième, la troisième et la quatrième objection. |
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[65730]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 5 Ad quintum dicendum, quod virtus acquisita
facit declinare a peccato non semper, sed ut in pluribus : quia et ea quae
naturaliter accidunt, ut in pluribus eveniunt. Nec propter hoc sequitur, quod
simul aliquis sit virtuosus et vitiosus; quia unus actus potentiae neque
habitum vitii neque habitum virtutis acquisitae tollit; et non potest per
virtutem acquisitam declinare ab omni peccato. Non enim per eas vitatur
peccatum infidelitatis; et alia peccata quae virtutibus infusis opponuntur. |
5. La vertu
acquise fait s’écarter du péché non pas toujours, mais dans la plupart des
cas, car même ce qui se produit naturellement arrive dans la plupart des cas.
Il n’en découle pas que quelqu’un soit en même temps vertueux et vicieux, car
un seul acte d’une puissance n’enlève ni l’habitus du vice ni l’habitus de la
vertu acquise, et l’on ne peut s’écarter de tout péché par la vertu acquise.
En effet, le péché d’infidélité n’est pas évité par elles, ainsi que les
autres péchés qui s’opposent aux vertus infuses. |
|
[65731] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 6 Ad sextum dicendum, quod per virtutes acquisitas non
pervenitur ad felicitatem caelestem, sed ad quamdam felicitatem quam homo
natus est acquirere per propria naturalia in hac vita secundum actum
perfectae virtutis, de qua Aristoteles tractat in X Metaph. |
6. On ne parvient
pas à la félicité éternelle par les vertus acquises, mais à une certaine
félicité que l’homme est destiné à acquérir dans cette vie par ce qui lui est
naturellement propre, selon l’acte de la vertu parfaite, dont Aristote traite
dans Métaphysique, X. |
|
[65732]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virtus acquisita non
est maximum bonum simpliciter, sed maximum in genere humanorum bonorum; virtus
autem infusa est maximum bonum simpliciter, in quantum per eam homo ad summum
bonum ordinatur, quod est Deus. |
7. La vertu
acquise n’est pas le plus grand bien tout simplement, mais le plus grand dans
le genre des biens humains. Mais la vertu infuse est le plus grand bien tout
simplement, dans la mesure où, par elle, l’homme est ordonné au bien suprême
qu’est Dieu. |
|
[65733] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod idem secundum idem non potest seipsum formare. Sed
quando in aliquo uno est aliquod principium activum et aliud passivum,
seipsum formare potest secundum partes : ita scilicet quod una pars eius sit
formans, et alia formata; sicut aliquid movet seipsum, ita quod una pars eius
est movens, et alia mota, ut dicitur VIII Phys. Sic autem est in generatione
virtutis ut ostensum est. |
8. Une même chose
ne peut se donner forme à elle-même selon une même chose. Mais lorsqu’il y a
un principe actif et un autre passif, elle peut se donner forme selon ses
parties, de telle sorte qu’une de ses parties donne la forme, et l’autre
reçoive la forme, comme quelque chose se meut soi-même, de telle sorte qu’une
de ses parties meut et une autre est mue, comme il est dit dans Physique, VIII.
Il en est de même dans la génération de la vertu, comme on l’a montré. |
|
[65734] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod sicut in intellectu scientia acquiritur non solum per
inventionem, sed etiam per doctrinam, quae est ab alio; ita etiam in
acquisitione virtutis homo iuvatur per correctionem et disciplinam, quae est
ab alio; qua aliquis tanto minus indiget, quanto de se est magis dispositus
ad virtutem; sicut et aliquis quanto perspicacioris est ingenii, tanto minus
indiget exteriori doctrina. |
9. De même que,
dans l’intellect, la science est acquise non seulement par l’invention, mais
aussi par l’enseignement, qui vient d’un autre, de même, pour l’acquisition
de la vertu, l’homme est aidé par la correction et l’éducation, qui vient
d’un autre. Quelqu’un en a d’autant moins besoin qu’il est davantage disposé
à la vertu, de même que plus quelqu’un a un esprit perspicace, moins il a
besoin d’enseignement extérieur. |
|
[65735] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod ad actionem hominis concurrunt virtutes activae et
passivae; et licet a virtutibus, in quantum activae, fiat emissio, et in eis
nihil recipiatur; tamen passivis in quantum passivae, competit acquirere
aliquid per receptionem. Unde in potentia quae est tantum activa, ut in
intellectu agente, non acquiritur aliquis habitus per actionem. |
10. Les puissances
actives et passives concourent à l’action de l’homme. Et bien que, par les
puissances actives, en tant qu’elles sont passives, se produise une émission
et que rien ne soit reçu en elles, il convient cependant aux puissances
passives, en tant qu’elles sont passives, d’acquérir quelque chose par
réception. Aussi, dans la puissance qui est seulement active, comme c’est le
cas pour l’intellect agent, un habitus n’est-il pas acquis par l’action. |
|
[65736] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod quanto actio agentis est efficacior, tanto
velocius inducit formam. Et ideo videmus in intellectualibus, quod per unam
demonstrationem, quae est efficax, causatur in nobis scientia; opinio autem,
licet sit minor scientia, non causatur in nobis per unum syllogismum
dialecticum; sed requiruntur plures propter eorum debilitatem. Unde et in
agibilibus, quia operationes animae non sunt efficaces sicut in
demonstrationibus, propter hoc quod agibilia sunt contingentia et probabilia,
ideo unus actus non sufficit ad causandum virtutem, sed requiruntur plures.
Et licet illi plures non sint simul, tamen habitum virtutis causare possunt :
quia primus actus facit aliquam dispositionem, et secundus actus inveniens
materiam dispositam adhuc eam magis disponit, et tertius adhuc amplius; et
sic ultimus actus agens in virtute omnium praecedentium complet generationem
virtutis, sicut accidit de multis guttis cavantibus lapidem. |
11. Plus l’action
d’un agent est efficace, plus elle mène rapidement à la forme. C’est pourquoi
nous voyons, en matière intellectuelle, que, par une seule démonstration qui
est efficace, la science est causée en nous ; mais l’opinion, bien
qu’elle soit une science inférieure, n’est pas causée en nous par un seul
syllogisme dialectique : en effet, plusieurs sont nécessaires en raison de
leur faiblesse. Aussi, en matière d’actions à poser, comme les opérations de
l’âme ne sont pas aussi efficaces que pour les démonstrations parce que les
actes à poser sont contingents et probables, un seul acte ne suffit-il pas
pour causer la vertu, mais plusieurs sont nécessaires. Et bien que ces
nombreux actes ne soient pas simultanés, ils peuvent cependant causer un
habitus de vertu, car le premier acte produit une certaine disposition, et le
deuxième acte, trouvant une matière déjà disposée, la dispose encore
davantage, et le troisième encore davantage. Et ainsi, le dernier acte, posé
en vertu de tous les précédents, achève la génération de la vertu, comme il
arrive que de nombreuses gouttes creusent la pierre. |
|
[65737]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Avicenna intendit
definire virtutem naturalem, quae sequitur formam quae est principium
essentiale; unde illa definitio non est ad propositum. |
12. Avicenne
entend définir la vertu naturelle, qui découle de la forme qui est un
principe essentiel. Aussi cette définition est-elle hors de propos. |
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[65738] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod virtus generatur ex actibus quodammodo
virtuosis et quodammodo non virtuosis. Actus enim praecedentes virtutem, sunt
quidem virtuosi quantum ad id quod agitur, in quantum scilicet homo agit
fortia et iusta; non autem quantum ad modum agendi : quia ante habitum
virtutis acquisitum non agit homo opera virtutis eo modo quo virtuosus agit,
scilicet prompte absque dubitatione et delectabiliter absque difficultate. |
13. La vertu est
engendrée par des actes qui sont vertueux d’une certaine manière et non
vertueux d’une autre. En effet, les actes qui précèdent la vertu sont vertueux
quant à l’action posée, à savoir, pour autant que l’homme accomplit des actes
forts et justes ; mais non quant au mode d’agir, car, avant que
l’habitus de vertu ne soit acquis, l’homme n’accomplit pas les actes de vertu
de la manière dont le vertueux les accomplit, à savoir, promptement, sans
hésitation, avec plaisir et sans difficulté. |
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[65739]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod ratio est
nobilior virtute generata in parte appetitiva, cum talis virtutis non sit
nisi quaedam participatio rationis. Actus igitur qui virtutem praecedit,
potest causare virtutem, in quantum est a ratione, a qua habet id quod
perfectionis in ea est. Imperfectio enim eius est in potentia appetitiva, in
qua nondum est causatus habitus, per quem homo delectabiliter et expedite id
quod est ex imperio rationis consequatur. |
14. La raison est
plus noble que la vertu engendrée dans la partie appétitive, puisqu’une telle
vertu n’est qu’une participation à la raison. L’acte qui précède la vertu
peut donc causer la vertu pour autant qu’il vient de la raison, de laquelle
il tient ce qu’il y a de perfection en elle. En effet, son imperfection se
trouve dans la puissance appétitive où il n’y a pas encore d’habitus causé,
par lequel l’homme suit avec plaisir et rapidement ce qui vient du
commandement de la raison. |
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[65740] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod virtus dicitur esse ultimum potentiae, non quia
semper sit aliquid de essentia potentiae; sed quia inclinat ad id quod ultimo
potentia potest. |
15. On dit que la
vertu est le point ultime de la puissance, non pas parce qu’elle est quelque
chose de l’essence de la puissance, mais parce qu’elle incline à ce qui est
ultimement possible à la puissance. |
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[65741]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod homo secundum
naturam suam est bonus secundum quid, non autem simpliciter. Ad hoc autem quod aliquid sit bonum simpliciter,
requiritur quod sit totaliter perfectum; sicut ad hoc quod aliquid sit
pulchrum simpliciter requiritur quod in nulla parte sit aliqua deformitas vel
turpitudo. Simpliciter autem et totaliter bonus dicitur aliquis ex hoc quod
habet voluntatem bonam, quia per voluntatem homo utitur omnibus aliis
potentiis. Et ideo bona voluntas facit hominem bonum simpliciter; et propter
hoc virtus appetitivae partis secundum quam voluntas fit bona, est quae
simpliciter bonum facit habentem. |
16. L’homme est
bon selon sa nature d’une manière relative, et non pas absolue. Pour que
quelque chose soit bon de manière absolue, il est nécessaire que cela soit
entièrement parfait, comme pour que quelque chose soit beau de manière
absolue, il est nécessaire qu’il n’y ait de difformité ou de laideur dans
aucune partie. On dit que quelqu’un est bon de manière absolue et totale du fait
qu’il a une volonté bonne, car l’homme utilise toutes ses autres puissances
par la volonté. C’est pourquoi la volonté bonne rend l’homme bon de manière
absolue. Et, pour cette raison, la vertu de la partie appétitive par laquelle
la volonté est rendue bonne est celle qui rend l’homme bon de manière
absolue. |
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[65742] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod actus qui sunt ante virtutem, possunt quidem
dici naturales, secundum quod a naturali ratione procedunt, prout naturale
dividitur contra acquisitum; non autem possunt naturales dici, prout naturale
dividitur contra id quod est ex ratione. Sic autem dicitur quod naturalia non
dissuescimus neque assuescimus, secundum quod natura contra rationem
dividitur. |
17. On peut dire
que les actes qui existent avant la vertu sont naturels selon qu’ils
procèdent de la raison naturelle, selon que «naturel» est opposé à
«acquis» ; mais on ne peut les appeler naturels selon que «naturel»
s’oppose à ce qui vient de la raison. On dit ainsi que nous ne nous
accoutumons pas à ce qui est naturel ni ne nous en désaccoutumons, selon que
«naturel» est opposé à la raison. |
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[65743]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod gratia
dicitur esse forma virtutis infusae; non tamen ita quod ei det esse
specificum; sed in quantum per eam informatur aliqualiter actus eius. Unde
non oportet quod virtus politica sit per infusionem gratiae. |
18. On dit que la
grâce est la forme de la vertu infuse, non pas cependant parce qu’elle lui
donne son être spécifique, mais pour autant que son acte reçoit d’elle sa
forme. Aussi n’est-il pas nécessaire que la vertu politique exige l’infusion
de la grâce. |
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[65744] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod virtus perficitur in infirmitate, non quia
infirmitas causat virtutem, sed quia dat occasionem alicui virtuti, scilicet
humilitati. Est etiam materia alicuius virtutis, scilicet patientiae, et
etiam caritatis, in quantum aliquis infirmitati proximi subvenit. Et
naturaliter est signum virtutis, quia tanto anima virtuosior demonstratur,
quanto infirmius corpus ad actum virtutis movet. |
19. La vertu se réalise dans la faiblesse, non pas parce que la
faiblesse cause la vertu, mais parce qu’elle fournit l’occasion à une vertu,
à savoir, à l’humilité. Elle est aussi la matière d’une vertu, à savoir, de
la patience et aussi de la charité, dans la mesure où quelqu’un vient au
secours de la faiblesse du prochain. Et elle est naturellement un signe de
vertu, parce que plus une âme se montre vertueuse, plus elle meut à l’acte de
vertu un corps plus faible. |
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[65745]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod proprie loquendo
non dicitur aliquid alterari secundum quod adipiscitur propriam perfectionem.
Unde, cum virtus sit propria perfectio hominis, non dicitur homo alterari
secundum quod acquirit virtutem; nisi forte per accidens secundum quod
immutatio sensibilis partis animae in qua sunt animae passiones, pertinet ad
virtutem. |
20. À proprement parler, on ne dit pas qu’une chose est altérée du fait
qu’elle obtient sa perfection propre. Puisque la vertu est la perfection
propre de l’homme, on ne dit donc pas que l’homme est altéré du fait qu’il
acquiert une vertu, si ce n’est peut-être par accident, selon que le
changement de la partie sensible de l’âme, dans laquelle se trouvent les
passions de l’âme, relève de la vertu. |
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[65746] De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 21 Ad
vicesimumprimum dicendum, quod homo potest dici qualis vel secundum
qualitatem quae est in parte intellectiva : et sic non dicitur qualis ex
naturali complexione corporis, neque ex impressione corporis caelestis, cum
pars intellectiva sit absoluta ab omni corpore; vel potest dici homo qualis
secundum dispositionem quae est in parte sensitiva : quae quidem potest esse
ex naturali complexione corporis, vel ex impressione corporis caelestis.
Tamen quia haec pars naturaliter obedit rationi, ideo potest per assuetudinem
diminui, vel totaliter tolli. |
21. On peut dire d’un homme qu’il est tel ou tel selon la qualité qui
se trouve dans la partie intellective : ainsi, on ne dit pas qu’il est tel en
raison de la complexion de son corps, ni de l’influence d’un corps céleste,
puisque la partie intellective est indépendante de tout corps. Ou bien l’on
peut dire que l’homme est tel selon une disposition qui se trouve dans la
partie sensible, ce qui peut arriver en raison de la complexion de son corps
ou de l’influence d’un corps céleste. Toutefois, puisque cette partie obéit
naturellement à la raison, elle peut être diminuée ou totalement enlevée par
l’habitude. |
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[65747]
De virtutibus, q. 1 a. 9 ad 22 Et per hoc patet responsio ad
vicesimumsecundum; nam secundum hanc dispositionem quae est in parte
sensitiva, dicuntur aliqui habere naturalem inclinationem ad vitium vel
virtutem et cetera. |
22. Par cela, la réponse
à la vingt-deuxième objection ressort clairement, car selon la disposition
qui se trouve dans la partie sensible, on dit de certains qu’ils ont une
inclination naturelle au vice ou à la vertu, etc. |
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Articulus
10 : [65748] De virtutibus, q. 1 a. 10 tit. 1 Decimo
quaeritur utrum sint aliquae virtutes homini ex infusione |
Article 10 – Existe-t-il dans l’homme des vertus infuses ? |
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[65749] De virtutibus, q. 1 a. 10 tit. 2 Et
videtur quod non. |
Objections : Il semble que non. |
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[65750]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 1 Quia in VII Physic. dicitur : unumquodque
perfectum est quando attingit propriam virtutem. Propria autem virtus
uniuscuiusque est eius naturalis perfectio. Ergo ad perfectionem hominis
sufficit sibi virtus connaturalis. Haec autem est quae per principia
naturalia causari potest. Non igitur requiritur ad perfectionem hominis quod
habeat aliquam virtutem ex infusione. |
1. Car il est dit,
dans Physique, VII : «Chaque chose est parfaite lorsqu’elle atteint sa
propre vertu.» Or, la vertu propre de chaque chose est sa perfection
naturelle. Une vertu qui lui est connaturelle suffit donc à l’homme. Or,
celle-ci est celle qui est causée par ses principes naturels. Il n’est donc
pas nécessaire pour la perfection de l’homme qu’il reçoive quelque vertu par
infusion. |
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[65751] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 2 Sed dicebatur, quod oportet hominem perfici per
virtutem non solum in ordine ad connaturalem finem, sed etiam in ordine ad
supernaturalem, qui est beatitudo vitae aeternae, ad quam ordinatur homo per
virtutes infusas.- Sed contra, natura non deficit in necessariis. Sed illud
quo indiget homo ad consecutionem ultimi finis, est sibi necessarium. Ergo
hoc potest habere per principia naturalia; non ergo indiget ad hoc infusione
virtutis. |
2. Mais on
pourrait dire qu’il est nécessaire que l’homme soit perfectionné par la
vertu, non seulement par rapport à sa fin connaturelle, mais aussi par
rapport à [sa fin] surnaturelle, qui est la béatitude de la vie éternelle, à
laquelle l’homme est ordonné par les vertus infuses. – En sens contraire : la nature ne laisse pas
dépourvu pour les choses nécessaires. Or, ce dont l’homme a besoin pour
obtenir sa fin ultime lui est nécessaire. Il peut donc l’avoir par ses
principes naturels. L’homme n’a donc pas besoin pour cela de l’infusion d’une
vertu. |
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[65752] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 3 Praeterea,
semen agit in virtute eius a quo emittitur. Aliter enim semen animalis cum
sit imperfectum, non posset sua actione perducere ad speciem perfectam. Sed
semina virtutum sunt nobis immissa a Deo; ut enim dicitur in Glossa, Deus
inseminavit omni animae initia intellectus et sapientiae. Ergo huiusmodi
semina agunt in virtute Dei. Cum igitur ex huiusmodi seminibus causetur
virtus acquisita, videtur quod virtus acquisita possit ducere ad fruitionem
Dei, in qua consistit beatitudo vitae aeternae. |
3. La semence agit
par la puissance de celui dont elle provient. Autrement, la semence d’un
animal, puisqu’elle est imparfaite, ne pourrait conduire par son action à une
espèce parfaite. Or, les semences des vertus sont mises en nous par Dieu,
comme il est dit dans la Glose : «Dieu a semé en toute âme les commencements
de l’intelligence et de la sagesse.» Puisque la vertu acquise est causée par
les semences de ce genre, il semble que la vertu acquise puisse mener à la
jouissance de Dieu, dans laquelle consiste la béatitude de la vie éternelle. |
|
[65753] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 4 Praeterea,
virtus ordinat hominem ad beatitudinem vitae aeternae, in quantum est actus
meritorius. Sed actus virtutis acquisitae potest esse meritorius vitae
aeternae, si sit gratia informatus. Ergo ad
beatitudinem vitae aeternae non est necessarium habere virtutes infusas. |
4. La vertu
ordonne l’homme à la béatitude de la vie éternelle, pour autant qu’il s’agit
d’un acte méritoire. Or, l’acte de la vertu acquise peut être méritoire de la
vie éternelle, s’il reçoit forme de la grâce. Pour la béatitude de la vie
éternelle, il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait des vertus infuses. |
|
[65754] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 5 Praeterea,
radix merendi caritas est. Si igitur necessarium esset habere virtutes infusas ad
merendum vitam aeternam, videtur quod sola caritas sufficeret; et ita non
oportet habere aliquas alias virtutes infusas. |
5. La racine du
mérite est la charité. Si donc il est nécessaire de posséder des vertus
infuses pour mériter la vie éternelle, il semble que seule la charité
suffirait. Et ainsi, il n’est pas nécessaire d’avoir d’autres vertus infuses. |
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[65755] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 6 Praeterea, virtutes morales necessariae sunt ad hoc
quod inferiores vires rationi subdantur. Sed per virtutes acquisitas
sufficienter rationi subduntur. Non ergo necessarium est quod sint aliquae
virtutes infusae morales ad hoc quod ratio ordinetur ad aliquem specialem finem;
sed sufficit quod ratio hominis in illum supernaturalem finem dirigatur. Hoc
autem sufficienter fit per fidem. Ergo non oportet
habere aliquas alias virtutes infusas. |
6. Les vertus
morales sont nécessaires pour que les puissances inférieures soient soumises
à la raison. Or, elles sont suffisamment soumises à la raison par les vertus
acquises. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait des vertus morales infuses
pour que la raison soit ordonnée à une fin particulière, mais la raison de
l’homme suffit pour qu’il soit orienté vers cette fin surnaturelle. Or, cela
se réalise suffisamment par la foi. Il n’est donc pas nécessaire de posséder
d’autres vertus infuses. |
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[65756] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 7 Praeterea, id quod fit virtute divina, non differt
specie ab eo quod fit operatione naturae. Eadem enim
specie est sanitas quam aliquis miraculose recuperat, et quam natura
operatur. Si igitur sit aliqua virtus infusa, quae a Deo esset in nobis, et
aliqua acquisita per actus nostros, non propter hoc specie differrent; puta,
si sit temperantia acquisita, et temperantia infusa. Duae autem formae quae
sunt unius speciei, non possunt simul esse in eodem subiecto. Ergo non potest
esse quod ille qui habet temperantiam acquisitam, habeat temperantiam
infusam. |
7. Ce qui est
réalisé par la puissance divine ne diffère pas par l’espèce de ce qui est
réalisé par l’opération de la nature. En effet, la santé que quelqu’un
retrouve miraculeusement est de même espèce que celle que la nature réalise.
Si donc il existe une vertu infuse, qui serait en nous par l’intervention de
Dieu, et une [vertu] acquise par nos actes, elles ne différeraient pas pour
autant par l’espèce, par exemple, s’il existe une tempérance acquise et une
tempérance infuse. Or, deux formes d’une seule espèce ne peuvent exister en
même temps dans le même sujet. Il ne peut donc pas se faire que celui qui
possède la tempérance acquise possède la tempérance infuse. |
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[65757] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 8 Praeterea,
species virtutis ex actibus cognoscitur. Sed sunt idem specie actus
temperantiae infusae et acquisitae. Ergo et virtutes specie eaedem. Probatio
mediae. Quaecumque conveniunt in materia et forma, sunt unius speciei. Sed
actus temperantiae infusae et acquisitae conveniunt in materia : uterque enim
est circa delectabilia tactus; conveniunt etiam in forma, quia uterque in
medietate consistit. Ergo actus temperantiae infusae et actus
temperantiae acquisitae sunt eiusdem speciei. |
8. L’espèce d’une vertu se reconnaît à ses actes. Or, les actes de la
tempérance infuse et de [la tempérance] acquise sont identiques par leur
espèce. Les vertus sont donc les mêmes selon leur espèce. Démonstration de la
mineure : tout ce qui a les mêmes matière et forme est d’une même espèce. Or,
les actes de la tempérance infuse et de [la tempérance] acquise ont la même
matière : en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Ils ont
aussi la même forme, car les deux consistent dans un milieu. Les actes de la
tempérance infuse et les actes de la tempérance acquise sont donc de la même
espèce. |
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[65758] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 9 Sed
dicendum, quod differunt specie, eo quod ordinantur ad alium et ad alium
finem : ex fine enim sumuntur species in moralibus. Sed contra, secundum id
aliqua possunt specie differre a quo sumitur species rei. Sed species in
moralibus non sumitur a fine ultimo, sed a fine proximo : aliter enim omnes
virtutes essent unius speciei, cum omnes ad beatitudinem ordinentur sicut ad
ultimum finem. Ergo ex ordine ad ultimum finem non possunt dici in moralibus
aliqua esse eiusdem speciei, vel specie differre; et ita temperantia infusa
non differt specie a temperantia acquisita, ex hoc quod ordinat hominem in
beatitudinem altiorem. |
9. Mais elles diffèrent par l’espèce du fait qu’elles sont ordonnées à
une fin différente : en effet, l’espèce se prend de la fin en matière morale.
En sens contraire : certaines choses peuvent
différer par l’espèce en raison de ce dont est tirée l’espèce de la chose.
Or, l’espèce en matière morale n’est pas tirée de la fin ultime, mais de la
fin prochaine, autrement, toutes les vertus auraient la même espèce, puisque
toutes sont ordonnées à la béatitude comme à la fin ultime. On ne peut donc
pas dire qu’en matière morale, certaines choses sont de la même espèce ou
diffèrent par l’espèce selon leur rapport à la fin ultime. Et ainsi, la
tempérance infuse ne diffère pas spécifiquement de la tempérance acquise par
le fait qu’elle ordonne l’homme à une béatitude plus élevée. |
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[65759] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 10 Praeterea,
nullus habitus moralis consequitur speciem ex hoc quod ab aliquo habitu
movetur. Contingit enim unum habitum moralem moveri vel imperari a diversis
secundum speciem; sicut habitus intemperantiae movetur ab habitu avaritiae,
cum quis moechatur ut furetur; ab habitu autem crudelitatis, cum quis
moechatur ut occidat. Et e converso diversi habitus secundum speciem ab eodem
habitu imperantur; puta cum unus moechatur ut furetur, alter vero occidit ut
furetur. Sed temperantia vel fortitudo, aut aliqua
aliarum virtutum moralium non habet actum ordinatum ad beatitudinem vitae
aeternae, nisi in quantum imperatur a virtute quae ultimum finem habet pro
obiecto. Ergo ex hoc non consequitur speciem; et ita per hoc virtus infusa
moralis non differt specie a virtute acquisita per hoc quod ordinatur ad
finem vitae aeternae. |
10. Aucun habitus moral n’obtient son espèce par le fait qu’il est mû
par un autre habitus. En effet, il arrive qu’un habitus moral soit mû ou
commandé par des [habitus] différents selon leur espèce, comme l’habitus
d’intempérance est mû par l’habitus d’avarice, lorsque quelqu’un commet
l’adultère en vue de voler; et par l’habitus de la cruauté, lorsque quelqu’un
commet l’adultère en vue de tuer. En sens inverse, des habitus différents
selon l’espèce sont commandés par le même habitus, par exemple, lorsqu’un
homme commet l’adultère pour voler, et qu’un autre tue pour voler. Or, l’acte
de la tempérance ou de la force, ou d’aucune autre vertu morale, n’est
ordonné à la béatitude de la vie éternelle que dans la mesure où il est
commandé par la vertu qui a pour objet la vie éternelle. Il ne reçoit donc
pas par là son espèce. Et ainsi, la vertu morale infuse ne diffère pas
spécifiquement de la vertu acquise par le fait qu’elle est ordonnée à la fin
de la vie éternelle. |
|
[65760]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 11 Praeterea, virtus infusa est in mente sicut
in subiecto : dicit enim Augustinus, quod virtus est bona qualitas mentis,
quam Deus in nobis sine nobis operatur. Sed virtutes morales non sunt in mente sicut in subiecto : nam
temperantia et fortitudo sunt irrationabilium partium, ut philosophus dicit
III Ethic. Ergo virtutes morales non sunt infusae. |
11. La vertu infuse se trouve dans l’esprit comme dans son sujet. En
effet, Augustin dit que la vertu est une bonne qualité de l’esprit, que Dieu
réalise en nous sans nous. Or, les vertus morales ne se trouvent pas dans
l’esprit comme dans leur sujet, car la tempérance et la force appartiennent
aux parties non raisonnables, comme le dit le Philosophe dans Éthique, III.
Les vertus morales ne sont donc pas infuses. |
|
[65761] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 12 Praeterea, contraria sunt unius rationis. Sed vitium quod est
contrarium virtuti, nunquam infunditur, sed solum ex actibus nostris
causatur. Ergo nec virtutes infunduntur, sed solum ex actibus nostris
causantur. |
12. Les contraires relèvent d’une seule raison. Or, le vice, qui est
le contraire de la vertu, n’est jamais infus, mais est causé par nos actes
seulement. Les vertus ne sont donc pas non plus infuses, mais sont causées
par nos seuls actes. |
|
[65762]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 13 Praeterea, homo ante acquisitionem virtutis
est in potentia ad virtutes. Sed potentia et actus sunt unius generis : omne
enim genus dividitur per potentiam et actum, ut patet in III Physic. Cum ergo potentia ad virtutem non sit ex infusione, videtur quod nec
virtus ex infusione sit. |
13. Avant l’acquisition de la vertu, l’homme est en puissance par
rapport à la vertu. Or, la puissance et l’acte appartiennent au même genre :
en effet, tout genre se divise en puissance et en acte, comme cela ressort
clairement de Physique, III. Puisque la puissance à la vertu ne vient
pas d’une infusion, il semble donc que la vertu non plus ne vienne pas d’une
infusion. |
|
[65763] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 14 Praeterea,
si virtutes infunduntur, oportet quod simul infunduntur. Cum gratia autem
infunditur homini qui in peccato fuit, in actu; tunc non infunduntur sibi
habitus virtutum moralium : adhuc enim post contritionem patitur passionum
molestias; quod non est virtuosi, sed forte continentis : differt enim
continens a temperato per hoc quod continens patitur quidem, sed non
deducitur; temperatus autem non patitur, ut dicitur in VII Ethic. Ergo
videtur quod virtutes non sint nobis ex infusione gratiae. |
14. Si les vertus sont infusées, il est nécessaire qu’elles soient
infusées en même temps. Or, lorsque la grâce est infusée dans l’homme qui
était pécheur en acte, les habitus des vertus morales ne sont pas infusés en
lui : en effet, après la contrition, il souffre encore des tiraillements des
passions, ce qui n’est pas le fait de l’homme vertueux, mais peut-être de
celui qui est continent. En effet, l’homme continent diffère de celui qui est
tempérant par le fait que l’homme continent souffre, mais ne cède pas, alors
que celui qui est tempérant ne souffre pas, comme il est dit dans Éthique,
VII. Il semble donc que les vertus ne se trouvent pas en nous par
infusion de la grâce. |
|
[65764] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 15 Praeterea,
dicit philosophus II Ethic., quod signum generati habitus oportet accipere
fientem in operatione delectationem. Sed post contritionem non statim
delectabiliter aliquis operatur ea quae sunt virtutum moralium. Ergo nondum
habet habitum virtutum; non ergo virtutes morales causantur in nobis ex
infusione gratiae. |
15. Le Philosophe dit, dans Éthique, II, que le signe de
l’habitus engendré est que celui qui agit trouve plaisir dans l’action. Or,
après la contrition, quelqu’un n’accomplit pas aussitôt avec plaisir ce qui
relève des vertus morales. Il ne possède donc pas encore l’habitus des
vertus. Les vertus morales ne sont donc pas causées en nous par l’infusion de
la grâce. |
|
[65765] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 16 Praeterea,
ponamus quod in aliquo ex multis actibus malis causatus sit aliquis habitus
vitiosus : manifestum est quod in uno actu contritionis dimittuntur sibi
peccata et infunditur gratia. Per unum autem actum non destruitur habitus
acquisitus, sicut nec per unum generatur. Cum igitur cum gratia simul
infundantur virtutes morales, sequitur quod habitus virtutis moralis simul
sit cum habitu vitii oppositi; quod est impossibile. |
16. Supposons que, chez quelqu’un, ait été causé par de nombreux actes
mauvais un habitus vicieux. Il est clair que, par un acte de contrition, ses
péchés lui sont remis et que la grâce est infusée. Or, l’habitus acquis n’est
pas détruit par un seul acte, de même qu’il n’est pas engendré par un seul.
Puisque les vertus morales sont infusées en même temps que la grâce, il en
découle que l’habitus d’une vertu morale existe en même temps que l’habitus
du vice opposé, ce qui est impossible. |
|
[65766]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 17 Praeterea, ex eodem generatur virtus et
corrumpitur, ut dicitur III Ethic. Si igitur virtus non causetur in nobis ex
actibus nostris, videtur sequi quod neque ex actibus nostris corrumpatur; et
ita sequitur quod aliquis peccando mortaliter non amittat virtutem : quod est
inconveniens. |
17. La vertu est engendrée et corrompue par la même chose, comme il
est dit dans Éthique, III. Si donc la vertu n’est pas causée en nous
par nos actes, il semble en découler qu’elle n’est pas non plus corrompue par
nos actes. Il en découle ainsi que quelqu’un ne perd pas la vertu en péchant
mortellement, ce qui est incorrect. |
|
[65767] De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 18 Praeterea,
idem videtur esse mos et consuetudo. Ergo et eadem est virtus moralis et
consuetudinalis. Sed virtus consuetudinalis dicitur ex consuetudine; causatur
enim ex frequenti bene agere. Ergo omnis virtus moralis causatur ex actibus,
et non ex infusione gratiae. |
18. La coutume [mos, moris] et l’habitude semblent être
la même chose. Et donc aussi, la vertu morale et l’habitude. Or, la vertu est
dite habituelle à partir de l’habitude : en effet, elle est causée par le
fait de bien agir fréquemment. Toute vertu morale est donc causée par nos
actes, et non par l’infusion de la grâce. |
|
[65768]
De virtutibus, q. 1 a. 10 arg. 19 Praeterea, si aliquae virtutes sunt
infusae, oportet quod earum actus sint efficaciores quam actus hominis non
habentis virtutes. Sed ex huiusmodi actibus causatur aliquis habitus virtutis
in nobis. Ergo et ex actibus virtutum infusarum, si aliquae sunt tales. Sed
sicut dicitur II Ethic., quales sunt habitus, tales actus reddunt; et quales
sunt actus, tales habitus causant. Habitus igitur causati ex actibus virtutum
infusarum, sunt eiusdem speciei cum virtutibus infusis. Sequitur igitur quod
duae formae eiusdem speciei sunt simul in eodem subiecto. Hoc est autem
impossibile. Ergo impossibile videtur quod sint in nobis aliquae virtutes
infusae. |
19. Si certaines vertus sont infuses, il est nécessaire que leurs
actes soient plus efficaces que les actes d’un homme qui n’a pas [ces]
vertus. Or, un habitus de vertu est causé en nous par les actes de ce genre,
et donc aussi par les actes des vertus infuses, s’il en existe. Or, il est
dit dans Éthique, II, que tels sont les habitus, tels ils rendent les
actes; et que tels sont les actes, tels habitus ils causent. Les habitus
causés par les actes des vertus infuses sont donc de la même espèce que les
vertus infuses. Il en découle donc que deux formes de même espèce existent en
même temps dans le même sujet. Or, cela est impossible. Il semble donc
impossible qu’il existe en nous des vertus infuses. |
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[65769] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 1 Sed contra. Lucae, XXIV, 49, dicitur : sedete hic in civitate donec
induamini virtute ex alto. |
Cependant : 1. Il est dit en Lc 24, 49 : Demeurez ici dans la ville,
jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une vertu venue d’en haut. |
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[65770] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 2 Praeterea,
Sap., VIII, 7, de divina sapientia dicitur, quod sobrietatem et iustitiam
docet, et cetera. Docet autem spiritus sapientiae virtutem, eam
causando. Ergo videtur quod virtutes morales sint nobis
infusae a Deo. |
2. Il est dit de la sagesse divine, dans Sg 8, 7, qu’elle
enseigne la sobriété et la justice, etc. Or, l’Esprit de sagesse enseigne la
vertu en la causant. Il semble donc que les vertus morales soient infusées en
nous par Dieu. |
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[65771] De virtutibus, q. 1 a. 10 s. c. 3 Praeterea,
actus virtutum quarumlibet debent esse meritorii, ad hoc quod per eas in
beatitudinem ducamur. Sed meritum non potest esse nisi ex gratia. Ergo
videtur quod virtutes causantur in nobis ex infusione gratiae. |
3. Les actes de toutes les vertus doivent être méritoires pour que
nous soyons conduits par elles à la béatitude. Or, le mérite ne peut venir
que de la grâce. Il semble donc que les vertus soient causées en nous par
l’infusion de la grâce. |
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[65772] De virtutibus, q. 1 a. 10 co. Respondeo.
Dicendum, quod praeter virtutes acquisitas ex actibus nostris, sicut iam
dictum est, oportet ponere alias virtutes in homine a Deo infusas. Cuius
ratio hinc accipi potest, quod virtus, ut dicit philosophus, est quae bonum
facit habentem, et opus eius bonum reddit. Secundum igitur quod bonum
diversificatur in homine, oportet etiam quod et virtus diversificetur; sicut
patet quod aliud est bonum hominis in quantum et homo, et aliud in quantum
civis. Et manifestum est quod aliquae operationes possent esse convenientes
homini in quantum est homo, quae non essent convenientes ei secundum quod est
civis. Et propter hoc philosophus dicit in III Politic., quod alia est virtus
quae facit hominem bonum, et alia quae facit civem bonum. Considerandum est
autem, quod est duplex hominis bonum; unum quidem quod est proportionatum
suae naturae; aliud autem quod suae naturae facultatem excedit. Cuius ratio
est, quia oportet quod passivum consequatur perfectiones ab agente
diversimode secundum diversitatem virtutis agentis; unde videmus quod
perfectiones et formae quae causantur ex actione naturalis agentis, non
excedunt naturalem facultatem recipientis : potentiae enim passivae naturali
proportionatur virtus activa naturalis. Sed perfectiones et formae quae
proveniunt ab agente supernaturali infinitae virtutis, quod Deus est,
excedunt facultatem naturae recipientis. Unde anima rationalis, quae
immediate a Deo causatur, excedit capacitatem suae materiae, ita quod materia
corporalis non totaliter potest comprehendere et includere ipsam; sed remanet
aliqua virtus eius et operatio in qua non communicat materia corporalis; quod
non contingit de aliqua aliarum formarum quae causantur ab agentibus
naturalibus. Sicut autem homo suam primam perfectionem, scilicet animam,
acquirit ex actione Dei; ita et ultimam suam perfectionem, quae est perfecta
hominis felicitas, immediate habet a Deo, et in ipso quiescit : quod quidem
ex hoc patet quod naturale hominis desiderium in ullo alio quietari potest,
nisi in solo Deo. Innatum est enim homini ut ex causatis desiderio quodam
moveatur ad inquirendum causas; nec quiescit istud desiderium quousque
perventum fuerit ad primam causam, quae Deus est. Oportet igitur quod, sicut
prima perfectio hominis, quae est anima rationalis, excedit facultatem
materiae corporalis; ita ultima perfectio ad quam homo potest pervenire, quae
est beatitudo vitae aeternae, excedat facultatem totius humanae naturae. Et
quia unumquodque ordinatur ad finem per operationem aliquam; et ea quae sunt
ad finem, oportet esse aliqualiter fini proportionata; necessarium est esse
aliquas hominis perfectiones quibus ordinetur ad finem supernaturalem, quae
excedant facultatem principiorum naturalium hominis. Hoc autem esse non
posset, nisi supra principia naturalia aliqua supernaturalia operationum principia
homini infundantur a Deo. Naturalia autem operationum principia sunt essentia
animae, et potentiae eius, scilicet intellectus et voluntas, quae sunt
principia operationum hominis, in quantum huiusmodi; nec hoc esse posset,
nisi intellectus haberet cognitionem principiorum per quae in aliis
dirigeretur, et nisi voluntas haberet naturalem inclinationem ad bonum
naturae sibi proportionatum; sicut in praecedenti quaestione dictum est.
Infunditur igitur divinitus homini ad peragendas actiones ordinatas in finem
vitae aeternae primo quidem gratia, per quam habet anima quoddam spirituale
esse, et deinde fides, spes et caritas; ut per fidem intellectus illuminetur
de aliquibus supernaturalibus cognoscendis, quae se habent in isto ordine
sicut principia naturaliter cognita in ordine connaturalium operationum; per
spem autem et caritatem acquirit voluntas quamdam inclinationem in illud
bonum supernaturale ad quod voluntas humana per naturalem inclinationem non
sufficienter ordinatur. Et sicut praeter ista principia naturalia requiruntur
habitus virtutum ad perfectionem hominis secundum modum sibi connaturalem, ut
supra dictum est; ita ex divina influentia consequitur homo, praeter
praemissa supernaturalia principia, aliquas virtutes infusas, quibus
perficitur ad operationes ordinandas in finem vitae aeternae. |
Réponse : En plus des vertus acquises par nos actes, comme on l’a déjà dit, il
est nécessaire d’admettre d’autres vertus infusées dans l’homme par Dieu. La
raison peut en être saisie à partir du fait que, comme le dit le Philosophe,
c’est la vertu qui rend bon celui qui la possède et qui rend bon son acte.
Selon que le bien se différencie dans l’homme, il est donc nécessaire que la
vertu aussi se différencie, comme il est clair qu’il existe un bien de l’homme
en tant qu’homme, et un autre en tant qu’il est citoyen. Et il est clair que
certaines opérations peuvent convenir à l’homme en tant qu’il est homme, qui
ne lui conviendraient pas en tant qu’il est citoyen. Pour cette raison, le
Philosophe dit, dans Politique, III, qu’autre est la vertu qui rend
l’homme bon, et autre celle qui fait le bon citoyen. Or, il faut observer
qu’il existe un double bien de l’homme : l’un qui est proportionné à sa
nature; l’autre qui dépasse la capacité de sa nature. La raison en est qu’il
est nécessaire que ce qui reçoit reçoive les perfections de l’agent de
manière différente selon la diversité de la puissance de l’agent. Ainsi
voyons-nous que les perfections et les formes qui sont causées par l’action
d’un agent naturel ne dépassent pas la capacité naturelle de ce qui reçoit :
en effet, la puissance active naturelle est proportionnée à la puissance
passive naturelle. Or, les perfections et les formes qui viennent d’un agent
surnaturel d’une puissance infinie, qui est Dieu, dépassent la capacité de la
nature de celui qui reçoit. Aussi l’âme raisonnable, qui est immédiatement
causée par Dieu, dépasse-t-elle la capacité de sa matière, de telle sorte que
la matière corporelle ne peut l’embrasser et l’enclore totalement, mais qu’il
demeure en elle une certaine puissance et opération que ne partage pas la
matière corporelle; ce qui ne se produit pas pour l’une des autres formes qui
sont causées par les agents naturels. De même donc que l’homme reçoit sa
première perfection, à savoir, son âme, par l’action de Dieu, de même il
tient immédiatement de Dieu et se repose en lui pour sa perfection ultime,
qui est la parfaite félicité de l’homme. Pour sûr, cela ressort clairement
dans le fait que le désir naturel de l’homme ne peut se reposer en personne
d’autre qu’en Dieu seul. En effet, il est inné à l’homme d’être mû par un
certain désir à rechercher la cause à partir des choses causées, et ce désir
ne se repose pas avant d’être parvenu à la cause première, qui est Dieu. Il
est donc nécessaire que, de même que la première perfection de l’homme, qui
est l’âme raisonnable, dépasse la capacité de la matière corporelle, de même,
la perfection ultime à laquelle l’homme peut parvenir, et qui est la
béatitude de la vie éternelle, dépasse la capacité de toute la nature
humaine. Et parce que toute chose est ordonnée à sa fin par une opération, et
que ce qui est ordonné à une fin doit d’une certaine manière être
proportionné à la fin, il est nécessaire qu’il existe certaines perfections
de l’homme par lesquelles il est ordonné à sa fin surnaturelle, et qui
dépassent la capacité des principes naturels de l’homme. Or, cela ne peut se
faire que si, en plus des principes naturels, certains principes surnaturels
de ses opérations sont infusés dans l’homme par Dieu. Or, les principes
naturels des opérations sont l’essence de l’âme et ses puissances, à savoir,
l’intellect et la volonté, qui sont les principes des opérations de l’homme
en tant que tel; et cela ne pourrait pas non plus exister si l’intellect
n’avait une connaissance des principes par lesquels elle sera dirigée vers
d’autres choses, et si la volonté n’avait une inclination naturelle au bien
naturel qui lui est proportionné, comme on l’a dit dans la question
précédente. Premièrement, Dieu infuse donc dans l’homme, pour qu’il
accomplise les actions ordonnées à la fin de la vie éternelle, la grâce, par
laquelle l’âme obtient, en quelque sorte, d’exister spirituellement; puis la
foi, l’espérance et la charité, afin que, par la foi, l’intellect soit
éclairé sur certaines réalités surnaturelles qu’il doit connaître, qui jouent
dans cet ordre le rôle des principes connus naturellement dans l’ordre des
opérations connaturelles; par l’espérance et par la charité, la volonté
acquiert une certaine inclination vers ce bien surnaturel auquel la volonté
humaine n’est pas suffisamment ordonnée par inclination naturelle. Et de même
qu’en plus de ces principes naturels, sont requis les habitus des vertus pour
la perfection de l’homme selon un mode qui lui est connaturel, comme on l’a
dit plus haut, de même, par une imprégnation divine, l’homme obtient, en plus
des principes surnaturels déjà mentionnés, des vertus infuses, par lesquelles
il est perfectionné en vue d’ordonner ses opérations vers la fin de la vie
éternelle. |
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[65773] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod sicut secundum primam perfectionem homo est
perfectus dupliciter; uno modo secundum nutritivam et sensitivam, quae quidem
perfectio non excedit capacitatem materiae corporalis; alio modo secundum
partem intellectivam, quae naturalem et corporalem excedit : et secundum hanc
simpliciter est homo perfectus, primo autem modo secundum quid; ita et
quantum ad perfectionem finis, dupliciter homo potest esse perfectus : uno
modo secundum capacitatem suae naturae, alio modo secundum quamdam
supernaturalem perfectionem : et sic dicitur homo perfectus esse simpliciter;
primo autem modo secundum quid. Unde duplex competit virtus homini; una quae
respondet primae perfectioni, quae non est completa virtus; alia quae
respondet suae perfectioni ultimae : et haec est vera et perfecta hominis
virtus. |
Solutions : 1. Selon la première perfection de l’homme, l’homme est parfait de
deux manières : l’une, selon [les parties] nutritive et sensible, perfection
qui ne dépasse pas la capacité de la matière corporelle; l’autre, selon la
partie intellective, qui dépasse [la partie] naturelle et corporelle, l’homme
étant, selon celle-ci, tout simplement parfait, alors que, selon le premier
mode, [il ne l’est que] de manière relative. De même, quant à la perfection
de la fin, l’homme peut être parfait de deux manières : l’une, selon la
capacité de sa nature; l’autre, selon une certaine perfection surnaturelle.
De cette [seconde] manière, l’homme est appelé tout simplement parfait, mais
de la première manière, de manière relative. Aussi une double vertu se
rencontre-t-elle chez l’homme : l’une, qui répond à la première perfection,
qui n’est pas une vertu complète; l’autre, qui répond à sa perfection ultime,
et celle-ci est la véritable et parfaite vertu de l’homme. |
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[65774] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod natura providit homini in necessariis secundum suam
virtutem; unde respectu eorum quae facultatem naturae non excedunt, habet
homo a natura non solum principia receptiva, sed etiam principia activa. Respectu autem eorum quae facultatem naturae
excedunt, habet homo a natura aptitudinem ad recipiendum. |
2. La nature pourvoit l’homme du nécessaire selon sa nature. Aussi,
par rapport à ce qui ne dépasse pas la capacité de la nature, l’homme
possède-t-il par nature, non seulement des principes réceptifs, mais aussi
des principes actifs. Mais par rapport à ce qui dépasse la capacité de la
nature, l’homme reçoit de la nature une aptitude à recevoir. |
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[65775] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod semen hominis agit secundum totam virtutem hominis. Semina
autem virtutum animae humanae naturaliter indita non agunt secundum totam
virtutem Dei; unde non sequitur quod ex eis possit causari quidquid potest
causare Deus. |
3. La semence de l’homme agit selon toute la puissance de l’homme.
Mais les semences naturellement innées des vertus de l’âme humaine n’agissent
pas selon toute la puissance de Dieu. Aussi n’en découle-t-il pas que puisse
être causé par elles tout ce que Dieu peut causer. |
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[65776] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod cum nullum meritum sit sine caritate, actus virtutis
acquisitae, non potest esse meritorius sine caritate. Cum caritate autem
simul infunduntur aliae virtutes; unde actus virtutis acquisitae non potest
esse meritorius nisi mediante virtute infusa. Nam virtus ordinata in finem
inferiorem non facit actus ordinatum ad finem superiorem, nisi mediante
virtute superiori; sicut fortitudo, quae est virtus hominis qua homo, non
ordinat actum suum ad bonum politicum, nisi mediante fortitudine quae est
virtus hominis in quantum est civis. |
4. Comme il n’existe aucun mérite sans la charité, l’acte de la vertu
acquise ne peut être méritoire sans la charité. Mais, avec la charité, sont
infusées les autres vertus; aussi l’acte de la vertu acquise ne peut-il être
méritoire que par l’intermédiaire de la vertu infuse. Car la vertu ordonnée à
une fin inférieure ne produit pas un acte ordonné à une fin supérieure, si ce
n’est par l’intermédiaire d’une vertu supérieure, comme la force, qui est une
vertu de l’homme en tant qu’homme, n’ordonne son acte au bien politique que
par l’intermédiaire de la force qui une vertu de l’homme en tant que citoyen. |
|
[65777]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod quando aliqua actio
procedit ex pluribus agentibus ad invicem ordinatis, eius perfectio et
bonitas impediri potest per impedimentum unius agentium, etiam si aliud
fuerit perfectum : quantumcumque enim artifex sit perfectus, non faciet
operationem perfectam, si instrumentum fuerit defectivum. In operationibus autem hominis quas oportet bonas
fieri per virtutem, hoc considerandum est : quod actio superioris potentiae
non dependet ab inferiori potentia; sed actio inferioris dependet a
superiori. Et ideo ad hoc quod actus inferiorum virium sint perfecti,
scilicet irascibilis et concupiscibilis, requiritur quod non solum
intellectus sit ordinatus in finem ultimum per fidem, et voluntas per
caritatem; sed etiam quod inferiores vires, scilicet irascibilis et
concupiscibilis, habeant proprias operationes, ad hoc quod earum actus sint
boni, et ordinabiles in finem ultimum. |
5. Lorsqu’une
action est issue de plusieurs agents ordonnés les uns aux autres, sa
perfection et sa bonté peuvent être empêchées par l’empêchement d’un seul des
agents, même si un autre est parfait : en effet, aussi parfait que soit
l’artisan, il ne fera pas une opération parfaite si l’instrument est
déficient. Or, dans les opérations de l’homme qui peuvent être rendues bonnes
par la vertu, il faut observer que l’action de la puissance supérieure ne
dépend pas d’une puissance inférieure, mais que l’action d’une [puissance]
inférieure dépend d’une [puissance] supérieure. C’est pourquoi, pour que les
actes des puissances inférieures, à savoir, l’irascible et le concupiscible,
soient parfaits, il est nécessaire, non seulement que la foi soit ordonnée à
la fin ultime par la foi et la volonté par la charité, mais aussi que les
puissances inférieures, à savoir l’irascible et le concupiscible, aient leurs
opérations propres, pour que leurs actes soient bons et puissent être
ordonnés à la fin ultime. |
|
[65778] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 6 Unde etiam patet solutio ad sextum. |
6. La solution à
la sixième objection est ainsi claire. |
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[65779] De
virtutibus, q. 1 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod omnem formam quam
operatur natura, potest etiam eamdem specie Deus operari per seipsum sine
operatione naturae : et secundum hoc, sanitas quae a Deo miraculose
perficitur, est eiusdem speciei cum sanitate quam facit natura. Unde non
sequitur quod omnem formam quam Deus potest facere, possit etiam natura
perficere; unde non oportet quod virtus infusa, quae est immediate a Deo, sit
eiusdem speciei cum virtute acquisita. |
7. Dieu peut réaliser par lui-même, sans opération de la nature, toute
forme que la nature réalise. Et ainsi, la santé qui est miraculeusement
réalisée par Dieu est de la même espèce que la santé que réalise la nature.
Aussi n’en découle-t-il pas que la nature puisse réaliser toute forme que
Dieu peut faire. Il n’est pas nécessaire que la vertu infuse, qui vient
immédiatement de Dieu, soit de la même espèce que la vertu acquise. |
|
[65780]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod temperantia infusa
et acquisita conveniunt in materia, utraque enim est circa delectabilia
tactus; sed non conveniunt in forma effectus vel actus : licet enim utraque
quaerat medium, tamen alia ratione requirit medium temperantia infusa quam
temperantia acquisita. Nam temperantia infusa exquirit medium
secundum rationes legis divinae, quae accipiuntur ex ordine ad ultimum finem;
temperantia autem acquisita accipit medium secundum inferiores rationes, in
ordine ad bonum praesentis vitae. |
8. La tempérance infuse et [la tempérance] acquise ont en commun une
matière : en effet, les deux portent sur les plaisirs du toucher. Mais elles
n’ont pas en commun la forme de l’effet ou de l’acte. En effet, bien que les
deux recherchent un milieu, la tempérance infuse recherche un milieu pour une
autre raison que la tempérance acquise. Car la tempérance infuse recherche un
milieu selon les raisons de la loi divine, qui sont prises de l’ordre à la
fin ultime; mais la tempérance acquise reçoit un milieu selon des raisons
inférieures, par rapport au bien de la vie présente. |
|
[65781] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod ultimus finis non dat speciem in moralibus nisi quatenus
in fine proximo est debita proportio ad ultimum finem; oportet enim ea quae
sunt ad finem, esse proportionata fini. Et hoc etiam bonitas consilii
requirit, ut quis convenienti medio finem sortiatur, ut patet per philosophum
VI Metaph. |
9. La fin ultime ne donne pas l’espèce en matière morale si ce n’est
dans la mesure où, dans la fin prochaine, existe une proportion adéquate à la
fin ultime : en effet, il est nécessaire que ce qui est ordonné à la fin soit
proportionné à la fin. Et la bonté du conseil exige aussi cela, afin que
quelqu’un atteigne la fin par un moyen convenable, comme cela ressort
clairement de ce que dit le Philosophe dans Métaphysique, VI. |
|
[65782] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 10 Ad
decimum dicendum, quod actus alicuius habitus, prout imperatur ab illo
habitu, accipit quidem speciem moralem, formaliter loquendo, de ipso actu;
unde cum quis fornicatur ut furetur, actus iste licet materialiter sit
intemperantiae, tamen formaliter est avaritiae. Sed licet actus
intemperantiae accipiat aliqualiter speciem, prout imperatur ab avaritia; non
tamen ex hoc intemperantia speciem accipit secundum quod actus est ab avaritia
imperatus. Ex hoc ergo quod actus temperantiae vel fortitudinis imperantur a
caritate ordinante eos in ultimum finem; ipsi quidem actus formaliter speciem
sortiuntur : nam formaliter loquendo fiunt actus caritatis; non tamen ex hoc
sequeretur quod temperantia vel fortitudo speciem sortiantur. Non igitur
temperantia et fortitudo infusae differunt specie ab acquisitis ex hoc quod
imperantur a caritate earum actus; sed ex hoc quod earum actus secundum eam
rationem sunt in medio constituti, prout ordinabiles ad ultimum finem qui est
caritatis obiectum. |
10. L’acte d’un habitus, pour autant qu’il est commandé par cet
habitus, reçoit son espèce morale, à parler formellement, de l’acte lui-même.
Aussi, lorsque quelqu’un fornique en vue de voler, cet acte, bien qu’il soit
matériellement un acte d’intempérance, est cependant formellement un acte
d’avarice. Mais bien que l’acte d’intempérance reçoive d’une certaine façon
son espèce pour autant qu’il est commandé par l’avarice, l’intempérance ne
reçoit cependant pas son espèce par le fait que l’acte est commandé par
l’avarice. Du fait qu’un acte de tempérance ou de force est commandé par la
charité qui les ordonne à la fin ultime, ces actes mêmes reçoivent
formellement leur espèce, car, à parler formellement, ils deviennent des
actes de charité; toutefois il n’en découlerait pas que la tempérance ou la
force en reçoivent leur espèce. La tempérance et la force infuses ne
diffèrent donc pas spécifiquement de [la tempérance et de la force] acquises
par le fait que leurs actes sont commandés par la charité, mais par le fait
que leurs actes sont établis selon la raison dans un milieu, consistant en ce
qu’ils peuvent être ordonnés à la fin ultime qui est l’objet de la charité. |
|
[65783]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod temperantia
infusa est in irascibili, irascibilis autem et concupiscibilis sic accipiunt
nomen rationis vel rationalis, in quantum participant aliqualiter ratione, in
quantum obediunt ei. Illa ergo secundum eumdem modum accipiunt nomen mentis,
prout obediunt menti; ut verum sit quod Augustinus dicit, quod virtus infusa
est bona qualitas mentis. |
11. La tempérance infuse se trouve dans l’irascible, mais l’irascible
et le concupiscible prennent le nom de raison ou de raisonnable pour autant
qu’ils participent d’une certaine manière à la raison, dans la mesure où ils
lui obéissent. De la même manière, les choses qui obéissent à l’esprit
prennent le nom d’esprit, de sorte que ce que dit Augustin est vrai, que la
vertu infuse est une bonne qualité de l’esprit. |
|
[65784] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod vitium hominis est per hoc quod ad
inferiora reducitur; sed virtus eius est per hoc quod in superiora elevatur;
et ideo vitium non potest esse ex infusione, sed solum virtus. |
12. Le vice de
l’homme consiste en ce qu’il est ramené aux choses inférieures. Mais sa vertu
consiste en ce par quoi il est élevé aux choses supérieures. C’est pourquoi
il ne peut y avoir de vice par infusion, mais seulement une vertu. |
|
[65785] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod quando aliquod passivum natum est consequi
diversas perfectiones a diversis agentibus ordinatis, secundum differentiam
et ordinem potentiarum activarum in agentibus, est differentia et ordo potentiarum
passivarum in passivo; quia potentiae passivae respondet potentia activa :
sicut patet quod aqua vel terra habet aliquam potentiam secundum quam nata
est moveri ab igne; et aliam secundum quam nata est moveri a corpore
caelesti; et ulterius aliam secundum quam nata est moveri a Deo. Sicut enim
ex aqua vel terra potest aliquid fieri virtute corporis caelestis, quod non
potest fieri virtute ignis; ita ex eis potest aliquid fieri virtute
supernaturalis agentis quod non potest fieri virtute alicuius naturalis
agentis; et secundum hoc dicimus, quod in tota creatura est quaedam
obedientialis potentia, prout tota creatura obedit Deo ad suscipiendum in se
quidquid Deus voluerit. Sic igitur et in anima est aliquid in potentia, quod
natum est reduci in actum ab agente connaturali; et hoc modo sunt in potentia
in ipsa virtutes acquisitae. Alio modo aliquid est in potentia in anima
quod non est natum educi in actum nisi per virtutem divinam; et sic sunt in
potentia in anima virtutes infusae. |
13. Lorsque ce qui est passif est destiné à recevoir diverses
perfections de divers agents ordonnés, il existe dans ce qui est passif une
différence et un ordre entre les puissances passives, conformément à la
différence et à l’ordre des puissances actives, car la puissance active
correspond à la puissance passive. Ainsi, il est clair que l’eau ou la terre
possèdent une certaine puissance qui les destine à être mues par le feu, une
autre selon laquelle elles sont destinées à être mues par un corps céleste,
et une autre encore selon laquelle elles sont destinées à être mues par Dieu.
En effet, de même que quelque chose peut être fait à partir de l’eau ou de la
terre par la puissance d’un corps céleste, qui ne peut être réalisé par la
puissance du feu, de même quelque chose peut être réalisé par la puissance
d’un agent surnaturel, qui ne peut être accompli par la puissance d’un agent
naturel. Pour cette raison, nous disons qu’en toute créature, existe une
certaine puissance obédientielle, au sens où toute créature obéit à Dieu pour
recevoir en elle tout ce que Dieu voudra. Ainsi donc, il existe aussi dans
l’âme quelque chose en puissance, qui est destiné à être amené à l’acte par
un agent connaturel, et, de cette manière, les vertus acquises existent en
puissance en elle. D’une autre manière, il existe dans l’âme quelque chose
qui n’est destiné à être amené à l’acte que par la puissance divine, et ainsi
existent dans l’âme les vertus infuses. |
|
[65786]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod passiones ad
malum inclinantes non totaliter tolluntur neque per virtutem acquisitam neque
per virtutem infusam, nisi forte miraculose; quia semper remanet colluctatio
carnis contra spiritum, etiam post moralem virtutem; de qua dicit apostolus,
Gal., V, 17, quod caro concupiscit adversus spiritum, spiritus autem
adversus carnem. Sed tam per virtutem acquisitam quam infusam
huiusmodi passiones modificantur, ut ab his homo non effrenate moveatur. Sed
quantum ad aliquid praevalet in hoc virtus acquisita, et quantum ad aliquid
virtus infusa. Virtus enim acquisita praevalet quantum ad hoc quod talis
impugnatio minus sentitur. Et hoc habet ex causa sua : quia per frequentes
actus quibus homo est assuefactus ad virtutem, homo iam dissuevit talibus
passionibus obedire, cum consuevit eis resistere; ex quo sequitur quod minus
earum molestias sentiat. Sed praevalet virtus infusa quantum ad hoc quod
facit quod huiusmodi passiones etsi sentiantur, nullo tamen modo dominentur.
Virtus enim infusa facit quod nullo modo obediatur concupiscentiis peccati;
et facit hoc infallibiliter ipsa manente. Sed virtus acquisita deficit in
hoc, licet in paucioribus, sicut et aliae inclinationes naturales deficiunt
in minori parte; unde apostolus, Rom., VII, 5 : cum essemus in carne,
passiones peccatorum quae per legem erant, operabantur in membris nostris, ut
fructificarent morti; nunc autem soluti sumus a lege mortis in qua
detinebamur, ita ut serviamus in novitate spiritus, et non in vetustate
litterae. |
14. Les passions qui inclinent au mal ne sont totalement enlevées ni
par la vertu acquise, ni par la vertu infuse, si ce n’est par miracle; car la
lutte de la chair contre l’esprit demeure toujours, même après la vertu
morale. L’Apôtre [Paul] en parle dans Ga 5, 17 : La chair
convoite à l’encontre de l’esprit, mais l’esprit contre la chair. Mais
ces passions sont réglées tant par la vertu acquise que par [la vertu]
infuse, de sorte que l’homme ne soit pas mû par elles de manière effrénée.
Mais, sur un point, la vertu acquise l’emporte, et sur un autre, la vertu
infuse. En effet, la vertu acquise l’emporte parce qu’elle fait en sorte que
ce combat est moins ressenti. Et elle tient cela de sa cause, car par les
actes fréquents par lesquels l’homme s’est accoutumé à la vertu, l’homme a
ainsi perdu l’habitude d’obéir à ces passions, puisqu’il a pris l’habitude de
leur résister, d’où il découle qu’il ressent moins leurs tourments. Mais la
vertu infuse l’emporte parce qu’elle fait en sorte que même si ces passions
sont ressenties, toutefois elles ne l’emportent aucunement. En effet, la
vertu infuse fait qu’on n’obéit aucunement aux convoitises du péché, et elle
fait cela d’une manière infaillible aussi longtemps qu’elle demeure. Mais la
vertu acquise est déficiente sur ce point, bien que chez un plus petit
nombre, comme sont déficientes les autres inclinations naturelles chez une
minorité. Aussi l’Apôtre dit-il en Rm 7, 5 : Lorsque nous étions
dans la chair, les passions des péchés, qui existaient en raison de la loi,
agissaient dans nos membres pour porter un fruit de mort. Mais maintenant,
nous sommes libérés de la loi de mort par laquelle nous étions détenus, afin
de servir dans la nouveauté de l’esprit, et non dans la vétusté de la lettre. |
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[65787] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod quia a principio virtus infusa non semper ita
tollit sensum passionum sicut virtus acquisita, propter hoc a principio non
ita delectabiliter operatur. Non tamen hoc est contra rationem virtutis, quia
quandoque ad virtutem sufficit sine tristitia operari; nec requiritur quod
delectabiliter operetur propter molestias quae sentiuntur; sicut philosophus
dicit III Ethic., quod forti sufficit sine tristitia operari. |
15. Parce qu’au début, la vertu infuse n’enlève pas autant la
perception des passions que la vertu acquise, pour cette raison, elle n’est
pas accomplie aussi agréablement au début. Toutefois, cela ne va pas à
l’encontre de la raison de vertu, car il suffit parfois pour la vertu d’agir
sans tristesse, et il n’est pas nécessaire d’agir avec plaisir, en raison des
désagréments qui sont éprouvés. Ainsi, le Philosophe dit, dans Éthique, III,
qu’il suffit pour le fort d’agir sans tristesse. |
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[65788]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet per
actum unum simplicem non corrumpatur habitus acquisitus, tamen actus
contritionis habet quod corrumpat habitum vitii generatum ex virtute gratiae;
unde in eo qui habuit habitum intemperantiae, cum conteritur, non remanet cum
virtute temperantiae infusa habitus intemperantiae in ratione habitus, sed in
via corruptionis, quasi dispositio quaedam. Dispositio autem non contrariatur
habitui perfecto. |
16. Bien que l’habitus acquis ne soit pas corrompu par un seul acte
propre, l’acte de contrition fait cependant en sorte de corrompre, par la
puissance de la grâce, l’habitus du vice engendré. Aussi, chez celui qui
avait l’habitus d’intempérance, lorsqu’il est contrit, l’habitus
d’intempérance ne reste-t-il pas selon la raison d’habitus avec la vertu
infuse de tempérance, mais comme tendance à la corruption, comme une certaine
disposition. Or, une disposition n’est pas contraire à un habitus parfait. |
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[65789] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod licet virtus infusa non causetur ex actibus,
tamen actus possunt ad eam disponere; unde non est inconveniens quod per
actus corrumpatur; quia per indispositionem materiae tollitur forma, sicut
propter indispositionem corporis anima separatur. |
17. Bien que la
vertu infuse ne soit pas causée par des actes, toutefois des actes peuvent y
disposer. Aussi n’est-il pas inconvenant qu’elle soit corrompue par des
actes, car la forme est enlevée par l’indisposition de la matière, de même
qu’en raison de l’indisposition du corps, l’âme est séparée. |
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[65790]
De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod virtus
moralis non dicitur a more secundum quod mos non significat consuetudinem
appetitivae virtutis; secundum hoc enim virtutes infusae possent dici
morales, licet non causentur ex consuetudine. |
18. Une vertu
n’est pas appelée morale à partir de mos [habitude], au sens où mos
ne signifie pas une habitude de la puissance appétitive. En effet, si tel
était le cas, les vertus infuses pourraient être dites morales, bien qu’elles
ne soient pas causées par une habitude. |
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[65791] De virtutibus, q. 1 a. 10 ad 19 Ad
decimumnonum dicendum, quod actus virtutis infusae non causant aliquem
habitum, sed per eos augetur habitus praeexistens : quia nec ex actibus
virtutis acquisitae aliquis habitus generatur; alias multiplicarentur habitus
in infinitum. |
19. Les actes de
la vertu infuse ne causent pas d’habitus, mais l’habitus préexistant est
augmenté par eux, car un habitus n’est pas non plus engendré par les actes de
la vertu acquise. Autrement, les habitus seraient multipliés à l’infini. |
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Articulus 11 : [65792] De virtutibus, q. 1
a. 11 tit. 1 Undecimo quaeritur utrum virtus infusa augeatur |
Article 11 – La vertu infuse est-elle augmentée ? |
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[65793] De virtutibus, q. 1 a. 11 tit. 2 Et
videtur quod non. |
Objections : Il semble que non. |
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[65794] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 1 Nihil
enim augetur nisi quantum. Virtus autem non est quantitas, sed qualitas. Ergo non augetur. |
1. Rien n’est
augmenté qui ne soit une quantité. Or, la vertu n’est pas une quantité, mais
une qualité. Elle n’est donc pas augmentée. |
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[65795] De
virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 2 Praeterea, virtus est forma accidentalis. Sed
forma est simplicissima et invariabili essentia consistens. Ergo virtus non
variatur secundum suam essentiam; ergo nec secundum essentiam augetur. |
2. La vertu est une
forme accidentelle. Or, la forme a une essence très simple et invariable. La
vertu ne varie donc pas selon son essence. Elle n’est donc pas augmentée non
plus selon son essence. |
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[65796] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 3 Praeterea,
quod augetur movetur. Quod igitur secundum essentiam augetur, secundum
essentiam movetur. Sed quod mutatur secundum suam essentiam, corrumpitur vel
generatur. Sed generatio et corruptio sunt mutationes in substantia. Ergo caritas non augetur per essentiam, nisi cum
corrumpitur vel generatur. |
3. Ce qui est
augmenté est mû. Ce qui est augmenté selon son essence est donc mû selon son
essence. Or, ce qui est changé selon son essence est corrompu ou engendré.
Or, la génération et la corruption sont des changements de substance. La charité
n’est donc pas augmentée selon son essence, si ce n’est lorsqu’elle est
corrompue ou engendrée. |
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[65797] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 4 Praeterea,
essentialia non augentur nec minuuntur. Manifestum est autem quod essentia
virtutis est essentialis. Ergo virtus secundum essentiam non augetur. |
4. Les éléments
essentiels ne sont ni augmentés ni diminués. Or, il est clair que l’essence
de la vertu est essentielle. La vertu n’est donc pas augmentée selon son
essence. |
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[65798] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 5 Praeterea, contraria nata sunt fieri circa idem. Augmentum autem et
diminutio sunt contraria. Ergo nata sunt fieri circa idem. Virtus autem
infusa non diminuitur : quia neque diminuitur per actum virtutis, quia per
eum magis roboratur; neque per actum peccati venialis, quia sic multa peccata
venialia tollerent totaliter caritatem et alias virtutes infusas, quod est
impossibile; sic enim multa venialia aequipollerent uni peccato mortali;
neque etiam minuitur per peccatum mortale : quia mortale peccatum tollit
caritatem et alias virtutes infusas. Ergo virtus infusa non augetur. |
5. Les contraires sont destinés à se produire à propos de la même
chose. Or, l’augmentation et la diminution sont des contraires. Ils sont donc
destinés à se produire à propos de la même chose. Or, la vertu infuse n’est
pas diminuée, car elle n’est pas diminuée par un acte de vertu, puisque, par
celui-ci, elle est plutôt renforcée; ni par un acte de péché véniel, car
ainsi de multiples péchés véniels enlèveraient totalement la charité et les
autres vertus infuses, ce qui est impossible, car de multiples péchés véniels
équivaudraient à un seul péché mortel, puisque le péché mortel enlève la
charité et les autres vertus infuses. La vertu infuse n’augmente donc pas. |
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[65799]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 6 Praeterea, simile simili augetur, ut dicitur
in II de anima. Si ergo virtus infusa augetur, oportet quod augeatur per
additionem virtutis. Sed hoc non potest esse, quia virtus simplex est.
Simplex autem simplici additum non facit maius; sicut punctum additum puncto
non facit lineam maiorem. Ergo virtus infusa augeri non potest. |
6. Le semblable est augmenté par le semblable, comme il est dit dans Sur
l’âme, II. Si la vertu infuse est augmentée, il faut donc qu’elle soit
augmentée par l’addition d’une vertu. Mais cela ne peut pas être, car la
vertu est simple. Or, le simple ajouté au simple ne rend pas plus grand,
comme le point ajouté au point ne rend pas une ligne plus grande. La vertu
infuse ne peut donc pas être augmentée. |
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[65800] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 7 Praeterea,
I de generatione dicitur, quod augmentum est praeexistentis magnitudinis
additamentum. Si ergo virtus augetur, oportet quod aliquid sibi addatur; et
sic erit magis composita, et magis recedens a divina similitudine, et per
consequens minus bona; quod est inconveniens. Relinquitur ergo quod virtus
non augetur. |
7. Il est dit, dans Sur la génération, I, que l’augmentation
est une addition à une grandeur préexistante. Si la vertu est augmentée, il
est donc nécessaire que quelque chose lui soit ajouté; elle sera ainsi
composée, s’éloignera davantage de la ressemblance divine et, par conséquent,
sera moins bonne, ce qui est inacceptable. Il reste donc que la vertu n’est
pas augmentée. |
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[65801]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 8 Praeterea, omne quod augetur, movetur; omne
quod movetur, est corpus; virtus non est corpus. Ergo non augetur. |
8. Tout ce qui est augmenté est mû. Or, tout ce qui est mû est un
corps, et la vertu n’est pas un corps. Elle n’est donc pas augmentée. |
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[65802] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 9 Praeterea,
cuius causa est invariabilis, et ipsum est invariabile. Sed causa virtutis
infusae, quae est Deus, invariabilis est. Ergo virtus infusa est
invariabilis; ergo non recipit magis et minus; et ita non augetur. |
9. Ce dont la cause est invariable est lui aussi invariable. Or, la
cause de la vertu infuse, qui est Dieu, est invariable. La vertu infuse est
donc invariable. Elle ne reçoit donc pas du plus et du moins, et ainsi elle
n’est pas augmentée. |
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[65803]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 10 Praeterea, virtus est in genere habitus,
sicut et scientia. Si ergo virtus augetur, oportet quod augeatur sicut et
scientia augetur. Scientia autem augetur per multiplicationem obiectorum,
prout scilicet ad plura se extendit. Sic autem non augetur virtus, ut patet
in caritate : quia minima caritas se extendit ad omnia diligenda secundum
caritatem. Ergo virtus nullo modo augetur. |
10. La vertu se situe dans le genre habitus, comme la science. Si la
vertu est augmentée, il est donc nécessaire qu’elle soit augmentée comme la
science. Or, la science est augmentée par la multiplication des objets, dans
la mesure où elle s’étend à un plus grand nombre de choses. Or, la vertu
n’est pas augmentée de cette manière, comme cela ressort clairement pour la
charité, car la moindre charité s’étend à tout ce qui doit être aimé selon la
charité. La vertu n’est donc augmentée d’aucune façon. |
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[65804] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 11 Praeterea,
si virtus augetur, oportet quod ad aliquam speciem motus, eius augmentum
reducatur. Sed non potest reduci nisi ad alterationem, quae est motus in
qualitate. Alteratio autem, secundum philosophum, VII Physic., non est in
anima nisi secundum partem sensitivam : in qua non est caritas, neque plures
aliarum virtutum infusarum. Ergo non omnis virtus infusa augetur. |
11. Si la vertu est augmentée, il est nécessaire que son augmentation
soit ramenée à une espèce. Or, elle ne peut être ramenée qu’à l’altération,
qui est un mouvement à l’intérieur de la qualité. Or, l’altération, selon le
Philosophe, dans Physique, VII, n’existe dans l’âme que selon la
partie sensible, dans laquelle ne se trouvent ni la charité, ni plusieurs des
autres vertus infuses. Toute vertu infuse n’est donc pas augmentée. |
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[65805] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 12 Praeterea,
si virtus infusa augetur, oportet quod augeatur a Deo, qui eam causat. Si
autem Deus eam auget, oportet quod hoc fiat per alium eius influxum. Sed
novus influxus non potest esse, nisi sit nova virtus infusa. Ergo virtus
infusa non potest augeri nisi per additionem novae virtutis. Sic autem non
potest augeri, ut supra ostensum est. Ergo virtus infusa
nullo modo augetur. |
12. Si la vertu infuse est augmentée, il est nécessaire qu’elle soit
augmentée par Dieu, qui en est la cause. Or, si Dieu l’augmente, il est
nécessaire que cela se réalise par une autre intervention de sa part. Or, il
ne peut y avoir d’autre intervention sans qu’il y ait une autre vertu infuse.
La vertu infuse ne peut donc être augmentée que par l’addition d’une autre
vertu. Or, elle ne peut être augmentée de cette manière, comme on l’a montré
plus haut. La vertu infuse ne peut donc être augmentée d’aucune façon. |
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[65806]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 13 Praeterea, habitus maxime augentur ex
actibus. Cum igitur virtus sit habitus; si augetur, maxime augetur per suum
actum. Sed hoc non potest esse, ut videtur; cum actus
egrediatur ab habitu. Nihil autem augetur per hoc quod aliquid ab eo
egreditur, sed per hoc quod aliquid in eo recipitur. Ergo virtus nullo modo augetur. |
13. Les habitus sont augmentés principalement par les actes. Puisque
la vertu est un habitus, si elle est augmentée, elle sera augmentée par son
acte. Or, cela n’est pas possible, semble-t-il, puisque l’acte est issu de
l’habitus. Or, rien n’est augmenté par le fait que quelque chose en est issu,
mais par le fait que quelque chose y est reçu. La vertu n’est donc d’aucune
manière augmentée. |
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[65807] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 14 Praeterea,
omnes actus virtutis unius sunt rationis. Si igitur aliqua virtus per suum
actum augetur, oportet quod per quemlibet actum augeatur; quod videtur esse
falsum ex experimento : non enim experimur quod virtus in quolibet actu
crescat. |
14. Tous les actes de vertu ont une seule raison. Si une vertu est
augmentée par son acte, il est donc nécessaire qu’elle soit augmentée par
n’importe quel acte, ce qui semble être faux d’après l’expérience : en effet,
nous ne faisons pas l’expérience qu’une vertu soit augmentée par n’importe
quel acte. |
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[65808]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 15 Praeterea, illud cuius ratio in superlativo
consistit, non potest augeri : optimo enim non est aliquid melius, nec
albissimo est aliquid albius. Sed ratio virtutis in superlatione consistit :
est enim virtus ultimum potentiae. Ergo virtus non potest augeri. |
15. Ce dont la raison consiste dans le superlatif ne peut être
augmenté : en effet, rien n’est meilleur que ce qui est le meilleur, et rien
n’est plus blanc que ce qui est le plus blanc. Or, la raison de vertu
consiste dans le superlatif : en effet, la vertu est le point ultime d’une
puissance. La vertu ne peut donc être augmentée. |
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[65809] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 16 Praeterea,
omne illud cuius ratio consistit in aliquo indivisibili, caret intensione et
remissione; sicut forma substantialis, et numerus, et figura. Sed ratio
virtutis consistit in quodam indivisibili : est enim in medietate consistens.
Ergo virtus non intenditur neque remittitur. |
16. L’intensité et la diminution font défaut à tout ce dont la raison
consiste dans quelque chose d’indivisible, tels une forme substantielle, un
nombre et une figure. Or, la raison de vertu consiste dans quelque chose
d’indivisible : en effet, elle consiste dans un milieu. La vertu n’a donc ni
intensité ni diminution. |
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[65810]
De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 17 Praeterea, nullum infinitum potest augeri;
quia infinito non est aliquid magis. Sed virtus infusa est infinita, quia per
eam meretur homo infinitum bonum, scilicet Deum. Ergo virtus infusa augeri
non potest. |
17. Aucun infini ne peut être augmenté, car il n’y a rien de plus que
l’infini. Or, la vertu infuse est infinie, car l’homme mérite par elle un
bien infini, à savoir, Dieu. La vertu infuse ne peut donc être augmentée. |
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[65811] De virtutibus, q. 1 a. 11 arg. 18 Praeterea, nulla res procedit ultra suam perfectionem, quia perfectio
est terminus rei. Sed virtus est perfectio habentis eam; dicitur enim VII
Physic., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Ergo virtus non
augetur. |
18. Aucune chose ne va au-delà de sa perfection, car la perfection est
le terme d’une chose. Or, la vertu est la perfection de celui qui la possède.
En effet, il est dit dans Physique, VII, que la vertu est une
disposition du parfait à ce qu’il y a de meilleur. La vertu n’est donc pas
augmentée. |
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[65812] De virtutibus, q. 1 a. 11 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur I Petr., II, v. 2 : sicut modo
geniti infantes, rationabiles et sine dolo, lac concupiscite, ut in eo
crescatis in salutem. Non autem crescit aliquis in salutem nisi per
augmentum virtutis, per quam homo in salutem ordinatur. Ergo virtus augetur. |
Cependant : 1. Il est dit en 1 P 2, 2 : Comme des enfants
nouveau-nés, sans hypocrisie et sans ruse, désirez le lait afin de grandir
par lui en vue du salut. Or, personne ne grandit en vue du salut que par
l’augmentation de la vertu, par laquelle l’homme est ordonné au salut. La
vertu est donc augmentée. |
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[65813] De
virtutibus, q. 1 a. 11 s. c. 2 Praeterea, Augustinus dicit, quod caritas
augetur, ut aucta mereatur et perfici. |
2. Augustin dit
que la charité est augmentée, afin que, par son accroissement, nous méritions
de devenir parfaits. |
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[65814]
De virtutibus, q. 1 a. 11 co. Respondeo. Dicendum, quod multis error accidit
circa formas ex hoc quod de eis iudicant sicut de substantiis iudicatur. Quod
quidem ex hoc contingere videtur, quod formae per modum substantiarum
signantur in abstracto, ut albedo, vel virtus, aut aliquid huiusmodi; unde
aliqui modum loquendi sequentes, sic de eis iudicant ac si essent
substantiae. Et ex hinc processit error tam eorum qui posuerunt latitationem
formarum, quam eorum qui posuerunt formas esse a creatione. Aestimaverunt
enim quod formis competeret fieri sicut competit substantiis; et ideo non
invenientes ex quo formae generentur, posuerunt eas vel creari, vel
praeexistere in materia; non attendentes, quod sicut esse non est formae, sed
subiecti per formam, ita nec fieri, quod terminatur ad esse, est formae, sed
subiecti. Sicut enim forma ens dicitur, non quia ipsa sit, si proprie
loquamur, sed quia aliquid ea est; ita et forma fieri dicitur, non quia ipsa
fiat, sed quia ea aliquid fit : dum scilicet subiectum reducitur de potentia
in actum. Sic autem et circa augmentum qualitatum accidit; de quo aliqui
locuti sunt ac si qualitates et formae substantiae essent. Substantia autem
augeri dicitur, in quantum ipsa est subiectum motus quo pervenitur de minori
quantitate in maiorem, qui motus augmenti dicitur. Et quia augmentum substantiae fit per additionem substantiae ad
substantiam; quidam aestimaverunt, quod hoc modo caritas, sive quaelibet
virtus infusa, augeatur per additionem caritatis ad caritatem, vel virtutis
ad virtutem, aut albedinis ad albedinem : quod omnino stare non potest. Nam
non potest intelligi additio unius ad alterum nisi praeintellecta dualitate.
Dualitas autem in formis unius speciei non potest intelligi nisi per
alietatem subiecti. Formae enim unius speciei non diversificantur numero nisi
per subiectum. Si igitur qualitas additur qualitati, oportet alterum duorum
esse : vel quod subiectum addatur subiecto, ut puta quod unum album addatur
alteri albo; aut quod aliquid in subiecto fiat album, quod prius non fuit
album, ut quidam posuerunt circa qualitates corporeas; quod etiam improbat
philosophus in IV physicorum. Cum enim aliquid fit magis curvum, non curvatur
aliquid quod prius curvum non fuit, sed totum fit magis curvum. Circa
qualitates autem spirituales, quarum subiectum est anima, vel pars animae
impossibile est etiam hoc fingere. Unde quidam alii dixerunt caritatem, et
alias virtutes infusas, non augeri essentialiter; sed quod dicuntur augeri,
vel in quantum radicantur fortius in subiecto, vel in quantum ferventius vel
intensius operantur. Sed hoc quidem dictum aliquam rationem haberet, si
caritas esset quaedam substantia habens per se esse absque substantia; unde
et Magister sententiarum, aestimans caritatem esse aliquam substantiam,
scilicet ipsum spiritum sanctum, non irrationabiliter hunc modum augmenti
posuisse videtur. Sed alii, aestimantes caritatem esse qualitatem quamdam,
penitus irrationabiliter sunt locuti. Nihil enim est aliud qualitatem aliquam
augeri, quam subiectum magis participare qualitatem; non enim est aliquod
esse qualitatis nisi quod habet in subiecto. Ex hoc autem ipso quod subiectum
magis participat qualitatem, vehementius operatur; quia unumquodque agit in
quantum est actu; unde quod magis est reductum in actum, perfectius agit.
Ponere igitur quod aliqua qualitas non augeatur secundum essentiam, sed
augeatur secundum radicationem in subiecto, vel secundum intensionem actus,
est ponere contradictoria esse simul. Et ideo considerandum restat quomodo
aliquae qualitates et formae augeri dicuntur; et quae sunt quae augeri
possunt. Sciendum est ergo, quod cum nomina sint signa intellectuum, ut
dicitur I Periher.; sicut ex magis notis cognoscimus minus nota, ita etiam ex
magis notis minus nota nominamus. Et inde est quod, quia motus localis est
notior inter omnes motus, ex contrarietate secundum locum derivatur nomen
distantiae ad omnia contraria inter quae potest esse aliquis motus; ut dicit
philosophus X Metaph. Et similiter, quia motus substantiae secundum
quantitatem est sensibilior quam motus secundum alterationem; inde est quod
nomina convenientia motui secundum quantitatem derivantur ad alterationem. Et
inde est quod, sicut corpus quod movetur ad quantitatem perfectam dicitur
augeri, et ipsa quantitas perfecta dicitur magna respectu imperfectae; ita
illud quod movetur de qualitate imperfecta ad perfectam, dicitur augeri
secundum qualitatem; et ipsa qualitas perfecta dicitur magna respectu
imperfectae. Et quia perfectio uniuscuiusque rei est eius bonitas; ideo
Augustinus dicit, quod in his quae non magna mole sunt, idem est esse maius
quod melius. Moveri autem de forma imperfecta ad perfectam, nihil est aliud
quam subiectum magis reduci in actum : nam forma actus est; unde subiectum
magis percipere formam, nihil aliud est quam ipsum reduci magis in actum
illius formae. Et sicut ab agente reducitur aliquid de pura potentia in actum
formae; ita etiam per actionem agentis reducitur de actu imperfecto in actum
perfectum. Sed hoc non contingit in omnibus formis, propter duo. Primo quidem
ex ipsa ratione formae; eo scilicet quod id quod perficit rationem formae,
est aliquid indivisibile, puta numerus. Nam unitas addita constituit speciem
: unde binarius aut trinarius non dicitur secundum magis et minus; et per
consequens non invenitur magis et minus neque in quantitatibus quae
denominantur a numeris, puta bicubitum vel tricubitum, neque in figuris, puta
triangulare et quadratum; et in proportionibus, puta duplum et triplum. Alio modo ex comparatione formae ad subiectum; quia inhaeret ei modo
indivisibili. Et propter hoc forma substantialis non recipit intensionem vel
remissionem, quia dat esse substantiale, quod est uno modo : ubi enim est
aliud esse substantiale, est alia res; et propter hoc philosophus, VIII
Metaphys., assimilat definitiones numeris. Et inde est
etiam quod nihil quod substantialiter de altero praedicatur, etiam si sit in
genere accidentis, praedicatur secundum magis et minus; non enim dicitur albedo
magis et minus color. Et propter hoc etiam qualitates in abstracto signatae,
quia signantur per modum substantiae, nec intenduntur nec remittuntur; non
enim dicitur albedo magis et minus, sed album. Neutra autem istarum causarum
est in caritate et in aliis virtutibus infusis, quare non intendantur et
remittantur; quia neque earum ratio in indivisibili consistit, sicut ratio
numeri; neque dant esse substantiale subiecto, sicut formae substantiales; et
ideo intenduntur et remittuntur, in quantum subiectum reducitur magis in
actum ipsarum per actionem agentis causantis eas. Unde sicut virtutes
acquisitae augentur ex actibus per quos causantur, ita virtutes infusae
augentur per actionem Dei, a quo causantur. Actus autem nostri comparantur ad
augmentum caritatis et virtutum infusarum, ut disponentes, sicut ad caritatem
a principio obtinendam; homo enim faciens quod in se est, praeparat se, ut a
Deo recipiat caritatem. Ulterius autem actus nostri possunt esse meritorii
respectu augmenti caritatis; quia praesupponunt caritatem, quae est
principium merendi. Sed nullus potest mereri, quin a principio obtineat
caritatem; quia meritum sine caritate esse non potest. Sic igitur caritatem
augeri per intensionem dicimus. |
Réponse : Beaucoup
commettent une erreur à propos des formes parce qu’ils en jugent comme on
juge des substances. Cela semble provenir du fait que les formes sont
exprimées dans l’abstrait par mode de substances, comme la blancheur ou la
vertu, ou quelque chose de ce genre. Aussi certains, en suivant cette manière
de parler, en jugent-ils comme si elles étaient des substances. Et de cela
vient l’erreur aussi bien de ceux qui ont affirmé le caractère caché des
formes, que de ceux qui ont affirmé que les formes existent par création. En
effet, ils ont estimé qu’il convenait aux formes de devenir à la manière des
substances ; c’est pourquoi, ne trouvant pas comment les formes étaient
engendrées, ils ont affirmé qu’elles étaient créées ou qu’elles préexistaient
dans la matière, en ne remarquant pas que, de même que l’acte d’être
n’appartient pas à la forme mais au sujet par la forme, de même le devenir,
qui se termine à l’acte d’être, n’appartient pas à la forme mais au sujet. En
effet, de même qu’on dit que la forme est un être, non pas parce qu’elle-même
existe, à parler proprement, mais parce que quelque chose existe par elle, de
même on dit qu’une forme devient, non pas parce qu’elle-même devient, mais
parce que quelque chose devient par elle, à savoir, lorsque le sujet est
amené de la puissance à l’acte. Il en est de même pour l’augmentation des
qualités, dont certains ont parlé comme si les qualités et les formes étaient
des substances. Or, on dit qu’une substance augmente pour autant qu’elle est
le sujet d’un mouvement par lequel on passe d’une quantité moindre à une
quantité plus grande, ce qu’on appelle le mouvement d’augmentation. Et parce
que l’augmentation de la substance se fait par l’ajout d’une substance à une
substance, certains ont estimé que la charité, ou n’importe quelle vertu
infuse, était augmentée par l’addition de la charité à la charité, ou de la
vertu à la vertu, ou de la blancheur à la blancheur, ce qui ne peut être
soutenu. Car on ne peut comprendre l’addition d’une chose à une autre que si
on a d’abord compris la dualité. Or, la dualité pour les formes d’une même
espèce ne peut se comprendre que par l’altérité du sujet. En effet, les
formes d’une espèce ne se différencient en nombre que par le sujet. Si donc
la qualité est ajoutée à la qualité, il est nécessaire qu’une de deux choses
se produise : ou bien qu’un sujet soit ajouté à un sujet, par exemple, que
quelque chose de blanc soit ajouté à une autre chose blanche ; ou bien
que quelque chose devienne blanc dans le sujet, alors que ce n’était pas
blanc auparavant, comme certains l’ont affirmé à propos des formes
corporelles, ce que rejette aussi le Philosophe, dans Physique, IV. En
effet, lorsqu’une chose devient davantage courbée, ce n'est pas que soit
courbé quelque chose qui n’était pas courbé auparavant, mais que l’ensemble
devient plus courbé. Or, à propos des qualités spirituelles, dont le sujet
est l’âme ou une partie de l’âme, il est impossible même de se représenter
cela. Aussi d’autres ont-ils dit que la charité et les autres vertus infuses
n’étaient pas augmentées essentiellement, mais qu’on disait qu’elles étaient
augmentées soit parce qu’elles étaient plus fortement enracinées dans le
sujet, soit parce qu’elles agissaient avec plus de ferveur ou d’intensité.
Mais cela aurait quelque fondement si la charité était une substance pouvant
exister par elle-même sans une substance. Ainsi, le Maître des Sentences,
estimant que la charité est une certaine substance, à savoir, l’Esprit Saint,
semble avoir affirmé ce mode d’augmentation d’une manière qui n’est pas
déraisonnable. Mais d’autres, estimant que la charité est une certaine
qualité, ont parlé d’une manière tout à fait déraisonnable. En effet, être
augmentée, pour une qualité, n’est rien d’autre que le fait pour le sujet d’y
participer davantage : en effet, la qualité n’a pas d’autre être que celui
qu’elle a dans le sujet. Or, par le fait que le sujet participe davantage à
une qualité, il agit avec plus de vigueur, car chacun agit dans la mesure où
il est en acte. Aussi ce qui a été davantage amené à l’acte agit-il plus
parfaitement. Affirmer qu’une qualité n’est pas augmentée selon son essence,
mais qu’elle est augmentée selon son enracinement dans le sujet ou selon
l’intensité de son acte, c’est affirmer en même temps des contraires. C’est
pourquoi il reste à examiner comment on dit que certaines qualités et formes
sont augmentées, et quelles sont celles qui peuvent être augmentées. Il faut
donc savoir que, puisque les mots sont des signes des choses comprises, comme
il est dit dans Sur l’interprétation, I, de même que nous connaissons
les choses moins connues à partir des plus connues, de même aussi nous
nommons les moins connues à partir des plus connues. De là vient que, parce
que le mouvement local est plus connu que tous les autres mouvements, le mot
«distance» est dérivé de ce qui est contraire selon le lieu à tous les
contraires entre lesquels peut exister un mouvement, comme le dit le
Philosophe dans Métaphysique, X. De la même façon, parce que le
mouvement de la substance selon la quantité est plus perceptible que le
mouvement selon l’altération, de là vient que les mots convenant au mouvement
selon la quantité sont appliqués à l’altération. Et de là vient que, de même
qu’on dit qu’un corps qui est mû vers une quantité parfaite est augmenté, et
que la quantité parfaite est appelée grande par rapport à l’imparfaite, de
même on dit que ce qui est mû d’une qualité imparfaite à une [qualité]
parfaite est augmenté selon la qualité, et que la qualité parfaite elle-même
est dite grande par rapport à l’imparfaite. Et parce que la perfection de
toute chose est sa bonté, c’est la raison pour laquelle Augustin dit que,
dans les choses qui n’ont pas beaucoup d’importance, c’est la même chose
d’être plus grand que meilleur. Or, être mû d’une forme imparfaite à [une
forme] parfaite n’est rien d’autre que le fait pour un sujet d’être amené
davantage à l’acte, car la forme est un acte. Ainsi, qu’un sujet reçoive
davantage une forme, cela n’est rien d’autre que le fait pour lui d’être
davantage amené à l’acte de cette forme. Et de même qu’une chose est amenée
de la puissance pure à l’acte de la forme, de même aussi elle est amenée d’un
acte imparfait à un acte parfait par l’action de l’agent. Mais cela ne se
produit pas dans toutes les formes pour deux raisons. Premièrement, en raison
même de la forme, à savoir que ce qui réalise la raison de la forme est
quelque chose d’indivisible, par exemple, un nombre. Car l’unité ajoutée
constitue une espèce : aussi ne parle-t-on pas de ce qui est double ou triple
en termes de plus ou de moins ; par conséquent, on ne trouve pas non
plus de plus ou de moins dans les quantités qui sont désignées à partir des
nombres, par exemple, ce qui a deux coudées ou trois coudées, ni dans les
figures, par exemple, ce qui est triangulaire ou carré, ni dans les
proportions, par exemple, ce qui est double ou triple. D’une autre manière,
par comparaison de la forme au sujet, car elle existe en lui de manière
indivisible. Pour cette raison, la forme substantielle ne reçoit pas
d’intensité ou de diminution, car elle donne l’être substantiel, qui existe
d’une seule manière : en effet, là où il y a un autre être substantiel, il y
a une autre chose. Pour cette raison, le Philosophe, dans Métaphysique, VIII,
assimile les définitions aux nombres. Et de là vient aussi que rien de ce qui
est attribué à quelque chose d’autre à titre de substance, même si cela fait
partie du genre de l’accident, ne lui est attribué en plus ou en moins : en
effet, on ne dit pas que la blancheur est plus ou moins une couleur. Et pour
cette raison, les qualités désignées dans l’abstrait, parce qu’elles sont
désignées par mode de substance, ne sont pas intensifiées ni diminuées : en
effet, on n’attribue pas de plus ou de moins à la blancheur, mais à ce qui
est blanc. Or, aucune de ces causes n’existe dans la charité et dans les
autres vertus infuses, pour lesquelles elles ne seraient pas intensifiées et
diminuées, car leur raison ne consiste pas en quelque chose d’indivisible,
comme la raison de nombre ; elles ne donnent pas non plus l’être
substantiel à leur sujet, comme les formes substantielles. Et c’est la raison
pour laquelle elles sont intensifiées et diminuées dans la mesure où leur
sujet est davantage amené à leur acte par l’action de l’agent qui les cause.
Aussi, de même que les vertus acquises sont augmentées par les actes par
lesquels elles sont causées, de même les vertus infuses sont augmentées par
l’action de Dieu, par qui elles sont causées. Mais nos actes se comparent à
l’augmentation de la charité et des vertus infuses en tant qu’ils y
disposent, comme c’est le cas au départ pour l’obtention de la charité. En
effet, l’homme, en faisant ce qui relève de lui, se prépare à recevoir de
Dieu la charité. Davantage encore, nos actes peuvent être méritoires par
rapport à l’augmentation de la charité, car ils présupposent la charité, qui
est le principe du mérite. Mais personne ne peut mériter au départ d’obtenir
la charité, car le mérite ne peut exister sans la charité. Ainsi disons-nous
donc que la charité est augmentée en intensité. |
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[65815] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod sicut in caritate et aliis qualitatibus dicitur
augmentum per similitudinem, ita et quantitas, ut ex dictis, in corp. art.,
patet. |
Solutions : 1. Comme pour la
charité et les autres qualités, on parle d’augmentation par similitude. Il en
va de même pour la quantité, comme cela ressort clairement de ce qui a été
dit dans le corps de l’article. |
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[65816]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod forma est
invariabilis, quia non est variationis subiectum; potest tamen dici
variabilis, prout subiectum secundum eam variatum, plus et minus eam
participat. |
2. La forme est
invariable parce qu’elle n’est pas le sujet de la variation. Toutefois, elle
peut être dite variable pour autant que le sujet, qui varie selon elle, y
participe plus ou moins. |
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[65817] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod motus alicuius rei potest intelligi secundum essentiam
dupliciter. Uno modo quantum ad id quod est proprium, esse scilicet
essentialis, vel non esse; et sic motus secundum essentiam non est nisi motus
secundum esse et non esse, qui est generatio et corruptio. Alio modo, potest
intelligi motus secundum essentiam, si sit motus secundum quodcumque
adhaerens essentiae; sicut dicimus corpus essentialiter moveri quando movetur
secundum locum, quia de loco ad locum eius subiectum transfertur; sicut etiam
et aliqua qualitas dicitur suo modo moveri essentialiter, prout variatur
secundum perfectum et imperfectum, vel magis subiectum secundum eam ut ex
dictis, in corp. art., patet. |
3. On peut
entendre le mouvement d’une chose selon son essence de deux manières. D’une
manière, au sens propre, à savoir, l’être de ce qui est essentiel ou le
non-être. Et ainsi, le mouvement selon l’essence n’est que le mouvement selon
l’être et le non-être, qui est la génération et la corruption. D’une autre
manière, on peut l’entendre selon le mouvement de l’essence, s’il s’agit du
mouvement de quoi que ce soit qui est associé à l’essence, comme nous disons
qu’un corps est mû essentiellement lorsqu’il est mû selon le lieu, parce que
son sujet passe d’un lieu à un autre. Comme on dit aussi qu’une qualité est
mue à sa façon selon son essence, pour autant qu’elle varie selon le parfait
et l’imparfait, ou qu’une chose lui est davantage soumise, comme cela ressort
clairement de ce qui a été dit dans le corps de l’article. |
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[65818]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod id quod praedicatur
essentialiter de caritate, non praedicatur de ea secundum magis et minus :
non enim dicitur magis vel minus virtus; sed maior caritas dicitur magis
virtus propter modum significandi, quia significatur ut substantia. Sed quia
ipsa non praedicatur essentialiter de suo subiecto, subiectum secundum eam
recipit magis et minus : ut dicatur subiectum habens magis caritatis vel
minus; et quod est habens magis caritatem est magis virtuosum. |
4. Ce qui est
attribué de manière essentielle à la charité ne lui est pas attribué en plus
ou en moins : en effet, on ne dit pas qu’elle est plus ou moins une vertu.
Mais on dit d’une charité plus grande qu’elle est davantage vertu selon la
manière de la signifier, car elle est signifiée comme une substance. Mais
parce qu’elle n’est pas elle-même attribuée de manière essentielle à son
sujet, son sujet reçoit d’elle plus ou moins, de sorte qu’on parle d’un sujet
qui a plus ou moins de charité, et que celui qui a plus de charité est plus
vertueux. |
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[65819] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod caritas non diminuitur, quia non habet causam
diminutionis, ut Ambrosius probat; habet autem causam augmenti, scilicet
Deum. |
5. La charité
n’est pas diminuée parce qu’elle n’a pas de cause de diminution, comme le
montre Ambroise. Mais elle a une cause d’augmentation, à savoir, Dieu. |
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[65820]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod augmentum quod fit
per additionem, est augmentum substantiae quantae. Sic autem caritas non
augetur, ut dictum est in corp. art. |
6. L’augmentation qui se fait par addition est une augmentation d’une
substance quantifiée. Mais la charité n’est pas augmentée de cette manière,
comme on l’a dit dans le corps de l’article. |
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[65821] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 7 Et per hoc patet solutio ad septimum. |
7. La solution de la septième objection ressort ainsi clairement. |
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[65822] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 8 Ad octavum
dicendum, quod caritas dicitur augeri vel moveri, non quia ipsa sit subiectum
motus, sed quia eius subiectum secundum ipsam movetur et augetur. |
8. On dit que la
charité est augmentée ou est mue, non parce que la charité est elle-même le
sujet du mouvement, mais parce que le sujet est mû et augmenté selon elle. |
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[65823] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod licet Deus sit invariabilis, tamen absque sua variatione
variat res; non enim est necessarium ut omne movens moveatur, ut probatur in
Lib. Physic. Et hoc praecipue Deo competit, quia
non agit per necessitatem naturae, sed per voluntatem. |
9. Bien que Dieu
ne change pas, cependant une chose change sans qu’il change. En effet, il
n’est pas nécessaire que tout ce qui meut soit mû, comme il est démontré dans
Physique. Et cela convient principalement à Dieu, parce qu’il n’agit
pas par nécessité de nature, mais par volonté. |
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[65824]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod omnibus qualitatibus
et formis est communis ratio magnitudinis quae dicta est, scilicet perfectio
earum in subiecto. Aliquae tamen qualitates, praeter istam magnitudinem seu
quantitatem quae competit eis per se, habent aliam magnitudinem vel
quantitatem quae competit eis per accidens; et hoc dupliciter. Uno modo
ratione subiecti; sicut albedo dicitur quanta per accidens, quia subiectum
eius est quantum; unde augmentato subiecto, augmentatur albedo per accidens.
Sed secundum hoc augmentum, non dicitur aliquid magis album, sed maior
albedo, sicut et dicitur aliquid maius album : non enim aliter praedicantur
ea quae pertinent ad hoc augmentum, de albedine, et de subiecto ratione cuius
albedo per accidens augeri dicitur. Sed hic modus quantitatis et augmenti non
competit qualitatibus animae, scilicet scientiis et virtutibus. Alio modo
quantitas et augmentum attribuitur alicui qualitati per accidens, ex parte
obiecti in quod agit : et haec dicitur quantitas virtutis; quae magis dicitur
propter quantitatem obiecti vel continentiam; sicut dicitur magnae virtutis
qui magnum pondus potest ferre, vel qualitercumque potest magnam rem facere,
sive magnitudine dimensiva, sive magnitudine perfectionis, vel secundum
quantitatem discretam; sicut dicitur aliquis magnae virtutis qui potest multa
facere. Et hoc modo quantitas per accidens potest attribui qualitatibus
animae, scilicet scientiis et virtutibus. Sed tamen hoc interest inter
scientiam et virtutem : quia de ratione scientiae non est quod se extendat in
actum respectu omnium obiectorum : non enim est necesse quod sciens omnia
scibilia cognoscat. Sed de ratione virtutis est quod in omnibus virtuose se
agat. Unde scientia potest augeri vel secundum
numerum obiectorum, vel secundum intensionem eius in subiecto; virtus autem
uno modo tantum. Sed considerandum est, quod eiusdem rationis est quod aliqua
qualitas in aliquid magnum possit, et quod ipsa sit magna, sicut ex
supradictis patet; unde etiam magnitudo perfectionis potest dici magnitudo
virtutis. |
10. Toutes les
qualités et formes ont la commune raison de grandeur qui a été dite, à
savoir, leur perfection dans le sujet. Cependant,
certaines qualités, en plus de cette grandeur ou quantité qui leur convient
en elles-mêmes, ont une autre grandeur ou quantité qui leur convient par
accident, et cela, de deux manières. D’une manière, en raison du sujet, comme
on dit que la blancheur est grande par accident, parce que son sujet est ce
qui est quantifié ; aussi, si le sujet est augmenté, la blancheur
est-elle augmentée par accident. Mais, selon cette augmentation, on ne dit
pas qu’une chose est davantage blanche, mais qu’il y a une blancheur plus
grande, comme on dit que quelque chose est plus blanc. En effet, on attribue
de manière différente ce qui se rapporte à l’augmentation à la blancheur et au
sujet, en raison duquel on dit que la blancheur est augmentée par accident.
Mais ce mode de quantité et d’augmentation ne convient pas aux qualités de
l’âme, à savoir, les sciences et les vertus. D’une autre manière, la quantité
et l’augmentation sont attribuées à une qualité par accident du point de vue
de l’objet où elle agit : et c’est celle-là qu’on appelle quantité de la
vertu, qui est attribuée davantage en raison de la quantité de l’objet ou de
ce qu’il peut contenir, comme on dit que celui qui peut porter un plus grand
poids a une plus grande force, ou pour n’importe quelle grande chose qu’il
peut faire, soit pour la grandeur selon la dimension, soit pour la grandeur
selon la perfection, soit pour la quantité discrète, comme on dit de
quelqu’un qui peut faire beaucoup de choses qu’il a une grande vertu. De
cette manière, la quantité peut être attribuée par accident aux qualités de
l’âme, à savoir, aux sciences et aux vertus. Toutefois, il y a une différence
entre la science et la vertu, car il ne fait pas partie de la raison de la
science que quelqu’un se porte en acte vers tous les objets : en effet, il
n’est pas nécessaire que celui qui connaît connaisse tout ce qui peut être
connu. Mais il est de la raison de la vertu qu’il se comporte vertueusement
en tout. Aussi la science peut-elle être augmentée soit par le nombre des
objets, soit par son intensité dans le sujet ; mais la vertu [ne peut
être augmentée] que d’une seule façon. Mais il faut observer qu’il relève de
la même raison qu’une qualité puisse faire quelque chose de grand, et qu’elle
soit elle-même grande, comme cela ressort clairement de ce qui a été dit. En
conséquence, même la grandeur de la perfection peut être dite grandeur de la
vertu. |
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[65825] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod motus augmenti caritatis reducitur ad alterationem,
non secundum quod alteratio est inter contraria, prout est tantum in
sensibilibus, et in sensibili parte animae; sed prout alteratio et passio
dicitur secundum receptionem et perfectionem; sicut sentire et intelligere
est quoddam pati et alterari. Et sic distinguit philosophus alterationem et
passionem in II de anima. |
11. Le mouvement
d’augmentation de la charité se ramène à l’altération, non pas selon que
l’altération se réalise entre des contraires, pour autant qu’elle existe dans
les choses sensibles et dans la partie sensible de l’âme, mais selon qu’on
parle d’altération et de passion selon la réception et la perfection, comme
sentir et comprendre sont d’une certaine manière une passion et une
altération. C’est ainsi que le Philosophe fait une distinction entre
l’altération et la passion, dans Sur l’âme, II. |
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[65826] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod Deus auget caritatem,
non novam caritatem infundendo, sed eam quae praeexistebat, perficiendo. |
12. Dieu augmente la charité, non pas en infusant une nouvelle
charité, mais en perfectionnant celle qui préexistait. |
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[65827] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod sicut actus egrediens ab agente potest causare
virtutem acquisitam propter impressionem virtutum activarum in passivis, ut
supra dictum est; ita et potest eam augere. |
13. De même que
l’acte issu d’un agent peut causer la vertu acquise en raison de l’impression
des puissances actives sur les [puissances] passives, comme on l’a dit plus
haut, de même il peut l’augmenter. |
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[65828]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod caritas et
aliae virtutes infusae non augentur active ex actibus, sed tantum dispositive
et meritorie, ut dictum est. Nec tamen oportet quod quilibet actus perfectus
correspondeat quantitati virtutis : non enim oportet quod habens caritatem,
semper operetur secundum totum posse caritatis; usus enim habituum subiacet
voluntati. |
14. La charité et
les autres vertus infuses ne sont pas augmentées de manière active par les
actes, mais seulement par mode de disposition et de mérite, comme on l’a dit.
Toutefois, il n’est pas nécessaire que tout acte parfait corresponde à la
quantité de la vertu : en effet, il n’est pas nécessaire que celui qui a la
charité agisse toujours selon tout ce que peut la charité, car l’usage des
habitus est soumis à la volonté. |
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[65829] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod ratio virtutis non consistit in superlatione
quantum ad se, sed quantum ad suum obiectum : quia per virtutem ordinatur
homo ad ultimum potentiae, quod est bene operari; unde philosophus dicit, VII
Phys., quod virtus est dispositio perfecti ad optimum. Tamen ad hoc optimum
aliquis potest esse magis, vel minus dispositus; et secundum hoc, virtus
recipit magis vel minus. Vel dicendum, quod ultimum non dicitur simpliciter,
sed ultimum specie; sicut ignis est specie subtilissimum corporum, et homo
dignissima creaturarum; et tamen unus homo est dignior altero. |
15. La raison de
vertu ne consiste pas par elle-même dans le superlatif, mais elle se prend de
son objet, car, par la vertu, l’homme est ordonné au point le plus élevé de
sa puissance, ce qui est bien agir. Aussi le Philosophe dit-il, dans Physique,
VII, que la vertu est une disposition de ce qui est parfait à ce qui est
le meilleur. Toutefois, quelqu’un peut être plus ou moins bien disposé à ce
qui est le meilleur : de ce point de vue, la vertu reçoit plus ou moins. Ou
bien il faut dire qu’on ne parle pas de point le plus élevé tout simplement,
mais du point le plus élevé selon l’espèce, comme le feu est, selon son
espèce, le plus subtil des corps, et l’homme la plus digne des créatures. Et
cependant, un homme est plus digne qu’un autre. |
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[65830]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio
virtutis non consistit in indivisibili secundum se, sed ratione sui subiecti,
in quantum quaerit medium : ad quod quaerendum potest aliquis diversimode se
habere, vel peius vel melius. Et tamen ipsum medium non est omnino
indivisibile; habet enim aliquam latitudinem : sufficit enim ad virtutem quod
appropinquet ad medium, ut dicitur II Ethic.; et propter hoc unus actus
altero virtuosior dicitur. |
16. La raison de
vertu ne consiste pas en quelque chose d’indivisible en soi, mais en raison
de son sujet, pour autant qu’elle cherche un milieu, envers la recherche
duquel quelqu’un peut se comporter de diverses manières, pire ou meilleure. Cependant, le milieu lui-même n’est pas du tout indivisible.
En effet, il comporte une certaine étendue, puisqu’il suffit que la vertu
s’approche du milieu, comme il est dit dans Éthique, II. Pour cette
raison, on dit qu’un acte est plus vertueux qu’un autre. |
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[65831] De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 17 Ad decimumseptimum
dicendum, quod virtus caritatis est infinita ex parte Dei, vel finis; sed ad
illum infinitum caritas finite disponit; unde potest magis vel minus esse. |
17. La vertu de
charité est infinie de la part de Dieu ou de sa fin ; mais la charité
dispose à cet infini de manière finie. Aussi peut-elle exister en plus ou en
moins. |
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[65832]
De virtutibus, q. 1 a. 11 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non omne
perfectum est perfectissimum, sed solum illud quod est in ultimo
actualitatis; et ideo nihil prohibet, quod est perfectum secundum virtutem,
adhuc magis perfici. |
18. Tout ce qui
est parfait n’est pas le plus parfait, mais seulement ce qui atteint le plus
haut point de mise en acte. C’est pourquoi rien n’empêche que ce qui est
parfait selon la vertu soit rendu encore plus parfait. |
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Articulus 12 : [65833] De virtutibus, q. 1
a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum virtutes inter se distinguantur.
Quaeritur de distinctione virtutum |
Article 12 – Est-ce que les vertus se distinguent entre elles? La question porte sur la distinction des vertus. |
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[65834] De virtutibus, q. 1 a. 12 tit. 2 Et
videtur quod non recte virtutes distinguantur |
Objections : Il semble que les
vertus ne soient pas correctement distinguées. |
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[65835]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 1 Moralia enim recipiunt speciem ex fine. Si
igitur virtutes distinguantur secundum speciem, oportet quod hoc sit ex parte
finis. Sed non ex parte finis proximi : quia sic
essent infinitae virtutes secundum speciem. Ergo ex parte finis ultimi. Sed
finis ultimus virtutum est unus tantum, scilicet Deus, sive felicitas. Ergo est una tantum virtus. |
1. Les réalités
morales reçoivent leur espèce de la fin. Si donc les vertus sont distinguées
selon leur espèce, il est nécessaire que cela vienne de la fin. Or, cela ne
vient pas de la fin prochaine, car alors les vertus seraient infinies selon
l’espèce. Cela vient donc de la fin ultime. Or, la fin ultime des vertus est
unique, à savoir, Dieu, ou la félicité. Il n’y a donc qu’une seule vertu. |
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[65836] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 2 Praeterea, ad unum finem pervenitur una operatione. Una autem operatio
est ex una forma. Ergo ad unum finem ordinatur homo per unam formam. Finis
autem hominis est unus : scilicet felicitas. Ergo et virtus, quae est forma
per quam homo ordinatur ad felicitatem, est una tantum. |
2. On parvient à
une seule fin par une seule opération. Or, l’opération unique vient d’une
seule forme. L’homme est donc ordonné à une seule fin par une seule forme.
Or, la fin de l’homme est unique, à savoir, la félicité. La vertu aussi est
donc unique, elle qui est la forme par laquelle l’homme est ordonné à la
félicité. |
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[65837] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 3 Praeterea, formae et
accidentia recipiunt numerum secundum materiam vel subiectum. Subiectum autem
virtutis est anima, vel potentia animae. Ergo videtur quod virtus sit una
tantum, quia anima est una; vel saltem quod virtutes non excedant numerum
potentiarum animae. |
3. Les formes et
les accidents reçoivent leur nombre de la matière ou du sujet. Or, le sujet
de la vertu est l’âme ou une puissance de l’âme. Il semble donc que la vertu
soit unique, car l’âme est unique ; ou tout au moins, que les vertus ne
sont pas plus nombreuses que les puissances de l’âme. |
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[65838] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 4 Praeterea,
habitus distinguuntur per obiecta, sicut et potentiae. Cum ergo virtutes sint
quidam habitus : videtur quod eadem sit ratio distinctionis virtutum et
potentiarum animae; et sic, virtutes non excedunt numerum potentiarum animae. |
4. Les habitus se
distinguent par leurs objets, de même que les puissances. Puisque les vertus
sont des habitus, il semble donc que la raison de distinguer les vertus soit
la même que celle de distinguer les puissances de l’âme. Et ainsi, les vertus
ne sont pas plus nombreuses que les puissances de l’âme. |
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[65839]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 5 Sed dicendum, quod habitus distinguuntur per
actus, et non per potentias.- Sed contra, principiata distinguuntur secundum
principia, et non e converso; quia ab eodem res habent esse et unitatem. Sed
habitus sunt principia actuum. Ergo magis distinguuntur actus penes habitus
quam e converso. |
5. Mais les habitus se distinguent par leurs actes, et non par les
puissances. – En sens contraire, les
réalités qui jouent le rôle de principes se distinguent selon les principes,
et non l’inverse, car les choses reçoivent leur être et leur unité de la même
réalité. Or, les habitus sont les principes des actes. Les actes se
distinguent donc plutôt selon les habitus que l’inverse. |
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[65840] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 6 Praeterea,
virtus necessaria est ad hoc quod homo inclinetur ad id quod est virtutis per
modum naturae : est enim virtus, ut Tullius dicit, habitus in modum naturae
rationi consentaneus. Ad id igitur ad quod ipsa potentia naturaliter
inclinatur, non indiget homo virtute. Sed voluntas hominis naturaliter inclinatur ad
ultimum finem. Ergo circa ultimum finem non est necessarius
homini aliquis habitus virtutis; propter quod nec philosophi posuerunt
aliquas virtutes quarum obiectum esset felicitas. Nec ergo nos debemus ponere
aliquas virtutes theologicas, cuius obiectum sit Deus, qui est ultimus finis. |
6. La vertu est nécessaire pour que l’homme soit incliné par mode de
nature à ce qui relève de la vertu. En effet, comme le dit Tullius [Cicéron],
la vertu est un habitus qui se plie à la raison par mode de nature. Pour
qu’une puissance elle-même soit inclinée naturellement, l’homme n’a donc pas
besoin de vertu. Or, la volonté de l’homme est naturellement inclinée vers la
fin ultime. Un habitus vertueux n’est donc pas nécessaire à l’homme pour la
fin ultime; c’est la raison pour laquelle même les philosophes n’ont pas
proposé de vertus dont l’objet serait la félicité. Nous ne devons donc pas,
nous non plus, proposer des vertus théologales, dont l’objet est Dieu, qui
est la fin ultime. |
|
[65841] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 7 Praeterea,
virtus est dispositio perfecti ad optimum. Sed fides et
spes imperfectionem quamdam important; quia fides est de non visis, spes de
non habitis, propter quod, cum venerit quod perfectum est, evacuabitur
quod ex parte est, ut dicitur 1 Cor. XIII, v. 10. Ergo fides et spes non
debent poni virtutes. |
7. La vertu est une disposition de celui qui est parfait à ce qui est
le meilleur. Or, la foi et l’espérance comportent une certaine imperfection,
car la foi porte sur des réalités non vues, et l’espérance, sur des réalités
non possédées. C’est la raison pour laquelle, lorsque ce qui est parfait
sera venu, ce qui est partiel disparaîtra, 1 Co 13, 10. Il
ne faut donc pas proposer la foi et l’espérance comme des vertus. |
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[65842] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 8 Praeterea,
ad Deum non potest aliquis ordinari nisi per intellectum et affectum. Sed
fides sufficienter ordinat intellectum hominis in Deum, caritas autem
affectum. Ergo praeter fidem et caritatem non debet poni spes virtus
theologica. |
8. On ne peut être ordonné à Dieu que par l’intellect et la volonté.
Or, la foi ordonne suffisamment l’intellect de l’homme vers Dieu, et la
charité, la volonté. On ne doit donc pas proposer l’espérance comme vertu
théologale en plus de la foi et de la charité. |
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[65843]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 9 Praeterea, id quod est generale omni
virtuti, non debet poni specialis virtus. Sed caritas videtur esse communis
omnibus virtutibus; quia ut dicit Augustinus in Lib. de moribus Ecclesiae,
nihil aliud est virtus quam ordo amoris : ipsa etiam caritas dicitur esse
forma omnium virtutum. Ergo non debet poni una specialis virtus inter
theologicas. |
9. Ce qui est commun à toute vertu ne doit pas être proposé comme une
vertu spéciale. Or, la charité semble être commune à toutes les vertus, car,
comme le dit Augustin dans le Livre sur le comportement de l’Église, la
vertu n’est rien d’autre que l’ordre de l’amour. La charité elle-même est
aussi appelée la forme de toutes les vertus. Elle ne doit donc pas être mise
comme une vertu spéciale parmi les vertus théologales. |
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[65844] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 10 Praeterea,
in Deo non solum consideratur veritas quam respicit fides, vel sublimitas
quam respicit spes, vel bonitas quam respicit caritas; sed sunt plura alia
quae Deo attribuuntur : ut sapientia, potentia et huiusmodi. Ergo videtur quod sit vel una tantum virtus
theologica, quia omnia illa unum sunt in Deo; vel quod sint tot virtutes
theologicae, quot sunt quae attribuuntur Deo. |
10. En Dieu, on ne
relève pas seulement la vérité, qui est l’objet que la foi considère, ni
l’élévation, qui est l’objet de l’espérance, ni la bonté, qui est l’objet de
la charité, mais il existe plusieurs autres choses qui sont attribuées à
Dieu, comme la sagesse, la puissance et les choses de ce genre. Il semble
donc qu’il y ait ou bien une seule vertu théologale, car toutes ces choses
n’en sont qu’une en Dieu, ou bien qu’il y ait autant de vertus théologales
qu’il y a de choses attribuées à Dieu. |
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[65845] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 11 Praeterea, virtus theologica est cuius actus
immediate ordinatur in Deum. Sed plura alia sunt talia : sicut sapientia quae
contemplatur Deum, timor qui reveretur ipsum, religio quae colit eum. Ergo non sunt tantum tres virtutes theologicae. |
11. La vertu théologale est celle dont l’acte est immédiatement
ordonné à Dieu. Or, il existe plusieurs autres choses de ce genre, comme la
sagesse, qui contemple Dieu, la crainte, qui le révère, la religion, qui lui
rend un culte. Il n’y a donc pas seulement trois vertus théologales. |
|
[65846]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 12 Praeterea, finis est ratio eorum quae sunt
ad finem. Habitis igitur virtutibus theologicis, quibus homo recte ordinatur
ad Deum, videtur superfluum ponere alias virtutes. |
12. La fin est la raison de ce qui est ordonné à la fin. Une fois
possédées les vertus théologales, par lesquelles l’homme est correctement
ordonné à Dieu, il semble superflu de proposer d’autres vertus. |
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[65847] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 13 Praeterea,
virtus ordinatur ad bonum : est enim virtus quae bonum facit habentem, et
opus eius bonum reddit. Sed bonum est tantum in voluntate et in appetitiva
parte; et sic videtur quod non sint aliquae virtutes intellectuales. |
13. La vertu est ordonnée au bien : en effet, la vertu est ce qui rend
bon celui qui la possède et rend bonne son action. Or, le bien ne se trouve
que dans la volonté et dans la partie appétitive. Et ainsi, il semble qu’il
n’y ait pas de vertus intellectuelles. |
|
[65848]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 14 Praeterea, prudentia est quaedam virtus
intellectualis. Ipsa autem ponitur inter morales. Ergo videtur quod morales
virtutes non distinguantur ab intellectualibus. |
14. La prudence est une vertu intellectuelle. Or, elle est placée
parmi les vertus morales. Il semble donc que les vertus morales ne se
distinguent pas des vertus intellectuelles. |
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[65849] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 15 Praeterea,
scientia moralis non tractat nisi moralia. Tractat autem scientia moralis de
virtutibus intellectualibus. Ergo virtutes intellectuales sunt morales. |
15. La science morale ne traite que des réalités morales. Or, la
science morale traite des vertus intellectuelles. Les vertus intellectuelles
sont donc [des vertus] morales. |
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[65850]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 16 Praeterea, id quod ponitur in definitione
alicuius, non distinguitur ab eo. Sed prudentia ponitur in definitione
virtutis moralis : est enim virtus moralis, habitus electivus in medietate
consistens determinata secundum rectam rationem, ut dicitur II Ethic. : ratio
enim agibilium est prudentia, ut dicitur VI Ethic. Ergo morales virtutes non
distinguuntur a prudentia. |
16. Ce qui est mis dans la définition d’une chose ne s’en distingue
pas. Or, la prudence est mise dans la définition de la vertu morale : en
effet, la vertu morale est un habitus qui choisit ce en quoi consiste le
milieu déterminé selon la raison droite, comme il est dit dans Éthique, II.
En effet, la raison des actes à poser est la prudence, comme il est dit dans Éthique,
VI. Les vertus morales ne se distinguent donc pas de la prudence. |
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[65851] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 17 Praeterea, sicut prudentia pertinet ad cognitionem
practicam, ita et ars. Sed praeter artem non sunt aliqui habitus in appetitiva
parte ordinati ad operandum artificialia. Ergo pari ratione nec praeter
prudentiam sunt aliqui habitus virtuosi in appetitu ad operandum agibilia; et
ita videtur quod non sint aliquae virtutes morales distinctae a prudentia. |
17. De même que la prudence se rapporte à la connaissance pratique, de
même en est-il de l’art. Or, il n’existe pas dans la partie appétitive, en
plus de l’art, d’habitus ordonnés à réaliser des œuvres d’art. Pour la même
raison, il n’existe pas dans l’appétit, pour poser les actes qui doivent
l’être, d’habitus vertueux, en plus de la prudence. Et ainsi, il semble qu’il
n’existe pas de vertus morales distinctes de la prudence. |
|
[65852]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 18 Sed dicendum, quod ideo arti non respondet
aliqua virtus in appetitu, quia appetitus est singularium, ars autem
universalium.- Sed contra, Aristoteles dicit II Ethic., quod ira semper est
circa singularia : sed odium est etiam universalium; habemus enim odio omne
latronum genus. Odium autem ad appetitum pertinet. Ergo
appetitus est respectu universalium. |
18. Mais la raison pour laquelle il n’y a pas de vertu dans l’appétit
est que l’appétit porte sur des réalités singulières, et l’art sur des
réalités universelles. – En sens contraire,
Aristote dit, dans Éthique, II, que la colère porte toujours sur des
réalités singulières, mais que la haine porte aussi sur des réalités
universelles : en effet, nous haïssons tous les genres de brigands. Or, la
haine relève de l’appétit. L’appétit porte donc sur des réalités
universelles. |
|
[65853]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 19 Praeterea, unaquaeque potentia naturaliter
tendit in suum obiectum. Obiectum autem appetitus est bonum apprehensum. Ergo
appetitus naturaliter tendit in bonum ex quo est apprehensum. Sed ad apprehendendum bonum sufficienter nos
perficit prudentia. Ergo praeter prudentiam non est necessarium nos habere
aliquam virtutem aliam moralem in appetitu, cum ad hoc sufficiat inclinatio
naturalis. |
19. Toute puissance tend naturellement vers son objet. Or, l’objet de
l’appétit est le bien appréhendé. L’appétit tend donc naturellement vers le
bien du fait qu’il est appréhendé. Or, pour appréhender le bien, la prudence
nous perfectionne suffisamment. En plus de la prudence, il n’est donc pas
nécessaire que nous ayons une autre vertu morale dans l’appétit, puisque
l’inclination naturelle suffit à cela. |
|
[65854] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 20 Praeterea, ad virtutem sufficit cognitio et
operatio. Sed utrumque horum habetur per prudentiam. Ergo praeter prudentiam non oportet ponere alias virtutes morales. |
20. La connaissance et l’action suffisent pour la vertu. Or, on a ces
deux choses par la prudence. Il n’est donc pas nécessaire de proposer
d’autres vertus morales en plus de la prudence. |
|
[65855] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 21 Praeterea,
sicut appetitivi habitus distinguuntur penes obiecta,
ita et habitus cognoscitivi. Sed de omnibus moralibus est unus habitus
cognoscitivus, vel scientia moralis circa omnia moralia, vel etiam prudentia.
Ergo et una tantum est in appetitu virtus moralis. |
21. De même que les habitus appétitifs se distinguent selon leurs
objets, de même en est-il aussi des habitus cognitifs. Or, il n’existe qu’un
seul habitus cognitif pour toutes les réalités morales : soit la science
morale pour toutes les réalités morales, soit aussi la prudence. Il n’existe
donc qu’une seule vertu morale dans l’appétit. |
|
[65856] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 22 Praeterea, ea quae conveniunt in forma, et differunt
solum in materia, sunt unum specie. Sed omnes virtutes morales conveniunt
secundum id quod est formale in eis, quia in omnibus est medium acceptum
secundum rationem rectam; non autem differunt nisi penes materias. Ergo non differunt specie, sed numero tantum. |
22. Les choses qui ont en commun une forme et qui ne diffèrent que par
la matière, font partie d’une seule espèce. Or, toutes les vertus morales ont
en commun ce qui a valeur de forme en elles, car, chez toutes, il existe un
milieu saisi selon la raison droite, et elles ne diffèrent que selon les
matières. Elles ne diffèrent donc pas selon l’espèce, mais selon le nombre
seulement. |
|
[65857]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 23 Praeterea, ea quae differunt specie, non
denominantur ad invicem. Sed virtutes morales denominant se ad invicem :
quia, ut Augustinus dicit, oportet quod iustitia sit fortis et temperata, et
temperantia iusta et fortis, et sic de aliis. Ergo virtutes non distinguuntur ad invicem. |
23. Les choses qui diffèrent par l’espèce ne reçoivent pas leur nom
les unes des autres. Or, les vertus morales reçoivent leur nom les unes des
autres, car, comme le dit Augustin, il est nécessaire que la justice soit
forte et tempérée, et que la tempérance soit juste et forte, et ainsi de
suite pour les autres. Les vertus ne se distinguent donc pas les unes des
autres. |
|
[65858] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 24 Praeterea,
virtutes theologicae et cardinales, sunt principaliores quam morales. Sed
virtutes intellectuales non dicuntur cardinales, neque theologicae. Ergo nec
morales debent dici cardinales, quasi principales. |
24. Les vertus théologales et les [vertus] cardinales sont supérieures
aux vertus morales. Or, les vertus intellectuelles ne sont appelées ni
cardinales ni théologales. Des vertus morales ne doivent donc pas, elles non
plus, être appelées cardinales, comme si elles étaient supérieures. |
|
[65859]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 25 Praeterea, tres ponuntur animae partes;
scilicet rationalis, irascibilis et concupiscibilis. Ergo si sunt aliquae
virtutes principales, videtur quod sint tres tantum. |
25. On admet qu’il existe trois parties de l’âme : la partie
raisonnable, la [partie] irascible et la [partie] concupiscible. S’il existe
des vertus principales, il semble donc qu’il y en ait trois. |
|
[65860] De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 26 Praeterea,
aliae virtutes videntur istis principaliores; sicut est magnanimitas, quae
operatur magnum in omnibus virtutibus, ut dicitur IV Ethic.; et humilitas,
quae est custos virtutum; mansuetudo etiam videtur esse principalior quam
fortitudo, cum sit circa iram, a qua denominatur irascibilis; liberalitas et
magnificentia, quae dant de suo, videntur esse principaliores quam iustitia
quae reddit alteri debitum. Ergo istae non sunt virtutes cardinales, sed
magis aliae. |
26. D’autres vertus semblent supérieures à celles-ci, comme la
maganimité, qui accomplit ce qui est grand dans toutes les vertus, comme il
est dit dans Éthique, IV, et l’humilité, qui est la gardienne des
vertus; la douceur aussi semble être supérieure à la force, puisqu’elle porte
sur la colère [ira], dont l’irascible tire son nom; la libéralité et
la magnificence, qui donnent de leur bien propre, semblent être supérieures à
la justice, qui rend à autrui ce qui lui est dû. Ces vertus ne sont donc pas
des vertus cardinales, mais d’autres le sont plutôt. |
|
[65861]
De virtutibus, q. 1 a. 12 arg. 27 Praeterea, pars non distinguitur a suo
toto. Sed aliae virtutes ponuntur a Tullio, partes istarum quatuor : scilicet
prudentiae, iustitiae, fortitudinis, et temperantiae. Ergo saltem aliae
virtutes morales non distinguuntur ab istis; et sic videntur virtutes non
recte distingui. |
27. La partie ne se distingue pas du tout dont elle fait partie. Or,
d’autres vertus sont données par Tullius [Cicéron] comme parties de ces
quatre : la prudence, la justice, la force et la tempérance. D’autres vertus
morales ne sont donc pas distinctes de celles-ci. Et ainsi, il semble qu'il
ne soit pas correct de distinguer les vertus. |
|
[65862] De virtutibus, q. 1 a. 12 s. c. Sed
contra, est quod 1 Cor. XIII, 13, dicitur : nunc autem manent fides, spes,
caritas, tria haec; et Sap. VIII, 7 : sobrietatem et prudentiam docet,
et iustitiam, et virtutem. |
Cependant : Il est dit en 1 Co 13, 13 : Maintenant donc
demeurent la foi, l’espérance et la charité, ces trois choses; et en
Sg 8, 7 : [La Sagesse] enseigne tempérance et prudence, justice
et force. |
|
[65863]
De virtutibus, q. 1 a. 12 co. Respondeo. Dicendum quod unumquodque
diversificatur secundum speciem secundum id quod est formale in ipso. Formale
autem in unoquoque est id quod est completivum definitionis eius. Ultima enim
differentia constituit speciem : unde per eam differt definitum secundum
speciem ab aliis; et si ipsa sit multiplicabilis formaliter secundum diversas
rationes, definitum in species diversas dividitur secundum ipsius
diversitatem. Illud autem quod est completivum et ultimum formale in
definitione virtutis, est bonum : nam virtus universaliter accepta sic
definitur : virtus est, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum
reddit : ut patet in Lib. Ethic. Unde et virtus hominis, de qua loquimur,
oportet quod diversificetur secundum speciem, secundum quod bonum ratione
diversificatur. Cum autem homo sit homo in quantum rationalis est; oportet
hominis bonum esse eius quod est aliqualiter rationale. Rationalis autem
pars, sive intellectiva, comprehendit et cognitivam et appetitivam. Pertinet
autem ad rationalem partem non solum appetitus, qui est in ipsa parte
rationali, consequens apprehensionem intellectus, qui dicitur voluntas : sed
etiam appetitus qui est in parte sensitiva hominis, et dividitur per irascibilem
et concupiscibilem. Nam etiam hic appetitus in homine sequitur apprehensionem
rationis, in quantum imperio rationis obedit; unde et participare dicitur
aliqualiter rationem. Bonum igitur hominis est et bonum cognitivae et bonum
appetitivae partis. Non autem secundum eamdem rationem utrique parti bonum
attribuitur. Nam bonum appetitivae parti attribuitur formaliter, ipsum enim
bonum est appetitivae partis obiectum : sed intellectivae parti attribuitur
bonum non formaliter, sed materialiter tantum. Nam cognoscere verum, est
quoddam bonum cognitivae partis; licet sub ratione boni non comparetur ad
cognitivam, sed magis ad appetitivam : nam ipsa cognitio veri est quoddam
appetibile. Oportet igitur alterius rationis esse virtutem quae perficit
partem cognoscitivam ad cognoscendum verum, et quae perficit rationem
appetitivam ad apprehendendum bonum; et propter hoc philosophus in Lib.
Ethic., distinguit virtutes intellectuales a moralibus : et intellectuales
dicuntur quae perficiunt partem intellectualem ad cognoscendum verum, morales
autem quae perficiunt partem appetitivam ad appetendum bonum. Et quia bonum
magis congrue competit parti appetitivae quam intellectivae, propter hoc,
nomen virtutis convenientius et magis proprie competit virtutibus appetitivae
partis quam virtutibus intellectivae; licet virtutes intellectivae sint
nobiliores perfectiones quam virtutes morales, ut probatur VI Ethic. Cognitio
autem veri non est respectu omnium unius rationis. Alia enim ratione
cognoscitur verum necessarium, et verum contingens : et iterum verum
necessarium alia ratione cognoscitur si sit per se notum, sicut intellectu
cognoscuntur prima principia; alia ratione si fiat notum ex alio, sicut fiunt
notae conclusiones per scientiam vel sapientiam circa altissima : in quibus
etiam est alia ratio cognoscendi, eo quod ex hac homo dirigitur in aliis
cognoscendis. Et similiter circa contingentia operabilia non est eadem ratio
cognoscendi ea quae sunt in nobis, quae dicuntur agibilia, ut sunt
operationes nostrae, circa quas frequenter contingit errare, propter aliquam
passionem; quarum est prudentia : et ea quae sunt extra nos a nobis
factibilia, in quibus dirigit ars aliqua; quorum rectam aestimationem
passiones animae non corrumpunt. Et ideo philosophus ponit VI Ethic., virtutes
intellectuales, scilicet sapientiam, et scientiam et intellectum, prudentiam
et artem. Similiter etiam bonum appetitivae partis non secundum eamdem
rationem se habet in omnibus rebus humanis. Huiusmodi autem bonum in
tripartita materia quaeritur; scilicet in passionibus irascibilis et in
passionibus concupiscibilis, et in operationibus nostris quae sunt circa res
exteriores quae veniunt in usum nostrum, sicut est emptio et venditio,
locatio et conductio, et huiusmodi alia. Bonum enim hominis in passionibus
est, ut sic homo in eis se habeat, quod per earum impetum a rationis iudicio
non declinet; unde si aliquae passiones sunt quae bonum rationis natae sint
impedire per modum incitationis ad agendum vel prosequendum, bonum virtutis
praecipue consistit in quadam refrenatione et retractione; sicut patet de
temperantia, quae refrenat et compescit concupiscentias. Si autem passio nata sit praecipue bonum rationis
impedire in retrahendo, sicut timor, bonum virtutis circa huiusmodi passionem
erit in sustinendo; quod facit fortitudo. Circa res vero exteriores bonum
rationis consistit in hoc quod debitam proportionem suscipiant, secundum quod
pertinent ad communicationem humanae vitae; et ex hoc imponitur nomen
iustitiae, cuius est dirigere, et aequalitatem in huiusmodi invenire. Sed
considerandum est, quod tam bonum intellectivae partis quam appetitivae est
duplex : scilicet bonum quod est ultimus finis, et bonum quod est propter
finem; nec est eadem ratio utriusque. Et ideo praeter omnes virtutes
praedictas, secundum quas homo bonum consequitur in his quae sunt ad finem,
oportet esse alias virtutes secundum quas homo bene se habet circa ultimum
finem, qui Deus est; unde et theologicae dicuntur, quia Deum habent non solum
pro fine, sed etiam pro obiecto. Ad hoc autem quod moveamur recte in finem,
oportet finem esse et cognitum et desideratum. Desiderium autem finis duo
exigit : scilicet fiduciam de fine obtinendo, quia nullus sapiens movetur ad
id quod consequi non potest; et amorem finis, quia non desideratur nisi
amatum. Et ideo virtutes theologicae sunt tres : scilicet fides, qua Deum
cognoscimus; spes, qua ipsum nos obtenturos esse speramus; et caritas, qua
eum diligimus. Sic ergo patet quod sunt tria genera virtutum : theologicae,
intellectuales et morales et quodlibet genus sub se plures species habet. |
Réponse : Toute chose se diversifie selon l’espèce d’après ce qui joue le rôle
de forme en elle. Or, joue le rôle de forme en toute chose ce qui complète sa
définition. En effet, la différence ultime constitue l’espèce : c’est donc
par elle que ce qui est défini diffère des autres choses selon l’espèce, et
si elle est multipliable selon la forme en diverses raisons, ce qui est
défini en espèces diverses se divise selon sa diversité. Or, ce qui est le
complément et joue ultimement le rôle de forme dans la définition de la
vertu, c’est le bien, car la vertu, entendue d’une manière universelle, se
définit ainsi : «La vertu est ce qui rend bon celui qui la possède et rend
bonne son action», comme cela ressort clairement de l’Éthique. Aussi
est-il nécessaire que la vertu de l’homme, dont nous parlons, se diversifie
selon l’espèce selon que le bien se diversifie d’après la raison. Or, puisque
l’homme est homme pour autant qu’il est raisonnable, il est nécessaire que le
bien de l’homme soit le bien de ce qui est raisonnable d’une certaine
manière. Or, la partie raisonnable, ou intellective, comprend la [partie]
cognitive et la [partie] appétitive. Relèvent donc de la partie raisonnable,
non seulement l’appétit qui existe dans la partie raisonnable elle-même, qui
suit l’appréhension de l’intellect et qu’on appelle volonté, mais aussi
l’appétit qui est dans la partie sensible de l’homme, et qui se divise en
irascible et en concupiscible. Car même cet appétit chez l’homme suit l’appréhension
de la raison, pour autant qu’il obéit au commandement de la raison. C’est
pourquoi on dit qu’il participe d’une certaine manière à la raison. Le bien
de l’homme est donc tant le bien de la partie cognitive que le bien de la
partie appétitive. Mais le bien n’est pas attribué aux deux parties pour la
même raison. Car le bien de la partie appétitive est attribué à titre de
forme : en effet, le bien est l’objet de la partie appétitive; mais le bien
est attribué à la partie intellective non pas à titre de forme, mais à titre
de matière seulement. Car connaître le vrai est un certain bien de la partie
cognitive, bien que, sous la raison de bien, il ne se rapporte pas à la
partie cognitive, mais plutôt à la partie appétitive, car la connaissance du
vrai elle-même est un objet de l’appétit. Il est donc nécessaire que la vertu
qui parfait la partie cognitive pour connaître le vrai et celle qui parfait
la partie appétitive pour appréhender le bien aient une autre raison. C’est
pourquoi, dans le livre de l’Éthique, le Philosophe distingue les
vertus intellectuelles des vertus morales : sont appelées intellectuelles
celles qui perfectionnent la partie intellectuelle pour connaître le vrai, et
morales celles qui perfectionnent la partie appétitive pour désirer le bien.
Et parce que le bien relève plutôt de la partie appétitive que de la partie
intellective, le nom de vertu appartient avec plus de convenance et en un
sens plus propre aux vertus de la partie appétitive plutôt qu’aux vertus de
la partie intellective, bien que les vertus intellectives soient des
perfections plus nobles que les vertus morales, comme on le démontre dans Éthique,
VI. Or, la connaissance du vrai ne s’étend pas à toutes choses selon une
seule raison. En effet, le vrai nécessaire est connu selon une raison, et le
vrai contingent selon une autre; de plus, le vrai nécessaire est connu selon
une autre raison s’il est connu par lui-même, comme les premiers principes
sont connus par l’intellect, et selon une autre raison s’il devient connu par
autre chose, comme les conclusions deviennent connues par la science ou la
sagesse portant sur les réalités les plus élevées, pour lesquelles il y a
encore une autre raison de les connaître, du fait que l’homme est orienté
vers la connaissance des autres choses à partir d’elle. De la même manière, à
propos des actes à poser qui sont contingents, autre est la raison de
connaître ce qui est en nous, qu’on appelle les actes à poser, comme sont nos
opérations, à propos desquelles il [nous] arrive souvent d’errer en raison de
quelque passion, et sur lesquelles porte la prudence; et [autre est la raison
de connaître] les choses extérieures à nous, mais réalisables par nous, pour
lesquelles un certain art assure la direction, et dont les passions de l’âme
ne corrompent pas le jugement droit. C’est pourquoi, dans Éthique, VI,
le Philosophe met de l’avant des vertus intellectuelles, à savoir, la
sagesse, la science et l’intellect, la prudence et l’art. De la même manière
aussi, le bien de la partie appétitive ne se trouve pas selon la même raison
dans toutes les choses humaines. Le bien de ce genre est cherché dans une
matière qui se divise en trois : dans les passions de l’irascible et dans les
passions du concupiscible, et dans nos opérations qui portent sur les choses
extérieures qui viennent en notre usage, comme l’achat et la vente, la
location et le contrat, et les autres choses de ce genre. En effet, le bien
de l’homme, pour ce qui est des passions, consiste en ce que l’homme se
comporte à leur égard de telle sorte qu’il ne s’écarte pas du jugement de la
raison sous leur impulsion. Ainsi, s’il existe certaines passions qui ont
tendance à faire obstacle au bien de la raison par mode d’incitation à agir
ou à obtenir, le bien de la vertu consiste principalement à se retenir et à
se retirer, comme cela est clair pour la tempérance, qui réfrène et réprime
les convoitises. Mais si une passion a tendance à faire obstacle au bien de
la vertu principalement en se retirant, comme c’est le cas de la crainte, le
bien de la vertu à propos de cette passion consistera à supporter, ce que
fait la force. Mais, en ce qui concerne les choses extérieures, le bien de la
raison consiste en ce qu’ils reçoivent la proportion appropriée pour les
rapports de la vie humaine; de là vient le nom de justice, à qui il
appartient de redresser et de trouver l’égalité dans les choses de ce genre.
Mais il faut observer que le bien de la partie intellective, comme celui de
la partie appétitive, est double : le bien qui est la fin ultime, et le bien
qui existe en vue de la fin, et la raison des deux n’est pas la même. Et
c’est pourquoi, en plus de toutes les vertus déjà mentionnées, par lesquelles
l’homme obtient le bien pour ce qui est ordonné à la fin, il est nécessaire
qu’existent d’autres vertus, par lesquelles l’homme se situe bien par rapport
à la fin ultime, qui est Dieu. De là vient qu’elles sont appelées
théologales, parce qu’elles ont Dieu non seulement comme fin, mais aussi
comme objet. Or, pour que nous soyons correctement mus vers la fin, il est
nécessaire que la fin soit à la fois connue et désirée. Or, le désir de la
fin exige deux choses : la confiance d’obtenir la fin, car aucun sage n’est
mû vers ce qu’il ne peut pas obtenir; et l’amour de la fin, car elle n’est
pas désirée à moins d’être aimée. C’est pourquoi il y a trois vertus
théologales : la foi, par laquelle nous connaissons Dieu; l’espérance, par
laquelle nous espérons l’obtenir; la charité, par laquelle nous l’aimons. Il
ressort ainsi clairement qu’il y a trois genres de vertus : les vertus
théologales, intellectuelles et morales, et chaque genre comporte plusieurs
espèces. |
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[65864] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod moralia recipiunt speciem a finibus proximis; qui
tamen non sunt infiniti, si in eis sola differentia formalis consideretur :
nam finis proximus uniuscuiusque virtutis est bonum quod ipsa operatur, quod
differt ratione, ut ostensum est in corp. art. |
Solutions : 1. Les réalités
morales reçoivent leur espèce des fins prochaines, qui ne sont cependant pas
infinies, si l’on considère en elles la seule différence formelle, car la fin
prochaine de toute vertu est le bien que celle-ci accomplit, qui diffère par
sa raison, comme on l’a montré dans le corps de l’article. |
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[65865] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ratio illa procedit in his quae agunt per necessitatem
naturae, quia ea consequuntur finem una actione et una forma : homo autem
ideo habet rationem, quia per plura et diversa oportet quod ad finem suum
perveniat; unde sunt ei necessariae plures virtutes. |
2. Cet argument s’applique aux choses qui agissent par nécessité de
nature, car celles-ci obtiennent leur fin par une seule action et une seule
forme. Mais l’homme a la raison parce qu’il doit parvenir à sa fin par plusieurs
choses diverses. Aussi plusieurs vertus lui sont-elles nécessaires. |
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[65866] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod accidentia non
multiplicantur in uno secundum numerum, sed tantum secundum speciem; unde non
oportet unitatem vel multitudinem in virtutibus considerari secundum
subiectum, quod est anima, vel potentiae eius, nisi quatenus diversitatem
potentiarum consequitur diversa ratio boni, secundum quam distinguuntur
virtutes, ut dictum est. |
3. Les accidents ne sont pas multipliés dans une chose selon le
nombre, mais seulement selon l’espèce. Il n’est donc pas nécessaire que
l’unité et la multitude soient envisagées pour les vertus selon leur sujet,
qui est l’âme ou ses puissances, si ce n’est pour autant qu’une raison de
bien différente entraîne la diversité des puissances, [raison] selon laquelle
les vertus sont distinguées, comme on l’a dit. |
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[65867] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod non secundum eamdem rationem est aliquid obiectum
potentiae et habitus. Nam potentia est secundum quam simpliciter possumus
aliquid, puta irasci vel confidere; habitus autem est secundum quem aliquid
possumus bene vel male, ut dicitur in Ethic. Et ideo ubi est alia ratio boni,
est alia ratio obiecti quantum ad habitum, sed non quantum ad potentiam;
propter quod contingit in una potentia multos habitus esse. |
4. Une chose n’est pas l’objet d’une puissance et d’un habitus selon
la même raison. Car la puissance est ce par quoi nous pouvons tout simplement
quelque chose, par exemple, être en colère ou avoir confiance; mais l’habitus
est ce selon quoi nous le pouvons bien ou mal, comme il est dit dans Éthique.
C’est pourquoi là où il y a une autre raison de bien, il y a une autre raison
d’objet quant à l’habitus, mais non quant à la puissance. C’est la raison
pour laquelle beaucoup d'habitus peuvent se trouver dans une seule puissance. |
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[65868] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod nihil prohibet aliquid esse causam effectivam alterius, quod
tamen est causa finalis illius; sicut medicina est causa effectiva sanitatis,
quae est finis medicinae, ut philosophus dicit I Ethic. Habitus igitur
sunt causae effectivae actuum; sed actus sunt fines habituum; et ideo habitus
formaliter secundum actus distinguuntur. |
5. Rien n’empêche que quelque chose soit la cause efficiente d’une
autre chose, qui est pourtant sa cause finale, comme le médicament est la
cause efficiente de la santé, qui est la fin du médicament, comme le
Philosophe le dit dans Éthique, I. Les habitus sont donc causes
efficientes des actes, mais les actes sont fins des habitus; c’est pourquoi
les habitus se distinguent formellement selon les actes. |
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[65869] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod respectu finis qui est
naturae humanae proportionatus, sufficit homini ad bene se habendum naturalis
inclinatio; et ideo philosophi posuerunt aliquas virtutes, quarum obiectum
esset felicitas, de qua ipsi tractabant. Sed finis in quo beatitudinem speramus, Deus, est naturae nostrae
excedens proportionem; et ideo supra naturalem inclinationem necessariae sunt
nobis virtutes, quibus in finem ultimum elevemur. |
6. Par rapport à la fin qui est proportionnée à la nature humaine,
l’inclination naturelle suffit à l’homme pour se bien comporter. C’est
pourquoi les philosophes ont mis de l’avant certaines vertus, dont l’objet
serait la félicité, dont eux-mêmes traitaient. Mais la fin que nous espérons,
Dieu, dépasse la proportion de notre nature. C’est pourquoi, en plus de
l’inclination naturelle, nous sont nécessaires des vertus par lesquelles nous
sommes élevés vers la fin ultime. |
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[65870] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod attingere ad Deum qualitercumque et imperfecte, maioris
perfectionis est quam perfecte alia attingere; unde philosophus dicit de
proprietatibus animalium, et in II de Cael. et Mund. : quod de
sublimioribus rebus percipimus, est dignius, quam quod de aliis rebus multum
cognoscimus. Et ideo nihil prohibet et fidem et spem esse
virtutes, quamvis per eas imperfecte attingamus ad Deum. |
7. Atteindre Dieu d’une manière quelconque et imparfaitement est plus
parfait que d’atteindre parfaitement les autres réalités. C’est ainsi que le
Philosophe dit, à propos des propriétés des animaux, dans Sur le ciel et
le monde, II : «Ce que nous percevons des réalités plus élevées est plus
digne que la connaissance approfondie que nous avons des autres choses.»
C’est pourquoi rien n’empêche que la foi et l’espérance soient des vertus,
bien que nous approchions Dieu imparfaitement par elles. |
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[65871] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod affectus in Deum ordinatur
et per spem in quantum confidit de Deo, et per caritatem in quantum diligit
ipsum. |
8. L’orientation de la volonté vers Dieu se réalise par l’espérance,
pour autant qu’elle a confiance à propos de Dieu, et par la charité, pour
autant qu’elle l’aime. |
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[65872] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 9 Ad nonum
dicendum, quod amor est principium et radix omnium affectuum : non enim
gaudemus de praesentia boni nisi in quantum est amatum; et similiter patet in
omnibus aliis affectionibus. Sic igitur omnis virtus quae est ordinativa alicuius
passionis, est etiam ordinativa amoris. Nec etiam sequitur quod caritas, quae
est amor, non sit virtus specialis; sed oportet quod sit principium
quodammodo omnium virtutum, in quantum omnes movet ad suum finem. |
9. L’amour est le principe et la racine de tous les autres sentiments.
En effet, nous ne nous réjouissons de la présence du bien que pour autant
qu’il est aimé; il en est de même clairement pour tous les autres sentiments.
Ainsi donc, toute vertu qui ordonne une passion ordonne aussi l’amour. Il
n’en découle cependant pas que la charité, qui est un amour, ne soit pas une
vertu spéciale, mais il est nécessaire qu’il soit d’une certaine manière le
principe de toutes les vertus, pour autant qu’il les meut toutes vers sa fin. |
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[65873] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod non oportet secundum omnia
attributa divina accipi virtutes theologicas, sed solum secundum illa
secundum quae appetitum nostrum movet ut finis; et secundum hoc sunt tres
virtutes theologicae, ut dictum est art. 10 huius quaestionis. |
10. Il n’est pas nécessaire de concevoir des vertus théologales pour
tous les attributs divins, mais seulement pour ceux selon lesquels il meut
notre appétit en tant que fin. Et ainsi, il y a trois vertus théologales,
comme on l’a dit dans l’article 10 de la présente question. |
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[65874] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod religio habet Deum pro
fine, non autem pro obiecto, sed ea quae offert colendo ipsum; et ideo non
est virtus theologica. Similiter etiam sapientia, qua nunc contemplamur Deum,
non immediate respicit ipsum Deum, sed effectus ex quibus ipsum in praesenti
contemplamur. Timor etiam respicit pro obiecto aliquid aliud
quam Deum; vel poenas vel propriam parvitatem, ex cuius consideratione homo
Deo reverenter se subiicit. |
11. La religion a Dieu comme fin, non pas en tant qu’objet, mais pour
lui rendre un culte par ce qu’elle offre. C’est pourquoi elle n’est pas une
vertu théologale. De même, la sagesse, par laquelle nous contemplons Dieu
maintenant, ne porte pas sur Dieu lui-même, mais sur les effets à partir
desquels nous le contemplons dans la vie présente. La crainte aussi porte sur
quelque chose d’autre que Dieu : soit les peines, soit sa propre petitesse,
dont la considération pousse l’homme à se soumettre à Dieu avec respect. |
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[65875] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod sicut in speculativis sunt principia et
conclusiones : ita et in operativis sunt fines et ea quae sunt ad finem. Sicut igitur ad perfectam cognitionem et expeditam
non sufficit quod homo bene se habeat circa principia per intellectum, sed
ulterius requiritur scientia ad conclusiones; ita in operativis praeter
virtutes theologicas, quibus bene nos habemus ad ultimum finem, sunt
necessariae virtutes aliae, quibus bene ordinemur ad ea quae sunt ad finem. |
12. De même que, dans le domaine spéculatif, il existe des principes
et des conclusions, de même, dans le domaine des actions, il existe des fins
et ce qui est ordonné à la fin. De même que, pour la connaissance parfaite et
rapide, il ne suffit pas que l’homme se comporte bien par rapport aux
principes par l’intellect, mais qu’est aussi nécessaire la science pour les
conclusions, de même, dans le domaine des actions, en plus des vertus
théologales par lesquelles nous nous comportons bien vis-à-vis de la fin,
d’autres vertus sont nécessaires, par lesquelles nous sommes bien ordonnés
par rapport à ce qui se rapporte à la fin. |
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[65876] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet bonum, in
quantum huiusmodi, sit obiectum appetitivae virtutis et non intellectivae;
tamen id quod est bonum, potest inveniri etiam in intellectiva. Nam
cognoscere verum, quoddam bonum est; et sic habitus perficiens intellectum ad
verum cognoscendum, habet virtutis rationem. |
13. Quoique le bien, en tant que tel, soit l’objet de la puissance
appétitive, et non de la puissance intellective, ce qui est bien peut
cependant se trouver même dans la partie intellective. Car connaître le vrai
est un certain bien. Et ainsi, l’habitus perfectionnant l’intellect pour
connaître le vrai a raison de vertu. |
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[65877] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod prudentia secundum essentiam suam
intellectualis est, sed habet materiam moralem; et ideo quandoque cum
moralibus numeratur, quodammodo media existens inter intellectuales et
morales. |
14. La prudence est intellectuelle selon son essence, mais elle a une
matière morale. C’est pourquoi elle est parfois comptée parmi les vertus
morales, en occupant d’une certaine façon une position médiane entre les
vertus intellectuelles et les vertus morales. |
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[65878] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtutes
intellectuales licet distinguantur a moralibus, pertinent tamen ad scientiam
moralem in quantum actus earum voluntati subduntur : utimur enim scientia cum
volumus, et aliis virtutibus intellectualibus. Ex hoc autem aliquid morale dicitur, quod se habet aliquo modo ad
voluntatem. |
15. Bien que les intellectuelles soient distinctes des vertus morales,
elles se rapportent cependant à la science morale pour autant que leurs actes
sont soumis à la volonté. En effet, nous faisons usage de la science lorsque
nous le voulons, ainsi que des autres vertus intellectuelles. Car on dit de
quelque chose que cela est moral lorsque cela a un certain rapport avec la
volonté. |
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[65879] De
virtutibus, q. 1 a. 12 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ratio recta
prudentiae non ponitur in definitione virtutis moralis, quasi aliquid de
essentia eius existens; sed sicut causa quodammodo effectiva ipsius, vel per
participationem. Nam virtus moralis nihil aliud est quam
participatio quaedam rationis rectae in parte appetitiva, ut in superioribus
dictum est. |
16. La raison droite de la prudence n’est pas placée dans la
définition de la vertu morale comme si elle faisait partie de son essence,
mais comme une cause qui la réalise d’une certaine manière ou en raison d’une
participation. Car la vertu morale n’est rien d’autre qu’une certaine
participation à la raison droite dans la partie appétitive, comme on l’a dit
plus haut. |
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[65880] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod materia artis sunt
exteriora factibilia; materia autem prudentiae sunt agibilia in nobis
existentia. Sicut igitur ars requirit rectitudinem quamdam in rebus
exterioribus, quae ars disponit secundum aliquam formam; ita prudentia
requirit rectam dispositionem in passionibus et affectionibus nostris; et
propter hoc prudentia requirit aliquos habitus morales in parte appetitiva,
non autem ars. |
17. Les réalisations extérieures sont la matière de l’art, mais les
actions à poser qui existent en nous sont la matière de la prudence. De même
donc que l’art requiert une certaine rectitude dans les choses extérieures,
que l’art dispose selon une certaine forme, de même la prudence requiert une
disposition droite dans nos passions et nos affections. Pour cette raison, la
prudence requiert certains habitus dans la partie appétitive, mais non l’art. |
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[65881] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 18 Ad
decimumoctavum concedimus. Appetitus enim intellectivae partis, qui est
voluntas, potest esse universalis boni, quod per intellectum apprehenditur;
non autem appetitus qui est in parte sensitiva, quia nec sensus universale
apprehendit. |
18. En effet, l’appétit de la partie intellective, qui est la volonté,
peut porter sur le bien universel, qui est appréhendé par l’intellect, mais
non l’appétit qui se trouve dans la partie sensible, parce que le sens
n’appréhende pas non plus l’universel. |
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[65882] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod licet appetitus
naturaliter moveatur in bonum apprehensum; ad hoc tamen quod faciliter
inclinetur in hoc bonum, quod ratio consequitur per prudentiam perfectam,
requiritur in parte appetitiva aliquis habitus virtutis; et praecipue vera
ratio deliberans et demonstrans aliquod bonum, in cuius contrarium appetitus
natus est ferri absolute; sicut concupiscibilis nata est moveri in
delectabile sensus, et irascibilis in vindictam, quae tamen interdum ratio
prohibet per suam deliberationem. Similiter etiam
voluntas, ea quae in usum hominis veniunt, nata est appetere sibi ad
necessitatem vitae, sed ratio deliberans aliquando praecipit alteri
communicanda. Et ideo in parte appetitiva necessarium est
ponere habitus virtutum ad hoc quod faciliter obediat rationi. |
19. Bien que l’appétit soit naturellement mû vers le bien appréhendé,
pour qu’il soit facilement incliné vers ce bien, que la raison poursuit par
la prudence parfaite, un habitus de vertu est nécessaire dans la partie
appétitive, et surtout, une raison vraie délibérant et montrant un certain
bien, alors que l’appétit, laissé à lui-même, est naturellement poussé vers
son contraire : ainsi, le concupiscible est naturellement poussé à être mû
vers un plaisir du sens, et l’irascible, vers la vengeance, que la raison
interdit cependant par sa délibération. De la même façon, la volonté est
naturellement poussée à désirer pour elle-même, pour ce qui est nécessaire à
la vie, les choses qui viennent à l’usage de l’homme, mais la raison qui
délibère ordonne parfois de les partager avec un autre. C’est pourquoi il est
nécessaire de mettre dans la partie appétitive les habitus des vertus afin
qu’elle obéisse facilement à la raison. |
|
[65883] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 20 Ad vicesimum dicendum est, quod cognitio ad
prudentiam immediate pertinet; sed operatio pertinet ad eam mediante
appetitiva virtute; et ideo debent in appetitiva etiam virtute esse aliqui
habitus, qui dicuntur virtutes morales. |
20. La connaissance relève immédiatement de la prudence, mais
l’opération en relève par l’intermédiaire de la puissance appétitive. C’est
pourquoi il doit y avoir dans la partie appétitive des habitus, qu’on appelle
les vertus morales. |
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[65884] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod in omnibus
moralibus est una ratio veri : in omnibus enim moralibus est verum contingens
agibile; non tamen in eis est una ratio boni, quod est obiectum virtutis. Et ideo
respectu omnium moralium est unus habitus cognoscitivus, sed non una virtus
moralis. |
21. Dans toutes les réalités morales, n’existe qu’une seule raison de
vrai : en effet, dans toutes les réalités morales, existe le vrai contingent qui
peut être accompli. Cependant, il n’y a pas
en elles une seule raison de bien, qui est l’objet de la vertu. C’est
pourquoi, pour toutes les réalités morales, il n’y a qu’un seul habitus
cognitif, mais non pas une seule vertu morale. |
|
[65885] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 22 Ad
vicesimumsecundum dicendum, quod medium in diversis materiis diversimode
invenitur; et ideo diversitas materiae in virtutibus moralibus causat
diversitatem formalem secundum quam virtutes morales specie differunt. |
22. Le milieu se trouve différemment selon les diverses matières.
C’est pourquoi la diversité de matière dans les vertus morales cause une
diversité formelle, selon laquelle les vertus morales diffèrent selon
l’espèce. |
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[65886] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod quaedam virtutes
morales speciales, et circa materiam specialem existentes, appropriant sibi
illud quod est commune omni virtuti, et ab eo denominantur : propterea quod
illud quod est omnibus commune in aliqua speciali materia, praecipue
difficultatem et laudem habet. Manifestum est enim quod ad quamlibet virtutem
requiritur quod actus eius sit modificatus secundum debitas circumstantias,
quibus in medio constituitur, et quod sit directus in ordine ad finem, vel ad
quodcumque aliud exterius; et iterum quod habeat firmitatem. Immobiliter enim
operari est una de conditionibus virtutis, ut patet III Ethic.; persistere
autem firmiter praecipue habet difficultatem et laudem in periculis mortis,
et ideo virtus quae est circa hanc materiam, nomen sibi fortitudinis
vindicat. Continere autem, specialiter habet difficultatem et laudem in
delectabilibus tactus; unde virtus quae est circa hanc materiam, temperantia
nominatur. In usu autem rerum exteriorum praecipue requiritur et laudatur
rectitudo, quia in huiusmodi bonis homines sibi communicant; et ideo hoc est
bonum virtutis in eis, quia quantum ad ea homo directe secundum aequalitatem
quamdam se habet ad alios; et ab hoc denominatur iustitia. Quandoque ergo
homines de virtutibus loquentes, utuntur nomine fortitudinis et temperantiae
et iustitiae, non secundum quod sunt virtutes speciales in determinata
materia, sed secundum conditiones generales a quibus denominantur. Et per hoc
dicitur quod temperantia debet esse fortis, id est firmitatem habere; et
fortitudo debet esse temperata, id est modum servare, et eadem ratio est in
aliis. De prudentia vero manifestum est quod quodammodo est generalis, in
quantum habet pro materia omnia moralia, et in quantum omnes virtutes morales
quodammodo eam participant, ut ostensum est in isto art. ad 16 arg., et hac
ratione dicitur quod omnis virtus moralis debet esse prudens. |
23. Certaines vertus morales particulières, portant sur une matière
particulière, s’approprient ce qui est commun à toute vertu et en portent le
nom, parce que ce qui est commun comporte, dans une matière particulière, une
difficulté et une louange particulières. En effet, il est clair qu’il est
nécessaire pour toute vertu que ses actes soient réglés selon les
circonstances appropriées, en fonction desquelles elle détermine un milieu,
et qu’elle soit orientée selon l’ordre à la fin ou vers quelque chose
d’extérieur, et aussi, qu’elle possède une fermeté. En effet, agir
immuablement est une condition de la vertu, comme cela ressort clairement de
l’Éthique, III; et persister fermement comporte une difficulté et une
louange, surtout dans les dangers de mort. C’est pourquoi la vertu qui porte
sur cette matière revendique le nom de force. Mais se contenir comporte une
difficulté et une louange spéciales dans les plaisirs du toucher. Aussi la
vertu qui porte sur cette matière est-elle appelée tempérance. Pour ce qui
est de l’usage des choses extérieures, la droiture surtout est exigée et
louée, car les hommes échangent ce genre de biens entre eux. C’est pourquoi
là se trouve le bien de la vertu en cette matière, car, pour ce qui concerne
ces choses, l’homme se comporte correctement envers les autres par une
certaine égalité. Pour cette raison, elle est appelée justice. Parfois donc,
lorsqu’ils parlent des vertus, les hommes utilisent le nom de force, de
tempérance et de justice, non pas selon qu’elles sont des vertus spéciales
portant sur une matière déterminée, mais selon les conditions générales
d’après lesquelles elles sont nommées. C’est ainsi qu’on dit que la
tempérance doit être forte, c’est-à-dire posséder une fermeté; et que la
force doit être tempérée, c’est-à-dire respecter une mesure. Et la même
raison vaut pour les autres. Mais il est clair que la prudence est, d’une
certaine manière, générale, pour autant qu’elle a comme matière toutes les
réalités morales, et pour autant que toutes les vertus morales y participent,
comme on l’a montré dans le présent article, à l’argument 16. Pour cette
raison, on dit que toute vertu doit être prudente. |
|
[65887] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod virtus aliqua
dicitur cardinalis, quasi principalis, quia super eam aliae virtutes
firmantur sicut ostium in cardine. Et quia ostium est per quod introitur in
domum, ratio cardinalis virtutis non competit virtutibus theologicis, quae
sunt circa ultimum finem, ex quo non est introitus vel motus ad aliquid
interius. Convenit enim virtutibus theologicis quod super eas aliae virtutes
firmentur, sicut supra aliquid immobile; et ideo fides dicitur fundamentum, 1
Corinth., III, 11 : fundamentum enim aliud nemo potest ponere praeter id
quod positum est; spes ancora, Heb. VI, 19 : sicut anima ancoram
etc.; caritas radix, Ephes. III, 17 : in caritate radicati et fundati.
Similiter etiam intellectuales non dicuntur cardinales, quia perficiunt in
vita contemplativa quaedam earum, scilicet sapientia, scientia, et
intellectus : vita autem contemplativa est finis, unde non habet rationem
ostii. Sed vita activa, in qua perficiuntur morales, est ut ostium ad
contemplativam. Ars autem non habet virtutes sibi cohaerentes, ut cardinalis
dici possit. Sed prudentia, quae dirigit in vita activa,
inter cardinales virtutes computatur. |
24. Une vertu est appelée cardinale, ou principale, parce que d’autres
vertus s’appuient sur elle comme une porte sur un gond (in cardine).
Et parce que la porte est ce par où l’on entre dans la maison, la raison de
vertu cardinale ne convient pas aux vertus théologales, qui portent sur la
fin ultime, à partir de laquelle il n’y a pas d’entrée ou de mouvement vers
quelque chose à l’intérieur. En effet, il convient aux vertus théologales que
d’autres vertus s’appuient sur elles comme sur quelque chose d’immuable.
C’est pourquoi on dit que la foi est le fondement, 1 Co 3, 11
: Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été
opposé ; que l’espérance est une ancre, He 6, 19 : [Nous
avons] comme ancre de notre âme, etc.; que la charité est la racine,
Ep 3, 17 : Enracinés et appuyés sur la charité. De la même
façon aussi, les vertus intellectuelles ne sont pas appelées cardinales,
parce qu’elles réalisent dans la contemplation certaines choses qui leur
appartiennent, à savoir, la sagesse, la science et l’intelligence. Mais la
vie contemplative est la fin; elle n’a donc pas raison de porte. Toutefois,
la vie active, dans laquelle sont accomplies les vertus morales, est comme la
porte de la vie contemplative. L’art n’a pas de vertus qui lui soient
associées au point qu’il soit appelé cardinal. Mais la prudence, qui assure
la direction dans la vie active, est comptée au nombre des vertus cardinales. |
|
[65888] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 25 Ad
vicesimumquintum dicendum, quod in parte rationali sunt duae virtutes,
scilicet appetitiva, quae vocatur voluntas; et apprehensiva, quae vocatur ratio.
Unde in parte rationali sunt duae virtutes
cardinales : prudentia quantum ad rationem, iustitia quantum ad voluntatem. In concupiscibili autem temperantia; sed in
irascibili fortitudo. |
25. Dans la partie raisonnable, il existe deux puissances : la puissance
appétitive, qui est appelée volonté; et la puissance appréhensive, qui est
appelée raison. Aussi y a–t-il dans la partie raisonnable deux vertus
cardinales : la prudence, pour ce qui est de la raison, et la justice, pour
ce qui est de la volonté. Dans le concupiscible, il y a la tempérance, et
dans l’irascible, la force. |
|
[65889] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 26 Ad vicesimumsextum dicendum, quod in unaquaque
materia oportet esse cardinalem virtutem circa id quod est principalius in
materia illa. Virtutes autem quae sunt circa alia quae
pertinent ad illam materiam, dicuntur secundariae vel adiectae. Sicut in
passionibus concupiscibilis, principaliores sunt concupiscentiae et
delectationes quae sunt secundum tactum, circa quas est temperantia; et ideo in
materia ista temperantia ponitur cardinalis; eutrapelia vero, quae est circa
delectationes quae sunt in ludis, potest poni secundaria vel adiuncta. Similiter inter passiones irascibilis, praecipuum est quod pertinet ad
timores et audacias circa pericula mortis, circa quae est fortitudo : unde
fortitudo ponitur virtus cardinalis in irascibili; non mansuetudo, quae est
circa iras, licet ab ira denominetur, irascibilis propter hoc quod est ultima
inter passiones irascibilis; nec etiam magnanimitas et humilitas, quae
quodammodo se habent ad spem vel fiduciam alicuius magni : non enim ita
movent hominem ira et spes, sicut timor mortis. In actionibus autem quae sunt
respectu exteriorum quae veniunt in usum vitae, primum et praecipuum est quod
unicuique quod suum est, reddatur : quod facit iustitia. Hoc enim subtracto,
neque liberalitas neque magnificentia locum habet, et ideo iustitia est
cardinalis virtus, et aliae sunt adiunctae. In actibus etiam rationis
praecipuum est praecipere, sive eligere, quod facit prudentia : ad hoc enim
ordinatur et consultiva, in quo dirigit eubulia, et iudicium de consiliatis,
in quo dirigit synesis. Unde prudentia est cardinalis, aliae vero
virtutes sunt adiunctae. |
26. En chaque matière, il est nécessaire qu’existe une vertu cardinale
portant sur ce qui est plus important dans cette matière. Les vertus qui
portent sur d’autres choses appartenant à cette matière sont appelées
secondaires ou associées. Ainsi, dans les passions du concupiscible, les
principales [passions] sont les désirs et les plaisirs qui concernent le
toucher, sur lesquels porte la tempérance. C’est pourquoi, dans cette
matière, la tempérance est cardinale. Mais l’eutrapélie, qui porte sur les
plaisirs des jeux, peut être mise comme secondaire ou associée. De même, dans
les passions de l’irascible, est principal ce qui concerne les craintes et
les audaces en rapport avec les dangers de mort, sur lesquels porte la force.
C’est pourquoi la force est mise comme vertu cardinale de l’irascible, et non
pas la douceur, qui porte sur les colères, bien que l’irascible tire son nom
de la colère, parce que c’est la colère qui occupe le point le plus élevé des
passions de l’irascible. Ni la magnanimité ni l’humilité, qui se rapportent
d’une certaine manière à l’espoir ou à la confiance en quelque chose de grand
: en effet, la colère et l’espoir ne meuvent pas autant l’homme que la
crainte de la mort. Parmi les actions qui portent sur les réalités
extérieures qui sont utilisées pour vivre, la première et la principale
consiste en ce que soit rendu à chacun ce qui lui appartient, ce que fait la
justice. Si cela est enlevé, ni la libéralité ni la magnificence n’ont de
place. C’est pourquoi la justice est une vertu cardinale et les autres, des
[vertus] associées. Parmi les actions de la raison, la principale consiste à
commander ou à choisir, ce que fait la prudence : en effet, c’est à cela que
sont ordonnés la consultation, que dirige l’euboulia, et le jugement
sur ce qui est conseillé, que dirige la synésis. Ainsi, la prudence
est une [vertu] cardinale, mais les autres vertus sont associées. |
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[65890] De virtutibus, q. 1 a. 12 ad 27 Ad
vicesimumseptimum dicendum, quod aliae virtutes adiunctae vel secundariae
ponuntur partes cardinalium, non integrales vel subiectivae, cum habeant
materiam determinatam et actum proprium; sed quasi partes potentiales, in
quantum particulariter participant, et deficienter medium quod principaliter
et perfectius convenit virtuti cardinali. |
27. Les autres vertus associées ou secondaires sont données comme des
parties des vertus cardinales, non pas intégrales ou subjectives,
puisqu’elles ont une matière déterminée et un acte propre, mais comme des
parties potentielles, pour autant qu’elles y participent d’une manière
particulière et définissent le milieu, qui convient principalement et plus
parfaitement à une vertu cardinale. |
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Articulus 13 : [65891]
De virtutibus, q. 1 a. 13 tit. 1 Decimotertio quaeritur utrum virtus sit
in medio |
Article 13 – La vertu se situe-t-elle au milieu? |
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[65892] De virtutibus, q. 1 a. 13 tit. 2 Et
videtur quod non. |
Objections : Il semble que non. |
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[65893]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 1 Quia, ut dicitur in I de caelo, virtus est
ultimum potentiae. Sed ultimum non est medium, sed magis
extremum. Ergo virtus non est in medio, sed in extremo. |
1. Comme il est
dit dans Sur le ciel, I, la vertu est le point ultime d’une puissance.
Or, ce qui est le point ultime n’est pas un milieu, mais plutôt un extrême.
La vertu ne se situe donc pas au milieu, mais à l’extrême. |
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[65894] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 2 Praeterea,
virtus habet rationem boni; est enim bona qualitas, ut Augustinus dicit.
Bonum autem habet rationem finis, quod est ultimum, et ita extremum. Ergo
magis virtus est in extremo quam in medio. |
2. La vertu a
raison de bien : en effet, elle est une bonne qualité, comme le dit Augustin.
Or, le bien a raison de fin, ce qui est le point ultime, et ainsi extrême. La
vertu se situe donc davantage dans un extrême que dans un milieu. |
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[65895]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 3 Praeterea, bonum est contrarium malo, inter
quae nullum est medium, quod neque bonum neque malum est, ut dicitur in
postpraedicamentis. Ergo bonum habet rationem extremi; et sic
virtus, quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit, ut dicitur in
II Ethic., non est in medio sed in extremo. |
3. Le bien est contraire au mal : entre les deux, il n’y a aucun
milieu, qui ne soit ni bien ni mal, comme il est dit dans les Postprédicaments.
Le bien a donc raison d’extrême, et ainsi la vertu, qui «rend bon celui qui
la possède et rend son acte bon», comme il est dit dans Éthique, II,
ne se situe pas dans un milieu mais dans un extrême. |
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[65896] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 4 Praeterea
virtus est bonum rationis; hoc enim est virtuosum quod secundum rationem est.
Ratio autem in homine non se habet ut medium, sed ut supremum. Ergo ratio
medii non competit virtuti. |
4. La vertu est le bien de la raison : en effet, est vertueux ce qui
est conforme à la raison. Or, la raison chez l’homme ne se présente pas comme
un milieu, mais comme quelque chose de suprême. La raison de milieu ne
convient donc pas à la vertu. |
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[65897]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 5 Praeterea, omnis virtus, aut est theologica,
aut intellectualis, aut moralis, ut ex superioribus patet. Sed virtus
theologica non est in medio; quia Bernardus dicit quod modus caritatis est
non habere modum. Caritas autem praecipua est inter alias virtutes
theologicas, et radix earum. Similiter etiam nec intellectualibus virtutibus
videtur competere ratio medii : quia medium est inter contraria; res autem,
prout sunt in intellectu non sunt contrariae, nec intellectus corrumpitur ex
excellenti intelligibili, ut dicitur in III de anima. Similiter etiam nec
virtutes morales videntur esse in medio : quia quaedam virtutes consistunt in
maximo : sicut fortitudo est circa maxima pericula, quae sunt pericula
mortis; et magnanimitas circa magnum in honoribus; et magnificentia circa
magnum in sumptibus; et pietas circa maximam reverentiam quae debetur
parentibus, quibus nihil aequivalens reddere possumus; et simile est de
religione, quae circa magnum est in cultu divino, cui non possumus
sufficienter servire. Ergo virtus non est in medio. |
5. Toute vertu est soit théologale, soit intellectuelle, soit morale,
comme cela ressort clairement de ce qui a été dit plus haut. Or, la vertu
théologale ne se situe pas dans un milieu, car Bernard dit que la mesure de
la charité consiste en ce qu’elle n’ait pas de mesure. Or, la charité est la
principale des vertus théologales et leur racine. De même aussi, la raison de
milieu ne semble pas convenir aux vertus intellectuelles, car le milieu se
situe entre des contraires. Or, les choses, en tant qu’elles sont dans
l’intellect, ne sont pas contraires, et l’intellect n’est pas corrompu par un
objet intelligible excellent, comme il est dit dans Sur l’âme, III. De
même encore, les vertus morales ne semblent pas se situer dans un milieu, car
certaines vertus portent sur ce qui est le plus grand, comme la force porte
sur les dangers les plus grands, qui sont les dangers de mort, la magnanimité
sur les plus grands honneurs, la magnificence sur les plus grandes dépenses,
la piété sur le plus grand respect qui est dû aux parents, auxquels nous ne
pouvons rendre rien d’équivalent. Et il en est de même pour la religion, qui
porte sur ce qui est grand dans le culte de Dieu, que nous ne pouvons
suffisamment servir. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu. |
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[65898] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 6 Praeterea, si perfectio virtutis consistit in medio, oportet quod
perfectiores virtutes magis in medio consistant. Sed virginitas et paupertas
sunt perfectiores virtutes, quia cadunt sub consilio, quod non est nisi de
meliori bono. Ergo virginitas et paupertas essent in medio : quod videtur
esse falsum; quia virginitas in materia venereorum abstinet ab omni venereo,
et ita tenet extremum; et similiter in possessionibus paupertas, quia
renuntiat omnibus. Non ergo videtur quod ratio virtutis sit
consistere in medio. |
6. Si la perfection de la vertu se situe dans un milieu, il est
nécessaire que les vertus plus parfaites se situent plutôt dans un milieu.
Or, la virginité et la pauvreté sont des vertus plus parfaites parce qu’elles
sont l’objet d’un conseil, qui ne porte que sur un bien meilleur. La
virginité et la pauvreté se situeraient donc dans un milieu, ce qui semble
être faux, car la virginité s’abstient de tout plaisir sexuel en matière
sexuelle, et se situe ainsi à un extrême. Il en est de même de la pauvreté
pour les possessions, car elle renonce à toutes. Il ne semble donc pas que la
raison de vertu se situe dans un milieu. |
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[65899]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 7 Praeterea, Boetius in arithmetica assignat
triplex medium : scilicet arithmeticum, ut 6 inter 4 et 8, quia secundum
aequalem quantitatem distat ab utroque; et medium geometricum, sicut 6 inter
9 et 4, quia secundum eamdem proportionem, scilicet sesquialteram, ab utroque
extremo distat, licet non secundum eamdem quantitatem; et medium harmonicum,
sive musicum, sicut 3 est medium inter 6 et 2, quia quae proportio est unius
extremi ad alterum, scilicet 6 ad 2, eadem est proportio 3 (quod est
differentia inter 6 et 3) ad 1, quod est differentia inter 2 et 3. Nullum
autem istorum mediorum salvatur in virtute; quia non oportet quod medium
virtutis aequaliter se habeat ad extremum neque secundum quantitatem, neque
secundum proportionem et terminorum et differentiarum. Ergo virtus non est in medio. |
7. Boèce, dans Arithmétique, signale trois milieux : le
[milieu] arithmétique, comme 6 entre 4 et 8, car il est à égale distance des
deux par une quantité égale; le milieu géométrique, comme 6 entre 9 et 4, car
il est à égale distance des deux selon une même proportion, à savoir,
sesquialtère [une fois et demie], bien qu’il ne le soit pas selon une
quantité égale; le milieu harmonique ou musical, comme 3 est le milieu entre
6 et 2, parce que la proportion d’un extrême à l’autre, à savoir, de 6 à 2,
est la même proportion de 3 (qui est la différence entre 6 et 3) à 1, qui est
la différence entre 2 et 3. Or, aucun de ces milieux n’est respecté dans la
vertu, car il n’est pas nécessaire que le milieu de la vertu se situe
également par rapport aux extrêmes selon la quantité, ni selon une proportion
des termes et des différences. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu. |
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[65900] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 8 Sed
dicendum, quod virtus consistit in medio rationis, et non in medio rei, de
quo dicit Boetius.- Sed contra, virtus, secundum Augustinum, computatur inter
maxima bona, quibus nullus male utitur. Si ergo bonum virtutis est in medio,
oportet quod medium virtutis maxime habeat rationem medii. Sed medium rei perfectius habet rationem medii quam medium rationis.
Ergo medium virtutis magis est medium rei quam medium rationis. |
8. La vertu consiste dans un milieu selon la raison, et non dans le
milieu d’une chose, dont parle Boèce. – En sens
contraire, la vertu, selon Augustin, compte parmi les plus grands
biens, que personne n’utilise mal. Si donc le bien de la vertu se trouve dans
un milieu, il est nécessaire que le milieu de la vertu possède au plus haut
point la raison de milieu. Or, le milieu d’une chose possède plus
parfaitement la raison de milieu que le milieu selon la raison. Le milieu de
la vertu est donc davantage le milieu d’une chose qu’un milieu selon la
raison. |
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[65901]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 9 Praeterea, virtus moralis est circa
passiones et operationes animae, quae sunt indivisibiles. In indivisibili
autem non est accipere medium et extrema. Ergo virtus non consistit in medio. |
9. La vertu morale porte sur les passions et les opérations de l’âme,
qui sont indivisibles. Or, dans l’indivisible, on ne peut déterminer de
milieu ni d’extrêmes. La vertu ne se situe donc pas dans un milieu. |
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[65902] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 10 Praeterea,
philosophus dicit in Lib. topicorum, quod in voluptatibus melius est facere
quam fecisse, vel fieri quam factum esse. Sed virtus aliqua est circa
voluptates, scilicet temperantia. Ergo, cum virtus semper quaerat quod melius
est; semper temperantia quaeret voluptates fieri, quod est tenere extremum,
et non medium. Non ergo virtus moralis consistit in medio. |
10. Le Philosophe dit, dans le livre des Topiques, que, pour
les plaisirs, mieux vaut en jouir que d’en avoir joui, ou les rechercher que
de les avoir eus. Or, une vertu porte sur les plaisirs, à savoir, la
tempérance. Puisque la vertu cherche toujours ce qui est meilleur, la
tempérance vise donc toujours à rechercher les plaisirs, ce qui est se situer
à un extrême, et non dans un milieu. La vertu morale ne se situe donc pas
dans un milieu. |
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[65903]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 11 Praeterea, ubi est invenire magis et minus,
ibi est invenire medium. Sed in vitiis est invenire magis et minus; est enim
aliquis magis vel minus luxuriosus vel gulosus. Ergo in gula et luxuria, et
in aliis vitiis, est invenire medium. Si ergo ratio virtutis est esse in
medio, videtur quod in vitiis sit invenire virtutem. |
11. Là où l’on trouve du plus et du moins, là on trouve un milieu. Or,
on trouve du plus et du moins dans les vices : en effet, quelqu’un est plus
ou moins luxurieux ou gourmand. On trouve donc un milieu dans la gourmandise
et la luxure, et dans les autres vices. Si donc la raison de vertu consiste à
se situer dans un milieu, il semble qu’on trouve de la vertu dans les vices. |
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[65904] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 12 Praeterea, si virtus consistit in medio, non nisi in medio duorum
vitiorum. Hoc autem non convenit omni virtuti morali; iustitia enim non est
inter duo vitia, sed habet unum tantum vitium oppositum : accipere enim plus
quam suum est, hoc vitiosum est; sed quod auferatur alicui de eo quod suum
est, absque suo vitio est. Ergo ratio virtutis moralis non est ut in medio
consistat. |
12. Si la vertu se situe dans un milieu, ce n’est que dans un milieu
entre deux vices. Or, cela ne convient pas à toutes les vertus morales. En
effet, la justice ne se situe pas entre deux vices, mais n’a qu’un vice
opposé, car prendre plus que ce qui vous appartient, cela est vicieux, mais
enlever à quelqu’un ce qui vous appartient est accompli sans vice. La raison
de vertu morale ne consiste donc pas à se situer dans un milieu. |
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[65905] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 13 Praeterea,
medium aequaliter distat ab extremis. Sed virtus non aequaliter distat ab extremis.
Fortis enim propinquior est audaci quam timido, et liberalis prodigo quam
tenaci; et similiter patet in aliis. Ergo virtus moralis non consistit in
medio. |
13. Le milieu est à égale distance des extrêmes. Or, la vertu n’est
pas à égale distance des extrêmes. En effet, le fort est plus proche de
l’audacieux que du timide, et celui qui est libéral [est plus proche] du
prodigue que de l’avare. La vertu morale ne se situe donc pas dans un milieu. |
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[65906] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 14 Praeterea,
de extremo in extremum non transitur nisi per medium. Si ergo virtus sit in
medio, non erit de uno vitio opposito in aliud transitus nisi per virtutem;
quod patet esse falsum. |
14. On ne va d’un extrême à l’autre qu’en passant par le milieu. Si
donc la vertu se situe dans un milieu, il n’y aura passage d’un vice opposé à
un autre qu’en passant par la vertu. Ce qui est manifestement faux. |
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[65907] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 15 Praeterea,
medium et extrema sunt in eodem genere. Sed fortitudo et timiditas et audacia
non sunt in eodem genere : nam fortitudo est in genere virtutis; timiditas et
audacia in genere vitii. Ergo fortitudo non est medium inter ea. Et similiter
potest obiici de aliis virtutibus. |
15. Le milieu et les extrêmes appartiennent au même genre. Or, la
force, la timidité et l’audace ne font pas partie du même genre, car la force
est dans le genre de la vertu, et la timidité et l’audace dans le genre du
vice. La force n’est donc pas un milieu entre celles-ci. Et on peut faire la
même objection à propos des autres vertus. |
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[65908] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 16 Praeterea,
in quantitatibus sicut extrema sunt indivisibilia, ita et medium; nam punctum
est et medium et terminus lineae. Si ergo virtus consistit in medio,
consistit in indivisibili. Et hoc etiam videtur per hoc quod philosophus
dicit in II Ethic., quod difficile est esse virtuosum; sicut difficile est
attingere signum, vel invenire centrum in circulo. Si ergo virtus in
indivisibili consistit, videtur quod virtus non augeatur et minuatur; quod
est manifeste falsum. |
16. Dans les quantités, de même que les extrêmes sont indivisibles, de
même en est-il du milieu, car le point est à la fois le milieu et le terme de
la ligne. Si donc la vertu se situe dans un milieu, elle consiste dans un
indivisible. C’est aussi ce que semble dire le Philosophe dans Éthique, II,
qu’être vertueux est difficile, comme il est difficile d’atteindre un repère
ou de trouver le centre dans un cercle. Si donc la vertu se situe dans un
milieu, il semble que la vertu n’augmente ni ne diminue. Ce qui est
manifestement faux. |
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[65909] De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 17 Praeterea,
in indivisibili non est aliqua diversitas. Si ergo virtus sit in medio sicut
in quodam indivisibili, videtur quod in virtute non sit aliqua diversitas,
ita quod id quod est virtuosum uni, sit virtuosum alteri; quod est manifeste
falsum : nam aliquis laudatur in uno, qui vituperatur in altero. |
17. Il n’y a pas de diversité dans ce qui est indivisible. Si donc la
vertu se situe dans un milieu comme dans quelque chose d’indivisible, il
semble qu’il n’y aura aucune diversité dans la vertu, de sorte que ce qui est
vertueux pour l’un sera vertueux pour l’autre, ce qui est manifestement faux,
car quelqu’un est louangé pour une chose qui est blâmée chez un autre. |
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[65910]
De virtutibus, q. 1 a. 13 arg. 18 Praeterea, quidquid vel ad modicum
elongatur ab indivisibili, puta a centro, est extra indivisibile, et extra
centrum. Si igitur virtus sit in medio sicut in quodam indivisibili, videtur
quod quodcumque vel ad modicum declinet ab eo quod est rectum fieri, sit
extra virtutem; et sic rarissime homo operatur secundum virtutem. Non ergo
virtus est in medio. |
18. Tout ce qui s’éloigne ne serait-ce qu’un peu de ce qui est
indivisible, par exemple, du centre, se trouve en dehors de l’indivisible et
en dehors du centre. Si donc la vertu se situe dans un milieu comme dans
quelque chose d’indivisible, il semble que tout ce qui s’écarte un peu de ce
qui est bien agir soit en dehors de la vertu. Et ainsi, ce n’est que très
rarement que l’homme agit selon la vertu. La vertu ne se situe donc pas dans
un milieu. |
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[65911] De virtutibus, q. 1 a. 13 s. c. Sed
contra, est quod omnis virtus vel est moralis, vel intellectualis, vel
theologica. Virtus autem moralis est in medio; nam virtus moralis, secundum
philosophum in VII Ethic., est habitus electivus in medietate consistens. Virtus etiam intellectualis videtur esse in medio,
propter id quod apostolus dicit, Rom., XII, 3 : non plus sapere quam
oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem. Similiter etiam virtus
theologica videtur esse in medio; nam fides incedit media inter duas
haereses, ut dicit Boetius in Lib. de duabus naturis; spes etiam est media
inter praesumptionem et desperationem. Ergo omnis virtus est
in medio. |
Cependant : Toute vertu est soit morale, soit intellectuelle, soit théologale. Or,
la vertu morale se situe dans un milieu, car la vertu morale, selon le
Philosophe dans Éthique, VI, est un habitus électif qui se situe dans
un milieu. La vertu intellectuelle aussi semble se situer dans un milieu en
raison de ce que l’Apôtre dit, Rm 12, 3 : Ne pas savoir plus
qu’il faut en savoir, mais savoir avec modération. De même, la vertu
théologale semble se situer dans un milieu, car la foi chemine entre deux
hérésies, comme le dit Boèce dans le Livre sur les deux natures;
l’espérance aussi se situe entre la présomption et le désespoir. Toute vertu
se situe donc dans un milieu. |
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[65912]
De virtutibus, q. 1 a. 13 co. Respondeo. Dicendum, quod virtutes morales et
intellectuales sunt in medio, licet aliter et aliter; virtutes autem
theologicae non sunt in medio, nisi forte per accidens. Ad cuius evidentiam
sciendum est, quod cuiuslibet habentis regulam et mensuram bonum consistit in
hoc quod est adaequari suae regulae vel mensurae; unde dicimus illud bonum
esse quod neque plus neque minus habet quam debet habere. Considerandum autem est quod materia virtutum
moralium sunt passiones et operationes humanae, sicut factibilia sunt materia
artis. Sicut igitur bonum in his quae fiunt per artem, consistit in hoc quod
artificiata accipiant mensuram secundum quod exigit ars, quae est regula
artificiatorum; ita bonum in passionibus et operationibus humanis est quod
attingatur modus rationis, qui est mensura et regula omnium passionum et
operationum humanarum. Nam cum homo sit homo per hoc quod rationem habet, oportet
quod bonum hominis sit secundum rationem esse. Quod autem in passionibus et
operationibus humanis aliquis excedat modum rationis vel deficiat ab eo, hoc
est malum. Cum igitur bonum hominis sit virtus humana, consequens est quod
virtus moralis consistat in medio inter superabundantiam et defectum; ut
superabundantia et defectus et medium accipiantur secundum respectum ad
regulam rationis. Virtutum autem intellectualium, quae sunt in ipsa ratione,
quaedam sunt practicae, ut prudentia et ars; quaedam speculativae, ut
sapientia, scientia et intellectus. Et practicarum
quidem virtutum materia sunt passiones et operationes humanae, vel ipsa
artificialia; materia autem virtutum speculativarum sunt res ipsae
necessariae. Aliter autem se habet ratio ad utraque. Nam ad ea circa quae
ratio operatur, se habet ratio ut regula et mensura, sicut iam dictum est; ad
ea vero quae speculatur, se habet ratio sicut mensuratum et regulatum ad
regulam et mensuram : bonum enim intellectus nostri est verum, quod quidem
sequitur intellectus noster quando adaequatur rei. Sicut igitur virtutes
morales consistunt in medio determinato per rationem; ita ad prudentiam, quae
est virtus intellectualis practica circa moralia, pertinet idem medium in
quantum ponit ipsum circa actiones et passiones. Et hoc patet per
definitionem virtutis moralis, quae, ut in II Ethic. dicitur, est habitus
electivus, in medietate consistens, ut sapiens determinabit. Idem
ergo est medium prudentiae et virtutis moralis; sed prudentiae est sicut
imprimentis, virtutis moralis sicut impressi; sicut eadem est rectitudo artis
ut rectificantis, et artificiati ut rectificati. In virtutibus autem intellectualibus speculativis medium erit ipsum
verum, quod consideratur in eo secundum quod attingit suam mensuram. Quod quidem non est medium inter aliquam contrarietatem quae sit ex
parte rei : contraria enim inter quae accipitur medium virtutis, non sunt ex
parte mensurae, sed ex parte mensurati, secundum quod excedit vel deficit a
mensura; sicut patet ex hoc quod dictum est de virtutibus moralibus. Oportet igitur contraria inter quae est hoc medium
virtutum intellectualium, accipere ex parte ipsius intellectus. Contraria
autem intellectus sunt opposita secundum affirmationem et negationem, ut
patet in II Periher. Inter affirmationes ergo et negationes oppositas
accipitur medium virtutum intellectualium speculativarum, quod est verum : ut
puta, quia verum est cum dicitur esse quod est, et non esse quod non est;
falsum autem secundum excessum erit, ut dicitur esse quod non est; secundum
defectum vero, cum dicitur non esse quod est. Si igitur in
intellectu non esset aliqua propria contrarietas praeter contrarietatem
rerum, non esset accipere in virtutibus intellectualibus medium et extrema.
Manifestum est autem, quod in voluntate non est accipere aliquam
contrarietatem propriam, sed solum secundum ordinem ad res volitas contrarias
: quia intellectus cognoscit aliquid secundum quod est in ipso; voluntas
autem movetur ad rem secundum quod in se est. Unde si aliqua virtus sit in
voluntate secundum comparationem ad eius mensuram et regulam, talis virtus
non consistet in medio : non enim est accipere extrema ex parte mensurae, sed
ex parte mensurati tantum, prout excedit vel diminuitur a mensura. Virtutes autem theologicae ordinantur ad suam
materiam vel obiectum, quod est Deus, mediante voluntate. Et quod
de caritate et spe manifestum est, hoc circa fidem similiter dicitur. Nam
licet fides sit in intellectu, est tamen in eo secundum quod imperatur a
voluntate : nullus enim credit nisi volens. Unde, cum Deus sit regula et
mensura voluntatis humanae, manifestum est quod virtutes theologicae non sunt
in medio, per se loquendo; etsi contingat quandoque aliquam earum esse in
medio per accidens, ut postea exponetur. |
Réponse : Les vertus morales et intellectuelles se situent dans un milieu, bien
que de manière différente; mais les vertus théologales ne se situent pas dans
un milieu, si ce n’est par accident. Pour clarifier cela, il faut savoir que
le bien de tous ceux qui ont une règle ou une mesure consiste à égaler leur
règle ou mesure. Ainsi disons-nous qu’est bon ce qui n’a ni plus ni moins que
cela doit avoir. Or, il faut observer que les passions et les opérations
humaines sont la matière des vertus morales, comme les choses à réaliser sont
la matière de l’art. De même donc que le bien, dans ce qui est fait par
l’art, consiste en ce que les choses réalisées reçoivent la mesure qu’exige
l’art, qui est la règle des choses réalisées, de même le bien, pour les
passions et les opérations humaines, consiste en ce que la mesure de la
raison soit atteinte, qui est la mesure et la règle de toutes les passions et
opérations humaines. En effet, puisque l’homme est homme par le fait de
posséder la raison, il est nécessaire que le bien de l’homme consiste à
exister selon la raison. Mais ce qui, pour les passions et les opérations
humaines, dépasse la mesure de la raison ou n’y atteint pas, cela est mal.
Puisque le bien de l’homme est la vertu humaine, il en découle donc que la
vertu morale se situe dans un milieu entre l’excès et le manque, de telle
sorte que l’excès et le manque soient entendus par rapport à la règle de la
raison. Or, parmi les vertus intellectuelles, qui se trouvent dans la raison
elle-même, certaines sont pratiques, comme la prudence et l’art, et certains
spéculatives, comme la sagesse, la science et l’intelligence. Les passions et
les opérations humaines sont la matière des vertus pratiques, alors que les
choses elles-mêmes qui ont un caractère nécessaire sont la matière des vertus
spéculatives. Or, la raison a un rapport différent avec les deux. Car le
rapport de la raison avec ce qu’elle accomplit en est un de règle et de
mesure, comme on l’a déjà dit; mais le rapport de la raison avec ce sur quoi
elle spécule est celui de ce qui est mesuré et réglé par rapport à la règle
et à la mesure : en effet, le bien de notre intelligence est le vrai,
qu’atteint notre intellect lorsqu’il est égal à une réalité. Comme les vertus
morales se situent dans un milieu déterminé par la raison, ainsi le même
milieu relève de la prudence, qui est une vertu intellectuelle pratique
portant sur les réalités morales, pour autant qu’elle l’établit pour les
actions et les passions. Et cela ressort clairement de la définition de la
vertu morale qui, comme le dit Éthique, II, est un habitus électif se
situant dans un milieu que la sagesse déterminera. Le milieu de la prudence
est donc le même que celui de la vertu morale, mais celui de la prudence
l’est en tant qu’elle imprègne, et celui de la vertu morale en tant qu’elle
est imprégnée, comme la rectitude de l’art, en tant qu’établissant une
rectitude, est la même que ce qui est le résultat de l’art, en tant qu’une
rectitude y est établie. Mais, dans les vertus intellectuelles spéculatives,
le milieu serait le vrai lui-même, qui est observé par le fait qu’il atteint
sa mesure, ce qui n’est pas un milieu entre des contraires qui viendraient de
la chose : en effet, les contraires entre lesquels le milieu de la vertu est
conçu ne viennent pas de la mesure, mais de ce qui est mesuré, selon que cela
dépasse ou fait défaut à la mesure, comme cela ressort clairement de ce qui a
été dit des vertus morales. Il faut donc concevoir les contraires entre
lesquels se situe ce milieu des vertus intellectuelles du côté de
l’intelligence elle-même. Or, les contraires dans l’intelligence s’opposent
selon l’affirmation et la négation, comme cela ressort clairement du Perihermeneias,
II. Le milieu des vertus intellectuelles spéculatives se situe donc entre
les affirmations et les négations opposées, ce qui est le vrai : par exemple,
il est vrai de dire que ce qui est est, et que ce qui n’est pas n’est pas;
mais il sera faux par excès de dire que ce qui n’est pas est, mais par
défaut, que ce qui est n’est pas. S’il n’existait donc pas dans l’intelligence
quelque contrariété propre au-delà de la contrariété dans les choses, il n’y
aurait pas lieu de reconnaître un milieu et des extrêmes dans les vertus
intellectuelles. Or, il est clair que, dans la volonté, il n’y a pas lieu de
reconnaître une contrariété propre, mais seulement selon l’ordre par rapport
à des choses voulues contraires, car l’intellect connaît une chose selon
qu’elle existe en lui, mais la volonté est mue vers une chose selon qu’elle
est en elle-même. De sorte que s’il y a une vertu dans la volonté selon la
comparaison à sa mesure et règle, une telle vertu ne se situera pas dans un
milieu : en effet, on ne peut concevoir d’extrêmes par rapport à la mesure,
mais seulement par rapport à ce qui est mesuré, pour autant que cela dépasse ou
manque à la mesure. Or, les vertus théologales sont ordonnées à leur matière
ou objet, qui est Dieu, par l’intermédiaire de la volonté. Et ce qui est
clair pour la charité et l’espérance, se dit de la même manière de la foi.
Car, bien que la foi soit dans l’intelligence, elle y est cependant selon
qu’elle est commandée par la volonté : en effet, personne ne croit que s’il
le veut. Aussi, puisque Dieu est la règle et la mesure de la volonté humaine,
il est clair que les vertus théologales ne se situent pas dans un milieu, à
proprement parler, même s’il arrive parfois que l’une d’elles se situe dans
un milieu par accident, comme on l’exposera plus loin. |
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[65913] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ultimum potentiae dicitur in quod ultimo potentia
extenditur, et hoc est difficillimum : quia difficillimum est invenire
medium, facile autem est divertere ab eo. Et ex hoc ipso virtus est ultimum
potentiae, quod est in medio. |
Solutions : 1. Le point ultime de la puissance se dit du point ultime auquel la
puissance s’étend, et cela est très difficile, car il est très difficile de
trouver le milieu, mais il est facile de s’en éloigner. La vertu est donc le
point ultime d’une puissance par le fait même qu’elle se situe dans un
milieu. |
|
[65914] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod bonum habet rationem ultimi per comparationem ad motum
appetitus, non autem per comparationem ad materiam in qua aliquod bonum
constituitur; quod oportet esse in medio materiae, ut neque excedat, neque
excedatur a debita regula et mensura. |
2. Le bien a
raison de point ultime si on le compare au mouvement de l’appétit, mais non
pas si on le compare à la matière dans laquelle se situe un certain
bien ; il est nécessaire que celui-ci se situe au milieu de la matière,
de sorte qu’il ne dépasse pas ni ne soit dépassé par la règle et la mesure
requises. |
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[65915] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod virtus quantum ad formam quam a sua mensura sortitur,
habet rationem extremi; et sic opponitur malo ut formatum informi, et
commensuratum incommensurato. Sed secundum
materiam in qua talis mensura imprimitur, sic virtus est in medio. |
3. La vertu, pour
ce qui est de la forme qu’elle reçoit de sa mesure, a raison d’extrême ;
et ainsi, elle s’oppose au mal comme ce qui a une forme à ce qui n’en a pas,
et comme ce qui est mesuré à ce qui ne l’est pas. Mais, selon la matière dans
laquelle une telle mesure est imprimée, la vertu se trouve ainsi dans un
milieu. |
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[65916]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa accipit
supremum et medium, secundum ordinem potentiarum animae, non secundum
materiam in qua ponitur modus virtutis quasi medium quoddam. |
4. Cet argument
conçoit ce qui est suprême et ce qui est au milieu selon l’ordre des
puissances de l’âme, et non selon la matière dans laquelle est placée la
mesure de la vertu comme un certain milieu. |
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[65917] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod in virtutibus theologicis non est medium ut dictum est
: sed in virtutibus intellectualibus est medium non inter contrarietatem
rerum, prout sunt in intellectu, sed inter contrarietatem affirmationis et
negationis, ut dictum est. In virtutibus autem moralibus omnibus commune
invenitur quod sunt in medio. Et hoc ipsum quod quaedam attingunt ad maximum,
pertinet in eis ad rationem medii, in quantum maximum attingunt secundum
regulam rationis; sicut fortis attingit maxima pericula secundum rationem,
scilicet quando debet, ut debet, et propter quod debet. Superfluum autem et diminutum accipitur non secundum
quantitatem rei, sed per comparationem ad regulam rationis; ut puta
superfluum esset, si quando non debet, vel propter quod non debet, periculis
se ingereret; diminutum autem si se non ingereret quando et qualiter deberet. |
5. Dans les vertus
théologales, il n’y a pas de milieu, comme on l’a dit. Mais, dans les vertus
intellectuelles, le milieu se trouve, non pas entre des choses contraires,
telles qu’elles existent dans l’intelligence, mais entre des affirmations et
des négations contraires, comme on l’a dit. Mais, dans les vertus morales, il
se trouve qu’elles ont en commun de se situer dans un milieu. Et le fait même
que certaines parviennent au plus haut point relève en elles de la raison de
milieu, pour autant qu’elles parviennent au plus haut point selon la règle de
la raison, comme le fort aborde selon la raison les plus grands dangers, à
savoir, lorsqu’il le doit, comme il le doit et pour la raison qu’il le doit.
Ce qui dépasse et ce qui manque sont conçus, non pas selon la quantité de la
chose, mais par comparaison avec la règle de la raison. Par exemple, cela
serait superflu s’il s’exposait aux dangers lorsqu’il ne le doit pas, ou pour
une raison qui n’est pas nécessaire ; mais ce serait un manque s’il ne
s’y exposait pas quand il le faut et de la manière dont il le faut. |
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[65918]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 6 Ad sextum dicendum, quod virginitas et
paupertas licet sint in extremo rei, sunt tamen in medio rationis : quia
virgo abstinet a venereis omnibus propter quod debet et secundum quod debet;
quia propter Deum, et delectabiliter. Si autem abstineret propter quod non
deberet, utpote quia esset ei odiosum secundum se vel filios generare, vel
mulierem habere, esset vitium insensibilitatis. Sed abstinere omnino a venereis
propter debitum finem, est virtuosum : quia etiam qui abstinent ab huiusmodi,
ut se exercitiis bellicis dent ad utilitatem reipublicae, secundum politicam
virtutem laudantur. |
6. La virginité et
la pauvreté, bien qu’elles portent sur des réalités extrêmes, se situent
cependant dans un milieu [déterminé] par la raison, car celui qui est vierge
s’abstient de tous les plaisirs sexuels pour une raison juste et selon qu’il
le doit, car il le fait pour Dieu et avec joie. Mais s’il s’abstenait pour
une raison qui n’est pas juste, par exemple, parce qu’il détesterait en
soi-même engendrer des enfants ou avoir une femme, il s’agirait du vice
d’insensibilité. Mais s’abstenir complètement des plaisirs sexuels pour une
fin juste est vertueux, car même ceux qui s’en abstiennent pour s’adonner à
l’entraînement militaire pour le bien de la communauté sont louangés pour
leur vertu politique. |
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[65919] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod media illa quae Boetius ponit, sunt media rei; et
ideo non conveniunt medio virtutis, quod est secundum rationem; nisi forte in
iustitia, in qua est simul medium rei et medium rationis, cui competit medium
rationis arithmeticum in commutationibus, et medium geometricum in
distributionibus, ut patet in V Ethicorum. |
7. Les milieux que
Boèce propose sont des milieux dans les choses. C’est pourquoi ils ne
conviennent pas au milieu de la vertu, qui se prend selon la raison, sauf
peut-être pour la justice, dans laquelle existent en même temps un milieu
dans les choses et un milieu de la raison : lui conviennent un milieu
arithmétique pour les échanges, et un milieu géométrique pour les
distributions, comme cela ressort clairement d’Éthique, V. |
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[65920]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 8 Ad octavum dicendum, quod medium competit
virtuti non in quantum medium, sed in quantum medium rationis : quia virtus
est bonum hominis, quod est secundum rationem esse. Unde non oportet quod id
quod plus habet de ratione medii, magis pertineat ad virtutem, sed quod est
medium rationis. |
8. Un milieu convient
à la vertu non pas en tant que milieu, mais en tant que milieu de la raison,
car la vertu est le bien de l’homme, qui consiste à vivre selon la raison. Il
n’est donc pas nécessaire que ce qui dépasse la raison de milieu relève
davantage de la vertu, mais ce qui est le milieu de la raison. |
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[65921] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod passiones et operationes animae sunt indivisibiles per
se sed divisibiles per accidens, in quantum est in eis invenire magis et
minus secundum diversas circumstantias; et sic virtus in eis medium tenet. |
9. Les passions et
les opérations de l’âme sont indivisibles en elles-mêmes, mais divisibles par
accident, pour autant qu’on peut trouver en elles du plus ou du moins selon
les diverses circonstances. Et ainsi, la vertu occupe un milieu en elles. |
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[65922] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 10 Ad decimum
dicendum, quod in voluptatibus est melius fieri quam factum esse, ut per
melius non intelligatur operatio boni honesti, quod pertinet ad virtutem, sed
boni delectabilis, quod pertinet ad voluptatem : voluptas enim est in fieri.
Quorum autem esse est in fieri, quando facta sunt, non sunt; unde bonum
voluptatis magis consistit in fieri quam in factum esse. |
10. Pour les
plaisirs, mieux vaut en jouir que d’en avoir joui, de telle manière que, par
mieux, on n’entende pas l’action portant sur un bien honnête, ce qui relève
de la vertu, mais sur un bien délectable, ce qui relève de la volupté : en
effet, la volupté consiste dans l’accomplissement actuel. Or, ce dont l’être
se trouve dans l’accomplissement actuel n’existe plus, lorsqu’on l’a fait.
Aussi le bien de la volupté consiste-t-il davantage dans l’accomplissement
que dans le fait de l’avoir accompli. |
|
[65923] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod non quodcumque medium competit virtuti, sed medium
rationis : quod quidem medium non contingit invenire in vitiis, quia secundum
propriam rationem non oportet quod in vitiis sit virtus. |
11. Ce n’est pas
tout milieu qui convient à la vertu, mais le milieu de la raison, milieu
qu’on ne trouve pas dans les vices, car, selon leur raison propre, il n’est
pas nécessaire que la vertu existe dans les vices. |
|
[65924]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod iustitia non
attingit medium in rebus exterioribus, in quibus homo plus sibi accipit ex
inordinatione voluntatis; unde vitiosum est. Sed quod de suis rebus aliquid
ab eo auferatur, hoc praeter bonitatem eius est; unde inordinationem vitiosam
in ipso non importat. Sed passiones animae, circa quas sunt aliae virtutes,
in nobis sunt; unde et earum superfluitas et diminutio in vitium homini
cedit. Et ideo aliae virtutes morales sunt inter duo
vitia; non autem iustitia, quae tamen medium in propria materia tenet, quod
per se pertinet ad virtutem. |
12. La justice ne
parvient pas au milieu dans les choses extérieures que l’homme accapare pour
lui-même en raison d’un désordre de sa volonté. Aussi cela est-il vicieux.
Mais que quelqu’un se voie enlever ce qui lui appartient, cela dépasse sa
bonté ; aussi cela ne comporte-t-il pas de désordre vicieux. Or, les
passions de l’âme, sur lesquelles portent les autres vertus, existent en
nous ; aussi leurs excès ou leurs manques aboutissent-ils à un vice chez
l’homme. C’est pourquoi les autres vertus morales se situent entre deux
vices, mais non la justice, qui maintient cependant le milieu dans sa propre
matière, ce qui relève en soi de la vertu. |
|
[65925] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod medium virtutis est medium rationis, et non medium
rei; et ideo non oportet quod aequaliter distet ab utroque extremo, sed
secundum quod ratio habet. Unde in quibus bonum rationis praecipue consistit
in refrenando passionem, virtus propinquior est diminuto quam superfluo;
sicut patet in temperantia et mansuetudine. In quibus autem bonum est
inducere ad id quod passio impellit, virtus similior est superfluo, ut patet
in fortitudine.. |
13. Le milieu de la vertu est un milieu de la raison, et non un milieu
des choses. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il soit à égale
distance des deux extrêmes, mais selon que la raison le détermine. Aussi,
dans les choses où le bien de la raison consiste principalement à réfréner
une passion, la vertu est plus proche du manque que de l’excès, comme cela
ressort clairement pour la tempérance et la douceur. Mais dans les choses où
le bien consiste à aller dans le sens de la passion, la vertu ressemble
davantage à l’excès, comme cela ressort clairement dans la force. |
|
[65926] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 14 Ad decimumquartum
dicendum, quod sicut dicit philosophus in V Physic., medium est in quod
continue mutans primum mutat, in quod mutat ultimo; unde solum in motu
continuo requiritur quod de extremo ad extremum non transeatur nisi per
medium. Motus autem qui est de vitio in vitium, non est
motus continuus, sicut nec motus voluntatis aut intellectus, secundum quod
fertur in diversa; unde non oportet quod de vitio in vitium transeatur per
virtutem. |
14. Comme le dit
le Philosophe dans Physique, V, le milieu se trouve dans ce qui,
changeant de manière continue, meut ce qui est premier vers ce qu’il meut en
dernier lieu. Aussi n’est-il nécessaire que dans le mouvement continu que
l’on ne puisse passer d’un extrême à l’autre qu’en passant par un milieu. Or,
le mouvement qui consiste à passer de vice en vice n’est pas un mouvement
continu, comme ne l’est pas le mouvement de la volonté ou de l’intelligence,
lorsqu’elles sont portées vers diverses choses. Il n’est donc pas nécessaire
que l’on passe de vice en vice en passant par la vertu. |
|
[65927] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod virtus etsi sit
medium quantum ad materiam in qua invenit medium; tamen secundum formam suam,
prout collocatur in genere boni, est extremum, ut philosophus dicit in II
Ethicor. |
15. La vertu, même
si elle est un milieu pour la matière dans laquelle elle trouve un milieu,
est cependant un extrême selon sa forme, selon qu’elle est située dans le
genre du bien, comme le dit le Philosophe dans Éthique, II. |
|
[65928]
De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet medium
in quo consistit virtus, sit quodammodo indivisibile, tamen virtus intendi et
remitti potest, secundum quod homo magis vel minus disponitur ad attingendum
indivisibile; sicut et arcus minus vel magis extenditur ad percutiendum
signum indivisibile. |
16. Bien que le
milieu dans lequel se situe la vertu soit indivisible d’une certaine manière,
toutefois la vertu peut être plus intense ou plus relâchée, selon que l’homme
est plus ou moins disposé à parvenir à ce qui est indivisible, comme l’arc
est plus ou moins tendu afin d’atteindre une cible indivisible. |
|
[65929] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod medium virtutis non est medium rei, sed
rationis, ut dictum est. Et hoc quidem medium consistit in proportione sive
mensuratione rerum et passionum ad hominem. Quae quidem commensuratio
diversificatur secundum diversos homines : quia aliquid est multum uni quod
est parum alteri. Et ideo non eodem modo sumitur virtuosum in
omnibus hominibus. |
17. Le milieu de
la vertu n’est pas un milieu dans les choses, mais [un milieu] de la raison,
comme on l’a dit. Et ce milieu consiste dans la proportion ou la mesure des
choses et des passions par rapport à l’homme. Or, cette application d’une
mesure se diversifie selon les différents hommes, car quelque chose est
beaucoup pour l’un, qui est peu pour un autre. C’est pourquoi ce qui est
vertueux n’est pas déterminé de la même manière pour tous les hommes. |
|
[65930] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod cum medium virtutis sit medium rationis,
accipienda est indivisibilitas huius medii secundum rationem. Accipitur autem
indivisibile secundum rationem quod imperceptibilem distantiam habet, et quod
errorem facere non potest; sicut totum corpus terrae accipitur loco puncti
indivisibilis per comparationem ad totum caelum. Et ideo medium virtutis aliquam latitudinem habet. |
18. Puisque le milieu de la vertu est un milieu de la raison,
l’indivisibilité de ce milieu doit être conçue selon la raison. Or, ce qui
est indivisible selon la raison est pris selon qu’il a une distance
imperceptible et qu’il ne peut causer d’erreur, comme l’ensemble du corps de
la terre est pris comme point indivisible par rapport à l’ensemble du ciel. C’est
pourquoi le milieu de la vertu comporte une certaine latitude. |
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[65931] De virtutibus, q. 1 a. 13 ad s. c. Quod vero in contrarium obiicitur, concedendum et
quantum ad virtutem moralem et intellectualem, sed non quantum ad
theologicam. Accidit enim fidei quod sit in medio duarum haeresum, at non est
per se in quantum est virtus. Et sic dicendum est de spe, quod est inter duo
extrema, non secundum quod comparatur ad suum obiectum, sed secundum
dispositionem subiecti ad sperandum superna. |
Réponse à l’argument en
sens contraire : Il faut le concéder pour la vertu morale et la vertu intellectuelle,
mais non pour la vertu théologale. En effet, il arrive que la foi se trouve
entre deux hérésies, mais elle n’y est pas en tant que vertu. Et il faut dire
la même chose de l’espérance, qu’elle se trouve entre deux extrêmes, non pas
selon qu’on la compare à son objet, mais selon la disposition du sujet à
espérer les choses d’en haut. |
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Quaestiones
disputatae de virtutibus, quaestio II |
Question 2 : [La charité]© Traduction Raymond
Berton, écembre 2006[19] (sauf l'article
8 : traduction Dominique Pillet) |
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Prooemium |
Prologue |
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[65932] De virtutibus, q. 2 pr. 1
Et primo enim quaeritur, utrum caritas sit aliquid creatum in anima, vel sit
ipse spiritus sanctus. |
1. La charité est-elle
quelque chose de créé dans l’âme ou est-elle l’Esprit saint lui-même ? |
|
[65933] De
virtutibus, q. 2 pr. 2 Secundo utrum caritas sit virtus. |
2. La charité est-elle une
vertu ? |
|
[65934] De
virtutibus, q. 2 pr. 3 Tertio utrum caritas sit forma virtutum. |
3. La charité est-elle la
forme des vertus ? |
|
[65935] De virtutibus, q. 2 pr. 4
Quarto utrum caritas sit una virtus. |
4. La charité est-elle une
seule vertu ? |
|
[65936] De virtutibus, q. 2 pr. 5
Quinto utrum caritas sit virtus specialis. |
5. La charité est-elle une
vertu spéciale ? |
|
[65937] De virtutibus, q. 2 pr. 6
Sexto utrum caritas possit esse cum peccato mortali. |
6. La charité peut-elle
exister avec le péché mortel ? |
|
[65938] De virtutibus, q. 2 pr. 7
Septimo utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis natura. |
7. Est-ce que l’objet qui
peut être aimé par charité est la nature raisonnable ? |
|
[65939] De virtutibus, q. 2 pr. 8
Octavo utrum diligere inimicos sit de perfectione consilii. |
8. Aimer ses ennemis,
est-ce la perfection du conseil ? |
|
[65940] De virtutibus, q. 2 pr. 9
Nono utrum ordo aliquis sit in caritate. |
9. Y a-t-il un certain
ordre dans la charité ? |
|
[65941] De virtutibus, q. 2 pr. 10
Decimo utrum sit possibile caritatem esse perfectam in hac vita. |
10. Est-il possible que la
charité soit parfaite en cette vie ? |
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[65942] De virtutibus, q. 2 pr. 11
Undecimo utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem. |
11. Tous les hommes
sont-ils tenus à la charité parfaite ? |
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[65943] De virtutibus, q. 2 pr. 12
Duodecimo utrum caritas semel habita possit amitti. |
12. La charité une fois
acquise peut-elle être perdue ? |
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[65944] De virtutibus, q. 2 pr. 13
Tertiodecimo utrum per unum actum peccati mortalis caritas amittatur. |
13. La charité se
perd-elle par un seul acte de péché mortel ? |
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Articulus 1 : [65945] De
virtutibus, q. 2 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum caritas sit aliquid
creatum in anima vel sit ipse spiritus sanctus |
Article 1 – La charité est-elle quelque chose de créé dans l’âme ou est-elle l’Esprit saint lui-même ? |
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[65946] De virtutibus, q. 2 a. 1
tit. 2 Et videtur quod caritas non sit aliquid creatum in anima. |
Il semble que la charité
ne soit pas quelque chose de créé dans l’âme. |
|
[65947] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 1 Sicut enim dicit Augustinus, sicut anima est vita corporis, ita Deus
est vita animae. Sed anima est vita corporis sine medio. Ergo et Deus est
vita animae sine medio. Cum igitur vita animae sit ex hoc quod est in
caritate : quia qui non diligit, manet
in morte, ut dicitur I Ioan.
III, 14, homo non est in caritate per aliquid quod sit medium inter Deum et
hominem, sed per ipsum Deum. Caritas ergo non est aliquid creatum in anima,
sed ipse Deus. |
Objections :[20] 1. Augustin[21]
dit que de même que l’âme est la vie du corps, Dieu est la vie de l’âme. Or
l’âme est la vie du corps sans intermédiaire. Donc Dieu est la vie de l’âme
sans intermédiaire. Donc du fait que la vie de l’âme est dans la charité,
parce que : Qui n’aime pas demeure dans la mort, comme il est
dit en I Jn 3, 14, l’homme n’est
pas dans la charité par un intermédiaire entre Dieu et lui, mais par Dieu
lui-même. Donc la charité n’est pas quelque chose de créé dans l’âme, mais
Dieu lui-même. |
|
[65948] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 2 Sed dicebatur, quod
similitudo illa attenditur quantum ad hoc quod anima est vita corporis
hominis ut motor, non quantum ad hoc quod est vita corporis ut forma.- Sed contra, quanto aliquod agens est
virtuosius, tanto minorem dispositionem requirit in patiente : ignis enim
magnus sufficiens est etiam ligna minus desiccata comburere. Sed Deus est
agens infinitae virtutis. Ergo si est vita animae, sicut movens ipsam ad
diligendum; videtur quod non requiratur aliqua dispositio creata ex parte
ipsius animae. |
2. Mais on pourrait dire que cette ressemblance est atteinte du fait
que l’âme est la vie du corps de l’homme comme moteur, non du fait qu’elle
est vie du corps comme forme. - En sens contraire, plus un agent est puissant,
plus la disposition qu’il requiert dans le patient est petite ; en effet
un grand feu suffit à consumer même un bois moins sec. Or Dieu est un agent
d’un pouvoir infini. Donc s’il est la vie de l’âme en la poussant pour ainsi
dire à aimer, il semble qu’une disposition créée ne soit pas requise du côté
de l’âme. |
|
[65949] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 3 Praeterea, inter ea quae sunt idem, non cadit medium. Sed anima
diligens Deum est idem cum Deo : quia, ut dicitur I ad Corinth. cap. VI, 17, qui
adhaeret Deo, unus spiritus est. Ergo non cadit aliqua caritas creata
media inter animam diligentem et Deum dilectum. |
3. Entre
deux choses identiques, il n’y a pas d’intermédiaire. Or l’âme qui aime Dieu
est identique à Dieu car, comme il est dit (1 Co 6, 17), Qui s’attache
à Dieu est un seul esprit [avec lui]. Donc il n’y a pas de charité créée,
intermédiaire entre l’âme qui aime et Dieu qui est aimé. |
|
[65950] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 4 Praeterea, dilectio qua diligimus proximum caritas est. Sed dilectio
qua diligimus proximum, ipse Deus est; dicit enim Augustinus in VIII de Trinit.[cap. VIII] : Qui proximum diligit, consequens est ut
ipsam dilectionem diligat. Deus autem dilectio est. Consequens ergo est
ut praecipue Deum diligat. Ergo caritas non est aliquid creatum, sed ipse
Deus. |
4. L’amour
par lequel nous aimons notre prochain est la charité. Or l’amour par lequel
nous l’aimons est Dieu lui-même ; en effet Augustin déclare (La Trinité,
VIII, VIII, 12) : « Qui aime
son prochain, aime en conséquence l’amour lui-même[22]. »
Or Dieu est amour. La conséquence en est donc qu’il aime surtout Dieu. Donc
la charité n’est pas quelque chose de créé mais elle est Dieu lui-même. |
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[65951] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 5 Sed dicebatur, quod Deus est
dilectio qua diligimus proximum causaliter.— Sed contra, Augustinus in eodem dicit, quod cum testimonio
verborum Ioannis aperte declarat, ipsam supernam dilectionem, qua nos
diligimus invicem, non solum ex Deo esse, sed etiam Deum esse. Non solum ergo
causaliter, sed essentialiter dilectio Deus est. |
5. Mais on pourrait dire que Dieu est
l’amour par lequel nous aimons notre prochain à la manière d’une cause. - En sens contraire, Augustin dit au même endroit[23]
qu’avec le témoignage des paroles de Jean, il déclare ouvertement que l’amour
suprême même, par lequel nous nous aimons les uns les autres, non seulement
vient de Dieu, mais est aussi Dieu. Donc Dieu est amour, non seulement en
tant que cause mais en tant qu’essence. |
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[65952] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 6 Praeterea, Augustinus dicit in V de
Trinitate [cap. XVII] : Non dicturi
sumus caritatem non propterea esse dictam Deum, quod ipsa caritas sit ipsa substantia
quae Dei digna sit nomine; sed quod donum sit Dei, sicut dictum est de eo :
tu es patientia mea; quia ab ipso nobis est. Non autem sic dictum est :
domine, tu caritas mea; sed ita dictum est : Deus caritas est; sicut dictum
est : Deus spiritus est. Videtur ergo quod Deus dicatur caritas non solum
causaliter, sed essentialiter. |
6.
Augustin dit (La Trinité, XV, XVII,
27)[24]
: « Nous ne voulons pas dire
que la charité est appelée Dieu non pas parce qu’elle est la substance même
digne du nom de Dieu mais parce qu’elle est un don de Dieu, comme on a dit de
lui : « Tu es ma patience » parce que nous la possédons de lui. On
n’a pas dit : Seigneur, tu es ma charité, mais on a dit : « Dieu est
charité », de même qu’on a dit : « Dieu est esprit. » Il semble donc bien que Dieu
soit appelé charité non seulement en tant que cause mais aussi en tant
qu’essence. |
|
[65953] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 7 Praeterea, cognito effectu Dei, non propter hoc ipse Deus cognoscitur.
Sed per cognitionem dilectionis supernae ipse Deus cognoscitur. Dicit enim Augustinus,
VIII de Trinit. [cap. VIII] : Magis
quis novit dilectionem qua diligit, quam fratrem quem diligit. Ecce iam potest notiorem Deum habere quam fratrem. Amplectere
dilectionem, et dilectione amplectere Deum. Non igitur Deus dicitur dilectio
fraterna solum per causam. |
7. Même si
l’on connaît l’effet produit par Dieu, ce n’est pas pour cela qu’il est
lui-même connu. Mais Dieu est lui-même connu par la connaissance de l’amour
suprême. Augustin, en effet, dit (La
Trinité, VIII, VIII, 12[25])
: « Quelqu’un connaît davantage
l’amour par lequel il aime que le frère qu’il aime. Et voilà que Dieu lui est mieux connu que son frère. Embrasse l’amour et embrasse
Dieu par amour. » Donc Dieu n’est pas appelé amour fraternel uniquement en
tant que cause. |
|
[65954] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 8 Sed dicebatur, quod fraterna
dilectione cognita, cognoscitur Deus sicut in sua similitudine. Sed contra, homo secundum ipsam
substantiam animae factus est ad imaginem et similitudinem Dei. Sed
similitudo ista obscuratur per peccatum. Ad hoc igitur quod Deus possit in
anima sicut in sua similitudine cognosci, requiritur solum quod peccatum
tollatur; et non quod aliquid creatum animae superaddatur. |
8. Mais on pourrait dire que, si on
connaît l’amour fraternel, on connaît Dieu comme dans sa ressemblance. Mais en sens contraire, selon la
substance même de l’âme, l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de
Dieu. Cependant cette ressemblance est
obscurcie par le péché. Donc, du fait que Dieu pourrait être connu dans l’âme
comme dans sa ressemblance, il est seulement requis que le péché soit enlevé
et que rien de créé ne soit surajouté à l’âme. |
|
[65955] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 9 Praeterea, omne quod est in anima, vel
est potentia, vel passio, vel habitus, ut dicitur in III Ethic. [cap. V]. Sed caritas non est
potentia animae, quia esset naturalis; nec est passio, quia non est in
potentia sensitiva, in qua sunt omnes passiones; nec est habitus, quia
habitus est difficile mobilis; caritas autem de facili amittitur, quia per
unum actum peccati mortalis. Ergo caritas non est aliquid creatum in anima. |
9.
Tout ce qui est dans l’âme est soit puissance, soit passion, soit habitus,
comme dit in Ethique, III, 5. Or la
charité n’est pas puissance de l’âme, parce qu’elle serait naturelle ;
elle n’est pas passion, car elle n’est pas dans la puissance sensitive, où se
situent toutes les passions ; elle n’est pas non plus un habitus parce
qu'un habitus ne change pas facilement[26];
mais la charité se perd facilement, par le péché mortel. Donc la charité
n’est pas quelque chose de créé dans l’âme. |
|
[65956]
De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 10 Praeterea, nullum creatum habet virtutem
infinitam. Sed caritas habet virtutem infinitam, quia coniungit infinite
distantia, scilicet animam Deo, et meretur bonum infinitum. Ergo caritas non
est aliquid creatum in anima. |
10. Aucune
créature n’a de pouvoir infini. Mais la charité possède un pouvoir infini,
car elle unit ce qui est infiniment distant, à savoir l’âme à Dieu, et elle mérite
un bien infini. La charité n’est donc pas quelque chose de créé dans l’âme. |
|
[65957] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 11 Praeterea, omnis creatura vanitas est, ut patet Eccle. I, [2]. Vanitas autem non coniungit veritati. Cum ergo
caritas coniungat nos primae veritati, videtur quod caritas non sit creatura. |
11. Toute
créature est vanité comme l’atteste l’Ecclésiaste
(Qo 1, 2). Or la vanité n’unit pas
à la vérité. Donc, comme la charité nous unit à la vérité première, il semble
qu’elle ne soit pas une créature. |
|
[65958]
De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 12 Praeterea, omne creatum est natura quaedam,
cum sit in aliquo decem generum. Si igitur caritas est aliquid creatum in anima,
videtur quod sit natura quaedam. Cum igitur caritate mereamur : si caritas
est aliquid creatum, sequetur quod natura sit principium merendi; quod est
erroneum secundum sententiam Pelagii. |
12. Toute
créature est une certaine nature[27]
puisqu’elle se classe dans un des dix genres[28].
Si donc la charité est quelque chose de créé dans l’âme, il semble qu’elle
soit une nature. Donc, puisque nous méritons par la charité, si elle est
quelque chose de créé, il s’ensuivra qu'une nature sera principe de mérite,
ce qui est faux selon l’opinion de Pélage[29]. |
|
[65959] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 13 Praeterea, homo secundum esse gratiae est propinquior Deo quam
secundum esse naturae. Sed Deus creavit hominem secundum esse naturae sine
medio. Ergo nec in esse gratiae utitur medio, scilicet caritate creata. |
13.
L’homme, selon l’être de grâce, est plus proche de Dieu que selon l’être de
nature. Or Dieu a créé l’homme, selon l’être de nature, sans intermédiaire.
Donc, il ne se sert pas dans l’être de grâce, d’intermédiaire, à savoir une
charité créée. |
|
[65960] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 14 Praeterea, agens quod agit sine medio, est perfectius quam agens quod
agit cum medio. Sed Deus est perfectissimum agens. Ergo agit
sine medio : non ergo iustificat animam mediante aliquo creato. |
14.
L’agent qui opère sans intermédiaire est plus parfait que celui qui agit avec
un intermédiaire. Or Dieu est l’agent le plus parfait. Donc, il agit sans
intermédiaire : donc il ne justifie pas l’âme par l’intermédiaire de quelque
chose de créé. |
|
[65961]
De virtutibus, q. 2 a. 1 arg. 15 Praeterea, creatura rationalis est nobilior
aliis creaturis. Sed aliae creaturae consequuntur suum finem absque aliquo
alio superaddito. Multo magis igitur creatura rationalis movetur a Deo ad
suum finem absque aliquo creato ei superaddito. |
15.
La créature raisonnable est plus noble que les autres créatures. Or ces
autres créatures poursuivent leur fin sans rien de surajouté. Donc la
créature raisonnable est beaucoup plus mise en mouvement par Dieu vers sa
fin, sans rien de créé qui lui serait surajouté. |
|
[65962] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 16 Sed dicebatur, quod
creatura rationalis non est proportionata ad suum finem per sua naturalia; et
ideo indiget aliquo superaddito. Sed
contra, finis hominis est bonum infinitum. Sed
nullum creatum est proportionatum bono infinito. Ergo id per quod homo
ordinatur in suum finem, non est bonum creatum in anima. |
16. Mais on pourrait dire que la créature
raisonnable n’est pas proportionnée à sa fin par ce qui lui est naturel, et
c’est pourquoi elle a besoin de quelque chose de surajouté. En sens contraire,
la fin de l’homme est le bien infini. Or rien de ce qui est créé n’est
proportionné à un bien infini. Donc, ce par quoi l’homme est ordonné à sa fin
n’est pas un bien créé dans l’âme. |
|
[65963] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 17 Praeterea, sicut Deus est lumen primum, ita est et bonum summum. Sed
lumen quod Deus est, praesens est animae; quia de eo dicitur, Psal. XXXV,
10 : In lumine tuo videbimus lumen. Ergo et summum bonum, quod
Deus est, praesens est animae. Sed bonum est quo aliquid diligimus. Ergo id
quo diligimus, est Deus. |
17. De
même que Dieu est la lumière première, il est aussi le bien suprême. Or la
lumière qu’est Dieu est présente à l’âme, parce qu'il est dit à son sujet (Ps 35, 10) : En ta lumière, nous verrons la lumière. Donc le bien suprême,
qu’est Dieu, est lui aussi présent à l’âme. Mais le bien est ce par quoi nous
aimons quelque chose. Donc, ce par quoi nous aimons, c’est Dieu. |
|
[65964] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 18 Sed dicebatur, quod bonum
quod Deus est, est praesens animae non formaliter, sed effective.- Sed contra, Deus est pura forma. Ergo
formaliter adest his quibus adest. |
18. Mais
on pourrait dire que le bien qui est Dieu est présent à l’âme non pas
formellement mais effectivement. - En sens contraire, Dieu est forme pure. C’est
donc selon la forme qu’il est présent là où il est présent. |
|
[65965] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 19 Praeterea, nihil diligitur nisi cognitum, ut dicit Augustinus, X de Trinitate. Ergo secundum hoc
aliquid est diligibile secundum quod est cognoscibile. Sed Deus est per
seipsum cognoscibilis, sicut primum principium cognoscendi. Ergo est per
seipsum diligibilis : non ergo per aliquam caritatem creatam. |
19. On
n'aime rien sans le connaître, comme le dit Augustin, La Trinité, X, I, 3. Donc, selon cela, une chose ne peut être
aimée que dans la mesure où elle peut être connue. Or Dieu est connaissable
par lui-même en tant que premier principe de connaissance. Il est donc
aimable par lui-même ; donc pas par une charité créée. |
|
[65966] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 20 Praeterea unumquodque, secundum hoc est diligibile, secundum quod est
bonum. Sed Deus est infinitum bonum. Ergo est in infinitum
diligibilis. Sed
nullus amor creatus est infinitus. Ergo cum aliqui qui sunt in caritate,
diligant eum secundum quod diligibilis est; videtur quod dilectio qua
diligimus Deum, non sit aliquid creatum. |
20. Chaque
chose peut être aimée dans la mesure où elle est un bien. Or Dieu est le bien
infini. Il est donc aimable à l’infini. Or aucun amour créé n’est infini.
Donc, puisque certains, qui sont dans la charité, l’aiment du fait qu’il est
aimable, il semble que l’amour par lequel nous aimons Dieu ne soit pas
quelque chose de créé. |
|
[65967] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 21 Praeterea, Deus diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient. XI, 25. Sed non diligit
creaturas irrationales per aliquid eis superadditum. Ergo nec creaturas
rationales. Et ita videtur quod caritas et gratia propter quas homines
diliguntur a Deo, non sint aliquid creatum superadditum animae nostrae. |
21. Dieu aime tout ce qui existe, comme il est
dit en Sg 11, 25. Mais il n’aime
pas les créatures sans raison par quelque chose qui leur serait ajouté; donc
pas non plus les créatures raisonnables. Et ainsi, il semble que la charité
et la grâce, par lesquelles Dieu aime les hommes, ne soient pas quelque chose
de créé surajouté à notre âme. |
|
[65968] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 22 Praeterea, si caritas sit aliquid creatum, oportet quod sit accidens.
Sed caritas non est accidens : quia nullum accidens est dignius suo subiecto;
caritas autem est dignior quam natura. Ergo caritas non est aliquid creatum
in anima. |
22. Si la
charité était quelque chose de créé, il faudrait qu’elle soit un accident[30].
Or elle n’est pas un accident, car aucun accident n’est plus noble que son
sujet ; or la charité est plus noble qu’une nature[31].
Donc la charité n’est pas quelque chose de créé dans l’âme. |
|
[65969] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 23 Praeterea, sicut Bernardus dicit [Sermo IX de coena Domini], eadem lege diligimus Deum et proximum qua Pater
et Filius se diligunt. Sed Pater et Filius se diligunt dilectione increata.
Ergo nos diligimus Deum dilectione increata. |
23. Comme
le dit Bernard (Sermon 9, sur la Cène
du Seigneur), nous aimons Dieu et notre prochain par la même loi par
laquelle le Père et le Fils s’aiment. Or le Père et le Fils s’aiment d’un
amour incréé. Donc, nous, nous aimons Dieu d’un amour incréé. |
|
[65970] De virtutibus, q. 2 a. 1
arg. 24 Praeterea, illud quod suscitat a morte, est infinitae virtutis. Sed
caritas suscitat a morte; dicitur enim I
Ioan. III, 14 : Nos scimus quoniam
translati sumus de morte ad vitam, quoniam diligimus fratres. Ergo
caritas est virtutis infinitae; ergo non est aliquid creatum. |
24. Ce qui
ressuscite de la mort est d’un pouvoir infini. Or la charité ressuscite de la
mort. Car il est dit I Jn 3, 14
: Nous savons que nous sommes
passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Donc la
charité est d’une valeur infinie ; donc elle n’est rien de créé. |
|
[65971]
De virtutibus, q. 2 a. 1 s. c. Sed contra, omne quod recipitur in aliquo,
recipitur in eo per modum recipientis. Si ergo caritas recipitur in nobis a
Deo, oportet quod recipiatur a nobis finite secundum modum nostrum. Omne
autem finitum est creatum. Ergo caritas est aliquid creatum in nobis. |
En sens contraire : Tout ce
qui est reçu en quelqu’un, y est reçu par le mode de celui qui reçoit. Si
donc la charité est reçue de Dieu en nous, il faut qu’elle le soit selon
notre mode limité. Or tout ce qui est limité est créé. Donc, la charité est
quelque chose de créé en nous. |
|
[65972] De virtutibus, q. 2 a. 1
co. Respondeo. Dicendum, quod quidam
posuerunt, quod caritas in nobis, qua diligimus Deum et proximum, non sit
aliud quam spiritus sanctus, ut patet per Magistrum in 17 dist. I Sent. |
Réponse : Certains ont pensé que la charité, en nous, par laquelle
nous aimons Dieu et notre prochain, ne serait autre que l’Esprit Saint, comme
on le voit par le Maître I Sent.
dist. 17[32].
|
|
Et ut huius opinionis intellectus
plenius habeatur, sciendum est, quod actum dilectionis quo Deum et proximum
diligimus, Magister posuit quoddam creatum in nobis, sicut et actus ceterarum
virtutum; sed ponebat differentiam inter actus caritatis et actus aliarum
virtutum : quod spiritus sanctus ad actus aliarum virtutum movet animam
mediantibus quibusdam habitibus, qui virtutes dicuntur; sed ad actum
dilectionis movet voluntatem immediate per seipsum absque aliquo habitu, ut
patet in 17 dist. I Lib. Et ad hoc ponendum movet ipsum excellentia
caritatis, et verba Augustini in obiiciendo inducta, et quaedam similia.
Ridiculum autem fuisset dicere, quod ipse actus dilectionis, quem experimur
dum diligimus Deum et proximum, sit ipse Spiritus sanctus. |
Et pour
mieux comprendre cette opinion, il faut savoir que le Maître a considéré que
l’acte d’amour par lequel nous aimons Dieu et notre prochain était quelque
chose de créé en nous, tout comme les actes des autres vertus ; mais il
plaçait une différence entre les actes de charité et ceux des autres vertus :
à savoir que l’Esprit Saint pousse l’âme à des actes d'autres vertus par
l’intermédiaire de certains habitus appelés vertus[33],
mais qu’il pousse la volonté à l’acte d’amour, immédiatement, par lui-même,
sans aucun habitus, comme on le voit en I
sent. d. 17. Et ce qui le pousse à
penser cela, c'est l’excellence de la charité, ainsi que les paroles
d’Augustin données comme objection, et d’autres arguments semblables. Mais il
aurait été ridicule de dire que l’acte même d’aimer, que nous expérimentons
quand nous aimons Dieu et notre prochain, soit l’Esprit Saint lui-même. |
|
Sed haec opinio omnino stare non
potest. Sicut enim naturales actiones et motus a quodam principio intrinseco
procedunt, quod est natura; ita et actiones voluntariae oportet quod a
principio intrinseco procedant. Nam sicut inclinatio naturalis in rebus
naturalibus appetitus naturalis nominatur, ita in rationalibus inclinatio
apprehensionem intellectus sequens, actus voluntatis est. |
Cette
opinion ne peut absolument pas tenir. De même, en effet, que les actions
naturelles et les mouvements procèdent d’un principe intrinsèque[34]
qui est la nature, de même les actions volontaires doivent procéder d’un
principe intrinsèque. Car, de même que le penchant naturel, dans ce qui est
naturel, s’appelle l’appétit naturel, de même dans ce qui est rationnel, le
penchant qui suit la saisie de l’intellect est l’acte de la volonté. |
|
Possibile autem est quod res
naturalis ab aliquo exteriori agente ad aliquid moveatur non a principio
intrinseco, puta cum lapis proiicitur sursum. Sed quod talis motus vel actio
non a principio intrinseco procedens, naturalis sit, hoc omnino est
impossibile, quia in se contradictionem implicat. Unde, cum contradictoria
esse simul non subsit divinae potentiae; nec hoc a Deo fieri potest, ut motus
lapidis sursum, qui non est a principio intrinseco, sit ei naturalis. Potest
quidem lapidi dare virtutem, ex qua sicut ex principio extrinseco sursum
naturaliter moveatur; non autem ut motus iste sit ei naturalis, nisi ei alia
natura detur. |
Or, il est
possible qu’une chose naturelle soit mise en mouvement par un agent
extérieur, non par un principe intrinsèque : par exemple la pierre projetée
vers le haut. Mais qu’un tel mouvement ou une telle action qui ne procède pas
d’un principe intrinsèque soit naturel est tout à fait impossible, parce
qu’en soi il implique une contradiction. C'est pourquoi, puisque ce qui est
contradictoire ne se trouve pas en même temps dans la puissance divine, Dieu
ne peut pas faire que le mouvement de la pierre vers le haut, qui ne vient
pas d’un principe intrinsèque, lui soit naturel. Il peut donner à la pierre
un pouvoir par lequel elle est mue vers le haut naturellement par un pouvoir
extrinsèque, mais [il ne peut pas faire] que ce mouvement lui soit naturel, à
moins de lui donner une autre nature. |
|
Et similiter non potest hoc
divinitus fieri ut aliquis motus hominis vel interior vel exterior qui sit a
principio extrinseco, sit voluntarius; unde omnes actus voluntatis
reducuntur, sicut in primam radicem, in id quod homo naturaliter vult, quod
est ultimus finis. Quae enim sunt ad finem, propter finem volumus. |
Et de la
même manière, Dieu ne peut faire qu’un mouvement humain intérieur ou
extérieur, qui serait d’un principe extrinsèque, soit volontaire ; c'est
pourquoi, tous les actes de la volonté se ramènent comme à une première
racine, en ce que l’homme veut naturellement et qui est sa fin dernière. Car
ce qui concerne la fin, nous le voulons à cause de la fin. |
|
Actus igitur qui excedit totam
facultatem naturae humanae, non potest esse homini voluntarius, nisi superaddatur
naturae humanae aliquid intrinsecum voluntatem perficiens, ut talis actus a
principio intrinseco proveniat. |
Donc
l’acte qui dépasse toute la faculté de la nature humaine ne peut être
volontaire pour l’homme que s’il est ajouté à la nature humaine quelque chose
d’intrinsèque qui perfectionne la volonté, pour qu’un tel acte provienne d’un
principe intrinsèque. |
|
Si igitur actus caritatis
in homine non ex aliquo habitu interiori procedat naturali potentiae
superaddito, sed ex motione Spiritus sancti, sequetur alterum duorum : vel quod actus caritatis non
sit voluntarius; quod est impossibile, quia hoc ipsum diligere est quoddam
velle; aut quod non excedat
facultatem naturae, et hoc est haereticum. |
Si donc
l’acte de charité dans l’homme ne procède pas d’un habitus interne surajouté
à sa puissance naturelle, mais par la motion de l’Esprit Saint, il s’ensuivra
une de ces deux conséquences : a. ou l’acte de charité n’est pas volontaire, ce qui est impossible
car le fait même d’aimer est un certain vouloir. b. ou
l’acte de charité ne dépasse pas la faculté de la nature et cela est
hérétique. |
|
Hoc igitur remoto, sequetur primo
quidem, quod actus caritatis sit actus voluntatis; secundo, dato quod actus
voluntatis possit esse totaliter ab extrinseco, sicut actus manus vel pedis,
sequetur etiam, si actus caritatis est solum a principio exteriori movente,
quod non sit meritorius. Omne enim agens quod non agit secundum formam
propriam, sed solum secundum quod est motum ab altero, est agens
instrumentaliter tantum; sicut securis agit prout est mota ab artifice. |
Ceci étant
donc écarté, il s’ensuivra en premier que l’acte de charité est un acte
volontaire ; deuxièmement, une fois donné que l’acte volontaire pourrait
être totalement issu d’un principe extrinsèque, comme l’acte de la main ou du
pied, il s’ensuivrait aussi que, si l’acte de charité vient seulement d’un
principe extérieur qui le meut, il ne serait pas méritoire. Car tout agent
qui n’agit pas selon sa forme propre, mais seulement mû par un autre, n’est
qu’un instrument en tant qu’agent, tout comme une hache n’agit que dans la
mesure où elle est mue par l’artisan. |
|
Sic igitur si anima non agit actum
caritatis per aliquam formam propriam, sed solum secundum quod est mota ab
exteriori agente, scilicet spiritu sancto; sequetur quod ad hunc actum se
habeat sicut instrumentum tantum. Non ergo in homine est hunc actum agere vel
non agere; et ita non poterit esse meritorius. Haec enim
solum meritoria sunt quae in nobis aliquo modo sunt; et sic totaliter
tollitur meritum humanum, cum dilectio sit radix merendi. |
Ainsi
donc, si l’âme ne fait pas un acte de charité par une forme propre mais
uniquement selon qu’elle y est poussée par un agent extérieur, à savoir
l’Esprit Saint, il en découlera que, pour cet acte, elle se comporte
seulement comme un instrument. Donc il n’est pas dans l’homme de faire cet
acte ou pas; et ainsi il ne pourra pas être méritoire. Car est méritoire
seulement ce qui est de quelque manière en nous ; et ainsi est enlevé
totalement le mérite humain, puisque l’amour est la racine du mérite. |
|
Tertium inconveniens est, quia
sequeretur quod homo qui est in caritate, ad actum caritatis non sit
promptus, neque ipsum delectabiliter agat. Ex hoc enim actus virtutum sunt
nobis delectabiles, quod secundum habitus conformamur ad illos, et inclinamur
in illos per modum inclinationis naturalis. Et tamen actus caritatis est
maxime delectabilis et maxime promptus existenti in caritate; et per eumdem
omnia quae agimus vel patimur, delectabilia redduntur. Relinquitur igitur
quod oporteat esse quemdam habitum caritatis in nobis creatum, qui sit
formale principium actus dilectionis. Nec tamen per hoc excluditur quin spiritus sanctus,
qui est caritas increata, sit in homine caritatem creatam habente, movens
animam ad actum dilectionis, sicut Deus movet omnia ad suas actiones, ad quas
tamen inclinantur ex propriis formis. Et inde est quod omnia disponit
suaviter, quia omnibus dat formas et virtutes inclinantes in id ad quod ipse
movet, ut in illud tendant non coacte, sed quasi sponte. |
Il existe
un troisième inconvénient : parce
qu’il s’ensuivrait que l’homme qui est dans la charité ne serait pas prêt
pour un acte de charité et ne le ferait pas avec plaisir. Car du fait que les
actes des vertus nous sont agréables parce qu’en raison de nos habitus, elles
nous y rendent conformes et nous y inclinent et à nous tourner vers eux par
un penchant naturel. Et cependant l’acte de charité est très agréable et très
prêt pour qui est dans la charité, et par ce même [acte], tout ce que nous
faisons ou supportons est rendu plus agréable. Et il reste donc qu’il faut
qu’il y ait un certain habitus de charité, créé en nous, qui soit le principe
formel de l’acte d’aimer. Et cependant, il n’est pas exclu
par là que l’Esprit Saint, qui est charité incréée, soit dans l’homme qui
possède une charité créée, mettant en mouvement l’âme pour l’acte d’amour,
comme Dieu meut toutes choses pour ses actions, pour lesquelles nous sommes
inclinés par leurs formes propres. De là vient qu’il dispose tout de manière
agréable, parce qu’il donne à toutes choses les formes et les pouvoirs qui
les inclinent à ce vers quoi lui-même les meut, pour que tout y tende, non
sous la contrainte, mais quasi spontanément. |
|
[65973] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod Deus est vita animae per modum moventis,
et non per modum formalis principii. |
Solutions : 1. Dieu
est la vie de l’âme à la manière d’un moteur et non à la manière d’un
principe formel. |
|
[65974] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 2 Ad secundum dicendum, quod licet ad efficaciam moventis pertineat ut
dispositionem non praeexigat in subiecto; tamen efficaciam eius demonstrat,
si dispositionem fortem imprimat in passo vel moto. Fortis
enim ignis non solum formam substantialem, sed et fortem dispositionem inducit.
Unde fortius est agens quod sic ad agendum movet, quod etiam formam imprimit
per quam agat, quam id movens quod sic movet ad agendum, ut tamen nullam
imprimat formam. Unde
cum spiritus sanctus sit virtuosissimum movens; sic movet ad diligendum, quod
etiam habitum caritatis inducit. |
2. Bien
qu’il convienne à l’efficacité du moteur de ne pas préexiger de disposition
dans le sujet, cependant il montre son efficacité, s’il imprime une forte
disposition dans ce qui est subi ou mû. En effet, un grand feu induit non
seulement la forme substantielle mais aussi une disposition forte. C'est
pourquoi, plus fort est l’agent qui pousse ainsi à agir, qui imprime aussi la
forme par laquelle il agit, que ce moteur qui met en mouvement pour agir sans
lui induire aucune forme. C'est pourquoi, comme l’Esprit Saint est un moteur
tout-puissant, il pousse à aimer et cela induit aussi un habitus de la
charité. |
|
[65975] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 3 Ad tertium dicendum, quod cum dicitur, Qui adhaeret Deo, unus spiritus est; non designatur unitas
substantiae; sed unitas affectus, quae est inter amantem et amatum. In qua
quidem unione habitus caritatis magis se habet ut principium amationis quam
ut medium inter amantem et amatum; nam actus dilectionis immediate transit in
Deum ut in amatum, non autem immediate in habitum caritatis. |
3.
Lorsqu’on dit : Qui s’attache à Dieu
forme [avec lui] un seul esprit, on ne désigne pas une unité de substance
mais l’unité de volonté qui existe entre celui qui aime et celui qui est
aimé. Certes, dans cette union, l’habitus de la charité se comporte plus
comme principe de la manifestation de l’amour que comme intermédiaire entre
celui qui aime et celui qui est aimé ; en effet, l’acte d’amour passe
immédiatement en Dieu comme dans l’être aimé mais pas immédiatement dans
l’habitus de charité. |
|
[65976] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet dilectio qua diligimus proximum, sit
Deus; non tamen excluditur quin praeter hanc dilectionem increatam, sit etiam
in nobis dilectio creata, qua formaliter amamus, ut dictum est. |
4. Bien
que l’amour, par lequel nous aimons notre prochain, soit Dieu, il n’est
cependant pas exclu qu’au-delà de cet amour incréé, il y ait aussi en nous un
amour créé, par lequel nous aimons formellement, comme cela a été dit. |
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[65977] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 5 Ad quintum dicendum, quod Deus non solum causaliter dicitur dilectio vel
caritas, sicut causaliter tantum dicitur spes vel patientia; sed etiam
essentialiter. Non tamen excluditur quin praeter illam dilectionem quae
essentialiter Deus est, sit etiam in nobis dilectio creata. |
5. Dieu
est appelé amour ou charité non seulement en tant que cause, comme on parle
seulement en tant que cause de l’espérance ou de la patience ; mais
aussi en tant qu’essence. Cependant, il
n’est pas exclu qu’au-delà de cet amour qui est Dieu par essence, il y ait
aussi en nous un amour créé. |
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[65978]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 6 Et per hoc etiam patet solutio ad sextum. |
6. Et par
ce raisonnement apparaît aussi la solution à donner au sixième argument. |
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[65979] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 7 Ad septimum dicendum, quod auctoritas illa eamdem difficultatem habet,
sive ponatur creatus habitus caritatis in nobis, sive non. Cum enim dicit
Augustinus, quod qui diligit proximum, magis cognoscit dilectionem qua
diligit, quam proximum quem diligit, intelligere videtur de ipso actu
dilectionis. Quem quidem actum nullus ponit esse aliquid increatum; unde ex
hoc concludi non potest quod ipsa dilectio sic nota, sit Deus; sed quod in
hoc quod percipimus actum dilectionis in nobis, sentimus in nobis ipsis
quamdam Dei participationem, quia ipse Deus dilectio est; non quod sit ipse
actus dilectionis quem percipimus. |
7. Cette
autorité présente la même difficulté, qu’on place ou non en nous un habitus
de charité créée. En effet, quand Augustin dit que celui qui aime son
prochain connaît mieux l’amour par lequel il aime que le prochain qu’il aime,
il semble [le] comprendre à partir de l’acte d’aimer même. Certes, personne
ne pense que cet acte soit incréé ; c'est pourquoi, on ne peut pas en
conclure que l’amour même, ainsi connu, soit Dieu ; mais que, du fait
que nous percevons l’action de l’amour en nous, nous sentons en nous-mêmes
une certaine participation de Dieu, parce qu’il est lui-même l’amour ; non qu'il
soit lui-même l’acte d'amour que nous percevons. |
|
[65980]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod creatura secundum
quod magis perficitur, magis ad similitudinem Dei accedit. Unde, licet
quaelibet creatura habeat quamdam Dei similitudinem in eo quod est et bona
est; creatura tamen rationalis superaddit aliquam rationem similitudinis in
eo quod intellectualis est; et adhuc aliam in hoc quod facta est : et sic in
actu caritatis expressius percipitur Deus sicut in propinquiori similitudine. |
8. La
créature, selon qu’elle est plus accomplie, s’approche davantage de la
ressemblance à Dieu. C'est pourquoi, bien que n’importe quelle créature ait
une certaine ressemblance à Dieu dans le fait qu’elle est et qu’elle est
bonne, cependant la créature douée de raison surajoute une autre raison de
ressemblance dans le fait qu’elle est intellectuelle; elle y surajoute encore
une autre raison dans le fait qu’elle a été créée ; ainsi, dans l’acte
de charité, Dieu est perçu plus expressément comme dans une ressemblance plus
proche. |
|
[65981] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas habitus est; et difficile mobilis; quia
non de facili, qui habet caritatem, inclinatur ad peccandum; licet ex peccato
caritas amittatur. |
9. La
charité est un habitus, qui change difficilement, car ce n’est pas facilement
que celui qui possède la charité se laisse aller à pécher, bien que celle-ci
soit perdue par le péché. |
|
[65982] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 10 Ad decimum dicendum, quod caritas coniungit bono infinito, non
effective, sed formaliter; unde virtus infinita non competit caritati, sed
caritatis auctori. Competeret autem caritati virtus infinita, si homo ad
infinitum bonum per caritatem infinite ordinaretur : quod patet esse falsum.
Modus enim sequitur formam rei. |
10. La
charité unit au bien infini non effectivement mais formellement ; c'est
pourquoi la puissance infinie ne convient pas à la charité mais à son auteur.
Mais le pouvoir infini conviendrait à la charité si l’homme était ordonné de
manière infinie par la charité au bien infini, ce qui se révèle faux. En
effet, le mode suit la forme d’une chose. |
|
[65983] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 11 Ad undecimum dicendum, quod creatura est vanitas in quantum est ex
nihilo, non autem in quantum est similitudo Dei; et ex hac parte est quod
caritas creata veritati primae coniungit. |
11. La
créature est vanité en tant qu’elle vient du néant, mais non en tant qu’elle
est ressemblance à Dieu ; et c’est de ce côté que la charité créée unit
à la vérité première. |
|
[65984]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad haeresim
Pelagianam pertinet quod principia naturalia hominis sufficiant ad merendum
vitam aeternam. Non est autem hoc haereticum, quod aliquo creato, quod est
natura quaedam in aliquo praedicamento, mereamur. Manifestum est enim quod
actibus meremur; et tamen actus, cum sint quaedam creata, in genere aliquo
sunt, et natura quaedam sunt. |
12. Il
appartient à l’hérésie pélagienne que les principes naturels de l’homme
suffisent à mériter la vie éternelle. Cependant,
ce n’est pas hérétique de mériter par quelque chose de créé qui est une
certaine nature, dans une certaine catégorie. En effet, il est clair que nous
méritons par nos actes ; et cependant, comme certains sont créés, ils
sont dans un genre et ils sont une nature[35]. |
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[65985] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod Deus esse naturale creavit sine medio
efficiente, non tamen sine medio formali. Nam unicuique dedit formam per quam
esset. Et similiter dat esse gratiae per aliquam formam superadditam. Et
tamen non est omnino simile; quia, ut dicit Augustinus super Ioan., [Sermo XV
de verbis Apostoli] qui creavit te sine te, non iustificabit
te sine te. In iustificatione ergo requiritur aliqua operatio
iustificantis; et ideo requiritur quod sit ibi principium activum formale :
quod non habet locum in creatione. |
13. Dieu a
créé l’être naturel sans intermédiaire [d’une cause] efficiente, mais pas
sans intermédiaire formel. En effet, il a donné à chaque chose une forme par
laquelle elle serait. Et de la même façon, il donne l’être de grâce par une
forme surajoutée. Et cependant, ce n’est pas tout à fait pareil car, comme le
dit Augustin (Homélies sur l’évangile
de Jean, sermon XV sur les paroles de l’Apôtre) : « Celui qui t’a créé sans toi, ne te
justifiera pas sans toi ».
Donc, dans la justification, est requise une opération de celui qui
justifie ; c’est pourquoi il est requis qu’il y ait un principe actif
formel qui n’a pas place dans la création. |
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[65986]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod agens per
medium est minus efficax in agendo, si utatur medio propter suam
necessitatem. Sic autem non utitur Deus medio in agendo, quia nullius
creaturae auxilio indiget; sed utitur mediis agentibus, ut servetur ordo in
rebus. Sed si loquamur de medio formali, manifestum est quod quanto agens est
perfectius, tanto magis formam inducit. Nam agens imperfectum non inducit
formam, sed dispositionem tantum; et tanto debiliorem quanto est debilius. |
14.
L’agent par intermédiaire est moins efficace pour agir s’il se sert d’un
intermédiaire à cause de sa nécessité. C’est ainsi que Dieu ne se sert pas
d’intermédiaire pour agir car il n’a besoin de l’aide d’aucune
créature ; mais il se sert d’agents intermédiaires pour préserver
l’ordre des choses. Mais si nous parlons d’intermédiaire formel, il est
évident que plus l’agent est parfait, plus il induit de forme. En effet, un
agent imparfait n’induit pas de forme mais une disposition seulement,
d’autant plus faible qu’il est plus faible. |
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[65987] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod homo et aliae rationales creaturae
consequi possunt altiorem finem quam aliae creaturae; unde, licet ad hunc
finem consequendum pluribus indigeant, nihilominus perfectiores sunt : sicut
homo est melius dispositus qui potest consequi perfectam sanitatem per plures
medicinas, quam ille qui non potest sanari perfecte, et ideo non indiget nisi
paucis medicinis. |
15.
L’homme et les autres créatures raisonnables peuvent poursuivre une fin plus
haute que les autres créatures ; c'est pourquoi, bien qu’elles aient
plus de besoin pour atteindre leur fin, elles sont néanmoins plus parfaites :
de même que l’homme qui peut obtenir une santé parfaite par de nombreux
remèdes, est mieux disposé que celui qui ne peut être soigné parfaitement, et
c'est pourquoi il n’a besoin que de peu de remèdes. |
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[65988]
De virtutibus, q. 2 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod per caritatem
creatam elevatur anima supra posse naturae, ut perfectius ordinetur ad finem,
quam habeat facultas naturae; sed tamen non sic ordinatur ad consequendum
Deum perfecte, sicut ipse perfecte se fruitur. Et hoc contingit ex hoc quod nihil
creatum sit Deo proportionatum. |
16. L’âme
s’élève au-dessus des pouvoirs de la nature par la charité créée, pour être
ordonnée à la fin de manière plus parfaite que sa faculté naturelle n’en
a ; mais cependant, elle n’est pas ordonnée pour atteindre Dieu
parfaitement, comme il jouit parfaitement de lui-même. Cela provient du fait que
rien de créé n’est proportionné à Dieu. |
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[65989] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod licet bonum quod est Deus, sit
praesens animae per seipsum; tamen requiritur medium formale ad hoc, quod
anima perfecte ordinetur in ipsum ex parte animae, non autem ex parte ipsius
Dei. |
17.
Quoique le bien, qui est Dieu, soit présent à l’âme par lui-même, cependant
il requiert un intermédiaire formel pour que l’âme soit parfaitement ordonnée
à lui, de son côté et non du côté de Dieu lui-même. |
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[65990] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod Deus est forma per se subsistens; non
autem ita quod formaliter alicui coniungatur. |
18.
Dieu est une forme qui subsiste par soi, mais pas de sorte à lui être uni
formellement. |
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[65991] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod dato quod Deus per seipsum cognoscatur
ab anima quia hoc aliam quaestionem habet; eodem modo per seipsum diligitur,
sicut per seipsum cognoscitur; ut hoc quod dico per se accipiatur ex parte
diligibilis, non autem ex parte diligentis. Non enim Deus propter aliquid
aliud diligitur ab anima, sed propter seipsum; et tamen anima indiget aliquo
formali principio ad perfecte diligendum Deum. |
19. Une
fois donné que Dieu serait connu par lui-même, par l’âme, parce que ceci
comporte une autre question, c’est par lui-même qu’il s’aime, de la même
manière qu’il se connaît par lui-même ; de même que ce que je dis serait reçu
par soi du côté de celui qui est aimable mais pas de celui qui aime. Car Dieu
n’est pas aimé par l’âme pour une autre raison que pour lui-même ;
cependant, l’âme a besoin d’un principe formel pour aimer Dieu parfaitement. |
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[65992] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod Deus non potest tantum diligi a nobis
quantum diligibilis est; unde non sequitur quod amor caritatis qua diligimus
Deum infinitus sit. Hoc enim non minus sequeretur de actu quam de habitu; et
tamen nullus dicere potest actum dilectionis, quo diligimus Deum, esse
aliquid increatum. |
20. Nous
ne pouvons aimer Dieu qu’autant qu’il est aimable ; d'où il ne découle
pas que l’amour de charité par lequel nous aimons Dieu soit infini. Car ceci
résulterait moins de l’acte que de l’habitus ; et cependant, personne ne
peut dire que l’acte d’amour par lequel nous aimons Dieu soit quelque chose
d’incréé. |
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[65993] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod habitus caritatis requiritur in nobis
in quantum diligimus Deum; quod aliis creaturis non convenit, licet omnes
creaturae diligantur a Deo. |
21. L’habitus
de la charité est requis en nous dans la mesure où nous aimons Dieu, ce qui
ne convient pas aux autres créatures, bien qu’elles soient toutes aimées par
Dieu. |
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[65994] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod nullum accidens est dignius
subiecto quantum ad modum essendi; quia substantia est ens per se, accidens
vero ens in alio. Sed in quantum accidens est actus et forma substantiae,
nihil prohibet accidens esse dignius substantia; sic enim comparatur ad ipsam
ut actus ad potentiam, et perfectio ad perfectibile; et sic est caritas
dignior anima. |
22. Aucun
accident n’est plus noble que le sujet quant à son mode d’existence ;
parce que la substance est étant par soi, mais l’accident est étant par un
autre. Mais dans la mesure où l’accident est acte et forme de la substance,
rien n’empêche l’accident d’être plus noble que la substance ; car ainsi
il se compare à elle comme l’acte à la puissance et comme la perfection au
perfectible ; et ainsi la charité est plus noble que l’âme. |
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[65995] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod licet lex qua diligimus Deum et
proximum, sit increata; tamen id quo formaliter Deum et proximum diligimus,
est aliquid creatum. Lex enim increata est prima mensura et regula nostrae dilectionis. |
23. Bien
que la loi par laquelle nous aimons Dieu et notre prochain soit incréée,
cependant ce par quoi nous aimons formellement Dieu et notre prochain est
quelque chose de créé. En effet, une loi incréée est la première mesure et la
première règle de notre amour. |
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[65996] De virtutibus, q. 2 a. 1
ad 24 Ad vicesimumquartum dicendum, quod caritas resuscitat spiritualiter
mortuos, formaliter, sed non effective; unde non oportet quod sit virtutis
infinitae; sicut nec anima Lazari, quae formaliter Lazarum resuscitavit, in
quantum, per unionem eius ad corpus, Lazarus est resuscitatus. |
24. La
charité ressuscite les morts spirituellement, formellement, mais pas
effectivement ; il ne faut donc pas qu’elle soit d’un pouvoir
infini ; ainsi ce n’est pas l’âme de Lazare qui a ressuscité Lazare
formellement, c’est dans la mesure de son union à son corps, que Lazare est
ressuscité. |
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[65997] De virtutibus, q.
2 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum caritas sit virtus |
Article 2 – La charité est-elle une vertu ? |
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[65998] De virtutibus, q.
2 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non. |
Objections :[36] Il semble que non. |
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[65999] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 1 Virtus enim est circa difficile, secundum philosophum in VI
Ethic. Sed caritas non est circa difficile, quinimmo, ut Augustinus dicit in
Lib. de verbis domini [Sermo IX] : Omnia gravia et immania, facilia et prope
nulla facit amor. Ergo caritas non est virtus. |
1. Car la vertu concerne
ce qui est difficile, selon le philosophe (Éthique, VI) mais la charité ne concerne pas ce qui est
difficile, bien plus, comme Augustin le dit dans Les paroles du Seigneur : « L’amour rend facile tout ce qui est lourd et monstrueux et [le
réduit] à presque rien».
Donc la charité n’est pas une vertu. |
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[66000] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 2 Sed dicebatur, quod
illud quod est virtutis, est difficile in principio, sed facile est in fine.-
Sed contra, in principio nondum est
virtus. Si igitur solum in principio sit difficile, virtus non erit circa
difficile. |
2. Mais on pourrait dire que ce qui concerne
la vertu est difficile en son commencement, mais facile en sa fin. - En sens contraire, au commencement, il n’y a
pas encore de vertu. Donc si c’était difficile seulement au commencement, la
vertu ne sera pas pour ce qui est difficile. |
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[66001] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 3 Praeterea, difficultas in virtutibus accidit ex contrarietate;
inde enim fit difficile temperantiam servare propter contrarias
concupiscentias. Sed caritas est circa summum bonum, cui non est aliquid
contrarium. Ergo id quod est caritatis, non est difficile neque in fine neque
in principio. |
3. La difficulté dans les
vertus vient de la contrariété ; de là il devient en effet difficile de
conserver la tempérance à cause des concupiscences contraires. Or la charité
concerne le bien suprême, pour laquelle il n’y a rien de contraire. Donc ce
qui concerne la charité n’est pas difficile, ni dans la fin, ni au
commencement. |
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[66002] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 4 Praeterea, diligere vel amare quoddam velle est. Sed apostolus
dicit, Rom. VII, 18 : Velle adiacet
mihi. Ergo diligere adiacet nobis; non ergo ad hoc aliqua virtus
caritatis requiritur. |
4. Aimer[37]
est un certain vouloir. Or l’apôtre dit (Rm
7, 18) : Vouloir est à ma portée.
Donc aimer est à notre portée; donc ce n’est pas pour cela qu’une vertu de
charité est requise. |
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[66003] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 5 Praeterea, in mente nostra non est nisi intellectus et
appetitus. Sed intellectus elevatur in Deum per fidem, affectus
per spem. Non ergo oportet ponere tertiam virtutem caritatis ad elevandum
mentem in Deum. |
5. Dans notre esprit il
n’y a que l’intellect et l’appétit. Or l’intellect est élevé en Dieu par la
foi, l’affection par l’espérance. Donc il ne faut pas placer en troisième la
vertu de charité pour élever l’esprit en Dieu. |
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[66004] De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 6 Sed dicendum, quod spes elevat, sed
non coniungit; unde necessaria est caritas, quae coniungat.- Sed contra, spes, quia non coniungit,
semper distantis est; unde illis qui per beatitudinis fruitionem coniunguntur
Deo, non congruit spes. Si ergo caritas coniungit, pari ratione non competit
illis qui nondum sunt coniuncti, scilicet existentibus in via. Sed virtus
perficit nos in via; est enim dispositio perfecti ad optimum. Ergo caritas
non est virtus. |
6. Mais il faut dire que l’espérance élève, mais n’unit pas, c'est
pourquoi la charité source d’union est nécessaire. Mais en sens contraire, l’espérance, parce qu’elle n’unit pas, est
toujours éloignée, c'est pourquoi chez ceux qui sont unis à Dieu par la
fruition de la béatitude, l’espérance ne se rencontre pas. Donc si la charité
unit, à raison égale, elle ne convient pas à ceux qui ne sont pas encore
unis, à savoir à ceux qui sont dans la voie. Or la vertu nous rend parfaits
dans la voie, car c’est la disposition du parfait pour le meilleur. Donc la
charité n’est pas une vertu. |
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[66005] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 7 Praeterea, gratia sufficienter coniungit nos Deo. Non
igitur requiritur virtus caritatis ad hoc quod per ipsam Deo coniungamur. |
7. La grâce nous unit suffisamment
à Dieu. Donc la vertu de charité n’est pas requise pour que nous soyons unis
à Dieu par elle. |
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[66006] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 8 Praeterea, caritas est quaedam amicitia hominis ad Deum. Sed
amicitia hominis ad hominem non numeratur a philosophis inter virtutes
politicas. Ergo nec caritas Dei debet numerari inter virtutes theologicas. |
8. La charité est une
amitié de l’homme pour Dieu[38].
Or l’amitié de l’homme pour l’homme n’est pas comptée par les philosophes
parmi les vertus politiques[39].
Donc la charité non plus ne doit pas être comptée parmi les vertus
théologales. |
|
[66007] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 9 Praeterea, nulla passio est virtus. Amor est passio. Ergo non
est virtus. |
9. Aucune passion n’est
une vertu. L’amour est une passion. Donc ce n’est pas une vertu. |
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[66008] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 10 Praeterea, virtus est in medio secundum philosophum. Sed
caritas non est in medio; quia in amore Dei non potest esse aliquid
superfluum. Ergo caritas non est virtus. |
10. La vertu est dans l’intermédiaire
selon le philosophe[40].
Or la charité n’est pas dans l’intermédiaire; parce que dans l’amour de Dieu
il ne peut y avoir rien de superflu. Donc la charité n’est pas une vertu. |
|
[66009] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 11 Praeterea, affectus est magis corruptus per peccatum quam
intellectus; quia peccatum in voluntate est, ut Augustinus dicit De duabus animabus, cap. X et XI,. Sed
intellectus noster non potest Deum videre immediate per seipsum in statu
viae. Ergo nec affectus noster potest diligere Deum immediate per seipsum in
statu viae. Sed diligere Deum per seipsum attribuitur caritati. Ergo caritas
non debet inter virtutes quae perficiunt nos in via numerari. |
11. L’affection est plus
corrompue par le péché que l’intellect ; parce que le péché est dans la
volonté, comme le dit Augustin (Les
deux âmes, X et XI). Or notre intellect ne peut pas voir Dieu sans
intermédiaire par lui-même dans le statut de la voie. Donc notre affection ne
peut pas aimer Dieu sans intermédiaire par lui-même dans le statut de la
voie. Or aimer Dieu par lui-même est attribué à la charité. Donc la charité
ne doit pas être comptée parmi les vertus qui nous perfectionnent dans la
voie. |
|
[66010] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 12 Praeterea, virtus est ultimum de potentia rei, ut dicitur in I
de Caelo [III,c. 2]. Sed
delectatio est ultimum quod pertinet ad affectum. Ergo magis delectatio debet esse
virtus quam amor. |
12. La vertu est le
dernier degré de la puissance, comme il est dit (Le ciel, 1, 3, 281 a 25). Or le plaisir est le dernier degré qui
convient à l’affection. Donc la vertu doit être plus le plaisir que l’amour[41]. |
|
[66011] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 13 Praeterea, omnis virtus habet debitum modum; unde dicit
Augustinus [in lib. de natura Boni,
cependant. III et IV], quod peccatum, quod opponitur virtuti, est privatio
modi, speciei et ordinis. Sed caritas non habet modum; quia, sicut dicit
Bernardus [in lib. de diligendo Deo],
modus caritatis est sine modo diligere. Ergo caritas non est virtus. |
13. Toute vertu a une
mesure obligée; c'est pourquoi Augustin (La
nature du Bien, 3 et 4) dit que le péché, qui est opposé à la vertu, est
la privation de mesure, de beauté et d’ordre. Or la charité n’a pas de mesure
; parce que, comme le dit Bernard (L’amour
de Dieu), la mesure de la charité c’est aimer sans mesure. Donc la
charité n’est pas une vertu. |
|
[66012]
De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 14 Praeterea, una virtus non denominatur ab
alia; quia omnes species eiusdem generis ex opposito dividuntur. Sed
caritas denominatur ab aliis virtutibus; dicitur enim I ad Corinth. XIII,
4 : Patiens est, benigna caritas est.
Ergo caritas non est virtus. |
14. Une vertu ne tire pas
son nom d’une autre ; parce que toutes les espèces d’un même genre sont
séparées par opposition. Or la charité est dénommée par les autres
vertus ; car il est dit 1 Co 13,
4 : La charité est patiente,
bienveillante. Donc la charité n’est pas une vertu. |
|
[66013]
De virtutibus, q. 2 a. 2 arg. 15 Praeterea, secundum philosophum in VIII
Ethic. [cap.
VIII], amicitia in quadam aequalitate consistit. Sed Dei ad nos est maxima
inaequalitas, sicut infinite distantium. Ergo non potest esse amicitia Dei ad
nos, vel nostri ad Deum; et ita caritas, quae huiusmodi amicitiam designat,
non videtur esse virtus. |
15. Selon le
philosophe (Éthique, VIII, 1055 a
32) l’amitié consiste en une certaine égalité. Or, de Dieu à nous,
l’inégalité est très grande, pour ainsi dire de distance infinie. Donc il ne
peut pas y avoir d’amité de Dieu pour nous[42],
ou de nous pour Dieu ; et ainsi la charité qui désigne une amitié de ce
genre ne semble pas être une vertu. |
|
[66015] De virtutibus, q.
2 a. 2 arg. 17 Praeterea, amor est excellentius timore. Sed timor, propter
sui excellentiam, non est virtus, sed donum, quod est excellentius virtute.
Ergo neque caritas est virtus, sed donum. |
17. L’amour est bien
meilleur que la crainte. Or celle-ci à cause de son excellence n’est pas une
vertu, mais un don, qui est bien meilleur que la vertu. Donc la charité n’est
pas une vertu mais un don. |
|
[66016]
De virtutibus, q. 2 a. 2 s. c. Sed contra, praecepta legis sunt de actibus
virtutum. Sed actus caritatis praecipitur in lege; dicitur enim Matth. XXII,
37, quod primum et maximum mandatum est : Dilige
Dominum Deum tuum. Ergo
caritas est virtus. |
En sens contraire : Les préceptes de la loi concernent les actes
de vertu. Or l’acte de charité est ordonné dans la loi; car en Mt 22, 37, il est dit qu’il est le
premier et le plus grand des commandements : Aime le Seigneur ton Dieu. Donc la charité est une vertu. |
|
[66017] De virtutibus, q. 2 a. 2
co. Respondeo. Dicendum, quod caritas absque dubio virtus est. Cum enim
virtus sit quae bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit; manifestum
est quod secundum propriam virtutem homo ordinatur ad proprium bonum.
Proprium autem bonum hominis oportet diversimode accipi, secundum quod homo
diversimode accipitur. Nam proprium bonum hominis in quantum homo, est bonum
rationis, eo quod homini esse est rationale esse. Bonum autem hominis
secundum quod est artifex, est bonum artis; et sic etiam secundum quod est
politicus, est bonum eius bonum commune civitatis. |
Réponse : La charité est une vertu, à cela il n’y a aucun
doute. En effet comme la vertu rend bon celui qui la possède et rend son
oeuvre bonne, il est évident que c’est par sa propre vertu que l’homme est
ordonné à son bien propre. Or le bien propre de l’homme doit être entendu de
différentes manières, selon que l’homme est compris de différentes manières.
Car le bien propre de l’homme, en tant que tel, est le bien de la raison, du
fait que l’être de l’homme est un être raisonnable. Le bien de l’homme selon
qu’il est artisan est le bien de son art ; et aussi selon qu’il est homme
politique, c’est le bien commun de la cité[43].
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Cum
ergo virtus operetur ad bonum; ad virtutem cuiuslibet requiritur quod sic se
habeat quod ad bonum bene operetur, id est voluntarie et prompte et
delectabiliter, et etiam firmiter : hae enim sunt conditiones operationis
virtuosae, quae non possunt convenire alicui operationi, nisi operans amet
bonum propter quod operatur, eo quod amor est principium omnium voluntariarum
affectionum. Quod enim amatur, desideratur dum non habetur, et delectationem
infert quando habetur et tristitiam ingerunt ea quae ad habendo amatum
impediunt. Ea
etiam quae ex amore fiunt, et firmiter et prompte et delectabiliter fiunt. Ad
virtutem igitur requiritur amor boni ad quod virtus operatur. Bonum autem ad
quod operatur virtus quae est hominis in quantum homo, est homini
connaturale; unde voluntati eius naturaliter inest huius boni amor, quod est bonum
rationis. Sed si accipiamus virtutem hominis secundum aliquam
aliam considerationem non naturalem homini, oportebit ad huiusmodi virtutem
amorem illius boni, ad quod talis virtus ordinatur, esse aliquid superadditum
circa naturalem voluntatem. Non enim artifex bene operatur nisi superveniat
ei amor boni quod per operationem artis intenditur; unde philosophus dicit in
VIII Polit.[cap. 1], quod ad hoc quod aliquis sit bonus politicus, requiritur
quod amet bonum civitatis. |
Donc puisque la vertu
opère pour le bien, il est requis pour la vertu de n’importe qui de se
comporter de manière à parfaitement opérer pour le bien, c’est-à-dire
volontairement, promptement et avec plaisir, et aussi avec fermeté. Ce sont
en effet là les conditions de l’opération vertueuse, qui ne peuvent convenir
à quelque opération que si celui qui opère aime le bien pour lequel il agit,
parce que l’amour est le principe de toutes les affections volontaires. En
effet ce qu’on aime, on le désire quand on ne l’a pas et il apporte le plaisir
quand on l’a, et ce qui en empêche la possession engendre la tristesse. Aussi
ce qui est fait par amour se fait avec fermeté, promptitude et plaisir. Donc
est requis pour la vertu l’amour du bien pour lequel la vertu agit. Or le
bien pour lequel opère la vertu qui est de l’homme en tant que tel lui est
connaturel; c'est pourquoi l’amour de ce bien qui est le bien de la raison
est naturellement en sa volonté. Mais si nous concevons la vertu de l’homme
selon une autre considération non naturelle à l’homme, il faudra pour une
vertu de ce genre que l’amour de ce bien auquel cette vertu est ordonnée soit
quelque chose de surajouté à la volonté naturelle. En effet l’artisan n’opère
bien que si lui arrive l’amour du bien qu’il poursuit par l’opération de son art.
C'est pourquoi le philosophe (Politique
VIII, 1) dit que pour être un bon politique, il est requis qu’on aime le
bien de la cité. |
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Si autem homo, in quantum
admittitur ad participandum bonum alicuius civitatis, et efficitur civis
illius civitatis; competunt ei virtutes quaedam ad operandum ea quae sunt
civium, et ad amandum bonum civitatis; ita cum homo per divinam gratiam
admittatur in participationem caelestis beatitudinis, quae in visione et
fruitione Dei consistit, fit quasi civis et socius illius beatae societatis,
quae vocatur caelestis Ierusalem secundum illud, Ephes. II, 19 : estis cives sanctorum et domestici Dei. |
Si donc l’homme, en tant qu’il est admis à
prendre part au bien d’une cité, est établi citoyen de cette cité, des vertus
lui incombent pour accomplir des actes de citoyen et pour aimer le bien de la
cité. Ainsi lorsque l’homme par la grâce divine est admis à participer à la
béatitude céleste qui consiste en la vision et en la jouissance de Dieu, il
devient comme le concitoyen et le compagnon de cette bienheureuse société qui
est appelée la Jérusalem céleste, selon ce qui est écrit (Eph 2, 19) : Vous êtes les
concitoyens des saints et de ceux qui font partie de la maison de Dieu. |
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Unde homini sic ad
caelestia adscripto competunt quaedam virtutes gratuitae, quae sunt virtutes
infusae; ad quarum debitam operationem praeexigitur amor boni communis toti
societati, quod est bonum divinum, prout est beatitudinis obiectum. Amare
autem bonum alicuius civitatis contingit dupliciter : uno modo ut habeatur;
alio modo ut conservetur. |
C'est pourquoi certaines vertus gratuites qui sont
des vertus infuses sont ainsi propres à l’homme inscrit sur la liste pour les
cieux; pour bien s’en acquitter, l’amour du bien commun est préexigé pour
toute la société, qui est le bien divin, dans la mesure où il est l’objet de
la béatitude. Mais aimer le bien d’une cité arrive de deux manières : a. pour
le posséder, b. pour le conserver. |
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Amare autem bonum alicuius
civitatis ut habeatur et possideatur, non facit bonum politicum; quia sic
etiam aliquis tyrannus amat bonum alicuius civitatis ut ei dominetur : quod
est amare seipsum magis quam civitatem; sibi enim ipsi hoc bonum concupiscit,
non civitati. Sed amare bonum civitatis ut conservetur et defendatur, hoc est
vere amare civitatem; quod bonum politicum facit : in tantum quod aliqui
propter bonum civitatis conservandum vel ampliandum, se periculis mortis
exponant et negligant privatum bonum. |
Mais aimer le bien d’une cité pour avoir ou
posséder ne fait pas le bien politique : parce qu’ainsi un tyran aussi aime
le bien de la cité pour la dominer, ce qui est s’aimer soi-même plus que la
cité ; car il convoite ce bien pour lui et non pour la cité. Mais aimer le
bien de la cité pour le conserver et le défendre, c’est là vraiment aimer la
cité ; ce que fait le bon politique, en tant que certains s’exposent aux
périls de mort pour conserver le bien de la cité et le développer, et
négligent leur bien privé. |
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Sic igitur amare bonum
quod a beatis participatur ut habeatur vel possideatur, non facit hominem
bene se habentem ad beatitudinem, quia etiam mali illud bonum concupiscunt;
sed amare illud bonum secundum se, ut permaneat et diffundatur, et ut nihil
contra illud bonum agatur, hoc facit hominem bene se habentem ad illam societatem
beatorum. Et haec est caritas, quae Deum per se diligit, et proximos qui sunt
capaces beatitudinis, sicut seipsos; et quae repugnat omnibus impedimentis et
in se et in aliis; unde nunquam potest esse cum peccato mortali, quod est
beatitudinis impedimentum. Sic igitur patet quod caritas non solum est
virtus, sed potissima virtutum. |
Ainsi donc, aimer le bien
auquel les bienheureux participent pour l’avoir et le posséder, ne rend pas
l’homme bien disposé pour la béatitude, parce que les méchants aussi convoitent
ce bien; mais l’aimer selon ce qu’il est, pour qu’il demeure et soit répandu,
et pour que rien ne soit fait contre lui, c’est ce qui rend l’homme bien
disposé pour cette société de bienheureux. Et telle est la charité qui aime
Dieu par soi, et [qui aime] comme soi-même le prochain, qui est capable
[d’obtenir] la béatitude; et elle s’oppose à tous les obstacles et en
soi-même et dans les autres. C'est pourquoi elle ne peut jamais exister avec
le péché mortel, qui est un empêchement pour la béatitude. Ainsi donc la
charité est non seulement une vertu mais la plus grande des vertus. |
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[66018] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtus est circa illud quod in se
difficile est, sed tamen habenti virtutem fit facile. |
Solutions : 1. La vertu est pour ce
qui en soi est difficile, mais pourtant pour celui qui la possède elle
devient facile. |
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[66019]
De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 2 Et per hoc patet etiam solutio ad secundum. Non enim probat : manet
enim, quantum in se est, difficile illud circa quod est virtus, adveniente
virtute, sed quod facile fiat virtuoso, hoc est ex perfectione virtutis. |
2. Par là paraît la
solution à la seconde objection. Car [la vertu] n’apporte pas de
preuve ; en effet pour ce qui la concerne, ce qui accompagne la vertu, à ses
débuts, demeure difficile, mais ce qui devient facile pour l’homme vertueux
vient de la perfection de la vertu. |
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[66020] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 3 Ad tertium dicendum, quod difficultas non solum est ex
contrarietate, sed etiam est ex excellentia obiecti; sic enim aliquid dicitur
esse difficile ad intelligendum quoad nos propter excellentiam
intelligibilis, non propter aliquam contrarietatem. |
3. La difficulté ne vient
pas seulement de la contrariété, mais aussi de l’excellence de l’objet ;
car on dit aussi que quelque chose est difficile à comprendre, selon nous à
cause de la supériorité de l’intelligibilité, non à cause d’un empêchement. |
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[66021] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud velle quod adiacet nobis a natura,
est imperfectum et infirmum quantum ad spiritualia et gratuita; unde et
apostolus ibidem subdit : Non enim quod
volo bonum, hoc ago; et ideo requiritur auxilium gratuiti doni. |
4. Ce vouloir qui se situe
près de nous par nature est imparfait et faible, pour ce qui est spirituel et
gratuit ; c'est pourquoi l’apôtre là-même ajoute : En effet ce que je veux de bien, je ne le fais pas et c'est
pourquoi l’aide d’un don gratuit est requise. |
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[66022]
De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 5 Ad quintum dicendum, quod spes elevat affectum
hominis in summum bonum ut adipiscendum; sed super hoc requiritur quod illud
bonum ametur ad bonum esse hominis, ut supra, in corp. art., dictum est. |
5. L’espérance élève
l’affection de l’homme au souverain bien pour l’obtenir, mais au-dessus de
cela il est requis que ce bien soit aimé pour le bien de l’être de l’homme,
comme on l’a dit dans le corps de l’article. |
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[66023] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod de ratione caritatis seu amoris est,
quod coniungat secundum affectum; quae scilicet coniunctio intelligitur
quantum ad hoc quod homo amicum reputat quasi alterum se, et vult ei bonum
sicut et sibi. Sed coniungere secundum rem, non est de ratione caritatis, et
ideo potest esse et habiti et non habiti. Sed non
habitum facit desiderare; in habito vero, facit delectari. |
6. Il est de la nature de
la charité ou de l’amour d’unir selon l’affection ; laquelle union est
comprise quant à ce que l’homme considère l’ami comme un autre lui-même et
lui veut du bien comme à lui-même. Mais unir en réalité n’est pas de la
nature de la charité, et c'est pourquoi ce peut être pour celui qui la
possède ou non. Mais ce qu’on ne possède pas provoque le désir, tandis que
dans ce qu’on possède, on trouve le plaisir. |
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[66024] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod gratia coniungit nos Deo per modum
assimilationis; sed requiritur quod uniamur ei per operationem intellectus et
affectus, quod fit per caritatem. |
7. La grâce nous unit à
Dieu par mode de ressemblance, mais il est requis que nous soyons unis à lui
par une opération de l’esprit et de l’affection, ce qui se fait par charité. |
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[66025] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod amicitia non ponitur virtus, sed
consequens virtutem; quia ex hoc ipso quod aliquis habet virtutem et amat
bonum rationis, consequitur ex ipsa inclinatione virtutis quod diligat sibi
similes, scilicet virtuosos, in quibus bonum rationis viget. Sed amicitia
quae est ad Deum, in quantum est beatus et beatitudinis auctor, oportet
praestitui ad virtutes quae in illam beatitudinem ordinant; et ideo, cum non
sit consequens ad alias virtutes, sed praeambulum, ut ostensum est, oportet
quod ipsa sit per se virtus. |
8. L’amitié n’est pas
considérée comme vertu mais comme ce qui l’accompagne ; parce que du
fait que quelqu’un a la vertu et aime le bien de raison, il en découle par
l’inclination de la vertu qu’il aime ses semblables, c'est-à-dire les
vertueux, en qui le bien de raison a de la force. Mais l’amitié qui est pour
Dieu en tant qu’il est bienheureux et auteur de la béatitude, doit être fixée
d’avance pour les vertus qui mettent en rapport à cette béatitude ; et
c'est pourquoi comme elle n’accompagne pas les autres vertus, mais qu'elle
est le préambule, comme on l’a montré, il faut qu’elle soit vertu par soi. |
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[66026] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod amor, secundum quod est in sensitiva
parte, est passio : qui quidem amor est boni secundum sensum. Talis autem
amor non est amor caritatis; unde ratio non sequitur. |
9. L’amour, selon qu’il
est dans la partie sensitive, est une passion ; c’est amour du bien
selon la sensation. Mais un tel amour n’est pas l’amour de charité ;
c'est pourquoi la raison n’est pas valable. |
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[66027] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod hoc quod dicit philosophus, virtutem
esse in medio; intelligitur de virtutibus moralibus; non autem est verum de
virtutibus theologicis, inter quas est caritas, ut alibi, quaest. praeced.,
art. 10, ostensum est. |
10. Ce que dit le
philosophe, que la vertu est en intermédiaire, est compris des vertus
morales, mais ce n’est pas vrai des vertus théologales parmi lesquelles il y
a la charité, comme ailleurs (question précédente, a. 10) on l’a montré. |
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[66028]
De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod bonum intellectum
movet voluntatem; et ideo licet intellectus per aliqua media Deum intelligat
ut summum bonum, ex hoc ipso movet voluntatem, ut sic possit immediate amari,
licet per media cognoscatur : quia hoc ipsum quo determinatur cognitio intellectus,
movet affectum. |
11. Le bien
intellectuel meut la volonté, et ainsi, bien que l’intellect comprenne Dieu
comme le souverain bien, par des intermédiaires, il meut la volonté par ce
fait même qu'il peut ainsi être aimé sans intermédiaire, bien qu’il soit
connu par des intermédiaires, parce que ce par quoi est limitée la
connaissance intellectuelle, met en mouvement l’affection. |
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[66029]
De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod delectatio non
importat operationem, sed aliquid consequens ad operationem; unde, cum virtus
sit operationis principium, delectatio non ponitur inter virtutes, sed inter
fructus, ut patet Galat. V,
22 : Fructus autem spiritus est
caritas, gaudium, pax, patientia. |
12. Le plaisir n’apporte
pas d’opération, mais quelque chose qui accompagne l’opération ; c'est
pourquoi comme la vertu est le principe de l’opération, le plaisir n’est pas
placé parmi les vertus, mais parmi les fruits ; comme on le voit dans Gal 5, 22 : Le fruit de l’esprit c’est la charité, la joie, la paix, la patience. |
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[66030] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod obiectum caritatis transcendit
omnem facultatem humanam, scilicet Deus; unde quantumcumque voluntas humana
conetur ad amandum Deum, non potest attingere ut amet eum quantum est
amandus. Et ideo dicitur non habere modum caritas, quia non est aliquis
terminus fixus divinae dilectionis ultra quem, si diligatur, sit contra
rationem virtutis, sicut accidit in virtutibus moralibus, quae consistunt in
medio; hoc enim ipsum quod est non habere sic modum, est caritatis modus. Ex
hoc igitur non potest concludi quod caritas non sit virtus; sed quod non
consistat in medio, sicut virtutes morales. |
13. L’objet de
la charité, à savoir Dieu, transcende toute faculté humaine; c'est pourquoi
chaque fois que la volonté humaine s’efforce d’aimer Dieu, elle ne peut pas
parvenir à l’aimer autant qu’il doit l’être. Et c'est pourquoi on dit que la
charité n’a pas de mesure, parce qu’il n’y a pas un terme fixe de l’amour
divin au-delà duquel, s’il est aimé, c’est contre la nature de la vertu,
comme il arrive dans les vertus morales, qui s’établissent dans
l’intermédiaire ; car cela même qui consiste à ne pas avoir de mesure,
est la mesure de la charité. Par cela donc, on peut conclure non que la
charité ne soit pas une vertu, mais qu’elle ne consiste pas en un
intermédiaire comme les vertus morales. |
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[66031] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod caritas dicitur patiens et
benigna, quasi denominata ab aliis virtutibus, in quantum producit actus
omnium virtutum. |
14. On dit que la charité
est patiente et bienveillante, comme dénommée à partir des autres vertus en
tant qu’elle produit les actes de toutes les vertus. |
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[66032] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non est virtus hominis
in quantum est homo, sed in quantum per participationem gratiae fit Deus et
filius Dei, secundum illud I Ioan. III, 1 : Videte qualem caritatem dedit nobis pater, ut filii Dei nominemur et
simus. |
15. La charité n’est pas
la vertu de l’homme en tant qu’homme, mais en tant que par la participation
de la grâce, il devient Dieu et fils de Dieu, selon cette parole de 1 Jn 3, 1 : Voyez quelle charité le Père nous a donnée, pour que nous soyons
appelés fils de Dieu et nous le sommes. |
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[66033] De virtutibus, q.
2 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod amor summi boni, prout est
principium esse naturalis, inest nobis a natura; sed prout est obiectum
illius beatitudinis quae totam capacitatem naturae creatae excedit, non inest
nobis a natura, sed est supra naturam. |
16 L’amour du souverain
bien est le principe de l’être naturel, dans la mesure où il est en nous par
nature, mais dans la mesure où il est l’objet de cette béatitude qui dépasse
toute la capacité de la nature, il n’est pas en nous par nature, mais il est
au-dessus de la nature. |
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[66034]
De virtutibus, q. 2 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod dona
perficiunt virtutes elevando eas supra modum humanum, sicut donum intellectus
virtutem fidei, et donum timoris virtutem temperantiae in recedendo a
delectabilibus ultra humanum modum. Sed circa amorem Dei non inest aliqua imperfectio,
quam oporteat per aliquod donum perfici; unde caritas non ponitur donum
virtutis, quae tamen excellentior est omnibus donis. |
17. Les dons rendent
parfaites les vertus en les élevant au-dessus du mode humain, comme le don
d’intelligence, la vertu de foi, et le don de crainte, la vertu de
tempérance, en éloignant de ce qui est délectable au-delà de la mesure
humaine. Mais pour l’amour de Dieu, il n’y a aucune imperfection, qu’il
faudrait achever par un don ; c'est pourquoi la charité n’est pas placée
comme don de vertu, elle qui cependant est plus excellente que tous les dons. |
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[66035] De virtutibus, q. 2 a. 3 tit. 1
Tertio quaeritur utrum caritas sit forma virtutum |
Article 3 – La charité est-elle la forme des vertus ? |
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[66036] De virtutibus, q. 2 a. 3
tit. 2 Et videtur quod non. |
Il semble que non. |
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[66037] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 1 Forma enim
dat esse et speciem ei cuius est forma. Sed caritas non dat esse et speciem
cuilibet virtuti. Ergo caritas non est forma aliarum virtutum. |
Objections :[44] 1. Car la forme donne
l’être et l’espèce à ce dont elle est la forme. Or la charité ne donne à
n’importe quelle vertu ni l’être ni l’espèce. Donc la charité n’est pas la
forme des autres vertus. |
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[66038] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 2 Praeterea, formae non est forma. Sed omnes virtutes sunt formae; sunt
enim perfectiones quaedam. Ergo caritas non est forma virtutum. |
2. La forme ne vient pas
d’une forme. Or toutes les vertus sont des formes, car elles sont des
perfections. Donc la charité n’est pas la forme des vertus. |
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[66039] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 3 Praeterea, forma cadit in definitione eius cuius est forma. Sed
caritas non cadit in definitione virtutum. Ergo caritas non est forma
virtutum. |
3. La forme tombe dans la
définition de ce dont elle est la forme. Or la charité ne tombe pas dans la
définition des vertus. Donc la charité n’est pas la forme des vertus. |
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[66040] De virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 4 Praeterea, ea
quae dividuntur ex opposito, non ita se habent, quod unum sit forma alterius.
Sed caritas ex opposito dividitur aliis virtutibus, ut patet I ad Cor.
XIII, 13 : Nunc autem manent fides, spes, caritas,
tria haec. Ergo caritas non est forma virtutum. |
4. Ce qui est séparé par
un contraire ne se comporte pas de sorte que l’un soit la forme de l’autre.
Or la charité est séparée des autres vertus par opposé, comme on le voit en 1 Co 13, 13 : Mais maintenant demeurent la foi, l’espérance et la charité, ces
trois-là. Donc la charité n’est pas la forme des vertus. |
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[66041] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 5 Sed dicendum, quod caritas
non est forma intrinseca virtutum, sed exemplaris.- Sed contra, exemplatum trahit speciem ab exemplari. Si igitur
caritas est forma exemplaris omnium virtutum, omnes virtutes trahunt speciem
ab ipsa. Ergo omnes virtutes essent unius speciei; quod est falsum. |
5. Il faut dire que la charité n’est pas la forme intrinsèque des
vertus, mais leur forme exemplaire. – En sens
contraire, l’image tire son espèce de l’exemplaire. Si donc la charité est
la forme exemplaire de toutes les vertus, elles tirent leur espèce d’elle.
Donc toutes les vertus sont d’une seule espèce, ce qui est faux. |
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[66042] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 6 Praeterea, forma exemplaris est ad quam aliquid fit. Non ergo est
necessaria nisi ad hoc quod res fiat. Si ergo caritas est forma exemplaris
virtutum, non erit necessaria caritas nisi ad generationem virtutum. Et ideo
virtutibus habitis, non erit necessarium habere caritatem; quod patet esse
falsum. |
6. La forme exemplaire est
pour celle à laquelle quelque chose est fait. Donc elle n’est nécessaire que
pour que la chose soit faite. Si donc la charité est la forme exemplaire des
vertus, la charité ne sera nécessaire que pour la génération des vertus. Et
ainsi une fois les vertus possédées, il ne sera pas nécessaire d’avoir la
charité, ce qui apparaît comme faux. |
|
[66043] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 7 Praeterea, exemplar est necessarium facienti, non autem utenti iam
facto; sicut exemplar est necessarium ad transcribendum librum, non autem ad
utendum libro iam scripto. Si igitur caritas est forma exemplaris virtutum,
non competit nobis, qui virtutibus utimur, sed Deo, qui in nobis virtutes
operatur. |
7. L’exemplaire est
nécessaire à celui qui fait, mais pas à celui qui se sert de ce qui est fait.
De même l’exemplaire est nécessaire pour transcrire un livre, mais non pour
se servir du livre déjà écrit. Si donc la charité est la forme exemplaire des
vertus, elles ne nous convient pas à nous qui utilisons les vertus mais à
Dieu qui les opère en nous. |
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[66044] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 8 Praeterea, exemplar potest esse sine exemplato. Si igitur caritas sit
forma exemplaris virtutum, sequitur quod possit esse sine aliis virtutibus;
quod est falsum. |
8. L’exemplaire peut
exister sans image. Si donc la charité est la forme exemplaire des vertus, il
en découle qu’elle pourrait être sans les autres vertus ; ce qui est
faux. |
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[66045] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 9 Praeterea, quaelibet virtus habet formam a suo fine et obiecto. Quod
autem est per se formatum, non indiget formari ab alio; et ita caritas non
est forma virtutum. |
9. N’importe quelle vertu
tient sa forme de sa fin et de son objet. Mais ce qui est mis en forme par
soi, n’a pas besoin d’être mis en forme par un autre, et ainsi la charité
n’est pas la forme des vertus. |
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[66046] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 10 Praeterea, natura semper facit quod melius est. Multo igitur magis
Deus. Sed melius est aliquid esse formatum quam informe. Cum igitur virtutes
in nobis operetur Deus, videtur quod faciat eas formatas; et ita non indigent
formari a caritate. |
10. La nature fait
toujours ce qui est meilleur. Donc Dieu beaucoup plus. Or est meilleur un
être en forme qu’un être sans forme. Donc comme Dieu opère en nous les
vertus, il semble qu’il les mette en forme, et ainsi elles n’ont pas besoin
d’être mises en forme par la charité. |
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[66047] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 11 Praeterea, fides est quoddam spirituale lumen. Sed lumen est forma
eorum quae videntur in lumine. Ergo, sicut lux corporalis est forma colorum,
sic fides est forma caritatis et aliarum virtutum; non autem caritas. |
11. La foi est une
certaine lumière spirituelle. Or la lumière est la forme de ce qui est vu
dans la lumière. Donc de même que la lumière corporelle est la forme des
couleurs, la foi est la forme de la charité et des autres vertus, mais pas la
charité. |
|
[66048] De
virtutibus, q. 2 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo perfectionum est secundum
ordinem perfectibilium. Sed virtutes sunt perfectiones potentiarum animae.
Ergo secundum ordinem potentiarum est ordo virtutum. Sed inter alias
potentias animae altior est intellectus ipsa voluntate. Ergo et
fides est altior caritate; et ita fides magis est forma caritatis quam e
converso. |
12. L’ordre des
perfections dépend de l’ordre des perfectibles. Or les vertus sont les
perfections des puissances de l’âme. Donc l’ordre des vertus dépend de
l’ordre des puissances. Or parmi les autres puissances de l’âme, l’intellect
est plus haut que la volonté. Donc la foi aussi est plus haute que la
charité, et ainsi la foi est plus la forme de la charité que le contraire. |
|
[66049] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 13 Praeterea, sicut se habent virtutes morales ad invicem, ita et
theologicae. Sed prudentia, quae est in vi cognitiva, informat alias virtutes
quae sunt in vi appetitiva, scilicet iustitiam, fortitudinem, temperantiam et
huiusmodi. Ergo et fides, quae in cognitiva est, informat caritatem, quae est
in appetitiva, et non e converso. |
13. De la même manière que
les vertus morales se comportent entre elles, se comportent aussi les vertus
théologales. Or la prudence, qui est dans la force cognitive, met en forme
les autres vertus qui sont dans la force appétitive, à savoir la justice, la
force, la tempérance etc. Donc la foi aussi qui est dans la partie cognitive,
met en forme la charité, qui est dans la partie appétitive, et non à
l’inverse. |
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[66050] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 14 Praeterea, forma virtutis est modus eius. Sed rationis est imponere
modum appetitui, et non e converso. Ergo fides, quae est in ratione, magis
est forma caritatis, quae est in parte appetitiva, quam e converso. |
14. La forme de la vertu
est son mode. Or c’est le propre de la raison d’imposer un mode à l’appétit,
et non le contraire. Donc la foi, qui est dans la raison, est plus une forme
de la charité, qui est dans la partie appétitive, que le contraire. |
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[66051] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 15 Praeterea, Matth. I, 2, super illud, Abraham genuit Isaac, Isaac genuit Iacob, dicit Glossa, quod
fides genuit spem et spes caritatem. Sed omne
genitum recipit formam a generante. Ergo caritas recipit formam a fide
et spe, et non e converso. |
15. Mt 1, 2, sur ce verset : Abraham
a enfanté Isaac, Isaac a enfanté Jacob, la glose dit que la foi a
engendré l’espérance et l’espérance la charité. Or tout ce qui est engendré
reçoit sa forme de celui qui l’engendre. Donc la charité reçoit la forme de
la foi et de l’espérance, et non le contraire. |
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[66052] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 16 Praeterea, in uno et eodem, potentia praecedit actum tempore. Si
igitur caritas comparetur ad alias virtutes ut actus et forma, sequetur quod
aliae virtutes prius tempore sint in homine quam caritas; quod est falsum. |
16. Dans un seul et même
objet la puissance précède temporellement l’acte. Si donc la charité est
comparée aux autres vertus comme l’acte et la forme, il en découle que les
autres vertus sont temporellement dans l’homme avant la charité ; ce qui
est faux. |
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[66053] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 17 Praeterea, informatio in moralibus est ex fine. Sed omnes virtutes
ordinantur, sicut in finem ultimum, in visionem Dei, quae est tota merces, ut
Augustinus dicit, et quae succedit fidei. Ergo omnes aliae virtutes formam
recipiunt ex fine fidei; et sic videtur quod fides sit forma caritatis magis
quam e converso. |
17. La mise en forme dans
le domaine moral provient de sa fin. Or toutes les vertus sont ordonnées
comme à leur fin ultime à la vision de Dieu, qui est la récompense totale, comme
Augustin le dit, et qui succède à la foi. Donc toutes les autres vertus
reçoivent une forme de la fin de la foi : et ainsi il semble que la foi soit
la forme de la charité plus que le contraire. |
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[66054] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 18 Praeterea, finis efficiens et forma non incidunt in idem numero,
secundum philosophum in II Phys., text. 70. Sed caritas est finis virtutum et
motor earum. Ergo non est forma ipsarum. |
18. La fin efficiente et
la forme ne tombent pas dans le même en nombre, selon le philosophe (Physique, II, 7, 198 a 24). Or la
charité est la fin des vertus et leur moteur. Donc elle n’est pas leur forme. |
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[66055] De virtutibus, q. 2 a. 3
arg. 19 Praeterea, illud a quo est principium essendi, est forma. Sed
principium esse spiritualis est gratia, secundum illud 1 Corinth. c. XV, 10 :
Gratia Dei sum id quod sum. Ergo
gratia Dei est forma virtutum, et non caritas. |
19. Ce d’où vient le
principe d’être est une forme. Or le principe d’être spirituel est la grâce,
selon cette parole de 1 Co 15, 10 :
Je suis ce que je suis par la grâce de
Dieu. Donc la grâce de Dieu est la forme des vertus, et non la charité. |
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[66056] De virtutibus, q. 2 a. 3
s. c. Sed contra, est quod Ambrosius, lib. II In Lucam, dicit, quod caritas est forma et mater virtutum. |
En sens contraire : Il y a ce que dit Ambroise
(Luc. II) : «La charité est la
forme et la mère des vertus». |
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[66057] De virtutibus, q. 2 a. 3
co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est forma virtutum, motor et radix. |
Réponse : La charité est la forme
des vertus, leur moteur et leur racine. |
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Ad cuius evidentiam sciendum est,
quod de habitibus oportet nos secundum actus iudicare; unde quando id quod
est unius habitus, est ut formale in actu alterius habitus, oportet quod unus
habitus se habeat ad alium ut forma. In omnibus autem actibus voluntariis id
quod est ex parte finis, est formale : quod ideo est, quia unusquisque actus
formam et speciem recipit secundum formam agentis, ut calefactio secundum
calorem. |
Pour éclaircir cette question il faut savoir
qu’il est nécessaire que nous jugions des habitus selon leurs actes ; c'est
pourquoi lorsque ce qui est d’un seul habitus est comme formel dans l’acte
d’un autre habitus, il est nécessaire que l’un se comporte vis-à-vis de
l’autre comme une forme. Or dans tous les actes volontaires, ce qui est du
côté de la fin est formel ; la raison en est que chaque acte reçoit sa forme
et son espèce selon la forme de l’agent, comme l’échauffement vient de la
chaleur. |
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Forma autem voluntatis est
obiectum ipsius, quod est bonum et finis, sicut intelligibile est forma
intellectus; unde oportet quod id quod est ex parte finis, sit formale in
actu voluntatis. Unde idem specie actus, secundum quod ordinatur ad unum
finem, cadit sub forma virtutis; et secundum quod ordinatur ad alium finem,
cadit sub forma vitii; ut patet de eo qui dat eleemosynam vel propter Deum,
vel propter inanem gloriam. Actus enim unius vitii, secundum quod ordinatur
ad finem alterius vitii, recipit formam eius; utpote qui furatur ut
fornicetur, materialiter quidem fur est, formaliter vero intemperatus. |
La forme de la volonté est son objet parce
qu’il est le bien et la fin, comme l’intelligible est la forme de
l’intellect. C'est pourquoi il est nécessaire que ce qui est du côté de la
fin soit formel dans l’acte de la volonté. C'est pourquoi l’acte identique en
espèce, selon qu’il est ordonné à une seule fin, tombe sous la forme de la
vertu; et selon qu’il est ordonné à une autre fin, il tombe sous la forme du
vice, comme on le voit de celui qui fait l’aumône ou pour Dieu ou par vaine
gloire. Car l’acte d’un seul vice, selon qu’il est ordonné à la fin d’un
autre vice, endosse sa forme ; par exemple celui qui vole pour forniquer est
matériellement voleur et formellement intempérant. |
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Manifestum est autem quod actus
omnium aliarum virtutum ordinatur ad finem proprium caritatis, quod est eius
obiectum, scilicet summum bonum. Et de virtutibus quidem moralibus manifestum
est : nam huiusmodi virtutes sunt circa quaedam bona creata quae ordinantur
ad bonum increatum sicut ad ultimum finem. Sed de virtutibus aliis
theologicis idem manifestum est : nam ens increatum est quidem obiectum
fidei, ut verum; et in quantum est appetibile, habet rationem boni. Et sic
tendit fides in ipsum, in quantum est appetibile, cum nullus credat nisi
volens. Spei autem obiectum licet sit ens increatum, in quantum est bonum,
tamen dependet ab obiecto caritatis : est enim bonum, obiectum spei, in
quantum est desiderabile et consequibile : nullus enim desiderat consequi
aliquod bonum nisi per hoc quod amat ipsum. |
Il est évident que l’acte de toutes les
autres vertus est ordonné à la fin propre de la charité qui est son objet, à
savoir le bien suprême. Et c’est évident pour les vertus morales; car les
vertus de ce genre sont pour des biens créés qui sont ordonnés au bien incréé
comme à leur fin dernière. Mais pour les autres vertus théologales la même
chose est évidente ; car l’étant incréé est l’objet de la foi, comme vrai; et
en tant qu’il est désirable, il a nature de bien. Et ainsi la foi tend en lui,
en tant qu'il est désirable, puisque personne ne croit que s’il veut. Bien
que l’objet de l’espérance soit l’étant incréé en tant qu’il est bon,
cependant il dépend de l’objet de la charité ; en effet il est le bien, objet
d’espérance, en tant qu'il est désirable et peut être atteint ; personne en
effet ne désire obtenir un bien, sinon parce qu’il l’aime. |
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Unde manifestum est quod in
actibus omnium virtutum est formale id quod est ex parte caritatis; et pro
tanto dicitur forma omnium virtutum, in quantum scilicet omnes actus omnium
virtutum ordinantur in summum bonum amatum, ut ostensum est. Et quia
praecepta legis sunt de actibus virtutum; inde est quod apostolus dicit, I
Timoth. cap. I, 5, quod finis praecepti
est caritas. |
C'est pourquoi il est
évident que dans les actes de toutes les vertus est formel ce qui vient du
côté de la charité, et pour autant elle est dite la forme de toutes les
vertus, en tant que tous les actes de toutes les vertus sont ordonnés vers le
bien suprême aimé, comme on l’a montré. Et parce que les préceptes de la loi
concernent les actes des vertus, il y a ce que dit l’Apôtre (1 Tm 1, 5) : La fin du précepte est la charité. |
|
Et hinc etiam apparet, quomodo caritas sit motor
omnium virtutum; in quantum scilicet importat actus omnium aliarum virtutum.
Omnis enim virtus vel potentia superior dicitur movere per imperium
inferiorem, ex eo quod actus inferioris ordinatur ad finem superioris; sicut
aedificativa imperat caementariae, eo quod actus caementariae artis ordinatur
ad formam domus, quae est finis aedificativae. Unde cum omnes aliae virtutes
ordinentur ad finem caritatis, ipsa imperat actus omnium virtutum, et ex hoc
dicitur motor earum. |
Et de là aussi apparaît
comment la charité est le moteur de toutes les vertus, en tant qu’elle en suscite
les actes. En effet on dit que toute vertu ou puissance supérieure meut par
un pouvoir inférieur, du fait que l’acte de l’inférieur est ordonné à la fin
du supérieur; comme le pouvoir de bâtir commande au maçon, parce que l’art de
celui-ci est ordonné à la forme de la maison, qui est le but du pouvoir de
bâtir. C'est pourquoi, comme toutes les autres vertus sont ordonnées à la fin
de la charité, celle-ci commande les actes de toutes les vertus, et par là on
dit qu’elle est leur moteur. |
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Et quia mater dicitur quae in se
accipit et concipit; ideo dicitur caritas mater omnium virtutum, in quantum
ex conceptione sui finis producitur actus omnium virtutum; et eadem etiam
ratione dicitur radix virtutum. |
Et parce qu’on dit qu’une
mère reçoit en soi et conçoit, on dit aussi que la charité est la mère de
toutes les vertus, en tant que par la conception de sa fin, elle produit les
actes de toutes les vertus ; et pour la même raison on dit qu’elle est la
racine des vertus. |
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[66058] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod licet caritas non det unicuique virtuti
propriam speciem, dat tamen unicuique virtuti communem speciem virtutis,
secundum quod loquimur de virtute prout est principium merendi. |
Solutions : 1. Bien que la charité ne
donne pas à chaque vertu une espèce propre, elle donne cependant à chacune
une espèce commune, selon qu’on parle de la vertu en tant qu’elle est le
principe du mérite. |
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[66059] De
virtutibus, q. 2 a. 3 ad 2 Ad secundum dicendum, quod formae non est forma,
ita quod una forma praestet subiectum alteri. Nihil tamen prohibet plures
formas in eodem subiecto esse secundum quemdam ordinem; scilicet ut una sit
formalis respectu alterius, sicut color est formalis respectu superficiei. Et
hoc modo caritas potest esse forma aliarum virtutum. |
2. La forme ne vient pas
de la forme, de sorte qu’une forme procure le sujet à un autre. Cependant rien n’empêche plusieurs formes d’être
dans le même sujet selon un certain ordre ; à savoir que l’une soit
formelle en rapport avec l’autre, comme la couleur est formelle en rapport à
la surface. Et de cette manière, la charité peut être la forme des autres
vertus. |
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[66060] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod caritas cadit in definitione virtutis meritoriae, ut patet per
definitionem Augustini, dicentis [lib. V1 Contra Iulianum, cap. VI],
quod virtus est bona qualitas mentis, qua recte vivitur : non enim recte
vivitur nisi per hoc quod vita nostra ordinatur in Deum; quod caritas facit. |
3. La charité tombe dans
la définition de la vertu méritante, comme on le voit par la définition
d’Augustin (Contre Julien VI, 6),
qui dit que la vertu est une bonne qualité de l’esprit par laquelle on vit
avec rectitude ; car on ne vit ainsi que par le fait que notre vie est
ordonnée à Dieu, ce que fait la charité. |
|
[66061] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 4 Ad quartum dicendum, quod ratio illa procedit de forma quae intrat
constitutionem rei. Sic autem caritas non dicitur forma virtutum, sed alio
modo; ut supra dictum est. |
4. Cette raison procède de
la forme qui pénètre la constitution de la chose. Mais ainsi on ne dit pas
que la charité est la forme des vertus, mais [on parle] d’une autre manière,
comme il a été dit ci-dessus. |
|
[66062] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod caritas, cum sit communis forma virtutum, trahit quidem
virtutes in unam speciem communem, non autem in unam speciem propriam, quae
dicitur species specialissima. |
5. Comme la charité est la
forme commune des vertus, elle tire les vertus dans une espèce commune, mais
non dans une espèce propre, qui est dite une espèce très particulière. |
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[66063] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas potest dici forma exemplaris virtutum,
non ad cuius similitudinem virtutes generentur, sed in quantum ad eius similitudinem
quodammodo operantur; et ideo, quamdiu necesse est operari secundum virtutem,
necessaria est caritas. |
6. On peut dire que la
charité est la forme exemplaire des vertus, non que les vertus soient
engendrées à sa ressemblance, mais en tant qu’elles opèrent d’une certaine
manière à sa ressemblance et c'est pourquoi, aussi longtemps qu’il est
nécessaire d’opérer selon la vertu, la charité est nécessaire. |
|
[66064] De virtutibus, q. 2 a. 3 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod licet creare virtutes sit Dei tantum, tamen operari secundum
virtutem, est etiam hominis habentis virtutem; et ideo indiget caritate. |
7. Bien que créer les
vertus appartienne à Dieu seulement, cependant opérer selon la vertu
appartient aussi à l’homme qui possède la vertu, et c'est pourquoi il a
besoin de la charité. |
|
[66065] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 8 Ad octavum dicendum, quod caritas quantum ad actum non solum habet
exemplaritatem, sed etiam virtutem motivam et effectivam. Exemplar autem
effectivum non est sine exemplato, quia producit illud in esse; et sic
caritas non est sine aliis virtutibus. |
8. La charité, quant à
l’acte, a non seulement l’exemplarité, mais aussi une puissance concernant le
mouvement et l’exécution. Mais l’exemplaire qui concerne l’exécution n’est
pas sans son image, parce qu’il le produit dans l’être ; et ainsi la
charité n’est pas sans les autres vertus. |
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[66066] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 9 Ad nonum dicendum, quod a proprio fine et a proprio obiecto quaelibet
virtus habet formam specialem, per quam est haec virtus; sed a caritate habet
quamdam formam communem, secundum quam est meritoria vitae aeternae. |
9. Par sa propre fin et
par son objet propre, n’importe quelle vertu a une forme spéciale, par
laquelle elle est cette vertu ; mais par la charité elle a une forme
commune, selon qu’elle permet de mériter la vie éternelle. |
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[66067] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 10 Ad decimum dicendum, quod Deus facit in nobis virtutes formatas
speciali forma et generali : speciali quidem ex obiecto et fine, generali
autem ex caritate. |
10. Dieu forme en nous les
vertus d’une forme spéciale et générale ; spéciale par l’objet et la
fin, mais générale par la charité. |
|
[66068] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 11 Ad undecimum dicendum, quod lumen est forma colorum, in quantum sunt
visibiles actu per lucem, et similiter fides est forma virtutum, in quantum
sunt a nobis cognoscibiles : quod enim est virtuosum vel contra virtutem per
fidem cognoscimus. Sed in quantum
virtutes sunt operativae, per caritatem informantur. |
11. La lumière est la forme
des couleurs, en tant que, par elle, elles sont visibles en acte, et de la
même manière la foi est la forme des vertus, en tant qu’elles nous sont
connaissables, car nous connaissons par la foi ce qui concerne les vertus ou
ce qui est contre elles. Mais en tant que les vertus sont opératives, elles
sont mises en forme par la charité. |
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[66069] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod intellectus simpliciter est prior
voluntate, quia bonum intellectum est obiectum voluntatis. Sed tamen in
operando et movendo prior est voluntas. Non enim intellectus intelligit et
movet nisi voluntate accedente; unde etiam ipsum intellectum movet voluntas,
in quantum est operativus : utimur enim intellectu quando volumus. Unde, cum
credere sit intellectus a voluntate moti (credimus enim aliquid quia
volumus); sequitur quod magis caritas det formam fidei quam e converso. |
12. L’intellect est
absolument avant la volonté, parce que le bien intellectuel est l’objet de la
volonté. Mais cependant pour opérer et mettre en mouvement, la volonté est
avant. Car l’intellect ne pense et ne meut que par une volonté qui s’y
ajoute; c'est pourquoi aussi la volonté meut l’intellect lui-même en tant
qu’il est opératif ; car nous nous servons de l’intellect quand nous voulons.
C'est pourquoi, comme croire est pensé par la volonté qui est mue (car nous
croyons quelque chose parce que nous le voulons) ; il en découle que la
charité donne plus la forme à la foi qu’à l’inverse. |
|
[66070] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod actus voluntatis est secundum ordinem
volentis ad res ipsas prout in se sunt. Actus autem intellectus est secundum
quod res intellectae sunt in intelligente : unde quando res sunt infra
intelligentem, intellectus illarum est dignior voluntate : quia tunc altiori
modo sunt in intellectu res quam in seipsis, cum omne quod est in altero, sit
in eo per modum eius in quo est; sed quando res sunt altiores intelligente,
tunc voluntas altius ascendit quam possit pertingere intellectus. Et inde est
quod in moralibus quae sunt infra hominem, virtus cognoscitiva informat
virtutes appetitivas, sicut prudentia alias virtutes morales; in virtutibus
autem theologicis, quae sunt circa Deum, virtus voluntatis, scilicet caritas,
informat virtutem intellectus scilicet fidem. |
13. L’acte de la volonté
dépend de l’ordre de celui qui veut aller aux choses mêmes, dans la mesure où
elles sont en elles. Mais l’acte de l’intellect dépend du fait que ce qui est
pensé est en celui qui pense ; c'est pourquoi quand les choses sont sous
celui qui pense, leur conception est plus digne que la volonté ; parce
qu’alors les choses sont dans l’intellect d’une manière plus haute qu’en
elles-mêmes, puisque tout ce qui est dans un autre est en lui par le mode de
celui en qui il est ; mais quand les choses sont plus hautes que celui
qui pense, alors la volonté monte plus haut que ce que l’intellect pourrait
atteindre. Et de là vient que dans les [actes] moraux qui sont sous l’homme,
la vertu cognitive informe les vertus appétitives comme la prudence les
autres vertus morales ; mais dans les vertus théologales qui concernent
Dieu, la vertu de la volonté, à savoir la charité, met en forme la vertu de
l’intellect, c'est-à-dire la foi. |
|
[66071] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod rationalis vis dat modum appetitivae
in his quae sunt infra nos, non autem in his quae sunt supra nos, ut dictum
est art. 1 huius quaest., et quaest. praeced. art. 10 et 11. |
14. La force rationnelle
donne le mode de la vertu appétitive en ce qui est sous nous, mais non en ce
qui est au-dessus de nous, comme il a été dit dans l’art. 1 de cette question
et dans la question précédente, art. 10 et 11. |
|
[66072] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod fides praecedit spem, et spes
caritatem, ordine generationis, sicut imperfectum praecedit perfectum; sed
caritas in ordine perfectionis praecedit et fidem et spem; et propter hoc
dicitur esse forma earum, sicut perfectum imperfecti. |
15. La foi précède
l’espérance et l’espérance la charité dans l’ordre de leur génération, comme
l’imparfait précède le parfait, mais la charité dans l’ordre de la perfection
précède et la foi et l’espérance, et à cause de cela on dit qu’elle est leur
forme, comme le parfait [est la forme] de l’imparfait. |
|
[66073] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod caritas non est forma virtutum quae sit
pars essentiae virtutum, ut oporteat eam sequi tempore virtutes, vel aliquam
materiam virtutum, sicut in formis rerum generatarum : sed est forma quasi
informans; unde oportet esse naturaliter priorem aliis virtutibus. |
16. La charité n’est pas
la forme des vertus qui serait une partie de leur essence, pour qu’il soit
nécessaire qu’elle suive temporellement les vertus, ou une matière des vertus,
comme dans les formes des choses engendrées, mais elle est la forme qui met
pour ainsi dire en forme ; c'est pourquoi il est nécessaire qu’elle soit
naturellement avant les autres vertus. |
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[66074] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ipsa visio, in quantum est finis ut
bonum quoddam, est obiectum caritatis. |
17. La vision même, en
tant qu’elle est la fin comme un bien, est l’objet de la charité. |
|
[66075] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod forma intrinseca non potest esse finis
rei, licet sit finis generationis rei. Caritas autem non est forma
intrinseca, ut dictum est, sed ex hoc ipso quod trahit alias virtutes ad suum
finem, format virtutes, ut ex dictis patet. |
18. La forme intrinsèque
ne peut pas être la fin d’une chose, bien qu’elle soit la fin de sa
génération. Mais la charité n’est pas une forme intrinsèque, comme il a été
dit, mais du fait même qu’elle attire les autres vertus à leurs fins, elle
met en forme les vertus, comme on le voit dans ce qui a été dit. |
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[66076] De virtutibus, q. 2 a. 3
ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod gratia Dei dicitur esse forma virtutum,
in quantum dat esse spirituale animae, ut sit susceptiva virtutum; sed
caritas est forma virtutum in quantum format operationes earum ut dictum est
in corpore articuli. |
19. On dit que la grâce de
Dieu est la forme des vertus, en tant qu’elle donne l’être spirituel à l’âme,
pour qu’elle soit susceptible des vertus ; mais la charité est la forme
des vertus en tant qu’elle donne forme à leurs opérations, comme il a été dit
dans le corps de l’article. |
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Articulus 4 : [66077] De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum caritas sit una virtus |
Article 4 – La
charité est-elle une vertu unique ? [45]
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[66078]
De virtutibus, q. 2 a. 4 tit. 2 Et videtur quod non. |
Il semble que non. |
|
[66079]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 1 Habitus enim distinguuntur per actus, et
actus per obiecta. Sed caritas habet duo obiecta : Deum et proximum. Ergo non
est una virtus, sed duae. |
Objections : 1.
Les habitus se distinguent d'après les actes, et les actes d'après les
objets. Or la charité a deux objets : Dieu et le prochain. Donc il n'y a pas
qu'une seule vertu, mais deux. |
|
[66080]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 2 Sed
dicebatur, quod unum illorum obiectorum est principalius, scilicet Deus;
non enim diligit caritas proximum nisi propter Deum.- Sed contra, philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. VIII], quod
amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex amicabilibus quae sunt ad
seipsum. Sed id quod est principium et causa, est potissimum
in unoquoque genere. Ergo homo ex caritate diligit seipsum
tamquam principale obiectum, et non Deum. |
2.
Mais on pourrait dire que l’un de ces objets est plus
important, à savoir Dieu ; en effet, la
charité n'aime le prochain qu'à cause de Dieu. Au contraire, le philosophe affirme (Ethique IX, 8) que
les motifs d'aimer le prochain proviennent des motifs de s'aimer soi-même. Or
ce qui est principe et cause est premier en chaque genre. Donc l'homme s'aime
lui-même de charité comme objet principal, et non pas Dieu. |
|
[66081]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 3 Praeterea, I Ioan., IV, 20, dicitur : Qui fratrem suum, quem videt, non diligit;
Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Magis ergo videtur quod
debeat diligere proximum quam Deum. Proximus ergo est magis diligibilis quam
Deus; et ita videtur esse principalius obiectum caritatis. |
3.
Jean (1 Jn 4, 20) affirme : Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit,
comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ? Il semble donc qu'on
doive plus aimer son prochain que Dieu. Le prochain est donc plus aimable que
Dieu ; et ainsi il est considéré comme l’objet principal de la charité. |
|
[66082]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 4 Praeterea, nihil amatur nisi cognitum, ut
Augustinus dicit in Lib. de Trin.
[lib. X]. Sed proximus magis cognoscitur quam Deus. Ergo etiam magis
diligitur; et sic videtur quod caritas non sit una virtus. |
4.
On n'aime que ce qui est connu, selon Augustin (Trinité, X). Or, le
prochain est mieux connu que Dieu. Il est donc plus aimé ; et ainsi il
semble que la charité ne soit pas une vertu unique. |
|
[66083]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 5 Praeterea, omnis virtus habet proprium modum
quem in suis actibus ponit : iustus enim est qui non solum iusta, sed iuste
operatur. Sed caritas ponit duos modos in suis actibus; nam caritate diligit
Deum aliquis ex toto corde, proximum autem sicut seipsum. Ergo caritas non
est una virtus. |
5.
Toute vertu a un mode propre qu'elle fait passer dans ses actes : en effet,
le juste ne fait pas seulement des choses justes, mais il les fait de façon
juste. Or, la charité semble faire passer deux modes dans ses actes ; en
effet, on aime Dieu de charité de tout son cœur, et le prochain comme
soi-même. La charité n'est donc pas une vertu unique. |
|
[66084] De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 6 Praeterea,
praecepta legis ordinantur ad virtutes, quia intentio legislatoris est facere
homines virtuosos, ut dicitur in II Ethicor. [cap.
XIII]. Sed de caritate dantur duo praecepta, scilicet : diliges dominum Deum tuum, et diliges
proximum tuum. Ergo caritas non est una virtus. |
6.
Les préceptes de la Loi sont ordonnés aux vertus, car l'intention du
législateur est de rendre les hommes vertueux, comme le dit [Aristote] (Ethique, II, 13[46]).
Or, au sujet de la charité on a deux préceptes : Tu aimeras ton Dieu, et tu aimeras ton prochain. La charité n'est
donc pas une vertu unique. |
|
[66085]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 7 Praeterea, sicut diligimus Deum et proximum,
ita et honorare debemus. Sed alio honore honoramus Deum et proximum, nam Deum
honoramus latria, proximum dulia sola. Ergo alia est caritas qua diligimus
Deum, et alia qua diligimus proximum. |
7.
De la manière dont nous aimons Dieu et le prochain, de cette manière aussi
nous devons les honorer. Or, nous les honorons de manière différente : Dieu
par un culte de latrie, le prochain seulement par un culte de dulie. La
charité par laquelle nous aimons Dieu diffère donc de celle par laquelle nous
aimons le prochain. |
|
[66086]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 8 Praeterea, virtus est qua recte vivitur. Sed ad aliam vitam pertinet diligere Deum, et ad
aliam diligere proximum; nam diligere Deum videtur ad contemplativam vitam
pertinere, diligere proximum ad activam. Ergo
caritas Dei et proximi non est una virtus. |
8.
La vertu est ce qui fait vivre de façon droite. Or, aimer Dieu appartient à
un genre de vie, et aimer le prochain à un autre; en effet, aimer Dieu
appartient à la vie contemplative, aimer le prochain à la vie active. La
charité envers Dieu et la charité envers le prochain ne sont donc pas une
vertu unique. |
|
[66087]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 9 Praeterea, secundum philosophum in I Physic.,
[com. 16] unum dicitur tripliciter
: continuitate, indivisibilitate et ratione. Sed caritas non est una continuitate, quia neque est corpus,
neque forma corporis; neque est una indivisibilitate
quia sic neque finita neque infinita esset; nec ratione, quia sic synonyma sunt unum, ut vestis et indumentum.
Ergo caritas non est una. |
9.
Selon le philosophe (Physique
I, 2, 185
b 5), ce qui est un l'est de trois façons : par la continuité, par
l'indivisibilité, par la notion. Or la charité n'est pas une par la continuité, car elle n'est ni un
corps, ni la forme d’un corps ; elle n'est pas une non plus par l'indivisibilité, car alors elle ne
serait ni finie, ni infinie ; elle n'est pas non plus une par la notion,
car ce sont les synonymes qui sont un de cette manière, comme le vêtement et
l'habit. La charité n'est donc pas une vertu unique. |
|
[66088]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 10 Praeterea, minime habent de ratione unius
quae sunt unum proportione tantum : unde quae non sunt proportione unum,
neque sunt unum specie neque genere neque numero, ut dicitur in V Metaph.
[com. 15]. Sed caritas est circa aeternum, scilicet Deum et proximum; quae
sunt improportionalia. Ergo caritas nullo modo est una virtus. |
10.
Les choses qui sont unies seulement par proportion, ne le sont pas en raison
de l'unité ; ainsi les choses qui ne sont pas unies par proportion, ne le
sont ni par l'espèce, ni par le genre, ni par le nombre, comme le dit
[Aristote] (Métaphysique,
V, 6,
1015 b 15 sq.). Or, la charité concerne ce
qui est éternel : Dieu et le prochain, qui n'ont aucune proportion entre eux.
La charité n'est donc pas une vertu unique. |
|
[66089]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 11 Praeterea, secundum philosophum in VIII
Ethic., amicitia perfecta non habetur ad multos. Sed caritas qua diligitur
Deus et proximus, est perfectissima amicitia. Ergo non habetur ad multos; et
ita non eadem caritate diligitur Deus et proximus. |
11.
Selon le philosophe (Éthique,
VII, 5,
1156 b 10), l’amitié parfaite ne s'adresse
pas à plusieurs. Or la charité qui aime Dieu et le prochain est l’amitié la
plus parfaite. Donc, elle ne s'adresse pas à beaucoup ; et ainsi, on
n'aime pas Dieu et le prochain de la même charité. |
|
[66090]
De virtutibus, q. 2 a. 4 arg. 12 Praeterea, virtus in cuius actu sufficit non
tristari, est alia a virtute quae delectabiliter operatur, sicut fortitudo a
iustitia. Sed in actu caritatis quantum ad aliqua obiecta sufficit non tristari,
sicut cum diligimus inimicos : in aliquibus etiam oportet delectari, sicut
cum diligimus Deum et amicos. Ergo caritas
non est una virtus, sed alia et alia. |
12.
La vertu dans l’acte de laquelle il suffit de ne pas être triste, diffère de
la vertu qui produit son acte de façon délectable, comme la force diffère de
la justice. Or dans l'acte de la charité, par rapport à certains objets, il
suffit de ne pas être triste : ainsi lorsque nous aimons des ennemis ;
dans d’autres, il faut encore éprouver de la joie, comme lorsque nous aimons
Dieu et des amis. La charité n’est donc pas une vertu unique, mais elle
diffère suivant les objets. |
|
[66091] De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 1 Sed contra.
Quaecumque ita se habent quod unum intelligitur in alio, illa sunt unum. Sed
in dilectione proximi intelligitur dilectio Dei, et e converso, ut dicit
Augustinus, VII de Trinit.[cap. VII et VIII]. Ergo est eadem
caritas qua diligimus Deum et proximum. |
En sens contraire : 1.
Bien qu’ayant Dieu et le prochain pour objet, la charité est une ; car quand
des choses sont ainsi que l’une se trouve en l’autre, elles sont une. Or dans
l’amour du prochain on embrasse l’amour de Dieu et inversement, comme le dit
Augustin (Trinité,
VII). C’est donc la même charité par
laquelle nous aimons Dieu et le prochain. |
|
[66092]
De virtutibus, q. 2 a. 4 s. c. 2 Praeterea, in quolibet genere est unum
primum movens. Sed caritas est motor omnium virtutum. Ergo est una. |
2.
En n’importe quel genre il y a un seul premier moteur. Or la charité est le
moteur de toutes les vertus. Donc elle est une. |
|
[66093] De virtutibus, q. 2 a. 4 co. Respondeo.
Dicendum, quod caritas est una virtus. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod
unitas cuiuslibet potentiae vel habitus ex obiecto consideranda est; et hoc
ideo, quia potentia hoc ipsum quod est, dicitur in ordine ad possibile, quod
est obiectum. Et sic ratio et species potentiae ex
obiecto accipitur; et similiter est de habitu, qui nihil est aliud quam
dispositio potentiae perfectae ad suum obiectum. |
Réponse : La
charité est une seule vertu. Pour en établir l'évidence, il faut savoir que
l’unité de n’importe quelle puissance ou habitus doit se prendre du côté de
son objet ; et cela parce que ce qui fait une puissance, c’est sa
relation avec ce qui est possible, ce qui est l’objet. Et ainsi la raison et
l’espèce de la puissance se prennent du côté de son objet, et il en va de
même pour l’habitus, qui n’est rien autre que la disposition qui perfectionne
la puissance vis-à-vis de son objet. |
|
Sed in
objecto consideratur aliquid ut formale et aliquid ut materiale. Formale
autem in obiecto est id secundum quod obiectum refertur ad potentiam vel
habitum; materiale autem id in quo hoc fundatur : ut si loquamur de obiecto
potentiae visivae, obiectum eius formale est color, vel aliquid huiusmodi, in
quantum enim aliquid coloratum est, in tantum visibile est; sed materiale in
obiecto est corpus cui accidit color. |
Dans
un objet on considère quelque chose de formel et quelque chose de matériel.
Le formel dans l’objet est selon quoi l’objet se rapporte à la puissance ou
habitus ; le matériel est ce sur quoi cela se fonde. Prenons comme
exemple l’objet de la puissance visuelle : l’objet formel est la couleur ou
quelque chose de semblable - en tant en effet que quelque chose est
coloré, il est visible ; mais ce qui est matériel c’est le corps qui a
la couleur. |
|
Ex quo patet quod potentia vel habitus refertur ad
formalem rationem obiecti per se; ad id autem quod est materiale in obiecto,
per accidens. Et ea quae sunt per accidens non variant rem, sed solum ea quae
sunt per se : ideo materialis diversitas obiecti non diversificat potentiam
vel habitum, sed solum formalis. Una est enim potentia visiva, qua
videmus et lapides et homines et caelum, quia ista diversitas obiectorum est
materialis, et non secundum formalem rationem visibilis. Sed gustus differt
ab olfactu secundum differentiam saporis et odoris, quae sunt per se
sensibilia. ` |
D’où
il ressort que la puissance ou l’habitus se rapporte à la raison formelle de
l’objet, en soi, et à ce qui est matériel dans l’objet, par accident. Et ce
n’est pas ce qui est par accident qui fait varier la chose, mais seulement ce
qui y est en soi. Donc ce n'est pas la diversité matérielle de l’objet qui
diversifie la puissance ou l’habitus, mais la diversité formelle. Une est en
effet la puissance visuelle par laquelle nous voyons les pierres, les hommes
et le ciel, parce que cette diversité est matérielle, et non selon la raison
formelle du visible. Mais le goût diffère de l’odorat selon la différence qu’il
y a entre la saveur et l’odeur, qui sont des sensibles en soi. |
|
Et hoc
etiam oportet in caritate considerare. Manifestum est enim quod aliquem
possumus diligere dupliciter : uno modo ratione sui ipsius, alio modo ratione
alterius. Ratione autem sui ipsius aliquem diligimus, quando cum ratione boni
proprii diligimus, utpote quia est in se honestus, vel nobis delectabilis,
aut utilis. Ratione autem alterius diligimus aliquem quando diligimus ipsum
quia attinet alii quem diligimus. Ex hoc enim ipso quod diligimus aliquem
secundum se, diligimus omnes et familiares et consanguineos et amicos ipsius,
in quantum ei attinent; sed tamen in omnibus illis est una ratio formalis
dilectionis, scilicet bonum illius, quem ratione sui diligimus, et ipsum
quodammodo in omnibus aliis diligimus. |
4.
Et cela aussi doit entrer en ligne de compte dans la charité. Il est évident
en effet que nous pouvons aimer quelqu’un de deux manières : ou en raison de
lui-même ou en raison d’un autre. Nous aimons quelqu’un en raison de lui-même
quand nous l’aimons en raison de son propre bien, d’après qu’il est en soi
honnête, ou pour nous agréable ou utile. Nous aimons quelqu’un en raison d’un
autre, quand nous l’aimons parce qu’il tient à un autre que nous aimons. De
ce qu’en effet nous aimons quelqu’un en lui-même, nous aimons tous ses
familiers, ses parents et ses amis en tant qu’ils tiennent à lui. Cependant en tous ceux-là il n'y a qu’une seule
raison de dilection, à savoir son propre bien que nous aimons en raison de
lui-même, et c’est lui que nous aimons en quelque sorte dans les autres. |
|
Sic
igitur dicendum, quod caritas diligit Deum ratione sui ipsius; et ratione
eius diligit omnes alios in quantum ordinantur ad Deum : unde quodammodo Deum
diligit in omnibus proximis; sic enim proximus caritate diligitur, quia in eo
est Deus, vel ut in eo sit Deus. Unde manifestum est quod est idem habitus
caritatis quo Deum et proximum diligimus |
5.
Il faut donc dire que la charité aime Dieu en raison de lui-même, et les
autres en raison de lui, en tant qu’ils sont ordonnés à Dieu ; d’où en
quelque sorte elle aime Dieu dans tous ses proches ; ainsi en effet nous
aimons le prochain par charité, parce que Dieu est en lui, ou pour que Dieu
soit en lui. D’où il est évident que c’est par le même habitus de charité que
nous aimons Dieu et le prochain. |
|
Sed si diligeremus proximum ratione sui ipsius, et
non ratione Dei, hoc ad aliam dilectionem pertineret : puta ad dilectionem
naturalem, vel politicam, vel ad aliquam aliarum quas philosophus tangit in
VIII Ethic. |
6.
Mais si nous aimions le prochain en raison de lui-même et non en raison de
Dieu, cela ressortirait à une autre dilection, par exemple une dilection
naturelle ou politique, ou quelqu’une des autres que le philosophe touche au
ch. 8 (Éthique, VIII, 3). |
|
[66094]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod proximus non
diligitur nisi ratione Dei; unde ambo sunt unum obiectum dilectionis,
formaliter loquendo, licet materialiter sint duo. |
Solutions : 1.
Le prochain n'est aimé qu'en raison de Dieu ; de là il découle que les
deux forment un seul objet, en parlant selon la forme, alors que
matériellement ils sont deux. |
|
[66095]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum amor respiciat
bonum, secundum diversitatem boni est diversitas amoris. |
2.
Puisque l'amour regarde le bien, il y a diversité d'amour d'après la
diversité des biens. |
|
Est
autem quoddam bonum proprium alicuius hominis in quantum est singularis
persona; et quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, unusquisque est
sibi principale obiectum dilectionis. Est autem quoddam bonum commune quod
pertinet ad hunc vel ad illum in quantum est pars alicuius totius, sicut ad
militem, in quantum est pars exercitus, et ad civem, in quantum est
civitatis; et quantum ad dilectionem respicientem hoc bonum, principale
obiectum dilectionis est illud in quo principaliter illum bonum consistit,
sicut bonum exercitus in duce, et bonum civitatis in rege; unde ad officium
boni militis pertinet ut etiam salutem suam negligat ad conservandum bonum
ducis; sicut etiam homo naturaliter ad conservandum caput, brachium exponit. |
Il
existe un bien propre d'un homme en tant qu'il est une personne
singulière ; et quant à l'amour qui regarde ce bien, chacun est pour
soi-même le principal objet d'amour. Mais il y a un bien commun qui
appartient à tel ou tel en tant qu'il est partie d'un tout, comme au soldat
en tant qu'il est partie de l'armée, ou au citoyen en tant qu'il est partie
de la cité ; et quant à l'amour qui regarde ce bien, l'objet principal
de l'amour est ce en quoi consiste principalement ce bien, comme le bien de
l'armée est dans le chef, celui de la cité dans le roi ; de là il
découle qu'à l'office du bien du soldat appartient de sacrifier sa vie pour
conserver le bien du chef ; tout comme l'homme expose naturellement son
bras pour préserver sa tête. |
|
Et hoc modo caritas respicit sicut
principale obiectum, bonum divinum, quod pertinet ad unumquemque, secundum
quod esse potest particeps beatitudinis; unde ea sola ex caritate diligimus
quae nobiscum beatitudinem participare possunt, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina Christiana. |
De
cette manière, la charité regarde comme son objet principal le bien divin qui
appartient à chacun selon qu'il peut participer à la béatitude. De là, nous
aimons d'une seule charité tout ce qui peut participer avec nous à cette
béatitude, comme le dit Augustin dans le livre De la doctrine chrétienne. |
|
[66096]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod Ioannes argumentatur
a maiori, negando, non quod proximus magis debeat diligi; sed quia magis est
in promptu ut diligatur, quia homines proniores sunt ad diligendum visibilia
quam invisibilia. |
3.
Jean argumente à partir du plus grand, ne disant pas que le prochain doive
être plus aimé, mais parce qu'il est plus facile de l'aimer, car les hommes
sont plus enclins à aimer le visible que l'invisible. |
|
[66097]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet cognitum
diligatur, tamen non sequitur quod magis cognitum magis diligatur. Non enim
ea ratione aliquid diligitur quia cognoscitur, sed quia est bonum; unde quod
est magis bonum, magis est diligibile, licet non sit magis cognitum; sicut
homo minus diligit aliquem servum, vel etiam equum, quem in continuo usu
habet, quam aliquem bonum hominem quem tantum fama cognoscit. |
4.
Bien qu'on aime ce qui est connu, cependant il ne s'ensuit pas que soit plus
aimé ce qui est plus connu. En effet, on aime un objet non parce qu’il est
connu, mais parce qu'il est bon ; de là, il découle que l'on aime davantage
ce qui est meilleur, même s'il n'est pas mieux connu ; comme un homme
aime moins un esclave ou un cheval, dont il a l'usage continuel, qu'un homme
de bien qu'il ne connaît que de réputation. |
|
[66098]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas respicit ut
formale obiectum, bonum divinum, sicut dictum est, art. praec. et in corp.
huius art., quod quidem bonum diversimode se habet ad ipsum Deum et ad
proximum, et ideo oportet quod habeat diversum modum circa principale
obiectum et secundarium; unde circa principale obiectum habet unum modum
tantum. |
5.
La charité regarde le bien divin comme son objet formel, comme on l'a dit à
l'article précédent et dans le corps de cet article. Mais ce bien se rapporte
différemment à Dieu lui-même et au prochain ; et c’est pourquoi il faut
qu’il y ait diversité de mode suivant l’objet principal et l'objet
secondaire ; de là, il découle que selon l'objet principal il n'y a
qu'un seul mode. |
|
[66099]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 6 Ad sextum dicendum, quod praecepta legis sunt
de actibus virtutum, et non de habitibus; unde ex diversitate praeceptorum
non potest concludi diversitas habituum, sed diversitas actuum; qui tamen
pertinent ad unum habitum, propter rationem formalem. |
6.
Les préceptes de la Loi sont d'après les actes des vertus et non d'après les
habitus ; de là, il découle qu' à partir de la diversité des préceptes,
on ne peut conclure à la diversité des habitus, mais à celle des actes ;
ces derniers cependant appartiennent à un seul habitus, à cause de la raison
formelle. |
|
[66100] De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 7Ad septimum
dicendum, quod in proximo honoratur etiam bonum proprium ipsius; et ideo
alius honor debetur proximo, et alius Deo. |
7. On honore dans le prochain même son bien
propre ; ainsi on doit au prochain un honneur et à Dieu un autre. |
|
[66101]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 8 Ad octavum dicendum, quod tam dilectio proximi
quam dilectio Dei continetur sub contemplativa vita, ut Gregorius dicit super Ezechiel [homil. XIV]. Nam oratio, quae maxime ad contemplativam
vitam pertinere videtur, ad Deum pro proximis fit. Sed
tamen principium vitae activae praecipue est amor Dei in seipso. Nec tamen
sequitur, si caritas est principium diversorum, quod caritas non sit una. |
8.
Tant l’amour du prochain que l’amour de Dieu appartiennent à la vie
contemplative, comme le dit Grégoire en commentant le prophète Ézéchiel (Homélie
XIV). En effet, la prière qui semble appartenir davantage à la vie
contemplative est faite à Dieu pour le prochain. Mais cependant le principe
premier de la vie active est l’amour de Dieu en lui-même. Il ne s’ensuit pas
pour autant que, si la charité est principe de choses diverses, elle ne soit
pas unique. |
|
[66102]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod caritas non est una
continuitate; sed potest dici una indivisibilitate, in quantum est una forma
simplex. Non enim dicitur finita vel infinita secundum quantitatem
dimensivam, sed secundum quantitatem virtutis. Sed sic non agimus hic de
virtute caritatis, sed secundum quod est una ratione : non quidem una numero,
ut tunica et vestis; sed ratione speciei, sicut Socrates et Plato sunt unum
in ratione hominis. |
9.
La charité n’est pas une par la continuité ; mais on peut la dire une
par l’indivisibilité, en tant qu’elle est une unique forme simple. En effet,
on ne la dit pas finie ou infinie selon une quantité mesurable, mais selon la
mesure de sa vertu. Mais ce n’est pas de cette manière que nous traitons ici
de la vertu de charité, mais selon qu’elle est une par la raison ; elle
n’est pas une par le nombre, comme la tunique et le vêtement, mais en raison
de l’espèce, comme Socrate et Platon sont un par la notion d’homme. |
|
[66103]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod ratio illa
procederet, si temporale ratione sui esset obiectum caritatis, et non ratione
aeterni, ut dictum est. |
10.
Cet argument porterait si l’objet de la charité était temporel en raison de
lui-même, et non en raison de l’éternité, comme il a été dit. |
|
[66104]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod amicitia perfecta
non habetur ad multos, ita quod ad unumquemque sit ratione sui ipsius; sed
quanto amicitia est perfectior ad unum ratione eius, tanto ad plures se
posset extendere ratione ipsius. Et sic caritas, quia perfectissima amicitia
est, ad Deum se extendit, et ad omnes qui possunt percipere Deum; et non
solum ad notos, sed etiam ad inimicos. |
11.
L’amitié parfaite ne s’adresse pas à de nombreuses personnes, tant elle
s’adresse à chacun en raison de chacun ; mais plus la charité s’adresse
parfaite à un seul en raison de celui-ci, plus elle peut s’étendre à
plusieurs en raison de cette même personne. Ainsi, la charité, qui est
l’amitié la plus parfaite, s’étend à Dieu et à tous ceux qui peuvent
percevoir Dieu, non seulement aux amis, mais aussi aux ennemis. |
|
[66105]
De virtutibus, q. 2 a. 4 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod virtus quae
delectabiliter operatur circa principale obiectum, potest eadem circa aliquod
accessorium non delectabiliter, sed sine tristitia, operari; et hoc modo caritas
delectabiliter operatur in principali obiecto, licet difficultatem patiatur
in aliquo secundario obiecto, ita ut sufficiat sine tristitia operari. |
12.
La vertu qui agit de façon délectable vis-à-vis de son objet principal, peut
agir de façon non délectable mais sans tristesse vis-à-vis de quelque chose
d’accessoire. De cette manière, la charité agit de façon délectable vis-à-vis
de son objet principal, bien qu’elle subisse des difficultés face à un objet
secondaire, de sorte qu’il lui suffise d’agir sans tristesse. |
|
|
|
|
Articulus 5 : [66106] De virtutibus, q.
2 a. 5 tit. 1 Quinto quaeritur utrum caritas sit virtus specialis distincta
ab aliis virtutibus vel non |
Article 5 – La charité est-elle une vertu spéciale, différente des autres vertus ou pas ? |
|
[66107]
De virtutibus, q. 2 a. 5 tit. 2 Et videtur quod non. |
Il semble que non. |
|
[66108]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 1 Illud enim quod ponitur in definitione
cuiuslibet virtutis, non est virtus specialis : quia virtus generalis ponitur
in definitione cuiuslibet specialis virtutis. Sed caritas ponitur in
definitione cuiuslibet virtutis : dicit enim Hieronymus : Ut breviter communem definitionem virtutis
complectar; virtus est caritas, qua diligimus Deum et proximum. Ergo
caritas non est virtus specialis, ab aliis distincta. |
Objections :[47] 1. Car ce qui est placé
dans la définition de n’importe quelle vertu, n’est pas une vertu
spéciale ; parce que la vertu générale n’est pas placée dans la
définition de n’importe quelle vertu spéciale. Or la charité est placée dans
la définition de n’importe quelle vertu : car Jérôme dit : « Pour embrasser brièvement une définition
commune de la vertu : la charité est la vertu par laquelle nous aimons Dieu et le prochain ».
Donc la charité n’est pas une vertu spéciale, distincte des autres. |
|
[66109]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 2 Praeterea, caritas qua diligimus proximum,
non est virtus distincta a caritate qua diligimus Deum, quia caritas diligit
proximum propter Deum. Sed omnis virtus diligit proximum propter Deum. Ergo
nulla virtus distinguitur a caritate. |
2. La charité par laquelle
nous aimons le prochain n’est pas une vertu différente de la charité par
laquelle nous aimons Dieu, parce que la charité aime le prochain à cause de
Dieu. Or tout vertu aime le prochain à cause de Dieu. Donc aucune vertu ne se
distingue de la charité. |
|
[66110]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 3 Praeterea, distinctiones habituum attenduntur
secundum actus virtutum. Sed caritas operatur actus omnium aliarum virtutum :
caritas est patiens, est benigna,
ut dicitur I ad Corinth., XIII, 4. Ergo caritas non est virtus ab aliis
distincta. |
3. Les distinctions des
habitus dépendent des actes des vertus. Or la charité accomplit les actes de
toutes les autres vertus : La charité
est patiente, elle est bienveillante, comme il est dit en 1 Co 13, 4. Donc la charité n’est pas
une vertu distincte des autres. |
|
[66111] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 4
Praeterea, bonum est obiectum generale omnium virtutum : nam virtus est quae
bonum facit habentem, et opus eius bonum reddit. Sed bonum est obiectum
caritatis. Ergo caritas habet obiectum generale; et ita est generalis virtus. |
4. Le bien est l’objet
général de toutes les vertus ; car la vertu est ce qui fait qu’on
possède le bien, et son œuvre améliore. Or le bien est l’objet de la charité.
Donc la charité a un objet général, et ainsi elle est une vertu générale. |
|
[66112] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 5 Praeterea, una
perfectio est unius perfectibilis. Sed caritas est perfectio multorum
perfectibilium, id est omnium virtutum. Ergo non
est una. |
5. Une seule perfection
est d’un seul perfectible. Or la charité est la perfection de nombreux
perfectibles, c'est-à-dire de toutes les vertus. Donc elle n’est pas une. |
|
[66113]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 6 Praeterea, idem habitus non potest esse in
diversis subiectis. Sed caritas est in diversis subiectis : iubemur enim Deum
diligere ex tota mente, ex tota anima, ex toto corde, ex tota fortitudine.
Ergo caritas non est virtus una. |
6. Un même habitus ne peut
pas être dans des sujets différents. Or la charité est en des sujets
différents : car on nous ordonne d’aimer Dieu de tout notre esprit, de toute
notre âme et de tout notre cœur, de toute notre force. Donc la charité est
une vertu unique. |
|
[66114] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 7 Praeterea,
virtus ad tollenda peccata ordinatur. Sed caritas sufficit ad tollenda
omnia peccata; quia minima caritas resistere potest cuilibet tentationi. Ergo
caritas facit id quod est omnium virtutum; et ita non videtur esse virtus
specialis. |
7. La vertu est destinée à
enlever les péchés. Or la charité suffit pour les enlever tous ; parce
que la plus petite charité peut résister à n’importe quelle tentation. Donc
la charité fait ce qui concerne toutes les vertus et ainsi il ne semble pas
qu’elle soit une vertu spéciale. |
|
[66115]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 8 Praeterea, unicuique virtuti speciali
opponitur aliquod peccatum speciale. Sed caritati contrariantur omnia peccata
: quia per quodlibet peccatum mortale perditur caritas. Ergo caritas non est
virtus specialis. |
8. A chaque vertu
particulière est opposé un péché particulier. Or tous les péchés sont
contraires à la charité : parce que par n’importe quel péché mortel la
charité est perdue. Donc la charité n’est pas une vertu particulière. |
|
[66116]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 9 Praeterea, nulla virtus est necessaria nisi
ad recte operandum. Sed sola caritas sufficienter nos dirigit ad recte
operandum; dicit enim Augustinus : Habe
caritatem, et fac quidquid vis. Ergo praeter caritatem non est aliqua
alia virtus; et ita non est virtus specialis distincta ab aliis. |
9. Aucune vertu n’est
nécessaire sinon pour agir avec rectitude. Or la charité seule nous dirige
suffisamment pour opérer avec rectitude ; car Augustin dit : « Aie la charité et fais ce que tu veux ». Donc au-delà de la charité il
n’y a pas d’autre vertu ; et ainsi ce n’est pas une vertu spéciale
différente des autres. |
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[66117]
De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 10 Praeterea, habitus virtutum necessarii sunt
ad hoc quod homo prompte et delectabiliter operetur : nullus enim est iustus
qui non gaudet iusta operatione, ut dicitur in I Ethic. [cap. VII] Sed ad omnia prompte et delectabiliter operanda
sufficit caritas : quia dicit Augustinus in Lib. de verbis Domini [sermo IX]
: Omnia gravia et immania, facilia et
prope nulla facit amor. Ergo praeter caritatem non est necessaria aliqua
alia virtus. |
10. Les habitus des vertus
sont nécessaires pour que l’homme opère promptement et avec plaisir : car
aucun n’est juste qui ne se réjouit pas d’une juste opération, comme il est
dit en Éthique, I, 7. Or la charité
suffit pour opérer tout promptement et avec plaisir ; parce qu’Augustin
dit dans le livre des Paroles du
Seigneur : «[La charité] rend
facile tout ce qui est lourd et cruel, et elle le réduit à presque rien ».
Donc au-delà de la charité il n’y a pas d’autre vertu nécessaire. |
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[66118] De virtutibus, q. 2 a. 5 arg. 11 Praeterea,
ea quae sunt distincta ad invicem, habent distinctam generationem et
corruptionem. Sed caritas et aliae virtutes non habent
distinctam generationem et corruptionem; quia simul cum caritate et
infunduntur et perduntur aliae virtutes. Ergo caritas non est specialis
virtus. |
11. Les choses différentes
entre elles, ont une génération et une corruption distinctes. Or la charité
et les autres vertus n’ont pas de génération ni de corruption
distinctes ; parce que les autres vertus sont infusées et sont perdues
en même temps que la charité. Donc la charité n’est pas une vertu spéciale. |
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[66119]
De virtutibus, q. 2 a. 5 s. c. Sed contra, est quod apostolus, 1 Cor., cap. XIII, 13, condividit eam
aliis virtutibus, dicens : Nunc autem
manent fides, spes, caritas, tria haec. |
En sens contraire : 1. Il y a ce que l’Apôtre
dit, 1 Co 13, 13 ; il l’a
séparée des autres vertus en disant : Maintenant
demeurent la foi, l’espérance et la charité, ces trois vertus. |
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[66120]
De virtutibus, q. 2 a. 5 co. Respondeo. Dicendum, quod caritas est quaedam
virtus specialis, distincta ab aliis virtutibus. Ad cuius evidentiam
considerandum est, quod quandocumque aliquis actus dependet a pluribus
principiis, secundum ordinem se habentibus, ad perfectionem illius actus
requiritur quod quodlibet illorum principiorum sit perfectum. Si enim sit imperfectio in primo, sive in medio, vel in
ultimo, sequitur actus imperfectus; sicut, si desit peritia artis artifici,
sive recta dispositio in instrumento, opus sequitur imperfectum. |
Réponse : La charité est une vertu
spéciale, distincte des autres vertus. Pour le mettre en évidence il faut
considérer que toutes les fois qu’un acte dépend de plusieurs principes
ordonnés entre eux, il est requis pour la perfection de cet acte que chacun
de ces principes soit parfait. Si en effet l’imperfection se trouve dans le
premier ou dans celui qui est intermédiaire ou dans le dernier, il en découle
un acte imparfait, ainsi si la connaissance de l’art manque à l’artisan ou le
bon état à l’instrument, l’œuvre est imparfaite. |
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Et
hoc etiam in ipsis potentiis animae considerari potest. Si enim sit recta
ratio, quae est motiva inferiorum potentiarum, et concupiscibilis sit
indisposita, operabitur quidem aliquis secundum rationem, sed operatio erit
imperfecta, quia habebit impedimentum ex concupiscibili indisposita ad
contrarium trahente; sicut circa continentem apparet : et ideo praeter
prudentiam, quae perficit rationem, necesse est, ad hoc quod homo recte se
habeat circa concupiscibilia, quod habeat temperantiam, ad hoc quod prompte
operetur et sine impedimento. Et sicut est in diversis potentiis, quarum una movet
aliam; idem est etiam considerare secundum diversa obiecta quorum unum
ordinatur ad alterum sicut ad finem : una enim et eadem potentia, secundum
quod est finis, non solum aliam potentiam, sed etiam seipsam, movet in ea
quae sunt ad finem. Et ideo ad rectam
operationem, aliquem non solum oportet bene dispositum esse ad finem, sed
etiam bene dispositum ad ea quae sunt ad finem : alias sequitur operatio
impedita; ut patet in eo qui bene est dispositus ad bene appetendam
sanitatem, sed male est dispositus ad sumendum ea quae sunt sanativa. |
Et on peut aussi considérer cela
dans les puissances mêmes de l’âme. Car si la raison qui est moteur des
puissances inférieures est droite et si le concupiscible est mal disposé,
quelqu’un opérera selon la raison mais son opération sera imparfaite, parce
qu’il aura un empêchement par la concupiscence mal disposée qui le tire en
sens contraire ; de même on voit cela à propos de l’homme continent et
c'est pourquoi, outre la prudence qui parfait la raison, il est nécessaire,
pour que l’homme se comporte avec rectitude vis-à-vis du concupiscible, qu’il
possède la tempérance pour opérer avec promptitude et sans empêchement. Et c’est comme dans les différentes puissances, dont l’une met
l’autre en mouvement ; c’est le même de considérer selon les différents
objets dont l’un est ordonné à l’autre comme à sa fin ; car une seule et
même puissance, en tant que fin, met en mouvement non seulement une autre
puissance mais se met aussi elle-même en mouvement vers ce qui concerne sa
fin. Et donc, pour une action droite, il est nécessaire
d’être bien disposé non seulement envers la fin, mais aussi envers ce qui
concerne la fin ; autrement il en découle que l’opération est empêchée,
comme on le voit dans celui qui est bien disposé pour chercher la santé et
mal disposé pour prendre ce qui peut le guérir. |
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Et sic
manifestum est quod, cum per caritatem homo disponatur ut bene se habeat ad
ultimum finem, necesse est ut habeat alias virtutes, quibus bene disponatur
ad ea quae sunt ad finem. Est ergo caritas alia ab his quae ordinantur ad ea
quae sunt ad finem, licet illa quae ordinatur ad finem, sit principalior, et
architectonica, respectu earum quae ordinantur in ea quae sunt ad finem;
sicut medicinalis respectu pigmentariae, et militaris respectu equestris.
Unde manifestum fit quod necesse est caritatem esse quamdam virtutem
specialem distinctam ab aliis virtutibus, sed principalem et motivam respectu
earum. |
Et ainsi il est évident
que, puisque par la charité l’homme est disposé à se bien comporter vis-à-vis
de la fin dernière, il est nécessaire qu’il y ait les autres vertus qui le
disposent à ce qui concerne la fin. Donc il y a la charité, [une vertu] autre
que celles qui sont ordonnées à ce qui concerne la fin, bien qu’elle soit
plus importante et comme maîtresse par rapport à ce qui est ordonné à ce qui
concerne la fin; comme l’art médical par rapport à la pharmacie et l’art
militaire par rapport à l’art équestre. C'est pourquoi il devient évident
qu’il est nécessaire que la charité soit une vertu particulière distincte des
autres, mais elle est importante et elle met en mouvement par rapport à
elles. |
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[66121] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod illa definitio datur per causam, in quantum caritas est causa
omnium aliarum virtutum. |
Solutions : 1. Cette définition est
donnée par la cause, en tant que la charité est la cause de toutes les autres
vertus. |
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[66122]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 2 Ad secundum dicendum est, quod caritas in
diligendo proximum habet Deum ut rationem formalem obiecti, et non solum ut
finem ultimum, ut ex supradictis, art. praec., patet : sed aliae virtutes
habent Deum non ut rationem formalem obiecti, sed ut ultimum finem. Et ideo,
cum dicitur quod caritas diligit proximum propter Deum, illud propter denotat
non solum causam materialem, sed quodammodo formalem. Cum autem dicitur de
aliis virtutibus quod operantur propter Deum, illud propter denotat causam
finalem tantum. |
2. La charité en aimant le
prochain possède Dieu comme raison formelle d’objet, et non seulement comme
fin ultime, comme on le voit par ce qui a été dit ci-dessus, art.
précédent ; mais les autres vertus ont Dieu non pas comme raison
formelle d’objet, mais comme fin ultime. Et c'est pourquoi quand on dit que
la charité aime le prochain à cause de Dieu, ce ‘à cause’ signale non seulement
une cause matérielle, mais une cause formelle d’une certaine manière. Mais
quand on dit à propos des autres vertus, qu'elles opèrent à cause de Dieu, ce
‘à cause’ ajoute une cause finale seulement. |
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[66123] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod caritas non producit actus aliarum virtutum elicitive, sed imperative
tantum. Elicit enim virtus illos actus tantum qui sunt secundum rationem
propriae formae, sicut iustitia recte facere, et temperantia temperanter; sed
imperare dicitur omnes actus quos ad finem suum advocat. |
3. La charité ne produit
pas les actes des autres vertus de manière efficace, mais seulement de
manière impérative. Car la vertu produit seulement ces actes qui dépendent de
la nature de la forme propre, comme agir avec rectitude par justice et avec
tempérance par tempérance, mais on dit qu’elle commande tous les actes
qu’elle fait parvenir à leur fin. |
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[66124]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 4 Ad quartum dicendum, quod bonum commune non est
obiectum caritatis, sed summum bonum; et ideo non sequitur quod caritas sit
generalis virtus sed quod sit summa virtutum. |
4. Le bien commun n’est
pas objet de charité mais c’est le bien suprême, et c'est pourquoi il n’en
découle pas que la charité soit une vertu générale, mais qu’elle soit la plus
haute des vertus. |
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[66125]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas non est
perfectio intrinseca aliarum virtutum, sed extrinseca, ut supra, art. 3 huius
quaest., dictum est; unde ratio non sequitur. |
5. La charité n’est pas la
perfection intrinsèque des autres vertus, mais la perfection extrinsèque,
comme cela a été dit ci-dessus art. 3 de cette question, c'est pourquoi cette
raison ne vaut pas. |
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[66126]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 6 Ad sextum dicendum, quod caritas est, sicut in
subiecto, in una tantum potentia, scilicet in voluntate, quae per imperium
movet alias potentias; et secundum hoc Deum iubemur ex tota mente et anima
diligere, ut omnes vires animae nostrae advocentur in obsequium divini
amoris. |
6. La charité est, comme
dans un sujet, en une puissance seulement, à savoir dans la volonté, qui par
son pouvoir met en mouvement les autres puissances, et selon cela nous sommes
obligés d’aimer Dieu de tout notre esprit et de toute notre âme, pour que
toutes les forces de notre âme soient appelées en déférence à l’amour divin. |
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[66127]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 7 Ad septimum dicendum, quod sicut caritas
imperat aliarum virtutum actus, ita per modum imperii excludit peccata eis
contraria; et secundum hunc modum caritas resistit tentationibus; sed tamen
necesse est esse alias virtutes, quae directe et elicitive peccata excludant. |
7. La charité commande les
actes des autres vertus, de même par mode de pouvoir elle exclut les péchés
qui lui sont contraires ; et de cette manière la charité résiste aux
tentations, mais cependant il est nécessaire qu’il y ait d’autres vertus qui
excluent les péchés directement et de manière efficace. |
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[66128]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 8 Ad octavum dicendum est, quod sicut actus
aliarum virtutum ordinantur ad finem quod est obiectum caritatis; ita et
peccata quae sunt contra alias virtutes, habent oppositionem ad finem, qui
est obiectum caritatis : et ex hoc contingit quod contraria aliarum virtutum,
scilicet peccata, caritatem expellant. |
8. De même que les actes
des autres vertus sont ordonnés à la fin qui est l’objet de la charité, de
même les péchés aussi qui sont contre les autres vertus, s’opposent à la fin,
qui est l’objet de la charité, et par là il arrive que les contraires des
autres vertus, à savoir les péchés, chassent la charité. |
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[66129]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 9 Ad nonum dicendum, quod licet caritas
sufficienter per modum imperii in omnibus nos dirigat quae ad rectam vitam
pertinent; tamen requiruntur aliae virtutes quae eliciendo actus exequantur
imperium caritatis, ad hoc quod homo prompte et sine impedimento operetur. |
9. Bien que la charité
nous dirige suffisamment par mode de pouvoir dans tout ce qui convient à une
vie droite, cependant d’autres vertus sont requises, qui en choisissant les
actes suivent le pouvoir de la charité, pour que l’homme opère promptement et
sans empêchement. |
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[66130]
De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 10 Ad decimum dicendum, quod contingit aliquid
esse propter finem quod tamen secundum se est difficile et triste; sicut cum
aliquis accipit medicinam amaram libenter propter sanitatem, licet in ipsa
sumptione multum affligatur. Caritas
igitur facit omnia esse delectabilia ex fine; sed requiruntur aliae virtutes,
quae faciant ea quae sunt virtuosa secundum se delectabilia, ad hoc quod
facilius operemur. |
10. Il arrive que quelque
chose soit en vue de la fin qui cependant en soi est difficile et triste,
comme quand quelqu'un reçoit une médecine amère, librement pour sa santé,
bien qu’en cette prise, il éprouve beaucoup de gêne. Donc la charité fait que
tout soit délectable par sa fin ; mais d’autres vertus sont requises qui
font que ce qui est vertueux soit délectable en soi, pour que nous opérions
plus facilement. |
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[66131] De virtutibus, q. 2 a. 5 ad 11 Ad undecimum
dicendum, quod caritas simul habet generationem cum aliis virtutibus, non
quia sit indistincta ab aliis, sed quia Dei perfecta sunt opera; unde
infundens caritatem simul infundit omnia illa quae sunt necessaria ad
salutem. Corrumpitur autem simul cum omnibus virtutibus : quia
quaecumque contrariantur aliis virtutibus, contrariantur caritati, ut dictum
est. |
11. La charité possède la
génération en même temps que les autres vertus, non parce qu’elle est
indistincte des autres, mais parce que les œuvres de Dieu sont parfaites ;
c'est pourquoi en infusant la charité, en même temps il infuse tout ce qui
est nécessaire au salut. Mais elle est corrompue en même temps que toutes les
vertus ; parce que tout ce qui est contraire aux autres vertus est
contraire à la charité, comme on l’a dit. |
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Articulus 6 : [66132] De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 1
Sexto quaeritur utrum caritas possit esse cum peccato mortali |
Article 6 – La charité peut-elle exister avec le péché originel ? |
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[66133]
De virtutibus, q. 2 a. 6 tit. 2 Et videtur quod sic. |
Il semble que oui. |
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[66134] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 1 Dicit enim
Origenes in I Periarchon [cap. III]
: non arbitror quod aliquis ex his qui
in summo perfectoque perstiterunt gradu, ad subitum evacuetur ac decidat; sed
per partes et paulatim eum diffluere necesse est. Subito autem aliquis
committit peccatum mortale per solum consensum. Ergo qui est in perfecto
statu per caritatem, non decidit a caritate per unum actum peccati mortalis;
et sic caritas potest esse cum peccato mortali. |
|
|
[66135]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 2 Praeterea, Bernardus dicit [in lib. De dignitate div. Amoris, cap. VI]
quod caritas in Petro, quando Christum negavit, non fuit extincta, sed
sopita. Sed Petrus negando Christum
peccavit mortaliter. Ergo caritas potest remanere cum peccato mortali. |
2. Bernard (La dignité de l’Amour divin, VI) dit
que la charité en Pierre, quand il a renié le Christ, ne s’est pas éteinte,
mais endormie. Or Pierre, en reniant le Christ, a péché mortellement. Donc la
charité peut demeurer avec le péché mortel. |
|
[66136]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 3 Praeterea, caritas est fortior quam habitus
virtutis moralis. Sed habitus virtutis non tollitur per unum actum vitiosum,
cum non per unum actum generetur : ex eisdem enim contrario modo factis
generatur virtus et corrumpitur, ut dicitur in II Ethic. Ergo multo minus habitus caritatis tollitur per unum
peccatum mortale. |
3. La charité est plus
forte que l’habitus d’une vertu morale. Or celui-ci n’est pas enlevé par un
seul acte vicieux, puisqu’il n’est pas généré par un seul acte ; car par
les mêmes faits, la vertu est générée et corrompue d’une manière contraire,
comme il est dit en Éthique, II, 1,
1103 b 6. Donc l’habitus de la charité est beaucoup moins enlevé par un seul
péché mortel. |
|
[66137]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 4 Praeterea, unum uni opponitur. Sed caritas
est una virtus specialis, ut ostensum est. Ergo sibi opponitur unum vitium
speciale. Non ergo per alia peccata mortalia tollitur; et sic videtur quod
possit peccatum mortale simul esse cum caritate. |
|
|
[66138]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 5 Praeterea, opposita non se expellunt nisi
circa idem subiectum. Sed quaedam peccata non sunt in eodem subiecto cum
caritate : nam caritas est in superiori parte rationis, quae convertitur ad
Deum; potest autem peccatum mortale esse etiam in inferiori parte rationis,
ut dicit Augustinus in Lib. de Trinit.
Ergo non omne peccatum mortale excludit caritatem. |
5. Les opposés ne
s’excluent que pour un même substrat. Or certains péchés ne sont pas dans le
même substrat que la charité ; car elle est dans la partie supérieure de
la raison, qui est tournée vers Dieu : mais le péché mortel peut être aussi
dans la partie inférieure de la raison, comme le dit Augustin dans La Trinité. Donc tout péché mortel
n’exclut pas la charité. |
|
[66139]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 6 Praeterea, illud quod est fortissimum, non
potest expelli a debilissimo. Sed caritas est fortissima : Fortis enim est ut mors dilectio, ut dicitur Cantic., VII, 6 : peccatum autem est debilissimum, quia malum est
infirmum et impotens, ut Dionysius dicit [V cap. de divin. Nomin.] Ergo peccatum mortale non expellit caritatem;
et sic potest esse simul cum ea. |
6. Le plus fort ne peut
pas être chassé par le plus faible. Or la charité est la plus forte ;
car l’amour est fort comme la
mort, comme il est dit (Ct 7,
6) : mais le péché est très faible, parce que le mal est sans force et sans
puissance, comme Denys le dit (Les noms
divins, 5). Donc le péché mortel ne chasse pas la charité, et ainsi il
peut cohabiter avec elle. |
|
[66140] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 7 Praeterea,
habitus secundum actus cognoscuntur. Sed actus caritatis potest esse
cum peccato mortali : homo enim peccans diligit Deum et proximum. Ergo
caritas potest esse cum peccato mortali. |
7. Les habitus sont
reconnus à leurs actes. Or celui de la charité peut exister avec le péché
mortel : car l’homme qui pèche aime Dieu et son prochain. Donc la charité
peut exister avec le péché mortel. |
|
[66141]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 8 Praeterea, caritas praecipue facit delectari
in contemplatione Dei. Sed delectationi quae est in considerando, nihil est
contrarium, ut dicit philosophus in I Topic.
Ergo caritati nihil est contrarium : et ita non potest expelli per peccatum
mortale. |
8. La charité fait surtout
qu’on éprouve du plaisir dans la contemplation de Dieu. Or au plaisir qu’on
trouve en le considérant, rien n’est contraire, comme le dit le philosophe (Topique, 1, 15, 106 b 4). Donc rien
n’est contraire à la charité ; et ainsi elle ne peut pas être chassée
par le péché mortel. |
|
[66142]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 9 Praeterea, universale movens potest impediri
in uno mobili, et non impediri in alio. Sed caritas est universalis motor
omnium virtutum, ut supra, art. 3, dictum est. Ergo non oportet quod sic impediatur in una virtute
in quantum alias movet : potest igitur cum peccato opposito temperantiae
caritas remanere, prout est motiva aliarum virtutum. |
9. Le moteur universel
peut être empêché dans un mobile, et pas dans un autre. Or la charité est le
moteur universel de toutes les vertus, comme il a été dit ci-dessus, article
3. Donc il n’est pas nécessaire qu’elle soit ainsi empêchée dans une seule
vertu en tant qu’elle meut les autres ; donc la charité peut demeurer
avec un péché opposé à la tempérance, dans la mesure où elle meut les autres
vertus. |
|
[66143]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 10 Praeterea, sicut caritas habet Deum pro
obiecto, ita fides et spes. Sed fides et spes possunt esse informes. Ergo
eadem ratione et caritas; et sic potest esse cum peccato mortali. |
10. La charité a Dieu pour
objet, la foi et l’espérance aussi. Or la foi et l’espérance peuvent être
imparfaits. Donc pour la même raison, la charité aussi. Et ainsi elle peut
exister avec un péché mortel. |
|
[66144]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 11 Praeterea, omne illud quod non habet
perfectionem quam natum est habere, est informe. Sed caritas non habet
perfectionem hic in via quam nata est habere in patria. Ergo est informis; et
sic videtur quod possit esse cum peccato mortali. |
11. Tout ce qui n’a pas la
perfection qu’il est destiné à avoir, est imparfait. Or la charité n’a pas,
ici dans la voie, la perfection qu’elle est destinée à avoir dans la patrie.
Donc elle est imparfaite, et ainsi il semble qu’elle pourrait exister avec le
péché mortel. |
|
[66145] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 12 Praeterea,
habitus cognoscuntur per actus. Sed aliqui actus habentium caritatem possunt
esse imperfecti : nam multoties aliqui caritatem habentes moventur aliquo
motu impatientiae, vel inanis gloriae. Ergo et habitum caritatis contingit
esse imperfectum et informem; et sic videtur quod cum caritate possit esse
peccatum mortale. |
12. Les habitus sont
connus par les actes. Or certains actes de ceux qui possèdent la charité
peuvent être imparfaits, car fréquemment ils sont poussés par un mouvement
d’impatience, ou de vaine gloire. Donc il arrive que l’habitus de la charité
soit imparfait, et ainsi il semble qu’il pourrait y avoir un péché mortel
avec la charité. |
|
[66146]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 13 Praeterea, sicut virtuti opponitur peccatum,
ita ignorantia opponitur scientiae. Sed non quaelibet ignorantia tollit totam
scientiam. Ergo nec quodlibet peccatum mortale tollit totam virtutem; unde,
cum caritas sit radix virtutum, non videtur quod quodlibet peccatum mortale
tollat caritatem. |
13. De même que le péché
est opposé à la vertu, de même l’ignorance est opposée à la science. Or ce
n’est pas n’importe quelle ignorance qui enlève toute la science, et donc pas
n’importe quel péché mortel qui enlève toute la vertu ; c'est pourquoi,
comme la charité est la racine des vertus, il ne semble pas que n’importe
quel péché mortel enlève la charité. |
|
[66147]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 14 Praeterea, caritas est amor Dei. Sed manente
amore ad rem aliquam, aliquis propter incontinentiam operatur contra illam;
sicut aliquis amans seipsum, contra bonum agit per incontinentiam; et
similiter aliquis amans aliquam communitatem, contra eam agit propter
incontinentiam, ut philosophus dicit in V Politic.
Ergo aliquis potest peccando contra Deum agere, manente caritate. |
14. La charité est l’amour
de Dieu. Or si l’amour pour quelque chose demeure, quelqu’un à cause de son
incontinence opère contre elle, de même quelqu'un qui s’aime lui-même agit
contre le bien par son incontinence, et de la même manière quelqu’un qui aime
une communauté agit contre elle à cause de son incontinence, comme le
philosophe le dit (Politique, V).
Donc quelqu’un peut en péchant agir contre Dieu, et sa charité demeure. |
|
[66148]
De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 15 Praeterea, aliquis habet se bene in
universali, qui tamen deficit in particulari, sicut incontinens rectam
rationem habet circa universalia, utpote quod fornicari est malum, et tamen
in singulari eligit nunc fornicari, ut bonum, ut dicit philosophus in VI Ethic. Sed caritas facit hominem bene se habere circa
universalem finem. Ergo manente caritate, potest aliquis
peccare circa aliquod particulare; et sic caritas potest esse cum peccato
mortali. |
|
|
[66149] De virtutibus, q. 2 a. 6 arg. 16 Praeterea,
contraria sunt in eodem genere. Sed peccatum est in genere actus : quia
peccatum est dictum vel factum vel concupitum contra legem Dei : caritas
autem est in genere habitus. Ergo peccatum non contrariatur
caritati; et sic non expellit ipsam : potest ergo simul esse cum ea. |
|
|
[66150] De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 1 Sed contra. Est
quod dicitur Sap., I, 5 : Spiritus sanctus disciplinae effugiet
fictum, et avertet se a cogitationibus quae sunt sine intellectu, et
corripietur, id est expelletur, a
superveniente iniquitate. Sed Spiritus sanctus est in homine quamdiu
habet caritatem; quia per caritatem habitat in nobis Spiritus Dei. Ergo a
superveniente iniquitate expellitur caritas; et sic non potest esse simul cum
peccato mortali. |
|
|
[66151]
De virtutibus, q. 2 a. 6 s. c. 2 Praeterea, quicumque habet caritatem, dignus
est vita aeterna, secundum illud apostoli, II Tim., IV, 8 : In reliquo
reposita est mihi corona iustitiae, quam reddet mihi dominus in illa die,
iustus iudex; non solum autem mihi, sed et his qui diligunt adventum eius.
Quicumque autem peccat mortaliter, dignus est poena aeterna, secundum illud Rom., cap. VI, 23. Stipendia peccati mors. Sed aliquis
non potest esse simul dignus vita aeterna et poena aeterna. Ergo non potest
simul caritas cum peccato mortali haberi. |
2. De plus, quiconque a la
charité est digne de la vie éternelle, selon ce que dit l’Apôtre (II Tm 4, 8) : Il ne me reste plus qu’à recevoir la couronne de justice que le
Seigneur me donnera en retour en ces jours, lui le juste juge ; non
seulement à moi mais à ceux qui aiment sa venue. Or quiconque pèche
mortellement est digne de la peine éternelle, selon Rm 6, 23 : Le salaire du
péché est la mort. Or on ne peut pas être en même temps digne de la vie
éternelle et de la peine éternelle. Donc on ne peut pas avoir la charité en
même temps que le péché mortel. |
|
[66152] De virtutibus, q. 2 a. 6 co. Respondeo.
Dicendum, quod caritas nullo modo potest simul esse cum peccato mortali. Ad cuius evidentiam primo considerandum est, quod omne
peccatum mortale directe opponitur caritati. Quicumque enim praeeligit
aliquid alteri, illud quod praeeligit, magis amat; unde quia homo magis amat
propriam vitam et sui consistentiam quam voluptatem, quantumcumque sit magna
voluptas, homo retraheretur ab ea, si eam existimaret esse suae vitae
infallibiliter peremptivam; propter quod dicit Augustinus in Lib. LXXXIII quaestionum [quaest.
36], quod Nemo est qui non magis dolorem metuat quam appetat voluptatem;
quandoquidem videmus etiam immanissimas bestias a maximis voluptatibus
abstinere dolorum metu. |
Réponse : La charité ne peut en
aucune manière coexister avec le péché mortel. Pour le mettre en évidence, il faut considérer que
tout péché mortel est directement opposé à la charité. Car quiconque préfère
une chose à une autre aime davantage ce qu’il a choisi d’abord ; c'est
pourquoi, parce qu’un homme aime plus sa propre vie et sa préservation que la
volupté, quelque grande que soit celle-ci, l’homme s’en éloignerait s’il
pensait qu’elle est infailliblement dommageable à sa vie ; à cause de
cela Augustin dit (Les 83 Questions, q.
36) : « Il n’y a personne qui
ne craigne pas plus la douleur qu'il ne désire la volupté : puisque nous
voyons aussi les animaux les plus sauvages s’écarter des plus grandes
voluptés par crainte de la douleur». |
|
Ex
hoc autem aliquis mortaliter peccat quod aliquid magis eligit quam vivere
secundum Deum, et ei inhaerere. Unde manifestum est quod quicumque mortaliter
peccat, ex hoc ipso magis amat aliud bonum quam Deum. Si enim amaret magis
Deum, praeeligeret vivere secundum Deum quam quocumque temporali bono potiri.
Hoc autem est de ratione caritatis quod Deus super omnia diligatur, ut ex
superioribus patet; unde omne peccatum mortale caritati contrariatur. |
Pèche mortellement celui
qui choisit plutôt une chose que de vivre selon Dieu et s’attacher à lui.
C'est pourquoi il est évident que n’importe qui pèche mortellement du fait
même qu’il aime un autre bien que Dieu. Si en effet il aimait Dieu davantage,
il choisirait avant de vivre selon Dieu plutôt que de s’emparer de quelque
bien temporel. Or il est de la nature de la charité d’aimer Dieu par-dessus
tout, comme il ressort de ce qu’on a dit plus haut; c'est pourquoi tout péché
mortel est contraire à la charité. |
|
Caritas enim hominibus a Deo infunditur. Quae autem ex
infusione divina causantur, non solum indigent actione divina in sui
principio, ut esse incipiant, sed in tota sui duratione, ut conserventur in
esse; sicut illuminatio aeris indiget praesentia solis, non solum cum primo
aer illuminatur, sed quamdiu illuminatus manet : et propter hoc, si aliquod
obstaculum interponatur intercipiens directum aspectum ad solem, desinit esse
lumen in aere; et similiter quando peccatum mortale advenit, quod impedit
directum aspectum animae ad Deum, per hoc quod aliquid aliud praefert Deo,
intercipitur influxus caritatis, et desinit esse caritas in homine, secundum
illud Is., LIX, 2 : Peccata nostra
diviserunt inter nos et Deum nostrum. Sed cum rursus mens hominis redit ut recte in Deum
aspiciat, eum super omnia diligendo (quod tamen sine divina gratia esse non
potest), iterato ad statum caritatis redit. |
En effet la charité est répandue par Dieu dans les
hommes. Or ce qui est causé par infusion divine, non seulement n’a pas besoin
de l’action divine en son principe pour commencer à être, mais pendant toute
sa durée pour y être conservé, comme la lumière de l’air a besoin de la
présence du soleil, non seulement lorsque l’air est éclairé, mais aussi
longtemps qu’il demeure éclairé. Et à cause de cela, si un obstacle s’interpose,
interceptant la vision directe du soleil, la lumière cesse d’être dans l’air
; et de la même manière quand le péché mortel advient qui empêche le regard
direct de l’âme vers Dieu, par cela qu’elle lui préfère autre chose, l’influx
de la charité est interrompu et elle cesse d’exister en l’homme, selon ce que
dit Is 69, 2 : Nos péchés nous ont séparés de notre Dieu. Mais lorsque de
nouveau l’esprit de l’homme revient pour porter avec rectitude ses regards
vers Dieu, en l’aimant par-dessus tout (ce qui ne peut pas se faire sans la
grâce), il revient de nouveau à l’état de charité. |
|
[66153]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum Origenis
non sic est intelligendum, quod homo peccans mortaliter, quantumcumque
perfectus, non subito caritatem amittat sed quia non contingit de facile quod
homo perfectus statim a principio mortaliter peccet, sed per negligentiam et
diversa peccata venialia, disponitur ut tandem labatur in peccatum mortale. |
Solutions : 1. La parole d’Origène
n’est pas à comprendre ainsi : l’homme qui pèche mortellement, quelque
parfait qu’il soit, ne perd pas la charité subitement, mais parce qu’il
n’arrive pas facilement que l’homme parfait pèche mortellement dès le
commencement, mais par négligence et par différents péchés véniels, il se
dispose à la fin à glisser dans le péché mortel. |
|
[66154]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 2 Ad secundum dicendum, quod verbum Bernardi non
videtur sustinendum, nisi intelligatur caritas in Petro non fuisse extincta,
quia cito resurrexit; ea enim quae parum distant, quasi nihil distare
videntur, ut dicitur in II Physic.
[com. 56]. |
2. La parole de Bernard ne
semble pas devoir être soutenue, sauf si on pense que la charité en Pierre
n’a pas été éteinte, parce qu’aussitôt elle a ressuscité ; car ce qui
est un peu éloigné, semble pour ainsi dire en rien éloigné, comme il est dit
en Physique II, 5, 197 a 28). |
|
[66155]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 3 Ad tertium dicendum, quod virtus moralis, quae
acquiritur ex actibus, consistit in inclinatione potentiae ad actum; quae
quidem inclinatio non tollitur totaliter per unum actum. Sed influentia
caritatis a Deo intercipitur per unum actum; et ideo unus actus peccati
tollit caritatem. |
3. La vertu morale, qui
est acquise par les actes, consiste dans l’inclination de la puissance à
l’acte ; cette inclination n’est pas enlevée totalement par un seul
acte. Mais l’influence de la charité est coupée de Dieu par un seul acte, et
c'est pourquoi un seul acte de péché enlève la charité. |
|
[66156]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 4 Ad quartum dicendum, quod caritatis oppositum
generale est odium; sed indirecte omnia peccata caritati opponuntur, in
quantum pertinent ad Dei contemptum, qui est super omnia diligendus. |
4. L’opposé universel de
la charité c’est la haine, mais indirectement tous les péchés sont opposés à
la charité, en tant qu’ils aboutissent au mépris pour Dieu, qui doit être
aimé par-dessus tout. |
|
[66157]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 5 Ad quintum dicendum, quod superior ratio, in
qua est caritas, movet inferiorem; unde peccatum, in quantum in inferiori
parte opponitur motui caritatis, caritatem excludit. Vel dicendum, quod
peccatum mortale non est sine consensu, qui attribuitur superiori parti
rationis, in qua est caritas. |
5. La raison supérieure,
en laquelle se trouve la charité, meut la raison inférieure ; c’est
pourquoi le péché, en tant qu’il est opposé dans la partie inférieure au
mouvement de la charité, l’exclut. Ou bien il faut dire que le péché mortel
n’est pas sans consentement ; il est attribué à la partie supérieure de
la raison en qui se trouve la charité. |
|
[66158]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 6 Ad sextum dicendum, quod peccatum non expellit
caritatem ex sua virtute; sed ex eo quod homo voluntarie se peccato subiicit. |
6. Le péché ne chasse pas
la charité par son pouvoir, mais parce que l’homme se soumet volontairement
au péché. |
|
[66159]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 7 Ad septimum dicendum, quod homo qui peccat
mortaliter, non diligit Deum super omnia, sicut diligendus est ex caritate;
sed est aliquid aliud quod praefert amori Dei, propter quod Dei mandatum
contemnit. |
7. L’homme qui pèche
mortellement n’aime pas Dieu par-dessus tout, comme il doit être aimé par
charité, mais il y a quelque chose d’autre qu’il préfère à l’amour de Dieu, à
cause de quoi il méprise son commandement. |
|
[66160]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 8 Ad octavum dicendum, quod delectatio quae est
in considerando, non habet contrarium in eodem genere, ut scilicet aliqua
alia consideratio sit ei contraria; et hoc ideo quia species contrariorum in
intellectu non sunt contrariae; unde delectationi quae est in considerando
album, non contrariatur delectatio quae est in considerando nigrum. Sed quia actus voluntatis consistit in motu animae
ad rem, sicut res in seipsis sunt contrariae, ita motus voluntatis in
contraria sunt contrarii : desiderium enim dulcis contrariatur desiderio
amari. Et secundum hoc amor Dei contrariatur amori peccati,
quod excludit a Deo. Consideratio autem in qua non est contrarietas, non est
proprius actus caritatis, qui ab ipsa elicitur, sed solum ab ipsa imperatur
quasi eius effectus. |
8. Le plaisir qu’on
éprouve dans la considération [de Dieu] n’a pas de contraire dans un même
genre, à savoir qu’une autre considération lui est contraire, et cela parce
que les espèces des contraires dans l’intellect ne sont pas contraires, et
c'est pourquoi celui éprouvé dans la considération du blanc, n’est pas
contraire au plaisir éprouvé dans la considération du noir. Mais parce que
l’acte de la volonté consiste dans le mouvement de l’âme vers la réalité, de
même que les choses en elles-mêmes sont contraires, de même les mouvements de
la volonté dans les contraires sont contraires : car le désir du doux est
contraire à celui de l’amer. Et selon cela l’amour de Dieu est contraire à
l’amour du péché, qui éloigne de Dieu. Mais la considération en laquelle il
n’y a pas de contrariété, n’est pas l’acte propre de la charité, qui est
choisi par elle, mais elle est seulement commandée comme son effet. |
|
[66161] De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 9 Ad nonum dicendum,
quod caritas quae est universalis motor virtutum, cum impeditur in his quae
pertinent ad unam virtutem, per peccatum mortale, impeditur in suo universali
obiecto; et ob hoc universaliter in omnibus impeditur. Non est autem sic cum
universale mobile sic impeditur in particulari effectu, quod non impeditur in
his quae pertinent ad universalem virtutem. |
9. Quand la charité, qui est le
moteur universel des vertus, est empêchée en ce qui convient à une seule
vertu, par le péché mortel, elle est empêchée en son objet universel, et à
cause de cela elle est universellement empêchée en tout. Mais ce n’est pas
ainsi quand le mobile universel est ainsi empêché dans l’effet particulier,
qui n’est pas empêché en ce qui convient à la vertu universelle. |
|
[66162]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet spes et fides
habeant Deum pro obiecto, non tamen eis competit quod sint forma aliarum
virtutum, sicut competit caritati ratione supradicta, art. 3; et ideo, licet
caritas non sit informis, spes tamen et fides esse possunt informes. |
10. Bien que l’espérance
et la foi aient Dieu pour objet, il ne leur convient pas d’être la forme des
autres vertus, comme il convient à la charité par la raison susdite, art.
3 ; et ainsi, bien que la charité ne soit pas imparfaite, l’espérance et
la foi peuvent l’être. |
|
[66163]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod non facit virtutem
informem defectus cuiuscumque perfectionis, sed ille tantum defectus qui
tollit ordinem ultimi finis; qui quidem ordo existit in caritate viae, licet
caritas viae non habeat perfectionem patriae, quae est secundum fruitionem
propriam et perfectam. |
11. La défaillance de
n’importe quelle perfection ne rend pas la vertu imparfaite, mais cette
défaillance seulement qui enlève le rapport à la fin ultime, lequel rapport
existe dans la charité de la voie, bien que celle-ci n’ait pas la perfection
de la patrie, qui concerne la fruition propre et parfaite. |
|
[66164]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod actus imperfecti
possunt esse habentis caritatem, sed non sunt caritatis; non enim quilibet
actus agentis est actus cuiuslibet formae in agente existentis, et praecipue
in rationali natura, quae habet libertatem ad hoc quod utatur habitu in ea
existente. |
12. Les actes imparfaits
peuvent être de celui qui possède la charité, mais ne sont pas de la
charité ; car n’importe quel acte de l’agent n’est pas l’acte de
n’importe quelle forme qui existe dans l’agent, et surtout dans la nature
raisonnable, qui a la liberté pour utiliser l’habitus qui existe en elle. |
|
[66165]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod licet non
quaelibet ignorantia propriorum principiorum excludat scientiam, tamen
ignorantia principiorum communium tollit scientiam; eis enim ignoratis,
necesse est ignorare artem, ut dicitur in I Elench. Ultimus autem finis se
habet sicut principium communissimum; et ideo huius deordinatio ab ultimo
fine per peccatum mortale, tollit totaliter caritatem; non autem quaelibet
deordinatio particularis, ut patet in peccatis venialibus. |
13 Bien que n’importe
quelle ignorance des principes particuliers exclue la science, cependant
l’ignorance des principes communs prive de la science, car pour ceux qui les
ignorent, il est nécessaire d’ignorer l’art, comme il est dit en Elenchus
I. Mais la fin ultime se comporte comme le principe le plus commun, et
c'est pourquoi son manque de rapport à la fin ultime par le péché mortel,
enlève totalement la charité; mais non n’importe quel manque d’ordre particulier,
comme on le voit dans les péchés véniels. |
|
[66166]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod quicumque per
incontinentiam agit contra bonum quod amat, existimat bonum non totaliter
perdi per hoc quod incontinenter agit. Si enim aliquis amans civitatem
aliquam, vel proprii corporis salutem, existimaret se alterum horum perdere
per hoc quod agit : vel totaliter abstineret, vel illud quod ageret, plus
diligeret quam propriam salutem vel civitatis. Unde cum aliquis sciens se
amittere Deum per peccatum mortale (quod est scire se peccare mortaliter),
nihilominus hoc incontinenter agit : convincitur plus amare quod agit quam
Deum. |
|
|
[66167]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non
solum requirit hoc haberi in universali acceptione, quod Deus sit super omnia
diligendus; sed quod etiam in hoc actus electionis et voluntatis tendat sicut
in quoddam aliud particulare eligibile. Et haec particularis electio
excluditur per electionem contrarii, scilicet peccati excludentis a Deo. |
15. La charité ne requiert
pas seulement qu’on la possède dans son acception universelle, c'est-à-dire
que Dieu doit être aimé au-dessus de tout, mais parce qu’aussi dans cet acte
d’élection et de volonté elle tend comme dans une autre chose particulière à
choisir. Cette élection particulière est exclue par l’élection du contraire,
à savoir du péché qui exclut de Dieu. |
|
[66168]
De virtutibus, q. 2 a. 6 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod licet actus
directe contrarientur actibus, sicut et habitus habitibus; tamen indirecte
etiam actus contrariantur habitibus secundum conformitatem quam habent
contrariis habitibus; nam actus similes ex similibus habitibus generantur, et
similes etiam actus causant, licet non omnes habitus causentur ex actibus. |
16. Bien que les actes
soient directement contrariés par des actes, comme les habitus par les
habitus, cependant indirectement aussi les actes sont contraires aux habitus,
selon la conformité qu’ils ont avec des habitus contraires ; car les
actes semblables sont engendrés par des habitus semblables ; et aussi
les actes semblables sont leur cause, bien que tous les habitus ne soient pas
causés par les actes. |
|
|
|
|
[66169] De virtutibus, q. 2 a. 7
tit. 1 Septimo quaeritur utrum obiectum diligibile ex caritate sit rationalis
natura. |
Article 7 – La nature raisonnable est-elle un objet digne d’être aimé par charité ? |
|
[66170]
De virtutibus, q. 2 a. 7 tit. 2 Et videtur quod non. |
Il semble que non. |
|
[66171]
De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 1 Quia propter quod unumquodque, et illud
magis. Sed homo ex caritate diligitur propter virtutem et propter
beatitudinem. Ergo virtus et beatitudo, quae non sunt creaturae rationales,
sunt magis ex caritate diligendae et sic creatura rationalis non est proprium
obiectum caritatis. |
Objections :[49] 1. Parce qu’à cause de cela, il y
a chaque chose et ceci plus. Or l’homme est aimé par charité à cause de sa
vertu et de sa béatitude. Donc la vertu et la béatitude, qui ne sont pas des
créatures raisonnables, doivent être plus aimées par charité, et ainsi la
créature raisonnable n’est pas l’objet propre de la charité. |
|
[66172] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 2 Praeterea,
per caritatem maxime conformamur Deo in diligendo. Sed Deus
diligit omnia quae sunt, ut dicitur Sapient.,
XI, 25, ex caritate diligendo seipsum, qui est caritas. Ergo omnia sunt
diligenda ex caritate, et non solum rationalis natura. |
2. Nous sommes tout à fait
adaptés à Dieu par la charité en l’aimant. Or Dieu aime tout ce qui existe,
comme il est dit en Sg 11, 25, en
s’aimant par charité lui-même qui est la charité. Donc tout doit être aimé
par charité, et pas seulement la nature raisonnable. |
|
[66173]
De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 3 Praeterea, Origenes dicit Super Cantica, quod unum est diligere
Deum et quaecumque bona. Sed Deus diligitur ex caritate. Ergo, cum omnes
creaturae sint bonae, omnes sunt diligendae ex caritate, et non solum
rationalis natura. |
3. Origène dit (Sur le Cantique), que c’est une [même]
chose d’aimer Dieu et tout ce qui est bon. Or Dieu est aimé par charité.
Donc, comme toutes les créatures sont bonnes, toutes doivent être aimées par
charité, et pas seulement la nature raisonnable. |
|
[66174]
De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 4 Praeterea, sola dilectio caritatis est
meritoria. Sed in dilectione cuiuslibet rei possumus mereri. Ergo quamlibet
rem possumus diligere ex caritate. |
4. Le seul amour de
charité est méritoire. Or en aimant n’importe quoi nous pouvons mériter. Donc
nous pouvons aimer n’importe quoi par charité. |
|
[66175]
De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 5 Praeterea, Deus ex caritate diligitur. Ergo
oportet magis ex caritate diligi quod ab eo maxime diligitur. Sed inter omnia creata maxime diligitur a Deo bonum
universi, in quo omnia comprehenduntur. Ergo omnia sunt ex caritate
diligenda. |
5. Dieu est aimé par
charité. Donc il est nécessaire d'aimer par charité davantage ce qu’il aime
le plus. Or, parmi toutes les créatures, le bien de l’univers, en quoi tout
est saisi, est le plus aimé de Dieu. Donc tout doit être aimé par charité. |
|
[66176] De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 6 Praeterea,
diligere magis pertinet ad caritatem quam credere. Sed caritas omnia credit,
ut dicitur I ad Cor., XIII, 8. Ergo
multo magis omnia diligit. |
6. Aimer convient plus à
la charité que croire. Or la charité croit tout, comme il est dit en 1 Co 13, 8. Donc elle aime tout
beaucoup plus. |
|
[66177]
De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 7 Praeterea, natura rationalis perfectissime
invenitur in Deo. Si igitur natura rationalis sit obiectum caritatis,
oporteret quod Deum ex caritate diligeremus. Sed hoc videtur esse
impossibile, quia amor caritatis est amor perfectus; deinde, quia Deum
perfecte in hac vita diligere non possumus, quia in hac vita ipsum perfecte
non cognoscimus : non enim cognoscimus de Deo quid est, sed solum quid non
est. Dilectio autem praesupponit cognitionem, cum nihil diligatur nisi
cognitum. Ergo rationalis vel intellectualis natura non est proprium obiectum
caritatis. |
7. La nature raisonnable
se trouve de manière tout à fait parfaite en Dieu. Si donc elle était l’objet
de la charité, il serait nécessaire que nous aimions Dieu par charité. Or
cela semble impossible, parce que l’amour de charité est un amour
parfait ; ensuite, parce que nous ne pouvons pas l’aimer parfaitement en
cette vie, puisque nous ne le connaissons pas parfaitement : car nous ne
savons pas de Dieu ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas. Or
l’amour présuppose la connaissance, puisque rien n’est aimé que ce qui est
connu. Donc la nature raisonnable ou intellectuelle n’est pas l’objet propre
de la charité. |
|
[66178]
De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 8 Praeterea, plus distat ab homine Deus quam
quaelibet alia creatura. Si ergo aliquas creaturas non diligimus ex caritate,
multo minus Deum ex caritate diligere possumus. |
8. Dieu est plus distant
de l’homme que n’importe quelle autre créature. Si donc nous n’aimons pas des
créatures par charité, nous pouvons beaucoup moins aimer Dieu par charité. |
|
[66179]
De virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 9 Praeterea, in Angelis etiam est
intellectualis natura. Sed Angeli non sunt ex caritate diligendi, ut videtur.
Ergo intellectualis natura non est proprium obiectum caritatis. Probatio mediae. Amicitia in aliqua
communicatione vitae consistit; nam convivere est proprium amicorum, secundum
philosophum in Lib. Ethicor. [lib.
IX, cap. XIX] Sed non videtur esse aliqua communicatio vitae nobis et
Angelis; non enim communicamus in vita naturae cum Angelis, cum sint multo
praestantioris naturae quam homo; neque iterum in vita gloriae, quia dona
gratiae et gloriae dantur a Deo secundum virtutem recipientis, secundum illud
Matth., XXV, 15 : Dedit unicuique secundum propriam virtutem;
virtus autem Angeli est multo maior quam hominis. Ergo Angeli non communicant
in aliqua vita cum hominibus. |
9. Dans les anges aussi il
y a une nature intellectuelle. Or ils ne doivent pas être aimés par charité,
à ce qu’il semble. Donc la nature intellectuelle n’est pas l’objet propre de
la charité. Preuve intermédiaire :
L’amitié consiste dans une communauté de vie ; car vivre ensemble est le
propre des amis, selon le philosophe (Ethique,
VIII, 15, 1162 b 14). Or il ne semble pas qu’il y ait une communauté de vie
entre nous et les anges ; car dans la vie de nature nous ne communiquons
pas avec eux, puisqu’ils sont d’une nature supérieure à l’homme, et en plus
dans la vie de gloire non plus, parce que les dons de grâce et de gloire sont
donnés par Dieu selon la capacité de celui qui les reçoit, selon cette parole
de Matthieu 25, 15 : Il a donné à chacun selon sa propre
capacité[50] ; mais celle de l’ange est beaucoup
plus grande que celle de l’homme. Donc les anges ne communiquent dans aucune
vie avec les hommes. |
|
[66180] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 10 Praeterea, natura rationalis invenitur etiam in
ipso homine ex caritate diligente. Sed homo seipsum non debet ex caritate
diligere ut videtur. Ergo caritatis obiectum non est rationalis natura. Probatio mediae. De actibus virtutum
dantur praecepta legis. Sed non datur aliquod praeceptum legis de hoc quod
aliquis diligat seipsum. Ergo diligere non est actus caritatis. |
10. La nature raisonnable
se trouve aussi dans l’homme qui aime par charité. Or l’homme ne doit pas
s’aimer lui-même par charité, à ce qu’il semble. Donc la nature raisonnable
n’est pas l’objet de la charité. Preuve
intermédiaire : les préceptes de la loi sont donnés au sujet des actes
des vertus. Or le précepte de la loi n’est pas donné pour que quelqu’un
s’aime lui-même. Donc aimer n’est pas un acte de charité. |
|
[66181] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 11 Praeterea, Gregorius dicit in quadam Homil.,
quod caritas minus quam inter duos
haberi non potest. Non potest ergo quis seipsum ex caritate diligere. |
11. Grégoire dit dans une Homélie
que «la charité ne peut exister
qu’entre au moins deux». Donc quelqu’un ne peut pas s’aimer lui-même par charité. |
|
[66182] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 12 Praeterea, sicut iustitia consistit in
communicatione, ita et amicitia, secundum philosophum in IV Ethic. Sed iustitia, proprie loquendo,
non est hominis ad seipsum ut dicitur in V Ethic. Ergo neque amicitia, et ita neque caritas. |
12. De même que la justice
consiste dans la communication, l’amitié aussi, selon le philosophe, (Éthique, VIII, 1, 1155 a 23). Or la
justice à proprement parler ne vient pas de l’homme pour lui-même, comme il
est dit (Éthique, V). Donc l’amitié
non plus, et ainsi la charité non plus. |
|
[66183] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 13 Praeterea, nihil quod computatur in vitium, est
actus caritatis. Sed amare seipsum computatur homini in vitium secundum illud
II Timoth., III, 1 : Instabunt tempora periculosa, et erunt
homines seipsos amantes. Ergo diligere seipsum non est actus caritatis;
et ita natura rationalis non est proprium obiectum caritatis. |
13. Rien de ce qui est
compté dans le vice, n’est un acte de charité. Or s’aimer soi-même est compté
à l’homme comme un vice selon cette parole de 2 Tm 3, 1 : Les [derniers] temps seront périlleux … et les hommes
s’aimeront eux-mêmes[51]. Donc s’aimer soi-même n’est pas un
acte de charité ; et ainsi la nature raisonnable n’est pas un objet
propre de la charité. |
|
[66184] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 14 Praeterea, corpus humanum est pars rationalis
naturae, scilicet humanae. Sed corpus humanum non videtur esse diligendum ex
caritate; quia secundum philosophum in IX Ethic.,
vituperantur qui amant seipsos secundum exteriorem naturam. Ergo natura
rationalis non est obiectum caritatis. |
14. Le corps humain est
une partie de la nature raisonnable, c'est-à-dire de la nature humaine. Or le
corps humain ne semble pas devoir être aimé par charité ; parce que
selon le philosophe (Éthique, IX,
8, 1169 a 15), sont critiqués ceux qui s’aiment eux-mêmes quant à leur nature
extérieure. Donc la nature raisonnable n’est pas l’objet de la charité. |
|
[66185] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 15 Praeterea, nullus habens caritatem refugit
illud quod ex caritate diligit. Sed sancti habentes caritatem refugiunt
corpus, secundum illud Roman., VII,
24 : Quis me liberabit de corpore
mortis huius? Et sic corpus non est diligendum ex caritate; et sic idem
quod prius. |
15. Aucun de ceux qui ont
la charité n’écarte ce qu’il aime par charité. Or les saints qui ont la
charité écartent le corps, selon cette parole de Rm 7, 24 : Qui me libérera
de ce corps de mort ? Et ainsi le corps ne doit pas être aimé par
charité ; et ainsi de même que ci-dessus. |
|
[66186] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 16 Praeterea, nullus tenetur ad implendum quod non
potest. Sed nullus potest scire se habere caritatem. Ergo nullus tenetur ad
diligendum creaturam rationalem ex caritate. |
16. Personne n’est tenu
d’accomplir ce qu’il ne peut pas accomplir. Or personne ne peut savoir qu’il
a la charité. Donc personne n’est tenu d’aimer la créature raisonnable par
charité. |
|
[66187] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 17 Praeterea, cum dicitur : creatura rationalis
diligitur ex caritate; haec praepositio ex
designat habitudinem alicuius causae. Sed non potest designare habitudinem
causae materialis, quia caritas non
est aliquid materiale, sed spirituale; neque iterum habitudinem causae finalis, quia finis diligendi ex
caritate est Deus, non autem caritas; similiter etiam neque habitudinem
causae efficientis, quia Spiritus
sanctus est qui nos ad diligendum movet, secundum illud Rom., V, 5 : Caritas Dei
diffusa est in cordibus nostris per Spiritum sanctum qui datus est nobis;
neque iterum habitudinem causae formalis,
quia caritas nec est forma intrinseca, cum non sit de essentia rei; neque est
forma extrinseca exemplaris, quia sic omnia quae diliguntur ex caritate,
traherentur in speciem caritatis, sicut exemplata trahuntur ad speciem
exemplaris. Ergo creaturae
rationales non sunt diligendae ex caritate. |
17. Quand on dit :
"La créature raisonnable est aimée par charité", cette préposition par désigne le relation d’une cause. Or elle ne
peut pas désigner la relation à une cause matérielle,
parce que la charité n’est pas quelque chose de matériel, mais de spirituel ;
ni non plus la relation à la cause finale, parce que le but à aimer par charité, c'est Dieu et non la
charité ; également pas non plus une relation à la cause efficiente, parce que l’Esprit saint est celui qui nous pousse à
aimer, selon cette parole de Rm 5,
5 : La charité de Dieu est diffusée en
nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné ; elle n’est pas
non plus la relation à la cause formelle,
parce que la charité n’est pas une forme intrinsèque, puisqu’elle n’est pas
de l’essence de la chose, et elle n’est pas une forme extrinsèque exemplaire,
parce qu’ainsi tout ce qui est aimé par charité serait attiré dans l’espèce
de charité, comme les images sont tirées à la forme de l’exemplaire. Donc les
créatures raisonnables ne doivent pas être aimées par charité. |
|
[66188] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 18 Praeterea, Augustinus dicit in I de Doctr. Christ., [cap.XXX], quod
proximus est ille a quo nobis beneficium impenditur. Sed
a Deo nobis beneficia impenduntur. Ergo Deus est proximus nobis; et ita
inconvenienter ponitur ab Augustino Deus aliud diligibile ex caritate, et
aliud proximus. |
18. Augustin dit, dans la Doctrine chrétienne I, 30, que le
prochain est celui qui nous accorde un bienfait. Or Dieu nous accorde ses
bienfaits. Donc Dieu est le prochain pour nous, et ainsi, de manière
inappropriée, Augustin pense que Dieu est quelque chose digne d’être aimé
différent du prochain. |
|
[66189] De
virtutibus, q. 2 a. 7 arg. 19 Praeterea, cum Christus sit mediator inter Deum
et hominem, videtur quod debeat poni aliud diligibile quam Deus et quam
proximus; et sic sunt quinque in caritate diligibilia, et non tantum quatuor,
ut Augustinus dicit. |
19.
Comme le Christ est le médiateur entre Dieu et l’homme, il semble qu’on
devrait placer une autre chose aimable que Dieu et le prochain, et ainsi il y
a cinq choses aimables en charité, et non seulement quatre comme le dit
Augustin. |
|
[66190] De
virtutibus, q. 2 a. 7 s. c. Sed contra, est quod dicitur Levit., XIX, 18 : Diliges
proximum tuum sicut teipsum. Glossa : Proximum
non tantum propinquitate sanguinis, sed societate rationis. Ergo secundum
quod aliquid habet societatem nobiscum in natura rationali, sic est
diligibile ex caritate. Natura ergo rationalis est obiectum caritatis. |
En sens contraire : 7. Il y a ce qui est dit
en Lv 19, 18 : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. La glose dit : « Non seulement le prochain par proximité de
sang, mais par communauté de nature ». Donc selon que quelque chose a une communauté avec nous
dans la nature raisonnable, il peut ainsi être aimé par charité. Donc la
nature raisonnable est objet de charité. |
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[66191] De
virtutibus, q. 2 a. 7 co. Respondeo. Dicendum, quod cum quaeritur de his quae
subiiciuntur actui alicuius potentiae vel habitus, oportet considerare
formalem rationem obiecti illius potentiae vel habitus. Secundum enim quod
aliqua se habent ad illam rationem, sic se habent ad hoc quod subiiciantur
illi potentiae vel habitui : sicut visibilia secundum quod se habent ad
rationem visibilis, secundum eamdem rationem habent visibilia quod sint
visibilia per se vel per accidens. |
Réponse : Quand on fait une
recherche sur ce qui est soumis à l’acte d’une puissance ou d’un habitus, il
est nécessaire de considérer la raison formelle de l’objet de cette puissance
ou de cet habitus. Car selon comment se comportent certaines choses vis-à-vis
de cette nature, elles se comportent pour les soumettre à cette puissance ou
à cet habitus ; de même que ce qui est visible selon qu’il se comporte
vis-à-vis de la raison du visible, selon une même raison ce qui est visible a
qu’il est visible par soi ou par accident. |
|
Cum autem
amoris universaliter sumpti obiectum sit bonum communiter sumptum, necesse
est quod cuiuslibet specialis amoris sit aliquod speciale bonum obiectum :
sicut amicitiae naturalis, quae est ad consanguineos, proprium obiectum est
bonum naturale, secundum quod trahitur a parentibus; in amicitia autem
politica obiectum est bonum civitatis. Unde et caritas habet quoddam speciale
bonum ut proprium obiectum, scilicet bonum beatitudinis divinae, ut supra,
art. 4 huius quaest., dictum est. Secundum igitur quod aliqua se habent ad
hoc bonum, sic se habent ad hoc quod sint diligibilia ex caritate. |
Mais comme l’objet de
l’amour pris universellement est un bien pris communément, il est nécessaire
que de n’importe quel amour particulier il y ait un bien particulier comme
objet; de même que de l’amitié naturelle, qui concerne les consanguins,
l’objet propre est le bien naturel, selon qu’il vient des parents, dans
l’amitié politique, l’objet est le bien de la cité. C’est pourquoi la charité
aussi a un bien particulier comme objet propre, à savoir le bien de la
béatitude divine, comme il a été dit ci-dessus, article 4 de cette question.
Donc selon que certains se comportent vis-à-vis de ce bien, ainsi il se
comportent vis-à-vis de ce qui peut être aimé par charité |
|
Sed
considerandum est, quod cum amare sit velle bonum alicui, dupliciter dicitur aliquid amari : aut
sicut id cui volumus bonum, aut sicut bonum quod volumus alicui. Primo
ergo modo illa tantum possunt ex caritate amari quibus possumus velle bonum
beatitudinis aeternae; haec autem sunt quae nata sunt huiusmodi bonum habere.
Unde, cum sola intellectualis natura sit nata habere bonum beatitudinis
aeternae; sola intellectualis natura est ex caritate diligibilis, secundum
quod diligi dicuntur ea quibus volumus bonum. |
Mais il faut considérer
que comme aimer c’est vouloir du bien à quelqu'un, on dit de deux manières qu’on aime quelque chose
: ou bien comme ce à quoi nous voulons du bien, ou bien comme le bien que
nous voulons à quelqu'un. a. De la
première manière donc peuvent être aimés par charité seulement ceux à qui
nous pouvons vouloir le bien de la béatitude éternelle ; ce sont ceux
qui sont destinés à avoir un bien de ce genre. C'est pourquoi comme seule la
nature intellectuelle est destinée à avoir le bien de la béatitude éternelle,
seule elle peut être aimée par charité, selon qu’on dit que sont aimées les
choses auxquelles nous voulons du bien. |
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Et
propter hoc, secundum quod diversimode aliqua possunt habere beatitudinem
aeternam, secundum hoc distinguuntur ab Augustino [lib. 1 de Doct. Christ., c. XXIII quatuor diligenda ex caritate. Est enim aliquid habens beatitudinem aeternam per
suam essentiam, et hoc est Deus; et aliquid habens per participationem, et
hoc est creatura rationalis; tam illa quae diligit, quam aliae creaturae,
quae ei associari possunt in participatione beatitudinis. Aliquid autem est ad quod pertinet habere
beatitudinem aeternam per solam redundantiam quamdam, sicut corpus nostrum,
quod glorificatur per redundantiam gloriae ab anima in ipsum. |
Et à cause de cela, selon
que de diverses manières certaines peuvent avoir la béatitude éternelle, sous
ce rapport Augustin (La doctrine
chrétienne, I, 23) en distingue quatre
qui doivent être aimées par charité. Car il y a quelque chose qui a la béatitude éternelle
par son essence et qui est Dieu ; et quelque chose qui l’a par
participation, et c’est la créature raisonnable, tant celle qui aime que les
autres créatures, qui peuvent lui être associées dans la participation de la
béatitude. Mais il y a quelque chose à qui il convient d’avoir la béatitude
éternelle par un seul excès, de même que notre corps, qui est glorifié par
l’excès de la gloire de l’âme en lui-même. |
|
Unde
diligendus est ex caritate Deus ut radix beatitudinis; quilibet autem homo
debet seipsum ex caritate diligere, ut participet beatitudinem; proximum
autem ut socium in participatione beatitudinis; corpus autem proprium
secundum quod ad ipsum redundat beatitudo. Secundo vero modo, prout scilicet dicuntur diligi
illa bona quae volumus aliis, diligi possunt ex caritate omnia bona, in
quantum sunt quaedam bona eorum qui possunt habere beatitudinem. |
C'est
pourquoi il faut aimer Dieu par charité comme la racine de la
béatitude ; mais n’importe quel homme doit s'aimer lui-même par charité,
pour participer à la béatitude, mais le prochain comme associé à la
participation de la béatitude, et son propre corps selon que la béatitude
déborde en lui. b. De la deuxième manière, dans la
mesure où on dit que ces biens que nous voulons pour les autres sont aimés,
tous ces biens peuvent être aimés par charité dans la mesure où ils sont les
biens de ceux qui peuvent posséder la béatitude. |
|
Omnes enim creaturae sunt homini via ad tendendum in
beatitudinem; et iterum omnes creaturae ordinantur ad gloriam Dei, in quantum
in eis divina bonitas manifestatur. Nunc igitur omnia ex caritate diligere
possumus, ordinando tamen ea in illa quae beatitudinem habent, vel habere
possunt. Considerandum
etiam est, quod sic se habent dilectiones ad invicem, sicut et bona quae sunt
earum obiecta. Unde, cum omnia bona humana ordinentur in beatitudinem
aeternam sicut in ultimum finem, dilectio caritatis sub se comprehendit omnes
dilectiones humanas, nisi tantum illas quae fundantur super peccatum, quod
non est ordinabile in beatitudinem. Unde quod aliqui consanguinei
diligant se invicem, vel aliqui concives, vel simul peregrinantes, vel
quicumque tales, potest esse meritorium et ex caritate; sed quod aliqui ament
se invicem propter communicationem in rapina vel adulterio, hoc non potest
esse meritorium neque ex caritate. |
Car toutes les créatures
sont chemin pour l’homme, pour tendre à la béatitude; et en plus toutes les
créatures sont ordonnées à la gloire de Dieu dans la mesure où la bonté
divine se manifeste en eux. Donc maintenant nous pouvons tout aimer par
charité, en ordonnant cependant en elle ce qui a la béatitude ou qui peut
l’avoir. Mais il faut considérer qu’ainsi se comportent les
amours entre eux, comme les biens qui sont leurs objets. C'est pourquoi,
comme tous les biens humains sont ordonnés à la béatitude éternelle comme à
leur fin ultime, l’amour de charité comprend sous lui tous les amours
humains, sauf seulement ceux qui sont fondés sur le péché, qui ne peut pas
être ordonné à la béatitude. C'est pourquoi le fait que certains parents
s’aiment entre eux, ou certains concitoyens, ou ceux qui font des pèlerinages
ensemble, ou quiconque de tel, peut être méritoire et par charité, mais que
certains s’aiment entre eux pour s’associer dans le vol ou l’adultère, cela
ne peut pas être méritoire même par charité non plus. |
|
[66192]
De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod virtutem et
beatitudinem diligimus ex caritate, in quantum hoc volumus his quibus
competit habere beatitudinem. |
Solutions : 1. Nous aimons la vertu et
la béatitude par charité, en tant que nous le voulons pour ceux à qui il
convient de posséder la béatitude. |
|
[66193]
De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Deus diligit omnia
ex caritate, non ita quod velit eis beatitudinem, sed ordinans ea ad seipsum,
et ad alia quae beatitudinem habere possunt. |
2. Dieu aime tout par
charité, non de sorte qu’il veuille pour toutes choses la béatitude, mais en
les ordonnant à lui-même et à d’autres qui peuvent posséder la béatitude. |
|
[66194]
De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 3 Ad tertium dicendum, quod omnia bona sunt in
Deo sicut in primo principio; et sic Origenes intellexit, quod unum est
diligere Deum et quaecumque bona. |
3. Tous les biens sont en
Dieu comme dans le premier principe, et Origène a pensé ainsi que c’est une
seule [et même] chose d’aimer Dieu et n’importe quels biens. |
|
[66195]
De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 4 Ad quartum dicendum, quod omnia diligere
possumus meritorie, ordinando ea in illa quae sunt capacia beatitudinis, non
autem volendo eis beatitudinem. |
4. Nous pouvons aimer
toutes choses de manière méritoire, en les ordonnant en ce qui est capable de
béatitude, mais pas en voulant la béatitude pour eux. |
|
[66196]
De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in bono universi
sicut principium continetur rationalis natura, quae est capax beatitudinis,
ad quam omnes aliae creaturae ordinantur; et secundum hoc competit et Deo et
nobis bonum universi maxime ex caritate diligere. |
5. Dans le bien universel
la nature raisonnable est contenue comme principe, elle qui est capable de
béatitude, à laquelle toutes les autres créatures sont ordonnées, et selon
cela il convient à Dieu et à nous d’aimer surtout par charité le bien de
l’univers. |
|
[66197] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod sicut caritas credit omnia credibilia, ita diligit omnia
secundum quod sunt ex caritate diligibilia. |
6. De même que la charité
croit tout ce qui est crédible, de même elle aime toutes choses selon
qu’elles sont dignes d’être aimées par charité. |
|
[66198]
De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 7 Ad septimum dicendum, quod Deum non possumus
hic illa perfectione diligere qua diligemus eum in patria, per essentiam
videntes. |
7. Nous ne pouvons ici
aimer Dieu avec cette perfection par laquelle nous l’aimerons dans la patrie,
en le voyant par son essence. |
|
[66199] De
virtutibus, q. 2 a. 7 ad 8 Ad octavum dicendum, quod distantia creaturarum
aliquarum non est causa cur non diligantur ex caritate, sed quia non sunt
capaces beatitudinis. |
8. L’éloignement de
certaines créatures n’est pas la cause pour laquelle elles ne sont pas aimées
par charité, mais parce qu’elles ne sont pas capables de béatitude. |
|
[66200] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 9 Ad nonum
dicendum, quod Angeli non communicant nobiscum in vita naturae quantum ad
speciem, sed solum quantum ad genus rationalis naturae; sed possumus cum eis
communicare in vita gloriae. Quod autem dicitur : Dedit unicuique secundum propriam virtutem, non est referendum
tantum ad virtutem naturae : erroneum est enim dicere, quod dona gratiae et
gloriae dentur secundum mensuram naturalium; sed intelligenda est virtus quae
est etiam per gratiam, per quam datur hominibus ut possint mereri aequalem
gloriam Angelis. |
9. Les anges n’ont pas de
rapport avec nous dans la vie de la nature, pour ce qui concerne l’espèce,
mais seulement pour ce qui concerne le genre de nature douée de raison ;
mais nous pouvons avoir des rapports avec eux dans la vie de gloire. Ce qui
est dit (Mt 25, 15) : Il a donné à chacun selon sa propre
capacité, ne doit pas être rapporté seulement au pouvoir de la nature,
car il est faux de dire que les dons de la grâce et de la gloire sont donnés
selon la mesure de ce qui est naturel, mais il faut penser la vertu qui est
aussi par grâce, par laquelle il est donné aux hommes de pouvoir mériter une
gloire égale à celle des anges. |
|
[66201] De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 10 Ad decimum
dicendum, quod lex scripta data est in auxilium legis naturae quae erat
obtenebrata per peccatum. Non autem
erat sic obtenebrata quin moveret ad diligendum, ad hoc quod homo diligeret
seipsum et corpus suum; sed erat obtenebrata quantum ad hoc quod non movebat
in dilectionem Dei et proximi. Et ideo in lege scripta danda fuerunt
praecepta de dilectione Dei et proximi, in quibus tamen comprehenditur etiam
quod aliquis diligat seipsum : quia cum inducimur ad diligendum Deum,
inducimur ad desiderandum Deum, per quod maxime nos ipsos amamus, volentes
nobis summum bonum. In praecepto autem de dilectione proximi dicitur : Diliges proximum tuum sicut teipsum;
in quo includitur dilectio sui ipsius. |
10. La loi écrite a été
donnée en aide à la loi de nature qui était obscurcie par le péché. Mais elle
n’était pas obscurcie au point de pousser à aimer, à ce que l’homme s’aime
lui-même et aime son corps ; mais elle était obscurcie quant au fait
qu’elle ne poussait pas à l’amour de Dieu et du prochain. Et c'est pourquoi
dans la loi écrite il a fallu donner des préceptes d’amour de Dieu et du
prochain, en qui cependant il est inclus aussi que chacun s’aime
lui-même ; parce que, comme nous sommes amenés à aimer Dieu, nous sommes
amenés à le désirer, du fait que nous nous aimons le plus nous-mêmes, en
voulant pour nous le bien suprême. Mais dans le précepte sur l’amour du
prochain il est dit : Tu aimeras ton
prochain comme toi-même ; en quoi est inclus l’amour de soi. |
|
[66202]
De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod licet amicitia non
possit haberi ad seipsum, proprie loquendo; tamen amor ad seipsum habetur :
ut enim dicitur in IX Ethic., amicabilia quae sunt ad alterum, venerunt ex
amicabilibus quae sunt ad seipsum. Secundum vero quod caritas significat
amorem, sic aliquis seipsum ex caritate diligere potest. Sed Gregorius
loquitur de caritate secundum quod includit rationem amicitiae. |
11. Bien que l’amitié ne
puisse pas être possédée pour elle-même, à proprement parler, cependant
l’amour est possédé pour lui-même ; en effet, comme il est dit en Éthique, IX, 4, 1166 a), ce qui est
amical pour un autre vient de ce qui est amical pour soi. Mais selon que la
charité signifie l’amour, quelqu’un peut s’aimer lui-même par charité. Mais
Grégoire parle de charité selon qu’elle inclut la nature de l’amitié. |
|
[66203]
De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod licet amicitia
sit in communicatione ad alterum, sicut et iustitia, tamen amor non de
necessitate est ad alterum, qui sufficit ad rationem caritatis. |
12. Bien que l’amitié soit
en rapport avec un autre, comme la justice aussi, cependant l’amour n’est pas
nécessairement pour un autre, pour suffire à la nature de la charité. |
|
[66204]
De virtutibus, q. 2 a. 7 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod amantes
seipsos vituperantur, in quantum plus debito seipsos diligunt : quod quidem
non contingit quantum ad bona spiritualia, quia nullus potest nimis amare
virtutes; sed quantum ad bona exteriora et corporalia potest aliquis nimis
amare seipsum. |
13. Ceux qui s’aiment
eux-mêmes sont blâmés en tant qu'ils s'aiment plus que ce qui est dû ;
ce qui n’arrive pas pour les biens spirituels, parce que personne ne peut
trop aimer les vertus, mais pour ce qui concerne les biens extérieurs et les
biens corporels, quelqu’un peut s’aimer trop lui-même. |
|
[66205] De
virtutibus, q. 2 a. 7 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod non quicumque
amat seipsum secundum exteriorem naturam, culpatur, sed qui exteriora bona
quaerit ultra modum virtutis; et sic ex caritate corpus nostrum diligere
possumus. |
14. Ce n’est pas quiconque
s’aime lui-même selon sa nature extérieure qui est blâmé, mais celui qui
cherche les biens extérieurs, au-delà de la mesure de sa capacité, et ainsi
nous pouvons aimer notre corps par charité. |
|
[66206] De
virtutibus, q. 2 a. 7 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod caritas non
refugit corpus, sed corporis corruptionem, in quantum corpus, quod corrumpitur, aggravat animam, ut dicitur Sapientiae IX, 15; et propter hoc
apostolus significanter dixit, De
corpore mortis huius. |
15. La charité ne s’écarte
pas du corps mais de sa corruption, en tant que le corps, qui est corrompu, alourdit l’âme, comme il est dit en Sg. 9, 15 ; et à cause de cela
l’apôtre dit de manière significative, ce
corps de mort. |
|
[66207] De
virtutibus, q. 2 a. 7 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod ex hoc quod homo
nescit pro certo se habere caritatem, non sequitur quod non possit ex
caritate diligere, sed quod non possit iudicare an ex caritate diligat. Unde
a nobis requiri potest quod ex caritate diligamus, non autem quod iudicemus
nos ex caritate diligere. Unde apostolus dicit, I ad Cor. cap. IV, 3 : Neque meipsum iudico; sed qui iudicat me,
dominus est. |
16. Du fait que l’homme
ignore en certitude qu’il possède la charité, il n’en découle pas qu’il ne
puisse pas aimer par charité, mais qu’il ne peut pas juger s’il aime par
charité. C'est pourquoi il peut être requis de nous d’aimer par charité, mais
non de juger que nous aimons par charité. C'est pourquoi l’apôtre dit (1 Co 4, 3) : Et je ne me juge pas moi-même, mais celui qui me juge, c’est le
Seigneur. |
|
[66208] De
virtutibus, q. 2 a. 7 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod cum dicitur
aliquis diligere proximum ex caritate, haec praepositio ex potest designare
habitudinem causae finalis, efficientis et formalis. Finalis
quidem, in quantum dilectio proximi ordinatur ad dilectionem Dei sicut ad
finem; unde dicitur I ad Timoth. I, 5 : Finis
praecepti est caritas, quia scilicet dilectio Dei est finis observationis
praeceptorum. In habitudine autem causae efficientis, in quantum caritas est
habitus inclinans ad diligendum, sic se habens ad actum dilectionis, sicut
calor ad calefactionem. In habitudine autem causae formalis, in quantum actus
recipit speciem ab habitu, sicut et calefactio a calore. |
17. Quand on dit que
quelqu'un aime son prochain par charité, cette préposition par peut désigner une relation de la
cause finale, efficiente et formelle. Finale, en tant que l’amour du prochain
est ordonné à l’amour de Dieu comme à une fin ; c'est pourquoi il est
dit (1 Tm 1, 5) : La fin du précepte est la charité,
parce que l’amour de Dieu est le but de l’observation des préceptes. Mais
dans une relation de la cause efficiente, en tant que la charité est un
habitus qui incline à aimer, il se comporte ainsi pour un acte d’amour, comme
la chaleur pour le réchauffement. Dans la relation de la cause formelle, en
tant que l’acte reçoit la forme de l’habitus, comme le réchauffement [la
reçoit] de la chaleur. |
|
[66209] De
virtutibus, q. 2 a. 7 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod ratio proximi
salvatur et in eo qui dat beneficia, et in eo qui recipit, non tamen quod
quicumque dat beneficia, sit proximus; sed requiritur quod inter proximos
sint communicantia in aliquo ordine; unde Deus licet det beneficia, non tamen
potest dici nobis proximus; sed Christus, in quantum est homo, dicitur nobis
proximus, prout nobis dat beneficia. |
18. La nature de prochain
est conservée en celui qui donne les bienfaits et en celui qui les reçoit,
non cependant que chacun de ceux qui donnent des bienfaits soit le
prochain ; mais il est requis que parmi les proches il y ait ce qui
communique en un certain ordre ; c'est pourquoi, bien que Dieu donne des
bienfaits, on ne peut pas dire qu’il est notre prochain, mais on dit que le
Christ, en tant qu’homme, est notre prochain, dans la mesure où il nous donne
des bienfaits. |
|
[66210] De
virtutibus, q. 2 a. 7 ad 19 Unde patet responsio ad ultimum. |
19. C'est pourquoi on voit
la réponse à la dernière objection. |
|
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Articulus 8 : [66211] De virtutibus, q. 2 a. 8 tit. 1 Octavo quaeritur utrum
diligere inimicos sit de perfectione consilii |
Article 8 – Aimer ses ennemis concerne-t-il la perfection du conseil ? |
|
[66212] De virtutibus, q. 2 a. 8 tit. 2 Et videtur
quod non. |
Il semble que non. |
|
[66213]
De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 1 Quod enim cadit sub praecepto, non
est de perfectione consilii. Sed diligere inimicum cadit sub praecepto illo,
videlicet : Diliges
proximum tuum sicut teipsum
: nam nomine proximi intelligitur omnis homo, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctrina Christiana, cap.
XXX. Ergo diligere inimicum non est de perfectione consilii. |
Objections :[52] 1. Ce qui tombe sous le
précepte ne concerne pas la perfection du conseil. Or aimer son ennemi tombe
sous ce précepte Tu aimeras ton
prochain comme toi-même. Car sous le nom de prochain, on comprend tout
homme, comme dit Augustin dans La
Doctrine chrétienne, 30. Donc aimer son ennemi ne concerne pas la
perfection du conseil. |
|
[66214] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 2 Sed dicendum, quod est de perfectione
consilii dilectio inimicorum quantum ad exhibitionem familiaritatis, et
aliorum effectuum caritatis.- Sed
contra, omnem proximum tenemur ex caritate diligere. Sed dilectio
caritatis non est tantum in corde, sed etiam in opere : dicitur enim I Ioan. III, 18 : Non diligamus verbo, neque lingua, sed opere et veritate. Ergo
etiam quantum ad effectus caritatis dilectio inimicorum cadit sub praecepto. |
2. L'amour des ennemis
concerne la perfection du conseil pour représenter l’amitié et les autres
effets de la charité. Mais en sens
contraire nous sommes tenus d'aimer tout prochain par charité. Or l'amour
de charité n'est pas seulement dans le cœur mais aussi en acte, car il est
dit en 1 Jn 3, 18 : N'aimons pas en parole ni en langue, mais
en acte et en vérité. Donc c'est aussi quant aux effets de la charité que
l'amour des ennemis tombe sous le précepte. |
|
[66215] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 3 Praeterea,
Matth. V, 44, similiter dicitur : Diligite inimicos vestros, et benefacite
his qui oderunt vos. Si igitur diligere inimicos cadit sub praecepto, et
benefacere eis cadit sub praecepto; quod pertinet ad effectus caritatis. |
3. En Mt 5, 44, il est dit pareillement : Aimez vos ennemis, et faites du bien à ceux qui vous haïssent. Si
donc aimer les ennemis tombe sous le précepte, leur faire du bien aussi tombe
sous le précepte, ce qui appartient aux effets de la charité. |
|
[66216] De
virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 4 Praeterea, ea quae pertinent
ad perfectionem consiliorum, non fuerunt in veteri lege tradita : quia, ut
dicitur Hebr. VII, 19, Nihil perfectum adduxit lex. Sed in
veteri lege fuit traditum quod ad inimicos non solum affectus dilectionis
haberetur, sed etiam effectus dilectionis eis impenderetur; dicitur enim Exod. XXIII, 4 : Si occurreris bovi inimici tui aut asino erranti, reduc ad eum;- Levit. XIX, 17 : Ne oderis fratrem tuum in corde tuo; sed publice argue eum, ne habeas
super illo peccatum;- et Iob
XXXI, vv. 29-30 : Si gavisus sum ad
ruinam eius qui me oderat, et exultavi, quod invenisset eum malum : non enim
dedi ad peccandum guttur meum;- et Prov.
XXV, 21 : Si esurierit inimicus tuus,
ciba illum; si sitiverit, da ei aquam bibere. Ergo diligere inimicum
etiam quantum ad exibitionem effectuum caritatis, non est de perfectione
consilii. |
4. Ce qui concerne la
perfection des conseils ne fut pas transmis dans l'Ancienne Loi, car, comme
il est dit en Hb 7, 19, La loi n'a rien amené à la perfection.
Or dans l'Ancienne Loi, il est rapporté qu’il y avait un sentiment d’amour
pour les ennemis, mais aussi qu’il était mis en pratique, car il est dit en Ex 23, 4 : Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi ou son âne errant, ramène-le
lui ; en Lv 19, 17 : Ne hais pas ton frère dans ton cœur, mais
publiquement convainc-le d'erreur, afin de ne pas avoir de péché à son sujet
; en Jb 41, 29-30 : Me suis-je réjoui de la ruine de celui qui
me haïssait, ai-je exulté parce que le malheur l'avait atteint : je n'ai pas
permis en effet à mon gosier de pécher ; et en Pv 25, 21 : Si ton ennemi a
faim, nourris-le. S'il a soif, donne-lui de l'eau à boire. Donc aimer
l'ennemi en allant jusqu'à montrer les effets de la charité, ne concerne pas
la perfection du conseil. |
|
[66217] De
virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 5 Praeterea, consilium non
contrariatur legis praecepto; unde dominus, perfectionem novae legis
traditurus, praemisit Matth. V, v.
17 : Non veni solvere legem, sed
adimplere. Diligere autem inimicos videtur contrariari praecepto legis :
quia dicitur Matth. cap. V, 43 : Diliges amicum tuum, et odio habebis
inimicum tuum. Ergo
dilectio inimicorum non cadit sub perfectione consilii. |
5. Le conseil ne contredit
pas le précepte de la Loi ; c'est pourquoi le Seigneur, s'apprêtant à
transmettre la perfection de la Loi nouvelle, commença par annoncer (Mt 5, 17) : Je ne suis pas venu abolir la Loi, mais l'accomplir. Or aimer les
ennemis paraît s’opposer au précepte de la Loi, car il est dit en Mt 5, 43 : Tu aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi[53].
Donc l'amour des ennemis ne tombe pas sous la perfection du conseil. |
|
[66218] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 6 Praeterea,
dilectio habet proprium obiectum in quod inclinat, quia, sicut dicit
Augustinus, De Doctrina christ.,
[cap. XXX] : Pondus meum est amor meus.
Sed proprium obiectum dilectionis non videtur esse inimicus, sed magis
dilectioni repugnans. Ergo non est de perfectione caritatis quod aliquis
diligat inimicum. |
6. L'amour a un objet
propre vers lequel il incline, car comme le dit Augustin, (La Doctrine chrétienne,
I, 30[54])
: «Ma lourde charge c'est mon amour». Or l'ennemi ne semble pas être
l’objet propre de l'amour, mais plutôt il s’y oppose. Donc il n'est pas de la
perfection de la charité d’aimer un ennemi. |
|
[66219] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 7 Praeterea,
perfectio virtutis non contrariatur inclinationi naturae; sed magis per
virtutem inclinatio naturae perficitur. Natura autem
movet ad hoc quod inimicus odio habeatur : quaelibet enim res naturalis
repudiat suum contrarium. Ergo non est de perfectione caritatis quod inimicus
diligatur. |
7. La
perfection de la vertu n’est pas opposée à l'inclination naturelle, mais
plutôt l'inclination naturelle est accomplie grâce à la vertu. Or la nature
incite à haïr son ennemi, car tout ce qui est naturel repousse son contraire.
Donc ce n'est pas de la perfection de la charité d’aimer un ennemi. |
|
[66220] De virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 8 Praeterea, perfectio
caritatis et cuiuslibet virtutis consistit in assimilatione ad Deum. Sed Deus
amicos diligit, et inimicos odit, secundum illud Malach. I, 2 : Iacob
dilexi, Esau odio habui. Ergo non est de perfectione caritatis quod
aliquis diligat inimicos, sed magis quod eos odio habeat. |
8. La perfection de la
charité - et de n'importe quelle vertu - consiste à devenir semblable à Dieu.
Or Dieu aime ses amis et hait ses ennemis, selon cette [parole] de Ml 1, 2 : J'ai aimé Jacob, j'ai haï Esaü. Donc il n'est pas de la
perfection de la charité d’aimer ses ennemis, mais plutôt de les haïr. |
|
[66221] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 9 Praeterea,
dilectio caritatis directe respicit bonum vitae aeternae. Sed aliquibus
inimicis nostris non debemus velle bonum vitae aeternae; quia vel sunt
damnati in inferno, vel adhuc viventes sunt reprobati a Deo. Ergo diligere
inimicos non pertinet ad perfectionem caritatis. |
9. L'amour de charité
regarde directement le bien de la vie éternelle. Or nous ne devons pas le
vouloir pour nos ennemis, car soit ils ont été damnés en enfer, soit encore
vivants ils sont réprouvés par Dieu. Donc aimer ses ennemis ne convient pas à
la perfection de la charité. |
|
[66222] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 10 Praeterea,
eum quem tenemur ex caritate diligere, non possumus licite occidere, nec
velle eius mortem, aut quodcumque malum : quia de ratione amicitiae est quod
amicos velimus esse et vivere. Sed nos licite possumus aliquos occidere; quia,
secundum apostolum, Rom. XIII, 4 : Potestas saecularis Dei minister est,
vindex in iram ei qui male agit. Non ergo tenemur inimicos diligere. |
10. Celui que nous sommes
tenus d'aimer par charité, nous ne pouvons légalement le tuer, ni vouloir sa
mort ou un mal quelconque, car il est de la nature de l'amitié de vouloir que
nos amis existent et vivent. Or nous pouvons légalement en tuer certains, car
selon l'apôtre, Rm 13, 4, l’autorité du siècle[55] est l’instrument de Dieu, celui qui punit
dans la colère celui qui agit mal. Donc nous ne sommes pas tenus d'aimer
nos ennemis. |
|
[66223] De
virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 11 Praeterea, philosophus in
Lib. Topicorum [
lib. II, cap. III] docet sic argumentari in contrariis. Si diligere amicos
est bonum et eis benefacere; diligere inimicos et eis benefacere malum est.
Sed nullum malum perfectionem habet caritatis, nec cadit sub consilio. Ergo diligere inimicum non
pertinet ad perfectionem consilii. |
11. Le philosophe (Topiques II, 3, cf. 110 a 33) enseigne
à argumenter ainsi dans les contradictions : si aimer ses amis et leur rendre
service est un bien, aimer ses ennemis et leur rendre service est un mal. Or
aucun mal n'a la perfection de la charité ni ne tombe sous le conseil. Donc
aimer un ennemi ne convient pas à la perfection du conseil. |
|
[66224] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 12 Praeterea,
amicus et inimicus sunt contraria. Ergo et diligere amicum et diligere
inimicum sunt contraria. Contraria autem non possunt esse simul. Cum igitur
teneamur ex caritate diligere amicos, non potest cadere sub consilio quod
inimicos diligamus. |
12. L'ami et
l'ennemi sont des contraires. Donc aimer un ami et aimer un ennemi sont des
contraires. Or les contraires ne peuvent exister en même temps. Donc puisque
nous sommes tenus d'aimer nos amis par charité, il ne peut tomber sous le
conseil que nous aimions nos ennemis. |
|
[66225] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 13 Praeterea,
consilium non potest esse sub impossibili. Sed diligere inimicum videtur
impossibile, cum sit contra inclinationem naturae. Ergo diligere inimicum non
cadit sub consilio. |
13. Le conseil ne peut
concerner l'impossible. Or aimer un ennemi paraît impossible, puisque c'est
contre l'inclination naturelle. Donc aimer l'ennemi ne tombe pas sous le
conseil. |
|
[66226] De
virtutibus, q. 2 a. 8 arg. 14 Praeterea, implere consilia
perfectorum est. Perfecti autem maxime fuerunt apostoli, qui tamen non
dilexerunt inimicos quantum ad affectum et effectum : legitur enim de beato
Thoma apostolo, quod imprecatus fuit illi qui manu alapam ei dederat, ut
manus eius in convivio a canibus deportaretur. Ergo diligere inimicos quantum ad
affectum et effectum non cadit sub perfectione consilii. |
14. Accomplir les conseils
appartient aux parfaits. Or les parfaits furent surtout les apôtres, qui pourtant
n'ont pas aimé leurs ennemis affectivement ni effectivement. En effet on lit
du bienheureux Thomas apôtre, qu'il souhaita à celui qui lui avait donné une
gifle, que dans un banquet sa main soit emportée par les chiens. Donc aimer
ses ennemis affectivement et effectivement ne tombe pas sous la perfection du
conseil. |
|
[66227] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 15 Praeterea,
imprecari mala, praecipue damnationis aeternae opponitur dilectioni et
quantum ad affectum, et quantum ad effectum. Sed prophetae imprecati sunt
mala suis adversariis : dicitur enim in Psalm.
LXVIII, 29 : Deleantur de libro vitae,
cum iustis non scribantur; et iterum Psalm.
LIV, 16 : Veniat mors super illos, et
descendant in infernum viventes. Ergo diligere inimicos non est de
perfectione caritatis. |
15. Souhaiter du mal,
principalement celui de la damnation éternelle, s'oppose à l'amour
affectivement et effectivement. Or les prophètes ont souhaité des maux à
leurs adversaires ; en effet il est dit dans le Ps 68, 29 : Qu'ils soient
effacés du livre de vie, qu'ils ne soient pas inscrits avec les justes,
et encore dans le Ps 54, 16 : Que la mort vienne sur eux, et qu'ils
descendent vivants en enfer. Donc aimer les ennemis n'est pas de la
perfection de la charité. |
|
[66228] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 16 Praeterea,
de ratione amicitiae verae est ut aliquis propter seipsum diligatur : caritas
autem includit amicitiam sicut perfectum minus perfectum. Diligere autem
inimicum propter seipsum, contrariatur caritati; quia solus Deus propter
seipsum diligitur. Non ergo cadit sub consilii perfectione ut inimicus
diligatur. |
16. Il est dans la nature
de la vraie amitié d’être aimé pour soi-même. La charité inclut l'amitié,
comme le parfait inclut le moins parfait. Or aimer un ennemi pour lui-même
est contraire à la charité, car seul Dieu est aimé pour lui-même. Donc il ne
tombe pas sous la perfection du conseil d’aimer un ennemi. |
|
[66229] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 17 Praeterea,
id quod cadit sub perfectione consilii, melius est et magis meritorium quam
id quod sub necessitate praecepti. Sed diligere inimicum non est melius neque
melioris meriti quam diligere amicum, quod manifeste cadit sub necessitate
praecepti : quia si bonum est diligere aliquod bonum, melius est et magis
meritorium diligere quod melius est. Melior autem est amicus inimico. Non
ergo diligere inimicum est de perfectione consilii. |
17. Ce qui tombe sous la
perfection du conseil est meilleur et plus méritoire que ce qui [tombe] sous
la nécessité du précepte. Or aimer un ennemi n'est pas meilleur ni de
meilleur mérite que d'aimer un ami, ce qui manifestement tombe sous la
nécessité du précepte ; parce que, s'il est bon d'aimer un bien, il est
meilleur et plus méritoire d'aimer ce qui est meilleur. Or l'ami est meilleur
que l'ennemi. Donc aimer l'ennemi n'est pas de la perfection du conseil. |
|
[66230] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 18 Sed dicebatur, quod diligere inimicum
maioris meriti est, quia est difficilius.- Sed contra, diligere inimicum est difficilius quam diligere Deum.
Ergo eadem ratione, maioris meriti esset diligere inimicum quam Deum. |
18. Mais on pourrait dire qu'aimer un ennemi est plus méritoire,
parce que c'est plus difficile. Mais en
sens contraire : aimer un ennemi est plus difficile qu'aimer Dieu. Donc
pour cette même raison il serait plus méritoire d'aimer un ennemi que
[d'aimer] Dieu. |
|
[66231] De virtutibus, q. 2 a. 8
arg. 19 Praeterea,
signum generati habitus est delectatio operis, ut dicit philosophum in II Ethic. [cap. III]. Sed diligere amicum
est delectabilius quam diligere inimicum. Ergo etiam magis virtuosum, et, per
consequens, magis meritorium; et sic diligere inimicum non cadit sub
perfectione consilii. |
19. Le signe de l'habitus
engendré est le plaisir de l'œuvre, comme dit le philosophe en Ethique II, 3. Or aimer un ami est
plus agréable qu'aimer un ennemi. C’est donc aussi plus vertueux, et par
conséquent plus méritoire ; et ainsi aimer l'ennemi ne tombe pas sous la
perfection du conseil. |
|
[66232] De virtutibus, q. 2 a. 8
s. c. Sed
contra, est quod Augustinus dicit in Enchir. [LXXXIII] : Perfectorum filiorum Dei est diligere inimicos : in quo quidem se
quilibet debet fidelem ostendere. |
En sens contraire : Il y a ce qu'Augustin dit
dans l’Enchiridion, 83 : « Il appartient aux fils parfaits de Dieu
d'aimer leurs ennemis, en quoi n'importe qui doit se montrer fidèle ». |
|
[66233] De
virtutibus, q. 2 a. 8 co. Respondeo. Dicendum, quod diligere inimicos aliquo modo
cadit sub necessitate praecepti, et aliquo modo sub consilii perfectione. Ad
cuius evidentiam sciendum est, quod sicut supra, art. 4 huius quaest., dictum
est, proprium et per se obiectum caritatis est Deus; et quidquid ex caritate
diligitur, ea ratione diligitur qua ad Deum pertinet, sicut si diligimus
aliquem hominem, diligimus per consequens omnes ei attinentes, etiam si sint
nobis inimici. Constat autem quod omnes homines ad Deum pertinent, in quantum
sunt ab ipso creati, et capaces beatitudinis, quae in fruitione ipsius
consistit. Manifestum est ergo, quod ista ratio dilectionis quam respicit
caritas in omnibus hominibus invenitur Sic ergo, in eo qui contra nos inimicitiam exercet, est
duo invenire : unum quod est ratio dilectionis, scilicet quod ad Deum
pertinet; et aliud quod est ratio odii, scilicet quod nobis adversatur. In
quocumque autem invenitur ratio dilectionis et ratio odii si praetermissa
dilectione in odium convertamur, manifestum est quod id quod est ratio odii
praeponderat in corde nostro ei quod est ratio dilectionis. |
Réponse : Aimer ses ennemis tombe en quelque façon sous la
nécessité du précepte, et en quelque façon sous la perfection du conseil.
Pour en montrer l'évidence, il faut savoir que comme il a été dit ci-dessus
(article 4 de cette question) l'objet propre et par soi de la charité, c'est
Dieu ; et tout ce qui est aimé par charité est aimé pour cette raison que
cela concerne Dieu, de même que si nous aimons un homme, nous aimons par
conséquent tous ceux qui lui sont proches, même si pour nous ce sont des
ennemis. Or il est certain que tous les hommes concernent Dieu, en tant que
créés par Lui et en tant qu’aptes à la béatitude, qui consiste dans sa
fruition. Donc il est évident que ce motif d'aimer, que la charité considère,
se trouve dans tous les hommes. Ainsi donc, en celui qui exerce de
l'inimitié contre nous, il y a deux raisons à trouver : une qui est une
raison d'aimer, à savoir ce qui concerne
Dieu, et l’autre qui est une raison de haine, à savoir ce qui s'oppose
à nous. En tout un chacun se trouvent une raison d'amour et une raison de haine
; si, négligeant l'amour, nous nous tournons vers la haine, il est évident
que ce qui est la raison de la haine l'emporte dans notre cœur sur ce qui est
la raison de l’amour. |
|
Sic ergo, si aliquis inimicum suum odio habeat,
inimicitia illius praeponderat in corde suo amori divino. Magis ergo odit
amicitiam illius quam diligat Deum. Tantum autem odimus aliquid, quantum
diligimus bonum quod nobis per inimicum subtrahitur. Relinquitur ergo quod
quicumque inimicum odit, aliquod bonum creatum diligit plus quam Deum; quod
est contra praeceptum caritatis. |
Ainsi donc, si quelqu'un
hait son ennemi, son inimitié l'emporte dans son cœur sur l'amour divin. Donc
il hait plus son amitié qu'il n'aime Dieu. Nous haïssons quelque chose en
tant que nous aimons le bien qui nous est soustrait par un ennemi. Donc il
reste que quiconque hait son ennemi aime un bien créé plus que Dieu, ce qui
est contre le précepte de charité. |
|
Habere igitur odio inimicum est contrarium caritati;
unde necesse est quod si ex praecepto caritatis tenemur quod dilectio Dei
praeponderet in nobis dilectioni cuiuslibet alterius rei, et per consequens
odio contrarii. Sequitur ergo quod ex necessitate praecepti teneamur diligere
inimicos. |
Donc haïr un ennemi est
contraire à la charité ; c'est pourquoi il est nécessaire que si nous sommes
tenus, par le précepte de charité, à ce que l'amour de Dieu l'emporte en nous
sur l'amour de n'importe quelle autre chose, par conséquent aussi sur la
haine de ce qui nous est contraire. Donc il s'ensuit que nous sommes tenus, à
cause de la nécessité du précepte, d'aimer nos ennemis. |
|
Sed tunc considerandum, quod cum ex praecepto
caritatis teneamur proximos diligere, non se extendit ad hoc praeceptum quod
quemlibet proximum actu diligamus in speciali, aut unicuique specialiter bene
faciamus : quia nullus sufficeret ad cogitandum de omnibus hominibus, ut
specialiter unumquemque actu diligeret; nec etiam aliquis sufficeret ad
benefaciendum vel serviendum singulariter unicuique. |
Mais alors il faut
considérer que puisque nous sommes tenus par le précepte de charité d'aimer
le prochain, le précepte ne s'étend pas jusqu’à aimer en acte et en
particulier n'importe quel proche, ou à faire du bien à chacun en
particulier, car personne ne suffirait pour penser à tous les hommes, de
façon à aimer chacun en particulier et en acte, et personne non plus ne
suffirait pour faire du bien ou rendre service à chacun en particulier. |
|
Tenemur tamen etiam in speciali aliquos diligere, et
eis prodesse, qui nobis aliqua alia amicitiae ratione coniuncti sunt : nam
omnes aliae licitae dilectiones sub caritate comprehenduntur, ut supra dictum
est; unde dicit Augustinus [lib. I de
Doctr. christ., cap. XXVIII] : Cum omnibus prodesse non possis; his
potissimum consulendum est, qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum
opportunitatibus constrictius tibi quasi quadam sorte iunguntur; pro sorte
enim habendum est prout quisque tibi temporaliter colligatius adhaeret, ex
quo eligis potius illi dandum esse. |
Cependant nous sommes tenus aussi
d'aimer certains en particulier, et d'être utiles à ceux qui nous sont unis
par quelque autre raison d'amitié ; car tous les autres amours licites sont
compris dans la charité, comme il a été dit plus haut; ainsi Augustin dit (La Doctrine chrétienne, I, 28) : « Comme tu ne peux être utile à tous, il te
faut décider [de l'être] plutôt à ceux qui, en raison du lieu, du temps ou de
n'importe quelles circonstances, te sont unis par un certain hasard; en effet
il faut considérer que c'est par hasard dans la mesure où chacun s’attache à
toi plus étroitement selon le temps, à partir de quoi tu choisis que c'est
plutôt à lui qu'il faut donner ». |
|
Ex quo patet quod non tenemur ex caritatis praecepto
ut dilectionis affectu vel operis effectu moveamur in speciali ad eum qui
nulla alia constrictione nobis coniungitur, nisi forte pro loco et tempore;
utpote si videremus eum in aliqua necessitate per quam sine nobis ei succurri
non posset. Tenemur tamen affectu et effectu caritatis, quo omnes proximos
diligimus, et pro omnibus oramus, non excludere etiam illos qui nulla nobis speciali
constrictione coniunguntur, ut puta illos qui sunt in India vel in Aethiopia. |
D'où il est clair que nous
ne sommes pas tenus, par le précepte de charité, d'être poussés par
l'affection d'amour ou l'effet de l'œuvre en particulier vers celui qui ne nous
est uni par aucun autre lien que par le hasard du lieu et du temps, au cas où
nous le voyons dans quelque nécessité dans laquelle sans nous il ne pourrait
pas lui être porté secours. Cependant nous
sommes tenus, par la charité affective et effective dont nous aimons tous nos
proches et prions pour tous, de ne pas même exclure ceux qui ne nous sont
unis par aucun lien spécial, par exemple ceux qui sont en Inde ou en
Ethiopie. |
|
Cum etiam ad inimicum nulla alia unio nobis remaneat
nisi sola unio caritatis; ex necessitate praecepti teneremur diligere eos in
communi, et affectu et effectu, et in speciali, quando necessitatis articulus
immineret; sed quod homo specialem affectum et effectum dilectionis, quem ad
alios sibi coniunctos impendit, inimicis exhibeat propter Deum, hoc perfectae
caritatis est, et sub consilio cadit. Ex perfectione enim caritatis procedit
quod sola caritas sic moveat ad inimicum, sicut ad amicum movet et caritas et
specialis dilectio. |
Puisque aussi avec un
ennemi aucun autre lien ne nous reste que le seul lien de la charité, nous
serions tenus, par la nécessité du précepte, de les aimer en général,
affectivement et effectivement, et en particulier, quand un besoin impérieux
les menacerait ; mais montrer à des ennemis, à cause de Dieu, le même
sentiment particulier et effet de l'amour qu'aux autres qui sont unis à soi,
cela est d'une parfaite charité, et tombe sous le conseil. En effet il
procède de la perfection de la charité qu’elle seule pousse ainsi vers
l'ennemi, de même que la charité et l'amour particulier poussent vers l'ami. |
|
Manifestum est autem quod ex perfectione activae
virtutis procedit quod actio agentis ad remota procedat. Perfectior enim est
ignis virtus per quam non solum propinqua sed remota calefiunt. Ita et
perfectior est caritas, per quam non solum ad propinquos, sed etiam ad
extraneos, et ulterius ad inimicos, non solum generaliter, sed etiam
specialiter, et diligendo et benefaciendo movetur. |
Il est évident
qu'il procède de la perfection de la vertu active que l'action de l'agent
s'avance vers ce qui est éloigné. En effet, plus parfait est le pouvoir du
feu par lequel est réchauffé non seulement ce qui est proche, mais aussi ce
qui est éloigné. De même aussi, plus parfaite est la charité par laquelle on
est poussé non seulement vers les proches mais aussi vers les étrangers, et
encore plus loin vers les ennemis, non seulement en général mais aussi en
particulier, en les aimant et en leur rendant service. |
|
[66234] De
virtutibus, q. 2 a. 8 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod
dilectio inimicorum sub praecepto continetur, sicut dictum est. |
Solutions : 1. L'amour des ennemis est
contenu sous le précepte, comme il a été dit. |
|
[66235] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 2 Ad
secundum dicendum, quod sicut per affectum, ita et per effectum inimicos
diligere debemus, ut dictum est. |
2. De même
qu'affectivement, de même aussi effectivement nous devons aimer les ennemis,
comme il a été dit. |
|
[66236]
De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 3 Unde etiam
patet responsio ad tertium. |
3. Par là apparaît la réponse
à l’argument trois. |
|
[66237] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 4 Ad
quartum dicendum, quod illae auctoritates veteris testamenti loquuntur in
casu necessitatis, quando ex praecepto tenemur benefacere inimicis, ut dictum
est in corp. art. |
4. Ces autorités de
l'Ancien Testament parlent en cas de nécessité, quand nous sommes tenus par
le précepte de rendre service aux ennemis, comme il a été dit dans le corps
de l'article. |
|
[66238] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 5 Ad
quintum dicendum, quod hoc quod dicitur, Odio
habebis inimicum tuum, in toto veteri testamento non invenitur; sed hoc
erat ex traditione Scribarum quibus visum fuit hoc esse addendum, quia
dominus praecepit filiis Israel persequi inimicos suos. Vel dicendum est,
quod haec vox, Odio habebis inimicum tuum,
non est accipienda ut iubentis iusto, sed ut permittentis infirmo, ut
Augustinus dicit in Lib. de sermone
Domini in monte [lib. I, cap. XLI]. Vel, sicut etiam Augustinus dicit contra Faustum, non debent homines
inimicos odire, sed vitium. |
5. Ce qui est dit, Tu haïras ton ennemi, ne se trouve
nulle part dans l'Ancien Testament, mais cela venait d'une Tradition des
scribes qui ont jugé bon d'ajouter cela, parce que le Seigneur a prescrit aux
fils d'Israël de persécuter leurs ennemis. Ou il faut dire que cette parole, Tu haïras ton ennemi, ne doit pas être prise comme un
ordre donné au juste, mais comme une permission donnée au faible, comme dit
Augustin dans le Sermon du Seigneur sur la montagne, I, 41. Ou bien, comme dit encore Augustin dans
le Contre Fauste, « les hommes ne
doivent pas haïr les ennemis mais le vice ». |
|
[66239] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 6 Ad
sextum dicendum, quod inimicus, ut inimicus, non est obiectum dilectionis,
sed in quantum pertinet ad Deum; unde hoc debemus in inimico odire quod ipse
nos odit, et desiderare quod nos diligat. |
6. L'ennemi n'est pas
objet d'amour en tant qu'ennemi, mais en tant qu'il concerne Dieu ;
c'est pourquoi nous devons haïr dans l'ennemi le fait que lui-même nous hait,
et désirer qu'il nous aime. |
|
[66240] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 7 Ad
septimum dicendum, quod, ex natura, homo omnem hominem diligit, ut etiam
philosophus dicit in VIII Ethic.
Sed quod aliquis sit inimicus, est ex aliquo quod naturae superadditur, ex
quo non debet tolli naturae inclinatio. Caritas ergo, dum ad dilectionem
inimicorum movet, perficit naturalem inclinationem; secus autem est de illis
quae habent contrarietatem ex sua natura, sicut ignis et aqua, lupus et ovis. |
7. L’homme aime
naturellement tout homme, comme dit aussi le philosophe (Éthique VIII). Or que quelqu'un soit un ennemi, vient de quelque
chose qui s'ajoute à la nature, qui ne doit pas enlever l'inclination de la
nature. Donc la charité, en incitant à l'amour des ennemis, parfait
l'inclination naturelle ; il en est autrement de ce qui a une contradiction
par nature, comme le feu et l'eau, le loup et le mouton. |
|
[66241] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 8 Ad
octavum dicendum, quod Deus non odit in aliquo quod suum est, scilicet bonum
naturale vel quodcumque aliud, sed solum illud quod suum non est, scilicet
peccatum; et sic etiam nos in hominibus debemus diligere quod Dei est, et
odire quod est alienum a Deo; et secundum hoc dicitur in Psalm. CXXXVIII, 22 : Perfecto
odio oderam illos. |
8. Dieu ne hait pas dans
quelqu'un ce qui est à lui, à savoir le bien naturel ou n'importe quoi
d’autre, mais seulement ce qui n'est pas à lui, à savoir le péché ; et ainsi,
nous devons aussi aimer dans les hommes ce qui vient de Dieu, et haïr ce qui
est étranger à Dieu ; et selon cela il est dit dans le Ps 138, 22 : D'une haine
parfaite je les haïssais. |
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[66242] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 9 Ad
nonum dicendum, quod praescitos et damnatos non debemus diligere ad habendum
vitam aeternam, quia iam sunt totaliter per divinam sententiam ab ea exclusi;
possumus tamen eos diligere ut opera Dei, in quibus divina iustitia
manifestatur; sic enim eos Deus diligit. Praescitos autem nondum damnatos
debemus diligere ad vitam aeternam habendam; quia hoc nobis non constat, et
praescientia divina ab eis non excludit possibilitatem perveniendi ad vitam
aeternam. |
9. Nous ne
devons pas aimer les prédestinés, ni les damnés, pour qu’ils aient la vie
éternelle, car ils en sont déjà totalement exclus, par une sentence divine ;
nous pouvons cependant les aimer comme des œuvres de Dieu en lesquelles se
manifeste la justice divine, car c'est ainsi que Dieu les aime. Nous devons
aimer les prédestinés non encore damnés pour qu’ils aient la vie éternelle,
car cela ne nous est pas connu, et la prescience divine n'exclut pas d'eux la
possibilité de parvenir à la vie éternelle. |
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[66243] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 10 Ad
decimum dicendum, quod licite potest ille ad quem ex officio pertinet,
malefactores punire, vel etiam occidere, eos ex caritate diligendo. Dicit
enim Gregorius in quadam homilia, quod iusti persecutionem commovent, sed
amantes : quia si foris increpationes per disciplinam exaggerant, intus tamen
dulcedinem per caritatem servant. |
10. Celui qui
est concerné par sa profession peut licitement punir les malfaiteurs, ou même
les tuer, tout en les aimant de charité. En effet Grégoire dit dans une
homélie que les justes suscitent les poursuites, mais en aimant ; car si
extérieurement ils accumulent les reproches, intérieurement cependant ils
conservent la douceur par charité. |
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Possumus enim illis quod ex caritate diligimus, velle
aut inferre aliquod malum temporale, propter tria. Primo
quidem, propter eorum correctionem. Secundo,
in quantum aliquorum temporalis prosperitas est in detrimentum alicuius
multitudinis, vel etiam totius Ecclesiae; unde dicit Gregorius, XXII Moral. [cap. II] : Evenire plerumque solet, ut, non amissa caritate, inimici nos ruina
laetificet; et rursus eius gloria, sine invidiae culpa, contristet; dum,
corruente eo, quosdam bene erigi credimus; et, proficiente illo, plerosque
iniuste opprimi formidamus.- Tertio, ad
servandum ordinem divinae iustitiae, secundum illud Ps. LVII,
11 : Laetabitur iustus, cum viderit
vindictam. |
En effet nous pouvons,
parce que nous aimons par charité, leur vouloir ou infliger quelque mal
temporel, pour trois raisons : Premièrement pour leur correction. Deuxièmement en tant que la prospérité
temporelle de certains est au détriment de la multitude, ou encore de toute
l'Eglise, c'est pourquoi Grégoire dit, (Morales
sur Job XXII, 2) : « La
plupart du temps il arrive par habitude que sans perdre la charité, la ruine
de l'ennemi nous réjouisse ; et inversement sa gloire, sans faute d'envie,
[nous] attriste ; ainsi, quand il échoue, nous croyons que certains sont
heureusement redressés ; et, quand il progresse, nous redoutons que la
plupart soient injustement accablés ». Troisièmement, pour garder l'ordre de
la justice divine, selon cette parole (Ps
57, 11) : Le juste se réjouira, quand
il aura vu la vengeance. |
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[66244] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod huiusmodi propositiones, ex quibus argumentatur
philosophus, sunt accipiendae per se. Sicut enim diligere amicum, in quantum
amicus est, bonum est; ita malum est diligere inimicum, quia inimicus est;
sed bonum est diligere inimicum, in quantum ad Deum pertinet. |
11. Les propositions de
cette sorte, par lesquelles le philosophe argumente, doivent être prises en
elles-mêmes. Car de même qu'aimer un ami, en tant que tel, est un bien, de
même c’est un mal d'aimer un ennemi parce qu'il est ennemi ; mais c’est
un bien d'aimer un ennemi en tant qu'il concerne Dieu. |
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[66245] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod diligere amicum, in quantum amicus, et inimicum, in
quantum inimicus, esset contrarium; sed diligere amicum et inimicum, in
quantum uterque est Dei, non est contrarium, sicut nec videre album et videre
nigrum, in quantum est coloratum. |
12. Aimer un
ami en tant qu'ami, et un ennemi en tant qu'ennemi, serait contradictoire ;
mais aimer un ami et un ennemi, en tant que l'un et l'autre appartiennent à
Dieu, n'est pas contradictoire, comme ne pas voir le blanc et voir le noir,
en tant qu'il est coloré. |
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[66246] De virtutibus, q. 2 a. 8 ad 13 Ad decimumtertium
dicendum, quod diligere inimicum, in quantum inimicus est, est difficile, vel
etiam impossibile; sed diligere inimicum propter aliquid magis amatum, est
facile; et sic id quod in se videtur impossibile, caritas Dei facit facile. |
13. Aimer un ennemi, en
tant qu'ennemi, est difficile ou même impossible ; mais aimer un ennemi à
cause de quelque chose de plus aimé, c'est facile ; et ainsi ce qui en soi
paraît impossible, l'amour de Dieu le rend facile. |
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[66247] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod beatus Thomas non expetiit poenam sui
percussoris zelo vindictae, sed propter manifestationem divinae iustitiae et
virtutis. |
14. Le bienheureux Thomas
n'a pas réclamé le châtiment de son agresseur par zèle de vengeance, mais
pour la manifestation de la justice et de la puissance divines. |
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[66248] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod imprecationes quae inveniuntur in prophetis,
sunt intelligendae per praenuntiationes, ut exponatur deleantur, id est
delebuntur. Utuntur autem tali modo loquendi, quia conformant voluntatem suam
divinae iustitiae eis revelatae. |
15. Les
imprécations qui se trouvent dans les prophètes sont à comprendre comme des
prédictions, pour révéler la destruction de ce qui sera détruit. Ils
utilisent une telle façon de parler parce qu'ils conforment leur volonté à la
justice divine qui leur a été révélée. |
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[66249] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod diligere aliquem propter se potest intelligi dupliciter. Uno modo, ita quod aliquid diligatur sicut ultimus finis; et sic
solus Deus est propter se diligendus. Alio modo, ut diligamus ipsum cui volumus
bonum, ut contingit in amicitia honesta; non autem sicut bonum quod volumus
nobis, ut contingit in amicitia delectabili vel utili, in qua amicum
diligimus ut bonum nostrum : non quia utilitatem vel delectationem appetamus
amico, sed quia ex amico appetimus utilitatem et delectationem nobis; sicut
et diligimus alia delectabilia nobis et utilia, ut cibum aut vestimentum. Sed
cum diligimus aliquem propter virtutem, volumus ei bonum, non ipsum nobis; et
hoc maxime contingit in amicitia caritatis. |
16. Aimer quelqu'un pour
lui-même peut être compris de deux
manières. D'une
première manière :
aimer quelque chose comme une fin ultime ; et Dieu seul doit être ainsi aimé
pour lui-même. D’une autre
manière :
aimer celui à qui nous voulons du bien, comme il arrive dans une amitié
honnête ; mais pas comme un bien que nous voulons pour nous, comme il arrive
dans une amitié qui cherche le plaisir ou l'intérêt, et dans laquelle nous
aimons l'ami comme notre bien, non parce que nous recherchons le plaisir ou
l'intérêt de l'ami, mais parce que nous recherchons dans l'ami notre intérêt
et notre plaisir ; de même que nous aimons aussi les autres choses qui
nous sont agréables et utiles, comme la nourriture ou le vêtement. Mais quand
nous aimons quelqu'un à cause de sa vertu, nous lui voulons du bien, nous ne
le [voulons] pas lui-même pour nous ; et cela arrive surtout dans l'amitié de
charité. |
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[66250] De virtutibus, q. 2 a. 8
ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod diligere inimicum melius est quam diligere
amicum tantum, quia perfectiorem caritatem demonstrat, ut supra, in corp.
art., dictum est. Sed si consideremus istos duos absolute, melius est
diligere amicum quam inimicum; et melius diligere Deum quam amicum. Non enim
difficultas quae est in dilectione inimici, facit ad rationem meriti, nisi in
quantum per hoc demonstratur perfectio caritatis, quae hanc difficultatem
vincit; unde si esset tam perfecta caritas quae totam difficultatem tolleret,
adhuc esset magis meritorium. Loquimur autem in eo qui diligit amicum ex tam
perfecta caritate, quae etiam se extendat ad dilectionem inimici, sed
intensius operatur in dilectione amici; nisi forte per accidens, in quantum
contra repugnans aliquid cum maiori conatu operatur; sicut et in rebus
naturalibus aqua calefacta intensius congelatur. |
17. Aimer un
ennemi est meilleur qu'aimer seulement un ami, parce que cela révèle une
charité plus parfaite, comme il a été dit ci-dessus dans le corps de
l'article. Mais si nous considérons ces deux aspects dans l'absolu, il est
meilleur d'aimer un ami qu’un ennemi, et il est meilleur d'aimer Dieu qu’un
ami. Car ce n’est pas la difficulté qui est dans l’amour de l’ennemi qui fait
le mérite, sauf en tant que cela démontre la perfection de charité qui vainc
cette difficulté ; c'est pourquoi s'il y avait une charité assez
parfaite pour ôter toute la difficulté, elle serait encore plus méritoire.
Nous parlons de celui qui aime un ami d’une charité si parfaite qu'elle
s'étend même jusqu'à l'amour de l'ennemi, mais elle agit plus intensément
dans l'amour de l'ami ; sauf par hasard par accident, en tant qu’elle agit
avec un plus grand effort contre ce qui s’oppose à elle ; de même aussi dans
ce qui est naturel, l'eau chauffée se congèle plus intensément. |
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[66251] De
virtutibus, q. 2 a. 8 ad 18 Et per hoc patet responsio ad
duo sequentia. |
18. Et par cela la réponse
est claire pour les deux arguments qui suivent. |
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[66252] De virtutibus, q. 2 a. 9
tit. 1 Nono quaeritur utrum ordo aliquis sit in caritate |
Article 9 – Y a-t-il un ordre dans la charité ? |
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[66253] De virtutibus, q. 2 a. 9 tit. 2 Et videtur
quod non. |
Il semble que non. |
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[66254] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 1 Quia sicut fides se habet ad credita, ita
caritas ad diligenda. Sed fides aequaliter credit omnia credenda. Ergo
caritas aequaliter diligit omnia diligenda. |
Objections :[56] 1. Parce
que de la même manière que la foi se comporte vis-à-vis de ce qu’il faut
croire, la charité se comporte vis-à-vis de ce qu’il faut aimer. Or la foi
croit de manière égale tout ce qui doit être cru. Donc la charité aime de
manière égale tout ce qui doit être aimé. |
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[66255] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 2 Praeterea, ordo ad rationem pertinet. Caritas
autem non est in ratione, sed in voluntate. Ergo ordo non pertinet ad
caritatem. |
2. L’ordre appartient à la
raison. Or la charité n’est pas dans la raison, mais dans la volonté. Donc
l’ordre n’appartient pas à la charité. |
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[66256] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 3 Praeterea,
ubicumque est ordo, ibi est aliquis gradus. Sed
secundum Bernardum [serm. LXXIX in Cantica],
Caritas gradum nescit, dignitatem non
considerat. Ergo
ordo non est in caritate. |
3. Partout où il y a de
l’ordre, il y a un degré. Or selon Bernard (Cant. Sermon 79) : « La
charité ignore le degré, elle ne
considère pas la dignité ». Donc il n’y a pas d’ordre
dans la charité. |
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[66257] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 4 Praeterea,
obiectum caritatis est Deus, ut Augustinus dicit in Lib. de Doctr. Christ.
[capit. XXVIII] : in proximo enim nihil diligit caritas nisi Deum. Deus
autem non est maior in seipso quam in proximo, nec maior in uno proximo quam
in alio. Ergo caritas non magis diligit Deum quam proximum, vel unum proximum
quam alium. |
4. Dieu est l’objet de la
charité, comme Augustin le dit dans La
Doctrine chrétienne, (1, 28), car la charité dans le prochain n’aime rien
que Dieu. Mais Dieu n’est pas plus grand en lui-même que dans le prochain, ni
plus grand dans un proche que dans un autre. Donc la charité n’aime pas plus
Dieu que le prochain, ni un proche plus qu’un autre. |
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[66258] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 5 Praeterea,
similitudo est ratio dilectionis, secundum illud Eccl. XIII, 19 : Omne
animal diligit simile sibi. Sed maior est similitudo hominis ad proximum
suum quam ad Deum. Ergo non est iste ordo in caritate, ut primo diligatur
Deus, sicut Ambrosius dicit. |
5. La ressemblance est la
raison de l’amour, selon cette parole de l’Eccl 13, 19 : Tout animal
aime son semblable. Or plus grande est la ressemblance de l’homme avec
son prochain qu’avec Dieu. Donc il n’y a pas dans la charité cet ordre pour
aimer en premier Dieu, comme Ambroise le dit. |
|
[66259] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 6 Praeterea,
I Ioan. IV,
20, dicitur : Qui non diligit fratrem
suum, quem videt; Deum, quem non videt, quomodo potest diligere? Arguit
autem a dilectione proximi ad dilectionem Dei negando. Argumentum autem
negativum non sumitur a minori, sed a maiori. Ergo magis diligendus est proximus
quam Deus. |
6. En 1 Jn 4, 20, il est dit : Celui
qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit
pas ? Mais il a raisonné de l’amour du prochain à celui de Dieu
en se servant d’une négation. Or on ne prend pas un argument négatif d’un
plus petit, mais d’un plus grand. Donc il faut plus aimer le prochain que
Dieu. |
|
[66260] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 7 Praeterea,
amor est vis unitiva, ut Dionysius dicit [IV cap. de divin. Nomin.]. Sed nihil est magis unum alicui quam ipsemet.
Ergo homo ex caritate non debet magis diligere Deum quam seipsum. |
7. L’amour est une force
d’union, comme dit Denys (Les Noms
divins, 4). Or rien n’est plus uni à quelqu’un que lui-même. Donc l’homme
ne doit pas plus aimer par charité Dieu que lui-même. |
|
[66261] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 8 Praeterea,
Augustinus dicit in I De Doctrina
Christ.[cap. XXVIII], quod omnes homines aeque diligendi sunt. Ergo unus
proximus non debet magis diligi quam alius. |
8. Augustin dit (La doctrine chrétienne, 1, 28) que
tous les hommes doivent être aimés de manière égale. Donc un proche ne doit
pas être plus aimé qu’un autre. |
|
[66262] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 9 Praeterea,
proximum praecipitur alicui diligere sicut seipsum. Ergo omnes proximi sunt
aequaliter diligendi. |
9. Il
est prescrit d’aimer le prochain comme soi-même. Donc tous les proches doivent
être aimés de manière égale. |
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[66263] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 10 Praeterea,
illum magis diligimus cui maius bonum volumus. Sed omnibus proximis volumus
ex caritate unum bonum, quod est vita aeterna. Ergo unum proximum non debemus
plus diligere quam alium. |
10. Nous aimons plus celui
à qui nous voulons un bien plus grand. Or nous voulons par charité pour tous
nos proches un seul bien qui est la vie éternelle. Donc nous ne devons pas
aimer un proche plus qu’un autre. |
|
[66264] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 11 Praeterea,
si ordo est conditio caritatis, oportet quod cadat sub praecepto. Sed non
videtur sub praecepto cadere; quia dummodo aliquem diligamus quem debemus,
non videmur peccare, si alium quemcumque diligamus plus. Ergo ordo non est
conditio caritatis. |
11. Si l’ordre est la
condition de la charité, il est nécessaire qu’il tombe sous le précepte. Or
il ne semble pas y tomber ; parce que pendant que nous aimons quelqu'un
que nous devons aimer, nous ne semblons pas pécher, si nous en aimons plus un
autre quelconque. Donc l’ordre n’est pas la condition de la charité. |
|
[66265] De virtutibus, q. 2 a. 9
arg. 12 Praeterea, caritas viae imitatur caritatem patriae. Sed in patria
magis amantur meliores, non autem propinquiores. Ergo videtur, si est aliquis
ordo caritatis, quod etiam in via magis amandi sint meliores, et non
propinquiores; quod est contra Ambrosium, qui dicit, quod primo diligendus
est Deus, secundo parentes, deinde filii, post domestici. |
12. La charité de la voie
imite celle de la patrie. Or dans la patrie les meilleurs sont plus aimés,
pas les plus proches. Donc il semble, s’il y a un ordre de charité qu’aussi
dans la voie les meilleurs doivent être plus aimés, et non les plus
proches ; ce qui est contre Ambroise, qui dit que Dieu doit être aimé en
premier, les parents en second, ensuite les enfants et après les serviteurs. |
|
[66266] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 13 Praeterea,
ratio diligendi aliquem ex caritate, est Deus. Sed aliquando extranei magis
sunt coniuncti Deo quam propinqui, vel etiam parentes. Ergo sunt magis ex
caritate diligendi. |
13. La raison d’aimer
quelqu'un par charité, c’est Dieu. Or quelquefois les étrangers sont plus
unis à Dieu que nos proches, ou même que nos parents. Donc ils doivent plus
être aimés par charité. |
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[66267] De
virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 14 Praeterea, sicut dicit Gregorius in quadam
homilia, Probatio dilectionis est
exhibitio operis. Sed aliquando effectus dilectionis, qui est
beneficentia, magis exhibetur extraneo, quam proximo, ut patet in collatione
ecclesiasticorum beneficiorum. Ergo
non videtur quod propinqui sint magis diligendi ex caritate. |
14. Comme le dit Grégoire
en une Homélie : « La
preuve de l’amour est de montrer l’œuvre ». Or
quelquefois l’effet de l’amour qui est bienfaisance, se montre plus à un
étranger qu’au prochain, comme on le voit dans l’attribution des privilèges
ecclésiastiques. Donc il ne semble pas que les proches doivent être plus
aimés par charité. |
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[66268] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 15 Praeterea, I Ioan., III, 18, dicitur : Non diligamus ore neque lingua, sed opere
et veritate. Sed aliquando plus de opere dilectionis exhibemus aliis quam
parentibus; puta, miles plus obedit duci exercitus quam patri; et plus debet
reddere benefactori quam patri, si in aequali necessitate existat. Ergo non
sunt parentes plus diligendi. |
15. En I Jn, 3, 18, il est dit : Nous n’aimons ni de mots ni de langue,
mais en acte et en vérité. Or quelquefois nous montrons plus une œuvre
d’amour aux autres qu’à nos parents ; par exemple, le soldat obéit plus
au général de l’armée qu’à son père ; et il doit rendre plus à son
bienfaiteur qu’à son père, si cela arrive dans une égale nécessité. Donc ce
ne sont pas les parents qui doivent le plus être aimés. |
|
[66269] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 16 Praeterea,
Gregorius dicit, quod illi quos ex sacro fonte suscepimus, magis sunt a nobis
diligendi quam illi quos ex carne nostra genuimus. Ergo extranei magis sunt
diligendi quam propinqui. |
16. Grégoire dit que nous
devons plus aimer ceux que nous recevons par la source sacrée que ceux que
nous engendrons de notre chair. Donc les étrangers doivent être plus aimés
que les proches. |
|
[66270] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 17 Praeterea,
ille est magis diligendus, cuius amicitia vituperabilius rescinditur. Sed
vituperabilius videtur rescindi amicitia aliorum amicorum quos sponte
eligimus, quam propinquorum, qui nobis non ex nostra electione, sed sorte
naturae provenerunt. Ergo magis sunt diligendi alii amici quam propinqui. |
17. Doit être le plus
aimé, celui dont l’amitié est rompue de manière plus blâmable. Or il semble
plus blâmable de rompre l’amitié des autres amis que nous choisissons
spontanément, que celle de nos proches, qui ne nous sont pas provenus de
notre choix, mais du hasard de la nature. Donc doivent être plus aimés les
autres amis que les proches. |
|
[66271] De virtutibus, q. 2 a. 9 arg. 18 Praeterea,
si ratione propinquitatis maioris est aliquis magis diligendus; cum uxor sit
magis propinqua, quae est unum corpus, et filii, qui sunt aliquid generantis,
sint magis propinqui quam parentes, videtur quod sint magis diligendi filii
et uxor quam parentes. Non ergo parentes sunt maxime diligendi. Sic igitur
non videtur esse ordo in caritate qui a sanctis assignatur. |
18. Ainsi quelqu’un doit
être plus aimé en raison d’une plus grande proximité ; comme l’épouse
est plus proche, qui est un seul corps, et les enfants, qui sont une part de
celui qui les engendre, sont plus proches que les parents, il semble que les
enfants et l’épouse doivent être plus aimés que les parents. Donc les parents
ne sont pas à aimer au plus haut point. Donc ainsi il ne semble pas qu’il y
ait un ordre dans la charité que les saints nous révèlent. |
|
[66272] De virtutibus, q. 2 a. 9 s. c. Sed contra,
est quod dicitur Cantic. II, v. 4 :
Introduxit me rex in cellam vinariam,
ordinavit in me caritatem. |
En sens contraire : Il y a ce qui est dit dans
Ct 2, 4 : Le roi m’a introduite dans le cellier à vin, il a mis l’amour en
ordre en moi[57].
|
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[66273] De virtutibus, q. 2 a. 9
co. Respondeo. Dicendum, quod secundum omnem sententiam et auctoritatem
Scripturae, indubitanter iste ordo in caritate significandus est, ut Deus
affectu et effectu super omnia diligatur. |
Réponse : Selon toute locution et
autorité de l’Écriture, il faut signaler de manière indubitable cet ordre dans
la charité, de sorte que Dieu soit aimé par-dessus tout affectivement et
effectivement. |
|
Sed quantum ad dilectionem
proximorum, fuit quorumdam opinio, ut ordo caritatis attendatur secundum
effectum, et non secundum affectum; et fuerunt moti ex dicto Augustini, qui
dicit [lib. I de Doct. Christ. Cap.
XXVIII], quod omnes homines aeque diligendi sunt; Sed cum omnibus prodesse non possis, his potissime consulendum est
qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus
constrictius tibi quasi quadam sorte coniunguntur. |
Mais au sujet de l’amour
des proches, il y a eu l’opinion de certains, qu’on atteint l’ordre de la
charité effectivement, et non affectivement, et ils y ont été poussés par les
paroles d’Augustin (La doctrine
chrétienne, I, 28) qui dit que tous les hommes doivent être également
aimés : « Mais comme tu ne pourrais pas être utile à tous, il faut
réfléchir de préférence, à ceux qui te sont plus liés selon les lieux, les
temps ou par certaines opportunités, comme s’ils étaient unis par quelque
hasard ». |
|
Sed ista
positio irrationabilis videtur. Sic enim Deus providet unicuique secundum
quod conditio eius requirit; unde tendentibus in finem naturae imprimitur a
Deo amor et appetitus finis, secundum quod exigit sua conditio ut tendat in
finem; unde quorum est vehementior motus secundum naturam in aliquem finem,
eorum etiam est maior inclinatio in illum, quae est appetitus naturalis, ut
patet in gravibus et levibus. Sicut autem appetitus vel amor naturalis est
inclinatio quaedam, indita rebus naturalibus ad fines connaturales, ita
dilectio caritatis est inclinatio quaedam infusa rationali naturae ad
tendendum in Deum. Secundum
igitur quod necesse est alicui tendere in Deum, secundum hoc ex caritate
inclinatur. |
Mais
cette position semble hors de raison. Car ainsi Dieu pourvoit à chacun selon
que sa condition le demande ; c'est pourquoi à ceux qui tendent à la fin
de la nature, l’amour et l’appétit de la fin sont induits par Dieu, selon ce
qu’exige leur condition pour tendre à la fin ; c'est pourquoi de ceux
dont le mouvement est plus fort selon la nature pour une certaine fin, de
ceux-là aussi il y a vers lui une plus grande inclination, qui est l’appétit
naturel, comme on le voit dans ce qui est lourd et léger. De même aussi que
l’appétit ou l’amour naturel est une inclination, induite dans les choses
naturelles, pour des fins naturelles, de même l’amour de charité est une
inclination infusée dans la nature raisonnable pour tendre à Dieu. Donc selon
qu’il est nécessaire à quelqu'un de tendre à Dieu, il y est ainsi incliné par
la charité. |
|
Tendituris autem in Deum sicut in
finem, id quod maxime necessarium
est, divinum auxilium est; secundo
autem auxilium quod est a seipso; tertio
autem cooperatio, quae est a proximo : et in hoc est gradus. Nam quidam cooperantur tantum in generali; alii vero, qui sunt magis
coniuncti, in speciali; non enim
omnes omnibus in specialibus cooperari possent. Qui autem impediunt, in
quantum huiusmodi, sunt odiendi, quicumque sunt; unde Dominus dicit, Luc., XIV, 26 : Si quis venit ad me, et non odit patrem suum et matrem (...) non
potest esse meus discipulus. Ultimo autem diligendum est corpus nostrum.
Sic etiam secundum actum quem caritas elicit, attendendus est ordo secundum
affectum in dilectione proximorum. |
A ceux qui veulent tendre
à Dieu comme à leur fin, ce qui est tout
à fait nécessaire, il y a une aide divine ; deuxièmement une aide qui vient de soi-même ; troisièmement une coopération qui
vient du prochain, et c’est en cela qu’il y a un degré. Car certains coopèrent seulement en ce qui
est général, mais d’autres, qui
sont plus unis, en ce qui est particulier ;
car ce ne sont pas tous qui pourraient coopérer dans le particulier. Mais
ceux qui apportent des empêchements, en tant que tels, sont à haïr, quels
qu’ils soient ; c'est pourquoi le Seigneur dit (Lc 14, 26) : Si quelqu'un
vient à moi et ne hait pas son père et sa mère (…) il ne peut pas être mon
disciple. En dernier il faut aimer notre corps. Ainsi selon l’acte que la
charité choisit, il faut atteindre un ordre selon l’affection dans l’amour
des proches. |
|
Sed etiam considerandum est, quod
sicut supra, art. 7 et 8, diximus, etiam aliae dilectiones licitae et
honestae, quae sunt ex aliquibus aliis causis, ordinari possunt ad caritatem;
et sic caritas illarum dilectionum actus imperare potest; et sic quod magis
secundum aliquam illarum dilectionum diligitur, magis diligitur ex caritate
imperante. |
Mais il faut considérer
aussi, comme ci-dessus art. 7 et 8 nous l’avons dit, qu’aussi les autres
amours licites et honnêtes, qui dépendent de certaines autres causes, peuvent
être ordonnés à la charité, et ainsi la charité peut commander les actes
d’amour, et ainsi ce qui est plus aimé selon l’un de ces amours, est plus
aimé quand la charité le commande. |
|
Manifestum est autem quod secundum
dilectionem naturalem propinqui plus diliguntur etiam secundum affectum, et
secundum dilectionem socialem plus coniuncti, et sic de aliis dilectionibus. Unde
manifestum fit, quod etiam secundum affectum unus proximorum magis est diligendus
quam alius, et ex caritate imperante actus aliarum amicitiarum licitarum. |
Mais il est évident que
selon l’amour naturel les proches sont plus aimés aussi selon l’affection et
plus unis selon l’amour social, et ainsi des autres amours. C'est pourquoi il devient évident qu’aussi selon
l’affection l’un des proches doit être plus aimé qu’un autre, et avec la
charité qui commande les actes des autres amitiés permises. |
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[66274] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod obiectum fidei est verum; unde secundum quod contingit esse
aliquid magis verum, sic etiam contingit aliquid magis credere. Cum autem
veritas constet in adaequatione intellectus et rei, si consideretur veritas
secundum rationem aequalitatis, quae non recipit magis et minus, sic non
contingit esse aliquid magis et minus verum; sed si consideretur ipsum esse
rei, quod est ratio veritatis, sicut dicitur in II Metaphys., [comm. 4] eadem est dispositio rerum in esse et
veritate : unde quae sunt magis entia, sunt magis vera; et propter hoc etiam
in scientiis demonstrativis magis creduntur principia quam conclusiones. Et
sic etiam contingit in his quae sunt fidei. Unde apostolus, I ad Corinth., XV, probat
resurrectionem mortuorum futuram per resurrectionem Christi. |
Solutions : 1. L’objet de la foi est
la vérité ; c'est pourquoi selon qu’il arrive qu’il y ait quelque chose
de plus vrai, il arrive aussi de le croire plus. Mais comme la vérité se
trouve dans l’adéquation de l’intellect et de la chose, si on considère la
vérité selon la nature d’égalité, qui ne reçoit ni plus ni moins, il n’arrive
pas qu’il y ait quelque chose de plus ou moins vrai ; mais si on considérait
l’être même de la chose, qui est la raison de la vérité, comme il est dit en Métaphysique, II, (comm. 4), la
disposition des choses est la même dans l’être et dans la vérité ; c'est
pourquoi ce qui est plus étant est plus vrai, et à cause de cela aussi dans
les sciences démonstratives on croit plus aux principes qu’aux conclusions.
Et cela arrive aussi en ce qui concerne la foi. C'est pourquoi l’apôtre (1 Co 15) prouve la résurrection future
des morts, par la résurrection du Christ. |
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[66275] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod ordo rationis est ut ordinantis; sed voluntatis ut ordinatae;
et sic convenit ordo caritati. |
2.
L’ordre de la raison est comme de celui qui met en ordre, mais celui de la
volonté comme de ce qui est ordonné, et ainsi l’ordre convient à la charité. |
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[66276] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod caritas gradum nescit amantis ad amatum, quia unit utrumque;
sed duorum diligibilium, non ignorat. |
3. La charité ne connaît
pas de degré de l’amant à l’aimé, parce qu’elle unit l’un et l’autre ;
mais elle n’ignore pas [le degré] entre deux choses à aimer. |
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[66277] De
virtutibus, q. 2 a. 9 ad 4 Ad quartum dicendum, quod licet Deus non sit maior
in uno quam in alio, tamen magis et perfectius est in seipso quam in
creatura; et in una creatura quam in alia. |
4. Bien que Dieu ne soit
pas plus grand en l’un qu’en un autre, cependant il est plus, et plus
parfait, en lui-même que dans la créature; et ainsi [plus] dans une créature
que dans une autre. |
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[66278] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod in dilectione, cuius principale obiectum est ipse diligens,
necesse est quod magis diligatur id quod est diligenti similius, sicut
accidit in dilectione naturali. Sed in dilectione caritatis principale
obiectum est ipse Deus; unde magis diligendum est ex caritate quod magis est
unum cum Deo, ceteris paribus. |
5. Dans l’amour dont
l’objet principal est celui qui aime, il est nécessaire que soit plus aimé ce
qui est plus semblable à celui qui aime, comme il arrive dans l’amour
naturel. Or dans l’amour de charité l’objet principal est Dieu lui-même.
C'est pourquoi doit être plus aimé par charité ce qui est plus un avec Dieu,
les autres conditions étant égales. |
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[66279] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod apostolus argumentatur secundum eos qui visibilibus praecipue
inhaerent, a quibus visibilia invisibilibus magis diliguntur. |
6. L’apôtre argumente
selon ceux qui adhèrent principalement à ce qui est visible, ils aiment plus
ce qui est visible que ce qui est invisible. |
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[66280] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod unitate naturae nihil est magis unum quam nos; sed unitate
affectus, cuius obiectum est bonum, summe bonum debet esse magis unum quam
nos. |
7. Par l’unité de la
nature rien n’est plus un que nous, mais par l’unité de l’affection dont
l’objet est le bien, le bien suprême doit être plus un que nous. |
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[66281] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 8 Ad octavum
dicendum, quod omnes homines sunt aeque diligendi, in quantum omnibus aequale
bonum velle debemus, scilicet vitam aeternam. |
8. Tous les hommes doivent
être aimés à égalité, en tant que pour tous nous devons vouloir un bien égal,
à savoir la vie éternelle. |
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[66282] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 9 Ad nonum
dicendum, quod proximum tenetur aliquis diligere sicut seipsum, non tamen
quantum seipsum; propter quod non sequitur quod omnes proximi sint aequaliter
diligendi. |
9. On est tenu d’aimer son
prochain comme soi-même, cependant pas autant que soi-même ; c’est
pourquoi il n’en découle pas que tous les proches doivent être aimés
également. |
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[66283] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 10 Ad decimum
dicendum, quod aliquem dicimus magis diligere, non solum quia maius bonum ei
volumus, sed etiam quia intensiori affectu idem bonum ei optamus; et sic,
licet omnibus optemus unum bonum, quod est vita aeterna, non tamen omnes
aequaliter diligimus. |
10. Nous disons que nous
aimons plus quelqu'un, non seulement parce que nous lui voulons un plus grand
bien, mais aussi parce que nous souhaitons pour lui un même bien, mais avec
une affection plus intense ; et ainsi, bien que nous souhaitions un seul
bien pour tous, qui est la vie éternelle, cependant nous ne les aimons pas
tous de manière égale. |
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[66284] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 11 Ad undecimum
dicendum, quod non potest esse quod alicui impendamus de dilectione quod
debemus, si alium quem minus diligere debemus, amplius diligamus; potest enim
contingere quod in necessitatis articulo amplius subveniatur alteri, in
derogationem eius quem plus amare debemus. |
11. Il n’est pas possible
que nous consacrions à quelqu'un de l’amour que nous lui devons, si nous
aimons plus un autre que nous devons moins aimer ; car il peut arriver,
quand c’est nécessaire, qu’on vienne en aide plus à un autre, en dérogation
de celui que nous devons aimer davantage. |
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[66285] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 12 Ad
decimumsecundum dicendum, quod illi qui sunt in patria, sunt coniuncti ultimo
fini : et ideo solum illorum dilectio regulatur ex ipso fine; unde ordo
caritatis in eis non attenditur nisi secundum propinquitatem ad Deum : et
propter hoc Deo propinquiores magis amantur. Sed in via nobis est necessarium
tendere in finem; et ideo ordo dilectionis attenditur etiam secundum mensuram
auxilii, quod ex aliis consequitur ad tendendum in finem; et sic non semper
meliores magis amantur, sed attenditur etiam ratio propinquitatis, ut ex
utroque coniunctim sumatur ratio maioris dilectionis. |
12. Ceux qui sont dans la
patrie, sont unis à leur fin ultime ; et ainsi seulement leur amour est
régulé par la fin elle-même ; c'est pourquoi l’ordre de la charité en
eux n’est atteint que selon la proximité à Dieu : et à cause de cela les plus
proches de Dieu sont plus aimés. Mais en cette voie, il nous est nécessaire
de tendre à la fin, et c'est pourquoi l’ordre de l’amour est atteint aussi
selon la mesure de l’aide, qui découle des autres pour tendre à la fin ;
et ainsi ce ne sont pas toujours les meilleurs qui sont les plus aimés, mais
aussi on atteint la raison de la proximité, pour que de l’un et l’autre en
commun on choisisse la raison d’un plus grand amour. |
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[66286] De
virtutibus, q. 2 a. 9 ad 13 Et per hoc etiam patet responsio ad
decimumtertium. |
13 Et ainsi paraît la
réponse à l'objection treize. |
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[66287] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod praelatus aliquis non potest conferre beneficia
in quantum est Petrus vel Martinus, sed in quantum est magister Ecclesiae; et
ideo in collatione ecclesiasticorum beneficiorum non debet attendere
propinquitatem ad se, sed propinquitatem ad Deum, et utilitatem Ecclesiae :
sicut dispensator alicuius familiae attendere debet, in dispensando res
domini sui, servitium quod exhibetur domino suo, et non servitium quod
exhibetur sibi. In rebus autem propriis, sicut patrimonialibus bonis, vel
quae ex industria suae personae acquirit ut propria, debet attendi in
benefaciendo ordo propinquitatis ad ipsum beneficium. |
14 Un prélat ne peut pas
conférer des bénéfices en tant que Pierre ou Martin, mais en tant que maître
de l’Église ; et c'est pourquoi dans l’attribution des privilèges
ecclésiastiques, il ne doit pas tendre à ce qui est proche pour lui-même,
mais proche pour Dieu et pour l’utilité de l’Église : de même le régisseur
d’une famille doit tendre, en dispensant les biens de son maître, au service
qu’il effectue pour son maître et non pour lui-même. Mais dans les biens
propres, comme dans les biens patrimoniaux, ou ce qu’il acquiert par
l’activité de sa personne comme biens particuliers, l’ordre de proximité au
bienfait doit être atteint en l’accordant. |
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[66288] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod secundum ea quae pertinent proprie ad propriam
personam alicuius, plus debet exhibere dilectionis effectum parentibus quam
extraneis; nisi forte in quantum in bono alicuius extranei penderet bonum
commune, quod etiam sibi ipsi imponere quisque debet : ut cum aliquis seipsum
periculo mortis exponit, ad salvandum in bello ducem exercitus, vel in
civitate principem civitatis, in quantum ex eis dependet salus totius
communitatis. Sed secundum ea quae pertinent ad aliquid ratione alicuius
adiuncti, utpote in quantum est civis vel miles, plus debet obedire rectori
civitatis, vel duci, quam patri. |
15. Selon ce qui concerne
au sens propre la personne particulière, elle doit montrer un effet d’amour
pour ses parents plus que pour les étrangers ; à moins que par hasard,
le bien commun se trouve dans le bien d’un étranger, ce qu'aussi chacun doit
appliquer pour lui-même ; comme quand quelqu'un s’expose au péril de
mort, pour sauver à la guerre le général de l’armée ou dans la cité son
prince, en tant que dépend d’eux le salut de toute la communauté. Mais selon
ce qui convient à quelque chose en raison de ce qui lui est joint, en tant
qu’il est citoyen ou soldat, il doit obéir davantage au gouverneur de la cité
ou au général qu’à son père. |
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[66289] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod auctoritas Gregorii est intelligenda quantum ad
illa qua ad regenerationem spiritualem pertinent, in quibus tenemur his quos
ex sacro fonte suscepimus. |
16.
L’autorité de Grégoire est à comprendre pour ce qui concerne la régénération
spirituelle, en ce en quoi nous sommes tenus pour ceux que nous recevons de
la source sacrée. |
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[66290] De
virtutibus, q. 2 a. 9 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod ratio illa
procedit quantum ad illa quae pertinent ad socialem vitam, in qua fundatur
amicitia extraneorum. |
17. Cette raison est
valable pour ce qui concerne la vie sociale, en laquelle est fondée l’amitié
des étrangers. |
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[66291] De virtutibus, q. 2 a. 9 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod secundum illam dilectionem qua aliquis diligit
seipsum, plus diligit uxorem et filios, quam parentes, quia uxor est aliquid
viri, et filius patris; unde dilectio quae habetur ad uxorem et filium magis
includitur in dilectione qua aliquis diligit seipsum, quam dilectio quae
habetur ad patrem. Sed hoc non est diligere filium ratione eius, sed ratione
sui ipsius. Sed secundum modum dilectionis qua diligimus aliquem ratione
eius, plus diligendus est pater quam filius, in quantum ex patre maius
beneficium suscepimus, et in quantum honor filii magis dependet ex honore
patris quam e converso; et ideo in exhibitione reverentiae, et in obediendo,
et in satisfaciendo voluntati eius, et in similibus, tenetur homo magis patri
quam filio; sed in subventione necessariorum plus tenetur homo filio quam
parenti, quia parentes debent thesaurizare filiis, et non e converso, ut
dicitur 1 Corinth., IV. |
18. Selon cet amour dont
quelqu'un s’aime lui-même, il aime plus son épouse et ses enfants que ses
parents, parce que l’épouse appartient à son mari, et le fils à son
père ; c'est pourquoi l’amour qu’on a pour l’épouse et le fils est plus
inclus dans l’amour dont quelqu'un s’aime lui-même, que l’amour qu’il a pour
son père. Mais cela ce n’est pas aimer le fils en raison de lui, mais en raison de soi-même.
Mais selon le mode d’amour dont nous aimons quelqu'un selon son intérêt, le
père doit être plus aimé que le fils, en tant que nous recevons de lui plus
de bienfait, et en tant que l’honneur du fils dépend davantage de l’honneur
du père que l’inverse ; et c'est pourquoi en montrant du respect, en
obéissant, en satisfaisant à sa volonté, et en autres choses semblables,
l’homme est tenu plus à son père qu’à son fils ; mais dans la subvention du
nécessaire, l’homme est plus tenu à son fils qu’à son père, parce que les
parents doivent amasser pour leurs enfants et non le contraire, comme il est
dit en 1 Co 4. |
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Articulus 10 : [66292] De
virtutibus, q. 2 a. 10 tit. 1 Decimo quaeritur utrum possibile sit caritatem
esse perfectam in hac vita |
Article 10 – Est-il possible que la charité soit parfaite en cette vie ? |
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[66293] De virtutibus, q. 2 a. 10 tit. 2 Et videtur quod sic. |
Il semble que oui. |
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[66294] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 1 Quia Deus nihil
impossibile homini praecipit, ut Hieronymus dicit. Sed perfectio caritatis
ponitur in praecepto, ut patet Deuter.,
VI, 5 : Diliges dominum Deum tuum ex
toto corde tuo; totum enim et perfectum idem sunt. Ergo possibile est
caritatem esse perfectam in hac vita. |
Objections :[58] 1. Dieu ne commande rien
d’impossible à l’homme, comme le dit Jérôme. Or la perfection de la charité
est placée dans le précepte, comme on le voit en Deut 6, 5 : Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur ; car le tout et le parfait sont
identiques. Donc il est possible que la charité soit parfaite en cette vie |
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[66295] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 2 Praeterea, Augustinus
dicit [in lib. De vera Relig., cap.
XLVII], quod perfecta caritas est ut meliora magis diligantur. Sed hoc est
possibile in hac vita. Ergo caritas potest esse in hac vita perfecta. |
2. Augustin (La vraie Religion, 47) dit que la
charité parfaite est d'aimer plus ce qui est meilleur. Or cela est possible
en cette vie. Donc la charité peut être parfaite en cette vie. |
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[66296] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 3 Praeterea, ratio amoris
in quadam unione consistit. Sed caritas in hac vita maxime potest esse unum;
quia qui adhaeret Deo, unus spiritus
est, ut dicitur 1 Corinth., VI,
17. Ergo caritas in hac vita potest esse perfecta. |
3. La nature de l’amour
consiste dans une certaine union. Or la charité en cette vie peut être au
plus haut point quelque chose d’unique : parce que qui adhère à Dieu est un seul esprit [avec lui], comme il est dit
(1 Co 6, 17). Donc la charité en
cette vie peut être parfaite. |
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[66297] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 4 Praeterea, perfectum est
aliquid quod maxime recedit a contrario. Sed caritas in hac vita potest
resistere omni peccato et tentationi. Ergo caritas in hac vita potest esse
perfecta. |
Le parfait est ce qui
s’éloigne le plus du contraire. Or la charité en cette vie peut résister à
tout péché et à toute tentation. Donc la charité en cette vie peut être
parfaite. |
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[66298] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 5
Praeterea, affectus noster in hac vita immediate fertur in Deum per
dilectionem. Sed quando intellectus immediate ferretur in Deum, perfecte et
totaliter ipsum cognosceremus. Ergo nunc perfecte et totaliter Deum diligimus
: est ergo in hac vita caritas perfecta. |
5. Notre affection en
cette vie est immédiatement portée en Dieu, par l’amour. Or quand l’intellect
sera immédiatement porté en Dieu, nous le connaîtrons parfaitement et
totalement. Donc maintenant nous aimons Dieu parfaitement et totalement :
donc la charité est parfaite en cette vie. |
|
[66299] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 6 Praeterea, voluntas est
domina sui actus. Sed diligere Deum, est actus voluntatis. Ergo voluntas
humana potest totaliter et perfecte ferri in Deum. |
6. La volonté est
maîtresse de son acte. Or aimer Dieu est un acte de volonté. Donc la volonté
humaine peut être portée totalement et parfaitement en Dieu. |
|
[66300] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 7 Praeterea, obiectum
caritatis est divina bonitas, quae est delectabilissima. Sed in eo quod est
delectabile, non est difficile continue perseverare, et sine intermissione.
Ergo videtur quod in hac vita de facili possit perfectio caritatis haberi. |
7. L’objet de la charité
est la bonté divine, qui est très délectable. Or en ce qui est délectable, il
n’est pas difficile de persévérer continuellement, et sans interruption. Donc
il semble qu’en cette vie on pourrait avoir facilement la perfection de la
charité. |
|
[66301] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 8 Praeterea, quod simplex
est et indivisibile, si aliquo modo habetur, totum habetur. Sed amor
caritatis est simplex et indivisibilis, et ex parte animae diligentis, et ex
parte obiecti diligibilis, quod est Deus. Ergo, si quis habet in hac vita
caritatem, totaliter et perfecte habet. |
8. Ce qui est simple et
indivisible, si on le possède de quelque manière, on le possède tout entier.
Or l’amour de charité est simple et indivisible, et du côté de l’âme de celui
qui aime, et du côté de l’objet à aimer qui est Dieu. Donc si quelqu'un a la
charité en cette vie, il l’a totalement et parfaitement. |
|
[66302] De virtutibus, q. 2 a. 10 arg. 9 Praeterea, caritas est
nobilissima virtutum, secundum illud 1
Cor., XII, 31 : Adhuc
excellentiorem viam vobis demonstro, scilicet caritatis. Sed aliae virtutes possunt esse perfectae in
hac vita. Ergo et caritas. |
9. La charité est la plus
noble des vertus selon cette parole de 1
Co 12, 31 : Je vous révèle une voie
bien meilleure, à savoir celle de la charité. Or les autres vertus
peuvent être parfaites en cette vie. Donc la charité aussi. |
|
[66303] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 1
Sed contra. Cum caritati repugnet omne peccatum, ut dictum est, perfectio
caritatis requirit quod homo sit omnino absque peccato. Sed hoc non potest
esse in hac vita, secundum illud I Ioan.,
I, 8 : Si dixerimus quia peccatum non
habemus, nos ipsos seducimus. Ergo perfecta caritas
in hac vita haberi non potest. |
En sens contraire : 1. Comme tout péché
s’oppose à la charité, comme il a été dit, la perfection de la charité
requiert que l’homme soit tout à fait sans péché. Or cela n’est pas possible
en cette vie, selon cette parole de 1 Jn 1, 8 : Si nous avons
dit que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes. Donc on
ne peut pas avoir la charité parfaite en cette vie. |
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[66304] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 2 Praeterea, nihil
diligitur nisi cognitum, ut Augustinus dicit in Lib. de Trinit. [lib. X]. Sed
in hac vita Deus perfecte non potest cognosci, secundum illud 1 Cor., XIII, 9 : Nunc ex parte cognoscimus. Ergo nec etiam potest perfecte diligi. |
2. Rien n’est aimé que
s’il est connu, comme le dit Augustin dans La Trinité, X. Or en
cette vie Dieu ne peut pas être connu parfaitement, selon cette parole de 1 Co 13, 9 : Maintenant, nous connaissons partiellement. Donc il ne peut pas
non plus être aimé parfaitement. |
|
[66305] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 3 Praeterea, illud quod
semper potest proficere, non est perfectum. Sed caritas in hac vita semper potest
proficere, ut dicitur in sermone. Ergo
caritas in hac vita semper perfecta esse non potest. |
3. Ce qui peut toujours
progresser n’est pas parfait. Or la charité en cette vie peut toujours
progresser, comme il est dit dans un sermon. Donc la charité en cette vie ne
peut pas toujours être parfaite. |
|
[66306] De virtutibus, q. 2 a. 10 s. c. 4 Praeterea, Perfecta caritas foras mittit timorem,
ut dicitur I Ioan., IV, 18. Sed in
hac vita non potest homo esse sine timore. Ergo non potest aliquis habere
caritatem perfectam. |
4. La charité parfaite chasse au loin la crainte, comme il est dit
en 1 Jn 4, 18. Or en cette vie,
l’homme ne peut pas être sans crainte. Donc personne ne peut avoir la charité
parfaite. |
|
[66307] De virtutibus, q. 2 a. 10 co.
Respondeo. Dicendum, quod perfectum tripliciter
dicitur. Uno modo perfectum simpliciter : alio modo perfectum secundum naturam; tertio modo secundum tempus. |
Réponse : On parle du parfait de trois manières : D’une
première manière,
le parfait absolu. D’une autre
manière,
le parfait selon la nature. D’une
troisième manière,
selon le temps. |
|
Perfectum quidem dicitur simpliciter
quod omnibus modis perfectum est, et cui nulla perfectio deest. Perfectum autem secundum naturam dicitur, cui non
deest aliquid eorum quae nata sunt haberi a natura illa : sicut intellectum
hominis dicimus perfectum, non quod nihil ei intelligibilium desit, sed quia
nihil ei deest eorum per quae homo natus est intelligere. |
On appelle parfait dans l’absolu ce qui est parfait de
toutes les manières, et à quoi aucune perfection ne manque. On appelle parfait selon la nature, ce à quoi rien de ce qui est destiné à être
possédé par cette nature ne manque ; comme nous disons que l’intellect
de l’homme est parfait, non parce que rien de ce qui est intelligible pour
lui ne lui manque, mais parce que rien ne lui manque de ce par quoi l’homme
est destiné à penser. |
|
Perfectum secundum tempus
dicimus quando nihil deest alicui eorum quae natum est habere secundum tempus
illud : sicut dicimus puerum perfectum, quia habet ea quae requiruntur ad
hominem secundum aetatem illam. |
Nous disons que le parfait
est selon le temps quand rien ne
manque à chacun de ce qu’il est destiné à avoir selon ce temps ; comme
nous disons que l’enfant est parfait parce qu’il possède ce qui est requis
pour un humain à cet âge. |
|
Sic igitur dicendum, quod caritas perfecta simpliciter a solo Deo habetur.
Caritas autem perfecta secundum naturam
haberi quidem potest ab homine, sed non in hac vita. Caritas autem perfecta secundum tempus, etiam in hac vita
haberi potest. Ad
cuius evidentiam sciendum est, quod cum actus et habitus speciem habeant ex
obiecto, oportet quod ex eodem ratio perfectionis ipsius sumatur. Obiectum
autem caritatis est summum bonum. Caritas ergo est perfecta simpliciter quae
in summum bonum fertur in tantum quantum diligibile est. Summum autem bonum diligibile est in
infinitum, cum sit bonum infinitum. Unde nulla caritas creaturae, cum sit
finita, potest esse simpliciter perfecta, sed sic perfecta dici potest sola
caritas Dei, qua diligit seipsum. |
Ainsi donc il faut dire
que la charité parfaite est possédée absolument
par Dieu seul. La charité parfaite selon
la nature est possédée par l’homme, mais pas en cette vie. La charité
parfaite selon le temps peut aussi
être possédée en cette vie. Pour le montrer, il faut savoir que comme l’acte et
l’habitus tirent leur espèce de l’objet, il est nécessaire que la nature de
sa perfection soit prise par un même objet. Or celui de la charité est le
bien suprême. Donc la charité est absolument parfaite, qui est portée au bien
suprême en tant qu’il est aimable. Le bien suprême peut être aimé à l’infini,
puisqu’il est le bien infini. C'est pourquoi aucune charité de la créature,
puisqu'elle est finie, ne peut être absolument parfaite, et ainsi seule peut
être dite parfaite la charité de Dieu, par laquelle il s’aime lui-même. |
|
Sed tunc secundum naturam rationalis creaturae, caritas dicitur
esse perfecta, quando rationalis creatura secundum suum posse ad Deum
diligendum convertitur. |
Mais alors selon la nature
de la créature raisonnable on dit que la charité est parfaite, quand la
créature raisonnable selon son pouvoir se tourne pour aimer Dieu. |
|
Impeditur autem homo in hac vita, ne totaliter mens eius in Deum
feratur, ex tribus. Primo quidem ex contraria
inclinatione mentis; quando scilicet mens per peccatum conversa ad
commutabile bonum sicut ad finem, avertitur ab incommutabili bono. Secundo per occupationem saecularium
rerum; quia, ut dicit apostolus, I ad Cor., VII, 33 : Qui cum uxore est, sollicitus est quae sunt mundi quomodo placeat
uxori, et divisus est; id est, cor eius non movetur tantum in Deum. |
Mais l’homme est empêché
en cette vie de tourner totalement son esprit vers Dieu pour trois raisons
: 1.
Par une inclination contraire de l’esprit ; quand l’esprit, attiré par
le péché vers un bien changeant, comme vers sa fin, se détourne du bien
immuable. 2. Par l’occupation des affaires du siècle ;
parce que comme dit l’Apôtre (1 Co
7, 33) : Celui qui est avec une épouse
est sollicité par ce qui est du monde, comment plaire à son épouse, et il est
divisé, c'est-à-dire, son cœur n’est pas seulement poussé vers Dieu. |
|
Tertio vero ex infirmitate praesentis vitae, cuius necessitatibus
oportet aliquatenus hominem occupari, et retrahi, ne actualiter mens feratur
in Deum; dormiendo, comedendo, et alia huiusmodi faciendo, sine quibus
praesens vita duci non potest : et ulterius ex ipsa corporis gravitate anima
deprimitur, ne divinam lucem in sui essentia videre possit, ut ex tali
visione caritas perficiatur; secundum illud apostoli, II ad Cor., V, 6 : Quamdiu
sumus in corpore, peregrinamur a domino; per fidem enim ambulamus, et non per
speciem. |
3. Par la faiblesse de la
vie présente, dont les nécessités obligent l'homme à s'occuper d'elles
jusqu’à un certain point, et à se soustraire à ce que son esprit soit porté
de façon actuelle en Dieu ; en dormant, en mangeant, et en faisant
d’autres choses de ce genre, sans lesquelles la vie présente ne peut être
menée ; et en plus l’âme est abattue par la lourdeur du corps, de sorte
qu'elle ne peut voir la lumière divine en son essence, pour parachever la
charité en une telle vision, selon cette parole de l’Apôtre (2 Co 5, 6[59])
: Tant que nous sommes dans ce corps,
nous marchons loin du Seigneur, car nous avançons par la foi et non dans une
claire vision. |
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Homo autem in hac vita potest esse sine peccato mortali avertente
ipsum a Deo; et iterum potest esse sine occupatione temporalium rerum, sicut
apostolus dicit, I ad Cor., c. VII,
33 : Qui sine uxore est, sollicitus est
de his quae sunt domini, quomodo placeat Deo. Sed ab onere corruptibilis
carnis in hac vita liber esse non potest. Unde quantum ad remotionem primorum
duorum impedimentorum, caritas potest esse perfecta in hac vita; non autem
quantum ad remotionem tertii impedimenti; et ideo illam perfectionem
caritatis quae erit post hanc vitam, nullus in hac vita habere potest, nisi
sit viator et comprehensor simul; quod est proprium Christi. |
L’homme en cette vie peut exister sans péché mortel
qui le détourne de Dieu, et à nouveau il peut exister sans s’occuper de ce
qui est temporel, comme l’Apôtre le dit, (1
Co 7, 33) : Celui qui est sans
épouse est sollicité par ce qui concerne le Seigneur : comment plaire à Dieu.
Mais par le poids de la chair corruptible en cette vie il ne peut pas être
libre. C'est pourquoi si on s’écarte des deux premiers empêchements, la
charité peut être parfaite en cette vie ; mais pas si on s’écarte du
troisième, et c'est pourquoi cette perfection de la charité qui existera
après cette vie, personne ne peut la posséder en cette vie, à moins qu’il ne
soit cheminant et compréhenseur[60]
en même temps, ce qui est le propre du Christ. |
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[66308] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 1 Ad primum ergo dicendum,
quod hoc quod dicitur, Diliges dominum
Deum tuum ex toto corde tuo, intelligitur esse praeceptum, secundum quod
totalitas excludit omne illud quod impedit perfectam Dei inhaesionem; et hoc
non est praeceptum, sed finis praecepti : indicatur enim nobis per hoc non
quid faciendum sit, sed potius quo tendendum sit, ut dicit Augustinus. |
Solutions : 1. Ce qui est dit, Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout
ton cœur, est compris comme un précepte, selon que la totalité exclut
tout ce qui empêche une adhésion parfaite à Dieu ; et ce n’est pas un
précepte, mais son but; car il nous est indiqué par cela non ce qui doit être
fait, mais plutôt ce à quoi il faut tendre, comme le dit Augustin. |
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[66309] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 2 Ad secundum dicendum, quod
diligere meliora tanto plus quanto eorum bonitas exigit, sic non potest homo,
sicut non potest perfectam caritatem habere, ut dictum est. |
2. Aimer les choses les
meilleures d’autant plus que leur bonté l’exige, l’homme ne le peut pas, de
même qu’il ne peut pas avoir une charité parfaite, comme il a été dit. |
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[66310] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod in hoc ipso quod est facere unum amantem cum amato,
multiplex gradus inveniri potest. Tunc vero perfecte mens nostra erit unum
cum Deo, quando semper actualiter feretur in ipsum; quod non est possibile in
hac vita. |
3. Dans le fait d’unir
l’amant à l’aimé, on peut trouver de nombreux degrés. Mais alors notre esprit
sera parfaitement un avec Dieu, quand toujours de manière actuelle il sera
porté en lui, ce qui n’est pas possible en cette vie. |
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[66311] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 4 Ad quartum dicendum, quod
perfectio quae convenit alicui rei secundum suam speciem, secundum quodcumque
tempus ei convenit; sicut homo quolibet tempore et qualibet aetate est
perfectus anima rationali. Unde perfectio caritatis quae est secundum
quodcumque tempus, est perfectio quae competit caritati secundum eius
speciem. Est autem de ratione caritatis ut Deus super omnia diligatur, et ut
nullum creatum ei praeferatur in amore. Unde, cum omnis tentatio ex amore
alicuius boni creati proveniat, vel ex timore mali contrarii, quod etiam ex
amore derivatur; ex sua specie hoc habet caritas in quolibet statu, quod
cuilibet tentationi resistere possit, ita etiam, scilicet, quod in peccatum
mortale per eam homo non inducatur, non autem quod nullo modo tentatione
afficiatur : hoc enim pertinet ad perfectionem patriae. |
4. La perfection, qui
convient à une chose selon son espèce, lui convient selon n’importe quel
temps ; de même que l’homme en n’importe quel temps et en n’importe quel
âge est parfait par son âme douée de raison. C'est pourquoi la perfection de
la charité qui concerne n’importe quel temps, est une perfection qui convient
à la charité selon son espèce. C’est aussi de la nature de la charité que
Dieu soit aimé par-dessus tout, et qu’aucune créature ne lui soit préférée en
amour. C'est pourquoi comme toute tentation provient de l’amour d’un bien
créé, ou de la crainte d’un mal contraire, ce qui est aussi se détourner de
l’amour, par sa nature la charité possède en n’importe quel état, de pouvoir
résister à n’importe quelle tentation, de sorte aussi que l’homme ne soit pas
amené par elle au péché mortel, mais pas qu’il ne soit affecté par la
tentation en aucune manière, car cela convient à la perfection de la patrie. |
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[66312] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 5 Ad quintum dicendum, quod
eodem modo Deus in patria et totaliter videbitur et totaliter diligetur; secundum, scilicet, quod ly totaliter se
tenet ex parte diligentis et videntis; quia, scilicet, totum posse creaturae
applicabitur ad videndum et diligendum Deum. Similiter etiam potest
intelligi, quod Deus totaliter videbitur et diligetur, quia non est aliqua
pars eius quae non videatur et diligatur, cum ipse non sit compositus, sed
simplex. Sed tamen secundum alium intellectum non totaliter diligetur, nec
totaliter videbitur; quia, scilicet, non tantum videbitur, nec tantum ab
aliqua creatura diligetur, sicut visibilis est et diligibilis. Sed in vita
ista nec etiam secundum primum aut secundum modum Deus totaliter videri aut diligi
potest : quia nec ipse per essentiam suam videtur, nec est possibile homini,
in hac vita viventi, ut absque intermissione eius affectus actualiter feratur
in Deum. Sed tamen quodammodo totaliter diligitur Deus ab homine in hac vita,
in quantum nihil est in affectu eius contrarium dilectioni divinae. |
5. Dieu sera de la même
manière vu totalement et totalement aimé dans la patrie ; selon que le totalement se tient du côté de celui
qui aime et qui voit ; parce que tout le pouvoir de la créature sera
appliqué à voir et à aimer Dieu. De la même manière aussi on peut penser que
Dieu sera vu et aimé totalement, parce qu’il n’y a aucune partie de lui qui
ne soit vue et aimée, puisque lui-même n’est pas composé, mais simple. Mais
cependant selon un autre concept, il ne sera pas totalement aimé ni
totalement vu, parce qu’il ne sera pas aussi vu ni aussi aimé par une
créature, qu’il est visible et digne d’amour. Mais en cette vie, ni selon le
premier mode, ni selon le second, Dieu ne peut être vu ni aimé : parce qu’il
n’est pas vu lui-même par son essence, et il n’est pas possible à l’homme,
vivant en cette vie, que son affection se porte en Dieu sans arrêt de manière
active. Mais cependant d’une certaine manière Dieu est aimé totalement par
l’homme en cette vie, en tant qu’il n’y a rien dans son affection de
contraire à l’amour divin. |
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[66313] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 6 Ad sextum dicendum, quod
voluntas est domina sui actus quantum ad hoc quod agat, non quantum ad hoc
quod continue in uno actu perseveret; cum conditio huius vitae requirat ut
actus et voluntas ferantur ad multa. Vel potest dici, quod voluntas est
domina sui actus in his quae sunt homini connaturalia; sed perfectio
caritatis, maxime quae erit in patria, est super hominem, et praecipue si
consideretur homo secundum statum praesentis vitae. |
6. La volonté est
maîtresse de son acte pour ce qu’elle fait, non quant au fait qu’elle
persiste continuellement dans un acte ; puisque la condition de cette
vie requiert que l’acte et la volonté se portent à de nombreux objets. Ou
bien on peut dire que la volonté est maîtresse de son acte en ce qui est
naturel à l’homme, mais la perfection de la charité, surtout celle qui sera
dans la patrie, est au-dessus de l’homme, et principalement si on considère
l’homme selon l’état de la vie présente. |
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[66314] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 7 Ad septimum dicendum, quod
aliqua actio desinit esse delectabilis non solum ex parte obiecti, sed etiam
ex parte agentis quod deficit in virtute agendi. Sic igitur dicendum est,
quod actualiter semper ferri in Deum, delectabile est ex parte obiecti; sed
ex parte in hac vita constituti non potest esse talis delectatio continua,
quia contemplatio mentis humanae non est sine actione virtutis imaginativae,
et aliarum virium corporalium, quas necesse est laxari diuturnitate actionis,
propter corporis infirmitatem, unde impeditur delectatio; et propter hoc
dicitur Eccle., XII, 12 : Frequentis
meditatio, carnis est afflictio. |
7. Une action cesse d’être
agréable non seulement du côté de son objet, mais aussi du côté de l’agent,
parce qu’il défaille dans son pouvoir d’agir. Ainsi donc il faut dire qu’être
actuellement porté en Dieu est agréable, du côté de l’objet, mais du côté de
cette vie un tel plaisir continu ne peut être constitué, parce que la contemplation
de l’esprit humain n’est pas sans l’action du pouvoir de l’image, et des
autres forces corporelles, qu’il est nécessaire de relâcher dans la durée de
l’action, à cause de la faiblesse du corps, c'est pourquoi le plaisir est
empêché et à cause de cela il est dit (Eccl
12, 12 ?) : La méditation de
ce qui est fréquent est une affliction de la chair. |
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[66315] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 8 Ad octavum dicendum, quod
perfectio caritatis non attenditur secundum augmentum quantitatis, sed
secundum intensionem qualitatis; quae quidem intensio simplicitati caritatis
non repugnat. |
8. La perfection de la
charité n’est pas atteinte selon une augmentation de la quantité, mais selon
l’intensité de la qualité, qui ne s’oppose pas à la simplicité de la charité. |
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[66316] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod aliarum virtutum moralium obiecta sunt bona humana, quae
non excedunt vires hominis; et ideo ad omnimodam earum perfectionem potest
homo in hac vita pervenire. Sed obiectum caritatis
est bonum increatum quod vires hominis excedit; et ideo non est ratio
similis. |
9. Les objets des autres
vertus morales sont les biens humains, qui ne dépassent pas les forces des
hommes, et c'est pourquoi l’homme peut parvenir à leur perfection de toutes
sortes de manières. Mais l’objet de la charité est le bien incréé qui dépasse
les forces de l’homme, et c'est pourquoi ce n’est pas la même raison. |
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[66317] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 1 Ad primum vero eorum
quae in contrarium obiiciuntur, dicendum est, quod sine peccato mortali
aliquis esse potest in hac vita, non autem sine peccato veniali : quod quidem
non repugnat perfectioni viae, sed perfectioni patriae, quae est ut semper
actu feratur in Deum; peccatum autem veniale non tollit habitum caritatis,
sed impedit actum eius. |
Solutions aux
objections : 1. Pour ce qui est objecté
en sens contraire, il faut dire que quelqu'un peut être sans péché mortel en
cette vie, mais pas sans péché véniel ; ce qui ne s’oppose pas à la
perfection de la voie, mais à la perfection de la patrie, qui consiste à être
porté toujours en acte en Dieu ; le péché véniel n’enlève pas l’habitus
de la charité, mais empêche son action. |
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[66318] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 2 Ad secundum
dicendum, quod Deum in hac vita non possumus perfecte cognoscere, ut sciamus
de eo quid sit; possumus tamen cognoscere de eo quid non sit, ut Augustinus
dicit [VIII de Trinit., cap.
II] ; et in hoc consistit perfectio cognitionis viae. Et similiter in
hac vita non possumus perfecte diligere Deum, ut semper actu in ipsum
feramur; sed ita quod nunquam in contrarium eius feratur mens. |
2. Nous ne pouvons pas
connaître parfaitement Dieu en cette vie, pour savoir ce qu’il est ;
cependant nous pouvons connaître ce qu’il n’est pas, comme Augustin le dit (la Trinité, VIII, 2) ; et en cela
consiste la perfection de la connaissance de la voie. Et de la même manière
en cette vie, nous ne pouvons pas parfaitement aimer Dieu pour être toujours
porté en acte en lui, mais de sorte que jamais l’esprit ne soit porté dans son
contraire. |
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[66319] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 3 Ad tertium dicendum,
quod in hac vita non est caritas perfecta nec simpliciter, nec secundum
humanam naturam : sed solum secundum tempus. Ea vero quae sic perfecta sunt, habent quo
crescant, ut de pueris patet; et ideo caritas in hac vita semper habet quo
crescat. |
3. En cette vie la charité
n’est parfaite ni dans l’absolu, ni selon la nature humaine, mais selon le
temps seulement. Ce qui est ainsi parfait a ce par quoi il s’accroît, comme
on le voit pour l’enfant, et c'est pourquoi la charité en cette vie a
toujours ce par quoi elle s’accroît. |
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[66320] De virtutibus, q. 2 a. 10 ad s. c. 4 Ad quartum dicendum,
quod perfecta caritas foras mittit timorem servilem et initialem; non tamen
timorem castum vel filialem, nec etiam timorem naturalem. |
4. La charité parfaite
éloigne au-dehors la crainte servile et première ; non cependant la
crainte chaste ou filiale, ni aussi la crainte naturelle. |
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Articulus 11 : [66321] De virtutibus, q. 2 a. 11 tit.
1 Undecimo quaeritur utrum omnes teneantur ad perfectam caritatem habendam |
Article 11 – Tous les hommes sont-ils tenus de posséder une charité parfaite ? |
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[66322] De virtutibus, q.
2 a. 11 tit. 2 Et videtur quod sic. |
Objections :[61] Il semble que oui. |
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[66323] De virtutibus, q.
2 a. 11 arg. 1 Ad id enim quod est in praecepto, omnes tenentur. Sed
perfectio caritatis est in praecepto; dicitur enim Deuter., VI, 5 : Diliges
dominum Deum tuum ex toto corde. Ergo omnes tenentur ad perfectionem
caritatis. |
1. Tous les hommes sont
tenus à ce qui est dans le précepte. Or la perfection de la charité est dans
le précepte ; car il est dit (Dt 6,
5) : Tu aimeras le Seigneur ton
Dieu de tout ton cœur. Donc tous sont tenus à la perfection de la
charité. |
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[66324] De virtutibus, q. 2
a. 11 arg. 2 Praeterea, hoc videtur esse de perfectione caritatis, quod homo
omnes actus suos referat in Deum. Sed ad hoc omnes homines
tenentur; dicitur enim I ad Cor.,
X, 31 : Sive manducatis, sive bibitis,
vel aliud quid facitis; omnia in gloriam Dei facite. Ergo omnes tenentur ad
perfectionem caritatis. |
2. Que l’homme rapporte
tous ses actes à Dieu semble concerner la perfection de la charité. Or tous
les hommes y sont tenus ; car il est dit en 1 Co 10, 31 : Que vous
mangiez, ou que vous buviez, ou quelque autre chose que vous fassiez, faites
tout pour la gloire de Dieu. Donc tous sont tenus à la perfection de la
charité. |
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[66325] De virtutibus, q.
2 a. 11 arg. 3 Sed dicendum, quod
praeceptum illud Apostoli ad hoc se extendit ut omnia habitu referantur in
Deum, sed non actu.- Sed contra,
praecepta legis sunt de actibus virtutum; habitus autem non cadit sub
praecepto. Non ergo praeceptum Apostoli intelligitur de habituali resolutione
nostrorum actuum in Deo, sed de actuali. |
3. Mais il faut dire que ce précepte de
l’Apôtre s’étend à tout rapporter à Dieu par un habitus, mais non par un
acte. — En sens contraire, les
préceptes de la loi concernent les actes des vertus, mais l’habitus ne tombe
pas sous le précepte. Donc le précepte de l’Apôtre ne tient pas compte du
relâchement habituel de nos actes en Dieu, mais du relâchement actuel. |
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[66326]
De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 4 Praeterea, dominus, Matth., V, 17, praecepta veteris legis adimplevit, secundum illud
: Non veni solvere (legem), sed adimplere. Haec autem adimpletio
est de necessitate salutis, ut patet per illud quod subditur Matth., cap. V 20 : Nisi abundaverit iustitia vestra plusquam
Scribarum et Pharisaeorum, non intrabitis in regnum caelorum. Ad ea autem
quae sunt de necessitate salutis, omnes tenentur. Ergo et ad praedictam
adimpletionem servandam. Sed praedicta adimpletio ad perfectionem pertinet;
unde Dominus in fine concludit Matth.,
V, 48 : Estote perfecti, sicut Pater
vester caelestis perfectus est. Ergo ad perfectionem caritatis omnes tenentur. |
4. Le Seigneur (Mt 5, 17) a accompli les préceptes de
la loi ancienne, selon cette parole : Je
ne suis pas venu pour abolir [la loi] mais
pour l’accomplir. Cet accomplissement concerne la nécessité du salut,
comme on le voit par ce qui est ajouté (Mt
5, 20) : Si votre justice ne
dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le
royaume des cieux. Tous sont tenus à ce qui concerne la nécessité du
salut. Donc pour conserver l’accomplissement annoncé aussi. Or celui-ci
convient à la perfection, c’est pourquoi le Seigneur conclut à la fin (Mt 5, 48) : Soyez parfaits comme votre Père du ciel est parfait. Donc nous
sommes tenus à la perfection de la charité. |
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[66327] De virtutibus, q.
2 a. 11 arg. 5 Praeterea, ad consilia solum non omnes tenentur. Perfectio
autem vitae aeternae, aut caritatis, non attenditur secundum consilia : datur
enim consilium de paupertate, nec tamen sequitur quod qui magis est pauper,
sit perfectior; datur etiam consilium de virginitate, et tamen multi virgines
sunt aliis imperfectiores in caritate; et sic videtur quod perfectio
caritatis non consistat in consiliis. Nullus ergo excusatur a perfectione
caritatis. |
5. Tous ne sont pas tenus
aux conseils seulement. Or on n’atteint pas la perfection de la vie éternelle
ou de la charité selon les conseils ; car un conseil est donné
concernant la pauvreté, et cependant il n’en découle pas que celui qui est
plus pauvre, soit plus parfait ; il est donné aussi un conseil
concernant la virginité, et cependant beaucoup de vierges sont plus
imparfaits que d’autres dans la charité, et ainsi il semble que la perfection
de la charité ne consiste pas dans les conseils. Donc personne n’est dispensé
de la perfection de la charité. |
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[66328] De virtutibus, q. 2 a. 11 arg. 6 Praeterea,
status episcoporum est perfectior quam status religiosorum; alioquin non
posset aliquis licite de statu religionis ad statum praelationis se
transferre : unde et Dionysius dicit in Eccles.
Hierarchia [cap. V], quod episcopi sunt perfectiores; monachi autem sunt
perfectius eorum virtutibus traditi, et quod debent se sursum agere ad
perfectiones quas in episcopis vident. Nec tamen episcopi tenentur ad
observandum huiusmodi consilium paupertatis, et alia huiusmodi. Ergo in his
non consistit perfectio caritatis. |
6. L’état des évêques est
plus parfait que celui des religieux ; autrement quelqu’un ne pourrait
pas légalement passer de l’état de religion à celui de prélat ; c'est
pourquoi Denys dit dans La Hiérarchie
ecclésiastique, 5, que les évêques sont plus parfaits ; mais les
ermites s’adonnent plus parfaitement à leurs vertus, et ils doivent s’élever
aux perfections qu’ils voient chez les évêques. Et cependant les évêques ne
sont pas tenus d’observer un conseil du genre de celui de la pauvreté ou autres.
Donc ce n’est pas en cela que la perfection de la charité consiste |
|
[66329] De virtutibus, q.
2 a. 11 arg. 7 Praeterea, Dominus apostolis multa imposuit quae sunt de
perfectione vitae : ut quod non portarent duas tunicas, neque calceamenta,
neque virgam, neque aliquod huiusmodi. Sed quod iniunxit apostolis, omnibus
iniunxit, secundum illud Marc.,
XIII, 37 : Quod vobis dico, omnibus
dico. Ergo omnes tenentur ad perfectionem vitae. |
7. Le Seigneur a imposé
aux apôtres beaucoup de préceptes qui concernent la perfection de la vie,
comme de ne pas porter deux tuniques, ni sandales, ni bâton, ni rien de ce
genre. Or ce qu’il a enjoint aux apôtres, il l’a enjoint à tous, selon cette
parole de Marc (12, 37) : Ce que je
vous dis, je le dis à tous. Donc tous sont tenus à la perfection de
la vie. |
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[66330] De virtutibus, q.
2 a. 11 arg. 8 Praeterea, quicumque habet caritatem, plus amat vitam aeternam
quam vitam temporalem. Sed quilibet homo tenetur ad actum caritatis. Ergo
quilibet homo tenetur ad hoc quod vitam aeternam praeeligat vitae corporali.
Sed, sicut Augustinus dicit, caritas cum ad perfectionem venerit, dicit : Cupio dissolvi, et esse cum Christo.
Ergo quilibet tenetur habere perfectam caritatem. |
8. Quiconque a la charité,
préfère la vie éternelle à la vie temporelle. Or n’importe quel homme est
tenu à l’acte de charité. Donc n’importe quel homme est tenu de préférer la
vie éternelle à la vie corporelle. Mais, comme Augustin le dit, « quand la
charité est parvenue à sa perfection, elle dit : Je désire être dissout et
être avec le Christ ».
Donc n’importe qui est tenu d’avoir une charité parfaite. |
|
[66331] De virtutibus, q.
2 a. 11 arg. 9 Praeterea, Augustinus dicit, quod perfecta caritas est ut quis
paratus sit pro fratribus etiam mori. Sed ad hoc
omnes tenentur, dicitur enim I Ioan.,
III, 16 : In hoc cognoscimus caritatem
Dei, quoniam ille pro nobis animam suam posuit; et nos debemus pro fratribus
animas ponere. Ergo
quilibet tenetur ad perfectionem caritatis. |
9. Augustin dit que la
charité parfaite est que quelqu’un soit prêt même à mourir pour ses frères.
Or tous y sont tenus, car il est dit en 1
Jn 3, 16 : Nous connaissons la
charité de Dieu, parce qu’il a donné son âme pour nous ; et nous devons
donner nos âmes pour nos frères. Donc n’importe qui est tenu à la perfection
de la charité. |
|
[66332] De virtutibus, q.
2 a. 11 arg. 10 Praeterea, quilibet tenetur vitare peccatum. Sed qui est sine
peccato, habet fiduciam in die iudicii : quia
in hoc perfecta est caritas Dei nobiscum, ut fiduciam habeamus in die iudicii,
ut dicitur I Ioan., IV, 17. Ergo
omnes tenentur ad perfectionem caritatis. |
10. N’importe qui est tenu
d’éviter le péché. Or celui qui est sans péché, a confiance au jour du
jugement : Parce que la charité de Dieu
est parfaite en nous, pour que nous ayons confiance au jour du
jugement, comme il est dit en
1 Jn 4, 17. Donc tous sont tenus à la perfection de la charité. |
|
[66333] De virtutibus, q.
2 a. 11 arg. 11 Praeterea, philosophus dicit in VIII Ethic. : Deo et parentibus
non possumus reddere aequivalens; sed sufficit ut quilibet eis reddat quod
potest. Sed perfectio caritatis in hoc consistit ut aliquis faciat pro
Deo quod potest, quia nullus facit ultra posse. Ergo quilibet tenetur habere
perfectam caritatem. |
11. Le philosophe dit (Éthique, VIII, 16, 1163 b 15) :
« Nous ne pouvons rendre l’équivalent à Dieu ni à nos parents ;
mais il suffit que n’importe qui leur rende ce qu’il peut ». Or la perfection de la
charité consiste en ce que quelqu'un fasse pour Dieu ce qu’il peut, parce que
personne ne fait au-delà de ce qu'il peut. Donc n’importe qui est tenu
d’avoir une charité parfaite. |
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[66334] De virtutibus, q.
2 a. 11 arg. 12 Praeterea, religiosi profitentur perfectionem vitae. Ergo
ipsi videntur teneri ad habendam perfectionem caritatis, et ad omnia quae ad perfectionem
vitae pertinent. |
12. Les religieux
s’engagent à la perfection de la vie. Donc ils semblent être tenus d’avoir la
perfection de la charité, et tout ce qui convient à cette perfection. |
|
[66335] De virtutibus, q.
2 a. 11 s. c. Sed contra, est quod nullus tenetur ad id quod non est in ipso.
Sed habere perfectam caritatem non est a nobis, sed a Deo. Non ergo potest
esse in praecepto. |
En sens contraire : Nul n’est tenu à ce qui
n’est pas en lui-même. Or avoir le charité parfaite ne vient pas de nous,
mais de Dieu. Donc cela ne peut pas être dans le précepte. |
|
[66336] De virtutibus, q.
2 a. 11 co. Respondeo. Dicendum, quod huius quaestionis solutio ex praemissis
accipi potest. |
Réponse : On peut tirer la solution
de cette question de ce qui a été dit auparavant. |
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Ostensum est enim supra,
quod aliqua perfectio est quae ipsam speciem caritatis consequitur, utpote
quae consistit in remotione cuiuslibet inclinationis in contrarium caritatis.
Quaedam autem perfectio est, sine
qua caritas esse potest, quae pertinet ad bene esse caritatis; quae scilicet
consistit in remotione occupationum saecularium, quibus affectus humanus
retardatur ne libere progrediatur in Deum. Est autem et quaedam alia perfectio caritatis, quae non est possibilis homini
in hac vita, et quaedam ad quam
nulla natura creata pertingere potest; ut ex supradictis apparet. |
On a en effet montré
ci-dessus qu’il existe une perfection qui découle de la nature de la charité,
celle qui consiste à écarter tout penchant à ce qui est contraire à la charité.
Or il y a une perfection, sans
laquelle la charité ne peut pas exister, qui aboutit à son bien-être;
c’est-à-dire qui consiste à s’écarter des occupations du siècle, qui
empêchent la disposition de l’homme de progresser librement vers Dieu. Et il
y a une autre perfection de la
charité qui n’est pas possible pour l’homme en cette vie, et une à laquelle aucune nature créée ne
peut parvenir, comme on le voit par ce qui a été dit plus haut. |
|
Manifestum est autem, quod
ad illud omnes teneri dicuntur, sine quo salutem consequi non possunt. Sine
caritate autem nullus potest salutem aeternam consequi, et ea habita ad
salutem aeternam pervenitur. |
Il est évident qu’on dit
que tous sont tenus à ce sans quoi le salut ne peut être obtenu. Or sans la
charité personne ne peut obtenir le salut éternel, et une fois qu’on a
celle-ci, on parvient au salut éternel. |
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Unde
ad primam perfectionem caritatis omnes tenentur sicut ad ipsam caritatem. Ad
secundam vero perfectionem, sine qua caritas esse potest, homines non
tenentur, cum quaelibet caritas sufficiat ad salutem. Multo etiam minus
tenentur ad tertiam vel quartam perfectionem, cum nullus ad impossibile
teneatur. |
C'est pourquoi tous sont
tenus à la première perfection de la charité comme à la charité elle-même. La
seconde perfection sans laquelle la charité ne peut exister, les hommes n’y
sont pas tenus, puisque n’importe quelle charité suffit au salut. Encore
beaucoup moins sont tenus à la troisième ou à la quatrième perfection puisque
personne n’est tenu à l’impossible. |
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[66337] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod totalitas illa, secundum quod
cadit sub praecepto caritatis, pertinet ad perfectionem sine qua caritas esse
non potest. |
Solutions : 1. Cette totalité, selon
qu’elle tombe sous le précepte de la charité, tend à la perfection sans
laquelle la charité ne peut pas exister. |
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[66338] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 2 Ad secundum dicendum, quod omnia actu referre in Deum, non est
possibile in hac vita, sicut non est possibile quod semper de Deo cogitetur;
hoc enim pertinet ad perfectionem patriae. Sed quod
omnia virtute referantur in Deum, hoc pertinet ad perfectionem caritatis ad
quam omnes tenentur. Ad cuius evidentiam considerandum est, quod, sicut in
causis efficientibus virtus primae causae manet in omnibus causis
sequentibus, ita etiam intentio principalis finis virtute manet in omnibus
finibus secundariis; unde quicumque actu intendit aliquem finem secundarium,
virtute intendit finem principalem; sicut medicus, dum colligit herbas actu,
intendit conficere potionem, nihil fortassis de sanitate cogitans,
virtualiter tamen intendit sanitatem, propter quam potionem dat. Sic igitur,
aliquis seipsum ordinat in Deum, sicut in finem, in omnibus quae propter
seipsum facit manet virtute intentio ultimi finis, qui Deus est : unde in
omnibus mereri potest, si caritatem habeat. Hoc igitur
modo Apostolus praecipit quod omnia in Dei gloriam referantur. |
2. Rapporter
tout en acte à Dieu n’est pas possible en cette vie, de même qu’il n’est pas
possible de penser toujours à Dieu, car cela convient à la perfection de la
patrie. Mais que tout soit rapporté en puissance à Dieu, cela convient à la
perfection de la charité à laquelle tous sont tenus. Pour le montrer il faut
considérer que, de même que dans les causes efficientes le pouvoir de la
cause première demeure dans toutes les causes suivantes, de même aussi tendre
à la fin principale demeure en puissance dans toutes les fins
secondaires ; c'est pourquoi quiconque atteint en acte une fin
secondaire, atteint la fin principale ; ainsi pendant que le médecin
ramasse des herbes en acte, il cherche à achever la potion, peut-être sans
penser en rien à la santé, cependant potentiellement il cherche la santé,
pour laquelle il donne cette potion. Ainsi donc, quelqu'un s’ordonne lui-même
à Dieu, comme à sa fin; dans tout ce qu’il fait pour soi-même, sa recherche
de la fin ultime, qui est Dieu, demeure en puissance : c'est pourquoi il peut
mériter en tout, s’il a la charité. C'est donc de cette manière que l’Apôtre
recommande que tout soit rapporté à la gloire de Dieu. |
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[66339] De virtutibus, q. 2 a. 11
ad 3 Ad tertium dicendum, quod aliud
est habitualiter referre in Deum, et
aliud virtualiter. Habitualiter enim refert in Deum et qui nihil agit,
nec aliquid actualiter intendit, ut dormiens; sed virtualiter aliquid referre
in Deum, est agentis propter finem ordinantis in Deum. Unde habitualiter
referre in Deum, non cadit sub praecepto; sed virtualiter referre omnia in
Deum, cadit sub praecepto caritatis : cum hoc nihil aliud sit quam habere
Deum ultimum finem. |
3. Rapporter [tout]
habituellement à Dieu est différent de rapporter [tout] virtuellement. Car
celui qui ne fait rien, rapporte [tout] à Dieu habituellement et il n’atteint
rien en acte, comme quand il dort : mais rapporter quelque chose à Dieu
virtuellement c’est le propre de l’agent qui le dispose à Dieu en vue de la
fin. C’est pourquoi habituellement rapporter [tout] à Dieu ne tombe pas sous
le précepte ; mais lui rapporter tout virtuellement tombe sous le
précepte de la charité : puisque ce n’est rien d’autre qu’avoir Dieu comme
fin ultime. |
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[66340] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illud quod dicitur, Estote perfecti etc., videtur esse
referendum ad dilectionem inimicorum, quae quodammodo est de perfectione
consilii, et quodammodo est de necessitate praecepti, ut supra, art. 8,
expositum est. |
4. Ce qui est dit : Soyez parfaits, etc., semble devoir
être reporté à l’amour des ennemis, qui d’une certaine manière concerne la
perfection du conseil, et d’une autre manière la nécessité du précepte, comme
on l’a exposé ci-dessus, article 8. |
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[66341] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 5 Ad quintum dicendum, quod perfectio vitae aeternae in quibusdam quidem consistit
principaliter et per se; in quibusdam
autem secundario, et quasi per accidens. Principaliter
quidem et per se consistit
perfectio in his quae pertinent ad interiorem mentis dispositionem, et
praecipue in actu caritatis, quae est radix omnium virtutum; secundario vero et per accidens consistit etiam in quibusdam
exterioribus, ut puta in virginitate, paupertate, et huiusmodi. |
5. La perfection de la vie
éternelle en certains s’établit
principalement et par soi, mais en certains
secondairement, et comme par accident. La perfection s’établit principalement et par soi en ce qui vise à la disposition intérieure de l’esprit,
et surtout dans l’acte de charité, qui est la racine de toutes les
vertus ; mais elle s’établit secondairement et par accident aussi en certaines [vertus] extérieures,
comme la virginité, la pauvreté etc. |
|
Haec
enim ad perfectionem pertinere dicuntur tripliciter.
Primo quidem, in quantum per ea
subtrahuntur homini impedimenta occupationum, quibus remotis mens liberius
fertur in Deum; unde et dominus cum dixisset, Matth. XIX,
21 : Si vis perfectus esse, vade, et
vende omnia quae habes, et da pauperibus, consequenter adiecit : Et veni, et sequere me; ut ostenderet,
quod paupertas ad perfectionem non pertineret, nisi in quantum disponit ad
sequendum Christum. Quem quidem sequimur non passibus corporis, sed
affectibus mentis. Similiter Apostolus, I
ad Cor., VII, 34, consilium dat de non nubendo; quia quae virgo est, cogitat quae Dei sunt, quomodo placeat Deo; et
eadem ratio est de aliis similibus. |
Car on dit que ces vertus
conviennent de trois manières : a. Premièrement en tant qu’elles enlèvent de
l’homme les embarras causés par les occupations, lesquels une fois enlevés
l’esprit est porté plus librement en Dieu : c'est pourquoi comme le Seigneur
l’avait dit (Mt 19, 21) : Si tu veux être parfait, va et vends tout
ce que tu as et donne-le aux pauvres, puis il ajoute : Et viens et suis-moi ; pour
montrer que la pauvreté ne conviendrait à la perfection qu’en tant qu’elle
dispose à suivre le Christ. Nous le suivons non pas à pas avec le corps, mais
par les dispositions de l’esprit. De la même manière, l’Apôtre (1 Co 7, 34) donne le conseil de ne pas
se marier ; parce que celle
qui est vierge, pense à ce qui concerne Dieu, comment lui plaire ;
et c’est la même raison pour d’autres vertus semblables. |
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Secundo pertinent ad
perfectionem, in quantum sunt quidam perfectae caritatis effectus qui enim
perfecte diligit Deum, ab his se retrahit quae eum retrahere possunt ne Deo
vacet. |
b. Deuxièmement
elles visent à la perfection en tant qu’elles sont des dispositions de la
charité parfaite, qui en effet aime Dieu parfaitement, et s’éloigne de ce qui
peut l’empêcher de s’occuper de Dieu. |
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Tertio pertinent ad perfectionem
poenitentiae; quia nulla satisfactio pro peccatis adaequari potest votis
religionis, quibus homo se Deo consecrat, et animam per votum obedientiae, et
corpus per votum continentiae, et res omnes per votum paupertatis. Sic igitur in his quae
principaliter et per se ad perfectionem pertinent, sequitur quod sit maior
perfectio ubi haec inveniuntur magis, sicut quod perfectior est qui maioris
est caritatis. In his autem quae ex consequenti et quasi per accidens, ad
perfectionem pertinent, non sequitur magis simpliciter ubi magis inveniuntur.
Unde non sequitur quod magis pauper sit magis perfectus; sed mensuranda est
in talibus perfectio per comparationem ad illa in quibus consistit perfectio
simpliciter; ut scilicet ille dicatur perfectior, cuius paupertas magis
sequestrat hominem a terrenis occupationibus, et facit liberius Deo vacare. |
c. Troisièmement
elles disposent à la perfection de la pénitence, parce qu’aucune satisfaction
pour les péchés ne peut être équivalente à des vœux de religion, par lesquels
l’homme se consacre à Dieu, et [consacre] son âme par un vœu d’obéissance,
son corps par un vœu de continence et tous ses biens par un vœu de pauvreté. Ainsi donc en ces vertus qui conviennent
principalement et par soi à la perfection, il résulte que la perfection est
plus grande là où on les trouve davantage, de la même manière qu’est plus
parfait celui qui est d’une plus grande charité. Mais en ceux qui visent à la
perfection, par conséquence et comme par accident, il n’y résulte absolument
pas plus de conséquences quand on les y trouve davantage. C'est pourquoi il
ne résulte pas qu’un plus pauvre soit plus parfait ; mais en de tels
cas, la perfection doit être mesurée par comparaison à ce en quoi consiste
absolument la perfection ; de sorte par exemple qu'est dit plus parfait
celui dont la pauvreté sépare plus l’homme des occupations terrestres et le
rend plus libre pour s’occuper de Dieu. |
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[66342] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 6 Ad sextum dicendum, quod haec est differentia inter amicitiam
honesti et delectabilis : quia in amicitia delectabilis, amicus diligitur
propter delectationem; in amicitia autem honesti amicus diligitur propter
seipsum, sed delectatio provenit ex consequenti. Ad
perfectionem igitur amicitiae honesti pertinet ut aliquis propter amicum
interdum abstineat etiam a delectatione quam in eius praesentia habet, in
eius servitiis occupatus. Secundum
igitur hanc amicitiam plus amat aliquem qui ab eo se absentat propter amicum,
quam qui a praesentia amici discedere non vult etiam propter amicum. Sed si
quis libenter vel faciliter a praesentia amici divellitur et in aliis magis
delectatur, vel nihil vel parum comprobatur amicum diligere. |
6. C’est la
différence entre l’amitié de l’honnête et celle de l’agréable; parce que dans
l’amitié de l'agréable, l’ami est aimé pour le plaisir, mais dans l’amitié de
l’honnête l’ami est aimé pour lui-même, mais le plaisir en découle par
conséquence. Donc la perfection de l’amitié de l’honnête vise à ce que
quelqu'un, à cause de son ami, parfois s’abstienne même du plaisir qu’il
trouve en sa présence, dans ses occupations domestiques. Donc selon cette
amitié il aime plus quelqu'un qui s’éloigne de lui à cause de son ami que
celui qui ne veut pas se séparer de la présence de l’ami, même pour son ami.
Mais si quelqu'un se détache volontiers ou facilement de la présence de son
ami et se délecte plus en d’autres, il n'est prouvé en rien, ou en bien peu,
qu'il aime son ami. |
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Hos igitur tres gradus considerare possumus
in caritate. Deus autem maxime propter seipsum est diligendus. Sunt enim quidam qui libenter, vel sine magna
molestia, separantur a vacatione divinae contemplationis, ut terrenis
negotiis implicentur, et in his vel nihil vel modicum caritatis apparet. Quidam verum in tantum
delectantur in vacatione divinae contemplationis, quod eam deserere nolunt,
etiam ut divinis obsequiis mancipentur ad salutem proximorum. Quidam vero ad tantum culmen caritatis
ascendunt, quod etiam divinam contemplationem, licet in ea maxime
delectentur, praetermittunt, ut Deo serviant in salutem proximorum; et haec
perfectio in Paulo apparet, qui dicebat Rom., IX, 3 : Optabam ego ipse anathema, id est separatus, esse a Christo pro fratribus meis;- et ad Philipp., I, 23-24 : Desiderium habens dissolvi, et esse cum
Christo; permanere autem in carne necessarium propter vos. Et haec perfectio est
proprie praelatorum, et praedicatorum, et quorumcumque aliorum, qui
procurandae saluti aliorum insistunt; unde significantur per Angelos in scala
Iacob ascendentes quidem per contemplationem, descendentes vero per
sollicitudinem quam de salute proximorum gerunt. Nec derogare potest
perfectioni status praelatorum, quod aliqui statu praelatorum abutuntur
quaerentes praelationem propter temporalia bona, quasi dulcedine
contemplationis non allecti; sicut nec incredulitas multorum, fidem Dei
evacuat, ut dicitur Rom., III. |
Donc nous pouvons
considérer ces trois degrés dans la charité. Mais Dieu surtout doit être aimé
à cause de lui-même. Car il y en a certains,
qui librement ou sans grand embarras s’abstiennent de laisser libre cours à
la contemplation divine, pour s’impliquer dans des affaires terrestres, et en
eux ou rien ou peu de charité n’apparaît. Certains, dans la mesure où ils ont plaisir à
vaquer à la contemplation divine, qu’ils ne veulent pas abandonner, se
consacrent aux complaisances divines pour le salut de leurs proches. Et certains montent à un tel sommet de
charité, que bien qu’ils trouvent dans
la contemplation divine un très grand plaisir, ils l'abandonnent pour se
consacrer au salut de leurs proches ; et cette perfection apparaît chez
Paul, qui disait (Rm 9, 3) : Je souhaiterais être moi-même anathème,
c'est-à-dire séparé, séparé du Christ
pour mes frères et aux Ph 1, 23-24 : Ayant
le désir d’être dissout, et d’être avec le Christ, mais demeurer dans ma
chair est nécessaire à cause de vous. Et cette perfection est
particulièrement celle des prélats, et des prédicateurs et de certains
autres, qui s’attachent à procurer le salut aux autres ; c'est pourquoi
ils sont représentés par les anges qui montent sur l’échelle de Jacob par la
contemplation, mais descendent par la sollicitude qu’ils portent au salut de
leurs proches. Et l’état des prélats ne peut pas déroger à la perfection,
parce que certains abusent de l’état de prélat, cherchant la prélature à
cause des biens temporels, comme non attirés par la douceur de la
contemplation ; de même que non plus l’incrédulité de beaucoup
n’anéantit pas la foi en Dieu, comme il est dit en Rm 3. |
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[66343] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 7 Ad septimum dicendum, quod in doctrina evangelica quaedam dicta
sunt apostolis in persona omnium fidelium, ea scilicet quae pertinent ad
necessitatem salutis; unde et Marc.,
XIII, 37, dicit : Quod vobis dico,
omnibus dico : Vigilate; nam in vigilantia ibi intelligitur sollicitudo
quam homo debet habere, ne imparatus inveniatur a Christo. Quaedam vero
dicuntur apostolis quae pertinent ad perfectionem vitae, et ad praelati
officium; et ad hoc extendi non potest, Quod
vobis dico, omnibus dico. Sciendum tamen, quod illa quae
dixit Dominus discipulis Luc., IX,
3 : Nihil in via tuleritis etc.,
secundum quod Augustinus exponit in Lib. de
consen. Evangelist.,
non pertinent ad perfectionem vitae, sed ad potestatem dignitatis
apostolicae, per quam poterant, nihil secum ferentes, vivere de his quae
ministrabantur ab his quibus Evangelium praedicabant : unde ibidem dicitur,
quod dignus est operarius mercede sua,
vel cibo suo, unde nec praeceptum fuit, nec consilium, sed concessio. Et
propter hoc Paulus, qui secum necessaria deferebat, non utens hac
concessione, supererogabat, quasi propriis stipendiis militans, ut patet I ad Cor., IX 7. |
7. Dans la doctrine
évangélique, certaines [paroles] ont été dites aux apôtres dans la personne
de tous les fidèles, ce qui convient à la nécessité du salut : c'est pourquoi
Marc dit (13, 37) : Ce que je vous dis,
je le dis à tous : Veillez ;
par vigilance on entend ici le soin que l’homme doit avoir, pour ne
pas être trouvé par le Christ sans être préparé. Mais certaines [paroles]
sont dites aux apôtres qui appartiennent à la perfection de la vie et au
devoir du prélat ; et on ne peut pas l’étendre à cela : Ce que je vous dis, je le dis à tous. Cependant il faut savoir que ces paroles
que le Seigneur a dites aux disciples (Lc
9, 3) : N’emportez rien pour le
chemin etc., selon ce
qu’Augustin expose dans L’accord des Évangélistes, ne visent pas à la
perfection de la vie, mais à la puissance de la dignité apostolique, grâce à laquelle ils pouvaient, en
n'emportant rien avec eux, vivre de ce que leur servaient ceux auxquels ils
annonçaient l’Évangile ; c'est pourquoi il est dit là même que celui qui travaille est digne de sa
récompense, ou de sa nourriture, c'est pourquoi cela n’a pas été un
précepte, ni un conseil, mais une concession. Et à cause de cela, Paul, qui
portait avec lui son nécessaire sans utiliser cette concession, donnait en
sus, pour ainsi dire faisant campagne à ses propres frais, comme on le voit
en 1 Co 9, 7. |
|
[66344] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 8 Ad octavum dicendum, quod in homine sunt duo affectus; unus caritatis, quo anima desiderat esse cum
Christo; alius autem naturalis, quo
anima refugit separationem a corpore, qui adeo est homini naturalis, quod nec
etiam Petro senectus abstulit, ut Augustinus dicit super Ioan. Ex coniunctione ergo horum duorum affectuum vellet
anima sic coniungi Deo, quod non separaretur a corpore; secundum illud Apostoli,
II ad Corinth., V, 4 : Nolumus expoliari, sed supervestiri; ut
absorbeatur quod mortale est a vita. Sed quia hoc est impossibile (quamdiu enim sumus in corpore,
peregrinamur a Domino [ut ibidem 6, subditur]; insurgit quaedam
contrarietas inter praedictos affectus, et quanto caritas est perfectior,
tanto sensibilius affectus caritatis vincit affectum naturae; et hoc ad
perfectionem caritatis pertinet. Unde et Apostolus ibidem subdit : Audemus autem, et bonam voluntatem
habemus, magis peregrinari a corpore; et praesentes esse ad dominum. |
8. Dans l’homme il y a deux dispositions de l’âme : l’une de
la charité, par laquelle elle désire être avec le Christ, l’autre, naturelle, par laquelle elle
fuit la séparation du corps, qui est si naturelle à l’homme, que la
vieillesse ne l’a pas enlevée à Pierre, comme Augustin le dit (Sur Jn). Donc par l’union de ces deux
dispositions, l’âme voudrait être unie à Dieu, sans se séparer du corps,
selon cette parole de l’Apôtre (2 Co 5,
4) : Nous ne voulons pas nous dévêtir mais
nous revêtir par-dessus, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie.
Mais parce que cela est impossible (En
effet tant que nous sommes dans ce corps, nous marchons loin du Seigneur,
comme ilest ajouté au verset 6), il se lève une contradiction entre les
dispositions dont on a parlé, et plus la charité est parfaite, plus la
disposition sensible de la charité vainc celle de la nature. C'est pourquoi
l’Apôtre à ce même endroit ajoute : Mais
nous avons de l’audace, et nous avons plutôt la volonté de quitter ce corps, et de demeurer auprès
du Seigneur (verset 8). |
|
Sed in his in quibus est
caritas imperfecta, si tantum affectus caritatis vincat, ex repugnantia tamen
naturalis affectus redditur insensibilis victoria caritatis. Quod ergo aperte
et indubitanter, sive audacter, Apostolus dicit : cupio dissolvi, et esse cum Christo, hoc perfectae caritatis est;
sed quod qualitercumque, licet insensibiliter, praeferat anima fruitionem Dei
unioni corporis, est de necessitate caritatis. |
Mais en ce en quoi la charité
est imparfaite, si seulement l'affect de charité est vainqueur, cependant par
la répugnance de l'affect naturel, la victoire de la charité est rendue
insensible. Donc ce que l’Apôtre dit ouvertement et sans aucun doute, ou même
avec audace, je désire être
dissout, et être avec le Christ, cela est d’une parfaite charité ;
mais que de quelque manière, bien qu’insensiblement, l’âme préfère la
fruition de Dieu à l’union du corps, concerne la nécessité de la charité. |
|
[66345] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ponere animam, id est, vitam praesentem,
pro fratribus quodammodo est de necessitate caritatis, et quodammodo est de
perfectione ipsius. Plus enim homo debet diligere proximum quam corpus
proprium; unde in eo casu quo aliquis tenetur procurare proximi salutem,
tenetur etiam pro ipsius salute periculis corporalem vitam exponere. Sed hoc
perfectae caritatis est ut etiam pro his in quibus proximo non tenetur, pro
eo corporalem suam vitam periculis quis exponat. |
9. Déposer son âme, c'est-à-dire
sa vie présente, pour ses frères, concerne d’une certaine manière la
nécessité de la charité, et d’une certaine manière sa perfection. Car un
homme doit aimer son prochain plus que son propre corps. C'est pourquoi dans
le cas où quelqu'un est tenu de procurer le salut à son prochain, il est tenu
aussi pour son propre salut d’exposer sa vie corporelle aux dangers. Mais
c’est le propre d’une charité parfaite que quelqu'un expose sa vie aux
dangers pour ceux en qui on n’est pas tenu comme au prochain. |
|
[66346] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 10 Ad decimum dicendum, quod licet quilibet teneatur esse sine
peccato mortali, non tamen omnium est huiusmodi rei securitatem habere; sed
perfectorum, qui peccata totaliter subiugaverunt. |
10. Bien que n’importe qui
soit tenu d’être sans péché mortel, cependant tous ne sont pas assurés d’une
telle réalité; mais c’est le propre des parfaits qui ont soumis totalement
les péchés. |
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[66347] De virtutibus, q.
2 a. 11 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod et parentibus, et multo magis Deo,
tenetur homo rependere totum quod potest; tamen secundum communem modum
humanae vitae, supra quem potest aliquis aliquid erogare, ad quod tamen ex
necessitate praecepti non tenetur. |
11. Pour les parents et
beaucoup plus pour Dieu, l’homme est tenu de payer en échange tout ce qu’il
peut ; cependant selon le mode commun de la vie humaine, au-dessus duquel
quelqu'un peut payer quelque chose, à quoi cependant il n’est pas tenu par la
nécessité de précepte. |
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[66348] De virtutibus, q. 2 a. 11 ad 12 Ad duodecimum
dicendum, quod perfectionem caritatis nullus profitetur; sed profitentur
aliqui statum perfectionis, qui consistit in his quae organice ordinantur ad
perfectionem caritatis, ut paupertas et ieiunia; qui tamen nec ad omnia
huiusmodi tenentur, sed ad illa solum quae profitentur. Unde perfectio
caritatis non cadit eis sub voto, sed est eis ut finis, ad quem pervenire
conantur per ea quae vovent. |
12. Personne n’offre la
perfection de la charité ; mais certains offrent un état de perfection
qui consiste en ce qui est organiquement ordonné à la perfection de la
charité, comme la pauvreté et le jeûne ;
cependant ils ne sont pas tenus à tout ce qui est de ce genre, mais
seulement à ce qu’ils offrent. C'est pourquoi la perfection de la charité ne
tombe par pour eux sous un vœu, mais c’est pour eux comme une fin à laquelle
ils essayent de parvenir par ce qu’ils promettent par un vœu. |
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Articulus 12 : [66349] De
virtutibus, q. 2 a. 12 tit. 1 Duodecimo quaeritur utrum caritas semel habita
possit amitti |
Article 12 – La charité, une fois acquise, peut-elle se perdre ? |
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[66350] De virtutibus, q.
2 a. 12 tit. 2 Et videtur quod non. |
Objections :[62] Il semble que non. |
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[66351] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 1 Dicitur enim I Ioan.,
III, 9 : omnis qui natus est ex Deo,
peccatum non facit, quoniam semen ipsius in eo manet; et non potest peccare,
quoniam ex Deo natus est. Sed caritatem non habent nisi filii Dei; ipsa
enim est quae distinguit inter filios regni et filios perditionis, ut
Augustinus dicit in XV de Trinit.
[cap. XVIII]. Ergo ille qui habet caritatem, non potest eam amittere
peccando. |
1. Car il est dit en Jn 3, 9 : Tout homme qui est né de Dieu ne pèche pas, puisque sa semence
demeure en lui ; et il ne peut pas pécher, puisqu’il est né de Dieu.
Or n’ont la charité que les fils de Dieu, car elle est ce qui a distingué
entre les fils du royaume et les fils de la perdition, comme Augustin le dit
(Trinité, XV, 18). Donc celui qui a
la charité ne peut pas la perdre en péchant. |
|
[66352] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 2 Praeterea, omnis virtus quae peccando amittitur, per peccatum
arescit, ut Augustinus dicit : Unctio
invisibilis caritas est, quae in quocumque fuerit, radix illi erit, quae
arescere non potest, et nutritur calore solis, ut non arescat. Ergo
caritas per peccatum amitti non potest. |
2. Toute vertu qui se perd
en péchant se dessèche par le péché, comme le dit Augustin : « L’onction invisible est la charité qui
aura été en n’importe qui, elle sera pour lui une racine qui ne peut pas se
dessécher et se nourrit de la chaleur du soleil, pour ne pas se dessécher». Donc la
charité ne peut pas être perdue. |
|
[66353] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 3 Praeterea, Augustinus dicit, in VIII de Trin., quod dilectio si non est vera, dilectio dicenda non
est. Sed, sicut Augustinus dicit in epistola ad Iulianum comitem, caritas quae
deleri potest, nunquam vera fuit. Ergo neque caritas fuit. Qui igitur habet caritatem,
non potest eam peccando deserere. |
3. Augustin dit (la Trinité, VIII) que si l’amour n’est
pas vrai, il ne faut pas l’appeler amour. Or, Augustin le dit dans sa lettre au Comte Julien, la charité qui peut
être détruite n’a jamais été vraie. Donc la charité non plus n’a pas existé.
Celui donc qui a la charité ne peut pas la perdre en péchant. |
|
[66354] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 4 Praeterea, Prosper dicit in Lib. de contemplatione : caritas
est recta voluntas Deo inseparabiliter iuncta, inquinationis extranea,
corruptionis nescia, nulli vitio mutabilitatis obnoxia; cum qua nec potuit
aliquis peccare, nec poterit. Ergo caritas semel habita, per peccatum
amitti non potest. |
4. Prosper dit dans le Livre de la contemplation : « La charité est une volonté droite, unie
inséparablement à Dieu, étrangère à la souillure, ignorant la corruption,
liée à aucun défaut d’inconstance ; avec elle personne n’a pu pécher ni ne le pourra ». Donc la charité, une fois
possédée ne peut pas être perdue par le péché. |
|
[66355] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 5 Praeterea, Gregorius dicit in quadam hom., quod amor Dei magna
operatur, si est. Sed nullus magna operando amittit caritatem. Ergo si
caritas inest, amitti non potest. |
5. Grégoire dit dans une
homélie[63]
que l’amour de Dieu opère de grandes choses s’il existe. Or personne ne perd
la charité en opérant de grandes choses. Donc si la charité est en lui, elle
ne peut pas être perdue. |
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[66356]
De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 6 Praeterea, plus homo per caritatem amat Deum
quam per naturalem amorem amet seipsum. Sed amor
sui ipsius nunquam amittitur per peccatum. Ergo nec etiam caritas. |
6. L’homme aime Dieu par
charité plus que par l’amour naturel dont il s’aime lui-même. Or l’amour de
soi ne se perd jamais par péché. Donc la charité non plus. |
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[66357]
De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 7 Praeterea, liberum arbitrium non inclinatur
in peccatum nisi per aliquod motivum ad peccandum. Motivum autem ad omnia peccata est
amor sui, qui, ut Augustinus dicit, in XIV de civit. Dei, [cap. ult.] facit civitatem Babylonis. Sed hunc
caritas excludit; quia, sicut Dionysius dicit [IV cap. de divin Nomin.] : Est extasim
faciens divinus amor, non sinens sui ipsorum amantes esse. Similiter
etiam radix omnium malorum ponitur cupiditas, ut apostolus dicit I ad Timoth., cap. VI. Sed hunc etiam
caritas excludit, ut Augustinus dicit in l. LXXXIII quaestionum[quaest. 36). Ergo ille qui habet caritatem, non
potest peccando eam amittere. |
7. Le libre arbitre
n’incline au péché que par un motif qui y pousse. Et le motif de tous les
péchés est l’amour de soi, qui, comme Augustin le dit, (La cité de Dieu, XIV, 28) constitue la cité de Babylone. Or la
charité l’exclut ; parce que, comme Denys le dit (Les Noms divins, IV, § 13 712A) : «L’amour divin est extatique, sans permettre qu'il y ait des gens qui
s’aiment eux-mêmes. » De la même manière aussi, la cupidité est mise
comme la racine de tous les maux, comme l’Apôtre le dit (1 Tm 6). Or la charité l’exclut aussi, comme Augustin le dit dans
les 83 questions (q. 36). Donc celui qui a la charité ne peut
pas la perdre en péchant. |
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[66358] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 8 Praeterea, quicumque habet caritatem, spiritu Dei ducitur,
secundum illud Galat. V, v. 18 : Si spiritu ducimini, non estis sub lege.
Sed Spiritus sanctus, cum sit infinitae virtutis, non potest in sua actione
deficere. Ergo videtur quod homo habens caritatem peccare non possit. |
8. Quiconque a la charité,
est conduit par l’esprit de Dieu, selon ce verset de Gal 5, 18 : « Si vous
êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes pas sous la loi ». Or comme
l’Esprit saint est d’une puissance infinie, il ne peut pas défaillir dans son
action. Donc il semble que celui qui a la charité ne pourrait pas pécher. |
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[66359] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 9 Praeterea, contra nullum habitum cuius esse est in operari,
contingit peccare; dicit enim philosophus in VII Ethic., quod non peccatur contra scientiam in actu, sed contra
scientiam in habitu. Sed caritas semper consistit in operari : dicit enim
Gregorius in quadam homil., quod amor Dei nunquam est otiosus. Ergo contra
caritatem aliquis peccare non potest, ut sic per peccatum possit amitti. |
9. Il arrive qu’on ne
pèche contre aucun habitus dont l’être concerne une opération ; car le
philosophe dit (Éthique, VII, 3,
1145 b 22), qu'on ne pèche pas contre la science en acte, mais contre la
science en habitus. Or la charité consiste toujours à opérer : car Grégoire
dit en une homélie, que l’amour de Dieu n’est jamais oisif. Donc personne ne
peut pécher contre la charité de sorte qu’elle puisse être perdue par ce
péché. |
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[66360] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 10 Praeterea, si aliquis caritatem amittit, aut amittit eam dum
habet, aut dum non habet. Sed dum habet, non amittit eam per peccatum, quia
simul esset peccatum cum caritate. Neque etiam amittit eam cum non habet,
quia quod non habet, amitti non potest. Ergo caritas nullo modo potest
amitti. |
10. Si quelqu'un perd la
charité, ou bien il la perd pendant qu’il l’a, ou pendant qu’il ne l’a pas.
Or pendant qu’il l’a, il ne la perd pas par le péché, parce que le péché
coexisterait avec la charité. Il ne la perd pas non plus quand il ne l’a pas,
parce qu’il peut pas perdre ce qu’il n’a pas. Donc la charité ne peut être
perdue en aucune manière. |
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[66361] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 11 Praeterea, caritas accidens est quoddam in anima. Accidens
autem quatuor modis potest
deficere. Uno quidem modo per corruptionem subiecti; sed
per hunc modum caritas deficere non potest; cum anima humana, quae est
subiectum eius, sit incorruptibilis. Secundo deficit
aliquod accidens per defectum causae, sicut lumen deficit ab aere per
absentiam solis; sed hoc modo caritas deficere non potest, quia causa eius
est indeficiens, scilicet Deus. Tertio
modo deficit accidens aliquod deficiente obiecto; sicut paternitas
deficit per mortem filii : sed nec hoc modo deficit caritas, quia eius
obiectum est bonum aeternum, quod est Deus. Quarto modo deficit
aliquod accidens per actionem contrarii agentis, sicut frigiditas aquae
deficit per actionem caloris : sed nec hoc modo caritas deficere potest, cum
sit fortior peccato, quod videtur in contrarium agere : secundum illud Cantic., VIII, 6 : Fortis est ut mors dilectio; et iterum : aquae quae multae non possunt
extinguere caritatem. Ergo
caritas nullo modo potest deficere in habente eam. |
11. La charité est un
accident dans l’âme. Or l’accident peut faire défaut de quatre manières. D’une première
manière par la corruption du sujet ; mais de cette manière la
charité ne peut pas faire défaut, puisque l’âme humaine qui est son substrat
est incorruptible. D’une deuxième
manière un accident fait défaut par défaillance de la cause, de même que
la lumière disparaît de l’air par absence de soleil ; mais de cette
manière la charité ne peut pas se perdre, parce que la cause, c'est-à-dire
Dieu, est sans défaillance. D’une
troisième manière un accident fait défaut par défaillance de l’objet,
comme la paternité fait défaut par la mort de l’enfant, mais la charité ne
fait pas défaut de cette manière, parce que son objet est le bien éternel,
qui est Dieu. D’une quatrième manière,
un accident fait défaut par l’action d’un agent contraire, comme le froid de
l’eau fait défaut par l’action de la chaleur ; mais la charité ne peut
pas faire défaut de cette manière, puisqu’elle est plus forte que le péché,
qui semble agir dans le contraire ; selon cette parole du Ct 8, 6 : L’amour est fort comme la mort; et en plus : Les eaux nombreuses ne peuvent éteindre la charité. Donc la
charité ne peut se perdre d’aucune manière en celui qui la possède. |
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[66362] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 12 Praeterea, peccatum est malum quoddam rationalis naturae. Sed
malum non agit nisi virtute boni, ut dicit Dionysius, IV cap. de divin. Nomin — Bonum autem non
contrariatur bono, ut dicitur in Praedicamentis;
et ita non potest ipsum corrumpere, cum unumquodque corrumpatur a suo
contrario. Caritas ergo per peccatum non potest corrumpi. |
12. Le péché est un mal de
la nature raisonnable. Or le mal n’agit que dans le pouvoir du bien, comme le
dit Denys, (Les noms divins, 4). Et
le bien ne s’oppose pas au bien, comme il est dit dans les Catégories ; et ainsi il ne peut
pas le corrompre, puisque chaque chose est corrompue par son contraire. Donc
la charité ne peut pas être corrompue par le péché. |
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[66363] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 13 Praeterea, si caritas a peccato corrumpitur; aut a peccato
existente, aut a non existente. Sed non a peccato existente; quia sic
peccatum mortale simul esset cum caritate. Neque iterum a peccato non
existente; quia non ens agere non potest. Ergo caritas nullo modo potest
amitti per peccatum. |
13. Si la charité est
corrompue par le péché, ou c’est par un péché qui existe ou par un [péché]
qui n’existe pas. Or [ce n'est] pas par un péché qui existe, parce qu’ainsi
le péché mortel coexisterait avec la charité. Ni non plus par un péché qui
n’existe pas, parce que le non-étant ne peut pas agir. Donc la charité en
aucune manière ne peut être perdue par le péché. |
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[66364] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 14 Praeterea, si caritas per peccatum amittitur; aut caritas et
peccatum sunt in eodem instanti in anima, aut in alio. Sed non in eodem, quia
tunc simul essent : neque iterum in alio et alio, quia oporteret quod esset
tempus medium in quo homo neque peccatum neque caritatem haberet, quod est
inconveniens. Non ergo potest caritas per peccatum amitti. |
14. Si la charité est
perdue par le péché, ou bien la charité et le péché sont dans un même instant
dans l’âme, ou dans un autre instant. Or ce n’est pas dans le même, parce
qu’alors ils seraient ensemble ; et pas non plus dans l’un et l’autre,
parce qu’il faudrait que ce soit un temps intermédiaire en lequel l’homme
n’aurait ni péché, ni charité, ce qui ne convient pas. Donc la charité ne
peut pas être perdue par le péché. |
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[66365] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 15 Praeterea, Magister dicit, 31 dist. III Lib. Sentent., quod perfecta caritas per
peccatum amitti non potest. |
15. le Maître dit (III Sent. d. 31,) que la charité
parfaite ne peut pas être perdue par le péché. |
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[66366] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 16 Praeterea, sicut se habet intellectus ad cognitionem veri,
ita et voluntas ad amorem boni. Sed intellectus cognoscendo quodcumque verum,
cognoscit primam veritatem. Ergo amando quodcumque bonum, amat summam bonitatem.
Sed nunquam peccat qui amat, nisi convertendo se per amorem ad bonum
commutabile. Ergo
in omni peccato homo amat summam bonitatem, cuius amor est caritas. Numquam
igitur caritas per peccatum amitti potest. |
16. Comme l’intellect se
comporte vis-à-vis de la connaissance de la vérité, de la même manière la
volonté se comporte vis-à-vis de l’amour du bien. Or l’intellect, en
connaissant quelque chose de vrai, connaît la vérité première. Donc en aimant
quelque bien, il aime la bonté suprême. Mais celui qui aime ne pèche jamais
sinon en se détournant par amour vers un bien changeant. Donc dans tout
péché, l’homme aime la bonté suprême, dont l’amour est la charité. Jamais donc
la charité ne peut être perdue par le péché. |
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[66367] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 17 Praeterea, sicut in genere causae efficientis est agens
universale et proprium, ita et in genere causae finalis. Sed
agens proprium semper agit in virtute universalis agentis. Ergo finis
proprius semper movet voluntatem in virtute finis ultimi. Sed finis ultimus est
Deus; et sic idem quod prius. |
17. Dans le genre de la
cause efficiente il y a l’agent universel et l’agent particulier, il en est
de même dans le genre de la cause finale. Or l’agent particulier agit
toujours dans le pouvoir de l’agent universel. Donc la fin particulière meut
toujours la volonté dans le pouvoir de la fin ultime. Mais la fin ultime est
Dieu, et ainsi de même que plus haut. |
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[66368] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 18 Praeterea, caritas est signum quod aliquis sit verus Christi
discipulus, secundum illud Ioan.,
XIII, 35 : In hoc cognoscent omnes quia
mei estis discipuli, si dilectionem habueritis ad invicem. Sed non est
Christi verus discipulus qui non semper est eius discipulus unde Augustinus
[tract. XXVII in Ioan. VI, 67]
exponens illud Ioan., VI : Multi ex discipulis eius abierunt
retrorsum, dicit, quod illi non fuerunt Christi veri discipuli; et
dominus dicit, Ioan. VIII, 31 : Si manseritis in sermone meo, veri
discipuli mei eritis. Ergo ille qui non permanet in caritate nunquam
habuit caritatem. |
18. La charité est le
signe que quelqu'un est vrai disciple du Christ, selon cette parole de Jn 13, 35 : En cela tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez
de l’amour entre vous. Or n’est pas véritable disciple du Christ celui
qui n’est pas toujours son disciple, c'est pourquoi Augustin, exposant cette
parole de Jn 6 : Beaucoup de ses disciples s’en allèrent,
dit que ceux-là ne furent pas de vrais disciples, et le Seigneur dit (Jn 8, 31) : Si vous demeurez en ma parole, nous serez mes vrais disciples. Donc
celui qui ne demeure pas dans la charité ne l’a jamais eue. |
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[66369] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 19 Praeterea, omnis motus est secundum exigentiam
praedominantis. Sed caritas praedominatur in corde caritatem habentis, quia
totum cor sibi occupat, secundum illud quod mandatur Deuter. VI, 5 : Diliges
dominum Deum tuum ex toto corde tuo. Ergo motus omnis habentis caritatem
est secundum caritatem; non ergo per peccatum amitti potest. |
19. Tout mouvement dépend
de l’exigence de celui qui domine. Or la charité domine dans le cœur de celui
qui la possède, parce que tout le cœur s’occupe de lui selon ce commandement
de Dt 6, 5 : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. Donc tout
mouvement de celui qui possède la charité dépend d’elle, donc elle ne peut
pas être perdue par le péché. |
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[66370] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 20 Praeterea, differentiae diversificantes genus vel speciem non
possunt convenire eidem secundum numerum. Sed corruptibile et incorruptibile
diversificant genus, ut dicitur in X Metaph.[comm. 26]. Cum igitur caritas
viae et patriae sit eadem numero, videtur quod sicut caritas patriae corrumpi
non potest, ita nec caritas viae. |
20. Les différences qui
diversifient le genre ou l’espèce ne peuvent pas convenir à une même chose en
nombre. Or le corruptible et l’incorruptible diversifient le genre, comme il
est dit en Métaphysique X, 10, 1059
a. Donc comme la charité de la voie et [celle] de la patrie sont la même en
nombre, la charité de la patrie ne peut pas être corrompue, de même celle de
la voie non plus. |
|
[66371] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 21 Praeterea, si caritas corrumpitur : aut corrumpitur in
aliquid, aut in nihil. Sed non in aliquid; quia hoc est solum formarum quae
educuntur de potentia materiae. In nihil autem corrumpi non potest : quia
Deus nunquam caritatem corrumpit, qui solus potest ex aliquo facere nihil,
sicut ipse solus potest facere ex nihilo aliquid : aequalis enim est utraque
distantia. Ergo videtur quod caritas corrumpi non possit. |
21. Si la charité est
corrompue, ou bien elle l’est en quelque chose, ou en rien. Or pas en quelque
chose, parce que cela vient seulement des formes qui sont éduites de la
puissance de la matière. En rien non plus elle ne peut être détruite : parce
que Dieu ne détruit jamais la charité, lui qui peut seul faire rien de
quelque chose, comme il peut seul faire quelque chose de rien ; car
l’une et l’autre distances sont égales. Donc il semble que la charité ne
puisse pas être corrompue. |
|
[66372]
De virtutibus, q. 2 a. 12 arg. 22 Praeterea, illud per quod peccatum
tollitur, a peccato corrumpi non potest. Sed peccatum tollitur per caritatem,
secundum illud I Pet., IV, 8 : Caritas operit multitudinem peccatorum.
Ergo caritas
per peccatum amitti non potest. |
22. Ce par quoi le péché
est enlevé, ne peut pas être corrompu par lui. Or le péché est enlevé par la
charité, selon cette parole de 1 P
4, 8 : La charité couvre de nombreux pécheurs.
Donc la charité ne peut pas être perdue par le péché. |
|
[66373] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 23 Praeterea, super illud Ps.
XXVI, 2 : Deum appropiant super me
nocentes, ut edant carnes meas dicit Glossa Augustini : Si aufertur donum, dator vincitur. Sed
Deus, qui est dator caritatis, vinci non potest. Ergo caritas non potest
auferri per peccatum. |
23. Sur ce Ps 26, 2 : Les méchants s’approchent de moi pour manger mes chairs, la glose
d’Augustin dit : « Si le don
est enlevé, le donneur est vaincu ». Or Dieu, qui est le
donneur de la charité, ne peut pas être vaincu. Donc la charité ne peut pas
être enlevée par le péché. |
|
[66374] De virtutibus, q.
2 a. 12 arg. 24 Praeterea, per caritatem anima unitur Deo ut sponsa, secundum
quoddam spirituale matrimonium. Sed matrimonium carnale non potest separari
per dissensum supervenientem matrimonio. Ergo caritas non potest tolli per
peccatum quo mens dissentit ab iis quae sunt Dei. |
24. Par la charité l’âme
s’unit à Dieu comme une épouse, selon un certain mariage spirituel. Or le
mariage charnel ne peut pas être enlevé par un dissentiment qui survient dans
le mariage. Donc la charité ne peut pas être enlevée par le péché par lequel
l’esprit n’est pas d’accord avec ce qui est de Dieu. |
|
[66375]
De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Apoc. II, v. 4
: Habeo adversus te pauca, quod
caritatem tuam primam reliquisti. |
En sens contraire : 1. On lit dans Ap 2, 4 : Ce peu que j’ai contre toi, c’est que tu as abandonné ton premier
amour. |
|
[66376] De virtutibus, q.
2 a. 12 s. c. 2 Praeterea, Gregorius dicit in homilia [XXX in Eang.] : in quorumdam corda venit Deus, et mansionem non facit; quia per
compunctionem respectum Dei percipiunt, sed tentationis tempore sic ad
perpetranda peccata redeunt, ac si haec minime planxissent. Sed Deus non
venit in corda fidelium nisi per caritatem. Ergo aliquis post habitam
caritatem potest eam amittere per sequens peccatum. |
2 Grégoire dit dans une
homélie (Sur l’Évangile, homélie
30) : « Dans les coeurs de
certains, Dieu vient mais n’y établit pas sa demeure, parce que par
componction ils conçoivent du respect pour Dieu, mais au temps de la
tentation ils retournent exécuter leur péchés comme si ceux-ci les avaient
fort peu frappés ».
Or Dieu ne vient dans le cœur des fidèles que par charité. Donc quelqu’un
après avoir possédé la charité peut la perdre par un péché qui suit. |
|
[66377] De virtutibus, q.
2 a. 12 s. c. 3 Praeterea, I Reg.,
XVI, dicitur de David, quod dominus erat cum eo. Sed postmodum peccavit,
faciendo adulterium et homicidium. Deus autem est in homine per caritatem.
Ergo post habitam caritatem aliquis potest eam amittere peccando mortaliter. |
3. Au premier livre des Rois 16, 13, il est dit de David que
le Seigneur était avec lui, mais par la suite il pécha en commettant un
adultère et un homicide. Or Dieu est dans l’homme par la charité. Donc après
avoir eu la charité on peut la perdre en péchant mortellement. |
|
[66378]
De virtutibus, q. 2 a. 12 s. c. 4 Praeterea, caritas est vita animae,
secundum illud I Ioan. III, 14 : Nos scimus quoniam translati sumus de
morte ad vitam, quoniam diligimus fratres. Sed vita naturalis potest
amitti per mortem naturalem. Ergo et vita caritatis per mortem peccati
mortalis. |
4. La charité est la vie
de l’âme, selon ce que dit 1 Jn 3,
14 : Nous savons que nous sommes passés
de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères. Or la vie naturelle
peut se perdre par la mort naturelle. Donc aussi la vie de charité par la
mort du péché mortel. |
|
[66379] De virtutibus, q.
2 a. 12 co. Respondeo. Dicendum, quod Magister in 17 dist., I Lib., posuit,
quod caritas in nobis sit Spiritus sanctus. Non autem
fuit sua intentio dicere, quod ipse actus dilectionis nostrae sit Spiritus
sanctus; sed quod Spiritus sanctus movet animam nostram ad diligendum Deum et
proximum, sicut etiam ad actus aliarum virtutum : sed ad actus aliarum
virtutum movet animam per quosdam habitus virtutum infusarum; ad actum autem
dilectionis Dei et proximi movet absque alio habitu mediante. Unde eius
opinio vera fuit quidem quantum ad hoc quod posuit animam moveri a spiritu
sancto ad diligendum Deum et proximum; sed imperfecta fuit quantum ad hoc,
quia non posuit in nobis habitum, quid creatum, quo perficeretur voluntas
humana ad huiusmodi dilectionis actum. Oportet enim huiusmodi habitum in anima poni, ut
supra, art. 1 huius quaest., habitum est. |
Réponse : Le Maître [Pierre Lombard]
I Sent. d. 17[64]
a pensé que la charité en nous est l’Esprit Saint. Son intention n'a pas été
de dire que notre acte d’amour soit l’Esprit Saint, mais que l’Esprit Saint
pousse notre âme à aimer Dieu et le prochain, comme aussi pour les actes des
autres vertus; mais pour les actes des autres vertus il meut l’âme par les
habitus de vertus infuses ; pour les actes d’amour de Dieu et du prochain, il
meut sans aucun autre habitus intermédiaire. C'est pourquoi ce qu’il a pensé
a été vrai du fait que l’Esprit Saint incite l’âme à aimer Dieu et le
prochain ; mais elle a été imparfaite en ce qu’il n'a pas mis en nous un
habitus, quelque chose de créé, par lequel la volonté humaine serait
accomplie en vue d’un tel acte d’amour. Il faut en effet mettre dans l’âme un
tel habitus, comme on l’a vu ci-dessus au premier article. |
|
Potest igitur quadruplex consideratio de caritate
haberi. Prima quidem ex parte Spiritus sancti
moventis animam ad dilectionem Dei et proximi; et quantum ad hoc, necesse est
dicere, quod motio Spiritus sancti semper est efficax secundum suam
intentionem. Operatur enim in anima Spiritus sanctus dividens singulis prout vult, ut dicitur 1 Cor., XII; et ideo quibus spiritus sanctus pro suo arbitrio
vult dare perseverantem divinae dilectionis motum, in his peccatum caritatem
excludens esse non potest. Dico non posse ex parte virtutis motivae, quamvis
possit ex parte vertibilitatis liberi arbitrii. Ista enim sunt beneficia Dei,
quibus certissime liberantur, quicumque liberantur, ut Augustinus dicit in
Lib. de Praedest. Sanctor.
Quibusdam autem Spiritus sanctus, pro suo arbitrio, dat quidem ut ad tempus
moveantur motu dilectionis in Deum, non autem dat eis ut in hoc perseverent
usque in finem, ut patet per Augustinum in Lib. de Corrept. et gratia. |
On peut avoir quatre considérations sur la charité. Première
considération :
du côté de l’Esprit Saint qui incite l’âme à l’amour de Dieu, et à ce sujet
il est nécessaire de dire que la motion de l’Esprit Saint est toujours
efficace selon son intention. En effet il opère dans l’âme en distribuant à chacun comme il le veut,
comme il est dit 1 Co 12, 11; et
donc chez ceux auxquels, selon son bon plaisir, il veut donner le mouvement
de persévérance dans la divine charité, il ne peut y avoir de péché excluant
la charité. Je dis que ce n’est pas possible du côté de la vertu qui y
incite, bien que cela le soit du côté de la versatilité du libre arbitre. Ce
sont là en effet des bienfaits de Dieu par lesquels sont le plus certainement
libérés tous ceux qui sont libérés, comme Augustin le dit au livre de la Prédestination des saints. Or à
certains l’Esprit Saint selon son bon plaisir donne d’être mus, pour un
temps, du mouvement d’amour de Dieu, mais il ne leur donne pas d’y persévérer
jusqu’à la fin, comme le dit Augustin au livre de la Correction et de la Grâce. |
|
Secunda
consideratio
est de caritate secundum potestatem ipsius caritatis; et quantum ad hoc,
nullus habens caritatem potest peccare, quantum est ex vi ipsius caritatis,
sicut neque aliquis habens aliquam formam, ex vi illius formae potest operari
contra formam illam; sicut calidum ex vi calidi non potest infrigidare, vel
frigidum esse; potest tamen amittere calorem et infrigidari. Et secundum hoc
loquitur Augustinus in Lib. de sermone
Domini in monte [lib. II, cap. XXXVII], exponens illud quod habetur Matth., VII, 18 : Non potest arbor bona fructus malos facere. Dicit enim, quod
sicut potest fieri ut quod fuit nix, non sit, non autem ut nix sit calida;
sic potest fieri ut qui malus fuit non sit malus, non tamen fieri potest ut
malus bene faciat : et eadem ratio est de bono secundum quamcumque virtutem,
quia nulla virtute aliquis male utitur. |
La
seconde considération concerne la charité du
côté de son pouvoir, et quant à cela personne n’ayant la charité ne peut
pécher, en vertu même de la force de la charité, comme celui qui a une
certaine forme ne peut opérer contre elle, en vertu de cette même forme,
comme ce qui est chaud ne peut pas refroidir ou être froid par la force du
chaud, mais il peut cependant perdre sa chaleur et se refroidir. Et d’après
cela Augustin (Le sermon du Seigneur
sur la montagne, II, 37) expose ce qui est dit en Mt 7, 18 : Un bon arbre ne
peut pas porter de mauvais fruits. Il dit en effet que de même qu’il peut
se faire que ce qui a été neige ne le soit plus, mais pas que la neige soit
chaude, ainsi il peut arriver que celui qui fut méchant ne le soit plus, mais
il ne peut arriver que le méchant fasse bien ; et c’est la même raison pour
le bien en ce qui concerne n’importe quelle vertu, parce qu’on ne se sert mal
d’aucune vertu. |
|
Tertia consideratio est de
caritate ex parte voluntatis, in quantum ei subiicitur ut materia formae. Ubi
attendendum est, quod quando forma implet totam potentialitatem materiae, non
potest remanere in materia potentia ad aliam formam; unde illam formam
inamissibiliter habet, sicut patet de materia caelesti. Quaedam vero forma
est quae non replet totam potentialitatem materiae, sed remanet potentia ad
aliam formam; et tunc illa forma amissibiliter habetur ex parte materiae vel
subiecti, sicut patet in formis elementarium corporum. Caritas autem implet
potentialitatem sui subiecti, secundum quod suum subiectum reducit in actum
dilectionis : et ideo in patria, ubi actu creatura rationalis diligit Deum ex
toto corde suo, et nihil aliud diligit nisi actualiter referendo in Deum,
caritas inamissibiliter habetur; in statu autem viae caritas non implet totam
potentialitatem animae, quae non semper actualiter movetur in Deum, omnia in
ipsum actuali intentione referens; et ideo caritas viae amissibiliter
habetur, quantum est ex parte subiecti. |
La
troisième considération concerne la charité du côté de la
volonté, en tant que celle-ci lui est soumise comme la matière à la forme. Là
il faut remarquer que, quand la forme remplit toute la potentialité de la
matière, la puissance ne peut plus demeurer dans la matière pour une autre
forme ; c'est pourquoi elle a cette forme sans pouvoir la perdre, comme on le
voit dans la matière céleste. Il y a une forme qui ne remplit pas toute la
potentialité de la matière, mais la puissance demeure pour une autre forme et
donc cette forme est peut-être perdue du côté de la matière ou du sujet,
comme on le voit dans les formes des corps élémentaires. Mais la charité
comble la potentialité de son sujet qu’elle ramène à l’acte d’amour, et ainsi
c’est dans la patrie où la créature raisonnable aime Dieu de tout son coeur
et actuellement, et n’aime rien d’autre sinon qu’en le rapportant
actuellement à Dieu, c’est là que la charité est possédée sans pouvoir être
perdue. Dans l’état de voie la charité ne comble pas toute la potentialité de
l’âme qui n’est pas constamment poussée en Dieu en acte, rapportant tout à
lui par une intention actuelle, et ainsi la charité de la voie est peut-être
perdue du côté du sujet. |
|
Quarta
consideratio
est de caritate ex parte subiecti, prout comparatur specialiter ad ipsam
caritatem sicut potentia ad habitum. Ubi considerandum est, quod habitus
virtutis inclinat hominem ad recte agendum, secundum quod per ipsam homo
habet rectam aestimationem de fine; quia, ut dicitur in III Ethic. [cap. V], qualis unusquisque
est, talis et finis videtur ei. Sicut enim gustus iudicat de sapore, secundum
quod est affectus aliqua bona vel mala dispositione, ita id quod est
conveniens homini secundum habitualem dispositionem sibi inhaerentem, bonam
vel malam, aestimatur ab eo ut bonum; quod autem ab hoc discordat, aestimatur
ut malum et repugnans; unde et apostolus dicit, I ad Cor., cap. II, 14, quod animalis
homo non percipit ea quae sunt Spiritus Dei. |
La quatrième
considération concerne la charité du côté du sujet dans la mesure où
il est comparé spécialement à la charité elle-même, comme la puissance à
l’habitus. Il faut ici considérer que l’habitus de la vertu incline l’homme à
agir avec droiture, selon que par elle il a une juste estimation de la fin ;
car, comme il est dit (Éthiques III,
5) : « Tel est chacun et telle
aussi lui semble la fin ». De même en effet que le goût juge la saveur selon qu’il
est affecté d’une bonne ou mauvaise disposition, ainsi ce qui convient à
l’homme selon la disposition habituelle adhérente, qui est bonne ou mauvaise,
est estimé par lui comme un bien; ce qui n’est pas en accord avec cela est
estimé mauvais et répugnant; d’où ce que dit l’Apôtre 1 Co 2, 14 : L’homme
charnel ne perçoit pas les choses qui sont de l’Esprit de Dieu. |
|
Contingit tamen quandoque,
quod id quod videtur alicui secundum inclinationem habitus, non videatur ei
secundum aliquid aliud; sicut luxurioso secundum inclinationem proprii
habitus videtur bonum delectatio carnis, sed secundum rationis
deliberationem, vel auctoritatem Scripturae, videtur ei contrarium; et ideo
habens habitum luxuriae, ex hac aestimatione contra habitum quandoque agit,
et similiter habens habitum virtutis quandoque agit contra inclinationem
proprii habitus; quia aliquid ei aliter videtur secundum aliquem alium modum,
puta per passionem, vel aliquam seductionem. |
Il arrive
parfois cependant que ce qui paraît à quelqu’un en accord avec la tendance de
l’habitus ne lui paraît pas en accord avec autre chose; comme au luxurieux,
selon la tendance de son propre habitus, la tendance de la chair lui paraît
un bien, mais selon la délibération de la raison ou l’autorité de l’Ecriture,
elle lui paraît contraire. Et ainsi celui qui a l’habitus de la luxure agit
quelquefois selon cette estimation contre l’habitus, et de la même manière
celui qui a l’habitus de la vertu agit quelquefois contre la tendance de son
propre habitus, parce que quelque chose d’autre lui semble d’une autre
manière, par exemple par passion ou par une séduction. |
|
Tunc ergo contra habitum caritatis nullus agere
poterit, quia nullus potest habere aliam aestimationem de fine et obiecto
caritatis quam secundum inclinationem caritatis; hoc autem erit in patria,
ubi ipsa Dei essentia videbitur, quae est ipsa essentia bonitatis. Unde sicut
nunc nullus potest aliquid velle nisi sub communi ratione boni, nec bonum sub
ratione boni potest non amari, ita et tunc hoc bonum, quod est Deus, nullus
poterit non amare. Et propter hoc, nullus videns Deum per essentiam, potest
contra caritatem agere. Et inde est quod caritas patriae est inamissibilis. |
Alors donc personne ne pourra agir contre l’habitus
de la charité, parce que personne ne peut avoir une autre estimation de la
fin et de l’objet de la charité que selon la tendance de la charité; cela
existera dans la patrie, où l’essence même de Dieu sera vue, qui est
l’essence même de la bonté. C'est pourquoi, de même que personne ne peut
vouloir une chose que sous la commune raison de bien, et que le bien ne peut
ne pas être aimé sous sa raison de bien, de même aussi alors, ce bien qui est
Dieu, personne ne pourra ne pas l’aimer. Et à cause de cela, personne voyant
Dieu par son essence ne peut agir contre la charité. Et de là vient que la
charité de la patrie est inamissible. |
|
Sed nunc mens nostra non
videt ipsam essentiam bonitatis divinae, sed aliquem effectum eius, qui
potest videri bonus et non bonus, secundum diversas considerationes; sicut
bonum spirituale aliquibus videtur non bonum, in quantum contrariatur
delectationi carnali, in cuius concupiscentia sunt. Ideo caritas viae potest
amitti per peccatum mortale. |
Mais maintenant notre
esprit ne voit pas l’essence même de la bonté de Dieu, mais un effet qui peut
paraître bon ou non selon différentes considérations ; de même que le
bien spirituel ne paraît pas bon à certains, en tant qu’il s’oppose au
plaisir charnel en la concupiscence duquel ils sont. Ainsi la charité de la
voie peut se perdre par le péché mortel. |
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[66380] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illum Ioannis est
intelligendum secundum potestatem Spiritus sancti moventis animam, qui
indeficienter operatur quod vult. |
Solutions : 1. Cette parole de Jean
est à comprendre selon le pouvoir de l’Esprit saint qui meut l’âme et qui
opère ce qu’il veut sans défaillance. |
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[66381] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 2 Ad secundum dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de caritate
secundum potestatem ipsius caritatis : de se enim habet sufficienter unde
nunquam arescat; sed quod amittatur, est propter vertibilitatem subiecti, ut
dictum est. |
2. Augustin parle là de
charité selon sa puissance même : car de soi elle a suffisamment de quoi ne
jamais se dessécher ; mais le fait qu’elle soit perdue est à cause de la
mutabilité du sujet, comme il a été dit. |
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[66382] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 3 Ad tertium dicendum, quod vera dilectio de sua ratione habet
quod nunquam amittatur; qui enim vere diligit hominem, hoc in animo suo
proponit, ut nunquam dilectionem dimittat. Sed quandoque illud propositum
mutatur, et sic dilectio quae vera fuit, amittitur. Si autem hoc aliquis
habuisset in proposito, ut a diligendo quandoque desisteret, vera dilectio
non fuisset. Unde patet, quod caritas inamissibilis est secundum potestatem
propriam; amitti tamen potest secundum potestatem subiecti vertibilis. |
3. L’amour vrai tient de
sa nature le fait qu’il n’est jamais perdu ; car qui aime vraiment un
homme, se propose en son coeur de ne jamais perdre son amour. Mais
quelquefois ce propos change, et ainsi l’amour qui a été vrai est abandonné.
Mais si quelqu’un avait eu en projet de cesser un jour d’aimer, il n'y aurait
pas eu de vrai amour. C'est pourquoi il est clair que la charité est
inamissible selon sa puissance propre, cependant elle peut être abandonnée
selon la puissance d’un sujet changeant. |
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[66383] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 4 Ad quartum dicendum, quod illa etiam auctoritas prosperi loquitur
de caritate secundum potestatem ipsius, et non secundum potestatem subiecti. |
4. Cette autorité de
Prosper parle de la charité selon sa propre puissance et non selon la
puissance du sujet. |
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[66384] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 5 Ad quintum dicendum, quod caritas, dum est, habet inclinationem
ad magna operandum; et hoc vult et proponit, secundum rationem suae virtutis;
sed quandoque ab hoc deficit propter vertibilitatem subiecti. |
5. Tant que la charité
existe, elle a une tendance à opérer de grandes œuvres ; et elle le veut
et le propose selon la nature de son pouvoir, mais quelquefois elle fait
défaut à cause de la mutabilité du sujet. |
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[66385] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 6 Ad sextum dicendum, quod cum in homine sit duplex natura,
scilicet intellectiva, quae principalior est, et sensitiva, quae minor est,
ille vere seipsum diligit qui se amat ad bonum rationis : qui autem se amat
ad bonum sensualitatis contra bonum rationis, magis se odit quam amat,
proprie loquendo, secundum illud Psalm.
X, 5 : Qui diligit iniquitatem, odit
animam suam; et hoc etiam philosophus dicit in IX Ethic. [cap. IV]. Et secundum hoc amor verus sui ipsius amittitur
per peccatum contrarium, sicut et amor Dei. |
6. Puisque dans l’homme il
y a une double nature, à savoir une intellectuelle, qui est plus importante
et une sensitive, qui l’est moins, s’aime vraiment celui qui s’aime pour le
bien de la raison ; mais celui qui s’aime pour le bien de la sensualité,
contre le bien de la raison, se hait plus qu’il ne s’aime, à proprement
parler, selon cette parole du Ps
(10, 5) : Qui aime l’iniquité
hait son âme. Et cela aussi le philosophe le dit (Éthique, IX, 4, 1166 b 19). Et selon cela l’amour vrai de
soi-même est perdu par le péché contraire, ainsi que l’amour de Dieu. |
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[66386] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 7 Ad septimum dicendum, quod caritas excludit omne motivum peccati
secundum suum propositum : pertinet enim hoc ad rationem caritatis, ut velit
non concupiscere, nec inordinate se amare. Sed quandoque accidit contrarium,
propter vertibilitatem et corruptionem naturae; secundum illud Apostoli ad Roman. cap. VII, 19 : Non enim quod volo bonum, hoc ago; sed
quod odi malum, id facio. |
7. La charité exclut tout
motif de péché en son dessein ; car il appartient à la nature de la
charité de vouloir ne pas désirer, ni s’aimer contre l’ordre. Mais
quelquefois il arrive le contraire, à cause du changement et de la corruption
de la nature ; selon cette parole de l’Apôtre (Rm 7, 19) : Car je ne fais
pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je hais. |
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[66387] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 8 Ad octavum dicendum, quod quamdiu aliquis sequitur motionem
Spiritus sancti, non peccat; sed quando resistit, tunc peccat. |
8. Aussi lontemps que
quelqu’un suit la motion de l'Esprit saint, il ne pèche pas, mais quand il
résiste, alors il pèche. |
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[66388] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 9 Ad nonum dicendum, quod esse caritatis non semper est in
operari; alioquin dormientes non haberent caritatem. Dicitur autem quod amor
Dei nunquam est otiosus secundum caritatis propositum, quod ad hoc est ut
totum se homo det Deo. |
9. L’être de la charité
n’est pas toujours dans l'opération, autrement ceux qui dorment n’auraient
pas la charité. Mais on dit que l’amour de Dieu n’est jamais oisif, selon le
dessein de la charité, pour que l’homme se donne tout entier à Dieu. |
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[66389] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 10 Ad decimum dicendum, quod amissio ita se habet ad rem habitam
sicut corruptio ad rem existentem. Unde sicut corruptio incipit a re
existente, et terminatur in eius non esse, quia eius mutatio est de esse in
non esse; ita etiam amissio, cum sit etiam mutatio de habere in non habere,
incipit in habere, et terminatur in non habere, et ideo principium amissionis
caritatis est quando caritas habetur; finis autem quando non habetur. |
10. La perte se comporte
vis-à-vis de ce qu’on possède comme la corruption vis-à-vis de ce qui existe.
C'est pourquoi, de même que la corruption commence à ce qui existe et se
termine à son non-être, parce que son changement passe de l’être au non-être,
de même aussi, comme la perte est aussi un changement de la possession à la
non-possession, elle commence dans la possession et se termine dans la
non-possession, et c'est pourquoi le commencement de la perte de la charité
est quand on a la charité, et la fin quand on ne l’a pas. |
|
[66390]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod caritas aliquo
modo desinit esse in anima secundum illa quatuor.
Subiectum enim caritatis quamvis
sit incorruptibile secundum substantiam, fit tamen indispositum ad hanc
formam per contrariam dispositionem peccati. Similiter, quamvis causa caritatis sit incorruptibilis,
tamen influxio huiusmodi causae impeditur per peccatum, quod dividit inter
nos et Deum. Et ex hac etiam ratione ex parte obiecti deficit caritas, in quantum voluntas se avertit a bono
incommutabili. Desinit etiam per contrarium motivum ad peccandum : quod licet, simpliciter loquendo, sit
debilius quam caritas, tamen in casu potest esse fortius; quando scilicet
caritas in actu non operatur, et motivum peccati movet in aliquo particulari
opere, sicut etiam philosophus ostendit in VII Ethic. [cap. XI], quod a passione potest vinci scientia, quamvis
sit fortissima; in quantum non est in actu agens, sed in habitu ligato per
passionem : et sicut scientia est fortissima in universali, passio autem in
particulari operabili, ita caritas est fortissima circa finem ultimum; et
motivum peccati habet fortitudinem in aliquo particulari opere. |
11. La charité d’une
certaine manière cesse d’être dans l’âme selon quatre points de vue. Car bien que le sujet de la charité soit incorruptible en substance, il devient
cependant indisponible pour cette forme par une disposition contraire du
péché. De la même manière, bien que la cause
de la charité soit incorruptible, cependant l’écoulement de cette cause
est empêché par le péché, qui nous sépare de Dieu. Et aussi par cette raison
du côté de l’objet la charité fait
défaut, en tant que la volonté se détourne du bien immuable. Elle cesse aussi
par un motif contraire pour
pécher ; lequel, bien qu’à
simplement parler il soit plus fragile que la charité, cependant en cette
occasion peut être plus fort ; quand la charité en acte n’opère pas, que
le mouvement du péché pousse à une œuvre particulière, comme aussi le
philosophe le montre en Ethique, VII,
11, que par la passion la science peut être vaincue, bien qu’elle soit très
forte ; en tant que ce n’est pas un agent en acte, mais dans un habitus
lié par la passion, et de même que la science est très forte dans
l’universel, la passion aussi dans ce qui peut être opéré en particulier, de
même la charité est très forte pour la fin ultime, et le motif du péché a une
force dans une œuvre particulière. |
|
[66391] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod philosophus dicit, quod bonum
unius virtutis non contrariatur bono alterius virtutis; et hoc intendit
philosophus dicere in Praedicamentis
[in postpraedic., cap. de oppositis] et in II Ethic. Sed in
naturis bonum contrariatur bono; utrumque enim contrariorum est quoddam bonum
naturae. Bonum ergo quod movet appetitum ad peccandum, contrariatur bono
divino quod est obiectum caritatis, in quantum in eo constituitur finis. Sic
enim non est possibile esse nisi unum finem ultimum : sicut et in regno, in
quo non potest esse nisi unus rex, contrariatur regi qui se regem facit
secundum illud Ioan., XIX, 12 : Omnis qui se regem facit, contradicit
Caesari. |
12. Le philosophe dit que
le bien d’une seule vertu ne s’oppose pas au bien d’une autre vertu, et le
philosophe tend à le dire dans les Catégories,
les opposés et en Ethique II. Or dans les natures, le
bien s’oppose au bien ; car l’un et l’autre des contraires est un bien
de la nature. Donc le bien qui pousse l’appétit à pécher est contraire au
bien divin qui est l’objet de la charité, en tant que la fin est constituée
en lui. Car ainsi il n’est pas possible qu’il n’y ait qu’une fin ultime ; de
même que dans un royaume, en lequel il ne peut y avoir qu’un roi, s’oppose au
roi celui qui se proclame roi, selon cette parole de Jn 19, 12 : Tout homme qui
se fait roi s’oppose à César. |
|
[66392] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod caritas non expellitur a
peccato sicut ab agente, sed sicut a contrario; unde ipsa superventio peccati
est expulsio caritatis, sicut adventio lucis expulsio est tenebrarum : lux
enim expellit tenebras in ipso suo fieri; sed motivum ad peccatum expellit
secundum quod praeexistit in apprehensione animae. |
13. La charité n’est pas
chassée par le péché comme par un agent, mais comme par un contraire ; c'est
pourquoi la survenue du péché est l’expulsion de la charité, comme l’arrivée
de la lumière est l’expulsion des ténèbres : car la lumière chasse les
ténèbres en leur devenir, mais ce qui pousse au péché chasse [la charité]
selon ce qui préexiste dans l’appréhension de l’âme. |
|
[66393] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod quando homo in peccato mortali
consistit, hoc quadam deliberatione rationis agitur, quia sine deliberato
consensu non est peccatum mortale. Deliberatio autem quidam motus est tempore
mensuratus, in cuius temporis ultimo instanti inest peccatum animae; sed ante
illud ultimum instans, non est dare proximum in quo caritas insit; quia
instantia non se habent consequenter, sed tempus est continuum; et ideo in
toto tempore praecedenti quod terminatur ad ultimum instans, caritas inest
animae, in cuius ultimo instanti post inest peccatum. Non ergo est dare
ultimum instans in quo caritas insit, sed ultimum temporis, ut per
philosophum patet in VIII Physic. |
14. Quand un homme se
trouve dans un péché mortel, il est poussé par cette délibération de la
raison, parce que sans consentement délibéré, il n’y a pas de péché mortel.
Le consentement est un mouvement mesuré par le temps, au dernier instant
duquel il y a le péché de l’âme ; mais avant cet ultime instant, on ne
peut donner le prochain dans lequel se trouve la charité; parce que ces
instants ne se comportent pas logiquement, mais le temps est continu, et
ainsi dans tout le temps précédent qui se termine à l’ultime instant, la
charité est dans l’âme, en ce dernier instant après il y a le péché. Donc on
ne peut donner l'ultime instant en lequel la charité se trouve, mais l’ultime
instant du temps, comme on le voit par le philosophe en Physique VIII. |
|
[66394] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod si Magister intelligat de
perfecta caritate, quae est caritas patriae, verum est quod inamissibilis
est, rationibus supradictis. Si vero intelligatur de caritate viae
quantumcumque perfecta, non est verum quod sit inamissibilis ex modo
inhaerentiae ipsius ad subiectum, sed ex sola virtute motionis Spiritus
sancti; et sic dicuntur confirmati quicumque fuerunt confirmati in statu
viae. |
15. Si le
Maître pense à la charité parfaite, qui est la charité de la patrie, il est
vrai qu’elle est inamissible, pour les raisons données ci-dessus. Mais s’il
pense à la charité de la voie, pour autant qu’elle soit parfaite, il n’est
pas vrai qu’elle soit inamissible, par le mode de son inhérence au sujet,
mais par le seul pouvoir de la motion de l’Esprit saint, et ainsi on dit que
sont affermis tous ceux qui ont été affermis dans la statut de la voie. |
|
[66395]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod sicut in
cognitione cuiuslibet veri cognoscitur prima veritas, sicut primum exemplar
in imagine, vel vestigio; ita etiam in amore cuiuslibet boni amatur summa
bonitas. Sed talis amor summae bonitatis non sufficit ad rationem caritatis,
sed oportet quod diligatur summum bonum prout est beatitudinis obiectum. |
16. Comme dans la
connaissance de quelque chose de vrai on connaît la vérité première, de même
dans l’amour de quelque chose de bon on aime la bonté suprême. Mais un tel
amour de la suprême bonté ne suffit pas à la nature de charité, mais il est
nécessaire que soit aimé le bien suprême dans la mesure où il est l’objet de
la béatitude. |
|
[66396]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 17 Et per hoc etiam patet responsio ad
decimumseptimum. |
17. Et par cela apparaît
la réponse à la dix-septième objection. |
|
[66397]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod sicut
Augustinus dicit [tract. XLV In Ioan.]
exponens illud Ioan., X, 27 : Oves meae vocem meam audiunt, et vocem
alienorum non audiunt, est quaedam vox Christi quam nullus audit nisi sit
ovis eius per praedestinationem; haec scilicet vox : Qui perseveraverit usque in finem, hic salvus erit. Et per hunc modum
intelligit, quod qui non permanet in sermone Christi, non est vere
discipulus, quia perseverare ab eo efficaciter non didicit; potest tamen esse
discipulus ad tempus quantum ad temporalem dilectionem Dei et proximi. |
18. Comme Augustin le dit
en exposant cette parole de Jn 10,
27 : Mes brebis entendent ma voix, et
elles n’entendent pas la voix des étrangers, c’est une parole du Christ
que quelqu'un n’entend que s’il est sa brebis par prédestination ; telle
cette parole : Qui persévérera jusqu’à
la fin, celui-là sera sauvé. Et de cette manière il pense que qui ne
demeure pas dans la parole du Christ n’est pas vraiment un disciple, parce
qu’il n’a pas appris de lui à persévérer efficacement ; cependant il
peut être disciple pour un temps pour un amour temporel de Dieu et du
prochain. |
|
[66398]
De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod quamdiu
caritas actu dominatur in homine, non movetur motu contrario, sed sequitur
homo motum caritatis; et ideo summum remedium contra peccatum est ut homo
redeat ad cor suum, convertens illud in Dei dilectionem. Sed quando actu homo
secundum caritatem non movetur, ingeritur quandoque motus contrarius peccati. |
19. Tant que la charité
domine en acte dans l’homme, elle n’est pas mue par un mouvement contraire,
mais l’homme suit le mouvement de la charité : et ainsi le remède le meilleur
contre le péché est que l’homme revienne à son cœur, le convertissant à
l’amour de Dieu. Mais quand l’homme n’est pas mû par un acte selon la
charité, quelquefois s’introduit un mouvement contraire de péché. |
|
[66399] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod corrumpi et generari vel fieri est
proprium eius quod habet esse : et hoc est solum res subsistens in suo esse.
Accidentia autem et formae non subsistentes, non dicuntur entia quia ipsae
habeant esse, sed quia eis aliquid est. Et ideo fieri et corrumpi non proprie
est accidentium et formarum, sed subiectorum; puta, cum corpus aliquod fit
album hoc est albedinem fieri, sicut aliquod corpus esse album, hoc est
albedinem esse. Et eadem ratio est de corruptione; et ideo corruptibile et
incorruptibile non attribuuntur per se accidenti, sed substantiae. Unde nihil
prohibet caritatem viae et patriae esse eamdem numero, quamvis caritas viae
sit amissibilis, caritas autem patriae sit inamissibilis. |
20. Être corrompu, être
engendré ou devenir est le propre de ce qui a l’être, et cela est seulement
la chose subsistante en son être. Les accidents et les formes non
subsistantes ne sont pas appelés des êtres parce qu’ils ont l’être, mais
parce qu’il y a quelque chose en eux. Et ainsi devenir et être corrompu ne
viennent pas au sens propre des accidents ou des formes, mais des
sujets ; par exemple, quand un corps devient blanc, c’est devenir
blancheur, de même que quelque corps est blanc c’est être blancheur. Et la
même raison concerne la corruption ; et ainsi le corruptible et
l’incorruptible ne sont pas attribués par soi à l’accident, mais à la
substance. C'est pourquoi rien n’empêche la charité de la voie et celle de la
patrie d’être identiques en nombre, bien que la charité de la voie soit
périssable, mais celle de la patrie non. |
|
[66400] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 21 Ad vicesimumprimum dicendum, quod sicut iam dictum est,
caritas, proprie loquendo, non corrumpitur, sed subiectum desinit participare
caritatem; unde non proprie dicitur quod caritas corrumpatur, vel in aliquid,
vel in nihil. |
21. Comme on l’a déjà dit,
la charité, à proprement parler, n’est pas corrompue, mais son sujet cesse de
participer à la charité ; c’est pourquoi on ne dit pas à proprement
parler que la charité est corrompue, ou en quelque chose ou en rien. |
|
[66401] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 22 Ad vicesimumsecundum dicendum, quod propter vertibilitatem
subiecti, sicut caritas superveniens peccato destruit ipsum, ita peccatum
superveniens caritati expellit ipsam; contraria enim mutuo se expellunt. |
22. A cause de la
versabilité du sujet, comme la charité qui arrive après le péché le détruit,
de même le péché qui arrive après la charité la chasse, car les contraires se
chassent mutuellement. |
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[66402] De virtutibus, q.
2 a. 12 ad 23 Ad vicesimumtertium dicendum, quod si donum posset per
violentiam auferri, videretur vinci donator, ad quem pertinet conservare
donum ei cui dedit; sed si ille cui dedit, voluntarie abiiciat, non propter
hoc videtur donator vinci, ad quem non pertinet cogere hominem ad virtutem. |
23. Si un don pouvait être
enlevé par violence, le donateur semblerait vaincu, lui à qui il appartient
de conserver le don à celui à qui il l’a donné; mais si celui à qui il l’a
donné le rejette volontairement, le donateur ne semble par vaincu pour cela,
lui à qui il n'appartient pas de forcer l’homme à la vertu. |
|
[66403] De virtutibus, q. 2 a. 12 ad 24 Ad
vicesimumquartum dicendum, quod mulier per matrimonium amittit potestatem sui
corporis; sed anima per caritatem non amittit potestatem liberi arbitrii;
unde ratio non sequitur. |
24. La femme par mariage
perd le pouvoir de son corps, mais l’âme par charité ne perd pas le pouvoir
du libre arbitre ; c'est pourquoi la raison ne vaut pas. |
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[66404] De virtutibus, q. 2 a.
13 tit. 1 Decimotertio quaeritur utrum per unum actum peccati mortalis
caritas amittatur |
Article 13 – La charité est-elle perdue par un seul péché mortel ? |
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[66405] De virtutibus, q.
2 a. 13 tit. 2 Et videtur quod non. |
Objections :[65] Il semble que non. |
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[66406] De virtutibus, q.
2 a. 13 arg. 1 Dicit enim Origenes I Periarch.
[cap. III] : Si aliquando satietas
cepit aliquem ex his qui in summo perfectoque gradu perstiterunt; non
arbitror quod ad subitum quis evacuetur ac decidat; sed paulatim ac per
partes eum decidere, necesse est; ita ut fieri possit interdum, ut, si brevis
aliquis lapsus acciderit, et cito resipiscat, non penitus ruere videatur.
Sed ille qui caritatem amittit, penitus ruit, secundum illud Apostoli, 1 Cor., XIII, 2 : Si caritatem non habeam, nihil sum. Ergo caritas non amittitur
per unum peccatum mortale, quod quandoque subito fit. |
1. En effet, Origène dit (Peri archôn I, 3) : « Si
quelquefois le dégoût prend l’un de ceux qui ont persisté dans le plus haut
et le plus parfait degré, je ne pense pas qu’il s’affaiblisse subitement et
succombe; mais il est nécessaire qu’il succombe peu à peu et en partie; de
sorte qu’il pourrait arriver parfois que, si une brève chute était arrivée et
qu’aussitôt il se reprenne, il ne semble pas se précipiter entièrement». Or celui qui a perdu la charité, s’écroule
entièrement, selon cette parole de l’Apôtre (1 Co 13, 2) : Si je
n’ai pas la charité, je ne suis rien. Donc la charité n’est pas
perdue par un seul péché mortel, qui quelquefois arrive subitement. |
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[66407] De virtutibus, q.
2 a. 13 arg. 2 Praeterea, Bernardus dicit in Lib. de diligendo Deo, quod in Petro, qui negavit Christum, non fuit
caritas extincta, sed sopita, et tamen, quando Christum negavit, peccavit
mortaliter. Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati mortalis. |
2. Bernard dit dans le
livre L’amour de Dieu, qu'en Pierre,
qui renia le Christ, la charité n’a pas été éteinte, mais assoupie, et
cependant, quand il renia le Christ, il a péché mortellement. Donc la charité
n’est pas perdue par un seul péché mortel. |
|
[66408] De virtutibus, q.
2 a. 13 arg. 3 Praeterea, Leo Papa dicit in sermone IX de passione, alloquens Petrum : Vidit in te dominus non fidem victam, non dilectionem aversam, sed
constantiam fuisse turbatam : abundavit fletus, ubi non defecit affectus, et
fons caritatis lavit verba formidinis. Ergo dilectio caritatis non desiit
in Petro propter actum peccati mortalis. |
3. Le pape Léon [le Grand]
dit dans le sermon 9 sur la Passion,
en parlant de Pierre : « Le
Seigneur a vu en toi non une foi vaincue, non un amour détourné, mais que ta
constance a été troublée : les pleurs abondèrent, là où sa disposition a
faibli, et la fontaine de charité a lavé les paroles de la peur ».
Donc l’amour de charité n’a pas manqué à Pierre à cause du péché mortel. |
|
[66409] De virtutibus, q.
2 a. 13 arg. 4 Praeterea, caritas est fortior quam virtus acquisita. Sed
virtus acquisita, non corrumpitur per unum actum peccati, sicut nec
generatur; dicit enim philosophus, II Ethic.,
[cap. I, II et IV] quod ex eisdem generatur virtus et corrumpitur. Ergo multo
minus caritas amittitur per actum unius peccati mortalis. |
4. La charité est plus
forte que la vertu acquise. Or celle-ci n’est pas corrompue par un seul
péché, de même qu’elle n’est pas engendrée ; car le philosophe dit (Ethique, II, 1, 1103 b 6, 2, 1104 a
26, 4) que la vertu est engendrée et corrompue par les mêmes causes. Donc la
charité est beaucoup moins perdue par l’acte d’un seul péché mortel. |
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[66410] De virtutibus, q.
2 a. 13 arg. 5 Praeterea, contrarium non expellitur nisi per suum contrarium.
Habitus autem caritatis non opponitur actui peccati. Sed habitus non
generatur per unum actum. Ergo caritas non amittitur per unum actum peccati. |
5. Le contraire n’est
chassé que par son contraire. L’habitus de charité n’est pas opposé au péché.
Or l’habitus n’est pas engendré par un seul acte. Donc la charité n’est pas
perdue par un seul péché. |
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[66411]
De virtutibus, q. 2 a. 13 arg. 6 Praeterea, sicut fides se habet ad multa
credenda, ita caritas ad multa diligenda ex caritate. Sed qui credit contra unum
articulum non propter hoc amittit fidem de aliis articulis. Ergo qui peccat
contra unum diligibile ex caritate, non propter hoc amittit caritatem circa
alia diligibilia; et sic caritas non amittitur per unum peccatum mortale. |
6. De même que la foi se
comporte vis-à-vis de nombreux articles à croire, de même la charité
vis-à-vis de nombreux objets à aimer par charité. Or celui qui s’oppose à un
seul article [de foi] ne perd pas pour cela la foi au sujet des autres
articles. Donc celui qui pèche contre un seul objet digne d’être aimé par
charité, ce n’est pas pour cela qu’il perd la charité vis-à-vis des autres
objets à aimer, et ainsi la charité n’est pas perdue par un seul péché
mortel. |
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En sens contraire : |
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[66412] De virtutibus, q.
2 a. 13 s. c. Sed contra, est quod dicitur I Ioan. III, v. 17 : qui
habuerit substantiam huius mundi, et viderit fratrem suum necessitatem
habentem, et clauserit viscera sua ab eo : quomodo caritas Dei manet in eo?
Et sic videtur quod per peccatum omissionis aliquis caritatem amittat. Sed
peccatum transgressionis non est minus quam peccatum omissionis. Ergo per
quodcumque peccatum caritas tollitur. |
Jean dit (I Jn 3, 17) : Celui qui
possède les biens de ce monde et a vu son frère dans la nécessité, et qui lui
ferme ses entrailles, comment la charité de Dieu demeure-t-elle en lui ?
Et il semble bien que par le péché d’omission on perde la charité. Or le
péché de transgression n’est pas moindre que le péché d’omission. Donc la
charité est enlevée par n’importe quel péché. |
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[66413] De virtutibus, q.
2 a. 13 co. Respondeo. Dicendum, quod absque omni dubio per quemlibet actum
peccati mortalis habitus caritatis subtrahitur; non enim dicitur peccatum
mortale, nisi quia per ipsum homo spiritualiter moritur, quod esse non potest
praesente caritate, quae est animae vita. Similiter etiam per peccatum
mortale fit homo dignus morte aeterna, secundum illud Rom. cap. VI, 23 : Stipendia
peccati mors. |
Réponse : Sans aucun doute l’habitus
de la charité est retiré par tout péché mortel; en effet on ne l’appelle
péché mortel que parce que par lui l’homme meurt spirituellement, ce qui ne
peut pas exister si la charité, qui est la vie de l’âme, est présente. De la
même manière aussi par le péché mortel, l’homme devient digne de la mort
éternelle, selon cette parole de Rm
6, 23 : Le salaire du péché c’est la
mort. |
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Quicumque autem habet
caritatem, habet meritum vitae aeternae : dominus enim dilectori suo
promittit manifestationem sui ipsius, in quo vita aeterna consistit. Unde
necesse est dicere, quod per quemlibet actum peccati mortalis homo caritatem
amittit. Manifestum est enim quod in quolibet actu peccati mortalis fit
aversio ab incommutabili bono, cui caritas unit; cui actus peccati mortalis
opponitur. |
Quiconque a la charité
mérite la vie éternelle ; en effet le Seigneur promet à celui qui l’aime
de se manifester à lui ; ce en quoi consiste la vie éternelle. C'est pourquoi
il est nécessaire de dire que l’homme perd la charité par n’importe quel
péché mortel. Il est en effet évident qu’en tout péché mortel se fait un
détournement du bien incommunicable à qui unit la charité, à qui s’oppose
l'acte de péché mortel. |
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Sed quia actus non directe
contrariatur habitui, sed actui, posset alicui videri quod per actum peccati
mortalis impediretur quidam oppositus caritatis actus, ita tamen quod non
tolleretur habitus, sicut contingit in habitibus acquisitis; non enim aliquis
amittit habitum virtutis gratuitae, si contra virtutem gratuitam agat. Sed de habitibus caritatis est
aliter. Habitus enim caritatis non habet causam in subiecto, sed totaliter
dependet a causa extrinseca : caritas enim infunditur in cordibus nostris per
Spiritum sanctum, qui datus est nobis, ut dicitur ad Rom. V, 5. |
Mais parce que l’acte ne
s’oppose pas directement à l’habitus mais à l’acte, il pourrait sembler à
quelqu'un que par un péché mortel un acte opposé à la charité soit empêché,
de sorte que cependant l’habitus ne soit pas enlevé, comme cela arrive dans
les habitus acquis ; car on ne perd pas l’habitus d’une vertu gratuite si on
agit contre elle. Mais il en va autrement des habitus de charité. Car
cet habitus n’a pas sa cause dans le sujet, mais dépend totalement d’une
cause extrinsèque ; en effet la charité est répandue en nos coeurs par
l’Esprit Saint qui nous a été donné (Rm
5, 5). |
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Non autem sic Deus causat
caritatem in anima, ut sit causa eius solum quantum ad fieri, et non quantum
ad conservationem ipsius, sicut aedificator est causa domus solum quantum ad
fieri, unde eo subtracto adhuc remanet domus; sed Deus est causa caritatis et
gratiae in anima, et quantum ad fieri, et quantum ad conservationem, sicut
sol est causa luminis in aere. Et ideo, sicut statim cessaret lumen in aere,
si interponeretur aliquod obstaculum; ita statim cessat habitus caritatis in
anima, quando anima se avertit a Deo per peccatum. Et hoc est quod Augustinus
dicit, VIII super Gen. ad litteram [cap.
XII] : Non ita Deus operatur hominem
iustum, id est iustificando eum, ut
si abscesserit, maneat in absente quod fecit; sed potius, sicut aer praesente
lumine non factus est lucidus, sed fit; sic homo Deo sibi praesente
illuminatur, absente autem continuo obtenebratur. |
Dieu ne cause pas la
charité dans l’âme de façon à en être cause seulement pour son devenir et non
pour sa conservation, de même que le bâtisseur est cause de la maison
seulement pour son devenir, c'est pourquoi, s’il disparaît, la maison demeure
encore. Mais Dieu est cause de la charité et de la grâce dans l’âme et quant
au devenir et quant à sa conservation ; de même que le soleil est cause de la
lumière dans l’atmosphère. C'est pourquoi de même que la lumière cesserait
aussitôt dans l’air si intervenait un obstacle, de même l’habitus de charité
cesse aussitôt que l’âme se détourne de Dieu par le péché. Et c’est ce
qu'Augustin dit (La Genèse au sens
littéral, VIII, XII, 26) : « Ce
n’est pas ainsi que Dieu opère dans l’homme juste, (c'est-à-dire en le
justifiant) de sorte que s’il s’éloigne, ce qu’il a fait demeurera en celui
qui s’est éloigné; mais plutôt de même que l’air en présence de la lumière
n’a pas été doté de lumière mais devient lumineux, ainsi l’homme, Dieu lui
étant présent, est illuminé, et s’il est absent aussitôt il
s’obscurcit. » |
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[66414]
De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod verbum illud
Origenis sic posset intelligi, quod homo qui est in statu perfecto, non
subito procedit in actum peccati mortalis, sed per aliquam negligentiam
praecedentem. Sed
quia ipse subdit : Si aliquis brevis
lapsus acciderit etc., videtur melius dicendum, quod ipse intelligit, eum
penitus evacuare et decidere, qui sic decidit, ut ex malitia peccet, quod non
statim a principio contingit; quia etiam, ut philosophus dicit in I Ethic. [cap. VI et IX], non est facile
iusto ut opus iniustum operetur statim, sicut iniustus facit, scilicet ex
electione. Amittit ergo caritatem per unum actum peccati mortalis, sed adhuc
aliquae reliquiae de praecedenti perfectione remanent, dum non habet ex
malitia quod caritatem amittat. |
Solutions : Cette parole d’Origène
peut être comprise ainsi : l’homme qui est dans un état parfait ne procède
pas subitement à un acte de péché mortel, mais il le fait à la suite d’une
négligence. Mais parce qu’il ajoute : « Si une chute brève arrivait,
etc. », il semble meilleur de dire, ce qu’il pense lui-même, que s’affaiblit
et succombe tout à fait celui qui succombe ainsi pour pécher par malice, ce
qui n’arrive pas dès le commencement, parce qu'aussi, comme le dit le
philosophe (Éthique, 1, 6 et 9), il
n’est pas facile à un juste d’opérer aussitôt une œuvre injuste, comme
l’homme injuste le fait, à savoir par choix. Il perd donc la charité par un
seul péché mortel, mais encore des restes de la perfection précédente
demeurent, tant que ce n’est pas par malice qu’il perd la charité. |
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[66415]
De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 2 Ad secundum dicendum, quod caritas amittitur
dupliciter; uno modo directe, alio modo indirecte. Directe
quidem per actualem Dei contemptum, sicut accidit in illis qui dicunt Deo, Iob XXI, 14 : Recede a nobis; scientiam viarum tuarum nolumus sicut dicitur Iob XII, 14. Alio modo indirecte; sicut non cogitans de Deo,
propter aliquam passionem timoris vel concupiscentiae consentit in aliquid
quod est contra Dei praeceptum, et sic per consequens caritatem amittit.
Intendit ergo Bernardus dicere, quod caritas non fuit extincta in Petro per
modum primum, sed amisit eam per modum secundum, et hoc nominat soporem. Et
similiter sunt intelligenda verba Leonis Papae : quod patet ex hoc quod
subiungit : Non tardatum est remedium
ablutionis, ubi non fuit iudicium voluntatis; magis enim negatio Petri
fuit extorta ex terrore, quam ipse negaverit ex iudicio deliberatae
voluntatis. |
2. La charité est perdue
de deux manières : d’une manière directement, d’une autre indirectement. Directement
par le mépris actuel envers Dieu, comme cela arrive à ceux qui disent à Dieu
(Jb 21, 14) : Éloigne-toi de nous, nous ne voulons pas connaître tes voies,
comme il est en Jb 12, 14[66].
D’une autre manière, indirectement,
comme celui qui ne pense pas à Dieu, parce qu’il souffre de crainte ou de
concupiscence, consent à quelque chose qui est contre le précepte de Dieu et
ainsi par conséquence perd la charité. Donc Bernard tend à dire que la
charité n’a pas été éteinte en Pierre de la première manière, mais qu'il l’a
perdue de la seconde, et il appelle cela la torpeur. Et de la même manière
les paroles du Pape Léon sont à comprendre ainsi, ce qui est clair d'après ce
qu’il ajoute : « Le remède de
la purification n’a pas été retardé, là où il n’y a pas eu jugement de la volonté» ; car
c'est plutôt par l'épouvante qu'a été obtenu le reniement de Pierre, que
lui-même aurait nié par un jugement d’une volonté délibérée. |
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[66416]
De virtutibus, q. 2 a. 13 ad 3 Unde patet solutio ad tertium. |
3. Ainsi apparaît la
solution à la troisième objection. |
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[66417] De virtutibus, q.
2 a. 13 ad 4 Ad quartum dicendum, quod virtus acquisita habet causam in
subiecto, et non totaliter ab extrinseco, sicut caritas; et ideo non est
similis ratio. |
4. La vertu acquise a une
cause dans le sujet, et non totalement par l’extérieur, comme la charité, et
c'est pourquoi ce n’est pas la même raison. |
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[66418] De virtutibus, q.
2 a. 13 ad 5 Ad quintum dicendum, quod in contrariis potest expelli unum
contrarium, sine hoc quod alterum adveniat. Habitus autem virtutis et vitii
sunt contraria mediata; unde philosophus dicit in Praedicamentis, [in postpraedic., cap. de oppositis] quod inter bonum et malum est medium; unde non
oportet quod solum tunc amittat homo habitum unius virtutis, quando generatur
in eo habitus contrarii vitii. |
5. Dans les contraires un
seul contraire peut être chassé, sans qu’il en arrive un autre. Mais
l’habitus de la vertu et celui du vice sont directement contraires ;
c'est pourquoi le philosophe dit dans Les
catégories, (les opposés, 10,
12 a 10) qu’entre le bien et le mal il y a un intermédiaire ; c'est
pourquoi il n’est pas nécessaire que l’homme perde seulement l’habitus d’une
vertu, quand est engendré en lui un habitus du vice contraire. |
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[66419] De virtutibus, q.
2 a. 13 ad 6 Ad sextum dicendum, quod habitus respicit, per se, formalem
rationem obiecti magis quam ipsum obiectum materialiter; et ideo, si formalis
ratio obiecti tollatur, species habitus non manet. Formalis autem ratio
obiecti in fide est veritas prima, per doctrinam Ecclesiae manifestata, sicut
formalis ratio scientiae est medium demonstrationis : et ideo, sicut aliquis
memorialiter tenens conclusiones geometricas, non habet geometriae scientiam,
si non propter media geometriae eis assentiatur, sed habebit conclusiones
illas tamquam opinatas : ita, qui tenet ea quae sunt fidei, et non assentit
eis propter auctoritatem Catholicae doctrinae, non habet habitum fidei. Qui
autem propter doctrinam Catholicam alicui assentit, omnibus assentit quae
doctrina Catholica habet : alioquin magis credit sibi quam Ecclesiae
doctrinae. Ex quo patet, quod qui deficit in uno articulo pertinaciter, non
habet fidem de aliis articulis : illam dico fidem quae est habitus infusus;
sed oportet quod teneat ea quae sunt fidei, quasi opinata. |
6. L’habitus concerne par
soi la raison formelle de l’objet plus que, matériellement, l’objet même ;
et c’est pourquoi si on enlève la raison formelle de l’objet, la forme de
l’habitus ne demeure pas. Mais la raison formelle de l’objet dans la foi est
la vérité première, manifestée par la doctrine de l’Église, comme la raison
formelle de la science est l’intermédiaire de la démonstration : et c'est
pourquoi quelqu’un qui tient en mémoire les conclusions géométriques, n’a pas
la science de la géométrie, si ce n’est à cause des intermédiaires [de
démonstration] de la géométrie à qui il donne son assentiment, mais il aura
ces conclusions comme conjecturées. De la même manière, celui qui tient ce
qui concerne la foi et n’y donne pas son assentiment à cause de l’autorité de
la doctrine catholique, n’a pas l’habitus de la foi. Mais celui qui à cause
de la doctrine catholique donne son assentiment à un article, la donne à tous
les articles que la doctrine catholique possède, autrement il croit plus en
lui qu’à la doctrine catholique. D’où on voit que celui qui se détache avec
opiniâtreté d’un seul article, n’a pas la foi pour les autres articles - je
parle de cette foi qui est un habitus infusé - mais il faut qu’il tienne ce
qui concerne la foi comme objet de croyance. |
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Question 3 : [La correction fraternelle]Traduit par Marie-Louise Evrard, sous la direction de Monsieur
Raymond Berton |
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Prologue
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[66420] De virtutibus, q. 3 pr. 1 Et
primo quaeritur, utrum correctio sit in praecepto. [66421] De virtutibus, q. 3 pr. 2 Secundo utrum
ordo correctionis fraternae sit in praecepto. |
1.
La correction fraternelle est-elle dans le précepte ? 2. La règle de la correction
fraternelle est-elle dans le précepte ? |
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Articulus
1 : [66422] De virtutibus, q. 3 a. 1 tit. 1 Et primo
quaeritur utrum fraterna correctio sit in praecepto |
Article 1 – La correction fraternelle est-elle
dans le précepte[67] ?
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[66423] De virtutibus, q.
3 a. 1 tit. 2 Et videtur quod non. |
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[66424] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 1 Praecepta enim divina non sunt sibi contraria. Sed invenitur praeceptum
divinum de non arguendo peccatorem; dicitur enim Proverb. IX, 8 : Noli
arguere derisorem, ne oderit te. Ergo correctio fraterna non cadit sub
praecepto. |
Objections :[68] 1.
Les préceptes divins, en effet, ne s’opposent pas
entre eux. Or on trouve un précepte divin qui dit de ne pas faire de reproches
au pécheur ; car il est dit en Pr 9, 8 : Ne fais pas
de reproche au railleur, de peur qu’il ne te haïsse ! Donc, la
correction fraternelle ne tombe pas sous le
précepte. |
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[66425] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 2 Sed dicendum, quod ibi prohibetur redargui derisor qui correctionem contemnit,
et sic ex ea deterior efficitur.- Sed
contra, peccatum est infirmitas animae, secundum illud Psal. VI, 3 : Miserere mei, domine,
quoniam infirmus sum. Sed ille cui imponitur cura infirmi, etiam propter
eius contradictionem vel contemptum non debet praetermittere : quia tunc est
maius periculum quando medicinam contemnit; unde medicus furiosum satagit
curare. Ergo multo magis, si homo tenetur curare
fratrem delinquentem corripiendo, quantumcumque contemneret, non esset
correctio praetermittenda. |
2. Mais il faut dire
qu’il est interdit ici de faire des reproches au railleur, qui méprise la
correction et par là devient pire. Mais
en sens contraire, le péché est une faiblesse de l’âme, selon cette
parole du Ps 6, 4 : Aie pitié de
moi, Seigneur, car je suis faible. Or celui à qui on impose le soin d’un
faible ne doit pas renoncer à cause de son opposition ou de son mépris :
parce qu’alors, le danger est plus grand quand il méprise le remède ;
c’est pourquoi le médecin a du mal à soigner un dément. Donc, d’autant plus,
si l’homme est tenu d’avoir soin de son frère fautif en le réprimandant,
quelque grand que soit son mépris, il ne faudrait pas renoncer à la
correction. |
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[66426] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 3 Praeterea, praeceptum
divinum non est praetermittendum propter alterius contemptum : veritas enim
vitae non est dimittenda propter scandalum, ut per Hieronymum patet. Si
igitur correctio fraterna caderet sub praecepto, non esset praetermittenda
propter contemptum alterius. |
3. Il ne faut
pas renoncer au précepte divin à cause du mépris de l’autre : car la réalité
de la vie ne doit pas être abandonnée, à cause du scandale, comme on le voit
chez Jérôme. Si donc la correction fraternelle tombait sous le précepte, il
ne faudrait pas y renoncer à cause du mépris de l’autre. |
|
[66427]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 4 Praeterea, non sunt facienda mala ut veniant
bona, ut patet per apostolum, Rm c.
III. Ergo, pari ratione, non sunt praetermittenda bona ne veniant mala. Si
ergo correctio fraterna esset bonum sub praecepto cadens, non esset
praetermittenda propter malum scandali, vel contemptum eius qui corrigitur. |
4. Il ne faut
pas faire le mal pour qu’il en vienne du bien, comme on le voit chez l’Apôtre
(Rm 3, 8[69]).
Donc, à raison égale, il ne faut pas renoncer aux biens de peur qu'ils
deviennent des maux. Si donc la correction fraternelle était un bien tombant
sous le précepte, il ne faudrait pas y renoncer à cause du mal du scandale ou
du mépris de celui qui est réprimandé. |
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[66428] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 5 Praeterea, in nostris
operibus, quantum possumus debemus Deum imitari; secundum illud Ephes., 5, 1 : Estote imitatores
Dei, sicut filii carissimi. Sed Deus non praetermittit bonum, scilicet
infusionem animae rationalis, quamvis sequatur inde infectio damnabilis
originalis peccati. Ergo similiter homo non debet praetermittere bonum
correctionis, quamvis sequatur inde contemptus vel deterioratio eius, si
caderet sub praecepto. |
5. Dans nos
œuvres, nous devons autant que nous le pouvons imiter Dieu, selon cette
parole d’Eph 5, 1 : Soyez des
imitateurs de Dieu comme des enfants très aimés. Or Dieu ne renonce pas
au bien, c’est-à-dire à infuser une âme raisonnable, bien qu’il en découle la
souillure funeste du péché originel. Donc, de la même manière, il ne faut pas
que l’homme renonce au bien de la correction, encore qu’il en découle du
mépris ou une aggravation [du pécheur], si elle tombait sous le précepte. |
|
[66429]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 6 Praeterea, dominus dicit Ezech. III, v. 19 : Si annuntiaveris impio, et ille non fuerit
conversus ab impietate sua, ipse quidem in iniquitate morietur; tu autem
animam tuam liberasti. Ergo non est praetermittenda correctio, etiam si
ille qui corripiendus est, per correctionem non emendetur. |
6. Le Seigneur
dit (Ez 3, 19) : Si tu as averti
l’impie et qu’il ne s'est pas converti de son impiété, lui-même mourra dans
son iniquité ; mais toi, tu auras libéré ton âme. Donc, il ne faut
pas renoncer à la correction, même si celui qui doit être réprimandé n’est
pas corrigé. |
|
[66430] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 7 Praeterea, utilior est
correctio delinquentis quam eius punitio. Sed iudex non dimittit punire
delinquentem propter hoc quod ex poena non emendatur. Ergo, etiam si
correctio fraterna caderet sub praecepto, non deberet aliquis praetermittere
correctionem propter contemptum vel scandalum eius qui corrigitur. Non ergo
videtur quod correctio fraterna cadat sub praecepto. |
7. La correction du coupable est
plus utile que sa punition. Or le juge ne renonce pas à punir le coupable
parce qu’il n’est pas purifié par sa peine. Donc, même si la correction
fraternelle tombait sous le précepte, personne ne devrait renoncer à la
correction en raison du mépris ou du scandale de celui qui est corrigé. Donc,
il ne semble pas que la correction fraternelle tombe sous le précepte. |
|
[66431] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 8 Praeterea, praeceptum
divinum non obligat ad impossibile. Sed corrigere omnes delinquentes est
impossibile : quia stultorum infinitus
est numerus, ut dicitur Eccle. I,
15. Ergo correctio fraterna non
cadit sub praecepto. |
8. Le précepte divin n’oblige pas à l’impossible. Or
corriger tous les coupables est impossible, parce que le nombre des sots est infini, comme il est dit (Si 22, 15). Donc la correction
fraternelle ne tombe pas sous le précepte. |
|
[66432]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 9 Sed
dicendum, quod non tenetur homo corrigere nisi illos qui sibi occurrunt
corrigendi. Sed
contra, si correctio fraterna est in praecepto,
sequitur quod ex tali praecepto homo constituatur debitor fratris, ut eum
corripiat. Sed homo qui debet alicui aliquod debitum corporale, non debet
expectare quod sibi occurrat, sed debet eum quaerere, ut ei reddat quod
debet. Ergo multo magis, si correctio fraterna esset in praecepto, deberet
homo quaerere eum quem corrigeret, et non expectare ut ei occurreret. |
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[66433] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 10 Praeterea, si
correctio fraterna esset in praecepto, ergo omissio correctionis indebita
esset peccatum mortale. Hoc autem est falsum, cum talis negligentia etiam in
sanctis viris interdum inveniatur : dicit enim Augustinus in I de Civit. Dei, (cap. IX) quod (2) Non
solum inferiores, verum etiam qui superiorem vitae gradum tenent, ab aliorum
reprehensione se abstinent propter quaedam potestatis vel cupiditatis
vincula, non propter officia caritatis : (3) non itaque mihi videtur parva esse haec causa, quare cum malis
flagellantur et boni. Non ergo correctio fraterna est in
praecepto. |
10. Si la
correction fraternelle était dans le précepte, son omission indue serait un
péché mortel. Or c’est faux, puisqu'une telle négligence se trouve parfois
même chez les saints : en effet, Augustin dit (La Cité de Dieu I, 9, 2-3) : « Non seulement les inférieurs,
mais même ceux qui sont fidèles à un degré de vie chrétienne plus élevé,
s’abstiennent de reprendre les autres en raison de certains liens de pouvoir
ou de cupidité, non à cause du devoir de charité ; c’est pourquoi il ne
me semble pas que ce soit pour une
petite cause que les bons sont flagellés avec les méchants ». Donc la correction
fraternelle n’est pas dans le précepte. |
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[66434]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 11 Praeterea, aliquis praeceptum transgrediens
mortaliter peccat, licet non immediate contra caritatem faciat; sicut
Bernardus [de dignitate Divini amoris,
cap. V] dicit, quod in Petro negante Christum non fuit caritas extincta. Si
ergo correctio fraterna esset in praecepto, praetermittens correctionem
mortaliter peccaret, etiam si non ex contemptu hoc faceret; quasi immediate
contra praeceptum agens |
11. Qui transgresse un précepte
pèche mortellement, bien qu’il n’agisse pas directement contre la
charité ; ainsi Bernard (La
dignité de l’amour divin 5) dit que, dans le cas de Pierre reniant le
Christ, sa charité ne s’est pas éteinte. Si donc la correction fraternelle
était dans le précepte, celui qui renonce à la correction pécherait
mortellement, même s’il ne le faisait pas par mépris, comme agissant directement
contre le précepte. |
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[66435] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 12 Praeterea, omnia praecepta legis divinae ad praecepta Decalogi
reducuntur. Sed correctio fraterna non cadit sub aliquo praecepto Decalogi,
ut patet discurrenti per singula. Ergo correctio fraterna non cadit sub
praecepto. |
12. Tous les préceptes de la Loi divine sont ramenés à ceux du Décalogue.
Or la correction fraternelle ne tombe pas sous un précepte du Décalogue,
comme cela apparaît à celui qui en examine [les articles] un à un. Donc la
correction fraternelle ne tombe pas sous le précepte. |
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[66436] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 13 Praeterea, ea quae cadunt sub
praeceptis divinis, sunt efficacia ad finem consequendum. Sed admonitio
fraterna non est alicui sufficiens ad emendationem eius; neque sermo
admonitorius est efficax ad hoc, ut philosophus dicit in X Ethic. [cap.
Ult.], et Eccle. VII, 14, dicitur : considera opera Dei, quod nemo possit
corrigere quem ille despexerit. Ergo fraterna correctio non est in
praecepto. |
13. Ce qui tombe sous les préceptes divins est efficace pour parvenir à la
fin. Or l’avertissement fraternel n’est pas suffisant à quelqu'un pour sa
correction ; et la parole d’avertissement n’est pas efficace pour cela,
comme le dit le philosophe (Ethique X,
10); et il est dit en Qo 7, 13 : Regarde les œuvres de Dieu, personne ne
pourrait redresser ce qu’il a courbé. Donc, la correction fraternelle n’est pas dans le
précepte. |
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[66437] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 14 Praeterea, nemo
debet se intromittere de illis quae non sunt sui arbitrii. Sed si peccaverit
homo in Deum, non est nostri arbitrii, ut Hieronymus dicit Super Matth. Ergo in talibus non debet
homo se intromittere; et ita corripere fratrem non cadit generaliter sub
praecepto. |
14. Personne ne doit s’introduire dans ce qui ne concerne pas sa libre
décision. Or si l’homme a péché contre Dieu, cela ne dépend pas de notre
libre décision, comme le dit Jérôme dans son Commentaire sur Matthieu.
Donc, l’homme ne doit pas se mêler de telles affaires ; et ainsi,
corriger son frère ne tombe pas en général sous le précepte. |
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[66438] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 15 Praeterea,
nullus excusatur ab observantia praecepti propter peccatum. Sed homo peccator
non debet alium corrigere; dicit enim Isidorus in Lib. de summo Bono, Lib. III, (cap. XXXII) quod non debet vitia aliorum corrigere qui est
vitiis subiectus. Ergo admonitio fraterna non cadit sub praecepto. |
15. Personne n’est dispensé de
l’observance du précepte à cause du péché. Or un pécheur ne doit pas en
corriger un autre ; en effet, Isidore, dans le livre Du bien suprême,
III, dit que celui qui est soumis à des vices ne doit pas corriger
les vices des autres. Donc, l’avertissement fraternel ne tombe pas sous le
précepte. |
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[66439] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 16 Praeterea, nullus
acquirit sibi damnationem ex observantia divini praecepti. Sed quidam
acquirunt sibi damnationem, alios corripiendo; secundum illud Rm II, 1 : In quo alios iudicas,
teipsum condemnas. Ergo correctio fraterna non est in
praecepto. |
16. Nul n’acquiert sa propre
damnation en observant le précepte divin. Or certains se damnent en
réprimandant les autres, d’après ce passage (Rm 2, 1) : En jugeant les autres, tu te condamnes toi-même. Donc,
la correction fraternelle n’est pas dans le précepte. |
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[66440]
De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 17 Praeterea, nullus debet sibi usurpare quod
non est sui officii, secundum illud 2
Co X, 13 : Nos autem non in immensum gloriamur, sed secundum regulam
mensurae qua mensus est nobis Deus. Sed
corripere delinquentes videtur esse superioris officium : quia etiam in
corpore humano superiora membra movent inferiora; et in universo superiora
corpora, inferiora. Ergo alii, qui non sunt praelati, non tenentur ad correctionem
fraternam. |
17. Nul ne doit se charger de ce
qui n’est pas de son devoir, selon cette parole 2 Co 10, 13 : Pour nous, nous n’irons pas nous glorifier hors
mesure, mais nous prendrons comme mesure la règle que Dieu a mesurée pour
nous. Or réprimander les pécheurs paraît être le devoir du
Supérieur ; parce que même dans le corps humain, les membres supérieurs
mettent en mouvement les [membres] inférieurs ; et dans l’univers, les
corps supérieurs [mettent en mouvement] les [corps] inférieurs. Donc les
autres, ceux qui ne sont pas des prélats, ne sont pas tenus à la correction
fraternelle. |
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[66441] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 18 Praeterea,
illud quod debemus impendere proximis ex debito caritatis, omnibus est
impendendum. Sed correctio non est omnibus impendenda : dicitur enim I ad Tm
5, v. 1 : seniorem ne increpaveris, ubi dicit Glossa : ne, indigne
ferens se a minori corripi, exasperetur, unde et Dionysius Demophilum
monachum reprehendit, quod sacerdotem correxerit. Non ergo correctio fraterna
cadit sub debito caritatis. |
18. Ce que nous
devons consacrer à nos proches, selon le devoir de la charité, doit aussi
être consacré à tous. Or la correction ne doit pas être imposée à tous, car
il est dit en 1 Tm 5, 1 : Ne
rudoie pas un vieillard, là
où la glose précise : « De peur que, supportant mal d’être corrigé de
manière indigne par un plus jeune, il ne soit exaspéré », et c’est
ainsi que Denys reprend le moine Démophile qui avait corrigé un prêtre. Donc
la correction fraternelle n’est pas dans le précepte. |
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[66442] De virtutibus, q. 3 a. 1 arg. 19 Praeterea,
praecepta divina ordinantur ad caritatem et pacem, secundum illud I ad
Timoth., I, 5 : Finis praecepti caritas est. Sed per correctionem
fraternam frequenter perturbatur caritas et pax, secundum illud Terentii : veritas
odium parit. Ergo correctio fraterna non est in praecepto. |
19. Les
préceptes divins sont ordonnés à la charité et à la paix, selon cette parole
de 1 Tm 1, 5 : La fin du
précepte est la charité. Or la charité et la paix sont fréquemment
troublées par la correction fraternelle, comme le dit cette parole de Térence
: « La vérité engendre
la haine ». Donc, la
correction fraternelle n'est pas dans le précepte. |
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[66443] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit in Lib. de Verb. Domini : Si neglexeris corrigere, peior eo factus es
qui peccavit. Sed ille qui peccavit, facit contra praeceptum. Ergo ille
qui negligit corrigere facit contra praeceptum; et ita correctio fraterna
cadit sub praecepto. |
En sens
contraire : 1. Il y a ce que dit Augustin
dans son livre Les paroles du Seigneur : « Si tu as négligé de corriger, tu deviens pire que celui
qui a commis le péché ». Or
celui qui a péché agit contre le précepte. Donc celui qui néglige de corriger
agit contre le précepte ; et ainsi la correction fraternelle tombe sous
le précepte. |
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[66444] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 2 Praeterea, Matth., XVIII, 15, super illud : Corripe
illum inter te et ipsum dicit Glossa : Ita peccat qui videns fratrem
suum peccasse, tacet, sicut si peccanti non indulget. Sed ille qui
peccanti non indulget, facit contra praeceptum. Ergo ille qui non corrigit,
facit contra praeceptum. |
2. Sur cette
parole de Mt 18, 15 : Reprends-le
seul à seul, la Glose dit : « De même que pèche celui qui, voyant
son frère pécher, se tait, de même s’il n’est pas indulgent envers le
pécheur ». Or
celui qui n’a pas d’indulgence pour le pécheur agit contre le précepte. Donc,
celui qui ne corrige pas agit contre le précepte. |
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[66445] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 3 Praeterea, in
impletione praecepti caritatis debemus Deo conformari, secundum illud Ephes. 5, 1 : Estote
imitatores Dei, sicut filii carissimi. Sed, sicut dicitur Pr. c. III, 12. Quos diligit dominus, corripit. Ergo, cum nos teneamur ex praecepto domini diligere, videtur quod ex
praecepto debemus fratres corrigere. |
3. Dans
l’accomplissement du précepte de charité, nous devons nous conformer à Dieu,
selon cette parole d’Eph 5, 1 : Soyez
les imitateurs de Dieu, comme des fils bien-aimés. Or comme il est dit en
Pr 3, 12 : Ceux que le Seigneur
aime, il les corrige. Donc, bien que nous soyons tenus d’aimer selon le
précepte du Seigneur, il semble que d’après ce précepte, nous devons corriger
nos frères. |
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[66446] De virtutibus, q. 3 a. 1 s. c. 4 Praeterea, Eccli. XVII, 12,
dicitur, quod unicuique mandavit Deus de proximo suo, curam habere. Ergo sub praecepto cadit ut homo curam apponat ad salutem proximi,
corrigendo ipsum. |
4. En Si 17,
14, il est dit que Dieu a chargé chacun d’avoir soin de son prochain. Donc,
il tombe sous le précepte que l’homme prenne soin du salut de son prochain en
le réprimandant. |
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[66447] De virtutibus, q. 3 a. 1 co. Respondeo.
Dicendum, quod correctio fraterna cadit sub praecepto. Cuius ratio est, quia
ex praecepto tenemur ad dilectionem proximi. Dilectio autem in se includit ut
homo velit ei bonum quem diligit; hoc est enim amare aliquem, velle ei bonum,
ut dicit philosophus in II Metaph.
[in lib. II Rhet., cap. IX]. Et
quia carere malo habet rationem boni, ut dicitur in V Ethic., inde est, quod ad rationem pertinet dilectionis, ut
etiam velimus mala dilectis nostris non inesse. Voluntas autem efficax non
est, nec vera, si opere non comprobetur; unde etiam ad rationem dilectionis
pertinet, ut ad amicos bona operemur, et mala eorum impediamus, ut dicitur in
IX Ethic. [cap. 1] Et I Ioan.
III, 18, dicitur : Non diligamus verbo neque lingua, sed opere et veritate.
Triplex autem
est hominis bonum, et triplex malum ei oppositum. Est enim quoddam bonum hominis in exterioribus
rebus consistens, quod est minimum bonum; et in hoc bono tenetur homo
subvenire proximo per eleemosynae corporalis largitionem. Dicitur enim I Ioan. III, 17 : Qui substantiam
huius mundi habuerit, et viderit fratrem suum necessitatem habere et
clauserit viscera sua ab eo : quomodo caritas Dei manet in illo? Et pari
ratione tenetur homo proximo auxilium ferre contra damna temporalium rerum.
Unde praecipitur Deuter. XXII, 1 : Non videbis bovem et ovem fratris tui
errantem, et praeteribis, sed reduces fratri tuo. Aliud bonum hominis est bonum corporis, in quo debet etiam homo homini
auxiliari, et contra contrarium malum auxilium ferre. Dicitur enim Pr. XXIV,
11 : Erue eos qui ducuntur ad mortem, et qui trahuntur ad interitum,
liberare ne cesses. Tertium autem bonum est bonum virtutis, quod est bonum animae, cui
contrariatur malum peccati. Ad hoc autem bonum
consequendum, vel malum vitandum, tanto magis tenetur homo ex caritate
proximo auxilium ferre, quanto magis pertinet ad rationem quare aliquis ex
caritate diligitur. Unde et philosophus dicit in IX Ethicor. [cap. III],
quod tanto magis debet homo ferre auxilium amico ad vitandum peccata quam ad
vitandum damnum pecuniae, quanto virtus affinior est amicitiae. Et ideo
tenetur homo ex praecepto dilectionis ut proximo auxilium ferat ad virtutem
consequendam dando ei consilium et auxilium ad bene agendum, secundum illud Is., XXXV, vv. 3-4 : Confortate
manus dissolutas, et genua debilia roborate, dicite : pusillanimes
confortamini, et nolite timere. Et propter hoc ex
praecepto dilectionis tenetur homo fratrem in peccato existentem a peccato
retrahere corrigendo, secundum illud I
Thess. 5, v. 14 : Corripite inquietos confortamini pusillanimes.
Et hinc est quod dominus, Matth. cap. XVIII, 15, mandavit : si peccaverit
in te frater tuus, corripe eum. Sic ergo correctio fraterna cadit sub praecepto. Sed notandum est quod per praecepta affirmativa praecipiuntur actus
virtutum; per praecepta autem negativa prohibentur actus vitiorum. Illud
autem quod est secundum se vitiosum et peccatum, qualitercumque fiat, est
malum, quia contingit ex singularibus defectibus, ut Dionysius dicit in IV
cap. de divinis Nomin. Et ideo, illud quod prohibetur praecepto negativo, a
nullo, nec aliquo modo faciendum est. Praecepto autem affirmativo praecipitur
actus virtutis, ad cuius rectitudinem multae circumstantiae concurrunt, quia
bonum consurgit ex una et tota causa, sicut Dionysius dicit, IV cap. de divinis Nomin. Unde illud quod cadit sub praecepto affirmativo, non est pro omni tempore
et quolibet modo observandum, sed servatis debitis conditionibus et
personarum, et locorum, et causarum, et temporum; sicut honor parentibus non
est exhibendus quolibet tempore aut loco, aut quolibet modo, sed servatis
debitis circumstantiis; ita etiam correctio fraterna sub praecepto cadit
secundum debitas circumstantias, secundum quod est actus virtutis. Has autem circumstantias determinare sermone, non est possibile, eo quod
eorum iudicium in singularibus consistit; et pertinet ad prudentiam, vel
experimento et tempore acquisitam, vel magis infusam; secundum illud I Ioan. XXI, 27 : unctio docebit
vos de omnibus. |
Réponse : Il faut
dire que la correction fraternelle tombe sous le précepte. La raison en est
que nous sommes tenus par le précepte à l’amour du prochain. Or l’amour
inclut en soi que l’homme veuille du bien à celui qu’il aime ; en effet,
c’est cela aimer quelqu’un : lui vouloir du bien, comme le dit le philosophe
en Métaphysique II (Rhétorique 9). Et puisque le manque de
mal a nature de bien, comme on le lit en Ethique
V, 7, de là, il convient à la nature de l’amour que nous voulions qu’il n’y
ait pas de mal chez ceux que nous aimons. Mais la volonté n’est ni efficace,
ni véritable, si elle n’est pas confirmée par l’action ; c’est pourquoi
il convient à la nature de l’amour que nous fassions du bien pour nos amis et
que nous empêchions leurs maux, comme il est dit en Ethique IX, 1. Et il est dit en 1 Jn 3,
17 : N’aimons pas seulement en paroles ni des lèvres. Mais
en acte et en vérité. Le bien de l’homme est triple, et triple le mal qui
lui est opposé. 1. Il y a, en effet, un certain bien de l’homme qui consiste dans ce qui lui est
extérieur, ce qui est le plus petit bien; et en ce bien, l’homme est tenu de
subvenir à son prochain par les largesses d’une aumône concrète. En effet, il
est dit en 1 Jn 2, 18 : Celui qui aura les biens de ce monde et qui aura vu
son frère dans la nécessité et qui lui aura fermé ses entrailles, comment
l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? Et à raison égale, l’homme est
tenu de porter secours à son prochain en cas de perte des biens temporels.
Ainsi est-il ordonné en Dt 22, 1 :
Tu ne verras pas le bœuf ni la brebis de ton frère en train de vagabonder et
tu ne te déroberas pas, mais tu les ramèneras à ton frère. Un autre bien de l’homme est celui de son corps ; en quoi
aussi, l’homme doit prêter assistance à un homme et lui prêter secours contre
un mal contraire. Il est dit en effet en Pr
24, 11 : Délivre ceux qui sont conduits à la mort, ceux qui sont
traînés au trépas, n’aie de cesse de les libérer. Le troisième bien est celui de la vertu, qui est le bien de l’âme, à
qui s’oppose le mal du péché. Donc, pour atteindre ce bien ou éviter le mal,
l’homme est d’autant plus tenu par la charité de porter secours à son
prochain, qu’il correspond plus à la raison par quoi on aime quelqu'un par
charité. C'est pourquoi le philosophe dit (Ethique IX, 3), que l’homme
doit porter secours à un ami pour éviter le péché plus que pour éviter la
perte d’argent, d'autant plus que la vertu est proche de l’amitié. Et c’est
pourquoi l’homme est tenu, par le précepte de l’amour, de porter secours à
son prochain pour atteindre la vertu, en lui donnant conseil et aide pour
bien agir, selon cette parole en Is
35, 3-4 : Fortifiez les mains fatiguées et affermissez les genoux
chancelants, dites : consolez les pusillanimes et n’ayez pas peur. Et en
raison de ce précepte d’amour, l’homme est tenu de retirer du péché, en le
corrigeant, son frère qui est dans le péché, selon 1 Th 5, 14 : Réprimandez les désordonnés, soutenez les
faibles. Et le Seigneur recommande en Mt
18, 15 : Si ton frère a péché contre toi, corrige-le. Ainsi donc la correction fraternelle tombe sous le
précepte. Mais il faut noter que les actes de vertu sont
enseignés par des préceptes affirmatifs, mais les actes des vices sont
écartés par des préceptes négatifs. Donc, ce qui, en soi, est vice et péché,
de quelque manière qu’il soit fait, est un mal, parce que cela arrive à
partir de manquements particuliers, comme le dit Denys, (Les noms divins,
IV). Et c’est pourquoi ce qui est interdit par un précepte négatif ne doit
être fait par personne en aucune manière. L’acte de vertu est prescrit par un
précepte positif, à la droiture duquel concourent de nombreuses
circonstances, parce que le bien surgit d’une cause unique et entière, comme
le dit Denys, Les noms divins, IV. C'est pourquoi, ce qui tombe sous le précepte
affirmatif n’est pas à observer pour tout le temps et n'importe comment, mais
une fois préservées les conditions nécessaires des personnes, des lieux, des
temps et des causes ; de même que l’honneur dû aux parents ne doit pas
être montré en n’importe quel temps, en n’importe quel lieu ou de n’importe
quelle manière, mais une fois préservées les circonstances qui
conviennent ; ainsi, la correction fraternelle tombe sous le précepte,
selon les circonstances qui conviennent, selon qu’il s’agit d’acte de vertu. Mais il n’est pas possible de déterminer ces
circonstances en parole, du fait que leur jugement dépend de cas
particuliers ; et cela convient à la prudence acquise par l’expérience
et le temps, ou plutôt infuse ; 1 Jn
2, 20 : L’onction[70] vous
instruira à propos de tout. |
|
[66448] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod inter alias circumstantias quae requiruntur ad actum virtutis,
ista videtur esse praecipua, ut actus sit proportionatus fini quem virtus
intendit. Caritas autem intendit in corrigendo delinquentem, emendationem;
unde actus non esset virtuosus, si homo sic corrigeretur, ut inde efficeretur
deterior : et ideo Sapiens dicit : Noli arguere derisorem. Non enim
est timendum, ut Glossa [ordin. Ibid.] dicit, ne tibi derisor, cum arguitur,
contumelias inferat; sed hoc potius providendum, ne tractus ad odium, inde
fiat peior. |
Solutions : 1. Parmi les autres circonstances, qui sont requises
pour un acte de vertu, celle-ci semble la principale pour que l’acte soit
proportionné à la fin que poursuit la vertu. La charité vise à la correction,
en corrigeant le pécheur ; c'est pourquoi l’acte ne serait pas vertueux,
si l’homme était corrigé de telle sorte qu’il en devienne pire ; et
c’est pourquoi le sage dit (Pr
9, 8) : Ne fais pas de reproches au railleur. En effet, il ne faut pas
craindre, comme le dit la Glose (glose ordinaire), que le railleur ne te
porte des injures, quand on lui fait des reproches ; mais il faut plutôt
veiller à ce qu’en étant entraîné à la haine, il n'en devienne pas pire. |
|
[66449]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod duplex est correctio
delinquentis : una quidem per simplicem admonitionem; et haec est fraterna quibus
praesumitur quod propria voluntate admonitioni consentiant; alia vero est correctio habens vim coactivam per inflictionem
poenarum, ut philosophus dicit in X
Ethic.[cap. ult.] ; et talis correctio pertinet ad praelatos, qui
etiam contemnentes a periculo peccati studere debent ut liberent, sicut
medicus furiosum studet sanare, ligando et verberando eum. |
2. La correction du pécheur est
double : L’une par un simple avertissement ; et cette
correction est fraternelle pour ceux envers qui on présume qu’ils consentent
à l’avertissement par leur propre volonté ; mais l’autre est la correction qui a une force coercitive par le fait
d’infliger une peine, comme le dit le philosophe en Ethique X,
10 ; et une telle correction concerne les prélats, qui doivent
s’appliquer à libérer du danger du péché même ceux qui le méprisent, comme le
médecin s’attache à soigner le fou furieux, en le liant et le frappant. |
|
[66450] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum,
quod praeceptum divinum non est praetermittendum propter scandalum alterius;
sed ipsa correctio fraterna non cadit sub praecepto divino nisi secundum quod
est emendativa fratris; ad quod requiritur ut sit sine scandalo eius, ratione
iam dicta in corp. art. |
3. Il ne faut pas renoncer au précepte divin à cause du
scandale d’autrui ; mais la correction fraternelle elle-même ne tombe
sous le précepte divin, que selon qu’elle corrige un frère ; pour cela,
il est requis qu’elle soit sans scandale, pour la raison déjà exprimée dans
le corps de l’article. |
|
[66451]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod sicut iam dictum est,
mala sunt omnibus modis vitanda; et ideo nullo modo sunt mala facienda ad hoc
quod aliqua bona proveniant. Sed bona non sunt omnibus modis facienda; et
ideo interdum sunt aliqua bona intermittenda, ut aliqua magna mala vitentur.
Et tamen correctio proximi non est simpliciter bonum, nisi adhibitis debitis
circumstantiis, ut dictum est, in corp. art. |
4. Comme il a déjà été dit, il
faut éviter les maux de toutes les manières ; et ainsi, en aucune
manière on ne doit faire le mal pour qu’il en ressorte quelque bien. Mais les
biens ne doivent pas être faits de toutes les manières ; et ainsi il
faut parfois abandonner certains biens pour éviter de plus grands maux. Et
cependant, la correction du prochain n’est simplement un bien, qu’employée
dans les circonstances qui conviennent, comme il a été dit dans le corps de
l’article. |
|
[66452] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum,
quod naturalia praesupponuntur moralibus; et ideo infusio animae, quae est
quoddam bonum naturae, non debuit praetermitti a Deo ad vitandum defectionem
culpae; sicut nec homo debet se privare sustentamento vitae, ut vitet
peccatum. Sed aliquod bonum morale debet interdum
omitti ad vitandum aliud gravius malum morale. |
5. Ce qui est naturel est présupposé
en ce qui est moral ; et ainsi l’infusion de l’âme, qui est un bien de
nature, ne doit pas être abandonnée par Dieu pour éviter la défaillance de la
faute ; de même que l’homme ne doit pas se priver de nourriture
essentielle à la vie, pour éviter le péché. Mais on doit parfois omettre un
bien moral pour éviter un autre mal moral plus grave. |
|
[66453] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum,
quod sicut Augustinus dicit in Lib. de
verbis Domini : Longe graviorem habent poenam Ecclesiarum praepositi,
qui in Ecclesiis constituti sunt, ut non parcant obiurgando peccata; quia ad
eos pertinet non solum caritativa correctio, sed etiam continua. Et ad
tales dominus ibi loquitur per prophetam; unde parum ante praemittit : fili
hominis, speculatorem dedi te domui Israel. |
6. Il y a ce
que dit Augustin dans le livre Les Paroles du Seigneur : « Ils
ont un châtiment bien trop lourd, les prélats des Églises, qui ont été placés
dans les églises pour ne pas épargner les péchés en les châtiant ; parce
que non seulement la correction caritative leur convient, mais encore la
correction continue ».
Et c'est à de telles personnes que le Seigneur parle ici par le
prophète,
c'est pourquoi un peu avant il écrit [Ez 3, 17] : Fils
d’homme, je t’ai donné comme guide à la maison d’Israël. |
|
[66454] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum,
quod iudex in puniendo intendit principaliter bonum commune, quod provenit
multitudini ex punitione illius, etiam si ille non emendetur, secundum illud
Pr. XIX, 25 : pestilente flagellato, stultus sapientior erit. Sed
fraternae correctionis finis est emendatio eius qui corripitur; unde non est
simile. |
7. Le juge en punissant tend
essentiellement au bien commun, qui provient de la punition de ce [coupable]
à la multitude, même s’il ne se corrige pas, selon Pr 19, 25 : Si on frappe le pernicieux, le sot sera plus sage.
Or le but de la correction fraternelle est l’amendement de celui qui est
corrigé ; donc, ce n’est pas la même chose. |
|
[66455]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod sicut dictum est, in
corp. art., correctio fraterna cadit sub praecepto, servatis debitis
circumstantiis personarum, locorum et temporum; sicut etiam et corporalis
eleemosyna. Beneficia autem, spiritualia seu corporalia, sunt proximis
impendenda ordine quodam : ut scilicet primo impendantur his qui magis nobis
coniuncti sunt, ac si in sortem nobis eveniret eis providere; ut Augustinus
dicit in Enchir. [lib. I. de Doctrina christ.,cap. XXVIII deinde
providendum est aliis secundum quod opportunitas occurrit. Et sic patet quod
praeceptum de correctione fraterna non obligat ad impossibile, sicut nec
praeceptum de eleemosynis corporalibus dandis. |
8. Comme il a été dit dans le corps de l’article, la
charité fraternelle tombe sous le précepte, une fois préservées les
circontances dues des personnes, des lieux et des temps, comme aussi l’aumône
corporelle. Les bienfaits, spirituels et temporels, doivent être accordés au
prochain en un certain ordre ; et d’abord, comme en premier ils sont
accordés à ceux qui nous sont plus unis, comme si c'était par le sort qu'il
nous arrivait de veiller sur eux, comme Augustin le dit dans l’Enchiridion (La Doctrine chrétienne 1, 28) ;
ensuite, il faut veiller sur les autres selon que l’occasion se présente. Et
ainsi, il est clair que le précepte de la correction fraternelle ne contraint
pas à l’impossible, pas plus que le précepte de donner les aumônes
corporelles. |
|
[66456] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum,
quod, sicut Augustinus dicit in lib. de
verbis Domini, admonet nos dominus noster, non negligere invicem
peccata nostra; non quaerendo quid reprehendas, sed videndo quid corrigas.
Unde ex praecepto correctionis fraternae non tenemur inquirere peccata
aliorum, ut possimus ea corrigere, alioquin efficeremur exploratores vitae
aliorum, contra illud quod dicitur
Proverb. XXIV, 15 : Ne quaeras impietatem in domo iusti, et non vastes
requiem eius. Nec est similis ratio de debito corporali, quia hoc est
quiddam determinatum, quod debetur certae personae, et certo tempore; quod
non accidit circa correctionem fraternam, ut dictum est, in corp. art. |
9. Comme Augustin le dit dans
son livre Des paroles du Seigneur (Sermon 16) : « Notre Seigneur nous avertit de ne pas
négliger mutuellement nos péchés, non pas en recherchant ce que tu reproches,
mais en voyant ce que tu corriges ». C'est pourquoi par le précepte de la
correction fraternelle, nous ne sommes pas tenus de rechercher les péchés des
autres pour pouvoir les corriger, autrement nous deviendrions espions de la
vie des autres, contre ce qui est dit en Pr
24, 15 : Ne recherche pas l’impiété dans la demeure du juste et ne ruine
pas son repos. Et ce n’est pas une raison semblable pour ce qui est dû au
corps, parce que c’est quelque chose de limité, qui est dû à une personne
précise et à un moment précis, ce qui ne se produit pas dans le cas de la
correction fraternelle, comme il a été dit dans le corps de l’article. |
|
[66457]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod aliquis potest
omittere, correctionem fraternam tripliciter. Uno quidem modo
absque omni peccato : quia, ut Augustinus dicit in I de Civit. Dei, [cap. IX] : si propterea quisque obiurgandis et
corripiendis male agentibus parcit, quia opportunum tempus inquirit, vel
eisdem ipsis metuit ne deteriores ex hoc efficiantur, vel ad bonam vitam et
patientiam erudientes impediant alios infirmos, et premant atque avertant a
fide; non videtur esse cupiditatis occasio, sed consilium caritatis. Alio modo,
sicut cum delectat lingua blandiens, et humanus dies, et formidatur vulgi
iudicium et carnis excruciatio vel peremptio : quae quidem si sic teneantur
in animo, ut praeponantur caritati fratris, est peccatum mortale. Tertio modo
potest esse cum peccato veniali; puta, cum ista moverent animum, non quidem
ut praeponantur proximi caritati, sed ut negligentes reddantur ad
considerandas circumstantias et opportunitates in quibus corrigere tenentur. |
10. Quelqu’un peut abandonner la
correction fraternelle de trois manières : D’une première manière, sans
aucun péché : parce que, comme Augustin le dit dans la Cité de Dieu,
I, 9 : « Si quelqu'un épargne ceux qui agissent mal et qu’il faut
réprimander et blâmer, parce qu’il cherche le moment opportun, ou bien parce
qu’il a craint pour ces mêmes personnes qu’elles ne deviennent pires, ou que
bien instruits pour une bonne vie et pour la patience ils empêchent ceux qui
sont faibles, les pressent et les détournent de la foi ; il ne semble
pas que ce soit une occasion de cupidité, mais un conseil de charité. » D’une autre manière : de
même, quand on est charmé par la langue flatteuse et par le jour humain, on
redoute le jugement de la foule, la torture de la chair ou sa destruction. Si
on garde cela dans son âme pour le placer avant la charité pour un frère,
c’est un péché mortel. D’une troisième manière : il
existe avec un péché véniel ; par exemple, quand ces choses incitent
l’âme, non pour les placer avant la charité pour le prochain, mais pour que
les négligents soient ramenés à considérer les ciconstances et les conditions
en lesquelles ils sont tenus de corriger. |
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[66458] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 11 Ad undecimum dicendum,
quod quicumque mortaliter peccat, immediate contra caritatem peccat, quia
facit illud quod est contrarium caritati. Tamen, proprie loquendo, non semper
directe contra caritatem peccat; sed solum tunc quando intendit contra
caritatem agere, ut contingit in his qui ex malitia peccant. |
11. Quiconque pèche mortellement,
pèche directement contre la charité, parce qu’il fait ce qui lui est
contraire. Cependant, à proprement parler il
ne pèche pas toujours directement contre la charité, mais seulement quand il
tend à agir contre elle, comme cela arrive à ceux qui pèchent par malice. |
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[66459]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod ad praeceptum de
honore parentum reducuntur praecepta de beneficiis impendendis quibuscumque
proximis : ponitur autem expresse de honore parentum, quia hoc cadit statim
in ratione cuiuslibet; non autem sic de aliis beneficiis. |
12. En ce qui concerne le précepte
du respect dû aux parents, les préceptes sont ramenés à ce qui concerne les
bienfaits à dispenser à tous les proches. On pense expressément au respect dû
aux parents parce que cela tombe aussitôt dans la nature de chacun, il n’en
est pas de même pour les autres bienfaits. |
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[66460] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium
dicendum, quod sermo admonitorius non est sufficiens secundum philosophum [X Ethic., cap. IV] quantum ad eos qui
sunt duri et servilis animi; et hi sunt qui ex admonitione fiunt deteriores;
qui sunt compescendi per correctionem coactivam praelatorum, quae etiam
correctio non sufficit sine divino auxilio. |
13. Une parole d’avertissement
n’est pas suffisante, selon le philosophe (Ethique 10, 4) pour ceux dont l’âme est dure et servile ; et
ce sont ceux qui deviennent pires à la suite d’un avertissement ; ils
doivent être repris par une correction forcée de leurs prélats, et même cette
correction ne suffit pas sans l’aide divine. |
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[66461] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod peccata in Deum non sunt nostri arbitrii ad
dimittendum; sunt autem nostri arbitrii ad arguendum. |
14. Les péchés contre Dieu ne
doivent pas être laissés à notre libre décision. Mais c’est de notre libre
décision de les dénoncer. |
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[66462] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum
dicendum, quod homo propter peccatum suum non absolvitur a debito
correctionis; sed redditur indignus ad alium corrigendum qui seipsum non
corrigit. Nec tamen est perplexus; quia debet peccata dimittere, et sic
corrigere, secundum illud Matth. VII, 5 : Eiice primum trabem de oculo tuo, et tunc videbis eiicere
festucam de oculo fratris tui. |
15. L’homme, en raison de son
péché, n’est pas délié de l’obligation d’une correction ; mais celui qui
ne se corrige pas lui-même, est rendu indigne d’en corriger un autre. Et
cependant, il n’est pas embarrassé, parce qu’il doit renoncer à ses péchés et
les corriger, selon cette parole de Mt
7, 5 : Enlève d’abord la poutre de ton œil et alors, tu verras clair
pour enlever la paille dans l’œil de ton frère. |
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[66463]
De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod semper ille
qui corripit alium in peccato existens, quodammodo condemnat seipsum, id est
damnationem suam pronuntiat; non tamen semper sibi damnationem accumulat,
puta, cum est in minori peccato, et arguit de maiori, vel cum est in occulto,
et arguit de publico, et se simul et illum arguit, non contemnendo, sed se
simul reprehendendo : dicit enim Gregorius in V Moral., [in cap. XXXIII] quod cum homo debeat diligere proximum
sicut seipsum, ita tenetur aliena peccata corrigere, et contra ea irasci,
sicut sua. Si vero cum superbia arguat, quasi sua peccata non recognoscens,
tunc sibi damnationem acquirit; unde dicitur Matth., VII, 3 : Quia vides festucam in oculo fratris tui, et
trabem in oculo tuo non vides? Sed etiam quando ex correctione sequitur
scandalum propter manifestationem sui peccati, sic etiam correctio non erit
actus virtuosus. |
16. Toujours celui qui corrige
un autre tout en vivant dans le péché, se condamne de quelque manière
lui-même, c'est-à-dire qu’il prononce sa condamnation ; et cependant, il
ne l’augmente pas pour lui, à savoir, quand il est dans un moindre péché et
qu’il accuse d’un péché plus grave ou quand il est caché et qu’il accuse publiquement,
et qu’il s’accuse lui-même en même temps, non pas en condamnant, mais en se
faisant en même temps des reproches : Grégoire dit dans les Morales V,
33, que, comme l’homme doit aimer son prochain comme lui-même, il est tenu de
corriger les péchés d’autrui et de se fâcher contre eux, comme contre les
siens. Mais s’il dénonce avec orgueil, comme s’il ne reconnaissait pas ses
propres péchés, alors il acquiert sa propre damnation ; c'est pourquoi
il est dit en Mt 7, 3 : Parce
que tu vois la paille dans l’œil de ton voisin, ne vois-tu pas la poutre dans
le tien ? Mais aussi quand le scandale découle de la correction en
raison de la manifestation de son péché, ainsi la correction ne sera pas non
plus un acte de vertu. |
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[66464] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 17 Ad decimumseptimum dicendum, quod correctio coactiva est officium
superiorum, sed correctio caritativa est officium omnium. |
17. La correction forcée est le
devoir des supérieurs, mais la correction de charité est le devoir de tous. |
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[66465] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 18 Ad
decimumoctavum dicendum, quod cum superiores sint proximi, eos corrigere
debemus, sed humiliter et reverenter, non proterve, ne exasperentur; et ideo
ibidem dicit Apostolus : Seniorem obsecra ut patrem. Et propter hoc
reprehenditur Demophilus monachus, qui sacerdotem peccantem iniuriosis verbis
et factis correxit, eum verberans, et de Ecclesia eiiciens. |
18.
Quand les supérieurs sont des proches, nous devons les reprendre, mais
avec humilité et respect et non sans retenue, pour ne pas les fâcher ;
et c’est pourquoi l’Apôtre dit ici même (1 Tm 5, 1) : Vénère le vieillard comme un père. Pour ce motif, le moine Démophile
a fait l’objet d’une réprimande, lui qui avait corrigé un prêtre en état de
péché par des paroles et des gestes injurieux en le frappant et en le
rejetant de l’Église. |
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[66466] De virtutibus, q. 3 a. 1 ad 19 Ad decimumnonum dicendum, quod
si correctio secundum debitas circumstantias fiat, non sequetur inde
turbatio, sed potius pacis stabilimentum, remotis discordiarum causis. |
19. Si la correction se passe
selon les circonstances convenables, il ne doit pas en découler de trouble,
mais plutôt un rétablissement de la paix, une fois que les causes de discorde
ont été éloignées. |
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Articulus 2 : [66467]
De virtutibus, q. 3 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum ordo correctionis
fraternae sit in praecepto qui ponitur Matth. XVIII |
Article 2 – La règle de la correction fraternelle est-elle dans le précepte qui se trouve en Mt 18 ? |
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[66468] De virtutibus, q. 3 a. 2 tit. 2 Et videtur quod non. |
Il semble
que non. |
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[66469] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 1 Dicitur enim I ad Timoth.
VI, 20 : peccantem coram omnibus argue. Sed, Matth. c. XVIII, 15, dicitur : argue eum inter te et ipsum
solum, quod est secrete admonere. Cum ergo dictum apostoli non
contrarietur praecepto Christi, videtur quod non cadat sub praecepto ut
frater sit prius secreto admonendus, et postea publice denuntiandus
Ecclesiae. |
Objections :[71] 1. Il est dit
en 1 Tm 5, 20 : Reprends le
pécheur en présence de tous. Par contre, en Mt 18, 15, il est dit : Reprends-le seul à seul, ce qui
est avertir en secret. Donc comme la parole de l’Apôtre n’est pas contredite
par le précepte du Christ, il semble qu’il ne tombe pas sous le précepte que
le frère doive d’abord être averti en privé et ensuite dénoncé publiquement à
l’Église. |
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[66470] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 2 Sed dicendum, quod verbum apostoli intelligitur de peccatis
manifestis, quae publice arguenda sunt; verbum autem domini de peccatis
occultis.- Sed contra, peccata occulta nullus debet publicare : sic enim esset magis
proditor criminis quam corrector fratris. Sed Dominus mandat, Matth. XVIII, [v. 16-17] quod si
frater monentem in secreto non audiat, adducat unum vel duos testes, et
tandem dicat Ecclesiae; quod est peccatum publicare. Ergo videtur quod
praeceptum Domini non sit intelligendum in peccatis occultis. |
2. Mais il faut dire que la parole de
l’Apôtre se comprend des péchés évidents qui doivent être réprimandés en
public, et que la parole du Seigneur [se comprend] des péchés cachés. En sens contraire, nul ne doit rendre publics les
péchés cachés ; en effet, il dénoncerait la faute plutôt qu’il ne
corrigerait son frère. Or le Seigneur recommande en Mt 18, 16-17, si un frère n’écoute pas celui qui l’avertit en
secret, qu’il amène un ou deux témoins et enfin qu’il le dise à
l’Église ; ce qui est rendre le péché public. Donc, il semble qu’il ne
faut pas comprendre le précepte du Seigneur pour les péchés cachés. |
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[66471] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 3 Praeterea, sicut Augustinus
dicit, VIII de Trinitate [ cap. I
et III], omnes regulae veritatis derivantur a lege veritatis aeternae. Sed
lex veritatis aeternae hoc habet, quod Deus non solum punit hominem de
peccato occulto, sed etiam punit interdum nulla secreta admonitione praecedente.
Ergo videtur quod etiam homo, qui divinae veritatis debet imitator existere,
possit publice aliquem denuntiare, secreta etiam monitione non praecedente. |
3. Comme
le dit Augustin, (La Trinité, VIII, 1 et 3), toutes les règles de la vérité dérivent de la loi de la vérité
éternelle. Or celle-ci a que non seulement Dieu punit l’homme
du péché caché, mais encore il le punit parfois sans aucun avertissement
préalable. Donc, il semble que l’homme aussi, qui doit être l’imitateur de la
vérité divine, puisse dénoncer publiquement quelqu’un, sans un avertissement
secret qui précède. |
|
[66472] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 4 Praeterea,
sicut Augustinus dicit in Lib. Contra
mendacium, ex gestis sanctorum
intelligi potest qualiter sunt praecepta sacrae Scripturae intelligenda.
Sed in gestis sanctorum invenitur, quod facta est aliquando publica
denuntiatio peccati occulti, nulla secreta admonitione praecedente; ut
legitur Act. 5, quod Petrus Ananiam
et Saphiram occulte defraudantes de pretio agri publice denuntiavit, nulla
secreta admonitione praemissa. Ergo non obligamur ex praecepto Christi ut
secreta admonitio praecedat publicam denuntiationem. |
4. Comme
le dit Augustin dans son livre Contre
le mensonge (ch. 15), « On peut comprendre à partir des actions des
saints comment il faut penser les préceptes de l’Ecriture sainte ».
Or on découvre dans les actions des saints que parfois, il a été fait une
dénonciation publique des péchés cachés, sans avertissement secret
prélable ; comme on lit dans les Ac
5, 8 que Pierre a dénoncé publiquement, sans avertissement secret préalable,
Ananie et Saphire qui fraudaient en secret sur le prix d’un terrain. Donc,
nous ne sommes pas obligés, par le précepte du Christ, à ce qu’un
avertissement secret précède une dénonciation publique. |
|
[66473] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 5 Praeterea, omnis
Christi actio, nostra est instructio : ipse enim dicit, Ioan. XIII, 15 : Exemplum dedi vobis, ut quemadmodum ego feci,
ita et vos faciatis. Sed Christus non legitur admonuisse Iudam
secreto antequam eum denuntiaret. Ergo videtur quod etiam nos possumus
publice denuntiare peccatum fratris, antequam eum occulte admoneamus. |
5. Tout
acte du Christ est un enseignement pour nous, car il a dit lui-même, Jn 13, 15 : Je vous ai donné
l’exemple pour que vous fassiez vous aussi comme moi je l’ai fait. Or, on ne lit pas que le
Christ ait averti Judas en secret avant de le dénoncer. Donc, il semble que,
nous aussi, nous pouvons dénoncer publiquement le péché d’un frère, avant de
l'avertir en secret. |
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[66474] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 6 Praeterea,
sicut denuntiatio fit in publico, ita etiam et accusatio. Sed aliquis potest
ad accusationem procedere, nulla admonitione prius facta : quia ad
accusationem praeexigitur sola inscriptio, ut Decretalis [2 quaest., can. Quisque] dicit. Ergo videtur, quod etiam
denuntiare publice possit aliquis, nulla monitione secreta praecedente. |
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[66475] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 7 Praeterea, illud quod in omni casu praeterire licet, nullo modo cadit sub
praecepto. Sed in quolibet casu videtur quod liceat praeterire admonitionem
secretam; quia in quolibet peccato potest aliquis intendere commune bonum
iustitiae, et sic ad accusationem procedere, admonitione secreta non
praemissa. Ergo videtur quod secreta admonitio non
debeat praemitti ex necessitate praecepti. |
|
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[66476]
De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 8 Praeterea, non videtur esse probabile, quod
ea quae sunt in communi consuetudine religiosorum, sint contra praecepta
Christi. Sed in religionibus hoc est consuetum, quod in capitulis aliqui
proclamantur de aliquibus peccatis, nulla secreta monitione praemissa. Ergo
videtur quod non sit de necessitate praecepti secretam admonitionem
praemittere publicae denuntiationi. |
8. Il ne
semble pas probable que ce qui est de l’usage commun des religieux soit
contre les préceptes du Christ. Or dans les pratiques religieuses, c’est
l’habitude que, lors des chapitres, certains dénoncent des péchés, sans
avertissement préalable. Donc, il semble qu’il ne relève pas de la nécessité
du précepte de faire passer l’avertissement secret avant une dénonciation
publique. |
|
[66477] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 9 Praeterea, Augustinus
dicit in IV de doctrina Christ.,
quod sicut eadem rotunditas est in magno disco et parvo, ita eadem ratio
iustitiae est in magnis rebus et parvis. Si igitur in parvis peccatis non
exigitur secreta admonitio publicae denuntiationis, ut dicebatur, videtur
quod nec in magnis. |
9.
Augustin dit (De la doctrine chrétienne, IV, XVIII, 35) que, de même
qu’un grand disque et un petit disque présentent la même rondeur, ainsi, la
même nature de justice est dans les grandes choses comme dans les petites. Si
donc, dans les petits péchés, on n’exige pas un avertissement secret de la
dénonciation publique, comme on le disait, il semble que pour les péchés
graves non plus. |
|
[66478] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 10 Praeterea,
si secreta admonitio debet praecedere publicam denuntiationem, necesse est
aliquam moram intervenire inter reprehensionem peccati, et publicam eiusdem
denuntiationem. Sed quandoque talis mora est in tantum periculosa, quod
postmodum non potest sufficiens remedium adhiberi; puta, si aliquis
tractaverit de proditione civitatis cum hostibus, vel si sit haereticus in
grege seducens homines a fide. Non videtur ergo quod debeat praecedere secreta admonitio. |
10. Si un
avertissement secret doit précéder la dénonciation publique, il est
nécessaire qu’intervienne un délai entre le blâme du péché et sa dénonciation
publique. Or parfois un pareil délai est tellement dangereux que, par la
suite, on ne peut avoir recours à un remède suffisant ; par exemple, si
quelqu’un a fait avec les ennemis des tractations de trahison de la cité, ou
bien si dans la communauté il y a un hérétique qui sépare les hommes de la
foi. Donc, il ne semble pas qu’un avertissement secret doive précéder. |
|
[66479] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 11 Praeterea,
triplex est agens; scilicet naturale, artificiale, et agens per gratiam sive
per caritatem, scilicet caritative corripiens fratrem. Sed agens naturale
unumquodque facit quanto melius potest; et similiter agens artificiale. Ergo etiam corripiens
fratrem ex caritate debet hoc facere quanto melius potest. Sed melius est
quod hoc faciat publice : sic enim magis prodest multitudini; bonum autem
multorum est melius quam bonum unius. Ergo videtur quod melius sit quod
statim publice frater arguatur, nulla secreta admonitione praecedente. |
|
|
[66480] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 12 Praeterea,
ita se habet peccator in Ecclesia, sicut membrum putridum in corpore
naturali. Sed non refert qualiter medicus membrum putridum abscindat, ut
vitetur totius corporis corruptio. Ergo videtur quod non referat qualiter
frater peccans corripiatur, sive publice, sive secreto. |
12. Le
pécheur se comporte dans l’Église comme un membre gangrené dans un corps
naturel. Or il n’est pas important de savoir comment un médecin coupe le
membre gangrené, pour éviter la corruption à tout le corps. Donc il semble
que de la même manière, il ne soit pas important de savoir comment un frère
pécheur est réprimandé : en public ou en privé. |
|
[66481] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 13 Praeterea,
subditi tenentur obedire suis praelatis. Sed quandoque praelati praecipiunt
ut eis dicatur a subditis quidquid de alienis peccatis sciunt. Ergo etiam si peccata sunt occulta, tenentur subditi revelare, nulla
monitione secreta praemissa. |
13. Les
sujets sont tenus d’obéir à leurs prélats. Or parfois, ceux-ci leur ordonnent
de dire ce qu’ils savent des péchés d’autrui. Donc, même si les péchés sont
cachés, les sujets sont tenus de les révéler, sans aucun avertissement
secret. |
|
[66482] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 14 Praeterea, Matth. XVIII, 15, super illud
: Si peccaverit in te frater tuus, dicit Glossa, quod frater arguendus
est ex zelo iustitiae; ex quo videtur quod correctio fraterna sit actus
iustitiae. Sed iustitia debet in publico fieri;
dicit enim philosophus in V Ethic. [cap. I], quod iustitia est virtus
praeclara magis quam Lucifer aut Hesperus. Ergo
correctio fraterna debet fieri in publico, non in secreto. |
14. A
propos de Mt 18, 15 : Si ton
frère a péché contre toi, la Glose dit que le frère doit être réprimandé
par zèle de justice, d’où il semble que la correction fraternelle soit un
acte de justice. Or la justice doit être rendue en public ; en effet, on
lit chez le philosophe (Ethique, V, 3, 1129 b 27) que la justice est
une vertu plus éclatante que Lucifer ou l’Etoile du soir. Donc la correction
fraternelle doit être faite en public et non en secret. |
|
[66483] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 15 Praeterea, ad iustitiam pertinet retribuere pro meritis. Sed ille qui
peccavit, ex ipso factus est inglorius apud Deum. Ergo
videtur quod sicut meruit, sit auferenda ei fama coram hominibus per publicam
correctionem. |
15.
Rétribuer les mérites convient à la justice. Or celui qui a péché, par ce
fait même, est devenu sans gloire devant Dieu. Donc, il semble que, comme il
l'a mérité, sa réputation doive lui être enlevée devant les hommes par une
correction publique. |
|
[66484] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 16 Praeterea, nullum praeceptum Dei contrariatur consilio vel praecepto. Sed Dominus
dicit Luc. VI, 30 : Qui aufert
quae tua sunt, ne repetas; quod necesse est ut sit vel per consilium vel
praeceptum. Ergo videtur, cum admonitio fieri non possit sine repetitione
suorum, praecipue in casu in quo aliquis asportavit alicui sua, quod non sit
in praecepto, secreto admonere. |
16. Aucun
précepte divin n’est contraire au conseil ni au précepte. Or le Seigneur dit
en Lc 6, 30 : A qui te prend ton
bien, ne le réclame pas, et il est nécessaire que ce soit ou par conseil
ou par précepte. Donc il semble, puisque l’avertissement ne peut pas être
fait sans revendication de ses biens, surtout au cas où quelqu’un a emmené
ses biens chez un autre, qu'il ne soit pas dans le précepte d’admonester en
secret. |
|
[66485] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 17 Praeterea,
licet omni tempore et omni modo reddere bonum pro malo. Sed Augustinus dicit
in Lib. III de
libero Arbitr., quod cum corripiuntur inquieti, redditur eis bonum pro
malo. Ergo videtur quod omni tempore liceat eos corripere publice ante
secretam admonitionem. |
17. Il est
permis en tout temps et en toute manière de rendre le bien pour le mal. Or
Augustin, (Le libre arbitre III), dit que quand ceux qui sont troublés sont réprimandés, on leur rend le bien
pour le mal. Donc, il semble qu’en tout temps, il soit permis
de réprimander publiquement avant un avertissement secret. |
|
[66486] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 18 Praeterea,
leges feruntur ad ea quae saepe fiunt, non ad ea quae raro accidunt. Sed raro
contingit quod aliquis propter hoc quod fama sibi auferatur, peior
efficiatur; plures autem propter detectionem a peccato homines corripiuntur.
Ergo videtur quod non sit praeceptum legis divinae de hoc quod aliquis prius
secreto admoneatur quam publice denuntietur. |
18. Les
lois sont établies pour ce qui se produit souvent, non pour ce qui arrive
rarement. Or il arrive rarement que quelqu’un devienne pire, parce que sa
bonne réputation lui aurait été enlevée ; davantage d'hommes sont
corrigés de leur péché, à cause de sa révélation. Donc, il semble que cela ne
relève pas du précepte de la loi divine que quelqu’un soit d’abord admonesté
secrètement avant d’être dénoncé publiquement. |
|
[66487] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 19 Praeterea,
in ordine fraternae correctionis continetur quod peccatum non denuntietur
Ecclesiae sive praelato, nisi quando frater arguentem audire noluerit. Sed si
unus peccatum aliquod committat alio sciente, et correctionem promittat,
videtur ex hoc ipso fratrem arguentem audisse; et tamen videtur nihilominus
peccatum eius esse denuntiandum praelato, ne pereat iustitiae disciplina. Ergo videtur
quod ordo correctionis fraternae quem dominus ponit, non cadat sub praecepto. |
19. Dans
l’ordre de la correction fraternelle, il est ajouté que le péché ne doit être
dénoncé ni à l’Église ni au prélat, sauf quand le frère n’a pas voulu écouter
celui qui le dénonce. Or si quelqu’un a commis un péché alors qu’un autre le
sait, et qu’il promet de s’amender, il semble, par ce fait même, avoir écouté
le frère qui le dénonce ; et cependant, il semble néanmoins que son
péché doive être dénoncé au prélat, pour que ne disparaisse pas la discipline
de la justice. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle que
le Seigneur établit, ne tombe pas sous ce précepte. |
|
[66488] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 20 Praeterea,
super illud Matth. XVIII, 15 : Si
peccaverit in te frater tuus, dicit Hieronymus : Si autem in Deum
peccaverit, non est nostri arbitrii. Ergo videtur quod iste modus non se
extendat ad omnia peccata. |
20. A
propos de Mt 18, 15 : Si ton
frère a péché contre toi, Jérôme dit : « S'il a péché contre Dieu,
ce n’est pas de notre jugement ».
Donc, il semble que cette façon de voir ne s’étende pas à tous les
péchés. |
|
[66489] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 21 Praeterea,
dominus dicit, Matth. XVIII, v. 15
: Si te audierit, lucratus es fratrem tuum. Sed non propterea aliquis
fratrem suum est lucratus, si solum audiat arguentem a peccato desistens post
gravia peccata commissa; sed multa alia requiruntur ad hoc quod ad salutem
perveniat, quod est fratrem esse lucratum. Ergo videtur quod iste ordo
correctionis fraternae non se extendat ad peccata gravia. |
21. Le
Seigneur dit en Mt 18, 15 : Si
ton frère t’écoute, tu l’auras gagné. Or ce n’est pas à cause de cela que
quelqu'un a gagné son frère, s’il écoute seulement celui qui le dénonce,
renonçant au péché après avoir commis des péchés graves ; mais beaucoup
d’autres choses sont requises pour qu’il parvienne au salut, en quoi consiste
gagner son frère. Donc, il semble que l’ordre de la correction fraternelle ne
s’étende pas aux péchés graves. |
|
[66490] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 22 Praeterea, Eccli. XIX, 10,
dicitur : Audisti verbum adversus proximum tuum? Commoriatur in te, fidens
quoniam non te disrumpet. Non ergo oportet ut eum ad alios deferamus si
eius peccatum deprehendimus. |
22. On lit
en Si 19, 10 : As-tu entendu une
parole contre ton prochain ? Qu’elle demeure en toi. Confiance, tu
n'éclateras pas ! Donc, il n’est pas nécessaire que nous l’annoncions aux
autres si nous surprenons son péché. |
|
[66491] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 23 Praeterea,
minus est agendum circa fratrem in aliis peccatis quam in peccato haereticae
pravitatis. Sed in haeretica pravitate debet aliquis admoneri bis vel ter,
secundum illud ad Titum III, 10 : Haereticum
hominem post primam et secundam correctionem devita. Ergo videtur
quod non sufficiat semel corripere, sicut in verbis Domini videtur innui,
ante denuntiationem. |
23. Il faut moins agir pour un
frère dans tous les autres péchés que dans le péché de la perversion
hérétique. Or dans la perversion hérétique on doit être averti deux ou trois
fois, selon cette parole de Tt 3,
10 : Détourne-toi de l’hérétique après une première et deuxième
correction. Donc, il semble qu’il ne suffirait pas de corriger une fois,
comme cela paraît indiqué dans les paroles du Seigneur, avant la
dénonciation. |
|
[66492] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 24 Praeterea, iste ordo correctionis, secundum Augustinum in Lib. de verbis Domini X [serm. XVI],
attenditur in peccatis occultis. Sed in talibus non videtur aliquid posse
probari per testes. Ergo inconvenienter continetur in hoc correctionis ordine
quod testes adhibeantur. |
24. Cet ordre de la correction, selon
Augustin, Les Paroles du
Seigneur, (10, sermon 16) est atteint dans les péchés cachés. Or en de
tels péchés, il ne semble pas qu’un acte puisse être prouvé par des témoins.
Donc, il est contenu de manière inconvenante dans cet ordre de correction,
qu’on y joigne des témoins. |
|
[66493] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 25 Praeterea, homo debet diligere proximum suum sicut seipsum. Sed nullus
ad publicationem sui criminis tenetur testes inducere. Ergo neque etiam ad
manifestationem criminis fratris. |
25. L’homme doit aimer son prochain
comme lui-même. Or nul n’est tenu de produire des témoins pour la publication
de sa propre faute. Donc pas non plus pour la divulgation de la faute d’un
frère. |
|
[66494] De virtutibus, q. 3 a. 2 arg. 26 Praeterea, Augustinus dicit in Regula,
quod prius praeposito debet ostendi, quam testibus. Sed ostendere praeposito,
sive praelato, est ostendere Ecclesiae. Ergo non prius debent testes adduci
quam dicatur; et sic videtur quod ordo quem dominus ponit, non sit in
praecepto. |
26. Augustin dit, dans La Règle[73], qu’il
faut d’abord le montrer au chef de l’Église avant de le montrer aux témoins.
Or le montrer au chef ou au prélat, c’est le montrer à l’Église. Donc, il ne
faut pas amener les témoins avant que cela soit dit, et ainsi, il semble que
l’ordre que le Seigneur a établi ne soit pas dans le précepte. |
|
[66495] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Augustinus dicit in Lib. de verbis Domini [sermo XVI exponens illud : corripe inter te
et ipsum solum.] : Studens
correctionem, parcens pudori. Forte enim prae verecundia incipiet defendere
peccatum suum; et quem vis facere meliorem, facis peiorem. Haec
est igitur ratio huiusmodi ordinis servandi in correctione fraterna, ut
parcatur pudori fratris, ne deterior efficiatur. Sed
ad hoc tenemur per praeceptum caritatis. Ergo ordo correctionis fraternae
cadit sub praecepto. |
En sens contraire :
1. Il y a
ce que dit Augustin dans le livre des Paroles du Seigneur (Sermon 16,
quand il expose ceci : «Reprends-le seul à seul) : «Applique-toi à la
correction, épargne sa honte. Car peut-être, en raison de sa réserve,
commencera-t-il par défendre son péché ; et celui que tu veux rendre
meilleur, tu le rends pire ». C’est donc la raison de l’ordre de
ce genre à conserver dans la correction fraternelle, pour épargner la honte
du frère, pour qu’il ne devienne pas pire. Or nous y sommes tenus en raison
du précepte de la charité. Donc l’ordre de la correction fraternelle tombe
sous ce précepte. |
|
[66496] De virtutibus, q. 3 a. 2 s. c. 2 Praeterea,
Matth., XVIII, 15, super illud : Si
peccaverit in te etc., dicit Glossa ordin.] : Hoc ordine scandala
vitare debemus. Sed vitare scandala cadit sub praecepto, ut patet Rom. XIV. Ergo ordo correctionis
fraternae cadit sub praecepto. |
2. Mt 18, 15, [sur ce passage : Si
l’on a péché contre toi, etc., la Glose dit] : « Par cet ordre, nous
devons éviter le scandale ». Or éviter le scandale tombe sous le
précepte, comme il ressort de Rm
14, 13. Donc, la règle de la correction fraternelle tombe sous le précepte. |
|
[66497] De virtutibus, q. 3 a. 2 co. Respondeo. Dicendum,
quod, sicut supra, art. 1, dictum est, correctio fraterna cadit sub
praecepto, secundum quod est actus virtutis. Est autem actus virtutis,
secundum quod debitis circumstantiis vestitur; inter quas praecipue videtur
esse ordo ad finem, quem oportet communem regulam habere in omnibus
operabilibus. Finis autem correctionis fraternae est emendatio fratris, sicut
dictum est; et ideo hoc ordine Dominus voluit fieri correctionem fraternam,
secundum quod congruit ad fratris emendationem, quem volumus a peccato
liberare. |
Réponse : Comme il a
été dit (art. 1), la correction fraternelle tombe sous le précepte, selon que
c’est un acte de vertu. C’en est un selon qu’il se revêt des circonstances
nécessaires ; parmi celles-ci il semble surtout qu’il y a un rapport à
la fin qu’il est nécessaire d’avoir comme règle commune dans tout ce qui peut
être opéré. Le but de la correction fraternelle est la réforme du frère,
comme il a été dit ; et ainsi, par cet ordre, le Seigneur a voulu que la
correction fraternelle se fasse selon qu’elle convient à la réforme du frère
que nous voulons libérer du péché. |
|
Duplex
autem periculum imminet homini ex peccato; scilicet periculum conscientiae et
famae. Haec autem duo,
scilicet conscientia et fama, hoc modo se habent ad invicem, quod conscientia
est praeferenda famae; quia testimonium conscientiae est in conspectu Dei,
sed testimonium famae pertinet ad officium humanum. Differunt etiam quantum
ad hoc quod conscientia est necessaria homini propter seipsum; fama autem
propter se, et propter proximum. Hoc igitur
ordine dominus voluit correctionem fraternam fieri, ut primo quidem, si
possibile sit, ita provideatur conscientiae, quod in nullo fama laedatur; et
hoc per secretam admonitionem. Deinde, quia conscientia est famae
praeferenda; si aliter frater emendari non potest quam cum dispendio famae,
finaliter ordinavit Dominus ut publice denuntietur, ut obiurgatio quae fit a
pluribus, ei sit remedium salutare. |
Un double
danger par le péché menace l’homme : pour sa conscience, et pour sa
réputation. Or, ces deux éléments, la conscience et la
réputation, se comportent entre eux de telle manière que la conscience doit
être placée avant la renommée, parce que le témoignage de la conscience est
sous le regard de Dieu, tandis que le témoignage de la réputation concerne le
devoir humain. Ils diffèrent aussi du fait que la conscience est nécessaire à
l’homme à cause de lui-même, et la réputation à cause de lui et à cause du
prochain. Donc, par cette règle, le Seigneur a voulu établir
la correction fraternelle, pour que, d’abord, si c’était possible, elle
prenne soin de la conscience, quand la réputation ne serait lésée en rien, et
cela, par un avertissement secret. Ensuite, puisqu’il faut placer la
conscience avant la réputation, si le frère ne peut être corrigé autrement
qu’avec la perte de sa réputation, finalement le Seigneur a ordonné qu’il
soit dénoncé publiquement, pour que le reproche qui est fait par plusieurs
soit pour lui un remède salutaire. |
|
Si
autem statim ad publicam pronuntiationem procederetur, pateretur frater
dispendium famae suae; quod quidem vitandum est et propter ipsum, et propter
alios, propter quos est sibi necessaria fama. Propter ipsum
quidem, duplici ratione. |
Si donc on procédait tout de suite à une annonce
publique, le frère perdrait sa réputation, ce qu’il faut éviter et pour
lui-même et pour les autres, vis-à-vis desquels la réputation lui est
nécessaire, en raison de lui-même, et pour deux raisons. |
|
Primo quidem, quia bona fama est praecipuum inter exteriora bona, secundum
illud Prov. XXII, 1 : Melius est
nomen bonum quam divitiae multae. Et hoc ideo, quia bonitas famae reddit
hominem idoneum ad humana officia exequenda in conversatione humana; et ideo
dicitur Eccli., XLI, 15 : Curam
habe de bono nomine; hoc enim magis permanebit tibi quam multi thesauri magni
et pretiosi. Sicut igitur peccaret qui absque necessitate ingereret
alicui divitiarum dispendium; ita, et multo amplius, peccat si aliquis absque
necessitate proximo ingereret dispendium famae, absque necessitate eius
peccatum publicando. |
a/ La première est qu’une bonne renommée
est chose importante parmi les biens extérieurs, selon Pr 22, 1 : Mieux vaut un nom honorable que de grandes
richesses. Et ainsi, parce que la bonté de la renommée rend l’homme apte
à remplir ses devoirs humains, dans une manière de vivre humaine ; et
ainsi lit-on en Si 41, 15 : Aie
soin de ton bon renom, cela demeurera plus pour toi qu’une foule de grands
trésors précieux. Donc, de même qu’il pécherait celui qui imposerait sans
nécessité à quelqu’un la perte de ses richesses, il pèche beaucoup plus, si,
sans nécessité, il poussait son prochain à la perte de sa réputation, et, en
rendant public sans nécessité son
péché. |
|
Secundo, quia propter conservationem famae homo multoties abstinet a peccatis.
Et ideo, quando aliquis videt se iam famam amisisse, pro nihilo ducit peccare
secundum illud Ieremiae III, 3 : Facies
meretricis facta est tibi, erubescere nescisti; unde et Hieronymus dicit super Matth. : Corripiendus est
seorsum frater, ne si semel pudorem aut verecundiam amiserit, permaneat in
peccato. |
b/ La
deuxième est que pour sauvegarder sa réputation, l’homme s’abstient
souvent des péchés. Et ainsi, quand quelqu’un voit que désormais il a perdu
sa réputation, cela le conduit pour rien au péché, selon ce qu’on lit en Jr 3, 3 : Tu montrais
l’apparence de la prostituée, mais tu n’as pas su rougir, d’où aussi
Jérôme dit (Sur Matthieu) : « Il faut reprendre son frère à l’écart, de peur que,
s’il a perdu sa réserve et sa discrétion, il ne demeure dans le péché ».
|
|
Similiter etiam ex parte aliorum est periculosum dupliciter. Primo quidem, quia
homines peccatum alicuius audientes scandalizantur, et contemnunt quandoque
non solum peccantem, sed et multos alios innocentes. Unde Augustinus dicit in
Epistola ad plebem Hipponensem : Cum
de aliquibus qui sanctum nomen profitentur, aliquid criminis vel falsi
sonuerit, vel veri patuerit, instanter satagunt, ambiunt, ut de omnibus hoc
credatur. |
De la même
manière, du côté des autres, le danger est double. a/ Premièrement,
parce que les hommes sont scandalisés en entendant parler du péché d’autrui
et qu’ils méprisent parfois non seulement le pécheur, mais aussi beaucoup
d’autres innocents. C’est pourquoi Augustin dit dans une Lettre au peuple d’Hippone : « Puisque, à propos de certains
qui professaient le saint nom, quelque chose d'un faux crime a
retenti, ou d'un vrai [crime] a été découvert, ils font des efforts empressés
et désirent ardemment que cela soit cru à propos de tous ». |
|
Secundo, quia ex peccato nimis publico multi provocantur ad peccandum; secundum
illud I ad Cor. 5, 6 : Nescitis
quia modicum fermentum totam massam corrumpit? Et ideo sub praecepto cadit ut non prius aliquis ad denuntiationem
publicam procedat quam secreto correxerit. Sed quia de extremo ad extremum
pervenitur per medium, interposuit dominus quemdam medium gradum; ut post
secretam admonitionem nunquam publice omnibus denuntietur nisi unus vel duo
testes adhibeantur, ut possit secretius correctus non innotescere ceteris, ut
Augustinus dicit in Regula. Sic
igitur ordo fraternae correctionis sub praecepto cadit, sicut et ipsa
fraterna correctio; hac tamen discretione servata in utroque, ut debito loco,
tempore, et aliis debitis circumstantiis observatis, omnia fiant secundum
quod quis utile esse prospexerit ad emendationem fratris, quae est finis et
regula correctionis fraternae. |
b/ Deuxièmement, parce qu’en raison d’un
péché trop public, beaucoup sont tentés de pécher, selon 1 Co 5, 6 : Ne voyez-vous pas qu’un peu de levain fait lever
toute une pâte ? C’est pourquoi il tombe sous le précepte qu’on ne
procède pas à la dénonciation publique avant d’avoir corrigé en secret. Mais
parce qu’on passe d’un extrême à un autre par un intermédiaire, le Seigneur a
établi un degré intermédiaire, de telle sorte qu’après l’avertissement en
privé, il n’y ait jamais de dénonciation publique pour tous, si ce n’est en
prenant un ou deux témoins, de manière que celui qui a été corrigé d’une
manière assez secrète, ne puisse se faire connaître à tous les autres, comme
le dit Augustin dans la Règle (7)[74].
Ainsi donc, l’ordre de la correction fraternelle tombe sous le précepte,
comme la correction elle-même ; cependant, une fois la discrétion
observée dans l’un et l’autre cas, comme l’exigent le lieu, le temps et
l’observation des circonstances normales, qu’ils fassent tout selon ce que
quelqu'un aura discerné d’utile pour l’amendement du frère, qui est la fin et
la règle de la correction fraternelle. |
|
[66498] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod, sicut Augustinus solvit in Lib. de verbis Domini, verbum apostoli est
intelligendum in publicis peccatis; sed verbum Domini est intelligendum in
peccatis occultis, ut ex ipso modo loquendi apparet. Dicit enim Dominus : Si
peccaverit in te frater tuus. Si enim publice peccat, non solum in te
peccat, cui contumeliam vel iniuriam infert, sed etiam in omnes videntes, ut
significatur in parabola quam dominus ponit, Matth. XVIII, 31, de servo nequam, qui cum alium conservum
affligeret, videntes conservi eius quae fiebant contristati sunt valde.
Et II Petri II, 8, dicitur, quod animam
iusti iniquis operibus cruciabant. |
Solutions
: 1. De même qu’Augustin le résoud dans Les Paroles
du Seigneur, il faut penser que la parole de l’Apôtre concerne les
péchés publics, mais la parole du Seigneur est à comprendre des péchés
secrets, comme cela apparaît dans la manière même de s’exprimer. En effet, le
Seigneur dit (Mt 18, 15) : Si
ton frère a péché contre toi…Si, en effet, il pèche publiquement, non
seulement il pèche contre toi, à qui il fait un affront ou une injustice,
mais aussi contre tous ceux qui le voient, comme le montre la parabole du
Seigneur en Mt 18, 31, à propos du
mauvais serviteur, comme il avait agressé un autre compagnon : Ses
compagnons, voyant ce qui se passait, étaient bien navrés. Et dans 2 P 2, 8 : Ils torturaient l’âme du juste par leurs œuvres
injustes[75]. |
|
[66499] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 2 Ad secundum dicendum,
quod quidam sic intellexerunt ordinem correctionis fraternae esse servandum,
ut primo frater sit in secreto corripiendus; et si audierit, bene quidem; si
autem non audierit, dicebant esse distinguendum : quia aut est omnino occultum,
et tunc non est procedendum ulterius; aut incipit iam ad plerorumque notitiam
pervenire, et tunc debet ulterius procedi, secundum quod Dominus mandat. Sed
hoc non videtur bene dictum; dicit enim Augustinus in Regula : Si frater tuus vulnus habet in corpore quod vult
occultari, dum timet secari, nonne a te crudeliter sileretur, et
misericorditer indicaretur? Quanto ergo magis non debet occultari, ne
deterius putrescat in corde? Et ideo alia
distinctione opus est. Si enim probabiliter possumus existimare
quod ulterius procedendo ad eius emendationem proficiamus, debemus ulterius
procedere adhibendo testes, et denuntiando. Si vero probabiliter existimemus
quod ex tali publicatione fiat deterior, non est ulterius procedendum; sed
propter hanc causam a tota correctione fraterna est desistendum, ut supra
dictum est. |
2. Certains
ont ainsi pensé qu’il fallait conserver l’ordre de la correction fraternelle,
pour que le frère soit d’abord réprimandé en secret ; et s’il a écouté,
c’est bien ; mais s’il n’a pas écouté, ils disaient qu’il fallait opérer
une distinction : parce que, ou bien c’est tout à fait secret, et alors il ne
faut pas aller plus loin; ou bien cela commence déjà à parvenir à la
connaissance de la plupart, et alors, il faut aller plus loin, selon que le
Seigneur l’ordonne. Mais ceci ne semble pas avoir été bien dit : en effet,
Augustin dit dans La Règle (7) : « Si ton frère a une blessure en son corps qu’il veut
cacher, dans la crainte qu’on y porte le fer, ne serait-ce pas cruauté de
vous taire, et miséricorde de l’annoncer publiquement ? Combien plus
doit-on ne pas le cacher, pour empêcher dans son cœur des ravages plus
redoutables ?» |
|
[66500] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod omnis veritas humanae iustitiae regulatur a veritate divina.
Sed hominum facta non eodem modo comparantur ad iudicium divinum et ad
iudicium humanum, quia secundum iudicium humanum quaedam peccata sunt
occulta, in quibus non est statim procedendum ad publicum. Et hoc modo non
comparantur omnia peccata ad iudicium divinum, quia omnia nuda et aperta
sunt oculis eius, ut dicitur ad Hebr. IV, v. 13. Et ideo quantum ad
iudicium divinum non requiritur quod secreta admonitio praecedat et tamen
plerumque peccatores quasi secreta admonitione a Deo arguuntur per interiorem
remorsum conscientiae et interiorem inspirationem, vel in vigilando, vel in
dormiendo. Dicitur enim Iob XXXIII,
15-17 : Per somnum in visione nocturna, quando irruit sopor super homines,
tunc aperit aures virorum, et erudiens eos instruit disciplina, ut avertat
hominem ab his quae fecit. |
3. Toute vérité
de justice humaine est régulée par la vérité divine. Mais les actions des
hommes ne sont pas confrontées de la même manière au jugement humain ou au
jugement divin, car selon le jugement humain il y a des péchés secrets contre
lesquels il ne faut pas faire aussitôt de procès public. Et ce n'est pas de
cette manière que tous les péchés sont confrontés au jugement divin, parce
qu'à ses yeux tout est nu et ouvert (Hb 4, 13). Et c'est pourquoi, pour le
jugement divin, il n'est pas requis qu'un avertissement secret précède, et
pourtant la plupart du temps les pécheurs sont en quelque sorte accusés par
Dieu par un avertissement secret, grâce à un remords intérieur de conscience
et à une inspiration intérieure, à l'état de veille ou en songe. Car il est
dit (Jb 33, 15-17) : Par un songe dans une vision nocturne, quand le sommeil accourt sur les
humains, alors il ouvre les oreilles des hommes et il les instruit et leur
donne un enseignement, pour détourner l'homme de ce qu'il a fait. |
|
[66501] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 4 Ad quartum dicendum, quod peccatum Ananiae et Saphirae non devenerat
ad notitiam Petri modo humano, sed per revelationem divinam; et ideo in
peccato illo processit non secundum formam humani iudicii, sed secundum
formam divini iudicii, tamquam in hoc executor Dei existens. |
4. Le
péché d'Ananie et Saphire n'était pas venu à la connaissance de Pierre d'une
manière humaine, mais par révélation divine ; et c'est pourquoi dans ce
péché-là il a procédé non selon la forme du jugement humain, mais selon la
forme du jugement divin, en étant pour ainsi dire, en cela, l'exécuteur de
Dieu. |
|
[66502] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod etiam Dominus peccatum Iudae scivit virtute divina, in
quantum erat cognitor absconditorum; et ideo, in quantum Deus, procedere
poterat statim ad publicandum peccatum. Et tamen ipse non
publicavit, sed obscuris verbis eum de peccato admonuit. |
5. Le
Seigneur aussi a connu le péché de Judas de science divine, en tant qu’il
connaissait ce qui était caché, et ainsi, Dieu pouvait passer aussitôt à la
divulgation du péché. Et pourtant, lui-même ne l’a pas rendu public, mais il
l’a averti du péché par des paroles obscures. |
|
[66503] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 6 Ad sextum dicendum, quod alia
ratio est in accusatione et in denuntiatione; quia in denuntiatione
intenditur correctio fratris : et ideo tali ordine debet denuntiatio fieri
qui sit conveniens ad emendationem fratris; sed in accusatione intenditur
bonum Ecclesiae, ut scilicet conservetur communitas pura ab infectione
peccati, et ideo in accusatione non oportet quod praecedat denuntiatio. |
6. Il y a
une autre raison dans l’accusation et la dénonciation, parce que dans la
dénonciation est visée la correction du frère, et elle doit être faite dans
un ordre qui puisse convenir à la réforme du frère; mais dans l’accusation
est visé le bien de l’Église, pour garder la communauté pure de la contagion
du péché, et ainsi dans l’accusation il n’est pas nécessaire que la
dénonciation précède. |
|
[66504] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum,
quod non in omni peccato debet homo procedere ad accusationem; sed solum in
illis peccatis ex quibus in promptu est ut proveniat periculum multitudini,
vel spirituale, vel corporale. Tunc enim potest homo ad accusationem procedere,
monitione non praecedente, si hoc exigat utilitas communis; quia bonum
commune praeferendum est bono privato. |
7. On ne doit pas procéder
à une accusation pour n’importe quel péché, mais seulement pour les
péchés à partir desquels il peut facilement provenir un danger pour la
multitude, soit spirituel, soit corporel. Dans ce cas, si l'utilité
commune l'exige, on peut en effet procéder à une accusation sans
avertissement préalable, car le bien commun doit être préféré au bien privé. |
|
[66505] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum,
quod proclamationes quae fiunt in capitulis religiosorum, magis sunt quaedam
commonitiones quam accusationes vel denuntiationes. Reducitur enim fratri ad
memoriam culpa de qua purgare se debet, quod famae eius detrimentum non
facit; fiunt enim huiusmodi proclamationes de levibus culpis. Si autem
proclamaretur aliquis in publico de aliqua gravi culpa, ex qua infamari
posset, monitione non praecedente, hoc esset illicitum et contra praeceptum
Christi. |
8. Les proclamations qui sont faites dans les chapitres des religieux sont plutôt des avertissements que des accusations ou des dénonciations. On ramène à la mémoire du frère la faute dont il doit se purifier, ce qui ne fait pas de tort à sa réputation, car ce genre de proclamations se fait pour les fautes légères. Mais si quelqu'un était dénoncé publiquement, sans avertissement préalable, pour une faute grave qui pourrait lui faire perdre sa réputation, ce serait illicite et contraire au précepte du Christ. |
|
[66506] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 9 Ad nonum dicendum, quod
ex levibus peccatis non consurgit infamia, sicut consurgit ex gravibus; ideo
non est eadem ratio de utriusque. |
9. Des péchés légers il ne vient pas d'infamie comme il en vient des graves, c'est pourquoi ce n'est pas le même raisonnement dans l'un et l'autre cas. |
|
[66507] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 10 Ad decimum
dicendum, quod in talibus in quibus mora denuntiationis est periculosa, non
oportet expectare admonitionem, sed statim procedere ad denuntiationem; nec
hoc est contra praeceptum Christi, propter duo. Primo quidem, quia
peccatum istud, quod vergit in periculum multorum, non est solum in te, sed
est in multos; dominus autem dicit : si peccaverit in te frater tuus. Secundo, quia dominus non loquitur de culpa futura cavenda, sed de culpa
praeterita iam praecommissa. |
10. En de
tels [pécheurs] en qui le retard de la dénonciation est périlleux, il n’est
pas nécessaire d’attendre l’avertissement, mais de procéder aussitôt à la
dénonciation ; et cela n’est pas contre le précepte du Christ, pour deux
raisons : a/ Premièrement
parce que ce péché, qui tend au péril de beaucoup, n’est pas seulement en
toi, mais en beaucoup ; le Seigneur dit : Si ton frère a péché contre toi… b/ Deuxièmement,
parce que le Seigneur ne parle pas de faute future à éviter, mais d’une faute
passée déjà commise. |
|
[66508] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod multo melius est et quantum ad fratrem, cuius
emendationi intenditur, et quantum ad multitudinem, si fieri potest, ut
secretius emendetur, ut patet ex dictis. Et
ideo ille qui corrigit secundum caritatem, isto modo debet procedere. |
11. Pour
le frère dont on vise la réforme, et pour la multitude, c'est beaucoup mieux
s’il est possible qu’il soit amendé plus en secret, comme on le voit par ce
qui a été dit. Et ainsi celui qui corrige selon la charité doit procéder de
cette manière. |
|
[66509] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 12 Ad duodecimum dicendum,
quod si medicus procederet statim ad praecisionem membri corrupti, incaute
ageret, et multoties praecideret membra quae sanari possunt; sed si sit
sapiens, a levioribus remediis incipiet. Tunc demum praecidit membrum, quando
experitur illud esse insanabile; et ita quidem est faciendum in correctione
fraterna. |
12. Si le
médecin coupait aussitôt le membre abîmé, il agirait imprudemment et de
nombreuses fois il couperait des membres qui peuvent être soignés ; mais
s’il est sage, il commencera par des remèdes plus légers. Alors finalement il
coupe le membre, quand il sait expérimentalement qu’il ne peut pas être
soigné. Et il faut agir ainsi dans la correction fraternelle. |
|
[66510]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod praelato non
est obediendum contra praeceptum Christi, secundum illud Act. 5, 29 : obedire
oportet Deo magis quam hominibus. Sed et ille praelatus qui praecipit
contra mandatum Christi a peccato non excusatur. Et ideo, si praelatus
praecipiat quod aliquis dicat quod sciverit corrigendum, vel quod sciverit de
peccatis alterius, intelligendum est praeceptum eius sane, in casu in quo
ipse hoc potest praecipere, secundum ordinem institutum a Christo. Quod si
expresse contra hunc ordinem praeceperit, non est ei obediendum. In quibusdam tamen casibus saecularis vel ecclesiasticus iudex potest
iuramentum exigere, sive in via denuntiationis, sive in via inquisitionis,
sive in via accusationis; in istis etiam casibus potest praelatus in
religionibus per praeceptum obedientiae suos subditos obligare. |
13. Il ne
faut pas obéir au prélat contre le précepte du Christ, selon cette parole de Ac 5, 29 : Il est nécessaire d’obéir plus à Dieu qu’aux hommes. Mais ce
prélat aussi qui ordonne un précepte contre le commandement du Christ n’est
pas excusé de son péché. Et ainsi, si le prélat avait ordonné que quelqu'un
dise ce qu’il a su devoir être corrigé ou ce qu’il a connu des péchés d’un
autre, il faut penser que son précepte est dans le cas où lui-même peut
l’ordonner selon l’ordre donné par le Christ. Que s’il l’a ordonné
expressément contre cet ordre, il ne faut pas lui obéir. En certains cas
cependant, le juge du siècle ou le juge ecclésiatique peut exiger un serment,
au cours de l'enquête ou au cours de l’accusation : en ces cas-là, le prélat
peut obliger dans les réunions religieuses ses sujets par le précepte
d'obéissance. |
|
[66511] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 14 Ad decimumquartum
dicendum, quod iustitia dicitur esse praeclarissima virtutum, propter decorem
sui ordinis; ad quam etiam pertinet ut occultanda occultet. |
14. On dit
que la justice est la plus illustre des vertus en raison de la beauté de son
ordre ; et il lui convient de cacher ce qui doit être caché. |
|
[66512] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 15 Ad decimumquintum
dicendum, quod ille qui occulte peccat meretur amittere famam suam; sed pro
isto merito non potest ei poena recompensari, nisi ab illo qui est iudex
occultorum, scilicet Deus, de quo dicitur I ad Cor., IV, 5 : qui
illuminabit abscondita tenebrarum, et manifestabit consilia cordium. |
15. Celui
qui pèche en secret, mérite de perdre sa réputation, mais le châtiment ne peut
pas contrebalancer le mérite, à moins que ce soit par celui qui est le juge
des choses cachées, c’est-à-dire Dieu, de qui il est dit (1 Co 4, 5) : Celui
qui illuminera les secrets dans les ténèbres et rendra claires les décisions
des cœurs. |
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[66513]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 16 Ad decimumsextum dicendum, quod non repetere
sua est praeceptum, secundum quod intelligitur in praeparatione animi ut
Augustinus exponit. Tenetur enim homo esse paratus sua non repetere in casu
in quo hoc exigeret necessitas fidei vel caritatis; in quo etiam casu dare de
novo teneretur. Sed quod ultra hunc casum homo sua non repetat, potest esse
consilium debitis circumstantiis servatis, sicut et consilium est quod homo
det sua quibus debet. Admonitio autem fraterna non contrariatur
nec consilio nec praecepto praedicto. Potest enim aliquis fratrem admonere
qui alienum accepit, ut de peccato poeniteat, et sit satisfacere paratus,
etiam si ipse velit ei remittere quod debet, cum hoc viderit expedire. |
16. Ne
pas réclamer ses biens est un précepte selon qu’il est compris dans une bonne
disposition de l’âme, comme l’expose Augustin. En effet, l’homme est tenu de
se montrer prêt à ne pas réclamer ses biens dans le cas où l’exigerait la
nécessité de la foi ou de la charité ; dans ce cas aussi il serait même
tenu de les donner de nouveau. Mais outre ce cas où l’homme n’a pas à
réclamer ses biens, il peut y avoir une décision, une fois observé le conseil
que l’homme donne ses biens à qui il les doit. L’avertissement fraternel
n’est contrarié ni par un ordre ni par un précepte déjà dit. En effet,
quelqu’un peut donner un avertissement à un frère qui a reçu un bien
étranger, afin qu'il se repente de son péché et qu’il soit prêt à donner
satisfaction, même si lui-même voulait lui remettre ce qu’il doit, quand il a
vu que c’était utile. |
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[66514] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 17 Ad decimumseptimum
dicendum, quod ille qui corripit delinquentem modo et ordine debito, reddit
bonum pro malo; sed ille qui debitum modum et ordinem praetermittit
corripiendo in publico quae sunt occulta, non reddit bonum, sed malum. |
17. Celui
qui corrige un délinquant d’une manière et d’un ordre obligatoire, rend le
bien pour le mal, mais celui qui néglige le mode et la règle obligatoires, en
corrigeant en public ce qui est caché, ne rend pas le bien mais le mal. |
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[66515] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum
dicendum, quod raro contingit quod peccata occulta publicentur; et ideo ex
hoc, periculum rarius accidit. Si vero frequenter publicarentur peccata
occulta, experimento perpenderetur quod pericula ex hoc sequerentur. |
18. Il arrive rarement que les péchés
cachés soient dévoilés et ainsi par là ce danger se manifeste assez rarement.
Mais si les péchés cachés sont fréquemment divulgués, l’expérience démontre
tout au long que des dangers en découleraient. |
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[66516] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 19 Ad decimumnonum
dicendum, quod ex quo peccatum est occultum, et non apparet quare in promptu
debeat publicari, et ille qui peccavit emendationem promittit, contra
praeceptum Dei ageret qui socium peccantem vel ad praelatum vel ad alium
deferret. |
19. Du fait que le péché est caché et
qu’il n’apparaît pas pourquoi il devrait être rendu public visiblement, et
que celui qui a péché promet de s’amender, il agirait contre le précepte de
Dieu, celui qui révélerait un frère pécheur soit au prélat soit à un autre. |
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[66517]
De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 20 Ad vicesimum dicendum, quod peccata quae in
Deum committuntur, non est nostri arbitrii ea dimittere in poenitentia; est
tamen nostri arbitrii in eis corrigendis ordinem servare quem Christus
instituit. |
20. Pour
ce qui concerne les péchés qui sont commis contre Dieu, il ne dépend pas de
nous de les envoyer en pénitence, mais il dépend de nous, pour ceux qui
doivent être corrigés, de conserver l’ordre que le Christ a institué. |
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[66518] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 21 Ad vicesimumprimum
dicendum, quod intelligitur ille qui peccat corripientem audire, quando et
cessat ab opere et facit alia quae sunt facienda pro salute, confitendo et
satisfaciendo. Et tunc, quantumcumque sit grave peccatum, aliquis lucratur
fratrem sic audientem. |
21. On comprend ici que celui qui pèche
écoute celui qui le corrige, quand il cesse son acte et fait d’autres choses
qui sont à faire pour son salut, par la confession et la satisfaction. Et
alors, si grave que soit le péché, quelqu'un gagne son frère qui l’écoute
ainsi. |
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[66519] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 22 Ad vicesimumsecundum
dicendum, quod verbum quod adversus fratrem audimus, sic debet in nobis
commorari, ut a nobis non procedat ad fratris infamiam; non tamen prohibetur
quin procedat ulterius ad fratris emendationem. |
22. La parole que nous entendons contre
un frère doit demeurer en nous, de sorte que par nous elle n'en vienne pas à
l’infamie du frère; cependant, il n’est pas interdit qu'elle aille plus loin
pour la réforme du frère. |
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[66520] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 23 Ad vicesimumtertium
dicendum, quod cum dominus dicit, Corripe inter te et ipsum solum, non
intelligendum est quod semel corripiatur sed bis et ter, aut etiam pluries,
quamdiu probabiliter spes maneat quod secretius corripi possit. Cum vero
probabiliter praesumitur quod sic corrigi non possit, tunc intelligitur non
audire. |
23. Quand
le Seigneur dit : Réprimande-le seul à
seul, on ne doit pas le comprendre dans le sens qu’il est réprimandé une
seule fois, mais deux et trois fois ou même plus, aussi longtemps que demeure
avec vraisemblance l’espoir qu’il puisse être corrigé plus secrètement. Quand
on présume avec vraisemblance qu’il ne pourrait se corriger ainsi, on
comprend qu’il n’écoute pas. |
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[66521] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 24 Ad vicesimumquartum
dicendum, quod testes inducuntur vel ad ostendendum quod hoc sit peccatum de
quo aliquis arguitur, ut Hieronymus dicit; vel ad convincendum de actu, si actus
iteretur, ut Augustinus dicit; vel ad testificandum quod frater admonens
fecit quod in se fuit, ut Chrysostomus dicit. |
24. On
amène des témoins ou bien pour dévoiler le péché de celui qui est accusé,
comme le dit Jérôme ; ou bien pour le convaincre de son acte s’il
récidive, comme le dit Augustin; ou bien pour témoigner que le frère qui
l’avertit a fait ce qui a été en lui, comme le dit Chrysostome. |
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[66522] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 25 Ad
vicesimumquintum dicendum, quod homo non indiget testibus ad emendationem sui
peccati; potest tamen indigere testibus ad emendationem alterius secundum
tres modos praedictos. Et ideo non est similis ratio de peccato proprio, et de peccato
fratris. |
25. L’homme
n’a pas besoin de témoins pour se corriger de son péché ; il peut
cependant avoir besoin de témoins pour la correction d’un autre selon les
trois modes précités. Et c’est pourquoi, ce n’est pas la même raison dans le
cas du péché personnel ou du péché du frère. |
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[66523] De virtutibus, q. 3 a. 2 ad 26 Ad vicesimumsextum
dicendum, quod Augustinus intelligit quod prius dicatur praelato quam
testibus, secundum quod prelatus est quaedam singularis persona, quae potest
prodesse etiam magis quam alii. Sic autem dicere praelato, non est dicere
Ecclesiae; sed quando dicitur in publico, quasi in loco iudicii residenti. |
26. Augustin
pense qu’on le dit au prélat avant de le dire aux témoins, dans la mesure où
le prélat est une personne particulière qui peut être encore plus utile que
les autres. Ainsi, le dire au prélat, ce n’est pas le dire à l’Église, mais
quand c’est dit en public, c’est comme dans le lieu où réside le juge. |
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Question 4 : [L’espérance] |
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(Traduction
Professeur Jacques Ménard) |
© Traduction
père Philippe Dupont, osb avril 2007 |
Prooemium |
Prologue |
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[66524] De virtutibus, q. 4 pr. 1 Et primo quaeritur utrum spes sit virtus. [66525] De virtutibus, q. 4 pr. 2 Secundo utrum spes sit in voluntate sicut in subiecto. [66526] De virtutibus, q. 4 pr. 3 Tertio utrum spes sit prior caritate. [66527] De virtutibus, q. 4 pr. 4 Quarto utrum spes sit solum in viatoribus. |
Article 1
– Est-ce que l’espérance est une vertu ? Article 2 – Est-ce que l’espérance se trouve dans la
volonté comme dans son sujet ? Article 3 – Est-ce que l’espérance précède la
charité ? Article 4 – Est-ce que l’espérance n’existe que chez ceux qui sont en route ? |
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Articulus 1 : [66528] De
virtutibus, q. 4 a. 1 tit. 1 Et primo quaeritur utrum spes sit
virtus |
Article 1 – Est-ce que l’espérance est une
vertu ?
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[66529] De virtutibus, q. 4 a. 1 tit.
2 Et videtur quod non. |
Objections : Il semble que non. |
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[66530]
De virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 1 Virtus enim non se habet ad bonum et
malum, sed ad bonum tantum; unde Augustinus dicit in libro de libero Arbit.,
quod virtute nullus male utitur. Sed spes se habet ad bonum et malum : quidam
enim habent bonam, quidam malam spem. Ergo spes non est virtus. |
1. En effet, la
vertu ne porte pas sur le bien et sur le mal, mais seulement sur le bien.
Aussi Augustin dit-il dans le livre Sur le libre arbitre, que personne
n’utilise mal la vertu. Or, l’espérance porte sur le bien et sur le mal : en
effet, certains ont une bonne espérance, et d’autres une mauvaise.
L’espérance n’est donc pas une vertu. |
1.
En effet, la vertu se comporte non à l'égard du bien, et du mal, mais du bien
seulement. Saint Augustin dit, dans le livre du Libre arbitre, que nul ne se
sert mal de la vertu. Mais l'espérance se comporte à l'égard du bien et du
mal ; car certains ont une bonne espérance, d'autres une mauvaise. Donc, l'espérance n'est pas une vertu. |
[66531] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
2 Praeterea, virtutem Deus operatur in
nobis sine nobis, ut supra dictum est; et sic patet quod nulla virtus est ex
meritis, sed praecedit merita. Sed spes est ex meritis : est enim spes certa
expectatio futurae beatitudinis ex gratia et meritis proveniens, ut Magister
dicit 26 dist., Lib. III Sent. Ergo spes non est virtus. |
2. Dieu
réalise en nous sans nous la vertu, comme on l’a dit plus haut ; il est
ainsi clair qu’aucune vertu ne provient du mérite, mais précède les mérites.
Or, «l’espérance se fonde sur les mérites : en effet, l’espérance est une
attente certaine de la béatitude future provenant de la grâce et des
mérites», comme le dit le Maître, Sentences, III, d. 26. L’espérance
n’est donc pas une vertu. |
2. En outre, Dieu opère la
vertu en nous sans nous, comme on l'a dit plus haut ; et ainsi, il est
clair qu'aucune vertu ne vient des mérites, mais précède les mérites. Mais
l'espérance provient des mérites, puisqu'il existe une certaine attente de la
béatitute future provenant de la grâce et des mérites à la fois, comme le dit
le Maître des Sentences. Donc,
l'espérance n'est pas une vertu. |
[66532] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
3 Sed dicendum, quod spes praesupponit
merita non in actu, sed in habitu.- Sed contra, habitus qui est principium
merendi, est caritas. Sed spes non
praesupponit caritatem, sed praecedit eam : dicitur enim Matth., I, in
Glossa, quod spes generat caritatem. Ergo spes non
praesupponit merita in habitu. |
3.
L’espérance présuppose des mérites, non en acte, mais en habitus. – En sens contraire, l’habitus qui est le principe
du mérite est la charité. Or, l’espérance ne présuppose pas la charité, mais
la précède. En effet, il est dit dans la Glose sur Mt 1, que
«l’espérance engendre la charité». L’espérance ne présuppose donc pas de
mérites en habitus. |
3. Il faut dire que l'espérance
présuppose les mérites, non en acte, mais comme habitus. Mais l'habitus qui
est principe pour mériter, c'est la charité. L'espérance, elle, ne présuppose
pas la charité mais la précède, ainsi que le dit la Glose sur le premier
chapitre de saint Matthieu : l'espérance génère la charité. Donc, l'espérance ne présuppose pas les mérites
comme habitus. |
[66533] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
4 Praeterea, virtus est dispositio
perfecti, secundum philosophum in VI Physic.; unde et in IV Ethicor. probat,
quod verecundia non est virtus, quia est imperfecti. Sed spes est dispositio
imperfecti, quia est distantis a bono. Ergo spes non est virtus. |
4. La
vertu est une disposition de celui qui est parfait, selon le Philosophe, Physique,
VI. Aussi démontre-t-il, dans Éthique, IV, que la pudeur n’est pas
une vertu, parce qu’elle est le fait de celui qui est imparfait. Or,
l’espérance est une disposition de celui qui est imparfait, car elle est le
fait de celui qui est éloigné du bien. L’espérance n’est donc pas une vertu. |
4. En outre,la vertu, selon
Aristote, est la disposition du parfait ; il prouve ainsi que la honte
n'est pas une vertu, car elle concerne l'imparfait. Mais l'espérance est la
disposition de l'imparfait, car il appartient à ce qui est encore éloigné du
bien. Donc, l'espérance n'est pas
une vertu. |
[66534] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
5 Praeterea, nulla passio est virtus :
quia passionibus nec laudamur nec vituperamur, ut dicitur in II Ethicor. Sed
spes est una de quatuor principalibus passionibus. Ergo spes non est virtus. |
5. Aucune
passion n’est une vertu, car nous ne sommes ni louangés ni réprimandés pour
nos passions, comme il est dit dans Éthique, II. Or, l’espoir est une
des quatre principales passions. L’espérance n’est donc pas une vertu. |
5. En outre, aucune passion
n'est une vertu, car on n'est ni loué ni critiqué pour ses passions, comme le
dit Aristote. Mais l'espérance est l'une des quatre passions principales.
Donc, l'espérance n'est pas une vertu. |
[66535] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
6 Sed dicendum, quod spes quae est
passio, non est virtus, sed aliquid ad mentem pertinens.- Sed contra, omnes
passiones appetitus sensitivi habent aliquid simile in mente : sicut enim est
spes et amor appetitus sensitivi et intellectivi, ita etiam et desiderium, et
delectatio, et alia huiusmodi. Sed in aliis passionibus praeter amorem non sumuntur nomina virtutum.
Ergo neque aliqua virtus debet dici spes. |
6.
L’espoir, qui est une passion, n’est pas une vertu, mais quelque chose qui
relève de l’esprit. – En sens contraire,
toutes les passions de l’appétit sensible ont quelque chose de semblable dans
l’esprit : en effet, de même qu’il y a espoir et amour dans l’appétit
sensible et intellectif, de même il y a désir, plaisir, et d’autres choses de
ce genre. Mais pour les autres passions que l’amour on n’utilise pas les noms
des vertus. On ne doit donc pas donner le nom de vertu à l’espoir. |
6. On doit dire que
l'espérance, qui est une passion, n'est pas une vertu, mais quelque chose qui
appartient à l'esprit. Mais toutes les passions de l'appétit sensible ont
quelque chose de similaire dans l'esprit : il en est de l'espérance, de
l'amour de l'appétit sensible ou
intellectuel, comme du désir, du plaisir et de tout le reste. Mais dans les
autres passions, on ne donne le nom de vertu qu'à l'amour. Donc, on ne peut
dire que l'espérance est une vertu. |
[66536] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 7 Praeterea, tria sunt genera virtutum : sunt enim
quaedam virtutes morales, quaedam intellectuales, quaedam theologicae. Sed
spes non est virtus moralis, quia non reducitur ad aliquam cardinalium
virtutum; nec etiam virtus intellectualis, quia non pertinet ad vim
cognitivam, sed appetitivam; nec etiam est virtus theologica, quia
theologicae virtutis non est esse in medio, sed in extremo, secundum illud
Deut., VI, 5 : diliges dominum Deum tuum ex toto corde tuo. Spes autem medium tenet inter
praesumptionem et desperationem. |
7. Il
existe trois genres de vertus : les vertus morales, les vertus
intellectuelles et les vertus théologales. Or, l’espérance n’est pas une
vertu morale, parce qu’elle ne se ramène à aucune des vertus cardinales. Elle
n’est pas non plus une vertu intellectuelle, car elle ne relève pas de la
puissance cognitive, mais de la puissance appétitive. Elle n’est pas non plus
une vertu théologale, car les vertus théologales ne se situent pas dans un
milieu, mais dans un extrême, selon ce que dit Dt 6, 5 : Tu
aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur. Or, l’espérance occupe
le milieu entre la présomption et le désespoir. |
7. En outre, il y a trois
genres de vertus : les vertus morales, intellectuelles et théologales.
L'espérance n'est pas une vertu morale, car elle ne se réduit à aucune des
vertus cardinales ; ce n'est pas non plus une vertu intellectuelle, car
elle n'appartient pas à la force cognitive, mais à l'appétitive. Ce n'est pas
davantage une vertu théologale, car les vertus théologales ne se situent pas
au milieu mais à l'extrême, selon ce que dit le Deutéronome : “Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur” (6, 5). Or l'espérance tient
le milieu entre le présomption et le désespoir. |
[66537] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 8 Praeterea, virtus, maxime theologica, est quoddam
donum supernaturale divinitus nobis infusum. Sed ad sperandum beatitudinem
aeternam non indigemus aliquo dono supernaturali : quia, cum bonum
naturaliter moveat appetitum, summum bonum, quod est beatitudo, maxime
naturaliter appetitum movebit. Ergo spes non est virtus. |
8. La
vertu, surtout la vertu théologale, est un don surnaturel infusé en nous par
Dieu. Or, pour espérer la béatitude éternelle, nous n’avons pas besoin d’un
don surnaturel, car, puisque le bien meut naturellement l'appétit, le bien suprême
qu’est la béatitude mouvra naturellement l’appétit au plus haut point.
L’espérance n’est donc pas une vertu. |
8. En outre, la vertu, surtout
celle qui est théologale, est un certain don surnaturel qui est infusé en
nous de façon divine. Mais nous n'avons pas besoin d'un don surnaturel pour
espérer la béatitude éternelle. Car, comme le bien meut l'appétit
naturellement, le bien suprême, qui est la béatitude, entraînera encore plus
l'appétit de manière naturelle. Donc,
l'espérance n'est pas une vertu. |
[66538] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
9 Praeterea, actus caritatis est
perfectior quam actus spei. Sed ad actum caritatis potest natura creata
absque dono gratiae, secundum illorum opinionem qui dicunt, quod homo et
Angelus in naturalibus creati Deum supra se et supra omnia dilexerunt; quod
videtur esse actus caritatis. Ergo multo magis potest aliquis in actum spei
sine dono gratiae. Ergo spes non est virtus. |
9. L’acte
de charité est plus parfait que l’acte d’espérance. Or, la nature créée est
capable d’un acte de charité sans le don de la grâce, selon l’opinion de ceux
qui disent que l’homme et l’ange, créés avec leurs attributs naturels, ont
aimé Dieu plus qu’eux-mêmes et que toutes choses, ce qui semble être un acte
de charité. À bien plus forte raison, donc, quelqu’un est-il capable d’un
acte d’espérance sans le don de la grâce. L’espérance n’est donc pas une
vertu. |
9. En outre, un acte de charité
est plus parfait qu'un acte d'espérance. Mais la nature créée, sans le don de
la grâce, est capable d'un acte de charité selon l'opinion de ceux qui disent
que l'homme et l'ange créés dans l'état de nature aiment Dieu plus
qu'eux-mêmes et plus que tout, ce qui semble être un acte de charité. Il en
est donc bien plus possible de faire un acte d'espérance dans le don de la
grâce. L'espérance n'est donc pas
une vertu. |
[66539] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
10 Praeterea, virtus, secundum
philosophum in I Ethic., est omni arte certior. Sed hoc non competit spei :
causatur enim ex gratia et meritis, quae sunt incerta, secundum illud Eccle.,
IX, 1 : nemo scit utrum sit dignus odio, vel amore. Ergo spes non est virtus. |
10. Selon
le Philosophe, dans Éthique, I, la vertu est plus certaine que tout
art. Or, cela ne convient pas à l’espérance : en effet, elle est causée par
la grâce et les mérites, selon Si 9, 1 : Personne ne sait s’il
est digne de haine ou d’amour. L’espérance n’est donc pas une vertu. |
10. En outre, selon Aristote
(1er livre des Ethiques), la vertu est plus certaine que tout art, mais cela
ne convient pas à l'espérance ; en effet, elle est causée par la grâce
et les mérites, qui sont incertains, comme le dit l'Ecclésiaste (9, 1) :
nul ne sait s'il est digne de haine ou d'amour. Donc, l'espérance n'est pas une vertu. |
[66540] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
11 Praeterea, omnis virtus potest esse in
caritate. Spes autem importat distantiam, caritas autem unionem, secundum
illud quod Dionysius dicit in IV cap. de divinis nominibus, quod amor est vis
unitiva. Ergo spes non est virtus. |
11. Toute
vertu peut exister dans la charité. Or, l’espérance comporte une distance,
mais la charité [comporte] l’union, selon ce que dit Denys, Les noms
divins, IV, que l’amour est une force unitive. L’espérance n'est donc pas
une vertu. |
11. En outre, toute vertu peut
exister dans la charité. Toutefois l'espérance comporte une distance, mais la
charité une union, selon ce que dit Denys au chapitre IV des Noms divins, à
savoir que l'amour est une force unitive. Donc, l'espérance n'est pas une vertu. |
[66541] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
12 Praeterea, omnis plenitudo gratiarum
et virtutum fuit in Christo, secundum illud Ioan., cap. I, 14 : vidimus eum
(...) plenum gratiae et veritatis. Sed spes non fuit in Christo : qui enim
videt, non sperat, ut habetur Rom., cap. VIII, 24. Ergo spes non est virtus. |
12. Toute
la plénitude des grâces et des vertus se trouvait dans le Christ, selon
Jn 1, 14 : Nous l’avons vu…, plein de grâce et de vérité. Or,
l’espérance n’existait pas chez le Christ : en effet, celui qui voit n’espère
pas, comme on le lit dans Rm 8, 24. L’espérance n’est donc pas une
vertu. |
12. En outre, toute la
plénitude des grâces et des vertus s'est trouvée dans le Christ, selon saint Jean (1,
14) : “Nous l'avons vu, plein de grâc et de vérité”, mais l'espérance
n'a pas existé chez le Christ, car celui qui voit n'espère pas, d'après saint Paul (Rom. 8, 24). L'espérance n'est donc pas une vertu. |
[66542] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 13 Praeterea, virtus causat delectationem in actu.
Sed spes e contrario causat afflictionem, secundum illud Proverb., XIII, 12 :
spes quae differtur, affligit animam. Ergo spes non est virtus. |
13. La
vertu produit un plaisir dans son acte. Or, l’espérance cause au contraire
une affliction, selon ce que dit Pr 13, 12 : L’espérance qui est
reportée afflige l’âme. L’espérance n’est donc pas une vertu. |
13. En outre, la vertu cause
une délectation dans l'acte. Mais l'espérance, au contraire, cause de
l'affliction, d'après ce que dit le livre des Proverbes (13, 12) :
'l'espérance différée afflige l'âme”. Donc,
l'espérance n'est pas une vertu. |
[66543] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 14 Praeterea, virtus per se habet delectationem, ut
dicitur in I Ethicorum. Spes autem et memoria non sunt
delectabilia secundum se, ut dicitur in II Metaph. Ergo spes non est virtus. |
14. La vertu
comporte par elle-même une délectation, comme il est dit dans Éthique, I.
Or, l’espérance et la mémoire ne sont pas délectables par elles-mêmes, comme
il est dit dans Métaphysique, II. L’espérance n’est donc pas une
vertu. |
14. En outre, la vertu comporte
en elle-même une délectation, comme le dit Aristote au premier livre des
Ethiques. Mais l'espérance et le souvenir ne sont pas délectables en soi,
dit-il au second livre des Métaphysiques. Donc, l'espérance n'est pas une vertu. |
[66544] De
virtutibus, q. 4 a. 1 arg. 15 Praeterea, nulla virtus facit actum malum. Sed
spes facit actum malum, quia facit actum difficilem. Ergo spes non est virtus. |
15. Aucune
vertu ne rend un acte mauvais. Or, l’espérance rend un acte mauvais, parce
qu’elle fait un acte difficile. L’espérance n’est donc pas une vertu. |
15. En outre, aucune vertu ne
fait un acte mauvais. Mais l'espérance fait un acte mauvais, car elle fait un
acte difficile. Elle n'est donc
pas une vertu. |
[66545] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
16 Praeterea, spes est expectatio
quaedam, ut dictum est. Expectatio
autem importat distantiam. Ergo maxima spes importat maximam distantiam a
bono sperato, quod est beatitudo. Sed maxima virtus non habet maximam
distantiam a beatitudine, immo facit maximam propinquitatem ad ipsam. Ergo spes non est virtus. |
16.
L’espérance est une certaine attente, comme on l’a dit. Or, l’attente
comporte une distance. Une très grande espérance comporte donc une très
grande distance par rapport au bien espéré, qui est la béatitude. Or, une très
grande vertu n’a pas une très grande distance par rapport à la béatitude,
bien plus, elle réalise un très grand rapprochement par rapport à elle.
L’espérance n’est donc pas une vertu. |
16. En outre, l'espérance est
une certaine attente, comme on l'a dit. Une attente comporte une distance. La
plus grande espérance comporte donc la plus grande distance vis-à-vis du bien
espéré, qui est la béatitude. Mais la plus grande vertu n'a pas la plus
grande distance vis-à-vis de la béatitude, mais plutôt la plus grande
proximité. L'espérance n'est donc
pas une vertu. |
[66546] De virtutibus, q. 4 a. 1 arg.
17 Praeterea, sicut est spes futurorum,
ita est memoria praeteritorum. Sed memoria praeteritorum non est virtus. Ergo
nec spes futurorum. |
17.
De même que l’espérance porte sur des choses à venir, de même la mémoire
porte sur des choses passées. Or, la mémoire des choses passées n’est pas une
vertu. Donc, non plus l’espérance de choses à venir. |
17. En outre, comme l'espérance
regarde le futur, la mémoire regarde le passé. Mais la mémoire du passé n'est
pas une vertu. L'espérance n'est donc pas une vertu, non plus.- |
[66547] De
virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 1 Sed contra. Per virtutes in beatitudinem introducimur : nam
felicitas virtutis est praemium, ut dicitur in I Ethic. Sed spes introducit
in beatitudinem : dicitur enim ad Hebr., VI, 18-19, quod habemus spem
incedentem, et incedere facientem ad interiora velaminis, id est ad
beatitudinem caelestem, ut Glossa ibidem exponit. Ergo spes est virtus. |
Cependant : 1.
Nous sommes introduits dans la béatitude par les vertus, car la félicité est
la récompense des vertus, comme il est dit dans Éthique, I. Or,
l’espérance introduit dans la béatitude. En effet, il est dit dans
He 6, 18‑19 : Nous avons une espérance qui progresse, et qui
nous fait entrer à l’intérieur du voile, c’est-à-dire, «dans la béatitude
éternelle», comme l’explique la Glose à cet endroit. L’espérance est donc une
vertu. |
Au contraire, nous sommes
amenés à la béatitude par les vertus ; car le bonheur est la récompense
de la vertu, comme le dit Aristote au premier livre des Ethiques. Mais
l'espérance mène à la béatitude, comme le dit l'Écriture (Heb. 6,
18-19) : “Nous avons une espérance à saisir, qui nous fait pénétrer
par-delà le voile”, c'est-à-dire à la béatitude céleste, comme l'expose la
Glose. L'espérance est donc une
vertu. |
[66548] De virtutibus, q. 4 a. 1 s. c.
2 Praeterea, I ad Cor., XIII, 13 : nunc
autem manent fides, spes, caritas, tria haec. Sed fides et caritas sunt
virtutes. Ergo et spes. |
2.
De plus, 1 Co 13, 13 dit : Maintenant, demeurent la foi,
l’espérance et la charité, ces trois choses. Or, la foi et la charité
sont des vertus. Donc, l’espérance aussi. |
Maintenant, demeurent la foi,
l'espérance et la charité (1 Cor. 13, 13). La foi et la charité sont des
vertus, donc aussi l'espérance. |
[66549] De
virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 3 Praeterea, Gregorius in I Mor. dicit, quod per
tres filias Iob significantur hae tres virtutes : fides, spes et caritas. Ergo est virtus. |
3.
Grégoire dit, dans Morales, I, que ces trois vertus, la foi,
l’espérance et la charité, sont signifiées par les trois filles de Job.
[L’espérance] est donc une vertu. |
Saint Grégoire (premier livre
des Morales) dit que ces trois vertus que sont la foi, l'espérance et la
charité sont signifiées par les trois filles de Job. L'espérance est donc une vertu. |
[66550] De
virtutibus, q. 4 a. 1 s. c. 4 Praeterea, praecepta legis dantur de actibus
virtutum. Sed multa praecepta dantur de actu spei; dicitur enim in Psal. XXXVI, 3 : spera in Deo, et fac bonitatem.
Ergo spes est virtus. |
4.
Les commandements de la loi portent sur des actes des vertus. Or, beaucoup de
commandements portent sur l’acte de l’espérance. En effet, il est dit dans
Ps 36, 3 : Espère en Dieu et fais le bien. L’espérance est
donc une vertu. |
Les préceptes de la Loi sont
donnés à partir d'actes de vertus. Beaucoup viennent de l'acte d'espérance,
comme celui-ci : “Espère en Dieu et fais le bien” (Ps. 36, 3). L'espérance est donc une vertu. |
[66551] De
virtutibus, q. 4 a. 1 co. Respondeo. Dicendum, quod quia habitus
cognoscuntur per actus, et actus per obiecta, ad cognoscendum an spes sit
virtus, oportet considerare de ratione actus eius. Manifestum autem est quod
sperare importat motum quemdam appetitivae virtutis tendentem in bonum, non
quidem ut iam habitum, sicut gaudium et delectatio, sed tamquam assequendum,
sicut etiam desiderium et cupiditas. Differt tamen spes a desiderio in
duobus. Primo quidem, quia desiderium est communiter cuiuscumque boni, et
ideo attribuitur concupiscibili : spes autem est boni ardui, quod difficile
est assequi, et ideo attribuitur irascibili. Secundo, quia desiderium est
alicuius boni absolute, absque consideratione possibilitatis et
impossibilitatis illius; sed spes tendit in aliquod bonum, sicut in id quod
est possibile adipisci : importat enim in sui ratione quamdam securitatem
adipiscendi. Ergo sic in
obiecto spei quatuor considerantur. Primo quidem, quod sit bonum; per quod
differt a timore. Secundo, quod sit boni futuri; per quod differt a gaudio
vel delectatione. Tertio, quod sit boni ardui; per quod differt a desiderio.
Quarto, quod sit boni possibilis; per quod differt a desperatione. Est autem
possibile aliquod haberi ab aliquo dupliciter : uno modo per propriam
potestatem; alio modo per auxilium alterius : nam quae per amicos sunt
possibilia, aliqualiter possibilia dicimus, ut patet per philosophum in III
Ethic. Sic igitur quandoque sperat homo aliquid adipisci per propriam
potestatem, quandoque vero per auxilium alienum; et talis spes expectationem
habet, in quantum homo respicit in auxilium alterius. Et tunc necesse est quod motus spei feratur in
duo obiecta : scilicet in bonum adipiscendum, et in eum cuius auxilio
innititur. Summum autem bonum, quod est beatitudo aeterna, homo adipisci non
potest nisi per auxilium divinum, secundum illud Rom., VI, v. 23 : gratia Dei
vita aeterna. Et ideo spes adipiscendi vitam aeternam habet duo obiecta,
scilicet ipsam vitam aeternam, quam quis sperat, et auxilium divinum, a quo
sperat; sicut etiam fides habet duo obiecta : scilicet rem quam credit, et
veritatem primam, cui correspondet. Fides autem non habet rationem virtutis,
nisi in quantum inhaeret testimonio veritatis primae, ut ei credat quod ab ea
manifestatur, secundum illud Genes., XV, 6 : credidit Abraham Deo, et
reputatum est ei ad iustitiam; unde et spes habet rationem virtutis ex hoc
ipso quod homo inhaeret auxilio divinae potestatis ad consequendum vitam
aeternam. Si enim aliquis inniteretur humano auxilio, vel suo vel alterius,
ad consequendum perfectum bonum absque auxilio divino, esset hoc vitiosum,
secundum illud Ierem., cap. XVII, 5 : maledictus homo qui confidit in homine,
et ponit carnem brachium suum. Sic igitur, sicut formale obiectum fidei est
veritas prima, per quam sicut per quoddam medium assentit his quae creduntur,
quae sunt materiale obiectum fidei; ita etiam formale obiectum spei est
auxilium divinae potestatis et pietatis, propter quod tendit motus spei in
bona sperata, quae sunt materiale obiectum spei. Sicut ergo ea quae creduntur
materialiter, omnia referuntur ad Deum, quamvis aliqua eorum sint creata :
sicut quod credimus omnes creaturas esse a Deo, et corpus Christi esse a
filio Dei assumptum in unitate personae; ita etiam omnia quae materialiter
sperantur, ordinantur in unum finale speratum, quod est fruitio Dei. In ordine enim ad hanc fruitionem speramus
adiuvari a Deo non solum spiritualibus, sed etiam corporalibus beneficiis. |
Réponse : Parce
que les habitus sont connus par leurs actes, et leurs actes par les objets de
ceux-ci, pour savoir si l’espérance est une vertu, il est nécessaire
d’examiner la raison même de son acte. Or, il est clair qu’espérer comporte
un certain mouvement de la puissance appétitive tendant vers un bien, non pas
déjà possédé, comme c’est le cas pour la joie et le plaisir, mais recherché,
comme c’est aussi le cas du désir et de la cupidité. Toutefois, l’espoir
diffère du désir sur deux points. Premièrement, le désir porte d’une manière
générale sur tous les biens : c’est pourquoi il est attribué au concupiscible.
Mais l’espoir porte sur un bien difficile, qu’il est difficile d’atteindre :
c’est pourquoi il est attribué à l’irascible. Deuxièmement, le désir porte
sur un bien de manière absolue, sans considération de sa possibilité ou de
son impossibilité. Mais l’espoir tend vers un bien comme vers quelque chose
qu’il est possible d’obtenir : en effet, il comporte dans sa raison même une
certaine assurance de l’obtenir. Dans l’objet de l’espoir, quatre choses
doivent donc être relevées. Premièrement, il s’agit d’un bien : il diffère en
cela de la crainte. Deuxièmement, il porte sur un bien futur : il diffère en
cela de la joie ou du plaisir. Troisièmement, il porte sur un bien difficile
: il diffère en cela du désir. Quatrièmement, il porte sur un bien possible :
il diffère en cela du désespoir. Or, quelque chose peut être obtenu par
quelqu’un de deux manières : d’une manière, par sa propre puissance; d’une
autre manière, par l’aide d’un autre, car nous disons qu’est possible d’une
certaine manière ce qui est possible par l’intermédiaire d’amis, comme cela
ressort clairement de ce que dit le Philosophe dans Éthique, III.
Ainsi donc, parfois l’homme espère atteindre quelque chose par sa propre
puissance, mais parfois par l’aide d’un autre, et un tel espoir comporte une
attente dans la mesure où l’homme compte sur l’aide d’autrui. Il est alors
nécessaire que le mouvement de l’espoir se porte sur deux objets : sur le
bien à atteindre, et sur celui sur l’aide de qui il s’appuie. Or, l’homme ne
peut atteindre le bien suprême, qui est la béatitude éternelle, qu’avec
l’aide de Dieu, selon Rm 6, 23 : La vie éternelle par la grâce
de Dieu. C’est pourquoi l’espérance d’atteindre la vie éternelle a deux
objets : la vie éternelle elle-même, que quelqu’un espère, et l’aide divine,
par laquelle il espère, de même que la foi a deux objets : la chose qui est
crue, et la Vérité première, à laquelle elle correspond. Or, la foi n’a
raison de vertu que si elle adhère au témoignage de la Vérité première, de
sorte que soit cru ce qui est manifesté par elle, selon Gn 15, 6 : Abraham
crut en Dieu, et cela lui fut compté comme justice. Aussi l’espérance
a-t-elle raison de vertu du fait même que l’homme adhère à l’aide de la
puissance divine en vue d’obtenir la vie éternelle. En effet, si quelqu’un
adhérait à une aide humaine, la sienne ou celle d’un autre, afin d’obtenir le
bien parfait sans l’aide divine, cela serait vicieux, selon
Jr 17, 5 : Maudit soit l’homme qui a mis sa confiance dans
l’homme et fait de la chair sa puissance. Ainsi donc, de même que l’objet
formel de la foi est la Vérité première, par laquelle elle donne son
assentiment comme par un moyen aux réalités qui sont crues, qui sont l’objet
matériel de la foi, de même l’objet formel de l’espérance est l’aide de la
puissance et de la bienveillance divines, en raison de laquelle le mouvement
de l’espérance tend vers les biens espérés, qui sont l’objet matériel de
l’espérance. De même donc que ce qui est cru matériellement se rapporte
entièrement à Dieu, bien que certains de ses éléments soient créés (ainsi,
nous croyons que toutes les créatures tirent leur être de Dieu, et que le
corps du Christ a été assumé par le Fils de Dieu dans l’unité de sa
personne), de même tout ce qui est espéré est entièrement ordonné à une seule
réalité espérée à titre de fin, qui est la jouissance de Dieu. En effet, en
regard de cette jouissance, nous espérons être aidés par Dieu, par des
bienfaits non seulement spirituels, mais aussi corporels. |
Je réponds en disant : Puisque les habitus sont
connus par les actes et les actes par les objets, pour savoir si l'espérance
est une vertu, il faut la considérer à partir de son acte. Il est évident
qu'espérer comporte un certain mouvement de la force appétitive qui tend vers
le bien, non en tant que déjà possédé, comme la joie et le plaisir, mais en
tant que recherché, comme le désir. Cependant, l'espérance diffère du désir
sur deux points. D'abord, parc que le désir est communément celui d'un bien
et est donc attribué au concupiscible ; mais l'espérance est celle d'une
bien ardu et difficile à poursuivre et elle est donc attribuée à l'irascible.
Ensuite, parce que le désir est celui d'un bien absolument et sans
considération de possibilité ou d'impossibilité ; mais l'espérance tend
à un bien comme à ce qui est possible d'obtenir ; il enferme, en effet,
dans sa raison une certaine assurance de possession. Par conséquent, il faut
considérer quatre aspects dans l'objet de l'espérance : 1°, c'est un
bien, par quoi il diffère de la crainte. 2°, c'est un bien futur, par quoi il
diffère de la joie et du plaisir. 3°, c'est un bien ardu, par quoi il diffère
du désir. 4°, c'est un bien possible, par quoi il diffère du désespoir. Mais
il est possible de posséder quelque chose à partir de quelque chose d'autre
de deux manières, par son propre pouvoir ou par l'aide d'un autre ; en
effet, ce qui est possible par l'aide d'amis, nous le disons possible d'une
autre façon, comme l'exprime clairement Aristote (troisième livre des
Ethiques). Ainsi donc, un homme espère parfois obtenir quelque chose par son
propre pouvoir, et d'autres fois grâce à une aide étrangère ; et
l'espérance attend en tant que l'homme recherche l'aide d'un tiers. Et alors
il est nécessaire que le mouvement de l'espérance se porte sur deux objets, à
savoir le bien à obtenir et celui sur l'aide de qui on peut s'appuyer. Le
souverain bien, qui est la béatitude éternelle, l'homme ne peut l'obtenir que
par le secours divin, comme le dit saint Paul : “La grâce de Dieu, c'est
la vie éternelle” (Ro. 6, 23). Donc, l'espérance d'obtenir la vie éternelle a
deux objets : la vie éternelle elle-même qu'on espère, et le secours
divin par lequel on espère. De même, la foi a deux objets : ce que l'on
croit et la vérité première à laquelle elle correspond. Mais la foi n'a raison
de vertu qu'en tant qu'elle adhère au témoignage de la vérité première, en
sorte qu'on croit à celui qui a été manifesté par cela, comme la Genèse le
dit d'Abraham : “Il crut en Dieu et cela lui fut compté en justice” (15,
6). Ainsi, l'espérance, elle aussi, a raison de vertu du fait que l'homme
adhère au secours de la puissance divine pour obtenir la vie éternelle. Si,
en effet, quelqu'un s'appuie sur le secours humain, le sien ou celui d'un
tiers, pour chercher le bien parfait sans le secours divin, ce serait du
vice, comme le dit Jérémie : “Maudit l'homme qui se confie en l'homme,
qui fait de la chair son appui” (17, 5). Ainsi donc, de même que l'objet
formel de la foi est la vérité première par laquelle, comme par un
intermédiaire, on consent à ce qui est cru comme objet matériel de la
foi ; de même l'objet formel de l'espérance est le secours de la
puissance et de la bonté divine à cause desquels le mouvement de l'espérance
tend vers les biens espérés qui sont l'objet matériel de l'espérance. De même
donc que ce qui est cru matériellement se refère à Dieu bien que certains
objets soient créés : ainsi nous croyons que toutes les créatures
viennent de Dieu et que le corps du Christ a été assumé par le Fils de Dieu
dans l'unité de la personne ; de la même façon tout ce qui est espéré
matériellement est ordonné à un unique but espéré, qui est la fruition de
Dieu. En vue de cette fruition, nous espérons être aidés par Dieu non
seulement par des bienfaits spirituels, mais aussi par de corporels. |
[66552] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod spes secundum quod
inhaeret divino auxilio, non potest se ad
malum habere; nullus enim potest nimis de Deo sperare. Sed quod aliquis male
speret, hoc contingit quia non inhaeret Deo, sed suae virtuti, vel falsae
opinioni; puta cum praesumit se salvandum etiam in peccatis perseverans. |
Solutions : 1.
L’espérance, dans la mesure où elle adhère à l’aide divine, ne peut pas se
comporter mal : en effet, personne ne peut trop espérer de Dieu. Mais que
quelqu’un espère mal, cela arrive parce qu’il n’adhère pas à Dieu, mais à sa
propre puissance ou à une fausse opinion, par exemple, parce qu’il présume
qu’il sera sauvé même s’il persévère dans les péchés. |
1. L'espérance, selon qu'elle
s'appui sur le secours divin, ne peut être mauvaise, car personne ne peut
trop attendre de Dieu. Mais que quelqu'un espère mal, cela arrive quand il ne
s'appuie pas sur Dieu, mais sur sa force ou sur une opinion fausse, par
exemple quand il présume qu'il sera sauvé tout en persévérant dans les
péchés. |
[66553] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod cum dicitur spes esse expectatio futurae
beatitudinis, ex gratia et meritis proveniens, dupliciter potest intelligi. Uno modo ut expectatio intelligatur ex meritis
provenire ex parte expectantis; ut scilicet, expectatio talis causetur in
homine ex praecedentibus meritis. Et in hoc sensu procedit obiectio, qui
falsus est. Alio modo potest intelligi expectatio esse ex meritis ex parte
rei expectatae; et hic est sensus verus : expectamus enim quod per gratiam
Dei et bona merita beatitudinem consequamur. |
2.
Lorsqu’on dit que l’espérance est une attente de la béatitude à venir
provenant de la grâce et des mérites, cela peut s’entendre de deux manières.
D’une manière, en comprenant que l’attente provient des mérites du point de
vue de celui qui attend, à savoir, qu’une telle attente soit causée dans
l’homme par des mérites qui précèdent. C’est le sens de l’objection, qui est
faux. D’une autre manière, on peut comprendre que l’attente vient des mérites
du point de vue de la chose espérée, et ce sens est vrai : en effet, nous
espérons que, par la grâce de Dieu et des mérites bons, nous obtenions la
béatitude. |
2. Lorsqu'on dit que
l'espérance est l'attente de la béatitude future provenant à la fois de la
grâce et des mérites, cela peut s'entendre de deux manières. D'abord, comme
attente provenant des mérites de la part de celui qui attend, comme une telle
attente est provoquée chez l'homme par ses mérites antécédents ; et en
ce sens l'objection ne porte pas. Autrement, on l'entend de l'attente
provenant des mérites de la part de l'objet espéré ; et en ce sens, cela
est vrai, car nous attendons obtenir la béatitude par la grâce de Dieu et les
mérites bons. |
[66554] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum hunc sensum,
merita non praecedunt ex necessitate spem nec actu nec habitu; sed praecedunt
rem speratam scilicet beatitudinem : unde potest esse quod sperans non habeat
merita nec actu nec habitu, sed solum in proposito. |
3.
En ce sens, les mérites ne précèdent pas nécessairement l’espérance, ni en
acte, ni par l’habitus. Mais ils précèdent la chose espérée, à savoir, la
béatitude. Aussi peut-il arriver que celui qui espère n’ait pas de mérites,
ni en acte, ni en habitus, mais seulement par l’intention. |
3. En ce sens, les mérites ne
précèdent pas nécessairement l'espérance, qu'ils soient en acte ou comme
habitus ; mais ils précèdent la chose espérée, qui est la béatitude.
Ainsi, il se peut que celui qui espère n'ait pas de mérites ni en actes, ni
comme habitus, mais seulement comme propos. |
[66555] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 4 Ad quartum dicendum, quod spes secundum quod
refertur ad materiale obiectum, est dispositio imperfecti, quia quod
speratur, nondum habetur; sed secundum quod respicit obiectum formale,
scilicet auxilium divinum sic est dispositio perfecti; in hoc enim consistit
perfectio hominis ut Deo inhaereat. Et simile etiam
est de fide, quae habet imperfectionem, eo quod nondum videt ea quae credit;
habet autem perfectionem ex eo quod inhaeret testimonio primae veritatis, et
ex hoc est virtus. |
4.
L’espérance, selon qu’elle se rapporte à son objet matériel, est une
disposition de quelqu’un d’imparfait, car ce qui est espéré n’est pas encore
possédé. Mais, selon qu’elle porte sur son objet formel, à savoir, l’aide
divine, elle est alors une disposition de quelqu’un de parfait : en effet, la
perfection de l’homme consiste en ce qu’il adhère à Dieu. Et il en est aussi
de même de la foi, qui comporte une imperfection du fait qu’elle ne voit pas
encore ce qu’elle croit; mais elle possède une perfection du fait qu’elle
adhère au témoignage de la Vérité première, et, pour autant, elle est une
vertu. |
4. L'espérance, selon qu'elle
concerne un objet matériel, est disposition de l'imparfait, car on ne possède
pas encore ce qu'on espère ; mais, selon qu'elle regarde un objet
formel, comme le secours divin, c'est une disposition du parfait ; en
ceci consiste la perfection de l'homme : adhérer à Dieu. Il en est de
même pour la foi, qui est imparfaite en ce qu'elle ne voit pas encore ce
qu'elle croit, mais qui est parfaite en ce qu'elle adhère au témoignage de la
vérité première, et en cela c'est une vertu. |
[66556] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 5 Ad quintum dicendum, quod spes est passio, secundum quod est motus
appetitus sensitivi, cuius obiectum Deus esse non potest; et ideo talis spes
virtus non dicitur, sed illa quae est motus mentis, quae est capax Dei. |
5. L’espoir est une
passion selon qu’elle est un mouvement de l’appétit sensible, dont l’objet ne
peut pas être Dieu. C’est pourquoi ce n'est pas un tel espoir qui est appelé
une vertu, mais celui qui est un mouvement de l’esprit, qui est capable de
Dieu. |
5. L'espérance est une passion
en tant qu'elle est un mouvement de l'appétit sensible, dont l'objet ne peut
être Dieu ; une telle espérance n'est donc pas une vertu, mais est vertu
celle qui est un mouvement de l'esprit, capable de connaître Dieu. |
[66557] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 6 Ad sextum dicendum, quod nulla virtus potest
denominari proprie ab aliqua passione, nisi theologica. Nam virtutes
intellectuales pertinent ad vim cognitivam; passiones autem animae sunt in vi
appetitiva. Virtutes autem morales consistunt medium in passionibus; unde
virtus moralis non nominatur ab aliqua passione absolute, sed a moderatione
passionum, sicut temperantia, fortitudo, et similia. Sed motus humanae mentis
qualitercumque Deum attingeret, ad virtutem pertinet; et ideo nomina
simplicium motuum, sive passionum, adaptantur virtutibus theologicis. Et quia virtutum theologicarum obiectum est Deus, quod est summum
bonum, manifestum est quod passiones quarum obiectum est malum, non possunt
nominare virtutes theologicas. Similiter etiam, cum virtus theologica
pertineat ad statum viae ante iudicium tantum, passiones quarum obiectum est
bonum praesens, ut delectatio et gaudium, non sunt nomina aliquarum virtutum,
sed magis pertinent ad beatitudinem; unde delectatio ponitur una de dotibus
beatitudinis. Desiderium
autem importat quidem motum in futurum, sed sine aliqua praesenti inhaesione
vel spirituali contactu ipsius Dei; unde nec desiderium nominat virtutem
aliquam. Unde relinquitur quod solum spes et amor nominant theologicas
virtutes. |
6. Aucune vertu ne peut
être nommée au sens propre à partir d’une passion, si ce n’est une vertu
théologale. Car les vertus intellectuelles se rapportent à la puissance
cognitive, et les passions de l’âme sont dans la puissance appétitive. Mais
les vertus morales se situent dans un milieu entre des passions ; aussi
la vertu morale n’est-elle pas nommée à partir d’une passion prise isolément,
mais à partir de la modération des passions, comme la tempérance, la force et
les choses semblables. Mais le mouvement de l’esprit humain, quelle que soit
la manière dont il atteint Dieu, se rapporte à la vertu. C’est pourquoi les
noms des mouvements simples ou des passions sont adaptés aux vertus
théologales. Et parce que l’objet des vertus théologales est Dieu, qui est le
Bien suprême, il est clair que les passions dont l’objet est un mal ne
peuvent donner leur nom aux vertus théologales. De même aussi, puisque la
vertu théologale ne concerne que l’état de la voie antérieur au jugement, les
passions dont l’objet est un bien présent, comme le plaisir et la joie, ne
sont pas des noms de vertus, mais se rapportent plutôt à la béatitude ;
aussi le plaisir est-il donné comme un des ornements de la béatitude. Or, le
désir comporte un certain mouvement vers le futur, mais sans une adhésion
actuelle ou un contact spirituel avec Dieu lui-même ; aussi le désir ne
donne-t-il pas non plus son nom à une vertu. Il reste donc que seuls l’espoir
et l’amour donnent leur nom à des vertus théologales. |
6. On ne peut appeler aucune
vertu de façon propre à partir d'une passion, sinon pour les vertus
théologales. En effet, les vertus intellectuelles appartiennent à la force
cognitive, et les passions de l'âme sont dans la force appétitive. Les vertus
morales établissent un juste milieu dans les passions ; en effet, on
n'appelle pas une vertu morale à partir d'une passion de manière absolue,
mais par la modération des passions, comme la tempérance, la force et autres
semblables. Mais le mouvement de l'esprit humain, quelle que soit la qualité
avec laquelle il approche de Dieu, appartient à la vertu ; ainsi, les
noms des mouvements simples, comme les passions, s'adaptent aux vertus
théologales. Puisque Dieu est l'objet des vertus théologales, lui qui est le
souverain bien, il est manifeste que les passions dont l'objet est un mal ne
peuvent s'appeler des vertus théologales. De même, puisqu'une vertu
théologale appartient seulement à l'état de pèlerinage avant le jugement, les
passions dont l'objet est un bien présent, comme le plaisir et la joie, n'ont
le nom d'aucune vertu, mais appartiennent plutôt à la béatitude ; et le
plaisir est considéré comme l'un des biens de la béatitude. Quant au désir,
il comporte un élan vers le futur, mais sans aucune adhésion présente ni
contact spirituel avec Dieu ; le désir n'est donc pas appelé vertu. Il
en résulte que seules l'espérance et l'amour sont appelées vertus
théologales. |
[66558] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 7 Ad septimum dicendum, quod ideo virtutes morales
consistunt in medio, quia ad virtutem moralem pertinet attingere regulam
rationis circa proprium et per se obiectum, scilicet circa passiones et
operationes humanas. Omne autem regulatum, in quantum est huiusmodi, habet
rationem medii; quod autem a regula discedit, aut superfluum aut diminutum
est. Dicitur etiam, quod virtus
intellectualis consistit in hoc quod attingat verum, quod est bonum
intellectus. Veritas autem intellectus humani regulatur et mensuratur ab
essentia rei; ex eo enim quod res est vel non est, opinio vera est vel falsa.
Et ideo etiam virtus intellectualis circa proprium obiectum, in medio
consistit, ut scilicet hoc apprehendat homo de re quod est, non plus nec
minus. Sed virtus
theologica habet pro obiecto ipsam primam regulam non regulatam. Et ideo
sufficit qualitercumque attingere regulam ad rationem virtutis; propter quod
secundum operationem ad proprium et formale obiectum virtus theologica in
medio non consistit. Sed ex parte materialis obiecti potest consistere in
medio, et hoc accidit ei, sicut fides Catholica in divinis procedit inter
haeresim Sabellii confundentis personas, et haeresim Arii substantiam
separantis. Et eodem modo ex parte eius quod est
materiale, obiectum spei consistit in medio, in quantum scilicet aliquis
sperat se adipisci beatitudinem sic vel aliter : sed ex parte formalis
obiecti, quod est auxilium divinum, non consistit in medio; nullus enim
potest nimis divino auxilio inniti. |
7. Les vertus morales se
situent à ce point dans un milieu parce qu’il appartient à la vertu morale
d’atteindre la règle de la raison à propos de ce qui est par soi son objet
propre, à savoir, à propos des passions et des opérations humaines. Or, tout
ce qui soumis à une règle, en tant que tel, a raison de milieu ; mais ce
qui s’éloigne de la règle est un excès ou un manque. On dit aussi que la
vertu intellectuelle consiste en ce qu’elle atteigne le vrai, qui est le bien
de l’intelligence. Or, la vérité de l’intellect humain est réglée et mesurée
par l’essence d’une chose : en effet, une opinion est vraie ou fausse du fait
qu’une chose est ou n’est pas. C’est pourquoi la vertu intellectuelle aussi
se situe dans un milieu par rapport à son objet propre, à savoir, que l’homme
appréhende d’une chose ce qu’elle est, ni plus ni moins. Mais la vertu
théologale a comme objet la règle elle-même, non soumise à une règle. C’est
pourquoi il suffit pour la raison de la vertu [théologale] qu’elle atteigne
la règle de n’importe quelle manière. C’est la raison pour laquelle la vertu
théologale ne se situe pas dans un milieu selon son opération par rapport à
son objet propre et formel. Mais, du point de vue de l’objet matériel, elle
peut se situer dans un milieu, et cela lui arrive, comme la foi catholique, à
propos des réalités divines, avance entre l’hérésie de Sabellius qui confond
les personnes, et l’hérésie d’Arius, qui sépare la substance. Et, de la même
manière, du point de vue de ce qui est matériel, l’objet de l’espérance se
situe dans un milieu, dans la mesure où quelqu’un espère posséder la
béatitude de telle ou telle manière. Mais, du point de vue de l’objet formel,
qui est l’aide divine, elle ne se situe pas dans un milieu. En effet,
personne ne peut trop s’appuyer sur l’aide divine. |
7. Les vertus morales
consistent en un milieu parce qu'il appartient à la vertu morale d'atteindre
la règle de la raison au sujet de l'objet propre et en soi, à savoir les
passions et les opérations humaines. Mais tout ce qui est réglé, en tant que
tel, a raison de milieu ; et ce qui s'écarte de la règle est soit en excès,
soit en défaut. On doit donc dire que la vertu intellectuelle consiste en ce
qu'elle atteint le vrai, qui est le bien de l'intelligence. La vérité de
l'intelligence humaine est réglée et mesurée par l'essence de la chose ;
du fait que la chose est ou n'est pas, l'opinion est vraie ou fausse. C'est
pourquoi, même la vertu intellectuelle, selon l'objet propre, consiste en un
milieu de sorte que l'homme appréhende de la chose ce qu'elle est, ni plus ni
moins. Mais la vertu théologale a pour objet la règle première elle-même qui
n'est pas réglée. Et voilà pourquoi, il lui suffit d'atteindre la règle comme
la raison de la vertu, de n'importe quelle manière ; ainsi, selon
l'opération vers l'objet propre et formel, la vertu théologale ne consiste
pas en un milieu. Mais du côté de l'objet matériel, elle peut consister en
un milieu, et cela lui arrive, comme
la foi catholique marche entre l'hérésie de Sabellius, qui confond les
personnes, et celle d'Arius, qui sépare les substances. De la même manière,
du coté de l'objet matériel, l'objet de l'espérance consiste en un milieu, en
tant qu'on espère atteindre la béatitude de telle ou telle manière ;
mais, du côté de l'objet formel, qui est le secours divin, elle ne consiste
pas en un milieu, car personne ne peut être trop compter sur le secours de
Dieu. |
[66559] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 8 Ad octavum dicendum, quod bonum proportionatum movet appetitum; non
enim naturaliter appetuntur ea quae non sunt proportionata. Quod autem
beatitudo aeterna sit bonum proportionatum nobis, hoc est ex gratia Dei; et
ideo spes, quae tendit in hoc bonum sicut proportionatum homini ad habendum,
est donum divinitus infusum. |
8. Le bien proportionné
meut l’appétit : en effet, ce qui n’est pas proportionné n’est pas désiré
naturellement. Mais que la béatitude éternelle soit pour nous un bien
proportionné, cela vient de la grâce de Dieu. C’est pourquoi l’espérance, qui
tend vers ce bien en tant que sa possession est proportionnée à l’homme, est
un don infus de Dieu. |
8. Le bien proportionné meut
l'appétit ; ce qui n'est pas proportionné ne peut entraîner
naturellement. La béatitude éternelle est un bien qui nous est proportionné,
par la grâce de Dieu ; donc, l'espérance, qui tend au bien en tant que
proportionné à l'homme pour le posséder, est un don infusé par grâce divine. |
[66560] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 9 Ad nonum dicendum, quod diligere Deum super omnia, potest intelligi
dupliciter. Uno modo secundum quod bonum divinum est principium et finis
totius esse naturalis; et sic amant Deum super omnia non solum rationalia,
sed et bruta animalia et inanimata in quantum amare possunt, quia unicuique
parti amabilius est bonum totius quam proprium bonum; unde naturaliter manus
se exponit ictui pro salute totius corporis. Sed iste naturalis amor Dei
pervertitur ab hominibus per peccatum; unde in statu naturae integrae poterat
homo Deum diligere super omnia secundum modum praedictum. Alio modo potest
aliquis diligere Deum super omnia, secundum quod Deus est obiectum
beatitudinis, et secundum quod fit quaedam societas rationalis mentis ad Deum
quadam spirituali unitate; et talis dilectio est actus caritatis, in quem nulla
creatura potest sine gratia. |
9. Aimer Dieu par-dessus
tout peut s’entendre de deux manières. D’une manière, pour autant que le bien
divin est le principe et la fin de tout l’être naturel ; et ainsi, ce ne
sont pas seulement les êtres raisonnables qui aiment Dieu par-dessus tout,
mais aussi les animaux sans raison et les choses inanimées, pour autant
qu’elles peuvent aimer, car le bien du tout est plus aimable à une partie que
son propre bien. C’est pourquoi la main s’expose naturellement à un coup pour
sauver tout le corps. Mais cet amour naturel de Dieu est perverti chez les
hommes par le péché. Aussi, dans l’état de nature intègre, l’homme pouvait-il
aimer Dieu par-dessus tout de la manière indiquée. D’une autre manière,
quelqu’un peut aimer Dieu par-dessus tout selon que Dieu est l’objet de la
béatitude ; et, de cette manière, s’établit une certaine communion de
l’esprit avec Dieu par une certaine unité spirituelle. L’acte de charité est
un tel amour, auquel aucune créature ne peut parvenir sans la grâce. |
9. Aimer Dieu plus que tout
peut s'entendre de deux manières. D'une première manière selon que le bien
divin est principe et fin de tout être naturel ; et c'est ainsi
qu'aiment Dieu plus que tout, non seulement les êtres raisonnables, mais
aussi les animaux et les êtres inanimés en tant qu'ils peuvent aimer, car à
toute partie le bien du tout est plus aimable que son bien propre ;
ainsi, la main s'expose naturellement au coup pour le salut de tout le corps.
Mais cet amour naturel de Dieu est perverti chez les hommes par la
péché ; ainsi, dans l'état de nature intègre, l'homme pouvait aimer Dieu
plus que tout de la manière susdite. D'une autre manière, on peut aimer Dieu
plus que tout selon que Dieu est objet de la béatitude, et selon que le fait
un rapport raisonnable de l'esprit à Dieu, par une certaine union spirituelle
et un tel amour est un acte de charité que ne peut accomplir aucune créature
sans la grâce. |
[66561] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtus inclinat in
proprium actum per moderationem, sicut Tullius dicit; et ideo certitudo spei
et aliarum virtutum non est referenda ad cognitionem obiecti vel principiorum
propriorum, sed ad infallibilem inclinationem in actu. |
10. La vertu incline à son
acte propre par la modération, comme le dit Tullius [Cicéron]. C’est pourquoi
la certitude de l’espérance et des autres vertus ne doit pas être mise en
rapport avec la connaissance de l’objet ou de ses principes propres, mais
avec l’inclination infaillible de son acte. |
10. La vertu incline à l'acte
propre, par modération, selon ce que dit Cicéron ; donc, la certitude de
l'espérance et des autres vertus ne se réfère pas à la connaissance de
l'objet ou des principes propres, mais à l'infaillible inclination à l'acte. |
[66562] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 11
Ad undecimum dicendum, quod caritas
facit unionem in affectu, ut scilicet amans reputet amicum quasi se alterum,
et Deum plus quam se; potest tamen esse cum distantia reali rei amatae. Et
ita caritas potest esse cum spe. |
11. La charité réalise une
union affective, de sorte que celui qui aime considère son ami comme un autre
lui-même, et Dieu plus que lui-même. Cependant,
cela peut exister avec une distance réelle par rapport à la chose aimée. Et
ainsi, la charité peut exister avec l’espérance. |
11. La charité fait l'union dans l'affection,
comme celui qui aime regarde l'être aimé comme un autre lui-même et Dieu plus
que lui-même ; il peut cependant être distant de la réalité aimée, et
ainsi la charité peut exister avec l'espérance. |
[66563] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 12 Ad duodecimum dicendum, quod spes habet
perfectionem quamdam cum imperfectione. Et ex illa
parte qua habet perfectionem, habet perfectam rationem virtutis : et ex hac
parte plenissime fuit in Christo; ipse enim plenissime inhaesit divino
auxilio. Et ex parte eius quod est
imperfectionis, defuit ei spes, sicut et fides. |
12. L’espérance possède
une certaine perfection comportant une certaine imperfection. Pour autant
qu’elle possède une perfection, elle possède la raison parfaite de
vertu ; de ce point de vue, elle a existé en toute plénitude chez le
Christ, car il a adhéré à l’aide divine en toute plénitude. Mais du point de
vue de ce qui est imperfection [dans l’espérance], l’espérance lui a fait
défaut, de même que la foi. |
12. L'espérance comporte une
certaine perfection avec imperfection. Du côté où elle a une perfection, elle
a une parfaite raison de vertu ; et de ce côté, elle a existé chez le Christ de manière très pleine, car il
adhérait très pleinement au secours divin. Et du côté de l'imperfection,
l'espérance lui faisait défaut, tout comme la foi. |
[66564] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 13
Ad decimumtertium dicendum, quod spes
non affligit animam, sed magis est causa delectationis, in quantum facit rem
separatam quodammodo esse praesentem secundum fiduciam adipiscendi; unde et
apostolus dicit Roman., XII, 12 : spe gaudentes. Sed dilatio rei speratae est
quae quandoque affligit. |
13. L’espérance n’afflige
pas l’âme, mais elle est plutôt cause de plaisir pour autant qu’elle rend la
chose séparée présente d’une certaine manière par la confiance de la
posséder. Aussi l’Apôtre dit-il, Rm 12, 12 : Nous réjouissant
dans l’espérance. Mais c’est l’éloignement de la chose espérée qui
provoque parfois l’affliction. |
13. L'espérance n'afflige pas
l'âme, mais est plutôt cause de délectation en tant qu'elle rend d'une
certaine façon présente une chose éloignée, dans la confiance de l'obtenir.
Ainsi saint Paul dit aux Romains : “soyez joyeux dans l'espérance” (12,
12). Mais l'ajournement de la
chose espérée est parfois affligeant. |
[66565] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod duplex est delectatio : una quidem
de obiecto actus; alia vero de ipso actu. Prima autem delectatio non est
propria virtutis, quia est aliqua virtus ad quam pertinet dolere de suo
obiecto, scilicet poenitentia. Sed secunda delectatio, quae est de actu, est
propria virtutis, quia unicuique habenti virtutem est delectabilis operatio
quae est secundum proprium habitum; unde etiam poenitens de dolore gaudet.
Sic igitur spes, in quantum causat delectationem de re sperata, non causat
delectationem per se, sed per aliud, id est in quantum facit eam existimare
ut praesentem. Sed secundum quod causat delectationem
de proprio actu, sic per se delectationem causat. |
14. Il existe un double
plaisir : l’un dans l’objet de l’acte ; l’autre dans l’acte lui-même. Le
premier plaisir n’est pas propre à la vertu, car il existe une vertu à
laquelle il appartient d’être affligée de son objet, à savoir, la pénitence.
Mais le second plaisir, qui porte sur l’acte, est propre à la vertu, car la
mise en œuvre d’une vertu selon son objet propre est délectable pour
quiconque la possède. C’est ainsi que même le pénitent se réjouit de sa
douleur. Ainsi donc, l’espérance, pour autant qu’elle cause un plaisir à
propos de la chose espérée, ne cause pas de plaisir par soi, mais par quelque
chose d’autre, c’est-à-dire pour autant qu’elle la lui fait estimer pour
ainsi dire présente. Mais pour autant qu’elle cause un plaisir portant sur
son propre acte, elle cause par elle-même un plaisir. |
14. Il y a une double
délectation : l'une qui vient de l'objet de l'acte, l'autre de l'acte
lui-même. Mais la première n'est pas propre à la vertu, car il y a une vertu
dont l'objet propre est de pleurer : c'est la pénitence. La seconde
délectation, qui veint de l'acte, est propre à la vertu, car pour le vertueux
est délectable l'opération qui eest selon son propre habitus ; et là le
pénitent se réjouit de sa douleur. L'espérance, en tant qu'elle cause la
délectation au sujet de la chose éloignée, ne cause donc pas ainsi de la
délectation en soi mais en tant qu'elle le fait estimer comme présente. Mais,
selon qu'elle cause la délectation au sujet de son acte propre, elle cause en
soi la délectation. |
[66566] De
virtutibus, q. 4 a. 1 ad 15 Ad decimumquintum dicendum, quod facere actum difficilem potest
intelligi dupliciter. Uno modo quod faciat difficultatem in actu; et hoc
sensu procedebat obiectio. Sic autem spes non facit actum difficilem, quia
non adhibet difficultatem actui, sed magis minuit. Alio modo potest intelligi
facere actum difficilem, quia propter spem homines aggrediuntur difficilia. |
15. Faire un acte
difficile peut s’entendre de deux manières. D’une manière, selon qu’un acte
est rendu difficile, et l’objection venait de ce sens. Mais l’espérance ne
rend pas ainsi l’acte difficile, car elle n’apporte pas de difficulté à
l’acte, mais plutôt lui en enlève. D’une autre manière, on peut entendre
rendre un acte difficile du fait que les hommes entreprennent des choses
difficiles à cause de l’espérance. |
15. L'on peut comprendre de
deux manières la réalisation d'un acte difficile. D'abord, quand la
difficulté est dans l'acte : c'est en ce sens que se comprenait l'objection.
Mais l'espérance ne fait pas un acte difficile, car elle n'ajoute pas la
difficulté à l'acte, mais la diminue plutôt. De l'autre manière, on peut
comprendre la réalisation d'un acte difficile, car, par l'espérance, les
hommes surmontent les difficultés. |
[66567] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 16
Ad decimumsextum dicendum, quod
distantia a termino ad quem vel a termino a quo, invenitur in quolibet motu;
non tamen ex ea motus specificatur, sed potius ex termino. Et ideo non
sequitur, quod si motus est distantis, maior motus magis sit distans : haec
enim scientia arguendi tenet solum in his quae sunt per se. Videmus autem
quod motus naturalis quanto magis appropinquat ad terminum, tanto magis
intenditur. Et similiter etiam est de spe. |
16. La distance par
rapport au point de départ ou au point d’arrivée se rencontre en tout
mouvement ; cependant, le mouvement n’en reçoit pas son espèce, mais il
la reçoit plutôt du terme. C’est pourquoi il n’en découle pas que si le
mouvement porte sur quelque chose de distant, le mouvement sera d’autant plus
grand qu’il porte sur quelque chose de plus éloigné, car cette manière de
raisonner ne vaut que pour les choses qui existent en elles-mêmes. Or, nous
voyons que plus le mouvement naturel approche de son terme, plus il y tend.
Et il en est de même pour l’espérance. |
16. Dans tout mouvement, on
trouve une distance entre un terminus a quo et un terminus ad quem ;
le mouvement n'est pourtant pas signifié par cette distance, mais plutôt par
le terme. Ainsi, il n'en résulte pas que, s'il y a mouvement d'un objet
distant, plus grand est le mouvement, plus éloigné serait l'objet. Ce genre
d'argument vaut seulement pour les objets qui existent par eux-mêmes. Nous
voyons que le mouvement naturel tend davantage à son terme qu'il en approche
d'autant plus. Et il en est de
même de l'espérance. |
[66568] De virtutibus, q. 4 a. 1 ad 17
Ad decimumseptimum dicendum, quod
memoria non importat aliquam inhaesionem, unde possit habere rationem
virtutis, sicut habet spes; et ideo non est simile. |
17. La mémoire ne comporte
pas d’adhésion qui pourrait lui donner raison de vertu, comme c’est le cas de
l’espérance. Ce n’est donc pas la même chose. |
17. La mémoire n'implique pas
une certaine adhésion d'où elle peut obtenir raison de vertu, comme l'a
l'espérance ; il n'y a donc pas similitude. |
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Articulus 2 : [66569] De virtutibus, q. 4 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur
utrum spes sit in voluntate sicut in subiecto |
Article 2 – Est-ce que l’espérance se trouve dans
la volonté comme dans son sujet?
|
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[66570] De virtutibus, q. 4 a. 2 tit. 2 Et videtur quod
non. |
Objections : Il semble que non. |
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[66571] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 1 Obiectum enim
spei est bonum arduum. Sed arduum est obiectum irascibilis. Ergo spes est in
irascibili, et non in voluntate. |
1.
L’objet de l’espérance est un bien difficile. Or, ce qui est difficile est
l’objet de l’irascible. L’espérance se trouve donc dans l’irascible, et non
dans la volonté. |
|
[66572] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 2 Praeterea,
caritas est perfectissima virtutum. Ergo sufficit ad
perficiendam unam potentiam. Sed caritas est in voluntate. Non ergo in voluntate est spes. |
2.
La charité est la plus parfaite des vertus. Elle suffit donc à perfectionner
une seule puissance. Or, la charité est dans la volonté. L’espérance ne se
trouve donc pas dans la volonté. |
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[66573] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 3 Praeterea, ideo non possumus plura intelligere simul, quia intellectus
non potest simul informari diversis speciebus intelligibilibus, sicut nec
corpus diversis figuris, ut Algazel dicit. Ergo, pari ratione, una potentia
non potest simul informari in actu secundum diversos habitus, ut scilicet
secundum utrumque actu operetur. Sed simul potest esse actus spei cum actu
caritatis. Ergo caritas et spes non possunt esse simul in una potentia. Sed
caritas est in voluntate. Spes ergo non est in voluntate. |
3.
Nous ne pouvons pas intelliger plusieurs choses en même temps parce que
l’intellect ne peut pas recevoir en même temps les formes d’espèces
intelligibles différentes, de même que le corps ne le peut pour des figures
diverses, comme le dit Algazel. Pour la même raison, donc, une puissance ne
peut pas recevoir en acte la forme de divers habitus, de sorte que les deux
puissent être exercés en acte. Or, un acte d’espérance peut exister en même
temps qu’un acte de charité. La charité et l’espérance ne peuvent donc pas se
trouver en même temps dans une seule puissance. L’espérance ne se trouve donc
pas dans la volonté. |
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[66574] De virtutibus, q. 4 a. 2 arg. 4 Praeterea, spes
est certa expectatio. Sed certitudo pertinet ad vim cognitivam.
Ergo spes est in vi cognitiva, et non in voluntate. |
4.
L’espérance est une attente certaine. Or, la certitude relève de la puissance
cognitive. L’espérance se trouve donc dans la puissance cognitive, et non
dans la volonté. |
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[66575] De virtutibus, q. 4 a. 2 s. c. Sed contra,
spes est ex meritis proveniens. Sed merita
pertinent ad voluntatem. Ergo spes est in voluntate. |
Cependant : L’espérance
provient des mérites. Or, les mérites se rapportent à la volonté. L’espérance
se trouve donc dans la volonté. |
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[66576] De virtutibus, q. 4 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod, sicut dictum est, spes est virtus theologica, unde eius obiectum est Deus. Nulla autem vis sensitiva potest
se extendere ad hoc obiectum quod est Deus, quia sensus corporalia non
transcendit; et ideo spes non potest esse in aliqua vi sensitiva. Manifestum
autem est quod spes ad vim appetitivam pertinet, eo quod obiectum eius est
bonum, ut supra, art. praeced., dictum est; unde oportet quod sit in vi
appetitiva rationis, quae est voluntas, secundum philosophum in III de anima.
Unde spes est in voluntate sicut in subiecto. Huiusmodi autem appetitus
rationalis non dividitur per irascibilem et concupiscibilem, ut quidam
posuerunt : quia obiectum voluntatis est bonum, secundum communem boni
rationem, quam potest intellectus apprehendere, non autem sensus. Et ideo
appetitus sensitivus, cuius obiectum est bonum secundum rationem
particularem, dividitur in irascibilem et concupiscibilem, secundum diversas
rationes boni sensibilis, quod vel est delectabile secundum sensum ad quod
ordinatur concupiscibilis; vel est altitudinem propriam habens supra
impedimenta delectationis, et hoc est obiectum irascibilis. Unde in appetitu
superiori irascibilis et concupiscibilis non ponuntur. Sic ergo subiectum
spei non est irascibilis, sed voluntas. |
Réponse : Comme on l’a dit,
l’espérance est une vertu théologale ; son objet est donc Dieu. Or,
aucune puissance sensible ne peut aller jusqu’à avoir Dieu pour objet, car
les sens ne dépassent pas les réalités corporelles. C’est pourquoi
l’espérance ne peut se trouver dans une puissance sensible. Or, il est clair
que l’espérance appartient à une puissance appétitive, du fait que son objet
est le bien, comme on l’a dit plus haut, dans l’article précédent. Il faut donc
qu’elle se trouve dans la puissance appétitive de la raison, qui est la
volonté, selon le Philosophe, dans Sur l’âme, III. L’espérance se
trouve donc dans la volonté comme dans son sujet. Or, cet appétit raisonnable
ne se divise pas en irascible et en concupiscible, comme certains l’ont
affirmé, car l’objet de la volonté est le bien, selon la raison commune de
bien, que l’intellect peut appréhender mais non le sens. C’est pourquoi
l’appétit sensible, dont l’objet est le bien selon une raison particulière,
se divise en irascible et concupiscible, selon les diverses raisons du bien
sensible, qui est délectable selon le sens, à quoi est ordonné le
concupiscible, ou qui possède une certaine élévation par rapport aux
obstacles à la délectation, et cela est l’objet de l’irascible. C’est la
raison pour laquelle on ne distingue pas l’irascible et le concupiscible dans
l’appétit supérieur. Ainsi donc, le sujet de l’espérance n’est pas
l’irascible, mais la volonté. |
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[66577] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod spes de qua loquimur, est ardui intelligibilis, quod non est
obiectum alicuius specialis potentiae; sed voluntas in ipsum tendit secundum
rationem universalem boni. |
Solutions : 1. L’espérance dont nous
parlons porte sur un intelligible difficile, qui n’est l’objet d’aucune
puissance spéciale. Mais la volonté y tend selon la raison universelle de
bien. |
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[66578] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod caritas perficit voluntatem perfecte quantum ad unum motum
eius, qui est amare; sed indiget alia perfectione quantum ad alium motum eius
qui est sperare. |
2. La charité perfectionne
la volonté selon un seul de ses mouvements, aimer. Mais elle a besoin d’une
autre perfection par rapport à un autre de ses mouvements qui est d’espérer. |
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[66579] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod quando sunt multa ordinata ad unum, possunt simul intelligi :
similiter etiam motus spei simul potest esse cum motu caritatis, quia ad se
invicem ordinantur. |
3. Lorsque beaucoup de choses
sont ordonnées à une seule, elles peuvent être intelligées en même temps. De
la même manière aussi, un mouvement de l’espérance peut exister avec un
mouvement de charité, car ils sont ordonnés l’un à l’autre réciproquement. |
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[66580] De virtutibus, q. 4 a. 2 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod certitudo spei derivatur a certitudine fidei : in quantum enim
motus appetitivae virtutis dirigitur a virtute cognoscitiva, participat
aliquid de eius certitudine. |
4. La certitude de
l’espérance découle de la certitude de la foi : en effet, le mouvement de la
puissance appétitive participe à la certitude dans la mesure où il est dirigé
par la puissance cognitive. |
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Articulus 3 : [66581] De virtutibus, q. 4 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum
spes sit prior caritate |
Article 3 – Est-ce que l’espérance précède la
charité ?
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[66582] De virtutibus, q. 4 a. 3 tit. 2 Et videtur quod
non. |
Objections : Il semble que non. |
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[66583] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 1 Ambrosius enim
super illud Luc., XVII, 6 : si habueritis fidem sicut granum sinapis
etc., dicit : ex fide est caritas, ex caritate spes. Sed fides est
prior caritate. Ergo caritas est prior spe. |
1. Ambroise dit, à propos
de Lc 17, 6 : Si vous aviez une foi grosse comme un grain de
senevé, etc. : «La charité vient de la foi, et l’espérance de la
charité.» Or, la foi précède la charité. La charité précède donc l’espérance. |
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[66584] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 2 Praeterea,
Augustinus dicit in Enchirid., quod fides sine caritate non prodest; spes
autem sine caritate esse non potest. Sed si spes esset prior caritate, posset
esse sine ea, sicut et fides, licet non prodesset. Ergo spes non est prior
caritate. |
2. Augustin dit, dans l’Enchiridion,
que la foi sans la charité n’est pas utile, mais que l’espérance ne peut exister
sans la charité. Or, si l’espérance précédait la charité, elle pourrait
exister sans elle, comme la foi, bien qu’elle ne serait pas utile.
L’espérance ne précède donc pas la charité. |
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[66585] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 3 Praeterea,
Augustinus dicit, XII de civitate Dei, quod boni motus atque affectus, ex
amore et ex sancta caritate veniunt. Sed sperare, secundum quod est actus
spei, est quidam motus et affectus laudabilis. Ergo derivatur a sancta
caritate. Sic ergo caritas est prior spe. |
3. Augustin dit, dans La
cité de Dieu, XII, que les mouvements et les sentiments bons viennent de
l’amour et d’une sainte charité. Or, espérer, en tant qu’acte de l’espérance,
est un certain mouvement et un certain sentiment louable. Il découle donc
d’une sainte charité. Ainsi donc, la charité précède l’espérance. |
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[66586] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 4 Praeterea, spes
est cum desiderio, ut supra dictum est. Sed desiderium non est nisi boni
amati. Ergo spes praesupponit amorem : ergo est posterior caritate. |
4. L’espérance est
accompagnée de désir. Or, il ne peut y avoir de désir que d’un bien aimé.
L’espérance présuppose donc l’amour. Elle suit donc la charité. |
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[66587] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 5 Praeterea,
inter affectiones animae, prima est amor; ex eo enim omnes actiones et
affectiones animae derivantur, ut patet per Dionysium. Sed spes importat
quamdam animae affectionem. Ergo caritas, quae est amor, est prior spe. |
5. Parmi les sentiments de
l’âme, l’amour est premier : en effet, tous les actions et sentiments de
l’âme en découlent, comme cela ressort clairement de Denys. Or, l’espérance
comporte un certain sentiment de l’âme. La charité, qui est amour, précède
donc l’espérance. |
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[66588] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 6 Praeterea,
spes, vel desiderium, non est nisi proprii boni. Sed
bonum aliquod fit proprium appetenti per amorem; sic enim redditur
conveniens. Ergo spes et desiderium praesupponit amorem. |
6. Il n’y a d’espérance ou
de désir que de son bien propre. Or, à qui désire, un bien devient propre par
l’amour : en effet, c’est ainsi qu’il s’en rapproche. L’espérance et le désir
présupposent donc l’amour. |
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[66589] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 7 Praeterea,
Augustinus dicit, XIV de Civit. Dei, quod recta voluntas est caritatis. Sed
recta voluntas praecedit spem. Ergo caritas praecedit spem. |
7. Augustin dit, dans La
cité de Dieu, XIV, que la volonté droite relève de la charité. Or, la
volonté droite précède l’espérance. La charité précède donc l’espérance. |
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[66590] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 8 Praeterea,
eorum quae sunt simul, unum non est prius altero. Sed fides, spes et caritas
sunt simul : quia, sicut Gregorius dicit super Ezech., aequaliter ab homine
habentur. Ergo spes non est prior caritate. |
8. Dans les choses
simultanées, l’une ne précède pas l’autre. Or, la foi, l’espérance et la
charité sont simultanées, car, comme le dit Grégoire dans son commentaire sur
Ézéchiel, elles sont possédées également par l’homme. L’espérance ne précède
donc pas la charité. |
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[66591] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 9 Praeterea, idem
non est prius seipso. Sed idem videtur esse spes caritati; cum utriusque sit
unum obiectum, scilicet summum bonum. Ergo spes non est prior caritate. |
9. Une même chose n’est
pas antérieure à elle-même. Or, l’espérance semble être la même chose que la
charité, puisque les deux n’ont qu’un seul objet, le Bien suprême.
L’espérance ne précède donc pas la charité. |
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[66592] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 10 Praeterea,
Magister dicit, 26 dist. Lib. III sententiarum, quod spes ex meritis
provenit, quae praecedunt non solum rem speratam, sed spem quam praeit
caritas. Ergo spes non est prior caritate. |
10. Le Maître dit, dans Sentences,
III, d. 26, que l’espérance vient des mérites, qui précèdent non
seulement la chose espérée, mais l’espérance que la charité précède.
L’espérance ne précède donc pas la charité. |
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[66593] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 11 Praeterea, spei
opponitur desperatio; caritati autem opponitur quodlibet peccatum mortale. Sed
prius est quod homo incidat in peccatum mortale quam quod incidat in
desperationem. Ergo caritas est prior spe. |
11. Le désespoir s’oppose
à l’espérance ; mais tout péché mortel s’oppose à la charité. Or, le
fait pour un homme de tomber dans le péché mortel précède le fait qu’il tombe
dans le désespoir. La charité précède donc l’espérance. |
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[66594] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 12 Praeterea, ordo habituum et actuum est secundum ordinem obiectorum.
Sed bonum, quod est obiectum caritatis, est prius quam arduum, quod est
obiectum spei, quia arduum se habet ex additione ad bonum. Ergo caritas est prior spe. |
12. L’ordre entre les
habitus et les actes suit l’ordre entre les objets. Or, le bien, qui est
l’objet de la charité, précède ce qui est difficile, qui est l’objet de
l’espérance, car le fait d’être difficile s’ajoute au bien. La charité
précède donc l’espérance. |
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[66595] De virtutibus, q. 4 a. 3 arg. 13 Praeterea, quidquid nobilitatis convenit alicui incompleto in aliquo
genere, convenit etiam completo in genere illo. Sed
manifestum est quod aliquis amor incompletus praecedit spem. Ergo multo magis
amor completus, qui est caritas, spem praecedit. |
13. Toute la noblesse qui
convient à quelque chose d’incomplet dans un genre, convient aussi à ce qui
est complet dans ce genre. Or, il est clair qu’un amour incomplet précède l’espérance.
À bien plus forte raison donc, l’amour complet, qui est la charité, précède
l’espérance. |
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[66596] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Matth. I, v. 2 : Abraham genuit Isaac;
Isaac autem genuit Iacob; Glossa : id est, fides genuit spem, spes
caritatem. Sed generans est prius genito. Ergo spes est prior
caritate. |
Cependant : 1. La Glose dit à propos
de Mt 1, 2 : Abraham engendra Isaac ; Isaac engendra Jacob
: «C’est-à-dire, la foi engendra l’espérance, et l’espérance la charité».
Or, ce qui engendre est antérieur à ce qui est engendré. L’espérance est donc
antérieure à la charité. |
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[66597] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 2 Praeterea, super illud Psal. XXXVI, spera in Deo, et fac bonitatem,
dicit Glossa : spes est introitus ad fidem, et initium humanae salutis.
Et
sic videtur quod spes sit prior fide. Sed prior est fides caritate. Ergo et spes. |
2. La Glose dit, à propos
de Ps 36 : Espère en Dieu et fais le bien : «L’espérance est
l’entrée vers la foi et le commencement du salut de l’homme.» Il
semble ainsi que l’espérance précède la foi. Or, la foi précède la charité.
Donc, l’espérance aussi. |
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[66598] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 3 Praeterea, apostolus dicit, I ad Timoth., cap. I, 5 : finis
praecepti caritas est de corde puro et conscientia bona; Glossa : id
est spes. Et sic videtur quod caritas procedat ex spe. Spes ergo est
prior caritate. |
3. L’apôtre dit en 1
Tm 1, 5 : La fin du commandement est la charité qui vient d’un
cœur pur et d’une conscience bonne. La Glose dit : «C’est-à-dire,
l’espérance.» Il semble ainsi que la charité vienne de l’espérance.
L’espérance est donc antérieure à la charité. |
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[66599] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 4 Praeterea,
Augustinus dicit X de Trinit., quod nullus amat nisi id ad quod se sperat
posse pervenire; et id quod quis non sperat, aut non amat, aut tepide amat.
Ergo amor praesupponit spem. |
4. Augustin dit, dans La
Trinité, X, que «personne n’aime que ce à quoi il espère parvenir, et ce
que quelqu’un n’espère pas, il ne l’aime pas, ou bien il l’aime avec
tiédeur». L’amour présuppose donc l’espérance. |
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[66600] De virtutibus, q. 4 a. 3 s. c. 5 Praeterea,
prius est a quo non convertitur consequentia subsistendi. Sed spes est
huiusmodi; in statu enim viae quicumque habet caritatem, habet spem; sed non
convertitur. Ergo spes est prior caritate. |
5. Est antérieur ce à quoi
une conséquence ne peut pas être convertie. Or, l’espérance est de cet ordre
: en effet, dans l’état de cheminement, quiconque possède la charité possède
l’espérance, mais non pas l’inverse. L’espérance est donc antérieure à la
charité. |
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[66601] De virtutibus, q. 4 a. 3 co. Respondeo. Dicendum, quod prius dicitur aliquid, vel secundum rationem
alicuius principii, vel quia principio propinquius est. Sunt autem duo
principia intrinseca rei : materia, et forma; et secundum horum differentiam
aliquid dicitur dupliciter prius. Uno quidem modo est aliquid prius altero
perfectione, sicut actus potentia, et perfectum imperfecto : quae quidem
prioritas respondet principio formali. Alio vero modo est aliquid prius in
via generationis et temporis; et sic potentia est prior actu in eodem, et
imperfectum perfecto. Simpliciter autem et universaliter etiam tempore
perfectum est prius, quia imperfectum non movetur nisi ab aliquo praeexistenti
perfecto; hoc autem respondet materiali principio. Secundum igitur primum
prioritatis modum caritas est prior naturaliter spe; secundum autem modum
secundum spes in uno homine praecedit caritatem. Ad cuius evidentiam sciendum
est, quod omnes affectiones animae, quae sunt quidam appetitivi motus,
proportionantur motibus naturalibus, eo quod motus naturalis ex inclinatione
naturali procedit, quae dicitur appetitus naturalis; et similiter motus
affectionum animalium procedunt ex inclinatione animalis, quae est appetitus
animalis. In motibus autem naturalibus invenimus, primo quidem, principium
ipsius motus, quod est informatio mobilis per suam formam non animalem, sicut
cum generatur grave aut leve. Secundo est motus naturalis, proveniens ex tali forma; sicut cum
corpus ascendit et descendit. Tertio vero est quies in proprio loco. Et
similiter in appetitu animali, primo quidem est informatio quaedam ipsius
appetitus per bonum; et hoc est amor, qui unit amatum amanti. Ex hoc autem
secundo sequitur, si bonum amatum sit distans, quod appetitus tendat in illud
motu desiderii vel spei. Tertio autem sequitur gaudium vel delectatio, quando
aliquis pertingit ad rem amatam. Sicut igitur motus et quies naturalis
provenit ex forma, ita omnis affectio animae provenit ex amore. Oportet igitur quod secundum differentiam amoris attendatur
differentia in caeteris affectionibus animae. Est autem duplex amor :
unus quidem imperfectus, alius autem perfectus. Imperfectus quidem amor
alicuius rei est, quando aliquis rem aliquam amat non ut ei bonum in seipsa
velit, sed ut bonum illius sibi velit; et hic nominatur a quibusdam
concupiscentia, sicut cum amamus vinum, volentes eius dulcedine uti; vel cum
amamus aliquem hominem propter nostram utilitatem vel delectationem. Alius
autem est amor perfectus, quo bonum alicuius in seipso diligitur, sicut cum
amando aliquem, volo quod ipse bonum habeat, etiam si nihil inde mihi
accedat; et hic dicitur esse amor amicitiae, quo aliquis secundum seipsum
diligitur; unde ista est perfecta amicitia, ut dicitur in VIII Ethic. Caritas
autem est non quicumque amor Dei, sed amor perfectus, quo Deus in seipso
diligitur. Ad hoc autem quod aliquis bonum divinum secundum se diligat,
inducitur ex bonis a Deo provenientibus, quae sibi quis vult, et ex malis quae,
Deo inhaerendo, vitat. Quantum ad vitationem malorum, pertinet
ad hunc amorem timor; quantum vero ad consecutionem bonorum, pertinet ad sui
amorem spes, quae est motus tendens in aliquid adipiscendum, sicut dictum
est. Unde utrumque horum secundum propriam
rationem derivatur ex imperfecto Dei amore. Et propter hoc in via
generationis et temporis sicut timor praecedit caritatem, et introducit ad
ipsam, ut Augustinus dicit super canonicam Ioan. : ita etiam et spes
introducit ad caritatem : dum aliquis per hoc quod sperat se aliquod bonum a
Deo consequi, ad hoc deducitur ut Deum propter se amet. |
Réponse : On dit qu’une chose est
antérieure soit selon la raison d’un principe, soit en raison de sa proximité
par rapport au principe. Or, il existe deux principes intrinsèques d’une
chose : la matière et la forme. Et, selon la différence de ces deux
[principes], on peut dire qu’une chose est antérieure de deux manières. D’une
manière, on peut dire qu’une chose est antérieure à une autre par la
perfection : cette perfection répond au principe formel. D’une autre manière,
une chose est antérieure sur la voie de la génération et du temps : et ainsi,
la puissance est antérieure à l’acte dans une même chose, et l’imparfait au
parfait. Or, ce qui est parfait est tout simplement et universellement
antérieur, même dans le temps, car ce qui est imparfait n’est mû que par
quelque chose d’antérieur qui est parfait : cela répond au principe matériel.
Selon le premier mode de priorité, la charité est donc naturellement
antérieure à l’espérance ; selon le second mode, l’espérance précède la
charité chez un homme. Pour le montrer, il faut savoir que tous les
sentiments de l’âme, qui sont des mouvements appétitifs, sont proportionnés
aux mouvements naturels, du fait que le mouvement naturel vient d’une
inclination naturelle, qui est appelée appétit naturel. De même, les
mouvements affectifs des animaux procèdent d’une inclination de l’animal, qui
est l’appétit animal. Or, dans les mouvements naturels, nous trouvons, en
premier lieu, le principe du mouvement même, qui est la forme donnée à ce qui
est mû par sa forme non animale, comme lorsque quelque chose de lourd ou de
léger est engendré. Deuxièmement, il y a le mouvement naturel provenant d’une
telle forme, comme lorsque un corps monte et descend. Troisièmement, il y a
le repos dans son lieu propre. De la même façon, dans l’appétit animal, il y
a, premièrement, la forme donnée à l’appétit par un bien : et cela est
l’amour, qui unit ce qui est aimé à ce qui aime. De cela découle, si le bien
aimé est distant, que l’appétit tend vers lui par un mouvement de désir et
d’espoir. Troisièmement, il en découle une joie ou un plaisir, lorsque
quelqu’un parvient à la chose aimée. Ainsi donc, de même que le mouvement et
le repos naturels viennent de la forme, de même toute affection de l’âme
provient de l’amour. Il est donc nécessaire que, selon la différence de
l’amour, on relève une différence dans les autres affections de l’âme. Il
existe un double amour : l’un imparfait, l’autre parfait. L’amour imparfait
d’une chose se produit lorsque quelqu’un aime une chose, non pas parce qu’il
lui veut du bien, mais parce qu’il veut son bien pour lui-même. Certains
l’appellent «concupiscence», comme lorsque nous aimons le vin, en voulant
utiliser sa douceur, ou lorsque nous aimons un homme pour notre utilité ou
notre plaisir. Il existe un autre amour parfait, par lequel le bien de
quelqu’un est aimé en lui-même, comme, lorsque j’aime quelqu’un, je veux
qu’il ait un bien, même si rien ne m’en est ajouté. Cet amour s’appelle amour
d’amitié, par lequel quelqu’un est aimé pour lui-même. C’est là l’amitié
parfaite, comme il est dit dans Éthique, VIII. Or, la charité n’est
pas un amour quelconque de Dieu, mais un amour parfait, par lequel Dieu est
aimé en lui-même. Mais pour que quelqu’un aime le bien divin en lui-même, il
est conduit par des biens qui viennent de Dieu, que l’on aime pour soi-même,
et par des maux que l’on évite en adhérant à Dieu. Pour ce qui est de
l’évitement de maux, la crainte est en rapport avec cet amour ; pour ce
qui est de l’obtention de biens, l’espérance se rapporte à l’amour de soi,
elle qui est un mouvement tendant vers l’obtention de quelque chose, comme on
l’a dit. Aussi ces deux choses, selon leur raison propre, découlent-elles d’un
amour imparfait de Dieu. Pour cette raison, en cours de génération ou selon
le temps, la crainte précède la charité et y fait entrer, comme Augustin le
dit en commentant la lettre canonique de Jean ; de même, l’espérance
fait entrer dans la charité, lorsque quelqu’un, du fait qu’il espère obtenir
de Dieu un bien, est conduit à aimer Dieu pour lui-même. |
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[66602] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 1 Ad primum ergo
dicendum, quod sicut Ambrosius ibidem subdit, rursus in se quodam sancto
circuitu refunduntur, quia scilicet, cum aliquis ex spe iam ad caritatem
introductus fuerit, tunc etiam perfectius sperat, et castius timet, sicut
etiam et firmius credit. Et ideo quod dicit quod ex caritate est spes, non
loquitur quantum ad primam caritatis generationem, sed quantum ad secundam
caritatis refusionem; secundum quod iam nobis indita, facit nos et perfectius
sperare et credere. |
Solutions : 1. Comme Ambroise l’ajoute
plus loin au même endroit, elles rejaillissent l’une sur l’autre comme en
saint retour, car lorsque quelqu’un est déjà entré dans la charité à partir
de l’espérance, il espère alors encore plus parfaitement, et il craint avec
plus de pudeur, comme il croit aussi plus fermement. C’est pourquoi,
lorsqu’il dit que l’espérance vient de la charité, il ne parle pas du premier
engendrement de la charité, mais du second influx de charité, selon que, déjà
infuse en nous, elle nous fait espérer et croire plus parfaitement. |
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[66603] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod spes quae est ex meritis praecedentibus, non potest esse sine
caritate, quae est merendi principium. Sed spes informis, quae est sine
meritis in actu, sed ex meritis in proposito, est quidem sine caritate in
actu, sed non sine caritate in proposito. |
2. L’espérance qui se
fonde sur des mérites antérieurs ne peut exister sans la charité, qui est le
principe du mérite. Mais l’espérance informe, qui ne produit pas de mérites
en acte, mais s’appuie sur des mérites en intention, existe sans la charité
en acte, mais non sans la charité en intention. |
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[66604] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 3 Ad tertium
dicendum, quod Augustinus ibi loquitur de bonis motibus et affectibus
meritoriis; huiusmodi enim ex caritate causantur. |
3. Augustin parle en cet
endroit des bons mouvements et sentiments méritoires. En effet, ceux-là sont
causés par la charité. |
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[66605] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ratio illa probat quod spes praesupponat aliquem amorem. Non
tamen oportet quod praesupponat amorem caritatis, sed amorem sui ipsius, quo
quis optat bonum divinum. |
4. Cet argument prouve que
l’espérance présuppose un certain amour. Toutefois, il n’est pas nécessaire
qu’elle présuppose l’amour de charité, mais l’amour de soi, par lequel
quelqu’un se souhaite à lui-même un bien divin. |
|
[66606] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 5 Et per hoc
patet solutio ad quintum et ad sextum. |
5. Par là ressort
clairement la solution aux cinquième et sixième arguments. |
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[66607] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod recta voluntas dicitur caritas causaliter; quia scilicet
perfecta rectitudo voluntatis non potest esse nisi ex caritate. Sed talis
perfectio voluntatis non praecedit spem informem. |
7. La volonté droite
s’appelle charité par manière de cause, car la parfaite rectitude de la
volonté ne peut exister que par la charité. Mais une telle perfection de la
volonté ne précède pas l’espérance informe. |
|
[66608] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 8 Ad octavum
dicendum, quod auctoritas Gregorii intelligitur de fide, spe et caritate
secundum quod sunt virtutes, quod non convenit fidei et spei nisi secundum
quod formantur caritate. Sed secundum quod sunt informes, quandoque
praecedunt caritatem tempore. |
8. L’autorité de Grégoire
s’entend de la foi, de l’espérance et de la charité selon qu’elles sont des
vertus, ce qui ne convient à la foi et à l’espérance que si elles reçoivent
leur forme de la charité. Mais, selon qu’elles sont informes, elles précèdent
parfois la charité dans le temps. |
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[66609] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 9 Ad nonum
dicendum, quod bonum divinum, ut secundum se dilectum, est obiectum
caritatis; sed sicut adipiscendum, est obiectum spei : et propter hoc caritas
a spe differt. |
9. Le bien divin, selon
qu’il est aimé en lui-même, est l’objet de la charité ; mais [aimé] pour
être obtenu, il est l’objet de l’espérance. Pour cette raison, la charité
diffère de l’espérance. |
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[66610] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 10 Ad decimum dicendum, quod si spes sit informis, merita non praecedunt
spem, sed rem speratam. Si autem spes sit formata, sic merita praecedunt etiam spem; et
hoc modo naturaliter praecedit ipsam caritas. |
10. Si l’espérance est
informe, les mérites ne précèdent pas l’espérance, mais la chose espérée.
Mais si l’espérance est formée, alors les mérites précèdent aussi
l’espérance. De cette manière, la charité la précède par nature. |
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[66611] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 11 Ad undecimum dicendum, quod ea quae sunt posteriora in compositione,
sunt priora in resolutione; et ideo, quia in via generationis spes praecedit
caritatem, in via resolutionis, e converso, culpa per quam amittitur caritas,
praecedit desperationem, per quam amittitur spes. |
11. Ce qui est postérieur
par la composition est antérieur selon la résolution. C’est pourquoi, parce
que l’espérance précède la charité en cours de génération, en cours de
résolution, au contraire, la faute par laquelle la charité est enlevée
précède le désespoir, par lequel l’espérance est enlevée. |
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[66612] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 12 Ad duodecimum
dicendum, quod ratio illa concludit, quod amor universaliter sit prius quam
spes, quia bonum communiter sumptum, est obiectum amoris; non autem oportet
quod caritas sit prior spe. |
12. Cet argument conclut
que l’amour, considéré universellement, est antérieur à l’espérance, parce
que le bien, considéré d’une manière générale, est l’objet de l’amour. Mais
il n’est pas nécessaire que la charité précède l’espérance. |
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[66613] De virtutibus, q. 4 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod praecedere in via generationis, non
pertinet ad perfectionem; quia secundum hanc viam imperfecta sunt perfectis
priora. |
13. Précéder en cours de
génération n’appartient pas à la perfection, car, dans ce processus, ce qui
est imparfait précède ce qui est parfait. |
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Articulus 4 : [66614] De virtutibus, q. 4 a. 4 tit. 1 Quarto quaeritur utrum
spes sit solum in viatoribus |
Article 4 – Est-ce que l’espérance n’existe que chez ceux qui sont en route ? |
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[66615] De virtutibus, q. 4 a. 4 tit. 2 Et videtur quod
non. |
Objections : Il semble que non. |
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[66616] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 1 Sicut enim spes est rei non habitae, quod videtur repugnare statui
beatorum; ita etiam desiderium est rei non habitae. Sed
desiderium est in beatis, secundum illud I Petri I, 12 : in quem
desiderant Angeli prospicere. Ergo etiam spes
potest esse in beatis. |
1. En effet, de même que
l’espérance porte sur une chose non possédée, ce qui semble s’opposer à
l’état des bienheureux, de même le désir porte sur une chose non possédée.
Or, il existe un désir chez les bienheureux, selon ce que dit
1 P 1, 12 : Lui que les anges désirent voir. L’espérance
peut donc exister chez les bienheureux. |
|
[66617] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 2 Praeterea, spes, cuius obiectum est bonum, est aliquid perfectius timore,
cuius obiectum est malum. Sed aliquis timor est in beatis, secundum illud Ps.
XVIII, 10 : timor domini sanctus permanet in saeculum. Ergo aliqua
spes est etiam in beatis. |
2. L’espérance, dont
l’objet est un bien, est quelque chose de plus parfait que la crainte, dont
l’objet est un mal. Or, il existe une crainte chez les bienheureux, selon ce
passage de Ps 18, 10 : La crainte du Seigneur demeure pour
l’éternité. Il existe donc une espérance chez les bienheureux. |
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[66618] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 3 Praeterea,
sicut adeptio beatitudinis est quoddam bonum arduum, ita etiam et eius continuatio.
Sed antequam beatitudinem aliqui adipiscantur, sperant beatitudinis
adeptionem. Ergo etiam postquam sunt beatitudinem
adepti, possunt sperare beatitudinis continuationem. |
3. De même que l’obtention
de la béatitude est quelque chose de difficile, de même aussi sa
continuation. Or, avant que certains n’obtiennent la béatitude, ils espèrent
l’obtention de la béatitude. Même après avoir obtenu la béatitude, ils
peuvent donc espérer la continuation de la béatitude. |
|
[66619] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 4 Praeterea, spes et desperatio sunt in eodem. Sed desperatio potest
esse de alio; unde mandatur nobis de nemine esse desperandum in via. Ergo
etiam spes potest esse de aliquo alio; et ita, sancti qui sunt in patria,
possunt sperare de aliis qui sunt in via, quod ad beatitudinem perveniant. |
4. L’espérance et le
désespoir portent sur la même chose. Or, le désespoir peut porter sur
quelqu’un d’autre : c’est pourquoi il nous est ordonné de ne désespérer de
personne aussi longtemps qu’il est en route. Même l’espérance peut donc
porter sur quelqu’un d’autre. Et ainsi, les saints qui sont dans la patrie
peuvent espérer que les autres qui sont en route parviennent à la
béatitude. |
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[66620] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 5 Sed dicendum, quod sperare beatitudinem alterius, non pertinet ad
virtutem spei. – Sed contra, sicut spes est virtus theologica, ita et caritas. Sed
eadem virtute caritatis, homo diligit se et proximum. Ergo eadem virtute spei
sperat homo vitam aeternam sibi et aliis; et sic, cum boni sperent vitam
aeternam aliis, videtur quod in eis sit virtus spei. |
5. Espérer la béatitude
d’un autre ne relève pas de la vertu d’espérance. – Mais, en sens contraire,
de même que l’espérance est une vertu théologale, de même en est-il de la
charité. Or, l’homme s’aime lui-même et son prochain par la même vertu de
charité. L’homme espère donc par la même vertu d’espérance la vie éternelle
pour lui et pour les autres. Et ainsi, lorsque les bons espèrent la vie
éternelle pour les autres, il semble qu’existe chez eux la vertu d’espérance. |
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[66621] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 6 Praeterea, oratio ex virtute spei procedit, secundum illud Ps. XXXVI, 5 :
revela domino viam tuam, et spera in eo; et ipse faciet. Sed sanctis qui
sunt in patria convenit orare; et de hoc rogamus eos dicentes orate pro
nobis, omnes sancti Dei. Ergo in eis potest esse etiam spes. |
6. La prière vient de la
vertu d’espérance, selon ce que dit Ps 36, 5 : Montre au
Seigneur ta voie et espère en lui : lui-même agira. Or, il convient aux
saints qui sont dans la patrie de prier, et nous le leur demandons en disant
: «Priez pour nous, tous les saints de Dieu.» L’espérance peut donc aussi
exister en eux. |
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[66622] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 7 Praeterea, idem
est principium movendi ad terminum, et quiescendi in termino. Sed spes est principium motus in beatitudinem, secundum illud Hebr.
VI, 19 : qui spem habemus incedentem, id est incedere facientem, usque
ad interiora velaminis. Ergo etiam spes est principium quiescendi in
beatitudine; et ita oportet quod beatis insit spes. |
7. C’est le même principe
qui meut vers un terme et qui se repose dans le terme. Or, l’espérance est le
principe du mouvement vers la béatitude, selon ce passage de
He 6, 19 : Qui nous donne l’espérance d’avancer, c’est-à-dire
qui nous fait avancer, jusqu’à l’intérieur du voile. L’espérance est
donc aussi le principe du repos dans la béatitude. Et ainsi, il est
nécessaire que l’espérance existe chez les bienheureux. |
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[66623] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 8 Praeterea,
Isidorus dicit, quod spe et fide nitet iustitia; et Augustinus dicit in
Enchiridion, quod qui recte vivit, recte credit et recte sperat. Sed iustitia
est in patria, et vitae rectitudo; secundum illud Is., LX, v. 21 : populus
tuus omnes iusti. Ergo etiam in patria est fides et spes. |
8. Isidore dit que la
justice repose sur l’espérance et la foi ; et Augustin dit, dans l’Enchiridion,
que «celui qui vit correctement, croit correctement et espère correctement».
Or, la justice se trouve dans la patrie, ainsi que la rectitude de la vie,
selon ce que dit Is 60, 21 : Ton peuple, tous les justes. La
foi et l’espérance existent donc aussi dans la patrie. |
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[66624] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 9 Praeterea, certitudo perpetuae permansionis in beatitudine requiritur
ad beatitudinem. Et quia haec defuit Angelis ante confirmationem vel lapsum, non
fuerunt perfecte beati, ut Augustinus dicit. Sed
certitudo expectationis beatitudinis pertinet ad virtutem spei. Ergo in
beatis est spes. |
9. La certitude de
toujours demeurer dans la béatitude est une exigence de la béatitude. Et
parce que cela manquait aux anges avant leur confirmation ou leur chute, ils
n’étaient pas parfaitement bienheureux, comme le dit Augustin. Or, la
certitude de la béatitude relève de la vertu d’espérance. L’espérance existe
donc chez les bienheureux. |
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[66625] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 10 Praeterea, quae corrupta sunt bona, ipsa sunt mala, secundum
philosophum. Si igitur spes quae est in viatoribus,
corrumpatur per beatitudinem, quae est summum bonum hominis, videtur quod
spes sit malum; quod est inconveniens, cum spes sit virtus, ut dictum est
art. 1 huius quaest. |
10. Les biens qui ont été
corrompus sont des maux, selon le Philosophe. Si donc l’espérance qui existe
chez ceux qui sont en route est corrompue par la béatitude, qui est le bien
suprême de l’homme, il semble que l’espérance soit un mal, ce qui ne convient
pas puisque l’espérance est une vertu, comme on l’a dit dans l’article 1 de
la présente question. |
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[66626] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 11 Praeterea, actus virtutis videtur esse non solum facere vel velle
facere, quod ad virtutem pertinet, quando facultas adest; sed etiam velle
facere, si facultas adesset. Actus enim iustitiae est velle reddere pecuniam debitam, etiam si
eam quis non possit habere. Sed sancti qui sunt in patria, sic sunt
dispositi, quod vellent beatitudinem expectare, etiam si eam non haberent.
Ergo in eis est actus spei. Sed actus procedit ab habitu. Ergo in eis est
virtus spei. |
11. L’acte de la vertu ne
consiste pas seulement à faire ou à vouloir faire ce qui relève de la vertu,
lorsque cela est possible, mais aussi à vouloir le faire si cela était
possible. En effet, l’acte de justice consiste à vouloir rendre l’argent dû,
même si quelqu’un ne peut l’avoir. Or, les saints dans la patrie sont ainsi
disposés qu’ils voudraient attendre la béatitude, même s’ils ne la
possédaient pas. Il existe donc aussi en eux un acte d’espérance. Or, l’acte
procède de l’habitus. La vertu d’espérance existe donc chez eux. |
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[66627] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 12 Praeterea,
Anselmus dicit in libro de similitudinibus, quod in sanctis post
resurrectionem erit tanta fortitudo, quod poterunt terram movere; non quod
eam sint moturi, vel aliquid huiusmodi, omnibus optime collocatis, sed
propter eorum perfectionem. Ergo, a simili, habitus spei, quae est quaedam
perfectio animae, poterit esse in beatis, quamvis actus spei ibi locum non
habeat. |
12. Anselme dit, dans le
livre Sur les similitudes, qu’il y aura chez les saints après la
résurrection une telle force qu’ils pourront déplacer la terre : non pas
qu’ils la déplaceront ou quelque chose de ce genre, toutes choses étant bien
placées, mais en raison de leur perfection. Par un raisonnement semblable,
l’habitus d’espérance, qui est une perfection de l’âme, pourra donc exister
chez les bienheureux, bien que l’acte d’espérance n’y ait pas sa place. |
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[66628] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 13 Praeterea, divina bonitas non est maior quam divina maiestas. Sed
caritas, cuius obiectum est divina bonitas, manet in patria. Ergo et spes,
cuius obiectum est divina maiestas. |
13. La bonté divine n’est
pas plus grande que la majesté divine. Or, la charité, dont l’objet est la
bonté divine, demeure dans la patrie. C’est donc aussi le cas de l’espérance,
dont l’objet est la majesté divine. |
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[66629] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 14 Praeterea,
destructo fundamento et pariete, destruitur tectum. Sed in aedificio
spirituali fides se habet ut fundamentum; spes autem quae erigit, se habet
per modum parietis. Si ergo a beatis abstrahatur fides et spes, non poterit
remanere caritas, quae operit per modum tecti; quod est inconveniens, quia caritas
nunquam excidit, ut apostolus dicit, 1 Cor., XIII, 8. |
14. Si l’on détruit les
fondations et le mur, le toit est détruit. Or, dans l’édifice spirituel, la
foi est comme les fondations, et l’espérance qui élève est comme le mur. Si
donc la foi et l’espérance sont soustraites aux bienheureux, la charité, qui
couvre à la manière d’un toit, ne pourra pas demeurer, ce qui est
inacceptable, car la charité ne disparaît jamais, comme le dit
l’Apôtre en 1 Co 13, 8. |
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[66630] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 15 Praeterea,
quicumque expectat aliquid per quod, cum habitum fuerit, eius appetitus
quietatur, videtur sperare illud. Sed animae beatorum expectant gloriam
corporis, qua habita, eorum appetitus quietatur, ut Augustinus dicit XII
super Genes. ad Litt. Ergo in eis est virtus spei. |
15. Quiconque attend
quelque chose qui apaisera son appétit lorsqu’il le possédera, semble
l’espérer. Or, les âmes des bienheureux attendent la gloire du corps ;
lorsqu’elle sera possédée, leur appétit sera apaisé, comme Augustin le dit
dans le Commentaire littéral de la Genèse, XII. La vertu d’espérance
existe donc chez eux. |
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[66631] De virtutibus, q. 4 a. 4 arg. 16 Praeterea,
Christus a primo instanti suae conceptionis fuit perfectus comprehensor. Sed
Christus habuit spem : ex eius enim persona dicitur in Psalm. LXX, 1 : in
te, domine, speravi ut Glossa exponit. Ergo in beatis potest esse spes. |
16. Le Christ, dès le
premier instant de sa conception, a été un parfait comprehensor[76].
Or, le Christ avait l’espérance : en effet, il est dit de lui dans
Ps 70, 1 : En toi, Seigneur, j’ai espéré, comme la Glose
l’explique. L’espérance peut donc exister chez les bienheureux. |
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[66632] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Roman., cap. VIII, 24 : quod videt quis, quid
sperat? Sed sancti fruuntur plena Dei visione, ergo in eis non est spes. |
Cependant : 1. Il est dit en
Rm 8, 24 : Ce qu’on voit, est-ce qu’on l’espère ? Or,
les saints jouissent de la pleine vision de Dieu. Il n’y a donc pas
d’espérance en eux. |
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[66633] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 2 Praeterea,
apostolus, I ad Cor., XIII, 13, probat caritatem esse maiorem fide et spe :
quia caritas non excidit; fides autem et spes evacuabuntur, cum venerit quod
perfectum est. Sed illud perfectum est status beatitudinis. Ergo fides et
spes non remanent in statu beatitudinis. |
2. En 1
Co 13, 13, l’Apôtre montre que la charité est plus grande que la
foi et l’espérance, car la charité ne meurt pas, mais la foi et l’espérance
disparaissent, lorsque ce qui est parfait arrive. Or, ce qui est parfait est
l’état de la béatitude. La foi et l’espérance ne demeurent donc pas dans
l’état de béatitude. |
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[66634] De virtutibus, q. 4 a. 4 s. c. 3 Praeterea,
Augustinus dicit in Lib. de bono coniugali : habitus est quo aliquid
agitur cum opus est; et si non agitur, potest agi. Ex quo accipitur, quod
ubi non potest esse actus, ibi non est habitus. Sed in patria non potest esse
actus spei, qui respicit beatitudinem non habitam. Ergo ibi non potest esse
habitus spei. |
3. Augustin dit, dans le
livre Sur le bien conjugal : «L’habitus est ce par quoi on fait
quelque chose, lorsque cela est nécessaire ; et si on ne le fait pas, on
peut le faire.» On comprend par cela que là où ne peut exister l’acte, là
n’existe pas l’habitus. Or, dans la patrie, il ne peut exister d’acte
d’espérance, qui a pour objet la béatitude non acquise. Il ne peut donc y
exister d’habitus de l’espérance. |
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[66635] De virtutibus, q. 4 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod remoto eo a quo res aliqua habet speciem,
consequens est ut species rei solvatur; sicut remota forma substantiali a
corporibus naturalibus, non remanent specie eadem. Sicut autem forma in rebus
naturalibus dat speciem, ita et in moralibus obiectum dat speciem actui, et
per consequens habitui; et ideo sublato principali obiecto alicuius habitus,
non potest remanere habitus. Spei autem obiectum, si spes absolute consideratur, est bonum
arduum futurum possibile, ut supra, art. 1 huius quaest., dictum est. Unde si
cesset aliquid esse bonum, vel esse futurum, vel esse arduum, vel esse
possibile, cessabit spes secundum communem rationem spei. Spei autem,
secundum quod est virtus theologica, obiectum formale est auxilium divinum,
cui inhaeret : et quamvis sub hoc formali obiecto multa materialia sperata
comprehendantur, unum tamen est principale, et alia sunt secundaria vel
adiuncta. Quod quidem potest accipi dupliciter. Uno
modo ex parte rei speratae : alio modo ex parte hominis sperantis. Ex parte
quidem rei speratae principale obiectum spei, secundum quod est virtus
theologica, est plena Dei fruitio, quae beatum facit : alia vero sub spe
cadunt in ordine ad hunc finem, sive sint spiritualia, sive temporalia bona.
Ex parte vero sperantis, principale obiectum est quod aliquis beatitudinem
speret sibi; secundarium vero est quod speret eam aliis in quantum sunt
quodam modo unum cum ipso, et bonum eorum desiderat et sperat sicut et suum.
Manente igitur obiecto principali, scilicet quod bonum arduum, quod est
beatitudo, sit futurum, et possibile haberi respectu eius qui sperat, manet
virtus spei; et per hanc virtutem spei sperat aliquis non solum futuram
beatitudinem, sed etiam alia ad hoc ordinata; et per eamdem spei virtutem
sperat aliquis beatitudinem aliis, et quaecumque in beatitudinem ordinantur.
Sed si subtrahatur principale obiectum spei, secundum quod est virtus
theologica; ita, scilicet, quod beatitudo aeterna iam non sit futura, sed
habita, cessat species huius virtutis; unde non est in beatis spes quae est
virtus theologica. Possunt autem sancti aliqua sperare inhaerendo divino
auxilio, vel ad se vel ad alios pertinentia, secundum communem rationem spei;
non autem secundum propriam rationem spei quae est theologica virtus. Et huius
exemplum e contrario in malis accipi potest. Caritatis enim principale
obiectum est Deus : unde, quamdiu aliquis diligit Deum, per eamdem virtutem
caritatis diligit etiam proximum in Deo. Sed si desinat diligere Deum,
poterit quidem diligere proximum secundum naturam, non tamen per virtutem
caritatis, cuius species solvitur remoto principali obiecto. |
Réponse : Si l’on enlève ce par quoi
une chose a son espèce, il en découle que l’espèce de la chose disparaît :
ainsi, si la forme substantielle est enlevée des corps naturels, ils ne
demeurent pas de la même espèce. Or, de même que la forme, dans les choses
naturelles, donne l’espèce, de même, dans les choses morales, l’objet donne
son espèce à l’acte et, par conséquent, à l’habitus. C’est pourquoi un habitus
ne peut pas demeurer si l’objet principal de l’habitus est enlevé. Or,
l’objet de l’espérance, si l’on envisage l’espérance d’une manière absolue,
est un bien difficile futur possible, comme on l’a dit plus haut, dans
l’article 1 de la présente question. Si quelque chose cesse d’être bon,
difficile ou possible, l’espérance cesse donc, selon la raison commune
d’espérance. Or, selon qu’elle est une vertu théologale, l’objet formel de
l’espérance est l’aide divine à laquelle elle adhère : et bien que, sous cet
objet formel, beaucoup de choses espérées à titre de matière soient
comprises, une seule est cependant principale, et les autres sont secondaires
ou associées. Mais cela peut s’entendre de deux manières : d’une manière, du
point de vue de la chose espérée; d’une autre manière, du point de l’homme
qui espère. Du point de vue de la chose espérée, l’objet principal de
l’espérance, selon qu’elle est une vertu théologale, est la pleine jouissance
de Dieu, qui fait le bienheureux; les autres choses relèvent de l’espérance
selon leur ordre à cette fin, qu’il s’agisse de biens spirituels ou qu’il
s’agisse de biens temporels. Du point de vue de celui qui espère, l’objet
principal est que quelqu’un espère pour lui-même la béatitude; mais l’objet
secondaire est qu’il l’espère pour les autres dans la mesure où ils ne
forment de quelque façon qu’un avec lui-même, et il désire et espère leur
bien comme le sien. Si l’objet principal demeure, à savoir que l’objet
difficile qu’est la béatitude soit à venir et soit possible du point de vue
de celui qui espère, la vertu d’espérance demeure et, par cette vertu
d’espérance, quelqu’un espère non seulement la béatitude à venir, mais aussi
les autres choses qui lui sont ordonnées. Et, par la même vertu d’espérance,
quelqu’un espère la béatitude pour les autres et tout ce qui est ordonné à la
béatitude. Mais si on enlève l’objet principal de l’espérance, selon qu’elle
est une vertu théologale, de telle sorte que la béatitude éternelle ne soit
plus à venir, mais possédée, l’espèce de cette vertu cesse. En conséquence,
l’espérance qui est une vertu théologale n’existe pas chez les bienheureux.
Mais les saints peuvent espérer certaines choses en adhérant à l’aide divine,
qu’elles les concernent ou en concernent d’autres, selon la raison commune
d’espérance, mais non selon la raison propre de l’espérance qui est une vertu
théologale. L’exemple peut en être saisi en sens contraire chez les méchants.
En effet, l’objet principal de la charité est Dieu; aussi longtemps que
quelqu’un aime Dieu, il aime donc aussi son prochain en Dieu par la même
vertu de charité. Mais s’il cesse d’aimer Dieu, il pourra aimer son prochain
selon la nature, non pas cependant par la vertu de charité, dont l’espèce est
dissoute par la disparition de son objet principal. |
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[66636] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod desiderium ibi ponitur non quidem proprie,
secundum quod est rei futurae, sed secundum quod excludit fastidium; per
modum quo Eccli. XXIV, v. 29, dicitur : qui edunt me, adhuc esurient. |
Solutions : 1. Il est ici question de
désir non pas au sens propre, selon qu’il porte sur une chose à venir, mais
selon qu’il écarte le dégoût, à la manière dont parle Si 24, 29 : Ceux
qui me mangent auront encore faim. |
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[66637] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 2 Ad secundum
dicendum, quod timor est respectu mali. Sub malo autem comprehendi potest
omnis defectus. Est autem triplex hominis defectus. Unus quidem poenae; et
hunc quidem principaliter respicit timor servilis. Alius autem est defectus
culpae; et hunc defectum respicit timor filialis vel castus, secundum quod
est in statu viae, in quo peccare possumus. Neutro
autem modo erit timor in patria, sublata potestate culpae et poenae; secundum
illud Prov., I, 33 : abundantia perfruetur, malorum timore sublato.
Est autem tertius defectus naturalis, secundum quod quaelibet creatura in
infinitum distat a Deo; qui defectus nunquam tolletur; et hunc defectum
respicit timor reverentialis qui erit in patria : qui reverentiam exhibebit
suo creatori ex consideratione maiestatis eius, in propriam desiliens
parvitatem. Sed obiectum spei, quod est beatitudinem esse futuram, tolletur,
ea superveniente, et ideo spes non remanebit. |
2. La crainte porte sur le
mal, Or, sous le mal, on peut inclure toute carence. Or, il y a une triple
carence chez l’homme. L’une, celle de la peine : c’est sur celle-ci que porte
principalement la crainte servile. La deuxième est la carence de la faute :
c’est sur cette carence que porte la crainte filiale ou chaste, selon qu’elle
existe dans l’état de cheminement, où nous pouvons pécher. La crainte
n’existera d’aucune de ces deux façons dans la patrie, puisque la capacité de
pécher ou celle de subir une peine seront écartées, selon ce que dit
Pr 1, 33 : On jouira de l’abondance, alors que la crainte du mal
sera écartée. Mais il existe une troisième carence naturelle, selon
laquelle toute créature diffère infiniment de Dieu, carence qui ne sera
jamais enlevée. C’est sur cette carence que porte la crainte révérentielle
qui existera dans la patrie : elle manifestera de la révérence à son créateur
en raison de sa majesté, en reconnaissant sa propre petitesse. Mais l’objet
de l’espérance, qui consiste en ce que la béatitude soit à venir, sera écarté
lorsque celle-ci surviendra. C’est pourquoi l’espérance ne demeurera pas. |
|
[66638] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 3 Ad tertium dicendum, quod continuatio beatitudinis non habet rationem
futuri : quia in quantum aliquis homo fit beatus, aeternitatem participat, in
qua non est praeteritum et futurum; unde in beatitudine illa dicitur vita
aeterna. Dato etiam quod haberet rationem futuri, non habet rationem ardui
respectu eius qui iam beatitudinem obtinet. Ex hoc enim ipso accepit non
solum facultatem, sed etiam necessitatem quamdam nunquam peccandi, sed semper
permanendi. Et ideo totaliter tollitur ratio spei. |
3. La continuation de la
béatitude n’a pas raison d’à venir, car, pour autant qu’un homme devient
bienheureux, il participe à l’éternité, dans laquelle il n’y a ni passé ni
futur. Aussi dit-on que cette béatitude sera la vie éternelle. Mais en
supposant qu’elle aurait raison d’à venir, elle n’a pas raison de difficile
du point de vue de celui qui possède déjà la béatitude. En effet, par le fait
même, il n’a pas reçu seulement la capacité, mais aussi une certaine
nécessité de ne jamais pécher, mais de toujours persévérer. C’est
pourquoi la raison d’espérance est totalement écartée. |
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[66639] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 4 Ad quartum
dicendum, quod ratio illa procedit de eo quod cadit sub spe, non
principaliter, sed secundario. |
4. Cet argument vient de
ce qui relève de l’espérance non pas principalement, mais de manière
secondaire. |
|
[66640] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 5 Ad quintum
dicendum, quod quamdiu remanet principale obiectum spei, eadem virtute spei
sperat aliquis bona sibi et aliis; sed remoto principali obiecto, potest
quidem aliis sperare aliquo modo, sed non secundum virtutem spei. |
5. Aussi longtemps que
demeure l’objet principal de l’espérance, c’est par la même vertu d’espérance
que quelqu’un espère des biens pour lui-même et pour d’autres. Mais, une fois
écarté l’objet principal, il peut espérer pour les autres d’une certaine
manière, mais non selon la vertu d’espérance. |
|
[66641] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 6 Ad sextum
dicendum, quod eo modo convenit sanctis orare sicut et sperare; non quidem
per virtutem spei, quae ponitur theologica virtus. |
6. Il convient aux saints
de prier comme il leur convient d’espérer, mais non en raison de la vertu
d’espérance, dont on affirme qu’elle est une vertu théologale. |
|
[66642] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 7 Ad septimum
dicendum, quod si accipiatur primum principium movens ad terminum, verum est
idem esse principium motus ad terminum, et quietis in termino. Sed si
accipiatur aliquid secundarium et instrumentale; quaedam sunt principia
motus, quae cessant, cum perventum fuerit ad terminum, sicut navis cessat, et
impulsio venti, cum perventum fuerit ad portum. Et hoc modo caritas, quae est
primum movens, manet in termino beatitudinis, non autem spes, quae est
secundarium principium appropriatum motui. |
7. Si l’on prend le
premier principe qui meut vers le terme, il est vrai que le principe du
mouvement vers le terme et du repos dans le terme est le même. Mais si l’on
prend un principe secondaire et instrumental, certains sont principes du
mouvement, qui cessent lorsqu'on sera parvenu au terme, comme s’arrêtent le
navire et la poussée du vent,
lorsqu’on est parvenu au port. De cette manière, la charité, qui est un
moteur premier, demeure dans la béatitude, mais non pas l’espérance, qui est
un principe secondaire rattaché au mouvement. |
|
[66643] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 8 Ad octavum
dicendum, quod auctoritates illae loquuntur de iustitia et rectitudine vitae,
secundum statum praesentis vitae, quo moventur ad rectitudinem. |
8. Ces autorités parlent
de la justice et de la rectitude de la vie selon l’état de la vie présente,
par quoi ils sont mus à la rectitude. |
|
[66644] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 9 Ad nonum
dicendum, quod certitudo quae est in beatis de perpetua stabilitate, non est
per aliquid quod expectetur futurum, sed per id quod iam acceperunt; unde non
pertinet ad rationem spei. |
9. La certitude qui existe
chez les bienheureux à propos de leur stabilité perpétuelle ne vient pas de
quelque chose qui est attendu dans l’avenir, mais du fait qu’ils l’ont déjà
reçu. Elle ne relève donc pas de la raison de l’espérance. |
|
[66645] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 10 Ad decimum
dicendum, quod, sicut philosophus dicit in III Physic., in motibus
accipiuntur magis et minus loco contrariorum, ut magis et minus album loco
albi et nigri; et similiter magis et minus bonum loco boni et mali. Sic igitur beatitudo superveniens evacuat spem, non sicut bonum malum,
sed minus bonum; sicut iuventus pueritiam. |
10. Comme le Philosophe le
dit dans Physique, III, dans les mouvements, on prend le plus et le
moins à la place des contraires, comme le plus ou moins blanc à la place du
blanc et du noir. De même en est-il pour le plus ou moins bon à la place de
ce qui est bon et de ce qui est mauvais. De même, lorsqu’elle survient, la
béatitude évacue l’espérance, non pas comme un bien mauvais, mais comme
quelque chose de moins bon, comme la jeunesse évacue l’enfance. |
|
[66646] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 11 Ad undecimum
dicendum, quod obiectum alicuius virtutis potest deesse dupliciter. Uno modo,
cum possibilitate habendi; et sic etiam obiecto non habito potest esse actus
virtutis et virtus, sub hac conditione, si facultas adesset. Alio modo, cum
impossibilitate habendi : et sic nec habitus nec actus manet : frustra enim
remaneret. Et hoc modo tollitur obiectum spei in patria; quia nunquam de
cetero erit possibile beatitudinem esse futuram. |
11. L’objet d’une vertu
peut faire défaut de deux manières. D’une manière, lorsque demeure la
possibilité de le posséder : et ainsi, alors que l’objet n’est pas possédé,
il peut y avoir un acte de vertu et une vertu, à la condition que la
possibilité existe. D’une autre manière, lorsqu’il y a impossibilité de le
posséder : et ainsi, ni l’habitus ni l’acte ne demeurent, car ils demeureraient
en vain. Et de cette manière, l’objet de l’espérance est écarté dans la
patrie, car il ne sera plus jamais possible que la béatitude soit à venir. |
|
[66647] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 12 Ad duodecimum
dicendum, quod fortitudo illa quae erit in sanctis, non erit consequens ex
principio praeexistenti, id est ex perfecta inhaesione ad omnipotentem Deum;
non autem erit ordinata ut ad finem, sed magis finem consequens, ut dictum
est. Et ideo non est similis ratio de spe, quae non datur nisi propter motum
in finem. |
12. Cette force qui
existera chez les saints ne découlera pas d’un principe préexistant, à
savoir, de la parfaite adhésion au Dieu tout-puissant : elle ne sera pas
ordonnée à la fin, mais plutôt à ce qui découle de la fin, comme on l’a dit.
C’est pourquoi il n’en va pas de même pour l’espérance, qui n’est donnée
qu’en vue du mouvement vers la fin. |
|
[66648] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod maiestas Dei non est minor quam eius bonitas.
Sed caritas alio modo, se habet ad bonitatem quam spes ad maiestatem; quia
caritas de sui ratione importat unionem, et ideo perficitur in patria. Spes
autem importat distantiam, quae repugnat statui patriae. |
13. La majesté de Dieu
n’est pas moindre que sa bonté. Mais le rapport de la charité à sa bonté est
différent de celui de l’espérance à sa majesté, car la charité comporte par
elle-même l’union; aussi s’accomplit-elle dans la patrie. Mais l’espérance
comporte une distance, qui s’oppose à l’état de la patrie. |
|
[66649] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod fides et spes habent rationem fundamenti vel
parietis ex parte eius quod est perfectionis in eis : scilicet ex eo quod
fides inhaeret primae veritati, spes autem summae maiestati; non autem ex hoc
quod est imperfectionis in utraque : in quantum, scilicet, fides est non
apparentium, et spes non habitorum. Et ideo in statu perfectae beatitudinis,
quando caritas, quae nihil de sui ratione imperfectionis importat,
perficietur, fidei succedet perfectius fundamentum, scilicet visio aperta; et
spei perfectior paries, scilicet comprehensio plena, secundum illud 1 Cor.
IX, 24 : sic currite ut comprehendatis. |
14. La foi et l’espérance
ont raison de fondations ou de mur du point de vue de ce qui relève en elles
de la perfection, à savoir, du fait que la foi adhère à la vérité première,
et l’espérance à la majesté suprême; mais non en raison de ce qu’il y
d’imperfection dans les deux, pour autant que la foi porte sur des choses qui
ne sont pas évidentes et l’espérance sur des choses qui ne sont pas
possédées. C’est pourquoi, dans l’état de béatitude parfaite, alors que la
charité, qui ne comporte rien d’imparfait selon sa raison propre, sera
perfectionnée, succéderont à la foi des fondations plus parfaites, à savoir, la
claire vision, et à l’espérance un mur plus parfait, à savoir, la pleine
saisie, selon ce que dit 1 Co 9, 24 : Courez afin de
saisir! |
|
[66650] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod gloria corporis derivatur in sanctis a gloria
animae; et ideo habentibus gloriam animae, quae est potior, gloria corporis
non habet rationem ardui. |
15. La gloire du corps
découle chez les saints de la gloire de l’âme. C’est pourquoi, pour ceux qui
possèdent la gloire de l’âme, qui est plus puissante, la gloire du corps
n’est pas difficile. |
|
[66651] De virtutibus, q. 4 a. 4 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod Christus speravit secundum communem rationem
spei, non autem habuit spem quae est virtus theologica, quia beatitudo non
erat ei futura, sed praesens. |
16. Le Christ a espéré
selon la raison commune d’espérance, mais il n’a pas possédé l’espérance qui
est une vertu théologale, car la béatitude n’était pas pour lui à venir, mais
présente. |
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Question 5 : [Les vertus cardinales]© Traduction Anne
Michel, Nancy, mémoire de maîtrise, 2003[77] Sous la
direction du professeur Ménard |
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Prologue |
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Quaestio
5 Prooemium [66652] De
virtutibus, q. 5 pr. 1 Et primo enim quaeritur, utrum prudentia, iustitia,
fortitudo et temperantia sint virtutes cardinales. [66653] De
virtutibus, q. 5 pr. 2 Secundo utrum virtutes sint connexae, ut qui habet
unam habeat omnes. [66654] De
virtutibus, q. 5 pr. 3 Tertio utrum omnes virtutes in homine sint aequales. [66655] De
virtutibus, q. 5 pr. 4 Quarto utrum virtutes cardinales maneant in patria. |
Article 1 – La justice, la
prudence, la force et la tempérance sont-elles des vertus cardinales ? Article 2 – Les vertus sont-elles connexes, de sorte
que celui qui en possède une les posséderait toutes ? Article 3 – Toutes les
vertus sont-elles égales dans l’homme ? Article 4 – Les vertus cardinales demeurent-elles
dans la patrie ? |
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Articulus
1 – [66656] De virtutibus, q. 5 a. 1 tit. 1 Et primo
quaeritur utrum istae sint quatuor virtutes cardinales, scilicet iustitia,
prudentia, fortitudo et temperantia |
Article 1 – La justice, la prudence, la force et la tempérance sont-elles des vertus cardinales ? |
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Et
videtur quod non. [66658] De
virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 1 Ea enim quae non distinguuntur ad invicem, non
debent ad invicem connumerari; quia distinctio est causa numeri, ut dicit
Damascenus. Sed praedictae virtutes non distinguuntur ad invicem; dicit enim
Gregorius in XXII Moral. : prudentia vera non est, quae iusta et temperans
et fortis non est; nec perfecta temperantia, quae fortis, iusta et prudens
non est; neque fortitudo integra, quae prudens, temperans et iusta non est;
nec vera iustitia, quae prudens, fortis et temperans non est. Ergo non
debent dici hae quatuor virtutes cardinales. |
Objections : Il semble que non. 1. Les choses qui ne sont
pas mutuellement distinctes ne doivent pas être comptées séparément l’une de
l’autre, parce que la distinction est cause du nombre, comme le dit [Jean]
Damascène. Or, les vertus mentionnées ne se distinguent pas l’une de l’autre.
En effet, Grégoire dit, au livre XXII des Morales
sur Job : « La prudence n’est pas vraie si elle n’est pas juste,
tempérante et forte ; ni la tempérance parfaite si elle n’est pas forte,
juste et prudente ; ni la force complète si elle n’est pas prudente,
tempérante et juste ; ni la justice vraie si elle n’est pas prudente,
forte et tempérante. » Ces quatre vertus ne doivent donc pas être
appelées cardinales. |
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[66659] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 2 Praeterea,
virtutes videntur dici cardinales, ex eo quod sunt aliis principaliores; unde
quas quidam cardinales, aliquando principales vocant, ut patet per Gregorium,
XXII Moralium. Sed cum finis principalior sit his quae sunt
ad finem; principaliores esse videntur virtutes theologicae, quae habent
ultimum finem pro obiecto, quam praedictae virtutes, quae sunt circa ea quae
sunt ad finem. Ergo non debent dici praedictae quatuor virtutes
cardinales. |
2.
Les vertus semblent être appelées cardinales parce qu’elles l’emportent sur
les autres. C’est pourquoi certains les appellent cardinales, parfois
principales, comme l’écrit Grégoire au livre XXII des Morales sur Job. Or comme la fin l’emporte sur ce qui tend vers
la fin, les vertus théologales, qui ont pour objet la fin ultime, semblent
l’emporter sur les vertus mentionnées, qui concernent ce qui tend vers la
fin. Les quatre vertus mentionnées ne doivent donc pas être appelées
cardinales. |
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[66660] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 3 Praeterea,
ea quae sunt diversorum generum, non debent poni in una coordinatione. Sed
prudentia est in genere virtutum intellectualium, ut patet in VI Ethic. :
aliae vero tres sunt virtutes morales. Ergo inconvenienter ponuntur praedictae quatuor virtutes cardinales. |
3.
Les choses qui appartiennent à des genres divers ne doivent pas être mises en
coordination. Or la prudence appartient au genre des vertus intellectuelles,
comme il est dit au livre VI de l’Éthique; quant aux trois autres, ce sont des vertus morales. Il ne
convient donc pas de faire des quatre vertus mentionnées des [vertus]
cardinales. |
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[66661] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 4 Praeterea,
inter intellectuales virtutes sapientia est principalior quam prudentia, ut
philosophus probat in VI Ethic.; quia sapientia est de divinis, prudentia
autem est de humanis. Si igitur debuit aliqua virtus intellectualis
poni inter virtutes cardinales, potius debuit poni sapientia quasi
principalior. |
4.
Parmi les vertus intellectuelles, la sagesse l’emporte sur la prudence, comme
le démontre le Philosophe au livre VI de l’Éthique, parce que la
sagesse porte sur les choses divines, alors que la prudence porte sur les
choses humaines. Si donc l’on avait dû placer une vertu intellectuelle parmi
les vertus cardinales, c’est la sagesse que l’on aurait dû plutôt placer, vu
qu’elle est supérieure. |
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[66662] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 5 Praeterea,
ad virtutes cardinales aliae debent reduci. Sed philosophus in II Ethic.
condividit quasdam alias virtutes fortitudini et temperantiae; scilicet
liberalitatem et magnanimitatem et huiusmodi, quae sic non reducuntur. Non ergo
praedictae virtutes sunt cardinales. |
5.
Les autres [vertus] doivent être ramenées aux vertus cardinales. Or, le
Philosophe, au livre II de l’Éthique, a distingué d’autres vertus que celles de force et de
tempérance : la libéralité et la magnanimité, et celles de ce genre, qui ne
sont pas ainsi ramenées [aux vertus cardinales]. Les vertus mentionnées ne
sont donc pas cardinales. |
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[66663] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 6 Praeterea,
illud quod non est virtus, non debet poni inter virtutes cardinales. Sed temperantia
non videtur esse virtus. Non enim habetur aliis virtutibus habitis; ut patet
in Paulo, qui habebat omnes alias virtutes, et tamen temperantiam non habebat
: inerat enim adhuc in membris eius concupiscentia, secundum illud Rom., VII,
23 : video aliam legem in membris meis repugnantem legi mentis meae.
Temperatus autem differt in hoc a continente, quod temperatus non habet
concupiscentias pravas; continens autem habet, sed non sequitur eas; ut patet
per philosophum in VII Ethic. Ergo inconvenienter enumerantur praedictae
quatuor cardinales virtutes. |
6.
On ne doit pas mettre au nombre des vertus cardinales ce qui n’est pas vertu.
Or, la tempérance ne semble pas être une vertu. En effet, on ne la possède
pas alors que les autres vertus sont possédées, comme l’écrit Paul, qui
possédait toutes les autres vertus, sans posséder cependant la tempérance.
Car la concupiscence continuait d’exister dans ses membres, d’après cette
phrase : Je vois une autre loi dans mon corps, luttant contre la loi de
mon esprit, Rm 7, 23. Or,
l’homme tempéré diffère de l’homme continent, en ceci que l’homme tempéré n’a
pas de concupiscences mauvaises, alors que l’homme continent en a mais ne les
suit pas, comme l’écrit le Philosophe, au livre VII de l’Éthique. C’est donc incorrectement que l’on
énumère les vertus mentionnées comme quatre vertus cardinales. |
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[66664] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 7 Praeterea,
sicut per virtutem homo ordinatur ad seipsum, ita et ad proximum. Sed duae
virtutes ponuntur, quibus homo ordinatur ad seipsum; scilicet fortitudo et
temperantia. Ergo etiam duae virtutes debent poni quibus aliquis ordinatur ad
proximum; et non solum iustitia. |
7.
De même que l’homme est ordonné à lui-même par la vertu, de même il l’est
aussi au prochain. Or l’on établit deux vertus par lesquelles l’homme est
ordonné à lui-même : la force et la tempérance. On doit donc aussi établir
deux vertus par lesquelles il est ordonné au prochain, et pas seulement la
justice. |
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[66665] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 8 Praeterea,
Augustinus dicit in Lib. de moribus Eccles., quod virtus est ordo amoris. Sed
amor gratiae comprehenditur sub duobus praeceptis; scilicet dilectionis Dei
et proximi. Ergo non debent esse nisi duae virtutes cardinales. |
8.
Augustin dit, dans Le livre sur le comportement de l’Église, que la
vertu est l’ordre de l’amour. Or l’amour est embrassé par la grâce sous deux
préceptes : l’amour de Dieu et [l'amour] du prochain. Il ne doit donc y avoir
que deux vertus cardinales. |
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[66666] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 9 Praeterea,
diversitas materiae quae est secundum extensionem, facit solum diversitatem
secundum numerum; diversitas autem materiae quae est secundum diversas
acceptiones formae, facit differentiam secundum genus : propter quod
corruptibile et incorruptibile differunt genere, ut dicitur X Metaph. Sed praedictae virtutes differunt secundum
diversitatem materiae habentis rationem diversam recipiendi formam. Nam modus
rationis circa materiam temperantiae ponitur secundum refrenationem
passionum; circa materiam autem fortitudinis secundum quemdam conatum ad id a
quo passio retrahit. Ergo praedictae virtutes differunt genere; non
ergo debent coniungi in una ordinatione virtutum cardinalium. |
9.
La diversité de matière qui se prend de l’extension donne seulement
la diversité par le nombre. Or, la diversité de matière, qui est dans les
diverses réceptions de forme, donne la différence par le genre, du fait que
le corruptible et l’incorruptible diffèrent par le genre, comme il est dit au
livre X de la Métaphysique. Or, les vertus mentionnées
diffèrent par la diversité de matière, qui possède une manière différente de
recevoir la forme. En effet, le mode de la raison concernant la matière de la
tempérance est établi par la répression des passions, mais celui qui concerne
la matière de la force [est établi] par un certain effort vers ce dont la
passion éloigne. Les vertus mentionnées diffèrent donc par le genre ; on
ne doit donc pas les réunir dans un seul ordre de vertus cardinales. |
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[66667] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 10 Praeterea, ratio virtutis moralis sumitur secundum
quod attingit rationem, ut patet per philosophum in II Ethicor., qui definit
virtutem per hoc, quod est secundum rationem rectam. Sed ratio recta est regula regulata a prima regula quae est Deus; a
qua etiam virtutem regulandi habet. Ergo virtutes morales praecipue habent
rationem virtutis ex eo quod attingunt primam regulam, scilicet Deum. Sed
virtutes theologicae, quae sunt circa Deum, non dicuntur cardinales. Ergo
neque virtutes morales debent dici cardinales. |
10.
La définition de la vertu morale est fondée sur le fait qu’elle concerne la
raison, comme l’écrit le Philosophe au livre II de l’Éthique, qui définit la vertu par « ce qui est selon la droite
raison ». Or, la droite raison est une règle réglée par une règle
première : Dieu, par laquelle elle possède aussi la vertu de régler. Les
vertus morales possèdent donc surtout ce qui fait la vertu parce qu’elles
atteignent la règle première : Dieu. Or, les vertus théologales, qui portent
sur Dieu, ne sont pas appelées cardinales. Les vertus morales ne doivent donc
pas non plus être appelées cardinales. |
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[66668] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 11 Praeterea,
principalis pars animae est ratio. Sed temperantia et
fortitudo non sunt in ratione, sed sunt irrationabilium partium, ut
philosophus dicit in III Ethic. Ergo non debent poni virtutes cardinales. |
11.
La partie principale de l’âme est la raison. Or, la tempérance et la force ne
sont pas dans la raison mais appartiennent aux parties irrationnelles, comme
le dit le Philosophe au livre III de l’Éthique. On ne doit donc pas
les établir comme vertus cardinales. |
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[66669] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 12 Praeterea,
laudabilius est dare de suo quam reddere vel non auferre alienum. Sed primum pertinet ad liberalitatem, secundum ad
iustitiam. Ergo liberalitas magis debet poni virtus
cardinalis quam iustitia. |
12.
Il est plus louable de donner de son propre bien que de rendre ou de ne pas
prendre celui d’autrui. Or, le premier cas relève de la libéralité, le
second, de la justice. On doit donc établir comme vertu cardinale la
libéralité plutôt que la justice. |
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[66670] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 13 Praeterea,
illud maxime videtur esse virtus cardinalis quod est firmamentum aliorum. Sed
huiusmodi est humilitas; dicit enim Gregorius, quod qui ceteras virtutes sine
humilitate congregat, quasi pulveres in ventum portat. Ergo humilitas debuit
poni inter virtutes cardinales. |
13.
Il semble surtout qu’une vertu cardinale est le point d’appui des autres. Or,
l’humilité est de ce genre. Grégoire dit en effet que « celui qui
regroupe toutes les autres vertus sans l’humilité, c’est comme s’il
transportait de la poussière dans le vent». On aurait donc dû établir
l’humilité parmi les vertus cardinales. |
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[66671] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 14 Praeterea,
virtus est perfectio quaedam, ut patet per philosophum in VI Phys. Sed, sicut
dicitur Iac., I, 4, patientia perfectum opus habet. Ergo patientia
tamquam perfectio, poni debuit inter virtutes cardinales. |
14.
La vertu est une certaine perfection, comme l’écrit le Philosophe au livre VI
de la Physique. Or, comme il est
dit dans Jc 1, 4, la patience s’accompagne d’une œuvre
parfaite. On aurait donc dû établir la patience, plus parfaite, parmi les
vertus cardinales. |
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[66672] De virtutibus, q. 5 a. 1 arg. 15 Praeterea,
philosophus dicit in IV Ethic., quod magnanimitas operatur magnum in
virtutibus, et est velut ornamentum aliis virtutibus. Sed hoc maxime videtur
pertinere ad principalitatem virtutis. Ergo magnanimitas videtur esse virtus
cardinalis. Inconvenienter igitur annumerantur praedictae quatuor virtutes
cardinales. |
15.
Le Philosophe dit, au livre IV de l’Éthique, que la magnanimité
réalise ce qui est grand dans les vertus et est comme une parure pour les
autres vertus. Or, ceci semble surtout relever de la primauté d’une vertu. Il
semble donc que la magnanimité soit une vertu cardinale. Les quatre vertus
cardinales mentionnées ne sont donc pas convenablement énumérées. |
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[66673] De virtutibus, q. 5 a. 1 s. c. Sed
contra, est quod Ambrosius dicit super illud Lucae, cap. VI : beati
pauperes spiritu : scimus virtutes esse quatuor cardinales : temperantiam,
iustitiam, prudentiam, fortitudinem. |
Cependant : Ambroise dit, à propos de
Lc 6 : Heureux les pauvres en esprit : « Nous savons bien qu’il y a
quatre vertus cardinales : la tempérance, la justice, la prudence, la
force. » |
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[66674] De virtutibus, q. 5 a. 1 co. Respondeo.
Dicendum, quod cardinalis a cardine dicitur, in quo ostium vertitur, secundum
illud Proverb., XXVI, 14 : sicut ostium vertitur in cardine suo, ita piger
in lectulo suo. Unde virtutes cardinales dicuntur in quibus fundatur vita
humana, per quam in ostium introitur; vita autem humana est quae est homini
proportionata. In hoc homine autem invenitur primo quidem natura sensitiva, in
qua convenit cum brutis; ratio practica, quae est homini propria secundum
suum gradum; et intellectus speculativus, qui non perfecte in homine
invenitur sicut invenitur in Angelis, sed secundum quamdam participationem
animae. Ideo vita contemplativa non est proprie humana, sed superhumana; vita
autem voluptuosa, quae inhaeret sensibilibus bonis, non est humana, sed
bestialis. Vita ergo proprie humana est vita activa, quae consistit in
exercitio virtutum moralium : et ideo proprie virtutes cardinales dicuntur in
quibus quodammodo vertitur et fundatur vita moralis, sicut in quibusdam
principiis talis vitae; propter quod et huiusmodi virtutes principales
dicuntur. Considerandum est autem, quod de ratione actus virtuosi quatuor
existunt. Quorum unum est, ut substantia ipsius actus sit in se modificata;
et ex hoc actus dicitur bonus, quasi circa debitam materiam existens, vel
debitis circumstantiis vestitus. Secundum autem est, ut
actus sit debito modo se habens ad subiectum, ex quo firmiter subiecto
inhaereat. Tertium autem est, ut actus sit debito modo
proportionatus ad aliquid extrinsecum sicut ad finem. Et haec quidem
tria sunt ex parte eius quod per rationem dirigitur. Quartum autem ex parte
ipsius rationis dirigentis, scilicet cognitio. Et haec quatuor philosophus
tangit in II Ethic., ubi dicit, quod non sufficit ad virtutem quod aliqua
sint iuste vel temperate comparata, quod pertinet ad modificationem actus.
Sed alia tria requiruntur ex parte operantis. Primum quidem, ut sit sciens;
quod pertinet ad cognitionem dirigentem. Deinde, quod sit eligens et
reeligens propter hoc, id est propter debitum finem; quod pertinet ad
rectitudinem actus in ordine ad aliquid extrinsecum. Tertium est, si firme et
immobiliter adhaereat et operetur. Haec igitur quatuor scilicet cognitio
dirigens, rectitudo, firmitas et moderatio, etsi in omnibus virtuosis actibus
requirantur; singula tamen horum principalitatem quamdam habent in
specialibus quibusdam materiis et actibus. Ex parte cognitionis practicae
tria requiruntur. Quorum primum est consilium : secundum est iudicium de
consiliatis; sicut etiam in ratione speculativa invenitur inventio vel
inquisitio, et iudicium. Sed quia intellectus practicus praecipit fugere vel
prosequi, quod non facit speculativus intellectus, ut dicitur in III de
anima; ideo tertio ad rationem practicam pertinet praemeditari de agendis; et
hoc est praecipuum ad quod alia duo ordinantur. Circa primum autem perficitur homo per virtutem eubuliae, quae est
bene consiliativa. Circa secundum autem perficitur homo per synesim et
gnomen, quibus homo fit bene iudicativus, ut dicitur in VI Ethic. Sed per prudentiam fit ratio bene praeceptiva, ut
ibidem dicitur. Unde manifestum est quod ad prudentiam
pertinet id quod est praecipuum in cognitione dirigente; et ideo ex hac parte
ponitur prudentia virtus cardinalis. Similiter rectitudo actus per comparationem ad aliquid extrinsecum,
habet quidem rationem boni et laudabilis etiam in his quae pertinent ad unum
secundum seipsum, sed maxime laudatur in his quae sunt ad alterum; quando
scilicet homo actum suum rectificat non solum in his quae ad ipsum pertinent,
sed etiam in his in quibus cum aliis communicat. Dicit enim philosophus in V
Ethic., quod multi in propriis quidem virtute uti possunt, in his autem quae
sunt ad alterum, non possunt. Et ideo iustitia ex hac parte ponitur virtus
principalis, per quam homo debito modo coaptatur et adaequatur aliis, cum
quibus communicare habet; unde et vulgariter dicuntur iusta illa quae sunt
debito modo coaptata. Moderatio autem, sive refrenatio, ibi praecipue laudem
habet et rationem boni, ubi praecipue passio impellit, quam ratio refrenare
debet, ut ad medium virtutis perveniatur. Impellit autem passio maxima ad
prosequendas delectationes maximas, quae sunt delectationes tactus; et ideo
ex hac parte ponitur cardinalis virtus temperantia, quae reprimit
concupiscentias delectabilium secundum tactum. Firmitas autem praecipue
laudem habet et rationem boni in illis in quibus passio maxime movet ad fugam
: et hoc praecipue est in maximis periculis, quae sunt pericula mortis; et
ideo ex hac parte fortitudo ponitur virtus cardinalis, per quam homo circa
mortis pericula intrepide se habet. Harum autem quatuor virtutum prudentia
quidem est in ratione, iustitia autem est in voluntate, fortitudo autem in
irascibili, temperantia autem in concupiscibili; quae solae potentiae possunt
esse principia actus humani, id est voluntarii. Unde patet ratio virtutum
cardinalium, tum ex parte modorum virtutis, quae sunt quasi rationes
formales, tum etiam ex parte materiae, tum etiam ex parte subiecti. |
Réponse : « Cardinal »
tire son origine du gond sur lequel une porte tourne, selon cette phrase de
Pr 26, 14 : La porte tourne sur ses gonds, tout comme le
paresseux sur son lit. Ainsi, on appelle cardinales les vertus sur
lesquelles est fondée la vie humaine, qui fait entrer par la porte. Or, la
vie humaine est celle qui est proportionnée à l’homme. Dans cet homme, on
trouve d’abord une nature sensitive, qu’il a en commun avec les animaux sans
raison, la raison pratique, qui est propre à l’homme selon son degré, et une
intelligence spéculative, que l’on ne trouve pas parfaitement en l’homme
comme on la trouve chez les anges, mais selon une certaine participation de
l’âme. C’est pourquoi la vie contemplative n’est pas proprement humaine, mais
surhumaine; et une vie de volupté, qui est attachée aux biens sensibles,
n’est pas humaine mais bestiale. La vie proprement humaine est donc une vie
active qui repose sur l’exercice des vertus morales. C’est pourquoi l’on
appelle proprement cardinales les vertus sur lesquelles tourne en quelque
sorte et est fondée la vie morale, en tant que principes d’une telle vie,
raison pour laquelle l’on appelle aussi principales des vertus de ce genre.
Or, il faut considérer néanmoins que quatre éléments font partie de ce qui
rend un acte vertueux. Le premier d’entre eux est que la substance de l’acte
lui-même soit réglée en elle-même; c’est la raison pour laquelle l’acte est
dit bon, en tant qu’il porte sur la matière appropriée ou est revêtu des
circonstances appropriées. Le deuxième : que l’acte soit en rapport avec le
sujet de façon appropriée ; il est ainsi fermement enraciné dans le
sujet. Le troisième : que l’acte soit proportionné de façon appropriée à
quelque chose d’extérieur comme à sa fin. Ces trois éléments relèvent de ce
qui est dirigé par la raison. Et le quatrième relève de la raison qui dirige
elle-même : la connaissance. Le Philosophe aborde ces quatre éléments au
livre II de l’Éthique, où il dit qu’il ne suffit pas pour la vertu que
certains actes soient réglés avec justice ou tempérance, ce qui relève de la
disposition réglée de l’acte. Mais trois autres éléments sont requis du côté
de l’agent. D’abord, qu’il connaisse, ce qui se rapporte à la connaissance
qui dirige. Ensuite, qu’il choisisse et rechoisisse, à savoir, en raison de
la fin qui convient; ce qui relève de la rectitude de l’acte ordonné vers
quelque chose d’extérieur. Troisièmement, que l’agent soit fixé et agisse
avec fermeté et de manière immuable. Même s’ils sont exigés de tous les actes
vertueux, chacun de ces quatre éléments : la connaissance qui dirige, la
rectitude, la fermeté et la modération, a la primauté dans certains actes et
matières particuliers. Pour ce qui est de la connaissance pratique, trois choses
sont requises. La première est le conseil ; la deuxième est le jugement
sur les choses conseillées, de même que, dans la raison spéculative, on
trouve la découverte ou la recherche, et le jugement. Mais parce que
l’intelligence pratique prescrit de fuir ou de poursuivre, ce que ne fait pas
l’intelligence spéculative, comme il est dit au livre III du traité De l’Âme, un troisième élément relève
de la raison pratique : réfléchir à l’avance sur les actes à poser; et ceci
est le principal, à quoi sont ordonnés les deux autres. Pour le premier,
l’homme est perfectionné par l’euboulia,
qui est bonne conseillère; pour le deuxième, il est perfectionné par la synésis et la gnômè, qui permettent à l’homme de bien juger, comme il est dit
au livre VI de l’Éthique. Mais, par la prudence, la raison commande
bien, comme il est dit au même endroit. Dès lors, il est clair que c’est de
la prudence que relève ce qui est le principal dans la connaissance qui
dirige. C’est pourquoi la prudence est
établie comme vertu cardinale. De même, la rectitude de l’acte par
comparaison avec quelque chose d’extérieur possède assurément le caractère de
bien et de louable, même dans ce qui relève de la personne elle-même, mais
elle est surtout louée pour ce qui se rapporte à autrui, à savoir, quand
l’homme rend droit son acte, non seulement à son égard, mais aussi dans ce
qu’il partage avec d’autres. Le Philosophe dit en effet, au livre V de l’Éthique,
que beaucoup peuvent faire usage de la vertu dans ce qui leur est propre,
mais ne le peuvent pas dans celles qui concernent autrui. C’est pourquoi la justice est établie comme vertu
principale, par laquelle l’homme est ajusté et rendu égal aux autres, avec
lesquels il doit partager. Ainsi, l’on appelle communément juste ce qui est
agencé de manière appropriée. Or, la modération ou la retenue appellent la
louange et ont le caractère de bien, surtout là où la passion entraîne, que
la raison doit réfréner pour qu’on parvienne au milieu de la vertu. Or, la
plus grande passion pousse à poursuivre les plus grands plaisirs : les
plaisirs du toucher. C’est pourquoi la tempérance est
établie comme vertu cardinale, qui réprime les concupiscences délectables au
toucher. Mais la fermeté appelle la louange et a le caractère de bien, là où
la passion pousse surtout à fuir; et cela arrive principalement dans les plus
grands dangers : les dangers de mort. C’est pourquoi la force est établie comme vertu
cardinale, par laquelle l’homme est intrépide face aux dangers de mort. Parmi
ces quatre vertus, la prudence
se trouve assurément dans la raison, la justice dans la volonté, la force dans l’irascible, la tempérance dans le concupiscible, les seules puissances qui
peuvent être principes d’un acte humain, c’est-à-dire volontaire. Ainsi
ressort clairement le caractère des vertus cardinales, tant du côté des modes
de la vertu, qui sont pour ainsi dire des raisons formelles, que du côté de
la matière, et aussi du côté du sujet. |
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[66675] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod de praedictis quatuor virtutibus cardinalibus
aliqui dupliciter loquuntur. Quidam enim utuntur praedictis quatuor nominibus
ad significandum generales modos virtutum : puta omnem cognitionem dirigentem
vocantes prudentiam; omnem rectitudinem adaequantem actus humanos vocantes
iustitiam; omnem moderationem refrenantem appetitum hominis a temporalibus
bonis vocantes temperantiam; omnem firmitatem animi stabilientem hominem in
bono contra insultum quorumcumque malorum, fortitudinem appellantes. Et ita
videtur uti his nominibus Augustinus in Lib. de moribus Eccles.; et secundum
hoc potest intelligi praedictum verbum Gregorii : quia una harum conditionum
ad veram virtutis rationem non sufficit nisi omnes praedictae conditiones
concurrant. Secundum hoc ergo praedicta quatuor dicuntur
quatuor virtutes non propter diversas species habituum quae attenduntur
secundum diversa obiecta, sed secundum diversas rationes formales. Alii vero,
sicut Aristoteles in Lib. Ethic., loquuntur de praedictis quatuor virtutibus
secundum quod sunt speciales virtutes determinatae ad proprias materias; et
secundum hoc etiam potest verificari dictum Gregorii : per modum enim
cuiusdam redundantiae, praedictae virtutes sunt circa illas materias in
quibus potissime commendantur praedictae generales quatuor virtutis conditiones.
Unde secundum hoc fortitudo temperans est, et temperantia fortis, quia qui
potest refrenare appetitum suum ne consequatur concupiscentias delectationum,
quod pertinet ad temperantiam, multo magis poterit refrenare motum audaciae
in periculis; et similiter qui potest stare firmus contra pericula mortis,
multo magis potest stare firmus contra illecebras voluptatum. Et secundum
hoc, id quod est principaliter temperantiae, transit ad fortitudinem, et e
converso; et eadem ratio est in aliis. |
Solutions : 1.
Certains parlent de deux façons des quatre vertus cardinales mentionnées.
Certains, en effet, utilisent ces quatre noms pour signifier des modes
généraux des vertus, par exemple, en appelant prudence toute connaissance qui
dirige, en appelant justice toute rectitude qui ajuste les actes humains, en
appelant tempérance toute modération qui réfrène l’appétit de l’homme pour
les biens temporels, en appelant force toute fermeté de l’âme qui maintient
solidement l’homme dans le bien contre l’assaut de n’importe quel mal.
Augustin semble utiliser ces noms de cette manière dans le Livre sur le
comportement de l’Église. L’on peut comprendre ainsi la parole précitée
de Grégoire, qu’une de ces conditions ne suffit pas au véritable caractère de
vertu, si toutes les conditions mentionnées ne sont pas satisfaites. Dès
lors, les quatre dispositions précitées sont quatre vertus, non par les
diverses espèces d’habitus en rapport avec des objets divers, mais selon
diverses raisons formelles. Mais d’autres, comme Aristote dans l’Éthique,
parlent des quatre vertus mentionnées comme de vertus spéciales, déterminées
selon leurs matières propres. Ainsi se vérifie aussi ce qu’a dit Grégoire :
en effet, par mode d’une certaine redondance, les vertus mentionnées portent
sur les matières dans lesquelles sont louées au plus haut point les quatre
susdites conditions générales de la vertu. Dès lors, la force est tempérante
et la tempérance, forte, parce que celui qui peut réfréner son appétit, afin
de ne pas rechercher la concupiscence des plaisirs, tâche qui relève de la
tempérance, pourra bien davantage réfréner le mouvement d’audace dans les
dangers; et de même, celui qui peut demeurer ferme contre les dangers de mort
peut bien davantage rester ferme contre les séductions des plaisirs. Ainsi,
ce qui relève principalement de la tempérance passe du côté de la force, et
inversement. Et c’est la même chose pour les autres. |
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[66676] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod in fine appetitus hominis quiescit; et ideo virtutum
theologicarum, quae sunt circa finem ultimum, principalitas non comparatur
cardini, qui movetur, sed magis fundamento et radici, quae sunt stantia et
quiescentia, secundum illud ad Ephes., III, 17 : in caritate radicati et
fundati. |
2.
L’appétit humain trouve son repos dans la fin. Ainsi la supériorité des
vertus théologales, qui concernent la fin ultime, n’est pas comparée au gond
qui est mis en mouvement, mais plutôt à la fondation et à la racine, qui sont
stables et en repos, selon ce que dit Ep 3, 17 : Enracinés et
fondés dans l’amour. |
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[66677] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod secundum philosophum in VI Ethic., prudentia
est recta ratio agibilium. Agibilia autem dicuntur moralia opera, ut ex his
quae ibi dicuntur, apparet. Et ideo prudentia convenit cum moralibus
virtutibus quantum ad sui materiam; et propter hoc connumeratur eis, licet
quantum ad suam essentiam vel subiectum sit intellectualis. |
3.
Selon le Philosophe, au livre VI de l’Éthique, la prudence est la
droite raison dans les actions à poser. Or, les actes moraux sont des actions
à poser, comme le montrent celles dont on parle là. Ainsi la prudence a
quelque chose en commun avec les vertus morales du fait de sa propre matière;
c’est pourquoi elle est comptée parmi elles, bien qu’elle soit [une vertu]
intellectuelle pour ce qui est de son essence ou de son sujet. |
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[66678] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod sapientia, ex hoc ipso quod non est circa humana, sed
circa divina, non communicat cum virtutibus moralibus in materia : unde non
connumeratur virtutibus moralibus, ut simul cum eis dicatur cardinalis
virtus, quia ipsa ratio cardinis repugnat contemplationi, quia non est sicut
ostium, quo intratur ad aliquid aliud; sed magis actio moralis est ostium,
per quod ad contemplationem sapientiae intratur. |
4.
La sagesse, parce qu’elle ne concerne pas l’humain mais le divin, n’a rien en
commun avec les vertus morales pour ce qui est de la matière. Ainsi, elle
n’est pas comptée parmi les vertus morales, de sorte qu’on ne l’appelle pas
vertu cardinale, comme elles, parce que la notion même de cardinal est
incompatible avec la contemplation, qui n’est pas comme une porte par
laquelle on pénètre dans quelque chose d’autre; mais l’action morale est
plutôt une entrée par laquelle on pénètre dans la contemplation de la
sagesse. |
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[66679] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod si praedictae quatuor virtutes accipiantur secundum
quod significant generales conditiones virtutum, secundum hoc omnes virtutes
speciales, de quibus philosophus tractat in Lib. Ethic., reducuntur ad has quatuor virtutes sicut species ad genus. Si
vero accipiantur secundum quod sunt speciales virtutes circa quasdam materias
principales, sic aliae reducuntur ad eas sicut secundarium ad principale ut
eutrapelia quae moderatur delectationem ludi, potest reduci ad temperantiam,
quae moderatur delectationes tactus; unde et Tullius in II rhetoricae, ponit
alias virtutes esse partes harum quatuor. Quod potest intelligi dupliciter :
uno modo quod sint partes subiectivae secundum primum modum sumendi has
virtutes; alio modo quod sint partes potentiales, si sumantur secundo modo
virtutes praedictae; sic sensus est pars potentialis, quia non nominat totam
virtutem animae, sed aliquid eius. |
5.
Si l’on considère les quatre vertus mentionnées selon qu’elles indiquent les
conditions générales des vertus, toutes les vertus spéciales dont traite le
Philosophe dans l’Éthique se ramènent alors à ces quatre vertus, comme
les espèces au genre. Mais si on les considère selon qu’elles sont des vertus
spéciales qui concernent certaines matières principales, alors les autres se
ramènent à celles-ci comme le secondaire au principal, comme l’eutrapelia, qui règle le plaisir du
jeu, peut être ramenée à la tempérance, qui règle les plaisirs du toucher.
Ainsi Cicéron, au livre II de La
Rhétorique, établit que les autres vertus sont des parties de ces quatre
vertus. Ce que l’on peut comprendre de deux façons : d’une première façon,
elles sont des parties subjectives, selon la première manière de considérer
ces vertus; d’une seconde façon, elles sont des parties potentielles, si l’on
considère de la seconde manière les vertus mentionnées. Ainsi le sens est une
partie potentielle, parce qu’il ne désigne pas toute la puissance de l’âme,
mais une partie de celle-ci. |
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[66680] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod non est de ratione temperantiae quod omnes pravas
concupiscentias excludat, sed quod temperatus non patiatur aliquas tales
concupiscentias vehementes et fortes, sicut patiuntur illi qui non studuerunt
concupiscentias refrenare. Paulus igitur patiebatur concupiscentias
inordinatas propter fomitis corruptionem : non tamen fortes neque vehementes,
quia studebat eas reprimere castigando corpus suum, et in servitutem
redigendo; unde vere temperatus erat. |
6.
Le fait d’exclure toutes les mauvaises concupiscences ne fait pas partie de
la notion de tempérance, mais le fait que l’homme tempéré ne subisse pas de
telles concupiscences fortes et violentes, comme en subissent ceux qui n’ont
pas appris à réfréner leurs concupiscences. Paul subissait donc des
concupiscences désordonnées en raison de la corruption qui l’enflammait;
elles n’étaient cependant ni fortes ni violentes, parce qu’il s’efforçait de
les réprimer en châtiant son corps et en l’asservissant. C’est pourquoi il
était vraiment tempéré. |
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[66681] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod iustitia, per quam ordinamur ad alterum, non est
circa passiones proprias, sed circa operationes quibus communicamus cum
aliis, sicut sunt emptio et venditio, et alia huiusmodi : temperantia autem
et fortitudo sunt circa proprias passiones. Et ideo, sicut in homine est una
vis appetitiva sine passione id est voluntas, duae autem cum passione, id est
concupiscibilis et irascibilis : ita est una virtus cardinalis ordinans ad
proximum, duae autem ordinantes hominem ad seipsum. |
7.
La justice, qui nous ordonne à autrui, ne concerne pas les passions qui nous
sont propres mais les opérations par lesquelles nous partageons avec les
autres, comme l’achat et la vente, et d’autres de ce genre. Or, la tempérance
et la force concernent les passions propres. Ainsi, de même qu’il y a en
l’homme une seule force appétitive sans passion, la volonté, mais deux avec
passion, le concupiscible et l’irascible, de même il y a une vertu cardinale
qui ordonne l’homme au prochain, mais deux qui l’ordonnent à lui-même. |
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[66682] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod caritas dicitur esse omnis virtus non essentialiter,
sed causaliter, quia scilicet caritas est mater omnium virtutum. Semper autem
effectus magis multiplicatur quam causa; et ideo oportet aliarum virtutum
esse maiorem multiplicitatem quam caritatis. |
8.
On dit que la charité est toute vertu, non essentiellement mais en tant que
cause, parce que la charité est mère de toutes les vertus. Or, l’effet est
toujours plus multiplié que la cause. Il faut donc que la multiplicité des
autres vertus soit plus grande que celle de la charité. |
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[66683] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod diversa ratio receptionis potest esse vel ex parte
materiae, quae receptiva est formae; et talis diversitas facit diversitatem
generis; vel ex parte formae, quae diversimode receptibilis est in materia :
et talis diversitas facit diversitatem speciei. Et ita est in proposito. |
9.
La réception peut se faire de manière diverse : soit dans la matière, qui
reçoit la forme – et une telle diversité fait la diversité du genre –, soit
dans la forme, qui peut être reçue de diverses manières dans la matière – et
une telle diversité fait la diversité de l’espèce. Il en va de même dans le
sujet traité. |
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[66684] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtutes morales attingunt
rationem sicut regulam proximam, Deum autem sicut regulam primam. Res
autem specificantur secundum propria et proxima principia, non secundum
principia prima. |
10.
Les vertus morales ont un rapport avec la raison comme la règle seconde, mais
avec Dieu comme la règle première. Or, les choses sont spécifiées par leurs
principes propres et prochains, non par les principes premiers. |
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[66685] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod principalis pars hominis est pars rationalis. Sed
rationale est duplex : scilicet per essentiam et per participationem; et
sicut ipsa ratio est principalior quam vires participantes ratione, ita etiam
prudentia est principalior quam aliae virtutes. |
11.
La partie principale de l’homme est la partie rationnelle. Mais le rationnel
est double : par essence et par participation. De même que la raison
elle-même l’emporte sur les forces qui participent à la raison, de même la
prudence l’emporte aussi sur les autres vertus. |
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[66686] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod virtutes cardinales dicuntur principaliores omnibus
aliis, non quia sunt omnibus aliis perfectiores, sed quia in eis principalius
versatur humana vita, et super eas aliae virtutes fundantur. Manifestum est
autem quod humana vita magis versatur circa iustitiam, quam circa liberalitatem
: utimur enim iustitia ad omnes, liberalitate autem ad paucos. Ipsa autem
liberalitas supra iustitiam fundatur : non enim esset liberalis donatio, nisi
aliquis daret de suo; per iustitiam autem distinguuntur propria ab alienis. |
12.
On dit que les vertus cardinales l’emportent sur toutes les autres, non parce
qu’elles sont plus parfaites que toutes les autres, mais parce que la vie
humaine repose surtout sur elles et que les autres vertus sont fondées sur
elles. Or, il est clair que la vie humaine repose plus sur la justice que sur
la libéralité, car nous faisons usage de la justice pour tous, mais de la
libéralité pour un petit nombre. Or, la libéralité elle-même est fondée sur
la justice, car il n’y aurait pas de don libéral si on ne donnait pas de ce
qui est à soi. Et c’est par la justice qu’on distingue ses biens propres de
ceux d’autrui. |
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[66687] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod humilitas firmat
omnes virtutes indirecte, removendo quae bonis virtutum operibus insidiantur,
ut pereant; sed in virtutibus cardinalibus firmantur aliae virtutes directe. |
13.
L’humilité affermit indirectement toutes les vertus, en éloignant ce qui tend
des embûches aux actions bonnes des vertus en vue de les détruire. Mais dans
les vertus cardinales, les autres vertus sont affermies directement. |
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[66688] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod patientia includitur in fortitudine : nam
fortis habet id quod est patientis, ut scilicet non conturbetur ex
imminentibus malis; et etiam addit amplius, ut scilicet in mala imminentia
exiliat secundum quod oportet. |
14.
La patience est contenue dans la force. L’homme fort, en effet, a les
caractéristiques de l’homme patient : il ne se laisse pas troubler par des
maux imminents. Et il en ajoute encore plus : il s’élance même vers les maux
imminents, comme il convient. |
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[66689] De virtutibus, q. 5 a. 1 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod ex hoc ipso quod magnanimitas est ornatus
aliarum virtutum, manifestatur quod alias virtutes praesupponit, in quibus
fundatur; et ex hoc apparet quod aliae sunt magis principales quam ipsa. |
15.
Parce que la magnanimité est la parure des autres vertus, il est clair
qu’elle présuppose les autres vertus sur lesquelles elle est fondée. Dès
lors, il apparaît que celles-ci l’emportent sur elle. |
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Articulus 2 : [66690]
De virtutibus, q. 5 a. 2 tit. 1 Secundo quaeritur utrum virtutes sint
connexae; ut qui habet unam, habeat omnes |
Article 2 – Les vertus sont-elles connexes, de
sorte que celui qui en possède une les possède toutes ?
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[66691] De virtutibus, q. 5 a. 2 tit. 2 Et
videtur quod non. |
Il semble que non. |
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[66692] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 1
Dicit enim Beda super Lucam, quod sancti magis humiliantur de virtutibus quas
non habent, quam extollantur de virtutibus quas habent. Ergo quasdam habent,
et quasdam non habent; non ergo virtutes sunt connexae. |
Objections : 1. Bède dit en effet, en
commentant Luc, que les saints sont plus humiliés des vertus qu’ils ne
possèdent pas qu’ils ne s’enorgueillissent des vertus qu’ils possèdent. Ils
en possèdent donc certaines mais n’en possèdent pas d’autres. Les vertus ne
sont donc pas connexes. |
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[66693] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 2 Praeterea,
homo post poenitentiam est in statu caritatis : de his autem patitur
difficultatem operandi propter consuetudinem praecedentem, ut dicit
Augustinus contra Iulianum; et sic huiusmodi difficultas videtur provenire ex
habitu contrario virtuti, per malam consuetudinem acquisitam, cum quo non
potest simul esse virtus ei contraria. Ergo aliquis potest habere unam
virtutem, scilicet caritatem, et carebit aliis. |
2.
Après le repentir, l’homme est en état de charité. Or, il a de la difficulté
à agir en raison d’une habitude précédente, comme le dit Augustin contre
Julien. Ainsi, une difficulté de ce genre semble provenir d’un habitus
contraire à la vertu, acquis par une mauvaise habitude, qui ne peut pas
exister en même temps que la vertu qui lui est contraire. On peut donc
posséder une vertu, la charité, et être privé des autres. |
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[66694] De
virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 3 Praeterea in omnibus baptizatis caritas
invenitur. Sed quidam baptizati non habent prudentiam, ut patet maxime in
morionibus et phreneticis, qui non possunt esse prudentes, secundum
philosophum; et etiam in quibusdam adultis simplicibus, qui non bene videntur
esse prudentes, cum non sint bene consiliativi, quod est opus prudentiae. Non
ergo qui habet unam virtutem, scilicet caritatem habet omnes alias. |
3.
Chez tous les baptisés se trouve la charité. Or certains baptisés ne
possèdent pas la prudence, comme on le voit surtout chez les idiots et les
frénétiques, qui ne peuvent pas être prudents, selon le Philosophe; et aussi
chez certains adultes ingénus, qui ne semblent pas être bien prudents, vu
qu’ils ne sont pas bons conseillers, ce qui est l’œuvre de la prudence. Donc,
celui qui possède une seule vertu, la charité, ne possède pas toutes les
autres. |
|
[66695] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 4 Praeterea,
secundum philosophum in VI Ethic., prudentia est recta ratio agibilium, sicut
ars est recta ratio factibilium. Sed homo potest habere
rectam rationem circa unum genus factibilium puta circa fabrilia, et non
habebit rectam rationem circa alia artificialia. Ergo etiam potest habere
prudentiam circa unum genus agibilium, puta circa iusta, et non habebit circa
aliud genus, puta circa fortia; et ita poterit habere unam virtutem absque
alia. |
4.
Selon le Philosophe, au livre VI de l’Éthique, la prudence est la
droite raison dans la conduite à tenir, comme l’art est la droite raison dans
les choses à faire. Mais l’homme peut posséder la droite raison qui concerne
un seul genre de choses à faire, par exemple, les objets à forger, mais il ne
possédera pas la droite raison qui concerne d’autres choses qui relèvent de
l’art. Il peut donc aussi posséder la prudence qui concerne un seul genre
d’actions, par exemple, ce qui est juste, mais il ne la possédera pas dans un
autre genre, par exemple, ce qui est fort. Ainsi il pourra posséder une seule
vertu sans les autres. |
|
[66696] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 5 Praeterea,
philosophus dicit in IV Ethic., quod non omnis liberalis est magnificus, et
tamen utrumque est virtus, scilicet liberalitas et magnificentia; et
similiter dicit, quod aliqui sunt moderati, non tamen magnanimi. Non ergo
quicumque habet unam virtutem, habet omnes. |
5.
Le Philosophe dit, au livre IV de l’Éthique, que tout homme libéral ne
fait pas de grandes choses, alors que les deux sont des vertus : la
libéralité et la magnificence. Il dit de même que certains hommes sont
modérés mais non magnanimes. Celui qui possède une vertu ne les possède donc
pas toutes. |
|
[66697] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 6 Praeterea, apostolus dicit I ad Corinth., cap. XII,
4 : divisiones gratiarum sunt; et postea subdit : alii datur per spiritum sermo sapientiae, alii
sermo scientiae, quae sunt intellectuales virtutes, alii fides,
quae est virtus theologica. Ergo aliquis habet unam virtutem, et non habet
aliam. |
6.
L’Apôtre dit, dans 1 Co 12, 4 : Il y a diversité des grâces,
puis il ajoute : À l’un, c’est une parole de sagesse qui est donnée par
l’Esprit, à l’autre, une parole de science – qui sont des vertus
intellectuelles –, à un autre, la foi – qui est une vertu théologale.
On possède donc une vertu sans en posséder une autre. |
|
[66698] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 7 Praeterea,
virginitas est quaedam virtus, ut Cyprianus dicit. Sed multi habent alias
virtutes qui non habent virginitatem. Ergo non quicumque habet unam virtutem,
habet omnes. |
7.
La virginité est une vertu, comme le dit Cyprien. Or, beaucoup de ceux qui ne
possèdent pas la virginité possèdent d’autres vertus. Celui qui possède une
vertu ne les possède donc pas toutes. |
|
[66699] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 8 Praeterea,
philosophus dicit in VI Ethic., quod Anaxagoram et Thaletem sapientes quidem
dicimus, non autem prudentes. Sed sapientia et prudentia sunt quaedam
virtutes intellectuales. Ergo aliquis potest habere unam virtutem sine aliis. |
8.
Le Philosophe dit, au livre VI de l’Éthique, que nous disons
d’Anaxagore et de Thalès qu’ils sont sages, mais non pas prudents. Or, la
sagesse et la prudence sont des vertus intellectuelles. On peut donc posséder
une vertu sans les autres. |
|
[66700] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 9 Praeterea, philosophus in eodem Lib. dicit, quod
quidam habent inclinationem ad unam virtutem, et non ad aliam. Potest ergo
contingere quod aliquis exercitetur in actibus unius virtutis, et non in
actibus alterius. Sed ex exercitio actuum acquiruntur quaedam virtutes, ut
patet per philosophum in II Ethic. Ergo, saltem, virtutes acquisitae non sunt
connexae. |
9.
Le Philosophe dit, au même livre, que certains ont une inclination pour une
vertu, et non pour une autre. Il peut donc arriver que l’on s’exerce dans les
actes d’une vertu, et non dans les actes d’une autre. Or, l’on acquiert
certaines vertus par l’exercice de leurs actes, comme cela ressort clairement
de ce que dit le Philosophe au livre II de l’Éthique. Les vertus
acquises, du moins, ne sont donc pas connexes. |
|
[66701] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 10 Praeterea,
virtus etsi secundum aptitudinem sit a natura, tamen secundum esse perfectum
non est a natura, ut dicitur in II Ethic. Manifestum est etiam quod non est a
fortuna, quia quae sunt a fortuna, sunt praeter electionem. Relinquitur ergo
quod virtus acquiratur in nobis vel a proposito vel a Deo. Sed a proposito
(ut videtur) potest acquiri una virtus sine alia : quia unus potest habere
intentionem ad acquirendum unam virtutem, et non aliam. Similiter etiam et a
Deo : quia aliquis potest petere a Deo unam virtutem, et non aliam. Ergo
omnibus modis una virtus potest esse sine alia. |
10.
La vertu, bien qu’elle vienne de la nature pour ce qui est de l’aptitude, ne
reçoit cependant pas son être parfait de la nature, comme il est dit au livre
II de l’Éthique. Il est aussi clair qu’elle ne vient pas de la
fortune, parce que ce qui vient de la fortune est au-delà du choix. Il reste
donc que la vertu est acquise en nous soit par dessein, soit par Dieu. Mais
par dessein (à ce qu’il semble), on peut acquérir une vertu sans les autres,
parce qu’un homme peut vouloir acquérir une vertu et non une autre. Il en va
de même pour Dieu, parce que l’on peut demander à Dieu une vertu, et non une
autre. De toutes les façons, une vertu peut donc exister sans une autre. |
|
[66702] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 11 Praeterea, finis in moralibus comparatur ad actus
virtutum in moralibus, sicut in demonstrativis principia ad conclusiones. Sed
homo potest habere unam conclusionem sine alia. Ergo potest habere unam
virtutem sine alia. |
11.
La fin dans les réalités morales se compare aux actes des vertus dans les
réalités morales, comme les principes le font aux conclusions dans les
démonstrations. Or, l’homme peut posséder une conclusion sans une autre. Il peut
donc posséder une vertu sans une autre. |
|
[66703] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 12 Praeterea,
Augustinus dicit in quadam Epist. de sententia Iacobi, quod non est divina
sententia, qua dicitur : qui habet unam virtutem, habet omnes; et quod homo
potest habere unam virtutem sine alia, puta misericordiam, et non
continentiam; sicut et in membris corporis unum potest esse illuminatum, sive
decorum aut sanum, sine alio. Ergo virtutes non sunt connexae. |
12.
Augustin dit, dans une lettre à propos d’une position de Jacques, que ce
n’est pas une position divine par laquelle on dit : « Celui qui possède
une vertu les possède toutes », et que l’homme peut posséder une vertu
sans une autre, par exemple, la miséricorde et non la continence. De même
aussi, dans les membres du corps, l’un peut être mis en valeur, ou paré ou en
santé, sans un autre. Les vertus ne sont donc pas connexes. |
|
[66704] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 13 Praeterea,
ea quae sunt connexa, aut hoc est ratione principii, aut ratione subiecti,
aut ratione obiecti. Sed non ratione principii, quod est Deus, quia, secundum
hoc, omnia bona quae sunt a Deo, essent connexa; nec etiam ratione subiecti,
quod est anima, quia secundum hoc omnes non essent connexae; nec iterum
ratione obiecti, quia per obiecta distinguuntur : non est autem idem
principium distinctionis et connexionis. Ergo et cetera. |
13.
Ce qui est connexe l’est soit en raison du principe, soit en raison du sujet,
soit en raison de l’objet. Or, ce n’est pas en raison du principe, qui est
Dieu, parce que, de cette manière, tous les biens qui viennent de Dieu
seraient connexes; ni en raison du sujet, qui est l’âme, parce que, de cette
manière, toutes les vertus ne sont pas connexes; ni en raison de l’objet,
parce que ce sont les objets qui distinguent les vertus. Or, les principes de
distinction et de connexion ne sont pas les mêmes. Donc, etc. |
|
[66705] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 14 Praeterea,
intellectuales virtutes non habent connexionem cum moralibus; sicut patet
maxime de intellectu principiorum, qui potest haberi sine moralibus
virtutibus. Sed prudentia est virtus intellectualis, quae ponitur una
cardinalium. Ergo non habet connexionem cum aliis cardinalibus, quae sunt
virtutes morales. |
14.
Les vertus intellectuelles n’ont pas de connexion avec les vertus morales,
comme le montre surtout la compréhension des principes, qui peut être
possédée sans les vertus morales. Or, la prudence est une vertu
intellectuelle qui est donnée comme une des vertus cardinales. Elle n’a donc
pas de connexion avec les autres vertus cardinales, qui sont des vertus
morales. |
|
[66706] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 15 Praeterea,
in patria non erit fides et spes, sed tantum erit ibi caritas. Ergo etiam in
statu perfectissimo virtutes non erunt connexae. |
15.
Dans la patrie, il n’y aura pas de foi ni d’espérance, mais il y aura
seulement la charité. Même dans l’état le plus parfait, les vertus ne seront
donc pas connexes. |
|
[66707] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 16 Praeterea,
Angeli, in quibus non sunt virtutes sensitivae, et similiter animae
separatae, habent caritatem et iustitiam, quae est perpetua et immortalis;
non autem habent temperantiam et fortitudinem, quia hae virtutes sunt
irrationabilium partium, ut dicitur in III Ethic. Ergo virtutes non sunt
connexae. |
16.
Les anges, qui ne possèdent pas de puissances sensitives, ainsi que les âmes
séparées [du corps], possèdent la charité et la justice, qui est éternelle et
immortelle, mais ils ne possèdent pas la tempérance ni la force, parce que
ces vertus appartiennent aux parties irrationnelles, comme il est dit au
livre III de l’Éthique. Les vertus ne sont donc pas connexes. |
|
[66708] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 17 Praeterea, sicut sunt virtutes quaedam animae, sunt
etiam quaedam virtutes corporales. Sed in virtutibus corporalibus non est
connexio, quia aliquis habet visum qui non habet auditum. Ergo neque etiam in
virtutibus animae. |
17.
De même qu’il y a des puissances spirituelles, de même il y a des puissances
corporelles. Or dans les puissances corporelles, il n’y a pas de connexion,
parce que l’on peut posséder la vue et ne pas posséder l’ouïe. Il n’y en a
donc pas non plus dans les puissances spirituelles. |
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[66709] De virtutibus, q. 5 a. 2 arg. 18 Praeterea,
dicit Gregorius super Ezechielem, quod nemo repente fit summus; et in Psalm.
LXXXIII, 8, dicitur, quod ibunt de virtute in virtutem. Non ergo simul
acquirit homo virtutes, sed successive; et ita virtutes non sunt connexae. |
18.
Grégoire dit, dans les Homélies sur
Ezéchiel, que personne n’atteint soudainement le degré le plus élevé; et
dans le Psaume 83, 8, il est
dit qu’ils iront de vertu en vertu. L’homme n’acquiert donc pas les
vertus en même temps, mais successivement. Ainsi les vertus ne sont pas
connexes. |
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[66710] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 1 Sed contra. Est quod Ambrosius dicit super Luc. : connexae
sunt et concatenatae : ut qui unam habuerit, omnes habere videatur. |
Cependant : 1. Ambroise dit, dans le Traité sur l’Évangile de Luc :
« Elles sont connexes et enchaînées, de sorte que celui qui en
posséderait une semblerait les posséder toutes. » |
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[66711] De virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 2 Praeterea,
Gregorius dicit XXII Moral., quod si una virtus sine alia habeatur, aut
virtus non est, aut perfecta non est. Sed perfectio est de ratione virtutis :
virtus enim est perfectio quaedam, ut dicitur in VII Physic. Ergo virtutes
sunt connexae. |
2. Grégoire dit, au livre
XXII des Morales sur Job, que, si
l’on possède une vertu sans une autre, c’est soit qu’elle n’est pas une
vertu, soit qu’elle n’est pas parfaite. Or, la perfection fait partie de la
notion de vertu, car la vertu est une certaine perfection, comme il est dit
au livre VII de la Physique. Les
vertus sont donc connexes. |
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[66712] De
virtutibus, q. 5 a. 2 s. c. 3 Praeterea, super illud Ezech., I, 11 : duae
pennae singulorum iungebantur, Glossa dicit, quod virtutes sunt
coniunctae; ut qui una caruerit, alia careat. |
3. Au sujet de cette
phrase d’Ez 1, 11 : Leurs ailes étaient jointes l’une à
l’autre, la Glose dit que les vertus sont unies, de sorte que celui qui serait
privé de l’une serait privé de l’autre. |
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[66713] De virtutibus, q. 5 a. 2 co. Respondeo. Dicendum, quod de virtutibus dupliciter possumus loqui :
uno modo de virtutibus perfectis; alio modo de virtutibus imperfectis. Perfectae
quidem virtutes connexae sibi sunt; imperfectae autem virtutes non sunt ex
necessitate connexae. Ad cuius evidentiam sciendum est, quod cum virtus sit
quae hominem bonum facit, et opus eius bonum reddit, illa est virtus perfecta
quae perfecte opus hominis bonum reddit, et ipsum bonum facit; illa autem est
imperfecta, quae hominem et opus eius reddit bonum non simpliciter, sed
quantum ad aliquid. Bonum autem simpliciter in actibus humanis invenitur per
hoc quod pertingitur ad regulam humanorum actuum; quae quidem est una quasi homogenea
et propria homini, scilicet ratio recta, alia autem est sicut prima mensura
transcendens, quod est Deus. Ad rationem autem rectam attingit homo per
prudentiam, quae est recta ratio agibilium, ut philosophus dicit in VI Ethic.
Ad Deum autem attingit homo per caritatem, secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui
manet in caritate, in Deo manet, et Deus in eo. Sic igitur est triplex
gradus virtutum. Sunt enim quaedam virtutes omnino imperfectae, quae sine
prudentia existunt, non attingentes rationem rectam, sicut sunt inclinationes
quas aliqui habent ad aliqua virtutum opera etiam ab ipsa nativitate,
secundum illud Iob, XXXI, 18 : ab infantia crevit mecum miseratio, et de
utero egressa est mecum. Huiusmodi autem inclinationes non simul insunt
omnibus, sed quidam habent inclinationem ad unum, quidam ad aliud. Hae autem
inclinationes non habent rationem virtutis, quia virtute nullus male utitur,
secundum Augustinum; huiusmodi autem inclinationibus potest aliquis male uti
et nocive, si sine discretione utatur; sicut equus, si visu careret, tanto
fortius impingeret, quanto fortius curreret. Unde Gregorius dicit in XXII
Moral., quod ceterae virtutes, nisi ea quae appetunt, prudenter agant,
virtutes esse nequaquam possunt; unde ibi inclinationes quae sunt sine prudentia,
non habent perfecte rationem virtutis. Secundus autem gradus virtutum est
illarum quae attingunt rationem rectam, non tamen attingunt ad ipsum Deum per
caritatem. Hae quidem aliqualiter sunt perfectae per comparationem ad bonum
humanum, non tamen sunt simpliciter perfectae, quia non attingunt ad primam
regulam, quae est ultimus finis, ut Augustinus dicit contra Iulianum. Unde et
deficiunt a vera ratione virtutis; sicut et morales inclinationes absque
prudentia deficiunt a vera ratione virtutis. Tertius gradus est virtutum
simpliciter perfectarum, quae sunt simul cum caritate; hae enim virtutes
faciunt actum hominis simpliciter bonum, quasi attingentem usque ad ultimum
finem. Est autem considerandum ulterius, quod, sicut
virtutes morales esse non possunt absque prudentia, ratione iam dicta, ita
nec prudentia potest esse sine virtutibus moralibus; est enim prudentia recta
ratio agibilium. Ad ipsam autem rectam rationem in quolibet genere requiritur
quod aliquis habeat aestimationem et iudicium de principiis, ex quibus ratio
illa procedit; sicut in geometricalibus non potest aliquis habere
aestimationem rectam, nisi habeat rectam rationem circa principia
geometricalia. Principia autem agibilium sunt fines; ex his
enim sumitur ratio agendorum. De fine autem habet aliquis rectam
existimationem per habitum virtutis moralis; quia, ut philosophus dicit in
III Ethic., qualis unusquisque est, talis et finis videtur ei; sicut virtuoso
videtur appetibile, ut finis, bonum quod est secundum virtutem; et vitioso
illud quod pertinet ad illud vitium; et est simile de gustu infecto et sano. Unde
necesse est quod quicumque habet prudentiam, habeat etiam virtutes morales.
Similiter etiam quicumque habet caritatem, oportet quod habeat omnes alias
virtutes. Caritas enim est in homine ex infusione divina, secundum illud Rom.
V, 5 : caritas Dei diffusa est in cordibus nostris per spiritum sanctum,
qui datus est nobis. Deus autem ad quaecumque dat inclinationem, dat
etiam formas aliquas, quae sunt principia operationum et motuum, ad quos res
inclinatur a Deo; sicut igni dat levitatem, per quam prompte et faciliter
sursum tendit; unde, ut dicitur Sap. VIII, 1, disponit omnia suaviter.
Oportet igitur quod similiter cum caritate infundantur habituales formae
expedite producentes actus ad quos caritas inclinat. Inclinat autem caritas
ad omnes actus virtutum, quia cum sit circa finem ultimum, importat omnes
actus virtutum. Quaelibet enim ars vel virtus ad quam pertinet finis, imperat
his quae sunt circa finem, sicut militaris equestri, et equestris frenorum
factrici, ut dicitur in I Ethicor. Unde secundum
decentiam divinae sapientiae et bonitatis, ad caritatem simul habitus omnium
virtutum infunduntur; et ideo dicitur I ad Corinth. XII, v. 4 : caritas
patiens est, benigna est, et cetera. Sic ergo, si accipiamus virtutes
simpliciter perfectas, connectuntur propter caritatem; quia nulla virtus
talis sine caritate haberi potest, et caritate habita omnes habentur. Si
autem accipiamus virtutes perfectas in secundo gradu, respectu boni humani, sic
connectuntur per prudentiam; quia sine prudentia nulla virtus moralis esse
potest, nec prudentia haberi potest, si cui deficiat moralis virtus. Si tamen
accipiamus quatuor cardinales virtutes, secundum quod important quasdam
generales conditiones virtutum, secundum hoc habent connexionem, ex hoc quod
non sufficit ad aliquem actum virtutis quod adsit una harum conditionum, nisi
omnes adsint; et secundum hoc videtur assignare causas connexionis Gregorius,
in Lib. XXI Moralium |
Réponse : Nous pouvons parler des
vertus de deux manières : d’une manière, de vertus parfaites; d’une autre
manière, de vertus imparfaites. Or, les vertus parfaites sont connexes, alors
que les vertus imparfaites ne sont pas nécessairement connexes. Pour le
montrer, il faut savoir ceci : comme c’est la vertu qui rend l’homme bon et
rend son œuvre bonne, c’est une vertu parfaite qui rend parfaitement bonne
l’œuvre de l’homme et le rend lui-même bon; mais elle est imparfaite celle
qui rend bons l’homme et son œuvre, non pas simplement, mais de manière
relative. Or, on trouve ce qui est simplement bon dans les actes humains dans
ce qui atteint la règle des actes humains. Or, une [règle] est pour ainsi
dire homogène et propre à l’homme, à savoir, la droite raison, alors qu’une
autre est comme la première mesure transcendante : Dieu. Or, l’homme atteint
la droite raison par la prudence, qui est la droite raison dans les actes à
poser, comme le dit le Philosophe au livre VI de l’Éthique. Et l’homme
atteint Dieu par la charité, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui
qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui. Ainsi donc,
il y a un triple degré des vertus. En effet, il y a des vertus tout à fait
imparfaites, qui existent sans la prudence, et n’atteignent pas la droite
raison, comme le sont les inclinations de certains pour certains actes des
vertus, même depuis leur naissance, selon ce que dit Jb 31, 18 : Dès
l’enfance, la miséricorde a grandi avec moi, et elle est sortie du sein
maternel en même temps que moi. Or, les inclinations de ce genre
n’existent pas en même temps chez tous, mais les uns ont une inclination pour
une chose, les autres pour autre chose. Mais ces inclinations n’ont pas le
caractère de vertu, parce que personne ne fait usage de la vertu de façon
mauvaise, selon Augustin [livre I des Rétractations]. Mais l’on peut faire usage
d’inclinations de ce genre de façon mauvaise et nuisible si on en fait usage
sans discernement, comme un cheval, s’il était privé de la vue, se cognerait
d’autant plus fort qu’il courrait avec plus d’énergie. Ainsi Grégoire dit, au
livre XXII des Morales sur Job, que
toutes les autres vertus, à moins qu’elles n’accomplissent avec prudence ce
qu’elles désirent, ne peuvent en aucun cas être des vertus. Dès lors, les
inclinations qui sont dépourvues de prudence ne possèdent pas parfaitement le
caractère de vertu. Le deuxième degré des vertus est constitué de celles qui
atteignent la droite raison, mais n’atteignent pas Dieu lui-même par la
charité. Elles sont en quelque sorte parfaites, comparées au bien humain,
mais ne sont pas simplement parfaites, parce qu’elles n’atteignent pas la
règle première, qui est la fin ultime, comme le dit Augustin contre Julien.
Dès lors, le véritable caractère de vertu leur fait défaut, comme le
véritable caractère de vertu fait défaut aux inclinations morales dépourvues
de prudence. Le troisième degré des vertus est constitué des vertus
simplement parfaites, qui existent en même temps que la charité. Ces vertus,
en effet, rendent tout simplement bon l’acte humain, comme s’il atteignait
même la fin ultime. Néanmoins, il faut aussi observer que, de même que les
vertus morales ne peuvent pas exister sans la prudence, pour la raison déjà
mentionnée, de même la prudence ne peut pas exister sans les vertus morales,
car la prudence est la droite raison dans la conduite à tenir. Or, pour la
droite raison même, dans n’importe quel genre, il est exigé que l’on possède
l’évaluation et le jugement des principes d’où provient cette raison, comme
en géométrie, on ne peut pas avoir une juste évaluation si on ne possède pas
la droite raison qui porte sur les principes de géométrie. Or, les principes
dans la conduite à tenir sont les fins, car c’est d’elles que provient la
raison de ce qui doit être fait. Or, l’on possède une juste évaluation de la
fin par l’habitus de la vertu morale, parce que, comme le dit le Philosophe
au livre III de l’Éthique, tel est chacun, telle lui semble aussi la
fin. Ainsi, à l’homme vertueux, c’est le bien conforme à la vertu qui semble
désirable comme fin, alors qu’à l’homme vicieux, c’est ce qui relève du vice.
Cela ressemble au goût malade ou sain. Dès lors, il est nécessaire que celui
qui possède la prudence possède aussi les vertus morales; et de même, il faut
que celui qui possède la charité possède aussi toutes les autres vertus. Car
la charité qui existe en l’homme provient d’une infusion divine, selon ce que
dit Rm 5, 5 : L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par
le Saint-Esprit qui nous a été donné. Or, Dieu donne l’inclination pour
tout; il donne aussi des formes, qui sont les principes des actions et des
mouvements vers lesquels une chose est inclinée par Dieu, comme il donne au
feu la légèreté par laquelle il s’élève avec promptitude et facilité. Dès
lors, comme il est dit dans Sg 8, 1, il dispose de tout avec
douceur. Il faut donc qu’en même temps que la charité, soient répandues
les formes habituelles qui produisent aisément les actes auxquels incline la
charité. Or, la charité incline à tous les actes des vertus, parce que, comme
elle porte sur la fin ultime, elle entraîne tous les actes des vertus. En
effet, n’importe quel art ou vertu dont relève la fin, commande dans les
choses qui portent sur la fin, comme la science militaire [commande] à
l’équitation et l’équitation à la fabrication des mors, ainsi qu’il est dit
au livre I de l’Éthique. Dès lors, comme il convient à la sagesse et à
la bonté divines, les habitus de toutes les vertus sont répandus en même
temps que la charité. Ainsi il est dit dans 1 Co 12, 4 : La
charité est patiente, elle est pleine de bonté, etc. Ainsi donc, si nous
considérons les vertus tout simplement parfaites, elles sont connexes grâce à
la charité, parce que l’on ne peut posséder aucune vertu de ce genre sans la
charité, et qu’en possédant la charité, on les possède toutes. Mais si nous
considérons des vertus parfaites du deuxième degré, en rapport avec le bien
humain, alors elles sont connexes par la prudence, parce qu’aucune vertu
morale ne peut exister sans la prudence, et que quelqu’un ne peut pas
posséder la prudence s’il lui manque une vertu morale. Si nous considérons
cependant les quatre vertus cardinales selon qu’elles comportent certaines
conditions générales des vertus, alors elles ont une connexion du fait qu’il
ne suffit pas pour un acte de vertu qu’il y ait une seule de ces conditions,
si elles n’y sont pas toutes. C’est ainsi que Grégoire semble expliquer les
causes de la connexion dans le livre XXI des Morales sur Job. |
|
[66714] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod propter inclinationem quae est ex natura, vel ex
aliquo dono gratiae, quam habet aliquis magis ad opus unius virtutis quam
alterius contingit quod aliquis promptior est ad actum unius virtutis quam
alterius; et secundum hoc dicuntur sancti aliquas virtutes habere, ad quarum
actus magis sunt prompti, et aliquas non habere, ad quas sunt minus prompti. |
Solutions : 1.
Par l’inclination, issue de la nature ou d’un don de la grâce, que quelqu’un
possède à l’acte d’une vertu plutôt qu’à l’acte d’une autre, il arrive qu’il
soit plus porté à l’acte d’une vertu qu’à celui d’une autre. C’est pourquoi
l’on dit que les saints possèdent certaines vertus à l’acte desquelles ils
sont plus portés, et n’en possèdent pas certaines autres, auxquelles ils sont
moins portés. |
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[66715] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 2 Ad
secundum dicendum, quod cum habitus secundum se facit prompte et
delectabiliter operari, potest tamen hoc impediri per aliquid superveniens;
sicut habens habitum scientiae interdum impeditur ad eius usum per
somnolentiam vel ebrietatem, vel aliquid huiusmodi. Sic ergo iste qui
poenitet, consequitur cum gratia gratum faciente, caritatem, et omnes alios
habitus virtutum, sed propter dispositiones ex actibus priorum peccatorum
relictas patitur difficultatem in executione virtutum quas habitualiter
recipit; quod quidem non contingit in virtutibus acquisitis per exercitium
actuum, per quos simul et contrariae dispositiones tolluntur, et habitus
virtutum generantur. |
2.
Alors que l’habitus fait de soi œuvrer de manière prompte et agréable, il se
peut que cela soit empêché par quelque chose qui survient, comme celui qui a
l’habitus de la science est parfois empêché d’en faire usage par la
somnolence, l’ivresse ou quelque chose de ce genre. Ainsi donc, celui qui se
repent obtient, avec la grâce qui sanctifie, la charité et tous les autres
habitus des vertus. Mais, à cause des dispositions laissées par les actes des
péchés précédents, il éprouve de la difficulté à mettre en œuvre les vertus
qu’il reçoit de manière habituelle, ce qui toutefois ne se produit pas pour
les vertus acquises par l’exercice des actes par lesquels les dispositions
contraires sont aussi enlevées et par lesquels sont engendrés les habitus des
vertus. |
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[66716] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod ille qui baptizatur, simul cum caritate recipit et
prudentiam, et omnes alias virtutes; sed de necessitate prudentiae non est ut
homo sit bene consiliativus in omnibus, puta in mercationibus et rebus
bellicis et huiusmodi, sed in his quae sunt necessaria ad salutem : quod non
deest omnibus in gratia existentibus, quantumcumque sint simplices, secundum
illud I Ioan. II, 27 : unctio docebit vos de omnibus; nisi forte in
aliquibus baptizatis impediatur actus prudentiae propter corporalem defectum
aetatis, sicut in pueris, vel pravae dispositionis, sicut in morionibus et
phreneticis. |
3.
Celui qui est baptisé reçoit, en même temps que la charité, la prudence et
toutes les autres vertus. Mais il ne relève pas nécessairement de la prudence
qu’un homme soit bon conseiller en tout, par exemple, dans le commerce, les
affaires militaires et les choses de ce genre, mais dans ce qui est
nécessaire à son salut, ce qui ne manque pas à tous ceux qui vivent dans la
grâce, aussi ingénus soient-ils, selon ce que dit Jn 3, 27 : L’onction
vous enseignera tout, à moins que, chez certains baptisés, l’acte de
prudence ne soit entravé par une défaillance corporelle due à l’âge, comme
chez les enfants, ou par une mauvaise disposition, comme chez les idiots et
les frénétiques. |
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[66717] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod artificialia diversorum generum habent principia
omnino disparata : et ideo nihil prohibet habere artem circa unum genus
eorum, et non circa aliud. Sed principia moralium sunt ordinata ad
invicem, ita quod per defectum unius sequeretur etiam defectus in aliis;
puta, si quis deficeret ab hoc principio quod est concupiscentias non esse
sequendas, quod pertinet ad concupiscentiam, sequeretur interdum quod
sequendo concupiscentiam faceret iniuriam, et sic violaretur iustitia; sicut
etiam in una et eadem arte vel scientia, puta in geometria, error unius
principii inducit errorem in totam scientiam. Et inde est
quod non potest esse aliquis sufficienter prudens circa materiam unius
virtutis, nisi sit prudens circa omnes. |
4.
Les principes de l’art de divers genres ont des principes totalement
disparates. Ainsi, rien n’empêche de posséder l’art qui concerne l’un de ces
genres et non un autre. Mais les principes des réalités morales sont ordonnés
les uns par rapport aux autres, si bien que la défaillance de l’un entraîne
aussi la défaillance des autres. Par exemple, si l’on s’éloigne du principe
qu’il ne faut pas suivre les concupiscences, qui porte sur la concupiscence,
il en découlerait parfois qu’on commettrait un dommage en suivant la
concupiscence, et ainsi on violerait la justice. De même aussi, dans un seul
et même art ou science, par exemple en géométrie, l’erreur d’un seul principe
introduit l’erreur dans la science tout entière. Dès lors, il s’ensuit que
l’on ne peut pas être suffisamment prudent dans la matière d’une seule vertu,
si l’on n’est pas prudent dans toutes. |
|
[66718] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod potest dici quod contingit esse aliquem liberalem, sed
non magnificum quantum ad actus : quia aliquis parum habens, potest in usu
eius quod habet, exercere actum liberalitatis, non autem magnificentiae;
quamvis aliquis habeat habitum, per quem etiam magnificentiae actum
exerceret, si materia adesset. Et similiter dicendum est de moderantia et
magnanimitate. Ista responsio tenenda est omnino in virtutibus infusis. In
virtutibus etiam acquisitis per actum, potest dici, quod ille qui acquisivit
habitum liberalitatis in usu parvae substantiae, nondum acquisito habitu
magnificentiae, sed habito liberalitatis actu, est in proxima dispositione ut
acquirat habitum magnificentiae per modicum actum. Quia igitur in propinquo
est ut habeatur, idem videtur ac si haberetur, quia quod parum deest, quasi
nihil deesse videtur, ut dicitur in II Physic. |
5.
On peut dire qu’il arrive qu’un homme soit libéral mais ne fasse pas de
grandes choses au niveau de l’acte, parce que quelqu’un qui possède peu de
choses peut, dans l’usage de ce qu’il possède, exercer un acte de libéralité
mais non de magnificence, bien qu’il possède l’habitus par lequel il
exercerait aussi un acte de magnificence s’il en avait la matière. Et il faut
parler de même de la modération et de la magnanimité. Et cette réponse doit
être absolument maintenue pour les vertus infuses. Aussi pour les vertus
acquises par l’acte, l’on peut dire que celui qui a acquis l’habitus de la
libéralité dans l’usage d’une petite fortune, alors qu’il n’a pas encore
acquis l’habitus de la magnificence mais possède l’acte de la libéralité, est
tout près d’acquérir l’habitus de la magnificence par un acte modeste. Parce
qu’il est près d’être possédé, ce semble donc être la même chose que s’il
était possédé, parce que lorsqu’il manque peu de chose, il semble qu’il ne
manque pour ainsi dire rien, comme il est dit au livre II de la Physique. |
|
[66719] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod sapientia et scientia non accipiuntur in illis verbis
apostoli neque secundum quod sunt virtutes intellectuales, quae tamen
connexionem non habent, ut infra dicetur, neque secundum quod sunt dona
spiritus sancti, quae connexionem habent secundum caritatem; sed secundum
quod sunt gratiae gratis datae : prout scilicet aliquis abundat scientia et
sapientia, ut possit aedificare alios ad finem et Dei cognitionem, et contradicentes
arguere; unde et apostolus non dicit : alii datur sapientia, alii scientia;
sed : alii datur sermo sapientiae, alii sermo scientiae. Unde
Augustinus dicit in XIV de Trinitate, quod huiusmodi scientia, non pollent
fideles plurimi, quamvis ipsa fide polleant. Fides etiam non accipitur
ibi pro fide informi, ut quidam dicunt, quia donum fidei commune est omnibus;
sed accipitur pro quadam fidei constantia, seu certitudine, quae interdum
abundat etiam in peccatoribus. |
6.
La sagesse et la science ne sont pas entendues dans ces mots de l’Apôtre ni
selon qu’elles sont des vertus intellectuelles, qui ne sont cependant pas
connexes, comme on le dira plus loin, ni selon qu’elles sont des dons de
l’Esprit Saint, qui sont connexes par la charité, mais selon qu’elles sont
des charismes, dans la mesure où l’on possède en abondance la science et la
sagesse afin de pouvoir édifier autrui en vue de la fin et de la connaissance
de Dieu, et de convaincre les adversaires. C’est pourquoi l’Apôtre ne dit pas
: «À l’un est donnée la sagesse, à l’autre la science», mais : A l’un est
donnée une parole de sagesse, à l’autre une parole de science. Ainsi
Augustin dit-il, au livre XIV de La
Trinité, qu’«un grand nombre de fidèles ne possèdent pas cette science,
bien qu’ils possèdent la foi elle-même ». En cet endroit, on n’entend
pas non plus la foi comme la foi informe, comme certains le disent, parce que
le don de la foi est commun à tous, mais on l’entend d’une certaine constance
ou certitude de la foi, qui abonde aussi parfois chez les pécheurs. |
|
[66720] De
virtutibus, q. 5 a. 2 ad 7 Ad septimum dicendum, quod virginitas secundum
quosdam non nominat virtutem, sed quemdam perfectiorem statum virtutis. Non
autem oportet quod quicumque habet virtutem, habeat eam secundum gradum perfectum.
Et ideo sine virginitate, castitas et aliae virtutes haberi possunt. Vel, si
detur quod virginitas sit virtus, hoc erit secundum quod importat habitum
mentis, ex quo aliquis eligit virginitatem conservare propter Christum. Et
hic quidem habitus esse potest etiam in his qui carnis integritate carent;
sicut et habitus magnificentiae potest esse sine magnitudine divitiarum. |
7.
La virginité, selon certains, ne désigne pas une vertu mais un état plus
parfait de vertu. Or, il n’est pas nécessaire que celui qui possède une vertu
la possède à un degré parfait. Ainsi l’on peut posséder la chasteté et
d’autres vertus sans la virginité. Ou bien, si l’on concède que la virginité
est une vertu, ce sera selon qu’elle comporte un habitus de l’esprit par
lequel on choisit de garder la virginité à cause du Christ. Or, cet habitus
peut aussi se trouver chez ceux qui n’ont plus une chair intègre, comme
l’habitus de la magnificence peut exister sans que l’on possède de grandes
richesses. |
|
[66721]
De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 8 Ad octavum dicendum, quod virtutes
intellectuales non sunt connexae ad invicem; et hoc propter tria. Primo
quidem, quia quae sunt circa rerum diversa genera, non sunt coordinata ad
invicem, sicut et de artibus dictum est. Secundo, quia in scientiis non
convertibiliter se habent principia et conclusiones; ita scilicet quod
quicumque habet principia, habeat conclusiones, sicut in moralibus dictum
est. Tertio, quia virtus intellectualis non habet
respectum ad caritatem, per quam ordinatur homo ad ultimum finem. Et ideo huiusmodi virtutes ordinantur ad aliqua particularia bona :
puta geometria ad dimetiendum circa abstracta quaedam, physica circa mobilia,
et sic de aliis. Unde eadem ratione non sunt connexae qua nec virtutes
imperfectae, ut supra, in corp. art., dictum est. |
8.
Les vertus intellectuelles ne sont pas connexes les unes par rapport aux
autres pour trois raisons. Premièrement, parce qu’elles concernent divers
genres de choses, elles ne sont pas coordonnées les unes par rapport aux
autres, comme on vient de le dire à propos des arts. Deuxièmement, parce que,
dans les sciences, les principes et les conclusions ne sont pas convertibles,
de telle sorte que celui qui possède les principes possède les conclusions,
comme on l’a dit pour les réalités morales. Troisièmement, parce que la vertu
intellectuelle n’a pas de rapport avec la charité, qui ordonne l’homme à la
fin ultime. Ainsi les vertus de ce genre sont ordonnées à certains biens
particuliers : par exemple, la géométrie, à la mesure des éléments abstraits,
la physique, à celle des éléments mobiles, et ainsi des autres. Dès lors,
pour la même raison, elles ne sont pas connexes pour la raison que les vertus
imparfaites [ne le sont pas], comme on l’a dit ci-dessus dans le corps de cet
article. |
|
[66722] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 9 Ad
nonum dicendum, quod quaedam virtutes sunt quae ordinant hominem in his quae
occurrunt in vita humana : sicut temperantia, iustitia, mansuetudo et
huiusmodi; et in talibus necesse est quod homo, dum exercitatur in actu huius
virtutis, vel simul etiam exerceatur in actibus aliarum virtutum, et tunc
acquiret omnes habitus, virtutum simul; vel oportet quod bene se habeat in
uno et male in aliis, et tunc acquiret habitum contrarium alteri virtuti, et
per consequens corruptionem prudentiae, sine qua nec dispositio, quam
acquisivit per actus alicuius virtutis, habet proprie rationem virtutis, ut
supra, in corp. art., dictum est. Huiusmodi autem habitibus acquisitis circa
ea quae communiter in vita occurrunt, virtualiter iam habentur quasi in
propinqua dispositione si qui alii habitus virtutum sunt, quorum actus
occurrant frequenter in conversatione humana; sicut de magnificentia et
magnanimitate dictum est, in solutione ad 5 argumentum. |
9.
Il y a des vertus qui ordonnent l’homme à ce qui survient dans la vie
humaine, comme la tempérance, la justice, la mansuétude et d’autres du même
genre. Et pour de telles vertus, il est nécessaire que l’homme, quand il
s’exerce dans l’acte de cette vertu, s’exerce aussi en même temps aux actes des
autres vertus, et alors il acquiert tous les habitus des vertus en même
temps ; ou bien qu’il se comporte bien dans l’une et mal dans les
autres, et alors il acquiert un habitus contraire à une autre vertu, et par
conséquent la corruption de la prudence, sans laquelle la disposition qu’il a
acquise par l’acte d’une vertu n’a plus à proprement parler le caractère de
vertu, comme on l’a dit ci-dessus dans le corps de l’article. Or, après avoir
acquis des habitus de ce genre, qui concernent ce qui arrive communément dans
la vie, on les possède déjà virtuellement, comme par une disposition proche,
s’il y a d’autres habitus de vertus, dont les actes se présentent fréquemment
dans le comportement humain, comme on l’a dit à propos de la magnificence
et de la magnanimité dans la solution au cinquième argument. |
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[66723] De
virtutibus, q. 5 a. 2 ad 10 Ad decimum dicendum, quod virtutes acquisitae
causantur a proposito; et necesse est quod simul causentur in homine qui sibi
proponit acquirere unam virtutem; et non acquiret, nisi simul acquirat
prudentiam, cum qua omnes habentur, ut dictum est in corp. art. Virtutes
autem infusae causantur immediate a Deo, quae etiam causantur ex caritate,
sicut ex communi radice, ut dictum est in corp. art. |
10.
Les vertus acquises sont causées par dessein. Il est ainsi nécessaire
qu’elles soient causées en même temps dans l’homme qui se propose d’acquérir
une vertu, et il ne l’acquiert pas s’il n’acquiert pas en même temps la
prudence, avec laquelle toutes sont possédées, comme il a été dit dans le
corps de l’article. Mais les vertus infuses sont causées immédiatement par
Dieu ; elles sont aussi causées par la charité en tant que racine
commune, comme il a été dit dans le corps de l’article. |
|
[66724] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod in scientiis speculativis non se habent principia
convertibiliter ad conclusiones, sicut accidit in moralibus, ut dictum est in
corp. art., et ideo qui habet unam conclusionem, non necesse est quod habeat
aliam. Esset autem necesse, si oporteret, quod quicumque habet principia,
haberet conclusiones, sicut est in proposito. |
11.
Dans les sciences spéculatives, les principes et les conclusions ne sont pas
convertibles, comme il arrive dans les réalités morales, comme on l’a dit
dans le corps de l’article. C’est pourquoi celui qui possède une conclusion
n’en possède pas nécessairement une autre. Or, cela serait nécessaire s’il
fallait que celui qui possède les principes possède les conclusions, comme
c’est le cas dans le sujet en cause. |
|
[66725] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod Augustinus loquitur ibi de virtutibus imperfectis,
quae sunt dispositiones quaedam ad actus virtutum; unde et ipsemet probat in
VI de Trinitate, connexionem. |
12.
Augustin parle là des vertus imparfaites, qui sont des dispositions en vue
des actes des vertus. Aussi prouve-t-il lui-même la connexion dans le livre
VI de La Trinité. |
|
[66726] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod virtutes habent connexionem ratione principii
proximi, id est sui generis, quod est prudentia vel caritas; non autem
ratione principii remoti et communis, quod est Deus. |
13.
Les vertus sont connexes en raison du principe rapproché de leur genre, qui
est la prudence ou la charité, mais non en raison du principe éloigné et
commun, qui est Dieu. |
|
[66727] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod prudentia specialiter inter virtutes
intellectuales habet connexionem cum virtutibus ratione materiae circa quam
est; est enim circa mobilia. |
14.
Parmi les vertus intellectuelles, la prudence a une connexion particulière
avec les vertus, en raison de la matière sur laquelle elle porte : des
éléments changeants. |
|
[66728] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod in patria, deficiente spe et fide, succedent
quaedam perfectiora, scilicet visio et comprehensio, quae connectentur
caritati. |
15.
Dans la patrie, alors que seront absentes l’espérance et la foi, succéderont
des réalités plus parfaites : la vision et la compréhension, connexes à la
charité. |
|
[66729] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod in Angelis et animabus separatis non est
temperantia et fortitudo ad hos actus ad quos sunt in hac vita, scilicet ad
moderandum passiones sensibilis partis; sed ad quosdam alios actus, ut patet
per Augustinum in XIV de Trinitate. |
16.
Chez les anges et les âmes séparées du corps, il n’y a ni tempérance ni force
pour les actes pour lesquels elles existent dans cette vie : modérer les
passions de la partie sensible ; mais pour d’autres actes, comme cela
ressort clairement de ce qu’écrit Augustin au livre XIV de La Trinité. |
|
[66730] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod potentiae animae non se habent convertibiliter
cum essentia; quamvis enim nulla potentia animae possit esse sine essentia,
tamen essentia animae potest esse sine quibusdam potentiis; puta sine visu et
auditu, propter corruptionem organorum quorum huiusmodi potentiae proprie
sunt actus. |
17.
Les puissances de l’âme et son essence ne sont pas convertibles. En effet,
quoique aucune puissance de l’âme ne puisse exister sans l’essence, l’essence
de l’âme peut cependant exister sans certaines puissances, par exemple, sans
la vue ni l’ouïe, en raison de la corruption des organes qui exercent les
actes propres de cette puissance. |
|
[66731] De virtutibus, q. 5 a. 2 ad 18 Ad decimumoctavum dicendum, quod non propter hoc
homo est summus, quod habet omnes virtutes, sed propter hoc quod habet eas in
summo. |
18.
L’homme atteint le degré le plus élevé, non parce qu’il possède toutes les
vertus, mais parce qu’il les possède au plus haut degré. |
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Articulus 3 : [66732]
De virtutibus, q. 5 a. 3 tit. 1 Tertio quaeritur utrum omnes virtutes in
homine sint aequales |
Article 3 – Toutes les vertus sont-elles égales en l’homme ? |
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[66733] De virtutibus, q. 5 a. 3 tit. 2 Et
videtur quod non. [66734] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 1 Dicitur enim I ad Cor. XIII, 13 : nunc
autem manent fides, spes et caritas, tria haec; maior autem horum est caritas.
Sed maioritas excludit aequalitatem. Ergo virtutes
in uno homine non sunt aequales. |
Objections : Il semble que non. 1. En effet, il est dit en
1 Co 13, 13 : Maintenant la foi, l’espérance et la
charité demeurent toutes les trois; mais la plus grande d’entre elles, c’est
la charité. (XIII, 13). Or, le fait d’être plus grand exclut l’égalité.
Les vertus ne sont donc pas égales chez un seul homme. |
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[66735] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 2 Sed dicendum, quod caritas est maior secundum actum,
sed non secundum habitum. Sed contra, Augustinus dicit in Lib. de Trinit.,
quod in his quae non mole magna sunt, idem est esse maius quod melius. Sed
habitus caritatis est melior quam habitus aliarum virtutum, quia magis
attingit ad Deum, secundum illud I Ioan., IV, 16 : qui manet in caritate,
in Deo manet. Ergo caritas secundum habitum, maior est quam
aliae virtutes. |
2.
Mais il faut dire que la charité est plus grande par l’acte, et non par
l’habitus. – En sens contraire, Augustin
dit, au livre VI de La Trinité, que
« pour les réalités dont la grandeur n’est pas quantitative, c’est la
même chose d’être plus grand et d’être meilleur ». Or, l’habitus de la
charité est meilleur que les habitus des autres vertus parce qu’il atteint
davantage Dieu, selon ce que dit 1 Jn 4, 16 : Celui
qui demeure dans la charité demeure en Dieu. La charité, par l’habitus,
est donc plus grande que les autres vertus. |
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[66736] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 3 Praeterea, perfectio praecedit suum
perfectibile. Sed caritas est perfectio aliarum virtutum, secundum illud
Coloss. III, 14 : super omnia autem haec caritatem habete, quod est
vinculum perfectionis; et I ad Tim. I, 5, dicitur : finis autem
praecepti caritas. Ergo est maior aliis virtutibus. |
3.
La perfection l’emporte sur ce qu’elle perfectionne. Or, la charité est la
perfection des autres vertus, selon ce que dit Col 3, 14 : Et
puis, par-dessus tout, ayez la charité, qui est le lien de la perfection.
Et il est dit en 1 Tm 1, 5 : Mais la fin du
commandement est la charité. Elle est donc plus grande que les autres
vertus. |
|
[66737]
De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 4 Praeterea, illud quod nihil imperfectionis
habet annexum, est perfectius et maius; quia albius est quod est nigro
impermixtius. Sed habitus caritatis nihil habet imperfectionis admixtum; quia
fides est de non apparentibus, et spes de non habitis. Ergo caritas, etiam
secundum habitum, est perfectior et maior quam fides et spes. |
4.
Ce qui n’est mêlé à aucune imperfection est plus parfait et plus grand, car
ce qui est plus blanc est ce qui est le moins mêlé au noir. Or, l’habitus de
la charité n’est mêlé à aucune imperfection, car la foi concerne ce qui n’est
pas visible, et l’espérance, ce qui n’est pas possédé. La charité, même en
habitus, est donc plus parfaite et plus grande que la foi et l’espérance. |
|
[66738] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 5 Praeterea,
Augustinus dicit in XIX de civitate Dei : virtutes nisi ad Deum
referantur, vitia sunt. Ex quo potest accipi, quod ratio virtutis
perficitur ex ordine ad Deum. Sed caritas propinquius ordinat hominem ad Deum
quam aliae virtutes; quia unit hominem Deo, secundum illud I ad Cor. cap. VI, 17
: qui adhaeret Deo, unus spiritus est. Ergo caritas est maior virtus
quam aliae. |
5.
Augustin dit, au livre XIX de La Cité
de Dieu : « Les vertus, si on ne les rapporte pas à Dieu, sont
des vices. » Dès lors, on peut comprendre que la perfection de ce qui
fait la vertu vient de l’ordre à Dieu. Or, la charité ordonne l’homme à Dieu
d’une manière plus rapprochée que les autres vertus, parce qu’elle unit
l’homme à Dieu, selon ce que dit 1 Co 6, 17 : Celui
qui est uni à Dieu ne forme avec lui qu’un seul esprit. La charité est
donc une vertu plus grande que les autres. |
|
[66739] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 6 Praeterea,
virtutes infusae originem habent ex gratia, quae est earum perfectio. Sed
caritas perfectius participat gratiam quam aliae virtutes : gratia enim et
caritas inseparabiliter se concomitantur; fides autem et spes possunt esse
sine gratia. Ergo caritas est maior aliis virtutibus; non ergo omnes virtutes
sunt aequales. |
6.
Les vertus infuses tirent leur origine de la grâce, qui est leur perfection.
Or, la charité participe à la grâce de façon plus parfaite que les autres
vertus, car la grâce et la charité s’accompagnent de manière inséparable, alors
que la foi et l’espérance peuvent exister sans la grâce. La charité est donc
plus grande que les autres vertus. Toutes les vertus ne sont donc pas égales. |
|
[66740] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 7 Praeterea,
Bernardus dicit in I de consideratione, quod prudentia est materia
fortitudinis, quia sine prudentia fortitudo praecipitat. Sed id quod est
principium et causa alicuius, est maius et potius eo. Ergo prudentia est
maior fortitudine; non ergo omnes virtutes sunt aequales. |
7.
Bernard dit, au livre I de La
Considération, que la prudence est la matière de la force, parce que,
sans la prudence, la force va à sa ruine. Or, ce qui est le principe et la
cause de quelque chose est plus grand et plus puissant que lui. La prudence
est donc plus grande que la force. Toutes les vertus ne sont donc pas égales. |
|
[66741] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 8 Praeterea,
philosophus dicit in V Ethic., quod iustitia est tota virtus; aliae autem
virtutes sunt secundum partem. Sed totum est maius parte. Ergo iustitia est
maior aliis virtutibus; non ergo omnes virtutes sunt aequales. |
8.
Le Philosophe dit, au livre V de l’Éthique, que la justice est une
vertu complète, et que les autres vertus sont partielles. Or, le tout est
plus grand que la partie. La justice est donc plus grande que les autres
vertus. Toutes les vertus ne sont donc pas égales. |
|
[66742] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 9 Praeterea,
Augustinus probat in XI super Genes. ad Litt. quod si omnia in universo
essent aequalia, non essent omnia. Sed virtutes omnes habentur simul, quia
sunt connexae, ut supra, art. praec., ostensum est. Non ergo omnes virtutes
sunt aequales. |
9.
Augustin montre, au livre XI de La
Genèse au sens littéral, que, si toutes les réalités étaient égales dans
l’univers, elles n’existeraient pas toutes. Or, l’on possède toutes les
vertus en même temps parce qu’elles sont connexes, comme on l’a montré
ci-dessus, dans l’article précédent. Toutes les vertus ne sont donc pas
égales. |
|
[66743] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 10 Praeterea,
virtutibus opponuntur vitia. Sed non omnia vitia sunt aequalia. Ergo neque
omnes virtutes sunt aequales. |
10.
Les vices sont opposés aux vertus. Or, tous les vices ne sont pas égaux.
Toutes les vertus ne sont donc pas égales. |
|
[66744] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 11 Praeterea, laus debetur actibus virtutum. Sed quidam
magis laudantur de una virtute quam de alia; unde Cassianus dicit in V de
institutione Coenob. : alius scientiae floribus exornatur; alius
discretionis ratione robustius communitur; alter patientiae gravitate fundatur;
alius humilitatis, alius continentiae virtute praefertur. Non
ergo omnes virtutes in uno homine sunt aequales. |
11.
On doit louer les actes des vertus. Or, certains louent plus ceux d’une vertu
que ceux d’une autre. C’est pourquoi Cassien dit, au livre V des Institutions cénobitiques
: « L’un est orné des fleurs de la science, l’autre possède un
discernement plus solide ; un autre s’appuie sur la pondération de la
patience ; un autre l’emporte par la vertu d’humilité, un autre par
celle de continence. » Toutes les vertus ne sont donc pas égales chez un
seul homme. |
|
[66745] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 12 Sed
dicendum, quod ista inaequalitas est secundum actus, non secundum habitus. Sed contra, secundum philosophum in I Poster., ea
quae ad aliquid sunt, simul intenduntur. Sed habitus secundum propriam rationem dicitur ad actum. Est enim
habitus quo quis agit cum tempus fuerit, ut Augustinus dicit in Lib. de bono
coniugali. Si ergo actus unius virtutis in aliquo homine est maior quam actus
alterius, sequitur quod etiam habitus sint inaequales. |
12.
Mais il faut dire que cette inégalité relève des actes, non des habitus. – Cependant, en sens contraire, selon le Philosophe
au livre I des Seconds Analytiques,
les réalités qui sont tournées vers quelque chose sont visées en même temps.
Or, selon sa raison, l’habitus est tourné vers l’acte, car l’habitus est ce
qui fait agir au moment opportun, comme le dit Augustin dans le Livre sur
le bien conjugal. Si l’acte d’une vertu est plus grand chez un homme que
l’acte d’une autre, il en découle donc que les habitus aussi sont inégaux. |
|
[66746] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 13 Praeterea, Hugo de s. Victore dicit, quod actus
augent habitus. Si ergo actus virtutum sunt inaequales; et habitus virtutum
inaequales erunt. |
13.
Hugues de Saint-Victor dit que les actes développent les habitus. Si les
actes des vertus sont inégaux, les habitus des vertus aussi seront inégaux. |
|
[66747] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 14 Praeterea, ita se habet in moralibus habitus
virtutis ad actum proprium, sicut in naturalibus forma ad proprium motum vel
actionem. Sed in naturalibus, quanto aliquis magis habet
de forma, tanto magis habet de operatione vel motu, quia quod est gravius,
velocius tendit deorsum, et quod est calidius, magis calefacit. Ergo etiam in moralibus actus virtutum inaequales
esse non possunt, nisi habitus virtutum fuerint inaequales. |
14.
De même que, dans le domaine moral, l’habitus d’une vertu est tourné vers son
acte propre, de même, dans la nature, la forme est tournée vers son mouvement
ou son action propres. Or, dans la nature, plus l’on possède la forme, plus
l’on possède l’opération ou le mouvement, car ce qui est plus lourd tend plus
rapidement vers le bas, et ce qui est plus chaud chauffe davantage. Dans le
domaine moral aussi les actes des vertus ne peuvent donc pas être inégaux, à
moins que les habitus des vertus ne soient inégaux. |
|
[66748] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 15 Praeterea,
perfectiones sunt proportionabiles perfectibilibus. Virtutes autem sunt
perfectiones potentiarum animae, quae sunt inaequales, quia ratio excedit
inferiores vires, quibus imperat. Ergo etiam virtutes
sunt inaequales. |
15.
Les perfections sont proportionnées à ce qui est perfectible. Or, les vertus
sont des perfections des puissances de l’âme, qui sont inégales, parce que la
raison dépasse les puissances inférieures qu’elle commande. Les vertus sont
donc aussi inégales. |
|
[66749] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 16 Praeterea,
Gregorius dicit, XXII Moral. et Homil. XV in Ezech., beatus Iob incrementa
virtutum, quia distincte hominibus superno munere tribui conspexit, gradus
vocavit; quoniam per ipsos ascenditur, et ad caelestia obtinenda venitur.
Sed ubi est incrementum et gradus, non est aequalitas. Ergo virtutes non sunt
aequales. |
16.
Grégoire dit, au livre XXII des Morales
sur Job : « Le bienheureux Job a appelé degrés les
développements des vertus, parce qu’il a observé qu’elles sont données aux
hommes de manière différente par la faveur divine ; car c’est par eux
qu’on monte et qu’on parvient à obtenir les réalités célestes.» Or là où il y
a développement et degré, il n’y a pas égalité. Les vertus ne sont donc pas
égales. |
|
[66750] De virtutibus, q. 5 a. 3 arg. 17 Praeterea, quaecumque ita se habent quod uno crescente aliud
decrescit, oportet quod sint inaequalia. Sed videtur quod caritate crescente
aliud decrescat : quia status patriae, in quo perficietur caritas, opponitur
statui viae, in quo habet locum fides; uno autem oppositorum crescente,
alterum decrescit. Ergo caritas et fides non possunt esse aequales; non
ergo omnes virtutes sunt aequales. |
17.
Il est inévitable que soit inégal tout ce qui est tel que l’un décroît alors
que l’autre croît. Or, il semble que, alors que la charité croît, autre chose
décroît, car l’état de la patrie, dans lequel la charité atteindra sa
perfection, est opposé à l’état de la route, dans lequel la foi prend place.
L’un des opposés croissant, l’autre décroît. La charité et la foi ne peuvent
donc pas être égales. Toutes les vertus ne sont donc pas égales. |
|
[66751] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 1 Sed contra. Apocal. XXI, 16 dicitur : quod latera civitatis sunt
aequalia; per quae latera signantur virtutes, secundum Glossam. Ergo virtutes
sunt aequales. |
Cependant : 1. Il
est dit, au chapitre XXI de l’Apocalypse,
que les côtés de la cité sont égaux, côtés qui désignent les vertus, selon la
Glose. Les vertus sont donc égales. |
|
[66752]
De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 2 Praeterea, dicit Augustinus in VI de Trinit.
: quicumque sunt aequales in fortitudine, aequales sunt in prudentia et
temperantia. Si enim dixeris aequales esse istos fortitudine, sed illum
praestare prudentia; sequitur quod huius fortitudo minus prudens sit. Ac per
hoc nec fortitudine aequales erunt; quando est illius fortitudo prudentior.
Atque ita de ceteris virtutibus invenies, si omnes eadem consideratione
percurras. Non autem oporteret eos qui sunt aequales in una virtute, esse
aequales in aliis, nisi omnes virtutes in uno homine sint aequales. |
2.
Augustin dit, au livre VI de La Trinité
: « Tous ceux qui sont égaux en force, sont égaux en prudence
et en tempérance. En effet, si tu prétends que ces hommes sont égaux en force
mais que celui-là l’emporte en prudence, il s’ensuit que la force de celui-ci
est moins prudente. Et par conséquent, ils ne seront pas égaux en force,
alors que la force de celui-là est plus prudente. Et tu feras la même
observation pour les autres vertus si tu les passes toutes en revue de la
même façon. » Or, il ne serait pas nécessaire que ceux qui sont égaux
pour une vertu soient égaux dans les autres, si toutes les vertus n’étaient
pas égales chez un seul homme. |
|
[66753] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 3 Praeterea,
Gregorius dicit super Ezech. quod fides, spes, caritas et operatio sunt
aequales. Ergo pari ratione omnes aliae virtutes sunt aequales. |
3.
Grégoire dit, dans les Homélies sur
Ezéchiel, que la foi, l’espérance, la charité et l’action sont égales.
Pour la même raison, toutes les autres vertus sont donc égales. |
|
[66754] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 4 Praeterea, Ezech. XLVI, 22, dicitur : mensurae unius quatuor erant;
Glossa : quibus proficimus ad virtutem. Sed quae unius mensurae, sunt
aequalia. Ergo omnes sunt aequales. |
4.
Il est dit dans Ez 46, 22 : Les quatre avaient les mêmes
dimensions, et dans la Glose : « Par lesquelles nous avançons
vers la vertu ». Or, ce qui a les mêmes dimensions est égal. Elles sont
donc toutes égales. |
|
[66755] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 5 Praeterea,
Damascenus dicit : naturales sunt virtutes, et aequaliter insunt omnibus
secundum esse accidentis. Ergo virtutes secundum suum esse accidentis
sunt aequales. |
5.
[Jean] Damascène dit : « Les vertus sont naturelles et existent
également en tous selon leur caractère accidentel ». Les vertus sont donc
égales selon leur caractère accidentel. |
|
[66756] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 6 Praeterea,
maioris virtutis actui debetur maius praemium. Si ergo in homine esset una
virtus maior quam alia, sequeretur quod eidem homini deberetur maius et minus
praemium; quod est inconveniens. |
6.
On doit à l’acte d’une vertu plus grande une récompense plus grande. Si donc
une vertu était plus grande qu’une autre chez un homme, il s’ensuivrait que
l’on devrait au même homme une récompense plus grande et une moins grande, ce
qui est incorrect. |
|
[66757] De virtutibus, q. 5 a. 3 s. c. 7 Praeterea,
si simpliciter sequitur ad simpliciter, et magis sequitur ad magis. Sed ad
hoc quod una virtus habeatur, sequitur quod omnes habeantur, quia virtutes
sunt connexae, ut supra, art. praeced., dictum est. Ergo ad hoc quod una magis
habeatur, sequitur quod omnes magis habeantur; oportet ergo omnes virtutes
esse aequales. |
7.
Si le simple suit le simple, le plus suit le plus. Or, pour posséder une
vertu il faut les posséder toutes, parce que les vertus sont connexes, comme
il a été dit ci-dessus, dans l’article précédent. Pour en posséder une
davantage, il découle donc que toutes doivent être davantage possédées. Il
faut donc que toutes les vertus soient égales. |
|
[66758] De virtutibus, q. 5 a. 3 co. Respondeo.
Dicendum, quod aequale et inaequale dicuntur secundum quantitatem; unum enim
in quantitate aequale dicitur, sicut in qualitate simile, et in substantia
idem, ut patet in V Metaph. Quantitas autem importat rationem mensurae, quae
primo quidem invenitur in numeris; secundario autem in magnitudinibus; et
quodam alio modo in omnibus aliis generibus, ut patet in IX Metaph. In
quolibet enim genere id quod est simplicissimum et perfectissimum, est
mensura omnium aliorum, ut in coloribus albedo, et in motibus motus diurnus;
eo quod unaquaeque res tanto perfectior est, quanto magis accedit ad primum
sui generis principium. Ex quo patet quod perfectio uniuscuiusque rei
secundum quam attenditur mensuratio eius, est a primo principio; similiter
quantitas eius; et hoc est quod Augustinus dicit in VIII de Trinit., quod in
his quae non mole magna sunt, idem est melius quod maius. Cum autem
cuiuslibet formae non subsistentis esse consistat in eo quod subiecto vel
materiae inest, dupliciter potest eius quantitas seu perfectio considerari :
uno modo, secundum rationem propriae speciei; alio modo, secundum esse quod
habet in materia seu subiecto. Secundum quidem rationem propriae speciei,
formae diversarum specierum sunt inaequales; sed formae unius speciei quaedam
quidem possunt esse aequales, quaedam autem non. Oportet enim principium
specificum accipi in aliquo indivisibili. Differentia enim huiusmodi
principii speciem variat, et ideo, si hoc principio esset additio vel
subtractio, ex necessitate species variaretur. Unde et philosophus dicit in VIII Metaph., quod species rerum sunt
sicut numeri, in quibus unitas addita vel subtracta variat speciem. Quaedam
vero formae sunt quae sortiuntur speciem per aliquid suae essentiae, sicut
omnes formae absolutae, sive sint substantiales sive accidentales; et in
talibus impossibile est quod in eadem specie secundum hunc modum una forma
maior alia inveniatur, non enim est una albedo secundum se considerata, magis
albedo quam alia. Quaedam vero formae sunt quae sortiuntur speciem ex aliquo
extrinseco ad quod ordinantur, sicut motus sortitur speciem ex termino. Unde unus motus est maior alio, secundum propinquitatem vel distantiam
a termino. Et similiter inveniuntur quaedam qualitates quae sunt
dispositiones in ordine ad aliquid; sicut sanitas est quaedam commensuratio
humorum in ordine ad naturam animalis, quod dicitur sanum : et ideo aliquis
gradus commensurationis humorum in leone est sanitas, qui in homine esset
infirmitas. Quia ergo secundum gradum commensurationis sanitas non recipit
speciem, sed secundum naturam animalis ad quam ordinatur, contingit etiam
quod in eodem animali una sanitas est maior quam alia, ut dicitur X Ethicorum
: in quantum, scilicet, diversi gradus commensurationis humorum possunt esse,
in quibus salvatur convenientia humanae naturae. Et eodem modo se habet in
scientia, quae recipit unitatem ex unitate subiecti; unde in uno potest esse
geometria maior quam in alio, in quantum novit plures conclusiones ordinatas
ad cognitionem subiecti geometriae, quod est magnitudo. Similiter etiam secundum
quantitatem perfectionis quam habent huiusmodi formae secundum quod insunt
materiae vel subiecto, quaedam formae unius speciei inaequales esse possunt,
in quantum insunt secundum magis et minus; quaedam vero magis et minus inesse
non possunt. Non enim quaecumque forma dat speciem subiecto cui inest, potest
inesse magis et minus : quia, sicut dictum est, principium specificum oportet
in indivisibili consistere; quod inde est, quia nulla forma substantialis
recipit magis et minus. Similiter etiam si qua forma speciem sortiatur
secundum aliquid quod secundum suam rationem est indivisibile, non dicitur
secundum magis et minus. Et inde est quod binarius, et quaelibet alia species
numeri quae specificatur secundum unitatem additam, non recipit magis et
minus; et eadem ratio est in figuris quae secundum numerum specificantur, ut
triangulus et quadratum; et in quantitatibus determinatis, ut bicubitum et
tricubitum; et in relationibus numeralibus, sicut duplum et triplum. Formae
vero quae neque dant speciem subiecto, neque sortiuntur speciem ex aliquo
quod secundum rationem suam sit indivisibile, possunt inesse secundum magis
et minus, ut albedo et nigredo, et alia huiusmodi. Ex his igitur patet, quod
dupliciter potest aliquid se ad diversas formas habere circa aequalitatem et
inaequalitatem. Quaedam enim formae sunt quae in eadem specie inaequalitatem
non recipiunt neque secundum se, ut una earum sit maior quam alia eiusdem
speciei, neque secundum esse, ut scilicet magis insit subiecto; et huiusmodi
sunt omnes formae substantiales. Quaedam vero inaequalitatem non recipiunt
secundum se, sed solum secundum quod insunt subiecto, sicut albedo et
nigredo. Quaedam vero inaequalitatem recipiunt secundum se, non tamen
secundum quod insunt subiecto, sicut triangulus dicitur maior triangulo, eo
quod lineae unius trianguli sunt maiores quam alterius, quamvis ordinentur ad
aliquid unum specificans; non tamen una superficies est magis triangula quam
alia. Quaedam vero sunt quae recipiunt inaequalitatem et secundum se, et
secundum quod insunt subiecto; sicut sanitas, et scientia, et motus. Est enim
motus inaequalis, vel quia maius spatium pertransit, vel quia mobile velocius
movetur. Similiter etiam scientia est maior unius quam alterius, vel quia
conclusiones plures novit, vel quia easdem res melius scit. Similiter potest
esse sanitas inaequaliter, vel quia gradus commensurationis in uno est
propinquior debitae et perfectae aequalitati quam in alio, vel quia circa
eumdem gradum commensurationis unus firmius se habet quam alius, et melius.
His igitur visis, circa aequalitatem et inaequalitatem virtutum dicendum est,
quod si loquamur de inaequalitate virtutum quae attenditur secundum seipsas,
sic virtutes diversarum specierum possunt esse inaequales. Cum enim virtus
sit dispositio perfecti ad optimum, ut dicitur in VII Ethic., illa virtus
perfectior et maior est quae ad maius bonum ordinatur. Et secundum hoc
virtutes theologicae, quarum obiectum est Deus, sunt aliis potiores; inter
quas tamen caritas est maior, quia propinquius Deo coniungit; et spes maior
quam fides, quia scilicet spes aliqualiter movet affectum in Deum, fides
autem facit Deum in homine esse per modum cognitionis. Inter alias autem
virtutes prudentia est maxima, quia est moderatrix aliarum; et post hanc
iustitia, per quam homo bene se habet non solum in seipso, sed ad alium; et
post hanc fortitudo, per quam homo propter bonum contemnit pericula mortis;
et post hanc temperantia, per quam homo propter bonum contemnit maximas
delectationes corporalium. Sed in eadem specie virtutis non potest huiusmodi
inaequalitas inveniri sicut invenitur in eadem specie scientiae, quia non est
de ratione scientiae, quod habens aliquam scientiam sciat omnes conclusiones
illius scientiae; est autem de ratione virtutis, ut habens aliquam, bene se
habeat in omnibus quae ad virtutem illam pertinent. Secundum vero
perfectionem vel quantitatem virtutis ex parte illa qua inest subiecto,
potest esse inaequalitas etiam in eadem specie virtutis : in quantum unus
habentium virtutem melius se habet ad ea quae sunt illius virtutis quam
alius; vel propter meliorem dispositionem naturalem, vel propter maius
exercitium, vel propter melius iudicium rationis, vel propter gratiae donum;
quia virtus neque dat speciem subiecto, neque habet aliquid indivisibile in sui
ratione, nisi secundum Stoicos, qui dicebant nullum habere virtutem nisi eam
haberet in summo; et secundum hoc omnes sunt habentes eamdem virtutem
aequaliter. Sed hoc non videtur esse de ratione alicuius virtutis, quia talis
diversitas in modo participandi virtutem attenditur secundum praedicta, quae
non pertinent ad rationem alicuius particularis virtutis, puta castitatis,
vel similium. Sic igitur in diversis, virtutes inaequales esse possunt, et
quantum ad diversas species virtutum, et etiam secundum quod insunt subiecto,
quantum etiam ad unam speciem virtutis. Sed in uno et in eodem homine sunt
quidem virtutes inaequales secundum quantitatem vel perfectionem, quam virtus
secundum se habet; secundum vero illam quantitatem et perfectionem quam habet
virtus secundum quod inest subiecto, simpliciter quidem oportet omnes
virtutes esse aequales, eadem ratione qua et sunt connexae, quia aequalitas
est quaedam connexio in quantitate. Unde et aequalitatis rationem aliqui
assignant secundum quod per quatuor virtutes cardinales intelliguntur quidam
generales modi virtutum; et huiusmodi est ratio Augustini in VI de Trinit.
Aliter vero assignari potest secundum dependentiam virtutum moralium a
prudentia, et omnium virtutum a caritate; unde ubi est aequaliter caritas,
oportet omnes virtutes esse aequales secundum formalem perfectionem virtutis;
et eadem ratione de prudentia per comparationem ad virtutes morales. Secundum
quid vero possunt virtutes esse inaequales in uno et eodem, sicut et non
connexae, secundum inclinationem potentiae ad actum, quae est ex natura, vel
ex quacumque alia causa. Et propter hoc quidam dicunt, quod sunt inaequales
secundum actum; sed hoc non est intelligendum nisi secundum inaequalitatem
inclinationis ad actum. |
Réponse : On parle d’égal et d’inégal
selon la quantité, car on parle d’une chose égale selon la quantité. En
effet, on dit qu’une chose est égale en quantité, comme [on dit] qu’une chose
est semblable par la qualité et la même par la substance, comme cela ressort
clairement du livre V de la Métaphysique.
Or, la quantité comporte la notion de mesure, que l’on trouve d’abord dans
les nombres, puis dans les grandeurs, et, d’une autre manière, dans tous les
autres genres, comme cela ressort clairement du livre IX de la Métaphysique. Dans n’importe quel
genre, en effet, ce qui est le plus simple et le plus parfait est la mesure
de tout le reste, comme le blanc dans les couleurs et le mouvement quotidien
dans les mouvements, parce que chaque réalité est d’autant plus parfaite
qu’elle s’approche du principe premier de son genre. Dès lors, il est clair
que la perfection d’une réalité selon laquelle on envisage de la mesurer se
prend de son premier principe. De même en est-il pour sa quantité. C’est ce
que dit Augustin au livre VIII de La
Trinité : « Pour les réalités dont la grandeur n’est pas
quantitative, c’est la même chose d’être meilleures et d’être plus grandes.
». Or, comme l’être de n’importe quelle forme non subsistante consiste en ce
qu’elle existe dans un sujet ou dans une matière, on peut considérer de deux
façons sa quantité ou sa perfection : d’une façon, selon
le caractère de sa propre espèce; d’une autre façon, selon l’être
qu’elle a dans la matière ou dans le sujet. Selon le caractère de leur propre
espèce, les formes des diverses espèces sont inégales, mais certaines formes
d’une seule espèce peuvent être égales, et certaines non. En effet, il faut
qu’un principe spécifique soit reçu dans quelque chose d’indivisible. Car la
différence d’un principe de ce genre diversifie l’espèce, et ainsi, s’il y
avait addition ou soustraction à ce principe, l’espèce serait nécessairement
différente. Aussi le Philosophe dit-il, au livre VIII de la Métaphysique, que les espèces des
choses sont comme les nombres, dans lesquels une unité ajoutée ou soustraite
diversifie l’espèce. Mais il y a des formes qui reçoivent leur espèce par
quelque chose de leur essence, comme toutes les formes absolues, qu’elles
soient substantielles ou accidentelles. Et dans de telles formes, il est
impossible que l’on trouve de cette manière dans la même espèce une forme
plus grande qu’une autre : en effet, considérée en elle-même, une blancheur
n’est pas davantage blancheur qu’une autre. Mais il y a des formes qui
reçoivent leur espèce de quelque chose d’extérieur à quoi elles sont
ordonnées, comme le mouvement tire son espèce du terme. Dès lors, un
mouvement est plus grand qu’un autre, selon la proximité ou la distance par
rapport au terme. Et l’on trouve de même des qualités qui sont des
dispositions ordonnées à quelque chose, comme la santé est une mesure
proportionnée des humeurs du corps, ordonnée à la nature d’un animal ;
c’est pourquoi un certain degré de mesure des humeurs chez le lion est la
santé, qui, chez l’homme, serait une maladie. Donc, parce que la santé ne reçoit
pas son espèce du degré de la mesure, mais de la nature de l’animal à
laquelle elle est ordonnée, il arrive aussi que, chez le même animal, une
santé soit plus grande qu’une autre, comme il est dit au livre X de l’Éthique,
dans la mesure où il peut exister des degrés dans la mesure des humeurs, qui
maintiennent l’harmonie de la nature humaine. Et il en va de même pour la
science, qui reçoit l’unité de l’unité du sujet. Dès lors, la géométrie peut
être plus grande chez l’un que chez l’autre, dans la mesure où il connaît
plus de conclusions ordonnées à la connaissance du sujet de la géométrie, qui
est la grandeur. De même aussi selon la quantité de perfection que possèdent
les formes de ce genre, selon qu’elles sont dans la matière ou dans le sujet,
certaines formes d’une seule espèce peuvent être inégales, dans la mesure où
elles s’y trouvent plus ou moins. Mais certaines ne peuvent pas s’y trouver
plus ou moins. En effet, toutes les formes qui donnent l’espèce au sujet dans
lequel elles existent ne peuvent pas s’y trouver plus ou moins, parce que,
comme on vient de le dire, un principe spécifique doit consister en quelque
chose d’indivisible ; de là découle qu’aucune forme substantielle ne
reçoit du plus ou du moins. De même aussi, si une forme partage une espèce
selon quelque chose qui est spécifiquement indivisible, on n’en parle pas
comme de quelque chose de plus ou de moins. C’est pourquoi le double, et
n’importe quelle autre espèce de nombre, qui reçoit son espèce d’une unité
ajoutée, ne reçoit pas plus ou moins. Et la même raison vaut pour les figures
qui reçoivent leur espèce du nombre, comme le triangle et le carré ; et
pour les quantités déterminées, comme deux coudées et trois coudées, et pour
les relations entre les nombres, comme double et triple. Mais les formes qui
ne donnent pas son espèce au sujet et ne reçoivent pas leur espèce de quelque
chose qui est spécifiquement indivisible, peuvent y exister en plus ou en
moins, comme la blancheur ou le noir, et les autres choses du même genre. Il
ressort donc clairement de cela que quelque chose peut avoir un rapport à
diverses formes selon l’égalité et l’inégalité. En effet, il y a des formes
qui, à l’intérieur d’une même espèce, ne reçoivent pas l’inégalité ni par
elles-mêmes, de sorte que l’une d’elles soit plus grande qu’une autre de
cette espèce, ni selon l’être, de sorte qu’elle existe davantage dans un
sujet : et toutes les formes substantielles sont de ce genre. Mais certaines
ne reçoivent pas l’inégalité par elles-mêmes, mais seulement selon qu’elles
existent dans un sujet, comme la blancheur et le noir. Mais certaines
reçoivent l’inégalité par elles-mêmes, mais non selon qu’elles existent dans
un sujet, comme un triangle est dit plus grand qu’un autre triangle, parce
que les lignes d’un triangle sont plus grandes que celles d’un autre, bien
qu’elles soient ordonnées à une seule chose qui leur donne leur espèce;
cependant, une surface n’est pas plus triangulaire qu’une autre. Mais il y en
a qui reçoivent l’inégalité et par elles-mêmes, et selon qu’elles existent
dans un sujet, comme la santé, la science et le mouvement. En effet, le
mouvement est inégal, soit parce qu’il traverse un espace plus grand, soit
parce que le mobile est mû plus rapidement. De même aussi la science de l’un
est plus grande que celle d’un autre, soit parce qu’il connaît un plus grand
nombre de conclusions, soit parce qu’il sait mieux les mêmes choses. De même
la santé peut être inégale, soit parce que le degré de la mesure [des
humeurs] est plus proche de l’égalité convenable et parfaite chez l’un que
chez l’autre, soit parce que l’un se trouve à un degré de mesure de façon
plus ferme et meilleure que l’autre. Après avoir vu cela, il faut dire, à
propos de l’égalité et de l’inégalité des vertus, que, si nous parlons de
l’inégalité des vertus tirée d’elles-mêmes, ainsi les vertus d’espèces
diverses peuvent être inégales. En effet, comme la vertu est la disposition
de ce qui est parfait à ce qui est meilleur, comme il est dit au livre VII de
l’Éthique, la vertu plus parfaite et plus grande est celle qui est
ordonnée au bien plus grand. Ainsi les vertus théologales, dont l’objet est
Dieu, sont plus puissantes que les autres ; toutefois, parmi elles, la
charité est plus grande, parce qu’elle unit de manière plus proche à Dieu ;
et l’espérance est plus grande que la foi, parce que l’espérance meut d’une
certaine façon l’affectivité vers Dieu, alors que la foi fait que Dieu se
trouve dans l’homme par mode de connaissance. Mais, parmi les autres vertus,
la prudence est la plus grande, parce qu’elle règle les autres; et après
elle, la justice, qui permet à l’homme de bien se comporter, non seulement en
lui-même, mais envers autrui; et après elle, la force, qui fait que l’homme
méprise les dangers mortels pour le bien ; et après elle, la tempérance,
qui fait que l’homme méprise les plus grands plaisirs du corps pour le bien.
Mais dans une même espèce de vertu, on ne peut pas trouver une inégalité de
ce genre, comme on en trouve dans une même espèce de science, parce qu’il
n’est pas de la raison de la science que celui qui possède une science
connaisse toutes les conclusions qui relèvent de cette science. Mais, selon
la perfection ou la quantité de la vertu, pour autant qu’elle existe dans un
sujet, il peut exister une inégalité même à l’intérieur de la même espèce de
vertu, dans la mesure où l’un entretient un meilleur rapport qu’un autre avec
ce qui relève de cette vertu, soit par une meilleure disposition naturelle,
soit par un plus grand exercice, soit par un meilleur jugement de la raison,
soit par un don de la grâce, parce que la vertu ne donne pas l’espèce au
sujet et ne possède pas non plus quelque chose d’indivisible dans ce qu’elle
a de spécifique, sauf selon les Stoïciens, qui disaient que personne ne
possédait la vertu s’il ne la possédait pas au plus haut point, et qu’ainsi
tous possédaient la même vertu de manière égale. Mais il ne semble pas que
cela fasse partie de la raison de vertu, parce qu’une telle diversité dans le
mode de participation à la vertu est tirée de ce qui a été dit, qui
n’appartient pas à la raison d’une vertu particulière, par exemple la
chasteté, ou de vertus semblables. Ainsi donc, les vertus peuvent être
inégales chez divers individus, tant par rapport aux diverses espèces de
vertus, que par leur manière d’exister dans un sujet, même par rapport à une
seule espèce de vertu. Mais chez un seul et même homme, les vertus sont
effectivement inégales selon la quantité ou la perfection que la vertu
possède par elle-même. Mais selon cette quantité et perfection que la vertu
possède pour autant qu’elle existe dans un sujet, il faut, à parler
simplement, que toutes les vertus soient égales, pour la même raison qu’elles
sont aussi connexes, parce que l’égalité est une certaine connexion dans la
quantité. Dès lors, certains attribuent aussi la notion d’égalité au fait
que, par les quatre vertus cardinales, l’on entend certains modes généraux
des vertus. C’est la raison que donne Augustin, au livre VI de La Trinité. Mais on peut l’attribuer
autrement à la dépendance des vertus morales par rapport à la prudence, et de
toutes les vertus par rapport à la charité. Dès lors, là où la charité se
trouve de manière égale, il faut que toutes les vertus soient égales selon la
perfection formelle de la vertu; et de même pour la prudence, comparée aux
vertus morales. Mais, à parler relativement, les vertus peuvent être inégales
chez un seul et même homme, si elles ne sont pas connexes, selon
l’inclination de la puissance à l’acte qui provient de la nature, ou pour
n’importe quelle autre cause. C’est pourquoi certains disent qu’elles sont
inégales selon l’acte, mais cela ne doit être entendu que selon l’inégalité
de l’inclination à l’acte. |
|
[66759] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 1 Ad
primum ergo dicendum, quod ratio illa procedit de inaequalitate quae est et
attenditur secundum ipsas virtutes, non de inaequalitate quae est secundum
inesse ipsarum, de qua nunc loquimur. Caritas enim, ut dictum est, secundum
se est maior omnibus aliis virtutibus; sed tamen, ea crescente, etiam
proportionaliter crescunt omnes aliae virtutes in uno et eodem homine, sicut
digiti manus secundum se sunt inaequales, tamen proportionaliter crescunt. |
Solutions : 1.
Cet argument procède de l’inégalité tirée des vertus elles-mêmes, non de
l’inégalité qui existe et qui est envisagée selon les vertus elles-mêmes, et
non de l’inégalité qui vient de leur existence dans quelque chose, dont nous
parlons maintenant. En effet, la charité, comme on l’a dit, est en elle-même
plus grande que toutes les autres vertus. Mais cependant, alors qu’elle
croît, toutes les autres vertus croissent aussi proportionnellement dans un
seul et même homme, de même que les doigts de la main sont inégaux en
eux-mêmes, mais croissent proportionnellement. |
|
[66760] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 2 Et similiter
dicendum est ad secundum, tertium, quartum, quintum et sextum; et etiam ad
septimum, quod secundum eumdem modum probabat, aliis virtutibus esse
fortitudinem maiorem. |
2.
3. 4. 5. 6.
Il faut dire la même chose. Et aussi pour 7, qui démontrait de la même manière que la force était plus grande
que les autres vertus. |
|
[66761]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 8 Similiter etiam ad octavum, quod eodem modo
procedit de iustitia, licet iustitia, quae est tota virtus, non sit illa
iustitia quae ponitur virtus cardinalis. |
8.
Cet argument s’adresse de la même façon à la justice, bien que la justice,
qui est une vertu complète, ne soit pas la justice établie comme vertu
cardinale. |
|
[66762] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 9 Et
similiter etiam dicendum ad nonum; quia in hoc omnes virtutes homini insunt,
quod distinguuntur secundum maiorem et minorem perfectionem speciei. |
9.
Il en va de même, parce que toutes les vertus existent en l’homme selon
qu’elles se distinguent par une plus ou moins grande perfection de leur
espèce. |
|
[66763] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 10 Et similiter etiam dicendum ad decimum, quia etiam
hoc modo vitia sunt inaequalia. |
10.
Il en va de même, parce que, même de cette façon, les vices sont inégaux. |
|
[66764] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod unus magis laudatur de una virtute quam de alia
propter maiorem promptitudinem ad actum. |
11.
L’un est plus loué pour une vertu que pour une autre, en raison d’une plus
grande promptitude à l’acte. |
|
[66765] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 12 Ad duodecimum
dicendum, quod ubi est maior habitus, oportet quod sit maior actus secundum
inclinationem habitus. Potest tamen esse in homine aliquid vel impediens vel
disponens ad actum, quod per accidens se habet ad habitum; sicut habitus
scientiae impeditur ne ad actum prodeat, propter ebrietatem. Et ideo secundum
huiusmodi impedimenta vel auxilia ad agendum, potest quandoque esse augmentum
in actu, non existente augmento circa habitum. |
12.
Là où l’habitus est plus grand, il faut que l’acte soit plus grand selon
l’inclination de l’habitus. Il peut cependant y avoir quelque chose en
l’homme qui empêche l’action ou y dispose, qui a un rapport accidentel avec
l’habitus, comme l’habitus de science est empêché d’être mis en acte par
l’ivresse. Ainsi, par des empêchements ou des aides à l’action de ce genre,
il peut y avoir parfois une augmentation dans l’acte, alors que
l’augmentation n’existe pas pour l’habitus. |
|
[66766]
De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 13 Ad decimumtertium dicendum, quod in habitibus
acquisitis maius exercitium causat maiorem habitum; tamen per accidens potest
impediri habitus iam ex pluribus actibus acquisitus, ut non magis possit in
actum procedere; sicut dictum est in corp. art. |
13.
Dans les habitus acquis, un exercice plus grand engendre un habitus plus
grand. Cependant un habitus déjà acquis par
plusieurs actes peut être empêché par accident, de sorte qu’il ne peut plus
être mis en acte, comme on l’a dit dans le corps de cet article. |
|
[66767] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 14 Ad
decimumquartum dicendum, quod in rebus naturalibus, ubi est aequalis forma,
potest esse inaequalitas actus propter aliquod impedimentum accidentale. |
14.
Dans les choses naturelles, où la forme est égale, il peut exister une
inégalité de l’acte en raison d’un empêchement accidentel. |
|
[66768] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod potentiae sunt inaequales secundum seipsas : in
quantum, scilicet, una potentia secundum propriam rationem est perfectior
alia. Et hoc etiam modo dictum est, quod virtutes sint inaequales. |
15.
Les puissances sont inégales en elles-mêmes, dans la mesure où une puissance
est plus parfaite qu’une autre selon sa propre raison. Et, de cette manière
aussi, on a dit que les vertus sont inégales. |
|
[66769] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 16 Ad
decimumsextum dicendum, quod virtutes insunt proportionaliter, ut dictum est;
unde ex hoc non sequitur quod inaequaliter habeantur. |
16.
Les vertus existent [dans un sujet] de manière proportionnelle, comme on
vient de le dire. Dès lors, il ne s’ensuit pas qu’elles soient possédées de
manière inégale. |
|
[66770] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad 17 Ad
decimumseptimum dicendum, quod status patriae opponitur fidei, ratione
apertae visionis, quam non consequitur aliquis per augmentum caritatis; unde
non oportet quod crescente caritate fides minuatur. |
17.
L’état de la patrie est opposé à la foi, en raison de la pleine vision, que
l’on n'obtient pas par l’augmentation de la charité. Dès lors, il n’est pas
nécessaire que la foi diminue alors que la charité croît. |
|
[66771] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 1 Ad
primum vero eorum quae in contrarium obiecta sunt et secundum, tertium et
quartum patet responsio ex his quae dicta sunt. |
Solutions des
arguments en sens contraire : 1. 2. 3. 4.
La réponse est claire avec ce qui a été dit. |
|
[66772] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 5 Ad
quintum dicendum, quod Damascenus intelligit virtutes aequaliter in omnibus
esse. |
5.
[Jean] Damascène comprend que les vertus existent de manière égale en tous. |
|
[66773] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 6 Ad
sextum dicendum, quod praemium essentiale respondet radici caritatis; et
ideo, si etiam detur quod virtutes non sint aequales, tamen idem praemium
debebitur uni homini propter identitatem caritatis. |
6.
La récompense essentielle correspond à la racine de la charité. Ainsi, même
si l’on admet que les vertus ne sont pas égales, la même récompense sera
cependant donnée à un seul homme, en raison de l’identité de la charité. |
|
[66774] De virtutibus, q. 5 a. 3 ad s. c. 7 Septimum concedimus. |
7.
Nous concédons le septième argument. |
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Articulus
4 : [66775] De virtutibus, q. 5 a. 4 tit. 1 Quarto
quaeritur utrum virtutes cardinales maneant in patria |
Article 4 – Les vertus cardinales demeurent-elles dans la patrie ? |
|
[66776] De
virtutibus, q. 5 a. 4 tit. 2 Et
videtur quod non. [66777]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 1 Dicit enim Gregorius, XVI Moral., quod
accidentia vitae comparata cum corpore transeunt. Non ergo manent in patria. |
Objections : Il semble que non. 1. Grégoire dit en effet, au
livre XVI des Morales sur Job, que
les accidents de la vie, comparés au corps, passent. Ils ne demeurent donc
pas dans la patrie. |
|
[66778] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 2 Praeterea, habito fine non sunt necessaria ea quae
sunt ad finem; sicut postquam pervenitur ad portum, non necessaria est navis.
Sed virtutes cardinales in hoc distinguuntur a theologicis, quod theologicae
habent ultimum finem pro obiecto, cardinales autem sunt circa ea quae sunt ad
finem. Ergo quando perventum fuerit ad ultimum finem in patria, non erit
necessaria virtus cardinalis. |
2.
Une fois que l’on possède la fin, ce qui est ordonné à la fin n’est plus
nécessaire, de même que, après être arrivé au port, le navire n’est plus
nécessaire. Or, les vertus cardinales se distinguent des vertus théologales
en ceci que les théologales ont la fin ultime pour objet, alors que les
cardinales portent sur ce qui est ordonné à la fin. Quand on sera parvenu à
la fin ultime dans la patrie, les vertus cardinales ne seront donc plus
nécessaires. |
|
[66779] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 3 Praeterea, sublato fine cessat id quod est ad finem.
Sed virtutes cardinales ordinantur ad bonum civile, quod non erit in patria. Ergo
neque virtutes cardinales erunt in patria. |
3.
La fin enlevée, ce qui est ordonné à la fin s’arrête. Or, les vertus
cardinales sont ordonnées au bien civil, qui n’existera plus dans la patrie.
Les vertus cardinales n’existeront donc plus dans la patrie. |
|
[66780] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 4 Praeterea,
id non dicitur manere in patria, sed magis evacuari, quod non manet secundum
propriam speciem, sed solum secundum communem generis rationem; sicut fides
dicitur evacuari, quamvis maneat cognitio, quae est genus eius. Sed virtutes
cardinales non remanent in patria secundum proprias species, secundum quas
distinguuntur : dicit enim Augustinus, XII super Genes. ad Litt., quod una
ibi et tota virtus est amare quod videris. Ergo virtutes cardinales non
manent in patria, sed evacuantur. |
4.
On ne dit pas que demeure dans la patrie, mais plutôt en est écarté, ce qui
ne demeure pas selon sa propre espèce, mais seulement selon la raison commune
du genre ; comme l’on dit que la foi est écartée, bien que demeure la
connaissance, qui en est le genre. Or, les vertus cardinales ne demeurent pas
dans la patrie selon leurs espèces propres, qui les distinguent : en effet,
Augustin dit, au livre XII de La Genèse
au sens littéral, que là-bas,
la vertu complète consiste à aimer ce que l’on verra. Les vertus cardinales
ne demeurent donc pas dans la patrie, mais sont écartées. |
|
[66781] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 5 Praeterea, virtutes habent
speciem ex obiectis. Sed obiecta virtutum cardinalium non manent in patria :
nam prudentia est circa dubia, de quibus est consilium; iustitia autem est
circa contractus et iudicia; fortitudo autem est circa pericula mortis;
temperantia autem circa concupiscentias ciborum et venereorum, quae omnia non
erunt in patria. |
5.
L’espèce des vertus provient des objets. Or, les objets des vertus cardinales
ne demeurent pas dans la patrie : la prudence, en effet, concerne les doutes,
sur lesquels porte le conseil ; la justice concerne les contrats et les
jugements ; la force concerne les dangers mortels, et la tempérance
concerne les concupiscences dans la nourriture et les plaisirs sexuels, tout
ce qui n’existera pas dans la patrie. |
|
[66782] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 6 Sed
dicendum, quod in patria habebunt alios actus.- Sed contra, diversitas eius
quod cadit in definitione alicuius rei, diversificat speciem eius. Sed actus
cadit in definitione habitus : dicit enim Augustinus in libro de bono
Coniug., quod habitus est quo quis agit cum tempus affuerit. Ergo si sunt
diversi actus, erunt et habitus specie differentes. |
6.
Mais il faut dire que, dans la patrie, elles auront d’autres actes. – Cependant, la diversité de ce qui définit une
chose diversifie son espèce. Or, l’acte définit l’habitus. En effet, Augustin
dit, dans le livre Sur le bien conjugal,
que l’habitus est ce qui nous fait agir au moment opportun. Si les actes sont
divers, les habitus seront donc aussi différents en espèce. |
|
[66783] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 7 Praeterea,
secundum Plotinum, ut Macrobius refert, aliae sunt virtutes purgati animi, et
aliae virtutes politicae. Sed virtutes purgati animi maxime videntur esse
virtutes quae sunt in patria; virtutes autem quae sunt hic, sunt virtutes
politicae. Ergo virtutes quae sunt hic, non manent, sed
evacuantur. |
7.
Selon Plotin, comme le rapporte Macrobe, autres sont les vertus de l’âme
purifiée, et autres sont les vertus politiques. Or, les vertus de l’âme
purifiée semblent être surtout les vertus qui existent dans la patrie, alors
que les vertus qui existent ici-bas sont les vertus politiques. Les vertus
qui existent ici-bas ne demeurent donc pas, mais sont écartées. |
|
[66784] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 8 Praeterea,
plus distant status beatorum et viatorum, quam status domini et servi, aut
viri et mulieris in vita praesenti. Sed secundum philosophum in I Politic.,
alia est virtus domini et alia est virtus servi, et similiter alia viri et
alia mulieris. Ergo multo magis aliae sunt virtutes viatorum et beatorum. |
8.
Les états des bienheureux et de ceux qui sont en route sont plus éloignés que
les états du maître et de l’esclave, ou de l’homme et de la femme dans la vie
présente. Or, selon le Philosophe, au livre I de La Politique, autre est la vertu du maître, et autre la vertu de
l’esclave, et de même autre celle de l’homme, et autre celle de la femme. Les
vertus de ceux qui sont en route et des bienheureux sont donc bien plus
différentes. |
|
[66785] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 9 Praeterea,
habitus virtutum sunt necessarii ad habilitandum possibilitatem ad actum. Sed huiusmodi habilitatio sufficienter fiet ibi per
gloriam. Non ergo erunt necessarii habitus virtutum. |
9.
Les habitus des vertus sont nécessaires pour rendre apte la possibilité de
l’acte. Or, une habilitation de ce genre se réalisera suffisamment là-bas par
la gloire. Les habitus des vertus ne seront donc pas nécessaires. |
|
[66786] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 10 Praeterea, apostolus probat, I ad Corinth. XIII, 8, quod caritas est excellentior aliis, quia non evacuatur. Sed
fides et spes, quae evacuantur, sunt nobiliores virtutibus cardinalibus, quia
habent nobilius obiectum, scilicet Deum. Ergo virtutes
cardinales evacuantur. |
10. L’Apôtre montre, dans
1 Co 13, 8, que la charité est bien supérieure aux autres, parce
qu’elle ne sera pas écartée. Or, la foi et l’espérance, qui sont écartées,
sont plus nobles que les vertus cardinales, parce qu’elles ont un objet plus
noble : Dieu. Les vertus cardinales sont donc écartées. |
|
[66787]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 11 Praeterea, virtutes intellectuales sunt
nobiliores moralibus, ut patet in VI Ethic. Sed virtutes intellectuales non
manent, quia scientia destruetur, ut dicitur I ad Corinth. cap. XIII, 8. Ergo
nec virtutes cardinales manebunt in patria. |
11.
Les vertus intellectuelles sont plus nobles que les vertus morales, comme
cela est clair d’après le livre VI de l’Éthique. Or, les vertus
intellectuelles ne demeurent pas, parce que « la science sera
détruite », comme il est dit dans 1 Co 13, 8. Les vertus
cardinales ne demeureront donc pas dans la patrie. |
|
[66788] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 12 Praeterea, sicut Iac. I, 4, dicitur, patientia
opus perfectum habet. Sed patientia non manet in patria nisi secundum
praemium, ut dicit Augustinus XIV de Civit. Dei. Ergo multo minus aliae
virtutes morales. |
12.
Comme il est dit dans Jc 1, 4 : La patience s’accompagne d’une
œuvre parfaite. Or, la patience ne demeure pas dans la patrie, si ce n’est
par la récompense, comme le dit Augustin au livre XIV de La Cité de Dieu. Donc, les autres vertus morales encore bien
moins. |
|
[66789]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 13 Praeterea, quaedam virtutes cardinales,
scilicet temperantia et fortitudo, sunt in potentiis animae sensitivis : sunt
enim irrationabilium partium animae, ut patet per philosophum in III Ethic.
Sed partes animae sensitivae neque sunt in Angelis, neque possunt esse in
anima separata. Ergo huiusmodi virtutes non sunt in patria neque in Angelis,
neque in animabus separatis. |
13.
Certaines vertus cardinales, la tempérance et la force, sont dans les
puissances sensitives de l’âme, car elles appartiennent aux parties
irrationnelles de l’âme, comme le dit le Philosophe au livre III de l’Éthique.
Or, les parties sensitives de l’âme n’existent pas chez les anges et ne
peuvent pas se trouver dans l’âme séparée [du corps]. Les vertus de ce genre
n’existent donc pas dans la patrie, ni chez les anges, ni dans les âmes
séparées [du corps]. |
|
[66790] De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 14 Praeterea,
Augustinus dicit, XIII de Civit. Dei, quod in patria vacabimus, videbimus,
amabimus, laudabimus. Sed vacare est actus sapientiae : videre actus
intellectus : amare actus caritatis : laudare actus latriae. Ergo ista sola erunt in patria, non autem virtutes cardinales. |
14.
Augustin dit, au livre XIII de La Cité
de Dieu, que dans la patrie nous serons libres d’occupations, nous
verrons, nous aimerons, nous louerons. Or, être libre d’occupations est un
acte de la sagesse, voir, un acte de l’intelligence, aimer, un acte de la
charité, et louer, un acte de latrie. Celles-là seules existeront donc dans
la patrie, mais non les vertus cardinales. |
|
[66791]
De virtutibus, q. 5 a. 4 arg. 15 Praeterea, in patria erunt homines similes
Angelis, ut dicitur Matth. XXII, 30. Sed secundum sobrietatem homines non
assimilantur Angelis, ad quos non pertinet cibis et potibus uti. Ergo
sobrietas non erit in patria, et pari ratione nec aliae huiusmodi virtutes. |
15.
Dans la patrie, les hommes seront semblables aux anges, comme le dit
Mt 22, 30. Or, par la sobriété, les hommes ne sont pas assimilés aux
anges, à qui il ne revient pas de consommer nourritures et boissons. La
sobriété n’existera donc pas dans la patrie, et les autres vertus du même
genre non plus, pour la même raison. |
|
[66792] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 1 Sed contra. Est quod dicitur Sap. I, v. 15 : iustitia
perpetua est et immortalis. |
Cependant : 1. Il est dit dans
Sg 1, 15 : La justice est éternelle et immortelle. |
|
[66793] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 2 Praeterea, Sap. VIII, 7, dicitur de divina sapientia quod sobrietatem
et prudentiam docet, iustitiam et virtutem, quibus in vita nihil utilius est
hominibus. Sed in patria erit plenissima participatio sapientiae. Ergo
huiusmodi virtutes plenius erunt in patria. |
2. En Sg 8, 7, il
est dit de la sagesse divine qu’elle enseigne la tempérance et la
prudence, la justice et la force : il n’y a rien de plus utile pour les
hommes dans la vie. Or, dans la patrie, la participation à la sagesse se
réalisera plus pleinement. Les vertus de ce genre existeront donc plus
pleinement dans la patrie. |
|
[66794] De virtutibus, q. 5 a. 4 s. c. 3 Praeterea, virtutes sunt divitiae spirituales. Sed
spiritualium divitiarum maior copia est in patria quam in via. Ergo
huiusmodi virtutes plenius in patria abundabunt. |
3. Les vertus sont des
richesses spirituelles. Or, l’abondance des richesses spirituelles est plus
grande dans la patrie que pendant le voyage. Les vertus de ce genre
abonderont donc plus pleinement dans la patrie. |
|
[66795] De virtutibus, q. 5 a. 4 co. Respondeo. Dicendum, quod in patria manent virtutes
cardinales, et habebunt ibi alios actus quam hic, ut Augustinus dicit, XIII
de Trinit. : quod nunc agit iustitia in subveniendo miseris, quod
prudentia in praecavendis insidiis, quod fortitudo in perferendis molestiis,
quod temperantia in coercendis delectationibus pravis, non ibi erit, ubi
nihil omnino mali erit; sed iustitiae erit regenti Deo subditum esse;
prudentiae, nullum bonum Deum praeponere vel aequare; fortitudinis, ei
firmissime cohaerere; temperantiae, nullo affectu noxio delectari. Ad
cuius evidentiam sciendum est, quod sicut philosophus dicit in I de caelo,
virtus importat ultimum potentiae. Manifestum est autem, quod in diversis
naturis diversum est potentiae ultimum, quia altioris naturae est maior
potentia, ad plura et maiora se extendens. Et ideo illud quod est virtus uni,
non est virtus alteri; puta, hominis virtus determinatur ad ea quae sunt
praecipua in humana vita; sicut temperantia humana est, quod a ratione homo
non discedat propter maximas delectationes, sed eas magis secundum rationem
moderetur; fortitudo autem humana est, ut propter bonum rationis firmiter
stet contra maxima pericula, quae sunt pericula mortis. Sed quia divinae
potentiae ultimum non attenditur secundum ista, sed secundum aliquid altius
pertinens ad infinitatem potentiae eius; ideo fortitudo divina est eius
immobilitas; temperantia erit conversio mentis divinae ad seipsam; prudentia
autem est ipsa mens divina; iustitia autem Dei ipsa lex eius perennis. Est
autem considerandum, quod diversa ultima dupliciter accipi possunt : uno modo
secundum quod accipiuntur in eadem serie motus; alio modo secundum quod
accipiuntur ut omnino disparata, et ad invicem non ordinata. Si igitur
accipiantur diversa ultima quae sub una serie motus ordinantur, esse diversa
ultima, faciunt diversas species motus; non autem diversificant speciem
principii motivi, eo quod idem est principium motus quod movet a principio
usque ad finem. Et huius exemplum accipere possumus in aedificatione, in qua
ultimus terminus est forma domus completa; possunt tamen alia ultima accipi
secundum complexionem singularum partium domus; unde, ut philosophus dicit in
X Ethic., alius specie motus est fundatio domus, quae terminatur ad
fundamentum, et alia columnarum erectio, et alia completa aedificatio; sed
tamen ars aedificatoria est una et eadem, quae est horum trium motuum
principium; et idem est in aliis motibus. Si vero accipiantur diversa ultima
disparata, quae non sunt in una serie motus, sed sunt omnino disparata : tunc
et motus specie differunt, et principia motiva; sicut alia ars est quae est
principium aedificationis, et constructionis navis. Sic ergo ubi est idem
ultimum specie, est et eadem virtus secundum speciem, idem actus, sive motus
virtutis; sicut patet quod idem ultimum specie est quod attingit temperantia
in me et in te, scilicet moderantia circa delectationes tactus; unde nec
temperantia nec actus eius specie differt in me et in te. Ubi vero ultimum
quod attingit virtus, nec est in eadem specie, nec sub eadem serie motus
continetur, oportet quod sit differentia secundum speciem non solum in actu
virtutis, sed etiam in ipsa virtute; sicut patet de istis virtutibus secundum
quod dicuntur de Deo et de homine. Ubi vero ultimum virtutis differt specie
(si tamen sub eadem serie motus continetur, ut scilicet ab uno perveniatur in
aliud), est quidem actus differens specie, sed virtus est eadem; sicut
fortitudinis actus ad aliud ultimum derivatur ante praelium, et ad aliud in
ipso praelio, et ad aliud in triumpho : unde alius specie actus est accedere
ad bellum, et alius in praelio fortiter stare, et alius iterum de adepta
victoria gaudere; et eadem fortitudo est; sicut etiam eiusdem potentiae actus
est amare, desiderare et gaudere. Manifestum est
igitur ex praedictis, in istomet artic., quod cum status patriae sit altior
quam status viae, pertingat ad perfectius ultimum. Si igitur ultimum illud ad
quod pertingit virtus viae, ordinetur ad ultimum illud ad quod pertingit
virtus patriae, necesse est quod sit eadem virtus secundum speciem; sed actus
erunt differentes. Si autem non accipiatur unum in ordine ad aliud, tunc non
erunt eaedem virtutes nec secundum actum nec secundum habitum. Manifestum est
autem quod virtutes acquisitae, de quibus locuti sunt philosophi, ordinantur
tantum ad perficiendum homines in vita civili, non secundum quod ordinantur
ad caelestem gloriam consequendam. Et ideo posuerunt, quod huiusmodi virtutes
non manent post hanc vitam, sicut de Tullio Augustinus narrat. Sed virtutes cardinales, secundum quod sunt gratuitae et infusae,
prout de eis nunc loquimur, perficiunt hominem in vita praesenti in ordine ad
caelestem gloriam. Et ideo necesse est dicere, quod sit idem habitus harum
virtutum hic et ibi; sed quod actus sunt differentes : nam hic habent actus
qui competunt tendentibus in finem ultimum; illic autem habent actus qui
competunt iam in fine ultimo quiescentibus. |
Réponse : Les vertus cardinales
demeurent dans la patrie, et elles y auront d’autres actes qu’ici-bas, comme
le dit Augustin au livre XIII de La
Trinité : « Le rôle que joue maintenant la justice en venant en
aide aux malheureux, la prudence en prenant des précautions contre les
embûches, la force en persévérant dans les difficultés, la tempérance en
réfrénant les plaisirs mauvais, n’aura plus de raison d’être là-bas, où il
n’y aura absolument aucun mal. Mais le propre de la justice sera d’être
soumis au pouvoir de Dieu; de la prudence, de ne préférer ou égaler aucun bien
à Dieu; de la force, d’être attaché à lui de la manière la plus ferme; de la
tempérance, de ne se plaire en aucun sentiment nuisible. » Pour montrer
cela, il faut savoir que, comme le dit le Philosophe au livre I Du Ciel, la vertu conduit au point ultime
d’une puissance. Or, il est clair que, dans les diverses natures, le point
ultime de la puissance est différent, parce que la puissance d’une nature
plus élevée est plus grande, s’étend à plus de choses et à des choses plus
grandes. Ainsi, ce qui est vertu pour l’un n’est pas vertu pour l’autre. Par
exemple, la vertu de l’homme est tournée vers ce qui est le principal dans la
vie humaine : ainsi, la tempérance humaine consiste en ce que l’homme ne
s’éloigne pas de la raison à cause des plus grands plaisirs, mais les modère
plutôt par la raison ; la force humaine consiste en ce que, en vue du
bien de la raison, il demeure ferme contre les plus grands dangers, qui sont
les dangers mortels. Mais parce que le point ultime de la puissance divine ne
se prend pas de ces choses, mais de quelque chose de plus élevé qui relève de
l’infinité de sa puissance, la force divine est ainsi son immobilité, la
tempérance sera la conversion de l’esprit divin vers lui-même, la prudence
est l’esprit divin lui-même, et la justice de Dieu, sa propre loi éternelle.
Mais il faut observer que l’on peut concevoir de deux façons les divers
points ultimes : d’une première façon, selon qu’ils sont reçus dans une même
série de mouvements; d’une seconde façon, selon qu’ils sont reçus comme tout
à fait séparés et non ordonnés les uns aux autres. Si donc l’on conçoit les
divers points ultimes selon qu’ils sont ordonnés en une seule série de
mouvements, le fait qu’ils sont des points ultimes rend diverses les espèces
de mouvement, mais ils ne rendent pas diverse l’espèce du principe qui meut,
parce que c’est le même principe de mouvement qui meut du début à la fin. Et
nous pouvons en voir l’exemple dans la construction, où la forme achevée de
la maison est le terme ultime ; toutefois, l’on peut voir d’autres
points ultimes dans l’assemblage de chacune des parties de la maison. Ainsi,
comme le dit le Philosophe au livre X de l’Éthique, la mise en place
des fondations de la maison est une espèce de mouvement, une autre est
l’érection de colonnes, et une autre, la construction achevée. Mais pourtant,
il y a un seul et même art de la construction, qui est le principe de ces
trois mouvements ; et il en est de même des autres mouvements. Mais si
l’on conçoit les divers points ultimes comme séparés, qui ne sont pas en une
série de mouvements mais sont tout à fait séparés, alors les mouvements
diffèrent en espèce, ainsi que les principes qui meuvent, de même que sont
différents les arts qui sont les principes de la construction et ceux de la
réalisation d’un navire. Ainsi donc, là où le point ultime est le même selon
l’espèce, là existe une même vertu selon l’espèce, un même acte ou mouvement
de la vertu, comme il est clair que c’est la même fin selon espèce qu’atteint
la tempérance en moi et en toi : la modération qui concerne les plaisirs du
toucher. Dès lors, ni la tempérance ni son acte ne diffèrent en espèce en moi
et en toi. Mais là où le point ultime qu’atteint la vertu n’est pas dans la
même espèce et n’est pas contenu dans la même série de mouvements, il faut
qu’il y ait une différence selon l’espèce, non seulement dans l’acte de la
vertu, mais encore dans la vertu elle-même, comme on le voit bien dans les
vertus dont on dit qu’elles viennent de Dieu et de l’homme. Mais là où le
point ultime de la vertu diffère en espèce (s’il est cependant contenu en une
même série de mouvements, pour parvenir naturellement de l’un à l’autre),
l’acte est différent en espèce, mais la vertu est la même. Ainsi l’acte de la
force se tourne vers un autre point ultime avant le combat, vers un autre
pendant le combat, et encore vers un autre lors du triomphe. Dès lors, autre
est l’espèce de l’acte de se préparer à combattre, autre celle de résister
vaillamment dans le combat, et autre encore celle de se réjouir de la victoire
acquise. Et c’est la même force. De même aussi qu’aimer, désirer et se
réjouir sont l’acte de la même puissance. Il est donc clair par ce qu’on
vient de dire dans cet article même que, puisque l’état de la patrie est plus
élevé que l’état du voyage, il atteint un point ultime plus parfait. Si donc
le point ultime qu’atteint la vertu du voyage est ordonné à celui qu’atteint
la vertu de la patrie, il est nécessaire qu’il s’agisse de la même vertu par
l’espèce, mais les actes seront différents. Mais si l’on ne conçoit pas un
point ultime comme ordonné à un autre, alors ce ne seront pas les mêmes
vertus, ni selon l’acte ni selon l’habitus. Or, il est clair que les vertus
acquises, dont ont parlé les philosophes, sont ordonnées seulement à la
perfection des hommes dans la vie civile, et non à obtenir la gloire céleste.
Ainsi ils ont établi que les vertus de ce genre ne demeurent pas après cette
vie, comme le raconte Augustin à propos de Cicéron. Mais les vertus
cardinales, parce qu’elles sont gratuites et infuses, pour autant que nous
parlons maintenant d’elles, perfectionnent l’homme dans la vie présente en
vue de la gloire céleste. Ainsi, il est nécessaire de dire que l’habitus de
ces vertus est le même ici-bas que là-bas, mais que les actes sont différents.
Ici-bas, en effet, elles ont des actes qui s’accordent avec ce qui tend à la
fin ultime, alors que là-bas, elles ont des actes qui conviennent à ceux qui
se reposent déjà dans la fin ultime. |
|
[66796] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod huiusmodi virtutes
perficiunt hominem in vita activa, sicut in quadam via qua pervenitur ad
terminum contemplationis patriae; et ideo in patria manent secundum actus
consummatos in fine. |
Solutions : 1.
Les vertus de ce genre perfectionnent l’homme dans la vie active, comme dans
un voyage qui le fait parvenir au but de la contemplation dans la patrie.
Ainsi, elles demeurent dans la patrie selon leurs actes finalement achevés. |
|
[66797] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 2 Ad secundum dicendum, quod virtutes cardinales sunt
circa ea quae sunt ad finem, non quasi in his sit ultimus eorum terminus,
sicut ultimus terminus navis est navigatio; sed in quantum, per ea quae sunt
ad finem, habent ordinem ad finem ultimum; sicut temperantia gratuita non
habet pro finali ultimo moderari concupiscentias tactus, sed hoc facit
propter similitudinem caelestem. |
2.
Les vertus cardinales concernent ce qui est tourné vers la fin, non pas comme
si leur terme se trouvait dans cela, comme la navigation est la fin ultime du
navire, mais dans la mesure où, par ce qui est tourné vers la fin, elles sont
ordonnées à la fin ultime. Ainsi la tempérance gratuite n’a pas pour fin
ultime de modérer les concupiscences du toucher, mais elle le fait en raison
de la similitude céleste. |
|
[66798] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 3 Ad
tertium dicendum, quod bonum civile non est finis ultimus virtutum
cardinalium infusarum, de quibus loquimur, sed virtutum acquisitarum de
quibus philosophi sunt locuti, sicut dictum est in corp. art. |
3.
Le bien civil n’est pas la fin ultime des vertus cardinales infuses, dont
nous parlons, mais des vertus acquises dont ont parlé les philosophes, comme
on l’a dit dans le corps de cet article. |
|
[66799] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 4 Ad
quartum dicendum, quod nihil prohibet unam et eamdem rem esse finem
diversarum virtutum vel artium; sicut conservatio boni civilis est finis et
terminus militaris et legis positivae : unde utraque ars vel virtus habet
actum suum circa hoc sicut circa finale bonum; sed militaris, in quantum
providet de conservatione boni civilis, secundum quod per fortia certamina ad
hoc pervenitur; sed lex positiva gaudet de eodem, secundum quod per
ordinationem legum bonum civile conservatur. Sic igitur fruitio Dei in patria
est finis omnium cardinalium virtutum; et unaquaeque gaudet ibi de ea,
secundum quod est finis suorum actuum. Et ideo dicitur quod in patria erit
una virtus, in quantum erit in subiecto, de qua omnes virtutes gaudebunt;
tamen erunt differentes actus et differentes virtutes secundum diversam rationem
gaudendi. |
4.
Rien n’empêche qu’une seule et même chose soit la fin de divers arts ou
vertus, comme la conservation du bien civil est la fin et le terme du soldat
et de la loi positive. Dès lors, l’acte des deux, art ou vertu, porte sur
cela comme sur son bien final : mais, pour le soldat, dans la mesure où il
s’occupe de la conservation du bien civil en y parvenant par de durs combats,
alors que la loi positive s’en réjouit en conservant le bien civil par
l’ordonnance des lois. Ainsi donc, la jouissance de Dieu dans la patrie est
la fin de toutes les vertus cardinales, et chacune s’en réjouit là-bas, selon
qu’elle est la fin de ses actes. C’est pourquoi l’on dit que, dans la patrie,
il y aura une seule vertu, selon qu’elle existera dans un sujet, dont se
réjouiront toutes les vertus ; cependant les actes seront différents des
vertus selon des raisons diverses de se réjouir. |
|
[66800] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 5 Ad
quintum dicendum, quod aliquid dicitur esse obiectum virtutum dupliciter. Uno
modo sicut illud ad quod virtus ordinatur sicut ad finem; sicut summum bonum
est obiectum caritatis, et beatitudo aeterna obiectum spei. Alio modo sicut materia circa quam operatur, ut ab
ea in aliud tendens; et hoc modo delectationes coitus sunt obiectum
temperantiae, non enim temperantia intendit huiusmodi delectationibus
inhaerere, sed istas delectationes compescendo, tendere in bonum rationis. Similiter
fortitudo non intendit inhaerere periculis superando pericula, sed consequi
bonum rationis; et idem est de prudentia respectu dubitationum, et de
iustitia respectu necessitatum huius vitae. Et ideo quanto longius ab his
fuerit recessum, secundum profectum spiritualis vitae, tanto erunt
perfectiores actus harum virtutum, quia praedicta verba magis se habent ad
has virtutes per modum termini a quo quam per modum termini ad quem, qui dat
speciem. |
5.
Quelque chose est dit objet des vertus de deux façons : d’une façon, comme ce
à quoi est ordonnée la vertu comme à sa fin : ainsi le plus grand bien est
l’objet de la charité, et la béatitude éternelle, l’objet de l’espérance;
d’une seconde façon, comme la matière sur laquelle elle agit, de sorte
qu’elle passe de celle-ci à autre chose. De cette manière, les plaisirs de
l’accouplement sont l’objet de la tempérance, car la tempérance ne vise pas à
s’attacher à des plaisirs de ce genre, mais, en réprimant ces plaisirs, à
tendre vers le bien de la raison. De même, la force ne vise pas à s’attacher
aux dangers en surmontant les dangers, mais à poursuivre le bien de la
raison. Et il en va de même pour la prudence par rapport aux doutes, et pour
la justice, par rapport à ce qui est nécessaire à cette vie. Ainsi, plus l’on
s’en sera éloigné, selon l’avancement de la vie spirituelle, plus les actes
de ces vertus seront parfaits, parce que ce que l’on vient de dire concerne
plus ces vertus par mode de point de départ que par mode de point d’arrivée, qui donne l’espèce. |
|
[66801] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 6 Ad
sextum dicendum, quod non omnis differentia actuum demonstrat diversitatem habituum,
sicut iam dictum est in corp. Art. |
6.
Toute différence des actes ne démontre pas la diversité des habitus, comme il
a déjà été dit dans le corps de cet article. |
|
[66802] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 7 Ad
septimum dicendum, quod virtutes purgati animi, quas Plotinus definiebat,
possunt convenire beatis : nam prudentiae ibi est sola divina intueri;
temperantiae, cupiditates oblivisci; fortitudinis, passiones ignorare;
iustitiae, perpetuum foedus cum Deo habere. Sed virtutes politicae de quibus
ipse loquitur, ordinantur tantum ad bonum civile praesentis vitae ut dictum
est in corp. art. |
7.
Les vertus de l’âme purifiée, définies par Plotin, peuvent convenir aux
bienheureux : là-bas, en effet, le propre de la prudence est de fixer ses
regards sur les seules choses divines ; le propre de la tempérance,
d’oublier les désirs ; le propre de la force, d’ignorer les
passions ; le propre de la justice, d’avoir une alliance éternelle avec
Dieu. Mais les vertus politiques dont il parle lui-même sont ordonnées seulement
au bien civil de la vie présente, comme on vient de le dire dans le corps de
cet article. |
|
[66803] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 8 Ad
octavum dicendum, quod ultima virtutum servi et domini, mulieris et viri non
ordinantur in invicem, ut sic ex uno transeatur in aliud; et ideo non est
similis ratio. |
8.
Les points ultimes des vertus de l’esclave et du maître, de la femme et de
l’homme, ne sont pas ordonnés les uns aux autres, de sorte qu’on passe de
l’un à l’autre. Ainsi, ce n’est pas le même raisonnement. |
|
[66804] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 9 Ad nonum dicendum, quod ipsa habilitatio gloriae ad
opera virtutum, quae fiet vel perficietur per gloriam, pertinet ad ipsos
habitus virtutum. |
9.
L’habilitation même de la gloire aux œuvres des vertus, qui se fera ou sera
réalisée par la gloire, relève des habitus mêmes des vertus. |
|
[66805] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 10 Ad decimum dicendum, quod fides ordinatur ad
veritatem non apparentem, et spes ad arduum non habitum sicut a quo speciem
habent. Et ideo, quamvis excellentiores sint virtutibus cardinalibus propter
altius obiectum, tamen evacuantur, propter hoc quod habent speciem ab eo quod
non manet. |
10.
La foi est ordonnée à une vérité non évidente, et l’espérance à quelque chose
de difficile non possédé, dont elles reçoivent leur espèce. Ainsi, bien
qu’elles soient meilleures que les vertus cardinales en raison de leur objet
plus élevé, elles sont cependant écartées parce que leur espèce provient de
ce qui ne demeure pas. |
|
[66806] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 11 Ad
undecimum dicendum, quod etiam scientia non destruetur secundum habitum, sed
habebit alium actum. |
11.
La science non plus ne sera pas détruite selon l’habitus, mais elle aura un
autre acte. |
|
[66807] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 12 Ad
duodecimum dicendum, quod patientia non manebit in patria secundum actum quem
habet in via, tolerando scilicet tribulationes; manebit tamen secundum actum
convenientem fini, sicut et de aliis virtutibus dictum est in corp. art. |
12.
La constance ne demeurera pas dans la patrie selon l’acte qu’elle a pendant
le voyage : supporter les tourments ; mais elle demeurera dans l’acte
qui convient à la fin, comme on l’a dit aussi pour les autres vertus dans le
corps de cet article. |
|
[66808] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 13 Ad
decimumtertium dicendum, quod quidam dicunt quod irascibilis et
concupiscibilis, in quibus sunt temperantia et fortitudo, sunt in parte
superiori, non autem in parte sensitiva. Sed hoc est contra philosophum in
III Ethic., ubi dicit, quod virtutes sunt irrationabilium partium. Quidam
autem dicunt, quod vires sensitivae partis manent in anima separata vel
secundum potentiam tantum, vel secundum actum. Sed hoc non potest esse, quia
actus potentiae sensitivae non est sine corpore; alioquin anima sensitiva
brutorum esset etiam incorruptibilis, quod est erroneum. Cuius autem est
actio, eius est etiam potentia; unde oportet quod potentiae huiusmodi sint
coniunctae; et ita post mortem non remanent in anima separata actu, sed
virtute, sicut in radice in quantum scilicet potentiae animae fluunt ab
essentia eius. Virtutes autem istae sunt quidem in irascibili quantum ad
eorum derivationem; sed secundum originem et inchoationem sunt in ratione et
in voluntate, quia principalis actus virtutis moralis est electio, quae est
actus appetitus rationalis. Sed ista electio per quamdam applicationem
terminatur ad passiones irascibilis et concupiscibilis secundum temperantiam
et fortitudinem. |
13.
Certains disent que l’irascible et le concupiscible, où existent la
tempérance et la force, se trouvent dans la partie supérieure, mais non dans
la partie sensitive. Mais cela va contre le Philosophe qui dit, au livre III
de l’Éthique, que les vertus appartiennent aux parties irrationnelles.
Or, certains disent que les forces de la partie sensitive demeurent dans
l’âme séparée du corps, soit selon la seule puissance, soit selon l’acte.
Mais cela ne peut pas être le cas, parce que l’acte d’une puissance sensitive
n’existe pas sans le corps, sans quoi l’âme sensitive des animaux sans raison
serait aussi incorruptible, ce qui est une erreur. Or, acte et puissance
relèvent de la même chose. Dès lors, il faut que des puissances de ce genre
soient unies [au corps]. Ainsi, après la mort, elles ne demeurent pas dans
l’âme séparée du corps selon l’acte, mais selon la puissance, comme dans leur
racine, dans la mesure où les puissances de l’âme découlent naturellement de
son essence. Mais ces vertus se trouvent assurément dans l’irascible quant à
ce dont elles découlent, mais, selon leur origine et leur amorce, elles
existent dans la raison et dans la volonté, parce que l’acte principal de la
vertu morale est le choix, qui est l’acte de l’appétit rationnel. Mais ce
choix, par une certaine application, a son terme dans les passions de
l’irascible et du concupiscible, suivant la tempérance et la force. |
|
[66809] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 14 Ad decimumquartum dicendum, quod omnia illa quatuor
pertinent ad unumquemque actum virtutum cardinalium per modum finis, in
quantum in eis consistit beatitudo caelestis. |
14.
Ces quatre actes relèvent tous de chaque acte des vertus cardinales par mode
de fin, dans la mesure où la béatitude éternelle consiste en eux. |
|
[66810] De virtutibus, q. 5 a. 4 ad 15 Ad
decimumquintum dicendum, quod sobrietas non assimilat nos Angelis secundum
actum viae quem habet circa materiam ciborum et potuum; sed secundum actum
patriae, quem habet circa ultimum finem, sicut et aliae virtutes. |
15.
La sobriété ne nous assimile pas aux anges selon l’acte du voyage qu’elle
possède en matière de nourritures et de boissons, mais selon l’acte de la
patrie, qu’elle possède pour ce qui est de la fin ultime, comme les autres
vertus. |
|
[1]
Le père Maxime Allard est dominicain et professeur de philosophie et de
théologie au Collège Universitaire Dominicain à Ottawa (Canada). Il est Docteur
en théologie de l'Université de Laval. Il est titulaire d'une maîtrise en
philosophie à l'Université d'Ottawa (1997). Il a également obtenu une maîtrise
et une licence en théologie au Collège dominicain (1991). Ses champs d'intérêt
et de recherche sont concentrés sur les sujets suivants : Thomas d'Aquin; le
rationalisme au XVIIe siècle (Descartes et Spinoza); l'herméneutique et les
philosophies « post-modernes »; la philosophie de la religion; la
philosophie politique.
[2] Philippa Foot, Virtue and
Vices and other Essays in Moral Philosophy, Oxford University Press, 2003,
232p.; Alasdair MacIntyre, After Virtue. A Study in Moral Theory,
University of Notre Dame Press, 3e
édition, 2007, 321p.; S.L. Danwall (ed.), Virtue Ethics, Basil Blackwell
Pubs., coll. “Blackwell Readings in Philosophy”, 2002, 272p.; J. Oakley,
“Varieties of Virtue Ethics”, in Ratio, 9\2 (1996), p. 128-152; M.
Alvarez Mauri, “Perspectivas actuales sobre la virdud. Estudio bibliografico”,
in Pensamiento, 198\48 (1992), p. 459-485; S.M. Gardiner (ed.), Virtue
Ethics Old and New, Ithaca, Cornell University Press, 2005; G.E. Pence,
« Recent Works on virtue », in American Philosophical Quarterly 21
(1984), p. 281-298; K.M. Staley, “Thomas Aquinas and Contemporary Ethics of
Virtue”, in The Modern Schoolman, 66 (1989), p. 285-300; L Sentis, De
l'utilité des vertus. Ethique et alliance, Paris, Beauchesne, 2004, 404p;
[3]
L.E. Corso de Estrada, « Antropologia en la Q.d. de virtutibus in
communi de Santo Tomás », Sapientia, 46 (1991), p. 99-110; M.F.
Johnson, « St. Thomas, Obediential Potency, and the Infused Virtues :
De Virtutibus in Communi, a. 10 ad 13”, in Recherches de théologie
ancienne et médiévale, supplementa I, 1995; J. Leirens, La théorie des
vertus dans la Question Disputée De virtutibus in communi de saint Thomas
d’Aquin, Rome, Pontificia Universitas Santa Crucis, Facultas Filosofia,
2002, 322p.; J Inglis « Aquinas’s Replication of the Acquired moral
virtues: Rethinking the Standard Philosophical Interpretation of Moral Virtue
in Aquinas”, in Journal of Religious Ethics 27\1 (1999), 3-27. Un
mémoire de maîtrise au Centre Pierre Abélard, par Marie-Alix Vandevoorde a
proposé une « Traduction et commentaire des articles 10, 11 et 13 du De
virtutibus in communi de Thomas d’Aquin » en 2005 sous la direction de
R. Imbach. La traduction d’un monumental « On the virtues » de J.
Capreolus en 2001, préfacé par Pinckaers et traduit par K. White et R. Cessario
(Catholic University of America Press, xxxv + 395p.) serait aussi à mettre au
compte de cet intérêt pour la vertu parmi les thomistes.
[4]
Il faudra attendre l’édition critique de la Commission léonine pour savoir ce
qu'il en est de cet « ajout » de ce dominicain.
[5]8E. Wéber, La controverse de
1270 à l’Université de Paris et son retentissement sur la pensée de S. Thomas
d’Aquin, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothèque
thomiste » 40, 1970 et id., La Personne humaine au XIIIe siècle,
Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothèque
thomiste » 46, 1991; Thomas d’Aquin, Contre Averroès, traduit,
présenté et annoté par Alain de Libera, Paris, Garnier-Flammarion, coll.
« Philosophie », 1999, 713p.; A. de Libera, L’Unité de
l’intellect : commentaire du De Unitate Intellectu contra averroistas de
Thomas d’Aquin, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll.
« Études et commentaires », 2004, 558p.
[6]
J.-P. Torrell, Saint Thomas d’Aquin : sa personne et son oeuvre,
Paris & Fribourg, Éditions du Cerf et Éditions universitaires de Fribourg,
coll. « Vestigia. Pensée antique et médiévale. Initiation. 13 » 2e éditions, 2002, 654p. où
il affine les données des PP. Synave, Mandonnet et Weisheipl et les travaux de
P. Glorieux; J.A. Weisheipl, Frère Thomas d’Aquin. Sa vie, sa pensée, son
oeuvre, traduit de l’anglais par C. Lotte et J. Hoffmann, Paris, Cerf,
coll. « Cerf Histoire », 1993, p. 143-148, 283.
[7]
Cela mérite attention car ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, la
question 1 du De veritate sera certes scindée en deux dans la Summa
theologiae Ia, q. 16-17 mais l’ordre des articles sera globalement respecté
bien que le contenu soit très modifié à l’intérieur de chaque respondeo,
surtout à propos de la définition de la vérité (cf. L. Dewan, « St
Thomas’s Successive Discussions on the Nature of Truth », in D. Ols (ed.), Sanctus
Thomas de Aquino : Doctor Hodiernae Humanitatis, Vatican City,
Libreria Editrice Vaticana, 1995, p. 153-168. D’autres cas pourraient être
recensés.
[8]
« Mais il faut dire qu’on est empêché de faire des reproches au railleur,
qui méprise la correction et par là il devient pire. Mais en sens contraire,
le péché est une faiblesse de l’âme, selon cette parole du Ps 6, 4 : « Aie
pitié de moi, Seigneur, car je suis faible ». Mais celui à qui on impose
le soin d’un faible ne doit pas renoncer à cause de son opposition ou de son
mépris : parce qu’alors, le danger est plus grand quand il méprise le
remède ; c’est pourquoi le médecin a du mal à soigner un dément…. »
(nos italiques). La même chose se produit aussi, par exemple, en q. 1, a. 4,
obj. 5 et 8; q. 1, a. 8, obj, 10; q. 1. a. 9, obj. 14; q. 2, a. 12, obj. 9,
etc. On trouve même un cas où aucun sed contra n’apparaît, ce
qui, dans la Summa theologiae est presque exclusivement réservé à des
questions où il va de valider une liste (v.g., Summa theologiae,
IIaIIae, q. 80).
[9]
Sur toute cette question, cf. B. Bazan , G. Fransen, JF Wippel, D
Jacquart, Les questions disputées et les questions quodlibétiques dans les
facultés de théologie, de droit et de médecine, Turnhout, coll.
« Typologie des sources du Moyen Âge occidental 44-45 » , 1985, p.
13-149. On pourra relire aussi avec profit le neuvième chapitre de M.-D. Chenu,
Introduction à l’étude de saint Thomas d’Aquin, Publication de
l’Institut d’études médiévales 11, Montréal-Paris, 1954 ainsi que le long
article de P. Glorieux, « L’enseignement au Moyen Âge. Techniques et
méthodes en usage à la Faculté de Théologie de Paris au XIIIe siècle », in
Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 35 (1968), p.
65-186.
[10]
S. Thomas d’Aquin, Questiones disputatae, tome 2, Marietti, 1949, p.
703. Que penser par ailleurs de l’attente soutenue par le désir d’une
présentation où il en irait de la cohérence parfaite et complète de la nature
de la « vertu »? C’est là une question pour un autre travail car je
ne crois guère possible de trouver un lieu thomasien où ce désir et cette
attente trouveraient satisfaction!
[11]
D’ailleurs, la correctio avait fait deux brèves apparitions dans le
traitement des questions antérieures du De
virtutibus in communi en q. 1, a. 9, ad 9 et en q. 2, a. 8, ad 10.
[12]
Il est intéressant de voir le P. Bernard, dans les notes doctrinales thomistes,
expliciter le texte de la Somme théologique comme si l’importation
avouée et répétée de cet élément de la question disputée allait de soi (Somme
théologique, La vertu, tome premier, Paris, Éditions de la
Revue des jeunes, 1933, p. 382-384) et qu’il ne se pose pas la question de
l’absence de ces traits dans la négociation théologique propre à la Somme
théologique.
[13] Q. 1, a. 1, ad 13; q. 1, a.
4, ad 2; q. 2, a. 6, ad 15; q. 2, a. 13, ad 1; q. 5, a. 4,
ad 13.
[14] Q. 1, a. 12, ad 24.
[15] Q. 3, a. 1, ad 19 : « si correctio secundum debitas
circumstantias fiat, non sequetur inde turbatio, sed potius pacis
stabilimentum, remotis discordiarum causis.”
[16]
F. Nietzsche, Aurore, Préface de 1886 § 5.
[17]
Né en en 1935, Jacques Ménard a été professeur d'histoire du Moyen Âge à
l'Université de Montréal (Canada) pendant une trentaine d'années. Il a enseigné
en particulier l'histoire des rapports entre religion et politique au Moyen
Âge. Il a été aussi chargé pendant plusieurs années des cours sur l'histoire du
latin médiéval. Il est actuellement le plus efficace collaborateur du projet https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique
pour la traduction et l’édition des œuvres complètes de saint Thomas d’Aquin.
[18] [La
définition communément reçue, attribuée à Augustin, était la suivante : Virtus
est bona qualitas mentis, qua recte vivitur, qua nullus male utitur, quam Deus
in nobis sine nobis operatur : «La vertu est une bonne qualité de l’esprit,
par laquelle on vit correctement, dont personne ne fait un mauvais usage, que
Dieu réalise en nous sans nous.» Voir plus loin, article 9, arg. 1; aussi II-II,
q. 55, a. 4, arg. 1.]
[19]
Actuellement en retraite, Raymond Berton est titulaire d'un Doctorat d’État
français, consacré à Abraham dans la littérature patristique latine. Il
a réalisé deux traductions du De potentia de saint Thomas d’Aquin. Il
travaille en ce moment sur le Commentaire des
Sentences. Le 1er
septembre 2005, il nous annonce son projet de prendre en main tout le livre 1
pour le projet https://www.i-docteurangelique.fr/DocteurAngelique .
[20] I Sent. d. 17,q. 1, a. 1. IIa//IIæ q. 23, a. 2 ;
[21]
les paroles de l’Apôtre, Sermon 18 et
28 (161 et 180).
[22]
Le texte d’Augustin La Trinité, VIII,
VIII, 12 : « Diligat fratrem, et
diliget eamdem dilectionem». Trad. BA p. 63 : « Qu’il aime son
frère, il aimera ce même amour. Il connaît mieux en effet l’amour dont il aime,
que son frère qu’il aime».
[23]
Augustin, même référence : «Apertissime enim in eadem Epistula …dicit ……
Ista contextio satis aperteque declarat, eamdem ipsam fraternem
dilectionem…(nam fraterna dilectio est, qua diligimus invicem) non solum ex
Deo, sed etiam Deum esse tanta auctoritate praedicari ». Trad. BA (p65) :
« Ce contexte est assez clair. Il montre que cette charité fraternelle…
non seulement vient de Dieu, mais qu’elle est Dieu…»
[24]
La Trinité, XV, XVII, 27.
: « Nous n’irons pas dire en effet que, si Dieu est appelé charité,
c’est non pas que la charité elle-même soit une substance qui mérite le nom de
Dieu, mais c’est qu’elle est un don de Dieu, au sens par exemple où le
psalmiste dit à Dieu : « Tu es ma patience. »… Mais il n’est pas dit
: « Seigneur, ma charité », ou « Dieu ma charité ». Il est
dit : « Dieu est charité », comme il est dit : Dieu est
Esprit. (Jn 4, 24). (Trad. BA 16,
p. 27-28).
[25]
Augustin la Trinité, VIII, VIII, 12
:« Il connaît mieux en effet l’amour dont il aime que son frère qu’il
aime. Et voilà dès lors que Dieu lui est mieux connu que son frère ;
beaucoup mieux connu, parce que présent…Embrasse le Dieu amour et tu
embrasseras Dieu par amour » Trad. BA 16 p. 63.
[26]
L’expression se trouve en Ia//IIæ 49, a. 1 sc. C’est Aristote qui le dit Catégories 8, 9 a 5.
[27]
Les quatre définitions de la nature données par Boèce (Contre Eutychès et Nestorius, ou la Personne du Christ, 1) ;
1.
«Les choses corporelles ou incorporelles, ce qui peut être saisi par
l’intellect». Le terme nature s’applique à des choses qui, puisqu’elles
sont, peuvent être saisies de quelque manière. Accident et substance sont donc
compris dans cette définition, car tous peuvent être saisis.
2.
« Est une nature ce qui peut ou agir ou pâtir».
3.
« La nature est le principe du mouvement par soi et non par
accident » (Cf. Physique, 192 b)
4.
« La nature est la différence spécifique qui donne sa forme à chaque
chose ». (Trad. H. Merle)
J.
Maritain nous invite à considérer en plus de ce que nous appelons nature
« la nature de tout être ». C’est dans ce sens qu’il faut comprendre
l’emploi du mot dans ce qui suit.
[28]
Il s’agit des dix catégories (Catégories,
4, 1 b 25).
[29]
La pélagianisme est une hérésie en matière de théologie de la grâce, promue par
le moine Pélage (début du Ve
siècle). Sa doctrine se résume ainsi : « L’homme peut accomplir les
commandements de Dieu par ses propres forces sans qu’il ait besoin pour cela
d’un concours divin intérieur à la volonté ». (Ch Baumgartner, La grâce du Christ, p. 14. Cette opinion
a été combattue par Augustin.
On
trouve en I Sent. d. 17, q. 1, a. 1,
arg. 8 le même raisonnement mais plus clair. Le syllogisme consiste à dire : 1.
Le créé est une nature – 2. Si la charité est créée elle est une nature, qui
apporte des mérites – 3. Donc en conclusion une nature apporte du mérite, ce
qui est la doctrine de Pélage.
[30]
Cf. I Sent. D. 17,q. 1,a.2 :
« La charité est-elle un accident ? »
[31]
Comprendre un être naturel, sans apport de la grâce.
[32]
« Le Maître… affirme que la charité n’est pas quelque chose de créé dans
l’âme, mais l’Esprit saint lui-même habitant notre âme » (IIa IIæ, q. 23, a. 1, c.
[33]
« D’autres actes vertueux procèdent de l’Esprit saint par la médiation des
habitus d’autres vertus. » Il cite l’espérance et la foi (IIa IIæ, q. 23, a. 2 c.).
[34]
Thomas distingue intrinsèque et interne. Ce qui est intrinsèque appartient à la
nature et en dépend, opposé à un mouvement intérieur.
[35]
« …parce que le péché ne corrompt pas entièrement la nature humaine…il
reste que l’homme dans cet état peut, par son pouvoir naturel, réaliser les
biens particuliers, comme bâtir une maison et planter des vignes » Ia, IIæ q. 109, a. 2, c.
[36] Parall. IIaIIæ, q. 23, a. 3. II Sent. d. 27, q. 2, a. 2.
[37]
Le texte dit diligere vel amare. Les
deux mots se traduisent pour nous par « aimer », (Ia IIæ, q. 26, a. 3) : « L’amour
est-il la même chose que la dilection ». « L'amour est le plus
commun; car toute dilection ou charité est amour; mais l'inverse n'est pas
vrai. Car la dilection, comme le mot l'indique, ajoute à l'amour l'idée d'un
choix, d'une "élection" antécédente. Ce qui fait que la dilection ne
se trouve pas dans le concupiscible mais seulement dans la volonté, et dans la
seule nature rationnelle. Enfin la charité ajoute à l'amour une certaine
perfection, car ce qu'on aime de charité est estimé d'un grand prix, comme
l'indique le nom même de charité ».
[38] Cf. Ia IIæ, q. 23, a. 1, c.
[39]
L‘amitié ne concerne que les individus entre eux et non la vie de la cité.
[40]
La médiété de la vertu selon Aristote : « J’entends par moyen dans la
chose ce qui s’écarte à égale distance de chacun des deux extrêmes ». (Ethique ; II, 5 1106 a 27). Sur
« nos œuvres bien réussies… il est impossible de rien retrancher ni de
rien ajouter. Voulant signifier par là que l’excès et le défaut détruisent la
perfection tant que la médiété la préserve… ». (Ibid. 1106 b 10).(Trad. J. Tricot).
[41]
Cf. IIaIIæ q. 23, a. 2, arg. 2 :
« Mais la charité n’est pas le dernier degré (ultimum) mais c’est plus la joie et la paix. Donc il semble que la
charité n’est pas une vertu, mais c’est la joie et la paix qui en sont
une ».
[42]
En IIaIIæ, q. 23, a. 1, sc., il cite Jn 15, 15 : « Je ne vous
appelle plus serviteurs, mais mes amis ».
[43]
Thomas étudie trois cas où s’exerce la vertu d’amour : l’acte de raison,
l’opération de l’artisan et celle de l’homme en tant que citoyen, appliquée en
parallèle à la citoyenneté de la Jérusalem céleste.
[44]
Parall. : IIaIIæ, q. 23, a. 8 – II
Sent., d. 26, a. 4, ad 5. – III Sent.,
d. 23, q. 3, a. 1, q. 1 – d. 27, q. 2, a. 4 ; qa. 3 – Q. de verit., q. 11, a. 5, - De
malo, q. 7, a. 2.
[45]
« Vertu unique » Cf. arg. 6, 8, 9, 10, 12
[46]
La référence donnée par l’édition Marietti est fausse ; le II, 13 n’existe
pas.
[47] Parall. : IIa IIæ, q. 23, a. 4 – III
Sent., d. 27, q. 2, a. 4, qa. 2 — De
Malo, q. 7, a. 2, q. 9, a. 2.
[48] Ia, IIæ, q. 52, a. 1 – q. 66, a. 1. I Sent., d. 17, q. 2, a. 1 – De
Malo, q. 7, a. 2 – Quodl., 9, q.
6.
[49] Parall. : IIa IIæ q. 25, a. 3.- III Sent. d. 28, a.
2.
[50]
Il s’agit des talents.
[51]
La liste des défauts et vices cités par saint Paul est bien plus longue.
[52]
Parall. : IIa IIæ, q. 25, a. 8,
q. 83, a. 8 – III Sent. , d. 30,
a ; 1 – De duobus Praecept, cap.
De dilect, prox. – de Perf. Vitae spir., cap. XIV, Ad Rm 12, lectio 3.
[53]
Mais saint Jean ajoute aussitôt : Eh bien, moi, je vous dis : Aimez vos
ennemis… (5, 44).
[54]
La référence semble fausse.
[55]
L’autorité judiciaire légale.
[56] Parall.
: IIa IIæ, q. 26, a. 1 – III Sent. d. 29, a. 1.
[57] Il
m’a menée au cellier et la bannière qu’il dresse sur moi est l’amour (BJ).
[58]
Parall. : IIa IIæ, q. 24, a. 8, - q. 184, a. 2 – II Sent. d. 27, q. 3, a ; 4 – De perf. vit spir., cap. III, sq. Ad Philipp., c. 3, lect. 2 -
[59]
Ainsi donc, toujours pleins de hardiesse, et sachant que demeurer dans ce
corps, c'est vivre en exil loin du Seigneur, car nous cheminons dans la foi,
non dans la claire vision... (BJ).
[60]
Qui jouit de la vision béatifique.
[61]
Parall. : III Sent. d. 20, a. 8, q.a. 2.
[62] Parall.
: IIa IIæ, q. 24, a. 11 — CG.
IV, 70 — Ad Rom., c. 8, lect. 7 — Ad cor., c. 13, lect. 3. Cet article est souvent la
reprise, parfois mot à mot, de l’art. 11 de IIa
IIæ, q. 24.
[63]
Homélie sur la Pentecôte (cf. IIa
IIæ, q. 24, a ; 11, arg. 3).
[64] Cf. a. 1.
[65] Parall. : IIa IIæ, q. 24, a. 12 – III
sent., d. 31, q. 1, a. 1.
[66]
Référence apparemment fausse.
[67]
Le précepte est un terme
technique, opposé au conseil. Le précepte s’impose à tous (exemple : la charité), le conseil à
certains (pauvreté, chasteté, etc.).
[68]
Parall. : IIaIIæ, qu. 33, a. 2 – IV
Sent., d. 19, qu. 2, a. 2, q.a 1.
[69] …
comme certains nous accusent outrageusement de le dire, devrions-nous faire
le mal pour qu'en sorte le bien? Ceux-là méritent leur condamnation.
(Rm 3, 8).
[70]
L’onction de l’Esprit saint.
[71] Parall.
: IIa, IIæ, q. 33, a. 3 — IV Sent., dist. 11, q. 2, a. 3 q. a 1
— Quodl., I, q. 7, a. 2 — XI, q. 10,
a. 1, 2, In Matth., c. 40.
[72]
« CORRECTION FRATERNELLE, 7. Et si dans quelqu'un de vos frères vous
remarquez ce regard immodeste dont je parle, avertissez-le tout de suite, afin
que sa faute ne se prolonge point, mais qu'il s'en corrige au plus tôt. Si,
après votre avis, et en quelque jour que ce soit, vous le voyez retomber, celui
qui aura pu l'observer doit le découvrir comme un blessé qu'il faut guérir.
Auparavant néanmoins, on doit le faire remarquer à un autre, et même à un
troisième, afin qu'il puisse être convaincu par la déposition de deux ou trois
témoins (2) et retenu par une crainte salutaire. Mais ne croyez pas être
malveillants en le faisant connaître; vous êtes coupables au contraire quand
vous laissez périr par votre silence des frères que vous pouvez corriger en
parlant ».
[73]
« …devant ceux qui doivent le convaincre s'il nie, le signaler au
supérieur, dans la crainte qu'une correction trop secrète ne lui permette de
dissimuler devant les autres ».
[74]
« Auparavant néanmoins, on doit le faire remarquer à un autre, et même à
un troisième, afin qu'il puisse être convaincu par la déposition de deux ou
trois témoins et retenu par une crainte salutaire ».
[75]
Il s’agit de Job.
[76] Voir IIIa, q. 15, a. 10, c, et Trois
opuscules sur la vie religieuse mendiante, notes 43-44.
[77]
Née en 1980, Anne Michel a suivi des études classiques, jusqu'à l'obtention
d'une maîtrise de lettres classiques (Le livre IV de la Johannide de
Corippe: introduction, traduction et notes), d'une maîtrise de philosophie (Les
vertus cardinales chez saint Thomas d'Aquin: une question disputée, introduction et traduction)
et d'un DEA de papyrologie (Edfou à l'époque byzantine : des ostraca
grecs inédits de l'IFAO).